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Brouille entre l’Algérie et le Mali : le jeu dangereux du pouvoir algérien au Sahel

Dans un communiqué officiel publié le 6 avril 2025 à Bamako, on lit : « Le Collège des Chefs d'État de la Confédération des États du Sahel (AES) a vivement condamné un acte jugé hostile et irresponsable de la part du régime algérien. En effet, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, un drone appartenant aux Forces Armées et de Sécurité de la République du Mali, immatriculé TZ-98D, a été abattu dans le secteur stratégique de Tin-Zaouatène, dans le cercle d'Abeibara, région de Kidal. Un geste que les autorités de l'AES considèrent comme une provocation grave et injustifiée, en violation flagrante du droit international et de la coopération régionale en matière de lutte contre le terrorisme.
Tiré d'Afrique en lutte.
Selon les premières informations rendues publiques, le drone malien détruit menait une mission de surveillance et de neutralisation d'un groupe terroriste actif dans la zone frontalière entre le Mali et l'Algérie. D'après les conclusions de l'enquête diligentée par les autorités compétentes, l'appareil aurait été sciemment visé par une frappe émanant du territoire algérien. Ce tir a interrompu une opération cruciale qui visait à empêcher des attaques terroristes contre les populations et les forces de l'AES.
A cette déclaration, le gouvernement algérien répond ceci : « Par son communiqué, le gouvernement de la transition au Mali porte de graves accusations contre l'Algérie. En dépit de leur gravité, toutes ces allégations mensongères ne dissimulent que très imparfaitement la recherche d'exutoires et de dérivatifs à l'échec manifeste de ce qui demeure un projet putschiste qui a enfermé le Mali dans une spirale de l'insécurité, de l'instabilité, de la désolation et du dénuement…L'échec de cette clique inconstitutionnelle est patent à tous les niveaux, politique, économique et sécuritaire. Les seuls succès dont cette même clique peut se prévaloir sont ceux de la satisfaction d'ambitions personnelles au prix du sacrifice de ceux du Mali, de l'assurance de sa survie au détriment de la protection du Mali et de la prédation des maigres ressources de ce pays frère aux dépens de son développement ».
Rappelons que les débris du drone abattu, ont été retrouvés à 9 kms de la frontière du côté malien. Tandis que l'Algérie revendique la destruction pour intrusion sur son territoire, le Front de Libération de l'AZAWAD (FNLA) dit que c'est lui qui a abattu le drone. Est-ce à dire alors que, l'armée algérienne et le (FNLA), c'est la même chose ?
Que comprendre de toute cette situation ?
1) Le communiqué du gouvernement algérien en réponse à celui du Mali et du collège des chefs d'Etat du Sahel s'en prend de façon agressive au pouvoir en place au Mali dont il va jusqu'à nier la légitimité. On croirait, en lisant ces lignes, entendre Macron et le gouvernement français dans leurs fureurs contre les pouvoirs de l'AES.
2) Mais l'histoire interne récente de l'Algérie donne un éclairage sur la politique et la situation à la frontière de l'Algérie. En effet, il faut savoir que le 26 décembre 1991, le Front Islamique de Salut (FIS), un parti politique algérien qui prône l'instauration de la charia, a remporté les élections législatives au premier tour avec 47% et 188 sur 231 sièges possibles au premier tour, sachant que le Parlement compte 420 députés. Les prévisions lui donnaient une majorité écrasante au 2ème tour qui devait se tenir le 16 janvier 1992. Le 11 janvier 1992 l'armée algérienne annule le deuxième tour des élections et dissout le FIS. Les Islamistes en réaction à ce coup de force déclenchent des massacres à travers tout le pays. L'armée de son côté ne cessait de les traquer. Cette guerre aurait fait, de 1992 à l'an 2000, entre 150.000 et 200.000 morts. Depuis là, c'est toujours l'armée qui est aux commandes en Algérie. Alors, quand le pouvoir algérien parle de junte en s'adressant au pouvoir malien, c'est l'hôpital qui se moque de la charité. Lorsqu'en 2000, le pouvoir algérien promulgue une loi sur la concorde nationale, beaucoup de chefs terroristes se sont retirés au Sahel avec la condition de cesser toute activité terroriste en Algérie.
3) Après l'assassinat du colonel Kadhafi et pour éviter la résistance de sa garde prétorienne sahélienne, la France a fait un deal avec celle-ci en lui promettant un Etat dans le nord -Mali si elle se retirait avec armes et bagages en cette direction. C'est ce qui fut fait. C'est la jonction entre les terroristes venant d'Algérie et ceux revenus de Lybie, qui sera à la base des évènements que nous connaissons aujourd'hui au Sahel. Cela a commencé par la revendication de la création de l'AZAWAD indépendantiste soutenue par les puissances impérialistes au désir de création d'un Etat Islamique au Sahel et dans toute l'Afrique.
4) Il est de notoriété publique que les terroristes se servent du sud de l'Algérie comme base arrière pour leurs basses besognes. C'est là qu'ils s'approvisionnent en carburant et en produits divers. Beaucoup de leurs chefs se cachent aussi là-bas. Depuis plus d'un an, l'Algérie abrite l'Iman réactionnaire, pro-français et protecteur des terroristes, Mahmoud Dicko.
5) Le pouvoir algérien est mécontent parce que le pouvoir malien a déchiré les accords d'Alger qui ont été imposés au Mali dans un moment de faiblesse et qui font la part belle aux groupes terroristes. Cela ne devait pas être, car le Mali a décidé de lutter pour sa souveraineté et son intégrité territoriale et l'Algérie se doit de respecter cette position.
6) Après la brouille récente entre la France et l'Algérie, et dans le cadre de sa résolution, le ministre des affaires étrangères de France, Jean-Noël Barrot en visite à Alger a déclaré que la France était prête à conclure avec l'Algérie, une alliance stratégique à propos du Sahel. Qu'est-ce à dire ? Que viendrait chercher la France en reconquête coloniale à côté de l'Algérie au Sahel ?
Tout ceci suscite des interrogations au niveau des peuples africains qui sont engagés dans le processus de leur indépendance réelle. Le pouvoir algérien a intérêt à ne pas ruiner le prestige de l'Algérie qui, par sa lutte héroïque pour l'indépendance contre le colonialisme français a le respect des autres peuples du monde et ceux d'Afrique en particulier.
Voilà pourquoi il faut dénoncer le jeu dangereux que joue le pouvoir algérien avec cette crise qu'il vient de provoquer avec le Mali et la Confédération des Etats du Sahel.
Afia
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Soudan contre Emirats Arabes Unis : une bataille juridique historique

Ce 10 avril 2025, un événement historique a eu lieu à La Haye. La Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire des Nations unies, a entamé l'examen d'une plainte déposée par l'État soudanais contre les Émirats arabes unis. Pour la première fois, un pays africain ose porter devant la justice internationale les ingérences d'une puissance du Golfe.
Tiré du blogue de Sudfa.
Ce 10 avril 2025, un événement historique a eu lieu à La Haye. La Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire des Nations unies, a entamé l'examen d'une plainte déposée par l'État soudanais contre les Émirats arabes unis (EAU). Le gouvernement soudanais accuse en effet les Emirats de soutenir activement les Forces de soutien rapide (FSR), la milice paramilitaire accusée de génocide et crimes de guerre au Darfour mais aussi dans tout le Soudan.
Ce procès ouvre une nouvelle page dans les relations internationales et met en lumière le rôle trouble de certaines puissances régionales dans la déstabilisation de l'Afrique.
Une accusation grave : le soutien à un génocide en cours
Lors de la première audience, le ministre soudanais de la Justice, Muawiya Osman, n'a pas mâché ses mots. Il a affirmé devant la Cour que « les Émirats arabes unis sont la force motrice du génocide perpétré au Darfour contre la tribu des Massalit », et que ce soutien militaire, logistique et financier à la milice FSR est un facteur central de la violence qui ravage aujourd'hui l'ouest du Soudan.
Depuis le début du conflit en avril 2023, la milice FSR est accusée d'avoir mené des campagnes d'exécutions, de viols de masse, de déplacements forcés et de pillages systématiques. Ces crimes, documentés par beaucoup d'activistes, d'associations, notamment via le témoignage des survivants, ont conduit le Soudan à invoquer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (fondée en 1948), pour laquelle la CIJ est compétente.
Le rôle des Émirats arabes unis dans la région : entre ingérence et influence
Les accusations portées par le Soudan ne surprennent pas les analystes. Depuis plusieurs années, les Émirats arabes unis ont joué un rôle actif – et souvent controversé – dans divers conflits régionaux, notamment en Libye, au Yémen, et dans la Corne de l'Afrique. Leur stratégie s'appuie sur un mélange de soutien militaire aux groupes armés, de diplomatie économique agressive, et d'influence médiatique massive, à travers des chaînes satellitaires et des campagnes sur les réseaux sociaux.
Mais au Soudan, le scénario a déraillé. Contrairement à d'autres pays où le gouvernement emirati a su imposer son agenda sans grande résistance, la population soudanaise – forte de son expérience révolutionnaire depuis 2019 – ainsi que l'armée nationale, ont opposé une résistance farouche aux tentatives de mainmise extérieure. Face à cet échec, les EAU ont opté pour une guerre de l'information, lançant des campagnes de désinformation et de dénigrement contre les institutions soudanaises et leurs dirigeants.
Une guerre médiatique parallèle
Cette offensive médiatique a été particulièrement visible depuis 2023. Des centaines de pages Facebook, de comptes X (Twitter) et d'influenceurs ont été mobilisés pour attaquer l'armée soudanaise et semer la confusion au sein de l'opinion publique. Objectif : diviser, affaiblir, et briser toute tentative d'unité nationale. Une stratégie qui, selon plusieurs experts, reflète l'ampleur de la frustration des Émirats face à un pays qui refuse de céder à leur domination. Ils soutenaient la milice FSR dans l'objectif précis que celle-ci était une force d'opposition à l'armée ces dernières années.
Cette guerre de l'image s'est aussi traduite par le silence des grandes chaînes arabes – souvent financées ou influencées par les EAU – sur la plainte déposée devant la CIJ. Selon l'activiste Hisham Othman, cette absence de couverture « illustre la lâcheté de nombreux médias arabes, qui préfèrent se taire malgré la sympathie réelle des peuples arabes envers la cause soudanaise ».
Une bataille diplomatique et juridique à fort impact
L'audience de la CIJ pourrait marquer un tournant. Même si une décision définitive prendra des mois, voire des années, ce procès ouvre plusieurs perspectives. D'un point de vue politique, il met les Émirats arabes unis sous les projecteurs, les obligeant à répondre publiquement à des accusations graves. Leur réputation internationale, longtemps protégée par leur puissance économique, se trouve fragilisée. D'un point de vue juridique, la CIJ peut émettre des mesures conservatoires – comme interdire tout soutien militaire aux FSR – et renforcer la pression sur Abou Dhabi.
Selon l'activiste Anas Mansour, il s'agit d'un moment historique : « Pour la première fois, un pays africain ose porter devant la justice internationale les ingérences d'une puissance du Golfe, en s'appuyant sur un traité vieux de plus de 75 ans. »
Une leçon pour les ingérences futures
La situation actuelle montre les limites d'un modèle d'influence par la force et l'argent. Là où les EAU ont pu imposer leur vision en exploitant la fragilité institutionnelle d'autres pays, le Soudan offre un contre-exemple puissant : celui d'un peuple en lutte, d'un message porté par des militant.e.s et des collectifs infatigables, et d'une mobilisation nationale pour la souveraineté, soutenues par des membres du gouvernement.
Le vrai enjeu, désormais, dépasse le cadre du tribunal. Il s'agit pour le Soudan de maintenir l'unité nationale, de résister aux tentatives de déstabilisation, et de faire entendre sa voix dans un système international souvent biaisé. Construire et reconstruire un avenir loin de la manipulation géopolitique et économique internationale de différences ethniques locales, ayant servi de justification à un génocide sanglant. Cette plainte, bien que tardive, est un pas vers la reconnaissance de la vérité, la fin de l'impunité, et peut-être, l'ouverture d'un nouveau chapitre pour la justice en Afrique.
Par Hamad Gamal
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Soudan. « Deux ans de guerre par les milices soudanaises (FAS et FSR). Etre du côté de la Révolution et non pas avec les seigneurs de guerre »

Cela fait aujourd'hui deux ans que la guerre contre-révolutionnaire a commencé le 15 avril 2023 entre les deux milices au pouvoir au Soudan : les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, et les Forces de soutien rapide (FSR), dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemetti.
Tiré d'À l'encontre.
Cette guerre n'a pas pour but de protéger le Soudan et sa population. C'est une guerre pour le pouvoir et le profit, une attaque directe contre les revendications de la révolution de 2018, lorsque des millions de personnes se sont soulevées pour réclamer la liberté, la paix et la justice.
Les deux milices, autrefois partenaires dans la répression, déchirent aujourd'hui le pays. Des centaines de milliers de personnes ont été assassinées. Plus de 13 millions de personnes ont été chassées de chez elles. Les systèmes de santé et d'éducation du Soudan se sont effondrés. Les usines et les infrastructures ont été détruites. Le viol est utilisé comme arme de guerre [1]. La nourriture et les médicaments ne parviennent pas à ceux qui en ont besoin. La moitié de la population soudanaise, soit 25 millions de personnes, souffre de la faim. La famine a déjà été confirmée dans 10 régions.
Cette dévastation n'est pas seulement le fait des généraux soudanais. Les puissances régionales et internationales ont travaillé activement pour faire avorter la révolution soudanaise et ont alimenté cette guerre pour servir leurs propres intérêts. L'Egypte, l'Arabie saoudite, la Turquie et l'Iran soutiennent les Forces armées soudanaises (FAS). Les Emirats arabes unis (EAU) et le Kenya soutiennent les Forces de soutien rapide (FSR) et profitent de la contrebande d'or soudanais. La Russie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis fournissent des armes aux deux camps, directement ou par l'intermédiaire de leurs mandataires régionaux.
Les gouvernements occidentaux, sous couvert de « pourparlers de paix » [2], offrent des tribunes aux mêmes seigneurs de guerre qui détruisent le pays. Ces pourparlers n'apportent pas la paix, ils apportent une légitimité à la contre-révolution. Tous les acteurs étrangers impliqués aujourd'hui au Soudan sont complices de la prolongation de la guerre.
Nous, membres de MENA Solidarity, soutenons fermement le mouvement révolutionnaire soudanais, les comités de résistance, les syndicalistes, les militantes féministes et les réseaux locaux qui risquent tout pour construire un avenir différent depuis la base.
Nous appelons les syndicalistes, les militants anti-guerre et les activistes du monde entier à s'opposer à toute vente d'armes aux milices soudanaises et aux Etats qui les soutiennent, à exiger des gouvernements qu'ils ouvrent des voies sûres et accordent l'asile aux réfugiés soudanais, et à construire une solidarité active avec les forces révolutionnaires soudanaises qui luttent pour une véritable démocratie, la justice et la fin du régime militaire. (Déclaration publiée par MENA Solidarity Network. Solidarity with Workers in the Middle East, le 15 avril 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Notes
[1] Sur « le viol comme arme de guerre », les lecteurs et lectrices peuvent se reporter à cette récente analyse d'Amnesty International du 10 avril : « Soudan. Le recours atroce et généralisé aux violences sexuelles par les Forces d'appui rapide détruit des vies »
Ce 15 avril, Amnesty International Belgique, dans un article intitulé « Soudan, deux années de conflit et d'indifférence de la communauté internationale », écrit : « Depuis deux ans, les forces armées soudanaises, les Forces d'appui rapide et leurs alliés ont commis des crimes atroces, notamment des violences sexuelles contre des femmes et des filles, ont torturé et affamé des civil·e·s, ont procédé à des arrestations et perpétré des homicides, et ont bombardé des marchés, des camps pour personnes déplacées et des hôpitaux. Ces atrocités constituent des crimes de guerre. » (Réd. A l'Encontre)
[2] Sur le site Middle East Eye, le 15 avril 2025, Imran Mulla et Daniel Hilton écrivent : « Une conférence sur le conflit au Soudan a débuté à Londres alors que des massacres se déroulent dans le nord du Darfour, avec plus d'un million de personnes à El-Fasher [capitale de la province du Darfour du Nord] qui implorent la protection alors que les forces paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) avancent sur la ville. La Grande-Bretagne co-organise le sommet de mardi aux côtés de l'Union africaine, de l'Union européenne, de la France et de l'Allemagne, et a annoncé une aide de 120 millions de livres sterling au début de la conférence. […] Mardi 15, les travailleurs humanitaires et les analystes ont déclaré que le sommet devait donner la priorité à la protection des civils plutôt que de se limiter à une conférence portant sur des promesses de dons. “La protection des civils ne peut pas être laissée de côté”, a déclaré Kate Ferguson, codirectrice exécutive de l'ONG Protection Approaches, aux journalistes avant la réunion. » (Réd. A l'Encontre)
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Des États-Unis au Nigeria, la fabrique d’un « génocide des chrétiens »

Aux États-Unis, des responsables politiques chrétiens, en particulier évangéliques, affirment que les croyants au Nigeria seraient victimes de violences, voire de « génocide ». Le politiste Marc-Antoine Pérouse de Monclos, spécialiste des violences en Afrique, questionne la méthodologie scientifique des études sur lesquelles se basent ces dénonciations et les biais des promoteurs de ces thèses.
Tiré d'Afrique XXI.
Mars 2025 : à la suite d'auditions sur les persécutions contre les chrétiens, des membres du Congrès des États-Unis demandent au président Donald Trump de mettre en place des sanctions contre le Nigeria. Ils accusent les autorités d'Abuja de ne pas suffisamment veiller au respect de la liberté de religion dans un pays régulièrement présenté comme un cas d'école du choc des civilisations sur une ligne de fracture opposant un Nord « musulman » et sahélien à un Sud « chrétien » et tropical. Alors que le président Bola Tinubu est lui-même musulman, les néoconservateurs états-uniens en tiennent pour preuve le nombre de chrétiens tués par des groupes djihadistes ou des milices peules. À en croire certains, le géant de la région enregistrerait, en effet, plus de conflits religieux que tous les autres pays d'Afrique réunis (1).
Indéniablement, le Nigeria connaît des niveaux élevés de violence. Depuis la guerre de sécession du Biafra en 1967-1970, les accusations de génocide y sont fréquentes. Elles ont alimenté les conflits des années 1990 puis 2000, du soulèvement des Ogonis contre l'exploitation pétrolière dans le delta du Niger, sur la côte atlantique au sud, jusqu'aux confrontations entre migrants et autochtones dans la Middle Belt, à l'interface entre les aires de cultures islamique et chrétienne. Ainsi, le sultan de Sokoto, Muhammad Sa'ad Abubakar, et des chefs traditionnels peuls du Nord ont, à plusieurs reprises, dénoncé un prétendu génocide des musulmans installés à Jos, chef-lieu administratif et symbolique de l'État du Plateau, dans la ceinture centrale du pays.
De leur côté, des lobbies chrétiens ont accusé les migrants haoussas et peuls de massacrer les minorités autochtones de la région avec la complicité de l'armée. Musulman peul originaire de l'État septentrional du Katsina, le président au pouvoir de 2015 à 2023, Muhammadu Buhari, a notamment été soupçonné par les Églises pentecôtistes les plus extrémistes d'avoir couvert, voire coordonné une campagne de persécutions contre les chrétiens de la Middle Belt (2). Ces assertions ont parfois été relayées en Europe et aux États-Unis par des groupes de la mouvance évangélique, des parlementaires de droite ou des essayistes tels que Bernard-Henri Lévy.
Privilégiant la médiation, l'Église catholique du Nigeria a, quant à elle, pris soin de se tenir à l'écart des allégations les plus farfelues. En 2014, elle a suspendu sa participation à la Christian Association of Nigeria (CAN) pour se dissocier des déclarations belliqueuses de son président pentecôtiste, Ayo Oritsejafor. En 2019, une ONG états-unienne, Jubilee Campaign, a approché la Cour pénale internationale à La Haye afin de déposer une plainte contre les djihadistes de Boko Haram pour génocide. Dans un rapport intitulé « The Genocide is Loading » (qui n'a pas été mis en ligne), l'organisation soutenait que 4 194 chrétiens avaient été tués au Nigeria entre 2014 et 2016.
Des accusations qui ne sont pas nouvelles
Tout cela n'est pas complètement nouveau. À l'époque de la sécession biafraise, déjà, les rebelles avaient donné une tournure religieuse à leur combat et cherché à gagner le soutien des pays occidentaux en se présentant comme les cibles d'un génocide perpétré par les Haoussas et par les Peuls musulmans du Nord contre les Ibos chrétiens du Sud-Est (3). Les insurgés avaient avancé le chiffre de 1 à 2 millions de morts, essentiellement du fait d'un blocus militaire qui avait provoqué une effroyable famine mais qui n'avait pas débouché sur l'élimination des survivants après la victoire des « fédéraux », en 1970. Une fois défaits et écartés du pouvoir, les Ibo avaient continué de se dire victimes d'un génocide silencieux afin de dénoncer leur marginalisation politique et économique. L'un d'eux, Herbert Ekwe-Ekwe, soutenait ainsi dans Biafra Revisited (African Renaissance, 2007) qu'ils auraient compté près de 18 000 personnes des 20 000 assassinées par les forces de sécurité nigérianes entre 1999 et 2006, cela sans indiquer ni sources ni mode de calcul.
Aujourd'hui, les accusations et contre-accusations de génocide continuent de s'appuyer sur des assertions invérifiables. Du côté chrétien, elles se focalisent non seulement sur les affrontements dans l'État du Plateau, mais aussi sur le banditisme peul dans le Nord-Ouest et sur les insurrections djihadistes dans le Nord-Est qui les prennent souvent pour cible, même si la très grande majorité des victimes des factions de la mouvance Boko Haram est musulmane. Sans citer de sources, des représentants de la Christian Association of Nigeria (CAN) ont ainsi prétendu que des Peuls « radicalisés » avaient assassiné quelque 6 000 chrétiens de la Middle Belt pendant les six premiers mois de l'année 2018 (4). Au cours de la même période, une obscure ONG ibo d'Onitsha, International Society for Civil Liberties & the Rule of Law (Intersociety), avançait, pour sa part, que 2 400 fermiers chrétiens avaient été tués par des éleveurs et des « extrémistes » peuls, dans un article publié par le Christian Post.
Les chercheurs nigérians eux-mêmes n'ont pas forcément été plus regardants lorsqu'ils ont mobilisé des chiffres « sortis de leur chapeau » dans un pays où il n'existe ni données policières ni statistiques officielles à propos des homicides. Selon l'un d'eux, Charles Abiodun Alao, auteur de l'article « Islamic radicalisation and violence in Nigeria » publié par Routledge en 2013, la « radicalisation de l'islam » aurait ainsi causé la mort de 50 000 personnes entre 1980 et 2012.
Les chiffres arbitraires d'Open Doors
En général, les organisations évangéliques des pays occidentaux veillent, certes, à citer des sources lorsqu'elles recourent à des arguments quantitatifs pour démontrer l'ampleur de tueries à caractère génocidaire. Mais leurs références sont hautement discutables sur le plan scientifique. Citons, par exemple, Christian Solidarity Worldwide (CSW), un lobby britannique mené par une figure du parti conservateur anoblie par le gouvernement de Margaret Thatcher, ou bien encore le Global Terrorism Index et World Watch Monitor : le premier est un think tank australien qui a la particularité de désigner l'ensemble des éleveurs peuls « militants » comme un groupe terroriste ; le second, un collectif qui défend les droits des chrétiens dans le monde. Les distorsions statistiques sont parfois flagrantes. Dans un rapport publié en 2019, une ONG protestante, Open Doors, estimait ainsi que le Nigeria était le pays où l'on tuait le plus grand nombre de chrétiens dans le monde, avec 3 731 morts recensés en 2018 (5). Par la suite, le classement ne devait guère varier, avec quelque 3 100 meurtres sur un total de près de 4 500 à l'échelle planétaire en 2024.
Pour autant, il n'est pas évident que toutes les victimes comptabilisées par Open Doors aient été ciblées en raison de leur confession. Dans son rapport pour l'année 2024, l'ONG admettait que des bergers peuls tuaient des chrétiens « pour les empêcher d'élever du bétail », donc dans le cadre de rivalités relevant d'une compétition économique plus que de disputes d'ordre religieux.

En 2017, des discussions entamées par l'auteur de cet article avec les documentalistes d'Open Doors avaient par ailleurs révélé une forte inclination à interpréter tendancieusement des statistiques tirées d'une base de données, NigeriaWatch, qui comptabilise les morts violentes et qui est actualisée par des chercheurs de l'université d'Ibadan. Pour appuyer son propos, l'ONG avait en effet appliqué un taux uniforme de 30 % de chrétiens dans le Nord à dominante musulmane du pays. Cette proportion était pour le moins arbitraire, sachant qu'il n'existe plus de données publiques et officielles sur les affiliations confessionnelles de la population depuis le recensement de 1963. En extrapolant, l'ONG n'en avait pas moins estimé que 30 % des personnes tuées dans les douze États du nord de la fédération nigériane devaient forcément être chrétiennes.
Mieux encore, Open Doors a considéré qu'une bonne partie de ces victimes étaient mortes en raison de leurs croyances, alors même qu'elles avaient tout aussi bien pu succomber du fait d'attaques liées à des crimes de droit commun : pour leur portefeuille et non pour leur foi.
Des victimes forcément chrétiennes
Indéniablement, il existe des discriminations et des persécutions antichrétiennes dans le nord du Nigeria. À l'occasion, il arrive aussi que des chrétiens soient tués en raison de leur confession, notamment lors d'attaques menées contre des lieux de culte par des djihadistes de la mouvance Boko Haram, par des gangs de criminels ou, très rarement, par des membres d'Églises rivales. Mais il importe de ne pas exagérer l'ampleur démographique de ces incidents et de les remettre en perspective dans un pays, le plus peuplé du continent, qui compte plus de 200 millions d'habitants. D'après les données de NigeriaWatch, les victimes de violences impliquant au moins une organisation religieuse représentent, en réalité, une part infime des homicides, tandis que les confrontations interconfessionnelles restent exceptionnelles.
Sur le plan méthodologique, les allégations d'un comité du nom d'International Committee On Nigeria (ICON) se révèlent être tout aussi fragiles. Dans un rapport publié aux États-Unis en 2020, celui-ci dénonce le génocide des chrétiens par les djihadistes de Boko Haram. À l'en croire, le groupe aurait tué 27 000 civils depuis 2009, davantage que l'État islamique en Irak et en Syrie. Les sources citées proviennent tout à la fois du Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), un projet d'agrégation de données sur les conflits armés, du Nigeria Security Tracker (NST), une initiative d'un ancien diplomate états-unien autrefois en poste à Lagos, et de Study of Terrorism and Responses to Terrorism (START), une émanation du ministère états-unien de l'Intérieur. Elles sont prétendument vérifiées et recoupées par des enquêtes de terrain menées par un réseau de militants chrétiens au Nigeria (6).
La liste des incidents fournie en annexe par ICON ne couvre cependant qu'une période de deux mois, de décembre 2019 à janvier 2020. Elle comporte beaucoup de pages blanches et présente de nombreux problèmes. D'abord, il y a parfois des doublons : un même événement est répertorié plusieurs fois quand il est rapporté par des sources différentes, journalistiques ou policières. De plus, les additions ne correspondent pas toujours aux chiffres annoncés, tandis que certains incidents sont mentionnés dans le texte mais pas dans le répertoire en annexe. Surtout, le comité ICON reconnaît lui-même qu'il est « très difficile, voire impossible, de connaître exactement le nombre de personnes tuées ou déplacées par Boko Haram et les milices peules » depuis 2009 (7).
Comme pour Open Doors, les arguments présentés en vue de prouver mathématiquement l'existence d'un génocide ne sont pas non plus convaincants. Les 27 000 victimes de Boko Haram sont qualifiées de civiles mais rien ne dit qu'elles sont chrétiennes. De plus, ICON mélange dans son décompte les attaques létales des groupes djihadistes et celles des bandits peuls, quitte à y inclure les décès résultant de conflits fonciers entre des communautés qui ne s'affrontent pas pour des raisons religieuses, même si elles sont parfois de confessions différentes.
Donald Trump invité dans le débat
Les partisans de la thèse d'un génocide religieux révèlent ainsi de sérieuses lacunes sur le plan scientifique. Soucieux de défendre leur argumentaire, ils prennent d'abord bien soin de ne pas citer de sources susceptibles de contredire leurs assertions. Quant à ceux dont les bases de données s'appuient sur des articles de presse, ils ne cherchent pas non plus à analyser les sensibilités politiques et les biais confessionnels de journalistes nigérians surtout concentrés dans les villes du Sud et qui, pour des raisons historiques et d'héritage colonial, comprennent essentiellement des chrétiens au vu des déficiences d'accès à une éducation moderne pour les musulmans du Nord. L'absence de questionnement sur la qualité, la fiabilité et la cohérence des sources utilisées est tout à fait significative à cet égard.
En témoigne le rapport publié en 2024 par l'Observatoire de la liberté religieuse en Afrique, (Observatory of Religious Freedom in Africa, ORFA). Celui-ci est intéressant à plus d'un titre car il a, entre autres, servi à alimenter l'argumentaire des parlementaires états-unien qui, en mars 2025, ont accusé le Nigeria de laisser faire la persécution des chrétiens et demandé au président Donald Trump de mettre en place des sanctions contre le pays.
A priori, l'étude de l'ORFA semble de bien meilleure facture que les habituelles incartades des organisations de plaidoyer pentecôtistes (8). Pour démontrer que les chrétiens sont davantage visés que les musulmans, elle fournit ainsi d'impressionnantes listes de tableaux statistiques en annexe. Supervisée par un politiste de l'université du Costa Rica, elle dit ne pas vouloir prendre parti, prétend s'en tenir à la collecte des faits et n'évoque pas l'existence d'un génocide.
Un méli-mélo de sources et de données
Sa méthodologie ne pose pas moins problème. En effet, elle se base sur des sources très différentes : des réseaux sociaux, des partenaires locaux au Nigeria, des rapports d'ONG, des articles de presse, ACLED et le NST. Mais on ne sait pas comment, concrètement, l'ORFA procède pour fusionner, pondérer et apprécier la fiabilité des données recueillies à partir de capteurs aussi hétérogènes. En outre, les sources ne sont pas cohérentes pendant toute la période considérée dans l'étude, d'octobre 2019 à septembre 2023. L'ORFA a ainsi commencé à élargir son corpus en octobre 2021 et à intégrer les données d'ACLED en octobre 2022, cela tout en renonçant à employer celles du NST, interrompues depuis juillet 2023. Or ces discontinuités constituent autant de distorsions susceptibles de fausser les résultats. Dans son rapport, l'ORFA reconnaît d'ailleurs que la proportion de victimes dont l'affiliation religieuse n'a pas pu être déterminée était beaucoup plus élevée en 2020 et en 2021, avant que l'organisation décide d'élargir et d'affiner son corpus.
À défaut d'enquête de terrain dans un pays dépourvu d'état civil, on peut également se demander comment l'Observatoire distingue les civils des combattants et les chrétiens des musulmans. Sur ce dernier point, les rédacteurs du rapport de 2024 disent avoir recoupé leurs informations avec des partenaires locaux qui ne peuvent pas être nommés, « pour des raisons de sécurité », mais qui sont très vraisemblablement des militants chrétiens, sachant que l'ORFA émane en réalité d'une fondation hollandaise établie en 2010 et financée par des Églises évangéliques d'Amérique latine, Platform for Social Transformation. Sous prétexte de respecter leur anonymat, l'Observatoire déroge ainsi à un principe de base de la science, à savoir la possibilité de vérifier, de tester et de trianguler les sources utilisées, les faits collectés et les résultats obtenus. Seuls les chiffres sont rendus publics, avec 16 769 chrétiens tués sur un total de 30 880 civils morts en quatre ans, dont 6 235 musulmans et 7 722 victimes non identifiées.
Par ailleurs, selon les données de l'ORFA, les musulmans seraient davantage visés que les chrétiens dans certaines communes du nord-ouest du Nigeria. Dans une démarche scientifique, il aurait été intéressant de se demander pourquoi, même si la géographie des tueries et celle des enlèvements ne se recoupent pas parfaitement. Il n'aurait pas été inutile non plus d'affiner l'analyse en s'interrogeant davantage sur la composition religieuse des diverses régions touchées par des violences. Mais l'ORFA ne cherche guère à s'aventurer sur ce terrain et, là encore, la méthodologie utilisée ne manque pas de surprendre. En effet, les rédacteurs anonymes du rapport de 2024 appliquent dans chaque État du pays des taux de musulmans et de chrétiens invariables d'une année sur l'autre. Aucune source n'est citée pour expliquer la provenance de ces chiffres pour le moins mystérieux dans un pays dépourvu, depuis plus de soixante ans, de statistiques publiques à propos de la ventilation confessionnelle de la population.
Des catégorisations embrouillées
Les approximations ne s'arrêtent pas là. Les rédacteurs de l'ORFA soutiennent que les chrétiens du Nigeria sont essentiellement tués par des bergers peuls et des mouvements terroristes autres que Boko Haram et l'État islamique en Afrique de l'Ouest. Cette catégorie des « autres terroristes » ne manque pas d'intriguer. D'après la note méthodologique de l'ORFA, il s'agit de divers groupes qui n'ont pas pu être identifiés, qui seraient très décentralisés et qui comprendraient aussi des bandits engagés dans des milices ethniques aux côtés des bergers peuls. Les lignes de distinction paraissent d'autant plus embrouillées que, dans le même temps, les pasteurs peuls sont également assimilés à un groupe « terroriste », « le plus meurtrier » d'entre tous, selon le rapport d'ORFA déjà cité. À suivre ce raisonnement, il n'y aurait pas de bandits au Nigeria, seulement des « terroristes » : un narratif qui révèle bien les apories d'un Observatoire décidément peu au fait de la prudence de la communauté académique quant à l'emploi tous azimuts d'un qualificatif disqualifiant.
Comme Open Doors et le comité ICON, l'ORFA peine ainsi à démontrer que les chrétiens sont tués en raison de leur croyance. Les deux témoignages anonymes cités à l'appui de ses dires mettent, certes, en évidence des discriminations d'ordre religieux. Dans certains cas, les otages musulmans qui pouvaient réciter des sourates du Coran afin de prouver leur foi ont effectivement été relâchés sans payer de rançon, tandis que les chrétiens étaient brutalisés, exécutés pour les hommes ou violés pour les femmes. Mais dans d'autres cas, c'est l'inverse. Des captifs musulmans aux mains des djihadistes de la mouvance Boko Haram ont été tués ou recrutés de force pour commettre des attentats-suicides, tandis que les chrétiens étaient épargnés parce que leurs ravisseurs avaient l'espoir d'en tirer un bon prix.
D'une manière générale, on peut s'interroger sur la portée des deux témoignages cités par l'ORFA à l'échelle d'un pays aussi gigantesque que le Nigeria. Les approximations et les biais méthodologiques des partisans de la thèse du génocide desservent, en réalité, la cause des chrétiens. Sur le fond, il n'y a pas besoin d'exagérer l'ampleur des drames humains pour s'inquiéter de violences endémiques et de discriminations qui tiennent bien autant à des questions d'appartenance confessionnelle que de statut social, dans le cadre d'un système politique qui accorde une forte préférence régionale aux autochtones de chacun des trente-six États du pays.
Pour garantir son sérieux, une analyse pondérée et scientifique des persécutions à caractère religieux devrait ainsi s'intéresser aussi aux musulmans qui, dans le sud du Nigeria, sont désignés à la vindicte populaire et parfois lynchés parce qu'ils font figure d'étrangers facilement identifiables par leur habillement et leurs scarifications tribales. Les causes des violences sont fort complexes. Au-delà des disputes macabres sur le nombre de victimes, le problème est d'abord de nature politique. Qu'il s'agisse du sort des chrétiens ou de celui des musulmans, les récits sur un génocide « religieux » doivent en conséquence être compris sur un registre profane. Les polémiques dont le Nigeria fait aujourd'hui l'objet mériteraient certainement, à cet égard, de tirer les leçons des controverses qui ont autrefois pu attiser les tensions à propos de la guerre du Biafra.
Notes
1- Charles Abiodun Alao, « Islamic radicalisation and violence in Nigeria », in Militancy and Violence in West Africa : Religion, Politics and Radicalisation, Routledge, p. 42, 2013.
2- International Committee on Nigeria, « Nigeria's Silent Slaughter : Genocide in Nigeria and the Implications for the International Community », 2020.
3- Numéro spécial du Journal of Genocide Research, vol. 16, n° 2-3, 2014.
4- Rev Bewarang, Dr. Soja, « Statement by church leaders in Plateau State », 2018.
5- Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Les persécutions antichrétiennes en Afrique, un sujet sensible », The Conversation, 2019. À lire ici.
6- International Committee on Nigeria et International Organisation for Peace Building and Social Justice, « Nigeria's Silent Slaughter : Genocide in Nigeria and the Implications for the International Community », 2020.
7- International Committee On Nigeria et International Organisation for Peace Building and Social Justice, « Nigeria's Silent Slaughter : Genocide in Nigeria and the Implications for the International Community », 2020.
8- ORFA, « Countering the myth of religious indifference in Nigerian terror (10/2019–9/2023) », 2024.
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Ukraine : Ce que pensent les Ukrainiens de la « paix impériale » de Trump

Un mois après le lancement du canal de négociation entre Washington et Moscou, les pourparlers qui visent à mettre fin à l'invasion russe de l'Ukraine ont connu une nouvelle étape à Riyad, capitale saoudienne, entre le 23 et le 25 mars.
14 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/14/ukraine-ce-que-pensent-les-ukrainiens-de-la-paix-imperiale-de-trump/#more-92655
Un sommet secret, médiatisé par les Saoudiens, avec des délégations séparées pour la Russie et l'Ukraine, mais avec le même directeur en arrière-plan : les États-Unis et, à distance, leur président Donald Trump. L'objectif officiel, promu par Trump depuis la campagne électorale à travers la rhétorique de la fin de la guerre « en 24 heures », est de désamorcer le conflit, au moins partiellement, à partir d'un cessez-le-feu temporaire.
Mais les prémisses de cette dernière sont déjà fragiles. Les négociations ont débuté à la mi-février, lorsque les délégations russe et américaine se sont rencontrées pour la première fois dans la capitale saoudienne, suivies de la rencontre désastreuse à la Maison Blanche entre Volodymyr Zelensky et Trump le 28 février. Enfin, la semaine dernière, ce fut le tour de l'appel téléphonique entre Trump et Poutine, qui a duré quatre-vingt-dix minutes, qui a réduit les attentes élevées proposées par la communication de Trump.
Selon les médias américains, les négociations américaines ont duré plusieurs jours : d'abord, la rencontre entre la délégation ukrainienne conduite par Rustem Umerov et Pavlo Palisa ; puis avec son homologue russe Grigori Karasine et Sergueï Beseda, ancien haut responsable du FSB ; nouvelle confrontation entre l'Ukraine et les États-Unis mardi. À court terme, deux questions principales étaient sur la table : la sécurité de la navigation en mer Noire et la suspension mutuelle des attaques contre les infrastructures énergétiques pendant un mois.
Le président russe Vladimir Poutine a officiellement approuvé l'idée américaine, soutenant la proposition de Trump d'un gel mutuel des bombardements des réseaux énergétiques pendant 30 jours. Une décision amplifiée par les mégaphones des médias d'État russes, TASS et RIA Novosti, qui ont souligné que l'autocrate russe soutenait les propositions de Trump et a ordonné aux forces armées russes de s'abstenir de frapper les infrastructures ukrainiennes.
Après des discussions à Riyad, la Russie et l'Ukraine ont également convenu d'un cessez-le-feu limité en mer Noire, mais Moscou conditionne sa mise en œuvre à la levée des sanctions. Zelensky conteste les concessions américaines, craignant une partition du pays par l'arrière. Il est ensuite revenu à la critique de l'administration Trump, l'accusant de complicité avec le Kremlin, après un allègement de la rhétorique suite à l'embuscade dans le Bureau ovale.
La signification de la paix pour les Ukrainiens
Si l'on tient compte des limites des sondages d'opinion, notamment lors d'une guerre d'invasion, le tableau peut paraître contradictoire. 77% des Ukrainiens évaluent positivement la proposition d'un cessez-le-feu de 30 jours, mais 79% considèrent les conditions dictées par Poutine comme totalement inacceptables. Deux chiffres qui, lus hors contexte, pourraient prêter à des interprétations commodes pour ceux qui veulent vendre à l'opinion publique internationale un récit de volonté de compromis – qui, dans les exigences du Kremlin, équivaut à une capitulation irrévocable de Kiev.
Les données recueillies par l'Institut international de sociologie de Kiev (KIIS) entre le 12 et le 25 mars révèlent une position beaucoup plus complexe et profondément enracinée. La population ukrainienne est prête à envisager une trêve, mais seulement si elle n'implique pas de concessions ou d'illusions sur un changement de posture de l'agresseur russe.
« D'un côté, la victoire de Trump [à l'élection présidentielle de 2024, NDLR ] a été accueillie avec un certain espoir en Ukraine ; de l'autre, ses premiers pas ont provoqué une déception au sein de la société ukrainienne. L'état d'esprit général, à mon avis, est plus ou moins le suivant : la partie patriotique active de la société, la minorité influente, visible dans les médias et sur les réseaux sociaux, est catégoriquement opposée à toute concession et favorable à une guerre jusqu'à une paix juste ; les citoyens ordinaires, la “majorité silencieuse”, sont de plus en plus déterminés à mettre fin à la guerre », explique à Valigia Blu Konstantin Skorin, chercheur indépendant et expert en histoire politique du Donbass (ses analyses ont été publiées par le Moscow Times, Foreign Affairs et Carnegie Politika ) .
« Mais la fin à tout prix , par la capitulation devant Poutine, n'est certainement pas l'opinion dominante de cette “majorité silencieuse”. Les gens sont prêts à faire des concessions pour mettre fin aux morts d'Ukrainiens, même sur certains territoires comme la Crimée et le Donbass, mais pas à une capitulation totale devant la Russie, précisément parce que personne ne croit aux promesses de paix de Poutine », ajoute Skorkin.
Ceci est démontré par le fait que, parmi ceux qui voient la proposition de trêve de manière positive, la majorité (47%) le font parce qu'ils considèrent qu'il est utile de démontrer que c'est la Russie qui ne veut pas la paix, ou qu'elle continuera de toute façon à violer les accords. 12% supplémentaires interprètent la trêve comme un outil possible pour débloquer l'aide militaire, et seulement 18% la considèrent comme « un premier pas vers la fin de la guerre dans des conditions acceptables pour Kiev ».
En d'autres termes, l'appréciation de la trêve relève davantage d'un désir de dénoncer Moscou ou de gagner du temps que d'une réelle confiance dans le processus de négociation. Que la situation sur le terrain tourne en faveur du Kremlin est désormais un fait rapporté par les services de renseignement américains, et même des alliés fidèles de Kiev, comme le président tchèque Petr Pavel, avertissent de la nécessité d'envisager des concessions territoriales.
Dans le même temps, le soutien à la trêve s'effondre de manière spectaculaire si des garanties de sécurité ne sont pas fournies. Selon la même enquête, 62% des personnes interrogées ont déclaré qu'elles ne soutiendraient pas un cessez-le-feu en l'absence de garanties concrètes. Si, par exemple, la présence de soldats de la paix occidentaux était proposée, 60% des personnes interrogées seraient prêtes à accepter un arrêt temporaire des combats. Si la garantie consistait en un rapprochement de l'OTAN ou en un renforcement des défenses ukrainiennes, le soutien resterait supérieur à 55%, mais jamais total. Le consensus ne se consolide que lorsque la sécurité ukrainienne reste sous contrôle direct ou multilatéral et jamais subordonnée à la volonté russe.
« Je pense que personne ne prend vraiment au sérieux le soi-disant “plan de paix” de Trump, pas même Trump lui-même. Ce n'est pas vraiment un plan de paix ; il s'agit de “partager certaines ressources”, comme Trump lui-même l'a dit. Ceux qui suivent l'actualité le comprennent. Quant à la volonté de Poutine de s'en tenir à un accord, il est évident qu'il ne le fera pas, comme il ne l'a jamais fait par le passé. Très peu de personnes en Ukraine, voire aucune, croient réellement en la bonne volonté de Trump ou de Poutine », explique Hanna Perekhoda, historienne et chercheuse à l'Université de Lausanne, à Valigia Blu . Cela dit, il y a toujours des gens prêts à troquer la sécurité à long terme de leur communauté contre leur propre sécurité apparente à court terme. Cela ne signifie pas qu'ils font confiance à Trump ou à Poutine ; cela reflète plutôt le choix fondamental entre risquer leur vie en agissant ou rester immobile. Nombreux sont ceux qui choisissent la seconde option, poussés par la peur et le manque d'identification à leur communauté.
En revanche, les conditions posées par Moscou pour la trêve – cessation des mobilisations, blocage de l'aide occidentale, interruption des opérations de renseignement américaines – sont jugées inacceptables par la majorité des Ukrainiens. Il s'agit là aussi d'un rejet transpartisan, unissant le centre et l'ouest du pays à l'est, et reflétant la conviction partagée que toute concession accélère la possibilité d'une nouvelle agression, et non d'une trêve.
Les données du KIIS, collectées dans les jours qui ont immédiatement suivi la suspension temporaire de l'aide américaine début mars, montrent un approfondissement de l'idée de résistance comme principe national, traversant les classes, les territoires et les orientations politiques. Même dans les régions de l'est, historiquement les plus vulnérables à l'influence russe, ce chiffre reste à 78%.
Cette structure sociale et militaire n'est pas née de nulle part. Une lettre touchante d'une militante féministe et anti-autoritaire, aujourd'hui médecin militaire au sein des forces armées ukrainiennes, témoigne de la détermination qui persiste malgré la fatigue accumulée : « Oui, nous pourrions perdre cette guerre. Mais tous les combattants de la liberté ont-ils gagné ? Nombre d'entre eux ont combattu avec bien moins de chances que l'Ukraine. Nous avons encore de bonnes chances si les pays européens nous soutiennent. La fin de la guerre, l'avenir de l'Ukraine, dépendent directement de vous et de moi, de la solidarité avec les opprimés, du sens de la collectivité et de la volonté de liberté. »
Et puis il y a un autre élément, de nature existentielle et culturelle, qui émerge en filigrane entre les lignes des mêmes enquêtes et dans les récits recueillis : la conscience que la guerre est devenue la lentille à travers laquelle les Ukrainiens se réinterprètent eux-mêmes, leur place dans le monde et la qualité des alliances sur lesquelles ils peuvent compter. Il ne s'agit pas seulement d'une question de survie ou de souveraineté, mais aussi de dignité collective. Selon le médecin activiste, tous les combattants de la liberté ne gagnent pas, mais tous font une différence.
Dans ce contexte, la proposition américaine – perçue par beaucoup comme une tentative de pacification imposée, davantage axée sur la stabilité mondiale que sur la justice – risque d'être contreproductive. Loin de favoriser un compromis, cela risque d'alimenter le soupçon déjà fort que l'avenir de l'Ukraine se négocie ailleurs, et que la rhétorique des « valeurs communes » est désormais remplacée par le langage cynique des échanges géopolitiques.
Le début d'une trêve partielle : un pas vers la paix ou de la fumée dans les yeux ?
Le compromis, pour le moment, s'articule donc en deux points : une trêve navale en mer Noire, toujours suspendue en raison des conditions imposées par Moscou, et un moratoire de 30 jours sur les attaques contre les infrastructures énergétiques, déjà en vigueur mais de fait violé.
Quelques heures après l'accord, en effet, la Russie a lancé une attaque de drone contre un hôpital et une sous-station électrique à Sloviansk. « Il y a déjà une alerte aérienne, donc ce cessez-le-feu ne fonctionne pas », a commenté Zelensky .
Déjà au cours du week-end précédent, l'armée russe avait lancé plus de 100 drones par jour contre des villes ukrainiennes pendant trois jours consécutifs, provoquant plusieurs morts civiles, notamment dans la capitale Kiev. Le jour central des négociations saoudiennes, les Russes ont bombardé le centre de Soumy, une grande ville de l'est de l'Ukraine relativement éloignée des combats, blessant 88 personnes, dont 17 enfants.
La situation est encore plus ambiguë en raison de l'asymétrie entre les déclarations des parties. La Maison Blanche a parlé d'une « pause dans les combats en mer Noire » et d'un « engagement à éliminer l'usage de la force », tandis que le Kremlin a réitéré que le cessez-le-feu naval n'interviendrait qu'avec l'assouplissement des sanctions occidentales, notamment celles qui visent les exportations agricoles russes, comme l'accès au système Swift ou l'assurance maritime.
Un détail qui est loin d'être marginal, et que la version américaine a complètement omis. En fait, les Américains promettent aux Ukrainiens de les aider à échanger des prisonniers, y compris le retour de dizaines de milliers de mineurs enlevés par les forces russes, tandis que Moscou promet d'assouplir les sanctions économiques – ces dernières, selon Politico, précédemment acceptées sous condition par Kiev également.
Trump, qui avait initialement cherché à obtenir un cessez-le-feu global pour créer un espace politique propice à un grand accord de paix, a dû admettre publiquement le revirement de la Russie. « Peut-être qu'ils essaient de gagner du temps », a-t-il déclaréà Newsmax , ajoutant – avec son ambiguïté habituelle – que lui aussi avait utilisé des tactiques similaires dans le passé pour « rester dans le jeu ».
Les critiques ne se sont pas fait attendre, notamment de la part de Kyiv. Le président ukrainien a accusé Trump et ses émissaires de parler « de nous sans nous », en réponse à une déclaration antérieure de Trump qui avait laissé entendre qu'une partie des discussions avec Moscou concernait la division territoriale de l'Ukraine. Son entourage a fait savoir qu'aucune discussion sur le Donbass, Zaporizhzhya ou Kherson n'a eu lieu du côté ukrainien, et que les exigences russes – le contrôle total des trois régions – restent inacceptables.
Parallèlement, alors que les négociations se poursuivaient, la pression militaire sur le terrain ne cessait pas. Et même sur un plan symbolique, le Kremlin a réaffirmé son contrôle sur la centrale nucléaire de Zaporijia, niant toute possibilité de la céder, comme l'ont supposé des sources américaines.
Dans l'ensemble, la première phase de la trêve semble avoir donné un résultat largement favorable à la Russie. L'arrêt temporaire des bombardements stratégiques gèle en fait l'une des campagnes militaires les plus réussies de l'Ukraine, contre les gazoducs, les raffineries et les centres énergétiques situés au cœur du territoire russe, et sauve l'industrie des hydrocarbures de Moscou pendant au moins un mois. Au contraire, les attaques russes contre la population civile – de l'oblast de Soumy, relativement proche des combats, jusqu'aux zones plus occidentales – se poursuivent, utilisant souvent des techniques de double frappe ou ciblant les hôpitaux.
Trump présente l'accord comme une victoire diplomatique, utile pour ouvrir une fenêtre vers des négociations plus larges. Mais pour Kiev, qui ne reçoit ni garanties de sécurité ni progrès réels sur le plan politique, le sentiment est celui d'être pris entre l'agression russe et le cynisme américain.
Lutter contre Poutine et Trump en même temps est très difficile, et la position de l'Union européenne reste fondamentale à cet égard : elle n'a cependant pas réussi, la semaine dernière, à trouver un consensus pour l'allocation de 40 milliards à la défense de Kiev. Mais les dirigeants européens devraient d'abord se préoccuper des conséquences pour l'Europe d'un processus de paix injuste et imposé de haut en bas en Ukraine, plutôt que des intérêts nationaux et des querelles personnelles. Cette prise de conscience ne semble pas encore arrivée.
Les récentes déclarations de l'envoyé spécial américain pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, qui remplace également Keith Kellogg pour les relations avec l'Ukraine et la Russie, ne laissent aucune place au doute. Dans une interview avec Tucker Carlson, Witkoff a essentiellement répété la propagande du Kremlin sur la légitimité des référendums : à la fois en Crimée et dans le Donbass en 2014, et dans les territoires occupés en 2022.
« Des dizaines de milliers de civils dans les régions occupées ont été enlevés, torturés, détenus dans des prisons secrètes, et des milliers ont disparu : personne ne sait même où leurs corps sont enterrés. Un contexte idéal pour la libre expression démocratique. Seuls deux États – la Corée du Nord et la Syrie – ont reconnu ces “référendums”, ce qui en dit long sur leur crédibilité démocratique », déclare Perekhoda, originaire de Donetsk. Si l'administration américaine reconnaissait un jour la légitimité de ces votes, il n'y aurait aucun doute : elle cautionnerait et promouvrait une norme mondiale de “démocratie” où des hommes armés débarqueraient chez vous pour vous forcer à “voter”. Il est clair que les visions de la démocratie de Trump, Poutine, Xi et Erdogan sont très similaires à cet égard. Ceux qui ne perçoivent pas le danger de ce modèle en feront payer le prix fort à tous, tôt ou tard.
« L'équipe Trump fait semblant de reconnaître les résultats du vote, dont l'opacité et le manque de démocratie ont été reconnus par toutes les institutions internationales, car cela les arrange de faire des affaires avec Poutine. C'est très triste à voir », ajoute Skorkin. « Pour moi et mes amis, qui avons été contraints de quitter le Donbass dès 2014, il est tout simplement offensant de voir comment les représentants d'un pays démocratique occidental font semblant de croire aux résultats d'un référendum organisé littéralement sous la menace des armes. »
Andrea Braschayko
ValigiaBlu
https://www.valigiablu.it/colloqui-pace-arabia-saudita-ucraini-trump/
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74422
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Conférence de Bruxelles : solidarité avec l’Ukraine

.La conférence Solidarité avec l'Ukraine, qui s'est tenue à Bruxelles du 26 au 27 mars, a rassemblé environ 200 militantEs d'une vingtaine de pays, en soutien aux droits nationaux et sociaux du peuple ukrainien.
Compte rendu de la conférence Solidarité avec l'Ukraine écrit par Dick Nichols [greenleft.org], correspondant européen de GreenLeft (Gauche verte) qui a participé à l'organisation de la conférence Solidarité avec l'Ukraine
15 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/15/conference-de-bruxelles-solidarite-avec-lukraine/#more-92733
Ce rassemblement était organisé par le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine(ENSU) et lesCampagnes de solidarité avec l'Ukraine (USC) d'Angleterre, du Pays de Galles et d'Écosse. Il visait à renforcer la solidarité entre les peuples, alors que la menace d'une partition et d'un pillage de l'Ukraine par les gouvernements de Vladimir Poutine et de Donald Trump se fait de plus en plus grande.
La conférence s'est également déroulée dans le contexte du conflit actuel entre les mouvements syndicaux, féministes, environnementaux, de défense des droits civiques et politiques progressistes d'Ukraine et les politiques intérieures néolibérales du gouvernement de Volodymyr Zelensky.
Le choix de Bruxelles comme ville hôte a été déterminé par la nécessité de renforcer le dialogue et la collaboration entre les nombreux mouvements sociaux ukrainiens, les groupes de solidarité avec l'Ukraine et les députés européens (MPE – membres du Parlement européen) et nationaux des formations de gauche, vertes, sociales-démocrates et progressistes en faveur de l'indépendance nationale.
Ces parlementaires — notamment l'ancienne ministre finlandaise de l'Éducation Li Andersson(Alliance de gauche) et Jonas Sjöstedt (ancien dirigeant du Parti de gauche suédois) — ont pris la parole lors d'unévénement organisé le 26 mars au Parlement européen par le groupe de gauche au PE (« Solidarité avec l'Ukraine : reconstruction et société civile ») et lors de la conférence Solidarité avec l'Ukraine elle-même.
Dans son discours au Parlement européen, Sjöstedt a souligné le caractère à double face de la solidarité progressiste : « La guerre en Ukraine ne fait pas seulement rage en première ligne. Les combats menés par les défenseurs des droits des travailleurs, les militants pour le climat et les militants des droits des femmes façonnent et continueront de façonner l'avenir de l'Ukraine. Nous devons être solidaires de ces mouvements, surtout en temps de guerre, et nous continuerons de le faire. »
« Nous devons continuer à défendre les droits des travailleurs lors de l'élaboration de nouveaux codes du travail en Ukraine, nous devons lutter pour les professionnels de la santé qui travaillent dans des conditions encore plus difficiles, et nous devons continuer à impulser le changement pour mettre un terme à la flotte fantôme russe écologiquement désastreuse [de pétroliers rouillés]. »
Tanya Vyhovsky
L'intervention d'autres éluEs a ouvert la voie à d'autres sujets clés de discussion lors de la conférence. Tanya Vyhovsky, sénatrice progressiste-démocrate du Vermont, en est un exemple frappant : elle a abordé de front la menace de Trump contre l'Ukraine.
« Ce n'est pas une situation normale, et malheureusement, la grande majorité des démocrates agissent comme si c'était le cas… le programme Musk-Trump est un programme fasciste et le programme Musk-Trump-Poutine est un programme fasciste mondial. »
Elle a ajouté : « Il est important pour moi personnellement [en tant qu'Ukraino-Américaine] que la guerre en Ukraine se termine par une paix véritable. Cela signifie pas d'occupation, pas d'annexion de territoire ; cela signifie que les troupes russes rentrent chez elles. Cela ne signifie pas prendre le peuple ukrainien en otage pour des ressources. »
Résister au programme Trump-Poutine ne se limitait pas à défendre les droits des UkrainienNEs : « Ceux /celles qui pensent que ce programme ne les menace pas se trompent ; il nous menace touTEs. Il menace notre société et notre climat. »
Pour Vyhovsky, la seule réponse possible est de « construire un réseau mondial de solidarité. Les oligarques, les milliardaires et (à vrai dire) les mafieux qui ont pris le contrôle du gouvernement américain ont des connexions dans le monde entier […]. Ils ont pour projet de se partager le monde, en le considérant à travers le prisme du capital, comme s'il s'agissait uniquement d'actifs »
« Nous devons mettre un terme à cela. Et nous le pouvons, en développant la solidarité internationale de la classe ouvrière et en nous rappelant que nous sommes liés. Ce qui arrive à l'Ukraine nous concerne tous. »
Li Andersson
L'euro-députée finlandaise Li Andersson a mené le débat sur une politique de défense progressiste : comment fournir simultanément à l'Ukraine les armes dont elle a besoin pour expulser l'envahisseur russe et pour la défense des pays menacés par les ambitions de Poutine, tout en n'adhérant pas à la logique militariste du plan de 800 milliards d'euros de la Commission européenne pour les « dépenses de défense »,récemment lancé sous couvert de « soutien à l'Ukraine ».
Un point clé soulevé par Andersson était la nécessité d'une politique de défense progressiste qui rejette les objectifs de dépenses de défense fixés en proportion du produit intérieur brut : « Je pense vraiment que fixer un tel objectif est une façon absurde de mesurer les capacités dedéfense. Les dépenses de défense ne devraient pas être fondées sur des objectifs abstraits, mais sur les besoins et les priorités. »
Il y a eu, par exemple, des moments où la Finlande a dû acheter de nouveaux avions. Dans ce cas, les dépenses de défense augmentent. Une fois l'investissement réalisé, cependant, elles peuvent et doivent être réduites, même en dessous de l'objectif de 2% fixé par l'OTAN.
La séance plénière sur le thème « Quelle paix ? » a vu les interventions de l'eurodéputé vert français Mounir Satouri(président de la sous-commission des droits de l'homme du Parlement européen) et du député danois de l'Alliance rouge-verte Søren Søndergaard. Tous deux se sont concentrés sur les conditions nécessaires pour qu'un règlement juste de la guerre contre l'Ukraine puisse au moins être envisagé.
Pour Søndergaard, une paix juste était impensable sans la défaite de l'invasion de Poutine et l'implication de l'Ukraine dans les négociations sur son propre avenir : quels que soient les accords de cessez-le-feu que l'Ukraine pourrait être obligée d'accepter dans l'intervalle, le soutien militaire des pays de l'UE devrait être maintenu et augmenté si l'administration Trump réduisait ou même mettait fin à son soutien à l'Ukraine.
Des militantEs ukrainienNEs inspiréEs par la solidarité
La conférence a été marquée par la participation de dirigeantEs et d'activistes du mouvement social ukrainien, le deuxième plus grand contingent présent après les Belges locaux.
Les interventions comme celles de l'avocat du travail Vitaliy Dudin (activiste du Mouvement social ukrainien de gauche), Oksana Slobodiana (leader du syndicat des travailleurs de la santé Be Like Us), le leader des travailleurs du bâtiment Vasyl Andreiev (vice-président de la Fédération des syndicats d'Ukraine, majoritaire) et Yuri Levchenko (leader du Pouvoir populaire, initiative pour construire un parti ukrainien du travail), ont fait ressortir avec force les souffrances et les sacrifices impliqués dans la résistance à l'invasion russe.
Ce fardeau repose en grande partie sur les épaules des travailleurEs ukrainienNEs.
L'importance de la solidarité de la classe ouvrière et des syndicats avec le mouvement ouvrier ukrainien a été le fil rouge de la conférence et a fait l'objet d'une attention particulière lors d'une session qui a réuni Sacha Ismail, responsable de liaison syndicale de l'USC (Angleterre et Pays de Galles), Cati Llibre (vice-présidente de l'Union générale des travailleurs de Catalogne) et Félix Roux de la confédération syndicale radicale française Solidaires.
Le thème le plus abordé ensuite était celui de la lutte féministe en Ukraine et le rôle des femmes dans la reconstruction du pays. Yvanna Vynna, de l'organisation féministe Bilkis, a présenté de manière mémorable le rôle de son organisation, qui soutient simultanément l'effort de défense et la lutte pour les droits des femmes.
La lutte continue pour la défense des libertés civiles, notamment dans les territoires occupés, a été traitée par Mykhailo Romanov, représentant du Groupe de protection des droits de l'homme de Kharkiv, et Bernard Dréano, président du Centre d'initiatives et d'études sur la solidarité internationale, basé en France, et initiateur de la pétition People First (exigeant la libération de tous les captifs résultant de l'invasion russe).
Un message important a été transmis lors d'un atelier par des opposants russes exilés à la guerre de Poutine. Maria Menshikova, correspondante du magazine interdit Doxa, Dmitrii Kovalev (Gauche pour une paix sans annexions) et Viktoria (représentante de la Résistance féministe anti-guerre) ont touTEs souligné que toute victoire de « l'opération militaire spéciale » de Poutine serait une défaite pour le mouvement pour les droits démocratiques en Russie même.
Le succès de la conférence s'est mesuré à l'aune de la réaction des participantEs ukrainienNEs. Lors de la séance publique de clôture, Oksana Dutchak, rédactrice en chef de la revue ukrainienne Commons, a comparé son humeur avant et après l'événement : sombre avant, compte tenu des manœuvres de Trump et Poutine visant à « réparer » l'Ukraine à son insu, et inspirée après par la vague de solidarité suscitée lors de la conférence.
La solidarité compte. Après Bruxelles, il s'agit de la renforcer et de mieux la coordonner. Un outil pour y parvenir sera le projet de Déclaration de Bruxelles, qui sera adopté dans sa version définitive lors d'une prochaine téléconférence et bientôt ouvert à la discussion et aux amendements.
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L’Alliance autoritaire entre Trump et Poutine représente un danger pour nous tous

Il y a un peu plus d'une semaine, nous avons assisté à un changement significatif dans la politique mondiale et les relations internationales lorsque Trump et JD Vance ont humilié le président ukrainien Zelensky lors de sa visite à la Maison Blanche. Bien que les grandes puissances comme les États-Unis aient, tout au long de l'histoire, exploité les États plus petits, il est exceptionnel de voir cela se faire aussi ouvertement.
15 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/15/lalliance-autoritaire-entre-trump-et-poutine-represente-un-danger-pour-nous-tous/
L'événement à la Maison Blanche était le résultat de nombreux autres développements au cours des dernières semaines. À l'Assemblée générale de l'ONU, les États-Unis ont voté avec la Russie, la Corée du Nord, la Biélorussie et Israël contre une résolution condamnant la guerre d'agression de la Russie en Ukraine. De plus, Trump a tenté de faire pression sur Zelensky pour qu'il signe l'accord sur l'exploitation des ressources minérales de l'Ukraine afin que les États-Unis n'abandonnent pas militairement le pays – sans promettre de garanties de sécurité. Cela a été précédé par les déclarations de Trump affirmant que Zelensky est un dictateur et que l'Ukraine avait déclenché une guerre « inutile » avec la Russie. Le dernier rebondissement de la politique mondiale bouleversante de Trump a été l'annonce de la suspension de l'aide militaire « jusqu'à ce que l'Ukraine s'engage pour la paix. »
Bien que les intérêts géopolitiques des États-Unis et de la Russie ne soient toujours pas alignés, Trump a clairement montré son alignement idéologique avec Poutine. Auparavant, le porte-parole du Kremlin avait déclaré que la Russie était « complètement d'accord » avec l'administration américaine sur l'Ukraine. Cela constitue une menace importante car la collaboration entre Trump et Poutine implique la naissance potentielle d'une nouvelle alliance idéologique entre deux dirigeants autoritaires de grandes puissances.
Ces derniers jours, j'ai lu certains commentateurs se demandant pourquoi l'Europe ne se contenterait pas de la paix et pourquoi nous voudrions que la guerre en Ukraine continue.
Je vais donc réitérer une fois de plus : tout le monde veut la paix en Ukraine. Mais la façon dont cette paix est obtenue et le type de paix dont il s'agit ont une grande importance.
Si la paix en Ukraine résulte de la décision de deux dirigeants autoritaires de superpuissances sur ses conditions, sans tenir compte des besoins ou de la souveraineté de l'Ukraine, cela renforcera Poutine et Trump, ainsi que leur pouvoir de décider des affaires des autres. Ce sera une « paix » qui renforce leur vision du monde et leur idéologie autoritaire.
Dans leur vision, la politique étrangère repose encore plus qu'actuellement sur la supériorité des grandes superpuissances, le droit de prendre ce qu'ils veulent entre leurs mains, et sur la violence. Sur le plan intérieur, cette idéologie perçoit la démocratie, les droits humains et la diversité comme une menace. Le renforcement de cette vision du monde ne rend le monde ni plus sûr ni plus stable pour quiconque – bien au contraire. Trump a déclaré qu'il voulait prendre le contrôle du canal de Panama et du Groenland. Poutine a déjà occupé la Crimée et occupe actuellement un cinquième du territoire ukrainien. Ces politiques représentent l'impérialisme et le colonialisme du 21e siècle : elles incarnent la mentalité de ces hommes selon laquelle, lorsqu'on est assez grand et puissant, on peut faire ce que l'on veut.
Trump et le manuel de l'extrême droite
En Finlande, le parti d'extrême droite Les Finlandais, actuellement au gouvernement dans le cadre de la coalition la plus à droite que la Finlande ait jamais connue, a tenté de contourner les positions gênantes de Trump en déclarant que, bien que ses positions sur l'Ukraine ne soient pas bonnes, ses politiques sont par ailleurs bonnes. Le ministre finlandais du Développement et du Commerce extérieur, Ville Tavio, par exemple, s'est dit heureux que les États-Unis mettent fin au « wokisme ». Il a également mentionné que les politiques de Trump sont « exemplaires à bien des égards ». La vice-première ministre finlandaise, Riikka Purra, a également fortement salué le discours de JD Vance à la Conférence de Munich sur la sécurité.
Cependant, ces déclarations politiques intérieures ne sont pas distinctes des positions de Trump et Poutine sur l'Ukraine. Elles sont des expressions de la même vision du monde et de la même idéologie. JD Vance a déclaré à Munich qu'il n'est pas le plus préoccupé par la Russie, la Chine ou toute autre menace extérieure par rapport à l'Europe – il est le plus préoccupé par la « menace de l'intérieur ».
Cette rhétorique fait partie du même manuel que l'extrême droite utilise aux États-Unis et en Europe depuis des années. C'est le langage de Poutine et aussi, par exemple, des partis d'extrême droite comme l'AfD en Allemagne, le RN en France ou Vox en Espagne. Ces forces soutiennent depuis longtemps que l'Europe se dégrade et s'affaiblit en raison de ses valeurs liées à la diversité et à la démocratie – et non parce que rien n'a été fait concernant les inégalités ou les politiques industrielles communes. La démocratie, la diversité sociale, l'État de droit et l'égalité, ou comme l'a dit Musk – l'empathie, ces valeurs sont présentées comme des menaces internes et des valeurs qui sont la raison de l'affaiblissement de l'Europe. En politique étrangère, cette même pensée apparaît en traitant ces valeurs comme totalement sans valeur ou non pertinentes.
L'administration Trump a immédiatement interdit certains mots aux États-Unis et a commencé à « purger » illégalement l'administration et à fermer toutes les activités promouvant la diversité au sein du gouvernement. Ce sont des actions qui reflètent exactement la même vision du monde autoritaire et conservatrice que Poutine représente depuis longtemps – une vision où les droits des minorités sexuelles et de genre, l'État de droit et les « valeurs européennes » symbolisent la faiblesse et la décadence morale.
De nombreux commentateurs de gauche ont mis en garde contre l'idéologie de Trump bien avant sa réélection. Ces avertissements étaient basés, entre autres, sur l'hostilité de Trump envers les droits humains et ses déclarations sur le retrait de l'Accord de Paris sur le climat. Pendant longtemps, les commentateurs officiels de la politique étrangère finlandaise ont soutenu que l'élection de Trump n'apporterait pas de changements significatifs aux relations transatlantiques. Je crois que c'était une erreur de jugement similaire à celle commise avec Poutine. Pendant trop longtemps, la droite a pensé que son autoritarisme et son idéologie ne seraient un problème que pour les minorités vivant en Russie, et que cela n'aurait pas de conséquences en politique étrangère. Dans le cas de la Russie, c'était une mauvaise analyse, et la même erreur est maintenant répétée avec Trump, potentiellement avec des conséquences encore plus importantes.
C'est encore un exemple de la façon dont la droite traditionnelle a permis l'émergence de ces dirigeants autoritaires et des forces d'extrême droite. Leurs politiques économiques ont créé la frustration et la colère que l'extrême droite canalise, et en plus de cela, leur position de compréhension ou d'adoption des politiques de l'extrême droite a permis leur montée au pouvoir et leur normalisation.
Que signifie cette situation politique et l'alliance des forces autoritaires pour l'Europe ?
Il est crucial de comprendre les risques que le renforcement de la vision du monde représentée par Poutine et Trump apporte au monde, à la paix et à la coopération multilatérale fondée sur des règles.
Le monde a besoin urgemment de voix qui agissent comme alternatives à l'idéologie de ces hommes. Le concept d'autonomie stratégique est maintenant encore plus important pour l'Europe, et un concept très utile pour la gauche. Les objectifs clés devraient être la préparation de l'Europe à se tenir sur ses propres pieds, à réduire les dépendances vis-à-vis des États-Unis, et à chercher à promouvoir une paix juste en Ukraine, en tenant compte des défis que les circonstances actuelles présentent pour cet objectif.
Sept conclusions politiques pour l'Europe
Voici les principales conclusions politiques que je crois nécessaires pour l'UE et les États membres :
1. Stratégie « Achetez européen » pour l'industrie de la défense
L'administration Trump a clairement indiqué que l'Europe devrait prendre davantage de responsabilités pour sa propre sécurité et moins compter sur le soutien américain. Faisons-le et commençons par diriger tous les fonds actuellement destinés à l'industrie américaine de l'armement vers l'industrie européenne. Le rapport Draghi a souligné que 63% des achats de défense de l'UE de 2022-2023 sont allés aux États-Unis. Adoptons le principe « Achetez européen » et dirigeons ces fonds entièrement vers l'industrie européenne pour renforcer les capacités européennes aussi rapidement que possible.
2. OTAN européenne – ou une nouvelle alternative
La nouvelle politique étrangère américaine signifie que la confiance aveugle de l'Europe dans son soutien au sein de l'OTAN est exposée comme naïve. Par conséquent, il est temps de développer des structures européennes pour la coopération en matière de défense. Ce travail peut avoir lieu au sein de l'UE, du JEF, de l'OTAN ou de tout autre cadre de coopération similaire, mais l'objectif stratégique clé est de construire des solutions de sécurité européennes basées sur l'Europe, et non sur les États-Unis.
3. Augmentation du soutien à l'Ukraine – si nécessaire, avec une dette commune et incluant l'annulation de la dette souveraine de l'Ukraine
Si et quand Trump réduira le soutien financier et militaire américain à l'Ukraine, l'Europe doit être prête à augmenter son soutien en conséquence. Cela comprend le soutien aux armes, l'aide humanitaire, la coopération au développement et la vaste reconstruction du pays. La Finlande ne devrait pas catégoriquement rejeter la dette commune si elle est nécessaire pour garantir le soutien à l'Ukraine. L'Europe doit également prendre une position négative face aux tentatives américaines d'exploiter les ressources minérales de l'Ukraine. En plus de cela, l'annulation de la dette souveraine de l'Ukraine doit être à l'ordre du jour.
4. Sécurisation d'un possible cessez-le-feu et d'un plan de paix européen
L'une des plus grandes erreurs des dirigeants de l'UE est que l'Europe aurait dû prendre l'initiative et créer son propre plan de paix avec l'Ukraine même avant l'arrivée au pouvoir de Trump. Il est vrai que l'Europe a manqué d'une stratégie claire sur la façon d'assurer une paix juste en Ukraine, mais maintenant cela doit être créé ensemble. Une question clé dans laquelle l'Europe devrait jouer un rôle est d'assurer la sécurité d'un éventuel cessez-le-feu ou accord de paix.
5. Promotion de l'adhésion de l'Ukraine à l'UE avec urgence
Une question cruciale concernant l'avenir de l'Ukraine et la prévention de nouvelles guerres est de savoir à quelle communauté politique ou architecture de sécurité l'Ukraine adhérera. Les États-Unis ont publiquement exclu l'adhésion à l'OTAN, et cela semble également irréaliste étant donné que certaines zones de l'Ukraine resteront probablement sous occupation russe. Pour ces raisons, je considère l'adhésion à l'UE comme l'option la plus viable.
6. L'UE doit changer sa politique pour renforcer les institutions du droit international
L'un des développements les plus dangereux de la politique internationale est l'érosion du droit international et des institutions qui le soutiennent. L'un des principaux contributeurs à cela est l'UE elle-même, qui, en particulier à travers ses politiques sur Gaza, a contribué de manière significative à un monde où les règles peuvent être ignorées quand cela convient. Si l'UE veut assumer le rôle de défenseur des droits humains et du droit international, elle doit commencer par changer ses propres politiques.
7. L'autonomie stratégique et la sécurité sont plus que la simple défense
Comme prévu, les discussions sur le rôle de l'Europe se sont fortement concentrées sur la défense. Cependant, l'autonomie stratégique est bien plus que la défense. La sécurité est plus que la simple défense militaire. Il est extrêmement préoccupant et condamnable que le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, suggère que les États membres de l'UE devraient financer des investissements de défense supplémentaires en réduisant les services de santé ou de sécurité sociale. De telles politiques doivent être catégoriquement rejetées car elles cimenteraient la montée de l'extrême droite en Europe et créeraient ainsi de nouveaux problèmes de sécurité dangereux.
L'Europe doit comprendre à la fois l'importance clé de la dimension sociale pour la sécurité intérieure et la signification plus large de l'autonomie stratégique. Une partie cruciale de la réduction des dépendances concerne, par exemple, la limitation du pouvoir des oligarques de l'économie numérique. En plus d'investir massivement dans le développement des capacités de l'économie numérique européenne et de l'infrastructure de services numériques publics, l'UE doit également maintenir et renforcer la taxation et la réglementation des grandes entreprises de médias sociaux. Elon Musk ne s'oppose pas à la réglementation des plateformes numériques en raison de préoccupations concernant la liberté d'expression, mais parce que cela concerne sa propriété et son pouvoir. Il ne veut aucune restriction à ce sujet. L'énergie est un autre secteur essentiel. L'UE devrait poursuivre la transition verte et promouvoir fortement la réduction des dépendances énergétiques externes.
Nous sommes dans une situation nouvelle et dangereuse dans la politique mondiale, mais nous ne devons pas être confus. Avec la dangereuse coopération entre Trump et Poutine et la montée de l'extrême droite, il y a aussi de la place pour une alternative. Le monde a plus que jamais besoin de voix alternatives, et la gauche doit être en première ligne pour créer ces alternatives.
Li Andersson
Li Andersson est membre du Parlement européen pour l'Alliance de gauche finlandaise.
https://rosalux.nyc/trump-and-putin/
Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74502
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Extrême droite : ascension résistible, lutte impérative

Alors que les commentaires qui ont suivi la condamnation récente de Marine Le Pen (et de nombreux membres de la direction du FN-RN) illustrent une fois de plus la normalisation de l'extrême droite et les complicités dont elle bénéficie dans les champs politique et médiatique, un livre récent – paru aux éditions Amsterdam – fournit un vaste panorama et de nombreuses analyses des différentes dimensions de sa résistible ascension. Ce faisant, il permet de saisir les forces mais aussi les faiblesses de cette famille politique, et d'insister sur le fait que son accession au pouvoir n'a rien d'inévitable.
Tiré de la revue Contretemps
16 avril 2025
Par Ismaël Chanard

Extrême droite : la Résistible ascension (coord. Ugo Palheta), Éditions Amsterdam, 2024
Paru aux éditions Amsterdam en août 2024, Extrême droite : la résistible ascension compile des textes issus de journées d'étude organisées en octobre 2023 par l'Institut La Boétie, institut d'étude et de formation affilié à la France Insoumise.
Coordonné par Ugo Palheta, l'ouvrage se propose d'établir un panorama de l'extrême droite en France afin de mieux la combattre, dans les urnes mais aussi et surtout dans les esprits. Riches de contributions très diverses rédigées par des spécialistes du sujet, ce livre constitue une solide référence sur l'extrême droite française contemporaine mais également une réponse de gauche au contexte national et international particulièrement préoccupant au moment de sa parution (dissolution de l'Assemblée nationale et élections législatives anticipées en France, guerre génocidaire menée par Israël à Gaza).
La première partie du livre intitulée « Conquérir le pouvoir, progression électorale et convergence des blocs », est centrée sur l'analyse de la progression du vote pour le Front National/Rassemblement National (FN/RN) depuis les années 1980. À rebours des analyses largement reprises et diffusées dans les médias grand public sur la « France périphérique » ou de l'idée selon laquelle les classes populaires seraient désormais largement acquises au Rassemblement national (RN), cette partie propose une grille d'analyse plus fine des comportements électoraux.
Néolibéralisme et vote d'extrême-droite, les deux faces d'une même pièce ?
Les politiques néolibérales menées en France par les gouvernements successifs depuis les années 1980 ont fragilisé le statut de salarié et conduit à l'avènement du précariat. En opérant un virage « social » au début des années 2000, le FN/RN a réussi à conquérir une partie de l'électorat populaire en se présentant comme le parti des victimes de la mondialisation.
Toutefois, le parti lepéniste n'a jamais renoncé au néolibéralisme, ne cessant de conspuer l'État social tout en promouvant la responsabilité individuelle. La proposition politique de l'extrême droite repose en effet principalement sur une position défensive, celle de maintenir le statu quo économique et social en faisant reposer les coûts du néolibéralisme sur les fractions les plus précaires et les groupes désignés comme extérieurs à la communauté nationale. Cette stratégie a permis à l'extrême droite de conquérir une partie de l'électorat populaire.
Mais la montée en puissance de l'extrême droite s'explique également par le ralliement d'une partie du « bloc bourgeois », celle-ci s'érigeant en « dernier rempart du néolibéralisme » (p. 38) comme l'analyse Stéfano Palombarini. En effet, le mécontentement populaire vis-à-vis des réformes néolibérales ne permet plus à la bourgeoisie de s'assurer le pouvoir, cela engendrant « la tentation au sein d'une grande partie de la bourgeoisie […] de rallier une extrême droite dont elle ne partage pas toujours les « valeurs », mais qui pourrait bientôt se poser en seule garante des rapports sociaux de domination » (Palombarini, p. 38-40).
La convergence entre bloc bourgeois et bloc d'extrême droite, dont les intérêts divergent mais ayant en partage l'adhésion au néolibéralisme, constitue le principal défi pour la gauche de rupture, seul bloc proposant une sortie du néolibéralisme. Cette convergence des droites est ce qui a permis l'accession au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie comme le décrivent Aurélie Dianara et Salvatore Prinzi dans leur contribution.
Classes populaires et vote FN/RN
Les succès électoraux du FN/RN sont généralement attribués à son implantation dans les classes populaires. On peut toutefois relativiser l'adhésion de l'électorat populaire à l'extrême droite.
Commençons par rappeler, comme le souligne Félicien Faury dès l'introduction de son article, que le principal comportement électoral chez les ouvriers reste l'abstention. Yann Le Lann signale par ailleurs que si le vote FN/RN est prépondérant dans les fractions les moins diplômées et les mieux dotées économiquement des ouvriers et des employés, il reste très rare chez les personnes issues de l'immigration et relativement moins développé dans les fractions les plus pauvres de la population.
En tenant compte de critères tels que le type ou la durée du contrat de travail, le niveau de diplôme ou la propriété ou non de son logement, il apparaît que la fragilisation du statut de salarié ne s'exprime pas uniquement par un vote RN/FN : chez un nombre non-négligeable d'employés et d'ouvriers, cela peut également se traduire par un vote en faveur de la France Insoumise.
Dans son article, Yann Le Lann démontre qu'il existe une polarisation du vote des classes populaires, entre extrême-droite et gauche de rupture. Cela ne doit cependant pas être interprété comme un vote « contestataire » qui se distribuerait indifféremment entre extrême-droite et une supposée extrême-gauche : le vote des classes populaires dépend de la structuration de leurs capitaux mais également de la culture politique des individus.
Reprenant les principaux arguments de son travail de thèse mené auprès d'électeurs RN dans la région Sud-Paca [1], Félicien Faury indique que ce ne sont pas tant les classes les plus populaires qui se tournent vers le FN/RN mais les « petites classes moyennes stabilisées » : des individus retraités ou occupant un emploi en CDI dans un secteur peu menacé par la concurrence internationale et généralement propriétaire de leur logement. L'extrême-droite progresse auprès d'électeurs qui ont quelque chose à perdre, tant sur le plan matériel que symbolique, et qui se sentent menacés par le néolibéralisme.
Bien que regroupant des individus issus de milieux sociaux divers, la population étudiée par Félicien Faury présente des caractéristiques communes, à commencer par le territoire de résidence marqué par une forte concurrence résidentielle et la difficulté à accéder à des services publics de qualité. D'autres fractions de l'électorat FN/RN, ne partagent pas nécessairement ces caractéristiques et les déterminants de leur vote répondent à d'autres logiques [2].
Rappelons enfin qu'une proportion non négligeable de la bourgeoisie se range désormais derrière l'extrême-droite comme nous l'avons vu précédemment. Ainsi, le vote FN/RN n'est pas comme on le présente trop souvent un vote populaire contestataire mais bien un vote très interclasse, agrégeant des intérêts de classes antagonistes.
Le racisme, matrice du vote FN/RN
Dès lors, comment expliquer l'hétérogénéité du vote d'extrême-droite ? Pour Stéfano Palombarini, bien qu'ayant différentes attentes, les électeurs RN/FN partagent une même vision idéologique du monde social : en premier lieu, ils sont hostiles à l'État social et à la redistribution des richesses, ce que Félicien Faury qualifie de « ressentiment fiscal ». l'État est accusé d'entretenir une population inactive perçue comme parasitaire.
La mondialisation et la précarisation qu'elle a entraînée a favorisé l'émergence de ce qu'Olivier Schwartz a qualifié de « conscience triangulaire » au sein des classes populaires. Celles-ci ne se situent socialement plus uniquement en distinction de « ceux d'en haut » mais également de « ceux d'en bas ». Ainsi, pour Yann Le Lann « une partie des couches populaires développe une forme de dignité sociale fondée sur la distinction vis-à-vis des migrants comme des chômeurs » (p.52), ces deux catégories étant perçues comme oisives et parasitaires.
Comme l'indique Félicien Faury, le FN/RN entretient et attise cette conscience triangulaire dans une stratégie de racialisation de l'assistanat, articulant affects racistes et rapports de classe. Les immigrés sont désignés comme surnuméraires et improductifs et doivent donc payer les pots cassés du néolibéralisme. Ainsi, si l'adhésion à une vision du monde raciste n'est pas toujours le principal facteur du vote FN/RN n'en reste pas moins un de ses déterminants, la racialisation du monde social étant au cœur de l'idéologie de l'extrême-droite.
La première partie de l'ouvrage nous livre une analyse très précise des comportements électoraux à l'extrême-droite. Mais celle-ci ne progresse pas uniquement dans les urnes : l'extrême-droite gagne du terrain sur le plan de la bataille culturelle comme le montre la deuxième partie de l'ouvrage, intitulée « Mettre au pas la société, les combats culturels de l'extrême-droite ».
Double consensus raciste et falsification de la laïcité
Dans le premier chapitre de cette partie, Ugo Palheta revient sur la construction d'un « double consensus raciste » (p. 89) en France à partir des années 1980. La constitution progressive de l'immigration comme un « problème » puis la désignation des musulmans comme une menace pour la République ont conduit à l'émergence d'un nouveau sens commun anti-immigrés et anti-musulmans. Les partis de gouvernement ont joué un rôle important dans ce processus en acceptant le cadrage d'extrême-droite sur l'immigration puis en falsifiant la laïcité [3] en l'instrumentalisant à des fins islamophobes.
L'entreprise de politisation du racisme qui est celle du FN/RN a donc été permise et amplifiée par « la complicité d'acteurs centraux du jeu politique et médiatique » (p. 95), favorisant la montée en puissance de l'extrême droite en France.
L'extrême-droite entre réaction et appropriation des valeurs libérales
Les extrêmes-droites françaises ont connu une importante restructuration au moment de la « Manif pour tous » en 2012 [4]. Ce mouvement social réactionnaire a permis la rencontre de différents cercles d'extrême-droite et a fait des questions de genre un enjeu central pour ce camp politique : il s'agissait de défendre une vision essentialiste et d'apporter une réponse idéologique à la troisième vague du féminisme. Le discours anti-féministe trouve plus tard son actualisation dans le discours anti-trans qui, comme le montrent Cassandre Begous et Fanny Gallot, réactive les forces politiques fédérées au sein de la « Manif pour Tous ».
Mais l'extrême-droite ne fait pas que rejeter les valeurs libérales : il peut arriver qu'elle se les approprie et les intègre à sa matrice raciste et identitaire. En ce qui concerne l'égalité entre les femmes et les hommes, l'extrême-droite – ainsi qu'une partie des néolibéraux mais également des institutions ou personnalités féministes – opère une racialisation du sexisme [5] conduisant à l'émergence d'un discours fémonationaliste [6]. Comme le montre Charlène Calderaro, plus qu'une instrumentalisation, il s'agit d'une réelle appropriation : l'extrême-droite intègre ces questions de manière cohérente dans son logiciel et leur propose une réponse politique.
Zoé Carle montre dans sa contribution que de la même manière, le FN/RN a dû se positionner vis-à-vis des enjeux climatiques et écologiques, désormais incontournables dans le champ politique. En puisant dans un corpus déjà constitué dans les milieux néopaïens et identitaires, l'extrême-droite défend une « écologie intégrale » ancrée localement et respectueuse du vivant. Ne reposant sur aucune base scientifique, ce cadrage s'inscrit de façon cohérente dans un imaginaire plus large, rejetant la mondialisation et défendant la vie sous toute ses formes (rejoignant ainsi le refus de l'avortement).
Médias et extrême-droite : la fabrique de l'opinion
Deux articles reviennent sur le rôle que jouent les médias sur la diffusion de l'idéologie d'extrême-droite. Dans sa contribution, Samuel Bourron étudie comment la structuration du champ médiatique permet la mise en circulation de concepts d'extrême-droite et impose un cadrage idéologique. En instrumentalisant les faits-divers et grâce à une stratégie de communication efficace, l'extrême-droite est en mesure de générer des paniques morales et ainsi diffuser son discours sécuritaire, réactionnaire et raciste.
Cette diffusion est largement facilitée par le fait que de nombreux médias sont aux mains de grandes fortunes cherchant à faire progresser l'extrême-droite, au premier rang desquelles Vincent Bolloré. Pauline Perrenot propose dans sa contribution d'analyser comment les médias ont d'abord banalisé puis promu les discours d'extrême-droite.
La deuxième partie de l'ouvrage permet d'élargir la focale et de ne pas assimiler l'extrême-droite française au seul FN/RN. Les différentes contributions nous donnent à voir les liens et circulations d'idées qui existent entre la forme électorale et partisane de l'extrême-droite (RN et marginalement Reconquête !) et des mouvements plus informels ou marginaux en capacité de produire une pensée puis de la diffuser plus largement. A ce titre, il semble manquer une contribution portant sur l'influence de l'extrême-droite sur internet et les réseaux sociaux. En effet, une partie importante de la bataille culturelle sur l'hégémonie se joue sur internet où la fachosphère a pignon sur rue pour diffuser ses idées [7].
Intitulée « Maintenir l'ordre bourgeois, des réseaux tissés en complicité avec l'oligarchie », la dernière partie compile différents articles portant sur des sujets divers et donne plutôt l'impression d'un patchwork. Elle s'ouvre par un entretien avec Didier Fassin sur la police rappelant que ce corps est désormais largement acquis au FN/RN et en mesure d'imposer son agenda aux gouvernements qui sont par ailleurs dépendants de celle-ci pour imposer par la force leurs mesures impopulaires et réprimer les mouvements sociaux et de défense de l'environnement.
Figure également un article de Vincent Berthelier sur la notion de style dans la littérature d'extrême-droite française. Dénotant par son sujet, cette contribution signale que bien que les sciences sociales semblent actuellement plus adaptées pour ce qui est de diffuser et défendre des idées, la littérature et son enseignement restent un enjeu politique et ne doivent pas être abandonnés à l'extrême-droite. Outre l'article de Pauline Perrenot sur les médias et la banalisation de l'extrême-droite dont nous avons précédemment traité, deux articles méritent une attention particulière et viennent combler certains manques de l'ouvrage dans son ensemble.
Libertarianisme autoritaire et internationale fasciste
Dans une contribution très riche, Marlène Benquet propose d'analyser la progression de l'extrême-droite non pas du côté de la « demande » politique émanant des électeurs, mais plutôt de « l'offre », c'est-à-dire des partis et de leur structuration.
L'article se propose plus particulièrement d'étudier les liens existant entre milieux d'affaire et réseaux d'extrême-droite : afin de gagner en influence, les partis d'extrême-droite cherchent à donner toujours plus de gages aux milieux d'affaire et les rassurer sur les conséquences économiques et financières dans le cas où ils accéderaient au pouvoir. Il existe ainsi de nombreux et puissants réseaux d'influence ou think tanks financés par les milieux d'affaires et des grandes fortunes œuvrant à faire progresser l'extrême-droite [8].
Pour Benquet, la conversion des milieux d'affaires – auparavant favorables à des politiques libérales et conservatrices – à une doctrine libertarienne autoritaire et réactionnaire s'explique par la transformation des modes d'accumulation. Le capitalisme est passé depuis une vingtaine d'années d'une économie d'endettement administré (première financiarisation) à une seconde financiarisation reposant sur la gestion de capitaux d'autres institutions par des pôles d'accumulation.
Cela a favorisé l'émergence et la diffusion de la doctrine libertarienne autoritaire reposant sur trois principes fondamentaux : la volonté des acteurs économiques de s'émanciper de la régulation étatique et des organisations régionales, la réduction de l'État à sa seule fonction de garant de la propriété privée et la mise en actif des individus et du vivant. Nombre de responsables politiques se sont déjà rangés derrière cette doctrine libertarienne (au premier rang desquels Trump et Milei), rejoints par une part de plus en plus importante de la bourgeoisie et du patronat.
Cet article est un des seuls (avec celui de Aurélie Dianara et Salvatore Prinzi en première partie) à mettre en lumière le fait que l'extrême-droite s'organise à l'échelle internationale, formant ce qu'Ugo Palheta a désigné comme une internationale fasciste [9]. Ce décentrage de la focale permet de contrebalancer la dimension franco-centrée du reste de l'ouvrage.
Le compromis nationaliste entre le RN et les groupuscules violents
La contribution de Mathieu Molard revient sur les liens que continue d'entretenir le FN/RN avec les groupuscules d'extrême-droite extraparlementaires. Le FN repose dès sa création sur l'idée de « compromis national » [10] entre les différentes chapelles d'extrême-droite française sans imposer de cadrage idéologique autre que l'ethno-nationalisme, le culte du chef et un conservatisme réactionnaire.
Le parti offre alors une « maison commune » aux différents courants d'extrême-droite – y compris les plus radicaux et violents – qui continuent d'exister en dehors du jeu électoral. Au sein de l'appareil du parti, les différents courants coexistent et luttent pour imposer leur hégémonie. C'est notamment le cas pour la doctrine identitaire de Dominique Venner ou de la théorie du « Grand Remplacement » de Renaud Camus, toutes deux issues de mouvances extra-parlementaires et désormais reprises par le RN/FN.
Malgré la stratégie de dédiabolisation du parti depuis l'arrivée de Marine Le Pen à sa tête, des liens subsistent entre le FN/RN et les groupuscules violents. C'est notamment le cas de la Cocarde étudiante ou d'anciens responsables du GUD que l'on retrouve parmi les collaborateurs de Marine Le Pen. Bien que tenus publiquement à distance, ces militants violents constituent une force mobilisable lors des campagnes électorales ou pour mener certaines actions de terrain. Ils détiennent également une importante capacité de nuisance lorsqu'il s'agit de mener des campagnes de cyber-harcèlement coordonnées contre telle ou telle personnalité ou organisation.
Cet article nous rappelle que si l'extrême-droite progresse électoralement, elle resurgit également dans nos rues. Que l'on songe à l'expédition punitive à Roman-sur-Isère après la mort de Thomas à Crépol en 2023 : des dizaines de nervis, membres de différents groupuscules fascistes, se sont coordonnés pour organiser une véritable ratonnade. Le soir de la victoire du FN/RN aux élections européennes de 2024, des agressions racistes et LGBTphobes ont été recensées à travers la France. L'extrême-droite représente une menace électorale mais également un danger physique pour un nombre important de personnes, membres de minorités et/ou opposants politiques.
Une résistible ascension ?
L'ensemble des contributions de l'ouvrage nous donnent à voir comment l'extrême-droite progresse en France sur tous les terrains. La lecture donne ainsi parfois le vertige, la victoire lui semblant d'ores et déjà acquise. Ce sentiment est renforcé par le fait que les articles sont avares en propositions stratégiques, se concluant rarement sur des pistes politiques. On pourrait arguer qu'il est nécessaire de bien connaître son ennemi pour le vaincre ou que le rôle des chercheurs n'est pas de proposer un programme d'action. Ces deux arguments se tiennent mais on reste toutefois sur notre faim quant à la promesse tacite du titre du livre, celle de nous convaincre que tout n'est pas perdu.
D'intéressantes réponses sont toutefois à trouver dans la postface de Clémence Guetté, s'inscrivant pleinement dans la stratégie électorale de la France Insoumise. Reprenant la plupart des constats posés précédemment, elle identifie certaines faiblesses de l'extrême-droite et comment celles-ci peuvent être exploitées pour la vaincre.
Le principal danger selon la députée et co-présidente de l'Institut La Boétie n'est pas tant le FN/RN que le processus d'extrême-droitisation de la société française. La gauche ne contrera pas cette évolution en allant sur le terrain de l'extrême-droite ou en acceptant son cadrage idéologique : face à l'extrême-droite, à son racisme et à son autoritarisme, il faut apporter une réponse ferme et intransigeante. En effet, « quand un point de résistance apparaît contre les idées d'extrême-droite, il devient un point de ralliement pour beaucoup » (p.253).
En appelant à la justice après la mort de Nahel Merzouk à l'été 2023 ou en dénonçant le génocide en Palestine, la France Insoumise a offert un espace politique respirable là où le reste des discours était saturé par une rhétorique sécuritaire et islamophobe étouffante. Là où certains dénoncent un opportunisme électoral, il s'agit plutôt de défendre des convictions politiques : comme le souligne Clémence Guetté, l'opportunisme serait justement d'abandonner ces convictions pour aller là où l'on pense que l'opinion publique nous attend.
La lutte contre l'extrême-droite repose également sur la mobilisation du bloc populaire et le ralliement des abstentionnistes, à commencer par la jeunesse et les quartiers populaires. Cela suppose notamment de défendre l'accès aux services publics et de susciter une dynamique d'union populaire via les syndicats, les associations et les habitants des territoires. Cette mobilisation passe par le fait de se saisir de sujets tels que l'antiracisme, la lutte contre les discriminations, le rôle de la police ou l'écologie radicale : « [ce] ne sont pas des repoussoirs. Ce sont des sujets concrets de politisation pour des millions de gens que nous avons besoin de voir entrer dans l'action » (p. 256).
Pour Clémence Guetté, il s'agit par ailleurs de réintroduire un clivage vertical (travailleurs contre patrons) face au clivage horizontal (Français contre immigrés) imposé par l'extrême-droite.
Enfin, la principale force de l'extrême-droite est de capitaliser sur la résignation et l'impossibilité d'imaginer autre chose. La gauche doit alors proposer de nouveaux horizons, un monde désirable et imposer un contre-récit hégémonique.
Pour un antifascisme populaire, partout, tout le temps
Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, Extrême-droite, la résistible ascension est un ouvrage très complet synthétisant des contributions des principaux chercheurs actuels spécialistes de l'extrême-droite. Le livre est riche d'enseignements et constitue une solide introduction aux travaux des contributeurs.
On pourrait regretter une analyse parfois trop centrée sur les enjeux électoraux, l'extrême-droite française étant souvent assimilée au FN/RN. Les pistes stratégiques avancées par Clémence Guetté en postface sont pertinentes mais souffrent également de ce biais : il n'y est que peu question de combattre l'extrême-droite au quotidien, la victoire ne semblant passer que par les urnes (et la France Insoumise). Plutôt que de construire et imposer un contre-récit entre chaque échéance électorale, ne devrions-nous pas multiplier les actes de résistance ?
La gauche doit être présente et identifiable sur tous les terrains pour progresser et faire face à une extrême-droite omniprésente dans les médias. Cela passe par le syndicalisme dans nos entreprises et services publics, le mouvement social et les actions militantes mais aussi l'investissement de collectifs et associations locales. François Ruffin – dont Johann Chapoutot fait à de nombreuses reprises mention dans la préface du livre – a de longue date défendu cette dynamique militante quotidienne et ancrée localement. On regrette qu'il n'ait depuis pas tenu compte d'un autre point fondamental : la gauche ne doit rien céder avec l'extrême-droite, à commencer par l'antiracisme et la solidarité avec les peuples opprimés.
Face à l'extrême-droite, la gauche se doit d'être radicale, c'est-à-dire puiser dans ses racines et construire un antifascisme du quotidien, reposant sur des solidarités de classe et refusant que certains soient laissés derrière.
Notes
[1] Félicien Faury, “Vote FN et implantation partisane dans le Sud-Est de la France : racisme, rapports de classe et politisation”, thèse de doctorat en sciences politiques soutenue en 2021. Cette thèse a donné lieu à la publication d'un livre Des électeurs ordinaires, enquête sur la normalisation de l'extrême-droite, Le Seuil 2024.
[2] Voir notamment Benoît Coquard, Ceux qui restent, La Découverte, 2019.
[3] Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte 2012
[4] Magali Della Sudda, Les nouvelles femmes de droite, Hors d'atteinte, 2022
[5] Christelle Hamel. De la racialisation du sexisme au sexisme identitaire. Migrations Société, 2005
[6] Sara R. Farris, In the Name of Women's Rights. The Rise of Femonationalism, Duke University Press, 2017
[7] On pourra à ce titre se référer au livre de Pierre Plottu et Maxime Macé, Pop fascisme, comment l'extrême-droite a gagné la bataille culturelle sur internet, Divergences, 2024
[8] Citons notamment les réseaux Atlas et Stockholm, think tanks libertariens fédérant de nombreuses organisations. Dans un récent article, l'Observatoire des multinationales alertait sur l'influence grandissante du réseau Atlas en France et en Europe.
[9] Ugo Palheta, La nouvelle internationale fasciste, Textuel, 2022
[10] Mathieu Molard reprend ici la formule de Charles Maurras, figure tutélaire de l'extrême-droite française, qui propose aux différents groupes d'extrême-droite une alliance tactique et circonstancielle en 1934.
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Lettre ouverte de l’APRÈS à l’ensemble des organisations qui composent ou soutiennent le Nouveau Front Populaire.

Chères et chers camarades, la situation politique est extrêmement préoccupante, chacun·e en conviendra. À l'échelle internationale, elle est profondément bouleversée par l'élection de D. Trump. C'est à cette échelle qu'il faut désormais penser l'absolue nécessité de battre l'extrême droite. Pour la France, le choc d'une victoire du Rassemblement national serait catastrophique. Ses effets dépasseraient très largement les frontières nationales.
Publié par L'APRÈS le 08 avril 2025
Or dans les sondages d'opinion, et malgré la condamnation de Marine Le Pen, l'extrême droite atteint aujourd'hui en scores cumulés 45% des voix au premier tour.
Face au néofascime, mesurons l'irresponsabilité qu'il y aurait à considérer que seul importe d'arriver demain le premier ou la première des vaincu·es.
À L'APRÈS, nous ne cessons de plaider pour l'union de la gauche et des écologistes, sur un programme de transformation de la société, en partant de celui qui a fait accord en 2022 avec la NUPES puis en 2024 avec le NFP. Il n'y a pas de raccourci : l'union la plus complète est une condition indispensable pour pouvoir envisager la victoire.
C'est aussi, nous en sommes persuadé·es, la conviction très majoritaire au sein du peuple de gauche, celui qui a su se mobiliser pour battre l'extrême droite aux élections législatives provoquées par la dissolution de l'Assemblée nationale. Nous sommes les 9 millions d'électrices et d'électeurs qui ont placé le NFP en tête !
Dans l'unité de toute la gauche, la victoire est possible. Face au Rassemblement national elle est impérative. La tâche est immense mais le renoncement serait un poison mortel. Or le spectacle désastreux qu'offre la gauche aujourd'hui contribue à faire croître le doute.
Camarades du Parti socialiste, qui allez tenir votre congrès, nous vous conjurons de réaffirmer votre attachement au NFP et le choix de l'unité aux prochaines échéances électorales.
Camarades des Écologistes, gageons que votre congrès sera l'occasion de concrétiser votre choix d'une candidature commune à la prochaine élection présidentielle.
Camarades du PCF, engagez-vous sans tarder dans la dynamique unitaire qui a fait votre histoire depuis le Front populaire.
Camarades de La France Insoumise, renouez avec l'esprit de la NUPES et du NFP dont vous avez été la force première et engagez-vous sans exclusive ni préalable dans la construction d'une candidature commune.
Aucun·e candidat·e, quelles que soient ses qualités, ne réglera par sa seule candidature les difficultés.
Avec Génération·s et Picardie Debout !, conformément à l'objectif que nous nous sommes fixés ensemble depuis plusieurs mois, nous voulons avancer résolument dans la construction d'une force politique commune qui sera un trait d'union du NFP.
Notre objectif : construire un cadre de rassemblement qui inclue l'ensemble des organisations politiques qui ont soutenu le NFP ainsi que les forces sociales, citoyennes, culturelles qui se sont levées l'été dernier.
Il y a urgence à se mettre au travail pour actualiser le programme et proposer un récit commun. Il y a urgence à définir ensemble une méthode de désignation de notre candidature à la présidentielle de 2027 et des candidatures communes dans toutes les circonscriptions aux législatives. Il y a urgence à sortir des divisions et des querelles de l'entre-soi pour s'adresser au pays, ensemble. Mettons-nous en campagne dans l'unité, avec détermination.
Ainsi nous ferons ce à quoi nous a enjoint la jeunesse le soir du 9 juin 2024 : « ne nous trahissez pas ! unissez vous ! », et nous pourrons multiplier les initiatives pour renouer avec la dynamique du NFP, appuyée sur la société civile, notamment autour du 30 juin, où nous pourrions fêter l'anniversaire de son irruption électorale.
L'APRÈS vous propose de nous rencontrer au plus vite pour avancer.
Le temps presse. C‘est urgent !
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Allemagne : La balance penche vers la barbarie, mais le socialisme refait surface

L'Allemagne se dirige vers une nouvelle Große Koalition – la coalition entre CDU/CSU (droite conservatrice) et SPD qui a aussi marqué le gouvernement sous Angela Merkel. Mais ce n'est plus la coalition d'antan : un virage à droite des deux partenaires annonce des années sombres pour la justice sociale, la lutte contre l'extrême droite et la défense des droits des migrant·es.
Tiré de Inprecor
14 avril 2025
Par Franziska Meinherz
« Friedrich [Merz – dirigeant de la CDU/CSU] + Alice [Weidel – vice-présidente de l'AfD] : des ami·es bien à droite. Honte à vous ! », manifestation « Main dans la main, nous sommes le pare-feu contre l'extrême droite », Berlin, 16 février 2025
En 2021, Angela Merkel démissionne après 16 ans au pouvoir. Sa démission marque la fin de la coalition CDU/CSU – SPD qui a longtemps dirigé l'Allemagne. Une coalition tripartite entre SPD (parti social-démocrate), Vert·exs et FDP (droite libérale) accède au pouvoir avec le chancelier Scholz. Cette coalition promet un programme de changement et d'innovation radical.
Les Vert·es réussissent à faire aboutir certaines de leurs revendications électorales comme l'abonnement mensuel pour tous les trains régionaux, la sortie du charbon pour 2038, ou l'interdiction d'installer des nouveaux chauffages fossiles. Le SPD réussit à introduire un salaire minimum (certes insuffisant) et à augmenter (très légèrement) l'aide sociale.
Cependant, dès le début, la coalition tripartite est marquée par des conflits et disputes internes. Le FDP fait du frein à l'endettement son cheval de bataille et l'utilise pour bloquer la mise en œuvre de nombreux points de l'accord de coalition. Le taux de soutien à la coalition tripartite chute à 16%.
Les trois partis gouvernementaux perdent ainsi des voix lors des élections européenne de 2024, tandis que l'extrême droite (AfD) sort grande gagnante. Dans une moindre mesure, la droite conservatrice (CDU/CSU) réussit également à améliorer son score.
Par la suite, les partis au pouvoir ainsi que le CDU/CSU effectuent un impressionnant virage à droite. Les ailes néolibérales du SPD et des Vert·exs prennent le devant. Ces partis défendent désormais l'économie allemande (lire : l'industrie automobile), plutôt que les acquis sociaux et la justice sociale et climatique.
Tous les partis membres du parlement fédéral hormis Die Linke (gauche radicale) adoptent un discours anti-migration et entrent dans une compétition rhétorique à « qui peut renvoyer le plus de monde le plus rapidement possible ». Ces discours anti-migrations sont couplés à des discours islamophobes et à une volonté politique de réduire l'immigration des personnes issues de pays musulmans et de faciliter leur renvoi, auxquels se rallient y compris la social-démocratie et les Vert·exs.
La coalition explose en novembre 2024 quand le chancelier Scholz licencie le ministre des finances FDP pour rupture de l'accord de coalition. Dans la même semaine, des documents internes du FDP sont rendus publics. Ils montrent que le parti planifiait lui-même de faire exploser la coalition. Des élections fédérales anticipées sont organisées en février 2025.
Une campagne électorale dominée par une rhétorique anti-migration
La « lutte contre l'immigration incontrôlée » domine la campagne électorale, main dans la main avec un nationalisme décomplexé. Le SPD abreuve les villes et routes principales d'énormes affiches 4×2 mètres montrant leur chancelier Scholz devant un gigantesque drapeau allemand – alors que le fait d'afficher le drapeau national était jusqu'à récemment principalement associé avec les milieux d'extrême droite.
Peu avant les élections, le CDU/CSU propose un texte anti-migration au parlement, dont l'adoption dépend du soutien de l'AfD, brisant par là un tabou et l'accord interpartis de ne jamais constituer des majorités avec ce parti d'extrême-droite. Les médias et la population feignent la grande surprise et des manifestations s'organisent pour dénoncer cette alliance « contre-nature » entre un parti « démocratique » et l'extrême droite. Cependant, Friedrich Merz, chef du CDU/CSU, avait déjà par le passé annoncé être prêt à des coalitions avec l'AfD au niveau communal, et il a successivement aligné le CDU/CSU sur une ligne politique qui a plus de points d'accord que de désaccord avec l'AfD.
Les mois précédant les élections anticipées révèlent également une fois de plus la force et l'influence des réseaux d'extrême droite qui gangrènent l'Allemagne et ses institutions. Lors de rencontres secrètes, qui réunissent des membres de l'AfD et des figures de l'extrême droite autrichienne et suisse, des stratégies électorales et programmes politiques qui misent sur un ethnonationalisme blanc et chrétien sont élaborés. Pendant la campagne électorale, l'AfD reçoit également des discours de soutien d'Elon Musk et de l'ancien Conseiller fédéral suisse Ueli Maurer (UDC), lui-même affilié avec les milieux conspirationnistes d'extrême droite en Suisse.
La fuite vers la droite généralisée renforce avant tout l'extrême droite
La stratégie d'un virage à droite pour faire concurrence à l'AfD, poursuivie par la droite libérale et conservatrice ainsi que par la social-démocratie ne paie pas. L'AfD sort la grande gagnante des élections anticipées. Elle arrive en tête en Allemagne de l'Est, avec des taux entre 35 et 45%, et devient le deuxième parti après le CDU/CSU en Allemagne de l'Ouest, avec des taux entre 15 et 25%. Le SPD perd 1,76 millions de voix au profit du CDU/CSU et 720000 voix au profit de l'AfD, montrant la faiblesse d'une politique sociale-démocrate historiquement plus proche de la droite que de la gauche. Le CDU/CSU perd un millions de voix au profit de l'AfD, montrant qu'un rapprochement rhétorique et politique avec l'extrême droite renforce en premier lieu cette dernière. Les Vert·exs déçoivent leur électorat de gauche qui leur a permis d'entrer au gouvernement en 2021. Leurs pertes alimentent principalement Die Linke.
Parmi les trois partis membres de la coalition sortante, les Vert·exs sont ceux qui perdent le moins de voix (– 3,11%), tandis que le FDP perd 7,1% et le SPD 9,3%. Pourtant, durant la dernière année de la coalition, le FDP et le CDU/CSU ont fait des Vert·exs le bouc émissaire de la stagnation économique, de l'inflation et d'une présupposée augmentation de la criminalité. Mais les électeur·icexs ne sont pas dupes : ce n'est pas la politique climatique qui est à l'origine de la perte du pouvoir d'achat, mais bien le refus du CDU/CSU, FDP et du SPD d'imposer les fortunes et leurs rendements, d'augmenter la progressivité de l'impôt, et d'enterrer le frein à l'endettement.
Le succès de Die Linke, qui arrive en tête à Berlin avec 19,9% mais qui cartonne également en Allemagne de l'Est avec des taux entre 10 et 15% (contre 8,77% au niveau fédéral), montre qu'une politique de gauche conséquente et radicale sait convaincre non seulement la population jeune et urbaine, mais aussi des personnes de la périphérie est-allemande précarisées par le renchérissement et le manque d'investissements dans les services et infrastructures publiques.
Die Linke réussit également à dominer le BSW, un nouveau parti fondé début 2024 par des démissionnaires de Die Linke qui défendent une politique pro-russe qui lie des propositions sociales à une politique anti-migration. Même dans ses fiefs en Allemagne de l'Est, le BSW n'atteint qu'entre 8 et 12%. Au niveau fédéral, il ne parvient pas à entrer au gouvernement. Le FDP est également éjecté non seulement du gouvernement mais aussi du parlement ; signe que la population ne soutient plus le sacro-saint frein à l'endettement qui assèche les services publics et la prive des investissements dont elle a besoin.
Comment combattre la majorité d'extrême droite ?
Malgré le succès de Die Linke, c'est donc l'extrême droite qui sort gagnante : l'AfD en Allemagne de l'Est, et le CDU/CSU, dont les discours sont désormais largement identiques à ceux de l'AfD, en Allemagne de l'Ouest. La nouvelle coalition entre CDU/CSU et SPD qui s'annonce sera dirigée par Friedrich Merz, un chancelier aux discours d'extrême droite, qui promet de fermer les frontières, de renvoyer massivement et qui prévoit si nécessaire de gouverner avec le soutien parlementaire de l'AfD. Le contraste avec la coalition CDU/CSU-SPD dirigée par Merkel ne pourrait pas être plus grand : tandis que la première a surpris l'Europe avec une politique de migration qui misait sur des passages sûrs et une politique d'accueil, l'actuelle représente un régime de frontières meurtrier, des renvois massifs et la stigmatisation des personnes musulmanes et/ou racisées.
Plus que jamais, un militantisme explicitement antiraciste et antifasciste s'impose. Souvent décrit comme un vote de contestation contre la politique économique antisociale du gouvernement sortant, le vote pour l'AfD montre surtout la droitisation de la société allemande. Un sondage récent révèle que plus de la moitié de la population allemande estime que « l'AfD est le seul parti qui adresse l'augmentation de la criminalité et de l'insécurité » et près de la moitié affirme « trouver bien que l'AfD veuille réduire le nombre d'étrangers et de réfugiés ».
Ces avis sont partagés par 99% de l'électorat de l'AfD. Seulement 8% de l'électorat AfD vote pour ce parti en raison de sa politique économique, et 6% en raison de ses propositions contre le renchérissement. Bien que l'AfD est particulièrement fort dans les régions économiquement défavorisées de l'Allemagne de l'Est, il a également massivement recruté dans des circonscriptions aisées en Allemagne de l'Ouest, notamment au sud (Baden-Württemberg et Bavière).
Pour combattre l'extrême droite, il faut certes combattre les politiques néolibérales qui mettent en concurrence les classes travailleuses allemandes et migrantisées, et lutter pour une redistribution des richesses et des meilleurs services publics. Mais les gens votent pour l'extrême droite aussi parce qu'ils adhèrent à ses idées. Il faut donc également lutter contre la normalisation des discours et positions d'extrême droite et contre la fascisation de la société.
Les grandes manifestations contre l'extrême droite en Allemagne n'ont jusqu'à présent pas su se positionner clairement contre les discours racistes et xénophobes ambiants : on y reproduit le discours de l'immigré utile, valorisé pour sa force de travail, au lieu d'insister sur le fait que les immigré·exs sont en premier lieu des êtres humains avec des droits inaliénables. Les premières interventions de la nouvelle fraction parlementaire de Die Linke à ce sujet donnent de l'espoir : ses membres dénoncent explicitement l'islamophobie des autres partis. Espérons que les mobilisations dans les rues deviennent également plus radicalement antiracistes.
Paru le 11 avril dans SolidaritéS
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Empêchons l’expulsion du député de gauche Glauber Braga du Congrès brésilien : Un appel international à la solidarité

Camarades, ceci est un appel à l'action. Le député fédéral Glauber Braga, figure éminente du PSOL (Parti Socialisme et Liberté), l'un des partis les plus combatifs de la gauche brésilienne, fait face à une attaque politique sans précédent. Son mandat est aujourd'hui menacé, non pas pour une quelconque faute éthique ou morale, mais en raison de sa position intransigeante contre la corruption, l'autoritarisme et le détournement des ressources publiques. Glauber est désormais en grève de la faim au sein même du Congrès brésilien, déterminé à résister à cette agression contre la démocratie et la vérité.
Nous appelons les forces progressistes du monde entier à signer le manifeste international de solidarité et à faire monter la pression contre cette persécution politique.
16 avril 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74566
Suivez Glauber Braga pour rester informé de ce combat :
📷 [Instagram - @glauberbraga_oficial](https://www.instagram.com/glauberbraga_oficial/)
📷 [Ministre Paulo Teixeira - @pauloteixeira13](https://www.instagram.com/pauloteixeira13/)
Pourquoi Glauber Braga est-il ciblé ?
La posture combative et l'intégrité éthique de Glauber Braga font de lui une cible pour l'establishment conservateur brésilien. L'acte qui lui vaut aujourd'hui la tentative d'expulsion est sa dénonciation constante du « Budget Secret » (Presupuesto Secreto) — un mécanisme opaque qui permettait à des parlementaires proches de l'ancien président de la Chambre Arthur Lira de distribuer des milliards de fonds publics sans aucun contrôle démocratique. Rien qu'en 2025, plus de 50 milliards de réals (environ 9 milliards d'euros) ont été alloués de manière discrétionnaire par ce biais.
De la tribune du Congrès à la Cour suprême fédérale en passant par les médias, Glauber a dénoncé avec courage ce système corrompu. C'est cela, et non une quelconque faute, qui lui vaut aujourd'hui d'être persécuté.
Son parcours en témoigne : lors de la destitution de l'ancienne présidente Dilma Rousseff, Glauber fut l'un des premiers à dénoncer un coup d'État parlementaire, qualifiant Eduardo Cunha — l'architecte de cette manœuvre — de « gangster ». Il s'est opposé à la persécution judiciaire de Lula, dénonçant Sergio Moro comme un juge corrompu. Lors des débats sur la privatisation de Petrobras, il osa demander à Arthur Lira s'il n'avait pas honte de brader une entreprise stratégique du peuple brésilien.
Oui, je veux attirer l'attention — sur l'injustice »
Glauber ne recule pas. Depuis la salle plénière du Congrès, il a annoncé sa grève de la faim :
« Je suis en grève de la faim après que la Commission d'éthique a recommandé ma destitution. Certains diront que je cherche à attirer l'attention. Oui, c'est exactement ce que je veux : attirer l'attention sur ce qui se passe ici. Cette tentative de m'expulser est directement liée à mes dénonciations du Budget Secret, orchestré par Arthur Lira, qui s'est acheté une maison de 10 millions de réals (environ 1,8 million d'euros), bien au-delà de ses revenus déclarés. Faut-il se taire pendant que des milliards sont manipulés ? Tout le monde ici sait que je suis persécuté. Je pourrais rentrer chez moi et accepter, mais je ne le ferai pas. Aujourd'hui, ils font taire ma voix. Demain, ils feront taire d'autres. Lira a le pouvoir et l'argent, mais il ne peut pas acheter ce que j'ai dans la tête. »
Le véritable « crime » : avoir défendu l'honneur de sa mère
Le prétexte retenu par la Commission d'éthique ? Le 16 avril 2024, un provocateur d'extrême droite est entré au Congrès avec l'intention manifeste de harceler Glauber. Il l'a insulté personnellement et a également proféré des attaques indignes contre sa mère, alors hospitalisée pour la maladie d'Alzheimer et décédée peu après.
En réaction, Glauber a défendu l'honneur de sa mère et a expulsé le provocateur. C'est ce geste, profondément humain, qui lui vaut aujourd'hui une demande d'expulsion du Congrès. Qui parmi nous n'aurait pas fait de même ?
Une procédure truquée, dirigée par les corrompus
La procédure lancée contre lui est truffée d'irrégularités et de conflits d'intérêts. Le rapporteur du dossier, Paulo Magalhães, est lui-même compromis : en 2001, il a agressé un journaliste à l'intérieur du Congrès. Il est donc disqualifié moralement pour juger qui que ce soit. Son rapport est biaisé, truffé d'incohérences, et défend ouvertement Arthur Lira — qui n'est même pas censé être au cœur de cette procédure.
Fait révélateur : Magalhães a lui-même reçu des millions de réals du Budget Secret, ce qui entache toute sa légitimité. Le rapport demandant la destitution de Glauber n'est rien d'autre qu'un rapport acheté.
L'impunité pour l'extrême droite, la sanction maximale pour la gauche
Le contraste est accablant. Voici quelques cas récents passés sous silence :
- Chiquinho Brazão, accusé d'être l'un des commanditaires de l'assassinat de Marielle Franco, est toujours rémunéré comme député, bien qu'en résidence surveillée.
- Delegado Da Cunha, auteur de violences contre son ex-compagne, n'a écopé que d'un blâme jamais lu publiquement.
- Carla Zambelli, qui a poursuivi un journaliste avec une arme à feu en pleine rue pendant la campagne de 2022, n'a jamais été sanctionnée malgré les conclusions du Tribunal suprême fédéral.
- Daniel Silveira, condamné pour avoir incité à des actes antidémocratiques et fait l'apologie de la dictature, n'a été démis de ses fonctions que grâce à la justice, et non à la Commission d'éthique.
Face à ces faits graves, le « cas Glauber » n'est ni un crime ni une faute : c'est un acte de résistance. Et pourtant, c'est lui qu'on veut chasser du Congrès.
Une défense large et historique de Glauber
Ce qui est frappant — et inspirant — dans cette affaire, c'est l'ampleur et l'unité du mouvement de soutien. C'est, de l'avis général, la mobilisation la plus unifiée de la gauche brésilienne depuis des années : toutes les tendances du PSOL, y compris celles rarement d'accord entre elles, se sont ralliées. Des secteurs encore plus à gauche, comme le PSTU, ainsi que des membres du gouvernement Lula, ont aussi pris position. Ce front commun, du radical au modéré, est exceptionnel.
Des figures du PT, comme sa présidente Gleisi Hoffmann, des ministres, ainsi que de nombreux mouvements sociaux sont venus exprimer leur solidarité, certains rendant visite à Glauber sur place, dans le Congrès même, alors qu'il mène sa grève de la faim. Le ministre du Développement agraire, Paulo Teixeira, lui a personnellement témoigné son soutien.
Mais malgré cette vague de soutien, le danger est réel. La droite reste majoritaire à la Chambre des députés et pousse avec vigueur pour que Glauber soit destitué. Ce sont les mêmes forces conservatrices qui ont orchestré la destitution de Dilma Rousseff en 2016 qui mènent aujourd'hui cette offensive.
Et pendant ce temps, le président Lula reste silencieux.
Votre voix compte. Rejoignez le combat.
Nous sommes à un tournant. Glauber Braga est visé non parce qu'il aurait commis une faute, mais parce qu'il dit la vérité et dérange les puissants. Le faire taire créerait un dangereux précédent — pour le Brésil, mais aussi pour toutes celles et ceux qui, dans le monde, luttent contre l'autoritarisme et pour la justice.
La pression internationale peut faire la différence. Votre signature, votre mobilisation, peuvent aider à sauver ce mandat démocratique.
*Signezle manifeste international de solidarité
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P.-S.
Cet article est compilé à partir de sources et témoignages publiés dans les médias brésiliens.
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Victoire de la droite à l’élection présidentielle en Équateur

En plein cœur d'un état d'urgence décrété la veille de l'élection présidentielle en Équateur, plus de 13 millions d'électeur.rices ont été appelé.es aux urnes le dimanche 13 avril. Avec un taux d'appui de 56 %, le président sortant Daniel Noboa débutera un second mandat à la présidence. L'impact de cette élection est majeur au sein du pays, qui traverse une période de violences extrêmes. Il l'est également à l'échelle internationale, alors que l'administration Trump aux États-Unis bénéficie désormais d'un nouvel allié de droite en Amérique latine.
15 avril 2025 | tiré du Journal des alternatives
https://alter.quebec/victoire-de-la-droite-a-lelection-presidentielle-en-equateur/
https://gauche.media/
En plein cœur d'un état d'urgence décrété la veille de l'élection présidentielle en Équateur, plus de 13 millions d'électeur.rices ont été appelé.es aux urnes le dimanche 13 avril. Avec un taux d'appui de 56 %, le président sortant Daniel Noboa débutera un second mandat à la présidence. L'impact de cette élection est majeur au sein du pays, qui traverse une période de violences extrêmes. Il l'est également à l'échelle internationale, alors que l'administration Trump aux États-Unis bénéficie désormais d'un nouvel allié de droite en Amérique latine.
Les résultats promettaient d'être beaucoup plus serrés entre le président réélu et son opposante Luisa Gonzáles, qui a récolté 44 % des voix au sein du parti Revolución Ciudadana. Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle en février dernier ont favorisé de très peu Noboa (44,17 %) face à González (43,97 %), pour laquelle l'appui est demeuré le même au second tour.
Représentante de gauche et issue du « corréisme » de l'ancien président Rafael Correa, Luisa González aspirait à devenir la première femme à occuper la présidence de l'Équateur et avait misé sur une importante alliance avec les peuples autochtones.
Leónida Iza, président de la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur (Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador — CONAIE) et troisième candidat en lice à la première ronde de l'élection présidentielle sous les couleurs du parti Pachakutik, avait récemment publiquement appuyé la candidature de González. Il affirmait ne vouloir céder aucun vote à la droite de Noboa (ni un solo voto a la derecha).
Hausse des violences en Équateur
L'élection présidentielle équatorienne a pris place dans un contexte marqué par la violence depuis plusieurs années. Si l'Équateur était connu pour être un des pays d'Amérique latine les plus calmes et stables, le portrait actuel se dissocie de cette image et a été en grande partie façonné par la croissance du narcotrafic. Ayant d'abord profité de l'instauration d'un état d'urgence en 2020 et d'une hausse de la pauvreté chez la population, le crime organisé a progressivement pris de l'ampleur dans le pays.
Du fait de son économie dollarisée et de son positionnement géographique entre la Colombie et le Pérou, où se concentrent les plus grandes productions mondiales de cocaïne, l'Équateur s'est converti en point stratégique pour le développement du narcotrafic.
En 2023, le syndicaliste Fernando Villavicencio, candidat à la présidence ayant tenté de dénoncer l'infiltration des narcotrafiquants dans la campagne électorale, s'est fait assassiner. En 2024, des groupes criminels ont pris le contrôle de plusieurs prisons équatoriennes, et ont même mené une attaque armée contre une chaîne de télévision nationale.
Aujourd'hui, selon les données du ministère de l'Intérieur de l'Équateur, environ 26 homicides y sont commis quotidiennement. Ce nombre dépasse largement celui de 2022 — auparavant considérée l'année la plus violente de l'histoire du pays — où étaient enregistrés 22 homicides par jour.
Consolidation d'un « noboisme » ou rejet du « corréisme » ?
Fils de l'homme le plus riche d'Équateur et héritier d'une centaine d'entreprises d'exportation de bananes, Daniel Noboa est issu de l'oligarchie équatorienne. Il a d'abord été élu à la présidence en 2023 après la destitution de l'ancien président Guillermo Lasseo.
En plus de défendre des positions associées à la droite néolibérale — politiques d'austérité, renforcement de la sécurité nationale et augmentation des investissements privés à l'étranger — Noboa incarne une image de renouveau qui s'oppose fermement au « corréisme » lié à Rafael Correa.
Vaincu en 2017, l'ancien président de gauche continue d'être une figure extrêmement influente et polarisante en Équateur. Si le fait de se présenter comme la successeure de Correa a pu avoir un effet positif sur la candidature de Luisa González, notamment en rappelant une période de stabilité et de réduction de la pauvreté en Équateur, les détracteur.rices de Correa peuvent rapidement associer ses erreurs à la candidate vaincue. La division sociale créée par le « corréisme » en Équateur a eu tendance à s'intensifier lors d'élections présidentielles, et plus précisément au second tour.
Un facteur pouvant avoir influencé le dénouement de l'élection présidentielle équatorienne est l'arrivée de Donald Trump à la tête des États-Unis. Les premiers mois de son administration ont été marqués par le lancement d'une guerre tarifaire mondiale lourde de conséquences économiques pour les individus partout dans le monde, notamment celles et ceux qui détiennent des dollars américains. C'est le cas en Équateur.
Daniel Noboa a rencontré Trump deux semaines avant l'élection présidentielle. En démontrant la construction d'un lien avec le président des États-Unis — qui a rapidement félicité l'arrivée d'un « grand dirigeant pour le merveilleux peuple d'Équateur » sur Truth Social — Noboa se présente comme une figure rassurante et capable de négocier avec la source de la menace.
La candidate de gauche a de son côté refusé de reconnaître le résultat de l'élection présidentielle. Elle dénonce entre autres le décret d'un état d'exception la veille de l'élection et demande un recomptage.
Renforcement de l'administration Trump
L'élection de Daniel Noboa représente à la fois une victoire de la droite latino-américaine et de l'administration Trump, qui semble pour l'instant s'être acquis un nouvel allié en Amérique du Sud. Alors que les liens unissant de nombreux pays aux États-Unis se sont récemment détériorés en raison de la guerre tarifaire lancée par Trump,l'Équateur figure parmi les premiers pays à vouloir réapprofondir sa relation commerciale avec la puissance américaine.
Ce lien entre les deux gouvernements n'est pas tout à fait nouveau. Une grande part de la stratégie de sécurité déployée par Noboa pour adresser la violence et l'insécurité généralisées en Équateur s'est concentrée sur la militarisation du pays pour contrer le narcotrafic, notamment en contractant les mercenaires de l'entreprise militaire américaine Academi (anciennement Blackwater Worldwide).
L'entreprise privée Academi — la plus grande société privée fournissant des services de sécurité et de défense à diverses entités, notamment des gouvernements — a été fondée par le milliardaire Erik Prince, qui a également été secrétaire à l'Éducation dans la première administration Trump. Prince a ouvertement soutenu la candidature de Noboa sur le réseau social X.
Une avancée qui peut forger la résistance
Malgré la défaite électorale de la gauche équatorienne, il importe de reconnaître l'importante mise en commun qui a mené à l'obtention de 44% des voix par Luiza González. Dans un contexte international très peu favorable à l'union des mouvances de gauche, l'alliance conclue entre les partis Revolución Ciudadana et Pachakutik représentait une puissante volonté politique d'unir les mouvements sociaux et les peuples autochtones en Équateur pour avancer vers un but commun.
Une telle entente est historique et n'a qu'un seul antécédent similaire dans le contexte équatorien, soit la coalition de gauche Movimiento Alianza PAIS. Formée en 2006 par Rafael Correa, cette alliance a formé le gouvernement de l'Équateur jusqu'en 2017.
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Haïti : terreur et stratégie de l’impuissance

La suspension des activités de Médecins sans frontières (MSF) dans deux centres de santé et l'assassinat, le 31 mars 2025, de deux sœurs religieuses sont autant de marqueurs de la descente aux enfers d'Haïti. L'Église a réagi en dénonçant l'inaction du pouvoir, dont l'impuissance renvoie à l'histoire du pays et à l'ingérence internationale.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/21/la-double-dette-dhaiti-1825-2025-une-question-actuelle-autres-textes/
Le 31 mars dernier, un nouveau massacre a eu lieu en Haïti. Parmi les victimes figurent Evanette Onezaire et Jeanne Voltaire, deux sœurs catholiques. Une semaine plus tard, à la suite d'une attaque ciblée survenue le 15 mars contre un convoi de MSF, l'organisation a annoncé suspendre ses activités dans deux structures. Ce double événement consacre à la fois l'extension territoriale des gangs au sein et en-dehors de la capitale Port-au-Prince, contrôlée à 85% par les bandes armées, et l'étendue de leur emprise, à laquelle plus aucun espace ni symbole – social, culturel ou religieux – n'échappe.
Ces quatre dernières années, MSF a dû, à plusieurs reprises, suspendre ses activités et déplacer ses centres en fonction des attaques et de l'avancée des gangs. En avril 2021, des hommes lourdement armés étaient entrés, en plein office, dans une église adventiste pour kidnapper quatre personnes. La vidéo avait fait le tour des réseaux sociaux. Une dizaine de jours plus tard, c'est un groupe de sept religieux catholiques, dont deux Français, qui étaient enlevés. Dénonçant la « dictature du kidnapping » par laquelle les gangs s'enrichissent, l'Église catholique avait appelé alors, phénomène inédit, à la grève des écoles, universités et hôpitaux dans son giron afin de protester contre l'insécurité.
Depuis lors, les religieux n'échappent pas à la violence. Dans la nuit de dimanche à lundi, l'église Sacré-Cœur de Turgeau, dans le cœur de la capitale (et où se situait l'un des centres de MSF qui a suspendu ses activités), a été attaquée. À l'instar des autres institutions – publiques, médiatiques (les locaux de trois médias ont été saccagés le mois dernier), culturelles (c'est aujourd'hui la fondation emblématique FOKAL qui risque à tout moment de tomber entre les mains des gangs) –, les églises sont devenues des cibles. Elles n'offrent plus aucun refuge à une population cernée de toutes parts et abandonnée par l'État, qui ne cesse de résister.
Descente aux enfers
De 2021 à aujourd'hui, la même image revient – celle d'une « descente aux enfers » –, la même prière et la même dénonciation de l'inaction des autorités. Ainsi, dans son dernier communiqué, la Conférence haïtienne des religieux a exprimé « sa profonde douleur, mais aussi sa colère devant la situation infrahumaine », critiquant les « soi-disant leaders de ce pays, [qui] tout en s'accrochant au pouvoir, sont de plus en plus impuissants ».
De 2021 à 2025, de l'assassinat du président Jovenel Moïse au Conseil présidentiel de transition actuel, en passant par les deux ans et demi du gouvernement catastrophique d'Ariel Henry, soutenu à bout de bras par la communauté internationale, l'effondrement du pays s'est aggravé et accéléré. Plus d'un million de personnes, dont une majorité de femmes et d'enfants, sont déplacés par la violence et la moitié de la population a besoin d'une aide humanitaire.
Les autorités haïtiennes se succèdent, la violence s'accroit, l'impunité se renforce. L'embargo sur les armes – dont la quasi-totalité provient des Etats-Unis – et le régime de sanctions décidés par l'ONU sont peu ou pas appliqués, tandis que les quelques mille policiers de la mission multinationale armée, sur place depuis des mois, paraissent peu actifs et, de toute façon, inefficaces. L'échéance électorale de cet automne est un mirage auquel, par lâcheté ou intérêt, seules la classe politique haïtienne et la communauté internationale s'accrochent, pour ne pas reconnaître la faillite de la stratégie poursuivie jusqu'à présent. La transition est bloquée et il n'y aura pas d'élections.
À la merci des forces destructrices
À juste titre, l'église dénonce tout à la fois les exactions des gangs armés et l'inaction, sinon la complicité du pouvoir. Mais la passivité et l'indifférence de la classe politique en Haïti sont le pendant de l'interventionnisme de Washington et d'une oligarchie tournant le dos à la population pour mieux répondre aux injonctions internationales. Quelle puissance publique, quelle volonté politique peuvent en effet se déployer dans un pays piégé dans une équation internationale saturée par la dépendance et l'ingérence ?
La matrice néocoloniale s'est cristallisée en 1825 avec l'imposition par la France à son ancienne colonie d'une indemnité de 150 millions de francs pour dédommager les planteurs qui avaient perdus, avec leurs terres et leurs esclaves, toutes leurs richesses. À défaut de pouvoir recoloniser Haïti, on s'assurait de son contrôle. En échange, l'État français « concédait » une indépendance acquise vingt-et-un ans plus tôt, en 1804, à la suite du soulèvement des esclaves et d'une révolution qui avait chassé les troupes napoléoniennes.
Cette rançon contribua à enfermer le pays dans une spirale d'endettement, de crises et d'interventions étrangères. Elle consolida dans le même temps l'élite haïtienne et la logique impériale. Au fil du temps, Washington se substitua à Paris et la dépendance changea de direction. Demeure l'exigence des Haïtiens et Haïtiennes d'obtenir réparation de la France et de se dégager de l'emprise états-unienne.
« L'absence de réaction efficace face à l'insécurité persistante est un échec grave qui met en péril la nation abandonnée à la merci des forces destructrices » affirme la Conférence haïtienne des religieux. Les manifestations contre l'insécurité et la passivité des autorités en place se multiplient ; manifestations lourdement réprimées par la police. Le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) dénonce un « terrorisme d'État, qui, depuis 2018, est établi comme mode de gouvernance » et l'absence de plan des autorités, qui « cantonne l'institution policière dans un rôle de sapeurs-pompiers ». L'impuissance du gouvernement, la terreur des gangs, l'ingérence internationale ne sont pas des fatalités, mais des manières de gouverner dont les Haïtiens et Haïtiennes veulent se libérer.
Frédéric Thomas
https://www.cetri.be/Haiti-terreur-et-strategie-de-l
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Afghanistan : plus de 10% de la population pourrait être privée de soins fin 2025 faute d’aide américaine

Plus de 10 % des habitants d'Afghanistan risquent de ne plus avoir accès aux soins d'ici la fin de l'année 2025 à la suite de l'arrêt de l'aide américaine, a alerté l'Organisation mondiale de la Santé. Le système de santé, déjà affaibli, se retrouve dans une situation critique depuis que les États-Unis ont suspendu leur soutien en janvier. Il y a un mois, l'OMS signalait déjà que 1,6 million de personnes n'avaient plus accès à des soins vitaux en l'absence de financements alternatifs.
Tiré d'El Watan.
Aujourd'hui, ce chiffre s'élève à trois millions de personnes, selon Edwin Ceniza Salvador, représentant de l'organisation en Afghanistan, qui estime que deux à trois millions d'Afghans supplémentaires pourraient bientôt être dans la même situation. Le pays, qui compte environ 45 millions d'habitants, est l'un des plus pauvres du monde. Depuis la fin du financement américain, 364 centres de santé ont déjà fermé et 220 autres sont menacés. L'OMS s'inquiète du risque croissant de décès liés à cette crise sanitaire. Malgré les efforts d'autres donateurs pour compenser l'arrêt du soutien américain, l'écart à combler reste considérable. Les États-Unis, qui étaient jusque-là les premiers contributeurs humanitaires dans le pays, ont supprimé 83 % des programmes de leur agence de développement USAID, représentant 42 % de l'aide humanitaire mondiale consacrée à l'Afghanistan.
En parallèle, la situation migratoire s'aggrave. Près de 60 000 Afghans ont été contraints de retourner dans leur pays entre le 1er et le 13 avril après l'annonce par le Pakistan d'une campagne d'expulsion massive visant des centaines de milliers de migrants. L'Organisation internationale pour les migrations a précisé que ces retours se sont effectués principalement via les postes-frontières de Torkham et de Spin Boldak. Avec ces retours massifs, les besoins humanitaires explosent, notamment dans les régions frontalières et les zones d'accueil déjà sous pression, selon Mihyung Park, responsable de l'OIM en Afghanistan.
Actuellement, trois millions d'Afghans vivent au Pakistan. Parmi eux, 800 000 ont perdu leur carte de résident en avril, tandis que 1,3 million bénéficient encore d'un permis de séjour temporaire valide jusqu'au 30 juin grâce à leur enregistrement auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Les autres vivent sans papiers officiels, dans une grande précarité.
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Sri Lanka : Fabriqué au Sri Lanka, taxé en Amérique et abandonné par le FMI

Le 2 avril 2025, le président américain Donald Trump a annoncé les tarifs douaniers du « Jour de la Libération », imposant des mesures commerciales aux partenaires du monde entier. Cette politique comprenait un tarif de base de 10% sur toutes les importations, ainsi que des « tarifs réciproques » stricts et spécifiques à chaque pays, visant à reproduire les tarifs que ces pays ont imposés sur les exportations américaines. Le Sri Lanka, un pays fortement dépendant des exportations de vêtements vers les États-Unis, a été frappé par un tarif stupéfiant de 44%.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Publié en anglais dans Polity. Source de l'image.
Cette décision a envoyé des ondes de choc à travers l'industrie des vêtements prêts-à-porter (RMG) de cette nation insulaire, un secteur qui emploie 15% de la main-d'œuvre industrielle totale du pays, dont beaucoup de femmes, et contribue significativement aux recettes d'exportation et au PIB (Sri Lanka Export Development Board 2025). Au-delà du secteur de l'habillement, les répercussions économiques pourraient être vastes et profondes. Une baisse des exportations de vêtements mettrait à rude épreuve les revenus en devises étrangères du Sri Lanka, élargirait son déficit commercial et exercerait une pression à la baisse sur la roupie. Une monnaie plus faible, à son tour, augmente le coût des importations, entraînant une inflation plus élevée et faisant monter le coût de la vie. L'effet combiné des pertes d'emplois, de la baisse des recettes d'exportation et de l'augmentation des coûts pourrait faire passer le Sri Lanka d'une position déjà fragile à une crise économique et financière encore plus profonde.
« L'Amérique d'abord » ou effondrement économique ? Analyse de la guerre tarifaire de Trump
La décision de Trump d'imposer des tarifs douaniers étendus, même sur des « pays amis » comme le Sri Lanka, est mieux comprise à travers le prisme du populisme de droite et de la crise structurelle du capitalisme américain. Sa stratégie politique s'est constamment appuyée sur le populisme de droite, qui se nourrit de rhétorique nationaliste, de protectionnisme économique et de la représentation des nations étrangères, qu'elles soient alliées ou rivales, comme des menaces économiques pour les travailleurs américains. En imposant des tarifs sans discrimination, Trump renforce son image de défenseur de l'industrie manufacturière américaine et des emplois face à la mondialisation. Il a capitalisé sur la colère populaire, particulièrement parmi sa base électorale de la classe ouvrière, tout en ignorant commodément le rôle joué par les puissantes entreprises américaines dans l'exploitation des règles du libre-échange pour délocaliser leurs opérations à la recherche de profits plus élevés, une pratique qui est le résultat direct des incitations capitalistes et des politiques économiques néolibérales qui ont encouragé de tels comportements (O'Connor 2020). De plus, Trump a déformé la compréhension publique de la question en la présentant comme si d'autres pays « profitaient » et « escroquaient » les États-Unis (Dillon 2018). Cette guerre tarifaire permet à Trump de maintenir sa légitimité politique en démontrant son engagement envers les politiques « L'Amérique d'abord », même si elles perturbent des relations économiques de longue date (The White House 2025).
D'un point de vue systémique, la guerre tarifaire peut également être comprise dans la logique du capital, particulièrement la tendance à la baisse du taux de profit, une contradiction clé du capitalisme identifiée par les économistes marxistes (Harvey 2010). Au cours des dernières décennies, le capitalisme américain a fait face à des crises de rentabilité résultant de la délocalisation de la production vers des marchés du travail moins chers, des avancées technologiques, etc., et le pays a continué à s'appuyer de plus en plus sur la spéculation financière, la croissance tirée par la dette et des stratégies géopolitiques pour maintenir les profits (Foster et McChesney 2012). Dans ce contexte, les tarifs protectionnistes fonctionnent comme une tentative de reconfigurer le commerce mondial en faveur du capital américain en extrayant de meilleures conditions commerciales par la coercition économique. Même les tarifs sur les nations amies servent cette stratégie plus large : ils font pression sur les exportateurs étrangers pour qu'ils absorbent les coûts ou négocient des concessions qui, en fin de compte, profitent au capital américain.
Quand les rêves néolibéraux rencontrent le cauchemar tarifaire de Trump
La guerre tarifaire de Trump, en particulier le sévère tarif de 44% sur les exportations du Sri Lanka, justifie les critiques de gauche concernant la dépendance du gouvernement du Pouvoir Populaire National (NPP) aux prescriptions néolibérales soutenues par le FMI et à un modèle de croissance tiré par les exportations. Les prévisions budgétaires 2025 du gouvernement NPP dépendent fortement d'une reprise des recettes d'exportation, notamment du secteur de l'habillement, pour soutenir la consolidation budgétaire et financer les services publics essentiels. Selon la dernière politique commerciale et d'exportation du Sri Lanka, le gouvernement vise à atteindre un revenu annuel d'exportation de 18,2 milliards USD d'ici 2025, le secteur de l'habillement devant être le principal moteur, ciblant 5,2 milliards USD de revenus (Rizkiya 2025). Cependant, avec le plus grand marché d'habillement du Sri Lanka désormais effectivement fermé par un tarif de 44%, ces projections d'exportation deviennent rapidement irréalistes. Cela confirme ce que la gauche a longtemps soutenu : qu'une économie liée à la demande externe et aux flux de capitaux mondiaux est intrinsèquement instable, particulièrement lorsqu'elle est soumise à des politiques commerciales impérialistes et aux caprices de pays puissants comme les États-Unis (Chang 2002 ; Rodrik 2007). Au lieu d'isoler le pays des chocs externes, le cadre néolibéral axé sur les exportations du FMI a rendu le Sri Lanka plus dépendant et vulnérable.
De plus, le programme du FMI est fondé sur la restructuration de la dette souveraine du Sri Lanka, largement détenue par des créanciers étrangers. Pour gagner leur confiance, le gouvernement a été contraint de s'engager à des objectifs fiscaux ambitieux grâce à l'augmentation des revenus provenant des exportations (Fitch Wire 2025). Cependant, avec ces revenus maintenant menacés, le Sri Lanka risque de ne pas atteindre ses objectifs budgétaires et de service de la dette, mettant en péril le processus de restructuration et risquant plus d'instabilité, voire un défaut de paiement. Cela met en évidence une autre critique fondamentale de la gauche : la perte de souveraineté dans le cadre de la restructuration dirigée par le FMI, où les priorités nationales sont subordonnées aux exigences des créanciers et des marchés mondiaux (Stiglitz 2002).
Conclusion
La guerre tarifaire de Trump fait plus que causer des dommages à l'économie d'exportation du Sri Lanka. Elle expose les failles profondes et structurelles du néolibéralisme dirigé par le FMI. Comme l'affirme Ha-Joon Chang (2002), des pays riches comme la Grande-Bretagne et les États-Unis se sont industrialisés grâce à une utilisation intensive de politiques protectionnistes et d'intervention étatique, pour ensuite « retirer l'échelle » et faire pression sur les pays en développement pour qu'ils adoptent le libre-échange. Chang rejette l'affirmation néolibérale selon laquelle « Il n'y a pas d'alternative », soulignant plutôt que la mondialisation et le développement économique sont façonnés davantage par des décisions politiques que par une inévitabilité technologique (Chang 2007).
La gauche s'appuie sur cette critique en soutenant que les réussites en matière de développement ne sont pas issues de l'orthodoxie du marché libre, mais d'un mélange pragmatique de protectionnisme, d'entreprises publiques et de flexibilité stratégique. Par exemple, le développement rapide de la Corée du Sud a impliqué une forte direction gouvernementale, une politique industrielle et une approche sélective de la mondialisation (Chang 2002). Ils rejettent également l'économie du ruissellement, dont Thomas Piketty (2014) a montré qu'elle approfondit les inégalités plutôt que de promouvoir une prospérité partagée. De même, Dani Rodrik (2007) démontre que les pays qui ont ouvert leurs économies progressivement et selon leurs propres termes ont connu un développement plus stable et équitable que ceux qui ont suivi une libéralisation complète sous la pression du FMI ou de la Banque mondiale.
Des critiques comme Stiglitz (2002) et Chang (2007) avertissent que le libre-échange, dans sa forme actuelle, tend à privilégier les gains à court terme en matière de consommation tout en sapant les fondements structurels du développement à long terme. Il exacerbe souvent les inégalités et érode les industries nationales. En même temps, les institutions financières internationales comme le FMI appliquent un double standard : alors que les économies avancées déploient des stimuli fiscaux et une expansion monétaire pendant les ralentissements économiques, les pays en développement sont poussés vers l'austérité. Ces mesures, telles que l'augmentation des taux d'intérêt et la réduction des dépenses publiques, suppriment directement l'investissement, la croissance et l'emploi (Stiglitz 2002 ; Weisbrot et al. 2009).
Dans cette optique, les tarifs du « Jour de la Libération » sur le Sri Lanka ne sont pas seulement un événement économique, mais un tournant politique. Ils mettent à nu à quel point le modèle néolibéral actuel est dicté de l'extérieur et vulnérable. C'est un signal d'alarme pour le gouvernement du Pouvoir Populaire National. L'argument de longue date de la gauche résonne maintenant plus que jamais : la véritable reprise ne peut pas venir de la poursuite de marchés d'exportation volatils ou de la dépendance aux prêts étrangers. Au contraire, elle nécessite de reconstruire la souveraineté économique par la production nationale, la sécurité alimentaire et énergétique, et le contrôle démocratique sur la politique fiscale.
Dans un monde de plus en plus façonné par le protectionnisme et le nationalisme économique, le Sri Lanka doit repenser sa voie. La poursuite d'une croissance tirée par les exportations au détriment de la résilience nationale n'est plus défendable. Un modèle de développement enraciné dans l'équité, la durabilité et l'autonomie n'est pas seulement possible, il est crucial.
Taniya Silvapulle est chercheur à l'Association des Scientifiques Sociaux.
Références
Chang, Ha-Joon. (2002). Kicking Away the Ladder : Development Strategy in Historical Perspective. Londres : Anthem Press.
Chang, Ha-Joon. (2007). Bad Samaritans : The Myth of Free Trade and the Secret History of Capitalism. New York : Bloomsbury Press.
Dillon, Sara A. (2018). « Getting the 'message' on free trade : Globalization, jobs and the world according to Trump. » Santa Clara Journal of International Law 16 (2) : 1-44. Disponible sur https://digitalcommons.law.scu.edu/scujil/vol16/iss2/1/
Fitch Wire. (2025). « Sri Lanka's revenue raising drive key to credit profile. » Fitch Ratings (19 février). Consulté le 04/04/2025. Disponible sur https://www.fitchratings.com/research/sovereigns/sri-lankas-revenue-raising-drive-key-to-credit-profile-19-02-2025
Foster, John Bellamy, et McChesney, Robert W. (2012). The Endless Crisis : How Monopoly-Finance Capital Produces Stagnation and Upheaval from the USA to China. New York : Monthly Review Press.
Harvey, D. (2010). The Enigma of Capital and the Crises of Capitalism. New York : Oxford University Press.
O'Connor, Brendon. (2020). « Who exactly is Trump's 'base' ? Why white, working-class voters could be key to the US election. » The Conversation (28 octobre) : https://theconversation.com/who-exactly-is-trumps-base-why-white-working-class-voters-could-be-key-to-the-us-election-147267
Piketty, T. (2014). Le Capital au XXIe siècle. Traduit par Arthur Goldhammer. Londres : Harvard University Press.
Rizkiya, Nuzla. (2025). « Sri Lanka aims US$ 18.2bn in export revenue for 2025. » Daily Mirror (17 janvier) : https://www.dailymirror.lk/business-news/Sri-Lanka-aims-US-18-2bn-in-export-revenue-for-2025/273-300272
Rodrik, Dani. (2007). One Economics, Many Recipes : Globalization, Institutions, and Economic Growth. New Jersey : Princeton University Press.
Sri Lanka Export Development Board. (2025). « Sri Lankan apparel industry capability. » Consulté le 05/04/2025. Disponible sur https://www.srilankabusiness.com/apparel/about/industry-capability.html?utm
Stiglitz, Joseph E. (2002). Globalization and Its Discontents. New York : W.W. Norton & Company.
Weisbrot, Mark, Rebecca Ray, Jake Johnston, Jose Antonio Cordero, et Juan Antonio Montecino. (2009). IMF-Supported Macroeconomic Policies and the World Recession : A Look at Forty-One Borrowing Countries. Washington, D.C. : Center for Economic and Policy Research (CEPR). Disponible sur https://cepr.net/publications/imf-supported-macroeconomic-policies-and-the-world-recession-a-look-at-forty-one-borrowing-countries/
The White House. (2025). « America First Investment Policy. » (21 février). Consulté le 04/04/2025. Disponible sur https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/02/america-first-investment-policy/
Taniya Silvapulle
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak
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Syrie : le fragile redémarrage post-Assad

Après plus de dix ans de guerre civile, la population est confrontée à un processus de relance et de reconstruction extrêmement complexe. Les premières mesures prises par le gouvernement en témoignent.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Source - Istituto per gli studi di politica internazionale, 18 avril 2025.
La chute du régime d'Assad en décembre 2024 avait rallumé l'espoir d'un avenir meilleur pour la Syrie. Cependant, après seulement quelques mois, de nombreuses difficultés sont apparues ou se sont aggravées : fragmentation territoriale et politique, ingérence et occupation par des forces étrangères, tensions sectaires, en particulier après le massacre des Alaouites dans la région côtière, et absence d'une transition politique inclusive et démocratique. Ces dynamiques constituent autant d'obstacles à une reprise économique et à un processus de reconstruction, tous deux urgents et nécessaires.
Les difficultés actuelles
Plus de la moitié des Syriens sont toujours des personnes déplacées, à l'intérieur du pays ou à l'étranger. 90 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, selon les Nations unies, 16,7 millions de personnes – soit trois sur quatre – se sont trouvées dans le besoin d'une aide humanitaire.
L'amélioration des conditions socio-économiques est donc déterminante tant pour l'avenir de la Syrie que pour que la population syrienne s'implique davantage dans la transition politique actuelle. De plus, la reprise et la reconstruction nécessiteront l'aide financière internationale.
On estime que le coût de la reconstruction de la Syrie se situera entre 250 et 400 milliards de dollars. L'aide financière internationale, associée à l'implication de l'État, devrait être utilisée pour reconstruire les logements des populations déplacées et relancer les secteurs productifs de l'économie, en évitant d'alimenter les dynamiques spéculatives et commerciales.
Les investissements étrangers restent toutefois entravés par les sanctions imposées à la Syrie et à Hayat Tahrir Cham (HTC). Fin février 2025, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont suspendu les sanctions visant certains secteurs et certaines institutions syriennes. Les sanctions américaines de grande ampleur restent le principal obstacle. En janvier, l'administration Biden a assoupli celles qui frappaient le secteur énergétique et les transferts de fonds personnels. La nouvelle administration Trump, en revanche, n'a pas encore défini de politique claire à l'égard de la Syrie ni de position sur les sanctions.
Cela dit, même abstraction faite de ces mesures restrictives, la Syrie est confrontée à de profonds problèmes économiques structurels qui ralentissent la reprise économique et compromettent les perspectives d'avenir du processus de reconstruction.
L'instabilité de la livre syrienne (SYP) pose un autre problème important. Au lendemain de la chute du régime d'Assad, sa valeur sur le marché noir a grimpé en flèche en raison de l'afflux de devises étrangères, des anticipations d'un soutien de la part d'acteurs régionaux et occidentaux, des politiques monétaires visant à réduire l'offre de SYP sur le marché et de la dollarisation informelle. Mais le chemin vers la stabilisation de la SYP est encore long, ce qui décourage les investisseurs à la recherche de rendements rapides ou à moyen terme.
En outre, certaines régions du nord-ouest utilisent depuis plusieurs années la livre turque pour stabiliser les marchés affectés par la forte dépréciation de la SYP. Le dollar américain est également largement utilisé dans le pays. La réintroduction de la SYP comme monnaie principale pourrait donc s'avérer problématique dans un contexte d'instabilité.
Les infrastructures et les réseaux de transport syriens sont encore sévèrement endommagés. Les coûts de production sont élevés et de graves pénuries de biens essentiels et de ressources énergétiques persistent. La Syrie souffre également d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée et la question de savoir si et quand ces travailleurs spécialisés reviendront reste ouverte.
Le secteur privé, composé principalement de petites et moyennes entreprises aux capacités limitées, doit encore faire l'objet d'une modernisation et d'une restructuration importantes après plus de treize ans de guerre et de destruction. Les ressources publiques sont également très réduites, ce qui limite encore davantage les possibilités d'investissement dans l'économie.
Les principales ressources pétrolières syriennes sont concentrées dans le nord-est du pays, actuellement sous le contrôle de l'Administration autonome du nord-est de la Syrie (AANES) à direction kurde. Un accord récent entre la présidence syrienne et l'AANES devrait faciliter l'accès de Damas à ces ressources. Cependant, la production syrienne de pétrole et de gaz naturel a continué de baisser considérablement depuis 2011. La production de pétrole est passée de 385 000 barils par jour en 2010 à 110 000 au début de 2025, une quantité largement insuffisante pour répondre aux besoins locaux. Avant la chute d'Assad, la Syrie était en grande partie approvisionnée en pétrole par l'Iran, mais ce soutien a depuis cessé.
Avec l'augmentation continue du coût de la vie et la dévaluation de la SYP, les Syriens sont devenus de plus en plus dépendants des envois de fonds. Le volume de ces derniers est supérieur à la fois aux investissements directs étrangers en Syrie, qui ont été minimes depuis 2011, et à l'aide humanitaire, qui a dépassé en moyenne 2 milliards de dollars par an ces dernières années.
Les premières décisions
Dans le même temps, l'orientation et les décisions économiques du gouvernement, qui outrepassent son mandat temporaire et imposent ou promeuvent sa vision économique comme modèle d'avenir pour la Syrie, consolident et accélèrent la mise en place d'un modèle néolibéral, accompagné de mesures d'austérité. Cette politique favorise principalement les intérêts des classes entrepreneuriales. Le chef du HTC, Ahmad al-Charaa, et ses ministres ont en effet organisé de nombreuses rencontres avec des hommes d'affaires syriens, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, afin de leur exposer leurs visions économiques et d'écouter leurs demandes, dans le but de satisfaire leurs intérêts.
En outre, des signes concordants indiquent que le HTS accélère le processus de privatisation et met en œuvre des mesures d'austérité dans le pays. Avant sa participation au Forum économique mondial de Davos, le ministre syrien des Affaires étrangères, Asaad al-Chaibani, a déclaré au Financial Times que les nouveaux dirigeants avaient l'intention de privatiser les ports et les entreprises publiques, d'attirer les investissements étrangers et d'accroître le commerce international. Il a également ajouté que le gouvernement « étudiera les partenariats public-privé afin d'encourager les investissements dans les aéroports, les chemins de fer et les routes ».
En ce qui concerne les mesures d'austérité, de nombreuses décisions ont déjà été prises. Le prix du pain subventionné a été augmenté de 400 SYP (pour 1100 grammes) à 4 000 SYP (initialement pour 1500g, ensuite ramené à 1200g). Au cours des mois suivants, la fin des subventions pour le pain a été annoncée, dans le cadre de la libéralisation du marché. Quelques semaines plus tard, le ministre de l'Électricité, Omar Shaqrouq, a déclaré dans une interview accordée en janvier 2025 au site The Syria Report que le gouvernement prévoyait une réduction progressive, voire même la suppression, des subventions sur l'électricité, car « les prix actuels sont très bas, inférieurs à leur coût, mais seulement de manière progressive et à condition que les revenus moyens augmentent ». Actuellement, l'approvisionnement en électricité du réseau public dans les principales villes du pays ne dépasse pas deux heures par jour. Dans le même temps, le prix de la bouteille de gaz domestique subventionnée a été augmenté de 25 000 SYP (2,1 dollars) à 150 000 SYP (12,5 dollars), ce qui a de graves répercussions pour les familles.
En outre, le ministre de l'Économie et du Commerce extérieur a annoncé le licenciement d'un quart ou d'un tiers du personnel de l'État, ce qui correspond aux employé.e.s qui, selon les nouvelles autorités, percevaient un salaire sans travailler. À l'heure actuelle, il n'y a pas d'estimation du nombre total de travailleurs licenciés, alors que certain.e.s employé.e.s sont en congé payé pendant trois mois dans l'attente d'éclaircissements sur leur situation professionnelle réelle. À la suite de cette mesure, des protestations de travailleurs licenciés ou suspendus ont éclaté dans tout le pays.
Bien qu'une augmentation de 400 % des salaires des travailleurs ait été annoncée pour février 2025, portant le salaire minimum à 1 123 560 SYP (environ 93,6 dollars), cette mesure, qui n'a pas encore été mise en œuvre, reste insuffisante pour faire face à l'augmentation du coût de la vie. Selon les estimations du quotidien Kassioun à la fin du mois de mars 2025, le coût minimum de la vie pour une famille syrienne de cinq personnes résidant à Damas s'élève à 8 millions de livres syriennes par mois (soit l'équivalent de 666 dollars). [1]
Fin janvier 2025, Damas a réduit les droits de douane sur plus de 260 produits turcs. Les exportations turques vers la Syrie au premier trimestre de cette année se sont élevées à environ 508 millions de dollars, soit une augmentation de 31,2 % par rapport à la même période en 2024 (près de 387 millions), selon le ministère turc du commerce. Les responsables syriens et turcs ont également exprimé leur volonté de rouvrir les négociations sur l'accord de libre-échange entre la Syrie et la Turquie de 2005, suspendu depuis 2011, dans le but d'élargir la coopération économique. Toutefois, cela pourrait avoir un impact négatif sur la production nationale syrienne, en particulier dans les secteurs manufacturier et agricole, qui pourrait avoir du mal à soutenir la concurrence des importations turques. L'accord précédent, conclu en 2005, avait eu des effets dévastateurs sur l'industrie locale, entraînant la fermeture de nombreuses usines, notamment dans les banlieues des grandes villes.
En conclusion, la Syrie est confrontée à des défis socio-économiques pressants. Dans un tel contexte, les problèmes sociaux et économiques doivent être traités rapidement afin d'améliorer les conditions de vie et la faculté de la population à participer à la vie politique pendant la période de transition. Cependant, l'orientation économique et politique du nouveau gouvernement, caractérisée par une volonté de libéralisation accrue, de privatisation, d'austérité et de réduction des subventions, ne fera qu'accroître les inégalités sociales, l'appauvrissement, la concentration des richesses entre les mains d'une minorité et l'absence de développement productif, autant d'éléments qui ont été à l'origine du soulèvement populaire de 2011.
Joseph Daher
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde.
Notes
[1] À la veille du ramadan, le Conseil norvégien pour les réfugiés a interrogé diverses personnes avec des revenus différents, qui ont estimé que le coût mensuel de la nourriture, du loyer et des services publics s'élevait à 3 millions de livres syriennes, soit 300 dollars américains, par famille, principalement en raison de la fluctuation constante du taux de change et de la volatilité du marché.
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L’armée israélienne transforme 30 % de la bande de Gaza en zone tampon, un demi-million de personnes sont déplacées et des dizaines d’autres sont tuées

L'armée israélienne affirme avoir transformé 30 % de la bande de Gaza en « zone tampon », tandis que l'ONU déclare qu'un demi-million de Gazaouis ont été déplacés depuis mars.
Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : A Deir al-Balah, les gens se réfugient dans un espace extrêmement surpeuplé, 3 juin 2024 © UNRWA
L'armée israélienne a annoncé que ses forces avaient pris le contrôle d'environ 30 % de la bande de Gaza, la transformant en un « périmètre de sécurité opérationnel », alors que l'agence de défense civile de Gaza a déclaré qu'au moins 37 personnes, dont la plupart se trouvaient dans des campements de civils déplacés, avaient été tuées lors d'attaques israéliennes jeudi.
L'armée a également affirmé dans un communiqué avoir attaqué environ 1 200 « cibles terroristes » depuis les airs et mené plus de 100 autres opérations ciblées depuis qu'elle a violé l'accord de cessez-le-feu et repris la guerre contre la bande de Gaza le 18 mars.
Elle a ajouté que la zone tampon élargie a permis à Israël de « parvenir à un contrôle opérationnel total sur plusieurs zones et itinéraires clés de la bande de Gaza ».
Parallèlement, les Nations unies ont indiqué qu'environ 500 000 Palestiniens ont été déplacés depuis la fin du cessez-le-feu à Gaza, lorsqu'Israël a repris ses attaques militaires sur le territoire palestinien dévasté.
« Nos partenaires humanitaires estiment que depuis le 18 mars, environ un demi-million de personnes ont été nouvellement déplacées ou déracinées une fois de plus », a déclaré mercredi Stéphanie Tremblay, porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres.
Plus petit et plus isolé
Israël a également déclaré qu'il continuerait à empêcher l'entrée de l'aide humanitaire dans l'enclave, malgré les avertissements de plus en plus nombreux des groupes de défense des droits humains concernant des conditions proches de la famine, les produits de première nécessité venant rapidement à manquer.
« La politique d'Israël est claire : aucune aide humanitaire n'entrera à Gaza », a réaffirmé le ministre israélien de la défense, Israël Katz, ajoutant que le blocage de l'aide était « l'un des principaux outils de pression » utilisés contre le Hamas.
L'armée laisse également la bande de Gaza « plus petite et plus isolée », a-t-il poursuivi.
Un groupe d'activistes israéliens, Breaking the Silence, a condamné ces commentaires dans un message sur X, déclarant que la soi-disant « zone tampon » était un « nettoyage ethnique à grande échelle ».
La diminution des ressources à Gaza, associée au blocus de l'aide, a entraîné une augmentation de la malnutrition aiguë chez les enfants, a déclaré l'OCHA, l'agence des Nations unies pour les affaires humanitaires.
L'organisation a déclaré le mois dernier qu'au moins 3 696 enfants palestiniens avaient été diagnostiqués comme souffrant de malnutrition aiguë.
Le bureau du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a également publié une déclaration mercredi soir, indiquant qu'il avait demandé à son équipe de négociation de poursuivre ses efforts pour obtenir la libération des prisonniers détenus à Gaza.
Il a ajouté que M. Netanyahu avait procédé à une « évaluation de la situation » par téléphone avec l'équipe de négociation et les responsables des services de sécurité, et qu'il leur avait demandé de poursuivre « les démarches visant à faire avancer la libération des captifs ».
Des dizaines d'habitants de Gaza tués dans des frappes
L'agence de défense civile de Gaza a déclaré jeudi que 37 personnes avaient été tuées dans les frappes israéliennes, la plupart d'entre elles étant des personnes déplacées qui s'abritaient dans des tentes dans le territoire dévasté.
Les survivants ont décrit une forte explosion dans le campement densément peuplé qui a mis le feu à plusieurs tentes.
« Nous étions assis paisiblement dans la tente, sous la protection de Dieu, quand nous avons soudain vu quelque chose de rouge qui brillait, puis la tente a explosé et les tentes environnantes ont pris feu », a déclaré à l'AFP Israa Abu al-Rus.
« C'était censé être une zone sûre à Al-Mawasi, et l'endroit a explosé. Nous avons fui la tente en direction de la mer et nous avons vu les tentes brûler ».
Après qu'Israël a déclaré Al-Mawasi zone sûre en décembre 2023, des dizaines de milliers de Palestiniens ont afflué vers ses dunes de sable le long de la côte méditerranéenne pour se réfugier des bombardements israéliens.
Mais depuis, la zone a été touchée par des frappes israéliennes répétées.
Des sources médicales à Gaza ont également déclaré qu'Israël avait tué au moins 35 personnes tôt ce mercredi.
Israël a intensifié ses attaques sur la bande de Gaza jeudi matin, une canonnière israélienne stationnée au large de la côte du territoire tirant sur l'ouest de la ville de Gaza, avant que d'autres attaques ne frappent d'autres zones, notamment Rafah et Khan Younis.
Les hommages ont également afflué pour une journaliste palestinienne nommée Fatima Hassouneh et 10 autres membres de sa famille qui ont été tués par une frappe aérienne israélienne visant leur maison dans la ville de Gaza mercredi.
Le bureau des médias du gouvernement de Gaza a déclaré que plus de 50 000 Palestiniens ont été tués par Israël dans la bande de Gaza depuis octobre 2023, sans compter les milliers de personnes piégées sous les décombres qui sont présumées mortes.
Traduction : AFPS
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L’internationalisme de combat antidote au poison nationaliste du fascisme renaissant !

« La seconde histoire est liée au ghetto de Wilna. Jusqu'à son extermination, une partie des hommes étaient conduits hors du ghetto pour travailler dans une usine d'armement. Le directeur de l'usine était un jeune officier SS (on peut trouver son nom dans le livre de Kovner) qui chaque matin regardait attentivement les hommes qui venaient travailler. Ayant compris que Kovner était leur dirigeant, il s'arrange pour le voir tète à tête et lui demande de but en blanc : « Les gars, vous avez besoin d'armes ? » Kovner est sidéré.
Par Yorgos Mitralias
Il craint une provocation mais l'autre lui tend un revolver et depuis ce jour-là, chaque jour. Au moment du départ du convoi, il répète cette opération fort dangereuse pour tous les deux. Bien des années plus tard, lors du procès de Eichmann à Jérusalem, Kovner qui était un témoin de l'accusation, évoqua devant le tribunal l'histoire de cet officier. Eichmann, dans sa cage de verre, qui écoutait d'un air tendu, a brusquement éclaté : « Je connais ce traitre, nous n'avons pas pu l'anéantir ». C'est possible. Mais malheureusement il n'y a personne a qui demander s'il est encore en vie ». (1)
Cette incroyable histoire de l'officier SS qui pourvoie en armes ses détenus juifs destinés à la mort, afin qu'ils se libèrent de leurs bourreaux nazis, est tirée du passionnant livre autobiographique « Les sentiers du passé » (Ed. Syllepse) du grand historien de l'URSS Moshe Lewin. Et elle nous est venue en tête en lisant les dernières nouvelles concernant le -toujours plus grand- mouvement des réservistes Israéliens qui refusent de servir à Gaza, et qui ont comme mot d'ordre le très éloquent « Œil pour œil et nous devenons tous aveugles »…
Évidemment, ce n'est pas un hasard que tant Eichmann que Netanyahou utilisent le même mot, le mot « traitre » pour qualifier leurs compatriotes qui désobéissent à leurs ordres et refusent de participer à leurs guerres. D'ailleurs, tant Eichmann que Netanyahou emploient aussi le même mot, le mot « terroristes » pour rendre imprésentables leurs « ennemis » Juifs d'alors pour l'un, palestiniens d'aujourd'hui pour l'autre !
Cependant, au-delà de leurs analogies, sinon de leurs similitudes, force est de constater qu'il y a au moins une différence de taille qui sépare ces deux cas de refus d'obéir aux ordres des supérieurs. Dans l'actuel cas israélien, comme le constate le média israélien +972 « qui s'est entretenu avec plusieurs associations de défense des "refuzniks", la plupart des réservistes ayant défié ces derniers mois les ordres d'enrôlement n'ont aucune "objection idéologique réelle à la guerre". Ils sont plutôt "démoralisés, lassés ou excédés par sa durée interminable".*
Tout autre a été la motivation de l'officier SS qui armait les jeunes détenus -et partisans- Juifs de Vilnius. Lui, il a fait quelque chose qualitativement très différent : il ne s'est pas contenté ni de refuser la guerre par pure pacifisme, ni de montrer de la compassion pour les travailleurs « esclaves » juifs de son usine d'armement, ni même de les cacher et les aider à survivre, comme l'a fait l'officier de la Wehrmacht Wilhelm Hosenfeld pour le pianiste juif du ghetto de Varsovie Władysław Szpilman (2), ce qui serait déjà énorme. Lui est allé beaucoup plus loin en se joignant, tout a fait consciemment , à ces juifs, en leur offrant, jour après jour, des armes, sans qu'eux les lui demandent (!), pour qu'ils se battent contre son Allemagne nazie et son armée dont lui-même était un officier ! En somme, cet officier SS est le parfait « traitre » car il a changé de camp, passant du camp des bourreaux à celui de leurs victimes, afin de se battre avec eux -les armes à la main- contre la barbarie génocidaire !
Ceci étant dit, le grand problème actuel de la population juive d'Israël, et par conséquent de tout le Moyen Orient, est que, à quelques exceptions (héroïques) près, il manque cruellement de tels « traitres. Des admirables « traitres » de leur État raciste et génocidaire, qui sauveraient l'honneur non seulement de leur nation juive mais aussi de l'humanité entière en décidant de changer de camp pour se battre avec les victimes de leur propre pays, expropriés, humiliés, opprimés, massacrés, déportés, ethniquement nettoyés et exterminés dans ce qui est la definition du genocide !
Toutefois, ce qui devient de plus en plus évident c'est que le besoin urgent de ces « traitres » se fait sentir maintenant bien au-delà d'Israël et du Moyen Orient, pratiquement partout sur notre terre. Et cela parce qu'au moment où la peste brune refait surface, on a un besoin plus que vital de ces « traitres » et de leur exemplaire internationalisme pratique en tant qu'antidote aux démons nationalistes de l'entre-deux-guerres qui semblent plus menaçants que jamais. On a besoin des gens qui poussent jusqu'au bout leur logique antifasciste ou anticolonialiste comme par exemple l'a fait le Français Georges Boudarel quand il a décidé de se joindre aux maquisards Viet Minh qui combattaient l'impérialisme français au début des années '50. Ou comme l'ont fait ces jeunes trotskistes Français qui ont osé l'impensable, en éditant et en diffusant parmi les soldats Allemands de la base de sous-marins de Brest, le journal ronéotypé « Arbeiter und Soldat » (Travailleur et Soldat). Inutile de dire que tous ont payé très cher leur initiative internationaliste : Boudarel s'est trouvé jusqu'à la fin de sa vie dans le viseur des colonialistes impenitents Français qui voulaient se venger, tandis que la trentaine des militants français et de soldats allemands du groupe de Brest, ont été soit exécutes soit envoyés au Front de l'Est ou dans des camps de concentration. Quant au dirigeant de ce groupe, le jeune revolutionnaire Juif Berlinois Martin Monath alias Widelin, après qu'il a survécu miraculeusement à une première exécution par la Gestapo (deux balles à la tête et à côté du cœur), il a été repris et pendu.
A quelques jours du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Boucherie Mondiale, et au moment où le spectre de Hitler et de sq peste brune planent de nouveau sur notre vieux continent, il est plus qu'utile de se rappeler de ces héroïques internationalistes et de constater que leurs combats exemplaires sont d'une actualité brulante…
Notes
1. Abba Kovner : Juif, combattant, poète, sioniste de gauche. Après avoir tenté d'organiser l'insurrection du ghetto de Wilna (Vilnius), il s'enfuit par les égouts avec ses camarades pour gagner les forêts, où il devient une légende par ses exploits au combat à la tête d'un millier de garçons et filles juives, en lien avec des partisans soviétiques. Après la guerre, voulant se venger, il tente, heureusement sans succès, d'empoisonner l'eau des grandes villes allemandes. Une fois en Israël, il est actif dans la gauche sioniste et justifie les massacres des Palestiniens.
2. Voir le très beau film « Le pianiste » que Roman Polanski a consacré à la destruction du ghetto de Varsovie et à l'histoire du Juif Szpilman et de son sauveur officier de la Wehrmacht.
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Bande de Gaza : ce que la guerre fait aux femmes

Dans la guerre israélienne contre le territoire palestinien, les femmes sont encore plus victimes que les hommes. À la mort et aux blessures s'ajoutent des souffrances sociales et intimes, aujourd'hui mises en lumière par un rapport qui décrit tous les aspects de ces vies brisées.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
16 avril 2025
Par Gwenaëlle Lenoir
Dans la bande de Gaza, environ 12 000 femmes sont mortes dans les bombardements ou sous les tirs israéliens depuis octobre 2023, victimes des avions, des navires, des drones, des chars et des soldats de l'infanterie. Avec pour conséquence la « destruction complète du tissu social de Gaza », affirme le rapport « Violations israéliennes et inaction internationale, les femmes de Gaza brisées par une violence multiple » du Centre palestinien pour les droits humains (PCHR), publié au mois de février.
« Des femmes qui travaillent, des journalistes, des médecins, des soutiens de famille et des épouses ont été prises pour cibles, laissant des milliers d'enfants sans leur mère. Plus de 6 000 familles ont perdu leur mère, laissant un vide irréparable dans leur vie », écrit l'organisation en préambule.
Parmi ces victimes, deux avocates de cette ONG, Nour Abou al-Nour et Dana Yaghi, chargées justement de recueillir la parole des femmes et de leur apporter une assistance légale. Elles ont été tuées, avec plusieurs de leurs proches, dans les bombardements de leurs maisons familiales, où elles avaient trouvé refuge après leur déplacement forcé. La première le 20 février 2024 ; la deuxième quatre jours plus tard. Leur sort est emblématique de celui des femmes de Gaza.
En huit chapitres, le rapport du PCHR décrit tous les aspects de ces vies brisées. Chacun de ces chapitres est accompagné de témoignages collectés sur le terrain par les employé·es de l'organisation, qui risquent aussi leur vie. Ce sont pas moins de huit cents femmes de tous âges et toutes conditions sociales qui ont été longuement interrogées pour cette étude, à travers l'ensemble du territoire. Elles ont été choisies dans un échantillon plus large de 2 602 femmes. Célibataires, veuves, divorcées, mères de famille... tous les statuts maritaux sont représentés.
Blessures physiques, mort ou disparition de proches, perte des sources de revenus, politique de la faim menée par Israël, déplacements forcés, épidémies, séparations familiales, arrestations arbitraires : tous les aspects de la destruction de la vie des femmes sont abordés. Et ce, avec des détails et des précisions qui dessinent un paysage glaçant et rendent palpables les souffrances physiques et mentales de ces victimes et leur désarroi.
Des vies amputées
Les blessures physiques des femmes de Gaza conduisent souvent, dans la grande misère médicale du territoire palestinien, à l'amputation d'un membre inférieur ou supérieur. Ce qui induit une perte d'autonomie, des difficultés à accomplir leurs tâches habituelles, prendre soin des enfants par exemple. En l'absence de chirurgie réparatrice, les corps blessés ne sont que « rafistolés », et le sentiment de perte de leur féminité affecte la plupart des témoins. Cette souffrance-là est habituellement peu abordée, et c'est une des qualités du rapport d'en rendre compte.
« Les blessures et les défigurations ont non seulement marqué mon corps, mais ont également laissé une profonde cicatrice dans mon âme qui restera avec moi longtemps. Je vis maintenant avec une douleur constante, non seulement à cause de la santé que j'ai perdue, mais aussi à cause du sentiment d'impuissance et de faiblesse qui me hante chaque jour, comme si je m'étais perdue », témoigne Ferial Ibrahim Souleiman al-Jamal, une veuve de 33 ans, grièvement blessée sur tout le corps par des éclats lors d'un bombardement aérien.
Même avec un corps intègre, les Gazaouies sont blessées économiquement, socialement, mentalement. La société de la bande de Gaza est conservatrice, et les rôles y sont fortement genrés. Dans une famille, le rôle du gagne-pain et du protecteur est généralement dévolu aux hommes. Perdre ce soutien – mort, disparu ou arrêté – produit de l'anxiété et de la dépression. Les femmes sombrent ainsi dans un sentiment d'isolement, renforcé par les déplacements forcés multiples qui séparent les familles et par la situation économique désastreuse.
La guerre n'a pas seulement détruit ma maison et mon projet ; elle m'a volé ma stabilité.
Wafa Abdullah Hassan al-Majdalawi, habitante de Gaza
Celles qui travaillaient ont perdu leur activité, que ce soit dans un bureau, une administration, une boutique, sur un marché, aux champs, et ne peuvent plus faire face aux besoins de leur famille et de leurs enfants quand elles en ont. Elles se retrouvent entièrement dépendantes de l'aide humanitaire et vivent dans l'angoisse.
Israa Atef Khamis Abou al-Ata, 27 ans, est mère de deux fillettes. Son mari, pêcheur, a été tué par des missiles israéliens avec un de ses compagnons le 25 octobre 2024 alors qu'il rangeait sa petite embarcation sur la plage. Elle s'est confiée à propos de ses deux enfants : « Aujourd'hui, je suis à la fois leur mère et leur père, assumant toutes les responsabilités que mon mari avait l'habitude de porter seul. Nous n'avons plus aucune source de revenus et je ne peux pas subvenir à nos besoins essentiels. »
Elle poursuit : « Je ramasse du bois de chauffage et je fais la queue pendant des heures pour obtenir de l'eau potable. La nourriture est rare et limitée, principalement des conserves. Je compte sur l'aide et la nourriture fournies par les cuisines caritatives, qui se composent principalement de pâtes et de lentilles. Cela ne suffit pas à répondre à mes besoins ni à ceux de mes enfants. Ma santé mentale s'est considérablement détériorée depuis la perte de mon mari. »
Des dignités brisées
Les femmes qui travaillaient se sentent tout aussi démunies. Ainsi Wafa Abdullah Hassan al-Majdalawi, 46 ans, habitante du camp de réfugié·es de Chati et déplacée dans une école de l'Unrwa servant d'abri, explique qu'elle a perdu la pâtisserie qu'elle avait montée à force de travail et de volonté : « Au plus fort de mon activité, je faisais travailler treize femmes, dit-elle. Malheureusement, la guerre a complètement détruit mon projet et j'ai perdu la source de revenus que j'avais construite pendant plus de onze ans. Ce projet était la sécurité économique de ma famille, et maintenant il ne reste plus rien. »
« J'ai essayé de lancer un petit projet avec des ressources modestes dans le refuge, mais les conditions difficiles l'ont rendu presque impossible, ajoute Wafa Abdullah Hassan al-Majdalawi. Le manque de matières premières dû au blocus sévère et aux déplacements répétés causés par les ordres d'évacuation israéliens empêchent toute forme de stabilité. Rien ne peut compenser ce que j'ai perdu. La guerre n'a pas seulement détruit ma maison et mon projet ; elle m'a volé ma stabilité et m'a arrachée à une vie que je croyais autrefois sûre, me laissant des blessures profondes et un fardeau insupportable. »
Les déplacements forcés et multiples obligent beaucoup de femmes à vivre dans des abris précaires ou des lieux surpeuplés où toute intimité est impossible. Leur dignité est brisée par les longues heures de queue devant les rares sanitaires, durant lesquelles elles sont exposées au regard de tous – une humiliation dans cette société. Elle l'est aussi par les files d'attente interminables pour obtenir l'aide alimentaire, l'eau potable.
Le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier, accompagné d'une reprise conséquente de l'aide humanitaire, avait laissé espérer un mieux pour la population, en particulier pour les femmes. Mais la rupture de la trêve, dans la nuit du 17 au 18 mars, par l'armée israélienne, la reprise des tueries et des ordres de déplacement, permettent d'assurer que le prochain rapport sur le situation des femmes à Gaza sera encore plus alarmant.
Gwenaelle Lenoir
P.-S.
• Mediapart. 416 avril 2025 à 12h23 :
https://www.mediapart.fr/journal/international/160425/bande-de-gaza-ce-que-la-guerre-fait-aux-femmes
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Le génocide perpétré par Israël a repris, tout comme l’incapacité des médias à le couvrir

Israël a repris ses massacres à grande échelle à Gaza. Les médias occidentaux ont repris la même couverture désastreuse des 18 derniers mois.
Tiré de agence médias Palestine
15 avril 2025
Par Assal Rad
Le 18 mars, Israël a rompu le prétendu “cessez-le-feu” en vigueur depuis deux mois à Gaza en lançant l'attaque la plus meurtrière depuis novembre 2023 et en tuant plus de 400 Palestiniens, dont près de la moitié étaient des enfants. Depuis, la violence s'abat sans répit. L'Organisation des Nations unies estime qu'au moins 100 enfants sont tués ou blessés à Gaza chaque jour.
La décision d'Israël de reprendre le massacre à grande échelle n'a pas seulement replongé Gaza dans les profondeurs du carnage. Elle a également constitué un nouveau test pour les médias occidentaux. Après tant de mois de mort, et alors qu'Israël a clairement rejeté la paix, allaient-ils enfin accorder au génocide des Palestiniens le traitement médiatique qu'il mérite ?
Personne ne devrait être surpris de constater que la réponse à cette question a été un non retentissant. Alors que le génocide entre dans son 19e mois et que les atrocités se poursuivent, la faillite des médias continue.
Si des groupes de défense des droits de l'homme comme Amnesty International ont rapidement condamné les attaques du 18 mars et dénoncé « le génocide israélien et ses frappes aériennes illégales », les médias occidentaux se sont empressés de rationaliser les crimes d'Israël et de présenter les attaques comme étant « contre le Hamas ».
En focalisant leurs titres sur le Hamas plutôt que sur les nombreuses victimes civiles, les médias se font le relais des arguments israéliens sans tenir compte des vidéos rendues publiques qui montrent clairement qu'Israël bombarde à nouveau Gaza de manière indiscriminée.
Ce qui rend cette pratique des médias occidentaux d'autant plus indigne, c'est qu'ils traitent la plupart du temps les affirmations d'Israël – un État qui commet un génocide – comme des faits, tout en laissant planer le doute sur les autorités palestiniennes avec le préambule désormais couramment utilisé de « dirigé par le Hamas ». Pire encore, en privilégiant le langage de l' « accusation » plutôt que celui des faits, les médias minimisent les recherches et les rapports fondés sur des preuves d'institutions éminentes telles que les Nations unies, Amnesty International et Human Rights Watch.
Le 18 mars, à mesure que nos écrans affichaient le carnage causé par les frappes aériennes israéliennes et les images horribles des corps d'enfants palestiniens qui s'empilaient, les médias traditionnels ont bien été obligés de couvrir l'événement, mais sans le caractère d'urgence ou l'indignation que justifiait un tel moment. Les médias ont continué à parler d'un « cessez-le-feu fragile » ou à affirmer que la décision d'Israël de rompre unilatéralement son accord avec le Hamas avait mis le cessez-le-feu « en doute » – et non complètement détruit.
Cette affirmation absurde et le refus de qualifier les actions d'Israël de violation du cessez-le-feu – en particulier au lendemain d'un massacre israélien – illustrent la façon dont les médias occidentaux ont défini la notion de « cessez-le-feu » pour les Palestiniens depuis le début de la trêve censée avoir commencé le 19 janvier.
Dans les faits, Israël a tué en moyenne trois Palestiniens par jour au cours de cette période. Pourtant, les grands titres occidentaux ont continué à faire référence à un cessez-le-feu.
Les médias utiliseraient-ils le même langage si trois Israéliens en moyenne étaient tués chaque jour ? On peut gager qu'une telle situation ferait plutôt l'objet d'une couverture approfondie, avec des unes sur les violations répétées de l'accord de cessez-le-feu.
Seulement quelques jours avant le massacre du 18 mars, une seule attaque israélienne a tué neuf Palestiniens, un incident que les médias n'ont toujours pas caractérisé comme une violation de l'accord.
Cela illustre également le caractère trompeur et mensonger du discours israélien selon lequel « il y a eu un cessez-le-feu le 6 octobre ». Pour les Palestiniens qui vivent sous l'occupation militaire, le blocus et l'apartheid, et qui sont constamment menacés de perdre leur maison, leur terre et leur vie, il n'y avait pas de paix avant le 7 octobre. Le récit occidental diffusé par les médias renforce donc l'idée qu'il s'agit d'un cessez-le-feu tant que les Israéliens sont en sécurité, alors que les vies palestiniennes sont sacrifiables.
Quand l'effusion de sang par Israël a repris, la déformation la plus flagrante de la part des médias a sans doute été de la présenter comme un retour à la « guerre » ou aux « combats ».
En dépit des rapports des Nations unies, d'Amnesty International, de Human Rights Watch et d'autres experts qui concluent qu'Israël commet un génocide à Gaza, les médias occidentaux persistent à refuser ce terme. À ce titre, les médias commettent effectivement un déni de génocide.
Confrontés aux conclusions d'un autre rapport récent des Nations unies, selon laquelle Israël a « commis des actes génocidaires en détruisant systématiquement des installations de soins de santé sexuelle et reproductive », les médias occidentaux ont recouru au registre familier de la mise en « accusation ».
https://x.com/AssalRad/status/1844601069831324053
Plutôt que de présenter ces conclusions comme une preuve supplémentaire du consensus mondial croissant selon lequel Israël commet un génocide, les médias occidentaux ont remis en question ces conclusions en les plaçant entre guillemets évasifs.
Même lorsqu'Israël ne laisse aucune place à l'ambiguïté, les médias s'empressent de la créer.
Le 2 mars, Israël a ouvertement déclaré qu'il cesserait toute aide à Gaza, ce qui constitue une nouvelle violation de l'accord de cessez-le-feu et du droit international. Une semaine plus tard, les autorités israéliennes ont ajouté qu'elles couperaient l'électricité en plus de la nourriture et du carburant, une décision qu'Amnesty International a qualifiée de « nouvelle preuve du génocide perpétré par Israël contre les Palestiniens de la bande de Gaza occupée ».
Comment les médias ont-ils couvert ces transgressions évidentes ? Les médias occidentaux ont présenté la décision d'Israël de bloquer délibérément l'aide à la population civile – un acte de punition collective – comme une tactique de guerre légitime pour « faire pression sur le Hamas » et obtenir des concessions, puis ont répété le même schéma une semaine plus tard lorsqu'Israël a annoncé qu'il couperait l'électricité à Gaza.
Quelques jours seulement après qu'Israël a officiellement mis fin au « cessez-le-feu », une vidéo a été diffusée le 21 mars montrant les forces israéliennes en train de démolir sciemment le seul hôpital de Gaza spécialisé dans le traitement du cancer. Cette vidéo d'une explosion délibérée, un crime de guerre éhonté à la vue et au su de tous, n'a suscité pratiquement aucune réaction de la part des grands médias. Lorsque, quelques jours plus tard, Israël a attaqué un autre hôpital, tuant cinq personnes, dont un garçon de 16 ans, ces derniers ont tenté de justifier les frappes contre les hôpitaux avec le prétexte de « cibler le Hamas ».
Dans les semaines qui ont suivi le 18 mars, le génocide ininterrompu s'est poursuivi sans relâche. Qu'il s'agisse de prendre pour cible des hôpitaux et des bâtiments des Nations unies, d'attaquer le siège de la Croix-Rouge ou d'assassiner des journalistes comme Hossam Shabat, les forces israéliennes semblent n'avoir aucune retenue dans la violence impitoyable qu'elles continuent d'exercer contre les civils palestiniens, les travailleurs humanitaires et toutes les personnes jouissant d'une protection.
Chacune de ces histoires d'horreur aurait dû faire l'objet d'une couverture médiatique et d'une indignation unanime. La plupart n'ont pas fait l'objet d'une couverture médiatique suffisante et n'ont ni permis à Israël de répondre de ses crimes, ni même de qualifier ses actes de criminels.
Le cas récent d'Israël tuant 15 médecins et secouristes palestiniens, puis les enterrant dans une fosse commune avec leurs véhicules d'urgence écrasés, fournit un exemple flagrant de la manière dont les grands médias évitent de rapporter chacune de ses atrocités.
Les Palestiniens ont rapporté qu'Israël avait pris pour cible les secouristes pendant plus d'une semaine avant que les médias occidentaux ne publient l'histoire. Israël a même admis avoir tiré sur leurs véhicules quelques jours auparavant, sans que cela ne suscite d'intérêt. Ce n'est que lorsque le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies et des fonctionnaires tels que Jonathan Whittall ont mis en ligne des vidéos confirmant les rapports que les médias grand public ont finalement été contraints de couvrir ce crime odieux commis par Israël.
Cependant, comme pour leurs autres reportages, de nombreux articles ont préféré titrer “Les Nations unies accusent” – en dépit des preuves vidéo – et ont relayé les justifications des massacres par Israël. C'est cette tendance à minimiser et à blanchir les crimes de guerre d'Israël qui pose la question de la complicité des médias. Après tout, qu'y a-t-il de plus digne d'intérêt pour les médias qu'Israël reprenant son génocide en force ?
Traduction : JC pour l'Agence Média Palestine
Source : The Nation
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Le grossier chantage à l’antisémitisme

Comme il fallait s'y attendre, Donald Trump reprend à son compte une idée reçue dans la plupart des cercles politiques américains : pour justifier leur tentative de réduire l'indépendance des universités et leur liberté intellectuelle, lui et son entourage ont recours à l'argument aussi faux qu'éculé de "l'antisémitisme" qu'auraient démontré des militants et militantes lors de manifestations propalestiniennes.
Photo Serge d'Ignazio
Les classes politiques occidentales et surtout l'américaine ont souvent utilisé cet argument pour discréditer l'activisme en faveur de la cause palestinienne. Quelques manifestants ont pu utiliser des mots malheureux dans leurs discours et slogans vis-à-vis d'Israël et porter à son égard des accusations injustes, mais cela n'en fait pas pour autant des racistes, les mots dépassant parfois la pensée. Il faut surtout éviter de généraliser. Une mise au point s'impose donc une fois de plus sur ce sujet délicat. Nous allons procéder par ordre.
1- Tout d'abord, les Juifs et Juives ne sont pas des Sémites. Ils ne forment pas une ethnie. Il n'existe pas d'hérédité juive. Il s'agit d'adhérents à une religion, d'une culture, d'une mystique, au même titre que le christianisme et l'islam. Il existe des nations à majorité catholique, mais aucune hérédité catholique. Les gens de confession juive peuvent abandonner leur foi quand ils veulent, tout comme d'autres personnes ont la liberté de s'y convertir. Mais pendant des siècles, la cohérence religieuse était si intense un peu partout qu'on a fini par confondre les adhérents à telle ou telle religion avec une "race". Cela explique (sans les justifier, bien entendu) les multiples persécutions dont les Juifs ont souffert dans l'Europe chrétienne au Moyen-Âge. Il vaudrait donc mieux parler d'antijudaïsme, tout comme il y eu de l'anticatholicisme de la part des gouvernements protestants (par exemple, celui des Anglais contre les Irlandais) et de l'antiprotestantisme en France à l'époque des guerres de religion au seizième siècle. Les Irlandais ne sont pas pas davantage génétiquement catholiques qu'une majorité de Britanniques ne sont congénitalement protestants.
2- On doit ensuite distinguer judaïsme et sionisme. Ce dernier représente un courant idéologique qui prône le retour des gens de religion juive sur la terre supposée de leurs ancêtres, au Proche-Orient. Cet aspect politique du judaïsme ne fait d'ailleurs pas l'unanimité chez les Juifs eux-mêmes. Pour des considérations spirituelles, mystiques, humanistes et religieuses, un certain nombre d'entre eux s'opposent en effet aux sionistes. Les manifestations universitaires propalestiniennes récentes aux États-Unis comptaient parmi leurs rangs un certain nombre de ces personnes qui estiment que le sionisme trahit l'idéal judaïque. Ils prennent fait et cause pour le peuple dépossédé, les Palestiniens. Il faut savoir que si dans l'Antiquité, les Romains ont déporté un certain nombre de révoltés de confession judaïque, une majorité de la population est demeurée sur place. Certains déportés ont fait des convertis en Europe, mais ceux-ci et leurs descendants n'ont jamais vécu en Palestine. La population demeurée sur place a continué à pratiquer sa religion, jusqu'à la conquête arabe du septième siècle qui a entraîné sa conversion à l'islam. Ce sont les ancêtres des Palestiniens d'aujourd'hui. Une minorité d'entre eux a cependant continué à adhérer au judaïsme. Elle a vécu en bonne entente avec ses compatriotes convertis à l'islam. Mais tout a changé, pour le pire, lorsque des Juifs européens, inspirés par le sionisme ont commencé à affluer en Palestine (alors sous mandat britannique) au début du vingtième siècle. On connaît la suite.
3- Il existe bel et bien une composante de racisme dans toute cette histoire, mais elle ne se niche pas où on la situe habituellement. Plusieurs sionistes (des Européens pour la plupart) partageaient les préjugés occidentaux contre les "Arabes" . À cette époque impérialiste (à l'orée du vingtième siècle) où les puissances colonialistes (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Pays-Bas) s'enorgueillissaient de leurs possessions outre-mer et parlaient de la "mission civilisatrice de l'homme blanc", bien des Juifs européens étaient imprégnés à divers degrés de cette mentalité. De leur point de vue, la population locale palestinienne était inférieure et elle occupait des terres que leurs aïeux avaient supposément possédées. C'est donc sans état d'âme que les militants et dirigeants sionistes ont commencé à envahir la Palestine, d'autant que plusieurs de leurs compatriotes fuyaient les persécutions antijudaïques en Europe, particulièrement en Allemagne. Mais ce faisant, ils créaient un autre problème grave, celui-là au Proche-Orient.
Les dirigeants occidentaux et israéliens invoquent toujours le supposé "droit à l'existence" de l'État hébreu (même s'il s'est établi sur les ruines de l'ancienne Palestine arabe) et s'appuient pour ce faire, sur la mémoire des multiples victimes de l'Holocauste. N'est-ce pas au contraire lui faire injure, la trahir en quelque sorte que de légitimer l'injustifiable à l'endroit d'un autre peuple qui n'a jamais rien fait à personne et qu'on martyrise parce qu'il ose se défendre ?
Jean-François Delisle
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Etats-Unis : Enseignements des enlèvements et de la terreur

L'ENLÈVEMENT de Mahmoud Khalil, l'étudiant palestinien titulaire d'un diplôme universitaire et d'une carte verte, enlevé le 8 mars à son domicile de l'université de Columbia, est désormais associé à d'autres détentions très médiatisées et à des menaces d'expulsion, sans compter des dizaines, voire des centaines de cas méconnus. Le secrétaire d'État Marco Rubio s'en vante ouvertement.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
12 avril 2025
Par Against the Current
La résistance s'organise ! Photo : Dan La Botz
Ces arrestations et disparitions mettent en évidence le règne de la terreur auquel sont confrontés les titulaires de visas étudiants et même de cartes vertes. Elles combinent plusieurs aspects étroitement liés des cinq grandes situations d'urgence en matière de droits civils et humains aux États-Unis et au sein de l'empire américain dans le monde :
• Le génocide israélo-américain en Palestine, qui se traduit désormais par la menace ouverte de l'exode forcé de Gaza, le nettoyage ethnique de masse et l'annexion imminente de la Cisjordanie par Israël.
La criminalisation des actions de protestation contre le génocide, en particulier sur les campus universitaires.
La collusion entre l'extrême droite sioniste pro-israélienne et chrétienne-nationaliste, avec notamment Campus Watch, Betar USA et Canary Mission, qui recensent les étudiants et les professeurs militants pour les cibler, les expulser et/ou les déporter.
• L'intention de l'administration Trump de détruire les universités américaines en tant qu'institutions vouées à la pensée scientifique, culturelle et critique, et la lâcheté spectaculaire des administrations des universités de Columbia, du Michigan et d'autres encore qui ont capitulé face à ces attaques.
• Le comportement illégal du gang Trump, y compris sa violation flagrante des ordonnances des tribunaux qui ont fermé les portes aux déportations.
• Les liens entre les campagnes d'extrême droite menées aux États-Unis et en Israël, visant à consolider un régime autoritaire dans les deux pays.
Nous aborderons certains cas en particulier. Mais tout d'abord, il s'agit de bien prendre conscience que les groupes ciblés aux États-Unis, sans parler de la Palestine, vivent un épisode terrifiant, tout comme les dizaines de millions de personnes dans le monde confrontées à des épidémies à grande échelle ou à la famine en raison de la suppression par les États-Unis du financement de programmes qui sont essentiels à leur survie.
Dans le même temps, les services vitaux fournis par les agences gouvernementales fédérales et leurs effectifs sont systématiquement démantelés, avec des conséquences désastreuses pour la santé publique, les soins aux anciens combattants, les écoles publiques, le service postal et bientôt la sécurité sociale et l'assurance maladie.
Comment résister à une attaque sur plusieurs fronts clairement conçue pour avoir un effet paralysant ? Tout d'abord, il est nécessaire de reconnaître le caractère systématique et coordonné des attaques, afin que les cibles ne se retrouvent pas cloisonnées et que les actions de défense ne restent pas isolées et divisées.
Les cibles
Mahmoud Khalil, le Dr Rasha Alawieh et le professeur Badar Khan Suri ne sont pas des cas indépendants de, par exemple, la menace de couper 175 millions de dollars de subventions fédérales à l'Université de Pennsylvanie pour le crime consistant à autoriser un athlète transgenre à participer à une compétition sportive féminine, ou d'un décret présidentiel annulant les conventions collectives et le droit de négociation du syndicat des employés fédéraux.
Ces interactions sont en partie à l'origine de la mobilisation de plusieurs millions de personnes le 5 avril dans les rues de centaines de villes américaines, grandes et petites, bleues, rouges ou violettes, qui ont scandé « Hands Off » (Ne touchez pas à nos droits), exaspérées par les crimes du gang Trump-Musk et sidérées par la chute libre stupéfiante des marchés provoquée par le déchaînement tarifaire de Trump contre l'économie mondiale.
La détermination de cette résistance populaire n'a pas encore été mise à l'épreuve, mais le 5 avril a été un sacré début.
Pour rappeler quelques faits essentiels : Mahmoud Khalil, diplômé de Columbia, détenteur d'une carte verte et dont la femme, Noor Abdalla, était enceinte de huit mois, a été appréhendé par des agents en civil du ministère de la Sécurité intérieure alors que le couple regagnait son logement en résidence universitaire.
Columbia avait ignoré les demandes de protection de Khalil, qui s'était senti suivi. Figure de proue du mouvement de protestation de l'année dernière et négociateur d'un règlement pacifique de l'occupation, Khalil n'a jamais été accusé d'aucun crime ni sanctionné de quelque manière que ce soit par l'université.
Après s'être vu signifier la « révocation » de son « visa étudiant » (inexistant) puis de sa carte verte, Mahmoud a été emmené dans le New Jersey et expédié dans un centre de détention isolé de Louisiane avant que les tribunaux n'aient pu intervenir. Un juge fédéral a ordonné le renvoi de l'affaire dans le New Jersey. À l'heure actuelle, il reste à voir si le régime Trump se conformera à cette décision judiciaire comme à d'autres.
Yunseo Chung, une étudiante de Columbia âgée de 21 ans, est une résidente permanente qui vit aux États-Unis depuis l'âge de 7 ans. Actuellement dans un lieu tenu secret, elle a intenté une action en justice pour empêcher son expulsion après que des agents de l'immigration ont perquisitionné et fouillé des résidences universitaires de Columbia sous prétexte que l'établissement ou ses résidences « hébergent et cachent des étrangers en situation irrégulière sur son campus ».
Ni « illégale » ni accusée de quoi que ce soit, en vertu de quelle hypothétique thèse juridique Mme Chung est-elle passible d'expulsion ? Supposément, sa participation à des manifestations pro-palestiniennes fait d'elle « un obstacle aux objectifs de la politique étrangère américaine » en vertu d'une loi de 1952 datant de l'ère McCarthy autorisant l'expulsion pour ces motifs.
Le Dr Rasha Alawieh, néphrologue, chirurgienne et professeure adjointe à la faculté de médecine de l'université Brown, de retour d'un voyage au Liban, a été détenue pendant trente-six heures puis placée sur un vol de retour, en violation d'une ordonnance d'urgence du tribunal interdisant son expulsion.
Les prétendus « motifs d'expulsion » : La présence du Dr Alawieh aux funérailles de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah assassiné par Israël, en présence de dizaines de milliers de Libanais.e..
Ces cas sont loin d'être les seuls où les agents de Trump ont contourné une décision de justice, comme l'illustre l'expulsion collective de présumé.e.s « membres de gangs » vénézuéliens ou salvadoriens — sans preuve ni la moindre procédure légale — vers la prison mortelle « super-max » au Salvador.
Bien qu'il ait admis une « erreur administrative », le gouvernement affirme que les tribunaux n'ont « aucune compétence » pour ordonner le retour de Kilmar Armando Abrego Garcia, un père de famille bénéficiant d'un statut protégé aux États-Unis, qui a été arrêté le 12 mars à Baltimore après avoir terminé sa journée de travail en équipe à l'usine.
Ranjani Srinivasan, une étudiante indienne dont le doctorat en urbanisme est presque terminé, a été « désinscrite » de l'université Columbia après que des agents de l'immigration sont venus à son appartement et, n'ayant pas réussi à entrer pour procéder à son arrestation, ont déclaré que son visa était annulé et lui ont dit qu'elle avait 15 jours pour quitter le pays.
Elle demande maintenant l'asile au Canada, mais ne révèle pas où elle se trouve pour des raisons de sécurité. Elle a déclaré à CBC News qu'elle n'avait en fait pas participé aux manifestations sur le campus (elle aurait été aperçue dans la foule au printemps dernier, alors que l'accès à sa résidence universitaire avait été fermé).
Grant Miner, président du syndicat des étudiants de troisième cycle de Columbia et doctorant de cinquième année, a été licencié la veille du début des négociations sur le renouvellement de la convention collective et expulsé pour ses activités pro-palestiniennes.
Le comportement méprisable de Columbia, qui a réprimé et expulsé des étudiants l'année dernière, est désormais aggravé par sa lâche servilité face à une série de demandes draconiennes de la Maison Blanche et de Trump. Ces mesures comprennent le renforcement des pouvoirs de la police du campus, l'interdiction des masques et la mise sous tutelle externe de son très réputé centre d'études sur le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Asie.
De forts soupçons pèsent sur les membres du conseil d'administration de l'université qui auraient balancé Khalil au gouvernement. Comme l'a écrit le professeur émérite et historien de renom Rashid Khalidi dans The Guardian (25 mars 2025) :
« Après la capitulation de vendredi, Columbia mérite à peine le nom d'université, puisque son enseignement et ses recherches sur le Moyen-Orient, et bientôt bien d'autres encore, seront bientôt contrôlés par un « vice-recteur principal pour la pédagogie inclusive », en réalité un vice-recteur principal pour la propagande israélienne.
« Les partisans d'Israël, furieux que les études sur la Palestine ait trouvé leur place à Columbia, l'ont surnommée « Bir Zeit sur l'Hudson ». Mais à supposer qu'elle mérite encore le nom d'université, elle devrait s'appeler Vichy sur l'Hudson. » [Bir Zeit est la principale université palestinienne de Cisjordanie. « Vichy » fait référence au régime fantoche français de la Seconde Guerre mondiale sous l'occupation nazie — ndlr.]
Badar Khan Suri est professeur à Georgetown et chercheur postdoctorant sur la religion et les processus de paix au Moyen-Orient et en Asie du Sud. Il se trouve légalement aux États-Unis grâce à une bourse de recherche et à un visa universitaire. De nationalité indienne, il vit avec sa femme, citoyenne américaine, et leurs trois enfants à Rosslyn, en Virginie. Lorsqu'il est rentré chez lui le 17 mars après un repas de rupture du jeûne du ramadan, des agents fédéraux masqués l'ont placé en détention sans qu'il ne soit accusé d'aucun acte criminel.
En un peu plus de 72 heures, il a été transféré dans plusieurs centres de détention pour immigrants, puis dans un centre de transit de l'ICE à Alexandria, en Louisiane. Les collègues du professeur Suri soupçonnent l'administration de viser en réalité son épouse palestinienne Mapheze Saleh, qui est citoyenne américaine et ne peut donc pas être arrêtée pour être expulsée.
Le 25 mars, des agents masqués du département de la Sécurité intérieure ont également appréhendé sur le trottoir Rumeysa Ozturk, une étudiante activiste de l'université Tufts, et l'ont fait monter de force dans une voiture banalisée. Comme Mahmoud Khalil, Rumeysa a été emmenée dans un centre de détention de l'ICE en Louisiane à l'insu de ses avocats et de sa famille.
L'invocation de la « sécurité des Juifs » et la nécessité de lutter contre un antisémitisme prétendument répandu et persistant (une exagération insensée, s'il en est) à Harvard, Columbia, etc., devraient également être considérées comme une version d'un stratagème classique de la droite.
Ce stratagème pervers vise à amener les cibles de ces attaques illégales et antidémocratiques à « en rendre les Juifs responsables ». Cela est fait pour détourner l'attention des objectifs de la droite (MAGA, sionistes chrétiens, etc.) qui cherchent à saper l'autorité des institutions universitaires libérales ; à détourner l'attention de l'antisémitisme qui existe réellement à droite et au sein même de l'administration Trump ; à empêcher que la vérité soit dite sur ce qui se passe à Gaza ; à mener une campagne visant à renforcer l'idéologie suprémaciste blanche dans l'éducation et ailleurs ; et bien plus encore.
Nous devons nous opposer aux esprits capitulateurs dans le monde universitaire et ailleurs qui accordent du crédit à ces mensonges, et ne pas permettre cette exploitation grossière de l'identité juive, et ce, tant dans l'intérêt des Palestiniens que pour l'avenir de tout le monde. Un exemple éloquent en a été donné le 2 avril par des étudiant·e·s juifs et juives de Columbia qui se sont enchaîné·e·s aux grilles du campus pour réclamer la libération de leur ami Mahmoud Khalil.
Contre-attaque face à la crise et à l'urgence
Ce qui se passe actuellement - du passage en force par décret à la terreur exercée sur les communautés d'immigré·e·s et les militant·e·s de la cause palestinienne, en passant par l'abolition du droit du sol - conduit à la destruction substantielle du gouvernement constitutionnel aux États-Unis, ne laissant qu'un papier peint décoratif pour dissimuler la pourriture.
À la lâcheté de nombreuses administrations universitaires s'ajoute celle de certains grands cabinets d'avocats qui capitulent devant Trump. À l'opposé, les organisations de défense des libertés civiles et les avocat·e·s des personnes menacées d'expulsion s'impliquent énergiquement dans les procédures judiciaires et tirent la sonnette d'alarme dans les médias. Mais les hauts dirigeants du Parti démocrate gardent un silence assourdissant sur la destruction de la Palestine.
Le discours-marathon du sénateur Cory Booker, du 31 mars au 1er avril, a mis en évidence de multiples exactions commises par Trump et Musk, mais n'a pas trouvé le temps de faire référence au massacre en Palestine. Ce nouveau héros des démocrates ne s'est pas non plus joint aux quinze sénateurs qui ont voté en faveur de la résolution de Bernie Sanders rejetant la nouvelle livraison massive d'armes américaines à Israël. Et si des dizaines de membres démocrates du Congrès ont signé une lettre contestant la détention de Mahmoud Khalil, le nom du dirigeant de la minorité Hakeem Jeffries brille par son absence.
Il est certain que la répression à laquelle nous assistons s'inscrit dans une crise beaucoup plus large. Elle englobe les attaques ouvertes des suprémacistes blancs contre les programmes de diversité, d'équité et d'inclusion ; l'effacement de l'histoire et de la lutte des Noirs dans les musées du Smithsonian, au Kennedy Center à Washington DC, sur le site web du ministère de la Défense et ailleurs.
Il est également possible que la frénésie tarifaire de Trump engendre un marasme économique aux États-Unis, en Amérique du Nord et dans le monde. Certains de ces problèmes sont abordés dans ce numéro d'Against the Current, notamment l'article de Kim Moody sur l'économie et l'incapacité des démocrates à réagir efficacement.
La riposte dépend de la base et commence par la défense de toutes les personnes prises pour cible par la frénésie répressive de Trump. Bien entendu, tout partisan des droits fondamentaux du Premier Amendement devrait exiger la libération immédiate de Mahmoud Khalil, quelle que soit leur opinion sur ce que doit être l'activité militante en faveur de la Palestine.
En même temps, l'agitation et l'engagement pour la liberté des Palestiniens et contre le génocide doivent se poursuivre, inspirés par l'exemple et le courage de Khalil.
Nous devons insister sur le fait que le sort du peuple palestinien, sacrifié en masse sur l'autel du cynisme politique, de l'impérialisme et du régime de peuplement colonial, n'est pas un cas isolé. Il est inextricablement lié aux luttes dans notre propre société et à notre avenir à tous.
Les éditeurs, Against the Current
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.
Source - Against the Current. À paraître dans le numéro de mai-juin 2025 d'ATC, ATC 236 :
https://againstthecurrent.org/lessons-of-abductions-
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États-Unis : Harvard tient bon – 2 200 M$ pour défendre son autonomie

Dans un affrontement sans précédent, l'Université Harvard est devenue le théâtre d'une bataille politique qui menace de redéfinir les rapports entre le gouvernement fédéral et l'enseignement supérieur aux États-Unis.
16 avril 2025 | tiré du Joural des alternatives | Photo : Camp pro-palestine à l'Université d'Harvard en avril-mai 2024 @ crédit photo Dariusz Jemielniak (Pundit) CC BY 4.0 via wikicommons
https://alter.quebec/etats-unis-harvard-tient-bon-2-200-m-pour-defendre-son-autonomie/
Le 14 avril 2025, l'administration du président Donald Trump a annoncé le gel de plus de 2 200 millions de dollars en fonds fédéraux destinés à Harvard, ainsi que de 60 millions de dollars en contrats, après que l'université eut refusé de se plier à une série d'exigences gouvernementales. Ce conflit, qui s'est intensifié avec des menaces de révoquer l'exemption fiscale de Harvard, marque un tournant dans la lutte pour l'autonomie académique.
L'origine du conflit : les exigences de la Maison-Blanche
Depuis son retour à la présidence en janvier 2025, Trump a redoublé d'efforts pour réformer les universités d'élite, soutenant que plusieurs d'entre elles promeuvent des idéologies contraires aux « valeurs américaines ». Dans le cas de Harvard, la Maison-Blanche a exigé des changements radicaux dans les politiques d'admission, d'embauche et d'enseignement, avec l'objectif affiché de lutter contre l'antisémitisme sur le campus.
Parmi les exigences précises figurent l'élimination des programmes de diversité, d'équité et d'inclusion (DEI), l'interdiction des masques lors des manifestations étudiantes et la révision des programmes d'études sur le Moyen-Orient pour garantir leur « neutralité ». L'administration a également requis la collaboration de Harvard avec des agences fédérales pour traquer la population étudiante étrangère participant à des activités jugées « anti-américaines », une demande critiquée pour son ambiguïté et son potentiel à restreindre la liberté d'expression. On peut consulter ici la lettre du gouvernement de Donald Trump avec « des exigences sans précédent du gouvernement fédéral pour contrôler la communauté de Harvard ».
La réponse de Harvard : un défi à l'autorité
Le président de Harvard, Alan M. Garber, a publié le 14 avril un communiqué percutant, qualifiant les exigences de la Maison-Blanche de tentative « inconstitutionnelle » de contrôler l'institution. « Nous ne renoncerons ni à notre indépendance ni à nos droits constitutionnels », a déclaré Garber, marquant la première résistance publique d'une université face aux politiques de Trump. L'université a également engagé deux avocats de renom pour défendre ce qu'elle considère comme une attaque contre son autonomie. On peut prendre connaissance ici de la réponse du président d'Harvard.
La décision de Harvard a reçu le soutien de figures comme l'ancien président Barack Obama, qui a qualifié le gel des fonds d'« illégal » et de tentative d'étouffer la liberté académique, ainsi que de la gouverneure du Massachusetts, Maura Healey, qui a salué la position de l'université.
Impact sur le financement et la recherche
Le gel de 2 200 millions de dollars en fonds fédéraux représente une menace majeure pour Harvard, dont les recherches en médecine, en technologie et en sciences sociales dépendent largement de ces subventions.
Selon le Washington Post, l'université a déjà pris des mesures préventives en empruntant 750 millions de dollars à Wall Street pour consolider ses finances. Cependant, des spécialistes comme Donald E. Ingber, directeur de l'Institut Wyss de Harvard, préviennent que cette mesure risque de « paralyser la poule aux œufs d'or de la science et de l'éducation américaines ».
Réactions dans d'autres universités
Le défi lancé par Harvard n'est pas un cas isolé. D'autres universités d'élite subissent des pressions similaires. Par exemple, l'Université Columbia a perdu 400 millions de dollars en fonds fédéraux en mars 2025 à la suite de manifestations sur le campus liées à la guerre entre Israël et Hamas. Bien que Columbia ait choisi de négocier avec l'administration, sa présidente intérimaire, Claire Shipman, a précisé qu'elle ne céderait pas sur des questions compromettant son autonomie.
De son côté, Princeton a perdu 210 millions de dollars en subventions de recherche, tandis que Cornell et Northwestern font face à des gels de 1 000 millions et 790 millions de dollars, respectivement. Ces institutions ont exprimé leur inquiétude face au manque de clarté des accusations de la Maison-Blanche et à l'impact sur des recherches cruciales, comme le développement de technologies médicales.
L'avenir de l'enseignement supérieur
L'escalade des tensions entre l'administration Trump et les universités soulève des questions fondamentales sur l'équilibre entre la supervision gouvernementale et la liberté académique. La menace de Trump d'imposer des taxes à Harvard comme à une « entité politique » si elle continue de « promouvoir des maladies idéologiques » a ravivé le débat, quelques critiques comparant ces tactiques au maccarthysme des années 1950.
Alors que Harvard prépare sa défense juridique, l'issue de cet affrontement pourrait établir un précédent pour d'autres institutions. Les universités pourront-elles préserver leur indépendance face à la pression financière ? Ou devront-elles plier devant les exigences d'un gouvernement qui contrôle les ressources fédérales ? Pour l'instant, la résistance de Harvard a inspiré d'autres établissements à réévaluer leur position, marquant le début d'une lutte qui dépasse les murs des campus universitaires.
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Vers une renaissance syndicale
L'année 2024 a vu se conclure les négociations avec le Front commun du secteur public, tandis que les nouvelles réformes néolibérales de la CAQ continuent à mettre à mal les services publics. En réponse, une contre-attaque syndicale non négligeable s'organise.
Cette situation n'est pas nouvelle, mais elle porte le potentiel d'un renouveau du mouvement syndical chez les travailleur·euses de l'État. Depuis l'adoption, il y a 40 ans, de la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic, les rondes de négociation ont donné lieu à peu de confrontations directes entre l'État patronal et les centrales syndicales. En effet, ces dernières, par peur de mesures répressives (comme des lois forçant le retour au travail) ou de l'imposition par décret de conventions collectives, ont eu très peu recours à la grève [1]. Les dispositions concernant les services essentiels prévues dans la Loi, l'encadrement de l'exercice du droit de grève, et la création d'ententes nationales et locales sont autant de facteurs qui ont mené à créer des négociations factices entre l'État et ses travailleur·euses. Les négociations d'ententes locales avec les centres de services scolaires, produit de la loi susmentionnée, en sont un bon exemple. Lors de celles-ci, le syndicat n'a pas le droit d'exercer légalement son droit de grève. Toutefois, ces négociations ont un impact considérable sur le travail des enseignant·es [2].
L'État, dans son rôle de législateur, règle le cadre juridique des négociations de façon à lier les mains des travailleur·euses et à limiter le rapport de force qu'ils et elles peuvent exercer sans transgresser ses lois patronales. Ainsi, en toute impunité, et parfois même avec l'aval des directions syndicales [3], les gouvernements ont adopté des mesures d'austérité et une série de lois visant à dégrader les conditions de travail dans le secteur public, par l'introduction de principes inspirés de la nouvelle gestion publique. On parle ici de mesures visant à centraliser davantage les institutions publiques sous la coupe des gouvernements, et au recours à la sous-traitance par le privé. La fin des élections dans les commissions scolaires et l'augmentation du recours aux cliniques privées en santé en sont deux exemples. On connaît l'incidence que ces mesures ont eue sur une brève période : les problèmes massifs de désertion des milieux de l'enseignement et de la santé par le personnel qualifié, la dégradation des services aux patient·es et la création du système d'éducation le plus inégalitaire au pays.

Le Front commun de 2023
Quelques circonstances ont toutefois permis au dernier Front commun de changer un peu le ton imposé par la Loi sur le régime de négociation. En 2020, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière l'importance du rôle des travailleur·euses de première ligne dans le secteur public. Dans les années suivantes, l'inflation grimpante a poussé plusieurs travailleur·euses du secteur privé, alors en négociation, à demander de meilleures conditions de travail. Cela a donné lieu à une augmentation considérable des jours de grève au Québec [4]. Le contexte était donc favorable à un Front commun de grande ampleur. Dans presque tous les syndicats, l'envergure de l'appui aux votes de grève a été historique, à la surprise du gouvernement et peut-être même de certains syndicats [5]. Très peu de préparation a été faite en amont des négociations pour mobiliser les membres et les mener vers la grève en comparaison aux Fronts communs de 1972 ou de 1976 par exemple [6].
Le débrayage des travailleur·euses du Front commun, de la FAE et de la FIQ en 2023 se démarque par sa longueur (22 jours de grève pour la FAE) et la créativité des moyens de pression employés. Les enseignant·es ont occupé les bureaux du Conseil du trésor à Montréal, bloqué un terminal du port de Montréal et organisé de grandes manifestations rassemblant différents acteurs de la société civile. Sur les lignes de piquetage, on entendait des travailleur·euses prendre des positions inédites, notamment le désir d'en finir avec l'école à trois vitesses [7]. Toutefois, force est de constater que le Front commun, faute de préparation et de coordination, n'a pas réussi à canaliser cette énergie et à la faire aboutir sur une vraie transformation du régime d'austérité.
Il est important de souligner tout de même les gains historiques obtenus dans les ententes. Au niveau économique, les augmentations salariales et la mesure de protection contre l'inflation brisent des dizaines d'années d'augmentations rachitiques de 0 à 1 % par année. Au niveau politique, le mouvement syndical a réémergé comme une force sérieuse dans l'espace public. Même si le potentiel incarné par le Front commun n'a pas été réalisé en entièreté, cette mobilisation nous permet de tirer plusieurs leçons pour la suite des choses.

La mobilisation continue !
En effet, ce dernier Front commun a créé un momentum dans la mobilisation contre les réformes néolibérales de la CAQ en galvanisant les syndiqué·es et en confirmant l'appui de la population à leurs revendications. En effet, bien qu'un an se soit écoulé depuis la signature des ententes de principe, les centrales syndicales continuent d'accumuler des moyens de pression et des mobilisations contre le bulldozer de la CAQ. La taille de ces mobilisations est importante à souligner : la campagne « Pas de profit sur la maladie » de la CSN a ainsi rassemblé des milliers de personnes au Colisée de Trois-Rivières. De plus, elles peuvent se targuer d'atteindre parfois leur cible ! La mobilisation d'enseignant·es dans la région de Montréal a forcé la CAQ à revoir ses coupures et à réinvestir dans les programmes de francisation. Ces campagnes témoignent d'un mouvement syndical qui arrive à se relever tranquillement des revers subis depuis les années 1980, et d'une base qui commence à se mobiliser et à participer à la vie syndicale. Maintenant, pour passer à l'offensive, il faudra se doter d'un projet de société pour le mouvement des travailleur·euses de l'État. Comme Jean-Marc Piotte le soulignait en 1973, notre victoire en dépend :
« Dans le secteur public, la grève entraine des économies pour l'État et des pertes de salaire pour les travailleurs. Ceci ne signifie pas que la grève est un instrument inefficace dans le secteur public : cela indique seulement que la grève, comme les autres moyens de lutte, ne peut y avoir un sens et une efficacité que si elle est pensée politiquement [8]. »
Cette politisation de la vie syndicale, la base ne doit pas attendre de la recevoir des conseils exécutifs. Des initiatives inspirantes dans cette direction ont vu le jour l'année dernière à l'Alliance des professeures et des professeurs de Montréal. Le caucus uni de la base enseignante a mené une campagne contre la fermeture des classes d'adaptation scolaire, et la création du caucus du secteur public d'Alliance ouvrière a rassemblé des travailleur·euses de différentes accréditations syndicales.
[1] Cela fait partie d'une tendance nationale à la baisse des heures grevées depuis 1981, voir Gouvernement du Canada, « Jours non travaillés en raison de grèves et de lock-out, 1976 à 2021 », 30 mai 2022. En ligne : www150.statcan.gc.ca/n1/pub/14-28-0001/2020001/article/00017-fra.htm.
[2] On y négocie par exemple le dépassement du nombre d'élèves, la répartition des heures de travail dans le calendrier scolaire et le cadre des affectations de contrats.
[3] On pense notamment à la participation des centrales syndicales au « nouveau pacte social » pour le déficit zéro de Lucien Bouchard, qui a servi de prétexte pour d'importantes coupes budgétaires.
[4] Caillou, A. (2024, novembre 15). « Pourquoi les grèves sont-elles en hausse au Québec ? » Le Devoir. En ligne : www.ledevoir.com/economie/823786/pourquoi-greves-sont-hausse-quebec
[5] Le plan d'action mobilisation adopté par le conseil fédératif de la FAE en février 2023 ne comprenait pas l'organisation d'assemblées pour tenir des votes de grève.
[6] Le Front commun de 1972 est précédé par la publication de trois manifestes des grandes centrales syndicales (CSN, FTQ, CEQ) exposant leur projet politique. En 1976, les grandes centrales constituent un conseil d'orientation qui sera la structure décisionnelle du Front commun. Celle-ci est composée de 750 travailleur·euses.
[7] Pour d'autres exemples, lire le texte de Marion Miller, « 22 jours de grève », dans le numéro 100 d'À bâbord !.
[8] Piotte, J-M. La lutte syndicale (chez les enseignants). Les éditions Parti Pris, Montréal, 1973, p. 157. Texte intégralement disponible dans les Classiques des sciences sociales
Émile Lacombe est enseignant en arts plastiques au Centre de services scolaires de Montréal.
Photos : Manifestation du Front commun 2023 - 23 septembre 2023 (André Querry).
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