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« Désarmer Bolloré » : les collectifs écologistes ciblent l’extrême droite

De nombreux collectifs écologistes figurent parmi les organisations signataires de l'appel à « désarmer Bolloré ». Signe que les mouvements environnementaux ont entamé un tournant stratégique, pour davantage lutter contre l'extrême droite.
2 décembre 2024
'est une assemblée générale qui promet d'être mouvementée. Le géant français Vivendi, dont le groupe Bolloré est l'actionnaire principal [1], a convié ses actionnaires le lundi 9 décembre à Paris, pour voter (ou rejeter) un projet de scission des différentes activités de la société. Mais d'autres personnes ont prévu de s'inviter à la fête : les organisations signataires de la campagne d'action « Désarmer Bolloré » ont appelé à se réunir « dans un furieux carnaval », au théâtre des Folies Bergère, pour perturber de manière « festive » l'assemblée générale.
Il s'agira de la première mobilisation [2] de cette campagne lancée en juillet (quelques jours après les élections législatives anticipées). « Nous devons, sans attendre de prochaines échéances électorales, unir nos forces contre les vecteurs de fascisation de la société », écrivait alors la centaine d'organisations signataires — en désignant les différentes activités du milliardaire Vincent Bolloré comme des responsables de cette « fascisation ». Parmi les adhérents de la campagne : des syndicats, des associations antiracistes et féministes, mais aussi de nombreux collectifs écologistes.
« Pendant l'entre-deux-tours des législatives, on s'est demandé ce qu'on allait faire. Il y a eu une réponse rapide et unanime : en cas de gouvernement d'extrême droite, on ne pourrait pas se cantonner à lutter contre les mégabassines », raconte Sarah [*], membre des Soulèvements de la Terre, mouvement qui s'était jusque-là fait connaître pour ses actions contre l'artificialisation des terres, le maraîchage industriel etl'accaparement de l'eau.
La militante poursuit : « Évidemment, il faut continuer à s'opposer aux mégabassines jusqu'à l'arrêt des chantiers, mais on ne peut pas faire que ça. On ne peut pas laisser la lutte contre l'extrême droite à d'autres, c'est trop grave. Il n'y a pas le choix. »

D'autres associations écologistes avaient déjà amorcé un changement de stratégie similaire, à l'image d'Action Justice Climat (anciennement Alternatiba Paris), qui a opéré en avril une scission avec le réseau national, pour lier davantage lutte contre le changement climatique et lutte contre l'extrême droite.
« On a ancré dans nos principes fondateurs la lutte contre les idées d'extrême droite. Ce sont des sujets qu'on traitait depuis longtemps, mais les derniers résultats électoraux ont démontré que c'était un enjeu urgent, à traiter maintenant », expique Léa Geindreau, porte-parole d'Action Justice Climat.
Exploitation des terres et des humains
Selon elle, les élections européennes puis le scrutin législatif semblent avoir été un « soubresaut pour le mouvement climat » dans son ensemble. Parmi les signataires de Désarmer Bolloré, on retrouve ainsi l'association pour la conservation des océans Bloom, l'association contre la bétonisation Terres de luttes, les mouvements de désobéissance civile Extinction Rebellion et ANV-COP21, l'organisation de chercheurs militants Scientifiques en rébellion…
« La cible du groupe Bolloré est apparue de façon assez évidente », dit Sarah, des Soulèvements de la Terre. Depuis les années 1990, le milliardaire breton a investi dans une multitude d'activités. Agricoles, tout d'abord : il est notamment actionnaire d'un groupe financier belgo-luxembourgeois (Socfin) qui gère des participations dans de grandes plantations de palmiers à huile en Afrique et en Asie.
Il possède également des sociétés industrielles (dépôts pétroliers, bornes de recharge électrique, portiques de sécurité, verbalisation électronique…) ; des médias (Canal+, CNews, Europe 1, Le Journal du dimanche…) ; et des entreprises dans le secteur de la musique, du livre et de la communication (Universal Music France, Hachette, Havas…).
« La mainmise qu'il a sur ses médias est un superpouvoir »
Or des enquêtes ont documenté la gestion problématique — voire illégale — de Vincent Bolloré sur ses activités. Ainsi, l'émission « Complément d'enquête » a révélé que le groupe Bolloré employait, via une filiale de la Socfin, des travailleurs sous-payés (dont des enfants) dans les palmeraies, notamment au Cameroun. Après son acquisition de différents médias, Vincent Bolloré a également licencié des journalistes, censuré des enquêtes en cours, supprimé des programmes d'investigation et placé au cœur des rédactions ses propres équipes de journalistes et de chroniqueurs aux idées réactionnaires.
« Vincent Bolloré tire de l'argent de l'exploitation des terres et des humains, à travers ses activités agricoles en Afrique et en Asie, et il l'injecte dans le rachat de médias qu'il transforme pour propager ses idées d'extrême droite », résume Sarah, des Soulèvements de la Terre. « L'empire de Vincent Bolloré est tentaculaire, il possède énormément de choses, abonde Léa Geindreau. La mainmise qu'il a sur ses médias est un superpouvoir, ça lui permet de mettre des sujets à l'agenda sur ses différentes antennes. »
« Je me sers de mes médias pour mener un combat civilisationnel », a même lâché Vincent Bolloré en petit comité,d'après une biographie écrite par le journaliste Vincent Beaufils.
Actions coordonnées et alliances
Collectifs écologistes, féministes, antifascistes, syndicaux se sont donc regroupés pour « désarmer » le milliardaire. Outre la perturbation de Vivendi le 9 décembre, une « première grande vague d'actions coordonnées, du 29 janvier au 2 février 2025 » a été annoncée le 2 décembre.
« L'une ou l'autre des ramifications de ce royaume tentaculaire est probablement implantée pas loin de chez vous, écrivent les organisations dans un communiqué. Il est d'intérêt public de faire obstacle à son développement », suggérant aux comités locaux de choisir eux-mêmes un type d'action à mener en fonction de leur situation géographique. Le milliardaire n'a pas officiellement réagi, mais Le Journal du dimanche — qu'il possède — avait dénoncé une « menace à peine voilée » en juillet.

Les organisations ont également annoncé une « première grande vague d'actions coordonnées, du 29 janvier au 2 février 2025 ».
Un collectif de libraires indépendants a d'ores et déjà appelé, le 19 novembre, à ne pas mettre en avant dans leurs magasins les ouvrages édités par les maisons du groupe Hachette, qui appartient à Vivendi. « Ces livres financent et arment, souvent bien malgré eux, une entreprise qui vise à nous détruire », écrivent-ils dans une tribune publiée dans plusieurs médias.
Depuis son rachat du groupe Hachette, Vincent Bolloré a par exempleplacé à la tête des éditions Fayard Lise Boëll, l'ancienne éditrice de la personnalité d'extrême droite Éric Zemmour (Reconquête !). Elle a depuis publié le nouveau livre de Jordan Bardella, figure du Rassemblement national.
Lire aussi : Pour la liberté de la presse et la démocratie, stoppons Bolloré
Mais en passant des manifestations contre les mégabassines à des actions contre la propagation des idées d'extrême droite, n'y a-t-il pas un risque de dispersion ? Non, répondent systématiquement les différents collectifs écologistes. « Notre écologie est une écologie décoloniale, antifasciste, queer, affirme Sarah, des Soulèvements de la Terre. On considère qu'on ne peut pas penser l'écologie sans penser la libre circulation des personnes. L'antiracisme n'est pas un champ d'action, c'est tout simplement un des présupposés de base de notre militantisme. »
« Ces alliances entre écologistes, syndicalistes, groupes antifascistes, sont intéressantes, estime Julien Troccaz, secrétaire fédéral de SUD-Rail, une des fédérations signataires de Désarmer Bolloré. On a ouvert des frontières et on voit qu'on se retrouve sur plusieurs champs de lutte partagés. Se retrouver avec toutes les composantes du mouvement social, c'est un signe de force. »
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Conférence-débat : médias et extrême droite (vidéo)

L'extrême droite mène une bataille culturelle acharnée pour imposer son agenda, ses thèmes et son vocabulaire avec l'appui de certains médias et amuseurs publics au service de milliardaires réactionnaires. Comment lutter contre cette offensive culturelle et politique ? Quelle est la responsabilité des médias indépendants dans ce combat ? Retrouvez nos réponses en vidéo avec Carine Fouteau, Mathieu Molard, Stéphane Ortega, Elian Barascud et Rémy Cougnenc.
Tiré du blogue de l'auteur.
L'extrême-droite mène une bataille culturelle acharnée pour : Délégitimer les discours critiques sur la société capitaliste Déconsidérer les gauches et les écologistes. Imposer son agenda, ses thèmes et son vocabulaire avec l'appui de certains médias et amuseurs publics au service de milliardaires réactionnaires.
À l'évidence, le groupe Bolloré en est l'exemple type, présent dans la presse écrite, la télévision, l'édition… il s'agit non simplement d'un réseau d'opinion mais d'un secteur militant.
Comment déconstruire le discours de l'extrême-droite ? Comment lutter contre cette offensive culturelle et politique ? Quelle est la responsabilité des médias indépendants dans ce combat ?
Retrouvez nos réponses en vidéo avec :
– Carine Fouteau (Présidente et directrice de la publication de Mediapart)
– Mathieu Molard (co-rédacteur en chef du site d'information indépendant StreetPress, auteur d'enquêtes sur l'extrême droite)
– Stéphane Ortega (Rapport de forces)
– Elian Barascud (Le Poing)
– Rémy Cougnenc (la Marseillaise)
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École supérieure de journalisme : « Dick May / Jeanne Weill voulait en faire un lieu de défense de la démocratie, de la rigueur dans l’information »

« Dès les années 1890, elle s'inquiète des dérives qu'elle constate dans la presse, – appauvrissement de ses contenus, course au sensationnalisme » écrit Mélanie Fabre au sujet de Dick May, la fondatrice de la plus ancienne école de journalisme.
Par Mélanie Fabre, Le Café pédagogique, Paris, 6 décembre 2024
Mélanie Fabre est historienne, elle a consacré un travail de recherche sur cette École de journalisme. Dick May voulait en faire un lieu de défense de la démocratie, de la rigueur dans l'information, pour un « quatrième pouvoir » digne de ce nom. À méditer.
*« Le nouveau président de l'institution sera désormais Vianney d'Alançon »*
Le 15 novembre 2024, l'École supérieure de journalisme de Paris (ESJ Paris) annonce son rachat par un groupe de milliardaires mené par Vincent Bolloré, ce dernier paraissant avoir été un des premiers à se positionner dans cette initiative. Cette nouvelle pose de nombreuses questions, qu'il s'agit d'éclairer ici par une mise en perspective historique, en revenant sur les idéaux de Dick May, la fondatrice de cette école qui souhaitait en faire, en 1899, la première « université pour le quatrième pouvoir ». L'objectif était alors d'y préparer des journalistes bien formés, indépendants et attachés à la déontologie d'un métier qui s'était engagé sur une pente glissante lors du scandale de Panama puis de l'affaire Dreyfus.
Lorsque le visiteur curieux entre dans les locaux de l'École supérieure de journalisme de Paris, rue de Tolbiac, il passe devant une plaque commémorative en l'honneur de la fondatrice de l'école, Dick May, qui a également donné son nom à une bourse offerte par l'association des anciens élèves de cette école qui prend en charge, chaque année, les frais de scolarité d'un·e jeune bachelier·e prometteur·se pour sa première année d'étude à l'ESJ Paris. Dissimulée derrière un pseudonyme qui cache à la fois le fait qu'elle est une femme et qu'elle est d'origine juive – elle est fille de grand-rabbin –, Jeanne Weill est en effet la fondatrice de cette école de journalisme, la première créée en France, en pleine affaire Dreyfus. Désormais honorée par l'ESJ Paris et étudiée par plusieurs travaux scientifiques récents, Dick May doit se retourner dans sa tombe depuis le 15 novembre dernier, date à laquelle un consortium de grandes fortunes françaises, souvent impliquées dans le monde de la presse, a annoncé le rachat de l'école. On trouve parmi les investisseurs Vincent Bolloré, Bernard Arnault, la famille Dassault, mais également l'ancienne tête du Medef Pierre Gattaz. Le nouveau président de l'institution sera désormais Vianney d'Alançon, un entrepreneur très proche de l'évêque Dominique Rey, ultraconservateur.
* « Nouvelle étape de la bollorisation des médias* »
Libération, dans un article du 15 novembre, s'inquiète de cette « nouvelle étape de la bollorisation des médias », effectivement particulièrement inquiétante, et en rupture complète avec l'esprit dans lequel cette école a été fondée. Car c'est portée par les idéaux démocrates, dreyfusards et même socialistes que Dick May initie cette école qui constitue une nouveauté radicale dans le paysage universitaire. Dès les années 1890, elle s'inquiète des dérives qu'elle constate dans la presse, – appauvrissement de ses contenus, course au sensationnalisme -, mais surtout, avec le scandale de Panama, lorsque la lumière est faite sur la collusion entre les pouvoirs politiques, la puissance financière et la presse grand public. La situation semble très grave à Dick May, consciente que la France est entrée dans ce que les historiens appellent « la civilisation du journal ». En effet, de 2 millions de journaux vendus quotidiennement à Paris en 1880, on passe à 5,5 millions d'exemplaires en 1914. Alors qu'au début du XIX^e siècle, la presse était réservée à une élite économique et lettrée, à la Belle Époque, toutes les classes sociales lisent le journal, qui devient désormais, aux yeux de Dick May, un « quatrième pouvoir » évident.
L'affaire Dreyfus, qui se cristallise en 1898 et 1899 et déchaîne les passions dans la capitale, signe, pour beaucoup d'intellectuels, la faillite de la presse. La plupart des journaux sont en effet antidreyfusards et, autorisés par la loi de 1881 extrêmement libérale, versent dans l'antisémitisme, l'appel à la haine raciale et déversent à longueur de colonnes des contre-vérités qu'on n'appelle pas encore les fake news. Le journal La Croix, propriété de la congrégation catholique des assomptionnistes, se proclame alors « le plus antijuif de France », se positionne contre l'École supérieure de journalisme à sa création et attaque violemment Dick May, qui subira, dans les décennies suivantes, une véritable campagne de presse antisémite. L'ironie de l'histoire veut qu'aujourd'hui, en 2024, les assomptionnistes, propriétaires du groupe Bayard Presse, fassent partie des acheteurs de cette école de journalisme, ce qui n'a pas plu aux organisations syndicales représentatives du groupe, qui ont demandé à leur direction de se retirer du projet.
*« Attachement à la rigueur journalistique »*
Au tournant du XIXe et du XXe siècle, l'École de journalisme de Dick May est accueillie de manière très mitigée par le monde de la presse, mais la fondatrice réussit tout de même à mettre sur pied dès 1899 un cursus adéquat pour ce qu'elle considère comme un nouveau métier. Elle désire que sa formation promeuve un journalisme d'investigation, reposant sur des sources et étayé par des faits, loin de la presse d'opinion et des journaux à sensation.
Lors d'une interview publiée dans Le Temps du 3 novembre 1899, le célèbre journaliste Adolphe Brisson, futur enseignant dans l'école, mais d'abord sceptique sur cet établissement, lui demande :
– « Voyons ! vous êtes rédactrice en chef d'une feuille parisienne. On vous soumet deux comptes rendus d'un même événement, l'un strictement calqué sur les faits, mais terne, ennuyeux et monotone ; l'autre coloré, pittoresque, semé́ de traits piquants, mais où la réalité́, sans être altérée, aura subi des retouches, d'insignifiantes déformations, le coup de pinceau du peintre ou le coup de plume du poète. Pour lequel des deux opterez-vous ? Choisirez-vous la vérité́ ou la fantaisie ?
– La vérité !…
– Toute nue ?
– Toute nue !…
– Vous n'êtes pas sincère !…
– Monsieur !
– Madame la directrice !
– J'ai compris que nous allions nous fâcher. Et j'ai changé de conversation. »
Outre son attachement à la rigueur journalistique, Dick May est persuadée de l'importance des sciences sociales dans la formation de ses étudiants, et de la nécessité, pour les futurs journalistes, de disposer de cours d'économie, de sciences politiques et de relations internationales. Ces disciplines sont largement absentes de l'enseignement supérieur à la Belle Époque – d'après Dick May, « ces messieurs de l'Université ne commencent à s'intéresser aux choses que lorsqu'elles sont mortes » –, et c'est une des raisons pour lesquelles son initiative prend la forme d'un établissement d'enseignement supérieur privé, non financé par l'État.
Si, à cette époque, le caractère privé de cette institution permettait à sa fondatrice d'en faire un aiguillon pour l'enseignement public et d'explorer de nouvelles voies loin des lourdeurs administratives de l'Université française, Dick May, qui a toujours associé ses observations sur l'enseignement et sur la presse à une réflexion profonde sur la démocratie, serait sans doute bien triste de voir son école tomber dans les mains de milliardaires dont l'intérêt premier, dans cette opération de rachat, n'est probablement pas de fournir à notre démocratie des journalistes formés à la rigueur de l'argumentation, à la déontologie du métier et au respect de l'État de droit, qui lui tenaient tant à cœur.
Mélanie Fabre, LeCafé pédagogique, 2024-12-06
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Italie : une loi liberticide, esclavagiste et policière

En Italie aussi, depuis de nombreuses années, sous les prétextes les plus divers, des gouvernements de différentes couleurs ont mis en place des lois visant à restreindre la liberté de faire grève, de lutter, de manifester. Le gouvernement Meloni est déterminé à poursuivre cette opération en faisant faire à la répression étatique des luttes et de la contestation elle-même un saut qualitatif et quantitatif par le biais du projet de loi 1660, approuvé le 18 septembre 2024 par la Chambre des députés [Le projet de loi a été approuvé par 162 voix, contre 91 et 3 abstentions. Au moment du vote final, seuls 91 députés de l'opposition parlementaire, sur environ 160, étaient présents… Opposition qui a d'ailleurs fait voter quelques amendements pour renforcer le nombre de policiers] Avec cette « loi matraque », le gouvernement entend faire taire toutes les luttes en cours et étouffer dans l'œuf les futurs conflits sociaux, pourtant inévitables.
2 décembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/03/italie-une-loi-liberticide-esclavagiste-et-policiere/
Le projet de loi n°1660 a été présenté à la Chambre des députés le 22 janvier 2024, sur l'initiative conjointe des ministres Matteo Piantedosi (ministre de l'Intérieur), Carlo Nordio (ministre de la Justice) et Guido Crosetto (ministre de la Défense). Il engage les trois composantes de la coalition gouvernemetale, étant donné que les trois représentent, respectivement, la Lega, Forza Italia et Fratelli d'Italia.
Nouveaux délits, nouvelles aggravations des peines
La loi 1660 frappe à la fois : les manifestations contre les guerres, à commencer par celles contre le génocide des Palestiniens de Gaza, et celles contre la construction de nouvelles colonies militaires ; les piquets de travailleurs et travailleuses ; les protestations contre les « grands travaux inutiles », les catastrophes écologiques, la spéculation énergétique ; les formes de lutte que ces mouvements adoptent pour accroître leur efficacité comme les blocages de routes et de voies ferrées ; les occupations de logements vacants. La loi contient également des dispositions très sévères contre toute forme de protestation et de résistance, même passive, dans les prisons et les centres de détention des immigré⸳es sans permis, et aussi contre les protestations des membres de leur famille et les personnes qui les soutiennent. La loi 1660 va même jusqu'à sanctionner le « terrorisme de la parole », c'est-à-dire la détention d'écrits qui font l'apologie de la lutte. Derrière le recours à la catégorie « terrorisme », utilisée à dessein pour créer la peur, il n'y a rien d'autre que la lutte des classes, la lutte contre le colonialisme et les luttes sociales et écologiques.
Impunité totale pour la police
L'autre aspect de cette loi, c'est un ensemble de règlements qui assurent l'impunité totale de la police, la déchargeant de toute responsabilité pour son comportement, punissant sévèrement toute forme de résistance à ses actions, lui donnant le droit de porter des armes même en dehors du servie, et accroissant d'une manière générale ses pouvoirs.
Des règles draconiennes contre les manifestations et les piquets de grève
La plus lourde de toutes est celle qui prévoit jusqu'à 20 ans d'emprisonnement pour quiconque manifeste de manière « menaçante ou violente » pour empêcher la réalisation d'un « ouvrage public » ou d'une « infrastructure stratégique » (civile ou militaire). Les manifestations contre la TAV (Lyon/Turin, par exemple), le Pont du détroit de Messine, les nouvelles bases militaires, la plantation d'éoliennes, etc. entrent toutes dans ce champ d'application. Mais même s'il ne s'agit pas de ce type de travaux, la nouvelle peine pour résistance, violence ou menace (même la simple menace !) à l'encontre d'un fonctionnaire (même un seul), ou d'un organe de l'État, lors de n'importe quelle manifestation de rue – contre la guerre ou contre la fermeture d'une usine ou pour la liberté des camarades arrêté⸳es– va d'un minimum de 3 à un maximum de 15 ans d'emprisonnement. Il s'agit de règles répressives plus sévères que celles contenues dans le code fasciste Rocco, qui stipulait que la résistance à un fonctionnaire public dans le cadre de protestations collectives était une circonstance atténuante1.
Le blocage des routes ou des voies ferrées, moyen de lutte efficace utilisé dans les manifestations les plus déterminées, redevient un délit (non plus un « simple » délit administratif) et est puni d'une peine allant de 6 mois à 2 ans. Le fait de commettre une infraction à proximité d'une installation ferroviaire constitue une circonstance aggravante. La loi 1660 aggrave également la sanction pour ceux qui « dégradent » ou « détériorent » des biens meublés et immeubles « utilisés dans l'exercice de fonctions publiques » : de 6 mois à 1 an de prison, pouvant aller jusqu'à 3 ans en cas de récidive (pour avoir écrit sur des murs !). L'extension aux abords des chemins de fer et des ports des mesures applicables aujourd'hui pour l'interdiction d'accès aux événements sportifs2 a une fonction évidente de dissuasion contre la participation aux manifestations (telles les occupations de gares ou les récentes manifestations pour la Palestine dans les ports de Gênes, Salerne et Marghera). Le décret Caivano, qui a renforcé la répression à l'encontre des mineur⸳es, le prévoit déjà, en donnant au juge le pouvoir d'ordonner aux mineurs de ne pas participer à des manifestations politiques ou à des protestations. La militarisation des territoires réalisée ces dernières années par les assignations à résidence, les signatures quotidiennes obligatoires, les DASPO, les interdictions de manifester et les interventions policières de plus en plus fréquentes et dures contre les manifestations et les protestations, fait un saut qualitatif.
De lourdes sanctions contre les personnes occupants des logements vacants
L'occupation « non autorisée » de logements vides, effectuée avec « violence ou menace » (la violence contre les biens peut être une serrure fracturée), par des familles ou des individus sans abri est punie de peines allant de 2 à 7 ans. La réintégration rapide du propriétaire dans la possession du bien occupé devient la responsabilité de la police, qui peut le faire sans attendre une quelconque enquête judiciaire sur les circonstances spécifiques qui ont conduit à l'occupation. La sanction s'étend également aux individus ou collectifs qui apportent leur soutien. L'aggravation des peines pour la mendicité participe également de cette criminalisation de la précarité et de la marginalité sociale.
Le « terrorisme de la parole » peut être puni de 6 ans de prison !
La loi introduit deux nouvelles infractions : la première pour quiconque « se procure ou détient de la documentation préparatoire à la réalisation d'attentats terroristes et de sabotages », la seconde pour quiconque « distribue, diffuse, dissémine ou fait connaître par quelque moyen que ce soit du matériel contenant des instructions sur la préparation ou l'utilisation de matières explosives ou sur toute autre technique ou méthode en vue de réaliser un ou plusieurs délits non fautifs contre la sécurité publique, puni d'un maximum de cinq ans d'emprisonnement ». Compte tenu de l'extrême élasticité et de l'arbitraire du concept de « terrorisme » – par exemple, les terroristes sont, selon l'État italien, les organisations palestiniennes qui luttent pour la libération de leur peuple contre l'État colonial, raciste et génocidaire d'Israël, tandis que l'État d'Israël, tout en commettant un génocide par des moyens terroristes, ne fait que se « défendre » – il est évident que quiconque possède du matériel provenant de ces organisations, ou, par exemple, du matériel utile à la lutte contre les grands travaux inutiles (comme des instructions sur la manière de franchir une clôture), est passible, dans le premier cas, d'une peine de 2 à 6 ans, dans le second, d'une peine de 6 mois à 4 ans.
Parmi les plus haineuses, les mesures contre les immigré⸳es et les prisonnier⸳es
Toutes les mesures pénales décrites précédemment touchent également les immigré⸳es (il suffit de penser aux piquets de grève des travailleurs et travailleuses, qui, ces dernières années, ont été le fait, très souvent, par de salarié⸳es de la logistique immigré⸳es, ou à l'occupation d'appartements), mais certaines dispositions particulièrement odieuses les touchent spécifiquement et aggravent la législation spéciale déjà existante contre les immigré⸳es, mise en place au cours des trente dernières années sous la bannière du racisme d'État. Tout d'abord, un nouveau crime est introduit, qui frappe avec une extrême violence toute personne qui « promeut, organise ou dirige une émeute » dans un centre de rétention ou un centre d'accueil. La peine est de 1 à 6 ans (pour ceux ou celles qui y participent, elle est de 1 à 4 ans), et peut aller jusqu'à 20 ans si un membre des forces de police ou du personnel du centre subit des blessures graves ou très graves. Mais qu'est-ce qu'une émeute ? Comme pour le terme « terrorisme », le flou et l'arbitraire de la notion servent à élargir le nombre d'auteurs punissables et à alourdir les peines. Déjà aujourd'hui, la « violence », la « menace » ou la « résistance active » peuvent être punies ; avec la nouvelle loi, il sera facile de « construire » l'hypothèse d'une émeute.
Deuxièmement, les immigré⸳es enfermé⸳es dans les centres de rétention et les centres d'accueil peuvent être lourdement sanctionné⸳es en cas de « résistance passive » aux « ordres donnés », non seulement par les policiers mais aussi par le personnel des centres qui n'appartient pas aux forces de l'ordre de l'État – une règle destinée à éduquer les personnes enfermées à la soumission absolue. Troisièmement, le délai pendant lequel l'État peut révoquer la citoyenneté accordée à un étranger pour des condamnations liées au « terrorisme » est porté à 10 ans (contre 2 actuellement). Enfin, pour disposer d'un téléphone portable, l'immigré originaire d'un pays non européen doit être en possession d'un permis de séjour, que la législation de l'État rend très difficile à obtenir afin de préserver une zone d'immigration sans permis de séjour à surexploiter. Compte tenu de l'importance des téléphones portables pour tout type de communication aujourd'hui, il s'agit d'une grave amputation de la socialité des nouveaux immigrants et d'un obstacle majeur à leur processus de régularisation. Cette règle a été insérée au dernier moment et démontre qu'en l'absence d'une forte mobilisation publique et de masse, le processus parlementaire ne fera qu'exacerber la charge répressive de cette loi.
Dans le même temps, le nouveau délit de révolte pénitentiaire ou carcérale tombe comme un couperet sur le dos des prisonniers et prisonnières (dont 32% sont des immigré⸳es) : dans ce cas, quiconque « promeut, organise ou dirige une révolte » est puni d'une peine d'emprisonnement de 2 à 8 ans, pour ceux et celles qui y participent la peine est de 1 à 5 ans, mais avec des circonstances aggravantes (utilisation d'armes, blessés ou morts) la peine s'élève jusqu'à 20 ans ! La résistance passive aux ordres des gardiens de prison est également punie. Si cela ne suffit pas, une circonstance aggravante spéciale est introduite pour le délit d'incitation à la désobéissance aux lois, s'il est commis en prison ou par le biais d'écrits ou de communications destinés aux détenus.
Une disposition spécifique à l'égard des femmes
Jusqu'à présent, le report de l'exécution de la peine pour les femmes enceintes ou les mères d'enfants de moins d'un an était obligatoire ; avec la loi 1660, il devient facultatif, comme il l'est aujourd'hui pour les mères d'enfants de 1 à 3 ans.
L'énorme augmentation des pouvoirs et protections des forces de police
Leurs pouvoirs sont accrus directement lors du dégagement des maisons occupées et par le droit de porter en dehors du service, même sans permis, des armes non réglementaires ; indirectement par l'augmentation généralisée des peines pour toute forme de résistance, même passive, à leurs ordres et pour toute forme d'atteinte, même très légère, à leur corps – qui est punie d'office par des peines de 2 à 5 ans, contrairement aux atteintes aux citoyen⸳nes ordinaires, qui ne sont punies que sur plainte et avec des peines plus légères. Le seuil de 5 ans est important car il permet à la justice de mettre l'auteur présumé en prison par le biais de la détention préventive. Policiers, carabiniers, gardiens de prison deviennent ainsi des corps sacrés, comme l'ordre du capital au service duquel ils se trouvent.
Conclusion
Le Réseau Libre de lutter (Rete Liberi/e di lottare) explique : « Cette loi liberticide, esclavagiste et policière, rédigée sous la dictée des commandements militaires doit être dénoncée et stoppée ! Elle frappe toutes les luttes et formes de protestation en cours, et veut imposer dans les usines, les entrepôts, les écoles, les prisons, dans l'ensemble de la société, une économie de guerre et une discipline de guerre, avec ses terribles coûts matériels et humains pour les classes laborieuses, qui constituent l'écrasante majorité de la société. » Il faut « s'opposer à la fois à son caractère odieusement répressif et vindicatif ».
Fabrizio Burattini, militant CGIL romain complète : « Pour les forces politiques gouvernementales, il ne s'agit pas seulement de rechercher un appui facile pour cacher les vrais problèmes et s'inventer de nouveaux ennemis. L'idée que cultive l'extrême droite (et que partage en fait la « droite libérale ») est celle de régler ses comptes avec la société et ceux/celles qui l'animent, avec les conflits qui la font vivre et survivre. Et cela en frappant par des mesures ultra-répressives toute forme de solidarité : les piquets anti-expulsion, ou devant une usine menacée de fermeture, encore devant un centre de détention aux conditions inhumaines). Il s'agit d'un véritable programme politique, et non d'une simple répression. »
Concluons avec la Confederazione Unitaria di Base : « Ce n'est pas en durcissant les peines, en multipliant les délits et en poursuivant les dissident⸳es que l'on résoudra les problèmes du pays : tout cela n'est que l'expression musclée d'un gouvernement et d'une opposition de Sa Majesté qui cachent mal la sinistre volonté de mettre sous le tapis les problèmes qui accablent les citoyens et citoyennes, les travailleurs et travailleuses, les jeunes, les femmes, les personnes immigrées qui fuient la faim et les minorités ethniques. »
Christian Mahieux3
Cheminot retraité, coopérateur des éditons Syllepse [https://www.syllepse.net], Christian Mahieux est membre de SUD-Rail et de l'Union interprofessionnelle Solidaires Val-de-Marne, il coanime le Réseau syndical international de solidarité et de luttes [https://www.laboursolidarity.org/fr] et participe à Cerises la coopérative [https://ceriseslacooperative.info] et à La révolution prolétarienne [https://revolutionproletarienne.wordpress.com].
Publié dans Les Utopiques n°27 – Hiver 2024
Télécharger l'article au format PdF avec les illustrations : Les utopiques 27 – Mahieux
1 A l'exception de quelques révisions dans l'immédiat après-guerre puis dans les années 1970, pour l'essentiel le code pénal italien est encore celui rédigé en 1930 par le ministre de la Justice du gouvernement de Mussolini, Alfredo Rocco.
2 Divieto di Accedere alle manifestazioni SPOrtive (DASPO)
3 Cet article repose sur les contributions du Rete Liberi/e di lottare, du site alencontre.org et de la Confederazione Unitaria di Base (cub.it).
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La Géorgie, l’éternel recommencement

Depuis la dislocation de l'URSS en 1991, les différentes républiques socialistes ayant gagné leur indépendance peinent à la conserver. Elles oscillent entre une volonté de se rapprocher de l'Occident et une influence russe qui n'accepte pas de perdre ses anciens États-clients. Le mois d'octobre dernier a vu deux de ces pays choisir leur destin : la Moldavie et la Géorgie. Dans un premier article, notre correspondant a présenté la situation en Moldavie. Cette fois-ci, c'est de la Géorgie dont il est question. Les milliers de personnes rassemblées devant le parlement dans la capitale Tbilisi protestant depuis deux jours contre la décision du gouvernement de suspendre les négociations d'adhésion à l'Union européenne témoignent des tensions que décrit notre collaborateur. La rédaction.
Tiré du Journal des Alternatives - alter.quebec
29 novembre 2024
Par Sacha Dessaux, correspondant en stage
Rare apparition publique de l'oligarque Ivanishvili encadré de drapeaux géorgiens et européens qui s'exprime pour défendre "sa" loi sur les influences étrangère. Crédit photo : FLIKR par Jelger Groeneveld - CC BY 2.0
Les faiblesses de la démocratie géorgienne
La Géorgie est le témoin tragique des faiblesses d'une jeune démocratie postsoviétique. Malgré son statut démocratique depuis la transition post-URSS, la voix du peuple peine à se faire entendre par les urnes et le pays n'arrive pas à trouver de stabilité.
Premier chef d'État de la nouvelle ère, Édouard Chevardnadze est démis suite à une révolution populaire en 2004. Le suivant, Mikheil Saakachvili, désormais emprisonné dans son pays, est forcé de s'exiler à la fin de son mandat en 2013. Il est poursuivi en justice par son successeur le sulfureux milliardaire et fondateur du parti actuellement au pouvoir Bidzina Ivanichvilli.
Ivanichvilli, justement, est un oligarque tout-puissant ayant fait sa fortune en Russie. S'il n'est plus premier ministre ni même chef de son parti, le Rêve géorgien, il reste le dirigeant officieux du pays du haut de sa fortune s'élevant à l'équivalent d'un tiers du PIB géorgien.
Alors qu'on estime que près de 80 % de la population est pro-européenne, le processus d'adhésion au statut de candidat à l'UE a été stoppé par Bruxelles, suite à l'adoption de la Loi sur les influences étrangères. Il s'agit d'une loi visant à réprimer l'opposition qui est basée sur un texte existant en Russie, ainsi qu'à l'adoption d'une loi anti-LGBT.
Le gouvernement joue donc sur deux tableaux : il est obligé de suivre la volonté populaire d'un rapprochement avec l'UE, mais il agit en sous-main pour ménager ses relations avec Moscou et surtout limiter toute opposition. Les élections d'octobre passé pouvaient alors être considérées comme un référendum pour l'accession à l'UE, puisqu'une réélection du Rêve géorgien empêcherait la relance des tractations avec Bruxelles, alors que le bloc d'opposition est fermement pro-Europe.
L'importance de cette élection combinée avec l'instabilité locale a vu de nombreux groupes observateurs internationaux être dépêchés pour s'assurer de la bonne tenue des élections et du respect du processus démocratique. Alors que le Rêve géorgien gagne les élections par une large marge (53 % de voix contre 37 % pour tous les partis d'opposition combinés), la présidente Zourabichvili pro-UE lance un appel à la fraude.
Le constat des groupes observateurs internationaux est sans appel : que ce soit par bourrage d'urne, achat de voix ou intimidation, il y a bel et bien eu fraude. La présidente parlera aussi de potentielles ingérences russes. S'ajoute à tout cela la puissance de l'appareil médiatique du milliardaire Ivanichvilli, qui a rendu dès le début la campagne absolument inégale. Malgré de fortes manifestations populaires suite à ces révélations, l'avenir à moyen terme géorgien semble s'inscrire loin de l'UE.
L'ombre russe
L'intérêt de la Russie dans la situation géorgienne est pluriel. D'abord, elle veut empêcher une avancée de l'Europe dans une région où elle est encore très influente. Aussi, elle cherche à éviter les risques de « contagion démocratique » en laissant se développer des démocraties fortes trop proches de ses frontières. Elle vise aussi à conserver une forte influence sur ce qu'elle estime être ses légitimes possessions. Cette influence est d'autant plus importante si on considère la crise qui se profile en Russie causée par l'impact financier et démographique de la guerre en Ukraine. Biélorussie, Ukraine, Géorgie et Moldavie composeraient alors un genre de ceinture de sécurité, de zone tampon entre la Russie et l'Europe, zone d'où Moscou pourrait alors projeter son influence vers les pays baltes.
L'invasion de l'Ukraine pour la Géorgie
L'invasion en Ukraine est un facteur capital d'inquiétude pour tous les pays proches de la Russie. Pour la Géorgie, elle est de plus venue réveiller un traumatisme. Dès la dislocation de l'URSS, la Géorgie a vu deux de ses régions se rebeller : l'Ossétie du Nord et l'Abkhazie. En 2008, alors que la Géorgie de Saakachvili se rapproche de plus en plus de l'Occident et surtout de l'OTAN, la Russie va affirmer son soutien aux deux républiques séparatistes en guise de réponse.
Un conflit va s'ouvrir, où l'armée géorgienne va complètement s'écraser. Les troupes russes arriveront même aux portes de Tbilissi, la capitale géorgienne. L'Ossétie du Nord et l'Abkhazie sont depuis des régions toujours revendiquées par la Géorgie, bien qu'en réalité elles soient de véritables dépendances russes qui a pu y installer des bases militaires qui sont donc dans le territoire de jure Géorgien.
Un rejet du Rêve georgien aux élections combiné avec le rapprochement vers l'Europe aurait pu être le début d'une escalade de conflit avec la Russie. Cette possibilité va logiquement inquiéter le peuple de Géorgie, pour qui la guerre est un souvenir proche. Cette situation explique aussi le résultat de cette élection qui peut paraître paradoxal, tant il semble aller contre l'intérêt idéologique d'une majorité du peuple.
L'avenir en marche
Après la confirmation de la victoire du Rêve géorgien par la commission électorale le 16 novembre, des centaines de personnes ont manifesté devant le siège de cette commission, s'additionnant aux multiples dizaines de milliers d'autres qui sont descendues dans les rues depuis le jour du scrutin. Les élu.es de l'opposition ont refusé de siéger au parlement, qu'ils estiment illégitime. Du côté du camp des vainqueurs, le premier ministre poursuit les menaces lancées par Ivanichvilli d'interdire les partis d'oppositions s'ils continuent de violer la constitution. Le rapprochement vers l'Europe, tant attendu depuis plus de vingt ans par presque toute la population, semble avoir été encore repoussé.
*****
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France : Après le vote de la motion de censure et la journée de mobilisations du 5 décembre – Documents pour la discussion

Nous publions à titre de documents pour le débat, d'une part, le communiqué commun signé Génération-s, L'APRES et Picardie Debout en date du 06 décembre et, d'autre part, la position de la GDS exprimée par l'éditorial de Gérard Filoche.
6 décembre 2024 | Arguments pour la lutte sociale
Nous faisons remarquer que la formule employée dans le communiqué commun « Cette feuille de route et cette méthode peuvent rassembler au-delà des rangs du Nouveau Front Populaire » pose problème dans la mesure où on ne sait pas s'il s'agit d'obtenir, au cas par cas, sur des textes législatifs des majorités de circonstance ou s'il s'agit d'aller vers une alliance à vocation gouvernementale au-delà du NFP. La revendication d'un gouvernement du NFP, seul, avec Lucie Castets à sa tête, est l'urgence de l'heure. Et elle doit trouver un appui non dans la recherche d'hypothétique alliance parlementaire mais dans le rapport de forces social créé par les plus larges mobilisations sociales contre la réforme des retraites de Macron, contre les jours de carence de Kasbarian, pour les salaires, contre les licenciements, pour la reconstruction des services publics.
D'ailleurs, il est bon de souligner au passage, quand certaines directions syndicales voudraient lever le pied sur les mobilisations au prétexte qu'il n'y aurait plus de gouvernement, qu'il y a toujours un gouvernement illégitimement en place, celui démissionnaire de Barnier, « gérant les affaires courantes ». Macron nous a déjà fait le coup cet été en perpétuant pendant deux mois et demi le gouvernement « démissionnaire » de Gabriel Attal qui s'occupait activement de préparer un budget de guerre sociale contre la population laborieuse et les services publics.
Donc, les mobilisations sociales ont tout lieu d'être pour mettre effectivement à la porte Barnier et sa clique, pour imposer les revendications quelle que soit la formule gouvernementale qui sortira dans quelques jours sinon quelques semaines. Le débouché politique de ces mobilisations doit être un gouvernement NFP seul répondant aux revendications et aux besoins de la majorité sociale.
La proposition de la GDS, exprimée ici par Gérard Filoche, pose comme condition d'un pas en avant réel la constitution immédiate d'une nouvelle force de gauche, réunissant au moins Génération-s, L'APRES, GDS, la GES, Picardie Debout, Ensemble !…
La meilleure façon d'avancer vers une telle force ne serait-elle pas d'engager en commun dès aujourd'hui la bataille pour un gouvernement du NFP seul et pour une candidature unitaire à gauche. Dans le cours de l'action, les débats et les initiatives pour rassembler dans une nouvelle force de gauche irait de pair avec une structuration du NFP dépassant le cadre d'un simple cartel électoral de 4 partis (PS, PC, EELV, LFI) avec des adhésions directes de tous les supporters du NFP dans des structures de base vivantes et démocratiques.
Document 1
Communiqué commun de Génération-s, L 'Après et Picardie Debout 6 décembre 2024
GOUVERNER LA FRANCE : UNE FEUILLE DE ROUTE CLAIRE ET RESPECTUEUSE DES FRANCAIS·ES ET DU PARLEMENT
Présentant onze mesures prioritaires et une méthode de gouvernement respectueuse du Parlement, la proposition issue du groupe « Ecologiste et Social » de l'Assemblée nationale est la réponse la plus démocratique et responsable pour sortir de la crise institutionnelle. Consensuelle au sein du Nouveau Front Populaire Il y a trois mois encore, elle doit s'imposer à Emmanuel Macron qui ne peut s'enfermer dans le déni démocratique plus longtemps.
Frappé d'illégitimité dès sa désignation par le Président de la République, le gouvernement minoritaire de Michel Barnier est tombé. Compromis dans une alliance objective avec l'extrême-droite, dont il a repris le langage, le programme et sollicité le soutien, ce gouvernement a donc subi la censure de l'Assemblée. L'échec et le déshonneur, en même temps.
Depuis la décision irresponsable d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée, le pays traverse une crise institutionnelle inédite dans l'histoire de la Ve République. La gauche doit se montrer à la hauteur en proposant une solution démocratique et responsable correspondant à l'expression populaire de juin dernier, assurant la nécessaire stabilité gouvernementale et permettant l'adoption de mesures urgentes pour le pays.
La proposition adoptée par les député·es du -groupe « Écologiste et Social » de l'Assemblée nationale construite par Clémentine Autain et Charles Fournier et portée par leur présidente Cyrielle Chatelain est la réponse la plus :pertinente à ces deux enjeux.
Avec 11 propositions prioritaires parmi lesquelles l'abrogation de la réforme des retraites, une grande loi pour le climat, l'augmentation des salaires et la réduction des déficits, par la recherche de nouvelles recettes faisant contribuer les plus grandes fortunes, elle fixe un cap programmatique clair répondant aux demandes largement exprimées par les Françaises et les Français lors des élections législatives.
En assumant le refus d'utiliser le 49-3 et le choix de privilégier le débat parlementaire texte par texte, elle propose une méthode respectueuse de la démocratie parlementaire et réaliste pour s'inscrire dans la durée, à rebours de l'instabilité et de la violence institutionnelles des derniers mois.
Cette feuille de route et cette méthode peuvent rassembler au-delà des rangs du Nouveau Front Populaire. Après l'échec de Michel Barnier, Lucie Castets peut porter naturellement cette alternative et contribuer à stabiliser le pays et son gouvernement.
Emmanuel Macron doit désormais cesser d'ignorer l'expression démocratique de juin dernier, et saisir la main tendue pour sortir le pays de la crise.
Document 2
Pour consolider le NFP : une nouvelle force politique, et vite !

04/12/2024 | Gérard Filoche
La nouvelle force que nous appelons de nos vœux, à la GDS, tarde à advenir. Elle n'a pourtant jamais été aussi nécessaire. C'est ce qu'affirme Gérard Filoche dans cet appel à toutes et tous les unitaires de la gauche sociale et écologique bien décidé.es à relever l'espérance. Cet article a été écrit au tout début du mois de novembre (pour la revue Démocratie&Socialisme)…Barnier était encore Premier ministre !
Le NFP ne dégage pas toute la puissance d'action et de dynamique qu'il devrait et pourrait déchaîner. Alors qu'il a réalisé une magnifique percée en juillet dernier, effet différé des grandes manifestations contre la casse de nos retraites de 2023, le NFP a créé un nouveau paysage politique et propulsé en avant la gauche unie contre le risque que fait font peser le RN et la lamentable coalition des droites, mais il reste en dessous du niveau qu'il peut et devrait atteindre.
Un sursis à exploiter
Nous sommes des millions à avoir le sentiment d'avoir connu un sursaut, mais d'être en sursis. En ce mois de novembre 2024, le NFP devait être capable de tenir des centaines de meetings partout dans le pays avec tous ses dirigeants sur les estrades pour dénoncer le budget violemment antisocial de Barnier. D'autant qu'à l'Assemblée nationale, le prétendu « bloc central » révèle qu'il n'est pas uni et qu'il se disloque au contraire d'amendements en amendements, alors que le NFP prouve, lui, qu'il est capable de trouver des majorités élargies sur nombre de ses excellentes propositions pour les trois budgets de la nation.
Aucun éditorialiste ne souligne cet événement politique, le plus important depuis la rentrée parlementaire : alors que Macron a fait un coup d'État cet été contre la coalition arrivée en tête des législatives anticipées au prétexte qu'elle ne pourrait pas gouverner dans la durée, c'est la regroupement LREM-LR, soutenue pourtant par le RN, qui ne tient pas.
L'extrême instabilité au sommet suscitée par la dissolution du 9 juin, devrait être une occasion pour la gauche de se consolider, de construire partout des comités d'action unitaires, de la base au sommet, et de préparer sur le terrain les élections législatives anticipées qui, selon toute vraisemblance, auront lieu en 2025. Le système macroniste s'effrondre, et sa faillite devrait être exploitée par les nôtres. La menace du RN fascisant et raciste empoisonne chaque jour davantage la vie politique, même si le mensonge de sa propagande antisystème se dévoile dans chacun de ses votes au Parlement.
Certes, il y a bien, ici et là, quelques comités de Front populaire, de Strasbourg à Perpignan, de Pau à Lyon, des réunions locale aussi, mais les appareils des quatre principaux partis du NFP sont loin de réaliser tout ce qui devrait être fait en ce sens. Il y a beaucoup de luttes sociales, pour les salaires, l'emploi, les droits du travail, mais pas encore assez pour que naisse une dynamique nationale. On est en attente, sur un faux-rythme. Il y a même du doute qui s'exprime, en lien avec le souvenir de la défunte NUPES. Nombreux sont les nôtres qui pensent : « Ne nous trahissez pas. Démontrez que ce que vous voulez est bien ce que nous voulons, et ensuite nous verrons. »
Quid des « grands partis » ?
Des centaines de milliers d'électrices et d'électeurs sont inquiet.es, vigilant.es et disponibles, mais que leur est-il proposé qui puisse les faire agir collectivement ? La grande masse de la gauche n'est pas adhérente dans les quatre principaux partis, ni attirée par eux. Pas assez d'attrait. Pas assez d'action. Pas assez d'union. Pas assez de dynamisme. Certes, ces quatre partis ont obtenu 28 % des voix en cumulé et sont en tête, et ils se sont un peu développés : les Verts déclarent être passés de 5 000 à 18 000 membres, le PS annonce 10 000 nouvelles et nouveaux adhérent.es en vue de son congrès de 2025. À LFI, ça va, ça vient, en accordéon, entre l'action vigoureuse des groupes d'appui, et les recentrages, épurations et autres déconnections. Quant au PCF, il connaît la crise, Roussel ne sachant trancher s'il est unitaire ou non.
Comment la grande masse des « sans partis » pourrait-elle être attirée par le PS, tant que la menace des droitiers « hollandais » freine les efforts d'Olivier Faure pour ancrer résolument son parti à gauche ? Disons qu'il fait de son mieux et mérite le soutien de toute la gauche sur cette ligne. Mais le cœur de la gauche est bien plus à gauche que le PS. Ce qui pousse beaucoup jusque-là à se sentir plus proches de la combativité de LFI, mais avec grande défiance à son égard, car elles et ils ne supportent pas son fonctionnement résolument antidémocratique, ni le fait que sa direction soit par-là même totalement incontrôlable.
Espace disponible
C'est pourquoi, selon la GDS – et nous ne cessons de l'expliquer, de le souligner chaque jour –, il y a un grand espace pour une force politique nouvelle, capable de tirer les leçons du passé et d'être utile au Nouveau Front populaire. Entre le PS et LFI, il y a une disponibilité. Un « gisement » de plusieurs dizaines de milliers de militantes et de militants, jeunes et moins jeunes. Une force nouvelle pas pour disperser un peu plus, mais pour rassembler. Pas pour se concurrencer davantage, mais pour souder. Ni gauchistes, ni réformistes, mais au cœur d'une recherche de transformation sociale profonde, clairement dans le camp du travail contre le capital. L'excellent programme du NFP le permet.
On les rencontre dans toutes les initiatives, ce sont les mêmes avec Ruffin à Flexicourt et Lucie Castets à Hérouville, d'Épinal à Marseille, de Montpellier à Pau, de Nantes à Paris : on se croise, on se reconnaît dans les actions syndicales, d'Arras à Charleville, de Nice à Orléans, que ce soit dans les salles de François Ruffin, dans les meetings de Clémentine Autain et d'Alexis Corbière, ou même parmi celles et ceux qui sont allés à Blois ou à Valence, qu'on a retrouvés dans les manifs du 1er octobre, les commémorations du 17 octobre ou dans les nombreux « appels » et « pétitions » pour les droits des femmes, des immigrés, pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza.
L'union fait la force
Au sein de cette mouvance bien identifiable et massive de la gauche, il existe une pléiade de petites forces organisées, avec des cadres politiques expérimentés, des militants dévoués, un savoir-faire énorme, mais elles ne servent quasi à rien, elles sont ventilées tant qu'elles restent dispersées. Elles ont souvent les meilleures idées, la meilleure version pratique du programme, les meilleurs comportements démocratiques, mais tant qu'elles ne se décident pas à fusionner et à peser ensemble, elles n'ont pas l'impact qu'elles pourraient et devraient avoir. Tous les jours, la GDS le répète, notamment à l'Après, à Génération.s, à Ensemble !, à la GES, à Picardie Debout ! : faisons un parti commun, engageons des assises fondatrices ! Vite !
Il faut en faire prendre conscience, aucun de ces mini-partis ne percera seul. Pas de miracle spontané de la base. La base,elle, est demandeuse, elle attend, mais elle ne fera pas seule ce que ni les grands ni les petits partis ne sont pas capables de réaliser.. Il n'y aura pas de Bourgogne debout ! de Nantes debout ! Et il est impossible de « gagner » sans rassembler ! L'Après ne fera pas un parti seul. Génération.s n'a pas d'avenir seul. Ensemble ! ne survivra pas davantage seul. « Je » ne vaut rien. Sans fusion , aucun « Je » n'imposera sa candidature comme commune. Sans collectif, les élus de L'Après, de Génération.s, de Picardie debout ! se feront balayer dans le choix des circonscriptions en 2025. Sans parti commun, ils ne seront même plus identifiés par les électrices et les électeurs.
Seul un parti de gauche unifié, identifié peut agir. Sans fusionner, ils ne compteront plus à aucune table, ni pour agir ni pour négocier. Ils auront des candidat.es contre eux et perdront. Ne pas fusionner au plus vite, c'est suicidaire. 2025 sera l'année butoir. Pour les municipales de 2026, comme pour des candidatures uniques à d'éventuelles législatives, et à la présidentielle de 2027 (si ce n'est pas avant), dès le premier tour. Chaque jour compte, car le temps presse.
Toutes et tous ensemble !
Sans parti commun, ce sera le désarroi : ni les militants ni les dirigeants de ces groupes ne seront à la hauteur des prochaines échéances, aussi bien dans les luttes que dans les élections. À part des poignées valeureuses de militant.es très impatient.es et conscient.es, les dizaines de milliers de sympathisant.es disponibles ne se tourneront en aucun cas vers ces petits groupes s'ils restent séparés. Ce ne sera pas le cas s'ils annoncent un congrès de fusion pour une nouvelle force clairement unioniste et démocratique. S'ils créent un nouveau parti, un vrai, où on adhère, où on cotise, où on débat, où on vote, où on décide et agit efficacement, collectivement, loyalement. Un parti qui fasse son entrée solennelle dans le Nouveau Front populaire, dynamisant du même coup celui-ci. Il faut y croire, relever le défi, démontrer que c'est possible pour donner confiance.
Ce que chacun ne peut faire isolément, c'est l'annonce par toutes et tous, ensemble, de l'addition dynamique de nos forces en un seul parti, qui le fera. Il n'y a pas de baguette magique qui fait surgir des cadres, des collectifs, des militant.es de masse, des jeunes, des « salarié.es de première ligne » par millions. C'est une pure illusion. Un fantasme dissolvant.
Pour progresser, il faut d'abord rassembler, réunir, additionner, mettre en mouvement le meilleur de la gauche existante, bâtir soigneusement à la base comme au sommet. Donner l'idée qu'on méprise ces militantes et ces militants formé.es, que ce sont des has been, qu'on va leur passer par-dessus pour « faire du neuf », c'est se couper collectivement les ailes. C'est paralyser ce qui est disponible au nom d'un futur qui ne verra pas forcément le jour. Et si c'est un « Je » qui émerge, peu en voudront. Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais de « sauveur suprême ». Aucune forme de bonapartisme ne peut faire gagner le salariat des tours et des bourgs, des quartiers et des champs. Le salariat, c'est une classe sociale ; ce n'est pas un « Je », c'est un « Nous ».
Nous sommes en route, depuis septembre, pour créer ce « nous » ! Il faut désormais avancer publiquement. Pourquoi pas un Comité de liaison permanent ou une Alliance des forces d'ores et déjà disponibles pour agir et rassembler celles et ceux qui, sans partis à ce jour, veulent s'engager pour l'unité ? Une alliance ouverte aux hésitants, aux personnalités de la société civile, pour poursuivre les discussions vers un Parti des gauches unitaires large, démocratique, ouvert à toutes et tous, au cœur du Nouveau Front populaire.
C'est maintenant ! Debout ensemble ! Rassemblons-nous pour que le NFP élargi, démocratisé, dynamisé, l'emporte contre Macron-Barnier-Le Pen !
Source : http://www.gds-ds.org/pour-consolider-le-nfp-une-nouvelle-force-politique-et-vite/
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Le gouvernement censuré : une victoire démocratique contre le 49.3

Michel Barnier et son gouvernement viennent d'être censurés par l'Assemblée nationale après avoir tenté d'imposer, à travers un 49.3, un projet de loi de financement de la Sécurité sociale désastreux. Ce vote de censure historique marque une étape décisive pour la démocratie. Il met fin à un éphémère gouvernement Barnier, qui n'aura tenu trois mois que par le soutien combiné de la Macronie, de la droite et de l'extrême droite, et à ses tentatives de démantèlement des acquis sociaux.
4 décembre 2024 | tor du site de la Gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/le-gouvernement-censure-une-victoire-democratique-contre-le-49-3/
Le projet de loi rejeté aurait vidé les caisses de la Sécurité sociale, menaçant l'avenir de nos hôpitaux, aggravant la précarité des soignants, gelant les retraites, rendant les consultations médicales et les médicaments inaccessibles. Ce texte, défendu malgré tout par Michel Barnier, ne laissait place à aucune concession réelle, contrairement à ce qu'il a pu prétendre.
Le Nouveau Front Populaire (NFP) a déposé une motion de censure qui a été adoptée avec un large soutien des parlementaires. Ce vote a eu raison d'un gouvernement autoritaire et déconnecté des réalités sociales. Plus encore, il marque un désaveu de la politique menée par Emmanuel Macron, qui s'accroche coûte que coûte à des mesures favorisant les plus riches, au détriment du plus grand nombre.
Avec ce vote de censure, Emmanuel Macron a seulement deux options : nommer un gouvernement du Nouveau Front Populaire mené par Lucie Castets pour répondre aux attentes des Français ou démissionner pour permettre au peuple de s'exprimer de nouveau par les urnes.
Cette censure est une victoire pour le NFP, les citoyens mobilisés et toutes celles et ceux qui refusent la destruction de notre modèle social. Elle montre qu'il est possible de stopper les dérives d'un gouvernement et de poser les bases d'une alternative démocratique, écologique et sociale.
Pour sortir de la crise politique et répondre aux attentes du pays, la Gauche Ecosocialiste réaffirme son soutien au NFP qui doit se préparer à prendre le pouvoir pour mettre en œuvre son programme basé sur la justice sociale, la bifurcation écologique et la souveraineté populaire. Il faut construire le NFP de la base au sommet, proposer un gouvernement conduit par Lucie Castets. Afin de parer à toute éventualité, il faut se mettre d'accord pour une candidature unique et commune sur une base de rupture à l'élection présidentielle.
Communiqué de la Gauche écosocialiste.
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Le malaise allemand : crise économique, montée de la droite et affaiblissement de la gauche

L'annonce d'élections anticipées pour le 23 février prochain est un tournant dans la crise politique latente qui ébranle la première puissance d'Europe. L'éclatement de la coalition entre sociaux-démocrates, Verts et libéraux cristallise les effets de la récession économique, elle-même inscrite dans une trajectoire déclinante de plus long terme, et les divergences en matière de politique étrangère, en particulier au sujet de l'Ukraine.
Sur le plan politique, l'impopularité du bloc gouvernemental semble profiter avant tout à l'extrême droite incarnée par l'AfD. Mais, plus récemment, le paysage à gauche connait à son tour un bouleversement d'ampleur, l'effacement de Die Linke ayant permis la percée du nouveau parti de Sahra Wagenknecht, dont la combinaison de propositions sociales, d'opposition aux guerres en cours et de positions anti-migrants aux tonalités islamophobes suscite de fortes controverses.
Dans cet article Leandros Fischer, enseignant à l'université d'Aalborg (Danemark) et ancien militant de Die Linke, propose une analyse d'ensemble du malaise allemand. Sa focale porte plus particulièrement sur les reclassements en cours à gauche, sur fond de criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine et de militarisation croissante des politiques allemandes et européennes.
2 décembre 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/allemagne-crise-die-linke-bsw-afd-fascisme/
Ce n'était pas vraiment une surprise. Le chancelier allemand Olaf Scholz, qui n'est pas le plus charismatique des orateurs, a prononcé un discours inhabituellement énergique le 6 novembre dernier, et annoncé le limogeage de son ministre des finances, Christian Lindner, du parti ultra-néolibéral des Libres Démocrates (FDP). L'Allemagne se dirige maintenant vers des élections anticipées, qui auront lieu le 23 février.
L'annonce du limogeage de Lindner a sans doute surpris, mais elle n'était pas inattendue. La coalition SPD-Verts-Libéraux, au pouvoir depuis 2021, s'est révélée être un difficile mariage de convenance. Bien qu'ayant remporté les élections en mettant en avant des thèmes sociaux-démocrates classiques (notamment grâce à des dépenses publiques massives pendant la pandémie), le SPD (socialdémocrate) et, dans une moindre mesure, les Verts, ont été contraints de former une coalition avec le FDP, le parti allemand traditionnellement le plus néolibéral et défenseur acharné de la « discipline fiscale ».
Les convulsions économiques de ces dernières années ont mis à rude épreuve la déférence des Allemands à l'égard du « frein à la dette », le fameux Schuldenbremse, qui limite la capacité de l'Etat à emprunter. Le FDP voulait le conserver à tout prix. À bien des égards, la présence du FDP dans la coalition gouvernementale a servi d'alibi pratique au SPD et aux Verts au cours des trois dernières années et demi pour expliquer l'absence de mesures sociales significatives : « Oui, nous aurions aimé, mais le FDP, voyez-vous… ». Cependant, cet alibi s'est épuisé, car les différences étaient devenues insurmontables.
La cause immédiate de l'effondrement de la coalition au pouvoir a été le refus du SPD de financer l'aide militaire à l'Ukraine en puisant dans les dépenses sociales. Les sociaux-démocrates voulaient au contraire assouplir les contraintes fiscales imposées par le « frein à la dette ». Il va sans dire que le « soutien à l'Ukraine » est un point sur lequel les trois partenaires de la coalition sont d'accord, même si les Verts sont davantage encore « faucons » que leurs partenaires au gouvernement, en particulier le SPD. De manière révélatrice, Scholz a eu un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine le 15 novembre. Même si, dans la foulée, il a réitéré le soutien de son gouvernement à l'Ukraine, cet appel marque une rupture significative avec l'état d'esprit qui prévalait il y a deux ans, lorsque l'effondrement de la Russie apparaissait comme la seule issue acceptable aux yeux des dirigeants occidentaux.
Fin de cycle pour le « modèle allemand »
L'éclatement de la coalition dysfonctionnelle au pouvoir en Allemagne est à bien des égards un symptôme du malaise palpable dans lequel se trouve le pays, qui reflète la crise quasi-terminale du modèle économique qui a dominé la zone euro au cours des deux dernières décennies. Le pendant économique du discours de Scholz a été l'annonce récente par Volkswagen – la firme sans doute la plus emblématique du capitalisme allemand – de sonintention de réduire sa production en annonçant la fermeture de plusieurs usines, de réduire de 10 % les salaires et de les geler pour les deux prochaines années. Ces annonces ajoutent un nouveau clou au cercueil de l'industrie allemande, victime de la montée en flèche des prix de l'énergie et de la baisse de la demande mondiale pour les produitsmade in Germany au cours des dernières années.
En effet, la pensée à court terme qui a marqué l'ère Merkel vient maintenant hanter de nouveau le pays décrit comme « l'homme malade » de l'Europe à la fin des années 1990. Arrivée au pouvoir en 2005, Angela Merkel a poursuivi et amplifié le « programme de réformes » de Gerhard Schröder [chancelier socialdémocrate de 1998 à 2005], qui visait à mettre fin à cette stagnation. En libéralisant le marché du travail et en remodelant la protection sociale sur une base disciplinaire, les gouvernements allemands ont rétabli la rentabilité du capital en comprimant les salaires réels, dont l'évolution s'est cantonnée à des niveaux bien inférieurs à celle delaproductivité. Cela a permis à l'industrie allemande de surpasser ses principaux rivaux européens, notamment la France et l'Italie.
À bien des égards, la crise politique chronique en France – l'effondrement électoral du Parti socialiste et de la droite gaulliste, l'émergence d'un bonapartisme centriste sous la forme du macronisme, et la crise subséquente de ce dernier – résulte du désir du capital français d'imiter son rival allemand, ainsi que de la résistanceinébranlable du mouvement ouvrier à ces plans. Ce dernier élément contraste fortement avec la collaboration de la bureaucratie syndicale allemande, qui a non seulement accepté la baisse des salaires réels au titre de « prix de la mondialisation », mais a également participé au régime d'austérité brutal que les gouvernements allemands avaient imposé au Sud de l'Europe, en particulier à la Grèce.
Le revers de ce « miracle de l'exportation » a été l'adhésion religieuse aux excédents commerciaux et au « frein de la dette ». L'Allemagne est un pays dont les infrastructures s'effondrent et dont les niveaux élevés de sous-investissement chronique sont sur le point de rivaliser avec ceux des États-Unis. Quiconque a voyagé dans des trains allemands ces dernières années arrivera facilement à la conclusion que « l'efficacité allemande » n'est rien d'autre qu'un mythe bien entretenu. En outre, la quatrième économie mondiale est désespérément à la traîne en matière de digitalisation. L'innovation a également été reléguée au second plan, les constructeurs automobiles allemands, qui adorent le moteur diesel, étant largement distancés par la Chine dans le développement des véhicules électriques. Pour les gouvernements dirigés par Merkel avant Scholz, tout cela n'était qu'un petit prix à payer pour que l'Allemagne soit un « champion de l'exportation ».
La géopolitique du modèle allemand : de la « puissance normative » au paria mondial
Toutefois, le fondement de l'essor des exportations allemandes n'était pas seulement l'augmentation du taux d'exploitation combinée à l'orthodoxie ordolibérale. C'était aussi le produit d'une certaine niche géopolitique que les élites allemandes s'étaient taillée au cours des deux dernières décennies. Le « soft power » allemand s'est appuyé sur une politique étrangère discrète et réactive plutôt que proactive. En conséquence, l'Allemagne était un « géant économique et un nain politique ». Même si les gouvernements allemands post-1990 ont adopté une attitude interventionniste plus affirmée – en participant aux guerres en ex-Yougoslavie, en Afghanistan et au Mali –, ils accordaient la priorité aux intérêts économiques, qui ne pouvaient être servis globalement que par le développement d'un « pouvoir normatif » dans le cadre de l'intégration européenne.
L'apogée de cette approche a sans aucun doute été le refus du gouvernement Schröder de participer à l'invasion de l'Irak en 2003, même si l'Allemagne a fourni aux forces anglo-américaines des renseignements cruciaux sur les cibles à atteindre en territoire irakien. Tout en étant une fière atlantiste, qui a critiqué le refus de la guerre par l'Allemagne quand elle était dans l'opposition, Angela Merkel a poursuivi dans cette voie. Lors du vote crucial du Conseil de sécurité de l'ONU sur l'intervention militaire en Libye en 2011, l'Allemagne s'est abstenue. Ces décisions ont eu pour effet d'ouvrir la voie aux investissements allemands dans des pays tels que la Chine, l'Inde, la Russie et l'Afrique du Sud, tout en préservant les liens économiques de l'Allemagne avec les États-Unis.
Cependant, le facteur le plus crucial à cet égard était l'approvisionnement en gaz russe bon marché, qui a alimenté l'industrie allemande pendant des décennies. Les racines de ces relations économiques remontent à l'époque soviétique et à l'ouverture de Willy Brandt au bloc de l'Est, l'Ostpolitik. Même l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 n'a pas entamé les projets de l'Allemagne de poursuivre la construction du gazoduc Nordstream, conçu pour contourner des États potentiellement gênants comme la Pologne et l'Ukraine. Ce raisonnement économique s'est traduit politiquement par l'incapacité du gouvernement Merkel à ajuster ses dépenses consacrées à la défense au niveau exigé par les États-Unis, à savoir 2 % du PIB. La confiance dans cette stratégie mercantiliste reposait sur la domination de l'Allemagne au sein de la zone euro. Il s'agissait d'un raisonnement à court terme dicté par les intérêts particuliers des entreprises allemandes, qui ne tenait pas compte de la tournure que prendraient les relations entre les États-Unis et la Russie au sujet de l'Ukraine.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie a changé la donne et mis le pays sur la voie d'une militarisation affirmée, la réintroduction du service militaire obligatoire étant même ouvertement discutée. Les « explosions mystérieuses » qui ont mis hors service le pipeline Nordstream en octobre 2022 ont mis un terme définitif à la dépendance économique de l'Allemagne à l'égard de la Russie. Le gouvernement Scholz a participé activement à l'escalade à propos de l'Ukraine, cette attitude se justifiant par l'argument de la compensation de la naïveté passée à l'égard de Vladimir Poutine. Pourtant, la montée en flèche de l'action de Rheinmetall – le fabricant du char de combat Leopard – ne peut compenser l'effet néfaste des sanctions contre la Russie, qui ont entraîné l'effondrement d'industries de taille moyenne au cours des deux dernières années, en particulier dans l'est de l'Allemagne. La récente annonce de Volkswagen aggrave une situation déjà désespérée.
Dans cette situation économique difficile, la gestion de la politique étrangère par la ministre verte Annalena Baerbock n'a fait qu'empirer les choses. Promettant une « politique étrangère féministe » avant d'accéder au gouvernement, les Verts ont déambulé sur la scène géopolitique mondiale avec la grâce d'un éléphant. Après l'effondrement des liens économiques avec la Russie, les élites qui décident de la politique étrangère semblent avoir accepté que la concurrence avec la Grande-Bretagne pour le rôle de premier lieutenant européen des États-Unis est la seule carte à jouer. Elles vont même jusqu'à endosser ce rôle avec la plus grande arrogance et le plus grand manque de réflexivité possibles, par exemple en pointant du doigt et en menaçant la Chine, la deuxième puissance économique mondiale, pour ses liens économiques avec la Russie.
En effet, la « politique étrangère féministe » de Baerbock a jusqu'à présent consisté à réduire l'isolement de « l'Occident collectif » en imposant des sanctions à la Russie et en vendant des armes à des parangons des droits de l'homme tels que la Turquie et l'Arabie saoudite. Plus significatif encore, le soutien diplomatique et militaire déterminé de l'Allemagne au régime israélien, qui commet un génocide sur la population de Gaza tout en étendant sa guerre d'anéantissement au Liban, a signé l'effondrement final du soft power allemand, les fondations politiques des partis allemands ainsi que l'Institut Goethe [l'équivalent du réseau des Instituts français à l'étranger] devenant la cible de campagnes de boycott dans les pays du Sud.
Des fascistes en embuscade
La désindustrialisation et le sentiment d'effondrement du prestige national ont été les ingrédients classiques du renforcement des forces fascistes ainsi que de celles qui ouvrent la voie au fascisme, et l'Allemagne de 2024 n'est en aucun cas une exception. Il n'y a cependant rien d'irrésistible dans la montée électorale de l'AfD [l'« Alternative pour l'Allemagne »], qui recueille aujourd'hui près de 20 % des intentions de vote au niveau national et contient une fraction de nazis purs et durs dont le poids va croissant. Adoptant de manière démagogique une position anti-guerre sur l'Ukraine, l'AfD est la version allemande de la politique trumpiste ; elle formule un antagonisme politique entre « le peuple », qu'elle prétend représenter, et une « élite » économiquement incompétente, immergée dans la politique « woke » et le « politiquement correct ».
De manière alarmante, l'AfD a fait des percées significatives dans la classe ouvrière, en particulier, mais pas seulement, dans l'est de l'Allemagne, reflétant des développements similaires en France et aux États-Unis. Si l'on se fie aux sondages effectués lors des récentes élections régionales, le racisme et la conviction que l'immigration est le principal problème auquel l'Allemagne est confrontée sont les principales motivations des électeurs de l'AfD, leur position pseudo-pacifiste sur l'Ukraine ne jouant qu'un rôle mineur.
Toutefois, le gouvernement dirigé par Olaf Scholz a fait de son mieux pour légitimer les principaux arguments de l'AfD. Dans le sillage du génocide israélien en cours contre le peuple palestinien à la fin de l'année 2023, Scholz a parlé publiquement de la nécessité de « déporter massivement » les « antisémites » potentiels, ce qui, dans ce cas, vise sans doute possible les jeunes de la classe ouvrière allemande d'origine musulmane, naturellement enclins, en tant que victimes du racisme, à s'identifier aux assiégés de Gaza. Le clownesque ministre des affaires économiques, Robert Habeck [des Verts], est intervenu à la télévision à peu près au même moment pour rappeler aux musulman.es allemand.es que leur acceptation en tant que citoyen.ne.s éga.ux.les était conditionnée par le fait qu'ils et elles renoncent à la solidarité avec la Palestine.
Lorsqu'au début de l'année 2024, des révélations ont fait état d'une réunion secrète entre de hauts responsables de l'AfD et des néo-nazis connus, discutant de la « remigration » de millions de personnes, non seulement des migrant.e.s mais aussi des Allemand.e.s ayant des racines étrangères, des manifestations massives contre l'AfD ont eu lieu dans toutes les grandes villes. Alors que la majorité des manifestants sont sans aucun doute descendus dans la rue pour exprimer un véritable dégoût à l'égard de l'AfD, les organisateurs ont veillé à ce que leur discours soutienne non seulement le gouvernement Scholz, mais aussi les principales institutions racistes, telles que la police. L'ironie de la situation n'a pas échappé aux manifestant.e.s venus en soutien à la Palestine qui ont tenté d'intervenir lors de ces défilés, mais qui, dans de nombreux cas, ont été expulsés aux cris de « Ce n'est pas votre manifestation ». Le « libéralisme » allemand, en particulier celui des Verts, apparaît de plus en plus comme un mélange de politiques racistes et de postures moralisantes.
Le 7 novembre, le Bundestag [parlement fédéral] a voté une résolution prétendument « contre l'antisémitisme », dans laquelle celui-ci est défini presque exclusivement comme opposition au sionisme, et qui autorise le refus ou le retrait du financement des chercheur.se.s et des artistes exprimant leur soutien aux droits des Palestiniens. Cette résolution est un pas de plus sur la voie de l'autoritarisme et du rétrécissement des espaces publics pour la pensée critique. Elle a été élaborée à huis clos entre le gouvernement et l'opposition dirigée par la CDU, les députés se plaignant en privé de l'immense pression exercée sur eux par l'ambassade d'Israël et des groupes de pression. L'AfD a soutenu la résolution avec enthousiasme, tandis que Die Linke, le parti de gauche, s'est honteusement abstenu. Seule la BSW [Alliance Sahra Wagenknecht], une scission récente de Die Linke, a voté contre. Fait assez révélateur, l'AfD a félicité les Verts, son ennemi juré, d'avoir enfin reconnu que la principale source d'antisémitisme dans l'Allemagne d'aujourd'hui est constituée par les migrant.es musulman.es.
La croissance électorale de l'AfD suit un schéma bien connu, selon lequel les partis traditionnels tentent de « se rapprocher des gens ordinaires » en adoptant les thèmes de discussion de l'extrême droite, accordant ainsi à cette dernière une plus grande légitimité politique. La répression des manifestations de soutien à la Palestine et l'annulation d'événements accueillant des intervenant.e.s critiques d'Israël – dont beaucoup sont manifestement juif.ve.s – ont été un facteur clé parmi d'autres dans la légitimation de l'AfD. Celle-ci n'est pas seulement dangereuse pour les musulmans, elle entraîne également des conséquences de plus en plus inquiétantes pour les Juif.ve.s d'Allemagne.
Depuis le 7 octobre , les institutions gouvernementales et les forces dominantes ont fait de leur mieux pour instiller la peur dans les communautés juives, leur rappelant à chaque étape que leur véritable foyer se trouve ailleurs, dans un État qui commet un génocide. Un récent article en ligne de l'hebdomadaire Der Spiegel concernant un attentat déjoué à l'ambassade d'Israël à Berlin (supprimé depuis), qui désignait celle-ci comme « l'ambassade juive », est symptomatique de cet état de fait. Quel meilleur cadeau pour un parti comme l'AfD, dont de nombreux responsables défendent une vision du monde antisémite issue de la tradition allemande völkisch, déguisée derrière un soutien trop zélé à Israël !
Die Linke : un parti invertébré
L'absence d'une alternative crédible à la gauche est un autre facteur décisif de la montée de l'extrême droite. Dans les sondages, Die Linke, le principal parti allemand de la gauche radicale depuis la fin des années 2000, figure constamment sous le seuil de 5 % nécessaire pour entrer au parlement fédéral[1]. Il reste à voir s'il parviendra à déjouer les pronostics en février prochain et à réintégrer le Bundestag. À en juger par ses piètres résultats électoraux dans trois États de l'Est autrefois considérés comme ses terres d'élection – la Thuringe, la Saxe et le Brandebourg (où, pour la première fois de son histoire, il a été exclu d'une assemblée de l'Est), l'avenir du parti ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices.
Sa tête de liste lors des dernières élections européennes, Carola Rakete, est une activiste de l'humanitaire aux idées politiques floues, presque inexistantes, qui a voté en faveur d'une augmentation de l'aide militaire à l'Ukraine. Le bilan de la direction sortante a été un véritable désastre, Die Linke n'adoptant aucune position lisible sur la guerre par procuration entre la Russie et l'OTAN et considérant que la crise du coût de la vie n'a rien à voir avec les rivalités interétatiques accrues. Les principaux représentants de la gauche du parti ont mis quelques mois avant d'appeler à un cessez-le-feu à Gaza par crainte d'être traités d'« antisémites ».
À quelques exceptions près, le parti a été absent des mobilisations de soutien à la Palestine, les militant.e.s des nombreux campements de solidarité qui ont proliféré dans les universités allemandes au printemps dernier ayant massivement voté pour MeRA25, le mouvement paneuropéen de l'ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis, qui a vivement condamné le soutien du gouvernement allemand à Israël. Une exception honorable à la faiblesse de Die Linke a été la députée européenne Özlem Demirel, dont les positions sur l'Ukraine et Gaza ont été sans équivoque. Néanmoins, comme le dit l'adage, l'exception confirme la règle.
Le sentiment croissant que le parti a perdu le contact avec les électeurs de la classe ouvrière a joué un rôle clé dans l'émergence d'une nouvelle direction lors du congrès du parti il y a un mois. Le binôme précédent, composé de Janine Wissler et Martin Schirderwan ayant annoncé qu'il ne se représenterait pas, lui a succédé celui d'Ines Schwerdtner et de Jan van Aken. Lors de ce congrès, l'aile gauche a tenu bon, comme en témoigne le départ du parti de certains de ses responsables les plus à droite et les plus sionistes, qui ont toutefois conservé leurs mandats dans les parlements régionaux afin de continuer à déstabiliser le parti et à pratiquer le chantage de l'extérieur.
La nouvelle direction a également bénéficié de l'intégration dans Die Linke de l'ensemble du bureau exécutif des Jeunes Verts, qui ont collectivement quitté leur parti d'origine. A l'appui de sa décision, ce groupe a mentionné l'échec des Verts sur les questions d'immigration et d'environnement, mais aussi le fait que ce parti ne défende pas un « modèle économique alternatif » au capitalisme. Il n'est pas exagéré d'interpréter ce changement comme un résultat indirect de la mobilisation en soutien à la Palestine, dont les rangs comptent de nombreu.x.se.s participant.e.s issu.e.s des mouvements écologistes et antiracistes radicaux.
La nouvelle direction a toutefois déjà échoué à son premier test en s'abstenant sur la mal nommée « résolution sur l'antisémitisme » au Bundestag, prétendument parce que l'un des députés les plus à droite du groupe parlementaire a menacé par texto qu'il voterait en faveur de la résolution si le reste du groupe votait contre. À l'occasion du premier anniversaire du 7 octobre , Schwerdtner a également publié une déclaration qui, tout en condamnant les actions d'Israël, attribuait au Hamas la « haine éliminatoire », une terminologie tout droit sortie du répertoire sioniste qui affirme que la résistance palestinienne est l'héritière des SS. Cette mollesse de fond est masquée par des coups de com', tels que l'annonce par Schwerdtner et van Aken qu'ils ne percevront qu'un salaire revu à la baisse dans le cadre de leurs nouvelles fonctions à la direction du parti.
Plus significatif encore, Die Linke a engagé une procédure visant à expulser Ramsis Kilani, militant germano-palestinien et figure éminente du mouvement de solidarité avec la Palestine, sur la base du même mélange d'accusations infondées, de déformations et de distorsions qui a servi à la chasse aux sorcières anti-Corbyn au sein du Parti travailliste. Le contraste est saisissant avec l'indulgence dont a bénéficié l'ancien premier ministre du Land de Thuringe, Bodo Ramelow, qui, en violation des décisions du parti, a plaidé en faveur de l'envoi d'armes à l'Ukraine.
Une chose est certaine : le parti n'ira nulle part en essayant de plaire à tous et, en fin de compte, en ne plaisant à personne. Se concentrer sur les questions de « fin de mois » – un économisme déguisé en « retour à la classe » – et espérer que les clivages autour de l'UE, de l'Ukraine ou de Gaza vont disparaître comme par magie, ce que Die Linke fait depuis dix ans, ne peut que conduire à des résultats désastreux. En outre, imaginer qu'on puisse représenter la classe ouvrière dans toute sa diversité en évitant la seule question qui unit toute l'Allemagne issue de l'immigration, qui est, bien évidemment, la Palestine, relève du pur fantasme.
Si le parti finit par évoluer vers la gauche, ce ne sera certainement pas en raison d'une « stratégie interne intelligente » élaborée par son aile gauche, mais en raison des pressions concertées exercées par des mouvements extraparlementaires qui remettent en cause, entre autres, l'idéologie de la raison d'Etat – le soutien inconditionnel de l'Allemagne à Israël – de manière frontale.
Le parti de Wagenknecht n'est pas une alternative
Les progrès électoraux de la BSW (Alliance Sahra Wagenknecht), le parti national-souverainiste dirigé par l'ancienne porte-parole de Die Linke au Bundestag, n'ont pas aidé Die Linke à résoudre ses difficulté. La BSW a grignoté sa base électorale, en particulier parmi les retraités, lors des trois dernières élections en Allemagne de l'Est. Selon les sondages, sa position contre la guerre en Ukraine a été l'un des facteurs les plus importants pour le vote en sa faveur, une position confirmée par son opposition au stationnement de nouveaux missiles nucléaires américains de portée intermédiaire en Allemagne.
Depuis 2015, Wagenknecht conteste le soutien aux migrants exprimé par de Die Linke, arguant que le parti est en train de perdre le soutien de la classe ouvrière à cause de ces positions. Elle a présenté son approche comme le moyen le plus efficace de réduire l'attrait de l'AfD, allant jusqu'à attaquer les politiques d'asile déjà draconiennes du gouvernement par la droite. Pourtant, les résultats des dernières élections régionales semblent indiquer autre chose. La BSW n'a pas affaibli l'AfD, mais Die Linke. Cela signifie-t-il que Wagenknecht a tout faux ?
La réponse est « oui et non ». La dirigeante de la BSW est certainement dangereuse et irresponsable en s'adaptant de manière opportuniste au climat prévalent de xénophobie, et, sur ce point, elle doit être farouchement combattue. Quant aux représentant.e.s de son mouvement qui ne partagent pas nécessairement ses vues sur cette question, ils et elles doivent être interpellés à ce sujet. Il n'y a rien de « naturel » dans le racisme, une idéologie cultivée par un ensemble d'institutions, de politiciens et de médias contrôlés par la classe dirigeante. Mais cela n'absout certainement pas Die Linke.
Il semble que BSW ait trouvé un créneau en tant que seul parti au parlement fédéral (du fait du passage dans ses rangs de plusieurs parlementaires de Die Linke) résolument opposé au soutien militaire de l'Allemagne à Israël et à l'Ukraine. Son opposition à la lamentable « résolution sur l'antisémitisme » découle d'un désir de compenser les capitulations continues de Die Linke en matière de politique étrangère. Les militant.e.s du mouvement de soutien à la Palestine qui cherchent un soutien parlementaire en posant des questions sur les livraisons d'armes allemandes à Israël déclarent avoir rencontré une porte ouverte au BSW, tandis que les membres de l'aile gauche de Die Linke doivent se débattre avec les méandres internes d'un parti qui compte également dans ses rangs des membres portant fièrement des T-shirts de soutien à Tsahal lors de rassemblements anti-palestiniens.
La question des migrants n'est pas le seul domaine problématique de BSW. Wagenknecht a déclaré à plusieurs reprises que son parti n'était pas de gauche, car, selon elle, la gauche est aujourd'hui associée à la « politique des identités ». Alors que ses détracteurs sont toujours prompts à dépeindre son parti comme un marécage rouge-brun, l'accent mis la « politique de bon sens » sent plutôt le centrisme d'avant 2008, qui se considère comme l'héritier du SPD et de la CDU [chrétiens-démocrates], avant que ces deux partis ne « dérivent » en devenant respectivement pro-guerre et partisan de « l'ouverture des frontières ». Il n'est pas étonnant que, dans les Länder de l'Est où elle a remporté ses premiers succès électoraux, la BSW ait entamé des négociations en vue de constituer une coalition avec précisément ces deux partis.
Sur le plan économique, l'ambition de la BSW de reprendre le flambeau du passé de Die Linke en tant que parti protestataire ne cadre pas bien avec la vision corporatiste de Wagenknecht et sa fétichisation du Mittelstand, cette Allemagne des petites et moyennes entreprises qui emploient souvent des centaines de travailleu.r.se.s. Le fait est que la BSW est un parti en proie à de graves contradictions sur le plan politique, stratégique et organisationnel.
Il prétend que Die Linke a abandonné la classe travailleuse, tout en soulignant que les capitalistes opposés au « féodalisme économique » sont les bienvenus dans ses rangs. Il développe une rhétorique anti-immigration, mais avec des élu.e.s qui portent des noms tels que Dagdelen, Mohammed Ali, De Masi, Nastic et Hunko, il possède sans doute l'équipe dirigeante avec la plus grande « diversité ». Il se proclame un parti ouvert sans attaches idéologiques, alors qu'il s'agit d'un club exclusif avec des procédures d'entrée rigoureuses.
Les contradictions sont en partie dues au fait que Wagenknecht suit les préceptes d'Ernesto Laclau en forgeant des « chaînes d'équivalence » discursives, qui articulent des positions opposées sur une série de questions, certaines progressistes, d'autres réactionnaires, et qui lui permettent d'apparaître comme l'incarnation de la « volonté populaire ». Il s'agit toutefois d'une politique entièrement réactive qui sera finalement contrainte de choisir un camp, à gauche ou à droite, si elle veut rester opératoire. Ce fut le cas de Podemos en Espagne et de La France Insoumise, qui ont commencé sur des bases similaires de « ni gauche ni droite ».
La gauche radicale serait bien avisée de prendre ces contradictions au sérieux pour en tirer profit. Considérer la BSW exclusivement à travers le prisme de ses positions social-chauvines à l'égard des migrants, elles-mêmes apparentées à celles de la social-démocratie danoise au pouvoir, est tout à fait erroné. Avec une nouvelle présidence Trump à l'horizon, la pression va s'accroître sur la gauche pour qu'elle se replie dans un front unique contre un « racisme » abstrait : « oubliez Gaza, nous avons un président américain raciste qui est maintenant contrôlé par le Kremlin et qui répand la désinformation à travers les ‘populistes' ». La position qui considère la BSW exclusivement comme une scission de droite de Die Linke est complètement désarmée face à un tel chantage. Ces forces prétendument « antiracistes », notamment les Verts, n'ont rien à offrir à celles et ceux qui sont quotidiennement confrontés au racisme en Allemagne, si ce n'est les expulsions, l'appauvrissement et le soutien au génocide en Palestine. Elles sont irrécupérables.
En réalité, la BSW est le reflet inversé de la dérive de Die Linke vers un social-libéralisme anodin. On trouve dans les deux partis des personnes ayant des instincts sincèrement de gauche, ainsi que des opportunistes de toute sorte. Plutôt que de proclamer l'une ou l'autre de ces deux formations comme étant « la » solution, une meilleure stratégie à l'heure actuelle serait d'élargir et de développer le mouvement de solidarité avec la Palestine, qui est aujourd'hui l'avant- garde de la politique progressiste oppositionnelle en Allemagne. Bien qu'il soit mis à l'écart par la plupart des partis politiques et la bureaucratie syndicale, le mouvement s'est avéré résistant, bouillonnant et extrêmement diversifié. Il est devenu le nœud de toutes les luttes sérieuses contre le racisme, y compris l'antisémitisme, contre l'impérialisme et le militarisme, l'écocide et, bien sûr, contre le génocide en Palestine.
En outre, la gauche doit s'exprimer sur les dangers croissants d'escalade nucléaire à propos de l'Ukraine. Des dangers qui ont refait surface avec le « cadeau d'adieu » de Joe Biden à Zelensky, qui a autorisé l'utilisation de missiles américains de longue portée contre des cibles situées au cœur de la Russie. Enfin, toute gauche qui s'efforce d'être hégémonique devra parler des effets néfastes de la désindustrialisation au lieu de se contenter de proclamer abstraitement que la solution réside dans la « lutte des classes ». Certes, c'est le cas à bien des égards, mais, en soi, cela ne suffira pas à réduire pas l'attrait de l'AfD.
La gauche doit être perçue et reconnue comme la force la plus opposée au statu quo, ce que les courbettes de Die Linke devant le public libéral et la complaisance de la BSW à l'égard du sentiment anti-immigration dominant excluent d'emblée.
*
Leandros Fischer enseigne à l'université d'Aalborg (Danemark). Ses recherches portent sur les questions migratoires le rapport de la gauche allemande à la question palestinienne. Il a milité dans Die Linke de 2007 à 2022 et est l'un des co-auteurs de l'ouvrage collectif Contre l'antisémitisme et ses instrumentalisations, qui vient de paraitre aux éditions La fabrique.
Cet article est paru le 24 novembre 2014 sur le site de Counterfire. Traduction Contretemps.
Illustration : Montecruz Foto / Wikimedia Commons.
Note
[1] Aux élections fédérales de 2021, Die Linke avait obtenu 4,89% des suffrages. Elle n'avait pu entrer au Bundestag qu'en remportant trois mandats directs dans les Länder de l'Est, ce qui, en vertu d'une loi électorale complexe, lui permet de contourner le seuil de 5%. Aux élections européennes de mai dernier, elle a obtenu 2,76%, le parti de Sahra Wagenknecht BSW obtenant de son côté 6,17% (NdT) .
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Plus que jamais, soyons aux côtés de la résistance du peuple ukrainien

L'onde de choc de la victoire de Donald Trump, le 5 novembre 2024, continue de secouer le monde et, en premier lieu, les principales zones de guerres et de conflits.
3 décembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/03/plus-que-jamais-soyons-aux-cotes-de-la-resistance-du-peuple-ukrainien/
Le « président élu » sera officiellement investi le 20 janvier 2025 mais déjà ce changement politique a des effets concrets sur la situation mondiale.
À propos de l'Ukraine, Trump s'est dit, à plusieurs reprises, capable de régler le conflit en 24 heures, avec sans doute l'intention d'imposer le gel des frontières dans les positions actuelles et la démilitarisation de la région. Cela pourrait signifier que toutes les aides militaires livrées à l'Ukraine pour se défendre seraient stoppées. Ce plan est ce qu'on appelle « la paix des forts » qui donne l'avantage absolu à l'agresseur, l'envahisseur.
Dire qu'en France et en Europe des organisations politiques présentent au nom de « la paix des peuples » des projets analogues (gel des positions sans retrait des agresseurs, référendum dans les territoires sous occupation militaire…) !
Poutine a parfaitement compris les intentions de Trump.
Il s'est empressé d'élever l'intensité et le degré de violence de ses frappes, d'élargir la définition de co-belligérance à toute aide apportée à l'Ukraine et de revoir sa doctrine d'engagement de l'arme atomique. À l'appui de cette révision, il a ordonné le lancement d'un nouveau missile balistique vecteur d'ogives nucléaires. Certes, sur Dnipro, les charges restaient conventionnelles mais le message est clair et le pire est possible. Aujourd'hui, le but recherché est encore de faire peur aux opinions publiques des pays qui soutiennent l'Ukraine pour qu'elles s'opposent à toutes livraisons d'armes.
Sur le front, les combats sont acharnés et les Russes préparent une contre-offensive massive dans la région de Koursk pour enlever à l'Ukraine le contrôle de ce territoire russe qui pourrait servir de monnaie d'échange lors d'éventuelles négociations. À cette fin, selon différentes sources, un premier contingent de 10 000 soldats coréens est arrivé sur les zones de combat. D'autres sont attendus, des Houthis sont annoncés. C'est un tournant dans l'internationalisation de la guerre.
Poutine, sous le coup d'un mandat d'arrêt lancé par le CPI pour des crimes de guerre en Ukraine (dont la déportation d'enfants ukrainiens vers la Fédération de Russie) ne peut que se réjouir des divisions suscitées par les mandats lancés contre Nétanyahou et des premières annonces de Donald Trump. Mais il doit aussi tenir compte de la crise de surchauffe de son économie de guerre et de l'inflation qui en découle, des difficultés de recrutement malgré les larges avantages promis aux engagés. Pour lui aussi le temps est compté.
La décision du président encore en fonctions des États-Unis, Joe Biden, suivie maintenant par la Grande-Bretagne et la France, d'autoriser Kyiv à lancer des missiles dans la profondeur du territoire russe vise peut-être à dissuader la Corée du Nord et d'autres pays d'impliquer leurs soldats dans les combats mais surtout à permettre aux Ukrainiens et aux Ukrainiennes de se défendre en frappant les aéroports militaires, les arsenaux, les pas de tirs.
L'Ukraine a le droit et le devoir de se défendre, il faut lui en donner les moyens. Rapidement avant qu'il ne soit trop tard.
L'Ukraine va devoir compter essentiellement sur l'Europe pour lui fournir armes et munitions, ce que celle-ci fait aujourd'hui avec parcimonie. Mais l'Europe est divisée.
La Russie, depuis des années, pèse de tout son poids économique et idéologique pour trouver des soutiens et accroître cette division. Ses alliés nationalistes et conservateurs se renforcent et même remportent les élections dans certains pays de l'Union européenne.
En février 2025, cela fera trois ans que le peuple ukrainien a repoussé une attaque massive sur son territoire. Mais la guerre commencée en 2014 continue, le front subit des assauts constants dans le Donbass et les troupes aguerries comme la population sont épuisées. La conscription pour la relève se révèle d'autant plus difficile qu'elle se confronte aux politiques économiques menées antisociales, à l'affaiblissement des services publics et à un traitement inégalitaire.
Le peuple ukrainien solidaire s'auto-organise, aide les combattant.es mais les contre-réformes néolibérales du gouvernement Zelenski ne peuvent qu'aggraver son épuisement. Et pourtant, les Ukrainiens et les Ukrainiennes résistent et refusent encore, majoritairement, tout renoncement à une partie du territoire. La gauche ukrainienne exprime cette volonté :
« De l'Ukraine à la Palestine, l'occupation est un crime. »
Les négociations éventuelles doivent se dérouler dans la transparence et sous contrôle populaire.
En Ukraine, comme au Proche-Orient et dans l'ensemble du monde, les populations refusent de vivre sous occupation et luttent pour leur indépendance et la possibilité de décider pour elles-mêmes.
Jamais, dans ce siècle, la paix mondiale n'aura été autant menacée.
La « paix des forts » n'est jamais qu'une étape dans un embrasement généralisé ; la paix juste et durable ne peut passer que par la défaite des agresseurs, leur retrait des territoires occupés et la garantie de l'indépendance des peuples.
C'est pourquoi, plus que jamais, nous devons nous mobiliser aux côtés du peuple ukrainien !
Paris, le 30 novembre 2024
ukrainesolidaritefrance@gmail.com
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Socrate : « Connais-toi toi-même, Israël ! »

Le nombre de victimes à Gaza approche 45 000 et le nombre de blessés dépasse 106 000. Sans compter les milliers qui se trouvent sous les décombres, sans compter les victimes de l'effet indirect de la guerre, qui fera augmenter le nombre à plus de 200 000.
Ovide Bastien
Photo Serge d'Ignazio
Que c'est difficile de voir le carnage et la destruction perpétrés quotidiennement par Israël ! Que c'est difficile de voir ce pays tenter de justifier tout cela au nom du droit à la défense ! Que c'est difficile, voire déchirant, lorsque la personne qui appuie tout cela et fait sienne la propagande le justifiant est quelqu'un qu'on connaît très bien et avec lequel on a même développé de profonds liens affectifs !
Lundi, 2 décembre, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, affirme que Gaza compte désormais, en proportion de sa population, le plus grand nombre d'enfants amputés au monde, plusieurs d'entre eux ayant subi une amputation sans la moindre anesthésie, parce que, comme nous le savons tous, Israël limite systématiquement depuis plus d'un an toute aide humanitaire qui entre à Gaza, parfois la bloquant carrément, parfois permettant à Israéliens ou groupes armés d'attaquer les convois.
Mercredi, 5 décembre, Amnesty International, à la suite d'une longue et méticuleuse enquête, publie un très volumineux rapport alléguant qu'Israël est bel et bien en train de commettre un génocide à Gaza.
Le jour même, Loay Alshareef, dans ce qui constitue de toute évidence un geste de propagande visant à blanchir le visage de plus en plus noirci de son pays sur le plan international, publie le message suivant sur LinkedIn :
« Le visage d'Israël qu'ils ne veulent pas que vous voyiez ! J'ai visité ‘Save a Child's Heart' en Israël, une ONG qui, en offrant des chirurgies cardiaques qui sauvent des vies d'enfants à travers le monde entier, montre l'humanité à son meilleur – et cette ONG fait cela sans distinction de race ou de religion. (...) Merci, Israël, pour tes incroyables efforts humanitaires visant à sauver ces enfants et tant d'autres ! »
Qu'une telle propagande, d'un pays dont l'expertise en ce domaine est tout aussi impressionnante que celle qu'il possède en haute technologie militaire, provienne d'une personne comme Loay Alshareef que je ne connais guère, c'est une chose. Cependant, que cette propagande soit entièrement appuyée par une personne que je connais fort bien, et avec laquelle j'ai même de profonds liens affectifs, c'est une tout autre affaire !
« Des gens formidables qui se soucient de tout le monde et font de leur mieux pour aider tout le monde, » commente, en dessous du message publié sur LinkedIn, le papa de deux de mes ex-étudiantes du Collège Dawson.
J'ai donné des cours aux deux excellentes filles de ce papa Juif. Je les ai même accompagnées, chacune une année différente, pendant leur stage d'un mois au Nicaragua, tissant avec elles aussi, ainsi que les autres stagiaires, des liens inoubliables.
Depuis des mois, je vois avec désolation cet homme accorder son appui indéfectible et admiratif au carnage qu'Israël commet quotidiennement à Gaza. J'ose espérer que ses deux filles, comme tant d'autres jeunes juifs à travers le monde, ne sont pas du même avis.
En lisant ce nouveau commentaire de lui, je sens monter en moi une immense émotion d'indignation, de colère et de révolte. Tellement forte, que contrairement à toutes les autres fois où j'ai réussi à me retenir, laisser passer et ne rien écrire, cette fois je n'y arrive pas. Les nombreuses scènes d'êtres humains, la plupart enfants et femmes, déchiquetés en mille morceaux, souvent sous l'effet de bombes étatsuniennes de 2 000 lb lancées par l'armée de l'air israélienne, me font perdre complètement le contrôle :
« Félicitations, Israël ! Tu as tué plus de 17 200 enfants au cours des quatorze derniers mois. Quel merveilleux exemple de profonde humanité ! », j'écris, rempli de colère et d'ironie mordante.
« Continue à croire aux mensonges et à rester aveugle à la réalité », me répond-il.
« Croire aux mensonges et rester aveugle à la réalité, c'est exactement ce que font presque tous les Israéliens et Israéliennes présentement, » je rétorque.
« J'ai servi dans l'armée de l'air israélienne pendant trois ans, j'ai vécu les faits et je connais la vérité, » me dit-il.
On sait que le Cour internationale de la justice juge plausible qu'Israël soit en train de commettre un génocide et a déclenché une enquête à ce sujet ; on sait aussi que la Cour pénale internationale a récemment émis un mandat d'arrêt contre le premier ministre israélien et son ex-ministre de la Défense, les accusant de crimes contre l'humanité, entre autres d'avoir utilisé la faim comme arme de guerre.
Et voilà que dans le Guardian du 6 décembre, Peter Beaumont nous rapporte une autre nouvelle qui ne fera rien pour rehausser l'image d'Israël dans le monde. Selon l'Organisation mondiale de la santé, il faudra, au rythme actuel extrêmement lent où on évacue de Gaza Palestiniens malades et blessés, dont des milliers d'enfants, de cinq à dix ans pour résorber l'arriéré, affirme Beaumont. Récemment, seuls 78 des 12 000 patients nécessitant une évacuation ont reçu le feu vert de l'armée israélienne. Environ 2 500 de ces patients, poursuit-il, étaient des enfants, et certains, à cause de mois d'attente, sont décédés.
L'armée israélienne met souvent des mois à répondre aux demandes d'évacuation médicale, et le nombre d'évacuations, ces derniers mois, a chuté, sousligne Beaumont. Dans certains cas, l'armée rejette le patient ou, lorsqu'il s'agit d'enfants, les soignants qui les accompagnent. Parfois sans explication aucune, parfois pour de vagues raisons de sécurité.
Selon Moeen Mahmood, directeur de Médecins Sans Frontières (MSF) en Jordanie, les décisions que prennent l'armée israélienne ne reposent sur aucun critère ou logique. Elles semblent purement arbitraires, affirme-t-il.
En aout, MSF demande la permission d'évacuer 32 enfants et leurs gardiens ; l'armée n'autorise l'évacuation que de six personnes. En novembre, MSF demande la permission d'évacuer huit Palestiniens, dont un enfant de deux ans avec amputations aux jambes. La demande est tout simplement rejetée.
Le 7 décembre, Sean Semo publie sur LinkedIn une photo de la page de couverture de la Sainte Bible. Et sur cette page apparaît le message suivant :
« Selon ce best-seller vieux de 3 000 ans, Israël est la patrie juive »
« Une histoire authentique qu'on ne peut remettre en question ou altérée, » commente le père de mes ex-étudiantes.
« Exactement, » ajoute une autre personne. « Israël est la patrie juive, une patrie promise par Dieu. Et il est beaucoup plus difficile pour les antisémites et les fanatiques anti-israéliens de réécrire la Bible... il en existe trop de copies imprimées... ».
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J'ai terminé la rédaction de cet article hier soir. Une fois couché, cependant, j'ai eu beaucoup de mal à m'endormir. Remontait sans cesse en moi l'immense émotion de révolte que je vivais, il y a plus de 51 ans, lorsque je me retrouvais à Santiago, Chili, une semaine après le déclenchement du coup d'état qui renversait brutalement, avec l'appui de Washington, l'Unité populaire de Salvador Allende.
C'est le 18 septembre 1973. Je regarde à la télévision la cérémonie diffusée en direct commémorant l'indépendance du Chili, et je vois le leader de l'Église catholique, le cardinal Silva Henriquez, déambuler avec les quatre membres de la junte qui vient de renverser brutalement Allende, et lui offrir solennellement « toute sa désintéressée collaboration ». Une junte qui est en train de remplir le stade national à Santiago de centaines de membres et sympathisants de l'Unité populaire ! Qui pratique la torture (on estime à environ 28 000 le nombre de personnes torturées sous Augusto Pinochet), exécute sommairement, met la hache dans tous les médias progressistes ! Qui vient tout juste de bannir la CUT (Central única de los trabajadores), la plus grosse centrale de syndicats au Chili. Qui déclare agir au nom de Dieu et vouloir sauver la culture judéo-chrétienne qui constitue l'âme et l'identité du Chili.
Ayant passé huit ans au séminaire à me préparer au sacerdoce, et cherchant à imiter la vie de Jésus qui priorise pauvres, persécutés et exploités, tout cela me scandalise profondément. Je suis sidéré !
Comme je le suis présentement, en 2024, lorsque je vois Israël, appuyé par Washington, qui déclare que la terre où habitaient Palestiniens et Palestiniennes depuis des siècles, lui a été octroyé par Dieu lui-même. Perpétrer carnage et destruction, dès lors, revient à agir afin que volonté divine soit faite. Et ceux et celles qui résistent deviennent des terroristes représentant le mal incarné.
Entrelacs, QC
Le 8 décembre 2024
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