Presse-toi à gauche !

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

La crise de la mondialisation néolibérale, la place du Brésil et les défis pour la gauche

12 novembre 2024, par Insurgência, Organisation brésilienne, section de la Quatrième Internationale — , ,
J'ai traduit ce document à partir de sa version espagnole1 mais aussi, parfois, sa version originale portugaise. Il fut rédigé il y a un an, plus précisément quelques semaines (…)

J'ai traduit ce document à partir de sa version espagnole1 mais aussi, parfois, sa version originale portugaise. Il fut rédigé il y a un an, plus précisément quelques semaines après l'attaque d'Israël par le Hamas le 7 octobre 2023. Cependant, il demeure fort pertinent pour les forces progressistes à travers le monde. La guerre génocidaire qu'Israël mène à Gaza et en Cisjordanie depuis l'attaque du Hamas, et ce avec le plein appui de grandes puissances occidentales, principalement les États-Unis ; et, aussi et surtout, la récente victoire électorale écrasante de Donald Trump à la présidence le 5 novembre dernier, ne font qu'accentuer de façon substantielle cette pertinence.
Ovide Bastien

13/08/2024
Insurgência, Organisation brésilienne, section de la Quatrième Internationale
Traduction Ovide Bastien

Nous avons rédigé ce document en octobre 2023, dans le cadre du processus de préparation de la IVe Conférence nationale de notre organisation Insurgência. Plusieurs ont collaboré à sa rédaction. Il est le fruit de discussions que nous avons eues au cours des dernières années et cherche à systématiser les principaux vecteurs et tendances en cours dans la conjoncture mondiale actuelle. Son but : situer historiquement et politiquement les défis auxquels nous sommes confrontés.

Ce texte a été approuvée par la IVe Conférence nationale d'Insurgência en tant que document de travail, destiné à être développé et discuté par notre mouvement, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'organisation. C'est dans ce but que nous publions aujourd'hui ce document. Nous savons qu'il y a et qu'il y aura toujours des mises à jour à faire, mais nous espérons qu'il pourra contribuer au débat entre les organisations et militants avec lesquels nous interagissons.

Depuis un certain temps à Insurgência, nous partons du principe que le scénario national et international est grave et qu'il est traversé par une combinaison de crises. La crise climatique, toile de fond de plus en plus importante dans la vie quotidienne et qui traverse et conditionne objectivement toutes les autres crises ; la crise économique qui, depuis 2008, n'a toujours pas été résolue ; les crises énergétiques, géopolitiques et militaires, et la dispute pour l'hégémonie entre les impérialismes historiques et les impérialismes ascendants. Il y a également une crise et une lutte ouverte au sein des bourgeoisies centrales et de leurs associés, qui sont divisés sur la direction à prendre face à l'épuisement du modèle consolidé dans les années 1990 ; et une crise au sein de la gauche, marquée par sa fragmentation, son implantation sociale fragile et l'absence d'une orientation politique plus générale qui tienne compte des défis imposés par les transformations profondes que nous traversons dans le moment historique actuel.
Toutes ces crises sont interdépendantes, c'est-à-dire qu'elles interagissent et se conditionnent mutuellement, s'influençant les unes les autres au fur et à mesure qu'elles se développent. Ainsi, le défi que se fixe ce document est de systématiser les principaux vecteurs de cet ensemble de crises et la dynamique qui les sous-tend au cours des dernières années, toujours à la lumière du développement des luttes de classe au cours de la période. Enfin, nous cherchons également à soulever des hypothèses politico-programmatiques pour l'intervention de la gauche dans la situation historique que nous vivons.

1. La crise de 2008 et ses conséquences immédiates

C'est dans la crise de 2008 que nous pouvons identifier un premier jalon dans le développement de la situation mondiale que nous connaissons actuellement. Bien que le capitalisme, dans les années qui ont suivi, ait généralement retrouvé des taux de croissance acceptables, la profondeur et l'ampleur de la crise ont fait ressortir l'épuisement du pacte social et économique de la mondialisation néolibérale établi avec la chute du bloc soviétique au début des années 1990. C'est de cette crise que sont issus les événements politiques qui ont marqué la dernière décennie.

La réponse de la bourgeoisie centrale à la crise a été double et immédiate : d'une part, une injection record de fonds publics pour protéger le marché financier et ses institutions, dont certaines ont même été renationalisées ; d'autre part, des programmes d'austérité rigides, c'est-à-dire le retrait des droits sociaux à la classe ouvrière et aux secteurs populaires, ce qui permettait aux entreprises, grâce à l'intensification de l'exploitation, de retrouver leurs profit. Ainsi, l'impact de la crise sur les conditions de vie matérielles de la classe ouvrière dans plusieurs pays a été renforcé par les politiques menées par les États-Unis et l'Union européenne.

Après deux années d'aggravation des difficultés sociales et économiques pour les secteurs populaires, un cycle croissant de mobilisations a commencé à se développer au niveau international. Dès 2010, la lutte contre les plans d'austérité en Irlande et en Grèce a bénéficié d'un soutien massif. En janvier 2011, une vague de manifestations contre le chômage, la faim et le régime a renversé le gouvernement de Ben Ali en Tunisie. À partir de là, le mouvement s'est rapidement étendu à toute la région et, la même année, les gouvernements égyptien et libyen ont également été renversés. En Syrie, la mobilisation contre le gouvernement de Bachar Al Assad a eu recours aux armes. Des mobilisations ont également débuté en 2011 au Portugal, en Espagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni, des processus qui ont eu des impacts différents mais progressifs sur la réorganisation de la gauche dans ces pays, avec la fondation de Podemos en Espagne, le nouvel élan du Bloco de Esquerda au Portugal ou de DSA (The Democratic Socialists of America) aux États-Unis, et le renforcement de l'aile gauche du Parti travailliste au Royaume-Uni. Le cycle des mobilisations se poursuit et atteint en 2013 la Turquie et le Brésil.

Enfin, en 2014, Syriza, à l'époque l'outil de parti le plus prometteur à émerger du cycle politique ouvert en 2008, a remporté les élections grecques et a formé un gouvernement en janvier 2015. Le pays représentait l'expérience de résistance la plus avancée dans ce cycle, avec des mobilisations de masse fréquentes, une participation significative de la gauche, des syndicats et des mouvements sociaux, et l'un des plus durement touchés par la crise en Europe. Il semblait y avoir un espoir de rupture avec l'Union européenne et son austérité économique. En juin, le nouveau gouvernement a organisé un référendum pour permettre à la population d'accepter ou non la proposition économique de l'UE et a fait campagne pour le « non ». Le « NON » (OXI en grec) l'a emporté avec 61 % des voix. Cependant, lors des négociations avec l'UE, le gouvernement Tsipras a capitulé et a décidé d'accepter un paquet encore plus mauvais que celui qui avait été rejeté lors du référendum.

Si la chute de Ben Ali en Tunisie peut être considérée comme le début d'un cycle de mobilisations progressistes, la capitulation de Syriza a mis fin à la possibilité - encore ouverte à l'époque - qu'une force à gauche du réformisme historique puisse se consolider comme une alternative viable et cohérente à la crise qui a débuté en 2008. Le rapport de forces au niveau international et l'insuffisante préparation préalable de la gauche à sa postulation en tant qu'alternative se sont exprimés dans cet épisode de manière tragique.
En fait, d'une manière générale, le cycle de mobilisations qui a suivi 2008 n'a pas eu un dénouement progressiste, bien au contraire. En Libye, où l'intervention militaire de l'OTAN a été décisive dans la capture de Kadhafi, le résultat a été un retour de bâton si profond que, dans les années qui ont suivi, il y a eu des marchés de travailleurs en situation de quasi esclavage dans le pays. En Égypte, après la chute de Moubarak, il y a eu une junte de transition, un bref gouvernement civil dirigé par les Frères musulmans et, à la suite d'un coup d'État militaire, le pays est dirigé depuis 2014 par le général El-Sisi. En Syrie, la montée en puissance de l'État islamique et d'autres groupes religieux armés a transformé la révolte en une longue guerre civile qui se poursuit encore aujourd'hui, bien qu'avec moins d'intensité. En Turquie, Erdogan est sorti victorieux et a consolidé son emprise sur le pouvoir. Tout compte fait, le printemps arabe a donc été remporté par la contre-révolution. En Europe, c'est l'austérité qui l'a emporté.

En ce sens, il est important de noter que s'il est vrai que la crise de 2008 a ouvert un cycle de mobilisations généralement progressif, la vérité est que ce cycle, en l'absence de victoires décisives de la gauche, a été épuisé et historiquement vaincu : la dynamique s'est inversée. Toute analyse de la situation mondiale qui prétendrait que la dynamique progressiste de ce cycle s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui appellerait la gauche à répéter de graves erreurs politiques commises dans le passé. La situation mondiale actuelle ne peut être définie comme une « polarisation » : ce qui prédomine, c'est carrément un déséquilibre des forces. Depuis au moins 2015, le constat général de la situation politique mondiale est celui d'une défaite de la gauche et de la classe ouvrière. Depuis lors, c'est la bourgeoisie dans son ensemble, et en particulier son secteur le plus réactionnaire, qui a pris l'initiative politique.

2. La division de la bourgeoisie et l'offensive de l'extrême droite

Face à une crise économique qui n'a pas été entièrement surmontée et malgré l'épuisement d'une importante résistance populaire aux mesures mises en œuvre pour préserver le modèle en vigueur jusqu'alors, une division se développe au sein des bourgeoisies des pays centraux. Par conséquent, les bourgeoisies qui leur sont associées dans les pays périphériques et semi-périphériques se disputent également sur la question de savoir ce qu'il convient de faire face à la situation. Cette division est basée sur le glissement d'une fraction de la bourgeoisie mondiale vers l'extrême droite - un concept parapluie que nous utilisons pour englober ses expressions néo-fascistes, bonapartistes, etc. Si la défaite du cycle des mobilisations populaires entre 2010 et 2015 a ouvert la voie, 2016 est un tournant important car elle consolide cette division avec deux victoires importantes de l'extrême droite : lors du référendum sur la rupture du Royaume-Uni avec l'Union européenne, brisant le bloc que le pays formait avec l'Allemagne et la France, et lors de l'élection de Trump et de son « America First » aux États-Unis.

2.1 L'extrême droite, son programme et son évolution

Les deux processus expriment le même mouvement et le même contenu : ils remettent en question les arrangements établis de la mondialisation néolibérale, ils cherchent à repositionner leurs États nationaux dans la division géopolitique et économique du monde, en négociant ou en imposant des positions basées sur leur propre poids individuel dans la lutte pour les chaînes de valeur du capital. À cette fin, ils promeuvent en interne une radicalisation du néolibéralisme en termes de lutte des classes : ils mobilisent les forces réactionnaires pour approfondir l'exploitation, en particulier des secteurs les plus opprimés de la classe ouvrière dans leurs territoires, ce qui donne à leur programme un saut qualitatif dans l'affirmation du racisme, du sexisme, de la haine des personnes LGBT et des peuples migrants. Dans les années qui ont suivi, nous avons assisté à la croissance accélérée et à la massification des courants d'extrême droite dans plusieurs pays : outre les États-Unis et le Royaume-Uni, la France, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie, la Hongrie, la Pologne, le Salvador, l'Inde, les Philippines et le Brésil. Ces dernières années, l'alternative d'extrême droite s'est montrée capable de définir l'agenda politique au niveau mondial, de remporter des gouvernements importants ou de devenir une force politique incontournable dans toutes les parties du monde, avec un niveau intense d'articulation internationale entre ses partis.

En ce qui concerne la politique étrangère de cette faction d'extrême droite, la mise en place d'une offensive impérialiste était également évidente, en particulier en Amérique latine. Il est vrai qu'il s'agissait d'un processus qui bénéficiait du soutien de secteurs ou de la majorité des classes dirigeantes au niveau local, mais le « Lava-Jato », préparé en collaboration avec le département d'État américain, le coup d'État au Brésil en 2016, ainsi que l'élection ultérieure de Bolsonaro en 2018, le coup d'État en Bolivie en 2019 et la tentative de coup d'État au Venezuela, y compris avec des opérations militaires américaines, sont les expressions les plus évidentes de cette offensive impérialiste dans notre région.

En effet, la fraction de la bourgeoisie qui évolue vers l'extrême droite est le facteur le plus décisif du point de vue du rapport de forces entre classes à travers le monde. Cette fraction n'a pas seulement réussi à changer la situation politique à son avantage : ses victoires ont mis la bourgeoisie dans son ensemble à l'offensive contre la classe ouvrière. Alors que la bourgeoisie était déjà renforcée dans la période post-2008 par les défaites imposées à la gauche, ce processus n'a fait que s'intensifier avec la consolidation de l'extrême droite sur la scène mondiale. Depuis lors, deux contre-réformes stratégiques pour la bourgeoisie dans son ensemble ont été adoptées dans plusieurs pays : la réforme de la sécurité sociale et la réforme du travail. Bien entendu, ces défaites accumulées ont eu des répercussions sur la conscience de la classe ouvrière et des secteurs populaires, qui ont été contraints de se tourner vers la lutte pour leur propre survie matérielle et politique, avec une perte de confiance significative dans leurs propres forces.

En ce sens, il est important d'affirmer notre rejet des idées liées à ce qui a été historiquement appelé la « théorie de l'offensive », une politique qui trouve son origine dans le stalinisme mais qui est très présente dans les organisations trotskistes. Selon cette ligne, l'extrême droite est renforcée par son « radicalisme » ou son « programme antisystème », et donc la tâche de la gauche serait de faire face à cette confrontation en radicalisant également son programme. Cette théorie est également associée, de manière moins explicite, à l'idée de « fascisme social » élaborée par le stalinisme, une ligne qui prétend que, puisque les limites stratégiques du réformisme sont le principal facteur de la crise politique, il doit être confronté de la même manière que le fascisme. Il existe de nombreux exemples historiques de l'échec de cette politique, à commencer par le fait qu'elle n'a pas empêché la montée du nazisme en Allemagne, au contraire, elle y a contribué. Plus récemment, FIT (El Frente de Izquierda y de Trabajadores-Unidad) en Argentine a suivi la même voie lors du second tour entre Milei et Massa, néofascisme contre péronisme.

En effet, tout programme doit toujours répondre à une situation politique concrète, il n'existe pas dans l'abstrait. En ce sens, l'extrême droite ou le néofascisme ne trouvent un écho dans le radicalisme de leur programme que parce que c'est la bourgeoisie dans son ensemble qui est à l'offensive, pas la classe ouvrière. Si la classe ouvrière était à l'offensive, c'est-à-dire organisée, remportant des victoires et progressant dans la lutte de classe contre la bourgeoisie, alors il serait logique que la gauche s'oriente vers un programme qui remette en cause le système.

En revanche, dans une situation défensive, notre tâche doit être de lutter pour la concentration des forces de la classe ouvrière dans des fronts communs entre la gauche révolutionnaire et la gauche réformiste ; dans ce processus, de lutter pour la conquête de l'hégémonie sur la classe ouvrière, dont la croyance dans le réformisme est amplifiée dans les situations défensives ; pour des conquêtes immédiates, même partielles, de la classe ouvrière, en cherchant à accroître sa conscience et sa confiance dans ses propres forces en la mobilisant le plus largement possible. C'est du moins l'accumulation historique faite par la Troisième Internationale avant sa stalinisation et dans l'importante élaboration faite par Trotsky dans la lutte contre le fascisme. Et s'il est vrai que cette élaboration doit être mise à jour à la lumière des expériences ultérieures de la gauche, nous ne devons pas oublier que nous avons en elle un point de départ.

2.2 La bourgeoisie libérale-démocrate : de la paralysie à la « transition verte »

Ensuite, il y a l'autre partie de la bourgeoisie dans cette scission, qui n'a pas évolué vers l'extrême droite. Cette partie de la bourgeoisie a passé des années à être paralysée face aux victoires en série de sa faction opposée : dans un premier temps, elle s'est limitée à défendre le fameux ‘Washington Consensus' et les institutions du régime libéral-démocratique. Son incapacité à répondre à la crise de son propre modèle a bien sûr été largement exploitée par l'extrême droite.

Plus récemment, cependant, sous la pression particulière d'un mouvement écologiste qui, en 2019, a pu mettre en branle, dans les pays capitalistes les plus puissants, d'immenses mobilisations populaires, la faction libérale-démocrate a gagné du terrain en mettant de l'avant une transition énergétique « verte », et en promettant des paquets d'investissements publics capables de réorganiser et d'adapter le capitalisme à de nouvelles matrices énergétiques ou à des matrices moins polluantes. Si ce projet se réalise, il aura un impact sur l'ensemble de la chaîne de production et de reproduction du capital au niveau mondial, bien qu'il n'y ait aucune raison de croire qu'il puisse surmonter structurellement la crise environnementale. En même temps, avec une certaine inspiration rooseveltienne, ce secteur promet encore de faire progresser la récupération de certains des droits perdus par la classe ouvrière au cours des dernières décennies au niveau national dans les pays capitalistes les plus puissants.

Avec ce programme, la faction libérale-démocrate a regagné du terrain dans des pays importants : elle a pu reprendre le contrôle du gouvernement américain et a gagné en Allemagne, ainsi qu'en Espagne et dans d'autres pays. Toutefois, cela ne signifie pas que la lutte inter-bourgeoise est terminée. Ces promesses sont encore loin de constituer des avancées significatives. Cela est dû à la fois au poids de l'extrême droite dans ces pays et à l'intense conflit géopolitique de ces dernières années, qui a imposé des obstacles à la réorganisation des chaînes de valeur dans le monde. Il reste donc à voir quel projet bourgeois s'imposera pour sortir de la crise de la mondialisation, l'extrême droite en tête.
En effet, les élections en Argentine en 2023 démontrent le caractère ouvert de ce conflit intra-bourgeois : si Milei gagne, il est clair que son impact sur l'équilibre des forces en Amérique latine sera significatif, renforçant l'extrême droite au Brésil, au Chili, en Bolivie, au Pérou et en Colombie. De même, nous devrions nous tourner vers les élections présidentielles américaines de 2024 - une victoire de Trump ou des Républicains placerait sans aucun doute l'extrême droite dans une position plus offensive dans le monde entier. En d'autres termes, tant au Brésil qu'à l'échelle internationale, l'extrême droite est toujours vivante, organisée, combattante et active dans la lutte de classes pour façonner le monde à son image. La situation politique reste donc instable, un facteur qui doit être pris en compte pour caractériser le gouvernement brésilien actuel et les risques auxquels il est confronté. La priorité politique de la gauche reste la lutte contre l'extrême droite.

3. La Chine et le conflit inter-impérialiste

Ce scénario est également lié à un autre facteur important de la situation mondiale : la montée en puissance de la Chine et le défi qu'elle lance à l'hégémonie américaine, consolidée après la fin du bloc soviétique. Devenue la deuxième économie mondiale, avec des exportations de capitaux croissantes et une présence militaire dans plusieurs pays, la Chine ne joue pas encore le rôle des États-Unis à l'échelle mondiale. Cette bataille unifie donc les factions bourgeoises des États-Unis et leurs subordonnés européens autour de l'objectif stratégique de préserver leurs positions des trente dernières années. L'ensemble de la politique internationale de la période à venir sera guidée par ce conflit.
La caractérisation de ce qu'est la Chine et de son projet politique exige que la gauche dans son ensemble approfondisse la question. S'il nous semble évident qu'il ne s'agit pas d'un modèle de socialisme à suivre, d'un autre côté, il ne semble pas suffisant de traiter la Chine comme une simple expression du capitalisme mondial. Nous parlons de l'État-nation le plus ancien de l'histoire, avec un niveau élevé de centralisation et de planification économique. Son projet économique, largement contrôlé par l'État, fait pression même sur des secteurs de la bourgeoisie centrale pour qu'elle révise le rôle assigné à la présence de l'État par le néolibéralisme - comme l'affirment expressément même des idéologues bourgeois. À titre d'hypothèse, nous considérons la Chine comme un impérialisme en pleine ascension, orienté au niveau central par un projet nationaliste et non socialiste, mais également marqué par la révolution qui a élevé le parti communiste à la tête de l'État. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un sujet qui mérite d'être approfondi.

La montée en puissance de la Chine et le défi qu'elle pose à l'hégémonie des États-Unis et de l'Union européenne sont déjà à l'origine de conflits géopolitiques et économiques de plus en plus intenses. Ces conflits sont centrés sur la lutte pour les chaînes de valeur, qu'il s'agisse de l'énergie, de la technologie - dans le cas des semi-conducteurs - ou des ressources naturelles et matières premières, toutes deux de plus en plus précieuses face à l'intensification de la crise environnementale. Leur développement se traduit par des conflits géopolitiques et militaires de plus en plus fréquents, et un potentiel accru de bouleversements sociaux, comme on peut le voir aujourd'hui dans la région du Sahel, en Afrique, où la lutte pour les matières premières technologiques et énergétiques est au cœur de l'impérialisme français et de la présence russe et chinoise dans la région.
C'est sur ce terrain que nous devons caractériser la guerre en Ukraine, qui représente un bond en avant dans ce conflit inter-impérialiste. Nous condamnons l'agression russe contre la souveraineté ukrainienne. Mais il est désormais très difficile de soutenir une quelconque caractérisation de cette guerre comme une simple lutte nationale entre les pays impliqués. Au contraire, les États-Unis ont réussi à ramener l'OTAN - qui souffrait de « mort cérébrale », selon les termes du président français Emmanuel Macron - dans ce conflit, le transformant en une étape préparatoire dans la lutte stratégique contre la montée en puissance de la Chine. Les livraisons d'armes quasi illimitées au gouvernement Zelensky, les sanctions unilatérales contre la Russie, l'insistance des puissances impérialistes de l'OTAN à faire de la Chine une partie prenante de la guerre, ainsi que la course aux armements qui s'en est suivie, témoignent du caractère inter-impérialiste du conflit. De ce point de vue, tout alignement de la gauche sur l'un ou l'autre des blocs impérialistes en conflit - qu'il s'agisse du bloc hégémonique ou du bloc concurrent - serait une grave erreur politique. Les forces populaires n'ont rien à gagner de l'escalade des guerres qui a déjà lieu et qui risque de se poursuivre dans la période à venir : notre position doit être de mettre fin à la guerre impérialiste et à l'armement impérialiste.

4. Impacts de la pandémie et de la crise écologique

Enfin, nous devons caractériser les impacts de l'expérience de la pandémie de COVID entre 2020-2022 et la façon dont elle influence également les transformations croissantes au niveau mondial. En raison de l'action destructrice du capital sur la nature, la pandémie a amplifié la remise en question de la mondialisation néolibérale et même du néolibéralisme lui-même : depuis lors, même certains économistes bourgeois des pays du centre en sont venus à préconiser la nécessité d'investir davantage dans le secteur public pour faire face à la crise. La pandémie a également mis en lumière l'impact de la privatisation des services de santé dans diverses parties du monde.

Produit de la crise environnementale, la pandémie a également accéléré la course mondiale aux chaînes de valeur énergétiques et aux matières premières stratégiques pour la course technologique. Les catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes - inondations, sécheresses, conditions météorologiques extrêmes - ont un impact sur les conditions matérielles de production et de reproduction du capital. Ensemble, ces deux facteurs font pression sur les bourgeoisies libérales-démocrates pour qu'elles avancent avec un projet capitaliste vert, même si c'est difficile pour elles. Par conséquent, nous assistons aujourd'hui aux prémices d'une lutte à long terme pour les ressources naturelles, avec des tentatives croissantes d'impérialisme vert de la part des bourgeoisies centrales. La pression pour un plus grand contrôle des centres impérialistes sur les biomes ou les matières premières, comme l'Amazonie ou le Triangle du Lithium en Argentine, au Chili et en Bolivie, est susceptible de s'intensifier dans la période à venir. En ce sens, la lutte contre la crise climatique devra également acquérir une dimension anti-impérialiste dans un avenir proche.

5. Quelques conclusions sur la situation mondiale

Cet ensemble de crises indique que nous sommes confrontés à une période de transition dans l'histoire mondiale : un épuisement résultant de la mondialisation néolibérale ; une division parmi les bourgeoisies centrales quant à la voie à prendre pour sortir de cette crise ; une crise climatique qui exerce une pression matérielle et objective sur les accords économiques, sociaux et politiques conclus au cours des dernières décennies ; un impérialisme en formation et qui remet déjà en cause l'hégémonie des États-Unis ; une course aux armements et à la technologie motivée par la lutte pour les marchés mondiaux, qui est déjà en train de changer par rapport à la période précédente. Bref, le monde dans lequel nous vivons n'est plus celui de la mondialisation néolibérale et une vaste réorganisation mondiale du capitalisme est en cours.

Cependant, la question de savoir ce qui remplacera la mondialisation néolibérale est un débat ouvert. Elle sera le résultat du rapport de forces qui se cristallisera entre classes sociales à l'issue de cette transition. La capacité de l'extrême droite à se consolider en tant que secteur ayant un poids durable et la pression suffisante des mouvements sociaux pour surmonter la crise climatique dépendront fondamentalement de la capacité de la gauche et de la classe ouvrière à intervenir dans les conflits en cours. Comme nous l'avons vu, cette capacité a été jusqu'à présent limitée : c'est l'extrême droite qui a imposé son agenda. La deuxième partie de ce document se concentrera donc sur la caractérisation des forces de gauche et de la classe ouvrière.

6. Le Brésil dans ce scénario

Avant d'aborder la situation et les défis auxquels est confrontée la gauche, nous avons la tâche de systématiser la manière dont ces conflits en cours s'expriment dans la lutte de classes au Brésil, ainsi que la manière dont nos luttes influencent ou impactent ces conflits au niveau mondial. Tous les processus dont nous avons parlé jusqu'à présent ont trouvé leur expression dans notre pays, marquant une intégration importante du Brésil dans la dynamique mondiale de la lutte de classes.

Le cycle de mobilisations post-2008 est arrivé au Brésil en 2013 avec des caractéristiques similaires à celles qu'on trouve dans divers pays : absence de leadership politique consolidé ; une nouvelle génération sans expérience émergeant en politique ; un certain degré de dispersion programmatique dans les mobilisations, qui ont eu une portée massive.
Ici aussi, s'est manifestée la même dynamique d'épuisement qu'on retrouve sur le plan international. Une fois la question des tarifs de transport surmontée, la mobilisation de rue s'est consolidée comme un outil important dans la lutte politique, tant à gauche qu'à droite, un phénomène qui a également été observé lors du Printemps arabe. Sans orientation programmatique bien établie ni clarté dans les manifestations, la droite a commencé à contester très explicitement les mobilisations de juin, avant même que les augmentations tarifaires ne soient révoquées. À São Paulo, qui avait été l'épicentre des mobilisations, des gangs néofascistes sont descendus dans la rue pour intimider la gauche dès que la lutte contre la hausse a été gagnée.

Depuis, la droite se bat et occupe de plus en plus de place dans la rue et dans la société brésilienne. Ici aussi, la droite a lancé une offensive en renforçant son aile la plus réactionnaire. Lava Jato unit la bourgeoisie locale contre le gouvernement de collaboration de classe. Les conséquences sont très dures pour la gauche et les forces populaires : le coup d'État de 2016 ; le meurtre de Marielle Franco et l'arrestation de Lula en 2018 ; la grève des camionneurs et l'élection de Bolsonaro la même année ; le tout en articulation claire avec l'extrême droite au niveau international. Ils ont également réussi à approuver les deux contre-réformes stratégiques (travail et retraite) au cours de cette période. Ici comme au niveau international, le cycle de juin est terminé au moins depuis 2015, lorsque la droite a remporté la majorité dans la rue. Et toute analyse qui établit la continuité du caractère progressiste de juin jusqu'à aujourd'hui conduira également à de graves erreurs de lecture et d'intervention politique dans la réalité.

Au cours de cette période, la majeure partie de la gauche brésilienne a fourni d'importants et corrects efforts pour maintenir l'unité. Si ceux-ci ne se sont pas avérés suffisants pour empêcher le coup d'État, renverser Temer, empêcher l'élection de Bolsonaro ou faire tomber son gouvernement, on ne devrait pas les passer sous silence lorsqu'on fait le bilan de ces dernières années. Sans les luttes unitaires de la gauche, dans lesquelles le PSOL et le Frente Povo Sem Medo (Peuple sans peur) - ainsi que notre organisation Insurgência elle-même - ont joué un rôle décisif, il n'est pas difficile d'imaginer que la situation aurait pu se détériorer davantage. Il est clair également que l'unité de la gauche a joué un rôle déterminant dans l'étroite victoire électorale de Lula contre Bolsonaro l'année dernière, ce qui mettait fin à la barbarie qui était en cours au Brésil depuis les mobilisations de masse réactionnaires de 2015.

Des luttes inter bourgeoises ont également éclaté au Brésil. Bien que la totalité ou presque de la classe dirigeante se soit alignée sur le coup d'État et sur Bolsonaro contre le PT en 2018, ce bloc a commencé à souffrir de divisions avec le l'arrivée du gouvernement néofasciste et les conflits factionnels des bourgeoisies centrales. Avec la victoire de Biden, l'isolement croissant du Brésil dans ses relations internationales et la gestion catastrophique de la pandémie et de la question environnementale, semblable à celle de Trump aux États-Unis, ont fait en sorte qu'une partie de la bourgeoisie locale a cherché à se démarquer du bolsonarisme. En fait, certaines parties de la classe dirigeante soutenaient Lula. Et sans la reconnaissance rapide par Biden du résultat des élections brésiliennes de 2022, le 8 janvier aurait également pu avoir une issue bien plus grave.
Le bolsonarisme, tout comme l'extrême droite internationale, n'est cependant pas vaincu. Il est toujours vivant et organisé et influence les rapports de forces dans le pays. Son programme et sa politique jouissent du soutien massif de la bourgeoisie, de l'agro-industrie, du marché financier, des forces armées et de la police. Il est fortement implanté dans le néopentecôtisme réactionnaire. Il a le poids institutionnel pour attaquer le gouvernement et le programme électoral qu'il mettait de l'avant lors des élections de 2022. Et tout renforcement de l'extrême droite au niveau international pourrait aussi donner un nouvel élan à Bolsonaro pour reprendre son offensive au Brésil.

Enfin, le gouvernement de Lula tente également de positionner le Brésil dans le conflit entre factions centrales bourgeoises, cherchant une position privilégiée pour le pays au niveau de l'agenda environnemental. Ce serait une possibilité concrète en termes de capitalistes souverains, mais pas exactement dans le cas de notre pays. Dans ce projet, bien qu'il soit évidemment de loin supérieur à l'agenda de Bolsonaro, il y a encore peu de progrès concrets. De même, Lula tente d'exploiter les divisions au sein de l'impérialisme – que la diplomatie européenne appelle « concurrence d'enchères » pour le Brésil – au profit du pays, une tentative saine etcorrecte pour préserver l'indépendance relative du Brésil par rapport aux blocs impérialistes en conflit.

7. La gauche, de 2010 à 2023

Enfin, nous consacrerons la dernière partie de ce document à une évaluation de la capacité politique de la gauche à intervenir au niveau international dans ce processus. Nous partons du principe que, depuis la chute du bloc soviétique et la consolidation de la mondialisation néolibérale, qui a eu un impact énorme sur la classe ouvrière mondiale, tant objectivement - c'est-à-dire sous la forme d'une organisation du travail plus fragmentée, déconcentrée et aliénée - ainsi que subjectivement - dans la confiance en leurs propres forces, en leur conscience sociale et politique -, il y a eu un recul décisif et déterminant dans le rapport de forces par rapport à la majeure partie du XXe siècle. Depuis lors, tant le projet socialiste que l'organisation de la classe ouvrière elle-même ont été profondément discrédités par les masses populaires.

Il est nécessaire de réaffirmer cette caractérisation car, sans elle, nous n'aurons aucune idée de l'énormité du défi historique auquel se confronte la gauche présentement. Tout programme politique qui n'accorde pas une place centrale à la réorganisation sociale et politique de la classe ouvrière, c'est-à-dire à la reconstruction des outils d'organisation de classe et au nécessaire regroupement et réimplantation des forces socialistes, ne sera pas à la hauteur de la tâche de rétablir un horizon socialiste pour l'humanité.

7.1 La crise du prolétariat à la suite de l'éclatement de l'URSS

Bensaïd a fait un effort important à son époque pour récupérer les bases théoriques stratégiques susceptibles de réorienter la gauche dans l'ère post-URSS. Revenant à Marx dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, il travaille sur la notion de classe sociale d'un point de vue à la fois objectif et subjectif : « Dans la mesure où de millions de familles (...) vivent dans des conditions économiques qui les séparant les unes des autres, et que leur mode de vie, leurs intérêts et leur culture s'opposent à celles des autres classes de la société, elles constituent une classe. Cependant, elles ne constituent pas une classe dans la mesure où (...) n'existe entre elles qu'une connexion locale, et dans la mesure où la similitude de leurs intérêts ne crée entre elles aucune communauté, aucun lien national et aucune organisation politique » (...) Ainsi, elles semblent constituer une classe objectivement (sociologiquement), mais pas subjectivement (politiquement).
De ce point de vue, nous croyons que la fin de l'URSS ainsi que la mondialisation néolibérale ont eu comme effet d'affaiblir considérablement l'identité comme telle de la classe ouvrière, plus précisément sous l'aspect subjectif. Il existe, à un certain niveau, « une communauté, (…) un lien national, (…) une organisation politique », mais tous ces liens, à la suite de 30 ans de néolibéralisme, se sont fragmentés de plus en plus. Au point que présentement, la classe ouvrière vit peut-être la pire crise subjective de fragmentation et de désorganisation sociale qu'elle n'ait jamais connue depuis le tout début de la lutte pour le socialisme. En d'autres termes, la crise de l'humanité ne se limite plus à la crise de direction du prolétariat, telle que caractérisée dans le Programme de transition approuvé lors du lancement de la Quatrième Internationale. Aujourd'hui, outre la crise de direction, nous assistons également à une crise d'organisation de la classe ouvrière, qui l'empêche de s'identifier comme sujet historique et social, et plus encore comme sujet de lutte pour le socialisme. Surmonter cette fragmentation est donc une tâche stratégique, une condition préalable à la transformation révolutionnaire du monde.

Cela ne signifie pas pour autant que la classe ouvrière n'a pas produit des luttes et des résistances importantes, qui ont même contribué à élargir la compréhension de ce qu'est le prolétariat. Même sans se comprendre socialement comme classe, comme totalité, la classe ouvrière trouve ses propres formes, programmes et outils de lutte. Dans ce bilan de ces dernières années, il nous appartient d'identifier ces phénomènes pour savoir sur quoi se baser pour que la classe ouvrière puisse avancer dans sa propre reconstitution politique.

7.2 Le cycle 2010-2015

Ce premier cycle a été marqué principalement par deux vecteurs : en Europe, notamment en Europe du Sud, par les luttes populaires contre l'ajustement structurel imposé par l'Union européenne à la suite de la crise ; en Afrique du Nord-Moyen-Orient, par la lutte pour les libertés démocratiques contre les gouvernements ou régimes établis depuis des décennies. Le développement du cycle dans ces deux domaines a eu des résultats différents, qui doivent être systématisés dans notre bilan.

En Europe, notamment dans le sud du continent – Grèce, Portugal, Espagne – les mobilisations avaient un agenda programmatique plus clair : vaincre l'austérité et lutter contre la suppression des droits de la classe ouvrière. Il y a également eu une plus grande participation de la classe ouvrière au niveau de ses outils autonomes d'organisations, par exemple syndicats, associations de quartier, mouvements sociaux et même partis anticapitalistes et à la gauche du réformisme historique. Ce n'est pas pour rien que, bien que vaincus, les secteurs de gauche en sont sortis plus forts, comme le montrent les cas de Podemos, Syriza et du Bloc de Gauche. La trahison par Syriza du résultat du référendum OXI a largement bloqué le développement de ces alternatives, avec la modération de ce parti et plus tard aussi de Podemos. Le cas du Bloc de Gauche est une exception : avec la tactique de la « geringonça » (formation d'un gouvernement avec le Parti Socialiste et le Parti Communiste), ils ont vaincu la droite en permettant la formation d'un gouvernement de collaboration de classes - sans en faire partie et sans se soumettre à sa discipline, et ils continuent d'être un parti d'une importance indéniable dans le conflit national.

En revanche, le Printemps arabe s'est caractérisé par l'ampleur et la radicalité des mobilisations, qui se sont néanmoins heurtées à une répression sévère de la part des gouvernements. Toutefois, sur le plan programmatique, la principale caractéristique était la dispersion : la seule unité résidait dans le renversement des gouvernements, sans une définition plus claire des tâches de reconstruction qui devraient suivre, et avec différents secteurs sociaux et politiques contestant sa direction. En fait, des secteurs organisés de gauche ont participé aux mobilisations, mais la plupart étaient ceux liés à l'Islam politique, dont l'implantation sociale dans les secteurs populaires était bien plus importante, comme le démontre le poids important des Frères musulmans dans plusieurs pays. Dans tous ces cas, les gouvernements renversés n'ont même pas été remplacés par des secteurs progressistes.

On peut donc faire deux constats principaux par rapport à ce cycle. Le premier est que l'importance stratégique de l'implantation de la gauche a profondément reculé depuis la chute du bloc soviétique. Là où la gauche a réussi à être davantage présente dans les mobilisations, ce recul a été moins dramatique. Là, cependant, où ce n'était pas le cas, ce sont généralement des forces religieuses de droite qui ont pris l'initiative des processus et qui étaient les plus impliqués dans l'organisation des forces populaires. Il s'agit également d'un bilan important pour la gauche brésilienne, étant donné qu'il existe dans notre pays des forces réactionnaires profondément enracinées dans les territoires populaires, la droite s'étant même trouvée victorieuse dans la crise commencée en 2013.

Le deuxième constat, peut-être encore pas suffisamment reconnu par divers secteurs de la gauche, c'est que toutes les mobilisations de masse ne sont pas forcément progressistes. La droite et l'extrême droite ont également mobilisé leurs bases pour lutter. Si, comme gauche, nous n'arrivons pas à bien analyser et reconnaître la lutte en cours pour conquérir la direction ces processus, nous pourrions répéter les erreurs commises dans le passé. Ainsi, toute caractérisation de la situation mondiale guidée exclusivement par l'objectivisme, par le nombre de mobilisations, laissera de côté le facteur principal de la lutte des classes de cette période : la massification de l'extrême droite au niveau international.

7.3 Résistance populaire dans les années 2015-2019

Alors que l'extrême droite se renforcit de plus en plus sur le plan international, un changement s'opère dans le répertoire politique de la gauche et des mouvements sociaux qui tentent de résister. En Amérique latine, cela se manifeste entre autres par la résistance aux coups d'État en cours dans la région. C'est le cas au Brésil depuis 2016, en Bolivie entre 2019-2020, et au Venezuela c'est une préoccupation plus ou moins permanente.
Dans des pays comme la Colombie ou le Chili, les luttes contre l'augmentation des prix du carburant ou des tarifs de transport ont également pris une importance nationale. Les résultats sont également contradictoires et expriment le caractère ouvert, encore controversé, de cette période de transition dans laquelle nous nous trouvons. En Colombie, le processus a fini par conduire à l'élection du gouvernement de Gustavo Petro, le phénomène le plus avancé aujourd'hui en Amérique latine en termes de programmation et d'engagement dans la mobilisation populaire pour affronter la droite. Au Chili, une Assemblée constituante a été ouverte. Mais en Colombie, la force considérable de la droite s'est exprimé lors des dernières élections municipales, au cours desquelles la gauche a été largement battue. Au Chili, nous sommes à la veille du vote du deuxième projet de Constitution, désormais porté principalement par la droite. Même dans les victoires, le conflit se poursuit.

Cependant, en tant que dynamique internationale, la principale caractéristique de cette période a été la montée du mouvement féministe dans un large éventail de pays : Espagne, Suisse, Pologne, États-Unis, Brésil, Argentine et même Iran, avec une série de particularités et de contradictions. Qu'elles résistent aux attaques contre leurs droits - dans le cas du Brésil ou de la Pologne - ou qu'elles cherchent à faire avancer un programme de reconnaissance des droits sociaux, économiques et politiques - dans le cas de l'Espagne ou de l'Argentine - ces mobilisations ont également réussi à se généraliser dans leurs propres pays. Et ils ont obtenu des gains pour le féminisme dans la société, même si ceux-ci n'étaient qu'idéologiques. Si importants furent la portée et l'impact du mouvement féministe, que même des secteurs de la bourgeoisie ont commencé à s'engager davantage dans le mouvement des femmes, sur la base, cependant, du programme du féminisme libéral. Présentement, ce féminisme libéral est souvent plus ou moins adopté par la bourgeoisie libérale-démocrate dans plusieurs domaines de ces pays.

La montée féministe a également favorisé une avancée stratégique importante pour la gauche. Dans la lutte contre l'agenda libéral et avec une importante articulation féministe internationale, les forces de gauche impliquées dans le processus sont passées à une discussion stratégique : comment lutter pour un féminisme avec un contenu de classe. L'actualisation de la théorie de la reproduction sociale apparue dans les années 1980 a permis de progresser contre la fragmentation alors en cours. Dès lors, tant l'affirmation d'un prétendu caractère « postmoderne » dans la lutte des femmes que l'idée d'un féminisme sans classes ont perdu de leur force relative. La question du travail domestique, du travail de soins et de la reproduction sociale en général est devenue partie intégrante d'un effort visant à lier, par exemple, le mouvement féministe au mouvement syndical dans diverses régions du monde.

S'il est vrai qu'il y a encore un long chemin à parcourir sur cette question de la reproduction sociale, notamment de la part des pays du Sud et d'une stratégie antiraciste qui développe cette élaboration, il est également vrai qu'il y a une leçon importante dans cet effort fait par le mouvement des femmes : chaque fois qu'ils ont un impact direct sur la réalité, la lutte idéologique et le développement programmatique contribuent à la réorganisation sociale de la classe ouvrière en brisant la fragmentation et en recréant des liens politiques entre les différents secteurs de la classe.

Enfin, on a vu qu'en 2019, la lutte environnementale s'est aussi considérablement renforcée dans les pays au centre du capitalisme. Comme nous l'avons déjà évoqué, cette mobilisation de masse pousse la faction libérale-démocrate de la bourgeoisie vers l'agenda du capitalisme vert. Mais parmi ses conséquences, il y a aussi, d'une part, un débat important sur les méthodes de mobilisation – qu'il s'agisse d'actions d'avant-garde exemplaires, comme l'ont fait et font des mouvements comme « Extinction Rebellion », ou d'actions de masse, comme le recherchent des secteurs cohérents de la gauche anticapitaliste - et, d'autre part, une discussion encore naissante mais qui s'est renforcée ces dernières années : comment lier la lutte environnementale à la lutte syndicale, autour d'un agenda de l'emploi, des revenus et des droits sociaux et environnementaux.

7.4 Le mouvement social depuis la pandémie

Enfin, dans le cycle ouvert par la pandémie, d'autres secteurs de la classe ouvrière et des forces populaires ont également pris le relais. L'importance du mouvement noir est indéniable en 2020, même dans le contexte d'isolement social dans de nombreuses régions du monde. S'appuyant sur les expériences de mobilisation et d'organisation des années précédentes, Black Lives Matter a pu promouvoir une réponse mondiale aux violences policières lors du meurtre de George Floyd. Initié aux États-Unis, le mouvement a également trouvé une portée massive en Europe et en Amérique latine : des statues honorant les propriétaires d'esclaves et les agents coloniaux ont été démolies dans diverses régions du monde. La lutte antiraciste de ce cycle a également trouvé son expression au Brésil, mais dans d'autres dimensions et face aux conditions défensives imposées par le génocide des noirs, la faim et la crise sociale. Enfin, ce cycle a également contraint des secteurs de la démocratie libérale-bourgeoise à remettre en question une partie de son agenda.

Un processus similaire s'est également produit avec les luttes indigènes, qui au Brésil ont été décisives dans la résistance au gouvernement Bolsonaro, mais qui ont également été le principal secteur mobilisé en Équateur et en Bolivie ces dernières années. En ce sens, il existe une différence entre le mouvement environnemental latino-américain et celui du Nord : là-bas, le centre social des mobilisations est fondamentalement urbain et jeune ; ici, le protagoniste est indigène

Il est encore relativement tôt pour évaluer la portée historique de ces deux processus. Mais tous deux marquent la situation des pays où ils ont eu lieu, suscitant une haine génocidaire de la part de l'extrême droite, une certaine médiation de la droite libérale et des lectures stratégiques différentes de la gauche. La continuité de ces luttes, même sur le terrain idéologique, déterminera l'ampleur de l'impact historique de ces mobilisations dans les années à venir.

Enfin, la solidarité internationale avec le peuple palestinien, lutte qui s'intensifie depuis un peu plus d'un mois, signale également une convergence avec ces expériences. Les mobilisations en faveur de la défense de la Palestine atteignent des proportions massives, principalement dans les pays où les communautés arabes ont émigré au cours des dernières décennies. Dans une large mesure, ils finissent par atteindre ces dimensions au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France et en Allemagne, car - à titre de lecture hypothétique - ils expriment un contenu antiraciste : la Palestine finit par devenir, en partie et en totalité, une lutte de résistance contre l'islamophobie, la haine et la précarité constante à laquelle sont soumises quotidiennement les communautés arabes de ces pays. Il est difficile de savoir quel sera le résultat. Mais il s'agit déjà des plus grandes mobilisations de ce type depuis celles contre la guerre en Irak en 2003.

Ce que ces trois processus - du mouvement noir, du mouvement indigène et de la solidarité avec la Palestine - signalent, en termes de bilan, c'est la réaffirmation d'une clé stratégique qui s'est accumulée dans notre courant depuis un certain temps. Dans les luttes contre l'oppression structurelle, la classe ouvrière trouve des moyens de se battre, de se défendre et d'aller de l'avant : ce sont les luttes du prolétariat. Ce sont les secteurs de la classe ouvrière qui ont connu les dynamiques politiques les plus progressistes au cours de la dernière décennie et, dans de nombreux cas, ils représentent des portions significatives de la main-d'œuvre dans les pays où ils se sont massifiés. Et à partir de ces luttes, il est possible d'unifier la classe ouvrière, à condition de travailler avec les bons outils politiques et d'avoir cet objectif politique.

Voilà une clé dans la lutte contre la fragmentation sociale et politique de la classe ouvrière. La gauche socialiste, anticapitaliste et révolutionnaire peut et doit influencer, construire et soutenir ces luttes. Dans la lutte contre la fragmentation et pour la reconstitution de la classe ouvrière en tant que sujet historique, voilà ce que nous avons à faire dans la période à venir : consolider cette vision d'un prolétariat pluriel et diversifié et approfondir ces luttes afin qu'elles se transforment en luttes de l'ensemble de la classe ouvrière.

7.5 Quelques considérations à propos du mouvement syndical

Enfin, il est également important de prendre en compte ce qui se passe dans les luttes les plus directement liées au monde du travail. Alors qu'une dynamique plus conservatrice et bureaucratique continue de prévaloir dans diverses parties du monde, principalement autour des fonctionnaires, il y a aussi de nouveaux développements dans la lutte socio-économique de la classe ouvrière auxquels nous devons prêter attention, car ils affectent également les rapports de forces et font partie de ce conflit.

Même si nous qualifions ces organisations de plus conservatrices et bureaucratiques, les travailleurs du secteur public constituent un secteur important de mobilisation syndicale dans notre pays, en particulier dans les secteurs liés à l'éducation, mais sans s'y limiter, comme le montre la récente grève des travailleurs de métro à São Paulo. Malgré ces mobilisations, il est un fait que le taux de syndicalisation au Brésil diminue d'année en année et il est important de réfléchir aux causes de ce phénomène afin de fortifier la capacité de la classe ouvrière à répondre aux attaques, notamment à lutter contre la suppression des droits et au démantèlement des services publics.

Nous avons déjà évoqué l'extension du mouvement féministe au mouvement syndical dans plusieurs pays : en Espagne, en Allemagne et au Royaume-Uni, le syndicalisme dans le travail reproductif s'est renforcé. Les soignants, les agents de santé et les travailleurs de l'hôtellerie - des emplois normalement exercés par les communautés immigrées - ont progressé dans leur organisation syndicale dans ces pays.

Il y a aussi les luttes des travailleurs des apps. Phénomène « nouveau », peut-être dû exclusivement à la technologie utilisée pour organiser le travail, la vérité est qu'ils remontent à des types d'exploitation de la main-d'œuvre comparables à ceux des débuts du capitalisme industriel ou, dans le cas du Brésil, à une précarité qui remonte aux travailleurs esclaves au XIXe siècle qu'on appelait « de ganho » (ils devaient effectuer des tâches et apporter une somme d'argent fixe établie en fin de journée). Le travail aux pièces, les horaires abusifs et l'absence de sécurité sociale sont les caractéristiques de ce type d'exploitation. Dans plusieurs pays, des grèves ont eu lieu dans ces secteurs ces dernières années

L'expérience de la lutte est très différente dans chaque pays, puisque dans certains pays, comme l'Angleterre, il y a un plus grand dialogue avec le mouvement syndical traditionnel, et dans d'autres, comme le Brésil, la plupart des mobilisations sont menées par des travailleurs indépendants, qui recourent plus fréquemment à ce que l'on a qualifié de « mouvements en réseau » pour organiser leurs actions. Malgré l'augmentation des luttes dans le secteur, ces mobilisations continuent à être très ponctuelles et défensives et dans peu d'endroits il y a eu des progrès concrets dans la garantie des droits de ces travailleurs. C'est d'ailleurs pourquoi il serait inexact de caractériser ce secteur comme l'avant-garde du nouveau mouvement syndical. Quoi qu'il en soit, les méthodes d'auto-organisation se développent dans cette fraction, qui est la plus précaire de la classe ouvrière, et c'est un défi et une tâche pour les organisations de gauche de construire des ponts de dialogue avec ces travailleurs et travailleuses.

C'est aux États-Unis qu'il existe peut-être une dynamique plus progressiste du point de vue syndical. Avec une législation américaine qui rend difficile l'organisation du monde du travail, divers secteurs de la gauche - notamment ceux liés à la DSC (Democratic Socialists of America) - se sont concentrés sur la légalisation des syndicats dans les secteurs des services et de la logistique. En conséquence, il y a eu une augmentation combinée du nombre de grèves et de syndicats aux États-Unis ces dernières années. La récente victoire historique de la grève de l'automobile, soutenue dans une certaine mesure par Biden, le premier président américain à se rendre sur un piquet de grève, et par Trump, met en évidence un phénomène intéressant, dont les conséquences restent à mesurer. Et pourtant, le taux de syndicalisation aux États-Unis a connu une certaine croissance dans des secteurs spécifiques, mais continue de baisser si l'on considère tous les secteurs du monde du travail.

Cela démontre que nous sommes peut-être en présence d'une nouvelle dynamique dans les luttes syndicales. En général, cette dynamique est caractérisée par une nouvelle génération de travailleurs et par un lien direct ou indirect avec les luttes contre l'oppression qui se sont développées ces dernières années. Un effort organisé pour caractériser et influencer cette dynamique - qui s'exprime sous peu d'aspects au Brésil - sans illusions d'aucune sorte, sera la clé pour reconstruire un rapport de forces favorable aux secteurs populaires.

8. Une hypothèse de travail : le front unique comme tactique de long terme

Toute cette discussion sur la situation mondiale et ses relations avec le Brésil, le rapport de forces entre classes, la caractérisation des secteurs dynamiques de ces dernières années, ne doit pas se limiter à l'analyse : elle doit se traduire en hypothèses pour notre travail politique concret. Autrement, nous pourrions être réduits à un groupe de propagande commentant la lutte de classes. Ce n'est pas le but de notre organisation.

Nous souhaitons donc terminer cette longue analyse en précisant ce à quoi celle-ci nous mène, en termes politiques, dans un sens plus général et à long terme. Si nous systématisons les données centrales de la situation dans laquelle nous vivons, il est clair que nous assistons présentement à une transition historique de la mondialisation néolibérale à une réorganisation du capitalisme dont le résultat et les caractéristiques sont encore à déterminer. C'est aussi évident que, dans cette transition, une certaine barbarie s'accentue, à commencer par celle affectant l'environnement. Et que c'est la bourgeoisie mondiale dans son ensemble, et en particulier sa fraction d'extrême droite la plus réactionnaire, qui a présentement l'initiative dans tout cela. Alors que la gauche, elle, demeure fragmentée et peu implantée dans les secteurs populaires, et fait face à de nombreuses difficultés pour arriver à influer de façon significative dans cette transition, même s'il existe, bien sûr, une résistance importante sur laquelle nous pouvons nous appuyer.

En ce sens, dans la période défensive actuelle de l'histoire, le principal défi de la gauche aujourd'hui – sur la base de sa propre fragmentation et de la fragmentation de sa base sociale stratégique – est celui d'avoir la capacité d'influencer le rapport de forces en cours présentement, afin que celui finisse par favoriser la classe ouvrière. Les expériences du dernier cycle nous aident à définir des hypothèses politiques qui permettraient que cela se produise. L'accumulation historique de la Quatrième Internationale est également utile, même si certains de ses héritiers insistent pour répéter ses erreurs au lieu d'en tirer des leçons.

La fragmentation ne pourra être surmontée que grâce à l'expérience pratique. Ce n'est qu'à travers une expérience commune, autour d'un programme unifié et d'une coexistence élargie entre les différents secteurs de gauche dans leur intervention dans la réalité, que nous pourrons surmonter la fragmentation subjective et objective de la classe ouvrière. Et c'est aussi seulement dans ces conditions que l'on pourra contester l'hégémonie sur les bases sociales de la gauche. Une hégémonie qui, dans des conditions normales et notamment dans des situations défensives, appartient aux forces réformistes. De ce point de vue, la tactique du Front unique, comme nous l'avons déjà évoqué, constitue la principale hypothèse politique lorsque l'on considère la situation historique d'un point de vue plus général. Selon la définition de Trotsky, « pour ceux qui ne comprennent pas cela, le parti n'est qu'une association de propagande, pas une organisation d'action de masse ».
Selon les mots de Bensaïd, la tactique du front unique a également une dimension stratégique : « Le capitalisme ne crée pas spontanément une classe ouvrière unifiée. Au contraire, il génère des divisions et de la concurrence, surtout en temps de crise. « L'unification sociale et politique de la classe ouvrière est donc un objectif stratégique permanent. » Dans la situation défensive actuelle, marquée principalement par la fragmentation, le front unique est donc une manière de combiner les trois luttes décisives de notre temps : pour la réorganisation sociale des forces populaires, c'est-à-dire la large reconstitution de la classe ouvrière comme sujet ; pour la réorganisation politique de la gauche, c'est-à-dire la reconstitution d'organisations socialistes ayant un poids de masse ; et pour que la classe ouvrière puisse avoir un poids considérable dans le rapport de forces à l'échelle mondiale.

En fait, lorsque l'on compare l'expérience du PSOL au cours de cette décennie avec celle d'autres grands partis du même type, notre parti est l'outil qui s'est le plus renforcé politiquement – précisément parce qu'il a identifié le tournant défensif dans le rapport de forces au Brésil et dans le monde ; parce qu'il s'est consacré à une politique d'unité des forces populaires contre l'avancée de la droite et de l'extrême droite ; car, ce faisant, préservant son indépendance et se plaçant à l'avant-garde de ces affrontements, il a gagné en crédibilité face aux bases sociales du réformisme au Brésil. Même sans parvenir à construire un véritable front uni organique, l'unité de la gauche dans ses fronts de mobilisation a permis au PSOL d'étendre son influence sociale et politique sur la classe ouvrière. Ces victoires ont confronté le parti à de nouvelles contradictions, qui doivent être affrontées comme un nouveau moment dans cette lutte plus large. Mais abandonner cette orientation, qui nous a permis de progresser de manière significative, même par rapport à d'autres expériences de grands partis à travers le monde, constituerait un sérieux revers politique pour l'ensemble de la gauche. Ce serait, toujours selon les mots de Trotsky, comme « un nageur qui, tout en connaissant déjà la meilleure méthode pour nager, ne se risquerait pas de sauter à l'eau ».

Bien entendu, la tactique du front unique soulève d'autres questions pratiques selon les circonstances dans lesquelles elle est développée. C'est une tactique qui ne peut s'appliquer qu'avec des gants blancs, se situant entre l'affirmation de l'unité et la lutte pour l'hégémonie. La réalité exige une médiation. Mais c

Mireille Fanon, fille de l’auteur des Damnés de la Terre : « L’État chilien est raciste et colonial »

12 novembre 2024, par Andrés Figueroa Cornejo — , ,
« Le peuple mapuche doit bénéficier de la solidarité de tout le peuple chilien pour sauvegarder sa culture, sa terre ancestrale, sa spiritualité, son autonomie », a déclaré (…)

« Le peuple mapuche doit bénéficier de la solidarité de tout le peuple chilien pour sauvegarder sa culture, sa terre ancestrale, sa spiritualité, son autonomie », a déclaré Fanon, « et je le dis, à la fois pour les peuples mapuche et palestinien, et pour les colonies françaises actuelles, y compris la Martinique, la patrie de Franz Fanon, le pays de ma famille. »

6 novembre 2024 | tiré de rebellion.org
https://rebelion.org/mireille-fanon-hija-del-autor-de-los-condenados-de-la-tierra-el-estado-chileno-es-racista-y-colonial/

Le 4 novembre, et à l'issue d'une mission vigoureuse en tant qu'observatrice des droits de l'homme au Chili qui a débuté le 16 octobre, l'éminente juriste Mireille Fanon, fille du brillant militant révolutionnaire anticolonial et intellectuel Franz Fanon, a fait ses adieux devant un public jeune dans le hall d'honneur de l'Université de Santiago. Au cours de son séjour dans le pays andin, son agenda a été marqué par des visites à des prisonniers politiques mapuches et non mapuches.

A cette occasion, la combattante française a évoqué la situation actuelle en Palestine, précisant qu'"en ce moment une guerre d'extermination est en cours. Et il est nécessaire de revenir correctement au concept de « génocide » de Raphaël Lemkin, qui stipule qu'un acte de génocide est dirigé contre un groupe national et ses entités. Malheureusement, la commission de l'ONU en charge de la question n'a pas étendu l'expression du génocide au-delà du cas juif lui-même.

En fait, aujourd'hui, le génocide contre la Palestine se déroule avec le soutien de l'ONU et de la communauté internationale. Par conséquent, nous sommes également complices de ce qui se passe, et elle a demandé : « Comment est-il possible pour une organisation de commettre un génocide sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit ? Donc, nous devons revenir au moment de la création de la Palestine, quand elle était sous mandat britannique pour comprendre. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que l'ONU venait d'être fondée, les Juifs européens ont exigé d'avoir leur propre État. Pour ce faire, la résolution 194 des Nations Unies a été utilisée, avec l'argument que la Palestine était un territoire sans peuple pour un peuple sans territoire. Les deux premières fois que la résolution a été votée, la proposition a été rejetée, jusqu'à ce que la pression américaine sur la France fasse adopter la résolution. »

La fille de l'auteur des Damnés de la Terre a déclaré qu'elle avait passé les deux dernières semaines à visiter les prisons où les membres du peuple mapuche sont détenus en captivité et qu'elle s'était rendu compte qu'« il y a beaucoup de similitudes entre les cas palestinien et mapuche. Un réseau d'accords entre les États espagnol et chilien qui a trompé les représentants des peuples autochtones, plaçant la culture mapuche et les relations sociales sous la juridiction de la république chilienne. C'est ce qui permet aujourd'hui aux entreprises capitalistes d'exploiter le territoire ancestral. De même que la résolution 194 a donné à l'État d'Israël le pouvoir de « s'emparer » des territoires palestiniens, de même un faux traité promu par l'État chilien a permis au capital de « s'emparer » des territoires mapuches. De même, la communauté internationale ne reconnaît pas le droit des Palestiniens ou des Mapuches à se défendre. Lorsque vous regardez les deux cas, il est facile de voir que le droit international est dans le coma. La Convention 169 de l'OIT est inapplicable et inopérante dans la situation mapuche. Il en est de même en général du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes.

« Le peuple mapuche doit bénéficier de la solidarité de tout le peuple chilien pour sauvegarder sa culture, sa terre ancestrale, sa spiritualité, son autonomie », a déclaré Fanon, « et je le dis, à la fois pour les peuples mapuche et palestinien, et pour les colonies françaises actuelles, parmi lesquelles se trouve la Martinique, la terre d'origine de Franz Fanon, le pays de ma famille. Nous avons des exemples similaires ici, en Colombie, en Argentine, aux États-Unis, qui remontent à l'année 1492, où la commercialisation des corps a été imposée pour la première fois, et où les colons se sont appropriés des terres qui ne leur appartenaient pas par le sang et le vol. Les empires et les colons n'ont jamais payé pour ces crimes, il n'y a jamais eu de réparations politiques et collectives (et je ne parle pas de compensations individuelles qui nous laisseraient piégés dans la logique du capitalisme libéral, mais de transformer le paradigme de la domination). Dès lors, la mondialisation de l'esclavage émerge en toute impunité. Tout cela au nom de la hiérarchie raciale, une société dans laquelle nous vivons encore aujourd'hui et qui est fondée sur la modernité eurocentrique. Cependant, le suprémacisme blanc refuse de reconnaître l'énorme valeur des cultures d'Amérique, d'Afrique, d'Océanie, d'Asie, etc. Si nous voulons changer le monde, nous n'avons pas d'autre choix que de commencer les réparations de ce temps de l'humanité. Et pour cela, nous devons établir des alliances de solidarité des peuples en lutte et savoir pour quoi nous nous battons ; pas seulement pour continuer à se battre pour notre territoire. Nous n'avons pas le droit de faire des erreurs dans la lutte. Sinon, les criminels seront à nouveau récompensés et les victimes seront criminalisées, traitées de terroristes, emprisonnées, torturées, harcelées. Il ne faut pas oublier que plus de la moitié de la population palestinienne a été emprisonnée. Voici une citation de Franz Fanon : « Chaque génération, dans sa relative obscurité, doit remplir sa mission ou la trahir. »

– Comment évaluez-vous le régime chilien après votre visite ?

L'État chilien est raciste, il fait du trafic avec des entreprises capitalistes à qui il vend des terres mapuches. C'est un État fortement colonial et pas seulement avec les Mapuches. En fait, il n'est même pas mentionné qu'il y a des Afro-Chiliens dans le nord du pays, qui sont invisibles. Même les Mapuches ne le parlent pas. J'ai trouvé des jeunes en prison qui se déclarent non racistes, mais qui ne considèrent pas l'invisibilisation des Afro-descendants chiliens comme un problème. Cela m'amène à penser qu'il existe un important racisme structurel institutionnalisé. Et ce qui sous-tend, non seulement dans l'État chilien, mais dans de nombreux États du monde, c'est la croyance que la société est divisée entre les êtres humains et les êtres non humains. Par conséquent, je suis convaincu que seule la force des peuples a entre ses mains la tâche de surmonter les relations de colonialité qui prévalent.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Le soutien en armes cadre avec la paix de gauche venant avec la justice

Pour plusieurs gens de gauche ou progressistes, le soutien en armes de l'Ukraine est incompatible avec le pacifisme. Étant donné le rapport de forces défavorable à l'Ukraine (…)

Pour plusieurs gens de gauche ou progressistes, le soutien en armes de l'Ukraine est incompatible avec le pacifisme. Étant donné le rapport de forces défavorable à l'Ukraine pris d'assaut par l'impérialisme russe, le refus de cette aide revient à prendre parti pour l'envahisseur russe. La vision géostratégique de cette guerre comme un affrontement entre l'OTAN et une Russie envahissant préventivement l'Ukraine, en plus de disqualifier le gouvernement ukrainien et son peuple comme agents de leur propre histoire, n'a rien à voir avec les faits.

C'est plutôt cette invasion qui a ressuscité l'OTAN. Celle-ci était en « mort cérébrale » (Macron) ayant à peine réagi à l'annexion de la Crimée en 2014 et ayant décampé de l'Afghanistan la queue entre les jambes. L'agression russe a justifié après coup l'adhésion à l'OTAN des États anciennement dans la sphère soviétique lesquels ne peuvent pas compter sur une autre alliance pour leur protection. Pour la présidence Poutine, l'Ukraine n'existe pas, elle fait intrinsèquement partie de la Russie, elle est une invention de Lénine. La Russie poutinienne avait auparavant instrumentalisé des tensions linguistiques semblables à celles au sein du Canada pour pénétrer clandestinement l'Est de l'Ukraine afin d'y fomenter une guerre civile.

Le pacifisme qui renvoie dos à dos les belligérants, envahisseurs et envahis, oppresseurs et opprimés, n'a rien à voir avec la gauche. La gauche lutte pour la paix qui n'est ni pacifisme ni cessez-le-feu, qui est justice. Le cessez-le-feu ne fait que consacrer un rapport de forces sur le terrain sans rien régler quant au fond ce qui annonce tôt ou tard une reprise des hostilités, À moins qu'il n'ouvre la voie à la paix avec la justice ce dont ne veut pas la Russie conquérante pas plus que, lors de la guerre du Vietnam, ne le voulaient les ÉU qui quittèrent le pays que lorsque battus militairement. Contrairement aux vérités urbaines occidentales, les ÉU et l'OTAN ne souhaitent pas la victoire de l'Ukraine ce qui serait une défaite du camp impérialiste solidaire les uns les autres dans leur volonté de subjuguer le monde en se le partageant… ce qui aboutit aux guerres mondiales.

ÉU et OTAN œuvrent pour une impasse épuisant les belligérants débouchant sur un cessez-le-feu. L'Ukraine pourrait devoir le rechercher si les souffrances de la guerre, le néolibéralisme de son gouvernement et le manque de solidarité de l'Occident, à commencer par les ÉU de Trump, accablaient trop son peuple. Mais le peuple ukrainien sait que le but de l'impérialisme russe est la conquête de l'Ukraine, au mieux sa réduction à un État client comme le Belarus. On devine que cette soumission de l'Ukraine ferait le lit de l'extrême-droite. Celle-ci, pourtant, contrairement à la propagande russe gobée naïvement par la gauche campiste et pacifiste, est moins forte en Ukraine qu'elle ne l'est en France, en Allemagne et, last but not least, aux États-Unis mais avant tout par rapport au régime poutinien sur le chemin de la dictature fascisante.

C'est dans cet esprit de l'appui à la lutte de libération nationale du peuple ukrainien et de son gouvernement contre l'impérialisme russe que le Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine vient de publier sa déclaration « Sur l'armement de l'Ukraine et la lutte contre le militarisme ». Les armes destinées à l'État sioniste associant les ÉU et les pays de l'OTAN au génocide du peuple palestinien doivent être déviées vers l'armée ukrainienne quitte à en modifier la composition. N'importe quelle personne sensée fait la distinction entre un Hamas réactionnaire et écrasé ce qui commande comme seule solution l'urgence d'un cessez-le-feu pour sauver le peuple palestinien du génocide et ainsi créer un espace pour négocier une paix durable en forçant la main d'Israël, et un gouvernement ukrainien, si néolibéral soitil, capable de défendre son peuple lequel a créé ses propres réseaux autonomes d'entraide. Autrement, on peut être assuré que la Russie aurait déjà procédé à un génocide à la mode sioniste au-delà des bombardements des civils, de la destruction des infrastructures civiles, du kidnapping des enfants en zone occupée vers la Russie et de la torture et des meurtres de soldats capturés et de civils.

Marc Bonhomme, 10 novembre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Tempête Dana dans l’État espagnol : catastrophe naturelle ou conséquence de l’inaction climatique ?

12 novembre 2024, par Daniel Geffner — , ,
Daniel Geffner est médecin et militant de Anticapitalistas dans la communauté de Valence. Dans cet article écrit à chaud, quelques jours après le début de la tempête DANA (…)

Daniel Geffner est médecin et militant de Anticapitalistas dans la communauté de Valence. Dans cet article écrit à chaud, quelques jours après le début de la tempête DANA (dépression isolée de haute altitude), il tire les premières leçons de cette catastrophe écologique, sociale et humaine, et appelle à transformer la solidarité populaire qui a vu le jour à cette occasion en une lutte pour une société entre égaux, où la vie et les soins sont au-dessus des profits de quelques-uns.

6 novembre 2024 | tiré de contretemps.eu

Alors que le nombre de morts ne cesse d'augmenter et que les images et récits choquants du drame vécu par des dizaines de milliers de personnes nous bouleversent, il apparaît de plus en plus clairement que les autorités n'ont pas agi avec la détermination et la rapidité qu'exigeait la menace annoncée.

Si les phénomènes climatiques extrêmes ne peuvent être évités, le négationnisme climatique et les coupes dans les services publics affaiblissent, voire rendent impossible, la réponse à un capitalisme prédateur qui fait passer les profits avant la vie des gens et de la planète.

La négligence criminelle du gouvernement régional et des employeurs, qui ont privilégié le business as usual au détriment du droit des travailleurs à la sécurité au travail, contraste avec l'empathie et la solidarité dont ont fait preuve les classes populaires pour venir en aide aux personnes touchées par la tempête.

L'élan de solidarité et le désir d'aider les personnes touchées montrent que face au TINA (There Is No Alternative) du thatchérisme et du néolibéralisme, avec sa religion basée sur l'individualisme et la marchandisation de la vie et de la société, il est possible de contester non seulement le discours, mais aussi la pratique en créant un pouvoir populaire d'en bas et de gauche. C'est pourquoi le 9 novembre doit devenir une mobilisation de masse en solidarité avec les personnes touchées par ta tempête et en exigeant la démission du président de la Generalitat Valenciana, Carlos Mazón.

Une normalité anormale

La tempête a frappé la région de Valence avec une force extrême en ce tragique octobre 2024, qui dépasse déjà en nombre de morts et de destructions les inondations du siècle dernier, alors que le nombre de morts et de disparus continue d'augmenter[1] et que l'aide à la population touchée n'arrive pas 3 jours après le début de la tempête. L'électricité, l'eau courante et la couverture de téléphonie mobile n'ont toujours pas été rétablies et les routes sont toujours coupées ou inaccessibles dans de nombreux endroits. Les images choquantes et les récits des drames subis par des dizaines de milliers de personnes nous bouleversent et nous voyons grandir une vague d'empathie et de solidarité avec les personnes touchées.

Les faits montrent que les autorités n'ont pas agi avec la prudence, la détermination et la rapidité qu'exigeait la menace annoncée. En témoignent les retards dans l'activation de l'alarme par le gouvernement de Valence, le manque de coordination des services de protection[2] – qui a entraîné des retards dans l'acheminement de l'aide critique -, ou encore l'effondrement des centraux téléphoniques dû à la surprise de la majorité de la population face aux débordements. À tout cela, il faut ajouter le refus du gouvernement de Valence de recevoir l'aide des pompiers d'autres communautés qui étaient déjà prêts à venir à la rescousse[3].

La négligence criminelle du gouvernement a été soutenue par la collusion avec une classe d'affaires qui aurait fait pression sur le gouvernement pour qu'il n'active pas le feu rouge et continue ainsi à faire des affaires, en espérant que les pluies ne se terminent pas comme elles l'ont fait. Ce pari sur le marché et la boussole du profit a conduit les patrons à privilégier le business as usual sur le droit des travailleurs à la sécurité de l'emploi.

Les capitalistes n'ont pas changé de cap, et leurs profits l'ont emporté sur le droit à la vie et à la sécurité de leurs employés.

La normalité anormale face à la tempête a laissé les travailleur.ses enfermé.es sur leur lieu de travail, ou au volant de leur véhicule lorsque l'inondation a progressé par vagues rapides et meurtrières, alors que l'alarme de la protection civile a retenti sur les téléphones portables à 20h15, après la fin de la journée de travail pour une grande partie de la population, et deux heures après les débordements, ce qui a provoqué l'effondrement des routes avec des centaines de voitures qui rendent désormais difficile l'accès aux populations les plus touchées.

L'administration ne s'est pas non plus mieux comportée avec les employés publics qui n'étaient pas indispensables au travail face à la tempête (administration, enseignants, santé, fonctionnaires). L'occultation de l'alerte rouge par le gouvernement a fait que les élèves sont allés à l'école normalement, et les écoles et les établissements préscolaires n'ont pas été fermés par mesure de précaution.

Si les phénomènes météorologiques extrêmes ne peuvent être évités, leurs effets dévastateurs peuvent être atténués en prévoyant et en surveillant leur évolution, ainsi qu'en élaborant des plans et des actions d'urgence et en les dotant de ressources humaines et matérielles suffisantes[4].

Un exemple qui montre que l'impact de la tempête aurait été bien moindre si la gestion n'avait pas été déficiente est celui de l'UV (Universitat de València) qui, face aux alertes émises par l'AEMET le 28 octobre, a décidé d'annuler les activités d'enseignement et plus tard, le 29, lorsque l'alerte est devenue code rouge, a décidé d'annuler toutes les activités, évitant ainsi des milliers de déplacements[5].

Un négationnisme climatique criminel

Cette insensibilité de la classe d'affaires et du gouvernement, qui a eu des conséquences tragiques, contraste avec l'empathie et la solidarité dont ont fait preuve les classes populaires en aidant les personnes touchées par la tempête, en surmontant l'inconfort, en offrant un logement pour passer une nuit terrible dans la maison d'un étranger par solidarité, et même dans certains cas en prenant des risques avec leur propre vie pour sauver celle d'un étranger.

La crise climatique et le réchauffement de la planète, selon la science, augmentent la fréquence et l'intensité de ces événements météorologiques extrêmes, et la région méditerranéenne est la plus vulnérable.

Le négationnisme climatique du gouvernement Mazón est à l'origine des échecs de la réponse à la tempête. L'inaction et les retards sont motivés par une idéologie de négation de la crise climatique.

Dans le domaine de la santé publique, nous avons eu l'exemple des effets néfastes sur la santé du négationnisme propagé et financé par l'industrie du tabac. En semant le doute sur ses effets pervers, puisque « le cancer du poumon existait naturellement », les mesures de prévention ont été retardées, et l'industrie, en semant ces doutes, n'a pas hésité à continuer à tirer profit de son activité. Le négationnisme climatique est néfaste car il empêche d'agir sur les risques et menaces réels, ainsi que sur les causes qui les provoquent.

Le départ de Vox du gouvernement valencien n'a pas changé d'un iota la pratique négationniste du PPCV (Parti populaire de la Communauté valencienne). L'extrême droite a également marqué de son empreinte la loi de concorde et sa politique éducative contre la langue et la culture valenciennes. L'extrême droite a fixé l'agenda et ce qui a été convenu à l'époque avec le PP est toujours en vigueur, signe de la « lepénisation des esprits », c'est-à-dire de la normalisation de son discours et de sa vision réactionnaire[6].

Si le négationnisme climatique nourrit l'inaction du gouvernement régional, l'orientation néolibérale de réduction des services publics essentiels affaiblit la capacité à répondre à des événements comme cette tempête. Les attaques contre l'État social, l'externalisation et la privatisation des services publics – qui sont l'affaire de tous – sont accentuées par la réduction des impôts pour les riches. Ces œillères négationnistes et néolibérales justifieraient la fermeture de l'unité d'urgence de Valence. C'est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire en cas d'urgence climatique.

La vision selon laquelle le changement est déjà là et que cette décennie est vitale pour relever le défi de la décroissance en l'articulant avec la justice sociale et l'amélioration de la qualité de vie, appelle à une action ferme et énergique contre un capitalisme prédateur qui fait passer ses profits avant la vie des gens et la santé de la planète.

Une marée de solidarité

Horta sud-Valencia, Paiporta, Sedavi, Chiva, Utiel et tant d'autres villes ont été témoins de la marée humaine de solidarité qui a aidé de toutes les manières possibles, en offrant un abri, de la nourriture, de la compagnie, en nettoyant, en donnant de l'affection et en respectant le chagrin que tant de familles sont encore en train de vivre.

Des leçons de vie dans les moments critiques, et certainement une bonne leçon pour le retour à la routine : apprendre à transformer cette solidarité populaire en une lutte pour une société entre égaux où la vie et les soins sont au-dessus des profits de quelques-uns, ainsi qu'à mettre en place des plans de reconstruction très éloignés des modèles de spéculation urbaine qui, depuis les années 1960, s'étendent dans les zones inondables et à risque.

Faisons monter la marée face à l'adversité, afin d'organiser cette solidarité et cet élan de défense de la vie contre le profit et l'égoïsme d'une minorité puissante et dangereuse.

Il est temps de continuer à créer un pouvoir populaire d'en bas et de gauche.

Mais une fois le deuil assumé, avec tout le respect et la solidarité envers les personnes touchées, le moment est venu de demander des comptes au gouvernement de Carlos Mazón pour sa négligence criminelle dans la réduction de l'impact de la tempête, qui a laissé tant de personnes sans défense, terrifiées et avec tant de morts.

C'est pourquoi nous nous joignons à l'appel à une manifestation le 9 novembre à Valence pour exiger la démission de Mazón, pour négligence criminelle[7] Il ne peut pas être responsable s'il n'a pas été capable de défendre la vie et la sécurité de tant de Valenciens.

*

Publié le 2 novembre dans la revue Viento Sur.

Traduction, titre et intertitres : Contretemps.

Notes

[1] https://www.eldiario.es/comunitat-valenciana/acta-reunion-crisis-mazon-marlaska-1-900-desaparecidos-provisionales-riesgo-colapso-hospitales-valencia_1_11785052.html

[2] https://www.cgtvalencia.org/bombers-forestals-de-la-generalitat-denuncien-que-no-van-ser-mobilitzats-durant-la-dana-per-la-descoordinacio/ Révisé le 1er novembre 2024

[3] https://www.elplural.com/politica/mazon-rechazo-ayuda-bomberos-elite-catalanes-tragedia-valencia_340587102

[4] https://x.com/JuanBordera/status/1851424165875917310

[5] https://www.levante-emv.com/comunitat-valenciana/2024/10/30/dana-valencia-universidades-clase-lunes-110903113.html

[6] https://x.com/MiguelUrban/status/1787962687885865127

[7] https://intersindical.org/noticies_actualitat/article/les_entitats_civiques_socials_i_sindicals_exigeixen_responsabilitats_politiques_per_la_dana_al_pais_valencia

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

L’extrême droite pervertit le sens des mots

12 novembre 2024, par Yves Faucoup — , , ,
Les médias et responsables politiques d'extrême droite cultivent sans cesse la confusion, accusant sans vergogne leurs adversaires d'être « racistes, antisémites, fascistes ». (…)

Les médias et responsables politiques d'extrême droite cultivent sans cesse la confusion, accusant sans vergogne leurs adversaires d'être « racistes, antisémites, fascistes ». Cette dérive, bien installée sur la bollosphère, gagne du terrain sur d'autres médias contaminés par l'inversion du sens des mots. La riposte reste mesurée.

Tiré du blogue de l'auteur.

Des supporters d'un club de foot israélien (le Maccabi Tel-Aviv) ont été agressés à Amsterdam. Selon RFI, « les réseaux sociaux regorgent d'images de supporters israéliens pris à partie par des "jeunes pro-palestiniens", certains poursuivis en voiture ou en scooter et roués de coups, un autre forcé de crier "Palestine libre". Au total cinq personnes ont été hospitalisées et on compte 30 blessés légers ».

Un Israélien brutalisé aurait crié qu'il n'était pas juif. Si ces actes sont insupportables et évidemment condamnables, sur plusieurs médias on a eu aussitôt droit à l'accusation de “pogrom” et d'”antisémitisme”. Sur CNews, Yoann Usaï, comme à l'ordinaire, vitupère contre l'extrême gauche. Sur C8 (TPMP), Hanouna éructe et décrète qu'il s'agit d'un “pogrom prémédité”. Alors que les supporters israéliens (dont les hooligans du Maccabi Tel-aviv, les Fanatics) ont brûlé au préalable un drapeau palestinien et des panneaux "Free Palestine", ont refusé, dans le stade, de rendre hommage aux Espagnols victimes des inondations (parce que le gouvernement espagnol condamne les massacres d'Israël à Gaza), alors qu'ils ont chanté des chants anti-Arabes et anti-Palestiniens (« Va te faire foutre Palestine ») et qu'un chauffeur de taxi d'origine arabe a été attaqué à coups de pied de biche. Hanouna n'en dit rien, comme il ne dit rien sur le fait que des ultras de l'Ajax, qui ne sont en rien des pro-Palestiniens (d'ordinaire même plutôt des pro-Israël, affichant des insignes favorables à l'Etat hébreu) se sont alpagués avec les supporters du Maccabi Tel-Aviv. Hanouna montre seulement une image totalement floutée (et incompréhensible) de ces supporters grimpant sur une façade d'immeuble pour arracher un drapeau palestinien. Et d'accuser LFI et Mélenchon d'être extrêmement dangereux : selon lui, « ces abrutis sont galvanisés par certains hommes politiques » !

Thomas Guénolé (ex-LFI), qui a plongé dans cette galère en participant régulièrement à l'émission TPMP, se fait copieusement insulter et engueuler pour avoir dit qu'il ne faut pas confondre ces agresseurs avec l'ensemble des pro-Palestiniens (sans avoir exprimer au préalable de la compassion pour les victimes). Toute l'équipe d'Hanouna (une douzaine de personnes) lui tombe sur le paletot, il calme le jeu en allant s'excuser à la pause auprès d'Hanouna qui voudrait bien le virer mais a besoin de lui (pour sa petite voix dissonante). Hanouna considère que ce « pogrom » est d'autant plus insupportable qu'il se déroule à Amsterdam, ville d'Anne Frank ! Il répète ce qu'il a lu ailleurs mais on ne voit pas en quoi, si c'est un pogrom, il serait plus tolérable hors d'Amsterdam. Il aurait pu aussi invoquer Etty Hillesum (juive d'Amsterdam, dévouée aux Juifs du camp de Westerbork, déportée et morte à Auschwitz, mais peu probable qu'il connaisse son existence (lire Les écrits d'Etty Hillesum : journaux et lettres, 1941-1943, Le Seuil, 1080 pages, fascinant et bouleversant).

Hanouna cherche à se mettre en avant dans le débat actuel totalement vicié : Hanouna (dont la vulgarité et l'inculture n'ont pas d'égal) et son équipe d'Europe 1 ont déblatéré sur France Inter, Hanouna excédé par la radio de service public. Hanouna semblait « au bord du gaz », a tweeté Jean-Michel Aphatie. Aussitôt, Gauthier Le Bret (chroniqueur Europe 1, CNews et Valeurs actuelles,voit dans cette expression « un sous-entendu antisémite ». Ainsi que Valérie Benaïm (Europe 1, TPMP), rapprochant ces mots avec ceux disant que Yaël Braun-Pivet allait « camper » à Tel-Aviv (qui serait, selon un bon nombre de commentateurs délirants une allusion aux… camps de concentration, la présidente de l'Assemblée Nationale se disant issue de « l'immigration slave, juive polonaise et juive allemande »). Il n'en faut pas davantage pour que Cyril Hanouna saute sur l'occasion de se dire lui aussi victime, ou plutôt pousse ses affidés à dire qu'il est l'objet d'une attaque antisémite (plusieurs, sur le plateau de C8, confirment que Aphatie a utilisé cette expression en connaissance de cause).

Sur cette même affaire d'Amsterdam, sur France Info, Georges-Marc Benamou, qu'on avait connu plus mesuré, reproche à Manuel Bompard (LFI) d'avoir dit qu'il attendait de voir les images pour condamner. Comme les images existent, Benamou accuse carrément Bompard d'être Faurisson (qui niait l'existence des chambres à gaz sous prétexte qu'il n'y avait pas d'images pour le prouver). Dérapage insupportable.

Comme est insupportable la sentence de Bruno Retailleau qui parle de « fascisme »le fait qu'une manifestation pro-palestinienne ait protesté contre la venue de Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée Nationale, à Lyon. Le ministre pouvait condamner cette manifestation sans venir parler de fascisme. Evidemment tous ces gens-là se gardent bien de rappeler qu'Israël lamine Gaza (43000 morts, des dizaines de milliers de blessés parfois très graves, des corps sous les gravats, des hôpitaux, des écoles, des églises, des mosquées bombardés, de la famine, des épidémies incontrôlables, des employés de l'ONU et des journalistes tués par Tsahal, et aussi des poètes, dont Refaat Alareer vraisemblablement ciblé par un bombardement et toute sa famille décimée, des Palestiniens abattus comme des lapins en Cisjordanie, leurs habitations détruites). Nombreux Juifs et Israéliens condamnent ces massacres mais d'autres militent ouvertement pour le Grand Israël (sans Gaza ni la Cisjordanie). Des ministres de Nétanyahou participent à cette infamie mais, pourtant, ici on ne craint pas de nous présenter comme un scandale incommensurable le fait que, sur le tifo déroulé au Parc des Princes, la petite carte d'Israël et de Palestine était un keffieh (ce qui signifierait la disparition d'Israël).

Il importe de comprendre que l'utilisation abusive de mots tels que pogrom, antisémitisme, Shoah, fascisme, ont pour effet d'amoindrir le sens qu'ils recouvrent. Parfois par maladresse, souvent intentionnellement, tant il est vrai que la perversion conduit des racistes notoires à se permettre aujourd'hui d'accuser leur contradicteurs d'être... racistes !

La gauche est confrontée à un problème d'envergure : le phénomène fake news, la dérive trumpiste, poutinienne ou orbanesque (et chez nous lepéniste ou zemmourienne), c'est-à-dire la perte du sens des mots et l'inversion des conceptions, font leur chemin. Une droite extrême et l'extrême droite se complaisent dans l'insulte, qualifiant d'antisémite, de fasciste, la gauche et l'extrême gauche. Cela prend des proportions phénoménales. J'ai comme l'impression qu'en face la riposte n'est pas à la hauteur de la dérive.

Ne pas avoir peur

Ce matin [mercredi 6 novembre], j'avais la gueule de bois : je ne sais si c'est parce que Donald Trump a été réélu ou si c'est parce que j'ai veillé jusqu'à 3h30 du matin. J'ai ensuite cherché à dormir mais j'ouvrais un œil sur ma télé toutes les demi-heures. On a entendu mille explications pour cette victoire, je ne vais pas rajouter mon grain de sel. Si on a sans doute raison de penser qu'ils sont fous ces Américains (ceux et celles qui approuvent et élisent un homme si vulgaire, si violent en paroles, si incohérent au point qu'il instille le doute sur ses facultés mentales), on a eu déjà l'occasion de ne pas croire aux valeurs morales des Etats-Unis. Sans revenir aux bombes d'Hiroshima et de Nagazaki (à ce jour seul pays à avoir utilisé le feu nucléaire, pour économiser des GI's mais surtout pour impressionner les Soviétiques), aux bombardements sur la France (certes pour viser les Allemands qui l'occupent mais ratant le plus souvent leurs cibles et tuant plus de 70 000 Français) ou le Vietnam (bombardement intensif de Hanoï pendant des pourparlers de paix), plus récemment, la guerre en Irak aurait totalement justifié que George W. Bush soit traduit devant un tribunal international. Si pour ma part j'approuve que l'Ukraine soit fortement aidée pour repousser l'agression de Poutine (elle ne l'est même pas assez, aidée), en revanche le soutien à Netanyahou qui vise ouvertement à rayer les Palestiniens de la carte est une faute politique gravissime.

Longtemps, je repoussais l'idée de voyager aux USA, ne pardonnant pas aux pouvoirs en place successifs leurs crimes, déjà cités mais aussi leurs exactions en Amérique latine, en soutien aux dictatures et y provoquant des coups d'Etat. De même, je n'ai foulé la terre ibérique qu'après la mort de Franco (idem pour le Portugal, refusant de m'y rendre au temps de Salazar). Je n'étais cependant pas à une contradiction près, car, bien que condamnant sans réserve le stalinisme (ses crimes en Pologne, Budapest, Prague), j'avais pourtant bien visité les Pays de l'Est (dont Pologne, Roumanie, URSS, Arménie soviétique, Azerbaïdjan). Et aussi la Turquie d'Erdogan et la République dite populaire de Chine. Ce n'était pas très cohérent. Craignant de ne jamais mettre le pied sur le continent américain, je m'y suis rendu en septembre 2018... alors même que le président était Donald Trump ! Finalement, si je veux encore découvrir le monde, il me reste pas mal de pays despotiques à visiter !

A quelques mètres de Wall Street, la statue en bronze d'un taureau (Charging Bull) représente la puissance et le pouvoir. Puis un autre sculpteur a installé une statue d'une fillette, mains sur les hanches, faisant face à la bête, lui signifiant qu'elle n'avait pas peur (Fearless Girl). Finalement le sculpteur de Charging Bull et la mairie de New York ont exigé que Fearless Girl soit déplacée, à quelques centaines de mètres. J'ai pris les photos un mois avant ce déplacement. Cette scène est tout un symbole.

Philadelphie et la recherche du bonheur

L'Etat de Pennsylvanie fait la une des médias, car c'est le plus important des swings states, les 7 Etats qui font l'élection présidentielle (le candidat qui l'emporte dans cet État a de forte chance de gagner l'élection). Sa capitale : Philadelphie, "amitié fraternelle et sororelle", adelphie étant un mot qui fusionne frères et sœurs. C'est dans cette ville que fut signée le 4 juillet 1776 la Déclaration d'indépendance (face à la monarchie britannique) créant les Etats-Unis d'Amérique. Les Américains sont fiers de montrer les lieux où cet acte fondateur fut consacré, ainsi que la Cloche de la liberté qui concrétisa cet événement.

Cette Déclaration décrète que tous les hommes sont créés égaux. Ils disposent de droits : la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Mais elle veille à ne rien dire sur la traite des Africains (qui allait encore durer deux siècles) ni sur l'esclavage pour ne pas mécontenter les Etats du sud. Dans ce document de trois pages, la moitié vise la « tyrannie absolue » du roi de Grande-Bretagne et ignore ostensiblement qu'il existait des peuples autochtones en Amérique. On ne sait même pas si les Américains s'entretuèrent durant la Guerre de Sécession pour vraiment accorder la liberté aux esclaves.

A noter que la Conférence générale de l'Organisation internationale du travail (OIT), réunie à Philadelphie, aux États-Unis, a adopté, le 10 mai 1944, un autre texte, la Déclaration de Philadelphie, qui a une importance considérable car elle redéfinit les buts et objectifs de l'Organisation internationale du travail dont un article dit : « tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ».

Recherche du bonheur, de la liberté, de la dignité ? Est-ce que cela était à l'ordre du jour de l'élection présidentielle américaine ?

Le consentement à l'écrasement de Gaza

Le 19 octobre, plusieurs bombardements sur Gaza par l'armée israélienne ont fait des dizaines de morts (sur des camps de réfugiés et sur une école, 87 morts aux dernières nouvelles qui ne font qu'un entrefilet dans les médias). Déjà, le dimanche 13 octobre, 15 morts dans une école et 50 blessés. Une nouvelle étonnante, un scoop, serait d'annoncer qu'au cours d'une journée il n'y a eu aucun mort à Gaza.

Pour faire prendre la mesure du drame qu'a représenté pour les Israéliens le 7-octobre, certains ont cru nécessaire de rapporter le chiffre des 1180 morts [766 civils dont 71 ressortissants étrangers et 373 policiers et militaires, sans compter les otages morts] à la population de la France, serait l'équivalent de 10.000 morts. Or, si l'on poursuit sur l'idée du comparatif, le massacre en règle à Gaza, délibéré (au moins 42.000 morts), de l'armée israélienne sur l'ordre du premier ministre Netanyahou correspondrait en France à plus d'un million de morts !

Pour tenter de minimiser cette volonté de l'Etat israélien de détruire le peuple palestinien, de bonnes âmes (donc pas seulement Meyer Habib) ont cru pouvoir s'étonner qu'on ne s'apitoie pas sur le Soudan ou le Congo meurtris, tant d'autres lieux oubliés. Or il est faux de dire que les humanitaires ne se préoccupent que de la Palestine, par ailleurs en nombre de morts comparé à la population et à la durée d'exécution, l'opération en cours est la pire que l'on connaisse.

Il y a quelques années, quand j'ai eu l'occasion de me rendre à des conférences ou rassemblements en faveur des Palestiniens, je redoutais qu'y soient tenus des propos antisémites. Cela n'a jamais été le cas (sinon je l'aurais écrit et n'y serais jamais retourné). Après le 7-octobre, j'ai entendu une responsable nationale du NPA, à Auch, qualifier cette attaque de « violence aveugle contre des centaines de civils », d'« actes monstrueux » », d'« idéologie d'obscurantisme et d'intégrisme religieux », tout en considérant qu'il s'agissait d'une réplique (d'un miroir) de ce qu'est le gouvernement d'Israël, d'extrême droite, religieux, qui n'hésite pas à parler d'"animaux" pour désigner les Palestiniens.

Les accusations d'antisémitisme portées à l'encontre de quiconque critique cette guerre d'anéantissement faite aux Palestiniens est insupportable : cette instrumentalisation est, selon moi, une forme d'antisémitisme parce qu'elle court le risque de l'alimenter. De même qualifier de Shoah les massacres du Hamas c'est aussi instrumentaliser la Shoah et alimenter le révisionnisme. Enfin, la politique cruelle de l'Etat d'Israël non seulement attise une haine exacerbée contre lui dans les territoires palestiniens mais aussi développe un discrédit grandissant dans le monde à son encontre.

Dans un livre magistral, documenté bien qu'écrit dans l'urgence, Didier Fassin, professeur au Collège de France, médecin, anthropologue, démontre l'ampleur non seulement de l'écrasement de Gaza mais aussi du silence et de l'inaction qu'il provoque. Sur l'événement du 7 octobre, il décrypte et, tout en condamnant un crime odieux s'en prenant à des civils, tués, violentés, blessés, pris en otage, il déroule les faits mais montre aussi les mensonges des autorités israéliennes, copieusement repris y compris après qu'ils aient été démentis [CNews continue à colporter la fake news selon laquelle des enfants auraient été décapités et mis dans un four]. Je recommande ce livre dans lequel Didier Fassin démontre avec brio comment les mots sont détournés et les valeurs inversées. Ce livre remarquable, au lieu d'être commenté par un auteur qui traite du Moyen-Orient et connait le sujet, a été sévèrement critiqué dans les pages littéraires du Monde (Le Monde des livres) par Florent Georgesco, adjoint de Jean Birnbaum (à la différence du Monde, son supplément littéraire a peu couvert la tragédie de Gaza).

[20 octobre]

voir Les médias de l'extrême droite se déchaînent [25 octobre] où il est question des Dupondt du PAF, Olivier Truchot et Alain Marshall (BFM-RMC)

voir aussi : Le règne du deux poids deux mesures, [23 mai] où il est question, entre autres, de France Info et d'une interview de Rima Hassan (franco-palestinienne, candidate sur la liste LFI aux Européennes) menée de façon indigne par Gilles Bornstein et Barbara Klein (ex-CNews) : ils l'ont harcelée, n'écoutant pas ses explications, Gilles Bornstein se comportant comme un véritable militant.

Billet n° 827

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et . "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le « pogrom » d’Amsterdam : retour sur l’interprétation des faits

Au moment où l'on commémore le 86e anniversaire de la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), une mise au point nécessaire sur l'interprétation des événements survenus avant et (…)

Au moment où l'on commémore le 86e anniversaire de la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), une mise au point nécessaire sur l'interprétation des événements survenus avant et après le match Ajax Amsterdam-Maccabi Tel Aviv.

Tiré du blogue de l'auteur.

Dans la nuit du 7 au 8 novembre, de nombreux supporters israéliens du Maccabi de Tel Aviv ont été agressés physiquement dans les rues d'Amsterdam. Certains des auteurs de ces actes motivés par le contexte géopolitique devront en répondre devant la justice. Comment pourrait-on cautionner le fait de s'en prendre à des personnes en raison de leur appartenance nationale ?

Mais qualifier ces agissements de "pogrom antisémite" (comme a pu le faire Isaac Herzog, le président israélien, dont les propos sur l'absence supposée de civils innocents à Gaza sont bien connus et cités dans la requête sud-africaine accusant Israël de génocide devant la Cour internationale de justice [1]), ou de "chasse aux juifs" (comme a pu le faire Laurent Wauquiez, président du groupe parlementaire de La Droite républicaine ; mais aussi Geert Wilders, le chef du Parti pour la liberté, le principal parti d'extrême-droite néerlandais), relève d'une manipulation grossière des faits.

Celle-ci a été entretenue par les dirigeants, représentants et propagandistes de l'Etat d'Israël, ainsi que par ses soutiens inconditionnels en Europe (au premier rang desquels on trouve des politiciens français de droite et d'extrême droite, ainsi que de nombreux responsables politiques en France, en Allemagne et aux Pays-Bas). C'est aussi une insulte à la mémoire des victimes des pogroms − réels − qui se sont multipliés en Europe centrale et orientale entre la fin du XIXe s. et les années 1940. Le roi des Pays-Bas est allé jusqu'à comparer la situation de la communauté juive dans son pays occupé par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale avec celle des supporters du Maccabi pourchassés et molestés par des "Arabes", un terme souvent utilisé dans les témoignages [2].

Les descendants des victimes du judéocide nazi apprécieront cette analogie pour le moins honteuse. Yad Vashem, le musée officiel de la Shoah en Israël, a fait le parallèle entre le prétendu pogrom d'Amsterdam et la Nuit de Cristal, qui a marqué le début de l'élimination physique des Allemands juifs par le régime nazi [3]. Cette institution a constamment servi, depuis sa création en 1953, à instrumentaliser la mémoire des 6 millions de Juifs européens assassinés au service du projet d'Etat colonial et d'apartheid en Palestine [4], alors même que le sionisme était un mouvement minoritaire au sein du monde juif de la première moitié du XXe siècle. On peut aussi rappeler que le Mémorial de Yad Vashem jouxte les ruines du village palestinien de Deir Yassin, où les milices sionistes ont massacré plus de 250 hommes, femmes et enfants en avril 1948, durant l'épuration ethnique qui a accompagné la création d'Israël. La même institution a rejeté la requête d'une cinquantaine de spécialistes de la Shoah et des études juives lui demandant de condamner les multiples incitations publiques à la destruction de Gaza et de ses 2 millions d'habitants [5].

On sait à quoi sert l'amalgame intentionnel entre les Israéliens et les Juifs : polir l'image internationale d'un Etat occupant et génocidaire, lequel a battu tous les records, durant le premier quart du XXIe s., en termes de meurtres d'enfants, de journalistes et de professionnels de santé. Les ressortissants israéliens attaqués après le match sont issus du même groupe de supporters surpris avant la rencontre en train d'arracher un drapeau palestinien sur la façade d'un immeuble aux cris de "Fuck you Palestine !" et d'entonner des chants en soutien à leur armée qui s'applique à raser Gaza et à massacrer et mutiler chaque jour des dizaines − au minimum − d'hommes désarmés, d'enfants et de femmes ("Que Tsahal gagne pour niquer les Arabes !" ; ou encore "Il n'y a pas d'écoles à Gaza parce qu'il n'y a plus d'enfants !") [6]. La chasse à l'homme − condamnable − dont ils ont fait l'objet par la suite suffirait donc à blanchir de telles apologies de crimes contre l'humanité (celles-ci ne font que s'ajouter à la très longue liste d'appels à commettre des actes génocidaires contre un peuple occupé et déshumanisé par Israël depuis des décennies, des appels qui se matérialisent sur le terrain depuis 13 mois) ? A la différence des auteurs des violences arrêtés par la police de leur pays, ces ultra-nationalistes israéliens ne seront jamais traduits en justice.

Notes

[1] https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20231228-app-01-00-fr.pdf : page 73 ; le président Herzog est aussi l'un des nombreux Israéliens à avoir écrit des messages sur les bombes destinées à être larguées sur Gaza.

[2] https://www.haaretz.com/israel-news/2024-11-08/ty-article/israeli-soccer-fans-attacked-in-amsterdam-by-assailants-chanting-free-palestine/00000193-0994-de12-adbb-8bf7c8ba0000

[3] https://www.yadvashem.org/press-release/08-november-2024-07-53.html

[4] D'après l'historienne israélienne Idith Zertal (Université hébraïque de Jérusalem), dans son ouvrage Israel's Holocaust and the Politics of Nationhood (Cambridge University Press, 2005, p. 100) : « Le transfert de la situation [des Juifs d'Europe] durant la Shoah dans la réalité du Moyen-Orient... n'a pas seulement créé le faux sentiment d'un danger imminent de destruction massive. Il a aussi complètement déformé l'image de la Shoah, éclipsé l'ampleur des atrocités commises par les Nazis, banalisé l'agonie incomparable des victimes et des survivants, et diabolisé totalement les Arabes et leurs dirigeants. »

[5] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/29/amos-goldberg-historien-israelien-ce-qui-se-passe-a-gaza-est-un-genocide-car-gaza-n-existe-plus_6364702_3232.html

[6] https://www.liberation.fr/sports/football/supporters-israeliens-attaques-a-amsterdam-ce-que-lon-sait-des-faits-du-contexte-et-des-reactions-20241108_6ZLLITQWIFBCNMUUWVIKV23FTE/?utm_source=pocket-newtab-fr-fr ; https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/08/amsterdam-ce-que-l-on-sait-des-violences-contre-les-supporteurs-israeliens-apres-un-match-de-ligue-europa-entre-l-ajax-amsterdam-et-le-maccabi-tel-aviv_6382760_3211.html ; https://www.nouvelobs.com/sport/20241108.OBS96076/a-amsterdam-des-violences-eclatent-apres-un-match-de-ligue-europa-israel-denonce-une-attaque-antisemite-premeditee.html

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les racines austro-fascistes du courant incarné par Vance

12 novembre 2024, par Joëlle Stolz — , ,
Le plus dangereux pour la démocratie n'est sans doute pas Donald Trump. Mais son jeune vice-président JD Vance, représentant offensif d'un catholicisme très conservateur. L'un (…)

Le plus dangereux pour la démocratie n'est sans doute pas Donald Trump. Mais son jeune vice-président JD Vance, représentant offensif d'un catholicisme très conservateur. L'un des modèles : le régime autoritaire et clérical instauré en Autriche en 1933.

7 novembre 2024 | Billet de son blogue publié dans mediapart.fr
https://blogs.mediapart.fr/joelle-stolz/blog/071124/les-racines-austro-fascistes-du-courant-incarne-par-vance

Quatre ans à souffrir, ensuite on retournera aux choses sérieuses. Cette vision optimiste du triomphe de Donald Trump, qui nous revient en 47ème président des États-Unis, doit être confrontée à la réalité.

Même si ce grand narcissique a attiré sur lui les projecteurs, le personnage le plus inquiétant n'est pas l'ex-garçon timide et insécure biberonné au cynisme par l'avocat Roy Cohn. Mais l'homme qu'il a choisi comme vice-président, peut-être le seul "intellectuel" de son entourage immédiat avec le principal théoricien de sa victoire en 2016, son ancien conseiller Steve Bannon : JD Vance.

Lequel fut encensé durant la première présidence de Trump parce qu'il avait publié son récit d'enfant des Appalaches, Hillbilly Elegy. A Memoir of a Family and Culture in Crisis (traduit en français dès 2017 aux éditions Globe sous le titre Hillbilly Élégie). Le gars inculte descendu des montagnes, "Hillbilly", est un terme désobligeant pour les habitants de ces régions si éloignées des élites de Washington DC, Manhattan ou Los Angeles.

Encensé par la gauche progressiste

Le livre est resté très longtemps sur la liste des best-sellers du New York Times et a valu à Vance d'y publier des tribunes régulières. Selon lui, c'est le mépris qu'il a ressenti de la part des bourgeois libéraux fréquentés durant cette période, qui a déterminé son évolution ultérieure.

Chacun s'est jeté il y a huit ans sur Hillbilly Elegy pour comprendre comment un grossier animateur de télé avait pu se faire élire président de la première puissance mondiale. Sauf que l'ex-chouchou des progressistes, qui avait juré de ne jamais rejoindre ce maniaque des médias, le qualifiant même de « Hitler de l'Amérique », a accepté d'être son colistier.

Le sénateur de l'Ohio, 40 ans depuis l'été, est doté d'une épouse brillante issue de l'immigration indienne de Madras (sa mère est aux États-Unis biologiste moléculaire), Usha Chilukuri. Nettement plus instruite que Melania Trump puisque, comme son mari, elle a fait la Yale Law School, une école de juristes réputée, où l'une de ses profs a encouragé Vance à écrire.

Un ami du libertarien Peter Thiel

Élevé dans un milieu protestant évangélique, du genre qui prononce les grâces avant chaque repas et va à l'église le dimanche, il s'est converti en 2019 au catholicisme sous l'influence de son ami Peter Thiel, le milliardaire libertarien de la Silicon Valley. Estimant que cette forme de la religion de son enfance lui donnait le moyen de comprendre « de façon plus intellectuelle » la foi chrétienne, il s'est placé sous le haut patronage de Saint Augustin, l'un des Pères de l'Église.

Il porte de façon agressive les valeurs d'un nationalisme très conservateur. Il est opposé à la liberté d'avortement, au mariage homosexuel ou au contrôle des armes, comme au milieu universitaire imprégné à ses yeux de la désastreuse « pensée woke ». Bien sûr il est contre toute aide à l'Ukraine. Il a présenté en 2023 avec sa collègue Marjorie Taylor Greene un projet de loi fédérale pénalisant quiconque faciliterait le changement de sexe d'un mineur, puis cherché à démolir le « DEI Act » qui promeut la diversité, l'égalité et l'inclusion.

Il tient enfin un discours nataliste. C'est lui qui a proposé que les familles avec enfants paient moins d'impôts, ou moqué dans une interview très critiquée ces « dames avec un chat sans enfant, qui sont malheureuses dans leur vie et des choix qu'elles ont faits, et voudraient que le reste du pays soit aussi malheureux qu'elles ».

Une vision raciste inscrite dans l'histoire de la nation

L'extrême droite qu'il incarne semble décidée à imprimer durablement sa marque. À en finir avec la démocratie libérale, qui a montré à ses yeux son inanité. Vance a préfacé le désormais fameux « Projet 2025 », dont les traits principaux sont de soumettre l'administration aux volontés du président, donc de toucher au statut des fonctionnaires, de déporter en masse les immigrés illégaux et de ressusciter le rêve américain.

Certains experts de la culture états-unienne ont raison de souligner que sa vision raciste était inscrite dans l'histoire du pays, notamment dans l'interdiction totale de toute immigration venue de Chine à la fin du 19ème siècle ou dans les quotas d'immigration par pays en vigueur de 1921 à 1965 – qui ont tant nui aux Juifs persécutés par le nazisme. Et avant eux aux Italiens ou aux Irlandais, vus comme moins aptes à la liberté que les gens venus de l'Europe scandinave ou germanique. Sans parler du massacre des Indiens, ou des anciens esclaves amenés de force d'Afrique.

On peut se reporter à Illiberal Reformers de l'historien de Princeton Thomas C. Leonard, qui détaille les politiques eugénistes aux USA, lesquelles ont inspiré plus tard Adolf Hitler.

Le Parti républicain de Ronald Reagan appartient maintenant au passé, s'est réjoui un promoteur de cette « nouvelle droite » dont la Heritage Foundation, le Claremont Institute et l'AEI (American Enterprise Institute) sont les pépinières. Tandis qu'un autre pressentait qu'avec Donald Trump, Elon Musk et Georgia Meloni – la cheffe post-fasciste du gouvernement italien étant au mieux avec le multimilliardaire né en Afrique du Sud qui a « hâte de servir l'Amérique » -, les néo-conservateurs retrouveraient un trio comparable à celui qui a dominé les années 1980, grâce à la trinité Jean-Paul II-Margaret Thatcher-Ronald Reagan.

Rappel pour les plus jeunes : ces trois-là ont eu la peau de l'ours soviétique. La chute du Mur de Berlin, fin 1989, fut leur plus grande victoire, qui a rejeté dans l'ombre leur soutien obstiné aux dictatures latino-américaines et au régime d'apartheid en Afrique du Sud, ou leur aveuglement face aux dérives de nombre de religieux comme le Mexicain Marcial Maciel.

Dans la position de Rome après la défaite de Carthage

Avec la fin de l'URSS, la superpuissance américaine s'est retrouvée dans la position de Rome après la défaite de Carthage : sans rivale. Pour seulement une courte génération, certes, mais beaucoup ont cru que ce serait éternel. L'universitaire Francis Fukuyama a même évoqué en 1992 rien de moins que La fin de l'Histoire, jugeant indépassable la supériorité du libéralisme sur l'autoritarisme.

Ce fut l'époque du « moins d'État » qui a ravagé les services publics de l'Angleterre comme de la Suède, de l'euphorie du Nasdaq, du fric à gogo. En France l'équipe d'Actuel qui avait été le chantre de la contre-culture revenait avec un nouveau magazine tourné vers les années 1980, tellement excitantes.

Durant la décennie suivante, l'ère Clinton, dont la secrétaire d'État Madeleine Albright a défini les États-Unis comme « la nation indispensable » (au reste du monde), a achevé cette mue, accélérant la chute du Parti démocrate comme défenseur des plus faibles et des minorités ethniques.

Ce cycle se boucle aujourd'hui.

Jadis critique féroce de Trump, Vance est donc son vice-président. Et la décision de celui qui avait fait fortune dans l'immobilier en ne payant pas d'impôts – comme le montre le film d'Ali Abbasi The Apprentice – a ramené vers lui le libertarien Peter Thiel. Ce qui, avec l'omniprésent et tonitruant Elon Musk, complétait le tableau. Le 16 juillet 2024 le Washington Post titrait : « Avec Vance, Trump choisit un idéologue ambitieux et son premier millenial » (ceux qui sont nés au tournant du 21ème siècle).

Une trajectoire ascendante

La trajectoire de Vance est en effet un mélange de méritocratie et d'opportunisme. Né pauvre mais excellent élève, il intègre le corps très sélectif des Marines, ce qui lui a permis d'étudier ensuite les sciences politiques à l'Université d'État de l'Ohio grâce à une nouvelle mouture du G.I.-Bill, une loi édictée en 1944 par Roosevelt pour aider les vétérans de la Seconde Guerre mondiale.

De là il monte à Yale, l'une des riches universités privées de la Ivy League. Et en sort, non seulement nanti d'une fiancée d'un milieu bien supérieur au sien dont il a eu, depuis leur mariage, trois enfants, mais comme elle docteur en droit. Il est devenu un ardent conservateur. En 2022 il décroche un siège républicain au Sénat, bien que son ONG censée lutter contre les addictions (sa mère était une droguée), déplore son adversaire démocrate dans l'Ohio, soit avant tout une façade. C'est Thiel, son ancien employeur (et celui de l'ex-chancelier autrichien Sebastian Kurz, que Trump avait reçu à Washington), qui finance sa campagne.

Les racines austro-fascistes du catholicisme extrémiste

Si l'on en croit l'hebdomadaire viennois Falter dans son édition du 30 octobre, ce conservatisme sociétal mâtiné de libéralisme à tout crin et/ou de protectionnisme, suivant ses représentants, a des sources dans le régime clérical instauré en 1933 par le chancelier Engelbert Dollfuss, que l'historiographie social-démocrate désigne par un terme qui n'est plus guère contesté : l'austro-fascisme. Car inspiré par le fascisme italien – Mussolini ayant été assez habile pour conserver la monarchie et conclure une paix négociée avec un catholicisme qu'il méprisait – plutôt que par un nazisme nettement plus radical, au point de pas tolérer toute organisation qu'il ne contrôlait pas.

Autoritaire et appuyé sur l'Église catholique, Dollfuss fut victime d'une tentative de putsch par les nazis qui provoqua sa mort. Il fut un « martyr » - presque un saint laïque. Mais son successeur, Kurt Schuschnigg, était trop faible pour s'opposer à Hitler et à l'Anschluss.

Selon James Patterson, qui enseigne les sciences politiques à l'université Ave Maria de Floride, le gourou de la nouvelle droite catholique aux USA est le moine cistercien Edmund Waldstein, de père autrichien et de mère américaine, prêtre depuis 2019, qui vit et prie à Heiligenkreuz, un couvent près de Vienne.

L'extrême droite catholique

Inconnu dans son pays, ce moine est célèbre parmi toute une génération de jeunes catholiques aux États-Unis grâce à son site web The Josias. L'un des abonnés est le Parti républicain au Capitole. « Je sais que l'équipe de Vance le lit », dit Patterson.

Il existe en tout cas une photo du futur vice-président accueillant chaleureusement le philosophe Patrick Deneen, l'une des étoiles de cette constellation et l'un des admirateurs de Viktor Orban.

Outre-Atlantique « se forme un front radical avec des références catholiques », écrit Falter, qui rappelle que six catholiques d'obédience conservatrice – sur neuf juges au total - siègent à la Cour suprême, en qui Vance peut trouver des alliés. D'après un connaisseur de ces arcanes cité par l'hebdomadaire, le catholicisme fournit à ces intellectuels anti-libéraux la possibilité « d'ancrer dans une tradition leur refus du monde moderne ».

Patterson a ainsi formulé pour la Fondation Konrad-Adenauer, proche des conservateurs allemands, ce que serait la « société parfaite » du Père Waldstein : l'Église y regagnerait une influence décisive sur l'école et la vie familiale, y interdirait la pornographie, y restreindrait les droits reproductifs des femmes tout en favorisant les naissances.

Le grand ancêtre intellectuel est le philosophe d'origine allemande Leo Strauss, pourfendeur du modernisme. L'un de ses disciples, qui a joué un rôle crucial en 2016 dans la légitimation du candidat Trump auprès de républicains très réticents, est l'essayiste Michael Anton. Selon lequel les Républicains ont abandonné le terrain culturel à la gauche libérale pour ne s'occuper que des cours à Wall Street.

S'y ajoute Adrian Vermeule, qui enseigne le droit à Harvard. Catholique fervent, c'est lui qui théorise que les individus sont les « sujets » d'un ordre divin qui les dépasse. Enfin l'Institut Claremont a embauché le blogueur néo-réactionnaire Curtis Yarvin, né en 1973, qui professe que les élections sont un gaspillage inefficace et qu'il vaudrait mieux les abolir. Il préfère une sorte de monarchie technologique dont le chef agirait « en P.D.G. d'une start up ou en dictateur », l'État n'étant finalement qu'une entreprise, sauf qu'elle possède un territoire.

La Hongrie d'Orban, un laboratoire

À côté, Vance paraît plus tourné vers des valeurs traditionnelles – religion, famille, patrie -, bien qu'il voie en Yarvin un « ami ». Mais tous observent ce qui se passe dans la Hongrie d'Orban, ce laboratoire de mesures « illibérales ». Et Trump a annoncé sur Fox News avant même d'être élu qu'il comptait licencier 50.000 fonctionnaires, supprimer le ministère de l'éducation et le FBI, bref le plan élaboré par la Fondation Heritage et l'Institut Claremont de Leo Strauss. Les juristes ont beau se récrier que ce serait une atteinte à la Constitution, le « ticket » Trump-Vance a, depuis ce 5 novembre, la force de le faire.

Les sceptiques feraient mieux de regarder la série de Netflix The Diplomat. L'intrigue de la deuxième saison paraît extrêmement tirée par les cheveux, jusqu'au dernier épisode où l'on comprend que l'attentat britannique (contre leur propre navire militaire !) a été fomenté par la vice-présidente des États-Unis, soucieuse d'éviter une sécession écossaise qui priverait les Américains de leur unique base de sous-marins en Europe contre les avancées des Russes. Or cette vice-présidente, le vieux président étant soudain mort, se voit investie de la magistrature suprême.

C'est ce qui pourrait se produire dans la vraie vie. Sauf que ce n'est pas la vice-présidente démocrate Kamala Harris qui a été élue ce mardi. Faible consolation : on ne risque pas de s'ennuyer durant les prochaines années.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Trump : premières leçons et premières batailles.

12 novembre 2024, par Vincent Présumey — , ,
La victoire de Trump est d'ampleur : à 15h ce jour (heure française) il gagne en voix – plus de 71,3 millions contre près de 66,5 à Harris – et en pourcentage – 51,1% contre (…)

La victoire de Trump est d'ampleur : à 15h ce jour (heure française) il gagne en voix – plus de 71,3 millions contre près de 66,5 à Harris – et en pourcentage – 51,1% contre 47,4%, en outre libertariens et autres font 0,8%, Jill Stein 0,4%, le reste 0,2% – et il est donc président, ayant gagné dans les « swing states » (il restait à dépouiller à cette heure le Nevada, le Michigan et l'Arizona, mais les jeux étaient faits). De plus, les Républicains semblent victorieux au Sénat et peut-être à la Chambre des représentants.

6 novembre 2024 | tiré de site : Arguments pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2024/11/06/trump-premieres-lecons-et-premieres-batailles/

C'est une défaite pour le prolétariat et la démocratie, qui appelle compréhension, résistance et contre-attaque. C'est pourquoi nous saluons le communiqué de l'United Automobile Workers de ce matin qui a le mérite de rappeler que la working class est majoritaire et qu'elle a les mêmes aspirations et revendications quel que soit son vote, avec Donald Trump et Elon Musk comme ennemis.

Harris ne pouvait gagner par ses propres forces, étant la candidate de l'un des deux grands partis de la classe capitaliste américaine. En 2020, si Biden avait gagné contre Trump, ce n'était pas par ses propres forces non plus, mais en raison de la puissante vague de manifestations des noirs et de toute la jeunesse avec eux dont l'assassinat de George Floyd à Minneapolis avait été le détonateur. Pourquoi n'avons-nous pas eu cela cette fois-ci ?

Bien entendu le bilan des démocrates au pouvoir, avec la baisse du niveau réel d'existence et du pouvoir d'achat des plus larges masses, est la donnée de base. Mais il est tout à fait insuffisant de s'en tenir là et de ressasser qu'on ne bat pas l'extrême-droite avec un programme libéral et pour le moins mou du genou sur le « social ». De telles récriminations impliquent des illusions, alors qu'Harris ne pouvait pas avoir d'autre programme que le sien. La défense de la démocratie devait (et devra) se faire sans le Parti Démocrate et en dehors de lui, et c'est sur le terrain de la défense de la démocratie que les Démocrates ont insufflé la faiblesse.

Car, ne l'oublions jamais, toutes les quatre années de Biden se sont déroulées sous le signe de la « prise du Capitole » du 6 janvier 2021 et de l'absence de répression judiciaire contre Trump à la suite de cela. Alors que tous les « gens sérieux » savent sa dépendance envers Poutine, les cercles dirigeants US ont choisi de taire ce fait si désorientant et problématique pour eux et leur crédibilité : un président « agent russe » !

Plus, ce sont des cercles clefs du capital, cette fois-ci, à la différence de 2016, qui ont fait mouvement vers Trump, pour l'encadrer certes, mais aussi pour diriger ses coups contre les syndicats et le mouvement ouvrier (le Project 2025 de la Heritage fondation, le « prestigieux » think-tank néolibéral rallié à Trump). Le rôle clef d'Elon Musk, pas pour modérer Trump en ce qui le concerne, bien au contraire, s'inscrit ici, de même que l'intervention des actionnaires pour interdire à la grande presse traditionnellement pro-démocrate de se prononcer – la rédaction du New York Times était donc en grève le jour du vote !

Et le dollar monte et les places boursières aussi : la classe capitaliste mise sur Trump, qui n'est plus un « accident » comme en 2016.

L'élément d'intimidation physique, propre au fascisme, est présent aux Etats-Unis au moins depuis le 6 janvier 2021 et a été un facteur de l'élection de Trump. Il se combine à la forte dimension masculiniste et viriliste d'une campagne dans laquelle la lutte pour ou contre la domination masculine envers les femmes a été un enjeu central – et bien que ce vote masculiniste comprenne aussi des voix féminines (de même qu'il y a, en Iran, des femmes gardiennes du voile islamique), la résistance à Trump a été majoritairement féminine.

Répétons-le : la violence a été d'ores et déjà un élément de cette victoire. Elle a eu lieu sous la menace, car tout le monde savait que Trump ne reconnaitrait pas une défaite. Les méthodes de la seule « démocratie bourgeoise » sont ici battues d'avance. Ce sont les méthodes des picket lines des grévistes de l'automobile victorieux sur leurs salaires fin 2023, et de l'autodéfense contre la police et les milices de la part des jeunes noirs aidés d'autres secteurs de la jeunesse comme en 2020, ce sont ces méthodes seules, avec l'organisation indépendante des plus larges masses, qui feront reculer la menace et la violence trumpistes.

Mais justement : une poussée spontanée, mais indépendante, comme celle qui avait battu Trump n°1 en 2020, n'a pas eu lieu, s'est sans doute amorcée mais ne s'est pas déployée, contre Trump n°2 en 2024. Là intervient un facteur politique clef : la mobilisation des universités sur le thème de la Palestine n'a majoritairement servi de rien au peuple palestinien et a fait le jeu de Trump.

Ceci n'est ni la faute ni de la responsabilité des étudiants et des millions de jeunes révoltés par le martyr de Gaza, mais de l'orientation politique imprimée à ce mouvement par ses responsables, à savoir la grande majorité de l'extrême-gauche et des secteurs se voulant d'avant-garde, qui, dès le 7 octobre 2023, le jour des pogroms provocateurs du Hamas, ont dénoncé Genocide Joe (Biden) comme LE coupable et l'agent n°1 d'un génocide. En réalité, ledit génocide menace dans les gravats de Gaza, un an après, et la campagne contre Genocide Joe n'a en rien empêché qu'on en arrive là.

Bien au contraire, en détournant l'indignation légitime vers un mouvement acritique envers le Hamas, le Hezbollah et l'Iran, et agissant sur la base de représentations fantasmées, une mobilisation démocratique et internationaliste de masse analogue, mais en plus approfondie, au mouvement spontané de masse qui en 2020 avait battu Trump, a été sapé.

C'est une mobilisation exigeant de façon combinée l'arrêt des fournitures d'armes à Tsahal, l'aide à l'Ukraine et une répression démocratique réelle de Trump et des putschistes du 6 janvier 2021 qui eût été nécessaire. Elle a été sapée par le campisme, l' « antisionisme » et le cri Genocide Joe.

Et Netanyahou peut dire ce matin : « Félicitations pour le plus grand retour de l'Histoire. Votre retour à la Maison blanche offre un nouveau commencement pour l'Amérique et un réengagement puissant dans la grande alliance entre Israël et l'Amérique. C'est une énorme victoire ! »

Ce « nouveau commencement », sur la base de l'alliance entre l'extrême-droite israélienne et les courants évangélistes les plus réactionnaires d'Amérique, c'est la destruction totale de Gaza : le génocide, il risque d'arriver maintenant ainsi que la purification ethnique de la Cisjordanie. Les zélotes du slogan Genocide Joe n'ont JAMAIS qualifié Trump de Genocide Donald. Le feront-ils (quand il sera trop tard) ? Rien n'est moins sûr. L'orientation imprimée au mouvement propalestinien a fait quasi ouvertement le jeu des deux pires ennemis des Palestiniens aux visées génocidaires : Donald Trump, Benjamin Netanyahou.

Terrible mais nécessaire, indispensable, bilan politique que celui-ci. Non, il n'y a pas eu là un renouveau internationaliste, ni de nouvelle avant-garde large se mobilisant aux cris de « Palestine » ! Cela aurait dû être, cela aurait pu être, si cette mobilisation avait aussi combattu Iran et Russie et soutenu l'Ukraine, agi pour contraindre réellement l'administration Biden à cesser les livraisons d'armes et appelé à se porter massivement aux urnes pour barrer la route à Genocide Donald …

La victoire de Trump appartient à Poutine, au régime iranien poussant le Hamas à la provocation pogromiste du 7 octobre 2023, à Netanyahou, mais ils n'auraient pas eu ce succès sans l'aide que leur a apporté la désorientation politique déchainée au moyen du thème palestinien, pour le plus grand malheur des Palestiniens.

Le 7 octobre n'était pas parvenu à produire la défaite ukrainienne. C'est cette défaite que Trump et Poutine vont maintenant, la main dans la main, tenter de réaliser. Le danger est total et immédiat pour le peuple ukrainien, menacé au même titre et au même degré que le peuple palestinien.

La lutte des classes et la guerre dans la vieille Europe deviennent donc le nœud de la situation mondiale – nul eurocentrisme dans ce constat, mais au contraire la prise en compte des besoins des exploités et opprimés du monde entier. Nous reviendrons très prochainement sur les conséquences françaises et sur les leçons et urgences ouvertes par cette situation pour le Nouveau Front Populaire et pour les organisations syndicales.

En ce jour, Aplutsoc adresse son fraternel salut et tout son soutien à nos camarades américains ayant combattu pour battre Trump sur une ligne de classe, d'Oakland Socialist et l'Ukraine Socialist Solidarity Campaign, aux camarades s'étant exprimés en ce sens dans New Politics, et au-delà d'eux aux milliers de syndicalistes, notamment de l'United Auto Workers (UAW), qui cherchent la voie de l'action indépendante pour contre-attaquer et gagner.

06/11/2024.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

« C’est l’effondement du Parti démocrate » - Les racines de la victoire de D. Trump et de la défaite de K. Harris

12 novembre 2024, par Amy Goodman, Juan Ganzalez, Ralph Nader — , ,
Mme Harris tournait le dos aux progressistes, aux électeurs.trices véritablement populistes dans ce pays. Bien sûr B. Sanders l'a soutenue mais ses prises de positions ont (…)

Mme Harris tournait le dos aux progressistes, aux électeurs.trices véritablement populistes dans ce pays. Bien sûr B. Sanders l'a soutenue mais ses prises de positions ont constamment été rejetées. Il a déclaré : « Relevez le salaire minimum. Améliorez l'accès universel aux soins de santé. Attaquez-vous aux criminels en cols blancs. Augmentez les bénéfices de la Sécurité sociale qui sont gelés depuis 50 ans. Et taxez les plus riches ». Elle a tout ignoré ; que distribué des prospectus

Ralph Nader
Democracy Now, 6 novembre 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : (…) Nous continuons à examiner la victoire de D. Trump contre K. Harris et le fait que les Républicains prennent le contrôle du Sénat. Les résultats pour la Chambre des représentants ne sont toujours pas complets. Notre invité est Ralph Nader, avocat en consommation depuis longtemps, quatre fois candidat à la Présidence, auteurs de multiples bouquins dont récemment, Let's Start the Revolution : Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People. Il est aussi le fondateur du journal mensuel, Capitol Hill Citizen.

Merci beaucoup Ralph de vous joindre à nous. Que répondez-vous à la victoire de D. Trump ? Il n'a pas gagné que le Collège électoral mais aussi le vote populaire ce qu'il n'avait pas réussi lors des deux dernières élections.

Ralph Nader : C'est une bien grande bouchée à avaler et digérer. C'est l'effondrement du Parti démocrate. Ils n'ont pas obtenu les votes qu'ils espéraient. Ils sont plusieurs millions de voix en dessous de ce qu'ils espéraient et bien sûr cela a fait la différence dans le Collège électoral déterminé par les États pivots.

Mais le problème est encore plus sérieux que cela. Fondamentalement, nous sommes maintenant dans un État corporatif dictatorial. Pour les Démocrates, D. Trump est maintenant un aimant et un piège. Ils ont dépensé des dizaines de millions de dollars en publicité pour attaquer D. Trump au lieu de s'en prendre aux quatre années de sa mandature où il a réussi à creuser et grossir tant de problèmes critiques. Donc, maintenant, le problème c'est qu'il y a tant de variables avec lesquelles interagir.

Amy, je vais commencer par le moment où les Démocrates ont abandonné les États républicains du pays. C'est dévastateur. Ils ont commencé à recevoir de l'argent des entreprises en 1979 en se réclamant des mêmes valeurs commerciales. Cela a estompé la différence entre les Démocrates de type New Deal et ceux liés aux entreprises. Ensuite ils ont confié les élections à ces firmes de consultants.es en conflit d'intérêt et profiteuses et il semble bien que les grands médias n'ont jamais voulu enquêter là-dessus durant cette campagne. Puis ils ont abandonné les médias publics. Ce qui revient à dire qu'ils ont laissé le champ libre aux animateurs de radio comme Rush Limbaugs (célèbre animateur de radio très à droite. N.d.t.) ce qui a créé les Démocrates à la Reagan. Et ils n'ont jamais appris de leurs erreurs. Ils n'ont rien appris des erreurs de Mme Clinton en 2016. Ils n'ont jamais remercié personne après les défaites dans les États les uns après les autres aux mains du plus horrible, du pire Parti républicain de l'histoire.

Ça donne quel message au peuple américain ? Que D. Trump est terrible et que vous ne pouvez imaginer à quel point le Parti républicain peut être mauvais. C'est un message trop général, trop simple. Une vaste majorité de la population pense que les entreprises ont trop de contrôle sur leur vie. Ils (les Démocrates) n'ont pas relevé la négation des bénéfices en santé. Ils n'ont pas relevé les manques en matière de salaire minimum. Ils n'ont pas relevé non plus la négligence dans les poursuites des criminels.les dans les entreprises. Rien ne l'ont pas non plus fait à propos de la taxation des riches et des grandes corporations. Ils n'ont rien changé à leur approche commerciale. Ils ne savaient pas comment confronter D. Trump sur l'immigration. Il a qualifiés.es les immigrants.tes de violeurs, de criminels.les, de trafiquants.es de drogue etc. Mais, au lieu de dire : « Ce sont des gens qui fuient des pays oppressifs qui ont été appuyées par les États-Unis comme les dictateurs, les oligarques d'Amérique centrale et du sud…. » Ils n'ont pas dit non plus que des millions d'Américains.es font confiance aux immigrants.es pour leur alimentation, pour les soins à leurs enfants, à leurs ainés.es, pour rendre les services que personne d'autre ne veut rendre dans notre pays.

Vous voyez, il y a une telle facture de tant de particularités contre ce Parti démocratique. Bien sûr il y a des millions de gens qui se disent : « Assez de temps perdu. Nous en avons assez de ne pas en avoir pour toutes les taxes et impôts que nous versons au gouvernement. Ça nous rend malades cet empire au loin, ces budgets militaires qui sont toujours augmentés par les Démocrates et les Républicains au Congrès, de voir que les généraux reçoivent plus qu'ils n'en demandent ; cela gruge les budgets des dépenses publiques qui devraient servir à donner des services au public, à s'occuper des infrastructures dans toutes les communautés du pays et créer des emplois ».

Nous avons essayé de renforcer ces Démocrates. Depuis 2022, 34 leaders civils.les ont tenté de leur dire comment communiquer, que communiquer à toute la population. Le Parti a bloqué toute espèce de réponse, que ce soit Nancy Pelosi, Chuck Schumer ou qui que ce soit d'autre, et les liens avec la communauté civique de Washington D.C. ont été coupés.

Juan Ganzalez (d.n.) : Ralph, laissez-moi vous demander ; quels sont les prochaines étapes pour le mouvement progressiste en terme de résistance et de réorganisation maintenant qu'il fait face au retour de D. Trump ?

R.N. : Il doit se concentrer sur le Congrès. Nous n'avons toujours pas tous les résultats pour la Chambre des représentants mais seul le Congrès peut arrêter Trump et sa troupe. Car ce n'est pas que D. Trump. Il n'est que l'affiche. Il n'est que le portevoix. Ce sont ses acolytes comme la Fondation Héritage et son programme 2025. C'est la prise en mains des ministères qui sont dédiés au service du peuple, la protection environnementale, le Consumer Financial Protection Bureau, le bureau de la sécurité automobile, la Commission fédérale sur le commerce, le Département de la justice. Ils vont tous être transformés en gouvernements virulents, vengeurs ou réduits à l'inactivité. Ils veulent éliminer les fonctionnaires, nous ramener dans un système qui distribue les postes à ses partisans.es. Nous entrons dans une grande tempête. On pourrait dire que l'élection d'hier a réellement élu J.D. Vance à la Présidence. D. Trump ne sera pas le dernier. Il va démolir et Vance est dans une position pour accéder à la prochaine Présidence.

Donc, que faire Juan ? Se concentrer à fond sur le Congrès qui est la principale autorité constitutionnelle qui doit rendre comptable la branche exécutive telle que préparée pour 2026, (date des prochaines élections législatives.n.d.t.) Les Démocrates auront bien moins de Sénateurs.trices que les Républicains.nes contrairement à cette année.

Ils doivent absolument cesser de tomber sur la tête de ceux et celles qui questionnent le Parti qui a dit à tout le monde qui les appuie : « Vous voyez à quel point les Républicains sont mauvais ? Vous ne pouvez aller nulle part ailleurs ». Ils ont dépensé beaucoup d'argent pour attaquer le Green Party, le tout petit Green Party au lieu d'écouter le Révérend William Barber qui leur a dit : « Attention, il y a 80 million de personnes qui n'iront pas voter. Beaucoup sont des travaileurs.euses à bas salaires. Si vous aviez convaincu 15% de ces personnes de se rendre aux bureaux de vote, vous, les Démocrates vous auriez gagné ». Ils ne l'ont pas entendu. Ils n'ont pas écouté les groupes de citoyens.nes qui savent parler à la population, pas qu'aux libéraux ou aux travailleurs.euses de tendance libérale, mais aussi aux conservateurs.trices qui travaillent, ceux et celles qui sont des patients.es. Il faut se rappeler que la vaste majorité dans ce pays veut que les entreprises sous imposées et sous taxées le soient plus. Elle veut une rupture avec les grandes banques. Et par-dessus tout, sondage après sondage, elle répète que les entreprises ont trop de contrôle sur leurs vies. Sherrod Brown, (Sénateur démocrate de l'Ohio. N.d.t.) a hurlé dans son porte-voix et a perdu. Bernie Sanders a fait campagne sur le pouvoir des entreprises et il a gagné au Vermont : un raz-de-marée. K. Harris a refusé de faire campagne avec lui elle a préféré être accompagnée dans plusieurs États par Liz Cheney de la famille criminelle Cheney, mêlée à l'invasion de l'Irak où plus d'un million d'Irakiens.nes ont été tués.es.

Donc, les gaffes n'ont pas de fin. En fait Mme Harris tournait le dos aux progressistes, aux électeurs.trices véritablement populistes dans ce pays. Bien sûr B. Sanders l'a soutenue mais ses prises de positions ont constamment été rejetées. Il a déclaré : « Relevez le salaire minimum. Améliorez l'accès universel aux soins de santé. Attaquez-vous aux criminels en cols blancs. Augmentez les bénéfices de la Sécurité sociale qui sont gelés depuis 50 ans. Et taxez les plus riches ». Elle a tout ignoré ; que distribué des prospectus.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Le regard tourné vers l’abîme trumpien – le point de vue Jacobin

12 novembre 2024, par Jacobin — , ,
Le magasine en ligne Jacobin a publié les points de vue de plusieurs de ses contributeur·es, que nous publions ce-dessous : Nous sommes sur le point de vivre une longue (…)

Le magasine en ligne Jacobin a publié les points de vue de plusieurs de ses contributeur·es, que nous publions ce-dessous : Nous sommes sur le point de vivre une longue période de souffrance dans la politique américaine et mondiale aux mains d'un président dérangé et réactionnaire qui ne sera guère confronté à un parti d'opposition.

Tiré de Inprecor
8 novembre 2024

Par Jacobin

Donald Trump et JD Vance à la cérémonie de commémoration du 11 septembre à NYC 2024. © https://www.flickr.com/people/126057486@N04

Mercredi, le pays et le monde se sont réveillés face à une réalité terrifiante, mais à bien des égards prévisible, à laquelle peu de membres de la gauche et du Parti démocrate sont prêts à faire face. De l'avis général, les années à venir seront brutales pour beaucoup : pour le large éventail de groupes ciblés par Donald Trump en tant que cibles de mépris et de haine au cours des huit dernières années, pour la classe ouvrière dans son ensemble, et pour la planète. Nos contributeurs et rédacteurs en chef réfléchissent à la manière dont nous en sommes arrivés là et à ce qui peut être fait pour inverser le cours des choses.

Meagan Day : Les démocrates ne peuvent ignorer la tyrannie des riches

Entre Donald Trump lui-même, Elon Musk, l'un des principaux porte-parole de sa campagne, et Peter Thiel, le faiseur de rois de J. D. Vance, le bureau ovale est sur le point de devenir un salon de milliardaires. Les Américains les plus riches ont toujours exercé une pression considérable sur les hommes politiques, qui se plient volontiers à leurs diktats sous peine d'en subir les conséquences. Mais la dynamique de classe habituelle va être aggravée par l'intervention directe de cadres capitalistes individuels et hyperidéologiques, qui se sont lassés de la simple domination du marché et recherchent désormais une transformation sociale totale.

La voie est ouverte devant eux. Avec le contrôle des trois branches du gouvernement, l'administration à venir ne perdra probablement pas de temps à réduire à néant les réglementations, des dispositifs et des départements entiers. Il en résultera une austérité pour le plus grand nombre et une orgie de profits effrénés pour quelques-uns. Les conditions matérielles des gens ordinaires se détérioreront davantage, laissant l'électorat de plus en plus aliéné et agité. Les gens continueront à graviter autour de celui qui parlera de manière la plus convaincante d'un changement radical, ce qui ne sera pas les Démocrates tels que nous les connaissons.
La campagne de Kamala Harris était un amalgame d'idées contradictoires - un discours de cessez-le-feu à côté de la caution apportée par Dick Cheney, un message économique étonnamment décent et progressiste à côté des habituelles assurances données à Wall Street. Son ambiguïté était délibérée, masquant un manque d'engagement en faveur d'une vision, d'un bloc ou d'un programme particulier. Cette attitude de clôture sophistiquée n'est pas une bonne approche de la politique. Lorsque les gens ont envie de se battre, ils le font. S'il n'y a pas d'option solidaire, l'option chauvine suffira souvent.
Le seul moyen d'arrêter la construction d'un monde dystopique par la droite est de jouer les faiseurs de monde à son tour. Une opposition efficace identifierait clairement la cause profonde de la détresse économique générale comme étant la tyrannie des riches. Elle proposerait de résoudre le problème en transformant les richesses thésaurisées par les particuliers en ressources publiques, qui seraient investies pour rendre les choses plus faciles et plus agréables pour tous les autres. Ces idées ne peuvent pas être présentées en même temps que leur contraire ; elles doivent être au cœur du projet, et cela doit être évident. Plus cette approche sera rejetée d'emblée, plus les Américains seront la proie de milliardaires réactionnaires pseudo-populistes, confondant le poison avec le médicament.
Meagan Day, rédactrice en chef adjointe

Liza Featherstone : Les travailleurs ne peuvent pas continuer à se croiser les bras

Quelle horreur et quelle tristesse. En évaluant la victoire de Donald Trump mardi, les raisons immédiates de la défaite de Kamala Harris sont importantes : un génocide à Gaza, des messages médiocres et insuffisants sur les véritables réalisations de l'administration Biden, une campagne menée par et pour les nantis de la Silicon Valley, et surtout, l'inflation. À plus long terme, le déclin du taux de syndicalisation, qui dure depuis des décennies et qui a privé la classe ouvrière de pouvoir politique, mais aussi d'un foyer et d'une identité politiques, joue un rôle crucial dans la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Pour construire un pouvoir de gauche, de la classe ouvrière, nous devons continuer à construire nos syndicats - y compris en nous organisant pour que l'appel du président de l'United Auto Workers, Shawn Fain, à une grève générale en mai 2028, soit couronné de succès. Nous devons également continuer à construire des organisations socialistes, un projet qui est porteur d'espoir non seulement à Brooklyn et dans le Queens, mais aussi dans des endroits comme la banlieue d'Atlanta, où Gabriel Sanchez a été élu à la législature de l'État mardi. Nous devons également continuer à construire des organisations capables de lutter contre l'extrême droite dans les swing states et les comtés qui ont massivement voté pour Trump, un travail qui a même montré des succès tangibles : pendant que Trump et les Républicains filaient vers la victoire, sept référendums sur le droit à l'avortementont été adoptés, y compris dans des États rouges et violets comme le Montana, le Colorado, le Nevada et l'Arizona.

Notre travail politique ne peut pas construire un pouvoir et faire évoluer les politiques sans commencer à guérir l'aliénation de notre société qui a conduit tant de personnes à voter pour Trump. L'isolement et la solitude, problèmes qui s'aggravaient déjà avant la pandémie de COVID-19, ont durement frappé de nombreux Américains. Trop d'entre eux sont morts de suicide ou de toxicomanie, tandis que beaucoup d'autres sont allés sur Internet, perdus dans des boucles sans fin d'informations folles et fausses qui alimentent la rage, seuls et de plus en plus en colère contre toutes les mauvaises personnes.
Dans ce désert social, les rassemblements de Trump ont donné à beaucoup le sentiment d'appartenir à une communauté où tous ceux qui se présentaient étaient accueillis chaleureusement. Sa deuxième victoire nous rappelle brutalement à quel point nous avons tous besoin de ce sentiment d'appartenance.

Nous savons que nous avons beaucoup en commun avec les électeurs de Trump ; la plupart d'entre nous connaissent et aiment certaines personnes qui ne partagent pas nos idées politiques. Nous partageons même des préoccupations politiques avec certaines personnes qui ont voté d'une manière que nous jugeons inexplicable ; beaucoup ont voté différemment lors d'élections antérieures - même pour Bernie Sanders en 2016 ou 2020 - et adhèrent à des idées et à des sentiments de gauche. Nous partageons avec nombre d'entre eux le désir d'un meilleur niveau de vie pour la classe ouvrière et le désir de vivre dans un monde sans guerre. Laissons la haine de nos concitoyens américains aux milliardaires ; lorsque nous sommes divisés, ils sont les seuls gagnants.

Nous, socialistes, pouvons faire mieux que Trump. Nous apportons au monde ce sentiment d'amour collectif que nous appelons la solidarité, ce que Sanders appelle cette volonté de « se battre pour quelqu'un que l'on ne connaît pas ». Sans cela, nous ne pouvons rien construire - et nous nous devons absolument construire.
Liza Featherstone, éditorialiste au Jacobin

Eric Blanc : pas de réponses faciles, seulement de l'organisation

Il est vrai que l'inflation provoquée par le COVID a gravement nui aux administrations en place dans le monde entier. Mais ce n'est pas une loi d'airain. Malgré une inflation plus élevée qu'aux États-Unis, le Mexique a réélu son gouvernement de gauche parce qu'il a fait beaucoup (et bien communiqué) pour les travailleurs. Si Joe Biden avait été capable d'enchaîner des phrases cohérentes et si les sénateurs Joe Manchin et Kyrsten Sinema n'avaient pas bloqué un ambitieux programme « Build Back Better », il n'est pas inconcevable que cela se soit produit ici aussi.

Les démocrates diront que les politiques intérieures et les nominations de Joe Biden, relativement favorables aux travailleurs, n'ont pas eu les effets escomptés sur le plan électoral. Mais après des décennies d'abandon des travailleurs par les démocrates, ces mesures étaient trop peu, trop tard.

Il serait toutefois erroné de ne blâmer que l'establishment du Parti démocrate. La vérité est que les responsables syndicaux - à quelques exceptions notables près - n'ont pas su saisir une occasion exceptionnellement favorable à la syndicalisation de millions de personnes dans un contexte de marché du travail tendu, d'un Conseil national des relations du travail favorable aux travailleurs et d'une radicalisation de la jeunesse. Au lieu de cela, ils ont continué à faire comme si de rien n'était, s'asseyant sur des milliards de dollars de financement qui auraient pu être utilisés pour lancer et soutenir des initiatives de syndicalisation à grande échelle. Pour renverser des décennies d'alignement et d'atomisation des classes, il faudra beaucoup d'organisation ambitieuse et ascendante - et de persuasion numérique - tout au long de l'année.
Eric Blanc, collaborateur de Jacobin

Chris Maisano : la gauche peut encore séduire les électeurs de Trump

De nombreux Américains ont le sentiment que les choses sont généralement « hors de contrôle », qu'il s'agisse du coût de la vie, des migrations ou de l'instabilité mondiale, et ils cherchent une main forte pour les protéger - et sont donc prêts à ignorer tout ce qui accompagne une présidence de Donald Trump. Il a su tirer parti de ces inquiétudes pour faire de Joe Biden, puis de Kamala Harris, le candidat du chaos en 2024. Trump a convaincu suffisamment d'électeurs qu'un vote pour lui, de toutes les personnes, est un vote pour la stabilité dans un monde dangereux.

Il s'agissait d'une stratégie insolente, qui n'aurait pas dû réussir. Mais notre système politique n'offre qu'un choix binaire pour le poste de président ; de nombreuses personnes sont profondément insatisfaites de l'état actuel des choses ; et ce sont Biden et Harris qui étaient à la Maison Blanche. Nous en sommes donc là.

Bien entendu, rien de ce que Trump ou le Parti républicain proposent ne permettra de répondre aux mécontentements qui grondent dans ce pays. Trump a promis aux électeurs que « l'inflation disparaîtrait complètement » s'ils l'élisaient, mais l'augmentation des droits de douane et l'expulsion des travailleurs immigrés ne feront que l'attiser. Il est possible d'inverser la tendance électorale. Mais la gauche, d'une manière générale, doit trouver - rapidement - comment s'enraciner durablement dans les communautés où elle est actuellement absente, comment parler de manière crédible et efficace des luttes quotidiennes des gens, et comment renouveler la foi dans le pouvoir de l'action collective. Même les appels au « populisme » ou à la « politique de classe » les plus raffinés de la campagne risquent de ne pas faire mouche si les gens ne font pas partie d'organisations qui génèrent et renforcent continuellement la solidarité.

Il n'y a pas de réponse facile, pas de miracle en matière de communication qui puisse nous sauver. Il suffit de faire preuve d'opiniâtreté dans le travail d'organisation face à des vents contraires puissants.
Chris Maisano, rédacteur en chef adjoint

Anton Jäger : Sans filet

En tant que personne n'ayant ni la citoyenneté américaine ni le droit de vote, il est inévitablement ridicule et vicieux d'avoir des opinions tranchées sur un cycle présidentiel qui s'est principalement mondialisé par le biais de la puissance douce des États-Unis. Apparemment, il n'en allait pas autrement à l'époque de l'empire britannique : les étrangers suivaient avec impatience les péripéties du cycle parlementaire britannique pour connaître les effets qu'il aurait sur la politique impériale. Aujourd'hui, les effets externes de la politique américaine restent mortels à l'étranger, et la faiblesse correspondante de la gauche américaine est de plus en plus un problème européen : l'américanisation de la politique européenne implique des dérives vers la droite et une incapacité croissante à articuler des positions indépendantes en matière de politique étrangère.
Les résultats donnent au moins raison à certaines lectures de gauche. Il s'agissait d'une élection matérialiste sur l'inflation. En l'absence d'un filet de sécurité sociale adéquat, le pouvoir d'achat individuel est la seule garantie de stabilité économique des Américains, et toute personne soupçonnée (même à tort) de faire surchauffer l'économie sera dûment punie pour cela.

L'ampleur de la défaite démocrate appelle à une introspection plus profonde. Pour l'élite du Parti démocrate, après tout, la défaite reste toujours relative : le financement a été assuré, les stars ont été courtisées et la base peut être effrayée et soumise pour les quatre années à venir. Pour ceux qui espéraient qu'une victoire de Harris laisserait au moins de l'oxygène à la gauche américaine naissante, les perspectives sont bien plus inquiétantes. Il peut sembler fastidieux de ressusciter aujourd'hui des discussions sur les « partis de substitution », les « dirty breaks » ou les caucus de gauche, mais après huit années de MAGA-cum-« MAGA pour les gens qui pensent » (comme Adam Tooze a qualifié les Bidenomics), il y a plus de bénéfices à en tirer avec le recul.
Anton Jäger, collaborateur de Jacobin

Nick French : Le Parti démocrate refuse de changer

Dans le sillage de la victoire décisive de Donald Trump mardi, de nombreuses personnes de gauche reprochent à juste titre à la campagne de Harris de ne pas avoir mené une campagne plus populiste et de ne pas avoir donné d'indications précises sur la manière dont elle améliorerait la vie des électeurs sur des questions de fond. C'est juste. Mais il n'est pas certain que ce type de campagne aurait suffi à faire passer Harris en tête. Compte tenu de son association avec un président extrêmement impopulaire, avec une économie inflationniste largement détestée et avec le génocide en cours soutenu par les États-Unis, se refaire une image de candidate du « changement » populiste n'aurait pas été une mince affaire.

La défaite de Harris est en partie imputable à l'administration Biden elle-même, qui, pour des raisons en partie indépendantes de sa volonté et en partie de son propre fait, a supervisé un progressisme de façade sur le plan intérieur et une politique étrangère de faucon à l'égard de la Chine et du Moyen-Orient. D'éminents dirigeants syndicaux et de gauche, craignant à juste titre les conséquences d'une présidence Trump, se sont ralliés à la campagne de Harris, la présentant même parfois comme une championne des travailleurs. Ce message sonnait creux.

Les mauvaises herbes de la politique trumpienne poussent dans le sol d'une culture de plus en plus cynique et atomisée, où les hommes et les femmes de la classe ouvrière de toutes les races regardent à juste titre avec dégoût la juxtaposition d'une terrible crise du coût de la vie, d'une obscène inégalité des richesses et d'hymnes autosatisfaits de l'élite à la « diversité » et à l'« équité ». Un environnement plus fertile pour les politiques de gauche sera créé en reconstruisant les institutions de base telles que les syndicats, qui génèrent les liens de confiance et de solidarité nécessaires au maintien de la démocratie. Il sera créé par un projet politique collectif dans lequel les membres de la classe ouvrière verront une amélioration significative de leur vie et une attaque contre les indignités de l'Amérique d'aujourd'hui, grossièrement inégale, quelque chose de l'ordre d'un New Deal ou d'une mobilisation nationale en temps de guerre.

Les Parti démocrates n'ont pas réussi à faire ces choses, et malgré cette défaite écrasante et toute la misère qui s'ensuivra, rien n'indique que le parti essaiera de les faire de sitôt.
Nick French, rédacteur en chef adjoint

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Membres