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Malgré les interdits talibans, l’inextinguible désir d’école des filles afghanes
Quatre ans après le retour des talibans au pouvoir, les habitants du pays sont quasiment unanimes. De Kaboul à Hérat, en passant par les vallées reculées du Badakhchan, tous réclament, à contre-courant des pouvoirs publics, le retour de la scolarisation des filles.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Alors que, partout dans le monde, la plupart des filles en âge d'être scolarisées s'apprêtent à reprendre le chemin de l'école, en Afghanistan, c'est une tout autre date qui marque leur calendrier : quatre ans d'interdiction d'enseignement secondaire par les talibans.
Mais selon une enquête nationale publiée vendredi par ONU Femmes, 92% des Afghans jugent « important » que les adolescentes poursuivent leur scolarité secondaire – un soutien massif qui transcende les clivages géographiques, de genre et d'origine sociale.
Dans les campagnes, l'agence onusienne militant pour l'égalité des sexes révèle que 87% des hommes et 95% des femmes défendent ce droit. En ville, la proportion atteint 95% pour les deux sexes. Un plébiscite silencieux, qui contraste avec l'interdiction toujours imposée par les autorités de facto aux filles en âge de se rendre au collège et au lycée de poursuivre leur éducation.
Selon les données récentes del'UNESCO, l'agence onusienne chargée de la défense de l'éducation, elles sont aujourd'hui près de 2,2 millions à être privées d'enseignement secondaire et supérieur, en raison de plus de 70 décrets talibans bafouant leur droit à l'éducation.
« C'est presque toujours la première chose que nous disent les filles : elles brûlent d'apprendre et réclament simplement une chance d'aller à l'école », confie Susan Ferguson, représentante spéciale d'ONU Femmes en Afghanistan. « Les familles expriment aussi le souhait que leurs filles puissent réaliser ce rêve. Elles savent que l'alphabétisation et l'éducation peuvent transformer le destin d'une enfant, dans un pays où la moitié de la population vit dans la pauvreté ».
Un quotidien de plus en plus contraint
L'enquête nationale menée par ONU Femmes, auprès de plus de 2 000 Afghans met aussi en lumière l'effet corrosif des restrictions accumulées. Dans les régions où l'interdiction pour les femmes de travailler pour des ONG est appliquée, 97% d'entre elles disent en subir directement les conséquences dans leur vie quotidienne. Plus de la moitié des organisations humanitaires affirment ne plus pouvoir atteindre les bénéficiaires féminines avec des services pourtant vitaux.
Mené en coopération avec la mission politique de l'ONU en Afghanistan (MANUA) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'enquête d'ONU Femmes dessine un paysage d'isolement et d'effacement. Trois quarts des Afghanes déclarent n'avoir aucune influence sur les décisions de leur communauté et la moitié n'en ont pas davantage au sein de leur famille élargie. Seules 41% sortent de chez elles chaque jour, contre 88% des hommes.
Entre désespoir et persistance
La charge mentale est écrasante : près des trois quarts des femmes, toutes régions confondues, décrivent leur santé psychologique comme « mauvaise » ou « très mauvaise ». Et pourtant, malgré la fermeture de l ;espace public, 40% continuent de croire qu'un avenir plus égalitaire reste envisageable.
Cette obstination, conjuguée au soutien quasi unanime de la population pour l'éducation des filles, révèle un fossé grandissant entre la société afghane et ses dirigeants. Tandis que le régime verrouille l'espace des femmes, les familles persistent à rêver d'un tableau noir, d'un cahier ouvert, d'une vie différente pour leurs filles.
https://news.un.org/fr/story/2025/08/1157375
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Afghanistan : le combat de l’ombre des femmes sous le joug taliban
Elles ont été effacées des écoles, des parcs, des tribunaux, des bureaux, des écrans. Mais elles n'ont pas disparu. Depuis que les talibans ont repris les rênes du pouvoir en août 2021, les femmes afghanes luttent pour exister dans un pays qui orchestre savamment leur disparition de l'espace public.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/07/15/afghanistan-le-combat-de-lombre-des-femmes-sous-le-joug-taliban/?jetpack_skip_subscription_popup
En peu de temps, ce qui avait mis deux décennies à se construire a été démantelé : le droit à l'éducation, à l'emploi, à la liberté de mouvement. Pourtant, dans les interstices du régime taliban qui les bâillonne, certaines Afghanes résistent encore. C'est le cas d'Athar, Mehrgan ou encore Lina, qui luttent pour créer leur entreprise, gérer une association ou travailler comme journaliste.
À l'occasion du quinzième anniversaire d'ONU Femmes, l'agence, basée à New York, est allée à la rencontre de celles qui, contre toute logique, refusent de renoncer à leur avenir en Afghanistan.
« Parfois, je me demande comment garder espoir dans ces ténèbres », murmure Fariba, qui venait tout juste de commencer ses études lorsque les femmes ont été interdites de se rendre à l'université. Tout comme les autres Afghanes interrogées dans cet article, son nom a été modifié par souci de sécurité. « Mais je reste optimiste », confie-t-elle. « L'obscurité finira par se dissiper ».
Une terre de non-droit
Selon l'indice de genre pour l'Afghanistan 2024, le pays accuse un retard qualifié de « catastrophique » en matière d'égalité. Près de 80% des jeunes femmes sont sans emploi, sans formation, sans école. Aucune ne siège au gouvernement ni dans les instances locales.
Depuis 2021, plus de 80 décrets, édits et interdictions ont méthodiquement démantelé ce qu'il restait des droits féminins : fin de l'enseignement secondaire, des carrières professionnelles, de l'accès aux parcs, aux salles de sport, aux lieux de loisirs. Une vie faite de murs et de silence.
Pourtant, dans cette longue nuit, des voix s'élèvent encore. Celle d'Athar, par exemple, qui rêvait de devenir ingénieure et qui est parvenue à monter une boutique en ligne. « Il y a toujours une issue aux difficultés », affirme-t-elle.
Une solidarité persistante
Depuis quinze ans, ONU Femmes accompagne les Afghanes sans relâche. Présente sur le terrain, l'agence reste aujourd'hui l'un des rares piliers internationaux encore debout à leurs côtés.
« Il ne s'agit pas seulement des droits – et de l'avenir – des femmes et des filles afghanes », déclare Susan Ferguson, une employée d'ONU Femmes. « C'est une question de principes universels. Si nous laissons les femmes d'Afghanistan réduites au silence, nous envoyons le message que les droits des femmes dans le monde entier peuvent être sacrifiés ».
Cet engagement ne faiblit pas. En 2024, plus de 200 organisations dirigées par des femmes ont été soutenues par l'agence. Le programme Reconstruire le mouvement des femmes, financé par plusieurs gouvernements européens, agit dans les 34 provinces afghanes. Il a permis à 140 structures locales de survivre, de rouvrir leurs portes, d'accueillir, de former, de créer des espaces sûrs et solidaires. Plus de 16 000 femmes en ont déjà bénéficié.
À Kunduz, Mehrgan dirige l'une de ces organisations. Faute de moyens, elle avait dû suspendre ses activités. Grâce à ONU Femmes, elle a relancé son action, aidant désormais d'autres collectifs à faire de même. « Je continuerai à être solide, en tant que femme, pour en soutenir d'autres », affirme-t-elle. « J'écoute leurs histoires. Cela leur donne de l'espoir. Et moi aussi, cela me renforce ».
À la frontière, une écoute féminine
Depuis septembre 2023, plus d'un million d'Afghans sont rentrés chez eux, après avoir trouvé refuge au Pakistan. Parmi eux, de nombreuses femmes et filles, épuisées, inquiètes, souvent seules.
À leur arrivée, parler de leurs besoins devient un défi, surtout face à des hommes. Pour y répondre, ONU Femmes a mis en place des guichets réservés aux femmes, tenus par des travailleuses humanitaires et des ONG locales. Ces espaces de parole sécurisés leur offrent réconfort, informations et orientation vers les services de base.
« Beaucoup racontent les circonstances bouleversantes de leur expulsion », confie l'une de ces travailleuses. « Nous les rassurons… Nous sommes comme vous. Voici les aides auxquelles vous pouvez accéder ».
Redonner une voix au silence
Depuis 2022, ONU Femmes organise, chaque trimestre, des consultations dans les 34 provinces. Dans un pays où les femmes sont exclues de la vie publique, ces réunions sont essentielles. Des milliers d'entre elles, même dans les régions les plus isolées, ont ainsi pu faire entendre leur voix. Leurs témoignages orientent les actions de terrain et alimentent les débats au Conseil de sécurité de l'ONU et dans la presse internationale.
Une lumière ténue, mais vivace
Chaque formation, chaque emploi, chaque service soutenu est une flamme qui tient dans la tempête. Le retour des femmes sur la scène publique n'est pas une hypothèse lointaine : c'est une promesse qu'elles s'échinent à préserver.
« Les couleurs de l'arc-en-ciel se sont éteintes dans ma vie », souffle Anita. « Mais à mes sœurs, je dis : n'abandonnez jamais… Les obstacles ne doivent pas nous arrêter ».
Et Lina, ancienne journaliste, de conclure : « Les femmes veulent avoir le droit de décider, pas seulement chez elles, mais aussi au gouvernement et ailleurs. Elles veulent une éducation. Elles veulent leurs droits ».
Elles n'ont pas disparu. Elles attendent. Elles s'organisent. Et, un jour, elles reprendront leur place au cœur de l'histoire afghane.
https://news.un.org/fr/story/2025/07/1156956
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Mères colombiennes : un courage indomptable contre le recrutement forcé de jeunes mineur.es à la guerre !
Dans le sud-ouest de la Colombie, où la jungle dissimule des noms et la guerre déchire des enfances, un groupe de personnes courageuses, principalement des femmes, refuse de baisser les bras pour contrer le recrutement forcé de jeunes mineur.es pour la guerre.
Tiré de l'infolettre du Journal des Alternatives
Par Isabel Cortés -26 juillet 2025
Solanyi Guejia, autochtone Nasa, et Emilse Jiménez de la communauté afrodescendante, dirigent la Garde interculturelle humanitaire et le Mouvement national des mères et femmes pour la paix, qui ont sauvé depuis janvier neuf jeunes mineur.es des griffes de groupes armés dans le Cauca, épicentre actuel de cette tragédie. Elles ont obtenu quatre mesures de protection de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) pour protéger les filles et garçons victimes de recrutement forcé.
Ce mouvement reflète la douleur et la détermination de directions autochtones, afrodescendantes et paysannes qui recherchent leurs proches avec un courage défiant menaces et violence. Cet article veut rendre hommage à leur résistance et dénoncer un crime qui continue de déchirer la Colombie.
La Garde interculturelle : une résistance diverse et unie
La Garde interculturelle humanitaire, fondée en décembre 2024, est la première initiative en Colombie à réunir des communautés autochtones, afrodescendantes et paysannes pour combattre le recrutement forcé. Sous la direction de Solanyi Guejia, du resguardo Nasa de Yumbo, ce réseau opère sans siège fixe, se coordonnant virtuellement pour localiser des jeunes capté.es par des groupes tels que les dissidences des FARC et l'État-major central (EMC). En 2025, ils ont documenté plus de 200 cas dans le Cauca et réussi à libérer neuf personnes mineures, incluant une jeune fille de 14 ans, sur le point d'être transférée aux Llanos del Meta.
Guejia, qui porte l'écusson de la Garde sur son foulard, affirme : « Nous nous sommes unis parce que seulement en communauté pouvons-nous pénétrer dans des territoires interdits et retrouver nos enfants, filles et jeunes. » La Garde cartographie la présence de groupes armés, partage des informations entre les communautés et plaide pour la libération des mineurs.
Leur travail fait face à une tactique cruelle des groupes armés : ceux-ci font signer des « contrats » sous contrainte, présentés comme des accords volontaires pour contourner le Droit international humanitaire qui interdit la participation de personnes de moins de 18 ans dans les conflits armés.
La douleur des familles : des histoires de perte
Emilse Jiménez, responsable de la Garde Cimarrona de Buenos Aires, Cauca, porte le poids d'une tragédie personnelle. Son neveu, Derian David Carabalí, a été recruté à 17 ans par les dissidences en septembre 2022. « Il n'apparaît ni vivant ni mort, » partage Lucila Carabalí, mère de Derian. Ces histoires de perte reflètent la souffrance de nombreuses familles confrontées à l'incertitude et à la violence.
Un crime en augmentation : les chiffres de l'horreur
Le recrutement forcé en Colombie a pris des proportions alarmantes. Selon le Défenseur du peuple, 55 cas ont été enregistrés entre janvier et juin 2025, bien que des organisations comme Coalico rapportent 60 cas et la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), 140 entre janvier et avril. Les responsables communautaires, toutefois, documentent plus de 200 plaintes dans le Cauca, où le conflit armé et l'exclusion sociale transforment les jeunes en cibles faciles. Un rapport de l'ONU (2024) a vérifié 450 cas de recrutement à l'échelle nationale, une hausse de 60 % par rapport à 2023, les enfants autochtones et afrodescendants étant les principales victimes.
Les groupes armés, comme l'État-major central EMC, l'Armée de libération nationale (ELN) et le Clan du Golfe, emploient des tactiques de plus en plus sophistiquées, incluant des promesses d'argent, de biens ou une manipulation via les réseaux sociaux pour attirer des jeunes. Selon l'UNICEF, ces promesses sont des leurres qui emprisonnent enfants, filles et jeunes dans un cycle de violence, d'exploitation et de mort.
Les chiffres d'expansion, comme l'augmentation de 84 % de la présence du Clan du Golfe entre 2019 et 2024, témoignent d'un renforcement de ces groupes au milieu de la faiblesse étatique et de la fragmentation des processus de paix. La perception que ces groupes « tiennent la Colombie en échec » souligne l'urgence d'aborder leurs activités criminelles ainsi que les conditions sociales qui leur permettent de prospérer.
La crise de l'exploitation sexuelle des filles recrutées
Au cœur de ce problème réside une tragédie silencieuse. Le recrutement forcé des filles en Colombie ne se limite pas à leur dépossession de liberté, il les plonge dans un cycle de violence sexuelle laissant des cicatrices indélébiles.
Des filles, certaines de seulement 10 ou 11 ans, sont recrutées par des groupes armés et soumises à de l'exploitation sexuelle, selon un rapport dévastateur de la Coalition contre l'engagement d'enfants, de filles et de jeunes dans le conflit armé en Colombie (Coalico). Publié en juillet 2025, ce rapport expose comment elles affrontent non seulement la perte de leur enfance, mais aussi une manipulation émotionnelle et des violences sexuelles utilisées comme outils de contrôle.
Hilda Molano, membre de Coalico, met en garde que ces filles sont choisies selon la logique « plus elles sont jeunes, mieux c'est », les intégrant dans des stratégies de violence sexuelle qui perpétuent des cycles de traumatisme et de nouveaux recrutements. L'absence de présence étatique et la crainte de représailles aggravent le sous-enregistrement, réduisant au silence victimes et familles.
La Juridiction spéciale pour la paix (JEP), dans son dossier sur le recrutement et l'utilisation de jeunes mineur.es, a documenté que la violence sexuelle contre les filles n'est pas un fait isolé, mais une pratique systématique dans le conflit armé colombien. En 2025, la JEP poursuit la collecte de témoignages qui contredisent les affirmations d'anciens membres des FARC niant des schèmes de violence sexuelle, soulignant la nécessité de vérité et de justice pour les victimes.
La lutte pour l'espoir
Le Mouvement national des mères et femmes pour la paix, aux côtés de la Garde interculturelle, ne se contente pas de rechercher les jeunes, il défie l'indifférence institutionnelle. Sofía López, avocate de la Corporation Justice et Dignité, souligne que la rapidité des plaintes est cruciale pour les libérations. Lorsqu'une famille signale un cas, la Garde diffuse de l'information sur les réseaux sociaux et coordonne avec des leaders communautaires pour localiser les jeunes. « L'information partagée par la communauté est notre plus grande force », affirme Jiménez.
En février 2025, le Mouvement national des mères et femmes pour la paix, avec les Corporations Justice et Démocratie et Justice et Dignité, a porté son message en Europe. Depuis le Sud-ouest colombien, où enfants, filles et jeunes sont arrachés des écoles pour combattre, les responsables de ces organisations ont dénoncé le recrutement forcé qui fait disparaître des vies dans la jungle. Sans ressources, mais avec la force de la vérité, leur tournée à Genève, Barcelone et Madrid a mis en lumière une crise qui, en 2025, a généré plus de 200 plaintes rien que dans le Cauca, l'enfance autochtone étant la principale victime.
Toutefois, le mouvement dénonce la Procureure générale de la Nation qui ne répond pas avec l'urgence requise, priorisant des crimes comme le narcotrafic. Face à l'inaction institutionnelle, le Mouvement exige que la Procureure développe des protocoles spécialisés pour enquêter sur le recrutement forcé, particulièrement dans les communautés ethniques, où la moitié des jeunes mineur.es recruté.es sont autochtones. Les mesures de protection de la CIDH constituent un pas vers la sauvegarde, mais les dirigeantes insistent : sans enquêtes efficaces et confidentielles, le cycle de violence persistera. Leur appel résonne comme un cri mondial pour la défense des enfances volées par la guerre.
Sources :
Mouvement national des mères et femmes pour la paix — Colombie.
Rapport du Secrétaire général de l'ONU sur les enfants et les conflits armés, 2024.
Coalition contre l'engagement d'enfants, de filles et de jeunes dans le conflit armé (Coalico), 2025.
Défenseur du peuple, Rapport sur le recrutement forcé, juillet 2025.
Juridiction spéciale pour la paix, Rapport Macrodossier 07, 2025.
Entretiens avec Solanyi Guejia et Emilse Jiménez, juillet 2025.
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Au Soudan du Sud, les filles et les femmes sont constamment menacées
Les enlèvements, les attaques contre les écoles et les viols devraient inciter le gouvernement à agir contre ces violences
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/07/10/au-soudan-du-sud-les-filles-et-les-femmes-sont-constamment-menacees/?jetpack_skip_subscription_popup
Les récentes attaques contre des filles et des jeunes femmes au Soudan du Sud illustrent les risques auxquels elles sont exposées et le manque de protections adéquates.
Le 25 juin, selon les médias, des hommes armés ont enlevé quatre lycéennes dans la commune Pochalla North (État de Jonglei), alors qu'elles se rendaient à leur école pour y passer des examens de fin d'année scolaire. Malgré les recherches menées par la communauté locale, les quatre lycéennes sont toujours portées disparues.
Le 19 juin, la police a annoncé l'arrestation de sept suspects dans l'affaire du viol collectifd'une adolescente de 16 ans à Juba, la capitale du Soudan du Sud. Une vidéo présumée de l'attaque avait circulé en ligne et suscité l'indignation du public. Suite à cet incident, la ministre sud-soudanaise du Genre, de l'Enfance et de la Protection sociale a appelé à une enquête approfondie et à la reddition de comptes. Des activistes ont réclamé des réformes juridiqueset organisé des forums pour encourager les survivantes à s'exprimer. Mais même lorsque les affaires suscitent un tel intérêt public, les condamnations sont rares.
En mai, un groupe de jeunes hommes armés a encerclé un pensionnat pour filles à Marial Lou, dans l'État de Warrap, piégeant au moins 100 élèves à l'intérieur. Selon la mission de maintien de la paix des Nations Unies, les enseignants ont verrouillé les portes jusqu'à ce queles Casques bleus sécurisent l'école et négocient la fin du siège.
Ces incidents sont tristement courants au Soudan du Sud, où les filles subissent constamment des menaces, qu'il s'agisse de leur corps, de leur éducation ou de leur avenir. Des anciens conflits, l'accès généralisé aux armes et les coutumes patriarcales, menant parfois à des mariages forcés, ont depuis longtemps transformé les corps de filles et de femmes en champs de bataille, utilisés comme butin de guerre ou monnaie d'échange dans des conflits intercommunautaires.
La mobilisation de communautés pour protéger les filles permet d'espérer que ces comportements et pratiques peuvent changer, mais une protection efficace dépend avant tout du respect par l'État de ses obligations légales.
Le Soudan du Sud est un État partie à laConvention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (acronyme anglais CEDAW). Ce pays a également ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et approuvé la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, s'engageant ainsi à protéger les élèves et étudiantes contre des attaques. Le ministère du Genre, de l'Enfance et de la Protection sociale, ainsi que le ministère de la Justice, ont promu un projet de loi sur la lutte contre les violences basées sur le genre et visant une meilleure protection de l'enfance. Ce projet de loi renforcerait les protections juridiques, criminaliserait les mariages forcés et les mariages d'enfants, et garantirait aux survivantes un soutien médical et psychosocial gratuit. Le Parlement devrait donner la priorité à l'adoption de ce projet de loi.
Le gouvernement devrait également renforcer les institutions sud-soudanaises chargées de faire respecter l'état de droit, et garantir la reddition de comptes pour les abus. Il est essentiel de protéger les écoles contre les attaques, notamment en renforçant la présence des forces de sécurité, en organisant des dialogues avec les jeunes personnes et en mettant en œuvre des processus de désarmement respectueux des droits.
Au Soudan du Sud, les filles devraient pouvoir se rendre à l'école à pied et poursuivre leur éducation sans crainte ; et les autorités devraient agir pour garantir ces droits fondamentaux.
Nyagoah Tut Pur
Chercheuse, division Afrique
https://www.hrw.org/fr/news/2025/07/02/au-soudan-du-sud-les-filles-et-les-femmes-sont-constamment-menacees
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L’Égypte tente de jouer le médiateur à Gaza
Depuis plusieurs années, l'Égypte – qui a récemment annoncé que le Hamas avait accepté une proposition de cessez-le-feu négociée au Caire – joue un rôle d'intermédiaire dans le conflit à Gaza, explique un excellent article du site « The Conversation » qui nous autorise à reprendre leur texte.
Tiré de MondAfrique.
Seul pays arabe partageant une frontière avec l'enclave palestinienne, l'Égypte poursuit des objectifs stratégiques combinant enjeux sécuritaires et contraintes domestiques – des objectifs mis sous tension par la politique expansionniste d'Israël. Faute de solution diplomatique, la situation à Gaza pourrait avoir des conséquences imprévisibles pour le régime d'Abdel Fattah Al-Sissi, dont les options, face à son opinion publique, restent limitées pour éviter l'accusation d'indifférence et masquer son impuissance face à Tel-Aviv.
Le 18 août dernier, l'annonce d'un cessez-le-feu accepté par le Hamas, négocié au Caire sur les bases d'un plan des États-Unis, a mis en lumière le rôle de médiateur tenu par les autorités égyptiennes dans la guerre menée par Israël à Gaza.
Ce rôle demeure essentiel, même si l'action du Qatar a souvent été plus médiatisée, du fait de la proximité de l'émirat avec le Hamas.
Un rôle clé et historique de médiateur
Sans remonter à la création de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) ni aux accords de paix égypto-israéliens de 1979, Le Caire est de longue date un acteur incontournable du conflit israélo-palestinien grâce à sa capacité de négociation entre Israël et les Palestiniens. L'Égypte de Hosni Moubarak (1981-2011) a joué un rôle majeur dans la plupart des accords conclus entre l'OLP et Israël après Oslo (1993) et a été active pour maintenir un canal de discussion avec Israël pendant la seconde Intifada (2000-2005).
Après la victoire du Hamas aux législatives palestiniennes de 2006 et la prise de Gaza en 2007 par ce dernier, l'Égypte intervient dans les négociations bilatérales aussi bien entre le Hamas et le Fatah qu'entre le Hamas et Israël, lors des conflits de 2008-2009, de 2012, de 2014 et de 2021, dont les victimes sont majoritairement des civils.
L'accession au pouvoir d'Abdel Fattah Al-Sissi en 2014, après le renversement du président Mohamed Morsi (2013), issu des Frères musulmans, suscite des tensions avec le Hamas, proche du mouvement islamiste. Des ajustements ont été nécessaires, mais les services de renseignement égyptiens ont maintenu une liaison discrète avec le Hamas et ont continué à exercer des missions de médiation avec Israël ou avec l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.
Depuis le 7 octobre 2023, aux côtés du Qatar et des États-Unis (seul acteur à même de faire pression sur Israël), l'Égypte est à nouveau au cœur des négociations, que celles-ci se déroulent à Doha ou au Caire. Un premier accord sous le parrainage des trois États avait été trouvé en janvier 2025. Préalablement, en décembre 2024, l'Égypte avait négocié un accord entre le Fatah et le Hamas pour ériger une administration autonome à l'issue de la guerre.
Une ligne rouge face à l'expansionnisme israélien ?
Au cours des derniers jours, face à la politique expansionniste d'Israël, l'Égypte a multiplié les déclarations sur la situation de Gaza. Les autorités du Caire se sont dites favorables à la mise en place d'une force d'interposition internationale mandatée par l'ONU, tout en démentant la rumeur selon laquelle elles auraient proposé un transfert des armes du Hamas vers l'Égypte.
À Rafah (Égypte), dans une interview à CNN, le ministre des affaires étrangères Badr Abdelatty a réaffirmé le rejet d'un déplacement massif des Palestiniens, ce qu'il a qualifié de « ligne rouge ».
Plus tôt, le président Al-Sissi avait franchi un cap rhétorique en dénonçant une « guerre de famine et de génocide » et réitéré son refus de tout projet de déplacement. L'Égypte soutient par ailleurs la plainte sud-africaine devant la Cour internationale de justice pour violation de la Convention sur le génocide, sans rejoindre les parties prenantes.
Ces déclarations interviennent dans un double contexte de blocage des négociations et d'accélération des opérations israéliennes, avec, à la clé, des ambitions territoriales israéliennes qui pourraient signifier la fin de toute possibilité d'une solution à deux États et un déplacement massif de population en dehors de Palestine, en particulier vers l'Égypte.
Le cessez-le-feu négocié au Caire par des médiateurs égyptiens et qatariens reprenait dans les grandes lignes le plan de l'envoyé spécial de Donald Trump, Steve Witkoff, et traduit donc une réelle avancée par rapport à la situation début juin, quand les États-Unis avaient refusé, conjointement avec Israël, la proposition formulée par le Hamas pour mettre en œuvre une trêve. Une avancée qui, pour autant, ne se traduit pas par un déblocage : une semaine plus tard, Israël n'a pas encore répondu à la proposition des négociateurs.
L'annonce du cessez-le-feu accepté par le Hamas intervient en outre alors que le cabinet de sécurité israélien a validé, le 8 août, un plan visant à prendre le contrôle de Gaza et que l'ONU, après plusieurs alertes, a déclaré l'état de famine dans la bande de Gaza. Les différentes déclarations égyptiennes font aussi écho à la vision d'un « Grand Israël » récemment mise en avant par Benyamin Nétanyahou et qui renvoie aux frontières bibliques d'Israël incluant des territoires actuellement jordaniens, libanais et syriens, ainsi qu'une partie du Sinaï.
L'idée de déplacer la population palestinienne en dehors de Gaza n'est pas nouvelle même si elle était plutôt marginale jusqu'à présent. Dernièrement, Nétanyahou a publiquement envisagé de délocaliser les Gazaouis dans les pays arabes ou en Afrique (des tractations en ce sens ont été évoquées plusieurs fois).
Le Sinaï, un enjeu sécuritaire clé pour l'Égypte
L'Égypte, qui partage avec l'enclave palestinienne une frontière de 14 kilomètres, le « couloir de Philadelphie », est également un acteur sécuritaire parce qu'elle joue un rôle clé, presque au sens propre, dans le blocus exercé par Israël sur la bande de Gaza (à la fois en ce qui concerne son maintien et/ou son allègement).
À cet égard, l'Égypte d'Abdel Fattah Al-Sissi n'est pas épargnée par les critiques qui dénoncent son inaction alors que, de l'autre côté de la frontière, la guerre menée par Israël s'apparente de plus en plus à une épuration ethnique, sinon à un génocide.
Les griefs sont nombreux et concernent notamment le blocage des ravitaillements au passage de Rafah en territoire palestinien, le traitement sécuritaire réservé aux réfugiés gazaouis – environ 100 000 Palestiniens ont trouvé refuge en Égypte depuis le début de la guerre, en payant des frais élevés à la compagnie Hala, qui s'est spécialisée dans la « coordination » du passage de Rafah – ou encore la gestion sécuritaire des manifestations pro-Gaza, au Caire comme dans le Sinaï.
Rappelons que l'Égypte a administré Gaza de 1948 à 1967, avant que la bande tombe sous contrôle israélien. Depuis, la posture du Caire vis-à-vis de Gaza a toujours été profondément influencée par la situation au Sinaï, grande zone désertique où se trouve la frontière entre l'Égypte et Gaza.
Après 2011, un mouvement djihadiste local, rallié en 2014 à l'État islamique, y a prospéré, avant d'être progressivement endigué par l'armée égyptienne au terme d'une « sale guerre » qui a fait plusieurs milliers de victimes (plus de 3 200 morts parmi les forces de sécurité, le nombre de victimes civiles n'étant pas connu). Sissi a proclamé la victoire en 2023, les opérations ayant pris fin entre 2019 et 2020.
Pour Le Caire, la gestion de Gaza est avant tout sécuritaire. Il s'agit de contenir les trafics, d'empêcher l'infiltration de groupes armés plus radicaux que le Hamas, dont le plus actif est le Djihad islamique, et d'éviter un afflux de réfugiés palestiniens, du fait de son incapacité logistique à organiser un tel accueil. Au-delà de la question logistique, les dirigeants égyptiens redoutent une situation qui se transformerait en état de fait. Ils ont à l'esprit les précédents libanais et jordanien, où l'installation de réfugiés palestiniens a débouché sur les événements de Septembre noir au royaume hachémite et sur la guerre civile au Pays du cèdre.
Cette position est ancienne&. En 2008 déjà, l'entrée par la force de milliers de Palestiniens dans le Sinaï avait été perçue comme une transgression de la souveraineté nationale, dont la répétition est à éviter « à tout prix ».
Pour autant, l'Égypte se défend de participer au blocus ou d'être inactive face au drame vécu par les Palestiniens. Le président Sissi a apporté lui-même une réponse à ces reproches, rappelant que c'est Israël qui a bombardé à plusieurs reprises le passage de Rafah et qui contrôle le côté palestinien de Rafah.
Israël, qui s'est retiré de Gaza en 2005, a repris le contrôle du couloir de Philadelphie en mai 2024. Les médias égyptiens, reprenant les éléments de langage du gouvernement, mettent en avant les convois humanitaires envoyés depuis l'Égypte : plus de 45 000 camions, soit 70 % de l'aide humanitaire, auraient ainsi ravitaillé Gaza depuis octobre 2023 (sachant que le passage ne peut se faire qu'avec l'accord d'Israël et à ses conditions en termes de sécurité).
Entre contraintes externes et pressions internes
Sur la question palestinienne, l'Égypte défend l'établissement d'un État palestinien dans le cadre d'une solution à deux États. Il s'agit d'un positionnement historique, défini par Anouar El-Sadate dans son discours à la Knesset en novembre 1978.
Il se traduit par des actions diplomatiques mais, depuis 2008, chaque guerre israélienne à Gaza met en lumière la portée limitée de l'engagement égyptien. Or, pour Sissi, cet engagement comporte des contraintes domestiques. La situation désespérée des Gazaouis trouve un large écho en Égypte comme dans toute la région et suscite un fort sentiment de solidarité.
Ici aussi, le gouvernement égyptien est pris dans ses contradictions. Pour bon nombre d'Égyptiens, le Hamas n'est pas tant un mouvement terroriste qu'un mouvement de résistance à Israël : d'ailleurs, même Le Caire ne l'a pas classé comme organisation terroriste, contrairement aux Frères musulmans égyptiens.
D'un côté, les autorités égyptiennes répriment toute manifestation qu'elles n'organisent pas elles-mêmes et qui pourrait remettre en cause le régime. Une méfiance à l'égard de la rue qui renvoie à l'importance des mobilisations de soutien aux Palestiniens dans la trajectoire militante qui a conduit à la révolution de 2011. D'un autre côté, le président et le gouvernement doivent prendre en compte la sensibilité de l'opinion publique et montrer qu'ils ne sont pas impuissants. À cet égard, accepter le déplacement des Palestiniens dans le Sinaï ferait d'eux des complices aux yeux des Égyptiens.
Quoi qu'il en soit, le rôle de l'Égypte paraît difficilement pouvoir aller au-delà d'une aide humanitaire et des négociations diplomatiques. La paix avec Israël demeure un pilier de la politique étrangère égyptienne. Le Caire ne mettra pas en danger sa relation bilatérale avec Israël au point de menacer d'entrer en conflit armé avec ce dernier.
Pas uniquement pour des raisons économiques, ou parce qu'une partie des approvisionnements en gaz de l'Égypte dépend d'Israël – même si ceux-ci peuvent représenter un levier. Sur beaucoup d'aspects, l'alliance avec Israël est cruciale pour Sissi : au-delà du soutien qu'a pu lui apporter Nétanyahou en plaidant sa cause à Washington après le putsch contre Morsi (2013), l'État hébreu est un partenaire économique, mais également un partenaire sécuritaire pour lutter contre les groupes djihadistes encore présents dans le Sinaï. Si des lignes rouges sont énoncées, aucune réelle menace n'a été proférée.
Pour autant, des rumeurs émanant de sources gouvernementales avaient circulé en février 2024 : elles évoquaient la menace d'une suspension du traité de paix en cas d'invasion israélienne de Rafah. Las, les troupes israéliennes occupent la zone frontalière depuis le mois de mai 2024 sans que l'Égypte n'ait réagi autrement que verbalement. Il semble en particulier exclu que l'armée égyptienne puisse être mobilisée pour s'interposer en dehors d'un cadre onusien et sans l'accord d'Israël.
La diplomatie pour ne paraître ni indifférent ni impuissant ?
On comprendra, dès lors, que les déclarations récentes de l'Égypte s'inscrivent dans une politique de long terme et n'indiquent pas un changement de ligne. La politique expansionniste d'Israël met en tension les objectifs stratégiques de l'Égypte : l'établissement d'un État palestinien dans le cadre d'une solution à deux États, la préservation de la souveraineté de l'Égypte dans le Sinaï et de sa sécurité, et, enfin, l'adhésion de l'opinion publique égyptienne.
Alors qu'Israël a répondu à l'annonce du Caire par la mobilisation de 60 000 réservistes pour exécuter son projet d'occupation de Gaza, la question de la soutenabilité de la posture d'équilibriste se pose et expose Le Caire à la réalité. Seul, le régime de Sissi ne peut rien contre Israël.
S'il est peu probable que le président égyptien prenne le risque de s'opposer militairement, il semble alors condamné à paraître indifférent ou impuissant. Une humiliation sur le dossier gazaoui pourrait coûter cher en interne à l'autocrate et avoir des conséquences dramatiques pour la région. Ne reste alors à l'Égypte que la voie diplomatique pour sortir de l'ornière. D'abord négocier un cessez-le-feu et ensuite parvenir à une issue alternative à l'occupation israélienne de Gaza. Cette dernière pourrait nécessiter un retour de l'Égypte dans la bande de Gaza. Mais l'Égypte est-elle vraiment prête à prendre sa part dans une solution à Gaza au-delà des négociations diplomatiques ?

La Mauritanie et le Maroc, pivots de l’influence américaine au Sahel
Un rapport publié le 20 août 2025 par le think tank New lines institute analyse la révision du positionnement américain au Sahel. Intitulé « A U.S. Sahel Strategy Anchored in Morocco and Mauritania), le document explique comment, face à l'effondrement du partenariat sécuritaire avec les juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Washington cherche, désormais, à replacer son dispositif à la périphérie du champ, en s'adossant au périmètre Maroc-Mauritanie.
Tiré de MondAfrique. Un article de « Veille sahélienne », un site partenaire.
Les auteurs rappellent que les États-Unis et la France maintenaient, pendant près de deux décennies et sans discontinuer, une prééminence forte au sud du Sahara. Or, la succession de coups d'État en Afrique de l'Ouest, de 2020 à 2023, aura entraîné l'expulsion des troupes alliées et la fermeture des bases américaines de drones au Niger. La rupture, amplifiée par le rejet croissant de l'influence de l'Occident, rend la région plus vulnérable à l'activisme du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (Gsim Alqaïda) et de l'État islamique au Sahel (Eis). Les deux coalitions ennemies sont responsables de milliers de morts, de blessés, disparus et déplacés, durant l'année 2024, soit plus de la moitié des victimes du terrorisme mondial. Dans le même temps, les trafics d'armes, de drogues et de migrants ont prospéré à travers de vastes territoires, de moins en moins sous contrôle.
Tandis que Washington réduisait son empreinte, d'autres puissances renforçaient la leur. La Russie, via la société de mercenaires Wagner devenu Africa Corps, a consolidé son ancrage – encore vacillant – grâce à l'obtention de concessions minières et à un soutien direct aux juntes. La Chine a accru une présence durable sur les corridors logistiques et les ressources du sous-sol, notamment en Guinée et au Nigeria. L'Iran, plus discret, a élargi son audience sous couvert de ventes d'armes, de partage d'expérience et de relais chiites, parfois liés au Hezbollah libanais. Une telle redistribution des cartes s'est traduite par le recul marqué de l'influence des États-Unis, au niveau de la diplomatie et de l'engagement militaire.
Un « pare feu » fonctionnel
Dans cet environnement concurrentiel, « New lines institute » met en avant le rôle du Maroc et de la Mauritanie comme deux amarrages stables et fiables. Le duo est qualifié de « pare-feu fonctionnel », permettant aux États-Unis de sécuriser les chaînes d'approvisionnement en minerais critiques, contenir la nuisance des entités hostiles et filtrer la propagation du terrorisme et de l'illégalité transfrontalière.
Le Maroc, partenaire historique de Washington, accueille, chaque année, l'exercice de défense African Lion et veut utiliser son Initiative atlantique pour offrir, aux pays enclavés du Sahel, un accès à ses ports de Dakhla et de Laâyoune, pourtant éloignés de l'hinterland. La Mauritanie, quant à elle, assure la fonction de tampon, le long d'une frontière poreuse avec le Mali et reçoit, de ses amis occidentaux, une assistance en matière de renseignement et de formation au combat.
Le think tank recommande, aux États-Unis, d'adopter une posture dite du « périmètre ». L'approche consiste à s'ancrer, de manière indirecte et souple, en bordure nord du Sahel plutôt qu'au cœur de ses foyers instables. Washington préserverait, ainsi, un accès modulable à l'aire de belligérance et se prémunirait des coûts et risques d'une implication prolongée au Sahel. Selon le New Lines Institute, il ne s'agirait pas d'un retrait mais d'un recalibrage pragmatique.
Il importe de le souligner, le gouvernement fédéral récolte, d'une multitude de boîtes à penser, d'experts et de laboratoires intellectuels du Traité de l'Atlantique nord (Otan), quantité d'analyses et de prospectives d'une qualité variable. Leur incidence sur sa politique étrangère demeure difficile à mesurer.

RDC : La paix introuvable
La guerre continue malgré l'accord de paix entre la RDC et le Rwanda, signé à Washington sous les auspices de Trump.
Dès le début, les observateurs étaient circonspects sur l'arrêt du conflit du fait de la mise en place de deux processus de paix parallèles bien qu'intimement liés.
Deux accords de paix
Le premier, parrainé par les USA est un accord entre états, la RDC et le Rwanda. Il a été signé le 27 juin dernier mais de l'avis même des acteurs prend du retard notamment sur la question du retrait des forces rwandaises du territoire congolais. Il est conditionné à la mise hors-jeu par les forces armées de la RDC (FARDC) des FDLR, une milice composée d'anciens génocidaires dont le Rwanda surestime le danger, considérant qu'elle représente une menace existentielle.
Le second accord toujours en discussion est celui de Doha, cette fois ci entre la RDC et la milice M23/AFC massivement soutenue par le Rwanda. Elle a conquis une large part du territoire de l'est du pays en occupant les principales villes de Goma et Bukavu. Les pourparlers piétinent. Les autorités congolaises exigent de recouvrer leur autorité sur l'ensemble du territoire, quand le M23/AFC parle de cogestion de la région. Si le M23 au début était une rébellion strictement militaire, elle s'est transformée en force politique avec l'adjonction de l'Alliance Fleuve Congo (AFC) dirigée par Corneille Nangaa.
Régime parallèle
Cette milice a rapidement installé une nouvelle administration pour gérer les territoires conquis. Des gouverneurs ont été nommés, des tribunaux institués et depuis peu une police a été créée avec l'embauche de nouveaux fonctionnaires. Les chefs coutumiers opposés à ce nouveau pouvoir ont été écartés et parfois éliminés physiquement. L'autre problème épineux est celui de la démobilisation des forces du M23. Ces combattants exigent d'être intégrés à l'armée. Tshisekedi, le président de la RDC, refuse catégoriquement considérant qu'une telle intégration serait une épée de Damoclès pour son régime.
Pour mener la guerre contre le M23/AFC le gouvernement congolais a largement fait appel à de nombreuses milices qui sévissent dans la région. Elles agissent sous le nom générique de Wazalendo (les patriotes en kiswahili). Officiellement leurs membres ont le statut de « réserve armée de la défense ». Dans les faits les Wazalendo bénéficient d'une grande indépendance et considèrent qu'ils ne sont pas tenus par les engagements pris à Doha car absents des discussions. En effet ces derniers avaient demandé à participer aux réunions mais le refus tant du gouvernement congolais que du M23/AFC aboutit à ignorer les revendications de ces groupes armés. Déjà apparaissent les premières escarmouches entre milices Wazalendo et FARDC. La dernière en date s'est déroulée à Uvira provoquant la mort d'une dizaine de personnes.
Contrairement à ce que Trump déclare lorsqu'il affirme avoir mis fin à une guerre de trente ans. Le conflit perdure poussant les populations civiles, victimes des exactions perpétrées de toutes parts, à prendre le chemin de l'exil.
Paul Martial
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Les droits souverains des héritiers légitimes de Dessalines sur l’île d’Haïti ne sont pas négociables.
Chaque jour, les fils et les filles d'Haïti sont contraints de fuir pour sauver leur vie.
Plus de 1,3 million de personnes seraient actuellement déplacées par la violence, soit le nombre le plus élevé de l'histoire d'Haïti, selon un récent rapport des Nations Unies. Face à cette catastrophe, Solidarité Québec-Haïti (SQH) tient à rappeler que les droits souverains des héritiers légitimes de Dessalines sur l'île d'Haïti ne sont pas négociables.
Si aujourd'hui, il n'y a pas d'autorité légitime en Haïti, alors que les terroristes se nourrissent du sang du peuple, ce n'est pas une malédiction qui nous frappe. Des terroristes sanguinaires, des politiciens corrompus, un réseau de mafias économiques de mèche avec une occupation militaire étrangère ont complètement détruit l'Etat.
À l'origine de ce chaos sans fin, il y a une invasion militairemenée par les États-Unis, la France et le Canada le 29 février 2004. Cet horrible crime multinational a ensuite été consolidé par 21 ans d'occupation étrangère d'Haïti, soutenue par les Nations unies.
C'est avec consternation que nous constatons l'audace des criminels malveillants qui continuent d'opérer au niveau national et international, offrant au peuple haïtien toujours plus de poison, censé guérir un fléau qu'ils ont eux-mêmes créé. Le fait que le gouvernement de Mark Carney prétende apporter de l'aide à Haïti alors que le Canada est assis sur une pile de documents, y compris des preuves recueillies sur de puissants criminels présumés de tous bords, est une véritable tragicomédie. En effet, de nombreux ressortissants haïtiens, parmi lesquels des politiciens, des hommes d'affaires et des chefs de gangs, sont accusés par le gouvernement canadiend'alimenter le réseau terroriste « Viv Ansanm ». Parmi eux : Michel Martelly, Gilbert Bigio, Reynold Deeb, Izo (Johnson André), Dimitri Hérard, Jimmy Cherizier (Babekyou), Vitelhomme Innocent, André Apaid, et bien d'autres.
Si ces accusations ne servent pas uniquement à faire bonne figure, le système judiciaire canadien, haïtien et la justice internationale doivent se mobiliser de manière appropriée afin que la société puisse utiliser ces preuves contre les présumés criminels et en faveur des victimes. Il est grand temps que tous les biens associés aux réseaux terroristes soient nationalisés et deviennent la propriété de l'État haïtien.
Jusqu'à ce que justice soit faite, SQH déclare : A bas l'impérialisme sous toutes ses formes ! – même lorsque des hypocrites sournois figurent parmi les coupables.
SQH rappelle que les principes fondamentaux suivants sont absolument non négociables :
1.Le peuple haïtien exige que tous les vautours étrangers soient expulsés et exclus des affaires haïtiennes. Laissez les Haïtiens respirer !
2.Seuls les Haïtiens ont le droit de choisir des dirigeants légitimes pour leur pays, et cela doit se faire pacifiquement. Aucune marionnette, aucun traître, aucune cinquième colonne imposée par d'autres ne doit être tolérée, quelle que soit la couleur de leur peau.
3.Qu'il s'agisse de criminels associés aux Nations Unies, à l'OEA, de mercenaires « à la peau noire et au masque blanc » du Kenya ou d'ailleurs, de mercenaires blancs racistes qui ont signé des contrats illégaux avec des « leaders » illégaux imposés de l'étranger en Haïti, de l'Institut Macaya, d'Erik Prince, ou d'autres criminels associés… Le peuple haïtien jette tous ces projets diaboliques dans les toilettes.
Que chacun, y compris le gouvernement du Canada, en prenne acte : le temps des projets néocoloniaux et des complots racistes contre le peuple haïtien est révolu.
Enfin, Solidarité Québec-Haïti continue d'exiger que le Canada se retire du club impérialiste appelé« Core Group« . Le Canada doit soutenir un embargo mondial efficace sur les armes américaines qui alimentent le terrorisme dans les Caraïbes, en particulier en Haïti. Le Canada doit adopter une politique étrangère courageuse, indépendante des États-Unis et surtout respectueuse de la souveraineté d'Haïti. Nous exigeons des restitutions et des réparations de la part des gouvernements de tous les pays du Core Group, des Nations Unies et de l'OEA pour les multiples crimes qu'ils ont commis à l'encontre du peuple haïtien.
– 5 septembre 2025 –
Pour plus d'informations, contactez-nous :
Solidarité Québec-Haïti
Facebook Twitter : Solidarité Québec-Haïti
Courriel : solidaritekebekayiti@gmail.com
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Haïti : entre l’amnésie historique, la manipulation idéologique et le sous-développement
« La conscience historique est le premier moteur de la dignité d'un peuple » soutient Cheikh Anta Diop, figure emblématique de l'histoire décoloniale et de l'anthropologie culturelle africaine. Dans son réquisitoire décolonial, il dénonce la manière dont les historiens occidentaux ont systématiquement nié sinon gommé les apports de l'Afrique noire à la civilisation humaine. Pour lui, l'histoire constitue la mémoire collective d'une formation sociale, la marque identitaire d'un peuple, le socle sur lequel s'édifie son identité. Elle forge sa conscience politique. Cependant, il y a beaucoup de peuples qui, par ignorance ou manipulation, sont déconnectés de leur propre histoire. Haïti en est une parfaite illustration.
Par Desroses Bleck Dieuseul
Chez nous, l'enseignement de l'histoire est souvent réduit à des faits glorifiés sans analyse critique. Les curriculums sont souvent inspirés de modèles occidentaux particulièrement ceux de la France et du Canada francophone et mal adaptés aux réalités socio-anthropologiques et ethnologiques haïtiennes. Beaucoup d'enseignants n'ont pas la formation adéquate en didactique de l'histoire. Ces derniers privilégient l'approche évènementielle axée sur la mémoire des faits sans esprit critique. Certains gouvernements, groupes politiques ou classes sociales dominantes exploitent souvent l'histoire à des fins de propagande, en occultant des vérités jugées dérangeantes pour leurs intérêts.
La méconnaissance sinon la falsification de l'histoire n'est pas sans conséquences sur le destin du pays. Elle fragilise ses fondements aussi bien sur le plan identitaire que sur le plan politique et économique. Dans le cadre de cet article, je me propose d'analyser comment l'amnésie historique pourrait affecter la cohésion sociale, tout en exposant les risques de manipulation et de dépendance qu'elle pourrait entrainer.
La connaissance de l'histoire permet à un peuple de préserver son identité culturelle et de transmettre des valeurs fondamentales aux générations futures. Cela permet de créer un fort sentiment d'appartenance, la base d'une personnalité équilibrée et authentique. Or, lorsque cette mémoire collective est absente ou occultée , on assiste à une véritable aliénation culturelle : les repères traditionnels s'effacent au profit de modèles culturels imposés par des étrangers, souvent perçus comme supérieurs. La langue, les coutumes, les croyances et les héros nationaux deviennent alors secondaires, voire oubliés ou falsifiés.
La connaissance de l'histoire favorise la cohésion sociale, unit une communauté autour des valeurs partagées. Sans des repères historiques communs, les membres d'une société ne partageront non plus les mêmes références. Ce qui pourrait occasionner des divisions ethniques, sociales ou régionales. Le noirisme, théorisé par des penseurs comme Antênor Firmin et le Dr Jean Price-Mars sur la base des références scientifiques, a été récupéré par des figures politiques dont le Dr François Duvalier. Il s'est basé sur cette doctrine pour renforcer le ressentiment des masses noires contre l'élite mulâtre tout en attisant la haine contre les Mulâtres qu'il présentait comme des traîtres à la nation.
Dans le cas la jeunesse contemporaine, déconnectée de son patrimoine historique et culturel, se retrouve sans repères, sans modèles inspirants issus du passé glorieux. C'est en ce sens qu'Aimé Césaire souligne : « Il n'est point de peuple sans mémoire, point de peuple sans histoire. »
Le cas d'Haïti est pathétique. Dans l'esprit du jeune écolier haïtien, seuls les penseurs occidentaux particulièrement Platon ont émis des idées pour la gestion de la cité. Demesvar Delorme, Louis Joseph Janvier, Antênor Firmin, Jean Price-Mars et Leslie Manigat ne sauraient être considérés comme des penseurs politiques. La raison est alors simple : les Occidentaux ne les considèrent pas comme tels. Donc, ils ne le sont pas. Leurs noms ne figurent pas dans les manuels scolaires de la France ou du Canada francophone. Les idées de ces derniers ne sont pas suffisamment pertinentes pour être enseignées à la jeunesse haïtienne soutiennent les défenseurs de l'école coloniale. Cependant, celles de Rabelais et de Montaigne sont mises à l'honneur. Loin d'être partisan d'un repli sur soi ou d'un ethnocentrisme identitaire révolu, je suis plutôt pour la double conscience c'est -à-dire la capacité de se voir comme un héritier d'une histoire spécifique, tout en se reconnaissant membre d'une humanité plurielle, solidaire et diverse. Une telle digression n'était pas importance. Elle vise à dégager la colonialité de la question. Je reviens immédiatement au problème de l'enseignement de l'histoire.
En Haïti, l'enseignement de l'histoire est bâclé. Les manuels ne sont pas adaptés. Sur le problème d'incohérence dans l'agencement du programme vient se greffer celui de la formation des enseignants n'ont pas toujours les compétences requises. Rares sont ceux qui ont étudié cette discipline dont ils ont la charge d'enseigner.
Au lieu d'enseigner l'histoire (science historique), ils racontent des histoires (blagues) aux apprenants. Plutôt que de se servir des approches approches critique et réflexive, interactive et numérique et/ou étude de cas pour mieux asseoir leur enseignement, la plupart des enseignants bossant parfois dans les établissements scolaires les plus prestigieux de la République, et malgré la généralisation de l'Approche par compétence (APC) dans le cadre du secondaire rénové, se plaisent à remplir les tableaux de notes, s'accrochent à la méthode traditionnelle consistant à déballer des discours magistraux souvent à effets de style ratés. L'apprenant reste alors passif sans être outillé pour la remise en question des biais idéologiques et politiques dans le récit des faits.
Cette passivité fera de lui plus tard un citoyen soumis inapte à participer dans la construction du débat démocratique. Son indifférence ou son désintérêt ouvre la voie à des leaders populistes (démagogues) ou autoritaires qui peuvent restreindre les libertés publiques sans opposition populaire. En témoigne l'attitude des dirigeants de l'État en Haïti vis-à-vis des deniers publics et le silence des citoyens. En Haïti, la passivité des citoyens devient une forme de "complicité silencieuse" face aux dérives des autorités.
L'on doit, par ailleurs, admettre que l'ignorance du passé offre un terrain fertile à la manipulation idéologique. Les classes dominantes ou les puissances étrangères, peuvent alors imposer une version falsifiée de l'histoire, justifiant des systèmes d'oppression, qu'il s'agisse de colonisation, de dictature ou de domination socio-économique. En témoigne l'attitude de François Duvalier entre 1957 et 1971.Il s'est auto-proclamé l'héritier direct de Dessalines, fondateur de la patrie haïtienne tout en occultant le rôle joué par les mulâtres dans la geste de 1804. L'historien Michel-Rolph Trouillot, dans Silencing the Past (1995), montre comment les régimes autoritaires manipulent les silences historiques pour légitimer leur pouvoir. Frantz Fanon le rappelait avec force : « Un peuple sans mémoire historique est un peuple sans avenir. » La perte de la mémoire conduit inévitablement à la répétition des erreurs du passé, car un peuple incapable de comprendre ses luttes et ses défaites est condamné à retomber dans les mêmes pièges.
L'école haïtienne, au lieu de favoriser l'appropriation des outils scientifiques par la jeunesse pour appréhender les faits historiques, ne fait que renforcer son complexe d'infériorité par rapport à l'étranger, élargir le clivage de couleur et de classes et l'aliénation culturelle. En général, nos jeunes laissent l'école classique avec peu connaissances historiques lorsqu'ils n'en sont pas totalement dépourvues. Jusqu'à très récemment, les bacheliers haïtiens en classe de philosophie ne maitrisent-en deçà des attentes-que les 40 années qui ont suivi l'indépendance. La deuxième moitié du XIXe siècle et le XXe siècle étaient totalement méconnus aussi bien par les élèves que par les enseignants. Il y a moins d'une décennie qu'on commence-dans le cadre de la réforme des curriculums- à enseigner ces deux tranches d'histoire. Encore selon les mêmes méthodes traditionnelles avec tous défis du système : élèves sans manuels ni motivation, établissements scolaires sans bibliothèques ni cafeterias, professeurs sans qualifications ni compétences, salaire-horaire misérable par rapport au coût de la vie, infrastructures scolaires inadaptées etc.
Ce problème constitue un véritable frein au développement autonome de l'Haïtien qui reste toujours dans l'attentisme. Il attend les solutions des problèmes nationaux de l'extérieur. Le manque de connaissance sur les fondements de l'organisation sociale et économique traditionnelle du pays porte les gouvernants à adopter des modèles exotiques souvent inadaptés à la réalité socio-anthropologique et ethnologique haïtienne. Autrement dit, ils mettent en place des politiques publiques inadaptées aux besoins réels de la population. Cela favorise la dépendance économique et la perte de souveraineté, avec des conséquences durables sur le développement national. En clair, le manque de conscience historique empêche de comprendre les racines des inégalités sociales et des injustices structurelles. À ce sujet, Benoit Joachin affirme que ‘' le sous-développement d'Haïti est d'abord le résultat de structures politiques, économiques et sociales héritées de la colonisation esclavagiste et aggravées par une élite déconnectée des masses populaires, perpétuant un modèle de dépendance et d'exclusion ‘'.
Dans le Gouverneur de la Rosée, Jacques Roumain rappelle, par ailleurs, le rôle que pourrait jouer le ‘' konbitisme ‘' dans le développement national dans le cadre de l'unité nationale. Pour le romancier de l'École indigéniste, le sous-développement d'Haïti est d'abord le résultat de la division, de la méconnaissance de la solidarité collective et de l'oubli des valeurs paysannes ; seule l'unité du peuple et la reconquête de la terre peuvent permettre la renaissance du pays.
De tout ce qui précède, il en découle qu'un peuple qui ne connait pas son histoire court un grand risque. C'est une des plus grandes menaces pour son identité, sa liberté et son développement. Cela ouvre la voie à la manipulation, affaiblit sa conscience collective et perpétue ses erreurs du passé. « Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter », lançait George Santayana. Ainsi, apprendre à connaitre son histoire, la valoriser et la transmettre devient un devoir vital pour toute formation sociale soucieuse de son avenir. Comme le disait Marcus Garvey : « Un peuple sans connaissance de son passé, de son origine et de sa culture est comme un arbre sans racines ». Et cette carence est souvent exploitée par les démagogues et les populistes à des fins politiciennes. Benoit Breville semble avoir conforté les manipulateurs en disant que : « la mémoire collective est une construction qui varie au gré des époques, des rapports de forces, des intérêts du moment »
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Rencontre internationale de rébellions en territoire zapatiste
Plus de trois décennies après le soulèvement de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), la rencontre « Quelques parties du tout » réunit les luttes et résistances de collectifs mexicains et d'une dizaine de pays. L'espace vise à nourrir l'organisation et à partager les erreurs et réussites des constructions autonomes. Les défis face aux mégaprojets extractivistes et le regard des prochaines générations y sont au centre.
18 août 2025 | tiré de Rebelion | Sources : Agencia Tierraviva
https://rebelion.org/encuentro-internacional-de-rebeldias-en-territorio-zapatista/
Au Chiapas, dans le sud du Mexique, de vastes étendues de territoire voient les peuples indigènes zapatistes construire leur vie dans l'autonomie et la démocratie directe. Là, ils rejettent le gouvernement national, qui n'a jamais veillé aux droits ni aux besoins des communautés, et se déclarent en résistance et en rébellion. Les zapatistes ont réussi à édifier leur propre système de santé autonome, leur propre éducation, leur système de gouvernement local et horizontal, leur sécurité, tout en dénonçant les programmes sociaux que met en œuvre le gouvernement de la présidente Claudia Sheinbaum (Morena) pour fragmenter les communautés paysannes.
Trente et un ans après le soulèvement armé de l'EZLN, où ils ont lancé leur cri de « Ya basta ! » et exigé « Plus jamais un Mexique sans nous », le dimanche 3 août a débuté la rencontre « Quelques parties du tout », organisée par le mouvement zapatiste afin de partager les luttes et résistances à travers le monde. Ils avaient déjà organisé plusieurs rencontres pour échanger avec d'autres collectifs en rébellion, tant au niveau national qu'international. Durant la pandémie, ils avaient suspendu tout contact avec l'extérieur, par mesure de protection, mais ils ont repris aujourd'hui l'organisation de rencontres internationales pour mettre en dialogue les formes de résistance de chaque territoire.
La rencontre a commencé au Caracol Tourbillon de nos paroles — les « caracoles » étant les communautés autonomes de prise de décision dans le territoire zapatiste — situé dans la localité de Morelia, à quelques kilomètres d'Altamirano, l'une des quatre villes occupées par les zapatistes à l'aube du 1er janvier 1994. L'inauguration s'est ouverte avec l'entrée de la milice au centre du caracol. Le sous-commandant Moisés, porte-parole du mouvement, a prononcé un discours de moins de cinq minutes, souhaitant la bienvenue à « toutes, tous et tou·te·s » à la rencontre, et a déclaré clairement : « Aujourd'hui, nous sommes toutes une petite fille palestinienne, nous sommes tous un petit garçon palestinien ». Un profond silence a suivi. À ce moment, chaque milicien et milicienne de l'EZLN a déployé un drapeau de la Palestine. Le lien entre les opprimé·es du monde contre le système et les guerres capitalistes était ainsi établi.
Espaces de partage
Dans la rencontre, chaque collectif dispose d'un moment pour présenter le contexte dans lequel il se trouve, ses défis et les actions concrètes qu'il mène. Le Congrès national indigène (CNI), qui rassemble et met en dialogue les luttes des divers peuples indigènes à travers tout le territoire mexicain, a ouvert les tables de partage. Plusieurs porte-paroles de différentes communautés ont exposé les processus d'autonomie, la présence du crime organisé et des mégaprojets extractivistes sur les territoires ancestraux, ainsi que les projets gouvernementaux qui fragmentent les communautés, parmi d'autres problématiques.
Un exemple est le programme gouvernemental Sembrando Vida, qui oblige les communautés à posséder 2,5 hectares avec titres individuels pour y accéder, poussant ainsi de nombreuses communautés à privatiser leurs terres communales.
Le CNI est une organisation clé dans le contexte mexicain. Il a acquis une grande visibilité en consolidant le Conseil indigène de gouvernement qui, en 2017, a choisi Marichuy — María de Jesús Patricio — comme porte-parole et candidate indépendante à l'élection présidentielle de 2018. Cette initiative a lancé une vaste campagne depuis la base, en contre-proposition au système de pouvoir gouvernemental.
Les mères chercheuses — collectif de femmes qui recherchent leurs fils et filles disparu·es — ont pris la parole ensuite. Au Mexique, on compte déjà plus de 120 000 disparu·es, et le nombre augmente chaque jour à cause de la violence entretenue par la complicité entre crime organisé et autorités nationales, étatiques et municipales. Ce sont les familles qui assument la lourde tâche de chercher leurs proches parmi les décharges, ravins et décombres. Des dizaines de groupes de familles s'organisent à travers le pays, subissant stigmatisation, abandon de l'État, persécutions, et plusieurs ont même été assassinés durant leurs recherches.
Autonomie et avenir zapatiste
Chaque après-midi de la rencontre, les jeunes zapatistes présentent des œuvres artistiques où l'on ne voit pas d'individualités mais des collectifs travaillant ensemble. Ils partagent poèmes et chansons, souvent dans leurs langues maternelles et parfois en castillan. La relève générationnelle est un défi central du zapatisme : comment transmettre le sens de la lutte à celles et ceux qui n'ont pas vécu l'oppression capitaliste, mais sont né·es et ont grandi dans les caracoles ?
Dans les écoles autonomes, les jeunes montent des pièces de théâtre retraçant l'histoire du mouvement, incluant ses erreurs et ses réussites. Fort d'un esprit critique aigu, le zapatisme a revisité ses pratiques pyramidales et, en 2023, a annoncé une transformation de sa structure de gouvernement autonome. L'organisation pyramidale des Juntas de Buen Gobierno, où l'information et les décisions se concentraient entre quelques mains, a été remplacée par un système d'assemblées de base en dialogue permanent avec l'ensemble du territoire.
Aujourd'hui, dans chaque communauté et territoire communal, fonctionne un Gouvernement autonome local élu et rotatif, qui se réunit selon les besoins en Collectifs de gouvernements autonomes locaux dans les caracoles respectifs et, si nécessaire, en Assemblée de collectifs de gouvernements autonomes locaux.
Le jeudi 7 août, une brigade internationale a visité le bloc opératoire autonome en construction dans la Selva Lacandona, au Caracol Dolores Hidalgo. Le plan a été réalisé par sept compagnons zapatistes de la base de soutien et la construction a été organisée avec la participation des bases de soutien des différents caracoles qui travaillent chaque semaine. Ils ont également raconté, lors d'une présentation à l'auditorium du caracol, que des personnes extérieures au mouvement, y compris certaines proches du parti au pouvoir Morena, ont participé et contribué à cette construction, comprenant que ce bloc opératoire est un bénéfice pour toutes et tous.
Ce travail est collectif et pour le commun. La décision de le construire est née des besoins du peuple, l'hôpital le plus proche se trouvant à Ocosingo, à deux heures de route. Le bloc opératoire représente une avancée majeure pour le système de santé autonome, qui dispose de salles dans chaque communauté et de promoteurs de santé combinant savoirs ancestraux et formation médicale. Chaque caracol possède aussi une ambulance.
Un horizon à long terme
Toute la rencontre — qui peut être suivie sur le site web de l'EZLN — a pour axe central le travail en commun et la lutte pour le jour d'après la tempête capitaliste : l'extractivisme des ressources naturelles, la destruction de la nature, les monocultures, entre autres facteurs. Le zapatisme poursuit sa voie sans s'écarter de l'autonomie, avec pour horizon qu'une petite fille, dans sept générations, puisse vivre libre et sans peur.
Source : Agencia Tierraviva

Les frappes russes continuent de paralyser les mines et les communautés d’Ukraine
Les affiliés ukrainiens d'IndustriALL signalent une escalade dramatique des attaques contre les travailleurs et les lieux de travail au cours des derniers mois. Au cours des sept premiers mois de 2025, en raison de l'agression russe, 676 travailleurs et travailleuses ont été blessés sur leur lieu de travail et 146 ont été tués à la suite de tirs de missiles et d'obus d'artillerie sur les domaines des entreprises, de frappes aériennes et d'attaques de drones FPV par les forces armées de la Fédération de Russie contre des sites industriels, des installations de production et des véhicules de transport.
22 août 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/03/les-frappes-russes-continuent-de-paralyser-les-mines-et-les-communautes-dukraine/
Les attaques russes continuent de dévaster les villes minières d'Ukraine, mettant les mineurs et leurs familles en danger extrême. Les bombardements constants et les frappes de drones bloquent les évacuations à Rodynske, Bilytske, Bilozerske, Dobropillya et dans les villages environnants de la région de Donetsk.
Le 8 août dernier, les bombardements ont provoqué l'inondation de la mine de Dobropilska, mettant en danger les mineurs et contaminant la région. Les attaques ont également coupé l'électricité à la mine d'Almazna. Ces mines font vivre les économies locales et leur destruction menace des milliers d'emplois, les moyens de subsistance qui y sont associés ainsi que la sécurité environnementale.
Depuis le 13 août, les attaques russes ont provoqué des coupures d'électricité dans trois grandes mines de la région. Les bombardements ont également empêché les travailleurs et travailleuses de déplacer des équipements essentiels des entreprises, équipements qui préservent les emplois, garantissent le droit au travail, maintiennent l'approvisionnement en électricité et permettent à l'économie de l'Ukraine de fonctionner.
Les missiles et les drones russes dévastent également les infrastructures civiles, la Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations unies en Ukraine exprimant sa profonde inquiétude face au nombre croissant de victimes civiles.
Mykhailo Volynets, Président du Syndicat indépendant des mineurs d'Ukraine (NPGU), a déclaré :
« Chaque jour, le secteur énergétique et les charbonnages d'Ukraine ont été et restent l'une des cibles prioritaires des forces russes. Les attaques de missiles et de drones coupent constamment l'électricité dans les mines, mettant les travailleurs et travailleuses en danger de mort. Tout est mis en œuvre pour garantir une saison de chauffage stable pour 2025-2026, afin de préserver la sécurité énergétique du pays, d'éclairer les foyers et d'alimenter les hôpitaux en électricité ainsi que de subvenir aux besoins des familles. Les mineurs ukrainiens méritent véritablement une protection et un soutien sans faille. Les membres du NPGU continuent de résister en se consacrant à leurs tâches sur leur lieu de travail, en se portant volontaires et en défendant des vies et la paix en première ligne. Nous appelons tous nos camarades, toutes nos organisations sœurs, à continuer de nous aider. »
Dmytro Zelenyi, qui dirige la section locale de Dobropillia du Syndicat indépendant des mineurs d'Ukraine, a déclaré :
« Je tiens à souligner que les mineurs sont des personnes courageuses, car ils travaillent sous terre, sous des attaques constantes, et qu'ils sont également des défenseurs de l'Ukraine sur le front. Parmi nos membres, nous comptons des réfugiés de Myrnohrad, Pokrovsk et d'autres villes minières. En tant que syndicat, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver les emplois, soutenir les mineurs et évacuer nos membres, les mineurs et leurs familles. Malheureusement, en raison de l'agression russe en cours, nos ressources sont réduites. Nous serons reconnaissants pour toute aide apportée à nos mineurs et à leurs familles. »
Yaroslava Bytiutska, responsable de la section de base du NPGU à la dixième unité de sauvetage minier, a déclaré :
« Il y a tout juste un an encore, j'étais chez moi à Myrnohrad (région de Donetsk), où vivait ma famille et où mon petit-fils allait à l'école. Nous avons continué à travailler là-bas malgré les bombardements russes, mais nous avons ensuite dû évacuer vers la ville de Dobropillia et maintenant nous avons dû partir de là aussi. Le 30 avril, le site de relocalisation de notre unité à Dobropillia a été détruit. L'un de nos collègues, Roman, a été gravement blessé et brûlé. Pendant plus de 20 ans, Roman a sauvé des vies et aujourd'hui, c'est lui qui a besoin d'être soigné et de bénéficier de toute urgence d'une rééducation. Aujourd'hui, les sauveteurs miniers sont devenus la cible des forces russes. Notre collègue Anton Zemlianyi, commandant de l'équipe opérationnelle de sauvetage, a été tué alors qu'il sauvait des vies et aidait bénévolement les habitants de la communauté de Pokrovsk en juin dernier. »
IndustriALL et ses affiliés ukrainiens formulent une demande d'intervention urgente.
« Nous appelons l'OIT et la communauté internationale à agir immédiatement pour protéger les travailleurs et les travailleuses ukrainiens et fournir une aide humanitaire aux mineurs déplacés ainsi qu'à leurs familles » a déclaré Atle Høie, Secrétaire général d'IndustriALL.
À la veille de la journée des mineurs d'Ukraine, le 31 août, IndustriALL exprime sa solidarité sans faille avec les mineurs d'Ukraine et leurs familles.
« Nous revendiquons la fin immédiate de la guerre d'agression et de l'occupation menées par la Russie » a martelé Atle Høie.
Russian strikes continue to cripple Ukraine's mines and communities
https://www.industriall-union.org/russian-strikes-continue-to-cripple-ukraines-mines-and-communities
Los ataques rusos siguen paralizando las minas y las comunidades de Ucrania
https://www.industriall-union.org/es/los-ataques-rusos-siguen-paralizando-las-minas-y-las-comunidades-de-ucrania

À la source de l’impasse politique française, la crise économique
Le récit dominant tente de faire de l'économie française une victime innocente de la crise politique. Elle est en réalité la source de l'instabilité politique et de la profonde crise démocratique que traverse le pays.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
5 septembre 2025
Par Romaric Godin
Pour son premier journal de 20 heures, lundi 1er septembre, la journaliste de France 2 Léa Salamé avait invité Michel-Édouard Leclerc. Le patron de la distribution était venu se lamenter des effets néfastes de « l'incertitude politique » sur l'économie. Le 3 septembre, Thierry Cotillard, le patron d'Intermarché, abondait dans ce sens au micro de France Inter. La veille, Le Monde avait entonné ce même refrain, voyant dans les troubles politiques une source de « fragilisation » de l'économie française.
Et ce ne sont là que quelques exemples parmi une montagne de sujets identiques. Car la figure est désormais classique. À chaque menace sur le gouvernement, l'économie est présentée comme la victime innocente des déboires de la politique française. Cette forme n'est pas innocente : elle participe à la construction d'un imaginaire où la politique serait une force autonome, indépendante de la situation économique.
Ainsi, les forces économiques, elles, seraient immédiatement dégagées de toute responsabilité. Mais c'est un discours étrange qui vient se lamenter sur un potentiel « décrochage » de la croissance pour raison politique en feignant d'ignorer que le décrochage de la croissance a précédé la crise politique.
La France en pleine crise économique
D'ailleurs, ce discours s'accompagne en permanence d'un autre : celui d'une économie française « qui ne va pas si mal ». Alors même que, au premier semestre, l'acquis de croissance n'est que de 0,5 % avec une contribution des stocks, c'est-à-dire une production non vendue qui a apporté 1,1 point de PIB… C'est ce qu'on pourrait appeler une croissance largement fictive qui sera compensée à un moment ou à un autre.
En réalité, il suffit d'observer un graphique de l'évolution du PIB français pour comprendre que le pays tend à la stagnation. Selon la Banque mondiale, le PIB par habitant français en dollars constants et en parité de pouvoir d'achat a progressé de 8,59 % entre 2007 et 2024. C'est 3,5 fois moins que l'augmentation des dix-sept années précédentes, entre 1990 et 2007, qui était de 29,75 %.
Ce ralentissement sévère s'est accompagné d'une dégradation des gains de productivité : selon la Banque de France, les gains de productivité calculés sur la population en âge de travailler sont passés de 1,5 % en moyenne entre 1998 et 2007 à 0,4 % entre 2019 et 2023.
Le discours dominant inverse donc la réalité. La crise politique française ne peut se comprendre indépendamment des conditions de ce qui constitue le mouvement fondamental qui organise les sociétés capitalistes, l'accumulation du capital. Le ralentissement de cette accumulation conduit à des perturbations qui, nécessairement, ont des impacts politiques.
Le pays, comme, du reste, l'économie mondiale, ne s'est jamais remis de la crise de 2007-2008. Le « gâteau » augmentant désormais de plus en plus lentement, le combat pour son partage est nécessairement plus âpre. Pendant les années 2010, les politiques monétaires et la radicalisation des politiques néolibérales permettent d'assurer une redistribution favorable au capital. Les alternances de cette époque, en 2012 et 2017, sont alors de pure forme : la politique poursuivie est celle de l'affaiblissement du monde du travail (réformes du marché du travail), le soutien direct au capital (réformes fiscales de 2018) et la pression sur l'État social (santé, retraite, chômage).
Mais la croissance ne repart pas davantage que la productivité. La crise sanitaire et ses suites inflationnistes achèvent alors d'affaiblir la capacité des économies à produire de la valeur dans le cadre néolibéral, c'est-à-dire dans celui du marché concurrentiel international. Au sein du capital, cette nouvelle étape dans la crise conduit naturellement à une fragmentation, selon plusieurs lignes.
La dépendance aux exportations
La première ligne de fracture est la dépendance au soutien de l'État. Comme l'a montré une étude récente, l'État français avait déjà été mis très largement au service du capital durant les années néolibérales. Des transferts massifs ont été organisés vers le secteur privé dès les années 1990. Mais au début des années 2020, le mouvement s'accélère et s'amplifie avec de grands plans de relance et de nouvelles exonérations fiscales. Certains secteurs deviennent hautement dépendants de ces aides comme l'industrie et le commerce.
La deuxième ligne de fracture est la dépendance aux exportations. Certains secteurs, dans le cas français les plus grandes entreprises, profitent de leur exposition aux marchés internationaux. Ils n'ont donc aucun intérêt à une politique de défense du marché intérieur. Le patron de LVMH, Bernard Arnault, a ainsi pris la défense de l'accord commercial entre l'Union européenne et les États-Unis signé fin juillet, mais, en parallèle, la concurrence internationale fragilise des pans entiers de l'économie française qui réclament davantage de protections.
La troisième ligne de fracture est la capacité à échapper à la concurrence par la mise en place de rentes. Ces rentes peuvent prendre des formes diverses. On trouve des oligopoles classiques, comme dans la finance, la distribution ou l'énergie, mais aussi des formes plus modernes fondées sur l'abonnement qui permet d'imposer une vente indépendamment de la consommation réelle de biens et de services. L'existence de ces secteurs est devenue évidente avec l'inflation des années 2022-2024, qui a principalement été causée par la hausse des profits dans certains secteurs.
La réalité est encore plus complexe que ce qui est décrit ici, mais, globalement, la fragmentation des intérêts du capital est un phénomène classique en cas de crise structurelle du capitalisme. Dans son ouvrage sur la crise économique allemande des années 1930, Ökonomie und Klassenstruktur des deutschen Faschismus (Suhrkamp, 1973, à paraître en français prochainement sous le titre Industrie et national-socialisme aux éditions La Tempête), le philosophe et historien allemand Alfred Sohn-Rethel décrit comment la crise de 1929 avait conduit à fragmenter l'économie allemande en deux camps : le camp monopoliste favorable à l'autarcie qu'il appelle le « camp du Harzburg »,du nom de l'alliance entre les nazis et les conservateurs, et le camp exportateur qu'il appelle le « camp de Brüning », du nom du chancelier austéritaire qui a gouverné de 1930 à 1932.
Un phénomène comparable se produit dans la France des années 2020, mais la question centrale y est celle du budget de l'État. Ce dernier doit soutenir massivement des secteurs entiers, alors même que la fin du soutien des banques centrales aux marchés conduit le secteur financier à demander des garanties aux États pour assurer sa rente. Globalement, les secteurs rentiers appellent à réduire le rôle de l'État parce qu'ils prétendent à la remplacer et qu'ils font de la baisse des impôts leur priorité.
Un conflit autour du budget au sein du capital devient donc inévitable. En schématisant, le secteur financier réclame une réduction rapide du déficit pour garantir leurs actifs, tandis que plusieurs secteurs, du commerce à l'industrie, réclament la poursuite des aides massives. Pour l'économie française, une telle contradiction est hautement dangereuse. Le modèle économique français repose sur deux pôles opposés : une mince couche de « champions » de l'exportation et une profonde financiarisation. Ce sont précisément ces pôles qui s'opposent sur le budget.
La stratégie unitaire du capital
Pour conserver leur position de défenseurs du camp du capital, les anciens néolibéraux, c'est-à-dire ce que les observateurs politiques ont appelé le « bloc central », tentent de maintenir coûte que coûte la cohérence interne du capitalisme français. C'est d'ailleurs une différence notable avec la stratégie de Brüning qui, en 1930-1932, assumait, dans sa politique de soutien aux exportateurs, le conflit interne au capital. Sauf que, dans la France de 2020, ce sont les deux secteurs qui soutenaient jadis le chancelier qui sont en opposition.
Cette cohérence interne du capital peut alors se fonder sur une poursuite de la logique néolibérale, c'est-à-dire sur l'ajustement du monde du travail et de l'État social aux besoins du capital. L'accord proposé est donc simple : on maintient le transfert de fonds de l'État vers le secteur privé, tout en réduisant le déficit par une contribution croissante du travail et des services publics. Bref, c'est une austérité ciblée sur le travail, ennemi commun des deux camps opposés du capital.
C'est sur ce principe que les budgets ont été construits depuis 2022. Et c'est aussi pour cette raison que la situation budgétaire s'est dégradée. Cette politique n'a, en effet, pas pour fonction d'augmenter les recettes fiscales ou la croissance, mais de maintenir à flot une partie du capitalisme français. Alfred Sohn-Rethel résumait ce type de politique par cette formule : il s'agit de gérer une économie en ruine en la perpétuant dans cet état.
Dans ces conditions, le déficit public ne peut que rester très élevé et le « rendement » de la dépense publique, c'est-à-dire son impact sur la croissance, doit rester très faible. Mais, dès lors, cette gestion de la ruine déploie sa propre logique : au fil du temps, la pression pour réduire le déficit par la destruction de l'État social ne peut que croître. Et plus on détruit l'hôpital, l'école, les transports, l'assurance-chômage, plus il faut aller loin.
Or, en parallèle, la situation des ménages ne cesse de se dégrader et rend la pression de cette politique intenable. Les inégalités se creusent, la pauvreté progresse et les salaires stagnent. Selon la Dares et l'Insee, les salaires nominaux ont ainsi progressé de 13 % entre mars 2021 et mars 2025, soit un peu moins que les prix sur la même période (+ 13,7 %). En quatre ans, la rémunération réelle des travailleurs a ainsi grosso modo stagné. Mais, en réalité, cela signifie que, depuis quatre ans, leur niveau de vie est resté dégradé.
Très concrètement, les ménages, et en particulier les plus modestes, sont les principales victimes de la stagnation de l'économie française. Si le PIB stagne et qu'il faut continuer, par l'intermédiaire de l'État, de soutenir le taux de rendement du capital, la conséquence inévitable est que la masse de la population doit voir sa part du gâteau se réduire. On se souviendra, à cet égard, que l'Insee avait souligné en 2021combien l'accès aux services publics et la sécurité sociale participaient à la baisse des inégalités réelles dans le pays. Les attaquer de front, c'est donc mener une guerre sociale pour le compte du capital.
L'impasse du « bloc central »
Logiquement, la stratégie unitaire du capital du « bloc central » est extrêmement impopulaire. Elle ne regroupe, au mieux, qu'un petit tiers de l'électorat et, au fil du temps et du déploiement de cette logique, cette part recule. Le maintien au pouvoir du « bloc central » repose alors uniquement sur la division indépassable des oppositions entre gauche et extrême droite. Mais c'est un pouvoir qui n'a plus de base démocratique solide.
C'est bien pour cette raison que, depuis 2022, il a perdu toute chance d'obtenir une majorité à l'Assemblée nationale et que, partant, les budgets doivent passer en force depuis lors. Soit à coups de 49-3 comme en 2022 et 2023, soit après une motion de censure pour le budget de cette année.
Cette situation conduit inévitablement à une crise démocratique. Le régime institutionnel est incapable de régler la réalisation politique de la crise économique, c'est-à-dire l'opposition radicale entre la stratégie d'unité du capital et les vœux de la population. Le « bloc central » est incapable de gérer une telle opposition puisque sa priorité reste l'unité du capital.
Le capital français peut alors faire un choix cynique : puisqu'il existe une opposition entre démocratie et capitalisme, il faut sacrifier la démocratie.
Toute réduction des aides aux entreprises, toute remise en cause des réformes fiscales de 2018 ou tout renoncement à réduire le budget pourraient satisfaire en partie la demande démocratique, mais provoqueraient une fragmentation interne au capital qui affaiblirait le modèle économique du pays et la fonction sociale du « bloc central ». C'est aussi pour cette raison que tout compromis réel est impossible avec la gauche. Quant à l'extrême droite, elle se présente, on le verra, comme une alternative au « bloc central » pour le capital.
L'impasse est donc totale. Et dans ce cadre, la stratégie de François Bayrou se comprend, mais elle est dérisoire. La dramatisation de la dette publique en la réduisant aux effets de la dépense sociale permet de trouver une justification morale et financière au maintien de la stratégie d'unité du capital. Mais c'est en réalité un désastre. La culpabilisation d'une population qui a un sentiment justifié de perte de contrôle démocratique et de perte de niveau de vie conduit à creuser encore le fossé.
La stratégie du « bloc central » est donc un échec démocratique. Certes, il peut encore survivre en détachant une partie de la gauche pour l'intégrer dans la stratégie d'unité du capital. Il peut encore jouer sur la « menace des marchés » pour imposer sa politique au centre-gauche. Mais le problème est que ce transfert ne peut se faire qu'au prix d'un suicide politique tant cette stratégie est impopulaire. Ce n'est donc qu'un report temporaire du problème.
Quelles portes de sortie ?
Globalement, deux résolutions semblent possibles à la crise française. La première est celle d'une reprise du mouvement social pour briser la politique favorable au capital. Mais la situation du capitalisme français est telle qu'aucune solution de compromis de classes ne semble possible. Les PME françaises sont hautement dépendantes des grandes entreprises et de la pression sur le coût du travail.
Si le mouvement social veut être une porte de sortie, il doit donc assumer de penser une autre organisation sociale. Dans le cas contraire, il ne peut qu'être éphémère et stérile politiquement comme cela a été le cas pour le mouvement Nuit debout, celui des « gilets jaunes » ou celui contre la réforme des retraites de 2023. Pour le moment, cette hypothèse est donc quasiment purement théorique. En attendant le 10 septembre, du moins.
L'autre hypothèse est, là encore, décrite avec précision par Alfred Sohn-Rethel : l'extrême droite se présente comme une alternative pour certains secteurs du capital en s'appuyant sur le mécontentement populaire. Dans le cas allemand des années 1930, l'économie de guerre nazie permettait de régler (temporairement et au prix de la guerre) le problème global de valorisation de l'économie de ruine et donc de nombreux secteurs victimes de la crise. Mais elle a supposé d'intégrer de gré ou de force en son sein le secteur exportateur partisan de Brüning.
Dans le cas français, l'extrême droite n'a aucune stratégie économique claire. Mais elle a un atout : sa capacité à mobiliser une partie de l'opinion. Face à l'échec du « bloc central », le capital français peut alors faire un choix cynique : puisqu'il existe une opposition entre démocratie et capitalisme, il faut sacrifier la démocratie. Un régime autoritaire permettrait alors d'appliquer la stratégie d'unité du capital de façon plus efficace et plus violente, avec la mise en place de discriminations, de dérégulations sociales et environnementales, de baisses massives d'impôts sur le capital et de mise à mort de l'État social.
Dans les faits, la traduction politique de ce choix serait la fusion entre le bloc central et son idéologie et l'extrême droite et ses méthodes. Une fusion qui est déjà en cours et dont les capitalistes français, petits et grands, constituent le fondement social.
Cette option est aujourd'hui une épée de Damoclès sur le pays. C'est pour cette raison que beaucoup peuvent encore faire le choix du « moindre mal » du « bloc central ». Mais plus celui-ci reste au pouvoir, plus sa situation se fragilise et plus sa pratique tend vers l'autoritarisme. Aussi y a-t-il urgence à sortir des illusions naïves d'une économie victime de la politique et encore capable de sauver le pays. Et de comprendre que la source de la crise actuelle est avant tout la crise structurelle de l'économie française qui n'est qu'une part de celle du capitalisme contemporain.
Romaric Godin
P.-S.
• « À la source de l'impasse politique, la crise économique ». Mediapart, 5 septembre 2025 à 18h11 :
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/050925/la-source-de-l-impasse-politique-la-crise-economique
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10 septembre : ce que les assemblées générales révèlent du mouvement
Mouvement nébuleux d'extrême droite, renouveau des gilets jaunes ou réunion de militants de gauche ? Depuis août, des assemblées générales préparent le mouvement de blocage du 10 septembre dans plus de 60 villes. Décryptage.
2 septembre 2025 | tiré de Basta.media
https://basta.media/10-septembre-ce-que-les-assemblees-generales-revelent-du-mouvement
Il se passe quelque chose en cette rentrée 2025. Le 28 août, 400 personnes se sont réunies dans le parc de la Villette, à Paris, pour la première assemblée générale du mouvement du 10 septembre en Île-de-France. Cette même semaine, 200 personnes se sont rassemblées à Montpellier, Grenoble, Lille… 300 à Lyon. Les villes moyennes, voire petites, ne sont pas en reste : 60 personnes à Alès, une cinquantaine au Havre, une soixantaine à Aix-en-Provence et à Lorient, ou encore une vingtaine à Souillac dans le Lot, ou à Romans-sur-Isère. Selon notre décompte, plus d'une soixantaine de villes ont déjà vu éclore des AG.
Le passage du numérique au physique n'était pourtant pas acquis pour le mouvement du 10 septembre. Lancée en plein mois de juillet par un groupuscule complotiste d'extrême droite nommé « Les Essentiels », la première action prévue à cette date n'était autre qu'un appel à « l'auto confinement généralisé ». L'objectif était flou : « reprendre le contrôle sur nos vies » et le mot d'ordre peu propice à la rencontre. Mais au fur et à mesure de l'été, à la faveur de boucles Telegram souvent intitulées « Bloquons tout » ou « Indignons-nous », la couleur politique du 10 septembre a changé.
L'appel des Essentiels a peu à peu été marginalisé. Sa chaîne Telegram peine à dépasser les 500 membres quand les boucles concurrentes « Bloquons tout » avoisinent désormais les 10 000 membres et se multiplient pour couvrir une diversité de zones géographiques. Pour le 10 septembre, l'appel à « l'auto-confinement » et à la grève de la consommation s'est globalement mué en organisation d'assemblées générales qui incitent aux blocages, aux grèves et aux manifestations.
L'objectif de court terme est désormais de s'opposer au « budget Bayrou », qui promet plus de 40 milliards d'euros d'économie en coupant dans le financement de la sécurité sociale, de la fonction publique, ou encore en supprimant deux jours de congé. Le probable départ du Premier ministre le 8 septembre, suite au vote de confiance de l'Assemblée nationale qu'il a lui-même requis, n'y change rien. « On parle d'austérité et plus de Bayrou dans les AG, mais le fond du propos n'a pas changé », explique Pierre*, impliqué dans les AG du 10 septembre à Alès.
Retour des gilets jaunes ?
« Oui, il se passe quelque chose. Il y a une impulsion, ça donne envie de s'y impliquer, mais il est bien difficile de dire ce qui va se passer le 10 septembre », confie Gaël*, militant libertaire ayant participé à l'AG de Montpellier. Pour tenter d'y voir plus clair, de nombreux observateurs comparent le 10 septembre 2025 au 17 novembre 2018, date de début du mouvement des gilets jaunes.
Tout comme ce dernier, le mouvement du 10 septembre est d'initiative citoyenne, indépendant des syndicats et des partis. La présence de militants qui se revendiquent « gilets jaunes » dans les assemblées du 10 septembre aide aussi à tracer un tel parallèle. « La première AG montpelliéraine a été organisée par les gilets jaunes d'un rond point toujours actif dans la ville », explique Gaël*.
Pourtant, les différences avec le mouvement social de 2018-2019 sont nombreuses. À commencer par les liens potentiels avec l'extrême droite. Le début du mouvement des gilets jaunes était marqué par une présence – certes marginale – de militants d'extrême droite. Elle semble cette fois cantonnée à internet. « J'ai vu surtout des militants de gauche et des syndicalistes », estime Cyril*, jeune militant qui a participé à l'AG de Saint-Denis. Gaël abonde : « Pour moi, à Montpellier, il n'y avait pas de "fachos". Par contre il y avait des primo-militants ».
À Paris, ou encore à Toulouse, la nécessité d'éloigner l'extrême droite a été clairement évoquée : « Si on voit une personne réac en AG, on discute, si c'est un militant d'extrême droite, on le dégage », peut-on lire dans un compte rendu. Les thématiques du mouvement tournent autour de la justice sociale, de la démocratie, ou de l'écologie. La question palestinienne, la lutte contre le sexisme et les LGBTphobies, la nécessité de parler aux quartiers populaires, sont aussi souvent évoquées.
« Je ne trouve pas que le parallèle avec les gilets jaunes soit bon. Mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose. À l'époque, les revendications précises ont mis longtemps à émerger, là on gagne peut-être du temps », suggère Cyril* de Saint-Denis. D'autres sont moins optimistes. « Je ne sais pas encore à quel point le 10 septembre arrivera à sortir du cadre militant, comme a su le faire le mouvement des gilets jaunes », ajoute Pierre*, autrefois très impliqué dans la mobilisation citoyenne à Alès.
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Partis de gauche et syndicats en appui
Autre différence notable avec le mouvement au gilet fluo : le rapport aux partis politiques, aux syndicats et organisations classées à gauche. S'ils étaient restés distants, voire méfiants à l'approche du 17 novembre 2018, les partis de gauche (PC, LFI, PS, EELV) et les syndicats (Solidaires et CGT) ont cette fois signifié leur soutien au mouvement du 10 septembre, avec plus ou moins d'insistance. Attac ou les Soulèvements de la terre ont fait de même. Les partis de droite et le RN se sont au contraire éloignés de ce dernier, voire l'ont condamné.
Dès le début du mois d'août, plusieurs fédérations de la CGT, comme la FNIC-CGT (industries chimiques), la CGT commerce et service, ou certaines unions départementales, comme celle du Nord, ont de leur côté appelé à une grève le 10 septembre. Ces organisations ont pour point commun de se montrer critiques de la stratégie confédérale de la CGT.
Leurs appels ont peu à peu été appuyés par diverses unions locales ou syndicats d'entreprises. Finalement, le 26 et le 27 août, la confédération CGT, qui a réuni ses fédérations et ses unions départementales, a décidé d'inclure le 10 septembre à son agenda de mobilisation du mois. Pas un appel ferme à la grève mais une incitation à « débattre avec les salariés et à construire la grève partout où c'est possible », qui montre une sympathie pour le mouvement citoyen.
Côté Solidaires, de grosses fédérations professionnelles (Sud-Rail, Sud-Industrie, Sud-PTT et Finances publiques) ont également appelé à cesser le travail ce jour-là. Le 27 août, l'union syndicale Solidaires tout entière a finalement opté pour un appel à la grève et au blocage. La Confédération paysanne s'est elle aussi jointe au mouvement.
La date du 10 septembre n'a toutefois pas été retenue par l'intersyndicale (FO, CFDT, CFE-CGC, Solidaires, CGT, CFTC et UNSA) qui lui a préféré celle du 18 septembre pour une « journée de mobilisation y compris par la grève et la manifestation ». Mais des initiatives intersyndicales de plus petite ampleur sont à l'œuvre. À l'appel du STJV, de Solidaires Informatique et de la CGT (syndicats minoritaires dans le secteur), les salariés de l'informatique, du conseil et des bureaux d'études se réuniront le 8 septembre à la Bourse du travail de Paris pour préparer la grève ensemble.
En Seine-Saint-Denis, les syndicats enseignants de la FSU, de Solidaires et de la CGT ont signé un communiqué commun pour appeler à la grève le 10. « Dans mon secteur, il est très facile de parler du 10 septembre avec les collègues », témoigne Cyril qui travaille dans la fonction publique territoriale. De même, « les syndicalistes sont aussi présents dans les AG. À Paris, ils interviennent en leur nom, parlent de la grève et de leur secteur », confirme Quentin*, néo-militant syndical à Paris.
Quelles actions ?
En attendant le 10 septembre, les actions se préparent dans les AG et les boucles Telegram. L'une d'entre elles pourrait même intervenir avant la date fatidique. « Le 8 septembre à 20h, retrouvons-nous sur la place des Terreaux pour une grande fête populaire : le pot de départ de Bayrou ! Une soirée pour créer du lien, s'amuser et s'unir avant le 10 septembre », résume un post Telegram de la chaîne Lyon Insurrection, suivie par 10 000 personnes. Cet appel à rassemblement devant les mairies s'est déjà dupliqué dans plusieurs villes.
Et le jour J ? « On a prévu un rassemblement le matin sur une des places principales de la ville. L'idée est de se rendre visible et de rassembler un maximum de gens pour décider de ce qu'on fait », détaille Pierre d'Alès. À Paris l'AG d'Île-de-France n'avait pas vocation à fixer d'action, prérogative plutôt dévolue aux AG de villes. « Les initiatives proposées différent forcément en fonction des profils des gens. Les syndicalistes parlent de grève quand d'autres évoquent des occupations de rond point ou des blocages symboliques. Pour le moment à Montpellier il semble qu'il y aura des blocages le matin, puis un rassemblement dans l'après-midi pour se compter et enfin une AG », énumère Gaël.
*Les militants interviewés dans cet article ont souhaité rester anonymes.

Chute de Bayrou : une victoire de la colère par en bas, dégageons Macron et les politiques anti-ouvrières !
La chute de Bayrou constitue une première victoire pour toutes celles et ceux qui aspirent à construire la mobilisation face aux plans du gouvernement. Alors que Macron va chercher à reprendre la main, il faut continuer à s'organiser par en bas pour le dégager et arracher nos revendications.
8 septembre 2025 | tiré du site de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Chute-de-Bayrou-une-victoire-de-la-colere-par-en-bas-degageons-Macron-et-les-politiques-anti
Chute de Bayrou : une première victoire du mouvement du 10 septembre
Le baroud d'honneur de François Bayrou et ses leçons interminables sur la nécessité de réduire le déficit et la dette n'auront pas suffi. François Bayrou est tombé ce lundi soir, après avoir demandé un vote de confiance au Parlement, dans l'espoir que le RN s'abstienne. Raté. Rejeté par 364 voix, Bayrou perd le vote de confiance. La démission du Premier ministre devrait avoir lieu mardi matin, mais la chute du gouvernement devrait être fêtée dans de nombreuses villes en France dès ce soir.
Le pari perdu de Bayrou est une première victoire pour la colère ouvrière et populaire qui s'est exprimée après les annonces austéritaires du 15 juillet dernier. À la différence de Barnier, qui était tombé en premier lieu du fait de la profonde crise politique et d'une décision tactique de l'extrême-droite, cette fois c'est le rejet massif suscité par le budget 2026 et la préparation d'une mobilisation le 10 septembre qui a mis Bayrou à terre, en obligeant les partis qui le soutenaient à un revirement.
Cette première victoire démontre les potentialités de la mobilisation par en bas, et doit servir de point d'appui pour renforcer la préparation du 10 septembre, puis du 18. Car si la chute de Bayrou témoigne des fragilités du régime et de la profonde colère face à l'austérité, Macron et les classes dominantes comptent bien chercher à reprendre la situation en main.
Une crise politique XXL
La chute d'un gouvernement à la suite d'un vote de confiance est une première historique sous la Ve République. En l'espace d'un an, Bayrou est le troisième Premier ministre à être chassé de Matignon, dans le cadre d'une crise politique qui s'approfondit en continu depuis 2022. Au moment où un mouvement social pourrait se développer, cette situation met Macron et l'institution présidentielle qu'il incarne en première ligne face à la colère. De quoi faire craindre aux éditorialistes des classes dominantes une bascule dans une « crise de régime », qui mènerait à l'effondrement de la Ve République, régime qui a assuré la stabilité du capitalisme français pendant des décennies.
La France vit peut-être un moment de rupture. La crise politique n'est plus épisodique, mais structurelle : la Ve République, conçue pour stabiliser le pouvoir de l'État, est aujourd'hui paralysée. Dans ce contexte, la chute inéluctable de Bayrou agit comme un symptôme et un accélérateur. Pour la première fois depuis l'aggravation de la crise politique après la dissolution ratée de 2024, elle s'accompagne de la perspective d'un nouveau mouvement social, avec des éléments de radicalisation en dehors du contrôle des bureaucraties syndicales. Une situation qui commence à inquiéter la bourgeoisie.
Dans ce cadre, il est probable que Macron cherche à nommer rapidement un nouveau Premier ministre, en pariant sur un nouveau gouvernement du socle commun. Les noms de Darmanin, Vautrin, Retailleau ou Lecornu circulent en ce sens dans les lieux de pouvoir. D'ores et déjà, les négociations pour obtenir un accord de non-censure vont bon train. Après avoir déposé sa candidature à Matignon, le PS, rejoint par les Écologistes, se pose en roue de secours du régime en échange d'une mesure symbolique de taxation des « riches ». Du côté du RN, l'hypothèse d'un accord de non-censure pourrait également se concrétiser. Si Marine Le Pen exclut d'emblée de soutenir un gouvernement qui compterait des membres du NFP, Lecornu pourrait parvenir à arracher son soutien tacite, en reprenant des pans entiers de son programme raciste.
Un tel gouvernement du bloc central, qui répéterait l'expérience Bayrou ou Barnier, serait cependant plus fragile encore que ses prédécesseurs et devrait affronter à la fois le risque d'une censure en même temps que le mouvement en train de se construire. Ce sont ces limites qui expliquent des secteurs du régime envisagent des alternatives, comme l'idée de propulser l'extrême droite de Marine Le Pen à Matignon à l'issue de nouvelles élections législatives, formulée par Sarkozy ou Breton pour tenter de retrouver une stabilité relative. Un tel scénario impliquerait un saut bonapartiste inédit sous la Ve République, mais pourrait lui aussi s'avérer explosif.
Construire le 10 septembre, continuer le 18 pour imposer un plan alternatif aux directions syndicales
La situation et ses dangers exigent que le mouvement ouvrier ne laisse pas la crise dans les mains des classes dominantes et cherche à intervenir pour imposer une autre issue. Face aux manœuvres par en haut, il y a urgence à s'organiser et à intervenir avec nos propres méthodes, pour dégager Macron et arracher nos revendications. En ce sens, le mouvement du 10 septembre exprime ces dernières semaines une aspiration d'un secteur de l'avant-garde militante à organiser la lutte contre le gouvernement.
De nombreuses AG s'organisent dans tout le pays, comme à Nantes ou à Paris, où des points de blocage sont organisés autour des piquets de grève, tandis que des secteurs du mouvement ouvrier ont investi les assemblées générales et lient leurs grèves aux mobilisations. C'est le cas par exemple des énergéticiens, des travailleurs des transports lyonnais, des hôpitaux de Tenon et de Beaujon ou encore des travailleurs de la RATP et des cheminots du Bourget.
Ces dynamiques montrent qu'il existe une envie de se battre et qu'elle dialogue avec l'état d'esprit de secteurs du prolétariat. La journée du 10 septembre permettra de donner une idée de la capacité de ce mouvement à construire un rapport de force. Mais une chose est déjà sûre : si l'énergie militante qui commence à se déployer se dote d'une stratégie pour s'étendre et de perspectives, cette dynamique auto-organisée peut permettre d'impacter le mouvement ouvrier, et de transformer la nature du 18 septembre, contre les plans de l'intersyndicale, en en faisant un point d'appui pour l'élargissement du mouvement.
En ce sens, si les actions de blocage qui se préparent dans le cadre du mouvement du 10 septembre peuvent jouer un rôle dans la mobilisation, elles ne permettront pas à elles seules de construire un rapport de force durable à même de bloquer l'économie. À l'heure où une large partie de la population est en colère, c'est bien une grève générale politique, qui porte les aspirations de l'ensemble des secteurs ouvriers et populaires, qui peut permettre de réellement « bloquer tout » et d'arracher nos revendications.
C'est donc cette perspective que les AG doivent permettre de construire, en refusant de limiter leurs objectifs à faire tomber Macron pour imposer de nouvelles élections comme le demande la France Insoumise, et en se dotant d'un programme qui articule revendications sociales et politiques. Le refus de l'austérité et de la militarisation, l'abrogation de la réforme des retraites pour une retraite à 60 ans ou encore un financement massif des services publics prélevé sur les profits du patronat bien sûr. La démission de Macron évidemment. Mais aussi la fin de la Vème République, qui offre de multiples leviers aux classes dominantes pour tenter de sortir par le haut de la situation, en exigeant la mise en place d'une Assemblée unique, dont les députés seraient élus pour 2 ans par des assemblées locales, révocables et payés comme un·e infirmier·e.

« Je veux gouverner »
Une entrevue avec Clémentine Autain, députée à l'Assemblée nationale. Dans cette entrevue à #LaMidinale, la députée donne ses conditions pour gouverner.
3 septembre 2025 | tiré de Regards.fr
https://www.youtube.com/watch?v=7ogYbSv0yr8

Le nouveau parti de gauche britannique pourrait s’avérer dévastateur pour le Labour
Jeremy Corbyn et Zarah Sultana ont annoncé cet été la création d'un nouveau parti de gauche, qui a suscité immédiatement un énorme enthousiasme parmi toutes celles et ceux qui, en Grande-Bretagne, aspirent à une rupture avec le statu quo néolibéral, impérialiste et raciste. Le lancement réussi de cette nouvelle organisation prouve notamment que le génocide à Gaza est devenu une ligne de fracture décisive de la politique britannique : même face à la menace grandissante de l'extrême droite, le Parti travailliste de Keir Starmer, actuellement au pouvoir, ne peut plus réduire la gauche au silence.
3 septembre 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/le-nouveau-parti-de-gauche-britannique-pourrait-saverer-devastateur-pour-le-labour/
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Le 29 juillet 2025, Keir Starmer (1962) a annoncé que la Grande-Bretagne reconnaîtrait un État palestinien en septembre, si Israël n'acceptait pas d'abord un cessez-le-feu. L'attitude arrogante de Starmer — qui suggère que l'ancienne puissance coloniale pourrait reconnaître l'autodétermination palestinienne — n'avait d'égale que sa futilité. Alors que la Grande-Bretagne continue d'armer Israël pour la destruction de Gaza, Starmer a évité de mentionner comment un État palestinien verrait le jour ou quelles seraient ses frontières légitimes. Ce coup de pub, destiné uniquement à afficher une distance embarrassée vis-à-vis d'Israël était d'un cynisme sidérant.
Alors que certains médias de droite se moquaient de Starmer, l'accusant de céder face aux critiques des députés travaillistes, ses propos n'avaient rien d'un revirement. Il n'a présenté aucune excuse pour le rôle de son gouvernement dans l'armement d'Israël, et il n'a pas critiqué ses actions criminelles. Il s'est contenté de recourir à des formules passives et désincarnées, parlant d'un « échec catastrophique de l'aide ». En un an de pouvoir, le Labour de Starmer a clairement sous-estimé la colère de l'opinion publique face aux crimes israéliens. Sous la pression du mouvement pro-palestinien et d'un tollé médiatique tardif, il infléchit aujourd'hui son discours de façon opportuniste. Mais peu oublieront la ligne qu'il a tenue jusqu'ici.
Gaza aura sans aucun doute des répercussions sur la politique britannique. La comparaison évidente est l'invasion illégale de l'Irak en 2003. La position inflexible de Tony Blair (1953) aux côtés de George W. Bush (1946) avait déjà mêlé mensonges d'État, diabolisation des opposants et, à la fin, un vague aveu d'« erreurs » officielles. Ce bain de sang n'avait pourtant eu que des effets lents sur la politique partisane, les forces alternatives de gauche ne réussissant que des percées locales ponctuelles. Mais, à terme, la destruction de la confiance publique a fini par miner profondément le New Labour. L'héritage du mouvement anti-guerre a même joué un rôle décisif dans l'ascension de Jeremy Corbyn à la tête du Labour en 2015.
Aujourd'hui, Gaza semble devoir produire un effet bien plus immédiat. Les loyautés partisanes sont moins solides qu'en 2003, et Starmer n'a jamais bénéficié d'un mandat réellement fort. Lors des élections de juillet 2024, le Labour a certes infligé une lourde défaite aux conservateurs moribonds — raflant 411 des 650 sièges de la Chambre des communes — mais il n'a recueilli que 33,7 % des voix, sur une participation inférieure à 60 %. Depuis, ses intentions de vote ne cessent de s'effriter. Et l'annonce de la création d'un nouveau parti de gauche par Jeremy Corbyn (1949) et Zarah Sultana (1993) menace d'ouvrir une nouvelle brèche dans son électorat. L'autoritarisme obstiné du gouvernement Starmer — qu'il s'agisse d'immigration, d'allocations d'invalidité ou du traitement infligé à ses propres députés dissidents — alimente désormais une riposte organisée.
Les détails sur le nouveau parti restent flous. Lancé sous la forme d'un site web baptisé Your Party, il doit encore choisir son nom par un processus démocratique non précisé. En quelques jours seulement, 600 000 personnes se sont inscrites à sa liste de diffusion. Certes, ce ne sont pas des adhésions formelles. Mais cet engouement a tourné en dérision les moqueries des commentateurs « centristes raisonnables » qui minimisaient le projet : il révèle surtout une vérité plus profonde, à savoir qu'un très grand nombre de gens — bien plus que l'effectif total du Labour — estiment qu'un tel parti est nécessaire. Contrairement aux précédentes tentatives de créer des « partis radicaux de gauche » reposant sur de petits groupes révolutionnaires, celui-ci s'appuie d'emblée sur une large base de personnes prêtes à s'engager.
Tous les partis politiques sont des coalitions d'intérêts sociaux et d'idées. Le premier noyau de députés associés à ce nouveau parti, s'il se situe globalement à gauche, est avant tout uni par Gaza : c'est sur cette question que cinq indépendants ont réussi à se faire élire en juillet dernier, un score inhabituellement élevé au regard du système électoral britannique. La Palestine n'est en rien une « cause unique » extérieure à la politique intérieure : elle cristallise la perception qu'ont des millions de Britanniques du rôle de leur pays dans le monde, des limites du débat public et de la surveillance imposée aux musulmans. Et ce parti n'aurait jamais décollé sans Jeremy Corbyn, dont la notoriété est parmi les plus élevées de toute la classe politique britannique. Si seule une minorité l'admire, la majorité sait déjà ce qu'il incarne.
Reste une question fondamentale : à quoi ce parti veut-il vraiment servir ? Les débats en ligne se sont concentrés sur l'idée d'un pacte électoral avec les Verts, dont le prochain chef pourrait être l'écologiste Zack Polanski (1982). Mais quelle est l'ambition réelle de cette nouvelle formation ? Diriger un futur gouvernement national ? Remplacer le Labour et recréer un parti adossé aux syndicats mais avec un meilleur programme ? Ou se contenter d'un rôle permanent d'opposition, en construisant une base locale capable de renforcer le pouvoir populaire et de desserrer l'étau de Westminster ? Sans une orientation claire vers une stratégie de long terme, sans un cap défini pour parler à une base large, il sera difficile d'empêcher que les centaines de milliers de nouveaux sympathisants se dispersent au gré des désaccords.
Quand Corbyn dirigeait le Labour, il avait adopté des politiques bien plus progressistes que ses prédécesseurs. Mais jamais le parti n'a su redistribuer le pouvoir au-delà de Westminster. Son incapacité à construire des structures réellement enracinées et sa frilosité face à une politique de masse et conflictuelle — y compris sur des sujets brûlants comme le Brexit — l'ont rendu vulnérable aux assauts médiatiques et à la tentation permanente de s'y adapter ou de les apaiser. Ces dernières décennies, le Parlement s'est professionnalisé à l'extrême tandis que les structures locales du mouvement ouvrier dépérissaient. L'épisode du « corbynisme » (2015–2020) n'a pas inversé cette tendance. Certes, il affrontait une machine travailliste largement hostile. Mais cela devait être une raison d'innover, pas une excuse pour l'échec.
Beaucoup des doutes qui entourent le nouveau parti tiennent à son processus encore opaque : qui décide de la suite ? L'objectif n'est sûrement pas de recréer une structure à la Labour, dominée par des manœuvriers bureaucratiques et des spécialistes du jargon réglementaire. Mais tout l'héritage travailliste n'est pas à jeter. Ses racines syndicales, même atrophiées, lui donnent encore une base militante reliée à une large palette de sentiments ouvriers — qui ne sont pas tous de gauche. Or le Labour perd aujourd'hui ces liens avec les infirmières, les anciennes régions minières ou les zones industrielles périphériques. Et un parti aux opinions progressistes, comme les Verts, a peu de chances de les récupérer. Pour un parti qui se veut ancré dans la majorité sociale, c'est pourtant indispensable.
Peut-on recréer cela, ou mieux, d'une manière plus adaptée à ce siècle qu'au siècle dernier ? Une approche consiste à créer des institutions — clubs sociaux, centres de conseil — qui ne soient pas orientées vers des fins électorales étroites ou même vers des campagnes politiques en tant que telles. Un projet de changement collectif aura certainement du mal à « vendre » sa promesse dans une société atomisée en se contentant d'utiliser les bons messages à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Ce parti pourrait en outre envisager de diversifier ses figures publiques, notamment en termes d'origine sociale et d'éducation : un parti dirigé non pas par des diplômés en sciences politiques, des employés d'ONG ou des personnes toujours prêtes à se mettre en avant, mais aussi par des voix aujourd'hui plus absentes de la vie politique.
Les sondages actuels suggèrent que Reform UK a de réelles chances de remporter les prochaines élections générales malgré ses propres problèmes internes. Son chef, Nigel Farage (1964), possède une autorité charismatique qui lui permet de devenir le visage d'un ensemble disparate de griefs. Corbyn, Sultana ou tout autre responsable de gauche ne pourraient jamais jouer ce rôle, et pas seulement à cause de leurs limites personnelles. Le changement socialiste vise à transformer les rapports de force dans la société : il s'appuie sur la mobilisation des gens, à la fois dans un élan d'indignation morale et dans la défense acharnée de leurs propres intérêts. Les partis de gauche ont besoin d'un noyau militant — aujourd'hui sans doute composé en majorité de personnes hautement diplômées mais en déclassement social —, mais cela ne peut pas suffire
Face à un bureaucrate impérial obtus comme Starmer, un parti de gauche a toutes les chances de rallier 10 à 15 % de l'électorat, même dans un laps de temps réduit. Cela fracturera probablement le vote travailliste — et Starmer aura peu de raisons de s'en plaindre. Les tentatives poussives d'invoquer la nécessité supérieure de l'unité contre Farage sont aussi cyniques que la « reconnaissance » tardive de la Palestine. Il y a seulement deux ans, Starmer disait à ses critiques : « Si vous n'aimez pas les changements que nous avons faits, vous pouvez partir. » Aujourd'hui, beaucoup le feront. Le Parti travailliste ne durera pas éternellement, et Starmer l'approche d'une disparition à la française ou à l'italienne. Ce qui reste incertain, c'est de savoir si un nouveau parti pourra construire quelque chose de plus solide sur ces ruines.
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David Broder est rédacteur pour l'Europe à la revue Jacobin et historien du communisme français et italien.
Article publié initialement dans Jacobin. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.

Allemagne : Ce qui fait bouillonner les humeurs des masses populaires
D'ici la fin de l'année, le Revenu citoyen devrait être supprimé et remplacé par une « nouvelle prestation de base ». La campagne de propagande qui accompagne la réduction des prestations sociales tourne déjà à plein régime. Ainsi, le chancelier Friedrich Merz (CDU) a récemment annoncé a récemment annoncé son intention de limiter la prise en charge des frais de logement pour les bénéficiaires de l'aide sociale de base, le président de la CSU Markus Söder veut rendre plus difficile l'accès des réfugiés ukrainiens aux prestations sociales, et la ministre fédérale de la solidarité Bärbel Bas (SPD), dans une interview avec l'hebdomadaire Stern, vient renforcer le cliché selon lequel des « structures mafieuses » de l'Est de l'Europe seraient impliquées dans la fraude sociale organisée.
19 août 2025 | tiré d'europe solidaire sans frontières``
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76053
Les partenaires de la coalition noir-rouge commencent ainsi à mettre en œuvre ce qui avait déjà été convenu dans l'accord de coalition. Déjà, peu après les élections fédérales, lorsque les dirigeants de l'Union et du SPD sont apparus devant la presse pour présenter leur accord de coalition, il était évident que les seuls à se réjouir du résultat des négociations étaient les représentants du capital. En effet, la réponse du gouvernement fédéral à la multicrise capitaliste est une politique de classe offensive conduite d'en haut. Sous le mot d'ordre de restructuration budgétaire, les membres de la coalition, encouragés par les médias, les instituts économiques et les associations patronales, planifient la plus grande attaque contre l'État social depuis l'Agenda 2010 du gouvernement rouge-vert d'alors.
Seules les organisations patronales ont de bonnes raisons de se réjouir du résultat des négociations pour la formation de la coalition gouvernementale. Photo : Wikimedia Commons/Sandro Halank, CC BY-SA 4.0
Pendant la campagne électorale, le SPD et l'Union chrétienne-démocrate (CDU) s'étaient déjà livrés à une compétition aussi acharnée que sordide en matière de dénigrement des bénéficiaires d'aides sociales. C'est la la lutte contre les prétendus « réfractaires au travail » qui était au cœur de cette campagne. À y regarder de plus près, ils et elles n'existent que dans la tête des gens qui les dénoncent : l'Agence fédérale pour l'emploi a recensé, pour les onze premiers mois de 2023, parmi les 5,5 millions de bénéficiaires de prestations, à peine 14 000 cas où un emploi proposé a été refusé. Mais la haine des pauvres, associée à la crainte de bientôt en faire partie soi-même, a toujours fait bouillonner les humeurs du peuple allemand. La diabolisation des prétendus « réfractaires en bloc » est devenue un grand thème à succès de la campagne électorale.
Bien que ceux et celles qui triment pour le salaire minimum ou vivent d'une pension de pauvreté ne gagnent pas un euro de plus lorsque des bénéficiaires du revenu citoyen sont sanctionnés pour avoir manqué un rendez-vous, le « sentiment de justice » tant invoqué est, lui, satisfait. Le fait qu'environ 800 000 bénéficiaires du revenu citoyen soient ce que l'on appelle des « complétants », c'est-à-dire qu'ils travaillent mais gagnent si peu qu'ils doivent demander un revenu citoyen en supplément, ne joue cependant aucun rôle dans la perception publique.
Sanctions et flicage des chômeurs
Après que la coalition tricolore était déjà revenue, l'année dernière, au régime kafkaïen de sanctions de Hartz, et avait annulé les petites améliorations cosmétiques dans la législation sur la pauvreté qu'elle avait adoptées au début de la législature précédente, le revenu citoyen devrait désormais définitivement disparaître. On veut « vraiment toucher s'attaquer au cœur du système », menace le secrétaire général de la CDU Carsten Linnemann. Concrètement, cela signifie la réduction du montant du patrimoine autorisé, l'augmentation de l'éloignement « raisonnable » du lieu de travail et des sanctions et contrôles plus sévères pour soumettre les chômeurs, jusqu'aux limites de la légalité et, en cas de doute, au-delà.
Ainsi, les garanties minimales devraient être complètement supprimées si quelqu'un « n'est fondamentalement pas prêt » à accepter un travail. Si une personne refuse un travail raisonnable sans raison valable, il faudrait en conclure qu'elle n'est pas dans le besoin et – selon la logique sous-jacente – donc qu'elle n'a pas besoin des prestations de l'État. Par exemple, si une personne manque plus d'une fois un rendez-vous à l'agence pour l'emploi, elle ne recevra plus d'allocation. Au vu de l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale sur la garantie de ressources minimales, il s'agit là d'une violation délibérée de la Constitution. Le président du groupe parlementaire CDU, Jens Spahn, avait donc déjà appelé, pendant la campagne électorale, à une modification de la Constitution dans la mesure où « une radiation totale n'est pas couverte par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale ».
Un autre élément central de l'offensive de classe menée tambour battant par les organisations patronales est l'attaque systématique contre les droits fondamentaux des travailleurs. La restriction du droit de grève prévue par l'Union n'a certes pas été inscrite dans l'accord de coalition, mais la loi sur le temps de travail doit être vidée de sa substance et la durée maximale quotidienne de travail de huit heures doit être remplacée par une durée maximale hebdomadaire de 48 heures. Cela signifie, si l'on tient compte des dispositions relatives aux temps de repos, qu'à l'avenir, une journée de travail de douze heures et quinze minutes sera autorisée. (Voir ak 716)
Remettre en cause les fondements des relations de travailAvec la journée de huit heures, la coalition noire-rouge s'attaque à ce qui est sans doute la plus important econquête du mouvement syndical.
Pendant des générations, la lutte pour la journée de huit heures a mobilisé le mouvement ouvrier dans le monde entier : de Melbourne à Chicago en passant par Berlin, des centaines de milliers de personnes ont régulièrement manifesté pour obtenir la limitation de la journée de travail. Même le 1er mai, jour commémoratif et férié le plus important du mouvement syndical, trouve son origine dans la lutte pour la journée de huit heures.
Arrachée lors de la révolution de novembre 1918, supprimée par les Nazis au début de la guerre et rétablie en 1945 par la Commission de contrôle alliée, elle est depuis lors considérée comme le symbole des succès du mouvement syndical et de l'intégration des travailleurs et travailleuses au sein de l'État bourgeois.
La suppression de la durée maximale quotidienne du travail ébranle les fondements des relations de travail pour l'Allemagne d'après-guerre et l'image que les syndicats ont d'eux-mêmes. Le débat sur la révision de la loi sur le temps de travail pourrait bientôt remettre encore plus de choses en question. Le capital fait par exemple pression pour supprimer le temps de repos légal d'au moins onze heures entre deux journées de travail.La loi sur le contrôle des chaînes d'approvisionnement, pour laquelle les syndicats se sont battus pendant des années, est également supprimée. Elle oblige les entreprises à respecter et à contrôler les normes minimales en matière de droits humains tout au long de la chaîne de production, ce qui, du point de vue du nouveau gouvernement fédéral, constitue apparemment une atteinte inacceptable à la liberté d'entreprise.
Les membres de la coalition se sont avant tout fixé pour objectif d'élargir l'accès du capital à la marchandise que constitue la force de travail. Pour ce faire, ils ont assoupli la loi sur le temps de travail, accordé des avantages fiscaux pour les heures supplémentaires et instauré des abattements fiscaux nettement plus avantageux pour le travail rémunéré à la retraite, sous le nom de « retraite active ». À cela s'ajoute une pression accrue sur les sans-emploi pour qu'ils et elles acceptent n'importe quel travail.
Faible riposte des syndicats
Les syndicats n'ont actuellement que peu de moyens pour contrer cette attaque frontale de la coalition noire-rouge contre les droits des salarié.e.s. Depuis des années, le nombre d'entreprises affiliées à une convention collective ne cesse de diminuer, tout comme la capacité des syndicats à faire respecter les conventions collectives. Lors des dernières négociations salariales dans la fonction publique, les syndicats n'ont pas réussi à imposer leur revendication d'un temps de travail réduit et ont dû accepter que les employé.e.s puissent désormais travailler 42 heures par semaine sur la base du volontariat.
Il faut craindre que d'autres conventions collectives ne connaissent le même sort.Il serait toutefois erroné d'interpréter l'offensive actuelle du capital comme une manifestation de force. Au contraire, le « modèle allemand » est en pleine crise. Si l'Allemagne est encore sortie victorieuse de la compétition mondiale lors de la crise financière et de la crise de la dette publique, elle ne semble pas être capable de faire face aux multiples crises actuelles.
L'évolution des relations commerciales internationales et l'aggravation des conflits commerciaux ébranlent l'économie allemande, orientée vers l'exportation. Dans le même temps, les conflits entre les différentes fractions du capital s'intensifient. Les antagonismes entre une politique budgétaire sévère et les investissements dans la modernisation de l'industrie, entre la défense des secteurs industriels traditionnels et la transformation écologique de l'économie allemande, paralysent la capacité d'action politique et aggravent la crise.Le nouveau gouvernement fédéral tente de résoudre ces contradictions à l'aide d'une stratégie de sortie de crise sur laquelle les différentes fractions du capital peuvent s'accorder et qui a déjà fait ses preuves par le passé : le transfert des coûts de la crise sur les salarié-e-s par le biais de coupes dans les dépenses sociales et la remise en cause des droits acquis dans le monde du travail.
Stefan Dietl
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde
Source - Analyse und Kritik n°717, 19 août 2025 :
https://www.akweb.de/politik/schwarz-roter-angriff-aufs-buergergeld-was-die-volksseele-zum-kochen-bringt/
• Stefan Dietl travaille comme journaliste indépendant et auteur de livres sur des thèmes liés à la politique sociale et syndicale.

Déclaration présentée par le Front social (Serbie)
Le Front social a présenté une déclaration dans laquelle il s'engage à œuvrer à la résolution des problèmes systémiques qui ont provoqué la crise sociale et politique en Serbie. « Le Front social, grâce à la mise en réseau et à l'action commune des travailleurs et des travailleuses de différents secteurs, œuvrera pour que les institutions du système, usurpées par le pouvoir, soient rendues à la société et qu'elles servent le bien commun des citoyen·nes », indique la déclaration
4 septembre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/04/declaration-presentee-par-le-front-social-serbie/#more-97569
« Confronté·es à une crise sociale et politique profonde qui se manifeste par la corruption institutionnelle, la pauvreté, les inégalités croissantes, la répression, la destruction des relations sociales, la vente des ressources naturelles et la destruction de l'environnement dans notre pays, nous, soussigné·es, nous sommes réuni·es autour de valeurs et d'objectifs communs afin de nous opposer à cette situation et nous nous sommes engagé·es à travailler à la résolution des problèmes systémiques qui en sont la cause », indique le préambule de la déclaration du Front social.
Qu'est-ce que le Front social ?
Le Front social n'est pas un parti politique et n'a pas l'intention de se présenter aux élections. Il est né, comme indiqué, sur la vague du mouvement de masse déclenché par les blocages étudiants, les grèves et les manifestations à travers le pays, officiellement pour la première fois le 8 mars lors de la manifestation « Rame uz rame » (Côte à côte), dont nous avons déjà parlé dans Mašina.
L'association Društveni front est composée de 16 collectifs de travailleurs/travailleuses, syndicats et communautés et associations professionnelles formelles et informelles. Rappelons que Društveni a fait sa première apparition publique lors de la manifestation du 28 juin à Belgrade.
Objectifs du Front social
La déclaration indique que les signataires souhaitent créer une confédération de collectifs ouvriers et d'associations professionnelles issus de différents secteurs, dont l'objectif sera d'œuvrer conjointement à des changements systémiques dans la société.
En outre, les objectifs du Front social sont les suivants : satisfaire les revendications des étudiant·es, satisfaire les revendications du Programme minimum concernant les différents secteurs et les questions sociales et économiques en général, mettre en place des structures démocratiques durables pour contrôler en permanence et exercer une pression sur les décideurs, garantir le droit de tous ceux et toutes celles qui vivent de leur travail à participer à la résolution des questions relatives à leur propre secteur, ainsi qu'à participer activement à la prise de décisions concernant leur communauté locale, mais aussi les questions relatives à la communauté sociale au sens large.
La déclaration précise également que le Front social repose sur les principes de la démocratie directe, de la solidarité, de l'entraide, de l'autonomie et de l'humanisme.
« Le Front social, grâce à la mise en réseau et à l'action commune des travailleurs et des travailleuses de différents secteurs, œuvrera pour que les institutions du système, usurpées par le pouvoir, soient rendues à la société et qu'elles servent le bien commun des citoyen·nes. Le document central du Front est le Programme minimum, élaboré à travers des discussions publiques et des ateliers, avec la participation de tous les secteurs concernés. Ce document identifie les causes et les conséquences de la crise dans chaque secteur et définit des lignes directrices pour la surmonter, allant de la modification de la législation à des changements systémiques plus importants et à une coopération élargie entre les secteurs. Parallèlement, le programme minimum identifie les problèmes qui font l'objet d'un consensus social général », indique la déclaration.
Organisation au sein du Front social
La déclaration souligne que les membres du Front social sont regroupé·es selon les différents secteurs auxquels elles et ils appartiennent et qu elles et ‘ils travaillent, à travers la coopération de plusieurs associations et collectifs, à la rédaction d'un programme minimum pour leurs propres secteurs.
« Outre les changements prévus dans chaque secteur individuel, le Front social s'engage également à adopter les modifications de la loi sur le travail et de la loi sur la grève, qui ont été préparées en collaboration avec les étudiant·es et cinq syndicats nationaux, ainsi que d'autres modifications législatives d'importance générale visant à créer une société plus juste », indique la déclaration.
Le Front social invite les collectifs de travailleurs et de travailleuses, les syndicats, les associations professionnelles et les communautés qui soutiennent les revendications des étudiants·e et la lutte pour des changements systémiques à rejoindre le Front social.
« Notre tâche commune est difficile, mais indispensable : construire une société juste et solidaire avec des institutions qui œuvrent pour le bien commun de tous et toutes les citoyennes », déclare le Front social.
Les signataires de la déclaration sont : Communauté des employé·es de l'enseignement préscolaire – Cercle préscolaire, PULS des écoles primaires de Belgrade, PULS des écoles secondaires de Belgrade, Écoles primaires unifiées de Zemun, Syndicat en cours de création « Jedinstvo EPS », Assemblée des travailleurs et des travailleuses de la santé de Serbie, Communauté des arts et de la culture, Syndicat des artistes musicaux, IT Serbie, Syndicat des travailleurs et des travailleuses des médias en cours de création – SMER, Syndicat du pouvoir judiciaire, Glas prosvete – Zaječar, Plénum des travailleurs et des travailleuses de l'éducation de Kraljevo, Plénum des éducateurs et des éducatrices de Knjaževo, Groupe des ingénieur·es de Serbie – Revendications des ingénieur·es et Association de l'éducation du Banat.
https://www.masina.rs/predstavljena-deklaracija-drustvenog-fronta/
Traduit par DE
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Serbia, dichiarazione del « Fronte sociale »
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Le syndicalisme a un problème avec la Chine, mais ce n’est pas celui que l’on pense
À la veille de l'investiture de Donald Trump, le président de l'United Auto Workers (UAW), Shawn Fain, probablement le dirigeant syndical le plus important aux États-Unis aujourd'hui, a déclaré que son syndicat était « prêt à collaborer avec Trump ». L'attitude conciliante de Fain est basée sur une politique clé de Trump : les droits de douane. Même si, à maintes reprises, les tarifs douaniers ont affecté négativement les moyens de subsistance de la classe ouvrière, Fain croit qu'ils profitent autant à la classe ouvrière américaine, mexicaine et canadienne.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/06/le-syndicalisme-a-un-probleme-avec-la-chine-mais-ce-nest-pas-celui-que-lon-pense/?jetpack_skip_subscription_popup
Il y a une omission frappante dans les déclarations de Fain sur les tarifs douaniers : la Chine, la cible principale de chaque série de tarifs douaniers de Trump. Cependant, dans une interview ultérieure avec The Lever, Fain a applaudi à la fois l'administration Trump et l'administration Biden pour les droits de douane sur les produits chinois, y compris l'augmentation des droits de douane que Biden a imposée l'année dernière sur les véhicules 100% électriques, pour des raisons de sécurité nationale.
Cette rhétorique s'aligne sur celle d'autres dirigeant-es syndicaux. Le président du syndicat des transports, Sean O'Brien, s'adressant aux techniciens de maintenance de United Airlines en mars, a condamné l'entreprise pour avoir « déplacé les emplois de nos membres vers la Chine communiste ». Un graphique publié par le syndicat sur les réseaux sociaux demandait : « Confieriez-vous la réparation d'avions à la Chine ? United Airlines le fait. La présidente de l'AFL-CIO, Liz Shuler, a poussé les administrations Biden et Trump à augmenter les droits de douane sur la Chine afin de limiter les « produits échangés à des conditions injustes » afin de « faire progresser la sécurité nationale et économique ».
Alors que les dirigeant-es syndicaux ont cherché à se distancer de la dernière frénésie de Trump consistant à imposer des tarifs douaniers à tous les pays, le spectre de la sinophobie hante toujours leur défense des tarifs stratégiques. La présidente de la Fédération américaine des enseignant-es, Randi Weingarten, s'est fait l'écho des propos de Fain, affirmant que les tarifs devraient être réservés à « certains pays … qui violent les droits du travail ou qui subventionnent leurs industries d'exportation ».
Le protectionnisme contre la Chine a unifié les dirigeant-es syndicaux et politiques américain-es autour de la politique économique ces dernières années. Même avant l'imposition de droits de douane allant jusqu'à 145%, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a radicalement remodelé l'industrie automobile mondiale, les travailleuses et travailleurs chinois de l'automobile étant les plus touché-es par les droits de douane américains. L'escalade de Trump avec la Chine ouvre plus d'espace aux politicien-nes, y compris les démocrates, pour promouvoir des politiques anti-chinoises ; un jour après l'annonce de Trump d'imposer des droits de douane de 125% à la Chine, Elissa Slotkin, sénatrice du Michigan, a présenté un projet de loi visant à interdire aux véhicules chinois d'entrer aux États-Unis : « Je me coucherai à la frontière pour empêcher les véhicules chinois d'entrer sur le marché américain. C'est le premier projet de loi que je présente au Sénat, et c'est pour une raison », a déclaré Slotkin.
En d'autres termes, la sinophobie est un élément fondamental de ce protectionnisme économique. Il définit la plate-forme politique de l'extrême droite et articule ses points communs avec le Parti démocrate.
La sinophobie de la classe ouvrière américaine a sa propre histoire. Les premières organisations syndicales nationales aux États-Unis, des Chevaliers du travail à la Fédération américaine du travail (AFL), se sont réunies pour tenter d'exclure la main-d'œuvre immigrée chinoise. Ils considéraient que celle-ci était par nature antagoniste à la loi américaine. Aujourd'hui, avec l'ascension de la Chine sur la scène mondiale et le déclin des revenus des travailleuses et travailleurs américains au cours de décennies de néolibéralisme, le raisonnement reste le même : la Chine sape subrepticement la concurrence en offrant des produits et de la main-d'œuvre bon marché, profitant ainsi aux intérêts monopolistiques. Cela constitue une menace existentielle non seulement pour les travailleuses et travailleurs syndiqué-es, mais aussi pour les fabricants nationaux. Cette fausse logique ignore le fait que les attaques contre le travail proviennent du système capitaliste lui-même. Les mesures protectionnistes des gouvernements capitalistes, telles que les tarifs douaniers ou les restrictions à l'immigration, ne pourront pas les résoudre.
Comme au XIXe siècle, le monde du travail américain a fait face aux effets néfastes du passage du capitalisme à des niveaux d'exploitation encore plus élevés, confondant le symptôme avec sa cause. En fin de compte, la sinophobie a poussé la classe ouvrière à former des alliances faustiennes avec sa classe capitaliste, plutôt que de devenir une force politique indépendante capable de perturber le capitalisme monopoliste.
Il existe une alternative, qui est de rejeter fermement le nationalisme économique et de reconnaître que l'oppression de classe mondiale sous le capitalisme est la source des maux du travail partout. Les travailleuses et travailleurs de la base de tous les syndicats peuvent se battre pour cette alternative en s'opposant au soutien de leurs dirigeant-es à la politique commerciale de Trump. Le mouvement ouvrier américain ne pourra se défendre contre l'offensive de l'extrême droite qui se développe que s'il s'engage dans une voie politique indépendante.
À la fin du 19e siècle, les travailleurs américains ont mené le mouvement pour bloquer l'immigration chinoise. Bien que les attitudes sinophobes existent dans la classe ouvrière depuis longtemps, l'exclusion chinoise ne s'est pas installée dans un mouvement politique national avant la fin des années 1860, juste au moment où le capitalisme américain commençait à se développer en pleine force. L'expansion massive du système ferroviaire après la fin de la guerre civile a jeté les bases du développement capitaliste aux États-Unis. La main-d'œuvre chinoise importée à bas prix était la principale main-d'œuvre dédiée à cette entreprise : elle était prête à travailler de longues heures et dans des conditions dangereuses pour de bas salaires. Les travailleurs américains, en particulier ceux qui se battaient pour la journée de huit heures, l'ont finalement considérée comme une menace pour leurs revendications de meilleures conditions de travail. Ces hommes de huit heures sont devenus l'épine dorsale idéologique des efforts visant à exclure la main-d'œuvre chinoise.
Ira Steward, du Boston Machinists and Ironworkers Union, était le principal leader national de la campagne en faveur de la journée de huit heures. Il a également développé une théorie extensive sur les raisons pour lesquelles les Chinois menaçaient fondamentalement les intérêts de la classe ouvrière américaine. Dans un pamphlet intitulé The Power of the Cheap Over the Dearer, Steward a affirmé que la capacité de vendre à des prix inférieurs « imprègne tout », un trait incarné avant tout par la « semi-civilisation » chinoise. Tout en reconnaissant que l'expansion des marchés capitalistes dans le monde entier contribue à amplifier « le pouvoir du moins cher », il a averti que les travailleurs chinois étaient particulièrement dangereux parce qu'ils étaient « étroits d'esprit et superstitieux, juste la condition pour inviter le despotisme grossier d'un empereur ».
Ce que Steward considérait comme la propension intrinsèque de la société chinoise à accepter des normes inférieures rendait la Chine particulièrement destructrice pour les autres nations. Steward soutenait que « les païens pauvres et ignorants des pays lointains », qui ont peu de moyens de « lever des armées », font en fait « infiniment plus de mal » aux pays les plus développés, puisque « ils peuvent travailler et le font pour des salaires inférieurs aux nôtres ».
L'analyse de Steward était partagée par de nombreux syndicalistes travaillistes (même socialistes) contemporains. Denis Kearney, l'un des dirigeants syndicaux anti-chinois les plus virulents des années 1870, a déclaré qu'« un Chinois vivra de riz et de rats. Ils dormiront cent fois dans une chambre qu'un homme blanc veut pour sa femme et sa famille. Dans un discours prononcé devant les cordonniers de Lynn, dans le Massachusetts (qui ont organisé la plus grande grève de l'histoire des États-Unis avant la guerre civile), il a lié « la question de la main-d'œuvre chinoise bon marché » à « l'intérêt des monopoles voleurs ». Cette attitude a fourni une justification idéologique à la classe ouvrière américaine pour s'allier avec ses patrons pour attaquer les travailleurs chinois par le biais d'organismes tels que l'Association non partisane anti-chinoise de Californie. L'historien Alexander Saxton observe que bien que les travailleurs et les fabricants américains aient collaboré pour lutter contre ce qu'ils considéraient comme une alliance entre les monopoleurs et les travailleurs chinois, « lorsqu'ils se sont battus, ils l'ont généralement fait contre les Chinois », et non contre les patrons.
Les associations ouvrières anti-chinoises ont prospéré précisément au moment où le capitalisme américain a commencé à se transformer en un système dominé par les monopoles. De nombreux gains de main-d'œuvre ont été éliminés à mesure que se multipliaient des paniques économiques d'une ampleur jusque-là inconnue, comme en 1873. Les conditions épouvantables de la main-d'œuvre chinoise ont été l'une des nombreuses atrocités provoquées par la croissance du capital monopoliste.
Mais pourquoi le travail chinois, en particulier, était-il perçu par la classe ouvrière américaine comme la racine de ces maux ? Le problème est que, comme le dit la critique littéraire Colleen Lye, la rhétorique du « despotisme oriental [était] utilisée à la fois par les socialistes américains et les réformateurs agraires pour expliquer le déclin du capitalisme monopoliste ». Ces syndicalistes et réformistes sociaux considéraient la Chine, selon les mots de Lye, comme un « échec paradigmatique de la société orientale dans son évolution vers le capitalisme ». Ils ont identifié à tort la société chinoise à une extension des intérêts monopolistiques, au lieu de reconnaître la situation critique qu'ils partageaient avec la classe ouvrière chinoise causée par le capital monopoliste. La sinophobie a conduit les réformistes syndicaux à diagnostiquer à tort les monopoles comme une régression du développement capitaliste, plutôt que comme le développement logique du capitalisme.
Le travail chinois était donc considéré comme un vestige d'un passé arriéré, arrêtant la marche de l'Amérique vers la modernité capitaliste et socialiste. Cette erreur d'analyse a conduit à une collaboration de classe entre les dirigeants syndicaux et les fabricants américains. Sans une bonne compréhension du capitalisme monopoliste, le mouvement ouvrier était vulnérable à d'autres tournants opportunistes lorsque les monopoles ont commencé à offrir des concessions tout en s'accrochant à leur chauvinisme. Lorsque les monopoles ont courtisé les dirigeants de l'AFL avec des avantages pour les travailleurs qualifiés blancs dans les années 1890, la bureaucratie syndicale s'est rapidement réconciliée avec eux. Au lieu de cela, les Chinois avaient encore peu à offrir pour apaiser les craintes économiques racialisées de la classe ouvrière.
Pendant la guerre froide, le mouvement ouvrier militant qui a émergé dans les années 1930 s'est démobilisé et s'est institutionnalisé au sein de l'État. Les dirigeants syndicaux tels que George Meany de l'AFL-CIO étaient souvent plus belliqueux que leurs homologues de la CIA. Pour eux, la révolution communiste chinoise de 1949 signifiait que la Chine était une fois de plus une menace économique pour le libre-échange et la classe ouvrière américaine, associée à un pouvoir politique croissant dans une nouvelle expression du despotisme oriental. Cette aversion spécifique pour la Chine était suffisamment profonde pour se manifester même pendant l'hystérie anti-japonaise des années 1980, due à la croissance de l'industrie automobile japonaise. En 1982, les deux automobilistes blancs qui ont confondu l'Américain d'origine chinoise Vincent Chin avec un Japonais et l'ont assassiné, l'ont appelé de manière péjorative chink et Chinaman.
La critique de la concurrence chinoise par les hommes pendant huit heures est redevenue pertinente pour la classe ouvrière américaine dans les années 1990, lorsque des centaines de millions de travailleurs chinois mal payés ont inondé les marchés mondiaux après le retour de l'État chinois dans l'économie mondiale. Le tournant de la Chine en faveur des réformes de marché a sauvé le capitalisme mondial d'un taux de croissance stagnant. Cette nouvelle usine du monde a contribué à raviver les conditions permettant aux capitalistes de regagner des profits. Mais aux yeux de la classe ouvrière américaine, la montée en puissance de la Chine a provoqué une autre crise pour l'industrie manufacturière nationale, déjà décimée par la désindustrialisation sous le néolibéralisme.
Une fois de plus, les ouvriers se sont trompés d'ennemi. Simplement, la main-d'œuvre chinoise n'a pas volé les opportunités d'emploi aux États-Unis. Les nouveaux emplois qui sont apparus en Chine étaient qualitativement différents. Ils ont été conçus avec des salaires bas pour s'adapter aux nouveaux besoins des régimes capitalistes et des entreprises. Cette reconfiguration est le résultat d'une collusion entre le gouvernement américain, son homologue chinois et les entreprises américaines.
En 2000, le militant anti-mondialisation de Hong Kong, Sze Pang Cheung, a fait valoir que les sanctions commerciales ne permettraient pas d'inverser cette exploitation. Ils ne feraient que renforcer la puissance des pays les plus forts. Ils créeraient deux poids, deux mesures, car les pays les plus puissants seraient responsables de l'application des sanctions, tout en étant en mesure de contourner leurs propres violations. Sze Pang Cheung préconise de découpler notre plaidoyer en faveur des normes mondiales du travail des sanctions commerciales qui servent les élites dirigeantes tout en condamnant une partie de la main-d'œuvre.
La classe ouvrière américaine aurait pu se joindre aux Chinois pour renforcer la protection mondiale du travail. Mais ces perspectives internationalistes ont été marginalisées par les perspectives nationalistes. Dans les années 2000, une alliance de travailleurs domestiques et d'industriels, représentée par des groupes tels que l'Alliance for American Manufacturing (WMA), a été le fer de lance de l'opposition à l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce. La résurgence du nationalisme économique a conduit la classe ouvrière américaine à attribuer à tort à la Chine la cause d'un problème alors qu'en fait, il était le résultat des machinations des élites dirigeantes du monde.
La rhétorique syndicale sur la Chine était préemptée et alignée sur ce que l'économiste d'extrême droite et actuel conseiller commercial de la Maison Blanche, Peter Navarro, dans son livre de 2011, intitulé Death by China, a appelé les « armes destructrices d'emplois » de la Chine qui, selon lui, « ont totalement brisé les principes des marchés libres et du libre-échange ». De telles mesures anti-chinoises semblaient futiles à l'époque, au plus fort du rapprochement entre les États-Unis et la Chine autour de la mondialisation, mais cette alliance interclasse contre la Chine est devenue plus productive pour la classe dirigeante lorsque les relations ont commencé à se détériorer pendant le premier mandat de Trump. La sinophobie des travailleurs américains est redevenue utile au système capitaliste dans cette nouvelle ère de transition, à la recherche de meilleures conditions pour maintenir la rentabilité. La réponse des élites dirigeantes est de reconquérir le nationalisme économique tout en perpétuant les pires excès de l'austérité néolibérale. Les droits de douane imposés par Trump cette année sont l'œuvre de Navarro, et la Chine reste sa principale cible.
Le plaidoyer des unionistes en faveur d'une augmentation des droits de douane sur la Chine s'inscrit dans ce programme nationaliste. En mars, l'AMM a été qualifiée de « soutien intellectuel externe le plus bruyant » de la politique commerciale de Trump. Le refrain commun aux dirigeant-es syndicaux américains d'aujourd'hui mêle la logique économique de Steward à l'anticommunisme de Meany, mieux représenté par l'accusation de Shuler selon laquelle le système autoritaire de la Chine impose des pratiques commerciales déloyales qui perturbent la libre concurrence. Pour ces dirigeant-es syndicaux, la menace de la Chine est également amplifiée parce que la puissance militaire et économique croissante du pays sous-tend désormais sa capacité à violer les lois commerciales, de la même manière que les États-Unis.
Alors qu'elle affirme sa propre hégémonie dans l'ordre économique mondial, la Chine impose de plus en plus ses propres critères au commerce mondial. Elle a fait pression sur les pays en développement dans son orbite pour qu'ils soutiennent ses ambitions revanchardes à Taïwan, les dissuadant de commercer avec la nation insulaire. Comme les États-Unis, la Chine a fait preuve d'une belligérance croissante en mer de Chine méridionale, violant la souveraineté de pays comme les Philippines. Mais ce comportement n'est en aucun cas unique. Sous le capitalisme, les pays capitalistes avancés sont contraints de croître et de protéger leurs marchés, et de défendre leurs sphères d'influence par des moyens militaires ou économiques.
Cependant, le fantôme de Steward est toujours là. En février, les présidents de quatre grands syndicats – le Syndicat des Métallos, la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, la Fraternité internationale des chaudronniers et l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale – ont appelé Trump à imposer encore plus de droits de douane à la Chine pour sauver l'industrie américaine de la construction navale. Ils qualifient de « prédatrices » les subventions gouvernementales de la Chine à sa propre industrie de construction navale, suggérant que de telles actions faussent artificiellement la concurrence pour nuire aux travailleuses et travailleurs américains.
Cependant, les subventions de l'État pour stimuler la production font partie de toutes les économies capitalistes. D'autre part, l'administration Trump, avec ses tarifs douaniers et d'autres politiques, a bafoué de manière flagrante les accords commerciaux mondiaux à plus grande échelle. Malgré la transformation du rôle de la Chine dans l'économie mondiale, la logique de Trump et des travailleuses et travailleurs attaquant la Chine reste étonnamment cohérente avec la conviction de Steward d'il y a plus d'un siècle : la Chine peut dominer le monde en faussant la libre concurrence.
Trump a maintenant donné à ces dirigeant-es syndicaux bien plus que ce qu'ils demandaient. Mais nous ne devons pas perdre de vue le fil conducteur de cette bordée chaotique. Début avril, Navarro a explicitement déclaré que les tarifs étaient destinés à « faire pression sur d'autres pays, tels que le Cambodge, le Mexique et le Vietnam, pour qu'ils ne commercent pas avec la Chine s'ils veulent continuer à exporter vers les États-Unis ». Trump était prêt à faire une pause, à augmenter les droits de douane sur tous les pays tout en augmentant les droits de douane sur la Chine. L'objectif d'intensifier la rivalité inter-impérialiste avec la Chine conditionne les manœuvres économiques mondiales de Trump. Et la sinophobie, longtemps perfectionnée par une alliance du travail et du capital américains, a donné une forte impulsion à ce projet.
Encore une fois, la sinophobie garantit également qu'aucun mouvement ouvrier indépendant unifié n'émerge aux États-Unis qui pose un défi politique efficace au néolibéralisme. Le chauvinisme sert maintenant les intérêts d'un empire en déclin, de plus en plus intransigeant dans sa lutte pour maintenir sa puissance mondiale.
Les dangers de l'engagement du mouvement ouvrier avec l'extrême droite sont également plus grands aujourd'hui parce que l'extrême droite ne peut assurer sa force qu'en disciplinant la classe ouvrière, soit en écrasant ses organisations, soit en les intégrant. Bien que Fain ait ajouté plus tard que des tarifs douaniers larges sont « imprudents », son adhésion au nationalisme économique cède déjà beaucoup de terrain à la droite. Nous devons déterminer comment négocier avec nos adversaires en fonction de ce qui permet le mieux à la classe ouvrière de maximiser son pouvoir de négociation. Ce n'est pas le cas des politiques fondées sur la concurrence capitaliste qui nuisent aux travailleuses et travailleurs au pays et à l'étranger. Les tarifs douaniers de Trump ont déjà incité Stellantis à licencier plus de 900 travailleuses et travailleurs américains, tout en suspendant la production dans les usines canadiennes et mexicaines. General Motors augmente sa production, dans le seul but d'embaucher du personnel temporaire mal payé.
Plus dangereux encore, faire des compromis avec Trump sur les tarifs douaniers n'est pas la même chose que les syndicats négociant des accords avec les employeurs pour consolider les acquis du mouvement. Les tarifs douaniers de Trump sont indissociables d'un projet politique plus large consciemment dédié au démantèlement complet des organisations syndicales. Séparer la politique du mouvement ouvrier réduit encore plus la capacité de la classe ouvrière à se défendre contre les attaques de l'extrême droite. La direction de l'UAW se berce d'illusions en pensant que le mouvement ouvrier pourrait en tirer profit en fournissant une couverture de gauche au programme de base de l'extrême droite.
Fain promeut même l'industrie manufacturière américaine comme « la clé de la sécurité nationale », car « lorsque vous ne pouvez rien produire, vous vous exposez aux attaques de n'importe qui ». Il se souvient avec nostalgie de l'époque de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les usines automobiles utilisaient les capacités excédentaires « pour construire des bombardiers, des chars, des jeeps… qui est devenu l'arsenal de la démocratie… pour nous défendre ». Cette affirmation était peut-être plus pertinente lorsque les États-Unis luttaient contre les nazis, mais la prononcer aujourd'hui sans nuance revient ni plus ni moins à soutenir les ambitions impériales des États-Unis.
L'argument selon lequel les nations étrangères ont éviscéré la main-d'œuvre américaine en supprimant des emplois et en abaissant leur niveau de vie fournit de puissantes munitions idéologiques à l'extrême droite. Les gens qui croient en ces mythes pourraient trouver un terrain d'entente avec le trumpisme. Il inculque aux travailleuses et travailleurs la mentalité que leurs maux sont la cause des menaces intérieures étrangères, plutôt qu'un problème systémique qu'ils partagent avec la main-d'œuvre chinoise et d'autres pays. Et le programme politique de Trump bénéficierait d'un électorat syndical aligné sur les principaux principes de son horizon idéologique.
Il existe des mesures alternatives pour que la classe ouvrière rejette à la fois le néolibéralisme et le nationalisme économique. Tobita Chow suggère que nous pourrions nous organiser autour d'« objectifs commerciaux partagés », tels qu'Apple (ou Tesla), qui ont des chaînes d'approvisionnement qui relient les deux pays et nuisent aux Américain-es et aux Chinois-es. Michael Galant recommande de proposer que le mouvement syndical exige que les organisations syndicales internationales, telles que l'Organisation internationale du travail, adoptent un salaire minimum mondial. Andrew Elrod appelle à des politiques spécifiques pour limiter les bénéfices des entreprises, telles que « l'interdiction des rachats d'actions, l'imposition des bénéfices excessifs et l'augmentation de l'impôt sur le revenu des cadres supérieurs pour forcer les entreprises à réinvestir leurs bénéfices ». De cette façon, on donne plus d'espace à la classe ouvrière du monde entier pour s'organiser, au lieu de privilégier les droits de certains par rapport à d'autres. Mais s'organiser autour de ces politiques nécessite de rompre avec tous les intérêts capitalistes et avec le bipartisme.
Le rameau d'olivier que Fain offre à Trump dans le domaine du commerce est encore plus inquiétant, car il montre une faiblesse face à l'extrême droite, même de la part de l'actuel chef syndical. Cependant, bien que Fain symbolise la résurgence des syndicats ces dernières années, son véritable pouvoir réside dans les travailleuses et travailleurs de base. Certains secteurs ouvrent la voie à un autre type de politique du travail, qui s'éloigne des desseins des élites dirigeantes américaines. Des membres de l'UAW de l'Université de Columbia et de l'Université de Californie ont fait pression sur leur syndicat pour qu'il lie la répression du travail à la complicité de leurs lieux de travail avec la vision impériale de l'Amérique à l'étranger.
Alors que Fain se met publiquement d'accord avec Trump sur la politique commerciale, des membres syndicaux de la base de Columbia sont licencié-es et kidnappé-es par l'État pour avoir dénoncé la complicité de leur lieu de travail dans le génocide des Palestinien-nes par Israël. Les luttes héroïques de ces travailleuses et travailleurs de base façonnent une politique de classe basée sur la solidarité ouvrière et l'internationalisme. Au crédit de Fain, dans son dernier discours en direct aux membres de l'UAW, il a fermement déclaré que les membres syndicaux menacés d'expulsion, des travailleuses et travailleurs universitaires manifestant contre la guerre d'Israël en Palestine aux métallurgistes envoyés arbitrairement dans les prisons salvadoriennes, partagent une lutte commune. Mais ce message est déroutant sans une position claire contre le nationalisme sous toutes ses formes.
Cette recrudescence du militantisme de base dans tous les syndicats américains en relation avec la Palestine est l'alternative positive dont nous avons besoin aux concessions des dirigeant-es syndicaux au nationalisme économique. La gauche doit continuer à défendre ses bassins et à les mobiliser pour contester la conciliation de ses dirigeant-es avec le nationalisme d'extrême droite. La sinophobie est un nœud central qui unifie aujourd'hui le système bipartite et la bureaucratie syndicale autour du nationalisme économique. Il lie le mouvement ouvrier organisé à la classe capitaliste à un moment où une rupture est nécessaire de toute urgence. Il favorise dangereusement le chauvinisme dans le monde du travail américain au lieu de lui permettre d'identifier l'oppression de classe mondiale comme la source de ses maux et la nécessité de construire des plates-formes indépendantes et des institutions politiques pour la combattre.
Notant la croissance rapide du fascisme en Allemagne en 1931, le révolutionnaire communiste Léon Trotsky a souligné que les socialistes devraient encourager les travailleurs – en particulier ceux des syndicats bureaucratiques et autres – à « tester le courage de leurs organisations et de leurs dirigeants en ce moment, où il s'agit d'une question de vie ou de mort pour la classe ouvrière ». Ce même principe s'applique aujourd'hui : les travailleurs et travailleuses doivent s'organiser contre l'engagement de nos dirigeant-es envers toutes les formes de chauvinisme afin de sauver l'avenir du mouvement ouvrier américain.
Promise Li
Promise Li est un militant socialiste originaire de Hong Kong et de Los Angeles. Il est membre du Collectif Tempest et de Solidarity et a été actif dans le travail syndical de base dans l'enseignement supérieur, la solidarité internationale et les campagnes anti-guerre, ainsi que dans la lutte des locataires de Chinatown.
https://vientosur.info/ee-uu-el-sindicalismo-tiene-un-problema-con-china-pero-no-es-el-que-crees/
https://www.thenation.com/article/economy/american-labor-anti-china-racism/
https://www.pressegauche.org/Le-syndicalisme-a-un-probleme-avec-la-Chine-mais-ce-n-est-pas-celui-que-l-on
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La Chine étale sa puissance et se pose en alternative à l’Amérique
La Chine de Xi Jinping a, comme jamais, fait étalage de sa puissance mercredi 3 septembre lors du premier défilé militaire au cœur de Pékin depuis plus de cinq ans auquel ont assisté ses « amis » de même que ses alliés, anciens ou nouveaux, dont au premier chef le président russe Vladimir Poutine et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un.
Tiré de Asialyst
4 septembre 2025
Par Pierre-Antoine Donnet
Des missiles ICBM intercontinentaux montrés place Tiananmen mercredi 3 septembre. DR.
Jamais dans l'histoire de la Chine communiste depuis son arrivée au pouvoir en 1949 un défilé militaire n'avait connu une telle ampleur place Tiananmen. Le coup d'éclat a été à la fois militaire et diplomatique puisque Xi Jinping a, en même temps, réuni à Tianjin le 31 août et le 1er septembre une brochette impressionnante de 26 chefs d'Etat pour le sommet annuel de la Shanghai Cooperation Organisation. Cette opération de séduction constitue pour la Chine une première éclatante depuis longtemps.
L'un des grands succès du sommet de Tianjin, est pour Pékin d'avoir fait venir le chef du gouvernement indien, Narendra Modi, dont c'était le premier voyage en Chine depuis sept ans. Sa présence à Tianjin illustre un rapprochement qui, bien qu'encore précaire, est autant spectaculaire qu'inattendu entre les deux géants et puissances nucléaires de l'Asie dont les relations, marquées par des différends frontaliers parfois sanglants, étaient jusque-là glaciales.
La venue de Narendra Modi est, pour partie au moins, la conséquence des tarifs douaniers massifs imposés contre toute attente à l'Inde par Donald Trump pour la punir de ses achats d'hydrocarbures à la Russie, une mesure humiliante qui a eu le don d'ulcérer le responsable indien et de saboter durablement plus de vingt-cinq années d'efforts diplomatiques constants menés par les États-Unis pour attirer dans leur sphère d'influence ce pays jaloux de son indépendance et l'éloigner d'autant de la Chine et de la Russie.
Donald Trump pousse l'Inde dans les bras de la Chine
A l'approche du défilé, le président chinois Xi Jinping, tout sourire, s'est donc employé à charmer son hôte indien en affirmant, dimanche 31 août, que les contentieux frontaliers sino-indiens ne devaient plus entraver les relations entre la Chine et l'Inde, ajoutant que ces liens, désormais rétablis, devaient s'inscrire dans une « perspective stratégique et à long terme. »
A l'occasion de cette rencontre quelque peu historique et singulière en marge du sommet de l'OCS, le maître de la Chine communiste a estimé que les deux géants asiatiques pouvaient être désormais de bons voisins afin de jouer ensemble un rôle clé dans le « Sud global, » cette région du monde qui fait pendant à l'Occident et que convoite la Chine.
Nous sommes « des partenaires plutôt que des rivaux, qui peuvent offrir des opportunités de développement les uns aux autres plutôt que des menaces, » a déclaré Xi. « La Chine et l'Inde sont deux des pays les plus civilisés […] Nous sommes les deux pays les plus peuplés du monde et faisons partie du Sud global […] Il est essentiel d'être amis, de bons voisins [pour] que le dragon et l'éléphant s'unissent, » a ajouté le président chinois, son éternel sourire énigmatique aux lèvres.
Narendra Modi, très souriant lui aussi et visiblement décontracté, lui a répondu que les deux pays avaient évolué dans « une direction positive » depuis 2024. « Nous sommes déterminés à faire progresser nos relations sur la base de la confiance mutuelle, du respect et de la sensibilité, » a-t-il ajouté.
Le Premier ministre indien a toutefois pris soin de ne pas s'afficher au côté de Vladimir Poutine et de Kim Jong-un lors du défilé militaire où il était ostensiblement absent mercredi. Mais, absent ou pas, une photo restera dans l'histoire : celle, complaisamment diffusée par la Chine, où apparaissent très détendus et côte à côte comme de bons amis Xi Jinping, Narendra Modi et Vladimir Poutine. Le symbole de cette photo est fort car, implicitement au moins, en acceptant de poser au côté de ces deux personnages, le Premier ministre indien ne craint pas de donner ainsi une caution morale à l'agresseur en Ukraine depuis le début de son « opération spéciale » le 24 février 2022 aujourd'hui qualifié de criminel de guerre par la Cour pénale Internationale.
Non moins fort de symbole est cette heure passée sans témoin et en tête à tête entre le dirigeant indien et Vladimir Poutine dans la limousine officielle toutes portes fermées de ce dernier et dont la teneur des entretiens est évidemment restée confidentielle. Rien de tel n'avait jamais eu lieu entre les deux hommes à ce jour. Or, en une heure, il peut se dire beaucoup de choses, surtout lorsqu'il n'y pas de témoin.
Kim Jong-un arrivé à Pékin à bord de son train blindé
Mardi, ce fut au tour de Kim Jong-un de rejoindre Pékin dans ce ballet diplomatique réglé au millimètre par les autorités chinoises. Parti la veille de Pyongyang, la capitale du pays le plus fermé du monde, le dictateur nord-coréen a franchi les 1 200 km jusqu'à Pékin à une vitesse moyenne de 60 km/h à bord de son train blindé personnel quasi invulnérable.
Un peu plus tard, la photo de famille a fait le tour du monde le montrant en compagnie de ses deux mentors, Xi Jinping et Vladimir Poutine, un autre symbole encore d'une Chine qui, décomplexée, entend désormais – sans le dire explicitement – être le chef de file d'un ordre mondial nouveau, aux antipodes d'une démocratie et d'un Occident détestés.
Le message du dictateur chinois aux commandes de la Chine depuis 2012 est limpide : face à une Amérique redevenue « impérialiste, » imprévisible et fauteur de guerres depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier de cette année, la Chine entend devenir une alternative crédible, responsable et pacifique pour un monde plus troublé que jamais.
Comme pour impressionner encore davantage, le quotidien anglophone de Hong Kong South China Morning Post a, quelques jours avant le défilé, détaillé une panoplie conséquente de l'arsenal militaire dont dispose l'Armée populaire de libération chinoise (APL).
Parmi les armements les plus sophistiqués figurent le porte-avions Shandong jaugeant 70 000 tonnes et croisant à 31 nœuds capable de transporter 36 aéronefs dont des chasseurs J-15 et des hélicoptères de combat, le porte-avion le plus avancé chinois Fujian de 85 000 tonnes disposant d'une catapulte électromagnétique pouvant transporter plus de 40 chasseurs ainsi que des hélicoptères dont la mise en service est attendue en 2025.
Ont été opportunément présentés aussi les chasseurs J-20 de 5ème génération de 37 tonnes et atteignant Mach 2 dont plus de 200 seraient en service dans l'armée de l'air chinoise ainsi que le modèle plus avancé furtif J-35, un biréacteur encore à l'état de prototype de 28 tonnes croisant à Mach 1,8 censé rivaliser avec le célébrissime F-35 Raptor américain.
S'ajoute bien entendu l'arsenal nucléaire, dont les énormes missiles balistiques intercontinentaux ICBM DF-31 d'une portée de 8 000 à 11 000 km pouvant transporter une ogive nucléaire de un mégatonne déployés depuis 2017 – et dont la Chine disposerait de quelque 100 unités – ainsi que le tout récent et redoutable ICBM DF-41 d'une portée de 12 000 à 15 000 kilomètres atteignant Mach 25 en mesure de transporter dix ogives nucléaires et de frapper tout endroit sur le sol américain et dont la Chine posséderait 350 exemplaires, selon le Pentagone.
Un certain nombre de ces armements nouveaux ont été montrés pour la première fois en public, dont le missile intercontinental à capacité nucléaire JL-3 lancé par un sous-marin, de même que le DF-61, un missile ICBM d'une technologie plus avancée que le DF-41, ou encore le missile balistique hypersonique YJ-21 antinavire de dernière génération, le tout présenté sous les yeux de Xi Jinping debout au milieu de l'estrade officielle.
Les salutations de Donald Trump à Vladimir Poutine et Kim Jong-un
Selon les estimations des experts occidentaux, la Chine disposerait de quelque 500 missiles nucléaires mais redouble d'efforts depuis une petite décennie pour porter cet arsenal à au moins 1 000 ogives d'ici 2027, loin derrière encore la Russie et les Etats-Unis.
La portée du DF-41 lui permet théoriquement de frapper tout endroit du territoire américain et la trajectoire de ses ogives nucléaires multiples serait indétectable jusqu'au tout dernier moment. Aux missiles intercontinentaux installés dans des silos, par nature vulnérables à des frappes préventives, s'ajoutent bien sûr ceux tirés par des sous-marins nucléaires plus difficiles à repérer et d'autres encore lancés ou largués par des bombardiers à long rayon d'action.
« Beaucoup de ces nouvelles armes présentées par l'APL pourraient jouer un rôle clé dans tout conflit à venir qui inclurait Taïwan, » a souligné le South China Morning Post, le président chinois déclarant dans son discours que l'armée chinoise devait « remplir sa mission sacrée et accélérer l'édification de forces armées de classe mondiale pour protéger la souveraineté nationale et contribuer à la paix dans le monde et au développement. »
« Le monde est aujourd'hui face à la question du dialogue ou de la confrontation, la paix ou la guerre, » a-t-il ajouté, vêtu d'un costume gris, flanqué à sa droite de Vladimir Poutine et Kim Jong-un à sa gauche. « Le peuple chinois se tient du bon côté de l'histoire, » a-t-il proclamé, l'une des antiennes favorites du secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC).
Bien que non-invité à Pékin, Donald Trump a posté un message sur son site Truth Social pour prier Xi Jinping de mentionner « le soutien massif et le sang versé par les États-Unis d'Amérique pour la Chine afin de garantir sa liberté face à un envahisseur très peu amical. » Il en a profité pour transmettre « ses salutations les plus chaleureuses à Vladimir Poutine et Kim Jong-un puisque vous conspirez contre les États-Unis d'Amérique, » selon ce message cité par le South China Morning Post.
Rappelons que le même Trump s'est dit fin août désireux de rencontrer à nouveau Kim Jong-un avec qui il y a déjà eu plusieurs rencontres incongrues et sans résultat. Le 47è président américain a d'autre part à maintes reprises pris publiquement le parti de Vladimir Poutine dans le conflit armé livré par la Russie à l'Ukraine, suscitant des critiques acerbes des dirigeants occidentaux dont certains le soupçonnent de rechercher une capitulation du président ukrainien Volodymyr Zelenski.
Cette Chine décomplexée qui se pose comme le nouveau centre du monde
L'évidence aujourd'hui est celle-ci : se poser ainsi comme une alternative aux États-Unis sur la scène mondiale revient pour Pékin à, enfin, reconnaître ce que la Chine de Xi Jinping a toujours obstinément nié : sa volonté de « remplacer » les États-Unis ou, dit autrement, prendre sa place de première puissance de la planète.
Avant même l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012, la Chine n'avait eu de cesse que de proclamer qu'elle n'avait pas pour ambition de « remplacer les États-Unis » sur le devant de la scène mondiale, une théorie savamment orchestrée de « l'émergence pacifique » de la Chine à laquelle ses partenaires occidentaux ont, avec une certaine naïveté, longtemps cru.
Si aujourd'hui, il peut enfin l'avouer, Xi Jinping a été considérablement aidé par son ennemi de toujours. Son homologue américain Donald Trump qui, par son inconséquence, son aventurisme et ses déclarations tragi-comiques, est pour lui un véritable cadeau tombé du ciel.
Chaque jour apporte son lot de propos hallucinants de Donald Trump qui accentue toujours un peu plus la démolition méthodique qu'il mène de l'image d'une Amérique à la fois moteur et défenseur de l'Etat de droit et de l'aide aux plus faibles dans le monde.
Une politique qui se traduit dans les faits par un naufrage en direct de l'image des États-Unis pays fondateur des valeurs du monde de l'après-guerre dont se sert habilement Xi Jinping pour présenter – avec un certain succès – aux yeux de l'opinion mondiale son pays pour ce qu'il n'est pas : une puissance de paix, de respectabilité et d'équilibre international.
Car, dans les faits, la Chine n'a en effet jamais cessé depuis 2012 de militariser à outrance la Mer de Chine du Sud, un espace maritime hautement stratégique de quelque 400 000 km2 dont Pékin revendique à tort plus de 90% de la souveraineté.
Pékin redouble en même temps de menaces militaires et de mesures coercitives envers ses voisins immédiats que sont notamment le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et surtout Taïwan, présenté faussement comme étant une simple « province » de la Chine historique devant nécessairement, par la force si nécessaire, revenir dans le giron de la « mère-patrie » communiste.
Cette opération – pourtant grossière – de mystification, si elle ne trompe guère les gouvernements de ces pays, est en train, à force de mensonges mille fois répétés, de devenir une sorte de vérité historique auprès d'une opinion mondiale largement ignorante de l'histoire et en raison aussi, pour une bonne part, des errements catastrophiques de l'Amérique de Donald Trump depuis maintenant huit mois.
La mystification historique est à l'œuvre en direction de l'opinion publique chinoise puisque la machine de la propagande du Parti communiste chinois (PCC), dans le but d'exalter un nationalisme déjà incandescent, poursuit inlassablement son œuvre de réécriture de l'Histoire en présentant dans des films, des récits officiels et des documentaires télévisés l'armée du Parti comme celle qui a toute seule héroïquement combattu le Japon colonial jusqu'en 1945.
Pendant les décennies de la sanglante guerre sino-japonaise qui a coûté la vie à des millions de Chinois, les forces nationalistes du Guomindang de l'époque sont, elles, présentées comme défaitistes sinon collaborationnistes avec l'ennemi nippon alors que les faits historiques avérés montrent l'exact contraire.
En effet, alors que plus de 80% des généraux des forces nationalistes ont péri au combat contre le Japon, l'armée rouge communiste de Mao Zedong était, pour l'essentiel, restée terrée et cachée dans les montagnes sans combattre, le futur maître de la Chine communiste attendant le moment propice pour prendre le dessus sur son rival et ennemi le généralissime Chiang Kaï-shek dont l'armée nationaliste, exsangue, fut alors une proie facile pour l'APL.
Celui-ci dû alors trouver refuge à Taïwan avec plusieurs centaines de milliers de ses militaires et favoris en 1945 où il imposa alors un régime tyrannique qui fit des dizaines de milliers de morts au sein de la population taïwanaise pendant une période connue aujourd'hui encore sous le nom de « terreur blanche. »
Une Chine beaucoup plus agressive
Cette évolution de la Chine depuis 2012 fait dire à Jean-François Huchet, président de l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), que sur le plan politique, « on observe très clairement un changement très fort […] y compris avec la disparition progressive de la société civile. »
« Sur le plan économique, nous observons également un changement de stratégie très clair, » dit-il à Asialyst. « Tout ceci s'accélère très clairement. On voit une Chine qui a beaucoup évolué avec un durcissement politique, avec l'arrêt du développement d'une société civile, un retour très fort des entreprises publiques, la mise sous cloche du secteur privé. »
Sur le plan international, « on voit une Chine qui cherche à se débarrasser de l'influence américaine sur la scène asiatique, » ajoute ce sinologue respecté pour sa mesure. « Il s'agit là d'une Chine beaucoup plus agressive et qui a des volontés hégémoniques dans un certain nombre de parties de l'Asie, très clairement. »
A l'échelle mondiale, explique-t-il encore, « c'est plutôt une Chine qui conteste l'ordre international établi, en particulier celui des États-Unis. On l'a vu encore ce week-end avec la réunion de Tianjin, où la Chine s'est posée en chef de file d'un ordre mondial […] différent de celui des Occidentaux, avec une critique très forte de la démocratie. »
« Et comme nous donnons nous-mêmes très souvent un bâton pour nous faire battre, il est sûr que du point de vue de la Chine, l'arrivée de Donald Trump pour un deuxième mandat se traduit effectivement par un tapis rouge déroulé pour la Chine dans cette stratégie qu'elle applique minutieusement, » conclut-il.
Ainsi, d'un pas de plus en plus assuré, la Chine communiste s'affranchit de tout complexe et fait mentir ces experts auto-proclamés qui s'évertuaient encore il y a peu à prédire la fin prochaine du régime communiste chinois. Ce succès indéniable aidera vraisemblablement Xi Jinping à faire taire ses opposants de la vieille garde au sein du Parti qui osent donner de la voix depuis un peu plus d'un an pour critiquer son exercice solitaire du pouvoir et ses failles.
Mais surtout, il semble peu à peu donner quelque peu raison à ceux qui, comme Kishore Mahbubani, l'ancien conseiller du Premier ministre de Singapour de l'époque Lee Kuan Yew, prédisaient il y a vingt ans déjà que la Chine allait immanquablement supplanter à terme les Etats-Unis comme le nouveau géant de la planète.
Par Pierre-Antoine Donnet
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Les ineffaçables séquelles de la double explosion dans le port de Beyrouth, 5 ans après
Le 4 août 2020, plus de 2700 tonnes de nitrate d'ammonium explosaient dans le port de Beyrouth. Cinq ans après, les plaies sont encore vives. Familles endeuillées, survivants, soignants et juristes luttent pour la vérité, la justice et la mémoire – dans un contexte d'impunité politique, de crise sociale persistante, et d'incertitudes écologiques majeures.
Tiré du Journal des alternatives.
Sur l'autoroute longeant le port de Beyrouth, deux phrases en lettres rouges fixent les regards : « Act for justice » et « Act for independence ». Face à la mer, les silos mutilés de l'explosion du 4 août 2020 tiennent encore debout, malgré les appels à leur démolition. Pour beaucoup, ils doivent rester en place comme témoins du crime d'État qu'a été cette double déflagration, la plus puissante explosion non nucléaire de l'histoire.
« Ce silo est la preuve de ce que la classe politique a fait à la population. Ils veulent le faire tomber pour faire tomber la mémoire », accuse Mariana Fodoulian, dont la sœur Gaïa a été tuée cette fin de journée là. Comme elle, des centaines de proches de victimes réclament justice et reconnaissance, mais aussi un lieu de mémoire digne des 235 morts, des 6500 blessés et des 300 000 sans-abri.
Cinq ans plus tard, l'enquête judiciaire a repris, timidement. Le juge Tarek Bitar, longtemps bloqué par des pressions politiques et des menaces, a pu relancer les auditions. Des ministres, un ancien Premier ministre et des responsables sécuritaires ont enfin été entendus, selon le ministre de la Justice Adel Nassar. L'avocat Melhem Khalaf se réjouit de la reprise de l'enquête, mais il insiste sur la douleur des familles de victimes. « Un crime impuni est un crime récompensé », tranche-t-il.
Mémoire en ruines
La bataille juridique se double d'un combat symbolique. En 2022, le gouvernement Mikati décidait de raser les silos du port, au nom de leur instabilité. Une décision combattue par les familles, des architectes et des ingénieurs. Pour Cécile Roukoz, avocate et sœur d'une victime, « pour que le Liban se reconstruise, il faut trois piliers : vérité, responsabilité, et un mémorial. Rien ne représente mieux la catastrophe que ces silos. »
Même combat pour Tatiana Hasrouty, dont le père, employé du port, est mort à son poste. Elle s'apprête à se marier cette année, sans que son père puisse l'accompagner à l'autel. « Cette année est encore plus douloureuse pour moi. »
Vies brisées, justice suspendue
L'explosion a laissé des traces physiques et psychiques profondes. Joseph Abikhalil, un rescapé franco-libanais, a survécu de justesse. Son visage reste marqué par les éclats de verre, mais c'est son esprit qui saigne encore. « Je me sentais comme un enfant, paniqué au moindre bruit », confie-t-il. Aujourd'hui encore, il poursuit une thérapie. Il a aussi porté plainte en France, accusant l'État de l'avoir abandonné. « Pourquoi ai-je payé tout ça gratuitement ? Pourquoi n'y a-t-il pas de justice ? », interroge-t-il, la voix tremblante.
Plusieurs associations et collectifs de victimes ont vu le jour. Ensemble, ils réclament non seulement des comptes, mais une reconnaissance collective du drame, dans un pays fracturé par la crise politique, la dévaluation et la défiance citoyenne.
Une catastrophe aussi environnementale
À la douleur humaine s'ajoute un brouillard écologique. Des milliers de tonnes de nitrate d'ammonium ont libéré d'énormes quantités de gaz et de poussières. Mais aucune étude systématique n'a été menée sur la pollution à long terme.
« À ce jour, on ignore la concentration des résidus chimiques », explique Zeina Dagher, professeure en sciences de l'environnement. Sans données environnementales, impossible d'évaluer l'impact réel sur la santé et les écosystèmes. Or les signaux d'alerte ne manquent pas. Des spécialistes évoquent des fumées suspectes, des bactéries produisant du gaz à haute température dans les grains stockés — autant de risques sous surveillance, mais non traités.
Mémoire, écologie, responsabilité
Pour Aimée Karam, psychologue blessée ce jour-là à l'hôpital Saint-Georges, l'enjeu est aussi collectif : « Le passé nous marque, mais il ne peut pas nous déterminer. » En aidant les victimes à se reconstruire, elle tente elle-même de guérir. Mais tant que la vérité sera empêchée, la reconstruction ne pourra être que partielle — qu'elle soit physique, mentale ou politique.
À l'approche du 4 août, la société libanaise reste confrontée à une triple impasse : judiciaire, mémorielle et environnementale. L'explosion du port de Beyrouth ne doit pas être enterrée sous les gravats. Ses causes, ses impacts et ses leçons engagent bien plus qu'un État en faillite : elles nous parlent d'injustices globales, de rapports au pouvoir et à la terre, de la dignité des vies abîmées.

Iran : Il faut sauver la vie de Sharifeh Mohammadi !
Cet été, la Cour suprême d'Iran a confirmé la condamnation à mort de la militante syndicale et défenseuse des droits des femmes Sharifeh Mohammadi pour « rébellion armée contre l'État ». Pourtant l'action de Sharifeh Mohammadi s'est toujours placée dans le cadre des lois en vigueur en Iran. Elle n'est coupable que d'avoir inlassablement défendu les droits humains, ceux des femmes ainsi que ceux des travailleuses et travailleurs.
Pendant sa détention, Sharifeh Mohammadi a été privée des droits fondamentaux des prisonnièr-es, tels que les visites et les appels téléphoniques. Pendant longtemps, elle n'a pas eu accès aux visites de sa famille et n'a pas été autorisée à les contacter par téléphone.
Elle a même été empêchée d'assister à son procès et de se défendre devant la Cour suprême. Elle fait face à un appareil judiciaire déterminé à la faire condamner pour son appartenance au Comité de coordination pour aider à former des organisations de travailleurs.
Les organisations syndicales CFDT, CGT, UNSA, Solidaires et FSU se joignent aux démarches de la Confédération syndicale internationale pour exhorter le gouvernement iranien d'annuler la condamnation à mort de Sharifeh et d'abandonner toute poursuites contre elle.
La même demande est faite concernant tous et toutes les syndicalistes et autres défenseurs/euses des droits humains détenu-es pour avoir exercé leurs droits protégés par les Conventions de l'OIT et les Pactes internationaux.
Le cas de Sharifeh Mohammadi n'est malheureusement pas isolé : au 2 septembre, plus de 863 personnes ont été exécutées depuis le 1er janvier, dont au moins 50 pour leur engagement militant.
La CFDT, la CGT, l'UNSA, Solidaires et la FSU dénoncent cette escalade effroyable et l'utilisation de la peine de mort comme outil de répression politique. Elles dénoncent les atteintes à la vie et la dignité humaine.
Depuis les bombardements de juin des armées d'Israël et des Etats-Unis, puis les menaces de reprise des affrontements, la situation sociale se dégrade de manière accélérée.
Le régime en place a profité de la guerre pour aggraver considérablement la répression contre les opposant-es en les accusant d'être des agents d'Israël ou des USA : plus de 250 exécutions ont par exemple eu lieu après les bombardements de juin, de lourdes condamnations sont prononcées chaque jour.
L'intervention militaire extérieur a réduit les espaces de contestation et le pouvoir tenter d'étouffer l'expression des mécontentements.
Annulation de la condamnation à mort de Sharifeh Mohammadi !
Libération immédiate de Sharifeh Mohammadi et de l'ensemble des défenseuses et défenseurs des droits !
Abolition de la peine de mort en Iran
Paris, le 3 septembre 2025

Un plan israélien propose d’annexer 80 % de la Cisjordanie
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a publié une carte proposant d'annexer plus de 80 % de la Cisjordanie. Son approche n'est pas très éloignée de celle du reste de la classe politique israélienne, même de l'opposition « pragmatique ».
Tiré d'Agence médias Palestine
Plus de 80% de la Cisjordanie occupée deviendrait partie intégrante d'Israël, selon une nouvelle proposition d'annexion rédigée lundi par le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich.
Le ministre rigoriste a présenté une carte montrant toute la Cisjordanie comme faisant partie d'Israël, y compris Bethléem, la vallée du Jourdain et toute la campagne palestinienne, tandis que seules six villes palestiniennes — Jénine, Tulkarem, Naplouse, Jéricho, Ramallah et Hébron — étaient marquées comme des ghettos isolés. Smotrich a déclaré que si l'Autorité palestinienne (AP) s'opposait à son plan, Israël « l'éradiquerait comme il l'a fait avec le Hamas ». Smotrich a également appelé Netanyahu à mettre en œuvre sa proposition s'il souhaitait « entrer dans l'histoire comme un grand leader ».
Le jour même de la présentation de Smotrich, les forces israéliennes ont arrêté le maire d'Hébron, Tayseer Abu Sneineh. Hébron est la plus grande ville palestinienne de Cisjordanie et compte 800 000 Palestiniens. Depuis les années 1980, quelque 500 colons messianiques israéliens imposent leur présence dans la vieille ville, et Abu Sneineh est connu pour son rôle dans une cellule du Fatah qui a planifié et mené l'attaque armée contre six colons israéliens et juifs dans la vieille ville en 1980, connue localement sous le nom d'« opération Dabuya ». Après son arrestation initiale, Abu Sneineh a été libéré en 1983 dans le cadre d'un échange de prisonniers avec d'autres membres de la cellule.
L'arrestation d'Abu Sneineh est survenue quelques jours après que les médias israéliens aient rapporté que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, envisageait la création d'un « émirat » tribal à Hébron, distinct de l'Autorité palestinienne, qui a fait surface pour la première fois dans les pages du Wall Street Journal en juillet dernier.
Les médias palestiniens locaux ont émis l'hypothèse que l'arrestation d'Abu Sneineh était peut-être un prélude à l'élimination des sources potentielles d'opposition locale à l'annexion, compte tenu notamment du passé d'Abu Sneineh et de son statut de figure nationaliste locale influente à Hébron.
Ces événements, ajoutés à plusieurs autres développements qui ont précédé la proposition de Smotrich, ont propulsé la question de l'annexion potentielle de la Cisjordanie par Israël au premier plan des priorités du gouvernement israélien et ont laissé des millions de Palestiniens de Cisjordanie dans l'incertitude quant à leur avenir.
Le contexte
Le cabinet israélien s'est réuni dimanche dernier pour la deuxième fois en deux semaines afin de discuter des options d'annexion de certaines parties de la Cisjordanie. Cette réunion a été suivie d'une rencontre entre le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, et le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, au cours de laquelle M. Saar a informé M. Rubio de l'intention d'Israël d'« imposer la souveraineté israélienne » sur le territoire palestinien, selon le site d'information israélien Walla.
Dans le même temps, Israël a mené une démonstration de force contre l'Autorité palestinienne en lançant plusieurs raids sur les principales villes de Cisjordanie qui composent la zone A en vertu des accords d'Oslo, qui représentent environ 18 % de la Cisjordanie et sont censées être sous la juridiction de l'Autorité palestinienne. L'armée israélienne a lancé la plus grande opération militaire depuis des années à Ramallah la semaine dernière, occupant le centre-ville de la capitale de facto de l'Autorité palestinienne avec des centaines de soldats accompagnés d'équipes de médias israéliens pendant plus de trois heures. Le lendemain, l'armée israélienne a lancé un raid similaire à Naplouse, le deuxième centre de pouvoir le plus important de l'Autorité palestinienne.
Si Israël affirme que ses dernières mesures visant à annexer la Cisjordanie sont une réponse à l'annonce par plusieurs États européens de leur intention de reconnaître la Palestine comme un État, l'annexion de la Cisjordanie par Israël est en préparation depuis des années.
En 2019, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'était engagé pendant sa campagne électorale à annexer la vallée du Jourdain. La première administration Trump semble avoir empêché Israël à deux reprises, en janvier et en juin 2020, d'annoncer officiellement l'annexion.
Cependant, cette même administration Trump a annoncé en 2020 son plan « Deal of the Century » (accord du siècle), qui prévoyait l'annexion de la majeure partie de la Cisjordanie, y compris toute la vallée du Jourdain. Trump a également reconnu la souveraineté d'Israël sur les colonies illégales en Cisjordanie, sur le plateau du Golan syrien occupé et sur l'ensemble de Jérusalem en tant que capitale d'Israël. Les Palestiniens l'ont rejeté à une écrasante majorité.
Le plan d'annexion actuel d'Israël est basé sur le « plan décisif » de Smotrich de 2015, qui vise à empêcher la création d'un État palestinien et à expulser les Palestiniens en encourageant ce qu'on appelle la « migration volontaire ». Smotrich a également déclaré que les Palestiniens de Cisjordanie devraient soit se soumettre à la souveraineté israélienne, soit quitter le pays, soit « être traités » par les forces israéliennes. Après le 7 octobre, Smotrich a déclaré que l'annexion de la Cisjordanie devrait être la réponse d'Israël à l'attaque du Hamas. Il a ensuite déclaré que l'expulsion par Israël de la moitié de la population de Gaza « créerait un précédent » pour faire de même en Cisjordanie.
Attaquer l'Autorité palestinienne
Au cours des deux dernières années, Smotrich a mené une campagne d'étranglement financier contre l'Autorité palestinienne, détournant les recettes douanières palestiniennes qu'Israël perçoit pour le compte de l'Autorité palestinienne conformément aux accords d'Oslo. Smotrich a également menacé à plusieurs reprises d'interdire aux banques israéliennes de traiter avec les banques palestiniennes, et a entre-temps contraint les banques israéliennes à limiter les montants que les banques palestiniennes peuvent transférer vers les banques israéliennes.
Ces deux mesures ont plongé l'Autorité palestinienne dans une crise financière persistante, l'empêchant de verser l'intégralité des salaires mensuels des fonctionnaires, des médecins, des enseignants et du personnel de sécurité pendant des mois. Et si Smotrich parvient à interdire toutes les transactions financières entre les banques israéliennes et palestiniennes, cela entraînerait un effondrement financier total en Cisjordanie, menaçant l'existence même de l'Autorité palestinienne.
Affaiblir l'Autorité palestinienne à ce point vise à lui ôter toute utilité pour les Palestiniens et à ouvrir la voie à l'annexion. Smotrich n'est que le représentant de cette récente campagne visant à isoler et à assiéger l'Autorité palestinienne. Il fait partie des nombreux ministres israéliens essentiels à la continuité du gouvernement Netanyahu, parmi lesquels Itamar Ben-Gvir, Amichai Elyahu et Orit Strock, qui représentent tous la droite religieuse et contrôlent la majorité à la Knesset israélienne.
La Knesset prépare également depuis des années le terrain juridique pour l'annexion de la Cisjordanie. En 2018, elle a adopté la loi sur l'État-nation israélien, qui stipule que le seul droit à l'autodétermination entre le Jourdain et la Méditerranée appartient au peuple juif. En juillet de l'année dernière, la Knesset a adopté un projet de loi rejetant la création d'un État palestinien entre le fleuve et la mer, et un an plus tard, en juillet dernier, la Knesset a adopté un projet de loi permettant l'annexion de la Cisjordanie.
Le rôle des États-Unis
Le prélude à l'annexion officielle du territoire palestinien ne se limite pas aux mesures israéliennes, mais comprend également les initiatives symboliques prises jusqu'à présent par les États-Unis pour soutenir les intentions d'Israël. Alors que des États européens, dont la France, le Royaume-Uni et la Belgique, annoncent leur intention de reconnaître un État palestinien lors de l'Assemblée générale des Nations unies à la fin du mois, les États-Unis, pour leur part, ont révoqué les visas des responsables palestiniens, dont le président Mahmoud Abbas, qui devaient assister à l'Assemblée générale. Cette décision a été suivie par celle de Washington de cesser de délivrer des visas à tous les détenteurs de passeports palestiniens.
En substance, cela signifie que les États-Unis soutiennent implicitement les plans d'Israël visant à éliminer la possibilité d'un État palestinien et à étendre le contrôle d'Israël sur tous les territoires palestiniens.
Bien que le dernier plan de Smotrich ait été qualifié de « maximaliste », l'orientation générale des législateurs israéliens, même l'opposition « pragmatique » représentée par Yair Lapid et Benny Gantz, ne s'oppose pas à l'annexion de manière significative. Les principales divergences entre Israéliens ne portent pas sur l'annexion en soi, mais sur son ampleur.
Les législateurs israéliens moins « maximalistes » réclament soit l'annexion de toutes les colonies israéliennes, soit l'annexion de la zone C (qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie), soit l'annexion de la vallée du Jourdain. Mais toutes ces versions priveraient les Palestiniens de toute continuité géographique significative, de tout contrôle sur les ressources naturelles et les frontières, ou de toute perspective de croissance démographique future. En substance, l'ensemble de la classe politique israélienne est déterminée à rendre impossible la création d'un État palestinien. C'est parmi ces différents courants politiques que les États-Unis doivent choisir celui qu'ils soutiendront.
En fin de compte, ce sont les États-Unis qui décideront si l'annexion officielle dans son ensemble ira de l'avant. Axios a cité deux responsables américains anonymes selon lesquels il était « peu probable » que Trump soutienne une telle mesure. Mais même si Washington met fin à l'annexion de jure de la Cisjordanie, il proposera très probablement une « alternative » qui consoliderait l'annexion de facto.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss

Des mobilisations contre le génocide en Palestine déstabilisent le Tour d’Espagne
La 11ème étape de la Vuelta, le tour d'Espagne, a été neutralisée hier en raison de manifestations propalestiniennes sur le circuit. En cause : de multiples actions et appels au boycott pour protester contre la présence d'une formation israélienne parmi les équipes alignées sur cet événement sportif.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Il ne restait plus que quelques kilomètres avant que la onzième étape de la Vuelta, un des trois grands tours du circuit professionnel international de cyclisme, ne s'achève. Mais les organisateurs n'avaient sûrement pas prévu qu'elle se terminerait de la sorte. Juste avant l'arrivée à Bilbao dans le Pays basque espagnol, des manifestants propalestiniens se sont massés près des barrières et ont tenté d'accéder à la route pour perturber l'arrivée des coureurs.
Face aux risques, les organisateurs de la course ont préféré arrêter l'étape de manière anticipée en stoppant tous les chronos à trois kilomètres de l'arrivée et en annonçant qu'il n'y aurait pas de vainqueur en ce mercredi 3 septembre.
Alerter sur le génocide et contre la présence d'une équipe israélienne
Les manifestants propalestiniens n'ont pas décidé de manifester à l'arrivée d'une étape de la Vuelta par hasard. Des appels au boycott ont commencé à circuler avant même que le tour d'Espagne ne s'élance il y a déjà bientôt deux semaines, pour alerter contre le génocide et protester contre la présence au sein des équipes au départ d'Israël Premier Tech. Cette formation israélienne comme son nom l'indique est présidée par le milliardaire israélo-canadien Sylvan Adams.
Il en est le directeur depuis plus de dix ans, et a toujours insisté sur le soft power produit par le sport pour redorer l'image d'Israël à l'international. On lui doit des propos comme le fait qu'Israël soit “un pays incompris à cause d'une couverture médiatique négative”. Pour lui, les coureurs de l'équipe sont “des ambassadeurs du pays d'Israël”. Il n'a jamais caché l'influence qu'il souhaitait à son équipe de cyclisme pour vanter les mérites d'un pays génocidaire aux amateurs de cyclisme des quatre coins du monde.
C'est pour cette raison que les manifestants propalestiniens se font entendre sur les routes de ce tour d'Espagne 2025, pour protester contre le génocide en cours et le silence également d'une grande partie des coureurs présents. Ce pic d'intensité des actions sur la onzième étape était attendu, dans une région fortement marquée par les luttes indépendantistes et alors que le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez a marqué son soutien à la Palestine à de nombreuses reprises. Un suiveur du Tour présent a témoigné au Parisien : “On voyait depuis quelques jours de plus en plus de manifestants sur le bord des routes. C'était attendu que Bilbao soit un pic dans les protestations. La cause palestinienne y est soutenue par des partis politiques. On voyait bien que ça avait l'air organisé.”
Un tour d'Espagne 2025 marqué par les manifestations propalestiniennes
Les mobilisations de ce mercredi sur la Vuelta et l'annulation de l'étape marquent en réalité l'apogée plutôt que le début d'un mouvement de protestation qui s'est formé avant même que le tour d'Espagne ne commence. Des appels au boycott avaient déjà été lancés à cause de la présence de l'équipe Israël Premier Tech dans les rangs du peloton. Des mobilisations similaires avaient déjà eu lieu pendant le tour de France plus tôt cet été.
La première action a eu lieu lors du contre-la-montre par équipes en Catalogne mercredi 27 août, lors de la cinquième étape. Des manifestants portant des banderoles et des drapeaux palestiniens avaient tenté de bloquer la route à la formation israélienne. Une des banderoles mentionnait cette inscription en catalan : “la neutralité est une complicité, boycott Israël”. Les coureurs de l'équipe Israël Premier Tech avaient finalement été dédommagés par un retrait de quinze secondes sur leur temps final par les organisateurs du tour.
Avant-hier également, à la veille de l'étape annulée, des manifestants avaient obstrué la route en provoquant la chute d'un coureur de l'équipe Intermarché-Circus-Wanty. La seule différence avec les manifestations précédentes, c'est que celle sur la onzième étape a débouché sur une annulation de l'épreuve.
Vers un départ de l'équipe israélienne ?
La mobilisation pourrait d'ailleurs porter ses fruits car de plus en plus de coureurs réclament le départ de l'équipe Israël Premier Tech, arguant qu'il en va de leur sécurité à tous. Un argument qui est même remonté jusqu'aux plus hautes strates de l'organisation de cette course cycliste, puisque le directeur technique du tour d'Espagne Kiko Garcia a sous-entendu qu'il fallait que la formation israélienne s'en aille : “Il n'y a qu'une seule solution, et nous la connaissons tous. L'équipe israélienne elle-même a compris que la présence ici ne facilite pas la sécurité”.
Le management d'Israël Premier Tech a assuré que les coureurs de l'équipe s'aligneraient aujourd'hui au départ de la 12ème étape de la Vuelta malgré la pression des coureurs adverses et les actions à répétition des militants propalestiniens.
En soutien à ces mobilisations, la ministre espagnole de la jeunesse Sira Rego s'est exprimée hier après l'annulation de l'étape en saluant la “leçon d'humanité” donnée par la société espagnole. Elle s'est aussi fendue d'un message à destination des organisateurs de la Vuelta, les enjoignant à se demander “si les valeurs du Tour cycliste d'Espagne étaient compatibles avec la participation d'une équipe liée à un Etat qui viole le droit international, qui est en train de perpétrer un génocide.”

Pourquoi le monde laisse-t-il faire ça ? Déclare un chirurgien britannique de retour de Gaza
Honnêtement, les mots ne suffisent pas. Ces dernières semaines, notre Premier ministre et notre secrétaire aux affaires étrangères ont haussé le ton, mais rien n'a été fait. Nous avons besoin de plus que des mots. Sans actions ils sont futiles. Il faut autant d'aide et de nourriture que possible qui entrent sur le territoire. Il faut un cessez-le-feu. Notre gouvernement et celui des États-Unis doivent forcer le gouvernement israélien à mettre fin à cela.
Democraty Now, 25 juillet 2025
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr
Amy Goodman : (…) nous nous intéresserons maintenant à la famine imposée à Gaza où les enfants mal nourris envahissent les hôpitaux encore en fonction. Aujourd'hui, l'hôpital pour enfants palestiniens Al-Ahli Arab à Gaza cité, a annoncé la mort de faim de Abdul Qader al-Tayoumi le 115e enfant mort de faim depuis qu'Israël a réimposé son siège sur la bande en mars dernier. Les bombardements israéliens sur Gaza ont fait 62 morts palestiniens aujourd'hui. Mardi 19 de ces décès ont eu lieu alors que ces personnes tentaient d'obtenir de l'aide alimentaire aux postes de distribution de la soit disant Fondation humanitaire pour Gaza (mise en place) par les États-Unis et Israël. Jeudi, à Rafah, des Palestiniennes déplacées ont reçu instruction de se présenter à un de ces points de distribution pour femmes seulement. Elles y ont été attaquées avec des gaz lacrymogènes et des jets de poivre rouge.
Pour en comprendre plus, nous rejoignons à Oxford en Angleterre le professeur Nick Maynard, chirurgien consultant dans les hôpitaux de l'Université d'Oxford. Il revient tout juste de Gaza où il a fait un séjour bénévole de quatre semaines à l'hôpital Nasser de Khan Younis au sud de Gaza cité. Il a fait ce genre de séjours plusieurs fois. Son plus récent article dans The Gardian est intitulé : Je suis témoin de la famine imposée délibérément aux enfants de Gaza ; pourquoi le monde laisse-t-il faire cela ?
Soyez le bienvenu professeur. Vous avez aussi dit que certains jours vous voyiez plusieurs patients tous blessés sur les mêmes parties du corps, par exemple des blessures par balles à l'aine. Pouvez-vous expliquer s.v.p.?
Pro. N. Maynard : Oui, merci de m'avoir invité. Une des grandes différences durant ce récent séjour à Gaza avec mes passages antérieurs durant cette guerre est le nombre de blessures par balles que j'ai eu à traiter. Spécialement sur de jeunes adolescents qui ont été blessés aux points de distribution de l'aide alimentaire de la soit disant Fondation humanitaire pour Gaza. Ces garçons avaient environ 11, 15, 16 ans. Ils allaient chercher de la nourriture pour leurs familles affamées. Et ce que j'ai entendu de la part de leurs familles et de d'autres victimes et bien sûr de mes collègues soignant qui sont allés à ces points de distribution est le même récit de leur part à tous et toutes. Ils y vont, c'est le chaos et ils participent à l'émeute. Alors ils et elles sont sous les tirs des soldats israéliens et des drones quadricoptères qui volent partout à Gaza en tous temps.
Et, plus dérageant encore, tous les médecins de la salle d'urgence et évidemment tous les chirurgiens.nes comme moi ont reconnu une concentration de blessures sur des points particuliers des corps selon les jours. Par exemple, certains jours les blessés arrivent avec des atteintes à la tête et au cou. Un autre jour ce sera des blessures par balles à la poitrine et un autre jour à l'abdomen et même, il y a 12 jours, nous avons eu quatre jeunes adolescents tous admis pour blessures aux testicules. Ces concentrations et ces scénarios sont frappants. Il nous paraît que cela ressemble à quelque chose comme des exercices de tirs comme une sorte de jeu qui dirait : aujourd'hui ce sont les têtes, demain les abdomens et ensuite les testicules. C'est vraiment choquant, vraiment choquant.
A.G. : Dans votre récent article, vous décrivez un nourrisson de sept mois en disant : « l'expression la peau et les os ne lui rendent pas justice ». Pouvez-vous expliciter ?
Pro. N. M. : Oui, donc, j'ai passé un certain temps dans le département de pédiatrie. Je suis un chirurgien pour adultes, mais j'ai aussi opéré des enfants. Par exemple, une fillette de onze ans qui était aux soins intensifs de pédiatrie. Je la voyais plusieurs fois par jour. Donc j'ai passé un bon bout de temps en pédiatrie. Je suis aussi allé dans le département néonatal ; j'y ai vu les exemples les plus terribles de malnutrition qu'on peut imaginer. Du genre que vous ne pourriez imaginer exister quelque part dans le monde : des nourrissons de sept mois qui ressemblent à des nouveaux nés parfois tous et toutes sous-alimentés.es. Il n'y avait pas de nourriture pour ces enfants, pratiquement pas du tout de lait maternisé pour les nourrir.
Bien sûr qu'il n'y avait pas de lait maternisé autorisé à Gaza depuis le dernier cessez-le-feu, donc pendant plusieurs mois. Des médecins américains avec qui je travaillais ont tenté d'en faire entrer. Toutes les boites qui en contenaient ont été ouvertes et le lait a été confisqué par les policiers israéliens à la frontière. C'était très ciblé puisque rien d'autre n'a été retiré des boites. Et pendant ce temps, les nouveaux nés, les nourrissons et les autres enfants aux soins intensifs souffraient tous et toutes de la faim. Il n'y avait pas assez de nourriture pour qu'ils survivent tous.
A.M. : Dr. Maynard vous avez écrit : « Chaque jour j'ai vu des patients.es se détériorer et mourir de leurs blessures. Parce qu'ils et elles sont mal nourris, la survie après la chirurgie est impossible ». Pouvez-vous nous le décrire ?
P.N. M. : Oui c'était particulièrement ….La plupart des patients que j'ai opéré étaient des adultes. La plupart étaient très sous-alimentés.es et arrivaient avec des blessures sévères d'explosions de bombes, d'éclats d'obus dans l'abdomen ou la poitrine ou encore de blessures par balles. C'étaient de sérieuses blessures pour lesquelles des chirurgies majeures étaient requises. Mais en situation normale les patients vont survivre à leurs blessures et aux chirurgies.
Mais la malnutrition est telle que les tissus ne guérissent pas. Le système immunitaire ne fonctionne plus. Ce que nous avons traité sur le foie, le pancréas, le duodénum, l'estomac et les intestins ne guérit pas correctement. Souvent ils s'effondrent causant de terribles infections dans l'organisme. Donc, très souvent ces personnes décèdent. Ainsi, le ratio de décès suite à ces blessures est bien plus élevé que ce à quoi on devrait s'attendre.
A.G. : Professeur Maynard, nous allons terminer avec le titre de votre article : Pourquoi le monde laisse-t-il faire ? Vous retournez en Grande Bretagne, La France vient tout juste d'annoncer qu'elle allait reconnaitre l'État de Palestine mettant ainsi une énorme pression sur la Grande Bretagne pour qu'elle en fasse autant. Qu'est-ce qui devrait être fait, selon vous ?
P.N.M. : Honnêtement, les mots ne suffisent pas. Ces dernières semaines, notre Premier ministre et notre secrétaire aux affaires étrangères ont haussé le ton, mais rien n'a été fait. Nous avons besoin de plus que des mots. Sans actions ils sont futiles. Il faut autant d'aide et de nourriture que possible qui entrent sur le territoire. Il faut un cessez-le-feu. Notre gouvernement et celui des États-Unis doivent forcer le gouvernement israélien à mettre fin à cela.
A.G. : Professeur Maynard, (…) nous allons mettre un lien vers votre article : « I'm witnessing the deliberate starvation of Gaza's children … why is the world letting it happen ? »
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Trois détenus palestiniens sur quatre sont des civils, selon l’armée israélienne elle-même
Les 6 000 Palestiniens arrêtés à Gaza et détenus dans des conditions épouvantables dans les prisons israéliennes ne sont en rien considérés, dans leur grande majorité, comme des « combattants », révèle une enquête de notre partenaire +972 Magazine réalisée avec Local Call et le « Guardian ».
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Seulement un quart des Palestinien·nes capturé·es par les forces israéliennes à Gaza ont été identifié·es par l'armée comme des combattant·es. Les civils constituent la grande majorité des « combattants illégaux » détenus dans les prisons israéliennes depuis le 7-Octobre, révèle une enquête conjointe du magazine israélo-palestinien +972, du journal en hébreu Local Call et du journal britannique The Guardian, publiée le 4 septembre.
C'est ce qui ressort des chiffres obtenus à partir d'une base de données classifiée gérée par la Direction du renseignement militaire israélien (Aman, selon son acronyme hébreu), ainsi que des statistiques officielles israéliennes sur les prisons divulguées lors de procédures judiciaires. Les témoignages d'ancien·nes détenu·es palestinien·nes et de soldat·es israélien·nes ayant servi dans des centres de détention indiquent en outre qu'Israël a sciemment et massivement enlevé des civils pour les détenir pendant de longues périodes dans des conditions effroyables.
Les chiffres de détention cités par l'État israélien en mai, en réponse aux requêtes de la Haute Cour de justice, ont révélé qu'un total de 6 000 Palestinien·nes avaient été arrêté·es à Gaza au cours des dix-neuf premiers mois de la guerre et détenu·es en Israël en vertu d'une loi sur l'incarcération des « combattants illégaux » – un outil juridique qui permet à Israël d'emprisonner des personnes indéfiniment, sans inculpation ni procès, s'il existe des « motifs raisonnables » de croire qu'elles ont participé ou sont membres d'un groupe qui a participé à des « activités hostiles contre l'État d'Israël ».
Les responsables politiques, l'armée et les médias israéliens qualifient régulièrement de « terroristes » tou·tes les détenu·es palestinien·nes de Gaza, et le gouvernement n'a jamais reconnu détenir de civils. L'administration pénitentiaire israélienne (IPS) a affirmé dans des rapports publics, sans fournir de preuves, que la quasi-totalité des « combattants illégaux » détenus dans les prisons israéliennes étaient membres du Hamas ou du Jihad islamique palestinien (JIP).
Pourtant, des données obtenues mi-mai dans la base de données d'Aman, que des sources de renseignement décrivent comme la seule source fiable pour savoir qui l'armée considère comme des combattants actifs à Gaza, ont montré qu'Israël n'a arrêté que 1 450 individus appartenant aux branches militaires du Hamas et du JIP, ce qui signifie que les trois quarts des 6 000 personnes détenues n'appartenaient ni à l'un ni à l'autre.
Une base de données de plus de 47 000 noms
La base de données, dont l'existence a été récemment révélée par +972, Local Call et le Guardian, recense les noms de 47 653 Palestinien·nes que l'armée considère comme des militant·es du Hamas et du Jihad islamique palestinien (elle est régulièrement mise à jour et inclut les personnes recrutées après le 7-Octobre). À la mi-mai, Israël avait arrêté environ 950 combattants du Hamas et 500 du Jihad islamique palestinien, selon ces données.
La base de données ne contient aucune information sur les membres d'autres groupes armés à Gaza, qui, selon les rapports de l'IPS, représentent moins de 2 % des détenus « combattants illégaux ». Jusqu'à 300 Palestiniens sont par ailleurs détenus en Israël, accusés d'avoir participé aux attaques du 7-Octobre ; ils ne sont pas définis comme des « combattants illégaux » mais comme des détenus criminels, Israël affirmant disposer de suffisamment de preuves pour les poursuivre.
+972, Local Call et le Guardian ont obtenu les données chiffrées de la base de données sans les noms des personnes répertoriées ni les renseignements censés les incriminer – dont la fiabilité est elle-même remise en question par les allégations peu convaincantes portées contre des personnes comme Anas al-Sharif, le journaliste d'Al Jazeera assassiné en août.
Au cours de la guerre, en partie à cause de la forte surpopulation carcérale, Israël a libéré plus de 2 500 prisonniers qu'il avait qualifiés de « combattants illégaux », laissant entendre qu'il ne les considérait pas comme de véritables militants. 1 050 autres ont été libérés dans le cadre d'échanges de prisonniers convenus entre Israël et le Hamas.
Les groupes de défense des droits humains et les soldats israéliens ont décrit une proportion de combattants encore plus faible parmi les personnes arrêtées à Gaza que ce qui ressort des données divulguées. En décembre 2023, lorsque des photos de dizaines de Palestiniens déshabillés et enchaînés ont suscité l'indignation internationale, des officiers supérieurs ont admis auprès du journal Haaretz que « 85 à 90 % » d'entre eux n'étaient pas membres du Hamas.
- Dans de nombreux cas, l'affiliation politique à une faction palestinienne suffit à Israël pour qualifier une personne de combattante.
- - Samir Zaqout, directeur adjoint du Centre Al Mezan pour les droits humains
Le Centre Al Mezan pour les droits humains, basé à Gaza, a représenté des centaines de civils détenus dans les prisons israéliennes. Son travail « met en évidence une campagne systématique de détentions arbitraires ciblant les Palestiniens sans discrimination, quelle que soit l'infraction présumée », explique Samir Zaqout, le directeur adjoint de l'ONG.
Selon lui, « un détenu sur six ou sept au maximum pourrait avoir un lien avec le Hamas ou d'autres factions militantes, et même dans ce cas, pas nécessairement par l'intermédiaire de leurs branches militaires. Dans de nombreux cas, l'affiliation politique à une faction palestinienne suffit à Israël pour qualifier une personne de combattante ».
Les Palestinien·nes libéré·es des centres de détention militaires et des prisons de l'IPS au cours de la guerre ont témoigné de conditions de détention extrêmement difficiles, notamment de mauvais traitements et de tortures systématiques. En raison de ces pratiques, des dizaines de personnes sont mortes en détention.
Contournement des procédures régulières
Promulguée en 2002, la loi sur l'incarcération des combattants illégaux a été conçue pour permettre à Israël de détenir des personnes en temps de guerre sans avoir à les reconnaître comme des prisonniers et prisonnières de guerre, ainsi que le prévoient les Conventions de Genève. Cette loi permet également à Israël de leur refuser l'accès à un·e avocat·e pendant une période pouvant aller jusqu'à soixante-quinze jours.
Les tribunaux israéliens prolongent la détention des Palestinien·nes de manière quasi automatique, en s'appuyant sur des « preuves secrètes » lors d'audiences qui ne durent que quelques minutes. Selon les données de l'organisation israélienne de défense des droits humains HaMoked, le service israélien de détention provisoire (SIP) détient actuellement environ 2 660 Gazaouis arrêtés après le 7-Octobre comme « combattants illégaux », soit le nombre le plus élevé jamais enregistré pendant la guerre.
Des organisations juridiques estiment que des centaines d'autres sont actuellement détenus dans des centres de détention militaires israéliens, avant d'être transférés dans les prisons du SIP (selon l'armée, le nombre total de « combattants illégaux » détenus dans les prisons et les centres de détention s'élevait en mai à 2 750).
« Si Israël devait traduire tous les détenus en justice, il devrait rédiger des actes d'accusation précis et présenter des preuves à l'appui de ces allégations, précise Jessica Montell, directrice de HaMoked. Les procédures régulières peuvent être lourdes. C'est pourquoi ils ont créé la loi sur les combattants illégaux, pour contourner tout cela. »
Cette loi, ajoute Montell, a facilité la « disparition forcée de centaines, voire de milliers de personnes », détenues de fait sans aucun contrôle extérieur.
« Vider » le camp de Khan Younès
Le fait que les trois quarts des personnes détenues comme « combattants illégaux » ne soient pas considérées, dans les registres de l'armée, comme appartenant aux branches armées du Hamas ou du Jihad islamique palestinien, « sape toute justification de leur détention », réagit Tal Steiner, directrice du Comité public contre la torture en Israël, dont les requêtes contre l'incarcération de masse ont incité l'État à fournir des données sur le nombre de personnes détenues depuis le 7-Octobre.
« Dès le début de la vague d'arrestations massives à Gaza en octobre 2023,détaille-t-elle, de vives inquiétudes ont été exprimées quant au fait que de nombreuses personnes non impliquées étaient détenues sans motif, poursuit Steiner. Cette inquiétude a été confirmée lorsque nous avons appris que la moitié des personnes arrêtées au début de la guerre avaient finalement été libérées, démontrant ainsi que leur détention était injustifiée. »
Un officier de l'armée israélienne ayant mené des opérations d'arrestations massives dans le camp de réfugié·es de Khan Younès a déclaré à +972, à Local Call et au Guardian que la mission de son unité était de « vider » le camp et de forcer ses habitant·es à fuir plus au sud. Dans le cadre de cette mission, les détenu·es étaient arrêté·es en masse et emmené·es dans des installations militaires où ils et elles étaient classé·es comme « combattants illégaux ».
« Tout le monde était emmené en de longs convois, sac sur la tête, vers la côte, à Al-Mawasi, a témoigné l'officier. [Ils étaient emmenés] vers ce que nous appelions un centre d'inspection, [où] les gens étaient contrôlés. Chaque nuit, ils chargeaient un camion ouvert avec des dizaines, des centaines d'hommes, les yeux bandés, ligotés, entassés les uns sur les autres. Chaque nuit, un camion comme celui-ci partait pour Israël. »
Maintenu en détention pendant une année entière, Ahmad Muhammad ignore à ce jour pourquoi.
L'officier s'est aperçu qu'aucune distinction n'était faite « entre un terroriste entré en Israël le 7-Octobre et un employé de la régie des eaux de Khan Younès », et que les arrestations, y compris de personnes mineures, étaient effectuées de manière arbitraire. « C'est inconcevable, a-t-il déclaré. On enlève un homme, un garçon, un jeune, de sa famille, et on l'envoie en Israël pour interrogatoire. S'il revient un jour, comment pourra-t-il les retrouver ? »
Originaire du camp de réfugié·es de Khan Younès, Ahmad Muhammad, 30 ans, coiffeur, qui précise bien n'appartenir à aucune faction, raconte avoir été contraint de suivre un de ces convois avec sa femme et leurs trois enfants le 7 janvier 2024. Au poste de contrôle, l'armée a annoncé par mégaphone que les hommes devaient s'arrêter, les identifiant à la couleur de leurs vêtements. « “Chemise bleue, reviens, reviens !”, m'a crié un soldat », se souvient-il.
Lui et un groupe d'hommes ont été séparés des autres. « Nous étions arrêtés au hasard, décrit-il. Chaque fois qu'un soldat s'approchait, il nous insultait, jusqu'à ce qu'un camion arrive et qu'on soit jetés à l'intérieur, entassés les uns sur les autres, profondément humiliés. »
Emmené à la prison du Néguev, Ahmad Muhammad a été interrogé sur les attaques du 7-Octobre. Il a dit aux soldats qu'il ne savait rien, mais ils l'ont maintenu en détention pendant une année entière. À ce jour, il ignore pourquoi. « J'ai vécu des jours difficiles en prison : la maladie, le froid, la torture, l'humiliation », explique-t-il.
Ahmad Muhammad a été libéré en janvier de cette année, dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, avec environ 2 000 autres prisonniers palestiniens, dont la moitié étaient détenus depuis le 7-Octobre en vertu de la loi sur les « combattants illégaux » et privés d'accès à un·e avocat·e ou à une procédure régulière depuis des mois.
Des patients et des médecins torturés
Plusieurs soldats ont confirmé à +972, à Local Call et au Guardian avoir été témoins de la détention massive de civils palestiniens dans des installations militaires israéliennes. Un soldat ayant servi au tristement célèbre centre de détention de Sde Teiman a rapporté qu'un complexe était surnommé « l'enclos gériatrique » car tous les détenus étaient âgés ou gravement blessés, certains étant directement sortis des hôpitaux de Gaza.
« Ils arrêtaient des masses de gens à l'hôpital indonésien [de Beit Lahiya], a-t-il témoigné. Ils amenaient des hommes en fauteuil roulant, des personnes amputées de leurs jambes ou qui ne pouvaient plus les utiliser. Je me souviens d'un homme de 75 ans, avec des moignons gravement infectés. J'ai toujours supposé que le prétexte invoqué pour arrêter les patients était qu'ils avaient peut-être vu les otages ou quelque chose comme ça. » Tous, a-t-il ajouté, étaient détenus dans « l'enclos gériatrique ».
Un autre soldat, commandant une équipe au début de la guerre, a déclaré que l'armée avait arrêté un patient septuagénaire à l'hôpital Al-Shifa de Gaza. « Il est arrivé attaché à un brancard. Il était diabétique, la jambe gangrenée et incapable de marcher. Il ne représentait aucun danger pour personne. » Cet homme a été transféré à Sde Teiman.
En plus de rassembler les civils blessés dans les hôpitaux de Gaza et de les emprisonner dans des centres de détention israéliens, Israël a arrêté des centaines de médecins qui les soignaient. Aujourd'hui, plus de 100 membres du personnel médical de Gaza sont toujours emprisonnés comme « combattants illégaux », selon l'ONG israélienne Physicians for Human Rights (PHRI, « Médecins pour les droits humains »), qui a publié en février un rapport compilant les témoignages de vingt médecins et de lanceurs d'alerte militaires décrivant des abus et des actes de torture.
- Ils nous ont enfoncé la tête dans le gravier […], nous ont sauvagement frappés à coups de matraque et nous ont électrocutés.
- - Le chef du service de chirurgie de l'hôpital indonésien de Beit Lahiya
Naji Abbas, de PHRI, a expliqué que leurs témoignages révélaient une pratique courante consistant à emprisonner des personnes pendant des mois après un simple et bref interrogatoire. Pour Abbas, cela contredit l'affirmation d'Israël selon laquelle ces détenus sont là parce qu'ils possèdent des renseignements précieux sur les otages israéliens détenus par le Hamas. Il considère leur détention comme faisant partie de l'attaque israélienne contre le système de santé de Gaza.
Dans un des témoignages recueillis par PHRI, un chirurgien de l'hôpital Nasser de Khan Younès décrit comment les soldats « s'asseyaient sur [eux], [leur] donnaient des coups de pied et [les] frappaient à coups de crosse de fusil ». Dans un autre témoignage, le chef du service de chirurgie de l'hôpital indonésien confie : « Ils nous ont enfoncé la tête dans le gravier, encore et encore, pendant quatre heures, nous ont sauvagement frappés à coups de matraque et nous ont électrocutés. »
Un troisième médecin rapporte avoir été battu jusqu'à ce que ses côtes soient brisées, tandis qu'un chirurgien de l'hôpital Al-Shifa décrit des détenus électrocutés et ajoute avoir entendu parler de prisonniers décédés des suites de ces blessures. « Sur le chemin du centre d'interrogatoire, ils m'ont dit qu'ils me couperaient les doigts parce que je suis dentiste », a témoigné un autre médecin auprès de PHRI.
Surpopulation carcérale
Les médecins qui ont témoigné auprès de PHRI étaient considérés comme des « combattants illégaux ». L'un de ces détenus, le Dr Adnan al-Bursh, chef du service d'orthopédie de l'hôpital Al-Shifa, est décédé en détention l'année dernière, après avoir été arrêté en décembre 2023. Selon sa famille, il a été torturé à mort. Un autre détenu, Iyad al-Rantisi, directeur d'un hôpital pour femmes à Gaza, est décédé l'année dernière dans un centre d'interrogatoire du Shin Bet.
De nombreux médecins palestiniens étaient emprisonnés dans le centre de détention militaire d'Anatot, selon un médecin israélien qui y travaillait. Il se souvient d'un pédiatre, menotté et les yeux bandés, qui l'avait supplié en anglais : « Nous sommes vos collègues. Pouvez-vous m'aider ? »
En juin 2024, Ronen Bar, alors directeur du Shin Bet, avait adressé une lettre au premier ministre Benyamin Nétanyahou pour l'avertir d'une crise de surpopulation carcérale : le nombre de personnes détenues dépassait les 21 000, alors que la capacité d'accueil n'était que de 14 500. Il écrivait que le traitement des prisonniers « frôlait la maltraitance », exposant les fonctionnaires de l'État à d'éventuelles poursuites pénales à l'étranger.
L'arrestation massive de médecins et d'autres civils semble aussi avoir été, au moins en partie, destinée à créer un levier pour les négociations sur les otages.
La dureté du traitement infligé aux détenu·es concorde avec les propos du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, qui avait déclaré l'année dernière que l'une de ses principales priorités était de « durcir les conditions » des prisonnières et prisonniers palestiniens, notamment en ne leur fournissant qu'une nourriture « minimale ». De nombreux civils gazaouis arrêtés et emprisonnés par les forces israéliennes ont raconté avoir été soumis à de graves maltraitances et à la torture.
Mais l'arrestation massive de médecins et d'autres civils semble aussi avoir été, au moins en partie, destinée à créer un levier pour les négociations sur les otages. Lorsque le directeur de l'hôpital Al-Shifa, Mohammed Abu Salmiya, a été libéré l'an dernier, le député Simcha Rothman, qui préside la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, a déploré que sa libération n'ait pas eu lieu « en échange d'otages ». Lors de la même réunion de la commission, le député Almog Cohen a déclaré qu'Israël avait manqué l'occasion de « s'emparer d'un symbole important à Gaza » pour conclure un accord.
« Nous avons continué à libérer des gens “gratuitement”, ce qui a mis [les soldats] en colère, a regretté un soldat stationné dans un centre de détention. [Les soldats] disaient : “Ils ne rendent pas d'otages, alors pourquoi les laisser partir ?” »
Fahamiya al-Khalidi, une octogénaire en prison
Peu de cas illustrent aussi clairement la cruauté arbitraire de la politique israélienne d'incarcération de masse que celui de Fahamiya al-Khalidi, arrêtée par des soldats dans une école du quartier de Zeitoun, à Gaza, le 9 décembre 2023.
Alors âgée de 82 ans, elle souffrait de la maladie d'Alzheimer et peinait à marcher seule. L'armée israélienne l'a néanmoins emmenée au centre de détention militaire d'Anatot, avant de la transférer le lendemain à la prison de Damon, dans le nord d'Israël, où elle a été incarcérée pendant six semaines. Un document de la prison révèle qu'elle était détenue en vertu de la loi sur les « combattants illégaux », confirmant ainsi des informations initialement publiées dans Haaretz début 2024.
Au départ, l'armée israélienne avait déclaré, en réponse à notre demande de renseignements, que Fahamiya al-Khalidi avait été arrêtée « afin d'exclure son implication dans le terrorisme », avant de changer de version et d'expliquer qu'elle avait été détenue « sur la base de renseignements spécifiques la concernant personnellement », ajoutant que « compte tenu de son état actuel, la détention n'était pas appropriée et résultait d'une erreur de jugement locale et isolée ».
Un médecin militaire en poste à Anatot a déclaré à +972, à Local Call et au Guardian avoir été appelé pour soigner Fahamiya al-Khalidi après son malaise, la première nuit suivant son arrivée. « Elle est tombée et s'est blessée, probablement à cause des barbelés, a-t-il raconté. Nous lui avons recousu la main en pleine nuit. » Des photos prises par le médecin, consultées par +972, Local Call et le Guardian, confirment sa présence à Anatot au moment où al-Khalidi y était détenue.
Al-Khalidi ne se souvenait plus de son âge et pensait être toujours à Gaza – pourtant, l'armée la considérait toujours comme une combattante. « Ils disent aux soldats que cette personne est une “combattante illégale”, ce qui équivaut à une terroriste,explique le médecin. Quand al-Khalidi est arrivée, je me souviens qu'elle boitait beaucoup vers la clinique. Et elle a été classée comme combattante illégale. La façon dont cette étiquette est utilisée est insensée. »
Al-Khalidi était l'une des quarante femmes que le soldat se souvient d'avoir vues à Anatot au cours de ses deux mois passés dans ce centre. « Une femme a fait une fausse couche. Les gardiens ont dit qu'elle saignait abondamment. Une autre femme, une mère allaitante amenée sans son bébé, voulait continuer à allaiter pour préserver son lait. »
Abeer Ghaban élevait seule ses trois enfants, âgés de 10, 9 et 7 ans. Après son arrestation, ils ont été livrés à eux-mêmes.
Abeer Ghaban, 40 ans, était déjà détenue à la prison de Damon à l'arrivée d'al-Khalidi. Elle a raconté que la femme âgée semblait effrayée et que son visage et ses mains étaient enflés. Au début, al-Khalidi a à peine parlé aux autres détenues, mais peu à peu, elles ont appris qu'elle avait fui lorsque l'armée israélienne avait menacé de bombarder son immeuble, et qu'elle avait ensuite été arrêtée.
Ghaban a raconté avoir passé des semaines à s'occuper de Fahamiya al-Khalidi pendant leur incarcération commune. « Nous la nourrissions de nos propres mains, se souvient-elle. Nous lui changions ses vêtements. Elle se déplaçait en fauteuil roulant. »
À un moment donné, a expliqué Abeer Ghaban, les gardiens de prison se sont moqués d'al-Khalidi jusqu'à ce qu'elle tente de s'enfuir, percute une clôture et se blesse.
Ghaban élevait seule depuis des années ses trois enfants, âgés de 10, 9 et 7 ans. Après son arrestation par des soldats israéliens à un poste de contrôle à Gaza en décembre 2023, ils ont été livrés à eux-mêmes. Lors de son interrogatoire, Ghaban a découvert que l'armée avait confondu son mari, un agriculteur, avec un membre du Hamas portant exactement le même nom. Un soldat a reconnu cette erreur après avoir comparé des photos, mais elle a été maintenue en prison pendant six semaines supplémentaires. L'inquiétude pour ses enfants l'a rongée.
Les deux femmes ont été libérées ensemble, en janvier 2024, sans explication. Ghaban a aidé al-Khalidi à contacter ses enfants qui vivent à l'étranger, et elle a retrouvé ses propres enfants mendiant dans la rue, méconnaissables. « Ils étaient vivants mais voir dans quel état ils étaient depuis cinquante-trois jours sans moi m'a brisée », a-t-elle confié.
Une journaliste a documenté le retour d'al-Khalidi à Rafah après sa libération. Désorientée et confuse, sans famille, toujours vêtue d'un pantalon de prison gris, elle ne se souvenait plus de la durée de sa détention. Elle a dit avoir été « emmenée à l'école » et avoir vécu « beaucoup d'épreuves ».
« Israël viole le droit international qui garantit les droits fondamentaux et n'autorise l'emprisonnement de civils que s'ils représentent une menace impérieuse pour la sécurité », condamne Michael Sfard, un des principaux avocats israéliens spécialisés dans la défense des droits humains.
« Les conditions de détention des Gazaouis en Israël sont, sans l'ombre d'un doute, contraires aux dispositions de la Quatrième Convention de Genève. La législation utilisée pour les détenir constitue également une violation flagrante du droit international », dénonce-t-il, soulignant que les violences, la privation de nourriture et le refus de visites de la Croix-Rouge et de communication avec les familles sont monnaie courante.
Directeur de l'association palestinienne de défense des droits humains Adalah, basée à Haïfa, Hassan Jabareen partage cet avis. « La loi sur les “combattants illégaux” vise à faciliter la détention massive de civils et les disparitions forcées, légalisant de fait l'enlèvement de Palestiniens de Gaza, déplore-t-il. Elle prive les détenus des protections garanties par le droit international, notamment celles spécifiquement destinées aux civils, et utilise l'étiquette de “combattant illégal” pour justifier le déni systématique de leurs droits. »
Yuval Abraham (+972 Magazine)

Trump limoge des hauts fonctionnaires et prend le contrôle de plusieurs villes
Donald Trump multiplie les purges à la tête d'institutions fédérales et déploie la Garde nationale dans plusieurs villes. Ces mesures autoritaires suscitent des condamnations massives et une mobilisation populaire.
Hebdo L'Anticapitaliste - 765 (04/09/2025) | Crédit Photo : Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas | Traduction Henri Wilno
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/trump-limoge-des-hauts-fonctionnaires-et-prend-le-controle-de-plusieurs
Trump a mis l'été à profit pour continuer à démanteler la démocratie et avancer vers un État autoritaire et réactionnaire. Trump a limogé trois hauts fonctionnaires. Il a d'abord licencié Erika McEntarfer, commissaire du Bureau of Labor Statistics (Bureau des statistiques du travail), Lisa D. Cook, gouverneure de la Federal Reserve Bank (banque centrale américaine), et Susan Monarez, directrice des Centers for Disease Control and Prevention (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies). Aucun autre président n'avait jamais procédé à de tels licenciements à la tête d'institutions quasi sacro-saintes, qui régulent l'économie et protègent la santé publique.
L'armée contre les mobilisations
Trump a également affirmé son pouvoir dans les rues des villes américaines. Lorsque les habitantEs de Los Angeles ont protesté contre les rafles et les arrestations menées dans le cadre de sa politique d'immigration, ce qui a conduit à des affrontements avec la police de Los Angeles, Trump a directement mobilisé la Garde nationale en juin, envoyant 2 000 gardes à Los Angeles ainsi que 700 marines et de nombreux agents de l'ICE (Service de l'immigration et des douanes). La maire de Los Angeles, Karen Bass, et le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, ont tous deux qualifié l'occupation militaire d'une partie de la ville d'inutile et d'autoritaire. Le gouverneur a intenté une action en justice devant un tribunal fédéral et obtenu une ordonnance restrictive temporaire.
À la mi-août, Trump a déclaré « l'état d'urgence criminelle » dans la capitale nationale et a pris le contrôle de la Garde nationale de Washington, DC, ainsi que du département de police de la ville. Le 8 août, Trump a envoyé des centaines de fonctionnaires fédéraux d'autres agences, telles que le Federal Bureau of Investigation (FBI), patrouiller dans les rues de Washington. Bien que la ville compte effectivement des quartiers à forte criminalité, le taux d'homicides et d'autres crimes violents est en réalité en baisse. Washington, DC étant un district fédéral et non un État, le président est constitutionnellement habilité à en prendre le contrôle. Mais il a également promis d'envoyer des agences fédérales et des troupes dans d'autres villes : Chicago, New York, Baltimore et Oakland, toutes gouvernées par des démocrates.
Résistances institutionnelles et populaires
Dans l'Illinois, le gouverneur J.B. Pritzker et le maire de Chicago, Brandon Johnson, ont tous deux condamné le projet de Trump d'envoyer des troupes, le qualifiant d'inutile et de menace pour la démocratie américaine. Quelque dix-neuf gouverneurs démocrates ont également affirmé qu'ils ne voulaient pas de troupes ni de policiers fédéraux dans leurs États. Les troupes et les agents de Trump ne contribuent guère au maintien de l'ordre, ils jettent les bases d'un potentiel coup d'État militaire.
La manifestation pacifique No Kings Day, qui s'est déroulée à travers les États-Unis le 14 juin 2025, a été la plus grande manifestation d'une journée de l'histoire du pays. En août, les manifestations ont diminué.
Le Democratic Socialists of America (DSA), la plus grande organisation socialiste du pays avec 80 000 membres, a tenu son congrès à Chicago le mois dernier. Les nombreux courants politiques de l'organisation — gauche, droite et centre — se sont disputés sur les procédures et ont adopté une résolution de soutien à la Palestine, mais il y a eu peu, voire pas, de débats sur la politique américaine et sur la manière d'arrêter Trump.
Mais l'automne approche et des mobilisations plus massives sont attendues lorsque les étudiantEs retourneront sur leurs campus et que les gens reprendront le travail. Il faudra être dans la rue par millions.
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
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« S’unir pour la paix » : Comment l’ONU pourrait contourner le veto américain, envoyer des Casques bleus à Gaza, bloquer les livraisons d’armes et plus encore
L'administration Trump fait face à des critiques croissantes pour avoir suspendu les visas des détenteurs de passeports palestiniens, y compris des responsables appelés à participer à l'Assemblée générale annuelle de l'ONU ce mois-ci. Lorsque les États-Unis ont refusé un visa à Yasser Arafat pour s'adresser à l'ONU en 1988, l'Assemblée générale avait été déplacée à Genève — et des appels similaires émergent aujourd'hui.
Ce geste des États-Unis est « l'indication du degré sans précédent auquel le gouvernement américain a remis les leviers de sa politique étrangère au régime israélien », affirme Craig Mokhiber, avocat international en droits humains et ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme. Il a démissionné en octobre 2023 pour dénoncer l'incapacité de l'ONU à répondre adéquatement aux atrocités massives en Palestine et en Israël.
Mokhiber ajoute que l'ONU pourrait faire davantage pour arrêter le génocide à Gaza. L'Assemblée générale a le pouvoir de contourner le Conseil de sécurité grâce à une résolution « S'unir pour la paix » qui pourrait forcer des « actions concrètes » à Gaza.
4 septembre 2025 | tiré de democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/9/4/un_palestine
NERMEEN SHAIKH : L'administration Trump est confrontée à des critiques croissantes pour avoir suspendu les visas des détenteurs de passeports palestiniens, y compris pour des responsables palestiniens qui devaient participer à l'Assemblée générale annuelle de l'ONU à New York plus tard ce mois-ci. Lorsque les États-Unis ont refusé un visa à Yasser Arafat pour s'adresser à l'ONU en 1988, l'Assemblée générale avait été déplacée à Genève, en Suisse — et l'ONU fait face aujourd'hui à des appels similaires.
Cela survient alors que la Belgique annonce qu'elle reconnaîtra un État palestinien à l'Assemblée générale de l'ONU ce mois-ci, aux côtés de la France, de la Grande-Bretagne, du Canada et de l'Australie. La Belgique prévoit également d'imposer 12 sanctions à Israël, incluant l'interdiction de tous les produits issus des colonies illégales de Cisjordanie et une révision des politiques d'approvisionnement public avec les entreprises israéliennes.
AMY GOODMAN : Pour en savoir plus, nous allons à Niagara Falls, où nous rejoignons Craig Mokhiber, avocat international des droits humains, ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, où il a travaillé plus de trois décennies comme responsable des droits humains. Il a démissionné en octobre 2023, disant que l'ONU avait échoué à répondre de manière adéquate aux atrocités de grande ampleur en Palestine et en Israël. Son nouvel article pour Mondoweiss est intitulé : « Comment l'ONU pourrait agir aujourd'hui pour mettre fin au génocide en Palestine ».
Craig, bienvenue à nouveau sur Democracy Now ! Commençons par ce refus de visas pour les détenteurs de passeports palestiniens. Parlez-nous de qui compose la délégation palestinienne et de ce que cela signifie, alors que les États occidentaux, l'un après l'autre, rejoignant plus d'une centaine d'autres, reconnaissent un État palestinien, mais que les responsables palestiniens à l'ONU ne seront pas autorisés à être présents. Cela remet-il en cause toute la notion de ce que signifie avoir des Nations Unies ?
CRAIG MOKHIBER : Eh bien, Amy, merci de m'avoir invité.
Je veux dire, d'abord, je dois dire que cette tendance au refus de visas pour les Palestiniens n'est que la dernière étape d'une tendance croissante du gouvernement américain à importer effectivement l'idéologie raciste du régime israélien dans les lois et politiques des États-Unis.
Cette politique particulière de Trump et Rubio a été déployée en trois phases : premièrement, interdire les visas pour les Palestiniens de Gaza, y compris des enfants horriblement blessés par les attaques israéliennes qui cherchaient à obtenir un traitement médical aux États-Unis — ce qui, déjà, était un acte d'une cruauté incroyable. Puis, bien sûr, il a ensuite été annoncé que l'on interdirait les visas essentiellement à tous les Palestiniens, en refusant les visas aux détenteurs de passeports palestiniens, qu'ils viennent de Gaza, de Cisjordanie ou de n'importe quel pays de la diaspora. Et maintenant, comme vous l'avez dit, il a été annoncé que l'on refuserait des visas à la délégation palestinienne auprès des Nations Unies, y compris au président palestinien Mahmoud Abbas et à 80 délégués palestiniens censés participer à l'Assemblée générale en septembre.
Je dois dire, premièrement, que cela constitue une violation directe des obligations légales des États-Unis en vertu d'un accord contraignant sur le siège de l'ONU et en vertu de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies. Donc, cela est révélateur non seulement de l'illégalité de l'administration Trump, mais c'est aussi l'indication du degré sans précédent auquel le gouvernement américain a remis les leviers de sa politique étrangère au régime israélien. Et le résultat a été un isolement accru des États-Unis sur la scène mondiale.
Et il n'échappe à personne qui suit les Nations Unies que les États-Unis interdisent à la délégation palestinienne de participer à l'Assemblée générale précisément lors d'une session dont le point central sera la situation en Palestine : le génocide à Gaza, la reconnaissance de l'État palestinien — comme vous l'avez mentionné — par plusieurs nouvelles délégations, une conférence sur la solution à deux États et, très important, en préparation d'une action extraordinaire attendue à l'Assemblée générale lorsque l'échéance d'un an fixée par l'ONU pour que l'Israël se conforme aux demandes de la Cour internationale de justice et de l'Assemblée générale arrivera à terme en septembre, et où l'Assemblée générale devrait adopter de nouvelles mesures pour tenir le régime israélien responsable.
Cela ne fonctionnera pas. Les États-Unis, comme vous l'avez dit, ont déjà essayé cela en 1988, en interdisant à Yasser Arafat d'entrer. Le résultat fut que l'Assemblée générale s'est déplacée à Genève dans un acte de solidarité mondiale qui a davantage isolé les États-Unis à ce moment-là également. Cela ne fonctionnera pas non plus cette fois-ci. L'Assemblée générale ne se déplacera peut-être pas à Genève cette fois-ci, car ce n'est pas nécessaire. Il existe aujourd'hui des technologies modernes qui permettent la participation depuis n'importe où dans le monde. Il existe une délégation palestinienne résidant à New York. Donc, ce ne sera peut-être pas nécessaire, mais il est déjà clair que les États-Unis ont échoué, qu'ils sont davantage isolés, et que la voix palestinienne à l'ONU ne sera pas réduite au silence. Elle ne l'a pas été en 1988. Elle ne le sera pas en 2025. Et elle ne le sera pas à l'avenir.
NERMEEN SHAIKH : Eh bien, Craig, vous avez mentionné cela. Parlons-en, des options disponibles pour l'Assemblée générale des Nations Unies alors que nous approchons du 18 septembre, la date limite que vous avez mentionnée, qui correspond à l'expiration du délai fixé par l'ONU pour qu'Israël se conforme à la Cour internationale de justice sur la fin de l'occupation et la mise en œuvre des mesures provisoires. Beaucoup de gens pensent qu'avec le Conseil de sécurité paralysé par un veto américain permanent, l'ONU ne peut rien faire. Mais l'Assemblée générale a en réalité le pouvoir d'intervenir. Pouvez-vous expliquer ce qu'est la résolution « S'unir pour la paix », quand elle a été utilisée pour la dernière fois et quelle a été son efficacité ?
CRAIG MOKHIBER : Oui, c'est exact. Il existe ce mécanisme au sein de l'Assemblée générale des Nations Unies, connu sous le nom de « S'unir pour la paix ». Il est inscrit depuis longtemps dans les textes, adopté en 1950. Il a été utilisé de nombreuses fois, parfois avec un effet très concret, d'autres fois seulement de façon symbolique.
Mais il y a aujourd'hui une occasion de l'utiliser pour réellement changer la situation sur le terrain en Palestine, malgré le veto américain au Conseil de sécurité. Beaucoup trop de délégations ont pris l'habitude de se cacher derrière le veto américain en levant les bras et en disant : « Eh bien, nous avons essayé, mais les États-Unis ont opposé leur veto. » Mais « S'unir pour la paix » permet aux États membres de l'ONU, les 193, réunis en Assemblée générale, de contourner le veto américain et d'adopter des actions concrètes, comme cela a été fait, par exemple, en 1956, en mandatant la force d'urgence des Nations Unies pour se déployer dans le Sinaï en pleine crise de Suez, contre la volonté de deux membres du Conseil de sécurité, le Royaume-Uni et la France, et contre la volonté d'Israël.
On pourrait faire la même chose maintenant, en septembre, en mandatant une force de protection de l'ONU pour les populations de Gaza et, plus largement, de Palestine, spécifiquement chargée de protéger les civils, de garantir la livraison de l'aide humanitaire, de préserver les preuves des crimes de guerre israéliens et de commencer le processus de reconstruction, et surtout, de changer la structure des incitations pour Israël et ses complices dans le génocide en cours en Palestine.
D'autres mesures pourraient être adoptées dans une telle résolution — par exemple, refuser les accréditations d'Israël à l'Assemblée générale de l'ONU, comme cela avait été fait avec l'Afrique du Sud de l'apartheid ; établir un tribunal pénal pour juger les auteurs israéliens du génocide ; réactiver les mécanismes anti-apartheid pour traiter l'apartheid israélien — tout un éventail de mesures pourraient être adoptées, qui auraient une véritable portée et qui ne pourraient pas être bloquées par les États-Unis ou par aucun autre État. Et il y a des indications, d'après les précédents votes sur la Palestine, qu'une majorité des deux tiers nécessaire pour adopter ces mesures à l'Assemblée générale pourrait être atteinte. Israël n'aurait aucun droit légal de refuser ou d'entraver cela.
Et voici le dernier point important que je veux souligner là-dessus. L'année dernière seulement, la Cour internationale de justice, la plus haute juridiction au monde, a conclu qu'Israël n'a aucune souveraineté sur Gaza ou la Cisjordanie. Il n'a aucune légitimité, aucune autorité, aucun droit ni aucun statut juridique pour donner son consentement ou refuser l'intervention d'une force de protection des Palestiniens. L'État de Palestine a demandé une telle force. La société civile palestinienne, dans son ensemble, a exigé une telle force. Et il y a aujourd'hui une opportunité pour que cela se concrétise en septembre.
AMY GOODMAN : Deux questions rapides. Vous connaissez très bien le secrétaire général de l'ONU, António Guterres. Vous avez travaillé à l'ONU plus de trois décennies. Est-ce seulement lui qui empêche cela d'avancer ? Et en quoi la reconnaissance d'un État palestinien, par de plus en plus de pays, mettrait-elle fin à l'assaut contre Gaza ?
CRAIG MOKHIBER : Eh bien, ce n'est pas le secrétaire général. Il n'a en réalité aucun pouvoir ici, même s'il aurait pu faire beaucoup plus au cours des deux dernières années de ce génocide, pour utiliser la visibilité de son bureau, l'influence de sa fonction, pour, d'abord, nommer le génocide pour ce qu'il est, et aussi appeler les États à prendre le genre de mesures dont nous parlons aujourd'hui. Ces mesures ont toujours été sur la table. Elles auraient pu être mises en œuvre à n'importe quel moment de ce génocide.
Mais la beauté du mécanisme « S'unir pour la paix », c'est que le secrétaire général ne peut pas le bloquer, le Conseil de sécurité ne peut pas le bloquer, les États-Unis ne peuvent pas le bloquer. Il ne nécessite qu'une majorité des deux tiers des États membres. Il y a en ce moment un effort pour construire cette majorité, et l'espoir est que cela se concrétise.
Maintenant, vous demandez : qu'est-ce qui pourrait l'entraver ? Beaucoup de choses pourraient l'entraver. Les États-Unis ne jouent pas franc-jeu en diplomatie internationale. On peut s'attendre à ce qu'ils utilisent, agissant au nom d'Israël, toutes les carottes et tous les bâtons — surtout les bâtons — des menaces contre les délégations, pas seulement les alliés, mais aussi les délégations des pays en développement qui dépendent de l'aide étrangère, même si cette aide étrangère a déjà été largement réduite.
AMY GOODMAN : Il nous reste seulement 30 secondes, Craig.
CRAIG MOKHIBER : Donc, les menaces pourraient faire échouer cette initiative de la part des États-Unis, mais espérons que le monde est prêt à se lever et à offrir une protection. Sous les projecteurs médiatiques, chaque État devra dire s'il soutient ou non la protection d'un peuple en train de subir un génocide.
AMY GOODMAN : Et en quoi la reconnaissance de l'État palestinien mettrait-elle fin au génocide ?
CRAIG MOKHIBER : Elle ne le fera pas. C'est important, mais la plupart du monde a déjà reconnu un État palestinien. Certaines de ces choses, ces distractions autour de la reconnaissance, du discours sur la solution à deux États, au beau milieu d'un génocide qui ravage le pays, ce n'est pas le type de priorité qu'il nous faut. Ce qu'il nous faut, c'est une protection pour le peuple palestinien, et le début de leur libération, de leur liberté face à —
AMY GOODMAN : Nous devons nous arrêter là. Craig Mokhiber, avocat international des droits humains, merci beaucoup d'avoir été avec nous. Je suis Amy Goodman, avec Nermeen Shaikh.

États-Unis : les mesures brutales de Trump en matière d’immigration
LA PLUPART DES AMÉRICAINS SONT D'ACCORD avec l'idée que les immigrants ont enrichi les États-Unis, mais considèrent qu'il faut une procédure d'immigration « ordonnée ». Ils croient généralement qu'il n'est pas juste que certains aient supposément court-circuité la mythique file d'attente.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
30 août 2025
L'invasion de Los Angeles par l'ICE et les arrestations massives ont conduit à des actions de solidarité. (Promise Li)
La réalité est que, depuis que le pays a mis en place des politiques d'immigration, celles-ci ont toujours été faites pour établir des discriminations. La première, la loi d'exclusion des Chinois (1882), a interdit l'entrée des travailleurs chinois pendant une décennie et a dénié tout droit à la citoyenneté à ceux qui étaient déjà présents sur le territoire.
La dernière modification que le Congrès a réussi à faire adopter est la loi Laken Riley, promulguée à la suite d'un meurtre sauvage commis par un immigrant. Sur la base de cette affaire, l'extrême droite a obtenu le soutien des deux grands partis pour faire adopter cette loi, qui impose la détention obligatoire des immigrants, y compris des mineurs, accusés de délits de faible gravité tels que le vol à l'étalage. En outre, elle permet aux procureurs généraux des États de lancer des poursuites contre le gouvernement fédéral en cas de politiques d'immigration qu'ils jugeraient néfastes.
Cette politique agressive en matière d'immigration n'est pas seulement un problème américain, mais depuis la crise économique de 2008-2009, elle affecte tous les pays du Nord. Ici, aux États-Unis, Trump attise les passions en qualifiant les immigrants de « terroristes » et de « violeurs » venus de « pays de merde ».
Sa solution ? Mettre fin à « l'invasion » en érigeant un mur autour du pays et en expulsant tous ces « criminels ». Il a signé une série de décrets pour mettre en œuvre son plan. Stephen Miller, chef de cabinet adjoint en charge des mesures à prendre à la Maison Blanche, a travaillé en étroite collaboration avec Trump pour fixer l'objectif d'expulser un million d'immigrants par an. Il a récemment exigé que les arrestations et les expulsions atteignent une moyenne de 3 000 par jour.
Au terme des 100 premiers jours du mandat de Trump, l'administration a affirmé avoir expulsé 140 000 personnes ; les experts estiment que le chiffre réel est deux fois moins élevé. Tricia McLaughlin, secrétaire adjointe du département américain de la Sécurité intérieure (DHS) [1], a déclaré lors d'une conférence de presse le 10 juillet que le DHS avait expulsé 253 000 personnes, mais cela semble également peu probable.
En juin, l'administration a déclaré avoir procédé à 100 000 arrestations, passant de 660 arrestations quotidiennes pendant les 100 premiers jours à 2 000 par jour. Il est difficile de savoir si elle considère ce chiffre élevé comme la nouvelle moyenne.
À titre de comparaison, Obama, qui a mérité le titre de « déportateur en chef », a procédé à 3,1 millions d'expulsions au cours de ses huit années au pouvoir. Le pic a été atteint en 2012, avec une moyenne de 34 000 expulsions par mois, soit un total annuel de 407 000.
Au cours de la dernière année de l'administration Biden, 271 484 non-citoyens faisant l'objet d'une décision définitive d'expulsion ont été expulsés vers 192 pays. Avec la fermeture quasi totale de la frontière sud imposée par Trump, moins de 5 000 immigrant.e.s la traversent chaque mois. Même si toutes les personnes étaient expulsées, cela représenterait moins de 160 par jour.
Cela revient à dire que pour atteindre l'objectif fixé par cette administration, les autorités fédérales doivent expulser les personnes qui vivent et travaillent déjà ici. Si certaines sont arrivées au cours des deux dernières années, d'autres sont des résident.e.s de longue date qui ont tissé des liens : voisin.e.s, collègues et familles.
En fait, près de quatre millions de personnes ont déposé une demande d'asile et sont en attente d'une décision judiciaire. Considérées comme présentant un « faible risque », elles ont le droit de vivre et de travailler ici jusqu'à ce que leur cas soit réglé.
Alors que le nombre total de juges chargés des affaires d'immigration est plafonné à 700, l'administration a licencié 65 des 600 juges actuels. De toute évidence, la résorption de ce déficit n'est pas une priorité. Même si la majorité des demandes d'asile est rejetée, un taux d'accepptation de 44 % est sans doute trop élevé pour Stephen Miller. Les agents de l'ICE patrouillent désormais dans les couloirs des tribunaux d'immigration pour arrêter les personnes dont les dossiers ont été rejetés. Auparavant, les débouté.e.s pouvaient faire appel ; aujourd'hui, il est beaucoup plus probable qu'ils ou elles soient arrêté.e.s et envoyé.e.s dans un centre de détention.
Comment fonctionne le système d'immigration
La loi sur l'immigration et la nationalité de 1965, puis la loi sur l'immigration de 1990, réglementent l'immigration en fonction de différentes catégories, notamment le regroupement familial, l'emploi ou les considérations humanitaires.
Les droits de l'homme ont été codifiés après la Seconde Guerre mondiale et ont fait l'objet d'un document signé par les États-Unis et d'autres pays. Les réfugié.e.s [2] y sont défini.e.s comme des personnes contraintes de fuir leur pays en raison d'une crainte fondée de persécution liée à leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques ou leur appartenance à un groupe social particulier.
En demandant l'asile, les candidat.e.s ne devraient pas être victimes de discrimination. De fait, ils et elles bénéficient de droits, notamment l'accès aux tribunaux, au travail et à l'éducation élémentaire. Ils et elles ne doivent pas être sanctionné.e.s pour leur entrée ou leur séjour « illégal » et ne doivent en aucun cas être contraint.e.s de retourner dans des pays où ils et elles risquent d'être persécuté.e.s.
Trump ignore les protocoles internationaux afin de présenter les immigrant.e.s comme des personnes qui prennent les emplois des citoyen.ne.s américain.e.s et qui sont culturellement différentes. Il met fin au statut de protection temporaire (TPS) destiné à aider les personnes originaires de pays en proie à la guerre, à la guerre civile ou à des catastrophes naturelles.Cette disposition protégeait près d'un million de personnes originaires de 17 pays différents. Trump a déjà annulé cette disposition pour un demi-million d'Afghans, de Cubains, d'Haïtiens, de Nicaraguayens et de Vénézuéliens. Bien que son décret ait été temporairement suspendu par un tribunal, il reste une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.
Beaucoup de citoyen.ne.s américain.ne.s pourraient s'accorder à dire que, compte tenu de l'histoire des États-Unis, il est de leur devoir d'aider les personnes originaires de ces pays. Par exemple, les Afghan.e.s se sont vu promettre une protection contre les Talibans lorsqu'ils ont accepté de collaborer avec le gouvernement américain pendant l'occupation américaine. Compte tenu de la déstabilisation politique dans laquelle Washington a joué un rôle majeur, en plus de deux tremblements de terre dévastateurs, pourquoi le TPS devrait-il être annulé pour les Haïtien.ne.s ?Un autre programme temporaire, le dispositif DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals), offre une protection aux personnes arrivées dans le pays lorsqu'elles étaient enfants. Les sondages d'opinion montrent qu'il bénéficie d'un large soutien, mais il fait l'objet d'une contestation juridique.
Il s'agit là de statuts temporaires, tandis que les immigrant.e.s qui obtiennent le statut de réfugié sont en passe d'obtenir un permis de séjour permanent (carte verte) et la possibilité d'acquérir la citoyenneté américaine. Pourtant, Trump a gelé ces programmes. Les personnes qui avaient déjà été acceptées ont perdu le soutien des agences de réinstallation car leurs moyens ont été supprimés. Sur les 120 000 réfugié.e.s qui avaient été sélectionnés pour être admis aux États-Unis dans le cadre du Programme américain pour l'accueil des réfugié.e.s, 10 000 avaient déjà leurs billets d'avion lorsque le décret de Trump a interdit toute nouvelle admission.
Par la suite, deux décisions de tribunaux fédéraux ont stipulé que les personnes en possession d'un billet devaient être admises. Bien que l'administration ne conteste pas ouvertement cette décision, la suspension perdure, car le gouvernement affirme avoir besoin de temps pour rétablir le programme qu'il a démantelé.
Parallèlement à la suspension des demandes d'asile et à la menace d'annulation des programmes temporaires, des résident.e.s permanent.e.s ont été arrêté.e.s et mis.e. en détention par des agents du DHS. Parmi les titulaires de cartes vertes arrêté.e.s figurent des cas bien connus tels que Mahmoud Khalil et Mohsen Mahdawi, des étudiants diplômés qui s'étaient opposés à la complicité des États-Unis dans la guerre menée par Israël contre Gaza.
Lewelyn Dixon et Max Londonio, résidents de longue date, ont également été arrêtés à l'aéroport alors qu'ils rentraient de vacances à l'étranger. Il y a plusieurs années, tous deux avaient commis des délits sans violence, purgé leur peine et refait leur vie.
Stratégie d'arrestation et d'expulsion
Pour autant que nous puissions établir la méthode privilégiée par le DHS, on trouve tout en haut de leur liste l'arrestation des immigrant.e.s lorsqu'ils se présentent à leur audience au tribunal ou à un rendez-vous de routine. Les aéroports sont également des lieux où les gens sont détenus et interrogés.
Le cas de Max Londonio, arrêté à son retour des Philippines après avoir fêté son 20e anniversaire de mariage avec sa femme, est emblématique. Titulaire d'une carte verte et père de trois enfants, il avait été condamné pour vol alors qu'il était jeune adulte. Âgé de 42 ans, arrivé aux États-Unis à l'âge de 12 ans, il a été emprisonné dans un centre de détention pendant deux mois, dont un mois en isolement cellulaire, avant d'être libéré.
Sa famille, son syndicat (l'International Association of Machinists and Aerospace Workers Local 695) ainsi que son association communautaire, Tanggol Migrante WA, ont mené campagne pour que les charges soient abandonnées.
Ils ont organisé des conférences de presse et des manifestations devant le centre de détention de Tacoma, dans l'État de Washington. On a connaissance du cas d'au moins trois autres résidents permanents arrêtés, détenus- et finalement libérés- dans cet établissement, qui est géré par la société à but lucratif CoreCivic.
Voici comment la secrétaire adjointe du Département de la Sécurité intérieure (DHS) DHS, Tricia McLaughlin, a parlé du cas de Londonios à Newsweek :
« Maximo Londono a un casier judiciaire, notamment pour vol aggravé et usage de substances illicites. En vertu de la loi fédérale sur l'immigration, les résidents permanents en situation régulière condamnés pour ce type de crimes peuvent perdre leur statut et être expulsés. Si vous êtes étranger, le fait de vous trouver aux États-Unis est un privilège, et non un droit. Lorsque vous enfreignez nos lois, ce privilège doit vous être retiré, et vous ne devriez plus vous trouver dans ce pays. »
Alors que Trump et son équipe qualifient les immigrants de criminels, il ne fait aucun doute que certains ont commis des infractions, ont été arrêtés et ont purgé leur peine. Mais pourquoi devraient-ils perdre le seul pays qu'ils aient jamais connu ? Lue Yang, 47 ans, est actuellement détenu dans un centre de détention à Baldwin, dans le Michigan. Ingénieur dans l'industrie automobile et président de la Hmong Family Association of Lansing, Yang a été arrêté par l'ICE sur son lieu de travail le 15 juillet.Ce père de six enfants est né dans un camp de réfugiés au Laos et a été amené aux États-Unis lorsqu'il était bébé. Jeune adulte, il a été arrêté pour violation de domicile et a purgé une peine de 10 mois de prison.
Bien que l'État du Michigan ait purgé son casier judiciaire, l'ICE le considère comme un criminel. Avec 15 autres personnes d'origine hmong et laotienne aux histoires similaires, il risque d'être expulsé vers le Laos où il sera probablement emprisonné en tant que dissident.
En lisant certains rapports, j'ai remarqué que les agents de l'ICE préfèrent procéder à des arrestations dans des lieux publics, souvent lorsque la personne est dans une voiture ou à pied, plutôt qu'à son domicile.
Et même lorsque l'ICE a repéré le domicile, elle préfère procéder à l'arrestation en public.
Ce fait démontre aussi l'importance de l'entraide, qui peut réduire la vulnérabilité des immigrés. À nous de voir comment nous pouvons proposer de conduire les gens au travail et les ramener chez eux, accompagner les enfants à l'école et aux activités sportives, et veiller à ce qu'il y ait de quoi manger à la maison.
Maintenant que l'ICE subit une pression croissante pour atteindre et maintenir un objectif de 3 000 arrestations par jour, d'autres agences fédérales ont été sollicitées. Il s'agit notamment des douanes et de la protection des frontières (CBP, dont la mission est de garantir la sécurité aux frontières), du Bureau des alcools, du tabac, des armes à feu et des explosifs, de la Drug Enforcement Administration, du Federal Bureau of Investigation et de la Direction générale des impôts.
La mobilisation de la Garde nationale californienne sans en référer au gouverneur et aux autorités locales montre à quel point la déportation est au cœur du programme de Trump. Pourtant, il existe une contradiction évidente entre l'arrestation de travailleurs et le bon fonctionnement du pays. L'invasion de Los Angeles par l'ICE et les arrestations massives ont donné lieu à des actions de solidarité.
Arrestations massives
Au printemps dernier, 125 travailleurs ont été arrêtés dans une usine GE Appliance à Louisville, dans le Kentucky ; puis l'ICE s'est présentée dans une usine Kraft-Heinz à Holland, dans le Michigan. Les deux entreprises ont fait état du chaos qui s'en est suivi dans leur production. À l'usine de Holland, le reste du personnel a été contraint de faire des heures supplémentaires.
Ce sont sans aucun doute les raids massifs du 6 juin et l'occupation permanente de Los Angeles qui ont spectaculairement mis en lumière la détermination de l'administration à atteindre ses objectifs en matière d'expulsion. Le premier jour, l'ICE disposait de quatre mandats et s'est rendu à trois endroits, arrêtant au total 44 personnes, dont David Huerta, président du SEIU California. Les policiers ont affirmé qu'il perturbait les arrestations.
Le même jour, l'ICE a fait une descente dans une usine de conditionnement de viande à Omaha et arrêté 70 travailleurs.Pour mener à bien la descente à Los Angeles, la présence armée de l'ICE a été soutenue par d'autres agents fédéraux et protégée par la police municipale de Los Angeles. Trump a ensuite fait appel à près de 5 000 membres de la Garde nationale de Californie et demandé au secrétaire à la Défense Pete Hegseth de mobiliser 700 Marines.
Depuis lors, des agents fédéraux masqués se sont présentés dans divers magasins Home Depot, stations de lavage, restaurants et dépôts de ferrailleurs dans des voitures banalisées. Ils ont également fait une démonstration de force en défilant avec leur équipenment lourd de manière provocante dans le parc McArthur de Los Angeles.
L'opération menée à Los Angeles a coûté plus de 134 millions de dollars au cours des soixante premiers jours. Il s'agissait d'une manœuvre visant à terroriser la communauté latino-américaine de Los Angeles, dont les origines remontent à plusieurs siècles. Mais elle visait également les communautés immigrées à travers tout le pays. Les membres de la communauté ainsi que les militant.e.s pour les droits des immigré.e.s se sont immédiatement mobilisé.e.s pour protéger leurs voisins et ont protesté contre les détentions au centre fédéral. Cette défense s'est poursuivie grâce à l'entraide et à la pose d'affiches sur les poteaux téléphoniques et dans les magasins pour informer le public de ces disparitions.
Les activistes décrivent ces arrestations comme des enlèvements perpétrés par des hommes armés et masqués.
La même résistance s'est manifestée le 10 juillet lorsque des agents du Department of Customs Enforcement, accompagnés d'hélicoptères, ont fait une descente dans deux fermes Glass House. Situées au nord de Los Angeles, ces deux fermes produisent du cannabis sous licence de l'État.À mesure que la nouvelle se répandait, environ 500 personnes se sont rassemblées sur le site de Camarillo, à la recherche d'informations sur leurs proches et pour protester contre cette descente. Les autorités, équipées de casques et de masques, ont dispersé la foule en tirant des balles en caoutchouc et en lançant des grenades lacrymogènes.
Dans sa déclaration sur cette opération, l'United Farm Workers a annoncé que plusieurs travailleurs avaient été blessés. Des citoyens américains ont été retenus pendant plusieurs heures et, avant d'être libérés, ont été contraints de supprimer de leurs téléphones les photos et les vidéos prises lors de cette intervention.
La secrétaire à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, a réagi sur X en déclarant que cette opération était « en passe de devenir l'une des plus importantes depuis l'entrée en fonction du président Trump ». L'ICE affirme avoir arrêté 361 ouvriers agricoles, dont 14 enfants et quatre citoyens américains.Cette action a également entraîné le premier décès enregistré lors d'une opération de l'ICE. Alors qu'il se cachait, Jaime Alanis (57 ans) a fait une chute de 9 mètres depuis le toit d'une serre et a été transporté à l'hôpital. Deux jours plus tard, on lui a retiré son assistance respiratoire. Certaines petites entreprises ont déjà été contraintes de fermer. En effet, les employeurs ont besoin d'une main-d'œuvre stable. Alors que la saison des petits fruits bat son plein en Californie, la valeur des récoltes non cueillies diminue d'heure en heure. L'industrie agricole n'est pas la seule à être confrontée à une pénurie de main-d'œuvre : les secteurs de la construction et de l'hôtellerie, de la transformation de la viande et de la restauration le sont également. Malgré le nombre important de raids sur les lieux de travail, ceux-ci restent ponctuels.
Rentrez chez vous !
Même avec les 170 milliards de dollars alloués au budget des expulsions pour les quatre prochaines années, c'est l'auto-expulsion qui reste la solution clé. Tous les éléments du plan — de l'agrandissement des centres de détention au recrutement de nouveaux agents de l'ICE, en passant par l'installation de systèmes de surveillance et le refus d'accorder des prestations aux enfants issus de familles mixtes — visent à montrer aux immigrant.e.s qu'ils et elles sont pourchassé.e.s.
Les descentes massives sur les lieux de travail présentent le risque de mobiliser l'opposition, comme cela s'est produit en Californie du Sud. Du point de vue de Trump, ce sont les protestations des agriculteurs et d'autres associations professionnelles qui sont les plus préoccupantes. Les autorités estiment que plus de 40 % des personnes qui effectuent les récoltes sont « sans papiers », et probablement davantage dans l'industrie laitière. Une fois qu'une descente a lieu, on estime que 30 à 70 % de la main-d'œuvre reste chez elle. Quel que soit le statut juridique des personnes concernées, ces raids sont terrifiants pour toute personne de couleur susceptible d'être arrêtée.
Après avoir entendu les plaintes des propriétaires d'exploitations agricoles et d'hôtels, Trump a suggéré de suspendre les raids dans ces secteurs. Le 13 juin, le New York Times a rapporté que Tatum King, un haut responsable de l'ICE, avait envoyé une note aux services régionaux de l'ICE dans laquelle il demandait « à compter d'aujourd'hui, de suspendre toutes les enquêtes/opérations de contrôle sur les lieux de travail dans les secteurs de l'agriculture (y compris l'aquaculture et les usines de conditionnement de viande), de la restauration et de l'hôtellerie ».
Mais cette suspension a été de courte durée. À peine trois jours plus tard, les services de l'ICE ont été informés qu'ils pouvaient reprendre leurs activités.
Les fondements rationnels de la diffusion de la terreur
L'administration Trump dépense 3 millions de dollars en publicités pour encourager l'auto-expulsion. Le coût moyen d'une expulsion s'élevant à plus de 17 100 dollars, il est avantageux de payer le billet d'avion et d'offrir une prime de 1 000 dollars à la personne lorsqu'elle arrivera chez elle. Ils promettent également de manière mensongère que ceux qui s'auto-expulsent pourront revenir pour « vivre le rêve américain ».
La campagne d'auto-expulsion incite les gens à éviter l'humiliation. Cet argument est particulièrement efficace dans les centres de détention surpeuplés où les individus n'ont pas accès à un avocat.
Conscients qu'ils seront détenus pendant des mois dans une « boîte noire », comme les décrit le Washington Office on Latin America, certains ont choisi d'accepter ce qui est présenté comme un départ « volontaire ».
Avec la signature du One Big Beautiful Bill Act (OBBBA) de Trump, 170 milliards de dollars ont été alloués au programme d'expulsion. Il s'agit de remodeler un système déjà discriminatoire et de remettre en cause le droit légal de chaque personne à un procès équitable.
Comme l'a fait remarquer Trump, « nous ne pouvons pas accorder le bénéfice d'un procès à tout le monde, car cela prendrait, sans exagération, 200 ans ». Et dans la mesure où l'administration parvient à contourner le droit à un procès équitable, Trump aura fait un pas de plus vers la mise en place d'un État autoritaire.
Détention des immigrantsTrump a décrété que toute personne « illégale » devait être placée en « détention obligatoire », ce qui signifie qu'elle ne peut être libérée sous caution.
Au début de l'administration Trump, l'ICE pouvait détenir environ 40 000 immigrants dans divers établissements à travers le pays. Actuellement, au moins 55 000 personnes sont en détention. Certaines sont obligées de dormir sur des matelas posés à même le sol, avec 40 à 50 personnes pour chaque WC et douche.
L'accès aux soins médicaux, en particulier dans le cas de maladies chroniques, est insuffisant. Jusqu'à présent, 10 décès ont été enregistrés cette année.
Les centres de détention sont principalement gérés par GEO Group et CoreCivic, qui exploitent également des prisons privées. GEO Group, dont la direction compte une demi-douzaine d'anciens responsables de l'ICE, surveille également 185 000 autres immigrant.e.s grâce à un système de localisation GPS.
À l'époque où de nombreuses expulsions avaient lieu à la frontière, les immigrant.e.s étaient convoqué.e.s à des audiences et libéré.e.s ou expulsé.e.s relativement rapidement. Mais l'administration Trump prévoit de détenir jusqu'à 100 000 personnes à la fois et a signé neuf nouveaux contrats avec ces deux sociétés. Toutes deux ont de grands projets d'expansion, car elles engrangent des bénéfices records.
Un exemple de réaction rapide est la réaffectation par GEO Group de la prison pour mineurs qu'elle avait fermée à Baldwin, dans le Michigan, il y a trois ans. Le centre de North Lake, qui est aujourd'hui le plus grand centre de détention du Midwest avec une capacité de 1 800 lits, devrait générer un chiffre d'affaires annuel de 70 millions de dollars.
En principe, dix centres répartis dans tout le pays sont destinés au traitement des immigrants. Le plus central est situé près de l'aéroport d'Alexandria, en Louisiane. Les autorités utilisent l'établissement de 400 lits situé à proximité pour trier les immigrants et les transférer, dans un délai de 72 heures, vers l'un des huit centres de détention voisins, ou les expulser. Selon un article du New York Times du 31 juillet, environ 40 000 détenus, menottés et enchaînés, transitent par l'aéroport d'Alexandria comme s'ils étaient autant de colis Amazon. Deux autres centres très en vue méritent d'être mentionnés :
• Le tristement célèbre centre de détention Alligator Alcatraz, géré par l'État de Floride. Il accueille 900 immigrants et prévoit d'en accueillir 4 000. Comme ce centre situé dans les Everglades est géré par l'État, il a pu contourner les réglementations environnementales fédérales. Les groupes environnementaux qui ont stoppé la construction d'un grand aéroport dans cette région il y a plusieurs années contestent son aménagement en invoquant les dommages causés aux espèces menacées, les problèmes liés à l'eau et la fragilité de l'écosystème.
• Trump a évoqué la possibilité d'héberger jusqu'à 30 000 détenus à Guantánamo, à Cuba. Il a déclaré que cette installation serait un endroit idéal pour les criminels endurcis. Alligator Alcatraz et Guantánamo sont toutes deux des centres isolés qui rendront difficile la communication avec les avocats. Il sera également nécessaire d'acheminer par avion des approvisionnements, notamment de l'eau potable, pour assurer le fonctionnement de ces installations. Le coût en sera énorme.
Pour la mise sur pied de procédures de réaction à plus grande échelle
Bien que bon nombre de ces différents protocoles d'immigration aient déjà été expérimentés, les plus récents et les plus innovants incluent le rejet de la citoyenneté par droit de naissance, la tentative de contraindre des pays à accueillir des personnes qui ne possèdent pas leur nationalité (expulsion vers un pays tiers), le recours à la terreur pour forcer les personnes à retourner dans leur pays sous l'emprise de la peur, et enfin, le renvoi massif de personnes ayant des racines profondes aux États-Unis.
Toute cette liste témoigne de la nature hargneuse d'une administration désireuse de punir ceux et celles qui osent immigrer.
Pour les socialistes et les militants pour les droits des immigré.e.s, que nous travaillions dans une entreprise syndiquée ou non, dans une grande ou une petite entreprise, que notre patron soit favorable ou non à l'ICE, nous devons impulser des discussions parmi les salarié.e.s et mettre en place un dispositif pour réagir en cas d'intervention de l'ICE.
Sur de nombreux lieux de travail, des procédures ont été mises en place au cours du mandat de Barack Obama et quelques syndicats y ont ajouté des clauses contractuelles pour aider les personnes arrêtées par l'ICE. (Voir les brochures « Right to Know » publiées par le National Immigration Law Center et Arise.)
Nous avons vu que lorsque des travailleurs syndiqués sont arrêtés, leur syndicat – et souvent aussi une organisation communautaire – les défend, organise des conférences de presse et manifeste devant les centres de détention. Le travail accompli par Sheet Metal Local 100 pour demander aux syndicats de travailleurs du bâtiment de médiatiser le cas de Kilmer Abrego Garcia à l'aide de banderoles et de groupes de cortèges lors des manifestations du 1er mai a été particulièrement impressionnant. D'aucuns soulignent le caractère contradictoire de cette politique d'expulsion brutale, car les experts estiment que plus d'un million de jeunes immigrant.e.s sont nécessaires chaque année pour maintenir l'économie américaine à son niveau actuel. Du point de vue du système capitaliste, il serait préférable que le gouvernement fixe des conditions strictes liant les immigrant.e.s à un emploi et à une période déterminés. Ils et elles devraient venir pour travailler, mais leurs familles devraient rester chez elles. En réalité, en 2024, les agriculteurs ont obtenu des visas H-2A pour plus de 375 000 travailleur.euses étrangères. D'autres programmes, notamment pour les travailleur.euses hautement qualifié.e.s, portent le total à environ un million de visas de travail. Si les titulaires de visas sont licenciés ou quittent leur emploi, ils sont passibles d'expulsion. Qu'ils soient payés au salaire minimum ou à des salaires correspondant à des emplois de pointe, ces immigrant.e.s sont fondamentalement enchaîné.e.s à leur employeur.
Il est évident que de telles exigences empêchent les travailleurs de lutter pour de meilleures conditions de travail ou d'adhérer à un syndicat. Partout dans le monde, de plus en plus de travailleurs sont des immigrants qui ont peu de droits juridiques ou politiques. Le capitalisme transnational prospère grâce à ce modèle concurrentiel.Ce n'est certainement pas un système adapté aux êtres humains. Nous devons au contraire unir les travailleurs au-delà des frontières
Dianne Feeley
• Traduit pour ESSF par pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro
Against the Current No. 238, septembre-octobre 2025, Samedi 30 août 2025 :
https://againstthecurrent.org/atc238/trumps-brutal-immigration-policies/
Protocoles sur l'immigration de l'équipe Trump
• Utiliser le budget de 46,5 milliards de dollars prévu pour la construction et le renforcement du mur à la frontière sud, ainsi que pour l'installation d'un système de surveillance.
• Recruter 10 000 agents supplémentaires pour l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) et 8 500 agents pour le service des douanes et de la protection des frontières. Réaffecter du personnel gouvernemental pour aider l'ICE à localiser, détenir et expulser les immigrants.
• Recourir à la loi sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act) pour éviter de devoir respecter les procédures légales.
• Supprimer le statut de protection temporaire (Temporary Protective Status).
• Exiger l'enregistrement de tous les immigrants âgés de 14 ans et plus séjournant dans le pays depuis plus de 30 jours.
• Fusionner et centraliser les données gouvernementales afin de mieux répertorier les immigrants.
• Arrêter et expulser les immigrants et les titulaires de visas étudiants qui expriment des opinions différentes de celles que le gouvernement considère comme étant dans l'intérêt national du pays.
• Assurer l'expulsion des immigrants ayant commis des infractions dans le passé, même s'ils ont purgé leur peine et que leur casier judiciaire a été effacé.
• Construire davantage de centres de détention grâce aux 45 milliards de dollars alloués dans le nouveau budget. Actuellement, l'ICE dispose de 100 centres de détention, avec 41 500 lits. Beaucoup sont gérés par des entreprises à but lucratif.
• Mettre fin à l'application de l'accord Flores qui garantit des conditions de sécurité optimales pour les enfants migrants placés en détention. Cet accord ne s'applique qu'à la frontière, ce qui signifie que les enfants peuvent être séparés de leur famille lorsque celle-ci est arrêtée ailleurs. Il est déjà utilisé lorsque les parents parviennent à éviter d'être expulsés vers un pays qu'ils considèrent comme dangereux. Leurs enfants leur sont retirés afin de les pousser à partir.
• Utiliser des droits de douane/accords pour forcer les pays du Sud à accepter les non-citoyens.• Ignorer les règles et procédures telles que la nécessité d'un mandat judiciaire pour arrêter des immigrants ou l'obligation pour les agents de s'identifier -
• Mettre fin à la pratique des espaces sanctuaires pour les immigrants.
• Mettre fin aux obligations découlant de la Déclaration des droits de l'homme des Nations unies et d'autres protocoles signés par les États-Unis pour accepter les réfugiés ou les demandeurs d'asile. Les réfugiés qui ont été contrôlés pour venir aux États-Unis n'ont pas de chance.• Mettre fin à la citoyenneté par droit de naissance :
• Élaborer une méthode pour expulser les citoyens naturalisés en invoquant la sécurité nationale.
• Réduire les prestations sociales pour les 8,25 millions d'enfants vivant dans des familles mixtes.
• Augmenter considérablement les frais et les pénalités pour toute protection humanitaire.
Against the Current No. 238, septembre-octobre 2025 :
https://againstthecurrent.org/atc238/team-trumps-immigration-protocols/
P.-S.
• Traduit pour ESSF par pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro
Notes
[1] Le département américain de la Sécurité intérieure (DHS) est chargé de l'application des lois sur l'immigration. Ses agents des douanes et de la protection des frontières (CBP) sont responsables des points d'entrée, tandis que le service américain de contrôle de l'immigration et des douanes (ICE) est chargé de contrôler les immigrants à l'intérieur du pays.
[2] Le terme « réfugié » désigne un immigrant déjà présent dans le pays, tandis qu'un « demandeur d'asile » sollicite l'entrée dans le pays.
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Contre Trump le dictateur, l’histoire ne se répète pas toujours comme farce !
Tandis que Trump multiplie frénétiquement les mesures, les initiatives et les faits accomplis qui sont en train de préparer l'instauration aux Etats-Unis d'un régime authentiquement dictatorial, les dirigeants du Parti Démocrate nord-américain, les chancelleries du monde entier, suivies par les médias internationaux, ainsi que par l'écrasante majorité des « politologues » et autres experts de think tanks persistent à ne rien voir de tel. Ou plutôt, tout ce beau monde persiste à n'y voir que des actes « incompréhensibles », des « caprices » ou des « accès d'humeur » de ce président américain d'ailleurs « insondable ».
8 septembre 2025 | tiré du site du CADTM | Photo : Gage Skidmore, CC, Flickr, https://www.flickr.com/photos/gageskidmore/53066690422/in/photostream/
https://www.cadtm.org/Contre-Trump-le-dictateur-l-histoire-ne-se-repete-pas-toujours-comme-farce
Par exemple, quand Trump déploie la Garde Nationale ou même l'armée dans des grandes villes comme Los Angeles, Washington ou Chicago gouvernées par des Démocrates, l'establishment du parti Démocrate ne voit pas la tentative du président de tester les réactions de ses adversaires, ni d'accoutumer la population à la militarisation de la vie publique et à une éventuelle imposition de la loi martiale. Non, la direction des Démocrates, suivie par les médias sympathisants, Times de New York en tête, ne voient pas tout ça, mais plutôt une… « diversion » de Trump, pour éviter que l'attention du public se concentre sur le scandale Epstein qui risque de l'éclabousser !
C'est ainsi que les réactions inexistantes ou tout au plus molles de la direction du parti Démocrate, des maires Démocrates de ces villes et des médias qui leur sont proches, ne doivent ni surprendre ni étonner. Refusant d'appeler à la mobilisation générale des populations concernées pour contrer dans la rue les provocations antidémocratiques de Trump et entretenant ostensiblement l'illusion que le salut ne peut venir que des… juges, ils ne peuvent qu'encourager Trump à durcir et à élargir son offensive fasciste qui fait ouvertement fi de toute loi et de toute constitution, [1] même à un secteur aussi important et ultra névralgique comme la santé de ses compatriotes. Et ce n'est pas un hasard qu'un médecin légendaire aux Etats-Unis comme le directeur du Centre pour l'immunisation et les maladies respiratoires des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) Demetre Daskalakis a présenté sa démission de son poste rappelant opportunément que son grand père crétois - dont il porte le nom - est mort combattant les fascistes et dénonçant la logique eugéniste des politiques trumpiennes !
Alors, comment ne pas se rappeler d'une autre provocation fasciste cette fois, voulant aussi tester les réactions des adversaires, il y a 92 ans ? Il s'agit évidemment de la parade des nazis SA et SS devant l'énorme quartier générale du PC allemand à Berlin (appelé Karl Liebknecht Haus) le 22 janvier 1933. Une parade qui n'a provoqué la moindre réaction des communistes qui se sont contentés de demander -en vain- l'intervention de la… police, bien qu'elle était considérée la veille « impensable » et « impossible » tant par la direction du KPD qua du parti nazi.
Commentant cet événement dans son journal, Goebbels ne cachait pas sa surprise face à la « paralysie » du KPD, mais aussi son enthousiasme débordant, concluant que personne n'allait réagir contre l'ascension au pouvoir des nazis. Chose d'ailleurs faite une semaine plus tard quand Hitler est devenu chancelier et les nazis ont accédé au pouvoir sans qu'il y ait la moindre manifestation de rue ni du SPD social-démocrate ni du KPD communiste ! Quant au Karl Liebknecht Haus, les nazis l'ont occupé un mois plus tard pour en faire leur propre quartier général…
En somme, l'histoire se répète et - malheureusement - pas toujours comme farce. Comme par exemple, quand ce même Establishment Démocrate, mais aussi ses pareils de par le monde, déclarent, jour après jour, que l'avenir de Trump va se jouer aux élections de mi-mandat dans un an et que comme il y a des fortes chances pour que Trump paye cher ses « folies » antidémocratiques, il ne reste aux Démocrates qu'à tout faire pour gagner ces élections. Leur raisonnement ne manquerait pas de cohérence, s'il n'y avait pas un hic de taille : qui leur garantit qu'il y aura des élections de mi-mandat ? Ou même des élections tout court dans ces Etats-Unis de Donald Trump ? Ou tout au moins, qui leur garantit que ces elections ne seront pas trafiquées, comme le laisse présager par exemple le charcutage systématique des circonscriptions électorales ou l'exclusion massive des listes électorales des votants « indesirables », auxquels s'adonnent déjà à cœur joie les gouverneurs Républicains ?
La « naïveté » des dirigeants du parti Démocrate ou plutôt leur totale incompréhension du danger (mortel) dictatoriale et fasciste représenté par Trump et ses acolytes, leur fait croire non seulement à des mythes comme l'inébranlable « solidité de la démocratie américaine », mais aussi à entretenir des illusions sur leur capacite de …dompter finalement Trump, qui n'est d'ailleurs que chair de leur chair capitaliste. Mais, tout ça fait imperceptiblement penser à un précèdent historique qui a couté trop cher à l'humanité : celui de l'establishment politique bourgeois de droite et d'extrême droite de la République de Weimar, qui croyant « naïvement » pouvoir dompter facilement Hitler et ses nazis, n'a fait finalement que l'installer au pouvoir !
Personnage emblématique de cet establishment bourgeois allemand des années '30, Franz von Papen s'était démené pour former un gouvernement incluant Hitler, promettant qu'il lui serait facile de le « contrôler », de le « coincer » et de lui faire perdre toute popularité. C'est avec des promesses du genre « dans deux mois, nous aurons Hitler recroquevillé dans un coin », que von Papen a persuadé finalement les autres partis bourgeois et celui qui était le président de la République allemande, le vieux réactionnaire maréchal Hindenburg, de soutenir le nouveau gouvernement dont Hitler était le chancelier et von Papen le vice-chancelier. On connait la suite. Ce n'est pas Hitler mais von Papen qui a été renvoyé de ce gouvernement, lequel fut très vite dominé par les nazis.
Comme on le voit, la bourgeoisie dite libérale des Etats-Unis, est en train de commettre les mêmes erreurs que ses ancêtres allemands des années '30. S'il n'y avait qu'elle pour faire face à Trump, on pourrait être bien pessimistes pour la suite des évènements. Mais, heureusement il y a une autre Amérique, celle qui descend dans la rue contre Trump, qui affronte ses forces de répression, qui fait grève, qui manifeste sa solidarité aux Palestiniens, qui défend les migrants et qui s'inspire de l'exemple de Zohran Mamdani, [2] ce jeune ex-migrant, socialiste et musulman qui sera en novembre le prochain maire de New York, si évidemment il ne sera entretemps assassiné, emprisonné ou expulsé du pays comme promis par Trump. Avec cette autre Amérique de plus en plus mobilisée et déterminée de défendre bec et ongles ses droits, on peut être optimistes qu'on assistera bientôt à l'émergence de ce mouvement de masse de ceux d'en bas, seul capable de faire face à ce Trump voyou obscène et vulgaire, raciste et misogyne, obscurantiste, fasciste et apprenti dictateur, dont le négationnisme climatique radical et délirant suffirait largement pour faire de lui le plus grand criminel de l'histoire de l'humanité…
*Notes*
*1.* Voir *En bons fascistes, Trump et ses amis violeront droit
international et toute règle établie ! :*
<https://www.cadtm.org/En-bons-fasci...>
https://www.cadtm.org/En-bons-fascistes-Trump-et-ses-amis-violeront-droit-international-et-toute?debut_tous_articles_auteur=90
*2. Zohran Mamdani. Un jeune socialiste musulman à la tête d'un mouvement
de masse, triomphe de l'establishment Démocrate à New York ! :*
https://www.cadtm.org/Zohran-Mamdani-Un-jeune-socialiste-musulman-a-la-tete-d-un-mouvement-de-masse
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