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« Donald Trump a un pouvoir de nuisance colossal »

12 novembre 2024, par Marie Astier — , ,
Fin des accords sur l'environnement, loi anti-immigration, attaque des minorités sexuelles... Donald Trump, désormais plus expérimenté, risque de prendre des mesures « (…)

Fin des accords sur l'environnement, loi anti-immigration, attaque des minorités sexuelles... Donald Trump, désormais plus expérimenté, risque de prendre des mesures « radicales », dit Romain Huret, historien des États-Unis.

Tiré de Reporterre
6 novembre 2024

Par Marie Astier

Donald Trump deviendra président des États-Unis pour la deuxième fois en janvier prochain. Il a appris de son premier mandat, et risque de mener des politiques plus radicales que lors de son premier mandat et encore plus destructrices pour l'environnement et les droits des minorités, analyse Romain Huret, historien spécialiste des États-Unis à l'EHESS.

Reporterre — Cette réélection de Donald Trump est-elle une surprise ?

Romain Huret — Pour moi, non. Cela fait longtemps, depuis 2016, que je répète qu'il faut prendre le trumpisme au sérieux. Même si on a beaucoup de mal à le comprendre et à comprendre le choix des Américains. C'est un mouvement qui a des racines très anciennes dans l'histoire des États-Unis, et qui s'est consolidé et cristallisé en lien avec des évolutions plus récentes de la société étasunienne. La crise de la classe moyenne, la montée des inégalités, les conséquences de la mondialisation ont été un accélérateur plus récent. Tout cela a permis cette nouvelle victoire de Donald Trump.

Qu'est-ce que cette élection dit de la démocratie étasunienne ?

L'élection s'est plutôt bien passée. Je parle sous réserve d'évolution ultérieure, mais on craignait des scénarios apocalyptiques de fraudes, d'attaques de bureaux de vote, etc. On peut se réjouir du fait que le fonctionnement ordinaire de la démocratie se soit bien passé, quel que soit le résultat. J'ai trouvé très intéressant la manière dont les médias ont rappelé ces procédures électorales, l'importance des assesseurs, pour éviter tout discours complotiste. C'est le premier point.

Le deuxième point est que la réélection de Donald Trump montre la crise sociale et politique que traverse ce pays. Trump est la réponse, pour une partie des Américains, à cette crise sociale et politique. Beaucoup voient en lui un sauveur. Ils pensent qu'il va les sortir de ce que je vois comme une crise de la classe moyenne qui s'enracine dans le pays et qui n'a pas trouvé de réponse avec Joe Biden.

Quelles conséquences environnementales peut-on anticiper avec cette réélection ?

Elles sont très inquiétantes. Trump est climatosceptique, il aura autour de lui des climatosceptiques. La rhétorique climatosceptique va se banaliser, comme Trump le fait déjà dans son discours en estimant que le réchauffement climatique est une invention de scientifiques en mal de notoriété. On peut sans doute estimer que les États-Unis vont sortir de tous les accords sur l'environnement, que l'exploitation intensive des matières premières va s'accélérer aux États-Unis, que le fracking [fracturation hydraulique] va reprendre de plus belle, comme pendant son premier mandat. On peut craindre aussi que la part de la recherche publique et des financements publics consacrée à la question environnementale, qui est importante aux États-Unis, connaisse de vraies difficultés dans les années à venir.

Cette thématique ne sera plus prioritaire, comme aujourd'hui, dans les grandes agences de financement de la recherche, notamment la National Science Foundation, qui met beaucoup l'accent sur les programmes de recherche sur l'environnement et le climat. Il y a de fortes chances que ce financement public s'arrête. Donc, c'est vraiment une très mauvaise nouvelle pour le climat et l'environnement sur Terre.

Donald Trump a déjà été au pouvoir, qu'est-ce que cela nous laisse présager pour ce second mandat ?

Il a l'expérience du pouvoir. On observe qu'il a réfléchi davantage à la dimension concrète de l'exercice du pouvoir. À comment mettre en œuvre des politiques plus fortes et plus rapidement. On peut sentir une plus grande radicalité des mesures qui vont être prises. Si on le prend au sérieux, on observe qu'en politique intérieure, il y a des éléments récurrents. Il a clairement dit vouloir rétablir les droits de douane et en faire le pilier de la politique fiscale aux États-Unis, comme c'était le cas il y a 250 ans. C'est un choix majeur en termes de politique fiscale, en partie injuste, puisque les classes populaires paient aussi.

Il a annoncé aussi une loi majeure sur l'immigration avec des mesures beaucoup plus précises et inquiétantes que ne pouvait l'être le fameux mur de 2016 qu'il voulait construire pour empêcher les migrants d'arriver. Il a tout un projet d'expulsions massives des migrants illégaux avec la réquisition des forces de l'ordre, le placement dans des camps, puis l'expulsion.

« Il a tout un projet d'expulsions massives des migrants »

Un troisième point annoncé est une réduction massive du rôle de l'État. Une mission qu'il va confier à Elon Musk [entrepreneur milliardaire]. Ce serait une catastrophe puisqu'on sait que l'Agence pour l'environnement aux États-Unis joue un rôle important dans la gestion des parcs naturels, par exemple.

Enfin, Trump a l'ambition de s'attaquer à la jurisprudence qui remonte aux années 1960 en matière de droit des minorités. On peut tout à fait envisager qu'il a parfaitement mûri son plan de nomination de juges à la Cour suprême — mais dans d'autres tribunaux également — pour limiter, voire pour renverser, ce qui a longtemps été une tendance forte du droit aux États-Unis : la protection des minorités sexuelles et ethniques. On l'a déjà vu avec l'avortement, mais le mariage homosexuel, les droits des personnes transgenres, toutes ces mesures risquent d'être dans le viseur des juges que ne manquera pas de nommer Trump dès que l'occasion lui en sera donnée.

Il veut s'attaquer à ce qu'il appelle le deep state, cet « État profond » qui a ralenti ses réformes lors de son premier mandat, qui l'a empêché de transformer l'Amérique et de la faire revenir à cet âge d'or sans État.

Depuis le dernier mandat de Donald Trump, le contexte international a évolué. Lui est-il plus favorable ?

La capacité d'action de Donald Trump est colossale. Il va devoir très vite trancher la question de l'aide à l'Ukraine. Il a clairement fait savoir qu'il voulait qu'on arrête ces aides. Il a aussi fait très clairement savoir qu'il était favorable à Israël. Il a un pouvoir de nuisance beaucoup plus fort qu'en 2016 en raison de la multiplication des zones de conflit dans le monde.

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Etats-Unis. « C’est l’économie qui compte, espèce d’idiot »

12 novembre 2024, par Lance Selfa, Sharon Smith — , , ,
L'histoire de l'élection de 2024 s'est avérée remarquablement claire. Dans un environnement politique où la plupart des électeurs et électrices pensaient que le pays évoluait (…)

L'histoire de l'élection de 2024 s'est avérée remarquablement claire. Dans un environnement politique où la plupart des électeurs et électrices pensaient que le pays évoluait dans une mauvaise direction, où ils percevaient l'économie comme étant déficiente et où la plupart d'entre eux déclaraient que l'inflation leur avait causé de sérieuses difficultés, les électeurs et électrices ont décidé de rejeter le parti sortant que la vice-présidente Kamala Harris symbolisait.

Tiré de A l'Encontre
8 novembre 2024

Par Lance Selfa et Sharon Smith

Donald Trump a remporté le vote populaire pour la première et seule fois [contrairement à 2016 et 2020, en 2024 il a obtenu 73'407'735 voix contre 69'074'145 pour Kamala Harris]. Il a progressé non seulement dans les zones rurales, mais aussi dans les banlieues, et même dans les bastions du Parti démocrate comme New York et Chicago. Selon les sondages de sortie des urnes, Kamala Harris a fait mieux que Joe Biden en 2020 auprès des Américains les plus aisés, mais Donald Trump a progressé par rapport à 2020 auprès de toutes les autres fractions de la population.

L'un des poncifs de la politique américaine est : « C'est l'économie qui compte, espèce d'idiot » [formule utilisée par Bill Clinton en 1992, sur la suggestion de son stratège Jim Carville]. Si l'économie est en croissance et que les gens ont des emplois et des salaires plus élevés, le parti en place est généralement réélu. Si l'économie est en déclin et que les gens ont du mal à joindre les deux bouts, les électeurs ont l'habitude de « jeter les fainéants dehors » en votant pour l'opposant. Pendant la majeure partie du mandat de Joe Biden, alors que l'économie se remettait des chocs subis lors de la pandémie de Covid-19, Biden a été un président extraordinairement impopulaire. Son impopularité a déconcerté ses conseillers, qui ne parviennent pas à la concilier avec les indicateurs économiques « macro » montrant que les Etats-Unis ont connu la plus forte reprise de tous les pays comparables après la pandémie de Covid 19 (Seth Masket, directeur du Center on American Politics, Université de Denver, 17 octobre).

Pourtant, le Covid a laissé derrière lui des perturbations économiques, notamment les taux d'inflation les plus élevés que les Américains aient connus en 40 ans, ce qui équivaut, bien sûr, à une baisse des salaires. L'explosion des dépenses militaires pour soutenir les guerres en Ukraine et à Gaza alimente également l'inflation. En conséquence, le niveau de vie des travailleurs et travailleuses états-uniens a baissé sous l'administration Biden, alors que l'essor du marché boursier a permis aux plus riches de tirer leur épingle du jeu.

Presque tous les gouvernements en place en Europe, en Asie et en Amérique latine – la plupart d'entre eux étant confrontés à des situations de perturbations et à des reprises post-Covid plus difficiles qu'aux Etats-Unis – qui se sont retrouvés face aux électeurs au cours de l'année écoulée ont perdu ou ont été gravement affaiblis. Le remplacement de Joe Biden par Kamala Harris au milieu de l'été a donné aux démocrates l'espoir d'éviter ce destin, car Biden était clairement en passe de perdre face à Trump. En fin de compte, Kamala Harris n'a pas pu échapper au fait qu'en tant que vice-présidente en exercice tous les aspects négatifs visant Biden lui ont été reprochés [1].

Il s'agit de la troisième élection présidentielle consécutive [Trump-Hillary Clinton en 2016, Trump-Joe Biden en 2020, Kamala Harris-Trump en 2024] où le parti sortant a perdu et où le président sortant a passé la majeure partie de son mandat avec une cote de popularité inférieure à 50%. Cela en dit peut-être plus sur le mécontentement sous-jacent de la société états-unienne que sur un candidat en particulier.

La stratégie de campagne du Parti démocrate se retourne contre lui, une fois de plus

En 2016, Hillary Clinton a montré son mépris pour les partisans de Trump, alors majoritairement blancs, en les qualifiant de « pitoyables », plutôt que d'essayer de reconnaître la source de leur colère : l'inégalité flagrante du statut économique. Huit ans plus tard, alors que le soutien à Trump est plus important dans pratiquement tous les segments de la population, il est impossible d'ignorer le désarroi économique qui a éloigné les électeurs des démocrates, tandis que Biden continuait à se vanter que l'économie des Etats-Unis pendant son mandat était « la plus forte du monde » (déclaration du 25 juillet 2024, « Statement from President Joe Biden on Second Quarter 2024 GDP »).

Mais ceux qui ne disposent pas des capacités financières de gagner de l'argent en bourse vivent au jour le jour, incapables de joindre les deux bouts, souvent en cumulant deux emplois.

Dans un système politique où les deux grands partis capitalistes, démocrates et républicains, dominent à tour de rôle les instances du pouvoir – sans véritable parti d'opposition – le seul moyen pour les électeurs et électrices d'exprimer leur mécontentement à l'égard du parti au pouvoir est de voter pour l'autre, le moindre des deux maux.

De plus, depuis que Bill Clinton a occupé la Maison Blanche [1993-2001], les démocrates ont adopté les mêmes politiques néolibérales que les républicains, avec un enthousiasme à peine moins marqué. Depuis Ronald Reagan, les républicains se sont déchaînés contre les « fraudeurs à l'aide sociale », mais Clinton est le président qui a mis fin à la « protection sociale telle que nous la connaissons » [3] dans les années 1990, entraînant des millions de pauvres dans une spirale de pauvreté qui n'a fait que s'aggraver aujourd'hui.

Au cours des dernières décennies, les démocrates ont délibérément courtisé les votes des personnes aisées et bien éduquées, ce qui a entraîné une érosion constante du soutien au Parti démocrate parmi ses électeurs et électrices traditionnels de la classe laborieuse et des Noirs. Cette tendance s'est encore accentuée depuis la défaite d'Hillary Clinton lors de l'élection présidentielle de 2016. Pourtant, les fondés de pouvoir du parti n'ont rien fait pour modifier cette stratégie désastreuse au cours des années qui ont suivi. Ils ont couronné Joe Biden comme candidat pour 2024, alors même que ses facultés mentales déclinaient rapidement, puis, après l'avoir finalement écarté, ont refusé d'organiser en août une convention ouverte au sein du Parti démocrate, renonçant ainsi à un semblant de démocratie au sein de leur propre parti.

Aujourd'hui, « les poules sont rentrées au poulailler », autrement dit « les conséquences de nos décisions sont là ». Donald Trump, criminel condamné, sectaire et mentalement instable, retourne à la Maison-Blanche, avec une victoire écrasante du collège électoral (301 contre 226), tandis que les républicains ont repris le contrôle du Sénat et resteront peut-être maîtres de la Chambre des représentants, le décompte des voix n'étant pas encore achevé [ce 7 novembre au soir].

Un examen plus approfondi de la répartition électorale de 2024 devrait dissiper le mythe selon lequel la majorité de la population est composée d'incorrigibles racistes et misogynes qui croient à tous les mensonges de Trump – que les immigrants haïtiens mangent des chats de compagnie, ou que l'armée devrait regrouper les immigrants dans le cadre d'expulsions massives, par exemple. Il existe déjà des preuves empiriques que de nombreux électeurs de Trump ne croient pas réellement à ses affirmations les plus farfelues ou ne s'attendent pas à ce qu'il tienne ses promesses de campagne les plus radicales.

Comme l'a rapporté Shwan McCreesh dans le New York Times du 14 octobre par exemple :

« L'un des aspects les plus étranges de l'attrait politique de Donald J. Trump est le suivant : Beaucoup de gens sont heureux de voter pour lui parce qu'ils ne croient tout simplement pas qu'il fera beaucoup des choses qu'il dit qu'il fera.

»L'ancien président a parlé de mettre le ministère de la Justice en état d'alerte et d'emprisonner les opposants politiques. Il a déclaré qu'il purgerait le gouvernement de tout ce qui n'est pas loyal et qu'il aurait du mal à embaucher quelqu'un qui admettrait que l'élection de 2020 n'a pas été volée. Il a proposé « une journée vraiment violente » (citation faite par Rebecca Davis O'Brien, dans le NYT le 30 septembre) au cours de laquelle les policiers pourraient se montrer « extraordinairement brutaux » en toute impunité. Il a promis des déportations massives et prédit que ce serait « une histoire sanglante ». Et si nombre de ses partisans sont ravis de ces propos, il y en a beaucoup d'autres qui pensent que tout cela fait partie d'un grand spectacle. »

Comme l'a déclaré un sondeur républicain dans le NYT (article de Shawn McCreesh cité), « les gens pensent qu'il dit des choses pour faire de l'effet, qu'il fait de l'esbroufe, parce que cela fait partie de ce qu'il fait, de son jeu. Ils ne croient pas que cela va réellement se produire ». Seul le temps nous dira si cette hypothèse est correcte ou non [4].

Jusqu'à ce que les votes soient entièrement comptés dans tout le pays, la plupart des données analytiques actuelles reposent sur les sondages de sortie des urnes, qui doivent donc être considérés comme des estimations. Cela dit, ils ont montré que près d'un électeur de Trump sur cinq était une personne de couleur, ce qui constitue un changement majeur par rapport à 2016. Trump a remporté 26% du vote latino (Washington Post, 6 novembre, article d'Aaron Blake – un group certes différencié en termes d'origine et de localisation, réd.) y compris dans un certain nombre de comtés frontaliers à majorité latino dans le sud du Texas. Trump a progressé de manière moins spectaculaire parmi les électeurs et électrices noirs, mais a néanmoins remporté entre 13 et 16% du vote noir dans sa globalité (contre un pourcentage à seul chiffre lors des élections précédentes), et entre 21 et 24% parmi les hommes noirs, selon Politico (6 novembre).

Malgré la crise des droits reproductifs résultant des interdictions d'avortement, l'avantage de Harris parmi les électrices n'était que de 8%, le plus faible depuis 2004. Dans un certain nombre d'Etats où des référendums en faveur du droit à l'avortement ont été adoptés, Trump a tout de même remporté la victoire. C'est le cas du Missouri, où les électeurs ont annulé l'interdiction de l'avortement, mais où une majorité a toutefois voté pour Trump (NYT, 6 novembre).

Le soutien inconditionnel de Joe Biden à la guerre génocidaire d'Israël à Gaza a coûté à Kamala Harris au moins une partie des voix parmi les électeurs et électrices arabes, musulmans et pro-palestiniens, bien que, là encore, les statistiques nationales ne soient pas encore disponibles. Mais Trump a remporté la ville à majorité arabe de Dearborn, dans le Michigan, où de nombreux sondages avaient déjà montré que les électeurs et électrices se retournaient contre Biden, puis contre Harris, en raison de leur soutien aux atrocités commises par Israël en Palestine et au Liban. Kamala Harris n'a obtenu que 36% des voix à Dearborn, contre 68% pour Biden en 2020. Il apparaît aujourd'hui que si certains ont voté pour Trump, 18% des électeurs ont voté pour Jill Stein, du parti vert, contre moins de 1% pour les Verts dans l'ensemble de l'Etat du Michigan.

Toutefois, Kamala Harris a remporté la victoire parmi les électeurs gagnant 100 000 dollars ou plus par an, dans ce qui semble être un réalignement politique à long terme, bien que Trump conserve le soutien des super-riches milliardaires.

Les conseils de Bernie Sanders

Comme on pouvait s'y attendre, le sénateur du Vermont Bernie Sanders n'a attendu qu'une journée pour émettre une critique cinglante de la campagne de Kamala Harris. « Il ne faut pas s'étonner qu'un Parti démocrate qui a abandonné la classe ouvrière s'aperçoive que la classe ouvrière l'a abandonné », a déclaré Bernie Sanders dans son communiqué. « Les grands intérêts financiers et les consultants bien payés qui contrôlent le Parti démocrate tireront-ils des leçons de cette campagne désastreuse ? . . . Probablement pas. » [6]

La critique de Bernie Sanders est vraie (en particulier la formule « probablement pas »), mais il est difficile de la prendre au pied de la lettre. Après tout, Sanders et d'autres supplétifs « progressistes » du Parti démocrate, comme la représentante Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), étaient « à fond » – d'abord pour Joe Biden, puis pour Harris tout au long de sa courte campagne. Tous deux ont fait la tournée des Etats fédérés pour Harris. Harris a donné à Sanders et à AOC des places de choix pour prendre la parole à la Convention nationale du Parti démocrate (tout en refusant d'autoriser un seul orateur pro-palestinien), où leurs discours étaient destinés à établir la bonne foi de Harris au sein de la base progressiste du Parti démocrate [7]. Et maintenant, Sanders nous dit que la campagne de Harris était condamnée dès le départ ?

Sanders a certainement raison lorsqu'il critique les démocrates en tant que parti du statu quo. Mais il ne faut pas oublier que Sanders et AOC ont été parmi les derniers défenseurs de Biden avant que les leaders démocrates et les donateurs ne le poussent hors de la course. Le programme de Kamala Harris, intitulé « économie de l'opportunité », mettait l'accent sur l'esprit d'entreprise, avec quelques vagues clins d'œil à la réduction des coûts des soins de santé, du logement et des produits alimentaires. Même sa proposition apparemment « importante » d'ajouter à Medicare la couverture des soins à domicile pour les personnes âgées et handicapées n'était guère plus qu'un sujet de discussion – et encore, juste une goutte d'eau dans l'océan de ce qu'il faudrait pour réparer le système de santé basé sur le profit, ce qui le rend inabordable pour des millions de personnes.

Kamala Harris aurait-elle pu battre Donald Trump si elle s'était présentée avec le programme de Bernie Sanders ? On peut en douter. Il est difficile de se présenter en tant qu'« opposante » lorsque l'on est la vice-présidente en exercice d'une administration impopulaire. Mais elle n'a même pas essayé.

Harris et AOC ont organisé des événements sur mesure avec des dirigeants syndicaux comme le président de l'UAW, Shawn Fain. Les dirigeants syndicaux ont cité le fait que Joe Biden était présent sur un piquet de grève de l'UAW, ses nominations au National Labor Relations Board et la création de « bons emplois syndicaux » dans le cadre des investissements dans les infrastructures comme autant de preuves que Joe Biden (et vraisemblablement Kamala Harris, en tant que sa successeure) était le président le plus « pro-syndical » de toute une décennie. Mais les familles syndiquées n'offrent qu'un mince avantage aux démocrates, avec seulement 53% d'entre elles ont voté démocrate, contre 58% en 2012. Et lorsque le taux de syndicalisation de la main-d'œuvre n'est que d'environ 10% au total – et de seulement 6% dans le secteur privé –, même ces enjeux syndicaux ne trouveront pas d'écho dans la classe ouvrière au sens large.

Dans une période où la population accorde aux syndicats le plus grand soutien qu'ils aient jamais reçu (voir Union Track, article de Ken Green, 16 octobre 2024, portant sur l'enquête de l'institut de sondage Gallup), les dirigeants syndicaux devraient peut-être consacrer plus de temps et d'argent à aider les travailleurs et travailleuses à s'organiser qu'à dépenser des millions dans des campagnes électorales démocrates.

Qu'en est-il du taux de participation ?

Il faudra des semaines avant d'avoir une idée précise de la structuration de tous les votes exprimés lors de l'élection de 2024. Ce qui n'est pas remis en cause, c'est que, pour la première fois, Trump a remporté la majorité des voix. Il est le premier républicain à remporter le vote populaire présidentiel depuis George W. Bush en 2004.

Au 7 novembre, Trump avait recueilli environ 72,7 millions de voix, contre 68,1 millions pour Kamala Harris. Michael McDonald, expert en élections, estime que le taux de participation global sera d'environ 64,5% de la population en âge de voter, contre un peu moins de 66% en 2020. Cela représente une légère baisse par rapport au taux de participation de 2020, qui était le plus élevé depuis 1900. Le taux de participation de 2024 semble donc être parmi les plus élevés depuis plus d'un siècle.

Les sondages de sortie des urnes indiquent que Trump a obtenu 56% des 8% d'électeurs qui votaient pour la première fois. Environ 6% des électeurs et électrices de Biden en 2020 sont passés à Trump en 2024, contre environ 4% de Trump à Harris. Malgré tous les efforts déployés par Harris pour attirer les républicains sous la tente des démocrates, cela n'a pas fait de différence significative.

Par rapport à 2020, où Biden a obtenu 81 millions de voix et Trump environ 74 millions, les démocrates et les républicains semblent gagner moins de voix, bien que Trump puisse retrouver son score de 2020. Mais le recul du Parti démocrate sera de plus de 10 millions de voix.

Où sont donc allés les votes des démocrates de 2020 ? Un petit nombre d'entre eux sont allés à Trump, mais il semble que la plupart de ces votants soient restés chez eux. A Détroit et à Philadelphie, deux des principaux bastions du Parti démocrate dans les Etats du Michigan et de Pennsylvanie, la participation des démocrates n'a pas été au rendez-vous. Après tout le battage médiatique autour de la campagne du porte-à-porte de Kamala Harris, cette dernière a obtenu moins de voix à Détroit que l'exécrable campagne d'Hillary Clinton en 2016.

Une démarcheuse pour Kamala Harris a expliqué (Brigde Detroit, 6 novembre) pourquoi cela s'est produit à Détroit : « J'ai été choquée par le nombre de personnes qui ont déclaré avoir déjà voté, ce qui nous a permis de nous concentrer sur ceux qui ne l'avaient pas fait. Certains électeurs et électrices sont cyniques et insatisfaits de tout, (ils disent) que rien ne change jamais. On pourrait écrire 20 histoires différentes sur ce qui préoccupe les électeurs et électrices du Michigan, et elles seraient toutes vraies. »

Kamala Harris, la candidate « républicaine-allégée »

Comme on pouvait s'y attendre, les grands médias ont tiré les mauvaises leçons des résultats du scrutin de 2024. L'éditorial du 6 novembre du New York Times, par exemple, a rejeté la faute sur les progressistes, en affirmant :

« Le parti doit également se demander pourquoi il a perdu les élections… Il a mis trop de temps à reconnaître que de larges pans de son programme progressiste lui aliénaient les électeurs et électrices, y compris certains des plus fidèles partisans de son parti. Et cela fait maintenant trois élections que les démocrates s'efforcent de trouver un message convaincant qui trouve un écho auprès des Américains des deux partis qui ont perdu confiance dans le système, ce qui a poussé les électeurs et électrices sceptiques vers le personnage le plus manifestement perturbateur, même si une grande majorité d'Américains reconnaissent ses graves défauts. »

Mais comme l'a observé avec justesse Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) du 7 novembre, « Kamala Harris ne s'est pas présentée comme une progressiste, que ce soit en termes de politique économique ou de politique identitaire. Mais pour un média institutionnel [allusion au NYT et y compris au Washington Post] qui a largement complété, plutôt que contré, les récits de Trump basés sur la peur des immigrants, des personnes transgenres et de la criminalité, blâmer la gauche est infiniment plus tentant que de reconnaître sa propre culpabilité. »

Kamal Harris a choisi de courtiser les républicains, et non les progressistes, pendant la période précédant l'élection. Les rituels traditionnels de séduction électorale ont ainsi été bouleversés, la démocrate Kamala Harris rampant devant les électeurs républicains et le républicain Trump (avec un peu plus de succès) cherchant à séduire les électeurs latinos en particulier. Le soutien de Kamala Harris aux droits reproductifs et à l'élimination du plafond de verre entre hommes et femmes a été relégué en partie au second plan pour trouver un terrain d'entente avec les républicains sur les questions sociales.

Plutôt que de se concentrer sur ce qui la distinguait de Donald Trump, Kamala Harris a mené une campagne « républicaine allégée », mettant l'accent sur ce qu'elle avait en commun avec les républicains : son opposition à l'immigration et son soutien à la répression à la frontière sud ; la réaffirmation de son soutien indéfectible au génocide israélien en Palestine ; la vantardise de posséder un pistolet Glock pour séduire les défenseurs des armes à feu.

L'ancienne représentante républicaine Liz Cheney a rejoint Kamala Harris sur le chemin de la campagne. Son père, le criminel de guerre et néoconservateur Dick Cheney, a soutenu Kamala Harris en grande pompe.

Mais au milieu de toutes ces joutes électorales, il n'était pas évident de savoir ce que représentait réellement Kamala Harris. En tant que procureure puis procureure générale de Californie au début de sa carrière, elle n'était ni de droite ni de gauche, mais elle s'est transformée en une fière libérale [centre gauche] lorsqu'elle s'est présentée aux élections primaires de 2019. Cette année, après l'abandon de Biden, elle s'est présentée à l'élection présidentielle avec l'intention de paraître plus conservatrice. Elle a donc fait volte-face sur son opposition libérale de 2019 à la fracturation pétrolière et sur son soutien au « Medicare for All » – mais sans admettre qu'elle avait réellement changé d'avis sur ces questions majeures. Comme on pouvait s'y attendre, de nombreux électeurs et électrices ont rejeté cette candidate peu sincère, représentant l'administration Biden en place, et ont opté pour l'impudent milliardaire, qui a prouvé qu'il était prêt à au moins bousculer les choses, pour le meilleur et pour le pire.

Tels sont les choix malheureux que les électeurs et électrices aspirant au changement ont été contraints de faire au sein du duopole bipartite qui enferme l'électorat des Etats-Unis dans un carcan.

Un électorat en colère, sans alternative viable à gauche, se tourne vers la droite

Au cours des dernières décennies, la gauche états-unienne a été bien trop faible pour avoir un impact sur les élections – une tendance qui n'a fait que s'aggraver au cours des dernières années. La montée en puissance des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA-Democratic Socialists of America) a été inspirée par les succès électoraux du socialiste indépendant Bernie Sanders en 2016 et 2020 [il a été réélu dans l'Etat du Vermont en 2024]. Mais dans les deux cas, Sanders s'est plié aux exigences des fondés de pouvoir du Parti démocrate et a fini par soutenir les candidats qu'ils avaient choisis, d'abord Hillary Clinton, puis Joe Biden. Et, comme indiqué plus haut, Sanders a fait campagne avec enthousiasme pour Biden, puis pour Harris.

Il n'est pas surprenant que la croissance de DSA – bien qu'il s'agisse encore d'une très petite organisation n'ayant qu'une influence marginale sur la politique américaine – ait coïncidé avec la décimation de la plus grande partie de la gauche révolutionnaire, qui était déjà en déclin depuis un certain temps. L'objectif à courte vue d'obtenir une influence politique plus large pour la gauche via le Parti démocrate a sans aucun doute joué un rôle dans la poursuite de cette évolution, mais n'a pas empêché la détérioration générale de la gauche. Le soutien de Sanders et d'AOC à Biden et Harris l'illustre parfaitement.

En fait, la DSA a accéléré le déclin de l'influence de la gauche en mettant l'accent sur les élections au lieu de donner la priorité à la construction de mouvements sociaux de base qui peuvent influencer la politique en dehors de l'arène électorale. Ce n'est pas sans raison que le Parti démocrate est traditionnellement considéré par la gauche révolutionnaire américaine comme « le cimetière des mouvements sociaux ».

Ce point peut facilement être prouvé par la négative, en utilisant comme premier exemple la dépendance des organisations de défense du droit à l'avortement à l'égard des politiciens du Parti démocrate. Les mouvements sociaux pour le droit à l'avortement et la libération des femmes ont obtenu, par l'intermédiaire d'organisations de base, le droit à l'avortement lorsque la Cour suprême des Etats-Unis a rendu son arrêt Roe v. Wade en 1973 – alors que Richard Nixon, un anti-avortement, occupait la Maison-Blanche. Mais au cours des décennies qui ont suivi, les organisations pro-choix se sont appuyées sur les démocrates pour défendre le droit à l'avortement, et aucune grande manifestation pro-choix n'a été organisée depuis deux décennies. Pourtant, les démocrates, en tant que parti du compromis, ont permis que le droit à l'avortement soit érodé, puis finalement renversé en 2022. Aucun de ces politiciens n'a cherché à reconstruire un mouvement pro-choix dynamique pour changer le statu quo depuis lors, même s'il a provoqué une crise des droits reproductifs qui tue les femmes (New York Intelligencer, 4 novembre, article de Irvin Carmon),

La seule solution proposée par le New York Times – et l'establishment libéral – est d'attendre les prochains cycles électoraux pour voter : « Ceux qui ont soutenu Trump lors de cette élection devraient observer attentivement sa façon d'exercer son pouvoir afin de voir si elle correspond à leurs espoirs et à leurs attentes, et si ce n'est pas le cas, ils devraient faire connaître leur déception et voter lors des midterms de 2026 et en 2028 pour remettre le pays sur la bonne voie. »

Or, cela est loin d'être une solution. Les élections elles-mêmes ne déterminent généralement pas les rapports des forces au plan politique et social à un moment donné. Elles reflètent normalement ces rapports de forces – bien qu'elles puissent parfois le consolider ou l'affaiblir – et peuvent donc être influencées par des mouvements extérieurs à l'arène électorale.

Aujourd'hui, aux Etats-Unis, les rapports de forces penchent résolument en faveur de la droite, entre autres en raison de la faiblesse de la gauche. « La nature a horreur du vide », dit le proverbe. Lorsque les démocrates font écho aux républicains en s'orientant vers la droite et que la gauche suit les démocrates pour gagner les élections, les électeurs et électrices n'entendent aucun point de vue alternatif de gauche. C'est donc la droite qui l'emporte.

C'est la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. Il est facile de faire des immigré·e·s les boucs émissaires des problèmes de la société alors qu'il n'y a pas d'explication de gauche à la baisse des salaires et à l'inflation élevée, qui renverrait aux politiques de division et de domination de la classe capitaliste.

La seule possibilité de modifier les rapports de forces réside dans une lutte – avec ses expressions organisées – ancrée au niveau de la base. Nous avons eu un aperçu de ce que cette lutte pourrait signifier l'année dernière, lorsque les Travailleurs unis de l'automobile (UAW) ont mené l'offensive face aux trois grands constructeurs automobiles et ont gagné. Nous en avons également eu un aperçu au printemps dernier, lorsque des manifestants pro-palestiniens ont formé des campements sur les campus universitaires à travers les Etats-Unis.

Mais une montée en puissance bien plus importante des mouvements sociaux et de la lutte de classe dans ses diverses expressions est une condition préalable nécessaire pour modifier les rapports de forces entre classe. D'ici là, les plus riches continueront à célébrer leur bonne fortune. Le statu quo prévaudra, peu importe pour qui nous avons voté ou non. Et Trump prendra ses fonctions en janvier, avec des conséquences que personne ne peut prédire aujourd'hui. (Article reçu le 8 novembre, traduction rédaction A l'Encontre)

Lance Selfa est l'auteur de The Democrats : A Critical History (Haymarket, 2012) et l'éditeur de U.S. Politics in an Age of Uncertainty : Essays on a New Reality (Haymarket, 2017).

Sharon Smith est l'auteure de Subterranean Fire : A History of Working-Class Radicalism in the United States(Haymarket, 2006) et de Women and Socialism : Class, Race, and Capital (Haymarket, 2015).


[1] Lors de sa première prise de parole le 22 juillet, suite au retrait de Joe Biden de la course à la présidentielle, Kamala Harris a salué le bilan de Biden : « En un mandat, il a déjà un meilleur bilan que la plupart des présidents qui ont effectué deux mandats. » (Réd. A l'Encontre)

[2]

[3] Alana Semuels, dans The Atlantic du 1er avril 2016, rappelait que : « Si l'on en croit les chiffres, la réforme de l'aide sociale [par Clinton] a été un succès. En 1995, avant l'adoption de la loi de réforme, plus de 13 millions de personnes recevaient une aide financière du gouvernement. Aujourd'hui, elles ne sont plus que 3 millions. “Pour dire les choses simplement, la réforme de l'aide sociale a fonctionné parce que nous avons tous travaillé ensemble”, a écrit Bill Clinton, qui a promulgué la loi sur la réforme de l'aide sociale (Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act) de 1996, dans un article d'opinion publié dans le New York Times en 2006. Bill Clinton avait fait campagne en promettant de “mettre fin à l'aide sociale telle que nous la connaissons” et il n'est que trop évident aujourd'hui qu'il y est parvenu. » (Réd. A l'Encontre)

[4] Nous reviendrons sur les réseaux hyper conservateurs, acteurs d'une orientation contre-révolutionnaire, qui constituent aujourd'hui l'encadrement du trumpisme. Sylvie Laurent en donne de nombreux éléments. Voir le débat en accès libre sur Mediapart du 7 novembre. (Réd. A l'Encontre)

[5] Business Insider du 28 octobre énumère les milliardaires qui soutiennent Trump : Elon Musk, Steve Schwarzman, Miriam Adelson, Diane Hendricks, Harold Hamm, Andrew Beal, Bernard Marcus, Tilman Fertitta, Bill Ackman, Douglas Leone, Jeffery Hildebrand, Kelcy Warren, Paul Singer, Jan Koum, Richard et Elizabeth Uihlein, Ike Perlmutter, Joe Ricketts, John Paulson, Steve Wynn, Woody Johnson, Warren Stephens, Cameron and Tyler Winklevoss, Linda McMahon, Timothy Mellon, Robert and Rebekah Mercer, Robert Bigelow, etc. (Réd. A l'Encontre)

[6] Dans le document de Bernie Sanders publié sur X le 6 novembre, il ajoute : « D'abord, c'était la classe ouvrière blanche, et maintenant ce sont aussi les travailleurs latinos et noirs [qui se sont éloignés du Parti démocrate]. Alors que les dirigeants démocrates défendent le statu quo, le peuple américain est en colère et veut du changement. Et ils ont raison.

»Aujourd'hui, alors que les très riches se portent à merveille, 60% des Américains vivent au jour le jour et l'inégalité des revenus et des richesses n'a jamais été aussi grande. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les salaires hebdomadaires réels, tenant compte de l'inflation, du travailleur/travailleuse moyen sont aujourd'hui inférieurs à ce qu'ils étaient il y a 50 ans.

»Aujourd'hui, malgré l'explosion de la technologie et de la productivité des salarié·e·s, de nombreux jeunes auront un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents. Et nombre d'entre eux craignent que l'intelligence artificielle et la robotique n'aggravent encore la situation.

»Aujourd'hui, bien que nous dépensions beaucoup plus par habitant que d'autres pays, nous restons la seule nation riche à ne pas garantir les soins de santé à tous en tant que droit de l'homme et nous payons, de loin, les prix les plus élevés au monde pour les médicaments délivrés sur ordonnance. Nous sommes les seuls, parmi les grands pays, à ne même pas pouvoir garantir des congés familiaux et médicaux rémunérés. » (Réd. A l'Encontre)

[7] Rashida Tlaib et Ilhan Omar, les deux premières femmes musulmanes à siéger au Congrès des Etats-Unis, ont été réélues à la Chambre des représentants. Rashida Tlaib, qui est également la première femme d'origine palestinienne à siéger au Congrès, a été réélue mardi pour un quatrième mandat en tant que représentante du Michigan, avec le soutien de l'importante communauté arabo-américaine de Dearborn. Ilhan Omar, ancienne réfugiée et Américaine d'origine somalienne, a retrouvé son siège pour un troisième mandat dans le Minnesota, où elle représente le 5e district, fortement démocrate, qui comprend Minneapolis et un certain nombre de banlieues. Principale critique du soutien militaire apporté par les États-Unis à Israël dans sa guerre contre Gaza, Rashida Tlaib s'est présentée sans opposition aux élections primaires démocrates et a battu le républicain James Hooper. (Réd. A l'Encontre)

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Agression contre le Liban : La politique de la terre brûlée

12 novembre 2024, par Amel Blidi — , ,
Israël a redoublé les frappes aériennes sur le Sud-Liban, touchant des localités comme Aaitat et Wadi Jilo dans le gouvernorat du Mont-Liban. Tiré d'El Watan. Les frappes (…)

Israël a redoublé les frappes aériennes sur le Sud-Liban, touchant des localités comme Aaitat et Wadi Jilo dans le gouvernorat du Mont-Liban.

Tiré d'El Watan.

Les frappes israéliennes contre le Liban ne connaissent aucune limite ni aucun répit. Pour les résidents des zones frontalières du Sud-Liban, l'escalade de l'armée d'occupation israélienne a des conséquences dramatiques. Les populations civiles sont confrontées à la peur des bombardements et à la possibilité de perdre leurs foyers et leurs moyens de subsistance. De nombreux Libanais se retrouvent dans un dilemme : suivre les ordres d'évacuation ou rester malgré le danger, sans garantie que la situation s'améliore rapidement.

Les services de la Défense civile ont retiré hier trente corps et restes humains des décombres d'un immeuble de la ville de Barja, au sud de Beyrouth, frappé la nuit d'avant par les forces israéliennes. Les recherches se poursuivent, en ignorant combien de survivants et de corps sont encore coincés sous les décombres. « Nous espérons qu'il n'y a personne d'autre, mais les voisins ont dit qu'il y avait encore des gens disparus », a déclaré un responsable de la Protection civile, cité par l'AFP.

Israël a, par ailleurs, redoublé les frappes aériennes sur le Sud-Liban, touchant des localités comme Aaitat et Wadi Jilo dans le gouvernorat du Mont-Liban. La force de l'aviation israélienne, renforcée par des drones et des appareils de reconnaissance, a également ciblé Jebchit et Kfar Sir, ainsi que des zones résidentielles autour de Deir Qanoun El Nahr. Selon l'Agence nationale de l'information libanaise (NNA), ces frappes ont causé des dégâts considérables aux propriétés privées et commerciales.

Des villages dans le district de Nabatieh, comme Yohmor El Chaqif et Arnoun, ont eux aussi été frappés, tandis que des tirs d'artillerie ont visé les abords d'Alma Chaab, village situé dans le district de Tyr. Depuis le début de la guerre, Israël a tué au moins 3013 personnes et en a blessé plus de 13 500 sur le sol libanais, tandis que le bilan des destructions matérielles s'alourdit de jour en jour. Plus d'un mois après le début de la guerre, Israël pilonne le Liban sans interruption aucune.

Le porte-parole militaire israélien, Avichay Adraee, a encore exhorté hier les résidents du district de Nabatieh à quitter les bâtiments dans un rayon de 500 mètres de ces sites, prévoyant des « opérations imminentes » contre ces cibles présumées. Du côté libanais, le mouvement armé Hezbollah a lancé plusieurs tirs de roquettes du Hezbollah vers les colonies israéliennes de KiryatShmona et de Sasa.

Durcir la position du Hezbollah

Dans un communiqué, l'organisation libanaise shiite a revendiqué des tirs contre KfarSzold, dans la haute Galilée, ainsi qu'une attaque de missiles visant une base militaire israélienne située dans le Golan occupé. Le groupe libanais a également affirmé avoir pris pour cible un char Merkava dans la colonie de Metula à l'aide d'un missile guidé, provoquant un incendie du véhicule et des blessures parmi l'équipage. Dans cette même localité, un autre tir a touché une maison où se trouvaient des soldats israéliens, causant des morts et des blessés, bien que leur nombre exact reste incertain.

Le Hezbollah doit s'exprimer notamment au sujet de l'élection américaine, par la voix de son secrétaire général Naim Qassem, dont le discours attendu pourrait durcir la position du mouvement, tout en appelant à une résistance accrue contre ce qu'il considère comme une agression israélienne soutenue par Washington. L'organisation a d'ores et déjà prévenu qu'elle ne reconnaît pas les États-Unis comme médiateurs dans le conflit, les accusant de fournir à Israël les moyens de poursuivre la guerre envers les populations libanaises et palestiniennes.

En tout et pour tout, plus d'un demi-million de personnes ont fui le Liban pour la Syrie et l'Irak depuis le 23 septembre, début de l'agression israélienne contre le pays du Cèdre. Outre les 28 000 Libanais qui se sont réfugiés en Irak, environ 473 000 personnes en provenance du Liban ont également traversé la frontière syrienne au cours des dernières semaines.

La majorité des personnes arrivées en Syrie avaient fui le sud du Liban, où les forces sionistes mènent quotidiennement des attaques intenses. Parmi ces personnes qui ont franchi les frontières syriennes, se trouvent plus de 136.000 réfugiés libanais et ressortissants de pays tiers ainsi que plus de 330.000 réfugiés syriens qui s'étaient rendus au Liban il y a plusieurs années, lorsque leur pays était en proie à un conflit armé. Selon le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), ces Syriens retournent aujourd'hui dans leur pays car la situation au Liban est devenue très instable.

Les attaques contre le Liban ont également déplacé des centaines de milliers de personnes à l'intérieur du pays. Le gouvernement libanais a déclaré que 1,2 million de personnes étaient concernées.A la frontière syrienne, le flux d'arrivées aux postes frontières de Dabbousieh et de JesrKamar à Homs s'est poursuivi régulièrement, avec environ 500 personnes par jour.

A Genève, la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a lancé un appel de fonds de 100 millions de francs suisses (106 millions d'euros) pour soutenir environ 600.000 personnes touchées par la guerre au Liban.Les besoins humanitaires au Liban « sont immenses », a déclaré le secrétaire général de la FICR, JaganChapagain. Il est à déplorer aujourd'hui qu'environ en30 villages dans le sud du Liban ont été rasés, près de 10 000 bâtiments ont été endommagés ou détruits à travers le pays, et le bilan humain ne cesse de s'alourdir. -

Lazzarini : l'Unrwa, qui vit « son heure la plus sombre »

L'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) que l'entité sioniste a décidé d'interdire vit « son heure la plus sombre », a alerté son chef devant l'Assemblée générale de l'ONU, appelant les Etats membres à la sauver. « Sans intervention des Etats membres, l'Unrwa va s'effondrer, plongeant des millions de Palestiniens dans le chaos », a déclaré Philippe Lazzarini, demandant aux Etats membres de l'Assemblée, qui a créé l'Unrwa en 1949, à « empêcher la mise en oeuvre de la loi contre l'Unrwa » votée par l'entité sioniste.

Une semaine après l'adoption de la décision d'interdiction des activités de l'Unrwa dans les territoires palestiniens occupés, l'entité sioniste a notifié lundi à l'ONU « l'annulation » de son accord avec l'agence datant de 1967, année du début de l'occupation par l'entité sioniste des territoires palestiniens de Cisjordanie et de Ghaza, ainsi qu'El Qods-Est, où l'Unrwa a fourni pendant des décennies une aide essentielle aux réfugiés palestiniens (éducation, santé, services sociaux, aide alimentaire).

« Aujourd'hui, je demande aux Etats membres d'agir pour défendre les réfugiés palestiniens et l'Unrwa », a insisté Philippe Lazzarini. Alors que l'agence a été créée par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU en 1949, « les changements du mandat de l'Unrwa sont du ressort de l'Assemblée générale », a-t-il estimé. Depuis le début de l'agression sioniste, « les responsables (sionistes) ont décrit le démantèlement de l'Unrwa comme un but de la guerre », a-t-il rappelé.

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Entre une chenille et un F16, reportage au cœur de l’offensive d’Israël au Liban

12 novembre 2024, par Mouais, le journal dubitatif — , , , ,
Notre reporter, résidant à Beyrouth, après de nombreux reportages en Palestine, a pris de plein fouet la violence de l'attaque israélienne sur le Liban. Avec douleur, colère, (…)

Notre reporter, résidant à Beyrouth, après de nombreux reportages en Palestine, a pris de plein fouet la violence de l'attaque israélienne sur le Liban. Avec douleur, colère, poésie, et ce qu'il faut d'espoir et d'amour, il nous narre le feu et le sang. Les bombes, les massacres. Attention, des récits peuvent heurter.

Tiré du blogue de l'auteur.

« Elle sort d'une touffe d'herbes, se glisse,

Lève le nez de droite à gauche puis elle repart.

Quelle belle chenille grasse !

Guidée par l'odeur, elle s'arrête au bord

D'un jasmin »

Ces mots sont les derniers écrits par une écolière libanaise avant qu'un drone ne vienne déchiqueter l'immeuble dans lequel elle avait trouvé refuge avec sa famille. Un deuxième drone, puis une frappe aérienne d'un F16 israélien, ont achevé le travail de mort. Sans doute ses membres ensanglantés ont été projetés d'un coin à l'autre des décombre, son cadavre brûlé retiré par la Défense Civile avant mon arrivée. Maintenant, les vers de cette poésie pour enfants sont tout ce qu'il reste pour attester de son existence pulvérisée. Je tiens le cahier entre mes mains, alors que l'odeur âcre de la poussière et du feu s'infiltrent à travers mon masque chirurgical. Plus loin, un livre de Sciences de la Vie est visible entre les ruines. Quelle ironie, dans un tel massacre.

Six autres enfants ont été assassinés dans cette frappe israélienne, aux côtés de cinq de leurs proches. Ils avaient fui les bombes du Liban-Sud et pensaient certainement être en sécurité ici, dans le centre de la vallée de la Bekaa. Mais les desseins des stratèges et pilotes israéliens sont difficiles à cerner, dans cette guerre dystopique où la mort tombe du ciel aléatoirement. Tu existes, puis d'un coup il y a le bruit sourd de l'avion de chasse qui pique et le sifflement du missile et tes membres et organes sont pulvérisés partout, ton existence réduite en miettes. L'odeur de la chair brûlée est presque sucrée et écœurante. C'est étrange, non ?

Une autre famille a eu de la chance, son appartement dans un immeuble voisin a seulement été soufflé par la déflagration, tout le monde a survécu. Ils sont là, les deux parents et leurs enfants, trois jeunes adultes, certainement étudiants, en train de sortir quelques biens des décombres. Des ouds*, des guitares, une cage avec deux canaris jaunes. Une famille d'artistes. La fille fait de la photo, les autres sont musiciens. Ils me laissent entrer dans leur appartement, les lits sont au-dessus des canapés, la cuvette des toilettes dans la douche, les ustensiles de cuisine dans le salon, cela en devient absurde et presque cubiste. Guernica. Une chaussure traîne dans les escaliers : quelqu'un a fini sa course effrénée avec un pied nu ? Je dissocie.

Bribes de mort

Plus loin, une pépinière a été bombardée. Des courgettes continuent de pousser entre les décombres, pas loin d'un gant de jardinier projeté là au hasard du souffle de l'explosion. La peau d'une courge musquée est abîmée, trouée : les légumes aussi ont des cicatrices de guerre, on dirait. Comme les chevaux rescapés des bombardements dans le Sud-Liban, recueillis par un éleveur équin dans la Bekaa. Une plaie encore rouge sur la robe alezane de ce pur-sang arabe. Les yeux tristes de cette jument grise qui a fait une fausse couche à cause du traumatisme. J'aurais chialé si je n'avais pas eu un pneu crevé à réparer. Encore une ironie de la guerre.

L'autre fois que j'aurais pu pleurer, c'était quand une psy qui m'a dit en interview que l'attaque sur les bipeurs du Hezbollah, c'était comme une sorte de viol collectif, une attaque narcissique contre l'intimité des Libanais. Et quand un ami, un jeune médecin anesthésiste dans un hôpital de Beyrouth, m'a raconté ce qu'il a vécu quand il soignait les blessés de cette attaque : « On opérait dans les couloirs, il y avait du sang partout, tellement qu'on glissait dessus. J'ai failli devenir fou quand un mec s'est mis à halluciner et à dire que l'ange de la mort marchait parmi nous, ainsi que le prophète Mohammed ».

J'écris, je couvre le bourdonnement incessant du drone israélien avec du death metal. Je ne sais plus ce que j'entends. Est-ce une voiture qui passe ou bien un F16 qui va larguer une bombe ? Je compte les secondes : soit il ne se passe rien et c'était bien une voiture, soit une explosion sourde se fera entendre, il y aura des morts, des blessés, des vies pulvérisées, des live à la TV, des photos… Et ce son terrifiant, c'était un avion de chasse franchissant le mur du son pour nous terroriser, ou bien un bombardement réel ? La réalité est absurde, tout ne tient qu'à un fil. J'essaie de ne pas trop penser, ne pas trop ressentir.

Aimer en temps de guerre

Mais finalement, je le sais, il faut rester connecté à soi et aux autres. L'amour doit triompher de cette guerre qui exige chaque seconde de notre attention et chaque millimètre de notre système nerveux. L'amour des siens qui ont peur, l'amour des inconnus qui risquent de mourir, l'amour de la terre qui se fait bulldozer, l'amour du ciel ensoleillé qui sent la fumée toxique, l'amour de ces olives que l'ennemi essaie de brûler sous le phosphore blanc.

Aimer, c'est prendre le risque de perdre pied. C'est laisser une peur abyssale t'envahir, cette peur de perdre ceux que tu aimes, peur que ceux qui t'aiment vont te perdre. Mais au final, c'est cet amour qui nous fera triompher. Chaque instant que notre cœur ressent cette peur, chaque fois que nous ressentons des papillons dans notre ventre, chaque moment infini où nous regardons dans les yeux de nos proches, nous avons déjà un peu gagné.

Certains désignent le sionisme actuel de culte de la mort. Il sacrifie des enfants et s'en réjouit. Il tue des ambulanciers, ceux-là même qui sauvent la vie. Il pulvérise des femmes enceintes et leurs fœtus. Il brûle la chair des déplacés de Jabalia. Avec le feu et le sang, il créée un no-man's-land dans le nord de Gaza, dans le Sud du Liban, et même à l'ouest de la Cisjordanie occupée – tout ça pour « nettoyer » ou « sécuriser » ses frontières. Mais avec « culte de la mort », je pense qu'on ne comprend pas clairement la réalité.

L'horizon

La réalité, telle que me l'ont dépeinte les Palestiniens et les Libanais du Sud, est extrêmement politique. Un culte de la mort, cela sonne invincible, quasi-mystique. Mais l'ennemi, dans notre cas, est matériel, logistique – et donc faillible. Des États coloniaux ont déjà été vaincus à multiples reprises dans l'Histoire. Des régimes génocidaires ont été déchus. Des systèmes d'apartheid démantelés. Ils sont faits de décideurs en chair et en os, de soldats au moral changeant, de civils qui renversent leurs gouvernements corrompus. Ils sont faits d'idées que l'on peut mettre au ban de la mémoire de l'Humanité. Ils peuvent être vaincus. La libération est possible. Peut-être même est-elle proche ?

Il y a 70 ans, Israël n'existait pas. Dans 70 ans, il aura peut-être disparu. L'horizon, ce n'est pas un pays colonial, isolé, divisé, qui a besoin de 660 milliards de dollars en un an pour « se défendre » de l'agression qu'il a commise, de commettre des écocides et des nettoyages ethniques pour survivre. L'horizon, c'est une contrée faite d'hommes et de femmes et d'enfants et d'animaux et de plantes qui vivent ensemble avec leurs désaccords. C'est une polis dans laquelle il y a aura des Juifs, des musulmans chiites et sunnites et soufis, des chrétiens de toutes confessions et des athées ; des gens de toutes opinions politiques, certainement aussi des sionistes et des islamistes et des anarchistes, des nassériens et des sociaux-démocrates, qui prendront des décisions ensemble sur comment construire telle route ou comment répartir le budget municipal.

L'horizon, c'est une contrée où l'olivier n'a pas de nationalité ni de confession, et n'est entouré ni de barbelés ni d'un nuage de phosphore blanc. Où la chenille grasse s'approche du jasmin et respire sa senteur sans être déchiquetée par un F16.

Textes et photographie par Pluto

Un reportage tiré de notre numéro novembre-décembre, à paraître bientôt, soutenez-nous, abonnez-vous (par pitié on en a bien besoin) https://mouais.org/abonnements2024/

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Des soldats nord-coréens en Ukraine à la décrispation Inde-Chine : vents contraires en Indo-Pacifique

12 novembre 2024, par Olivier Guillard — ,
Si Pékin et New Delhi ont posé les armes à leur frontière, si l'Inde et le Pakistan ont cessé les invectives pour un instant diplomatique, une dynamique infiniment plus (…)

Si Pékin et New Delhi ont posé les armes à leur frontière, si l'Inde et le Pakistan ont cessé les invectives pour un instant diplomatique, une dynamique infiniment plus préoccupante, porteuse d'une infinité de craintes, est aussi à l'œuvre en Indo-Pacifique : de la mer de Chine du Sud à la péninsule coréenne, en passant par la Russie et l'Ukraine, et le détroit de Taïwan.

Tiré de Asialyst
2 novembre 2024

Par Olivier Guillard

Kim Jong-un aurait envoyé plus de 8 000 soldats nord-coréens en Russie pour participer à la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. (Source : Guardian)

Bien sûr, comme toujours, les images fortes. Poignées de mains scénarisées à défaut d'être chaleureuses. Sourires de circonstance figés devant une batterie de drapeaux soigneusement disposés. Belles déclarations et autres communiqués conjoints joliment tournés à l'issue de réunions bilatérales ou collégiales « historiques » .Effet garanti. Encore et toujours. En Asie-Pacifique pas moins qu'ailleurs en cet automne 2024 aux tonalités exceptionnellement dissonantes, pour le meilleur, espère-t-on naïvement, ou pour le pire – quand bien même ce dernier ne serait jamais certain, dit-on.
Naturellement, il ne saurait être question de tourner le dos aux si rares bonnes nouvelles (parlons plus prudemment peut-être de développements positifs impromptus et bienvenus) émaillant le quotidien tortueux de cette région du monde davantage exposée aux tempêtes politiques, sécuritaires et diplomatiques, et autres maux encore, qu'aux plus apaisantes conditions anticycloniques.

Quand le dragon et l'éléphant desserrent quelque peu les dents

*3379 km de frontière terrestre. **Dans la région du Ladakh (indien) et de l'Aksai Chin.
Parmi les dernières surprises en date et non des moindres, les prémices d'une bien improbable détente sino-indienne. Confirmation in vivo le 23 octobre devant les flashs des photographes et autres caméras des médias : le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre indien Narendra Modi prennent la pause protocolaire face aux objectifs en marge du sommet des BRICS organisé dans la ville russe de Kazan. Deux jours plus tôt, New Delhi et Pékin le faisaient savoir : d'un commun accord – une authentique rareté plaisante à signaler -, le principe d'une désescalade des tensions aux frontières a été décidé*, par le biais d'un retour sur le terrain à la situation avant les hostilités de 2020**, avec notamment une réduction parallèle des troupes respectives postées de part et d'autre de la frontière.
Cette rare dynamique sino-indienne aux tonalités positives n'était pas même trop durement remise en cause du côté de Pékin par l'ouverture à Mumbai d'un nouveau bureau de représentation taiwanais, le 17 octobre.

Inde-Pakistan : le chef de la diplomatie indienne au « pays des purs », une première depuis 2009

*Sans surprise, les autorités militaires de ce pays fébrile où l'influence des généraux reste déterminante se sont montrés moins volubiles dans les médias sur le sujet. **Avant la désintégration du British Raj colonial et l'indépendance de l'Inde et du Pakistan à l'été 1947. ***7 victimes, des ouvriers travaillant sur un chantier près de Sonamarg (80 km au nord-est de Srinagar).

De même, l'Inde s'illustrait une semaine plus tôt là encore au niveau diplomatique sur un autre théâtre hautement sensible : le chef de la diplomatie indienne était présent au 23ème sommet annuel de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), les 15 et 16 octobre à Islamabad, la capitale du voisin pakistanais avec lequel la patrie de Gandhi et Nehru partage depuis trois générations d'homme une noria de différends, contentieux, conflits et autres désaccords en tous genres. La rencontre en marge du sommet entre le ministre indien des Affaires étrangères et le chef de gouvernement pakistanais, les propos étonnamment apaisants, encourageants de certaines personnalités politiques* de premier plan du « pays des purs » – dont l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif, frère ainé du titulaire actuel du poste, et Bilawal Bhutto Zardari – relayés dans la presse de ces deux voisins autrefois d'un seul bloc**, auront pu agréablement surprendre l'observateur, déjà légitimement étonné par cette première visite d'un émissaire indien d'importance au Pakistan depuis neuf ans. Le même observateur des tortueuses affaires d'Asie méridionale aura hélas moins été pris de court par l'attentat meurtrier*** frappant peu après, le 21 octobre, la partie indienne du Cachemire administrée par New Delhi, attribué à une structure terroriste pakistanaise. Trois jours plus tard, le fléau terroriste s'abattait encore sur la région, près de Baramulla (50 km au nord-ouest de Srinagar), faisant quatre nouvelles victimes. Cette recrudescence du chaos aveugle ne devait certainement rien au hasard : elle sanctionnait encore et encore, comme observé tant de fois, la moindre esquisse de décrispation potentielle entre New Delhi et Islamabad.

Japon–Corée du Sud : à la recherche d'une détente durable ?

*Colonisation nipponne de la péninsule coréenne entre 1910 et 1945).
En Asie orientale, du côté du « pays du matin calme » et de l'ancien « Empire du soleil levant », l'appel ou la nécessité d'une décrispation face aux incertitudes régionales – défiance sans fin de la Corée du Nord, rapprochement Pyongyang-Moscou, a également trouvé dernièrement quelque écho favorable au plus haut niveau de l'État, à Séoul comme à Tokyo. Des augures plaisants n'allant pourtant pas si aisément de soi dans les deux pays, ont été applaudis des deux mains par Washington, l'allié stratégique commun à ces deux voisins aux relations souvent ombrageuses, lestées par un douloureux chapitre colonial difficile à oublier au sud du 38ème parallèle*.

Ainsi, un mois après l'ultime réunion entre le Premier ministre japonais sortant Fumio Kishida et le président sud-coréen Yoon Seok-youl début septembre, le nouveau chef de gouvernement nippon Shigeru Ishiba rencontrait Yoon le 10 octobre en marge du sommet de l'ASEAN au Laos, confirmant la bonne autant qu'inédite dynamique de dialogue du moment entre Séoul et Tokyo.

Chine–Japon : la dynamique nippo-sud-coréenne créé-t-elle une émulation entre similaire entre Pékin et Tokyo ?

*China Daily, 24 octobre 2024.
On ne pourrait bien sûr que se féliciter d'une telle bonne inspiration, participant alors, à sa mesure, à un élan régional plus porteur d'espoir que de craintes. Alors certes, le 23 octobre, dans la capitale japonaise, lors d'une 17ème session du mécanisme de consultation de haut niveau sur les affaires maritimes, les délégations chinoise et nippone se sont accordées « à gérer correctement »* leurs différences, à maintenir une « communication étroite » sur les affaires maritimes, à « déployer des efforts positifs pour faire de la mer de Chine orientale une mer de paix, de coopération et d'amitié ». De nobles intentions naturellement à saluer, et surtout à traduire sur le terrain après l'avoir si aisément rédigé sur le papier. Le doute est cependant permis.

Il suffit de se remonter à peine une semaine plus tôt, le 16 octobre. Le ministère chinois de la Défense critiquait alors en des termes univoques l'évocation par le nouveau Premier ministre japonais Shigeru Ishiba du projet de création d'une « version asiatique de l'OTAN », une initiative selon lui « essentielle pour dissuader la Chine ». Et du reste, le lendemain, troublante coïncidence, Tokyo déplorait en mer de Chine de l'Est un nouvel accrochage avec Pékin près des îles disputées Senkaku/Diaoyu.

Voilà une dynamique infiniment plus préoccupante, porteuse d'une infinité de craintes : de la mer de Chine du Sud à la péninsule coréenne, en passant par la Russie et l'Ukraine, et le détroit de Taïwan.

Nuages sur l'Asie-Pacifique

L'Asie conserve une série de zones fébriles dont chaque soubresaut, chaque secousse, se prolonge aujourd'hui, d'une manière ou d'une autre, au reste du concert des nations.

Corée du Nord-Corée du Sud. En procédant le 15 octobre à la neutralisation symbolique, la destruction par explosions d'axes routiers et ferroviaires reliant techniquement le Nord au Sud, puis en multipliant depuis lors les messages belliqueux ces derniers jours, la dictature kimiste maintient sa posture hostile et résolue à l'endroit du voisin du Sud. Séoul s'émeut légitimement, comme une majorité de nations occidentales du reste, des informations confirmant l'envoi de troupes nord-coréennes vers la Russie pour, à terme, être déployées aux côtés des forces russes combattant en Ukraine.

Japon-Russie. Le 17 octobre, le ministre japonais de la Défense faisait part sa double inquiétude au sujet de la coopération militaire sino-russe, ces manœuvres conjointes début septembre à proximité de l'archipel, et face au renforcement des liens russo-nord-coréens. Il a également confirmé le soutien de Tokyo à Kiev dans sa guerre contre les forces de Moscou.

Chine-Taïwan. Les 13 heures de manœuvres militaires chinoises aussi massives – 153 appareils chinois, une vingtaine de navires – que suggestives menées le 14 octobre tout autour de Taïwan ont « sanctionné » selon Pékin le discours « provocateur » du président taïwanais formulé plus tôt, le 10 octobre. Elles illustrent à elles seules l'état on ne peut plus sinistré des rapports entre Pékin et Taipei.

Mer de Chine du Sud. Le 13 octobre, la visite à Hanoï du Premier ministre chinois a marqué un renforcement tous azimuts de la coopération bilatérale sino-vietnamienne décidé, en matière de défense et de sécurité notamment. Mais ce déplacement ne saurait naturellement occulter l'ensemble des tensions électrisant les multiples contentieux territoriaux en mer de Chine du Sud, tant s'en faut. Ce ne sont pas les témoignages récents qui font défaut, hélas : deux jours plus tôt, le 11 octobre, un navire de la milice maritime chinoise heurtait délibérément un navire civil philippin du Bureau de la pêche et des ressources aquatiques patrouillant à proximité de Thitu Island. Fin septembre, le Vietnam accusait les forces chinoises d'avoir battu violemment des pêcheurs vietnamiens opérant près des îles Paracels. Au même moment ou presque, le 27 septembre, près d'un autre atoll contesté, Half Moon Shoal, un navire des garde-côtes chinois et deux lance-missiles entravaient deux bâtiments civils philippins en route pour ravitailler des navires de pêche. Et on en passe. Le monde, observateur impuissant, quasi inaudible, s'inquiète. Chaque jour un peu plus, redoutant le pire. Non sans raison ?

Par Olivier Guillard

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La victoire de Donald Trump : une bonne nouvelle pour la Chine ?

12 novembre 2024, par Pierre-Antoine Donnet — , ,
La victoire de Donald Trump, réélu triomphalement à la Maison Blanche pour quatre ans, est une excellente nouvelle pour les régimes autoritaires à travers le monde. Y compris (…)

La victoire de Donald Trump, réélu triomphalement à la Maison Blanche pour quatre ans, est une excellente nouvelle pour les régimes autoritaires à travers le monde. Y compris pour le pouvoir en Chine qui, même si l'économie du pays souffrira des mesures protectionnistes qui s'annoncent, estiment nombre d'experts de l'Asie, ne manquera pas d'en tirer parti.

Tiré de Asialyst
9 novembre 2024

Par Pierre-Antoine Donnet

Donald Trump, lors de son discours de victoire après sa réélection à la présidence des États-Unis, le 5 novembre 2024. (Source : CBS)

Pour Zhang Junhua, chercheur associé à l'Institut européen pour les études asiatiques, « sur le plan politique, cette régression constitue un précieux cadeau pour le camp autoritaire à travers le globe. Xi Jinping et Vladimir Poutine vont certainement, au fond de leur cœur, se réjouir des résultats de cette élection ».

*Le Quad est un forum de dialogue quadrilatéral informel sur les sujets militaires et de sécurité regroupant les États-Unis, l'Inde, le Japon et l'Australie.

« Car, poursuit le chercheur cité par la Deusche Welle, ils savent que les quatre prochaines années ne vont pas seulement plonger la démocratie américaine dans une période paroxystique mais elles donneront plus de place à ceux qui, aux États-Unis, sont partisans de réduire au maximum le champ d'action de l'État de droit, de la démocratie et de la justice. Les alliances démocratiques en Asie pour lesquelles le président Joe Bien a travaillé si dur pour les construire, telles que celle avec le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, et le Quad* seront affectées directement et de façon désastreuse. »
« En d'autres termes, cela va donner à la Chine, en conjonction avec la Russie, une opportunité pour imposer sa volonté en Asie de l'Est, dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du Sud
», explique Zhang Junhua pour qui le mandat de Donald Trump aura pour autre conséquence d'éloigner l'Europe de l'Asie-Pacifique du fait de la montée des périls attendus à ses frontières avec le spectre d'une victoire de la Russie en Ukraine. « En résumé, remarque Zhang Junhua, à la surface il s'agit d'une grande victoire pour le conservatisme en Amérique mais, en réalité, c'est une victoire encore plus grande pour l'autoritarisme mondial. Tout ceci est très néfaste pour la situation sécuritaire en Asie-Pacifique. »

Pour Mathieu Duchâtel, expert de la Chine à l'Institut Montaigne, si Donald Trump « a laissé un excellent souvenir à Taïwan » lorsqu'il était à la Maison Blanche « en décidant de contrer enfin le mercantilisme chinois, […] plusieurs raisons invitent à une prudence extrême quant à la continuité de sa politique taïwanaise avec les approches économiques, diplomatiques et militaires qui ont marqué son premier mandat. » Outre l'avenir de l'Ukraine plus incertain que jamais, « pour Taïwan, il semble clair que son statut de démocratie libérale aura peu de valeur stratégique aux yeux de l'exécutif américain, et qu'il sera nécessaire de verser des « frais de protection », sous une forme ou une autre ».

Mais, précise Mathieu Duchâtel, « ces dernières années, Taïwan a donné une belle leçon de lucidité aux démocraties européennes, en détectant avant tout le monde la gravité de la pandémie de Covid. […] Il est tout à fait possible que l'île parvienne, par des manœuvres tactiques qui épouseront les priorités de « l'America First » en matière d'emploi industriel, de rééquilibrage des relations économiques avec la Chine, de recherche de suprématie technologique et de crédibilité accrue de sa posture de défense, à assurer non seulement sa survie, mais aussi sa prospérité continue. »

« Nouvel épisode de montagnes russes »

On se rappelle les propos menaçants tenus en pleine campagne électorale par Donald Trump envers l'ancienne Formose : « Taïwan. Je connais très bien les Taïwanais, je les respecte beaucoup. Ils ont pris environ 100 % de notre industrie des puces. Je pense que Taïwan devrait nous payer pour sa défense. Vous savez, nous ne sommes pas différents d'une compagnie d'assurance. Taïwan ne nous donne rien en échange. » Évoquant Taïwan dans une autre déclaration, il avait en octobre déclaré qu'avec lui à la Maison Blanche, il n'aurait pas à faire usage de la force pour empêcher la Chine d'imposer un blocus autour de l'île rebelle, car Xi Jinping sait qu'il est « cinglé » et que dans une telle situation, il imposerait de tels tarifs douaniers que ceux-ci auraient pour effet de paralyser la Chine.

Le 47ème Président des États-Unis avait dans un passé récent exprimé des exigences de contributions financières comparables à l'égard de la Corée du Sud, estimant que ces deux pays, bien que des alliés précieux pour l'Amérique et son influence dans la région, devraient payer plus cher la protection militaire apportée par Washington.
Sa victoire n'est pas non plus pour réjouir les dirigeants de l'OTAN. Ces derniers n'ont pas oublié sa politique étrangère passée lorsqu'il était à la Maison Blanche : à savoir, reléguer au second plan de ses priorités les engagements des États-Unis au sein du Traité de l'Atlantique Nord qui rassemble 32 pays et les obligent à intervenir militairement pour défendre tout État membre qui serait attaqué. Peu de responsables politiques occidentaux envisagent une décision de sa part de retrait des États-Unis de l'Alliance. Mais tous se souviennent des menaces récentes de Donald Trump d'exiger de autres membres de participer davantage au financement du fonctionnement de l'OTAN, les accusant de profiter à bon compte de la protection américaine.

« La réalité est que les dirigeants de l'OTAN sont sérieusement inquiets de ce que va signifier sa victoire pour l'avenir de l'Alliance et de comment sa force de dissuasion sera perçue par les dirigeants qui lui sont hostiles », commentait la BBC au lendemain des résultats du scrutin américain. Le média britannique le rappelle : l'approche de Donald Trump à l'égard la Chine « est le domaine stratégiquement le plus important de sa politique étrangère et qui a les plus grandes implications pour la sécurité mondiale et le commerce ».

Le président-élu a plusieurs fois loué ses relations qu'il dit « étroites » avec Xi Jinping qu'il a qualifié tour à tour de « brillant » ou « dangereux », saluant néanmoins un dirigeant qui parvient à contrôler 1,4 milliard de Chinois d'une « main de fer ». Des qualificatifs qui ont fait dire à ses détracteurs qu'ils y voient là son admiration pour les dictateurs.

Aux yeux de la plupart des analystes, Donald Trump, comme durant son premier mandat, fera des enjeux et des gains commerciaux une priorité de sa politique étrangère avec la Chine. En cela, il restera fidèle à son approche transactionnelle d'homme d'affaires dans sa gestion des relations internationales, les questions d'ordre humanitaire, idéologique ou géopolitique étant à ses yeux de peu d'importance.

Mais c'est sans doute la nature imprévisible de Donald Trump qui inquiète le plus tout autant la Chine que les alliés des États-Unis, y compris en Asie de l'Est. La nature même du fonctionnement du Parti communiste chinois est fondée sur la stabilité, le régime de Pékin ayant horreur de tout imprévu non anticipé.

La victoire de Trump « marque le début d'un nouvel épisode de montagnes russes dans la politique étrangère américaine, souligne le magazine américain Foreign Policy. Le président-élu va probablement revenir aux points saillants de son premier mandat : une guerre commerciale avec la Chine, un profond scepticisme et même de l'hostilité envers le multilatéralisme, un attrait pour les hommes forts et son style iconoclaste de conduire la diplomatie basé sur son approche fondamentale qui est la paix par la force. »

« Être prévisible est quelque chose de terrible »

Pour le Financial Times, le doute n'est pas permis : « Les alliés traditionnels de l'Amérique en Europe et en Asie de l'Est – sans même mentionner ses ennemis – sont tous bien placés pour savoir que Donald Trump veut les laisser dans le brouillard sur ses plans. Pourtant, pour certains dossiers, ses assistants disent que tout est parfaitement clair. Ils insistent [et affirment] qu'il est prêt à agir avec une vitesse vertigineuse pour mettre fin aux guerres en Ukraine et au Moyen-Orient. »

« Mais en même temps, ajoute le quotidien britannique, il a l'intention de brandir la menace de taxes douanières toujours plus élevées pour pousser les alliés de l'Amérique à dépenser plus pour la défense et équilibrer leurs relations commerciales avec les États-Unis tout en maintenant la pression sur la Chine. Il est un sujet à propos duquel la plupart des alliés de l'Amérique n'ont guère de doute : ils vont entretenir une relation turbulente avec le second Trump à la Maison Blanche », en raison surtout du fait de son caractère imprévisible.

Sur ce sujet-là, ses confidents estiment que leur inquiétude est fondée. « Être prévisible est quelque chose de terrible, explique Ric Grenell, l'un des proches du nouveau président qui, selon le Financial Times, pourrait être appelé à jouer un rôle proéminent dans la future administration Trump. Bien sûr, l'autre côté [les ennemis des États-Unis] demandent de la prévisibilité. Trump n'est pas prévisible et nous les Américains nous aimons cela. »

D'après Ric Grenell, un accord global avec la Chine ne conduirait pas nécessairement Trump à devenir plus arrogant. « Ils n'attendent pas patiemment qu'on leur fasse des leçons de morale sur ce qui se passe à des milliers de kilomètres. Ils vont regarder de près l'équilibre des forces en Asie et notre engagement là-bas. Le plus important [pour les Chinois] est plutôt leur intérêt à maintenir une Russie affaiblie par une longue guerre pour qu'elle devienne ainsi plus dépendante de la Chine. » Raison pour laquelle l'Amérique doit utiliser ses forces de dissuasion pour éviter une guerre avec la Chine.

Cité par le Financial Times, Mike Waltz, l'une des voix qui compte dans les rangs conservateurs de la chambre des Représentants du Congrès américain, réaffirme que la Chine constitue « une menace existentielle pour les États-Unis du fait du renforcement de ses capacités militaires. La flotte chinoise est plus grande que la nôtre. Nous devons nous efforcer de consolider notre [niveau de] préparation. » Mais pour aussitôt souligner qu'aux yeux de Donald Trump, la Chine a plus besoin des États-Unis que l'inverse : « Il parle beaucoup plus d'accord commerciaux, de taxes douanières et de monnaies que ce que nous ferons en cas de conflit dans le détroit de Taïwan. Il croit que nous faisons usage de la force économique qui, appuyée par une présence militaire, peut éviter ces guerres. »

Un autre politicien Républicain, le sénateur William Francis Hagerty souligne que Donald Trump demeure résolu à agir en cas de guerre à Taïwan et qu'il continuera une politique de dissuasion forte pour éviter une tentative d'invasion chinoise. « Xi Jinping sait que s'il décide d'une action agressive, Donald Trump infligera des conséquences réelles », affirme-t-il.

Officiellement et pour des raisons purement diplomatiques, les autorités taïwanaises n'ont guère le choix sinon de se montrer positives et de dissimuler leur angoisse à propos d'un possible changement de camp de l'administration américaine à leur égard. « Le partenariat qui existe depuis longtemps entre Taïwan et les États-Unis, bâti sur des valeurs et des intérêts communs, continuera à servir de pierre angulaire à la stabilité régionale », a ainsi prudemment réagi le nouveau président de Taïwan Lai Ching-te dans un tweet mercredi.

Mais pour certains analystes, Donald Trump pourrait bien un jour céder aux pressions de Pékin et juger obsolète la position américaine observée par ses prédécesseurs sur la question de Taïwan en fonction des contreparties que pourrait lui offrir la Chine. « Il pourrait accepter de négocier le retour [de Taïwan] à la Chine si [les Chinois] lui donnent quelque chose qui aurait de l'importance pour lui », estime Stephen Young, un diplomate de carrière américain et ancien directeur de la représentation américaine à Taipei, cité par Politico le 7 novembre. « S'il leur fait une faveur [à propos de Taïwan], il leur demandera quelque chose de plus important en retour, juge Jason Hsu, un ancien élu du Kuomintang, le principal parti d'opposition de Taïwan, lui aussi cité par Politico. Nous avions des lignes directrices pour traiter avec [Kamala] Harris mais nous n'avons rien s'agissant de Trump. »

Certains élus républicains au Congrès américain ont déjà sonné l'alarme. Faillir dans la politique menée par les États-Unis pour dissuader la Chine de se lancer dans une opération militaire « serait une erreur catastrophique que nous ne pouvons pas répéter en ce qui concerne Taïwan », a ainsi déclaré le président de la Commission chargée de la Chine à la Chambre des Représentants, le républicain John Moolenaar.

Mauvais timing pour la Corée du Sud et le Japon

Ces inquiétudes sont aussi de mise en Corée du Sud où, sans le dire ouvertement, le gouvernement craint une réduction sinon même un départ des forces américaines stationnées sur le sol sud-coréen au moment où la Corée du Nord voisine est plus turbulente que jamais. « Il semble que la crainte d'un retrait [américain] s'amplifie », estime Chun In-bum, un ancien commandant des forces spéciales sud-coréennes cité mercredi 7 novembre par le média japonais Nikkei Asia. Un tel retrait, s'il devait se concrétiser, ne manquerait pas d'encourager la Corée du Nord à tenter d'envahir le voisin du Sud, insiste Chin In-bum : « Si les troupes américaines se retirent, nous pourrions assister à un monde complètement nouveau. » Les États-Unis stationnent quelque 28 500 soldats et entretiennent un dispositif militaire très conséquent en Corée du Sud dans le cadre d'un traité d'alliance entre les deux pays qui existe depuis la fin de la guerre de Corée en 1953.

À Séoul, personne n'a oublié les poignées de main amicales échangées entre Donald Trump et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un. Le 1er juillet 2019, il avait même franchi la ligne de démarcation et posé le pied en territoire nord-coréen pour venir à sa rencontre, donnant à son interlocuteur une accolade aussi spectaculaire qu'incongrue tant elle mettait en lumière la méconnaissance du président américain de la situation régionale. Cheong Seong-Chang, directeur du Center for Korean Peninsula Strategy de l'Institut Sejong, avait ouvertement déclaré devant la presse en octobre qu'un retour de Trump à la Maison Blanche associé aux menaces militaires croissantes posées par la Chine et la Corée du Nord, « des armes nucléaires pour la Corée du Sud seraient une nécessité, pas un choix ». Avec sa réélection, la Corée du Sud ne pourrait plus faire confiance aux États-Unis pour assurer sa défense, avait-il ajouté car Donald Trump allait « opter pour mettre sur pied une administration qui donnera la priorité aux intérêts américains plutôt qu'à ceux de ses alliances ».

Au Japon, cela fait des mois que l'administration nippone se prépare à une victoire de Donald Trump. Dans les allées du pouvoir, on utilisait le terme « moshi-tora » (« si Trump devient président ») depuis l'an dernier déjà. Ces dernières semaines, cette expression avait été remplacée par « hobo-tora » (« le probable président Trump »). L'inquiétude est, là aussi, surtout liée au caractère imprévisible du milliardaire new-yorkais et de son habitude d'user de méthodes transactionnelles de type commercial, exigeant des réponses immédiates plutôt que d'agir dans le cadre des liens bilatéraux sur la base des traités existants propres à répondre aux enjeux géostratégiques actuels.

De plus, la victoire de Donald Trump s'inscrit dans une période qui vient de s'ouvrir de grande instabilité politique au Japon, la coalition au pouvoir du nouveau Premier ministre japonais Shigeru Ishiba ayant perdu le mois dernier sa majorité lors des dernières élections législatives. Le risque est donc double : un nouveau président américain donnant la priorité à ses exigences commerciales au détriment du politique, du militaire et des alliances, et un gouvernement japonais contraint de prioriser les questions domestiques pour satisfaire les exigences de l'opinion publique et rétablir le soutien populaire qui lui fait défaut.

« Howdy Modi ? »

Pour l'Inde, un pays traditionnellement jaloux de son indépendance et hostile à toute alliance, la perspective du deuxième mandat de Donald Trump est la fois simple et complexe. Simple car le Premier ministre Narendra Modi avait entretenu des relations ouvertement amicales avec l'ancien magnat de l'immobilier, qu'il a d'ailleurs appelé « mon ami » lorsqu'il lui a envoyé ses félicitations. Récemment, celui qui va retrouver le Bureau ovale avait quant à lui déclaré que le chef du gouvernement indien était « le plus bel être vivant ».

Les deux hommes avaient multiplié les gestes réciproques de bonne volonté pour faire de leurs visites officielles de grands événements : en septembre 2019, Donald Trump avait utilisé l'expression « Howdy Modi ? » (« Comment ça va Modi ? ») à Houston devant son hôte et 50 000 Américains d'origine indienne enthousiastes. Ce qui fut un véritable événement médiatique aux États-Unis fut suivi par le « Namaste Trump » (« Bienvenue Trump ») en février 2020 lors de la visite du président américain dans l'État du Gujarat où celui-ci avait promis de renforcer les relations entre les deux pays.

Ces dernières années, l'Inde comptait sur les États-Unis pour contre-carrer l'influence croissante de la Chine en Asie. Mais lors de leur dernière rencontre le 24 octobre à Kazan en Russie, dans le cadre du sommet des BRICS, Narendra Modi et Xi Jinping ont, à la surprise générale, tous deux annoncé leur volonté de régler le contentieux frontalier en l'Inde et la Chine. Ce geste, en toute logique mûrement préparé de part et d'autre, n'est pas passé inaperçu dans les chancelleries occidentales : il pourrait traduire l'amorce d'un réel réchauffement entre les deux voisins rivaux qui, du même coup, réduirait d'autant l'importance pour New Delhi de cet aspect des relations entre l'Inde et les États-Unis.
« Trump devrait approfondir l'engagement géopolitique avec l'Inde et le Quad tout en intensifiant son opposition à la Chine », juge Ajay Bisaria, un ancien diplomate indien cité par la Deutsche Welle. Un optimisme que ne partage pas Raja Mohan, expert indien des relations internationales pour qui la doctrine de Donald Trump « America First » pourrait entraîner des hausses de droits de douane sur les exportations indiennes dont souffriraient les secteurs des hautes technologies, de la pharmacie et du textile.

« Trump avait un jour qualifié l'Inde de « roi des taxes douanières » et fait connaître son intention de mettre en œuvre un système de réciprocité s'il était réélu, ce qui pourrait compliquer la dynamique entre les deux nations », explique cet expert, aujourd'hui professeur au Institute of South Asian Studies de Singapour. « La deuxième présidence Trump met en lumière un équilibre complexe pour l'Inde marqué par des risques conséquents s'agissant du commerce et de l'immigration », ajoute Raja Mohan.
Certes, la volonté annoncée pendant sa campagne électorale par Donald Trump d'augmenter uniformément de 60 % les droits de douane pour les importations en provenance de Chine, si elles sont décidées, porteraient un nouveau coup très dur à l'économie chinoise déjà en grande difficulté. Elles pourraient même coûter à la Chine entre 1 et 2 % de PIB, selon certains analystes. Mais l'essentiel n'est pas là. Car, de fait, si Donald Trump, aujourd'hui conforté par une large majorité au Congrès, s'engage à nouveau dans une logique purement commerciale au détriment de la géopolitique comme il l'avait déjà fait lors de son premier mandat, le résultat pourrait bien être à nouveau une politique isolationniste avec un recul de l'influence globale des États-Unis dans le monde.

Or ce déclin américain, autrefois le « gendarme du monde », intervient au moment où l'équilibre mondial est fortement menacé, avec d'une part, la défiance toujours grandissante à l'égard des démocraties libérales et de l'autre, la guerre menée par la Russie en Ukraine depuis février 2022 ainsi que celle d'Israël contre le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban. Or cette glissade d'une Amérique en retrait voire en panne, déjà perceptible depuis plus d'une décennie, serait éminemment favorable à la poursuite de l'émergence politico-militaire de la Chine en Asie et sur la scène mondiale.
In fine, elle pourrait bien, à terme, donner raison à Xi Jinping pour qui, comme il l'a souvent répété à son « meilleur ami » Vladimir Poutine : « Le monde subit des changements sans précédent depuis un siècle. » Sous-entendu l'autre slogan auquel il se réfère sans jamais le dire : « L'Orient [la Chine] se lève et l'Occident [l'Amérique] est en déclin. »

Par Pierre-Antoine Donnet

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Le blackout médiatique toujours plus intense d’Israël sur Gaza

12 novembre 2024, par Agence Média Palestine — , , ,
La liberté d'informer et d'être informé·es continue d'être bafouée par Israël à Gaza, en Palestine et au sud Liban. Point sur la situation des journalistes à Gaza, à un an et (…)

La liberté d'informer et d'être informé·es continue d'être bafouée par Israël à Gaza, en Palestine et au sud Liban. Point sur la situation des journalistes à Gaza, à un an et un mois du début de l'offensive génocidaire d'Israël.

Tiré d'Agence médias Palestine.

CHIFFRES CLÉS à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :

174 journalistes assassiné·es par Israël

360 journalistes blessé·es

134 journalistes détenu·es

88 locaux de médias détruits

Le 2 novembre 2024, à l'occasion de la journée internationale pour la fin de l'impunité des crimes commis à l'encontre des journalistes, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres déclarait dans un communiqué que les journalistes à Gaza étaient tués « dans une proportion jamais observée dans aucun conflit des temps modernes », ajoutant que l'interdiction actuelle empêchant les journalistes internationaux de se rendre à Gaza « étouffe encore plus la vérité ».

La directrice générale de l'UNESCO, Audrey Azoulay, déclarait pour sa part que 900 journalistes ont été tués dans le monde depuis 2013, soit une moyenne de 82 journalistes par an : cela représente moins de la moitié du nombre de journalistes palestinien·nes tués depuis un an par Israël à Gaza.

Interrogée par l'Agence Média Palestine, la porte parole du Syndicat des journalistes palestinien·nes nous confirme que 174 journalistes ont été assassiné·es par Israël depuis le 7 octobre 2024, et que 134 autres sont actuellement emprisonné·es. Dans cette guerre génocidaire d'Israël à l'encontre des Palestinien·nes, la presse est délibérément étouffée.

Cheikh Niang, président du Comité des Nations unies sur les droits inaliénables du peuple palestinien, confirmait que « l'accès à l'information a été sévèrement entravé. Des journalistes ont été tués, des salles de rédaction détruites, la presse étrangère bloquée et les communications coupées. Les forces israéliennes, en tant que puissance occupante, ont systématiquement démantelé l'infrastructure des médias palestiniens, réduisant les voix au silence par des restrictions, des menaces, des assassinats ciblés et la censure. »

Déferlement de violence dans le siège du nord de Gaza

Depuis le début du mois d'octobre 2024 et le siège brutal imposé au nord de Gaza, la presse est entravée par tous les moyens. Quand les journalistes ne sont pas directement ciblé·es, tué·es, blessé·es ou emprisoné·es, elles et ils sont empêché·es de faire leur métier en raison des interdictions de circulation, des coupures des réseaux de communication, d'électricité, des pénuries de carburant qui les empêchent de se déplacer.

La plupart des journalistes ont quitté le nord et sont contraint·es de couvrir l'actualité depuis la ville de Gaza, au sud de la ligne de démarcation tracée par Israël. Comme l'expliquait Imen Habib, coordinatrice de l'Agence Média Palestine dans une interview avec le média en ligne Regards, l'horreur de la situation à Gaza est sous-documentée du fait des attaques répétées et délibérées d'Israël à l'encontre des médias.

“J'ai peur dès que je commence à filmer”, à confié sous anonymat un journaliste piégé au nord de la bande de Gaza, interrogé par Reporter Sans Frontières (RSF).

Dans la bande de Gaza, la présence de journalistes étrangers est interdite par Israël, sauf si ces derniers sont « embarqués » aux côtés de l'armée israélienne. Armée qui contrôle par la suite chaque image et chaque son et qui donne, ou pas, l'autorisation de diffusion. Ainsi depuis plus d'un an, seuls les journalistes palestinien·nes qui étaient présent·es lors du déclenchement du génocide, et qui sont bloqué·es sur le territoire, peuvent documenter ce qu'il s'y passe. Elles et ils sont présent·es sur la quasi-totalité de l'enclave pour témoigner du drame qui s'y déroule et qui a fait plus de 43 000 mort·es et plus de 100 000 blessé·es depuis le 7 octobre 2023.

Pour Israël, un accès aux journalistes internationaux sur le territoire « met en péril les forces en action sur le terrain et la sécurité des soldats », en dévoilant par exemple leur localisation. C'est donc un black-out médiatique international.

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Gaza, jour 399 : « Ils veulent détruire le nord »

12 novembre 2024, par Agence Média Palestine — , , , ,
Israël poursuit sa guerre génocidaire à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Point sur la situation cette semaine à Gaza, alors que l'armée israélienne a déclaré qu'elle ne (…)

Israël poursuit sa guerre génocidaire à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Point sur la situation cette semaine à Gaza, alors que l'armée israélienne a déclaré qu'elle ne permettrait pas aux Palestinien·nes déplacé·es du nord de Gaza de retourner chez elles et eux.

Tiré d'Agence médias Palestine.

CHIFFRES CLÉS à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :
43 204 morts
101 641 blessés
1,9 millions déplacés

La violente offensive israélienne sur le nord de Gaza, qui dure depuis plus d'un mois, se poursuit, malgré de nombreux appels de la communauté internationale qui ont qualifié la situation d'« apocalyptique ». Outre ce siège brutal, l'armée israélienne poursuit sa guerre génocidaire sur l'ensemble de la bande de Gaza. Al Jazeera rapporte que depuis ce matin, Israël a tué plus de 17 Palestinien·nes, dont 13 dans le nord de Gaza, 4 à Gaza et 2 dans le camp de réfugié·es de Nuseirat.

Le siège du nord de Gaza

Le 4 novembre, les Nations unies et leurs partenaires estimaient qu'environ 100 000 personnes avaient été déplacées en quatre semaines depuis le nord vers la ville de Gaza, et qu'il restait entre 75 000 et 95 000 personnes dans la zone assiégée. La défense civile palestinienne (PCD) estime qu'au moins 1 300 Palestinien·nes ont été assassiné·e au cours de cette offensive.

En outre, l'OCHA rapporte que de nombreux·ses civil·es ont été tué·es alors qu'ile et elles tentaient d'évacuer le nord d'An Nuseirat, à Deir al Balah, vers le sud, dans un contexte d'intensification des hostilités, y compris des frappes aériennes et des bombardements.

Décrivant la situation au nord de Gaza comme « apocalyptique », les directeurs de 15 organisations et consortiums humanitaires et des Nations Unies ont renouvelé leur appel à toutes les parties qui se battent à Gaza pour protéger les civils, ont demandé à l'État d'Israël de « cesser son assaut sur Gaza et sur les humanitaires qui tentent de l'aider ». Constatant que l'aide de base et les fournitures vitales ont été refusées alors que les bombardements et autres attaques se poursuivent, les chefs d'État et de gouvernement ont souligné que « le mépris flagrant de l'humanité fondamentale et des lois de la guerre doit cesser », que les attaques contre les civils et les infrastructures civiles restantes doivent cesser, que l'aide humanitaire doit être facilitée et que les biens commerciaux doivent être autorisés à entrer dans la bande de Gaza.

Les réfugié·es du nord affluent dans la ville de Gaza

Les civil·es qui se résignent à quitter le nord de Gaza arrivent dans la ville de Gaza et s'installent dans des camps de réfugiés nouvellement créés. Ces camps débordent cependant déjà, et il n'y a plus de tentes pour les nouveaux·lles arrivant·es.

« Plus de 350 familles sont arrivées du nord et il n'y a pas assez de tentes pour les accueillir. » explique Muhammad Saada, directeur adjoint du centre de déplacement. Le camp a été établi par plusieurs initiatives caritatives mais n'est pas suffisamment approvisionné, et devient rapidement invivable alors que des familles cherchant un abri continuent d'affluer.

Les réfugié·es du nord de Gaza décrivent les scènes d'horreur qu'ils et elles ont vécu, et de nombreux témoignages dénoncent des traitements inhumains de la part de l'armée israélienne sur les routes pourtant désignées par celle-ci comme « sûres » pour évacuer.

« Une femme atteinte d'un cancer se tenait sur le bord de la route, accompagnée de quatre enfants », raconte Jinan Suleiman, 18 an, qui vient d'arriver dans la ville de Gaza. « Elle en portait deux dans ses bras, et les deux autres étaient à terre, pleurant et criant de faim. Elle demandait de l'aide à tous ceux qui passaient près d'elle. Elle criait et disait : ‘J'ai un cancer, je ne peux pas porter mes enfants et mes sacs'. Elle voulait que quelqu'un·e prenne ses enfants, qui étaient couché·es sur le sol, mais moi, comme tous les autres, je suis passée à côté d'elle et je n'ai pas pu l'aider. (…) Les soldats nous guettaient, elles et ils tiraient sous nos pieds et nous empêchaient d'aider les autres ou de nous arrêter pour quelque raison que ce soit. »

« Sur le chemin, les blessé·es marchaient ensemble et saignaient ; ils tombaient au milieu de la route et personne ne les aidait », raconte une autre réfugiée. « Il y avait des enfants qui avaient perdu leur famille et d'autres qui s'étaient débarrassés de leur sac pour pouvoir continuer à marcher et survivre. L'armée nous a délibérément fait marcher sur une route accidentée afin de nous épuiser et de nous tuer en chemin ».

Les craintes de saisies de terres se concrétisent

Mardi 5 novembre, un porte-parole de l'armée israélienne, Yitzhak Cohen, a déclaré lors d'un point de presse que l'armée était sur le point de procéder à l'« évacuation » complète de la population du nord de Gaza, et a affirmé que les résidents palestiniens du nord ne seront pas autorisés à retourner chez eux. Cette déclaration marque la première admission officielle par Israël de son intention d'expulser définitivement les Palestiniens du nord de la bande de Gaza.

La semaine dernière, l'armée israélienne avait pourtant déclaré qu'elle avait mis fin à la plupart de ses « opérations » dans le nord de Gaza et qu'elle mettrait bientôt fin à son offensive dans cette région. La dernière annonce de Yitzhak Cohen vient donc renforcer les craintes qu'Israël ambitionne de se saisir des terres du nord de Gaza en appliquant le « Plan des Généraux », une proposition d'un groupe de généraux israéliens de haut rang qui vise à vider Gaza de sa population par une campagne systématique de famine, de massacres et de déplacements forcés.

« Ils veulent détruire le nord », explique Umm Omar Salman, une enseignante qui a fui sa maison pour se réfugier à Gaza. « Surtout la zone frontalière, Beit Lahia. C'est de là que nous venons. Nous avons tenu bon jusqu'au dernier moment, lorsque nous avons découvert des dizaines de chars entourant les abris de l'école. Les soldats nous ont fait sortir de force. »

Gaza invivable

Dans un rapport, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) alerte des dangers que constitue l'environnement même de Gaza suite aux bombardements continus d'Israël depuis plus d'un an. La dernière analyse du Centre satellitaire de l'ONU (UNOSAT), réalisée au début du mois de septembre, a montré que plus de 65 % de toutes les structures de Gaza avaient été soit endommagées, soit détruites.

Des milliers de civil·es continuent d'être contraint·es de se déplacer à plusieurs reprises, de survivre au milieu des décombres et de s'abriter dans des endroits peu sûrs, y compris dans des bâtiments endommagés ou détruits. Outre les risques liés aux bombardements israéliens incessants, à la famine et aux épidémies, les Palestinien·nes évoluent dans des zones dangereuses et instables, où de nombreux restes explosifs sont enfouis dans les sols et les décombres.

Le service d'action contre les mines de l'ONU (UNMAS) rappelle que la contamination par les restes explosifs de guerre est susceptible de se produire à la fois en surface et sous la surface, impliquant non seulement des munitions de service terrestres (projectiles, mortiers, roquettes, missiles, grenades et mines terrestres), mais aussi des bombes profondément enfouies. L'UNMAS alerte aussi que les difficulté d'accès ne permettent pas à leurs équipes d'évaluer pleinement l'étendue des risques et de les prévenir.

Le PNUD alerte aussi que l'amiante hautement cancérigène libérée dans l'air en raison de la destruction généralisée des infrastructures, ainsi que d'autres contaminants, continueront d'affecter les communautés de Gaza pendant longtemps.

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Palestine. Des multinationales contre le droit international

12 novembre 2024, par Daniel Brown, Emma Tatham — , , , ,
En ignorant les cadres juridiques contraignants, les entreprises impliquées à Gaza et dans les colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont pas seulement complices de (…)

En ignorant les cadres juridiques contraignants, les entreprises impliquées à Gaza et dans les colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont pas seulement complices de violations des droits humains. Elles soutiennent activement les mécanismes qui rendent ces exactions possibles.

Tiré d'Orient XXI.

Dans les collines bibliques du sud-ouest de Naplouse, par-delà les monts qui ondulent au travers de la Cisjordanie occupée par Israël, des hôtes Airbnb proposent d'apaisants séjours à leurs visiteurs. La ferme écologique de Dalit Ohana, située à Yakir, dispose d'un atelier de céramique situé à quelques pas d'une piscine chauffée. Mais sous le vernis tranquille, cette colonie de 2 600 personnes cache une réalité plus sombre faite de violations du droit international et des droits humains.

Selon la Cour internationale de justice (CIJ), des multinationales comme Airbnb, Caterpillar, et des institutions financières européennes telles que BNP Paribas et HSBC sont activement complices dans le soutien apporté par Israël à l'implantation illégale de colonies dans les territoires palestiniens occupés (TPO). Des entreprises comme Volvo et Hyundai jouent aussi un rôle non négligeable dans la perpétuation de ces violations en fournissant les engins utilisés pour déplacer des communautés et des familles entières. En plus de bafouer le droit international et de contribuer directement à la violation systémique des droits des Palestiniens, ces entreprises ne respectent pas non plus la législation sur les droits sociaux, économiques et du travail (voir encadré).

Airbnb, la petite maison dans la colonie

Retour à Yakir. C'est dans cette colonie située à une heure de route de Tel-Aviv que Dalit Ohana, hôtesse Airbnb, propose sa maison par l'intermédiaire de la plateforme de l'entreprise. Son annonce invite à profiter d'une escapade tranquille, d'une « unité écologique verte » au milieu de la nature et d'un « chariot à café ». Le rôle d'intermédiaire joué par Airbnb dans cette colonie vieille de 43 ans peut sembler anodin à première vue. Mais en proposant des maisons dans des colonies israéliennes illégales, l'entreprise états-unienne contribue à normaliser une occupation condamnée par la communauté internationale depuis des décennies. Car Yakir a été établie sur des terres confisquées au village palestinien voisin de Deir Istiya.

Selon l'Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ), 659 dunams (environ 65 hectares) des terres de Deir Istiya ont été confisqués pour construire la colonie. Au fil des ans, Yakir s'est agrandie pour faire face à une population croissante. Son développement a nécessité la confiscation de nouvelles terres. Le 5 juin 2024, les colons de Yakir ont détruit au bulldozer des terres palestiniennes près de la ville de Salfit pour créer une zone tampon complètement fermée, ce que confirme le militant palestinien anti-colonisation Nazmi Al-Salman, le but étant d'isoler davantage les communautés palestiniennes de leurs terres agricoles.

L'expansion de la colonie fait en effet partie de la politique d'Israël d'occupation en Cisjordanie occupée. En mars 2024, Israël a procédé à la plus importante saisie de terres depuis les accords d'Oslo de 1993, soit 800 hectares de terres près de la frontière entre la Cisjordanie et la Jordanie, qui font partie des 1 500 hectares de terres saisies depuis le début de l'année, un record pour les 30 dernières années.

Cette réalité brutale contraste fortement avec le ton apaisé des annonces d'Airbnb à Yakir. Des offres similaires sont publiées pour des habitations situées dans d'autres colonies illégales, comme Givat Harel (« dans une belle région entre vignes et champs, notre maison est située dans un endroit calme avec une vue à couper le souffle »), Giv'at Janoah (« depuis la fenêtre de la maison [profitez] d'un contact direct avec la nature »), Ariel (« un appartement moderne et spacieux »), Shilo (« un jacuzzi écologique et une douche bienfaisante ») et Kdumim (« l'île de la tranquillité », appartement de vacances) pour n'en citer que quelques-unes. En 2018, sous la pression des groupes de défense des droits humains, Airbnb s'est engagé à supprimer les annonces dans ces colonies, avant de revenir sur sa décision en 2019.

Lors de nos échanges en ligne avec Dalit, l'hôtesse de la colonie de Yakir a défendu avec ferveur le droit d'Israël à cette terre, formulée dans une rhétorique religieuse et messianique. Elle a rejeté les accusations concernant les violences commises à l'encontre des civils palestiniens, et présenté l'occupation comme un droit divin, argument idéologique qui revient souvent pour justifier ces colonies illégales. « Vous faites partie de mon peuple, nous sommes ensemble avec Israël, et je prie chaque jour pour que le Messie vienne et que nous recevions tous la grande lumière de Dieu ! », a-t-elle écrit.

Contacté sur la signification de tels messages, Airbnb a répondu de la manière suivante :

  • Le respect des politiques et des normes qui protègent notre communauté est très important pour nous. Nous avons examiné attentivement votre cas, et nous vous remercions de nous avoir informés des actions de l'hôte. Notre examen est maintenant terminé et nous ne sommes pas en mesure de vous offrir une aide supplémentaire pour le moment. Nous comprenons que ce n'est peut-être pas ce que vous espériez.

Cet échange atteste de l'incapacité d'Airbnb de répondre à de tels griefs. Booking.com (1), un autre site de réservation d'hébergement dans l'industrie du tourisme, fait lui aussi l'objet d'une campagne judiciaire actuellement pour son rôle dans la normalisation des colonies illégales. En mai 2024, des groupes de défense des droits humains aux Pays-Bas ont engagé une procédure pénale contre la plateforme (2). Ils accusent la société néerlandaise de blanchiment d'argent provenant de ses activités commerciales en Cisjordanie. La plainte a été déposée par le Centre européen d'aide juridique (ELSC), aux côtés d'une coalition menée par l'ONG palestinienne Al Haq et les deux organisations néerlandaises Centre for Research on Multinational Corporations (Somo) et The Rights Forum. Tous allèguent que Booking.com a blanchi de l'argent lié aux crimes de guerre, et tiré profit de ses violations des droits humains. Le site a nié leurs allégations, déclarant qu'aucune loi n'interdisait d'intervenir dans les colonies israéliennes, et que plusieurs lois prohibaient même le désinvestissement dans la région.

Les banques, moteur économique des colonies de peuplement

Le commerce des armes entre Israël et l'Europe est peut-être la forme la plus visible de l'implication des multinationales dans l'occupation. Des entreprises comme Elbit Systems, Israel Aerospace Industries et Rafael Advanced Defense Systems fournissent les armes et les technologies qui permettent à Israël d'exercer son contrôle militaire sur les TPO.

Mais ces entreprises d'armement n'opèrent pas de manière isolée. Les institutions financières européennes sont largement impliquées dans le financement et la facilitation du commerce des armes, fournissant les capitaux nécessaires à Israël pour maintenir sa domination militaire. Un rapport publié en 2024 par Pax for Peace (3) révèle que les banques européennes, les fonds de pension et d'autres institutions financières continuent d'investir massivement dans l'industrie israélienne de l'armement. À eux seuls, les 20 principaux créanciers européens ont accordé plus de 36,1 milliards d'euros de prêts et de garanties à ces entreprises. Le soutien financier de banques européennes telles que BNP Paribas, HSBC et la Société Générale est devenu crucial pour que l'armée israélienne reste approvisionnée et opérationnelle. Leur soutien facilite également la protection militaire qu'Israël offre à son entreprise de colonisation. À ce jour, ils ont aidé 700 000 colons à vivre dans les 279 colonies établies en Cisjordanie et à Jérusalem.

Sans le soutien financier des banques européennes, les colonies israéliennes ne pourraient pas survivre. Un rapport publié en décembre 2023 par la coalition Don't Buy Into Occupation (DBIO) révèle que plus de 700 institutions financières européennes ont investi dans des entreprises impliquées dans des activités illégales de colonisation. Ces banques détiennent des actions et des obligations d'une valeur de 115 milliards de dollars (106 milliards d'euros) dans 50 entreprises qui sont directement complices de la construction, de la surveillance et de la viabilité économique de ces colonies. Les institutions et les entreprises financières européennes sont donc des acteurs clés dans les secteurs de la construction, de l'agriculture et de la technologie qui soutiennent les colonies. Des chiffres récents révèlent que plus de 171 milliards de dollars (158 milliards d'euros) de prêts et de garanties ont été accordés par des institutions financières européennes à des entreprises impliquées dans des activités illégales de colonisation. Sans ce soutien financier, l'infrastructure et la viabilité économique des colonies israéliennes seraient durement affaiblies, depuis les projets de logement jusqu'aux opérations de surveillance qui contrôlent les déplacements des Palestiniens.

Au-delà des violations évidentes du droit humanitaire commises par les entreprises mentionnées ci-dessus, ces sociétés violent également les droits sociaux et du travail protégés par l'Organisation internationale du travail (OIT). Les travailleurs palestiniens des colonies sont confrontés à des conditions difficiles, à des disparités salariales et à des restrictions en matière de syndicalisation, ce qui constitue une violation des conventions de l'OIT sur les pratiques de travail équitables. Les entreprises européennes qui soutiennent ces colonies pourraient subir de nouvelles pressions, car l'OIT a déposé une plainte le 27 septembre 2024 contre les autorités israéliennes pour « violations flagrantes de la convention de l'OIT sur la protection des salaires ». Les abus documentés (4) vont des salaires impayés aux prestations refusées à plus de 200 000 travailleurs palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.

Les entreprises ignorent également le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) qui garantit le droit à un niveau de vie suffisant, y compris le logement et le droit au travail. Elles méconnaissent les lignes directrices de l'OCDE sur les principes de conduite responsable, y compris la gestion responsable de la chaîne d'approvisionnement. Enfin, elles bafouent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui garantit le droit à la liberté de circulation, assure le droit à la liberté et protège les individus contre les intrusions arbitraires dans leur foyer.

Les limites de l'impunité

Toutefois, alors que de nombreuses entreprises européennes restent profondément investies dans l'occupation israélienne, des signes de changement se font jour. En juin 2024, le fonds de pension norvégien KLP a désinvesti 728 millions de couronnes norvégiennes (64 millions d'euros) de Caterpillar. Dans un communiqué, il pointe du doigt l'implication de l'entreprise dans « la démolition des maisons et des infrastructures palestiniennes » en Cisjordanie et à Gaza.

Cette décision crée un précédent important que d'autres institutions financières pourront suivre. Elle démontre que le désinvestissement peut être un outil puissant pour responsabiliser les entreprises. Parallèlement, une initiative du groupe Starbucks Workers United, exprimant sa solidarité avec les Palestiniens, a conduit à un boycott généralisé de l'entreprise et a fait perdre à Starbucks près de 11 milliards de dollars d'actions (10 milliards d'euros) (5). De manière plus anecdotique, l'entreprise Puma a annoncé mettre un terme à son parrainage de la Fédération israélienne de football en 2024, après plusieurs appels au boycott des consommateurs concernant les colonies illégales de Cisjordanie (6).

Face à l'escalade meurtrière de la violence israélienne dans la bande de Gaza et au Liban, la recrudescence des morts, des agressions et des violations des droits humains en Cisjordanie suscite un intérêt médiatique moindre. Toutefois, le mouvement croissant dans l'Ouest global en faveur du respect du principe de responsabilité, des boycotts de consommateurs et des campagnes de désinvestissement, offre une voie à suivre.

Le récent arrêt de la CIJ sur l'illégalité de l'occupation par Israël des TPO fournit un cadre juridique clair pour faire respecter l'obligation de rendre des comptes. Les pays et les entreprises qui continuent d'investir dans la colonisation ne se contentent pas d'ignorer les résolutions de l'ONU : ils violent aussi la quatrième convention de Genève relative à la protection des droits des civils dans les zones de conflit et les territoires occupés.

Si les multinationales et les institutions financières continuent de tirer profit de l'occupation, elles doivent se préparer à faire face à des poursuites judiciaires, à la réaction des consommateurs et à de nouvelles campagnes de désinvestissement. Il est temps que l'Europe assume la responsabilité de son rôle dans le maintien de l'occupation israélienne, et que les entreprises soient tenues responsables de leur complicité dans ces violations.

Notes

1- Tjitske Lingsma, « Booking.com profite-t-il des crimes de guerre commis en Palestine ? », JusticeInfo.net, 23 mai 2024.

2- Kit Klarenberg, « How western tourism giants illegally enrich Israeli settlements on stolen land », The Cradle, 12 juin 2024.

3- « The companies arming Israel and their financiers », Pax for Peace, juin 2024.

4- « Rapport à la 112e session : La situation des travailleurs des territoires arabes occupés », Organisation internationale du travail (OIT), 21 mai 2024.

5- « USA : Starbucks loses $11 billion in market value amid ongoing boycott calls after lawsuit against union over tweet expressing solidarity with Palestine », Business and human rights resource centre, 7 décembre 2023.

6- « Palestine/Israel : PUMA announces end of sponsorship of Israel Football Association after years of boycott pressure over complicity in illegal settlements in Palestine », Business and human rights resource centre, 12 décembre 2023.

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Lettre du Commissaire général de l’UNRWA Philippe Lazzarini au Président de l’Assemblée générale des Nations Unies M. Philémon Yang

Je pense que l'UNRWA s'est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l'on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants (…)

Je pense que l'UNRWA s'est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l'on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants de Gaza disent que l'UNRWA est le seul pilier de leur vie encore debout. L'UNRWA a contribué à assurer la survie de Gaza jusqu'à présent, entretenant l'espoir d'une solution politique. Mon personnel a donné bien plus que ce que nous sommes en droit de lui demander.

Tiré de France Palestine Solidarité.

Son Excellence

Monsieur Philémon Yang

Président de l'Assemblée généraleNew York, le 29 octobre 2024

Monsieur le Président

Le 7 décembre 2023 et le 22 février 2024, j'ai écrit au Président de l'Assemblée générale que la capacité de l'UNRWA à mettre en œuvre son mandat était menacée. Aujourd'hui, je dois vous informer que l'Agence fait l'objet d'une telle attaque physique, politique et opérationnelle - sans précédent dans l'histoire des Nations Unies - que la mise en œuvre de son mandat pourrait devenir impossible sans une intervention décisive de l'Assemblée générale. Les conséquences pour les Palestiniens, pour Israël et pour la région seront graves.

L'adoption aujourd'hui par la Knesset de deux lois sur l'UNRWA prive en effet l'UNRWA des protections et des moyens essentiels à son fonctionnement, en interdisant aux fonctionnaires de l'État israélien tout contact avec l'UNRWA ou ses représentants, et en interdisant les opérations de l'UNRWA sur ce qui est appelé le territoire souverain de l'État d'Israël.

Cette législation intervient après une année de mépris flagrant pour la vie du personnel de l'UNRWA, ses locaux et ses opérations humanitaires à Gaza, et après d'intenses campagnes diplomatiques du gouvernement israélien visant les donateurs de l'UNRWA par la désinformation afin de saper son financement. Les autorités locales israéliennes menacent également d'expulser l'UNRWA de son siège à Jérusalem-Est occupée et de le remplacer par des colonies.

Cette évolution risque d'entraîner l'effondrement des opérations de l'UNRWA en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et à Gaza, et de compromettre gravement l'ensemble de l'opération humanitaire des Nations unies à Gaza, qui repose sur la plate-forme de l'UNRWA. En l'absence de toute alternative viable à l'Agence, ces mesures aggraveront les souffrances des Palestiniens.

Monsieur le Président,

La situation à Gaza dépasse le vocabulaire diplomatique de l'Assemblée générale. Après plus d'un an du bombardement le plus intense d'une population civile depuis la Seconde Guerre mondiale, et la restriction de l'aide humanitaire bien en deçà des besoins minimaux, la vie des Palestiniens est brisée. Plus de 43 000 personnes auraient été tuées, en majorité des femmes et des enfants. La quasi-totalité de la population est déplacée. Les écoles, les universités, les hôpitaux, les lieux de culte, les boulangeries, les réseaux d'eau, d'égouts et d'électricité, les routes et les terres agricoles ont tous été détruits. La population survivante vit dans la plus grande indignité. Dans le nord, la population est prise au piège, attendant d'être tuée par des frappes aériennes ou de mourir de faim.

Les otages pris en Israël continuent de souffrir en captivité, leurs familles étant laissées dans une terrible détresse. La violence s'intensifie en Cisjordanie, où la destruction des infrastructures publiques inflige une punition collective à la population civile. La guerre a débordé et s'est intensifiée au Liban.

Le démantèlement de l'UNRWA aura un impact catastrophique sur la réponse internationale à la crise humanitaire à Gaza. Il sabotera également toute chance de redressement. En l'absence d'une administration publique ou d'un État à part entière, aucune entité autre que l'UNRWA ne peut assurer l'éducation de 660 000 garçons et filles. Une génération entière d'enfants sera sacrifiée, avec des risques à long terme de marginalisation et d'extrémisme. En Cisjordanie, l'effondrement de l'UNRWA priverait les réfugiés palestiniens d'accès à l'éducation et aux soins de santé primaires, ce qui aggraverait considérablement une situation déjà instable.

Les ramifications politiques de l'effondrement de l'UNRWA sont désastreuses et ont des conséquences désastreuses pour la paix et la sécurité internationales. Les attaques menées contre l'Agence entraînent des modifications unilatérales des paramètres de toute solution politique future au conflit israélo-palestinien et portent atteinte au droit des Palestiniens à l'autodétermination et à leurs aspirations à une solution politique.

Ces attaques ne mettront pas fin au statut de réfugié des Palestiniens, qui existe indépendamment des services fournis par l'UNRWA, mais nuiront gravement à leur vie et à leur avenir.

Monsieur le Président,

Des allégations concernant des violations de la neutralité, telles que l'utilisation abusive de l'V par des groupes militants palestiniens, y compris le Hamas, ont été utilisées pour justifier les mesures prises à l'encontre de l'UNRWA. Le rapport indépendant d'avril 2024 sur la neutralité de l'UNRWA (le rapport Colonna) a noté l'environnement opérationnel exceptionnellement difficile de l'Office et a constaté que l'UNRWA dispose d'un cadre de neutralité plus solide que n'importe quelle organisation comparable. L'Agence continue de déployer tous les efforts possibles pour mettre en œuvre les recommandations du rapport, notamment par l'intermédiaire d'une équipe de mise en œuvre spécialisée.

Malgré ces efforts, l'UNRWA - comme les entités comparables des Nations unies - ne dispose pas de capacités policières, militaires ou de renseignement et doit compter sur les États membres pour assurer sa protection et sa neutralité, en particulier dans les zones contrôlées par des groupes militants puissants. À cette fin, depuis plus de 15 ans, l'UNRWA partage chaque année les noms de son personnel avec le gouvernement israélien. Cela inclut les noms des membres du personnel au sujet desquels le gouvernement n'avait jamais exprimé d'inquiétudes auparavant, mais qui ont été inclus dans les listes gouvernementales alléguant un militantisme armé. L'Agence prend chaque allégation très au sérieux. Elle a envoyé des demandes répétées au gouvernement - en mars, avril, mai et juillet - pour obtenir des preuves lui permettant d'agir. Aucune réponse n'a été reçue. L'UNRWA se trouve donc dans la position délicate d'être incapable de répondre à des allégations pour lesquelles il n'a pas de preuves, alors que ces allégations continuent d'être utilisées pour miner l'Agence.

À l'avenir, j'espère que le gouvernement israélien s'engagera auprès de la direction de l'UNRWA pour répondre à chaque allégation, afin qu'elle ne soit plus une préoccupation pour le gouvernement ou un obstacle pour l'UNRWA.

L'Agence fait également l'objet d'attaques physiques intenses à Gaza. Au moins 237 membres du personnel de l'UNRWA ont été tués. Plus de 200 locaux ont été endommagés ou détruits, tuant plus de 560 personnes cherchant la protection de l'ONU. Des dizaines de membres du personnel de l'UNRWA ont été arrêtés et disent avoir été torturés. L'Office a reçu des allégations concernant l'utilisation militaire de ses locaux par des groupes armés palestiniens, dont le Hamas, et par les forces israéliennes. Étant donné que toute la bande de Gaza est une zone de combat active, la plupart du temps soumise à des ordres d'évacuation, l'Office n'est pas en mesure de vérifier ces allégations. L'Agence doit rendre des comptes par le biais d'une enquête indépendante.

Monsieur le Président,

Aujourd'hui, alors même que nous regardons les visages des enfants de Gaza, dont nous savons que certains mourront demain, l'ordre international fondé sur des règles s'effondre dans une répétition des horreurs qui ont conduit à la création des Nations unies, et en violation des engagements pris pour éviter qu'elles ne se reproduisent. Les attaques contre l'UNRWA font partie intégrante de cette désintégration.

Je pense que l'UNRWA s'est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l'on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants de Gaza disent que l'UNRWA est le seul pilier de leur vie encore debout. Mon personnel a travaillé pendant 13 mois sans relâche, en grand danger, au milieu de tragédies personnelles et de déplacements de familles. Les enseignants gèrent des abris pour des dizaines de milliers de personnes. Le personnel des soins de santé primaires effectue des opérations chirurgicales. Des chauffeurs risquent leur vie chaque jour pour sauver des gens de la famine. Les cadres prennent des décisions de vie ou de mort impossibles à prendre. L'UNRWA a contribué à assurer la survie de Gaza jusqu'à présent, entretenant l'espoir d'une solution politique. Mon personnel a donné bien plus que ce que nous sommes en droit de lui demander.

Dans ces conditions intenables, je sollicite le soutien des États membres, à la mesure de la gravité de la situation et des risques, afin de garantir la capacité de l'Agence à remplir pleinement le mandat qui lui a été confié par l'Assemblée générale (Rés. 302 (IV), 1949).Dans l'attente de votre décision urgente, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.

Sincèrement,

Philippe Lazzarini


Traduction : AFPS

Photo : L'UNRWA fournit une réponse humanitaire à 2,2 millions de personnes © UNRWA

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