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Le Yémen sous les bombes de Donald Trump

Le conflit yéménite est entré dans une nouvelle phase avec l'arrivée au pouvoir du président étatsunien. Régionalisé dès ses débuts en 2015, avec l'implication de l'Iran et de l'Arabie saoudite, la guerre se révèle de plus en plus internationalisée. Outre la stratégie militaire de Washington, qui multiplie les raids contre les infrastructures houthistes, la Russie semble désormais en embuscade — mais sûrement pas au bénéfice des civils.
Tiré d'Orient XXI.
Le 15 mars 2025, parallèlement à son classement des rebelles houthistes en tant qu'organisation terroriste, le président étatsunien Donald Trump a lancé une offensive aérienne d'ampleur sur le territoire yéménite sous le nom de code Rough Rider (« Cavalier brutal »). En un mois et demi, plus de 800 frappes ont été menées. L'incident surnommé « Signalgate », qui a entraîné la fuite d'informations militaires à un journaliste de The Atlantic, ajouté par erreur à un groupe de discussion par le conseiller à la sécurité intérieure étatsunien, Mike Waltz, a fait grand bruit, illustrant l'amateurisme de la nouvelle administration (1). Mais les effets de cette stratégie et ses implications, notamment pour les civils yéménites, demeurent largement ignorés. Pourtant, l'intervention américaine parait toujours plus éloigner le Yémen du règlement pacifique d'un conflit qui perdure depuis plus d'une décennie. L'approche de Trump constitue également une prise de risque pour la diplomatie américaine.
Une communication habile des houthistes
L'implication directe des États-Unis, appuyée par Londres et Tel-Aviv, s'inscrit dans la mise sous pression de l'Iran et de ses alliés. Elle est plus précisément censée répondre à l'escalade lancée en mer Rouge par les houthistes depuis novembre 2023, en soutien aux habitants de Gaza. Leurs plus de 150 attaques contre les navires commerciaux, puis contre les frégates et porte-avions occidentaux protégeant les voix de navigation, ont indéniablement transformé le conflit yéménite. Celui-ci est un temps réapparu sur les radars, affectant cette voie maritime qui relie la Méditerranée et l'Océan indien et par laquelle circule en temps normal près de 20 % du commerce maritime international. Cet engagement est venu incarner la capacité d'action de portée mondiale des houthistes.
La communication du mouvement yéménite, habile, a servi à leur assurer une notoriété régionale. Les houthistes sont, de fait, le mouvement armé aujourd'hui le plus engagé en faveur de la Palestine. Leurs drones ou missiles ont à plusieurs reprises également atteint le territoire israélien, y compris jusque dans le nord, à Haïfa, comme le 23 avril 2025, sans cette fois faire de dégâts.
Face à la propagande houthiste et afin de ne pas apparaître comme des supplétifs des Israéliens, les Saoudiens se sont mis en retrait. Mais ils ont surtout veillé à maintenir leur volonté de s'extraire du bourbier yéménite. Depuis 2022, un pacte de non-agression implicite s'est institué entre eux et les houthistes. En dépit des pressions américaines (gageons que celles-ci seront renouvelées au cours de la visite de Donald Trump à Riyad prévue à la mi-mai) l'armée saoudienne — comme échaudée par l'échec de son engagement au Yémen débuté en 2015, reste à bonne distance.
Le prix payé par les civils
Depuis la première sortie aérienne américaine dans le cadre de l'opération « Rough Rider », les victimes civiles se sont multipliées. Les houthistes sont aussi prompts à les cacher pour ne pas apparaître en situation de faiblesse qu'à les rendre publiques pour souligner la violence de l'agression « américano-sioniste ». Ainsi, ont-ils largement dénoncé le bombardement du 17 avril 2025 qui aurait fait 80 morts et plus de 150 blessés dans le nord de la Tihama, puis celui du 28 avril sur un centre de détention pour migrants non loin de la frontière saoudienne et qui aurait entrainé le décès d'au moins 68 civils, largement originaires d'Afrique de l'Est. Un rassemblement tribal a également été visé lors du premier jour de l'Aïd, le 30 mars.
Le retour des bombardements massifs constitue, après trois années d'accalmie liée au retrait de facto des Saoudiens, une source d'angoisse pour les Yéménites, tout particulièrement dans les zones du nord-ouest, contrôlées par les houthistes. À Sanaa, mais aussi à Saada — berceau du mouvement rebelle —, et dans la plaine côtière de la Tihama, les destructions sont nombreuses. Les attaques répétées sur le port de Ras Issa menacent également d'affecter l'approvisionnement en aide humanitaire, essentielle pour la survie de 60 % des Yéménites.
Les groupes anti-houthistes yéménites, bien que divisés, ont communiqué sur l'opportunité que représente l'engagement étatsunien. Dans une impasse, le gouvernement reconnu par la communauté internationale souhaite ainsi généralement reprendre l'offensive au sol. Les positions militaires de Tareq Saleh, neveu de l'ancien président Ali Abdallah Saleh, dans le sud de la Tihama pourraient notamment être mobilisées. Ainsi une offensive contre la ville de Hodeïda, port principal d'entrée des biens (et potentiellement des armes) en zone houthiste et quatrième ville du pays, pourrait-elle être rapidement lancée. Les houthistes s'y préparent, creusent des tranchées et renforcent leurs positions défensives. En 2018, le risque humanitaire posé par une telle bataille avait déjà amené la communauté internationale à faire pression sur la coalition emmenée par l'Arabie Saoudite. Celle-ci avait alors consenti à accepter les accords de Stockholm et renoncé à l'offensive.
Rétrospectivement, ce recul est fréquemment perçu par les anti-houthistes comme une erreur qui a prolongé la guerre et renforcé leurs ennemis. Il conviendrait donc de leur point de vue de dorénavant reprendre le travail inachevé. Mais à quel prix pour les civils ?
Par-delà l'engagement militaire de Washington, le classement par Trump des houthistes en tant qu'organisation terroriste fragilise l'économie, en particulier le système bancaire. Au risque de voir les transferts interrompus, les institutions financières sont sommées de se désaffilier de la banque centrale tenue par les houthistes qui avait pourtant réussi à stabiliser la monnaie et limiter l'inflation. Les flux commerciaux, tout comme l'action des acteurs humanitaires, sont également potentiellement suspendus. L'intervention des ONG internationales dans les zones houthistes, qui impose par exemple une coordination avec le Croissant rouge yéménite, pourrait être assimilée, en droit étatsunien, à un soutien à un groupe terroriste.
Un piège implacable
En revanche, contrairement aux menaces bravaches de Donald Trump sur les réseaux sociaux, les dirigeants houthistes semblent encore largement hors de portée des bombardements. Si l'assassinat de Yahya Al-Hamran, responsable houthiste de la sécurité à Saada, a été reconnu fin avril 2025, les rumeurs concernant la mort de Muhammad Ali Al-Houthi, figure charismatique et président du Comité révolutionnaire, restent à confirmer. Le leader du mouvement, Abdulmalik Al-Houthi, a multiplié les interventions vidéo ces dernières semaines, menaçant ses ennemis, mais veillant à déployer un discours nationaliste, qui occulte à la fois le lien du mouvement avec l'Iran, mais aussi la logique confessionnelle propre de l'exercice de son pouvoir. Il mobilise aussi dans ses discours un argumentaire qui s'appuie volontiers sur le droit international et la nécessité de protéger les Palestiniens d'un génocide. Pointant du doigt la faiblesse de la réponse du monde arabe face à Israël, il a dans le même temps veillé à faire apparaître les opérations militaires houthistes comme des représailles aux offensives de l'armée israélienne, respectant donc les moments de trêve à Gaza.
Si des fantassins houthistes semblent mourir en nombre sous les bombes américaines, la capacité de nuisance du mouvement yéménite demeure. Le porte-avion Harry Truman a été la cible de tirs répétés. Le territoire israélien, certes protégé par toute une série de systèmes de sécurité, continue à être visé, notamment à travers l'envoi de nouveaux missiles nommés Palestine-2. En outre, il a fallu l'intervention de la marine française le 18 avril 2025 pour abattre un drone armé.
Cet engagement militaire a un coût qui n'est pas négligeable. Seize drones Reaper américains (d'une valeur individuelle avoisinant, selon les sources, soit 100 millions, soit 30 millions de dollars) ont été abattus par les houthistes depuis leur engagement en mer Rouge en novembre 2023, dont sept depuis le 15 mars 2025. La facture est non seulement d'ordre financier, mais également stratégique. Deux porte-avions américains sur les onze en service sont notamment engagés sur la zone. Pour l'armée des États-Unis, l'intervention contre les houthistes mobilise du matériel très sophistiqué qui n'est pas aisément remplaçable et qui pourrait bien venir à manquer ailleurs.
Ainsi, des missiles stationnés dans la région indo-pacifique ont été transférés, selon le New York Times, vers la mer Rouge, fragilisant potentiellement les positions de défense de Taïwan (2). Les accusations portées par les États-Unis contre la Chine, soupçonnée de fournir des informations sensibles aux houthistes via les satellites de la société Chang Guang, signalent combien le piège tendu par les houthistes est implacable et dépasse dorénavant le cadre régional. La Chine réévalue sa place au Proche-Orient et la crise yéménite pourrait constituer un levier. En effet, alors même que les produits fabriqués dans les usines chinoises à destination de l'Europe transitent en grande partie par la mer Rouge, ses navires ont été épargnés par les attaques houthistes depuis 2023.
La Russie en embuscade
Parallèlement, le dossier semble de plus en plus investi par la Russie. Tout comme la Chine, celle-ci s'était longtemps tenue à l'écart de la question yéménite, notamment parce qu'il convenait de préserver des relations cordiales avec l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis engagés militairement contre les houthistes. Une forme de neutralité faisait dès lors sens. Toutefois, les derniers mois semblent avoir marqué une inflexion. Les Saoudiens sont eux-mêmes en quête d'un apaisement des relations avec l'Iran afin d'affirmer leur rôle de médiateur. Ainsi Khaled Ben Salman, ministre de la défense, s'est-il rendu mi-avril 2025 à Téhéran, où il a rencontré le Guide Ali Khamenei. Pour la Russie, intervenir dans le jeu yéménite n'implique donc plus automatiquement de se brouiller avec les Saoudiens.
Dès lors, les initiatives, discrètes, se sont multipliées. Fin 2024, une délégation houthiste de haut rang s'est rendue à Moscou. Au même moment, des filières de recrutement de Yéménites envoyés par les Russes sur le front en Ukraine ont été mises au jour. Celles-ci concerneraient plusieurs centaines de combattants dont certains ont témoigné à leur retour (3). Les experts en armement de l'Organisation des Nations unies (ONU) relèvent aussi l'utilisation par les houthistes de nouveau matériel russe. Enfin, selon des données en sources ouvertes analysées par le média d'investigation Bellingcat, du blé ukrainien saisi par la Russie en Crimée aurait été débarqué à Hodeïda. Il aurait été revendu via l'Iran, en échappant aux contrôles de l'ONU (4). Ces éléments illustrent combien les houthistes, entrés en confrontation directe avec les États-Unis, émergent en tant que levier mobilisé — à moindre coût —, par diverses puissances pour bouleverser les équilibres mondiaux. De ce jeu qui leur échappe, bien des Yéménites sont plus que lassés.
Notes
1- Jeffrey Goldberg, « The Trump Administration Accidentally Texted Me Its War Plans », The Atlantic, 24 mars 2025.
2- Edward Wong et Eric Schmitt, « U.S. Commanders Worry Yemen Campaign Will Drain Arms Needed to Deter China », The New York Times, 8 avril 2025.
3- Kersten Knipp et Safia Mahdi, « Yemenis forcefully recruited to fight for Russia in Ukraine », Deutsche Welle (DW), 12 juillet 2024
4- Bridget Diakun et Yörük Işık, « Ukraine ‘Outraged' at Yemen Grain Shipment From Occupied Crimea », Bellingcat, 18 décembre 2024.
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Iran : deuil et colère le 1er Mai suite à la catastrophe de Bandar Abbas

La journée de la fête du Travail en ce 1er mai en Iran a été assombrit par le deuil. Alors que les travailleurs du monde entier célèbrent leurs droits et leur dignité, le peuple iranien est toujours sous le choc de la tragédie, cinq jours après l'explosion meurtrière survenue au port de Rajaï à Bandar Abbas.
Tiré du blogue de l'auteur.
La journée de la fête du Travail en ce 1er mai en Iran a été assombrit par le deuil. Alors que les travailleurs du monde entier célèbrent leurs droits et leur dignité, le peuple iranien est toujours sous le choc de la tragédie, cinq jours après l'explosion meurtrière survenue au port de Rajaï à Bandar Abbas. L'émotion se mêle à une colère profonde contre un régime accusé de négligence criminelle, de dissimulation et de mise en danger de la population civile.
Une détonation qui secoue toute une nation
Le samedi 26 avril, une explosion d'une rare intensité a frappé le terminal de conteneurs de Rajaï, principal port commercial d'Iran. Le souffle a dévasté une partie des infrastructures, embrasé des centaines de conteneurs, libéré des fumées toxiques pendant plusieurs jours, et ravagé les zones résidentielles voisines, dont la totalité d'un village.
Selon des chiffres officiels partiels, au moins 70 personnes ont perdu la vie, et plus de 1 200 ont été blessées, dont de nombreux cas graves. Mais les sources indépendantes, notamment issues de la résistance iranienne, parlent de plusieurs centaines de morts. « On ne peut pas voir ces images, entendre les cris dans les hôpitaux, et croire à leurs chiffres », témoigne un habitant de Bandar Abbas joint par messagerie sécurisée.
Du perchlorate de sodium à proximité des zones civiles
Rapidement, des éléments ont émergé sur l'origine probable du drame. Une explosion dû à des produits chimique. Après enquête le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) a pu établir que c'est un entrepôt de conteneurs enfermant du perchlorate de sodium, un composé utilisé pour la production de propergol solide dans les missiles balistiques, aurait explosé.

Ce produit peut exploser suite à une erreur de stockage ou de manipulation, sous l'effet de l'impact, de l'inflammation ou de la chaleur. L'entrepôt appartenait à la société Banagostar, filiale d' Sepehr Energy, elle-même liée au ministère de la Défense et de la Logistique des forces armées (MODAFL) du régime. "Sepehr Energy" a été sanctionné par le Trésor américain le 30 novembre 2023 :
« Ce sont des matériaux de guerre stockés comme de simples marchandises, sans protocole de sécurité, au milieu de la population » selon un expert.
L'information a été relayée par l'agence de presse iranien ISNA, le 28 avril, avant d'être supprimée quelques heures plus tard. ISNA révélait que la cargaison importée, victime d'une explosion et d'un incendie au port de Rajaï samedi, ne comportait aucun numéro de covoiturage ni déclaration douanière, et que le navire et sa cargaison n'étaient pas en possession des douanes.
Un port stratégique paralysé
Le port de Rajaï, situé dans le détroit d'Hormuz, est un maillon essentiel de l'économie iranienne : il concentre 80 % du trafic conteneurisé du pays, assure l'approvisionnement en nourriture, matières premières et produits de première nécessité. Sa paralysie risque de provoquer une crise logistique et sociale majeure.

Les écoles ont été fermées, l'air est resté irrespirable pendant deux jours, et le trafic maritime a été suspendu dans plusieurs zones. Des familles cherchent encore des disparus, sans réponse des autorités.
Le silence d'État et les accusations de dissimulation
Face à la colère grandissante, le régime tente de minimiser la catastrophe. Le porte-parole du ministère de la défense du régime iranien, Reza Talaeinik, a nié toute présence de matériel militaire, qualifiant les informations diffusées par les médias étrangers de « guerre psychologique ». Pourtant, le PDG de Sina Marine – sous-traitant de Banagostar – a reconnu que certaines cargaisons « extrêmement dangereuses » avaient été introduites sans documents douaniers ni étiquetage conforme.
« C'est un mensonge d'État de plus », dénonce un membre du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). « Le régime islamiste stocke des explosifs dans des ports civils, puis cache les conséquences lorsqu'ils tuent des innocents. »
Une comparaison avec Beyrouth 2020
Pour Maryam Radjavi, présidente élue du CNRI, le parallèle avec la catastrophe du port de Beyrouth est évident. « Comme au Liban, la dictature religieuse a stocké des explosifs au mépris des vies humaines. Le résultat est le même : des morts, des blessés, des ruines, et aucune justice. »

De son côté, le porte-parole des Moudjahidine du Peuple a accusé directement les Gardiens de la révolution d'avoir importé illégalement ces matériaux. Ce carburant provenait de Chine et avait été acheminé vers l'Iran par deux navires, comme l'avait révélé le Financial Times en janvier.
Même au sein du régime, des voix discordantes émergent. l'ancien député Heshmatollah Falahatpisheh a évoqué une faille catastrophique dans la chaîne de sécurité civile.
Le journal Etemad constate que l'explosion a révélé une grave mauvaise gestion au port de Rajaee, allant du stockage de matières dangereuses dans des conditions dangereuses au non-respect des normes de sécurité élémentaires.
Une fête du Travail sous le signe du deuil et de la révolte
En ce 1er mai, alors que le pays traverse une grave crise sociale et économique, le peuple iranien ne manifeste pas pour plus de droits sociaux : il cherche ses disparus, enterre ses morts, soigne ses blessés, et réclame des comptes.

« Le port de Rajaï est devenu un cimetière à ciel ouvert », écrit un travailleur portuaire sur Telegram. « Ce régime n'honore ni les vivants ni les morts. Il sacrifie tout à sa survie. »
Dans les villes de Bandar Abbas, Chiraz, Kerman et Ahvaz, des rassemblements spontanés ont été signalés, malgré la censure et les arrestations. Sur les réseaux sociaux, la solidarité avec les travailleurs à Bandar Abbas se pultiplient.

Focus sur les conditions des travailleurs iraniens
De nombreux syndicats ouvriers et des confédérations syndicales à travers le monde expriment leurs solidarités et dénoncent les conditions de vie et de travail insupportables des ouvriers iraniens.
Des syndicats australiens ont énuméré ces conditions désastreuses :
– 94 % des travailleurs sont employés sous des contrats à durée déterminée ou informels, ce qui les prive de toute sécurité d'emploi et de tout avantage, selon les journaux Jahan-e Sanat et Resalat.
– 95 % des travailleurs ne reçoivent pas de copie de leur contrat de travail, ce qui permet aux employeurs de les licencier à leur guise sans indemnité.
– Le régime ne reconnaît pas les syndicats indépendants. Il impose plutôt des entités contrôlées par l'État, comme les « Conseils islamiques du travail », qui ne représentent pas les intérêts des travailleurs.
– Le salaire minimum iranien pour 2025 a récemment été fixé à 10 millions de tomans par mois, alors que le coût de la vie dépasse 35 millions de tomans, selon les médias d'État. Des millions de familles sont ainsi privées des produits de première nécessité.
– Le quotidien Arman Emrooz a noté en 2023 que certains travailleurs ne pouvaient pas se permettre de manger de la viande plus de trois fois par an.
– Selon le quotidien Kar o Kargar (Travail et Travailleur), environ 40 travailleurs meurent chaque semaine des suites d'accidents du travail, souvent dans des mines et sur des chantiers dangereux et dépourvus de contrôle réglementaire.
– Un rapport de Farhikhtegan de 2021 a révélé que 20 % des femmes actives ont perdu leur emploi en une seule année, soulignant une grave discrimination fondée sur le sexe dans l'emploi.
À l'heure où les travailleurs iraniens peinent à vivre dignement, où les syndicats indépendants sont muselés et interdits, et où les libertés fondamentales sont bafouées, cette tragédie du 26 avril apparaît comme le symbole d'un système à bout de souffle. Un régime qui, aux yeux de millions d'Iraniens, n'a plus ni légitimité ni avenir. Une fois le deuil passé, la colère d'un peuple tout entier pourrait bien porter un coup fatal à l'ensemble du régime.
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Battant tous les records, la censure des médias israéliens atteint des sommets sans précédents

En 2024, la censure militaire israélienne a interdit la publication de 1 635 articles et en a partiellement censuré 6 265 autres, dans le cadre d'une offensive plus large contre la liberté de la presse.
Tiré d'Agence médias Palestine.
En 2024, la censure militaire en Israël a atteint son niveau le plus extrême depuis que le magazine +972 a commencé à collecter des données en 2011. Au cours de l'année, la censure a complètement interdit la publication de 1 635 articles et en a partiellement censuré 6 265 autres. En moyenne, la censure est intervenue dans environ 21 reportages par jour l'année dernière, soit plus du double du précédent pic d'environ 10 interventions quotidiennes enregistré lors de la dernière guerre à Gaza en 2014 (opération Bordure protectrice), et plus de trois fois la moyenne en temps de paix, qui est de 6,2 par jour.
Ces chiffres ont été fournis par la censure militaire en réponse à une demande conjointe du magazine +972 et du Mouvement pour la liberté d'information en Israël, à l'approche de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Bien que la censure militaire ne divulgue pas les raisons de chaque intervention, la guerre de destruction que mène actuellement Israël à Gaza, ainsi que ses conflits au Liban, en Syrie, au Yémen et en Iran, sont probablement la principale raison de cette augmentation record de la censure.
Cette escalade se reflète non seulement dans le volume considérable des activités de la censure, mais aussi dans le taux plus élevé de rejet des documents soumis et dans la fréquence accrue des interdictions totales (par opposition aux expurgations partielles).
En vertu de la loi israélienne, tout article relevant de la catégorie largement définie des « questions de sécurité » doit être soumis à la censure militaire, et les équipes éditoriales sont chargées de décider, selon leur propre jugement, quels articles soumettre.
Les médias n'ont pas le droit d'indiquer qu'il y a eu censure lorsque le censeur intervient, ce qui signifie que la plupart de ses activités restent cachées au public. Aucune autre « démocratie occidentale » ne dispose d'une institution comparable.

Il convient de noter qu'en vertu de cette loi, le magazine +972 est légalement tenu de soumettre ses articles à examen. Pour en savoir plus sur notre position concernant la censure militaire, cliquez ici.
« Le public a le droit de savoir ce qui lui a été caché »
En 2024, les organes de presse israéliens ont soumis 20 770 articles à la censure militaire pour examen, soit près du double du total de l'année précédente et quatre fois plus qu'en 2022. La censure est intervenue dans 38 % des cas, soit sept points de pourcentage de plus que le précédent pic enregistré en 2023. Les rejets purs et simples d'articles entiers ont représenté 20 % de toutes les interventions, contre 18 % en 2023. Au cours des années précédentes, la moyenne n'était que de 11 %.
Le média israélien i24 a rapporté dimanche que le brigadier général Kobi Mandelblit, chef de la censure militaire, avait demandé au procureur général d'enquêter sur des journalistes israéliens qui auraient contourné la loi sur la censure en partageant des informations confidentielles avec des médias étrangers. Le procureur général a rejeté cette demande.
La censure militaire n'est pas tenue par la loi de répondre aux demandes d'accès à l'information et a fourni les chiffres ci-dessus de son plein gré. Cependant, elle a refusé de fournir les données supplémentaires que nous avions demandées, notamment : un détail des données par mois, par média et par motif d'intervention ; des précisions sur les cas où elle a ordonné de manière proactive à des médias de supprimer des contenus qui n'avaient pas été soumis à examen ; et toute trace de procédures administratives ou pénales engagées pour violation de la censure. (À notre connaissance, aucune mesure coercitive de ce type n'a été prise à ce jour.)
En outre, alors que la censure militaire fournissait auparavant des données sur la censure dans les livres — généralement ceux écrits par d'anciens membres des services de sécurité israéliens —, elle refuse désormais de communiquer ces informations. Au cours de la dernière décennie, elle a également examiné et est intervenue dans les publications en ligne des Archives nationales. Dans certains cas, elle a même bloqué la publication de documents qui avaient déjà été jugés inoffensifs par les experts en sécurité des archives et qui étaient auparavant accessibles au public. Cet acte de « recensure » a suscité de nombreuses critiques.
L'année dernière, les Archives nationales ont soumis 2 436 documents à la commission de censure. Bien que celle-ci ait déclaré que « la grande majorité » d'entre eux avaient été approuvés pour publication sans modification, elle refuse systématiquement de divulguer le nombre de documents d'archives qu'elle a « recensurés ».

Or Sadan, avocat du Mouvement pour la liberté d'information et directeur de la Freedom of Information Clinic au Centre d'études universitaires en gestion, a déclaré à +972 que, bien qu'il ne soit pas surpris par la recrudescence de la censure l'année dernière, il espérait que « la publication de ces données contribuerait à réduire l'utilisation des outils de censure qui, bien que parfois nécessaires, sont également dangereux lorsqu'il s'agit de l'accès du public à l'information ».
« Même si certaines informations ne peuvent être publiées en cas d'urgence, le public a le droit de savoir ce qui lui a été caché », a-t-il expliqué. « La censure signifie la dissimulation d'informations qu'un journaliste estime que le public a le droit de connaître. En temps de guerre, beaucoup de gens ont déjà le sentiment qu'on ne leur dit pas tout, et il est donc approprié de réexaminer rétrospectivement les décisions de censure. »
Une guerre contre la liberté de la presse
Au-delà de la recrudescence sans précédent de la censure militaire, la Journée mondiale de la liberté de la presse de cette année marque une étape sombre pour le journalisme israélien. En 2024, Israël occupait la 101e place sur 180 (soit une baisse de 4 places par rapport à l'année précédente) dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières ; ce classement a encore reculé depuis, passant à la 112e place. Cette évaluation ne reflète que la situation du journalisme en Israël, sans tenir compte des massacres de journalistes à Gaza.
Selon le Comité pour la protection des journalistes, au moins 168 journalistes et professionnels des médias palestiniens ont été tués à Gaza par l'armée israélienne pendant la guerre, soit plus que dans tout autre conflit violent enregistré au cours des dernières décennies. D'autres organisations estiment ce nombre à 232. Dans le cadre d'enquêtes menées en collaboration avec Forbidden Stories, +972 a révélé que des journalistes de Gaza étaient régulièrement tués par l'armée ou attaqués par des drones de l'armée alors qu'ils étaient clairement identifiés comme membres de la presse. En outre, Israël considère les journalistes travaillant pour des médias affiliés au Hamas comme des cibles militaires légitimes et a affirmé à plusieurs reprises que d'autres journalistes qu'il avait tués étaient liés au Hamas, généralement sans présenter de preuves.
Mais les journalistes à Gaza ne doivent pas seulement faire face à la menace constante de la mort sous les bombardements israéliens, ils souffrent aussi souvent de la faim, de la soif et du déplacement. Ils sont également victimes de la répression du Hamas lui-même, qui fait pression sur les journalistes qui critiquent l'organisation ou couvrent les manifestations contre elle. Israël a aggravé cette situation déjà dramatique en interdisant à tous les journalistes étrangers d'entrer dans la bande de Gaza pendant plus d'un an et demi, une mesure confirmée par la Cour suprême israélienne et condamnée par de nombreux journalistes à travers le monde comme un coup dur porté à la liberté de la presse et une tentative délibérée de dissimuler ce qui se passe à Gaza.
Dans le même temps, Israël a systématiquement arrêté et emprisonné des journalistes palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, souvent sans inculpation, en guise de punition pour leurs reportages critiques. Cette répression s'est accélérée pendant la guerre, comme en témoigne l'interdiction d'exercer en Israël de médias tels qu'Al-Mayadeen et Al-Jazeera.
Le gouvernement s'en est pris simultanément à la presse libre israélienne : il a pris des mesures pour fermer la chaîne publique « Kan », étrangler financièrement le quotidien libéral Haaretz et affaiblir délibérément des médias établis de longue date, tout en finançant avec des fonds publics de nouveaux médias pro-gouvernementaux tels que Channel 14. Au-delà de cela, le gouvernement a imposé de sévères restrictions à la publication de l'identité des soldats soupçonnés de crimes de guerre, et l'incitation continue à la violence contre les journalistes par des législateurs et des personnalités publiques affiliés au gouvernement Netanyahu a conduit à plusieurs attaques violentes contre des reporters.
Et pourtant, le coup le plus dur porté au journalisme israélien n'est pas venu de la censure gouvernementale, mais de la trahison par les rédactions de leur mission fondamentale : informer le public de la vérité sur ce qui se passe autour d'eux. Les journalistes israéliens, y compris ceux qui avaient autrefois exprimé des remords de ne pas avoir couvert les événements à Gaza lors des guerres précédentes, ont délibérément occulté les hôpitaux bombardés, les enfants affamés et les fosses communes que le monde voit chaque jour.
Au lieu de témoigner de la vérité sur la guerre ou d'amplifier la voix des journalistes basés à Gaza (sans parler de leur solidarité avec leurs collègues pris pour cible par l'armée de leur pays), la plupart des journalistes israéliens se sont engagés dans la propagande de guerre, allant jusqu'à rejoindre les troupes de combat et à participer activement à la démolition de bâtiments, et diffusent librement des appels directs au génocide, à la famine et à d'autres crimes de guerre. Ce n'est pas de la coercition, c'est de la complicité. Ce n'est pas la censure qui a effacé les horreurs de Gaza des écrans israéliens, ce sont les journalistes et les rédacteurs en chef.
Une version de cet article a été publiée pour la première fois en hébreu sur Local Call. Vous pouvez le lire ici.
Haggai Matar est un journaliste et militant politique israélien primé, et directeur exécutif du magazine +972.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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« Conquérir Gaza » : le nouveau plan israélien d’expansion de sa campagne génocidaire

Le cabinet de sécurité du Premier ministre Benjamin Netanyahu a approuvé à l'unanimité des plans visant à mobiliser les réservistes et à confier à l'armée israélienne la responsabilité de l'approvisionnement en nourriture et autres produits de première nécessité des 2,3 millions de personnes qui souffrent du blocus imposé par Israël sur le territoire palestinien.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Hier, le chef de l'armée israélienne Eyal Zamir annonçait son intention de mobiliser des dizaines de milliers de réservistes pour intensifier encore son offensive contre la bande de Gaza assiégée. Ces déclarations précédaient une réunion du conseil de sécurité de Benjamin Netanyahu, qui a cette nuit approuvé un nouveau plan d'expansion de la campagne militaire en cours à Gaza depuis maintenant 576 jours. Dans cette campagne génocidaire, Israël a déjà assassiné plus de 52 567 Palestinien·nes et en a blessé 118 610 autres.
Ce nouveau plan diffère des précédents en ce qu'il explicite la volonté d'Israël de « conquérir Gaza » : selon des sources officielles israélienne, le nouveau plan comprend le « contrôle de territoires » de l'enclave et la promotion du « départ volontaire des Gazaouis » du territoire palestinien. La volonté affichée ne serait donc plus la libération des otages ni même une victoire sur le Hamas, mais bien l'annexion.
Le ministre des finances israélien Bezalel Smotrich, ministre d'extrême-droite fervent défenseur de la colonisation, a déclaré lors d'une conférence qu'Israël ne se retirerait pas de la bande de Gaza, « même dans le cadre d'un accord sur les otages ». « Nous allons conquérir la bande de Gaza une fois pour toutes. Nous cesserons d'avoir peur du mot « occupation » », a-t-il déclaré. « Nous capturerons le territoire et nous y resterons. »
Le Premier ministre israélien a publié une nouvelle vidéo en hébreu sur X cet après-midi, dans laquelle il aborde le plan approuvé par le cabinet pour étendre l'offensive sur Gaza et confirme l'intention d'occupation. Selon des extraits traduits rapportés par Reuters, Netanyahu a déclaré que la population palestinienne de Gaza « sera déplacée, pour sa propre protection », ajoutant que les soldats israéliens n'entreraient pas dans Gaza pour lancer des raids puis s'en retirer par la suite : « l'intention est tout le contraire ».
« Contrôle total de l'aide humanitaire »
Le plan approuvé cette nuit prévoit également le contrôle de l'aide humanitaire. Là aussi, Smotrich affirme clairement la volonté d'Israël d'un « contrôle total de l'aide humanitaire, afin qu'elle ne se transforme pas en ravitaillement pour le Hamas » : « Nous voulons que nos soldats se battent contre un ennemi fatigué, affamé et épuisé, et pas face à un ennemi qui a de l'aide et des produits qui arrivent de l'extérieur de l'enclave ».
Israël interdit entièrement depuis le 2 mars l'acheminement d'aide humanitaire dans la bande de Gaza. Depuis un mois et 3 jours donc, aucune nourriture, aucun médicament, aucune fourniture essentielle n'a pu pénétrer dans l'enclave. Un blocus cruel qui a déjà causé la mort d'au moins 57 Palestinien·nes et menace des milliers d'enfants atteints de malnutrition, et qui aggrave encore la situation des hôpitaux gazaouis, déjà au bord de l'effondrement après 18 mois de bombardements israéliens.
C'est pour remédier à cette situation qu'il a lui-même volontairement créée qu'Israël présente donc son plan de « contrôle total de l'aide humanitaire ». Citant un responsable israélien anonyme, le Times of Israel a déclaré que le nouveau plan israélien impliquerait « des organisations internationales et des sociétés de sécurité privées [distribuant] des colis alimentaires » aux familles de Gaza. Les soldats israéliens assureraient « une sécurité extérieure aux entreprises privées et aux organisations internationales qui distribuent l'aide ».
L'équipe humanitaire de campagne (HCT), un forum qui regroupe des agences des Nations unies, a déclaré dimanche que les responsables israéliens cherchaient à obtenir son accord pour acheminer l'aide par le biais de ce qu'elle a qualifié de « centres israéliens soumis aux conditions fixées par l'armée israélienne, une fois que le gouvernement aura accepté de rouvrir les points de passage ». Dans un communiqué, la HCT a déclaré qu'un tel plan serait dangereux et « contraire aux principes humanitaires fondamentaux et semblait destiné à renforcer le contrôle sur les produits vitaux comme moyen de pression, dans le cadre d'une stratégie militaire ».
La coalition a déclaré que l'ONU ne participerait pas à ce projet, car il ne respecte pas les principes humanitaires mondiaux d'humanité, d'impartialité, d'indépendance et de neutralité. Cette position a été saluée par le Hamas, qui a qualifié lundi de « chantage politique » les projets d'Israël visant à prendre le contrôle de l'aide humanitaire : « Nous rejetons l'utilisation de l'aide comme outil de chantage politique et soutenons la position de l'ONU contre tout arrangement qui viole les principes humanitaires », a déclaré le groupe armé dans un communiqué, insistant sur le fait qu'Israël est « entièrement responsable » de la « catastrophe humanitaire » à Gaza. Jan Egeland, le chef du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), a affirmé de son côté que le plan israélien est « fondamentalement contraire aux principes humanitaires ».
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« The Settlers » de Louis Theroux : Une heure d’arrogance, d’agressivité, de racisme et de haine anti-palestinienne de la part d’Israël

Télévision : Le documentaire de Louis Theroux « The Settlers » est l'un des travaux journalistiques les plus révélateurs réalisés par la BBC depuis le début du génocide israélien à Gaza.
Tiré d'Association France Palestine Solidarité. Photo : Capture d'écran du documentaire de Louis Theroux « The Settlers », BBC, 2025
Donnez à quelqu'un suffisamment de corde et il se pendra. Les colons israéliens, quant à eux, n'ont guère besoin d'être incités, comme le montre avec brio Louis Theroux (le roi de l'incitation) dans son dernier film, The Settlers (Les colons).
Le résultat est une heure d'arrogance, de racisme et de haine anti-palestinienne sans fard, exprimée par des personnages tels que Daniella Weiss, la « marraine » du mouvement des colons israéliens.
Passant d'un endroit à l'autre des plus de 140 colonies israéliennes de Cisjordanie, toutes illégales au regard du droit international, Theroux s'entretient avec toute une série de colons : jeunes et vieux, hommes et femmes, Russes et Américains - tous unis par un zèle religieux et une énergie digne du Far Ouest.
Plus que toute autre chose, le documentaire de Theroux montre le mépris total des colons pour la vie et la souffrance des Palestiniens, grâce à l'occupation militaire israélienne qui les soutient et leur permet d'agir en toute impunité.
À un moment donné, surplombant les ruines fumantes du nord de Gaza, Theroux se trouve au milieu d'un rassemblement d'activistes israéliens qui planifient l'implantation de colonies dans la bande de Gaza. Avant de danser et de chanter, le groupe discute nonchalamment de la manière dont « tout Gaza et le Liban devraient être nettoyés » des « sauvages » et des « chameliers ».
De retour au cœur de la Cisjordanie, Ari Abramowitz, un colon israélo-texan qui a illégalement fondé un centre touristique sur des terres palestiniennes, explique à Theroux qu'il n'existe pas de « Palestiniens ».
« Ce sont des Arabes, pas des Palestiniens... Et je me fiche de savoir si ces colonies sont légales. Ici, en Judée, certaines choses transcendent les caprices de la législation [israélienne] ».
Un « État » dans le déni
Pendant ce temps, un autre fondateur de colonie, Malkiel Bar Hai (qui porte un chapeau de cow-boy, une demi-douzaine de chevaux et huit enfants) explique que l'ancien nom de la Cisjordanie est « Judée », ce qui signifie « appartient aux Juifs... L'histoire dit qu'elle appartient à Israël » - ce que Theroux décrit immédiatement comme une lecture sélective de l'histoire qui ignore les Palestiniens qui ont vécu sur ces terres pendant des générations.
Dans ce qui est probablement le moment le plus fort du documentaire, Theroux demande à Daniella Weiss si elle est préoccupée ou « consciente que [les Palestiniens] souffrent vraiment » de la violence des colons et de son désir non dissimulé de déplacer les Palestiniens vers « l'Afrique, le Canada, la Turquie, etc ». Weiss rétorque dédaigneusement qu'elle ne se préoccupe que de son peuple et de sa famille, pas des autres, ce que Theroux qualifie de « sociopathe ».
Weiss est considérée comme une folle religieuse par certains en Israël, mais la réalité est qu'elle fait partie des 700 000 Israéliens qui vivent dans des colonies illégales en Cisjordanie.
Bien qu'il se manifeste à différents niveaux d'extrémisme et de ferveur religieuse, le mouvement des colons israéliens est un élément normalisé et inhérent à la société israélienne, ce qui explique pourquoi le pays n'a jamais connu de protestations généralisées contre un accaparement des terres aussi éhonté et évident en Cisjordanie.
Pourquoi ? Parce que pour qu'Israël atteigne un tel niveau d'indignation et de condamnation publiques, la nation devrait faire face à une horreur et à une réalité encore plus grandes : l'État moderne d'Israël a été fondé et construit sur la destruction et la dépossession continues du peuple palestinien, du fleuve à la mer, et pas seulement de la Cisjordanie. Un projet d'ethno-nationalisme irrédentiste fondé sur l'alya, le nettoyage ethnique et le génocide.
Le rêve des colons construit sur la mort
Les documentaires de Louis Theroux suivent généralement les groupes marginaux d'un pays. The Settlers rompt totalement avec cette tendance. Weiss l'admet elle-même.
Dans un autre moment extraordinaire, elle raconte avec jubilation à Theroux comment : « Nous [les colons] faisons pour les gouvernements ce qu'ils ne peuvent pas faire pour eux-mêmes... Netanyahou est très heureux de nos projets... mais il ne peut pas le dire. [Nous] aidons le gouvernement ».
Theroux est connu pour son approche « à la volée », mais ses documentaires se terminent toujours par sa propre voix éditoriale et son propre point de vue : « Le rêve des colons ne montre aucun signe d'apaisement, de même que les déplacements, les dislocations et la mort qui en découlent inévitablement. Avancé par des idéologues, soutenu par ceux qui ont le pouvoir, il n'a de comptes à rendre qu'à Dieu. »
Cette collusion entre l'État israélien et les colons de Cisjordanie est mise en évidence lors de la visite de Theroux à Hébron.
Alors qu'il visite la structure d'apartheid de la ville sous l'occupation israélienne et qu'il manque de se faire arrêter par un soldat caricatural du poste de contrôle de l'armée israélienne, le guide palestinien de Theroux résume l'état des choses sans affectation : « [Les Israéliens] ne nous considèrent pas comme des êtres humains égaux qui méritent les mêmes droits qu'eux, c'est aussi simple que cela ».
Une fois déshumanisé, tout est possible.
Traduction : AFPS
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Solidarité Palestine

Nous vous écrivons au nom de la Coalition Internationale de la Marche vers Gaza, composée de représentants de plus de vingt pays, afin de solliciter l'adhésion de votre organisation à la Marche vers Gaza, qui se déroulera sur le territoire égyptien à partir du 15 juin.
Montréal, le 4 mai 2025
À qui de droit,
Cette marche est une initiative humanitaire internationale visant à dénoncer le blocus inhumain imposé à la bande de Gaza et à exiger la levée immédiate du blocage de l'aide humanitaire à la frontière de Rafah. Actuellement, plus de 3 000 camions transportant nourriture, médicaments et fournitures essentielles sont bloqués, tandis que la population de Gaza subit une famine forcée, une pénurie totale de matériel médical et la destruction systématique de ses conditions de vie.
Depuis octobre 2023, Gaza subit une offensive militaire dévastatrice et un siège total de la part de l'État d'Israël. En plus des destructions, le blocus empêche l'entrée de biens essentiels : nourriture, eau potable, carburant et soins médicaux. Les Nations Unies ont averti que la population de Gaza est délibérément poussée au bord de la famine. Les rapports les plus récents documentent la mort de milliers d'enfants par malnutrition et manque de soins médicaux de base.
La communauté internationale ne peut rester silencieuse face à ce crime. La Marche vers Gaza, inspirée par des actions historiques de solidarité, réunira des personnes de divers pays dans une marche vers les frontières de Gaza pour exiger la levée immédiate du blocus, l'accès sans restriction à l'aide humanitaire, et le respect du droit international humanitaire.
Nous vous invitons donc à adhérer formellement à cette initiative en tant qu'organisation solidaire. L'adhésion peut être symbolique (par la diffusion ou un soutien public) ou active (participation à la délégation, aide logistique ou contribution financière). Votre soutien renforcera cette action collective et amplifiera l'appel à la justice, la dignité et la vie pour le peuple palestinien.
Pour plus d'informations ou pour confirmer votre adhésion, vous pouvez nous contacter à l'adresse suivante : palestinevivramtl@gmail.com Nous comptons sur votre engagement en faveur des droits humains et de la dignité des peuples.
Avec solidarité,
Palestine Vivra, au nom de la Coalition Internationale de la Marche vers Gaza
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Appel à candidatures pour l’UEMSS 2025 à Bordeaux de l’OFQJ
« La rançon de 1825 imposée par la France vise à détruire la révolution haïtienne » — Georges Eddy Lucien
Des militants et des cols bleus bloquent la gare de triage du CN

Quelques observations à la suite du scrutin du 28 avril 2025

Le Parti libéral du Canada (PLC) formera donc le prochain gouvernement, voire un gouvernement minoritaire dirigé par Mark Carney, un homme qui a fait carrière dans le secteur bancaire ; il a dirigé la Banque du Canada, la Banque d'Angleterre et, ensuite, il a déployé ses compétences professionnelles dans les hautes sphères du capital financier et de la diplomatie internationale. Fait à noter, il a assumé une fonction importante en vue de convaincre l'élite mondiale d'inclure la question environnementale au développement capitaliste.
Qui s'attendait à un tel résultat électoral il y a quelques mois à peine ? Rappelez-vous : à ce moment-là, le Parti conservateur du Canada (PCC) dirigé par Pierre Poilievre caracolait très haut dans les sondages. Il devançait même par 20 points le PLC — dirigé à l'époque par Justin Trudeau — dans les intentions de vote des personnes sondées. Il était même question d'une éventuelle disparition de la formation politique dont les assises plongent dans le XIXe siècle. À n'en point douter, l'élection de Donald Trump à la présidence états-unienne, la menace qui accompagne la politique de tarifs douaniers à la frontière et, dans une certaine mesure, la crainte de se retrouver au Canada avec un gouvernement qui s'inspire des politiques de l'ultradroite, ont pu contribuer à une reconsidération du vote chez plusieurs électrices et électeurs.
Quelques constats suite à l'élection générale
Au lendemain du scrutin du 28 avril 2025, un certain nombre de constats s'imposent à nous : d'abord, la députation conservatrice prolongera son séjour sur les banquettes de l'opposition. Il est à retenir par contre que la performance du PCC lui permet de garder espoir en vue de la prochaine élection générale ; il a d'ailleurs fait élire 24 députés de plus qu'au dernier scrutin. Pour ce qui est du pourcentage du vote obtenu, celui-ci est en hausse, voire même se veut supérieur au record du parti détenu par les troupes de Mulroney. C'est vous dire. Pierre Poilievre, battu dans sa propre circonscription, a trouvé un député d'un comté de l'Alberta qui entend lui céder son siège. D'ici six mois, le chef vaincu devrait effectuer un retour à la Chambre des communes.
Par la force des choses, le gouvernement libéral minoritaire aura ensuite à naviguer entre ce qui reste de la députation du Bloc québécois ou du Nouveau Parti démocratique (NPD) pour se maintenir au pouvoir. Mais puisque les coffres des caisses électorales de ces deux partis sont aujourd'hui quasiment vides et exigeront un temps pour être renfloués, y compris tant et aussi longtemps que le NPD ne se sera pas reconstruit, l'appétit pour aller de nouveau en campagne électorale restera à son plus bas.
Enfin, le chef du PLC, Mark Carney, a promis des baisses d'impôt et une lutte au déficit. Ceci n'annonce pas, a priori, un avenir réellement enviable pour la classe moyenne, la population canadienne démunie et les salariéEs syndiquéEs de la Fonction publique fédérale. Pourquoi ? Parce que le budget visera davantage à soutenir la croissance économique que d'assurer une amélioration des services aux classes défavorisées, tandis que les baisses d'impôt supposent davantage d'argent dans les poches des contribuables et, par conséquent, une capacité de payer légèrement augmentée mais néanmoins suffisante pour avoir un impact inflationniste. Par ricochet, la gestion du fonctionnariat occasionnera une réduction de la taille de l'État, sinon une diminution des augmentations salariales. Pourtant il y a un bémol à apporter sur ce point, en se fiant aux paroles du premier ministre, c'est-à-dire une étape initiale consistant à diminuer la croissance des dépenses de l'État canadien. Autrement dit, on ne parle pas ici de licenciements, bien plutôt d'évaluer les besoins d'avenir et donc d'envisager une gestion par attrition — à savoir, par une meilleure répartition des effectifs et l'élimination des postes non comblés et surtout « non nécessaires » (sic). Voilà une conception qui diverge des coupures drastiques présentées par Pierre Poilievre lors de ses points de presse durant la campagne.
Les grands gagnants du scrutin
Au sujet des grands gagnants du scrutin du 28 avril 2025, il faut incontestablement considérer les éléments suivants : premièrement, le mode de scrutin uninominal à un tour qui a permis la remontée d'un parti politique moribond il y a six mois. Celui-ci est même parvenu à se maintenir au pouvoir avec à sa tête un nouveau chef qui a su faire passer sous le radar le bilan politique de son prédécesseur ; deuxièmement, l'aura de Donald Trump qui a su polariser l'électorat autour de quasiment un seul enjeu : qui est le mieux positionné pour négocier avec lui la nouvelle donne du commerce international ; troisièmement, la logique en vertu de laquelle une élection sert maintenant non pas à tracer les voies de l'avenir de la population, bien plutôt à choisir qui va l'emporter (majoritaire ou minoritaire) au jeu de l'alternance gouvernementale sans véritable alternative politique.
Malgré sa défaite, il importe de reconnaître le souffle d'optimisme insufflé par le résultat du PCC, et ce, en vue du prochain scrutin général, dans la mesure où il sait que tôt ou tard, sans égard pour la volonté réelle de la population, la loi de l'alternance gouvernementale jouera en sa faveur. Par contre, le « Bon Sens » de Pierre Poilievre — et évidemment lui-même — a été battu dans son propre comté. En dépit de la chose, cela ne l'empêchera pas d'effectuer un retour à la Chambre des communes. Il se dira mandaté par la population pour ses idées qu'il voudra imposer, d'abord, dans le débat politique, ensuite, s'il est réélu à la tête d'une formation majoritaire — ou même minoritaire — dans trois, quatre ou cinq ans, où il en profitera enfin pour les mettre en valeur, elles qui relèvent de l'ultradroite. Chassez le naturel, qu'il revient au galop…
Une bipolarisation qui se justifie
Ce bref résumé entourant la récente campagne électorale canadienne expose une réalité binaire bien visible qui amènerait pourtant à se questionner sur la santé de notre démocratie, sur le bien-fondé du mode de scrutin actuel et sur la capacité à présenter une offre politique plurielle. Si le contexte dans lequel nous évoluons avait été différent, sans la présence donc d'un président états-unien prisant les décrets protectionnistes, sans la montée même de l'ultradroite dans d'autres pays, alors que le thème de l'itinérance, du logement, des changements climatiques et d'autres enjeux – féministes et sociaux - auraient eu plus d'écho, et que les résultats des élections canadiennes auraient été les mêmes, peut-être alors cette préoccupation aurait obtenu un fondement plus important. Or, la réalité est inverse. Pourquoi ? Parce que le Canada, comme d'autres endroits du monde, a fait face à un changement dans ses relations internationales. Celles-ci se sont transformées en une source de tension ayant mené à la crise des tarifs. Autrement dit, le Canada est entré dans une dynamique conflictuelle avec son voisin du sud.
En suivant le sociologue Jacques Beauchard (1981), bien qu'il s'est intéressé surtout aux conflits de travail, on s'aperçoit que son analyse peut servir dans n'importe quel type de conflit, même celui qui met en confrontation deux pays. Car il existe une succession, voire une série d'étapes qui mènent vers le conflit proprement dit — sans envisager une guerre ouverte et violente, mais un véritable antagonisme. Et lorsqu'on approche de la riposte, le passage de la tension — et/ou de la crise, s'il y a lieu ensuite — entraîne la phase de bipolarisation, c'est-à-dire l'identification des deux camps antagoniques qui s'affrontent. Même si l'affrontement entre le Canada et les États-Unis sert de portrait à la dynamique conflictuelle d'ensemble, à l'intérieur de ces pays des divisions surviennent ; autrement dit, la bipolarisation se répète tout en s'ajustant aux caractéristiques de chaque population et territoire. Mais cela ne signifie pas forcément un fractionnement net et total de ces populations, car il y a toujours des gens et des groupes qui préfèrent rester à l'écart ou qui tentent de nuancer les propos pour chercher le compromis viable à leurs yeux. Néanmoins, de façon générale, la bipolarisation apparaît et est palpable.
En revenant aux élections canadiennes, la bipolarisation entre les votes favorables au PLC et au PCC, avec les pertes pour les autres partis, expose le concret de cette approche théorique. Face à la menace — qui crée des tensions —, un raisonnement binaire s'enclenche : suis-je pour ou contre ce changement ? suis-je pour ou contre la riposte impliquant des tarifs égaux à ceux qui nous ont été imposés ? suis-je pour ou contre un parti qui maintient une idéologie de libre-échange ? suis-je pour ou contre une politique de compromis ? et à la rigueur, suis-je pour ou contre l'annexion du pays aux États-Unis ? Automatiquement, le choix binaire réduit les possibilités pour s'intéresser aux partis pouvant être jugés les plus forts et les plus aptes à faire face à la menace actuelle. Et encore, ces deux possibilités s'incarnent surtout dans les chefs ; en raison de cette inclination humaine à vouloir donner une figure concrète à laquelle se rattacher. En l'occurrence, l'antagonisme interne au Canada doit s'exprimer, afin de mieux affronter l'antagonisme externe avec les États-Unis. Ainsi, le PLC et le PCC ont été identifiés comme étant les deux plus forts, en tenant compte du profil des chefs en présence aux aptitudes et limites dissemblables. Nous revenons alors au choix binaire : pour ou contre Carney ? pour ou contre Poilievre ? Ce qui revient à dire : suis-je pour ou contre un premier ministre canadien issu de la sphère économique et donc possiblement mieux outillé pour contrer un président états-unien qui utilise d'ailleurs les armes économiques ? suis-je pour ou contre un premier ministre canadien issu du monde politique traditionnel et donc plus avisé des ruses du domaine, mais moins affairé en économie ? suis-je pour ou contre un premier ministre canadien qui aurait plutôt des affinités avec le président états-unien ? et ainsi de suite. Il s'agit donc ici de questions qui alimentent le « qui ? », c'est-à-dire : qui, entre les deux, représenterait le choix logique pour contrer les menaces diverses du président états-unien, sans envenimer les choses, mais en faisant respecter la souveraineté du Canada ?
Conclusion
Sans conteste, l'élection générale canadienne du 28 avril 2025 s'inscrit dans un contexte particulier, supposant alors un résultat différent dans la normalité. Face à la menace états-unienne d'un président hors-norme, les tensions vécues — et toujours présentes — accompagnées par des attaques concrètes contre l'économie canadienne ont contribué à réduire les priorités, afin de concentrer les pensées sur la contre-offensive, voire également sur la négociation nécessaire. Mark Carney est alors apparu comme l'homme de la situation pour plusieurs, survenu au bon moment, compte tenu de son expertise, de son expérience en finance internationale. Ce dernier point en est un majeur, puisqu'il marque une rupture de plus en plus nette dans le choix du chef d'État recherché par rapport au passé. Il ne suffit plus d'être avocat ou d'avoir étudié dans une université offrant des cadres de connaissances en science politique ; il ne suffit plus d'avoir une carrière politique. Avec sa suprématie sur les autres domaines et enjeux, l'économie oblige — et obligera davantage, d'après un certain point de vue — d'avoir des femmes et des hommes d'État verséEs dans ses rouages. Peut-être s'agit-il seulement d'une nécessité causée par le contexte ? Cela ne semble pas être le cas, en raison du phénomène de néolibéralisation des États, de la recherche de l'efficience et de l'efficacité, alors que les indicateurs de performance prennent d'assaut les ministères. A contrario, cette quête n'empêche point les États de faire de plus en plus des déficits, montrant ainsi une contradiction profonde dans la gestion des affaires publiques. La solution à ce problème serait simple, en poursuivant la logique de cette rupture : il faudrait encore plus de femmes et d'hommes verséEs en économie dans nos gouvernements, afin d'éviter de s'enfoncer davantage. Mais est-ce réellement une bonne chose ?
Encore là, cet événement électoral montre à quel point nous demeurons en mode réactif plutôt que proactif ; et ce, même si nous n'avions aucun pouvoir sur le choix du président états-unien. Dans un monde où les inégalités socioéconomiques progressent, nous approchons du moment inéluctable où, comme Ulrich Beck (2008, p. 67) le prétend, tous les effets pervers de l'activité économique et industrielle, en termes soit de menaces, soit de risques, auront tôt fait d'affecter tout le monde, tel un effet boomerang pour leurs auteurs, alors que « même les riches et les puissants ne sont pas en sécurité ». Notre avenir dépend d'enjeux qui débordent de la guerre tarifaire, dans un monde où les pays sont extrêmement interdépendants sur plusieurs autres facteurs. Il ne suffit donc pas de choisir un chef d'État connaisseur de l'économie. D'autres qualités s'avèrent utiles. Pour l'instant, il faut donner la chance au nouveau gouvernement canadien de dénouer ce conflit, tout en espérant le voir également agir sur l'amélioration de l'existence humaine au sein de la Nature. Or, la logique politique actuelle tend à conserver sa réalité binaire. Lors d'une prochaine élection, les gains obtenus aujourd'hui par le PCC peuvent aboutir à sa prise du pouvoir éventuellement. Ainsi, le Gros Bon Sens proclamé en 2025, par le chef du parti, réapparaîtra. Lorsque le moment sera venu, il faudra s'attarder consciencieusement à son contenu et se demander : suis-je pour ou contre ce « Bon Sens » proposé ? De notre côté, nous connaissons déjà notre réponse.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
4 mai 2025
9 h AM
Références
Beauchard, Jacques. 1981. La dynamique conflictuelle. Comprendre et conduire les conflits. Paris : Réseaux, 290 p.
Beck, Ulrich. 2008. La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité. Paris : Flammarion, 521 p.
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Des féminicides coloniaux

Si le discours public sur la mort de personnes de groupes marginalisés est toujours politique, cela devient très clair quand on a affaire aux débats d'opinion sur le génocide perpétré envers les peuples autochtones et sur les féminicides de femmes autochtones au Québec et au Canada. Chronique d'un militantisme anti-autochtones bien de chez nous.
Le 3 juin 2019, nous étions de nombreux·euses observateur·rices et chercheur·euses à sortir ébranlé·es de la cérémonie de clôture de l'Enquête nationale sur les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA [1] autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), au Musée canadien de l'histoire, à Hull. Nous étions ébranlé·es par cette communion des deuils et par la vibrante et contagieuse indignation des proches de victimes. Nous n'étions toutefois pas étonné·es par la conclusion phare de l'enquête : les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones sont des cibles du génocide colonial canadien.
Un « non » catégorique
Cependant, dès l'après-midi du 3 juin, des chroniqueurs se scandalisaient. Sur TVA, Mario Dumont déclarait « le [rapport] a commencé à circuler […] avec cette fameuse expression, un “ génocide ”… c'est pas acceptable, c'est pas vrai ». Le même jour, Yves Boisvert de La Presse titrait sa chronique « C'était pas un “ génocide ” » et y affirmait que « ce tordage de mots militants suggère au final de comparer les chambres à gaz nazies et les assassinats massifs à coups de machette au Rwanda avec la situation des femmes autochtones ».
Le 8 juin, sur les ondes de Global News, Andrew Scheer, alors chef du Parti conservateur, déclarait que l'enjeu des disparitions et des assassinats de femmes autochtones était « its own thing », « un dossier particulier » qu'on ne pouvait qualifier de génocide. Entre autres propos suintant de racisme, Normand Lester du Journal de Montréal écrivait le lendemain que « le rapport […] a habilement utilisé cette réalité en l'associant au mot honni « génocide » pour réaliser une fantastique et malhonnête opération de propagande à l'échelle internationale ». Encore tout récemment, à l'occasion de la Journée nationale des peuples autochtones de juin dernier, Jean-François Lisée usait de sa tribune dans le Devoir pour défendre la liberté d'expression des négationnistes de partout au pays et réclamer le droit de douter de l'existence de tombes anonymes d'enfants sur les sites des pensionnats fédéraux. Pour appuyer ses propos, Lisée se faisait le relais des écrits de Tom Flanagan, négationniste de renom et l'un des porte-étendards du militantisme anti-autochtones au Canada.
Un génocide colonial
Les rédactrices du rapport avaient vu venir cette levée de boucliers. On peut lire, dans le rapport, qu'il est souvent difficile, voire impossible de faire reconnaître certains événements qui correspondent en beaucoup de points à des génocides en raison de l'intensité extrême de la violence qu'on associe à l'Holocauste, à l'Holodomor ou au génocide rwandais. Ce sont des événements dont la violence a été brutale autant dans le temps que dans l'espace, alors que le génocide canadien, lui, repose sur des structures diffuses, des actions et des omissions dont les effets génocidaires (létaux et non létaux) s'étalent longuement dans le temps. Pensons à la Loi sur les Indiens, aux pensionnats, à la rafle des années 1960, aux déplacements forcés de communautés inuites dans l'Extrême Arctique, au long bras de la Protection de la jeunesse ou aux biais persistants de la police et du système judiciaire, from coast to coast to coast.
Cumulées, coordonnées et à long terme, ces structures créent une violence à la fois culturelle, économique, institutionnelle et de santé publique qui vise l'extinction de la souveraineté autochtone et l'effacement de la présence autochtone sur le territoire. Cette extinction est fondamentale pour assurer l'emprise de l'État canadien sur ce territoire et ses ressources : le génocide colonial est un mode d'opération inscrit dans l'ADN de l'État colonial de peuplement [2]. Sa souveraineté et son intégrité territoriale dépendent de l'effacement des Premiers Peuples.
Féminicides
Le féminicide est le meurtre misogyne d'une femme ou d'une personne dont l'expression de genre est féminine. On le décrit souvent comme la face la plus visible des violences de genre, qu'on peut positionner sur un continuum d'intensité. En ce qui concerne les féminicides perpétrés envers des femmes autochtones, il s'agit de l'un des nombreux rouages et effets de la violence structurelle que produit le colonialisme. C'est une violence qui se situe au confluent de la misogynie, de la colonialité et du racisme.
Au Québec, depuis 2021, on a réalisé une avancée dans le discours en délaissant plus ou moins les fâcheuses expressions « drame conjugal » ou « drame familial » pour leur préférer le terme « féminicide » [3]. Une avancée, parce que dire « féminicide » nous éloigne d'une compréhension purement criminaliste pour mieux représenter le caractère politique de la violence faite à la victime en raison de son genre. Dans un contexte où les meurtres conjugaux – ces meurtres commis par un (ex-)partenaire – sont les plus médiatisés, parler enfin de féminicide a aussi le potentiel d'élargir la couverture médiatique vers tous les types de violences commis envers les femmes, même hors de la sphère domestique, et de complexifier notre compréhension collective du féminicide.
En réalité, tous les féminicides ne sont pas des meurtres conjugaux. Parler de féminicide est particulièrement important lorsqu'il est question des femmes autochtones assassinées qui, selon l'Observatoire canadien du fémicide, sont plus susceptibles d'être tuées par un inconnu ou par une connaissance que les femmes allochtones. Sachant cela, et sachant qu'au moins une femme assassinée sur cinq au Canada est une femme autochtone, on ne saurait faire du féminicide un synonyme de meurtre conjugal : ce mot doit conserver toute sa force et refléter toutes les réalités des violences de genre, notamment coloniales [4].
La violence policière ne date pas d'hier
Au moment où l'ENFFADA est lancée, en 2015, des militant·es et des associations de femmes autochtones luttent depuis plusieurs décennies déjà pour que ces disparitions et ces assassinats soient examinés et traités avec l'urgence qu'ils méritent. Dès 2004, Amnistie internationale, en collaboration avec l'Association des femmes autochtones du Canada, publiait un rapport intitulé On a volé la vie de nos sœurs : discrimination et violence contre les femmes autochtones. Les organisations y signalaient le vif contraste entre le nombre alarmant de femmes autochtones disparues et assassinées et l'indifférence des corps de police et des élu·es devant la violence commise envers elles.
À lire les transcriptions des audiences de l'ENFFADA, on voit que celles-ci étaient l'occasion pour les proches de répondre aux discours déshumanisants et à l'indifférence des autorités. La plupart des témoignages dénoncent le traitement général que les femmes autochtones reçoivent de la société coloniale dominante, qui se traduit par cette phrase, parfois même entendue de la bouche des autorités : « c'est rien qu'une (autre) femme autochtone ». Ce qu'on y comprend, c'est un appel à économiser ses énergies pour une femme qu'on décrit comme indistincte, dispensable et de peu de valeur. De nombreux témoins à l'ENFFADA en ont montré les graves conséquences, comme le ralentissement des enquêtes, la décrédibilisation des témoignages de proches et de victimes, et l'indifférence générale de la population devant le sort réservé aux femmes autochtones disparues et assassinées.
Au Québec, nous avons été aux premières loges de ce traitement discriminatoire. En 2015, des femmes anishinabeg et cries de la région de Val-d'Or témoignent à l'émission Enquête du mépris des policiers à leur égard, mais aussi des abus et des violences commises par les forces de l'ordre à l'endroit des femmes autochtones. On apprend aussi que des agents commettent des starlight tours [5]. En dépit de la gravité des actes dénoncés et du grand nombre de témoignages entendus, plusieurs s'obstinent à remettre en doute la parole des femmes victimes.
En réplique à l'appui offert aux femmes par les communautés autochtones et les allié·es allochtones, une manifestation s'organise à Val-d'Or en soutien aux policiers. Certain·es manifestant·es diront à Radio-Canada : « Je suis tannée en maudit d'entendre parler contre nos policiers. Je ne crois pas que nos policiers soient des abuseurs » ; « Nous, comme citoyens, nous sommes tannés d'entendre parler de Val-d'Or du côté très négatif » ; « Ça été ben que trop loin. C'est pas la réalité. Non. C'est pas ça. » On verra aussi l'apparition du bracelet rouge 144, distribué et porté par des policiers du Québec pour signifier leur appui aux huit agents suspendus du poste 144 de Val-d'Or.
Le déni se poursuit encore aujourd'hui. En mai dernier, le caquiste Pierre Dufour avançait encore, au conseil municipal de Val-d'Or, que l'émission d'Enquête était « bourrée de menteries », qu'elle avait « attaqué des policiers qui étaient très honnêtes ». Dufour accusait aussi la municipalité d'avoir failli à sa tâche de protéger ses policiers après la diffusion de l'épisode d'Enquête et la publication du rapport de la commission Viens, lequel soulignait que les femmes autochtones vivent une victimisation secondaire dans leurs rapports avec les policiers.
Le dos large du crime
Dans un contexte plus qu'hostile à la dénonciation, les militant·es et les associations autochtones tiraient donc sans relâche la sonnette d'alarme depuis des dizaines d'années. Mais elles se butaient à des élu·es qui défendaient un discours selon lequel les féminicides étaient une affaire criminelle, pas un phénomène sociologique ni un enjeu politique – une attitude bien utile pour ceux et celles qui veillent à évacuer la responsabilité de l'État et de ses appendices policier et judiciaire.
Parmi les politicien·nes insistant pour faire des féminicides un problème de criminalité, on compte Stephen Harper, qui tenait ces propos en 2014 : « Comme l'a montré la GRC dans sa propre enquête, la vaste majorité [des cas de disparition et d'assassinat] sont pris en charge et résolus par les enquêtes policières, on va les laisser continuer de s'en occuper. […] Il ne faut pas voir ça comme un phénomène sociologique, il faut plutôt voir ça comme une affaire de crimes. Ce sont des crimes commis envers des personnes innocentes, il faut les traiter comme tels. » En insistant sur l'acte criminel, Harper veillait à faire des violences des événements indépendants les uns des autres, n'impliquant à chaque fois qu'une victime innocente et un agresseur troublé et dangereux. La solution, c'est donc l'arrestation, le procès et la sentence, le tout opéré et supervisé dans l'impartialité par l'appareil policier et le système judiciaire canadiens.
Depuis la mort tragique de Joyce Echaquan, François Legault prend le relais de Harper en refusant de reconnaître l'existence du racisme systémique. Le 5 octobre 2021, en point de presse, Legault faisait dans la question rhétorique et dans la parodie des recommandations d'expert·es : « Est-ce qu'il y a quelque chose qui part d'en haut et qui est communiqué partout dans le réseau de la santé en disant “soyez discriminatoires dans votre traitement des Autochtones” ? C'est évident pour moi que la réponse, c'est non. Par contre, je comprends qu'à certains endroits, il y a des employés, je dirais même dans certains cas des groupes d'employés et même des dirigeants qui ont des approches discriminatoires. » En martelant que des individus sont racistes, mais pas le système, Legault usait de la même manœuvre discursive que l'ancien premier ministre conservateur pour circonscrire la violence à des événements isolés et des actes individuels.
Les féminicides de femmes autochtones peuvent bien être perpétrés par des individus (très souvent impunis, par ailleurs), mais ils sont rendus possibles par un contexte politique qui vulnérabilise, précarise et oppresse les femmes autochtones. Canadien·nes ou Québécois·es, les négationnistes du génocide des peuples autochtones, ces chiens de garde du colonialisme, arrivent toujours à l'heure pour dégager l'État de sa responsabilité dans la mort de Joyce Echaquan et celle d'autres Autochtones. Les efforts mis à contredire, tour à tour, les conclusions de l'ENFFADA sur le génocide canadien et décrédibiliser les témoignages sur lesquels elle s'appuie sont autant d'énergies investies pour compromettre la sécurité des femmes autochtones.
[1] L'acronyme 2ELGBTQQIA rassemble les personnes deux esprits, lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queer, en questionnement, intersexes et asexuelles.
[2] Selon Patrick Wolfe (2006), un État colonial de peuplement « vise à dissoudre les sociétés autochtones » pour « ériger une nouvelle société coloniale sur les terres expropriées – les colonisateurs viennent pour rester ».
[3] À l'échelle internationale, le Québec est en retard. Cela fait maintenant plus de vingt ans que les termes « femicidio » et « feminicidio » sont employés couramment en Amérique latine pour dénoncer le nombre effrayant de meurtres misogynes qui y sont perpétrés. Le Québec est aussi légèrement à la remorque de la France, où on commence à parler plus couramment de féminicide vers 2017.
[4] Au-delà du sujet du présent texte, cela doit inclure les violences perpétrées envers les femmes et personnes à l'expression de genre féminine issu·es de divers groupes minorisés et marginalisés, qui sont les cibles de violences s'inscrivant dans d'autres systèmes de maintien du pouvoir, comme le classisme et la queerphobie.
[5] Les starlight tours, littéralement « voyages sous la lumière des étoiles », sont une pratique policière qui consiste à intercepter et embarquer des Autochtones en milieu urbain pour les déposer à plusieurs kilomètres à l'extérieur des limites de la ville, en plein hiver et en pleine nuit. Si certain·es réussissent à regagner la ville à pied, un nombre important meurent d'hypothermie. La pratique est bien documentée dans les Prairies canadiennes, mais elle est aussi utilisée au Québec – c'est ce que nous apprenaient les femmes autochtones de Val-d'Or qui ont témoigné de ces abus à l'émission Enquête en 2015.
Illustration : Marcel Saint-Pierre, Sous le chapiteau, 1999, détail. Pellicule d'acrylique sur toile, 120 x 150 cm. Collection particulière.
Des militants sortent les meubles de bureaux de la CDPQ

France. La bataille de Sainte-Soline
Une nouvelle étape a été franchie dans la répression des mouvements écologistes, alors que les mobilisations contre les réservoirs d'eau artificiels et les autres infrastructures écocidaires battent leur plein en France.
Le 25 mars dernier, plusieurs milliers de personnes manifestent dans la commune de Sainte-Soline, dans l'ouest de la France, contre le développement croissant de « mégabassines », d'immenses réservoirs d'eau artificiels puisant dans les nappes phréatiques pour l'irrigation agricole. La manifestation s'inscrit dans un contexte plus général de luttes contre l'accaparement des terres et des réserves en eau par une minorité d'entreprises privées favorisant une agriculture productiviste et mortifère pour les écosystèmes et le climat.
No bassaran !
L'important cortège (entre 25 000 et 30 000 personnes selon les organisateurs, 8 000 selon les autorités) rassemble un public composite : syndicalistes paysans et militant·es écologistes, activistes locaux, néoruraux et périurbains, jeunes diplômé·es et retraité·es, primomanifestant·es et zadistes expérimenté·es… À l'appel de plusieurs collectifs, dont les Soulèvements de la Terre, Bassines Non Merci, et la Confédération Paysanne, toutes et tous convergent pour occuper pacifiquement les terrains vagues pressentis pour accueillir le projet de mégabassines. Les manifestant·es ont conscience que cette occupation est illégale, que leur manifestation a été interdite par la préfecture et qu'ils seront accueilli·es par un large dispositif policier. Après tout, c'est précisément l'inertie chronique des autorités françaises face aux mouvements sociaux et syndicaux qui les a poussé·es à réinvestir des tactiques d'action directe jugées plus radicales telles que la désobéissance civile, le sabotage ou l'occupation. Mais peu de militant·es se seraient douté·es qu'ils et elles allaient faire face à une telle violence d'État.
En effet, les terrains vagues de Sainte-Soline et ses alentours vont être le théâtre d'un déploiement massif et disproportionné des forces de l'ordre. Plus de 3200 gendarmes et policiers à pied ou motorisés, plusieurs hélicoptères, blindés et canons à eau ; contrôles routiers et d'identités massifs ; constitution d'un fortin de véhicules encerclant le chantier. Très vite, les hostilités sont initiées par les forces de l'ordre qui sont équipées d'armes classées matériel de guerre comme le tristement célèbre lanceur de balle de défense (LBD) ou divers types de grenades lacrymogènes et assourdissantes, dont certaines projettent leurs fragments lors de la détonation. En deux heures, c'est plus de 5 000 grenades lacrymogènes, 40 dispositifs déflagrants et 81 tirs de LBD qui s'abattent de manière injustifiée et indiscriminée sur les manifestant·es. Le but est clair : l'occupation ne doit pas avoir lieu, quoi qu'il en coûte. Bilan de l'affrontement : plus de 200 blessé·es du côté des manifestant·es, dont 40 dans un état grave et 1 dans le coma. Du côté des forces de l'ordre, le bilan officiel est de 47 blessé·es, la plupart en raison d'acouphènes, et deux hospitalisations. Les journalistes révèleront par la suite que les autorités vont volontairement entraver l'arrivée des secours sur place.
Haro sur les écologistes
Cette débauche de violence n'est pas le fruit du hasard. L'activisme environnemental est devenu l'un des nombreux épouvantails du gouvernement et de la droite française en général. En effet, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a continuellement cherché à discréditer les activistes écologistes, en les assimilant à des délinquant·es, voire à des écoterroristes (une qualification qui n'existe pourtant pas dans le droit pénal français). Ce lexique a aussi été utilisé par les forces de l'ordre, ainsi qu'une partie des médias, qui ont régulièrement qualifié les actions des manifestant·es comme relevant d'un « activisme violent », de la « gauche radicale », de « l'ultra-gauche », des « black-blocs », ou encore d'un « totalitarisme vert ». Cette rhétorique de criminalisation a servi à délégitimer les idées et les actions des militant·es et des organisations civiles afin de justifier le recours à des moyens juridiques et policiers exceptionnels, que ce soit avant, pendant ou après la manifestation de Sainte-Soline.
Ainsi, de nombreux militant·es et élu·es écologistes ou de gauche affirment avoir été surveillé·es de manière illégale par les services de renseignement et de police via des écoutes administratives, des balises de géolocalisation sous leurs voitures, des logiciels informatiques ou des produits de marquage codés. Après les évènements de Sainte-Soline, le ministre Darmanin s'est également empressé d'annoncer la création d'une « cellule anti-ZAD [1] » pour que « l'autorité réclamée par les Français » soit restaurée. Cela n'est pas sans rappeler la surveillance qu'avaient déjà subie les militant·es contre les pesticides et les abattoirs industriels à travers la cellule Demeter, une cellule spéciale de la gendarmerie créée en 2019 afin d'empêcher les actes « délictueux » visant le monde agricole pour des raisons « idéologiques ».
L'assimilation des manifestant·es écologistes à des criminel·les permet aussi de s'arroger le monopole de la communication. Dans une logique par laquelle « on ne discute pas avec les terroristes », aucune place n'a été laissée pour permettre un véritable dialogue. Le gouvernement s'est senti libre d'imposer sa lecture des évènements dans les grands médias français (dont on rappellera que 90 % d'entre eux sont détenus par une dizaine de milliardaires).
Les intimidations contre le milieu associatif constituent une autre forme de la répression en cours. Le ministre Darmanin et la première ministre, Elizabeth Borne, ont ainsi menacé de couper les subventions publiques à la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), dont les membres ont documenté les évènements de Sainte-Soline. D'autres collectifs se sont vu exclure de divers processus de concertations publiques. Autant d'exemples qui montrent comment le gouvernement cherche à mettre à l'écart ses opposants du champ démocratique. Mais le coup de force qui a suscité le plus de réactions est sans aucun doute la dissolution par décret gouvernemental des Soulèvements de la Terre (SLT), la coalition de collectifs locaux, ruraux, et syndicaux à l'origine de la manifestation de Sainte-Soline.
La décision, prise le 21 juin, s'est accompagnée de deux vagues d'arrestations de militant·es écologistes, avec le soutien de la sous-direction antiterroriste. Le principal argument du ministère de l'Intérieur pour justifier la dissolution : les SLT se seraient rendus coupables de « provocation à des agissements violents », de « destruction d'infrastructures », de « sabotages », de « prises à partie » contre les forces de l'ordre, ou encore de diffuser des instructions inspirées par les groupes « black blocs » pour « ne pas être identifiés ou localisables ». Les membres des SLT sont aussi accusé·es de fonder leurs actions « sur les idées véhiculées par les théoriciens prônant l'action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu'à la confrontation avec les forces de l'ordre » [2]. Si les SLT assument une partie des dommages matériels causés (qu'ils préfèrent considérer comme étant des « désarmements » contre la destruction massive du vivant), la sévérité du gouvernement demeure incompréhensible et déclenche une vague de soutien au sein des milieux de gauche et écologistes, en France et ailleurs. Le 11 août, le Conseil d'État suspend en référé la dissolution. Un jugement provisoire trouvera son issue lors d'une nouvelle audience cet automne.
Un glissement autoritaire général
La répression de Sainte-Soline s'inscrit dans une tendance plus large de délégitimation et de criminalisation des mouvements sociaux par les autorités françaises. Que ce soit lors des rassemblements écologistes, des manifestations contre la réforme des retraites, du mouvement des Gilets Jaunes ou des révoltes populaires des banlieues, une certaine routine s'est installée. Interdictions de manifester, répression policière et judiciaire, explosion du nombre de blessé·es et de mutilé·es, surenchère réactionnaire dans les grands médias… Depuis 2017, les assauts répétés contre les libertés d'expression, de participation, de réunion ou d'association inquiètent de nombreux expert·es, organisations et institutions, que ce soit en France ou à l'étranger. De la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), à Amnistie internationale en passant par les Nations Unies, le constat est le même : l'espace de la société civile et politique française se réduit comme peau de chagrin.
Les pouvoirs nécessaires pour mener une telle offensive ont été graduellement obtenus à travers à une série de réformes liberticides et sécuritaires mises en place sous les mandats de Macron et de ses prédécesseurs comme la loi « anticasseurs », la loi « sécurité globale » ou la loi « séparatisme » pour ne citer que les plus récentes. Il s'agit d'un véritable continuum répressif, dont une grande partie a été initialement dirigée contre les communautés noires et arabes, musulmanes, ou migrantes. La force de la répression actuelle ne peut être comprise sans évoquer la banalisation des discours racistes d'extrême droite. Il n'est ainsi pas anodin que la rhétorique outrancière utilisée par le gouvernement pour diaboliser les oppositions de gauche (comme « terrorisme intellectuel de l'extrême gauche », « islamo-gauchisme » ou « ensauvagement ») ait conservé une forte connotation raciste.
À l'abri au Canada ?
Les évènements politiques qui secouent la France peuvent nous sembler lointains outre-Atlantique. Pourtant, ils pourraient fournir de précieux éléments de réflexion sur le présent et l'avenir des mouvements sociaux au Québec et au Canada. Si l'on entend par répression l'ensemble des efforts visant à supprimer la contestation, l'image souvent véhiculée d'un pays paisible et consensuel s'étiole rapidement.
L'activisme environnemental est un cas d'école en la matière. Le soutien massif apporté par les pouvoirs publics au modèle extractiviste a donné naissance à un vaste dispositif de lois visant à protéger les « infrastructures critiques », à collecter des données sur les activistes et à les criminaliser. Les grands médias ont également été très efficaces pour promouvoir les agendas des entreprises d'extraction de ressources et des industries polluantes, décourageant ainsi l'opposition potentielle et marginalisant les voix alternatives. À noter que la répression au Canada ne se limite pas à des mesures préventives comme le montre la violence historique et systémique exercée par les forces de l'ordre contre les mouvements de défense des territoires autochtones. Bien qu'il ne soit pas autant visible aux yeux du grand public, le Canada et le Québec sont aussi dotés d'un puissant arsenal répressif qui n'attend que d'être mobilisé. Tout comme en France, nous ne sommes jamais à l'abri d'un affaissement prompt et brutal des libertés publiques.
Mais surtout, le cas français montre comment les discours et les lois utilisés pour stigmatiser une population particulière peuvent être vite employés contre d'autres groupes. Que ce soit aujourd'hui ou demain, les mesures sécuritaires, liberticides et réactionnaires constituent une menace pour l'ensemble des forces progressistes et des communautés marginalisées. Ce constat nous invite à faire preuve de solidarité et de vigilance dans un contexte de plus en plus marqué par les discours réactionnaires, les campagnes contre le « wokisme » et les sorties racistes et xénophobes de la classe politique.
[1] ZAD réfère à « Zone à défendre »
[2] Le ministère de l'Intérieur faisait ici référence au livre Comment saboter un pipeline, écrit par le militant suédois Andreas Malm et couramment vendu en librairie.
Photos : Sainte-Soline, 23 mars 2023. (Crédit : Mehdi Juan) ; Sainte-Soline, 23 octobre 2023. (Crédit : Choupette).

Colombie. Entre la violence et l’espoir
Plusieurs analystes ont expliqué la persistance de la violence en Colombie par des manifestations de criminalité individuelle. Il faut toutefois, même si cela est complexe, tenter de comprendre la violence autrement pour rendre compte de sa persistance dans le temps et l'espace.
De nombreuses générations ont vécu dans ces circonstances, depuis le moment de notre naissance en tant que république en 1810 par la main du libérateur Simon Bolivar et son rêve d'une Amérique unie. À cette époque, il est évident que les guerres menées par les Espagnols ont été guidées par des intérêts individuels qui s'opposaient à ce rêve.
Une clarification nécessaire
Il est important de garder à l'esprit que les différents actes de violence en Colombie ont été si nombreux et d'une telle ampleur qu'il n'est pas possible de les traiter dans leur ensemble. Les facteurs qui ont déclenché ces conflits sont multiples. Les victimes ne peuvent pas être entièrement comptabilisées.
Le sociologue colombien Orlando Fals Borda a avancé plusieurs hypothèses sur les raisons de cette violence. Certaines d'entre elles sont liées à une série de luttes régionales, d'autres à des causes structurelles telles que la pauvreté et les inégalités sociales. Une troisième hypothèse concerne les idéologies politiques en jeu. Une autre analyse s'intéresse au manque de légitimité de l'État et à l'exercice du monopole de la force [1].

Par ailleurs, de l'État colombien et son appareil militaire et paramilitaire aux groupes de paysans armés en passant par les diverses guérillas insurgées ou les groupes criminels en général, de nombreux acteurs violents ont été impliqués. Chacun d'entre eux a contribué à ces conflits.
Les origines de la violence
Le contexte actuel trouve ses racines dans les évènements connus sous le nom de « La Violencia » qui se sont produits entre 1946 et 1963. Un cap est franchi le 9 avril 1948, avec l'assassinat du dirigeant du Parti libéral Jorge Eliécer Gaitan. Cet épisode décisif pour l'histoire de la Colombie marque la naissance des groupes d'autodéfense paysans. Ces derniers vont engendrer des guérillas proches du Parti libéral qui constituaient alors la réponse armée aux groupes paramilitaires liés au Parti conservateur.
La période de violence s'est approfondie avec la barbarie vécue dans les campagnes, où la mise à mort par empalement des hommes, des femmes et des enfants est devenue chose courante. Cela a entraîné de grands déplacements des communautés paysannes qui ont été contraintes d'occuper de nouvelles terres pour leurs cultures, ce qui a déclenché diverses confrontations avec les propriétaires terriens.
Il convient de mentionner que les oligarques ont accepté de mettre fin à la guerre entre les conservateurs et les libéraux par la construction du Front national, qui était un pacte entre les deux partis pour écarter le général dictateur Gustavo Rojas Pinilla du pouvoir et « arrêter l'effusion de sang ». Cependant, le Front national a fermé les portes du pouvoir politique à certains groupes sociaux, dont les groupes paysans, les communautés autochtones et la population à gauche politiquement, en assurant l'alternance du pouvoir entre libéraux et conservateurs tous les quatre ans. Les problèmes dans les campagnes se sont poursuivis, les paysans n'ayant pas de terres à cultiver et la misère dans les villes continuant de croître. En conséquence, certaines guérillas libérales ont refusé la paix proposée par le gouvernement et ont continué d'affronter l'État.
Parallèlement à l'augmentation du déséquilibre dans la distribution des terres, la répression exercée par l'État s'est accrue. Plusieurs groupes émergent face à cette situation. En 1967, les guérillas révolutionnaires des FARC-EP [2], de l'EPL [3], et de l'ELN [4], tous d'orientation marxiste-léniniste, apparaissent. En 1970, le M-19 nait en réponse à la fraude électorale qui a profité au conservateur Misael Pastrana. D'une autre perspective, le mouvement indigène Quintín Lame nait à son tour en 1981.
De difficiles accords de paix
Bien que l'histoire de la Colombie ait été marquée par la violence, il est important de mentionner que la société civile – les communautés paysannes, les syndicats, les peuples autochtones, les femmes, les afrodescendant·es, les étudiant·es et les communautés locales – a toujours recherché la paix.
Les années 1980 ont été caractérisées par le travail de diverses communautés pour cesser les hostilités entre les différents groupes armés, y compris l'armée nationale. C'est pourquoi, en 1984, une table de négociation a été ouverte entre le gouvernement de Belisario Betancur et la guérilla des FARC-EP à Uribe-Meta. Elle avait pour but d'obtenir un cessez-le-feu bilatéral et de négocier une solution politique au conflit social et armé.
L'un des éléments les plus importants qui ont été discutés concernait la nécessité d'élargir la démocratie et de faire participer les secteurs de la société qui avaient été historiquement marginalisés par les politiques du Front national. Ainsi est né le parti La Unión Patriótica-UP. Son objectif était de consolider un accord de paix qui permettrait la participation politique de la guérilla et d'autres secteurs populaires et alternatifs.

L'UP était composée d'un grand nombre de personnes avec et sans affiliation politique. Elle comprenait des membres des FARC et du Parti communiste colombien, des syndicalistes, des organisations paysannes, communautaires et étudiantes, et même des libéraux et conservateurs ayant des positions démocratiques.
Cependant, il n'a pas fallu longtemps pour que la violence contre l'UP commence. Dès le premier instant de sa consolidation, des milliers de militant·es ont été assassiné·es, torturé·es et contraint·es de fuir le pays. Le nombre de victimes de ce génocide a été estimé à 6000 personnes. Il convient de mentionner l'assassinat de deux candidats à la présidence : Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo. L'extermination de l'Unión Patriótica signifiait la perte de son statut juridique et donc la perte de son action politique. D'ailleurs, ce n'est pas seulement l'UP qui a été victime de la répression de l'État et de son appareil paramilitaire, mais aussi d'autres coalitions comme le mouvement syndical et populaire A Luchar.
Ces massacres faisaient partie d'un plan d'extermination systématique contre le parti politique. Ils et elles ont été exécuté·es avec la participation d'agents de l'État et du secteur paramilitaire, et avec la complaisance des autorités. Dans ce contexte, les FARC-EP ont considéré qu'il n'y avait pas de conditions politiques favorables pour continuer le processus de paix et ont repris les armes.
Malgré la répression et la persécution politique, le peuple colombien n'a pas renoncé à son rêve de vivre en paix, et, en 1990, la paix a été signée avec le M-19, une partie de l'EPL, le Mouvement Quintín Lame et une faction de l'ELN. Cependant, la violence s'est fait à nouveau sentir le 8 mars de la même année lorsque le candidat présidentiel du M-19, Carlos Pizarro, a été assassiné. En 1991, la nouvelle constitution néolibérale est promulguée, laissant derrière elle de nombreux éléments démocratiques qui avaient été acquis.
Les années 1990 ont été caractérisées par une violence intense dans le pays où les oligarques ont travaillé avec les trafiquants de drogues et les paramilitaires, faisant des milliers de mort·es, de disparu·es, de torturé·es et de déplacé·es.
Malgré ce climat politique, de nombreuses organisations, partis de gauche et secteurs démocratiques ont continué à travailler pour la paix. À la fin de la décennie, une table de négociation a été créée entre le gouvernement d'Andrés Pastrana et la guérilla des FARC-EP à El Caguán. Malheureusement, elle a échoué en raison de l'aggravation du conflit et du renforcement du paramilitarisme.
Après la rupture de la table des négociations, le conflit s'est aggravé avec l'arrivée d'Álvaro Uribe et sa politique de « sécurité démocratique ». Celle-ci se concentrait prétendument sur l'élimination militaire de l'insurrection, tout en renforçant la répression contre les organisations sociales, les défenseur·euses des droits humains et les militant·es de gauche. Durant cette période sombre, 6 402 exécutions extrajudiciaires ont été dénombrées à ce jour. Le plus souvent, il s'agissait de civil·es déguisé·es en guérillero·as et tué·es par l'armée pour obtenir des prix et des promotions.
Des années plus tard, en 2012, l'UP a de nouveau été légalement autorisée à fonctionner. La même année, l'État colombien a accepté une certaine responsabilité dans le génocide. Et en novembre 2016, la guérilla des FARC et le gouvernement de Juan Manuel Santos ont signé l'Accord final pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable et durable.
Le dénouement de ce long conflit rend manifeste la nécessité de mettre fin aux violences, de distribuer plus équitablement les terres, de mettre en place un système de justice, de vérité, de réparation et de non-répétition des erreurs passées.
Un moment historique
La Colombie a une longue histoire de violence qui a laissé des blessures profondes, dont la plupart ne sont toujours pas cicatrisées. Mais en même temps, elle a une histoire de résistance et de résilience. Ses principaux acteurs et actrices ont contribué à une politique démocratique, à la mémoire historique, à l'art et à la transformation sociale. La lutte pour la paix à partir du principe moral de justice sociale a été un but décisif pour la construction de la démocratie dans le pays.
À chaque épisode de violence, les communautés ont appris à affronter les scénarios les plus douloureux. Il n'est pas possible de parler de la violence en Colombie sans parler des actions collectives qui visent toujours à construire et transmettre la mémoire collective. Les luttes historiques pour la terre, les revendications des communautés historiquement marginalisées comme les communautés autochtones, afrodescendantes, paysannes et ouvrières, la signature de l'accord de paix et le soulèvement de millions de jeunes en 2021 ont créé les conditions sociopolitiques nécessaires pour qu'une coalition des forces alternatives et de gauche arrive au pouvoir en juin 2022. C'est une première dans l'histoire de la Colombie.
Cette coalition s'est engagée à vérifier certains des besoins des populations vulnérables. Six mois après l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Gustavo Petro, ancien guérillero du M-19, une série de réformes ont été mises en place, comme la protection de l'Amazonie, la réforme agraire, la loi de paix totale, le rétablissement des relations avec le Venezuela et la reprise des négociations avec l'ELN [5].
Mais ni la paix ni la justice sociale ne viendront du gouvernement seul. Les mouvements sociaux et les partis de gauche en sont conscients et travaillent chaque jour pour éviter d'être victimes d'un nouveau conflit ou d'être instrumentalisés par les institutions.
Tant les mouvements que les partis travaillent à mettre un terme définitif à un système oppressif, extractiviste, raciste, criminel et patriarcal qui a fait de la Colombie sa véritable forteresse économique. C'est pourquoi notre slogan restera le suivant : « Ils peuvent couper une fleur, mais ils ne mettront pas fin au printemps. »
[1] Centro Nacional de Memoria Histórica, ¡Basta Ya ! Colombia : memorias de guerra y dignidad. Resumen, Bogotá, CNMH, 2013, page 13. ; German Guzman Campos, Orlando Fals Borda, Eduardo Umana Luna, La violencia en Colombia Tomo 1, Bogotá, Taurus, 2005, page 15.
[2] Forces armées révolutionnaires de la Colombie-Armée populaire.
[3] Armée populaire de libération.
[4] Armée populaire de libération nationale.
[5] INFOBAE, Colombia/ Estos son los 50 logros que destacó Gustavo Petro en sus primeros 100 días de gobierno, www.infobae.com/america/colombia/2022/11/15/estos-son-los-50-logros-que-destaco-gustavo-petro-en-sus-primeros-100-dias-de-gobierno/
Jessica Ramos et Ronald Arias sont militant·es de l'Unión Patriótica (parti politique colombien)
Photos : Unión Patriótica

Le Canada continue d’encourager l’impunité de ses entreprises

Le gouvernement canadien est passé maître dans l'art de faire semblant d'agir pour encadrer les activités de ses entreprises à l'étranger. La nouvelle loi sur le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement, adoptée en mai 2023, ne fait pas exception à la règle.
Depuis des décennies, des entreprises transnationales canadiennes – et des entreprises minières en particulier – sont la cible de nombreuses allégations de violations des droits humains et de dommages environnementaux à travers le monde : meurtres, torture, viols, travail forcé, détention arbitraire, intimidation, déplacements de populations, pollution des sources d'eau potable, etc. Les cas sont trop nombreux pour être recensés ici, mais on peut penser notamment à Barrick Gold en Papouasie–Nouvelle-Guinée, à Goldcorp Inc. au Guatemala et, dans le secteur du textile, à la tragédie de l'effondrement en 2013 du Rana Plaza au Bangladesh, où Loblaws (Joe Fresh) s'approvisionnait, notamment.
Encore aujourd'hui, de nombreuses entreprises canadiennes continuent de violer les droits humains des populations et de saccager l'environnement dont les communautés dépendent pour leur survie – tout cela afin de s'enrichir en toute impunité. Les communautés et les travailleur·euses qui subissent ces préjudices n'ont souvent pas accès à des voies de recours ou à des mesures de réparation, tandis que les défenseur·euses des droits humains et de l'environnement qui dénoncent les comportements des entreprises, souvent issu·es de communautés autochtones, sont fréquemment victimes de violences, d'intimidation, de criminalisation ou d'assassinats. Sous de beaux discours, le gouvernement canadien donne plus d'importance aux profits des compagnies canadiennes à l'étranger qu'au respect des droits humains, ce qui se reflète par exemple dans le rôle de promotion de l'industrie canadienne joué par les ambassades.
Que fait le Canada ?
Le gouvernement canadien est bien au courant des graves accusations qui pèsent contre certaines entreprises canadiennes qui opèrent à l'étranger. Des rapports indépendants publiés en 2005 et en 2007 soulignaient déjà qu'il existe un problème lié à l'impunité dont jouissent les multinationales canadiennes, notamment les minières. Ces rapports affirmaient que le gouvernement canadien devrait renoncer à son approche volontaire face à la responsabilité sociale des entreprises et qu'un poste d'ombudsman indépendant devrait être mis sur pied. L'ombudsman aurait pour mandat de donner des conseils, d'effectuer des enquêtes et de produire des rapports.
Presque 20 ans plus tard, nous attendons toujours que le Canada se dote de mécanismes efficaces et contraignants pour encadrer les activités des entreprises transnationales canadiennes et offrir un accès à la justice aux communautés affectées. D'une part, le Canada continue de compter sur la bonne volonté des entreprises – même si des années d'expérience démontrent clairement que cette approche ne fonctionne pas. D'autre part, il a mis sur pied au fil des années plusieurs mécanismes qui se sont avérés inefficaces, comme le poste de conseillère en responsabilité sociale des entreprises et le bureau de l'ombudsman canadien pour la responsabilité des entreprises. En fait, il leur manquait les éléments essentiels pour faire leur travail : une indépendance par rapport au gouvernement et des pouvoirs d'enquête pour obliger les entreprises à témoigner ou à produire des documents. En plus d'être inefficaces, ces mécanismes peuvent aussi s'avérer dangereux pour les communautés affectées, car les personnes qui portent plainte contre les entreprises risquent d'être prises pour cibles par la suite.
Des apparences trompeuses
En mai 2023, les parlementaires canadiens ont adopté le projet de loi S-211, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement. Avec un titre comme celui-là, il est bien difficile d'être contre, mais quand on y regarde de plus près, cette loi est sans substance.
Dans les faits, la loi obligera désormais certaines entreprises à publier un rapport annuel sur les mesures qu'elles ont prises, le cas échéant, pour prévenir et réduire le risque de travail forcé ou de travail des enfants dans leurs chaînes d'approvisionnement. Mais attention : elle n'obligera pas les entreprises à prendre des mesures pour contrer l'existence de travail forcé ou de travail des enfants. Elle les obligera seulement à produire un rapport disant si elles ont pris des mesures… ou non !
De plus, même si le travail forcé et le travail des enfants sont évidemment des enjeux importants, les activités des entreprises transnationales peuvent aussi violer de nombreux autres droits humains. L'approche préconisée ne tient pas compte du principe internationalement reconnu selon lequel les droits humains sont indivisibles et interdépendants.
La loi ne permettra pas non plus aux personnes lésées par les entreprises canadiennes, leurs filiales ou leurs fournisseurs, d'obtenir réparation pour les abus qu'elles ont subis, par exemple en portant plainte devant les tribunaux canadiens. En résumé, cette loi donne l'impression que le gouvernement prend des mesures concrètes en faveur des droits humains, alors que ce n'est pas le cas.
Un échec ailleurs
Certains pays, dont le Royaume-Uni et l'Australie, ont adopté des lois similaires au projet de loi S-211. Résultat ? Selon des études, elles n'ont donné lieu qu'à la publication de rapports superficiels par les entreprises et n'ont pas entraîné d'améliorations significatives des pratiques des entreprises en vue d'éliminer l'esclavage moderne. Bref, ces lois se sont avérées inefficaces et ont bloqué les progrès vers l'adoption de lois efficaces.
D'autres pays ont adopté ou sont en voie d'adopter des lois sur le devoir de diligence des entreprises en matière de droits humains et d'environnement qui visent véritablement à assurer la prévention des abus et la reddition de compte des entreprises. C'est le cas de la France, par exemple, qui a adopté en 2017 une Loi sur le devoir de vigilance. Même chose pour l'Allemagne, qui a adopté une loi obligeant les entreprises à effectuer des analyses de risques régulières, à mettre en place des mesures préventives ainsi qu'un mécanisme pour recevoir les plaintes. La Belgique, les Pays-Bas, l'Autriche et même le parlement européen étudient présentement la possibilité d'adopter des lois similaires.
Des solutions existent… ne manque que la volonté politique
Heureusement, le projet de loi S-211 n'a pas été adopté à l'unanimité au parlement canadien. C'est dire que plusieurs député·es comprennent qu'au-delà des apparences, cette loi ne permettra pas de véritablement lutter contre l'impunité des entreprises et qu'il faudra une autre loi pour y parvenir. La bonne nouvelle, c'est qu'un modèle existe déjà et qu'il pourrait être utilisé par le gouvernement. En effet, le Réseau canadien pour la reddition de compte des entreprises (RCRCE) a publié en 2021 un projet de loi modèle qui fournit aux législateur·rices une voie à suivre pour enchâsser dans le droit canadien l'obligation qui incombe aux entreprises de respecter les droits humains et l'environnement [1].
L'adoption d'un projet de loi sur le devoir de diligence et l'octroi de véritables pouvoirs d'enquête à l'ombudsman canadien sur la responsabilité des entreprises démontreraient un réel engagement de la part du Canada à prioriser les droits humains et l'environnement par rapport aux profits des entreprises. Les solutions existent. Elles sont connues. Ne manque maintenant que la volonté politique d'agir en faveur du bien commun.
[1] RCRCE, « Législation en matière de droits de la personne pour les entreprises ». En ligne : cnca-rcrce.ca/fr/campagnes/lois-dh-entreprises/
Denis Côté est analyste des politiques à l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI).Amélie Nguyen est coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO). Aidan Gilchrist-Blackwood est coordonnateur du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises (RCRCE).
Illustration : Ramon Vitesse

Entrevue : Cinéma sous les étoiles et Funambules Média

Cinéma sous les étoiles, organisé par Funambules Média, est un festival de documentaires sociaux qui se tient dans les parcs et quartiers de Montréal. Dans le cadre de leur 14e édition, Cinéma sous les étoiles propose près de 45 projections à 15 endroits à Montréal. Propos recueillis par Samuel-Élie Lesage.
À bâbord ! : En quelques mots, comment décrivez-vous Cinéma sous les étoiles ?
Hubert Sabino-Brunette : Cinéma sous les étoiles (CslE) vise à faire rayonner le documentaire social et politique en dehors des salles et à apporter ce type de film à de nouveaux auditoires. De plus, le parc, comme lieu de projection, permet des rencontres nouvelles et de diffuser dans un cadre ludique et agréable.
Romane Lamoureux-Brochu : Chaque projection est aussi suivie d'une discussion avec le réalisateur ou la réalisatrice du documentaire, sinon avec un·e expert·e du sujet abordé. Chaque documentaire offre une perspective unique et personnelle, celle du réalisateur ou de la réalisatrice, et nous désirons qu'il suscite la discussion et la réflexion, d'où le fait que le parc est un lieu idéal pour tenir ces projections.
H. S.-B. : Il s'agit aussi d'un lieu qui permet de diffuser de nouveaux talents et qui se démarque des plateformes existantes pour diffuser et soutenir la relève. Notamment, nous organisons à chaque année un concours de court-métrages. Ce concours permet de présenter le court-métrage comme une pratique artistique propre.
ÀB ! : Qu'est-ce qui motive la tenue de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Notre volonté première est de trouver des films qui ne seraient pas diffusés autrement ou qui sont difficilement accessibles au Québec. CslE s'inscrit ainsi dans un réseau avec d'autres organismes alternatifs de diffusion, comme Cinema Politica ou encore les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), qui visent à montrer ce qui se passe à l'extérieur du Québec et sous un angle nouveau. Au Québec, la diffusion du documentaire est difficile et nous cherchons à le rendre plus accessible pour différents publics.
R. L.-B. : Une autre motivation est de créer des rencontres entre les réalisateur·rices et le public, et de susciter l'intérêt pour le documentaire. Aussi, nous cherchons constamment de nouveaux partenaires pour améliorer la diffusion. Par exemple, cette année, nous avons organisé une semaine thématique portant sur l'environnement. À cela s'ajoute une collaboration avec la Biosphère pour la projection de quatre documentaires autour de la thématique de l'eau, ainsi qu'un documentaire plus familial sur la vie animalière des potagers, en collaboration avec Espace pour la vie.
ÀB ! : Hubert, tu as mentionné que la diffusion du documentaire au Québec est difficile. Pourquoi ?
H. S.-B. : Il y a de moins en moins de diffusion de documentaires dans les grandes salles de projection. Le documentaire est surtout diffusé dans quelques salles indépendantes de Montréal, mais c'est à peu près tout. La plateforme en ligne Tënk fait aussi un bon travail. Sinon, c'est très difficile pour les régions, malgré des initiatives enthousiasmantes ! CslE diffuse les documentaires québécois après leur vie en salle et s'inscrit donc en complémentarité avec les salles qui diffusent du documentaire. Si le documentaire en ligne est bien écouté, les grandes plateformes comme Netflix imposent souvent leur narratif et leur esthétique. CslE essaie donc de faire rayonner un documentaire différent, en octroyant notamment une grande place au documentaire d'auteur.
ÀB ! : Quelles orientations guident la programmation d'une édition de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Premièrement, nous visons à mettre de l'avant le plus possible des œuvres locales (environ 30-40% de la programmation), puis on cherche à équilibrer les sujets pour couvrir le plus d'enjeux possibles. On cherche de plus à choisir des films mettant en valeur des communautés distinctes des nôtres. Finalement, on cherche à programmer des films internationaux, bien que ce soit parfois plus complexe à cause des coûts élevés des droits de diffusion.
R. L.-B. : Aussi, les invité·es sont à considérer ! On cherche avant tout à inviter le ou la cinéaste, ou du moins une personne qui a participé à la réalisation du film, sinon (et surtout pour les films internationaux), des experts ou expertes sur le sujet. La discussion sur le film est tout aussi importante que la projection.
ÀB ! : Et comment les lieux de projection sont-ils choisis ?
R. L.-B. : Certains des lieux sont devenus des piliers, comme le parc Laurier, où CslE a commencé, ou les parcs Molson ou des Faubourgs. On cherche des lieux qui permettront une belle diffusion, où se réapproprier pour apprendre et discuter se prêtera bien. On cherche aussi à rejoindre des milieux nouveaux et différents publics. Finalement, il faut bien entendu trouver des endroits accessibles et assez grands pour accueillir parfois plus d'une centaine de personnes !
Une fois le lieu déterminé avec les arrondissements, on choisit le film qui y sera projeté. Après 13 ans, nous savons mieux quel parc va attirer quel public.
H. S.-B. : Nous cherchons constamment à construire et porter plus loin CslE. Un rêve a été réalisé cette année en diffusant dans le quartier chinois Big Fight in Chinatown, un documentaire sur la gentrification des différents chinatowns des villes occidentales. Ç'a été l'un des plus beaux moments de la présente édition.
R. L.-B. : La pandémie a ralenti ce volet, mais nous avons organisé par le passé des projections à l'extérieur de Montréal. C'est quelque chose que nous désirons reprendre.
ÀB ! : J'aimerais vous entendre un peu plus sur le parc et sa signification comme lieu de diffusion.
R. L.-B. : Le parc, c'est un lieu de rassemblement, familial, accessible et convivial, synonyme en quelque sorte de ce que CslE désire être. Nous rendons ludique et agréable la diffusion du documentaire social, nous créons des lieux de rassemblements et de discussion. C'est donc aussi un espace public qu'on se réapproprie pour apprendre et qu'on inscrit dans l'actualité. Alors imaginons : un documentaire peut avoir la réputation d'être barbant ou trop complexe. Mais si c'est projeté dans un parc ? Ça rend le film plus intéressant et plus surprenant aussi ! Autrement dit, le parc démocratise le documentaire.
H. S.-B. : L'été, le parc devient aussi l'extension de la maison. C'est un lieu de socialisation et de rencontre, et on veut amener la culture du documentaire là.
Et le parc est aussi un lieu d'évènements imprévisibles ! C'est aussi le parc qui vient au documentaire. Des gens promènent leurs chiens et des gens qui ne viennent pas à la projection se joignent… Le parc rend publique la diffusion.
ÀB ! : Comment travaillez-vous pour que Cinéma sous les étoiles poursuivent sa mission ? Comment s'assurer de rejoindre différentes personnes et différentes communautés ?
R. L.-B. : C'est une question qu'on se pose constamment pour chaque édition. Pour la suite, notre priorité est de sortir de Montréal pour la prochaine édition. Les régions ont également des enjeux spécifiques et il nous faut penser la programmation de films qui y seront bien reçus avec des organismes locaux.
H. S.-B. : Nous essayons de rejoindre différentes communautés en choisissant des films distincts et en projetant dans des lieux nouveaux. On veut porter divers messages et diverses œuvres à différents publics. C'est aussi la même logique qui anime la recherche de partenariat !
ÀB ! : Pour finir, pour cette quatorzième édition, y a-t-il une projection dont vous êtes fiers et fières ?
R. L.-B. : La semaine de l'environnement propose une programmation variée avec beaucoup d'angles différents, avec des discussions qu'on s'attend être riches et intéressantes.
H. S.-B. : Durant cette semaine, le film Paradis est projeté en première québécoise. Le film suit une communauté Iakoute en Sibérie combattant les feux de forêt de 2021 et abandonnée par l'État russe. Il y a une troublante correspondance entre ce film et les feux de forêt qui ont frappé le Québec cet été.
Le film d'ouverture de cette édition a été aussi un grand moment, où nous avons projeté Mon pays imaginaire du grand Patricio Guzman en première devant plus de 450 personnes, qui relate les récents manifestations sociales du Chili. Et finalement, la projection de Le mythe de la femme noire, d'Ayana O'Shun, a attiré près de 900 personnes ! C'est un record de participation !
QU'EST−CE QUE FUNAMBULES MÉDIAS ?
Funambules Médias est une une coopérative de travail fondée à Montréal en 2008 par des documentaristes actif·ves dans la production vidéo, la formation et la diffusion de cinéma documentaire. Elle réunit des cinéastes qui souhaitent soutenir la production et la diffusion de films. Elle vient aussi en aide aux organismes partageant les mêmes valeurs sociales de justice et d'inclusion. Elle offre enfin de la formation, notamment en éducation et en réalisation.
Illustration : Elisabeth Doyon
Un projet de règlement de Toronto menace le droit de manifester
CDPQ : plus de 27 milliards $ dans 76 entreprises complices de l’occupation et du génocide en Palestine

Déclaration de Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, au sujet des résultats de l’élection fédérale

Félicitations au Premier ministre Mark Carney pour sa victoire électorale hier soir. Les Canadiens et Canadiennes aux opinions politiques diverses ont livré un message clair : ils rejettent les politiques conservatrices à l'américaine de Pierre Poilievre. Ils ont choisi de défendre les valeurs qui nous définissent - des services publics solides comme les soins de santé, des emplois syndicaux stables et la conviction que les voisins prennent soin les uns des autres.
Maintenant, les Canadiens attendent de ce nouveau gouvernement qu'il agisse de toute urgence.
Les Canadiens comptent sur le Premier ministre Carney pour agir rapidement. L'heure n'est plus aux hésitations.
Nous assistons déjà à des pertes d'emplois dans tous les secteurs et un trop grand nombre de travailleuses et travailleurs sont laissés pour compte par un régime d'assurance-emploi désuet qui a besoin d'une réforme urgente. Les gens s'attendent à des investissements dans les soins de santé publics, dans le logement abordable et dans les services sur lesquels les familles comptent. Ils veulent un gouvernement qui réduira notre dépendance vis-à-vis des États-Unis, renforcera les industries nationales et créera de bons emplois syndicaux dans toutes les régions du pays, tout en respectant clairement les valeurs canadiennes.
Les coupures ne nous mèneront pas sur le chemin de la prospérité. Le moment est venu de bâtir - en investissant dans les gens et dans les systèmes publics qui les soutiennent.
Les syndicats du Canada, qui représentent plus de 3 millions de travailleurs et travailleuses, sont prêts à travailler avec le gouvernement pour réaliser de réels progrès. Nous savons qu'en travaillant ensemble, nous pouvons relever les défis de demain et bâtir une économie plus juste et plus résiliente qui fonctionne pour tous, ce qui comprend :
• Offrir des soins de santé publics, dont l'accès à un médecin ou à une infirmière praticienne pour chaque personne au Canada et élargir le régime public universel d'assurance-médicaments ;
• Réduire le coût de la vie en empêchant les entreprises de hausser excessivement les prix et en augmentant les salaires ;
• Investir dans les services publics sur lesquels les familles comptent ;
• Lutter contre la crise du logement en construisant des logements qui sont vraiment abordables ;
• Créer de bons emplois syndicaux en investissant dans les infrastructures sociales et physiques, l'énergie propre et la fabrication intérieure.
Mais soyons clairs : la menace des États-Unis n'est en aucun cas exclue. La volatilité économique, l'escalade des pressions commerciales et l'imprévisibilité croissante des marchés américains nuisent déjà aux investissements et à la confiance des entreprises ici au pays. Les industries et les travailleurs canadiens en ressentent les effets. Le Canada ne peut pas se contenter de rester les bras croisés. Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'une réponse vigoureuse et ambitieuse - à la hauteur de la situation et avec l'ampleur et la gravité qu'elle requiert.
C'est un moment critique pour le Canada. Les choix qui seront faits dans les semaines à venir façonneront notre économie, nos collectivités et notre avenir pour des générations.
Les syndicats du Canada sont prêts à agir - avec urgence et détermination et en partenariat - pour s'assurer que le gouvernement offre le pays sûr, inclusif et prospère pour lequel les Canadiens ont voté.

Sid Ryan : Cette élection a été un désastre pour le NPD et les syndicats

Le résultat de l'élection fédérale a été un désastre pour le NPD, mais aussi une catastrophe pour l'ensemble du mouvement syndical. Il y a quelque chose de profondément défaillant dans le message que les syndicats transmettent à leurs membres. En ce jour, les sonnettes d'alarme devraient résonner au Congrès du travail du Canada et dans toutes les autres fédérations syndicales du pays.
30 avril 2025 | Canadian Dimension
https://canadiandimension.com/articles/view/sid-ryan-this-election-was-a-disaster-for-the-ndp-and-unions
Comment expliquer que les conservateurs aient remporté tous les sièges dans le corridor Hamilton-Windsor — le cœur industriel du pays ?
Manifestement, soit les syndiqués n'écoutent plus du tout leurs dirigeants syndicaux, à tous les niveaux du mouvement, soit les syndicats ont perdu la capacité de communiquer efficacement avec leur propre base.
Le NPD, de son côté, a eu tort de croire qu'il suffisait de s'adresser à une poignée de leaders syndicaux pour obtenir un succès électoral. Les conservateurs leur ont damé le pion en parlant le langage des travailleurs et en allant à leur rencontre sur leurs lieux de travail. Ce virage dans la stratégie conservatrice a commencé sous Erin O'Toole, s'est poursuivi avec Doug Ford et a été amplifié par Pierre Poilievre. Le mouvement syndical et le NPD n'ont rien fait, ou presque, pour contrer cette évolution.
En pleine campagne électorale, les Conservateurs ont publié une déclaration de politique indiquant clairement leur intention de mettre fin à la formule Rand et d'introduire des lois sur le droit au travail au Canada. De manière stupéfiante, le CTC (Congrès du travail du Canada) est resté pratiquement muet face à cette menace existentielle. C'était une occasion en or pour le mouvement syndical organisé de s'impliquer directement dans l'élection, mais il a raté le coche. La seule façon pour les conservateurs de faire une razzia dans le corridor Hamilton-Windsor, c'était que des métallos, des ouvriers de l'automobile, des enseignants, des travailleurs de la construction et des employés du secteur public votent massivement pour leurs candidats. Rappelons que cela s'est produit alors que les emplois dans l'automobile et la sidérurgie étaient menacés par les tarifs imposés par Donald Trump, et au moment même où Poilievre laissait entendre qu'il sabrerait massivement dans les services publics et les postes.
En 2014, lorsque le chef conservateur Tim Hudak a proféré des menaces similaires en Ontario, la Fédération du travail de l'Ontario avait mobilisé les syndiqués à travers la province et joué un rôle majeur dans sa défaite.
Les 54 syndicats membres du CTC doivent se remettre sérieusement en question et se demander comment un parti politique de droite peut aujourd'hui exercer plus d'influence sur leurs membres qu'eux-mêmes. À l'heure actuelle, le mouvement syndical ressemble davantage à une simple agence de perception de cotisations sans idéologie politique. Il est impératif que l'organisation se ressaisisse. Elle ne peut continuer à fonctionner avec une base divisée entre le NPD, les libéraux, les conservateurs et le Bloc québécois. La voix de 3,4 millions de syndiqués et de leurs familles a honteusement été absente de cette élection.
Quant au NPD, le message est clair : soit il retourne à ses racines, celles de la Fédération du Commonwealth coopératif (FCC), et à sa raison d'être — représenter les intérêts des travailleurs et de leurs familles —, soit il plie bagage et rejoint les libéraux.
De plus, les bureaucrates centristes qui détiennent le pouvoir au sein du parti depuis deux décennies doivent être écartés et le parti reconstruit de fond en comble.
Dans les années 1960, la FCC et le CTC avaient uni leurs forces pour former un nouveau parti politique : le NPD. Les deux organisations doivent aujourd'hui retrouver cet esprit de combat pour redevenir une force politique. Sinon, elles dépériront et sombreront dans l'insignifiance et l'oubli.
Sid Ryan est l'ancien président de la Fédération du travail de l'Ontario.
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Grande manifestation pour le Jour de la Terre à Québec
Le 22 avril 2025, des centaines de manifestant-es ont entouré l'Assemblée nationale à Québec dans le cadre du Jour de la Terre. Ce rassemblement, initié par la Coalition régionale justice climatique et sociale, a été tenu pour attirer l'attention sur les défis environnementaux et sociaux et pour dénoncer l'irresponsabilité et l'inaction du gouvernement de la CAQ face à la crise climatique. Presse-toi à gauche présente ici les interventions des représentant-es de différents secteurs de la société (syndicats, organisations féministes, de jeunes, ...) . Ces interventions ont précédé la mise en place d'une chaîne humaine qui a entourné parlement pour signifier la volonté d'arrêter symboliquement un gouvernement écocidaire.
Des travailleurs de Vancouver observent le Jour de deuil sans leurs employeurs

Le Sommet de la santé et de la sécurité du travail des 15 et 16 avril 2025 : un moment clé dans une mobilisation unitaire et élargie !

Le Sommet sur la santé et la sécurité du travail 2025 s'est tenu les 15 et 16 avril au Centre des congrès de Québec, rassemblant plus de 1 500 participant.e.s issus des milieux syndicaux et communautaires, en particulier des organisations de défense de non-syndiqués. Cet événement d'envergure a été organisé conjointement par les quatre grandes centrales syndicales du Québec — la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) — en collaboration avec l'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM).
L'objectif principal du sommet était de dresser un bilan critique des récentes réformes législatives, notamment la Loi « modernisant » le régime de santé et de sécurité du travail (le Projet de loi 59, devenu la Loi 27), qui a profondément modifié la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Au-delà du bilan, il s'agissait de renforcer et élargir la mobilisation commune aux groupes de femmes, de travailleurs accidentés, de non- syndiqués et de tous les syndicats, laquelle avait permis de limiter les reculs en indemnisation et augmenter les gains en prévention, tout au long des débats sur le PL59, de sa publication à l'automne 2020 à son adoption à l'automne 2021. On se rappellera que tous les partis d'opposition ont voté contre, et que toutes les organisations syndicales et populaires s'y sont opposées.
On le sait, la supposée « modernisation » a en fait consisté à échanger des reculs pour les travailleuses et travailleurs accidentés ou malades du travail et une réduction des coûts pour les employeurs, contre certaines avancées quant aux obligations de ces derniers en matière de prévention, et des outils pour la représentation des travailleur.euse.s, en particulier les « représentant.e.s en santé et en sécurité », disposant d'heures de libération pour agir auprès et pour leurs collègues, aussi en prévention. C'est cette dernière mesure qui constitue le principal gain des travailleur.euse.s, et en particulier des femmes, largement exclues jusque là de son application comme de celle du « programme de prévention », du « programme de santé » (des obligations de l'employeur d'identifier et d'éliminer sinon de contrôler les risques de manière systématique) et du « comité de santé et de sécurité du travail ». Cet événement est unique à plusieurs égards, et certainement important pour l'ensemble des travailleur.euse.s, alors que les risques ne font que s'accentuer avec l'intensification du travail et la précarisation de l'emploi.
Unique et important d'abord parce qu'il s'agit d'un événement intersyndical et communautaire, au-delà d'une simple manifestation où chacun reste dans son contingent, et parce que les difficultés des non-syndiqués à faire usage de leurs droits y ont été discutées tant en plénière que dans des ateliers : y étaient entre autres présents des militant.e.s de l'Union des travailleurs et travailleuses accidentés ou malades (parmi les organisateurs), d'autres organismes ou associations de défense des accidentés, du Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles (RATTMAQ) et du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTTI). Les enjeux pour les travailleurs précaires et vulnérabilisés par leur statut d'emploi (travailleur.euse.s étrangers temporaires, travailleur.euse.s d'agence, etc.) ont été examinés. Ce fut l'occasion de réaffirmer la nécessité d'un soutien pour les non-syndiqués, autant pour l'exercice de leurs droits en matière d'indemnisation que de représentation en prévention.
Important aussi parce que les enjeux touchant particulièrement les femmes au travail, du fait de la nature des emplois qu'elles occupent, étaient bien visibles et largement reconnus par les participant.e.s., alors qu'ils sont en grande partie invisibilisés dans les statistiques de lésions indemnisées par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Les troubles musculosquelettiques et les lésions psychologiques sont en effet difficiles à faire reconnaître, et les accidents du travail et maladies professionnelles indemnisés par la CNESST ne représentent ainsi que la pointe de l'iceberg. La mobilisation autour du PL59 initial avait mis en évidence cette sous-estimation et mené au retrait de la répartition initiale des secteurs d'activité économique par niveaux de risque, qui reproduisait cette invisibilisation. En effet, le « niveau de risque » est le mécanisme introduit pour déterminer le nombre d'heures de libération pour les représentant.e.s des travailleur.euse.s en SST. Le gouvernement n'ayant pas voulu trancher au moment de l'adoption de la LMRSST, on s'est donc retrouvé avec un « régime intérimaire » laissant les comités réglementaires paritaires de la CNESST trancher, ce qui devait être fait avant l'automne 2024, sinon le gouvernement trancherait. On verra la suite plus bas.
Événement important également parce qu'il a été l'occasion de discuter de stratégies communes et de mobilisation. On a constaté que les quelques gains obtenus par la mobilisation unitaire et élargie, autour du PL59, dépassaient largement ce que les syndicats représentés au Conseil d'administration de la CNESST avaient pu gagner dans les débats à huis clos des comités réglementaires, ou encore au Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre. Le rôle joué par le gouvernement, comme employeur dans les secteurs de l'administration publique, de la santé et de l'éducation, a été identifié : c'est bien ce qui avait freiné, en 1985, l'application à tous les secteurs des dispositions de la LSST, dont celles qui fournissaient des outils aux travailleur.euse.s pour faire entendre leur voix. Or, c'est encore ce qui se produit aujourd'hui en 2025 : quelques jours après le Sommet, le gouvernement de la CAQ a publié le Projet de loi 101 qui, s'il est adopté tel quel, exclura de grands pans des secteurs de la santé et de l'éducation de l'application du régime permanent, les conservant à un niveau de risque faible. Or, cela ne correspond pas à l'évaluation combinant des données lésionnelles et d'enquêtes populationnelles sur l'exposition aux risques. Les sous-secteurs de la santé se trouvaient en fait, dans le projet de Règlement sur les mécanismes de prévention et de participation, au niveau de risque « élevé » (4), classement que le gouvernement veut contourner avec le PL101. En effet, par exemple, l'Enquête québécoise sur la santé de la population 2020-2021 [1] montre que les femmes du secteur de l'enseignement ou du milieu de la santé sont plus nombreuses en proportion à faire face à une charge detravail importante et à se sentir peu reconnues au travail, une combinaison associée à des problèmes de santé psychique comme physique, en plus de l'exposition grandissante à la violence.
Enfin, toute une séance plénière a été consacrée à l'action collective et à la mobilisation, dans une approche inspirée de Labor Notes, appliquée à la santé et la sécurité du travail. Si la santé ne doit pas se marchander (contre du salaire ou des emplois, par exemple), les gains passent certainement par la proximité avec les collègues et la construction d'un rapport de force collectif, parfois lors de la négociation collective (comme l'ont fait les employés des hôtels pour réduire le nombre de chambres à nettoyer par jour). Des ateliers ont d'ailleurs fourni des exemples de telles mobilisations, dans les secteurs public et privé. Comme cela a été dit au Sommet, la santé et la sécurité sont une aspiration démocratique fondamentale, et à ce titre, un vecteur de mobilisation essentiel mais encore sous-estimé. Espérons que le Sommet contribuera à lui donner l'élan unitaire si nécessaire et à faire reconnaître le rôle central que pourrait jouer l'aspiration à un travail qui ne tue pas, ne blesse pas et ne rend pas malade, à la revitalisation du syndicalisme et de l'action collective autonome des travailleur.euse.s.

L’écologie politique du pape et les appels à sortir des énergies fossiles (1, 2, 3)

Nous republions trois billets de Jean Gadrey sur l'encyclique du pape François sur les changements climatiques. Ces billets permettent de bien apprécier le position du pape François sur cet enjeu essentiel. Ce texte a d'abord été publié sur Presse-toi à gauche en 2015. Il est tiré du blog de Jean Gadrey. (PTAG)
Les mauvaises nouvelles sur l'état et sur l'avenir du climat et de « la planète » se succèdent régulièrement, mais je les ai reportées à un billet ultérieur, car autant les « grands décideurs » semblent pour l'instant d'une faiblesse coupable, complice, ou criminelle, autant les choses bougent du côté de la société civile, laquelle vient de recevoir un puissant renfort avec l'encyclique du pape François (version intégrale ici en cliquant sur l'icône)).
Dans ce billet et dans les deux suivants je présente des extraits très brièvement commentés de CET ECRIT A MON SENS HISTORIQUE, y compris pour le non croyant et militant d'une écologie sociale radicale que je suis. J'y ai en effet trouvé beaucoup d'autres motifs d'accord que ce que j'ai lu jusqu'ici dans la presse, qui en a fait une lecture trop souvent édulcorante.
Dans ce premier billet, il ne s'agira que du chapitre 1, qui contient un diagnostic sans complaisance, remarquablement clair, argumenté sur une base scientifique, mais également socialement « engagé, à la fois de l'état de délabrement de la « maison commune », des risques d'effondrement, et des responsabilités humaines, mais pas de tous les humains… Les passages en majuscules sont de moi.
PREMIERS EXTRAITS : POLLUTIONS, CLIMAT, EAU
« La terre, notre maison commune, semble se transformer toujours davantage en un immense dépotoir. »
« Le climat est un bien commun, de tous et pour tous… BEAUCOUP DE CEUX QUI DETIENNENT PLUS DE RESSOURCES ET DE POUVOIR ECONOMIQUE OU POLITIQUE SEMBLENT SURTOUT S'EVERTUER A MASQUER LES PROBLEMES ou à occulter les symptômes, en essayant seulement de réduire certains impacts négatifs du changement climatique. Mais beaucoup de symptômes indiquent que ces effets ne cesseront pas d'empirer si nous maintenons les modèles actuels de production et de consommation. (p. 10-11) ».
Il faut réduire les émissions en « remplaçant l'utilisation de combustibles fossiles et en accroissant des sources d'énergie renouvelable ». (p. 11)
Commentaire personnel : le pape ne préconise pas le nucléaire comme voie de sortie…
La question de l'eau est traitée pages 11-12. Avec en particulier ceci : « Tandis que la qualité de l'eau disponible se détériore constamment, il y a une tendance croissante, à certains endroits, à privatiser cette ressource limitée, TRANSFORMEE EN MARCHANDISE SUJETTE AUX LOIS DU MARCHE. En réalité, l'accès à l'eau potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu'il détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une condition pour l'exercice des autres droits humains. »
LA BIODIVERSITE ET LE CERCLE VICIEUX DES INTERVENTIONS SUPPOSEES REPARER LES DOMMAGES
Vient ensuite le thème de « la perte de biodiversité », dont toutes les grandes dimensions sont traitées avec précision. Extraits : « il ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement comme à d'éventuelles « ressources » exploitables, en oubliant qu'elles ont UNE VALEUR EN ELLES-MEMES ».
« Les constants désastres provoqués par l'être humain appellent une nouvelle intervention de sa part, si bien que l'activité humaine devient omniprésente, avec tous les risques que cela implique. Il se crée en général un cercle vicieux où l'intervention de l'être humain pour résoudre une difficulté, bien des fois, aggrave encore plus la situation… en regardant le monde, nous remarquons que CE NIVEAU D'INTERVENTION HUMAINE, FREQUEMMENT AU SERVICE DES FINANCES ET DU CONSUMERISME, fait que la terre où nous vivons devient en réalité moins riche et moins belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis qu'en même temps le développement de la technologie et des offres de consommation continue de progresser sans limite. Il semble ainsi que nous prétendions SUBSTITUER à une beauté, irremplaçable et irrécupérable, une autre créée par nous.
« On ne peut pas non plus ignorer les énormes intérêts économiques internationaux qui, sous prétexte de les sauvegarder, peuvent porter atteinte aux souverainetés nationales. De fait, il existe « des propositions d'internationalisation de l'Amazonie, qui servent uniquement des INTERETS ECONOMIQUES DES CORPORATIONS TRANSNATIONALES ».
INEGALITE PLANETAIRE (ECOLOGIE SOCIALE) ET DEMOGRAPHIE
« Aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu'une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit INTEGRER LA JUSTICE DANS LES DISCUSSIONS SUR L'ENVIRONNEMENT, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ».
« Accuser l'augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes. On prétend légitimer ainsi le modèle de distribution actuel où UNE MINORITE SE CROIT LE DROIT DE CONSOMMER DANS UNE PROPORTION QU'IL SERAIT IMPOSSIBLE DE GENERALISER, parce que la planète ne pourrait même pas contenir les déchets d'une telle consommation. En outre, nous savons qu'on gaspille approximativement un tiers des aliments qui sont produits, et « que lorsque l'on jette de la nourriture, c'est comme si l'on volait la nourriture à la table du pauvre ».
LA DETTE ECOLOGIQUE ET LA RESPONSABILITE DES MULTINATIONALES
Remarquable reprise ici des thèmes de la dette écologique (voir ce billet : La dette écologique du Nord vis-à-vis du Sud) et de la justice environnementale.
« Il y a, en effet, une vraie « DETTE ECOLOGIQUE », particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée aussi à l'utilisation disproportionnée des ressources naturelles, historiquement pratiquée par certains pays. Les exportations de diverses matières premières pour satisfaire les marchés du Nord industrialisé ont causé des dommages locaux, comme la pollution par le mercure dans l'exploitation de l'or ou par le dioxyde de soufre dans l'exploitation du cuivre.
Il faut spécialement tenir compte de l'utilisation de l'espace environnemental de toute la planète, quand il s'agit de stocker les déchets gazeux qui se sont accumulés durant deux siècles et ont généré une situation qui affecte actuellement tous les pays du monde. Le réchauffement causé par l'énorme consommation de certains pays riches a des répercussions sur les régions les plus pauvres de la terre, spécialement en Afrique, où l'augmentation de la température jointe à la sécheresse fait des ravages au détriment du rendement des cultures. »
Ce qui suit est un terrible réquisitoire contre les multinationales :
« À cela, s'ajoutent les dégâts causés par l'exportation vers les pays en développement des déchets solides ainsi que de liquides toxiques, et par l'activité polluante d'entreprises qui s'autorisent dans les pays moins développés ce qu'elles ne peuvent dans les pays qui leur apportent le capital : « Nous constatons que souvent les entreprises qui agissent ainsi sont des multinationales, qui font ici ce qu'on ne leur permet pas dans des pays développés ou du dénommé premier monde. Généralement, en cessant leurs activités et en se retirant, elles laissent de grands passifs humains et environnementaux tels que le chômage, des populations sans vie, l'épuisement de certaines réserves naturelles, la déforestation, l'appauvrissement de l'agriculture et de l'élevage local, des cratères, des coteaux triturés, des fleuves contaminés et quelques œuvres sociales qu'on ne peut plus maintenir »
« La terre des pauvres du Sud est riche et peu polluée, mais L'ACCES A LA PROPRIETE DES BIENS ET AUX RESSOURCES POUR SATISFAIRE LES BESOINS VITAUX LEUR EST INTERDIT PAR UN SYSTEME DE RELATIONS COMMERCIALES ET DE PROPRIETE STRUCTURELLEMENT PERVERS. Il faut que les pays développés contribuent à solder cette dette, en limitant de manière significative la consommation de l'énergie non renouvelable et en apportant des ressources aux pays qui ont le plus de besoins, pour soutenir des politiques et des programmes de développement durable »
Commentaire : il serait bon que la pape se prononce sur les APE (accords dits de « partenariat économique » entre l'Europe et l'Afrique, voir ce billet) car j'ai peu de doute sur le fait qu'il ne pourrait que les condamner sévèrement.
LA FAIBLESSE DES REACTIONS POLITIQUES
Dans les dernières citations de ce chapitre, on ne trouve pas les termes de « capitalisme financier ». Mais vous en reconnaitrez aisément les traits caractéristiques.
« La faiblesse de la réaction politique internationale est frappante. LA SOUMISSION DE LA POLITIQUE A LA TECHNOLOGIE ET AUX FINANCES se révèle dans l'échec des Sommets mondiaux sur l'environnement. Il y a trop d'intérêts particuliers, et très facilement l'intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l'information pour ne pas voir affectés ses projets. En ce sens, le Document d'Aparecida réclame que « dans les interventions sur les ressources naturelles ne prédominent pas les intérêts des groupes économiques qui ravagent déraisonnablement les sources de la vie ».
Commentaire : c'est bien pour cela qu'il faut condamner vigoureusement l'invitation faite à des multinationales « qui ravagent » l'environnement de soutenir la COP 21, et de s'en prévaloir dans leur communication, ce qui a déjà commencé. Voir ce billet : « Conférence sur le climat (COP 21) : la France déroule le tapis rouge pour les multinationales les plus polluantes ! ».
« Pendant ce temps, LES POUVOIRS ECONOMIQUES CONTINUENT DE JUSTIFIER LE SYSTEME MONDIAL ACTUEL, OU PRIMENT UNE SPECULATION ET UNE RECHERCHE DU REVENU FINANCIER QUI TENDENT A IGNORER TOUT CONTEXTE, DE MEME QUE LES EFFETS SUR LA DIGNITE HUMAINE ET SUR L'ENVIRONNEMENT ».
« Une plus grande attention est requise de la part de la politique pour prévenir et pour s'attaquer aux causes qui peuvent provoquer de nouveaux conflits. Mais C'EST LE POUVOIR LIE AUX SECTEURS FINANCIERS QUI RESISTE LE PLUS A CET EFFORT… Pourquoi veut-on préserver aujourd'hui un pouvoir qui laissera dans l'histoire le souvenir de son incapacité à intervenir quand il était urgent et nécessaire de le faire ? »
« L'espérance nous invite à reconnaître qu'il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, DES SYMPTOMES D'UN POINT DE RUPTURE SEMBLENT S'OBSERVER, à cause de la rapidité des changements et de la dégradation, qui se manifestent tant dans des catastrophes naturelles régionales que dans des crises sociales ou même financières, étant donné que les problèmes du monde ne peuvent pas être analysés ni s'expliquer de façon isolée.
Certaines régions sont déjà particulièrement en danger et, indépendamment de toute prévision catastrophiste, IL EST CERTAIN QUE L'ACTUEL SYSTEME MONDIAL EST INSOUTENABLE DE DIVERS POINTS DE VUE, PARCE QUE NOUS AVONS CESSE DE PENSER AUX FINS DE L'ACTION HUMAINE ».
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L'écologie politique du pape et les appels à sortir des énergies fossiles (2)
Je poursuis dans la sélection de passages à mon sens particulièrement importants, souvent percutants, de cette encyclique historique. Les intertitres sont de moi. Petite histoire : selon Fox News, chaîne ultraconservatrice, ce pape est « l'homme le plus dangereux de la planète ». Un « sacré » compliment !
CHAPITRE 2 : EXTRAITS, SUR LES DROITS FONDAMENTAUX, LA PROPRIETE PRIVEE ET LES BIENS COMMUNS
« Quand on propose une vision de la nature uniquement comme objet de profit et d'intérêt, cela a aussi de sérieuses conséquences sur la société… Toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés. LE PRINCIPE DE SUBORDINATION DE LA PROPRIETE PRIVEE A LA DESTINATION UNIVERSELLE DES BIENS et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une « règle d'or » du comportement social, et « le premier principe de tout l'ordre éthico-social ».
« Tout paysan a le droit naturel de posséder un lot de terre raisonnable, où il puisse établir sa demeure, travailler pour la subsistance de sa famille et avoir la sécurité de l'existence. Ce droit doit être garanti pour que son exercice ne soit pas illusoire mais réel. Cela signifie que, en plus du titre de propriété, le paysan doit compter sur les moyens d'éducation technique, sur des crédits, des assurances et la commercialisation ».
« L'environnement est un bien collectif, patrimoine de toute l'humanité, sous la responsabilité de tous… Les évêques de Nouvelle Zélande se sont demandés ce que le commandement « tu ne tueras pas » signifie quand « vingt pour cent de la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu'ils volent aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre »
CHAPITRE 3 : EXTRAITS SUR LA TECHNOSCIENCE, LE PRODUCTIVISME, LA CROISSANCE ILLIMITEE ET LA CULTURE ECOLOGIQUE
« La technoscience, bien orientée, non seulement peut produire des choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de l'être humain, depuis les objets usuels pour la maison jusqu'aux grands moyens de transport, ponts, édifices, lieux publics, mais encore est capable de produire du beau et de « projeter » dans le domaine de la beauté l'être humain immergé dans le monde matériel ».
Mais nous ne pouvons pas ignorer que l'énergie nucléaire, la biotechnologie, l'informatique, la connaissance de notre propre ADN et d'autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un terrible pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d'en faire usage, UNE EMPRISE IMPRESSIONNANTE SUR L'ENSEMBLE DE L'HUMANITE et sur le monde entier.
L'intervention humaine sur la nature s'est toujours vérifiée, mais longtemps elle a eu comme caractéristique d'accompagner, de se plier aux possibilités qu'offrent les choses elles-mêmes… Maintenant, en revanche, ce qui intéresse c'est d'extraire tout ce qui est possible des choses par l'imposition de la main de l'être humain, qui tend à ignorer ou à oublier la réalité même de ce qu'il a devant lui… DE LA, ON EN VIENT FACILEMENT A L'IDEE D'UNE CROISSANCE INFINIE OU ILLIMITEE, qui a enthousiasmé beaucoup d'économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la « presser » jusqu'aux limites et même au-delà des limites.
De fait, la technique a un penchant pour chercher à tout englober dans sa logique de fer, et l'homme qui possède la technique « sait que, en dernière analyse, CE QUI EST EN JEU DANS LA TECHNIQUE, CE N'EST NI L'UTILITE, NI LE BIEN-ETRE, MAIS LA DOMINATION : une domination au sens le plus extrême de ce terme ».
« … Le marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral ni l'inclusion sociale. En attendant, nous avons un « surdéveloppement, où consommation et gaspillage vont de pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec des situations permanentes de misère déshumanisante ».
« LA CULTURE ECOLOGIQUE ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d'apparaître par rapport à la dégradation de l'environnement, à l'épuisement des réserves naturelles et à la pollution. Elle DEVRAIT ETRE UN REGARD DIFFERENT, UNE PENSEE, UNE POLITIQUE, UN PROGRAMME EDUCATIF, UN STYLE DE VIE ET UNE SPIRITUALITE QUI CONSTITUERAIENT UNE RESISTANCE FACE A L'AVANCEE DU PARADIGME TECHNOCRATIQUE… Chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit, c'est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c'est se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial. »
« LA LIBERATION PAR RAPPORT AU PARADIGME TECHNOCRATIQUE REGNANT a lieu, de fait, en certaines occasions, par exemple, quand des communautés de petits producteurs optent pour des systèmes de production moins polluants, en soutenant un mode de vie, de bonheur et de cohabitation non consumériste ; ou bien quand la technique est orientée prioritairement pour résoudre les problèmes concrets des autres, avec la passion de les aider à vivre avec plus de dignité et moins de souffrances ».
Remarque (Jean Gadrey) : pour être honnête, je vous livre aussi cette citation qui ne peut susciter de ma part le même enthousiasme que la quasi totalité de l'encyclique :
« Puisque tout est lié, la défense de la nature n'est pas compatible non plus avec la justification de l'avortement ».
LA NECESSITE DE PRESERVER LE TRAVAIL ET LA PETITE PAYSANNERIE
« Dans n'importe quelle approche d'une écologie intégrale qui n'exclue pas l'être humain, il est indispensable d'incorporer la valeur du travail… dans la réalité sociale mondiale actuelle, au-delà des intérêts limités des entreprises et d'une rationalité économique discutable, il est nécessaire que « l'on continue à se donner comme objectif prioritaire L'ACCES AU TRAVAIL… POUR TOUS ».
« Les économies d'échelle, spécialement dans le secteur agricole, finissent par forcer les petits agriculteurs à vendre leurs terres ou à abandonner leurs cultures traditionnelles… Les autorités ont le droit et la responsabilité de prendre des mesures de soutien clair et ferme aux petits producteurs et à la variété de la production. Pour qu'il y ait une liberté économique dont tous puissent effectivement bénéficier, il peut parfois être nécessaire de mettre des limites à ceux qui ont plus de moyens et de pouvoir financier ».
LA CRITIQUE DES OGM
« Il est difficile d'émettre un jugement général sur les développements de transgéniques (OMG), végétaux ou animaux, à des fins médicales ou agropastorales…
Même en l'absence de preuves irréfutables du préjudice que pourraient causer les céréales transgéniques aux êtres humains, et même si, dans certaines régions, leur utilisation est à l'origine d'une croissance économique qui a aidé à résoudre des problèmes, il y a des difficultés importantes qui ne doivent pas être relativisées. En de nombreux endroits, suite à l'introduction de ces cultures, on constate une concentration des terres productives entre les mains d'un petit nombre, due à « la disparition progressive des petits producteurs, qui, en conséquence de la perte de terres exploitables, se sont vus obligés de se retirer de la production directe ». Les plus fragiles deviennent des travailleurs précaires, et beaucoup d'employés ruraux finissent par migrer dans de misérables implantations urbaines. L'EXTENSION DE LA SURFACE DE CES CULTURES DETRUIT LE RESEAU COMPLEXE DES ECOSYSTEMES, diminue la diversité productive, et compromet le présent ainsi que l'avenir des économies régionales. Dans plusieurs pays, on perçoit une tendance au développement des oligopoles dans la production de grains et d'autres produits nécessaires à leur culture, et la dépendance s'aggrave encore avec la production de grains stériles qui finirait par obliger les paysans à en acheter aux entreprises productrices ».
CHAPITRE 4 : UNE ECOLOGIE INTEGRALE « QUI A CLAIREMENT DES DIMENSIONS HUMAINES ET SOCIALES »
« Il est fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n'y a pas deux crises séparées, l'une environnementale et l'autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale ».
« Il y a, avec le patrimoine naturel, un patrimoine historique, artistique et culturel, également menacé. Il fait partie de l'identité commune d'un lieu ».
« Il est indispensable d'accorder une attention spéciale aux COMMUNAUTES ABORIGENES et à leurs traditions culturelles. Elles ne constituent pas une simple minorité parmi d'autres, mais elles doivent devenir les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu'on développe les grands projets qui affectent leurs espaces. En effet, la terre n'est pas pour ces communautés un bien économique, mais un don de Dieu et des ancêtres qui y reposent, un espace sacré avec lequel elles ont besoin d'interagir pour soutenir leur identité et leurs valeurs. Quand elles restent sur leurs territoires, ce sont précisément elles qui les préservent le mieux. Cependant, en diverses parties du monde, elles font l'objet de pressions pour abandonner leurs terres afin de les laisser libres pour des projets d'extraction ainsi que pour des projets agricoles et de la pêche, qui ne prêtent pas attention à la dégradation de la nature et de la culture ».
L'écologie politique du pape et les appels à sortir des énergies fossiles (3)
Ce troisième billet de la série est consacré aux deux derniers chapitres (5 et 6) de l'encyclique. Je rappelle que les intertitres sont de moi, mais pour le reste, je ne vois pas de différence notable, sur le fond, entre les citations de ce billet et les analyses d'Attac, des Amis de la Terre, du CCFD, des objecteurs de croissance, ou celles que je propose régulièrement sur ce blog ou encore dans mon livre récent (avec Aurore Lalucq) « Faut-il donner un prix à la nature ? » !
Le chapitre 5 propose « quelques lignes d'orientation ». Extraits :
« Pour affronter les problèmes de fond qui ne peuvent pas être résolus par les actions de pays isolés, un consensus mondial devient indispensable ».
« Nous savons que la technologie reposant sur les combustibles fossiles très polluants – surtout le charbon, mais aussi le pétrole et, dans une moindre mesure, le gaz – a besoin d'être remplacée, progressivement et sans retard ».
« La Conférence des Nations unies sur le développement durable, dénommée Rio + 20, a émis UN LONG ET INEFFICACE DOCUMENT FINAL. Les négociations internationales ne peuvent pas avancer de manière significative en raison de la position des pays qui mettent leurs intérêts nationaux au-dessus du bien commun général ».
« Il reste vrai qu'il y a des RESPONSABILITES COMMUNES MAIS DIFFERENCIEES, simplement parce que… les pays qui ont bénéficié d'un degré élevé d'industrialisation, au prix d'une énorme émission de gaz à effet de serre, ont une plus grande responsabilité dans l'apport de la solution aux problèmes qu'ils ont causés ».
DESOLE POUR JEAN TIROLE, MAIS LES MARCHES DE DROITS A POLLUER NE SONT NI JUSTES NI A LA HAUTEUR
« La stratégie d'achat et de vente de « crédits de carbone » peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait pas à réduire l'émission globale des gaz polluants. Ce système semble être une solution rapide et facile, sous l'apparence d'un certain engagement pour l'environnement, mais qui n'implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur des circonstances. Au contraire, il peut devenir un expédient qui permet de soutenir la surconsommation de certains pays et secteurs ».
« Les pays pauvres doivent avoir comme priorité l'éradication de la misère et le développement social de leurs habitants, bien qu'ils doivent analyser le niveau de consommation scandaleux de certains secteurs privilégiés de leur population et contrôler la corruption. Il est vrai aussi qu'ils doivent développer des formes moins polluantes de production d'énergie, mais pour cela ILS DOIVENT POUVOIR COMPTER SUR L'AIDE DES PAYS QUI ONT CONNU UNE FORTE CROISSANCE AU PRIX DE LA POLLUTION ACTUELLE DE LA PLANETE.
Le XXIe siècle… est le théâtre d'un affaiblissement du pouvoir des États nationaux, surtout parce que LA DIMENSION ECONOMIQUE ET FINANCIERE, DE CARACTERE TRANSNATIONAL, TEND A PREDOMINER SUR LA POLITIQUE. Dans ce contexte, la maturation d'institutions internationales devient indispensable, qui doivent être plus fortes et efficacement organisées, avec des autorités désignées équitablement par accord entre les gouvernements nationaux, ET DOTEES DE POUVOIR POUR SANCTIONNER ».
POLITIQUES NATIONALES ET LOCALES, SOCIETE CIVILE ET DEMOCRATIE
« Face à la possibilité d'une utilisation irresponsable des capacités humaines, PLANIFIER, COORDONNER, VEILLER, ET SANCTIONNER sont des fonctions impératives de chaque État ».
« En certains lieux, se développent des coopératives pour l'exploitation d'énergies renouvelables, qui permettent l'autosuffisance locale, et même la vente des excédents. Ce simple exemple montre que L'INSTANCE LOCALE PEUT FAIRE LA DIFFERENCE alors que l'ordre mondial existant se révèle incapable de prendre ses responsabilités. En effet, on peut à ce niveau susciter une plus grande responsabilité, un fort sentiment communautaire, une capacité spéciale de protection et une créativité plus généreuse, un amour profond pour sa terre ; là aussi, on pense à ce qu'on laisse aux enfants et aux petits-enfants ».
« La société, à travers des organismes non gouvernementaux et des associations intermédiaires, doit obliger les gouvernements à développer des normes, des procédures et des contrôles plus rigoureux. SI LES CITOYENS NE CONTROLENT PAS LE POUVOIR POLITIQUE – national, régional et municipal – un contrôle des dommages sur l'environnement n'est pas possible non plus ».
« Il faut cesser de penser en termes d'« interventions » sur l'environnement, pour élaborer des politiques conçues et discutées par toutes les parties intéressées ».
L'ECONOMIE, LA FINANCE, LE MARCHE ET L'ECOLOGIE
« La politique ne doit pas se soumettre à l'économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d'efficacité de la technocratie… Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme UNE EMPRISE ABSOLUE DES FINANCES QUI N'A PAS D'AVENIR ET QUI POURRA SEULEMENT GENERER DE NOUVELLES CRISES après une longue, coûteuse et apparente guérison. La crise financière de 2007-2008 était une occasion pour le développement d'une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle régulation de l'activité financière spéculative et de la richesse fictive. Mais il n'y a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser les critères obsolètes qui continuent à régir le monde ».
« Dans ce contexte, il faut toujours se rappeler que « LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT NE PEUT PAS ETRE ASSUREE UNIQUEMENT EN FONCTION DU CALCUL FINANCIER DES COUTS ET DES BENEFICES. L'environnement fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate ». Une fois de plus, il faut éviter une conception magique du marché qui fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l'accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus. Est-il réaliste d'espérer que celui qui a l'obsession du bénéfice maximum s'attarde à penser aux effets environnementaux qu'il laissera aux prochaines générations ? »
« De plus, quand on parle de biodiversité, on la conçoit au mieux comme une réserve de ressources économiques qui pourrait être exploitée, mais ON NE PREND PAS EN COMPTE SERIEUSEMENT, ENTRE AUTRES, LA VALEUR REELLE DES CHOSES, leur signification pour les personnes et les cultures, les intérêts et les nécessités des pauvres ».
UNE « CERTAINE DECROISSANCE » POUR LES PAYS RICHES
« De toute manière, si dans certains cas le développement durable entraînera de nouvelles formes de croissance, dans d'autres cas, face à l'accroissement vorace et irresponsable produit durant de nombreuses décennies, IL FAUDRA PENSER AUSSI A MARQUER UNE PAUSE EN METTANT CERTAINES LIMITES RAISONNABLES, VOIRE A RETOURNER EN ARRIERE AVANT QU'IL NE SOIT TROP TARD. Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n'est pas soutenable, tandis que d'autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine.
C'est pourquoi L'HEURE EST VENUE D'ACCEPTER UNE CERTAINE DECROISSANCE DANS QUELQUES PARTIES DU MONDE, METTANT A DISPOSITION DES RESSOURCES POUR UNE SAINE CROISSANCE EN D'AUTRES PARTIES ».
LA CROISSANCE DURABLE COMME TROMPERIE TECHNOCRATIQUE
« Il s'agit simplement de redéfinir le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès. D'autre part, la qualité réelle de vie des personnes diminue souvent – à cause de la détérioration de l'environnement, de la mauvaise qualité des produits alimentaires eux-mêmes ou de l'épuisement de certaines ressources – dans un contexte de croissance économique. Dans ce cadre, le discours de LA CROISSANCE DURABLE DEVIENT SOUVENT UN MOYEN DE DISTRACTION et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie ; LA RESPONSABILITE SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE DES ENTREPRISES SE REDUIT D'ORDINAIRE A UNE SERIE D'ACTIONS DE MARKETING ET D'IMAGE.
QUAND LA QUETE DU PROFIT FAIT DES DEGATS NON PAYES PAR LES ENTREPRISES
« Le principe de la maximisation du gain… est une distorsion conceptuelle de l'économie : si la production augmente, il importe peu que cela se fasse au prix des ressources futures ou de la santé de l'environnement ; si l'exploitation d'une forêt fait augmenter la production, personne ne mesure dans ce calcul la perte qu'implique la désertification du territoire, le dommage causé à la biodiversité ou l'augmentation de la pollution. Cela veut dire que les entreprises obtiennent des profits en calculant et en payant une part infime des coûts ».
Je vais m'en tenir là dans cette sélection de citations qui a pu vous sembler longue mais qui m'a demandé en réalité un effort de réduction tant on trouve du grain à moudre dans ce texte. J'ai laissé de côté les messages religieux, nombreux, documentés, mais qui ne sont pas de mon ressort. Je ne doute pas qu'ils parleront aux croyants, ajoutant peut-être de la force politique aux messages, analyses et propositions du pape.
Je consacrerai le prochain billet, au-delà de cette encyclique, mais en accord avec elle, aux mouvements citoyens appelant à sortir des énergies fossiles. Tel pourrait bien être l'axe principal, même s'il n'est pas le seul, des mobilisations pour le climat en 2015 et sans doute ensuite.
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