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Libye : Sous le joug des milices

10 juin, par Paul Martial — , ,
La responsabilité du premier ministre dans le déclenchement des conflits entre milices pour protéger son réseau de corruption, déclenche une réprobation populaire. Il y a un (…)

La responsabilité du premier ministre dans le déclenchement des conflits entre milices pour protéger son réseau de corruption, déclenche une réprobation populaire.
Il y a un mois résonnaient les détonations d'armes automatiques et d'artillerie lourde dans Tripoli, la capitale de la Libye, mettant fin à l'illusion d'une stabilisation du pays.

Abdel Ghani Al-Kikli dirigeant du Stability Support Apparatus (SSA – Structure de soutien à la stabilité) une des milices officiellement intégrée au Gouvernement d'Union Nationale (GUN) de Dbeibah était assassiné au siège de la Brigade 444, un autre groupe armé qui en profita aussitôt pour attaquer les positions du SSA provoquant la fuite de la plupart des combattants.

Conflit entre clans mafieux

Dbeibah affirmait que désormais le temps des milices était résolu et tenta dans la foulée de s'en prendre aux Forces spéciales de dissuasion souvent appelées RADA, un groupe salafiste qui jouait le bras armé de Njeem inculpé par la CPI pour crime contre l'humanité. Il sera arrêté en Italie puis libéré et exfiltré en Libye avec la bénédiction du gouvernement de Meloni.
Non seulement la brigade 444 n'est pas arrivée à bout du Rada, mais cette attaque a largement fragilisé le GUN puisque la moitié de ses membres a démissionné et surtout des milices de la ville de Zaouïa ont soutenu RADA.

Ces affrontement inter-milices témoignent de la volonté de Dbeibah d'obtenir un pouvoir absolu à l'image de son rival le général Haftar, qui avec ses fils contrôle d'une main de fer la partie est du pays. Dbeibah, cet homme d'affaire issu de Misrata a fait fortune grâce aux bonnes relations que son clan familial entretenait avec Mouammar Kadhafi. Son accession au pouvoir en 2021 était liée à l'organisation d'élections qui devaient se tenir dans les huit mois. Quatre ans plus tard il n'y a toujours pas d'élections, par contre Dbeibah n'a pas perdu son temps en consolidant son réseau de corruption fortement concurrencé par Al-Kikli se montrant bien plus efficace dans la spoliation des ressources de l'Etat alimentées par la manne pétrolière.

Une pauvreté en progression

Suite au cessez-le-feu signé entre les deux milices, un calme précaire règne de nouveau sur la capitale libyenne. Mais ces affrontements ont exacerbé le mécontentement des populations. Des manifestations ont été organisées dans plusieurs quartiers de Tripoli. Ces dernières ont convergé vers la place des martyrs rassemblant plus de 4000 personnes, ces mobilisations ont continué les jours suivants malgré la répression. Les mots d'ordre contre Dbeibah et pour l'unification du pays ont été scandés.

Si les élites politiques et militaires s'allient ou s'affrontent pour siphonner les richesses de l'Etat, la situation des populations se détériore grandement. Mohamed al-Huwaij, le ministre de l'Économie du GUN, indique que près de 40 % des Libyens se trouvent sous le seuil de pauvreté. Les affrontement inter milices ont eu au moins le mérite de révéler au grand jour le rejet des dirigeants par une grande partie de libyens.

Paul Martial

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Québec solidaire doit demander l’abrogation de la loi 69 assurant la gouvernance responsable des ressources énergétique et modifiant diverses dispositions législatives et exiger que soit lancé un large débat public sur l’avenir énergétique du Québec

10 juin, par Comité d'action politique écologiste de Québec solidaire — , ,
Proposition d'urgence du Comité d'action politique Écologiste présentée au Conseil national au Conseil national du 7 et 8 juin 2025. Cette proposition d'urgence a été adoptée (…)

Proposition d'urgence du Comité d'action politique Écologiste présentée au Conseil national au Conseil national du 7 et 8 juin 2025. Cette proposition d'urgence a été adoptée par le Conseil national de Québec solidaire tenu les 7 et 8 juin dernier.

1. CONSIDÉRANT que l'urgence climatique et la nécessité d'être carboneutre d'ici 2050 ne sont plus à démontrer ;

2. CONSIDÉRANT la déclaration du programme du parti sur la souveraineté des peuples autochtones et de son principe afférent des relations d'égal à égal et de nation à nation ;

3. CONSIDÉRANT que la Loi 69, qui vise à doubler la production énergétique du Québec d'ici 25 ans, comporte plusieurs risques importants pour le Québec, notamment :

a. Miser principalement sur la croissance énergétique pour attirer des multinationales en leur offrant des tarifs d'électricité concurrentiels ;

b. Négliger la décarbonation de notre économie et ignorer les entreprises locales concernées ;

c. Privatiser la production et la distribution de l'électricité ;

d. Augmenter significativement les tarifs d'électricité ;

e. Ignorer la sobriété énergétique et la protection de nos territoires agricoles et des écosystèmes ;

f. Soutenir et développer un extractivisme qui sert la filière batterie et l'électrification du parc automobile, tout en négligeant les transports collectifs publics ;

4. CONSIDÉRANT le consensus de plusieurs peuples autochtones et organisations de la société civile, notamment le syndicats et groupes écologistes qui exigent un débat public large sur l'avenir énergétique du Québec avant d'élaborer un Plan de gestion intégré des ressources énergétiques (PGIRE) ; 5. CONSIDÉRANT l'impact de la loi sur plusieurs régions du Québec par des projets comme le Projet TES Mauricie ;

6. CONSIDÉRANT, d'après ce qui précède, qu'il y a urgence d'agir, le Comité d'action politique écologiste propose :

1) Que Québec solidaire demande l'abrogation de la loi 69 ;

2) Que Québec solidaire, en collaboration avec les peuples autochtones et les organisations alliées, exige la tenue d'un large débat public de société sur l'avenir énergétique du Québec dans une perspective de transition socio- écologique juste et de repossession collective de nos ressources énergétiques ;

3) Que Québec solidaire appuie les revendications des opposant·es au projet de loi 69 et encourage la participation de ses membres aux mobilisations de 2025 et 2026 en faveur d'une transition énergétique juste, fondée sur la planification démocratique des besoins, la décentralisation régionale et la gestion collective de l'énergie sous contrôle public, de la production et la distribution.

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La position de l’Afrique dans le nouvel ordre mondial

10 juin, par Will Shoki — , ,
L'Afrique est aujourd'hui à la croisée des chemins, prise entre les crises internes, les dynamiques changeantes du pouvoir mondial et le lent déploiement de l'ordre politique (…)

L'Afrique est aujourd'hui à la croisée des chemins, prise entre les crises internes, les dynamiques changeantes du pouvoir mondial et le lent déploiement de l'ordre politique postcolonial. D'un côté à l'autre du continent, les partis au pouvoir, autrefois légitimés en tant que libérateurs nationaux, perdent du terrain, mais l'opposition reste divisée et n'a pas grand-chose à offrir en termes de gouvernance alternative.

25 juin 2025 | tiré de Viento sur

https://vientosur.info/la-posicion-de-africa-en-el-nuevo-orden-mundial/

Le Soudan reste pris au piège d'une guerre dévastatrice entre les forces armées soudanaises et les forces paramilitaires de soutien rapide. C'est un conflit qui a déplacé des millions de personnes et qui s'est en même temps internationalisé, l'Égypte et les Émirats arabes unis soutenant des camps opposés.

Les élections de 2024 au Mozambique ont été l'un des exemples les plus clairs de ce déclin, lorsque le parti au pouvoir, le Frelimo, a été proclamé vainqueur d'un processus condamné par de nombreuses personnes comme étant frauduleux. Le chef de l'opposition Venâncio Mondlane, candidat du parti Podemos nouvellement créé, a accusé le gouvernement d'avoir orchestré une manipulation électorale massive, avec des décomptes parallèles des votes indiquant qu'il avait effectivement remporté les élections. Le parti au pouvoir a réagi aux manifestations de masse en déclenchant une violente répression. Ce faisant, il a poursuivi sa tendance à réprimer la dissidence politique et à maintenir son contrôle par des moyens de plus en plus autoritaires.

La perte de légitimité de ces gouvernements de l'ère de la libération ne se limite pas au Mozambique. En Afrique du Sud, le Congrès national africain (ANC) a perdu sa nette majorité pour la première fois depuis 1994, ne remportant qu'environ 40 % des voix aux élections de 2024. Après des décennies de domination politique, le parti fait maintenant partie d'une coalition difficile et extrêmement fragile avec l'Alliance démocratique (DA), un parti avec lequel il a longtemps rivalisé. Cela a forcé l'ANC à gouverner à partir d'une position plus centriste, limitant sa capacité à développer des politiques auxquelles sa base traditionnelle pourrait s'attendre.

Alors que certains secteurs de l'ANC considèrent cette coalition comme une concession nécessaire pour maintenir la stabilité, d'autres la qualifient de trahison de la mission historique du parti, notamment en raison de l'orientation politique néolibérale de la DA. Les conséquences de ces événements restent à voir : elles dépendront de la persistance du gouvernement de coalition, de la poursuite de la fracture de l'ANC ou de la force des mouvements d'opposition en dehors du processus électoral officiel.

Le déclin de l'ANC fait partie d'une tendance plus large en Afrique australe, où le Zanu-PF du Zimbabwe s'enracine au pouvoir par des moyens répressifs plutôt que par le soutien populaire, en utilisant le pouvoir judiciaire et la commission électorale pour bloquer toute contestation de l'opposition. Pendant ce temps, la Swapo en Namibie et le BDP au Botswana ont été confrontés à des revers électoraux sans précédent (le BDP a perdu une élection pour la première fois depuis l'indépendance), ce qui indique que même les partis au pouvoir autrefois stables ne sont plus assurés d'une victoire électorale facile. L'émergence de ces changements indique que leurs références autrefois puissantes en tant que partis libérateurs ne sont plus suffisantes pour obtenir un mandat gouvernemental suffisant.

Conflit

L'affaiblissement de ces gouvernements s'inscrit dans un contexte d'aggravation des conflits et d'instabilité dans d'autres parties du continent.

Le Soudan reste empêtré dans une guerre dévastatrice entre les forces armées soudanaises et les paramilitaires des Forces de soutien rapide. Ce conflit a déplacé des millions de personnes et est progressivement devenu international, l'Égypte et les Émirats arabes unis soutenant des camps opposés. La guerre a non seulement aggravé l'effondrement économique du Soudan, mais elle constitue également une menace pour la stabilité régionale, avec des retombées au Tchad, au Soudan du Sud et en Éthiopie.

La République démocratique du Congo (RDC) continue de lutter contre les insurrections armées, en particulier le M23 soutenu par le Rwanda, qui exacerbe les tensions régionales. Les accusations d'ingérence transfrontalière contribuent à la détérioration des relations diplomatiques.

Ces crises ne sont pas isolées, mais reflètent un échec plus profond de la gouvernance à travers l'Afrique, où, dans de nombreux cas, l'État est incapable de résoudre les griefs sociaux et économiques sans recourir à la violence.

L'effet Trump

Au milieu de toutes ces crises, l'Afrique doit aussi faire face au changement de l'ordre international. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a déjà commencé à remodeler les relations de l'Afrique avec les États-Unis. Il y a eu un changement en faveur d'une relation plus transactionnelle et d'un accent renouvelé sur la sécurité plutôt que sur le développement. L'une des premières grandes mesures de politique étrangère de Trump a été l'élimination de l'aide au développement avec le démantèlement de l'USAID et le retrait du financement de programmes de santé cruciaux, y compris le Plan d'urgence du président américain pour la lutte contre le sida (PEPFAR). Des millions de personnes n'ont donc pas accès au traitement du VIH et à d'autres services essentiels.

Cela s'est fait sentir de manière plus aiguë dans les pays où les systèmes de santé sont déjà mis à extrêmement rude épreuve, ce qui exacerbe les crises de santé publique qui pourraient avoir des effets déstabilisateurs à long terme. Le gouvernement américain justifie ces coupes par des arguments typiques de son idéologie America First, qui considère l'aide étrangère comme une dépense inutile et non comme un investissement stratégique dans la stabilité.

Et cela a coïncidé avec un durcissement de la politique américaine en matière de migration. Le gouvernement envisage d'interdire l'octroi de visas d'entrée qui pourraient affecter des dizaines de pays africains en limitant l'accès des étudiants, des travailleurs et des touristes. Cette approche n'est pas sans rappeler la fermeture des frontières de la première présidence de Trump. Cela annonce un approfondissement de l'isolement des États-Unis par rapport à l'Afrique, traitant le continent davantage comme un risque pour la sécurité et une source non souhaitée d'immigrants que comme un partenaire diplomatique ou économique.

Trump et l'Afrique du Sud

L'hostilité manifestée par l'administration américaine à l'égard de l'Afrique du Sud a été particulièrement choquante. Trump a expulsé l'ambassadeur sud-africain et imposé des sanctions en réponse à la politique d'expropriation des terres et aux positions de politique étrangère de Pretoria, notamment sa volonté de tenir Israël responsable du génocide qu'il commet à Gaza. Le gouvernement américain maintient que cela implique de la sympathie pour le Hamas et l'Iran.

Ces mesures punitives reflètent le malaise général du trumpisme à l'égard des gouvernements qui remettent en question l'hégémonie américaine, en particulier ceux du groupe des BRICS. En qualifiant les positions politiques de l'Afrique du Sud d'« anti-américaines », Trump a effectivement rompu l'une des relations diplomatiques les plus importantes entre les États-Unis et une puissance africaine. Cela s'inscrit également dans la volonté générale de sa présidence de privilégier les États autoritaires de droite et d'isoler les gouvernements qu'il considère comme de gauche ou indépendants.

Les États-Unis, la Chine et les ressources africaines

En même temps, le gouvernement de Trump cherche à établir un type de relation différent avec certains pays africains, notamment en ce qui concerne les ressources. Il négocie actuellement un traité sur les minéraux stratégiques avec la République démocratique du Congo (RDC). Il propose une assistance militaire en échange d'un accès exclusif à des minéraux critiques, indispensables aux industries de pointe des États-Unis, en particulier le secteur technologique et l'industrie militaire. L'accord garantirait aux entreprises américaines un contrôle étendu sur l'extraction du cobalt et d'autres minéraux essentiels. Cela reflète un changement dans la stratégie des États-Unis, qui remplacent l'aide au développement par une extraction économique directe.

Le gouvernement américain affirme que cette collaboration contribuera à stabiliser la RDC en lui apportant une aide en matière de sécurité. Les critiques, quant à elles, estiment que cette démarche risque d'intensifier une dynamique néocoloniale en donnant la priorité à l'extraction des ressources plutôt qu'à un véritable développement économique.

La politique de la Chine à l'égard de l'Afrique est elle aussi en mutation. Pendant deux décennies, Pékin a été le principal partenaire économique du continent, finançant des infrastructures et commerçant à une échelle bien supérieure à celle de toute autre puissance étrangère. Cependant, avec le ralentissement de l'économie chinoise, sa disposition à accorder des prêts importants aux gouvernements africains s'est réduite. Des pays comme la Zambie et le Kenya, lourdement endettés envers la Chine, subissent déjà les pressions de cette nouvelle stratégie de crédit. Il semble que l'époque où la Chine offrait des facilités de financement pour de grands projets d'infrastructure touche à sa fin.

Cela place les pays africains dans une position précaire. De nombreux gouvernements, qui ont structuré leur économie autour d'investissements chinois continus, peinent désormais à s'adapter à cette nouvelle réalité. Ce changement réduit les options de financement extérieur pour l'Afrique, d'autant plus que les institutions financières occidentales imposent elles aussi des conditions de plus en plus strictes pour l'octroi de prêts, en particulier aux pays fortement endettés.

Une nouvelle politique est-elle possible ?

Pour les gouvernements africains, ces changements soulèvent des questions difficiles en matière de stratégie politique et économique. Le déclin des mouvements de libération nationale n'a pas encore conduit à l'émergence d'alternatives progressistes viables. Les partis d'opposition à travers la région défendent pour la plupart des modèles de gouvernance néolibéraux au lieu d'articuler de nouvelles approches de transformation économique. Plutôt qu'un tournant clair vers un renouveau démocratique, une grande partie du continent semble tiraillée entre la montée de la répression étatique et la fragmentation des oppositions. Beaucoup de partis d'opposition, bien qu'ils critiquent les gouvernements en place, n'ont pas été en mesure de proposer des programmes économiques rompant avec le paradigme néolibéral dominant. Cela signifie que, même dans les pays où les partis au pouvoir subissent un déclin électoral, il y a peu d'éléments laissant croire que leur remplacement transformerait réellement le paysage politique ou économique.

Bien que des mouvements impliqués dans des luttes syndicales ou communautaires continuent de revendiquer un changement, leur capacité à remettre en cause les structures de pouvoir établies demeure incertaine. La faiblesse actuelle des alternatives de gauche en Afrique reflète une tendance mondiale plus large, où les forces socialistes et social-démocrates peinent à se réaffirmer dans un monde dominé par le capital financier et le pouvoir des entreprises.

Cependant, il y a des signes que cela pourrait changer. D'un bout à l'autre du continent, les appels à la souveraineté économique se multiplient, à des programmes de renforcement de la protection sociale et aux résistances financières extérieures. Si ces luttes donnent naissance à des formations politiques cohérentes, elles pourraient jeter les bases d'un nouveau type de politique, une politique qui rompt avec les échecs des partis issus de la libération et les limites des forces d'opposition libérales.

L'ordre politique postcolonial en Afrique est en train de s'effondrer, mais on est loin d'être clair sur ce qui va suivre. L'érosion de la légitimité des partis au pouvoir ne s'est pas encore traduite par une transformation significative du système. Dans de nombreux cas, elle n'a fait qu'ouvrir la porte à de nouvelles formes de manœuvre des élites. En cette période de transition, la véritable bataille ne se limite pas au seul terrain électoral, mais concerne la nature même de l'État, la gouvernance économique et la place de l'Afrique dans un ordre mondial en mutation rapide. Jusqu'à ce que des alternatives émergent pour faire face aux dépendances du continent vis-à-vis de la finance mondiale, de l'extraction des ressources et de la croissance basée sur la dette, l'Afrique continuera d'être soumise à des cycles d'instabilité, avec ou sans les anciens mouvements de libération aux commandes.

02/04/2025

Will Shoki

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Québec solidaire doit s’opposer au projet de loi 97 visant principalement à moderniser le régime forestier et doit demander une large consultation publique sur la préservation et la gestion des forêts du Québec

10 juin, par Comité d'action politique écologiste de Québec solidaire — , ,
Proposition d'urgence du CAP Écologiste présentée au Conseil national des 7-8 juin 2025. Cette proposition d'urgence a été adoptée par le Conseil national de Québec solidaire (…)

Proposition d'urgence du CAP Écologiste présentée au Conseil national des 7-8 juin 2025. Cette proposition d'urgence a été adoptée par le Conseil national de Québec solidaire tenu les 7 et 8 juin dernier.

1. CONSIDÉRANT que l'urgence climatique et la nécessité de protéger et de restaurer la biodiversité ne sont plus à démontrer.

2. CONSIDÉRANT que le Québec adhère au Cadre mondial de la biodiversité de Kunming adopté à Montréal en 2022 par la 15e Conférence des Parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique.

3. CONSIDÉRANT que le projet de loi 97 néglige plusieurs mesures de protection de la biodiversité de l'accord Kunming, notamment, la protection des territoires, leur usage durable dans le respect des droits des communautés autochtones et locales ainsi que la protection de la biodiversité dans l'ensemble des politiques publiques.

4. CONSIDÉRANT que de nombreux acteurs s'opposent à l'adoption du projet de loi 97 [1] , notamment les peuples autochtones qui n'ont pas été parties prenantes de la consultation visant à réformer le régime forestier du Québec ainsi que la Fédération québécoise des municipalités (FQM) qui craignent de voir les ressources forestières de leurs territoires ne soient exploitées par l'industrie forestière à un rythme non viable et qui ne permet pas de préserver les emplois de ce secteur à plus long terme.

5. CONSIDÉRANT que les forêts jouent un rôle essentiel dans un contexte de crise climatique, puisqu'elles captent et séquestrent le carbone.

6. CONSIDÉRANT que les forêts sont déjà affectées par le réchauffement climatique et que Québec solidaire doit prévoir des mesures pour accompagner leur adaptation et favoriser leur résilience.

7. CONSIDÉRANT, d'après ce qui précède, qu'il y urgence d'agir, le Comité d'action politique écologiste propose :

1. Que Québec solidaire s'oppose à l'adoption du projet de loi 97 dans sa forme actuelle ;

2. Que Québec solidaire exige qu'une nouvelle mouture du projet de loi 97 protégeant adéquatement les milieu naturels soit déposée à l'automne ;

3. Que Québec solidaire exige la tenue d'une vaste consultation publique portant sur la modernisation du régime forestier ainsi que sur la préservation des forêts du Québec. Dans le cadre de ce processus démocratique, les divers acteurs seront invités à prendre part aux décisions, notamment les peuples autochtones, les municipalités et leurs regroupements, les syndicats, la société civile, l'industrie du tourisme et l'industrie forestière. Cette consultation devra prendre en compte les études les plus récentes qui concernent l'état de nos forêts au Québec et les meilleures pratiques pour les préserver.

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« Les massacres en Palestine sont similaires à ceux de la colonisation en Afrique »

Entretien · Malgré une solidarité ancienne avec la cause palestinienne forgée dans les luttes anticoloniales, les États africains peinent à faire face à l'influence (…)

Entretien · Malgré une solidarité ancienne avec la cause palestinienne forgée dans les luttes anticoloniales, les États africains peinent à faire face à l'influence israélienne. L'ambassadeur de Palestine en Côte d'Ivoire, Abdal Karim Ewaida, décrypte ces relations, et il se félicite de ce qu'il analyse comme le réveil de l'engagement africain en faveur de son pays.

Tiré d'Afrique XXI.

Alors que Gaza subit depuis plus de dix-huit mois une guerre génocidaire, un basculement discret s'opère en Afrique : celui d'un réveil diplomatique sur la cause palestinienne. En janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu la plausibilité d'un génocide à Gaza, à la suite de la plainte déposée par l'Afrique du Sud. Cet engagement est historique, même s'il n'a pas permis de mettre fin à la violence israélienne. Dans la foulée, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a adopté une résolution (1) condamnant l'« apartheid » israélien qui responsabilise les États africains.

Mais la solidarité avec la Palestine reste fragmentée. Elle est portée par certains pays comme l'Afrique du Sud, l'Algérie, la Namibie, le Sénégal. Le Cameroun ou l'Érythrée refusent encore de reconnaître l'État de Palestine. Le Rwanda, pourtant marqué par le génocide des Tutsis en 1994, demeure un allié de Tel-Aviv. Le Maroc, malgré des manifestations imposantes contre la normalisation de ses relations avec Israël, poursuit sa coopération sécuritaire et technologique.

Comment expliquer ces dissonances ? Quel rôle jouent les calculs diplomatiques, les partenariats sécuritaires ou encore l'influence grandissante des Églises évangéliques pro-israéliennes ? Que peut faire le continent pour la Palestine ? Ancien ministre des Affaires étrangères, ex-ambassadeur au Niger et au Burkina Faso, l'ambassadeur de Palestine en Côte d'Ivoire, Abdal Karim Ewaida, répond à ces questions dans un entretien accordé à Afrique XXI où il décrypte les batailles politiques au sein de l'Union africaine (UA) et appelle le continent africain à transformer sa mémoire historique en force diplomatique.

« Israël a une diplomatie patiente, méthodique et opaque »

Raouf Farrah : En 2020, Israël a tenté d'obtenir le statut d'observateur auprès de l'UA. Cela a déclenché une intense bataille diplomatique qui a conduit à son exclusion, en 2023. Ce n'était pas une première : Israël courtise l'UA depuis deux décennies. Que révèle, selon vous, cette séquence ?

Abdal Karim Ewaida : Cette tentative n'était pas anodine. Israël cherchait à redéfinir les équilibres diplomatiques du continent à son avantage, en misant sur les divisions internes à l'UA. Depuis 2002, il multiplie les démarches pour obtenir un statut officiel qui lui permettrait d'influencer de l'intérieur les décisions collectives africaines. Cette offensive a mis au jour une ligne de fracture entre les États qui privilégient des partenariats stratégiques immédiats – sécuritaires, agricoles, technologiques – et ceux qui restent fidèles aux principes fondateurs de l'UA : l'autodétermination, les droits humains et la solidarité avec les peuples opprimés.

Accorder ce statut à Israël aurait représenté une rupture symbolique majeure : cela aurait affaibli l'engagement collectif de l'Afrique en faveur de la Palestine et miné sa crédibilité sur la scène internationale. Fort heureusement, des pays comme l'Afrique du Sud, l'Algérie et la Namibie se sont mobilisés pour faire barrage.

Mais ce refus n'a pas mis fin à la stratégie israélienne. Elle se poursuit sous d'autres formes, plus discrètes : des relations bilatérales renforcées, notamment avec des pays influents comme l'Éthiopie – siège de l'UA – ou le Kenya. C'est une diplomatie patiente, méthodique et parfois opaque. Si elle n'est pas contrebalancée par une présence palestinienne plus active, elle risque d'éroder progressivement le soutien panafricain à notre cause.

Raouf Farrah : Diriez-vous qu'Israël instrumentalise les vulnérabilités africaines pour asseoir son influence et affaiblir le soutien africain à la Palestine ?

Abdal Karim Ewaida : L'expansion de la présence israélienne en Afrique s'inscrit dans une stratégie assumée : renforcer son influence diplomatique, construire des alliances stratégiques et redéfinir les équilibres régionaux à son avantage. Israël investit dans des secteurs clés – sécurité, agriculture, innovation –, et cela répond aux besoins immédiats de nombreux États africains, confrontés au terrorisme, à l'insécurité alimentaire ou aux défis climatiques. Plusieurs gouvernements perçoivent cette coopération comme un levier de modernisation.

En 2017, Benjamin Netanyahou est devenu le premier chef d'État non africain à s'adresser à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Depuis, les interactions entre dirigeants africains et responsables israéliens se sont intensifiées. Mais derrière cette coopération technique se cache une stratégie politique. En renforçant ses partenariats économiques et militaires, Israël cherche aussi à affaiblir le soutien africain à la Palestine dans les forums internationaux, notamment aux Nations unies. Des logiques de dépendance se créent, rendant certaines capitales frileuses à toute critique par crainte de perdre un appui ou un investissement.

« Des combattants de l'OLP ont été formés en Afrique »

Raouf Farrah : Il existe aussi des dynamiques idéologiques et religieuses derrière le soutien à Israël sur le continent. Comment la montée en puissance du sionisme chrétien (2) influence-t-elle la cause palestinienne en Afrique ?

Abdal Karim Ewaida : Le sionisme chrétien en Afrique puise ses racines dans l'héritage des missions chrétiennes occidentales, qui ont façonné de nombreuses communautés évangéliques à travers le continent. Aujourd'hui, bon nombre de ces Églises, influencées par des réseaux états-uniens, perçoivent le soutien à Israël comme un devoir religieux associé à l'accomplissement de prophéties bibliques. Cette vision contribue à une forte domination des récits pro-israéliens qui relèguent souvent la souffrance palestinienne à l'arrière-plan, voire la nient totalement.

Dans certains contextes, cette influence alimente même une rhétorique ouvertement hostile aux Palestiniens. Mais il est important de souligner que le sionisme chrétien ne représente pas l'ensemble des voix religieuses africaines. De nombreuses organisations, de nombreux intellectuels et chefs spirituels – notamment en Afrique de l'Ouest et en Afrique du Sud – continuent de manifester un soutien actif à la cause palestinienne. Cela dit, faire face à l'impact grandissant du sionisme chrétien nécessite bien plus que des déclarations de principes. La sensibilisation est cruciale : intégrer des discours sur les droits humains, l'histoire coloniale et la réalité du terrain dans les cercles de foi peut aider à déconstruire des récits biaisés et à favoriser une compréhension plus équilibrée et plus empathique du combat palestinien.

Raouf Farrah : La quasi-totalité des pays africains, à l'exception du Cameroun et de l'Érythrée, reconnaissent officiellement l'État de Palestine. Cette reconnaissance politique s'est-elle traduite par un véritable appui ?

Abdal Karim Ewaida : Pour beaucoup de pays africains, la cause palestinienne n'est pas perçue comme une affaire étrangère mais comme le prolongement naturel de leurs propres luttes pour la liberté, l'émancipation et la dignité. Il faut rappeler que l'État de Palestine a été proclamé en 1988 à Alger, sur le sol africain : un symbole fort. Et bien avant cela, dès 1974, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) obtenait le statut d'observateur auprès de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'ancêtre de l'UA. Ce sont des gestes politiques lourds de sens, qui ont confirmé un ancrage profond et commun aux deux histoires. Mais ce lien ne s'est pas joué uniquement dans les discours. Il a pris une forme très concrète sur le terrain. Des combattants de l'OLP ont été formés dans plusieurs pays d'Afrique, notamment en Algérie, en Angola, au Mozambique ou encore en Tanzanie. Il existait une solidarité militaire et révolutionnaire entre mouvements de libération.

Les liens entre l'OLP et l'African National Congress (ANC) en Afrique du Sud en sont un exemple emblématique : ils partageaient des réseaux, des soutiens et des stratégies de résistance. Pendant longtemps, la base arrière de l'OLP à Tunis était également un point de coordination politique et diplomatique majeur, qui accueillait régulièrement des délégations africaines et internationales.

Cette solidarité s'est également manifestée sur la scène internationale. Dans les années 1970 et 1980, l'Afrique a joué un rôle clé dans les grandes tribunes multilatérales – que ce soit aux Nations unies, à l'intérieur du Mouvement des non-alignés ou au sein de la défunte OUA – pour défendre les droits des Palestiniens à la souveraineté et à l'autodétermination. C'est une alliance historique, forgée dans les luttes communes contre le colonialisme, l'apartheid et l'oppression systémique.

Des pays comme l'Afrique du Sud, la Namibie, le Nigeria ou l'Algérie maintiennent un engagement ferme aux côtés de la Palestine aujourd'hui. Mais pour préserver cette solidarité, la Palestine doit intensifier sa présence sur le continent : diplomatique, mais aussi culturelle, économique et populaire. Le soutien des sociétés civiles africaines est essentiel pour contrebalancer l'influence israélienne et raviver un lien qui, historiquement, reposait sur des luttes communes de libération.

La reconnaissance diplomatique a été bien plus qu'un simple symbole. Elle s'est appuyée sur des liens historiques, politiques et humains profonds. La vraie question aujourd'hui est de savoir comment raviver cette solidarité dans un monde qui a profondément changé.

« Un engagement sur les droits humains plus concret »

Raouf Farrah : Un autre signal fort est venu de l'UA. Après plus de deux décennies de relatif silence, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a adopté en 2024 une résolution qui condamne l'« apartheid » israélien. Cette prise de position marque-t-elle une nouvelle étape ?

Abdal Karim Ewaida : Oui. L'adoption de la résolution 611 marque un tournant dans l'engagement de l'institution africaine envers la cause palestinienne, après une période de relative inaction, ponctuée seulement par des communiqués de solidarité.

Cette résolution relance l'implication africaine dans les débats sur les droits humains en Palestine, mais l'Afrique ne peut s'en contenter ; ce texte doit être le point de départ d'un engagement plus concret et mieux structuré. Par exemple, la mise en place d'un mécanisme permanent de suivi sur la situation en Palestine permettrait de documenter de manière systématique les violations, dont les expulsions forcées, les agressions militaires, les détentions arbitraires, les restrictions des libertés… Ces données seraient précieuses pour les actions diplomatiques et juridiques à venir.

La publication de rapports, intégrant témoignages et analyses juridiques, renforcerait la pression sur les États africains pour qu'ils adoptent des positions claires sur la Palestine et leurs liens avec Israël. La Commission peut également inciter les gouvernements africains à transformer les résolutions en actions dans le domaine de l'aide humanitaire ou de la coopération économique avec la Palestine.

En parallèle, une meilleure collaboration entre ONG africaines et palestiniennes impliquées dans les droits humains permettrait de consolider ces engagements. D'ailleurs, ces voix ont joué un rôle clé dans l'adoption de la résolution 611. Par conséquent, cette résolution est une avancée, mais elle doit déboucher sur un plaidoyer actif, des politiques concrètes et une mobilisation soutenue.

Raouf Farrah : L'action engagée par l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice contre Israël n'a pas permis d'arrêter la guerre génocidaire menée à Gaza et en Cisjordanie. Au-delà de l'action judiciaire, quelle est sa portée pour les Palestiniens ?

Abdal Karim Ewaida : Cette action marque un tournant juridique et politique majeur dans l'histoire du Sud global, puisque c'est un pays africain qui réaffirme la validité de la Convention pour la prévention du génocide (1948) et mobilise le droit international comme outil contre l'impunité israélienne. Le 26 janvier 2024, suite à l'action de l'Afrique du Sud, la CIJ a rendu une ordonnance reconnaissant la plausibilité des accusations de génocide et a ordonné à Israël de prendre des mesures immédiates pour empêcher tout acte génocidaire et faciliter l'accès à l'aide humanitaire pour les Palestiniens de Gaza. Aucune de ces mesures n'a été appliquée.

En saisissant la CIJ, l'Afrique du Sud affirme au monde que les violences systématiques et à grande échelle infligées aux Palestiniens de Gaza ne peuvent rester impunies. D'autres pays, notamment africains, ainsi que l'UA, ont depuis rejoint cette initiative, renforçant la légitimité de la démarche et attestant d'un consensus international croissant sur la nécessité de rendre justice.

Au-delà de sa dimension juridique, cette procédure pèse considérablement politiquement. En contraignant la communauté internationale à examiner juridiquement les actions d'Israël, l'Afrique du Sud et ses alliés contribuent à élargir la prise de conscience mondiale face à la crise en cours à Gaza. Cette initiative pourrait accentuer la pression sur Israël et nourrir des débats plus larges sur les droits humains et l'application du droit international humanitaire. Le ralliement d'autres pays à cette action juridique témoigne d'une solidarité diplomatique qui dépasse les discours et se traduit par des actes concrets, comme la création du Groupe de La Haye (3), un groupe d'États du Sud global soutenant la plainte sud-africaine.

Si la CIJ donnait raison à l'Afrique du Sud, cela établirait un précédent majeur, réutilisable dans d'autres affaires de violations graves des droits humains et de crimes internationaux. Un tel jugement ne concernerait pas uniquement Israël, mais enverrait aussi un signal fort à tous les États qui s'adonnent à des pratiques d'oppression systématique.

« Des atrocités au nom de la mission civilisatrice »

Raouf Farrah : Vous avez évoqué l'importance de mobiliser la mémoire collective et les expériences historiques communes entre l'Afrique et la Palestine. En quoi ce que vivent les Palestiniens fait-il écho aux crimes coloniaux subis par les Africains ?

Abdal Karim Ewaida : Les massacres commis par les anciennes puissances coloniales en Afrique présentent de fortes similitudes avec la situation actuelle en Palestine. À travers le continent, des atrocités ont été commises en Namibie, en Algérie, au Congo et au Cameroun – pour ne citer que ces cas – au nom de la mission civilisatrice, justifiées par une idéologie raciste de déshumanisation des peuples colonisés.

Cette logique raciste visant à effacer l'identité de l'autochtone se retrouve dans les discours qui légitiment l'occupation israélienne, niant aux Palestiniens leur humanité et leurs aspirations. Les pratiques coloniales – déplacements forcés, massacres, destruction des moyens de subsistance – trouvent aujourd'hui un écho dans les territoires palestiniens, notamment à Gaza et en Cisjordanie.

Un autre parallèle frappant est l'inaction internationale. Comme dans les génocides africains (4), la communauté internationale est bloquée par les intérêts géopolitiques de pays entretenant un climat d'impunité totale.

Raouf Farrah : Malgré ces parallèles historiques, certains pays africains restent silencieux sur le génocide en Palestine. On pense notamment au Rwanda ou au Cameroun, le premier marqué par un génocide et l'autre par une guerre de libération sanglante. Comment expliquer ces prises de distance ?

Abdal Karim Ewaida : C'est une question complexe. La réticence de certains pays africains à soutenir la Palestine ne vient pas nécessairement d'un désaccord de fond, mais plutôt de priorités politiques internes : stabilité, développement économique, sécurité nationale.

Dans certains cas, c'est aussi une question de diplomatie stratégique. Ces États évitent de prendre des positions internationales jugées sensibles, notamment pour ne pas compromettre leurs relations avec Israël ou avec des partenaires occidentaux influents. Il faut aussi comprendre que certaines personnes au pouvoir adoptent une posture de prudence qu'elles justifient au nom du « pragmatisme ». On préfère parfois le silence à une prise de position pouvant être perçue comme risquée.

Cela dit, cette prudence institutionnelle contraste fortement avec une opinion publique africaine souvent beaucoup plus favorable à la cause palestinienne, une opinion marquée par des récits de colonisation, de résistance et par une forte identification à la souffrance du peuple palestinien. Ce décalage entre les gouvernements et les populations met en lumière les tensions qui traversent aujourd'hui la politique étrangère de plusieurs pays africains : d'un côté, les intérêts d'État et les équilibres géopolitiques, de l'autre, une attente morale et historique de cohérence. Et c'est dans cet espace-là que se joue aussi la crédibilité du continent sur la scène internationale.

« Il faut enrichir la solidarité entre la Palestine et l'Afrique »

Raouf Farrah : Le champ médiatique africain, à l'instar du champ religieux, est aujourd'hui traversé par des récits concurrents sur la Palestine. D'après vous, les médias africains permettent-ils encore à la voix palestinienne de se faire entendre ?

Abdal Karim Ewaida : Honnêtement, la couverture est très inégale. Dans certains pays, la question palestinienne revient régulièrement dans les journaux ou les débats télévisés. Mais dans d'autres, elle est absente. Ce décalage s'explique par plusieurs facteurs : d'abord, le poids des alliances politiques et les pressions gouvernementales. Là où les gouvernements entretiennent des liens étroits avec Israël ou ses alliés occidentaux, les médias tendent à s'autocensurer. Le simple fait d'aborder la question palestinienne peut devenir politiquement sensible, voire risqué.

Beaucoup de pays africains traversent des crises majeures – conflits internes, instabilité économique, tensions sociales. Dans ce contexte, les rédactions privilégient naturellement les urgences locales. Ce n'est pas toujours un choix politique. Parfois, il s'agit juste de couvrir ce qui capte l'attention du public.

Mais il y a aussi un autre angle qu'on oublie souvent : la propriété des médias et les influences idéologiques. Certains évitent de prendre position pour ne pas heurter des groupes politiques ou religieux influents. D'autres, souvent financés de l'étranger, adoptent des récits pro-israéliens, parfois de manière implicite.

Les médias ont un rôle essentiel à jouer. Il ne suffit pas de relayer les nouvelles de Gaza ou de Cisjordanie lors des flambées de violence. Il faut aller plus loin : produire du journalisme d'enquête, diffuser des témoignages directs, analyser les racines du conflit et les relier aux expériences africaines de colonialisme, de résistance, de lutte pour la dignité. Il ne s'agit pas seulement de contrer l'influence d'Israël ; il s'agit d'enrichir une solidarité politique, culturelle et humaine qui a toujours existé entre la Palestine et l'Afrique.

Notes

1- CADHP, Résolution sur la situation en Palestine et dans les territoires occupés, 2024, disponible ici.

2- la nouvelle administration Trump », The Conversation, 18 janvier 2025, à lire ici.

3- Le Groupe de la Haye, Déclaration conjointe du 31 janvier 2025, voir ici.

4- Aujourd'hui, deux génocides africains ont été reconnus : celui des Hereros et des Namas en Namibie, à partir de 1904, et celui des Tutsis au Rwanda, en 1994.

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Que reste-t-il du projet progressiste du gouvernement Lula ?

Tant que le nouveau cadre budgétaire et la recherche d'un déficit zéro persisteront, le gouvernement s'enfoncera dans les contradictions et continuera à perdre en popularité (…)

Tant que le nouveau cadre budgétaire et la recherche d'un déficit zéro persisteront, le gouvernement s'enfoncera dans les contradictions et continuera à perdre en popularité

28 mai 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75216

Récemment, l'ancien président de la Banque centrale, Armínio Fraga, a réaffirmé la nécessité pour le gouvernement brésilien de geler le salaire minimum pendant six ans, afin qu'il n'y ait pas de réelles 'augmentations, mais seulement d'ajuster le montant en fonction de l'inflation de l'année précédente. Fraga a souligné que les dépenses liées à la masse salariale et à la sécurité sociale atteignent 80 % du budget, raison pour laquelle un ajustement drastique de cet ordre serait une nécessité absolue. L'ancien président a également affirmé que le pays avait besoin d'une réforme plus profonde de la sécurité sociale, sur le modèle de l'ajustement mis en œuvre par le président argentin, Javier Milei. Il est intéressant de noter qu'Armínio n'a pas mentionné le fait que la pauvreté en Argentine touche 57,4 % de la population, le niveau le plus élevé en 20 ans, et que l'indigence touche 15 % de la population argentine.

Au Brésil, le salaire minimum a une grande influence sur l'économie et la vie des travailleurs. Outre qu'il définit le salaire minimum légal pour les salariés, il sert de référence pour la rémunération des travailleurs indépendants et fixe le montant minimum des prestations de sécurité sociale, telles que les retraites, les allocations et les allocations de chômage. Son actualisation a donc un impact direct sur le pouvoir d'achat de la population, ce qui stimule la consommation et réduit les inégalités. Pour illustrer cela, sans les augmentations obtenues entre 2004 et 2019, le salaire minimum en 2019 serait de seulement 573,00 R$ au lieu de 998,00 R$, c'est-à-dire que les augmentations cumulées au cours de cette période ont représenté une hausse de 425,00 R$ au-dessus de l'inflation. Cette progression a non seulement augmenté la rémunération des travailleurs formels mais a également eu une incidence sur les salaires minimums de plusieurs catégories, tant dans les négociations entre les syndicats et les entreprises que dans des textes législatifs spécifiques, comme pour les salaires minimums dans l'éducation et la santé. Elle a en outre favorisé l'adoption de salaires minimums dans des régions telles que le Sud, São Paulo et Rio de Janeiro. Il en a résulté une concentration des travailleurs dans la tranche comprise entre un et deux salaires minimums, ce qui a réduit les inégalités dans la répartition des revenus du travail et augmenté la part des salaires dans l'économie.

Malgré ces progrès, le salaire minimum est encore loin de respecter les dispositions de la Constitution qui prévoit un montant susceptible de couvrir les besoins fondamentaux du travailleur et de sa famille, notamment le logement, l'alimentation, la santé et l'éducation. Ce défi devient encore plus urgent compte tenu des récentes modifications de la législation du travail, telles que les lois 13.429/2017 et 13.467/2017, qui ont affaibli les droits et accru les contrats précaires par exemple pour le travail en interim et la levée des restrictions à l'externalisation. Dans ce contexte, la revalorisation du salaire minimum apparaît comme un outil essentiel pour garantir un revenu décent, en particulier aux travailleurs les plus vulnérables.

Selon l'IBGE, en 2024, le revenu moyen des 40 % les plus pauvres atteignait 601 reais et les 1 % de la population brésilienne ayant les revenus les plus élevés percevaient l'équivalent de 36,2 fois le revenu des 40 % les plus pauvres. En outre, les données du rapport d'Oxfam montrent que 63 % de la richesse du Brésil est entre les mains de 1 % de la population. L'enquête souligne également que les 50 % les plus pauvres ne détiennent que 2 % du patrimoine du pays. L'étude fournit également des détails sur le groupe qui accumule le plus de richesse.
Selon ce document, 0,01 % de la population brésilienne possède 27 % des actifs financiers.

Mais sur cette question, le fondateur et associé de Gávea Investimentos, Armínio Fraga, n'a rien dit, et il a encore moins dit que lorsque la Banque centrale augmente les taux d'intérêt de 0,5 %, cela entraîne une augmentation de 2,9 milliards de reais par an des dépenses publiques, selon les estimations du Trésor national. Cette augmentation profite directement aux 0,01 % les plus riches de la population brésilienne. Il n'a pas non plus commenté les résultats de la perception de l'impôt foncier rural (ITR) entre 2019 et 2024, qui, malgré l'augmentation des recettes, atteignant 3 milliards de réaux, correspond au montant perçu uniquement grâce à l'impôt foncier (IPTU) du quartier de Pinheiros, dans la ville de São Paulo. Plus inquiétant encore, cependant, est le fait que, depuis 2008, le gouvernement a modifié les règles fiscales, transférant aux municipalités la responsabilité de l'enregistrement cadastral et du contrôle des propriétés rurales, ainsi que les recettes collectées, alors qu'à l'origine, conformément à la loi foncière, l'ITR était destiné à financer la réforme agraire. En conséquence, les grandes propriétés rurales contribuent à hauteur de montants dérisoires, recourant souvent à la fraude fiscale, tandis que les ressources collectées ne remplissent pas leur fonction sociale.
Manifester une préoccupation pour l'économie et la société brésiliennes et prescrire des remèdes qui ne font qu'accentuer les inégalités, qu'elles soient de revenus, de genre, de race ou d'éducation, est devenu une pratique courante parmi les grands noms de la politique brésilienne, comme c'est le cas d'Armínio Fraga, et même du gouvernement fédéral lui-même ; c'est le cas des coupes effectuées dans le Benefício de Prestação Continuada (BPC) et le Bolsa Família, des programmes de redistribution des revenus essentiels pour la population brésilienne.

Je ne peux pas non plus passer ici sous silence la récente restriction des dépenses dont la promulgation a fait l'objet du décret n° 12.448 qui établit le programme budgétaire de l'exécutif pour l'exercice 2025. Pour les universités fédérales, ce décret représente une réduction considérable de leurs ressources, qui ne sont déjà pas très importantes. La recherche incessante par le gouvernement de moyens pour réduire le déficit et satisfaire le marché produit ces prétendus remèdes au goût insupportable et nuisibles aux services publics comme à leurs utilisateurs.

Cette même semaine, le gouvernement a également signé le décret n° 12.456/2025, qui réglemente la nouvelle politique d'enseignement à distance (EaD), une mesure importante et nécessaire compte tenu du grand dispositif trompeur mis en place par les conglomérats éducatifs pour capter l'argent des enfants de la classe ouvrière qui souhaitent étudier, que sont devenus les cours EaD. Ce modèle d'enseignement (et d'affaires) a été présenté haut et fort par ses défenseurs comme un moyen de « démocratiser » l'éducation, ce qui est sans nul doute une affirmation fausse, puisque l'enseignement d'excellence, que ce soit dans l'éducation de base ou dans l'enseignement supérieur, trouve sa forme la plus efficace dans l'enseignement présentiel. Les institutions académiques les plus renommées, tant au niveau national qu'international, adoptent et valorisent ce modèle d'apprentissage.

Maintenant, réfléchissons à ceci : si, tout en limitant les cours à distance (ce qui est juste), le gouvernement fédéral réduit les dépenses des universités fédérales, qui voient leurs ressources diminuer d'année en année et leur capacité à offrir des bourses et des aides réduites en permanence, comment la population la plus pauvre va-t-elle pouvoir étudier ? N'est-il pas évident que cela a également un effet sur la façon dont les gens perçoivent les possibilités d'accès à l'éducation et la difficulté de faire des études ? Jusqu'à quand le président Lula va-t-il suivre les recettes d'Armínio Fraga et de ses acolytes, au détriment de la population qui l'a élu ? Le peuple veut pouvoir étudier, avoir un salaire décent, avoir accès à des soins et à une éducation de qualité, ce qui ne peut se concrétiser tant que le nouveau cadre budgétaire et la recherche du déficit zéro restent les objectifs du gouvernement. Et avec cela, la popularité de Lula ne fait que diminuer. Finalement, parmi toutes ses promesses de campagne, laquelle en fait tient-il réellement et intégralement ?

Bianca Valoski est doctorante au programme de troisième cycle en politiques publiques de l'Université fédérale du Paraná dans le domaine de la recherche en économie politique de l'État national et de la gouvernance mondiale. Elle est fonctionnaire à la mairie de São José dos Pinhais, où elle travaille dans les finances publiques.

P.-S.
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro
https://movimentorevista.com.br/2025/05/o-que-restou-da-agenda-progressista-do-governo-lula/

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Panama est l’épicentre de la lutte en Amérique latine – Journée internationale de solidarité avec le peuple panaméen le 9 juin

10 juin, par José Cambra, Luis Bonilla Molina — , ,
Un petit pays de 4,2 millions d'habitant·es montre à l'Amérique latine et au monde qu'il est possible d'affronter les intérêts du capital financier et des fonds vautours dans (…)

Un petit pays de 4,2 millions d'habitant·es montre à l'Amérique latine et au monde qu'il est possible d'affronter les intérêts du capital financier et des fonds vautours dans la troisième décennie du 21e siècle.

3 juin 2025 | tiré d'Inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4783

Il y a quelques jours, le sang d'un jeune indigène de douze ans, grièvement blessé par la répression gouvernementale, a montré que le conflit entrait dans une nouvelle phase. Peu avant, Saúl Méndez, le principal dirigeant du puissant syndicat de la construction, a dû demander l'asile à l'ambassade de Bolivie pour éviter d'être présenté comme un trophée et mis en prison, ce qui est déjà arrivé à deux autres de ses dirigeants, Genaro López et Jaime Caballero, qui ont été envoyés dans la pire prison pour criminels de droit commun de ce pays, un syndicat dont les cotisations avaient déjà été confisquées par le gouvernement précédent, une mesure que le nouveau président a continué à maintenir, malgré les récentes perquisitions au siège de son syndicat et la fermeture de sa coopérative. Des milliers d'enseignants en grève se sont vu retirer leur fiche de paie et beaucoup d'autres ont été illégalement placés en congé permanent sans solde.

Cela se produit au milieu d'un impressionnant siège médiatique mondial correspondant à celui du pays, qui crée un rideau d'information empêchant le mouvement social et la population du monde de savoir ce qui se passe dans le petit pays d'Amérique centrale.

L'origine

En 2023, après une période de montée des luttes du mouvement enseignant et des travailleurs dans leur ensemble au Panama, la rébellion écologique populaire la plus importante du monde à ce jour au XXIe siècle a eu lieu. Après des semaines de mobilisation et de paralysie du pays, menées par les enseignants, les ouvriers du bâtiment, les travailleurs de la banane, les communautés indigènes, les jeunes, les femmes, les écologistes, les communautés et une grande partie de la classe moyenne, une décision de la Cour suprême a été obtenue, ordonnant l'arrêt des opérations de la transnationale First Quantum et la fermeture de la mine qui avait déclenché la révolte populaire. Cette décision judiciaire a annulé l'accord fallacieux conclu au parlement panaméen, qui visait à prolonger la destruction de l'environnement.

Cette contre-marche des autorités publiques a été provoquée par la crainte de la bourgeoisie panaméenne face à la rébellion populaire écologique qui avait conduit à la fermeture des voies de transport les plus importantes du pays, affectant les profits des secteurs du capital. Il s'agit d'une victoire écologique sans précédent.

La réaction de la bourgeoisie panaméenne et du capital financier a été d'adopter en 2024 la candidature présidentielle de José Raúl Mulino, ancien ministre de l'Intérieur du gouvernement corrompu de Martinelli et choyé par M. Motta, le magnat de l'industrie aérienne panaméenne, des médias et d'autres opérations commerciales. Son programme, construire une nouvelle situation politique qui permettrait un retour à la domination de la rébellion pré-écologique, d'étendre les profits du capital financier dans ce pays et de réaliser l'agenda néocolonial d'une nouvelle administration Trump imminente à la Maison Blanche.

La nouveauté de l'élection du président Mulino fut l'arrivée au parlement d'un groupe important de députés indépendants, qui avaient profité de la vague de révolte populaire pour se faire une place. Ce renouvellement parlementaire, qui montrait l'intention de l'électorat de produire une nouvelle situation politique, a été rapidement trahi par la moitié de cette nouvelle faction parlementaire qui s'est rapidement mise d'accord avec le gouvernement réactionnaire de Mulino qui, élu avec seulement 34% des voix, n'avait pas de majorité parlementaire.

Cette nouvelle corrélation des forces lui permet d'aller de l'avant avec l'approbation de la loi 462, qui entraîne une nouvelle régression du système de retraite et de pension de la classe ouvrière panaméenne, qui passe d'une retraite représentant environ 60 % de son salaire à 30 % ou moins. Elle permet également aux familles riches du Panama de gérer les fonds de pension et de se lancer dans la spéculation sur les marchés financiers. En outre, le président Mulino annonce son intention de rouvrir l'exploitation minière et d'autoriser à nouveau First Quantum, en contournant la décision de la Cour suprême de justice. L'indignation s'est répandue dans tout le Panama.

Pour aggraver les choses, l'arrivée de Trump pour son deuxième mandat s'accompagne d'une intention claire de revenir à la situation de contrôle du canal de Panama, ce qui rencontre l'approbation du gouvernement Mulino, qui signe un accord pour permettre la réouverture de trois bases militaires américaines, malgré le fait que le Panama, par disposition constitutionnelle, n'a pas d'armée et qu'un traité en vigueur entre les deux pays avait établi la fin d'une telle présence militaire étrangère depuis la fin de l'année 1999. Une situation de vassalité du gouvernement américain a ainsi été créée, ce qui a conduit à un nouveau cycle de protestations.

Cinq semaines de grève nationale

Les premiers à se mettre en grève le 23 avril ont été les enseignants, qui ont annoncé qu'ils ne retourneraient pas en classe tant que la loi 462 (système de pensions et de retraites) ne serait pas abrogée, que la fermeture de l'industrie minière ne serait pas garantie et que le mémorandum d'entente militaire avec les États-Unis ne serait pas annulé. À cette occasion, des milliers de parents et de familles des écoles et des collèges décident en assemblée de soutenir la grève des enseignants de leurs enfants. Les associations scolaires ayant été supprimées par Noriega dans les années 1980, des mobilisations d'élèves du secondaire sont réapparues, tandis que l'université de Panama a été l'épicentre de réunions, de déclarations, de rassemblements et d'une méga-marche, malgré la tache inexplicable de l'expulsion par les autorités d'un étudiant pour des actions de lutte et les tentatives de transformer l'université en un "espace de négociation" et non d'action décisive en faveur de l'indignation patriotique.

Les mobilisations quotidiennes des enseignants et des professeurs, ainsi que l'entrée dans le conflit des travailleurs de la banane et du puissant syndicat de la construction, ont entraîné dans la lutte des populations entières dans les provinces de l'intérieur du pays. Cela a augmenté la qualité et le nombre des manifestants, ce qui a conduit le gouvernement de M. Mulino à déclencher une répression sans précédent au cours des dernières décennies à l'encontre du mouvement social. Les centaines de blessés et d'arrestations quotidiennes n'ont pas mis fin aux protestations, au contraire, elles les ont amplifiées.

Lorsque les comarcas indigènes sont entrées dans le conflit, la répression a été impitoyable, en particulier à l'encontre des femmes et des enfants des peuples d'origine. Le fait qu'un enfant de 12 ans et un étudiant universitaire aient été gravement blessés par les balles d'un gouvernement qui a déclaré publiquement qu'il ne se souciait pas de sa popularité (-50%), alors que les sondages publiés indiquaient que l'opinion publique approuvait son mandat à moins de 10%, montre que nous sommes face à un gouvernement à la poigne de fer qui cherche à infliger au mouvement social une défaite qui lui permettra de se débarrasser de ses principales organisations afin d'avancer dans ses plans néfastes.

Cette semaine, le conflit entre dans une phase décisive, tandis que le gouvernement joue la carte de la temporisation en espérant que les manifestations s'apaiseront dans les prochains jours. Cependant, tout indique que nous passerons des mobilisations à la paralysie du pays, ce qui nécessitera une multiplication des voix de la solidarité internationale.

La bonne méthode

L'Alianza Pueblo Unido por la Vida, la coalition de mouvements sociaux à l'origine des manifestations, a constitué un large front social pour faire face à l'offensive néo-conservatrice et néo-colonialiste de M. Mulino.

Les syndicats d'enseignants, les syndicats de travailleurs, les syndicats environnementaux et les syndicats communautaires montrent que la bonne voie consiste à aller au-delà des luttes sectorielles et à construire des alliances entre les forces nationalistes, patriotiques et de la classe ouvrière pour générer une large participation de la population afin de faire avancer les luttes et de vaincre le capital financier, les politiques extractivistes et le néo-colonialisme nord-américain.

La bourgeoisie panaméenne : entre la voracité de la financiarisation et la peur de l'explosion

Social. La contradiction à laquelle la bourgeoisie panaméenne est à nouveau confrontée, comme en 2023, est de choisir entre la voracité du capital financier qui s'en prend aux fonds de pension et aux investissements miniers et la stabilité du régime bourgeois lui-même. C'est pourquoi elle a parié sur l'écrasement de la révolte, via la manu policial, mais si elle n'y parvient pas, elle devra choisir entre reculer ou perdre le contrôle.

De plus en plus, l'association de ceux qui sont au sommet, les puissants et les riches, a de moins en moins de contacts avec le peuple et se concentre sur la propagande dans les médias qu'ils possèdent. La question est de savoir combien de temps cette situation va durer.

Révocation du mandat présidentiel

Une solution intermédiaire qui commence à résonner dans les rues est la possibilité de révoquer le mandat du président et de convoquer de nouvelles élections, mais elle se heurte à l'obstacle juridique que constitue le fait que cette action révocatoire n'a jamais été réglementée. Cependant, les initiatives légales pour y parvenir continuent d'avancer et de suivre leur cours, avec une sympathie croissante de la part des citoyens.

La destitution de Mulino a une autre voie légale, à savoir que l'Assemblée des députés devrait entendre l'accusation présentée par l'Alianza Pueblo Unido pour violation de la personnalité internationale de l'État, en raison du mémorandum de vente qui permet la réouverture des bases militaires américaines. Si les niveaux de participation communautaire en 2023 sont atteints, cela pourrait configurer une nouvelle corrélation des forces qui permettrait de juger le président actuel, sur la base des normes établies dans la Constitution panaméenne.

Cela permettrait de renverser la loi 462, de rouvrir l'exploitation minière et d'annuler le mémorandum qui a permis la réouverture des bases militaires américaines. Mais cela ne peut se faire que dans le cadre du maintien et de l'élargissement des mobilisations populaires. C'est pourquoi les prochaines heures seront déterminantes pour la suite des événements.

La nécessité de la solidarité internationale

Face à cette situation dramatique, une solidarité internationale large et plurielle des forces démocratiques et progressistes, du mouvement social et éducatif au niveau international est nécessaire. Nous ne pouvons pas laisser le peuple panaméen seul en cette heure.

C'est pourquoi le mouvement social a lancé, entre autres initiatives importantes, une campagne mondiale de protestation et de remise de déclarations de solidarité avec la lutte du peuple panaméen, devant les ambassades et consulats panaméens de chaque pays, le 9 juin 2025. Cela permettrait de commencer à briser le siège médiatique mis en place par les grandes agences de presse et d'établir un important réseau de communication alternative et de solidarité. La suite vous attend

L'événement aura lieu le 9 juin devant l'ambassade panaméenne de leurs pays.

Le 2 juin 2025

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La société civile, dernière frontière vers le totalitarisme au Salvador

10 juin, par OMAL (Observatorio de Multinacionales en América Latina) — , ,
La société civile organisée du Salvador constitue la dernière frontière du voyage que le gouvernement de Nayib Bukele a entamé vers l'État totalitaire en 2019. L'approbation (…)

La société civile organisée du Salvador constitue la dernière frontière du voyage que le gouvernement de Nayib Bukele a entamé vers l'État totalitaire en 2019. L'approbation récente de la loi sur les agents étrangers semble être l'outil utilisé pour surmonter cette dernière barrière. La communauté internationale, en particulier les institutions espagnoles présentes dans le pays, semble regarder ailleurs - quand elle n'est pas de connivence avec les intérêts corporatistes du gouvernement salvadorien - dans un contexte de stigmatisation, de criminalisation, de répression et de violence à l'encontre des organisations populaires et de ceux et celles qui défendent les droits humains.

https://www.elsaltodiario.com/revista-pueblos/sociedad-civil-ultima-frontera-totalitarismo-salvador

Omal
27 mai 2025

Comment nous en sommes arrivés là

Depuis que le président nouvellement élu Nayib Bukele a fait irruption à l'Assemblée nationale en 2020, accompagné de soldats armés, pour demander l'approbation d'un prêt destiné à lutter soi-disant contre les gangs, l'escalade du processus de concentration du pouvoir et de cooptation de toutes les institutions publiques ne s'est jamais démentie.

La première victime a été l'indépendance judiciaire. En un seul jour, en mai 2021, le procureur général - qui enquêtait sur des cas de corruption de l'exécutif - a été démis de ses fonctions et un nombre important de magistrats de la Cour suprême ont été révoqués, établissant ainsi un système judiciaire qui travaille dans l'intérêt du gouvernement. Depuis lors, le ministère public a persécuté les opposants et opposantes politiques et bloqué les enquêtes les concernant, tandis que la Cour suprême a entériné la réélection anticonstitutionnelle de Bukele pour un second mandat.

Avec un système judiciaire capturé, l'étape suivante consistait à coopter les autres organes du pouvoir politique du pays, le corps législatif et les municipalités, en changeant les règles du jeu quelques mois avant les élections de 2024. Le nombre de représentant-es à l'assemblée législative a été réduit de 84 à 60, et le nombre de municipalités a été réduit de 262 à 44. En conséquence, New Ideas - le parti de Bukele - avec d'autres groupes politiques, a réussi à gagner presque tous les sièges du pays, obtenant 57 député-es et 43 mairies, sans nier la popularité du président en raison du sentiment social d'amélioration en termes de sécurité.

Comme si cela ne suffisait pas, peu de temps après, le dernier instrument qui permettait de limiter, même temporairement, le pouvoir absolu du gouvernement est tombé : le processus de modification constitutionnelle en deux législatures. Deux jours avant la fin de son mandat, la législature précédente a approuvé un changement constitutionnel selon lequel toute modification de la Magna Carta pouvait être effectuée de manière expresse, sans devoir être ratifiée par une seconde législature. Suite à la ratification de ce changement par la nouvelle assemblée en janvier 2025, la constitution peut être réformée en deux jours sans aucun dialogue social ou débat parlementaire, à la demande d'une publication de Bukele sur les médias sociaux, comme c'est devenu la norme.

Ce processus de dégradation démocratique est sous-tendu par l'imposition d'un régime d'exception en vigueur depuis 38 mois, au cours duquel 400 personnes sont mortes sous la tutelle de l'État, tandis que 85 500 ont été capturées sans aucune garantie
Pour mesurer l'ampleur du pouvoir accumulé, le gouvernement pourrait aujourd'hui, en 48 heures seulement, s'il en avait la volonté, par exemple, introduire la peine de mort, révoquer les accords de paix ou rendre illégaux les partis politiques.

Enfin, nous ne pouvons pas oublier que ce processus de dégradation démocratique s'est accompagné de l'imposition d'un régime d'exception en vigueur depuis 38 mois, au cours duquel 400 personnes sont mortes sous la protection de l'État, tandis que 85 500 ont été capturées sans aucune garantie et sans qu'il ait été possible de prouver leur culpabilité.

C'est pourquoi la société civile salvadorienne, à travers ses diverses expressions (syndicats, mouvements populaires, ONG, médias, collectifs d'avocats, entre autres), constitue le seul et dernier contrepoids et rempart de dignité face au pouvoir absolu de Nayib Bukele.

Le récit officiel commence à se fissurer

La popularité de Bukele avait déjà commencé à baisser depuis le mois d'avril, en raison de la désapprobation par la majorité de la population salvadorienne de la réactivation des mines de métaux, ainsi que du rejet généralisé de la politique d'emprisonnement massif des migrants expulsés des Etats-Unis.

Cependant, les événements de ces dernières semaines ont été particulièrement éprouvants pour le dirigeant salvadorien. D'une part, l'incapacité des institutions publiques à gérer la crise de la mobilité provoquée par les glissements de terrain sur la route « Los Chorros » a entraîné l'arrestation de 16 transporteurs, dont l'un est décédé en garde à vue.

D'autre part, la récente révélation par le journal El Faro d'un prétendu pacte avec l'entourage de Bukele de la part de chefs de gangs pour favoriser sa victoire à la mairie de San Salvador, tremplin pour son arrivée à la présidence du pays, a généré une nouvelle réponse répressive qui a contraint plusieurs journalistes à quitter le pays face aux menaces officielles de mandats d'arrêt à leur encontre.

L'arrestation de leaders sociaux fait partie d'une stratégie : montrer au monde l'impunité avec laquelle Bukele exerce sa répression et rappeler au peuple salvadorien que personne n'est à l'abri

Cependant, les événements se sont précipités le 12 mai, lorsque des membres de la coopérative El Bosque ont été violemment réprimés, et certains d'entre eux capturés, par des membres de la police militaire alors qu'ils manifestaient pacifiquement contre l'expulsion imminente de 300 familles. Le lendemain, le conseiller juridique de la coopérative, Alejandro Henríquez, a été capturé ; aujourd'hui, avec le pasteur et président de la coopérative, José Ángel Pérez, ils sont tous deux en prison. Le même jour, face à l'indignation et au rejet de la société civile et du mouvement social, le président Bukele a publié sur le réseau social X son désormais célèbre message annonçant le projet de loi sur les agents étrangers.

Quoi qu'il en soit, la prise de conscience que le Salvador est entré dans une nouvelle dimension se fait avec l'arrestation de Ruth López le 18 mai. López est membre de l'organisation Cristosal et l'une des personnes les plus influentes du pays. Son arrestation fait partie d'une stratégie : montrer clairement au monde l'impunité avec laquelle Bukele exerce sa répression et rappeler au peuple salvadorien que personne n'est à l'abri. Les coutures du régime sont apparentes et il réagit en faisant la démonstration de sa force répressive.

Loi sur les agents étrangers

L'annonce sur les réseaux sociaux s'est rapidement concrétisée et la loi sur les agents étrangers a été formellement approuvée, de nuit et avec préméditation, le 20 mai. Alors que beaucoup d'entre nous avaient déjà fait une croix sur cette journée, le député des Nouvelles Idées Christian Guevara a présenté la loi en séance plénière à 16h40, et en moins de deux heures, elle était déjà approuvée. Sans discussion, sans étude, sans débat de fond et avec une renonciation aux formalités. Si, en 2021, la communauté internationale a réussi - comme elle s'en vante habituellement - à paralyser l'approbation d'un projet de loi similaire, cette fois-ci, les missions diplomatiques accréditées dans le pays n'ont même pas su, le jour même, qu'une loi encore plus néfaste était sur le point d'être approuvée. Elles l'ont appris en direct et, dans le meilleur des cas avec résignation, elles se sont rendu compte de leur propre inutilité.

Dans la logique de Bukele, c'est tout à fait logique : profiter de ce moment pour passer définitivement de l'autocratie au totalitarisme, avant que l'édifice ne s'écroule. La corrélation des forces au niveau international est différente aujourd'hui avec la montée de l'extrême droite et de l'administration Trump. Cependant, le récent précédent du FMI forçant un processus de non-officialisation du bitcoin démontre que, avec les bonnes incitations, la communauté internationale pourrait influencer le Petit Poucet d'Amérique centrale. Mais bien sûr, les incitations ont changé.

La loi sur les agents étrangers pourrait être le coup de grâce pour de nombreuses organisations qui, grâce à la solidarité internationale, effectuent un travail louable en tant que garants de la dignité et de l'accès aux droits

Comme cela a déjà été largement dénoncé, cette loi pourrait représenter le coup de grâce pour de nombreuses organisations qui, grâce à la solidarité internationale, effectuent un travail louable en tant que garants de la dignité et de l'accès à certains droits pour des groupes populaires historiquement abandonnés par l'État. En outre, elle aura également un impact sur d'autres groupes qui, ces dernières années, sont devenus des cibles directes des attaques et de la répression des institutions de l'État, sous la direction d'un gouvernement qui non seulement reconnaît ouvertement son mépris pour les droits humains, mais qui s'en vante également.

Désormais, toute action visant à promouvoir les droits humains peut être considérée comme une activité à motivation politique susceptible d'entraîner des amendes, la suppression du statut juridique ou l'engagement de la responsabilité pénale de ses membres. Tout cela dans un cadre de discrétion absolue et d'arbitraire de la part du gouvernement.

Les insinuations plus ou moins directes et le ton revanchard et provocateur du président de l'assemblée législative, Ernesto Castro, à l'égard d'une partie de la société civile salvadorienne lors de la séance de vote, suggèrent que la nouvelle réglementation sera utilisée de manière implacable contre toute voix critique à l'égard du gouvernement.

C'est pourquoi les mouvements qui regroupent les victimes du régime d'exception injustement emprisonnées, les organisations qui documentent et dénoncent les violations des droits humains, les avocats qui représentent les prisonniers et prisonnières politiques et accompagnent les familles des personnes disparues, les syndicalistes qui revendiquent les droits de la classe ouvrière face au démantèlement de l'État, les organisations féministes et de la diversité sexuelle, qui représentent aujourd'hui le seul soutien aux femmes victimes de violences et à la population LGTBQ+, sont particulièrement visés par cette mesure ; les journalistes, les communicateurs sociaux et les médias alternatifs qui dénoncent les cas de corruption, ou les organisations qui accompagnent les communautés menacées d'expulsion pour la construction de mégaprojets ou pour la défense de leurs terres, rivières ou forêts, courent actuellement un risque sérieux de disparition et/ou de criminalisation pour avoir représenté un échec dans l'équation du projet politique et économique du pays basé sur le culte de Bukele et l'enrichissement vorace de sa famille, de son entourage le plus proche et de l'oligarchie classique.

Il est inquiétant, parce que naïf ou mal intentionné, le discours officieux que certaines représentations diplomatiques ou agences de coopération ont tenu ces derniers jours, supposant - et par conséquent promouvant - l'inévitabilité de l'approbation de cette loi, relativisant ses impacts potentiels sous l'argument grossier que certaines agences de coopération opèrent encore au Nicaragua, en dépit de l'existence de réglementations similaires.

Cette position tente d'ignorer le fait qu'au Nicaragua, en vertu de sa propre loi sur les agents étrangers adoptée en 2020, qui est de facto moins répressive que celle de son homologue salvadorien - elle ne prévoit pas l'imposition d'une taxe sur les transactions reçues par les agents étrangers depuis l'étranger - a servi de cadre juridique à l'annulation de plus de 4 000 organisations à but non lucratif, ainsi qu'à la confiscation par l'État de leurs actifs et à la persécution de leurs dirigeants.

Réponse pusillanime ou collusion d'intérêts ?

Mais comme nous l'avons souligné au début, il ne s'agit peut-être pas seulement de réponses pusillanimes : peut-être cette nouvelle loi est-elle une réglementation qui sert les intérêts d'États tiers ? Y a-t-il une collusion d'intérêts ?

Il y a moins d'un an aujourd'hui, le roi d'Espagne Felipe VI se rendait au Salvador pour participer à l'inauguration du second mandat présidentiel de Bukele. Un jour avant la cérémonie officielle, des vétérans de guerre et des signataires des accords de paix ont été accusés de terrorisme et de subversion, sans que l'accusation ne fournisse de preuves, et aujourd'hui ils sont toujours en prison dans l'attente de leur procès. Au même moment, les organisations de défense des droits humains dénonçaient déjà la détention injuste et l'emprisonnement de milliers de Salvadoriens et Salvadoriennes dans des conditions inhumaines.

Cependant, malgré ce contexte, l'État espagnol n'a pas hésité à lancer une politique intensive pour encourager les entreprises espagnoles à investir au Salvador, en profitant de l'absence de normes environnementales et de la violation systématique des droits à la participation et à l'information des personnes et des communautés affectées par les mégaprojets. Selon le compte rendu officiel de l'ambassade d'Espagne au Salvador, il s'agirait de profiter de « la sécurité juridique qu'ils perçoivent dans le pays ».

Le Royaume d'Espagne a utilisé des fonds publics pour financer la construction d'un aéroport, laquelle a provoqué une catastrophe écologique, et a encouragé l'implantation de l'énergie nucléaire au Salvador

Sous cette prémisse, et au cours de la seule année dernière, le Royaume d'Espagne a eu le temps d'utiliser des fonds publics pour, premièrement, financer la construction d'un aéroport, ce qui a provoqué une catastrophe écologique dans l'est du pays, générant des pénuries d'eau et forçant le déplacement de douzaines de familles ; deuxièmement, promouvoir la mise en œuvre de l'énergie nucléaire au Salvador, malgré les avertissements du mouvement écologiste sur les risques qu'elle comporte dans un pays à forte activité sismique ; et troisièmement, ouvrir des glaciers dans le centre historique de San Salvador, un territoire qui fait l'objet d'innombrables plaintes de la part du voisinage concernant l'embourgeoisement par des entreprises prétendument liées à l'entourage du président.

Bien que l'exemple de l'Espagne soit le plus typique, un débarquement massif de mégaprojets d'infrastructure, de communication et d'énergie renouvelable, motivé par la stratégie de la porte d'entrée mondiale de l'UE, devrait également avoir lieu dans un avenir proche. De même, suite à la réactivation de l'exploitation des métaux dans le pays, on pourrait assister à moyen terme au retour des entreprises canadiennes, australiennes et américaines, profitant de la hausse du prix de l'or et n'excluant pas l'existence d'autres métaux directement liés à l'olivier et au capitalisme vert numérique.

En somme, la discrétion avec laquelle la solidarité internationale sera désormais canalisée, affectant directement ceux qui s'opposent au développement massif de mégaprojets touristiques, urbanistiques, agro-industriels, énergétiques et d'infrastructures en tout genre, met sérieusement en péril les minima démocratiques du pays. Tout cela, en outre, dans un contexte où le gouvernement encourage les investissements étrangers et la vente aux enchères des terres et des ressources naturelles du Salvador au plus offrant. La loi sur les agents étrangers promeut l'idée que « si nous ne les voyons pas et si nous ne les entendons pas, ils n'existent pas », un paradigme particulièrement favorable aux intérêts du pouvoir corporatif qui doit être combattu.

C'est pourquoi nous demandons à la communauté internationale de tout mettre en œuvre pour faire cesser ce scandale et de mettre toutes ses capacités politiques et diplomatiques au service de cette tâche. En même temps, nous voulons montrer notre soutien et notre engagement aux mouvements sociaux et populaires salvadoriens : quoi qu'il arrive, la solidarité internationaliste ne cessera pas, quels que soient les obstacles, et les liens déjà existants n'en seront que renforcés.

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La Chine sous pression : mobilisations populaires et fractures systémiques

10 juin, par Andrea Ferrario — , , ,
Les manifestations qui ont traversé la Chine entre mai et début juin 2025 mettent en lumière des tensions profondes et une dynamique d'instabilité croissante dans le tissu (…)

Les manifestations qui ont traversé la Chine entre mai et début juin 2025 mettent en lumière des tensions profondes et une dynamique d'instabilité croissante dans le tissu social du pays.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Une société sous pression : le tableau général des mobilisations

L'analyse des épisodes de mobilisation sociale enregistrés en Chine entre la fin du mois de mai et le début du mois de juin 2025 fait apparaître des tensions systémiques qui traversent l'ensemble du pays. Loin d'être des phénomènes isolés, ces événements mettent en évidence des fractures profondes dans la situation sociale actuelle du pays, où les difficultés économiques se mêlent à des problèmes structurels de nature politique et à des violations croissantes des droits fondamentaux.

La période considérée, qui culmine symboliquement avec le 36e anniversaire de la répression de Tiananmen le 4 juin 1989, présente une concentration extraordinaire de protestations qui, en un peu plus d'une semaine, ont investi avec intensité différents secteurs de la société : de l'industrie manufacturière à la construction, de l'éducation aux soins de santé, et même le système pénitentiaire. Cette succession rapide de mobilisations transversales montre que les causes des troubles ne peuvent être attribuées à des problèmes sectoriels spécifiques, mais plutôt à des dynamiques systémiques plus profondes évoluant simultanément.

Les huit journées « échantillons » analysées en détail - du 26 mai au 3 juin - révèlent également une répartition géographique couvrant l'ensemble du pays, de la province industrielle de Guangdong aux régions du nord-est, soulignant ainsi que le phénomène n'est pas limité à certaines zones économiques, mais représente une manifestation généralisée des fractures du tissu social chinois contemporain.

Le phénomène des arriérés de salaires : dimensions et caractéristiques

Les arriérés de salaires apparaissent comme le dénominateur commun de la grande majorité des protestations documentées. Selon les données du China Labour Bulletin, pas moins de 88 % des incidents de protestation collective en 2024 étaient liés au non-paiement, soulignant la façon dont ce problème est devenu endémique dans l'économie chinoise. L'organisation note que « les arriérés de salaires représentent 76 % des événements sur la carte des grèves depuis 2011 », ce qui indique une persistance du phénomène sur une décennie.

Le cas de la manifestation des travailleurs de Yunda Express à Chengdu illustre la complexité de ces dynamiques et la manière dont les conflits se développent et, parfois, sont résolus. Le conflit, qui a duré du 30 mai au 2 juin, est né non seulement de questions salariales, mais aussi de la décision unilatérale de l'entreprise de délocaliser le centre de distribution dans la ville de Ziyang, dans le comté de Lezhi, sans offrir de compensation ou d'alternatives de travail aux employés en échange de la délocalisation. Les travailleurs ont bloqué l'entrée du centre de distribution pour empêcher les véhicules d'entrer et de sortir, paralysant ainsi les activités de l'entreprise.

La chronique de la manifestation révèle l'escalade des tensions : dans la nuit du 31 mai, la police a tenté de disperser les manifestants par la force et, selon les témoignages des travailleurs, certains employés ont été battus au cours de l'intervention. Après des jours de résistance et de négociations serrées, l'entreprise a finalement accepté, le 2 juin, d'indemniser les employés selon une formule mathématique précise : salaire moyen plus 6 000 yuans multipliés par les années de service. Cette résolution montre qu'une pression collective soutenue peut encore obtenir, bien qu'en de rares occasions, des résultats concrets dans le contexte chinois, malgré l'environnement répressif.

Le secteur manufacturier a connu de nombreux troubles reflétant les difficultés économiques structurelles de l'économie chinoise. Par exemple, à Ningbo, dans le Zhejiang, les travailleurs de Rockmoway Clothing se sont mobilisés pendant deux jours consécutifs (les 2 et 3 juin) pour protester contre la décision de l'entreprise de retenir arbitrairement 40 % de leurs salaires. De même, plusieurs usines ont connu des grèves prolongées en raison d'arriérés de salaires, comme sur les chantiers de BASF à Donghai, dans le Guangdong, où les ouvriers du bâtiment se sont croisés les bras le 2 juin pour protester contre le non-paiement de leurs salaires.

La géographie des protestations dans l'industrie manufacturière montre une concentration particulière dans la province de Guangdong, le « moteur » de l'économie chinoise, qui avait enregistré 37 cas en avril 2025, de loin le nombre le plus élevé de toutes les régions. Cette concentration reflète la pression croissante exercée sur les industries orientées vers l'exportation dans une province qui représente le cœur manufacturier de la Chine.

L'impact de la guerre commerciale et les transformations du travail industriel

L'escalade des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine a eu des effets directs et mesurables sur la condition des travailleurs. L'expansion des droits de douane américains, qui visent également les biens produits par des entreprises chinoises dans des pays tiers, a amplifié les incertitudes et exacerbé la crise à laquelle sont confrontés les travailleurs. Les données montrent que le secteur manufacturier a connu une augmentation significative des troubles, passant de 25 cas en mars 2025 à 39 en avril suivant, ce qui reflète les pressions croissantes exercées sur les industries orientées vers l'exportation.

Les manifestations se sont étendues géographiquement « de la province de Guangdong, dans le sud-ouest de la Chine, où se trouvent de nombreuses entreprises manufacturières, à Tongliao, dans la province de Jilin, dans le nord-est », mettant en évidence une répartition nationale du phénomène. Comme le note Workers' Solidarity, « cela reflète également le fait que les problèmes du système économique chinois s'étendent aussi aux activités internationales », les travailleurs chinois employés dans des projets à l'étranger ayant fait grève en Arabie Saoudite et à Oman le 29 mai pour réclamer leurs salaires.

Les protestations dans les usines Foxconn, l'un des plus grands fabricants au monde qui fournit des iPhones à Apple, sont particulièrement significatives. À l'usine de Hengyang, les travailleurs se sont mis en grève pour protester contre la réduction des subventions et des heures supplémentaires, tandis qu'à l'usine de Taiyuan, ils ont protesté contre les projets de transfert des installations de production de Taiyuan à Jincheng, à trois heures de route. Lors des manifestations de rue, les travailleurs ont crié « Nous voulons que nos droits soient respectés ».

BYD, le principal constructeur chinois de voitures électriques, a également été confronté à d'importants troubles. Le 28 mars, plus de 1 000 travailleurs de l'usine de Wuxi se sont mis en grève pour protester contre les baisses de salaire, la fin des primes d'anniversaire et d'autres réductions d'avantages. Quelques jours plus tard, les travailleurs de l'usine de Chengdu ont également manifesté pour réclamer la sécurité de l'emploi, la transparence des délocalisations et des compensations équitables.

Parmi les différents secteurs, l'industrie de l'habillement et de la chaussure a été particulièrement touchée par la crise, ses travailleurs ayant souvent souffert du non-paiement des salaires. Ces industries sont souvent petites et concentrées dans la même région, de sorte que le non-paiement des salaires ou la suspension de l'activité en raison de la baisse de la rentabilité se produisent souvent dans des endroits proches au même moment. Parmi les grèves dans l'industrie manufacturière en 2024, le secteur de l'habillement arrive en deuxième position (90 cas) après le secteur de l'électricité et de l'électronique (109 cas).

L'affaire « Brother 800 » : symbole du désespoir systémique

Le 20 mai 2025, l'incendie de l'usine textile de la Sichuan Jinyu Textile Company dans le comté de Pingshan a acquis une résonance symbolique qui dépasse largement la dimension locale de l'événement. Wen, un ouvrier de 27 ans, a mis le feu à son lieu de travail après avoir été privé des salaires qui lui étaient dus pour un montant total de 5 370 yuans, contrairement aux 800 yuans initialement rapportés par les médias et plus tard démentis par la police.

La reconstitution des faits révèle la complexité de la dynamique qui a conduit à ce geste extrême. Wen avait présenté sa démission le 30 avril et, conformément à l'article 9 des dispositions provisoires sur le paiement des salaires, il était censé recevoir tous les arriérés de salaire immédiatement après la cessation d'emploi. Lorsqu'il a terminé les procédures de démission le 15 mai, l'usine lui devait 5 370 yuans (environ 760 dollars). Wen a demandé un paiement immédiat, mais le service financier a refusé, invoquant des procédures d'approbation internes. Après avoir à nouveau demandé le paiement à son supérieur, sans succès, Wen a développé ce que le rapport de police appelle des « pensées de vengeance ».

L'incendie a causé des dommages économiques estimés à des dizaines de millions de yuans et a conduit à l'arrestation de l'auteur, mais l'histoire est devenue virale sur les médias sociaux chinois avec le hashtag « Brother 800 ». L'écart entre les 800 yuans initialement déclarés et les 5 370 yuans réellement dus a alimenté les débats sur les médias sociaux, où de nombreux utilisateurs ont exprimé leur solidarité avec Wen, le considérant comme un « héros désespéré » plutôt que comme un criminel.

Ce cas met en évidence l'inefficacité structurelle des mécanismes de protection juridique. Comme l'observe ironiquement un témoin, « lorsque les personnes à qui l'on devait des salaires ont demandé une aide juridique, les juges ont disparu et le personnel du département du travail s'est également éclipsé. Mais lorsque Wen a mis le feu à l'usine, la police est immédiatement arrivée et les magistrats sont réapparus ». Cette critique souligne que le système réagit rapidement aux violations de l'ordre public, mais reste inerte face aux violations systématiques des droits des travailleurs.

La description de la situation familiale de Wen - pauvreté, mère malade, besoin urgent d'argent - illustre la façon dont les difficultés économiques individuelles sont liées à l'absence de filets de sécurité sociale adéquats. Le China Labour Bulletin souligne que l'incident représente « une rupture dans les systèmes juridiques et institutionnels conçus pour soutenir les travailleurs », mettant en évidence l'inadéquation des structures syndicales existantes qui sont « restées silencieuses » tout au long de l'affaire.

La réaction du public reflète une frustration généralisée à l'égard de ces failles systémiques. En ligne, un commentaire viral demandait : « Pourquoi un homme en serait-il réduit à incendier une usine pour 800 yuans ? Cela signifie qu'il était littéralement affamé ». D'autres ont dénoncé le double standard : les travailleurs qui protestent sont qualifiés de fauteurs de troubles, tandis que les employeurs qui retiennent les salaires sont tolérés par les autorités.

La crise de la construction et de l'immobilier : une spirale descendante

Le secteur de la construction représentait 54,48 % de toutes les protestations collectives en avril 2025, un chiffre qui reflète la crise persistante du marché immobilier chinois. Cette concentration dans le secteur de la construction montre que la crise immobilière, qui a commencé avec l'affaire Evergrande en 2021 et s'est propagée à l'ensemble du secteur ainsi qu'à l'économie en général, continue d'avoir des effets dévastateurs sur les conditions de travail.

Les projets inachevés sont une source particulière de tensions sociales, car ils concernent non seulement les travailleurs du secteur, mais aussi les citoyens qui ont investi leurs économies dans le logement. Par exemple, à Xianyang, Shaanxi, le 30 mai, des propriétaires de bâtiments inachevés du projet Sunac Shiguang Chenyue ont manifesté devant le centre de pétition local, accusant le gouvernement d'avoir détourné des fonds de construction, ce qui a entraîné plusieurs arrestations par la police. Toujours à Qingdao, Shandong, des centaines de propriétaires du projet immobilier inachevé Heda Xingfucheng ont organisé une manifestation collective dans le district de Chengyang le 31 mai, bloquant la circulation et forçant l'accès au site de construction, plusieurs propriétaires ayant subi des violences de la part de la police.

Ces épisodes montrent que la crise immobilière ne concerne pas seulement les opérateurs du secteur, mais s'étend aux citoyens de la classe dite moyenne qui ont investi leurs économies dans l'achat d'un logement, créant ainsi une base sociale plus large de mécontentement potentiel. La convergence de la crise économique et des attentes sociales déçues est un élément particulièrement déstabilisant pour la stabilité sociale.

L'extension des manifestations au secteur public : enseignants, médecins et travailleurs de la santé

Les autorités sont particulièrement préoccupées par l'extension des manifestations au secteur public, traditionnellement considéré comme plus stable et fidèle au système. Dans la province de Shandong, les enseignants contractuels n'ont pas reçu de salaire depuis six mois. Un enseignant d'école primaire a déclaré : « Notre salaire mensuel n'est que d'environ 3 000 yuans (un peu plus de 400 dollars) et, depuis six mois, nous vivons avec de l'argent emprunté ».

Un autre enseignant de Shanxi a signalé que son école exigeait la restitution des primes de fin d'année versées au personnel depuis 2021, ainsi qu'une partie de la rémunération perçue pour les activités extrascolaires. Ces mesures ont provoqué un mécontentement généralisé sur le site , comme en témoignent les messages publiés sur le réseau social Xiaohongshu (RedNote).

Les travailleurs de la santé sont confrontés à des problèmes similaires. Une infirmière d'un hôpital public de la province de Gansu, dans le nord-ouest du pays, a déclaré que son salaire mensuel n'était que de 1 300 yuans (moins de 200 USD) et que sa prime de rendement n'avait pas été versée depuis quatre mois. À Fuzhou, dans la province de Jiangxi, des médecins et des infirmières de l'hôpital Dongxin n° 6 se sont rassemblés devant le bâtiment du gouvernement municipal de Fuzhou le 7 avril, pour réclamer le paiement des salaires liés à la performance qui n'ont pas été versés depuis sept mois.

Comme l'observe Zhang, un enseignant retraité de l'université de Guizhou : « Dans le passé, ce sont les travailleurs migrants et les ouvriers qui réclamaient des salaires, mais aujourd'hui, les enseignants, les médecins et les éboueurs se joignent également à la lutte. Cela montre que la »structure stable« de la Chine commence à s'effilocher ». Cette observation rend compte d'un changement qualitatif fondamental : l'extension du mécontentement social à des catégories traditionnellement privilégiées du secteur public indique une crise de légitimité qui va au-delà des difficultés économiques conjoncturelles.

Violations des droits de l'homme dans le système pénitentiaire : témoignage de Liu Xijie

Le système judiciaire et pénitentiaire a fait l'objet de plaintes particulièrement sérieuses qui ont mis en lumière des abus systématiques. Liu Xijie, originaire de Bozhou dans l'Anhui et détenu de 2011 à 2024 à la prison n° 1 de Fushun dans le Liaoning, a trouvé le courage de dénoncer publiquement et nominalement les abus systématiques de la police pénitentiaire ces jours-ci, en donnant les noms précis des officiers accusés.

Selon son témoignage détaillé, aux alentours de février 2022, plus de 200 prisonniers ont été soumis à des sévices de degrés divers, notamment des tortures électriques à l'aide de matraques électriques, des insultes et des coups pour des infractions mineures telles que des réponses non conformes, des postures inappropriées ou un pliage incorrect des couvertures. Les témoignages décrivent de manière particulièrement effrayante comment certains agents pénitentiaires auraient trouvé du plaisir dans les mauvais traitements, piétinant des personnes âgées, introduisant des matraques dans la bouche des détenus, électrocutant des prisonniers au point de provoquer une incontinence fécale.

Le cas le plus grave concerne Fan Hongyu, un prisonnier décédé le 19 février 2022 à la suite de tortures répétées pour n'avoir pas mémorisé le règlement de la prison. Ce témoignage, rendu public à un moment de tension sociale particulière, met en lumière la façon dont le système répressif utilise des méthodes qui violent systématiquement les droits humains fondamentaux, contribuant au climat général d'oppression qui alimente le mécontentement social.

Episodes de protestation étudiante : le cas de Xuchang et la mémoire de Tiananmen

L'analyse des mouvements étudiants révèle des dynamiques particulièrement significatives. Le 3 juin à Changning, dans la province du Hunan, des centaines de lycéens de l'école Shangyu ont organisé une manifestation spontanée sur le campus pour évacuer le stress des examens d'entrée à l'université. L'événement, d'abord pacifique et caractérisé par des cris libérateurs, a rapidement pris une connotation politique lorsque l'école a alerté les autorités sur l'enthousiasme excessif manifesté par les jeunes.

Lorsque la police est intervenue et a arrêté trois organisateurs présumés, la situation a rapidement dégénéré : les étudiants ont formé un mur humain pour empêcher les voitures de police de partir, en criant des slogans tels que « retirons-nous de l'école, rendons l'argent » et en exigeant la libération des camarades arrêtés. Malgré la détermination affichée, les policiers ont réussi à briser le cordon d'étudiants par la force, emmenant les trois jeunes hommes sous le regard impuissant de leurs camarades.

Cet épisode est particulièrement sensible compte tenu de sa proximité temporelle avec l'anniversaire du 4 juin 1989, une date qui continue de représenter un moment extrêmement sensible pour les autorités chinoises. Dans le cas du collège n° 6 de Xuchang, dans le Henan, où une élève s'est suicidée prétendument à cause des brimades de son professeur, des milliers d'élèves et de citoyens ont manifesté devant l'école, pénétrant dans le campus et endommageant des bureaux avant que la police n'intervienne. Wu Jianzhong, secrétaire général de la Taiwan Strategy Association, note que l'incident s'étant produit à proximité d'une date sensible comme le 4 juin, les autorités ont réagi avec une extrême prudence, craignant qu'il ne déclenche des troubles sociaux et ne se propage rapidement, comme un incendie.

Contrôle social et répression : l'anniversaire de Tiananmen

Dans le cadre du 36e anniversaire de Tiananmen, les autorités ont mis en œuvre des mesures de contrôle sans précédent à l'encontre du groupe des « mères de Tiananmen ». Pour la première fois dans l'histoire du groupe, toute communication avec le monde extérieur a été coupée, les téléphones portables et les appareils photo étant interdits lors de la commémoration au cimetière de Wan'an à Haidian.

Le 31 mai, les Mères de Tiananmen ont publié une lettre ouverte signée par 108 parents de victimes, commémorant les membres décédés au cours de l'année écoulée et réitérant leurs demandes : enquête impartiale sur l'événement, publication des noms des morts, indemnisation des familles et punition des coupables. Zhang Xianling, 87 ans, s'est ému dans une vidéo il y a quelques jours : « Depuis 36 ans, nous n'avons cessé de chercher le dialogue avec les autorités, mais nous n'avons été que mis sous contrôle et réprimés ».

Cette escalade du contrôle met en évidence la sensibilité particulière des autorités à toute forme de mémoire collective liée aux événements de 1989, suggérant une vulnérabilité perçue du régime aux liens potentiels entre les protestations contemporaines et les précédents historiques de mobilisation sociale.

Censure numérique et contrôle de l'information

La gestion de l'information sur les incidents de protestation révèle des stratégies sophistiquées pour contrôler le discours public. Dans le cas de l'incident du collège Xuchang n° 6, les autorités ont rapidement supprimé tous les contenus publiés sur les médias sociaux, et le fil de discussion sur le collège Xuchang n° 6 sur le site Weibo a disparu. Lorsque les élèves ont réalisé que leurs messages n'étaient pas autorisés à circuler, ils n'ont eu d'autre choix que d'exprimer leur frustration contre l'école elle-même, ce qui a fini par dégénérer en une confrontation ouverte.

Dans le même temps, le cyberespace chinois a montré des réactions anormales. Début juin, dans le jeu de Tencent « Golden Spatula Wars », tous les avatars des utilisateurs de WeChat ont été uniformément remplacés par des pingouins verts et ne pouvaient être changés, ce qui a suscité une grande attention de la part des joueurs. Un internaute s'est plaint sur Platform X : « Les pingouins étaient à l'origine un symbole de divertissement, mais ils sont maintenant devenus un masque de censure. »

En outre, comme chaque année autour du 4 juin, les plateformes de médias sociaux chinoises bloquent des mots-clés tels que « square », « tank », « 8964 », et le contenu correspondant est immédiatement supprimé, tandis que les comptes qui les ont publiés risquent d'être interdits. Le 4 juin, l'avocat des droits de l'homme Pu Zhiqiang a été sommé par la police de supprimer son discours commémoratif sur la plateforme X.

Dynamique de la résistance effective : le cas de Dongguan

Malgré le contrôle autoritaire, plusieurs épisodes montrent que la mobilisation sociale conserve une capacité à influencer les décisions des autorités locales lorsqu'elle atteint des dimensions significatives et formule des demandes économiques concrètes. Le cas de Dongguan est un exemple emblématique de mobilisation spontanée et réussie des travailleurs.

Le 2 juin, des centaines de travailleurs migrants vivant dans le village de Yangyong, dans la ville de Dalang, se sont opposés à l'introduction d'un système de péage qu'ils considèrent comme économiquement insoutenable. Leur action collective, qui a débuté vers 18 heures par le blocage des barrières de péage, s'est étendue à plusieurs centaines de personnes criant des slogans tels que « enlevez les barrières ».

Sous la pression soutenue des manifestants, la police de stabilité sociale a dû céder vers 22 heures, envoyant des travailleurs pour retirer tous les équipements de péage. La politique fiscale, mise en œuvre la veille, a été déclarée nulle et non avenue, mettant en évidence le fait que les difficultés économiques poussent les classes populaires à des formes de résistance de plus en plus organisées et efficaces.

Évolution des stratégies de protestation et de l'organisation sociale

L'analyse révèle une évolution dans la manière dont les manifestations sont organisées, reflétant l'adaptation des mouvements sociaux à l'environnement technologique et répressif contemporain. Dans le cas des étudiants de Xuchang, l'utilisation des téléphones portables et de l'internet a permis une connexion et une agrégation rapides, soulignant comment les technologies numériques peuvent agir comme des multiplicateurs d'action collective en dépit des contrôles gouvernementaux.

Zeng Jianyuan, directeur exécutif de l'Association académique démocratique chinoise à Taïwan, note que « dans le climat actuel de gouvernance répressive et de purges politiques en Chine, seules les questions apolitiques peuvent légitimer des formes de rassemblement collectif à grande échelle ». Toutefois, il ajoute que « le Parti communiste chinois perçoit clairement que ce tumulte n'est pas seulement un geste de soutien à une école ou à un incident isolé, mais qu'il reflète également deux problèmes plus profonds ».

Le premier problème, selon Zeng, est que « sous l'administration de Xi Jinping, la société chinoise connaît une vague de détresse émotionnelle collective, et beaucoup cherchent un exutoire ». Le second, , est que « l'incident de Xuchang révèle un relâchement du contrôle social par les autorités locales : les étudiants ont pu se coordonner et se rassembler rapidement grâce aux téléphones portables et à l'internet, signe de l'échec des mécanismes locaux de maintien de la stabilité ».

Il est clair que les manifestations les plus récentes ne peuvent pas être interprétées comme de simples réactions spontanées à des injustices spécifiques, mais représentent plutôt des manifestations d'un « malaise émotionnel collectif » plus large qui cherche des canaux d'expression à travers des questions apparemment apolitiques.

Crise de légitimité des autorités locales

Les protestations documentées mettent en évidence une crise de légitimité croissante des autorités locales, incapables d'assurer une médiation efficace entre les pressions économiques centrales et les besoins sociaux locaux. L'imposition arbitraire de taxes au niveau local est un excellent exemple de cette dynamique.

Dans le cas du village de Pingtang, dans la ville de Gushan, province de Zhejiang, le comité du village a publié un avis annonçant qu'à partir du 10 mai, des « frais de gestion sanitaire » et des « frais de stationnement » seraient prélevés sur tous les résidents permanents et les travailleurs du village : 80 yuans par an pour les adultes, 40 yuans pour les enfants et 500 yuans pour les voitures et les tricycles. L'avis indiquait également que ceux qui ne paieraient pas à temps seraient « mis sous contrôle » à partir du 1er juin, et que chaque personne devrait payer un supplément de 200 à 100 yuans, que leurs véhicules seraient verrouillés et que ceux qui forceraient les serrures seraient « traités comme des auteurs d'actes de vandalisme contre des biens publics ».

Li, un locataire du village, a déclaré que « cette taxe n'a jamais été convenue avec les villageois et n'a jamais fait l'objet d'une réunion publique. Je suis un locataire extérieur et je n'ai jamais entendu parler d'une réunion du village approuvant cette taxe ». Certains villageois ont critiqué la décision du comité du village, la qualifiant d'« extorsion éhontée ». Un autre villageois, Zhang Shun (pseudonyme), a déclaré : « Ma famille compte cinq personnes et nous devons payer 400 yuans par an. Nous ne pouvons absolument pas nous le permettre. Est-ce encore un pays dirigé par le Parti communiste ? ». Jia Lingmin, une militante, a souligné que le comité du village est une organisation populaire autonome et que toutes les redevances doivent obtenir un « permis de redevance », faute de quoi elles sont illégales.

Cet épisode illustre la façon dont les gouvernements locaux, sous la pression des difficultés fiscales, ont recours à des mesures de plus en plus désespérées et illégales pour lever des fonds, ce qui érode encore plus leur légitimité aux yeux de la population. Comme l'observe Zhang, un enseignant retraité de l'université de Guizhou : « Le niveau élevé de la dette locale et le durcissement des politiques centrales ont fortement affecté la gestion fiscale locale. Les victimes les plus directes sont les travailleurs permanents et contractuels ».

Transformations du tissu social chinois

Tang Gang, un universitaire du Sichuan, propose une analyse particulièrement perspicace des transformations sociales en cours, notant que la société chinoise évolue « d'une société traditionnelle où il était possible de faire des compromis, de se tolérer mutuellement et de coexister, à une société marquée par de rudes conflits, où les positions sont irréconciliables et où la coexistence devient impossible ». Cette transformation, qu'il attribue aux changements survenus au cours des dix dernières années sous la direction de Xi Jinping, suggère une détérioration qualitative des relations sociales qui transcende les questions économiques spécifiques.

Xue, chercheur en relations du travail à Guizhou, identifie plusieurs facteurs qui contribuent à l'escalade des conflits entre travailleurs et patrons. « Tout d'abord, dans certaines entreprises, les dirigeants syndicaux sont directement nommés par les patrons, ce qui empêche le syndicat de représenter véritablement les intérêts des travailleurs. Cela entrave la défense des droits des salariés et alimente les tensions. Deuxièmement, la relation entre le capital et le travail est fortement orientée vers le marché, mais il n'y a pas de répartition équitable des revenus. De plus, dans de nombreuses usines, l'opacité prévaut dans la gestion des questions concernant les travailleurs, ce qui exacerbe encore les contradictions ».

L'analyse de M. Xue montre que les problèmes ne sont pas simplement économiques, mais qu'ils reflètent des déficiences structurelles dans le système de relations industrielles de la Chine. L'absence de syndicats indépendants et représentatifs prive les travailleurs de canaux efficaces de résolution des conflits, ce qui les oblige à recourir à des formes de protestation de plus en plus directes et parfois extrêmes.

Vers des scénarios d'instabilité croissante

L'accumulation des tensions documentées au cours de la période fin mai-début juin 2025 indique à elle seule que la Chine d'aujourd'hui est confrontée à des défis sociaux de nature systémique qui ne peuvent être résolus par les seuls mécanismes répressifs traditionnellement employés par le régime. La transversalité sectorielle des protestations, l'extension géographique nationale des phénomènes et l'implication de catégories traditionnellement stables telles que les enseignants et les travailleurs de la santé montrent que les difficultés actuelles ne sont pas des fluctuations conjoncturelles mais plutôt des manifestations de contradictions structurelles plus profondes.

La capacité limitée des autorités locales à répondre efficacement aux demandes populaires, combinée au désespoir économique croissant de larges pans de la population, crée des conditions potentiellement explosives. Comme l'a montré l'affaire « Brother 800 », lorsque les voies légales de résolution des conflits s'avèrent inefficaces, les citoyens peuvent recourir à des formes de protestation de plus en plus extrêmes et destructrices.

L'intensification des mesures répressives, visible dans l'isolement des Mères de Tiananmen et la censure rapide des épisodes de protestation, indique une perception de vulnérabilité de la part du régime qui pourrait paradoxalement alimenter de nouvelles tensions. La stratégie de contrôle de l'information, bien qu'efficace à court terme, risque d'alimenter la frustration et la radicalisation lorsque les citoyens découvriront l'impossibilité de communiquer leurs revendications par les canaux institutionnels.

Les autorités chinoises semblent se trouver dans une position de plus en plus difficile, obligées de trouver un équilibre entre les exigences du contrôle social et la nécessité de maintenir la stabilité économique. L'expérience de la courte période analysée suggère que cette tension atteint des seuils critiques, avec des implications qui pourraient s'étendre bien au-delà des frontières de l'épisode ou du secteur concerné.

Andrea Ferrario

Sources : Yesterday, Radio Free Asia, China Labour Bulletin, AsiaNews, Workers' Solidarity

• Traduction Pierre Vandevoorde et Pierre Rousset avec l'aide de DeepL.

Source - Andrea Ferrario 05 juin 2025

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L’Arabie saoudite, nouveau pôle d’influence aux États-Unis

Sans parvenir à détrôner Israël, l'Arabie saoudite, mais aussi les Émirats arabes unis et le Qatar ont acquis un nouveau poids auprès de Donald Trump. Les motivations du (…)

Sans parvenir à détrôner Israël, l'Arabie saoudite, mais aussi les Émirats arabes unis et le Qatar ont acquis un nouveau poids auprès de Donald Trump. Les motivations du président américain relèvent à la fois de la géo-économie et de ses intérêts personnels. Mais qui peut encore se fier à ses engagements ?

Tiré de orientxxi
3 juin 2025

Par Fatiha Dazi-Héni

Deux hommes souriants, l'un en costume, l'autre en tenue traditionnelle, posent ensemble.
Riyad, le 13 mai 2025. Le président états-uniens Donald Trump et le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman lors du forum d'investissement américano-saoudien au centre de conférences du Roi Abdel Aziz.
© Official White House Photo / Daniel Torok / Flickr

La première visite à l'étranger du président Donald Trump au cours de son deuxième mandat (hormis celle consacrée aux obsèques du pape François à Rome) s'est déroulée du 13 au 16 mai 2025 dans les trois pays les plus actifs diplomatiquement du monde arabe : l'Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. Elle s'est accompagnée d'une moisson de contrats signés ou promis (acquisition d'armements et d'avions civils) et d'annonces d'investissements vertigineux liés à la technologie et notamment à l'intelligence artificielle (IA), qui sont évalués à plus de deux mille milliards de dollars via les fonds souverains du Golfe et les grandes compagnies publiques liées aux industries minières, d'hydrocarbures ou de défense.

Ces monarchies, et plus particulièrement l'Arabie saoudite, sont apparues comme un pôle d'influence capable d'infléchir en partie les orientations de la politique étatsunienne. Cependant, le caractère transactionnel de la diplomatie trumpienne et sa méthode erratique incitent à tempérer les premières déclarations enthousiastes sur le succès éclatant de cette visite pour les monarques du Golfe et notamment pour le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (MBS).

Une chose est sûre, l'alchimie entre le président étatsunien et MBS fonctionne parfaitement. Le discours élogieux prononcé par Donald Trump sur le « miracle de la modernité selon une méthode arabe réalisé en huit ans en Arabie saoudite par MBS », avec les Émirats arabes unis comme modèle référent, se voulait un vibrant hommage à « l'avenir radieux qui s'offre aux pays du Golfe, car forgé sur le business et le commerce et non par le chaos », allusion transparente à l'Iran (1).

Les perspectives d'un accord avec Téhéran

Le slogan America First du MAGA (« Make America Great Again ») de Trump résonnait avec le Saudi First de la Vision 2030de MBS. Comme le souligne Yasmine Farouk, directrice Golfe Péninsule arabique à l'International Crisis Group (2), le président Trump a traité le royaume comme un partenaire stratégique en lui conférant le statut de leader régional du Proche-Orient et non plus seulement comme un État ami ou simplement client comme les États du Golfe avaient coutume d'être considérés.

Les annonces politiques du président Trump de poursuivre les négociations avec Téhéran pour parvenir à un nouvel accord nucléaire et celle, plus surprenante, de la levée des sanctions économiques contre la Syrie, ajoutée à sa rencontre avec le président syrien Ahmed Al-Charaa à Riyad, ont constitué un réel succès diplomatique pour Riyad, et un revers pour Israël. C'est le résultat d'un travail de lobbying de la diplomatie saoudienne en étroite concertation avec Ankara pour convaincre le président Trump d'œuvrer à la stabilisation de la région enfoncée dans le profond chaos engendré par la dévastation de Gaza depuis le 8 octobre 2023 (3). En coordination avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan et l'émir du Qatar, le prince héritier saoudien engrange un succès diplomatique certain qui lui confère une légitimité de leader régional conduisant une diplomatie de détente au contraire du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.

Revirement saoudien

L'autre gain substantiel pour MBS est d'avoir convaincu Trump que ce contexte dramatique ne pouvait pas déboucher sur une normalisation avec Israël. Désormais, le président étatsunien ne conditionne plus, contrairement à son prédécesseur Joe Biden, le renforcement des relations bilatérales de défense et une coopération sur le nucléaire civil à la normalisation des relations entre Riyad et Tel-Aviv.

De même, en dépit des déclarations contradictoires, le président Trump a maintenu le cap des négociations avec Téhéran, prenant en compte les vives préoccupations de ses interlocuteurs du Golfe sur les risques de déflagration dans la région en cas de conflit ouvert entre Israël et l'Iran. Riyad a activement défendu l'idée de voir signé un nouvel accord sur le nucléaire, contrairement à sa position antérieure d'hostilité au Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA)signé en 2015. Cette position avait contribué à encourager la politique de sanctions maximales à l'encontre de Téhéran, décidée lors du premier mandat Trump et à la dénonciation de l'accord en mai 2018.

Preuve du revirement saoudien radical sur la question nucléaire iranienne, Khaled Ben Salman, ministre de la défense saoudien et frère cadet de MBS, a remis en mains propres au Guide iranien une lettre, le 17 avril 2025, témoignant du soutien de Riyad pour la réalisation d'un accord permanent sur ce dossier. Cet entrain est aussi largement motivé pour des raisons intérieures. Riyad souhaite en effet développer son propre programme nucléaire et enrichir l'uranium, dont il dispose à foison, à des fins civiles.

De son côté, Téhéran reste très attentif à la décision du président Trump de lever les sanctions contre la Syrie, et en particulier à leur matérialisation concrète. Les Iraniens n'hésitent plus à faire miroiter aux négociateurs étatsuniens, via la médiation d'Oman, les opportunités d'investissements qui s'offriraient aux sociétés étatsuniennes en cas d'accord sur le nucléaire.

Un échec sur la Palestine

En revanche, sur la question palestinienne, la visite du président Trump n'a rien changé et a même constitué, en particulier pour Doha, un échec dans ses efforts constants pour obtenir du gouvernement Nétanyahou un cessez-le-feu à Gaza. De fait, l'insistance de Donald Trump à maintenir son idée de déportation des Palestiniens de Gaza afin de prendre le contrôle de ce territoire pour en faire une « riviera », montre les limites de l'influence politique des États de la région.

Si la relation de Trump avec le premier ministre israélien s'est détériorée, rien n'indique une inflexion majeure de la politique des États-Unis quant au projet du gouvernement israélien en Palestine. Ainsi, le redéploiement de la présence militaire étatsunienne dans la région depuis les attaques du 7 octobre 2023, qui est passée d'environ 34 000 à près de 50 000 hommes à la fin de 2024, semble moins motivé par une planification à long terme que par un soutien indéfectible à Israël et aux menaces perçues en provenance de l'Iran et à l'instabilité en mer Rouge (4).

Toutefois, Riyad tentera de capitaliser sur le plan diplomatique lors de la réunion des Nations unies consacrée à la solution à deux États que le prince héritier coprésidera à New York, le 17 juin, avec le président français Emmanuel Macron. Ce dernier pourrait y annoncer, aux côtés du Royaume-Uni et du Canada (voire de nouveaux pays membres de l'UE), la reconnaissance de l'État palestinien, isolant un peu plus Israël.

La Tech, véritable moteur de la visite

Plutôt que d'inscrire le discours de Trump à Riyad dans la lignée du discours du Caire de Barack Obama (5) prononcé le 4 juin 2009, celui du président Trump s'inscrit dans le sillage des propos et de la visite d'État de trois jours du président chinois Xi Jinping à Riyad (du 8 au 10 décembre 2022). Tout comme celle de Xi, la visite de Trump a d'abord eu vocation à consolider la relation bilatérale, en traitant le royaume comme un partenaire incontournable de la compétition géoéconomique qui oppose les deux puissances globales.

Contrer la présence technologique et commerciale chinoise au sein des monarchies du Golfe a constitué un axe majeur de cette visite présidentielle étatsunienne comme en témoigne la présence de tous les géants étatsuniens de la Tech à Riyad, Doha ou Abou Dhabi. Les EAU ont ainsi conclu un accord pour héberger le deuxième plus grand centre de données du monde, avec l'achat des semi-conducteurs ultra performants de la compagnie Nvidia. C'est dans le cadre de ce projet colossal d'investissements sur dix ans, d'un montant de mille milliards et 400 millions de dollars que cheikh Tahnoun, à la tête de la compagnie G42 et conseiller à la sécurité nationale auprès de son frère, Mohammed Ben Zayed (MBZ), président des EAU, a fait le choix d'opter pour la Tech étatsunienne. Sa compagnie avait été contrainte par le président Biden de restreindre sa coopération avec la Chine dans le domaine de l'IA.

Cependant, une partie des congressistes étatsuniens demeure sceptique sur la fiabilité émiratie concernant sa prise de distance avec Pékin ou concernant sa diplomatie militarisée et agressive au Soudan (6) que Washington réprouve. Elle pourrait peser sur le débat et exiger des mesures concrètes pour s'assurer que l'accès émirati à 500 000 puces de pointe conçues par la multinationale étatsunienne Nvidia dès 2026 ne profite pas à la Chine - ce qui est d'ailleurs un engagement de Donald Trump.

L'ombre de la Chine

Pour sa part, MBS a réitéré son objectif d'investir 600 milliards dans des partenariats avec les États-Unis. Outre l'industrie d'armements, c'est l'IA qui est le centre de son attention que cela soit dans les secteurs d'infrastructure, de la santé, la sécurité ou les coopérations scientifiques. Comme le fait remarquer Jonathan Fulton (7) bon connaisseur des relations Chine-Golfe et États-Unis-Golfe, même en ramenant cette somme au chiffre vérifié de 283 milliards, ce montant éclipse largement les contrats d'une valeur de 50 milliards obtenus lors de la visite triomphale d'État du président Xi Jinping à Riyad en 2022. L'annonce de mégacontrats d'armements estimés à 142 milliards de dollars contre le montant record de 121 milliards atteint sous les deux mandats Obama donne un aperçu de la volonté saoudienne de prioriser le partenariat sécuritaire avec les États-Unis.

Pour les monarchies du Golfe, et notamment les EAU et l'Arabie saoudite, qui se livrent une âpre concurrence pour devenir les hubs de l'inter connectivité et de la Tech au croisement des continents africain, européen et asiatique ; l'industrie de l'IA est la clé de voûte de l'ère post-énergie fossile. De fait, ces pays sont jusqu'à présent parvenus à ménager leur coopération avec Pékin, en refusant de faire un choix entre les deux puissances globales. Mais cette visite a été l'occasion pour ces trois monarchies du Golfe d'exprimer leur préférence pour la Tech et la sécurité que leur procure le partenaire étatsunien.

Cependant, avec l'avance prise par l'implantation des entreprises chinoises dans le secteur de l'IA et leurs chaines d'approvisionnement dans la région, la Chine continuera à être un partenaire important sur le long terme. La diplomatie active de Pékin œuvre à renforcer les relations commerciales Sud-Sud dans le cadre de divers sommets multilatéraux (BRICS (8), Organisation de coopération de Shanghai— OCS (9), ou ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique en français (10) )—CCG— Chine (11) et de visites bilatérales en Asie du Sud et dans le Golfe, parallèlement au chaos suscité par la guerre des droits de douane lancée par le président Trump.

Durant la visite de Trump, un forum des investissements saoudo-étatsuniens s'est également tenu où il a été question d'édifier l'autre pierre angulaire du renforcement de la coopération bilatérale autour de l'industrie minière stratégique et des terres rares que le royaume possède en quantité. Cette coopération relève d'un impératif de sécurité nationale pour Washington et le royaume offre l'occasion aux États-Unis de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine dans ce domaine stratégique.

Ainsi, l'Arabie saoudite, qui ambitionne dans le cadre de son programme Vision 2030 de devenir un hub mondial de traitement des minerais, offre aux États-Unis la possibilité de diversifier ses chaines d'approvisionnements. Elle a ainsi rehaussé sa cote en tant que partenaire stratégique clé. Riyad est même parvenu à s'inscrire d'ores et déjà comme partenaire économique de premier plan dans l'ère post pétrolière, alors même que durant le premier mandat Trump, âge d'or du pétrole de schiste, Riyad et Washington étaient devenus des concurrents.

Le second mandat ouvre la voie à une coopération dense, mais la pression du président Trump à maintenir bas les cours du prix du pétrole (autour de 65 dollars) alors que Riyad a construit son budget autour d'un prix moyen de 80 dollars, pourrait contrarier le rythme ambitieux des réformes économiques prévues dans le cadre de la Vision 2030.

Des difficultés à se fier à Donald Trump

Pourtant, il paraît difficile de conclure au lendemain de cette visite que l'influence régionale de Riyad puisse opérer de manière pérenne en raison du caractère transactionnel et personnel des relations qui lient le président Trump à ce jeune monarque et à ses deux homologues qatari et émirati. De même, il n'est pas certain que cette visite, présentée comme destinée à réparer et à renforcer une relation dégradée avec l'Arabie saoudite et le Golfe sous l'administration Biden, ne connaisse de revers, tant le président Trump s'est illustré par de nombreux revirements notamment sur les tarifs douaniers même avec ses alliés les plus proches (pays de l'UE, Grande-Bretagne, Canada où même le Japon).

Cependant, comme les dirigeants du Golfe l'avaient pressenti, le président Trump du fait de son imprévisibilité risque de s'avérer un interlocuteur beaucoup plus difficile à manœuvrer que son prédécesseur par le premier ministre israélien (12). Ce qui pourrait le contraindre à revoir à la baisse sa stratégie de guerre sans fin au Proche-Orient.

L'épisode de la négociation menée avec le Hamas et avec l'aide de Doha pour libérer l'otage israélo-étatsunien ou encore l'accord conclu avec les Houthis, avec la médiation omanaise, pour mettre fin aux frappes en mer Rouge sans concertation avec Tel-Aviv, conforte cette intuition des dirigeants du Golfe. C'est l'une des raisons pour lesquelles, outre les relations personnelles et d'affaires qui les lient, les dirigeants du Golfe, MBS en tête, ont affiché leur préférence de voir Donald Trump accéder à la présidence en dépit de son parti pris pro-israélien.

La montée en puissance des monarchies du Golfe dans l'économie mondialisée se combine avec une nouvelle géopolitique de la finance et de l'aide extérieure, au moment où précisément le président Trump retire les programmes de l'US Aid ce qui ouvre de nouvelles possibilités aux États du Golfe. Ces derniers ont donc intérêt à maintenir le cap de la diversification de leurs partenariats commerciaux et industriels dans un monde plus multipolaire où la compétition fait rage sur la meilleure façon de réguler l'économie mondiale.

Notes

1. « Trump et le tournant de Riyad », texte intégral du discours traduit en français, Le Grand continent, 15 mai 2025.

2. « Regional response : How Gulf monarchies leveraged Trump's visit », European Council on Foreign Relations, 21 mai 2025.

3. Anthony Samarani, « MBS-Erdoğan : la tentation d'un grand rapprochement face à Israël », L'Orient-Le-Jour, 18 mai 2025.

4. Safia Karasick Southey, « Deterrence or creep ? US forces quietly surge back to Middle East », Responsible Statecraft, 24 avril 2025.

5. Intitulé « un nouveau départ », il visait à refonder les relations de Washington avec le monde musulman, notamment après le désastre de l'intervention étatsunienne en Irak.

6. Jean-Pierre Filiu, « La stratégie séparatiste des Émirats arabes unis », Le Monde, 11 mai 2025.

7. « Trump in the Gulf, commentary on HK's Chief Executive Lee's Gulf trip, PRC delegation to Morocco, more US sanctions on Iranian oil to China », The China-MENA Newsletter, 16 mai 2025.

8. Les BRICS se composent des dix États suivants : Afrique du Sud, Brésil, Chine, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie, Inde, Indonésie, Iran, Russie. L'Arabie saoudite préfère, quant à elle, maintenir son adhésion sans l'officialiser.

9. Ses membres sont la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, l'Inde, le Pakistan, l'Iran et Bélarus.

10. Ses membres sont les Philippines, l'Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, le Brunei, le Viêtnam, le Laos, le Myanmar et le Cambodge.

11. « The Inaugural ASEAN-GCC-China Summit : Economic Aspirations Amid Strategic Ambiguity », China Global South Project, 23 mai 2025.

12. Fatiha Dazi-Héni, « Riyad et l'administration Trump 2 », Institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM), 18 mars 2025.

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