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L’Ukraine se remet d’une lourde nuit de tirs de roquettes et de missiles

L'Ukraine se remet d'une lourde nuit de tirs de roquettes et de missiles, d'est en ouest. Chaque matinée comme celle-ci n'est pas seulement synonyme de pertes, mais aussi une raison de se rendre compte de la résistance du réseau électrique, de la continuité des chemins de fer et du dévouement des sauveteurs
Tiré de Inprecor
18 novembre 2024
Par Vitaliy Dudin
Il va sans dire que notre bien-être commun dépend de ces domaines socialement essentiels, ou plus précisément de leur fourniture adéquate au niveau de l'État.
Il est aussi évident que l'ennemi veut détruire ce qu'on peut appeler des sites d'infrastructures critiques.
On sait déjà que les Russes ont frappé principalement des sites énergétiques, et ont causé la mort de deux employés de l'Ukrzaliznytsia [chemins de fer] et en ont blessé trois
Cependant, il convient de rappeler que les réformes néolibérales imposées d'en haut peuvent porter gravement atteinte au fonctionnement des industries critiques en reléguant au second plan les intérêts de la société. La logique est de commercialiser davantage ces secteurs et de les rendre plus attrayants pour les investisseurs plutôt que, disons, d'améliorer la protection de leurs employés. Le moteur de ces processus n'est pas l'exigence de l'UE, mais plutôt l'influence du lobby des entreprises ou le désir intrinsèque de « libérer » les citoyens des attitudes paternalistes.
D'un point de vue purement humain, ce qui me dérange le plus, c'est l'incapacité du Ministère ukrainien de la politique sociale à garantir le versement des prestations prévues par la loi 2980 pour les familles de personnes tuées dans des infrastructures critiques. Le caractère massif des refus de versement d'allocations par les autorités du Fonds de pension de l'Ukraine pour des raisons purement bureaucratiques a entraîné des déceptions et de nouveaux traumatismes dans la population.
J'ai pu rencontrer les survivants des familles des travailleurs de Kherson qui ont effectué la restauration des lignes électriques détruites et ont été tués en 2023. Malheureusement, l'État a refusé à toutes ces familles les paiements dus en vertu de la loi 2980, car il considère que les cibles des attaques n'étaient pas des infrastructures essentielles. Je ne veux pas que les électriciens ordinaires, les travailleurs de la défense et des chemins de fer deviennent des héros oubliés en cas de tragédie, parce qu'ils ont tout fait pour que notre vie soit la meilleure possible.
Ensemble, nous survivrons à ces défis historiques et défendrons le droit à une vie meilleure en tant que pays. Mais pour cela, l'État doit contribuer par tous les moyens au renforcement des infrastructures critiques, en accordant une attention particulière aux questions sociales : sécurité du travail, versements décents d'assurance, implication des syndicats dans la résolution des problèmes.
Le 17 novembre 2024, traduit par Catherine Samary
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Qualifier des violences entre supporters de pogrom est une insulte à la mémoire des opprimé·es

Des hooligans israéliens d'extrême droite se sont déchaînés à Amsterdam, vociférant des slogans racistes, faisant l'apologie du génocide en cours à Gaza ou agressant des personnes, suscitant une réaction de la part d'habitants locaux. La confrontation a été violente, et des supporters israéliens qui n'étaient pas impliqués dans les attaques menées par les hooligans du Maccabi Tel-Aviv auraient également été victimes de violences à leur tour.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Néanmoins, qualifier de pogrom ce qui s'est passé banalise des horreurs authentiques et relève de l'ignorance historique, comme le montrent dans cet article Djene Rhys Bajalan et Ben Burgis. Une telle interprétation des faits – promue très vite par Netanyahou – a essentiellement pour fonction de victimiser l'État colonial d'Israël et, ce faisant, de légitimer la guerre génocidaire que celui-ci mène contre les Palestinien·nes de Gaza, ainsi que le nettoyage ethnique en Cisjordanie et les bombardements incessants sur des populations civiles au Liban (accompagnés d'une invasion terrestre), mais aussi la répression des mouvements de solidarité avec la Palestine, partout dans le monde occidental.
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La semaine dernière, le journal de Bari Weiss, Free Press, a titré : « Le pogrom de la nuit dernière à Amsterdam ». Deux jours plus tard, Fox News informait ses lecteurs en ligne que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait « condamné » le « pogrom antisémite d'Amsterdam ».
À présent, une recherche Google avec le seul mot « pogrom » fait apparaître une interminable succession de gros titres sur ce même événement, souvent accompagnés de vidéos de supporters de l'équipe de football Maccabi Tel-Aviv attaqués dans les rues d'Amsterdam.
La logique de ce récit semble assez simple. Ce qui s'est passé après le match entre le Maccabi et l'Ajax d'Amsterdam était (a) une séquence de violences où (b) les victimes étaient juives et (c) les auteurs ne l'étaient pas. Il s'agit donc d'un « pogrom ».
Mais que s'est-il réellement passé à Amsterdam ? À y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'on ne peut strictement en aucune manière parler de « pogrom ».
Ce qu'étaient réellement les pogroms
Le terme « pogrom » évoque de profonds souvenirs de traumatismes juifs, ainsi qu'une histoire de brutalisation aux mains des communautés ethniques dominantes. Pourtant, appliquer ce terme à des événements récents est une grave erreur, qui déforme la véritable signification des pogroms tels qu'ils sont apparus historiquement, en particulier lors de la transition de la civilisation féodale à la civilisation capitaliste.
Les pogroms ne sont pas des actes de violence isolés. Il s'agissait d'agressions calculées pour maintenir les Juifs fermement enfermés dans leur périmètre social. Les pogroms étaient un outil utilisé par la majorité contre une minorité racialisée à qui l'on refusait tous les droits politiques et civils.
Si leur objectif premier était le maintien d'une hiérarchie, des spécialistes des pogroms, comme le professeur Hans Rogger, ont fait valoir qu'ils atteignaient leur paroxysme lorsque l'appareil de l'ordre existant – les systèmes juridiques et institutionnels qui perpétuent la discrimination – commençait à s'affaiblir ou à devenir inopérant. La minorité était alors la cible de la vengeance de la majorité qui estimait qu'elle « se hissait au-dessus de sa condition ». En bref, les pogroms ont servi d'instruments de terreur, renforçant les fondements du régime social existant en période de changement rapide.
Ce modèle de violence calculée ressemble étrangement à d'autres moments de l'histoire où les structures légales d'assujettissement étaient en déclin, comme la violence brutale que les musulmans ottomans ont infligée aux Arméniens – un processus qui s'est déroulé précisément au moment où la base légale de la « dhimmitude » (le statut inférieur des non-musulmans) était en train d'être démantelée. De même, aux États-Unis, le massacre de Tulsa est un pogrom de violence raciale visant les Noirs américains ayant réussi économiquement, et à ce titre, une tentative de consolider la stratification raciale à un moment où de nombreux Blancs craignaient l'érosion de la hiérarchie existante.
Ces exemples illustrent un principe fondamental : les pogroms ne peuvent se produire en dehors du cadre d'une société qui refuse systématiquement des droits à une minorité, en veillant à ce qu'elle reste vulnérable à la violence de la majorité. Ce qui s'est passé à Amsterdam ne ressemble en rien à cette structure. Il ne s'agissait pas d'attaques fondées sur l'oppression religieuse ou raciale. Il s'agissait d'incidents alimentés par la discorde politique entre différents groupes de nationalistes.
Décrire ce qui s'est passé à Amsterdam comme un pogrom ne sert qu'à brouiller les frontières entre l'antisémitisme et l'antisionisme, à obscurcir la nature spécifique (bien que se chevauchant parfois) de chacun et à déformer profondément les réalités matérielles de l'Europe moderne.
Ce qui s'est passé à Amsterdam
Les Juifs de l'Empire russe, où le terme « pogrom » a été inventé, savaient très bien qu'il ne fallait attendre aucune aide de la part des autorités tsaristes. Dans un pogrom classique, ces autorités se tenaient généralement à l'écart et laissaient libre cours à la violence, voire y participaient directement. Et les victimes étaient souvent bien trop effrayées par les conséquences pour elles-mêmes ou pour leur communauté pour essayer de se défendre.
Le plus souvent, les meilleures options étaient de barricader les portes ou de fuir. Si vous aviez beaucoup de chance, vous pouviez fuir jusqu'aux États-Unis, par exemple, où les pogroms n'existaient pas. (À titre personnel, c'est ainsi que la famille de l'un des auteurs de cet article est arrivée ici).
La dynamique de ce qui s'est passé à Amsterdam aurait difficilement pu être moins proche de cette histoire. Comme de nombreuses équipes dans le monde, certains supporters du Maccabi Tel Aviv sont ce que l'on appelle communément des « hooligans ». Comme on le voit couramment dans d'autres pays, cette brutalité comporte un élément politique nationaliste. Lors du match d'Amsterdam, les hooligans semblent s'être dépassés à cette occasion.
Avant que la situation ne s'inverse, certains supporters du Maccabi avaient arraché et brûlé des drapeaux palestiniens, attaqué violemment des chauffeurs de taxi musulmans, et applaudi et scandé pendant une minute de silence lors du match contre l'Ajax pour les victimes d'une inondation en Espagne. Selon le New York Times, la plupart des chants nationalistes de ce groupe au cours de ces événements ont dérapé vers « des slogans incendiaires et racistes, déclarant notamment qu'il n'y avait “plus d'enfants” à Gaza… ».
Par la suite, des supporters israéliens ont été agressés, notamment lors d'attaques avec délit de fuite par des auteurs circulant à bicyclette. Certaines des victimes étaient des supporters de Maccabi qui n'avaient pas participé aux actes d'hooliganisme précédents. En d'autres termes, l'événement s'est déroulé comme une violence footballistique nationaliste classique : les voyous d'un groupe de supporters se livrent à des actes violents, et l'affreuse dynamique intercommunautaire conduit à ce que non seulement les auteurs de ces actes, mais aussi l'ensemble du groupe de supporters (ou même de simples passants dont on suppose à tort qu'ils partagent leurs origines ou leur nationalité) soient attaqués.
S'il s'agissait, par exemple, de hooligans de Manchester City se livrant à des violences à Madrid et que d'innocents supporters de Manchester City (ou peut-être même de simples Anglais) étaient attaqués en retour, personne n'appellerait ça un « pogrom ». On parlerait simplement de violences footballistiques. Il est d'ailleurs frappant de constater que, loin de se comporter comme les autorités tsaristes lors d'un pogrom, la police d'Amsterdam semble avoir réprimé beaucoup plus durement ceux qui ont attaqué les supporters de Maccabi que les hooligans ouvertement racistes de Maccabi qui ont eux-mêmes déclenché la première phase des violences.
Notre propos ici n'est pas de dire que les actions incendiaires (et, dans certains cas, réellement violentes) des hooligans du Maccabi justifient ce qui s'est passé par la suite. Notre point de vue, vraiment très original, sur les événements qui se sont déroulés est que les violences dans le football sont une mauvaise chose.
Mais notre autre point de vue, plus important, est qu'essayer de faire entrer des violences assez classiques entre deux nations dans la catégorie des « pogroms » tient de l'exagération la plus grossière. En outre, l'utilisation de cette désignation pour salir de manière opportuniste le refus mondial contre les atrocités commises par Israël à Gaza en prétendant y voir une manifestation d'antisémitisme classique ne sert qu'à banaliser les horreurs véritables. Toutes celles et ceux qui se soucient réellement de l'antisémitisme devraient rejeter cet amalgame historiquement analphabète.
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Ben Burgis est chroniqueur au Jacobin, professeur adjoint de philosophie à l'université Rutgers et animateur de l'émission YouTube et du podcast Give Them An Argument. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont le plus récent est Christopher Hitchens : What He Got Right, How He Went Wrong, and Why He Still Matters.
Djene Rhys Bajalan est professeur associé au département d'histoire de l'université de l'État du Missouri. Il est également co-animateur du podcast This Is Revolution.
Article publié initialement sur Jacobin. Traduction : Contretemps

Les émeutes d’Amsterdam et le loup qui criait à l’antisémitisme

Les supporters israéliens du Maccabi Tel Aviv ont déclenché des violences à Amsterdam, mais l'extrême droite les présente comme des victimes pour réprimer la solidarité avec la Palestine.
Tiré de Inprecor
18 novemre 2024
Par Alex De Jong
La maire libérale d'Amsterdam, Femke Halsema, a déclaréque les affrontementsqui ont suivi le match entre le Maccabi Tel Aviv et l'AFC Ajax à la fin de la semaine dernière étaient le résultat d'un « cocktail toxique d'antisémitisme, de hooliganisme et de colère à propos de la guerre en Palestine et en Israël ». Si cette description n'est pas totalement fausse, elle est assurément trompeuse. C'est ce qui ressort clairement du rapport exécutif du conseil municipal, dans lequel Halsema a écrit la déclaration susmentionnée.
Aujourd'hui, la droite néerlandaise utilise une interprétation déformée de la violence dans la ville et arme l'antisémitisme pour faire avancer son programme raciste et justifier la répression de la solidarité avec la Palestine.
Dès avant le match de jeudi soir, il était clair que les supporters du Maccabi étaient venus à Amsterdam pour se battre. Ils ont traversé la ville en chantant des chants racistes et génocidaires et en harcelant des personnes qu'ils supposaient être musulmanes ou arabes. En outre, Amsterdam étant généralement une ville de gauche avec une importante communauté musulmane, il n'est pas rare de voir des drapeaux palestiniens accrochés aux balcons ou aux fenêtres. Des vidéos ont circulé montrant des supporters du Maccabi en train de les arracher.
La situation s'est encore aggravée lorsque des supporters de l'équipe de Tel Aviv ont agressé un chauffeur de taxi, provoquant la réaction d'un groupe très soudé et rapidement mobilisé.
La tension était telle avant le match que le conseil municipal d'Amsterdam a même envisagé de l'interdire. Ils ont toutefois décidé de ne pas le faire, craignant que les centaines de supporters de Maccabi présents dans la ville ne deviennent encore plus incontrôlables. Au lieu de cela, l'exécutif a essayé de contacter les clubs de football pour qu'ils demandent à leurs supporters de se calmer. Il a également été demandé à l'ambassadeur d'Israël de déclarer que le football et la politique ne devaient pas se mélanger, mais sa réponse n'a pas été rendue publique.
Deux poids, deux mesures
Toute cette situation est le résultat d'une hypocrisie flagrante de la part des autorités néerlandaises en ce qui concerne les souffrances des Palestiniens. À la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les équipes russesont été interdites, mais lorsque des organisations de solidarité avec la Palestine ont demandé l'interdiction des équipes israéliennes, elles ont été ignorées. L'exécutif d'Amsterdam a même prétendu que les supporters du Maccabi, qui avaient envoyé à l'hôpital un homme en Grèce parce qu'il portait un foulard palestinien, n'étaient pas connus pour être dangereux.
Lorsque le match d'Amsterdam a finalement commencé, les supporters du Maccabi ont bruyamment perturbé la minute de silence pour les victimes des inondations en Espagne. Ce n'est peut-être pas une surprise, car le gouvernement espagnol est l'un des États européens les plus critiques à l'égard de la guerre d'Israël.
Après le match, des maisons arborant des drapeaux palestiniens ont de nouveau été assiégées par des groupes de supporters du Maccabi.
La situation s'est aggravée ce soir-là, lorsque des groupes de jeunes locaux se sont battus avec les supporters du Maccabi, les recherchant dans toute la ville. 62 personnes ont été arrêtées, dont dix Israéliens. Après une journéeau cours de laquelle la police s'est abstenue d'intervenir auprès des supporters du Maccabi, les arrestations ont visé de manière disproportionnée la jeunesse locale. Le groupe juif antisioniste Erev Rav a publié une déclaration critiquant les forces de police pour avoir ciblé des jeunes locaux d'origine marocaine alors que « les supporters du Maccabi qui ont lancé des provocations n'ont subi aucune conséquence ».
Erev Rav avait initialement prévu de commémorer le pogrom de 1938 en Allemagne le week-end dernier, mais a annulé sa manifestation. Ils ont expliqué qu'ils ne faisaient pas confiance à la police d'Amsterdam pour protéger les Juifs antisionistes contre les supporters du Maccabi.
Le groupe a également dénoncé l'instrumentalisation de l'identité juive par les supporters de Maccabi.
Opportunisme politique
L'extrême droite néerlandaise a, sans surprise, vu une opportunité dans tout cela. Après le match, Geert Wilders, chef du plus grand parti du parlement néerlandais, a déclaré que ce qui s'était passé était un « pogrom de la pire espèce » et a demandé le licenciement de Halsema. Il a affirmé qu'elle avait soi-disant échoué à protéger les juifs contre la violence antisémite. Il est indéniable que certaines personnes impliquées dans les affrontements ont proféré des insultesantisémites et qu'il a été dit que des personnes « d'apparence juive » ont été sommées de montrer leur passeport, ce qu'il faut absolument condamner, mais parler de pogrom est totalement disproportionné.
En réalité, la droite instrumentalise la question de l'antisémitisme en assimilant tous les juifs à l'État d'Israël – la même tactique souvent utilisée par le gouvernement israélien qui la déploie cyniquement contre ses détracteurs. Wilders sait bien que les déclarations antisémites ne sont malheureusement pas inhabituelles dans le football néerlandais, mais il semble choisir le moment opportun pour les dénoncer. Par exemple, un chant particulièrement infâme, souvent lancé contre l'équipe d'Amsterdam, l'Ajax, appelle au gazage de tous les juifs. Mais comme cette forme d'antisémitisme est le fait de supporters de football majoritairement blancs, la droite néerlandaise, qui consacre son énergie à lier l'antisémitisme à l'islam et aux migrants, s'y est beaucoup moins intéressée.
Wilders n'est pas le seul coupable. De retour d'une visite au dirigeant hongrois d'extrême droite Viktor Orban, le Premier ministre néerlandais Dick Schoof a déclaré que l'antisémitisme résultait d'un « échec de l'intégration » dans la société néerlandaise. Pour lui, le problème, ce sont les migrants, et non la rhétorique raciste et fasciste de l'extrême droite colportée dans toute l'Europe.
Où sont les politicien·nes de gauche ?
Après le match, la situation s'est tendue. Lundi, les gens ont de nouveau affronté la police. Ces affrontements ont eu lieu alors que l'exécutif avait interdit toute manifestation et qu'une manifestation organisée dimanche avait été dispersée. Entre dimanche et mercredi, des dizaines de manifestants ont été arrêtés lors de dispersions musclées de manifestations par la police. Les militants avaient appelé à un rassemblement pour la défense des droits démocratiques et la solidarité avec la Palestine.
Malgré toute cette répression, la gauche parlementaire est restée quasiment absente. Ce n'est pas une surprise. D'importants efforts de solidarité avec la Palestine ont été déployés aux Pays-Bas, qu'il s'agisse de manifestations ou de sit-in, mais les partis de gauche – à l'exception du petit parti radical BIJ1 – n'y ont guère participé. Pire encore, une grande partie du parti travailliste néerlandais est historiquement très pro-israélien.
Le silence de la gauche parlementaire permet à la droite d'attiser le climat de haine contre les migrants, de lier l'antisémitisme à l'islam et de qualifier la solidarité avec la Palestine d'hostilité à l'égard des juifs.
La maire Halsema, membre du parti vert, n'a fait que jeter de l'huile sur le feu en s'obstinant à comparer les événements de ces derniers jours à des pogroms. L'interdiction de manifester à Amsterdam qu‘elle a imposée est aussi clairement une tentative d'éviter de nouvelles critiques de la part de la droite, mais cela n'a fait que légitimer une répression autoritaire de la solidarité avec la Palestine en particulier.
Les conséquences à long terme des récents événements restent à voir, mais la trajectoire générale est claire. Aidée par le silence et l'opportunisme du centre-gauche, l'extrême droite en a été le principal bénéficiaire.
Une panique morale s'est emparée du pays et, une fois de plus, les jeunes musulmans, en particulier ceux d'origine marocaine, ont été déclarés menace existentielle pour la société néerlandaise. Cette fois, c'est à cause de leur supposé antisémitisme inné. Alors que les partis de droite lancent l'idée de les déchoir de la nationalité néerlandaise (du moins pour ceux qui possèdent une double nationalité), à titre de mesure punitive, le hooliganisme des supporters de Maccabi et leur glorification du génocide israélien ont été relégués à l'arrière-plan.
Dans les semaines et les mois à venir, les tentatives de criminaliser la solidarité avec la Palestine vont probablement se multiplier, et soutenir la libération de la Palestine sera de plus en plus assimilé à de l'antisémitisme. Le mois dernier déjà, un porte-parole de l'organisation de solidarité avec la Palestine Samidoun a été banni du pays et le cabinet néerlandais a demandé l'interdiction totale de l'organisation.
La seule façon de résister aux politiques autoritaires et au racisme de la droite est que la gauche et les militants de la solidarité se serrent les coudes, racontent toute l'histoire de ce qui s'est passé à Amsterdam et défendent le droit de s'organiser et de s'exprimer en solidarité avec la Palestine.
Publié le 14 novembre 2024 par New Arab.
Alex de Jong est codirecteur de l'Institut international pour la recherche et l'éducation (IIRE) à Amsterdam, aux Pays-Bas, et rédacteur en chef du site web socialiste néerlandais Grenzeloos.org.
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Russie. Répression des militants de la gauche russe

Le 5 juin, le collège militaire de la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté l'appel de Boris Kagarlitsky, laissant cet éminent sociologue derrière les barreaux pour les cinq prochaines années. Une fois de plus cet événement a attiré l'attention du monde sur la persécution des prisonniers politiques en Russie.
Tiré de A l'Encontre
16 novembre 2024
Par Ivan Petrov, Membres du Cercle marxiste d'Oufa.
La campagne en faveur de la défense de Boris Kagarlitsky n'a pas faibli, mais a au contraire pris de l'ampleur. Son cas n'est cependant que la partie émergée de l'iceberg du système répressif de notre pays, qui fait encore d'autres victimes.
Si Boris Kagarlitsky est un visage connu dont le sort est fort connu, de nombreux condamnés ou mis en examen dans des affaires pénales politiques ou semi-politiques sont inconnus non seulement du grand public, mais parfois aussi des militants de la société civile.
A la fin de l'année dernière, après avoir été libéré pendant deux mois d'un centre de détention provisoire dans la ville septentrionale de Syktyvkar, Boris Kagarlitsky lui-même était déterminé à lutter pour la liberté des prisonniers politiques et à surmonter le blocus de l'information autour de leur persécution. Début avril, alors qu'il se trouvait déjà dans un centre de détention provisoire de la ville de Zelenograd, dans la région de Moscou, il a écrit une lettre ouverte aux militants de gauche :
« L'unité et la maturité politiques s'acquièrent par l'activité politique. Et dans les conditions actuelles, où l'action politique et l'auto-organisation sont extrêmement difficiles dans notre pays, aider des personnes partageant les mêmes idées qui se trouvent en prison devient non seulement une activité humaniste, mais aussi un geste politique important, une pratique de solidarité. Aujourd'hui, alors qu'une telle initiative a enfin reçu une mise en œuvre pratique, elle doit être soutenue, nous pouvons et devons nous rassembler autour d'elle. Après tout, le premier pas sera suivi d'autres pas. Pour que se dessine l'avenir, nous devons travailler dès maintenant. »
Qui est persécuté ?
Selon les milieux proches d'Amnesty International, il y a actuellement plus de 900 prisonniers politiques en Russie. Le nombre réel de peines infligées aux militants persécutés est bien plus élevé. Ces chiffres n'incluent pas les personnes réellement emprisonnées pour des raisons politiques, mais formellement pour des affaires criminelles forgées de toutes pièces.
La fabrication d'affaires criminelles est l'une des méthodes préférées pour traiter les dirigeants syndicaux. Quiconque s'oppose activement à l'ordre et au gouvernement actuels peut aller en prison, et de plus en plus de militants de gauche en font partie.
Au début du XXe siècle, selon Vladimir Lénine, les métallurgistes constituaient l'unité la plus avancée de la classe ouvrière en Russie. Aujourd'hui, de nombreux sociologues et hommes politiques considèrent les salarié·e·s du secteur de la santé comme les plus organisés et les plus aptes à défendre leurs intérêts.
En vertu de leur profession, ils protègent non seulement leurs propres intérêts économiques, mais aussi les vestiges du système de santé publique (gratuit pour la population) qui a survécu aux réformes néolibérales des dernières décennies. Objectivement, les salariés de la santé protègent donc les intérêts de tous les habitants de la Russie.
En 2012, le syndicat « Action » des travailleurs de la santé a été créé. C'est l'un des syndicats indépendants les plus militants et les plus efficaces de notre pays. Présent dans 57 régions, il fait désormais partie de la Confédération du travail de Russie (CLR), la deuxième plus grande organisation syndicale de Russie.
Le syndicat Action regroupe les travailleurs des cliniques publiques, mais aussi des cliniques privées, dont les propriétaires n'apprécient guère les syndicats. En outre, il n'y a pas de place pour une désunion au niveau des unités de soins dans le système de santé. L'activité rassemble sur un pied d'égalité les médecins, le personnel paramédical, les infirmières, les aides-soignants et les étudiants des instituts et collèges médicaux.
Elle inclut également des représentants d'autres professions travaillant dans des organisations médicales, par exemple les ambulanciers.

Alexander Kupriyanov lors de son procès.
L'affaire Alexander Kupriyanov
Parmi les militants syndicaux, on trouve traditionnellement une forte proportion de personnes ayant des opinions de gauche. C'est le cas d'Alexander Kupriyanov, psychothérapeute de la ville de Bryansk, également connu sous le nom de Docteur Pravda (Vérité) grâce à sa chaîne YouTube du même nom.
Au milieu des années 2000, il a tenté de créer un syndicat indépendant sur son lieu de travail et, après l'apparition d'Action, il l'a rejoint. Alexander Kupriyanov est ensuite passé à la lutte politique, organisant des actions de rue, participant aux activités du Parti communiste de la Fédération de Russie (CPRF), se présentant à des organes élus à différents niveaux.
Dans la région de Briansk, Alexander Kupriyanov a organisé des rassemblements et des piquets de grève, tant sur des questions de santé (torture dans la clinique psychoneurologique de Trubchevsky, décès d'enfants dans le centre périnatal de Briansk, conditions de travail du personnel de la santé) que sur d'autres sujets, comme le déplacement forcé d'un vétéran de la Seconde Guerre mondiale d'un logement soi-disant « délabré » du centre de la ville vers la périphérie.
Les autorités régionales en colère n'ont pas pu tolérer cela longtemps. En 2018, Kupriyanov a été arrêté pour « fraude ». Selon les documents de l'affaire, il aurait été impliqué dans des opérations de prêts à des patients pour des traitements dans le système interrégional de cliniques « Med-Life », où il travaillait auparavant. Au total, 22 personnes sont impliquées dans cette affaire.
Alexander Kupriyanov n'avait aucun lien avec les propriétaires, l'administration ou le service comptable de la clinique, qui sollicitaient en fait les patients pour qu'ils contractent des prêts. En tant que médecin-chef du centre, il ne s'occupait que de médecine. Les autorités ont décidé d'utiliser une véritable affaire de fraude pour se débarrasser de leur adversaire. (Il est caractéristique que de véritables enquêtes aient été menées dans les cliniques « Med-Life » d'autres villes, mais pas dans celle de Briansk où travaillait Alexander Kupriyanov.)
Alexander Kupriyanov a passé un an dans le centre de détention provisoire – la période maximale de détention provisoire en vertu d'un article du code pénal – et, faute de preuves, il a été libéré. Toutefois, l'affaire pénale n'a pas été classée. Après sa sortie de prison, Kupriyanov s'est séparé du Parti communiste opportuniste de la Fédération de Russie sur des questions fondamentales et a été exclu du parti pour avoir critiqué ses politiques de compromis.
Il a rejoint le Comité d'action pour la solidarité (SAC), où il a commencé à soutenir les militants de gauche, les travailleurs et les syndicalistes emprisonnés. Alexander Kupriyanov devient l'un des fondateurs du Conseil public des citoyens de la ville et de la région de Briansk, et commence ensuite à collaborer avec le journal d'enquête Pour la vérité et la justice.
Le 15 août 2023, le journal et le Conseil public ont organisé une table ronde des citoyens de Briansk contre la corruption. Dès le 16 août, Kupriyanov, l'un des organisateurs de la table ronde, a été convoqué au service d'enquête de la police de Cheboksary, la capitale de la République de Tchouvachie. L'affaire pénale encore en cours a été reclassée dans la catégorie plus grave d'« organisation d'une communauté criminelle ».
Alexander Kupriyanov vit désormais chez lui à Briansk, mais il fait toujours l'objet d'une enquête. Conformément à la mesure administrative (interdiction de certaines actions), il lui est interdit, en tant qu'accusé, d'envoyer et de recevoir des envois postaux et des messages, d'utiliser l'internet et d'autres moyens de communication. Il doit prendre connaissance des pièces du dossier (560 volumes), ce qui implique de longs voyages dans la ville de Cheboksary, située à plus de 1000 km de Briansk.
Le dernier épisode majeur de l'affaire Kupriyanov s'est produit dans la seconde moitié du mois de février 2024. Le 21 février, il a été arrêté en pleine rue à Briansk et emmené à Cheboksary. Le lendemain, une audience du tribunal de district s'est tenue dans cette ville pour transformer la mesure administrative en détention. La requête des enquêteurs se fondait sur le fait que, pendant qu'il était libre, Alexander Kupriyanov avait continué à utiliser Internet.
Grâce au travail consciencieux de l'avocat L. Karama, à la position de principe du juge E. Egorov et à une campagne publique de défense, les requêtes des enquêteurs ont été rejetées par le tribunal, et la mesure administrative pour Alexander Kupriyanov est restée inchangée. Mais le danger qui pèse sur Kupriyanov demeure. Il doit encore prouver son innocence lors du procès.
Anton Orlov emprisonné
Un autre exemple de répression contre des syndicalistes est le cas d'Anton Orlov, coordinateur du syndicat Action dans la République du Bashkortostan. Membre du Parti communiste de la Fédération de Russie et d'une petite organisation interrégionale, l'Union des marxistes, Orlov est actuellement emprisonné pour des accusations de fraude à grande échelle.
Anton n'est pas médecin de formation mais a rejoint les équipes médicales au début de la pandémie de Covid-19, alors que le personnel médical de la République travaillait jusqu'à la limite de ses capacités physiques, souvent sans salaire supplémentaire. Voyant cette injustice, Orlov, jeune communiste, a rejoint le syndicat « Action » et est rapidement devenu son coordinateur à l'échelle de la république sur une base volontaire et non salariée.
Au cours des deux années (2020-2022) pendant lesquelles Orlov a travaillé au sein du syndicat, le nombre de membres de l'organisation dans le Bashkortostan (Bachkirie) a été multiplié par quatre ; les salaires des ambulanciers ont été augmentés ; le double salaire le week-end a été établi, et les employées enceintes ont été libérées du travail tout en conservant en moyenne leur salaire.
La campagne syndicale la plus réussie a été la « grève italienne » (grève du zèle) de février 2022 à Ichimbaï (république de Bashkortostan), au cours de laquelle les médecins ambulanciers ont réclamé le paiement de leur travail en équipes incomplètes.
La grève a entraîné l'intervention de l'inspection du travail et du bureau du procureur, ainsi que la démission du médecin-chef de l'hôpital de district, ce qui a suscité un écho important dans la presse et à la télévision. Les revendications fondamentales des grévistes ont été satisfaites.
L'accusation contre Anton Orlov a été portée au milieu de la grève d'Ichimbaï, ce qui indique clairement le contexte politique de l'« affaire » montée de toutes pièces, dans laquelle il était considéré comme un témoin, concernant deux épisodes de fournitures de carburant qui n'ont pas été livrées par les sociétés Nefte-Service et Hermes après que les paiements eurent été effectués.
Orlov avait travaillé comme directeur commercial de Nefte-Service SARL, mais n'avait pas accès aux comptes de la société. Les relations entre deux organisations commerciales devraient être réglées par un tribunal d'arbitrage, mais le bureau du procureur de la République, sans preuve factuelle, a vu dans cette histoire le vol de 11 millions de roubles.
Les représentants des structures syndicales, dont l'un, Boris Kravchenko, président de la Confédération du travail de Russie (CLR), est membre du présidium du Conseil pour les droits de l'homme et le développement de la société civile actuellement (donc sous la présidence de Poutine), n'ont pas été autorisés à comparaître au procès en tant que témoins de la défense.
Le 23 septembre 2022, Anton Orlov a été condamné à six ans et demi de colonie à régime général et à une amende de 250 000 roubles. Il est curieux que d'autres accusés dans l'affaire ayant témoigné contre lui – alors que leur culpabilité avait été prouvée – aient été condamnés à des peines plus courtes. En février 2023, la cour d'appel a – sous forme de dérision – réduit la peine d'emprisonnement de trois mois.
Cela n'a pas suffi aux autorités, et après la faillite officielle de Nefte-Service SARL et le paiement des dettes aux personnes lésées, une autre affaire pénale a été ouverte contre Anton Orlov au titre de l'article « fraude commise par un groupe organisé à une échelle particulièrement importante ».
Grâce aux efforts de l'avocate Larisa Isaeva, la deuxième affaire a été renvoyée à plusieurs reprises pour complément d'enquête en raison de nombreuses violations de procédure. Finalement, le 26 juin, un nouveau procès s'est ouvert. Anton Orlov s'est à nouveau retrouvé sur le banc des accusés, en tant que seul membre accusé d'un supposé « groupe organisé ».
Le culte de l'« Etat fort »
Parmi les prisonniers politiques de gauche, on trouve encore plus d'hommes politiques que de militants syndicaux. Par exemple, le simple fait de participer à une action de rue non autorisée par les autorités peut facilement conduire en prison.
Dans la Russie de Poutine, qui voue un culte à un « Etat fort » et à une « main ferme », non seulement chaque branche de l'armée, mais aussi chaque service de répression s'est vu attribuer sa propre fête professionnelle, que l'ensemble du peuple russe a reçu l'ordre de célébrer. Le 20 décembre est un jour férié pour l'omniprésent Service fédéral de sécurité (FSB).
Le 20 décembre 2021, les membres de l'association de jeunesse de gauche radicale « Left Bloc » ont célébré cette journée à leur manière. Ils ont décidé de féliciter la gendarmerie sous une forme comique : ils ont déployé une banderole à l'entrée de la direction du FSB pour le district administratif du sud-ouest de Moscou et ont allumé des bombes fumigènes, ce que les forces de sécurité redoutent particulièrement dans les rues des grandes villes.
Les agents de la sécurité d'Etat n'ont pas apprécié ces remerciements, et il n'a pas été difficile d'identifier ceux qui les félicitaient, car une vidéo de l'action a été publiée sur la chaîne du Left Bloc. Quelques jours plus tard, les auteurs des félicitations ont commencé à être arrêtés et une procédure pénale a été ouverte contre deux d'entre eux, l'anarchiste Lev Skoryakin et le communiste Ruslan Abasov.
Dans le cadre de l'enquête, la plaisanterie innocente des jeunes gens a été interprétée comme suit : un groupe de personnes, par conspiration préalable, a commis un attentat contre une institution gouvernementale en utilisant des armes, et de plus motivé par la haine politique, ce qui est considéré comme une circonstance aggravante.
Sur la base du témoignage d'un mineur intimidé ayant participé à l'action et de preuves fabriquées de toutes pièces, Lev Skoryakin et Ruslan Abasov ont été envoyés dans un centre de détention provisoire, où ils ont passé neuf mois. Le tribunal a ensuite remplacé la mesure de détention par une « interdiction de certaines actions ».
Après leur sortie de prison, les accusés se sont empressés de se cacher, violant ainsi l'ordre de ne pas quitter la région d'enregistrement permanent. Ruslan Abasov s'est rendu en Bosnie, puis en Croatie, où il vit actuellement. Lev Skoryakin, dont le passeport a été confisqué lors de la perquisition, s'est rendu dans la capitale du Kirghizstan, Bishkek, où un passeport étranger n'était pas exigé, et a entrepris des démarches pour obtenir un visa pour l'Allemagne.
A Bichkek, Lev Skoryakin a été arrêté à plusieurs reprises par les forces de sécurité kirghizes. Il a passé plus de trois mois en prison, dans l'attente de son extradition vers la Russie. Le bureau du procureur général du Kirghizstan a ensuite refusé la demande d'extradition de la partie russe ; en septembre 2023, Lev Skoryakin a été libéré.
Cependant, il n'a pas eu à se réjouir longtemps : dès le mois d'octobre, il a été de nouveau arrêté et, cette fois, remis à la partie russe. Lev Skoryakin a été transporté à Moscou, menottes aux poignets. A son arrivée à l'aéroport Domodedovo de la capitale, il a été battu et torturé.
Au cours des nombreuses heures d'interrogatoire, les agents du FSB ont tenté de lui soutirer des informations sur les organisations de gauche en Russie et sur les structures de défense des droits de l'homme qui aident les militants politiques à échapper aux persécutions. Cependant, les interrogateurs n'ont jamais obtenu les informations dont ils avaient besoin et Lev Skoryakin, épuisé, a été emmené dans un centre de détention provisoire.
Pendant plusieurs semaines, le Left Bloc et des militants des droits de l'homme ont cherché Lev Skoryakin et l'ont finalement retrouvé par l'intermédiaire d'un avocat.
En décembre, un procès s'est tenu au cours duquel le procureur a requis une peine de cinq ans et demi de prison pour l'accusé. Le 13 décembre 2023, il a été reconnu coupable au titre de l'article « hooliganisme impliquant des violences contre des fonctionnaires » et condamné à une amende de 500 000 roubles, dont il a été dispensé en raison de son long séjour en prison.
Craignant que le ministère public ne fasse appel de cette sentence relativement clémente, Lev Skoryakin s'empresse de se rendre dans la capitale arménienne Erevan et, en mars 2024, il s'installe en Allemagne avec un visa humanitaire.
Infraction pénale : « étudier le marxisme »
Dans la Russie moderne, il est tout à fait possible de devenir un criminel sans participer à des manifestations de rue ou allumer des bombes fumigènes, mais simplement en lisant et en discutant des classiques du marxisme. Et là, même les mandats des autorités régionales ne nous protègent pas.
A Oufa, la capitale de la République du Bachkortostan, il y avait un cercle marxiste, auquel beaucoup ont participé au cours de la dernière décennie. Le créateur de ce cercle, Alexey Dmitriev, est un jeune intellectuel et, soit dit en passant, un médecin (pédiatre-otolaryngologiste), une personne aux intérêts incroyablement vastes, allant des mathématiques aux sciences politiques.
Dmitry Chuvilin, député de l'opposition au Kurultai (Parlement du Bashkortostan) jusqu'en mars 2022, n'est pas en reste dans le cercle. Le cercle s'est donné pour mission d'éduquer les gens. La priorité a été donnée à l'étude de la philosophie, en particulier de la logique et de la pensée critique.
Pendant la saison chaude, le cercle a organisé des réunions dans la nature, avec des membres de l'Union des marxistes, du Front de gauche et d'autres organisations de gauche de différentes régions de Russie. Outre l'éducation et les discussions scientifiques, de nombreux membres du cercle ont travaillé dans des syndicats, participé à des élections à différents niveaux, écrit des articles, tenu des blogs et essayé de coopérer avec les médias.
Le lien naissant entre la théorie et la pratique, l'éthique de l'auto-organisation des travailleurs, la popularité relativement large (pour une activité non officielle) et les tentatives de création d'une structure interrégionale distinguaient le cercle d'Oufa de beaucoup d'autres.
L'Etat a considéré ce cercle comme une menace, en particulier avec le début de la guerre contre l'Ukraine, appelée pudiquement « opération militaire spéciale ». Un mois après le début des hostilités, tôt dans la matinée du 25 mars 2022, des agents du FSB ont fait irruption au domicile de 15 membres du cercle marxiste.
Plusieurs d'entre eux ont été battus lors de leur arrestation. Les perquisitions dans les appartements ont été menées avec une ardeur particulière, tout a été mis sens dessus dessous à la recherche d'éléments matériels nécessaire pour porter des accusations au titre du stupéfiant article sur le « terrorisme ».
Les agents du FSB ont confisqué tous les médias, le matériel de camping, la littérature philosophique, politique et historique de la gauche, qui apparaît dans les documents de l'affaire comme « extrémiste ». Les agents étaient particulièrement intrigués par le matériel de camping : talkies-walkies comme moyen de communication, outils de terrassement pour creuser autour des tentes, vêtements de camouflage pour touristes, dont un pour un garçon de 10 ans, et même des jumelles pour enfants.
Par la suite, ces objets ont commencé à figurer dans les pièces du dossier parmi les preuves des activités criminelles du cercle. Au cours de la perquisition, deux grenades ont été trouvées sur l'un des marxistes – il les aurait cachées dans le poêle à bois, qui était allumé tous les jours !
Ce jour-là, 14 personnes ont été arrêtées et emmenées dans les services de police du district. Cinq membres du cercle ont été placés en garde à vue, les autres ont été entendus comme témoins et relâchés. Le docteur Alexey Dmitriev, l'ancien député Dmitry Tchouviline, l'entrepreneur Pavel Matisov, le travailleur « aux petits boulots » Rinat Burkeev et le retraité Yuri Efimov sont en détention provisoire depuis plus de deux ans.
Dmitry Tchouviline étant un parlementaire, la décision d'engager une procédure a été prise personnellement par le chef du comité d'enquête russe pour le Bashkortostan, Denis Chernyatyev. Immédiatement après l'annonce de la décision du tribunal sur l'arrestation, Tchouviline a déclaré la nature politique de leur persécution et a entamé une grève de la faim.
Bien que membre de la faction parlementaire Kurultai du Parti communiste de la Fédération de Russie, le parti n'a pas soutenu Tchouviline, émettant la formule philistine habituelle : « Nous ne connaissons pas tous les faits. Nous ne sommes pas complètement sûrs de son innocence. »
Les principaux points de l'acte d'accusation sont la préparation d'une prise de pouvoir violente, la création d'une communauté terroriste, l'appel à des activités terroristes, la justification publique du terrorisme et de sa propagande sur Internet, et la préparation du vol d'armes. Il est curieux que l'acte d'accusation reproche aux prévenus d'avoir lu les œuvres de Karl Marx, Friedrich Engels et Vladimir Lénine, qui n'ont pas encore disparu des rayons de presque toutes les bibliothèques russes !
En outre, l'étude des articles du célèbre professeur soviétique Anton Makarenko [pédagogue] et l'interprétation de chansons tirées des films soviétiques les plus populaires sur la guerre civile apparaissent également comme des preuves des activités criminelles du cercle. Il ressort de tout cela que les accusés préparaient une attaque contre des agents des forces de l'ordre et des unités militaires, la saisie d'armes, la commission d'actes terroristes et même la prise du pouvoir.
C'est drôle ? Dans une affaire aussi sacrée que la persécution des dissidents, le gouvernement russe n'a pas peur de paraître cocasse, car il est confiant dans son impunité, ainsi que dans l'indifférence passive de la population, qui aurait perdu le sens de l'humour.
La principale « preuve » de l'accusation est constituée par les deux grenades ! Dans le même temps, l'affaire contient une requête sans réponse de l'accusé Pavel Matisov pour mener une enquête sur l'origine des grenades et sur la manière dont elles se sont retrouvées dans son poêle à bois.
L'informateur, le procès, la guerre
L'acte d'accusation repose entièrement sur le témoignage d'un informateur, Sergei Sapozhnikov, qui a rejoint le cercle au printemps 2020.
En 2014-2015, Sapozhnikov a combattu dans la milice de la République populaire autoproclamée de Donetsk en tant que commandant d'escouade. Fin 2017, l'Ukraine l'a inscrit sur la liste internationale des personnes recherchées dans le cadre d'une affaire criminelle initiée en juillet 2014 à Dniepropetrovsk. Le service de sécurité de l'Ukraine a accusé Sergei Sapozhnikov de vol avec blessures ayant entraîné la mort.
Sapozhnikov a été arrêté à Oufa en novembre 2017 et envoyé dans un centre de détention provisoire, d'où il a été libéré en avril 2018. La raison pour laquelle il a été libéré reste un mystère. Après le début de l'enquête, les membres du cercle d'Oufa ont commencé à soupçonner que Sapozhnikov avait été recruté par le FSB et, en 2020, spécialement infiltré dans l'organisation en tant que provocateur.
La pression exercée par l'enquête sur les membres restants du cercle visait à neutraliser ceux qui pouvaient résister à la version officielle de l'accusation. Mais l'un des membres du cercle était en vacances en Turquie en mars 2022. Après avoir appris, selon des informations venant d'Oufa, la perquisition de son domicile et l'arrestation de ses camarades, lui et sa famille ont été contraints de prendre la difficile décision d'émigrer.
Installé aux Etats-Unis, il écrit plusieurs articles pour révéler l'affaire de l'intérieur, dans lesquels il donne une version alternative de ce qui se passe et dénonce le provocateur.
Le 30 janvier 2024, les audiences de la soi-disant « affaire du cercle marxiste d'Oufa » ont commencé au tribunal militaire du district central d'Ekaterinbourg. Dès la première audience, l'un des accusés, Yuri Efimov, a déclaré que l'accusation était fabriquée et que le témoin principal était un provocateur.
Il est évident que l'examen d'un dossier de 30 volumes prendra beaucoup de temps. Seules quelques séances ont eu lieu pendant six mois. Il semble que même le tribunal soit embarrassé par l'absurdité de la situation et ne sache pas encore comment se comporter.
Dans les premiers jours de l'agression impérialiste de la Russie en Ukraine, lorsqu'il est devenu évident qu'une « guerre éclair » ne fonctionnerait pas et qu'une guerre prolongée provoquerait tôt ou tard le mécontentement des travailleurs, la Douma d'Etat, obéissant à Vladimir Poutine, s'est empressée d'adopter des ajouts au code pénal et au code des infractions administratives de la Fédération de Russie.
L'innovation la plus célèbre a été l'article dit « sur le discrédit de l'armée russe », en vertu duquel plusieurs milliers de personnes ont été condamnées dans des affaires administratives (code administratif de la Fédération de Russie 20.3.3) et plusieurs dizaines pour des violations répétées dans des affaires pénales (code pénal de la Fédération de Russie 280.3 – jusqu'à trois ans d'emprisonnement).
En fait, toute personne qui exprime activement son refus d'une « opération militaire spéciale » peut être inculpée en vertu de cet article. Et ce n'est pas toujours nécessaire !

Daria Kozyreva.
Une jeune héroïne
Dans la nuit du 24 février 2024, à l'occasion du deuxième anniversaire du début de l'agression, la très jeune communiste Daria Kozyreva a été arrêtée à Saint-Pétersbourg pour avoir collé sur le monument au grand poète ukrainien Taras Chevtchenko un morceau de papier contenant des vers en ukrainien tirés de son poème « Testament » :
Oh, enterrez-moi, puis levez-vous
Et brisez vos lourdes chaînes
Et arrosez du sang des tyrans
La liberté que vous avez gagnée.
Daria s'est imprégnée des idées communistes dès l'adolescence ; elle a lu Le Capital à l'âge de 12 ans. Avant son arrestation, elle a participé aux activités de deux organisations de gauche et des cercles qui leur étaient associés. En grandissant, Daria passe du stalinisme-hodjaïsme [référence à Enver Hoxha ou Hodja, premier secrétaire du Parti du travail d'Albanie de 1941 à 1985] à un authentique léninisme.
Dès le début de l'« opération spéciale », Daria Kozyreva, estimant qu'il s'agissait d'une guerre impérialiste, ne s'est pas contentée de condamner systématiquement ce qui se passait, elle est passée à l'action. En janvier de cette année, elle a été exclue de l'université d'Etat de Saint-Pétersbourg pour avoir publié sur les réseaux sociaux un message contre les nouveaux articles du code pénal, dans lequel Daria ridiculisait les prétentions russes à « dénazifier l'Ukraine ».
Avant même d'atteindre l'âge adulte, à 18 ans, elle a attiré l'attention des forces de l'ordre en raison d'une inscription anti-guerre sur la place du Palais à Saint-Pétersbourg. Elle et son ami ont reçu le premier avertissement pour avoir discrédité l'armée en août 2022, pour avoir arraché une affiche dans le parc Patriot, appelant au service dans l'armée active sous un contrat.
Une infraction de ce genre implique une procédure pénale, et Daria a été incarcérée dans un centre de détention provisoire pour le tract sur le monument.
Daria Kozyreva, 18 ans, considère les répressions la visant comme la preuve d'un devoir accompli, comme la reconnaissance par ses ennemis de l'importance de son combat. Elle se caractérise par un principe de sacrifice dans les meilleures traditions du mouvement révolutionnaire russe. C'est ce qui permet à cette jeune femme résistante de supporter les épreuves de l'emprisonnement.
Les camarades qui correspondent avec elle et qui l'ont vue lors des procès notent que Daria est de bonne humeur et déterminée à se battre jusqu'au bout. Sur toutes les photos de la salle d'audience, Daria affiche un large sourire. Dans une lettre ouverte au journal d'opposition Novaïa Gazeta, qui n'a été publiée que sous forme électronique pendant plus de deux ans [depuis septembre 2022, la publication est interdite et la rédaction ne peut plus exercer en Russie, des rédactrices et des rédacteurs ont été assassinés], elle écrit :
« Le 25 au soir, j'ai appris l'existence de l'affaire criminelle – et j'étais dans une sorte de joie désespérée. J'ai souri et plaisanté pendant la fouille, et j'ai continué à sourire lorsqu'ils m'ont emmenée au centre de détention temporaire. Et là, dans la nuit du 25 au 26, j'ai réalisé : ça y est, ma conscience va se calmer. Elle m'a tourmenté pendant deux foutues années. J'avais l'impression de ne pas en faire assez ; et même si j'avais des actions anti-guerre à mon actif, ma conscience me disait : si tu restes libre, c'est que tu n'en as pas fait assez.
Parfois, je ne comprenais pas quel droit j'avais de marcher librement, alors que des Russes courageux et honnêtes étaient enfermés en prison. J'ai compris que si le « régime Poutine » durait plus longtemps, je risquais fort de me retrouver en prison. En fait, ce qui devait arriver arriva. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils décident de me faire passer pour Taras Chevtchenko – oh mon Dieu, c'est absurde ! Eh bien, tant mieux ! Chevtchenko est mon poète préféré et c'est un plaisir particulier de souffrir pour lui.
Je n'ai pas peur d'être condamnée. S'il le fallait, je donnerais ma vie pour mes convictions, mais ici ils ne m'emprisonneront que pour quelques années. J'accepte volontiers cette coupe amère et je la bois jusqu'à la lie avec fierté. »
Un régime qui a peur de la solidarité
Le sort de plusieurs militant·e·s de gauche dont nous avons parlé ici – différents par leurs opinions, leur type d'activité et leur tempérament – indique clairement que dans la Russie d'aujourd'hui, les efforts de l'Etat en tant qu'appareil répressif de la classe dirigeante visent à éliminer, à déraciner toute résistance au régime établi, à éliminer toute alternative, aussi inoffensive qu'elle puisse paraître à première vue, à régler des comptes avec ceux qui pensent et vivent « différemment des nôtres ».
Le régime voit, à juste titre, une menace dans toute manifestation de liberté et de dissidence. Par conséquent, ce n'est pas seulement la gauche radicale qui est menacée, mais toute personne qui élève la voix contre l'ordre établi, pour défendre les opprimé·e·s.
Les procédures démocratiques telles que les élections sont depuis longtemps devenues une fiction, et cela n'est caché à personne. Un citoyen actif, à la pensée contestataire, ne peut pas compter sur la possibilité d'agir dans le champ politique légal. Mais cela ne suffit pas.
Il ne suffit pas que l'Etat chasse dans le « ghetto » tous les opposants cohérents et énergiques. Il faut qu'ils ne représentent même pas une menace potentielle.
Il y a encore suffisamment de place dans les prisons et les colonies pénitentiaires. Et cet Etat trouvera toujours une loi appropriée pour y envoyer tous ceux qu'il n'aime pas – et si soudain il n'y a plus assez de lois, il en adoptera de nouvelles. Qu'est-ce que cela coûte, avec un tel parlement !
A mesure que les politiques répressives des autorités s'intensifient, l'opposition de la gauche et des forces démocratiques s'accroît. Outre les campagnes visant à protéger certains prisonniers politiques, des structures apparaissent pour unir les efforts et formaliser politiquement la lutte pour la libération de ceux et celles qui ont souffert pour la liberté, pour les idéaux d'égalité et de justice sociale.
L'une de ces structures est le Comité d'action solidaire. Cette organisation existait déjà dans la seconde moitié des années 2000, lorsqu'elle cherchait à coordonner l'activité des syndicats, des comités de grève et des organisations de gauche, en établissant un échange d'informations et une assistance mutuelle entre eux, et contribuait à l'élaboration d'une position commune.
En moins de cinq ans d'existence, le comité a mené des dizaines d'actions et de campagnes de solidarité, dont les plus importantes ont été une grève de 28 jours à l'usine Ford de Vsevolozhsk et une « grève du zèle » de deux mois dans le port de Saint-Pétersbourg. A l'époque, la lutte des classes avait pris de l'ampleur, faiblement certes, mais, selon les critères de la Russie post-soviétique, elle méritait toute l'attention qu'elle exigeait.
Aujourd'hui, malheureusement, les réalités ont changé : le mouvement ouvrier est dans l'impasse et le problème de la persécution politique est revenu sur le devant de la scène.
La commission a repris ses travaux au printemps 2022, avec l'éclatement de la guerre et l'atteinte aux droits sociaux et politiques des populations. Sans refuser par principe de travailler avec les centres d'auto-organisation des travailleurs, le nouveau CAS, dans ses activités pratiques, s'engage principalement à aider les militants de gauche, les travailleurs et les militants syndicaux réprimés.
Nous avons pris en charge les dossiers et sommes directement impliqués dans la protection et le soutien de nombreux militants susmentionnés : Boris Kagarlitsky, Alexander Kupriyanov, Anton Orlov, Lev Skoryakin, Daria Kozyreva. Les membres du SAC du Bashkortostan fournissent une assistance aux « Cinq d'Oufa », suivent l'évolution du procès, diffusent des informations sur les opinions et le sort des camarades en difficulté et les soutiennent par des lettres et des colis.
Tout en défendant des militants spécifiques, nous n'oublions pas la lutte politique et économique pour la libération du travail et de l'humanité dans son ensemble de la dictature du capital. Chacune de nos actions vise à faire prendre conscience aux travailleurs salariés de leurs intérêts de classe et à les organiser pour lutter pour ces intérêts.
Nous considérons qu'il est extrêmement important de renforcer les liens de solidarité internationale. Le moment actuel exige que toutes les forces progressistes de gauche de la planète s'unissent et s'organisent pour lutter pour un avenir sans guerre, sans exploitation, sans pauvreté et sans injustice.
Le monde devrait appartenir à ceux qui ont versé leur sang, leur sueur et leurs larmes pour ses bienfaits. Nous sommes convaincus que nos camarades étrangers nous apporteront tout le soutien possible. Nous exprimons la même disponibilité ! (Publié dans la revue Against the Current, novembre-décembre 2024, traduction rédaction A l'Encontre)
Ivan Petrov est un pseudonyme collectif du Solidarity Action Committee (SAC). Vous pouvez contribuer à soutenir les activités du SAC, y compris le soutien aux prisonniers politiques, via https://boosty.to/komitetsd.
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« Les élites politiques russes promeuvent ouvertement un projet mondial »

[Note de l'éditeur : Ce qui suit est une transcription éditée du discours et des réponses aux questions données par Hanna Perekhoda sur le thème « Impérialisme(s) aujourd'hui » lors de la conférence en ligne « Boris Kagarlitsky et les défis de la gauche aujourd'hui », qui a été organisée par la Campagne de solidarité internationale Boris Kagarlitsky le 8 octobre. Perekhoda est une socialiste ukrainienne, membre de solidaritéS dans le canton de Vaud, en Suisse, et candidate au doctorat en sciences politiques (Université de Lausanne). Les transcriptions et les enregistrements vidéo des autres discours prononcés lors de la conférence sont disponibles sur le site web de la campagne freeboris.info, d'où le texte ci-dessous est republié].
7 novembre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/07/les-elites-politiques-russes-promeuvent-ouvertement-un-projet-mondial/#more-87242
Je vous remercie de m'avoir invitée et de m'avoir donnée l'occasion de m'exprimer. Tout d'abord, je voudrais être claire. Je ne travaille pas sur la question de l'impérialisme en tant que telle. Mon sujet est lié aux différentes expressions de l'imaginaire politique russo-ukrainien. Je pense que je suis ici plus en tant qu'activiste qu'en tant que chercheuse. Mon analyse n'a pas la prétention d'être exhaustive ou scientifique.
C'est désormais un lieu commun de dire que les combustibles fossiles et leur commerce sont étroitement liés à la dictature, à la corruption et au militarisme. Mais paradoxalement, c'est un sujet dont on ne parle pas systématiquement lorsqu'il s'agit de comprendre l'impérialisme russe.
Commençons par un constat. L'extraction du pétrole et du gaz ne nécessitant pas beaucoup de travail, la richesse produite ne revient pas à la population. Au contraire, elle va directement dans les mains de ceux qui possèdent les gisements. En Russie, il s'agit essentiellement d'un cercle d'amis de Poutine. Le gaz et le pétrole sont pratiquement les seules choses qui rapportent des bénéfices réels en Russie.
Ces bénéfices sont ensuite redistribués dans d'autres domaines. Une grande partie de ces bénéfices va bien sûr à quelques centaines de familles de hauts fonctionnaires qui les utilisent pour acheter les plus longs yachts du monde, les plus grands palais et les produits de luxe les plus extravagants. Une partie de ces bénéfices sert à entretenir l'industrie militaire, l'armée, la police, bref, toutes les structures qui contribuent à maintenir ce petit cercle de personnes au pouvoir. Ce qui reste est généralement utilisé pour maintenir le reste de la société dans une relation de dépendance extrême vis-à-vis de l'État.
Comme l'a dit Ilya Matveev, ce système pourrait continuer ainsi. Mais il y a une idéologie partagée par le cercle de Poutine, par lui-même, et nous supposons par quelques personnes autour de lui, une idéologie qui perçoit le monde d'une certaine manière, et où l'Ukraine occupe une place centrale.
Il ne serait pas facile de résumer les raisons pour lesquelles l'Ukraine a fini par occuper cette place centrale dans l'imaginaire politique russe. Mais si nous pouvons résumer grossièrement l'imaginaire de l'élite politique russe, nous obtenons le récit suivant. L'Ukraine fait partie de la nation russe parce que celle-ci a une conception primordialiste de la nation [1]. L'identité nationale distincte des Ukrainien·nes a été délibérément créée par les ennemis occidentaux de la Russie et par leurs agents (Vladimir Lénine était l'agent numéro un, il a créé l'Ukraine et l'a fait pour diviser la nation russe). Ce faisant, tous ces ennemis de la Russie visaient à empêcher la Russie de prendre la place qui lui revient en tant que puissance impériale de premier plan dans le monde.
L'Ukraine est considérée comme un pion dans un jeu à somme nulle. Si l'Ukraine est indépendante, la Russie ne peut pas devenir une grande puissance.
Selon cette vision du monde, seules les grandes puissances jouissent d'une véritable souveraineté politique. Il s'agit là d'un point important : la manière dont la souveraineté et la capacité d'agir sont comprises dans cette idéologie. Pour les tenants de cette vision du monde, ceux qui ont la capacité d'agir ne sont pas les communautés humaines mobilisées, comme les nations ou les classes, ni même les élites qui représentent ces communautés. Seuls les dirigeants des soi-disant grandes puissances ont une véritable capacité d'action. Ils sont les seuls véritables souverains. Selon Poutine, le monde ne compte que deux souverains : lui-même et le président américain.
Voyant le monde à travers le prisme de cette idéologie, qui est un système fermé, comme toute idéologie, Poutine est sincèrement convaincu que tout mouvement d'émancipation dans le monde est en fin de compte un complot mené par les États-Unis contre la Russie. Que ce soit en Syrie ou dans d'autres pays, il est perçu comme un acte d'agression de l'hégémon mondial contre l'hégémon en devenir.
La guerre contre l'Ukraine était un choix politique. Elle a été conçue, ne l'oublions pas, comme une guerre courte et victorieuse dans laquelle il n'y aurait pas de résistance. Gardons ce fait à l'esprit. Elle a été imaginée comme un renversement rapide de l'équilibre des forces, dans le but d'imposer un nouveau statu quo durable, un statu quo qui permettrait à ces deux grandes puissances que sont la Russie et les États-Unis d'établir des zones d'influence exclusives, c'est-à-dire de créer des colonies où elles pourraient exploiter les populations et les ressources naturelles sans limites ni respect d'aucune norme ou règle, qu'il s'agisse de la protection de l'environnement ou des droits des êtres humains.
À travers cette guerre en Ukraine, qui peut sembler locale, les élites politiques russes promeuvent ouvertement un projet global, qu'elles conçoivent en ces termes. En substance, elles affirment : « Vous voyez, le droit international ne fonctionne pas. Alors que faire ? Admettons que la seule loi qui existe vraiment est la loi du plus fort. Soyons honnêtes et officialisons la ».
Le risque d'accepter cette logique est très élevé, surtout aujourd'hui, alors que nous assistons à la destruction de Gaza par Israël et à la complicité des États-Unis, ainsi qu'à la paralysie de nombreux autres pays face à ce mépris total de tous les droits et de toutes les lois. C'est la preuve la plus évidente que le droit international ne fonctionne pas. Nous sommes témoins d'une crise énorme. La nécessité de maintenir la structure internationale actuelle semble pratiquement inutile.
Le problème est que dans un monde où ces structures disparaissent brutalement, ceux qui sont déjà en position de faiblesse – des États comme la Palestine, l'Ukraine, l'Arménie, pour ne citer que quelques exemples – et les forces politiques, comme la gauche internationale, seront parmi les premiers à perdre dans cette lutte où seules comptent la force et la puissance pures. La droite autoritaire et productiviste que représente Poutine, ainsi que de nombreux autres hommes politiques dans d'autres pays, est déterminée à éroder complètement ces structures internationales et à empêcher l'émergence de tout mécanisme alternatif qui pourrait limiter ses ambitions suprémacistes et polluantes.
En fin de compte, tout acte d'agression, même lointain, s'il est normalisé, a des implications qui devraient toutes et tous nous concerner. La victoire militaire et la montée en puissance d'un État réactionnaire et militariste comme la Russie signifient inévitablement la montée en puissance de forces réactionnaires, militaristes et fascistes dans d'autres pays, et vice versa. Lorsque les victimes d'une agression ne sont pas défendues, dans quelque partie de la planète que ce soit, cela enhardit les innombrables psychopathes au pouvoir à résoudre leurs problèmes de légitimité politique par la guerre. Et à l'heure actuelle, ils sont confrontés à de nombreux problèmes de légitimité politique, compte tenu des inégalités croissantes, entre autres.
Je voudrais dire quelques mots sur la conférence elle-même.
Je tiens à remercier les organisateurs et les organisatrices pour cette initiative et pour ce qu'elles et ils font, car tout acte de solidarité est précieux par les temps qui courent. Nous devons maintenir la pratique de la solidarité.
Je tiens également à dire que je ne connais pas Boris Kagarlitsky personnellement et que je ne partage pas la plupart des analyses que j'ai pu lire de sa part. Mais je soutiens votre initiative de solidarité parce que c'est un prisonnier politique.
En tant que personne originaire de Donetsk, comme cela a été mentionné, mes ami·es et ma famille ont beaucoup perdu – certains ont tout perdu, d'autres ont perdu la vie – à cause de l'occupation russe de notre région qui a commencé en 2014. Je dois dire que j'ai été profondément bouleversé à l'époque de voir combien d'intellectuel·les et d'activistes russes de gauche, y compris Boris, sont passé·es complètement à côté de ce qui se passait dans le Donbas.
Beaucoup ont minimisé ou n'ont pas reconnu le rôle de l'État et de l'armée russes, souvent inattentifs ou inattentives au fait que sans l'implication directe de la Russie, cette guerre au Donbas n'aurait jamais eu lieu. C'est ce qu'ont ouvertement reconnu des personnes comme Igor Strelkov, qui s'est plaint que les habitant·es du Donbas ne voulaient pas se séparer de l'Ukraine ou se battre contre l'Ukraine. L'armée russe, disait-il, devait le faire pour elles et pour eux.
En 2014, j'étais très jeune, mais même à l'époque, j'ai été surprise de voir combien de progressistes projetaient d'étranges fantasmes sur la lutte des classes sur ce qui était, en réalité, une intervention russe. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que de nombreuses et nombreux progressistes ukrainien·nes soient réticent·es à exprimer leur solidarité.
Quant à moi, ma position est simple : personne ne mérite d'être soumis à la torture d'une prison russe, qui est l'un des pires endroits que l'on puisse imaginer. J'espère sincèrement que les prisonnier·es politiques et les prisonnier·es d'opinion seront libéré·es le plus rapidement possible, en particulier celles et ceux qui, comme Boris, se sont opposé·es à l'agression militaire de leur pays. Mais je tiens également à souligner qu'il existe des militant·es de gauche qui ont eu le courage de s'opposer à cette situation, non seulement en 2022, mais déjà en 2014. Pendant toutes ces longues années, elles et ils ont été emprisonné·es en Russie. Je parle de personnes comme Daria Poludova et Igor Kuznetsov.
La plupart des victimes de la répression en Russie aujourd'hui sont des personnes ordinaires qui n'ont pas été impliquées de manière significative dans l'activité politique. Nombre d'entre elles et d'entre eux risquent aujourd'hui de longues peines de prison pour avoir exprimé leur opposition à la guerre sur les médias sociaux, même si leurs messages n'ont atteint que dix personnes. Elles et ils sont emprisonné·es pour cela, et elles et ils n'ont pas de capital social ou d'ami·es internationaux. Parfois, nous n'apprenons leur existence et leur courage qu'après leur mort en prison.
Un grand nombre de prisonnier·es sont des citoyen·nes ukrainien·nes qui se sont rendu·es dans les territoires occupés pour des raisons personnelles, par exemple pour rendre visite à des parent·es mourant·es. Ils sont retenus en otage en Russie, accusés de terrorisme. Elles et ils sont torturé·es, humilié·es et utilisé·es à des fins de propagande. Un nombre encore plus important de prisonnier·es sont des Ukrainien·nes des territoires occupés, dont un nombre significatif de Tatars de Crimée. Depuis 2014, des dizaines de milliers de personnes ont été enlevées et la plupart d'entre elles ont disparu à jamais. Beaucoup sont tuées sans procès. Telle est la réalité dans les territoires occupés depuis des années, alors qu'en Russie, la plupart des gens vivaient une période dite « béate », pour reprendre l'expression qui a été mentionnée aujourd'hui et à laquelle Boris Kagarlitsky a fait référence dans sa lettre.
Enfin, nous ne devons pas oublier que la répression est sévère en Russie et dans les États clients de la Russie comme le Belarus. Au Belarus, c'est un véritable massacre, mais il passe le plus souvent inaperçu.
Pour conclure, soyons clair·es : les victimes de la répression en Russie et au Belarus ont besoin de soutien et de solidarité active et concrète. En Ukraine, nous voyons également des cas d'accusations totalement arbitraires, telles que les accusations de collaborationnisme. Consultez le projet « Graty » pour en savoir plus et soutenez leur travail, car elles et ils font connaître ces cas et aident les victimes. Des dons réguliers à des initiatives comme OVD-Info ou l'Association des parents de prisonnier·es politiques du Kremlin peuvent également faire la différence. Il est essentiel de soutenir les mouvements progressistes qui opèrent encore en Russie, comme la Résistance féministe contre la guerre.
Mais ce qui ferait une vraie différence, à mon avis, c'est de soutenir celles et ceux qui luttent contre la source du problème, et pas seulement contre ses conséquences. Je veux parler de l'armée ukrainienne et en particulier des soldat·es anti-autoritaires et de gauche qui ont choisi de risquer leur vie pour combattre l'impérialisme russe. Je vous invite donc à faire un don à Solidarity Collectives.
Je m'arrête ici. J'espère que nous aurons le temps de poser des questions.
Réponses aux questions
Je vous remercie. J'apprécie vraiment toutes vos questions et tous vos commentaires. Je suis désolée de ne pas avoir le temps de répondre en détail, car je veux aussi entendre les autres orateurs et oratrices qui vont suivre, et je pense que ce serait un manque de respect de ma part que de prendre leur temps.
Peut-être quelques points seulement. L'un d'entre eux concerne l'extrême droite en Ukraine, etc. Je me trouve dans une situation paradoxale. Lorsque nous nous adressons au public ukrainien en tant que progressistes, nous voulons souligner à quel point il est dangereux de normaliser le nationalisme dans un contexte de guerre. Ce qui se passe actuellement dans l'Ukraine en temps de guerre, c'est aussi la recherche d'ennemi·es intérieurs·e, les Ukrainien·nes russophones étant présenté·es comme l'une des sources du problème. Il y a ce récit : « Poutine nous a envahi·es parce que vous, les Ukrainien·nes russophones, existez ; vous lui avez donné un prétexte pour envahir notre pays ». Plus la guerre dure, plus il est difficile de naviguer dans cette situation qui devient de plus en plus dramatique.
En même temps, lorsque je m'adresse à un public international, je tiens à préciser qu'il ne faut pas confondre la cause et la conséquence. Avant l'invasion russe de 2014, ce problème n'existait pratiquement pas en Ukraine. Il s'agissait d'un discours russe visant à alimenter les conflits internes, en utilisant la population russophone comme un outil pour leurs propres objectifs politiques d'assujettissement de l'Ukraine. Les élites ukrainiennes à l'intérieur du pays ont également utilisé une stratégie de division et de domination pour s'assurer leur propre part du gâteau économique ukrainien, alimentant encore davantage cet antagonisme inexistant entre les russophones et les ukrainophones.
Vivant en Ukraine, je peux vous dire que ces problèmes sont en grande partie inventés, mais qu'ils sont devenus plus réels après le début de l'invasion russe. Quant aux prétendus cas de violence contre des « Russes » dans le Donbas avant 2014, je peux affirmer qu'ils n'ont jamais existé. Je ne sais pas d'où viennent ces informations.
Je tiens également à souligner qu'il n'est pas nécessaire de romancer ou de créer des illusions sur une société pour défendre son droit d'exister et de se défendre contre l'agression d'un État impérialiste. Nous ne devons pas nous faire d'illusions sur ce que représente la société ukrainienne. Elle a ses propres et importantes contradictions internes. Elle a sa propre extrême droite, comme toute société dans le monde aujourd'hui, y compris en Occident. En fait, par rapport à certains pays occidentaux, les Ukrainien·nes ne sont pas aussi rétrogrades qu'on pourrait le penser.
Malheureusement, nous n'avons pas assez de temps et je m'en excuse. Je voudrais conclure en disant que même si nous avons des analyses différentes de certains détails de la situation, nous pouvons aussi trouver un terrain d'entente où nous pouvons nous engager ensemble dans une solidarité pratique. En cette période, la solidarité concrète avec les victimes de l'agression et avec ceux qui risquent leur vie pour s'opposer à la guerre est cruciale. J'espère que notre collaboration se poursuivra et qu'ensemble, nous pourrons faire la différence dans ce qui semble être une situation désespérée.
Je vous remercie de votre attention.
Hanna Perekhoda
https://links.org.au/hanna-perekhoda-russian-political-elites-are-openly-promoting-global-project
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
Note
[1] Le Primordialisme (en anglais : Primordialism) est un concept sociologique suivant lequel il existe des liens entre les membres d'une nation qui sont fondamentaux et irrationnels et qui sont basés sur la religion, la culture, la langue. Il en découle que l'identité de la nation peut être considérée comme une donnée ancienne, un phénomène naturel – Wikipédia – NdT

Désobéissance civile planétaire

Paris. Mercredi, 6 novembre 2024. Match Paris-Saint-Germain - Atletico de Madrid. Une immense toile, avec le slogan Free Palestine, couvre la tribune Auteuil au Parc des Princes.
par Mustapha Saha.
L'Union européenne des associations de football (UEFA), malgré les pressions des autorités françaises, n'engage aucune procédure contre l'équipe parisienne. Elle estime le tifo géant ni provocateur, ni insultant. Le ministre de l'intérieur demande solennellement des comptes. « Les terrains ne doivent pas devenir des tribunes politiques » assène-t-il, comme si les politiques n'étaient pas les premiers instrumentalisateurs du sport. Son subordonné, secrétaire d'État chargé à la citoyenneté, un marocain de service, chantre du repli identitaire, convoque tambour battant les responsables sportifs. Il n'en faut pas plus pour que les sionistes crient à l'antisémitisme.
Blanchiment du génocide par le sport.
Les affrontements d'Amsterdam, entre supporters israéliens et néerlandais propalestiniens, est symptomatique d'une nouvelle forme de lutte mondiale, une désobéissance civile planétaire. L'idéologie sioniste n'a qu'un seul but, l'extermination du peuple palestinien. Sa technique, la destruction totale. Sa méthode, le génocide. Dans les pays occidentaux, la classe estudiantine est la fibre sensible, hyper-réactive aux monstruosités fascistes. Les désinformations institutionnelles sont des exemples flagrants des manipulations politiques et médiatiques. Les casseurs israéliens, formés au combat, souvent des agents de services secrets et des réservistes de l'armée, sont connus pour leurs méthodes dévastatrices. Ils agissent en groupes. Ils récupèrent, dans les rues, des barres métalliques, des objets transformables en armes blanches. Ils chargent militairement. Ils tirent des explosifs. Ces commandos ultraviolents ne sont jamais inquiétés par les polices européennes. Ils dépavent la chaussée. Ils caillassent les chauffeurs de taxi. Ils s'attaquent aux passants. Ils ciblent les maghrébins. Ils chantent des refrains appelant au meurtre des arabes.
Un reporter néerlandais de quatorze ans du média Bender, démonte, en direct, la mécanique falsificatrice. Il a crânement suivi, malgré les menaces, les hooligans du Maccabi Tel Aviv pendant leurs saccages de la ville. Il a filmé, en direct, les provocations, les charges, les altercations. « Mesdames, Messieurs, le match perdu sur le terrain par le Maccabi Tel Aviv, se prolonge dans la rue,, avec une violence inouïe. Nous nous trouvons à la gare centrale d'Amsterdam. Les supporters israéliens, coiffés de casques, courent dans tous les sens en bande compacte. Ils allument des pétards. Ils crient des slogans assassins. Ils déplantent des poteaux. Ils poursuivent les gens. La police est absente. Ça devient complètement hors contrôle. Deux fourgons de police arrivent. Ils essuient des jets de pierres. Les policiers restent passifs. Les chauffeurs de taxis réagissent. Ils klaxonnent en chœur. Ça sent l'affrontement. Les israéliens s'emparent de massues. Ils font semblant de battre en retraite. Ils se regroupent. Ils repartent à l'assaut. Ils connaissent toutes les tactiques. Ils cherchent la bagarre. Contrairement aux hooligans européens, ils restent toujours groupés. Ils évoluent par vagues homogènes. La police les repousse dans une rue adjacente. Les chauffeurs de taxi et d'autres supporters de l'Ajax les pourchassent. Il y a un leader au milieu d'eux. Il leur donne des directives. Ils s'entretiennent en hébreu. La police ne comprend pas ce qu'ils disent. Elle ne sait pas ce qu'ils projettent. Ils jettent des projectiles sur une maison abandonnée, un squat, où un drapeau palestinien flotte à une fenêtre. Depuis hier soir, ils brûlent tous les étendards palestiniens qui se trouvent sur leur chemin. Un centaine de chauffeurs de taxi sortent de leur voiture. La situation est ingérable ». Les médias dramatisent. Les opinions somatisent. Eléments de langage sionistes en sous-traitance. Les génocidaires crient au pogrom. Les dirigeants occidentaux s'alignent. Aux Pays Bas, comme dans d'autres pays européens, la police protège les israéliens, traque les propalestiniens.
Servitude politique.
Les sionistes, emportés par leur mégalomanie prédatrice, multiplient les humiliations à l'encontre de la gouvernance française. Des images circulent sur les réseaux sociaux. Deux gendarmes français, gardiens de l'église du Pater Noster, dite aussi Eléona, à Jérusalem Est, sont arrêtés, sans sommation, par la police israélienne le 7 novembre 2024. Le domaine national français en Terre Sainte comprend quatre possessions. L'église du Pater Noster au sommet du Mont des Oliviers, avec un cloître, construit en 1870, et en sous-sol, la grotte dite du Pater, où Jésus Christ aurait enseigné. Le monastère d'Abou Gosh, ancienne commanderie hospitalière du douzième siècle, avec une église et une crypte. Il abrite depuis 1976 des moniales et des moines bénédictins. Le Tombeau des Rois, accueille, parmi une trentaine de sépultures, le sarcophage de la reine Hélène d'Adiabène. L'église Sainte Anne, avec une église du douzième siècle, où se trouve, selon la tradition évangélique, la maison parentale de la Vierge Marie et la piscine Bethesda, mentionnée au chapitre cinq de l'Evangile de Jean, où s'effectue le miracle de Jésus sur un paralytique. En dehors du Tombeau des Rois, les trois autres possessions françaises sont de hauts lieux de la spiritualité chrétienne.
La précédente violation sioniste de ces sanctuaires remonte à 1996. Jacques Chirac, en déplacement à Jérusalem, avait expulsé les policiers israéliens de l'église Sainte-Anne. Il avait déclaré : « Je ne veux pas de gens armés en territoire français ». Autres temps, autres mœurs. La gouvernance française actuelle se montre, avec l'administration américaine, l'oligarchie la plus inconditionnellement pro-sioniste. Elle s'empresse de proposer une coalition militaire internationale contre les gazaouis. Elle fournit des armes aux sionistes. Elle interdit les manifestations propalestiniennes. Elle subit sans broncher les injures, les flétrissures, les ignominies israéliennes. Le 3 novembre 2023, L'Institut français de Gaza est spécialement visé par une frappe. Aucune réaction française. Le 13 décembre 2023, un agent du ministère des Affaires étrangères est tué dans un bombardement. Aucune sanction française. Les exemples sont si nombreux qu'il serait fastidieux de les énumérer. Les israéliens fonctionnent aux chantages, aux menaces. L'ambassadeur français se fait convoquer à tout propos pour se faire sermonner. Dans tous les cas, la gouvernance française fait preuve d'une déconcertante soumission.
Intellectuels juifs contre le sionisme.
Paris. Dimanche, 10 novembre 2024. Un collectif d'intellectuels juifs français, dans une tribune dans le quotidien Le Monde, lance une alerte contre le colonialisme sioniste, annexionniste, révisionniste, suprémaciste. Parmi les signataires, les historiens Dominique Vidal et Sophie Bessis, les économistes Pierre Khalfa et Alain Lipietz. Le sionisme ne laisse que trois options aux palestiniens : survivre comme des esclaves, sans droits et sans dignité, quitter leur terre ou se faire éliminer sans préavis. Les territoires occupés sont transformés en champs de ruines. Les populations sont livrées à la mort par les pilonnages incessants et la famine programmée.
Lundi, 24 octobre 2024. Le collectif Voix juives pour la paix occupe la bourse de New York pour exiger la fin des crimes sionistes et l'arrêt des fournitures d'armes américaines aux génocidaires. Se dénoncent en particulier les firmes américaines Raytheon et Lockheed Martin. Des mots d'ordre propalestiniens sont scandés. Les manifestants s'enchaînent aux clôtures. Les médias occidentaux censurent, occultent, éclipsent les luttes juives contre le colonialisme israélien. Plusieurs organisations nord-américaines, Voix juives indépendants, United Jewish People's Order, If Not Now Toronto. Une pancarte réapparaît régulièrement : Juifs pour une Palestine libre.
L'inconséquence de la gouvernance française s'illustre par l'attribution, le 5 novembre 2024, du prix du courage journalistique à l'israélien Yuval Abraham et au palestinien Basel Adra, coréalisateurs avec Hamdan Ballal et Rachel Szor, du documentaire No Other Land sur la brutalité du colonialisme sioniste. Se défend formellement, abstraitement, la liberté de la presse, la liberté d'expression, la liberté d'opinion, pierres angulaires des droits humains. La réalité est autre. Les médiats influents appartiennent à une poignée de milliardaires, dont certains affichent ouvertement leurs orientations fascistes. Les censures, les entraves au pluralisme, à l'indépendance des rédactions, sont couvertes par le sacro-saint droit de propriété. Il n'est plus besoin de pressions politiques, bien qu'elles s'exercent ici ou là. La mainmise financière permet tous les dérapages, tous les abus. Les médailles ne servent à rien. Révolues les époques où les décorations sacralisaient les sacrifices patriotiques. Deux cents journalistes sont délibérément assassinés par l'armée israélienne en un an à Gaza et en Cisjordanie. Ils passent sur les comptes pertes et profits. La gouvernance française ressasse monomaniaquement « Israël a le droit de se défendre », le droit de massacrer impunément.
Match de la honte.
Jeudi, 14 novembre 2024. Match France – Israël. La gouvernance française ne sait comment donner des gages d'allégeance au colonialisme israélien. Les journalistes guettent les incidents convertibles drames, en intox. La raison s'estompe, l'émotion s'enfièvre. Depuis plusieurs semaines, les médias tentent d'imposer l'idée que l'opération de blanchiment du génocide par le sport est une opportunité souhaitable. Le match de la honte s'avère, sur le plan politique et financier, un échec total. Le stade de France décroche le record de la plus faible affluence pour un match international. A peine une dizaine de milliers de spectateurs pour une enceinte de quatre-vingt-mille place. Un véritable boycott populaire. Se diffusent des fumigènes pour masquer les gradins vides. Se déploient quatre mille policiers et mille cinq cents agents de sécurité. Un hélicoptère. Un véhicule blindé. Des sirènes hurlantes. Des uniformes partout. La fête nulle part. Une perte sèche de trois millions cinq-cent-mille euros selon le journal L'Equipe.
Des faits particulièrement scandaleux marquent la partie. Des hooligans sionistes s'attaquent, d'entrée de jeu, aux supporters français, les tabassent à vingt contre un. Personne ne parle de lynchage. La préfecture évoque des circonstances floues, sans d'autres précisions. Les agresseurs sionistes agissent dans un lieu ultra-sécurisé, filmé sous tous les angles. Personne d'entre eux n'est inquiété. Dans la tribune officielle, trois présidents successifs de la République, les derniers survivants, des premiers ministres et des ministres, anciens et actuels, des notabilités de tous bords, affirmant leur soutien inconditionnel aux sionistes. L'un des assaillants, portant effrontément un tee-shirt de l'armée israélienne, est poliment interviewé par la chaîne française BFM. Il est fier d'avoir semé la terreur sous protection policière.
Un étudiant bordelais, Emmanuel Hoarau, brandit un drapeau palestinien avant de se faire expulser. La photo, prise à la sauvette, légendée du message « Aucune restriction de la liberté d'expression ne peut faire oublier le massacre des civils à Gaza », est vue, sur twitter, par deux millions de personnes, en quelques heures. Le député des Bouches-du-Rhône, Sébastien Delogu, commente : « Emmanuel Hoarau, tu n'as pas cédé aux interdictions, aux intimidations, aux sanctions. Ton acte de courage honore le pays ». Un internaute propose de lancer une cagnotte pour couvrir les frais éventuels d'un avocat.
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Régime Ortega-Murillo au Nicaragua - purges, corruption et isolement

Dans ce qui suit, je vais reproduire et traduire en français des extraits de l'interview qu'accordait Dora María Téllez à Carlos F. Chamorro à la suite des célébrations tenues à Managua le 19 juillet 2024, à l'occasion du 45e anniversaire du renversement historique de la dictature d'Anastasio Somoza. L'interview se réalisait le 20 juillet et fut diffusée le lendemain dans le cadre de l'émission Esta Semana sur la chaîne YouTube de CONFIDENCIAL.
Tiré de Nicaragua Today : “Purgers, Corruption, & Servility to Putin”
11 November 2024,
traduction Ovide Bastien
Ovide Bastien
Cependant, avant de reproduire cette interview, un bref commentaire afin de permettre à lectrices et lecteurs de savoir qui sont ces deux personnages historiques.
**************
L'historienne Dora María Téllez est une très réputée ex militante sandiniste qui, comme Daniel Ortega, a joué un rôle important dans la lutte armée contre la longue et brutale dictature de la famille Somoza. Le 22 aout 1978, Téllez dirige, avec Edén Pastora et Hugo Torres, une opération dangereuse, quasi-suicidaire même, qui marquera un tournant dans la révolution : 25 combattants sandinistes, déguisés en membres de la Garde nationale de Somoza, pénètrent dans le Palais national où se tient une session de l'Assemblée nationale, prennent en otage quelque 2 000 fonctionnaires, et réussissent à forcer la dictature Somoza à échanger ces derniers contre 50 Sandinistes emprisonnés. Dix mois plus tard, plus précisément le 20 juin 1979, Téllez dirige en personne les opérations militaires menant à la libération de León, un événement tout à fait historique, car c'est la toute première ville à se libérer de la dictature.
Au moment du soulèvement populaire massif qui, à partir d'avril 2018, secoue le pays au complet, le plonge pendant des mois dans l'instabilité et met en péril le régime Ortega-Murillo, , Téllez se range sans hésiter du côté des manifestants. Comme l'immense majorité du peuple, elle est consciente que le FSLN, sous la direction d'Ortega, s'est graduellement transformé de parti politique progressiste et révolutionnaire à un simple outil d'une dynastie familiale.
Le 7 janvier 2019, quatre patrouilles de police font une descente dans la résidence de Téllez et la détiennent. Elle passe 605 jours dans la prison El Chipote à Managua, complètement isolée et dans une cellule sans fenêtre aucune. Sa seule communication quotidienne se limite à quelques mots échangés pendant une minute ou deux avec des gardiens de prison. On la prive de toute lecture – pas de livres, pas de revues – et de tout accès aux médias. On la prive même de tout moyen de s'exprimer par écrit – pas de papier, pas de crayon ou stylo.
Pendant ses trois premiers mois d'emprisonnement, on la prive de toute visite de l'extérieure, même pas de sa propre famille !
Le 10 février 2023, le régime Ortega-Murillo, de plus en plus critiqué sur le plan international, pose un geste qui étonne. Il libère soudainement Téllez de sa cellule et l'embarque, avec 221 autres prisonniers politiques également libérés le même jour, dans un avion en destination pour les États-Unis.
Quelques heures plus tard, le gouvernement nicaraguayen les dépouille tous de leur nationalité.
Téllez se trouve toujours présentement en exil.
**************
Je faisais la connaissance de Carlos Fernando Chamorro en 1976, alors que, à 34 ans, je préparais ma maîtrise en économie à l'Université McGill et qu'il préparait, à 19 ans, son baccalauréat dans cette même matière.
Un jour, alors que je rédigeais, dans la bibliothèque de l'université rue Sherbrooke, une dissertation sur la situation économique du Chili (sous le régime d'Eduardo Frei de 1964 à 1970, sous Salvador Allende de 1970 à 1973, et sous la dictature archi-néolibéral d'Augusto Pinochet de 1973 à 1976) Carlos, qui était assis juste à côté de moi, me demande soudainement s'il pourrait jeter un coup d'œil sur ce que je suis en train d'écrire.
Ce fut notre toute première rencontre, et le début d'une longue amitié.
L'intérêt particulier que Carlos portait pour le Chili provenait du fait qu'il avait longtemps rêvé d'aller poursuivre des études en sciences économiques dans ce pays. De fait, il devait s'y rendre à l'été 1973,
« Mon père, m'a-t-il expliqué, trouvait que la situation socio-politique chilienne devenait de plus en plus instable de jour en jour. Comme il craignait pour ma sécurité, il a mis la hache dans mon projet. »
Si j'avais moi-même abouti au Chili en ce même été 1973 afin d'y poursuivre des études en sciences économiques, c'était tout simplement parce que mes connaissances au sujet de ce pays, malgré toute l'admiration que j'avais pour la révolution socialiste menée par Salvador Allende, n'étaient que fort rudimentaires. J'ignorais complètement la dangerosité d'un tel projet.
À Noël 1977, Carlos décide de retourner au Nicaragua pour le congé de mi-session.
Le 10 janvier 1978, au moment même où il prépare son départ pour Montréal, son père, Pedro Joaquín Chamorro, est assassiné.
Comme tout le peuple nicaraguayen, Carlos sait parfaitement bien que c'est Somoza qui a tué son père. Ce dernier était propriétaire et rédacteur en chef de La Prensa, le plus important quotidien du pays. Il dénonçait sans relâche, et ce de plus en plus fortement, la dictature.
Au lieu d'imposer le silence et de modérer la ferveur révolutionnaire du pays, l'assassinat a exactement l'effet contraire. La foule qui assiste aux funérailles de Pedro Joaquín Chamorro est absolument immense. On sent colère, indignation, mobilisation, et détermination à en finir avec l'oppression...
Profondément ému et ébranlé, Carlos décide d'abandonner sur le champ ses études à McGill, reste dans son pays, et se joint à la lutte contre Somoza.
Tôt après la victoire de la révolution sandiniste le 19 juillet 1979, la nouvelle junte fonde un journal, Barricada, qui agira comme porte-parole de la révolution. C'est Carlos qui en assume la direction, poste qu'il occupera jusqu'au début des années quatre-vingt-dix.
Ce n'est qu'en 1994 que Carlos est congédié de son poste comme directeur de Barricada. La raison du congédiement ? Bien que le FSLN ait accepté, à la suite de sa défaite électorale en 1989, que Barricada rompe ses liens avec le FSLN, Daniel Ortega, qui dirige toujours ce parti, change d'idée lorsqu'il devient lui-même objet d'une critique dans le journal. Il convoque Carlos et exige que Barricada mette fin à toute critique à son égard. Lorsque Carlos refuse, Ortega le congédie sur le champ.
C'est lors d'une conférence à Managua que Carlos donnait en janvier 2006 à mes étudiants et étudiantes du programme, les Études Nord-Sud du Collège Dawson, que j'apprenais ces circonstances du congédiement de Carlos comme directeur de Barricada.1
Le départ de Carlos provoquait une énorme crise dans Barricada, plus de 80% des journalistes se solidarisant avec lui et démissionnant immédiatement.
Réorganisé sous la direction de Tomás Borge, Barricada faisait faillite quatre ans plus tard.
Carlos provient d'une famille dont la majorité des membres, durant la révolution sandiniste, a fini par se ranger du côté de la droite, et même de la Contra. Profondément impliqué dans le gouvernement révolutionnaire comme directeur de Barricada, Carlos était donc le mouton noir de cette famille.
Alors que La Prensa, dans laquelle sa mère, Violeta, et sa sœur, Christina, étaient profondément impliquées, appuyait la Contra, Carlos dirigeait le journal qui appuyait la révolution. Et comme cette division n'était pas seulement au niveau des idées, mais aboutissait quasi quotidiennement à de nombreux morts – la révolution armée contre Somoza faisait 40 00 morts et la guerre déclenchée par la Contra dans les années 80 en faisant autant -, il va sans dire que Carlos a vécu plusieurs années de souffrances familiales fort pénibles et déchirantes.
La surprenante et douloureuse défaite électorale du FSLN en 1989 obligeait le parti à entamer une profonde réflexion sur son orientation future. La plupart des leaders historiques du FSLN argumentaient que le parti, qui avait toujours fonctionné de manière caudillo et autoritaire, chose qui pouvait se comprendre dans le contexte d'une révolution armée et d'une guerre subséquente initiée par la Contra, devait se démocratiser. Daniel Ortega, directeur du parti, n'était pas d'accord et c'est lui qui a fini par emporter le débat.
C'est ainsi que la plupart des leaders historique du FSLN, par exemple Sergio Ramírez, Ernesto Cardenal, et Dora María Téllez, finirent par quitter le parti et décidèrent de fonder un nouveau parti, le Mouvement de rénovation sandiniste (MRS). Ce dernier fut longtemps dirigé par Téllez.
Carlos Chamorro, plus proche du MRS que du FSLN, décide de poursuivre son travail comme journaliste professionnel. En 1996, il fonde la revue en ligne Confidencial, et commence, peu après, à animer deux émissions de télévision, Esta Noche, diffusée du lundi au vendredi, et Esta Semana, diffusée le dimanche soir.
Ces émissions en feront assez rapidement un des journalistes les plus célèbres et respectés du Nicaragua.
Dans ses reportages, Carlos dénonce régulièrement, comme doit le faire tout bon journaliste, les travers du gouvernement. Lorsqu'Ortega, revenu au pouvoir en 2007, subit les critiques de Chamorro pour grossière fraude électorale et corruption, Ortega, frappé là où le bât blesse, réagit en lançant une campagne de salissage contre le messager.
Au cours du soulèvement populaire contre le régime Ortega-Murillo d'avril 2018, le régime Ortega-Murillo ne se limite pas, cependant, à une simple campagne de salissage contre Chamorro. Il tente carrément de le réduire au silence.
Comme 100% Noticias et les autres médias indépendants au Nicaragua, Carlos cherche à couvrir avec transparence et fidélité tous les évènements du soulèvement. Et les lecteurs et lectrices de Confidencial augmentent rapidement ainsi que l'audience de Esta Noche et Esta Semana. Pendant ce temps, la majorité des chaines de télévision au Nicaragua, propriété de la famille Ortega-Murillo, perdent à la fois audience et crédibilité.2
Le jour où j'ai appris que les bureaux où Carlos Chamorro produit Confidencial, Esta Noche et Esta Semana avaient été perquisitionnés, et que les ordinateurs et disques durs qui s'y trouvaient avaient été saisis, j'étais en état de choc.
Et lorsque, quelques jours plus tard, j'ai appris que Carlos recevait des menaces et craignait pour sa vie, et avait donc dû se réfugier, avec sa conjointe, au Costa Rica, j'ai éprouvé une grande tristesse.3 Similaire à celle que j'éprouvais, en janvier 1978, lorsque j'apprenais que Somoza venait de réduire au silence, par l'assassinat, le plus célèbre journaliste nicaraguayen qui le critiquait, le père de mon ami Carlos, Pedro Joaquín Chamorro.
Ovide Bastien
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Interview de Dora María Téllez par Carlos Fernando Chamorro
Carlos : Dora María, ce vendredi représentait le point culminant des célébrations du 19 juillet, qui ont en fait commencé il y a plusieurs semaines par une vague de répression et de surveillance policière à l'encontre de centaines de personnes placées sous le régime de facto de détention à domicile. Pourquoi le régime Ortega-Murillo déclenche-t-il toujours une vague de répression à la veille des célébrations du 19 juillet ?
Dora María : Ils ont une peur énorme, ils craignent beaucoup que n'éclate une sorte d'activité qu'ils n'arriveront pas à contrôler. Et chaque jour qui passe, leur obsession de tout contrôler ne fait qu'accroitre. En témoigne la scène et la scénographie d'hier. On cherchait à contrôler l'endroit précis où chaque personne pouvait s'asseoir. La peur énorme que la situation devienne incontrôlable illustre de façon on ne peut plus clair l'immense fragilité politique qui existe au Nicaragua.
Carlos : Ces derniers jours, on assiste à une nouvelle vague de purges et d'arrestations de hauts fonctionnaires, d'anciens militaires et d'anciens policiers, prétendument pour enquêter sur des activités de corruption non autorisées par les dirigeants du régime. Qui est l'auteur de cette nouvelle purge ?
Dora María : J'y vois la main de Rosario Murillo. Et ce, avec la complaisance totale de Daniel Ortega. On assiste à une purge essentiellement politique. Accuser de corruption ces hauts fonctionnaires du régime Ortega Murillo, c'est chose facile, car ils en sont tous coupables. Il est donc assez facile de les accuser de corruption. Cependant, on assiste, fondamentalement, à une purge politique. Je pense qu'il y a un balayage visant à établir des personnes à des postes publics de haut niveau qui appuient Rosario Murillo de façon inconditionnelle, et qui, en plus, lui doivent des faveurs. Par ailleurs ces purges servent à une autre fin : elles constituent un avertissement à tous les employés publics et surtout aux fonctionnaires de haut niveau. Quiconque bouge, ne serait-ce qu'un peu, quiconque ose sortir du cadre défini par le couple Ortega-Murillo pourra fort probablement aboutir dans la prison El Chipote ou dans la prison pour femmes et sera soumis à de la maltraitance, ou, dans le meilleur des cas, licencié. C'est donc leur façon d'avertir les employés publics de la situation dans laquelle ils se trouvent.
Et cela a beaucoup à voir avec le fait que de plus en plus de personnes au sein de la fonction publique se distancent du régime. Elle se voient constamment obligées de participer à toutes sortes d'activités politiques du FSLN et en ont marre. Elles se sentent en prison, elles sentent que vivre au Nicaragua, c'est vivre en prison. Elles sont maltraitées dans leur travail et éprouvent une énorme instabilité et une énorme peur.
L'objectif du couple Ortega-Murillo est donc de maintenir un régime de terreur sur les employés publics, et ce dans toutes les institutions. Dès qu'un fonctionnaire perd les faveurs de la famille Ortega-Murillo, on l'écarte, on le met à la porte.
Carlos : Rosario Murillo, de toute évidence, est aussi en train de planifier la succession du pouvoir. C'est pourquoi elle cible présentement certaines personnes et les fait tomber. Par exemple, la vice-ministre des Affaires extérieures, Arlette Marenco, qui était pourtant très proche de Rosario Murillo. Et récemment, la police vient de détenir Jorge Guerrero, ex-policier et une personne qui faisait pourtant partie du cercle de confiance de Daniel Ortega.
Dora María : L'affaire Jorge Guerrero, selon moi, sert évidemment d'avertissement. Tous ceux et toutes celles qui ont fait partie de la guérilla du Front sandiniste, quel que soit leur âge, quel que soit le nombre d'années d'emprisonnements qu'ils ont subis sous la dictature Somoza, quel que soit leur degré d'intimité avec Danielle Ortega, tous sans exception sont avertis que, si nécessaire, ils passeront tous au bistouri.
Voilà pourquoi on emprisonne Jorge Guerrero, âgé de 81 ans. Voilà pourquoi on l'envoie directement à l'hôpital. C'est pour signifier à toute cette génération qu'elle doit éviter de hausser le ton, qu'elle ne doit pas lever le petit doigt contre le régime Ortega-Murillo. Et, en particulier, contre Rosario Murillo, qui est peu aimée de cette génération.
Murillo, de fait, se voit comme la prochaine présidente, et elle voit son fils Laureano dans la présidence après elle. C'est pourquoi elle se débarrasse de ceux et celles qui pourraient représenter un obstacle à un tel projet.
Je pense que Daniel est tout à fait d'accord avec cela, avec cette purge. Cependant, la purge obéit aussi aux processus de décomposition du régime. Le régime n'a pas réussi à vaincre l'ennemi extérieur. Lors des cérémonies d'hier, Daniel Ortega est allé jusqu'à dire qu'il voulait que les États-Unis disparaissent. Autrement dit, dans son esprit, il faut tout faire disparaître.
Comme il n'a pas été capable de mettre fin à la résistance, il s'attaque maintenant à l'ennemi intérieur. C'est maintenant leur tour de passer au bistouri. L'accusation contre la vice-ministre Arlette Marenco concerne un contrat de 6 millions de córdobas, une somme fort petite, en fin de compte, surtout si on la compare avec l'immense fortune amassée par le couple Ortega-Murillo. Autrement dit, la persécution à son égard est évidemment de nature purement politique. Quelle en est la raison politique ultime ? Je pense que c'est une affaire de succession. Murillo est en train de déplacer ses pièces pour s'assurer que la succession du pouvoir se passe selon son dessein.
Carlos : Le régime Ortega-Murillo est-il en mesure de déterminer quelles activités de corruption sont correctes, permises, et donc autorisées, et lesquelles ne le sont pas ?
Dora María : La grande entreprise de médicaments, c'est une affaire de la famille Ortega-Murillo, qui est parrainée par Gustavo Porra et le président de l'INSS, Roberto López. Il s'agit d'une vaste entreprise de corruption autorisée. L'énorme business du carburant - la distribution et la vente de carburant – est également une affaire de la famille Ortega-Murillo. Ce sont eux et eux seuls qui autorisent ce type de corruption.
Maintenant, quand ils décident qu'il y a un morceau de tout cela qu'ils veulent faire disparaitre, ils s'organisent pour trouver un petit quelque chose, une petite corruption, parce que comme je l'ai dit tantôt, il n'y a pas un seul des hauts fonctionnaires au Nicaragua qui soit propre. Pas un seul. Vous n'en trouverez pas un seul.
Tantôt le régime découvre une corruption de 60 ou 85 millions de cordobas chez un fonctionnaire, tantôt il en découvre une de 6 millions de cordobas chez un autre fonctionnaire, etc. C'est très facile pour Ortega-Murillo de trouver de la corruption en grattant un peu...
La chose la plus intéressante pour mois dans tout cela, c'est que, assez significativement, dans toutes ces affaires d'argent et d'accusations de corruption, le Bureau du contrôleur n'apparaît jamais. Le contrôleur n'apparaît jamais, pas même les auditeurs. Il s'agit donc d'une question strictement politique.
C'est le couple Ortega-Murillo qui dicte si et quand il y a corruption. Personne d'autre.
Rosario Murillo, de toute évidence, veut que tout lui soit redevable. Daniel Ortega veut que tout leur soit redevable à eux, et à personne d'autre. Si on met dans ton conte un million de córdobas, il faut que cela provienne d'eux. Si tu mets cet argent dans ton propre compte, ou si un maire le place dans ton compte, le couple Ortega-Murillo n'aime pas ça. Et c'est exactement ce que signifie la frontière qu'ils tracent. Tout, on le doit au couple Ortega-Murillo. Rien en dehors de lui. Tout ce qui provient d'ailleurs peut être puni, quand ils le veulent ou quand ils en ont besoin.
Carlos : Lors de cet événement du 19 juillet, c'était frappant de voir l'absence de dirigeants ou de représentants latino-américains. Bien sûr, Ramiro Valdés de Cuba étaient présents, ainsi que le ministre des Affaires étrangères du Venezuela. Cependant, les figures de proue étaient le premier ministre de la Biélorussie, le président de la Douma russe, le vice-président du Zimbabwe, un autre haut fonctionnaire du Burkina Faso, et aussi Leyla Khaled de la Palestine. Que signifie, selon vous, cette sélection un peu particulière d'invités de Rosario Murillo ?
Dora María : Je pense que les personnes présentes étaient tout simplement celles qu'ils ont réussi à convaincre de dire oui à leur invitation. C'est évident qu'ils espéraient avoir beaucoup de monde à cet évènement. Ils ont sans doute offert billets d'avions gratuits, hôtels, logement, etc. Cependant, l'absence du Honduras, me parait particulièrement significative. Car on sait que les Zelaya Castro ont longtemps été de grands alliés de la famille Ortega-Murillo. Pourtant, personne du Honduras. Personne du Mexique, non plus. Autrement dit, des absences très importantes. Les îles, les peuples des Caraïbes, n'étaient pas là non plus.
Le couple Ortega-Murillo est allé chercher des invités très loin. Ils sont allés chercher une partie de la sphère de Poutine, de la Russie et de ses alliés. De là, mais aussi des nouvelles relations qu'ils ont pu établir en Afrique, qui ont également à voir avec la traite des êtres humains.
Ce qu'illustre de façon éclatante les célébrations d'hier, c'est l'isolement complet dont souffre le régime Ortega-Murillo, un isolement qu'il a tenté de camoufler par des gens qui faisaient de très longs discours.
L'absence de Latino-Américains, de personnes du continent européen et de nombreux autres pays était notoire.
Notes
1.Pour plus d'information, voir Beyond the Barricades, (Ohio University Press, 2002) dans lequel Adam Jones raconte l'histoire de Barricada.
2.Voir Mildred Largaespada – « Nicaragua : La batalla por la opinión pública » (Nicaragua : la bataille pour l'opinion publique), Confidencial, le 3 août 2018, consulté le même jour.
3.Carlos Chamorro,https://confidencial.digital/desde el exilio, Confidencial, le 20 janvier 2019, consulté le même jour.
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Arrestation du « R » en Martinique : l’Etat colonial enferme ses opposants politiques

Mardi après-midi, Rodrigue Petitot dit « le R », porte-parole du RPPRAC, a été arrêté par la police et placé en garde-à-vue. Cette arrestation d'une figure du mouvement contre la vie chère en Martinique témoigne une fois de plus des méthodes répressives de l'Etat colonial qui enferme ses opposants politiques, des Antilles à la Kanaky.
13 novembre | tiré de Révolution permanente | Crédit photo : Capture d'écran RCI Martinique
https://www.revolutionpermanente.fr/Arrestation-du-R-en-Martinique-l-Etat-colonial-enferme-ses-opposants-politiques
Mardi après-midi, Rodrigue Petitot, porte-parole du RPPRAC, a été arrêté par la police à son domicile et placé en garde à vue à la suite d'une plainte pour violation de domicile et actes d'intimidation à l'encontre de personnes exerçant une fonction publique. Le motif officiel de son arrestation, selon les déclarations de la préfecture de Martinique, est son intrusion dans la résidence préfectorale de Fort-de-France et son altercation avec le préfet de Martinique Jean-Christophe Bouvier :
« quatre individus, emmenés par Rodrigue PETITOT, ont forcé le cordon de sécurité qui protégeait le portail d'entrée de la résidence préfectorale, domicile du préfet, alors que celui-ci recevait les élus de l'île à l'occasion de la venue en Martinique du ministre chargé des outre-mer (…) Ils ont voulu pénétrer dans le bâtiment de la résidence, en exigeant d'être immédiatement reçu par le ministre »
Le 1er septembre, au début de la mobilisation contre la vie chère, l'Etat et sa police, en tentant d'étouffer la colère par la répression,avaient déjà pris pour cible cette figure du RPPRAC en l'arrêtant au motif qu'il aurait participé à une tentative de vol d'un bus. En octobre dernier, au micro de BFMTV, Retailleau avait annoncé, sans citer explicitement son nom, qu'il comptait se débarrasser du « R » : « On a un travail avec la justice pour judiciariser un certain nombre d'individus, je pense particulièrement à un qui sort de quatre ans prison pour trafic de produits illicites]. Hier, après l'annonce de cette nouvelle arrestation, une centaine de personnes se sont rassemblées devant la Direction Territoriale de la Police Nationale pour réclamer sa libération et dénoncer la répression policière.
Dès la nuit de son incarcération, des barrages enflammés se sont dressés sur l'avenue Maurice Bishop.
Alors que le mouvement contre la vie chère en Martinique impulsé depuis le 1er septembre par le RPPRAC a mis au-devant de la scène la structure coloniale qui perdure dans les outre-mer et la misère sociale organisée par l'Etat et les grands groupes, la réponse apportée par le pouvoir est la répression :instauration de couvre-feu, envoi de la CRS8, brigade de répression coloniale… La nouvelle arrestation de Rodrigue Petitot témoigne une fois de plus des méthodes coloniales et répressives de l'Etat face au mouvement qui dénonce la vie chère mortifère.
Dans un contexte où la France, craignant le retour de la lutte des classes aux Antilles et dans ses autres colonies, ne tolère plus la moindre contestation dans son pré carré colonial, l'arrestation des dirigeants politiques à la lumière de celle du « R » apparait comme l'une des méthodes privilégiées du pouvoir pour étouffer les mobilisations. Une méthode aussi déployée en Kanaky, où l'Etat réprime le mouvement pour l'autodétermination de la colonie en enfermant des militants de la CCAT et en déportant en métropole l'un de leur principal dirigeant, Christian Tein. Face à la répression policière et judiciaire qui s'abat sur les mouvements contre la vie chère et sur ceux dénonçant la domination coloniale française, de la Kanaky à la Martinique, il est urgent de construire un véritable mouvement de défense, en France et dans les colonies, pour lutter contre un Etat autoritaire qui ne promet à ses colonies que davantage de misères.

Les médias à l’épreuve de la guerre à Gaza

La communication est une arme de guerre et la déontologie journalistique implique donc de soumettre à un examen rigoureux les faits allégués par chacun. Pendant la guerre à Gaza, la plupart des médias occidentaux dits mainstream ont cependant privilégié la perspective israélienne, ignoré les voix palestiniennes, occulté le contexte historique et manifesté une compassion sélective. Didier Fassin
Tiré du blogue de l'auteur.
La guerre ne se gagne pas seulement par les armes, elle se gagne aussi par la communication. Les Israéliens l'ont compris depuis longtemps. Ils ont même théorisé une politique de relations publiques connue sous le nom hébreu hasbara, généralement traduit par le terme « propagande ». Cette politique a pour but à la fois d'améliorer l'image du pays et de ses gouvernants, de justifier leurs actions même contraires au droit international, de discréditer les critiques en les assimilant à de l'antisémitisme et de jeter l'opprobre sur leurs ennemis pour légitimer la répression qu'ils dirigent contre eux.
La communication comme arme de guerre
C'est ce que les autorités ont tenté de faire après l'attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre. Elles ont occulté leur responsabilité dans les graves défaillances de la protection de leur population. Elles ont affirmé que leurs représailles devaient s'abattre sur l'ensemble des civils palestiniens car leur nation tout entière était comptable. Elles ont qualifié d'antisémites les condamnations des violations du droit humanitaire par l'armée israélienne. Elles ont diffusé de fausses informations sur les exactions commises ce jour-là au risque de compromettre la reconnaissance des véritables violences perpétrées.
Se servir de la communication comme arme dans un conflit est, si l'on ose dire, « de bonne guerre ». Il revient alors aux journalistes de faire leur métier, c'est-à-dire de soumettre les discours à un examen rigoureux, de vérifier les faits allégués, de donner la parole aux différentes parties, de proposer des analyses indépendantes de la propagande des protagonistes. C'est ce que n'ont pas fait nombre de médias occidentaux, particulièrement dans le domaine audio-visuel, mais la presse écrite n'a pas été épargnée, comme l'ont montré plusieurs enquêtes. Ils ont largement repris, notamment pendant les premiers mois de la guerre, les récits des autorités israéliennes, eux-mêmes souvent adoptés par les gouvernements occidentaux qui, presque immédiatement, ont donné les éléments de langage qui devaient être employés et mis en œuvre une politique prohibant la critique des opérations menées à Gaza.
Le conflit a été systématiquement désigné par l'expression « guerre Israël-Hamas », et ce, alors même que les responsables politiques et militaires israéliens ont annoncé dès le départ qu'il s'agissait de détruire Gaza et de punir toute sa population. Cette formulation permettait de justifier les représailles israéliennes puisqu'il s'agissait d'en finir avec un groupe qualifié de terroriste. De la même manière, toute évocation du conflit par les médias devait en faire la conséquence de l'attaque du 7 octobre, souvent qualifiée de pogrom, sans jamais évoquer ce qui s'était passé avant cette date. L'incursion sanglante était bien sûr l'événement déclencheur, mais elle était elle-même la réponse à trois quarts de siècle de dépossession des terres palestiniennes, de plus de sept décennies d'occupation, d'oppression et d'humiliation, et pour la bande de Gaza, de seize années d'un blocus asphyxiant les habitants dont les protestations pacifiques avaient été réprimées en faisant des centaines de morts et des milliers de mutilés. La rhétorique de ces médias effaçait ainsi l'histoire de la Palestine.
Des différences flagrantes de traitement
Mais elle manifestait également un manque d'empathie à l'égard des Palestiniens. Un différentiel d'humanisation s'est opéré entre les victimes de part et d'autre du conflit. Les journalistes étrangers s'attardaient, par des témoignages émouvants, sur le traumatisme vécu par les Israéliens, les protestations des familles d'otages, le désarroi des habitants du nord du pays devant se réfugier dans des abris anti-aériens ou même quitter leur logement pour éviter les tirs de roquettes. À l'inverse, des deuils des familles décimées dans les bombardements, des souffrances des mères dénutries ne pouvant allaiter leurs nouveau-nés, des douleurs des blessés par des tirs amputés sans anesthésie, des tourments des enfants spectateurs de la mort de leurs proches, on ne savait presque rien, car on ne recueillait pas leurs récits. La raison donnée pour expliquer cette compassion sélective était l'impossibilité de se rendre à Gaza. Mais des médias indépendants, eux, parvenaient à entrer en contact avec des journalistes palestiniens qui risquaient leur vie pour faire leur travail, donner à entendre la voix des habitants et révéler le tragique de leur quotidien entre cadavres et décombres.
Il ne fallait donc pas exposer les épreuves extrêmes vécues par les Palestiniens, le dénuement absolu, la famine provoquée, le désespoir indescriptible face à la mort omniprésente et à la destruction massive, car le risque était de susciter une sympathie pour leur cause. Il ne fallait pas non plus montrer les tanks tirant sur les foules affamées se précipitant vers des lieux d'approvisionnement, les vidéos montrant les soldats se réjouissant des sévices qu'ils font subir aux civils et des explosions qu'ils provoquent dans les quartiers résidentiels, les reportages sur les tortures subies par les prisonniers palestiniens diffusés sur les chaînes de télévision israéliennes pour satisfaire le désir de vengeance de leur public. Il ne le fallait pas car la cruauté manifestée aurait risqué de nuire à l'image de la société israélienne.
Un fait est à cet égard révélateur. Lors de l'opération menée par l'armée israélienne pour libérer quatre otages dans un camp de réfugiés, la presse internationale a longuement commenté l'heureux événement, en oubliant souvent de mentionner que l'intervention avait causé la mort de 274 hommes, femmes et enfants et fait 700 blessés, presque tous des civils, et était connue en Palestine comme le massacre de Nuseirat.
Le travail des rédactions
En réalité, ce traitement inégal de l'information résultait de politiques éditoriales. Dans la plupart des médias qu'on appelle mainstream, le langage utilisé par les journalistes a fait l'objet d'une surveillance stricte et d'une censure rigide. Aux États-Unis, une enquête menée durant les six premières semaines de la guerre dans les trois plus importants quotidiens du pays montre que, rapporté au nombre de décès de chaque côté, il était seize fois plus souvent question des Israéliens que des Palestiniens, et que le mot « horrible » était employé neuf fois plus souvent pour évoquer la mort des premiers que celle des seconds, le mot « massacre » trente fois plus et le mot « tuerie » soixante fois plus. Des consignes étaient d'ailleurs données par les rédactions, et dans l'un de ces grands journaux, une note de service demandait aux reporters d'éviter les expressions « territoires occupés » et « camps de réfugiés », qui rappelaient une histoire qu'il s'agissait d'occulter, de ne pas évoquer un « génocide » ou un « nettoyage ethnique », termes proscrits, et même de réserver le mot « Palestine » à de très rares occurrences.
En France, des journalistes m'ont confié les pressions qu'ils subissaient de leur rédaction, les multiples relectures et réécritures qu'on leur imposait, les chartes qu'ils devaient respecter, l'ajout dans les chapeaux des articles du mot « terroriste » pour qualifier le Hamas, l'évitement des termes « génocide », « apartheid » et « colonial », l'exclusion des voix « critiques » de la politique israélienne. Par souci de ce qu'on qualifiait de « neutralité », tout entretien ou commentaire rappelant le droit international devait avoir en regard un point de vue justifiant la politique israélienne, comme si l'un et l'autre avaient la même légitimité. Des phénomènes similaires, et souvent même des biais plus marqués encore, ont été rapportés en Allemagne, en Grande-Bretagne, et dans d'autres pays européens.
Police de la pensée
Comment expliquer la police de la pensée qui a ainsi été imposée à travers la prescription d'un lexique et d'une interprétation officiels et la réduction de la critique au silence par le double jeu de la censure et de l'auto-censure ? Les raisons en sont multiples. Il y a d'abord une crainte, ouvertement exprimée en interne, de l'accusation d'antisémitisme par des institutions communautaires, voire par le gouvernement lui-même, alors que la mémoire du génocide des Juifs d'Europe continue d'être fortement mobilisée. Il y a ensuite une sympathie répandue à l'égard de l'État d'Israël, identifié au destin d'un monde longtemps qualifié de judéo-chrétien, dont il est présenté comme le bastion dans un Moyen-Orient imprédictible. Il y a enfin, à l'inverse, une méfiance héritée des temps coloniaux à l'encontre des Palestiniens dans un contexte global de racisme anti-musulman et anti-arabe qui se double dans leur cas d'une association à l'image du terrorisme. La partialité des médias en faveur d'Israël n'est, du reste, pas nouvelle.
Les journalistes ont une forte propension à porter un regard réflexif sur leur métier. Avec le recul du temps, ils ne manqueront pas d'engager un travail critique – et certains l'ont déjà fait – sur leurs partis pris après le 7 octobre. Ils comprendront alors que les médias ont activement contribué à la légitimation de la destruction de Gaza et de sa population.
Didier Fassin, Professeur au Collège de France et à l'Institute for Advanced Study de Princeton, auteur de Une étrange défaite. Sur le consentement à l'écrasement de Gaza (La Découverte), pour Carta Academica
Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n'engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d'ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu'elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d'autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

Les maladies et la malnutrition frappent l’Afghanistan, pays en proie à la pénurie d’eau

Trois années de sécheresse, un régime paria et la perte de travailleurs qualifiés ont paralysé l'infrastructure hydraulique de l'Afghanistan, entraînant une augmentation du prix de l'eau et une propagation des maladies.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Source.
Chaque soir, Abdullah Achakzai, directeur du Réseau des volontaires pour l'environnement (EVN), est confronté à la même triste réalité lorsqu'il rentre chez lui après son travail à Kaboul. Des files d'attente, composées essentiellement d'enfants, se succèdent pendant des heures pour aller chercher de l'eau dans des camions-citernes privés. En raison de la pénurie d'eau courante, de nombreuses et nombreux Afghans dépendent de ces camions-citernes pour satisfaire les besoins essentiels de leur foyer.
Ces dernières années, le nombre de personnes faisant la queue n'a cessé d'augmenter, explique M. Achakzai. « La situation est pire que l'année dernière », a-t-il déclaré à Dialogue Earth. « Nous prévoyons que les années à venir seront encore plus critiques, le niveau des eaux souterraines continuant à baisser ».
La plupart des ménages afghans dépendent de puits personnels pour boire, cuisiner et cultiver. Selon un rapport d'août 2024 de la Direction nationale des statistiques, le pays compte environ 310 000 puits forés. Mais M. Achakzai explique qu'une enquête menée par EVN en juillet et partagée avec Dialogue Earth a révélé que la sécheresse a rendu ces puits moins fiables. « Les puits forés les années précédentes à une profondeur de 200 mètres sont maintenant à sec, ce qui oblige de nombreuses et nombreux habitants, en particulier ceux des immeubles de grande hauteur, à forer des puits à une profondeur de 300 mètres ou plus pour accéder à l'eau », a-t-il déclaré.
Cependant, M. Achakzai a prévenu que « les niveaux des eaux souterraines diminuent rapidement » et que même ces puits profonds n'offriraient probablement pas de solution à long terme. Un rapport de l'ONU datant de 2023 confirme que « 49% des puits de forage évalués dans la province de Kaboul sont à sec, et que les puits de forage restants ne fonctionnent qu'à 60% de leur efficacité ».
Augmentation des chocs climatiques
« Le changement climatique perturbe les schémas météorologiques [de manière sans précédent] », a déclaré Mohammad Daud Hamidi, un expert afghan de l'eau qui a passé des années à étudier l'insécurité de l'eau dans le pays. L'Afghanistan, déjà éprouvé par les conflits et l'instabilité, a connu trois années consécutives de grave sécheresse depuis 2021.
L'approvisionnement en eau de l'Afghanistan dépend en grande partie de la fonte saisonnière des neiges dans les montagnes, qui alimente les principaux cours d'eau. « Toutefois, l'évolution des chutes de neige modifie la disponibilité des eaux de surface, ce qui entraîne une dépendance accrue à l'égard des eaux souterraines, tant pour l'usage domestique que pour l'irrigation », a déclaré M. Hamidi. « Ces ressources s'épuisent plus vite qu'elles ne se reconstituent ».
Dans les zones rurales de l'Afghanistan, les effets de la sécheresse sont particulièrement prononcés, entraînant une augmentation des migrations vers les villes, ce qui accroît la pression sur les réserves d'eau urbaines. Les activités industrielles exercent également une pression supplémentaire. M. Hamidi a cité en particulier l'industrie minière, où l'on a assisté à une « récente prolifération de contrats sans évaluation appropriée de l'impact sur l'environnement ».
Les sécheresses ne sont pas les seules catastrophes liées au climat auxquelles l'Afghanistan est confronté. Elles sont souvent suivies de crues soudaines. Depuis le mois de mai, plus de 250 personnes sont mortes et près de 120 000 ont été touchées par des crues soudaines dans le nord et l'est de l'Afghanistan, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies [OCHA].
« Avec une augmentation de la température [due au changement climatique], l'air peut retenir plus d'eau », a expliqué Najibullah Sadid, un expert afghan en gestion de l'eau à l'université de Stuttgart. « Même un degré d'augmentation de la température de l'air permet à l'air de retenir 7% d'eau en plus, ce qui forme des nuages plus lourds, qui peuvent à leur tour provoquer des orages, de fortes pluies localisées et des inondations », a-t-il ajouté. Selon lui, la plupart des inondations les plus graves qu'a connues l'Afghanistan ces dernières années se sont produites pendant des périodes de forte chaleur, notamment les inondations de 2022 à Khoshi, dans le Logar, et celles de 2020 à Charikar, dans le Parwan, qui ont coûté la vie à plus d'une centaine de personnes.
L'impact humain
Depuis la prise du pouvoir par les talibans en 2021, l'Afghanistan est confronté à un isolement diplomatique, les organisations internationales se retirant, ce qui rend difficile la collecte de données complètes sur l'impact de ces crises environnementales. « Il est difficile de suivre [l'étendue du problème] », a déclaré Ahmad Kassas, directeur national de l'ONG International Medical Corp (IMC). Cependant, il a déclaré que l'impact pouvait être mesuré d'autres façons, notamment par « l'augmentation du nombre de cas de maladies liées à l'eau dans nos établissements de santé ».
L'eau insalubre est également liée à l'augmentation des taux de malnutrition. « Un rapport suggère que plus de 3,2 millions d'enfants et 840 000 femmes enceintes et allaitantes souffrent de malnutrition », a déclaré M. Kassas. Il a relaté le cas de la province de Saripul, où les communautés dépendent d'une eau salée et non potable. « Les gens viennent souvent dans nos centres médicaux simplement pour boire de l'eau », a-t-il déclaré, notant que cette demande inattendue d'eau propre a incité l'IMC à inclure la distribution d'eau dans ses services.
Pour répondre à certains des défis posés par la pénurie d'eau, M. Kassas a expliqué que l'IMC avait également contribué à la construction de systèmes d'alimentation en eau fonctionnant à l'énergie solaire, de pompes manuelles et de canaux d'irrigation, afin d'atténuer les crises immédiates, mais l'ampleur des besoins est écrasante.
Les femmes parmi les plus touchées
Selon Shogofa Sultani, directrice générale de Step to Brightness of Afghanistan Organisation (SBAO), une organisation de la société civile, le fardeau de la pénurie d'eau pèse de manière disproportionnée sur les femmes. « Les hommes travaillent à l'extérieur et peuvent donc chercher d'autres sources d'eau potable. Mais la plupart des femmes afghanes, qui sont confinées à la maison, ont besoin d'un accès à l'eau pour toutes les tâches ménagères », explique-t-elle.
Si nous allons chez quelqu'un ou si nous recevons des invité·es, la première chose que nous demandons à l'autre est : « Avez-vous de l'eau ? » Shogofa Sultani, directrice générale de l'organisation Step to Brightness of Afghanistan
L'organisation de Mme Sultani, qui s'occupait autrefois de diverses questions civiques, oriente de plus en plus ses efforts vers la recherche et la sensibilisation aux défis climatiques croissants de l'Afghanistan. « Avec un accès réduit à l'eau publique, il faut dépenser plus d'argent pour acheter des récipients d'eau – qui peuvent coûter entre 20 et 50 AFN [0,30-0,70 USD] pour 20 litres », a déclaré M. Sultani à Dialogue Earth. Les familles nombreuses ont de plus en plus besoin d'acheter plus d'eau pour satisfaire leurs besoins quotidiens. « Cela met la pression sur de nombreuses familles, en particulier celles qui ont des difficultés financières », a-t-elle ajouté.
La pauvreté touche plus de 90% des Afghan·es, et au moins 23,7 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population, auront besoin d'une aide humanitaire en 2024. « Toutes les familles que je connais ont des conversations quotidiennes entre elles et avec leurs communautés au sujet de l'eau. Si nous allons chez quelqu'un ou si nous recevons des invité·es, la première chose que nous nous demandons est : « Avez-vous de l'eau ? Tout le monde s'inquiète de savoir comment il obtiendra de l'eau le lendemain », a déclaré M. Sultani.
Des ressources humaines et financières qui s'épuisent
Malgré la fréquence des inondations, Sadid voit une opportunité potentielle. « Si nous pouvons stocker [l'eau des inondations], cela pourrait contribuer à recharger nos nappes phréatiques et à améliorer l'humidité du sol et la couverture végétale », a-t-il suggéré.
Commentant le projet de canal Qosh Tepa, que le régime actuel a poursuivi et qui serait à moitié achevé, M. Sadid a expliqué qu'une fois achevé, il pourrait tripler la prise d'eau de l'Afghanistan dans le bassin de l'Amu Darya. Cela améliorerait considérablement l'accès à l'eau dans le nord de l'Afghanistan, où l'eau est particulièrement rare et où l'agriculture dépend des pluies de printemps. Le projet, a-t-il ajouté, a le potentiel de « transformer des terres agricoles fertiles alimentées par la pluie en terres arables permanentes », ce qui permettrait d'augmenter la production alimentaire et de créer des emplois dont le pays a grand besoin.
Toutefois, une telle entreprise nécessite des ressources financières et des investissements continus, qui se font rares depuis l'arrivée au pouvoir des talibans. M. Sadid a prévenu que la construction du canal devenait de plus en plus coûteuse, la majeure partie des travaux réalisés à ce jour étant axée sur l'excavation. « Je ne suis pas sûr que les talibans puissent obtenir les ressources financières nécessaires [pour continuer] », a-t-il déclaré, soulignant les défis posés par l'isolement international des talibans et les sanctions qui leur sont imposées.
M. Hamidi s'est fait l'écho de ces préoccupations, ajoutant que les infrastructures hydrauliques de l'Afghanistan ont longtemps été négligées. « En raison de la guerre prolongée et d'autres problèmes critiques, l'infrastructure de l'eau en Afghanistan n'a pas reçu l'attention qu'elle méritait ».
L'exode des cerveaux qui a suivi la prise du pouvoir, lorsque les gens ont fui les talibans, a également exacerbé la situation, a déclaré M. Hamidi, « laissant des défis importants en matière de gouvernance, d'expertise technique et de renforcement des capacités pour résoudre efficacement les problèmes ». Même les systèmes traditionnels comme le Karez, un réseau séculaire de canaux entretenus par la communauté, sont tombés en ruine. « Les systèmes traditionnels de Karez et les sources d'eau naturelles ne fournissent plus d'eau, en grande partie à cause de l'utilisation généralisée de puits forés pour l'agriculture », a déclaré M. Achakzai.
Exclus du débat sur le climat
Face à ces crises en cascade, l'Afghanistan reste largement exclu des discussions internationales sur le climat et privé des fonds qui pourraient l'aider à renforcer sa résistance aux chocs climatiques. Bien qu'il soit classé au sixième rang des pays les plus touchés par les effets du climat selon l'indice mondial des risques climatiques en 2019, l'Afghanistan n'avait aucune représentation officielle à la COP27, la conférence annuelle des Nations unies sur le climat. M. Achakzai a participé à l'événement en tant qu'unique représentant non officiel de l'Afghanistan.
En 2019, les émissions de carbone de l'Afghanistan se sont élevées à 0,3 tonne métrique, contre une moyenne mondiale de 4,6 tonnes métriques. Pourtant, le pays est affecté de manière disproportionnée par le changement climatique, et son exclusion des fonds climatiques internationaux et des programmes d'adaptation le rend dangereusement vulnérable aux chocs futurs.
M. Hamidi a prévenu que si des mesures immédiates n'étaient pas prises, la crise de l'eau en Afghanistan pourrait facilement s'étendre au-delà de ses frontières, les populations devant faire face à des catastrophes répétées. Si la gestion de l'insécurité hydrique est une tâche complexe, « il est essentiel de relever les défis immédiats liés à l'eau, tels que [la construction de] barrages et [leur] entretien », a-t-il déclaré.
« Il est essentiel de faire revivre et d'entretenir les systèmes traditionnels d'approvisionnement en eau, tels que les Karez, qui ont toujours fourni une eau fiable. Ces canaux souterrains minimisent l'évaporation et peuvent aider à soutenir les communautés, en particulier dans les zones rurales », a déclaré M. Achakzai. « Une stratégie à long terme impliquerait une collaboration avec les communautés locales ».
Et d'ajouter : « Cela permettrait non seulement de gérer l'aide limitée fournie à l'Afghanistan, mais aussi de sensibiliser la population aux problèmes de l'eau afin de la préparer aux chocs futurs. »
Ruchi Kumar est une journaliste indépendante qui travaille sur l'Asie du Sud. Elle a été publiée dans Foreign Policy, The Guardian, NPR, The National, Al Jazeera et The Washington Post, entre autres. Suivez-la sur Twitter @RuchiKumar