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À propos d’une publication contestée : une réponse d’Antoine Rabadan

8 septembre, par Antoine Rabadan — , ,
Lors de notre précédente édition, nous avons reproduit un article de Volodymyr Ishchenko, « En Ukraine, le désir réel de se sacrifier pour l'État est très faible », publié sur (…)

Lors de notre précédente édition, nous avons reproduit un article de Volodymyr Ishchenko, « En Ukraine, le désir réel de se sacrifier pour l'État est très faible », publié sur le site Révolution permanente, en précisant que cet article ne reflétait pas nécessairement la position de Presse-toi è gauche !

L'auteur en question se présente comme « Volodymyr Ishchenko : sociologue ukrainien qui a milité et pris part dans plusieurs initiatives des milieux de gauche en Ukraine avant de déménager en Allemagne en 2019. ».

Suite à cet article un militant d'extrême gauche ukrainien a caractérisé l'auteur et ses analyses de la manière suivante :

« « Oui, je le connais. Il est fou et anti-ukrainien. Il a cette théorie, selon laquelle il y avait une Ukraine progressiste pendant l'Union soviétique, et maintenant elle est entièrement nationaliste d'extrême droite. Et à bien des égards, il blâme l'Ukraine pour l'invasion, promeut les sectaires en Ukraine, qui vénèrent littéralement Joseph Staline, et écrit comment la nostalgie pro-russe est progressiste en Ukraine. C'est fondamentalement un traître qui n'a aucune connaissance de l'Ukraine (il n'a pas été là [en Ukraine] depuis le Maïdan, même une seule fois) Il a fait des efforts considérables pour saper la gauche ukrainienne en particulier le Mouvement social. Il a eu cette idée en 2015 que les forces pro-russes sont des « capitalistes progressistes » en Ukraine qui pourraient être une grande force contre les « libéraux nationalistes » ukrainiens et a fait campagne pour se rallier à eux pour arrêter l'extrême droite et l'ukrainisation. C'est pratiquement sa grande idée. Il écrit toujours dans la même logique ».

Reprenant ces propos, Antoine Rabadan a publié sur Facebook une réponse à ceux et celles qui s'offusquent que l'Ukraine ait interdit le Parti communiste ukrainien. Nous la reproduisons ci-dessous.

Antoine Rababan

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Ukraine/Russie et la question du fascisme décodée par l'analyseur que constitue la question suivante : pendant l'agression hitlérienne, fallait-il laisser libres d'agir les partis fascistes ?

Je pense utile de donner ici le texte de ma réponse, assez longue, sur FB à un camarade qui, réagissant à ma qualification de Poutine de néofasciste, a cru bon de me faire parvenir le lien vers un article de 2022 du journal communiste d'Occitanie La Marseillaise s'offusquant que l'Ukraine ait interdit le Parti Communiste Ukrainien. Sous-entendu : cette interdiction est une mesure fasciste du régime fasciste de Kyiv. Alors, si Poutine est fasciste, Zelensky l'est aussi. En réalité ce camarade que j'ai connu internationaliste convaincu sur la question catalane, a basculé, comme le montre ce qu'il met régulièrement sur FB, campiste proRusse, virulemment antiUkrainien. Illustratif de ce qu'est la gauche internationale appelant à la défaite de l'Ukraine.

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CFS : une dictature neofasciste en Russie. Soit. Regardons maintenant ce qui se passe en Ukraine :
https://www.lamarseillaise.fr/international/apres-son-interdiction-les-biens-du-parti-communiste-d-ukraine-confisques-KB12570381?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR0vAnDFCXDTRfSa78ZBNm1NvYA24JhQELEx7_YUbyB1YNEfqx3tXdByNH0_aem_0RNhVYbTSG1NYSU_OdK9Vw

Moi : Ta réponse est tout à fait significative de ton alignement anti ukrainien et proMoscou :

[C]oncernant le PC ukrainien, attardons-nous sur ce qu'en dit Volodymyr Ishchenko, sociologue ukrainien très critique envers Zelensky (en soi, pas de problème pour moi), surévaluant le poids actuel de l'extrême droite ukrainienne et ayant, comme le rappelle un camarade de la gauche anticapitaliste ukrainienne (Mouvement Social), un tropisme prorusse très marqué : "V Ishchenko a eu cette idée en 2015 que les forces pro-russes sont des « capitalistes progressistes » en Ukraine qui pourraient être une grande force contre les « libéraux nationalistes » ukrainiens et a fait campagne pour se rallier à eux pour arrêter l'extrême droite et l'ukrainisation".

Eh bien, pour revenir à "notre" PCU, il nous dit "Le Parti communiste ukrainien, a soutenu l'invasion russe. Le parti communiste d'Ukraine était un parti très important jusqu'à la révolution EuroMaidan. Il était le parti le plus populaire du pays dans les années 1990. Le candidat du parti communiste a obtenu 37 % des voix lors des élections présidentielles de 1999. Même à la veille de la révolution EuroMaidan, le parti communiste a obtenu
13 % des voix. Même si son soutien a diminué, il disposait d'une représentation significative au Parlement et soutenait efficacement le gouvernement de Viktor Ianoukovytch. Après EuroMaidan, il a perdu son bastion électoral dans le Donbass et en Crimée. Ils ont également été victimes de répression en raison des politiques de décommunisation, le parti a été suspendu et, en 2022, il a été définitivement interdit, tout comme une série d'autres partis dits pro-russes. Petro Symonenko, le leader du parti, qui n'a pas changé depuis 1993, depuis la création du parti, s'est enfui en Biélorussie en mars 2022. Depuis la Biélorussie, il a soutenu l'invasion russe comme une opération antifasciste contre le « régime de Kiev ». Les organisations communistes des zones occupées ont fusionné avec le Parti communiste de la Fédération de Russie et ont participé aux élections locales organisées par la Russie en 2023, entrant même dans certains conseils locaux. La même fusion s'est produite avec les syndicats officiels ukrainiens dans les zones occupées."

Ce parti est en clair un parti proRusse qui, logiquement, a soutenu l'invasion de l'Ukraine et la soutient toujours, allant jusqu'à…fusionner avec le PC russe dans les territoires ukrainiens occupés et participant à la domination terroriste que Poutine y exerce !

Alors, je te pose la question : est-il « fasciste » d'interdire un parti qui, placé sur l'orbite de Poutine, a travaillé pour que l'Ukraine soit inféodée en tant que telle à la dictature néofasciste et impérialiste dudit Poutine ? Au demeurant, faut-il se laisser aller, comme en fait tu y pousses, à reprendre le qualificatif de régime néonazi pour l'Ukraine qui est le slogan des néofascistes russes. La seule interdiction d'un parti par un régime donné ne suffit pas à décréter que ce régime est fasciste : à ce train-là, l'interdiction, par le gouvernement de la Ve République, de la Ligue Communiste en 1969 aurait été l'oeuvre du régime fasciste français. Ce type d'amalgame écrasant ce qui différencie un régime bourgeois parlementariste, parfois à tendance présidentialiste et répressif, et un régime fasciste signe une déliquescence analytique, de type sectaire-dogmatique, totalement étrangère, pour ne prendre que cet exemple mais il y en a d'autres à gauche, au marxisme révolutionnaire. Il n'est pas étonnant que, biberonné au campisme du néofascisme russe, comme on le voit dans ce que tu écris ou relaies sur FB, tu participes de cette dérive qui ne concerne pas, hélas, que toi.

Pour ta gouverne, aujourd'hui, en Ukraine, le régime est bourgeois parlementaire, antisocial et, pour partie, corrompu car n'ayant pas rompu pleinement avec l'héritage russe stalinien aujourd'hui conservé par le capitalisme mafieux poutiniste. La guerre criminelle déclenchée par Poutine ajoute à la régression, en Ukraine, des espaces politiques conquis par les luttes, toutes dévoyées qu'elles aient pu être par un légitime antistalinisme, le souvenir de l'horreur de l'Holodomor…et ce que le PCU défendait pour que l'Ukraine revienne dans le giron d'une Russie en cours de néofascisation…se réclamant de l'héritage de Staline ! Toute cette complexité contradictoire explique le passif de l'idée de gauche dans la population ukrainienne (et les lois de décommunisation) et met en évidence le mérite qui revient à la gauche anticapitaliste ukrainienne et aux syndicats ouvriers indépendants de donner l'image d'une gauche en rupture avec ces héritages stalinofascisants. Cette gauche donnant l'exemple de s'engager dans la résistance armée à l'invasion russe tout en ne ménageant pas la politique néolibérale antisociale du gouvernement ukrainien. Politique qu'elle dénonce comme affaiblissant l'engagement populaire existant dans cette résistance car sapant la base sociale de cet investissement.

De fait l'existence des luttes qui, avec l'appui de cette gauche et ce syndicalisme, se mènent en pleine guerre contre l'impérialisme néofasciste russe, est la meilleure preuve que le régime ukrainien tout bourgeois et antisocial qu'il est n'est pas fasciste. Il n'y a que le fascisme russe pour propager une telle ânerie politique, qui plus est, sous le syndrome de la paille fasciste que l'on voit dans l'œil de l'autre pour cacher la poutre néofasciste que l'on a dans son oeil !

Donc l'interdiction du PCU n'a rien à voir avec une décision fasciste, ni même avec une décision bourgeoise, elle est une décision qu'un régime ouvrier prendrait face à un parti propageant une politique stalino-fascisante, antipopulaire, antinationale, d'anéantissement des libertés permettant de développer, ce qui nous importe dans la gauche révolutionnaire et internationaliste, des luttes anticapitalistes !

Je te pose la question qui tue ( !) : pendant l'agression hitlérienne, fallait-il laisser libres d'agir les partis fascistes ?

Antoine Rabadan, 4 décembre 2024, Facebook.

La publication initiale : https://www.pressegauche.org/Volodymyr-Ishchenko-En-Ukraine-le-desir-reel-de-se-sacrifier-pour-l-Etat-est

Illustration : logo de l'organisation socialiste ukrainienne Sotsialnyi Rukh (Mouvement social), https://en.wikipedia.org/wiki/Social_Movement_(Ukraine)

J’aime les gens qui doutent1 : Entrevue avec Gaston Desjardins

8 septembre, par Marc Simard
Aussitôt assis ensemble au Chapeau Moustache, Gaston Desjardins et moi invoquons nos grands-pères, nos pères, prenons avec eux et nos chiens une marche imaginaire en forêt. (…)

Aussitôt assis ensemble au Chapeau Moustache, Gaston Desjardins et moi invoquons nos grands-pères, nos pères, prenons avec eux et nos chiens une marche imaginaire en forêt. Entre des moulins à scie d’hier et d’aujourd’hui, des gorgées de lait d’or pour moi et de latté pour lui, revit une mémoire (…)
Une couverture de journal intitulée 'le travailleur', publiée par le Comité d'Action Politique de Saint-Jacques en novembre 1971, abordant des sujets comme les grèves, le chômage et les préoccupations des ouvriers.

EN LUTTE !, les chemins d’une organisation communiste

8 septembre, par Archives Révolutionnaires
Au début des années 1970, la situation se dégrade un peu partout en Occident, alors que la prospérité d’après-guerre fait place au retour du chômage. Dans ce contexte, les (…)

Au début des années 1970, la situation se dégrade un peu partout en Occident, alors que la prospérité d’après-guerre fait place au retour du chômage. Dans ce contexte, les luttes ouvrières se multiplient afin de défendre les acquis sociaux et économiques pour le plus grand nombre. En concomitance, on voit un regain des mouvements communistes qui s’appuient désormais sur la révolution chinoise pour envisager des lendemains qui chantent. Au Québec, Charles Gagnon (ancien dirigeant du FLQ) lance l’organisation EN LUTTE ! Durant une décennie, elle incarne l’engagement communiste et le dévouement à la cause du peuple.

Par Alexis Lafleur-Paiement [1]

Le Québec des années 1960 est marqué par des transformations profondes, notamment impulsées par le gouvernement libéral de Jean Lesage (1960-1966). Celles-ci incluent la déconfessionnalisation des écoles et du secteur de la santé, la nationalisation de l’électricité (1962) et la création de sociétés d’État, ainsi que le soutien à l’entrepreneuriat québécois. Mais ces mesures sont insuffisantes aux yeux d’une partie de la jeunesse qui affirme : « Nous luttons pour un État libre, laïque et socialiste. »[2] Dans le même sens, l’équipe de la revue Révolution québécoise (1964-1965) tente de concilier le marxisme et la lutte pour l’indépendance, avant que ses animateurs Pierre Vallières et Charles Gagnon se joignent au Front de libération du Québec (FLQ) pour y mener des actions armées. La période est marquée par une escalade de la violence qui conduit des attentats à la bombe à l’enlèvement de deux dignitaires par le FLQ en octobre 1970. Dans ces circonstances, le gouvernement du Canada réagit avec une intensité inattendue. La Loi sur les mesures de guerre est proclamée, le Québec est occupé par l’armée, et plus de 500 arrestations et de 3000 perquisitions sans mandat sont réalisées. La gauche québécoise sort de l’épisode grandement affaiblie.

Après le retrait des troupes canadiennes, les militant·es s’interrogent sur la voie qu’il faut prendre pour relancer la contestation. D’un côté, on rejette assez largement l’activisme et le terrorisme des années 1960 qui n’ont pas su déboucher sur la révolution, entraînant plutôt une répression brutale. D’un autre côté, la conviction qu’il est nécessaire de s’organiser à large échelle et de se doter de structures résilientes pour faire face aux aléas de la vie politique s’impose globalement. Plusieurs personnes choisissent d’investir le Parti québécois (PQ) ou les centrales syndicales, alors que d’autres préconisent la création d’une organisation révolutionnaire autonome. C’est l’idée qu’expriment les membres du Comité d’action politique de Saint-Jacques dans la brochure Pour l’organisation politique des travailleurs québécois (1971) ou encore le groupe Vaincre (1971-1972) qui publie un journal éponyme. À l’été 1972, quatre militant·es issu·es de ces deux réseaux s’associent pour rédiger un document d’unité qui est publié sous le titre Pour le parti prolétarien[3]. Le même groupe forme l’Équipe du Journal (ÉdJ) afin de produire un périodique révolutionnaire qui pourra servir de base pour la création d’une organisation.

Construire une organisation révolutionnaire

L’année 1973 est consacrée à la rencontre avec une multitude de groupes pour trouver des terrains d’entente, au lancement du journal EN LUTTE ! et à la mise sur pied du Comité de solidarité avec les luttes ouvrières (CSLO). L’Équipe du Journal adopte une position marxiste-léniniste qui s’appuie sur les théories de Marx, Lénine et Mao dans l’objectif de créer un parti révolutionnaire, de se lier avec la classe ouvrière et de diriger un mouvement capable d’instaurer le socialisme. Pour ce faire, le groupe priorise la réflexion et la diffusion idéologique, d’où la centralité du journal dans son travail. Il valorise aussi la solidarité avec les travailleur·euses revendicatif·ves ou en grève qui peuvent se montrer intéressé·es par les idées progressistes. À travers ces activités intellectuelles ou plus directement militantes, l’objectif est de rassembler une masse critique de personnes autour d’un projet révolutionnaire et de constituer un mouvement qui poursuivra le combat politique à une autre échelle. Ce but est atteint à l’automne 1974, lors du 1er Congrès du groupe EN LUTTE ! qui se constitue formellement en tant qu’organisation avec des statuts et un programme. Bien que le groupe ne rassemble qu’une soixantaine de membres, il peut compter sur leur implication dans diverses initiatives communautaires (cliniques, garderies et comptoirs alimentaires) pour approfondir ses liens avec les classes populaires. Le soutien aux grévistes qui luttent contre des multinationales à la United Aircraft (Longueuil, 1974-1975) ou à l’INCO (Sudbury, 1978-1979) permet de lier ces combats spécifiques au problème général de l’impérialisme.

Dans les années suivantes, EN LUTTE ! se consacre à plusieurs batailles. Il dénonce le Parti québécois qui, malgré son soi-disant « préjugé favorable aux travailleurs », soutient les intérêts de la bourgeoisie francophone. L’organisation marxiste rappelle aussi que « les syndicats sont en passe d’être intégrés à l’appareil d’État et d’en être réduits au statut d’organismes chargés d’appliquer les lois de l’État bourgeois, les lois passées dans les intérêts du Capital »[4]. Ces manœuvres visent à démontrer que les intérêts des travailleur·euses ne peuvent être défendus adéquatement que par une organisation faite par et pour les travailleur·euses eux-mêmes, dans le but d’instaurer le socialisme, c’est-à-dire un système où les moyens de production appartiennent en commun à l’ensemble des salarié·es. C’est ce que tente d’expliquer le journal d’EN LUTTE ! en montrant que les conflits de travail sont des symptômes d’un problème plus grave : le régime capitaliste lui-même, basé sur l’exploitation de l’humain par l’humain. Le message est bien reçu puisque l’organisation grandit pour atteindre environ 400 membres en 1979, répartis partout au Canada, sans compter plusieurs centaines de sympathisant·es. À la même époque, l’organisation gère des librairies à Vancouver, Toronto, Montréal et Québec, ainsi qu’une imprimerie. Enfin, son journal tire à plus de 6600 exemplaires par semaine[5].

Défis et ruptures

Pourtant, avec le début des années 1980, l’organisation EN LUTTE ! fait face à plusieurs défis. D’abord, sa position « d’annulation » du vote lors du référendum sur la souveraineté du Québec (mai 1980) a été accueillie assez défavorablement. Ensuite, différents groupes se sentent mal représentés dans l’organisation, notamment les personnes homosexuelles, les femmes et les ouvriers manuels qui forment des caucus pour exposer leurs récriminations. Des facteurs externes nuisent aussi au mouvement, dont la libéralisation de la Chine (qui semble confirmer l’échec du maoïsme), la répression policière qui cible les marxistes et l’imposition progressive de la chape de plomb néolibérale sur l’ensemble de la société. Malgré des discussions soutenues et l’appel à un congrès ouvert en mai 1982, le groupe n’arrive pas à surmonter les tensions internes et les pressions externes. Le 4e Congrès vote l’auto-dissolution à 187 voix contre 25, et 12 abstentions[6].

Bien que certain·es tentent de poursuivre l’expérience marxiste dans les années 1980, ce courant, à l’image des autres tendances de gauche, est alors anémique. Cette traversée du désert a contribué à obscurcir la mémoire d’EN LUTTE !, sans compter les invectives anti-marxistes de la droite qui continuent de l’accabler. Malgré tout, son expérience et celles des autres groupes révolutionnaires des années 1970 demeurent pertinentes, particulièrement à notre époque où la gauche peine à s’organiser. Il semble que les progressistes soient aujourd’hui coincés entre l’action parlementaire, le syndicalisme institutionnel et l’activisme à la pièce. Pourtant, le capitalisme frappe de plus en plus durement et risque même de nous exterminer collectivement en entretenant la crise écologique. Dans cette situation, ne faut-il pas repenser notre action et envisager sérieusement la création d’une organisation révolutionnaire solide et durable ? Bien sûr, EN LUTTE ! et les autres groupes marxistes-léninistes n’offrent pas de recette pour la révolution, mais « ils ont cherché une voie pour s’attaquer à cet ordre établi, pour l’affaiblir et finalement l’abolir »[7]. Un tel horizon peut encore nous inspirer en vue de l’instauration d’une société égalitaire.


Notes

[1] Article initialement paru dans À Bâbord !, Numéro 102, hiver 2025 (p. 12–13)

[2] « Présentation », Parti pris, no 1 (octobre 1963), page 4.

[3] La brochure est signée en nom propre par Charles Gagnon qui en est le principal rédacteur.

[4] GAGNON, Charles. Qui manipule les syndicats ?, Montréal, EN LUTTE !, 1979, page 9.

[5] Bulletin interne, no 46 (15 novembre 1981).

[6] EN LUTTE !, no 288 (22 juin 1982), page 1.

[7] GAGNON, Charles. Il était une fois… conte à l’adresse de la jeunesse de mon pays, Montréal, Lux, 2006, page 36.

Comment répondre au tweet de Kevin

7 septembre, par Anne Archet — , ,
Kevin aime bien se faire passer pour le vrai défenseur des vrais idéaux de gauche : la sollicitude envers les pauvres, la laïcité, la liberté d'expression et tout le tralala. (…)

Kevin aime bien se faire passer pour le vrai défenseur des vrais idéaux de gauche : la sollicitude envers les pauvres, la laïcité, la liberté d'expression et tout le tralala. Mais ne vous laissez pas berner : Kevin est un fasciste.

Il y a quelques mois, j'ai fait ce que toute personne ayant à cœur sa propre santé mentale doit faire : j'ai fermé mon compte Twitter. Mais la rhétorique toxique de l'extrême droite continue de se rendre jusqu'à moi, d'abord parce que ces types sont partout, et aussi parce que tout mon entourage me refile continuellement des captures d'écran comme celle qui suit.

La différence importante est que maintenant, je ne me pose plus la question qui me torturait sans cesse alors que j'avais encore un compte sur X : comment répondre au tweet de Kevin ? Parce que la réponse est simple : c'est impossible de répondre à Kevin ou de débattre avec lui sans participer à la diffusion et à la normalisation des idées d'extrême droite et sans dévaluer les miennes.

Pour commencer, un mot sur Kevin (et non pour Kevin : je n'ai pas envie de lui dire « envouaille continue comme t'ça », quand même). Je ne le connais pas, mais de toute évidence, il s'agit d'un pirate, auditeur de la radio Web du même nom animée par Jeff Fillion, ce qui nous laisse entendre que Kevin est un conservateur libertarien climatosceptique trumpiste homophobe, transphobe, antisyndicaliste et raciste, en plus d'être un adepte des tactiques de harcèlement – disons un fasciste, pour faire court.

En tant que fasciste, Kevin ne souhaite pas débattre quand il m'interpelle sur les médias sociaux, dans le sens où on l'entend habituellement, c'est-à-dire confronter des idées plus ou moins divergentes dans une démarche de recherche de la vérité. Ce qu'il veut, c'est m'éliminer de la place publique en raison de qui je suis, de ce que je représente à ses yeux et de la condition sociale qu'on m'a assignée.

Sa tactique est celle de tous les fascistes : la confusion et la dissimulation de son power level, c'est-à-dire de ses convictions et de ses intentions réelles. Les fascistes vont protester et nier qu'ils sont fascistes, jusqu'à ce que le climat social devienne assez pourri pour leur permettre d'assumer pleinement leur programme et leurs intentions – jusqu'au génocide, qui est la conclusion logique de leur idéologie.

Réinventer la gauche

Sur Twitter, je disposerais de 280 caractères pour répondre à Kevin. Je n'aurais que quelques mots pour rétablir les faits et lui expliquer – et à tou·tes celleux qui sont témoins de notre échange – à quel point ce qu'il vient de de dire, c'est de la querisse de marde. Et ça, c'est une mission impossible, parce que presque chaque mot qu'il a régurgité dans son tweet comporte une inexactitude, une confusion ou un mensonge.

D'abord, « la gauche ». Qui est-ce qu'il entend par ce mot ? La gauche parlementaire vaguement sociale-démocrate représentée par le NPD et QS ? Les libéraux et centristes à la Trudeau et compagnie ? Les syndicats ? Les groupes féministes et écologistes dans leurs multiples déclinaisons ? Les marxistes de tous les parfums, léninistes, staliniens, maoïstes, trotskistes ? Les anarchistes disponibles en encore plus de variétés ? Les quelques chroniqueur·euses racisé·es ou queers qui travaillent dans les médias bourgeois ? Guy A. Lepage et la clique du Plateau ? François Legault Jean-François Lisée qui se disent de gauche efficace ? Tout ce beau monde ne s'entend sur presque rien, mais Kevin s'en fout : pour lui, la gauche, c'est un bloc satanique de gens qui pensent tous la même affaire.

La plupart du temps, il utilise le mot woke pour sous-entendre qu'il y a une bonne gauche quelque part, une gauche qu'il qualifie de traditionnelle, celle qui est universelle et qui défend les pauvres et la laïcité – mais il ne se donne jamais la peine de dire qui exactement en fait partie, pour la simple raison qu'elle n'existe pas, qu'elle n'est qu'un procédé rhétorique.

Ensuite, il faudrait que je parle des pauvres dont il faut, selon Kevin, s'occuper par vertu, comme si la pauvreté était un phénomène naturel qu'il fallait soulager par grandeur d'âme. Placer le (faux) débat sur ce terrain, c'est appréhender les relations sociales comme la bourgeoisie : en présentant la charité (catho-laïque) comme unique solution à la misère capitaliste. Évidemment que la gauche n'a pas le monopole de la vertu, puisque la droite donne plein de cash à Centraide : CQFD.

Sauf qu'on sait bien que la vertu et l'amour des pauvres n'ont rien à voir là-dedans : la gauche, ça a toujours été l'action politique, sociale et économique des personnes dominées et exploitées pour leur propre libération. Même la fucking Association internationale des travailleurs le disait dans ses statuts de 1871 : « l'émancipation des travailleurs doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Je ne veux pas préjuger des opinions de Kevin, mais il y a fort à parier qu'il capote chaque fois qu'il y a une grève, alors pour ce qui est de de soutenir les gens qui veulent sortir de leur aliénation économique, disons qu'il n'a de leçons à donner à personne.

Et puis il y a les accusations de défendre les islamistes, les pédophiles et Big Pharma. En combien de caractères est-ce que je pourrais expliquer que personne à gauche n'appuie le terrorisme islamiste et qu'en réalité, l'anti-islamisme de Kevin est un cache-sexe pour son islamophobie et son racisme ? De combien de mots aurais-je besoin pour démonter l'homophobie et la transphobie qui se cachent derrière son insistance à éliminer toute performance de genre non hétéronormée sous prétexte de protéger l'innocence des enfants ? Comment expliquer succinctement que les gens de gauche ont tendance à être anticapitalistes et que ce n'est pas d'être à la solde d'entreprises pharmaceutiques transnationales que de porter un masque et se faire vacciner en temps de pandémie pour protéger les personnes les plus vulnérables ? Comment démontrer en moins d'une ligne que son conspirationnisme repose sur les mêmes clichés qui ont fait le succès de tous les mouvements fascistes depuis les années 1920 – le principal étant le complot juif international ? Comment faire comprendre qu'il n'y a pas de dichotomie entre les pauvres, les personnes racisées et les personnes des minorités sexuelles, que tout ce beau monde, dans une écrasante majorité des cas, fait partie du prolétariat ? Évidemment que c'est impossible, j'ai juste énoncé les problèmes et ce paragraphe contient déjà plus de 1300 caractères.

Enfin, il y a la cancel culture. Ce que Kevin laisse entendre, c'est qu'on veut le censurer parce qu'il est un dude cisgenre blanc hétéro et qu'il porte (j'en mettrais ma main au feu) une casquette de baseball laide. Il faudrait donc que je lui fasse comprendre que ce sont ses idées haineuses de fasciste qui m'insupportent et que je m'en contre-querisse qu'il ait une peau de pêche et qu'il soit fier de son pénis. Il faudrait que je lui dise que d'exprimer mon désaccord en ce qui concerne ses idées de marde, ce n'est pas de la censure, mais bien l'exercice de ma propre liberté d'expression. Sauf que Kevin, la seule liberté d'expression qui l'intéresse, c'est la sienne et ce qu'il veut, c'est que je débarrasse le plancher, que je devienne invisible. Son discours en est un d'élimination – et ce n'est qu'une ironie parmi tant d'autres qu'il appelle ça la cancel culture, parce que lorsque l'extrême droite cancelle, c'est beaucoup plus violent qu'une dénonciation publique ou une perte temporaire de contrats lucratifs.

Rétablir le cordon sanitaire

Pendant que j'expliquerais tout ça, Kevin aurait le temps de me refiler dix autres tweets remplis de mensonges toxiques du même acabit. Il aurait l'air d'être à l'attaque et moi, à la défensive. Ça lui donnerait une belle tête de vainqueur et les témoins de notre échange – pas tous, mais certain·es – se diraient sûrement : « ce Kevin, il a l'air d'un demeuré, comme ça, mais il n'a pas tout à fait tort ». Et c'est à ce moment-là que Kevin aura gagné.

Bref. Si vous êtes encore sur Twitter/X/whatever, le mieux est de ne pas répondre aux tweets de Kevin. Il veut avoir accès aux gens qui vous suivent, à vos interlocuteur·trices pour propager sa haine auprès d'elleux. Bloquez-le. Vous contribuerez ainsi à rafistoler le cordon sanitaire qui gardait les fascistes, depuis 1945, dans un néant social d'où on n'aurait jamais dû les laisser sortir.

Ensuite, parlez des fascistes, critiquez leurs mensonges et leurs stratégies confusionnistes, mais ne le faites pas avec eux.

Surtout, continuez à rêver tout haut d'un monde meilleur.

Illustration : Alex Fatta

Il n’y a pas de discours anti-réactionnaire

7 septembre, par Maxime Fortin-Archambault, Gabriel Lévesque-Toupin — , , ,
La vitesse à laquelle les discours réactionnaires sont diffusés a de quoi fatiguer quiconque les juge dangereux et s'échine à montrer leur errance. Mais un tel effort est vain, (…)

La vitesse à laquelle les discours réactionnaires sont diffusés a de quoi fatiguer quiconque les juge dangereux et s'échine à montrer leur errance. Mais un tel effort est vain, car aucune réponse à ces discours n'est susceptible de faire changer d'avis leurs producteurs ou celles et ceux qui y adhèrent. Voici plutôt comment critiquer un réactionnaire sans se fatiguer.

Pour critiquer ce qui est courant de nommer « la réaction », on gagnerait à la concevoir, d'une part, comme un conglomérat des personnes qui produisent des discours réactionnaires, et de l'autre, comme un groupe d'individus pour qui ces discours paraissent sensés, voire réconfortants, et autour desquels ils se réunissent (des forums 4chan à la 1 Million March 4 Children). À l'inverse, réduire ces phénomènes à « la réaction » risque de les poser sous la forme de l'unité, comme si celle-ci allait de soi, et passe sous silence que leur contenu politique et social est hétéroclite. Par exemple, le projet conservateur catholique pur et dur de retour aux valeurs et à une structure sociale d'antan ne s'assimile pas aisément au discours des nationalistes identitaires, qui expriment un fétiche de l'État, de la nation et de la langue – et encore moins avec celui des « incels » qui, convaincus de l'existence d'une hiérarchie naturelle de l'attirance sexuelle au bas de laquelle ils se situent, fantasment un monde où chaque homme se voit attribuer une femme.

Justement, l'essence de la réaction n'a rien à voir avec son contenu politique. En vérité, les discours réactionnaires sont une tentative de répondre à un besoin psychique socialement produit, celui que disparaissent l'angoisse produite par l'impuissance politique et la précarité économique, réelle ou anticipée. Le présent ordre social et économique capitaliste nous fait généralement ressentir que nous ne sommes qu'à une crise sociale « imprévue » de nous retrouver sans le sou, malgré sa promesse qu'en échange de notre temps au travail, il nous garantit la réalisation de soi. Et alors que la vie politique au sein de la démocratie représentative promet le droit universel et l'accès égalitaire aux conditions nécessaires à l'autodétermination, elle réalise cette égalité de manière abstraite et indifférente à la situation concrète des individus (par exemple, on peut seulement affirmer que l'accès égalitaire à un logement décent est réalisé si on ignore les différences de moyens économiques entre les personnes), et elle réduit l'idée de l'autodétermination, du pouvoir politique concret d'aménager son existence, à la « liberté » de choisir son poison.

De l'angoisse à l'agression

Or, les discours réactionnaires réagissent à l'angoisse sociale non pas en visant ses causes, mais en offrant plutôt un palliatif au sentiment. Ils traduisent les causes de l'impuissance politique et de la précarité en luttes culturelles et symboliques, et placent leurs producteurs, comme les individus qui s'y identifient, dans la position assurée de « défenseurs de la civilisation ». C'est bien commode : il suffit, pour que la réaction réagisse et mette en branle sa phraséologie, d'imaginer une culture menacée (toujours la sienne) et des menaces extérieures, peu importe lesquelles (l'idéologie woke dans le nouveau passeport canadien, le titre Mx d'un·e enseignant·e, etc.).

S'opère alors un renversement ironique : l'organisation sociale qui bloque la possibilité que cesse l'angoisse une fois pour toutes, transfigurée en culture menacée, est désormais perçue comme ce qui calmera l'angoisse, et qu'il faut pour cette raison défendre. Par-là, les causes réelles de cette angoisse sociale sont recouvertes d'un voile idéologique. « Non, le problème n'est pas l'organisation de la vie politique démocratique, mais bien les attaques contre celle-ci par le wokisme. » « Non, la crise du logement n'est pas une crise du logement, mais le symbole des dommages de l'immigration pour la nation québécoise. » Au bout du compte, la dernière promesse rompue est celle de la réaction elle-même : en voilant les causes réelles de l'angoisse, ou bien par plat intérêt matériel, ou bien par réflexe d'autoconservation, sa logorrhée défensive se rend inapte à l'abolir.

C'est que l'essence de la réaction est à trouver dans la pseudo-radicalité de sa réponse au besoin que cesse l'angoisse – ou, ce qui revient au même, dans sa tactique de prestidigitation qui la métamorphose en groupe culturel minoritaire menacé et qui présente le statu quo comme la seule organisation sociale raisonnable possible. La réaction ne sait pas qu'« il ne suffit pas, pour créer une contradiction historique, de se déclarer en contradiction avec le monde entier. On peut se figurer être un objet de scandale universel, parce que, par maladresse [ou par habitude commerciale et intérêt matériel], on scandalise universellement [1] », mais cela ne signifie pas qu'on critique véritablement et de manière subversive l'ordre existant.

L'unique soulagement auquel ont droit les groupes d'individus qui s'identifient aux discours réactionnaires est symbolique. En s'identifiant à l'image d'une culture collective menacée, mais néanmoins représentante de la « civilisation », ceux-ci compensent leur propre impuissance par la puissance fantasmée d'un tout plus grand qu'eux, pour lequel dévotion et sacrifice (de soi comme d'autrui) paraissent raisonnables. Faire partie de ces groupes est d'autant plus satisfaisant lorsque ceux-ci proposent des récits et schèmes interprétatifs qui prétendent « tout » dévoiler au grand jour (qu'on pense aux « grands dévoilements » de QAnon, par exemple dans le style du « Pizzagate »). En adhérant à cette logique de compensation, ils évitent la remise en question de soi et de la forme de la société qu'exigerait l'effort de nommer le mal par son nom. Plutôt, ils érigent en « cause » du mal le prochain objet auquel la réaction réagira (les immigrants allophones, les travailleurs temporaires, les écologistes, les locataires…).

Finalement, l'impuissance d'être en proie à l'angoisse est compensée en devenant soi-même le bourreau de son prochain. Qui s'identifie à de tels discours et aux groupes qu'ils agglutinent reçoit un soulagement temporaire, soit. Grand bien lui fasse : c'est tout ce qu'il a.

La praxis de façade

Mais à son opposé, une politique d'opposition à la réaction qui accepte de lutter sur ce même terrain culturel et symbolique rompt à son tour avec la promesse d'en finir avec ce sentiment et se cantonne à n'être qu'un « backlash to the backlash to the thing that's just begun [2] ». Toute politique de gauche strictement symbolique répète la même erreur et se réduit à n'être que le contrepoint de la réaction. Ni la représentation de la diversité sociale concrète dans la sphère culturelle ou politique, ni la gouvernance qui, en mode relations publiques, se confond d'excuses à chaque nouveau scandale (qu'il s'agisse de la mort d'une autochtone supervisée par un personnel soignant radicalement désensibilisé à la souffrance d'autrui ou de l'ovation d'un ex-soldat nazi aux communes), ne sont suffisantes pour répondre au besoin légitime de vivre notre vie sans être en proie à cette angoisse.

Des valeurs telles que le dialogue, l'ouverture et l'inclusion ne peuvent pas à elles seules lever le voile idéologique et psychologique que tisse la réaction et elles risquent en plus de devenir à leur tour des fétiches. Certaines activités politiques (autant l'expression sur les réseaux sociaux de bons sentiments pour les victimes du dernier conflit armé que les pratiques de consommation éthique) visent après tout moins à résoudre les conflits matériels qu'à soulager elles aussi le sentiment d'angoisse et d'impuissance sociales.

La juste pratique politique d'opposition à la réaction devra être radicale, c'est-à-dire refuser de répondre sur son terrain et, sans se poser en grand parapluie universaliste qui subsume les luttes « particulières », s'attaquer directement à ce qui se cache derrière le voile (par exemple, en retirant les appuis socio-économiques [3] à la réaction dans sa croisade défensive ; en découplant de notre conception des pratiques démocratiques l'impératif de « neutralité » médiatique qui transforme la réaction, en invité·es sur les plateaux de télévision ; ou en offrant les services et l'appui matériel que demandent les groupes sociaux marginalisés). Tant que les conditions sociales actuelles persistent, les discours réactionnaires les accompagneront comme leurs chiens de garde.


[1] Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille ou Critique de la critique critique, Paris, Les éditions sociales, 2019, p. 173.

[2] Bo Burnham, “That Funny Feeling”, Inside, 2021.

[3] Un « appui socio-économique » ne signifie pas immédiatement un financement direct. Des plateformes telles que Meta ou X (anciennement Twitter) capitalisent grandement sur les discours réactionnaires et les laissent pulluler sous couvert de liberté d'expression. La structure même de ces discours, celle d'un tissu de stimuli psychiques excitatifs qui font boule de neige, génère du trafic, c'est-à-dire de l'échange, c'est-à-dire du profit pour ces plateformes. Dans un tel contexte, ces appuis socio-économiques, même passifs et indirects, encouragent la propagation de la réaction.

Maxime Fortin-Archambault et Gabriel Lévesque-Toupin sont candidats au doctorat en philosophie.

Illustration : Alex Fatta

Centre et réaction : un tango funeste

7 septembre, par Philippe de Grosbois — , ,
Les courants réactionnaires contemporains ont trouvé comment tirer profit de la crainte des centristes autour de la « montée des extrêmes » et de la « polarisation ». (…)

Les courants réactionnaires contemporains ont trouvé comment tirer profit de la crainte des centristes autour de la « montée des extrêmes » et de la « polarisation ». L'obsession pour le dialogue et le juste milieu fait le jeu de a droite dure.

En mai 2023, plus de six ans après l'élection de Donald Trump en 2016 et deux ans après la tentative de renversement de l'élection présidentielle de 2020, CNN offrait une nouvelle tribune complaisante à Trump, principal représentant du néofascisme made in the USA, dans une soirée de type « town hall » qui a rapidement dérapé. Le lendemain, suite à l'avalanche de protestations venant du public, le journaliste vedette Anderson Cooper présentait des explications en ondes : « Vous avez tout à fait le droit d'être indigné, en colère, et de ne plus jamais regarder cette chaîne. Mais pensez-vous que rester dans votre silo et écouter uniquement les personnes avec qui vous êtes d'accord va faire disparaître cette personne ? »

Cette réplique offre un magnifique éclairage sur la part de responsabilité du centre dans la montée de la réaction et de l'extrême droite au sein des sociétés occidentales.

Malaise dans la civilisation centriste

Le centre politique croit avec une dévotion sans pareille que tout peut et doit être débattu. Bien qu'iels refusent de s'affilier sciemment à quelque courant politique que ce soit (hormis une loyauté à l'égard d'une forme quelque peu vague et statique de démocratie), plusieurs journalistes de médias dominants sont viscéralement attaché·es à cet idéal. Iels font de cette mission leur identité professionnelle : les médias représenteraient l'agora incontournable et indépassable des démocraties libérales. Toutes les opinions étant par défaut considérées comme recevables, il ne resterait qu'à les exposer pour que les citoyen·nes les évaluent et fassent leur choix.

Mais les temps sont durs pour le centrisme et son libre marché des idées. Depuis la crise financière de 2008, le récit néolibéral (qui accompagnait le régime économique du même nom en le présentant comme naturel, rationnel et indépassable), est dans une déroute que rien ne semble arrêter. Le centre, avec son pragmatisme, sa modération et son obsession pour la bonne entente et le statu quo, ne convainc plus.

Cet effondrement nourrit ce que le centre appelle la montée des extrêmes. À l'ère de la lente, mais pénible agonie du néolibéralisme, la polarisation est devenue la bête noire de la bonne société intellectuelle. La conversation démocratique se porte mal, déplore-t-on. Nous ne sommes plus capables de nous parler. En perte de vitesse, les centristes se voient confronté·es à des discours qui leur sont radicalement antagonistes, mais cela ne les incite pas à revoir leurs a priori, bien au contraire.

On préfère plutôt répéter une critique maintenant convenue – même si peu appuyée empiriquement – selon laquelle les médias sociaux enfermeraient les individus dans des chambres d'écho ou des bulles filtrantes (probablement ce à quoi faisait référence Anderson Cooper en parlant de « silos »). Il revient donc aux médias d'information sérieux et responsables de faire entendre toutes les voix, même celles qui ne font pas l'affaire des pauvres citoyen·nes aveuglé·es par leurs biais cognitifs. Une tâche ingrate, mais nécessaire en démocratie, nous explique-t-on d'un air grave.

Fausses équivalences

Ce discours omniprésent, d'une fantastique autocomplaisance, est aussi extrêmement pernicieux. Le terme de polarisation évoque un phénomène symétrique et invite à déduire que les extrêmes de notre époque s'équivalent. Entre les un·es qui veulent retirer des droits et remettre en question la dignité de personnes marginalisées, et les autres qui promeuvent ces droits et défendent leur propre humanité, on nous invite à trouver un juste milieu, un terrain d'entente.

Observons par exemple comment le journaliste radio-canadien Alexis De Lancer décrivait la manifestation anti-LGBTQ et sa contre-manifestation tenues à Ottawa en septembre dernier dans le cadre de mobilisations pancanadiennes : « j'ai assisté à un triste étalage de polarisation débridée, très caractéristique de notre époque. Si les uns étaient qualifiés de fascistes transphobes, les autres étaient étiquetés de pédophiles wokes. Entre les deux anathèmes, pas de place pour la nuance : l'essence même de la polarisation » [1].

Cette mise en miroir des extrêmes, qu'elle soit intentionnelle ou pas, est omniprésente. Elle est pourtant très problématique parce que ces extrêmes ne s'équivalent pas, et ce à plusieurs niveaux.

D'abord, sur le plan du pouvoir qu'elles parviennent à mobiliser : pendant qu'une gauche radicale pousse à l'annulation d'une conférence ou à la chute d'une statue, l'extrême droite obtient l'interdiction de livres dans des États entiers ou la révision du cursus scolaire pour qu'il convienne à leur idéologie. Ensuite, sur le plan des causes défendues : pendant qu'à gauche on cherche à faire reconnaître le racisme systémique ou à avoir un climat encore viable pour la vie humaine sur la planète, à droite on s'époumone sur le burkini d'une femme musulmane ou la lecture d'un conte par une drag queen. Enfin, sur le plan de la qualité des arguments avancés : régulièrement, des débats médiatiques opposent des chercheur·es ou spécialistes défendant des thèses progressistes à des idéologues réactionnaires dont la rhétorique tend vers le complotisme.

Des politicien·nes comme François Legault ont très bien saisi cet appel de la bonne société centriste à la modération et au débat raisonné. Suite aux manifestations anti-LGBTQ, notre premier ministre se présentait en « rempart contre les extrêmes » tout en précisant « comprendre » les « parents inquiets » [2]. Legault avait d'ailleurs fait le même coup dans le débat sur la Loi sur la laïcité adoptée en 2019, en répétant que cette loi était « modérée ». « Pour éviter les extrêmes, il faut en donner un peu à la majorité », expliquait-il, ajoutant que son gouvernement « délimite le terrain » parce qu'il y a « des gens un peu racistes » qui voudraient aller plus loin [3].

En résumé, la fascination centriste pour la polarisation et les extrêmes pose triplement problème. D'abord, elle contribue à rendre socialement acceptable une droite intolérante et haineuse. Ensuite, elle invite à considérer les mouvements de gauche radicale comme équivalents à cette intolérance et cette haine. Autrement dit, alors qu'on nous invite régulièrement à faire preuve d'empathie à l'égard des âmes désœuvrées qui dérivent vers l'extrême droite, on condamne avec beaucoup moins d'hésitations ce qu'on appelle parfois « une certaine gauche » qui sombrerait dans le radicalisme et l'intransigeance. Enfin, à travers tout cela, le centre invisibilise son propre rôle et son attachement idéologique à un statu quo libéral qui fait de moins en moins consensus. De fait, la réaction de centre tend elle aussi à se radicaliser, s'accrochant désespérément à des prémisses (« le système fonctionne ») et institutions (l'État, l'économie de marché, les médias dits traditionnels) qui s'écroulent sous le poids de leurs contradictions (inégalités galopantes, services publics en décrépitude, et j'en passe). C'est pourquoi on parle parfois d'extrême centre, un terme dont certain·es se réclament même ouvertement.


[1] « Quand la polarisation torpille le dialogue », Infolettre des Décrypteurs, 23 septembre 2023.

[2] Thomas Laberge, « Identité de genre : François Legault veut être un “ rempart contre les extrêmes ” », La Presse canadienne, 21 septembre 2023. Disponible en ligne.

[3] Sophie-Hélène Lebeuf, « Laicité : “ pour éviter les extrêmes, il faut en donner un peu à la majorité ” », Radio-Canada, 18 juin 2019. Disponible en ligne.

Illustration : Alex Fatta

POUR ALLER PLUS LOIN
Éric Fassin, « La culture de l'annulation dans les médias », Le Club de Mediapart, 11 novembre 2021. Disponible en ligne : https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/111121/la-culture-de-lannulation-dans-les-medias

De la diversité libérale à la réaction anti-antiraciste

7 septembre, par Philippe de Grosbois, Philippe Néméh-Nombré, Claire Ross — , , , ,
Un pilier majeur du projet réactionnaire contemporain est la dénonciation du mouvement antiraciste. Les « anti-antiracistes » s'inquiètent pour leur place dans un ordre « (…)

Un pilier majeur du projet réactionnaire contemporain est la dénonciation du mouvement antiraciste. Les « anti-antiracistes » s'inquiètent pour leur place dans un ordre « naturel » de plus en plus contesté. Tout cela alors même que le néolibéralisme fait d'une main des promesses creuses de représentation pour les minorités et procède de l'autre au saccage généralisé des conditions de vie. Propos recueillis par Philippe de Grosbois et Claire Ross.

À bâbord ! : Comment la réaction anti-antiraciste au Québec et au Canada a-t-elle émergé ? Quels en sont les points tournants ?

P. N.-N. : À mon avis, l'un des moments de cristallisation et de légitimation de ces discours au Québec, c'est 2007, avec la crise des accommodements raisonnables. C'est à ce moment-là que la société québécoise prend un virage quant à la question des minorités, qu'on intègre ce qui s'est produit dans le discours post-11-septembre et qu'on l'adapte aux programmes nationalistes locaux. Et on peut remercier l'Action démocratique du Québec (ADQ) : en janvier 2007, Mario Dumont publie une « lettre aux Québécois [1] » où il dit que nous sommes de culture chrétienne, que c'est ce qu'il faut défendre et que ça suffit les accusations de racisme quand on veut décider comment ça se passe chez nous. C'est majeur, parce qu'aux élections du printemps, l'ADQ passe de quatre à 41 sièges, notamment grâce à ce discours-là. Et au même moment où, dans la politique partisane, on commence à aller sur ces terrains-là, on voit naître des groupes comme la Fédération des Québécois de souche. On normalise la crainte des minorités et on voit apparaître des groupes qui portent ces idées-là avec radicalité.

Ensuite, quelque chose a aussi changé en 2020. À ce moment-là, on voit une tension créée par la récupération néolibérale du discours antiraciste et la visibilité que ça crée. C'est-à-dire qu'après l'assassinat de George Floyd, c'est devenu difficile pour plusieurs entreprises et institutions publiques de faire comme si le racisme, mais aussi l'antiracisme, n'existait pas. Elles nous ont donc assommé·es de déclarations « antiperformatives » en se déclarant antiracistes, mais sans que des changements structurels suivent. C'est une forme de démarche contre-insurrectionnelle, de pacification, qui fait en sorte de mater les discours plus radicaux. Et cette récupération crée une tension, parce que d'une part, on n'a pas les changements souhaités, mais d'autre part, on rend les minorités – raciales, culturelles et sexuelles – plus visibles et on les expose à une critique accrue. Cette tension réveille quelque chose chez beaucoup de gens qui cherchent à expliquer leurs propres malheurs, et à qui certaines élites économiques et politiques martèlent que le véritable responsable est l'élément étranger, exogène, plutôt que de mettre en cause le mode de production qui produit des inégalités.

ÀB ! : Quels sont les principaux points contre lesquels s'insurge cette forme de réaction ?

P. N.-N. : Il y a d'abord une réaction très forte à la représentation, à cette idée par exemple qu'il faut plus de minorités dans les conseils d'administration des grandes entreprises. Ça me fait rire, parce que c'est très loin de mes objectifs : je pense que ça peut apaiser ponctuellement certaines personnes, mais les changements matériels ne passent pas vraiment par la représentation.

Ensuite, la réaction s'attaque aussi à la production de savoir, en délégitimant ce qui se produit dans les universités et dans les savoirs militants. Ces forces-là doivent s'en prendre à ce qu'on appelle la science. Quand tu veux renforcer les divisions dans la société, il faut décrédibiliser l'autre. Pas par le contenu, mais par le lieu de production des savoirs qui tendent à dénoncer ces inégalités-là. D'ailleurs, c'est drôle de devoir défendre la science au nom de l'antiracisme : on avait fait un bon boulot à critiquer l'apparence d'objectivité, et puis là, on est pris à dire qu'au fond, il y a quand même de bonnes affaires qui se font dans les universités et dans le discours dit scientifique.

Enfin, il y a un repli sur les fonctions répressives de l'État. On parle beaucoup des frontières et de la police. C'est comme si tout à coup, il fallait de toute urgence revenir vers les bases qui permettent de maintenir de manière étanche les divisions dans la société.

ÀB ! : Est-ce que cette réaction, qui réagit à un pseudoantiracisme libéral et qui cherche des solutions imaginaires à d'autres problèmes réels, reste du racisme pur et simple ?

P. N.-N. : La réponse simple, c'est que oui, c'est raciste, non seulement par les sentiments virulents qui sont exprimés, mais aussi par les structures que ça renforce dans une société fondamentalement basée sur les divisions raciales. Mais aussi, cette rage d'identifier un coupable est directement liée à la dégradation des conditions matérielles d'existence. Ça ne sort pas de nulle part, ce besoin d'expliquer sa propre souffrance. C'est presque mathématique : si les promesses de la modernité ne sont pas remplies – et pire encore, on s'en éloigne – eh bien, il ne peut pas y avoir plus grande frustration collective pour beaucoup de gens. Donc oui, c'est tout à fait raciste, mais c'est entretenu par un besoin de comprendre comment la liberté qu'on pensait avoir de posséder, de jouir des bienfaits de la modernité, ne se réalise pas.

ÀB ! : Comment expliquer que les mouvements anti-antiracistes et d'autres mouvements, comme celui contre les droits des minorités sexuelles, ont tant en commun ?

P. N.-N. : Toutes ces choses-là, les questions de race, d'ethnicité, de religion, de diversité sexuelle, ce sont toutes des choses qui menacent le mensonge de la modernité, c'est-à-dire les promesses de l'humanisme pour certains, de la liberté pour certains et de l'accumulation pour certains, dans une organisation capitaliste, coloniale et hétéropatriarcale du monde. Quand des groupes sociaux montrent sur quelles exclusions, sur quelles violences cette société repose, c'est tout le projet qui est remis en cause. Donc à toutes ces voix-là qui prennent de l'ampleur, la réaction doit répondre par le même schéma.

La stratégie déployée est centrale au fascisme et au protofascisme – je n'ai aucune crainte à utiliser ces mots-là, parce que c'est ça que c'est, au fond –, c'est l'appel à la nature, à maintenir une pureté, une essence – au sens racial du terme, bien sûr, mais c'est la même chose qui anime l'opposition aux existences qui défient la prétendue nature binaire du sexe et du genre. C'est fondamental dans toute rhétorique fasciste, la nature au sens d'ordre naturel, d'immuable à protéger, d'unicité qui ne devrait pas être contaminée par des polluants. Et c'est impensable d'être contre la nature, donc quand on s'inscrit dans cette rhétorique-là, tout est permis.

ÀB ! : Que signifie cette montée de la réaction pour le mouvement antiraciste ? Quelles sont les voies de lutte ?

P. N.-N. : Jusqu'à tout récemment, les propositions ouvertement racistes n'étaient plus vraiment acceptables et notre cible, c'étaient précisément les discours libéraux post-racistes qu'il fallait déplier pour montrer que les mesures d'équité-diversité-inclusion, par exemple, ça ne changeait pas la société comme on veut la changer. Le backlash multiplie les fronts : ce n'est pas seulement contre le libéralisme qu'il faut se battre, mais aussi contre des impulsions qui n'ont aucune crainte à assumer des appels à une homogénéité raciale.

C'est peut-être choquant, mais je pense qu'il y a une utilité immense au backlash. C'est tragique de dire ça, mais le travail que le backlash accomplit est beaucoup plus efficace que celui qu'on pourrait faire nous-mêmes en essayant de convaincre les gens de la violence du système. Quand on voit le backlash, on constate de manière on ne peut plus claire la violence qu'est prêt à déployer un système pour se maintenir intact lorsqu'on essaie d'ébranler certains des piliers qui reproduisent les inégalités. Ça met en évidence des ruptures qui sont claires et donc ça devient de plus en plus difficile pour les gens qui étaient moins convaincus de ne pas comprendre où ils se situent dans ces tensions-là. Donc oui, ça complexifie les choses, mais ça les simplifie aussi dans une certaine mesure, parce que ça permet de vraiment savoir à quoi on fait face. Je ne souhaite à personne d'être l'objet de la violence raciste ou hétéropatriarcale, mais stratégiquement, on a tout intérêt à construire sur ces effets du backlash.


[1] « Une constitution québécoise pour encadrer les accommodements raisonnables », Lettre adéquiste, 17 janvier 2007. En ligne : www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier.aspx ?idf=8334

Philippe Néméh-Nombré est militant, sociologue et chercheur en études noires.

Illustration : Alex Fatta.

La gauche transphobe, fer de lance de l’extrême droite

Un des aspects les plus fascinants de l'extrême droite est sans doute la conscience qu'ont ses membres que leur idéologie est inacceptable. Dans les premières phases d'un (…)

Un des aspects les plus fascinants de l'extrême droite est sans doute la conscience qu'ont ses membres que leur idéologie est inacceptable. Dans les premières phases d'un backlash, il n'est pas rare de voir des gens se réclamer du groupe auquel illes s'opposent, avant de finalement déployer un discours de plus en plus transparent quant à leurs réelles intentions. C'est une stratégie qui permet non seulement de normaliser leur propos, mais aussi de placer les mouvements progressistes dans une posture défensive.

L'exemple le plus patent est sans doute la LGB Alliance, une organisation antitrans fondée en octobre 2019 par un groupe de vétérans du mouvement gai britannique. La branche canadienne de l'organisation s'est opposée en novembre 2020 à l'inclusion de l'identité de genre dans la loi interdisant les thérapies de conversion.

On retrouve aussi les diverses organisations TERF (trans exclusionary radical feminist, ou féministes radicales exclusives des femmes trans), qui ont une origine beaucoup plus ancienne, mais qui ont pris un tournant réactionnaire marqué dans les dernières années. Celles-ci sont passées d'une simple posture excluant les femmes trans des milieux féministes à une offensive généralisée contre la présence des femmes trans dans l'espace public de façon générale. Toutefois, même si leur approche est beaucoup plus militante qu'autrefois, leur appareil idéologique est resté presque inchangé depuis une cinquantaine d'années [1].

Mouvements LGB et TERF forment donc deux tendances en apparence progressistes, une récente et l'autre plus ancienne, qui convergent présentement sous l'égide d'un mouvement réactionnaire réunissant aussi l'extrême droite, des conservateurs et des fondamentalistes religieux.

Je souhaite m'attarder ici à ces mouvements internationaux pour comprendre les conditions qui ont favorisé leur émergence et leur présence en Amérique du Nord, en particulier au Québec et au Canada, ainsi que les possibles stratégies pour leur résister.

Les femmes de droite

Contrairement à ce que les épithètes données sur les réseaux sociaux peuvent laisser croire, l'idéologie TERF ne se limite pas à un vague féminisme qui résiste à « l'idéologie de genre » ni à des femmes cisgenres qui harcèlent des personnes trans en ligne. Il s'agit d'une pensée politique structurée, articulée dans la tradition du féminisme radical aux États-Unis et du féminisme matérialiste en France. Elle puise ses sources dans la pensée de Catharine MacKinnon, Adrienne Rich, Christine Delphy et Andrea Dworkin, par exemple [2].

Cette mouvance s'incarne en particulier dans le groupe Women's International Declaration (WID) – anciennement connu comme la Women's Human Rights Campaign – qui a un chapitre au Québec et qui collabore régulièrement avec une autre organisation TERF locale, Pour le droit des femmes Québec (PDF Québec) [3]. Là où WID se présente comme féministe radical, PDF Québec se dit plutôt féministe universaliste, mais cela semble avoir somme toute peu d'impact sur leurs politiques, puisque les deux organisations coordonnent souvent leurs opérations de relations publiques et trouvent leur auditoire auprès de la droite, notamment grâce au soutien de Richard Martineau et Sophie Durocher.

Ces organisations, au moins sur les questions trans, sont moins intéressées à faire avancer les intérêts des femmes cisgenres qu'à préserver la cohérence de la catégorie « femme » comme mesure de l'égalité de genre. Elles s'inquiètent bien davantage des menaces imaginaires posées par les femmes trans, qu'elles utilisent pour renforcer l'idée d'une expérience universelle de la féminité (fondée consciemment ou non sur la blancheur et l'hétérosexualité), qu'elles ne s'attardent aux violences réelles vécues par les femmes de chair et d'os. C'est d'ailleurs pourquoi leur action est somme toute limitée, se manifestant surtout dans la participation à une guerre culturelle sur les médias sociaux et à une occasionnelle intervention parlementaire pour réitérer leur position antitrans.

Les similarités entre les deux organisations s'arrêtent toutefois là, entre autres parce que PDF Québec poursuit un agenda beaucoup plus large qui inclut de limiter la liberté de religion des femmes musulmanes, d'augmenter la répression du travail du sexe et d'interdire la gestation pour autrui, notamment.

La « nouvelle homophobie »

Présenter la LGB Alliance comme un mouvement est plutôt excessif, puisque son influence est en général assez limitée, en particulier au Canada. Il y a toutefois derrière l'acronyme de cette frange en apparence marginale un puissant potentiel de déstabilisation du mouvement 2SLGBTQIA+.

Son discours se fonde sur deux axes principaux. D'une part, la « nouvelle homophobie », une notion alambiquée qui demande un investissement considérable d'attention pour en saisir les contours [4], accuse le mouvement trans d'alimenter une forme réinventée d'homophobie. D'autre part, l'Alliance LGB s'appuie sur la peur du backlash lui-même : son insistance à se mobiliser contre les personnes trans se base en grande partie sur la perception que les principales organisations de défense de droits ont abandonné les luttes pour l'égalité des minorités sexuelles au profit de l'avancement de la fameuse « idéologie de genre ». C'est cette supposée scission déjà existante du mouvement qui viendrait justifier le choix de l'Alliance non seulement de faire bande à part, mais de carrément tenir tête au mouvement LGBT.

La vieille homophobie

S'il y a bel et bien un fort backlash en cours contre l'ensemble des minorités sexuelles, c'est en raison de la brèche que les attaques contre les personnes trans ont ouverte. À la suite de l'élan initial de la vague TERF au Royaume-Uni, les mouvances conservatrices ont pris de plus en plus de place dans le débat, au point de remettre en question jusqu'à la présence de la diversité sexuelle dans le corpus scolaire.

C'est particulièrement le cas aux États-Unis, où les féministes radicales transexclusives sont, en fin de compte, restées profondément marginales et n'ont pas réussi le tour de force des Britanniques, qui ont fait de leur tendance la portion majoritaire du mouvement féministe institutionnel. Du côté américain, le mouvement des femmes conservatrices est encore fort des années Reagan où il a vu le jour et la droite ne dépend donc pas de la légitimité des féministes institutionnelles pour fonder son discours transphobe sur la défense des droits des femmes. À cela s'ajoute l'influence du mouvement autonome des femmes noires, qui se méfie beaucoup plus de celles qui se définissent comme des « féministes à la Susan B. Anthony », en référence à cette suffragette américaine qui s'était opposée au droit de vote des Noirs.

Il en résulte donc une attaque coordonnée sur les droits trans et les droits LGB de la part de la droite religieuse, très influente et efficace politiquement, notamment en Floride et dans les États républicains du Sud. La LGB Alliance recense régulièrement ces attaques sur son site Web, mais les impute à « l'idéologie de genre » plutôt qu'à la droite qui les mène.

Ce genre de désolidarisation ne devrait pas surprendre quiconque s'intéresse minimalement à l'histoire du mouvement gai en Amérique du Nord. Il a été fréquent de voir les franges les plus acceptables du mouvement condamner les déviances affichées qui menaçaient leur crédibilité au regard des institutions hétéropatriarcales. L'exemple le plus choquant est sans doute l'expulsion de la militante trans Sylvia Rivera de la New York Pride en 1973, soit quatre ans après les émeutes de Stonewall auxquelles elle avait participé. Mais on peut aussi voir des exemples autour de la crise du SIDA, ou plus récemment chez Jasmin Roy et Laurent McCutcheon, alors porte-paroles pour d'importantes organisations gaies québécoises, qui s'étaient prononcés contre l'inclusion de « queer » à la fin de l'acronyme LGBT pendant les célébrations de Fierté 2016.

Résister à l'appel de la guerre culturelle

Devant cette surprenante convergence d'intérêts entre des militant·es gai·es, des féministes et l'extrême droite, il est impératif de construire promptement une riposte pour non seulement éviter un recul de nos droits, mais également empêcher l'enracinement politique de cette étrange coalition. À mon avis, il y a deux grandes stratégies qui peuvent être déployées efficacement et à court terme. L'une est rhétorique, l'autre est politique.

Changer de cassette

Ces courants progressistes-réactionnaires se popularisent aussi rapidement parce qu'ils émergent souvent à l'écart du public général, sur des plateformes relativement obscures comme Mumsnet, un forum d'entraide pour les mères, ou 4Chan dans le cas des mouvements incels ou suprémacistes blancs.

C'est donc rapidement la caractérisation plus ou moins fantasmée de « l'idéologie de genre » développée dans ces chambres d'écho qui se trouve diffusée dans l'espace public, plutôt que l'approche du genre réellement préconisée par les organisations 2SLGBTQIA+. Ainsi, alors qu'on enseigne la simple idée que le sexe, le genre et la sexualité puissent être conceptuellement distincts, on fait face à des accusations de : 1) renforcer les normes de genre (en réduisant les femmes à des stéréotypes auxquels il suffirait de se conformer pour se considérer comme telle) ; 2) endoctriner les enfants dans l'hétérosexualité en les convaincant de transitionner plutôt que d'être homosexuel·les ; 3) faire taire les filles victimes des inévitables abus sexuels commis par les garçons inclus dans les espaces féminins ; et, de façon générale, 4) faire vivre les personnes cisgenres dans la peur de se faire qualifier de transphobes si elles désapprouvent une personne trans ou leur inclusion sans condition.

Et on ne parle même pas des attaques de la droite chrétienne ou musulmane.

Devant l'effort que demande de corriger ces représentations caricaturales, il est à mon avis souhaitable de recentrer le débat vers des enjeux d'égalité, de justice et de respect de la personne. Si nous laissons de côté les considérations identitaires et théoriques pour aborder les disparités en termes de violence et d'inégalités économiques par exemple, nous révélons l'étendue des injustices que nous vivons au quotidien.

Cela ne donne pas grand-chose de répéter ad nauseam que les femmes trans sont des femmes. Le fait que les femmes trans soient, cela devrait suffire à nous conférer le droit à l'égalité et la dignité.

Changer d'angle

Sur le plan politique, il est donc nécessaire de changer d'approche, et même de revoir certaines priorités actuelles du mouvement 2SLGBTQIA+.

La question des jeunes pose un problème unique en ce sens, puisqu'il est impératif d'éviter que ceuzes-ci soient abandonné·es à la violence des institutions comme la famille ou l'école. Pour leur éviter le pire, il vaudrait mieux à mon avis résister à la tentation de défendre à tout prix l'enseignement de l'approche identitaire du genre telle qu'elle est présentement préconisée – avec son emphase sur les normes de genre et le ressenti individuel – et plutôt s'assurer de maintenir une présence communautaire dans ces institutions (par des programmes de pair·es-aidant·es, des ressources en hébergement et en santé mentale, de l'aide mutuelle, etc.). L'éducation du public cishétéro peut certainement être utile pour limiter l'exclusion et la violence, mais ça ne peut demeurer la seule approche. Il y a un·e jeune trans sur quatre dont un membre de la famille a arrêté de lui parler ; dans les ménages à faible revenu, un·e sur dix a été mis·e à la porte en raison de son identité [5]. Ces réseaux de supports fragilisés prédisposent à plus de violence et forgent les inégalités que nous constatons sur le plan des revenus et du logement, par exemple. L'investissement excessif dans la stratégie éducative a donné une visibilité disproportionnée aux membres de nos communautés sans apporter une véritable amélioration de nos conditions matérielles d'existence. Plus encore, c'est cette visibilité qui nous expose à des violences à grande échelle de la part de groupes haineux et de l'État, et autorise les violences ordinaires au quotidien.

Nous ne pouvons évidemment pas remettre la pâte à dents dans le tube, mais il est encore temps de modifier notre stratégie pour plutôt nous concentrer sur l'amélioration de nos conditions matérielles d'existence à travers un véritable mouvement de libération. En quittant la stratégie de respectabilité héritée du mouvement assimilationniste post-SIDA pour plutôt nous concentrer sur la défense de notre dignité et la résilience de nos communautés, nous contournons les critiques qui fondent plusieurs mouvements réactionnaires, en plus d'améliorer immédiatement nos vies.

Je suis d'avis que ces deux stratégies combinées permettraient de contrecarrer ces mouvements réactionnaires à court terme, au moins dans un contexte local. Il faut résister à la tentation de les combattre avec leurs propres moyens, puisque nous ne gagnerons pas la guerre culturelle, d'une part, et que nous risquerions d'effriter les solidarités intracommunautaires, d'autre part.

Il est grand temps de quitter l'abstraction réconfortante de la théorie et de faire face à la réalité.


[1] Parmi leurs conceptions fondamentales, il y a l'idée que le corps des femmes trans ne leur appartient pas et qu'elles s'« approprient » plutôt l'idée même d'être femme, ce qui constitue ni plus ni moins un viol symbolique. Voir Janice Raymond, The Transsexual Empire, Beacon Press, 1979.

[2] Toutes ces figures féministes entretiennent une relation ambiguë quant aux femmes trans – ou au travail du sexe – sans être ouvertement transphobes, [[certaines ayant pris des postures inclusives plus récemment.

[3] Pour un portrait complet de cette organisation, voir Valérie Beauchamp, « Pour les droits de quelles femmes ? », À bâbord !, no 71, octobre-novembre 2017, p. 8-9. Disponible en ligne.

[4] Les arguments de l'organisation à ce propos sont confus et parfois contradictoires, oscillant entre, d'un côté, ce qui semble être une réponse à des accusations portées contre des personnes homosexuelles par des personnes trans en ligne (« avoir une préférence génitale est transphobe », par exemple) et, de l'autre, une représentation de la transition comme une réponse à une homophobie internalisée, comme une stratégie visant à se conformer à l'hétérosexualité plutôt que d'accepter son homosexualité (l'existence de personnes trans lesbiennes, gaies ou bisexuelles est simplement ignorée pour servir l'argument).

[5] Pour les jeunes de 14 à 24 ans, selon l'étude Trans Pulse Canada. Trans PULSE Canada. Santé et bien-être chez les jeunes trans et non binaires. 26 juin 2021. En ligne : https://transpulsecanada.ca/fr/results/rapport-sante-et-bien-etre-chez-les-jeunes-trans-et-non-binaires/

Judith Lefebvre est zinester et militante transféministe.

Illustration : Alex Fatta.

Les nouvelles tribunes du masculinisme

Différents mouvements réactionnaires que nous pensions possiblement éteints, ou du moins affaiblis, reviennent au goût du jour. Il faut se méfier des activités en ligne qui (…)

Différents mouvements réactionnaires que nous pensions possiblement éteints, ou du moins affaiblis, reviennent au goût du jour. Il faut se méfier des activités en ligne qui donnent un nouveau souffle à des courants idéologiques réactionnaires comme le masculinisme.

Selon Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l'UQAM, il n'existe pas de consensus quant à la définition de masculinisme. Deux interprétations sont couramment utilisées : celle reliée au mouvement de défense des droits des hommes et celle employée pour parler d'un courant antiféministe qui serait le résultat d'une guerre ouverte contre les hommes. Dans ce second cas, les idées masculinistes condamnent la domination que les femmes auraient réussi à créer sur la société grâce au féminisme.

Aujourd'hui, c'est en ligne que se manifeste toute la diversité de cette idéologie. Le Web et les réseaux sociaux pullulent d'influenceurs masculinistes pour qui les femmes sont des objets purement sexuels et utilitaires.

Par exemple, l'une des revendications classiques que l'on retrouve dans ce mouvement masculiniste est le retour aux valeurs traditionnelles quant aux rôles homme/femme. Citons brièvement la sous-culture des « tradwives » (traditional wives), réaction opposée au féminisme qui prône le retour de la femme au foyer avec une soumission totale au mari. Cette mouvance se développe depuis quelques années sur les réseaux sociaux, où on retrouve des influenceuses exposant comment l'obéissance au mari est la clé d'un mariage heureux.

Pour les antiféministes numériques, les femmes sont des manipulatrices qui ont profité du mouvement féministe pour se détourner des valeurs traditionnelles et dominer les hommes – alors que chacun·e sait que la nature veut l'inverse. L'influenceur Andrew Tate, misogyne auto-proclamé, multiplie les publications pour propager sa croyance selon laquelle les femmes sont la propriété des hommes. Sa constante autopromotion en ligne concernant ses succès financiers et sexuels en a fait une sorte de modèle pour hommes en recherche d'identité. Il a été arrêté le 29 décembre 2023 pour traite d'êtres humains, viol et participation à un groupe criminel organisé voué à l'exploitation sexuelle.

Le phénomène des incels est un autre exemple marquant de phénomène masculiniste. Les « célibataires involontaires » (involuntary celibates) sont le plus souvent des jeunes hommes hétérosexuels incapables de se trouver une partenaire sexuelle. Cette culture misogyne est nourrie sur des forums en ligne où les hommes se plaignent que le jeu de la séduction a été détruit par le féminisme et la technologie. Selon eux, les applications de rencontre ont facilité l'accès des femmes à un plus grand nombre de partenaires sexuels, favorisant ainsi les hommes physiquement attirants au détriment des hommes considérés plutôt moyens sur ce plan. Les incels nourrissent ainsi un grand sentiment de rancœur envers les femmes, qui entraîne des réactions misogynes, tant en ligne que dans la vie réelle. Ils se sont malheureusement fait connaître du grand public lors d'attaques armées perpétrées par quelques-uns d'entre eux. Citons le cas tristement connu de l'attaque au camion-bélier à Toronto en 2018, qui a fait 11 mort·es (dont au moins huit femmes) et 15 blessé·es. Celle-ci a été planifiée par un célibataire involontaire avec pour objectif de poursuivre la rébellion des incels ; il s'était exprimé plusieurs fois en ligne sur le sujet. À la suite de son geste, il a été acclamé en héros par la communauté des incels.

Le Web et les réseaux sociaux agissent donc comme stratégie de visibilité pour un sentiment de frustration et une volonté de puissance. Les femmes qui rejettent leurs rôles traditionnels sont-elles vraiment la source de tous les maux, ou est-ce plutôt la recherche du buzz, la possibilité d'être célèbre en ligne et de se montrer à tout·es – que ce soit pour partager un mal-être masculin ou pour s'afficher en winner ? Les femmes seraient alors objets d'exploitation pour le sentiment de solitude et le besoin de reconnaissance des hommes. En exploitant la haine des femmes, certains d'entre eux ont atteint le statut de vedette et ont offert à d'autres un véhicule pour canaliser leur souffrance.

Illustration : Alex Fatta

Le sous-financement plonge le Manitoba dans le chaos des feux

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/09/Fires_Burn_in_Manitoba_Ontario_and_Minnesota_CIRA_2025-05-13-1024x576.png5 septembre, par Manitoba Committee
Cet été, le nord du Manitoba a été ravagé par les pires feux de forêt qu'il ait connus depuis plus de 30 ans. Des dizaines de milliers de personnes ont été contraintes (…)

Cet été, le nord du Manitoba a été ravagé par les pires feux de forêt qu'il ait connus depuis plus de 30 ans. Des dizaines de milliers de personnes ont été contraintes d'évacuer leurs communautés, tandis que les pompiers forestiers étaient dispersés dans un effort désespéré pour contenir les (…)

Raviver la solidarité internationale, une caravane à la fois

5 septembre, par Sabine Bahi
Sabine Bahi et Emmanuelle Roy, membres du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC) Nous publions l’article paru dans le journal Le Devoir vendredi le 5 septembre 2025, (…)

Sabine Bahi et Emmanuelle Roy, membres du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC) Nous publions l’article paru dans le journal Le Devoir vendredi le 5 septembre 2025, avec la permission des autrices, dont notre correspondante Sabine Bahi. Juillet 2025. Près d’une centaine de personnes (…)

Élections municipales 2025 : Un Devoir citoyen en latence, tout le long des deux rives du Saint-Laurent !

5 septembre, par Marc Simard
Élections municipales 2025 : Un Devoir citoyen en latence, tout le long des deux rives du Saint-Laurent! Je soumets cette analyse critique le plus positivement du monde, dans (…)

Élections municipales 2025 : Un Devoir citoyen en latence, tout le long des deux rives du Saint-Laurent! Je soumets cette analyse critique le plus positivement du monde, dans l’espoir d’être de quelque utilité pour la communauté et le bien-commun. Car il faudra bien reconstituer des communautés (…)

Le Géouïdire : la revue étudiante en géographie

4 septembre, par Marc Simard
Voilà déjà 20 ans que Le Géouïdire, la revue des étudiants et des étudiantes en géographie, ouvre ses pages à la publication d’articles en science et de récits de voyage! Le (…)

Voilà déjà 20 ans que Le Géouïdire, la revue des étudiants et des étudiantes en géographie, ouvre ses pages à la publication d’articles en science et de récits de voyage! Le premier numéro du Géouïdire a vu le jour en mars 2005 et le dix-neuvième en novembre 2019. Aucun numéro n’a été publié (…)

Ripostes : les voix du communautaire

En février 2025 voyait le jour Ripostes, une plateforme médiatique dédiée au milieu de l'action communautaire autonome québécois. À bâbord ! est allé à la rencontre de l'une de (…)

En février 2025 voyait le jour Ripostes, une plateforme médiatique dédiée au milieu de l'action communautaire autonome québécois. À bâbord ! est allé à la rencontre de l'une de ses instigatrices. Propos recueillis par Samuel Raymond.

À bâbord ! : Qu'est-ce que Ripostes ?

Patrizia Vinci : Ripostes est une médiathèque dédiée à l'action communautaire autonome (ACA) qui a pour objectif de documenter l'histoire, les pratiques et les enjeux qui sont propres au communautaire. Elle a comme mandat de rendre visible l'importance de ce mouvement unique pour la société québécoise. La question de la documentation est cruciale parce qu'il y a un enjeu de transmission. On vise la relève du mouvement et les groupes alliés tels que les milieux universitaires, syndicaux et la population en général. On espère aussi que les vidéos deviennent des outils pour susciter des discussions, que ce soit pour réfléchir sur les pratiques et les enjeux d'aujourd'hui, et où on s'en va collectivement. L'objectif final est de renforcer l'action communautaire autonome dans son ensemble.

C'est un travail qui se fait par, pour et avec les groupes communautaires, à la fois pour la sélection des sujets et pour le travail de terrain. On porte d'ailleurs une attention particulière à représenter la diversité de l'ACA, notamment géographique.

ÀB ! : D'où vient l'idée du projet ?

PV : L'organisme PAIR [1] a développé le projet en 2020. Il voulait alors documenter l'impact de la pandémie sur les groupes et les populations desservies. De plus, il souhaitait rendre compte de cette capacité du milieu communautaire d'être proche du terrain, de réagir vite et de répondre aux besoins de la population.

PAIR a porté l'initiative au début et est venu chercher le CFP ensuite. Nous sommes complémentaires dans nos expertises. PAIR maîtrise l'aspect technique et les communications, alors que le CFP apporte son ancrage dans le milieu communautaire. Ensemble, nous avons élaboré un plan sur cinq ans dont la première année vient de passer.

Aujourd'hui, Ripostes est dans une situation différente que lors de la pandémie. On est dans un contexte historique de grand effritement de la démocratie, de montée de la droite accompagnée d'enjeux sociopolitiques multiples. Ripostes se positionne donc dans une vision de long terme pour être capable de répliquer et de devenir un instrument de résistance pour l'action communautaire autonome.

ÀB ! : Quelles sont les stratégies de diffusion de la médiathèque ?

PV : On veut faire connaître Ripostes et diffuser les vidéos par des activités de réflexions coordonnées par le CFP. Dans le cadre de notre stratégie de diffusion, on compte aussi sur les groupes communautaires pour qu'ils participent à la diffusion de Ripostes sur leurs propres plateformes auprès de leurs membres. Le but est que les vidéos soient utilisées pour animer des espaces de réflexions critiques et renforcer l'ACA. Actuellement, nous mobilisons le milieu universitaire pour alimenter la relève. Plus globalement, on vise les futur·es travailleur·euses, les membres de conseil d'administration ou encore les bailleurs de fonds.

ÀB ! : Pourquoi est-ce important de parler du communautaire de la manière dont Ripostes le fait ?

Déjà, pour créer ce carrefour de production et de documentation de l'ACA. Puis, on voulait un site avec une esthétique qui correspond aux goûts d'aujourd'hui, qui soit facile d'accès et qui rassemble des productions originales. Ripostes ne propose pas seulement des vidéos, mais met aussi à disposition ce que l'ACA a produit pour documenter son histoire.

Il y a aussi la question du long terme. C'est un privilège de développer une vision sur plusieurs années afin de sélectionner ce qui doit être documenté aujourd'hui et demain sur l'ACA tout en y faisant participer ses membres. Il faut se réapproprier le narratif de l'ACA. Le mouvement communautaire est souvent malmené, sous-estimé par les médias grand public. Ripostes, c'est nos voix, comment on se raconte, ce qui est important pour nous. C'est penser l'ACA avec le langage et le narratif qui lui appartient.

Comme je l'ai évoqué plus tôt, on est dans un moment charnière dans tous les milieux de travail. Ce qu'on constate sur le terrain, c'est le besoin de voir comment on transmet l'existence de l'ACA. La vidéo est l'outil d'aujourd'hui pour la relève. Si on veut continuer à exister, on doit se transformer.

ÀB ! : Quels sont les sujets abordés et comment sont-ils sélectionnés ?

PV : On souhaite développer trois séries thématiques par année. Pour notre première année, on a commencé par les bases de l'ACA. On a donc débuté les séries de vidéos avec les sujets de la transformation sociale, de la participation citoyenne et de l'autonomie. Ces trois éléments sont en soi une prise de position. C'est mettre de l'avant ce regard critique de la société et cette volonté de transformation politique afin de renforcer l'ADN de l'ACA.

Après, il y a beaucoup d'échanges avec les groupes qui nourrissent les contenus qui se construisent. Ces derniers sont divisés en quatre rubriques : l'histoire, les luttes, les pratiques et les défis. Dans le travail de sélection des sujets, on réfléchit à ce qui sera pertinent pour soutenir les réflexions et ce qui sera à documenter pour la postérité. Il est possible de communiquer avec nous à partir du courriel info pour proposer des sujets. C'est toujours intéressant pour élargir les enjeux. Nous avons aussi une réflexion en cours concernant les moyens d'intégrer de nouvelles personnes dans les équipes de travail des groupes communautaires : « Qu'est-ce que je dois leur montrer pour qu'iels comprennent qui nous sommes ? ». On réfléchit donc à des formats plus courts qui présenteraient les éléments essentiels pour des trousses d'accueil.

Finalement, on vise à aller chercher des choses dont on parle moins et à les vulgariser. On n'a pas la prétention de couvrir toute la complexité de l'ACA. D'ailleurs, on peut aussi interroger les publics lors d'activités pour savoir quels éléments manquent. Qu'est-ce qui n'a pas été documenté ? Qu'est-ce qui aurait été important pour vous ?

ÀB ! : Que souhaite-t-on pour la suite de Ripostes ?

PV : On se souhaite des vidéos qui vont vivre grâce à une diffusion large. On espère que les groupes vont se les approprier, comme les groupes qui ont participé au tournage se sont approprié la production des contenus.

De plus, on va réaliser une tournée du Québec. Elle a d'ailleurs déjà commencé en Outaouais. Les vidéos seront présentées dans les prochains mois. Il y aura par exemple une présentation à l'École d'été citoyenne de l'Outaouais, où ils vont aborder l'enjeu du logement. La vidéo s'intéresse à l'historique des mobilisations contre les expropriations de la fin des années 1960. Le tournage s'est développé avec un des leaders communautaires de l'époque, et un cercle de parole de militant·es exproprié·es. Nous y trouvons aussi des personnes qui se sont mobilisées plus récemment en 2023. Notre prochain arrêt est le Bas-Saint-Laurent.

Et puis, les vidéos sont déjà diffusées dans le milieu universitaire pour participer à la formation des étudiant·es en travail social, en éducation aux adultes, ou en science politique. Ce sont des outils pour illustrer les explications des professeur·es à propos de l'action collective, du développement des communautés et de l'éducation populaire. Prochainement, on va créer des ponts de communication avec les syndicats, car il ne faut pas sous-estimer l'importance de rejoindre les allié·es en dehors de l'ACA si on veut créer davantage de solidarités. L'expression de la solidarité se retrouve aussi dans les liens qui peuvent se tisser entre les groupes de l'ACA eux-mêmes. Notre prochain tournage dans le Bas-Saint-Laurent va d'ailleurs aborder les défis de la mobilisation dans les milieux ruraux. On souhaite que les groupes locaux s'en inspirent et utilisent ces outils dans leurs propres milieux.


[1] P.A.I.R. (Pair) est une entreprise qui a pour mission d'accompagner les organismes issus du milieu communautaire et coopératif, ainsi que les fondations caritatives, aux prises avec des défis de gestion et/ou de communication.

Patrizia Vinci est organisatrice et mobilisatrice en mouvement communautaire au Centre de formation populaire (CFP) et responsable de la mobilisation et de la programmation Ripostes. Le CFP est un organisme communautaire autonome de formation, qui aide les organismes volontaires, partout au Québec, à renforcer leur vie associative et démocratique.

Photo : Lancement de Ripostes. Crédit : Centre de formation populaire

Visitez Ripostes sur son site web et suivez les sur leurs différents réseaux sociaux. Voir https://ripostes.media

Prendre position : l’engagement médiatique de gauche au Québec

3 septembre, par Marc Simard
En novembre 2022 se tenait la première édition du Rendez-vous des médias critiques de gauche1. Les artisans et les artisanes d’une vingtaine de publications se sont rencontrés (…)

En novembre 2022 se tenait la première édition du Rendez-vous des médias critiques de gauche1. Les artisans et les artisanes d’une vingtaine de publications se sont rencontrés pour discuter des défis auxquels font face les médias engagés de gauche au Québec. De cet événement est né le (…)

Gaza, le nouveau camp de concentration

Dans toute analyse politique, surtout s'il s'agit d'un sujet brûlant, poser adéquatement les termes du problème constitue la tâche préliminaire indispensable, même si cela peut (…)

Dans toute analyse politique, surtout s'il s'agit d'un sujet brûlant, poser adéquatement les termes du problème constitue la tâche préliminaire indispensable, même si cela peut heurter un certain fanatisme et bien des intérêts. C'est le cas pour l'interminable guerre qui oppose l'État hébreu et la nation palestinienne.

Il faut donc commencer par définir convenablement les caractéristiques de la situation, sinon on la complique et on rend la solution plus difficile à trouver et à appliquer. Pour dénouer des noeuds durs, il faut éviter d'en nouer d'autres.
Le premier ministre canadien Mark Carney fait un peu les deux. Avec la Grande-Bretagne et la France, il propose la reconnaissance d'un État palestinien à condition que les otages détenus par le Hamas soient libérés, que cette organisation soit tout à fait démilitarisée, qu'on tienne en Palestine un scrutin libre dès l'an prochain et que le Hamas ne puisse y participer. De plus, certains commentateurs utilisent aussi le terme de pogrom pour désigner l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023 contre des citoyens palestiniens.

Pour voir clair dans tout ça, il importe d'abord de déboulonner certaines idées reçues.

Tout d'abord, peut-on considérer l'offensive du Hamas d'octobre 2023 comme un « pogrom » ? Ce terme renvoie aux violences commises par une partie de la population de certains pays européens contre des communautés juives de 1881 à 1921 , souvent tolérées, voire encouragées par le pouvoir en place. Avec le temps, la notion de pogrom s'est étendue plus largement et de manière plus générale aux violences perpétrées par une partie de la population contre une communauté ethnique, religieuse, ou d'origine différente de la population majoritaire.

En attaquant Israël le 7 octobre 2023, le Hamas voulait sans doute relancer la question palestinienne sur la scène internationale et forcer un débat là-dessus. Il ne s'en prenait pas à une minorité ethnique ou religieuse persécutée, mais à certains ressortissants de la plus grande puissance militaire du Proche-Orient, responsable, entre autres malheurs qui frappent la population palestinienne, du marasme qui affligeait Gaza (et dont la situation n'a fait qu'empirer depuis). Les Juifs n'étaient pas visés comme tels mais comme les citoyens de cet État ; les victimes, certes, étaient des civils (tout comme les otages, d'ailleurs). Il faut toutefois se rappeler que depuis des décennies, les autorités israéliennes infligent des « opérations coup de poing » souvent très meurtrières par voie aérienne aux Palestiniens en exil (dans les camps de réfugiés du Liban en particulier) et que ceux de Cisjordanie subissent une très dure répression dès qu'ils se mettent à résister à la colonisation juive.

Qualifier cette offensive relève donc du sophisme, qui est l'erreur sous le manteau de la vérité. Cela ne signifie pas bien sûr qu'on doive approuver cette attaque-surprise, mais en parler comme d'un pogrom relève d'une malhonnêteté intellectuelle cynique, car elle utilise sans vergogne la mémoire des victimes de l'Holocauste à des fins politiques contemporaines, dans un tout autre contexte que celui de l'Europe du temps de Hitler.

Ensuite se pose toute la question de la composition de la délégation palestinienne lors de futurs pourparlers (qui devront bien advenir un jour). Il existe une vérité fondamentale en la matière : on ne choisit pas ses interlocuteurs, il faut s'en accommoder. Les Palestiniens doivent se faire reconnaître le droit de choisir eux-mêmes les gens qui les représenteront lors des négociations et non se les faire imposer par les alliés indéfectibles d'Israël. Dans cette optique, il faut arrêter de dénigrer le Hamas puisqu'il s'agit d'un joueur incontournable de la scène politique palestinienne. Ses militants et dirigeants sont des fanatiques anti-israéliens ? Oui, mais s'ils reçoivent un soutien populaire important et persistant, c'est avant tout en raison de l'intransigeance de la plupart des classes politiques occidentales à l'idéal d'une Palestine libre et de leur appui indéfectible à Israël ; ce sont deux fanatismes qui se répondent l'un l'autre ; que l'un soit en complet-cravate ne le rend pas plus respectable... le désabusement populaire à l'égard de l'Autorité palestinienne, discréditée en raison de son incompétence, de son népotisme et surtout de sa collaboration avec le gouvernement israélien joue aussi un rôle important dans l'influence dont bénéficie le Hamas auprès de la population gazaouie, et palestinienne en général.

Le Hamas n'est pas un bloc monolithique sur le plan idéologique. Différents courants idéologiques et politiques coexistent tant bien que mal en son sein. L'admettre à la table des négociations donnerait une chance aux modérés et aux réalistes de l'organisation de s'imposer et peut-être de marginaliser les radicaux. L'expérience vaut en tout cas d'être tentée. Essayer d'imposer aux Palestiniens une délégation de complaisance peu représentative constituerait non seulement une insulte à leur endroit et une injustice, mais conduirait nécessairement les négociations à l'impasse avec les dangers de rupture et de dérapage qui en découleraient.

Le principal problème est toujours le même : tenter d'imposer une paix à rabais aux Palestiniens par l'intermédiaire de pourparlers truqués et de représentants palestiniens plus ou moins capitulards. Le meilleur moyen d'implanter une démocratie palestinienne durable ne consiste pas, comme le beuglent les sionistes, à soutenir la soi-disant culture démocratique israélienne par contraste à celle, présumément autoritaire, des Palestiniens ; selon eux, à ce titre, Israël mériterait l'appui inconditionnel de l'Occident, « la seule civilisation qui vaille », selon une formule teintée de racisme que l'on entend parfois. Les alliés de l'État hébreu appuient en fait bien plus son nationalisme que sa supposée « démocratie ». Il faut reconnaître sans ambiguïté le droit à l'autodétermination de la nation palestinienne et exercer les pressions nécessaires sur Tel-Aviv pour qu'il devienne enfin réalité. Sinon, le conflit israélo-palestinien ne sera pas près de s'éteindre. À qui la faute ?

Jean-François Delisle

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Le potentiel est là mais la coordination tarde à venir

2 septembre, par Roger Rashi — ,
La Journée « Contrecarrer l'extrême droite » tenue à Montréal le samedi 23 août dernier par une belle journée d'été alors que les vacances battaient leur plein a été une (…)

La Journée « Contrecarrer l'extrême droite » tenue à Montréal le samedi 23 août dernier par une belle journée d'été alors que les vacances battaient leur plein a été une réussite sur le plan de la mobilisation avec près de 450 participants. Cependant, au niveau de la coordination sur le terrain, afin de réellement contrecarrer la montée de la droite, tout reste à faire même si cela était l'un des objectifs principaux de l'évènement.

La journée a été fort occupée avec 26 ateliers et conférences tenues pour la plupart au Centre Saint-Pierre et dans les parcs environnants. Multiples thèmes étaient à l'ordre du jour tels que la lutte contre l'islamophobie, comment confronter le sionisme et mobiliser contre le génocide à Gaza, l'importance de la prise de parole des personnes racisées et autochtones, ainsi que les mobilisations pour la justice climatique et la désobéissance civile. Le moment-clé de la journée devait être, sans l'ombre d'un doute, l'assemblée de concertation des mouvements contre l'extrême droite. Or, c'est là que certaines décisions des organisateurs nous ont laissés dans le doute.

À la surprise générale, cette assemblée de concertation des mouvements sociaux, au lieu d'être mise en fin d'évènement afin d'assurer une pleine participation a été mise en concurrence avec quatre autres ateliers dont un, fort important, sur le génocide à Gaza organisé par le Mouvement de la jeunesse palestinienne. En outre, l'annonce de la tenue de l'assemblée n'est apparue qu'une quinzaine de jours avant l'évènement alors que le programme initial était déjà en circulation depuis la mi-juillet. Le résultat fut une publicisation relativement tardive de l'assemblée avec un impact négatif sur la mobilisation.

Malgré tout, près de 200 personnes ont pris part à cette assemblée de concertation et une impressionnante panoplie de luttes et de mobilisations contre la droite et l'extrême droite ont été partagées avec le public. Ce fut le point le plus positif de toute la journée démontrant l'impressionnant potentiel de mobilisation de ces luttes au Québec. Par contre, la question névralgique portant sur « de quoi avons-nous besoin pour mieux lutter contre la droite « a été peu traitée et n'a fait l'objet d'aucune proposition de la part des organisateurs, ne serait-ce que pour partir le débat. C'est une carence importante qui retarde la coordination contre le vent de droite alors que celui-ci gagne du terrain et surtout encourage les gouvernements, fédéral et provincial, et le patronat à multiplier les attaques contre les classes populaires et les populations vulnérables.

C'est à souhaiter que la promesse faite en fin d'assemblée de contacter les organisations et mouvements pour une prochaine rencontre soit concrétisée au plus vite avec un agenda portant directement sur la question cruciale : comment se coordonner sur le terrain afin de contrecarrer le vent de droite.

Comptes rendus de lecture du mardi 2 septembre 2025

2 septembre, par Bruno Marquis — , ,
Q comme Qomplot Wu Ming 1 Traduit de l'italien « Ce livre, comme on peut le lire en quatrième de couverture, commence comme une enquête sur QAnon, la nébuleuse (…)

Q comme Qomplot
Wu Ming 1
Traduit de l'italien

« Ce livre, comme on peut le lire en quatrième de couverture, commence comme une enquête sur QAnon, la nébuleuse conspirationniste qui a sévi sous Donald Trump et qui s'est cristallisée lors de la prise du Capitole, le 6 janvier 2021. En apnée dans l'univers du complotisme américain contemporain, l'auteur s'attèle à la tâche, vaste et urgente, d'assainir le fatras de confusionnisme qu'est devenu le monde. » Il s'agit, de l'avis de plusieurs, du bouquin qui fait le mieux le tour de la question, dans ses moindres détails et ses moindres nuances. Quelques paragraphes et un chapitre entier de cette version française traduite de l'italien n'ont pas été entièrement traduits, mais ça n'enlève toutefois rien à ce superbe livre dont j'ai grandement apprécié la lecture.

Extrait :

Des fautes, elle en avait commis, et comment : Obama et Clinton avaient poursuivi la « guerre sans fin » de Bush, seulement moins en fanfare et avec moins de rhétorique religieuse. Sur 407 attaques de drones effectuées par la CIA et le Pentagone jusqu'en 2016, 300 au moins avaient été menées alors que Clinton était secrétaire d'État. Selon le Bureau of Investigative Journalism, au milieu de l'année 2011, les attaques avaient déjà fait au moins 385 victimes civiles en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen, dont 160 enfants. Au moins, parce que, comme l'avait écrit l'ex-président Jimmy Carter dans le New York Times, « nous ne savons pas combien de centaines de civils innocents ont été tués dans ces attaques ». Au printemps 2011, Clinton avait même insisté pour bombarder la Libye avec les alliés de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), présentant l'entrée dans le conflit comme un échange de bons procédés, une faveur rendue au Royaume-Uni, à la France et à l'Italie pour leur participation à la guerre en Afghanistan. Ces courtoisies réciproques avaient précipité la Libye dans le chaos et la guerre civile permanente.

La justice en tant que projectile
Pierre Vadeboncoeur

J'écrivais une chronique dans le webzine Tolerance.ca lors du décès de Pierre Vaceboncoeur en 2010. Celle à son intention s'intitulait « Vadebonceur et moi » et commençait ainsi : « L'écrivain et syndicaliste Pierre Vadeboncoeur nous a quittés le mois dernier. C'était l'un de nos plus grands et de nos plus honnêtes intellectuels. Son influence sur plusieurs Québécois de sa génération et de la mienne a été immense. Il demeurera une référence, j'en suis sûr, dans notre combat pour la justice et la liberté. » Ce recueil, publié en 2002, regroupe des textes de Vadeboncoeur que je lisais à l'époque principalement dans les pages du Couac, de l'Action nationale et du Devoir.

Extrait :

Il faut bien constater que le monde actuel ne se trouve plus d'emblée sous l'autorité prédominante de vastes pouvoirs étatiques, mais plutôt, déjà, sous le gouvernement effectif de puissances privées qui ne répondent qu'à elles-mêmes, souveraines, de rien par le droit mais souveraines de tout par le fait.

L'Impromptu d'Outremont
Michel Tremblay

C'est un fait divers sur l'assassinat en 1984 de Denise Morelle (Dame Plume pour ceux de ma génération) qui m'a amené à lire cette pièce de théâtre. Michel Tremblay y avait écrit un rôle spécifiquement pour elle, celui d'Yvette Beaugrand, une bourgeoise qui rêve de devenir cantatrice. Quatre sœurs originaires d'Outremont se réunissent dans le salon de la maison familiale pour fêter l'anniversaire de Lucille, la plus jeune. La réunion provoque, comme d'habitude, divers affrontements. Elle leur rappelle toutes leurs vies décevantes au sein d'une bourgeoisie contraignante en déclin. Le passage aussi d'une culture artistique élitiste et maniérée à une culture davantage émancipatrice.

Extrait :

LORRAINE – Si viser plus haut pour toi signifie continuer à parler une langue écrite en te censurant au fur et à mesure, tu peux continuer à viser plus haut... de toute manière tu vas finir par manquer d'air ! L'air est rare sur les hauts sommets, ma sœur !
FERNANDE – Peut-être, mais on est moins de monde !

L'Affaire Cordélia Viau
Clément Fortin

Je me suis intéressé à ce livre après avoir revu le film « Cordélia » de Jean Beaudin tourné en 1980, film lui-même inspiré du roman de Pauline Cadieux, « La lampe dans la fenêtre ». Le livre et le film soutenaient la thèse de l'erreur judiciaire en prenant la défense des accusés. Plusieurs ont par la suite contesté cette version des faits. Ce fut entre autres le cas de Clément Fortin, un avocat à la retraite, qui nous détaille dans ce livre tous les événements, ce qu'il fait, hélas, de façon assez répétitive. L'affaire se déroule dans le village de Saint-Canut (qui fait maintenant partie de Mirabel) dans les années 1890. Cordélia Viau et Samuel Parslow, son amant présumé, accusés du meurtre du mari de Cordélia, Isidore Poirier, seront condamnés à la pendaison.

Extrait :

C'est dimanche soir. L'ennui ronge Isidore. De longues heures de travail l'écrasent chaque jour. Il cherche un divertissement. Il se plaint souvent de travailler très fort et d'avoir de la difficulté à joindre les deux bouts.

L’immigration menace-t-elle vraiment la laïcité au Québec ?

2 septembre, par Observatoire pour la justice migrante — , ,
25 août 2025 Cette capsule déconstruit le mythe selon lequel l'immigration représenterait un danger pour la laïcité. Elle s'appuie sur le débat actuel autour du Projet de loi (…)

25 août 2025

Cette capsule déconstruit le mythe selon lequel l'immigration représenterait un danger pour la laïcité. Elle s'appuie sur le débat actuel autour du Projet de loi 94 pour éclairer la différence entre laïcité de l'État et prosélytisme. On y aborde aussi des notions comme le féminationalisme, et on démontre comment l'instrumentalisation politique de la laïcité fragilise les droits des femmes, en particulier ceux des femmes musulmanes et im.migrantes.

À travers des clés d'analyse critique, elle aborde également des concepts tels que le féminationalisme et montre comment le détournement de la laïcité fragilise les droits des femmes, en particulier ceux des femmes musulmanes et im.migrantes.

Crédits
Réalisation : Ky Vy Leduc
Recherche et idéation : Amel Zaazaa et Sadjo Paquita
Scénarisation : Manal Drissi
Protagonistes : Kev Lambert, Louis-Philippe Lampron et Amel Zaazaa

Pour lire notre article sur le projet de loi 94, c'est par ici : https://observatoirepourlajusticemigr...

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À Gaza, c’est (aussi) la liberté de la presse que l’on assassine

2 septembre, par Collectif — , ,
Alors que 220 journalistes ont été tués dans l'enclave depuis le 7 octobre 2023, une quarantaine de sociétés de journalistes, dont celle de Mediapart, expriment dans une (…)

Alors que 220 journalistes ont été tués dans l'enclave depuis le 7 octobre 2023, une quarantaine de sociétés de journalistes, dont celle de Mediapart, expriment dans une tribune leur solidarité avec leurs confrères et consœurs palestiniens.

Tiré du blogue de l'auteur.

Au rythme où l'armée israélienne tue les journalistes dans la bande de Gaza, il n'y aura bientôt plus personne pour vous informer.

Nous, sociétés des journalistes, nous joignons à la mobilisation internationale initiée par Reporters sans frontières (RSF) et l'ONG Avaaz, en solidarité avec nos confrères et consœurs journalistes palestinien·nes de la bande de Gaza.

Le 25 août encore, cinq journalistes ont été tués par l'armée israélienne lors d'un double bombardement sur la zone de l'hôpital Nasser, à Khan Younès. Dans la nuit du 10 au 11 août, l'armée israélienne a tué six journalistes dans une frappe ciblée et revendiquée contre le correspondant de la chaîne Al Jazeera, Anas al-Sharif.

Au total, ce sont 220 journalistes qui ont été tué·es par l'armée israélienne depuis la terrible attaque du 7 octobre 2023, selon RSF. Bon nombre d'entre elles et eux l'ont été dans l'exercice de leur fonction.

Avec leur mort, c'est la liberté de la presse que l'on assassine et c'est la réalité des Palestinien·nes, vivant sous les bombardements et menacés par la famine, qui est réduite au silence. Ensemble, nous dénonçons avec la plus grande fermeté ces meurtres et ces assassinats commis par l'armée israélienne dans la bande de Gaza.

Nous dénonçons également les campagnes systématiques de décrédibilisation et de délégitimation du travail de nos confrères et consœurs gazaoui·es. Ces professionnel·les de l'information, qui risquent leur vie quotidiennement pour exercer leur métier dans des conditions extrêmes, méritent notre respect et notre soutien, non notre suspicion.

Nous, sociétés des journalistes, demandons à nos dirigeants de faire pression sur le gouvernement israélien afin de faire cesser les crimes de l'armée israélienne contre les journalistes palestinien·nes. À quelques jours de l'ouverture de la 80e Assemblée générale des Nations unies, il est urgent d'agir.

Nous demandons aux autorités israéliennes qu'elles permettent enfin un accès indépendant aux journalistes internationaux à la bande de Gaza, et ce sans la supervision ni le contrôle de l'armée israélienne. Nous le répétons : cette restriction constitue une entrave majeure au droit à l'information et à la liberté de la presse.

Nous demandons la reprise immédiate, par les autorités françaises, des évacuations de nos confrères et consœurs palestinien·nes qui le souhaitent, aujourd'hui menacé·es de mort, par la famine et par les bombardements.

Notre profession est attaquée. Notre devoir d'informer est bafoué. Notre solidarité avec nos confrères et consœurs palestinien·nes est totale.

Nous déplorons enfin le sort des millions de civils palestiniens, qui vivent sous la menace permanente des tirs de l'armée israélienne et de la faim depuis près de deux ans. Nous n'oublions pas le sort incertain des otages israéliens, captifs depuis le 7 octobre 2023.

Les sociétés des journalistes et de personnels de :

Agence France-Presse

Arrêt sur Images

Arte

BFM Business

BFMTV

Blast

Ça m'intéresse

Ça m'intéresse Histoire

Capital

Challenges

Courrier international

France 24

France 3 rédaction nationale

France Télévisions rédaction nationale

franceinfo numérique

franceinfo TV

Géo

La Tribune

LCI

Le Figaro

Les Échos

Le Monde

Le Nouvel Obs

Le Parisien

Le Point

L'Équipe

L'Express

L'Humanité

L'Informé

L'Usine nouvelle

Libération

Mediapart

M6

NRJ Group

Premières Lignes TV

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Radio France

Radio France Internationale

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Palestine : « Le degré de déshumanisation et d’invisibilisation est sidérant »

2 septembre, par Hicham Touili-Idrissi, Houda Asal, Monira Moon, Pauline Perrenot — , , , ,
Cet entretien avec Monira Moon, Hicham Touili-Idrissi et Houda Asal a initialement été publié dans le Médiacritiques n°53 (paru en février 2025). Tiré d'Acrimed. Monira (…)

Cet entretien avec Monira Moon, Hicham Touili-Idrissi et Houda Asal a initialement été publié dans le Médiacritiques n°53 (paru en février 2025).

Tiré d'Acrimed.

Monira Moon milite au sein de la campagne BDS (Boycott – Désinvestissement – Sanctions). Diplômé d'un master en droit international à Sciences Po Paris, Hicham Touili-Idrissi s'est engagé pendant les mobilisations étudiantes en 2023-2024 au sein du comité Palestine ; chercheur et artiste, il travaille aujourd'hui comme collaborateur parlementaire de la députée européenne Rima Hassan (LFI) [1]. Houda Asal est quant à elle sociohistorienne, spécialiste de l'immigration, des discriminations et de l'islamophobie.

Le premier temps de cette interview est dédié à l'information internationale ; le second, au traitement médiatique des mobilisations en soutien du peuple palestinien.

Acrimed : Il est difficile de revenir sur plus d'un an – et en réalité plusieurs décennies – de traitement médiatique de la situation en Israël/Palestine. Nous voulions toutefois commencer l'entretien en ayant votre regard, peut-être sur ce qui vous marque et révolte le plus en tant qu'observateur et observatrices des médias.

Monira : On a constaté un glissement progressif dans le traitement médiatique, qui s'est accéléré au moment du 7 octobre 2023. Auparavant, les grands médias symétrisaient beaucoup ce qui se joue en Israël/Palestine. On nous présentait l'histoire de deux entités qui se font face, à égalité. C'est un phénomène qui, déjà, effaçait l'occupation et l'apartheid. Je me souviens avoir lu cet article d'Acrimed qui parlait du « syndrome Tom et Jerry » pour caractériser cela, c'est-à-dire une couverture médiatique qui ne permettait pas du tout de comprendre l'origine du problème puisqu'elle représentait deux ennemis qui se poursuivent, sans raison, depuis toujours. Cette symétrisation était donc déjà très problématique, mais je crois que là, on n'est plus du tout là-dedans. On est dans un traitement médiatique qui prend fait et cause pour Israël, qui reproduit un discours colonial fondé sur la lecture d'une guerre de la « civilisation » contre la « barbarie ». À partir du 7 octobre, ça s'est fait de plus en plus ouvertement. Et c'est un phénomène qui sert un agenda raciste en France. Nous avons tout de même, dans ce pays, une extrême droite qui prend énormément d'ampleur, pas simplement au travers de la progression électorale des partis, mais également au travers des idées, qui se sont énormément déployées, partout, et qui s'assument. Et en fait, ça se répond. C'est-à-dire que la question palestinienne est aussi utilisée pour enfoncer le clou du racisme et de l'islamophobie qui s'expriment ici. Il faut comprendre, du coup, à quel point ça peut être extrêmement violent pour les personnes non-blanches, en France, d'assister à ce traitement aussi déshumanisant en sachant qu'au fond, on sait que c'est aussi de nous dont on parle. Quand on parle des Palestiniens comme de nuisibles, de gens qu'il faut éliminer, de gens qui sont tous des islamistes, etc., en fait, on parle de nous aussi symboliquement. C'est un enjeu qu'il faut vraiment saisir : se dire que oui, c'est notre affaire et oui, ça nous concerne, puisqu'on est visés par les mêmes logiques racistes même si évidemment, ça va de soi, on n'en est pas au point de subir ce que subissent les Palestiniens.

Hicham : Je partage ce que Monira vient de dire. En ce qui me concerne, j'aimerais insister sur deux choses parmi les multiples aspects du traitement médiatique qui m'auront marqué. La première, c'est que quand nous, en tant qu'étudiants et activistes, on souhaite parler de la Palestine, on nous répond souvent : « Mais les médias en parlent tout le temps, le sujet est omniprésent, etc. » Mais la réalité, c'est qu'on ne parle jamais de ce qui se passe vraiment. On parle énormément des débats que ça suscite en France, on essentialise en parlant des Juifs et des Arabes, mais de la Palestine, on n'en parle pas, ou alors trente secondes, pour nous donner brièvement le nombre de morts, après un reportage sur ce qui se passe en Israël. On a comme une omniprésence, dans la sphère médiatique, de ce qui se passe autour de la question palestinienne, mais de la question palestinienne, fondamentalement, on n'en parle jamais vraiment dans les médias très regardés. La deuxième chose qui m'a marqué, et c'était déjà le cas lors des précédentes offensives sur Gaza, c'est le traitement des bombardements et la façon dont le commentaire a largement déresponsabilisé l'armée et le gouvernement israéliens, notamment dans son utilisation calculée et illégale de doctrines militaires utilisant l'intelligence artificielle et faisant beaucoup trop de morts [2]. Un commentaire qui, dans le même temps, ne parle pas non plus des assassinats ciblés, des tirs de sniper, des personnes qui se prennent des balles dans la tête. Il y a des meurtres délibérés de Palestiniens, des journalistes, des docteurs, des soignants, des universitaires, etc. Si ce récit était donné, ça deviendrait plus compliqué de nous expliquer qu'Israël se défend en jetant des bombes qui créent des « dommages collatéraux ». Mais ce n'est jamais abordé dans les médias occidentaux.

Houda : Je voudrais renchérir sur le premier point évoqué par Hicham, la désinformation et l'invisibilisation de ce qui se passe vraiment. Le traitement de ce qui se déroule en Palestine depuis le 7 octobre est systématiquement en deçà de tout. Quand on regarde d'autres médias – et moi, c'est clair que je m'informe énormément ailleurs ou alors avec des médias alternatifs s'agissant du paysage français –, ce que je ressens et ce que n'importe quel observateur devrait ressentir, c'est d'être horrifiée par l'ampleur objective de ce qui se passe. Depuis plus d'un an, y a-t-il un crime de guerre qu'Israël n'a pas commis ? Chacun d'entre eux mériterait des reportages à part entière et des indignations internationales. Mais le degré de déshumanisation et d'invisibilisation est sidérant. Il y a des humanitaires internationaux qui rapportent des témoignages décrivant des enfants avec des balles dans la tête, dans le ventre, c'est-à-dire un ciblage, volontaire. Il y a beaucoup plus d'enfants tués que dans n'importe quel autre conflit, mais ces chiffres ne sont pas visibles, et au-delà du nombre de morts, quid des orphelins, des amputés, etc. Pour moi, c'est au-delà de l'imaginable. Je pense que dans cette guerre, dans ce génocide, l'ampleur, l'accumulation et la concentration des crimes sont vraiment inédites, mais la couverture médiatique ne reflète pas ces proportions. Et j'ai pris l'exemple des enfants uniquement. On pourrait aussi parler du ciblage des hôpitaux, des journalistes, des personnels humanitaires, et des tortures. En Israël, on torture massivement sans que ça provoque davantage de réactions ni d'enquêtes. J'ai l'impression qu'il y a une acceptation du fait que nous sommes entrés dans un monde où le droit international n'a plus de valeur ni de poids. Les grands médias participent de cette acceptation de la destruction du droit international et du droit humanitaire, de ces acquis qui n'étaient pas du tout parfaits, mais auxquels on essayait quand même de se raccrocher. Avec Gaza, tout ça s'envole sans que ça révolte comme ça le devrait. La question que je me pose, du coup, est la suivante : si on montrait réellement ce qui se passe, les ravages dans toute leur ampleur, sans désinformer, est-ce que la réaction des peuples serait réellement la même et les gouvernements pourraient-ils se permettre de continuer à être complices ?

Vous avez tous trois insisté sur la rareté de l'information. Hicham, tu citais ce que peuvent régulièrement faire valoir certains journalistes en disant : « Mais si, regardez, on en parle ». Si l'on s'en tient à un comptage strictement numérique, on trouvera en effet des sujets, ici et là, dans la presse comme dans l'audiovisuel. Mais c'est, en effet, un traitement au rabais. Ne pensez-vous pas qu'on le mesure d'autant plus quand on prend en compte son asymétrie totale avec l'engagement éditorial massif dont les grands médias ont fait preuve au moment du 7 octobre et dans les semaines qui ont suivi, que l'on pense en termes de surface et de hiérarchie éditoriales (nombre de Unes, éditions spéciales en continu, fils d'actualité permanents, etc.), de manifestations explicites de sentiments (empathie, compassion, horreur, colère, etc.) ou encore de prises de position politiques assumées de la part des rédactions ?

Monira : Je pense effectivement que ce traitement du 7 octobre a fixé beaucoup de choses. Pour moi, il y a à ce moment-là une grosse responsabilité des grands médias dans la fabrication du consentement au génocide, notamment à travers la reprise systématique du discours israélien, des communiqués de l'armée israélienne et de ses mensonges, comme à propos des 40 bébés décapités. Les journalistes savent très bien qu'on ne peut pas prendre la parole d'une armée pour argent comptant, ni la présenter comme forcément légitime. Et pourtant, ils le font. Les bébés décapités, c'est une fake news qui a été relayée par la quasi-totalité des médias, même par certains journaux indépendants de gauche. Je me rappelle très bien qu'au mois d'octobre, on se sentait donc vraiment seuls, sans le moindre média auquel se raccrocher puisque même des médias « de gauche » se sont situés dans cette fabrication du consentement, qui a permis à tout le monde d'accepter tranquillement qu'il y allait avoir une opération militaire dans Gaza, d'une ampleur qui avait été annoncée telle quelle ; repensons par exemple au ministre israélien de l'Énergie, Israël Katz, affirmant qu'il n'y aurait plus d'eau, plus d'électricité, plus de nourriture, etc. Il annonçait le chaos et ça n'a pas fait réagir outre-mesure. Ça, ça aura montré très clairement qu'il y a des vies qui valent la peine d'être pleurées, et d'autres non. Les plateaux télé ont montré que les vies israéliennes, ça compte, mais que les Palestiniens étaient soit des « dommages collatéraux », soit tués dans le cadre d'une lutte contre le terrorisme. Ce dernier terme a d'ailleurs constitué un véritable piège, puisque dans les batailles sémantiques des premières semaines, des intervenants se sont vu reprocher le fait de préférer parler de « crimes de guerre », un lexique qui renvoie pourtant au droit international et appelle une réponse juridique et pénale. Quel discours et quel vocabulaire utilise-t-on ? À quoi ça sert ? On voit bien à quel point le débat était impossible à ce moment-là.

Je voudrais terminer en disant que si aujourd'hui, la fabrication du consentement n'est plus aussi manifeste qu'au départ, d'une part, elle n'a pas disparu, et, d'autre part, elle prend d'autres formes. S'agissant du premier point, Le Parisien a par exemple titré « la revanche du Phoenix » au moment où Netanyahou s'est mis à attaquer le Liban ; ce n'est ni plus ni moins qu'une hyper-valorisation d'une figure d'extrême droite, coloniale, qui pratique un génocide. C'est scandaleux, mais c'est dans l'air du temps… Sur le deuxième point, je pense notamment à ces plateaux télé où la personne censée représenter la « partie palestinienne » est, au mieux, une personne réellement issue des mobilisations palestiniennes, mais toujours seule, et sinon, des personnalités perçues comme « de gauche » et en apparence « pour la paix », mais qui portent un discours complétement vide et dépolitisant à propos des « deux côtés », du fait qu'« il n'y a plus d'empathie des deux côtés », etc. Il y a quelques semaines, l'une de ces personnalités intervenait par exemple sur un plateau télé en disant qu'il fallait de la paix et de l'empathie. Mais quand la journaliste lui a demandé « Vous êtes donc pour un cessez-le-feu ? », la réponse a été « non ». Ce discours de « paix », c'est donc une abstraction discursive. Ce type de plateaux, notamment l'émission « C ce soir » sur France 5, sont faits de telle sorte que se dégage une apparence non conflictuelle, où tout le monde parle doucement et s'écoute. Je trouve souvent, au contraire, que ce qui s'y joue est extrêmement violent.

Hicham : Je suis totalement d'accord sur ce que tu dis à propos de « C ce soir ». J'ai participé à cette émission [3] alors que moi, à la base, je ne voulais vraiment pas être médiatisé, ni aller débattre sur des plateaux. Entre étudiants à Sciences Po, on se poussait mutuellement à aller quand même faire entendre notre voix, dans un contexte où Sciences Po nous a jetés en pâture en affirmant des faits qui ont été ultérieurement prouvés faux : donner notre version dans la presse était presque une obligation morale. En plus de ça, c'était un moyen de faire avancer le narratif, notamment sur la question de la suspension des partenariats universitaires qui était totalement absente des plateaux télés. J'ai eu beaucoup de chance qu'il y ait eu Ariane [étudiante et militante de Révolution Permanente, NDLR] sur le plateau de « C ce soir ». On s'est vus dans les couloirs, on a discuté de nos positions en essayant de voir comment on allait aborder les choses et on a réussi à montrer qu'on n'était pas là pour débattre de choses qui n'étaient pas « débattables ». L'émission en elle-même pose en effet problème quand on présente ce qui se passe comme un objet de « débat », alors que les débats doivent avoir lieu à l'endroit des solutions politiques, et pas des constats humanitaires qui, eux, sont limpides. Par ailleurs, la séquence où Denis Charbit s'énerve contre moi, alors que je ne dis absolument rien, ça l'a beaucoup desservi. J'essayais d'avoir un discours extrêmement poli et facile, mais qui n'était pas juste « On veut un cessez-le-feu », c'est-à-dire un discours qui se voulait très clair sur la décolonisation totale de la Palestine. Ce qui est sûr, c'est qu'après ces quelques interventions télé au mois d'avril, on ne m'a plus jamais invité.

Houda, tu as beaucoup travaillé sur l'islamophobie et sa construction dans les sociétés canadienne et française notamment. Dans un récent texte publié par Contretemps, tu revendiques qu'« il est temps de parler de racisme anti-palestinien en France », en soutenant que ce phénomène et ce concept sont « quasi-inconnus alors qu'ils permettraient de mieux comprendre les positions de l'État français, de nombre de médias et de personnalités, face au génocide en Palestine. » Peux-tu développer ce point, et en particulier les raisons pour lesquelles tu penses qu'il ouvre des perspectives particulièrement opérantes au moment de penser et d'expliquer ce qui se joue dans de nombreuses rédactions en France ?

Houda : Il y a en effet besoin d'un mot pour penser la spécificité de ce qui se joue, même si évidemment, le racisme anti-palestinien s'inscrit dans la continuité du racisme anti-arabe, de l'islamophobie et du paradigme qui s'est ouvert avec la « lutte contre le terrorisme ». En l'état, le débat public ne permet pas de le faire tant la question du racisme en général est mal traitée. En ce qui concerne les discriminations sur le terrain, les Palestiniens sont discriminés comme arabes et/ou comme musulmans, en tout cas supposés tels (sachant qu'un certain nombre d'entre eux sont chrétiens).

Le racisme anti-palestinien découle principalement de la question coloniale et c'est à cet endroit que le problème se noue. C'est un racisme fondamentalement anti-indigène, contre un peuple qui est colonisé actuellement, là où le racisme anti-arabe s'exprime contre des populations anciennement colonisées et qui, depuis, ont acquis l'indépendance, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. La spécificité palestinienne, elle est là. Ce sont des colonisés à qui on nie le droit d'exister sur leur terre et même désormais, le droit à la vie, en même temps que le droit à l'identité, à la circulation, au retour, à cultiver la terre, etc., avec cette dimension de remplacement d'un peuple autochtone/indigène par des colons. Le racisme anti-palestinien c'est ça, avec aussi le déni de l'histoire, notamment de la Nakba, qui est le début du processus génocidaire de remplacement sous forme de nettoyage ethnique. Et c'est précisément « ça » qui manque dans le récit médiatique. Or, si on ne comprend pas les enjeux spécifiques liés aux colonies de peuplement, on ne comprend pas la question palestinienne du tout. Et de fait, il y a autour de cette question un énorme impensé dans les médias, même dits « de gauche », à l'image de l'impensé qui règne dans une grande partie de la gauche politique. Beaucoup de sujets sont très tabous en France. La décolonisation, c'est très difficile de la penser. C'est aussi pour ça que la comparaison avec l'Algérie n'est jamais faite alors qu'elle serait pourtant non seulement appropriée mais aussi très intéressante.

Parler de racisme anti-Palestinien, c'est d'abord insister sur cette dimension coloniale anti-indigène. La deuxième spécificité, c'est l'effet-miroir avec l'antisémitisme, qui crée une hiérarchie des vies et une hiérarchie raciale. Lorsque la question de l'antisémitisme est instrumentalisée pour minimiser ou justifier ce qui se passe en Palestine, c'est un énorme problème, y compris pour la lutte contre l'antisémitisme elle-même. À cet égard, je tiens à souligner que s'il y a aussi des acteurs que l'on n'entend pas du tout dans les médias, ce sont les collectifs et intellectuels juifs antisionistes. De temps à autres, des médias très alternatifs vont leur tendre un micro, mais sinon, jamais. Et ça, ça dit beaucoup de choses.

Le troisième point, c'est que ce racisme anti-palestinien ne touche pas seulement les Palestiniens en tant que tels. En France la population palestinienne est peu nombreuse et peu visible, même s'il y a bien sûr le cas Rima Hassan, qui s'inscrit 100 % là-dedans et dont le traitement est totalement caricatural [4]. Il y a, en revanche, une forme de « contagion » de ce racisme qui va viser le narratif palestinien et la parole palestinienne plus largement. Tous les alliés de la cause, depuis les personnalités considérées comme « pro-palestiniennes » jusqu'aux journalistes ou aux chercheurs qui cherchent à montrer un point de vue palestinien, à mettre en lumière la question coloniale et à parler de colonisés/colons, d'opprimés/oppresseurs, d'occupation et d'apartheid, tous ceux-là sont marginalisés, exclus ou déconsidérés dans l'espace médiatique dominant, où se donne à voir une hiérarchie de la parole et de la narration. Je me disais que typiquement, un plateau comme celui qui nous réunit aujourd'hui, tous les trois, n'existera jamais. Ça ne peut pas exister en fait.

Et bien sûr, pour terminer, le racisme a toujours une fonction dans l'histoire. Avant le 7 octobre, il servait à justifier la colonisation, le nettoyage ethnique, l'apartheid et tous les agissements criminels de l'État d'Israël. Aujourd'hui, le racisme anti-palestinien permet de justifier un génocide en direct. La déshumanisation des Palestiniens, fondamentalement, elle sert à ça. C'est un phénomène qui date et qui aurait dû être mis en avant il y a bien longtemps, mais là, c'est tellement flagrant…

Cette déshumanisation est à l'origine du deux poids, deux mesures dont on a déjà un peu parlé. Parmi ses nombreuses manifestations dans les grands médias, l'une d'entre elles est moins souvent pointée du doigt. Il s'agit du traitement et de la confiance très nettement différenciés accordés par les rédactions et les chefferies médiatiques aux sources d'information auxquelles ils peuvent avoir accès, directement ou non, qu'il s'agisse des institutions, des journalistes ou des témoins et acteurs directs. Qu'avez-vous relevé de particulièrement édifiant à ce sujet au cours des derniers mois dans les médias français ?

Houda : Depuis un an maintenant, je n'arrête pas de m'interroger sur la singularité de ce qui se passe en Palestine, de son traitement. Ce deux poids, deux mesures en fait partie et pour le comprendre, il faut à mon avis prendre en compte un enjeu politique central, à savoir le soutien explicite de la France à Israël. Ce qui est spécifique, c'est de donner autant la parole à un État qui commet un génocide, qui l'explicite et qui l'assume. Et donc de le légitimer. Imaginez si on donnait la parole matin, midi et soir à des représentants russes dans la guerre avec l'Ukraine. On sait en plus très bien qu'Israël a une longue histoire de propagande, la hasbara, qui a été très précisément documentée. Le degré de désinformation, on le connaît très bien. Donc je ne comprends pas que des journalistes donnent encore la parole de cette façon à des représentants de l'armée ou du gouvernement israéliens. J'aimerais d'ailleurs qu'on me dise quel autre acteur ils écoutent et relaient autant, c'est vraiment spectaculaire. Et ce qui est peut-être encore pire, c'est qu'au fil du temps, les grands médias ne déconstruisent rien du tout. Je pensais par exemple qu'à l'occasion des « un an » du 7 octobre, on reviendrait sur toute la désinformation qui a été déployée à l'époque. Or, il n'y a rien eu. Il y a bien sûr des évolutions dans le traitement de ce qui se passe à Gaza, mais on n'a pas encore d'autocritique sur ce qui a été produit il y a un an. Les journalistes ne se sont pas excusés. Ils n'ont pas produit d'articles ne serait-ce que pour dire qu'ils s'étaient précipités alors qu'ils n'ont cessé de reprendre et d'intégrer les récits israéliens, que ce soit dans le choix des mots, dans le narratif ou dans les faits. De nouveau, cette séquence a été une défaite totale du journalisme d'enquête.

La deuxième chose, pour reprendre le fil du deux poids, deux mesures, c'est qu'en même temps qu'on donne du crédit à la propagande israélienne, a fortiori dans les médias d'extrême droite, on en donne très peu aux journalistes sur place. Leur travail est d'une rigueur incroyable alors que ce sont des personnes qui sont ciblées et dont on assassine les familles. Je rappelle quand même que c'est le conflit où le plus grand nombre de journalistes ont été tués et visés volontairement parce que journalistes. Certains d'entre eux pourraient sortir, notamment ceux qui travaillent dans les médias les plus prestigieux comme Al Jazeera, mais ils restent. Ils sont prêts à mourir pour faire leur métier.

Ça ne serait pas compliqué que chaque journal en France trouve des correspondants et des témoignages de Gaza, régulièrement. On entend que c'est compliqué, mais ce n'est pas vrai. Ce qui se passe, c'est qu'on a une masse de gens qui parlent… et qu'on n'écoute pas. Les journalistes palestiniens ne sont pas considérés comme des vrais journalistes. Et encore une fois, cette déconsidération, c'est du racisme. Pourquoi n'y a-t-il pas de manifestation importante dans la profession journalistique pour dénoncer cela ? Pourquoi les photos des journalistes tués ne sont-elles pas publiées à la Une ? Où est l'indignation et la solidarité de la corporation pour leurs confrères et consœurs assassinés ? Pourquoi n'y a-t-il pas des plateaux entiers sur les journalistes palestiniens et la manière dont ils travaillent ? On n'est pas assez choqué, tout le temps, par tout ce qui se passe là-bas et la corporation journalistique, de tout bord, n'est vraiment pas à la hauteur. S'agissant du blocus de Gaza, on pourrait tout à fait imaginer que les journalistes internationaux fassent pression sur leurs rédactions et sur Israël en disant : « Nous, on arrête d'inviter des représentants israéliens, on arrête de reprendre leurs déclarations, on les boycotte, tant qu'on ne nous laisse pas rentrer à Gaza ».

Monira : La mise en cause des chiffres s'inscrit dans cette même dynamique. Quand les journalistes disent « selon le Hamas », c'est comme s'ils ne faisaient pas la différence entre une faction armée et un gouvernement qui a un ministère de la Santé, lequel recueille des données et rapporte des chiffres, bien sous-évalués en plus puisque seuls les morts directs sont comptés. Je suis engagée sur la Palestine depuis que je suis adulte et c'est toujours la même histoire. En 2014, il y avait cette même suspicion autour du ministère de la Santé et ses chiffres ont été ensuite confirmés par des rapports. Les grands médias reposent la question après chaque bombardement, en même temps qu'ils donnent crédit à Israël sans preuve ni vérification. On pourrait démultiplier les exemples des biais de vocabulaire, de langage, mais s'agissant du traitement médiatique en général, je voudrais insister sur un point qui a été moins commenté, c'est la question de l'accent. Des personnes qui n'ont jamais su prononcer le « kh » de Khadija se sont mises à parler du « Khamas ». Ça peut paraître anecdotique, mais ça ne l'est pas du tout. À la télévision, à la radio, des gens qui n'ont jamais pu prononcer un mot en arabe et qui n'ont jamais fait l'effort de prononcer un prénom correctement se mettent d'un coup à dire [le Khamas, le Khamas]. C'est un phénomène en réalité très visible et révélateur d'un racisme très clair. Autre chose m'est devenu insupportable : ce sont les titres d'articles avec des guillemets un mot sur deux. « L'ONU dénonce le "génocide" dans les "territoires palestiniens" ». Dès qu'on parle de la Palestine, les rédactions veulent tellement paraître « neutres » qu'elles mettent des guillemets sur tout et n'importe quoi pour en arriver, au bout du compte, à s'engager sur rien du tout.

Et en tout état de cause, accompagner la loi du plus fort… On parlait un peu plus tôt du poids de la communication de l'armée israélienne : non seulement elle n'est pas mise systématiquement entre guillemets, mais elle fait aussi l'objet de reprises très sélectives. Typiquement, les vidéos de soldats qui documentent leurs propres exactions ne font couler que très peu d'encre et ne sont quasiment pas diffusées dans l'audiovisuel. Or, depuis le mois d'octobre, tous les jours, on a accès à des contenus de ce type sur les réseaux sociaux, recensés par des journalistes palestiniens notamment. Ça pourrait – et devrait – être un matériau exploitable d'un point de vue journalistique, mais ce n'est jamais ou très rarement le cas.

Hicham : Il y a effectivement une dissonance totale entre ce qu'on voit tous sur les réseaux sociaux, via ces journalistes palestiniens, ou dans quelques médias alternatifs… et ce qu'on voit à la télé. Ça produit un effet dévastateur et irréversible sur notre compréhension du mythe de la « démocratie ». Les associations palestiniennes ou les grandes ONG, qui travaillent sur le terrain, pourraient aussi constituer des sources de premier plan. Les comités Palestine, que ce soit à Sciences Po ou dans d'autres universités à Lyon, Genève ou en Belgique, sont d'ailleurs en contact avec beaucoup d'entre elles. De la même manière, de nombreux travaux de l'ONU ne sont jamais couverts, je pense notamment aux rapports sur la question de l'eau dans les territoires palestiniens [5] et à celui d'Oxfam, qui en a produit un également concernant Gaza [6].

Monira : S'agissant des soldats, c'est même pire : il y a bel et bien une humanisation des soldats israéliens. Je pense aux reportages et aux sujets sur tel soldat franco-israélien, avec des gros plans sur sa vie, sa famille. On parle de citoyens partis s'engager dans un massacre de populations civiles, mais les journalistes réclament qu'on comprenne leurs affects et leurs émotions. La déshumanisation des Palestiniens passe aussi par l'humanisation des soldats qui les tuent. À ce sujet, je voudrais aussi évoquer un autre phénomène, qu'il faudrait développer longuement donc je me contente juste d'une introduction. Parfois, les médias montrent ce qui se passe à Gaza. Ils montrent des images. Des corps meurtris, déchiquetés. Mais je pense que faute d'être accompagnées de longs récits palestiniens, ces images sont elles aussi deshumanisantes en réalité. On s'habitue à ce que les corps non blancs soient des corps morts, ensevelis, déshabillés, torturés, mais sans voix pour rappeler ce que sont leurs vies et les vies autour. Quelque part, c'est montrer en déshumanisant. Mêmes dans nos milieux, on a tendance à vouloir montrer ces images violentes parce qu'on a envie que les gens en prennent conscience. Mais je crois qu'il faut qu'on y fasse attention et que le risque existe de participer à cette grande vague de déshumanisation. On les voit tout le temps dans cet état. Je pense qu'on a besoin de voir des Palestiniens debout, qui parlent, qui expliquent, qui racontent ce qui leur arrive, ce qu'est leur lutte contre l'occupation, contre la colonisation et l'apartheid. On a besoin d'entendre et de porter le message de Palestiniens vivants. Il faudrait presque rappeler que les champs de bataille où tout est détruit ne sont pas l'habitat naturel des Palestiniens. Ce sont des gens à qui Israël a tout pris.

Les grands médias ont joué et continuent de jouer un rôle fondamental dans ce phénomène, dans le sens où l'invisibilisation dure depuis des décennies. Nous n'avons pas de matière pour nous forger des représentations des Palestiniens. Aujourd'hui, comme tu le disais, leur « objectivation » est paroxystique puisque ce sont, en effet, des corps morts. Hier, ils étaient parfois des corps morts, mais la plupart du temps, ils étaient surtout des corps absents. C'est une déshumanisation qui travaille donc les imaginaires depuis très longtemps, qui fossilise un sentiment d'« étrangeté » et qui entrave toute forme d'identification à leur égard. C'est peut-être pessimiste, mais quand on a passé des décennies à invisibiliser et à taire les récits, la vie quotidienne et l'ordinaire de cette population, comme de bien d'autres d'ailleurs, est-ce qu'il est possible, médiatiquement parlant, de combler ces ornières à l'instant T ?

Monira : Je prends un exemple. Récemment, une journaliste de France 2 s'est félicitée de son reportage. Elle donne la parole à un Palestinien qui lui dit : « On a tout perdu, tout le monde est mort ». Mais est-ce que ça suffit ? Enfin, je veux dire, c'est quel niveau d'analyse de venir voir quelqu'un posté sur des ruines, qui a tout perdu, sans aller ailleurs, montrer d'autres choses et donner à entendre d'autres voix ? J'aime beaucoup le journaliste Jean Stern [7] pour cela. Quand il fait des reportages sur la Palestine, il t'emmène en promenade, il décrit, il discute avec des gens. Tout ça nous manque.

Houda : Sur la question des représentations, du point de vue des directions éditoriales, sans doute y a-t-il encore pire que montrer des Palestiniens comme victimes : c'est de les montrer comme résistants. Résistants au quotidien dans leur capacité à survivre, à rester chez eux, à s'entraider, à se tenir debout, à maintenir leur culture vivante. Mais je pense aussi au fait qu'il n'y ait jamais d'analyse ou de reportages sur les affrontements militaires. Ça aussi, c'est s'aligner sur la propagande israélienne, qui cache ses pertes militaires et refuse d'analyser où ils en sont sur le terrain après plus d'un an de guerre. Il ne faut donc pas montrer les Palestiniens comme des victimes, ou au mieux de temps en temps, mais il ne faut pas non plus les montrer comme agissants.

En effet, ce sujet ne fait clairement pas partie de « l'acceptable », alors que ça devrait être une matière journalistique comme une autre, tant leur métier consiste en théorie à documenter ce qui est, ce qui se passe. Le Monde diplomatique l'a fait récemment, notamment dans un article sur la reconfiguration de groupes armés, très jeunes, en Cisjordanie. J'imagine que sur un plateau, le seul fait d'évoquer cela serait immanquablement criminalisé, identifié comme un « soutien ». Or, il ne s'agit pas de soutenir ou non, il s'agit de faire du journalisme, de rapporter des faits. Le verrouillage du débat provient aussi du fait que des paroles ne s'expriment pas du tout sur le même registre.

Hicham : Et ils ne pourraient même pas utiliser l'argument « ce n'est pas vendeur » parce qu'il y a un intérêt pour ce qui se passe. On entend souvent « ce n'est pas un génocide, c'est une guerre ». Eh bien parlons-en de cette « guerre », analysons ce qui se passe au niveau des acteurs sur le terrain. De la même manière, les médias devraient pouvoir inviter des spécialistes des mouvements de libération et aller vraiment dans le détail. Les seuls moments où on a eu des historiens qui connaissent spécifiquement cette question, le Hamas, la région, les enjeux autour des négociateurs, etc., ils ont subi des pressions et leur discours a été assimilé à une « glorification du terrorisme ». Je trouve ça fou qu'on n'arrive pas à informer sur l'un des acteurs centraux à Gaza et que dans le même temps, on glorifie l'État d'Israël. On l'a déjà un peu évoqué, mais je crois que le cadre « antiterroriste » pèse lourd en France, plus largement en Occident, mais aussi dans le reste du monde, on le voit avec la question kurde, les Ouïghours, etc. Il régit beaucoup de choses. Et il se trouve que ce cadre est tout de même intimement lié à la question coloniale et des luttes décoloniales. J'avais justement un cours à propos des impacts des lois antiterroristes sur les droits humains, avec une professeure qui travaille dans un organisme de l'ONU en charge de mesurer leur influence sur nos libertés individuelles dans tous les États membres de l'ONU. Avant le 11 septembre, beaucoup de pays s'opposaient aux cadres « antiterroristes » en arguant que dans ces cas-là, tous les mouvements de décolonisation allaient être qualifiés de terroristes. Post 11 septembre, on voit que c'est exactement ce qui s'est passé. Parler de décolonisation en Palestine, parler de résistance armée, c'est totalement inaudible en France et littéralement impossible dans les médias. Au sein du comité Palestine, à Sciences Po, je crois fondamentalement que le fait d'avoir, à un certain moment, décidé de ne plus parler aux médias et de ne plus avoir d'interactions avec eux, ça nous a aussi permis de réfléchir. Et de penser. Cela dit, à une échelle beaucoup plus large, je vois vraiment une impasse, j'ai du mal à avoir de l'espoir.

Tu m'offres une bonne transition pour évoquer le traitement des mobilisations en soutien du peuple palestinien. Depuis plus d'un an, des manifestations, des rassemblements et des actions diverses ont lieu partout en France, très régulièrement. Avez-vous des remarques d'ordre général s'agissant de la couverture que leur réservent les médias dominants ?

Hicham : Une fois encore, il y a une dissonance totale entre ce qui est rapporté par les personnes mobilisées et les grands médias. Avant le 7 octobre, les manifestations Palestine ne rassemblaient plus grand monde, principalement des personnes âgées, on était à peine une centaine à faire les mêmes parcours dans Paris. Depuis, il y a des mobilisations importantes, mais elles sont très peu couvertes et très peu filmées, à l'image des actions de désobéissance civile, essentiellement documentées par les militants eux-mêmes. Quand elles le sont, l'accent va souvent être mis sur « l'antisémitisme », la « dangerosité » ou les « risques de troubles » alors que quand on est dedans, on sait que c'est très à la marge de ce que l'on vit. On nous a aussi beaucoup reproché d'avoir « importé le conflit ». C'est une des choses qui m'énerve le plus. C'est en fait la France et d'autres qui se sont « importés » au Moyen-Orient ! La deuxième chose, c'est qu'on a quand même Olivier Rafowicz en live sur BFM-TV toutes les semaines, Netanyahou s'exprime sur CNews et sur LCI en direct à des heures de grande écoute et une large partie du spectre politique – la macronie, la droite, l'extrême droite et une partie de la gauche – a apporté un « soutien inconditionnel » à l'une des deux parties. Donc ce conflit, il existe en France. Simplement, on nous dit à nous en tant que Français qu'on est censés avoir de l'empathie pour l'État d'Israël et qu'il est une continuité de notre « civilisation judéo-chrétienne ». Après tout ça, entendre qu'on « importe le conflit » quand on manifeste, c'est quand même ahurissant. Mais ça rejoint ce que pointait Houda à propos de la spécificité de la question palestinienne, qu'on ne retrouve pas dans la manière qu'ont les médias et les gouvernements d'aborder d'autres conflits dans le monde.

Monira : Je suis totalement d'accord avec ça et j'ajoute que l'accusation d'« importer le conflit » est omniprésente depuis des années. On n'a pas importé le conflit, on l'a exporté. La campagne BDS montre par exemple que si Israël peut mener ce génocide, c'est grâce à l'aide de pays étrangers. S'agissant de la France, ce sont des armes, des investissements d'entreprises, des liens avec des universités, etc. Il y a tout un écosystème de complicité qui rend les choses possibles. Enfin, il faut tout de même dire que beaucoup de rédactions se sont intéressées à des mobilisations uniquement au prisme de l'antisémitisme. Quand on se mobilise et qu'on est 4 000, ils n'en ont rien à faire de ces 4 000 personnes. À Sciences Po, il y a eu plein de mobilisations dans le silence le plus complet. Mais quand l'UEJF a raconté qu'une étudiante n'avait pas été autorisée à entrer dans un amphithéâtre occupé parce qu'elle était juive, les grands médias se sont tous engouffrés là-dedans et ont invité des porte-parole de cette organisation sur tous les plateaux [8]. Il y a des choses qui intéressent les rédactions, parmi lesquelles décrédibiliser et criminaliser les personnes mobilisées pour la Palestine et les associer à du racisme, un phénomène par ailleurs largement minoré dès lors qu'il n'est pas question d'antisémitisme. Le deux poids, deux mesures est permanent. Il y a quelques semaines, l'UEJF est venu perturber un débat organisé à Pantin, en Seine-Saint-Denis. À cette occasion, j'ai filmé une scène où un militant se met à crier tout seul par terre [9]. Là, les médias qui relaient en permanence leurs « polémiques » ne se sont pas précipités pour savoir ce qui s'était passé. Seuls deux journalistes m'ont contactée, l'un travaillant pour AJ+, l'autre pour le service « Checknews » de Libération. Qu'est-ce qu'on retient de cette médiatisation à géométrie variable ? L'angle est clair : c'est d'essayer de nous faire passer pour des antisémites pour nous silencier sur la question de la Palestine.

Alors justement, j'aimerais qu'on s'attarde sur la couverture médiatique des mobilisations à Sciences Po. Ces dernières ont fait l'objet de coups de projecteur et d'un suivi relatif compte tenu de la renommée de l'école, de sa localisation ou encore des relations de proximité diverses existant avec les grandes rédactions parisiennes. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la mobilisation ait été traitée véritablement en tant que telle… et encore moins correctement [10]. Hicham, quand les médias ont-ils commencé à s'intéresser aux activités du comité Palestine et que peux-tu nous dire de la couverture qui vous a alors été réservée ?

Hicham : Déjà, ce que les grands médias ne mettent pas en lumière, c'est que c'est loin d'être une question nouvelle à Sciences Po. Si je ne devais prendre qu'un seul exemple, je citerais, en 2019, cette exposition sur les pêcheurs de Gaza, qui avait été annulée. Le bureau des étudiants s'en était indigné dans un communiqué et avait été réprimé par la direction de l'époque. Évidemment, il n'y avait eu aucune couverture médiatique de ces événements. S'agissant de la séquence récente, il faut sans doute que je commence par une mise en contexte. En septembre, plusieurs étudiants de Palestine et de la diaspora ont créé l'association Students for Justice in Palestine à Sciences Po. Ils organisaient des événements étudiants classiques et déclaraient tout ce qu'ils faisaient, que ce soit pour l'obtention d'une salle ou l'organisation d'une petite manifestation à l'intérieur des locaux. Le tout, sous haute surveillance de la direction, systématiquement. Le comité Palestine a été créé dans la foulée, en novembre, autour d'étudiants qui avaient déjà milité ensemble contre l'extrême droite ou les violences sexistes et sexuelles par exemple. On a fait une assemblée générale et on a fixé le premier grand événement au 29 novembre, la journée de l'ONU en soutien au peuple palestinien. À ce moment-là, on était un mouvement autogéré et on ne voulait qu'aucun nom ou visage ne sorte. On était là pour amplifier la voix des Palestiniens qui ne pouvaient pas se permettre d'être visibles, qui n'avaient pas de passeports français et pour lesquels il est compliqué de militer. On voulait secouer un peu Sciences Po parce que son silence était assourdissant pour une immense majorité d'entre nous. Notre action était guidée par les principes du Thawabit : le droit des peuples à résister à l'occupation, le droit à l'autodétermination, Jérusalem comme capitale de la Palestine et le droit au retour de tous les réfugiés. Quant à nos revendications, elles étaient très simples : organiser une minute de silence à Sciences Po, appeler publiquement à un cessez-le-feu, protéger les étudiants palestiniens, garantir les libertés syndicales et rompre les partenariats avec les universités israéliennes. Pendant cette première période, seuls des médias de niche se sont intéressés à la mobilisation, ainsi que des journalistes indépendants qui ont l'habitude de filmer les manifestations pour les réseaux sociaux, comme Luc Auffret ou Clément Lanot.

En mars, nous avons organisé un gros événement à l'occasion de la Journée européenne contre le génocide et le scolasticide, qui s'est tenue dans le cadre de la Semaine mondiale contre l'apartheid israélien, laquelle existe depuis 2005. En tant qu'universitaires, on dénonçait évidemment la destruction de la connaissance et le fait qu'il n'existe plus aucune université à Gaza, les douze ayant été détruites par l'armée israélienne. On a donc décidé d'occuper l'amphithéâtre Boutmy et c'est à ce moment-là qu'a eu lieu la fameuse « polémique » avec l'étudiante de l'UEJF. Cette matinée du 12 mars, elle était pourtant incroyable. Ça faisait alors six ans que j'étudiais à Sciences Po, j'avais participé aux campagnes sur les questions écologiques, féministes et antiracistes, et je n'avais jamais vu une manifestation aussi belle, dans un moment pourtant si triste… Je n'avais jamais vu autant de ferveur chez les étudiants qui étaient là, je n'avais jamais vu non plus autant d'étudiants racisés s'engager et militer. Un de mes professeurs, un Palestinien qui a perdu son père à Gaza car l'armée israélienne a refusé que l'ambulance dans laquelle il se trouvait passe le checkpoint alors qu'il était mourant, était très ému et nous a félicités pour ce qu'on avait fait. C'était une journée de colère mais aussi d'espoir pour des centaines de gens. Et de tout ce que je raconte là, rien n'a été médiatisé. Ce qui a fait l'événement, vous le connaissez : la venue de la ministre Sylvie Retailleau puis de Gabriel Attal à Sciences Po et un communiqué de la direction de l'école pour condamner ce que nous avions fait, sans le moindre respect pour la présomption d'innocence dont on nous rabâche les oreilles quand on parle de violences sexistes et sexuelles. En tant que jeunes militants, c'était extrêmement étrange d'alerter depuis le mois de novembre sur ce qui se passait dans un silence assourdissant et d'un coup, voir débarquer toutes les caméras du pays. Le soir-même, je ne sais trop comment, mon numéro de téléphone a circulé et BFM-TV m'a invité à venir sur un plateau. J'ai refusé. On ne voulait parler ni à BFM-TV, ni à CNews.

Mais le lendemain, on s'est rendu compte qu'ils essayaient de tout mettre sur le dos de quelques étudiants racisés, évidemment. C'est en réaction à ce ciblage raciste et en acte de solidarité, en quelque sorte, qu'on a changé de cap. On s'est dit qu'on était responsables nous-mêmes de ce contre-pouvoir, des faits, et qu'on allait bien devoir parler aux médias. C'est donc ce qu'on a fait. On a organisé un espace de conversation de confiance en se demandant qui, parmi nous, avait un passeport français, qui pouvait se permettre d'aller à la télé et qui, parmi les étudiants non racisés, se sentait d'y aller en courant le moins de risque. Deux étudiants en sont ressortis, dont moi. Le 13 mars, j'ai donc été en contact avec un nombre incalculable de médias, pendant toute la journée. J'ai fait des séances de « fact-checking » avec des journalistes de l'AFP, qui me posaient des questions très rapidement pour vérifier nos informations. Je suis allé sur BFM-TV pour que soit entendue notre version. Et à partir de là, on s'est vraiment rendu compte de ce qui les intéressait. Ce n'était pas nos revendications, c'était Sciences Po. On a voulu en profiter et la stratégie a donc évolué puisqu'à partir du mois d'avril, on a commencé à occuper l'école.

Ça signifie que les grands médias ont nettement influencé la forme de votre mobilisation. Ce n'est pas rien quand on réfléchit aux liens mouvements sociaux/médias et à la façon dont les seconds peuvent « peser » sur les premiers, sur leur autonomie et, bien sûr, sur leur perception. Est-ce que ça s'est mieux passé dans vos liens avec les journalistes par la suite ? La couverture a-t-elle été meilleure ?

Hicham : On avait déjà conclu que ce qui se passait à Sciences Po attirait beaucoup plus que ce qui pouvait se passer à la Sorbonne, à Clignancourt, ou dans toutes les autres facs qui menaient un travail incroyable depuis le mois d'octobre et avec lesquelles on travaillait. Reste que vu l'afflux de journalistes, c'est vrai qu'on a changé notre stratégie. Et on a voulu aller dans les médias alors qu'à la base, on ne le faisait pas du tout et qu'on était même contre. Ce qui a aussi joué, c'est qu'on s'est rendus compte que si on était invité sur un plateau et que c'était en direct, on pouvait essayer de faire passer quelques messages et avancer quelques thématiques. Mais à ce moment-là, ça n'a pas été moins compliqué. On voyait la presse beaucoup plus régulièrement. Les journalistes semblaient tellement intéressés qu'on les a même convoqués à des conférences de presse depuis les fenêtres de l'école et le comité Palestine a installé un système de salle de presse dans les locaux ! Mais très vite, on a été complétement débordés dans cet exercice, on était sursollicités. On parlait tout le temps aux médias et tout le monde s'est mis à parler à la presse… On a voulu pousser l'enjeu du boycott à la radio et sur les plateaux télé, le rendre audible parce que les médias le laissaient complétement hors champ. On a essayé, ça n'a pas trop marché… On s'est fait défoncer. Je me rappelle notamment la manière dont Guillaume Erner a abordé cette question sur France Culture, c'était lunaire. Naïvement, on a pensé que nos demandes les intéressaient. Mais en fait non. Ils voulaient, pour la plupart, raconter ce qui se passait dans les couloirs d'une grande école parisienne située dans le 7ème arrondissement. Cette frénésie médiatique n'avait en réalité aucun lien avec ce qui se passait vraiment en Palestine. Sur les plateaux, on pouvait réussir à en placer une, mais le lendemain, tout ce qu'on avait dit était déjà détruit. Et puis, quelques blocages ont eu lieu à Sciences Po au mois de mai, des journalistes sont venus me chercher pour me parler, mais pas pour intervenir sur des plateaux. Il n'y avait plus du tout d'intérêt, il n'y avait plus assez de « polémique » ou ça ne vendait pas assez, je ne sais pas mais en tout cas, il n'y avait plus un seul étudiant à l'écran ! S'en est suivi une invitation à la Fête de l'Humanité, en septembre. À cette occasion, j'ai dit publiquement que je travaillais pour Rima Hassan et à partir de là, j'ai été recontacté par plusieurs journalistes. Parce que « Rima Hassan ». À nouveau, pas du tout pour la Palestine, ni pour le Liban, ni parce qu'il y avait plus de morts qu'en mai…

Acrimed rappelle régulièrement le poids des hiérarchies éditoriales et l'effet « plafond de verre » à l'œuvre dans les rédactions, où les « hauts gradés » ont la main sur la sélection des sujets et la manière dont ils vont être traités. Tu mentionnais de nombreuses discussions avec les journalistes de terrain et les reporters. Que peux-tu nous en dire et est-ce que tu peux nous parler des décalages que vous avez pu observer entre ces discussions et les sujets diffusés par la suite à l'antenne ou en presse écrite ?

Hicham : J'aurais tellement de choses à raconter là-dessus ! On pouvait avoir des discussions vraiment intéressantes avec les journalistes, d'où notre naïveté de départ dans le fait d'accepter les échanges. Je ne me rappelle pas le nombre de fois où on s'est dit entre nous qu'on avait bien parlé à tel ou tel média en pensant que le papier allait être super et derrière, on se retrouvait avec une publication qui ne mentionnait même pas nos revendications ! En amont de nos événements, on imprimait des affiches avec des QR codes qui renvoyaient à de la documentation. L'idée, c'était de se former entre nous mais aussi de dire aux journalistes : « Si vous passez dans cette manifestation, vous savez qu'on n'est pas là juste pour faire du bruit. On vous donne des informations et vous pouvez y avoir accès. » Il nous est aussi arrivé d'envoyer de longs documents aux journalistes, qu'eux-mêmes réclamaient dans certains cas en se disant intéressés par telle ou telle question. Quelque part, on faisait presque leur travail ! Mais c'est vrai qu'il y avait un décalage total avec le produit fini. Pour ne pas dire de vrais trous noirs. Un exemple : le 26 avril, un passant nous a agressés verbalement et physiquement devant Sciences Po. Il y avait quinze caméras déjà sur place, qui ont donc filmé cette personne en train de m'insulter violemment avec des propos extrêmement racistes et homophobes, après avoir agressé une de mes camardes qui portait le voile. Quinze caméras. Sur le coup, j'étais un peu traumatisé mais je me suis dit qu'au moins, ça allait être médiatisé et que les gens pourraient voir à quoi ça ressemble de militer pour les droits des Palestiniens. Ce racisme par contagion que décrivait Houda, que l'on subit quand on est engagé dans la lutte de solidarité avec la Palestine et qui fait qu'on va s'attaquer à des gens qui « ressemblent » à des Palestiniens. Eh bien ça n'est jamais sorti. Je n'ai rien jamais rien vu alors qu'un journaliste m'a même proposé de m'envoyer le fichier audio ! Ça a été le cas, aussi, de beaucoup d'interviews qu'on a pu donner, qui n'ont jamais vu le jour dans l'audiovisuel.

Quant aux revendications, je n'en parle même pas. À chaque fois, on les indiquait dans l'ordre : 1, 2, 3, 4, 5, voilà ce qu'elles sont. Pas un média n'a été capable de les citer dans leur entièreté ! À l'occasion du « town hall » à Sciences Po, une réunion dans les règles de l'art qui a eu lieu à huis clos entre personnels de direction, enseignants et étudiants, on a transmis aux journalistes ce qui s'était passé, ils ont eu accès aux informations. Mais une fois encore, le traitement médiatique a été d'une incroyable pauvreté. Ils ne s'y sont pas intéressés alors que beaucoup de jeunes sont intervenus, des syndicats, des étudiants palestiniens, du comité Palestine, des étudiants juifs décoloniaux, etc. et que nous avons tous avancé des arguments extrêmement clairs. Je pourrais évoquer beaucoup d'autres exemples, notamment dans la presse audiovisuelle où les journalistes coupent des morceaux, sélectionnent à leur gré. Le pire, c'était vraiment « Quotidien », à qui on ne voulait pas parler à la base, dont des journalistes sont venus filmer pour ne montrer que les choses un peu « drôles » ou « scandale ». Quant à la presse écrite, c'est peut-être encore pire ! Les journalistes faisaient en apparence un travail sérieux, mais ensuite, dans le papier, les propos ou les faits étaient tronqués, le journaliste s'était attardé sur notre apparence – le keffieh, les boucles d'oreille, que sais-je encore –, des guillemets étaient mis sur des phrases complétement sorties de leur contexte, etc. Un travail de journalisme vraiment pauvre. À tel point qu'on est devenus très paranos par rapport aux questions qu'on pouvait nous poser et qu'on s'est mis à ne plus répondre à certaines d'entre elles, ce qui s'est ensuite retourné contre nous puisqu'ils signalaient dans l'article qu'on ne voulait pas y répondre... Même chose s'agissant des noms, toujours dans la phrase introductive : « Hicham n'a pas souhaité donner son nom de famille », point final. Ils mettaient en avant certaines choses au détriment d'autres. On sentait vraiment une défiance. Le résultat, c'est qu'à un moment, on en eu marre, tout simplement. Et qu'en dehors des médias indépendants, on a arrêté de leur parler. On a totalement cessé d'interagir avec les médias en fait.

Alors pour caractériser le fonctionnement des rédactions de l'intérieur, « plafond de verre », c'est la bonne expression. C'est-à-dire que même si tu as des journalistes qui sont très bien, il y a ce phénomène « barrière ». On l'a beaucoup senti sur la question des partenariats universitaires. À Sciences Po, des équipes d'étudiants ont mené des recherches avec des professeurs, y compris israéliens, qui ont relu le travail. Ce travail documentait des violations des droits humains. On parle d'universités qui abritent des bases militaires, qui développent des doctrines militaires, où seuls les étudiants israéliens ont le droit de se promener avec des armes, où des étudiants et des professeurs palestiniens sont virés. On parle d'universités qui sont situées sur des zones occupées illégalement, où le bâtiment lui-même est illégal ! Mais tout ça apparemment, c'est inaudible. Fondamentalement, on voyait beaucoup de journalistes très intéressés par le sujet et on sentait qu'ils voulaient bien le couvrir. Mais ce qu'ils nous disaient constamment, c'était : « Je ne sais pas si ça va passer avec la rédaction » ; « Bon, voilà, je vais essayer » ; « Moi, dans ma rédaction, c'est chaud » ; « Je vais voir ce que je peux faire » ; etc. Ils en sont totalement conscients. Et de fait, ça ne passait pas du tout. Peut-être, aussi, que certains de ces journalistes manquent de courage pour faire des actions tous ensemble et dénoncer ces fonctionnements en disant : « C'est nous qui écrivons, c'est nous les travailleurs, donc vous nous écoutez ».

Tu as été récemment visé par une campagne de dénigrement, initialement déclenchée par la désormais très vaste galaxie médiatique d'extrême droite. Souhaites-tu revenir sur cet « épisode » ?

Hicham : Des mobilisations ont repris récemment à Sciences Po et le nouveau directeur m'a ciblé en envoyant un courrier au procureur pour déclencher l'article 40. Un acharnement médiatique s'est déclenché contre moi. C'est la première fois que mon nom de famille est sorti. Le Journal du dimanche, Le Figaro, Europe 1, CNews ont produit des articles et des vidéos. Je tiens vraiment à ce que le racisme décomplexé de ces productions soit mis en lumière. Ces médias m'ont présenté comme un agent double, la figure du sémite par excellence. On dit clairement qu'il y aurait « deux Hicham » n'ayant que l'homonymie en commun : d'un côté, le bon élève qui a eu 18/20 à son mémoire, qui est passé par Greenpeace, etc. et de l'autre, l'agitateur qui porte un keffieh, appelle à l'intifada et excite les universités. Bref, cette figure du sémite fourbe qui a un plan ultérieur. Ce qui est intéressant dans le traitement que j'ai reçu, c'est qu'au début, les journalistes ne connaissaient pas mon nom de famille. Ils savaient juste que je m'appelais Hicham, que j'étais nord-africain et que je militais pour la Palestine. Donc j'étais un « frériste » et un « islamiste ». Et quand ils ont eu accès à mon nom de famille et donc à mon CV et à mon mémoire consacré à l'implication en politique des musulmans queers aux États-Unis, là, je suis devenu un « wokiste » et un « islamogauchiste ». Je n'étais plus un « islamiste », par contre, je faisais le jeu de « l'islamisme ». Personne parmi eux n'a jamais lu mon mémoire, ils se sont juste offusqués de son titre…

Monira, on parlait un peu plus tôt de la question des boycotts universitaires. Souhaites-tu rebondir en nous parlant du traitement médiatique de BDS et peut-être articuler plus largement cette question à la place qu'occupe la thématique des sanctions contre l'État d'Israël dans le débat public ?

Monira : Je suis engagée dans la campagne BDS depuis 2014 et nous n'avons jamais eu de traitement positif ou même simplement « normal » dans les médias. On a été très longtemps criminalisés puisque notre action était qualifiée d'appel à la haine. Jusqu'à ce que la Cour européenne des droits de l'homme condamne la France en 2020 [11], il y avait des procès contre des militants, donc ça favorisait cette ambiance de criminalisation générale. C'est simple, il n'y avait pas moyen de parler de BDS. Quand il y avait un article sur notre action, c'était toujours la catastrophe. Je me rappelle notamment un édito de Libération en 2015 [12]. Ça a toujours été très violent. Là, ça l'est moins. Mais pour une raison simple… c'est qu'il y a une invisibilisation totale de BDS. On n'existe pas. Et quand on existe, on existe comme une ombre. Tout ce dont parlait Hicham à propos du « complot », du « frérisme », de l'« islamisme », ça vaut aussi pour nous. Au moment du mouvement « block out » par exemple [13], qui ne venait pas du tout de BDS, les médias qui l'ont traité écrivaient des choses du genre : « On devine, derrière, l'influence de BDS ». On est décrit comme un acteur qui plane dans l'ombre, en secret, alors qu'on a un appel très clair. Si les journalistes veulent savoir ce qu'est BDS, c'est très simple. Mais comme ils en parlent sans jamais nous poser de questions, ils racontent n'importe quoi. Je pense par exemple à une chronique d'Emmanuelle Ducros sur Europe 1 [14]. Certains éléments de l'édito sont factuels, mais on comprend petit à petit que tout est fait pour dénigrer le mouvement. Je cite la conclusion de la journaliste : « Ce qu'il faut retenir de ces appels aux boycotts et de leur formulation en France, c'est que la frontière est souvent très fine entre la liberté d'exprimer une opposition politique, économique et les appels à la haine antisémite. C'est souvent assez transparent. Les campagnes BDS oscillent invariablement sur cette ligne de crête. » Donc en gros, est-ce qu'ils sont antisémites ou non ? On n'est pas sûrs… Cette façon permanente de traiter et de délégitimer BDS, c'est évidemment injuste et insupportable dans la mesure où les médias ne s'intéressent jamais à ce qu'on dit et à ce que l'on fait vraiment. C'est toujours transformé et déformé pour sous-entendre qu'il y aurait un « boycott des Juifs ». C'est absurde. On appelle au boycott d'un État colonial et d'entreprises complices des crimes d'Israël, tout simplement. Cette façon de soupçonner des militants plutôt que s'intéresser à leur propos s'inscrit dans la lignée du récit médiatique dépolitisé post 7 octobre, qui a fait totalement disparaître la question de l'occupation, du blocus de Gaza et des violences quotidiennes. Pour articuler cela à la thématique plus générale des sanctions, je dirais que dans le débat public, le fait de sanctionner l'État d'Israël n'est jamais présenté comme quelque chose de « normal », comme ça a été le cas pour la Russie. On le dit en permanence : on veut simplement le même niveau de sanctions que ce qui a été appliqué contre la Russie lors de son agression contre l'Ukraine. C'est une revendication de justice. Le deuxième point, c'est que si la question des sanctions est aujourd'hui plus abordée que ces dernières années, c'est parce qu'il y a quelques députés qui s'en sont emparés et qui l'avancent régulièrement sur le terrain médiatique. Ceci dit, ça constitue une avancée.

Tu évoquais au début les victoires judiciaires de BDS. Est-ce que ces décisions de justice ont eu un effet sur la manière dont les grands médias ont perçu et traité la campagne ?

Monira : Depuis la condamnation de la CEDH et la révision du procès en cassation, effectivement, la jurisprudence dit que le boycott est légal. Mais la désinformation et la suspicion n'ont pas du tout cessé. J'identifie quatre ressorts médiatiques principaux. D'abord, nous prêter d'autres origines que celles qui existent vraiment ; je rappelle à ce titre que c'est initialement une campagne lancée en 2005 par les Palestiniens eux-mêmes, avec leurs règles et leurs revendications. Ensuite, transformer nos motivations. Trois objectifs très clairs fondent l'action BDS : l'égalité des droits donc la fin de l'apartheid, la fin de la colonisation et de l'occupation et enfin, le droit au retour des réfugiés. Mais dans le commentaire médiatique ambiant, on va toujours ajouter des sous-titres, du genre : « qui prône la destruction d'Israël ». Ça ne veut absolument rien dire en fait ! Est-ce qu'on veut la destruction de l'apartheid ? Oui, évidemment. On ne veut pas d'un État qui discrimine une partie de la population et l'enferme derrière des murs. Le troisième point, c'est que maintenant que les commentateurs ne peuvent plus dire que le boycott est illégal, ils vont parler de BDS comme d'un mouvement « controversé ». Une fois que tu as dit ça, tu as tout dit. Pas besoin d'un grand développement pour expliquer que ce sont des méchants et que ce n'est pas bien : c'est « très controversé », donc tu entretiens la suspicion. Enfin, il y a de grandes victoires du boycott qui ne sont jamais traitées. Ça fait par exemple des années que nous sommes en campagne contre Axa, qui avait des investissements dans des banques israéliennes. Axa se désinvestit des banques israéliennes, on communique… mais aucun média ne s'y intéresse. Il faut aller chercher dans les journaux anglophones pour trouver des papiers un peu conséquents sur le boycott de McDonald's, les pertes financières qu'il engendre – la plus grande en termes de chiffres d'affaires depuis quatre ans. Il y a quelques mots ici ou là dans les médias français, mais aucune volonté de documenter réellement ces choses-là. D'un point de vue journ

Aux côtés de RSF, en défense des journalistes palestiniens ciblés par Israël

2 septembre, par Carine Fouteau — , ,
Mediapart se joint à la campagne lancée ce lundi 1er septembre par Reporters sans frontières (RSF) et l'ONG de cybermilitantisme Avaaz pour dénoncer les meurtres de (…)

Mediapart se joint à la campagne lancée ce lundi 1er septembre par Reporters sans frontières (RSF) et l'ONG de cybermilitantisme Avaaz pour dénoncer les meurtres de journalistes palestinien·nes à Gaza. « Au rythme où l'armée israélienne tue les journalistes dans la bande de Gaza, il n'y aura bientôt plus personne pour vous informer », affirment les plus de 150 médias qui soutiennent l'initiative.

L'autrice est journaliste, présidente et directrice de la publication de Mediapart.

Tiré du blogue de l'autrice.

Pour tenter d'effacer les traces de la première guerre génocidaire menée en direct sur les réseaux sociaux, Israël élimine les uns après les autres les journalistes palestinien·nes, qui, jour après jour, risquent leur vie sous les bombes, pour recueillir des témoignages et des images qui font le tour du monde.

« Au rythme où l'armée israélienne tue les journalistes dans la bande de Gaza, il n'y aura bientôt plus personne pour vous informer » : Mediapart s'associe pleinement au message d'alerte lancé ce lundi 1er septembre par Reporters sans frontières (RSF) et l'ONG de cybermilitantisme Avaaz. Soutenue par plus de 150 médias, parmi lesquels +972 Magazine (Israël/Palestine), Local Call (Israël), Al Jazeera (Qatar), Daraj (Liban), L'Orient Le Jour (Liban), The Independent (Grande-Bretagne), The New Arab (Grande-Bretagne), Forbidden Stories (France), L'Humanité (France), Le Soir (Belgique), InfoLibre (Spain), RTVE (Espagne), Frankfurter Rundschau (Allemagne), Der Freitag (Allemagne), Intercept Brasil (Brésil), Media Today (Corée du Sud), New Bloom (Taïwan), Photon Media (Hong Kong), Le Desk (Maroc) et La Voix du Centre (Cameroun), cette action (lire le communiqué) vise à rappeler que le droit de savoir des citoyen·nes, partout sur cette planète, est en jeu.

Alors que les médias internationaux sont empêchés par Tel-Aviv d'accéder à Gaza depuis le 7 octobre 2023, et face à la propagande israélienne, les journalistes palestinien·nes sont essentiel·les à la recherche de la vérité des faits.

« Ensemble, nous dénonçons le meurtre des journalistes par l'armée israélienne dans la bande de Gaza. Ensemble, nous demandons aux autorités israéliennes de permettre un accès indépendant de la presse internationale dans la bande de Gaza », déclarent les médias participants, dont la solidarité se traduit par des pages entièrement ou partiellement noires en une des journaux, des bannières sur les sites d'information en ligne et des messages audio ou vidéo diffusés par les radios et les chaînes de télévision.

« À huit jours de l'ouverture de la 80e Assemblée générale des Nations unies, nous exigeons une action forte de la communauté internationale afin de stopper les crimes de l'armée israélienne contre les journalistes palestiniens », ajoutent-ils, dans la lignée de l'appel signé en juin et auquel Mediapart s'était joint.

L'été a été particulièrement meurtrier pour la profession. Dans la nuit du 10 au 11 août, l'armée israélienne a tué six journalistes dans une frappe ciblée et revendiquée contre le correspondant d'Al Jazeera Anas al-Sharif (lire notre article et le parti pris d'Edwy Plenel). Ce crime collectif a été assumé par l'affirmation de l'armée israélienne, assortie d'aucun début de preuve, qu'Anas al-Sharif aurait été un chef de cellule du Hamas.

Ces derniers jours, encore, le bombardement de l'hôpital Nasser de Khan Younès, le principal établissement de santé du sud de la bande de Gaza, a fait, le 25 août, au moins vingt morts, dont cinq journalistes : Hussam al-Masri, qui travaillait pour Reuters comme caméraman, Mariam Abou Dagga, photojournaliste qui collaborait avec Associated Press, Mohammad Salama, employé par la chaîne qatarie Al Jazeera comme photojournaliste et caméraman, Moaz Abou Taha, le correspondant de la chaîne états-unienne NBC, et Ahmed Abou Aziz, reporter indépendant qui collaborait avec le média numérique Quds Feed. Journaliste pour le quotidien palestinien Al-Hayat Al-Jadida, Hassan Douhan a été tué le même jour alors qu'il se trouvait dans une tente de déplacé·es dans le village d'Al-Mawasi à Khan Younès.

Depuis février 2024, Mediapart s'efforce de montrer les visages de ce carnage qui dépasse le décompte de 200 journalistes tué·es. En accès libre, notre panoramique a été mis à jour, à la suite des dernières vagues de décès.

Selon des données militaires israéliennes obtenues par le quotidien britannique The Guardian, le média israélien Local Call et notre partenaire +972, l'offensive à Gaza a fait au moins 83 % de morts civils.

Les journalistes palestinien·nes sont les yeux et les oreilles de ces victimes de la guerre. C'est pour cette raison que l'armée israélienne, au mépris du droit international, cherche non seulement à les éliminer, mais à les éliminer au plus vite en les visant expressément.

Outre RSF, qui a déposé quatre plaintes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre commis par l'armée israélienne, la question du ciblage est abordée frontalement par Forbidden Stories et Forensic Architecture, notamment dans son rapport sur le meurtre de la photoreporter Fatma Hassona. Disparue le 16 avril 2025, cette photojournaliste dont Mediapart a publié un portfolio est au centre d'un documentaire de Sepideh Farsi, Put Your Soul on Your Hand and Walk, à voir au cinéma à partir du 14 septembre. Ses photographies et quelques-uns de ses poèmes sont rassemblés dans un livre, Les Yeux de Gaza, publié le 24 septembre aux éditions Textuel, avec le soutien d'Amnesty International et Mediapart.

Cette insupportable hécatombe doit cesser. Il en va de la liberté d'informer, pour le présent et l'avenir. Tuer des journalistes revient à faire disparaître des preuves. Sans elles et sans eux, il deviendra plus difficile, voire impossible, de documenter la famine, les deuils, les destructions. Sans elles et sans eux, l'anéantissement du peuple palestinien se poursuivra, sans que ne nous parviennent plus les appels au secours de celles et ceux, qui, encore parfois, nous fixent au travers des objectifs et, ce faisant, nous interpellent sur nos responsabilités.

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Elon Musk a raison

2 septembre, par Marc Simard
Elon Musk est sans doute le plus grand terroriste de notre temps : commercialisation de lance-flammes pour le plaisir, dénaturation du firmament étoilé, greenwashing de masse, (…)

Elon Musk est sans doute le plus grand terroriste de notre temps : commercialisation de lance-flammes pour le plaisir, dénaturation du firmament étoilé, greenwashing de masse, implantation de puces cérébrales pour rendre désuètes les interactions, incitation à la haine et transport d’armes par (…)

Les députéEs empocheront 10 000$ de plus par année

2 septembre, par Yvan Perrier — , ,
C'est dans le secret que François Legault aurait souhaité « le mieux gardé du monde » qu'est entré en vigueur récemment une hausse salariale annuelle de 10 000$, soit 7,5%, (…)

C'est dans le secret que François Legault aurait souhaité « le mieux gardé du monde » qu'est entré en vigueur récemment une hausse salariale annuelle de 10 000$, soit 7,5%, pour les députéEs de l'Assemblée nationale. Il faut préciser qu'à cette très généreuse augmentation des émoluments réservée aux 125 happy few de l'Assemblée nationale s'ajoute une augmentation gargantuesque de 30 000$, obtenue en 2023. Le salaire annuel de base d'unE députéE d'arrière-ban s'élève maintenant à la coquette somme de 141 625$. Les ministres, pour leur part, empocheront une augmentation supplémentaire de 7000$. Ces augmentations sont-elles justifiées ? À chacune et à chacun d'avoir son opinion sur le sujet.

La forte augmentation salariale des représentantEs du peuple a minimalement été autorisée par les membres du Conseil des ministres et ensuite par les députéEs. Je suis enclin à croire qu'elle résulte par définition d'un conflit d'intérêt et d'un authentique manque d'aptitude des ministres et des députéEs à décider d'une telle hausse dans un contexte où les 600 000 salariéEs des secteurs public et parapublic se sont vus accorder une augmentation de 17,4% sur 5 ans.

En conclusion, j'y vois là-dedans, quelque chose qui relève de l'impéritie !

Yvan Perrier

31 août 2025

18h30

Lexique

Impéritie : « LITTÉR. Manque d'aptitude, d'habileté, notamment dans l'exercice de sa fonction. ➙ ignorance, incapacité, incompétence. L'impéritie (…) d'un ministre. »

© 2025 Éditions Le Robert - Le Petit Robert de la langue française

Source : Chouinard, Tommy. 2025. « Politique. Hausse salariale de 7,5% : Au moins 10 000$ de plus pour les élus ». La Presse, 28 août 2025,

https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2025-08-28/hausse-salariale-de-7-5/au-moins-10-000-de-plus-pour-les-elus.php. Consulté le 31 août 2025.

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L’immobilier reste une épine dans le pied de Pékin

2 septembre, par Romaric Godin — , , ,
L'ancien géant du développement immobilier Evergrande va être radié de la Bourse de Hong Kong. Son défaut en 2021 a fait plonger la Chine dans une crise immobilière dont elle (…)

L'ancien géant du développement immobilier Evergrande va être radié de la Bourse de Hong Kong. Son défaut en 2021 a fait plonger la Chine dans une crise immobilière dont elle n'est toujours pas sortie, mais qui devient de plus en plus une priorité.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Près de quatre ans après ses premières difficultés financières, le groupe de développement immobilier chinois Evergrande sera officiellement radié de la Bourse de Hong Kong le 25 août. L'annonce est très largement symbolique puisque le titre était suspendu depuis un an et demi. Mais c'est la confirmation que la crise immobilière continue de marquer le quotidien des Chinois et de peser sur l'économie de la République populaire.

Evergrande a été fondé en 1996 à Guangzhou par Xu Jiayin qui deviendra un temps la deuxième personne la plus riche d'Asie. Après la libéralisation des ventes de terrain et de propriété en 1998, l'entreprise se lance dans des projets immobiliers de grande ampleur. La demande semble alors infinie compte tenu de la rapidité de l'urbanisation du pays : voici trente ans, un tiers des Chinois vivait en ville, c'est le cas aujourd'hui de deux tiers d'entre eux.

Pour accélérer sa croissance, Evergrande va avoir massivement recours à la dette. Comme ses clients achètent les appartements à l'avance, il disposait en théorie de liquidités pour assurer les remboursements et pouvoir s'endetter toujours plus. À partir de 2015, la situation s'emballe. Pékin met un coup de frein à sa surproduction industrielle et trouve dans l'immobilier un relais de croissance rêvé qui permet à la fois de soutenir l'activité intérieure et d'offrir un débouché pour sa production de ciment et d'acier.

Le crédit immobilier est donc encouragé, ainsi que les ventes de terrain par les administrations locales. Une chaîne de la dette se met en place : de plus en plus de Chinois s'endettent pour acheter des logements développés par des groupes qui, eux aussi, s'endettent toujours plus pour lancer de nouveaux projets. Une logique de bulle s'installe : des acheteurs se présentent uniquement dans l'optique de la revente au prix fort. Cette spéculation entretient l'inflation des prix et celle des projets portés par les développeurs qui s'endettent toujours plus, notamment sur les marchés financiers, en espérant rembourser grâce à la hausse des prix.

En 2019, l'immobilier représente environ 30 % du PIB en prenant en compte ses effets indirects et près de 80 % de la richesse des ménages est liée à l'immobilier. La valeur globale du marché immobilier chinois atteint alors 52 000 milliards de dollars, soit le double du marché états-unien. À ce moment, Evergrande est le principal développeur chinois. Sa capitalisation boursière a dépassé les 50 milliards de dollars en 2017. Mais son succès a fait des petits : des dizaines de développeurs proposent de nouveaux projets.

Une crise de grande ampleur

En 2020, la crise sanitaire réduit les revenus et l'accès aux crédits. Les entrées de liquidités commencent à ralentir et mettent le secteur en danger. Au même moment, le gouvernement commence à prendre des mesures de régulation pour réduire l'envolée des prix et assurer le maintien d'un accès au logement pour tous. Xi Jinping proclame alors que l'immobilier doit servir « à se loger et non à spéculer ».

Les deux éléments conduisent à un assèchement des ressources pour les grands développeurs qui entrent dans une spirale infernale : les avances des clients sont utilisées pour payer les dettes, mais les projets n'avancent plus et les fonds s'épuisent. Evergrande doit faire défaut sur une obligation en dollars en décembre 2021. Rapidement, il apparaît que le groupe est parfaitement insolvable.

C'est un coup de tonnerre qui frappe alors l'ensemble du secteur. La confiance disparaît, les clients se font rares et plus personne ne veut prêter aux développeurs.

Après Evergrande, Country Garden et Sunac font aussi défaut sur leur dette. Les constructions s'arrêtent net, plongeant de nombreux ménages dans le désarroi : l'appartement pour lequel ils ont payé ne sera pas terminé. Les acheteurs disparaissent alors logiquement du marché pour éviter ce genre de déconvenue.

La bulle éclate et les prix de l'immobilier commencent à chuter. Les milliers d'appartements destinés à la spéculation ne trouvent pas preneurs. L'agence Bloomberg estimait, en mai 2024, que 400 millions de mètres carrés et 60 millions d'appartements étaient vides et invendus, alors qu'un nombre incalculable de projets étaient arrêtés net avant d'avoir été achevés.

La baisse des prix et la dégradation de la conjoncture causée par cette crise frappent de plein fouet les ménages qui s'étaient endettés pour acheter leur logement ou spéculer, ce qui entraîne des ventes de panique qui accentuent encore la baisse des prix. Quatre ans plus tard, la situation est loin de s'être apaisée. En juillet, les ventes de logement ont affiché un recul de 25 % sur un an et la demande de nouveaux logements est en recul de 75 % par rapport à son niveau de 2017.

À la recherche d'une solution...

Face à cette situation, Pékin a cherché à éviter un scénario à la Lehman Brothers. Outre une ligne de financement de 200 milliards de yuans offerts aux développeurs, la banque centrale, les banques et les autorités locales sont invitées à soutenir le marché immobilier par tous les moyens. Cette méthode permet d'éviter l'effet de souffle à la Lehman avec une perte générale de confiance dans le secteur bancaire et un effondrement du crédit. D'autant qu'en parallèle, Pékin investit massivement dans de nouveaux secteurs, notamment technologiques et « verts ».

Mais le secteur immobilier, lui, continue malgré tout sa chute libre. Au second semestre, le secteur de la construction s'est contracté de 0,6 % sur un an selon les chiffres officiels du PIB publiés mi-juillet. En tout, les développeurs ont fait défaut, à ce jour, sur 150 milliards de dollars de dettes. Dans le cas d'Evergrande, le cabinet Deloitte a estimé que seulement 3,53 % du montant des créances pourraient être recouverts. L'annonce de la radiation du groupe de la Bourse de Hong Kong met fin à tout espoir de redressement rapide du marché.

Reste que la poursuite de la dégradation de la situation sur le front de l'immobilier, même si elle est cachée par la fuite en avant technologique du pays dans les statistiques de la croissance, est un problème pour Pékin car la crise immobilière continue de peser sur les revenus des ménages, l'emploi et la consommation. L'achat immobilier a longtemps été vu en Chine comme une forme d'assurance-retraite de substitution. Mais avec des prix en baisse, il devient nécessaire de compenser par une augmentation de l'épargne de précaution.

Une urgence stratégique

Or, avec l'hostilité croissante de Washington, Pékin a entamé un tournant de politique économique, faisant du soutien à la demande intérieure une priorité. Dans ces conditions, le règlement de la crise immobilière est devenu également une urgence. Une initiative forte devrait être annoncée ce mois-ci : le gouvernement central, et non plus les administrations locales, devrait désormais organiser, selon Bloomberg, le rachat des logements invendus pour permettre de remettre le secteur à flot.

La tâche sera néanmoins délicate et rien ne dit qu'elle pourra réellement se faire, mais, désormais, l'enjeu est de rétablir la confiance. Et vite. Car le pays est toujours menacé par la déflation. Depuis février 2025, la hausse annuelle des prix n'a pas été positive et, entre janvier et juin, les profits ont reculé de 1,8 % après une baisse de 1,1 % sur le semestre précédent.

La crise immobilière n'est pas pour rien dans cette situation : les pertes enregistrées sur le prix des appartements et le recours à l'épargne pèsent sur la demande et sur les prix. Et, dans ces conditions, les entreprises sont incapables d'imposer des prix suffisants pour être rentables. D'autant que, en parallèle, la fuite en avant gouvernementale a créé une surproduction qui fait plonger les prix de production. En juillet, ces derniers étaient à − 3,6 % sur un an et ne sont pas entrés en territoire positif depuis un an et demi.

Pékin ne cesse de faire des annonces pour tenter de relancer la demande des ménages. Après les 3 600 yuans (environ 239 euros) par an et par enfant de moins de trois ans, après les subventions aux échanges de certains produits anciens contre des produits neufs, le gouvernement vient d'annoncer que les prêts à la consommation jusqu'à 50 000 yuans (environ 5 980 euros) verront leur taux réduit d'un point, ce dernier étant pris en charge par l'État.

Mais ces mesures ne pourront être efficaces que si la crise immobilière est réellement réglée. L'état déplorable du marché laisse entendre que cela prendra du temps. Ce temps manque désormais à Pékin qui doit pouvoir renforcer l'autonomie de sa croissance sans perdre de dynamisme. La solution à cette équation est encore loin d'être trouvée.

Romaric Godin

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L’illusion d’une opposition démocratique en Israël

2 septembre, par Nitzan Perelman Becker — , , ,
Le changement de ton en France sur la guerre que mène Israël à Gaza s'accompagne d'un discours qui met en avant les initiatives des opposants au gouvernement d'extrême droite (…)

Le changement de ton en France sur la guerre que mène Israël à Gaza s'accompagne d'un discours qui met en avant les initiatives des opposants au gouvernement d'extrême droite de Benyamin Nétanyahou. Or, à y regarder de plus près, ces divergences relèvent davantage d'une différence de degré et non de nature, en l'absence d'une remise en question des fondements colonialistes de la politique israélienne.

Tiré d'Orient XXI.

C'est un scénario connu, presque automatique. Il suffit qu'une voix s'élève contre le premier ministre Benyamin Nétanyahou et son gouvernement, qu'un geste de dissidence apparaisse dans l'espace politique ou public israélien, pour que les médias français réactivent un vieux récit rassurant : celui d'une opposition démocratique, libérale, progressiste, dressée face à un gouvernement d'extrême droite qui ne serait, au fond, qu'une parenthèse autoritaire dans l'histoire de l'État démocratique et exemplaire qu'est Israël.

Cette dynamique se révèle avec une netteté particulière aujourd'hui. Lorsque des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour s'opposer au projet de Nétanyahou de maintenir un contrôle militaire permanent sur Gaza, les médias présentent ces mobilisations comme des appels pacifistes, libéraux ou humanistes contre la guerre. Cette lecture occulte pourtant leur véritable objectif, qui est avant tout la libération des otages. La fin du conflit y apparaît non comme une revendication en soi, mais comme un prix nécessaire, le seul moyen d'y parvenir. Le génocide en cours à Gaza et la catastrophe humanitaire qui frappe les Palestiniens restent largement absents de ces discours.

Les sondages le confirment : en juin 2025, selon l'Institut israélien de la démocratie, 76,5 % des Israéliens estiment qu'il ne faut pas prendre en compte la souffrance des Palestiniens dans « la planification de la poursuite des opérations militaires » (1). Seule une minorité marginale en fait état dans sa mobilisation, elle-même fragmentée : d'un côté, un groupe représenté par Standing Together, qui dénonce les crimes commis à Gaza, mais sans parler de génocide, affirmant que le problème vient du gouvernement d'extrême droite et que la société israélienne mérite mieux que ses dirigeants ; de l'autre, un groupe anticolonial, constitué de manière informelle entre autres par des membres d'organisations de gauche radicale, mais aussi par des militants non affiliés, qui dénonce le génocide et le relie directement à la politique coloniale poursuivie par Israël depuis la fondation de l'État.

Même réflexe lorsqu'un appel de réservistes appelant à mettre fin à la guerre à Gaza est publié le 10 avril 2025 : la couverture médiatique suggère alors un « réveil » de « l'armée la plus morale du monde ». Le caractère tardif de cette prise de parole, émanant de personnes ayant participé activement à la guerre contre Gaza, est passé sous silence. Leurs motivations individualistes et, pour la plupart, pas du tout politiques aussi. Pire encore, la couverture ne précise pas que ces appels ne mentionnent pas les victimes palestiniennes : ils présentent la fin du conflit comme un « prix à payer » pour libérer les otages — uniquement les otages. Deux textes, au mieux, signés de pilotes de l'armée de l'air et de membres des services de renseignement de l'armée, évoquent après coup la mort de « civils innocents », sans jamais préciser de quels civils il s'agit.

Un réveil de l'armée ?

Puis il y a cette phrase de l'officier militaire et major général de réserve Yair Golan, en mai 2025 : « Israël tue des enfants comme un hobby. » Elle fait le tour des médias français, qui l'érigent aussitôt comme l'expression d'une conscience morale, l'illustration d'une gauche retrouvée. Mais on oublie que ce même Golan appelait, en octobre 2023, à affamer Gaza, et en septembre 2024 à refuser tout cessez-le-feu avec le Liban. Surtout, quelques jours seulement après sa sortie, l'officier revient sur ses propos et affirme sur Channel 12, la chaîne la plus regardée du pays : « Israël ne commet pas de crimes de guerre à Gaza. »

Cette obsession médiatique autour de ces figures de l'opposition tient en partie à une méconnaissance des faits, du jeu politique et, plus largement, du sionisme. Elle répond aussi à un besoin politique et symbolique, pour la France comme pour de nombreux pays occidentaux, de préserver l'image d'un îlot démocratique au cœur d'un Proche-Orient perçu comme sombre et autoritaire. Elle participe enfin à la construction d'une « innocence » d'Israël, puisque les crimes commis sont rarement décrits pour ce qu'ils sont, mais présentés comme une trahison de ses principes supposés, comme si ces actes restaient étrangers à l'ADN même de l'État.

Une matrice idéologique commune

L'un des arguments majeurs avancés pour défendre l'existence d'une véritable opposition au gouvernement d'extrême droite de Benyamin Nétanyahou repose sur une conception profondément erronée de ce qu'est la gauche sioniste. Depuis une vingtaine d'années et avec l'émergence d'un centre politique, c'est le centre gauche sioniste qui est présenté comme une alternative crédible. Ce courant est souvent décrit comme l'antithèse de la droite israélienne, notamment en ce qui concerne son agenda vis-à-vis des Palestiniens sous contrôle israélien, entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain. Mais comment le qualifier ainsi, alors même qu'il se définit comme sioniste, et partage donc des éléments idéologiques fondamentaux avec ce à quoi il est censé s'opposer ?

Tous les courants sionistes, de la gauche la plus critique à l'extrême droite, adhèrent à un ensemble de principes fondamentaux qu'ils ne remettent pas en question. Au cœur de ces principes se trouve d'abord la conviction que l'État doit être un État juif, et que sa fondation en Palestine est légitime — justifiée, exclusivement ou essentiellement, par la Bible, considérée comme un acte de propriété. Dès lors, certains droits doivent être réservés exclusivement aux Juifs. Il est également admis que la majorité des citoyens de l'État doit rester juive, et que celui-ci doit activement œuvrer à maintenir cet équilibre démographique.

Ce socle idéologique repose sur trois dimensions principales. D'abord, la dimension nationale : l'État est conçu comme l'État-nation du peuple juif, et c'est cette seule nation qui est appelée à s'exprimer à travers ses institutions. Il faut ici préciser que l'idée même d'une « nation israélienne » — une entité civique incluant l'ensemble des citoyens, juifs et non-juifs — n'existe pas. En hébreu, le mot « nation » est pensé en termes exclusivement ethniques. Chaque citoyen est rattaché à une « nationalité » ethnique, distincte de la citoyenneté israélienne, inscrite dans les registres de l'État et créée artificiellement par ce dernier : juive, « arabe » (le terme « palestinien » étant exclu), druze, tcherkesse, etc.

Vient ensuite la dimension religieuse, indissociable du projet sioniste : la légitimité de l'État d'Israël repose sur le récit biblique. Même les groupes les plus critiques acceptent, peu ou prou, une forme de lien entre religion et État. Enfin, la dimension coloniale s'impose comme une constante, bien qu'elle soit rarement nommée. La colonisation de la Palestine, amorcée avant même la création de l'État, est présentée comme un processus légitime, ou du moins nécessaire. Cette justification traverse l'ensemble du spectre sioniste et s'exprime de manière plus ou moins explicite selon le positionnement idéologique du groupe ou de la figure concernée.

Ainsi, le centre gauche sioniste ne peut pas être considéré comme une opposition véritable ou comme une alternative à la droite israélienne, puisqu'il s'inscrit dans le même spectre idéologique : le spectre sioniste. Ce qui distingue les différents groupes, ce ne sont pas des principes de fond, mais le degré de visibilité et d'intensité de leur nationalisme, de leur religiosité et de leur adhésion à la logique coloniale. Plus on se déplace vers la droite, plus ces éléments deviennent explicites, revendiqués, affichés. Mais la matrice idéologique, elle, demeure commune.

Consolider la suprématie juive

Positionner l'ensemble des courants sionistes sur un même spectre idéologique permet également de mieux comprendre leur conception partagée de la démocratie. Au-delà des désaccords qui opposent le centre gauche à la droite — qu'il s'agisse du rôle et des pouvoirs de la Cour suprême, de l'influence de la religion juive sur les libertés individuelles, ou encore des considérations socio-économiques — émerge une vision commune, qui repose notamment sur les dimensions nationale et coloniale.

La définition nationale de la démocratie repose sur son utilité pour le peuple juif, conçu comme devant constituer la majorité au sein de l'État et, de ce fait, en assurer le contrôle « démocratique ». La démocratie y est alors perçue non comme une finalité, mais comme un instrument au service d'un groupe ethnique spécifique, avec lequel la majorité est délibérément confondue. Cette conception est explicitement validée par David Ben Gourion, 1er premier ministre israélien et figure centrale de la gauche sioniste, lors d'une séance parlementaire en 1950 :

  1. Une majorité antisioniste n'est pas possible tant qu'il y a un régime démocratique dans ce pays, un régime de liberté suivant la règle de la majorité. Un régime antisioniste ne sera possible que si la minorité antisioniste prend le pouvoir par la force […] et ferme les portes du pays à l'immigration juive. La seule manière d'empêcher la mise en place d'un régime antisioniste est de protéger la démocratie. (2)

Dans cette logique, chaque action visant à renforcer la présence juive dans l'État est considérée comme profondément démocratique, puisqu'elle contribue à maintenir la majorité juive, perçue comme garante du régime.

Cette conception rejoint une seconde lecture de la démocratie : la lecture coloniale. L'implantation croissante du peuple juif au Proche-Orient est ainsi une condition indispensable à la fois pour l'expression de ses aspirations nationales — rendue possible par la constitution d'une majorité démographique —, mais aussi comme vecteur de valeurs occidentales dites « libérales ». Autrement dit, la démocratie dans cette région serait tributaire de la pérennité d'un État juif, dirigé par le peuple juif, supposé incarner et représenter les valeurs de l'Occident.

La villa et la jungle

L'une des expressions les plus emblématiques de cette vision chez le centre gauche sioniste remonte aux années 1990, avec l'ancien premier ministre et figure centrale de la gauche sioniste, Ehud Barak. Ce dernier forge alors l'image d'Israël comme bastion occidental de moralité au sein d'un environnement perçu comme sauvage, autoritaire et foncièrement incompatible avec la démocratie libérale : la célèbre « villa dans la jungle ». Une image qu'il mobilise encore, comme lors de cet entretien que j'ai mené avec lui en avril 2024 : « Dans ta villa, tu peux entendre de la musique classique ou d'anciennes chansons françaises, et t'amuser dans le jacuzzi. Mais, dès que tu sors, la première chose à faire est d'avoir son arme prête, sinon on ne survit pas. » Dans cette perspective, la démocratie ne peut exister ni prospérer que si elle est protégée — voire imposée — par la domination coloniale d'Israël, qui, bien évidemment, n'est jamais décrite en ces termes. Cette représentation justifie non seulement la colonisation des terres, mais aussi la domination coloniale permanente exercée sur le peuple autochtone, les Palestiniens, qui est érigée en condition indispensable à la survie du régime démocratique — et donc l'apartheid.

Ces visions, partagées par tous les courants sionistes — y compris ceux qui critiquent le gouvernement Nétanyahou comme « dangereux pour la démocratie » — permettent de mieux comprendre le comportement de l'opposition civile et politique en temps de génocide. Par exemple, le 20 mai 2024, plus de quarante membres de l'opposition ont signé une pétition condamnant comme antisémite la demande du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), affirmant que « l'armée israélienne est la plus morale au monde » et que « nos soldats héroïques combattent avec courage et une moralité sans égale, conformément au droit international ». On voit également de nombreux Israéliens liés à l'opposition manifester contre la non-inscription des ultra-orthodoxes dans l'armée au nom de l'égalité ; par contre, ils ne réagissent pas aux restrictions faites aux Palestiniens citoyens de l'État de manifester leur solidarité avec Gaza. Autre exemple, fin juin 2025 : des membres du parti du centre Yesh Atid (« Il y a un futur ») de Yaïr Lapid, eux aussi dans l'opposition, ont voté pour la suspension du député palestinien d'Israël Ayman Odeh, simplement parce qu'il a osé se réjouir de la libération de prisonniers palestiniens. La liste de ces apparentes « contradictions » est longue.

« L'avant-poste de la civilisation »

Considérer l'ensemble des groupes sionistes comme appartenant à un même spectre idéologique — partageant des fondements communs et une conception proche de la démocratie — conduit à une conclusion incontournable : aucune alternative réelle à Nétanyahou et à son gouvernement ne peut émerger de ce champ politique. Plus encore, il n'existe pas d'opposition véritablement « démocratique » ou « libérale » dès lors qu'elle se réclame du sionisme. Dans ce cadre, la démocratie demeure subordonnée au projet nationaliste et colonial, et ne peut incarner la démocratie telle qu'elle est idéalisée dans les termes occidentaux.

Au-delà d'une ignorance — volontaire ou non —, il faut souligner le besoin des pays occidentaux de cette image démocratique d'Israël pour justifier leur soutien inconditionnel à cet État. Ces derniers perçoivent le sionisme et plus précisément l'État juif comme l'avant-poste des intérêts européens au Proche-Orient, comme le décrit Theodor Herzl, père du sionisme politique, dès 1896, en élaborant le projet d'un État juif en Palestine : « Pour l'Europe, nous formerons là-bas un élément du mur contre l'Asie, ainsi que l'avant-poste de la civilisation contre la barbarie. Nous nous rendons en Terre d'Israël afin de repousser les limites morales de l'Europe jusqu'à l'Euphrate. » (3) En d'autres termes, Israël est chargé de maintenir l'ordre et de contenir ce que ces puissances considèrent comme des forces barbares au Proche-Orient. Cette vision s'inscrit dans une logique colonialiste bien connue en Europe, où la prétendue mission civilisatrice sert à justifier ou excuser une série de crimes de masse.

Sinon, comment expliquer l'envoi par la France d'équipements pour mitrailleuses à un pays accusé de génocide par un nombre croissant d'acteurs ? Comment justifier les survols du territoire européen par Benyamin Nétanyahou, pourtant visé par un mandat d'arrêt de la CPI ? Comment expliquer le manque de réelles sanctions face aux crimes perpétrés ?

Si la France et d'autres nations occidentales reconnaissaient qu'aucune opposition véritablement démocratique ne peut exister tant qu'elle reste ancrée dans le sionisme, elles seraient contraintes non seulement de remettre en cause des décennies de soutien aveugle à Israël, mais surtout d'ouvrir un débat sur le sionisme en tant que projet colonial. Or, c'est une démarche qu'elles ont elles-mêmes rendue taboue, voire, dans certains cas, illégale, en l'assimilant délibérément à l'antisémitisme.

Notes

1- Tamar Hermann, Lior Yohanani, Yaron Kaplan, Inna Orly Sapozhnikova, « Israelis Unsure Current Military Operation Will Bring the Hostages Home or Topple Hamas », Israel Democracy Institute, 6 juin 2025.

2- Séance parlementaire de la première Knesset, 5 juillet 1950, p.2096.

3- Cité dans Eran Kaplan, « Between East and West : Zionist Revisionism as a Mediterranean Ideology », dans Orientalism and the Jews, sous la direction d'Ivan Davidson Kalmar et Derek J. Pensalar, Brandeis University Press, 2005.

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Gaza et le silence du monde arabe face au Grand Israël

Les récentes arrivées de nourriture n'ont rien changé à la situation de famine, constate dans sa chronique le journaliste et traducteur Ibrahim Badra. Et les Palestiniens se (…)

Les récentes arrivées de nourriture n'ont rien changé à la situation de famine, constate dans sa chronique le journaliste et traducteur Ibrahim Badra. Et les Palestiniens se battent seuls face à l'expansionnisme israélien.

T%iré d'Europe solidaire sans frontière.

Un soldat de l'armée d'occupation l'a appelé et lui a dit : « Sortez, vous et vos enfants. Votre tente est visée par le canon du char. »

Mon voisin à Khan Younès, Abou Alaa, a répondu : « Quelle différence cela fait que nous mourions frappés par l'obus d'un char ou par la frappe d'un missile ? La mort ne nous quitte jamais, pas même un instant. Où puis-je aller ? Je n'ai plus la force de faire la queue pour remplir un seau d'eau. J'ai été déplacé plus de vingt fois. Je resterai dans cette tente jusqu'à notre mort. La mort est plus facile que cette vie. »

À quel niveau de désespoir les gens sont-ils arrivés ?

Ils ont demandé plus de cinq fois à ma famille et à mes voisins de Khan Younès d'évacuer la zone, mais personne n'a accepté. Tout le monde est désespéré, épuisé et vidé par les déplacements constants. Chaque fois que nous devons déménager, nous sommes obligés de le faire sous les tirs, et la mort est devenue plus facile que le déplacement. Nous avons commencé à préférer la mort au déplacement.

Chaque fois que nous sommes déplacés, nous devons trouver un nouvel endroit, construire une nouvelle tente, endurer de nouvelles souffrances, de nouvelles séparations et de nouvelles pertes. Le déplacement n'est pas simplement un déménagement vers un autre endroit ; c'est une blessure dans le cœur et le corps, une perte de sécurité et un déchirement de l'âme.

Les enfants ne connaissent plus le sens du mot stabilité. Chaque nouveau jour apporte avec lui la peur de perdre un être cher, de voir une autre tente s'effondrer sous les bombardements, ou une nouvelle lutte pour trouver de l'eau ou de la nourriture. Je me demande si nous avons perdu le sens même de la stabilité.

Que signifie la stabilité ? Est-ce vivre au même endroit avec sa famille ? Vivre dans une maison permanente ? Vivre en sécurité ? Vivre sans être déplacé, loin des chars et des bombardements ? Trouver de l'eau pour l'usage quotidien ? Trouver les aliments les plus simples ? Dormir paisiblement sans se réveiller des dizaines de fois pendant la nuit, terrifié par l'avancée des chars, ou mourir dans une tente obscure ? Ou oublier les visages des membres de notre famille et de nos amis qui ne sont plus là ?

Gaza, ville zombie

À chaque déplacement, le sentiment d'impuissance grandit. Nous avons l'impression de n'être que des numéros sur la carte d'une guerre sans fin, où la paix est devenue un luxe et où la vie se résume à deux options : vivre et souffrir, ou mourir et échapper à un monde injuste.

Parmi les actes les plus répugnants et les plus brutaux de l'occupation : des soldats israéliens ont utilisé un Palestinien âgé, équipé de béquilles, comme bouclier humain. Ils kidnappent des civils et les forcent à marcher devant les troupes dans des zones soupçonnées d'être piégées avec des explosifs. À quoi vous attendiez-vous ? On nous traite comme des chiens policiers. Les chiens policiers ont-ils plus de valeur que les habitant·es de Gaza ?

La ville est devenue une ville zombie. Il n'y a pas de nourriture, et personne ne s'en soucie. Les gens s'effondrent dans les rues et dans les hôpitaux. Des centaines d'évanouissements dus à la famine sont signalés chaque jour aux services d'urgence de Gaza. Selon le complexe médical Al-Shifa de Gaza, ces évanouissements répétés sont dus au fait que les gens, en particulier les enfants, souffrent d'émaciation, d'épuisement et de faim, car leurs familles sont incapables de les nourrir depuis des jours. Les équipes médicales leur fournissent des formules de nutrition d'urgence, mais même celles-ci sont en train de s'épuiser.

Je ressens du dégoût envers ceux qui, en dehors de Gaza, tentent d'embellir l'image de la famine. Qu'ils comprennent bien : la catastrophe est immense. En seulement vingt-quatre heures, dix personnes sont mortes de faim.

Au cours des deux derniers jours, après cent quarante-trois jours de fermeture de la frontière, nous avons vu entrer des dizaines de camions de farine, mais cela n'a rien changé à la famine. Seulement 1 % de la population de Gaza a reçu quelque chose. Il y a une grave pénurie de denrées alimentaires essentielles telles que la farine, le riz et les légumes.

En toute honnêteté, il n'y a plus de nourriture à Gaza.

Le peu qui reste est rare et inabordable. De nombreuses familles ne survivent plus qu'avec des soupes, et celles qui ont réussi à obtenir un sac de farine n'ont rien à manger pour l'accompagner. Même les falafels sont devenus inabordables : un falafel coûte désormais 1 shekel, alors qu'avant la guerre, on pouvait en acheter huit ou dix pour le même prix.

Quand on parle de Gaza, on ne peut ignorer la présence de 60 000 femmes enceintes, 67 000 bébés nés pendant la guerre, 12 000 patient·es atteints de cancer, 250 000 malades chroniques, plus de 150 000 blessé·es de guerre, environ 700 à 1 000 patient·es atteint·es d'insuffisance rénale, 17 000 veuves et 37 000 enfants orphelins. Ces groupes vulnérables sont confrontés à une mort certaine par famine.

Gaza défend l'ensemble de la nation arabe, payant le prix au nom de tout le monde arabe, face à un cancer expansionniste qui ne montre aucune pitié.

Allô ? Il y a quelqu'un ? Sommes-nous vivants ? Ne sommes-nous que des chiffres ? Connaissez-vous seulement Gaza ? Nous avons des mains, des jambes, une tête, des yeux, un esprit, des oreilles, etc. Nous avons un corps comme le reste du monde !

Selon la chaîne israélienne Channel 12 :

• Le plan commencera par l'occupation complète de la ville de Gaza, et l'armée demandera à ses 900 000 habitant·es de partir.

• Les opérations à Gaza seront précédées de plusieurs semaines de préparatifs logistiques afin d'accueillir la population déplacée.

• Le cabinet de sécurité israélien discutera de la question de l'annexion de l'ensemble de la région à Israël. Il y a quelques jours à peine, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s'est dit « attaché » à l'idée de Grand Israël. Celui-ci englobe dans sa version maximaliste toute la Palestine, le plateau du Golan, la péninsule du Sinaï, des parties de la Jordanie, de la Syrie, du Liban, de l'Égypte, de l'Irak, du Koweït, de l'Arabie saoudite.

Devant la menace d'annexion de tous ces pays, on peut clairement affirmer que Gaza défend l'ensemble de la nation arabe, payant le prix au nom de tout le monde arabe, face à un cancer expansionniste qui ne montre aucune pitié. Nétanyahou dit ressentir un lien émotionnel avec la vision du « Grand Israël ».

Trump déclare : « La superficie de l'entité est trop petite par rapport au monde arabe, et je m'efforcerai de l'agrandir. »

La Knesset a adopté une résolution visant à annexer la Cisjordanie.

Les Arabes ne disent rien. Ils restent silencieux.

Et la question cruciale demeure : qui a rendu le sang palestinien si bon marché, et quand, comment et pourquoi ? Pourquoi la vie de nos enfants est-elle devenue si bon marché pour nous d'abord, puis pour notre peuple, nos voisins et le reste de notre nation ? Pourquoi ?…

Ibrahim Badra

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La colonie israélienne E1 : préparer l’annexion de la Cisjordanie

2 septembre, par The New Arab — , , ,
Après des décennies de préparation, la colonie israélienne E1 rendra impossible la création d'un État palestinien et prépare le terrain de l'annexion de la Cisjordanie. (…)

Après des décennies de préparation, la colonie israélienne E1 rendra impossible la création d'un État palestinien et prépare le terrain de l'annexion de la Cisjordanie.

Tiré de France Palestine Solidarité. Image : Carte de Jérusalem et du plan de colonie E1 août 2005. Source : OCHA OPT.

Une semaine seulement avant qu'Israël n'approuve la colonie E1 en Cisjordanie occupée, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a présenté les plans de ce projet gigantesque.

En annonçant qu'il approuverait les appels d'offres pour la construction de plus de 3 000 logements dans la colonie, Smotrich a clarifié la véritable intention de cette construction.

"E1 enterre l'idée d'un État palestinien et s'inscrit dans la continuité des nombreuses mesures que nous prenons sur le terrain dans le cadre du plan de souveraineté de facto que nous avons commencé à mettre en œuvre avec la formation du gouvernement" a déclaré Smotrich.

Pour les partisans comme pour les détracteurs d'E1, la réponse est la même : la construction de la colonie détruit l'État palestinien et favorise l'annexion de la Cisjordanie par Israël.

Un plan de colonisation vieux de plusieurs décennies

Le 20 août 2025, le Conseil supérieur de planification, qui fait partie de l'administration civile israélienne qui gouverne la Cisjordanie, a approuvé des plans visant à construire 3 401 logements dans la zone E1 de la Cisjordanie, une zone désignée par Israël à l'est de Jérusalem.

Si l'approbation récente du projet E1 a été obtenue à une vitesse record, le plan de colonisation est depuis longtemps promu par le gouvernement israélien.

L'État israélien a lancé le projet de colonie E1 en 1994, dans le but de transformer une zone de 12 kilomètres appartenant aux villages palestiniens d'al-Tur, Anata, al-‘Eizariya et Abu Dis en un centre commercial et industriel pour les Israéliens.

En 1997, le ministre israélien de la Défense de l'époque, Yitzhak Mordechai, a initialement approuvé la colonie, et en 2004, le Premier ministre israélien de l'époque, Ariel Sharon, a ordonné d'accélérer la construction, mais le projet a ensuite été gelé en raison des pressions exercées par l'administration du président américain George W. Bush.

Les plans de construction de la zone E1 ont été bloqués pendant des décennies en raison de l'opposition internationale, qui estimait que la construction de la colonie anéantirait toute possibilité de solution à deux États pour la Palestine et Israël.

La communauté internationale plaide depuis longtemps en faveur de la création d'un État israélien et d'un État palestinien côte à côte, la Palestine couvrant la Cisjordanie et la bande de Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale.

"E1 ne ressemble à aucune autre colonie en raison de son emplacement stratégique" a déclaré à The New Arab Daniel Seidemann, fondateur et directeur de Terrestrial Jerusalem, une ONG israélienne qui suit les développements politiques à Jérusalem.

Située précisément au milieu de la Cisjordanie, E1 se trouve juste à l'est de Jérusalem (d'où son nom officiel East 1) et à proximité de la colonie israélienne de Ma'ale Adumim.

"L'objectif de E1 est de créer un immense pont terrestre reliant Ma'ale Adumim, la troisième plus grande colonie de Cisjordanie [à Jérusalem], et d'étendre la souveraineté israélienne jusqu'aux falaises surplombant le Jourdain" a déclaré Seidemann.

"En raison de son emplacement immédiatement à l'est de Jérusalem, elle isolerait Jérusalem-Est de ses environs en Cisjordanie, ce qui rendrait pratiquement impossible la création d'une capitale palestinienne à Jérusalem-Est."

Par essence, une colonie israélienne dans le corridor E1 couperait la Cisjordanie en deux, déconnectant sa moitié nord (où se trouvent les villes de Ramallah, Naplouse et Jénine) de son extrémité sud, où se trouvent Bethléem et Hébron, tout en séparant Jérusalem-Est de la Cisjordanie, dont elle fait partie.

"Cela fragmenterait tout État palestinien potentiel et compromettrait son intégrité géographique, mais aussi sa viabilité économique" a déclaré M. Seidemann.

Au-delà de ses répercussions pour la création d'un État palestinien, le projet E1 aurait des conséquences dramatiques pour le développement palestinien.

"Le projet E1 empêche toute expansion palestinienne dans ses environs" a déclaré Hassan Malihat, directeur général de l'Organisation Al-Baidar pour la défense des droits des Bédouins en Palestine.

"Car il coupe les passages naturels entre les communautés palestiniennes et restreint la liberté de mouvement."

Plus précisément, la colonie isole 18 villages bédouins du corridor E1 – soit 3 700 personnes, selon Al-Baidar – des autres villages et villes palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Non seulement ils seront coupés de la vie urbaine palestinienne, mais ils risquent également d'être déplacés pour permettre la construction de la zone E1.

"Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est que la première chose que nous verrons ne sera pas nécessairement la construction [de la zone E1], mais l'expulsion des Palestiniens de la région" a déclaré Aviv Tatarsky, chercheur à Ir Amim, une ONG israélienne qui surveille la politique de Jérusalem.
Avec l'approbation de la zone E1, Al-Baider prévient que le déplacement des Bédouins est imminent et a déclaré à The New Arab que l'organisation avait constaté une augmentation des démolitions de maisons et d'installations agricoles dans ces villages ces dernières années.

Mur de séparation israélien

Pour construire E1, les autorités israéliennes devront déplacer plus à l'est le poste de contrôle d'Az-Zayim, que de nombreux Palestiniens empruntent pour entrer à Jérusalem-Est. Avec le déplacement du poste de contrôle, Israël prévoit de construire une autoroute alternative pour que le trafic palestinien puisse circuler en dehors de la zone E1.

Le cabinet israélien a approuvé la construction de cette route de contournement, qu'il appelle "Fabric of Life Road" (route de la fabrique de vie), en mars 2025. Cette route contournera la zone E1, reliant Ramallah, au nord de la zone E1, au village palestinien d'Al-Izzariya, situé juste en dessous de la limite sud de la colonie.

Au début du mois, l'administration civile israélienne a distribué des ordres de démolition aux commerces d'Al-Izzariya afin de construire l'autoroute.

Bien qu'Israël n'ait pas encore officiellement annexé la Cisjordanie (au-delà de l'adoption de motions symboliques), l'État est déjà en train de mettre en œuvre des mesures sur le terrain.

"En 1983, Israël a promulgué l'ordre militaire 50 afin de construire des routes d'ouest en est et du nord au sud, reliant les colonies israéliennes à Israël" a déclaré le Dr Khalil Toufakji, cartographe palestinien.

La construction de la zone E1 et des routes connexes sont étroitement liées afin de cimenter le contrôle israélien sur la Cisjordanie et d'effacer la population palestinienne.

Et selon Yonatan Mizrachi, membre de l'organisation israélienne Peace Now qui surveille les colonies, il n'est pas nécessaire qu'un projet de loi soit adopté pour que l'annexion ait lieu.

"Même si l'annexion n'est pas reconnue par le parlement israélien" a déclaré Mizrachi, "nous sommes déjà dans une situation d'annexion, ce que nous appelons une annexion de facto".


Jessica Buxbaum est une journaliste basée à Jérusalem qui couvre la Palestine et Israël. Ses articles ont été publiés dans Middle East Eye, The National et Gulf News.

Traduction : AFPS

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La Flottille du Sumud, plus grande flottille civile de l’histoire, défie Israël

2 septembre, par Agence Média Palestine — , , ,
Une nouvelle initiative pour briser le blocus israélien de Gaza s'apprête à prendre la mer, transportant plus de 300 activistes de 44 pays. « Le 31 août, nous lançons la (…)

Une nouvelle initiative pour briser le blocus israélien de Gaza s'apprête à prendre la mer, transportant plus de 300 activistes de 44 pays.

« Le 31 août, nous lançons la plus grande tentative jamais réalisée pour briser le blocus israélien illégal de Gaza, avec des dizaines de bateaux partant d'Espagne. Nous en rejoindrons des dizaines d'autres le 4 septembre, partant de Tunisie et d'autres ports », annonçait la militante suédoise Greta Thunberg le 10 août sur Instagram.

Malgré un contretemps dû aux intempéries, la Global Sumud Flotilla se tient prête à partir, déterminée à briser le siège israélien de Gaza par la mer. Après le Conscience, le Madleen et le Handala, Global Sumud Flotilla devait prendre la mer hier, le dimanche 31 août 2025, atteindre les côtes palestiniennes dans une dizaine de jours.

À la différence des précédentes initiatives, ce n'est pas un seul bateau qui s'apprête à braver le siège israélien, mais toute une flottille composée d'une vingtaine de navires transportant plus de 300 activistes représentant au moins 44 pays, et des dizaines de milliers d'autres individu-es se sont inscrit-es pour participer à l'initiative. Il s'agit de la plus grande flottille civile de l'histoire.

À la vingtaine de bateaux appareillés hier devraient se joindre « des dizaines » de navire supplémentaires, dont les départs de Tunisie et d'autres ports méditerranéens sont prévus le 4 septembre.

La Flottille pourrait néanmoins subir un léger retard en raison d'intermpéries, comme l'explique un communiqué publié ce matin : « En raison de conditions météorologiques dangereuses, nous avons effectué un essai en mer puis sommes revenus au port pour laisser passer la tempête. Cela a entraîné un retard de notre départ afin d'éviter les complications avec les bateaux plus petits »

« Un acte de protestation mondial »

« La Flottille Sumud n'est pas simplement un ensemble de bateaux transportant une aide symbolique et des militants du monde entier », a déclaré le comité dans un communiqué samedi. « Il s'agit d'un acte de protestation mondial et d'un message humanitaire fort contre le silence de la communauté internationale face aux crimes israéliens. Elle affirme que la volonté des peuples libres est plus forte que le génocide et la famine, et que chaque navire qui prend la mer porte un cri d'espoir pour Gaza assiégée et une voix mondiale exigeant la levée du blocus et la fin immédiate de l'injustice. »

Selon le site web Global Sumud Flotilla, la coalition regroupe « un large éventail de personnes, notamment des organisateurs, des humanitaires, des médecins, des artistes, des membres du clergé, des avocats et des marins, qui sont unis par leur croyance en la dignité humaine, le pouvoir de l'action non violente et une seule vérité : le siège et le génocide doivent cesser. »

Un comité directeur a également été mis en place, qui comprend notamment la militante suédoise Greta Thunberg, l'historienne Kleoniki Alexopoulou, la militante des droits humains Yasemin Acar, le socio-environnementaliste Thiago Avila, la politologue et avocate Melanie Schweizer, la sociologue Karen Moynihan, la physicienne Maria Elena Delia, l'activiste palestinien Saif Abukeshek, l'humanitaire Muhammad Nadir al-Nuri, l'activiste Marouan Ben Guettaia, l'activiste Wael Nawar, l'activiste et chercheuse en sciences sociales Hayfa Mansouri et la militante des droits humains Torkia Chaibi.

Les députés insoumis de l'Ille-et-Vilaine et de Seine-Saint-Denis, Marie Mesmeur et Thomas Portes, seront également à bord. « Briser le blocus humanitaire à Gaza est un devoir moral », martèle ce dernier sur X.

Une répression sévère annoncée

Transportant environ 5 tonnes de lait maternel, des filtres à eau, des médicaments et autres produits essentiels qui manquent cruellement à Gaza, la flottille encourt, encore plus que ses prédécesseuses, de grands risques. Israël a en effet d'ors et déjà déclaré qu'elle réprimerait avec une fermeté plus grande encore les activistes qui tenteront de se rendre à Gaza, niant le caractère humanitaire de leur entreprise.

Le ministre israélien de la Sécurité Itamar Ben Gvir a déclaré que les bateaux seraient interceptés, comme les précédents, mais que leur équipage ne serait pas aussitôt renvoyé, qu'il serait cette fois emprisonné, et les navires séquestrés.

« L'État d'Israël doit instaurer une dissuasion claire : quiconque coopère avec le Hamas ou ses relais sera traité avec fermeté. Après quelques semaines à Ketziot ou à Damon, ces sympathisants du terrorisme perdront toute envie d'organiser une nouvelle flottille vers Gaza », a déclaré Itamar Ben Gvir. En 2010, les forces israéliennes ont pris d'assaut le Mavi Marmara, qui faisait partie d'une mission similaire. Les forces israéliennes ont tué 10 militants lors de ce raid.

L'eurodéputée LFI de Caen, Emma Fourreau, arrêtée par l'État israélien alors qu'elle participait à la mission précédente de la Freedom Flotilla, a de nouveau embarqué dimanche 31 août. « On respecte toujours le droit international, donc il n'y a aucune raison de ne pas renvoyer des bateaux », a-t-elle indiqué à France 24. « Nos États doivent nous protéger. Ils en ont les moyens, mais ont choisi jusqu'ici de ne pas le faire ».

Jean-Luc Mélenchon a également réagit en publiant ce message sur son compte X : « Le gouvernement suprémaciste de Netanyahu menace les équipages des Flottilles de représailles cruelles. La France doit interdire cela et prévoir des mesures de rétorsions contre ce régime. »

La famine à Gaza continue de s'aggraver

Neuf Palestinien-nes, dont trois enfants, sont mort-es à cause de la famine imposée par Israël au cours des dernières 24 heures, portant à 348 le nombre de morts liées à la famine, a déclaré ce matin le ministère de la Santé. Ce nombre total comprend au moins 127 enfants.

La famine a été officiellement déclarée à Gaza le mois dernier par l'Integrated Food Security Phase Classification (IPC), l'organisme mondial de surveillance de la faim soutenu par l'ONU. Depuis le 2 mars, les autorités israéliennes ont fermé les postes-frontières de Gaza, plongeant les 2,4 millions d'habitants du territoire dans la famine.

Au moins 63 557 Palestinien-nes ont été tués dans la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza depuis octobre 2023, selon le ministère de la Santé. Le communiqué du ministère ajoute que 160 660 Palestinien-nes ont également été blessés lors des attaques israéliennes.

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Le coût et les conséquences de la crise climatique continuent de battre des records

2 septembre, par John Cartwright — , ,
Alors que le gouvernement fédéral parle de construire de nouveaux oléoducs, il semble ignorer le coût de la crise climatique. 26 août 2025 | tiré de Rabble.ca | Photo : (…)

Alors que le gouvernement fédéral parle de construire de nouveaux oléoducs, il semble ignorer le coût de la crise climatique.

26 août 2025 | tiré de Rabble.ca | Photo : L'incendie du complexe du lac Thunderhill près de Flin Flon, au Manitoba, en juin 2025. Crédit : National Interagency Fire Center / Wikimedia Commons
https://rabble.ca/environment/the-cost-and-consequences-of-the-climate-crisis-continue-to-break-records/

Chaque jour, on annonce de nouveaux feux de forêt menaçant des communautés à travers le pays. Plus de 40 000 personnes ont été évacuées, dont des dizaines de communautés autochtones. La fumée franchit frontières et limites, rappel évident que quelque chose ne va pas – et au cœur de cette crise se trouve le changement climatique.

Il y a dix ans – mais cela semble une éternité – les dirigeant·es du monde se sont réunis à Paris pour élaborer une approche globale face à la crise climatique. Un large consensus s'était dégagé : permettre un réchauffement de 2 degrés aurait des conséquences catastrophiques. L'objectif fut donc fixé de réduire suffisamment les émissions pour limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius. Des programmes ambitieux furent mis en place, et l'idée d'assurer la participation des travailleurs et travailleuses des secteurs concernés fut popularisée sous le nom de « transition juste ». Parmi les voix les plus fortes dans ce processus figuraient celles des travailleurs de l'énergie.

Lors d'un rassemblement syndical à la COP 21 de Paris, Ken Smith, travailleur des sables bitumineux en Alberta et président syndical local, expliqua pourquoi il s'impliquait :

« Imaginez que vous avez une vie décente, que vous travaillez dur, élevez votre famille, avec une maison en bordure d'une ville et de la forêt, dit cet opérateur de machinerie lourde. Puis un jour, un feu de forêt éclate et menace d'engloutir votre maison. Vous attrapez tout ce que vous pouvez porter et fuyez avec votre famille. Le feu continue de vous suivre, jusqu'à ce que vous arriviez à une rivière. Vous n'avez que deux choix : périr ou tout abandonner et traverser à la nage. Ou, si vous aviez commencé plus tôt, vous auriez pu construire un pont. »

Quelques mois à peine après avoir parlé, de manière métaphorique, de la nécessité de bâtir un pont pour éviter le désastre, Smith évacuait sa propre famille de l'incendie gigantesque de Fort McMurray. Dans les années qui ont suivi, les feux sont devenus la nouvelle norme dès le printemps, et les alertes de chaleur extrême font désormais partie de la routine partout dans le monde. Le Bureau d'assurance du Canada rapporte que 2024 a battu tous les records : l'année la plus coûteuse de l'histoire pour les pertes liées aux catastrophes météorologiques, avec 8,5 milliards de dollars.

Mais alors même que des solutions étaient envisagées, la puissance immense de l'industrie des combustibles fossiles s'est employée à nier, retarder et saboter ce nouveau consensus sur la réduction des émissions. Des milliardaires du pétrole ont financé de nouveaux mouvements politiques et leurs champions, et la contre-offensive a commencé de manière acharnée. Donald Trump en est l'exemple le plus extrême, mais il y en a beaucoup d'autres, dont la première ministre de l'Alberta Danielle Smith et le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre, qui défendent la même ligne. Ironiquement, l'idée de « défendre le Canada » face à Trump est reprise par des intérêts corporatifs qui présentent cela comme la nécessité pour le pays de devenir une superpuissance énergétique, avec de nouveaux oléoducs dans toutes les directions et d'énormes subventions à la production pétrolière et gazière.

Cette orientation ne changera rien à l'obsession tarifaire de Trump ni à l'impact sur nos industries. C'est tout simplement une mauvaise direction, aux conséquences énormes. Oui, nous reconnaissons que la hausse du coût de la vie a relégué la crise climatique au second plan dans les priorités de la jeunesse, depuis les jours exaltants des grèves « Fridays for Future ». Mais une récente étude de Jim Stanford, du Centre for Future Work, démontre que la recherche de profits dans le secteur pétrolier et gazier a été un facteur clé dans la flambée des prix depuis la pandémie et l'invasion de l'Ukraine.

Les géants du pétrole nagent dans les profits, et la dernière chose dont un gouvernement a besoin est de continuer à subventionner leurs activités ou d'injecter de l'argent public dans leurs efforts, déjà trop tardifs, pour réduire l'empreinte carbone des sables bitumineux.

Les estimations du niveau des subventions varient. La plus importante a été l'achat et l'achèvement de l'oléoduc Transmountain, dont les coûts réels sont passés de 4,5 milliards à 34 milliards de dollars. Personne ne devrait faire confiance aux estimations pour des projets similaires. En 2025, le matraquage incessant de l'industrie fossile a saturé le débat public, et beaucoup craignent que des milliards supplémentaires soient consacrés aux oléoducs ou à des technologies de captage du carbone non éprouvées. Parallèlement, des appels se multiplient pour la création d'un service national de lutte contre les incendies, alors que les agences provinciales sont débordées par l'ampleur des feux de forêt.

Un investissement beaucoup plus porteur serait la mise en place d'un réseau électrique est-ouest permettant de partager l'électricité à travers le pays. L'énergie propre combinée à un vaste programme de rénovations énergétiques créerait des milliers d'emplois sans compromettre l'avenir. Le prochain budget fédéral sera un test décisif. Il en ira de même de la décision finale sur le plafonnement des émissions dans le secteur pétrolier et gazier. Le mouvement climatique canadien devra intensifier sa pression sur le gouvernement fédéral pour contrebalancer l'influence des PDG pétroliers et de leurs lobbyistes. Car ne pas agir maintenant, avec des mesures sérieuses, signifie une vie entière de conditions météorologiques extrêmes et toutes les conséquences qu'elles entraînent. Et nous paierons bien plus cher plus tard…

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