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« Un médecin pour la paix » de Tal Barda : la réalité de Izzeldin Abuelaish, médecin à Gaza

Dans un documentaire autobiographique, le médecin palestinien Izzeldin Abuelaish livre le récit de son combat pour la paix. Enfant de la deuxième génération après la Nakba, il (…)

Dans un documentaire autobiographique, le médecin palestinien Izzeldin Abuelaish livre le récit de son combat pour la paix. Enfant de la deuxième génération après la Nakba, il n'a jamais cessé de porter l'espoir de la réconciliation malgré les crimes de guerre commis par Israël qui ont anéanti sa famille.

Tiré du Journal l'Humanité
https://www.humanite.fr/un-medecin-pour-la-paix-de-tal-barda-la-realite-de-izzeldin-abuelaish-medecin-a-gaza
Publié le 25 avril 2025

Scarlett Bain

Suivre le pèlerinage d'Izzeldin Abuelaish dans les rues de Gaza en 2021, c'est redécouvrir cette ville vivante, désormais en ruines.

La réalisatrice d'« Un médecin pour la paix », Tal Barda, filme Izzeldin Abuelaish lors de son retour à Gaza en 2021. Le gynécologue palestinien, comme chaque année, s'y rendait pour se recueillir sur la tombe de ses filles et de sa nièce exécutées par l'armée israélienne. Suivre son pèlerinage dans les rues de Gaza, c'est déjà redécouvrir cette ville vivante désormais en ruineset retracer toute l'histoire de cet homme depuis sa naissance dans lecamp de réfugiés de Jabaliyajusqu'à son exil au Canada. Complété par des images d'archives, le témoignage d'Izzeldin Abuelaish s'ancre dans l'histoire longue du conflit israélo-palestinien, quand les films et photos de familles servent son discours poignant pour la paix.

Ce documentaire est adapté de votre livre « Je ne haïrai point. Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix ». Pouvez-vous rappeler les conditions de son écriture ?

J'ai commencé l'écriture de mon livre en 2006. Mon entourage m'encourageait à raconter mon histoire. Celle d'un enfant né dans le camp de réfugiés de Jabaliya et devenu le premier gynécologue palestinien autorisé à exercer dans un hôpital israélien. Il s'agissait de transmettre un message de réussite au peuple palestinien. Mais, le 16 janvier 2009, l'armée israélienne a visé ma maison à Gaza. L'attaque a tué trois de mes filles et ma nièce.

Après leur assassinat, j'ai repris mon projet d'écriture avec la volonté desensibiliser le monde à l'histoire de mon peuple. Aujourd'hui, avec ce film, je souhaite porter un message rassembleur : les Palestiniens sont des gens comme les autres. Nous sommes pleins d'espoir, de projets et de rêves. Nous aimons la vie, nous nous soucions d'elle et nous voulons réussir. Nous vivons dans un monde où règnent la haine, la violence, le racisme, la discrimination, l'ignorance et la cupidité. Avec ce documentaire, j'invite les gens à se demander ensemble dans quel monde nous voulons vivre.

À travers votre histoire personnelle, c'est finalement l'histoire du peuple palestinien que vous souhaitez porter à la connaissance du monde ?

Oui, il ne s'agit pas de ma simple histoire personnelle. Lors des présentations du film, je demande toujours au public ce qu'il sait du peuple palestinien. Je leur dis que nous sommes comme eux : un peuple qui a su accomplir des choses et qui, malgré tout les défis quotidiens, construit son avenir. L'unique différence, c'est que nous sommes un peuple privé d'État et de la liberté d'exister en tant que nation. Or,à cause de la désinformation et des médias biaisés, les Palestiniens sont représentés comme les occupants de leur propre terre. Nous sommes devenus les étrangers alors que nous sommes les autochtones. Je souhaite avec mon travail envoyer un message au monde : nous, Palestiniens, nous voulons vivre en paix avec les autres.

Comment peut-on grandir sans haine quand on naît dans un territoire colonisé ?

Grâce à l'éducation. C'est aussi un des messages du film. J'ai grandi et je suis devenu médecin avant tout grâce au programme del'Unrwa (l'Agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine – NDLR) auquel Israël s'est immédiatement attaqué, en commettant en parallèle un génocide éducatif et humain. Ils tuent les enfants et s'attaquent à tous les lieux d'instruction, car ils savent que le savoir, c'est la lumière. Le gouvernement israélien ne veut pas que les Palestiniens soient éduqués, qu'ils connaissent leurs droits, mais nous ressusciterons, comme le Phénix. Personne ne peut nous empêcher d'atteindre nos rêves, et nous serons plus forts, plus déterminés. Mais nous avons besoin que le monde, par sa mobilisation pacifique, nous soutienne et parle d'humanité pour que les droits humains soient respectés et que l'occupation des territoires palestiniens se termine.

Après l'assassinat de vos filles, vous vous êtes immédiatement exprimé dans les médias pour réclamer la paix, puis vous vous êtes tourné vers la justice israélienne pour faire juger ce crime…

Le documentaire revient en effet sur ma longue bataille judiciaire. J'étais déterminé à adopter une approche humaine, légale, éthique et civilisée. Je demandais simplement des excuses, je n'ai rien obtenu. Je l'écrirai comme un testament pour mes enfants : ne renoncez pas à rendre justice à vos sœurs. Mais non pas avec des balles, ni avec des armes à feu, mais par des moyens légaux, éthiques et civilisés. C'est la voie que je m'engage à poursuivre.

Votre documentaire porte aussi l'idée forte que la cause palestinienne met le monde à l'épreuve…

Un génocide est en courset les Palestiniens sont réduits à des numéros. C'est un test pour l'humanité : la résolution du problème palestinien et la fin de l'occupation profiteront au monde entier. Notre liberté est la vôtre. Nous devons défendre la liberté et l'humanité de tous. C'est le défi pour notre monde. Si j'affirme défendre l'humanité, je dois le faire et sauver des vies. Lorsque j'exerçais la médecine en Israël, je ne demandais jamais à la femme si elle était musulmane, juive ou chrétienne avant de la soigner et de mettre son enfant au monde. Aujourd'hui, nous entendons dans les médias parler des Américains, d'Emmanuel Macron, des otages israéliens et de leurs familles, mais pas du peuple palestinien. Le monde est aveugle, sourd et complice. Pourtant, nous sommes tous des otages d'Israël, personne ne nous considère comme des êtres humains.

Le film était encore en cours de réalisation quand a eu lieu l'attaque terroriste du Hamas. Est-ce que cet événement a remis en cause sa production ?

Je ne résume pas ma vie à un jour, c'est là tout l'enjeu. Lorsque vous allez consulter un médecin, que fait-il ? Il vous demande vos antécédents. L'histoire permet de comprendre le problème et d'établir un diagnostic précis. Je voudrais quele 7 octobre et la réplique génocidaire d'Israël n'aient pas eu lieu. Je voudrais que mes filles n'aient pas été assassinées. Je n'ai pas souhaité la Nakba quand ma famille a été chassée de chez elle. Tous ces événements étaient évitables. Leur unique cause est l'occupation. Le 7 octobre a révélé l'hypocrisie de la communauté internationale et la vacuité de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Vous croyez encore au droit international pour rétablir la paix ?

Nous avons besoin du droit. La paix mondiale est en train de s'effondrer. Mais ce sont les dirigeants qui violent le droit international et veulent nous ramener à l'état de jungle. Les puissants mangent les faibles. Mais j'ai confiance dans l'opinion publique. L'avenir des Israéliens dépend de celui des Palestiniens. Ils ne seront pas en sécurité tant que nous ne serons pas libres et égaux. Je dis au monde que le seul moyen, c'est que le gouvernement israélien actuel, dirigé par un gouvernement fanatique d'extrême droite destructeur pour Israëlet pour les Palestiniens, soit arrêté. Israël n'écoute personne, à cause du soutien et de l'indifférence, voire de la complicité du monde occidental.

Emmanuel Macron a déclaré soutenir le plan de paix élaboré par les pays arabes. Qu'en pensez-vous ?

C'est une première étape. Mais pourquoi n'est-il pas allé visiter Gaza pour voir le génocide, pour agir et permettre à l'aide humanitaire d'entrer à Gaza ? Pourquoi n'a-t-il pas commencé par arrêter de fournir des armes à Israël ou à imposer des sanctions contre Israël ? La France a fait cela contre la Russie. Parler est une étape, agir en est une autre.

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La peine de mort est une question féministe en Iran

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique Tiré de Entre les lignes et les (…)

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/22/la-peine-de-mort-est-une-question-feministe-en-iran/?jetpack_skip_subscription_popup

Photo : Pakhshan Azizi, Sharifeh Mohammadi, Varisheh Moradi

À première vue, la peine de mort peut sembler être une question de droit ou de droits des êtres humains, plutôt qu'une préoccupation féministe. Mais en Iran, où le genre façonne profondément les résultats juridiques, la question devient urgente : pourquoi les féministes devraient-elles se préoccuper de la peine capitale ? La réponse réside dans la manière dont le système judiciaire iranien applique la peine de mort, souvent à travers un prisme qui efface les réalités vécues par les femmes, en particulier celles qui ont subi des abus, des traumatismes et une violence systémique.

Les femmes qui résistent au régime, qui défendent leurs droits ou qui remettent en cause les structures patriarcales sont confrontées à une forme unique et brutale de répression. Les féministes, dans toutes leurs perspectives, s'engagent en faveur d'une justice non violente, équitable et consciente de la manière dont le pouvoir opère en fonction du sexe. En s'attaquant à la peine de mort, elles en dénoncent non seulement la cruauté, mais aussi l'application sexuée, en la considérant comme un outil de contrôle de l'État qui recoupe des questions de genre, de classe, de race et de sexualité. Le féminisme s'oppose à la peine de mort parce qu'elle renforce la violence, prive de justice les plus vulnérables et exclut toute possibilité de guérison et de transformation.

Le bilan de l'Iran en matière de droits des êtres humains a fait l'objet d'un examen approfondi en raison de l'augmentation inquiétante du nombre de condamnations à mort. Dans un rapport publié le 8 avril sur les condamnations à mort et les exécutions dans le monde, Amnesty International indique de manière choquante que les exécutions enregistrées ont atteint leur chiffre le plus élevé depuis 2015. En 2024, l'Iran, l'Irak et l'Arabie saoudite représentaient 91% de l'ensemble des exécutions recensées et figuraient parmi les cinq pays ayant procédé au plus grand nombre d'exécutions. Le rapport indique également que « l'Iran a exécuté 119 personnes de plus que l'année dernière (d'au moins 853 à au moins 972), ce qui représente 64% de toutes les exécutions connues » dans le monde.

Au moins 54 personnes ont été condamnées à mort pour des motifs politiques ou liés à la sécurité, et de nombreuses affaires ont été entachées de violations des droits de la défense et de procès inéquitables. Cette tendance alarmante est particulièrement préoccupante pour les militantes des droits des femmes, qui sont de plus en plus visées par le régime. Parmi les cas les plus notables, citons ceux de
* Pakhshan Azizi, travailleuse humanitaire et militante de la société civile condamnée à mort pour sa participation à des manifestations et son activisme ;
* Sharifeh Mohammadi, défenseur des droits des êtres humains risquant la peine de mort pour son activisme ; et
* Varisheh Moradi, militante des droits des femmes condamnée à mort pour son appartenance à un groupe d'opposition à la République islamique d'Iran.

Ces affaires ne mettent pas seulement en lumière la répression brutale de la dissidence par le régime, mais soulignent également les risques croissants encourus par les femmes qui osent défier l'État.

Le soulèvement qui a suivi la campagne « Femme, vie, liberté » s'est traduit par une augmentation significative des peines sévères, de nombreuses prisonnières et de nombreux prisonniers risquant d'être exécutés. L'utilisation de la peine de mort par le gouvernement iranien comme outil de répression politique a suscité des inquiétudes quant à son bilan en matière de droits des êtres humains. L'Iran est depuis longtemps connu pour son nombre élevé d'exécutions, mais en 2024, le pays a connu une augmentation sans précédent de l'application de la peine de mort, avec 972 exécutions recensées, ce qui en fait le premier bourreau mondial par habitant·e. Si bon nombre de ces exécutions ont eu lieu pour des délits présumés liés à la drogue, qui n'atteignent pas les seuils légaux internationaux pour la peine capitale, un nombre croissant de prisonnier·es politiques ont également été condamnés·e à mort, ce qui reflète un changement dangereux dans l'approche du régime iranien à l'égard de la dissidence.

Le cas de ces trois femmes – Azizi, Mohammadi et Moradi – nous rappelle brutalement que la répression politique est de plus en plus liée au genre et que l'État iranien utilise la peine de mort non seulement comme un outil de contrôle de l'État, mais aussi comme un moyen de faire taire les voix des femmes qui osent défier le régime. Les exécutions politiques en Iran, en particulier celles des femmes, démontrent la convergence des tendances misogynes et autoritaires de l'État, où l'action politique et le militantisme des femmes sont punis par la violence.

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique. Le féminisme a toujours été plus qu'une simple question d'équité entre les sexes. Au fond, il s'agit d'une lutte contre toutes les formes de domination. Il représente une quête permanente de justice, d'autonomie et de dignité pour tous, en particulier pour ceux qui ont été mis en marge de la société.

En Iran, la peine de mort est appliquée de manière disproportionnée aux femmes qui participent à l'activisme politique, en particulier à celles qui remettent en cause le statu quo de la gouvernance patriarcale. Les trois femmes actuellement condamnées à mort – Sharifeh Mohammadi, Pakhshan Azizi et Varisheh Moradi – sont emblématiques de cette tendance générale. Elles ont toutes été arrêtées en 2023 lors de la répression du soulèvement « Femme, vie, liberté » de 2022, qui a été une source importante de dissidence contre les politiques oppressives du régime iranien.

L'implication des femmes dans les mouvements politiques est considérée comme un défi direct à l'ordre patriarcal en Iran. Des femmes comme Mohammadi, Azizi et Moradi ne protestent pas seulement contre les politiques qui restreignent leurs libertés, mais affirment également leur droit d'exister en tant qu'individues égales et autonomes. Cet acte de défi contre le contrôle patriarcal de l'État sur le corps, la voix et la vie des femmes peut être interprété comme un acte féministe en soi.

Cependant, l'État iranien ne tolère pas ce genre de défi. Les femmes qui s'engagent dans des mouvements politiques sont souvent qualifiées de menaces pour la stabilité de la nation, d'ennemies de l'État et soumises à des châtiments extrêmes, y compris la peine de mort. Dans ce contexte, la peine de mort a un double objectif : elle punit la dissidence politique et renforce le contrôle de l'État sur les femmes en tentant de réduire au silence celles qui remettent en cause les structures de pouvoir fondées sur le sexe.

Dans de nombreux cas, la peine de mort en Iran est appliquée de manière disproportionnée à des femmes qui sont elles-mêmes victimes de violences sexistes. Les femmes condamnées à la peine de mort ne sont pas simplement des cas de crime, mais souvent des histoires de survie face à un préjudice profond et systémique. Le magazine juridique et judiciaire de la Fondation des avocats iraniens, dans un article intitulé « Les cas les plus célèbres de femmes iraniennes meurtrières », note que « l'histoire des femmes iraniennes meurtrières est étrange et compliquée, de nombreuses affaires mettant des années à aboutir ». Derrière ces retards se cachent des vies marquées par les mariages d'enfants, les abus domestiques et une longue histoire de violence. Plutôt que de reconnaître ces injustices structurelles, le système juridique punit souvent les femmes avec sévérité, sans tenir compte du contexte de leurs actes ou des traumatismes qu'elles ont subis.

Selon Iran Human Rights, environ 70% des femmes exécutées pour meurtre avaient tué leur partenaire masculin, souvent par désespoir après avoir subi des violences prolongées. En 2024, au moins 31 femmes ont été exécutées en Iran – le nombre le plus élevé depuis 17 ans – dont beaucoup ont fait l'objet d'accusations découlant de situations telles que la violence domestique ou le mariage forcé. Ces cas soulignent que le système judiciaire iranien ne tient souvent pas compte des réalités vécues par les femmes, les punissant sévèrement sans tenir compte du contexte de leurs actes ou des traumatismes qu'elles ont subis.

Les condamnations à mort de prisonnier·es politiques, y compris celles des trois femmes, s'inscrivent dans une stratégie plus large de la République islamique visant à étouffer la dissidence et à supprimer toute opposition au gouvernement. Le régime a de plus en plus recours à la peine de mort pour intimider les manifestant·es et les militant·es, en utilisant la menace d'une exécution pour créer un climat de peur et réduire au silence celles et ceux qui s'expriment contre lui. Les féministes affirment que la criminalisation de l'activisme politique et le recours à la peine de mort qui s'ensuit reflètent une tentative patriarcale de contrôler et d'effacer les voix des femmes qui osent s'opposer au régime.

L'un des aspects les plus inquiétants de l'application de la peine de mort par la République islamique est l'absence de procédure régulière et le recours fréquent à des aveux forcés obtenus sous la torture. Les prisonnier·es politiques se voient souvent refuser l'accès à un·e avocat·e et sont soumis·es à des simulacres de procès, qui violent les normes internationales en matière de justice. Dans de nombreux cas, les « aveux » utilisés pour condamner les individu·es sont obtenus sous la contrainte, ce qui souligne le mépris systématique du régime pour les droits des êtres humains.

La peine de mort en Iran est appliquée de manière disproportionnée aux membres des minorités ethniques et religieuses. Comme on l'a vu dans le cas des trois femmes, les personnes qui risquent d'être exécutées appartiennent souvent à des communautés marginalisées, qui ont toujours fait l'objet d'une discrimination systémique dans la société iranienne. Ces minorités, notamment les Kurdes, les Baloutches, les Turcs, les Arabes et d'autres nationalités et communautés ethniques, sont souvent prises pour cible par le régime en raison de leur engagement dans l'activisme politique, et la peine de mort est utilisée comme un moyen d'étouffer encore davantage leur voix.

L'intersection du genre et du statut de minorité rend l'expérience de la peine de mort encore plus complexe pour des personnes comme Mohammadi, Azizi et Moradi. Ces femmes, en tant que membres de communautés minoritaires, sont victimes non seulement de violences fondées sur le genre, mais aussi de persécutions ethniques et politiques. Leur exécution servirait d'avertissement aux autres femmes et communautés minoritaires pour leur faire comprendre que la résistance au régime n'est pas tolérée.

Le recours à des aveux forcés obtenus sous la torture est une caractéristique du système judiciaire iranien, en particulier lorsqu'il s'agit de prisonnier·es politiques. Le régime utilise souvent ces aveux pour justifier la peine de mort, malgré leur manque de fiabilité inhérent. Par exemple, dans les cas de Mohammadi, Azizi et Moradi, il est probable que les aveux aient été obtenus sous la contrainte, et les procès qui ont abouti à leur condamnation à mort ont été entachés de graves violations des droits de la défense. Les universitaires féministes affirment que ces aveux sont particulièrement problématiques lorsqu'ils sont appliqués à des femmes, car ils impliquent souvent la criminalisation de l'action politique des femmes. Dans le cas des trois femmes, leur participation aux manifestations « Femme, vie, liberté » n'était pas seulement un acte politique, mais un défi direct au contrôle patriarcal que le régime cherche à maintenir. Les aveux forcés qui leur ont été arrachés servent à criminaliser leur résistance, les punissant effectivement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression et d'association.

L'exécution de prisonniers politiques en Iran, en particulier de femmes, constitue une violation flagrante du droit international en matière de droits des êtres humains. Le fait que l'Iran continue d'appliquer la peine de mort pour des crimes politiques est condamné par des organisations internationales, notamment Amnesty International et Human Rights Watch, ainsi que par le Conseil des droits des êtres humains des Nations unies, qui ont appelé à plusieurs reprises à l'abolition de la peine de mort et à la libération des prisonniers politiques.

Cependant, les gouvernements internationaux, en particulier ceux qui entretiennent des relations diplomatiques avec le régime iranien, sont restés largement silencieux face à ces exécutions. Le silence de la communauté internationale ne fait qu'enhardir le gouvernement iranien, lui permettant de poursuivre sa campagne brutale contre la dissidence.

Les militantes féministes et les organisations de défense des droits des êtres humains affirment qu'une pression mondiale doit être exercée sur l'Iran pour qu'il mette fin à l'application de la peine de mort à l'encontre des dissident·es politiques. Les gouvernements doivent s'élever contre ces exécutions et exiger la fin de la persécution systémique des femmes et des minorités en Iran. La communauté internationale doit tenir le régime iranien pour responsable de ses violations des droits des êtres humains, en particulier de son recours abusif à la peine de mort comme outil de répression politique.

Le recours croissant à la peine de mort en Iran comme moyen de faire taire les dissident·es politiques et de marginaliser les femmes est une pratique profondément troublante de la République islamique d'Iran. Les cas de Pakhshan Azizi, Sharifeh Mohammadi et Varisheh Moradi mettent en évidence l'intersection du genre, de la politique et de la violence d'État, la peine de mort étant utilisée comme un outil pour maintenir le contrôle patriarcal et supprimer les droits des femmes. Les militantes féministes et les organisations de défense des droits des êtres humains doivent continuer à faire pression pour l'abolition de la peine de mort en Iran et pour la libération des prisonnier·es politiques injustement condamné·es.

La lutte pour les droits des femmes en Iran est intrinsèquement liée à la lutte pour la justice et les droits des êtres humains pour tous et toutes. La condamnation à la peine de mort des prisonnier·es politiques, en particulier des femmes, n'est pas seulement une violation des droits individuels, mais une attaque directe contre les mouvements féministes qui remettent en cause les structures oppressives du pouvoir en Iran. Il est temps pour la communauté internationale d'agir, d'exiger l'abolition et la fin des exécutions, et de soutenir les femmes et les hommes qui continuent à lutter pour la liberté, la dignité et l'égalité en Iran.

En conclusion, la peine de mort en Iran, en particulier en ce qui concerne toutes et tous les prisonniers politiques et les femmes, n'est pas seulement une question de justice légale, mais aussi une question de lutte féministe. L'exécution d'Azizi, de Mohammadi et de Moradi met en évidence l'intersection de la violence d'État, de l'inégalité entre les sexes et de la répression politique, et la lutte pour mettre fin à ces condamnations à la peine de mort est une lutte pour la justice, l'égalité et les droits des êtres humains. Les féministes, tant en Iran que dans la diaspora iranienne et au niveau international, doivent continuer à exiger l'abolition de la peine de mort en Iran. L'abolition de la peine de mort n'est pas seulement une réforme juridique, c'est un engagement pour un avenir plus humain et plein d'espoir.

Cet article a été publié sur le site deLA Progressive. Les opinions exprimées ici sont uniquement celles de l'autrice et ne reflètent pas les opinions ou les convictions de LA Progressive.

Elahe Amani, 16 avril 2025
https://newpol.org/death-penalty-is-a-feminist-issue-in-iran/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Où est l’indignation face aux violences sexuelles « systématiques » contre les Palestinien·nes ?

Malgré les preuves de plus en plus nombreuses des crimes sexistes commis par l'armée, les associations de femmes israéliennes ont largement ignoré ou nié le nouveau rapport (…)

Malgré les preuves de plus en plus nombreuses des crimes sexistes commis par l'armée, les associations de femmes israéliennes ont largement ignoré ou nié le nouveau rapport accablant de l'ONU.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le mois dernier, un rapport destiné au Conseil des droits des êtres humains des Nations unies a affirmé – comme les Palestinien·nes l'affirment depuis longtemps – qu'Israël a systématiquement eu recours à la violence sexuelle et aux crimes fondés sur le genre contre les femmes, les hommes et les enfants palestiniens depuis le 7 octobre.

L'enquête, publiée parallèlement à des témoignages poignants de survivant·es et de témoins, de représentant·es de la société civile, d'universitaires, d'avocat·es et d'expert·es médicaux au cours d'une audience de deux jours à Genève, a abouti à plusieurs conclusions essentielles qui, à mon avis, exigent une attention et une action immédiates de la part de la communauté internationale.

Tout d'abord, l'utilisation par les forces israéliennes de la violence fondée sur le genre a connu une escalade spectaculaire en termes d'échelle et d'intensité depuis le 7 octobre, devenant « systématique ». Ces crimes sont devenus un outil d'oppression collective visant à démanteler les familles et les communautés palestiniennes de l'intérieur – une tactique empruntée à d'autres campagnes de violence ethnique et de génocide dans des endroits tels que la Bosnie, le Rwanda, le Nigeria et l'Irak, où le corps des femmes est devenu un champ de bataille.

Deuxièmement, les centres de détention militaire israéliens sont devenus les épicentres des formes les plus flagrantes de violence sexiste. Au-delà des images largement diffusées de prisonnier·es palestinien·nes dénudé·es à Gaza, le rapport fait état de témoignages provenant d'installations telles que Sde Teiman, où les prisonnier·es, privé·es de toute protection juridique et loin de la vue des médias, ont été victimes de viols, de dégradations sexuelles et de tortures. Dans certains cas, comme celui du médecin Adnan Al-Bursh, les prisonniers sont morts en conséquence directe des abus sexuels qu'ils ont subis pendant leur détention.

Troisièmement, le rapport fait état de la prolifération de la violence sexiste à l'encontre des Palestinien·nes dans le domaine numérique. Les groupes vulnérables, en particulier les femmes et les jeunes, ont été confrontés à la honte, au doxing et à l'exploitation de leur orientation sexuelle ou de leur comportement privé en tant qu'outils de coercition et d'intimidation.

Les colons israéliens, qui agissent souvent sous la protection de l'armée, harcèlent sexuellement les femmes palestiniennes en Cisjordanie, exploitant les rôles traditionnels des hommes et des femmes au sein de la société palestinienne comme méthode d'oppression.

Les conclusions du rapport, qui a été réalisé par la Commission d'enquête des Nations unies sur le territoire palestinien occupé, s'appuient non seulement sur les récits des survivant·es, mais aussi sur les messages publiés par les soldats israéliens sur les réseaux sociaux. Les auteurs de ces actes ont fièrement décrit leurs actes « héroïques » de vengeance masculine, fouillant dans les tiroirs des Palestiniennes, posant en sous-vêtements et gribouillant des graffitis misogynes à l'intérieur des maisons occupées de Gaza. Bien qu'une grande partie de ce contenu ait ensuite été supprimée des plateformes sociales, il reste archivé dans le rapport de l'ONU pour la postérité.

Mais si ces vidéos et ces images sont indéniablement répréhensibles et criminelles, elles pâlissent en comparaison des violences sexuelles plus extrêmes documentées dans le rapport. Le déshabillage public forcé et les fouilles invasives, le retrait forcé du hijab des femmes, le tournage d'actes de dégradation sexuelle sous la menace de nouvelles violences, les menaces et les actes de viol comme forme de torture – tout cela constitue non seulement des violations de la dignité, mais aussi de profondes agressions physiques et sexuelles.

Le rapport affirme que des femmes et des hommes ont été la cible de ces crimes et met en cause les médias israéliens qui les ont normalisés en accueillant des commentateurs et des présentateurs qui ont parlé de l'utilisation de la violence sexuelle comme d'un outil légitime dans la guerre. Elle met par exemple en évidence les commentaires d'Eliyahu Yosian, de l'institut Misgav, sur la chaîne d'extrême droite Channel 14 : « La femme est un ennemi, le bébé est un ennemi, et la femme enceinte est un ennemi » (après que Channel 14 a mis en ligne le clip, il a reçu plus de 1,6 million de vues).

D'après les témoignages présentés à la commission, les femmes victimes ont souvent beaucoup de mal à dénoncer les abus dont elles sont victimes. Un exemple notable est celui d'un poste de contrôle militaire israélien près d'Hébron, où un soldat s'exposait régulièrement aux femmes palestiniennes qui passaient. Une étudiante qui doit passer par ce poste de contrôle pour se rendre à l'école choisira probablement de garder le silence sur ces abus, car en parler signifierait presque certainement qu'elle devrait interrompre ses études.

Les attaques contre les installations de santé reproductive à Gaza constituent un autre aspect des crimes de guerre sexistes commis par Israël. Selon le rapport, les forces israéliennes ont systématiquement pris pour cible les infrastructures de santé maternelle de Gaza, les centres de traitement de la fertilité et, en fait, toute institution liée à la santé génésique. Le rapport fait également état de cas où des snipers ont tiré sur des femmes enceintes et âgées, et où des médecin·es ont dû pratiquer des césariennes sans désinfectant ni anesthésie.

Sur la base des conclusions du rapport, Navi Pillay, présidente de la commission d'enquête, a déclaré : « Il est impossible d'éviter la conclusion qu'Israël a utilisé la violence sexuelle et sexiste contre les Palestinienfnes pour instiller la peur et perpétuer un système d'oppression qui sape leur droit à l'autodétermination. »

Un réveil brutal
Contrairement au rapport parallèle de l'ONU publié en mars 2024, qui enquêtait sur les crimes sexistes commis par des militants du Hamas contre des femmes israéliennes le 7 octobre, le rapport actuel n'a pratiquement pas été couvert par les médias grand public, que ce soit en Israël ou dans le reste du monde.

Il s'avère que même une escalade spectaculaire des crimes sexistes contre les femmes et les filles pendant la guerre, et la détermination sans équivoque que l'utilisation de ces méthodes par Israël était systématique, plutôt que de simples actes isolés commis par des soldats individuels, n'ont pas suffi à pousser les organisations féminines israéliennes ou internationales à s'opposer, à condamner ou même à demander un examen urgent de la question. Le fait que le rapport ait été publié quelques jours avant la Journée internationale des droits des femmes n'a pas suffi à déclencher des webinaires, des symposiums ou des conférences dans les universités du monde entier, ni des discussions d'urgence au sein des commissions parlementaires pour la promotion des droits des femmes.

Ici, en Israël, les réactions vont du silence au déni pur et simple. « L'ONU soutient les terroristes de la Nukhba et le Hamas », a déclaré Hagit Pe'er, présidente de Na'amat, la plus grande organisation de femmes en Israël. « Ce rapport dégage une forte odeur d'antisémitisme. Il s'agit d'une tentative de créer une réalité alternative et inversée en réponse au massacre sexuel perpétré par le Hamas contre des femmes et des hommes israéliens – alors que les institutions internationales, y compris les organisations de femmes du monde entier, restent ostensiblement silencieuses. Ce sont ces mêmes organisations qui condamnent toute violence sexuelle, sauf si les victimes sont des femmes israéliennes et juives ».

J'ai également soumis les conclusions du rapport à la professeure Ruth Halperin-Kaddari et à l'ancienne procureure militaire en cheffe Sharon Zagagi-Pinhas du projet Dina, une initiative chargée de documenter les violences sexuelles commises par le Hamas. Elles ont elles aussi qualifié cette initiative de « nouvelle étape dans la campagne de délégitimation d'Israël ».

« Depuis sa création en 2020, la [Commission d'enquête des Nations unies sur le territoire palestinien occupé] a adopté un parti pris unilatéral et anti-israélien dans la grande majorité de ses actions, ce qui se reflète clairement dans le rapport actuel », ont déclaré Halperin-Kaddari et Zagagi-Pinhas en réponse à mon enquête.

« Comment les affirmations faites dans ce rapport peuvent-elles être comparées aux crimes brutaux de violence perpétrés systématiquement et délibérément par le Hamas le 7 octobre – des actes horribles de viol, de mutilation génitale et de violence sexuelle infligés même à des cadavres », ont-elles poursuivi. « Il est profondément regrettable qu'au lieu de prendre des mesures pour inscrire le Hamas sur la liste noire des organisations qui commettent des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre, la Commission ait choisi une autre voie ».

« Quant aux allégations elles-mêmes, ont-elles ajouté, contrairement au Hamas qui nie systématiquement ses crimes, si elles sont fondées, les autorités israéliennes sont tenues de mener une enquête en bonne et due forme ».

Comme beaucoup de femmes en Israël, j'ai également connu un réveil féministe brutal au cours de cette guerre. J'ai perdu des camarades palestinien·nes qui n'ont pas apprécié ma condamnation des violences commises par le Hamas contre les femmes israéliennes le 7 octobre, et j'ai perdu des amis juifs et des amies juives qui considéraient les femmes de Gaza comme des cibles légitimes.

Après une réflexion douloureuse, j'ai appris la force et le courage que nous, les femmes, devons cultiver pour dénoncer sans équivoque toute violence contre le corps d'une femme, qu'elle soit palestinienne ou israélienne. Il ne devrait pas être nécessaire d'expliquer qu'aucune mère – que son enfant ait les cheveux roux ou la peau foncée, les yeux verts ou bruns – ne devrait être tuée, et qu'aucun bébé ne devrait être donné en pâture à l'insatiable machine de guerre d'hommes assoiffés de pouvoir et de richesses.

Nous, les femmes – jeunes et âgées, mères et filles, féministes et même celles qui ne se définissent pas comme telles – devons élever la voix et dire : Assez de cette guerre. Cette patrie ne sera pas libérée sur nos corps, et aucun avenir ne vaut la peine d'être construit à partir de l'épave de nos utérus.

Une version de cet article a d'abord été publiée en hébreu sur Local Call. Lisez-le ici.

Samah Salaime
Samah Salaime est une militante et écrivaine féministe palestinienne.
https://www.972mag.com/systematic-sexual-violence-against-palestinians/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Pourquoi l’acheteur de sexe est-il invisible ?

Cet article est basé sur une intervention d'Esther lors d'un webinaire du Public Policy Exchange intitulé The Future of Sex Work in the UK (L'avenir du travail sexuel au (…)

Cet article est basé sur une intervention d'Esther lors d'un webinaire du Public Policy Exchange intitulé The Future of Sex Work in the UK (L'avenir du travail sexuel au Royaume-Uni), le 27 mars 2025.

Tiré de Entre les ligneset les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/18/pourquoi-lacheteur-de-sexe-est-il-invisible/

Les termes « travailleur du sexe » et « travail sexuel » sont des termes génériques qui englobent les personnes impliquées dans tous les aspects de l'industrie du sexe – du strip-tease à la webcam en passant par le porno et la prostitution. Ils aseptisent et occultent les préjudices spécifiques de la prostitution et cachent la dynamique du pouvoir entre les femmes qui vendent du sexe, les acheteurs de sexe et ceux qui profitent de la prostitution d'autrui. Les proxénètes et les propriétaires de maisons closes utilisent également l'expression « travailleuse du sexe » pour se décrire eux-mêmes.

La question de savoir si la légalisation, la décriminalisation complète ou le système de prostitution autorisé que nous avons en Angleterre et au Pays de Galles sont considérés comme des succès ou des échecs dépend du point de vue de l'acheteur de sexe (dont la grande majorité sont des hommes), de la personne qui profite de la prostitution d'autrui (dont la plupart sont, là encore, des hommes) ou de la personne impliquée dans la prostitution (dont la plupart sont des femmes).

Voici quelques citations tirées au hasard d'un des forums d'acheteurs de sexe du Royaume-Uni. Ils ne sont pas cachés sur le dark web. Ils sont accessibles à tous, ne nécessitent pas de créer un nom d'utilisateur et de se connecter, et aucune vérification d'âge n'empêche les garçons de 12 ans d'y accéder.

« C'est vraiment comme vivre dans un monde imaginaire. Franchir la porte d'un salon et choisir parmi un éventail de filles pour me sucer et être baisé par moi. Tous mes fantasmes d'adolescent sont là ».

« Le corps et les jambes sont plutôt plats, mais avec un cul parfait et rasé. Le seul problème est qu'elle utilise ses longues jambes pour empêcher une pénétration profonde, mais j'arrive à aller de l'avant (il semble qu'elle soit un peu sensible en bas) mais si vous allez lentement, elle s'y conforme. »

« Je ne vous presse pas, dit-elle, c'est juste que je n'aime pas qu'on me fasse certaines choses. Il ne fait aucun doute que je reviendrai au [bordel] car j'adore les femmes thaïlandaises. J'enverrai peut-être un message au [gérant du bordel] pour lui faire part de mon mécontentement. »

« XXXX m'a invité dans sa chambre et j'ai remarqué qu'elle semblait sous l'effet de produits chimiques. En interagissant avec elle, je ne pouvais pas dire si elle était juste défoncée ou simplement distante. C'est dérangeant. Elle aurait un grand potentiel ! »

Ces citations et d'autres similaires suggèrent que payer une femme pour des actes sexuels est un droit suprême de la « sphère masculiniste ». Quel prix attend un garçon de 12 ans lorsqu'il atteindra l'âge adulte ! Même les agents de l'État aideront les facilitateurs de ses demandes misogynes, dérivées du porno.

On parle souvent d'Andrew Tate comme s'il était l'« Ève mitochondriale » des proxénètes plutôt qu'un proxénète particulièrement indiscret. Ce qu'il promeut n'est pas nouveau. Il s'agit des valeurs et des pratiques ancestrales des proxénètes et des parieurs. C'est pourquoi il ne suffit pas que le gouvernement cible les « influenceurs » en ligne. Il n'a aucune chance de réduire de manière significative la misogynie et la violence à l'égard des femmes et des filles s'il ne s'attaque pas également à la demande des acheteurs de sexe et s'il ne réprime pas le proxénétisme.

Lois sur la protection des consommateurs et lois sur l'emploi

Les lois sur la protection des consommateurs vous permettent de choisir d'acheter ou de vendre des biens d'une certaine description ou d'un certain pays ou lieu d'origine, comme un single malt Islay de 15 ans d'âge ou du fromage Gorgonzola, et de convenir d'un prix sur la base de cette description.

Mais il n'en va pas de même pour les services, où les pratiques de recrutement, les conditions ou les taux de rémunération discriminatoires à l'égard d'une personne en raison de sa race, de son appartenance ethnique ou des autres caractéristiques protégées énoncées dans la loi de 2010 sur l'égalité sont généralement illégales et violent les principes de l'égalité et de la dignité humaine.

Ces pratiques sont courantes dans l'industrie du sexe. Parce que l'acheteur de sexe est roi. Si la prostitution était légalisée ou totalement décriminalisée au Royaume-Uni, ces pratiques s'étendraient probablement au-delà du commerce du sexe. Les syndicats tels que l'ASLEF, qui font campagne pour la dépénalisation totale, ne semblent jamais aborder ce simple fait. Comment un syndicat qui soutient ces pratiques dans l'industrie du sexe pourrait-il les refuser dans d'autres secteurs ? Qu'est-ce que cela signifierait pour les autres travailleurs et travailleuses ?

Santé et sécurité

Les lois, réglementations et pratiques britanniques en matière d'emploi obligent les employeurs à protéger la santé et la sécurité de leurs employé·es.

L'un des arguments couramment avancés pour réglementer la prostitution est de la soumettre à la législation sur la santé et la sécurité afin qu'elle soit plus sûre pour les femmes. Toutefois, cette approche ne tient pas compte des nombreux préjudices auxquels ces femmes sont confrontées et du fait que les clients eux-mêmes sont la principale source de préjudice.

Dans toute autre profession où il existe un risque d'exposition aux fluides corporels d'autres personnes, les travailleurs et les travailleuses sont tenues de porter des masques, des gants, des lunettes et des vêtements de protection. Les préservatifs sont loin de réduire les risques pour les personnes qui se prostituent à un niveau comparable à ceux auxquels sont confrontés les travailleurs,et les travailleuses, par exemple, de la dentisterie ou des soins infirmiers, parce que les préservatifs glissent et se cassent, et que les clients refusent souvent de les porter.

Les préservatifs ne protègent pas la personne prostituée de la salive, de la sueur et des autres fluides corporels du client, des lésions des orifices et des organes internes causées par la friction et les coups violents, prolongés et répétés de plusieurs acheteurs, jour après jour, ou de la violence délibérée de ces derniers.

Il n'est donc pas surprenant que les femmes qui se prostituent aient un taux de mortalité 12 fois supérieur à celui des femmes de la population générale.

Que se passe-t-il lorsque la demande augmente ?

Les budgets d'austérité imposés depuis 2010, l'impact des augmentations plus récentes du coût de la vie et les réductions continues des dépenses publiques ont contribué à une forte augmentation du nombre de femmes qui se prostituent par désespoir financier. Comme l'a montré leWomen's Budget Group, chaque budget depuis 2010 a bénéficié aux hommes au détriment des femmes.

Les proxénètes, les tenanciers de maisons closes et les autres personnes qui facilitent l'industrie du sexe en ont largement profité, en particulier ceux qui réalisent les plus gros bénéfices, notamment les grands sites web commerciaux sur le sexe. Leurs intérêts économiques ne sont pas les mêmes que ceux des femmes impliquées dans la prostitution.

Ces grands profiteurs tiers bénéficient d'une rotation élevée des femmes et d'une offre de femmes suffisamment importante pour maintenir des prix bas pour les acheteurs. Cela crée une concurrence et conduit les femmes à n'avoir d'autre choix que de dépasser les limites qu'elles s'étaient fixées lorsqu'elles sont entrées dans l'industrie du sexe et à se livrer à des actes plus dangereux et plus extrêmes pour conserver le même revenu.

Le trafic sexuel est la forme la plus rentable de la traite des êtres humains et les trafiquants sont incités à casser les prix en augmentant le nombre de femmes qu'ils contraignent ou forcent à se prostituer. Toute approche autorisée de la prostitution est plus attrayante pour les trafiquants qu'un système qui s'attaque à la demande des acheteurs de sexe.

L'entrée des femmes dans la prostitution

Statistiques issues d'études sur les femmes et les jeunes filles prostituées au Royaume-Uni.
Sources : Paying the Price et Breaking down the barriers
De nombreuses études montrent que beaucoup de femmes ont commencé à se prostituer lorsqu'elles étaient enfants – généralement à la suite d'une manipulation ou par désespoir financier. Mais quels que soient les abus et les catastrophes qui l'ont conduite là, à partir d'une minute après minuit le jour de son dix-huitième anniversaire, elle est considérée comme ayant fait le « choix » d'entrer dans la prostitution et est généralement orientée vers des services peu coûteux de « réduction des dommages » plutôt que vers des services qui offrent des voies de sortie et de véritables moyens alternatifs de gagner sa vie.

À partir de la même heure, le même jour de sa vie, le jeune homme préparé par la « sphère masculiniste » sera libre de payer des filles et des jeunes femmes pour qu'elles reproduisent des scènes de porno sans que le public ne s'en aperçoive, ne les critique ou ne les sanctionne.

Difficultés rencontrées par les femmes et les jeunes filles prostituées

De nombreuses études montrent que la majorité des femmes et des filles qui se prostituent sont confrontées à de multiples difficultés. Par exemple, deux études sur les femmes impliquées dans la prostitution (Breaking down the barriers et Prostitution & Trafficking in Nine Countries) ont révélé que :
50% étaient dépendantes de substances ou d'alcool.
50% étaient contraintes de continuer.
52% avaient des dettes qui rendaient leur départ difficile.
67% avaient un casier judiciaire.
58% répondaient aux critères du syndrome de stress post-traumatique.
89% voulaient partir mais ne savaient pas comment le faire.

Le manque d'autonomie dans leur implication dans la prostitution et le manque d'autodétermination sexuelle autonome et libre lors des interactions avec les acheteurs sont une réalité pour la plupart des femmes prostituées.

Ce que les acheteurs paient, c'est une sexualité aux conditions de l'acheteur. Il paie pour avoir le contrôle et ne pas avoir à penser aux besoins et au plaisir de la femme. Cela ne peut être concilié avec l'exigence selon laquelle l'activité sexuelle doit être basée sur le libre consentement. Cela sape le principe même du consentement. Comme le montrent ces études, près de 90% des femmes impliquées dans la prostitution veulent en sortir mais ne savent pas comment.

La stigmatisation

Faits marquants :

* Ce sont les acheteurs et ceux qui profitent de l'exploitation sexuelle d'autrui qui s'investissent le plus dans le maintien de la stigmatisation des femmes prostituées.

* Il est considéré comme « naturel » que les acheteurs de sexe masculin, dont la plupart sont mariés ou en couple, veuillent garder leur identité secrète.

* En revanche, il est considéré comme « positif » et « progressiste » pour les femmes prostituées de fournir une pièce d'identité ou de faire enregistrer leur participation à la prostitution par l'État.

Pourquoi serait-il moins « naturel » que les femmes qui se prostituent veuillent éviter que leur activité soit enregistrée par l'État ?

Les estimations du nombre de femmes impliquées dans la prostitution en Allemagne varient entre 90 000 et 400 000. Cependant, seules 28 000 d'entre elles sont enregistrées dans les maisons closes et leur nom est consigné par l'État. Une infime partie d'entre elles ont décroché un contrat de travail, bien que les femmes enregistrées puissent en bénéficier depuis de nombreuses années. La Belgiquen'a pas été le premier État à proposer des contrats de travail.

Le nombre de femmes non enregistrées impliquées dans d'autres systèmes légalisés ou décriminalisés est également important. Cela suggère que dans tout système légalisé « officiel », il existe toujours une importante « clandestinité » qui opère en dehors du système officiel.

La décriminalisation ou la légalisation complète entraînerait de la même manière une augmentation de la taille de la « clandestinité » au Royaume-Uni. L'augmentation massive de la demande qui s'ensuivrait entraînerait une augmentation considérable du nombre de femmes attirées par la prostitution au Royaume-Uni, beaucoup d'entre elles se trouvant dans des situations précaires qui les obligeraient à être « hors la loi » ou « clandestines » – par exemple, parce qu'elles bénéficient duUniversel Crédit et risquent d'être poursuivies pour fraude aux prestations sociales, ou parce qu'elles sont des migrantes sans droit au travail et risquent donc d'être expulsées. Ce n'est pas le modèle nordique qui crée ces risques et pousse les femmes à travailler « au noir ».

La police prétend que le manque de ressources l'empêche d'appliquer les infractions liées à la prostitution autres que celles qui visent les femmes impliquées dans la prostitution de rue – certaines des femmes les plus marginalisées et les plus défavorisées du Royaume-Uni. Mais il s'agit là d'une position politique et idéologique, tout comme la décision de poursuivre la fraude aux prestations sociales plus systématiquement que l'évasion fiscale.

Des études ont montré que ce qui dissuaderait le plus les acheteurs, et donc réduirait le plus la demande, c'est toute forme de publicité.

L'égalité croissante entre les hommes et les femmes, qui résulte de la lutte et de l'obtention par les femmes de droits de propriété, d'accès à la contraception, à l'avortement et au divorce, signifie que les acheteurs ont beaucoup plus à perdre en étant identifiés ou en rendant publique leur fréquentation des maisons closes que ce n'était le cas au cours des siècles précédents.

Très peu d'acheteurs de sexe actuels attirent l'attention sur leur statut d'acheteur de sexe. Les hommes ne le mentionnent pas sur leurs profils de rencontres en ligne. Ils savent que cela augmenterait la probabilité que la plupart des femmes choisissent quelqu'un d'autre.

Un sondage YouGov réalisé au Royaume-Uni en janvier 2024 a montré que l'opinion publique était largement favorable à la légalisation du paiement d'une autre personne pour des actes sexuels, même si les femmes étaient moins favorables à cette idée. Bien que l'étude ait également montré que le « travail du sexe » ne devrait pas être stigmatisé, la plupart des gens seraient contrariés si leur enfant était impliqué dans la prostitution. Peu de gens accepteraient de sortir ou d'entrer en relation avec une personne qui se prostitue ou s'est prostituée, et plus de gens refuseraient d'être ami·es avec une personne qui se prostitue ou s'est prostituée.

L'opinion du public britannique lorsque ces questions sont posées personnellement, plutôt que sous la forme d'une proposition abstraite, n'a pas changé de manière significative au fil du temps.

Toutefois, les instituts de sondage ne semblent jamais s'enquérir de l'attitude du public à l'égard des acheteurs de sexe, alors que c'est la demande de ces derniers qui alimente le commerce du sexe. Ils ne demandent pas si les membres du public s'opposeraient à fréquenter ou à être en relation avec un acheteur de sexe actuel ou passé, ou à être amis avec lui, ou s'ils seraient contrariés si l'un de leurs enfants ou des membres de leur famille était un acheteur de sexe.

Le biais dont témoigne le choix des questions de l'enquête est révélateur. Il permet aux acheteurs de sexe de s'en tirer à bon compte. Comme l'a dit Gisèle Pelicot, « la honte doit changer de camp ».

Légalisation ou décriminalisation totale

Dans le cadre de la légalisation, la prostitution n'est autorisée que dans des conditions spécifiques définies par l'État, tandis que dans le cadre de la décriminalisation totale, tous les aspects du commerce du sexe, y compris le proxénétisme et la tenue de maisons closes, sont décriminalisés.

En théorie, la légalisation est très différente de la décriminalisation totale, mais en pratique, il existe de nombreuses similitudes, notamment le fait que toutes deux entraînent une expansion massive de l'industrie du sexe et une prolifération conséquente de ses méfaits pour répondre à l'augmentation considérable de la demande de la part des acheteurs.

Lorsque la demande augmente, l'offre de femmes disponibles doit augmenter. Les proxénètes et les trafiquants interviennent alors pour faciliter cette augmentation de l'offre, car il n'y a pas assez de femmes qui se présentent volontairement. Les femmes qui ont de réelles options choisissent rarement une vie dans la prostitution, à moins qu'elles n'aient déjà été entraînées dans cette voie par la culture qui les entoure ou par des auteurs individuels.

La légalisation et la décriminalisation totale augmentent les profits des tiers qui peuvent faire baisser les prix et augmenter et maintenir leur part de marché en surapprovisionnant le marché. Ces tiers en viennent alors à dominer le secteur aux dépens des femmes qui se prostituent.

Rien de tout cela n'augmente ce que les femmes impliquées dans la prostitution peuvent gagner. Les acheteurs paient des prix beaucoup plus élevés en Suède, par exemple, le premier pays à avoir introduit le modèle nordique, que dans les pays européens où le commerce du sexe est toléré.

Lors de la libéralisation de la prostitution en 2002, de nombreuses Allemandes impliquées dans la prostitution n'étaient pas prêtes à accepter les tarifs plus bas que les propriétaires de maisons closes, qui cherchaient à dominer le nouveau marché, insistaient pour qu'elles fassent payer les acheteurs. En conséquence, la plupart des femmes qui se prostituent en Allemagne sont aujourd'hui des migrantes. En Allemagne, environ un million d'hommes achètent des services sexuels chaque jour et les prix beaucoup plus bas n'ont pas réduit le flux de touristes sexuels allemands vers des pays où ils sont encore plus bas.

Les lois contre la traite des êtres humains sont beaucoup plus difficiles à appliquer dans un système autorisé. Les ressources sont détournées. La plupart des trafics passent inaperçus. S'il n'y a pas d'aide pour sortir de la prostitution, les trafiquants de sexe risquent moins de perdre l'accès aux revenus des femmes qu'ils exploitent.

Le risque pour les femmes impliquées ne diminue pas, quel que soit le système autorisé. La prostitution illégale se poursuit. La coercition reste forte, souvent de la part des proxénètes et des tenanciers de maisons closes eux-mêmes.

En juillet 2024, la Cour européenne des droits de l'homme] a estimé à l'unanimité que l'introduction par la France de l'approche du modèle nordique en 2016 ne violait pas l'article 8 de la Convention européenne des droits des êtres humains – le droit à une vie privée et familiale. L'arrêt note que les effets négatifs de la loi décrits par les requérants concernant les dangers et les préjudices qu'ils ont subis dans le cadre du modèle nordique existaient déjà et avaient été observés avant la promulgation de la loi de 2016, probablement parce que la prostitution est intrinsèquement violente.

Qu'est-ce que l'approche du modèle nordique ?

Le modèle nordique, également connu sous le nom de modèle d'égalité, a été introduit pour la première fois en Suède en 1999 et a depuis été adopté par plusieurs autres pays. Il reconnaît que la prostitution fait partie de l'oppression structurelle des femmes et d'autres groupes marginalisés, et qu'elle est à la fois une cause et une conséquence de l'inégalité persistante entre les sexes.

L'approche du modèle nordique comporte cinq éléments, qui doivent tous être mis en œuvre :

* Il décriminalise la vente de services sexuels.
* Il fournit des services et de véritables voies de sortie de l'industrie.
* Il fait de l'achat de services sexuels un délit pénal.
* Il comprend des lois strictes contre la traite des êtres humains, le proxénétisme et la tenue de maisons closes.
*Il nécessite une série de mesures globales, notamment une campagne d'information du public, une éducation dans les écoles et une formation de la police.

Tous les pays qui ont introduit le modèle nordique ne l'ont pas entièrement mis en œuvre ou n'ont pas fourni suffisamment de fonds et d'autres ressources pour le faire.

Que s'est-il passé en Suède ?

Lesrésultats obtenus en Suède sont les suivants
* Diminution de la taille de l'industrie.
* Aucune indication que la prostitution soit devenue « clandestine ».
* Destination hostile pour les trafiquants internationaux.
* Changement dans la culture et le comportement des hommes.
* Soutien public généralisé.

Nombre de personnes impliquées dans la prostitution

Pourcentage de la population impliquée dans la prostitution par pays

Ce graphique utilise des données accessibles au public [*] pour montrer le pourcentage de la population impliquée dans la prostitution dans six pays : L'Allemagne et les Pays-Bas avec la légalisation, la Nouvelle-Zélande avec la décriminalisation totale, et la Suède, la Norvège et la France qui ont le modèle nordique. Il en ressort qu'une proportion beaucoup plus faible de la population est impliquée dans la prostitution dans le cadre du modèle nordique que dans le cadre de la légalisation ou de la décriminalisation totale. Cela suggère que le modèle nordique est efficace pour réduire la taille de l'industrie, ou au moins pour empêcher sa croissance.

Ce que montrent les données sur les homicides

Source des données : http://www.sexindustry-kills.de
Femmes Citoyennes
Taux annuel moyen d'homicides de femmes prostituées pour 100 000 femmes

Ce graphique montre le nombre de femmes impliquées dans la prostitution qui ont été assassinées par des proxénètes et des clients. Il est exprimé sous la forme d'un taux annuel moyen pour 100 000 femmes au cours des années pendant lesquelles le cadre législatif a été mis en place.

Il en ressort clairement que le nombre d'homicides de femmes impliquées dans la prostitution est nettement plus élevé en Nouvelle-Zélande, en Allemagne et aux Pays-Bas qu'en Suède, en Norvège ou en France.

Cela indique que l'affirmation selon laquelle le modèle nordique est plus dangereux pour les femmes impliquées dans la prostitution est fausse.

Toutefois, nous ne prétendons pas que le modèle nordique est « plus sûr » pour les femmes, car nous ne pensons pas que quoi que ce soit puisse rendre la prostitution sûre. Le modèle nordique vise plutôt à réduire le volume de la prostitution et le nombre de personnes impliquées.

Ces données suggèrent que, lorsqu'il est bien mis en œuvre, le modèle nordique y parvient.

Références

https://nordicmodelnow.org/2025/04/10/why-is-the-sex-buyer-invisible/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Entre intolérance et violence, Haïti célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne

Ce 26 avril 2025, alors que le monde célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne, Haïti, elle, célèbre dans l'ombre. Car ici, être lesbienne n'est pas (…)

Ce 26 avril 2025, alors que le monde célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne, Haïti, elle, célèbre dans l'ombre. Car ici, être lesbienne n'est pas seulement une question d'amour ; c'est une question de survie.

Dans les rues de Port-au-Prince comme dans les villes de province, il n'y a ni parade, ni manifestation ouverte. La peur de la stigmatisation, de l'agression physique, du rejet familial ou professionnel réduit au silence celles qui devraient être à l'honneur aujourd'hui.

La société haïtienne, profondément enracinée dans des traditions conservatrices et des interprétations religieuses rigides, impose aux lesbiennes un exil intérieur. Elles vivent, mais invisibles. Elles aiment, mais cachées. Elles rêvent, mais en silence. L'intolérance n'est pas une menace abstraite : c'est une réalité quotidienne, brutale, parfois mortelle.

Pourtant, malgré ce climat d'hostilité, des voix courageuses émergent. Certaines militantes, journalistes et artistes défient les normes et osent affirmer que l'existence lesbienne est aussi haïtienne, aussi digne que toutes les autres. Leur combat, bien que minoritaire, est essentiel pour construire un futur où la diversité sera reconnue comme une richesse, et non comme une menace.
Célébrer la visibilité lesbienne en Haïti, c'est donc bien plus qu'un geste symbolique. C'est un acte politique. C'est revendiquer le droit fondamental d'exister pleinement, sans honte ni peur. C'est briser le mur du silence que l'intolérance et la violence cherchent à imposer.

Tant que les lesbiennes devront se cacher pour être en sécurité, Haïti ne pourra prétendre être une démocratie respectueuse des droits humains. Car la liberté d'un peuple se mesure aussi à sa capacité de protéger ses minorités.

Aujourd'hui, plus que jamais, le courage de vivre doit être salué. Et demain, il faudra que ce courage soit soutenu par des lois, des protections, et surtout par une transformation profonde du regard social.

Être lesbienne en Haïti ne doit plus être une condamnation à l'invisibilité. Cela doit devenir un droit inaliénable d'exister, d'aimer et de briller au grand jour.

Smith PRINVIL

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Une femme meurt toutes les deux minutes en donnant la vie

Les progrès réalisés depuis le début du siècle en matière de baisse de la mortalité maternelle sont en perte de vitesse, selon une nouvelle étude, qui estime à plus d'un quart (…)

Les progrès réalisés depuis le début du siècle en matière de baisse de la mortalité maternelle sont en perte de vitesse, selon une nouvelle étude, qui estime à plus d'un quart de million le nombre de décès annuels liés à des grossesses et accouchements – des morts pour l'essentiel évitables.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le nouveau millénaire avait pourtant bien commencé pour les femmes enceintes. Depuis 2000, le monde a en effet connu une forte réduction de 40% de la mortalité maternelle. Pour la première fois dans l'histoire récente, aucun pays ne présente des taux de mortalité maternelle extrêmement élevés, soit plus de 1 000 décès pour 100 000 naissances. À l'inverse, plus d'un tiers des pays dans le monde affichent un taux de mortalité maternelle très faible.

« De réels progrès ont été réalisés, y compris dans certains des pays les plus pauvres du monde », se félicite le Directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, dans l'avant-propos d'une étude de l'ONU, publiée lundi à l'occasion de la Journée mondiale de la santé.

Ce nouveau rapport, basé sur des données fournies par diverses agences onusiennes, dont l'OMS, ainsi que par le Groupe de laBanque mondiale, montre comment certains pays comme le Rwanda et le Sri Lanka ont considérablement réduit la mortalité maternelle, notamment en développant l'accès au sages-femmes et aux soins de santé en milieu rural. Des stratégies susceptibles, selon le Dr Tedros, d'être partagées et adaptées à bien d'autres contextes.

Progrès de la recherche et l'accès aux soins

Les progrès enregistrés sont également le fruit des avancées en matière de recherche et de prestation de services.

Le chef de l'OMS mentionne notamment l'utilisation d'un dispositif simple et peu coûteux, dit du « drap », qui permet de réduire de 60% les saignements graves dus aux hémorragies post-partum et de sauver ainsi de nombreuses vies humaines.

L'apport de soins maternels lors d'urgences humanitaires par le biais de cliniques mobiles et de postes de santé sauve également des millions de femmes et de bébés qui, autrement, ne bénéficieraient pas de dépistages médicaux, de vaccinations et de traitements vitaux.

Un ralentissement depuis 2016

Toutefois, le rapport indique que les progrès réalisés ont ralenti depuis 2016, au point que la baisse de la mortalité maternelle est désormais bien trop lente pour atteindre les cibles des Objectifs de développement durable.

« Aujourd'hui encore, quelque part dans le monde, une femme meurt toutes les deux minutes de complications liées à la grossesse et à l'accouchement », déplore le Dr Tedros, sur la base d'une estimation de 260 000 décès de femmes liées à de telles complications en 2023, l'année la plus récente pour laquelle le rapport de l'ONU fournit des donnés chiffrées.

Selon le chef de l'OMS, la quasi-totalité de ces femmes auraient pu survivre si elles avaient bénéficié d'un accès suffisant à des soins vitaux avant, pendant et après l'accouchement.

Des inégalités régionales

Une femme en Afrique subsaharienne a 400 fois plus de risques de mourir en couches qu'une femme en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Cette région représente en effet environ 70% de la mortalité maternelle dans le monde, notamment en raison de taux de pauvreté élevés et des multiples conflits dont elle est le cadre.

Par ailleurs, de nombreuses régions ont vu leurs progrès stagner après 2015, y compris l'Afrique du Nord, l'Asie occidentale, l'Asie de l'Est et du Sud-Est, l'Océanie (à l'exception de l'Australie et la Nouvelle-Zélande), l'Europe, l'Amérique du Nord, l'Amérique latine et les Caraïbes.

Des décès évitables

Malheureusement, de nombreuses femmes n'ont pas accès à des modes de contraception moderne, à un contrôle de leur grossesse ou à un suivi prénatal essentiel. D'autres ne peuvent se rendre que tardivement dans des établissements de santé souvent mal équipés et dépourvus des médicaments ou capacités nécessaires pour prévenir, détecter et traiter leurs complications, telles que les hémorragies et les infections.

« Les décès évitables dus à la mortalité maternelle sont profondément ancrés dans la pauvreté et les inégalités », affirme le Dr Tedros.

En effet, la quasi-totalité de ces décès ont lieu dans des pays et des communautés à revenu faible ou intermédiaire, ces mêmes pays et communautés qui seront les plus durement touchés par les coupes actuelles dans le financement de la santé mondiale.

Appels à élargir l'accès aux soins maternels

À l'occasion de la publication du rapport, le chef de l'OMS appelle ainsi à élargir l'accès aux services de soins maternels et à accorder une attention particulière à la qualité de ces services et aux compétences des professionnels de santé qui les dispensent.

Selon lui, lorsque les droits des filles et des femmes sont protégés et qu'elles ont accès aux services et informations dont elles ont besoin pour contrôler leur vie et leur corps, les grossesses non désirées, les avortements à risque et les décès maternels diminuent. Parallèlement, les possibilités de scolarisation et d'accès au marché du travail augmentent.

« La mortalité maternelle n'est pas un mystère », affirme le Dr Tedros. « Nous en connaissons les causes et nous disposons des outils pour la prévenir. La question n'est donc pas de savoir si nous pouvons mettre fin aux décès maternels évitables, mais si nous y parviendrons ».

https://news.un.org/fr/story/2025/04/1154561

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La Cour suprême britannique valide la transphobie

Mercredi 16 avril, après deux échecs en 2023, la Cour suprême britannique a obéi à l'organisation anti-trans « For Women Scotland » et réduit la définition de « femme » au « (…)

Mercredi 16 avril, après deux échecs en 2023, la Cour suprême britannique a obéi à l'organisation anti-trans « For Women Scotland » et réduit la définition de « femme » au « sexe biologique ». C'est l'aboutissement d'un mouvement astroturfé (1) et financé par des milliardaires qui mènent depuis des années la guerre aux personnes trans.

Hebdo L'Anticapitaliste - 751 (24/04/2025)

Par Sally Brina

Crédit Photo
DR

For Women Scotland avait attaqué le gouvernement écossais pour avoir inclus les femmes trans, conformément à la loi de 2004 sur le changement d'état civil, dans la catégorie légale des femmes, protégées contre toutes les discriminations et violences sexistes et comme bénéficiaires des mesures liées à la parité.

Aucune personne trans n'a été auditionnée. Une juge trans a été écartée, et les témoins entendus appartenaient tous à des groupes transphobes. Le jugement était donc programmé. Ce n'est pas une surprise s'il réduit les identités trans à des lubies de gens qui « imaginent » appartenir à un groupe social, loin de la réalité de nos vécus.

Une idéologie essentialiste et patriarcale

La Cour estime que lors de l'écriture de l'Equality Act en 1975, le législateur considérait que les femmes se définissent par leur capacité à accoucher avant tout. Cela signifie que l'identité de femme s'y réduirait, et que les protections contre le sexisme viennent du fait qu'elles seraient plus vulnérables physiquement que les hommes à cause de leurs grossesses.

Cela relève d'une idéologie essentialiste et patriarcale, qui implique donc que les femmes qui n'ont pas d'enfants, qui sont stériles ou ménopausées, ne subissent pas de discriminations au travail. Cela va à rebours de toutes les élaborations féministes pour qui les bases de l'oppression des femmes ne sont pas biologiques, mais sociales et économiques.

Mais cette décision a surtout des impacts à l'encontre des personnes trans. Elle acte leur impossibilité concrète d'exister publiquement dans la mesure où de nombreux emplois ou lieux de vie nécessitent de passer par des espaces non mixtes (vestiaires, toilettes, etc.) auxquels elles n'ont légalement plus accès.

Se mobiliser pour de nouveaux droits pour les personnes trans

Elle entérine aussi que les femmes trans ne doivent bénéficier d'aucun service de protection face au sexisme (2) (refuges pour femmes sans-abri, victimes de viol ou de violences conjugales), alors qu'elles en sont davantage victimes que les autres femmes (3,4). Elle garantit de facto qu'au Royaume-Uni des femmes pourront être battues, agressées, violées ou tout simplement discriminées, sans qu'elles ne puissent se défendre.

Aujourd'hui, alors que l'offensive antitrans se déploie au niveau mondial et que l'extrême droite menace, nous ne pouvons plus nous contenter de répéter que « Les femmes trans sont des femmes ! Les personnes trans sont légitimes ! » sans implication concrète.

À l'appel des syndicats et organisations trans, des milliers de personnes ont manifesté dans tout le Royaume-Uni ce samedi. En France aussi, il est urgent de se mobiliser pour défendre nos droits et en gagner de nouveaux. La question du changement d'état civil sur simple demande doit être à l'ordre du jour des Prides, et doit être portée plus largement par tout le mouvement social, les syndicats, la gauche sociale et politique.

Sally Brina

1. https://www.radiofrance…
2. Et ce, alors que la Cour reconnaît qu'elles en subissent !
3. https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/73...
4. https://williamsinstitut…

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Stella Akiteng : la voix des populations spoliées de leurs terres dans le district de Kiryandongo en Ouganda

29 avril, par GRAIN — , ,
Les terres fertiles de Kiryandongo, communauté agricole jadis prospère de l'ouest de l'Ouganda, sont devenues le théâtre d'accaparements de terres par des multinationales (…)

Les terres fertiles de Kiryandongo, communauté agricole jadis prospère de l'ouest de l'Ouganda, sont devenues le théâtre d'accaparements de terres par des multinationales étrangères.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup

Situé à 225 kilomètres de Kampala, la capitale de l'Ouganda, Kiryandongo est un creuset de populations venues de tout le pays. Beaucoup ont migré ici après avoir fui les catastrophes naturelles, la guerre ou la violence dans leur région d'origine. Le district accueille également une importante population de réfugié·es, ce qui renforce la diversité et la résilience de cette communauté.

Pour la plupart des habitant·es, la vie à Kiryandongo est l'histoire d'un double déplacement, une histoire marquée par la douleur, l'humiliation et la faim. Les terres de Kiryandongo, qui abritaient autrefois une riche communauté agricole et produisaient de la nourriture pour les familles et pour la nation, ont été transformées en plantations industrielles de soja et de maïs. Les femmes, en particulier, ont subi de plein fouet ces bouleversements, voyant leurs moyens de subsistance fragilisés et leur avenir incertain.

Les sols riches et le climat idéal du district en ont fait une cible de choix pour des entreprises comme Agilis Partners, Kiryandongo Sugar Limited et Great Season SMC Limited. Ces entreprises, qui agissent souvent main dans la main avec les autorités locales, ont violemment expulsé des milliers de familles de leurs maisons et de leurs fermes. À leur place, de vastes monocultures de soja et de maïs s'étendent désormais à perte de vue, effaçant les traditions agricoles dynamiques qui caractérisaient autrefois ce territoire.

Pour Stella Akiteng, agricultrice dépossédée de ses terres et leader communautaire, l'histoire est profondément personnelle. « J'étais agricultrice », dit-elle. « Je cultivais des haricots, du maïs, des arachides et d'autres cultures. Une partie de la récolte était vendue, et le reste nourrissait ma famille. Mais quand les investisseurs sont arrivés, ils ont tout pris. »

Le périple de Stella a commencé par un double déplacement forcé. Après avoir été mise à la porte de chez elle par son mari pour n'avoir donné naissance qu'à des filles, elle est retournée sur les terres de son père, où elle s'est vu attribuer 60 hectares. Mais en 2017, des grandes entreprises sont arrivées, soutenues par la police et l'armée, et ont saisi ses terres. « Ils ont trompé les responsables du district en prétendant avoir été envoyés par le gouvernement central », se souvient-elle. « Maintenant, ma famille et moi sommes sans terre. »

L'impact de ces saisies de terres va bien au-delà de la perte des moyens de subsistance. Les familles qui cultivaient autrefois du maïs pour nourrir l'Ouganda et d'autres pays ont désormais du mal à subvenir à leurs propres besoins. Des écoles ont fermé, privant des enfants d'accès à l'éducation. Même les lieux de sépulture sont interdits aux habitant·es, ce qui oblige les familles endeuillées à abandonner les corps de leurs proches dans les plantations de canne à sucre qui étaient autrefois leurs terres.

« Les plantations de canne à sucre ont apporté calamités et maladies », explique Stella. « Les moustiques, les serpents venimeux et les animaux sauvages circulent librement, rendant la zone dangereuse pour les enfants, les femmes et les hommes. »

Le rôle de Stella en tant que leader communautaire est devenu plus crucial que jamais. Autrefois conseillère et membre de l'association des agriculteurs de Nyamaleme, elle dirige aujourd'hui un réseau de familles déplacées qui luttent pour récupérer leurs terres et reconstruire leurs vies.

Le premier jour de leur expulsion a été particulièrement éprouvant. « Nous n'arrêtions pas de pleurer », se souvient Stella. « Au début, tout le monde était accablé, mais avec le temps, nous avons commencé à nous encourager les un·es les autres. Nous avons décidé de créer des associations et des groupes pour nous entraider. Avant de nous réunir, nous pensions que nous étions condamné·es, sans espoir. Maintenant, nous avons de l'espoir, l'espoir de retrouver nos vies et nos terres. »

Ces groupes sont devenus une source de force et de solidarité. « Nous partageons nos joies entre nous », dit Stella. « Survivre n'a pas été facile, mais nous avons trouvé des moyens de nous soutenir mutuellement. »

Un réseau de résistance

Le rôle de leader de Stella va désormais au-delà de Kiryandongo. Avec son groupe, elle a organisé des visites dans d'autres communautés ougandaises touchées par les accaparements de terres. Ces visites ont révélé le caractère généralisé du système d'exploitation mis en place par les multinationales.

À Kalangala, Stella a découvert comment les agriculteurs et agricultrices avaient été attiré·es dans des partenariats avec des entreprises leur promettant des parts dans des plantations de palmiers à huile. « On leur a dit que cela leur apporterait des avantages, mais une fois les palmiers plantés, les entreprises leur ont interdit de produire des cultures vivrières », explique-t-elle. Les produits chimiques utilisés dans les plantations ont contaminé le lac Victoria, tuant les poissons et dévastant l'industrie locale de la pêche.

À Mubende, Stella a pu observer les impacts environnementaux des plantations d'eucalyptus. « Ces arbres absorbent toute l'eau et assèchent les puits et les rivières », explique-t-elle. On a interdit aux agriculteurs et agricultrices de faire paître leur bétail et de ramasser du bois de chauffage, les privant ainsi de ressources essentielles.

À Hoima, la destruction de la forêt de Bugoma pour laisser place à des plantations de canne à sucre l'a particulièrement marquée. « La forêt était une ressource vitale pour la communauté : elle fournissait des plantes médicinales, du bois de chauffage et bien d'autres choses encore. Aujourd'hui, elle a disparu, tout comme leur mode de vie », explique Stella.

Ces visites ont incité Stella à rassembler les communautés touchées. « Nous avons compris que ce n'était pas seulement notre problème, mais que cela se produisait partout », affirme-t-elle. Elles ont formé un réseau informel contre les investissements fonciers en Ouganda, qui a maintenant rejoint l'Alliance informelle contre l'expansion des plantations industrielles de palmiers à huile en Afrique de l'Ouest, qui travaille en réseau avec d'autres groupes à travers le continent pour partager des stratégies et des ressources.

Pour Stella, la lutte ne se limite pas à la récupération des terres : il s'agit d'assurer l'avenir de la prochaine génération. « Si cela continue, il n'y aura plus de terres pour les cultures vivrières, seulement des plantations de canne à sucre et des exploitations forestières », prévient-elle. « Si nous n'agissons pas maintenant, il ne restera plus rien pour nos enfants. »

En tant que leader élue par sa communauté, Stella est animée par un profond désir de changement. « Tout ce que je veux, c'est un avenir meilleur pour notre communauté et notre pays », affirme-t-elle. « Nous apprenons les unes des autres, nous demeurons déterminées et nous nous associons à d'autres. Ensemble, nous pouvons relever tous les défis. »

Son message aux autres femmes est un appel à la résilience et à la solidarité. « J'encourage les femmes à tenir bon et à surmonter les difficultés », dit-elle. « Si je meurs, les femmes qui me connaissent suivront mon exemple. Si l'on me donne l'occasion d'en faire plus, je tiendrai bon et je saisirai cette chance. »

L'histoire de Stella montre la force de l'action collective. « Lorsque je raconte mon histoire à l'église, les femmes pleurent et me demandent comment je fais pour tenir bon, comment je surmonte la situation », confie-t-elle. « Ma réponse est toujours la même : ne souffrez pas seule. La résilience vient du fait d'être ensemble, d'écouter les autres et de faire preuve de compassion. Le monde est plein de douleur, mais ensemble, nous pouvons guérir et reconstruire ce qui a été brisé. »

https://grain.org/fr/article/7263-la-voix-des-femmes-semons-la-resistance-a-l-agriculture-industrielle

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L’autre catastrophe : génocide et famine au Soudan

29 avril, par Gilbert Achcar — , ,
Alors que la situation au Soudan n'obtient même pas un dixième de l'attention des médias mondiaux que la guerre génocidaire sioniste en cours à Gaza reçoit, l'ampleur de la (…)

Alors que la situation au Soudan n'obtient même pas un dixième de l'attention des médias mondiaux que la guerre génocidaire sioniste en cours à Gaza reçoit, l'ampleur de la catastrophe humaine y est tout aussi horrible. ... La vérité est que les pays occidentaux, même s'ils n'ont pas joué de rôle direct dans la guerre soudanaise, portent la responsabilité principale de ce qui est arrivé au pays.

23 avril 2025

Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/230425/l-autre-catastrophe-genocide-et-famine-au-soudan
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.

Deux ans se sont écoulés depuis que la guerre a éclaté au Soudan entre les deux camps du régime militaire que le pays a hérité du tristement célèbre Omar el-Béchir. Alors que la situation au Soudan n'obtient même pas un dixième de l'attention des médias mondiaux que la guerre génocidaire sioniste en cours à Gaza reçoit, l'ampleur de la catastrophe humaine y est tout aussi horrible. Le nombre de morts directement causées par la guerre entre militaires est estimé à plus de 150 000, tandis que le nombre de personnes déplacées s'élève à environ 13 millions et que le nombre de personnes menacées de famine sévère atteint 44 millions – un nombre record qui fait de la guerre au Soudan la plus grave crise humanitaire dans le monde d'aujourd'hui.

Bien sûr, il est facile de comprendre les facteurs géopolitiques qui font de la guerre menée par Israël à Gaza et dans le reste du Moyen-Orient une préoccupation internationale majeure, sans parler de l'invasion russe de l'Ukraine. Cependant, l'inclination raciste qui domine l'idéologie mondiale « spontanée » ne peut être niée. Elle a toujours fait en sorte que l'attention que les médias mondiaux prêtent aux guerres soit inversement proportionnelle au degré de noirceur de la peau des personnes impliquées. La guerre qui a duré cinq ans en République démocratique du Congo (Congo-Kinshasa) entre l'été 1998 et l'été 2003, et qui a fait environ six millions de victimes directes et indirectes, en est un exemple frappant. En dehors de l'Afrique subsaharienne, le monde a fermé les yeux sur les événements au Congo, tout en accordant beaucoup plus d'attention à des événements qui ont fait beaucoup moins de morts, tels que la guerre du Kosovo (1999), les attaques d'Al-Qaïda à New York et Washington (2001), l'intervention américaine en Afghanistan et l'occupation américaine de l'Irak (2003).

En général, les guerres auxquelles ne participent pas directement des soldats blancs du Nord mondial – qu'ils soient américains ou européens, y compris, bien sûr, les Russes – ne reçoivent que très peu d'attention mondiale. C'est le cas du Soudan qui connaît une guerre entre deux parties exclusivement locales, même si elle est alimentée par des forces régionales, notamment à travers leur soutien à la milice génocidaire des Forces de soutien rapide. Le rôle le plus dangereux à cet égard a été joué par les Émirats arabes unis, en alliance avec un acteur mondial, la Russie. C'est le même duo qui a joué le rôle principal dans le soutien à Khalifa Haftar dans la guerre civile libyenne.

La vérité est que les pays occidentaux, même s'ils n'ont pas joué de rôle direct dans la guerre soudanaise, portent la responsabilité principale de ce qui est arrivé au pays. L'envoyé spécial de l'ONU au Soudan, de début 2021 jusqu'à sa démission en septembre 2023, l'Allemand Volker Perthes, a joué le rôle de « l'homme blanc » dans sa mission avec un relent de colonialisme, et a agi de manière désastreuse, bafouant les principes auxquels les Occidentaux sont censés adhérer, peut-être parce qu'il croyait que les Soudanais ne sont pas dignes de la démocratie.

Lorsque le coup d'État mené par Abdel Fattah al-Burhan, interrompant le processus démocratique issu de la révolution de 2019, eut lieu à l'automne 2021, c'était durant le mandat de Perthes en tant qu'envoyé de l'ONU au Soudan. Perthes a cherché à réconcilier les dirigeants militaires avec les civils qu'ils avaient renversés, au lieu de prendre une position ferme contre les putschistes et d'appeler la communauté internationale à exercer une pression maximale sur eux pour qu'ils retournent dans leurs casernes et permettent la poursuite du processus démocratique. Cette indulgence envers les militaires et la tentative de les réconcilier avec les civils, plutôt que d'adopter une position dure à leur encontre, les ont encouragés à convoiter le maintien de leur contrôle total sur le pays. Cela a conduit, deux ans plus tard, à l'éclatement de combats entre les deux composantes de l'armée, les forces régulières et les Forces de soutien rapide, chaque camp se disputant le contrôle exclusif du pays.

La réalité est que la guerre au Soudan n'a que deux issues possibles. Soit les Nations Unies prennent enfin leurs responsabilités, organisent l'intervention de forces internationales, imposent un cessez-le-feu aux deux parties belligérantes, puis les obligent à se replier sur leurs casernes de sorte à permettre au processus démocratique de se poursuivre en lui apportant un plein soutien, y compris les moyens nécessaires pour dissoudre les sinistres Forces de soutien rapide et imposer des changements radicaux aux forces régulières soudanaises afin de les transformer d'armée d'une dictature militaire en armée soumise à l'autorité civile. Soit le Soudan se dirige vers la partition, ce qui perpétuerait le régime militaire dans sa partie orientale et permettrait aux Forces de soutien rapide (anciennement milices janjawids) d'imposer leur contrôle total sur la région du Darfour, où elles poursuivraient la guerre génocidaire raciste qu'elles ont commencé à mener au début du siècle actuel sous la direction de Béchir (il les a récompensés en 2013 en leur accordant un statut officiel de composante des forces armées soudanaises).

Enfin, en ce qui concerne la grande tragédie que connaît le Soudan, il est également nécessaire de souligner l'échec de la solidarité internationale avec le peuple soudanais affligé. Tout en nous félicitant vivement du développement considérable connu par le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien contre la guerre génocidaire sioniste à Gaza, nous ne pouvons que regretter que la solidarité mondiale continue de dépendre de la formation de l'attention médiatique décrite ci-dessus. Il est de la plus haute urgence qu'émerge un large mouvement de solidarité avec le peuple soudanais, en particulier dans les pays occidentaux, mais aussi dans toutes les régions du monde, y compris la région arabe, pour faire pression en faveur d'une intervention de l'ONU afin de mettre fin à cette immense tragédie.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 22 avril. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Burkina Faso. La fabrique étatique de la violence

29 avril, par Tanguy Quidelleur — , ,
Gagné, à partir de 2016, par l'insécurité venue du Mali voisin, le Burkina Faso a vu l'implantation massive de groupes djihadistes sur son territoire. Au fil des ans et des (…)

Gagné, à partir de 2016, par l'insécurité venue du Mali voisin, le Burkina Faso a vu l'implantation massive de groupes djihadistes sur son territoire. Au fil des ans et des ruptures politiques, le pays a progressivement plongé dans la guerre civile. Depuis l'arrivée du capitaine Ibrahim Traoré, on observe une fabrique étatique de la violence : militaire, civile et politique.

Tiré d'Afrique XXI. Légende de la photo : Accueil du capitaine Ibrahim Traoré à l'aéroport de Ouagadougou, après le sommet Russie-Afrique, le 31 juillet 2023.b© Ekokou

Début mars 2025, plusieurs vidéos envahissent les réseaux sociaux burkinabè. On y voit, dans la région de Solenzo, dans l'ouest du pays, des militaires accompagnés de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) – des civils armés opérant aux côtés des forces régulières – massacrant des dizaines d'habitants accusés de collaborer avec ces groupes djihadistes (1). Au même moment, cette fois près de Fada N'Gourma, dans l'est du pays, des dizaines d'autres habitants auraient subi le même sort tragique. Par ailleurs, si le monde rural est désormais plongé dans ce que certains observateurs qualifient de « sale guerre », la violence exercée par l'État et ses collaborateurs touche l'ensemble de la société : disparitions d'opposants et de défenseurs des droits humains, arrestations de journalistes envoyés au front, intimidations…

Comment comprendre cette violence étatique multisectorielle et multisituée sur le territoire burkinabè ? Surtout, face à l'insurrection djihadiste et à la perte du contrôle de larges pans du territoire national, comment analyser cette contre-insurrection ? La violence pratiquée par les hommes en armes, qu'ils opèrent au sein ou en marge de l'État, apparaît comme un mode de gouvernement, et ces pratiques constituent une politique publique à part entière, accentuée par bientôt une décennie de violence.

Tout d'abord, la junte d'Ibrahim Traoré, arrivé par la force au pouvoir en 2022, s'inscrit dans l'histoire du Burkina Faso, marquée par la centralité de l'institution militaire et faisant de la violence une ressource légitime pour conquérir ou exercer le pouvoir. En effet, ces dynamiques ne sont guère nouvelles : depuis l'indépendance, en 1960, le rôle prépondérant des forces armées dans la politique s'est régulièrement traduit par des coups d'État. Cette « alternance par le putsch » (2) illustre la manière dont la violence armée ou sa menace s'imposent comme un levier politique essentiel.

Une double dynamique, militaire et milicienne

Ensuite, la militarisation historique du pouvoir ne se manifeste pas seulement par la présence de militaires à la tête de l'État, mais aussi par des pratiques, des discours et des représentations qui ont imprégné l'ensemble de la société. Ils ont notamment façonné les différentes formes de « gouvernement par la violence » (3) des populations, en particulier autour de la figure historiquement située (4) du « citoyen en arme », empruntée à Thomas Sankara.

On observe alors une double dynamique de militarisation du pouvoir et de milicianisation de la société (5).

Ainsi, dès son arrivée au pouvoir, le capitaine Traoré a décrété la mobilisation générale et lancé une vaste campagne de recrutement pour renforcer les forces paramilitaires engagées dans la lutte contre les groupes djihadistes. Selon les autorités, 90 000 personnes auraient déjà rejoint les rangs des VDP, une force instaurée timidement en 2019 sous le régime de l'ancien président Roch Marc Christian Kaboré. Ces citoyens burkinabè sont formés, équipés et financés par l'armée afin de participer aux opérations militaires aux côtés des forces régulières. On observe in fine, grâce au concours d'un État militarisé et de ses collaborateurs paramilitaires, une « milicianisation de la guerre contre le terrorisme » (6), qui façonne les discours et les représentations politiques autour du conflit, tout en exacerbant les violences et la polarisation de la société.

La construction d'une politique de contre-insurrection

Depuis bientôt une décennie, des groupes djihadistes s'implantent et étendent progressivement leur emprise sur l'ensemble du territoire. Leur avancée se traduit par l'expulsion des représentants de l'État et s'accompagne de dynamiques conflictuelles liées à leur administration de ces populations civiles. Dans de vastes zones désormais sous le contrôle des djihadistes, les forces militaires burkinabè peinent à s'imposer. Elles sont souvent confinées dans leurs bases, limitant leur présence effective à quelques opérations ciblées. Lorsqu'elles se hasardent à des patrouilles, elles sont régulièrement confrontées à des embuscades et à des engins explosifs improvisés (IED) qui réduisent considérablement leur capacité d'action.

Cette situation a conduit à la création de Bataillons d'intervention rapide (BIR). Mieux équipés que le reste de l'armée, ils sont chargés, à travers des opérations axées sur des unités mobiles, de traquer les groupes djihadistes. Cette stratégie fait notamment suite à différentes expériences de dispositifs sécuritaires, comme ceux du GAR-SI (Groupe d'actions rapides-Surveillance et intervention), des unités d'élite mixtes de la gendarmerie et de l'armée équipées, entraînées et financées, notamment, par des programmes de l'Union européenne entre 2017 et 2021 (7). Ces derniers éléments étaient déjà impliqués dans différentes exactions en lien avec des groupes d'autodéfense contre des populations civiles accusées de collusion avec les djihadistes, dans la boucle du Mouhoun, par exemple. Le processus de spécialisation s'est amplifié, et les BIR se sont multipliés, passant de six à vingt-huit en trois ans, a dit le capitaine Ibrahim Traoré dans son adresse à la nation le 3 janvier dernier.

De manière plus générale, les politiques publiques burkinabè se sont progressivement réarticulées autour d'une économie de guerre : achat de moyens aériens russes et contractualisation avec des « formateurs », acquisition de drones turcs, devenus fer de lance de la communication militaire du régime, recrutement massif.

Les civils en armes au cœur du dispositif

Pour tenter de reprendre le contrôle de ces zones, le deuxième volet de la stratégie s'est déployé à travers la mobilisation de civils en armes. En janvier 2020, l'Assemblée nationale adopte une loi instituant les VDP. Le dispositif prévoit que ces forces supplétives seront encadrées par les Forces de défense et de sécurité (FDS) et bénéficieront d'un soutien financier mensuel. Les volontaires doivent également recevoir un appui matériel et médical en cas de blessure, d'invalidité ou de décès. Une formation accélérée de quatorze jours est mise en place pour les préparer à leur mission. Les VDP sont créés pour compenser le faible maillage territorial de l'armée et son manque de connaissance du terrain. Selon les autorités, les effectifs de l'armée seraient de 14 000 militaires, tous profils confondus. Les VDP seraient donc plus nombreux que les forces régulières.

En première ligne aux côtés des soldats, les volontaires permettent de soulager des troupes épuisées par des années de conflit, souvent mal équipées, rarement relevées et insuffisamment formées. Leur mobilisation à moindre coût vise aussi à limiter les pertes en opération. La création des VDP consacre ainsi l'hégémonie de l'armée burkinabè dans le domaine sécuritaire. Alors que les groupes d'autodéfense relevaient autrefois du ministère de la Sécurité dans le cadre d'une politique de police de proximité, les VDP sont désormais placés sous l'autorité directe de la hiérarchie militaire. Depuis 2022, leur commandement est assuré par la Brigade de veille et de défense patriotique (BVDP), une structure dirigée par des militaires qui a accéléré la militarisation des groupes de volontaires (8).

La force paramilitaire est désormais au cœur de la communication politique du capitaine Traoré, qui en a fait un pilier de sa stratégie sécuritaire.

Des violences en augmentation

Cette contre-insurrection a eu pour effet de favoriser la hausse des violences sur les populations périphériques de l'État. Ces violences, à la fois stratégiques et instrumentales, traduisent une reconfiguration des relations entre combattants et populations civiles. Comme dans d'autres conflits (9), d'un point de vue stratégique, pour un État qui peine à contrôler de larges pans de son territoire, ces pratiques visent différents objectifs qui peuvent se cumuler en fonction des configurations : déloger des communautés pour mieux contrôler l'espace, punir un groupe spécifique, piller des ressources, instaurer un climat de terreur ou encore envoyer un message aux ennemis désignés. Le schéma est ainsi régulièrement le même : les militaires accompagnés de VDP sillonnent les espaces contrôlés par les djihadistes et massacrent les villageois, femmes et enfants compris, puis emportent ce qu'ils trouvent : objets de valeur, bétail.

Comment expliquer les meurtres de masse successifs et les pratiques criminelles de la part des forces gouvernementales et de leurs collaborateurs ?

D'abord, ces violences s'accompagnent de la reprise du discours manichéen de la « guerre contre le terrorisme », et donc d'un ennemi à éradiquer et avec qui on ne négocie pas, et plus largement de toute personne qui serait supposément en contact avec lui. Le blanc-seing donné au combattant augmente donc la violence, notamment parce que la contre-insurrection s'accompagne d'une impunité quasi généralisée. L'engagement des VDP et des BIR dans les combats s'accompagne, en effet, d'un phénomène d'apprentissage progressif dans l'exercice collectif d'une violence de masse. Au fil des opérations, ces groupes adoptent des tactiques de plus en plus brutales qui deviennent systémiques, franchissant différents seuils dans l'intensité de leurs exactions.

Ensuite, le recours massif à des VDP nationaux – qui peuvent être déployés sur tout le territoire – facilite les exactions puisque les combattants agissent de plus en plus en dehors de leur zone d'origine. Initialement engagées pour défendre leur communauté, ces forces paramilitaires s'aguerrissent et développent finalement une autonomie opérationnelle. Cette évolution s'explique notamment par la coproduction des violences de masse par des BIR et des VDP exogènes. Moins redevables aux populations, ils adoptent des méthodes plus expéditives. Loin d'être une simple réponse sécuritaire, la guerre contre le terrorisme devient alors un instrument de production de nouvelles formes de violence politique.

La circulation de pratiques prédatrices

Également, le mandat attribué par l'État permet aux VDP d'avoir une grande autonomie dans les zones où ils opèrent. On observe ainsi que cette coproduction de la violence produit une circulation des pratiques prédatrices entre les corps dits étatiques et paramilitaires, qui interagissent et progressent crescendo dans les différents stades de la violence. Cette collaboration représente, en effet, une opportunité d'obtenir des rétributions matérielles. Le pillage des ressources, notamment du bétail, peut, par exemple, être le fruit d'un massacre ou d'une vengeance après une attaque contre les forces de défense.

De plus, les motivations stratégiques et opportunistes sont souvent entremêlées avec des logiques de hiérarchisation identitaire, en particulier lorsqu'il s'agit de populations marginalisées. Malgré cette complexité, des caractères systémiques émergent dans les violences de masse et prédatrices, offrant un éclairage sur l'évolution politique actuelle du Burkina Faso.

Enfin, cette stratégie s'est aussi révélée meurtrière et contre-productive pour les populations des zones touchées par le conflit. La mobilisation des civils en armes expose directement les populations à des représailles des groupes djihadistes. Ces derniers ciblent les villages soupçonnés de soutenir l'État ou d'abriter des VDP, entraînant un cycle de vendetta. Ces dynamiques alimentent une guerre civile qui, comme toute guerre civile, est avant tout une guerre contre les civils : les représailles touchent indistinctement hommes, femmes et enfants et les frontières, se brouillent entre combattants et populations.

Un régime politique militaro-milicien

La réactualisation des ressources du patriotisme se manifeste dans un contexte politique marqué par une montée des discours nationalistes au Burkina Faso. Après le coup d'État militaire de 2022, les militaires se sont présentés sous la bannière du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), maintenant dirigé par le capitaine Traoré. Le capitaine « IB » a adopté une rhétorique nationaliste, valorisant des idéaux patriotiques tout en réprimant et en arrêtant les opposants, ou en faisant disparaître des journalistes et des militants des droits humains. Cette violence politique est construite par différents groupes spécialisés incarnés par certains escadrons de la police, des membres de la présidence du Faso ou encore de l'Agence nationale de renseignement (ANR). Les nouvelles autorités politiques burkinabè se sont aussi assuré le soutien d'une partie des milieux financiers (BTP, mines, grands commerçants…) pour construire une économie de guerre et capter des ressources, tout en rétribuant une clientèle politique.

Cette dynamique s'est conjuguée à une brutalisation de la vie politique, orchestrée par diverses mobilisations politiques soutenant la junte, allant d'influences néo-panafricanistes à divers mouvements religieux jusqu'aux identitaires de tous bords, qui n'hésitent pas à recourir à la violence et à la menace pour faire taire l'opposition (10). La « révolution progressiste populaire » dans laquelle le président du Faso a affirmé s'inscrire dans un discours à la nation, le 1er avril 2025, convoque aussi, dans sa communication, un imaginaire sankariste dévoyé. La militarisation du pouvoir a intensifié la milicianisation de la société, modifiant profondément le mode de gouvernement. Les pratiques coercitives se diffusent ainsi progressivement dans la société. On observe, par exemple, des groupes de soutien du régime contrôlant les ronds-points de Ouagadougou et extorquant de l'argent à la nuit tombée.

La communication officielle est omniprésente, à travers des slogans sur la souveraineté et le patriotisme accompagnés d'images de l'armée en action ou de frappes de drones. Enfin, la traque de toutes les formes de dissidence s'est généralisée, comme, par exemple, au travers des BIR-C (Bataillon d'intervention rapide de la communication), une mobilisation de propagande numérique qui défend le régime en menaçant et en dénigrant les opposants sur les réseaux sociaux.

Pourtant, la politique contre-insurrectionnelle burkinabè ne semble pas avoir atteint les résultats escomptés. Les récents revers de l'armée burkinabè dans la région Est confirment son incapacité à contrôler de vastes parties de son territoire. Les attaques djihadistes persistent, sapant les tentatives de reconquête de l'espace, et maintenant de vastes régions sous l'influence des groupes armés. La situation humanitaire se détériore rapidement, avec un nombre croissant de déplacés fuyant les violences et les représailles (11). Parallèlement, le climat politique et sécuritaire devient de plus en plus répressif, marqué par une dégradation inquiétante des droits humains. Entre l'intensification des conflits, la répression des voix dissidentes et l'effondrement des structures sociales, le Burkina Faso semble donc s'enfoncer dans un processus durable de crise profonde.

Notes

1- Voir ici un article de Libération.

2- Léon Sampana, « La démilitarisation paradoxale du pouvoir politique au Burkina Faso », Les Champs de Mars, n° 28, pp. 34-49, 2015.

3- Jacobo Grajales, « Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie », Karthala, 2016.

4- Thibaut François, « Édifier l'État par la kalach. Les Comités de défense de la Révolution de Ouagadougou et le maintien de l'ordre ». Politique africaine, 2023/2 n° 170, pp. 63-83, 2023.

5- Tanguy Quidelleur, « Gouverner par les armes au Burkina Faso : militariser le pouvoir et milicianiser la société », Politique africaine, 2024/2 n° 174, pp. 157-181, 2024.

6- Tanguy Quidelleur, « Les dividendes de “la guerre contre le terrorisme” : milicianisation, États et interventions internationales au Mali et au Burkina Faso », Cultures & Conflits, 2022/1 n° 125, p. 115-138, 2022.

7- Voir Emergency Trust Fund for Africa ici

8- Une distinction doit néanmoins être faite entre les VDP nationaux, qui sont dans les faits majoritaires, sous la coupe du ministère de la Défense et formés dans les camps de l'armée, et les VDP communaux, rattachés au ministère de l'Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité (MATDS). Ces derniers sont formés dans des commissariats ou dans des casernes de gendarmerie proches de leur localité.

9- Gilles Dorronsoro, Politiques de la violence. Organiser la lutte de la Colombie au Pakistan, Karthala, 2021, « Raison stratégique, hiérarchie ethnique et logique biopolitique. Notes sur la polysémie des massacres dans la guerre d'Afghanistan », chapitre 5, pp.109-125.

10- La Confédération générale des travailleurs du Burkina Faso a ainsi porté plainte en octobre 2023 pour des menaces contre ses membres.

11- Selon les Nations unies, ils étaient plus de 2 millions en 2023. Certaines ONG, de manière non officielle, avancent actuellement le chiffre de 3 millions.

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Algérie–Mali : une recomposition explosive du Sahel

29 avril, par La Rédaction de Mondafrique — , , ,
Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, l'armée algérienne a abattu un drone de reconnaissance armé de type Akıncı, appartenant aux forces maliennes, près de la localité (…)

Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, l'armée algérienne a abattu un drone de reconnaissance armé de type Akıncı, appartenant aux forces maliennes, près de la localité frontalière de Tinzaouaten. Alger affirme que l'appareil avait pénétré de 2 km dans son espace aérien, tandis que Bamako soutient que le drone opérait toujours en territoire malien.

Tiré de MondAfrique.

Pour mieux comprendre les dynamiques à l'œuvre, Akram KHARIEF, journaliste spécialisé en sécurité et défense et fondateur du site Mendéfense, ainsi que Raouf FARRAH, chercheur en géopolitique, livrent ici leur analyse.

L'affaire aurait pu se régler dans un cadre diplomatique discret. Elle a, au contraire, provoqué un séisme régional. Enjeu de souveraineté, guerre de récits, surenchères médiatiques, fermeture d'espaces aériens, rappels d'ambassadeurs, saisie du Conseil de sécurité de l'ONU. La solidarité immédiate des membres de l'Alliance des États du Sahel (AES) avec Bamako.

Mais ce drone ne tombe pas dans un ciel dégagé. Il s'écrase dans un paysage diplomatique déjà miné par la méfiance, les réalignements géopolitiques, les frustrations historiques et les jeux d'influence. Loin d'être un simple incident aérien, cette crise révèle une recomposition violente du Sahel, où l'Algérie voit son rôle de puissance médiatrice contesté.

De la médiation à l'hostilité

Historiquement, l'Algérie a joué un rôle central dans les tentatives de résolution du conflit malien. Sa médiation a conduit à la signature des Accords pour la Paix et la Réconciliation au Mali en 2015, texte fondateur censé stabiliser le rapport entre le pouvoir central de Bamako et les groupes indépendantistes du nord du pays. Mais depuis l'arrivée au pouvoir de la junte militaire malienne en 2020, et plus encore après le deuxième coup d'État de 2021, cette relation s'est inexorablement détériorée.

Selon Raouf Farrah cette crise n'est pas un accident isolé, mais le point culminant d'une détérioration lente et structurelle. Trois facteurs majeurs l'expliquent : la dénonciation unilatérale par Bamako des Accords de paix de 2015, le bouleversement des alliances régionales après le départ de l'opération Barkhane, et la montée d'un discours souverainiste agressif de la junte malienne, qui instrumentalise la confrontation pour renforcer sa légitimité.

Akram Kharief ajoute que cette rupture s'est traduite sur le terrain par une stratégie de confusion délibérée. En assimilant les groupes indépendantistes à des entités terroristes, Bamako a justifié une offensive militaire brutale dans le Nord. Résultat : exodes massifs vers la Mauritanie et l'Algérie conduisant à une pression humanitaire et sécuritaire sur les zones frontalières.

« L'arrivée des drones turcs fin 2022 a marqué un tournant, offrant à l'armée une capacité de frappe accrue. Il faut bien comprendre une chose : les autorités maliennes utilisent les drones essentiellement pour des frappes d'opportunité. Elles font décoller des appareils qui patrouillent et tirent des missiles sur ce qu'elles considèrent comme des groupes d'individus ou des véhicules suspects. La vérification intervient après coup, et très souvent, il s'agit de familles, de commerçants ou d'orpailleurs. Par ailleurs, la propagande médiatique malienne donne l'impression que la lutte contre le terrorisme est exclusivement localisé dans le nord du pays alors qu'en réalité, la majorité des groupes jihadistes se trouvent dans la région du Macina, dans le centre du pays et vers le sud. », précise le journaliste.

La guerre des récits

Dans ce climat déjà délétère, le drone Akıncı devient le prétexte d'une escalade verbale inédite.

Par un communiqué de son Ministère de la Défense, Alger déclare avoir abattu un drone qui a fait une incursion de 2 km sur son espace aérien. Il s'agit d'un appareil sophistiqué d'une valeur de 30 millions de dollars vendu par la Turquie.

De son côté, le Mali, par un contre-communiqué, dément cette version et affirme que le drone n'a jamais quitté son ciel, précisant même qu'il se trouvait à 10 km de la frontière algérienne.

Le ton monte entre Alger et Bamako : surenchère médiatique, accusations mutuelles. Bamako accuse Alger d'être sponsor du terrorisme ; Alger dénonce une junte militaire incompétente en quête de légitimité.

Pour Akram Kharief, il est peu pertinent de juger de la position finale du drone : « Un drone abattu en vol ne s'écrase pas forcément à l'endroit exact de l'impact. Il garde une inertie, une trajectoire. Le fait qu'il ait été retrouvé côté malien ne prouve rien. Simple question d'aérodynamisme ». D'autant plus que l'enregistreur de vol aurait été récupéré par des éléments du Front de Libération de l'Azawad (FLA), non par les forces maliennes. Les données disponibles à Bamako sont donc très partielles.

Raouf Farrah souligne le manque de crédibilité technique d'une enquête malienne dans une région qu'elle ne contrôle plus réellement : « Même à l'époque de l'opération Barkhane, ce sont les Français qui faisaient les vérifications. Aujourd'hui, sans emprise réelle sur le nord, il est peu plausible qu'ils aient une version fiable. »

Derrière les faits, une véritable guerre de récits s'installe. Certains analystes vont même jusqu'à avancer que l'Algérie protégerait tacitement Iyad Ag Ghali, fondateur d'Ansar Dine et leader actuel du JNIM, que le drone aurait eu pour mission de traquer.

Ces accusations, selon Kharief, relèvent de la posture politique plus que de faits établis. L'Algérie maintient des canaux de dialogue avec certains groupes armés, y compris le FLA, dans une logique de sortie de crise. Mais cette nuance est inacceptable pour un pouvoir malien qui assimile désormais toute opposition armée au terrorisme.

Selon Raouf Farrah, la question du terrorisme dans les relations entre l'Algérie et le Mali a toujours été ambivalente. D'un côté, elle a servi de cadre à la coopération sécuritaire et à la mutualisation des efforts dans la lutte contre les groupes extrémistes violents. De l'autre, elle a alimenté des tensions profondes et persistantes.

Le premier facteur de discorde, et c'est une réalité historique difficilement contestable, réside dans le fait que de nombreux islamistes radicaux ayant combattu en Algérie durant la décennie noire (années 1990) ont trouvé refuge dans le nord du Mali à la fin de cette période. Plusieurs des groupes armés aujourd'hui actifs au Mali ont été fondés ou renforcés par d'anciens combattants algériens, contribuant à brouiller les perceptions et à alimenter une méfiance durable entre Alger et Bamako.

Le second facteur tient à la proximité humaine et anthropologique entre le sud algérien et le nord malien. Ces deux régions partagent des liens culturels et historiques profonds. Plusieurs figures rebelles, à l'image d'Iyad Ag Ghali, ont évolué dans les deux sphères. Ancien membre du MNLA à visée indépendantiste, il s'est ensuite radicalisé pour fonder le groupe jihadiste Ansar Dine. Cette trajectoire illustre la porosité des affiliations dans la région et complique davantage les représentations réciproques.

Personne dans le rôle du médiateur

Pendant plus d'une décennie, l'Algérie a été perçue comme une puissance stabilisatrice au Sahel. Mais la dénonciation des Accords d'Alger, les attaques rhétoriques de la junte et l'émergence du bloc AES (Mali, Burkina, Niger) semblent avoir marginalisé ce rôle. La Russie, en soutenant les régimes putschistes via Wagner, a profité du vide laissé par la France tout en entrant en collision avec les intérêts algériens.

Wagner, selon Kharief, « n'est plus un simple instrument d'influence, mais un acteur économique et militaire autonome, qui contribue à la brutalisation du conflit malien. »

Une recomposition serait néanmoins en cours. L'Africa Corps, entité dépendante du ministère russe de la Défense, pourrait remplacer Wagner à terme. Cela ouvrirait une brèche diplomatique, et peut-être une opportunité pour Alger de réactiver un rôle d'arbitre. Mais cela suppose une clarification stratégique en amont.

La réaction de l'AES à l'incident du drone fut sans ambiguïté : soutien total au Mali. Le Niger, avant cette crise, était en phase de rapprochement avec Alger. La Sonatrach y mène des prospections prometteuses. Il était question de raccorder le pétrole nigérien aux infrastructures algériennes pour mutualiser les exportations. Sans oublier le projet de gazoduc transsaharien en provenance du Nigéria, qui devait passer par le Niger et aboutir en Algérie.

Tous ces projets semblent aujourd'hui mis entre parenthèses au profit d'un front commun contre Alger.

Cette unité idéologique du bloc AES masque toutefois des fragilités profondes. Comme le rappelle Kharief, « le nord du Mali est économiquement dépendant de l'Algérie. Carburant, électricité, vivres… tout vient du sud algérien. » Et aucun autre acteur, ni la Russie, ni la Turquie, ni les Émirats, ne peut combler ce vide logistique.

Farrah nuance : « L'économie est une béquille, mais c'est la politique qui décidera. L'Algérie doit penser en termes de coalitions. Miser sur la Mauritanie et le Niger, renforcer sa collaboration avec la CEDEAO, proposer une alternative aux États enclavés. »

Une doctrine à refonder : de l'idéologie à la stratégie

Au-delà de l'incident, la crise met en lumière une faiblesse structurelle de la diplomatie algérienne : son absence de vision renouvelée. Longtemps fidèle à une diplomatie de principe, héritée des années 60-70, Alger peine à s'adapter aux nouvelles règles d'un Sahel fragmenté, fluide, multipolaire.

« Cela fait vingt ans que l'Algérie improvise sa politique étrangère, déplore Kharief. Il n'y a pas de stratégie claire sur son rôle régional. Faut-il se tourner vers la Méditerranée, recréer un Maghreb, ou s'assumer comme puissance sahélo-africaine ? Cette question n'a jamais été tranchée. »

Farrah appelle à dépasser les réflexes sécuritaires et à sortir d'une posture défensive : « La politique extérieure est le prolongement de la politique intérieure. Sans réforme démocratique, il n'y aura pas de stratégie cohérente. Il faut favoriser la participation citoyenne dans une optique d'intelligence collective. »

Dans cette perspective, Akram Kharief propose une vision audacieuse : faire de Tamanrasset un pôle d'influence régional. « L'Algérie est un pays sahélien. Tamanrasset pourrait devenir la capitale du Sahel. Mais cela suppose un investissement massif dans le développement du sud, une équité territoriale réelle, et une politique d'influence par les infrastructures. »

Les menaces sécuritaires, conclut-il, sont des symptômes plus que des causes. « Elles s'atténueront naturellement »

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« 200 ans après la dette odieuse imposée à Haïti, NON au mépris persistant de la France »

29 avril, par Collectif — , , , ,
Un collectif de signataire juge insuffisantes les annonces du président de la République à l'occasion du bicentenaire de l'indépendance d'Haiti. Tiré de l'Infolettre du (…)

Un collectif de signataire juge insuffisantes les annonces du président de la République à l'occasion du bicentenaire de l'indépendance d'Haiti.

Tiré de l'Infolettre du CADTM 24 avril
Photo : Womin

Deux siècles après l'imposition d'une dette coloniale injustifiable à Haïti, la France continue de fuir ses responsabilités. Nous, collectifs, membres de la société civile et militant·e·s solidaires, exprimons notre profonde indignation face à la déclaration du président Emmanuel Macron, qui refuse toujours de reconnaître pleinement la nature odieuse de cette dette et d'engager le processus de réparation.

Nous, actrices et acteurs de la société civile, membres d'organisations de solidarité internationale et défenseur·e·s de l'autodétermination des peuples, unissons nos voix pour rappeler une vérité longtemps occultée : Haïti est la victime d'une dette injuste, d'un mal-développement structurel et d'une violence historique dont la France demeure comptable.

Il aurait été temps que justice soit faite, que la France reconnaisse officiellement la dette odieusequ'elle a imposée à Haïti.

Il aurait été temps qu'elle restitue ce qu'elle a extorqué. Qu'elle répare. Mais il n'en fut rien !

Le président Emmanuel Macron, ce 17 avril 2025, a manqué ce moment historique, sans geste solennel, sans discours à la hauteur des enjeux historiques et humains, il a esquivé le rendez-vous de ce bicentenaire en un silence assourdissant. Un mépris néocolonial de plus.

Une dette injuste, fruit de la vengeance coloniale

Haïti, première République noire indépendante, a conquis sa liberté en 1804 au terme d'une révolution antiesclavagiste exemplaire. Mais cette victoire fut lourdement sanctionnée : en 1825, la France imposa à cette jeune nation une indemnité de 150 millions de francs-or pour « indemniser » les anciens colons – une exigence inique, extorquée sous la menace des canons.

Cette dette, qualifiée à juste titre d'odieuse, fut en réalité une rançon qui a étranglé l'économie haïtienne pendant plus d'un siècle. Pour la payer, Haïti a dû emprunter aux banques françaises et européennes, entrant dans une spirale d'endettement et de dépendance. La dernière tranche fut remboursée en 1947 – mais les conséquences économiques, sociales et politiques de cette dette continuent de peser.

Un héritage colonial toujours vivant

Ce fardeau s'inscrit dans une continuité historique d'exploitation. Pillée pendant la colonisation, puis abandonnée à un ordre mondial inégal, Haïti fait aujourd'hui encore les frais d'un système où les puissances occidentales – dont la France – refusent de reconnaître leur responsabilité, où des Tonton Macoutes aux Gangs, est soumise à des régimes d'extrêmes droites d'une extrême violence…

À la dette coloniale s'ajoute désormais une dette climatique

Haïti, faiblement émettrice de gaz à effet de serre, subit pourtant les ravages des catastrophes climatiques, aggravés par la déforestation et l'insécurité alimentaire.

À cela s'ajoutent des décennies d'ingérences étrangères – notamment américaines – qui ont contribué à déstabiliser les institutions haïtiennes, remis en cause son agriculture, favoriser la corruption et les violences armées, et priver le peuple de sa souveraineté.

Un mal-développement structurel imposé

Haïti, autrefois surnommée « la perle des Antilles », est aujourd'hui prisonnière d'un mal-développement structurel : santé, éducation, infrastructures, sécurité – tout est en crise. Les urgences se superposent : violences extrêmes, féminicides, contrôle de territoires par des groupes armés, catastrophes naturelles, effondrement institutionnel.

Ce drame n'est pas le fruit du hasard. Il est le résultat d'une histoire de spoliation, de domination, de silence.

Nous exigeons : justice, restitution, réparation

Face à cela, nous exprimons notre profonde indignation.

Nous attendions de la France un acte fort, historique, symbolique et concret.

Mais une fois encore, l'État français s'est dérobé à ses responsabilités.

Nous appelons donc à une mobilisation internationale pour exiger :

La reconnaissance officielle et sans ambiguïté de la dette odieuse imposée à Haïti ;

La restitution immédiate des sommes extorquées ;

Le versement de réparations justes et appropriées pour les crimes coloniaux et l'esclavage ;

Un soutien concret, sans ingérence, aux institutions haïtiennes et à la société civile ;

L'annulation de toute dette actuelle illégitime et un engagement réel en faveur d'un développement juste et durable.

Haïti mérite un avenir digne, libre, éclairé. Le peuple haïtien mérite justice.

Nous ne nous tairons pas. Nous resterons mobilisé·es.

Pour Haïti. Pour la mémoire. Pour la vérité. Pour la justice.

PREMIERS SIGNATAIRES :

La Plateforme Française de solidarité avec Haïti (PFSH)

Françoise Vergès, auteure, militante

Frédéric Thomas, politologue spécialiste d'Haïti, chargé d'études au Centre tri-continental (CETRI) à Louvain-la-Neuve (Belgique) et auteur de l'ouvrage Haïti notre dette

Verónica Carrillo Ortega, Promotora pour la Suspension du paiement de la dette publique au Mexique, membre du réseau CADTM AYNA, Mexique

Camille Chalmiers, économiste, professeur, représentant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), membre du réseau CADTM-AYNA et CADTM Internacional

Thérèse Di Campo, photojournaliste indépendante

Murielle Guibert & Julie Ferrua, Union Syndicale Solidaires

Laurence MARANDOLA, Porte-Parole de la Confédération Paysanne

Maxime Perriot – CADTM International

Fabien Cohen, secrétaire général de France Amérique Latine et Caraïbes (FAL) et conseil d'administration du CRID

Ruth Pierre, Haut conseil de coopération et de développement pour Haïti ; cofondatrice Ayiti Chanje

Jean-Pierre Giordani, Président Centre Anacaona droits humains Haïti (CADHH)

Jane-Léonie Bellay, militante Enjeux et Mobilisations Internationales, ATTAC France

Priscillia Ludosky, Présidente du CLSE

Sadrac Charles, Festival Haïti Monde ; cofondateur Ayiti Chanje

Samuel Colin, Forum Haïtien pour la paix et le développement durable (FOHPDD)

Ornella Braceschi, Présidente Collectif Haïti de France (CHF)

Mackendie Toutpuissant, Président d'honneur de la Plateforme des associations franco- haïtiennes de France (PAFHA)

Marie-Michelle Legrand, Vice-Présidente de Konbit Agency

William Rolle pour l'association ASSOKA asosyation solidarité karayb

Christian Mahieux, syndicaliste & éditeur

Nils Anderson, Agir contre le colonialisme (ACCA)

Capdevielle Colette, députée Parti Socialiste, Bayonne

Adja Meissa Gueye, secrétaire générale de l'ADDEA Sénégal

Serigne Sarr, membre de l'association pour la Défense des droits à l'eau et à l'assainissement (ADDEA), Sénégal

Clémence Lukeba Dialakana, fondatrice du Parlement des Femmes, militante Franco-Congolaise

Tania Nioka, présidente de l'association Rdjeunes

ILUNGA Désiré, Co-fondateur de Team-Congo

Nasteho Aden, conseillère municipale et territoriale Stains, présidente carré citoyen, afroféministe

Augusta Epanya Coordinatrice générale de la Dynamique Unitaire Panafricaine, Cameroun

Gérard Halie, ancien co-secrétaire national du Mouvement de la Paix

Collectif Viêtnam Dioxyne

Union pour le Reconstruction Communiste (URC)

HAUT COMMISSARIAT DES CONGOLAIS HCCF-E

Réseau syndical international de solidarité et de luttes

Synergie Outre-Mer

Christian Mahieux, syndicaliste & éditeur

Patricia Pol, militante Attac France

David Redon, militant Guyanais

CUSSEY Marie-Claire, militante Guadeloupe

Paul Laury-Ann, militant Martinique

Morland Lourdy

Rudy Louis-Philippe

Saskia Lissa Maria Vierheilig

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Source : L'Humanité

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Déclaration du comité exécutif régional de l’Assemblée des peuples de la Caraïbe sur la rançon imposée par la France au peuple haïtien

29 avril, par Camille Chalmers — , ,
Le Comité Exécutif Régional de l'Assemblée des Peuples de la Caraïbe tient à exprimer son indignation à l'occasion du 200e anniversaire de la rançon imposée à Haïti à travers (…)

Le Comité Exécutif Régional de l'Assemblée des Peuples de la Caraïbe tient à exprimer son indignation à l'occasion du 200e anniversaire de la rançon imposée à Haïti à travers une ordonnance du Roi de France Charles X du 17 avril 1825, exigeant le paiement d'une somme exorbitante de 150 millions de francs or comme condition pour la reconnaissance de l'indépendance arrachée sur le champ de bataille 21 ans plus tôt.

Tiré du site web du CADTM

À l'occasion de ce douloureux anniversaire, l'Assemblée des Peuples de la Caraïbe lance un vibrant appel à la mobilisation générale pour exiger à la France le remboursement intégral des sommes extorquées à la jeune république. Nous exigeons également le paiement de réparations appropriées pour les torts immenses et durables causés à Haïti par plus de 300 ans d'esclavage et par l'ordonnance odieuse du 17 avril 1825.

Depuis l'éclatante victoire des populations réduites à l'esclavage en Haïti et la proclamation d'une nouvelle République indépendante le 1er janvier 1804, l'empire français a tout fait pour asphyxier la jeune nation, la replacer sous le joug colonial et rétablir l'esclavage. L'ordonnance de 1825 n'est pas une simple arnaque, mais participe du combat des puissances capitalistes contre la liberté et les droits des peuples. La France des Bourbons, qui veut rétablir la monarchie, souhaite reconstituer un ordre colonial ébranlé et rétablir l'institution de l'esclavage, comme le démontrent les documents saisis par Henry Christophe quelques années auparavant dans la valise d'un des émissaires venus négocier une « indemnité » en faveur des colons esclavagistes.

L'ordonnance cherche, en plus de punir ceux et celles qui ont osé défier l'ordre colonial, à effacer la victoire de 1803 et réinsérer l'économie haïtienne dans le système mondial en assurant la continuité du pillage. Il est vital pour le système capitaliste mondial de démontrer que les peuples opprimés ne peuvent et ne doivent pas se révolter et que tout processus s'inspirant de la geste haïtienne ne peut conduire qu'à un douloureux échec.

Il est important de souligner que les coutumes de l'époque qui n'ont jamais cessé d'être appliquées pendant de longs siècles voulaient qu'à la fin d'une guerre, c'est le camp défait qui doit verser des indemnités au vainqueur. Nous avons gagné la guerre et nous avons dû payer aux vaincus. Les circonstances à travers lesquelles cette rançon a été imposée ne laissent aucun doute sur le caractère odieux de l'opération. La commission dirigée par le baron Mackau venue imposer cette rançon était accompagnée de plusieurs navires de guerre équipés de plus de 500 canons. Avec bien sûr, la menace de détruire la ville de Port-au-Prince en cas de refus de signer du Président Boyer. Il s'agit d'un cas emblématique de dette odieuse telle que définie depuis la fin du XIXe siècle et formalisée par Alexander Sack en 1927.

Dans le texte de cette infâme ordonnance, le nom d'Haïti n'est jamais mentionné. On parle des habitants de la partie occidentale de l'ile de Saint-Domingue.

Il faut souligner plusieurs éléments :

a) l'importance centrale de la colonie de Saint-Domingue, qui générait 40% de la production mondiale de sucre de canne et représentait une source fabuleuse d'accumulation pour les capitalistes français ;

b) La radicalité de la révolution haïtienne, qui alliait indépendance, autodétermination des Peuples, révolution sociale, antiesclavagisme, internationalisme et panafricanisme révolutionnaire et qui a postulé une vraie mondialisation des droits humains en se basant sur le principe de l'égalité de tous les êtres humains (« tout moun se moun »).

En 1838, suite à de longues et difficiles négociations, le montant de la dette est réduit à 90 millions de francs or. Mais ce nouvel accord renforce des conditions déjà imposées par l'ordonnance, qui structurent de nouveaux rapports de dépendance entre Haïti et la France. Dans cet accord Haïti est obligé de vendre son café à un prix réduit de 50% par rapport au prix pratiqué sur le marché mondial et doit accorder des préférences aux navires français arrivant aux ports d'Haïti, qui ne devront payer que 50% des droits de douane exigés par les douanes du pays.

Comment est-on arrivé au chiffre initial de 150 millions de francs or ? On a calculé la valeur des plantations perdues par les colons esclavagistes à la suite de la révolution haïtienne et la valeur des exportations de denrées. Dans ce calcul, on inclut la valeur marchande des esclavagisés. L'esclavage avait été aboli à Saint-Domingue en 793 et en France en 1794. L'ordonnance de Charles X réaffirme que les hommes ne sont que des objets destinés à fournir des profits aux propriétaires de capitaux. L'un des messages les plus puissants de la révolution haïtienne, c'est de proclamer qu'aucun être humain ne peut être traité comme une marchandise et l'égalité radicale de tous les êtres humains (« Tout moun se moun »). La révolution haïtienne est une avancée décisive vers la démarchandisation indispensable à la mise en place de sociétés libérées de toute forme d'oppression.

La loi Taubira de mai 2001, votée par le Parlement français, reconnait que l'esclavage est un crime contre l'humanité. Nous souhaitons que le combat pour la restitution intégrale des sommes colossales volées au Peuple haïtien s'articule aux justes revendications de la CARICOM. Celles-ci réclament des réparations pour le crime de l'esclavage commis pendant plusieurs siècles par les puissances européennes. Dans les débats animés qui ont suivi l'acceptation par le Gouvernement et le Sénat haïtiens, un écrivain haïtien suggérait que la France devrait tôt ou tard payer les salaires non versés aux africain·es réduit·es en esclavage sur notre sol pendant plus de 300 ans et qui ont généré un impressionnant volume de profits pour les classes dominantes européennes.

Le paiement de la rançon a eu des conséquences dévastatrices sur la société haïtienne. Pour citer un exemple, selon les archives des Institutions bancaires françaises, le service de la dette versé par l'État haïtien en mai 1841 a été acheminé dans des caisses pesant 1968 kilogrammes et contenant 85 961 pièces d'or. Le service de cette ignominie a généré une extraordinaire hémorragie de ressources financières qui a conditionné les finances haïtiennes pendant 127 années. Soulignons que les 150 millions de francs or réclamés en 1825 représentaient 10 fois les recettes fiscales annuelles de l'État et 300% du PIB annuel haïtien. Pour acquitter les versements annuels dès 1828, l'État haïtien a dû emprunter à des banques françaises qui ont appliqué des taux usuraires et des pratiques déloyales. Le fait de consacrer l'essentiel des recettes fiscales (parfois plus de 70%) au paiement du service de cette rançon a bloqué le processus de construction nationale et paralysé les investissements publics dans les infrastructures de base, les services essentiels d'éducation et de santé publique. Face au manque de liquidités pour honorer le service annuel de la rançon, l'État haïtien a dû vendre un volume important de bois précieux sur le marché international, accélérant le processus de déforestation déjà entamé à l'époque de la colonisation française. Des milliers de tonnes d'acajou, de gaïac, de campêche ont été abattus, ce qui a déstabilisé nos écosystèmes agricoles et a entrainé une diminution de la productivité de l'économie paysanne.

Le montant des valeurs que la France doit rembourser immédiatement doit faire l'objet d'études approfondies. Le Président Jean Bertrand Aristide parlait de 21,7 milliards de dollars US, l'économiste Thomas Piketty évoque un remboursement incontournable de 28 milliards de dollars US et d'autres études évaluent ce remboursement à au moins 115 milliards de dollars US en comptabilisant ce que de nombreux historiens appelant la double dette. Ces sommes ne représentent qu'une faible portion des torts immenses causés à la jeune république. Le montant de la restitution des sommes volées par la France doit être fixé par le Peuple haïtien, en particulier la paysannerie, qui a souffert très douloureusement des ravages provoqués par cette domination néocoloniale. Le Peuple haïtien doit être le principal acteur des processus de reconstruction. Il devra fixer le montant de la restitution et définir un processus pour des réparations appropriées. Il ne saurait accepter des mécanismes de remboursements qui, tout comme l'ordonnance de Charles X, remettent en question ou violent sa souveraineté et sa dignité.

Le combat que nous menons aujourd'hui avec le Peuple haïtien pour exiger justice, restitution et réparation revêt une dimension symbolique importante et est au cœur des combats contre le néocolonialisme, l'impérialisme et tous les mécanismes de la domination capitaliste qui réduisent nos Peuples à la faim, la misère, la surexploitation et le désespoir.

Nous demandons aux Peuples du monde du monde d'exiger à la France le paiement intégral des sommes volées en Haïti. Ce paiement ne saurait être inférieur aux 115 milliards de dollars qui ne peuvent compenser qu'une partie des dégâts et préjudices causés par cette rançon criminelle. Nous demandons également aux Peuples du monde entier de se soulever contre la domination capitaliste en s'associant aux valeurs cardinales de justice, de solidarité et de dignité portées par la grande la révolution haïtienne de 1804.

Non à l'esclavage de la dette ! Non à la marchandisation des êtres humains !
Vive la solidarité révolutionnaire des Peuples !
La France doit rembourser immédiatement les sommes extorquées au Peuple haïtien !
Haïti doit enfin sortir de plus de 200 ans de solitude imposée par les puissances impérialistes !

Camille Chalmers
Économiste, professeur, représentant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), membre du réseau CADTM-AYNA y CADTM Internacional.
https://www.cadtm.org/Declaration-du-comite-executif-regional-de-l-Assemblee-des-peuples-de-la

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Haïti, entre promesses et trahisons, un pays dont la jeunesse s’éteint dans l’oubli

29 avril, par Smith Prinvil — , ,
La situation actuelle d'Haïti, c'est celle d'un pays dont les fondations se fissurent sous le poids de l'inaction et de l'indifférence. Et au centre de ce naufrage, une (…)

La situation actuelle d'Haïti, c'est celle d'un pays dont les fondations se fissurent sous le poids de l'inaction et de l'indifférence. Et au centre de ce naufrage, une jeunesse qui se noie dans l'oubli, dans le déni.

Ces jeunes, pourtant porteurs de l'avenir, se retrouvent aujourd'hui pris dans un tourbillon d'incertitudes et d'injustices qui les condamnent à une existence de survie sans espoir réel de changement. Le système éducatif qui s'effondre, la violence omniprésente, et un manque cruel de perspectives sont les chaînes invisibles qui les enserrent.

D'un côté, les élites haïtiennes continuent de tirer profit d'une situation qu'elles contribuent à entretenir, se prélassant dans un confort que le peuple ne connaît que par le biais de leurs discours creux. Ces discours qui ne servent qu'à masquer l'incapacité chronique des gouvernements successifs à assurer un minimum d'ordre et de stabilité dans le pays. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces jeunes ne sont pas les victimes du seul contexte haïtien. Ils sont les victimes d'une politique internationale qui, par son ingérence, continue de maintenir Haïti dans un état de dépendance et de chaos.

Le vrai danger, dans cette situation, c'est la perte de repères et le désenchantement grandissant qui ronge les jeunes. Ceux qui ont encore l'espoir de voir le pays changer, de participer à sa reconstruction, sont de plus en plus désillusionnés, voyant les portes de l'avenir se refermer une à une. Leurs talents, leurs ambitions, leurs rêves se heurtent à un mur invisible : un système qui ne fonctionne pas pour eux. Et chaque jour, ce système les ignore un peu plus, les piétine un peu plus.

Dans cette réalité, les jeunes deviennent des invisibles : pris entre l'illusion du progrès et l'angoisse du quotidien, ils se trouvent à la croisée des chemins. Le choix de partir, de s'exiler ou de rester, n'est plus un véritable choix. C'est une fuite. Une fuite à la fois physique et psychologique. Parce que dans les esprits des jeunes, Haïti n'est plus un pays d'espoir. C'est un pays de désespoir.
Ceux qui détiennent le pouvoir doivent comprendre que ce sont les jeunes qui feront ou déferont l'avenir d'Haïti. Mais pour cela, il faut d'abord leur redonner leur place, leur voix, leurs droits. Une jeunesse ignorée est une jeunesse perdue. Il est urgent de créer un véritable projet de société qui leur redonne confiance, un projet qui les inclut, les respecte et leur permet d'être acteurs et non spectateurs de leur avenir. Les jeunes haïtiens n'ont pas besoin de charité, ils ont besoin d'égalité des chances, d'une éducation de qualité, d'un système de santé fonctionnel, et d'un environnement qui favorise leur épanouissement.

Haïti, comme tant d'autres pays, peut se relever. Mais cela ne pourra se faire sans une prise de conscience collective. La politique haïtienne ne peut plus se permettre de jouer à l'autruche face à la réalité des jeunes. Le silence et l'inaction sont des complicités dans leur déclin. Parce que chaque jeune qui abandonne, chaque rêve brisé, chaque départ précipité est un échec cuisant pour la nation.

Il est grand temps de choisir quel héritage nous voulons laisser à la prochaine génération : celui de l'inaction et de la désillusion, ou celui de la transformation, de l'espoir et de la renaissance. Mais pour cela, il faudra avant tout une réflexion collective, un changement radical de vision, et une action urgente.

La jeunesse haïtienne mérite plus que des promesses creuses. Elle mérite un véritable avenir. Celui qu'on lui a trop longtemps volé.

Smith PRINVIL

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États-Unis-Amérique Latine : retour de la politique du gros bâton et doctrine Monroe 2.0

La rhétorique agressive et la stratégie de pression maximale adoptées par l'administration Trump vis-à-vis de l'Amérique latine marquent le retour d'une politique étrangère (…)

La rhétorique agressive et la stratégie de pression maximale adoptées par l'administration Trump vis-à-vis de l'Amérique latine marquent le retour d'une politique étrangère plus interventionniste et coercitive de la part des États-Unis. Visant notamment à contrer l'influence chinoise, cette approche pourrait cependant compromettre, à plus long terme, les intérêts étatsuniens dans la région tout en faisant le jeu de la Chine.

20 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/20/etats-unis-amerique-latine-retour-de-la-politique-du-gros-baton-et-doctrine-monroe-2-0/

La crise diplomatique aura été de courte durée. Dimanche 26 janvier 2025, s'insurgeant contre la politique de rapatriement forcé mise en œuvre par Donald Trump immédiatement après sa prise de fonction, le président colombien Gustavo Petro annonce que son pays n'acceptera pas de laisser atterrir sur son sol les avions militaires bondés de migrant·es expulsé·es des États-Unis. Cinglante, la réponse du locataire de la Maison-Blanche ne s'est pas fait attendre. Dans un post publié sur son réseau social Truth Social, il désavoue publiquement le président colombien et brandit la menace de dures sanctions économiques et diplomatiques : « Je viens d'apprendre que deux vols de rapatriement en provenance des États-Unis, avec un grand nombre de criminels illégaux, n'ont pas été autorisés à atterrir en Colombie. Cet ordre a été donné par le président socialiste colombien Gustavo Petro, déjà très impopulaire auprès de son peuple. Le refus de Petro d'autoriser ces vols a mis en danger la sécurité nationale et la sécurité publique des États-Unis, j'ai donc ordonné à mon administration de prendre immédiatement [des] mesures de représailles urgentes et décisives […] » [1]. S'ensuivra un bras de fer asymétrique qui fera plier quelques heures plus tard le gouvernement Petro… et claironner le président étatsunien.

Une sérieuse mise en garde

Abondement commenté par la presse internationale, l'épisode sonne comme une sérieuse mise en garde adressée aux pays d'Amérique latine qui n'accepteraient pas d'embrasser les objectifs de politique intérieure et extérieure électoralistes de Donald Trump. Menaçant de sanctions un pays longtemps réputé comme l'un des plus fidèles alliés de Washington – du moins jusqu'à l'arrivée au pouvoir de la gauche –, il signale l'ambition des États-Unis d'imposer un nouveau rapport de forces à l'Amérique latine pour y imposer son agenda. De renouer en quelque sorte avec la politique du « gros bâton » [2] (big stick), dans ce qui apparait comme une résurrection de la doctrine Monroe – cette vieille doctrine impérialiste utilisée autrefois comme prétexte à des interventions militaires sur le continent – sur fond d'enjeux migratoires et commerciaux, mais aussi de rivalité et de lutte d'influence croissantes entre les États-Unis et la Chine pour le contrôle des marchés, des chaines de valeurs et des ressources [3].

Beaucoup avaient prédit un tournant isolationniste radical pour ce second mandat de Donald Trump. Les premières déclarations du président élu annoncent plutôt la résurgence d'une politique hégémonique à visées expansionnistes.

Une doctrine Monroe 2.0

Beaucoup avaient prédit un tournant isolationniste radical pour ce second mandat de Donald Trump. Les premières déclarations du président élu – menaces d'annexion de la Zone du canal de Panama (rétrocédée en 1999, un peu plus de vingt ans après l'accord Torrijos-Carter) et du Groenland, si nécessaire par la force ; pressions irrédentistes sur le Canada ; volonté de rebaptiser le Golfe du Mexique et d'inscrire les cartels mexicains dans la liste des groupes terroristes, ce qui ouvrirait la voie à de possibles interventions extraterritoriales, etc – suggèrent le contraire. Elles annoncent plutôt la résurgence d'une politique hégémonique à visées expansionnistes.

Certes, ces rodomontades doivent être prises avec précaution, le président étatsunien étant coutumier des effets d'annonce et des provocations ! Pour autant, aussi extravagantes soient-elles, elles traduisent bien une rupture nette avec les politiques de bon voisinage et les rapports « relativement cordiaux » que les administrations démocrates antérieures ont entretenues avec les pays latino-américains. Aux antipodes d'un isolationnisme strictement appliqué, l'« America First serait [en réalité] une doctrine Monroe réactivée », note Hal Brands, professeur d'histoire et de relations internationales à l'Université John Hopkins : « Le retrait des États-Unis des avant-postes du Vieux Monde préfigurerait des efforts plus musclés pour préserver l'influence américaine dans le Nouveau Monde et empêcher ses rivaux d'y prendre pied » [4].

Tandis que John Kerry, secrétaire d'État de Barack Obama, avait annoncé en 2013 que l'ère de la doctrine Monroe était révolue, Trump entend lui donner une seconde jeunesse, tout comme nombre de cadors du Parti républicain et de sa frange MAGA (pour « Make America Great Again ») la plus radicale. Ils n'en ont jamais fait mystère. En 2019, déjà, l'ex-conseiller de Trump à la sécurité nationale, John Bolton, tombé depuis en disgrâce, proclamait « fièrement pour que tout le monde l'entende : la doctrine Monroe est bien vivante » [5]. À sa suite, des sénateurs et représentants républicains ont tenté de faire adopter des résolutions pour (re)confirmer sa validité. Plus récemment, certaines de ces voix les plus influentes ont multiplié les propos menaçants envers plusieurs pays d'Amérique latine, Mexique et Venezuela en tête, ressuscitant le spectre d'une forme d'impérialisme brut que l'on croyait révolu. Devant l'Assemblée générale des Nations unies, le président milliardaire lui-même avait fait part de son intention de réhabiliter la vieille doctrine pour préserver « la sécurité et les intérêts vitaux » des États-Unis : « Depuis le président Monroe, notre pays a pour politique officielle de rejeter l'ingérence des nations étrangères dans cet hémisphère et dans nos propres affaires. » À ceci près que l'avertissement ne s'adressait cette fois plus aux ex-puissances européennes et à l'ex-Union soviétique, mais principalement à la Chine et à ses alliés réels ou fantasmés [6].

Contrer l'influence de la Chine en Amérique latine, limiter sa mainmise sur les ressources du continent appelé à jouer un rôle clé dans la transition énergétique, tel est en effet l'une des priorités de l'administration étatsunienne en matière de politique étrangère (avec la lutte contre le narcotrafic et la question migratoire, érigée elle aussi en enjeu de sécurité nationale). Comme l'illustrent les déclarations hystériques de Trump et d'autres responsables gouvernementaux sur la construction, avec des capitaux chinois, du port de Chancay au Pérou, et la soi-disant mainmise de Pékin sur le canal de Panama, cette priorisation annonce le retour en force du hardpower étatsunien pour endiguer la « menace » chinoise en Amérique latine, et y ravive un nouveau climat de guerre froide.

Contrer l'influence de la Chine en Amérique latine, limiter sa mainmise sur les ressources du continent, appelé à jouer un rôle clé dans la transition énergétique, tel est en effet l'une des priorités de l'administration étatsunienne en matière de politique étrangère (avec la lutte contre le narcotrafic et la question migratoire, érigée elle aussi en enjeu de sécurité nationale).

Le bâton et la carotte

« Qu'est-ce que cela signifie pour l'Amérique latine ? », s'interroge l'intellectuel marxiste et ex-vice-président bolivien, Álvaro García Linera. « Elle va se retrouver prise dans la dispute entre une Chine en expansion, qui repose sur des chaines de valeurs globales, et des États-Unis en contraction, qui ont besoin de régionaliser leurs chaines de valeurs. L'Amérique latine est déjà liée à la Chine par des chaines de valeurs globales, mais les États-Unis veulent l'intégrer dans leur sphère d'influence. La Chine à l'avantage, car elle dispose d'argent pour investir. Les États-Unis en manquent. Face à ce manque de ressources, on peut s'attendre à ce que les États-Unis choisissent la voie de la force pour imposer cette régionalisation des chaines de valeurs » [7].

Il est toutefois peu probable que les nouvelles ambitions hégémoniques des États-Unis en Amérique latine débouchent sur de nouvelles aventures guerrières. Rappelons que malgré la rhétorique belliqueuse de Trump à l'égard du Venezuela durant son premier mandat, l'option militaire a très vite été écartée au profit d'un durcissement des sanctions [8]. Plutôt que des interventions militaires directes, Washington privilégiera sans doute des stratégies d'intimidation, le chantage permanent, les classiques menaces de représailles et des mesures de coercition économique pour imposer l'agenda de l'« America First ». Dans le collimateur, les pays qui s'opposeraient à la politique de refoulement des migrant·es, ceux qui renforceraient davantage encore leurs liens avec la Chine, dans le cadre notamment du projet de « Nouvelles routes de la soie », ainsi que ceux qui chercheraient à s'affranchir du dollar pour financer leurs échanges commerciaux ou aspireraient à rejoindre les BRICS. Dans cette logique, la menace d'une hausse de 100% des droits de douane sur les importations en provenance des pays des BRICS cible directement le Brésil, tout en envoyant un avertissement clair au Mexique, à la Bolivie et au Venezuela [9].

Plutôt que des interventions militaires directes, Washington privilégiera sans doute des stratégies d'intimidation, le chantage permanent, les classiques menaces de représailles et des mesures de coercition économique pour imposer l'agenda de l'« America First ».

Afin de renforcer les positions étatsuniennes dans la région, cette doctrine Monroe modernisée veillera également à attiser les divisions au sein du sous-continent. À diviser pour régner en quelque sorte. En marginalisant les pays jugés hostiles ou tout simplement réfractaires aux demandes de Washington, en bridant les ambitions de ceux qui, à l'image du géant brésilien, aspirent à un rôle fédérateur dans la région, et en s'appuyant sur des alliés loyaux. On pense bien sûr à Javier Milei en Argentine, à Daniel Noboa en Équateur, à Santiago Pena au Paraguay et à Nabil Bukele au Salvador. En échange de leur allégeance et de leur soutien, ceux-là devraient bénéficier pleinement des prodigalités de l'Oncle Sam : accords commerciaux avantageux, investissements, crédits, aides, etc.

Le bâton pour les uns, la carotte pour les autres en somme. Récompenser les fidèles, sanctionner les récalcitrants, tels seront les deux principaux leviers de cette nouvelle diplomatie assumée de la force et de la domination. Ce que confirme un journaliste du média ultraconservateur Washington Free Beacon dans un article portant sur la nomination de Marco Rubio au Secrétariat d'État : « Limiter l'influence chinoise sera plus difficile que de chasser les Soviétiques, mais récompenser les amis de l'Amérique et punir ses adversaires pourraient grandement contribuer à rendre l'économie du pays [plus grande] et sa frontière plus sûre » [10].

Les nouveaux alliés des États-Unis en Amérique latine ne seront toutefois pas les seuls vecteurs de leur politique hégémonique. Dans les pays peu disposés à s'aligner sur les intérêts étatsuniens, Washington devrait également apporter son soutien aux forces d'opposition aux gouvernements en place, en particulier à celles qui s'inscrivent dans l'agenda politico-culturel du trumpisme. Au cœur d'une nouvelle diplomatie idéologique, ces forces conservatrices pourraient être activement mobilisées pour promouvoir les intérêts des États-Unis et servir de fer de lance à d'éventuelles manœuvres de déstabilisation. Cette ingérence politique devrait devenir encore plus manifeste au cours des quatre prochaines années, exacerbant ainsi la polarisation idéologique dans ces pays. Il suffit de rappeler le rôle joué par l'actuel secrétaire d'État dans le coup d'État en Bolivie [11] ou encore la campagne de diabolisation orchestrée par Elon Musk contre un juge de la Cour suprême brésilienne, qui a contribué à remobiliser l'extrême droite bolsonariste dans la rue en soutien au milliardaire [12]. Au Brésil, le retour de Trump au pouvoir et l'arrivée de Musk dans son administration pourraient d'ailleurs donner un nouvel élan aux partisans de l'ex-président, affaiblissant Lula sur le plan politique et compromettant les perspectives de réélection de la gauche en 2026.

Il est cependant trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l'évolution des relations entre les États-Unis et l'Amérique latine dans les années à venir. D'autant plus que les déclarations tonitruantes de Trump, improvisées et circonstancielles, compliquent l'analyse. Reste que ce scénario était envisagé déjà – et même encouragé – bien avant la victoire de Trump par les principaux think tanks du Parti républicain. Ainsi, James Joy Carafano, expert en sécurité nationale et ancien vice-président de l'Heritage Foundation, l'un des principaux laboratoires d'idées ultraconservateurs, écrivait quelques mois avant la victoire de Trump :

« Tout comme l'agenda America First de M. Trump [lors de son premier mandat] n'a pas adopté de politiques isolationnistes dans la pratique, une version trumpienne de la doctrine Monroe ne mettrait probablement pas en œuvre des politiques identiques à celles du 19e et du début du 20 siècle, qui avaient façonné le concept de défense hémisphérique lorsque les États-Unis imposaient leur hégémonie régionale sur l'Amérique latine. Au contraire, une nouvelle doctrine Monroe consisterait en des partenariats entre les États-Unis et des nations de la région partageant les mêmes objectifs, tels que l'atténuation de l'influence de la Russie, de la Chine et de l'Iran, ainsi que la lutte contre la migration irrégulière. Ces objectifs impliqueraient également le rejet de l'agenda du Forum de São Paulo et la promotion des valeurs traditionnelles en matière de vie, de famille, de genre, de religion et de questions culturelles. Cette version […] de la doctrine Monroe devrait comporter trois volets […] Les États-Unis chercheront à renforcer immédiatement leurs relations bilatérales avec les gouvernements de l'hémisphère partageant des agendas similaires, comme l'Argentine et le Paraguay. En retour, ces partenaires régionaux devraient s'attendre à des investissements étrangers directs plus importants de la part des États-Unis […] Les politiques américaines envers Cuba, le Venezuela et la Bolivie, en particulier, se durciraient » ; [et les États-Unis feraient preuve d'une] « fermeté bienveillante » envers les régimes régionaux stratégiquement importants, mais dirigés par des leaders ne partageant pas l'agenda conservateur de M. Trump. Cela inclurait le Brésil, la Colombie, le Guatemala et le Mexique » [13].

Au vrai, il n'y a là rien de très nouveau par rapport aux politiques menées par Trump durant son premier mandat voire. Et même, dans une moindre mesure, par ses prédécesseurs démocrates. Ce à quoi il faut s'attendre dans les prochaines années, c'est principalement à leur intensification, sinon leur radicalisation.

Le retour en force du hardpower étatsunien dans la région pourrait cependant produire l'effet inverse de celui escompté par Washington. Et se traduire, à plus long terme, par un déclin, potentiellement irréversible, de l'influence des États-Unis dans la région.

Une aubaine pour la Chine… Et l'Amérique Latine.

Pour commencer, il faut rappeler une évidence : le caractère incontournable de la Chine pour l'Amérique latine. D'abord, en tant que premier partenaire commercial du continent et principal investisseur et maître d'œuvre en matière d'infrastructures. Ensuite, comme fournisseur essentiel de capitaux, de prêts, d'aides et de technologies. Les économies chinoise et latino-américaines sont de fait aujourd'hui tellement interdépendantes qu'il est illusoire de croire que ces pays seraient disposés à sacrifier leurs relations avec Pékin pour se conformer aux exigences des États-Unis. Réalisme économique oblige, même les voix les plus proches de Washington et critiques envers Pékin y ont renoncé. Après une posture initialement hostile, l'ex-président brésilien Jair Bolsonaro et l'Argentin Javier Milei ont ainsi rapidement revu leur position et adopté une approche plus conciliante.

Contrairement à Washington, la Chine, par ailleurs, ne conditionne pas son soutien, prône une coopération fondée sur l'égalité et respecte la souveraineté des États, ce qui en fait également un partenaire fiable et prévisible aux yeux des dirigeants latino-américains, à l'opposé des politiques fluctuantes des États-Unis, sous Trump en particulier.

Dans ces conditions, la stratégie de confrontation et de pression maximale adoptée par Trump permettra certes à son administration d'engranger quelques succès médiatiques, comme en témoignent l'épisode colombien, la décision du gouvernement panaméen de ne pas renouveler son accord avec la Chine, ou encore les concessions obtenues de force auprès du Mexique et du Canada après des menaces tarifaires. Cette approche pourrait cependant rapidement s'essouffler, devenir contre-productive et, à terme, se retourner contre les États-Unis en renforçant la position de la Chine dans la région.

Expérimentée sous le premier mandat de Trump, cette politique agressive avait d'ailleurs déjà montré toutes ses limites. « Avec le recul, la stratégie de Trump en Amérique latine a échoué à atteindre ses objectifs », note ainsi Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales à la Fondation Getúlio Vargas. Malgré des sanctions paralysantes et une rhétorique menaçante, les régimes du Nicaragua, du Venezuela et de Cuba – que Bolton avait qualifiés de « Troïka de la tyrannie » – sont restés au pouvoir. Les efforts de Trump pour convaincre les gouvernements latino-américains d'interdire Huawei ou de réduire leurs liens avec la Chine n'ont également donné aucun résultat concret. Même sous l'administration Bolsonaro, le commerce du Brésil avec la Chine n'a cessé de croître […] Washington a ignoré les réalités politiques en Amérique latine […] L'approche musclée de Trump envers la région a largement servi les intérêts de Pékin ; les gouvernements latino-américains ont renforcé leurs liens avec la Chine pour contrebalancer [ses] gesticulations » [14] (Foreign Policy, 17 octobre 2024).

Pékin sait qu'il pourra tirer les dividendes de l'agressivité croissante de Trump à l'égard de l'Amérique latine. Plus l'approche de Trump sera agressive vis-à-vis du continent, plus les gouvernements latino-américains se rapprocheront de la Chine.

Encore plus radicales cette fois, les mesures prises par cette seconde administration – verrouillage de la frontière, chantage tarifaire, déportation en masse de millions de migrant·es et suppression des aides extérieures (levier traditionnel du soft power américain dans la région) – ne feront qu'accroître le ressentiment en Amérique latine et accélérer le basculement vers la Chine, avec à la clé un recul inévitable de l'influence de Washington dans la région. Que l'ambassadeur chinois publie un communiqué rappelant les liens indéfectibles entre la Colombie et la Chine peu après les menaces de Trump contre le gouvernement Petro n'est certainement pas une coïncidence. C'est un appel du pied, qui dit combien la relation avec le partenaire chinois est plus respectueuse et avantageuse. Pékin sait qu'il pourra tirer les dividendes de l'agressivité croissante de Trump à l'égard de l'Amérique latine. Plus l'approche de Trump sera agressive vis-à-vis du continent, plus les gouvernements latino-américains se rapprocheront de la Chine [15].

Mais cette logique trumpienne de la confrontation pourrait également avoir un autre effet inattendu et redouté par les États-Unis : au lieu de fragmenter le continent, elle pourrait contribuer à le souder et à accélérer son intégration. « Trump va obtenir quelque chose qu'il ne cherchait sûrement pas : la cohésion de tous les pays qu'il veut fragmenter et dont il a besoin d'une manière ou d'une autre » estime ainsi l'ex-président colombien Ernesto Samper [16]. Face aux turbulences internationales à venir, les États latino-américains ont désormais tout intérêt à saisir cette opportunité pour consolider leurs liens et approfondir leur intégration. C'est là la seule voie qui leur permettra, à terme, d'équilibrer un rapport de forces imposé et défavorable, de garantir leur autonomie et de défendre leurs intérêts dans la compétition inter-impérialiste qui se joue déjà sur leur territoire.

Laurent Delcourt
https://www.cetri.be/Etats-Unis-Amerique-latine-retour

Notes

[1] RFI, 26 janvier 2025.
[2] La diplomatie du « gros bâton » désignait à l'origine la politique étrangère interventionniste menée par le président Théodore Roosevelt au début du 20e siècle au nom de la stabilité géopolitique et de la sauvegarde des intérêts étatsuniens dans la région.
[3] T. FAZI « Trump's return to the Monroe Doctrine. His sabre-rattling betrays a new foreign strategy », UnHerd, 25 janvier 2025 ; O. STUENKEL , « Trump Has his Own Monroe Doctrine, Foreign Policy », Foreign Policy, 17 octobre 2024 ; J.G. TOKALIAN, « Donald Trump and the Return of the Monroe Doctrine », in Americas Quarterly, 4 septembre 2024.
[4] Brands H. (2024), « An America First World. What Trump's Return Might Mean for Global Order », Foreign Affairs, 27 mai.
[5] J.G. TOKALIAN, op.cit ;
[6] J.G. TOKALIAN, op.cit ; O. STUENKEL, op. Cit. 2024.
[7] V. ORTIZ et V. ARPOULET « L'Amérique latine face au néolibéralisme souverainiste de Trump. Entretien avec Álvaro García Linera », LVSL, 21 janvier 2025.
[8] L'actuelle administration Trump serait divisée quant à l'attitude à adopter par rapport au Venezuela entre, d'une côté, les partisans de la manière forte, incarnée par le secrétaire d'État Marco Rubio et la frange conservatrice plus traditionnelle du Parti républicain et de l'autre côté, plusieurs figures radicales du mouvement MAGA, lesquelles envisagent plutôt la possibilité d'un grand accord avec Maduro pour préserver – sinon faire fructifier – les intérêts étatsuniens dans la région, quitte à abandonner les anciennes exigences en termes de libéralisation et de démocratisation. Cette divergence de vues ne se limiterait pas au Venezuela. Elle illustrerait la bataille qui se jouera au sein du gouvernement pour la définition de la politique extérieure des États-Unis vis-à-vis de l'Amérique latine : O. STUENKEL, « Trump Can't Bully Latin America Without Consequences », Foreign Policy, 28 janvier 2025.
[9] Le Soir (2024), « Trump menace les BRICS de droits de douane à 100 % s'ils sapent la domination du dollar », 30 novembre ; K. PARTHENAY, « Trump 2.0 : l'Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre 2024 ; K. PARTHENAY, « Trump 2.0 : l'Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre 2024.
[10] M. WATSON, « Rubio and the Return of the Monroe Doctrine », Washington Free Beacon, 16 novembre 2024.
[11] Ortiz et Arpoulet, 2025, op.cit.
[12] B. MEYERFELD, « Au Brésil, avec la suspension de X, le Tribunal suprême fédéral durcit son bras de fer avec Elon Musk », Le Monde, 31 août 2024.
[13] J.J. CARAFANO, « A New Monroe Doctrine for the Western Hemisphere ? », Global Insight Report, 8 juillet 2024.
[14] O. STUENKEL,« Trump Has his Own Monroe Doctrine, Foreign Policy », Foreign Policy, 17 octobre 2024.
[15] O. STUENKEL, « Opinião : Batalha entre conservadores e trumpistas definirá a estrategía em relação a Venezuela », Estadão, 26 janvier 2025.
[16] F. ZEMMOUCHE ,« « Il est possible de résister à la présidence impériale de Trump. » Une conversation avec l'ancien président colombien Ernesto Samper », Le Grand Continent, 1er février 2025.

Bibliographie

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Carafano J. J. (2024), « A New Monroe Doctrine for the Western Hemisphere ? », Global Insight Report, 8 juillet.
Fazi Th. (2025), « Trump's return to the Monroe Doctrine. His sabre-rattling betrays a new foreign strategy », UnHerd, 25 janvier.
Le Soir (2024), « Trump menace les BRICS de droits de douane à 100 % s'ils sapent la domination du dollar », 30 novembre.
Meyerfeld B. (2024), « Au Brésil, avec la suspension de X, le Tribunal suprême fédéral durcit son bras de fer avec Elon Musk », Le Monde, 31 août 2024.
Ortiz V. et Arpoulet V. (2025), « L'Amérique latine face au néolibéralisme souverainiste de Trump. Entretien avec Álvaro García Linera », LVSL, 21 janvier.
Parthenay K. (2024), « Trump 2.0 : l'Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre.
RFI (2025), « Trump sanctionne la Colombie pour avoir refusé des vols militaires d'immigrés expulsés , Petro réplique », 26 janvier.
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Stuenkel O. (2025b), « Trump Can't Bully Latin America Without Consequences », Foreign Policy, 28 janvier.
Tokalian J. G. (2024), « Donald Trump and the Return of the Monroe Doctrine », in Americas Quarterly, 4 septembre.
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Zemmouche F. (2025), « « Il est possible de résister à la présidence impériale de Trump. » Une conversation avec l'ancien président colombien Ernesto Samper », Le Grand Continent, premier février.

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Teuchitlán : Barbarie sociale, disparitions forcées et narcoviolence dans un État « failli »

La barbarie réapparaît, mais cette fois, elle est engendrée au sein même de la civilisation et en fait partie intégrante. C'est une barbarie lépreuse, la barbarie comme lèpre (…)

La barbarie réapparaît, mais cette fois, elle est engendrée au sein même de la civilisation et en fait partie intégrante. C'est une barbarie lépreuse, la barbarie comme lèpre de la civilisation.
Karl Marx. Les manuscrits économico-philosophiques de 1844

Par Román Munguía Huato | 01/04/2025 | Mexique

L'État ne cherche pas parce que s'il cherchait il se trouverait.
Madre buscadoraMère

La terre ensanglantée ne doit plus être le présent ni l'avenir abominable dominé par le crime organisé et les complices enkystés dans les mauvais gouvernements en place
Les Abejas d'Acteal

Aux pères et mères des disparus et aux Madres buscadoras
À la mémoire de ma nièce Iza Cristina Munguía Gastélum, disparue

De Ayotzinapa à Teuchitlán : deux horreurs du Mexique barbare

Du 26 septembre 2014 au 5 mars 2025, dix ans et six mois se sont écoulés, mais comme si le laps de temps n'avait pas eu lieu, comme si le terrible premier acte criminel n'avait subi qu'un changement de lieu par rapport au second événement terrifiant. De l'État de Guerrero à celui de Jalisco, la tragédie s'est étendue à de nombreuses autres entités fédérales du pays. Ce qui s'est passé à Teuchitlán est une prolongation fatale du premier massacre, chacun ayant ses propres caractéristiques, mais similaires car les victimes étaient jeunes. Teuchitlán est la partie émergée de l'iceberg de la barbarie nationale. Dans chacune des milliers de fosses clandestines ou narcofosas, on retrouve la manifestation d'une profonde décomposition sociale, d'une insécurité citoyenne absolue, de la putréfaction d'un système politique corrompu jusqu'à la moelle par ses liens avec les puissants cartels mafieux qui aboutissent une hyperviolence sociale.

L'ombre de La Noche de Iguala1, (durant laquelle 43 étudiants de l'École Normale Rurale d'Ayotzinapa ont disparu, kidnappés soit par des tueurs à gages, par la police municipale ou par l'armée) a étendu son sinistre manteau de ténèbres sur la ferme Izaguirre de la municipalité de Teuchitlán, dans l'État de Jalisco. Deux lieux dans le même cercle de l'enfer de Dante.
Le 20 septembre 2024, des éléments de la Garde nationale (GN), en coordination avec l'armée mexicaine, ont occupé une base arrière d'un réseau criminel : le Rancho Izaguirre. Selon la GN, dix auteurs présumés de vols qualifiés ont été arrêtés lors de l'opération, deux personnes détenues ont été secourues et un cadavre a été retrouvé. La GN a partagé une image des objets trouvés après avoir saisi des armes lourdes, des chargeurs, du matériel tactique et des voitures. Malgré cette découverte, le site a été laissé sans surveillance et, apparemment, n'a fait l'objet d'aucune enquête de la part des autorités étatiques ou fédérales. Six mois plus tard, le mercredi 5 mars, le collectif Guerreros Buscadores de Jalisco a annoncé la découverte de trois camps d'entraînement et d'extermination au même endroit, utilisés par le Cartel Jalisco Nueva Generación (CJNG) comme centres de formation de tueurs à gages, de séquestration et d'extermination de jeunes, pour la plupart « recrutés » par des promesses d'emploi trompeuses. L'enlèvement est utilisé comme méthode systématique principale pour grossir les rangs des armées de trafiquants de drogues. Le narcotrafic est une activité illégale impliquant de multiples échanges de biens prohibés entre producteurs, distributeurs et consommateurs sur le marché des substances illégales. C'est un marché capitaliste où opèrent des entreprises comme les autres, mais sous le contrôle du crime organisé. Le narcotrafic est le cinquième employeur du Mexique : une enquête publiée par le magazine Science estime que le crime organisé compte 175'000 membres, soit plus que des entreprises comme Oxxo ou Pemex.

Les photographies des vêtements, chaussures, sacs à dos et divers objets personnels appartenant aux victimes (plus de 1'500 effets personnels) ont provoqué un émoi national et international, ainsi qu'une réponse tardive des autorités municipales, étatiques et fédérales. Mexicanos Contra la Corrupción, une organisation non gouvernementale, a rapporté que depuis 2019, la Garde nationale a informé le Secrétariat de la défense nationale (Sedena) qu'elle avait trouvé des restes de corps incinérés à Teuchitlán. Selon l'enquête, des membres de la GN ont signalé le 10 août de la même année qu'un supposé repaire de criminels avait été localisé avec plusieurs corps calcinés, près de la communauté de La Estanzuela, la même zone où un groupe de cherche de personnes disparues a localisé le crématorium d'Izaguirre au début du mois de mars 2025. Selon le rapport, les restes brûlés avaient été trouvés en 2019 dans des champs de maïs. Selon une survivante du Rancho Izaguirre, « environ 1'500 personnes » ont été assassinées pendant les trois années qu'elle a passées à cet endroit. Jalisco est l'un des États qui compte le plus grand nombre de personnes disparues ; à ce jour, 15'426 plaintes pour disparition de personnes ont été officiellement enregistrées. En octobre 2023, on comptait officieusement 5'698 fosses clandestines au Mexique.
Des collectifs de familles de personnes disparues ont trouvé au moins 1'400 fosses clandestines à Jalisco en 2024.

Un gatopardisme mexicain : « tout changer pour que rien ne change »...

Comment expliquer cette succession de scandales pour des crimes contre l'humanité qui se sont prolongés pendant des années ? Des années où il y a eu un prétendu changement politique démocratique « antinéolibéral » pour mettre fin à la mafia du pouvoir (anciens présidents du PRI et du PAN), selon la Quatrième Transformation entreprise par le Mouvement de Régénération Nationale (Morena) à partir du gouvernement d'Andrés Manuel López Obrador (AMLO), qui a débuté le 1er décembre 2018 et s'est achevé le 30 septembre 2024. Mais la mafia du pouvoir continue de parader.

Aujourd'hui, les événements de Teuchitlán font l'objet d'un scandale national et mondial sous le gouvernement de la présidente Claudia Sheinbaum Pardo. Il est indéniable que l'escalade de la violence sociale et de la violence liée au trafic de drogue déclenchée sous le gouvernement ultraconservateur et néolibéral du Parti d'action nationale (PAN) de Felipe Calderón a commencé lorsque celui-ci a déclaré la « guerre aux cartels de la drogue » en décembre 2006. Le gouvernement suivant d'Enrique Peña Nieto (PRI) n'a pas déclaré de « guerre » au narco, mais a établi des alliances politiques avec les cartels, ce qui a provoqué la disparition et le massacre des 43 étudiants d'Ayotzinapa. Il s'agissait d'un crime d'État que le gouvernement de Peña Nieto a tenté de dissimuler en inventant la soi-disant Vérité historique, selon laquelle une bande de narcotrafiquants connue sous le nom de Guerreros Unidos les aurait enlevés et aurait ordonné leur assassinat. Selon cette version, leurs corps auraient été incinérés dans une décharge de la municipalité de Cocula, voisine de celle d'Iguala, dans le même État. Cette version mensongère du gouvernement a été rejetée par le gouvernement de López Obrador qui, bien qu'il ait promis de faire la lumière sur ces événements tragiques, n'a jamais fait avancer l'enquête impliquant des officiers militaires et n'a pas rendu justice aux parents des 43 étudiants. Le dossier reste ouvert et la justice attend toujours.

À plusieurs reprises au cours de son mandat, López Obrador a déclaré que la question des disparitions était une priorité et que toutes les ressources nécessaires seraient mobilisées pour y répondre. Dans quelle mesure a-t-il tenu ses promesses et quels résultats a-t-il obtenus ? Selon les données du Registre national des personnes disparues et non localisées (RNPDNO), 53'296 personnes étaient enregistrées le 1er décembre 2018, tandis qu'en juin 2024, on en comptait un peu plus de 115'000, ce qui signifie que plus de 61'000 personnes ont disparu au cours du précédent sexennat2.. Par conséquent, le président n'a pas réussi à stopper l'augmentation, car la plupart des disparitions forcées ont eu lieu sous le gouvernement de López Obrador et la violence sociale ainsi que celle liée au trafic de drogue se sont exacerbées avec la politique passive et fatale de Abrazos y no balazos (des câlins et pas des balles), laissant le champ totalement libre aux activités criminelles des très puissants cartels de la drogue ; parmi eux, l'un des principaux groupes du crime organisé, le Cartel Jalisco Nueva Generación (CJNG).

En 2020, 150 groupes de narcotrafiquants actifs ont été identifiés au Mexique, opérant dans 32 États de la République. Il existe plusieurs cartels de narcotrafiquants au Mexique, dont le Cartel de Jalisco Nouvelle Génération (CJNG), le Cartel de Sinaloa, le Cartel du Golfe, le Cartel de Santa Rosa de Lima, le Cartel de Juárez, le Cartel de Tijuana, le Cartel Indépendant d'Acapulco, le Cartel des Guerreros Unidos, le Cartel de Caborca, Cartel Nueva Plaza. Les chefs les plus connus sont, entre autres, Nemesio Oseguera Cervantes, alias « El Mencho », chef du CJNG ; Iván Archivaldo Guzmán Salazar, alias « El Chapito », du Cartel de Sinaloa, Rodrigo Aréchiga Gamboa, alias « El Chino Antrax », du Cartel de Sinaloa3.

Pendant le mandat d'AMLO, une personne en moyenne disparaissait toutes les heures dans le pays. Sous le gouvernement de Felipe Calderón, lorsque la militarisation de la sécurité publique a commencé, il y avait 0,49 disparition par heure, et sous celui de son successeur, Enrique Peña Nieto, il y en avait 0,64. % . En date du 27 janvier 2025, le nombre de personnes disparues atteignait 121'651, selon le Registre national des personnes disparues et non localisées (RNPDNO). Le nombre de personnes disparues chaque jour au Mexique ne cesse d'augmenter et est devenu un problème déchirant. Les disparitions au Mexique ne sont toujours pas une priorité de l'État. En ce qui concerne le nombre de meurtres, 82 personnes ont été assassinées chaque jour ; le pays clôt l'année 2024 avec 30'570 homicides. Avec Sheinbaum, les meurtres ont augmenté au cours des premiers mois de son mandat. Au cours des trois derniers mois de 2024, qui correspondent à l'arrivée de Claudia Sheinbaum à la présidence, le nombre de meurtres a augmenté de 3 % par rapport à la même période en 2023. Il n'y a pas eu un coin du pays qui n'ait connu un crime sanglant lié au narcotrafic.

En 2010, AMLO a exprimé son mécontentement face à l'utilisation de l'armée pour pallier les incapacités des gouvernements civils et, face à l'éventuelle entrée en vigueur d'une réforme visant à accorder à l'armée plus de pouvoirs dans la lutte contre la criminalité, il a parlé d'une « stratégie de sécurité ratée » entreprise par l'administration de Felipe Calderón. López Obrador a lancé un appel expresse pour que l'armée retourne dans ses casernes, après avoir défendu l'idée que l'armée « ne doit pas être utilisée pour pallier les incapacités des gouvernements civils ». « Ce n'est pas avec l'armée que l'on peut résoudre les problèmes d'insécurité (...) Nous ne pouvons pas accepter un gouvernement militariste », affirmait-il le 26 avril 2010. Une fois président, AMLO a fait tout le contraire et a commencé à militariser le pays. Plutôt que d'essayer de régler la « stratégie de sécurité ratée », promesse rhétorique vaine, il a poursuivi la politique de Calderón en maintenant les troupes militaires hors des casernes et, plus encore, en augmentant le budget alloué à l'armée qui exercent maintenant des tâches administratives qui ne lui incombent pas. L'insécurité et la violence sociale ont augmenté de manière démesurée malgré la militarisation. Il est vrai que le Mexique n'a connu ni dictature militaire ni guerre civile, mais il y a des centaines de milliers de meurtres et de disparitions et on pourrait croire que c'est le cas. L'insécurité des citoyens est telle que ni la police municipale ni la police d'État ni la Garde Nationale ni l'armée ne parviennent à instaurer un climat de paix sociale. L'armée elle-même a commis des actes de violence en assassinant des jeunes, bien que pour AMLO, elle soit l'armée du peuple : « Le soldat est un membre du peuple en uniforme et c'est pourquoi il ne trahira jamais le peuple, la liberté, la justice, la démocratie et la patrie ». Bien sûr, pour l'ancien président, l'armée n'était pas responsable du massacre des étudiants et des civils en 1968 ni des tueries ultérieures. Lorsque AMLO a évoqué en 2023 les violences meurtrières de Tlatelolco, il a justifié le crime de l'armée : « Elle a reçu des ordres de Díaz Ordaz ». À Tlatelolco, plus de 300 étudiants ont été tués par l'armée et un groupe paramilitaire, le Bataillon Olimpia, à la suite d'une manifestation pacifique, dix jours avant les Jeux olympiques de 1968.

Le processus de militarisation du pays avec López Obrador a été très critiqué en interne et en externe. Par exemple, en 2022, l'ONU a exhorté le gouvernement mexicain à « abandonner immédiatement » la militarisation de la sécurité publique. Le comité d'experts indépendants qui s'est rendu dans le pays pour documenter la situation des disparitions forcées a estimé que la stratégie de lutte contre la criminalité était « insuffisante et inadaptée » pour la protection des droits humains. En ce sens, le gouvernement d'AMLO a été bien pire que celui de Felipe Calderón, car malgré la militarisation avec la création de la Garde nationale et une présence accrue de l'armée, la violence sociale n'a pas cessé et la déchirure du tissu social a été tragique. Sur les près de 480'000 personnes assassinées et les quelque 130'000 disparues au cours de ce premier quart de siècle, la plupart l'ont été sous le gouvernement de Morena. C'est comme si une petite ville d'un demi-million de Mexicains avait été exterminée dans une hécatombe.

La Quatrième transformation - qui veut se comparer à des changements historiques profonds tels que la Révolution d'indépendance (1810), la Réforme libérale (1857) et la Révolution démocratique de 1910 - est une chimère politique démagogique de propagande réduite à un changement formel de nature "gatopardiste" pour que tout continue à fonctionner comme avant. En ce sens, Morena est une prolongation du PRI avec un nouvel habillage bonapartiste-populiste.
Un lumpen-développement et un État "failli"

Après le modèle de développement stabilisateur émergent de la fin des années ‘40 -'50 qui s'épuise fin 1960 et début 1970, le modèle néolibéral s'impose vers 1980 et a jusqu'à présent des conséquences catastrophiques. La mondialisation économique a induit une nouvelle dynamique d'accumulation capitaliste qui a également entraîné au Mexique la présence de capitaux locaux impliqués dans le commerce de stupéfiants. L'histoire de la mafia du trafic de drogue national remonte au début des années 1930, se développe avec la Seconde Guerre mondiale et se consolide trois décennies plus tard. C'est précisément avec l'imposition du néolibéralisme, à partir du sexennat de Carlos Salinas de Gortari, qu'une expansion capitaliste s'ouvre sur le marché du trafic de drogue. Cela donnera lieu à un processus social, économique et politique que nous pouvons caractériser, en suivant André Gunder Frank, de développement marginalisant4 .

Ce développement qui produit du sous-développement signifie une profonde déshumanisation des structures sociales sous des formes politiques très dégradées, corrompues et avec une forte violence sociale. Si le capitalisme est une machine de broyage social, en particulier de la main-d'œuvre, le lumpen-développement a perfectionné cette machine pour la rendre plus efficace et plus rapide. Il a été très efficace pour écraser les droits de l'homme et creuser plus profondément la crise de civilisation. En ce sens, le développement sauvage mexicain est une crise humanitaire profonde d'une ampleur jamais vue, dérivée d'un capitalisme sauvage et de son inégalité sociale croissante. Le capitalisme sauvage actuel trouve sa plus grande expression précisément dans l'hyperviolence sociale, qui inclut la narcoviolence et sa terrible traînée de morts et de disparus. Dans le cadre de ce sous-développement ou lumpen-développement, il convient de prendre en compte un concept politique sujet à diverses interprétations, celui d'État défaillant.

Le concept d'État défaillant (ou État failli) est utile pour expliquer comment le pouvoir politique le plus important d'une nation est inefficace ou inapte dans nombre de ses fonctions institutionnelles fondamentales, entre autres celles qui visent à garantir la sécurité des citoyens, protéger la population civile contre les niveaux élevés de délinquance et de crime organisé. Dans l'incapacité des forces et des corps de sécurité à contrôler les niveaux élevés de terrorisme et la violence du crime organisé des cartels mafieux de trafiquants de drogue. Ce concept –dans son sens théorique wébérien, est très limité pour expliquer la réalité de l'État capitaliste– signifie également la perte de contrôle physique du territoire, ou la faiblesse du « monopole de l'usage légitime de la force ». Il ignore la nature classiste de celui-là et ses fonctions essentielles en tant qu'instrument répressif au service du capital. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'un État défaillant est incapable d'exercer un contrôle relatif sur le territoire, permettant ou tolérant l'action de groupes armés - des bandes du crime organisé armées jusqu'aux dents ou des groupes paramilitaires sous les ordres de pouvoirs informels - qui défient l'autorité de l'État et cède également les décisions civiles au pouvoir militaire dans la politique de sécurité publique, comme c'est précisément le cas au Mexique.

L'État "failli" s'est progressivement installé au cours des dernières décennies, en particulier à partir des régimes de Calderón, Peña Nieto et López Obrador. Bien sûr, le concept n'est ni très clair ni très précis car l'État, y compris celui de nature néolibérale, ne cesse de remplir ses fonctions essentielles en tant qu'instrument de contrôle, de répression et de domination de la classe prolétarienne. En ce sens, l'hyperviolence sociale qui règne au Mexique est l'exemple d'une crise politique profonde d'un régime gouvernemental absolument incapable d'établir la sécurité publique. Cela se produit sur tout le territoire national, malgré la présence de la Garde nationale et de l'armée dans les rues. Peu importe que le monopole de l'usage de la force soit légitime ou non. Le monopole de la force est utilisé de manière classiste en faveur des intérêts du capital. Le fait est que l'État a une nature capitaliste de classe, qu'il établit les conditions politiques pour la reproduction de l'accumulation du capital, même si le gouvernement dit démagogiquement : « les pauvres d'abord ! », comme le répétait inlassablement López Obrador. Sous son gouvernement, les riches sont devenus plus riches. AMLO a expliqué lui-même comment les entrepreneurs ont bénéficié de son gouvernement : « Nous sommes en faveur des hommes d'affaires et des profits raisonnables ; nous sommes contre la corruption », a-t-il déclaré avec emphase dans une vidéo en 2020.

L'État mexicain est également défaillant car, malgré l'ensemble des institutions et de la législation relatives à la terrible crise humanitaire des disparus, celle-ci continue de s'aggraver. L'État a créé des lois et des organismes relatifs au problème des disparitions : en 2017, la loi générale sur les disparitions forcées de personnes et les disparitions commises par des particuliers a été promulguée, d'où découlent la Commission nationale de recherche des personnes (CNR) et, à son tour, le Système national de recherche des personnes (SNR). Le Registre national des personnes disparues et non localisées (RNPDNO) est également un organisme gouvernemental. Presque toute cette structure juridique et opérationnelle a été reproduite dans toutes les entités fédérales. Au Mexique, il existe également un Système national de sécurité publique (SNSP), une instance du gouvernement fédéral et son Secrétariat à la sécurité et à la protection des citoyens. De plus, dans le cas de Teuchitlán, il y a eu non seulement un manque de coordination entre le bureau du procureur général de la République et celui de l'État de Jalisco, mais aussi des omissions ou des « négligences » d'une totale ineptie en ce qui concerne le protocole opérationnel. Le collectif des Madres buscadoras a été ignoré dans l'enquête.

Quel est le bilan général de tout ce dispositif gouvernemental ? Les résultats sont presque nuls car tout a été géré selon des critères bureaucratiques et politiques qui empêchent le soutien aux familles des personnes disparues et la recherche de celles-ci. Le très grave problème des disparus est une question sociale exaspérante, mais c'est avant tout un problème politique, car l'État n'a pas voulu ni pu apporter de réponse satisfaisante. La sécurité des citoyens n'est pas une priorité en tant que politique publique dans le cadre d'un projet de développement capitaliste dans lequel les mégaprojets d'infrastructure ou d'équipement sont fonction des intérêts du capital.

Ce n'est qu'après le scandale de Teuchitlán que la présidente Sheinbaum s'est empressée de mettre à jour la législation sur les disparus. Pourtant l'initiative n'est qu'un maquillage juridique pour faire croire que quelque chose est fait face à la profonde crise humanitaire qui met à nu l'incapacité du gouvernement de la 4T à résoudre le problème et fait perdre sa légitimité et sa crédibilité à un gouvernement qui bénéficie du soutien populaire. Les mères des disparus rejettent les arrangements juridiques de Sheinbaum. Et exigent d'être associées à une enquête sur le sexennat d'AMLO. En outre, les experts en recherche de personnes disparues et en droits de l'homme considèrent que les mesures prises par la présidente Sheinbaum après l'affaire Jalisco « ne sont pas de nouvelles idées, mais des questions en suspens ».

À ce jour, la présidente ne veut ni entendre ni voir les mères à la recherche des disparus. Elle ne les a pas prises en compte dans ses initiatives visant à modifier les lois à ce sujet. La présidente est déterminée à défendre son prédécesseur, en essayant de dissimuler son irresponsabilité politique. Selon elle, « les crimes contre l'humanité n'existent plus dans le pays », mais la réalité indique tout le contraire. Il est vrai, comme elle l'a dit, qu'auparavant, la pratique des disparitions forcées était le fait de l'État - le terrorisme d'État, l'armée et les paramilitaires - et qu'aujourd'hui, elle n'est perpétrée que par le crime organisé ; mais elle oublie de dire que le terrorisme du crime organisé fait face à la passivité et à l'« indifférence » de l'État lui-même. « La vérité doit toujours prévaloir dans mon gouvernement, il n'y aura pas de construction obscure de vérités historiques, jamais de la part du gouvernement », a déclaré Sheinbaum. Cela part sans aucun doute d'une bonne intention, mais il se pourrait aussi qu'une nouvelle "vérité historique" commence à être fabriquée pour tenter d'exonérer l'État de toute responsabilité.

Où vont les disparus ?

La plupart des disparus sont jetés dans des fosses clandestines, qui se comptent par dizaines de milliers : le Mexique est une fosse clandestine. José Reveles, l'un des meilleurs journalistes d'investigation sur les mafias du narcotrafic et les disparus, écrit dans son livre Levantones, narcofosas y falsos positivos (2011) que les fosses clandestines sont partout : « Les cimetières clandestins les plus scandaleux de tous les temps au Mexique... sont apparus à partir de 2011 à Durango et San Fernando, Tamaulipas ». Le Mexique est le pays des disparus, dit Reveles. Dans le prologue, Edgardo Buscaglia écrit : « Aucun idéal ou objectif historique ne peut justifier le carnage humain qui a été causé par l'absence d'une stratégie étatique de développement social et politique pour promouvoir, en général, la prospérité des générations présentes et futures de Mexicains et, en particulier, pour démanteler les structures des groupes criminels ».

Tous les groupes de familles à la recherche des disparus ont travaillé sans relâche pour retrouver leurs proches, qui ont généralement été ignorés par les organismes gouvernementaux. En fait, ce sont ces groupes qui ont fait le travail qui incombe à l'État. L'infamie du pouvoir gouvernemental est aussi grande que la surface totale des fosses clandestines.

De nombreuses mères à la recherche de leurs enfants ont été assassinées par des tueurs à gages du narcotrafic dans le but de les intimider et les dissuder de toute tentative de recherche. À ce jour, il n'existe pas de chiffres officiels sur le nombre de fosses clandestines ; près de 3'000 fosses sont mentionnées en 2023, mais selon d'autres sources, ce nombre pourrait être deux fois plus élevé. L'une des tâches en suspens pour le gouvernement fédéral actuel est de créer un registre fiable des fosses clandestines. Le Mexique tout entier est un territoire de douleur et d'horreur.

Quelle alternative à la crise des personnes disparues ?

La première chose que nous devrions faire est montrer toute notre solidarité avec le combat mené par les Madres buscadoras afin qu'elles retrouvent leurs fils et filles disparues. Cela passe par l'exigence d'un changement effectif de la politique de l'État face à cette crise, ce qui implique également un changement radical de la politique en matière de sécurité citoyenne. Cependant, la profonde crise d'insécurité publique est avant tout un problème politique, et la réponse doit donc être politique, ce qui signifie que nous devons bouleverser en profondeur les structures du pouvoir politique dominant et commencer à construire de manière organisée une alternative démocratique radicale à partir d'en-bas, c'est-à-dire à partir de la base sociale du peuple des travailleurs et travailleuses des campagnes et des villes. Il s'agit de générer une solidarité humanitaire fondée sur un gouvernement ouvrier, paysan et populaire. Seul un gouvernement à orientation prolétarienne et de classe pourra résoudre les grands problèmes nationaux qui manifestent une barbarie sociale inhérente à un capitalisme sauvage. Il faut un programme de transition vers une nouvelle société régie politiquement par des principes directeurs socialistes, démocratiques et autogestionnaires.

Notes
(1) La nuit d'Iguala et le réveil du Mexique. Textes, images contre la barbarie. Manuel Aguilar Mora, Claudio Albertani (coordonnateurs). Juan Pablos Editor, Mexico, 2015.
(https://labiblioteca.mx/llyfrgell/1163.pdf)

(2) https://imdhd.org/redlupa/avance-de-la-ley-general-de-busqueda/las-personas-desaparecidas-al-final-del-gobierno-amlo/

(3) La bibliographie sur le trafic de drogue au Mexique est très vaste. Je ne mentionnerai que trois livres, dont deux traitent des barons de la drogue : Drogas Sociedades Adictas y Economías Subterráneas. Alejandro Gálvez Cancino (coordinateur). Editorial El Caballito, Mexico, 1992. Los señores del narco, d'Anabel Hernández, Random House Mondandori, Mexico 2010. Du même auteur, El traidor. El diario secreto del hijo del Mayo. Penguin Random House. Mexico 2019.
(4) Del desarrollo estabilizador al lumpendesarrollo. El México bárbaro neoliberal. Román Munguía Huato. https://revistaixaya.cucsh.udg.mx/index.php/ixa/article/view/7099
Román Munguía Huato. Militant de la Ligue d'unité socialiste (LUS), Mexique.

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« Au Mexique, les partis de droite sont pratiquement dans la pire phase de leur histoire »

29 avril, par Fabrice Thomas, José Luis — , ,
L'Anticapitaliste a rencontré à Paris José Luis, militant de la 4e Internationale, membre du syndicat mexicain des électriciens et du Mouvement socialiste du Pouvoir populaire (…)

L'Anticapitaliste a rencontré à Paris José Luis, militant de la 4e Internationale, membre du syndicat mexicain des électriciens et du Mouvement socialiste du Pouvoir populaire du Mexique à l'occasion de sa venue pour le congrès de la 4e Internationale, avant qu'il ne parte en Espagne rencontrer les camarades d'Anticapitalistas.

24 avril 2029 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 751 | Photo : DR José Luis
https://lanticapitaliste.org/opinions/international/au-mexique-les-partis-de-droite-sont-pratiquement-dans-la-pire-phase-de-leur

Quelle est la situation au Mexique après l'arrivée au pouvoir de Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et plus récemment de Claudia Sheinbaum et après les attaques de Trump ?

L'Amérique latine a été le théâtre de fortes luttes contre les politiques néolibérales. Les luttes indépendantes qui ont été menées par les enseignantEs, les paysanNEs, les étudiantEs, les populations indigènes, etc. n'ont pas atteint leurs objectifs. Il y a même eu des défaites importantes. Cela a signifié que le mécontentement social et populaire à l'égard des politiques néolibérales a été au Mexique canalisé dans les élections. Le mécontentement a été canalisé d'abord à travers le Parti de la révolution démocratique (PRD) et plus récemment par le Mouvement de régénération nationale (MoReNa). Le premier était dirigé par Cuauhtémoc Cárdenas. Il est le fruit d'une rupture nationaliste au sein du parti au pouvoir. Les changements ont culminé au sein du parti, avec l'arrivée au pouvoir d'AMLO à la mairie de la ville de Mexico. Son mandat s'est caractérisé par un certain nombre de réformes progressistes telles que l'octroi d'une pension universelle pour les personnes de plus de 65 ans dans la ville de Mexico et d'autres politiques sociales.

Cela a conduit la droite à tenter de l'empêcher de devenir candidat à la présidence de la République en 2006 par le biais d'une manœuvre juridico-politique. Les gens ont vu l'attaque antidémocratique. Le pays s'est polarisé, des mobilisations de masse ont eu lieu pour permettre à López Obrador d'être candidat. Le processus électoral a suscité de nombreux doutes, à tel point que nous affirmons qu'il y a eu une fraude massive. Un homme politique de droite, Felipe Calderón Hinojosa est arrivé au pouvoir. Il s'en est suivi un processus de résistance face aux politiques néolibérales de Felipe Calderón Hinojosa, et de Peña Nieto. Le mécontentement était très fort : il y avait une forte corruption au sein du gouvernement mexicain qui était entièrement au service des intérêts des riches soumis aux États-Unis. C'est ce contexte qui explique la victoire d'AMLO avec plus de 50 % des voix.

En 2018 ?

Oui, en 2018. AMLO arrive avec un fort soutien populaire qui lui permet de réaliser des transformations très importantes, pour améliorer le niveau de vie des masses. L'une d'entre elles consiste à étendre au niveau national le droit à une pension universelle. Les personnes âgées de plus de 65 ans ont reçu un soutien de 160 dollars par mois, ce qui au Mexique permet de vivre plus ou moins bien. Les salaires minimums ont été augmentés de près de 100 %. Cela n'a pas permis le rattrapage complet des salaires mais la politique salariale a bénéficié à quelques millions de Mexicains.

Plus tard, la bourgeoisie mexicaine a également été contrainte, parce qu'elle était experte en matière d'évasion fiscale, de payer des impôts, ce qui a permis d'élargir l'assiette fiscale. Il a également mené une lutte acharnée contre la corruption qui rongeait l'État et qui n'a pas pris fin.

Penses-tu que ces réformes sont devenues anticapitalistes plus qu'antinéolibérales ou ont-elles eu des limites ?

Elles ont connu de nombreuses limites. Nous aurions préféré une renationalisation complète des entreprises publiques de l'énergie comme Pemex (Petróleos Mexicanos). Mais au moins les prix des carburants ont été stabilisés. Il faudrait procéder à une réforme fiscale en profondeur, ce qui est nécessaire car les riches mexicains paient très peu par rapport à leurs énormes profits. AMLO a aussi eu une gestion très « caudillo ». Le MoReNa, son parti, n'est qu'un appareil électoral où sont imposés, de manière non démocratique, des candidats en particulier de l'aile droite.

Comment expliquer que López Obrador avait à la fin de son mandat encore plus de 50 % de soutien et que sa candidate, Claudia Sheinbaum, a eu beaucoup de succès ?

Il y a bien eu une amélioration indéniable du niveau de vie des masses. Sinon, les masses n'auraient pas voté aussi massivement pour élire Claudia Sheinbaum. Elle a obtenu près de 60 % des voix.

Quand cela s'est-il produit ? En 2024 ?

Oui, Claudia Sheinbaum est présidente depuis octobre 2024 après sa victoire en juin. Il y a eu une forte bataille idéologique et culturelle. Au Mexique, les partis de droite sont ­pratiquement dans la pire phase de leur histoire. Ils sont très affaiblis, divisés et l'ultra-droite est une minorité insignifiante. Actuellement, même dans le processus de confrontation avec les menaces de Donald Trump d'imposer des tarifs douaniers, Claudia Sheinbaum, selon des sondages récents, a le soutien de 85 % de la population.

Les déclarations et menaces de Trump suscitent des réactions de la part du gouvernement et de Claudia Sheinbaum mais aussi de la part de la population...

Ce que nous voyons, c'est un problème mondial, qui ne concerne pas seulement le Mexique, même s'il fait partie du problème. Nous sommes confrontéEs à une puissance impérialiste en déclin qui tente de répercuter le coût de sa crise sur le reste du monde, par le biais de taxes, de droits de douane et autres, et de faire pression sur l'Europe pour qu'elle se réarme et partager les coûts de l'OTAN.

La crise est profonde : crise de la dette publique américaine, crise budgétaire. Les États-Unis perdent également, avec une détérioration technologique, dans la concurrence avec la Chine. Ils essaient donc de se repositionner. Donald Trump menace ses partenaires les plus proches, le Mexique et le Canada, d'imposer une augmentation du coût des importations aux États-Unis, sous prétexte que ces gouvernements ne font rien pour lutter contre la contrebande de drogue, en particulier le fentanyl, et le problème migratoire.

L'objectif est en fait de rechercher une renégociation, sur la manière de produire, en particulier dans le cadre de l'accord de libre-échange. Ils veulent récupérer de nombreux investissements faits au Mexique, et les emmener aux États-Unis, en particulier dans l'industrie automobile. C'est assez compliqué car il existe des chaînes de valeur en place depuis des décennies qui ne peuvent pas être modifiées du jour au lendemain.

Mais il y a une pression dans ce sens. Jusqu'à présent, le gouvernement de Claudia Sheinbaum a réagi avec fermeté en dénonçant les prétextes et l'hypocrisie pure et simple. Au fond, ce qui se passe, c'est du chantage, c'est le début d'une guerre commerciale contre le Canada et le Mexique, et si ce gouvernement insiste pour maintenir ces taxes, il y aura une réponse de sa part, pour appliquer des mesures similaires à d'autres produits, pour compenser ce que font les États-Unis.

Si la situation se tend, penses-tu qu'il y aura un grand soutien de la part des travailleurEs et du peuple mexicain ?

Oui, oui, parce que le peuple mexicain rejette très fortement ces attitudes agressives, grossières et autoritaires de la part du gouvernement américain et que cela a réveillé un ressentiment nationaliste… et progressiste.

Lorsqu'il y a une confrontation entre une nation forte et impérialiste et une nation faible, il est clair que nous sommes avec la nation faible, pour la confronter, surtout lorsque le dirigeant de cette nation agit non seulement de manière autoritaire et imposante, mais qu'il a aussi tout un programme politique d'extrême droite contre les migrantEs, un programme xénophobe, misogyne, contre la diversité des genres, belliciste, etc. En d'autres termes, nous sommes ici dans une lutte qui est à la fois anti-impérialiste, mais qui doit aussi être antifasciste, parce que Trump représente l'ultra-droite mondiale qui agit de manière de plus en plus ouvertement unie et coordonnée avec d'autres forces d'ultra-droite, à la fois en Europe et en Amérique latine. Nous devons donc être clairs sur le fait qu'il y a de nombreux enjeux au-delà de la question commerciale, qui est très importante.

Propos recueillis par Fabrice Thomas

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Aux armes citoyens / Valmy 2.0 -la gauche (radicale) et les débats sur la question militaire en Europe

29 avril, par Patrick Le Tréhondat, Patrick Silberstein — , , ,
Leçons ukrainiennes « La concurrence des divers États entre eux les oblige […] à prendre de plus en plus au sérieux le service militaire obligatoire et, en fin de compte, à (…)

Leçons ukrainiennes
« La concurrence des divers États entre eux les oblige […] à prendre de plus en plus au sérieux le service militaire obligatoire et, en fin de compte, à familiariser le peuple tout entier avec le maniement des armes donc à le rendre capable de faire à un moment donné triompher sa volonté. […] Et ce moment vient dès que la masse du peuple […] a une volonté. À ce point, l'armée dynastique se convertit en armée populaire ; la machine refuse le service, le militarisme périt de la dialectique de son propre développement [1] ».

9 avril 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74471 | Article introductif au dossier « Partis pris », publié dans Adresses -internationalisme et démocr@tie n°11

La guerre d'autodéfense nationale de l'Ukraine a remis grandeur nature sur le devant de la scène les questions du militarisme, du réarmement et plus généralement les questions militaires. À cette occasion, il est sans doute temps de redonner à ces questions un peu de souffle en réfléchissant à une pensée alternative transitoire. C'est là l'objet de ce modeste dossier « Partis pris » que nous publions dans ce numéro 11 d'Adresses. Six textes ont retenu notre attention : « L'isolationnisme de gauche : le chemin vers l'insignifiance politique dans le débat sur la défense européenne » et « Rejeter le faux dilemme entre justice sociale et sécurité nationale » d'Hanna Perekhoda, « Danemark : la gauche face à la fin de l'alliance avec les États-Unis » de Michael Hertoft, « Comment gérer les dilemmes de défense de l'Europe ? » de Christian Zeller, « Trump et Poutine : une alliance autoritaire qui nous met tous en danger » de Li Andersson et « Soutenir la résistance ukrainienne, pas les plans de réarmement monstrueux » de Simon Pirani.

Le 26 février dernier, Hanna Perekhoda publiait un billet titré « Comment financer la défense européenne (et comment ne pas le faire) [2] ». Elle y rappelait que l'abandon par les États-Unis de l'Ukraine, la « dernière ligne de défense de la sécurité européenne », allait obliger les États européens, réfugiés de longue date sous le parapluie américain, à repenser leur système de défense. C'est chose faite. La remilitarisation de l'Europe est en route. Du moins l'idée est-elle en marche dans plusieurs capitales. On ne manquera pas de critiquer les choix et les politiques des États et de l'Union européenne, celles d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Ce n'est pas l'objet de cet article [3].

La véritable question, toujours selon Hanna Perekhoda, est de savoir « si l'Union européenne, et en particulier la gauche [4], a un programme concret pour faire face à cette crise ». Si elle persiste, poursuit-elle, à « déplorer la militarisation sans proposer de solutions aux menaces très réelles auxquelles nous sommes tous confrontés », elle abandonnera « la société au profit de sa propre pureté idéologique ». C'est ce qu'on pourrait désigner comme l'établissement d'une ligne Maginot mentale. On sait ce qu'il advient en général des lignes Maginot.

À cela vient s'ajouter un phénomène plus ou moins surprenant, l'union des gauches pacifistes, munichoises et cryto-poutinistes qui, de facto font campagne de concert avec une extrême droite à la fois philo-poutiniste et philo-trumpiste, sur un leimotiv classique : plutôt le beurre que les canons, la paix tout de suite et quoi qu'il en coûte (à la liberté ukrainienne). Laissons la parole à Hanna Perekhoda :

L'approche la plus dangereuse et la plus négative consisterait à réduire les dépenses sociales pour financer l'augmentation des dépenses militaires. C'est la voie que les néolibéraux proposent déjà : réduire les budgets de la santé, de l'éducation, des retraites et de la protection sociale pour réaffecter ces fonds à la défense. Cependant, il est évident que l'affaiblissement de la protection sociale aggraverait les inégalités, alimenterait les tensions sociales et, en fin de compte, déstabiliserait les démocraties.

À l'heure où le populisme d'extrême droite gagne du terrain, imposer l'austérité renforcerait rapidement les forces antidémocratiques. Étant donné le soutien manifeste de la Russie et des États-Unis à ces forces, une telle mesure est exactement ce qu'espèrent Trump et Poutine. Une autre solution consisterait à augmenter les impôts des ultra-riches et des multinationales. Ceux qui ont le plus profité de la démocratie devraient contribuer le plus à sa défense. La mise en place d'impôts progressifs sur la fortune, d'impôts sur l'énergie et d'une réglementation plus stricte de l'impôt sur les sociétés pourrait générer des recettes sans nuire aux citoyens ordinaires [5].

Hanna Perekhoda, note que ce ne serait que justice si la confiscation des 300 milliards d'euros d'actifs russes gelés finançait la défense de l'Ukraine, mais que « la justice est une notion dangereuse » pour les tenants de l'ordre établi. La mise en œuvre de cette justice mettrait « en péril les fondements mêmes du capitalisme […], scénario impensable pour ceux qui profitent de ses injustices ».

Enfin, écrit-elle dans l'article que nous publions dans ces colonnes, il faut « rejeter le faux dilemme entre justice sociale et sécurité nationale ». Si la gauche veut rester crédible, elle doit « adopter une position claire sur les questions de défense ». À défaut, elle ne ferait que laisser les droites dominer le débat.

Dans son article (« Comment gérer les dilemmes de défense de l'Europe »), Christian Zeller rappelle qu'il est à la fois possible de lutter contre le réarmement et d'aider militairement l'Ukraine [6]. Li Andersson va dans le même sens en insistant pour sa part sur la nécessité de penser « l'autonomie stratégique de l'Europe [7] ». Le débat est ouvert, les nuances et les divergences se dessinent tout en ouvrant de larges plages d'accords.

Il n'est sans doute pas inutile de rappeler ici que les forces démocratiques et progressistes mondiales paieront le prix fort en cas de victoire de la Fédération de Russie et qu'inversement c'est la défaite militaire de celle-ci qui entraînera la chute de la dictature poutiniste.

Dans les colonnes d'Europe solidaire sans frontières, parodiant Clemenceau, Pierre Vandevoorde, écrit : « L'armée, c'est trop sérieux pour rester l'affaire des militaires [8] ». On pourrait même dire, en extrapolant un peu ce qu'il écrit, que c'est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux politiciens bourgeois. Reprenant les mises en garde formulées par Hanna Perekhoda, il rappelle que la gauche devrait mener campagne pour la mise sous contrôle public des industries d'armement. Il insiste sur la nécessité d'ouvrir « la réflexion et le débat » sur la question militaire en renouant avec l'expérience des comités de soldats des années 1970, à la lumière de « ce que l'expérience ukrainienne nous apprend ». Il devient nécessaire de reposer les questions du droit syndical à l'armée, de la fin de l'armée de métier ou encore de la mise en place d'une réelle instruction militaire citoyenne.

De son côté, la Gauche anticapitaliste belge ouvre le débat en publiant une déclaration titrée : « Face à l'axe Trump-Musk-Poutine et aux gouvernements néolibéraux autoritaires européens : pour une politique de sécurité anticapitaliste et internationaliste ! ».

On y perçoit d'emblée les « leçons » de la guerre d'autodéfense ukrainienne : celle du type d'armes et celles des fins, des moyens et des objectifs à défendre. La Gauche anticapitaliste exhorte « l'ensemble du mouvement social et des forces de gauche à s'emparer sérieusement des enjeux de sécurité pour ne pas les laisser entre les mains de l'extrême droite ou des droites néolibérales ». Se prononçant contre le « plan ReArm Europe qui remet à l'industrie de l'armement et au marché les clés de notre politique de défense », l'organisation se prononce pour l'arrêt des ventes d'armes aux régimes dictatoriaux et colonialistes, pour « la socialisation et planification du secteur de l'armement […] sous contrôle démocratique » et pour l'envoi des moyens existants vers l'aide à la résistance ukrainienne. La « politique militaire indépendante et internationaliste » met en avant la nécessité d'« une autonomie de défense et stratégique complète par rapport aux États-Unis , ce qui implique la mise en œuvre d'« un programme indépendant de Starlink, l'arrêt des achats de F35, etc. ». Enfin, l'armée doit être démocratisée et placée « sous contrôle citoyen ».

Il est intéressant de rapprocher les observations faites par Zahar Popovitch à l'issue de la défaite de l'armée russe devant Kyiv en 2022 de ce qu'écrivait Philippe Guillaume, en 1949, dans les colonnes de Socialisme ou barbarie. Le militant ukrainien relève que « les forces armées ukrainiennes avaient établi des records d'efficacité » dans l'utilisation des armes dont elles disposaient. Pourquoi ?

« Une partie de la réponse, souligne-t-il, réside peut-être dans le fait que les Ukrainiens utilisent tous ces outils de manière plus créative et efficace. » Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Philippe Guillaume rappelait que les prolétaires mobilisés (notamment américains) avaient rapidement assimilé l'usage des nouvelles armes mises à leur disposition. Selon lui, « l'industrialisation de la guerre et les progrès technologiques ne [faisaient] qu'augmenter l'autonomie, l'efficacité et partant la confiance en soi du combattant ». Il faut se rendre compte, écrivait-il encore, que les progrès « bouleversent si rapidement les conditions de la guerre » qu'ils bousculent à la fois les spécialistes, les états-majors et les combattants. Poussant la réflexion jusqu'à son ultime conséquence possible, il notait que « l'assimilation par les masses de la technique guerrière se retourne objectivement contre les exploiteurs avant même que les exploités utilisent consciemment leurs armes contre eux. »

Récemment, deux auteurs dont on ne peut soupçonner qu'ils aient la moindre des connivences avec nous, titraient ainsi leur article : « Ce que le Pentagone pourrait apprendre de la guerre en Ukraine [9] ». Tout à leur plaidoyer pour convaindre le Pentagone de revoir ses procédures d'acquisition des systèmes d'armes, ils donnent raison, à soixante-quinze ans de distance, à Philippe Guillaume en soulignant que les soldats ukrainiens avaient transformé les conditions de production et d'utilisation des matériels militaires en y intégrant des matériels civils (notamment les drones).

L'intelligence collective de la société est bel et bien indispensable à la défense d'un pays assailli qui sait pourquoi il se bat et indispensable à la production des armes qui lui sont nécessaires. La guerre d'Ukraine est venue nous le rappeler.

Défense nationale, défense du capital

Il y a quelque trente-cinq ans, avec notre ami Jean-Jacques Ughetto, aujourd'hui disparu, nous avions tenté d'ouvrir aux éditions Syllepse une collection « Point de mire » sous-titrée « Critique et pratique des systèmes militaires ». Inutile de dire que ce fut un flop retentissant [10]. L'idée avait germé à l'issue du cycle ouvert par la mobilisation démocratique de la jeunesse encasernée (1972-1982), à laquelle fait référence Pierre Vandevoorde. Celle-ci s'était construite autour de la problématique démocratique que synthétise parfaitement le slogan : « Soldat, sous l'uniforme tu restes un citoyen » ou sa déclinaison, « Soldat, sous l'uniforme tu restes un travailleur ».

Pour justifier pourquoi trois militants de la gauche révolutionnaire se lançaient dans une telle aventure éditoriale, nous rappelions que « la mise en interrogation de la défense, de son objet et des moyens qu'elle met en œuvre » s'articulait à « notre expérience passée d'appelés du contingent bien décidés à rester sous l'uniforme des citoyens à part entière ». En effet, la lutte menée pour imposer aux armées d'Europe le respect des libertés démocratiques [11], pour construire un droit d'association, notamment syndical, avait également permis d'exiger que la Grande Muette dise clairement à la société quelles étaient ses missions.

S'il ne s'était agi que du flop d'un projet éditorial, il ne serait pas utile d'en faire mention ici. Mais en réalité, ce « flop » révélait :

1) le désintérêt de la gauche révolutionnaire pour les questions militaires puisque l'antimilitarisme propagandiste et la litote du « défaitisme révolutionnaire [12] » suffisaient à sa politique [13] ;

2) la renonciation de la gauche parlementaire au pouvoir à partir de 1981 tout à la fois à l'introduction de la démocratie aux armées et à la prise en compte de celles-ci comme un enjeu politique et social.

La réflexion à laquelle nous espérions contribuer visait à aider à la « réappropriation des problèmes de défense par l'ensemble des citoyens et des citoyennes », démarche qui impliquait de tenter d'élaborer « une problématique de défense alternative nécessaire à tout projet de transformation de cette société ».

Un des enjeux stratégiques de cette discussion était de ne pas laisser isolées les couches sociales en uniforme face aux courants réactionnaires qui régnaient en maître dans les casernes. Les soldats du rang et l'encadrement inférieur étant par ailleurs souvent d'origine populaire. De plus, la réflexion sur une défense alternative ne pouvait se passer des compétences et de l'expérience de militaires eux-mêmes. Nous pensions donc vital de construire une alliance avec ces « travailleurs en uniforme » et de les gagner à un projet émancipateur auquel ils apporteraient leur contribution. Une démarche qui devait partir de leurs besoins immédiats sur leurs conditions de vie et de travail, en un mot de leurs intérêts sociaux, et qui trouvait son condensé politique dans le syndicalisme aux armées.

Il fallait donc – au moment où, mince affaire, l'empire russo-soviétique s'effondrait – (re)mettre dans le débat public une question toute simple : défendre quoi, comment et contre qui. Alors même que les armées étaient secouées par la crise sociale et par celle des missions, il fallait interroger« l'histoire, les débats et les mises en œuvre » et scruter « ce que la technologie et les bouleversements sociaux induisaient » pour l'organisation des armées Nous avions lu avec une certaine avidité l'Essai sur la non bataille de Guy Brossollet [14] et le livre d'Horst Afheldt qui s'en inspirait pour l'élaboration d'une défense non suicidaire en Europe [15]. Ils arrivaient à la conclusion que les systèmes de défense organisés autour d'une armée permanente et centralisée étaient dangereux et inadaptés au monde de la fin du 20e siècle.

Ils émettaient des propositions de forces armées intégrées dans la population, décentralisées, démocratiques, dé-hiérarchisées, reposant sur des structures mobiles dotées d'un armement ultramoderne performant [16].

De ce point de vue, le projet éditorial de la collection « Point de mire » mérite d'être rappelé. La note d'intention s'ouvrait ainsi : « Les débats dans notre pays sur les problèmes de défense s'embourbent souvent dans une approche quantitative. » En revanche, au-delà de leur juste dénonciation, tant la doctrine que l'organisation des forces armées – qui s'articulait alors autour du triptyque nucléaire-force de manœuvre-forces d'intervention, restaient peu soumises à la réflexion alternative [17]. L'époque était alors, rappelons-le, à ce que les doctrinaires de l'ordre établi appelaient la « défense opérationnelle du territoire », laquelle était conçue, selon le secrétaire d'État à la défense André Fanton « pour éviter tout retour aux événements qui ébranlèrent la Nation en mai 1968 ». Nous poursuivions la présentation de la collection en notant qu'il était le plus souvent oublié que la politique de défense était à la fois « so- cialement déterminée » et « amnésique ». En effet, on ignorait plus ou moins délibérément « les formes différentes d'organisation militaire » dont les sociétés avaient pu se doter à certains moments de leur histoire. Il était d'ailleurs révélateur que les célébrations du bicentenaire de la Grande Révolution occultaient avec délice les réalités des armées de l'An II [18].

L'axe néofasciste qui se met en place déstabilise la politique économique et sociale des États et des forces politiques qui se plaçaient, plus ou moins explicitement, sous le parapluie américain. Cette nouvelle donne jette une lumière crue sur le vide que nous avons laissé s'installer dans nos rangs sur les questions militaires [19]. Quelles sont les propositions alternatives que la gauche internationaliste et démocratique pourraient mettre en débat ?

Leçons ukrainiennes

Ce qui se passe dans l'armée ukrainienne devrait pourtant interpeller la gauche de transformation. Il n'est pas rare de voir en Ukraine des treillis dans des rassemblements de protestation sociale et des soldats du rang s'exprimer dans la presse sur leurs conditions de service pour dénoncer des abus. Le mouvement syndical, qui compte des milliers de membres dans les forces armées, entretient des liens permanents avec ses adhérents en uniforme. La première confédération syndicale ukrainienne, la FPU, vient de publier un fascicule Droits et garanties des militaires mobilisés et démobilisés.

Un syndicat de militaires LGBTQIA+ défend les droits des « gays en uniforme ». Une association de soldates, Veteranka, lutte pour les droits des femmes militaires. La question du droit syndical aux armées est ouvertement discutée alors que le pays est en guerre.

Yana Bondareva, qui gère une hotline créée par l'organisation socialiste Sotsialnyi Rukh à destination des soldat·es, explique que « la création de syndicats pour le personnel militaire serait un pas important vers la protection de ses droits et de ses garanties sociales. Les militaires ont le droit d'être représenté·es en matière de salaires, de conditions de service et de soins médicaux. » L'académie des forces terrestres de Lviv a procédé à une élection démocratique pour désigner son directeur. Cinq candidats étaient lice.

Les exemples de poussées démocratiques transformatrices dans l'armée ukrainienne abondent. Ils expriment les profondes aspirations du peuple ukrainien qui dans sa lutte de libération nationale contaminent l'espace militaire. Et ils ajoutent à l'armée ukrainienne au combat une « efficacité militaire » reconnue même par les états-majors ou experts occidentaux pourtant hostiles à tout souffle démocratique dans les casernes.

La démocratie sociale et politique aux armées apparaît un élément indispensable au combat militaire. La stratégie militaire en est bouleversée. Les modes de commandement interpellés. L'indispensable et nécessaire discipline militaire dans l'action, sur le terrain dans l'affrontement, repensée. Un nouvel art militaire émerge. Pour la gauche, rester sourde et aveugle à ces « révolutions militaires » en cours, sur le terrain, conduira au mieux à l'impuissance et au pire à la défaite politique face aux manœuvres des classes dominantes sur le réarmement. Le camp de l'émancipation doit disputer aux directions bourgeoises le monopole de la conduite des questions de défense. Dans cette perspective, le soutien à l'Ukraine résistante nous oblige à nous mettre à l'écoute de l'école militaire ukrainienne.

Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein

Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein ont été des syndicalistes sous l'uniforme, membres d'Information pour les droits du soldat et de la Conférence européenne des organisations d'appelés.

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Serbie : S’organiser contre le régime, hors des parlements

29 avril, par Sasa Savanovic — , ,
Le 15 mars dernier à Belgrade s'est tenue la plus grande manifestation étudiante organisée depuis le début de la vague de protestations la plus massive de l'histoire de la (…)

Le 15 mars dernier à Belgrade s'est tenue la plus grande manifestation étudiante organisée depuis le début de la vague de protestations la plus massive de l'histoire de la Serbie. La lutte continue, et avec elle, les discussions autour du changement « systémique » : au-delà des récits ethno-nationalistes ou des appels libéraux à un gouvernement d'expert·es, un conflit de classe émerge concrètement de la lutte étudiante.

24 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/24/serbie-sorganiser-contre-le-regime-hors-des-parlements-autres-textes/#more-93014

Après des mois de confusion idéologique, des orientations plus claires commencent à émerger, tant chez les étudiant·es que dans la société en général. Cela se manifeste d'une part par l'apparition et la présence croissante de drapeaux ethno-nationalistes, et de l'autre, par les efforts de l'opposition libérale pour réduire la révolte étudiante et le soulèvement social à un simple changement de régime, en le traduisant dans le langage de la politique institutionnelle.

Le but est d'orienter la mobilisation vers les voies de la démocratie libérale, sous l'administration temporaire d'un gouvernement « d'expert·es » qui garantirait des conditions d'élections présentées comme libres et équitables.

Ces deux positions évoquent le récit, dominant dans les années 1990 et au début des années 2000, des « Deux Serbies » (l'une nationaliste contre l'autre libérale), mais ce temps-là est révolu. Cette opposition binaire classique n'est pas inévitable : il est tout à fait possible de critiquer les deux positions en même temps – surtout qu'en réalité, elles représentent les deux faces d'une même pièce capitaliste.

Beaucoup ont déjà du mal à assimiler ce que les étudiant·es ont effectivement soulevé – leurs revendications, leur démocratie directe, leurs prises de position – remettant en question la démocratie libérale (représentative) et son cadre économique néolibéral et appelant à un « changement systémique ». Les tenants et aboutissants exacts de ce changement restent en partie flous, ce qui permet aux différentes composantes qui coexistent à l'intérieur de la lutte d'interpréter ce changement à leur propre manière.

Changement de régime ou changement de gouvernance ?

En surface, le changement de système semble impliquer un changement de régime. C'est à ce niveau que se situe l'ensemble de l'opposition, y compris les médias et les commentateur·ices dominant·es de tous bords. Ce sont les mêmes expert·es (ou leurs héritier·es idéologiques) qui promettent à nouveau la même démocratie libérale, comme si les trente dernières années n'avaient pas eu lieu, comme si le système qu'ils et elles défendent ne s'était pas effondré en son cœur.

Pour reprendre les mots de Boris Buden, pour ce bloc, « le but ultime de la protestation est clair et indiscutable : nettoyer l'État de ses éléments corrompus et ainsi lui faire subir une sorte de révision générale, après quoi il sera comme neuf. » Dans cette conception qui réduit la politique au système partisan de la démocratie libérale, la protestation étudiante est critiquée comme étant antipolitique : « la solution doit être trouvée dans l'arène politique » – ce qui signifie par le biais des partis politiques, des élections, du parlement, etc.

Heureusement, la politique est bien plus large que sa forme institutionnalisée. En effet, la société s'est auto-organisée politiquement au cours des quatre derniers mois, au-delà des institutions politiques formelles. Elle agit politiquement au quotidien : dans les assemblées générales étudiantes, dans les associations informelles nouvellement formées de professeur·es en grève, dans les luttes du secteur de la culture à Belgrade et Kikinda, dans l'assemblée générale de la Bibliothèque Nationale, dans divers groupes de quartiers et de parents qui soutiennent les enseignant·es et les étudiant·es, dans les occupations des universités privées ; dans les protestations et revendications des travailleur·ses des transports publics de Belgrade, des pharmacien·nes de Belgrade, Kragujevac et Užice, dans les blocages des agriculteur·ices à Bogatić et Rača, dans les revendications des ingénieur·es de Serbie, dans les boycotts des chaînes de distribution de masse, dans les groupes formels et informels qui luttent contre les « projets de développement » tels que l'EXPO 2027 ou l'hôtel de Jared Kushner ; dans l'effort des travailleur·ses du secteur informatique pour fournir une aide financière aux enseignant·es en grève. La liste est encore longue. Hormis quelques syndicats et associations professionnelles semi-engagés, toutes ces initiatives politiques sont extra-institutionnelles.

Dans leur Lettre au peuple de Serbie (à noter que celle-ci ne s'adresse pas au peuple serbe, mais au peuple de Serbie), les étudiant·es expliquent la cohérence de leurs actions depuis des mois, systématiquement ignorée par les commentateurs et les prétendus représentant·es politiques. À la question « Quelle est la prochaine étape ? », les étudiant·es répondent sans équivoque : « Tout le monde en assemblées », appelant à la démocratie directe dans d'autres domaines publics. La compréhension des étudiant·es du changement systémique va donc plus loin qu'un simple changement de régime. Iels plaident pour un changement dans la manière dont la société est gouvernée, pour des institutions qui sont construites à partir de la base.

Contre l'opposition et sa démocratie libérale

Les étudiant·es, contrairement à l'opposition libérale, considèrent que la démocratie « n'est pas un but extérieur mais une pratique, la vie même du mouvement » (Rancière, message de soutien au mouvement), ouvrant alors une discussion sur la nature du système. Grâce à leur lutte, nous pouvons voir les Bosniaques, Slovaques, Valaques, Roms, non pas comme des caricatures de leurs représentant·es politiques, ni comme des « minorités », mais comme des membres égaux de la société.

L'opposition politique institutionnelle erre, perdue et incapable de trouver un rôle pour elle-même. Elle pourrait peut-être essayer d'agir comme médiatrice plutôt que comme représentante. Au lieu de parler en son nom, elle pourrait ouvrir un espace pour que la société parle d'elle-même). Au lieu de tenter de former parmi ses propres membres un gouvernement de transition qui n'aurait guère de légitimité , elle pourrait essayer d'engager la discussion avec la société politique auto-organisée.

Si elle veut devenir pertinente et, surtout, si elle veut être utile, l'opposition pourrait engager un dialogue avec les groupes mobilisés, les écouter, les autonomiser et les connecter les uns aux autres, se mettre d'accord avec eux sur des stratégies, des solutions de transition, des représentant·es et des priorités. L'opposition pourrait faire un effort pour être présente là où la nouvelle politique se façonne, là où de nouvelles institutions et de nouvelles visions sont en train de se construire.

L'ombre permanente du nationalisme

La lutte étudiante et celle d'autres groupes sociaux rebelles partent du fait évident que les temps joyeux de la mondialisation sont bel et bien révolus. Elles actent le fait que le capitalisme, particulièrement sous ses habits néolibéraux, n'a pas apporté la prospérité mais la destruction – signalant ainsi qu'un changement de paradigme économique est nécessaire. Les étudiant·es, les travailleur·euses culturel·les, de la santé et du social exigent des investissements publics plus importants ; les pharmacien·nes et les travailleur·euses des transports publics exigent l'arrêt des privatisations et la révision des contrats public-privé existants. Les associations environnementales exigent la suspension complète du projet de mine de lithium dans la vallée de Jadar, tandis que les travailleur·euses de Proleter à Ivanjica tiennent l'usine sous blocus, exigeant le paiement des salaires qui leur sont dus.

Cette perspective d'économie politique fait toutefois apparaître la part d'ombre des protestations étudiantes, à savoir l'absence de questionnement à propos du Kosovo et la formulation nationale de l'intérêt de l'État. Cette dernière tend à supprimer la nature de classe de la rébellion sociale. L'écart entre les intérêts nationaux et de classe, c'est-à-dire la question de savoir si la perspective de classe ou nationale de la lutte prédominera, est crucial pour l'avenir tant de la rébellion que de la Serbie.

Selon Jan Rettig, les programmes économiques des partis d'extrême droite en Europe peuvent être considérés en partie comme antisystèmes, puisqu'ils rompent avec la foi aveugle dans le marché. Cependant, la rupture se fait exclusivement dans le but de protéger le capital privé national. Tandis que des mesures protectionnistes sont introduites, le pillage néolibéral du secteur public et la privation des travailleur·euses ne sont pas interrompus, mais au contraire accentués. Cette trajectoire est devenue évidente dans les premiers mois de la présidence de Trump mais également avec les gouvernements centristes et conservateurs en Europe.

Un rejet émancipateur du « système »

Si les intérêts nationaux l'emportent dans la lutte sur le sens et les objectifs de la révolte sociale, la Serbie n'aura d'autre choix que de s'aligner avec une première, deuxième, troisième ou cinquième puissance impériale à laquelle elle offrira tout ce qu'elle possède – des individus, de la terre, des ressources. Dans ce scénario, seules les élites politiques et économiques peuvent s'en sortir indemnes.

Contrairement à la perspective nationale, les perspectives de classe et intersectionnelles imprègnent tous les aspects de la rébellion étudiante et sociale. Ses mots d'ordre sont justice, solidarité, égalité, entraide et vie digne pour chaque être humain. Contrairement à la droite qui se dit « antisystème », la charge antisystémique de la lutte étudiante est profondément féministe, car elle place l'éthique du soin au premier plan. Elle est anti-fasciste, car elle se préoccupe du bien-être des autres. Elle est également anticoloniale et anti-impérialiste, car elle rejette la logique de la suprématie (blanche). Enfin, elle est assurément une lutte de classe, car elle ne reconnaît pas la « naturalité » de l'appropriation et de l'exploitation.

Les politicien·nes s'efforcent de rétablir une nouvelle fois leur fantasme que constitue la démocratie libérale, alors que le système international dans lequel la Serbie existe a été irréversiblement altéré. Aucun retour en arrière n'est donc possible. Celui-ci ne serait d'ailleurs pas souhaitable : ce système du passé est responsable de l'apocalypse actuelle – politique, économique, écologique – qui prive la jeunesse d'aujourd'hui de son droit à un avenir. Au lieu de choisir entre périr dans une guerre nucléaire ou être brûlés par le soleil, les jeunes choisissent au moins de se battre pour la possibilité d'un avenir différent.

Si les libéraux·ales ne veulent pas ou ne peuvent pas aider les étudiant·es en lutte, qu'ils ne se mettent pas en travers de leur route. Il n'y a pas de chemins bien tracés, la voie à suivre est très risquée et l'issue incertaine. Le mouvement étudiant est parfois maladroit dans l'articulation de ses positions, mais la concrétude de la lutte qu'il mène produit « des idées et des rêves ».

Version abrégée d'un article paru sur Masina
Traduction, coupe et adpatation de la rédaction
Sasa Savanovic
https://solidarites.ch/journal/448-2/serbie-s-organiser-contre-le-regime-hors-des-parlements/
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74564

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Parlez, parlez, parlez, il en restera toujours quelque chose

29 avril, par Germain Dallaire — , ,
Il faut situer les prises de position de Donald Trump sur un temps très long. Déjà en1823, lors de l'énoncé de la fameuse Doctrine Monroe condamnant toute intervention (…)

Il faut situer les prises de position de Donald Trump sur un temps très long. Déjà en1823, lors de l'énoncé de la fameuse Doctrine Monroe condamnant toute intervention européenne dans les affaires américaines (nord et sud), le Groenland était inclus.

En 1867, dans la foulée de l'achat de l'Alaska, le président est revenu à la charge. Pendant la deuxième guerre, alors que l'Allemagne occupait le Danemark, les USA occupaient l'île continent (quatre fois plus grande que la France). Après la guerre. le président américain Truman a fait une offre d'achat de100 millions. En 2019, Donald Trump a exprimé le même souhait qu'aujourd'hui.

L'île fait partie de la plaque continentale américaine. L'île d'Elsmere appartenant au Canada est à 26 kilomètres des côtes groenlandaises. Copenhague, la Capitale du Danemark est à 3500 kilomètres.

Le premier intérêt du Groenland est évidemment géostratégique. La base américaine de Pituffik dans le nord de l'île est une pointe avancée de la ligne de surveillance face à la Russie et la Chine. Mais la recrudescence actuelle de l'intérêt vient du réchauffement climatique. De tout temps, le contrôle des voies de commerce maritime ont été l'apanage des grandes puissances. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'intérêt de Trump non seulement pour le Groenland mais aussi pour le Canada et le canal de Panama. Le réchauffement climatique est deux fois plus rapide en Arctique que dans le reste du monde. De 1980 à 2011, le couvert de glace y a diminué de 40%. Pour la Chine, ça veut dire un temps de transport raccourci de 40%. Non seulement, ces nouvelles routes maritimes du nord vont saliver les États-Unis mais aussi la Russie et la Chine.

La fonte accélérée des glaces qui recouvrent 85% de l'île fait rêver les promoteurs miniers. On parle entre autres de pétrole, de gaz naturel, d'uranium, de terres rares, etc… Bref, d'à peu près tout ce que le tableau périodique compte d'éléments. Tout ça à des quantités d'autant plus importantes qu'il s'agit d'estimation. Sur une vision à long terme, des glaciers qui fondent, c'est aussi de l'eau douce en grande quantité.

Le Groenland est donc un territoire d'avenir. Parler de réchauffement climatique, c'est cependant s'inscrire dans un temps relativement long. Dans le centre du Groenland, la glace atteint une épaisseur de trois kilomètres… Ce n'est donc pas demain qu'on va forer. Actuellement, il y a deux mines en opération et elles fonctionnent par intermittence. On évalue qu'il faut seize ans pour mettre une mine en opération. Au problème du froid s'ajoute celui de la main d'œuvre. Pendant cinq ans, Alcoa a cherché à construire une aluminerie mais a dû abandonner. Il aurait fallu faire venir 5,000 travailleurs mais il n'y a pas de logement et il est délicat d'ajouter une tel nombre de personnes à une si petite population. Le dernier gouvernement groenlandais était écologiste et avait instauré un moratoire sur tout développement minier. Le trafic maritime, même s'il augmente, n'est pas sans poser de problème tout simplement parce qu'on est en plein dans la route des icebergs et qu'une partie de l'année, il fait noir en permanence. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres.

Et maintenant, parlons des habitants. L'île est peuplée de 57 000 habitants à 90% d'origine Inuit et 10% danoise. En 2009, résultat d'un long parcours du combattant, le Groenland obtenait un statut d'autonomie sauf sur les questions régaliennes (justice, défense, affaires étrangères, monnaie). La population porte les stigmates des peuples colonisés. Ainsi, dans les années 50, les colonisateurs danois ont pratiqué une politique forcée de rassemblement des communautés. Bien des familles vivant de la pêche et de la chasse habituées à la liberté et aux grands espaces se sont retrouvées dans des blocs appartements. Dans les années 60, les danois ont pratiqué une politique de stérilisation forcée qui a touché 50% des femmes Inuits. À ce jour, les autorités danoises ne se sont même pas encore excusées. Autre « stigmate », les enfants inuits sont 7 fois plus nombreux à être placés à l'extérieur de leur famille. Ce problème a été maintes fois dénoncé par des organismes internationaux de défense des droits humains. Ce n'est qu'en janvier que le gouvernement Danois a retiré ses grilles d'évaluation (avec Trump, le temps s'accélère !). Héritage de ce lourd passif colonial, la démographie est en chute libre. D'ici 2050, on prévoit que la population passera à 40 000. La langue de l'ascension sociale est le danois alors que les Inuits parlent l'inuktitut. Désœuvrés et sans avenir, les jeunes cherchent à quitter et ça va jusqu'à la vie elle-même. Le taux de suicide y est le plus élevé au monde.

Et l'indépendance là dedans ?

Avec 57,000 habitants, l'élite politique est évaluée à 50 personnes. Le parlement quant à lui compte 31 députés. On peut imaginer que tout le monde se connaît bien et que c'est tissé serré. Difficile de parler de vie politique comme on en parle habituellement. Quand même, lors des élections du 11 mars dernier, quatre partis s'affrontaient. C'est un parti de centre-droit qui est arrivé en premier. Le parti socialo-écologiste de gauche qui avait le pouvoir précédemment est arrivé troisième suivi de son allié social démocrate. Le parti indépendantiste a connu la plus importante progression pour arriver deuxième. Rapidement, un gouvernement de coalition s'est formé auquel l'entreprise parti indépendantiste a refusé de se joindre.

L'indépendance fait consensus dans la classe politique. Tous les partis y sont favorables. La question qui tue concerne l'échéancier. Compte tenu des menaces de Trump, cette question a été centrale pendant la campagne électorale. La coalition au pouvoir s'est réalisée sur la base d'une priorité donnée au développement économique comme préalable à l'indépendance. Comme il a été dit lors de l'annonce de la coalition : « construction de l'État Providence ».

Il faut savoir que le Danemark fournit annuellement près de 600 millions d'euros ce qui représente plus de la moitié du budget du gouvernement groenlandais. Ici au Québec, certains agitent l'épouvantail de la perte d'une péréquation annuelle de 14 milliards représentant moins de 10% du budget du gouvernement québécois alors que nous sommes 8 millions à payer de l'impôt à un gouvernement représentant 40 millions de personnes. Les Groenlandais sont 57,000 à le faire dans un pays de 8 millions d'habitants. Les deux situations ne se comparent pas. En termes de développement minier, on évalue qu'il faudrait une vingtaine de mines en opération pour remplacer ce 600 millions. Sans compter que comme toutes les populations autochtones, les Inuits sont près de la terre et fondamentalement allergiques à des développements miniers dévastateurs pour la nature.

Depuis le temps, on commence à connaitre le fonctionnement de Donald Trump. C'est un négociateur qui débute toujours avec une position maximale. Au fil du temps, il recule mais obtient toujours quelque chose. Ainsi au début d'avril, les États-Unis ont obtenu du gouvernement danois une entente de dix ans pour l'opération de trois bases militaires au Danemark, une entente qui a soulevé une opposition quasi-unanime dans la population tant la latitude des soldats américains est grande. L'influence américaine au Groenland a toujours été bien présente. Au cours des dernières années, ils ont obtenu l'annulation de 3 projets d'aéroport, d'un port et d'une mine tous promus par des intérêts chinois. L'influence des USA est déjà tellement grande qu'on se demande même où serait leur intérêt de prendre possession de l'île autre que celle de réaliser une vieille marotte.

Entre une Chine obsédée par son déploiement économique et des États-Unis souffrant du complexe de l'assiégé, l'avenir de cette petite population Inuit apparaît précaire et pointe plutôt vers la stagnation. C'est peut-être un peu cette quadrature du cercle qui explique que le parti le plus résolument indépendantiste affirme du même souffle que « les USA doivent être le premier partenaire économique du peuple groenlenlandais »

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La paix des cimetières n’est pas une paix du tout

Kris Parker fait un reportage en Ukraine et affirme que, comme ceux qui luttent en Palestine, en Syrie, au Soudan ou ailleurs, les Ukrainiens méritent le soutien des (…)

Kris Parker fait un reportage en Ukraine et affirme que, comme ceux qui luttent en Palestine, en Syrie, au Soudan ou ailleurs, les Ukrainiens méritent le soutien des internationalistes du monde entier.

25 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/20/la-paix-des-cimetieres-nest-pas-une-paix-du-tout/#more-92753

Dans le froid et l'obscurité du petit matin du 23 février, l'armée russe a lancé la plus grande attaque de drones de sa guerre contre l'Ukraine à ce jour, couronnant la troisième année d'agression par une vague de 267 drones suicides et leurres. La ligne d'horizon au-dessus de Kiev s'est illuminée lorsque les forces de défense aérienne ont tiré de longues rafales sur les drones, les bruits des explosions et des mitrailleuses se mêlant au bourdonnement incomparable des Shaheds de conception iranienne. Trois personnes ont été tuées dans tout le pays, bien que 138 drones aient été abattus et 119 autres neutralisés par des systèmes de brouillage électronique. Les Russes ont également tiré trois missiles balistiques pendant l'attaque.

Aujourd'hui, alors que les Ukrainiens entament leur quatrième année consécutive de défense contre ces attaques quotidiennes, une nouvelle menace dynamique se développe rapidement sous le couvert d'une administration Trump ouvertement favorable au régime droitier de Poutine et qui s'emploie rapidement à saper la capacité de l'Ukraine à se défendre, tout en prétendant qu'ils poussent à la « paix. »

La paix du cimetière n'est pas une paix du tout, et si les menaces qui pèsent sur ceux qui, en Ukraine, luttent pour un avenir sûr et démocratique sont antérieures au proto-fascisme qui progresse aux États-Unis, l'ampleur des mesures prises récemment par l'administration Trump laisse présager un avenir qui sera défini par tout sauf la paix.

Pour ceux qui, en Ukraine, sont pris entre les chars russes, les banques occidentales, leur propre État profondément défectueux et néolibéral – en plus de l'abandon en cours par les États-Unis sous Trump – la situation pourrait difficilement être plus grave.

Malgré ces défis, les gens continuent de lutter pour un avenir meilleur, payant souvent de leur vie dans ce processus. Bien que souvent négligé par les commentateurs de salon de gauche comme de droite, le fait que les Ukrainiens se battent pour défendre leurs maisons et leur droit à l'autodétermination est central pour comprendre la guerre. Et comme ceux qui luttent en Palestine, en Syrie, au Soudan ou ailleurs, les Ukrainiens méritent le soutien des internationalistes du monde entier.

Après trois années sanglantes de guerre à grande échelle, la défense relativement réussie de l'Ukraine peut être attribuée à deux grands facteurs. Le premier est la motivation, le courage et l'auto-organisation d'une grande partie de la population, et le second est l'aide humanitaire et militaire internationale qui a fourni une grande partie du matériel nécessaire pour soutenir cette défense. De vastes réseaux de volontaires ont organisé le soutien matériel aux besoins humanitaires et aux unités militaires sous-équipées, souvent avec l'aide de volontaires internationaux.

Au cours de la première année de guerre, des centaines de milliers d'Ukrainiens de tous horizons se sont portés volontaires pour le service militaire, mais l'intensité des combats modernes a rapidement commencé à faire des victimes. Le gouvernement ukrainien ne publie pas systématiquement les informations sur les pertes, mais au moins 46 000 soldats ukrainiens ont été tués, alors que d'autres estimations sont beaucoup plus élevées. Des centaines de milliers de personnes ont été blessées et des dizaines de milliers de civils ont également été tués ou blessés.

Pour reconstituer les pertes et permettre aux troupes épuisées de se reposer, le gouvernement a mis en place un système de mobilisation de plus en plus draconien, puisque les plus motivés sont généralement déjà sous les drapeaux. Des cas d'abus et de corruption ont été documentés. Surpassés en nombre par les forces d'invasion russes, la plupart des soldats sont censés servir jusqu'à la fin de la guerre ou jusqu'à ce qu'ils soient blessés ou tués, ce qui fait naturellement l'objet de controverses dans la société ukrainienne.

Un projet de loi portant sur la démobilisation a été rédigé à la fin de l'année dernière, mais n'a pas encore été soumis à la Verkhovna Rada en raison des inquiétudes liées à l'insuffisance des réserves militaires. Actuellement, les hommes ukrainiens ne peuvent pas être mobilisés de force avant l'âge de 25 ans, dans le but de protéger la jeune génération face aux inquiétudes concernant les tendances démographiques à long terme, mais les administrations Biden et Trump ont toutes deux demandé au gouvernement ukrainien d'abaisser l'âge de la mobilisation à 18 ans. Volodymyr Zelensky a rejeté cette demande, arguant que le besoin le plus important concerne l'équipement de pointe : « Dites-moi, s'il vous plaît, si une personne se tient devant vous sans arme, quelle différence cela fait-il que cette personne ait 20 ans ou 30 ans ? Il n'y a aucune différence. »

Malgré l'épuisement et la douleur extrêmes ressentis dans toute la société ukrainienne, rien n'indique que les gens n'envisagent la capitulation. Un sondage réalisé en novembre 2024 indiquait qu'une légère majorité des personnes interrogées était favorable à un règlement négocié de la guerre le plus rapidement possible, ce pourcentage augmentant dans les zones proches des lignes de front. Un sondage plus récent mené par The Economist a indiqué quelques changements d'opinion, une majorité déclarant soutenir la lutte contre la Russie même avec la perte de l'aide américaine. La nature apparemment contradictoire de ces positions suggère un désir de repousser les Russes, tout en se rendant compte qu'il n'est peut-être pas possible de les repousser complètement dans le cadre des paramètres du déséquilibre actuel des pouvoirs.

La dépendance de l'Ukraine à l'égard de l'aide étrangère est sa plus grande vulnérabilité. La Russie dispose d'une population plus importante où puiser des troupes et d'une économie mobilisée pour la guerre. Bien qu'elle ait subi d'énormes pertes en Ukraine, l'armée russe est plus nombreuse que les forces ukrainiennes dans la plupart des secteurs du front, et elle progresse lentement. Bien que l'Ukraine ait amélioré le renforcement de ses propres industries militaires, l'ampleur du matériel consommé par les combats nécessite une aide extérieure.

Bien que l'administration Biden ait organisé la fourniture d'une assistance militaire, économique et humanitaire, un compte-rendu complet de l'approche défectueuse et opportuniste de l'administration Biden dépasserait le cadre de cet article. La rhétorique de l'administration défendant le droit international et condamnant l'agression impériale de la Russie a sonné creux lorsque Washington a autorisé la campagne israélienne d'extermination à Gaza et au-delà après les attaques du 7 octobre.

En arrière-plan se cachait le spectre de Trump et d'un mouvement MAGA d'extrême droite, qui affichait une hostilité croissante à l'égard de l'Ukraine, avec des figures clés blanchissant la propagande russe et tentant à plusieurs reprises de bloquer l'aide au Congrès. Signe des ennuis à venir, les républicains ont retardé de six mois un vote sur une aide militaire ukrainienne cruciale au cours de l'automne et de l'hiver 2023-24, contribuant probablement à la perte de la ville stratégique d'Avdiivka et à l'avancée russe qui en a résulté, qui a été ensuite ralentie mais pas encore entièrement arrêtée autour de Pokrovsk.

Maintenant que MAGA a pris le contrôle de l'État américain, cette hostilité qui s'envenime mûrit rapidement en un alignement ouvert sur la Russie d'extrême droite de Poutine, chaque jour apportant son lot de mauvaises nouvelles pour ceux qui se sont engagés en faveur d'une Ukraine libérée de toute domination étrangère. Bien que le rythme récent des actions de Trump puisse être vertigineux à comprendre ou à suivre, elles démontrent clairement les priorités de l'administration et laissent présager un avenir difficile pour l'Ukraine.

Trump a passé 2024 à blâmer… Zelensky et Biden pour l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Dès sa prise de fonction, il a qualifié Zelensky de dictateur, tout en refusant de caractériser Poutine comme tel. Lui et ses soutiens se sont ouvertement alignés sur l'allié d'extrême droite de Poutine, Viktor Orban, en Hongrie, depuis des années. L'une des premières mesures de l'administration a été de mettre fin au financement de l'USAID, ce qui a interrompu des traitements vitaux pour les patients atteints de tuberculose et de VIH/sida en Ukraine et dans le monde entier.

Le 3 mars, suite aux attaques débiles de Trump et de J. D. Vance contre Zelensky lors d'une conférence de presse convoquée pour annoncer la cession des ressources naturelles de l'Ukraine au contrôle effectif des États-Unis deux jours plus tôt, toute l'assistance militaire américaine à l'Ukraine a été mise en pause pour une durée indéterminée, en guise de punition pour avoir osé défier les diktats impériaux de Trump.

Le 5 mars, l'administration Trump a mis en pause tous les échanges de renseignements avec le gouvernement ukrainien, ce qui a réduit la capacité de l'Ukraine à cibler les forces russes avec des missiles à plus longue portée et à détecter les frappes aériennes russes entrantes. L'envoyé spécial de Trump pour l'Ukraine et la Russie, le lieutenant-général à la retraite Keith Kellogg, a justifié cette action en déclarant que les Ukrainiens l'avaient « provoquée eux-mêmes » et a décrit cette coupure comme « frapper une mule avec une pièce de bois, vous avez attiré leur attention. » Kellogg ne s'est pas arrêté à cette déshumanisation d'une population qui se bat pour défendre sa vie, mais il est allé jusqu'à insinuer que les Russes, l'agresseur, sont en fait plus raisonnables que les Ukrainiens.

Le 6 mars, Reuters a rapporté que l'administration Trump envisageait de supprimer la protection de 240 000 Ukrainiens dans le cadre de la suppression des droits des 1,8 million de migrants vivant aux États-Unis dans le cadre de programmes de libération conditionnelle humanitaire temporaire, les rendant ainsi éligibles à l'expulsion vers une zone de guerre active. (Ce plan aurait été envisagé avant la réunion du 1er mars à la Maison Blanche).

Le 7 mars, le jour même où des frappes russes ont tué 11 civils et en ont blessé 47 à Dobropillia, une petite ville de l'oblast de Donetsk, Trump a déclaré aux journalistes : « Je trouve qu'il est plus difficile, franchement, de traiter avec l'Ukraine. Et ils n'ont pas les cartes en main… Pour ce qui est d'obtenir un règlement définitif, il est peut-être plus facile de traiter avec la Russie. »

Il a ensuite justifié davantage l'agression russe : « Je pense qu'il [Poutine] veut que les choses s'arrêtent et se règlent et je pense qu'il les frappe plus fort qu'il ne l'a jamais fait et je pense que probablement n'importe qui dans cette position le ferait en ce moment. »

Le 9 mars, NBC a rapporté que l'équipe Trump cherchait désormais à étendre l'intensité de ses extorsions avant d'envisager toute reprise de l'aide en matière de renseignement et d'assistance militaire, les mesures prises pour acquérir le contrôle des ressources naturelles de l'Ukraine ne suffisant désormais plus à rassasier l'appétit de l'administration Trump.

Le 18 mars, Trump s'est entretenu au téléphone avec Poutine pour discuter ostensiblement des perspectives d'un cessez-le-feu de 30 jours que les dirigeants ukrainiens avaient accepté le 11 mars à l'issue d'une réunion en Arabie saoudite. À la suite de cette réunion, l'administration Trump a accepté de reprendre la livraison de l'aide militaire allouée sous l'administration Biden, tout en reprenant, semble-t-il, le partage de renseignements. Mais à ce stade, les forces ukrainiennes qui combattent dans la région russe de Koursk avaient été contraintes de battre en retraite, perdant ainsi un autre élément de levier pour de futures négociations. S'il n'est pas possible d'attribuer la percée russe uniquement aux actions américaines, il n'en reste pas moins vrai que les forces ukrainiennes dépendaient largement des renseignements satellitaires et des missiles à longue portée américains pour identifier et cibler les concentrations de troupes russes, deux éléments qui leur ont été retirés pendant cette période critique. En outre, l'administration Trump a empêché l'Ukraine d'utiliser l'imagerie satellitaire commerciale.

Autre cadeau fait à Poutine, les États-Unis ont mis fin au financement de la recherche sur l'enlèvement d'enfantsukrainiens par les autorités russes dans les territoires occupés. Cela s'ajoute à la fin d'une initiative du ministère de la Justice lancée sous Biden pour traquer les crimes de guerre russes en Ukraine, à la réduction des efforts pour contrer le sabotage russe et à lamise en pause des cyberactionsoffensives contre la Russie, tout cela alors que des membres clés de l'administration ne cessent de présenter Zelensky comme l'obstacle à la « paix. »

À la suite de l'appel téléphonique du 18 mars avec Trump, Poutine a ensuite émis ses propres exigences pour participer à tout cessez-le-feu. Elles comprennent la « cessation complète » de l'aide militaire étrangère à l'Ukraine et la démobilisation des forces ukrainiennes, deux mesures qui compromettraient gravement la capacité de l'Ukraine à se défendre contre de nouvelles attaques russes. Alors que l'administration Trump diffusait des déclarations déclarant que Poutine avait accepté une pause de 30 jours dans les attaques contre les infrastructures, des vagues de drones russes ont attaqué Kiev et d'autres cibles dans le pays. Ces attaques se sont poursuivies.

Après l'attaque du 18 mars, l'homme de main de Trump, Steve Witkoff, envoyé spécial au Moyen-Orient, a déclaré aux médias qu'il pensait que Poutine avait donné un ordre depuis 10 minutes aux forces russes de ne pas attaquer, et que toute attaque ayant eu lieu s'était produite avant cet ordre :

« En fait, les Russes m'ont dit ce matin que sept drones étaient en route lorsque le président Poutine a donné son ordre, et qu'ils ont été abattus par les forces russes, donc j'ai tendance à croire que le président Poutine agit de bonne foi, il a dit qu'il allait agir de bonne foi au président hier, et je le crois sur parole. »

Les attaques ont effectivement eu lieu environ six heures après la fin de l'appel entre Trump et Poutine, et il n'y a aucune raison logique pour que la Russie abatte ses propres drones – ni aucune preuve qu'elle l'ait fait. La déclaration de Witkoff, plus que d'afficher une stupidité sans fard, révèle une dynamique plus préoccupante en jeu. L'administration s'efforce clairement de privilégier les Russes, sur le plan rhétorique et matériel, par rapport aux Ukrainiens.

Lors d'une interview avec le fan de Poutine Tucker Carlson, Witkoff a doublé son ignorance et régurgité des arguments plus dangereux du Kremlin :

« Tout d'abord, je pense que le plus gros problème dans ce conflit, ce sont ces soi-disant quatre régions ; Donbas, Crimée, vous connaissez les noms, Lougansk, et il y en a deux autres. Elles sont russophones, il y a eu des référendums où l'écrasante majorité des gens ont indiqué qu'ils voulaient être sous la domination russe. Je pense que c'est la question clé du conflit. C'est donc la première chose à faire. Quand cela sera réglé, et nous avons des conversations très, très positives. »

Outre le fait que Witkoff ne peut pas nommer les régions d'Ukraine occupées et risquant une nouvelle annexion russe illégale – qui pour mémoire sont les oblasts de Louhansk, Donetsk, Zaporizhzhia et Kherson – il pousse l'idée extrêmement réductrice et factuellement incorrecte que ces régions sont intrinsèquement et activement pro-russes parce qu'il y a beaucoup d'Ukrainiens russophones qui y vivent. Il s'agit là d'une propagande pernicieuse, parmi les plus largement diffusées parmi les campistes et la foule rouge-brune. Cela dit, le mouvement séparatiste organisé et financé par les forces russes a reçu un certain soutien organique de la part des résidents à l'intérieur des frontières proclamées, bien qu'il soit caractérisé par une violence autoritaire et un programme politique réactionnaire.

La Crimée est également ukrainienne, bien qu'elle ait été prise en 2014 et remplie de colons essentiellement russes, une pratique qui se poursuit également au sein des territoires pris depuis 2022. Il n'y a pas eu de référendums légitimes montrant un soutien à l'adhésion à la Russie. Le 21 mars, Poutine a décrété que tous les Ukrainiens vivant « illégalement » dans les zones désormais occupées par l'armée russe avaient jusqu'au mois de septembre pour accepter la citoyenneté russe ou partir. Poutine a également insisté pour que toute négociation soit subordonnée à la cession par l'Ukraine de la totalité des quatre oblasts à la Russie. Les combats se poursuivent également dans certaines parties de l'oblast de Kharkiv.

La population ukrainienne, cependant, a montré peu d'intérêt à accepter un scénario dans lequel la Russie serait autorisée à dominer leur vie. Un sondage réalisé en octobre 2024 par l'Institut international de sociologie de Kiev a montré que 93% des Ukrainiens ont une opinion négative de la Russie, et seulement 3% une opinion positive. À la veille de l'invasion totale de 2022, seuls 50% exprimaient une opinion négative à l'égard de la Russie. L'augmentation du mépris pour la Russie montre clairement que l'agression brutale et meurtrière de la Russie n'est pas bien accueillie dans l'ensemble de la société ukrainienne.

L'alignement croissant entre MAGA et la Russie de Poutine devrait être une source d'inquiétude pour tout le monde, et pas seulement pour ceux qui défendent l'Ukraine. Avec la montée de l'extrême droite dans toute l'Europe, la lutte de l'Ukraine, malgré ses nombreux défauts, a des implications considérables. Son abandon sera une victoire pour la droite autoritaire.

Toute négociation, faite au-dessus de la tête des Ukrainiens et qui ne tient pas compte des préoccupations légitimes des gens qui vivent ici, a peu de chances d'apporter une paix digne de ce nom. Il y a peu de preuves que la Russie cherche autre chose qu'une capitulation totale, et tout les efforts de l'administration Trump pour faciliter cette politique doit être vigoureusement combattu.

En attendant, des efforts venant de la base sont en cours pour soutenir ceux qui en ont le plus besoin, les soldats comme les civils. Des groupes comme Solidarity Collectives, Radical Aid Force, Street Aid Daily, Base Ukraine, Eco Platform, the[ European Network for Solidarity with Ukraine], et Ukraine Solidarity Network-US, entre autres, offrent de bons points de départ pour s'impliquer davantage. Des revues comme Commons offrent également un point de vue critique.

Il y a beaucoup à apprendre de la lutte de l'Ukraine, et le temps presse.

Reportage publié le 9/4 /25 dans Tempest traduction Deepl revue ML
https://tempestmag.org/2025/04/death-from-above-resistance-from-below-in-ukraine/

Les opinions exprimées dans les articles signés ne représentent pas nécessairement celles des rédacteurs ou du Collectif Tempest. Pour plus d'informations, voir « À propos du collectif Tempest ».

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Fox News ne peut pas admettre l’identité juive des manifestants anti-Israël

29 avril, par Wilson Korik — , ,
« Des manifestants de [Jewish Voice for Peace] ont rempli le hall de la Trump Tower... pour dénoncer l'arrestation par l'immigration de Mahmoud Khalil, un militant (…)

« Des manifestants de [Jewish Voice for Peace] ont rempli le hall de la Trump Tower... pour dénoncer l'arrestation par l'immigration de Mahmoud Khalil, un militant pro-palestinien qui a aidé à diriger des manifestations contre Israël à l'Université de Columbia ».

Tiré de la page web de FAIR
https://fair.org/home/fox-news-cant-admit-jewish-identity-of-anti-israel-protesters/
17 avril 2025

Wilson Korik
photo : Des manifestants juifs envahissent le hall de la Trump Tower pour exiger la libération de Mahmoud Khalil AP (13/03/25) :

Dans sa couverture de la manifestation de Jewish Voice for Peace à la Trump Tower, Fox News a obscurci l'identité juive des manifestants – tout en faisant écho aux théories du complot antisémites et aux tropes racistes.

JVP, une organisation de Juifs américains en solidarité avec les Palestiniens, a organisé le sit-in le 13 mars devant la propriété de Trump à Manhattan pour protester contre la détentionpar l'ICE de Mahmoud Khalil, diplômé de l'Université Columbia et manifestant pro-palestinien.

Alors que la solidarité juive avec les Palestiniens confrontés au génocide ne s'inscrit pas parfaitement dans le récit de la chaîne selon lequel les manifestations pro-palestiniennes sont intrinsèquement antisémites, la couverture de la manifestation par Fox toute la journée a soit jeté le doute sur l'identité juive de l'organisation, soit minimisé la mention de JVP par son nom – tout en dépeignant les manifestants comme des antisémites.

De plus, la discussion sur la manifestation a dévié vers des théories du complot antisémites éhontées sur la façon dont George Soros et ses manifestants anti-américains prétendument payés cherchent à renverser l'Occident.

La couverture médiatique est un rappel absurde que, tandis que les alarmistes de droite dépeignent cyniquement l'opposition au génocide ou à la violation de la procédure régulière comme antisémite, la chaîne d'information câblée américaine la plus regardée n'a aucun problème à se faire l'écho des points de discussion de Goebbels.

« Ne leur donnez aucune publicité »

Fox News : Maintenant : Les manifestants occupent la Trump Tower et scandent « Libérez Mahmoud, libérez-les tous »
« Regardez certains des panneaux ici... Ils détestent les Juifs américains », a déclaré l'animateur d'Outnumbered, Harris Faulkner (13/03/25), tout en diffusant des images de manifestants brandissant des pancartes proclamant fièrement leur héritage juif.

L'argument avancé dans d'autres programmes selon lequel les manifestants étaient antisémites, anti-américains et alignés avec les nazis, nécessite une hésitation spécifique à l'égard du profilage de JVP, probablement mieux illustrée dans une interview sur The Story (13/03/25) avec le chef du NYPD, John Chell. Lorsqu'on lui a demandé qui était le groupe qui avait organisé la manifestation, il a répondu : « Nous connaissons bien ce groupe, je ne veux pas leur faire de publicité. »

Il a seulement négligé de dire la partie silencieuse à haute voix – qu'un cri pour JVP pourrait annoncer une réalité dans laquelle les manifestants en solidarité avec la Palestine et les manifestants sur les campus n'étaient pas motivés par l'antisémitisme.

Dans l'émission Outnumbered de Fox (13/03/25), l'animateur Harris Faulkner et d'autres panélistes ont passé beaucoup de temps à dépeindre les manifestants comme des antisémites – tout en obscurcissant intentionnellement le message ouvertement juif de la manifestation.

Ce n'est pas comme si les panélistes ou le journaliste Eric Shawn ignoraient d'une manière ou d'une autre qui manifestait : environ sept minutes après le début de la couverture, la panéliste Emily Compagno a lu le dos de l'un des T-shirts, imprimé « Les Juifs disent d'arrêter d'armer Israël ». Sans perdre de temps, elle s'est lancée dans une diatribe incohérente sur la façon dont le Parti démocrate et les universités de l'Ivy League vénèrent le Hamas. Quelques minutes plus tard, Eric Shawn a balbutié le nom du groupe une fois en passant, puis plus jamais.

Sans surprise, ces deux mentions fortuites ont été noyées par des accusations incessantes selon lesquelles les manifestants exprimaient une haine manifeste envers les Juifs.

Faulkner a donné le ton de la conversation avec certaines de ses remarques principales : « Regardez une partie de la signalisation ici... Ils haïssent Israël, ils haïssent les Juifs américains, ils sont anti-américains. (De telles pancartes violemment antisémites comprenaient « Combattez les nazis, pas les étudiants », « S'opposer au fascisme est une tradition juive » et « Plus jamais ça pour personne ».) Elle a ensuite demandé à son auditoire : « Si vous êtes juif dans ce bâtiment, vous sentez-vous en sécurité ? »

Lisa Boothe, la panéliste invitée, a ajouté que les manifestants « détestent l'Occident », affirmant qu'ils « soutiennent les nazis ».

« Certains ont dit qu'ils étaient juifs »

Lorsque les Cinq (13/03/25)ont mentionné pour la première fois l'identité juive des manifestants environ huit minutes après le début de l'émission, ils l'ont fait pour jeter le doute sur la prémisse selon laquelle les Juifs se livreraient à un tel acte : « Certains ont dit qu'ils... étaient juifs », bégaya Greg Gutfeld, « mais les médias vont-ils vérifier cela ? J'en doute !

(Il n'est pas clair qui Gutfeld considère comme « les médias », étant donné qu'il est panéliste dans l'émissionla mieux notée de la chaîne d'information câblée la plus regardée.)

Comme sur Outnumbered, les cinq panélistes ont accusé les manifestants de soutenir l'antisémitisme tout en ne mentionnant l'identité juive des manifestants qu'en passant. Jesse Watters a le mieux résumé la position du panel, déclarant que les manifestants « soutenaient un antisémite » qui « déteste les Juifs » et « [a fait exploser] Columbia ».

Le commentaire repose sur l'hypothèse qu'un public islamophobe entendra qu'une foule antisémite s'est rassemblée à la Trump Tower en soutien à Mahmoud Khalil « faisant exploser la Colombie » – et ne fera pas de suivi sur l'organisateur du rassemblement, ni pourquoi.

Une telle obscurcissement chargé de mots à la mode révèle une paranoïa dans une telle couverture : si les téléspectateurs choisissent de suivre et d'en apprendre davantage sur les manifestants, cela pourrait révéler le jeu. Les hordes d'antisémites présumés pourraient soulever des questions parfaitement raisonnables sur l'érosion de la procédure régulière et le financement du génocide par les États-Unis. Certaines de ces manifestations, comme celle de la Trump Tower, pourraient même être dirigées par des Juifs.

« Les mains dans de nombreux pots de protestation »

Fox News : Figure : Réseau de financement de Jewish Voice for Peace, NGO monitor 2019-2021
Fox News a parlé de George Soros comme s'il était le principal financier du mouvement palestinien – bien que, selon son propre graphique (Will Cain Show,), Soros ne soit que le cinquième plus grand bailleur de fonds de JVP, avec un tiers de son plus grand donateur et représentant moins de 2 % du financement total du groupe.

Curieusement, malgré toute leur préoccupation pour l'antisémitisme, Outnumbered, the Story, the Five, le Will Cain Show (13/03/25]) et Ingraham Angle (13/03/25) avaient tous une chose en commun : une fascination conspiratrice pour le financement de gauche prétendument astroturfé. Laura Ingraham a été particulièrement explicite :

Le groupe Jewish Voice for Peace... se présente comme un foyer pour les Juifs de gauche... et il reçoit son plus gros financement de groupes associés à George Soros.... Soros lui-même a les mains dans de nombreux marmites de protestation, attisant un mélange toxique d'antisémitisme et d'anti-américanisme.

Elle a cité un graphique affiché dans le Will Cain Show, qui a également été référencé dans le Five. Il a décrit le fonds Open Society de Soros comme le cinquième plus grand bailleur de fonds de JVP pour 2019-2021, contribuant à hauteur de 150 000 $. Étant donné que JVP dispose d'un budget annuel de plus de 3 millions de dollars, cela suggère que Soros est responsable de moins de 2 % du financement du groupe.

Ingraham a néanmoins ressenti le besoin de s'insurger contre Soros et la gauche juive au sens large. Elle a également qualifié le mouvement pro-palestinien de « cause du renversement de l'Occident ».

Ainsi, les manifestations pro-palestiniennes « antisémites » sont financées par un milliardaire juif anti-américain cherchant à renverser l'Occident ? Comme ses pairs dans Outnumbered et the Five, Ingraham a le pouvoir de faire avancer de tels tropes nuisibles, tant qu'elle s'attaque également à une accusation fallacieuse d'« antisémitisme ».

Tropes anti-arabes, anti-immigrés

Fox News : Rage radicale : des agitateurs de gauche prennent d'assaut la Trump Tower pour Mahmoud Khalil
Jeanine Pirro (13/03/25), a condamné les manifestants « qui voulaient que Mahmoud [Khalil] ait tous ses droits constitutionnels », laissant entendre que la violation de la procédure régulière de Khalil est légale parce qu'il « déteste toutes nos valeurs occidentales ».

L'obscurcissement par Fox du message ouvertement juif de la manifestation est sous-tendu par une autre hypothèse : que la protestation menée par les Palestiniens ou les immigrants contre le génocide est en quelque sorte moins légitime que la protestation menée par les Juifs américains. La couverture médiatique a non seulement occulté le rôle de JVP dans l'organisation de la manifestation, mais a également utilisé des tropes anti-arabes et des appels à l'expulsion pour salir la légitimité des demandes des manifestants.

Lorsque Jesse Watters a évoqué des fantasmes de manifestants étudiants faisant exploser des universités, ou que le panéliste invité d'Outnumbered (et ancien attaché de presse de la Maison Blanche de Bush) Ari Fleischer a accusé les manifestants d'être des résidents illégaux qui « devraient tous être expulsés de ce pays », ils ont joué sur les impulsions racistes de leur public.

Mahmoud Khalil est un immigrant palestino-syrien – ainsi, son opposition à un génocide au cours duquel Israël a tué au moins 51 000 Palestiniens à Gaza, avec 10 000 autres présumés morts sous les décombres, est illégitime. Et si les manifestants du JVP sont aussi des immigrants arabes, alors leur opposition à la répression et au génocide est sans fondement et antisémite.

C'est une autre raison pour laquelle il est dans l'intérêt de Fox de ne pas identifier les manifestants de la Trump Tower – pour permettre l'hypothèse qu'ils sont arabes, ou immigrants, ce qui les discrédite d'une manière ou d'une autre.

Ennemis sans nom

JVP : Si vous vous concentrez sur la libération palestinienne, pourquoi vous concentrez-vous sur l'organisation des Juifs ? Pourquoi ne pas simplement participer aux efforts menés par les Palestiniens ? JVP a un rôle spécifique et critique à jouer dans le mouvement de libération de la Palestine. En tant que Juifs, nous nous efforçons de répondre à l'appel de nos partenaires palestiniens pour construire un mouvement juif qui puisse effectivement former un contrepoids au soutien sioniste juif à l'apartheid israélien. Cela inclut souvent la défense de nos organisations partenaires palestiniennes, lorsqu'elles sont accusées d'antisémitisme pour avoir critiqué les politiques de l'État israélien. Notre rôle dans le mouvement pour la liberté palestinienne est d'ébranler l'alliance américano-israélienne en changeant fondamentalement le calcul financier, culturel et politique du soutien juif à l'apartheid israélien et au sionisme.
En tant qu'organisation dirigée par des Juifs en solidarité avec les Palestiniens, JVP souligne l'importance de lutter contre les fausses calomnies antisémites contre ses partenaires palestiniens et de créer un avenir juif désinvesti du sionisme.

L'hésitation de Fox News à identifier JVP est un contraste frappant avec la propension générale de Fox à nommer des ennemis. Une recherche sur FoxNews.com pour le « New Black Panther Party », un groupe nationaliste noir marginal, donne plus de 100 résultats ; comparez cela à moins de 30 visites sur le site Web d'AP. Une recherche de « Dylan Mulvaney », un influenceur trans qui a été ciblé dans une campagne de haine de masse en 2023, donne plus de 5 000 résultats sur Fox, contre 50 pour AP.

Fox News se nourrit d'ennemis, mais Jewish Voice for Peace est différent. En tant que groupe ouvertement juif-américain, JVP conteste le récit de Fox News selon lequel les protestations contre le génocide à Gaza sont enracinées dans l'antisémitisme.

« Nous organisons notre peuple et nous résistons au sionisme parce que nous aimons les juifs, la judéité et le judaïsme », indique le siteWeb de JVP. « Notre lutte contre le sionisme n'est pas seulement un acte de solidarité avec les Palestiniens, mais aussi un engagement concret à créer l'avenir juif que nous méritons tous. »

Pour être clair, la préoccupation continue des médias conservateurs et centristes pour l'antisémitisme supposé des opposants au génocide d'Israël n'est jamais de bonne foi – comme lorsque le New York Times (14/04/25), rapportant sur « la campagne de pression de Trump contre les universités », a allègrement affirmé que « les étudiants pro-palestiniens sur les campus universitaires... harcelé des étudiants juifs », sans noter que de nombreux étudiants pro-palestiniens étaient eux-mêmes juifs. Mais l'accusation d'antisémitisme est encore plus ridicule de la part d'un média qui utilise des tropes antisémites pour lancer ses propres attaques contre le mouvement pro-palestinien.

Et l'accusation est des plus ridicules de la part d'un réseau qui a trop peur de nommer son ennemi, comme si la simple reconnaissance que certains Juifs s'opposent au soutien américain au génocide d'Israël pouvait ébranler les fondements de tout son récit.

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La lâcheté impériale — Gaza ou l’effondrement moral des élites américaines

À Gaza, les bombes tombent. En Amérique, le silence tue. Ce texte expose un empire qui a sacrifié la vérité à ses idoles et troqué la pensée pour l'obéissance. Face à cette (…)

À Gaza, les bombes tombent. En Amérique, le silence tue. Ce texte expose un empire qui a sacrifié la vérité à ses idoles et troqué la pensée pour l'obéissance. Face à cette trahison morale, une jeunesse se dresse — non pour supplier, mais pour accuser.

Billehttps://blogs.mediapart.fr/haibaus/blog/190425/la-lachete-imperiale-gaza-ou-l-effondrement-moral-des-elites-americaines
t de blog de Haibaus

Il y a peu, dans un échange écrit courtois, un ami américain — anglo-saxon, avocat de profession, diplômé de George Washington et de Yale — me confia une conviction qu'il croyait lucide : selon lui, Israël surpassait de loin le monde arabe en diplomatie, stratégie et technologie. Quant aux Juifs américains, ils excellaient dans l'art de manier les leviers du pouvoir — non par privilège, mais par mérite. Il ne voyait là ni captation ni hégémonie, mais un aboutissement mérité de la modernité politique.

Je l'ai lu avec attention. Puis je lui ai répondu, sobrement. Je ne conteste ni la résilience d'un peuple ni ses réussites. Mais je questionne la manière dont une fidélité idéologique — le sionisme — s'est imposée comme norme tacite au cœur du pouvoir américain. Une orthodoxie devenue réflexe, où toute nuance devient suspecte, et toute interrogation, blasphème.

Je pris soin de distinguer ce que notre époque confond : critiquer un appareil de pouvoir n'est pas viser une communauté. Pour illustrer cette saturation idéologique, j'ai cité — en la désamorçant — une formule trouble sur la « domination juive de l'Occident ». Non pour la reprendre, mais pour rappeler que l'assujettissement réel est celui à un lobby pro-israélien : structuré, efficace, comparable aux autres groupes de pression — mais doté d'un surcroît d'impunité symbolique.

Il ne s'agit pas d'identité, mais de pouvoir. D'un appareil narratif fondé sur la disqualification, l'intimidation morale et la sacralisation de la mémoire. Une mémoire devenue cuirasse. Une impunité érigée en doctrine.

Mon ami refusa d'entrer dans cette complexité. Quelques jours plus tard, il coupa les ponts. Par peur, plus que par hostilité. Peur de prononcer certains mots. Peur, aussi, de troubler l'équilibre domestique : sa femme était juive, et Gaza déjà un mot maudit. Il ne fuyait pas une idée. Il fuyait un climat. Celui d'une époque où le doute est une faute et la pensée, une transgression.

Tout est là. L'Amérique ne pense plus. Elle récite. Elle ne gouverne plus. Elle s'incline.

Ce qu'elle vénère désormais, c'est une vision binaire et brutale du monde — celle d'un empire qui continue de raisonner comme une frontière. Cette posture n'est pas nouvelle. L'élite anglo-saxonne, forgée dans l'expansion, n'a pas attendu les lobbies pour frapper. Mais sans l'emprise idéologique actuelle, elle aurait sans doute hésité davantage — et frappé avec plus de retenue.

C'est une nation de cow-boys sûrs d'eux-mêmes, persuadés que tout conflit est un duel, et toute voix dissonante, une trahison. Le Moyen-Orient n'est pas, pour elle, une région à comprendre, mais un théâtre à dominer. Dans cette scène mentale, Israël joue un rôle familier : bras armé, avant-poste moral, reflet valorisé d'une Amérique qui s'admire en empire.

Ce réflexe n'est pas une dérive. Il révèle une carence : celle d'un pays sans aristocratie de l'esprit. Jackson naquit dans une cabane. Truman ne fréquenta jamais l'université. Reagan joua sa présidence comme un rôle. Bush fils, malgré Yale, incarne le privilège sans culture. Quant à Trump, il est l'enfant nu d'un empire déchaîné : fortune sans noblesse, pouvoir sans frein, vulgarité sans gêne.

Sous ce vide, un malaise plus profond : une élite WASP, longtemps dominante mais peu érudite, déstabilisée, depuis plusieurs décennies, par l'ascension d'élites juives américaines — plus cultivées, plus cosmopolites, plus stratèges, et foncièrement sionistes. Celles-ci, soutenues par une base évangélique doctrinaire et influente, ont su capter le récit. L'élite blanche protestante, au lieu de rivaliser, s'y est ralliée. Certains par conviction ; beaucoup, par crainte ou simple résignation.

Alors le récit a changé de mains. Non par complot. Mais par renoncement — et par imposture.

Et ce renoncement tue. À Gaza, il tue les corps. En Amérique, il tue les esprits. Là-bas, des hôpitaux s'effondrent. Ici, les consciences. Il ne reste ni pensée ni diplomatie, seulement une liturgie politique. Et ceux qui prononcent le mot « génocide » — étudiants, artistes, journalistes — sont livrés au pilori.

La fracture morale est béante. Une génération — instruite, critique, parfois juive elle-même — voit ce que l'élite ne sait plus nommer : qu'Israël est devenu une machine de guerre génocidaire, et l'Amérique, son dispensateur d'impunité.

Cette complicité est bipartisane. Elle porte tantôt le nom de Biden, tantôt celui de Trump.
L'un incarne la soumission feutrée, l'autre, l'aveuglement brutal. Trump n'a pas été une erreur : il fut un verdict. Une revanche contre la trahison des principes universels. Il n'a pas seulement défait les institutions : il a réhabilité le suprémacisme blanc, ravivé un antisémitisme de fond.
Ironie tragique : à force de défendre Israël aveuglément, l'Amérique met en péril l'avenir moral de ses propres citoyens juifs.

Plus largement, elle s'est abandonnée aux lobbies — surtout au pro-israélien. Des progressistes aux conservateurs, cette soumission à Israël transcende les clivages — elle est devenue rite bipartisan.
Sa politique étrangère n'est plus qu'un prolongement des intérêts privés. Elle est achetée, capturée, exécutée.

Et cette soumission repose sur un socle plus vaste : un système électoral gangrené, où l'argent dicte l'agenda, et où la fidélité à Israël vaut plus qu'un programme, une morale ou une nation.
Depuis l'arrêt Citizens United, des personnes morales peuvent créer des PAC et inonder les campagnes de financements opaques. La corruption ne s'arrête pas au Congrès : elle atteint jusqu'à la Cour suprême.

Nancy Isenberg a montré que l'Amérique n'est pas une méritocratie, mais une hiérarchie d'humiliation. Richard Slotkin rappelle que sa mythologie nationale repose sur la rédemption par la violence. Et Alexander Hinton nous enseigne que le génocide ne commence pas par les bombes, mais par les silences.

Gaza n'est pas une anomalie. C'est un miroir. Et dans ce miroir, la jeunesse américaine ne contemple plus l'empire : elle y voit sa ruine morale.

Pourtant, même fracturée, elle reste traversée de courants de résistance : intellectuels lucides, journalistes intègres, artistes visionnaires. Mais ces voix sont dispersées, sans coordination.
En face, les conservateurs savent verrouiller le récit, imposer l'agenda, occuper l'espace.

La guerre de Gaza n'a pas seulement déchiré une carte. Elle a révélé une rupture générationnelle. Une Amérique jeune, éduquée, connectée, critique, se lève. Et elle parle une langue que l'élite politique dirigeante ne comprend pas.

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Les NoirEs, les Latinos et les immigréEs paient le prix du racisme de Trump

29 avril, par Dan La Botz — , ,
L'idéologie machiste, blanche et nationaliste du président Donald Trump l'amène à s'en prendre aux femmes, aux personnes LGBT, aux travailleurEs, aux pauvres, aux handicapéEs (…)

L'idéologie machiste, blanche et nationaliste du président Donald Trump l'amène à s'en prendre aux femmes, aux personnes LGBT, aux travailleurEs, aux pauvres, aux handicapéEs et à d'autres personnes, mais son racisme est particulièrement frappant.

17 avril 2025 | tiré de l'Anticapitalisme no. 750 | Crédit Photo : Charles Brown Jr., ancien chef d'état-major américain écarté par Trump. DR
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/les-noires-les-latinos-et-les-immigrees-paient-le-prix-du-racisme-de-trump

De multiples façons, il a fait du racisme à l'égard des NoirEs, des Latinos et des immigréEs une politique officielle des États-Unis. Depuis les plus hauts niveaux du gouvernement jusqu'aux niveaux économiques les plus bas de la société, les personnes de couleur font l'objet de discriminations, de mauvais traitements et de victimisation comme jamais depuis les années 1920.

La fin des programmes fédéraux au service d'une population diversifiée

Certaines actions de Trump sont notoires, comme son licenciement raciste du général de l'armée de l'air CQ Brown Jr., le président de l'état-major inter-armées, pour avoir prétendument fait passer les programmes de diversité, d'équité et d'inclusion avant la défense des États-Unis. D'autres actions de Trump affectent des millions de personnes.

Trump a publié un décret mettant fin à tous les programmes fédéraux de « diversité, d'équité et d'inclusion » (DEI) au sein du gouvernement fédéral. Bon nombre des personnes qui dirigent ces programmes ou qui y travaillent sont noires, latinos ou asiatiques, et des centaines, voire des milliers d'entre elles ont été licenciées. Les programmes DEI représentaient une tentative des administrations précédentes de s'assurer que les programmes fédéraux servaient une population diversifiée. Aujourd'hui, le gouvernement va pencher dans l'autre sens. Par exemple, Trump, en faisant de l'anglais la seule langue officielle, a mis fin aux annonces d'urgence météo­rologique — ouragans, tornades, inondations — dans des langues autres que l'anglais.

Elon Musk, l'homme de main de Trump, procède désormais au licenciement de 13 % des 2,4 millions de travailleurEs civilEs du pays, soit 312 000 personnes. Alors que les NoirEs représentent 13,7 % de la population américaine, ils constituent 18,2 % de la main-d'œuvre fédérale. Pendant des décennies, le gouvernement fédéral a donné aux NoirEs la possibilité d'obtenir des emplois sûrs assortis d'un salaire décent et d'avantages sociaux, alors que de nombreuses entreprises privées ne le faisaient pas.

Expulsions massives à venir

Un autre groupe important visé est celui des immigréEs sans-papiers que Trump prévoit d'expulser des États-Unis. Trump prétend qu'ils sont 20 millions, alors que la plupart des experts parlent de 11 millions. Au cours des deux premiers mois de son mandat, Trump a expulsé environ 25 000 immigréEs sans-­papiers, soit moins que l'ancien président Jo Biden, mais la police de l'immigration américaine se prépare à de véritables expulsions massives dans un avenir proche.

Trump viole la Constitution et les lois des États-Unis en déportant quelque 238 membres présumés de gangs vénézuéliens sans aucune audience ou autre procédure régulière et en les envoyant au tristement célèbre Centre de confinement du terrorisme à sécurité maximale au Salvador. Le Los Angeles Times rapporte que 90 % d'entre eux n'avaient pas de casier judiciaire et que nombre d'entre eux ont été identifiés comme membres de gangs uniquement à cause de leurs tatouages. Plusieurs actions en justice ont été intentées pour tenter d'annuler ou d'arrêter ces déportations.

Même les immigrantEs légaux sont en danger. Trump a mis fin à ce que l'on appelle le « statut de protection temporaire » pour 472 000 VénézuélienNEs, 213 000 HaïtienNEs, 110 900 CubainEs, plus de 93 000 NicaraguayenNEs, 14 600 AfghanEs et 7 900 CamerounaisEs qui, dans les prochains mois, seront soumis à l'expulsion. Si elles sont expulsées vers leur pays d'origine, nombre de ces personnes seront confrontées à la violence des gouvernements de leur pays d'origine.

Trump a commencé à transférer les numéros de sécurité sociale de milliers d'immigréEs dans le « fichier principal des décès », de sorte qu'iels deviennent « légalement morts » et qu'il leur soit plus difficile de travailler aux États-Unis ou d'avoir accès à des cartes de crédit ou à des comptes bancaires. L'idée est de leur rendre la vie tellement impossible qu'iels s'expulseront d'elleux-mêmes.

S'il est bon que de nombreuses personnes aient intenté des actions en justice contre ces mesures, il faudra un puissant mouvement de la classe ouvrière, composé de syndicats et de travailleurEs noirs, latinos et immigrés, pour arrêter Trump.

Dan La Botz, traduction Henri Wilno

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343 attaques en 2025 : Israël cible le journalisme palestinien

29 avril, par Agence Média Palestine — , , , ,
Un communiqué publié samedi 26 avril par le Syndicat des Journalistes Palestiniens (PJS) alerte à nouveau sur la persécution systématique de la presse à Gaza et en Cisjordanie, (…)

Un communiqué publié samedi 26 avril par le Syndicat des Journalistes Palestiniens (PJS) alerte à nouveau sur la persécution systématique de la presse à Gaza et en Cisjordanie, répertoriant plus de 343 attaques israéliennes à l'encontre de professionnel·les des médias, de leurs proches ou de leurs locaux en 2025 seulement.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Depuis la reprise fin mars des bombardements israéliens après le cessez-le-feu de deux mois, les journalistes sont à nouveau visé·es par la brutalité de l'armée israélienne. Comme tous et toutes les gazaoui·es, les journalistes font face à des déplacements massifs de populations, ainsi qu'à une famine et une situation sanitaire catastrophique du fait du blocage de l'aide humanitaire. L'électricité est également très rare, ce qui rend difficile pour les journalistes de recharger leur matériel et d'envoyer leur images et textes.

Au delà de ces difficultés matérielles, tous et toutes souffrent de la perte de proches et de parents, et des traumatismes liés aux bombardements et à la violence à laquelle ils et elles sont confronté·es. Malgré cela, les journalistes palestinien·nes continuent sans relâche de documenter les crimes israéliens et le quotidien difficile d'un territoire assiégé et soumis au génocide.

Mais outre les dangers encourus par tous et toutes les gazaoui·es, les journalistes font face à de plus grands dangers encore, car ils et elles sont directement visé·es par l'armée israélienne. Le gilet de presse à Gaza ne garanti en effet plus une protection internationale au nom de la liberté de la presse ; il semble même être devenu une cible.

Dans les trois premiers mois de l'année 2025, Israël a assassiné 15 journalistes à Gaza : 7 en janvier et 8 en mars, rapporte le PJS. Cela porte à 212 le nombre total de journalistes palestiniens tués à Gaza depuis le début de la campagne génocidaire d'Israël à Gaza, le 7 octobre 2023.

Des cibles directes

L'un des derniers massacres date du 7 avril, lorsqu'Israël a frappé une tente abritant des journalistes, à Khan Younis dans le sud de la bande de Gaza. L'équipe de terrain d'Euro-Med Monitor a documenté le meurtre de Helmi Al-Faqaawi, un correspondant de Palestine Today News Agency, et de Youssef Al-Khazandar, un civil qui assistait le groupe de journalistes, lors de l'attaque. Neuf autres journalistes ont été blessé·es, dont le photojournaliste Hassan Islayeh. Le bombardement a mis le feu à certains des journalistes alors qu'ils étaient encore en vie, dans une scène horrible qui souligne le ciblage systématique par Israël des journalistes palestinien·nes dans la bande de Gaza.

Cette attaque, qui ciblait précisément cette tente et n'avait fait l'objet d'aucun avertissement, a par la suite été revendiquée par Israël, qui a affirmé dans un communiqué que le photojournaliste Hassan Islayeh était la cible visée. Sans fournir aucune preuve, l'armée israélienne prétend que cet homme serait affilié à une faction palestinienne et qu'il opérerait sous le couvert du journalisme par l'intermédiaire de sa société de presse.

Les accusations par Israël d'agissements terroristes sous couvert de journalisme sont courantes mais ne sont par ailleurs jamais documentées ni prouvées, et font l'objet de nombreuses réfutations sourcées. Si cette réthorique est devenue récurrente dans les communications israéliennes, elle n'en constitue pas moins la preuve d'une grave atteinte aux libertés de la presse, car elle constitue un aveu de la part d'Israël que son armée cible délibérément des journalistes, qui ne sont donc pas des victimes collatérales du génocide.

343 attaques contre des journalistes en 2025

Le dernier rapport du PJS documente « une série de crimes, d'attaques et de violations commis par le régime d'occupation israélien, dont le plus grave est le meurtre de 15 journalistes ». Il note également que 17 membres de la famille de journalistes ont été tués à leurs côtés, que 11 journalistes ont été gravement blessé·es et que 12 maisons de journalistes ont été détruites par des roquettes et des bombardements israéliens.

Le syndicat a également enregistré 49 cas où des journalistes ont été averti·es d'évacuer les zones qu'ils et elles couvraient par des tirs à balles réelles dans leur direction ou juste à côté d'elles et eux. Ces menaces de mort, qualifiées de « terroristes » par le PJS, sont sans précédent dans le monde et semblent pourtant se banaliser à Gaza. En outre, le comité a enregistré 15 arrestations de journalistes, soit à leur domicile, soit pendant leur mission. Certains sont toujours en détention, tandis que d'autres ont été libérés quelques heures ou quelques jours plus tard.

En Cisjordanie occupée, environ 117 journalistes ont été victimes d'agressions, de répression ou ont été interdits de reportage, en particulier dans des villes telles que Jénine et Jérusalem. Le rapport documente également la confiscation ou la destruction de matériel de travail dans 16 cas.

Le Syndicat conclut son rapport en réitérant son appel urgent au Conseil de sécurité des Nations unies pour qu'il agisse rapidement et adopte une résolution visant à mettre fin à ces massacres et au génocide en cours contre l'ensemble du peuple palestinien, y compris les journalistes.

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Turquie. Istanbul secouée par une imposante contestation

29 avril, par Ümit Dogän — , ,
Dans une Turquie fracturée, l'arrestation du maire d'Istanbul Ekrem İmamoğlu cristallise les tensions politiques, sociales et identitaires. La ville devient le théâtre d'une (…)

Dans une Turquie fracturée, l'arrestation du maire d'Istanbul Ekrem İmamoğlu cristallise les tensions politiques, sociales et identitaires. La ville devient le théâtre d'une contestation organisée, sous la bannière d'une opposition structurée. Un désir de justice et de démocratie que la répression menée par le président Recep Tayyip Erdoğan n'a pas entamé.

Tiré de orientxxi
22 avril 2025

Par Ümit Dogän

Un manifestant, masqué, lit un livre, face à des policiers en tenue anti-émeute.

Istambul, le 23 mars 2025. Un manifestant est assis ironiquement avec un livre « Un monde plus juste est possible » du président turc Recep Tayyip Erdogan devant des officiers de la police anti-émeute turque lors d'un rassemblement de soutien au maire d'Istanbul arrêté dans la municipalité d'Istanbul.
YASIN AKGUL / AFP

« Celui qui gagne Istanbul gagne la Turquie », proclamait Recep Tayyip Erdoğan. Ces propos, prononcés alors qu'il était maire d'Istanbul entre 1994 et 1998, résonnent encore comme une vérité fondamentale. La ville, véritable mosaïque de la Turquie, avec ses diverses communautés ethniques et socio-économiques, représente un enjeu stratégique pour les partis politiques (1). Elle est non seulement un baromètre électoral, mais aussi une clé du pouvoir central.

Lors de son élection à la mairie en 2019, Ekrem İmamoğlu, membre du Parti républicain du peuple (CHP), crée la surprise. Confirmé à la tête d'Istanbul lors des élections municipales de 2024, il incarne la contestation du pouvoir d'Erdoğan. En cohérence avec la droite ligne entre la mairie d'Istanbul et le palais présidentiel, il annonce le 21 février 2025 sa candidature à la prochaine présidentielle, en 2028. Le 19 mars, dans la foulée de l'annulation de leurs diplômes universitaires (2), İmamoğlu et plusieurs personnalités politiques sont arrêtées, ce qui déclenche une flambée de contestations à travers le pays. Le même jour, les rues et les universités d'Istanbul, Ankara et Izmir se remplissent de manifestants. Cette série d'événements culmine le 29 mars avec un meeting à Maltepe, à Istanbul, où près de 2,2 millions de personnes manifestent pour soutenir le leader de l'opposition et appeler à la fin de la répression du soulèvement populaire.

Le juge d'instruction qui a placé Ekrem İmamoğlu en détention provisoire a retenu le motif de « corruption », mais à ce jour, l'acte d'accusation n'a pas encore été rédigé ni de date de procès fixé. Quant au maire par intérim d'Istanbul et au CHP, ils sont soumis à une forme accrue de contrôle et de restriction de leur liberté d'action par le pouvoir central. Plusieurs membres du parti, y compris des maires comme celui de Beşiktaş (un des districts d'Istanbul), sont placés en détention.

Des institutions subordonnées au pouvoir exécutif

La capitale économique et culturelle se trouvait depuis plus de deux décennies sous le contrôle du Parti de la justice et du développement (AKP) dirigé par Erdoğan lorsque Ekrem İmamoğlu remporte la mairie le 31 mars 2019.

En raison d'une requête de l'AKP et du Parti d'action nationaliste (MHP) (3)
visant à annuler les résultats pour cause d'« irrégularités », un nouveau scrutin est organisé en juin 2019. İmamoğlu remporte l'élection avec une majorité élargie, obtenant 54,21 % des suffrages, soit un écart de plus de 800 000 voix, contre son principal rival, Binali Yıldırım, candidat de l'AKP. Erdoğan, qui a longtemps considéré Istanbul comme son fief, vit cette défaite comme un affront. Avec l'ampleur de l'écart de voix, İmamoğlu apparaît comme une figure incontournable de l'opposition, suscitant l'inquiétude de l'AKP.

Le président turc et l'AKP, bien qu'en position de force, n'hésitent pas à s'appuyer sur des outils institutionnels, notamment le Conseil électoral supérieur (Yüksek Seçim Kurulu, YSK), pour assurer leur emprise. En effet, depuis 2016, la politique de kayyum, qui permet de destituer des élus pour les remplacer par des administrateurs nommés, s'est étendue aux municipalités contrôlées par l'opposition, notamment dans celles que l'AKP a perdues. L'YSK paraît de plus en plus aligné sur les intérêts politiques de l'exécutif, de moins en moins indépendant. Cette pratique a progressivement sapé la légitimité de la plus haute institution judiciaire chargée du bon déroulement des élections. En janvier 2025, bien avant l'arrestation d'Ekrem İmamoğlu, la députée du CHP Aliye Coşar dénonçait déjà une justice instrumentalisée par le pouvoir, affirmant que « la volonté populaire est ignorée ». L'affaire İmamoğlu a renforcé cette perception d'institutions subordonnées au pouvoir exécutif.

L'arrestation d'İmamoğlu, ainsi que l'emprisonnement, depuis 2016, de Selahattin Demirtaş, ancien coprésident du Parti démocratique des peuples (HDP), prokurde, et candidat à la présidence en 2014 et 2018, mettent en lumière un aspect crucial de la politique turque : le musellement de la contestation et la neutralisation de quiconque peut représenter une alternative sérieuse à Erdoğan.

Question kurde, question démocratique

« Le problème kurde serait-il résolu si la Turquie devenait démocratique, ou la Turquie deviendrait-elle démocratique si le problème kurde était résolu ? », s'interroge l'ancien député et défenseur des droits humains Ahmet Faruk Ünsal. La lettre du leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) Abdullah Öcalan, lue le 27 février à Istanbul, vient y répondre : la démocratisation de la Turquie doit progresser de manière parallèle et indissociable avec la résolution de la question kurde. Il devient de plus en plus difficile de maintenir l'ambiguïté d'une « paix avec les Kurdes » tout en poursuivant une forme de confrontation avec la démocratie. L'appel d'Öcalan au désarmement et à la dissolution du PKK semble en suspens dans les dynamiques politiques actuelles. Selon ses déclarations, le PKK pourrait renoncer à la violence en échange de la construction d'une Turquie démocratique, avec des garanties juridiques. Cependant, l'arrestation d'İmamoğlu vient mettre à mal ce processus.

Le référendum constitutionnel de 2017 a modifié la structure politique de la Turquie en introduisant un système présidentiel fort. Cette réforme a donné à Erdoğan un contrôle presque total sur le gouvernement, mais elle limite également le nombre de mandats présidentiels à deux. En théorie, cette modification constitutionnelle empêche Erdoğan de briguer un troisième mandat, à moins qu'une nouvelle révision de la constitution ne soit adoptée. Cette incertitude est source de tensions politiques, notamment au sein de l'opposition.

Dans ce contexte, l'arrestation d'İmamoğlu semble être un coup stratégique visant à affaiblir la principale menace pour Erdoğan, tout en consolidant la légitimité de sa propre candidature pour un troisième mandat. À moins que cette dynamique ne vienne renforcer l'opposition…

La roue de l'histoire ?

La légitimité populaire d'Ekrem İmamoğlu s'est exprimée à travers les bureaux de présélection mis en place dans chaque province par le CHP, le parti d'opposition laïc et nationaliste d'où est issu Ekrem İmamoğlu. Plus de 15 millions de citoyens s'y sont rendus pour le désigner comme candidat du parti à la présidentielle de 2028, un chiffre huit fois supérieur au nombre officiel d'adhérents du CHP. Ce dépassement massif du cadre partisan ne relève pas seulement du symbole : il représente un coût politique réel pour l'AKP.

Les différentes actions menées par le CHP depuis l'arrestation d'İmamoğlu, telles que l'organisation de deux rassemblements hebdomadaires, une campagne de signatures pour réclamer la libération de son candidat, ainsi que les appels au boycott d'entreprises proches du pouvoir lancés depuis le 2 avril, témoignent clairement de la volonté de l'opposition de se structurer. Au lieu de se diviser, elle semble se renforcer, s'unissant autour d'un large consensus démocratique, ainsi que le démontre la rue : des centaines de milliers de manifestants, unis sous les bannières des partis d'opposition de plus en plus nombreuses, bravent la répression policière. « Taksim est partout, la résistance est partout ! », peut-on lire sur les banderoles (4).

En face, n'est-on pas en train d'assister à la fragilisation de l'alliance entre l'AKP et le Parti du mouvement nationaliste sur la question kurde ? En effet, le processus défendu par le MHP est à la fois directement et indirectement entravé par l'AKP, dont le contrôle des institutions et l'autoritarisme croissant freinent toute avancée véritable. Après la lutte acharnée qui a opposé le mouvement Gülen à l'AKP en 2013, suivie de la rupture définitive marquée par le coup d'État manqué du 15 juillet 2016, une dynamique similaire pourrait-elle survenir entre le MHP et l'AKP ?

« Vingt-quatre heures peuvent être très longues dans la politique en Turquie », disait Süleyman Demirel, ancien président de la Turquie. Peut-être, qui sait, le jour où « la roue Tournera » (5) approche-t-il enfin.

Notes

1. La Turquie, composée de 81 provinces, compte une population totale d'environ 86 millions d'habitants, dont près de 16 millions résident à Istanbul.

2. L'article 101 de la Constitution impose un diplôme universitaire pour accéder à la présidence — une exigence qui avait déjà barré la route à Bülent Ecevit en 1989.

3. Depuis le 20 février 2018, l'AKP et le MHP forment la coalition « Alliance du peuple » (Cumhur İttifakı), consolidant ainsi leur pouvoir commun et leur influence politique en Turquie.

4. En 2013, un important mouvement de contestation se développe autour du parc de Taksim Gezi. Il sera violemment réprimé et les manifestants chassés du parc. Le projet de transformation du parc en centre commercial a néanmoins été abandonné.

5. En référence au livre Et tournera la roue écrit depuis sa cellule par Selahattin Demirtaş (Collas, 2019)

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Au Liban, les camps de réfugiés au bord de l’effondrement

29 avril, par Salima Mellah — , , ,
Depuis l'offensive israélienne et le génocide en cours à Gaza, la mise en danger des réfugiés palestiniens s'étend de Gaza en passant par la Cisjordanie dont Jérusalem-Est, (…)

Depuis l'offensive israélienne et le génocide en cours à Gaza, la mise en danger des réfugiés palestiniens s'étend de Gaza en passant par la Cisjordanie dont Jérusalem-Est, jusqu'au Liban. Dans tous ces lieux, les camps de réfugiés sont soit particulièrement visés ou ont du moins été fortement affectés par l'agression militaire.

Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Camp de réfugiés de Shatila au Liban, mai 2019 © hardscarf

Selon un rapport publié par Thabit Organization for the Right of Return, environ 85 000 réfugiés palestiniens des camps du Liban, ce qui représente environ la moitié du nombre total, ont été déplacés des camps du sud de Sour (Tyr) ainsi que des camps de Beyrouth et du camp de Baalbek Galilée (Vawel). Entre le déclenchement de l'offensive contre le Liban en septembre 2024 et le cessez-le-feu fin novembre, au moins une centaine de Palestiniens ont été tués dans les bombardement des camps ou lors de combats avec les troupes israéliennes.

Selon Thabit, 41 % des personnes déplacées ont été réparties à Saïda, tandis que 16 % ont cherché refuge à Beyrouth, 37 % à Tripoli et 6 % dans les régions de la vallée de la Bekaa [1]. Ces déplacés ont été dans leur très grande majorité accueillis dans des familles car quasiment aucune structure n'était capable de leur fournir des abris.

Les conditions de vie dans les camps, déjà extrêmement difficiles en temps « normal », empirent en cas de situation d'urgence, comme ce fut le cas durant cette nouvelle guerre et continue de l'être à ce jour.

S'ajoute à cela que l'Unrwa est en grande difficulté financière pour assurer sa mission, ce qui suscite régulièrement le mécontentement des résidents et réfugiés concernés. Selon le rapport de l'Office daté du 24 octobre, un plan d'urgence avait été activé à partir du 24 septembre afin de créer 11 centres d'hébergement d'urgence dans le pays [2] pour accueillir un total de 3 679 personnes déplacées [3], ce qui était bien en deçà des besoins.

Les camps de Beyrouth

Dès le déclenchement de l'offensive israélienne contre le Liban, la banlieue sud de Beyrouth, la Dhahiyeh, a subi d'intenses bombardements. Les camps de Borj al-Barajneh et Shatila situés au sud de la capitale ont également été touchés.

Deux tiers des résidents ont dû fuir soit en ville chez des parents ou vers d'autres régions. D'autres sont restés, malgré les ordres d'évacuation lancés par l'agresseur, ne sachant où aller, tandis que des dizaines de familles étrangères au camp de Shatila y avaient cherché refuge. Quelques associations locales ont bien tenté de soulager la détresse des plus démunis, en particulier de ceux qui nécessitaient des soins, le dispensaire de l'Unrwa ayant été fermé et les hôpitaux libanais ne prenant pas en charge les réfugiés palestiniens.

Le seul camp relativement sûr et qui a conservé ses structures sociales et organisationnelles, est le petit camp Mar Elias, situé dans Beyrouth. Des centaines de familles palestiniennes, libanaises et syriennes, forcées de fuir le Sud-Liban et le sud de Beyrouth, y ont trouvé refuge. L'Unrwa est resté sur place avec son dispensaire et assurait le service de traitement des déchets, mais n'y avait pas installé de centre d'hébergement officiel. Le camp a pu faire face au défi que représente l'accueil de ces réfugiés, même si évidemment les problèmes étaient énormes.

Les camps du sud

Les camps de Rashidiyeh (l'un des plus grands), d'al-Buss et de Burj al-Shamali (l'un des plus pauvres) et les regroupements de la région de Sour (Tyr) étaient également ciblés depuis le 23 septembre 2024 puisque l'armée israélienne projetait d'instaurer une zone tampon de la frontière au fleuve Litani. Des bombardements ont causé des morts et des blessés.

Les déplacements forcés ont commencé dès cette date et se sont accentués lorsque l'armée israélienne a émis le 31 octobre un ordre d'évacuation immédiate des villages du sud de Sour, des camps de Rashidiyeh et Burj al-Shamali ainsi que des regroupements de Shabriha, Jal Al-Bahr, et Al-Qasimiya. Des milliers de Libanais, Syriens et Palestiniens confondus, se sont déplacés, quand ils le pouvaient, vers le centre-ville de Sour ou les camps du nord du pays, Beddawi et Nah el-Bared. Près de la moitié des habitants ont quitté les camps alors que peu avant des Libanais ayant fui le Sud s'y étaient réfugiés. L'Unrwa a indiqué avoir suspendu la plupart de ses opérations dans cette région, y compris ses services de santé, en raison de la détérioration de la situation sécuritaire et du déplacement de son personnel.

À Rashidiyeh, la détérioration des poteaux à haute tension avait entraîné la coupure de l'électricité. Des milliers de familles de ce camp vivent de la pêche, mais l'armée israélienne visait des pêcheurs et le bord de mer avant même d'ordonner l'évacuation. Les ouvriers agricoles, eux non plus, ne pouvaient plus travailler en raison de l'insécurité et des destructions des cultures. Le camp d'al-Buss situé à quelques encablures était logé à la même enseigne. Il a de plus été directement visé par une frappe israélienne fin septembre, tuant un dirigeant politique et sa famille.

Situé au sud de la ville de Saida, le camp de Ain al-Hilweh, le plus grand de tous, a accueilli des milliers de déplacés dans des conditions extrêmement difficiles en raison du surpeuplement, du manque de moyens de subsistance et de soins. L'Unrwa a pris en charge dans des écoles et autres lieux à Saida plus de 400 familles de déplacés, ce qui était bien insuffisant.

Les autres camps

Lorsque la plaine de la Bekaa a également été prise pour cible par l'armée israélienne, le petit camp al-Jalil (Wavel) a subi lui aussi un afflux de réfugiés qu'il peinait à contenir. De 8 000 habitants il était passé à 12 000, alors que la promiscuité et la pauvreté y étaient déjà très répandues. Des familles syriennes et libanaises y ont trouvé refuge quand les alentours ont été bombardés. Des familles du camp al-Jalil ont fui vers d'autres régions de l'ouest et du centre de la vallée de la Bekaa, ou se sont rendues dans la ville de Tripoli.

Si des bombardements ciblés ont fait des victimes dans les deux camps du Nord, Beddawi et Nahr el-Bared, la région n'a pas connu de feu incessant. Beddawi, un petit camp de moins de 10 000 habitants, a accueilli le plus grand nombre de déplacés (près de 30 000) en plus de ceux de Nahr el-Bared qui avaient dû fuir leur camp en 2007. Parmi ces réfugiés, des milliers de familles syriennes et libanaises déplacées du Sud-Liban [4]. Le camp Nahr el-Bared, totalement détruit en 2007, n'a toujours pas été entièrement reconstruit mais a également accueilli des nouveaux réfugiés. L'Unrwa y avait installé des abris pour environ 350 familles.

Mi-octobre, l'Unrwa avait annoncé vouloir travailler avec des partenaires locaux pour fournir un soutien et des services aux personnes déplacées accueillies dans ses centres d'hébergement depuis l'activation du plan d'intervention d'urgence [5].

Ces partenariats ont été mis en place dans un contexte de protestations des réfugiés qui considéraient que le plan d'urgence n'était pas mis en œuvre, alors que des locaux de l'Office dans les camps de Rashidiyeh et Burj al-Shamali avaient été fermés et que tous les services de santé et d'aide avaient disparu. Ces partenaires, parmi lesquels Najdeh et Beit Atfal as-Soumoud, des organisations avec lesquelles collabore l'AFPS, ont contribué à fournir des services comprenant la distribution de nourriture, les soins de santé et le soutien psychosocial, très insuffisants face aux énormes besoins de cette population.

Et maintenant ?

La situation au sud du Liban reste très incertaine en raison de la poursuite des bombardements de l'armée israélienne malgré le cessez le feu. La vie des réfugiés palestiniens a été fortement déstructurée par cette nouvelle offensive militaire. La précarité dans laquelle ils vivaient auparavant n'a fait que s'accentuer. La plupart continuent de dépendre totalement des aides des organisations internationales ou des association locales, tandis que l'Unrwa ne peut porter secours qu'à une infime partie d'entre eux. Même si les réfugiés ont progressivement retrouvé leurs camps, il faudra un certain temps avant de rétablir la situation d'avant la guerre. Si les maisons des camps n'ont pas été entièrement détruites, nombre d'entre elles ont subi de tels dommages qu'elles ne peuvent plus être habitées, mais faute d'alternatives, les familles sont contraintes d'y rester.

Beaucoup ont perdu leurs moyens de subsistance. Au sud, les ouvriers agricoles ne peuvent travailler car les terres sont soit détruites soit polluées. Les pêcheurs ont souvent perdu leurs outils de travail. Les employés dans le bâtiment n'ont pas encore pu reprendre leur activité en raison de la forte détérioration de la situation économique du pays. En conséquence, de nombreux rassemblements sont organisés devant les locaux de l'Unrwa dans le sud du pays pour exiger l'amélioration de leurs conditions de vie, la mise en place de plans d'urgence et de services de santé, car la plupart des réfugiés ne peuvent plus subvenir seuls aux besoins de leurs familles.

Le Liban, qui à l'issue de cette nouvelle guerre d'Israël s'est doté de nouveaux Président de la République et Chef du gouvernement, tente de sortir de l'instabilité politique chronique et de la crise économique endémique. Dans ce contexte, le projet inconcevable de Trump de déportation de la population de la Bande Gaza vers les pays voisins alerte au plus haut point les responsables. Déjà ils anticipent un nouvel exode de Palestiniens vers le Liban mais, plutôt que de refuser catégoriquement tout nettoyage ethnique dans Gaza, le Président Joseph Aoun « a plaidé pour une solution concertée impliquant plusieurs acteurs internationaux, en insistant sur la nécessité d'un plan global de répartition des réfugiés, afin que leur accueil ne repose pas exclusivement sur les pays frontaliers d'Israël ». Il demande d'ores et déjà des aides internationales pour y faire face6 [6]. Il faut agir pour que ce projet démoniaque ne voie pas le jour..

Notes

[1] L'article faisant état de ce rapport date du 22 octobre 2024. Le rapport lui-même n'a pas été publié sur le site web de cette organisation. Lire en arabe

[2] Un à Beyrouth, un dans la Beqaa, cinq à Nahr el-Bared et quatre à Saida

[3] https://refugeesps.net/post/29194

[4] Le 28 octobre 2024, en arabe

[5] Mis en place dès l'offensive israélienne, il consiste à mettre à l'abri des familles déplacées et assurer une assistance

[6] Libnanews

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Pourquoi Trump est en train de perdre sa guerre commerciale avec la Chine

La surenchère sur les droits de douane engagée depuis le 9 avril entre les Etats-Unis et la Chine commence à être remise en cause dès le 13 avril. La Maison Blanche vient (…)

La surenchère sur les droits de douane engagée depuis le 9 avril entre les Etats-Unis et la Chine commence à être remise en cause dès le 13 avril. La Maison Blanche vient d'exempter tous les produits électroniques chinois de droits de douane. D'autres mesures vont probablement suivre et la pression pour trouver au moins un compromis partiel va devenir extrêmement forte.

Tiré de Asialyst
15 avril 2025

Par Hubert Testard

La guerre commerciale Chine/ Etats-Unis. Crédit iStock Photo.

« C'était une erreur pour la Chine de pratiquer des rétorsions. Quand l'Amérique prend un coup, elle rend un coup encore plus fort, et c'est la raison pour laquelle nous appliquerons 104% de droits de douane supplémentaires » déclare Karoline Leavitt, porte-parole du gouvernement américain, dans son point de presse du 8 avril. Les annonces successives des deux côtés portent à 145% côté américain et 125% côté chinois le niveau des droits de douane dès le 11 avril.

Aucune déclaration à la presse n'accompagne la volte- face du 13 avril sur les produits électroniques chinois. Les smartphones, ordinateurs, écrans plats, disques durs, tablettes, équipements pour semi-conducteurs, échappent désormais aux rétorsions visant la Chine. L'« executive order » de la Maison Blanche liste la quinzaine de positions douanières concernées qui représentent collectivement un peu plus de 100 milliards de dollars d'importations en provenance de Chine, soit 18% des importations totales. Le porte-parole du ministère du commerce chinois qualifie cette décision de « petit pas ». Il s'agit en fait d'un grand trou dans la raquette protectionniste américaine. Donald Trump rétorque que cette mesure est temporaire et que des taxes sur les semi-conducteurs seront bientôt décidées.

Le piège inflationniste

Parmi les nombreuses erreurs commises par les stratèges de la politique commerciale américaine figure l'idée selon laquelle les Etats-Unis ont moins à perdre que la Chine car le niveau de leurs exportations vers ce pays est beaucoup plus faible que celui des exportations chinoises. C'est un calcul qui ne tient pas compte de plusieurs pièges, dont le premier est celui de l'inflation.

Si Donald Trump renonce à taxer les exportations électroniques chinoises, ce n'est pas pour faire un geste vis-à-vis de Pékin. C'est parce que la big tech américaine et les grands distributeurs lui ont fait comprendre que l'impact inflationniste des sanctions sera particulièrement fort dans ce secteur.

Prenons l'exemple de l'iPhone, qui représente à lui seul 51 milliards d'importations en provenance de Chine en 2024 selon les données de l'International Trade Center. Une taxation à 145% des iPhones en provenance de Chine ferait monter leur prix sur le marché intérieur américain d'au moins 90%, d'après les experts du secteur, même si Apple réduit ses marges aux Etats-Unis et les augmente ailleurs. On passerait à partir du mois de juin, une fois les stocks épuisés, de 1 200 dollars à 2 300 dollars, ce qui constituerait une magnifique opportunité pour Samsung, le principal concurrent d'Apple. Comme 85% des iPhones sont assemblés en Chine, relocaliser la production dans d'autres pays n'est pas jouable dans des délais raisonnables. Localiser aux États-Unis le serait encore moins car le coût d'un iPhone produit sur le marché américain pourrait atteindre 3000 dollars. Au-delà des iPhones, la Chine fournit beaucoup d'ordinateurs (36 milliards de dollars en 2024) et de produits électroniques à bas prix. Là encore l'impact inflationniste des taxes est immédiat et puissant. Un sondage auprès d'un panel de consommateurs américains publié le 10 avril par l'Université du Michigan montre que l'anticipation moyenne des hausses des prix est de 6,7% sur les douze prochains mois. Le président de la Banque Fédérale de New-York prévoit pour sa part un rythme d'inflation à hauteur de 4% en 2025 alors que la cible d'inflation de la FED est de 2%.

La Chine court en revanche nettement moins de risques inflationnistes. Ses importations en provenance des États-Unis représentent moins de 1% de son PIB. Par ailleurs l'économie chinoise est actuellement en déflation et une hausse des prix importés ne présente pas de risque majeur pour l'équilibre macro-économique du pays.

Et l'inflation n'est pas le seul piège dans lequel Donald Trump est tombé.

La Chine gagnante au jeu des dépendances réciproques

Taxer les produits chinois à 145% veut dire deux choses : qu'on peut trouver d'autres débouchés aux produits américains (taxés à 125% sur le marché chinois) et que l'on peut se passer des produits chinois. Commençons par la question des débouchés avec quelques exemples.

La Chine est de très loin le premier marché des exportateurs de soja américains ; 12,8 milliards de dollars en 2024, soit plus de 50% du total. Le second marché d'exportation est l'Union européenne, avec seulement 2,4 milliards de dollars. On voit mal l'UE multiplier par cinq ou six ses importations de soja pour permettre aux exportateurs de soja américains de compenser la perte du marché chinois. La Chine en revanche n'importe que 21% de son soja des Etats-Unis, loin derrière le Brésil et un peu devant l'Argentine. Pékin peut renforcer ses partenariats latino-américains et se passer du soja américain.

Ce qui est vrai pour le soja l'est aussi pour le coton. Le marché chinois est également le premier client du coton américain, avec 35% des exportations américaines. Les États-Unis sont aussi le premier fournisseur de la Chine. Mais seulement un quart du coton vendu en Chine est importé, et le choc produit par les taxes énormes sur les exportations de textile-habillement chinois vers les Etats-Unis vont faire chuter la demande de coton. Entre chute de la demande et diversification des fournisseurs, la Chine peut faire face.

Les exportateurs de soja et de coton américain sont situés en majorité dans des États qui votent républicain comme l'Iowa, l'Indiana ou le Nebraska pour le soja, le Texas, le Mississippi ou l'Arkansas pour le coton. Les lobbies agricoles de ces États vont exercer une pression maximale sur Washington pour négocier avec Pékin.

Sur la question « peut-on se passer des produits chinois ? », un exemple emblématique est celui des jouets, où la Chine représente 60% des importations américaines. Imagine-t-on des fêtes de fin d'année aux Etats-Unis où les jouets coûteraient deux fois plus cher ou seraient indisponibles ? Quelle alternative est possible alors que le Vietnam, deuxième fournisseur, est lui-même menacé de 46% de droits de douane ?

Un autre exemple, plus stratégique pour les industries de pointe américaines, est celui des terres rares. La Chine produit 70% des terres rares mondiales et raffine 90% des métaux qui en sont issus. Elle fournit 70% des importations américaines de terres rares. Or en réponse aux surtaxes américaines, elle vient de mettre sur une liste d'exportations de matériels à double usage (civil et militaire) sept éléments de terres rares dits « lourds », qui sont utilisés dans l'aéronautique civile et militaire (les missiles par exemple) et dans des composants utilisés par les serveurs d'intelligence artificielle. Ces restrictions se traduisent par un arrêt de facto des exportations vers le monde entier jusqu'à ce qu'un dispositif de traçage complet soit mis en place. Elles font suite à l'interdiction d'exportation vers le marché américain du germanium et du gallium décidée en décembre 2024. Même si Washington dispose certainement de réserves pour les métaux les plus sensibles, l'étau se resserre et la pression pour une négociation va s'accroître.

Il y a bien sûr des secteurs où la dépendance réciproque est moins favorable à la Chine. Dans le domaine du textile-habillement , elle représente un quart des importations américaines. C'est beaucoup. Mais d'autres fournisseurs asiatiques pourraient prendre une partie des places perdues par les exportateurs chinois. Ceci suppose que ces autres fournisseurs, en particulier le Vietnam, l'Inde, le Bangladesh, ne soient pas eux-mêmes lourdement taxés dans 90 jours. On peut donc s'attendre à des « deals » avec les concurrents de la Chine permettant de diminuer la pression sur les prix intérieurs aux Etats-Unis.

Contrairement à Donald Trump, Xi Jinping n'a rien promis

Un autre élément sous-estimé par la Maison Blanche est la bataille de la communication et, derrière elle, la capacité de chacune des opinions publiques à résister au choc de la guerre commerciale. Trump s'est beaucoup engagé vis-à-vis des électeurs américains pour réduire l'inflation, créer des emplois et enrichir le pays, promettant un nouvel eldorado comme on n'en a jamais vu. Or ce qui se produit – hausse des prix, panique des consommateurs et des entreprises, crise boursière – va exactement en sens contraire de ses promesses. La presse américaine est (encore) libre et fait bien son travail pour souligner toutes les incohérences de l'administration et tous les risques qu'elle fait peser sur l'économie du pays.

Xi Jinping n'a rien promis. Il s'est présenté – aux yeux du peuple chinois et de l'opinion publique mondiale – comme le garant de l'ordre international et du respect des règles. Et il l'a fait avec de solides arguments. Son porte-parole qualifie de « farce » l'accumulation réciproque de sanctions commerciales. Le Parti communiste chinois contrôle entièrement la presse et les réseaux sociaux du pays et peut bâtir tranquillement un narratif mettant sur le compte de l'agression américaine une grosse part des difficultés de l'économie chinoise présente et à venir.

Le slogan « se battre jusqu'au bout » est simple et efficace, au moins à court terme. Dans quelques mois les dégâts économiques seront tels de part et d'autre – on évoque déjà une récession américaine et une croissance chinoise divisée par deux – que la recherche d'un compromis devrait s'imposer. Sur le terrain financier, la menace agitée par la Maison Blanche d'une sortie de la cote des entreprises chinoises sur les bourses américaines pourrait avoir un coût de 2 500 milliards de dollars, selon la banque d'affaires Goldman Sachs.

L'Impossible accord global

Si l'on fait un bref rappel historique, les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis ont connu trois grandes phases. La première, en 2018-2019, portait sur une première série de sanctions concernant plus de la moitié des exportations chinoises. Après une négociation qui a duré 18 mois, les deux pays sont parvenus à un accord dit de « première phase » en janvier 2020. Les tensions se déplacent ensuite sur le terrain technologique, avec l'élimination de Huawei et d'autres entreprises de la high-tech chinoise du marché américain. Par ailleurs Washington orchestre une campagne globale pour bloquer les exportations vers la Chine des semi-conducteurs de dernière génération et des équipements permettant de les fabriquer. Cette campagne a été surtout menée par l'administration Biden. Nous entrons depuis janvier 2025 dans une troisième phase qui est celle d'un découplage forcé et quasi-total entre les deux économies.

L'accord de « première phase » avait donné quelques résultats. La Chine a sensiblement renforcé son dispositif légal de protection de la propriété intellectuelle et de lutte contre les transferts technologiques forcés. Elle a davantage ouvert le marché chinois aux produits agricoles, aux produits énergétiques et aux services financiers américains. Mais la progression des exportations américaines est restée très en deçà de l'objectif ambitieux qui avait été fixé (200 milliards de dollars d'exportations supplémentaires, soit plus qu'un doublement des exportations américaines) et la pandémie a fortement perturbé les échanges bilatéraux.

Il paraît difficile pour Washington et pour Pékin de simplement revenir à la logique de l'accord dit de « première phase ». Sur le chapitre agricole par exemple, le potentiel d'exportations américain n'est pas extensible à l'infini. Tous les pays avec lesquels Washington négocie actuellement vont sans doute faire quelques concessions agricoles pour obtenir un « deal ». On ne voit pas très bien ce qui restera à négocier avec la Chine dans quelques mois. Sur le terrain des services financiers, il s'agit surtout d'éviter pour le moment une nouvelle crise avec la menace d'une sortie de la cote des entreprises chinoises sur les bourses américaines qui se traduirait par d'inévitables rétorsions chinoises avec en arrière-plan la menace qui pèse sur les bons du trésor américains.

Alors que la stratégie de Biden sur les semi-conducteurs était construite, ciblée et fondée sur des accords avec les partenaires occidentaux du pays, celle de Trump est particulièrement brouillonne puisque le projet de taxation des semi-conducteurs s'appliquerait au monde entier, avec l'espoir vain de relocaliser la production aux Etats-Unis.

La désescalade avec Pékin prendra sans doute d'abord des formes « simplistes », avec des exemptions supplémentaires là où la pression devient trop forte d'un côté comme de l'autre, ou une réduction concertée du niveau des sanctions réciproques. Une stratégie de négociation plus sophistiquée reste entièrement à inventer côté américain.

Par Hubert Testard

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Israël pousse la crise de l’eau à Gaza à son extrême

[En date du 19 décembre 2024, Human Rights Watch publiait déjà un rapport intitulé « Actes d'extermination et de génocide. Israël prive délibérément les Palestiniens de Gaza de (…)

[En date du 19 décembre 2024, Human Rights Watch publiait déjà un rapport intitulé « Actes d'extermination et de génocide. Israël prive délibérément les Palestiniens de Gaza de l'accès à l'eau ». Le rapport concluait : « La situation documentée dans le présent rapport montre que les autorités israéliennes, au plus haut niveau, sont responsables de la destruction, y compris la destruction délibérée, des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'assainissement, de l'entrave à la réparation des infrastructures endommagées et de la coupure ou de la restriction sévère de l'approvisionnement en eau, en électricité et en carburant.

Tiré d'À l'encontre.

Ces actes ont probablement causé la mort de milliers de personnes et continueront probablement de causer des morts à l'avenir, y compris après la cessation des hostilités. Ces politiques restent en vigueur et se poursuivent, malgré les nombreux avertissements adressés aux responsables israéliens quant à leur impact, notamment par la Cour internationale de justice. Par conséquent, Human Rights Watch estime que les politiques israéliennes ont constitué la création intentionnelle de conditions de vie calculées pour provoquer la destruction d'une partie de la population civile de Gaza. Cela s'inscrit dans le cadre d'un massacre de membres de la population civile et, en tant que politique d'Etat, constitue une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile. Par conséquent, tous les éléments constitutifs du crime contre l'humanité d'extermination sont réunis. Les responsables israéliens sont responsables du crime d'extermination et d'actes de génocide. » – Réd. A l'Encontre)

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Wissam Badawi passe ses journées à attendre et à écouter, dans l'espoir d'entendre le klaxon caractéristique d'un camion-citerne entrant dans son quartier. Ces camions, conduits par des bénévoles locaux, sont devenus la dernière bouée de sauvetage de cette mère de huit enfants, âgée de 49 ans, ainsi que de milliers de Palestiniens et Palestiniennes de la ville de Gaza, dans un contexte de crise de l'eau de plus en plus grave causée par l'offensive israélienne en cours dans la bande de Gaza.

« La plupart des canalisations d'eau ont été détruites par les bulldozers de l'armée israélienne, et la municipalité ne peut pas les réparer » [de plus, les bulldozers sont très souvent détruits pas l'armée], a déclaré Wissam Badawi, qui vit dans le quartier de Tel Al-Hawa, à +972. « Il n'y a pas de puits à proximité, je dois donc envoyer mes enfants à la mer pour aller chercher de l'eau pour notre consommation quotidienne. Ensuite, j'attends l'arrivée du camion pour mélanger l'eau propre avec l'eau de mer afin de réduire sa salinité et la rendre potable. »

En raison de la pénurie extrême, le prix de l'eau sur les marchés de Gaza a explosé. « Le prix d'un gallon [3,7 litres] d'eau varie entre 5 et 8 NIS [1,30 à 2,20 dollars]. Nous avons besoin d'environ cinq gallons par jour pour boire et cuisiner, et j'ai du mal à me le permettre. De plus, personne ne vend d'eau dans notre quartier. Si aucun camion n'arrive, je dois marcher longtemps pour en acheter. »

Dans les zones où il n'y a pas de camions pour acheminer l'eau, de nombreux Gazaouis sont contraints de marcher pendant des kilomètres et de faire la queue pendant des heures pour remplir un seul récipient à un point d'eau. Mais même ceux-ci se font de plus en plus rares, ayant été bombardés ou rendus inaccessibles par les ordres d'évacuation israéliens. L'Unicef a averti que la crise de l'eau dans la bande de Gaza avait atteint « un niveau critique » (11 mars 2025, « Nine out of 10 Gazans unable to access safe drinking water »), soulignant que seule une personne sur dix avait actuellement accès à l'eau potable.

Cette crise n'est pas un effet secondaire de l'offensive israélienne, mais plutôt un objectif délibéré de celle-ci. Selon les données du Bureau des informations du gouvernement de Gaza, l'armée israélienne a détruit 719 puits depuis le 7 octobre. Le 10 mars, Israël a coupé le reste de l'approvisionnement en électricité de Gaza (AP, 10 mars 2025), forçant la plus grande usine de dessalement de la bande de Gaza à réduire ses activités. Quelques jours plus tard, la deuxième plus grande usine a été mise hors service en raison d'une pénurie de carburant résultant du blocus total imposé par Israël sur l'enclave.

Une autre usine, celle de Ghabayen, dans la ville de Gaza, a été bombardée début avril. Et le 5 avril, Israël a coupé l'approvisionnement en eau de Gaza par la société israélienne Mekorot, qui fournissait près de 70% de l'eau potable de la bande de Gaza.

Ahmad Al-Buhaisi, un vendeur d'eau de 22 ans originaire de Deir Al-Balah, dans le centre de Gaza, qui s'approvisionnait à l'usine de dessalement Aquamatch, a déclaré : « La fermeture de la station n'a pas seulement coupé mon gagne-pain, elle a également privé de nombreux citoyens et citoyennes de la possibilité d'accéder à de l'eau potable et propre. »

Il explique que les gens le contactent sans cesse pour lui demander d'apporter de l'eau chez eux, et qu'il ne peut que s'excuser et leur dire qu'il n'y a plus aucune usine de dessalement en activité. « Je suis toujours à la recherche d'un puits en état de marche où je pourrais acheter de l'eau potable », dit-il. « Mais les prix ont considérablement augmenté, et il est devenu difficile pour nous d'acheter et de revendre ensuite cette eau au public. »

« Ils détruisent tous les moyens de subsistance »

L'usine de dessalement de Ghabayen, une installation privée qui alimente certaines parties de la ville de Gaza et de Jabalia, était l'une des sources d'eau vitales du nord de Gaza. Le 4 avril, l'armée israélienne l'a bombardée pour la troisième fois depuis le début de la guerre, tuant Majd Ghabayen, le fils de l'un de ses propriétaires. Il se trouvait à l'intérieur de la station et son corps a été déchiqueté par les tuyaux et les réservoirs.

« Chaque fois que l'armée a bombardé l'installation, cela a causé des destructions massives », a déclaré Ahmad Ghabayen, le frère cadet de Majd, à +972. « Pourtant, nous sommes toujours revenus et avons réparé ce que nous pouvions avec l'argent et les ressources dont nous disposions, juste pour fournir de l'eau à la population. »

Mais la dernière frappe a été différente. « Cette fois-ci, le puits lui-même a été visé par un missile très puissant qui l'a complètement détruit. On nous a dit qu'il serait difficile de creuser un nouveau puits car la contamination causée par le missile le rendait inutilisable. »

« Israël n'a pas seulement visé une installation de distribution d'eau ; il a détruit une partie de la vie de ma famille et privé des milliers de personnes d'eau », a-t-il poursuivi. « La station desservait de vastes zones d'Al-Tuffah, Shuja'iyyah, Al-Daraj, Sheikh Radwan et Jabalia. Les gens venaient de loin pour remplir des bidons d'eau. Ils détruisent tout ce qui constitue notre bouée de sauvetage. »

Le bombardement de la station de Ghabayen s'inscrit dans une politique systématique menée par Israël depuis le début de la guerre : cibler délibérément les puits d'eau et les infrastructures qui y sont reliées, et couper l'approvisionnement en eau qui alimentait autrefois Gaza via des canalisations israéliennes.

Wael Abu Amsha, 51 ans, père de sept enfants et l'un des bénéficiaires de la station, a déclaré que le bombardement représentait un « coup dur » pour des centaines de familles qui en dépendaient comme principale source d'eau. « Après le bombardement, nous avons commencé à chercher une autre source. Nous avons trouvé une autre station, mais elle est loin, à environ une demi-heure de marche, et son eau n'est pas vraiment propre. Mais nous sommes obligés de la boire. Nous bénéficions de la station en achetant de l'eau potable à un prix qui n'a pas changé depuis avant la guerre, et souvent, elle était distribuée gratuitement. De l'eau salée était également distribuée gratuitement toute la journée, ce qui nous a aidés après que l'armée [israélienne] a détruit les canalisations qui fournissaient l'eau de la municipalité. Maintenant, nous n'avons plus aucune source d'eau. »

« Les gens souffrent », poursuit Abu Amsha. « Je marche longtemps et j'attends des heures juste pour remplir un gallon d'eau pour ma famille, ce qui n'est même pas suffisant. Nous finissons par le mélanger avec de l'eau provenant d'une autre station, dont l'eau n'est pas propre à la consommation mais qui est plus proche que la première. Nous n'avons pas d'autre solution. »

Une catastrophe sanitaire

La crise de l'eau n'entraîne pas seulement la soif, elle a également un impact direct sur la santé des personnes souffrant de maladies. Samar Zaarab, une patiente atteinte d'un cancer, âgée de 45 ans, originaire de Khan Younès qui vit actuellement dans une tente à Al-Mawasi, nous a déclaré que la pénurie d'eau exacerbait ses douleurs quotidiennes. « Mon corps affaibli a désespérément besoin d'eau potable. Depuis que j'ai été déplacée il y a quelques jours, mes souffrances ont augmenté. Les camions-citernes ne nous approvisionnent pas, et la petite quantité d'eau que nous obtenons ne suffit même pas pour les besoins quotidiens les plus élémentaires comme la toilette et le nettoyage. Sans hygiène, ma maladie s'aggrave. Si je ne meurs pas de la maladie, ce sera du manque d'eau potable. »

Zuhd Al-Aziz, conseiller du vice-ministre de l'administration locale de Gaza, a déclaré à +972 qu'après la coupure de l'électricité dans la bande de Gaza par Israël et la fermeture forcée de la plupart des usines de dessalement et de traitement de l'eau, toute la population est confrontée à une « crise humanitaire catastrophique ».

Selon Zuhd Al-Aziz, l'armée israélienne a directement pris pour cible les générateurs de secours, rendant extrêmement difficile le maintien des installations en activité : « 85% des sources d'eau douce à Gaza ont été détruites, obligeant les habitants à utiliser de l'eau polluée et impropre à la consommation. Environ 90% des stations de dessalement privées et publiques – 296 au total – ont cessé de fonctionner, soit parce qu'elles ont été directement prises pour cible, soit en raison de pénuries de carburant. Cinq grandes installations de traitement des eaux usées ont également cessé de fonctionner, ce qui a accru les risques de contaminations environnementales et d'épidémies. »

Assem Al-Nabeeh, porte-parole de la municipalité de Gaza, a décrit la crise en des termes tout aussi alarmants. « L'occupation israélienne a détruit plus de 64 puits dans la seule ville de Gaza, ainsi que plus de 110 000 mètres linéaires de réseaux d'adduction d'eau, ce qui a entraîné une forte baisse de l'approvisionnement en eau disponible. Actuellement, seuls 30 puits sont en service, et ils ne peuvent même pas répondre à une fraction des besoins de la population, en particulier avec l'afflux de personnes déplacées provenant des districts du nord. »

« La municipalité s'efforce de trouver des solutions malgré des ressources extrêmement limitées, mais les dégâts sont énormes et ne peuvent être compensés dans le cadre du blocus et des bombardements actuels », a-t-il poursuivi. Il n'y a ni carburant ni pièces de rechange, ni pour les générateurs ni pour les pompes des puits. Les puits ne peuvent pas fonctionner 24 heures sur 24. Environ 61% des ménages dépendent désormais de l'achat d'eau potable auprès de sources privées coûteuses, ce qui est un indicateur dangereux de l'effondrement du système public d'approvisionnement en eau. »

Al-Nabeeh a souligné que la crise de l'eau coïncide avec une aggravation de la faim, un blocus continu, une hausse des températures et une détérioration de la situation sanitaire et environnementale causée par l'accumulation des déchets et les fuites d'égouts, autant de facteurs qui constituent une menace directe pour la vie des habitants, en particulier ceux qui n'ont pas accès à l'eau pour la stérilisation, l'hygiène ou la cuisine.

Bien qu'il soit impossible d'obtenir des chiffres exacts, Al-Nabeeh estime que l'approvisionnement quotidien moyen en eau est tombé à 3-5 litres par personne et par jour, ce qui est nettement inférieur aux 15 litres considérés comme le minimum nécessaire pour boire, cuisiner et se laver afin de préserver la santé publique en cas d'urgence.

« La pénurie d'eau est connue pour favoriser la propagation d'épidémies et de maladies cutanées et intestinales », a-t-il ajouté. « Et si l'interdiction des carburant et des sources d'énergie nécessaires au fonctionnement des installations essentielles se poursuit, cela pourrait entraîner une interruption massive de l'approvisionnement en eau et du fonctionnement des infrastructures d'assainissement, aggravant encore la catastrophe humanitaire et sanitaire dans la ville. »

En réponse à la questino de +972, l'armée israélienne a déclaré qu'à la suite de la coupure de la conduite d'eau dans le nnord de Gaza, « quelques jours après l'incident, l'arrivée des équipes de l'Autorité palestinienne de l'eau dans la zone a été coordonnée afin de lancer le processus de réparation, et l'armée israélienne a réparé la conduite d'eau afin d'assurer un raccordement immédiat et correct ». L'armée a également souligné que « le système d'approvisionnement en eau de la bande de Gaza repose sur diverses sources d'eau, notamment des puits et des installations de dessalement locales réparties dans toute la bande de Gaza, y compris dans la zone nord. » L'armée n'a pas répondu aux questions concernant ses bombardements de puits et d'installations de dessalement. (Article publié sur le site israélien-palestinien +972 le 23 avril 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)


Ibtisam Mahdi est une journaliste indépendante originaire de Gaza, spécialisée dans les questions sociales, en particulier celles concernant les femmes et les enfants. Elle travaille également avec des organisations féministes à Gaza dans les domaines du reportage et de la communication.

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Interdiction de l’UNRWA : la Cour internationale de justice examine un nouveau recours contre Israël

La Cour internationale de justice a été saisie d'une demande d'avis consultatif sur la légalité des attaques israéliennes contre l'ONU. Voici quelques explications sur cette (…)

La Cour internationale de justice a été saisie d'une demande d'avis consultatif sur la légalité des attaques israéliennes contre l'ONU. Voici quelques explications sur cette affaire et son importance.

Tiré d'Agence médias Palestine.

La Cour internationale de justice (CIJ) a entamé lundi des audiences sur l'obligation d'Israël de garantir l'acheminement de l'aide aux Palestiniens dans la bande de Gaza assiégée. Depuis mars, Israël bloque toute aide à destination de Gaza et, depuis huit semaines, ni nourriture, ni eau, ni médicaments ne parviennent à ses 2,3 millions d'habitants.

Cette affaire fait suite à l'interdiction par Israël, en octobre, de l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), un événement qui a suscité l'indignation mondiale et des appels à l'expulsion de l'ONU d'Israël, accusé d'avoir violé la charte fondatrice de l'organisation, en particulier les privilèges et immunités dont jouissent les agences des Nations unies.

Les audiences de la CIJ coïncident avec la poursuite de l'interdiction par Israël de l'aide humanitaire à la bande de Gaza depuis le 2 mars (plus de 50 jours) et l'intensification des attaques militaires qui ont tué des centaines de civils depuis la rupture du cessez-le-feu le 18 mars.

Il s'agira de la troisième affaire d'avis consultatif depuis 2004 portée devant la Cour internationale de justice concernant les violations du droit international par Israël.

Une quarantaine d'États, dont la Palestine, présenteront leurs preuves devant la Cour entre le 28 avril et le 2 mai. Le principal allié d'Israël, les États-Unis, doit s'exprimer au Palais de la Paix le mercredi 30 avril.

« Pour ceux qui croient en l'organisation internationale et aux Nations unies, et qui souhaitent les protéger contre les actions unilatérales et la destruction, cette affaire ne saurait être plus importante », a déclaré le professeur Eirik Bjorge, spécialiste en droit international à l'origine de la demande d'avis consultatif en octobre dernier.

« Un très grand nombre d'États participants soutiennent qu'Israël a l'obligation, en vertu de la Charte des Nations unies, d'accorder toute son assistance à l'UNRWA et qu'il a l'obligation absolue de respecter ses privilèges et immunités », a déclaré M. Bjorge à Middle East Eye.

« Une petite galerie de voyous – Israël lui-même, la Hongrie et les États-Unis – s'oppose à cette position majoritaire », a-t-il expliqué.

Jeudi, le ministère américain de la Justice a décidé que l'UNRWA n'était pas à l'abri de poursuites judiciaires aux États-Unis, une position qu'il pourrait réitérer lors des audiences de cette semaine, a déclaré M. Bjorge, qualifiant cette décision de « parfaitement désespérée ».

Sur quoi la Cour est-elle appelée à se prononcer ?

Les audiences font suite à la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 29 décembre 2024 (A/RES/79/232), principalement soutenue par la Norvège, qui demande à la Cour de rendre un avis consultatif sur les questions suivantes :

« Quelles sont les obligations d'Israël, en tant que puissance occupante et membre des Nations unies, en ce qui concerne la présence et les activités des Nations unies, y compris ses institutions et organes, d'autres organisations internationales et des États tiers, dans le territoire palestinien occupé et en relation avec celui-ci, notamment pour garantir et faciliter la fourniture sans entrave des biens de première nécessité indispensables à la survie de la population civile palestinienne, ainsi que des services de base et de l'aide humanitaire et au développement, au profit de la population civile palestinienne et à l'appui du droit du peuple palestinien à l'autodétermination ? »

La demande de l'Assemblée générale invitait la Cour à se prononcer sur la question susmentionnée au regard d'un certain nombre de sources juridiques, notamment : la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l'homme, les privilèges et immunités des organisations internationales et des États en vertu du droit international, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, de l'Assemblée générale et du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, ainsi que les avis consultatifs antérieurs de la Cour : l'avis du 9 juillet 2004 qui a déclaré illégal le mur de séparation érigé par Israël dans la Palestine occupée, et l'avis consultatif du 19 juillet 2024, qui a confirmé l'illégalité de l'occupation des territoires palestiniens par Israël et l'obligation qui incombe à Israël, en tant que puissance occupante, de respecter les droits des Palestiniens.

L'avis de la CIJ sera-t-il contraignant pour Israël ?

Si la plupart des avis consultatifs de la CIJ ne sont pas des décisions juridiquement contraignantes, contrairement aux arrêts rendus par la CIJ dans des affaires contentieuses entre États, l'avis rendu dans cette affaire aura un effet contraignant.

La demande d'avis consultatif est fondée sur la disposition relative au règlement des différends figurant à l'article 8 de la Convention générale sur les privilèges et immunités des Nations unies, qui stipule que l'avis rendu par la CIJ à la demande de l'Assemblée générale des Nations unies en rapport avec la Convention « est accepté comme déterminant par les parties ».

Qu'est-ce que l'UNRWA ?

L'Unrwa est la principale source d'aide humanitaire pour environ 5,9 millions de réfugiés palestiniens dans les territoires palestiniens occupés et les pays voisins qui accueillent des réfugiés palestiniens.

Cette aide comprend la fourniture de services de base tels que l'éducation, la nourriture, les soins médicaux et la distribution de carburant. Sa fermeture pourrait inévitablement entraîner l'effondrement du principal moyen de subsistance des Palestiniens.

Selon le dernier rapport de situation de l'organisation, depuis octobre 2023, Israël a tué au moins 290 membres du personnel de l'UNRWA et mené au moins 830 attaques contre les locaux de l'UNRWA et les personnes qui s'y réfugiaient.

Comment Israël a-t-il interdit l'UNRWA ?

Le parlement israélien, la Knesset, a adopté en octobre 2024 deux lois interdisant à l'UNRWA d'opérer en Israël et dans les territoires palestiniens occupés.

Ces projets de loi ont été présentés peu après que les autorités israéliennes aient confisqué le terrain situé à Jérusalem-Est occupée où se trouve le siège de l'UNRWA. Israël prévoit de construire 1 440 logements, illégaux au regard du droit international, sur ce site.

Ces lois interdisent de facto à l'UNRWA d'opérer en Israël, à Gaza, en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est. Cette interdiction équivaut à une révocation des privilèges et immunités dont bénéficient les organisations des Nations unies en vertu de la Charte des Nations unies. Elle est entrée en vigueur en janvier.

La première loi stipule que l'UNRWA n'est pas autorisée à « exploiter une institution, fournir un service ou mener une activité, que ce soit directement ou indirectement », en Israël.

La deuxième loi interdit aux fonctionnaires et aux agences gouvernementales israéliens d'entrer en contact avec l'UNRWA.

Cela affectera inévitablement les privilèges et immunités dont bénéficie l'UNRWA en vertu du droit international.

La directrice de la communication de l'UNRWA, Juliette Touma, a salué les audiences de la CIJ, affirmant que l'interdiction imposée par Israël à l'organisation avait entravé sa capacité à remplir son mandat.

« Depuis l'entrée en vigueur de ces restrictions à la fin du mois de janvier, le personnel international de l'UNRWA n'a pas reçu de visas pour entrer en Israël et se voit effectivement interdire l'accès à la Cisjordanie occupée (y compris Jérusalem-Est) et à la bande de Gaza », a déclaré Mme Touma à Middle East Eye.

Elle a ajouté que plusieurs installations de l'UNRWA, notamment des écoles situées dans Jérusalem-Est occupée, continuent d'être menacées par des ordres israéliens exigeant leur fermeture.

Quelque 800 enfants qui fréquentent actuellement les écoles de l'UNRWA dans cette zone risquent de se retrouver sans éducation si Israël ferme ces écoles, a-t-elle ajouté.

La politique de non-contact imposée par les projets de loi, qui interdit aux responsables israéliens de coordonner leurs actions ou de communiquer avec les responsables de l'UNRWA, entrave la fourniture de services d'urgence et d'aide essentiels, a expliqué Mme Touma.

« L'UNRWA est une agence des Nations unies qui fournit des services de développement humain à l'une des communautés les plus vulnérables de la région », a-t-elle déclaré. « Il est du devoir de l'État d'Israël, en tant que puissance occupante, de fournir des services ou de faciliter la fourniture de tels services, y compris par l'intermédiaire de l'UNRWA, à la population qu'il occupe. »

Pourquoi Israël a-t-il interdit l'UNRWA ?

Le gouvernement israélien est depuis longtemps hostile à l'UNRWA, en partie parce qu'elle maintient le statut de réfugié des Palestiniens expulsés de leurs foyers lors de la Nakba de 1948 et de leurs descendants.

Fin janvier 2024, Israël a accusé 12 employés de l'UNRWA d'avoir participé aux attaques menées par le Hamas le 7 octobre, affirmant qu'ils avaient distribué des munitions et aidé à l'enlèvement de civils.

Une enquête de l'ONU publiée en avril dernier n'a trouvé aucune preuve d'actes répréhensibles de la part du personnel de l'UNRWA, soulignant qu'Israël n'avait pas répondu aux demandes de noms et d'informations et n'avait « informé l'UNRWA d'aucune préoccupation concrète concernant son personnel depuis 2011 ».

Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Middle East Eye

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