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Le méga-courant de l’Atlantique pourrait s’effondrer plus tôt que prévu

3 décembre 2024, par Vincent Lucchese — ,
L'affaiblissement des courants dans l'Atlantique aura des effets « dévastateurs et irréversibles » sur de nombreux pays. La fonte rapide des glaciers arctiques pourrait (…)

L'affaiblissement des courants dans l'Atlantique aura des effets « dévastateurs et irréversibles » sur de nombreux pays. La fonte rapide des glaciers arctiques pourrait précipiter leur effondrement.

Tiré de Reporterre
25 novembre 2024

Par Vincent Lucchese

On le compare parfois à un titanesque tapis roulant. Un ensemble complexe de courants océaniques qui traversent l'Atlantique — dont le fameux Gulf Stream — et qui charrient environ18 millions de m³ d'eau par seconde, soit plus de dix fois le débit cumulé de tous les fleuves du monde. Appelé « circulation méridienne de retournement de l'Atlantique », ou Amoc selon son acronyme anglophone, ce système joue un rôle crucial pour réguler le climat.

Une inquiétude grandit cependant depuis quelques années dans la littérature scientifique : nous aurions sous-estimé son affaiblissement, voire son effondrement à venir. La dernière étude en date, publiée le 18 novembre dans la revue Nature Geoscience par des chercheurs de l'université australienne de Nouvelle-Galles du Sud, conclut que l'Amoc pourrait perdre 30 % de sa puissance dès 2040, soit vingt ans plus tôt que les précédentes estimations.

« Cela pourrait entraîner de gros changements pour le climat et les écosystèmes, dont un réchauffement accéléré dans l'hémisphère sud, des hivers plus rigoureux en Europe et un affaiblissement des moussons tropicales dans l'hémisphère nord », préviennent les auteurs.

La fonte des glaciers perturbe l'océan

En 2023, une étude publiée dans Nature Communicationsestimait quant à elle que l'Amoc avait carrément une probabilité de 95 % de s'effondrer d'ici 2095. Et le 21 octobre dernier, une quarantaine de chercheurs issus de nombreux pays signaient une lettre ouvertealertant les pays du Conseil nordique du risque que nous ayons « grandement sous-estimé » la possibilité d'un affaiblissement, voire d'un effondrement de l'Amoc, lequel aurait des impacts « dévastateurs et irréversibles » pour de nombreux pays.

Dans son sixième rapport d'évaluation, publié en 2021 et résumant l'état de la science en la matière, le Giec [1] notait pourtant, avec un degré de confiance « moyen », que l'Amoc ne s'effondrerait pas d'ici 2100. Mais une « confiance moyenne » laisse planer un risque inquiétant, soulignent les scientifiques dans leur lettre ouverte. Et les recherches récentes publiées depuis tendent à faire remonter ce risque à la hausse, écrivent-ils.

À l'heure actuelle, la communauté scientifique peine à faire émerger une analyse consensuelle de la situation. Il est généralement admis que lechangement climatiquedevrait affaiblir l'Amoc. Mais à quelle échéance et avec quelle intensité ? Les incertitudes et divergences de vues sur cette question sont à la mesure de l'extrême complexité du phénomène étudié.

Revenons, pour le comprendre, sur le fonctionnement schématique de l'Amoc. L'un de ses moteurs est la plongée vers les abysses des eaux de surface, dans les hautes latitudes. Lorsque les courants chauds venus des tropiques rencontrent les masses d'air froides dans le nord, une partie de l'eau de mer gèle, laissant son sel derrière elle. L'eau restante voit ainsi sa concentration en sel augmenter. L'eau plus froide et plus salée étant plus dense, elle coule, entraînant le « tapis roulant » de l'Amoc. Cette eau profonde retourne ensuite boucler la boucle vers le sud, où elle remonte et chauffe de nouveau à la surface.

On voit, sur ce schéma de l'Amoc, en rouge les courants de surface, chauds, et en bleu les courants froids circulant en profondeur. © NOAA

Ce système joue un rôle crucial pour redistribuer la chaleur sur le globe, via les échanges entre l'océan et l'atmosphère, et contribue également à la santé des écosystèmes, en transférant des nutriments, du carbone et de l'oxygène à travers l'Atlantique. Le changement climatique perturbe tout cela, notamment en entraînant la fonte massive des glaciers arctiques, au Groenland et au Canada. En se déversant dans l'océan, ce surcroît d'eau douce réduit la salinité, donc la densité et enraye ce moteur de l'Amoc qu'est la plongée des eaux froides en profondeur.

Or, les modèles climatiques actuels ne prennent pas en compte cette fonte additionnelle provoquée par les activités humaines et peinent à reproduire le comportement observé de l'Amoc. C'est en intégrant cette fonte à leur modèle que les chercheurs australiens prétendent aujourd'hui obtenir de meilleures estimations.

D'inquiétantes incertitudes

Plusieurs chercheurs interrogés par Reporterre sont toutefois sceptiques quant aux conclusions péremptoires de cette étude, dont la méthodologie pourrait manquer de rigueur, notamment dans l'estimation du volume d'eau douce issu de la fonte à venir des glaciers. Les travaux de 2023 étaient de même loin de faire l'unanimité.

« Il est très probable que le changement climatique ralentisse l'Amoc au cours du siècle, mais cet affaiblissement est estimé de -10 à -70 % selon les modèles, l'incertitude est énorme », rappelle Didier Swingedouw, directeur de recherche au CNRS, qui étudie de près ces courants atlantiques.

Les simulations numériques modélisant le futur de l'Amoc sont d'autant plus délicates que l'on n'arrive toujours pas à bien représenter le comportement « normal » du phénomène, sans prendre en compte le changement climatique. « L'Amoc résulte d'un équilibre très subtil entre de nombreuses influences. Les zones de mélange entre les eaux chaudes et froides sont en soi difficiles à modéliser. Il faut aussi réussir à représenter les vents qui vont influer sur cette convection, les précipitations et les niveaux d'évaporation qui jouent aussi un rôle sur les caractéristiques de ces eaux », nous liste Didier Swingedouw.

Les facteurs évoluant, il existe une « cascade d'incertitudes ». Pexels/CC/Laura Otte

Pour anticiper le futur, il faut ajouter au défi de la modélisation l'évolution de ces facteurs : comment les tropiques de plus en plus chauds vont augmenter l'évaporation et donc la salinité des eaux chaudes, comment les précipitations vont évoluer aux hautes latitudes et faire à leur tour varier la salinité… « Une cascade d'incertitudes », soupire le chercheur.

Le simple fait de savoir si l'Amoc a d'ores et déjà commencé à ralentir n'est pas établi. D'après la modélisation de l'étude australienne, l'affaiblissement serait de 20 % depuis 1950. Mais ces résultats sont le fruit de reconstitutions numériques : les observations in situ ne sont possibles que depuis 2004, et aucune tendance claire ne s'en dégage. « À partir des observations directes de l'Amoc, ce que nous mesurons est uniquement une forte variabilité saisonnière, interannuelle et interdécennale », mais aucun signal clair lié au climat n'est identifié souligne Sabrina Speich, océanographe au Laboratoire de météorologie dynamique.

Menaces sur l'Afrique et l'Europe

Reste que la tendance semble aller vers des estimations de plus en plus pessimistes. « Avant, on était sur une “confiance forte” que l'Amoc ne s'effondrerait brutalement pas d'ici 2100. Le dernier rapport du Giec est passé à une “confiance moyenne”. Et puis s'arrêter à 2100 est arbitraire. L'Amoc pourrait s'effondrer en 2150. C'est un système lent, son temps d'effondrement est probablement de l'ordre du siècle », souligne Didier Swingedouw, signataire de la lettre ouverte publiée en octobre.

L'enjeu est donc moins aujourd'hui de comprendre si l'Amoc s'affaiblira drastiquement, mais quand il le fera exactement. Dans tous les cas, cela pourrait considérablement refroidir le nord de l'Europe, encerclé par des régions, elles, toujours plus chaudes, conduisant à des « climats extrêmes sans précédent », interpelle la lettre des scientifiques. Cela pourrait « potentiellement menacer la viabilité de l'agriculture du nord-ouest de l'Europe ».

« Les pays de l'Afrique de l'Ouest seraient surtout en première ligne, s'inquiète Didier Swingedouw. Le Sahel pourrait devenir un désert, avec jusqu'à 30 % de baisse de précipitations, et la zone aujourd'hui plus verte au sud du Sahel deviendraient sahéliennes. »

Il y a doublement urgence : à limiter autant que possible l'ampleur du changement climatique, mais aussi à s'y adapter. Pour l'instant, les catastrophes liées à l'Amoc et ses conséquences sur nos sociétés ne sont aujourd'hui ni anticipées ni même sérieusement évaluées, déplorent les auteurs de la lettre ouverte.

La prise de conscience montera peut-être à mesure que les projections climatiques s'affineront à propos de ces phénomènes. Les chercheurs plaident unanimement pour l'accumulation de données et travaux supplémentaires. Les principaux systèmes de mesure in situ de l'Amoc impliquent massivement des instituts de recherches étasuniens, dont l'avenir est suspendu à l'investiture de Donald Trump. Le président étasunien élu envisage de démanteler les agences environnementales, dont la NOAA, l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique.

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Naomi Klein : « Nous avons besoin d’un populisme écologique »

3 décembre 2024, par Naomi Klein — , ,
Naomi Klein, activiste et intellectuelle canadienne, explique la victoire de Trump par l'incapacité de la gauche et des écologistes à parler des problèmes concrets des gens. (…)

Naomi Klein, activiste et intellectuelle canadienne, explique la victoire de Trump par l'incapacité de la gauche et des écologistes à parler des problèmes concrets des gens. Elle plaide pour un « écopopulisme ».

Tiré de Reporterre

15 novembre 2024

Naomi Klein : « Nous avons besoin d'un populisme écologique »

La journaliste et essayiste canadienne Naomi Klein, connue pour avoir publié No Logo et La Stratégie du choc (Actes Sud, 2001 et 2008) vient de sortir un nouveau livre : Le Double — Voyage dans le monde miroir, toujours chez Actes Sud. Dans cet entretien, elle fait le procès de la gauche étasunienne : « Nous devons nous concentrer sur des politiques écologiques qui soient aussi des politiques de redistribution économique. »

Reporterre — Comment analysez-vous la victoire de Donald Trump ?

Naomi Klein — La droite se rapproche des classes populaires avec plus de facilité que la gauche ou les libéraux. Cela devrait être un véritable signal d'alarme et nous faire réfléchir à la façon dont le discours progressiste est perçu : élitiste, déconnecté et sans plan pour aider les gens. J'ai toujours cru qu'il était possible de concevoir une stratégie politique qui s'attaque à la crise écologique et à l'aggravation des inégalités. Mais ce n'est pas comme cela que la gauche a façonné sa politique climatique. Nous assistons à un ras-le-bol des travailleurs qui ont l'impression que ces questions sont un luxe dont ils ne peuvent pas se préoccuper.

La gauche sociale-démocrate n'accepte pas de s'engager dans cette voie et de parler aux gens ?

C'est un échec de la gauche dans sa globalité. Pas seulement du Parti démocrate qui n'est pas la gauche, mais représente l'establishment. L'aile du Parti démocrate affiliée à Bernie Sanders a été totalement marginalisée. Bernie essaie toujours de trouver un terrain d'entente. C'est sa stratégie politique : « Qu'est-ce qui peut unir la coalition la plus large possible ? » À cause de son absence, la gauche s'est divisée en petites factions très agressives qui s'attaquent les unes les autres. Elle n'a pas créé un mouvement bienveillant capable d'attirer les travailleurs, ce qu'a réussi la campagne de Trump : elle a attiré beaucoup de gens de gauche, qui travaillent et ont besoin d'un espoir économique.

« La gauche est devenue très académique et élitiste. Son discours n'est pas en phase avec le peuple. » © Cha Gonzalez / Reporterre

C'est un paradoxe parce que le monde de Trump est celui des hyper riches, d'Elon Musk et de nombreux milliardaires.

Le Parti démocrate est perçu comme plus élitiste que le Parti républicain, qui est un mélange de riches volontiers grossiers et d'autres plus accessibles, en contact avec les classes populaires. Elon Musk échange avec les utilisateurs de Twitter, alors que les riches démocrates ne parlent à personne en dehors de leurs cercles. En 2016, j'ai écrit que le Parti démocrate ressemble à une fête à laquelle vous n'avez pas été invité. C'est une super élite qui a mis en scène un spectacle et pensait que les travailleurs s'y joindraient. Mais les gens se sentaient insultés et exclus. C'est ainsi qu'ils ont élu Trump.

« Le Parti démocrate est une super élite »

Bien sûr, le Parti républicain est au service de l'argent. Il n'a pas été pour autant condescendant envers les travailleurs comme a pu l'être le Parti démocrate. En outre, les expulsions massives promises par Trump ne sont pas seulement une politique raciste, mais aussi une politique économique dans le sens où il promet une redistribution des richesses à la classe ouvrière, de la même manière que les fascistes ont présenté l'antisémitisme comme une redistribution des richesses. C'est ce que dit Trump aux électeurs noirs et latinos : « Ces immigrés prennent votre travail, nous allons les éliminer pour que vous ayez plus d'emplois. » C'est horrible, mais il est important de comprendre qu'il y a une logique économique derrière ce vote.

Quelle doit être la stratégie de la gauche et des écologistes ?

Il faut commencer par examiner honnêtement la façon dont nous sommes perçus. Nous devons nous concentrer sur des politiques écologiques qui soient aussi des politiques de redistribution économique, qui montrent très concrètement qu'il n'est pas nécessaire de choisir entre l'environnement, sa famille et son portefeuille. Nous devrions nous battre pour la gratuité des transports en commun municipaux et pour des pompes à chaleur pour tous qui réduisent la consommation d'énergie et permettent de chauffer et rafraîchir les maisons. Nous pouvons avoir des politiques vertes qui soient des politiques qui rendent la vie beaucoup plus abordable. Nous avons besoin d'un populisme écologique, d'un écopopulisme.

Le problème, c'est qu'il faut une redistribution, mais qu'elle semble absolument bloquée. Les gens savent qu'il y a de grandes inégalités mais ne pensent pas qu'il soit possible de la changer. Le fatalisme domine.

La meilleure façon de lutter contre le fatalisme est d'être stratégique. Choisissez 2 ou 3 projets sur lesquels vous pouvez gagner et gagnez-les ! Alors les gens reprendront espoir. On ne peut pas convaincre un fataliste avec seulement des arguments. Il faut lui démontrer que c'est possible.

Comment ?

Aux États-Unis, Trump est en charge de tout au niveau fédéral, mais les Démocrates sont aux commandes dans des États comme la Californie et dans des grandes villes comme New-York. Il y a beaucoup de critiques à adresser à Joe Biden sur le climat, mais il a réussi à faire passer le texte législatif de l'Inflation Reduction Act (IRA) [un plan d'investissement de 370 milliards de dollars sur dix ans pour engager la transition énergétique]. J'espère donc que la révolution des énergies renouvelables est suffisamment avancée pour qu'elle se poursuive sans politique fédérale. Joe Biden doit débloquer cet argent avant la fin de son mandat pour que les projets soient mis en œuvre sur le terrain. Certains gouverneurs républicains affirment déjà ne pas vouloir se débarrasser de l'IRA parce qu'il leur procurera des financements dont ils ont besoin.

Une autre difficulté est que Trump et l'extrême droite assument totalement de mentir, les faits ne sont plus des éléments sur la base desquels on peut discuter.

Personne n'est complètement attaché à la vérité. Nous choisissons tous nos fantasmes. Le poids de la réalité écologique, économique et militaire rend l'époque très difficile à supporter. Donc nous vivons tous dans nos bulles et nous projetons sur nos adversaires tout ce que nous ne supportons pas chez nous.

« La droite a détruit l'écosystème de l'information »

Mais c'est vrai qu'il y a une approche de plus en plus créative des faits par le Parti républicain. Nous subissons les effets d'une stratégie menée depuis cinquante ans par la droite, qui a détruit l'écosystème de l'information. C'est la raison pour laquelle je parle de choses comme le transport en commun, le prix du chauffage, celui des produits alimentaires... Moins nous sommes dans des débats abstraits sur les causes du changement climatique, mieux c'est.

Quand on parle de populisme écologique, qui est un mot très fort, est-ce que ça veut dire qu'il faut prendre les armes de l'adversaire, sa rhétorique, voire être plus brutal ?

Pour moi, le populisme n'est pas un gros mot.

En France, le populisme est un stigmate utilisé pour vous décrédibiliser.

Nous parlons d'une politique de redistribution et de la volonté de rencontrer les gens là où ils en sont. La gauche est devenue très académique et élitiste. Son discours n'est pas en phase avec le peuple. Quand vous parlez de commerce du carbone, les gens ne comprennent pas de quoi vous parlez. Il est très facile pour vos adversaires de déformer vos concepts. Ce que la droite fait souvent est de prendre un terme académique, comme la théorie du genre, et d'en faire sa propre interprétation. Ils en sont capables parce que les gens ne savent pas ce qu'est la théorie du genre. Alors que dire « j'aime les transports en commun gratuits », c'est facile.

Comment définiriez-vous le populisme ?

Le populisme doit être redistributif, en réponse directe aux besoins économiques des gens. Bernie Sanders est un populiste économique parce qu'il parle de redistribuer les richesses, en se concentrant sur l'augmentation des salaires, sur les soins de santé universels, sur des services qui vont répondre directement aux besoins des gens. Cela est tourné en dérision par le centre comme étant populiste. Je pense que nous devrions au contraire embrasser ces concepts. C'est bien d'être populiste !

Au début des années 2000 il y a eu des Forums mondiaux, comme à Porto Alegre au Brésil. Est-il imaginable d'essayer de faire une remise à zéro de la situation, en partant de l'écologie ? Comment faire renaître un grand mouvement populaire ? Est-ce un rêve ?

Ce n'est pas un rêve si lointain. Il peut y avoir une autre vague qui capture et dirige cette énergie. Les gens sont en colère. Ils comprennent que leurs conditions de vie sont de plus en plus difficiles et stressantes. Ils ont le sentiment que le système est truqué. Un populisme de droite prend cette colère et la dirige vers les personnes les plus vulnérables, en pointant les immigrés comme bouc émissaire. Le populisme de gauche tente de diriger l'énergie populaire contre les entreprises et les élites. Mais cette énergie a été cooptée par les Steve Bannon [ancien bras droit de Donald Trump], Giorgia Meloni [présidente du Conseil italien, d'extrême droite], Marine Le Pen...

La menace militaire semble monter partout dans le monde. Comment y faire face ?

Trump va la nourrir. Il veut davantage de dépenses européennes dans l'armement. C'est aussi une invitation à la gauche pour que nous investissions dans la santé et le logement au lieu du militarisme. C'est un choix difficile. Allons-nous construire des bombes ou des hôpitaux ?

« Nous pouvons investir dans une économie qui donne un espoir de paix avec la Terre et entre nous. » © Cha Gonzalez / Reporterre

Quelle serait la réponse de la gauche à cette question ? Devrions-nous augmenter nos dépenses militaires ?

Non, mais nous pouvons investir dans une économie qui donne un espoir de paix avec la Terre et entre nous. Trump fait miroiter un monde où nous investissons dans les armes offensives et dans un dôme de fer mondial. Nos frontières seraient ainsi protégées contre les effets de nos politiques et de l'immigration de masse... Il pourrait y avoir une autre vision pour la gauche populiste, axée sur la guerre climatique et l'injustice économique.

L'intelligence artificielle est devenue le moteur du capitalisme. Comment va-t-elle changer le paysage politique et quelle devrait être la réponse de la gauche et des écologistes ?

Nous devons identifier les failles dans la coalition bricolée par la droite, qui a beaucoup de vulnérabilités. L'une d'entre elles est que Trump parle déjà d'investir dans l'intelligence artificielle, mais c'est en contradiction avec ce que dit Bannon et des figures de la nouvelle droite qui parlent d'un effondrement spirituel. La gauche n'a pas été douée pour parler de ce sentiment que le monde se déshumanise. Il s'agit d'une question de climat, de droits du travail, mais aussi d'une question spirituelle dont nous devons parler davantage.

. Le Double — Voyage dans le Monde miroir, de Naomi Klein, aux éditions Actes Sud, octobre 2024, 496 p., 24,80 euros.

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Traité mondial sur le plastique : « Il faut baisser la production de 75 % »

3 décembre 2024, par Fabienne Loiseau — ,
Les Nations unies se réunissent jusqu'au 1ᵉʳ décembre à Busan, en Corée du Sud, pour tenter d'aboutir à un traité sur la pollution plastique. Henri Bourgeois-Costa, de la (…)

Les Nations unies se réunissent jusqu'au 1ᵉʳ décembre à Busan, en Corée du Sud, pour tenter d'aboutir à un traité sur la pollution plastique. Henri Bourgeois-Costa, de la Fondation Tara Océan, plaide pour un texte ambitieux.

Mise à jour : "Après une semaine de négociations ardues, les 170 pays réunis à Pusan en Corée du Sud n'ont pas réussi à s'entendre sur un premier traité mondial contre la pollution plastique. Les discussions vont reprendre à une date ultérieure. Des délégués accusent un petit groupe d'États producteurs de pétrole d'avoir fait dérailler le sommet par leur obstruction. "(R-C /01-12-2024)

25 novembre 2024 | tiré de reporterre.net

175 pays, plus de 2 000 négociateurs et observateurs, 7 jours de discussions… Après Bakou et la COP29, toute l'attention se tourne cette semaine vers Busan, en Corée du Sud. S'y déroule un autre sommet crucial pour l'avenir de notre planète, celui devant aboutir à un Traité international sur la pollution plastique.

Cette cinquième session du Comité intergouvernemental de négociation (INC-5) devrait en théorie être la dernière. Au cours des deux dernières années, les pays des Nations unies se sont déjà retrouvés à Nairobi, Paris puis Ottawa.

Si rien n'est fait, la production de plastique triplera d'ici à 2060, selon l'OCDE. La Fondation Tara Océan, qui travaille depuis des années à sensibiliser grand public et décideurs sur l'ampleur du fléau que représente la pollution plastique, sera présente à Busan. Henri Bourgeois-Costa, son directeur des affaires publiques, a répondu à nos questions avant son départ pour la Corée du Sud.

Reporterre — Pouvez-vous nous rappeler les enjeux principaux de cette semaine de négociations qui s'ouvre à Busan ?

Henri Bourgeois-Costa — Pour le moment, on a un brouillon de texte — un « draft » — issu de la précédente session de négociations à Ottawa. Ce document énorme comprend un peu toutes les options possibles puisque l'essentiel du texte ne fait pas l'objet d'un accord, et présente donc des visions assez radicalement opposées entre, d'un côté, les pays de la coalition de Haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique [1] et, de l'autre, les « Like minded countries » (« les pays qui pensent pareil »), représentant les intérêts pétroliers. On est donc face à un texte qui dit un peu tout et son contraire.

Le président du comité, Luis Vayas Valdivieso, a tenté de proposer une nouvelle voie avec ce qu'il a appelé un « non-paper », c'est-à-dire un document dans lequel il a essayé de synthétiser les choses et de poser les fondamentaux de ce que pourrait être un texte. Mais il l'a fait sans mandat particulier. Ainsi à Busan, les discussions se feront soit sur le texte officiel, soit à partir de ce « non-paper ». Mais certains États pourraient très bien demander à ce que ce dernier soit jeté à la poubelle, puisque officieux.

Que pensez-vous de ce « non-paper » sur le fond ?

Nous sommes beaucoup d'ONG, mais pas uniquement, à souligner son manque d'ambition. L'idée du président, c'est évidemment de rassembler largement. Sauf qu'à vouloir rassembler trop largement, il n'y a plus beaucoup de contenu. Ce texte traite essentiellement des aspects déchets, recyclage, prévention et mécanismes financiers. Mais il n'aborde pas du tout ce qui crispe, à savoir les enjeux de réduction de la production, la question des toxiques et encore moins celle du carbone qui reste un tabou absolu. Même notre ministre a estimé que ce texte méritait d'être largement enrichi.

Un consensus semble impossible en l'état des positions.

Par nature, il ne peut pas y en avoir. Mais je ne pense pas qu'il faille en tirer une conclusion négative. Quand il y a consensus, soit on se retrouve avec des textes ambitieux, mais pas forcément déclinables sur le terrain parce que l'application est laissée au bon vouloir de chacun, soit on aboutit à un texte contraignant, mais dont l'ambition est extrêmement faible. On imagine difficilement que des États dont l'économie est 100 % basée sur le pétrole ou quasiment — je pense aux pays du Golfe en particulier — signeraient un texte ambitieux.

Pour nous, embarquer l'ensemble des pays n'est pas forcément une finalité en soi. L'enjeu, c'est d'embarquer les pays qui sont pertinents, structurants sur la question des pollutions plastiques, à savoir les pays occidentaux qui entraînent cette consommation. Et puis aussi la Chine. Même si elle ne fait pas partie des pays moteurs, l'espoir est encore permis car c'est un pays qui transforme le plastique, pas un pays qui en produit. L'enjeu est moins crucial pour elle que pour un État pétrolier.

Quant aux États-Unis, ils nous ont apporté une énorme bouffée d'espoir juste avant les élections, avec un vrai changement d'attitude de l'administration et des négociateurs, et des prises de parole très encourageantes. Désormais, la proximité du futur président avec les intérêts de la pétrochimie risque clairement de nous compliquer les choses.

Quels sont les sujets qui achoppent aujourd'hui ?

La réduction de la production. Une étude du laboratoire de Berkeley publiée récemment modélise les résultats des différentes options de réduction qui pourraient être prises à Busan. Elle montre bien qu'une politique qui serait axée uniquement autour du recyclage et de l'amélioration de la collecte n'apporterait pas du tout de résultats suffisants. Pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat [limiter la hausse des températures bien en dessous de 2 °C], elle évalue qu'il faudrait baisser la production de 75 %.

Plusieurs hypothèses économiques montrent que 50 % de réduction de la production serait déjà tout à fait possible à atteindre, ne serait-ce parce que notre production a complètement explosé. Le Pérou et le Rwanda se sont fixés un objectif de réduction de 40 % à l'horizon 2040. Ce sont les seuls qui ont posé un élément chiffré pour bousculer un peu la discussion, à Ottawa. 40 % de réduction d'ici 2040, c'est revenir à la production de l'année... 2015. Nous appuyons cette proposition, non pas qu'elle soit satisfaisante en elle-même, mais elle nous semble un point de départ intéressant de discussion.

Que craignez-vous si aucun accord n'était trouvé ?

Notre grande crainte, c'est plutôt qu'on se laisse piéger par la tentation d'un texte à tout prix. Le secrétariat des Nations unies nous donne des signes un peu inquiétants d'une volonté allant dans ce sens. Or, un traité arraché à Busan risque d'être un peu pauvre, de ne pas traiter la problématique tout au long de la chaîne, de l'extraction pétrolière jusqu'au consommateur.

Aujourd'hui, toutes les hypothèses sont encore sur la table : de l'échec complet et de la fin des négociations à une poursuite des discussions, avec, par exemple, le lancement d'une sixième session. Autre hypothèse intéressante : avoir une négociation multilatérale en dehors du cadre onusien, avec des pays qui concentreraient leurs efforts à convaincre la Chine sur un texte plus ambitieux, plutôt que de perdre du temps avec des pays qui, de toute façon, ne voudront rien entendre sur les sujets principaux.

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Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Ni double ni triple ni quadruple peine pour les femmes étrangères !

Dans le cadre de la campagne pour la loi intégrale, le réseau des associations de femmes des quartiers populaires propose plusieurs recommandations liées spécifiquement aux (…)

Dans le cadre de la campagne pour la loi intégrale, le réseau des associations de femmes des quartiers populaires propose plusieurs recommandations liées spécifiquement aux besoins des femmes étrangères et immigrées face aux violences répétées qu'elles subissent tout au long de leur parcours.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Pour une Loi intégrale sur les violences sexistes et sexuelles

Appel du réseau associations de femmes des quartiers populaires d'Ile de France femmes étrangères,

Nous, associations de femmes des quartiers populaires, demandons qu'enfin une loi intégrale incluant les besoins de TOUTES les femmes vivant sur le sol français, soit votée au plus vite et soutenue ensuite par des mécanismes de mise en œuvre efficaces.

Nous rappelons que les violences sexistes et sexuelles qui saccagent les vies de millions de femmes, loin d'être éliminées, sont redoublées sur les plus vulnérables par les institutions ayant autorité. Nous rappelons que le rôle d'un Etat démocratique est de protéger et défendre les personnes qui vivent sur son sol, et non pas d'ajouter une violence institutionnelle aux violences sexistes et sexuelles déjà subies.

Pourquoi une quadruple peine ?

1. L'agression, le viol, les coups, les mutilations, la soumission, l'humiliation, la réduction au statut d'objet : voici un échantillon de ce que vivent les femmes victimes de violences

2. Les séquelles physiques et le traumatisme à vie résultant de l'effraction psychique (opérée) commise par l'agresseur

3. La plainte traitée avec négligence, mépris, soupçon, disqualifiée ou refusée par l'entourage et/ou les institutions supposées la recevoir (refuges, commissariats, services sociaux, …)

4. L'augmentation de la vulnérabilité, déjà immense du fait des peines précédentes, par les blocages et les silences administratifs les livrant au dénuement total et à l'insécurité, pour les femmes étrangères

Soit : prévoir des rendez-vous spécifiques, accélérer les procédures d'obtention du titre de séjour, le renouveler systématiquement en cas de violences, ne pas exiger l'ordonnance de protection pour le renouvellement dès lors qu'une plainte est déposée, faciliter les régularisations,

Evincer systématiquement le conjoint violent du domicile conjugal en veillant à mettre le bail au nom de la victime si elle n'y figure pas
Ne pas ordonner d'OQTF aux femmes victimes de violences après qu'elles aient porté plainte
L'Etat français, en signant la Convention sur l'élimination des discriminations à l'égard des femmes des Nations Unies et la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, a pris la responsabilité de la protection de TOUTES les femmes vivant sur son sol : nous demandons donc qu'il l'assume enfin. Rejoignez-nous !

Nous recommandons donc d'accorder aux femmes étrangères les mêmes droits et la même dignité qu'aux femmes françaises, en prenant en compte leur statut spécifique. Ce qui signifie en accompagnement de la loi cadre intégrale, veiller à :

Créer un programme d'aide juridique pour les femmes étrangères victimes de violences.
Ne pas conditionner les ordonnances de protection à la présence du mari
Garantir l'indépendance économique des femmes étrangères en leur permettant de travailler sans ordonnance de protection
Séparer les dossiers des femmes de leurs maris (et donc ne pas retirer le récépissé de demande de titres de séjour aux femmes dont le mari est violent)
Imposer aux commissariats de recevoir les plaintes sans que le titre de séjour soit un critère
Prendre en compte les demandes de renouvellement des titres de séjour dans le parcours de sortie de violences.

Associations signataires :

Africa-93
Citoyenneté Possible
Djamma Djigui
Excision parlons-en !
Femmes Entraide Autonomie
Femmes de Franc Moisin
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Les violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir : Agir contre ce fléau trop longtemps ignoré

3 décembre 2024, par Cabinet de la Secrétaire d'Etat à l'Egalité — , ,
Rapport remis au gouvernement le 18 novembre 2024 Tiré de Entre les lignes et les mots https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/29/les-violences-sexistes-et-se

Rapport remis au gouvernement le 18 novembre 2024

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/29/les-violences-sexistes-et-sexuelles-sous-relation-dautorite-ou-de-pouvoir-agir-contre-ce-fleau-trop-longtemps-ignore/?jetpack_skip_subscription_popup

Depuis 2017, de nombreuses réformes législatives visant à mieux lutter contre les violences sexistes, sexuelles, conjugales, intrafamiliales, ont abouti : allongement des délais de prescription, présomption de non-consentement, ordonnances de protection, création de nouveaux délits…

Le Grenelle des violences conjugales a permis des avancées majeures dans la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales.

Sept ans après #MeToo, force est de constater la persistance des faits de violences sexistes et sexuelles sous relation d'autorité ou de pouvoir malgré les efforts déjà mis en œuvre pour les prévenir.

Plus de 1,4 million de femmes a déclaré avoir subi des violences sexistes et sexuelles hors cadre familial en 2021. Parmi elles, seules 2% des victimes ont porté plainte auprès des forces de l'ordre. Le sexisme et l'emprise se nichent de façon insidieuse dans certaines relations de pouvoir, d'autorité, de subordination, bien au-delà des relations de travail. A titre d'exemple : militants d'un parti politique, élus ou bénévoles au sein d'associations…

Les mécanismes de domination sont les mêmes dans le monde de l'entreprise, du sport, de la santé, des institutions politiques, de la fonction publique ou de la culture et se retrouvent dans l'ensemble des situations où existe un rapport d'autorité.

Au terme de près de 70 auditions, nous pouvons affirmer que les violences sexistes et sexuelles sous relation d'autorité ou de pouvoir sont encore malheureusement un fléau qui s'étend bien au-delà des lieux de travail.

Téléchargements
Télécharger le PDF | Synthèse du rapport PDF – 443.76 Ko
Télécharger le PDF | Tome 1 Rapport PDF – 3.27 Mo
Télécharger le PDF | Tome 2 Rapport : les contributions des personnes auditionnées PDF – 41.21 Mo
Télécharger le PDF | Lettre de mission interministérielle du 22 mars 2024 PDF – 194.15 Ko
Télécharger le PDF | Les 41 recommandations, dont 3 recommandations prioritaires dans le domaine de la santé, du sport et des institutions politiques et 1 recommandation prioritaire dans le domaine de la culture. PDF – 222.38 Ko

Les 15 recommandations prioritaires :

Prévenir :

Étendre la conditionnalité des aides publiques (Etat-collectivités publiques) dans tous les secteurs, y compris les partis politiques, à la mise en œuvre effective de mesures de prévention des violences sexistes et sexuelles (formation, communication…).

Créer un label Agir contre les violences sexistes et sexuelles pour distinguer les structures qui mettent en œuvre des outils de formation et de prévention adaptés.

Confier à un organisme indépendant la certification et le contrôle des organismes de formation sur les violences sexistes et sexuelles et de ceux réalisant les enquêtes internes.

Expliquer les différentes formes de violences sexistes et sexuelles, éduquer sur ce qu'est un rapport de pouvoir, les risques de l'emprise, notamment lors de formations diplômantes, à l'entrée dans l'emploi ou dans le cadre du service national universel.

Rendre la formation aux violences sexistes et sexuelles obligatoire pour toute personne en position d'autorité ou de responsabilité et tous les professionnels intervenant dans la prise en charge des cas de violences sexistes et sexuelles.

Pérenniser et spécialiser les enquêtes de victimation en lien avec les violences sexistes et sexuelles sou rapport d'autorité ou de pouvoir.

Evaluer la loi Rixain du 24 décembre 2021 relative aux grandes entreprises et la loi du 19 juillet 2023 relative à la fonction publique pour atteindre l'objectif d'égalité fixé dans les instances dirigeantes et exécutives et dans les instances disciplinaires.

Repérer :

Généraliser les structures d'écoute et de signalement dont la compétence et l'indépendance sont requises pour briser l'entre soi et susciter la confiance.

Sanctionner :

Permettre aux victimes de violences sexistes et sexuelles hors cadre conjugal de solliciter une ordonnance de protection.

Inciter et mieux accompagner les organisations dans la réalisation d'enquêtes internes avec sanctions administratives ou disciplinaires, équitables, rapides et dissuasives, sans attendre l'issue des procédures judiciaires, avec publication annuelle d'un rapport quant aux mesures prises.

Expérimenter dans les juridictions la création de pôles spécialisés sur les violences sexistes et sexuelles dans le cadre de relations de travail, qui confèrent au juge des compétences tant pénales que prud'homales.

Accompagner et réparer :

Permettre l'octroi de l'aide juridictionnelle dès le dépôt de plainte.

Améliorer la formation des experts judiciaires psychologues ou psychiatres et augmenter le nombre d'experts spécialisés dans l'évaluation des conséquences physiques et psychologiques des violences sexistes et sexuelles.

Augmenter les conditions de prise en charge par les assurances ou les mutuelles des frais liés à une action judiciaire et aux soins des victimes de violences sexistes ou sexuelles.

Enfin, afin de continuer à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, certains dispositifs seront mis en place : le lancement d'un Grenelle des violences sexistes et sexuelles, une campagne de communication grand public et la création d'une commission de suivi des recommandations.

Les membres de la Mission interministérielle sur les violences sexistes et sexuelles sous relation d'autorité et de pouvoir :

Christine ABROSSIMOV, administratrice de l'Etat
Christine CALDEIRA, secrétaire générale de l'ANDRH
Angélique CAUCHY, sportive de haut niveau, présidente de l'association Rebond
Bariza KHIARI, ancienne sénatrice de Paris et vice-présidente du Sénat
Marie-France OLIERIC, gynécologue obstétricienne, chef de pôle Femme mère enfant du CHR de Metz-Thionville et présidente de l'association Donner des ELLES à la santé
Rachel-Flore PARDO, avocate au Barreau de Paris et activiste féministe

Contact :

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Violences : dépasser l’indignation

La lutte contre les violences faites aux femmes est multiple. Les dénonciations des actes sexistes ici et ailleurs fleurissent. Ce sont des bonnes nouvelles. En même temps, la (…)

La lutte contre les violences faites aux femmes est multiple. Les dénonciations des actes sexistes ici et ailleurs fleurissent. Ce sont des bonnes nouvelles. En même temps, la montée en puissance d'un masculinisme politique explose.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Comment expliquer ce vase communiquant ? Comment le combattre ? Identifier et nommer les différents types de violences, les croiser avec l'ensemble des systèmes de domination, devient impératif pour ne pas fondre sous l'ignorance délibérée produite par les dominants.

L'actualité internationale nous le montre tous les jours. Les violences faites aux femmes sont réelles [1], matérielles, physiques ou psychologiques et pas uniquement symboliques [2]. Leur liste, non exhaustive, est elle-même violente, obscène et archaïque : féminicides, violences sexuelles dont incestes, violences conjugales, harcèlement, trafic/prostitution, violences médicales (accouchement, endométriose, règles, douleur…), violences juridiques…

Ces violences sont concomitantes et imbriquées avec des violences produites par le racisme, le classisme, le validisme, l'âgisme. De nos jours, il vaut mieux être un homme quadra blanc riche hétérosexuel et bien portant qu'une jeune femme racisée lesbienne et malade ou handicapée… personne que nous désignerons ici avec le terme « invisible ».

Ces violences s'accompagnent de violences verbales, de langage, de vocabulaire, d'imaginaire, d'interprétation, de représentations et descriptions de savoirs et connaissances dominantes (clichés, poncifs, stéréotypes, mythes), ensemble qui est appelé les violences épistémiques [3].

Arrêtons-nous sur ces violences épistémiques. Il en existe plusieurs types. Par exemple, il est courant d'exclure ou de rire des invisibles. On ne les prend pas au sérieux, on ne les croit pas, on les décrédibilise ou on ridiculise ce qui n'est pas dans la norme, un peu partout, à la maison, dans les émissions de tv, sur les réseaux sociaux, dans les assemblées, dans les commissariats, dans les tribunaux, dans les hôpitaux…

Il est également courant de rendre ces invisibles coupables de leur sort, qu'elles soient malades, opprimées, agressées : elles ne prennent pas bien soin d'elles, sont influençables, n'ont pas de volonté, ne se mettent pas en avant, s'habillent mal, ou au contraire aguichent, provoquent, cherchent à nuire…

Il est encore courant de les inviter à se corriger individuellement : positiver, prendre soin de soi, augmenter son estime de soi, faire le deuil d'une rupture, d'une agression, d'une maladie, investir son développement personnel…

Il est toujours courant de les inviter à mériter un meilleur sort : si on veut on peut. C'est la méritocratie : si chacune ne se bat pas dans son coin pour sortir de l'impasse, elle restera seule responsable des violences qu'elle subit.

Il est aussi courant de transformer les invisibles en objets (de violence) versus sujets (de lutte). Les femmes, et en particulier les femmes racisées pauvres, seraient des victimes « par essence » [4], par nature moins fortes et moins endurantes que les hommes, moins volontaires, avec des humeurs changeantes, parfois hystériques, se plaignant pour rien…

Il est enfin courant d'entendre que les hommes eux aussi des victimes car visés par des injonctions constantes à la masculinité ou au virilisme. Pourtant, la comparaison avec l'oppression des femmes est aberrante, disproportionnée.

Toutes ces violences épistémiques servent à mieux oblitérer les vrais coupables : bien évidemment les hommes violents et leurs complices mais aussi, par leur intermédiaire mais pas seulement, le patriarcat, le libéralisme, les politiques sécuritaires, culturelles, sportives, éducatives, de santé…

Ces violences épistémiques sont le résultat d'une hiérarchie des savoirs : entre femmes et hommes, entre riches et pauvres, entre racisé·es et « Blancs », entre jeunes et aînés, entre bien portants et malades. Elles sont héritées de différents systèmes de domination dont la mondialisation, l'occidentalisation, le capitalisme et antérieurement l'impérialisme, le colonialisme, ce que désigne la colonialité du pouvoir [5]. Ces systèmes ont besoin de produire de l'aliénation, de la ségrégation, de l'oppression, des hiérarchie sociales, de l'ignorance, pour se maintenir. Hannah Arendt avait prévenu : « Pour s'implanter, le totalitarisme a besoin d'individus isolés et déculturés, déracinés des rapports sociaux organiques, atomisés socialement et poussés à un égoïsme extrême. » [6]

Les offensives masculinistes

Nous comprenons mieux pourquoi, dans ce contexte, les discours populistes, masculinistes et traditionalistes se durcissent. Ils sont extrêmement présents dans la sphère politique au point de construire un masculinisme politique [7], pour ne pas dire un masculinisme d'État. En France, le hashtag #ReversDeLaMédaille, créé en 2021 par les « mascus », comme ils se nomment eux-mêmes, de l'« Armée des Médailles », a pour but d'alimenter « le combat » entre féministes et masculinistes [8]. Leur tactique de cyberharcèlement consiste à créer de faux hashtags incitant des féministes à les alimenter, puis à révéler qu'ils sont en réalité des hommes pour mieux les humilier. Partout dans le monde, des hommes politiques, au plus haut niveau de l'échelle du pouvoir, tels Donald Trump [9], Javier Milei [10] ou encore Viktor Orbán [11], et en leurs temps Jair Bolsonaro [12] ou Jacob Zuma [13], diffusent de fausses informations sur leurs adversaires, appellent au surarmement et au maintien au pouvoir par la force, dans le but d'assoir leur électorat et de consolider leur rhétorique xénophobe, anti-avortement, misogyne, antiféministe, homophobe hypermasculiniste, populiste autoritaire. Ces intrusions délibérées sont l'expression d'un désarroi politique à l'échelle internationale, désarroi lié au sentiment accru de perte de légitimité tant institutionnelle locale qu'internationale. La quête de légitimité s'opère de fait sur le terrain de l'affirmation d'une forte identité sexuelle masculine (y compris chez les femmes en position de pouvoir), en tant que seule force possible, seule expression de puissance possible.

Les contrepoints féministes

Quels sont alors les contrepoints possibles aux systèmes de domination ? Nous en connaissons déjà beaucoup. Sur internet, depuis quelques années, des hashtags, des médias ou des podcasts féministes ont largement fait surface dans le but de dénoncer les violences. Pour ne citer que quelques exemples, prenons #metoo, #BalanceTonPorc, simonemedia, madmoizelle, Un podcast à soi, Les couilles sur la table. Leurs contenus s'articulent autour de récits intimes, de paroles d'expert·es, de textes littéraires et de réflexions personnelles sur l'inceste, le harcèlement sexuel, le travail domestique, la prostitution, les violences obstétricales, la religion, les masculinités… Les hashtags en particulier permettent, par l'ampleur de la mobilisation qu'ils produisent, d'engager des procès, d'aggraver des charges pour agressions sexuelles, d'ouvrir des enquêtes, de prendre la parole. Les exemples là aussi sont nombreux : procès pour viol du producteur de cinéma Harvey Weinstein, dénonciation des violences dans les arts et la culture, dans les grandes écoles en France et ailleurs. Plus militants, les hashtags #decolonisonslefeminisme ou #feminismedecolonial permettent de dénoncer l'intersectionnalité des agressions sexuelles et d'articuler le racisme avec l'augmentation des interventions policières et carcérales de l'État.

Toutes ces actions expriment des luttes qui naissent du quotidien, là où le vécu inspire des femmes, là où l'imagination, stimulée par l'urgence, reprend le pouvoir. Nous assistons à une forme de confrontation, par laquelle ces militantes de la dénonciation sortent de l'isolement. Elles mettent en exergue le silence ou les mensonges des coupables et la complicité sociale dont ils bénéficient. Elles créent du collectif et excluent l'individuel, l'égocentrisme, l'entre-soi ou encore le ponctuel isolé. D'autres manifestent leur fragilité liée aux agressions multiples (de classe, de race, de genre, validiste, homophobe…) [14], s'insurgent contre la « racialisation » dans le travail ou les arts, contre la « culture de l'effacement » (de l'esclavage, de la colonisation, des violences sexuelles…).

L'indignation, nécessaire, est-elle suffisante ?
Parmi les personnes qui prennent la parole, certaines prolongent la dénonciation dans la rue, sur les murs, au parlement, dans les médias traditionnels, dans les palais de justice. Elles interpellent les pouvoirs publics, continuent leur travail de repérage, organisent des formations ou stimulent des pistes de recherche, se mobilisent pour le matrimoine, boycottent des interventions à forte prévalence sexiste et publient des livres, des photos ou illustrations, produisent des reportages ou documentaires sonores ou filmés.

Cette production de connaissances me semble impérative, sans quoi le risque de proroger le mépris consacré aux invisibles demeure effectif.

Plus encore, au-delà de la victimisation, de la demande de protection ou d'écoute, des doléances ou des revendications, voire même de la critique, il me semble essentiel que des personnes se mettent en action mais aussi qu'elles diffusent leurs connaissances et cela en invalidant le féminisme washing, lui aussi très courant et contreproductif. Le plus important me semble de tisser des liens entre les violences faites aux femmes et les violences multiples produites dans le monde par le capitalisme fondé sur le patriarcat : guerres, génocides, mouvements anti-écologie, populismes.

L'objectif est de transformer les langages, les expressions, les représentations, le vocabulaire du quotidien, de rompre avec les évidences. Quand nous nous engageons sur cette route, nous entrons en résistance contre les dominants car nous politisons le contexte où les savoirs non dominants sont produits. Nous redonnons de la signification au politique. Nous posons, à très grande échelle, la question de la lutte contre la production délibérée d'ignorance et celle de la maîtrise des connaissances, qui demandent à être produites par, et non simplement fournies pour, les femmes, pauvres, racisées…

Par effet retour, les invisibles deviennent conscientes de leur pouvoir effectif, de leur potentiel [15]. Elles écartent les notions d'inégalités (entre les sexes, les races, les classes, les âges, les validités), partie émergée des différentes dominations, pour mieux identifier ce qui les structurent : hiérarchie, hégémonie, oppression, coercition, aliénation [16].

Aussi Écrivons ! Dessinons ! Filmons ! Enregistrons ! Diffusons ! Transmettons ! Mais surtout croisons les dominations en tissant des liens entre violences faites aux femmes et racisme, classisme, validisme, âgisme, militarisation, destruction de la planète, masculinisme, fascisme ! Veillons à créer un langage critique radical de l'oppression ! Rompons ainsi avec l'impunité des vrais coupables et avec la banalité du mâle ! Nous pourrons alors parler de radicalité qui sert une transgression active.

Joelle Palmieri, 25 novembre 2024
https://joellepalmieri.org/2024/11/25/violences-depasser-lindignation/

[1] Nicole Claude-Mathieu évoque le terme oppression pour définir les violences exercées par les hommes sur les femmes et insiste sur l'idée de « violence exercée, d'excès, d'étouffement ». N. Claude-Mathieu, « Des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie », L'anatomie politique, catégorisations et idéologies du sexe, Éditions Côté-femmes, 1991
[2] Pierre Bourdieu considère que la domination masculine place les femmes « dans un état permanent d'insécurité corporelle ou, mieux, de dépendance symbolique ». P. Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Éditions du Seuil, 1998.
[3] Gayatri C. Spivak, In Other Worlds : Essays in Cultural Politics, New York, Routledge, 1988, 336 p.
[4] F. Collin, « Le philosophe travesti ou le féminin sans les femmes », communication présentée dans le cadre du Colloque : Les formes de l'anti féminisme contemporain, qui s'est tenu au Centre Georges-Pompidou à Paris en décembre 1991.
[5] A. Quijano, « Colonialité du pouvoir et démocratie en Amérique latine », Multitudes « Amérique latine démocratie et exclusion, Quelles transitions à la démocratie ? », juin 1994.
[6] H. Arendt, The Origins of Totalitarianism, 3 volumes, New York : Harcourt Brace & Co., 1951.
[7] J. Palmieri, « Afrique du Sud : le traditionalisme et le masculinisme au secours du pouvoir politique », Revue Africana Studia, n°30, Edição do centro de estudos africanos da universidade do Porto, 2019, p.169-191
[8] A. Gayte, « #ReversDeLaMedaille : dans les coulisses d'une opération de cyberharcèlement masculiniste », numerama, 3 mars 2021,
https://www.numerama.com/politique/692328-reversdelamedaille-dans-les-coulisses-dune-operation-de-cyberharcelement-masculiniste.html, consulté le 18 octobre 2022.
[9] P. A. Dignam & D. A. Rohlinger, “Misogynistic Men Online : How the Red Pill Helped Elect Trump”, Journal of Women in Culture and Society, n° 44 (3), 2019, p. 589-612 ; A. Smith & M. Higgins, “Tough guys and little rocket men : @Realdonaldtrump's Twitter feed and the normalization of banal masculinity”, Social Semiotics, n°30 (4), 2020, p. 547-562.
[10] S. Cartabia et P. Lenguita, « Le programme de Milei est une offensive contre les femmes et les personnes LGBTQI+ », Contretemps, 30 avril 2024,
https://www.contretemps.eu/milei-offensive-femmes-lgbtqi/, consulté le 25 novembre 2024.
[11] Z. Szebeni & V. Salojärvi, “Authentically” Maintaining Populism in Hungary – Visual Analysis of Prime Minister Viktor Orbán's Instagram”, Mass Communication and Society, 2022.
[12] R. F. Mendonça & R. Duarte Caetano, “Populism as Parody : The Visual Self-Presentation of Jair Bolsonaro on Instagram”, The International Journal of Press/Politics, n°26 (1), 2021, p. 210-235.
[13] C. Van Der Westhuizen, “100% Zulu Boy” : Jacob Zuma And The Use Of Gender In The Run-up To South Africa's 2009 Election, Women's Net, 2009,
https://za.boell.org/2014/02/03/100-zulu-boy-jacob-zuma-and-use-gender-run-south-africas-2009-election-publications, consulté le 25 novembre 2024.
[14] Le courant victimaire des « snowflakes » (flocons de neige) désigne des étudiant·es hyper-sensibles qui se sentent agressé·es à tout propos et qui surenchérissent les interdictions. Par exemple, iels exhortent les campus à ne pas applaudir des professeur·es pour ne pas heurter les malentendant·es. S. Perez, « Ici Londres, les étudiants parlent aux étudiants », L'Incorrect, n° 26, décembre 2019, p. 26.
[15] Selon Hannah Arendt, la domination « de l'homme sur l'homme » est une version falsifiée et falsifiante du pouvoir. La philosophe dissocie la domination – rapport de commandement basé sur la violence – et le pouvoir, qui renvoie à l'expérience de la liberté. Ainsi le pouvoir présente-t-il, à l'inverse de la relation de domination, plus un potentiel commun à un groupe qu'un caractère hiérarchi­que. H. Arendt, « Sur la violence », Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, traduction française, Paris, Calman-Lévy, 1972, p. 105-208.
[16] I. Théry, « Hiérarchie/inégalité, autorité/pouvoir, domination », Annuel de l'APF, n°2017 (1), 2017, p. 111-130.

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La prison est une courroie de transmission des systèmes d’oppression

3 décembre 2024, par Alicia Alonso Merino, Gabriela Moncau , Helena Zelic — ,
L'avocate et militante féministe parle de la lutte anticarcérale dans le monde et des violations subies par les femmes emprisonnées Tiré de Entre les lignes et les mots (…)

L'avocate et militante féministe parle de la lutte anticarcérale dans le monde et des violations subies par les femmes emprisonnées

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/24/la-prison-est-une-courroie-de-transmission-des-systemes-doppression/?jetpack_skip_subscription_popup

« D'abord, le féminisme m'a conduit dans les prisons, les prisons, à l'abolitionnisme, et de là à unir le féminisme et la lutte anticarcérale », résume l'avocate et militante espagnole Alicia Alonso Merino. Elle avait déjà participé depuis sa jeunesse à des collectifs féministes dans sa ville, Valladolid, lorsqu'à l'âge de 35 ans elle a commencé à animer des ateliers de médiation sur la violence à l'égard des femmes dans les prisons féminines. « Aller en prison m'a fait voir tout l'abandon des femmes par le système, la discrimination, le fait qu'elles n'étaient pas prises en compte. J'ai donc commencé à dénoncer ces discriminations, en travaillant avec différentes organisations », raconte-t-elle.

Alicia a également vécu en Argentine et au Chili, et vit actuellement en Italie. Partout où elle va, elle s'engage avec des organisations de défense des droits humains et collabore pour que les personnes emprisonnées connaissent leurs droits. Selon elle, l'inutilité de la prison pour répondre aux conflits sociaux est commune à tous les pays : « la prison produit beaucoup plus de dommages sociaux, personnels et individuels, et ne résout aucun des problèmes pour lesquels les gens y sont enfermés », conclut-elle.

L'interview ci-dessous a été accordée au Capire et au journal Brasil de Fato quand Alicia était à São Paulo pour promouvoir l'édition brésilienne de son livre Féminisme anticarcéral : le corps comme résistance

Quelle est la relation entre les luttes féministes et anticarcérales ? Pourquoi considérez-vous que le corps est au cœur de la résistance ?

La prison t'enlève ton autonomie. En prison, tout est réglementé. Elle t'infantilise. Tu ne peux rien décider, ni l'heure à laquelle tu te lèves, ni l'heure à laquelle tu peux parler au téléphone, ni l'heure à laquelle tu peux te doucher, ni l'heure à laquelle tu manges. Tu dois demander la permission pour tout. Lorsque nous n'avons aucune autonomie pour quoi que ce soit, le peu qui nous reste est notre propre corps. Et c'est avec le corps que beaucoup de femmes expriment leur douleur. Se blessant, par exemple. Souvent pour apaiser une douleur plus grande, comme être loin de ce qu'elles comprennent comme leurs devoirs de soins, loin des enfants, elles ont besoin de ressentir une douleur physique pour faire taire la douleur de l'âme.

Souvent, le seul instrument de lutte politique pour attirer l'attention est la grève de la faim. Le corps devient un lieu de résistance. Donc, l'une des critiques que nous faisons au système carcéral est que, en tant que féministes, nous voulons l'autonomie sur nos vies et nos corps.

Cela se fait activement à travers ce qu'on appelle des programmes de rééducation, qui reproduisent souvent les rôles de genre, avec des cours de coiffure, de nettoyage et d'hôtellerie, de sorte que lorsque nous partons, nous continuons avec nos mêmes rôles. Et cela se fait aussi au moyen de sanctions, lorsque les prisonnières désobéissent. La recherche que j'ai faite a trait à la politique de sanctions. Les femmes en prison sont proportionnellement plus punies que les hommes, même si les profils criminologiques sont totalement différents. Les femmes emprisonnées commettent généralement des crimes de pauvreté. Il y a rarement de la violence, il y a principalement du micro-trafic et des vols. Cela est lié à la situation économique. On pourrait penser qu'elles sont beaucoup plus dangereuses parce qu'elles sont plus sanctionnées, mais ce qui se passe, c'est que le système est aussi patriarcal, donc il tolère moins leur désobéissance que celle des hommes.

Je vois le système carcéral comme une courroie de transmission pour les systèmes d'oppression. Il y a une surreprésentation des femmes racialisées, diversifiées et autochtones. Cela a à voir avec la sélectivité criminelle, avec le populisme punitif.

Quelles sont les similitudes et les différences du système carcéral dans le Nord et le Sud du monde ?

Je vois que c'est pareil. On peut dire que les différences sont esthétiques. Elles sont importantes, car ce sont les conditions matérielles qui provoquent plus de surpopulation, plus de violence, plus d'arrestations préventives. Mais dans toutes les régions du monde, la pauvreté est incarcérée et il y a une surreprésentation des populations majoritaires qui sont traitées comme des minorités. Ceci est pareil dans le monde entier. Dans l'État espagnol, par exemple, la plupart des femmes arrêtées sont des immigrées et des Roms, qui sont des femmes racialisées. Au Brésil, il y a une majorité de femmes noires.

Il est également courant presque partout dans le monde que la plupart soient emprisonnées pour deux délits : le micro-trafic et les crimes contre les biens. Il s'agit d'une surprotection générale du droit de propriété, qui est en rapport avec les origines des codes pénaux en France à partir de 1800 et qui ont rapidement été copiés dans le reste du monde. C'était une époque où la propriété devait être protégée de manière forte et ceux qui ont créé ces lois étaient ceux qui avaient le pouvoir de les appliquer aux autres, jamais à eux-mêmes. D'une certaine manière, cela n'a pas changé.

La prison est la prison partout : elle génère de la douleur, sépare les familles et ne résout pas les conflits sociaux. Au contraire, elle reproduit les inégalités et les oppressions.

Vous êtes Espagnole, vous avez été au Chili, en Argentine, en Italie. Quels mouvements anticarcéraux vous trouvez intéressants dans ces lieux ?

Ce qui m'intéresse le plus et ce que j'admire, ce sont les mouvements féministes anti-prisons en Amérique latine, qui sont des groupes différents dans différents pays. Ils sont maintenant en réseau et ont récemment tenu une réunion en Équateur. Il y a des femmes du Chili, d'Argentine, de Colombie, d'Équateur, du Mexique. Ce sont des femmes qui ont commencé à travailler dans les prisons en faisant des ateliers féministes. Ce qu'elles font, c'est diluer les murs qui séparent l'intérieur et l'extérieur. Les camarades qui partent finissent par s'intégrer dans ces organisations, donc ce ne sont pas celles de l'extérieur qui travaillent avec celles de l'intérieur, mais plutôt l'union de réalités différentes qui finissent par dériver dans la lutte anticarcérale. Je pense que c'est l'une des choses les plus intéressantes et que j'admire beaucoup.

Il existe de petits réseaux en Italie, comme le mouvement « Pas de prison ». Dans l'État espagnol, nous essayons maintenant de construire un réseau anti-punitif et il existe des groupes anticarcéraux qui travaillent pour dénoncer les conditions des personnes emprisonnées. Il est très difficile d'articuler un réseau entre ces groupes.

Et le fait est que le féminisme anticarcéral est composé de deux mots très inconfortables pour le mouvement féministe plus institutionnalisé et aussi pour le mouvement anticarcéral, où parfois le mot « féminisme » fait du bruit. C'est donc compliqué, ces deux mots ensemble génèrent une certaine résistance, mais ils sont aussi une provocation.

Vous soutenez que pour lutter contre le système pénal et la culture de la punition, il ne suffit pas d'abolir les prisons, mais de penser à des formes de justice préventives ou transformatrices. Pouvez-vous commenter des exemples d'expériences que vous trouvez intéressantes ?

D'une part, il s'agit de travailler à réduire autant que possible la prison, avec des propositions émanant du réseau de désinscription, abordant les quatre piliers qui soutiennent le système pénitentiaire : culturel, juridique, politique et économique. Je crois que le pilier culturel est le plus compliqué, car il est enraciné dans la culture de la punition que nous avons si intériorisée et qui nous amène à nous tourner vers la police face à tout problème. C'est aussi dans ce sens de vengeance et de punition que nous avons profondément inculqué.

Il y a, de plus, les propositions de justice transformatrice, qui sont liées à la construction communautaire. Dans des sociétés très individualistes, il est nécessaire de construire des communautés fortes qui sont responsables des conflits. Ne vivons pas le conflit comme quelque chose d'individuel, mais comme la responsabilité de chacun pour les dommages générés et la réponse nécessaire. Que la sécurité soit également créée pour que la personne qui a subi une blessure se sente en sécurité et avec des garanties de non-répétition.

Dans la justice communautaire des peuples autochtones – sans idéaliser, mais plutôt à la recherche d'éléments qui peuvent être sauvés, en particulier en Amérique latine – il y a des expériences très intéressantes d'auto-organisation et de réponse communautaire. D'autre part, il y a la justice transformatrice, qui a des expériences en particulier aux États-Unis, où les communautés fortement criminalisées et réprimées ne peuvent pas recourir à la police, car la police les criminalise. Ces communautés ont donc dû trouver des moyens de résoudre leurs conflits et les dommages sociaux.

Comment voyez-vous le mouvement de privatisation des prisons ces derniers temps ? Quelle est la relation entre la prison et le néolibéralisme ?

Il y a ceux qui sont experts dans l'analyse du complexe industriel-militaire-carcéral aux États-Unis et comment ils en ont fait une entreprise qui les a amenés à être le pays avec le plus grand nombre de personnes emprisonnées. Garder les gens incarcérés est un business, ce qui est une aberration.

Mais la relation entre capitalisme et prison remonte au tout début de l'histoire des prisons. Il y a deux auteurs italiens, Melossi et Pavarini, qui ont un livre intitulé Prison et usine [The prison and the factory], dans lequel ils racontent comment les prisons sont nées pour discipliner les masses de vagabonds, des gens qui ne faisaient rien et qui, par la solitude et le travail, pouvaient être « réformés » pour devenir de « bons citoyens ». Dans le cas des femmes, cette origine est également marquée par la religion, la gestion des prisons pour femmes étant assurée par des ordres religieux.

Cette docilisation visait à enseigner les métiers domestiques afin que les femmes puissent être fidèles et bonnes servantes de la bourgeoisie et des élites locales par la prière et le travail. Dès le début, il y a une relation étroite avec le capitalisme, comme moyen de discipliner les masses laborieuses, et aujourd'hui c'est devenu un business, avec de nombreuses personnes qui gagnent de l'argent grâce aux prisons – non seulement celles qui y travaillent directement, mais aussi les juges, avocats et entreprises qui profitent du travail semi-esclave effectué dans les prisons.

Quelle banque gère le pécule ? Le pécule est l'argent des prisonniers, qui n'utilisent pas d'argent liquide, mais ont une sorte de compte, avec une banque gérant tout cela. Quelle est cette banque ? En Espagne, c'est la banque Santander. Il existe également un monopole sur les appels téléphoniques et la vente de marchandises à l'intérieur de la prison. Il y a des entreprises qui profitent de tout cela. Cela ne suit pas le modèle du complexe militaro-industriel des États-Unis, mais c'est aussi une entreprise pour de nombreuses personnes.

Il n'y a actuellement aucun moyen de parler des prisons sans parler des attaques brutales de la Palestine et d'Israël et de ses diverses formes d'arrestations, de persécutions et de violations des droits humains. Nous aimerions que vous nous fassiez part de vos commentaires à ce sujet.

Avant le 7 octobre de l'année dernière, la situation était déjà terrible à tous les niveaux. Premièrement, parce que les Palestiniens n'ont pas les garanties judiciaires du reste des citoyens en Israël. Ils sont persécutés, détenus et jugés par l'armée, traités par des tribunaux militaires, même s'ils sont des civils.

Le Groupe de détention arbitraire de l'ONU stipule que les civils ne peuvent pas être jugés par l'armée. Ces détentions, outre administratives, fondées sur les lois de l'époque de la colonie britannique, sont également arbitraires. Il y a des milliers de personnes en détention arbitraire en Palestine, et qui, en plus, sont expulsées de leurs lieux d'origine et emmenées dans des prisons dans ce qu'on appelle maintenant l'État d'Israël. Cela viole toutes les normes internationales qui stipulent que vous ne pouvez pas transférer des personnes de votre territoire. Cela viole la quatrième convention de Genève. Ainsi, Israël viole de façon permanente les droits humains des personnes qu'il détient en Palestine.

Depuis le 7 octobre dernier, tout a empiré. Il est évident qu'un peuple entier est exterminé sans qu'il y ait de la pression internationale. Israël n'autorise pas non plus la presse internationale à entrer. D'après le peu qui en sort, on voit qu'il y a des camps de concentration. On parle de milliers de personnes « kidnappées » par Israël, on ne sait pas dans quelles conditions. Certaines photos montrent une sorte de « Guantánamos », comme on les appelle.

Les conditions de détention des prisonniers à Gaza et en Cisjordanie se sont aggravées. Ils incarcèrent sans discernement. Si auparavant il y avait une politique de faute professionnelle médicale, maintenant elle s'est intensifiée. Des gens meurent par manque de soins. Certains sont blessés et, incarcérés, on les laisse mourir, ce qui reste impuni. À cela s'ajoutent les mauvais traitements, les agressions sexuelles, la surpopulation et l'absence de conditions de vie minimales. Avant c'était déjà grave, c'était déjà dénonçable. Mais maintenant, la situation s'est aggravée de manière alarmante. Nous devons continuer à parler de la Palestine parce qu'ils veulent rayer la Palestine de la carte.

Quelles réponses devons-nous apporter à cette situation, à partir du féminisme et de la lutte anticarcérale ?

Nous sommes conscients que pour abolir les prisons, le droit pénal et la culture de la punition, nous devons abolir le monde tel que nous le connaissons. Construire un autre monde. Il n'y a pas d'autre remède pour avancer que de s'impliquer dans cette dénonciation. C'est tellement aberrant, tellement impuni ce qui se passe, que nous ne pouvons pas rester silencieuses. En tant que féministes anticarcérales, anticolonialistes, antiracistes, nous devons être également impliquées dans cette lutte contre la colonisation et le sionisme.

Interview réalisée par Gabriela Moncau et Helena Zelic
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
https://capiremov.org/fr/entrevue/alicia-alonso-merino-la-prison-est-une-courroie-de-transmission-des-systemes-doppression/

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« Pour un accompagnement feministe et abolitionniste des personnes victimes de la prostitution »

3 décembre 2024, par Genevieve Duche , Francine Sporenda, Marie-Hélène Franjou — , ,
Interview de Genevieve Duche et Marie-Helene Franjou par Francine Sporenda Tiré de Entre les lignes et les mots Geneviève Duché et Marie-Hélène Franjou (anciennes (…)

Interview de Genevieve Duche et Marie-Helene Franjou par Francine Sporenda

Tiré de Entre les lignes et les mots

Geneviève Duché et Marie-Hélène Franjou (anciennes présidentes et actuellement membres du CA) viennent de publier « Pour un accompagnement féministe et abolitionniste des personnes victimes de la prostitution, une violence sexuelle et sexiste » (publication Amicale du Nid, octobre 2024). Le livre est préfacé par Ernestine Ronai (membre du CA et responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine Saint Denis). En lecture gratuite sur le site de l'Amicale du Nid [1].

FS : Pourquoi n'est-il pas possible d'accompagner efficacement les femmes qui veulent sortir de la prostitution hors d'un cadre d'intervention féministe ?

GD et MHF : Evidemment il faut ajouter « abolitionniste » à « féministe » comme dans notre titre puisque certains groupes se disent féministes et non abolitionistes.

La très mauvaise estime d'elles-mêmes des femmes en situation de prostitution, résultat des violences subies souvent avant et par la prostitution, ne doit pas rencontrer de propos culpabilisants ou infantilisants ou renforçant l'idée que c'est un moyen de gagner de l'argent comme un autre. Accompagner une personne prostituée c'est lui proposer d'analyser avec elle les épisodes de sa vie ayant conduit à la situation de prostitution, le comment elle s'est retrouvée dans cette situation, c'est permettre l'abandon de la culpabilité pour retrouver la confiance en soi nécessaire au franchissement de nombreux obstacles à la sortie de la prostitution. C'est aussi permettre la prise de conscience d'être victime d'un système prostitutionnel lui-même produit par le système patriarcal. Nous développons dans le livre l'importance du statut de victime de violences sexuelles et sexistes qui n'est pas passivité mais au contraire moyen de se battre et de faire valoir ses droits fondamentaux. Nous voyons bien aujourd'hui avec le mouvement #Me Too combien il faut de ténacité, de force, de courage aux victimes qui dénoncent les violences sexuelles subies et les hommes qui les ont perpétrées contre elles. L'intervention féministe, c'est aussi faire se rencontrer les personnes ayant vécu les mêmes humiliations et dominations pour avoir le support des paires. C'est une solidarité mise en œuvre, une égalité, et non un accueil surplombant entre quelqu'une qui est en position de demande d'aide et quelqu'une qui est en position de savoir aider. L'intervention féministe rend possible le questionnement sur les violences qui font souvent peur aux intervenantes sociales trop peu encore formées dans ce domaine et les implique dans leur propre cheminement et lutte contre l'oppression masculine. Ce sont des féministes qui ont mis à jour, dénoncé l'omniprésence des violences sexuelles et sexistes dans les sociétés patriarcales, qui ont analysé leurs mécanismes (domination, emprise, égotisme masculin etc.) et leurs effets sur la santé physique, psychique (stress post traumatique etc.) et sexuelle des victimes, qui ont dit les violences subies, qui ont écouté et entendu leurs sœurs.

MH F : « Parole de médecine… les atteintes à la santé sont majeures dans la prostitution, nous avons développé cet aspect dans notre livre. Le droit à la santé, selon l'OMS est le droit de jouir « du meilleur état de santé physique et mental qu'il soit possible d'atteindre ». Ce droit concerne l'accès aux services de santé mais aussi à l'attention à porter à tous les facteurs qui ont un impact sur la santé. Les femmes en situation de prostitution subissent quotidiennement des violences sexistes et sexuelles qui ont toutes sortes de conséquences négatives sur leur santé psychique, physique et sexuelle et sont de graves atteintes à leurs droits fondamentaux ».

GD : » L'accompagnement féministe d'une personne prostituée n'est pas un enrôlement, c'est lui permettre, en apportant des clés de compréhension et en rompant sa solitude par de la solidarité, de se mettre sur son propre chemin pour la reprise en main de sa vie. Le risque d'un accompagnement non féministe et non abolitionniste est de réduire cet accompagnement à quelques droits – évidemment essentiels aussi – mais sans donner les moyens réels aux victimes de prostitution de sortir de cette situation. Certains accueils ou accompagnements de personnes prostituées qui ne considèrent pas la prostitution comme une violence mais comme une activité, les maintiennent dans leurs souffrances. Une violence ne s'aménage pas mais se combat. Par ailleurs comme pour le mouvement #Me Too ce qui est important c'est le dire, un dire des violences subies entendu, partagé et cru. Et « le dire c'est agir » écrit Chloé Delaume dans « Mes bien chères sœurs » ».

FS : Vous dites que la passe est « un moment de domination pure » : il ne s'agit pas pour les clients de sexualité mais d'appropriation virilisante du corps des femmes. Pouvez-vous commenter ?

GD et MHF : Oui payer avec de l'argent ou autre chose pour utiliser un corps à sa guise et pour sa propre jouissance, c'est un acte de domination, ce ne peut être une relation. C'est la négation de l'humanité de la personne prostituée, c'est l'anéantissement de l'autre en tant que sujet. C'est bien un effet de l'appropriation du corps des femmes par les hommes, appropriation privée et collective.

Mais il semble que beaucoup d'hommes construisent leur sexualité ou leur recherche de jouissance et nourrissent leurs fantasmes sur la passivité des femmes (corps drogués, sédatés de femmes violées. Cf. procès Pelicot), sur leur avilissement (insultes, coups, tortures). Dans le système de domination masculine persistant les hommes sont construits sur ce qu'on appelle « un égocentrisme légitime comme principal ressort de la masculinité ».

Nous reprenons à notre compte les paroles et les analyses d'Andrea Dworkin : « Ce que les hommes demandent aux femmes c'est de consentir à leur propre humiliation, à leur propre anéantissement en tant que personnes ; non seulement d'y consentir mais de la demander et même d'y prendre plaisir, pour être « une vraie femme » ». Pour elle comme pour nous, la prostitution ressemble plus à un viol collectif qu'à quoi que soit d'autre ; la prostitution est un viol tarifé.

FS : Vous parlez des assassinats de prostituées, assez fréquents (voir les statistiques allemandes à ce sujet) et vous dites que l'assassin se perçoit, et est socialement perçu, comme un nettoyeur, un purificateur. Pouvez-vous expliquer ?

GD et MHS : Les personnes prostituées sont souvent perçues comme des tentatrices dangereuses et sans dignité, à l'écart de la société. Aller les voir, c'est franchir un interdit, les hommes peuvent s'en glorifier auprès de leurs pairs mais ils ne s'en vantent pas à la maison. Ils se persuadent qu'ils sont en droit d'aller les voir car « ils ont des besoins sexuels impérieux » et qu'ils paient « la prestation » et que ce sont elles qui « se prostituent » et qui offrent « leurs services ». Quand elles disparaissent après un assassinat, peu de monde sinon personne se soucie d'elles car elles ne le méritent pas, leur vie était indigne et sale. Pourtant il s'agit de féminicides qu'il faut inclure dans les statistiques de ces crimes contre les femmes.

Cette stigmatisation des personnes prostituées est d'autant plus forte que la société est puritaine. Elles incarnent le péché et la tentation. Du côté des chrétiens catholiques, la prostitution a très tôt été considérée comme un réseau d'égout et l'éjaculation comme une vidange organique. Il est alors préférable d'organiser la vidange et la satisfaction des besoins masculins dans des bordels éloignés des familles où les rapports sexuels ne devaient avoir qu'une fonction, la reproduction. Comparer une personne (la femme prostituée) à un égout et l'assigner à une fonction d'assainissement urbain sont des atteintes profondes à sa dignité et provoque la stigmatisation. Est-il dit autre chose aujourd'hui par les réglementaristes qui affirment que la prostitution est « un mal nécessaire » à organiser ?

FS : La prostitution est inséparable de la pédocriminalité. Pouvez-vous nous parler de la prostitution des mineur/es, de l'âge d'entrée en prostitution, de comment les jeunes y sont recruté/es, des préférences pédophiles des clients ?

GD et MHF : La question des mineur·es en situation de prostitution et la législation actuelle font l'objet d'un chapitre dans notre livre.

Les diagnostics de la prostitution effectués par l'Amicale du Nid dans plusieurs départements retrouvent toujours des mineur·es, d'âge divers, le plus souvent autour de 14-17 ans mais des enfants de 11 ans peuvent être capté·es par le système prostitutionnel. Il existe une écrasante majorité de filles, souvent françaises, ayant été vulnérabilisées par des violences antérieures, pas toujours de milieux défavorisés. Parmi elleux, il y a aussi les mineur·es non accompagné·es – MNA – dont le trajet depuis le pays d'origine et en France a été et est très difficile….

Les mineur·es ne s'identifient pas vraiment en situation de prostitution et vont parler « d'escorting » ou de « michetonnage ». L'effet Zahia a sans doute été renforcé par la sortie du film « une fille facile » en 2019. Elles ont pu être entrainées par une copine ou abordées par un « loverboy » qui les a peu à peu mises sous emprise affective, être attirées par l'argent et par la possibilité d'acheter un téléphone, un sac ou un vêtement. Elles s'imaginent adultes et autonomes et disent qu'elles « gèrent » mais vont s'apercevoir assez vite que le « lover boy » ou celui qui est le « patron » du réseau veut de plus en plus d'argent et lui en donne de moins en moins, violences à l'appui si nécessaire à l'encontre de toute rébellion (viols, coups, chantage aux « nudes » …)

N'en pouvant plus des agressions sexuelles qu'elle subit, la très jeune femme de 15 ans du film « Noémie dit oui » l'exprime clairement, « son fantasme à elle, c'est de tuer un homme pendant qu'il la baise ». Le « client-prostitueur » trouve ce propos très excitant, ne veut pas voir qu'elle n'est qu'une enfant, ne lui demande pas pourquoi elle est là et ne manifeste aucun intérêt à rechercher ce qu'elle vit.

Les « pédocriminels » qui achètent des actes sexuels à des mineur·es ne sont pas seulement des agresseurs et des violeurs d'enfants, ils soutiennent avec leur argent le proxénétisme et le trafic d'êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle. La loi doit s'appliquer pleinement.

Les « clients » de la prostitution sont à 99% des hommes, de tous âges, le plus souvent mariés ou en couple et ils ont des enfants. Lorsqu'ils s'expriment sur leur comportement, ils disent considérer comme normal de pouvoir satisfaire leurs besoins sexuels sans encourir de problèmes conjugaux. Ils ne reconnaissent ni la souffrance des personnes qu'ils prostituent, ni le fait, le cas échéant, qu'ils savaient leur minorité. Pourtant c'est ce qu'ils cherchent.

Une expérience en « live » a été faite à Montpellier par une salariée de l'Amicale du Nid : lancement d'un faux avis de jeune fille disponible sur les réseaux. En quelques instants, des hommes répondent, nombreux…

Pédocriminels certes, mais aussi tous les autres, attirés par la plus grande vulnérabilité des mineur·es et qui deviennent pédocriminels par opportunité… Ils diront après si on les interroge qu'ils ne savaient pas qu'iels étaient mineur·es.

Les proxénètes des mineur·es sont de jeunes majeur·es, le plus souvent des hommes, qui peuvent agir seuls ou comme « petite main » d'un patron. Des filles peuvent aussi être proxénètes après avoir été victimes, une façon de sortir de la prostitution dans un milieu qui les enferme…

Les mineur·es sont contacté·es dans la rue, aux abords des gares, des établissements scolaires ou de la protection de l'enfance mais aussi et de plus en plus via les sites d'annonces et les réseaux sociaux. Les lieux de prostitution sont divers, appartements BNB, caves, squats, forêt, bois ou autres extérieurs…

Les procédés d'emprise sont les mêmes que ceux, bien observés dans les violences faites aux femmes, notamment conjugales : la victime, qu'elle soit majeure ou mineure est isolée, dévalorisée, humiliée. On lui fait croire qu'elle a choisi sa situation et qu'elle en est responsable, ce qui inverse la culpabilité. Le ou la mineur·e souhaite un nouveau smartphone, on lui offre mais iel en a accepté la contrepartie. L'acheteur d'acte sexuel ne s'intéresse pas à la personne qu'il soumet à son désir, aux raisons qui expliquent sa situation, à ce qu'elle peut vivre ou ressentir. C'est pour elle le règne de la honte et de la peur. A-t-elle un proxénète, elle doit faire un nombre défini de passes dans sa journée, impératif à respecter sous peine de représailles violentes. Mais le client est lui aussi violent, en atteste les « mesures de protection » mises en place par le proxénète et qui ne sont pas toujours efficaces. Pour verrouiller le secret, une menace peut être faite de mettre sur les réseaux sociaux des photos de « nudes ».

A noter, la plus grande fragilité des mineur·es face à la dureté et à la violence de la prostitution, leur captation plus facile par les drogues, et les mêmes atteintes, graves et multiples, à leur santé et à leur vie. On pense aux infections sexuellement transmissibles et au Sida, mais il ne faut pas oublier les multiples humiliations, les coups, les grossesses imposées, les interruptions de grossesse ordonnées, les dépressions, le stress post-traumatique. Et aussi la très grande difficulté à établir des relations affectives stables et confiantes…

En France, le nombre des adultes en prostitution est estimé à 40 000, celui des mineur·es à 10 000-15 000. Sur le terrain, sans chiffre précis, on perçoit une augmentation continue des situations de prostitution chez les mineur·es. Il est urgent d'agir pour les protéger et les sortir de cette situation qui la plupart du temps se prolonge à l'âge adulte.

Depuis 2010, l'Amicale du Nid attire l'attention sur la prostitution des mineur·es (et jeunes adultes notamment en université), fait de la prévention en milieu scolaire, soutient les professionnel·les pour leur prise en charge. Plus récemment, ce sont des diagnostics spécifiques faits dans plusieurs départements, une adaptation du service de formation et l'ouverture progressive de services mineur·es dans 9 départements grâce au premier plan national de lutte contre la prostitution des mineur·es établi en novembre 2021.

FS : Vous citez les chiffres de la CIIVISE (une personne sur 10 en France victime d'inceste, dans 9 cas sur 10 par un homme, 160 000 mineur/es par an victimes de violences sexuelles). Vos commentaires ?

MHF médecine de PMI : « Je me souviens d'un petit garçon accueilli dans un foyer de l'enfance par décision de justice après la révélation de ce qu'il vivait à la maison. Il avait questionné sa psychologue pour savoir si elle aussi faisait l'amour avec son papa et sa maman…

Je me souviens encore de cette femme d'une cinquantaine d'années qui, il y a bien longtemps, osait pour la première fois parler du désastre produit sur sa vie par les viols vécus pendant son enfance. Elle s'était levée, très digne, très droite malgré l'émotion visible, au milieu de ces centaines de femmes réunies dans un amphi pour parler des violences faites aux femmes ».

Les chiffres de la CIIVISE – Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants – sont terribles et d'autant plus terribles qu'ils sont plus ou moins les mêmes que ceux entendus lors d'une réunion internationale sur la protection de l'enfance à Montréal en 1982. Les interventions sur les violences sexuelles faites aux enfants y étaient nombreuses… De retour en France, des responsables de services du ministère des Affaires Sociales de l'époque ont voulu savoir ce qui se passait en France et ont questionné tous les départements. Evidemment les violences sexuelles à enfants, et en grand nombre, existaient aussi en France… et depuis pas grand-chose n'a été fait !

Les conséquences sont dramatiques : des vies de souffrance, des vies détruites et parfois des défenses mises en place en s'identifiant aux agresseurs (les hommes), des vulnérabilités entrainant des mises en danger répétées (les femmes). Les violences sexuelles dont l'inceste peuvent faciliter la survenue future d'autres violences sexuelles dont la prostitution…

Il s'agit bien là de la plus terrible composante de la domination masculine.

GD : « Même si elle craque ici ou là, grâce à la parole et au courage des victimes devenues adultes, la résistance des institutions religieuses et politiques à voir et à prendre en compte ces violences sexuelles contre les enfants est un scandale. Le comportement des pouvoirs publics français face aux travaux et au rapport de la CIIVISE et les tentatives d'amoindrissement des faits, de contournement ou d'oubli de la parole des victimes sont insupportables. Il y a bien une omerta tenue par les hommes de pouvoir, assistés de quelques femmes, pour conserver ce « terrain » de violence et de prédation, ce pouvoir de soumission d'êtres fragiles et agir à l'ombre de l'irresponsabilité de tous les hommes ou presque qui ne disent rien ».

Contre toutes ces violences la loi doit être appliquée mais aussi la prévention doit être présente partout et faire l'objet d'une réelle politique d'Etat. Nous y reviendrons dans la question sur la loi de 2016.

FS : Vous dites que, vu le nombre croissant de femmes qui élèvent seules leurs enfants (mamans solos), la prostitution redevient, comme au 19ème siècle, le seul moyen pour des femmes pauvres de nourrir leurs enfants. Pouvez-vous nous en parler ?

GD et MHF : Dans tous les départements où travaille l'Amicale du Nid, il en est de même ailleurs, des femmes sortent de maternité avec leur enfant dans les bras et se retrouvent à la rue !!! Pas assez de places dans les centres maternels et pas de places ailleurs non plus. Ces femmes sont souvent étrangères… Que peut faire une femme, particulièrement vulnérabilisée, dans cette situation ?

Demain, les mineur·es françaises en situation de prostitution auront des enfants nés de viols tarifés… Que feront-elles ? Comment sortir de la prostitution sans formation ? Où trouver le courage de se battre pour en sortir en ayant une si mauvaise image de soi, en ayant de si nombreux problèmes de santé ?

Et puis il y a les autres femmes pauvres, celles sans emploi ou en emploi peu rémunérateur que le compagnon abandonne bien qu'il soit le père des enfants. Oui, comme au 19ème siècle et avant, les femmes qui avaient des métiers très peu payés, les lavandières par exemple, étaient amenées à accepter leur mise en exploitation par les prostitueurs (proxénète compagnon ou pas, et clients) pour avoir un peu plus d'argent pour survivre. Nous ne faisons pas mieux et la situation s'aggrave du côté des emplois de service mal rémunérés et des mères qui élèvent seules leurs enfants.

Les mécanismes et logiques combinés du système économique et des rapports sociaux de sexe créent des inégalités et des vulnérabilités qui renforcent le système prostitutionnel.

FS : Les personnes prostituées qui sont invitées sur les plateaux télé n'en disent invariablement que du bien. Le livre d'Emma Becker, « La maison », qui en donnait (à première vue) une image favorable a bénéficié d'une importante couverture médiatique. Pourquoi n'entend-on jamais un autre son de cloche dans les médias ?

GD et MHF : La réponse pourrait être lapidaire : parce que la société et donc les acteurs et actrices des médias qui en sont issu·es considèrent la prostitution comme une activité légitime pour répondre à des besoins masculins, quasiment une activité du « care » qui permet aux femmes d'exercer leur « agentivité » en gagnant leur vie ainsi. Le côté un peu sulfureux peut faire de l'audience.

La violence, l'exploitation qu'est la prostitution sont encore largement ignorées ou cachées. Et le monde de la Culture, on le constate, est particulièrement transmetteur de ce déni et producteur de violences sexistes et sexuelles.

Les femmes en situation de prostitution ont du mal à témoigner de la violence et de la coercition subies parce qu'elles sont sous emprise, parce qu'elles risquent des représailles, parce qu'elles sont étrangères, très souvent soumises à la traite et ne maîtrisent pas très bien la langue française. Certaines arrivent à témoigner et dire la réalité de leur situation publiquement mais souvent dans l'anonymat.

Pourtant il y a un mouvement international des survivantes de la prostitution et les femmes qui en font partie témoignent, disent et écrivent. Nous avons à diffuser leur parole. Parmi elles certaines sont parfois obligées d'arrêter leur pratique du témoignage parce que les effets du trauma subi ressurgissent avec les souffrances du stress post traumatique.

Une femme en situation de prostitution répondant à la question du témoignage public disait : quand on est en situation d'être obligée de faire de l'argent avec des passes, on ne peut pas dire du mal des clients, alors on dit que tout va bien !

A propos du système prostitutionnel, nous interrogeons dans notre livre les deux notions de consentement et de liberté.

Mais le problème n'est pas que les personnes prostituées disent ceci ou cela dans les media c'est qu'en face on attende du glamour et de la justification d'un monde où les femmes sont réifiées et soumises aux désirs masculins.

La question suivante apportera un complément de réponse.

FS : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi des femmes prostituées (en début de « carrière ») se sentent vengées et « renarcissisées » (« putes et fières de l'être ») par le fait de faire payer les hommes pour l'accès sexuel à leur corps ?

GD et MHF : Nous ne dirions pas « carrière », même si certaines peuvent le dire… Ce n'est pas un métier et il n'y a pas de « carrière », c'est un esclavage et un déni d'humanité, une atteinte profonde à la dignité humaine.

Quand une femme a vécu des violences sexuelles pendant son enfance et son adolescence, que ce soit au sein de sa famille ou par des proches, elle en garde de profondes blessures et les humiliations ressenties ont détruit son estime de soi. Lorsqu'elle se trouve en situation (par un proxénète ou seule), à « faire payer » pour d'autres violences, elle se sent moins passive, ressent peut-être même de la fierté à réclamer de l'argent à celui qui veut accéder à son corps, à faire payer ce qui lui a été volé avant. On retrouve cela dans les témoignages de femmes qui disent avoir choisi de se prostituer après avoir subi des viols (incestueux ou pas).

Un groupe de survivantes écrit : « quand notre estime de soi a vraiment été fracassée au point qu'on ne s'accorde aucune valeur, le fait que des gens soient prêts à payer, à nous accorder une valeur monétaire pour accéder à nos corps, peut faire illusion de réparation narcissique ».

Qui accepte au fond d'être traitée comme une chose, qui ne va pas chercher une justification à sa situation, qui ne va pas chercher à combattre la honte qui ronge, qui ne va pas chercher à transformer un tant soit peu cette situation en rôle positif, en service de plaisir pour les hommes, en capacité de se débrouiller seules … le fameux empowerment (notion et impératif de comportement que nous critiquons dans le livre) ?

Des personnes qui se nomment travailleuses du sexe parlent de fierté : « oui nous sommes des putes et fières de l'être ». C'est un retournement de l'injure assez classique quand on commence à se redresser. Il s'agit de vider l'insulte de sa charge d'humiliation… et le public dont les journalistes (la plupart) font tout pour ne pas le voir ou le comprendre !

FS : Pouvez-vous nous parler de l'application de la loi de 2016. Pouvez-vous nous donner quelques chiffres à ce sujet, nous dire ce qui est positif et ce qui ne marche pas, fait obstacle à l'application de cette loi ?

GD et MHF : Cette loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées est abolitionniste et non prohibitionniste, elle dépénalise les personnes prostituées et les considère comme des victimes auxquelles il faut proposer un accompagnement vers la sortie de la prostitution quand elles le souhaitent ; interdit l'achat d'acte sexuel ; accroit la lutte contre le proxénétisme ; renforce le rôle de la prévention.

Rappelons que la prostitution des mineurs est interdite depuis la loi n°2002-305 du 4 mars 2002 renforcée par la loi n°2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineur·es des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Les peines sont lourdes (prison et lourdes amendes) mais jusqu'à présent la loi de 2002 reprise dans la loi de 2016 est, hélas, peu appliquée.

Un premier bilan de la loi du 13 avril 2016 a été fait par l'Amicale du Nid et d'autres associations de terrain en novembre 2021, rapport FACT-S (Fédération des acteurs et actrices de terrain et des survivantes). On pourra le lire en ligne.

Dans ce rapport FACT-S nous faisions cinq recommandations :

Une alternative à la prostitution pour toutes les personnes prostituées (quand elles le souhaitent, il faut donc pouvoir le proposer à toutes)

Une grande campagne nationale pour un changement de regard de la société (comme celles que l'on a pu voir sur les violences conjugales, trop peu nombreuses encore)

Pas d'impunité pour les prostitueurs, clients et proxénètes

Généraliser la prévention pour assurer un avenir sans marchandisation du corps pour les jeunes,

Un effort financier à la hauteur de 2,4 milliards d'euros pour 10 ans.

Cette loi a des effets positifs lorsqu'elle est pleinement appliquée. Le problème réside dans la volonté politique de l'appliquer et des moyens attribués aux différents services d'Etat (police et justice notamment mais aussi ministère de solidarités et de l'égalité femmes/hommes) et aux associations spécialisées pour y parvenir. L'instabilité politique et la courte durée des ministres de l'égalité F/H n'arrangent pas les choses.

Les parcours de sortie de la prostitution : ils sont encore insuffisants en nombre, les préfet·ètes jouent un rôle important dans l'organisation des réunions permettant l'étude des dossiers de demande de PSP et les résultats selon leurs attitudes vis-à-vis de l'immigration.

Il ne faut pas oublier que l'accompagnement à la sortie de la prostitution ne date pas de la loi de 2016 mais de la politique sociale d'Etat de lutte contre la prostitution des années 1960. En plus des PSP, l'Amicale du Nid a accompagné en 2022, 1 304 autres personnes en accompagnement social global intégrant toutes les dimensions du processus d'émancipation du système prostitutionnel. Par ailleurs 4 798 personnes ont été accueillies dont 23% d'enfants accompagnant leur mère… Et bien d'autres actions qu'on peut retrouver sur le site.

Les PSP exigent un engagement de la personne à sortir de la prostitution, donnent droit à une allocation d'insertion sociale de 449,23 euros (que nous jugeons insuffisante) et à la possibilité d'obtenir une autorisation provisoire de séjour notamment pour pouvoir travailler, ce qui concerne beaucoup de personnes accompagnées étrangères et souvent soumises à la traite des êtres humains.

A l'Amicale du Nid, on observe une nette amélioration des taux d'accord pour l'obtention des Parcours de Sortie de Prostitution (PSP) depuis 2017 mais qui cache :

Une sélection des dossiers par les salarié·es face au faible nombre de demandes de nouveaux parcours pouvant être présentées dans certaines commissions, ou le nombre insuffisant de réunions de commissions.

Une insuffisance des financements dédiés aux accompagnements des parcours, malgré le fait qu'il s'agisse d'accompagnements socio-éducatifs et d'insertion très soutenus. »

Au total depuis 2017, 1 747 personnes ont bénéficié ou bénéficient toujours d'un PSP qui peut durer 24 mois. C'est trop peu mais tellement important pour les personnes qui ont pu y accéder.

A noter que l'Amicale du Nid accompagnait en 2023, 275 personnes en PSP vs 209 en 2022 (25% en plus). En France, en 2023 une personne sur trois accompagnée en PSP l'était par l'Amicale du Nid.

Au 31 décembre 2023, les départements qui totalisent le plus de PSP en cours sont le Rhône, la Seine Saint-Denis, les Bouches du Rhône, l'Isère et Paris. L'Amicale du Nid est agréée dans ces cinq départements et est la seule à l'être en Seine Saint-Denis. A la même date, 35 départements n'avaient aucun PSP en cours et 65 en avaient moins de 5…

La lutte contre la traite et le proxénétisme se renforce selon l'OCRTEH, structure policière spécialisée. En 2023, l'OCRTEH a démantelé 53 réseaux soit 1 000 mis en cause et 1 051 victimes identifiées. Les infractions constatées avec condamnations pour TEH sont moins nombreuses que celles pour proxénétisme, plus faciles à détecter mais produisant des sanctions plus légères. En 2023, 254 victimes mineur·es ont été identifiées dans le proxénétisme de proximité (rappel de 10 000 à 15 000 mineur·es en situation de prostitution). Par ailleurs les réseaux latino-américains sont en train de se développer rapidement et de supplanter les réseaux d'Europe de l'Est et africains.

Le nombre de clients sanctionnés, les clients sont ceux qui engendrent la prostitution, qui créent le marché : depuis 2016 moins de 500 par an sont condamnés (dans le cas de prostitution de majeur·es) au paiement d'une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe (au maximum 1 500 euros et 3 750 euros en cas de récidive). C'est largement insuffisant, et le niveau de la sanction nous parait trop faible. La police n'est pas vraiment engagée dans la recherche des clients même lorsqu'il s'agit de prostitueurs-clients de mineur·es. Volonté, formation et moyens en effectif manquent. Mais quand on voit comment sont traités les viols par la justice française : 94% des affaires de viol ont été classées sans suite en 2021, une statistique effarante qui souligne l'échec des dispositifs actuels à répondre à ce problème social massif, on ne peut s'étonner de la résistance à trouver et à sanctionner les prostitueurs-clients. Cela ne réduit pas la colère !

La prévention (à savoir l'éducation dès les premiers âges) est indispensable pour faire bouger les mentalités et les attitudes. Mais elle est largement insuffisante puisqu'elle s'appuie sur l'obligation pour l'l'Education nationale d'une éducation à la sexualité qui n'est pas respectée. De plus participent à cette prévention souvent sous-traitée par les établissements, des associations pro-prostitution ou non abolitionnistes.

Comment dans un bain de culture du viol peut-on arriver à réduire, à faire disparaître les violences sexuelles et sexistes ?

GD : « une anecdote parlante et alarmante : j'ai été invitée à présenter mon livre : « Non au système prostitutionnel » dans un institut de formation de travail social. Dans ma salle il y avait quelques personnes (6 ou 7) ; à côté une salle était pleine d'étudiant·es pour une conférence sur l'assistanat sexuel … »

Il est très positif que plus de 40 associations et organisations se réunissent en ce moment en France pour rédiger et exiger une grande loi cadre de lutte contre toutes les formes de violences sexuelles sexistes et que la prostitution et la pornographie soient incluses dans ces violences. Enfin !

FS : « Une violence ne s'aménage pas » dites-vous. Pourquoi la notion de prostitution réglementée et éthique n'a-t-elle pas plus de sens que celle d'« esclavage éthique » ?

GD et MHF : La personne humaine est son corps. Le corps à protéger n'est pas un objet patrimonial. L'appropriation du corps de l'autre pour en user comme un objet et le marchandiser est une atteinte profonde à la dignité humaine qui occupe la première place dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, par exemple. Comment alors rendre éthiques la prostitution et la pornographie, ces actes de violence sexuelle ? Par des horaires garantis, des draps de soie, un salaire minimum, un gel lubrifiant de qualité, des sourires ? Non ! comme pour l'esclavage et la GPA, une violence qui transforme le corps de femmes vulnérables en machine reproductive, la prostitution n'a rien à voir avec une éthique quelconque, elle est le produit de la domination masculine et par l'argent.

Aucune égalité réelle entre les femmes et les hommes ne peut exister si la société considère que le corps des femmes est un corps disponible à approprier et sans égalité il n'y a ni justice, ni démocratie réelle.

[1] Les chapitres :

Les personnes prostituées et les prostitueurs, proxénètes, trafiquants et clients
D'où nait la prostitution ? l'imbrication des systèmes et des violences à l'origine du système prostitutionnel, sa définition
Les régimes de la prostitution et l'abolitionnisme français, une politique publique de lutte contre la prostitution, l'application de la loi Olivier-Coutelle de 2016
Prévenir la prostitution des mineur·es, repérer les mineur·es en situation de prostitution et les accompagner pour en sortir
L'accompagnement féministe dans une association féministe centrée sur les violences sexuelles et sexistes, éléments de réflexion
https://revolutionfeministe.wordpress.com/2024/11/17/pour-un-accompagnement-feministe-et-abolitionniste-des-personnes-victimes-de-la-prostitution/

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Une mobilisation importante, une justice partiale. La lutte des ouvrières de Kairouan continue

3 décembre 2024, par Comité pour le respect des libertés et des droits de l'homme en Tunisie — , ,
Soutien aux ouvrières de Kairouan et à Jamel Cherif : défendre les droits syndicaux et la dignité humaine Tiré de Entre les lignes et les mots (…)

Soutien aux ouvrières de Kairouan et à Jamel Cherif : défendre les droits syndicaux et la dignité humaine

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/25/une-mobilisation-importante-une-justice-partiale-la-lutte-des-ouvrieres-de-kairouan-continue/

Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l'homme en Tunisie (CRLDHT) salue la mobilisation massive qui a permis d'obtenir la libération de Jamel Cherif, secrétaire général de l'Union locale du travail de Sbikha (UGTT), ainsi que de trois ouvriers de l'usine de chaussures Ritun, condamnés avec des peines de prison avec sursis. Le 21 novembre 2024, le tribunal de Kairouan a rendu son verdict, marquant une étape importante dans une lutte qui a été rendue possible grâce à la détermination des ouvrières, premières en ligne dans ce combat pour des conditions de travail dignes et la défense des droits syndicaux.

Depuis le début de cette affaire, les ouvrières de l'usine Ritun ont été au centre des mobilisations, bravant la répression pour défendre leurs droits face à des conditions de travail injustes et précaires. Parmi les 27 licenciés, nombreuses sont les femmes qui ont payé le prix fort pour avoir tenté de créer un syndicat, un droit pourtant garanti par la loi. Malgré les pressions, elles n'ont jamais cessé de revendiquer la justice et la dignité pour elles-mêmes et pour tous les travailleurs.

Le CRLDHT tient à rendre hommage au courage de Jamel Cherif, un syndicaliste exemplaire qui a fait face à une situation syndicale extrêmement difficile. Son engagement, dans un contexte de répression croissante, a été une source d'inspiration pour tous les travailleurs et travailleuses de Kairouan. Grâce à son leadership, la mobilisation a pris de l'ampleur, rassemblant les syndicats, les enseignants et de nombreux citoyens solidaires.

La condamnation de Jamel Cherif et des trois ouvriers avec des peines de prison avec sursis, après des accusations fallacieuses de perturbation de la production, est une tentative claire de criminaliser l'action syndicale. Ce verdict, bien que moins sévère qu'attendu grâce à la pression populaire, reste inacceptable. Il démontre la fragilité des droits syndicaux en Tunisie et l'urgence de les défendre face aux tentatives de répression.

Le CRLDHT souligne le rôle indispensable des syndicats, particulièrement celui de l'UGTT, dans cette lutte. Grâce à la solidarité exprimée par le Syndicat de l'enseignement secondaire de Kairouan, qui a appelé à une journée de grève, la pression sur les autorités a permis d'obtenir des concessions. Les syndicats jouent un rôle clé pour garantir la justice sociale et la dignité des travailleurs, en particulier des ouvrières, souvent en première ligne de la lutte contre la précarité et les abus.

Le CRLDHT réaffirme que la lutte n'est pas terminée. Nos exigences restent claires :

* L'annulation totale des condamnations de Jamel Cherif et des trois ouvriers. La justice ne doit pas être un outil de répression.

* La réintégration immédiate des 27 ouvrières et ouvriers licenciés, avec des garanties contre toute forme de représailles.

* Le respect intégral des droits syndicaux, incluant la liberté de se syndiquer, de manifester et de négocier, conformément à la Constitution tunisienne et aux conventions internationales ratifiées par la Tunisie.

* Des conditions de travail dignes pour toutes et tous, en mettant l'accent sur les droits des femmes ouvrières, qui sont les premières touchées par la précarité et la discrimination.

* Une enquête indépendante et impartiale sur les pratiques de l'usine Ritun, pour faire la lumière sur les violations des droits des travailleuses et travailleurs.

* Un dialogue social sincère entre les syndicats, les employeurs et les autorités, pour éviter que de telles situations ne se reproduisent.

Le CRLDHT appelle la communauté internationale, les organisations de défense des droits humains et les syndicats du monde entier à poursuivre leur soutien aux ouvrières et ouvriers de Kairouan. Cette lutte pour la justice sociale et les droits syndicaux ne s'arrête pas aux frontières tunisiennes. La solidarité internationale reste cruciale pour faire en sorte que les droits des travailleurs soient respectés et pour faire reculer les tentatives de répression. Nous appelons à des actions concrètes : campagnes de sensibilisation, soutien financier et moral et pressions diplomatiques pour défendre la liberté syndicale en Tunisie.

Le CRLDHT continuera à suivre de près l'évolution de ce conflit social et à soutenir toutes les initiatives en faveur des droits des ouvrières et des ouvriers. Nous restons aux côtés des syndicats, des militants et des citoyens engagés pour construire une Tunisie où la dignité humaine, la justice sociale et les droits syndicaux prévalent sur la répression et l'injustice. La mobilisation reste notre meilleure arme face aux abus. Nous continuerons à nous battre pour une société plus juste pour toutes et tous.

CRLDHT
21ter rue voltaire
75011 Paris

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Victoire de la gauche au Botswana

3 décembre 2024, par Paul Martial — ,
La victoire électorale de la gauche suscite des espoirs d'une rupture avec la politique inégalitaire qui prévaut depuis l'indépendance du pays. Tiré de Afrique en Lutte 25 (…)

La victoire électorale de la gauche suscite des espoirs d'une rupture avec la politique inégalitaire qui prévaut depuis l'indépendance du pays.

Tiré de Afrique en Lutte
25 novembre 2024

Par Paul Martial

Les élections au Botswana, pays d'Afrique australe de 2,6 millions d'habitantEs situé au-dessus de l'Afrique du Sud, ont eu lieu le 30 octobre. Fait inattendu, la victoire écrasante de l'opposition classée à gauche imposant une alternance inédite depuis l'indépendance du pays en 1966.

Diamants pour quelques-uns

Plus qu'une défaite, c'est une déroute. L'Umbrella for Democratic Change (Coalition pour un changement démocratique) remporte 36 sièges et obtient la majorité absolue, et par là même son leader Duma Boko devient président de la République. Quant au Botswana Democratic Party, l'ancien parti au pouvoir, il ne compte plus que quatre députés. Le Botswana n'a pas failli à sa réputation de pays démocratique, Mokgweetsi Masisi, le président sortant, a reconnu sa défaite et a engagé une passation de pouvoir loyale. Pour le pays, il s'agit bien d'un évènement historique qui ne s'explique pas seulement par l'usure du pouvoir.

La relative prospérité du Botswana tient à ses mines de diamants. Il est le second exportateur mondial de diamants qui représentent 90 % des exportations de son économie. Masisi s'est contenté de gérer cette manne sans jamais amorcer une diversification économique, alors que la concurrence se fait rude avec la production de diamants de synthèse utilisés notamment dans l'industrie. Cette crise ne fait que renforcer un taux de chômage élevé, notamment parmi la jeunesse. À ce tableau peu reluisant s'ajoute la dérive autoritaire du pouvoir avec une élite dirigeante profondément divisée.

Misère pour les autres

Le sondage réalisé par Afrobarometer mettait en relief qu'une large majorité des habitantEs considère l'entourage de la présidence comme corrompu et critique Masisi pour son népotisme et son mépris du parlement.

Le système électoral de scrutin majoritaire à un tour imposait à l'opposition traditionnellement divisée de s'unir. À partir de 2012 s'est créé l'UDC dont l'épine dorsale est le Botswana National Front, un parti se réclamant de la social-démocratie dont est issue Duma Boko, les gains électoraux réguliers consacrent la pérennité de cette unité. Les autres éléments décisifs sont les thèmes sociaux de la campagne de l'UDC se déclinant autour de l'emploi des jeunes et comme l'indique le média The Voice Botswana : « un régime national d'assurance maladie qui garantira à chacun l'accès à des soins de santé de qualité, pris en charge par le gouvernement et leur garantissant une vie et des moyens de subsistance décents ». Dans un pays où la prospérité bénéficie à une minorité une telle proposition fait mouche. Le Botswana compte près de 2500 millionnaires et est considéré comme un des pays le plus inégalitaire au monde. Le financement de cette mesure nécessitera un nouveau partage des richesses au détriment de l'élite fortunée du pays. L'UDC sera-t-il prêt à le faire ? Les mobilisations populaires seront un élément décisif pour imposer cette nouvelle politique sociale.

Paul Martial

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