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Au Pays-Bas, une extrême droite confiante et une gauche parlementaire en stagnation

4 novembre, par Alex De Jong — , ,
Le 29 octobre, les Pays-Bas connaîtront de nouvelles élections législatives – une fois de plus. Début juin, le gouvernement du Premier ministre Dich Schoof a perdu sa majorité, (…)

Le 29 octobre, les Pays-Bas connaîtront de nouvelles élections législatives – une fois de plus. Début juin, le gouvernement du Premier ministre Dich Schoof a perdu sa majorité, lorsque le PVV de Geert Wilders, d'extrême droite, a fait exploser la coalition. Peu après les élections, le contraste entre les événements politiques les plus importants dans le pays ne pourrait être plus fort. Le 20 septembre, après un meeting anti-immigration, la Hague a été traversé par des émeutes fascistes. Le 5 octobre, 250 000 personnes ont marché dans les rues d'Amsterdam pour montrer leur solidarité avec la Palestine.

16 octobre 2025 tiré d'Europe solidaire sans frontières | Photo : Geert Wilders avec Trump. © The White House / Public Domain
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76791

À la Haye, une extrême droite qui monte, et des fascistes qui patrouillent dans les rues pour intimider les personnes racisées, et jeter des pierres sur les bureaux du parti social-libéral D66. Des saluts nazis, combinés aux drapeaux orange-blanc-bleus du mouvement national-socialiste néerlandais des années 30 et 40. Et comme pour mettre en évidence les connexions entre fascisme et colonialisme, d'autres portent des drapeaux de la VOC, la Compagnie des Indes orientales hollandaise. Tout ceci exprimait la confiance en soi prise par l'extrême droite, galvanisée par la montée des partis qui partage ses points de vue au sein du Parlement.

En face, Amsterdam a connu la plus grande manifestation de solidarité internationale dans l'histoire des Pays-Bas. Cette marche, qui a rencontré les acclamations des habitant·es, était aussi un rassemblement contre l'extrême droite. Le fossé entre la politique officielle et l'opinion publique a rarement été aussi béant : les mêmes partis de droite et d'extrême droite qui affirmaient si fort parler au nom du « peuple » ne sont aujourd'hui qu'une minorité, dans leur support fanatique à la violence génocidaire d'Israël.

Les sondages pour les élections du 29 octobre n'incitent cependant pas à l'optimisme. Le gouvernement Schoof était le plus à droite depuis la Seconde Guerre mondiale, et le premier à intégrer un parti d'extrême droite. Le fait qu'il s'effondre après onze mois n'était pas une surprise. Beaucoup s'attendaient même à le voir tomber plus tôt. La politique contemporaine des Pays-Bas est en effet extraordinairement chaotique : depuis le tournant du siècle, une seule coalition a tenu les quatre ans de son mandat. Et en août 2025, le pays a traversé un épisode inédit, lorsque le NSC (conservateur) a quitté le gouvernement restreint, une mesure sans précédent prise parce que les deux partis restants (le VVD, libéral de droite, et le mouvement agricole-citoyen populiste de droite BBD) continuaient à bloquer les propositions du NSC, qui allaient vaguement dans le sens d'une condamnation de la politique génocidaire de l'État israélien.

Mais si l'on regarde au-delà du chaos, vers la composition du parlement lui-même, on se rend compte que la structure de la politique néerlandaise est relativement stable – hélas. Le PVV [d'extrême droite] se maintient et la droite bourgeoise, notamment le parti libéral VVD, poursuit son glissement vers la droite. Les sondages prédisent que le PVV ne perdra que quelques points de pourcentage par rapport [aux élections de] 2023, et qu'il restera, et c'est ce qui compte le plus, le premier parti, autour de 20%. Le bloc de droite, au parlement, est maintenant constitué de cinq partis, qui vont du SGP, un parti calviniste fondamentaliste, aux néo-fascistes du FvD, en passant par un BBB qui accélère sa transformation, d'une formation se réclamant du centrisme, vers un parti d'extrême droite qui demande des lois d'urgence pour bloquer l'immigration. La nouveauté, c'est que le VVD fait face à des pertes importantes. Il y a là les conséquences des maladresses de sa dirigeante, Dilan Yeşilgöz, mais plus fondamentalement, il y a une tension à l'intérieur du parti entre ceux qui veulent poursuivre la coalition avec le PVV, et ceux qui préfèrent la « stabilité ». Quand le gouvernement Schoof est entré en fonction, la droite bourgeoise a conclu un certain nombre d'accords avec [le leader du PVV] Wilders dans une tentative de consolider la stabilité de la coalition. L'un d'entre eux était de rompre avec la tradition qui veut que le plus grand parti au gouvernement fournisse le Premier ministre. Il se serait alors agi de Wilders – mais l'idée de le voir représenter le pays à l'international générait un certain malaise, particulièrement au NSC. Un compromis a donc été trouvé en nommant à ce poste le bureaucrate sans parti Dick Schoof. Et le nouveau gouvernement a aussi promis de respecter l'État de droit, ce qui était aussi une façon de limiter le rôle du PVV – parti qui défend l'idée d'abolir plusieurs droits constitutionnels, comme la liberté de culte (pour les musulman·es), ou de rompre avec plusieurs traités internationaux sur les droits des réfugié·es et les migrations.

Sans surprise, ces tentatives de contenir Wilders n'ont pas servi à grand-chose. Il a rapidement fait savoir que ses plans les plus extrêmes étaient toujours à l'ordre du jour, au moins à long terme. Et le fait qu'il n'ait pas été lui-même membre du gouvernement lui a permis de garder le style et les manières d'une figure d'opposition, face à une droite classique, faible et compromise.

Wilders a choisi de faire exploser la coalition en exprimant des revendications dont il savait qu'elles ne pourraient jamais être satisfaites, comme une fermeture totale des frontières pour les réfugié·es et l'expulsion de tou·tes les Syrien·nes vivant dans le pays. Dans la campagne de 2023, Wilders a parfois attaqué le centre-gauche « par la gauche », par exemple sur des sujets comme les coûts de santé ; mais une fois au gouvernement, son parti a immédiatement abandonné son vernis « social », et s'est rallié à la politique économique de droite menée par ses partenaires. Un plan pour taxer les rachats d'action a été rejeté, et une taxe sur le CO2 émis par les entreprises abolie. La proposition de mettre fin aux frais de risque propre dans les assurances santé obligatoires, une vieille promesse du PVV, a été abandonnée. Autant d'épisodes qui n'ont eu que peu d'impact sur la popularité de Wilders. Quand il a mis fin à la coalition, son pari était de polariser l'élection autour de l'hostilité contre les migrant·es et les réfugié·es. Il sait que ce sont ces sujets qui génèrent un soutien à son parti.

Le fait qu'après cet épisode, le PVV ne soit plus considéré comme un partenaire de coalition stable pour la droite bourgeoise, n'est qu'une perte temporaire pour lui. Pour Wilders, la participation à un gouvernement n'est pas une fin en soi, mais une étape dans un projet de long terme pour transformer les Pays-Bas en une société encore plus à droite, raciste et autoritaire. L'extrême droite, même quand elle n'est pas au gouvernement, joue un rôle de plus en plus important pour définir ce qui est politiquement possible dans le pays.

Une gauche en stagnation

La fusion en cours avec le parti vert GroenLinks signifie que le Parti des Travailleur·ses (PvdA) se décale légèrement vers la gauche. Mais le fait que le PvdA se présente comme de gauche en période électorale n'est pas une nouveauté, et rien n'indique un véritable changement d'orientation sur le long terme. Les cabinets de recherche des deux partis défendent maintenant une forme de « social-démocratie verte » ; mais avec son soutien enthousiaste aux politiques néolibérales des gouvernements précédents, le PvdA a rendu impossible l'essentiel des perspectives social-démocrates. Le parti fusionné est coincé dans une contradiction qu'il a lui-même créée : d'un côté, il réalise que pour gagner des voix, il doit se distinguer du centre et faire le choix d'une ligne politique clairement de gauche et écologiste. De l'autre, GroenLinks-PvdA, mené par l'ancien commissaire européen Frans Timmermans (du PvdA), ne veut rien d'autre qu'une coalition avec le centre-droit et la droite, et ne peut donc pas se permettre d'offenser outre mesure ses potentiels partenaires. La stratégie du PvdA de gouverner conjointement avec la droite menace désormais de contaminer GroenLinks.

Cela pourrait tourner mal après les élections. Il sera probablement difficile de former un gouvernement, et plus le processus sera long, plus il y aura de pression, en interne et en externe, pour que le PvdA-GroenLinks « prenne ses responsabilités ». Par exemple, pour former un gouvernement centriste. Et s'associer à des politiques soutenues par de moins en moins de monde.

Le principal parti à la gauche du PvdA-GroenLinks, le Parti Socialiste (SP), a opté pour une approche de retour aux bases. Après des années de déclin, il devrait obtenir autour de 4%, en légère augmentation. Sa ligne peut se résumer comme « progressiste sur le plan économique, mais socialement conservatrice ». Il reste largement silencieux sur les questions de racisme, et se concentre sur les aspects socio-économiques. Même après les émeutes à la Hague, le SP était le seul parti de gauche à voter en faveur de plusieurs motions de l'extrême droite, une qui mettait sur un pied d'égalité les violences de l'extrême droite avec celles, imaginaires, de l'extrême gauche, et une défendant « le droit de chacun à manifester pacifiquement contre les centres de réfugié·es ». Tout en utilisant une fougueuse rhétorique de « défense de la classe travailleuse », il affiche sa volonté de rejoindre un gouvernement de coalition avec le centre-droit, en particulier avec les chrétiens-démocrates du CDA. De cette manière, le SP, qui était autrefois un parti d'opposition de gauche qui contribuait à faire pression sur le PvdA, s'engage maintenant sur la même pente glissante.

De nombreux·ses Néerlandais·es de gauche voteront probablement pour le Parti des Animaux, qui, de parti centré exclusivement sur la défense des droits des animaux, s'est transformé en organisation de gauche et écologiste. Le BIJ1, un parti de gauche radicale et antiraciste, entre aussi dans l'équation, mais il n'est malheureusement pas certain qu'il parvienne à revenir au parlement. [1]

Les 250 000 personnes qui ont manifesté à Amterdam ont montré que même aux Pays-Bas, un mouvement contre l'extrême droite et ses atrocités était possible. Il faut maintenant construire sur ce potentiel. Pour inverser la vapeur, la gauche néerlandaise devra travailler à construire son propre pouvoir, ses propres structures et ses propres propositions pour une autre société. Dans la lutte quotidienne pour les intérêts socio-économiques et contre l'extrême droite, elle doit travailler ensemble et regarder au-delà de la prochaine élection.

P.-S.
• Inprecor. 27 octobre 2025 :
https://inprecor.fr/au-pays-bas-une-extreme-droite-confiante-et-une-gauche-parlementaire-en-stagnation

Notes
[1] Pour connaître la position du comité de rédaction de Greenzeloos, revue de la section néerlandaise de la Quatrième Internationale, voir ESSF (article 76646), Avant et après les élections néerlandaises : La résistance de gauche est essentielle :
www.europe-solidaire.org/spip.php?article76646

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Reprendre l’initiative, par l’action, dans l’unité

4 novembre, par William Daunora — , ,
Les discussions sur le budget ont commencé par le rejet du volet « recettes » en commission il y a une semaine. L'ampleur de la déroute surprend quand même : seuls les députéEs (…)

Les discussions sur le budget ont commencé par le rejet du volet « recettes » en commission il y a une semaine. L'ampleur de la déroute surprend quand même : seuls les députéEs Renaissance ont voté le texte. De proches alliés de Macron votant contre (LR) ou s'abstenant (Modem, Horizon et LIOT), mettant encore plus à nu l'isolement du pouvoir.

29 octobre 2025 | tiré de l'Hebdo l'Anticapitaliste 773
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/reprendre-linitiative-par-laction-dans-lunite

En commission, tous les amendements proposés par les partis du Nouveau Front populaire (NFP) ont été systématiquement rejetés par les députéEs macronistes, la droite et l'extrême droite, notamment l'instauration de la « taxe Zucman ». Un député RN peut ainsi déclarer : « On se réjouit que nos propositions et nos idées prennent de l'ampleur et qu'elles trouvent une majorité dans cette Assemblée. » Ainsi le PS tient dans sa main le gouvernement, et c'est le RN qui imprime sa marque sur le budget. Les discussions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) sont du même acabit.

Quelle stratégie pour la gauche ?

On se demande donc bien ce que les partis du NFP espèrent à se jeter dans une bataille parlementaire perdue d'avance. Les discussions parlementaires autour des amendements relèvent uniquement d'un exercice d'amoindrissement de la violence des projets gouvernementaux. C'est ouvertement le projet du PS. EÉLV assume davantage l'approfondissement de la crise tout en annonçant la candidature de Marine Tondelier pour 2027 comme moyen d'obtenir une primaire à gauche. Et on a l'impression que l'arène parlementaire sert surtout à LFI à régler ses comptes avec le PS. Mais le pire de tout ça est le brouillage des lignes quand on voit se multiplier les votes communs au RN et à la gauche. Si la gauche d'accompagnement semble avoir un projet cohérent, celui d'une possible gauche de rupture est difficilement lisible.

L'impasse d'une solution institutionnelle

La priorité donnée à la joute parlementaire paralyse le mouvement social. En l'absence du recours au 49-3, on voit mal comment la sortie sera autre chose que la version initiale du budget imposée par ordonnances (et donc sans les « gains » qu'aurait obtenus la gauche) ou bien une censure et un retour à la case départ. Le mouvement social ne peut rester l'arme au pied alors que le pouvoir est si faible. Cette séquence voit aussi le retour à une dichotomie « la rue pour les syndicats, la lutte parlementaire pour les partis » que le NFP avait permis d'assouplir. Cette séparation est, elle aussi, paralysante.

Vite, reprendre l'initiative dans la rue !

Certaines coordonnées de la séquence restent inchangées. La crise économique est là, les difficultés quotidiennes de la vie pèsent plus que jamais, et l'inflation semble faire son retour. Le risque de l'arrivée du RN au pouvoir n'a jamais été aussi grand. L'extrême droite est plus que jamais en embuscade, engrangeant passivement le bénéfice du pourrissement institutionnel et de la farce parlementaire.

Toute une partie du mouvement social semble paralysée par la crainte de l'approfondissement de la crise politique qui mènerait à une dissolution et à une victoire électorale du RN. Pourtant, la seule voie de sortie favorable pour notre camp social passe par les mobilisations. Reprendre la main par les luttes porte un double objectif stratégique : construire le rapport de forces pour imposer un programme d'urgence et développer des cadres d'auto-organisation pour sortir de la passivité, du parlementarisme, de l'électoralisme. Il nous faut chercher à convaincre que nous avons collectivement la puissance de renverser la situation.

La nécessaire unité de la gauche sociale et politique

Le mouvement Bloquons tout semble dessiner une date de mobilisation le 15 novembre. Le 22 novembre aura lieu une importante mobilisation annuelle, à l'occasion de la journée internationale de lutte contre les violences sexistes, sexuelles et de genre. Le 29 novembre aura lieu la première manifestation nationale unitaire en solidarité avec la Palestine depuis le commencement de la guerre génocidaire il y a deux ans.

Pour que la donne soit modifiée, il faut que l'ensemble de la gauche sociale et politique reprenne l'initiative, dans l'unité, par des meetings communs, un plan de mobilisation, une manifestation nationale unitaire… Le NPA-l'Anticapitaliste sera de toutes les initiatives qui permettraient de relever la tête et de construire par l'action commune une alternative à l'austérité et à la fascisation.

William Donaura

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Le pouvoir du peuple. Cartographie du paysage des mouvements sociaux en Ukraine

Cartographie des mouvements sociaux en Ukraine : Lancement de la recherche et du débat autour de la perspective de la résilience démocratique en temps de guerre 24 octobre (…)

Cartographie des mouvements sociaux en Ukraine : Lancement de la recherche et du débat autour de la perspective de la résilience démocratique en temps de guerre

24 octobre 2025 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/24/le-pouvoir-du-peuple-cartographie-du-paysage-des-mouvements-sociaux-en-ukraine/#more-99025

Introduction

En 2022, la fédération mondiale ActionAid Federation a pris une décision sans précédent pour la Fédération : lancer une action humanitaire dans une région où elle n'était jusqu'alors pas présente, à savoir l'Europe de l'Est. Cette décision a été motivée par l'invasion à grande échelle lancée par la Russie contre l'Ukraine, la remise en cause des mécanismes géopolitiques existants du droit international et du statut d'après-guerre (du moins dans cette partie du globe), les débats renouvelés autour de la responsabilité des crimes de guerre et de l'efficacité de la Cour pénale internationale et du système des Nations unies, ainsi que les effets anticipés sur les populations traditionnellement exclues et à haut risque en Ukraine et dans le monde. Depuis lors, les équipes locales apportent leur soutien aux populations de toute l'Europe de l'Est, guidées par la signature humanitaire d'ActionAid qui met l'accent sur le soutien au leadership des femmes et des jeunes dans les crises humanitaires pour une réponse, une résilience et un relèvement justes basés sur la communauté. Parmi les tactiques d'ActionAid figure le soutien holistique des mouvements sociaux (ci-après dénommés « SoMos ») ancré dans l'approche de l'organisation comme triple lien : humanitaire-consolidation de la paix-développement, acteur embrassant la complexité de l'expérience humaine collective des crises au-delà des divisions traditionnelles du tiers secteur.

Le triple lien entre l'humanitaire, le développement et la consolidation de la paix ne peut être compris uniquement à travers le prisme des institutions et des États ; il doit également tenir compte du pouvoir des communautés auto-organisées. Les mouvements sociaux, souvent horizontaux, informels et délibérément en dehors du contrôle institutionnel, sont intervenus là où les systèmes formels ont échoué, en apportant de l'aide, en défendant les droits et en mobilisant les personnes et les communautés contre l'injustice. L'écosystème des mouvements sociaux incarne ce lien non pas comme un cadre politique, mais comme des pratiques vécues : il relie la survie à la dignité, le secours à la résistance et le rétablissement à l'imaginaire collectif d'une société plus juste.

L'analyse de l'activisme civique en temps de guerre sous cet angle souligne que la réponse et le rétablissement sont indissociables des pressions exercées sur le tissu social par les crises humanitaires, et que la résilience naît des communautés habilitées à agir collectivement.

La recherche a été menée en 2025. Les mouvements sociaux, qui font depuis longtemps partie intégrante de la société ukrainienne, même avant l'indépendance en 1991, et qui ont pris une importance croissante dans la vie des communautés depuis lors, continuent de défendre les droits, les libertés et la justice, même dans les circonstances difficiles de la guerre en cours, et apportent une contribution précieuse pour surmonter les conséquences de la guerre à différents niveaux, de la base au niveau national.

Malgré l'épuisement, les coupes budgétaires, les hostilités constantes et un volume écrasant de besoins, les militant·es et les bénévoles persistent à fournir des services, à développer des produits, à soutenir les groupes vulnérables et à intervenir en tant que partenaires essentiels lorsque l'État manque de capacités, de ressources ou de financement pour agir. En prouvant leur importance vitale pendant la guerre, les mouvements sociaux démontrent leur valeur dans la pratique, ce qui renforce la crédibilité et la légitimité de leurs revendications en matière de droits humains, de justice, d'inclusion et de libertés.

L'objectif de ce rapport est de mieux comprendre l'environnement complexe dans lequel les mouvements sociaux ukrainiens évoluent et continuent d'évoluer alors que la crise humanitaire s'éternise. Une attention particulière est accordée à la compréhension des forces, faiblesses, opportunités et menaces auto-déclarées qui pèsent sur le rôle des mouvements sociaux en tant qu'acteurs civiques dans ce contexte, à travers des entretiens avec plusieurs mouvements sociaux actuels. La recherche vise également à identifier les forces des mouvements à encourager davantage, les risques à atténuer, les écarts entre les acteurs/actrices humanitaires, de consolidation de la paix et développés à combler, et les domaines spécifiques de renforcement des capacités pour les fournisseurs d'infrastructures de mouvements, comme ActionAid, afin d'accroître le soutien et d'apporter une plus grande valeur aux communautés locales. En outre, cette recherche peut constituer une source précieuse d'informations pour les bailleurs de fonds, les organisations non gouvernementales internationales et nationales, ainsi que pour un large éventail d'autres parties prenantes impliquées dans la lutte pour la justice sociale mondiale.

ActionAid exprime sa profonde gratitude à tous et toutes les membres des mouvements sociaux et aux représentant·es d'autres acteurs/actrices civiques qui ont eu l'amabilité de partager leurs expériences, leurs connaissances et leur sagesse avec l'équipe de recherche. Sans votre ouverture d'esprit, vos conseils et vos recommandations, cette recherche n'aurait pas été possible.

La recherche et le rapport ont été préparés par un collectif d'auteurs. Dans l'esprit des mouvements étudiés, le projet a été organisé sur une base collaborative et bénévole, avec des contributeurs et contributrices volontaires qui ont rejoint l'équipe au cours du travail : Andrii Kruglashov – chercheur indépendant, questionneur principal, analyste et coordinateur ; Iryna Drapp – sociologue ; experte en méthodes qualitatives et quantitatives, qui a géré les méthodes de recherche, la coordination des tâches et l'analyse des données ; Sonya Triska – militante étudiante spécialisée dans les droits des animaux et les mouvements féministes ; Sofia Trotsyk – étudiante en master à l'Institut d'aviation de Kiev, couvrant les mouvements urbains, féministes, étudiants et de défense des animaux ; Yana Nadievets – étudiante en master à l'Université nationale Taras Shevchenko de Kiev, analyste réseau, qui a contribué à dresser le profil des nouveaux mouvements et à cartographier les relations entre les mouvements sociaux.

Au sein de l'équipe ActionAid Europe de l'Est, la recherche a été coordonnée par Matey Nikolov, responsable régional du programme des mouvements sociaux, avec la précieuse contribution de Daria Khrystych, responsable principale de la gestion de projets, et Yulia Lubych, responsable principale de l'écosystème et de l'apprentissage, et le soutien d'Olena Prokopchuk, conseillère en développement de la société civile.

ActionAid estime que ce travail intéressera les acteurs:actrices qui mettent en place leurs programmes en Ukraine et celles et ceux qui travaillent dans le contexte ukrainien depuis longtemps. Si vous avez des suggestions ou des commentaires, veuillez utiliser le code QR ci-dessous (voir page 5) pour contacter l'équipe des mouvements sociaux d'ActionAid Europe de l'Est.

Traduit par DE

Télécharger la brochure (en anglais) : ActionAid_Social-Movements-Mapping-In-Ukraine_2025

Ucraina, actionaid ha mappato i movimenti sociali del paese
https://andream94.wordpress.com/2025/10/24/ucraina-actionaid-ha-mappato-i-movimenti-sociali-del-paese/

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Pourquoi les Russes ne protestent-iels pas ?

On me demande souvent : « Mais les Russes ne savent-ils vraiment pas et ne comprennent-iels vraiment pas ce que fait l'armée russe en Ukraine ? ». Ma réponse est simple : iels (…)

On me demande souvent : « Mais les Russes ne savent-ils vraiment pas et ne comprennent-iels vraiment pas ce que fait l'armée russe en Ukraine ? ». Ma réponse est simple : iels le savent. Et iels le comprennent. Tous et toutes. Ou presque. À l'exception d'une minorité marginale de fanatiques « Z », le reste de la population est parfaitement consciente.

28 octobre 2025 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/28/pourquoi-les-russes-ne-protestent-iels-pas/

Ce n'est pas un hasard si, après le début de la guerre, la demande de livres sur Hitler et l'Allemagne nazie, ainsi que sur les classiques dystopiques, a explosé en Russie. Parmi les auteurs les plus vendus en 2022 figuraient Erich Maria Remarque et George Orwell. Les librairies ont enregistré des ventes record de 1984, L'homme en quête de sens de Viktor Frankl, Le choix d'Edith Eger — des livres qui traitent de la survie dans les camps et de l'horreur humaine. Après le début de la mobilisation, des ouvrages tels que La nation mobilisée. Allemagne 1939-1945 de Nicholas Stargardt, qui raconte comment les citoyen·nes allemand·es percevaient la guerre, sont également devenus populaires.

Les Russes cherchaient deux réponses : comment en sommes-nous arrivés là ? Et surtout : comment diable survivre à tout cela ?

Le problème n'est pas le manque d'informations. La difficulté survient lorsque vous répondez sincèrement à des questions telles que :
– La Russie bombarde-t-elle des civil·es ?
– A-t-elle déclenché cette guerre pour conquérir, et non pour se défendre ?
– L'armée russe commet-elle des crimes de guerre ?

Et dès que vous répondez « oui », la vraie question se pose : et maintenant ?

Et là, tout s'arrête. Parce que la ou le citoyen russe moyen ne peut rien faire. Ne me parlez pas de manifestations : manifester aujourd'hui, c'est risquer son emploi, sa liberté, sa famille ou sa vie. C'est un acte héroïque, mais presque impossible.

Le pacifisme refoulé en Russie

Alors, comment vit-on en sachant que son pays commet des crimes horribles et qu'on ne peut rien faire pour l'arrêter ? La vérité, c'est qu'on ne vit pas, on survit. Ce sentiment d'impuissance vous ronge de l'intérieur. Je l'ai vécu personnellement : en 2022, j'ai passé des mois à pleurer tous les jours. Et moi, je me suis enfuie presque immédiatement, mais pour celles et ceux qui sont restés, c'est encore plus difficile.

Celles et ceux qui sont restés ont souvent trouvé des moyens de s'anesthésier. Prenons l'exemple de mon amie Anna, qui travaille dans le secteur informatique à Moscou. Après le début de la guerre, presque tous et toutes ses collègues sont parti·es à l'étranger. Comme elle l'a dit elle-même : « Ma Moscou n'existe plus ». Et c'est vrai.

Mais elle est restée. Et dans le monde informatif d'Anna, la guerre n'existe pas. Oui, elle est contre, bien sûr. Mais en attendant, elle continue à travailler dans une grande banque, elle trouve satisfaction dans son travail et mène une vie riche en loisirs. La seule chose qui brise parfois cette bulle, ce sont les annonces de recrutement militaire qui apparaissent partout, même à Moscou.

« Ils nous ont envoyés à l'abattoir » :
des soldats russes mobilisés partagent
leurs réflexions sur la guerre en Ukraine

Ou encore mon amie Vika. Au début de la guerre, nous pleurions ensemble. Puis je suis partie, elle non. Avec le temps, elle a commencé à dire des choses comme : « Oui, nous sommes coupables, mais les autres ne sont pas innocent·es non plus ». Le classique « tout n'est pas si clair », ou le fameux « et alors, l'Amérique ? ». Non pas parce qu'elle y croit vraiment. Mais parce que c'est la seule façon de survivre émotionnellement. Regarder la vérité en face sans justification chaque jour vous brise.

Ce que nous voyons n'est pas de l'ignorance, c'est une stratégie inconsciente de survie psychique. La propagande ne sert pas seulement à mentir : elle sert aussi à protéger la psyché collective, c'est pourquoi elle fonctionne si bien. Elle fournit un récit plus supportable, dans lequel on n'est pas complice. C'est de l'aveuglement, oui, mais un aveuglement nécessaire pour beaucoup.

La pensée critique, en Russie aujourd'hui, est un luxe dangereux. Car celles et ceux qui pensent de manière critique risquent de sombrer dans le désespoir. Et c'est précisément là que réside le drame : la guerre a tué non seulement des corps, mais aussi la capacité morale de résister. La Russie contemporaine a détruit tout espace d'action éthique individuelle. Et sans possibilité d'agir, la conscience finit par être anesthésiée, comme un corps dans un coma pharmacologique pour ne pas ressentir la douleur.

Non, tous et toutes les Russes ne sont pas des bonnes personnes. Tous et toutes ne sont pas des victimes. Mais celles et ceux qui jugent le silence de la majorité sans comprendre le prix psychologique de ce silence commettent une simplification cruelle. Celles et ceux qui exigent que des millions de personnes descendent dans la rue contre une dictature armée jusqu'aux dents, sans aucun espace politique, sans réseaux civiques, sans garanties de survie, n'ont rien compris à la nature du pouvoir absolu. Dans les régimes totalitaires, la résistance ne naît pas d'un décret moral. Elle naît lorsqu'une possibilité concrète d'agir s'ouvre. D'abord la fenêtre, puis le mouvement. Pas l'inverse.

Il est facile de demander du courage à distance. Il est beaucoup plus difficile de comprendre ce qui se passe lorsque le courage peut vous tuer et que le silence est le seul moyen de ne pas devenir complètement folle ou fou.

Daria Kryukova – réfugiée politique en Italie, Association des Russes libres en Italie
https://www.valigiablu.it/perche-i-russi-non-protestano/
Traduit par DE

En complément possible
« Nous devons simplement faire semblant »
https://www.posle.media/article/we-simply-must-fake-it

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L’Iran, Gaza et le président Donald Trump

4 novembre, par Alain Gresh, Robert Malley — , ,
Diplomate américain, Robert Malley a été assistant spécial du président Bill Clinton pour les affaires arabo-israéliennes. Il a siégé au conseil national de sécurité sous la (…)

Diplomate américain, Robert Malley a été assistant spécial du président Bill Clinton pour les affaires arabo-israéliennes. Il a siégé au conseil national de sécurité sous la présidence de Barack Obama, et a occupé le poste d'envoyé spécial de Joe Biden pour l'Iran. Dans un entretien avec Alain Gresh, il revient sur la personnalité clivante de Donald Trump, au cœur des conflits, et d'une paix aux contours flous, au Proche-Orient. l'Image en noir et blanc avec des motifs bleus, montrant des murs et des ruines délabrées.

Tiré de orientxxi
28 octobre 2025

Par Alain Gresh et Robert Malley

« Passages to Freedom », lithographie de l'artiste palestinienne Laila Shawa tirée de sa série Walls of Gaza, réalisée en 1994 sur la première intifada. 50 cm x 38 cm. Exposée au Palestinian Museum, Birzeit, Palestine.

Tomorrow Is Yesterday : Life, Death and the Pursuit of Peace in Israel/Palestine
(« Demain, c'est hier, La Vie, la mort et la recherche de la paix en Israël/Palestine »)
éd. Farrar, Straus and Giroux, 2025

Un homme à vélo près d'un mur, titre sur la paix en Israël/Palestine.

Alain Gresh : Vous avez suivi le dossier iranien à la Maison Blanche pendant de nombreuses années. Est-ce que la décision américaine de participer à la « guerre des douze jours » – ainsi que l'a baptisée Donald Trump – vous a surpris ? Comment l'interpréter dans le cadre de la politique de Donald Trump ?

Robert Malley : À propos du président Trump, tout me surprend et rien ne me surprend. On suit ses déclarations quotidiennes, et puis vient un jour où il fait le contraire de tout ce qu'il a pu dire. Je pensais qu'il était vraiment intéressé par un deal avec l'Iran. Il y avait des contacts plus directs entre l'administration Trump et le gouvernement iranien qu'il n'y en avait jamais eu avec l'administration Biden. Il existait des points de dialogue. D'autre part, sa base électorale était fortement opposée à l'intervention militaire. Alors que s'est-il passé ?

Trump est quelqu'un d'impatient. Il voulait un deal en trois mois et il ne l'a pas eu. Il a alors pensé, et c'était peut-être suggéré par le premier ministre israélien Nétanyahou, que la raison tenait à l'insuffisance de pression militaire. L'idée d'une attaque spectaculaire contre l'Iran, une première pour les États-Unis, avec l'usage d'une mégabombe pour écraser le site nucléaire de Fordouz a pu le séduire. D'autant plus que, les premiers jours, l'opération israélienne apparaissait comme un succès. Mais en même temps, il a fait en sorte que la guerre ne continue pas.

A. G. : Il semble que Nétanyahou voulait la continuer.

R. M. : Il y a un autre facteur qui a joué. Israël manquait de ressources militaires pour contrer les roquettes et les missiles iraniens, il manquait d'intercepteurs. Cela aussi a pesé dans l'arrêt de la guerre.

Maintenant, était-ce seulement le premier round ? Y en aura-t-il d'autres ? Tout dépendra de ce qu'il y a dans la tête du président Trump. Il semble tenir à un accord avec l'Iran. Il dit tous les jours qu'il serait à portée de main et il a insisté sur le fait que Téhéran avait soutenu son plan pour Gaza.

Trump ne connaît pas de ligne rouge.

Une des choses étonnantes de cette administration par rapport à la précédente, c'est que Trump ne connaît pas de ligne rouge. Il peut parler avec les Iraniens, avec le Hamas, il peut faire pression sur le Venezuela, etc. Comparé à la pusillanimité de l'administration Biden, c'est frappant. C'est la force et la faiblesse de ce président. Il se sent libre de toute contrainte politique ou diplomatique. Si c'est dans son intérêt de faire un deal avec les houthistes, il peut le faire à l'encontre des intérêts israéliens. Si c'est dans son intérêt d'avoir un dialogue avec Ahmed Al-Charaa et de lever les sanctions contre la Syrie, encore une fois contre l'avis des dirigeants israéliens, il le fait. C'est un électron libre.

A. G. : Pourquoi l'accord sur Gaza a-t-il été signé maintenant ? Ce texte aurait pu être adopté il y a un an ou un an et demi ?

R. M. : Du côté d'Israël, la fatigue de la guerre se faisait sentir. Le premier ministre vient d'annoncer qu'il briguerait un nouveau mandat de premier ministre lors des élections législatives prévues en octobre 2026. Il ne pourrait défendre son bilan sans le retour des otages ni l'arrêt de la guerre.

De son côté, le Hamas a subi des pressions très fortes de la Turquie et du Qatar. Ses dirigeants ont conclu que les otages n'étaient plus un atout mais un fardeau, qui ne retenait pas Israël dans ses bombardements. Je ne veux pas paraître cynique, mais, avec le temps, les otages allaient mourir, les conserver n'avait pas de sens.

Les bombardements israéliens contre le Hamas au Qatar ont alarmé les pays du Golfe qui ont fait pression sur le président Trump, lui-même inquiet des dérapages israéliens. Cette administration est prête à faire pression sur Nétanyahou. Il a également su briser le tabou et établir un contact avec le Hamas pour leur donner des assurances, indirectes à travers la Turquie et le Qatar, et ensuite directes à travers ses représentants Jared Kushner et Steve Witkoff. Et quand, à la tribune de la Knesset, Trump a déclaré à Nétanyahou « Tu ne peux pas gagner la guerre contre le monde entier. Il est temps d'arrêter », le message est passé.

La question qui se pose est de savoir si l'intérêt de Trump pour le dossier va perdurer, ou s'il va se recentrer sur d'autres terrains, en Ukraine ou au Venezuela.

Enfin, Trump a voulu collecter un nouveau trophée dans la liste de guerres qu'il aurait prétendument arrêtées, de paix qu'il aurait ramenées. Il vise toujours le prix Nobel. Son succès à Gaza souligne aussi, en contrepoint, l'échec de Joe Biden à arrêter la guerre.

La question qui se pose est de savoir si l'intérêt de Trump pour le dossier va perdurer, ou s'il va se recentrer sur d'autres terrains, en Ukraine ou au Venezuela. Il faut dire que, pour l'instant, l'administration Trump suit la mise en œuvre de la première partie du plan et qu'elle ne semble pas disposée à laisser Nétanyahou la saboter. La succession de visites à Tel-Aviv des conseillers Kushner et Witkoff, celles du vice-président David Vance et du secrétaire d'État Marco Rubio, ainsi que les propos tenus par le président Trump au journal Time Magazine le 23 octobre témoignent d'une volonté à imposer leurs vues à Israël, d'un refus confirmé de l'annexion de la Cisjordanie et d'un désir de sauvegarder le cessez-le-feu. Rien de tout cela ne relève du respect des droits des Palestiniens ni même d'une aptitude à comprendre leurs aspirations, mais c'est déjà ça et, comparé à leurs prédécesseurs, c'est tout de même quelque chose.

A. G. : Que penser du plan lui-même ?

R. M. : Il comporte deux étapes. La première est l'arrêt des combats, avec un retrait plus ou moins partiel de l'armée israélienne. C'est flou, mais l'étape d'après l'est encore plus. En réalité, c'est un document de reddition palestinien, parce que le Hamas doit consentir à la présence de troupes israéliennes dans la bande de Gaza, et accepter le fait qu'Israël décidera, en tout cas aura son mot à dire, et ce sera un mot très lourd, sur le moment de son retrait. Le Hamas doit également se désarmer ; Gaza, se déradicaliser. Il y aura enfin ce mandat ou ce conseil de la paix coprésidé par Trump et peut-être par Tony Blair… C'est très difficile à avaler pour les Palestiniens.

D'un autre côté, à la réflexion, si ce document aboutit à une trêve, à un cessez-le-feu, à l'envoi d'aide humanitaire, à la libération de prisonniers et d'otages, c'est très important.

Il y a beaucoup d'hésitations, beaucoup de doutes autour du plan de paix. Le plus petit dénominateur, c'était la trêve, la libération des otages et des prisonniers.

Pour la suite, on verra, il y a beaucoup de zones d'ombre. Ni le Hamas, ni le gouvernement israélien ne sont enthousiastes à l'idée de poursuivre ce processus. Est-ce que le Hamas veut se désarmer ? Non. Est-ce que le Hamas veut que le territoire soit gouverné par ce conseil international ? Non plus. Est-ce que le Hamas veut une force de stabilisation internationale qui peut également s'en prendre à lui ? Je ne sais pas.

Du côté israélien, est-ce qu'on veut également une force de stabilisation qui soit une force d'interposition entre Israël et les Gazaouis et qui peut servir de précédent, de modèle pour la Cisjordanie ? Est-ce qu'Israël veut l'internationalisation de la question de Gaza ? Il y a beaucoup d'hésitations, beaucoup de doutes. Le plus petit dénominateur, c'était la trêve, la libération des otages et des prisonniers, le retrait des troupes israéliennes et l'envoi de l'aide humanitaire.

Le reste, je pense que ce sera un combat, une lutte, et ça dépendra beaucoup des interventions extérieures. Les pays arabes, les pays du Golfe, l'Europe, les États-Unis, ce sont eux qui détermineront à quel point les autres clauses de ce plan seront mises en œuvre.

A.G. : Vous avez participé depuis les années 1990 aux négociations israélo-palestiniennes. Comment situez-vous cette étape dans cette histoire de trente ans qui, il faut le reconnaître, n'a pas abouti. Est-ce qu'il y a eu des possibilités réelles de succès, notamment au moment des accords d'Oslo ?

R.M. : C'est le sujet de notre livre Tomorrow Is Yesterday : Life, Death and the Pursuit of Peace in Israel/Palestine. Il y a eu des moments où les circonstances paraissaient prometteuses. Ainsi au début du processus d'Oslo puis avec la victoire d'Ehoud Barak en 1999 aux élections israéliennes ou celle de Barack Obama à la présidence américaine en 2008. À certains moments on pouvait se dire que les étoiles allaient s'aligner. Dans notre livre, on décrit les erreurs qui ont pu être commises, les occasions manquées. Mais au-delà, ce que nous soulignons était que tout ceci était illusoire.

Dès le départ, Oslo fut un marché de dupes. Les Palestiniens, concession historique, avaient accepté de perdre 78 % de leur territoire, en échange de quoi ils devaient obtenir un État souverain en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale. De l'autre côté, pour les Israéliens, ces accords signaient la défaite des Palestiniens. « Nous avons gagné, disaient-ils en substance, nous allons faire des concessions en cédant une partie de la Cisjordanie et peut-être accepter quelques arrangements mineurs sur Jérusalem-Est. Vous pourrez appeler cela un État mais en aucun cas il ne sera souverain. »

Il faut réfléchir à une solution qui ne serait pas forcément durable, mais intermédiaire : qui serait un pas vers la coexistence entre les deux peuples.

Ce malentendu a permis de maintenir le processus de paix en vie mais avec le recul, on peut se dire qu'il n'y a jamais eu un moment où, sur le fond, les deux parties étaient proches. Car la solution des deux États ne répondait pas aux aspirations historiques, aux désirs, aux émotions des deux parties.

Du côté palestinien, on leur demandait d'abandonner non seulement le retour à la Palestine historique, mais aussi le retour des réfugiés, qui n'a été accepté que dans les frontières du futur État palestinien. D'un autre côté, beaucoup d'Israéliens avec qui je discute me disent que pour eux Tel-Aviv est moins important que Hébron. Donc qu'est-ce que c'est que cette solution ?

D'où l'idée qu'il faut un dialogue élargi avec tous, Israéliens et Palestiniens de tous bords. Pas seulement avec ceux choisis par les États-Unis ou l'Occident comme interlocuteurs privilégiés. Il faut réfléchir à une solution qui ne serait pas forcément durable, mais intermédiaire : qui serait un pas vers la coexistence entre les deux peuples.

A.G. Vous évoquez dans votre livre le cas de l'Irlande du Nord.

R. M. : Un de mes anciens collègues, Ofer Zalzberg, a emmené en Irlande du Nord un groupe de colons, de religieux israéliensqui n'avaient quasiment jamais quitté Israël. Il ne s'agissait pas de rencontrer les Palestiniens, mais de parler aux protestants et aux catholiques en Irlande du Nord. Ils ont pris conscience que les deux parties avaient trouvé une solution sans renoncer à leurs rêves : les Irlandais du Nord, celui de rester au sein du Royaume-Uni ; les catholiques, celui de la réunification avec l'Irlande. On a trouvé une solution qui amène une certaine paix, la fin des violences, mais on remet à plus tard la réalisation des rêves historiques. Cela a entraîné, pour la délégation israélienne, une prise de conscience. C'est ce thème-là que nous abordons : est-il possible de trouver une voie pacifique, une solution de coexistence, où aucun n'est obligé d'abandonner ses rêves, ses aspirations, ses griefs historiques ?

A.G. : L'Europe et la communauté internationale ont remis sur l'agenda diplomatique la solution des deux États qui avait été pratiquement abandonnée, notamment depuis les accords d'Abraham (2020). Mais, on a l'impression que ce discours sert de paravent à une démission.

R.M. : L'idée des deux États, est devenue le refuge de ceux, certains de bonne foi, qui ne veulent pas perdre espoir. C'est également le refuge de personnes de mauvaise foi qui veulent faire croire qu'ils font quelque chose, alors qu'ils ne font rien.

J'ai participé à des administrations américaines où on parlait de deux États sans y croire une seconde. Je n'étais plus dans l'administration quand le président Biden a commencé à mesurer les changements dans l'opinion publique américaine, et les réactions dans l'opinion publique arabe et internationale, et qu'a émergé la nécessité d'un nouvel horizon politique. Alors on ressort du tiroir l'idée des deux États en disant qu'il faut une marche irréversible vers cette solution, mais personne n'est capable d'expliquer comment y parvenir.

Ce que l'on a appelé « processus de paix » a surtout servi à faire pression sur les Palestiniens, leur interdire le recours à la désobéissance civile, au boycott, au droit international, à l'Organisation des Nations unies.

Ne serait-ce que du point de vue géographique, démographique, économique. On ne voit pas comment sur ce territoire, avec la présence des colons, on peut parvenir à un État palestinien souverain. Quelles sont les pressions que la communauté internationale est prête à exercer, notamment pour revenir sur la colonisation ? Ce que l'on a appelé le « processus de paix » a surtout servi à éviter de faire pression sur Israël pour arrêter la colonisation, qui détruit la base territoriale de l'État palestinien. Le processus a en revanche servi à faire pression sur les Palestiniens, leur interdire le recours à la désobéissance civile, au boycott, au droit international, à l'Organisation des Nations unies. Washington leur expliquait : si vous faites cela, ce sont des actes unilatéraux, et nous vous sanctionnerons. Ce que l'on ne disait pas à Israël pour stopper la colonisation.

A.G. : Est-ce que le changement dans l'opinion occidentale, notamment américaine, mais aussi européenne, peut produire des conséquences ?

R.M. : Question fascinante pour moi. On est tous les deux d'un certain âge, donc le cynisme s'installe et on se dit qu'on a déjà vécu des retournements d'opinion. Mais j'enseigne maintenant à l'université aux États-Unis, je suis les sondages d'opinion, je vois les manifestations en Europe, je m'interroge : est-ce que quelque chose de fondamental est en train de changer dans la perception morale, politique et stratégique de la question de Palestine ? Et pour me limiter au cas américain, que je connais mieux, on constate un langage, des réflexes, des attitudes politiques sans précédent.

Ainsi en octobre 2025, Seth Moulton, représentant démocrate du Massachusetts au Congrès, qui n'appartient pas à l'aile gauche du parti, vient de déclarer qu'il n'accepterait plus de dons de l'American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), une des branches les plus puissantes du lobby pro-israélien. C'est quasiment révolutionnaire. On voit des dirigeants qui étaient très pro-israéliens, des dirigeants démocrates, déclarer désormais qu'il ne faut plus accorder d'aide militaire à Israël tant que la guerre continue.

Le revirement d'opinion sur Trump, aux États-Unis, perdurera-t-il jusqu'après la guerre ?

Les sondages d'opinion parmi la jeunesse américaine, chez les démocrates, mais également chez des soutiens du Parti républicain, la partie « Make America Great Again » (MAGA,), montrent une commune défection face au bellicisme de Trump : pourquoi est-ce qu'on doit donner 3 milliards à 8 milliards de dollars par an à un État, Israël, qui nous entraîne dans des guerres ? Si on additionne tout ça, on se dit, c'est quand même important.

Ce revirement d'opinion perdurera-t-il jusqu'après la guerre ? Jusqu'après un changement de gouvernement israélien ? Ou, une fois la guerre dans le rétroviseur, une fois ce gouvernement israélien d'extrême droite remplacé, est-ce que les démocrates, et autres tendances, aux États-Unis vont revenir aux relations politiques traditionnelles avec Israël, un Israël plus familier, moins extrémiste, sans les ministres d'extrême droite, dont le rôle a été central ces deux dernières années ? Est-ce que ce revirement pourrait connaître un développement électoral aux États-Unis, lors du choix du candidat démocrate à l'élection présidentielle, par exemple ? Est-ce qu'il pourrait se traduire par une nouvelle donne politique ? C'est un point d'interrogation, mais il n'existait pas il y a dix ans.

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Syrie. Kuneitra, zone tampon sous occupation israélienne

4 novembre, par Charles Cuau, Pauline Vacher — , , ,
Depuis décembre 2024, l'armée israélienne multiplie les incursions dans la zone démilitarisée du Golan syrien, tout en continuant à occuper le reste du plateau. Expulsés de (…)

Depuis décembre 2024, l'armée israélienne multiplie les incursions dans la zone démilitarisée du Golan syrien, tout en continuant à occuper le reste du plateau. Expulsés de leurs villages, les habitants se retrouvent livrés à eux-mêmes, privés de leurs terres et confrontés à une militarisation croissante de leur environnement. Témoignages d'une vie quotidienne sous pression.

Tiré d'Orient XXI.

Un vent frais souffle sur la plaine pelée de Kuneitra. Après le dernier barrage des forces du ministère de l'intérieur syrien, la zone démilitarisée du Golan se déploie. En ce mois d'octobre 2025, cette région du sud de la Syrie dévoile ses paysages faits du noir des pierres volcaniques et de l'ocre des herbes brûlées par le soleil. L'atmosphère est calme et la vie paraît tranquille. Pourtant çà et là, les monticules de pierres dressés au milieu de la route intriguent. Ils sont l'un des indices laissés par le passage des soldats israéliens. Des barrages volants où l'armée contrôle une population de facto sous occupation.

À la chute de Bachar Al-Assad, le 8 décembre 2024, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a ordonné à son armée de s'emparer « des positions de l'ancien régime » sur les hauteurs du Golan, sous prétexte de craindre la « rupture de l'accord de 1974 ». Cette année-là, Israël et la Syrie signaient l'accord de désengagement, définissant une zone de séparation le long de la frontière entre le plateau du Golan syrien, dont une partie est occupée par Israël depuis la guerre de juin 1967 et annexée illégalement depuis 1981, et le reste de la Syrie. Ce sont pourtant les troupes israéliennes qui rompent cet accord en franchissant la frontière de la zone tampon. Elles se sont rapidement positionnées dans des villages à l'intérieur de la zone démilitarisée, sur le versant syrien du mont Hermon, un site stratégique surplombant une grande partie du sud de la Syrie.

« Libérer le corridor de David »

Sabta Faraj vivait à Hamidiya, un petit village situé à quelques mètres de la ligne Alpha, marquant la frontière ouest avec le Golan occupé. Le 18 décembre 2024, des soldats israéliens pénètrent dans le village, grenades à la main, avant de forcer les portes des maisons. Trente familles sont expulsées. Les militaires s'installent brièvement dans les habitations, avant de les détruire quelques semaines plus tard. Seule trace de son foyer : des photos sur son téléphone, qu'elle montre fièrement, dans la maison de sa sœur où elle a trouvé refuge, à quelques kilomètres de Damas. « C'est notre terre, vous n'avez pas le droit d'être ici », auraient crié les soldats aux habitants avant d'expliquer vouloir « libérer le corridor de David », un projet israélien visant à relier le plateau du Golan occupé au Kurdistan irakien, et permettant à Tel-Aviv d'avoir un accès terrestre vers le nord de la Syrie et de l'Irak. Aujourd'hui, il s'agit surtout d'une bande de trois kilomètres le long de la ligne de démarcation que l'armée israélienne cherche à contrôler en durcissant sa présence.

Cette bande, les hommes du village d'Al-Rafid, à quelques kilomètres au sud de Hamidiya, en ont également entendu parler. Ici, les soldats israéliens passent presque chaque nuit. Ils arrivent en convoi, encerclent les maisons, séparent hommes et femmes, interrogent les premiers, parfois sous la menace. Omar Ismaël, le patriarche du village, raconte que les questions sont toujours les mêmes : « Où sont les armes ? Et les membres du Hezbollah ? » Les habitants ont reçu l'ordre des soldats israéliens de ne plus accéder à leurs terres jouxtant la frontière avec le Golan occupé. Une grande partie des champs est désormais inaccessible. Zayed, un paysan du village, estime que 200 familles sont concernées, soit près de 1 500 personnes. Depuis la route qui mène à Al-Rafid, on aperçoit les pales des éoliennes israéliennes qui tournent dans la partie annexée du Golan.

Nasser Ahmad, éleveur de moutons, a, lui, perdu une grande part de son cheptel. Le 18 mars 2025, après avoir essuyé des tirs israéliens près de la ligne Alpha, à quelques kilomètres du village d'Al-Rafid, il décompte 75 bêtes tuées. Il affirme que les soldats ont ouvert le feu sans sommation alors qu'il faisait paître son troupeau. « Cela représente un manque à gagner énorme. Aujourd'hui, je n'ai plus de quoi nourrir le reste des bêtes et j'ai du mal à acheter de quoi manger pour ma famille », se désole le père de famille. Pour lui le but de l'opération était clair : faire passer un message aux autres fermiers et leur signifier que cet endroit leur est désormais interdit.

Sept nouvelles bases israéliennes

Majid Al-Fares, fonctionnaire du ministère de l'information syrien, admet que certains habitants ont entretenu des liens avec les milices proches de l'ancien régime, notamment le Hezbollah, mais principalement pour des raisons économiques. « Aujourd'hui, nous savons qui ils sont et nous les surveillons », explique-t-il, voulant démontrer que ces individus ne sont plus une menace et que les autorités contrôlent la situation. Quelques jours après l'offensive du Hamas le 7 octobre 2023, les autorités israéliennes avaient annoncé vouloir fortifier la ligne Alpha, au motif de se prémunir d'une nouvelle « attaque terroriste » depuis la Syrie.

Le rideau de barbelés installé aux abords d'Al-Rafid en est une illustration visible. Il a été posé peu après l'annonce israélienne. Pendant que les habitants discutent du meilleur chemin à prendre pour éviter les barrages, un convoi de la Force des Nations unies chargée d'observer le désengagement (FNUOD) passe – un camion suivi de trois SUV blancs siglés « UN ». Depuis la signature de l'accord de 1974, les agents onusiens sont censés surveiller la mise en œuvre des termes du traité. Ils n'ont cependant qu'un mandat d'observation, sans pouvoir coercitif. Leur champ d'action est strictement limité. Ils ne sont pas autorisés à intervenir directement lors d'incursions ou de violences, même flagrantes.

Les conséquences de ces incursions atteignent également le secteur de la santé. Le docteur Mahmoud Ismail ne peut plus se rendre chez ses patients la nuit et les barrages militaires rendent impossible l'accès à l'hôpital Al-Salam pour les urgences. L'ancienne capitale régionale, Kuneitra, où se trouvait auparavant l'hôpital régional, est désormais inaccessible, car passée sous contrôle israélien.

Selon Majid Al-Fares, sept nouvelles bases israéliennes ont été établies dans la zone tampon depuis décembre 2024, dont certaines sur des hauteurs encore non occupées jusque-là. La logique du fait accompli s'impose : renforcer une présence militaire de long terme, sans accord bilatéral ni reconnaissance internationale.

Un sentiment d'abandon

Les barrages et les raids permanents perturbent aussi l'économie. À Swaïssa, au nord du village d'Al-Rafid, Khaled Al-Krian, employé municipal, constate une hausse généralisée des prix, en particulier l'essence. Afin de s'attirer les bonnes grâces de la population, des camions israéliens apportent ponctuellement des vivres ou des fournitures médicales dans plusieurs villages de la zone tampon. « Ils connaissent parfaitement les structures locales, ces distributions sont autant d'opérations de renseignement que de gestes humanitaires », affirme le sexagénaire.

Face à ces incursions et aux agressions, un sentiment d'abandon l'emporte au sein de la population. « Le gouvernement ne s'occupe pas de nous, nous n'avons accès à aucun service de base et ne recevons aucune aide », se désole Khaled Al-Krian. Il espère que l'accord de sécurité que l'on dit sur le point d'être signé entre Israël et la Syrie apportera un peu de répit et de calme à la région. Il estime que seule serait acceptable une négociation entraînant un retour à l'accord de désengagement de 1974 et aux délimitations de l'époque. L'homme a toutefois peu d'espoirs car de nombreuses zones d'ombre demeurent : le retrait du mont Hermon, refusé par Israël, et bien sûr la question du Golan, toujours considéré comme territoire syrien occupé par l'ONU et la communauté internationale, à l'exception des États-Unis. La Syrie dit écarter pour l'instant toute normalisation. Mohammed Al-Htimi, président de l'association des éleveurs de Swaïssa, se montre catégorique : « Le gouvernement a peur d'Israël, c'est tout. »

Ce sentiment est également partagé par la famille Bakr. À Trenjeh, au pied du mont Hermon, elle vit dans l'attente du retour de leur fils Kinan, un fermier de 38 ans, arrêté chez lui en pleine nuit par des soldats israéliens le 11 août 2025. Il est 2 heures du matin quand sa mère, Houda Bakr, entend des bruits et aperçoit les lumières des lasers des soldats israéliens qui encerclent la maison. Elle se souvient des cris des soldats et de la fouille brutale infligée à son mari. « On s'est sentis humiliés », raconte-t-elle. Les soldats tentent ensuite de rentrer dans la maison. C'est à ce moment que Kinan sort. « Ils l'ont ligoté, traîné dehors et insulté », se souvient Imane, sa femme. « Ils voulaient savoir où étaient les armes. Kinan a voulu se défendre mais ils l'ont frappé. » La famille assure qu'il ne possédait qu'un petit pistolet. Le reste de la famille a ensuite été réuni dans une pièce de la maison, avant d'être questionné à nouveau. Ils n'ont plus jamais revu leur fils.

Dans les jours suivants, Mahmoud Bakr, le père, s'est rendu à l'une des bases de la FNUOD. « Ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas agir, mais qu'ils essaieraient d'organiser un rendez-vous avec les Israéliens », se souvient-il. Depuis, plus de nouvelles. Il a contacté la mairie locale, puis HaMoked, une association israélienne de droits humains qui vient en aide aux Palestiniens face aux autorités israéliennes et qui intervient principalement sur les questions de détention et de liberté de mouvement. Celle-ci a confirmé que l'armée israélienne nie détenir Kinan ou même avoir connaissance de son cas. Les raisons de cet enlèvement restent floues. Israël pourrait être tenté de le justifier par des activités de contrebande, qui sont courantes dans cette région frontalière. Or « ces activités avaient déjà lieu à l'époque de Bachar Al-Assad et cela ne leur a jamais posé problème », assure le patriarche, sans nier que son fils ait pu s'y adonner.

Un an après les premières incursions israéliennes dans la zone tampon du Golan, le statu quo imposé par l'accord de 1974 est rompu de fait. Tandis que la militarisation s'intensifie, que les civils sont déplacés, l'ONU reste spectatrice. Les habitants, eux, perdent peu à peu espoir.

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Indonésie : août 2025, la révolte contre l’oligarchie

4 novembre, par Michael G. Vann — , ,
En août 2025, une vague de colère inédite a secoué l'Indonésie. Partie d'une contestation contre les privilèges des parlementaires, la mobilisation s'est transformée, après la (…)

En août 2025, une vague de colère inédite a secoué l'Indonésie. Partie d'une contestation contre les privilèges des parlementaires, la mobilisation s'est transformée, après la mort d'un jeune chauffeur-livreur écrasé par un véhicule de police, en une révolte de masse contre l'austérité, la corruption et l'autoritarisme du président Prabowo Subianto. La répression a été d'une violence extrême : au moins dix mort·es, des centaines de blessé·es, des milliers d'arrestations et plusieurs disparitions signalées.

Tiré de la revue Contretemps
28 octobre 2025

Par Michael G. Vann

Le président indonésien, Prabowo Subianto, voulait ramener le pays aux heures sombres de la dictature de Suharto. Mais il s'est heurté à une vague de protestations inattendue depuis la mort d'un jeune homme, tué par la police à Jakarta, la capitale.

Jakarta s'est embrasée. Makassar, Bandung, Surabaya, Mataram, ainsi que d'autres villes d'Indonésie. Suite à une vague d'indignation contre les avantages somptuaires des parlementaires, le mécontentement s'est mué en dénonciation cinglante de la brutalité policière, des privilèges de l'élite, de la précarité économique, des inégalités de richesses et de l'érosion démocratique.

La mort atroce d'Affan Kurniawan, 21 ans, tué par la police, a fait basculer le pays. On ignorait jusqu'où la situation pouvait dégénérer. Même le président autoritaire Prabowo Subianto a fini par lâcher du lest face à l'énorme explosion de colère sociale.

Indonésie, « version sombre »

Quatrième nation la plus peuplée et — du moins pour l'instant — troisième plus grande démocratie du monde, l'Indonésie affronte l'héritage de l'autoritarisme et de la discipline du marché libre depuis la révolte populaire qui renversa le Nouvel Ordre de Suharto.

Au début du mois de septembre 2025, divers actes de dissidence longtemps maintenus sous le couvercle ont convergé en actions de masse violentes à travers l'archipel. Portés par les réseaux sociaux, des dizaines de milliers de citoyens désabusés sont soudainement entrés en rébellion.

Les tensions n'ont cessé de croître en 2025. En février, une série de manifestations étudiantes a défié Prabowo sous les hashtags #IndonesiaGelap ou #DarkIndonesia. Les protestataires s'opposaient à des coupes budgétaires massives, au rôle de l'armée dans la gouvernance intérieure, au népotisme, à la corruption et à un programme controversé de repas scolaires gratuits, soupçonné d'irrégularités.

Le mouvement de jeunesse s'est joyeusement emparé d'une esthétique du bricolage punk, valorisant l'autonomie, la créativité et le rejet des codes établis et a choisi pour hymne « Bayar, Bayar, Bayar » (« Paie, paie, paie ») du duo Sukatani [1], qui mêle punk, musique gothique et new wave rétro pour fustiger la corruption policière.

Si ces mobilisations se sont ensuite essoufflées, le pessimisme de Dark Indonesia s'est diffusé. Beaucoup ont évoqué l'envie de quitter le pays. Le hashtag #KaburAjaDulu (« Fuir d'abord ») est devenu viral, reflet du découragement d'une jeunesse confrontée à des perspectives d'emploi et de carrière limitées.

Prabowo et son gouvernement ont répondu avec mépris, raillant les jeunes et laissant entendre qu'ils participaient à un complot. Le député d'opposition Charles Honoris a rétorqué que ce hashtag constituait « un signal d'alarme », appelant l'exécutif à renforcer les dispositifs d'insertion et de protection des travailleur·euses plutôt que de stigmatiser la jeunesse.

Réécrire l'histoire

En mai, le ministre de la Culture, Fadli Zon, fidèle de Prabowo et sinophobe notoire, a fait scandale en annonçant la rédaction d'une nouvelle histoire nationale — projet manifestement destiné à blanchir les violations des droits humains sous Suharto. Il a ensuite minimisé les viols de masse de femmes chinoises durant les derniers jours chaotiques du régime, insinuant que l'ampleur de ces crimes pourtant documentés avait été exagérée.

Les violences antichinoises de 1998 visaient à détourner la colère populaire contre Suharto vers un bouc émissaire. À l'époque, Prabowo, alors général de haut rang et gendre de Suharto, fut révoqué pour son rôle dans l'enlèvement, la torture et la disparition d'activistes. En commission, les opposants Mercy Chriesty Barends et Bonnie Triyana ont publiquement fustigé Zon pour sa tentative d'effacer la mémoire de ces crimes.

Confronté à des critiques tous azimuts, Prabowo a tenté d'unifier le pays en le ralliant au drapeau. À l'approche du 17 août, 80e anniversaire de la proclamation d'indépendance par Sukarno, il a ordonné à chacun de hisser les couleurs nationales, le rouge et le blanc. Les drapeaux et illuminations patriotiques ont fleuri des semaines plus tôt que d'ordinaire à travers les 17 000 îles.

Puis, un phénomène inattendu sur les routes saturées : des chauffeurs routiers, excédés par les horaires à rallonge et des règles pesantes, ont refusé d'arborer le drapeau national. Geste irréverencieux, ils ont brandi le « drapeau One Piece », un Jolly Roger tiré d'un dessin animé japonais [2]. Les images, devenues virales, ont accéléré la diffusion du symbole.

Prabowo entra alors dans une colère noire. Dans un geste mesquin comparable aux obsessions de Donald Trump, le ministre indonésien chargé de la coordination politique et sécuritaire, Budi Gunawan, menaça de sanctions pénales – jusqu'à cinq ans de prison ou une amende de 30 000 euros – quiconque oserait hisser le drapeau pirate orné d'un chapeau de paille. L'absurdité de cette réaction excessive de Prabowo ne fit qu'alimenter les ventes du drapeau.

À l'inverse, la présidente de la Chambre des représentants, Puan Maharani, adopta une attitude plus conciliante envers cette forme de protestation bon enfant :

« Ces expressions peuvent prendre la forme de courtes phrases comme Kabur Aja Dulu (“Fuyons d'abord”), de satires mordantes telles que Dark Indonesia, de blagues politiques comme Konoha country [3] [autre référence à un dessin animé], ou encore de nouveaux symboles comme le drapeau One Piece et bien d'autres qui circulent largement dans l'espace numérique. »

Première femme à présider l'Assemblée, Puan est la fille de la première présidente de l'Indonésie et la petite-fille de Sukarno, premier dirigeant du pays après l'indépendance. Elle rappela à cette occasion que la démocratie doit permettre la dissidence et la critique.

Point de rupture

À l'approche de la fête de l'Indépendance, la frustration contre le gouvernement a pris un tour violent dans la région administrative de Pati, au centre de Java. Entre le 10 et le 13 août 2025, au moins 85 000 personnes sont descendues dans la rue pour rejeter une hausse scandaleuse de 250 % de l'impôt foncier et immobilier. Ce qui avait commencé comme une protestation contre une fiscalité régressive se transforma en un mouvement exigeant la démission du régent Sudewo et l'abrogation de plusieurs politiques locales impopulaires.

Un Sudewo indigné nargua d'abord les manifestant·es, mais fut bientôt submergé par la colère populaire. Lorsqu'il fit appel à la police antiémeute — la tristement célèbre Brimob (Mobile Brigade) — pour venir à son secours, lui et les forces de l'ordre furent bombardés d'ordures et chassés du centre-ville. Après plusieurs jours d'affrontements entre manifestant·es et Brimob, le conseil local annula la hausse de l'impôt et lança une procédure de destitution contre Sudewo. Cette rare victoire redonna confiance aux militants de Jakarta.

Dans l'ensemble, les festivités du Hari Merdeka (Jour de l'Indépendance), marquant les quatre-vingts ans de la déclaration de Sukarno et Mohammad Hatta mettant fin à la domination néerlandaise, furent joyeuses et très suivies. Certes, de nombreux militants choisirent de ne pas y participer. Le président Prabowo organisa une cérémonie grandiose à l'Istana (le palais présidentiel néoclassique, ancien siège du gouverneur des Indes néerlandaises), avec parades militaires, gardes d'honneur et défilé de cavalerie, mais aussi plusieurs chorégraphies collectives réunissant soldats, officiers, fonctionnaires et oligarques.

Les anonymes assistèrent à une grande parade et à des survols d'avions autour du Monas, le monument national.

Une semaine plus tard, le lundi 25 août, le climat dans la capitale nationale était radicalement différent. Le barrage céda lorsqu'il fut révélé que les 580 membres de la Chambre des représentants percevaient une indemnité mensuelle de logement de 50 millions de roupies — plus de 3 000 euros, soit près de dix fois le salaire minimum de Jakarta — en plus de leurs salaires et autres avantages. Les étudiant·es mis en rage par une telle démonstration d'arrogance, tentèrent de prendre d'assaut l'enceinte parlementaire.

La police antiémeute riposta avec des gaz lacrymogènes ; les étudiant·es répliquèrent à coups de pierres et mirent le feu sous un pont routier. Des routes furent bloquées, et la ville entra en convulsions.

Les protestations s'élargirent rapidement. Le 28 août, les syndicats rejoignirent le mouvement. Des milliers d'étudiant·es, de travailleur·euses et de chauffeur·euses de mototaxis (ojol), reconnaissables à leurs vestes vertes, défilèrent pour exiger la fin de la sous-traitance, la hausse du salaire minimum et la protection contre les licenciements massifs. L'affrontement avec la police se transforma en véritables batailles de rue.

Usant de gaz lacrymogènes et de canons à eau à haute pression, la Brimob affronta les manifestant·es dans les environs du Parlement, les affrontements s'étendant aux centres commerciaux, autoroutes et gares, paralysant tout le centre de Jakarta.

Soulèvement

Une mort atroce a soudainement fait monter les enjeux. Le jeudi 28 août 2025, devant la Chambre des représentants d'Indonésie, un véhicule blindé de la police a percuté puis écrasé Affan Kurniawan, avant de s'enfuir à grande vitesse.

La victime, âgée de vingt et un ans, travaillait comme ojol (chauffeur-livreur à moto), un emploi éreintant, dangereux et mal payé. La scène a été filmée et diffusée immédiatement sur les réseaux sociaux. À l'instar du meurtre policier de George Floyd en 2020, cette vidéo bouleversante est devenue virale, suscitant une vague de chagrin et de colère.

Dès le vendredi 29 août 2025, le soulèvement ne s'est plus limité à Jakarta. Plus de vingt-cinq villes, d'Aceh à la Papouasie, sont devenues les théâtres de la révolte. À Medan, les manifestant·es ont brûlé des pneus et érigé des barricades ; à Pontianak, des dirigeants étudiants ont été arrêtés (puis relâchés à condition de promettre de ne pas recommencer). À Makassar, un incendie a ravagé le bâtiment du parlement local, tuant trois fonctionnaires et en blessant cinq autres dans une scène d'horreur.

À Lombok, des jeunes ont également incendié le siège de l'assemblée régionale, tandis qu'à Surabaya, les bureaux de la gouverneure de Java-Est ont été pillés puis incendiés. À Yogyakarta, dans un geste rebelle de résistance symbolique, la provocation a culminé avec la destruction par le feu d'un centre intégré de délivrance de permis de conduire, alors même que le sultan de la région tentait d'apaiser les tensions par le dialogue. La violence a balayé toute l'île de Java : bâtiments incendiés, postes de police détruits, centres commerciaux fermés.

Dans la plupart des cas, la police a complètement perdu le contrôle de la situation. Par colère ou par panique, des dizaines d'agents ont réagi par une violence apparemment indiscriminée. Les gaz lacrymogènes, les canons à eau et les tirs à balles réelles sont devenus monnaie courante dans toutes les grandes villes et même dans certaines petites localités. On dénombre des milliers de blessé·es, dont beaucoup sont graves, à travers le pays. D'autres décès ont été signalés, et malheureusement, d'autres encore sont à craindre, la violence ne montrant aucun signe d'apaisement pendant près d'une semaine.

Alors que les preuves de brutalités policières et les actes de rébellion circulaient sur les réseaux sociaux, TikTok a temporairement suspendu ses services dans une vaine tentative de ralentir l'escalade et d'enrayer la propagation de fausses informations. Pourtant, sur toutes les plateformes, les rumeurs prolifèrent au sujet d'agents provocateurs incitant les foules afin de justifier la répression policière.

Ayant recours à un cliché antisémite bien connu, les médias russes ont insinué que George Soros était derrière les troubles. Des militants de gauche ont fait remarquer que les attaques visaient principalement la PolRI, la police nationale, tout en épargnant l'armée (Forces armées nationales indonésiennes, TNI). Étant donné la rivalité de longue date – parfois violente – entre la TNI et la PolRI, il est possible que certains éléments de l'armée profitent de la situation à leurs propres fins.

D'autres soulignent que, puisque les émeutes ternissent la réputation à la fois de Prabowo et de la Chambre des représentants, le principal bénéficiaire potentiel est Anies Baswedan, ancien gouverneur de Jakarta et candidat malheureux à la présidentielle de 2024. Compte tenu de son usage opportuniste passé de la politique identitaire islamique, des mobilisations de masse et de la sinophobie pour détruire des rivaux comme Basuki Tjahaja Purnama, cette hypothèse mérite en effet d'être considérée.

Conciliation et coercition

Le samedi 30 août 2025, la violence s'est poursuivie. Plusieurs commissariats de Jakarta et d'autres villes ont été attaqués, des groupes lançant des pierres mais aussi des cocktails Molotov. Le commissariat de Jakarta-Est a été entièrement incendié. Les réseaux sociaux ont été inondés de centaines de vidéos d'affrontements, dont certaines montraient des scènes de violence alarmantes.

Dans les quartiers aisés de Jakarta, des centaines de personnes ont forcé l'entrée de résidences sécurisées et pris pour cibles les domiciles de personnalités politiques très en vue. La maison d'Eko Patrio, qui avait publié sur les réseaux sociaux des messages moquant les manifestant·es, a été mise à sac. Des vidéos montraient des gens emportant des chaises, des lampes, des valises, des enceintes de studio et même des matelas.

Le domicile du député Ahmad Sahroni a été envahi et vandalisé ; les assaillants sont repartis avec des sacs de luxe, un grand coffre-fort, une télévision, du matériel de fitness, un piano — et même une statue grandeur nature d'Iron Man [4]. La maison de la ministre des Finances, Sri Mulyani Indrawati, a également été saccagée. Rappelant le scénario du film de fiction Mountainhead – satire récente sur les dérives de l'intelligence artificielle et la fabrication de fausses images -, l'attaque contre sa résidence aurait été déclenchée par une vidéo générée par IA la montrant prétendument en train de se moquer d'enseignant·es du public.

Confronté à une révolte généralisée, le président Prabowo a annulé un voyage prévu en Chine pour faire face directement à la crise, présentant ses condoléances et promettant une enquête. Dans un changement spectaculaire par rapport à sa réaction lors des troubles de 1998, il s'est immédiatement rendu auprès de la famille d'Affan Kurniawan et a exprimé de profonds regrets.

Le dimanche 31 août, il a prononcé un discours en grande partie conciliant, promettant de supprimer les indemnités parlementaires excessives et d'autres avantages. Cependant, il a également exhorté la police à traquer les fauteurs de troubles :

« Le droit de se réunir pacifiquement doit être respecté et protégé. Mais nous ne pouvons pas nier qu'il existe des signes d'actions en dehors de la loi, voire contraires à la loi, tendant même vers la trahison et le terrorisme. »

L'État a déclenché une répression contre les manifestations. Rien qu'à Jakarta, plus d'un millier d'arrestations ont eu lieu. Avec des milliers d'autres interpellations ailleurs, on peut se demander comment une police et une justice déjà surchargées pourront garantir le respect des procédures. La police nationale et l'armée ont été déployées pour rétablir « l'ordre » — un terme de plus en plus utilisé comme euphémisme pour justifier la répression de la contestation. Les réseaux sociaux continuent de documenter les méthodes brutales employées.

Usman Hamid, directeur exécutif d'Amnesty International Indonésie, a dénoncé un discours « rigide et déconnecté » : « Le président doit écouter les revendications du peuple au lieu de criminaliser la contestation. »

Instantané de crise

Au 4 septembre 2025, alors que les affrontements se poursuivaient sporadiquement à Jakarta et dans plusieurs grandes villes, les manifestations étaient devenues le reflet d'une crise plus vaste : les mesures d'austérité frappant les institutions civiles, l'enrichissement inexorable des élites et la fragilité sous-jacente du tissu démocratique indonésien. Les citoyennes et citoyens — en particulier les jeunes, les travailleur·euses et les employés de l'économie des plateformes — avaient posé une question brutale : au juste, au service de qui ce gouvernement agissait-il ?

Ces soulèvements avaient mis à nu les contradictions fondamentales de l'économie politique indonésienne : l'écart entre les classes dirigeantes et les gouvernés, la collusion entre austérité et abus, et le ressentiment croissant d'une génération voyant son avenir hypothéqué.

La double réaction de l'État — concession et répression — trahit son insécurité. Les victoires locales, comme celle de Pati, ou l'adoucissement du discours à Jakarta, ne changent rien aux tensions structurelles. Si rien n'est fait, la réaction peut précipiter l'effondrement de toutes les garanties démocratiques. Des pays voisins comme la Thaïlande, le Cambodge ou les Philippines ont amplement démontré à quel point la démocratie était fragile.

En ce sens, août 2025 ne constitue pas simplement un nouveau cycle de protestation. C'est peut-être un tournant au cours duquel l'esprit civique de l'Indonésie s'est heurté de plein fouet à l'impunité des élites. L'avenir de la démocratie indonésienne parait plus incertain que jamais.

*

Michael G. Vann est professeur d'histoire à l'université d'État de Californie à Sacramento, et coauteur de The Colonial Good Life : Commentary on Andre Joyeux's Vision of French Indochina et de The Great Hanoi Rat Hunt : Empire, Disease, and Modernity in French Colonial Vietnam.

Publié initialement par Jacobin. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.
Notes

[1] Le duo Sukatani, formé en 2018 et originaire de Bekasi, dans la périphérie de Jakarta, s'inscrit dans la scène indépendante indonésienne marquée par une forte tradition punk DIY (Do It Yourself). Leur titre « Bayar, Bayar, Bayar » (« Paie, paie, paie »), devenu viral sur les réseaux sociaux en 2024, combine des influences punk, gothiques et new wave rétro pour dénoncer la corruption policière et, plus largement, les pratiques d'extorsion institutionnalisées.

[2] Le « drapeau One Piece » renvoie au Jolly Roger, emblème pirate issu de la série d'animation japonaise One Piece (Eiichirō Oda, 1997- ). Son appropriation par des chauffeurs routiers indonésiens en 2024 exprime un geste de défi face à l'autorité étatique et au nationalisme officiel. Ce détournement ironique, diffusé par les réseaux sociaux, illustre la réutilisation politique d'imaginaires culturels transnationaux au sein des classes populaires.

[3] Konoha, ou Konohagakurele village caché dans les feuilles »), est un lieu fictif central de la série d'animation japonaise Naruto (Masashi Kishimoto, 1999-2014). Symbole d'un ordre hiérarchique et militarisé, il est souvent mobilisé ironiquement dans la culture en ligne indonésienne pour caricaturer la rigidité bureaucratique ou l'autoritarisme de l'État.

[4] Réplique à taille réelle du super-héros de fiction créé par Marvel Comics (alias Tony Stark, milliardaire et inventeur dans la saga Iron Man). Ce type d'objet de collection est vendu plusieurs milliers d'euros.

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La planification du nettoyage ethnique de la Palestine

4 novembre, par Monira Moon — , ,
Alors que le cessez-le-feu à Gaza n'empêche pas les violences contre les Gazaouis de se poursuivre, Monira Moon inscrit le génocide à Gaza dans l'histoire longue du nettoyage (…)

Alors que le cessez-le-feu à Gaza n'empêche pas les violences contre les Gazaouis de se poursuivre, Monira Moon inscrit le génocide à Gaza dans l'histoire longue du nettoyage ethnique de la Palestine, à partir du projet sioniste initial et qui a pris corps dès la Nakba de 1948 pour se poursuivre jusqu'à aujourd'hui.

Tiré de la revue Contretemps
29 octobre 2025

Par Monica Moon

Introduction

L'expansionnisme israélien et le nettoyage ethnique de la Palestine sont souvent présentés comme le résultat d'accidents historiques et de contingences politiques successives, comme une série de décisions de dirigeants israéliens en réponse aux actions des pays arabes et de la population palestinienne qui en seraient les véritables responsables. Il s'agit en réalité d'un projet de nettoyage ethnique et d'accaparement de toute la Palestine historique, organisé et planifié, inscrit dans le projet sioniste lui-même. Tout discours qui présente la politique du gouvernement israélien actuel comme une dérive de l'État d'Israël, et non comme lié à sa structure même, revient à en occulter les dynamiques coloniales profondes.

Prenons, pour illustrer ce constat, six moments qui attestent que le nettoyage ethnique continu est le fruit d'un projet volontaire, en partant de la formulation du projet sioniste comme idéologie coloniale et en allant jusqu'en 2005, pour mettre en perspective le processus génocidaire que nous voyons se développer sous nos yeux en ce moment même.

Le projet sioniste

Dès sa fondation, le sionisme se présente comme un projet d'État-nation, et comme un projet colonial. Quelques citations de Theodor Herzl (1860-1904), le père fondateur du sionisme, doivent suffire à effacer toute ambiguïté aussi bien quant à la nature étatique de son ambition, en vue de l'établissement d'une souveraineté juive exclusive que quant à l'inscription du projet sioniste dans le cadre du colonialisme européen :

« Pour l'Europe, nous formerons là-bas un élément du mur contre l'Asie ainsi que l'avant-poste de la civilisation contre la barbarie. » Theodor Herzl, L'État des Juifs, 1896.

« Des tentatives de colonisation très remarquables y ont été organisées, mais toujours selon le principe erroné de l'infiltration progressive des Juifs. […] L'immigration n'a de sens que si elle est établie sur une souveraineté qui nous est garantie. » Theodor Herzl, L'État des Juifs, 1896.

« Si je devais résumer le congrès de Bâle [premier Congrès sioniste] en une seule phrase — que je me garderai de prononcer publiquement — je dirais : à Bâle, j'ai fondé l'État juif. » Theodor Herzl, son journal, 1er septembre 1897.

Remontons quelques années plus tôt. Moses Hess, philosophe socialiste allemand proche de Karl Marx et de Friedrich Engels propose, trente-trois ans avant la parution de L'État des Juifs de Theodor Herzl, une première formalisation du sionisme politique. Hess est souvent présenté comme plus progressiste, moins bourgeois, plus internationaliste, plus socialiste que Herzl, même si son projet n'a jamais été mis en œuvre. Voyons ce qu'il en est de l'humanisme socialiste une fois passé par l'idée sioniste :

« Avancez, nobles cœurs ! Le jour où les tribus juives retourneront dans leur patrie sera un tournant dans l'histoire de l'humanité. Oh, comment l'Est tremblera-t-il à votre arrivée ! Comment rapidement, sous l'influence du travail et de l'industrie, l'apathie du peuple disparaîtra-t-elle, dans la terre où la volupté, l'oisiveté et le vol ont régné pendant des millénaires. Vous deviendrez le soutien moral de l'Est. Vous avez écrit le Livre des livres. Devenez donc les éducateurs des hordes arabes sauvages et des peuples africains. »Moses Hess, Rome et Jérusalem (1862), Onzième lettre.

Alors que l'aile gauche du sionisme se pense civilisatrice, Vladimir Jabotinsky, leader de l'aile droitière du sionisme, s'oppose au courant majoritaire et publie en novembre 1923 un article intitulé « Muraille d'acier ». Jabotinsky ne veut pas faire semblant : il existe un peuple indigène et il sera impossible de contourner la résistance arabe au sionisme.

« Les Arabes de Palestine n'accepteront jamais la transformation de la Palestine arabe en un pays à majorité juive. […] Que le lecteur passe en revue tous les exemples de colonisation dans d'autres contrées. Il n'en trouvera pas un seul où elle se soit faite avec l'accord des indigènes. » Vladimir Jabotinsky, « Muraille d'acier », 1923

Il assume avec brutalité ce que tous les artisans d'un État juif en Palestine savent et mettent en œuvre sans toujours l'assumer : cet État ne pourra exister que par la violence, la dépossession et l'épuration ethnique.

La colonisation avant la partition

La colonisation de la Palestine est un projet européen. Cette évidence doit être rappelée tant les discours tendent à systématiquement inverser les rôles et à délocaliser l'histoire, pour faire porter sur les populations du Moyen-Orient la responsabilité de leur situation.

1897, le premier congrès sioniste à Bâle

Lorsque Theodor Herzl dit : « A Bâle, j'ai fondé l'État juif », à l'issue du premier congrès sioniste de 1897, il faut le prendre au premier degré. C'est bien en Suisse qu'a été créé cet État colonial, avec l'appui d'autres puissances coloniales, notamment celui de l'empire britannique. Dans la continuité, lorsque David Ben Gourion annonce en 1937 : « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place », il décrit à nouveau très précisément un processus de remplacement de la population appelé colonisation de peuplement.

1916, les accords des généraux Sykes-Picot

À la chute de l'Empire ottoman, en 1916, des accords secrets sont négociés entre Mark Sykes pour l'Empire britannique et François-Georges Picot, pour l'Empire français. Ces deux empires se partagent le Moyen-Orient et la Palestine passe sous mandat britannique. Le mouvement sioniste négocie directement avec l'Empire britannique la possibilité de coloniser ce territoire. Cela permet, encore aujourd'hui, à certaines personnalités sionistes de développer l'idée que le sionisme est un projet de libération, qui concerne les relations entre Juifs et États européens. Cette vision coloniale ne prend pas du tout en compte les effets de ce projet sur la vie des Palestinien·nes. Ce récit se place en effet du seul point de vue des Européens et efface complètement la présence palestinienne sur cette terre.

1917, la déclaration Balfour

Tout en avalisant le soutien britannique à la création, en Palestine mandataire, d'un « foyer national pour le peuple juif » (une litote pour éviter de parler d'État, de souveraineté juive), la déclaration Balfour reconnaît à mi-mot la catastrophe prévisible que ce projet va entraîner, à la fois pour les droits des Palestinien·nes sur place et pour les droits des Juif·ves dans le reste du monde. Le seul ministre juif du gouvernement britannique de l'époque, Edwin Montagu, s'est fermement opposé à cette déclaration Balfour : « je suppose que cela signifie que les Mahométans et les Chrétiens doivent faire place aux Juifs […], tout comme les Juifs seront traités comme des étrangers dans tous les pays sauf la Palestine », écrit-il dans son Mémorandum sur l'antisémitisme du gouvernement actuel, dans lequel il ajoute : « Le sionisme m'a toujours semblé être un credo politique malveillant, indéfendable ».

Traduction : « Cher Lord Rothschild

J'ai le grand plaisir de vous envoyer, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration suivante de soutien aux aspirations des Juifs sionistes, soumise au Cabinet, puis approuvée par celui-ci.

Le gouvernement de Sa Majesté considère favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif et fera tout son possible pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne doit être fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine, ou aux droits et au statut politique dont jouissent les juifs dans tout autre pays.

Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à l'attention de la Fédération sioniste. » Arthur James Balfour, 1917.

Dès 1901, la dépossession avant la partition

En 1903, la seconde aliyah (terme hébreu pour nommer l'immigration juive en Palestine) concerne près de 40 000 Juifs. Ils reprochent aux 20 000 à 30 000 Juifs de la première aliyah (1882-1903) d'être devenus des gestionnaires agricoles employant de la main-d'œuvre palestinienne. Ces nouveaux arrivants, constituant la première vague sioniste à proprement parler, construisent une société juive distincte, alors que les premiers arrivants se mêlaient au reste de la population ― à la manière des communautés juives historiques de Palestine.

Le processus de dépossession et de nettoyage ethnique passe par la création d'un ensemble d'organisations pré-étatiques, appelé Yishouv. Deux d'entre elles vont jouer un rôle crucial, avec l'appui de forces armées. L'agence juive, créée en 1929, va organiser l'émigration et mettre en place un colonialisme de peuplement, et le KKL : Keren Kayemeth LeIsrael, littéralement « fonds pour la création d'Israël », édulcoré en français et en anglais sous le nom de « Fonds national juif ». Fondé en 1901 pour organiser l'achat de terres, le KKL est l'un des instruments politique de l'accaparement de la Palestine. Les terres étaient souvent achetées à des propriétaires syriens ou libanais, dont les domaines avaient été fragmentés par les nouvelles frontières palestiniennes établies par le mandat britannique de 1919 ou directement à des propriétaires palestiniens. Une fois acquises, ces terres étaient déclarées « propriété inaliénable du peuple juif », ce qui signifiait qu'elles ne pouvaient plus être vendues ou louées à des Arabes. Cela signifie clairement que le projet n'est pas simplement de s'installer en Palestine, mais d'en prendre possession, de manière définitive, et par tous les moyens.

Dès le départ, ces organisations sionistes qui œuvrent en Palestine le font sans les Palestiniens et s'organisent en effet contre eux. L'exemple de la Histadrut est édifiant. Ce syndicat israélien, créé en 1920, est appelé « fédération des travailleurs hébreux en terre d'Israël ». La Histadrut, dans sa définition même, soumet le syndicalisme au nationalisme. Ainsi, dès sa création, la Histadrut a mis fin aux activités syndicales antérieures dans les chemins de fer, les postes et télégraphes, qui regroupaient tous les travailleurs sans distinction dans la même organisation, pour les remplacer par des structures exclusivement juives. La Histadrut est même à l'initiative de la création de la Haganah ― une milice paramilitaire sioniste qui sera dissoute, à la création officielle de l'État d'Israël, pour laisser la place à l'armée d'occupation officielle : Tsahal.

1937, le plan Peel, première tentative de partition

À partir de 1933, des contestations palestiniennes commencent à se diffuser pour s'opposer à la fois au mandat britannique en place depuis 1922 et à la colonisation sioniste de la Palestine. À partir de la grève générale du 20 avril 1936, des révoltes palestiniennes éclatent dans plusieurs villes. Le gouvernement britannique envoie alors une commission d'enquête pour proposer des modifications au mandat : la commission royale pour la Palestine. Elle est dirigée par Lord William Peel, qui donnera son nom au premier plan de partition de la Palestine en deux États, en 1937, le plan Peel. Lorsque la révolte, qui a pris une ampleur régionale, est finalement écrasée en 1939, le bilan s'élève pour la société palestinienne à environ 5 000 morts, 10 000 blessés et 5 697 prisonniers. Au total, plus de 10 % de la population ont été tués, blessés, emprisonnés ou exilés. Le plan Peel est finalement abandonné, jusqu'au plan de partition de 1947.

Carte de la partition du plan Peel

Le plan de partition de 1947

En 1947, le « plan de partage » de la Palestine est proposé au vote à l'ONU, juste après que la Grande-Bretagne a rendu son mandat. L'idée n'était pas de partager la terre de Palestine en deux États comme cela est sans cesse répété, mais de faire valider par la légalité internationale la constitution d'un État sur un territoire accaparé par la colonisation et le nettoyage ethnique. Et en pratique, ce « plan de partage » ne servira effectivement qu'à légitimer un État colonial.

Cette reconnaissance de l'État d'Israël, toujours brandie aujourd'hui comme la référence juridique, est en réalité le fruit d'un rapport de forces dans un monde dominé par la colonisation. Ce plan n'aurait jamais obtenu assez de voix en sa faveur aux Nations unies si le vote avait eu lieu après les décolonisations. En effet, seulement 33 pays ont voté en faveur de ce plan de partition, essentiellement des puissances coloniales.

Ce plan de partage propose d'un côté, un territoire israélien continu, avec accès à plusieurs frontières, une large façade sur la méditerranée, un accès aux ressources en eau et, de l'autre, un territoire palestinien éclaté sur quatre morceaux de terre, sans continuité territoriale.

Carte des votes à l'ONU sur la reconnaissance de l'État d'Israël en 1947

Le « partage » de la Palestine n'est donc qu'un plan ― une idée qu'on raconte sans avoir l'intention de la réaliser ― et ce plan s'assure que la viabilité d'un hypothétique État palestinien ne soit jamais envisageable. Les dirigeants sionistes n'ont clairement aucune intention de laisser exister un État palestinien. Par exemple, l'Agence juive avait constitué un dossier recensant les villages palestiniens dans le but de les attaquer.

Le 14 mai 1948, David Ben Gourion déclare unilatéralement la création de l'État d'Israël et met en œuvre la Nakba ― la catastrophe en Arabe, qui désigne l'expulsion, les meurtres et le nettoyage ethnique de la Palestine ― qui était déjà planifiée. Ben Gourion prend bien garde de ne surtout pas définir les frontières de l'État qu'il proclame, elles sont toujours indéterminées jusqu'à aujourd'hui. L'expansionnisme de l'État d'Israël est inscrit dans sa structure, comme condition de son existence. La vérité du « plan de partage » est qu'il s'agit d'un projet infini de dépossession et d'épuration ethnique.

Carte du plan de partage de la Palestine en 1947

1948 : la Nakba et le plan Daleth

La Nakba désigne à la fois le point de départ, le moment de la catastrophe de 1948 et le processus, toujours en cours, de dépossession des terres et de purification ethnique. En 1948, au moins 15 000 morts, plus de 500 villages détruits, entre 700 000 et 800 000 Palestinien·nes sont chassé·es de leurs terres et deviennent réfugié·es dans les pays voisins.

Selon le récit dominant chez les défenseurs d'Israël, les Palestiniens auraient quitté leur terre de leur plein gré, encouragés par les États arabes voisins. Ce narratif présente la Nakba comme une conséquence de la guerre de 1948, déclenchée par les pays arabes voisins après la « déclaration d'indépendance » d'Israël. Les Palestiniens auraient fui ou auraient été expulsés dans le contexte d'un conflit armé, dont la responsabilité principale reviendrait aux pays arabes. Cependant, ce crime de masse contre les Palestiniens n'a en réalité rien de spontané ni d'accidentel.

Dans la continuité du plan Peel qui proposait la partition de la Palestine, et dès son échec en 1938, des plans A, B, C… ont vu le jour. Le plan Daleth est le plan D. Forgé en 1946 il porte simplement le nom de la quatrième lettre de l'alphabet en Hébreu. Ce plan, révélé notamment par Ilan Pappé dans son ouvrage Le nettoyage ethnique de la Palestine, met en évidence la planification volontaire de la Nakba. Le plan Daleth est un plan politico-militaire d'expulsion jalonné de massacres. C'est sur ce modèle qu'a eu lieu le 23 mai 1948 le massacre de Tantura, l'un des premiers massacres de masse de la Nakba. À travers le plan Daleth, l'armée est formée à détruire les villages palestiniens.

« C'est lui [le plan Daleth] qui a scellé le destin des Palestiniens sur les territoires que les dirigeants sionistes avaient en vue pour leur futur État juif. […] le Plan Daleth prévoyait leur expulsion totale et systématique de leur patrie. » Ilan Pappe, Le nettoyage ethnique de la Palestine, 2024 [2008].

La Nakba n'est donc pas une conséquence malencontreuse de la guerre mais l'aboutissement du projet sioniste visant à nettoyer ethniquement la Palestine. Cette réalité de la Nakba comme un projet de nettoyage ethnique planifié est un des fondements du récit palestinien. Il fait l'objet d'un effacement mémoriel permanent du côté sioniste. Les sionistes qui se revendiquent de gauche, refusent de reconnaître que le projet sioniste ne peut s'accomplir que par des crimes contre l'humanité. Du côté de la droite sioniste, plus le temps avance, plus l'héritage de la Nakba est ouvertement revendiqué. En 2000, Ariel Sharon, alors premier ministre israélien, déclare : « nous allons maintenant achever ce qui n'a pas été achevé en 1948 », assumant pleinement la continuité d'une volonté d'épuration ethnique.

Le processus d'Oslo en 1993

« La partition de la Palestine historique en deux États n'est pas une solution, mais un discours de guerre drapé dans une rhétorique de paix. » Eyal Sivan et Eric Hazan, Un État commun entre le Jourdain et la Mer, 2012.

Présenté dans les discours officiels comme un processus de paix, ce que l'on appelle les « accords d'Oslo » est une opération israélienne soutenue par les États-Unis et les puissances européennes. Aujourd'hui il semble évident pour les plus avertis qu'il n'y avait rien à attendre d'accords « de paix » négociés entre un État colonial tout puissant et un peuple occupé, isolé, divisé. Durant ces discussions, Israël refuse de se pencher sur une question centrale pour les Palestiniens, celle du retour des réfugié·es ― de facto une importante composante du peuple palestinien, les réfugié·es dépossédés et déplacés par la Nakba, n'est pas prise en compte dans les travaux préparatoires des accords d'Oslo.

Suite à Oslo, en 1995, Israël découpe la Cisjordanie en trois zones A, B et C. Ce découpage, d'ordre administratif et sécuritaire, va diviser davantage les Palestiniens dans des zones séparées par des checkpoints et leur imposer des régimes administratifs différenciés :

La zone A est le territoire officiellement sous contrôle de l'Autorité palestinienne, il est essentiellement composé de quelques grandes villes.

La zone B est un territoire décrété sous contrôle conjoint entre la puissance occupante et l'Autorité palestinienne. Cette dernière gère l'administration civile sous contrôle militaire israélien.

La zone C passe sous contrôle militaire de l'occupation israélienne. Cela représente l'annexion de nouvelles portions de terres, notamment les zones riches en ressources naturelles, toute la bande le long de la frontière avec la Jordanie, le fleuve du Jourdain et autour de la Mer Morte, dont des zones entières sont aujourd'hui asséchées par l'extractivisme israélien.

Carte des zones A, B et C suites aux accords d'Oslo

En échange de la promesse d'un État palestinien qui devait voir le jour cinq ans après le début du processus, l'OLP (Organisation de Libération de la Palestine) représentée par Yasser Arafat, signe les accords et devient l'Autorité palestinienne. Cette nouvelle Autorité palestinienne est contrainte non seulement de reconnaître officiellement l'État d'Israël, mais aussi d'assurer sa sécurité, autrement dit d'entrer dans une collaboration sécuritaire active. Une majorité des Palestinien·nes a été tenue à l'écart du contenu des accords d'Oslo.

Les accords d'Oslo n'ont été respectés que par l'Autorité palestinienne. Israël a continué son expansion coloniale, dans les trois zones de la Cisjordanie fragmentées et découpées par des checkpoints et puis par le mur au début des années 2000.

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, les accords d'Oslo n'ont pas échoué. Ils ont bel et bien abouti à ce qui était recherché par la puissance occupante et ses soutiens. La réalité post-Oslo, c'est un seul État qui contrôle toute la Palestine, de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain ― un État colonial, un État d'apartheid. C'était le but de l'État colonial israélien, dont les frontières n'ont jamais été clairement arrêtées.

Yitzhak Rabin, un homme de paix ?

Yitzakh Rabin, suite aux accords d'Oslo, a organisé l'installation de plus de 20 000 nouveaux colons en deux ans, sur des terres qui devaient prétendument revenir à l'État Palestinien indépendant. Malgré cette politique de colonisation intensive et de fait accompli, il jouit d'une étonnante bonne réputation et reste décrit comme un homme de paix, devenu une figure martyre après son assassinat en novembre 1995. Des places, rues, squares, portent son nom dans de nombreux pays. Cette bonne réputation attachée à un homme qui a été commandant de guerre pendant la Nakba et a participé tout au long de sa vie à de nombreux crimes contre les Palestiniens, est liée à la manière dont on continue de présenter les accords d'Oslo comme des accords de paix, qui n'ont pas abouti « à cause des extrêmes des deux côtés ».

Retrait des colonies israéliennes de Gaza en 2005 par Ariel Sharon

Le retrait unilatéral de la bande de Gaza en 2005 est un exemple marquant de la façon dont l'État colonial israélien impose un récit qui occulte la réalité de son action.

En avril 2003, l'ONU, les États-Unis, l'Union européenne et la Russie mettent en place une médiation qui aboutit à la création d'une « feuille de route pour la paix ». Présenté comme un acte de bonne volonté, le plan de « désengagement unilatéral » proposé par Ariel Sharon est perçu au niveau international comme un tournant dans la politique israélienne en Palestine occupée. Ce plan prévoit le retrait des vingt-et-une colonies israéliennes de la bande de Gaza et de quatre autres en Cisjordanie.

Le texte du 6 juin 2004 organise le départ et le relogement des colons jusqu'en août 2005. À partir de cette date, le retrait s'effectue avec l'intervention de l'armée, face à des colons qui s'opposent à cette décision. L'armée israélienne organise cette évacuation sous l'œil compatissant de journalistes de tous les grands médias internationaux autorisés par Israël à y assister afin d'en faire une opération de communication. Fleurissent alors les discours valorisant Ariel Sharon qui a pu imposer des mesures de paix difficiles à accepter par la population israélienne.

Ce retrait, loin de signifier l'abandon définitif des territoires occupés par Israël, va renforcer le contrôle colonial sur la bande de Gaza, à travers le contrôle de la frontière et de l'espace aérien et la dépendance organisée vis-à-vis du peuple occupé pour l'eau et l'électricité. De plus, la politique de redéploiement des implantations juives va permettre de garantir une zone tampon, une barrière renforcée autour de Gaza. Plus qu'un retrait, il s'agit d'une reconfiguration de l'occupation : celle-ci ne passe plus pour le moment par des implantations de colons, mais par une domination renforcée sur l'ensemble du territoire et de la population. Gaza devient progressivement une enclave qu'il sera possible de persécuter sans mesure puisqu'elle ne comporte plus de colons.

À partir de 2007, un blocus total est officiellement décrété sur la bande de Gaza. Ce blocus terrestre, maritime et aérien va faire de Gaza une prison à ciel ouvert, dans laquelle seront enfermés 2 millions de Palestinien·nes, déjà majoritairement des réfugié·es chassé·es d'autres villes de Palestine depuis 1948. Israël va ainsi pouvoir bombarder régulièrement Gaza sans risquer de tuer des Israéliens. Les opérations « Plomb durci » en 2009, « Pilier de Défense » en 2012, « Bordure Protectrice » en 2014 n'auraient pas pu exister si ces zones étaient encore peuplées de colons israéliens, sans même parler de la guerre génocidaire engagée sous le nom « Épées de fer » depuis octobre 2023.

Conclusion

Lorsqu'il comporte une dimension critique sur la guerre génocidaire menée par l'occupant israélien depuis octobre 2023, le discours dominant en Occident en fait porter la responsabilité au gouvernement d'extrême-droite actuellement au pouvoir, ses composantes religieuses les plus radicales, la personnalité de Netanyahu…

C'est d'ailleurs une ligne constante de défense du sionisme : ses méfaits seraient uniquement des excès dus aux dirigeants du moment (quel que soit le moment) ou à des décisions difficiles imposées par l'adversité ou, le plus souvent, à un mélange des deux. Ces lectures ne permettent pas de comprendre pourquoi il y a une telle continuité dans les politiques israéliennes, quelle que soit la couleur politique du gouvernement chaque fois qualifié de gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël. Ces lectures qui occultent la dimension génocidaire intrinsèque de la colonisation de peuplement ne permettent pas davantage de comprendre pourquoi ce sont précisément ces dirigeants-là qui sont élus.

Ici comme ailleurs, il faut en revenir aux structures matérielles des dominations. Le parcours proposé dans cet article illustre la continuité de la dynamique coloniale. De sa conception à sa phase paroxystique actuelle, en passant par ses réalisations pré-étatiques, son saut en avant avec la Nakba et différents moments de son histoire, le sionisme poursuit sa logique propre, en s'adaptant aux rapports de forces et à la conjoncture : une logique coloniale de dépossession et de nettoyage ethnique, par tous les moyens nécessaires.

Les personnes en solidarité avec les Palestiniens et les Palestiniennes ne doivent donc pas se faire d'illusion sur les possibilités de faire la paix mais tenir un discours clair contre le colonialisme et la purification ethnique. Cela est difficile à entendre pour une partie de la gauche attachée aux discours-de-la-paix et à la-solution-à-deux-États. Mais il est temps que le débat soit mené partout en toute clarté : sans décolonisation, sans démantèlement des structures coloniales de l'État d'Israël, la catastrophe se poursuivra. Il n'y a que deux chemins possibles. La décolonisation ou la Nakba permanente.

Dessin de Reem Arkan

Références bibliographiques

Elias Sanbar, Palestine 1948. L'expulsion, 1984. Revue d'études palestiniennes.

Edward Said, Israël Palestine, l'égalité ou rien, 1999. La Fabrique.

Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, 2006. Fayard, réédité par La Fabrique en 2024.

Eyal Sivan et Eric Hazan, Un État commun entre le Jourdain et la Mer, 2012. La Fabrique.

Jean-Pierre Bouché, Palestine, plus d'un siècle de dépossessions. Scribest. 2024.

Thomas Vescovi, L'échec d'une utopie, une histoire des gauches en Israël, 2021. La Découverte.

Alizée de Pin et Xavier Guignard, Comprendre la Palestine, une enquête graphique, 2025. Les Arènes.

*

Monira Moon est militante antiraciste et décoloniale. Syndicaliste, elle est aussi animatrice de la campagne BDS et animatrice de formations antiracistes.

Cet article a été écrit pour le numéro 5 du journal Après la révolution (section Interventions), consacré aux infrastructures de la planification. Après la révolution est une des activités de l'association « Après la révolution », basée à Saint-Étienne. Ce numéro 5 comprend le maximum de textes que les deux centimètres d'épaisseur du format lettre peuvent contenir en essayant de couvrir le spectre le plus large, dans le temps et l'espace, des pensées capables de réactiver la planification dans les affaires humaines. ALR est imprimé, relié et façonné à Saint-Étienne par les membres de l'association « Après la révolution ».

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« La torture comme politique d’État » : Israël face au comité de l’ONU contre la torture

Un comité de l'ONU tiendra en novembre prochain une session d'examen du respect d'Israël de la convention des Nations Unies contre la torture (UNCAT). L'Agence Média Palestine (…)

Un comité de l'ONU tiendra en novembre prochain une session d'examen du respect d'Israël de la convention des Nations Unies contre la torture (UNCAT). L'Agence Média Palestine a eu accès en exclusivité à un rapport qui y sera présenté, qui dénonce des violations graves, systématiques et aggravées depuis le 7 octobre 2023.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Depuis la ratification de la Convention des Nations unies contre la torture en 1991, Israël a systématiquement manqué à ses obligations, tout en maintenant des politiques qui violent les droits humains. Depuis le 7 octobre 2023, la torture et les punitions ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (cruel, inhuman or degrading treatment or punishment : CIDTP) ont fortement augmenté, atteignant des niveaux sans précédent et étant pratiqués dans une impunité quasi totale.

Plus que des abus, ces actes de torture et de CIDTP sont une « politique d'État », comme le révèle une vaste enquête menée conjointement par le Comité public contre la torture en Israël (PCATI), Adalah – Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël, HaMoked – Centre pour la défense de l'individu, Parents contre la détention des enfants (PACD), Médecins pour les droits humains en Israël (PHRI).

Cette enquête, qui comprend de nombreux témoignages et statistiques incriminantes, sera présenté au Comité de l'ONU contre la torture (UNCAT) dans le cadre du 6e examen d'Israël, qui se tiendra pendant la 83 session du comité, du 18 au 21 novembre prochain. Elle s'appuie sur des témoignages recueillis auprès de détenu-es et ancien)nes détenu-es, de professionnel-les de santé, sur des visites dans des prisons, ainsi que sur un suivi juridique et des procédures judiciaires en cours.

L'Agence Média Palestine a pu avoir accès à ce rapport, intitulé « La torture comme politique d'État : maltraitance des détenus palestiniens en Israël et impunité depuis le 7 octobre 2023 ».

« Un outil délibéré et généralisé »

Les examens consultatifs de l'UNCAT sont réguliers, et concernent tous les pays. Le dernier examen d'Israël date de 2016, et avait soulevé de nombreuses observations et recommandations du comité concernant le traitement des détenu-es palestinien-nes.

Les signataires du rapport affirment que ces recommandations n'ont pas été suivies, et que la situation s'est largement agravée depuis le 7 octobre, en parallèle de la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza. « La torture est devenue un outil délibéré et généralisé de la politique étatique, utilisé dans les systèmes juridiques, administratifs et opérationnels. Elle est pratiquée tout au long du processus de détention – de l'arrestation à l'interrogatoire en passant par l'emprisonnement – et vise les Palestinien-nes sous occupation et les citoyen-nes palestinien-nes d'Israël. »

Ce nouveau rapport souligne que les actes de tortures et de mauvais traitements envers les détenu-es palestinien-nes pré-existaient de manière systémique dans les centres de détention israéliens, mais identifient des mécanismes qui ont, depuis le 7 octobre 2023, accéléré et institutionnalisé ces pratiques. « La rhétorique de vengeance et de déshumanisation a imprégné les politiques de détention et facilité la torture et les abus systématiques, » explique l'introduction.

Camps d'emprisonnement militaires

Avec des arrestations massives de Palestinien-nes de Gaza et de Cisjordanie, Israël s'est doté de nouveaux camps d'emprisonnements, des camps militaires où les ONG signataires du rapport contre la torture observent des pratiques aussi alarmantes que systématiques.

Fin octobre 2023, le ministre israélien de la Défense a ordonné que la base militaire de Sde Teiman serve de centre de détention pour les Palestiniens de Gaza arrêtés en vertu de l'UCL (Loi sur les combattants illégaux, que le comité de l'UNCAT avait appelé à abroger en 2026). Des pratiques de tortures sont immédiatement dénoncées, de nombreux témoignage rapportant que des milliers de détenus étaient enfermés dans des enclos à ciel ouvert, menottés et les yeux bandés 24 heures sur 24, obligés de rester à genoux la plupart du temps et de dormir par terre la nuit, exposés aux intempéries et aux insectes.

Le rapport pointe des violences physiques, un affamement volontaire et de graves négligences médicales. Il dévoile également que le centre médical de Sde Teiman employait une équipe de professionnels de santé, qui servaient comme soldats et ne relevaient pas du corps médical. En violation de toutes les normes éthiques, ils avaient pour instruction d'agir de manière anonyme, sans s'identifier auprès des patients ni signer aucun document médical. Cet anonymat visait à empêcher toute plainte ou enquête concernant des manquements à l'éthique et à la déontologie médicale. Les directives de l'établissement ne prévoyaient pas l'obligation de consigner dans les dossiers médicaux tout soupçon de violence ou de torture, ni l'obligation de signaler ces soupçons aux autorités compétentes, alors même que les détenus arrivaient pour recevoir des soins médicaux avec des signes de violences graves sur le corps.

En avril et mai 2024, sous la pression suscitée par les révélations sur les conditions de détention à Sde Teiman, des centaines de détenus ont été transférés vers le camp de détention militaire d'Ofer. Malgré l'annonce faite par l'État à la Cour suprême de justice qu'il allait progressivement « fermer » Sde Teiman et n'y détenir les prisonniers que pour des périodes limitées, le camp est toujours largement opérationnel.

Parallèlement, le camp militaire d'Ofer est devenu le principal centre de détention des Palestiniens de Gaza, ce qui n'est qu'un transfert des mêmes pratiques abusives : les cellules sont surchargées et les détenus rapportent qu'ils doivent dormir par terre sans matelas. L'hygiène de base est négligée, car les détenus ne reçoivent pas de produits de nettoyage pour maintenir les toilettes dans un état sanitaire acceptable, ni suffisamment de papier toilette.

Conditions « inhumaines » dans les prisons

En 2016, l'UNCAT avait critiqué le recours à la torture et aux CIDTP par le personnel pénitentiaire israélien, soulignant l'impunité de ces actes. « Depuis le 7 octobre, on assiste à une forte escalade, caractérisée par ce qui ne peut être compris que comme une politique délibérée visant à infliger une violence et des souffrances systémiques et quotidiennes aux Palestiniens classés comme détenus pour raisons de sécurité », indique le rapport.

Au moyen d'ordonnances « d'urgence » et de politiques appliquées sur le terrain, les Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes ont été privés de tous les droits et protections fondamentaux garantis par le droit israélien et international, y compris les dispositions de l'UNCAT.

Dans un contexte d'arrestations massives, il en résulte une surpopulation inhumaine. En effet, les témoignages font état à plusieurs reprises d'un doublement de l'occupation habituelle des cellules, avec 12 détenus et plus entassés avec une seule toilette défectueuse, rendant tout mouvement ou toute intimité minimale impossible. Dans son témoignage devant le PHRI en novembre 2024, A.R. a décrit 30 prisonniers partageant 11 lits dans une cellule à Ktzi'ot.

De nombreux cas de violences physiques graves et répétées commises par le personnel des prisons israéliennes ont été documentés depuis le 7 octobre. Ils comportent des coups de poing, des coups de pied, des coups de matraque, le maintien forcé de positions contraignantes et le port de chaînes douloureuses, ainsi que d'attaques de chiens. Ces actes de violence se produisent dans les cellules, dans des zones non surveillées par des caméras, et pendant le transfert des détenus à l'intérieur et à l'extérieur des établissements pénitentiaires, entraînant des blessures graves et visibles telles que des contusions et des fractures des côtes, du nez et des dents.

Des cas de violences physiques graves ont été signalés dans diverses prisons et centres de détention, notamment à l'encontre de femmes, de mineurs et de détenus handicapés. Les témoignages révèlent l'omniprésence de la violence arbitraire et sa normalisation dans le quotidien carcéral, souvent infligée à un groupe de détenu-es à la fois. Les témoignages font également état d'humiliations généralisées et de traitements dégradants.

Impunité structurelle

Le rapport insiste également sur le fait que ces actes sont et restent impunis car ils constituent une politique à part entière. Si cette impunité était déjà dénoncée et avait été soulignée lors de l'examen d'Israël par l'UNCAT en 2016, de nouvelles lois sont venues la renforcer depuis.

« Israël a été le théâtre d'attaques massives et généralisées contre l'existence même des organisations de défense des droits humains et des défenseurs des droits humains », explique le rapport, qui pointe notament deux initiatives qui menacent les libertés des défenseurs des droits qui dénoncent les crimes commis en détention.

La première consiste en un amendement à la loi sur les associations, qui imposera de sévères restrictions financières et opérationnelles aux ONG recevant des fonds d'entités gouvernementales étrangères : « Ce projet de loi oblige les ONG à choisir entre sacrifier leurs activités principales ou faire face à des conséquences financières désastreuses. Il limite sévèrement la liberté d'expression et d'association, en particulier pour les groupes de défense des droits humains et les groupes de plaidoyer, tandis que les frais d'accès aux tribunaux menacent la capacité des petites organisations à demander un contrôle judiciaire. Ce projet de loi constitue une tentative délibérée de réduire au silence la société civile par la coercition juridique et financière. »

La deuxième initiative interdit toute coopération officielle entre les autorités israéliennes et la Cour pénale internationale (CPI), criminalisant les citoyen-nes qui aideraient la CPI de quelque manière que ce soit, une infraction passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et, dans certains cas, d'une peine d'emprisonnement à perpétuité.

Étant donné que de nombreuses ONG de défense des droits humains qui documentent les cas de torture collaborent avec la CPI dans le cadre de la procédure relative à la situation en Palestine, cette loi les paralyserait, menacerait leur personnel et priverait les victimes de torture de tout recours.

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Après le cessez-le-feu, nos tâches pour la libération de la Palestine

4 novembre, par Quatrième Internationale — , ,
Le bureau exécutif de la IVe Internationale a adopté cette résolution lors de la session du 25 au 27 octobre. Quatrième internationale 31 octobre 2025 Par le Bureau (…)

Le bureau exécutif de la IVe Internationale a adopté cette résolution lors de la session du 25 au 27 octobre.

Quatrième internationale
31 octobre 2025

Par le Bureau exécutif

Palestine
Copyright
esquerda.net / CC BY-SA 2.0

La signature du plan Trump et son début de mise en œuvre posent une série de questions nouvelles. Ce plan est la continuation, sous des formes très différentes, des politiques coloniales et d'épuration ethnique, qui nécessitent de poursuivre le mouvement mondial pour la libération de la Palestine.

Concernant l'analyse du plan, il est nécessaire d'éviter deux écueils caricaturaux. Le premier consiste à formuler une critique jusqu'au-boutiste de la situation : les signataires palestiniens seraient des traitres, tandis que ce plan serait la continuité totale du génocide. Le second est le travers inverse : le cessez-le-feu constituerait la victoire d'une résistance que rien n'arrête et ouvrirait une nouvelle période de contre-offensive.

La réalité est intermédiaire, en tout cas pour l'instant. Le plan de Trump relève d'une vision coloniale, consacre un rapport de forces négatif du point de vue du peuple palestinien et vise à démanteler ses capacités de résistance. Mais le cessez-le-feu, même s'il poursuit la colonisation et la politique d'épuration ethnique, permet de réorienter la lutte, une lutte qui ne peut obtenir de victoire que si elle rejette la complicité avec l'entité sioniste génocidaire et renoue avec des mobilisations de masse.

Le plan Trump

Les 20 points essentiels de Trump sont les suivants : 1) une démilitarisation (une zone « déradicalisée et libérée du terrorisme »), 2) une reconstruction sous domination impérialiste (Gaza sera « réaménagée »), 3) l'arrêt des combats et la mise en place d'une ligne de cessez-le-feu, 4) et 5) des échanges de prisonniers (les 48 « otages », vivants ou morts, contre 250 prisonniers palestiniens condamnés à perpétuité et 1 700 détenus depuis le 7 octobre 2023). 6) L'amnistie pour les membres du Hamas qui abandonnent la lutte armée. 7) et 8) L'arrivée de l'aide humanitaire, la réhabilitation des structures d'urgence, l'ouverture du passage de Rafah dans les deux sens et 12) la liberté pour les Palestiniens de rester, de partir ou revenir. 9) La mise en place d'une autorité transitoire temporaire, d'un « comité palestinien technocratique et apolitique », dirigé par un conseil étranger à la tête duquel il était prévu de positionner Tony Blair. Il organiserait le financement et la reconstruction. 10) et 11) Une zone économique spéciale avec des droits de douane « préférentiels  ». 13) Le Hamas et les « autres factions s'engagent à ne jouer aucun rôle dans la gouvernance de Gaza  », les infrastructures militaires (notamment les tunnels) doivent être détruits et 15) une « force internationale de stabilisation temporaire, dont les USA et des pays arabes » doit être déployée.

Il s'agit pour Trump de fixer un rapport de forces militaire favorable, avec l'objectif de renforcer encore davantage le contrôle politique et économique de Gaza. Tout cela dans le contexte du renforcement de la colonisation en Cisjordanie, des projets infâmes de Trump pour transformer Gaza en Riviera et des attaques d'Israël contre les pays voisins (Iran, Qatar, expansion de l'occupation au Liban et en Syrie, Yémen…).

Le plan s'inscrit totalement dans l'offensive des États-Unis pour assoir davantage leur domination sur le Moyen-Orient. Il s'agit notamment de renforcer le processus de « normalisation », c'est-à-dire de l'alignement des pays arabes sur les États-Unis, en particulier les monarchies du Golfe, l'Égypte, la Jordanie et le nouveau pouvoir en Syrie.

Il prévoit de continuer l'épuration ethnique en espérant que les conditions de vie misérables, dues à la destruction et au blocus, pousseront des centaines de milliers de Gazaoui·es à quitter la Palestine, tandis que celles et ceux qui resteront seront plongé·es en semi-esclavage par les nécessités de reconstruction de Gaza.

Les États-Unis et Israël espèrent en finir avec leurs oppositions, en détruisant les capacités militaires de la résistance et par l'appel de Trump à l'amnistie de Netanyahou dans le cadre des affaires de corruption dont il est accusé.

La mise en œuvre du cessez-le-feu

Elle est loin d'être évidente : 2 000 prisonnier·es ont été libérés, dont 250 détenu·es de longue durée (157 Fatah, 65 Hamas, 16 Jihad, 11 FPLP, 1 FDLP). Il reste encore 9 000 prisonnier·es, c'est-à-dire deux fois plus qu'au début de la guerre. Des centaines de milliers de gazaoui·es sont revenu·es sur leur lieu d'habitation (la plupart du temps totalement détruit).

Mercredi 15 octobre, seulement 173 camions avaient été autorisés par Israël à entrer à Gaza, sur les 1 800 prévus, malgré les demandes expresses de l'ONU d'accélérer cette aide vitale pour la population. Le FPLP a également recensé 36 violations du cessez-le-feu par Israël, provoquant plusieurs dizaines de victimes. Cela sans parler des violences et tortures commises contre les prisonniers. Le 24 octobre, 41 ONG dénonçaient les restrictions à l'aide humanitaire, notamment par le blocage de camions. Ce sont, selon elles, l'équivalent de 50 millions de dollars de bien essentiels qui sont bloqués par Israël.

Le Hamas mène une offensive armée, soutenue par le FPLP et le Jihad islamique, contre les milices impliquées dans le pillage de l'aide humanitaire, qui sont des organisations mafieuses ou des groupes organisés ou soutenus par Israël. Une partie de celles-ci s'est repliée avec l'armée d'occupation israélienne derrière la « ligne jaune », la moitié de Gaza occupée par Israël. Il est cependant possible que ces opérations du Hamas lui permettent au passage de régler des comptes politiques internes, mais les informations fiables sont limitées.

Israël maintient son contrôle sur ce qu'il appelle une « zone tampon », dans l'est.

Les États-Unis et Israël exigent le désarmement total du Hamas et des autres forces palestiniennes, ce qui semble totalement impossible, pour deux raisons essentielles : premièrement, ce désarmement est politiquement inacceptable car les Palestinien·nes ne disposent pas de garanties concernant le respect du cessez-le-feu par Israël, qui est connu pour tordre les accords passés – sans parler de la nécessité, tôt ou tard de reprendre la lutte pour la libération de la Palestine, dont une dimension armée est inévitable ; deuxièmement il est impossible de garantir la sécurité des gazaoui·es, dans une région dévastée, sans avoir des armes disponibles pour protéger les distributions humanitaires, alimentaires, notamment vis-à-vis des milices mafieuses et/ou pro-Israël.

Pourquoi un cessez-le-feu a-t-il été proposé par Trump

Il est parfois difficile de comprendre ce qui détermine la politique de Trump. Ce choix relève d'une combinaison de plusieurs facteurs :

1) Il devenait sans doute difficile de faire face au coût militaire, financier et politique croissant du génocide.

2) La mobilisation mondiale a pris une nouvelle dimension avec la grève générale en Italie – qui sert de modèle à bien des réflexions syndicales –, avec les flottilles – qui ont mis en difficulté Israël sur le plan politique, sans parler de l'inspiration toujours possible pour des mobilisations du type de la Marche pour Gaza, qui représentent un énorme danger pour les régimes arabes complices.

3) Le mouvement de contestation en Israël, malgré ses ambiguïtés et ses limites, est aussi un facteur d'affaiblissement de Netanyahou.

4) De plus, les États-Unis et Israël envisagent leur intervention dans le cercle plus global du Moyen-Orient. Il s'agit pour eux d'intervenir sur différents fronts : au sud du Liban où Israël continue d'intervenir militairement et d'occuper de nouveaux territoires, en Syrie où les deux États cherchent à la fois à obtenir encore des concessions politiques du nouveau pouvoir de HTC, qui cherche par tous les moyens à consolider son pouvoir y compris par la normalisation avec Israël, en Iran où Trump a commencé (au-delà de l'intervention militaire de juin 2025) à jouer son jeu préféré de l'alternance entre menaces et séduction en vue d'un deal.

La stratégie des États-Unis est de déplacer les rapports de forces globaux, les sphères d'influence, dans la concurrence avec les autres grandes puissances, en particulier l'Europe et la Russie.

Ce qui change pour le mouvement de solidarité

La première chose est de se réjouir pour la population, qui ne subira pas d'une manière aussi forte, même de manière temporaire, la violence de l'État sioniste. On peut, de ce point de vue, souligner les capacités de résistance du peuple, qui a subit un massacre systématique dont la réalité est encore sous-estimée, et qui s'est immédiatement déplacé pour reprendre possession de sa terre, refusant une nouvelle Nakba. On doit exprimer la plus grande solidarité envers la population qui subit toujours les sévices de l'armée sioniste, de son univers carcéral de masse, et des colons. Cela sans surestimer les rapports de forces et sans tomber dans la glorification des sacrifices subis.

La seconde, sans doute la plus importante, est de dénoncer le plan de Trump. Il ne s'agit pas d'une dénonciation morale : nous considérons que les organisations palestiniennes font bien ce qu'elles peuvent dans une situation terrible, et qu'elles n'ont manifestement pas d'autre choix que d'accepter ces conditions de cessez-le-feu. Mais il faut soutenir toutes les tentatives palestiniennes de contester le plan de Trump, point par point, et dénoncer le caractère colonial et impérialiste de cet accord construit sur les ruines et la mort.

Et, concrètement, nous avons la responsabilité de nous battre pour mettre en difficulté les impérialistes dans leurs objectifs des prochaines semaines. Un point clé est le refus total d'une ingérence étrangère à Gaza, c'est-à-dire le refus complet d'une présence impérialiste (occidentale et/ou arabe) sur le plan militaire comme sur les plans économique et administratif. Le droit à l'auto-détermination n'est pas négociable, c'est aux Palestinien·nes d'organiser leur société comme ils et elles le souhaitent, et les troupes militaires comme les colons doivent partir.

L'arrêt de la forme la plus aiguë du génocide provoquera, en même temps qu'un soulagement, un recul de la mobilisation mondiale. Il ne faut pourtant pas perdre de vue la nécessité de construire un mouvement de masse pour imposer le passage libre et immédiat de l'aide humanitaire, obtenir une réparation des dommages subis par la population, refuser la poursuite de la colonisation et de l'épuration ethnique, ainsi que la tentative des impérialistes de prendre le contrôle économique et militaire de Gaza.

Nous devons donc construire de nouvelles mobilisations, unitaires, pour modifier les rapports de forces.

En même temps que ce mouvement large, unitaire, sur des revendications immédiates, nous voulons contribuer à construire un mouvement organisé plus résolu, en lien direct avec des Palestinien·nes, autour de mots d'ordre qui vont plus loin :

• Opposition à la présence de troupes d'occupation étrangères (notamment de nos propres pays) et à un protectorat par les impérialistes, soutien total au droit à l'autodétermination du peuple palestinien ;

• Libération de tous les prisonnier·es palestinien·nes, en appuyant notamment la campagne pour la libération de Marwan Barghouti qui est mise en avant dans le mouvement de solidarité au niveau international ;

• Démantèlement des colonies, en particulier en Cisjordanie, Jérusalem et le Golan occupé ;

• Dénonciation du blocus, liberté de circulation ;

• Garantir le droit au retour ;

• Refus de l'État d'apartheid. Désarmement du régime génocidaire. Explication sur la libération de toute la Palestine, pour une Palestine libre, démocratique, égalitaire, laïque, etc.

• Continuer les tâches de BDS contre tous ceux qui collaborent, notamment en nous battant pour la rupture de toutes les relations avec Israël par les États, les entreprises – notamment celles qui contribuent à l'armement d'Israël –, la FIFA, les universités…

Nous avons également des tâches de solidarité militante plus concrète. Il y a notamment la participation à l'aide humanitaire, qui est une nécessité tout en étant une tâche relativement simple à remplir pour les personnes qui, dans les quartiers populaires, veulent manifester leur solidarité. Il y a également le soutien à la reconstruction d'organisations palestiniennes, visant notamment à la construction de luttes de masse, avec des manifestations, avec aussi la participation des syndicats, des organisations citoyennes et des différents partis qui composent le mouvement national palestinien. L'organisation de missions civiles au Liban, voire en Cisjordanie, peut redevenir un outil pour les soutenir.

Continuer la lutte

La guerre colonisatrice, le nettoyage ethnique n'ont pas commencé le 7 Octobre, notre résistance internationale non plus. Il y a un enjeu capital à ne pas baisser la garde et à renforcer nos positions. La phase que nous venons de vivre est constitutive d'un durcissement du monde. Cela produit des réactions, au niveau international, face à la barbarie, à la fuite en avant d'extrême droite et à la collaboration des régimes dictatoriaux dans les pays arabes.

Face à cela, des centaines de millions de personnes se sont levées. Nous affirmons notre soutien inconditionnel à la lutte du peuple palestinien, qui se combine avec notre propre vision de la lutte. Nous participons à la dénonciation des aspects les plus criants de la colonisation – la mort, la pauvreté, l'apartheid, les enfermements arbitraires… – pour construire un mouvement de masse, tout en œuvrant à la coordination des franges plus radicales, dans la jeunesse, les quartiers populaires, chez les juifs antisionistes et en défendant l'horizon stratégique de la libération de toute la Palestine, un combat d'émancipation, de révolution régionale qui balaiera les puissances impérialistes. ■

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À Gaza, ils et elles se battent pour reconstruire leur agriculture

Alors que le cessez-le-feu reste fragile à Gaza, agriculteurs et agronomes espèrent retrouver rapidement leur souveraineté alimentaire et politique, pierre angulaire du (…)

Alors que le cessez-le-feu reste fragile à Gaza, agriculteurs et agronomes espèrent retrouver rapidement leur souveraineté alimentaire et politique, pierre angulaire du processus de paix.

Tiré de Reporterre.

Beyrouth (Liban), correspondance

Aubergines et concombres poussent entre les décombres, portant avec eux l'espoir d'un peuple meurtri. Trois semaines après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, les Gazaouis font face à un océan de destruction et se demandent comment reconstruire leur avenir. Pour Samar Abo Saffia, la réponse est simple : planter et planter encore.

À Deir el-Balah, ville du centre de l'enclave palestinienne, la jeune agronome continue son projet de cultiver la terre endeuillée par deux ans de conflit. « Grâce à la trêve, il est devenu plus facile d'acheter du matériel agricole et d'irriguer les plants, alors j'ai décidé d'élargir mon projet, des camps de déplacement aux terrains vagues détruits, où je nettoie les sols avant de les planter », explique celle qui a été déplacée une dizaine de fois par les combats avant de finalement s'installer avec son mari.

Le 10 octobre, un cessez-le-feu porté par le président étasunien, Donald Trump, est officiellement entré en vigueur après des semaines de négociations, flanqué d'un plan de paix en plusieurs étapes : le dirigeant d'extrême droite a même annoncé « la fin de la guerre à Gaza ». Dans les jours suivants, 2 000 prisonniers palestiniens, la plupart arrêtés arbitrairement depuis le 7 octobre 2023, ont été libérés en échange des 20 otages israéliens encore vivants détenus par le Hamas et ses alliés et de plusieurs dépouilles.

« L'ambiance à Deir el-Balah après l'annonce de la fin de la guerre était incroyable, comme si c'était un jour de fête. Une joie intense envahissait les gens, joie de rentrer chez eux, joie de voir la fin de ce cauchemar douloureux », témoigne Samar Abo Saffia à Reporterre, via WhatsApp.

Pour elle, le plan de Trump était la « seule solution pour mettre fin » aux morts à Gaza, et il est approprié « tant que les Palestiniens restent sur leur terre », explique celle qui veut maintenant reprendre un master d'agronomie, un rêve longtemps enterré par les affres du génocide. « J'espère que Gaza redeviendra belle, qu'elle sera reconstruite correctement, en tenant compte de l'environnement et que j'aurai une belle maison entourée d'arbres et de fleurs, paisible et sans guerre ni mort. »

« Trump finalise la destruction des aires agricoles »

Mais la joie aura été de courte durée : plus d'une centaine de Palestiniens ont été tués dans des frappes israéliennes à Gaza le 29 octobre, officiellement en représailles à la mort d'un soldat israélien imputée au Hamas. Alors que l'implémentation du plan est émaillée d'incidents, Israël a tué au total 200 Palestiniens dans des bombardements aériens, tirs de mitrailleuses et de tanks depuis le 10 octobre, ainsi que ralenti l'entrée l'aide humanitaire .

Un schéma habituel pour Israël, qui « viole systématiquement les accords de cessez-le-feu à Gaza et au Liban, estime Gabriella Neubert, assistante en plaidoyer et recherche au Groupe arabe pour la protection de la nature (APN), une association environnementale palestino-jordanienne. Nous reconnaissons ici le scénario colonial habituel : un plan élaboré sans aucune consultation des Palestiniens, à l'instar des accords d'Oslo, qui n'ont fait que renforcer l'occupation et l'accaparement des terres. »

Depuis mars 2024, le projet « Revive Gaza's Farmland » (« Redonner vie aux terres agricoles de Gaza ») de l'APN a permis de cultiver 126 hectares, produisant plus de 6 000 tonnes de légumes. « Nous défendons une renaissance souveraine des systèmes alimentaires de Gaza, alors que le plan Trump finalise la destruction des aires agricoles — les concevant plutôt comme des lieux d'extraction coloniale-capitaliste », ajoute-t-elle, en référence aux projets immobiliers de « Riviera » de luxe poussés par le président étasunien et son gendre Jared Kushner dans l'enclave.

Une paix placée entre les mains du peuple

Le plan rutilant de Trump pour Gaza intervient en effet sur un champ de ruines et de rêves brisés, dont la démographie et la topographie ont été modifiées par le génocide. Plus de 68 200 personnes ont été tuées directement par l'armée israélienne, selon le ministère de la Santé gazaoui, chiffre auquel il faut ajouter encore une dizaine de milliers de cadavres sous les décombres et des dizaines de milliers de morts liés à la faim, aux maladies, à la pollution — des estimations atteignent ainsi les 680 000 morts. 92 % des logements sont endommagés ou détruits, ainsi que 80 % des terres agricoles.

L'équipe d'investigation Forensic Architecture (FA) révèle même que 90 % de la vie végétale a été ravagée par le feu, les bulldozers, les bombes. Un tiers du terrain de l'enclave aurait été rasé dans cet écocide, explique Samaneh Moafi, assistante directrice de recherche pour le Moyen-Orient.

« Via l'imagerie satellitaire, on observe un schéma systématique : quand les forces israéliennes ont avancé, elles ont d'abord tout aplati sur leur passage, avant d'y construire des infrastructures militaires : routes, campements, remblais de terre. Et ce, essentiellement dans les zones agricoles de Gaza, en avançant des frontières vers le centre et la côte », affirme-t-elle en montrant l'évolution sur une carte interactive publiée par FA. Beaucoup de ces structures semblent pérennes, prévues pour assurer un contrôle au long terme.

Le retrait prévu des forces israéliennes dans le cadre du cessez-le-feu suit les lignes de ces zones tampons déblayées. « On s'est rendu compte qu'Israël a forcé les civils à évacuer dans des zones aux sols sableux, en gardant le contrôle sur tous les sols meubles », explique la chercheuse.

C'est ainsi que l'armée israélienne retient le contrôle de 58 % de l'enclave dans l'étape actuelle du plan, notamment les terrains les plus fertiles. Et lors du retrait total, les zones tampons aux frontières entre Gaza et Israël élargies empièteront sur les zones les plus arables, affirme-t-elle — sabotant ainsi la capacité future de régénération et d'agriculture. « Mais il ne faut pas sous-estimer le savoir-faire et la résistance des Gazaouis, qui arrivent maintenant déjà à cultiver des terres pourtant arides », dit-elle.

C'est aussi l'avis de Gabriella Neubert, de l'APN. « Une paix juste et soutenable ne peut être placée qu'entre les mains du peuple, et non d'entités coloniales ou impérialistes. En parallèle à un processus qui doit amener tous ceux qui ont perpétré ce génocide et leurs complices devant la justice, nous devons soutenir la souveraineté alimentaire gazaouie et soutenir les Palestiniens afin qu'ils puissent vivre, cultiver leurs terres et se nourrir librement. » Avant la guerre, et malgré le blocus imposé par Israël depuis 2007, Gaza avait développé une remarquable autosuffisance dans le secteur agricole, notamment pour la production de fruits et légumes.

C'est exactement ce à quoi travaille Samar Abo Saffia dans ses cultures à Deir el-Balah. « Nous nous retrouvons avec un sol appauvri par l'exode et le manque d'entretien, un manque d'eau et la mauvaise qualité des semences disponibles. Il faut donc travailler au développement de l'agriculture, à la reconstruction et à la réhabilitation des terres, ainsi qu'à leur nettoyage pour éliminer les traces d'explosifs, pour repartir de zéro », explique la jeune femme avec l'espoir, ainsi, de reprendre son futur et celui de Gaza entre ses mains.

Un « plan de paix » en 20 points controversés

Le projet propose une « déradicalisation complète » de Gaza, sa reconstruction et la « fin du terrorisme ». Une amnistie est prévue pour les membres du Hamas déposant les armes, tandis que ceux souhaitant partir obtiendraient un droit de passage sécurisé. Une aide humanitaire « massive » serait immédiatement déployée, supervisée par l'ONU et d'autres organisations internationales. La gouvernance transitoire de Gaza serait confiée à un comité technocratique palestinien, sous le contrôle d'un Comité de la paix international présidé par Trump, jusqu'à ce que l'Autorité palestinienne puisse reprendre le pouvoir.

Le plan inclut la création d'un programme économique « ambitieux », d'une zone économique spéciale et de partenariats internationaux pour relancer l'emploi et les infrastructures. Une démilitarisation totale de Gaza serait imposée, vérifiée par des observateurs indépendants et soutenue par un programme international de rachat d'armes.

Une Force internationale de stabilisation (ISF) assurerait la sécurité et formerait une police palestinienne, tandis qu'Israël se retirerait progressivement. Enfin, Trump envisage un dialogue interreligieux et un processus politique menant, à terme, à la création d'un État palestinien, une fois la paix et la stabilité durablement établies.

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Pour arrêter Trump, les syndicats ont besoin de campagnes communes et d’une vision commune

4 novembre, par Alex Caputo-Pearl, Jackson Potter — , ,
[Cet article fait partie d'une série de tables rondes organisées par Labor Notes : Comment les syndicats peuvent-ils défendre le pouvoir des travailleurs contre Trump 2.0 ? (…)

[Cet article fait partie d'une série de tables rondes organisées par Labor Notes : Comment les syndicats peuvent-ils défendre le pouvoir des travailleurs contre Trump 2.0 ? Nous publierons d'autres contributions ici et dans notre magazine au cours des prochains mois. Cliquez ici pour lire le reste de la série. — Les éditeurs]

L'histoire nous montre que lorsque l'autoritarisme fait son apparition, son implantation dépend de la réponse du mouvement syndical. C'est pourquoi les syndicats doivent être au centre du mouvement anti-autoritaire naissant qui se manifeste dans les efforts visant à construire une coalition pro-démocratique plus large sous des slogans tels que « No Kings » (Pas de rois) et « Workers Over Billionaires » (Les travailleurs avant les milliardaires).

Mais nous devons être lucides : notre mouvement syndical n'est pas en état de lutter. La plupart de nos syndicats n'ont pas l'expérience récente de la grève ou de l'action collective conflictuelle. Nous devons nous préparer à la grève en renforçant l'organisation et la collaboration entre les grandes sections locales et les conseils syndicaux, et en intensifiant les actions directes impliquant aussi bien les membres que les non-membres.

Alors que l'autoritarisme de Trump s'intensifie, nous devons élargir notre champ d'action pour inclure les coalitions entre syndicats et communautés. Nous devons recourir à toute une série de tactiques, telles que les boycotts de consommateurs, les arrêts de travail pour cause de maladie et les ralentissements. Nous devons redynamiser les structures syndicales aux niveaux national, régional et local, et aligner nos revendications politiques et contractuelles.

Alors que Trump tente d'étouffer un mouvement syndical déjà en déclin, les syndicats doivent prêter attention non seulement à leur rôle dans la défense de la société, mais aussi à la défense des droits des travailleurs syndiqués et non syndiqués qui sont attaqués.

LE TOURNANT ANTI-SYNDICAL

Les enjeux pour les syndicats et la société ne pourraient être plus importants. D'un trait de plume, l'administration Trump a supprimé les droits syndicaux d'un million de fonctionnaires fédéraux. C'est 100 fois plus que le tsunami antisyndical déclenché par Ronald Reagan lorsqu'il a lock-outé 11 000 contrôleurs aériens en grève en 1981, souvent cité comme un moment clé du déclin du mouvement syndical.

Le mouvement syndical aux États-Unis est fragmenté et divisé. Le président des Teamsters, Sean O'Brien, a en fait donné un coup de pouce à la campagne de Trump en se présentant à la Convention nationale républicaine au milieu d'une course controversée, et a continué à vanter ses alliances avec les politiciens de la droite MAGA.

De plus, malgré quelques points positifs en matière d'organisation, notre mouvement dans son ensemble n'a pas développé de méthodes pour inverser la perte stupéfiante de densité syndicale au cours des 40 dernières années. Les syndicats représentaient un travailleur américain sur quatre en 1980, mais aujourd'hui, nous n'en représentons plus qu'un sur neuf.

Néanmoins, un large front pro-démocratique nécessitera une participation importante des syndicats. Les syndicats restent l'une des institutions les plus durables, démocratiques et diversifiées sur le plan interne dont nous disposons. Leurs membres reflètent un microcosme de la société, avec différentes races, religions, pays d'origine, sexes et opinions politiques. Les syndicats représentent encore 14 millions de membres, et nos forces pro-démocratiques ont plus de chances que nos adversaires de gagner leur participation.

DES EXEMPLES ENCOURAGEANTS

Sans campagnes communes et sans objectifs communs, une grande partie du pouvoir potentiel des syndicats reste sous-utilisée. Actuellement, les conseils centraux du travail au niveau local et régional, ainsi que l'AFL-CIO au niveau national, sont les organismes communs qui regroupent la plupart des syndicats. Mais ils sont presque toujours incapables de mobiliser la base des membres syndicaux de la même manière que le peuvent les grandes affiliations locales des syndicats individuels.

Le renforcement du pouvoir commence au niveau des syndicats locaux, avec un changement d'orientation vers les membres et au service des intérêts collectifs. C'est ce qu'a fait le Chicago Teachers Union de 2010 à aujourd'hui, en s'organisant pour remporter plusieurs grèves dans nos divisions des secteurs public et privé. United Teachers Los Angeles, l'Oakland Education Association, la Minneapolis Federation of Teachers, la St. Paul Federation of Educators et d'autres syndicats d'enseignants ont suivi le mouvement.

À partir de cette base de sections locales revitalisées, ces syndicats ont mis en place une organisation plus approfondie et plus méthodique au fil des ans. Les sections locales d'éducateurs de Californie, par exemple, ont formé la California Alliance for Community Schools et lancé la campagne We Can't Wait (Nous ne pouvons pas attendre) au début de cette année, avec 32 sections locales alignant les dates d'expiration des contrats dans tout l'État afin de réclamer davantage de personnel, des classes moins nombreuses et de meilleurs salaires et avantages sociaux. Les sections locales des villes jumelles, quant à elles, ont collaboré avec la section locale 26 du SEIU, le centre des travailleurs CTUL et d'autres alliés pour coordonner des grèves et des semaines d'action.

Lorsque tout va pour le mieux, les campagnes locales et les objectifs nationaux des syndicats se renforcent mutuellement. Au plus fort du mouvement syndical dans les années 1930, le travail préparatoire des campagnes locales et municipales a été lancé et soutenu par le Congrès des organisations industrielles (Congress of Industrial Organizations) et, lorsqu'il a été couronné de succès, il a stimulé les perspectives des syndicats internationaux en matière de nouvelle organisation.

Cette approche se retrouve dans les efforts locaux et nationaux menés par la coalition May Day Strong et l'appel de l'United Auto Workers (UAW) à aligner les expirations de contrats autour du 1er mai 2028.

May Day Strong a profité de l'élan donné par les mobilisations du 1er mai de cette année pour collaborer avec l'AFL-CIO afin de faire de la fête du Travail plus qu'un simple barbecue. Ces manifestations « Workers Over Billionaires » (Les travailleurs avant les milliardaires) ont constitué un défi plus fort à la prise de contrôle du gouvernement par les oligarques de droite que ce que nous avons vu depuis longtemps lors de la fête du Travail.

RESUSCITER NOS STRUCTURES SYNDICALES

Bon nombre de nos structures syndicales aux niveaux national, régional et local peuvent être réorientées et ressuscitées. Notre idée est d'accélérer ce processus, car les enjeux l'exigent.

Si nous pouvions rassembler les grandes sections locales au sein des syndicats et entre eux afin d'harmoniser les revendications politiques et contractuelles, cela permettrait de modifier l'équilibre des pouvoirs dans le pays et d'affaiblir considérablement la consolidation du bloc autoritaire de droite représenté par le régime MAGA.

Au cours des dix dernières années, des dizaines de syndicats locaux de différents secteurs ont montré la voie en investissant dans trois approches essentielles :

Organisation à la majorité qualifiée, basée sur le dialogue et l'écoute de tous les travailleurs que nous représentons, y compris les non-membres
Négociation pour le bien commun, c'est-à-dire lutte pour des revendications d'intérêt public, telles que des logements abordables, des politiques de résilience climatique et la justice raciale.

Application des méthodes d'organisation de la supermajorité au travail électoral, notamment en impliquant un grand nombre de membres dans le démarchage, en identifiant les leaders de quartier et en établissant des relations durables entre les membres du syndicat et les autres personnes des communautés où ils travaillent
Historiquement, les grèves dans les industries importantes ont joué un rôle clé dans le renforcement de larges pans de la classe ouvrière et dans l'élévation des attentes des travailleurs. Ces industries stratégiques ont inclus les chemins de fer, les mines, la sidérurgie, le textile, l'automobile, les ports et les écoles, selon les époques.

Les actions syndicales pourraient avoir un effet multiplicateur si elles étaient menées conjointement dans des secteurs clés de l'économie actuelle où les syndicats sont bien implantés, comme les hôpitaux, les aéroports, la logistique, les transports et les ports, qui sont essentiels à Amazon et au système de livraison des entrepôts. Les répercussions pourraient renforcer notre pouvoir de négociation vis-à-vis de l'administration Trump, surtout si ces actions sont liées à des forces sociales plus larges et les inspirent.

En outre, les secteurs de l'économie qui assurent la reproduction sociale, c'est-à-dire ceux qui sont nécessaires pour maintenir tous les autres travailleurs en activité et former les générations futures, ont un poids et une importance considérables pour la plupart des Américains lorsqu'ils sont perturbés. Pensez aux écoles primaires et secondaires, aux collèges communautaires et aux écoles professionnelles, aux universités, aux hôpitaux et aux transports publics.

Des campagnes conjointes autour d'une vision commune pourraient inspirer d'autres actions collectives telles que des actions électorales, des boycotts, des manifestations, des grèves et des luttes contractuelles, qui ont toutes un impact sur le public.

REPRISE ET RECONSTRUCTION

Quels syndicats internationaux sont les mieux placés pour construire un front encore plus large, parce qu'ils s'opposent à l'autoritarisme antisyndical du gouvernement, ont suffisamment de pouvoir social et économique pour perturber l'économie et représentent la classe ouvrière multiraciale ?

Cinq des dix plus grandes organisations internationales du pays peuvent déjà être considérées comme faisant partie du front progressiste, compte tenu du soutien majoritaire de leurs membres à Kamala Harris pour les élections de 2024 et de l'élaboration de programmes politiques qui rejettent le virage autoritaire. Il s'agit des trois plus grands syndicats du secteur public – la National Education Association (NEA), l'AFSCME et l'American Federation of Teachers/American Association of University Professors (AFT/AAUP) – et de deux syndicats regroupant divers secteurs publics et privés, le Service Employees (SEIU) et l'UAW.

La majorité des plus de 50 autres syndicats internationaux affiliés à l'AFL-CIO ont des dirigeants qui se sont opposés au régime ou ont exprimé leur solidarité avec le mouvement plus large en faveur des droits des immigrants et des droits civils. Par exemple, les dirigeants de plusieurs syndicats du bâtiment ont publié des déclarations dénonçant les attaques de Trump contre les projets d'énergie verte, qui détruisent des emplois.

Ces syndicats représentent des travailleurs dans des secteurs capables de ralentir de larges pans de l'économie : les transports et la logistique, les écoles primaires et secondaires, les hôpitaux, les aéroports, etc. Pour maximiser la capacité de ces syndicats à tirer parti de leur pouvoir de blocage, il faudra un niveau de coordination bien plus élevé que celui que nous avons atteint jusqu'à présent. Mais cela devient de plus en plus possible grâce à la participation de grandes sections locales dans des régions clés à des manifestations populaires et à l'organisation d'écoles comme celles lancées par Indivisible, May Day Strong et Labor Notes.

Les syndicats internationaux ont souvent collaboré, mais principalement au niveau électoral et politique. Nous avons aujourd'hui l'occasion de les rassembler à la base, dans l'action, grâce au travail coordonné des syndicats locaux.

MOBILISATIONS LORS DES JOURNÉES DU TRAVAIL

May Day Strong a démontré que lorsque des sections locales fortes collaborent avec des réseaux communautaires nationaux, tous secteurs et toutes régions confondus, nous pouvons faire ressortir le meilleur de notre instinct d'organisation au sein de notre mouvement. La coalition a vu le jour en mars afin de soutenir l'appel de l'UAW en faveur d'un alignement des contrats et d'une action de grève le 1er mai 2028, et de mettre en place une stratégie syndicale et communautaire cohérente pour riposter après la victoire présidentielle de Trump en 2024. Nous avons réuni des dirigeants syndicaux et communautaires, avec une participation importante de l'UAW, de la CWA, de la SEIU, de l'UNITE HERE, de l'UE, de l'AFT et des affiliés nationaux et locaux de la NEA.

Nous avons décidé de nous concentrer sur les journées déjà consacrées au travail dans le calendrier, à savoir le 1er mai et la fête du Travail, et avons utilisé la technologie distributive des manifestations No Kings pour recruter un nombre beaucoup plus important de participants à ces événements que celui traditionnellement mobilisé par les réseaux syndicaux. Ces efforts nous ont permis de créer un ensemble d'outils technologiques décentralisés basés sur l'hébergement pour l'organisation d'événements locaux, qui ont permis aux dirigeants syndicaux et communautaires locaux d'organiser leurs propres événements. Comme nous l'espérions, cela a suscité une participation beaucoup plus large et plus forte de la part des syndicats et de leurs alliés, avec des messages plus percutants axés sur la lutte contre les mauvais patrons milliardaires qui dirigent notre gouvernement.

Sachant que les syndicats ne peuvent agir seuls, nous avons lancé ces initiatives avec des organisations communautaires et des réseaux progressistes nationaux.

Cela a fonctionné au-delà de ce que nous pensions possible. Cette année, nous avons eu le plus grand nombre de marches du 1er mai de l'histoire des États-Unis. La fête du Travail, quant à elle, est passée de 25 barbecues initialement prévus par l'AFL-CIO à 1 200 événements dans les 50 États, la fédération adoptant le message « Les travailleurs avant les milliardaires ».

Cela a fondamentalement transformé la fête du Travail dans la plupart des médias nationaux et dans l'expérience des participants. Des événements qui étaient jusqu'alors largement moribonds et apolitiques sont devenus des actions politisées visant les entreprises et les attaques antisyndicales de la classe milliardaire.

Cependant, il reste encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir sérieusement perturber les pouvoirs en place. Qu'il s'agisse de la fête du Travail ou de No Kings (la dernière de ces manifestations a eu lieu le samedi 18 octobre), les jours fériés et les manifestations du week-end permettent toujours aux entreprises de continuer à fonctionner comme d'habitude.

BOYCOTTS ET ARRÊTS MALADIE

Souvent, des luttes locales ont déclenché des transformations nationales : pensez au boycott des bus de Montgomery et à la grève sur le tas de Flint.

Nous pouvons désormais envisager une nouvelle période de grèves sociales : « des grèves de masse, des grèves générales ou d'autres actions non violentes à grande échelle », comme le soutient Jeremy Brecher du Labor Network for Sustainability. Ces actions peuvent être associées à l'éducation politique menée par des groupes tels que May Day Strong et Labor Notes, à des manifestations nationales telles que celles organisées par des organisations ou des réseaux tels que 50501, Indivisible et Fight Back Table (qui a organisé les marches #HandsOff le 5 avril), à des boycotts des entreprises malfaisantes alignées sur MAGA, et plus encore. Elles peuvent s'appuyer sur et semer les graines d'une organisation à la majorité qualifiée pour un pouvoir durable, de négociations pour le bien commun et d'un travail électoral progressiste sérieux.

Pour y parvenir rapidement, il faudra organiser des réunions stratégiques, des rencontres régionales avec les principaux acteurs du mouvement syndical et des organisations communautaires influentes, et mettre l'accent sur la pression à exercer sur les politiciens et les grands patrons pour qu'ils rejettent l'autoritarisme rampant.

Avec les agents de l'ICE qui lancent des gaz lacrymogènes sur les conseillers municipaux, brutalisent les passants et kidnappent des enfants en plein jour dans le centre-ville de Chicago, et l'administration Trump qui envoie l'armée dans de plus en plus de villes, le temps presse.

Nous avons besoin de toute la panoplie de tactiques à notre disposition pour nous protéger les uns les autres, générer une action de masse et construire le mouvement nécessaire pour faire reculer le programme de Trump. Nous pouvons tirer des leçons des boycotts les plus réussis de l'histoire récente : les membres du clergé noir et leurs partisans qui ont refusé de faire leurs achats chez Target après que l'enseigne ait embrassé avec enthousiasme l'attaque de Trump contre la diversité, l'équité et l'inclusion, et les millions de personnes qui ont résilié leur abonnement pour protester contre Disney et l'empire médiatique de droite Sinclair pour avoir retiré Jimmy Kimmel de l'antenne.

Il est temps que les syndicats et la gauche envisagent d'autres cibles parmi les entreprises qui alimentent le virage autoritaire : Home Depot, Palantir, T-Mobile, Family Dollar, les géants de l'EdTech qui sapent le potentiel démocratique de l'éducation publique, et bien d'autres encore. Tous les travailleurs possèdent une certaine forme de pouvoir d'achat. Les travailleurs syndiqués en ont encore plus, sans compter leur capacité à coordonner la participation massive à des boycotts de consommateurs.

De même, si la plupart des membres des syndicats ne sont pas disposés à envisager une grève politique illimitée, ils pourraient être prêts à participer à des arrêts de travail pour cause de maladie précis et ciblés, avec des revendications et des objectifs clairs. La grande majorité des membres des syndicats n'ont pas le droit légal de faire grève en cours de contrat, mais nous avons tous des jours de congé maladie à utiliser. Ce sont essentiellement les arrêts de travail pour cause de maladie qui ont poussé des millions d'immigrants et leurs partisans à descendre dans la rue le 1er mai 2006 pour protester contre le projet de loi anti-immigrés draconien de Sensenbrenner.

Alors que les agents fédéraux et les incursions de la Garde nationale sèment le chaos dans les États et les villes bleus à majorité démocrate (y compris dans de nombreux États rouges), nous pouvons nous attendre à la formation d'alliances municipales qui pousseront les gouverneurs à taxer les milliardaires afin de combler les lacunes créées par l'enrichissement des 1 % par Trump, à se demander s'ils doivent envoyer des impôts à une force fédérale d'occupation et à renforcer la protection de leurs résidents.

Tout cela est possible, mais rien de tout cela ne peut se produire sans que le mouvement syndical ne se mobilise pour répondre à la situation.

Jackson Potter est vice-président du syndicat des enseignants de Chicago. Alex Caputo-Pearl a été enseignant dans le sud de Los Angeles pendant 22 ans, puis président du syndicat United Teachers Los Angeles. Il travaille actuellement comme enseignant dans le cadre de l'initiative L.A. Community Schools et fait partie de l'équipe de négociation de l'UTLA.

Source : https://labornotes.org/2025/10/stop-trump-unions-need-joint-campaigns-and-shared-vision

Traduit avec Deepl.

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Menacé, l’historien de l’antifascisme Mark Bray est contraint de quitter les États-Unis

4 novembre, par Mark Bray, Mathieu Dejean — , ,
Le professeur à l'université Rutgers, dans le New Jersey, a fait l'objet de menaces de mort après la signature d'un décret par Donald Trump désignant le « mouvement antifa » (…)

Le professeur à l'université Rutgers, dans le New Jersey, a fait l'objet de menaces de mort après la signature d'un décret par Donald Trump désignant le « mouvement antifa » comme terroriste. En partance pour l'Espagne, il explique sa situation.

9 octobre 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Photo : Historien à l'université Rutgers (New Jersey), Mark Bray est l'auteur du livre L'Antifascisme. Son passé, son présent et son avenir (Lux, 2018, initialement publié aux États-Unis en 2017 sous le titre Antifa, the Anti-Fascist Handbook).https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76796

Contacté par téléphone jeudi 9 octobre dans l'après-midi, Mark Bray était encore aux États-Unis, sur le point de prendre l'avion pour l'Espagne, avec sa femme et leurs deux enfants, après l'annulation mystérieuse de son billet la veille, alors qu'il allait embarquer.

Depuis que Donald Trump a signé un décret présidentiel le 22 septembre, désignant l'antifascisme comme un mouvement terroriste, il fait l'objet d'une vague de cyberharcèlement et de menaces de mort.

Une pétition lancée par Turning Point USA, le mouvement ultraconservateur fondé par Charlie Kirk, a été reprise par Fox News, et l'adresse personnelle de l'historien a été rendue publique sur les réseaux sociaux par des influenceurs d'extrême droite.

« Cet événement n'est pas anecdotique, a déclaré son éditeur, Lux, dans un communiqué. Il ne concerne pas qu'un historien américain, qu'une seule université. Il témoigne d'un étiolement rapide des droits démocratiques en Amériques. Quiconque tient pour fondamentaux la liberté de penser, la sécurité des personnes et le règne de la justice devrait être interpellé par cette situation. »

Le 8 octobre, lors d'une table ronde à la Maison-Blanche consacrée aux milieux « antifas », Donald Trump a justifié l'intervention de l'armée dans les grandes villes démocrates des États-Unis par l'existence de cette supposée menace. La ministre de la justice, Pam Bondi, a promis de « détruire l'organisation entière du sommet à la base ».

Après la manifestation d'extrême droite de Charlottesville, en 2017, Mark Bray, très sollicité dans les médias et connu pour son engagement au sein du mouvement Occupy Wall Street en 2011, avait déjà fait l'objet d'une campagne de l'alt-right l'accusant de faire l'apologie de la « violence » des groupes antifascistes. Il explique à Mediapart la situation dans laquelle il se trouve désormais, dénonce la criminalisation de la gauche aux États-Unis et « un précédent dangereux pour les libertés académiques ».

Mediapart : Comment êtes-vous devenu la cible de l'extrême droite ?

Mark Bray : J'ai publié mon livre en 2017, quelques jours après les affrontements de Charlottesville [des néonazis s'étaient rassemblés pour défendre une statue du général confédéré Robert E. Lee, des contre-manifestant·es s'y étaient opposé·es et l'une des leurs avait été tuée – ndlr],et il a connu un certain succès. Puis, pendant cinq ans, le sujet s'est effacé, jusqu'à ce que le président Trump signe un décret présidentiel, le mois dernier, déclarant le mouvement « antifa » comme une organisation terroriste – alors que, légalement parlant, seules les entités étrangères peuvent être déclarées terroristes.

Quelques jours plus tard, un influenceur d'extrême droite, Jack Posobiec, m'a qualifié de « professeur terroriste national » sur X. Le jour suivant, j'ai reçu la première menace de mort par mail : « Je vais te tuer sous les yeux de tes étudiants. »

La semaine qui a suivi, un autre influenceur d'extrême droite a fait un post similaire, et le groupe local de Turning Point USA à Rutgers a mis en ligne une pétition demandant mon licenciement. Alors qu'à ce moment-là, la pétition n'avait recueilli que quelques signatures, Fox News en a rendu compte – c'était samedi dernier [le 4 octobre – ndlr]. J'ai reçu une autre menace de mort par mail, contenant mon adresse.

Plusieurs personnes connues qui participaient à mon harcèlement ont été reçues à la Maison-Blanche.

J'ai donc commencé à me sentir mal à l'aise chez moi. Je suis historien de l'Espagne, c'est comme mon deuxième chez-moi, et j'ai décidé que je voulais y retourner. C'est un pays très différent, et très loin. Je ne souhaitais pas que cette décision soit rendue publique. J'ai écrit un mail à mes étudiants dimanche soir, leur expliquant que j'allais en Europe. J'ai été submergé par les messages de soutien, mais quelqu'un a posté ce mail et l'information est devenue publique.

Lundi, je recevais encore plus de menaces de mort, Fox News me consacrait un nouvel article, mon adresse et des informations sur ma famille ont été postées sur X. La nuit dernière, nous sommes arrivés à l'aéroport international Newark Liberty, nous avions fait le check-in, passé le sas de sécurité, tout allait bien, et au moment de monter à bord de l'avion, mystérieusement, quelqu'un avait annulé notre réservation.

Au même moment, plusieurs personnes connues qui participaient à mon harcèlement étaient reçues à la Maison-Blanche. Il est difficile de ne pas y voir une coïncidence.

Le même jour, Donald Trump a réuni une table ronde sur le « mouvement antifa » à la Maison-Blanche, et la ministre de la justice, Pam Bondi, a promis de « détruire l'organisation entière du sommet à la base ». Vous pensez qu'il y a un lien avec votre situation ?

Il y a probablement un lien avec cette réunion, mais selon moi, il y a clairement un lien avec la politique de l'extrême droite. Je suis convaincu que cette annulation est due à une intervention politique de l'extrême droite, qu'elle vienne du gouvernement ou d'un employé de la compagnie aérienne, un hacker, je ne sais pas. Mais je suis persuadé que c'était motivé politiquement.

Turning Point USA vous avait mis sur une liste de personnes à surveiller, vous accusant de faire de la propagande de gauche, comme des centaines de professeurs, mais votre harcèlement a commencé après l'assassinat de Charlie Kirk…

C'est vrai que cela a commencé après, mais ce qui a accéléré le harcèlement à mon égard, c'est le décret signé par Trump. Les deux sont liés. Depuis la mort de Charlie Kirk, dont Trump a accusé la gauche d'être responsable sans en avoir aucune preuve, il s'est servi de cet événement comme d'une opportunité pour s'en prendre à la gauche. Le désignation du mouvement « antifa » comme une organisation terroriste constitue une grande partie de cet effort. Et il concerne même les démocrates [que Trump a qualifiés le 7 octobre d'« insurrectionnistes » – ndlr].

Comment la communauté étudiante et universitaire a-t-elle réagi à votre situation ?

Avec indignation. J'ai le soutien total des syndicats de professeurs, qui ont écrit un communiqué en solidarité, du conseil de l'université, de mon département d'histoire, du doyen… J'ai reçu un élan massif de soutiens, incluant des pétitions d'étudiants.

Le récit promu par Turning Point USA selon lequel je serais en quelque sorte une menace pour la communauté de Rutgers est donc à l'opposé de la vérité. À savoir que je suis en fait aimé par la communauté de Rutgers, qui estime, comme moi, qu'il s'agit d'un précédent dangereux pour les libertés académiques.

Mathieu Dejean
P.-S.

• Mediapart. 9 octobre 2025 à 20h52 :
https://www.mediapart.fr/journal/international/091025/menace-l-historien-de-l-antifascisme-mark-bray-est-contraint-de-quitter-les-etats-unis

Les articles de Mathieu Dejean sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/mathieu-dejean-0

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« Une décision extraordinairement déstabilisante » : Trump dénoncé pour son appel à reprendre immédiatement les essais nucléaires

4 novembre, par Democracy now ! — , ,
Le président Donald Trump a ordonné au Pentagone de reprendre les essais d'armes nucléaires pour la première fois depuis 1992. Il a fait cette annonce juste avant de rencontrer (…)

Le président Donald Trump a ordonné au Pentagone de reprendre les essais d'armes nucléaires pour la première fois depuis 1992. Il a fait cette annonce juste avant de rencontrer le président chinois Xi Jinping afin de discuter des relations commerciales.
Le Dr Ira Helfand, ancien président de Physicians for Social Responsibility et militant de premier plan contre la prolifération nucléaire, estime que la Maison-Blanche doit « clarifier » les intentions de Trump, et exhorte les pays à se réengager en faveur du désarmement nucléaire.
« Cette idée est parfois rejetée comme irréaliste. Je pense que ce qui est irréaliste, c'est de croire que nous pouvons continuer à maintenir ces arsenaux nucléaires colossaux en espérant que rien de grave ne se produira », déclare Helfand. « Notre chance finira par tourner. »
L'annonce de Trump intervient à seulement quelques mois de l'expiration, en février 2026, du dernier grand traité de contrôle des armements nucléaires entre les États-Unis et la Russie — le Nouveau Traité de réduction des armes stratégiques (New START).

30 octobre 2025 | tiré de democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/10/30/nuclear_weapons

NERMEEN SHAIKH : Nous commençons l'émission d'aujourd'hui en abordant les relations entre les États-Unis et la Chine, ainsi que la menace du président Trump de reprendre les essais d'armes nucléaires. Le président Trump et le président Xi Jinping se sont rencontrés en Corée du Sud et ont convenu d'une trêve commerciale d'un an. Mais cet accord commercial a été éclipsé par l'annonce de Trump selon laquelle les États-Unis allaient reprendre les essais nucléaires pour la première fois depuis 1992. Juste avant sa rencontre avec Xi, Trump a écrit sur Truth Social :« En raison des programmes d'essais d'autres pays, j'ai ordonné au Département de la Guerre de commencer à tester nos armes nucléaires sur une base d'égalité. Ce processus commencera immédiatement. »

AMY GOODMAN : On ignore à quoi le président Trump faisait référence. Ni la Russie ni la Chine n'ont testé d'arme nucléaire depuis des décennies ; la Corée du Nord a effectué son dernier essai en 2017. Trump a brièvement parlé à des journalistes après sa rencontre avec Xi, avant de repartir vers les États-Unis.

PRÉSIDENT DONALD TRUMP :
Cela concernait les autres. Ils semblent tous faire des essais nucléaires.
JOURNALISTE 1 : La Russie ?
TRUMP :
Nous avons plus d'armes nucléaires que quiconque. Nous ne faisons pas d'essais, nous les avons arrêtés il y a de nombreuses années. Mais puisque d'autres en font, je pense qu'il est approprié que nous le fassions aussi.
JOURNALISTE 2 : Des détails sur les essais, Monsieur ? Où et quand ?
TRUMP :
Ce sera annoncé. Vous savez, nous avons des sites d'essais. Ce sera annoncé.

AMY GOODMAN : La menace de Trump de reprendre les essais nucléaires intervient quelques mois avant l'expiration du dernier grand traité de contrôle des armements nucléaires entre les États-Unis et la Russie, le New START, qui expirera en février prochain.
Nous accueillons maintenant le Dr Ira Helfand, expert des conséquences médicales de la guerre nucléaire, ancien président de Physicians for Social Responsibility (lauréat du prix Nobel de la paix en 1985). Il siège également au comité directeur de la campagne Back from the Brink. Il nous parle aujourd'hui depuis Winnipeg, au Canada, où il participe au 5e Sommet de la jeunesse pour la paix nucléaire.
Dr Helfand, bienvenue à Democracy Now ! Vous avez dû être choqué hier soir quand, juste avant cette rencontre très médiatisée entre Trump et Xi, le président a annoncé sur les réseaux sociaux qu'il allait recommencer les essais nucléaires — affirmant qu'il fallait le faire « sur une base égale » avec la Russie et la Chine. Pouvez-vous expliquer de quoi il parle ? Ces pays, comme les États-Unis, n'ont pas effectué d'essais depuis des décennies.

DR IRA HELFAND : Bonjour Amy. En réalité, je ne peux pas expliquer de quoi il parle, car cela n'a aucun sens. Comme vous l'avez souligné, la Russie et la Chine n'ont pas testé d'armes nucléaires depuis des décennies. Ce qui importe le plus maintenant, c'est que la Maison-Blanche clarifie les propos du président Trump.
Si nous devons réellement reprendre les essais d'explosions nucléaires, c'est une décision extraordinairement déstabilisante, qui accroîtra encore davantage le risque déjà énorme de glisser vers un conflit nucléaire. Mais il faut clarifier cela car, en l'état, la déclaration ne correspond pas à la réalité mondiale.

NERMEEN SHAIKH : Et, Dr Helfand, que signifieraient ces essais, si cela se réalisait comme Trump le dit ?

DR IRA HELFAND : Encore une fois, ce n'est pas clair. S'il parle de reprendre les essais d'explosions nucléaires, ils ne seraient probablement pas atmosphériques — car cela est interdit par un traité signé et ratifié par les États-Unis en 1963 — mais souterrains.
Le danger principal serait politique : une telle décision déclencherait inévitablement des réponses d'autres puissances nucléaires et accélérerait dramatiquement la course aux armements, déjà très dangereuse aujourd'hui.
Peut-être que l'unique intérêt de cette déclaration est d'attirer l'attention sur un fait : le problème nucléaire n'a pas disparu, contrairement à ce que beaucoup aimeraient croire. Nous faisons face à la menace nucléaire la plus grave depuis la fin de la guerre froide — peut-être même plus grave qu'à l'époque.
Et cela alors que la meilleure science disponible montre que même une guerre nucléaire limitée, par exemple entre l'Inde et le Pakistan, pourrait déclencher une famine mondiale tuant un quart de l'humanité en deux ans. Nous devons reconnaître cette réalité et modifier notre politique nucléaire, qui repose encore sur l'idée que ces armes nous protègent — alors qu'elles représentent en réalité la plus grande menace à notre sécurité.
Pour les citoyen·nes américain·es en particulier, cela signifie qu'il faut soutenir des initiatives comme Back from the Brink, qui appelle les États-Unis à cesser ces échanges de menaces avec leurs adversaires nucléaires et à négocier un accord vérifiable et contraignant entre les huit États dotés de l'arme atomique, afin d'éliminer progressivement leurs arsenaux selon un calendrier convenu — et qu'ils puissent ensuite adhérer au Traité sur l'interdiction des armes nucléaires.
Cette idée est parfois qualifiée d'« irréaliste ». Ce qui est vraiment irréaliste, c'est de croire que nous pouvons conserver d'immenses arsenaux nucléaires sans qu'un jour, quelque chose ne tourne mal. Nous avons eu de la chance à maintes reprises.
Cette année seulement, cinq des neuf puissances nucléaires ont été engagées dans des conflits militaires actifs. L'Inde et le Pakistan se sont affrontés — cela aurait pu facilement dégénérer en guerre nucléaire, avec des conséquences dévastatrices pour la planète entière. Nous continuons d'éviter le pire par chance, mais cette chance finira par s'épuiser. Et nous devons le reconnaître : la seule façon de garantir notre sécurité, c'est d'éliminer ces armes une bonne fois pour toutes.

NERMEEN SHAIKH : Dr Helfand, un mot sur le moment de la déclaration de Trump, qui est survenue quelques jours seulement après que la Russie a annoncé avoir testé avec succès un missile à capacité nucléaire, capable selon elle de percer les défenses américaines. Pensez-vous que Trump réagissait à cela, sans comprendre la différence entre une arme « à capacité nucléaire » et un essai d'explosion nucléaire ?

DR IRA HELFAND : C'est tout à fait possible, et le calendrier le suggère. Mais encore une fois, la Maison-Blanche doit clarifier la déclaration car, en l'état, elle constitue une instruction explicite de commencer des essais sur les sites d'essai, ce qui sous-entend des essais explosifs. Je soupçonne que ce n'est pas ce que le président voulait dire — mais à ce stade, qui peut le savoir ?

AMY GOODMAN : Oui, il s'agissait d'un missile à capacité nucléaire, non pas armé nucléairement. Enfin, il parle de faire cela « immédiatement », en donnant des ordres à ce qu'il appelle le Département de la guerre. Mais n'est-ce pas le Département de l'Énergie qui est responsable de l'arsenal nucléaire ? Et des dizaines de scientifiques nucléaires ne sont-ils pas en congé forcé en raison de la fermeture du gouvernement ? Qui entretient cet arsenal dangereux ?

DR IRA HELFAND : C'est une autre incohérence frappante dans cette déclaration. Ce n'est pas le Pentagone — qu'il a appelé « Département de la guerre » — qui conduirait les essais nucléaires, mais bien, comme vous l'avez dit, le Département de l'Énergie.
Encore une fois, cette déclaration est confuse, déroutante et demande des éclaircissements urgents, car en l'état, elle est déstabilisante. Elle accroît les tensions et les risques, alors que nous n'avons pas besoin de cela.

AMY GOODMAN : Et cela ouvre la porte à d'autres pays, n'est-ce pas, pour qu'ils reprennent eux aussi les essais ?

DR IRA HELFAND

: Absolument. Il n'y aurait rien que les États-Unis puissent faire de plus dangereux pour leur propre sécurité que de reprendre les essais nucléaires. Cela donnerait un feu vert à d'autres pays pour faire de même et entraînerait une instabilité mondiale encore plus grande.

AMY GOODMAN : Dr Ira Helfand, merci beaucoup d'avoir été avec nous — ancien président de Physicians for Social Responsibility, lauréat du prix Nobel de la paix en 1985, membre du comité directeur de la campagne Back from the Brink. Il nous parlait depuis Winnipeg, au Canada, où il participe au
5e Sommet de la jeunesse pour la paix nucléaire.

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Massacre à Rio : la politique mortifère du gouverneur Claudio Castro

La méga-opération « Operação Contenção », lancée par le gouvernement de Cláudio Castro (PL) dans les complexes de Penha et d'Alemão, a fait au moins 64 morts et révèle un (…)

La méga-opération « Operação Contenção », lancée par le gouvernement de Cláudio Castro (PL) dans les complexes de Penha et d'Alemão, a fait au moins 64 morts et révèle un modèle de sécurité publique fondé sur la brutalité et le mépris des favelas.

Tiré de Movimento Revista
https://movimentorevista.com.br/2025/10/massacre-a-rio-la-politique-mortifere-du-gouverneur-claudio-castro/

Tatiana Py Dutra
29 out 2025, 22:56

À l'aube du 28 octobre 2025, environ 2 500 policiers militaires et civils ont été mobilisés par le gouvernement de Rio de Janeiro pour lancer ce qui, quelques heures plus tard, allait officiellement devenir l'opération la plus meurtrière jamais enregistrée dans l'État. Connue sous le nom d'Opération Contenção (Contention) – selon les termes mêmes du gouvernement de l'État –, l'opération s'est déroulée dans les complexes de favelas do Alemão et da Penha, contre la faction criminelle Comando Vermelho (CV).

Vers 22 heures mardi, 64 décès avaient été confirmés, dont quatre policiers. Les organisations de défense des droits humains soulignent que ce nombre pourrait être encore plus élevé : des habitants ont trouvé au moins 50 corps dans une zone boisée qui n'ont pas été inclus dans le décompte officiel. Mercredi matin, on estimait à plus de 118 le nombre de victimes.

Guerre déclarée aux favelas

Dans une vidéo diffusée après la méga-opération, le gouvernement de l'État a justifié la légalité de l'opération en affirmant qu'« il ne s'agit plus de criminalité ordinaire, mais de narcoterrorisme ». Curieux, alors qu'il s'agit de terrorisme d'État. L'opération a paralysé certaines parties de la ville – voies expresses, écoles, réseau de bus – et semé la panique parmi les habitants : “Il y a des corps éparpillés dans toute la rue”, a rapporté un leader communautaire.

Les habitants ont dénoncé des violences graves : des tirs « aveugles » en direction des habitations, des perquisitions sans mandat judiciaire et l'abandon de personnes blessées ou paniquées. Le scénario décrit ressemble à un champ de bataille, et les favelas et leurs habitants ont une fois de plus été traités comme un territoire ennemi.

La politique du transfert de responsabilité

Le gouverneur Cláudio Castro a également cherché à rendre le gouvernement fédéral et la justice responsables des éventuels obstacles à son opération.

« Malheureusement… nous ne bénéficions pas de l'aide de véhicules blindés ni d'agents des forces fédérales de sécurité et de défense », s'est-il plaint.

Le ministre de la Justice, Ricardo Lewandowski, a quant à lui affirmé n'avoir reçu aucune demande officielle pour une telle opération « Ni hier, ni aujourd'hui. Absolument rien. »

Les observateurs et les chroniqueurs dénoncent le fait que cette action s'inscrit dans une logique de spectacle politique et de militarisation des favelas, et que le transfert de responsabilité fait partie d'une stratégie politico-électorale visant à faire porter la responsabilité du massacre au gouvernement fédéral.

Voix de la résistance et dénonciation

Jurema Werneck, directrice d'Amnesty International Brésil, a été catégorique : « Cela s'appelle un massacre. Aucun gouverneur d'État n'a le mandat d'ordonner le massacre de personnes. »

À l'Assemblée législative de Rio (ALERJ), le député Professor Josemar (PSOL) a déploré l'opération et la douleur des survivants :

« Des familles passant toute la nuit dans la forêt à la recherche de corps, plus de 50 d'entre eux retrouvés et qui ne figurent même pas dans les statistiques officielles du gouvernement. Voilà l'opération réussie du gouverneur Cláudio Castro. Massacre, terreur et cauchemar. La viande la moins chère du marché est la viande noire ! »

Impact national et international

Les répercussions ont dépassé les murs de Rio. L'Organisation des Nations unies s'est déclarée alarmée par l'usage massif de la force et a exigé des « enquêtes urgentes » afin que les droits humains soient respectés.

La presse internationale, comme The Guardian et l'Associated Press, a décrit l'événement comme « le jour le plus meurtrier de l'histoire » pour l'État de Rio, le comparant à des cas précédents et dénonçant la militarisation des favelas.

Il ne s'agit pas seulement d'une action de maintien de l'ordre ostensible et de lutte contre le crime organisé. L'opération Contenção révèle un modèle de sécurité publique qui criminalise des territoires entiers, banalise les morts dans les favelas et cherche à légitimer la violence comme politique d'État. En tentant de rejeter la responsabilité sur le gouvernement fédéral, le gouvernement de l'État se dégage de toute responsabilité envers les victimes et impose le silence sur son propre rôle.

Castro consolide Rio comme laboratoire de la politique de la mort

Sous le commandement de Cláudio Castro (PL), Rio de Janeiro est devenu le plus grand symbole de l'échec de la politique de sécurité fondée sur la létalité policière. Sur les cinq opérations les plus meurtrières de l'histoire de l'État, quatre ont eu lieu sous son gouvernement. Ce sont des chiffres qui feraient rougir même les dirigeants les plus brutaux du passé récent : 64 morts à Penha et Alemão (2025), 28 à Jacarezinho (2021), 23 à Vila Cruzeiro (2022) et 16 à Alemão (2022) – toutes menées selon la même méthode d'occupation militarisée et de non-respect des droits humains.

Malgré la promiscuité patente entre les agents publics, les milices et les factions criminelles , le gouverneur insiste pour vendre l'idée que la violence est synonyme d'efficacité. Le discours de « guerre contre le crime » sert de rideau de fumée pour masquer l'échec structurel d'un gouvernement incapable d'investir dans les services de renseignement policiers, d'intégrer les bases de données, de bloquer les flux financiers des factions et de désarmer les véritables financiers du crime – qui vivent dans les quartiers riches, et non dans les favelas.

Castro également à son compte le huitième plus grand massacre officiel, avec 13 morts à São Gonçalo et Salgueiro (2023), et le neuvième, avec 12 morts à Itaguaí (2020). Depuis qu'il a pris le pouvoir, dans le vide laissé par la destitution de Wilson Witzel, le gouverneur a appuyé sur la gâchette plus souvent que son prédécesseur qui ordonnait de aux policiers de « viser la tête ».

La politique meurtrière adoptée par Castro offre à une partie de l'électorat l'illusion de la sécurité, renforcée par un discours punitif et raciste. Elle alimente la culture de la peur et naturalise l'extermination des jeunes noirs et pauvres, transformant l'exception en règle.

L'adhésion aveugle à l'idéologie de la justice expéditive, célébrée par des profils extrémistes sur les réseaux sociaux, non seulement légitime le massacre dans les favelas, mais sape également les fondements de l'État démocratique de droit. La même logique qui autorise la police à tuer sans jugement est celle qui a tenté de détruire les institutions démocratiques le 8 janvier 2023.

S'il persiste dans cette voie, Cláudio Castro pourrait terminer son mandat avec un record macabre : les cinq plus grands massacres policiers de l'histoire de Rio de Janeiro sous sa signature. Une marque de sang qui expose le véritable héritage de son gouvernement : un État qui troque la justice contre la vengeance et la sécurité contre la mort.

Tatiana Py Dutra é jornalista da Revista Movimento.

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Vagues de feu dans le Pacifique : les États-Unis portent à 61 le nombre de morts dans les Caraïbes

2 novembre, par Isabel Cortés
Isabel Cortés, correspondante Le silence du Pacifique oriental s’est brisé une fois de plus le 29 octobre 2025 : des missiles américains ont frappé une embarcation soupçonnée (…)

Isabel Cortés, correspondante Le silence du Pacifique oriental s’est brisé une fois de plus le 29 octobre 2025 : des missiles américains ont frappé une embarcation soupçonnée de narcotrafic, réduisant au silence quatre vies en un instant. Ce ne fut pas un incident isolé, mais le 15e coup dans (…)

L’aide alimentaire, un garrot pour les plus vulnérables

Les organismes d'aide alimentaire du Québec n'ont jamais été sous une telle pression. On peut s'étonner qu'autant de gens ne puissent pas se nourrir par leurs propres moyens (…)

Les organismes d'aide alimentaire du Québec n'ont jamais été sous une telle pression. On peut s'étonner qu'autant de gens ne puissent pas se nourrir par leurs propres moyens dans une société supposément riche comme la nôtre. Pourtant, le coût élevé des aliments, d'une part, et la crise du logement, d'autre part, laissent peu de choix aux plus vulnérables de notre société. Et ces derniers ne sont pas toujours ceux que l'on croit.

Dans l'édition 2023 de notre étude annuelle Bilan-Faim, parue en octobre dernier, le réseau des Banques alimentaires du Québec annonçait répondre à 2,6 millions de demandes. Chaque mois. Une demande d'aide alimentaire répondue, ça peut être un panier de provisions ramené à la maison par une famille, un repas préparé et livré par une popote roulante au domicile d'une personne âgée, une collation remise à un enfant, etc. Depuis 2019, le nombre de demandes a augmenté de 33 %. À elle seule, la quantité de paniers de provisions remis a doublé sur la même période. À travers tous ces services, notre réseau estime aider mensuellement 872 000 personnes aux quatre coins de la province.

Avant la pandémie, nous aidions mensuellement 500 000 personnes. Comment une aussi grande augmentation en si peu de temps s'explique-t-elle ? Bien sûr, la crise sanitaire a fragilisé de nombreuses personnes déjà précaires, que ce soit physiquement, mentalement ou financièrement. Mais c'est l'inflation galopante qui sévit depuis qui nous amène la plus grande vague de demandes de notre histoire. La hausse du prix du panier d'épicerie frappe durement, on ne vous apprendra rien. La population doit faire des choix devant les rayons en ce qui a trait à la quantité ou à la qualité des aliments achetés. L'insécurité alimentaire guette tranquillement celles et ceux qui réduisent leurs portions, puis sautent carrément des repas…

Il y a 42 % des ménages bénéficiant des paniers de provisions qui déclarent l'aide sociale comme principale source de revenus. Cette proportion est en baisse graduelle depuis 2019, alors que la part des ménages bénéficiaires qui déclarent un emploi comme source principale de revenus atteint maintenant 18 % ! Nous constatons donc que plusieurs travailleurs et travailleuses à petit salaire du Québec n'arrivent plus à se nourrir convenablement. En ce qui a trait à la composition des ménages, là encore c'est varié, mais notons que 45 % des ménages aidés par les paniers de provisions sont des familles avec enfant(s).

Malheureusement, l'alimentation est une dépense compressible, c'est-à-dire qu'elle paraît négociable par rapport à d'autres dépenses obligatoires, comme payer son loyer. Les organismes communautaires de notre réseau évoquent majoritairement la crise du logement et le coût élevé des loyers comme explication de la hausse des demandes d'aide alimentaire, car 62 % des ménages aidés sont locataires d'un logement privé. De plus, les usager·ères sont des adultes vivant seul·es (37 %) et des familles monoparentales (19 %).

L'aide alimentaire, une mesure de lutte contre la pauvreté

Les organismes d'aide alimentaire sont aux premières loges devant les effets de la pauvreté, dont l'insécurité alimentaire est un symptôme. Être forcé·e de réduire la quantité et la qualité de son alimentation est le signe d'une détresse financière à laquelle nous devons mieux répondre en tant que société.

Surtout, il ne faut pas négliger l'impact psychologique et physique de l'insécurité alimentaire. Il est difficile d'envisager de nouvelles solutions de sortie de la pauvreté (par exemple, la recherche d'un emploi) quand la faim nous tenaille. La réduction de la pauvreté diminuerait certainement l'insécurité alimentaire parmi la population, et inversement, l'élimination de la faim serait un frein de moins dans le parcours des personnes pour sortir de la pauvreté.

La réduction durable de l'insécurité alimentaire et sa prévention doivent passer par une amélioration du filet social québécois. Nous appuyons donc des solutions qui augmenteraient pour de bon le pouvoir d'achat des personnes moins nanties grâce à des mesures de redressement de leurs revenus et d'allègement du coût de la vie.

La résolution de la crise du logement devrait ainsi être une priorité du gouvernement afin de soulager la pression sur notre réseau. Le salaire minimum devrait également permettre d'atteindre un revenu viable. La majoration des prestations de l'aide sociale et leur indexation trimestrielle à l'inflation nous semblent également nécessaires. À travers ces mesures, il faudrait réfléchir, dans une perspective intersectionnelle, à la manière de soutenir les femmes, les minorités sexuelles, les personnes racisées, les personnes en situation de handicap ainsi que les membres des Premières Nations, qui sont plus susceptibles de vivre de l'insécurité alimentaire.

« Les banques alimentaires, ça ne règle rien. » Faux !

Certaines personnes sont parfois tièdes devant le fabuleux travail accompli par les banques alimentaires. Quel est l'adage qui dit qu'il est préférable d'apprendre à pêcher que de donner du poisson ? Nous reconnaissons que l'aide alimentaire est une mesure palliative. Dans la situation actuelle, il est cependant difficile d'imaginer un avenir proche où les Québécois·es seront à l'abri des difficultés systémiques et bénéficieront d'un filet social assez solide pour être à l'abri de situations nécessitant le recours à un organisme d'aide alimentaire.

Entretemps, les banques alimentaires demeurent nécessaires, voire vitales. Alors que plusieurs considèrent l'aide alimentaire comme un simple pansement, nous osons dire que nous sommes un garrot. La faim n'est pas une petite blessure ! L'objectif premier de l'aide alimentaire est de procurer un soulagement immédiat à la faim. L'aide alimentaire est exceptionnellement bien organisée au Québec. Notre association provinciale regroupe 19 moissons, qui sont de grandes banques alimentaires régionales responsables d'approvisionner en denrées les organismes communautaires locaux de leur territoire, afin que ces derniers puissent se concentrer sur leur mission essentielle d'aide à la personne. Grâce à un système de partage provincial équitable et à des opérations bien rodées, de très grandes quantités de nourriture peuvent être distribuées rapidement et efficacement jusqu'aux personnes dans le besoin. Mais les organismes dont c'est la mission font aussi beaucoup plus.

L'étude « Parcours » de la Chaire de recherche du Canada sur les approches communautaires et inégalités de santé indique que le recours aux banques alimentaires est l'une des dernières stratégies utilisées par les personnes en insécurité alimentaire pour s'approvisionner : 46 % des nouveaux demandeurs d'aide alimentaire sont en insécurité alimentaire grave à ce moment. Les banques alimentaires sont la porte d'entrée dans les organismes communautaires pour 86 % des nouveaux demandeurs de cette étude. Parmi les organismes de notre réseau, 46 % offrent aux usager·ères un service de référencement vers des organismes spécialisés qui pourront répondre à d'autres problématiques de vie. Au sein même d'un organisme d'aide alimentaire, plusieurs services complémentaires sont souvent offerts : éducation, prévention, préparation de la déclaration de revenus, hébergement, aide au logement, aide à la recherche d'un emploi, etc.

Que nous réserve l'avenir ?

Nous sommes inquiet·ètes, alors que les incertitudes économiques, les craintes d'une récession et les impacts à long terme de la pandémie et de l'inflation nous laissent croire que les personnes fragilisées auront besoin de soutien encore longtemps. Après la crise économique de 2008, soit la dernière fois que notre réseau a connu une hausse aiguë de la demande, les besoins pour les services d'aide alimentaire ne sont jamais redescendus.

Le financement des organismes communautaires est cependant insuffisant depuis des décennies. Leur précarité est accentuée aujourd'hui par la hausse des besoins auxquels ils doivent répondre et par l'inflation qui augmente leurs coûts de fonctionnement. Nous sommes en démarche auprès du gouvernement pour obtenir le soutien nécessaire à notre réseau.

Pour donner un ordre de grandeur du défi auquel nous devons faire face, nos membres, les 19 moissons régionales, ont redistribué ensemble plus de 84 millions de kilos de nourriture, pour une valeur marchande de 512 M$, à leurs organismes accrédités en 2023-2024. Et souvent, cela n'a pas été suffisant pour apaiser tous les ventres…

POUR ALLER PLUS LOIN

Pour avoir un meilleur portrait de la faim au Québec, consultez le rapport complet Bilan-Faim Québec 2023, disponible sur le site des Banques alimentaires du Québec : https://banquesalimentaires.org

Camille Dupuis travaille aux Banques alimentaires du Québec.

Le réseau des Banques alimentaires du Québec assure l'approvisionnement en denrées et sa logistique à près de 1300 organismes communautaires de proximité à travers le territoire québécois, offrant divers services à la population : comptoirs alimentaires, popotes roulantes, services de collations pour les enfants, cuisines collectives, maisons d'hébergement pour femmes, ressources pour les immigrant·es, services aux personnes en situation d'itinérance, etc.

Individualisation de l’itinérance : « Si tu veux, tu peux ! »

La pauvreté est l'une des causes de l'itinérance, et elle se ressent dans le quotidien des personnes en situation d'itinérance. Les organismes communautaires membres du Réseau (…)

La pauvreté est l'une des causes de l'itinérance, et elle se ressent dans le quotidien des personnes en situation d'itinérance. Les organismes communautaires membres du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) en sont témoins chaque jour : la pauvreté a des effets ravageurs sur nos concitoyen·nes, et les ressources manquent pour les soutenir adéquatement.

La pauvreté, c'est l'affaire de tout le monde – ce sont nos voisin·es qui doivent aller à la banque alimentaire pour réussir à finir leur mois, c'est l'étudiant·e qui doit cumuler plusieurs emplois pour arriver à payer son loyer, c'est la personne qui quête parce que son chèque d'aide sociale n'est pas suffisant pour couvrir ses besoins de base. Dans le milieu de l'itinérance, nous sommes confronté·es à la pauvreté chaque jour, mais surtout, nous sommes confrontés à sa complexité. Parce que l'itinérance et la pauvreté sont loin d'être des enjeux faciles.

Michel a une famille, un bon emploi, un entourage qui le soutient. Du jour au lendemain, il perd tout et se retrouve à la rue, à dormir sur un banc de parc. Bien que cette histoire soit fictive, dans l'imaginaire collectif, c'est souvent de cette manière qu'est comprise l'itinérance – un coup de malchance, un événement bouleversant, une irrégularité dans une vie « normale ». On s'imagine que de sortir d'une situation d'itinérance, c'est aussi simple que de se trouver un logement – si on réussit à « placer » Michel en appartement, il pourra reprendre le cours de sa vie et mettre derrière lui ce malheureux incident de parcours. Sans surprise, la réalité est beaucoup plus complexe.

L'exemple de Michel est le reflet d'une perspective individualisante de l'itinérance qui conceptualise ce phénomène comme un échec personnel, qui aurait donc comme solution un effort personnel. Selon cette perspective, la trajectoire d'une sortie d'itinérance commencerait par la reprise en main, puis par un retour en logement pour pouvoir finalement redevenir un membre productif de la société. Si Michel est capable, rien n'empêche les autres de le faire !

Cette façon de concevoir l'itinérance passe totalement à côté des causes structurelles du passage à la rue et omet de considérer les barrières systémiques auxquelles les personnes en situation d'itinérance font face tout au long de leur parcours. Loin d'être une ligne droite, l'itinérance se dessine plutôt comme un gribouillis, un processus de désaffiliation sociale, de va-et-vient parsemé d'embûches entre la rue et le logement. L'itinérance, ce n'est pas aussi simple que de tomber dans la rue, d'être dans la rue et d'en sortir. Par-dessus tout, c'est un phénomène social et non individuel.

La pauvreté est un choix de société

La société capitaliste chapeautée par l'État construit et maintient les conditions qui mènent à la pauvreté et à l'exclusion sociale. La pauvreté est un choix politique : prenons par exemple les montants d'aide sociale qui sont volontairement calculés pour combler 50 % seulement des besoins de base afin de pousser les prestataires à « se trouver une job ». Dans une société où l'employabilité est valorisée par-dessus tout, les personnes qui ne peuvent pas travailler sont ainsi condamnées à la pauvreté par l'État, et celles qui travaillent au salaire minimum ne sont pas loin devant. Avec un chèque d'aide sociale de moins de 800 $ par mois, essayer de payer au minimum un loyer, une épicerie et ses déplacements relève du miracle… et ce n'est pas le gouvernement qui se surmène pour aider, lui qui envoie les Québécois·es vers les banques alimentaires déjà surchargées, lui qui s'attaque aux droits des locataires et qui investit peu dans les ressources communautaires ou de manière à transformer leur mission de transformation sociale en rapiéçage de misère. Ce n'est donc pas l'État qui facilite la sortie de pauvreté, et c'est sans compter le manque d'accès aux soins de santé, l'éducation, la judiciarisation des personnes dans l'espace public, la discrimination et le racisme systémique… les personnes en situation de précarité doivent faire des efforts surhumains pour se battre contre un ensemble de systèmes dans lesquels les dés sont pipés.

Comment donc parler de solution simple à l'itinérance alors même que l'on constate qu'elle est la résultante d'une accumulation de manquements collectifs et de trous dans notre filet social ? Alors que l'idée de mettre fin à l'itinérance en fournissant un logement à chacun est attrayante, force est de constater qu'un toit ne fait pas disparaître la précarité et l'exclusion sociale. Évidemment que le logement est un droit et que chacun·e devrait avoir accès à un chez-soi sécuritaire. Supposons toutefois que chaque personne soit placée en logement aujourd'hui : il y aurait quand même des personnes en instabilité résidentielle, des femmes qui subissent des violences, des personnes judiciarisées par la police, d'autres qui subissent de la discrimination parce qu'elles consomment, des jeunes LGBTQ2S+ qui se font mettre à la porte, des personnes qui sortent de prison sans aide à la réinsertion, des personnes qui n'arriveraient pas à se trouver un emploi ou à le maintenir et qui auraient de la difficulté à payer leur loyer à la fin du mois – la pauvreté ne disparaît pas avec un logement.

Plus qu'une question de logement ou de « motivation »

Personne n'est contre l'idée d'un monde sans itinérance. Toutefois, la croyance que mettre fin à l'itinérance est réalisable sans changements sociaux profonds – sans programmes de lutte à la pauvreté, sans réel accès à l'éducation, sans accès à des soins de santé adaptés et exempts de stigmatisation, sans revenu permettant de sortir de la pauvreté – est dangereuse. Si le poids de la sortie de l'itinérance repose sur les épaules des plus vulnérables et non sur celles de l'État qui les écrase, nous condamnons à la pauvreté et à l'exclusion sociale une grande partie de nos concitoyen·nes. Nous reproduirons malgré nous les schèmes d'une société de méritocratie, risquant de diviser les personnes entre celles qui « méritent » de l'aide puisqu'elles font des efforts pour s'en sortir versus celles qui ne se « forcent pas » et qui ne « méritent » donc pas d'aide de la société.

Puisque ce sont l'État et la société capitaliste qui produisent les situations de pauvreté, c'est à l'État que revient la responsabilité de remédier à la situation et de construire un filet social assez solide pour empêcher les personnes de tomber entre ses mailles. L'itinérance est un enjeu de société dont les causes sont complexes et différentes pour chaque personne – il y a autant de façons de basculer et de vivre en situation d'itinérance que de personnes. Pour l'instant, alors que ce sont des choix politiques qui engendrent et maintiennent des situations de pauvreté et d'exclusion sociale, ce sont les organismes communautaires qui se mobilisent pour venir en aide aux personnes et qui font les frais du sous-financement des services publics. En attendant que les instances publiques prennent leurs responsabilités et financent adéquatement les services sociaux, ce sont les organismes communautaires qui travaillent à colmater les brèches d'un système conçu pour que certain·es s'y noient.

Lorsqu'une personne passe à travers toutes les mailles du filet social, elle se retrouve dans les organismes en itinérance qui, eux-mêmes en situation précaire, se démènent pour offrir des ressources dignes avec les minces moyens à leur disposition. Face à l'inertie de l'État, comment pouvons-nous collectivement soutenir nos voisin·es qui subissent les contrecoups des désinvestissements sociaux, comment lutter contre l'individualisation de problèmes sociaux ? Bientôt confronté·es à des années qui, nous dit-on, seront fastes, nous nous devons de bâtir des solidarités intersectorielles et interclasses pour revendiquer le respect de nos droits et refuser leur effritement par une succession de gouvernements apathiques. Personnes domiciliées ou non, organismes et citoyen·nes – soyons furieux·euses, indigné·es, soyons solidaires et reprisons ce filet social ensemble.

Catherine Marcoux est organisatrice communautaire au Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

Illustration : Anne Archet

La pauvreté, cause et conséquence de violations de droits humains

La précarité économique dans laquelle un nombre de plus en plus important d'entre nous se trouve compromet le droit à la sécurité sociale et nuit à l'exercice de l'ensemble des (…)

La précarité économique dans laquelle un nombre de plus en plus important d'entre nous se trouve compromet le droit à la sécurité sociale et nuit à l'exercice de l'ensemble des droits humains.

Visant à faire connaître, à défendre et à promouvoir l'universalité, l'indivisibilité et l'interdépendance des droits humains, la Ligue des droits et libertés (LDL) s'appuie de façon constante sur la Charte internationale des droits de l'Homme (aussi appelée Charte internationale), composée de la Déclaration universelle des droits de l'Homme (DUDH), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

Ces instruments abordent la pauvreté sous l'angle du droit, bien que le terme « pauvreté » lui-même n'y soit pas utilisé. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'Organisation des Nations Unies (CDESC) définit la pauvreté comme le fait de « ne pas avoir les moyens de base pour vivre dans la dignité ». Ainsi, les États qui ont adhéré à la Charte internationale, dont le Canada et le Québec, reconnaissent que l'être humain doit être libéré de la misère.

Pour atteindre cet objectif, les trois instruments qui constituent la Charte internationale des droits de l'Homme interdisent la discrimination fondée sur la fortune dans l'exercice des droits et libertés. En outre, la DUDH et le PIDESC ainsi que certains traités thématiques prévoient le droit à la sécurité sociale.

Droit à la sécurité sociale

Pour le CDESC, le droit à la sécurité sociale, qui implique l'accès à des prestations en espèce ou en nature, garantit entre autres une protection contre la perte de revenu, le coût démesuré de l'accès aux soins de santé ou l'insuffisance des prestations familiales. « [P]ar sa fonction redistributrice, le droit à la sécurité sociale joue un rôle important dans la réduction et l'atténuation de la pauvreté en évitant l'exclusion sociale et en favorisation l'insertion sociale. » En vertu du PIDESC, les États doivent en garantir la réalisation progressive, impliquant l'obligation d'agir au maximum des ressources disponibles afin de mettre en œuvre des politiques publiques prévenant et redressant les inégalités sociales et économiques. Les États ont par ailleurs l'obligation immédiate de s'assurer que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination.

Cela étant, la sécurité sociale n'est pas le seul droit que la pauvreté compromet : au contraire.

Tous les droits humains

De fait, la précarité économique dans laquelle un nombre de plus en plus important d'entre nous se retrouve affecte la capacité à réaliser l'ensemble des droits humains. Le CDESC se dit convaincu que « la pauvreté constitue un déni des droits de l'Homme ». Il indique :

« Dans la perspective de la Charte internationale des droits de l'homme, la pauvreté peut être définie comme étant la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé de manière durable ou chronique des ressources, des moyens, des choix, de la sécurité et du pouvoir nécessaire pour jouir d'un niveau de vie suffisant et d'autres droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. Tout en reconnaissant qu'il n'existe pas de définition universellement acceptée, le [CDESC] fait sienne cette conception multidimensionnelle de la pauvreté, qui reflète l'indivisibilité de tous les droits de l'homme. »

D'une part, la pauvreté entretient un lien étroit avec la discrimination : elle peut en être aussi bien la source que la conséquence. D'autre part, le rapport entre la pauvreté et les obstacles à l'exercice d'autres droits, comme les droits à l'alimentation saine, au logement décent, à l'éducation et à la santé, par exemple, est manifeste. La pauvreté peut ainsi être conçue à la fois comme une cause et une conséquence de la violation de multiples droits, par ailleurs interdépendants. Ainsi, la lutte à la pauvreté exigera la mise en œuvre de différentes mesures ayant une portée sur un ensemble de droits.

La Charte des droits et libertés de la personne

Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne, largement inspirée du droit international, interdit la discrimination sur la base de la condition sociale dans l'exercice d'autres droits et libertés. Elle garantit également certains droits économiques et sociaux, comme le droit à l'instruction publique gratuite, le droit à des mesures financières et à des mesures sociales ainsi que le droit à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent la santé, la sécurité et l'intégrité physique. Ces droits ne bénéficient cependant pas de la préséance sur les autres dispositions législatives qui est accordée à certains droits et libertés garantis par la CDLP. Ceci a pour effet d'en limiter la portée juridique et, par conséquent, les recours judiciaires visant l'examen de législations ou de diverses mesures qui seraient porteuses de violations de ces droits. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui a notamment comme mandat d'assurer la promotion et le respect des principes contenus dans la CDLP, recommandait pourtant, dans son bilan des 25 ans de la Charte, que la préséance soit étendue à ces droits, ce qui offrirait une voie de lutte contre la pauvreté.

Fiscalité au potentiel discriminatoire

Par ailleurs, la LDL a récemment examiné la portée de diverses mesures fiscales visant à suppléer à l'insuffisance du revenu par des crédits d'impôt plutôt que par une bonification des prestations sociales ou des salaires. Examinées sous l'angle du droit à la protection sociale tel que reconnu dans le PIDESC, cette fiscalisation du social présente un lourd potentiel de discrimination et soulève notamment des enjeux de protection de la vie privée et d'accès à la justice.

Ainsi, le fait d'aborder la pauvreté en tenant compte du cadre normatif relatif aux droits humains contribuerait à garantir que des éléments essentiels de lutte à la pauvreté, comme le principe de non-discrimination, la participation de la population aux prises de décision ainsi que l'interdépendance et l'indivisibilité avec les autres droits, reçoivent toute l'attention qu'ils méritent. La lutte s'en trouverait renforcée et potentiellement plus efficace.

Marie Carpentier est avocate et membre de la Ligue des droits et libertés.

Illustration : Anne Archet

Le droit comme outil de contrôle des corps

L'égalité formelle est garantie par la loi à travers la protection des droits des personnes par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits (…)

L'égalité formelle est garantie par la loi à travers la protection des droits des personnes par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Toutefois, les recours juridiques au sujet des droits économiques et sociaux basés sur ces chartes ont été peu concluants au Canada.

On peut ainsi se questionner sur le manque d'égalité réelle au sein de notre système de justice. Ajoutons à cela que la Constitution canadienne, comparativement à celles de plusieurs autres États, ne garantit pas les droits économiques et sociaux. Ces constats soulèvent la nécessité de réfléchir à la réelle protection des droits fondamentaux que procure le système juridique aux groupes marginalisés, plus particulièrement aux citoyen·nes qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Comment le droit contribue-t-il à créer des inégalités économiques et sociales, et quelles sont les pistes de solution qui se dressent devant nous en vue d'un avenir plus juste ?

Néolibéralisme et pauvreté

La néolibéralisation du système public de notre État de droit a affecté de manière démesurée les services juridiques, et ce, en se déresponsabilisant de l'un de ses principes fondamentaux : promouvoir les droits de toutes et tous. Force est de constater un appauvrissement important des institutions sociales par les gouvernements dans une logique d'assimilation de l'État au marché boursier, entraînant ainsi une privatisation majeure des services publics. Ce phénomène politique a eu pour conséquence immédiate d'exacerber les inégalités, ciblant majoritairement les individus vivant différents obstacles systémiques et économiques, ainsi que leur capacité à faire protéger leurs droits. Au sein du système de justice, le mouvement néolibéral a également eu comme conséquence « […] un recours accru aux processus juridiques associés au droit social pour sanctionner ou contrôler les personnes vivant en situation de pauvreté », notamment dans le contexte de la protection de la jeunesse, en matière de droit psychiatrique et en droit du logement [1]. Cette conjoncture entre judiciarisation et manque d'accès au système de justice est analysée par la professeure Emmanuelle Bernheim dans « Judiciarisation de la pauvreté et non-accès aux services juridiques : quand Kafka rencontre Goliath ». Effectivement, l'État néolibéral adopte des stratégies autoritaires menant ainsi à davantage de contrôle sur les corps.

L'une de ces stratégies autoritaires est l'hypersurveillance dont les communautés sous le seuil de la pauvreté sont victimes et qui contribue conjointement à leur surreprésentation sur les bancs des tribunaux. Cette optique punitive de l'État sur sa population n'apporte pas une meilleure protection aux personnes ni à leurs droits fondamentaux. Michel Foucault pose les bases de ce constat, résumé dans le livre Foucault à Montréal dirigé par Sylvain Lafleur. Il est possible de lier, entre autres, cette surveillance à l'augmentation du nombre de règlements municipaux portant sur les « incivilités » visant les populations en situation de précarité, dont les personnes en situation d'itinérance et les travailleuses du sexe. Le but de ces règlements n'est pas de prévenir le crime, mais plutôt de protéger le capital de certains membres de la population. Le phénomène de l'hypersurveillance est également amplement documenté en ce qui a trait aux droits criminel et pénal. La littérature montre que l'hypersurveillance mène à la persécution disproportionnée des femmes, des personnes noires, racisées et autochtones, des personnes en situation de pauvreté et de la communauté LGBTQIA2S+. Ainsi, nous pouvons conclure que le droit se présente comme un outil de contrôle des corps.

L'invisibilité législative

L'invisibilité des personnes pauvres dans la production du savoir juridique civiliste, un droit au service des propriétaires et du capital, est documenté dans une étude par les chercheur·euses Alexandra Bahary-Dionne et Marc-Antoine Picotte, publiée en 2023 [2]. Les auteur·es y réitèrent le caractère situé du droit, une notion juridique proposée par la chercheuse Sandra Harding qui refuse la prétention d'une quelconque neutralité dans la création du savoir juridique [3]. Dans l'article « Les pauvres et le droit civil : essai sur la production du savoir juridique », le constat des auteur·es par l'étude du vocabulaire utilisé dans le Code civil québécois est que malgré une surreprésentation des personnes en situation de précarité dans les différents domaines de droit social, les personnes en situation de pauvreté sont invisibles au niveau législatif civiliste. Les auteur·es arrivent au même constat au niveau doctrinal et jurisprudentiel civiliste.

L'aide juridique

En réaction au contrôle de l'État sur les corps des personnes issues de milieux défavorisés ainsi que leur invisibilité dans la législation, certaines pistes de solution s'offrent à nous : miser, notamment, sur l'aide juridique et sur le milieu communautaire. En suivant la logique néolibérale, l'aide juridique est l'un des services publics qui devait être réduit dès les années 90. Pourtant, selon la Coalition pour l'accès à l'aide juridique fondée en 2007 par plusieurs organismes communautaires, l'aide juridique est un droit fondamental, « une pierre d'assise de l'accès à la justice ». [4] Selon un mémoire déposé à la Commission des institutions par la Coalition en 2018, le financement adéquat du réseau est l'un des changements substantiels devant être apportés à la Loi sur l'aide juridique. La stagnation des seuils d'admissibilité est également dénoncée dès 2007. Comme le mentionne le mémoire déposé dans le cadre du projet de loi 168, bien que la situation se soit améliorée en 2016 par l'arrimage du seuil d'admissibilité au salaire minimum, la situation n'est pas sans faille : les dossiers à l'aide juridique n'augmentent pas malgré cette réforme. La Coalition exige également de revoir le bassin de services. Effectivement, plusieurs services juridiques ne sont plus couverts ou sont soumis à des critères discrétionnaires, notamment en ce qui concerne le non-consentement aux soins, de demande en garde en établissement et de droit du logement. Finalement, la Coalition demande que les procédures d'accès à l'aide juridique soient grandement simplifiées, puisque les documents requis et leur nature entraînent actuellement des délais trop importants menant à une privation de l'accès à la justice. Du point de vue des membres de la Coalition, tous les services publics comme les services de santé, les services de garde en centres de la petite enfance (CPE) et l'enseignement scolaire devraient être adéquatement financés par l'État. La privatisation devrait être au cœur de l'actualité, afin de démontrer ses nombreux effets néfastes pour le droit à l'égalité.

La reconnaissance du milieu communautaire

L'accessibilité au droit pour l'ensemble de la population est un élément central de l'accès à la justice. Cela prend forme à travers l'éducation juridique et la garantie d'un accès à une information juridique claire et vulgarisée, mais la complexification des notions juridiques compromet ces objectifs. Le milieu communautaire, un service juridique non traditionnel, participe activement à cette mission sociale, notamment par le biais de cliniques juridiques et par la création d'organismes d'accompagnement au sein des tribunaux. Il est du devoir du ministère de la Justice de financer ces organismes à la hauteur de leurs implications afin de répondre à son rôle : la promotion de la justice. De surcroît, au-delà du financement, il devrait être primordial pour le législateur de consulter davantage les organismes concernés et de prendre en considération leurs demandes lors de l'écriture de nouveaux projets de loi sur les enjeux liés à la précarité et à l'accès à la justice, afin de représenter de façon véritable les besoins de la population en la matière. Cela participerait également à lutter contre l'invisibilité des personnes en situation de pauvreté dans la loi, comme l'ont démontré les auteur·es Alexandra Bahary-Dionne et Marc-Antoine Picotte. Par exemple, dans le cadre du projet de loi 31 en matière de droit au logement, nous avons pu constater le manque de prise en considération flagrant de notre gouvernement à l'égard des organismes communautaires comme le RCLALQ, portant ainsi atteinte aux droits des locataires en matière de cession de bail.

Dans les deux mesures énumérées plus haut, il est question de la responsabilité de nos gouvernements. Toutefois, ceux-ci font preuve, historiquement, de peu d'intérêt pour un système de justice qui travaille pour tous et toutes. Si les droits fondamentaux des personnes en situation de vulnérabilité économique ne sont pas garantis par les chartes, que les comportements étatiques sont autoritaires à leur égard et qu'ils sont invisibles dans notre législation, sommes-nous devant un mouvement « punitif de la pauvreté ? » [5]


[1] Emmanuelle Bernheim, « Judiciarisation de la pauvreté et non-accès aux services juridiques : quand Kafka rencontre Goliath », Reflets : revue d'intervention sociale et communautaire, 25(1), 2029, p. 71.

[2] Alexandra Bahary-Dionne et Marc-Antoine Picotte, « Les pauvres et le droit civil : essai sur la production du savoir juridique », Communitas, vol 4, no 1, 2023. https://www.erudit.org/fr/revues/communitas/2023-v4-n1-communitas08993/1108313ar/

[3] Sandra HARDING, « Rethinking Standpoint Epistemology : What is “Strong Objectivity” ? », (1992) 36:3 The Centennial Review 437.

[4] Coalition pour l'accès à l'aide juridique, Mémoire de la Coalition pour l'accès à l'aide juridique présenté à la Commission des institutions, 2018, p. 3

[5] Loïc Wacquant, Punishing the Poor : The Neoliberal Government of Social Insecurity, Duke University Press, A John Hope Franklin Center Book, 2009, p. 408.

Clara Landry est membre de l'Association des juristes progressistes.

Illustration : Anne Archet

Gen Z : le réveil d’une génération

2 novembre, par Rédaction-coordination JdA-PA
Anne Guérin-Lévesque, affiliée à l’Observatoire des droits de la personne du CÉRIUM et Laurence Lamoureux, étudiante en maîtrise en science politique. Collaboration spéciale. (…)

Anne Guérin-Lévesque, affiliée à l’Observatoire des droits de la personne du CÉRIUM et Laurence Lamoureux, étudiante en maîtrise en science politique. Collaboration spéciale. Un drapeau sur fond noir avec un crâne humain portant un chapeau de paille avec un bandeau rouge flotte dans les (…)

Travailler au rabais

Si l'on admet que nos sociétés se structurent fondamentalement autour de l'idée que le travail contribue à la dignité et à l'intégration sociale des personnes, ne faudrait-il (…)

Si l'on admet que nos sociétés se structurent fondamentalement autour de l'idée que le travail contribue à la dignité et à l'intégration sociale des personnes, ne faudrait-il pas que cette participation les prémunisse aussi de la pauvreté ?

Ce n'est pourtant pas le cas, en dépit d'un consensus social en vertu duquel travailler à temps plein devrait protéger de la pauvreté, comme le soulignait Barbara Ehrenreich en 2001 dans l'ouvrage phare L'Amérique pauvre [1]. Vingt ans plus tard, notre premier ministre a beau marteler « qu'il n'est pas question qu'il y ait quelqu'un au Québec qui n'ait pas à manger », on « découvre » encore, année après année, l'ampleur du recours aux banques alimentaires. On se désole que celui-ci progresse régulièrement de manière fulgurante, et, qui plus est, on s'étonne à chaque fois qu'une proportion non négligeable de ces personnes travaillent, dont plusieurs à temps plein !

Si, dans nos pays du capitalisme avancé, on peut être pauvre en raison des aléas de la vie, de la vie chère, de la spéculation immobilière ou de l'endettement, c'est aussi parce que l'emploi ne paye pas assez et qu'il ne comporte aucune garantie d'heures ou de protections sociales. L'emploi faiblement rémunéré constitue une réalité non anecdotique des marchés du travail nord-américains. Par-delà les débats autour des différents « indicateurs de pauvreté » permettant de faire valoir une « diminution du taux de pauvreté au cours des dernières années [2] », force est de constater que la pauvreté reste saillante et que le fait que certain·es se hissent légèrement au-delà des seuils peut non seulement dissimuler l'emploi faiblement rémunéré, peu protégé, voire dangereux, mais aussi contribuer à le légitimer. De surcroît, et il est important de le souligner, la pauvreté en emploi touche surtout les personnes se situant aux croisements de multiples axes d'oppression comme le racisme systémique, les politiques migratoires, la persistance des divisions de genre, l'âgisme, la condition sociale et le capacitisme.

Dévalorisation et non-reconnaissance du travail du care

Il nous faut d'abord insister sur la dévalorisation et la non-reconnaissance historique du travail de « care ». Du fait de leur inscription dans la filiation du travail domestique, ces emplois « de femmes » – préposées aux bénéficiaires, éducatrices en services de garde, préposées à l'entretien ménager – persistent à être peu reconnus et sous rémunérés, en dépit de leur rôle essentiel. À la faible rémunération associée à ces emplois, ajoutons que ces milieux sont propices au travail gratuit, alors que le don de soi et la vocation viennent justifier d'en faire toujours plus avec moins. Le sous-financement du secteur communautaire et ses effets sur les travailleuses du milieu en constituent une illustration patente, alors que la tâche paraît sans fin.

Une femme migrante dont les diplômes acquis à l'étranger ne sont pas reconnus a de fortes chances de se voir refoulée vers ces emplois en raison de la discrimination et du racisme systémique. Bien que les femmes blanches et natives du Québec restent elles aussi cantonnées dans les secteurs d'emploi dits féminins, il faut donc reconnaître que celles qui sont issues de l'immigration ou qui sont racisées sont les premières à se voir relayées vers les segments les moins avantageux sur le plan de la rémunération et de la reconnaissance sociale.

Le « sale boulot » aux gens en marge

Dans l'univers des « sales boulots », nous ne pouvons pas non plus faire l'impasse sur tous ces postes que les « Québécois·es de souche » ne voudraient pas : ouvrier·ères d'entrepôt, attrapeur·euses de volaille, livreur·euses à la demande, cueilleur·euses de tomates ou de petits fruits, pour ne nommer que ceux-là. L'assignation des populations im/migrantes à ces emplois, plus qu'une coïncidence, trouve ses assises dans le racisme systémique et la reconfiguration des systèmes migratoires canadien et québécois. Les travailleur·euses du Sud global sont ainsi les bienvenu·es, dans la mesure où leur séjour est temporaire et qu'ielles occupent des emplois de faible qualité et pauvrement rémunérés.

Malgré la multiplication des abus et des dénonciations féroces et récurrentes concernant les « permis fermés », ces personnes sont généralement tenues dans des zones à l'écart de la citoyenneté – pensons aussi aux étudiant·es internationaux, aux réfugié·es, aux personnes sans statut –, avec pour effet de miner directement leur accès aux différents régimes de protection sociale et leur capacité à activer les droits du travail qui sont pourtant censés les protéger.

Constituant prétendument une opportunité financière, voire de survie pour ces travailleur·euses dont les conditions de vie dans leur pays d'origine ont été minées par les politiques d'ajustement structurel, les conflits armés, les accords de libre-échange et la crise climatique, ces emplois demeurent pourtant ce qu'ils sont : de sales boulots dont la population installée ne veut pas, qui impliquent bien souvent une protection aléatoire, des risques liés à la santé et à la sécurité, de longs déplacements non rémunérés, un salaire horaire extrêmement faible, des tâches et des horaires exténuants, etc. Et c'est ainsi que la délocalisation interne peut permettre aux populations locales de continuer à jouir de leur confort, mais surtout aux entreprises d'empocher leurs profits.

Banalisation des mauvaises conditions des emplois transitoires

Quant aux postes de commis en magasin, de préposé·es à la clientèle ou de services tous azimuts qui ne sont pas occupés par ces travailleur·euses migrant·es, d'aucuns banalisent l'exploitation et la précarité dans ces emplois faiblement rémunérés sous le prétexte qu'il s'agit de « jobs d'entrée » ou de sortie. L'idée selon laquelle ces emplois sont transitoires – pour les « jeunes » et les immigrant·es nouvellement arrivé·es, ou encore qu'ils sont accessoires pour les personnes retraitées qui y trouveraient un moyen de se maintenir actives – est en partie vraie.

Elle masque plus largement une tendance forte de l'emploi au cours des quarante dernières années : la banalisation de la précarité, la privatisation des protections sociales, la dégradation des services publics, le contournement des droits du travail par le recours aux agences de placement ou au faux statut d'indépendant·es, les allers-retours entre l'emploi faiblement rémunéré, le chômage et l'assistance, etc. Si la mobilité ascendante bénéficiant à certain·es d'entre elleux peut masquer ces dynamiques, elle ne devrait pas faire oublier que d'autres – nombreux et nombreuses – stagnent dans des positions et des conditions d'emploi précaires qui ne mènent nulle part. En omettant de se demander s'il est légitime que des emplois soient de si piètre qualité, on en vient en quelque sorte à avaliser ce qui semble être devenu un droit : celui des employeurs de disposer constamment d'un bassin suffisant de travailleurs et travailleuses pouvant être rémunéré·es au minimum.

Personne ne dira que la plupart de ces emplois ne sont pas essentiels. Mais alors, pourquoi la valeur sociale des tâches réalisées ne se reflète pas dans la qualité des conditions d'emploi ? À cet égard, rappelons que jusqu'à tout récemment, le taux de chômage de nos économies avancées se maintenait à un creux historiquement bas. Or, il nous paraît évident que ce succès repose sur une configuration du marché du travail marquée par une forte tolérance aux inégalités et au travail de faible qualité, dont l'État est en partie responsable. Il apparaît clair que celui-ci laisse faire, tout en contribuant activement à l'accroissement des vulnérabilités qui favorisent l'acceptation de conditions de travail et d'emploi dégradées. À l'encontre de l'illusion que chacun·e est « à sa place » en raison de son « mérite », il nous apparaît donc urgent de rappeler que les assignations actuelles à l'emploi, selon des rapports sociaux de genre, de race et de classe, sont plutôt le produit de mécanismes historiques et systémiques qui doivent impérativement être contestés, mais aussi, plus largement, qu'elles témoignent de l'abandon d'une des valeurs aussi rattachées au travail, à savoir qu'il devrait procurer à tous et à toutes les moyens d'une vie digne.


[1] L'autrice évoque notamment le fait que 94 % des Américain·e·s, républicains et démocrates confondu·e·s, estiment que « les personnes qui travaillent à temps plein devraient être en mesure de “ faire sortir ” leur famille de la pauvreté » (p. 119).

[2] Desrosiers, Éric « Le taux de pauvreté a fortement baissé au Québec au début de la pandémie », 7 mai 2022, Le Devoir.

Marie-Pierre Boucher, Laurence Hamel Roy et Yanick Noiseux sont membres du Groupe interuniversitaire et interdisciplinaire de recherche sur l'emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS).

Illustration : Anne Archet

Le cri d’une génération : au Népal, la jeunesse réclame justice

1er novembre, par Claire Comeliau
Claire Comeliau, correspondante en stage Le 9 septembre dernier, lassée du népotisme et de la corruption du régime, la jeunesse népalaise est descendue dans la rue pour (…)

Claire Comeliau, correspondante en stage Le 9 septembre dernier, lassée du népotisme et de la corruption du régime, la jeunesse népalaise est descendue dans la rue pour réclamer ses droits. Ce qui devait être une manifestation pacifique a rapidement tourné au cauchemar : 76 innocents ont perdu (…)

Soudan : la guerre la plus horrible, la plus oubliée

1er novembre, par Serigne Sarr
Serigne Saar, correspondant Il y a des guerres dont on parle, et il y a celles que le monde choisit d’enterrer dans le sable chaud de l’indifférence. Au Soudan, ce n’est plus (…)

Serigne Saar, correspondant Il y a des guerres dont on parle, et il y a celles que le monde choisit d’enterrer dans le sable chaud de l’indifférence. Au Soudan, ce n’est plus une guerre. C’est une tumeur qui dévore l’âme d’une nation, et son épicentre, El Fasher, est le théâtre d’une (…)

À propos du programme de Zohran Mamdani

1er novembre, par Martin Gallié — , ,
Les campagnes électorales pour les municipales de Montréal et de New York se sont déroulées exactement à la même période, en octobre 2025. Elles se terminent la semaine (…)

Les campagnes électorales pour les municipales de Montréal et de New York se sont déroulées exactement à la même période, en octobre 2025. Elles se terminent la semaine prochaine, respectivement le 2 et le 4 novembre. La première n'a pas réussi à intéresser les Montréalais·es si ce n'est quand une candidate a proposé de démanteler les rares pistes cyclables au nom de la sécurité des cyclistes. Depuis, elle est largement en tête dans les sondages… La seconde a fait parler d'elle dans le monde entier et plus de 50 000 bénévoles sont venus apporter leur soutien au programme du candidat de gauche Zohran Mamdani, « un fou communiste à 100% » selon Donald Trump.

Ce qui distingue les deux villes comme les pouvoirs respectifs de leurs maires rendent l'exercice de comparaison aussi périlleux que vain. Il est toutefois possible de revenir sur certains points du programme de Zohran Mamdani qui peuvent contribuer à expliquer l'enthousiasme qu'il a suscité non seulement du côté des classes bourgeoises éduquées de New York, mais aussi du côté des catégories sociales plus vulnérables : les travailleurs et travailleuses de la restauration et des livraisons, les personnes migrantes et racisées, la petite bourgeoisie notamment commerçante.

Trois thèmes, largement absents des débats de la campagne municipale de Montréal, méritent l'attention : le financement du budget, la police municipale et les conditions de travail.

Un candidat ouvertement socialiste

Les journaux rappellent fréquemment que Zohran Mamdani est né en 1991 en Ouganda, qu'il est d'origine indienne, qu'il est musulman, qu'il a obtenu la nationalité étatsunienne en 2018, que son père est professeur d'université, que dans sa jeunesse il chantait du rap et du hip-hop dans le métro, qu'il milite depuis longtemps pour la cause Palestinienne, qu'il est membre de Democratic Socialists of America (DSA), qu'il n' a pas hésité à entamer une grève de la faim en solidarité avec les chauffeurs de taxi surendettés et qu'il a été élu en 2021 député de l'Assemblée de l'État de New York.

Les journaux insistent également sur certaines propositions de sa plateforme, centrée sur l'« Afordability » et la « cost-of-living crisis ». Claire et percurante, résolument à gauche, la plateforme est facilement lisible et traduite en de multiples langues, dont le français. Elle est structurée en 11 points principaux : logement, sécurité, accessibilité, petite enfance et éducation, financement, climat, justice LGBTQIA+, soins de santé, travail, petite entreprise, bibliothèques. Et elle contient une rubrique qui affiche clairement un engagement politique au-delà des enjeux municipaux : « NYC à l'épreuve de Trump ».

Certaines de ces propositions ont fait le tour du monde après que Zohran Mamdani ait remporté, à la surprise générale, la primaire de juin 2025, contre le candidat de l'establishment Démocrate et contre les principaux syndicats qui appuyaient alors son concurrent A. Cuomo. Ces propositions ont aussi hérissé les poils des bourgeoisies de New York, de Paris en passant par celle de Montréal, habituées à des campagnes municipales et nationales sans aucun relief, où l'on débat sur des thèmes qui n'ont jamais rien de réellement populaires, socialistes ou environnementalistes.

Parmi les propositions les plus citées, figurent : la gratuité des bus municipaux ; la création d'épiceries municipales ; l'ouverture de services de garde gratuits pour les enfants de moins de 5 ans ; un salaire minimum de 30 dollars de l'heure dès 2030, le gel des loyers pour les 2 millions de locataires qui vivent dans des logements à loyer dits « stabilisés » ; la décision de faire de New York un sanctuaire pour les immigrant·es « en expulsant l'ICE de toutes les installations de la villes » ; la création d'un « Bureau des Affaires LGBTQIA+ » ; ainsi que l'engagement de consacrer 0,5 % du budget de NYC aux bibliothèques considérant l'importance des lieux publics et de la connaissance pour la vie en société.

Mais le programme contient bien d'autres éléments et notamment sur le financement, la police et les conditions de travail, qui sont moins souvent mentionnés.

Taxer les riches, arrêter de les subventionner, conditionner les aides publiques

Concernant le financement du budget, la plateforme est claire ; c'est aux riches de payer, aux très riches pour être plus précis. Mamdani propose ainsi d'augmenter « le taux d'imposition des sociétés pour l'aligner sur les 11,5% du New Jersey, générant ainsi 5 milliards de dollars ». Il propose également d'imposer aux 1% des New-Yorkais·es les plus riches - c'est-à-dire ceux et celles qui gagnent plus de 1 million de dollars annuellement — un impôt fixe de 2%. C'est une question de justice sociale quand « les taux d'imposition sur le revenu de la ville sont essentiellement les mêmes que vous gagniez 50 000 ou 50 millions de dollars ».

Toujours dans l'idée d'une redistribution, on note son engagement à investir massivement dans les universités publiques de New York (CUNY), « en taxant NYU et Columbia », qui sont richissimes et comptent au nombre des plus grands propriétaires privés de la ville, qui ne paient pas de taxes.

Le financement du budget repose également sur des économies et une réorientation des fonds. Ainsi, en matière de dépenses publiques, le candidat propose de supprimer les millions de dollars actuellement versés en subventions à de riches entreprises, notamment les opérateurs des supermarchés privés. De surcroît, il s'engage à mettre un terme aux subventions secrètes et aux accords protégés par des clauses de « non-divulgation », au prétexte du secret des affaires. Aussi prévoit-il de resserrer les critères dans l'attribution des contrats publics et de lier explicitement l'octroi de subventions à l'intérêt général. Le programme qu'il propose pour faire face à la pénurie des 7 000 à 9 000 enseignant·es en constitue un exemple. Concrètement, il propose d'offrir un soutien financier aux études « en échange d'un engagement de trois ans à enseigner dans les écoles publiques de NYC ». Une solution dont pourrait peut-être s'inspirer le gouvernement Legault, lui qui cherche des enseignant·es et des médecins depuis presque 10 ans.

La police n'est pas compétente pour gérer la misère sociale

Alors que les candidat·es à la mairie de Montréal évitent soigneusement de parler de la police municipale, Zohran Mamdani a choisi de se dissocier des mouvements « defund the police » ou autres ACAB. Sa plateforme est sans ambiguïté sur ce point :

« La police joue un rôle crucial. Mais actuellement, nous comptons sur elle pour gérer les échecs de notre filet de sécurité sociale, ce qui l'empêche de faire son véritable travail ».

Son programme consiste à recentrer les activités de la police sur la résolution des enquêtes et les interventions en cas de crimes et de délits. En revanche, la gestion des questions sociales serait confiée à un Département de la sécurité communautaire qui financerait, notamment, des programmes de santé mentale et le déploiement de travailleuses et travailleurs sociaux à l'échelle de la ville.

Les conditions de travail et les syndicats au cœur de la plateforme

Sur la place accordée aux conditions de travail et aux syndicats dans ce programme, on peut notamment lire :

« La classe ouvrière de New York est exploitée au maximum » ou encore la mairie « travaillera étroitement avec le puissant mouvement syndical de notre ville pour garantir que les travailleuses et travailleurs syndiqué·es et non syndiqué·es connaissent leurs droits au travail et puissent les faire respecter… Facilitera l'organisation des travailleuses et des travailleurs sans crainte de licenciements injustes ou de représailles ».

Entre autres choses, Zohran Mamdani s'engage à exiger le respect de « normes de travail élevées » pour tous les contractants et les projets financés par la ville. Il s'engage également à travailler « étroitement avec les syndicats pour faire passer des lois d'extension sectorielle supplémentaires qui offrent de meilleurs salaires et conditions de travail à travers des industries entières, à l'instar de la loi sur le salaire minimum pour la restauration rapide de NYC ». Et dans le même sens, il propose d'interdire les clauses de non-concurrence, imposées aux travailleurs et travailleuses, qui les empêchent de travailler dans certains secteurs.

S'il est trop tard pour que ce programme puisse orienter les élections municipales, peut-être y a-t-il là matière à réflexion chez nous, pour une gauche québécoise ?

Martin Gallié
31 octobre 2025

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