Derniers articles

Syndicats ukrainiens : travailleurs et travailleuses ne peuvent supporter tout le poids de la sécurité
Les travailleurs et travailleuses ukrainiens continuent de faire preuve d'une résilience extraordinaire, maintenant en activité les secteurs clés de l'économie du pays malgré une occupation et invasion à grande échelle.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/11/07/syndicats-ukrainiens-travailleurs-et-travailleuses-ne-peuvent-supporter-tout-le-poids-de-la-securite/?jetpack_skip_subscription_popup
En dépit du danger constant, des lieux de travail détruits et des ressources limitées, les travhttps://www.pressegauche.org/ecrire/?exec=article_edit&new=oui&id_rubrique=170#ailleurs et travailleuses des secteurs minier, nucléaire et manufacturier maintiennent l'économie à flot. Dans le même temps, une vague de législations hostiles aux travailleurs et travailleuses progresse et le dialogue social est au point mort.
Dans ce contexte, IndustriALL Global Union et industriAll Europe ont organisé une réunion conjointe ce 14 octobre 2025, réunissant les syndicats affiliés ukrainiens, des représentants du gouvernement, l'Organisation internationale du travail, des membres du Parlement ukrainien, des représentants des employeurs d'Union européenne ainsi que des experts en matière de sécurité, afin de discuter des conditions de travail en temps de guerre et des changements législatifs, notamment le projet de loi n°10.147 « sur la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses au travail ».
Mykhailo Volynets, Président du Syndicat indépendant des mineurs d'Ukraine (NPGU) et de la centrale nationale KVPU, et Valeriy Matov, Président du syndicat du nucléaire Atomprofspilka, ont déclaré que la loi martiale avait restreint les négociations collectives, prolongé les temps de travail et limité les grèves. Ils ont averti que le projet de loi transférerait la responsabilité de la sécurité des employeurs aux travailleurs et travailleuses, imposerait un seuil de 25 % pour la représentation syndicale (au niveau des usines) et réduirait la protection alors que les gens travaillent déjà sous les bombardements et dans des conditions stressantes.
« Alors que l'invasion continue de dévaster des vies, les travailleurs et travailleuses ukrainiens mettent tout en œuvre dans les mines, les centrales énergétiques et les installations de production pour que le pays continue de fonctionner. Nous sommes solidaires des travailleurs et travailleuses d'Ukraine. En matière de santé et de sécurité au travail (SST), les travailleurs et travailleuses ont des droits et les employeurs ont des devoirs. Toute loi qui ferait peser les risques sur les travailleurs et travailleuses est inacceptable, car elle violerait les droits fondamentaux des travailleurs et travailleuses », a déclaré Kemal Özkan, Secrétaire général adjoint d'IndustriALL.
Gocha Aleksandria, Spécialiste au sein du Bureau des travailleurs et travailleuses de l'OIT ACTRAV, a rappelé aux participants que la santé et la sécurité au travail sont un droit fondamental reconnu par la Conférence internationale du travail de 2022. « Aucun travailleur ou lieu de travail ne devrait être laissé sans protection », a-t-il déclaré, appelant à la prévention, à la participation et au dialogue pour guider la réforme.
Jan-Willem Ebeling, de la Commission européenne, a expliqué que la directive-cadre de l'UE rend clairement les employeurs responsables de la prévention des risques, de la formation et de la consultation des travailleurs et travailleuses. La directive fixe des normes minimales qui ne peuvent réduire la protection existante et s'appuie sur une coopération tripartite et une inspection du travail rigoureuse.
Elena Crasta, Conseillère principale auprès de la Confédération européenne des syndicats (CES), a déclaré que les réformes doivent être conformes au droit européen et inclure une véritable consultation. « La CES a déjà fait part de ses préoccupations à la Commission européenne », a-t-elle déclaré. « Le gouvernement doit honorer ses engagements en matière de dialogue social et d'alignement sur l'UE, sous peine de compromettre l'intégration. »
Les représentants syndicaux ont fait part des dures réalités du travail en temps de guerre. Dmytro Zelenyi, du Syndicat des mineurs NPGU, a décrit des puits inondés et endommagés par les bombes où les gens continuent de travailler. Valeriy Matov a déclaré que les travailleurs et travailleuses du nucléaire sont confrontés à des conditions qui mettent leur vie en danger, avec des moyens financiers limités. Karina Plakhova, du Syndicat de l'aéronautique et de la construction mécanique, a averti que les délocalisations d'entreprises créent de nouveaux risques et limitent le contrôle du syndicat. Bohdan Overkovsky, Président du Syndicat des métallurgistes et des mineurs, a déclaré que les syndicats continuent leurs inspections et leur soutien malgré la destruction des infrastructures.
Représentant les employeurs, Oleksandr Turov, Responsable des relations avec les syndicats chez DTEK, une grande entreprise énergétique ukrainienne et l'un des plus grands employeurs du secteur privé du pays, a déclaré que des relations constructives avec les syndicats sont essentielles pour la stabilité et la sécurité, mais a averti que toute modification juridique « doit être convenue entre les employeurs et les syndicats ».
Les syndicats ukrainiens ont analysé le projet de loi n°10.147 « sur la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses au travail » et ont appelé l'OIT, l'UE et le Parlement ukrainien à intervenir. Quatorze syndicats se sont unis pour présenter une position commune.
Commentant cette démonstration d'unité, Isabelle Barthès, Secrétaire générale adjointe d'industriAll Europe, a déclaré :
« Nous sommes pleinement solidaires des travailleurs et travailleuses ukrainiens. La santé et la sécurité sont une priorité du syndicat : la prévention et la responsabilité des employeurs ne sont pas négociables, les partenaires sociaux doivent être impliqués. C'est pourquoi nous veillerons à ce que vos voix soient entendues par les institutions européennes et continuerons à plaider en faveur d'un alignement sur les normes européennes. »
Une déclaration commune de 14 syndicats ukrainiens affiliés à IndustriALL et à industriAll Europe, présentée par Yarema Zhugaevich, Présidente du syndicat des constructeurs aéronautiques, appelle la Verkhovna Rada à rejeter le projet de loi n°10.147 dans sa forme actuelle, à impliquer les syndicats, l'OIT et les experts de l'UE dans les révisions et à garantir le respect des normes internationales. Elle met en garde contre le fait que l'adoption de ce projet de loi compromettrait le dialogue social, abaisserait les normes de sécurité et mettrait en péril l'adhésion de l'Ukraine à l'UE.
« Ce dernier coup porté s'inscrit dans une tendance plus large visant à rogner les droits collectifs. Votre unité est votre force et notre mandat. IndustriALL transmettra ce message directement aux parlementaires et aux institutions »,
a indiqué Kemal Özkan en conclusion.
IndustriALL Global Union et industriAll Europe appellent le gouvernement ukrainien à respecter les normes internationales en matière de santé et sécurité au travail, à rétablir la qualité du dialogue social et à empêcher tout recul en matière de protection des travailleurs. Les travailleurs et travailleuses ukrainiens ont maintenu les industries du pays en vie pendant la guerre et ils ne doivent pas être contraints aujourd'hui d'assumer les obligations légales des employeurs en matière de sécurité.
Ukrainian unions : workers can't bear full safety burden
https://www.industriall-union.org/ukrainian-unions-workers-cant-bear-full-safety-burden
Los trabajadores no pueden asumir toda la responsabilidad en materia de seguridad, afirman los sindicatos ucranianos
https://www.industriall-union.org/es/los-trabajadores-no-pueden-asumir-toda-la-responsabilidad-en-materia-de-seguridad-afirman-los
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

COP 30 – adaptation ou prévention ?
L'avenir ne sera pas construit en s'adaptant à l'effondrement, mais en ayant le courage de prévenir ses causes.
Tiré de Inprecor
4 novembre 2025
Par Michael Löwy
1. Comme nous le savons, la COP 30, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, se tiendra cette année, en novembre, à Belém do Pará au Brésil.
Cette conférence suscite l'espoir, car elle se tiendra dans un pays gouverné par la gauche, sous l'égide du président Lula. Mais le plus grand pollueur de la planète, les États-Unis, sera absent, puisque Donald Trump – négationniste fanatique du changement climatique – a retiré son pays de cette instance internationale.
Malheureusement, une décision récente des autorités brésiliennes jette une ombre sur cette réunion : l'autorisation d'exploiter le pétrole situé au fond de la mer, près de l'embouchure de l'Amazone. Les écologistes brésiliens dénoncent cette décision, qui représente un risque énorme – en cas d'accident lors des forages maritimes – qu'une « marée noire » détruise les écosystèmes fragiles de la forêt amazonienne.
De plus, si les énormes quantités de pétrole déposées au fond de la mer dans cette région sont extraites, commercialisées et brûlées, cela contribuera de manière décisive au changement climatique.
Dans ces conditions, que peut-on attendre de cette COP 30 ? Il faut dire que le bilan des 29 précédentes n'est pas glorieux : certes, certaines résolutions ont été prises, mais... elles n'ont jamais été mises en œuvre. Les émissions n'ont cessé d'augmenter, l'accumulation de gaz à effet de serre a atteint des proportions sans précédent et la limite dangereuse de 1,5 °C (au-dessus de l'ère préindustrielle) a déjà été atteinte.
Quelles sont les ambitions des organisateurs de la nouvelle COP ? On peut s'en faire une idée en lisant une récente interview d'André Correa do Lago, nommé par Lula pour présider la COP 30. Diplomate ayant une longue expérience dans le domaine du développement durable, il est actuellement secrétaire au climat, à l'énergie et au développement au ministère des Affaires étrangères du Brésil. Dans cette interview, Correa do Lago déclare : « J'aimerais beaucoup que les gens se souviennent de la COP 30 comme d'une COP de l'adaptation ».
2. Qu'est-ce que cela signifie ? Il est certain que l'adaptation aux conséquences du changement climatique – incendies de forêt, tornades, inondations catastrophiques, températures insupportables, sécheresses, désertification, pénurie d'eau douce, élévation du niveau de la mer, etc. (la liste est longue) – est nécessaire, en particulier dans les pays du Sud, premières victimes de ces dommages.
Mais donner la priorité à l'« adaptation » plutôt qu'à la « prévention » est une façon indirecte de se résigner à l'inévitabilité du changement climatique. C'est un discours que l'on entend de plus en plus parmi les dirigeants de différents pays du monde.
La logique de cet argument est simple : comme il est impossible de se passer des combustibles fossiles, du transport mondialisé des marchandises, de l'agriculture industrielle et des multiples autres activités économiques responsables du changement climatique, mais nécessaires au bon fonctionnement de l'économie capitaliste, il ne nous reste plus qu'à nous adapter.
Si, dans un premier temps, l'adaptation est encore possible, à partir d'une certaine augmentation de la température – deux degrés ? trois degrés ? personne ne peut le dire – elle deviendra impossible. Comment s'adapter si la température dépasse les 50 degrés ? Si l'eau potable devient une denrée rare ? Les exemples sont nombreux.
Il ne nous reste pas beaucoup de temps pour empêcher une catastrophe qui mettrait en péril la survie humaine sur cette planète. Et contrairement à ce que pensent les habitants de Mars comme Elon Musk, il n'y a pas de planète B. Si la COP 30 privilégie l'adaptation au détriment de la prévention, elle restera dans la mémoire des gens comme la COP de la capitulation.
Heureusement, il se tiendra à Belém do Pará, en même temps que la COP, un Sommet des peuples, auquel participeront mouvements écologistes, paysans, indigènes, féministes, écosocialistes et autres, qui discuteront des véritables solutions à la crise écologique et descendront dans les rues de Belém do Pará pour protester contre l'inertie des gouvernements et affirmer la nécessité de rompre avec le système. Ce sont des semeurs d'avenir, qui refusent la résignation et le conformisme.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

COP30 entre ombre et lumière
Que peut-on attendre de la COP30, alors que la propagande qui vise à protéger les intérêts liés aux énergies carbonées déforme actuellement la réalité avec l'aide de l'IA ?
La 30e Conférence des parties sur les changements climatiques (COP30) se tient jusqu'au 21 novembre à Belem, au Brésil. Alors que l'année 2025 sera l'une des trois plus chaudes jamais enregistrées, la campagne contre la science climatique bat son plein. Les faits sont pourtant clairs et incontestés parmi les autorités scientifiques. Les années allant de 2015 à 2025 ont été les plus chaudes depuis 176 ans et selon les données provisoires de l'ONU, la température mondiale a dépassé entre janvier et août de 1,42 degré Celsius la moyenne de l'époque préindustrielle.
Cette élévation de température, en créant de la pollution aérienne, des canicules et diverses quantités d'autres choses nuisibles à la santé, aurait des conséquences, qui ont été relevées le 28 octobre par la revue médicale The Lancet. Elle serait responsable de plus d'un demi-million de morts en moyenne par an. « Le changement climatique menace la santé à un niveau sans précédent », affirme le Lancet Countdown, qui est rédigé annuellement à partir de l'état général des connaissances scientifiques par une centaine de chercheurs internationaux coordonnés par l'University College London, en lien avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Nier ou biaiser les faits
Comme chaque année, la désinformation sur le climat augmenterait pendant les semaines qui précèdent la conférence des Nations unies sur les changements climatiques. Le rapport, Deny, Deceive, Delay : Demystified produit par Coalition Against Disinformation, un organisme qui regroupe plus de 80 organismes militants et un organisme brésilien, l'Observatoire pour l'intégrité en information. « Les dépenses de Big Carbon et les algorithmes de Big Tech nous empêchent de nous voir et de nous entendre les uns les autres, en ligne », affirment-ils.
Cette campagne aurait été particulièrement forte au Brésil qui a vu une hausse de plus de 14 000 de ces fausses informations entre juillet et septembre, soit 267 %, selon le rapport publié le 6 novembre. Elles seraient amplifiées par l'intelligence artificielle (IA) et encourageraient même l'hostilité envers la science et les chercheurs.
Chris Wright secrétaire à l'énergie, fondateur de l'une des plus grandes compagnies spécialisées dans la fracturation hydraulique, affirmait le 24 septembre : « Les Nations unies, ainsi que de nombreux pays dans le monde, se sont complètement égarées à propos du changement climatique, en exagérant jusqu'à en faire la plus grande menace pour la planète. »
Protéger la vie
Climatologue à l'École polytechnique fédérale de Zurich en Suisse et vice-présidente du groupe de travail 1 du GIEC, Sonia Seneviratne affirme « On arrive dans une zone dangereuse et inconnue, tant on s'éloigne de plus en plus des conditions que l'on connaissait au XXe siècle ». Selon elle, franchir 1,5 degré Celsius pourrait entraîner des risques plus importants de franchir des points de bascule. Des éléments du système climatique pourraient alors entrer dans de nouveaux états irréversibles.
« Nous devons agir dès maintenant, rapidement et à grande échelle, afin de limiter autant que possible le dépassement de 1,5 degré Celsius », commente le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, qui considère que chaque dépassement annuel de 1,5 degré Celsius pourrait causer des dommages irréversibles et des répercussions désastreuses sur les économies de nombreux pays.
Ce dépassement serait presque inévitable selon la secrétaire générale de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), Celeste Saulo, « Cette série sans précédent de températures élevées, combinées à l'augmentation record des niveaux de gaz à effet de serre de l'année dernière, montre clairement qu'il sera pratiquement impossible de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius ces prochaines années », espérant que l'on revient aux objectifs plus ambitieux de l'accord de Paris.
La COP21 aurait d'ailleurs déjà donné des résultats selon plusieurs experts. Avant 2015, les prévisions des modèles climatiques donnaient un réchauffement de 4 degrés d'ici la fin du siècle. Dix ans après l'Accord de Paris, la planète se dirigerait plutôt vers un réchauffement de 2,3 à 2,5 degrés Celsius. Cela ne pourra cependant se produire que si les États respectent leurs engagements actuels. Depuis la signature de cet Accord, la croissance des émissions de GES aurait même ralenti et aurait augmenté d'environ 1 % depuis 2015, alors que c'était plutôt 18 % entre 2005 et 2014.
Rassembler tous les pays de la planète dans un accord sur un enjeu aussi complexe pourrait même être considéré une victoire pour le multilatéralisme. Le fait que les États soient obligés de mesurer leur performance les uns par rapport aux autres pourrait avoir créé une pression morale qui les aurait motivés à agir. Plus de 140 pays se seraient donc dotés en dix ans, d'un programme climatique pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 et 2070.
« Les COP ne servent pas à rien. Ça permet aussi de mettre dans le débat certains sujets », affirme le directeur général du groupe de réflexion Écologie responsable, Ferréol Delma, qui considère que ça permet aussi à tous les acteurs de prendre part au sujet.
Marine Braud, experte des enjeux environnementaux commente à ce sujet que depuis la COP16, elles sont toutes celles de la dernière chance. « Chaque demi-degré de réchauffement qu'on n'aura pas, c'est des morts évités, c'est des débats qui sont évités, donc dans tous les cas, il ne faut jamais abandonner le combat. »
Michel Gourd
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Chaque année le changement climatique coûte la vie à des millions de personnes
Le rapport 2025 Lancet Countdown on Health and Climate Change révèle que l'inaction climatique et la dépendance continue aux combustibles fossiles entraînent un coût humain immense, avec des millions de vies perdues chaque année en raison de la chaleur, de la pollution atmosphérique, de la propagation des maladies et de l'aggravation de l'insécurité alimentaire.
Photo et article tirés de Nouveau Parti Anticapitaliste 29
Npa29 Expression des comités Npa : Pays Bigouden, Brest, Carhaix-Kreiz Breizh, Châteaulin, Presqu'île de Crozon, Morlaix, Quimper, et Quimperlé.
08 novembre 2025
Ce rapport, dirigé par l'University College London et produit en collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé, la London School of Hygiene & Tropical Medicine et 70 autres institutions universitaires et agences des Nations unies, met en garde contre les conséquences sanitaires et économiques du retard pris dans la lutte contre le changement climatique s'aggravent rapidement.
Les dernières conclusions révèlent que 12 des 20 indicateurs de santé clés ont atteint des niveaux sans précédent, car l'incapacité du monde à réduire les émissions et à s'adapter aux effets du changement climatique aggrave les menaces pour la santé et les moyens de subsistance à l'échelle mondiale.
Le taux de décès liés à la chaleur a augmenté de 63% depuis les années 1990, atteignant une moyenne de 546 000 décès par an entre 2012 et 2021.
L'année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, les personnes les plus vulnérables (celles âgées de moins de 1 an et de plus de 65 ans) ayant été exposées à plus de 300% de jours de canicule supplémentaires en moyenne, par rapport à la moyenne annuelle entre 1986 et 2005.
Les conditions plus chaudes et plus sèches ont exacerbé le risque d'incendies de forêt, avec des implications pour la santé : rien qu'en 2024, la pollution due à la pollution de la fumée des incendies de forêt a été associée à un nombre record de 154 000 décès. Les précipitations extrêmes (qui peuvent déclencher des crues soudaines et des glissements de terrain) et les sécheresses ont augmenté sur plus de 60% de la surface émergée/terrestre du globe. Ces conditions extrêmes de chaleur, de précipitations et de sécheresses affectent la productivité des cultures, perturbent les chaînes d'approvisionnement et menacent la sécurité alimentaire.
Le changement climatique a également une incidence sur le risque de transmission de maladies infectieuses mortelles : les indicateurs du rapport montrent que le risque de transmission de la dengue a augmenté de près de 50% à l'échelle mondiale depuis les années 1950.
Les retards dans l'adoption d'énergies propres et respectueuses du climat et la poursuite de la combustion de combustibles fossiles non seulement réchauffent la planète, mais produisent également une pollution atmosphérique dangereuse, entraînant des millions de décès supplémentaires chaque année. Au Royaume-Uni, la pollution atmosphérique a causé 28 000 décès prématurés en 2022, dont 55% étaient dus à la combustion de combustibles fossiles.
Les systèmes alimentaires non durables, caractérisés par des régimes alimentaires riches en carbone et malsains, ont contribué à 11,8 millions de décès liés à l'alimentation dans le monde en 2022, ce qui, selon les auteurs, pourrait être largement évité en passant à des systèmes alimentaires plus sains et respectueux du climat.
Le rapport souligne que l'incapacité à s'affranchir des combustibles fossiles a également des répercussions sur l'économie, les effets du changement climatique sur la santé entraînant une baisse de la productivité, une augmentation des arrêts de travail et un alourdissement de la charge qui pèsent sur les systèmes de santé.
En 2024, l'exposition à la chaleur a entraîné une perte de productivité record de 639 milliards d'heures potentielles, avec des pertes de revenus équivalentes à 1090 milliards de dollars (environ 824 milliards de livres sterling), soit près de 1% du PIB mondial. Au Royaume-Uni, plus de 5 millions d'heures de travail potentielles ont été perdues en raison d'une exposition à une chaleur extrême, ce qui a entraîné une perte de revenus potentielle de 103 millions de dollars (77,9 millions de livres sterling).
Parallèlement, suite à la hausse des prix des combustibles fossiles, les gouvernements ont dépensé collectivement 956 milliards de dollars (723 milliards de livres sterling) en subventions nettes aux combustibles fossiles en 2023 afin de maintenir l'énergie à un prix abordable au niveau local, soit plus du triple de l'engagement pris lors de la COP29 pour soutenir les pays vulnérables.
Malgré le recul de certains gouvernements sur leurs engagements climatiques, le rapport constate des changements positifs aux niveaux local et sectoriel, et les mesures prises pour lutter contre le changement climatique ont déjà des retombées positives sur la santé et l'économie. Les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé ont diminué de 16% à l'échelle mondiale entre 2021 et 2022, et la production d'énergie renouvelable a atteint des niveaux records.
On estime que 160 000 décès prématurés sont évités chaque année grâce à la réduction de la consommation de charbon et à l'amélioration de la qualité de l'air, en particulier dans les pays à revenu élevé. Les auteurs soulignent que des solutions pour éviter de nouveaux dommages existent déjà, avec des énergies plus propres, des systèmes de santé résilients et des systèmes alimentaires durables offrant des bénéfices immédiats et à long terme pour la santé.
Le Dr James Milner, coauteur du rapport Lancet Countdown, a déclaré :
« Le dernier rapport Lancet Countdown montre que le monde est encore loin d'avoir atteint ses objectifs en matière de lutte contre le changement climatique. L'écart entre les émissions mondiales de gaz à effet de serre et les réductions nécessaires pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris continue de se creuser. Malgré cela, le rapport démontre également qu'il existe des opportunités sans précédent pour lutter contre la crise climatique tout en améliorant la santé des populations, grâce à des mesures telles que la transformation des systèmes énergétiques, l'amélioration de l'accès à des combustibles domestiques propres et le passage à des transports à faible émission de carbone. »
Un autre coauteur, le professeur Kris Murray, a déclaré :
« Nous disposons désormais de preuves plus claires que jamais que le changement climatique nuit directement à la santé des populations. Bon nombre des effets sur la santé que nous observons aujourd'hui, tels que les décès dus à des chaleurs extrêmes, ne se seraient pas produits sans le changement climatique induit par l'homme. Le changement climatique aggrave également la propagation des maladies infectieuses, certaines maladies sensibles au climat, comme la dengue et les infections par la bactérie Vibrio, atteignant des niveaux records à mesure que de plus en plus de régions deviennent propices à leur transmission. Si des progrès ont été réalisés en matière d'énergies plus propres et d'alimentations plus saines et à faible impact, les mesures prises restent trop lentes, et ces retards coûtent des vies à l'heure actuelle. »
Article publié sur le site Climate&Capitalism, le 3 novembre 2025 ; texte établi sur la base des documents fournis par la London School of Hygiene&Tropical Medicine ; traduction rédaction A l'Encontre
8 novembre 2025
https://alencontre.org/ecologie/
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Ordonnances vertes
Associer, sur ordonnance, la délivrance de paniers bio et locaux, pour les femmes enceintes et les jeunes enfants, à des ateliers d'information sur les pesticides, c'est bon pour la santé, c'est bon pour l'égalité et l'agriculture paysanne !
1 000 jours décisifs
Photo et article tiré de NPA 29
8 nov 25
La période des 1 000 jours entre le début de la grossesse et l'âge de deux ans est d'une importance majeure pour la santé future et le développement cérébral. Durant cette phase, le cerveau d'un enfant triple de volume et les expositions environnementales, qu'elles soient chimiques ou autres, peuvent laisser une empreinte durable.
L'Inserm a établi un lien entre l'exposition à certains polluants chimiques, comme les pesticides, et les cancers, notamment pédiatriques, la prématurité ou certaines maladies neurodégénératives.
Dans le même temps, les études NutriNet-Santé ont démontré que les consommateurs de produits bio présentent un risque réduit de développer ces pathologies. Les familles modestes consomment deux fois moins de fruits et légumes que les plus aisées, et se tournent souvent vers des aliments ultra-transformés, les plus mauvais pour la santé.
En France la hausse de la mortalité néonatale se concentre dans les communes les plus pauvres, avec un risque 1,7 fois supérieur de mourir dans les 28 premiers jours, selon qu'on habite dans les communes les plus défavorisées ou les plus favorisées.
Des ordonnances vertes
En partant de ce constat largement reconnu par la communauté scientifique, une tribune signée par plus de 1 000 professionnels de santé, et soutenue par Alerte des Médecins sur les Pesticides et les Perturbateurs Endocriniens, propose aux municipalités de mettre en place des ordonnances vertes.
Elles associent un programme d'information (sur les pesticides, l'alimentation, l'alcool, le tabac, la qualité de l'air, la santé au travail, l'activité physique…) et la délivrance de paniers de produits bio et locaux, financés notamment par les communes. C'est bon pour la santé, c'est bon pour l'égalité et l'agriculture paysanne !
Ainsi à Strasbourg, les femmes enceintes ou en parcours de PMA peuvent recevoir, sur prescription médicale, des paniers hebdomadaires de fruits et légumes bio et locaux, tout en participant à des ateliers de sensibilisation à la santé environnementale animés par des professionnels (éco-conseillers, infirmières, sages-femmes, diététiciennes).
Avec un coût moyen de 420 euros par grossesse, cofinancé par la Ville, l'ARS, l'Assurance Maladie et des acteurs locaux, les bienfaits de cet investissement social sont considérables : meilleure santé maternelle et infantile, soutien à l'agriculture bio et aux circuits courts, meilleure cohésion sociale, préservation de l'environnement. 90 % des participantes ont modifié durablement leurs habitudes alimentaires, et maintenu ces comportements après la naissance.
La santé environnementale augmente l'espérance de vie en bonne santé et réduit les inégalités sociales de santé. Elle soutient l'agriculture biologique et locale contre l'agrobusiness. Elle favorise le pouvoir des femmes sur leur vie et la santé, les mobilisations contre l'usage des pesticides et la loi Duplomb, ainsi que le contrôle populaire sur les communes. Alors pourquoi s'en priver !
Frank Prouhet, à partir de la tribune de l'Alerte Médecins Pesticides
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La crise climatique est-elle tassée ou sa crue réalité peinturée en rose ?
Il y a moyen de voir la crise climatique avec des lunettes roses comme le fait le « Emission GAP Report » de l'ONU qui vient d'être publié pour alimenter la COP30 du début novembre qui aura lieu dans ce qui reste de la jungle amazonienne épargnée jusqu'ici par la déforestation productiviste (bois de construction, culture du soja, élevage extensif de bovins, mines d'or, centrales hydroélectriques) et de plus en plus par les incendies résultant de sévères sécheresses :
Depuis l'adoption de l'Accord de Paris il y a dix ans, les prévisions de température ont baissé de 3 à 3,5 °C [où elles se situaient alors] . […] Les projections relatives au réchauffement climatique au cours de ce siècle, basées sur la mise en œuvre intégrale des contributions déterminées au niveau national (CDN), sont désormais de 2,3 à 2,5 °C, tandis que celles basées sur les politiques actuelles sont de 2,8 °C. À titre de comparaison, le rapport de l'année dernière faisait état de 2,6 à 2,8 °C et 3,1 °C. […] Les technologies à faible émission de carbone nécessaires pour réduire considérablement les émissions sont disponibles. Le développement de l'énergie éolienne et solaire est en plein essor, ce qui réduit les coûts de déploiement. Cela signifie que la communauté internationale peut accélérer l'action climatique, si elle le souhaite. Cependant, pour parvenir à des réductions plus rapides, il faudrait naviguer dans un environnement géopolitique difficile, augmenter considérablement le soutien aux pays en développement et repenser l'architecture financière internationale.
Sauf que l'autre rapport de l'ONU préparé pour la COP30 de Belém, soit la « Mise à jour sur l'état du climat mondial 2025 » de L'Organisation Météorologique Mondiale (OMM) avoue, conformément à la courbe de Keeling de la NOAA que non seulement « [l]es concentrations des trois principaux gaz à effet de serre dans l'atmosphère — le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et l'oxyde nitreux (N2O) — ont atteint des niveaux records en 2024 », ce qui n'étonnera personne, mais surtout que « [l]'augmentation de la concentration [du CO2] entre 2023 et 2024 était de 3,5 ppm, une augmentation record dans l'histoire récente des observations. »
Il y a entre ces deux informations contradictoires une différence statistique politiquement déterminée dans un contexte compétitif capitaliste-impérialiste. La statistique mesurant la densité du gaz carbonique dans l'atmosphère est directe donc scientifiquement rigoureuse à moins de faire l'hypothèse de tricherie de la part des gens de science. Heureusement, on en est pas encore là : Trump est plutôt à couteaux tirés avec les scientifiques mais qui dit que Trump ne cessera pas de publier les données qui l'embêtent. Cette statistique, par définition, ne peut être que globale sans rien oublier ni soustraire mais en contrepartie sans possibilité de segmentation géographique ou sectorielle. Tel n'est pas le cas des statistiques des CDN colligées par les gouvernements nationaux selon un protocole de l'ONU luimême sous la gouverne des États dont les plus puissants sont plus égaux que les autres. Sont mises de côté les émanations de CO2 des incendies de forêt de plus en plus importantes, sous prétexte qu'elles sont un phénomène « naturel », et celles militaires dont celles provenant des guerres aussi en forte croissance, sous prétexte de « sécurité nationale ». Ajoutons-y les statistiques douteuses fournies par les entreprises bien au fait des processus industriels que bien souvent les fonctionnaires ignorent et bien motivées à minimiser leurs méfaits. Comme crème sur ce gâteau empoisonné, les statistiques des CDN mesurent non pas la réalité mais de bonnes intentions dont certaines sont conditionnelles.
Le mensonge statistique simule une victoire (trop lente) sur la crise climatique
Cette dicotomie statistique donne lieu à un fort impact politico-idéologique. Quand on se base sur la sommation mondiale des biaisées statistiques nationales et non sur la lecture directe des GES dans l'armosphère, on peut affirmer comme le fait The Economist dans sa chronique climat du 7 novembre 2025 que malgré qu'il faille admettre que la cible de 1.5°C sera dépassée, « les émissions continuent d'augmenter, mais pas au même rythme qu'au cours de la première décennie du siècle » (voir graphique 1 ci-bas). Ce constat laisse entendre, comme le montre le fameux graphique du GIEC, l'atteinte bientôt d'un sommet des GES atmosphériques suivi d'une baisse mais trop lente par rapport aux cibles à atteindre… alors qu'aucune baisse ne pointe à l'horizon. Ainsi s'annoncerait une victoire du capitalisme vert tout-renouvelable, hydroélectricité et nucléaire inclus. Qu'importe que cette victoire trop tardive ne pouvant empêcher un dépassement du 1.5°C si ce n'est du 2°C nécessitera une orgie de projets de capture-séquestration de CO2, énergivores et coûteux, sans se soucier du dépassememt des points de bascule menant à un irrémédiable et infernale réchauffement. Plusieurs plaideront que dorénavant les énergies solaire et éolienne sont meilleur marché que celles fossiles au point que l'addition annuelle de capacités d'énergies renouvelables dépasse désormais celle des énergies fossiles au niveau mondial. Peut-être, mais il faudrait se rappeler, dixit le journaliste expert de Radio-Canada, que « même si on parle de transition depuis des décennies et que les énergies renouvelables sont en forte croissance, les ressources fossiles représentent aujourd'hui pas moins de 81 % de la consommation énergétique mondiale. Ce taux représente un recul d'à peine 6 % depuis le Sommet de la Terre de Rio, en 1992, au moment de l'adoption de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. » Il en conclue très pertinemment que « si les énergies renouvelables explosent dans de nombreux pays de la planète, elles s'ajoutent trop souvent aux combustibles fossiles, au lieu de les remplacer. La production de ces derniers ne diminue pas encore. » Ici surgit le démon de la croissance inhérente au capitalisme qui fait qu'au XXe siècle le pétrole et le gaz n'ont jamais remplacé le charbon dont l'usage n'a jamais cessé de croître.
Quand, dans la phrase suivante, le commentateur de The Economist constate que « [c]ette année sera la deuxième ou troisième année la plus chaude jamais enregistrée, prolongeant ainsi la série de températures exceptionnelles qui a débuté en 2023 », il n'explique pas la contradiction entre cause de GES soi-disant croissants à un taux décroissant et effet de température terrestre croissant à un taux croissant. Un coup d'œil rapide sur les graphiques de la NOAA montrant la hausse de la densité atmosphérique des trois principaux GES (graphiques 2, 3, 4) lui aurait pourtant révélé son erreur. Entre autres il est particulièrment évident que le taux de croissance du méthane, qui compte pour environ 20% des GES, fut sensiblement plus élevé dans la décennie 2010 que dans celle 2000. Il est cependant attristant que dans sa chonique l'habituellementcritique journaliste expert de Radio-Canadasoit tombé dans le même piège statistique. Depuis 2010, tant la hausse des incendies dans les forêts boréales que celle des guerres ont davantage contribuées aux hausses de CO2 tout comme celle du réchaufement à celle du méthane.
Cette manipulation statistique a pour but de masquer la faillitte de la COP de Paris d'il y a 10 ans, un génial coup de Jarnac médiatique de la part des grandes puissances de ce monde. « Alors que la COP30 s'ouvre au Brésil, à peine le tiers des pays ont soumis ou annoncé une nouvelle cible rehaussée [de CDN], bien qu'ils devaient tous le faire cette année [soit à chaque cinq ans après la COP de Paris en 2015] » d'avouer le journaliste de Radio-Canada. Pendant ce temps, l'hôte brésilien, ignorant que la COP28 ait proclamé « transitionner [et non sortir] hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques [et non aussi de la pétrochimie …] afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050… » quelques jours avant le début de la COP30 a donné le feux vert à un nouveau mégaprojet d'exploration pétrolière en mer au large de l'Amazonie. Faut-il se surprendre que maints chefs d'État, et pas seulement Trump, dont ceux de la Chine, de l'Inde — et du Canada, pour qui désormais « comptent les résultats et non les cibles » qu'il botte aux Calendes grecques — aient décidé de bouder la COP30. Quant au gouvernement du Québec, dorénavant il donnera la priorité non à la mitigation, c'est-à-dire aux cibles vis-à-vis lesquelles les moyens d'action sont… trop chers, mais à l'adaptationdans la logique du chien qui court après sa queue. Non seulement le Premier ministre mais même le nouveau ministre de l'Environnement — alias « Lâchez-moi avec les GES ! » — ne se rendront pas à Belém.
La question climatique n'est pas secondaire mais centrale à la rivalité ÉU-Chine
On dit que la question climatique, si urgente soit-elle, est devenue secondaire tellemet elle a été ensevelie par la prééminence de l'acharnée compétition capitaliste particulièrement celle géostratégique dans le nouveau contexte des rivalités impérialistes et sous-impérialistes dont la colonne vertébrale est la rivalité entre la Chine et les ÉU. Il faudrait plutôt dire que la question climatique, et écologique en général, est devenue le fil de plomb économique de cette rivalité en voie de restructurer la géopolitique mondiale. Avec Trump, les ÉU se sont déclarés les champions des énergies fossiles pendant que la Chine celui des énergies renouvelables.
La Chine domine massivement la production mondiale d'équipements solaires, contrôlant plus de 80 % de la chaîne de valeur, et détient une part significative du marché des éoliennes, représentant 62 % des nouvelles installations mondiales en 2024. Elle domine aussi la production mondiale de véhicules électriques avec 70% de la production en 2024. C'est à ce point qu'elle connaît une grave crise de surproduction dans ces domaines ce qui l'oblige à se lancer à l'assaut du marché mondial d'autant plus que les ÉU essaient de bloquer l'ensemble de ses exportations pendant que son marché intérieur est empêtré dans une profonde crise immobilière. La supériorité technologique et surtout les bas prix de sa production lui permettent une hausse rapide de ses exportations dans ces domaines dans le cadre des pays liés aux nouvelles routes de la soie où la Chine exporte massivement ses capitaux. Y résistent par de hauts tarifs les puissances du vieil impérialisme, moins l'Europe qu'en premier lieu les ÉU avec le Canada qui suit tout en hésitant.
La domination chinoise est tellement forte que l'autre superpuissance, avec Trump, a fait le choix stratégique tranché de laisser tomber la compétition en faveur des énergies fossiles, abandonnant les grands projets capitalistes verts de la précédente présidence. Comme premier producteur mondial de pétrole et de gaz grâce à la production schisteuse — mais la Chine reste de très loin le premier producteur mondial de charbon, représentant à elle seule plus de la moitié de la production mondiale en 2023 — les ÉU sont devenus non seulement autosuffisants mais aussi quelque peu exportateurs. Comme superpuissance dominante, elle n'envisage pas, elle ne saurait envisager, de perdre le contrôle du marché mondial de l'énergie dont l'épine dorsale pour la domination du monde reste les transports, particulièrement ceux aériens et navals. Il lui faut donc garder le contrôle du MoyenOrient, de loin la source du plus abondant pétrole bon marché, d'où sa stratégie basée sur l'alliance avec Israël génocidaire, son point d'ancrage garanti par son caractère de militarisée colonie de peuplement qui ne saurait se passer de l'appui étatsunien, et les pays du Golfe persique.
Cette alliance lui sert de point d'appui pour tenter, sans succès jusqu'ici, de neutraliser l'Iran et son allié irakien qui exportent des quantités importantes de pétrole vers la Chine. Certes, la Chine s'approvisionne en grande partie en Arabie saoudite mais plus encore en Russie dont elle est devenue la soupape de sûreté depuis sa guerre contre l'Ukraine. Ce lien pétrolier Russie-Chine se renforcissant explique la tentative trumpienne, jusqu'ici déjouée par Poutine, d'attirer la Russie dans son camp en lui sacrifiant l'Ukraine pour des avantages économiques dont une certaine mainmise sur son pétrole. Fait partie à la marge de ce grand jeu pétrolier la tentative trumpienne de mettre la main sur le Venezuela, membre de l'OPEP, qui détient les plus grandes réserves prouvées de pétrole au monde, représentant environ un cinquième des réserves mondiales, même si la crise interne du pays et les sanctions internationales à son égard en font pour l'instant un producteur secondaire.
La réalité ne se conforme pas aux stratégies mais montre la tendance réelle
Quand l'on examine l'évolution historique des émanations de gaz carbonique pour les grandes régions du monde (voir graphique ci-bas), on constate qu'il y a contradiction entre cette évolution et les choix stratégiques énergétiques des grandes puissances. Jusqu'à dernièrement, les pays du vieil impérialisme avaient opté pour le capitalisme vert en particulier l'Europe occidentale qui faisait figure de leader en la matière… et qui le reste sur papier par la peau des dents malgré le renforcement marqué de la droite qui invoque pour se défiler la guerre ukrainienne, la compétition avec la Chine et Trump. Aux ÉU, malgré Trump, les instances régionales et locales résistent surtout que les renouvelables coûtent souvent moins cher. À noter comment à vue d'œil le Canada est le dernier de la classe du G-7.
Quant à la Chine, le lobby du charbon n'a pas dit son dernier mot d'autant plus qu'il en faut beaucoup pour fabriquer de la mine au produit fini tous ces équipements pour l'énergie renouvelable. On annonce depuis un bout de temps que les émanations de la Chine vont bientôt plafonner. C'est possible mais ça n'en a pas l'air. Et comme le montre le graphique, l'épicentre de la production manufacturière mondiale, qui permet aux pays du vieil impérialisme d'exporter leurs GES, se déplace de la Chine vers l'Asie du sud-est puis vers l'Inde. Plus tard, ce pourrait être l'Afrique (et le Moyen-Orient) et l'Amérique du Sud. Et n'oublions pas que les statistiques derrière ce graphique sont biaisées, quoiqu'importent ici moins les chiffres absolus que les tendances.
Un rebondissement Solidaire qui aspire au projet de société du soin et du lien
Faut-il jeter la serviette ? Pour le dire à partir de mon petit coin du monde, le 8 novembre 2025, le parti de la gauche québécoise, Québec solidaire, malgré qu'il soit acculé électoralement dans les cordes, semble avoir décidé de prendre le taureau par les cornes, ou plus exactement par la corne de la lutte pour l'indépendance nationale. Il avait déjà élu une porte-parole femme d'origine palestinienne fervente indépendantiste. Il a élu un porte-parole homme d'origine italienne fervent indépendantiste… contre le choix de toustes les député-e-s qui s'étaient prononcé-e-s pour son adversaire plus pragmatique.
La base du parti annonce-t-elle qu'elle reprend le contrôle après la dérive centriste qui se prolonge ? Il est trop tôt pour le dire d'autant plus que l'indépendance nationale se décline à plusieurs saveurs. En tout cas, le parti s'aligne sur la jeunesse qui redécouvre l'indépendance. Laquelle ? Celle étriquée si ce n'est à saveur raciste du PQ ou celle de Québec solidaire libétratrice du fédéralisme financier-pétrolier, ce que le nouvel élu n'a cependant pas souligné, ouverte sur le monde et à l'immigration ? Mais cette ouverture l'est-elle auprès des nations autochtones quand on ne leur reconnaît pas le droit de se séparer du Québec sans lequel il n'y a pas de véritable droit à l'autodétermination ?
S'il y a une ultra-sensibilité qu'il faut attribuer à la jeunesse c'est bien celle de la conscience aigue de la crise climatique qui sur l'espace de sa vie risque d'entraîner le monde dans l'enfer de la terre-étuve non pas au rythme de réchauffement décroissant appuyé sur des statisques biaisées mais au rythme croissant des statistiques réelles appuyées sur la science détestée par l'extrême-droite. Cette extrême-droite n'a aucun rêve à proposer sauf le retour à une irréelle et impossible société traditionnelle sans justice sociale sur le dos des femmes, de LGBTQ+ et des personnes racisées. Exploitant la peur des lendemains et l'apparente impuissance populaire face au capitalisme, cet anti-projet de société verticaliste et austéritaire invite à se plonger la tête dans le sable pour ne pas voir venir le train catastrophique de la mort de l'humanité civilisée et pour se venger de ses misères sur les damné-es de la terre.
Cette jeunesse a besoin du rêve réalo-réaliste à faible coût d'un monde écoféministe du soin et du lien appuyé sur une économie de décroissance matérielle dite aussi écosocialiste. Il faut pour y parvenir le renversement du capitalisme des « multimilliardaires et les multinationales » dixit le nouvel élu, grands producteurs et instigateurs de GES, afin de construire une radicale démocratie régissant d'une main de fer la prétendue intouchable Finance. Voilà cette autre corne du taureau à saisir pour changer le monde et dont Québec solidaire ne s'est pas encore emparé en rejetant de son nouveau programme le concept clef de décroissance. Mais ce concept, non concrétisé par le rejet de l'auto solo, de la « villa campagnarde », de la publicité commerciale et de l'obsolescence planifiée, restait « théorique » ce qui en fait hésiter plusieurs ce qu'un député « pragmatique » avait souligné.
Marc Bonhomme, 10 novembre 2025,
www.marcbonhomme.com ; bonmarc1@gmail.com

La COP30 et le dilemme brésilien
A quelques jours du début de la COP 30 au Brésil, nous publions un article rédigé par Gabriella Lima du CADTM Suisse et publié le 12 octobre 2025 par le quotidien genevois Le Courrier. Gabriella Lima est doctorante en histoire contemporaine à l'université de Lausanne. Son article analyse la politique promue par le gouvernement Lula qui participe malheureusement du projet de capitalisme vert qui n'apporte aucune solution réelle à la crise écologique en cours, au contraire. Une délégation du CADTM participera sur le lieu de la COP 30 aux activités authentiquement alternatives au sommet gouvernemental officiel.
Tiré du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM)
6 novembre 2025 Par Gabriella Lima
Photo : Palácio do Planalto, CC, Flickr
« Lula veut-il protéger l'Amazonie ou la vendre aux industries fossiles ? » En marge de la prochaine Conférence mondiale sur le climat qu'il accueille en novembre, le Brésil présente une initiative qui permettra de monétiser les forêts et peaufine un mégaprojet controversé d'exploitation pétrolière à l'embouchure de l'Amazone. Eclairage de Gabriella Lima.
A un mois de la Conférence sur le climat de Belém (COP30), en Amazonie brésilienne, son président André Corrêa do Lago promet que la « transition juste et équitable » sera au cœur des discussions. Une transition qui met en son centre la justice sociale, le développement durable, la création d'emplois verts et ce, « sans laisser personne de côté ». Des promesses nécessaires pour préserver la crédibilité de Luiz Inácio Lula da Silva, président du pays hôte de la COP30, à une année des élections présidentielles. Mais les initiatives brésiliennes mettent à nu les contradictions entre un discours environnementaliste fort et des politiques qui priorisent les intérêts des industries fossiles et des marchés financiers.
Mainmise de la finance climatique sur les forêts. La grande proposition du Brésil à la COP est le « Tropical Forests Fund Facility » (TFFF), qui entend capitaliser sur la crise climatique en transformant les forêts en actifs financiers qui génèreraient du profit. Comment ? Via la création d'un fonds d'investissementqui engendrerait un bénéfice annuel de 4 milliards de dollars. Une partie de ces rendements servirait à rémunérer annuellement les pays qui préservent leurs forêts tropicales, à hauteur de 4 dollars par hectare. La logique n'est pas bien différente de celles des banques : il s'agit d'emprunter de l'argent à un faible taux, puis le prêter plus loin à un taux plus élevé et allouer les bénéfices à la rémunération de la conservation. Pour ce faire, le TFFF devrait lever 125 milliards de dollars étasuniens, dont 20% auprès de la philanthropie et des gouvernements sponsors et 80% sur les marchés privés – dont les fonds de pension et les compagnies d'assurance –, en émettant des instruments de dette tels que des obligations « vertes » ou « bleues ». Il s'agit donc bien de prêts et non de dons.
Le TFFF répond à l'impératif du capitalisme vert de transformer en marchandise tout ce qui ne l'est pas encore. Il vise ainsi à combler les lacunes de mécanismes comme REDD+, en financiarisant tous les services liés à la conservation des forêts plutôt que les seules émissions carbone évitées. En théorie, 4 milliards de dollars devraient être versés pour la conservation, mais il n'y a encore aucune garantie que le fonds réussira à lever les 125 milliards visés, ni que les 4 dollars par hectare seront bien versés aux pays associés. Les rendements générés devront couvrir, dans l'ordre, les intérêts des investisseurs et les coûts administratifs avant d'alimenter la conservation.
Les forêts ne percevront que ce qui reste et le montant attribué dépendra de la performance financière du fonds. Si le taux de rendement est inférieur à 7,5% ou si l'objectif de 125 milliards n'est pas atteint, les versements dédiés à la conservation seront réduits proportionnellement. Les perspectives sont déjà peu encourageantes, puisque même les architectes du projet estiment à 60% le risque de ne pas réussir à verser les sommes promises. Pire encore, le projet ne définit pas qui endosse la responsabilité de la dette dans le cas où les investisseurs ne parviendraient pas à récupérer leurs intérêts. Cette incertitude fait peser la menace d'un accroissement de l'endettement extérieur des pays forestiers tropicaux.
Instrumentalisation des peuples autochtones. En tant que pays hôte, le gouvernement brésilien se vante de battre un record historique en termes de participation des peuples autochtones à la COP. Près de 3000 représentant·es de communautés autochtones y participeront, dont 1000 seront directement intégré·es aux négociations. Ce geste symboliquement fort masque néanmoins les faibles gains matériels pour ces populations. La Global Forest Coalition (GFC), qui rassemble 144 organisations de peuples autochtones, dénonce déjà les « fausses solutions » promues par Lula.
En effet, le TFFF promet qu'une partie des rendements du fonds sera reversée aux peuples autochtones et aux populations locales. Pourtant, sur les 4 dollars par hectare, seulement 20% reviendront aux communautés locales, avec des versements irréguliers. Un rapport de la GFC s'inquiète en outre du fait que l'existence même des peuples autochtones n'est pas reconnue à l'intérieur des frontières nationales de certains Etats, ou que la reconnaissance des droits autochtones reste soumise au bon vouloir des autorités. Elle pose une question légitime : « Que signifie ‘les forêts restent intactes' ? Les communautés indigènes pourront-elles utiliser du bois ou procéder à de petits déboisements pour assurer leur subsistance ? ».
Quelle marge de manœuvre auraient les investisseurs pour définir le modèle de conservation jugé satisfaisant pour débloquer les versements du fonds ? Ces questions restent pour l'instant sans réponse.
Méga projet d'exploitation pétrolière discuté en coulisse. Le Brésil de Lula pourrait certainement jouer un rôle pivot dans la transition énergétique, en tant que l'un des principaux pays producteurs pétrole à l'échelle mondiale. La sortie des énergies fossiles est d'ailleurs une revendication centrale des organisations autochtones et écologistes. Mais la tenue de la COP en Amazonie accentue les contradictions entre le discours environnementaliste de Lula et la poursuite de politiques basées sur l'exploitation effrénée des ressources naturelles, main dans la main avec les intérêts fossiles et les banques qui les financent. En marge de la préparation de la COP, c'est un méga projet controversé d'exploitation pétrolière à l'embouchure du fleuve Amazone qui est en préparation.
Avec un certain malaise, Lula a déclaré dans une interview récente 1 vouloir exploiter le pétrole, mais de manière respectueuse de l'environnement. Un exercice difficile, étant donné que le projet vise la production de pas moins de 14 milliards de barils de pétrole, notamment par le géant pétrolier semi-public Petrobrás, qui se classe au 20e rang des entreprises qui génèrent le plus de CO₂ au monde. Selon l'Institut ClimaInfo, une exploitation pétrolière de cette ampleur relâcherait 11 milliards de tonnes de CO₂ dans l'atmosphère, ce qui représente 5% du budget carbone restant pour rester sous le seuil de 1,5 °C.
La Petrobrás entend augmenter massivement sa production et multiplier ses sites d'exploration dans les quatre ans à venir. Pour justifier cette stratégie, Lula mobilise un narratif de défense de la souveraineté nationale sur les ressources énergétiques. Or, le développement du secteur pétrolier vise avant tout à satisfaire l'appétit des capitaux étrangers. Près de 63% du capital de Petrobrás est détenu par des investisseurs privés, dont deux tiers d'internationaux. Accroître la production revient donc à générer plus de profits pour les investisseurs étrangers, tout en consolidant la dépendance de l'économie brésilienne aux exportations d'or noir, aujourd'hui le principal produit d'exportation du pays. La majorité du pétrole extrait par Petrobrás part déjà à l'étranger, notamment en Israël, où il sert de combustible et alimente l'effort de guerre. Entre 2023 et 2024, les exportations de pétrole vers ce pays ont augmenté de moitié. Souligner cette évolution permet en partie d'expliquer pourquoi Lula se positionne comme un fervent dénonciateur du génocide à Gaza sur la scène internationale, tout en refusant de rompre ses relations commerciales avec l'Etat d'Israël.
Les ambivalences entre un discours souverainiste et la complaisance de Lula envers les capitaux étrangers se manifestent de manière encore plus aigüe dans le programme de privatisations actuel, en vertu duquel le gouvernement a lancé des ventes aux enchères pour des bassins pétroliers sur terre et off-shore dans la Marge équatoriale amazonienne.
En juin dernier, 146'000 km2 de droits de concessions d'hydrocarbures ont été vendus, majoritairement à des géants comme Galp (Portugal), ExxonMobil (USA), Equinor (Norvège) ou PetroChina (Chine), qui pourront exploiter et vendre le pétrole. Confier la production et la commercialisation de combustibles responsables de plus de 75% des émissions mondiales de gaz à effet de serre aux industries étrangères n'a rien d'une stratégie de souveraineté énergétique, encore moins d'une politique de réduction des émissions.
D'autres voies possibles pour financer la conservation
Les organisations locales combattent avec la même vigueur le « développementalisme fossile » de Lula et la mainmise de la finance sur la conservation des forêts. Comme alternative au TFFF, la Global Forest Coalition propose d'allouer 1% des budgets de défense nationale de tous les pays à la conservation des forêts tropicales. Pour le Brésil, cela représenterait 226 millions de dollars, ou un sixième du 1,3 milliard que le pays pourrait recevoir du TFFF, dans l'hypothèse où le taux de déforestation reste en dessous de 0,5% et où le fonds est en mesure d'honorer ses engagements.
Une autre option, plus ambitieuse, serait de suspendre le paiement de la dette, qui étouffe aujourd'hui les finances brésiliennes. L'an dernier, le service de la dette aurait absorbé près de 2000 milliards de réaux brésiliens (363 milliards de dollars). Ce montant représente à lui seul près de trois fois le montant du TFFF ! En 2024, le paiement de la dette a absorbé 42% du budget brésilien, tandis que seuls 21% ont été alloués aux retraites, 6% à l'aide sociale, 4% à la santé et seulement 0,3% à la gestion environnementale. Suspendre le paiement de la dette est une manière efficace de dégager des ressources pour la conservation sans transformer celle-ci en une source de profit pour le marché financier. C'est aussi une nécessité pour assurer la transition écologique « juste » qu'André Corrêa do Lago entend mettre en œuvre.
Source : https://lecourrier.ch/2025/10/12/la-cop30-et-le-dilemme-bresilien/
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Halte aux attaques de Trump contre le Venezuela et l’Amérique latine
Les chantages et les menaces économiques à l'encontre du Brésil, de la Colombie, du Mexique et de l'Argentine s'inscrivent dans une nouvelle phase de la politique étasunienne envers l'Amérique latine. Mais le danger le plus grand pèse sur le Venezuela, dont Trump est déterminé à renverser le gouvernement. Le déploiement de 10 000 soldats, d'un arsenal gigantesque dans les Caraïbes et d'attaques qui ont déjà assassiné plus de 60 personnes en mer, menace non seulement le Venezuela mais aussi toute la région. Il est du devoir urgent des militant·es du monde entier d'élever la voix et de se mobiliser contre l'interventionnisme des États-Unis gouvernés par Trump.
Tiré de Quatrième internationale
4 novembe 2025
Déclaration du Bureau exécutif de la IVe Internationale adoptée le 27 octobre 2025.
Copyright
Fourth International / CC BY-NC-SA 4.0
Déploiement militaire sans précédent dans les Caraïbes
La cible principale de l'offensive américaine est sans aucun doute le Venezuela. Avec une virulence éhontée sans précédent, le leader impérialiste et ses secrétaires d'État et à la Guerre, Marco Rubio et Peter Hegseth, ont émis un décret qualifiant les cartels criminels de la drogue d' « organisations terroristes », ont désigné Maduro comme le chef d'un cartel qui n'existe pas (le Cartel de los Soles) et ont offert une récompense de 50 millions de dollars pour toute information permettant de capturer le Vénézuélien.
Encore plus menaçant, le déploiement dans les Caraïbes d'environ 10 000 marines, avec des porte-avions (les plus grands de leur marine), des torpilleurs et des sous-marins nucléaires, des navires de guerre équipés de missiles à moyenne portée, des bombardiers B52 et une capacité technologique permettant d'effectuer des analyses de données à grande échelle, dans le cadre d'une manœuvre qualifiée par les spécialistes de « réorganisation sismique ». Porto Rico a été remilitarisé et les accords de coopération militaire avec les pays des Caraïbes ont été utilisés pour construire une infrastructure militaire qui semble précéder une attaque à grande échelle contre le pays qui a été le théâtre de la grande révolution bolivarienne. Au cours des deux derniers mois, ces forces ont mené des attaques contre des bateaux (présumés trafiquants), faisant plus de 60 morts.
Le 15 octobre – et cela n'avait pas eu lieu même pendant la guerre froide, puisque les opérations de la CIA étaient secrètes –, Trump a annoncé qu'il avait autorisé la CIA à mener des opérations au Venezuela. Selon le Washington Post, le président aurait signé un document autorisant la CIA à mener des opérations secrètes dans des pays étrangers, allant de la collecte clandestine d'informations à la formation de forces de guérilla de l'opposition et à la réalisation d'attaques meurtrières.
Le dimanche 19 octobre, dans un nouveau pas vers l'escalade, les forces étasuniennes ont mené une attaque meurtrière dans l'océan Pacifique contre un navire supposé appartenir au groupe colombien de l'ELN (Armée de Libération nationale). Face à la juste protestation de Gustavo Petro, Trump a insulté le président colombien en le traitant de « trafiquant de drogue » et de chef d'un « gouvernement faible et très mauvais », menaçant, comme d'habitude, d'imposer des droits de douane et de couper les financements, tout en retirant le visa américain à Petro, à sa famille et à ses conseillers. Alors que Petro rappelait l'ambassadeur colombien à Washington, Trump déclarait lors d'une conférence de presse, en réponse à un journaliste, qu'il n'avait pas besoin d'une déclaration de guerre pour mener ses opérations contre le trafic dans ce qu'il considère comme ses eaux territoriales. « Nous y allons et nous les tuons ».
Selon des spéculations publiques aux États-Unis, les principaux conseillers de Trump l'inciteraient à envahir le Venezuela pour renverser Maduro. Et l'attribution du prix Nobel de la paix à la dirigeante d'extrême droite vénézuélienne María Corina Machado – qui, si elle n'était pas sérieuse, serait l'une des blagues du plus mauvais goût de notre époque – fait partie d'un plan délibéré visant à renforcer celle qui est considérée par les faucons comme l'alternative à Maduro. L'administration Trump semble vouloir forcer une transition vers un gouvernement d'extrême droite dirigé par Edmundo González Urrutia et María Corina Machado – qui a déjà demandé des sanctions contre le Venezuela, sans se soucier des effets de celles-ci sur la population appauvrie, et qui livre désormais le sort de la nation aux bottes des soldats yankees.
Il peut sembler improbable que les États-Unis envahissent par voie terrestre les pays dont ils accusent les gouvernements de complicité avec le trafic de drogue, comme le Venezuela, la Colombie et même le Mexique. Tout d'abord parce qu'une guerre d'invasion terrestre prolongée se heurterait à une forte résistance de la part des forces armées sous le commandement de Maduro, éventuellement avec l'aide et la sympathie de la population de la région, ce qui signifierait un nouvel Irak plus proche. S'engager dans un conflit armé de cette ampleur contredit le discours de Trump à l'intention de son public national, auquel il a promis de « mettre fin aux guerres ». Troisièmement, parce qu'il y a des signes d'opposition de la part de certains hauts responsables américains à une solution de ce type, comme semble l'indiquer la démission prématurée du chef du Commandement militaire sud, l'amiral Alvin Hosley, le 16 octobre.
Quoi qu'il en soit, la prudence conseille de ne pas écarter la possibilité d'une « folie » belliciste de la part du leader néofasciste. À tout le moins, d'après ses discours, il est possible qu'il opte pour des attaques par drones ou avions contre des cibles spécifiques au Venezuela, afin de continuer à affaiblir le gouvernement.
Un retour vers le passé
Depuis les premiers jours de son retour dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, Donald Trump, encouragé par ses faucons néofascistes, maintient le Mexique sous une forte pression tarifaire et policière-militaire (afin que le gouvernement de Claudia Sheinbaum mette fin au flux migratoire à la frontière et combatte les cartels locaux du trafic de drogue). Des drones de la CIA survolent le territoire mexicain à la prétendue recherche de laboratoires de cocaïne et d'autres drogues.
Trump s'est ingéré dans la politique intérieure du Brésil pour défendre son ami Bolsonaro, condamné pour tentative de coup d'État (en imposant des droits de douane de 50 % sur les exportations brésiliennes vers les États-Unis et en ouvrant une enquête commerciale contre les timides politiques brésiliennes visant à limiter les entreprises américaines de la big tech). Même l'Argentine, gouvernée par son compère Javier Milei, n'échappe pas aux menaces et au chantage : à la mi-octobre, commentant un nouveau prêt de 20 milliards de dollars du FMI au pays, Trump a conditionné la poursuite de son soutien au néofasciste libertarien du Sud à une victoire du parti de Milei aux élections législatives du 26 octobre. « Si [Milei] perd, nous ne serons pas généreux avec l'Argentine », a déclaré Trump. Cet épisode témoigne d'une normalisation de la rhétorique et de la pratique d'ingérence directe du gouvernement américain dans les affaires politiques internes d'États souverains. (Et il semble bien que la décision de Trump ait été l'un des facteurs de la victoire de l'administration Milei aux élections.)
Tous ces positionnements, ces discours punitifs et cet énorme déploiement militaire constituent une attaque contre les voisins latino-américains inédite depuis l'invasion de la Grenade en 1982. Dans le cadre du changement substantiel que la Maison Blanche de Trump impose aux relations de pouvoir mondiales en vigueur depuis huit décennies, la politique américaine à l'égard de l'Amérique latine fait un retour au passé interventionniste, marqué par l'agression militaire et l'ingérence politique ouverte, qui avait déjà caractérisé les relations de la puissance impérialiste avec tout le Sud pendant la guerre froide.
Appel à la solidarité internationale anti-impérialiste
L'accusation portée contre Maduro et les hauts dirigeants du gouvernement vénézuélien d'être membres de cartels, aussi stupide soit-elle, vise à justifier la violation du principe d'autodétermination des peuples et de la souveraineté territoriale du Venezuela.
Il est temps d'appeler les forces démocratiques, anticoloniales, progressistes et révolutionnaires du monde, et de la région en particulier, à défendre l'intégrité territoriale du Venezuela, des pays des Caraïbes et de toute l'Amérique latine, face aux tentatives d'intervention militaire ou politique, c'est-à-dire aux tentatives de définir « d'en haut et de l'extérieur » (lire : dans le Bureau ovale) l'orientation politique de pays souverains. C'est au peuple vénézuélien de décider de son gouvernement, sans ingérence d'aucune sorte. Ce sont les peuples souverains d'Amérique latine et de tous les coins du globe qui doivent décider que faire de leurs tyrans, de leurs parlements et des jugements rendus par leurs systèmes judiciaires.
Nous devons exiger que les gouvernements de Lula, Petro, Boric et Sheinbaum fassent tout leur possible pour empêcher toute possibilité d'agression militaire et d'intervention politique au Venezuela. Il est positif que Lula se propose comme « médiateur », comme il l'a fait lors de sa rencontre avec Trump, mais tous ces gouvernements doivent rejeter clairement, et le répéter sans cesse, toute initiative américaine contre le Venezuela.
La solidarité de la IVe Internationale avec le Venezuela inclut l'exigence faite à Maduro de rétablir les libertés politiques pour le mouvement social, la gauche et les travailleurs et travailleuses du Venezuela. C'est la voie à suivre, parallèlement à la légitime mobilisation militaire populaire, pour construire une véritable unité nationale et régionale contre l'agression impérialiste. Seule la plus large unité d'action peut contenir, résister et vaincre l'agression en cours.
Troupes et armes yankee hors de la mer des Caraïbes !
Stop aux bombardements dans la région !
Démilitarisation immédiate de Porto Rico !
Halte aux agressions US contre le Venezuela et toute l'Amérique latine !
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Haïti : Le CPT, le Gouvernement et le CEP veulent maintenir le statu quo
Le CPT, le Gouvernement et le CEP veulent organiser des élections bâclées pour maintenir le statu quo et provoquer plus de crises en Haïti, ECCREDHH lance un appel à la vigilance.
Pétion-ville, Haïti, le 27/10/2025
L'État Haïtien à travers ces dirigeants vidés de tout bon sens logique, devient de plus en plus inutile. Les réalités qui se dessinent actuellement nous permettent de conclure avec une telle affirmation. Dans un pays où la misère règne, l'impunité et l'injustice sont les seules monnaies courantes, la corruption, le chômage, même le fondamental que l'État ne peut même pas garantir.
Comment pourrait-on parler d'élections libres dans l'état actuel des choses ?
Alors que plus de 5.4 millions d'Haïtiens souffrent d'insécurité alimentaire suivant toutes les dernières statistiques ; environ 1.412 199 de personnes sont des déplacées internes selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). La Capitale d'Haïti, Port-au-Prince ainsi que ses environs, sont sous le contrôle des groupes armés, sans même tenir compte des autres départements, tels que l'Artibonite, le Plateau Central, une partie du grand Sud.
En fait, l'Organisme de défense des droits humains rappelle que « VOTER » n'est pas seulement un acte politique, mais aussi une expression de la dignité humaine et un moyen de défendre les droits et libertés fondamentaux. Donc, garantir les conditions d'un vote libre et équitable, c'est assurer le respect des principes démocratiques et la réalisation effective des droits humains universels. C'est une façon pour vous rappeler que "VOTER", est un droit de l'homme, et ce droit doit être exercé dans un climat sécuritaire stable. Personne ne va nous faire autrement pour plaire à quiconque.
Donc aucune élection transparente et crédible ne sera réalisée en Haïti sans la révision exhaustive de la liste électorale, restaurer le climat sécuritaire et un changement du Conseil Électorale Provisoire, parce que ces institutions ne sont ni indépendantes ni impartiales.
L'Organisme de Défense des Droits Humains en Haïti (ECCREDHH) a toujours souligné que l'organisation d'élections est une nécessité importante pour la démocratie. Cependant, celles et ceux qui ont la responsabilité ne prennent pas les mesures requises pour garantir un processus transparent et inclusif, ils risquent de provoquer une nouvelle crise post-électorale.
En tant qu'organisation engagée pour le respect des droits humains et le bien-être collectif, nous agissons comme avant-gardiste pour lancer l'alerte : ces élections que ce Conseil Électorale Provisoire (CEP) sans provision, ce Conseil Présidentiel de Transition (CPT) échoué et ce Gouvernement nul veulent organiser sous la pression d'une frange de l'international dans ces conditions, n'apportent que le chaos et Haïti s'exposera à une crise post-électorale sans précédent.
« L'heure est à la mobilisation et la Vigilance »
À propos d'ECCREDHH
L'Ensemble des Citoyens Compétents à la Recherche de l'Égalité des Droits de l'Homme en Haïti (ECCREDHH) est une organisation dédiée à la promotion et la défense des droits humains, à l'éducation et à la recherche en Haïti. Elle œuvre pour une société plus juste et inclusive à travers des actions concrètes et des partenariats stratégiques.
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Armement nucléaire - La course à la bombe : encore ?
L'arme nucléaire revient sur le devant de la scène internationale, avec les annonces successives, par Vladimir Poutine, du développement de nouveaux armements, et par Donald Trump de la reprise d'essais. Les traités de limitation des armements sont de plus en plus ignorés et cette nouvelle course entre les deux (anciens) Grands de la guerre froide pourrait, cette fois, inciter plusieurs nouveaux participants à entrer dans la compétition…
« 1er » novembre 2025, par BRET
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76851
Depuis une semaine, l'actualité stratégique est devenue retro. Elle a repris une chorégraphie très « années 1950 » car elle a été bousculée par le retour du nucléaire au-devant de la scène internationale.
Le 26 octobre dernier, en treillis et en vidéo, Vladimir Poutine présente (à nouveau) le missile expérimental russe Bourevstnik (« annonceur de tempête »), doté d'une tête et d'un système de propulsion nucléaires. Quelques jours plus tard, c'est au tour d'un drone sous-marin à propulsion nucléaire, le Poséidon, déjà présenté il y a quelques années, d'avoir les honneurs des autorités russes qui proclament qu'il est indétectable et pourrait venir percuter les côtes ennemies et y faire exploser une charge nucléaire. Enfin, le 29 octobre, Donald Trump annonce sur le réseau Truth Social la reprise des essais pour « les armes nucléaires », une première depuis l'adoption du Traité sur l'interdiction des essais nucléaires en 1996.
Cette guerre des communiqués a déclenché l'onde de choc d'une bombe – médiatique, fort heureusement – dans les milieux stratégiques. En effet, depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, la guerre d'Israël contre le Hamas dans la bande de Gaza, le bombardement de l'Iran par les États-Unis et la guerre Inde-Pakistan du début de l'année, l'attention des analystes militaires s'était portée sur les armements traditionnels (blindés, missiles, munitions, chasseurs) et sur les systèmes innovants (drones, artillerie mobile, munitions guidées, bombes perforatrices).
Dans cette séquence en Technicolor et en Mondovision, tout se passe comme si le célèbre Dr. Folamour du film de Stanley Kubrick (1964) faisait son grand retour : ce personnage de fiction, scientifique nazi employé par l'armée américaine, paraît comme rappelé à la vie par la nouvelle guerre froide que se livrent les grandes puissances militaires dotées de l'arme atomique, à savoir les États-Unis, la Fédération de Russie et la République populaire de Chine, respectivement pourvues d'environ 3700, 4200 et 600 ogives nucléaires. Ce parfum de course à la bombe fleure bon les années 1950, les Cadillac roses et les défilés sur la place Rouge.
Pourquoi la course aux armements nucléaires est-elle aujourd'hui relancée, du moins au niveau médiatique ? Et quels sont les risques dont elle est porteuse ?
Essais nucléaires américains et surenchères médiatiques
En annonçant la reprise des essais nucléaires sur le sol des États-Unis, Donald Trump s'est montré aussi tonitruant que flou. Dans ce domaine-là comme dans tous les autres, il a voulu claironner le Make America Great Again qui constitue son slogan d'action universelle pour rendre à l'Amérique la première place dans tous les domaines.
En bon dirigeant narcissique, il a voulu occuper seul le devant de la scène médiatique en répliquant immédiatement aux annonces du Kremlin. En bon animateur de reality show, il a volé la vedette atomique à son homologue russe. Invoquant les initiatives étrangères en la matière, il a endossé son rôle favori, celui de briseur de tabous, en l'occurrence le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICEN) adopté en 1996 par l'Assemblée générale des Nations unies, avec le soutien des États-Unis de Bill Clinton, érigés en gendarme du monde.
Le message trumpien procède d'une surenchère évidente sur les annonces du Kremlin : comment Donald Trump aurait-il pu laisser toute la lumière à Vladimir Poutine en matière d'innovations nucléaires de défense ? Il lui fallait réagir par une annonce plus forte, plus choquante et plus massive. C'est tout le sens de la reprise des essais sur « les armements nucléaires ». Personne ne sait s'il s'agit de tester de nouvelles ogives, de nouveaux vecteurs, de nouveaux modes de propulsion ou de nouvelles technologies de guidage. Mais tout le monde retient que c'est le président américain qui a officiellement relancé et pris la tête de la course mondiale à la bombe. C'était le but visé. Examinons maintenant ses conséquences.
À moyen terme, cette déclaration n'a rien de rassurant : les États-Unis, première puissance dotée historiquement et deuxième puissance nucléaire par le nombre d'ogives, envoient par cette annonce un « signalement stratégique » clair au monde. Ils revendiquent le leadership en matière d'armes nucléaires (dans tous les domaines) en dépit du rôle essentiel qu'ils ont joué depuis les années 1980 pour le contrôle, la limitation et la réduction des armes nucléaires.
En effet, les différents traités signés et renouvelés par Washington – Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (1987), START I (1991), II (1993) et New START (2010), TICEN, etc. – avaient tous pour vocation de dire au monde que les États-Unis se donnaient comme horizon la dénucléarisation des relations internationales ainsi que de l'espace et même la suppression de l'arme comme le souhaitait le président Obama.
Avec cette annonce – qu'on espère réfléchie même si elle paraît compulsive –, les États-Unis changent de rôle mondial : ils cessent officiellement d'être un modérateur nucléaire pour devenir un moteur de la nucléarisation des relations internationales.
L'avenir du nucléaire : dissuasion ou suprématie ?
La tonalité qui se dégage de cette guerre des communiqués atomiques ressemble à s'y méprendre à la première guerre froide et à la course-poursuite à laquelle elle avait donné lieu. Après avoir conçu, produit et même utilisé l'arme atomique en 1945 contre Hiroshima et Nagasaki, les États-Unis avaient continué leur effort pour obtenir la suprématie nucléaire dans le domaine des vecteurs, des milieux (air, terre, mer) et des technologies de guidage. L'URSS de Staline avait, elle, d'abord cherché à briser le monopole américain sur l'arme nucléaire puis gravi tous les échelons technologiques pour devenir une puissance nucléaire à parité avec ce qu'on appelait alors le leader du monde libre.
Le pivot historique doit être noté, surtout s'il se confirme par une course aux armements. Jusqu'à la guerre d'Ukraine, les armes nucléaires faisaient l'objet de perfectionnements technologiques réguliers. Mais le cadre de leur possession restait inchangé : elles devaient constituer un outil de dissuasion. Autrement dit, elles devaient rester des armements à ne jamais utiliser. Les signalements stratégiques sont aujourd'hui sensiblement en rupture avec cette logique établie depuis les années 1980.
>
Depuis le début de la guerre d'Ukraine, le Kremlin laisse régulièrement entendre qu'un usage sur le champ de bataille (le fameux « nucléaire tactique ») n'est pas à exclure en cas de risque pour les intérêts vitaux russes. De même, les États-Unis viennent de faire comprendre que leur priorité n'est plus la lutte contre la prolifération nucléaire, qu'elle soit nord-coréenne ou iranienne. Si le message de Donald Trump sur Truth Social est suivi d'effets, la priorité nucléaire américaine sera la reconquête de la suprématie nucléaire en termes de quantité et de qualité.
Autrement dit, les anciens rivaux de la guerre froide relancent une course aux armements nucléaires au moment où les instruments internationaux de limitation et de contrôle sont démantelés ou obsolètes. Ils ne luttent plus pour se dissuader les uns les autres d'agir. Ils participent à la course pour l'emporter sur leurs rivaux. Le but n'est plus la MAD (Mutual Assured Destruction) mais la suprématie et l'hégémonie atomique.
L'effet d'imitation risque d'être puissant, donnant un nouvel élan aux proliférations.
De la compétition internationale à la prolifération mondiale ?
Si les annonces russo-américaines se confirment, se réalisent et s'amplifient sous la forme d'une nouvelle course aux armements nucléaires, trois ondes de choc peuvent frapper les relations stratégiques à court et moyen terme.
Premier effet de souffle, au sein du club des puissances officiellement dotées de l'arme nucléaire au sens du Traité de Non-Prolifération (TNP), la République populaire de Chine ne pourra pas se laisser distancer (quantitativement et qualitativement) par son rival principal, les États-Unis et par son « brillant second », la Russie. En conséquence, la RPC s'engagera progressivement dans un programme visant à combler son retard en nombre de têtes et dans la propulsion des vecteurs. Cela militarisera encore un peu plus la rivalité avec les États-Unis et « l'amitié infinie » avec la Russie. Il est à prévoir que de nouveaux armements nucléaires seront développés, adaptés à l'aire Pacifique et dans les espaces que la Chine conteste aux États-Unis : Arctique, espace, fonds marins… Il est également à prévoir que la Chine s'attachera à développer des systèmes de lutte contre ces nouveaux vecteurs à propulsion nucléaire.
Le deuxième effet sera, pour les Européens, une interrogation sur les ressources à consacrer à leurs propres programmes nucléaires, de taille réduite car ils sont essentiellement axés sur la dissuasion stratégique. S'ils refusent de s'y engager pour concentrer leurs ressources sur les armes conventionnelles, ils risquent un nouveau déclassement. Mais s'ils se lancent dans la compétition, ils risquent de s'y épuiser, tant leur retard est grand. Nucléarisés mais appauvris. Ou bien vulnérables mais capables de financer le réarmement conventionnel.
Enfin, le troisième effet indirect des déclarations russo-américaines sur la reprise de la course aux armements sera la tentation, pour de nombreux États, de se rapprocher du seuil afin de garantir leur sécurité. Si l'Arabie saoudite, la Corée du Sud, la Pologne et même le Japon et l'Allemagne considèrent que leur sécurité nécessite des armes nucléaires et que le cadre du TNP est obsolète, alors la prolifération risque de reprendre de plus belle, à l'ombre des menaces nord-coréennes et iraniennes.
De Dr. Folamour à Dr. Frankenstein
Les annonces russes, américaines et, n'en doutons pas, bientôt chinoises sur les armements nucléaires présagent d'une nouvelle phase dans les affaires stratégiques, celle d'une compétition majeure sur toutes les technologies liées à ces armes complexes. Si la tendance se confirme, les armes nucléaires, leurs vecteurs, leurs usages et leurs doctrines seront de nouveau propulsés au premier plan du dialogue compétitif entre puissances. Et l'espace sera lui-même susceptible de devenir le nouvel espace de la compétition nucléaire.
Vivons-nous pour autant une régression historique vers la guerre froide ?
La donne est bien différente de celle des années 1950, quand le but des puissances communistes était de rattraper leur retard sur les armes américaines (acquisition de la bombe, passage au thermonucléaire). Et le débat stratégique est bien distinct de celui des années 1970, quand la compétition était quantitative (combien de têtes ? Combien de vecteurs ?).
Aujourd'hui, les risques liés aux armes nucléaires sont différents : démantèlement progressif des traités de limitation et de contrôle de ces armes, tentation retrouvée de se porter au seuil pour les puissances non dotées et surtout réflexion sur un usage (et non plus sur la dissuasion).
Ce n'est pas Dr. Folamour qui a connu une résurrection, c'est un nouveau Dr. Frankenstein qui s'est lancé dans des expérimentations.
Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po
< !—> The Conversationhttp://theconversation.com/republishing-guidelines —>
P.-S.
• The Conversation. Publié : 1 novembre 2025, 15:21 CET.

Inquiétante délégitimation de l’antifascisme
La répression des résistances aux tournants autoritaires s'intensifie depuis l'assassinat de Charlie Kirk. En témoignent les menaces de mort à l'encontre de l'historien américain Mark Bray. L'anti-antifascisme sévit en Italie depuis quelque temps déjà, et s'élargit au-delà de l'extrême droite. Pourtant l'antifascisme désigne une expression politique complexe par la diversité des acteurs, lieux, périodes, valeurs et projets de société. Il ne peut être réduit à une « idéologie ».
Stéfanie Prezioso est historienne
5 novembre 2025 | tiré d'AOC media
https://aoc.media/opinion/2025/11/04/inquietante-delegitimation-de-lantifascisme
Plus de 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'« antifascisme » est sur le banc des accusés, une criminalisation liée bien sûr à la progression de l'extrême droite un peu partout dans le monde. Ces attaques ne peuvent cependant pas être réduites au seul fait de son ennemi héréditaire, elles s'inscrivent dans une délégitimation de longue durée.
De cette promesse de futur transformée en mythe dans l'après-Seconde Guerre mondiale, l'antifascisme s'est vidé, au cours de ces quarante dernières années, de son contenu social, de ses horizons d'attente politiques et de son champ d'expérience, en bref, de sa dimension historique. Au-delà de la criminalisation en acte, c'est bien ce que l'antifascisme représente en tant que conditions pour un avenir souhaitable qui est attaqué de toutes parts. Le départ des États-Unis de l'historien de l'antifascisme, Mark Bray, n'en est que l'une des dernières illustrations.
Professeur à Rutgers University, ce dernier a été contraint de quitter le territoire états-unien avec sa famille début octobre. Il est l'auteur de L'antifascisme, son passé, son présent et son avenir (traduction française pour Lux éditeur, 2018). Depuis l'assassinat de Charlie Kirk le 10 septembre, Bray a été victime de harcèlement de la part de membres de Turning Point. L'organisation de Charlie Kirk a lancé début octobre une pétition pour que celui qu'ils appellent « Docteur Antifa » soit licencié : la pétition le désigne comme un « militant antifa bien connu », présentant ses travaux comme « un manuel de l'antifascisme militant » et avançant qu'« avec la tendance actuelle du terrorisme d'extrême gauche, la présence sur le campus d'un leader en vue du mouvement antifa constitue une menace pour les étudiants conservateurs ». Sur X, Jack Posobiec, « influencer » (quoi que cela veuille dire) d'extrême droite, l'a désigné comme un professeur terroriste de l'intérieur. Le spécialiste du fascisme et de l'antifascisme, internationalement reconnu, a été menacé d'être assassiné devant ses étudiants dans sa salle de cours.
Michael Joseph, président de Turning Point sur le campus de Rutgers, tout en condamnant les menaces de mort à l'encontre de Mark Bray n'en a pas moins déclaré : « Mark Bray est un lâche, fondamentalement. Il pensait pouvoir se cacher derrière ses livres. Il pensait pouvoir se cacher derrière son diplôme et radicaliser des jeunes en toute sécurité depuis sa salle de classe. » La direction de Rutgers University a réaffirmé son engagement à fournir un environnement sécurisé pour enseigner et apprendre, mais la peur s'est installée. Craignant pour sa sécurité et celle de sa famille, Mark Bray a décidé de partir en Espagne, pays dans lequel il est arrivé après une « mystérieuse et suspecte » annulation, de dernière minute, de son embarquement ; une nouvelle intimidation particulièrement inquiétante. Depuis la mort de Kirk, des dizaines de personnes dans les services publics, les universités, les médias ou les services de santé ont été licenciées ou sanctionnées pour leurs publications sur les réseaux sociaux relatives à Kirk ou à l'antifascisme. Le vice-président Vance a appelé la population à la délation et le chef de cabinet adjoint Stephen Miller a annoncé une « guerre totale » contre la « gauche radicale ».
Mark Bray n'est que l'une des nombreuses victimes de la guerre que Donald Trump et sa garde rapprochée ont décidé de lancer contre ce qu'ils nomment « les fous de la gauche radicale », en réalité, pointant celles et ceux, femmes, hommes, associations, organisations qui s'opposent aujourd'hui au tournant autoritaire, en offrant des armes à la critique et à la mobilisation. Les quelque 7 millions de manifestants du No Kings Day n'ont-ils pas été présentés par les membres du gouvernement Trump comme des « personnes payées pour être là » et de « dangereux terroristes, immigrants illégaux et criminels violents » ?
Qui est l'ennemi ?
L'assassinat de Charlie Kirk a fourni le prétexte pour accélérer les politiques répressives aux USA. Le 22 septembre, Donald Trump a déclaré hors-la-loi le « mouvement Antifa », le décrivant comme un « réseau de terroristes d'extrême gauche qui visaient à renverser le gouvernement américain ». Il avait déjà tenté de le faire en 2020 après les mobilisations qui ont fait suite à la mort de George Floyd. À l'époque, le directeur du FBI, Christopher Wray, lui avait rétorqué qu'« Antifa » ne remplissait pas les critères pour être désigné comme une organisation terroriste. Un cadre juridique piétiné aujourd'hui.
La dénomination « Antifa » ne renvoie à aucune organisation précise, comme l'écrivait le philosophe Ben Burgis, lui aussi professeur à Rutgers, il s'agit d'un « terme fourre-tout » qui entend « condamner un ensemble vague d'acteurs à un sort incertain ». Désigner « Antifa » comme un « réseau terroriste d'extrême gauche » vise donc essentiellement à criminaliser les opinions de celles et ceux qui s'opposent à la politique menée par Donald Trump et son gouvernement.
Le 25 septembre, le président des États-Unis a signé le décret de sécurité « Lutte contre le terrorisme intérieur et la violence politique organisée (NSPM‑7) ». Alors que plus de 75 % de la violence politique aux USA depuis 2001 peut être attribuée à l'extrême droite, le décret part de la prétendue augmentation de celle d'« antifascistes autoproclamés ». La violence politique y est définie comme « l'aboutissement de campagnes sophistiquées et organisées d'intimidation ciblée, de radicalisation, de menaces et de violences, conçues pour réduire au silence les opinions opposées, limiter l'activité politique, influencer ou orienter les décisions politiques et empêcher le fonctionnement d'une société démocratique ». Sur cette base, le décret prévoit qu'il « est nécessaire de mettre en place une nouvelle stratégie de maintien de l'ordre qui enquête sur l'ensemble des participants à ces conspirations criminelles et terroristes — y compris les structures organisées, les réseaux, les entités, les organisations, les sources de financement et les actes sous-jacents qui les soutiennent ».
Le décret propose d'instaurer une surveillance « préventive » pour enquêter, poursuivre et dissoudre tout groupe ou individu soupçonné de planifier une « violence politique » avant même qu'il ne passe à l'acte. Mais qui sont ces antifascistes ? Selon le même décret de sécurité, ceux et celles qui « prêchent » : « l'anti-américanisme, l'anticapitalisme et l'antichristianisme, le soutien au renversement du gouvernement américain, l'extrémisme en matière de migration, de race et de genre, et l'hostilité envers ceux qui ont des opinions américaines traditionnelles sur la famille, la religion et la moralité ». En bref, ce décret étend le pouvoir discrétionnaire des autorités et menace la liberté d'expression et la protection des opinions politiques, transformant en suspects potentiels toutes celles et ceux qui défendent des convictions progressistes.
Cette offensive dépasse largement le cadre des États-Unis. En Europe, l'extrême droite est montée à l'assaut de cette prétendue violence antifasciste. Des rassemblements ont été organisés en l'honneur de l'activiste raciste, homophobe, suprématiste, machiste, fondamentaliste chrétien en Suède, en Espagne, au Royaume-Uni et en France, où des manifestations et des organisations antifascistes ont été récemment interdites ; dans ce dernier pays c'est Nicolas Conquer, représentant des Republicans Overseas, habitué des émissions de CNews, qui était à la manœuvre. Les leaders d'extrême droite se sont livrés à une surenchère verbale, participant à la déferlante de « béatification » de Charlie Kirk venue des USA et à la criminalisation de l'antifascisme. En Espagne, Santiago Abascal, leader de Vox, a affirmé le 14 septembre : « ils ne nous tuent pas parce que nous sommes fascistes ; ils nous qualifient de fascistes pour nous tuer. » Tandis qu'André Ventura (Chega, Portugal) dénonçait « l'incitation à la haine » de la part de la gauche. En ce qui concerne Marion Maréchal Le Pen, elle a évoqué une « gauche radicale qui souhaite une guerre civile ».
Aux Pays-Bas, le 18 septembre dernier, le parlement a accepté une motion proposée par l'extrême droite de Geert Wilders, demandant au gouvernement de classer « Antifa », dont les organisations sont accusées de « menacer des politiciens et d'intimider des étudiants et des journalistes en faisant usage de violence », comme une organisation terroriste. Cinq jours plus tard, les partis européens rassemblés dans le groupe des Patriotes ont présenté une motion allant dans le même sens ; ils n'en sont d'ailleurs pas à leur coup d'essai, puisqu'ils avaient déjà déposé un texte deux ans auparavant, défendant la même ligne.
Cependant c'est en Italie et en Hongrie, pays aux gouvernements amis, que ces assauts rhétoriques ont pris une tournure plus concrète. Dans la Péninsule, Giorgia Meloni et son parti ont immédiatement instrumentalisé l'assassinat de Charlie Kirk. La Présidente du Conseil a repris l'une de ses narrations privilégiées, qu'elle avait d'ailleurs utilisée lors de son discours d'investiture, pointant du doigt la prétendue violence antifasciste pour mieux blanchir son milieu politique : « La haine et la violence politique sont de nouveau une réalité alarmante », a-t-elle affirmé deux jours après l'assassinat de Charlie Kirk. « Je viens d'une communauté politique qui a souvent été accusée, à tort [sic !], de répandre la haine et qui a été accusée, figurez-vous, par ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, se taisent, minimisent, voire justifient ou célèbrent le meurtre. » Une famille politique, est-il nécessaire de le rappeler, plongeant ses racines dans le Ventennio fasciste et le néofascisme, responsable, dans l'après-guerre, de divers attentats terroristes, notamment à Piazza Fontana à Milan (12 décembre 1969 : 17 morts et 88 blessés), à Piazza della Loggia à Brescia (28 mai 1974 : 8 morts et 102 blessés) et à la gare de Bologne (2 août 1980 : 85 morts et plus de 200 blessés).
Sur proposition de Fratelli d'Italia (FdI) le Parlement italien a même organisé, le 23 septembre dernier, une commémoration de l'activiste d'extrême droite, participant à sa « martyrisation » internationale. C'est, sauf erreur, le seul parlement d'Europe à être allé aussi loin, faisant de Charlie Kirk (un « homme, fils, mari, père, chrétien », selon les déclarations d'un député FdI) un « martyr de la liberté ». Au service de ces déclarations, le dossier élaboré par le Bureau d'études de la Chambre et du Sénat de Fratelli d'Italia, intitulé « Qui souffle sur le feu de la haine politique », recense 28 épisodes de « violence politique » contre l'extrême droite italienne de 2022 à aujourd'hui, dont des déclarations, des slogans et des banderoles considérées comme « dangereuses ».
Quant au Premier ministre hongrois, il a inscrit, dès le 27 septembre 2025, les groupes « Antifa » sur une liste d'organisations terroristes. Il a évoqué explicitement le cas de l'eurodéputée italienne Ilaria Salis, détenue pendant plus de quinze mois dans un centre de haute sécurité en Hongrie. Elle risquait onze ans de prison pour avoir prétendument pris part à l'agression de militants néonazis, accusations qu'elle a toujours contestées. La demande de Budapest de lever l'immunité parlementaire de cette élue européenne a été refusée le 7 octobre dernier à une voix près par le Parlement européen. Le vote très serré en dit long sur le renforcement d'une alliance toujours plus solide de la droite et de l'extrême droite, dans ses discours et ses pratiques. Cette guerre politique contre l'antifascisme ne date pas de l'assassinat de Charlie Kirk, dont l'auteur présumé n'a par ailleurs aucun lien avec la gauche ou l'antifascisme, certaines analyses semblent même pencher pour un crime commis par un jeune homme lié à des réseaux qui se situent à la droite du leader d'extrême droite ; une hypothèse qu'avait avancée, on s'en souvient, Jimmy Kimmel et qui a failli lui coûter sa place sur les ondes. Cependant elle prend aujourd'hui une vigueur nouvelle.
Qu'est-il advenu de l'antifascisme ?
Comment en est-on arrivé là ? Comment ces discours sur l'antifascisme sont-ils non seulement devenus possibles, mais peuvent même passer pour vrais bien au-delà des cercles de l'extrême droite internationale ? La notion d'« anti-antifascisme » est peut-être la mieux à même de saisir le passage d'une narration sur l'antifascisme propagée dès la seconde moitié du XXe siècle par les fascistes et leurs héritiers directs, et celle de la droite qui en a facilité la diffusion à large échelle[1]. Pendant la guerre froide, déjà, l'« antitotalitarisme » avait remplacé l'antifascisme « pour “immuniser” le prétendu “monde libre” : le communisme était interchangeable avec le fascisme et tous les détracteurs de la société de marché et de la démocratie libérale étaient des ennemis totalitaires[2] ». Une narration qui s'est peu à peu installée d'autant plus aisément que le totalitarisme était devenu un synonyme de communisme, lui-même réduit à sa dimension criminelle (déportation, goulag, massacres) en occultant totalement sa dimension émancipatrice. L'antifascisme a été ramené à un « puissant instrument idéologique de propagande » et assimilé à un esprit totalitaire, antidémocratique et terroriste.
L'horizon de légitimité de l'anti-antifascisme n'a cessé de s'élargir, favorisé par l'éloignement des faits, la disparition de ses principaux acteurs, l'émergence d'une génération sans expérience directe du fascisme, et la réticence de la culture antifasciste à interroger ses propres tabous, notamment son rapport à l'URSS stalinienne[3]. Dès le début des années 1990, la bataille politique contre l'antifascisme s'est exprimée dans une historiographie révisionniste qui s'est donné « pour but de dénoncer plus que de faire comprendre[4] ». Un tournant derrière lequel se cachait l'alliance des « contre-révolutionnaires rénovés » avec les conservateurs dans le procès aux « processus révolutionnaires » de quelque nature qu'ils soient. Des États-Unis aux pays de l'ancien bloc soviétique, l'histoire des « subalternes » a été au cœur d'un projet culturel et politique d'inversion des valeurs, mené avec diligence et constance. Ainsi, la reductio ad absurdum, dont l'historiographie dite de « gauche », « radicale » ou « militante » a fait l'objet, a justifié non seulement l'oubli des études et interprétations sur l'antifascisme, mais aussi le déni revendiqué de ce que l'antifascisme a représenté et de ce qu'il a encore à nous dire. Ernesto Galli della Loggia, aujourd'hui à la tête de la commission de révision de l'enseignement supérieur mise en place par le gouvernement Meloni, résume cette option politique d'une phrase : « Si le fascisme est violence, illégalité et suppression de la liberté, son antithèse n'est pas l'antifascisme, mais la démocratie. »
La délégitimation de l'antifascisme n'a donc pas seulement été le fait des héritiers directs du fascisme, elle a aussi été adoptée par un aréopage large de la droite d'autant plus aisément qu'elle fonctionnait de pair avec les politiques austéritaires et la nécessité subséquente du « retrait des classes populaires de l'échange politique[5] ». Ainsi, selon un rapport daté de mai 2013 sur la zone euro, publié par la société financière J. P. Morgan, les Constitutions issues de la lutte antifasciste et sur lesquelles « les partis de gauche » avaient exercé une « forte influence » étaient l'une des causes structurelles des crises qui frappaient les pays du Sud. Ces Constitutions, poursuivait le rapport de la société incriminée par le gouvernement US dans la crise des subprimes, avaient pour principale faiblesse : « des exécutifs faibles, des États centraux faibles comparés aux pouvoirs des régions ; une protection constitutionnelle des droits des travailleurs ; des systèmes politiques basés sur le consensus qui favorise le clientélisme ; le droit de protester si des changements non souhaités au statu quo politique sont introduits[6] ».
L'effacement des racines antifascistes, des fondements, des bases, des conditions politiques, sociales et culturelles de la lutte menée contre le fascisme, et le renversement de sa signification a été une stratégie réfléchie, cohérente et planifiée. Ainsi, le révisionnisme, qui faisait encore l'objet de nombreux débats il y a quelques années, semble, aujourd'hui, être en passe de remporter la partie[7].
La « coulée brune[8] » actuelle n'est pas un accident, mais un processus d'hégémonie graduelle que l'extrême droite essaie de consolider à la fois par des politiques coercitives et la recherche d'un consentement actif (Antonio Gramsci ne définissait-il pas l'État moderne comme une hégémonie cuirassée de coercition[9] ?). L'Heritage Foundation qui a élaboré le Project 2025, ne l'a-t-elle pas mise au cœur de la « seconde révolution américaine qui restera sans effusion de sang si la gauche le permet [10] » ? L'éducation y revêt une importance majeure. Comme l'écrivait l'historienne Ruth Ben-Ghiat, « ils ne se contentent pas de restreindre la liberté intellectuelle et de modifier le contenu des enseignements pour renforcer leurs agendas idéologiques, mais cherchent également à transformer les établissements d'enseignement supérieur en lieux qui récompensent l'intolérance, le conformisme et d'autres valeurs et comportements exigés par les régimes autoritaires ».
En Italie, depuis le début des années 2000, la droite italienne alliée aux « petits enfants de Mussolini[11] » s'est régulièrement engagée dans la surveillance des manuels scolaires, accusés de biais idéologiques. Cette tendance s'est récemment matérialisée par des attaques contre le manuel d'histoire contemporaine, Trame del Tempo, rédigé entre autres par l'historien Carlo Greppi, jugé « offensif », « partisan », « bourré de haine ». Pour ne pas parler des récentes prises de position de la ministre de la famille Eugenia Rocella qui a déclaré que les voyages d'études à Auschwitz (rebaptisés avec mépris par la ministre en « balades scolaires ») « avaient été encouragés et valorisés » parce qu'ils « permettaient de répéter que l'antisémitisme était une question fasciste un point c'est tout », en bref, un « vecteur d'endoctrinement antifasciste ». À cela s'ajoutent les nouvelles indications pour l'enseignement de l'histoire dans les écoles primaires et secondaires diffusées en mars de cette année, dont l'ambition est d'aboutir à une réécriture des manuels scolaires, en piétinant allégrement la liberté d'enseignement garantie par la Constitution. Ces prescriptions, non contentes d'affirmer en ouverture que « seul l'Occident connaît l'histoire », insistent sur le rôle de l'histoire développé par le gouvernement Meloni consistant à en faire un instrument de formation de « l'identité des futurs citoyens », tout en encourageant « un jugement moral sur le passé ».
Aux États-Unis, l'affaire Mark Bray s'inscrit dans une répression toujours plus violente des analyses, des recherches et des idées critiques. L'historien soulignait d'ailleurs lui-même au New York Times : « Mon rôle dans tout ça est celui de professeur. Je n'ai jamais fait partie d'un groupe antifa, et je n'en fais pas partie actuellement. » Et il ajoutait : « Je me considère comme antifasciste dans la mesure où je suis contre le fascisme, mais je ne fais partie d'aucun de ces groupes. » S'en prendre aux enseignants, selon le président de l'American Federation of Teachers, c'est s'en prendre à celles et ceux qui « transmettent des connaissances, y compris des compétences en pensée critique, qui préparent nos enfants à leur avenir » ; c'est s'en prendre aux « piliers du mouvement ouvrier, dont le but est de défendre les aspirations des familles ouvrières[12] ». Dans le cadre de cette guerre culturelle, c'est à America 250 Civics Coalition, qui bénéficie du soutien d'une quarantaine d'organisations de l'extrême droite intégriste, qu'a été confié l'objectif de « restaurer la vitalité de l'esprit américain » et « mobiliser les jeunes vers une citoyenneté active et éclairée », en supprimant les « aspects négatifs » de l'histoire américaine, à commencer par l'esclavage et les discriminations raciales qui doivent disparaître des programmes de cours et des expositions.
Entre-temps, des États républicains, tels que la Floride, ont adopté des programmes scolaires obligatoires axés sur le patriotisme, le respect des institutions et la célébration de la culture américaine occidentale. Des mesures renforcées par l'influence de structures privées, comme la Prager University Foundation, financée par les frères Wilks, magnats du pétrole, et dirigée par Marisa Streit, ancienne agente des unités de renseignement de l'armée israélienne ; la Prager U diffuse sans accréditation ses produits, notamment des vidéos « pédagogiques », dans les écoles de Floride pour contrer les programmes d'enseignement présentés comme « gauchistes » ; on notera en particulier le dessin animé sur Christophe Colomb dans lequel ce dernier explique aux enfants que, finalement l'esclavage, ce n'était pas si mal.
« Siamo tutti antifascisti »
La destruction de l'antifascisme joue un rôle fondamental dans cette grande révision culturelle, parce que l'antifascisme est au cœur d'un combat pour l'égalité, la liberté, la justice sociale et l'émancipation et parce que son histoire est un « exemple vivant », un « idéal de chair » de l'action d'hommes et de femmes qui se sont engagés et qui ont eu un impact sur la vie de centaines de milliers de personnes, de celles et ceux qui ont pu expérimenter dans leur chair le fait que, comme l'écrivait le socialiste révolutionnaire Emilio Lussu, « si la peur est contagieuse, le courage l'est aussi ». Il n'y a pas de consensus sur la définition de l'antifascisme, à moins de s'en tenir à l'idée générale selon laquelle le fascisme s'oppose à l'humanisme des Lumières et à ses valeurs universelles. Le fascisme ne remet-il pas au goût du jour le combat contre la défense des libertés démocratiques ?
L'antifascisme désigne une expression politique complexe, non unitaire et plurale par la quantité et la diversité des acteurs, des lieux, des périodes, des traditions politiques et idéologiques et subséquemment des valeurs exprimées et des projets de société contradictoires, voire incompatibles[13]. Il ne peut donc être réduit, comme c'est le cas aujourd'hui bien trop souvent, à une « idéologie ». Il varie dans le temps et dans l'espace et sa définition change selon les programmes politiques et le répertoire d'action collective mobilisés. Il est aussi fonction de sa relation dynamique avec le fascisme à travers le monde qui en modifie le sens et la portée, mais il ne peut être subsumé dans cette posture négative. Si, comme le souligne l'historien Joseph Fronczak dans un excellent ouvrage sur l'antifascisme mondial, le fascisme émerge le premier[14], il existe un antifascisme populaire sans doctrine préalable ; en d'autres termes, un antifascisme en constante construction avant même que celles et ceux qui s'opposent au fascisme ne s'identifient en tant que tel, avant même qu'ils n'utilisent le substantif « antifascisme » pour désigner ce type particulier de militantisme. En somme, un antifascisme existentiel qui s'apparente à ce que l'historien états-unien Anson Rabinbach nomme « une mentalité » ou « un habitus[15] ».
L'antifascisme constitue ainsi bien une aspiration des classes populaires vers l'unité qui, de fait, traverse toute son histoire[16]. L'antifascisme émerge d'un siècle de luttes globales contre le fascisme et « ses possibles permanents ». Max Horkheimer n'écrivait-il pas : « Si vous ne voulez pas parler du capitalisme, alors taisez-vous à propos du fascisme[17] » ? Au cœur même de son combat intégral, de sa nature essentielle, la lutte antifasciste trace l'horizon souhaitable d'une « démocratie authentique, totale, directe ». C'est ce cri qui s'élève aujourd'hui des manifestations rassemblant des millions de personnes un peu partout dans le monde : « Nous sommes tous antifascistes. » Mieux que tout commentaire supplémentaire, le poème du poète de 1937 péruvien César Vallejo donne le sens profond de l'actualité de l'antifascisme et des craintes qu'il suscite : « La bataille finie et mort le combattant, est venu à lui un homme qui lui a dit : “Ne meurs pas, je t'aime tant !” Mais le cadavre, hélas ! persista à mourir. […] L'entourèrent des millions d'individus, implorant d'une seule voix : “Frère, ne nous abandonne pas !” Mais le cadavre, hélas ! persista à mourir. Alors, tous les hommes de la terre l'entourèrent. Le cadavre les regarda tristement, accablé. Il se leva lentement, serra dans ses bras le premier homme ; se mit à marcher…[18]. »
NDLR : Stéfanie Prezioso a récemment publié Découvrir l'antifascisme aux éditions sociales
Stéfanie Prezioso
Historienne, Professeure à l'Université de Lausanne
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Au Sahara occidental, la « pax americana » consacre la victoire du Maroc
Assiste-t-on à un tournant dans le conflit autour du Sahara Occidental ? Les dernières décisions des Nations unies semblent l'indiquer.
Tiré de orientxxi
5 novembre 2025
Par Khadija Mohsen-Finan
Des femmes portant une écharpe colorée et une grande bannière. Ciel dégagé en arrière-plan.
Dakhla, le 13 janvier 2023. Des Sahraouis déplacés arrivent pour assister à un congrès du Polisario dans le camp de réfugiés de Dakhla, situé à environ 170 km au sud-est de la ville algérienne de Tindouf.
Ryad KRAMDI / AFP
Le 31 octobre 2025, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution qui reconnaît le plan d'autonomie proposé par Rabat pour le Sahara occidental comme nouvelle référence pour le règlement d'un conflit qui pèse sur le Maghreb depuis 1975. Le texte a été entériné par 11 voix pour, aucune voix contre, et trois abstentions (Russie, Chine et Pakistan). L'Algérie a refusé de participer au vote. Cette adoption traduit l'aboutissement de la stratégie marocaine et laisse en suspens le sort des Sahraouis et du Front Polisario qui les représente.
En décembre 2020, alors qu'il s'apprêtait à achever son premier mandat, le président étatsunien Donald Trump avait reconnu la « marocanité » du Sahara occidental en contrepartie de la normalisation de la relation entre le Maroc et Israël et son intégration aux accords d'Abraham. Cette reconnaissance était importante pour Rabat, qui éprouvait des difficultés à clore ce conflit territorial l'opposant au Front Polisario, appuyé par l'Algérie depuis 1975, qui revendiquait la souveraineté sur l'ancienne colonie espagnole du Sahara.
Rabat avait fini par refuser l'organisation d'un référendum d'autodétermination qui lui aurait fait prendre le risque d'un échec. Dès la fin des années 1990, le Maroc avait opté pour une autonomie accordée aux Sahraouis dans le cadre d'un Maroc souverain, et avait proposé un plan en ce sens en 2007. En 2020, la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par les États-Unis a fait sauter un verrou. Le Maroc a parié sur le fait qu'elle entraînerait une vague de reconnaissances du même type de nombreux États, lui permettant ainsi une victoire totale sur l'adversaire. Cette stratégie fut en effet payante et de plusieurs pays ont emboité le pas aux États-Unis, que ce soit l'Espagne, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Portugal, et d'autres encore.
Progressivement, l'option marocaine d'une autonomie au Sahara occidental comme base sérieuse et crédible pour clore ce conflit, a pris le pas sur l'autodétermination qui était au fondement de la revendication du Front Polisario et de l'Algérie. Parrainé par les États-Unis, le texte de la résolution votée au Conseil de sécurité des Nations unies a pour objet de crédibiliser la perspective d'une autonomie du Sahara dans un Maroc souverain.
La paix selon Donald Trump
Les semaines qui ont précédé le vote ont montré l'intérêt de Washington à clore ce conflit, en faveur du Maroc. Le 25 octobre, Steve Witkoff, l'envoyé spécial de Donald Trump pour le Proche-Orient, a ainsi expliqué sur la chaîne étatsunienne CBS que « Washington travaille activement à la conclusion d'un accord de paix entre le Maroc et l'Algérie dont la signature est prévue d'ici deux mois ». Massad Boulos, conseiller du président Trump pour l'Afrique et le Proche-Orient a évoqué le « Sahara marocain » dans le documentaire « Comment le Maroc a mis la main sur le Sahara occidental », publié par le quotidien Le Monde sur sa chaîne YouTube le 2 novembre 2025. Il a confirmé la forte implication de l'administration Trump dans ce dossier. Le président étatsunien entend faire du Maroc et du Sahara occidental un atout stratégique pour Washington au Maghreb. Cette décision s'inscrit dans le prolongement des accords d'Abraham et de la relation désormais instaurée entre Rabat et Tel-Aviv. En arrière-plan, le Trump envisage un partenariat économique avec le Maroc, pays qui lui paraît le plus fiable de la région.
C'est dans ce sens qu'il a encouragé les entreprises étatsuniennes à investir au Sahara occidental. Le 25 septembre 2025, à l'issue d'une réunion avec le ministre marocain des affaires étrangères Nasser Bourita, et en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, le secrétaire d'État adjoint des États-Unis, Christopher Landau, a précisé que son pays allait « encourager les entreprises américaines qui souhaitent investir » au Sahara. Il a aussi précisé que le gouvernement fédéral était désormais en mesure d'accorder des prêts et d'aider à réduire les risques liés aux investissements des entreprises privées étatsuniennes par le biais d'agences comme la Société américaine de financement pour le développement international (DFC) et la banque d'import-export des États-Unis (1).
De nombreux projets sont envisagés, notamment en matière d'énergies renouvelables, mais aussi en ce qui concerne le développement du tourisme. Toutefois, en vertu du droit international, cette région si prometteuse au plan économique est toujours considérée comme un territoire à décoloniser et le Maroc comme une puissance occupante. La non-résolution de ce conflit devenait un obstacle pour la mise en place du plan Trump, d'où sa volonté de débloquer un conflit paralysé en une opportunité économique et stratégique dans une région où la Chine et la Russie tentent de s'implanter et de gagner du terrain.
Pour y parvenir, Donald Trump considère le plan marocain d'autonomie comme la seule voie. Il entend inclure l'Algérie dans ce projet qui lie prospérité économique et paix, d'où la nécessité de solder le contentieux entre Rabat et Alger qui date de 1962. Les États-Unis pourraient jouer le rôle d'intermédiaire dans cette réconciliation susceptible de modifier la géopolitique de la région. Mais dans cette conception trumpienne de la paix, il n'y a pas de place pour l'autodétermination qui fut au fondement même de la revendication du Front Polisario cinq décennies durant.
L'Algérie dans l'impasse
Au Conseil de sécurité, l'Algérie a refusé de prendre part au vote d'un texte qui appelle à prendre pour base le plan marocain pour le Sahara. Mais les revendications enflammées du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui semblent avoir laissé place à la realpolitik. Affaiblie au plan régional et international, l'Algérie tente de se rapprocher de Washington pour consolider un partenariat économique et stratégique. Elle observe également les liens qui se tissent entre Rabat et Moscou pour se convaincre un peu plus que son logiciel idéologique a vieilli. Souhaitant ardemment retrouver sa place d'antan dans les relations internationales, elle profite peut-être de ce moment pour montrer qu'elle est disposée à opérer des revirements majeurs.
La dernière mouture du texte de la résolution a soigneusement été rédigée pour obtenir l'abstention de la Russie et de la Chine, mais également la non-participation au vote de l'Algérie plutôt que son opposition frontale. Le mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso) est prorogé d'un an (jusqu'à octobre 2026, alors que le texte initial prévoyait trois mois) et les références à l'autodétermination (« une autodétermination réaliste ») figurent bien dans le texte.
Front Polisario et autodétermination
Marginalisé et menacé par Donald Trump de se voir inscrit sur la liste des mouvements terroristes, le Front Polisario s'est dit prêt à accepter le plan d'autonomie du Maroc, à condition que la population sahraouie l'approuve par référendum. Le 20 octobre, il a présenté une « proposition élargie » au Conseil de sécurité des Nations unies qui comprend trois options : l'indépendance du territoire, son intégration au Maroc et enfin un pacte d'association libre dont il précise qu'il pourrait ressembler à l'offre marocaine d'autonomie. Il a toutefois décidé de ne « participer à aucun processus politique ou négociation fondés sur des propositions visant à légitimer l'occupation militaire illégale du Sahara occidental. » (2)
Le mouvement a le sentiment d'avoir été abandonné par son parrain algérien, même si le 11 octobre, devant les hauts gradés de l'armée algérienne, le chef de l'État Abdelmadjid Tebboune faisait part des pressions exercées par « des grandes puissances » et affirmait : « Personne ne peut nous menacer, nous n'abandonnerons pas le Sahara occidental. » (3)
Le texte de la résolution du Conseil de sécurité précise, dans ce qui ressemble davantage à une contradiction qu'à un consensus, que l'autonomie pourrait (au conditionnel) représenter la « solution la plus praticable ». Les Marocains qui ont fêté ce vote avec joie ne se sont pas beaucoup trompés. Car, même s'il demeure des inconnues liées au sort des Sahraouis ou sur la mise en place de cette autonomie du Sahara dans un Maroc souverain, ce vote est une victoire significative pour Rabat. Il est bien l'aboutissement d'une stratégie consistant à faire accepter par la communauté internationale la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Elle a été finalement couronnée de succès grâce au parrain étatsunien. Le 4 novembre 2025, un communiqué du Cabinet royal stipulait que le roi Mohammed VI a décidé de faire du 31 octobre, jour du vote au Conseil de sécurité de l'ONU, une fête nationale sous le nom de « la Fête de l'unité ».
Notes
1. « Christopher Landau : “Nous allons encourager les entreprises américaines qui souhaitent investir au Sahara” », Tel Quel, 25 septembre 2025.
2. « Le Polisario ne participera pas à aucun processus ou négociation devant “légitimer” l'occupation marocaine du Sahara occidental », Sahara Press Service, 3 novembre 2025.
3. Jassim Ahdani, « Pourquoi l'administration Trump évoque un “accord de paix” imminent sur le Sahara occidental », Jeune Afrique, 23 octobre 2025.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

L’effondrement d’El-Fasher – Ce qu’il nous apprend sur la guerre au Soudan, sur la révolution et la nécessaire solidarité
La chute d'El Fasher – capitale du Darfour-Nord et dernier bastion des Forces armées soudanaises (FAS) dans la région – marque un nouveau chapitre terrifiant dans la guerre contre-révolutionnaire au Soudan. Autrefois fier centre communautaire, commercial et de résistance, la ville a été prise par la milice des Forces de soutien rapide (FSR) fin octobre 2025, après plus de 18 mois de siège, ce qui a entraîné des souffrances indescriptibles.
Tiré de A l'Encontre
5 novembre 2025
Par Mena Solidarity Network, Londres
Des témoins oculaires et des groupes de défense des droits humains ont documenté des atrocités à grande échelle : nettoyage ethnique, exécutions massives, blocus de l'aide alimentaire et médicale, viols et violences sexuelles, et ciblage délibéré de civils qui fuyaient pour se mettre en sécurité. [Un chercheur de l'université de Yale, Nathaniel Raymond, qui anime le Humanitarian Research Lab, indiquait le 4 novembre que les FSR creusaient des fosses communes pour tenter de faire disparaître des centaines de cadavres de personnes exécutées. – Réd.]
Ce qui se passe à El Fasher n'est pas une tragédie isolée. Il s'agit du dernier épisode, le plus sanglant, d'une guerre entre deux milices rivales : les FAS, dominées par les vestiges de l'ancien régime des Frères musulmans, qui ont une longue histoire de violence étatique et de génocide, et les FSR, une force paramilitaire issue des milices Janjaweed [milices du Darfour avec une dimension de suprémacisme arabe] responsables du génocide au Darfour dans les années 2000. Ces deux forces sont issues du même État répressif que la révolution populaire de 2018 cherchait à renverser.
Depuis le début des combats en avril 2023, des centaines de milliers de personnes ont été assassinées et plus de 15 millions ont été contraintes de quitter leur foyer, créant ainsi la plus grande crise humanitaire au monde à l'heure actuelle.
La révolution détournée
La guerre actuelle est une conséquence directe de la contre-révolution menée contre la révolution soudanaise de 2018. Des millions de personnes sont descendues dans la rue dans le cadre d'un soulèvement massif et non violent, organisé par les Comités de résistance-Resistance Committees (RCs) de quartier, l'Association professionnelle soudanaise-Sudanese Professional Association (SPA), les Forces de la liberté et du changement-Forces of Freedom and Change (FFC) – une coalition de partis d'opposition établis – et des organisations de femmes et d'étudiants afin de renverser la dictature d'Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 30 ans. Les slogans de la révolution – « Liberté, paix et justice » – exprimaient le rejet de décennies de régime militaire, d'exploitation capitaliste, d'inégalités et de violence d'État.
Cependant, la plus grande force de la révolution – sa spontanéité et son énergie populaire – était aussi sa plus grande vulnérabilité. Elle manquait d'une force révolutionnaire organisée et indépendante, capable de pousser les masses à la prise du pouvoir et au démantèlement de l'appareil d'État et des structures de l'ancien régime. En l'absence d'une telle direction, les FFC, sous la pression des puissances régionales et des gouvernements occidentaux, ont abandonné les acquis de la révolution. L'accord de partage du pouvoir conclu en 2019 avec les généraux de l'ancien régime n'a pas marqué un pas vers la démocratie, mais a constitué un recul stratégique qui a légitimé la junte militaire et maintenu intacts l'appareil capitaliste et sécuritaire. Il a placé les deux architectes militaires de la contre-révolution – le général Abdel Fattah al-Burhan des Forces armées soudanaises (FAS) et le général Mohamed Hamdan Dagalo (« Hemedti ») des Forces de soutien rapide (FSR) – au centre du nouvel ordre.
Ensemble, ils ont assassiné et torturé des dizaines de milliers de révolutionnaires, perpétré les massacres du 3 juin 2019 lors de 14 sit-in où des milliers de personnes ont été massacrées, puis orchestré le coup d'État d'octobre 2021 qui a dissous le gouvernement de transition et sequestré les ministres civils et les forces révolutionnaires.
La guerre qui a éclaté en avril 2023 était la conséquence inévitable de l'échec de ce compromis : un violent affrontement entre deux milices rivales du même régime, chacune luttant pour contrôler l'État et ses richesses. Ce à quoi nous assistons aujourd'hui n'est pas l'effondrement de la révolution soudanaise, mais la banqueroute des forces contre-révolutionnaires qui ont cherché à la tuer.
El Fasher : une tragédie humaine
La chute d'El Fasher, le 27 octobre 2025, est survenue après un siège de 18 mois et à la suite de l'accord des Forces armées soudanaises (FAS) autorisant les FSR à regagner la ville depuis d'autres régions, notamment de Khartoum, quelques mois plus tôt. Cela représente une escalade catastrophique dans la guerre qui sévit actuellement au Soudan.
Les rapports provenant du terrain brossent un tableau d'une horreur inimaginable :
. Massacres : au moins 1500 à 2000 civils ont été tués au cours des premiers jours de la prise de pouvoir par les FSR alors qu'ils tentaient de fuir.
. Massacres dans les hôpitaux : dans un crime de guerre odieux, les combattants de la FSR ont pris d'assaut le Saudi Maternity Hospital et « ont tué de sang-froid toutes les personnes qu'ils ont trouvées à l'intérieur », y compris les patients, leurs accompagnants et le personnel médical. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a rapporté que 460 personnes ont été tuées lors de cette seule opération.
. Nettoyage ethnique : les violences ont été marquées par une campagne délibérée et systématique de meurtres et d'extermination, visant les groupes ethniques non arabes tels que les Zaghawa et les Masalit, faisant écho aux atrocités commises il y a 20 ans.
. Atrocités généralisées : les survivant·e·s font état d'exécutions sommaires, de ratissages de maison en maison, de violences sexuelles et de viols généralisés contre les femmes et les jeunes filles, et du meurtre de civils en fuite. Des vidéos ont été diffusée montrant des combattants des FSR exécutant des hommes non armés.
Dans une déclaration, le Syndicat des médecins soudanais au Royaume-Uni a condamné les événements d'El Fasher comme étant : « équivalant à des crimes de guerre et à des crimes contre l'humanité » et a averti que « ces actions font peser la menace d'une catastrophe humanitaire imminente et à grande échelle ».
De son côté, les FAS ont annoncé un retrait – comme elles l'avaient fait dans d'autres villes telles que Madani et Sinja – en invoquant les massacres de civils perpétrés par la FSR. En réalité, il ne s'agissait pas d'un échec tactique, mais d'une décision politique mûrement réfléchie. Les FAS ont choisi d'abandonner à leur sort les 250 000 habitants restants à El Fasher [la ville a réuni à une certaine époque plus d'un million d'habitants], troquant des vies contre leur survie politique. En laissant les FSR se retirer sans opposition des autres fronts, les FAS ont volontairement sacrifié le Darfour et sa population afin de consolider leur contrôle sur Khartoum et la région, et de protéger leur propre pouvoir, prouvant une fois de plus que les deux milices ne servent que les intérêts de la classe gouvernante, et non ceux du peuple soudanais.
Les comités et les forces de résistance soudanais signataires de la Charte révolutionnaire pour l'établissement de l'autorité populaire ont établi une double responsabilité claire :
« Nous tenons les Forces de soutien rapide (FSR) – la milice Janjaweed – et leurs alliés… les forces régionales et internationales qui les soutiennent, menées par les Émirats arabes unis, pleinement responsables de ces massacres, violations, meurtres, pillages et de tous les crimes de guerre et crimes contre l'humanité qui atteignent le stade du génocide. »
Ils ont également condamné avec la même fermeté le rôle de l'armée dans la trahison des civils :
« Nous tenons également les dirigeants de l'armée… pour responsables d'avoir abandonné leur devoir de protéger les civils non armés, les laissant seuls face au fascisme de la milice Janjaweed. Leurs actions – mobilisation des forces, escalade de la guerre… et imposition aux civils du coût de ces décisions – sont devenues un schéma persistant et délibéré. »
La triste réalité est que ce qui se passe dans la région du Darfour n'est pas une tragédie soudaine, mais la continuation de plusieurs décennies de crimes commis par le régime militaire soudanais à travers le Soudan, à divers degrés et à différentes étapes. C'est le résultat d'une désinvolture politique et économique, d'une concurrence pour les ressources [le Soudan possède des ressources importantes en or, en cuivre, en fer, en uranium, en terres rares, en pétrole – réd.] et d'une violence étatique et par procuration qui remonte à plusieurs décennies.
Impérialisme mondial et menace de partition
La guerre au Soudan n'est pas simplement un conflit interne entre deux factions armées : c'est une crise alimentée et exacerbée par la rapacité et les intérêts stratégiques des puissances mondiales et régionales. Ce qui a commencé comme une lutte entre milices rivales s'est transformé en une guerre par procuration, les États impérialistes et les régimes voisins se disputant le contrôle de l'or, des ressources naturelles, des terres fertiles et de la position stratégique du Soudan le long de la mer Rouge.
Alors que de nombreux États sont impliqués dans l'armement ou le financement d'un ou des deux camps, le tableau ci-dessus met en évidence seulement les principaux acteurs qui soutiennent directement ce bain de sang.
Les gouvernements états-unien et européens condamnent rituellement « les deux camps », mais continuent de soutenir ces mêmes milices par l'intermédiaire de leurs alliés et agents régionaux. Les armes et l'argent affluent librement des monarchies du Golfe et des régimes voisins, assurant ainsi le réapprovisionnement constant de la machine de guerre. Les mêmes gouvernements qui ont financé et aidé à mettre en place les FSR dans le cadre du soi-disant « processus de Khartoum » – en échange de la sécurité des frontières européennes [blocage de l'immigration !] – et qui ont cherché à mettre fin à la révolution depuis son début en 2018, se posent désormais en arbitres neutres de la paix. Leur véritable préoccupation n'est pas la souffrance du peuple soudanais, mais la préservation d'un ordre régional qui protège les profits, les routes commerciales et le pillage des ressources.
Il s'agit là d'une forme moderne d'impérialisme : non plus la domination coloniale directe du passé, mais une domination exercée par l'intermédiaire de clients, de contrats et du chaos. Les puissances mondiales n'ont plus besoin de planter leur drapeau ; elles maintiennent leur contrôle en finançant ceux qui protégeront leurs intérêts, quel qu'en soit le coût humain.
Cette ingérence internationale a non seulement prolongé la guerre, mais elle conduit activement le pays vers la désintégration. La chute d'El Fasher donne aux FSR le contrôle quasi total de la vaste région du Darfour, qui est presque aussi grande que la France. Les FSR ont déjà mis en place un « gouvernement de paix et d'unité » parallèle pour administrer leurs territoires depuis le Darfour, tandis que le gouvernement dirigé par les FAS opère depuis Port Soudan, sur la mer Rouge. Aucun de ces soi-disant gouvernements n'a de légitimité ni de soutien populaire. Cette partition de facto, qui divise le pays entre l'est et l'ouest, est un scénario que certains acteurs régionaux considèrent désormais comme un résultat acceptable, à l'image de la division de la Libye. Pendant ce temps, les deux milices continuent de créer et d'armer de nouvelles forces, accélérant la fragmentation du Soudan et déchirant la société, transformant la guerre en un conflit civil généralisé qui menace non seulement le Soudan, mais toute la région. À la mi-2024, les États de l'est accueillaient déjà à eux seuls au moins 22 milices en plus des FAS et des FSR, un nombre qui n'a fait qu'augmenter à mesure que la guerre s'intensifie et que les vestiges de l'ancien régime appellent à la mobilisation de la population. La militarisation domine désormais la vie quotidienne au Soudan, laissant les citoyens ordinaires supporter le coût le plus lourd d'une guerre motivée par le pouvoir, le profit et la cupidité étrangère.
Rejeter les deux milices et dénoncer la complicité mondiale
Nous devons rejeter le faux choix entre les milices des FAS et celles des FSR et la propagande qui cherche à légitimer l'un ou l'autre camp. Comme l'affirme l'analyse de MENA Solidarity, les deux sont des ennemis de la révolution populaire de 2018, tout aussi criminels l'un que l'autre, et constituent des obstacles au changement révolutionnaire.
Il est également essentiel de ne pas se concentrer uniquement sur la condamnation d'un seul soutien à la guerre, comme les Émirats arabes unis (EAU-UEA), malgré leur rôle de premier plan dans l'armement, le financement et le soutien de la machine de guerre des FSR. Cela risquerait de masquer le réseau plus large de complicité, car les EAU-UEA opèrent au sein d'un réseau impérial mondial où les puissances occidentales, les monarchies du Golfe et les régimes régionaux partagent tous la responsabilité de la destruction du Soudan. Le fait de pointer du doigt un seul État permet aux autres de se cacher derrière des déclarations creuses de « préoccupation » tout en continuant à tirer profit de la guerre. Notre tâche consiste à dénoncer et à combattre l'ensemble du système qui permet la contre-révolution et le pillage impérialiste, et pas seulement l'une de ses facettes visibles.
Un appel à la solidarité internationale
La tragédie du Soudan est une leçon saisissante sur la dynamique de la révolution, de la contre-révolution et de l'impérialisme. Le monde a laissé tomber le peuple soudanais, faisant preuve d'apathie et de résignation face à la destruction et aux massacres. La solution à cette crise ne viendra pas du soutien d'une milice contre une autre, ni des initiatives diplomatiques ratées des mêmes puissances qui alimentent la guerre.
En tant que syndicalistes, socialistes et tous ceux qui croient en la justice, notre réponse doit être fondée sur la politique internationaliste et fondée sur les classes qui ont façonné la révolution de 2018. Cela signifie :
. Exiger de « nos » gouvernements qu'ils mettent fin à toutes les ventes d'armes et à tout soutien aux milices belligérantes et à leurs soutiens régionaux.
. Mener une campagne pour dénoncer le rôle des entreprises et des États qui profitent de la guerre au Soudan et pillent ses ressources. [1]
. Apporter un soutien financier et politique direct au Syndicat des médecins soudanais au Royaume-Uni.
. Faire entendre la voix des travailleurs et travailleuses soudanais, des associations professionnelles, des organisations de femmes, des centres d'intervention d'urgence et des comités de résistance qui réclament un régime civil, la responsabilité et le démantèlement des milices, et non des accords technocratiques creux qui laissent intacts l'appareil militaire et sécuritaire.
. Construire une solidarité internationale coordonnée entre les travailleurs et travailleuses : piquets de solidarité, motions syndicales, questions parlementaires, collectes de fonds pour l'entraide et soutien direct aux groupes de la société civile soudanaise qui documentent les abus.
. Relier la lutte des travailleurs et travailleuses et des révolutionnaires soudanais à nos propres combats contre la guerre, l'austérité et le racisme dans notre pays. (Publié par MENA Solidarity Network le 4 novembre 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Le Temps du 5 novembre écrit : « L'or est la principale ressource qui finance la guerre au Soudan. Le précieux métal est en général acheminé vers les Emirats arabes unis, un partenaire de plus en plus important pour la Suisse. En échange de leur appui militaire aux FSR, les EAU récupèrent l'or des mines que contrôlent ces paramilitaires qui se sont retournés en avril 2023 contre l'armée soudanaise. Cette dernière exporte aussi de l'or à Dubaï. Le métal jaune est la principale ressource du pays. Ces derniers jours, les EAU ont brièvement publié sur un portail de l'ONU leurs statistiques pour ce commerce de l'or. Une publication éphémère qui n'a pas échappé à l'ONG suisse Swissaid, qui dénonce depuis des années la place financière de Dubaï. « En 2024, les EAU ont importé 29 tonnes d'or directement du Soudan, contre 17 tonnes en 2023, ainsi que des quantités importantes transitant par les pays voisins, portes de sortie de l'or contrôlé par les FSR », détaille mardi un communiqué de presse de l'ONG.
La Suisse est directement concernée, puisqu'elle importe massivement de l'or en provenance des EAU. Selon les statistiques des douanes relayées par Swissaid, Berne a importé 316 tonnes d'or pour une valeur de 27 milliards de francs en provenance du pays du Golfe de janvier à septembre 2025. Le double des volumes annuels habituels. « Le risque que de l'or soudanais ou venant d'autres pays en guerre finisse en Suisse est très élevé », commente Marc Ummel, responsable du dossier matières premières pour Swissaid. Ce spécialiste n'a toutefois pas de certitude. Car le Soudan n'est qu'un des nombreux pays auprès desquels les EAU s'approvisionnent. » (Réd.)
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Sahara occidental : la FETAFE dénonce une « trahison du droit international » après la résolution de l’ONU
En réaction à la résolution adoptée en octobre 2025 par le Conseil de sécurité des Nations unies, la Fédération des Travailleurs Africains en France et en Europe (FETAFE) accuse l'organisation internationale d'avoir « piétiné le droit fondamental du peuple sahraoui à l'autodétermination ». Son président, Saïd Ourabah, déplore une « dérive grave du multilatéralisme ».
Par Mohamed AG Ahmedou, journaliste et analyste des dynamiques politiques sahélo-sahariennes
Un tournant diplomatique controversé
La résolution adoptée en octobre 2025 par le Conseil de sécurité des Nations unies sur le Sahara occidental a suscité une vive émotion dans les milieux syndicaux et panafricanistes. En désignant le plan d'autonomie proposé par le Maroc comme « base réaliste du processus politique », le texte semble, selon ses détracteurs, reléguer au second plan la perspective d'un référendum d'autodétermination, pourtant au cœur du mandat historique des Nations unies depuis 1965.
Dans une déclaration rendue publique le 3 novembre, la Fédération des Travailleurs Africains en France et en Europe (FETAFE) a dénoncé une décision qu'elle qualifie de « rupture morale et juridique majeure ». Son président, Saïd Ourabah, estime que « le Conseil de sécurité a tourné le dos à sa propre Charte », soulignant que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne saurait être soumis à des considérations politiques.
La FETAFE invoque le droit international
Dans sa déclaration, la FETAFE s'appuie sur plusieurs références juridiques précises pour étayer sa position. Elle rappelle les dispositions du Chapitre XI de la Charte des Nations unies, notamment les articles 73 et 74, qui garantissent aux territoires non autonomes la liberté de développer leurs propres institutions politiques. L'organisation évoque également la résolution 1514 (XV) de 1960, texte fondateur du processus de décolonisation, qui affirme le droit inaliénable des peuples à l'autodétermination.
« En présentant le plan d'autonomie marocain comme base du processus politique, cette décision piétine le droit fondamental du peuple sahraoui à l'autodétermination et tourne le dos aux principes essentiels de la Charte des Nations unies », peut-on lire dans la déclaration.
Pour Saïd Ourabah, le risque est celui d'une « légitimation implicite d'une occupation prolongée », ce qui, selon lui, affaiblirait la crédibilité du système multilatéral et des normes internationales.
Un symbole d'un multilatéralisme en crise
La FETAFE estime que cette résolution illustre une crise plus large du multilatéralisme. Depuis plusieurs années, la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO) a vu ses ambitions initiales s'éroder, laissant le conflit dans une impasse prolongée.
Adopté sous l'impulsion de certaines puissances membres permanentes du Conseil, le texte d'octobre 2025 a été accueilli avec réserve par plusieurs États, qui ont souligné la nécessité de préserver l'équilibre entre les principes du droit international et les réalités politiques du terrain.
Pour les militants africains, cette orientation reflète une tension croissante entre le réalisme diplomatique et les idéaux fondateurs de la décolonisation. La FETAFE y voit « un signal inquiétant » pour la défense des causes justes dans les enceintes internationales.
Une solidarité africaine réaffirmée
Fidèle à son engagement panafricain, la FETAFE appelle à une mobilisation des syndicats, des mouvements progressistes et des forces sociales du continent pour défendre le droit du peuple sahraoui à disposer de lui-même. L'organisation rappelle que le Front Polisario demeure reconnu par l'Union africaine comme le représentant légitime du peuple du Sahara occidental.
« Face à cette dérive grave, la FETAFE exprime sa solidarité totale et indéfectible avec le peuple sahraoui et son représentant légitime, le Front Polisario, dans leur lutte pour la liberté, la dignité et l'indépendance », affirme la déclaration.
Et d'ajouter :
« La justice, la liberté et la dignité des peuples ne se négocient pas. Elles se conquièrent, elles se défendent, elles se vivent. »
Un appel au sursaut des consciences africaines
Au-delà de la question sahraouie, la FETAFE déplore le silence de nombreux États africains face à une résolution qu'elle juge contraire à l'esprit du droit international. Pour Saïd Ourabah, cette attitude traduit une forme de renoncement collectif et interroge la place réelle de l'Afrique dans les processus décisionnels mondiaux.
« Cette résolution montre que la voix des peuples africains pèse encore trop peu face aux logiques institutionnelles », estime-t-il.
En réaffirmant son engagement aux côtés du peuple sahraoui, la FETAFE revendique une continuité historique : celle des luttes anticoloniales et syndicales africaines, fondées sur la justice et la dignité des peuples. À travers cet appel, elle invite à repenser le rôle des organisations internationales dans la défense des droits fondamentaux et à renouer avec l'idéal d'une décolonisation achevée et équitable.
PS : Monsieur Saïd OURABAH président de la fédération des travailleurs africains en France et en Europe - FETAFE
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Tanzanie : Quand les balles remplacent les bulletins de vote
La présidente de ce pays d'Afrique de l'Est se maintient au pouvoir au prix d'une répression sans précédent, à la suite d'un simulacre d'élection.
Depuis l'indépendance en 1961, la Tanzanie traverse la plus grave crise politique de son histoire, après la réélection contestée de Samia Suluhu Hassan. On parle désormais de milliers de morts, une estimation corroborée par des sources diplomatiques.
Politique de terreur
Comme dans bien d'autres pays du Continent, les deux principaux opposants ont été écartés du processus électoral. Tundu Lissu, dirigeant du parti Chadema, a été empêché de se présenter pour des arguties juridiques tandis que Luhaga Mpina, dirigeant du parti ACT-Wazalendo, attend son jugement en prison, accusé de trahison —un délit ne permettant pas de libération sous caution.
Les manifestations, qui se sont déroulées dans toutes les grandes villes du pays pour dénoncer ce simulacre d'élection, ont été massives. Les forces de l'ordre ont à maintes reprises tiré à balles réelles. Les premières vidéos publiées après la réouverture d'internet montrent des rues jonchées de cadavres. La police tente d'effacer ces preuves en envoyant des SMS menaçant quiconque diffuserait des témoignages sur ce bain de sang.
Après les élections, les exactions se poursuivent. Des membres de la sécurité se rendent la nuit au domicile de citoyens soupçonnés d'avoir pris parti contre la présidente pour les exécuter. Même certaines figures importantes du parti au pouvoir, le CCM, comme Humphrey Polepole, ont disparu après avoir émis des critiques sur la ligne politique en cours.
Un pouvoir isolé
Samia Suluhu Hassan, alors vice-présidente, a accédé au pouvoir après la mort soudaine du président John Magufuli. Ses premiers temps de mandat avaient été marqués par une relative ouverture de l'espace public, mais très vite les pratiques autoritaires, puis ouvertement dictatoriales, ont pris le dessus, au moment où les partis d'opposition, notamment le Chadema, gagnaient en popularité.
La férocité de la répression illustre la fragilité du régime Hassan, dont le seul véritable soutien demeure, jusqu'à maintenant, l'armée et les forces de police. Son prédécesseur, bien que peu démocratique lui aussi, n'avait jamais atteint un tel niveau de coercition. Magufuli conservait par ailleurs une certaine base sociale en raison de ses discours anti-impérialistes et de sa politique économique souverainiste face aux multinationales britanniques et canadiennes du secteur minier. Ses mesures contre la corruption et le gaspillage budgétaire lui avaient également valu une certaine sympathie populaire.
Samia Suluhu Hassan, au contraire, mène une politique économique libérale destinée à améliorer le « climat des affaires » et à attirer les investisseurs étrangers en favorisant le secteur privé. Son autoritarisme brutal lui a valu dans la rue le surnom « d'Idi Amin Mama », en référence à Idi Amin Dada, le dictateur sanguinaire ougandais des années 1970. C'est dire la popularité de cette présidente, officiellement élue avec… 98% des voix.
Paul Martial
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

« Méfions-nous des habits de la respectabilité »
L'ex-Insoumise et cofondatrice de L'Après a porté l'amendement taxant les multinationales adopté mardi par l'Assemblée nationale. Tout en mettant Sébastien Lecornu au défi de respecter le vote, elle alerte les socialistes, placés « à nouveau devant la suspicion de trahison ».
28 octobre 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76838
Mardi 28 octobre, l'Assemblée nationale a adopté à la surprise générale un amendement porté par l'Insoumis Éric Coquerel, le communiste Nicolas Sansu et leur collègue du groupe écologiste et social Clémentine Autain. Cet amendement, inspiré par l'économiste Gabriel Zucman, vise à lutter contre l'évasion fiscale en taxant les multinationales, et pourrait rapporter entre 20 et 26 milliards de recettes à l'État. Une « victoire pour la justice fiscale » que salue Clémentine Autain dans cet entretien.
La cofondatrice de L'Après (petit parti qui réunit d'ex-Insoumis et siège avec les écologistes à l'Assemblée) sait qu'il est désormais impossible pour les macronistes – qui ont voté contre – d'approuver la copie budgétaire. « M. Lecornu respectera-t-il le vote, lui qui a promis de ne pas passer par le 49-3 et cherchait 30 milliards pour boucler le budget ? C'est là que nous verrons l'ampleur de la mascarade », anticipe-t-elle.
Alors que la censure semble donc à nouveau à l'ordre du jour, Clémentine Autain alerte le Parti socialiste (PS) sur sa stratégie de négociation qui le place « à nouveau devant la suspicion de trahison », et plaide pour une union de la gauche et des écologistes à la hauteur de « la vague néofasciste internationale ». À la gauche d'être au rendez-vous, sans « compromission ni marginalisation », défend-elle.
Mediapart : Votre amendement pour une taxation minimale des multinationales a été adopté mardi soir. Comment analysez-vous le résultat de ce vote ?
Clémentine Autain : C'est une victoire pour la justice fiscale et un revers pour cette mondialisation fondée sur la financiarisation de l'économie et la loi du plus fort. Dans ce débat budgétaire sur les recettes de l'État, et compte tenu de la composition singulière de notre Assemblée, les majorités sont très variables en fonction des sujets. Même si les droites et l'extrême droite s'allient de manière quasi systématique pour empêcher de nouvelles recettes mettant à contribution ceux qui ont le plus.
Le Rassemblement national (RN) cherche à l'évidence, pour prendre le pouvoir, du soutien dans l'oligarchie et rejoint plus clairement l'orientation économique de la vague néofasciste internationale, ultralibérale sur le terrain économique et obsédée par la destruction de l'État social.
Pour autant, les gauches et les écologistes ont porté cette proposition et le RN l'a votée, cette nouvelle taxe étant aussi une question de patriotisme. Mais le RN avait voté contre en commission des finances, puis Jean-Philippe Tanguy, avec le groupe RN, avait au débotté déposé un amendement très proche des nôtres, avant de finalement le retirer en séance, et n'a pas pris la parole pour expliquer ce vote !
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le RN y va à reculons. Résultat : le budget recettes de l'État vient d'être abondé de 26 milliards d'euros environ, pris sur les multinationales. M. Lecornu respectera-t-il le vote, lui qui a promis de ne pas passer par le 49-3 et cherchait 30 milliards pour boucler le budget ? C'est là que nous verrons l'ampleur de la mascarade.
En quoi consiste cet amendement, concrètement ?
L'objectif, c'est que les multinationales paient autant d'impôts sur leurs bénéfices en France que nos TPE-PME. Nous ne pouvons rester les bras croisés devant le cours de la mondialisation qui exacerbe les inégalités dans des proportions inédites, détruit les économies locales et les biens communs. Devant les mauvais coups de Trump et l'offensive chinoise, il nous faut agir.
La taxe Zucman est aussi un enjeu de démocratie.
Cette taxation minimale des multinationales participe de l'État stratège et protecteur que j'appelle de mes vœux, qui pilote la transformation de notre économie pour la mettre à l'abri de la logique du profit et de la loi du plus fort, et au service de la satisfaction de nos besoins authentiques.
Quels reproches faites-vous à la taxe Zucman « light » proposée par les socialistes pour obtenir des concessions de la Macronie ?
Elle rate la cible. L'économiste Gabriel Zucman démontre pourquoi il faut taxer le patrimoine des milliardaires sans exonération aucune. C'est ainsi qu'on empêchera le contournement de l'impôt opéré grâce à l'optimisation et au recours à des holdings qui font écran aux prélèvements. Si l'on enlève une partie des mal nommés « biens professionnels », qui n'ont rien à voir avec le four du boulanger, les milliardaires ne contribueront toujours pas, en proportion de leurs revenus, autant que la majorité des Français·es. Il serait même très facile à Vincent Bolloré d'échapper à cette taxe « light » !
Nous n'avons aucune raison d'en rabattre sur la taxe Zucman, plébiscitée par 86 % des Français·es et qui rapporterait autour de 20 milliards d'euros. En 1996, le patrimoine des cinq cents plus grandes fortunes françaises représentait 6 % du PIB. Aujourd'hui, il atteint 42 % ! Cette taxe innovante est une question d'égalité devant l'impôt et de partage des richesses. C'est aussi un enjeu de démocratie car les milliardaires ne s'achètent pas que des yachts et des châteaux, mais aussi des grands médias ou des rues de Paris. Il faut en finir avec ce que j'appelle le séparatisme fiscal.
La Macronie est aux ordres d'un Medef et d'une oligarchie déchaînés, prêts à en découdre par tous les moyens. Leur ennemi : la justice fiscale et sociale. Celle-ci est réclamée à cor et à cri dans notre pays, qui a la passion de l'égalité. C'est le moment pour nous d'être offensifs, et d'aller même plus loin.
Contrairement à 2024, la gauche est entrée désunie dans le débat budgétaire du fait de la stratégie de négociation du PS. En ressentez-vous les effets ?
J'aurais préféré que les gauches et les écologistes entrent unis dans ce débat, comme je souhaite le rassemblement pour affronter toutes les échéances à venir. Malheureusement, alors que « Front populaire 2027 » avait été lancé en juillet [nom de l'alliance des socialistes et des écologistes avec Lucie Castets pour aboutir à une candidature commune à la présidentielle – ndlr], le PS a fait le choix dès la rentrée de présenter sa propre feuille de route budgétaire, puis de ne pas voter la censure et d'entrer en négociation avec Sébastien Lecornu. Ce choix l'isole du reste de la gauche. Le désaccord n'est-il que tactique ? Là est la question.
Je ne vois ni rupture ni compromis dans la copie budgétaire proposée par M. Lecornu. C'est un budget de combat : gel des pensions de retraite, des allocations familiales et des APL, doublement des franchises médicales, 7 milliards en moins pour la santé, fiscalisation des indemnités pour les personnes atteintes d'affections longue durée, baisse des aides pour la rénovation thermique ou des salaires des apprentis, et j'en passe. Les droites veulent faire payer aux classes moyennes et populaires le prix de leurs cadeaux à une poignée d'ultraprivilégiés, la facture de leur mauvaise gestion. C'est inacceptable. C'est indécent. C'est révoltant.
Les Français·es veulent, à juste titre, en finir avec l'instabilité et le cirque politique. Mais l'idée que négocier avec la Macronie nous sortirait de l'instabilité est en réalité assez baroque. Le responsable du chaos est à l'Élysée. Emmanuel Macron et sa famille politique brutalisent nos institutions, utilisant les pires ressorts de la Ve République pour imposer une politique massivement rejetée par le peuple français.
Plus le temps passe, plus ce que le PS disait avoir obtenu en échange de sa non-censure semble en effet s'alléger. Comprenez-vous leur démarche ?
Je me suis affrontée pendant longtemps à la politique économique du PS. Accompagner les logiques de marché, à l'instar de la social-démocratie européenne, a conduit la gauche dans le mur. C'était le sens de la fracture entre le « oui » et le « non » de gauche au moment du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005.
Si je pense qu'une alliance est possible avec les socialistes aujourd'hui, c'est parce qu'ils ont pris leurs distances avec l'ère Hollande. Olivier Faure et Boris Vallaud ont dit avoir tourné cette page. La France insoumise n'aurait d'ailleurs pas fait la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale – ndlr] puis le NFP [Nouveau Front populaire – ndlr] si le PS était resté enkysté dans l'impasse de l'accommodement.
L'impression de petits arrangements avec la Macronie pour éviter la dissolution place les socialistes devant la suspicion de trahison.
Depuis leur non-censure et leur entrée dans les négociations avec Sébastien Lecornu, le doute réapparaît. Les socialistes sont-ils déterminés ou non à conduire une politique fondamentalement différente de celles menées ces quarante dernières années ? Bien sûr, il est toujours bon de discuter en démocratie, d'aller chercher des avancées pour le quotidien de la population. Mais attention : ces négociations avec Lecornu se font au prix de la fracturation à gauche. L'impression de petits arrangements avec la Macronie pour éviter la dissolution place les socialistes à nouveau devant la suspicion de trahison. Qu'il n'y ait rien sur l'écologie dans leur liste de demandes, qui fond au fil des semaines, est également un motif d'inquiétude.
N'êtes-vous pas encore fixée sur ce doute ?
C'est à la fin du bal qu'on paie l'orchestre. Mais je redoute que les socialistes se retrouvent comme des grenouilles dans une casserole d'eau, ébouillantés sans s'en rendre compte, s'habituant petit à petit à la chaleur des tractations sans possibilité de s'en échapper. J'ai envie de leur dire : il est encore temps de sortir de la casserole !
Il faut tout de même qu'ils soient très insensibles à la chaleur pour ignorer encore le danger…
La peur de la dissolution ne fait pas une stratégie politique. Il serait bien de ne pas valider nous-mêmes qu'elle signifierait forcément l'arrivée au pouvoir du RN. Qui convainc-t-on en intériorisant la défaite ? Comment créer de la dynamique si l'on part perdants ? Heureusement que nous avons été plus audacieux au moment de la création du NFP. Notre union et notre détermination nous ont permis de déjouer le scénario rabâché d'une victoire écrasante de l'extrême droite.
Surtout, je crains qu'en laissant la colère et l'opposition franche au RN, au nom de la « responsabilité », on recule pour plus mal sauter. Au printemps 1936, le socialiste Marceau Pivert écrivait : « Les masses ne se contenteront pas d'une modeste tasse de guimauve portée à pas feutrés au chevet de la mère malade. »
La clarté de notre opposition et la visibilité d'un pôle solide des gauches et des écologistes, qui propose un projet aux Français·es, est notre sésame. Ma conviction, c'est que tout ce qui alimente la reconstitution de deux gauches irréconciliables nous éloigne de la victoire face à l'extrême droite. Or c'est d'elle que dépend l'issue émancipatrice aux tragédies contemporaines.
La droite ultralibérale et le RN célèbrent la victoire de Javier Milei en Argentine depuis dimanche. Comment interprétez-vous le renforcement de ce courant anti-étatiste en France et à l'international ?
Javier Milei est l'un des idéologues de ce néofascisme, comme l'a montré son discours à Davos. Il finit ses discours par : « Vive la liberté, bordel ! », détournant ce principe de son sens fondamental. Pour lui, pour eux, c'est la liberté de jouissance sans entrave des dominants, la liberté des marchés financiers, la liberté des hommes à dominer les femmes, la liberté de détruire la planète, la liberté d'expression de la haine. Le retour brandi des « valeurs occidentales » s'accroche au sentiment de déclassement des classes populaires. Le tout opère un contournement des solutions fondées sur le partage des richesses et la justice sociale, pourtant conditions de la liberté véritable. Leurs obsessions identitaires s'attaquent à la quête d'égalité.
Comment la gauche peut-elle répondre à cette vague néofasciste ?
Il y a deux conditions : le rassemblement et un projet qui transforme en profondeur la société. L'union crée de la dynamique populaire. Nous aurions dû chérir le NFP au lieu de l'éclater en morceaux. C'était l'attente des millions de gens qui se sont engagés pour les législatives. Aucun parti ne peut aujourd'hui, seul, l'emporter. Face à la vague trumpiste et aux rapprochements en cours entre l'extrême droite et la droite, avec la bénédiction du haut patronat et de médias bollorisés, chacun·e doit mesurer sa responsabilité historique.
J'observe que Jean-Luc Mélenchon ne dit rien du néofascisme dans ses discours ces derniers mois – ni sur le fond, ni pour proposer une stratégie crédible pour lui faire obstacle en France. C'est un angle mort. Sa délectation à reconstruire les deux gauches irréconciliables et à valoriser la candidature de Raphaël Glucksmann contribue à un scénario de la défaite.
La colère profonde dans le pays peut se muer en grand mouvement social à tout instant.
Je me bats pour l'union, mais elle ne suffit pas à construire la solution gagnante. Elle doit avoir un contenu. À mon sens, c'est la société des communs, contre la marchandisation et la déshumanisation. La société des communs vise le partage des richesses, des pouvoirs, des savoirs et des temps de la vie. L'esprit public doit être aux commandes pour en finir avec la défense des intérêts privés par une petite caste oligarchique et technocratique qui a pris le pouvoir.
L'État a vocation à planifier la bifurcation sociale et écologiste, à valoriser le monde du travail et de la culture, à réindustrialiser et relocaliser notre économie, à faire vivre l'égalité et la justice. Nous sommes porteurs d'un nouveau souffle démocratique, qui passe par une nouvelle République. Et d'un autre imaginaire, fondé sur la coopération et la solidarité contre la compétitivité et la concurrence généralisée.
D'un autre côté, depuis le choix de la non-censure du PS, on peine à comprendre la cohérence des participant·es à la primaire commune de la gauche. Cette primaire est-elle toujours vraisemblable ?
Je n'ignore pas les difficultés mais je refuse de céder au défaitisme. La mélancolie de gauche est l'un de nos ennemis. Nous n'avons pas le droit d'être absents du second tour de la présidentielle pour une troisième fois et d'offrir sur un plateau une victoire au clan Le Pen.
La composante qui manque à ce cadre, c'est le mouvement social, qui avait donné sa dynamique au NFP en 2024. Les journées de mobilisation des 10 et 18 septembre ont prouvé que la colère était là, mais elle semble depuis retenue. Risque-t-elle de rejaillir, et sous quelle forme ?
La France est une cocotte-minute. Le ressentiment alimente le « c'était mieux avant » et l'atonie sociale qui poussent dans les bras du RN. Mais la colère profonde dans le pays peut se muer en grand mouvement social à tout instant.
L'économie est en train de s'effondrer à bas bruit. La fermeture d'ArcelorMittal est l'arbre qui cache la forêt. Les PME n'arrivent plus à tenir parce qu'elles ne sont pas soutenues. Le monde de la culture subit un immense plan de licenciements dans un silence assourdissant. Le tissu associatif déplore d'ores et déjà plus de 90 000 suppressions d'emplois. Et les collectivités locales sont exsangues, l'économie sociale et solidaire en souffrance, la précarité au bout de ce tunnel.
Dans ce contexte, la gauche doit apparaître comme l'issue, la solution, l'espoir. Dans ce moment de grand dégoût des Français·es à l'égard du spectacle politique, nous devons être dignes, cohérents et unis. Méfions-nous des habits de la respectabilité. Ni compromission ni marginalisation : là est le cœur de la gauche.
Sarah Benhaïda et Mathieu Dejean
P.-S.
• « Clémentine Autain : « Méfions-nous des habits de la respectabilité » ». MEDIAPART. 29 octobre 2025 à 13h37 :
https://www.mediapart.fr/journal/politique/211025/incarceration-de-sarkozy-la-gauche-n-rien-dire
Les articles de Mathieu Dejean sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/mathieu-dejean-0
Les articles de Sarah Benhaïda sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/sarah-benhaida-0
Au milieu d'une crise politique inédite par son intensité, Mediapart a proposé à plusieurs personnalités politiques de gauche (chef·fes de parti, parlementaires…) des entretiens en longueur. Ils seront réalisés et publiés dans les jours à venir.
L'entretien a été réalisé le 27 octobre et mis à jour avec une question sur l'amendement adopté par l'Assemblée nationale le 28 octobre. Clémentine Autain l'a relu et y a apporté des modifications à la marge.
ESSF invite lectrices et lecteurs à s'abonner Mediapart.
POURQUOI S'ABONNER A MEDIAPART ?
• Site d'information indépendant
• Sans subventions ni publicité sur le site
• Journal participatif
• Financé uniquement par ses abonnements

Malgré la politique officielle, une vague inédite de solidarité pour Gaza déferle sur l’Italie
L'engagement de la société civile italienne envers Gaza a pris une ampleur inédite à partir du départ de la Global Sumud Flotilla. Cette mobilisation sans précédent —et en totale opposition à la politique étrangère du gouvernement Meloni — est la plus importante des vingt dernières années. Son ampleur ne cesse d'étonner dans ce pays ayant basculé à l'extrême droite et qu'on disait replié sur lui-même.
6 novembre 2025 | tiré d'Orient XXI | Photo : Une grande manifestation avec des milliers de personnes et des banderoles dans la rue. Gênes, 22 septembre 2025. Manifestation massive appelant à la grève générale pour Gaza. La banderole de tête réclame un blocage total. Derrière, une autre banderole appelle à bloquer les écoles et les universités. © @Chiappuz / X
https://orientxxi.info/magazine/italie-face-a-la-politique-de-meloni-une-vague-de-solidarite-pour-gaza,8630
« Ils ne peuvent pas nous empêcher de naviguer. C'est quand même mare nostrum - littéralement notre mère La mer Méditerranée est à nous tous », s'insurge un des activistes italiens de la Global Sumud Flotilla, rapatrié le 6 octobre 2025, après son incarcération en Israël.
Depuis début octobre 2025, l'Italie vit un moment de solidarité avec la Palestine aussi inattendu que complexe à analyser. Commentateurs et manifestants sont eux-mêmes surpris par cette soudaine vague de mobilisation, en particulier de la part d'une jeunesse que l'on croyait politiquement anesthésiée. Or, la grande majorité des manifestants sont très jeunes, collégiens et lycéens.
À rebours de certains gouvernements européens, l'Italie menée par Giorgia Meloni a confirmé qu'elle ne reconnaitrait pas l'État de Palestine. La présidente du conseil d'extrême droite, très atlantiste, pratique un alignement idéologique de plus en plus explicite avec le président étatsunien Donald Trump. Elle a multiplié les flatteries à l'égard du pouvoir étatsunien et s'est vue adoubée par celui-ci lors de rencontres internationales. Par ailleurs, elle a apporté un appui constant à Israël et ne s'est pratiquement jamais exprimée sur la souffrance palestinienne.
Depuis le 7 octobre 2023, les manifestations en soutien à Gaza dans les villes italiennes ont ainsi fait l'objet d'interdictions répétées qui violent systématiquement la liberté d'expression et le droit de manifester. Le gouvernement et la police ont ainsi appliqué « une interdiction préventive discriminatoire » laissant l'opposition désorientée1.
Syndicats à l'initiative
Les premiers à braver massivement les interdictions ont été les dockers génois. Dès le 31 août 2025, pour accompagner le premier voyage de la Global Sumud Flotilla après l'été, l'Union des syndicats de base (USB) a organisé une impressionnante procession aux flambeaux.
Nos filles et nos garçons (de la Global Sumud Flotilla) doivent revenir sans une égratignure (…). De cette région, 13 000 à 14 000 containers partent chaque année pour Israël. Nous ne laisserons plus sortir un clou. Nous allons lancer la grève internationale, nous allons bloquer les routes. Nous allons tout bloquer !
Ces paroles, prononcées par des dockers du port de Gênes, défiaient directement Israël qui interdit toute voie d'accès à la bande de Gaza. La désobéissance civile des dockers de Gênes s'est ensuite étendue à d'autres ports italiens. Au cours des deux dernières années, le transit de plusieurs cargaisons avait déjà été bloqué à Gênes, Salerne, Livourne et Ravenne, mais sans prendre l'ampleur attendue ni recevoir de soutien massif des partis ou organisations. Le 18 septembre, à Ravenne, sur la côte adriatique, dockers et associations pacifistes ont fini par convaincre le maire de centre gauche Alessandro Barattoni de bloquer deux containers d'explosifs à destination d'Israël.
Giorgia Meloni face aux contradictions de son gouvernement
Un autre appui, totalement inattendu, est venu de la marine militaire italienne. Le 24 septembre, la frégate Alpino de classe FREMM (Frégate européenne multi-missions) — spécialisée dans l'interception de drones, notamment en mer Rouge contre les Houthistes, et dans les eaux somaliennes contre la piraterie —, a été missionnée par le ministre de la défense, Guido Crosetto, pour soutenir le voilier italien Morgana de la Global Sumud Flotilla.
L'annonce de l'envoi de la protection n'a pas empêché, dans la nuit du 25 septembre, l'attaque par des drones israéliens du bateau de la flottille à bord duquel se trouvaient Benedetta Scuderi et Annalisa Corrado, deux eurodéputées italiennes.
À la suite de cette attaque, Giorgia Meloni, alors à New York pour l'assemblée générale de l'ONU, déclarait, en contradiction avec la décision de son ministre de la défense Guido Crosetto d'envoyer la frégate pour protéger les activistes italiens de la flottille : « Il n'est pas nécessaire de se mettre en danger pour acheminer de l'aide humanitaire. » Elle confirmait dans le même temps son refus de reconnaitre l'État de Palestine, illustrant les tâtonnements de son gouvernement.
La question du droit maritime international a été fréquemment évoquée dans les débats politiques qui ont suivi l'interception de plus de 40 bateaux de la flottilleà compter du 2 octobre. Giorgia Meloni et son gouvernement ont notamment été critiqués par les partis d'opposition pour ne pas avoir protégé les ressortissants italiens dans les eaux internationales, malgré les annonces. La déclaration du ministre des affaires étrangères Antonio Tajani du parti berlusconien Forza Italia affirmant dans Porta a Porta, une émission de débat politique sur la chaîne Rai 1, que « le droit international vaut jusqu'à un certain point », a provoqué un vrai tollé. Malgré tout, Giorgia Meloni a été forcée de faire quelques concessions au mouvement. Son gouvernement a, par exemple, retiré une licence d'exportation pour des armes à destination de l'État d'Israël en octobre 20252
Dès la première attaque contre des navires de la Global Sumud Flotilla, le 21 septembre, les parlementaires de gauche avaient occupé le Parlement, exigeant que Giorgia Meloni agisse. Elly Schlein, dirigeante du Parti démocrate (centre gauche), principale force d'opposition à la chambre, condamnait l'immobilisme de la présidente du conseil :
L'identité des commanditaires de l'attaque de drone du bateau de la flottille Morgana est claire : Israël avait menacé les militants, affirmant qu'il les traiterait comme des terroristes. C'est une attaque délibérée contre l'Italie, et Meloni garde le silence, tout en attaquant les militants au lieu de les protéger. Les militants de la flottille respectent le droit international humanitaire bafoué par Israël. La seule chose illégale, c'est ce blocus.
Pourtant, la gauche de gouvernement — à laquelle la grande majorité des manifestants ne se réfère pas — avait elle-même trainé à se mobiliser, se montrant peu critique d'Israël dans les mois qui ont suivi le 7 octobre. Les demandes de boycott ou les condamnations des crimes de guerre ou contre l'humanité à Gaza ont longtemps été marginalisées quand bien même elles s'inscrivaient dans une histoire ancienne de luttes internationalistes. La pression de la société civile a légitimé, au cours de l'année 2025, un revirement incarné, par exemple, par l'annonce faite en mai 2025 par Michele de Pascale, président de la région Émilie-Romagne et membre du Parti démocrate, de la rupture des relations institutionnelles de sa collectivité avec Israël.
« Nous sommes l'équipage de terre ! »
La solidarité a continué de croître à mesure que la Global Sumud Flotilla progressait, connaissant un apogée au moment des attaques contre les militants en mer. Le fait qu'un simple voilier puisse traverser la Méditerranée pour apporter de l'aide à Gaza a certainement rendu la cause palestinienne tangible et plus proche des Italiens — comme des Espagnols.
Lorsque l'interception par l'armée israélienne des premiers bateaux a eu lieu, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues après 22 heures, dans des manifestations spontanées qui ont pris de court gouvernement, partis et commentateurs. La flottille, massivement suivie en ligne, a ainsi ravivé un sentiment collectif que la télévision et la presse avaient peu relayé, illustrant une déconnexion similaire observée dans de nombreux pays.
Dans le quotidien de gauche Il Manifesto, Valeria Parella, écrivaine et journaliste napolitaine, commentait :
De temps en temps quelqu'un fait quelque chose d'énorme, et il le fait pour tout le monde, afin d'aider chacun à s'orienter, à garder le cap. Les militants à bord de la Flottille font cela : ils gardent le cap. Ils nous aident à nous orienter lorsque nos boussoles deviennent folles.
Le message venu de la mer avait été entendu et la métaphore maritime filée : les manifestants convoqués par le premier syndicat italien, la Confédération générale italienne du travail (CGIL), qui a décidé le 3 octobre d'une grève générale, suivie dans tout le pays, scandaient le slogan « Nous sommes l'équipage de terre ». Le lendemain, samedi 4 octobre, une manifestation nationale à Rome a rassemblé un million de personnes selon les organisateurs, créant une marée humaine autour du Colisée.
Un révélateur du regain de l'opposition
Une nouvelle mobilisation politique a vu le jour en Italie autour de Gaza. Rien n'indique qu'elle soit uniquement cantonnée à cette question internationale : nombre de commentateurs considèrent désormais que la Palestine a réactivé l'opposition italienne à Giorgia Meloni.
Si l'Église italienne n'a pas pris de position officielle, la mobilisation catholique italienne n'est pas à négliger. À Rome, les manifestants demandaient au pape, avec une banderole accrochée à la statue du pape Jean Paul II « d'aller en Terre sainte, où chaque jour un Christ meurt ». Feu le pape François, très engagé pour Gaza, appelait chaque soir à 20h les chrétiens réfugiés dans la paroisse de la Sainte-Famille à Gaza-ville. Et le 6 octobre, le nouveau pape Léon XIV dénonçait la persistance de l'utilisation de la nourriture comme arme de guerre dans des conflits comme celui de Gaza.
Dans un entretien pour la revue Contretemps, Maurizio Coppola et Salvatore Prinzi, membres de la direction de l'organisation de gauche radicale Potere al Popolo (Le pouvoir au peuple), soulignaient le poids de mobilisations locales de gauche et de l'interface avec l'antimilitarisme d'un large secteur du monde catholique3.
Les manifestations spontanées après l'interception de la Global Sumud Flotilla, les actions de désobéissance civile du Collectif autonome des travailleurs portuaires (CALP) de nombreux ports d'Italie et la grève générale accompagnée par une manifestation organisée par la CGIL illustrent la réappropriation de la question palestinienne. Matteo Salvini, ministre des transports et figure de la Ligue du nord (extrême droite identitaire), a fustigé la mobilisation comme « illégitime ». De telles déclarations n'ont pas entamé la force d'une société civile italienne qu'on croyait assoupie et muselée.
Le football italien a également cherché à témoigner de sa solidarité. En vue du match Italie — Israël pour la qualification au Mondial, 300 associations pacifistes ont annoncé une manifestation à Udine le 14 octobre, jour de la rencontre, pour demander l'interdiction de l'équipe israélienne des compétitions internationales.L'annonce du cessez-le-feu imposé par Donald Trump quelques jours plus tôt n'a pas empêché les supporters de scander des slogans contre la politique israélienne. Le gouvernement avait lui-même fait monter la pression en mobilisant un dispositif policier impressionnant, s'appuyant en outre sur la législation antiterroriste. Le match s'est soldé par une large victoire de l'Italie, entrainant l'élimination définitive d'Israël de la phase finale qui doit se tenir l'été 2026 en Amérique du Nord.
Malgré l'interruption partielle des bombardements à Gaza et une moindre attention médiatique, la mobilisation continue avec l'occupation de nombreux lycées à travers tout le pays pour protester contre la politique italienne envers Gaza. Un jeune lycéen romain écrivait sur Instagram : « Nous pensions que Gaza avait besoin de nous, mais c'est nous qui avions besoin de Gaza. »

Présidentielle en Irlande : Catherine Connolly l’emporte, une victoire historique pour la gauche
La victoire retentissante de Catherine Connolly lors de l'élection présidentielle irlandaise est un moment décisif. C'est la première fois que la gauche remporte une majorité des suffrages lors d'un scrutin national. Il ne s'agit pas non plus d'une victoire serrée : Connolly a obtenu le plus important pourcentage de votes et le plus grand nombre de votes en valeur absolue de tous les candidats à la présidentielle de l'histoire.
Tiré de la revue Contretemps
5 novembre 2025
Par Paul Murphy
Les forces combinées de l'establishment politique et de l'establishment médiatique ont tout mis en œuvre pour contrer Connolly afin de stopper l'élan suscité par sa campagne. « Recouvrez-la de déchets » : c'est devenu la stratégie déployée, ainsi que l'avait suggéré Yvan Iates [1]. Son voyage en Syrie, le fait qu'elle ait embauché un Républicain reconnu coupable d'un crime commis avec une arme à feu, ses commentaires hostiles aux impérialismes des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne, tout comme son activité antérieure d'avocate, tout cela a été scruté et disséqué sans fin.
Le fil rouge qui relie toutes ces diffamations est le fait que, par sa défense de la neutralité et son opposition à un alignement de plus en plus ouvert sur l'OTAN, elle se situe en extériorité à l'establishment politique et médiatique. Alors que Heather Humphreys du Fine Gael refuse ostensiblement de critiquer ce qu'elle appelle « nos alliés » et le fait qu'ils arment le génocide, Catherine Connolly a critiqué ouvertement le soutien des USA aux crimes de guerre israéliens et la volonté de réarmement en Europe, au grand désespoir de la plupart des commentateurs politiques.
Malgré cela, sa campagne soutenue par tous les partis « de gauche » et un mouvement venu d'en bas, a continué à gagner du terrain dans les sondages successifs et a facilement battu le candidat de l'establishment. Il va y avoir des tentatives pour minimiser l'ampleur de cette victoire en soulignant les calamités qui ont frappé les partis de l'establishment : depuis l'abandon du candidat favori du Fine Gael, Mairead McGuinness, à cause de sa maladie, en passant par le retrait dramatique à mi-parcours du candidat du Fianna Fail et, pour finir, par les performances médiatiques peu convaincantes de Heather Humphreys. Mais ces calamités sont pour l'essentiel l'expression du déclin de la base sociale du Fianna Fail et du Fine Gael.
Le fait que Fianna Fail, qui est historiquement le parti le plus important du pays, n'ait pas pu trouver un candidat crédible dans ses propres rangs et que la direction se soit sentie obligée d'y aller avec une célébrité pour éviter que ne soit désigné Bertie Ahern, le précédent Taoiseach (Premier ministre) corrompu, est en soi instructif. Le fait que Jim Gavin ait été ruiné par un scandale car il volait l'argent d'un locataire était une justice poétique pour le Fianna Fail.
De la même manière, le fait que Heather Humphreys ait fait la preuve qu'elle était une piètre candidate illustre à quel point le Fine Gael est déconnecté de la majorité des gens. Ils étaient convaincus que Humphreys se révélerait être un personnage populaire grâce à ses manières terre-à-terre. En pratique, elle est apparue comme étant mal à l'aise avec les questions allant au-delà des éléments de langage. Malgré sa position précédente de Ministre, elle n'avait jamais été confrontée à des questions difficiles.
Est-ce que Mairead McGuinness aurait été une meilleure candidate pour Fine Gael ? Elle aurait sans aucun doute été meilleure dans les débats. Mais dans ce cas, les débats auraient été davantage focalisés sur le thème de l'Union européenne et de sa relation étroite avec Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission qui soutient Israël et la majorité aurait toujours été favorable à Connolly.
Pourquoi a-t-elle gagné ?
Il ne faut pas oublier que les journalistes grand public ont largement loupé le coche. Ils étaient tellement occupés à nous rabâcher que cette élection présidentielle était « ennuyeuse » et « sans intérêt », alors qu'un mouvement derrière Connolly se développait rapidement. Pour ceux qui pense que la politique réelle se situe entre les quatre murs de Leinster House [2], c'était une campagne ennuyeuse. Mais à l'extérieur, dans le monde réel, Catherine a motivé 1 500 jeunes à assister à un concert de collecte de fonds à Vicar St. [3], les billets ont été vendus en moins d'une heure, et les rassemblements et réunions à travers le pays ont été remplis à craquer à chaque occasion.
Beaucoup d'encre va être répandue pour éviter la conclusion la plus simple et la plus basique : elle a gagné parce que la majorité des gens partagent ses valeurs, les valeurs de la gauche, plutôt que celles de Fianna Fail et Fine Gael. Une grande majorité est favorable à la neutralité, au droit au logement et aspire à une société plus égale et plus juste. Cette même majorité est horrifiée par le génocide à Gaza et veut un Président qui ne soit pas ambigu sur la liberté des Palestiniens. Le message de Connolly en faveur d'un mouvement qui travaille à construire ce qu'elle a appelé une « nouvelle République » a résonné en profondeur.
Ce sont les jeunes qui ont apporté l'énergie et la vitalité à la campagne. Dans le dernier sondage, Connolly recueillait 57% des suffrages des 18-34 ans (contre 17% à Humphreys). Parmi les 35-54 ans, elle atteignait 49% et 43% chez les plus de 55 ans. Le journal Irish Times a interviewé 35 primo-votants : 29 avaient voté pour Connolly, 5 avaient gaspillé leur suffrage et un seul avait voté pour Humphreys. Connolly faisait également mieux chez les femmes que chez les hommes, ce qui était évident sur le terrain. Au sein de la campagne, beaucoup ont noté les ressemblances avec la campagne Repeal pour le droit à l'avortement, les jeunes femmes étant la force motrice. Les jeunes rejetaient les partis conservateurs et ont voté pour quelqu'un qui offre de l'espoir et une alternative.
La campagne de calomnies a été totalement inefficace et finalement contreproductive pour Fine Gael pour un certain nombre de raisons. L'une d'entre elles est que Connolly n'a jamais hésité face aux attaques. Elle n'a pas cédé un pouce et ne s'est pas excusée de ses critiques contre le réarmement ni pour avoir embauché un condamné. L'idée que son franc-parler pourrait travailler contre elle n'a pas de sens si l'on considère que notre Président actuel bien-aimé est également critique de l'impérialisme US et de la politique du gouvernement. La nature même de la Présidence a également créé un terrain plus favorable pour la gauche. Le manque de pouvoir réel du Président signifie que les gens étaient libres de voter pour les valeurs progressistes auxquelles ils aspirent sans que l'establishment ne soit capable d'agiter de manière crédible la menace de graves conséquences économiques.
Les qualités personnelles de Catherine sont également apparues au premier plan lors de la campagne. Beaucoup de gens ordinaires utilisaient le mot « authentique » pour la décrire. Toutes les vidéos la montrant jouer aussi bien avec des enfants qu'avec des adultes, jongler et dribler le ballon au basket, des extraits vidéo d'elle dansant un ceili [4] et jouant du piano, ont révélé sa dimension humaine que les gens ont trouvé extrêmement séduisante.
Le mouvement qui s'est cristallisé autour d'elle constitue une autre raison pour laquelle Catherine l'a emporté avec un tel écart. Il n'existe aucun précédent dans l'histoire récente d'une campagne présidentielle qui se soit transformée en mouvement de cette façon. Alors que Michael D. Higgins s'est révélé être un Président efficace, sa campagne de 2018 était en réalité soutenue par Fianna Fail et Fine Gael, alors qu'il avait gagné en 2011 du fait de l'effondrement du soutien à Sean Gallagher après le débat final. Ce qui s'en rapproche le plus est la victoire en 1990 de Mary Robinson qui était soutenue par une coalition regroupant le Parti travailliste, le Parti des Travailleurs et les Verts.
Ça a été une campagne insurrectionnelle, d'opposition, organisée par des militants compétents venus des indépendants et des partis de gauche. Il y a eu plus de 15.000 bénévoles dont la très grande majorité n'étaient membres d'aucun parti. Plus de la moitié d'entre eux ont financé la campagne ou sont devenus actifs au cours de celle-ci. Cette énergie combinée avec une organisation numérique intelligente et l'utilisation de messages sur les réseaux sociaux signifie que la campagne de Connolly a été bien plus efficace que la campagne du Fine Gael en rassemblant et en discutant avec des électeurs. Dans chaque circonscription, un nombre significatif de tournées de porte-à-porte a été organisé à un niveau que l'on n'avait sûrement pas connu depuis des décennies pour une élection présidentielle.
Gaspiller son vote ?
Comme l'extrême droite catholique ultraconservatrice n'a pas réussi, de peu, à obtenir suffisamment de noms de candidats, députés ou de sénateurs, pour figurer sur le bulletin de vote, l'extrême droite a mené une campagne active « gaspillez votre vote ! ». Ce qui était, à nouveau, une première dans la vie politique irlandaise.
Les plus de 12% de votes nuls qu'ils ont obtenu constituent un autre avertissement : l'extrême droite a planté ses griffes et développé son influence dans les communautés ouvrières. Donc, l'expérience qui consiste à faire du porte-à-porte dans les quartiers ouvriers défavorisés a prouvé que ce n'était pas une bataille perdue, mais une bataille dans laquelle il faut s'engager. La plupart de ceux qui s'interrogeaient sur le gaspillage de leur vote étaient disponibles pour être convaincus que la meilleure protestation consisterait à infliger une défaite à l'establishment politique. Organiser en profondeur les communautés et essayer de mobiliser les gens pour agir sur des questions comme la crise du coût de la vie seront essentiels pour ne pas livrer ces communautés à l'extrême droite.
Bien que l'extrême droite n'ait pas été présente directement lors du scrutin, sa montée et l'augmentation du nombre d'attaques racistes et des sentiments réactionnaires ont été sans aucun doute un élément de cette campagne. Beaucoup ont, à juste titre, vu le soutien à Connolly comme un moyen de s'opposer au tournant politique droitier, alors que Fine Gael et Fianna Fail penchaient dans cette direction. Sa victoire s'inscrit à contre-courant face à la montée de l'extrême droite.
Connolly est également connue comme une militante de longue date en faveur d'investissements dans la communauté irlandophone et le soutien à la langue irlandaise. Le fait qu'elle ait appris à parler couramment irlandais alors qu'elle avait déjà 40 ans souligne son engagement en faveur de la langue et de la communauté irlandophone. On peut donc aussi considérer sa campagne comme faisant partie de la nouvelle renaissance de la langue irlandaise, attestée par la popularité de Kneecap [5] et d'autres artistes. Cela contribue à la formation d'une identité progressiste à propos de ce que c'est qu'être Irlandais aujourd'hui, en rapport avec notre histoire anticoloniale, en opposition avec le nationalisme blanc étroit qui est celui de l'extrême droite, qui fait un mauvais usage du drapeau tricolore.
La gauche socialiste : un pilier essentiel de la campagne
La gauche socialiste, en particulier People Before Profit et les militants indépendants de gauche, a été une composante essentielle de la campagne de Connolly. Beaucoup des militants clé qui ont joué un rôle central au niveau national étaient des vétérans des précédentes campagnes victorieuses menées par la gauche.
La décision de People Before Profit de se lancer dans la campagne, en dépit des limites du statut de Président, a trouvé sa justification dans le dynamisme de la campagne, le résultat et les opportunités qui s'offrent désormais. Alors que le militantisme de terrain a été moindre qu'il n'aurait pu l'être si la campagne avait duré plus longtemps, il représente néanmoins une victoire cruciale après des élections générales difficiles et ouvre de nouvelles perspectives.
Les militants indépendants qui étaient auparavant sceptiques vis-à-vis de People Before Profit ont noté que ce dernier a adopté une approche constructive et non-sectaire. Ils devraient prendre en considération le fait de rejoindre People Before Profit pour travailler ensemble à le construire comme un parti de masse pluraliste et écosocialiste.
Les secteurs de la gauche socialiste qui ont apporté leur soutien à contrecœur à Catherine tout en critiquant l'engagement de People Before Profit dans la campagne, devraient, espérons-le, réfléchir aux événements survenus et à ce dont ils se sont tenus à l'écart. Une polarisation gauche-droite s'est opérée, et la gauche l'a emporté. Des milliers de nouveaux militants se sont mobilisés pour la première fois. L'élan qui s'était exprimé vers la droite a été regagné par la gauche.
Les autres partis dans le camp de Connolly
La campagne de Connolly a également impulsé une dynamique au sein des autres partis qui l'ont soutenue. Comme People Before Profit, les Sociaux-Démocrates ont soutenu Catherine Connolly dès le début. Ils ont aidé à créer un élan au sein de la gauche ce qui, en pratique, a laissé aux Travaillistes et aux Verts le choix entre soutenir Connolly ou n'avoir aucun candidat. Les membres du Parti Social-Démocrate se sont engagés avec enthousiasme au niveau local et national.
Sinn Fein a rejoint la campagne relativement tard, après avoir envisagé de présenter son propre candidat. Ils ont apporté à la campagne sur le plan qualitatif, au niveau central et au niveau local, travaillant de façon constructive, tout en utilisant également la campagne pour repopulariser Mary Lou McDonald comme future Première Ministre alternative. Cela a constitué la première tentative sérieuse de mettre en œuvre une stratégie de « bloc républicain de gauche progressiste qui respecte l'indépendance et l'autonomie des partis politiques qui coopèrent », une idée initialement proposée après les dernières élections générales par le président national du Sinn Féin, Declan Kearney.
Quel que soit le critère, cela a été un succès, pas seulement du fait de la victoire de Catherine Connolly, mais aussi grâce au gain de 5% pour Sinn Fein dans les sondages. Le fait de travailler avec d'autres s'est avéré positif pour renforcer le soutien au Sinn Fein. Pour les membres et la direction de Sinn Fein, la question est de savoir s'ils veulent désormais en finir avec la coalition avec Fianna Fail et Fine Gael et consacrer toute leur énergie à une campagne pour un gouvernement de gauche.
Pour le Parti travailliste et les Verts, la campagne de Connolly a été une source de divisions. Elle a mis en lumière et miné leurs secteurs les plus à droite. L'ancien dirigeant travailliste Alan Kelly a été sollicité presque chaque semaine par les médias pour proclamer son opposition à Catherine Connolly et son soutien au Fine Gael. Les médias se sont fait l'écho de plus larges inquiétudes au sein du groupe parlementaire, même si elles ne se sont pas matérialisées. Comme Connolly l'a emporté de façon décisive, la position de Kelly est désormais affaiblie.
La même chose s'est produite chez les Verts où l'ancien député Brian Leddin a démissionné du parti par opposition au soutien à Catherine Connolly, essentiellement à cause de l'opposition de celle-ci à la guerre et à l'impérialisme. Quelques autres personnes l'ont suivi vers la porte de sortie.
La diminution au sein du Parti travailliste et des Verts de l'opposition à une coopération de gauche devrait rendre plus facile pour leurs dirigeants de poursuivre cette orientation s'ils le souhaitent. Il y a cependant un obstacle majeur : jusqu'à présent, l'alliance progressiste proposée par le Parti travailliste et les Verts (dont la cible était essentiellement les sociaux-démocrates) consistait à maximiser la puissance de négociation de ces partis dans une future coalition avec le Fianna Fail ou le Fine Gael. Ce n'est absolument pas ce que recherchent ceux qui se sont impliqués dans la campagne de Connolly : ils souhaitent, à juste titre, se débarrasser de Fianna Fail et de Fine Gael.
Et maintenant ?
Pour les milliers de personnes qui se sont engagées activement dans la campagne de Catherine Connolly et pour ceux encore plus nombreux qui l'ont soutenue passivement, la grande question c'est : et maintenant ? Compte tenu de la faiblesse des pouvoirs qui y sont associés, personne ne croit que remporter la Présidence sera suffisant pour changer le pays. A la Présidence, Catherine Connolly représentera bien nos valeurs et elle va prouver qu'elle est une épine dans le pied de l'establishment. Il ne fait aucun doute que les chroniques des commentateurs déplorant que le président outrepasse les limites de son rôle, tellement habituelles sous la présidence de Michael D. Higgins, vont continuer.
Mais les gens comprennent bien que pour rendre effectif le changement dont nous avons besoin, nous devons gagner bien plus que la Présidence. La grande leçon, c'est que lorsque la gauche s'unit et cherche à mobiliser les gens, elle peut gagner. La dynamique de l'unité peut créer de la confiance et inciter d'autres personnes à s'impliquer. A nouveau, la question d'un gouvernement de gauche se retrouve de plus en plus au centre des préoccupations.
Cependant, toute tentative de développer une initiative qui se focalise entièrement sur les prochaines élections générales est vouée à l'échec, car cela laisserait l'énergie et le militantisme se dissiper. Le fait de jouer le rôle d'un gouvernement responsable en attendant entre 2020 et 2024 s'est révélé calamiteux pour Sinn Fein.
Les gens qui souffrent sous l'impact des hausses répétées des prix de l'énergie ou des produits alimentaires ne peuvent pas attendre. Ceux qui sont confrontés aux expulsions ou bien aux hausses massives des loyers sous l'égide des nouveaux plans gouvernementaux ne peuvent pas attendre. Ceux qui veulent une action significative pour la Palestine et en défense de notre neutralité ne peuvent pas attendre. Il faut organiser des actions communes entre syndicats et mouvements sociaux pour défendre le Triple Verrouillage [6] ; réclamer la mise en œuvre complète de la Résolution sur les Territoires Occupés avant Noël ; en finir avec la crise du coût de la vie à travers le contrôle des prix et la fin de la spéculation ; mettre en œuvre un moratoire sur les expulsions, accompagné d'un contrôle significatif des loyers et de la construction de logements sociaux.
Cependant, à elles seules, les luttes défensives sont insuffisantes. Nous devons accroître dans l'imaginaire des gens la possibilité d'un gouvernement de gauche pour la première fois dans l'histoire de ce pays. People Before Profit propose aux autres partis et individus l'organisation d'une grande conférence de la gauche l'année prochaine pour discuter de la manière d'approfondir la coopération à gauche avec comme objectif de présenter un choix clair lors des prochaines élections générales : ou bien Fianna Fail, Fine Gael et ceux qui les soutiendraient ou bien un gouvernement de Gauche.
Tout cela pose des questions compliquées à la gauche socialiste. Nous comprenons que le système capitaliste, où c'est le profit qui domine, ne peut pas apporter ce que réclament les gens et dont ils ont besoin : le droit au logement et à une bonne vie, un monde sans guerre ni oppression, le droit à un avenir soutenable et vivable pour nos enfants. En conséquence, nous ne participerons qu'à un gouvernement qui s'engage dans une stratégie de mobilisation populaire visant à surmonter l'opposition de la puissante classe capitaliste et à instaurer un changement écosocialiste. C'est très éloigné du programme des autres grands partis qui ont soutenu Connolly.
Néanmoins, nous voulons activement mettre fin à la domination de Fianna Fail et Fine Gael. Nous voulons un gouvernement de gauche, même sur un programme nettement plus faible que le programme écosocialiste que nous aurions défendu. Nous voulons que ce gouvernement ainsi que l'approche qui consiste à réformer le capitalisme soient testés devant les masses. En conséquence, nous sommes ouverts à participer à cette dynamique vers un gouvernement de gauche, ce qui inclut l'engagement au vote pour permettre la constitution de ce gouvernement malgré les limites très significatives de son probable programme. Pour nous, la condition clé est le maintien de notre droit à l'indépendance, à mettre en avant notre propre positionnement écosocialiste et de continuer à renforcer nos liens avec les communautés pour mobiliser à partir d'en bas le pouvoir du peuple.
En 1843, Karl Marx a formulé des conseils utiles aux socialistes qui seraient confrontés à des situations difficiles :
« Nous n'affrontons pas le monde d'une façon doctrinaire avec un nouveau principe : ceci est la vérité ! Agenouillez-vous devant elle ! Nous élaborons de nouveaux principes pour le monde à partir des principes propres au monde. Nous ne disons pas au monde : cessez vos luttes qui sont absurdes : nous allons vous donner le vrai mot d'ordre de la lutte. Nous ne faisons que montrer au monde ce pour quoi il se bat réellement et la conscience est quelque chose qu'il doit acquérir, même s'il n'en n'a pas envie ».
Bon nombre de gens sont désormais impatients de franchir les étapes suivantes après la campagne Connolly afin de travailler à se débarrasser de Fianna Fail et de Fine Gael et d'élire un gouvernement de gauche. C'est là que nous devons être, parmi eux, pour organiser et franchir ensemble de nouvelles étapes, tout en utilisant cela comme une occasion de gagner les gens à l'argument mis en avant par James Connolly en 1897 :
« Si demain vous chassez l'armée anglaise et hissez le drapeau vert sur le château de Dublin, vos efforts auront été vains si vous ne vous attelez pas à l'organisation de la République socialiste. »
Pour gagner une république réellement nouvelle, ce ne sera pas suffisant de remplacer le gouvernement ni même d'écrire une nouvelle constitution. Ce dont on a besoin, c'est d'une République socialiste où les travailleurs et les opprimés soient au pouvoir.
*
Publié le 25 octobre 2025 dans le magazine Rupture (Irlande). Traduction et notes : François Coustal et Contretemps.
Notes
[1] Homme d'affaires, commentateur politique et ancien élu parlementaire du parti de droite Fine Gael de 1981 à 2002, hostile au mouvement nationaliste républicain irlandais et favorable aux Républicains américains et à D. Trump (et à M.Thatcher et R.Reagan plus tôt dans sa carrière).
[2] Siège du parlement de la République d'Irlande.
[3] Célèbre salle de concert dublinoise.
[4] Le ceili est un bal de danses traditionnelles irlandaises.
[5] Kneecap est un groupe (trio) de hip-hop, originaire de Belfast et dont les compositions mélangent les langues anglaises et irlandaises.
[6] Triple Lock (triple verrou) fait référence au processus permettant d'envoyer des troupes irlandaises à l'étranger. Cela implique un vote favorable des Nations Unies, un vote du gouvernement et un vote du Parlement irlandais.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Radicalisation à droite et à gauche alors que le centre s’effondre en Grande-Bretagne
Dave Kellaway évalue la situation politique dans laquelle le fascisme rampant progresse, le centre travailliste ne tient pas bon, mais la radicalisation à gauche est également importante.
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article9248
Mardi 4 novembre 2025
1. Le fascisme rampant passe à la vitesse supérieure
Les formes du fascisme rampant sont les suivantes :
– la montée continue du parti raciste Reform UK de Farage ;
– cela recoupe, y compris au niveau des adhésions, les mobilisations de rue menées par Tommy Robison et les fascistes ;
– un parti conservateur en pleine désintégration qui adopte des politiques autoritaires de plus en plus radicales.
Le soutien au Reform continue de croître
L'élection partielle de Caerphilly, où le Reform n'a pas réussi à l'emporter mais est passé de 2 % lors de la précédente élection à 36 %, montre que les sondages nationaux, qui lui attribuent systématiquement plus de 30 %, sous-estiment plutôt son soutien. Si l'on prend en compte toutes les élections partielles municipales depuis les dernières élections générales, le Reform affiche la moyenne la plus élevée de tous les partis, avec 30 %. Ce chiffre ne dépend pas d'un taux de participation exceptionnellement faible. Les analystes ont expliqué comment le parti Reform incite les ancien·nes abstentionnistes à voter. Le taux de participation à Caerphilly a été plus élevé que lors de la plupart des élections au Senedd.
Le parti Reform vise à consolider sa position en créant des sections dans autant de circonscriptions que possible. Son objectif d'atteindre plus de 900 conseillères et conseillers locaux contribue à renforcer cette base. Les fonds sont abondants et le parti professionnalise son fonctionnement avec de nombreux collaborateurs et collaboratrices qui quittent les conservateurs. Il vise à briguer beaucoup plus de sièges que jamais lors des élections locales, écossaises et galloises de mai 2026. Le député conservateur Danny Kruger, qui était encore en pleine ascension au sein du parti de Badenoch, est la dernière recrue en date, et récemment, vingt conseillères et conseilers municipaux du Hampshire et du Dorset ont également changé de camp. Au sein du Parti conservateur, des voix s'élèvent ouvertement pour réclamer un accord électoral avec le Reform afin de sauver ce qui reste du parti.
Pour l'instant, les sondages montrent qu'une majorité reste opposée à l'idée de voir Farage devenir Premier ministre, et Caerphilly montre qu'il existe un potentiel de vote tactique pour bloquer la progression du Reform. Malheureusement pour Starmer, le Parti travailliste est tellement impopulaire qu'il pourrait ne pas être considéré comme le pivot autour duquel les forces anti-Farage vont se rallier. Les partis nationalistes, verts ou de gauche comme Your Party pourraient bien devenir ce pivot. Ce serait un désastre pour la gauche, et cela ne fonctionnerait même pas nécessairement, si la majorité du mouvement pensait que la seule façon d'arrêter le Reform était de se rallier au gouvernement en faillite de Starmer dans le cadre d'une alliance vaguement progressiste.
Le courant fasciste se renforce
Tommy Robinson a certainement réussi un coup politique avec la manifestation de plus de 100 000 personnes le 13 septembre, probablement la plus grande manifestation fasciste jamais organisée dans ce pays. Outre les slogans anti-immigré·es et anti-islamiques, nous avons également assisté à l'émergence d'un sentiment nationaliste chrétien similaire à celui que nous avons vu aux États-Unis. Lier tous les immigré·es et les demandeurs et demandeurs d'asile à la violence sexuelle et à la pédophilie était un autre mensonge réactionnaire qui a animé la mobilisation. Au cours des semaines qui ont précédé et suivi cette mobilisation, nous avons assisté à la campagne « Raising of the Flags » (Hisser les drapeaux) menée par les fascistes. Des drapeaux britanniques et le drapeau de Saint-Georges ont été hissés, à la manière des Six Comtés, sur des lampadaires. Les bordures de trottoirs et même les ronds-points ont été peints en rouge, blanc et bleu. Robinson se présente également comme un sioniste luttant contre l'antisémitisme et a été invité par des personnalités politiques de haut rang à se rendre en Israël. Lorsque la controverse sur les supporteurs du Maccabi Tel Aviv a éclaté, il a immédiatement déclaré qu'il appellerait ses partisan·es, dont beaucoup sont des fans de football, à manifester leur soutien.
Les conservateurs continuent de glisser vers la droite
Au sein du Parti conservateur, le discours et les politiques en cours d'élaboration marquent une rupture totale avec la trajectoire historique de ce courant politique extrêmement populaire. Des conservateurs de la vieille école comme Michael Heseltine l'ont ouvertement condamné. Robert Jenrick, candidat malheureux à la direction du parti, s'est quant à lui rallié avec enthousiasme aux fascistes qui brandissent les drapeaux et a réalisé une vidéo à Handsworth, près de Birmingham, dans laquelle il se plaint de ne voir aucun visage blanc. La semaine dernière, une ministre déléguée, Katie Lam, a appelé à l'expulsion rétroactive de millions de personnes qui ont déjà le droit de rester indéfiniment dans ce pays, au motif que nous avons besoin d'une « culture cohérente ». Ce virage à droite n'a pas profité aux conservateurs, qui ont perdu leur caution avec seulement 2 % des voix à Caerphilly.
Nous ne pouvons exclure un accord électoral entre les conservateurs et le Parti réformiste, ni une absorption ou une reconfiguration des deux courants en un seul parti d'ici les prochaines élections. Comme Starmer, Badenoch pourrait ne pas rester à la tête du parti jusqu'à cette date.
Une tendance croissante à la droite au niveau international
La montée insidieuse du fascisme ici est intimement liée à la tendance à la droite au niveau international. Trump mène cette tendance avec son attaque contre les institutions démocratiques bourgeoises, utilisant et manipulant la loi pour attaquer ses ennemi·es politiques, menant une chasse aux sorcières contre la gauche et même les progressistes dans les universités, les médias et d'autres institutions. Il a envoyé l'armée et l'ICE (force de contrôle des migrant·es) dans les villes pour harceler et expulser principalement les Noir·es, les Latinos et les migrant·es. Selon certaines informations, de nombreux fascistes issus de groupes tels que les Proud Boys auraient été recrutés par l'ICE.
Pendant ce temps, le Rassemblement national de Le Pen semble bien placé pour remporter les prochaines élections présidentielles françaises, Meloni consolide sa coalition électorale en Italie et Orban continue de diriger la Hongrie. Partout dans le monde, les courants d'extrême droite ou néofascistes, comme Modi en Inde, sont en pleine expansion.
Les secteurs clés des États impérialistes et de la classe dirigeante ont conclu que les démocraties relativement ouvertes qui ont accompagné l'essor de l'après-guerre ne peuvent plus être tolérées. Pour rétablir leurs taux de profit, il faut maintenir les salaires à un niveau bas et réduire encore plus radicalement les dépenses sociales.
Ils refusent également de financer des solutions concrètes à la crise climatique et écologique. le Reform et Badenoch ont suivi l'exemple de Trump en abandonnant les objectifs sérieux de zéro émission nette de carbone. Ils soutiennent de plus en plus les partis politiques autoritaires et radicaux pour mener cette offensive contre les travailleuses et le travailleurs. Les hauts fonctionnaires sont déjà en contact avec le Reform et les lobbyistes des entreprises accordent beaucoup plus d'attention à Farage.
2. Le centre ne tient pas
Le gouvernement travailliste de Starmer, élu avec une victoire parlementaire creuse avec à peine 33 % des suffrages populaires, est en pleine crise. Il a perdu 35 % de ses voix à Caerphilly et ses résultats nationaux sont inférieurs d'environ 12 points de pourcentage à ceux des élections générales. Un sondage récent – sans doute atypique – le plaçait au coude à coude avec les Verts de Zack Polanski. Comme l'ont montré les élections partielles, il perd du soutien à sa droite – au profit du parti Reform – et à sa gauche – au profit du Plaid. Ailleurs, les nationalistes écossais·es, les Verts, les indépendant·es de gauche et potentiellement le parti Your Party gagnent du terrain à gauche du Labour.
Partenariat stratégique avec le capital
La stratégie mal élaborée de Starmer consiste essentiellement à développer un partenariat avec le capital privé afin de construire davantage de logements, de maintenir le NHS et de parvenir à la croissance, de manière à être perçu comme fournissant certains services nécessaires, contrairement aux conservateurs, mais sans rompre avec le cadre fondamental de l'austérité. L'extension de la propriété publique ou la taxation de la richesse ont été écartées comme moyens alternatifs de financer la satisfaction des besoins de la population. Ce partenariat stratégique affaiblit encore davantage une stratégie environnementale déjà timide. Sa stratégie énergétique écologique de 28 milliards de livres sterling a été fortement réduite, les promoteurs immobiliers ont réussi à saboter les réglementations qui protègent la biodiversité et le capital fossile a déjà poussé le Parti travailliste à faire marche arrière sur son objectif de production d'électricité 100 % verte d'ici 2030. Il semble que le Parti travailliste va céder sur la poursuite de l'extraction de pétrole et de gaz dans le champ de Rosebank.
Le Guardian a révélé comment les grandes entreprises qui ont fait des dons au Parti travailliste ont été rapidement récompensées par de nombreux contrats :
L'Autonomy Institute a identifié un total de 125 entreprises qui ont obtenu des contrats du gouvernement central d'une valeur de 28,8 milliards de livres sterling après avoir fait des dons de 30,15 millions de livres sterling à un parti politique. Environ 2,5 milliards de livres sterling de ces contrats ont été attribués dans les deux ans suivant le don.
Parmi elles figure le cabinet de conseil Baringa Partners, qui a fait un don de 30 061,50 livres sterling au Parti travailliste en janvier 2024 et a obtenu des contrats gouvernementaux d'une valeur de 35 196 719 livres sterling entre juillet 2024 et mars de cette année. Grant Thornton a fait un don de 81 658,37 livres sterling entre mars 2023 et juillet 2024 et s'est vu attribuer depuis des contrats d'une valeur de 6 541 819 livres sterling.
Le Parti travailliste ne fonctionne pas
Certaines réformes positives limitées, telles que l'extension des services de garde d'enfants, l'augmentation du nombre de clubs de petit-déjeuner, l'octroi de quelques droits supplémentaires aux locataires et l'amélioration du droit du travail, visent à maintenir le soutien des député·es et des syndicats et à montrer aux électrices et électeurs que le gouvernement est capable d'apporter de réels changements. Cependant, ces miettes ne compensent en rien la crise persistante du coût de la vie, la crise dramatique du logement, la crise écologique, la pauvreté dévastatrice avec des banques alimentaires toujours florissantes, les lacunes du système de santé publique (NHS) ou l'effondrement des infrastructures telles que l'approvisionnement en eau.
La croissance reste faible, l'inflation alimentaire est toujours supérieure à 5 %, les eaux usées continuent d'être déversées dans nos rivières et nos mers tandis que les profits vont aux actionnaires, et bon nombre des autres propositions restent sans effet.
Les plans de logement sont dans un désordre complet, les spécialistes estimant que l'objectif de 1,5 million de logements construits d'ici la fin de la législature actuelle est une plaisanterie. Pire encore, la réponse à cet échec consiste à renforcer le partenariat stratégique avec les promoteurs privés. Ces derniers seront autorisés à construire encore moins de « logements abordables » et le nombre de logements sociaux ne fera guère baisser le nombre de sans-abri. Quoi qu'il en soit, la crise du logement n'est pas une crise d'offre ou de bureaucratie, mais fondamentalement une crise d'accessibilité financière et de suppression de la capacité des autorités locales à construire un nombre significatif de logements.
Le Parti travailliste surpasse le Parti réformiste en matière de réformes, mais avec peu de succès
Pendant la campagne électorale générale, la réponse du Parti travailliste à la menace que représentait le parti Reform a été de l'ignorer pratiquement, car celui-ci grignotait les voix des conservateurs. Depuis lors, il s'est désespérément efforcé de reproduire son discours anti-immigré·es. Chaque semaine, le ministre de l'Intérieur, d'abord Cooper, puis Shabana Mohammed, ont cherché de nouveaux moyens de montrer qu'il était aussi sévère que le Parti réformiste envers les personnes migrantes et les demandeuses d'asile. Ainsi, la période avant de pouvoir prétendre à un permis de séjour permanent a été doublée pour passer à dix ans et de nouvelles conditions réactionnaires ont été imposées, telles que le niveau A en anglais et le bénévolat. Comme on pouvait s'y attendre, rien de tout cela n'a stoppé la progression du Parti réformiste.
Le Parti travailliste a poursuivi l'offensive des conservateurs contre le droit de manifester et les droits démocratiques. Les arrestations massives de personnes brandissant des pancartes en carton se poursuivent. Starmer envisagerait d'interdire certains slogans lors des marches pro-palestiniennes. Malgré cela, des centaines de milliers de personnes, pour la plupart susceptibles de voter pour le Parti travailliste, continuent de descendre régulièrement dans la rue. Le Parti travailliste ne reconnaît toujours pas qu'Israël commet un génocide et soutient pleinement le plan Trump, qui est un mandat colonial plutôt qu'un petit pas vers l'autodétermination palestinienne.
Incompétence de Starmer et de son équipe
Une autre raison expliquant la mauvaise cote de popularité de Starmer est son leadership politique défaillant et sa mauvaise gestion de son équipe, même dans la mise en œuvre de ses propres politiques :
– le fait de ne pas avoir vérifié les liens entre Mandelson et le pédophile Epstein
– la perte régulière de ministres tels que Rayner et d'autres pour violation du code de conduite ministériel
– l'échec du lancement des cartes d'identité numériques
– l'exagération de l'impact de la lutte contre les gangs ou du plan « one in, one out »
– la tentative de diffamer un député du parti Your Party en l'accusant d'antisémitisme pour avoir interdit les hooligans racistes du club de football Maccabi.
Bien sûr, une semaine après que Starmer en ait fait une controverse nationale, ces supporteurs islamophobes, qu'il a défendus contre l'opposition des communautés locales de Birmingham, ont provoqué des émeutes en Israël lors d'un autre match. Le club n'organise même plus de billets pour les matchs à l'extérieur. Comme le dit le chant, tout est devenu calme là-bas. Il semble maintenant que Starmer ne se donne même plus la peine de renverser l'interdiction imposée par la police, le conseil municipal et les groupes de sécurité.
La réponse de Starmer à l'impopularité du gouvernement, telle qu'elle est présentée à la conférence du Parti travailliste, consiste à intensifier les attaques verbales contre le Reform tout en poursuivant son message anti-immigré·es et en effectuant quelques légers ajustements vers la gauche. Le Parti travailliste semble vouloir mettre fin (en partie ?) à l'écart entre les allocations familiales pour deux enfants et prendre certaines mesures fiscales qui toucheront légèrement les poches des riches. Mais tout cela est relatif, car les projets visant à réduire davantage les droits des personnes handicapées aux prestations sociales, à diminuer les allocations de mobilité et à « réformer » l'aide aux personnes ayant des besoins spéciaux montrent que les coupes dans les dépenses publiques vont se poursuivre.
Powell remporte la vice-présidence
Comme prévu, la candidate de l'opposition loyale et « constructive », Lucy Powell, a remporté la vice-présidence avec huit points d'avance, obtenant 54 % des voix. Étant donné qu'elle était la candidate officielle de Starmer, Phillipson a obtenu un meilleur résultat que ne le laissaient présager les sondages.
Bien que le Parti travailliste s'abstienne délibérément de fournir une ventilation entre les votes des membres des sections locales et ceux des membres des syndicats affiliés qui ont pris la peine de voter, les instituts de sondage ont estimé que 43 % des premiers avaient voté. Survation estime à 280 000 le nombre de membres du parti, ce qui est bien inférieur à la dernière déclaration officielle et probablement une surestimation.
Pour celles et ceux de gauche qui sont encore membres du Parti travailliste, cela a été un petit encouragement. Beaucoup misent sur le fait que cela pourrait être le signe qu'une personne comme Andy Burnham pourrait remporter la course à la direction du parti après le désastre électoral prévu pour les élections de mai 2026.
Une chose est sûre après ce vote : le chef de cabinet de Downing Street, Morgan McSweeney, et son équipe vont tout mettre en œuvre pour empêcher Burnham d'obtenir un siège avant mai prochain. Plus discrètement, ils évalueront quel candidat de la droite et du centre du parti serait le mieux placé pour remplacer Starmer s'il ne peut être sauvé.
La gauche travailliste affaiblie
Le faible nombre de réunions et de participations aux meetings électoraux pendant les campagnes pour la vice-présidence suggère que l'activisme du parti est très modéré. Si Your Party réussit à organiser des sections locales et ne marque plus de buts contre son camp, nous pourrions assister à une approche combinée des membres verts/YP et peut-être dépasser le nombre de membres du LP. En termes d'activistes sur le terrain, celles et ceux qui se situent à gauche du Labour auront le dessus.
Celles et ceux qui se situent à gauche du parti espèrent que Powell sera en mesure d'exercer une pression pour que l'appareil cesse sa guerre contre la gauche. Les récentes sélections de candidat·es à travers le pays semblent suivre le slogan de McSweeney, qui consiste à enterrer la gauche. Dans le même temps, la baisse du nombre de membres et l'impopularité du gouvernement font qu'il n'est même pas facile de trouver des personnes disposées à se présenter. Pour Starmer, l'une des conséquences positives de la victoire de Powell sera que les député·es de gauche de premier plan ne quitteront pas le navire, du moins pendant un certain temps.
Nous ne devons pas sous-estimer ce qui reste de la gauche au sein du Parti travailliste. Le lancement maladroit de Your Party et la victoire de Powell les ont amenés à adopter une attitude attentiste et à ne pas encore franchir le pas pour rompre avec le Parti travailliste. Leur nombre a considérablement diminué, mais Your Party ne doit pas les ignorer et les militant·es doivent travailler à leurs côtés dans les campagnes et les syndicats.
3. Une radicalisation de la gauche
Tout n'est pas sombre dans la situation politique actuelle. Il existe une contre-offensive contre le fascisme rampant. Aux États-Unis, les mobilisations No Kings sont importantes et ne cessent de prendre de l'ampleur. En Italie et en France, la gauche a réussi à rassembler des millions de personnes dans les rues.
La campagne de solidarité avec la Palestine, ici et ailleurs, est devenue un véritable mouvement de masse. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Londres il y a quelques semaines, juste après que le gouvernement et les grands médias aient présenté le cessez-le-feu de Trump comme un grand pas en avant vers une solution à deux États. La Palestine est l'une des principales raisons pour lesquelles tant de militant·ds et d'électeur·ices ont abandonné le Parti travailliste de Starmer. Beaucoup de gens, en particulier les jeunes militant·es, rejoignent des groupes à gauche du Parti travailliste après s'être engagé·es dans la solidarité avec la Palestine. Nous sommes dans une situation différente de celle de démoralisation que nous avons connue lors de la défaite du projet Corbyn au sein du Parti travailliste.
Les Verts en plein essor avec Polanski
Les Verts profitent également de toute cette mobilisation autour de la Palestine, mais aussi des manifestations continues pour défendre notre environnement. La victoire de Zack Polanski à la tête du parti, sur un programme incluant des revendications socialistes ainsi qu'un agenda vert radical, a eu un impact considérable. Aujourd'hui, les Verts comptent plus de membres que les Libéraux-démocrates et les Conservateurs.
Zack est un bon communicateur dans les médias et n'est pas revenu sur ses politiques progressistes concernant les migrant·es, la Palestine ou l'impôt sur la fortune. Il défend la propriété commune et la réduction des niveaux vertigineux d'inégalité en Grande-Bretagne. On le voit dans les rues lors des manifestations pour Gaza et contre les entreprises de combustibles fossiles.
Il est important de noter qu'il est ouvert à des accords électoraux entre les Verts et Your Party. À Hackney, par exemple, il existe déjà une coopération entre les conseillères et conseillers verts et les conseillères et conseillers indépendants de gauche, non seulement sur les accords électoraux pour mai prochain, mais aussi dans le cadre d'actions visant à introduire des campagnes de désinvestissement au sein du conseil municipal.
Dans les discussions autour de la création de Your Party, certaines voix sectaires et d'extrême gauche ont dénoncé les Verts et se sont opposées à tout accord électoral avec eux. Beaucoup de celles et ceux qui ont rejoint les Verts sont d'ancien·nes partisan·es de Corbyn et certain·es de celleux qui ont rejoint récemment auraient très bien pu rejoindre Your Party s'il n'y avait pas eu toutes ces erreurs en cours de route. Se moquer (souvent à tort) de la blancheur ou du caractère bourgeois des Verts n'aide en rien.
Nous avons une occasion historique d'affaiblir sérieusement l'hégémonie du travaillisme sur le mouvement ouvrier, mais cela ne sera pas possible si nous ne parvenons pas à nous unir dans l'action et dans les élections avec les Verts. Certains membres de la gauche ne voient tout simplement pas l'importance pour Your Party d'adopter un programme écosocialiste clair qui relie toutes les questions menaçant notre planète à l'inégalité et à la lutte des classes. Ce que nous avons vu jusqu'à présent de Zack Polanski, c'est quelqu'un qui est assez doué pour établir ces liens.
Potentiel et problèmes de Your Party
Your Party a sans aucun doute ses problèmes. Il semble y avoir un groupe autour de Jeremy – que l'on pourrait appeler ses courtisan·es – qui n'apprécie guère que Sultana fasse de l'ombre à leur leader et qui craint fortement de perdre sa position au sein de la direction du projet. Dans une certaine mesure, leur réticence à adopter une structure de type délégué pour les assemblées et la conférence semble provenir de la crainte que les militant·es opposé·es à leurs opinions (peut-être dans les groupes organisés de gauche) aient trop de poids. La disposition de la constitution proposée interdisant la double appartenance au YP et à un autre courant pourrait être utilisée pour empêcher l'intervention des formations de gauche.
Malgré tout cela, nous devons nous concentrer sur la situation dans son ensemble. Jusqu'à 300 réunions de « proto » sections locales de YP ont été organisées. Certains grands rassemblements et réunions ont suscité des réactions positives de la part des participant·es. Certaines réunions ont jusqu'à présent réussi à rassembler les gens, d'autres non.
La gauche révolutionnaire doit comprendre que si YP veut devenir un parti de masse de gauche, elle doit agir avec prudence et ne pas considérer tous les membres comme des personnes qu'elle peut simplement recruter dans son groupe. Pour réussir, nous avons besoin de dizaines de milliers de militant·es qui ne se définissent pas comme marxistes ou qui ne considèrent pas actuellement comme leur priorité de renverser l'État bourgeois.
Espérons que le fait que de nombreux groupes de gauche travailleront au sein du nouveau parti aidera leurs membres à réfléchir à la manière de collaborer avec les nouvelles et nouveaux militants de manière ouverte et amicale, sans les pousser à jurer de ne plus jamais revenir à une réunion locale avec tous ces vendeurs de journaux. Parfois, c'est une question de langage et de présentation. Par exemple, si dix membres de votre groupe participent à une réunion, ils ne doivent pas tous prendre la parole et, lorsqu'ils le font, ils ne doivent pas tous donner l'impression de réciter le même article paru dans le journal de la semaine.
Se battre pour la planète et notre avenir à tous
Un autre effet positif de la collaboration entre différents courants de gauche dans un même environnement pourrait être une approche moins antagoniste entre eux. Travailler ensemble pour diriger le nouveau parti pourrait encourager les militant·es à s'interroger sur la nécessité d'avoir autant de groupes de gauche, étant donné qu'ils s'accordent souvent sur 80 à 90 % de leurs politiques.
Nous ne devons pas laisser les difficultés liées à l'organisation à ce stade par le biais du mécanisme de tirage au sort freiner la progression vers la création de sections fortes dans chaque région. Parfois, la bonne volonté et les attitudes positives peuvent faire des merveilles, même en politique.
En Grande-Bretagne et à l'échelle internationale, nous sommes engagé·es dans une course entre, d'une part, un fascisme rampant qui entraîne de nouvelles défaites pour les travailleuses et les travailleurs et un avenir incertain pour notre planète et, d'autre part, le développement d'une alternative socialement progressiste qui pourrait conduire à un véritable avenir écosocialiste. Si notre camp perdait, les conséquences seraient catastrophiques.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Europe : Trois ans de Meloni, un modèle pour l’extrême droite internationale
Le texte qui suit a été rédigé à l'intention des lecteurs non italiens et s'attarde donc sur des éléments qui peuvent sembler superflus à ceux qui suivent quotidiennement la politique de notre pays. Nous le publions néanmoins pour les évaluations et les données qu'il contient.
Tiré de Inprecor
1er novembre 2025
Par Fabrizio Burattini
Le 17 avril 2025 © Governo italiano / CC BY-SA 3.0
Le mercredi 22 octobre, cela faisait exactement trois ans que Giorgia Meloni avait pris ses fonctions au palais Chigi, siège de la présidence du Conseil des ministres italien. Sa nomination était le résultat prévisible mais néanmoins désastreux des élections de septembre 2022, lorsque la coalition de droite (dont Fratelli d'Italia était de loin le premier parti) a remporté la victoire grâce à un taux d'abstention significatif (36 %) mais surtout grâce à une loi anti-proportionnelle approuvée par les précédents gouvernements de centre-gauche et à la profonde division entre les autres forces politiques qui ont constitué au parlement le front hétérogène de l'opposition.
La droite, avec ses 12 millions de voix (sur un électorat d'environ 46 millions), soit moins de 44 % des suffrages exprimés, et donc seulement 26 % des voix de l'électorat, a élu près de 60 % des députés et des sénateurs. Comme nous l'avons dit à l'époque dans un article « la victoire de Giorgia Meloni et de Fratelli d'Italia a une valeur symbolique sans précédent dans l'histoire de la République : l'Italie tombe entre les mains d'une coalition dominée par les héritiers de Mussolini, d'Almirante et de Rauti ».
Bien sûr, il ne faut pas négliger tous les autres facteurs qui ont pesé sur le résultat et ouvert la voie au succès du parti héritier direct du fascisme : les transformations culturelles et institutionnelles déjà imprimées au pays par les gouvernements Berlusconi, la disparition progressive d'une gauche capable de représenter une alternative pour les classes populaires, les contraintes institutionnelles imposées à la politique par les gouvernements de gauche et les gouvernements « techniques », les choix fortement « socio-libéraux » de ces mêmes gouvernements, l'acquiescement obstiné à ces choix de la part des syndicats majoritaires, l'échec des illusions créées dans le pays par la démagogie du Mouvement 5 étoiles.
Il n'en reste pas moins que la victoire de Giorgia Meloni apparaît beaucoup plus solide et « projetée » que ne l'était le succès de Silvio Berlusconi il y a près de trente ans, qui était continuellement marqué par le mélange entre les objectifs politiques de la droite et les intérêts personnels et commerciaux du Premier ministre. Contrairement à Berlusconi, Giorgia Meloni se présente et, dans une certaine mesure, est une « politicienne pure », née (1977) et a grandi dans les milieux louches de l'extrême droite romaine, militante de la jeunesse néofasciste depuis l'âge de 15 ans et depuis lors toujours engagée dans des activités politiques et occupant des fonctions institutionnelles de plus en plus importantes, de conseillère municipale de la capitale à députée, ministre et, aujourd'hui, présidente du Conseil. Sa réponse à une interview a fait la une des journaux lorsqu'une polémique a éclaté entre elle et Berlusconi peu après sa nomination. Elle a répondu sèchement « je ne suis pas susceptible de faire l'objet de chantage », affirmant ainsi que, contrairement au vieux leader de Forza Italia, elle n'avait d'autres intérêts à cacher que ceux de la politique.
Il faut dire qu'elle n'a jamais voulu cacher ses racines politiques fascistes. Face à l'insistance inefficace de l'opposition et de certains médias pour qu'elle déclare « être antifasciste », elle a toujours réussi à esquiver la question. Et ses prises de distance par rapport au fascisme historique ont toujours été tactiquement limitées à certaines questions relativement secondaires. Elle a même réussi à consolider ses relations avec la communauté juive, en particulier celle de Rome, autrefois l'un des bastions de la gauche, en faisant élire sur ses listes pour le Sénat la porte-parole Ester Mieli, petite-fille d'un déporté à Auschwitz. Et ce, malgré les nombreuses enquêtes journalistiques qui ont révélé que la base et la nomenklatura de Fratelli d'Italia continuent de cultiver le mythe mussolinien, l'idéologie fasciste et même la haine anti-juive.
Le bilan vanté et le bilan réel
Le bilan de ces trois années de gouvernement est marqué par la situation économique du pays et par une conjoncture plutôt dépressive, avec les restrictions budgétaires que l'Italie connaît depuis des années en raison de sa dette publique abyssale (3 053 milliards d'euros, chiffres de juillet 2025, soit près de 140 % du produit intérieur brut). La politique du gouvernement, notamment grâce à la réduction des impôts (en particulier en faveur de sa base sociale implantée dans les petites entreprises, le commerce et les professions libérales), a toutefois entraîné une augmentation de la dette de près de 300 milliards au cours des trois dernières années.
Malgré cela, le gouvernement peut se targuer d'une baisse significative du spread entre le taux d'intérêt des titres d'État italiens et celui des titres allemands, qui est passé de 244 à 86 entre 2022 et aujourd'hui. Bien sûr, la crise économique touche l'Allemagne depuis quelque temps et, par conséquent, l'augmentation de l'intérêt pour ses titres d'État, mais il est certain que le rendement des bons du Trésor italiens est passé en trois ans de 4,79 % à 3,57 %, ce qui indique que les « marchés » ont considérablement renforcé leur confiance dans l'économie italienne, car elle est entre les mains d'un gouvernement considéré comme « plus fiable » par les « marchés », ce qui s'est d'ailleurs traduit par une légère amélioration de la notation définie par les principales agences de notation financière et que Giorgia Meloni a présentée comme « la confirmation que la voie empruntée par le gouvernement est la bonne ».
Le PIB à prix constants est resté pratiquement stable au cours des trois années du gouvernement Meloni, avec une croissance légèrement inférieure à 1,5 % entre le quatrième trimestre 2022 et le deuxième trimestre 2025. Malgré cela, le gouvernement se vante d'une tendance à la hausse du taux d'emploi qui aurait atteint 62,80 % cet été (contre 54,70 % en 2013).
Ces résultats, par ailleurs très modestes, même dans un contexte mondial déprimé et marqué par le ralentissement du commerce international, sont largement « dopés » grâce aux 194 milliards d'euros accordés par l'Union européenne (dans le cadre du programme post-Covid « Next Generation UE »), en partie sous forme de subventions (71,8 milliards) et en partie sous forme de prêts à taux préférentiels (122,6 milliards). Il s'agit de chiffres énormes qui pleuvent sur les entreprises italiennes, soutenant manifestement (d'au moins un point de pourcentage, dit-on) le PIB et l'emploi.
Malgré les proclamations de la droite sur les dangers du « remplacement ethnique », le déclin démographique reste un problème non résolu. En dix ans, la population italienne est passée de 60,2 millions en 2016 à 59,0 millions cette année. Cette baisse serait encore plus marquée sans l'afflux important de résidents étrangers ces dernières années, qui sont passés d'environ 500 000 au début des années 90 à plus de 5 millions aujourd'hui, dont 4,3 millions sont inscrits à l'Institut de sécurité sociale (3,8 millions de travailleurs, un peu plus de 300 000 retraités et environ 250 000 bénéficiaires de prestations de soutien au revenu : chômage partiel, indemnités d'invalidité ou de chômage) . Outre la très forte baisse des naissances (on prévoit pour 2025 pas plus de 340 000 naissances, soit 8 % de moins qu'en 2024), il ne faut pas oublier que chaque année, environ 100 000 jeunes (généralement titulaires d'un diplôme universitaire) émigrent vers d'autres pays de l'UE ou hors UE.
La situation des classes populaires est facilement illustrée par les prix à la consommation qui, au cours des cinq dernières années (2021-2025), ont augmenté d'environ 17 % alors que les salaires moyens n'ont augmenté que de 9,6 %, ce qui représente une perte de 8 points de pouvoir d'achat, soit l'équivalent d'un mois de salaire. L'Organisation internationale du travail (OIT) a souligné à plusieurs reprises que l'Italie est l'un des rares pays du G20 à avoir aujourd'hui des salaires inférieurs à ceux de 2008.
La pauvreté (en particulier dans certaines régions du pays) constitue une véritable urgence chronique. Entre 2022 et 2024, les familles en situation de pauvreté absolue passeront de 8,3 % à 8,5 % du total des familles résidentes (soit environ 2 millions 234 mille familles ; elles n'étaient « que » 6,2 % en 2014) et les personnes en situation de pauvreté absolue passeront de 9,7 % à 9,8 % (plus de 5,7 millions de personnes). Le phénomène est en augmentation et s'aggrave, à la fois en raison de l'inflation qui appauvrit les familles qui se trouvaient juste au-dessus du seuil de pauvreté et de la suppression du revenu de citoyenneté en 2023, qui a laissé de nombreuses familles déjà pauvres sans aucun soutien au revenu. Selon l'Institut de statistique, le taux de population menacée de pauvreté est de 23,1 % en 2024.
La pauvreté absolue touche particulièrement les mineurs, plus nombreux dans les familles pauvres : les moins de 18 ans en situation de pauvreté absolue représentent 14 % du total (1,3 million). Elle touche également une part importante de la population active (les working poor) : les familles dont le chef de famille travaille et vivent dans une situation de pauvreté absolue passent de 8,3 % à 9,1 % entre 2022 et 2023. L'opposition dans son ensemble a souligné la nécessité d'instaurer une loi sur le « salaire minimum » (réussissant même à modifier la position de certains syndicats, tels que la CGIL et l'UIL, qui y étaient auparavant opposés), mais le gouvernement a réussi à faire échouer toutes les propositions en ce sens.
L'Italie reste, depuis de nombreuses années, la deuxième puissance manufacturière du continent européen, mais son industrie reste fortement caractérisée par une faible productivité du travail (en 2024, 65 euros par heure travaillée, contre 75,12 en France). Ce chiffre contribue également à relativiser, voire à annuler, les données triomphalistes du gouvernement concernant la croissance de l'emploi et sa qualité. En 2023, par exemple, les heures travaillées ont augmenté de 2,7 %, tandis que la valeur ajoutée n'a augmenté que de 0,2 %, ce qui indique qu'une grande partie des entrepreneurs, en particulier les petits et les très petits, préfèrent embaucher des salariés à bas salaire plutôt que de faire des investissements innovants. Ce n'est pas un hasard si la Commission européenne, dans ses rapports, ne place l'Italie qu'à la quatorzième place du classement des pays les plus innovants de l'UE en 2025.
La faible croissance de l'emploi, dont se vante le gouvernement de droite, montre cependant des signes de fragilité. En effet, le nombre de personnes employées dans la tranche d'âge des plus de 50 ans augmente, tandis que celui des plus jeunes diminue, ce qui montre les conséquences sur l'emploi du relèvement de l'âge de la retraite, décrété en 2011 par le gouvernement « technique » de Mario Monti et jamais modifié par les gouvernements suivants. Les personnes âgées restent plus longtemps au travail, ce qui fausse les statistiques de l'emploi, au détriment d'un rajeunissement et d'une rotation plus significatifs de la main-d'œuvre.
La désindustrialisation de la deuxième puissance manufacturière européenne
Le phénomène dit de « désindustrialisation » a commencé en Italie (comme dans une grande partie du monde occidental) dès les années 70 et s'est accéléré dans les années 90, avec une réduction progressive du poids du secteur manufacturier au profit des services. Mais le gouvernement Meloni, ces dernières années, avec sa politique économique et pour essayer de renflouer les caisses afin de maintenir l'équilibre des comptes publics, a facilité un nouveau processus de cession d'entreprises « stratégiques », avec la vente par l'État d'entreprises autrefois essentielles au développement économique du pays. Et ces cessions ont eu des répercussions importantes sur l'emploi.
Les aciéries de Tarente (anciennement Italsider, anciennement ILVA, aujourd'hui « Acciaierie d'Italia Spa ») sont en proie, depuis leur privatisation dans les années 80, à une crise environnementale et professionnelle très grave qui dure depuis plusieurs décennies. Aujourd'hui, le gouvernement prévoit essentiellement de les céder à la société financière américaine « Bedrock Industries », qui demande que la cession s'accompagne d'un financement public de 700 millions d'euros à fonds perdus pour procéder à la « décarbonisation » des installations. Bedrock prévoit également une réduction massive de 7 000 emplois sur les 10 000 actuellement occupés.
Il y a tout juste un an, le gouvernement a cédé le réseau fixe de TIM (anciennement Telecom Italia) à un consortium dirigé par le fonds américain KKR, ce qui a entraîné une réduction des effectifs de Tim de 37 000 à 17 300 employés. Dès 2022, la compagnie aérienne nationale Alitalia (aujourd'hui ITA) a été privatisée et, il y a quelques mois, le gouvernement Meloni a décidé de la céder progressivement à Lufthansa, cette dernière s'engageant à ne pas réintégrer les 2 000 travailleurs actuellement en chômage technique. La marque pétrolière IP (Italiana Petroli), qui faisait autrefois partie du groupe ENI, est en passe d'être cédée au groupe azerbaïdjanais Socar pour 3 milliards d'euros, dans le cadre de la « diversification des sources d'énergie » suite à la guerre russe en Ukraine.
Les usines de production ex Fiat (aujourd'hui Stellantis) sont en cours de démantèlement depuis des années et la crise du marché automobile n'a fait qu'accélérer cette tendance. L'ancienne usine Fiat IVECO (véhicules industriels) a déjà été cédée en partie à l'indien Tata Motors et (en ce qui concerne le secteur des véhicules à usage militaire) à un partenariat entre Leonardo et l'allemand Rheinmetall. Au total, cela met en péril plus de 10 000 emplois supplémentaires. Le gouvernement prévoit également de reconvertir l'industrie automobile italienne dans la production militaire, grâce à l'octroi de nouvelles aides publiques à Stellantis. Malgré cela, l'entreprise a continué à distribuer des dividendes à ses actionnaires, grâce à la délocalisation de la production, à la compression des salaires, aux généreuses aides publiques et au transfert des bénéfices vers des « paradis fiscaux ».
La croissance des inégalités
Dans le secteur bancaire, l'affaire Monte dei Paschi di Siena (MPS) est particulièrement frappante. Il s'agit de l'une des plus anciennes banques, autrefois détenue en grande partie par l'État (plus de 60 % du capital) et en difficulté depuis longtemps, « assainie » il y a quelques années grâce à l'octroi de 5,4 milliards d'euros prélevés sur le budget public. Maintenant que la banque est redevenue « attractive », le gouvernement veut vendre les 11 % d'actions restantes détenues par l'État. Entre-temps, MPS a acquis la principale « banque d'affaires » du pays (Mediobanca), rapportant à ses principaux actionnaires (les familles Del Vecchio et Caltagirone et le fonds américain BlackRock) plus de 1,5 milliard d'euros de bénéfices, sur lesquels rien ne sera versé au fisc, car tous résident dans des paradis fiscaux.
En 2024, les banques italiennes ont enregistré un nouveau record en termes de bénéfice net, avec 46,5 milliards d'euros, soit une croissance de 5,7 milliards (+14 %) par rapport à 2023. Le montant total des bénéfices réalisés par les banques au cours des trois années du mandat de Meloni (2022-2024) atteint 112 milliards, grâce notamment aux taux d'intérêt élevés décidés par la BCE. Dans les manœuvres financières de ces dernières années, le gouvernement avait proclamé à plusieurs reprises son intention de prélever un impôt (très modeste, pas plus de 2 milliards) sur ces bénéfices exceptionnellement élevés. Mais l'opposition des banquiers, « autoritairement » confiée au sein du gouvernement au parti Forza Italia, a rapidement conduit l'exécutif à renoncer. Le ministre des Finances Giancarlo Giorgetti (Ligue) semble vouloir retenter le coup cette année, mais il semble que les difficultés resteront les mêmes que celles des années précédentes.
Les lois pour consolider le consensus
Quant à l'activité législative du gouvernement, elle a été particulièrement limitée. Malgré les pressions de l'UE et la politique communautaire de « protection de la concurrence », le gouvernement Meloni a choisi la voie de la « protection contre la concurrence » et a continuellement renouvelé les concessions monopolistiques et les rentes de certaines corporations dont la droite tire un soutien électoral important (établissements balnéaires, taxis, notaires, etc.).
Dès sa première manœuvre financière, à la fin de 2022, qu'il a renouvelée et élargie dans les manœuvres des années suivantes, il a également choisi de mener une politique fiscale ouvertement favorable à certaines catégories de contribuables. Ainsi, alors que les salariés et les retraités continuent d'être imposés selon des taux progressifs (23 % pour les revenus jusqu'à 28 000 euros, 35 % pour les revenus jusqu'à 50 000 euros, 43 % pour les revenus supérieurs à 50 000 euros), les professions libérales et les petites entreprises individuelles sont soumises à ce qu'on appelle la « flat tax » à 15 % (qui est réduite à 5 % pendant 5 ans pour les « nouveaux entrepreneurs »). Il en résulte qu'à revenu égal, un salarié peut payer jusqu'à trois fois plus d'impôts qu'un travailleur indépendant. L'avantage électoral que la droite a acquis grâce à cette opération est tout à fait évident, d'autant plus en Italie, où le poids du « travail indépendant » et des petites entreprises est bien supérieur à la moyenne des pays développés.
Giorgia Meloni et le gouvernement, dans la parfaite continuité de Berlusconi, ont persévéré dans leur politique d'indulgence envers la colossale évasion fiscale italienne (environ 100 milliards d'euros par an) et la toute aussi importante fraude fiscale (en 2024, les contribuables endettés auprès du fisc étaient environ 23 millions, avec des dettes s'élevant au montant colossal de près de 1 300 milliards d'euros). Cette politique s'est traduite par des opérations démagogiques et propagandistes, comme les déclarations de la Première ministre en 2023 à Catane (en Sicile, région où l'évasion fiscale atteint des niveaux records et où la mafia règne toujours), où elle a comparé la lutte contre l'évasion fiscale au « pizzo di stato », c'est-à-dire aux « contributions » que le crime organisé extorque avec violence aux citoyens. Mais elle s'est également et surtout traduite par de nombreuses et répétées mesures d'amnistie fiscale (une vingtaine de mesures au cours des trois années de gouvernement) qui ont annulé ou réduit à des montants dérisoires les dettes fiscales des contribuables fraudeurs ou défaillants.
Ainsi, face à la pénalisation de tous les citoyens à revenu fixe (salariés et retraités), les inégalités continuent de croître en Italie. La richesse immobilière et financière italienne, qui a explosé ces dernières années, s'élève à 11 700 milliards (cinq fois le PIB) et place le pays à la huitième place du classement mondial en termes de richesse financière. Le pays compte 517 000 millionnaires, c'est-à-dire des personnes qui détiennent un patrimoine d'au moins un million de dollars en richesse financière, soit moins de 1 % de la population. Les personnes qui détiennent un patrimoine supérieur à 100 millions de dollars en richesse financière en Italie sont au nombre de 2 600. Cette rentabilité des activités financières et le fait qu'elles soient peu imposées déclenchent également une « spirale de rente » qui détourne les investissements de l'économie productive.
Le gouvernement, par d'autres opérations démagogiques et propagandistes, vise également à inciter d'importants secteurs de l'entrepreneuriat et de la finance à s'organiser pour spéculer sur des régions du monde victimes de guerres et de dévastations. En janvier 2024, Giorgia Meloni a organisé à Rome un « sommet Italie-Afrique » auquel ont participé des représentants de 45 États africains, au cours duquel la Première ministre a présenté les hypothèses de « partenariat » prévues par le « Plan Mattei ». Mais ce n'est pas tout. En juillet de cette année, elle a organisé, toujours à Rome, la « Conférence sur la reprise de l'Ukraine », en collaboration avec le gouvernement de Kiev, envisageant d'importants investissements dans la reconstruction du pays dévasté par l'invasion russe. Dans les prochains jours, nous pouvons en être sûrs, le gouvernement s'efforcera de faire participer les industries italiennes à la « reconstruction de Gaza », si l'accord fragile conclu entre Netanyahu et le Hamas tient bon.
Racisme, sécuritarisme et bouleversement de la Constitution
L'activité du gouvernement s'est donc manifestée davantage sur le plan politique que sur le plan purement législatif. En effet, même les nombreuses et importantes initiatives visant à « empêcher l'immigration clandestine » n'ont pas produit de résultats concrets significatifs, si ce n'est celui de renforcer l'image d'un gouvernement « fort avec les faibles », image utile pour préserver le soutien politique et électoral de larges pans de l'électorat infectés par le racisme. Une série de décrets adoptés en 2023 a servi cet objectif, comme celui qui a fortement entravé l'activité des navires des ONG engagées dans le sauvetage des migrants naufragés en Méditerranée, celui adopté après le massacre de Cutro (qui a fait plus de 100 morts par noyade) ou celui qui a prolongé jusqu'à 18 mois la durée maximale de séjour dans l'enfer des « centres de rapatriement » (CPR).
Le protocole d'accord avec le gouvernement albanais de février 2024, qui a conduit à la construction de deux CPR sur le territoire albanais, une construction très coûteuse et jusqu'à présent pratiquement inutilisée, constitue un cas à part.
Toute l'affaire qui a vu s'opposer la volonté du gouvernement de fixer à sa guise les pays considérés comme « sûrs » pour le rapatriement des demandeurs d'asile et les initiatives contraires de nombreux juges italiens (et de la magistrature européenne) a également été utile à la propagande raciste du gouvernement et à son initiative contre l'indépendance de la magistrature.
En matière de politique économique, outre les choix d'amnistie en faveur des fraudeurs, le gouvernement a adopté d'importantes mesures d'allègement pour les entreprises, telles que la création d'une « zone économique spéciale » (ZES) unique qui couvre tout le sud du pays (avec les avantages fiscaux et réglementaires correspondants, tant contractuels qu'environnementaux, pour les entreprises opérant dans le Mezzogiorno). Au profit des employeurs, il a également été décidé de prolonger la réduction du « coin fiscal », qui a certes permis d'ajouter quelques dizaines d'euros supplémentaires aux salaires des salariés aux dépens du budget public, mais dans le but explicite de réduire la pression salariale et syndicale pour le renouvellement des conventions collectives et l'augmentation des salaires.
En outre, la possibilité pour les entreprises de faire appel à des sous-traitants et d'utiliser, même en l'absence de motifs valables, des contrats de travail à durée déterminée a également été élargie.
Des initiatives législatives importantes et inquiétantes ont été adoptées sur le plan répressif. Le gouvernement avait déjà commencé en 2022, une semaine seulement après son entrée en fonction, en adoptant le « décret Rave » qui pénalisait les rassemblements « non autorisés » de plus de 50 jeunes. Mais la loi la plus significative à cet égard est celle qui a été adoptée en avril dernier par décret, contournant ainsi le vote du Parlement, malgré la large majorité dont dispose le gouvernement dans les deux chambres. Il s'agit du « décret sécurité » qui introduit de nouveaux délits en matière d'ordre public (blocage de routes, occupation de bâtiments, révocation de la citoyenneté pour les étrangers ayant obtenu la citoyenneté italienne et condamnés même pour des délits mineurs, prison obligatoire même pour les femmes ayant des enfants de moins d'un an, libre usage des armes, y compris des armes à feu par la police, répression accrue de toute protestation dans les prisons, etc.). Ce décret aggrave encore, en termes de répression, le code pénal hérité par la République italienne du régime fasciste.
Mais les intentions du gouvernement vont bien au-delà. Il y a un an, le Parlement a approuvé la loi sur la « autonomie différenciée », fortement souhaitée par la Ligue de Matteo Salvini, afin de tenter de supprimer toute forme de solidarité fiscale entre les différentes zones les plus riches ou les plus pauvres du pays et de donner des pouvoirs plus importants et quasi illimités aux dirigeants des régions les plus riches. Cette loi, adoptée avec le soutien de toute la majorité de droite en juin 2024, a été partiellement affaiblie par un arrêt de la Cour constitutionnelle de décembre 2024, mais elle continue de présenter une importante violation de la constitution adoptée en 1948 par la République italienne.
Une autre loi de réforme constitutionnelle (souhaitée en particulier par Forza Italia) a récemment été adoptée par la majorité gouvernementale en matière de justice, séparant les carrières des juges de celles des procureurs et modifiant profondément le système d'autogouvernance de la magistrature, dans le but explicite de la subordonner au pouvoir gouvernemental et donc de porter atteinte à la séparation des pouvoirs également prévue par la Constitution, déjà fortement compromise par l'abus des décrets d'urgence (le gouvernement Meloni a adopté pas moins de 91 décrets-lois en trois ans). Un abus qui vide le Parlement de son rôle en le subordonnant à l'exécutif. Conformément aux dispositions constitutionnelles, cette réforme de la magistrature sera soumise à un référendum populaire de confirmation au printemps prochain. Mais les sondages, à ce jour, laissent présager un résultat favorable à la droite.
Mais le point principal du programme de réforme de la Constitution proposé par la droite est constitué par la « réforme du premier ministre », une refonte complète du fonctionnement institutionnel du pays. Cette proposition a été définie par Giorgia Meloni comme « le début de la Troisième République » (la « deuxième » aurait été celle gouvernée par Berlusconi), la « mère de toutes les réformes ». Il s'agit d'une hypothèse de manipulation très grave et lourde de l'architecture institutionnelle adoptée par l'Italie après les vingt ans du fascisme, un coup que Giorgia Meloni entend porter à la structure institutionnelle parlementaire de notre pays, sans autre motivation que la fixation idéologique des post-fascistes italiens sur la centralisation des pouvoirs.
La proposition est présentée comme un remède à l'instabilité gouvernementale qui a caractérisé le pays dans la seconde moitié du siècle dernier. Mais aujourd'hui, en particulier dans cette législature, cette instabilité n'existe plus. À tel point que, pour tous les observateurs, l'Italie de Giorgia Meloni apparaît comme un modèle de stabilité, dans une Europe où de nombreux pays sont en proie à de profondes crises, à commencer par la France de Macron.
Le gouvernement Meloni est en effet en passe de devenir le plus long de l'histoire du pays. Ainsi, la réforme du poste de Premier ministre n'a rien à voir avec la soi-disant « gouvernabilité », mais, dans l'intention de la Première ministre et des autres promoteurs, elle vise à marquer politiquement et symboliquement le dépassement définitif des racines antifascistes et démocratiques de la Constitution de 1948, et à créer chez un électorat populiste beaucoup plus large l'illusion d'un renouveau qui promet de sortir le pays des difficultés des dernières décennies.
Le mécanisme institutionnel abscons identifié par les rédacteurs du projet réduit à néant le rôle des parlementaires et des chambres, qui deviennent de simples instances de ratification des décisions prises par le gouvernement et leur premier ministre. Il s'agirait, même formellement, d'une « dictature de la majorité », d'une majorité qui, en outre, selon les nouvelles règles électorales, pourrait disposer d'au moins 55 % des parlementaires même avec seulement 30 % des voix, qui plus est de l'électorat qui s'exprime, dans un contexte où l'abstentionnisme ne cesse de croître. Le pouvoir exécutif (c'est-à-dire le gouvernement) deviendrait indépendant du parlement, car l'élection directe du Premier ministre en ferait le pouvoir central, largement prévalant sur tous les autres organes institutionnels (président de la République et parlement), structurellement affaiblis. Il s'agirait d'une « démocratie » analogue à celle de nombreux « amis » de Giorgia Meloni, et en particulier du Hongrois Viktor Orban.
Cette réforme est encore en discussion au Parlement, et le gouvernement (à moins que des « fenêtres » d'opportunité imprévisibles ne se présentent) choisira probablement de la laisser mûrir avec le temps, peut-être en reportant son adoption définitive à la prochaine législature, qui sera élue à l'automne 2027. En effet, il est tout à fait prévisible que la réforme fera l'objet d'un référendum de confirmation, et les référendums de confirmation sur les réformes constitutionnelles se sont souvent transformés en un rejet retentissant des gouvernements, il suffit de se rappeler les 60 % de « non » qui ont balayé le gouvernement Renzi en 2016. Mais cette fois-ci, l'épreuve sera particulièrement difficile pour l'opposition, car pour empêcher la réforme, il faut « défendre » une Constitution qui, grâce à des manipulations répétées, n'est plus celle fondée sur le « compromis social » antifasciste de 1948. Et aussi parce que cette Constitution a douloureusement montré au cours de ces dernières décennies son caractère déclamatoire, trahissant dans la pratique tous les engagements d'égalité et de justice promis dans le texte.
La fiabilité internationale…
Parmi les succès de Giorgia Meloni, il ne faut pas négliger sa capacité à s'intégrer efficacement dans la politique de l'Union européenne, même si ce choix contredit de manière flagrante ses prises de position démagogiques contre les « technocrates de Bruxelles » adoptées lorsqu'elle était encore dans l'opposition. Il faut dire qu'après un certain scepticisme initial, la Commission européenne et sa présidente Von Der Leyen ont largement ouvert la porte à une collaboration avec la Première ministre italienne. Cette collaboration s'est traduite par la contribution du gouvernement italien au niveau communautaire, en matière d'immigration, à la révision du règlement de Dublin, aux nouvelles règles relatives au droit d'asile et aux règles de rapatriement, en matière d'environnement, à la réécriture du Green Deal européen, en matière économique, à l'assouplissement de certaines règles du pacte de stabilité et de croissance.
Et cette collaboration a conduit la droite italienne au pouvoir à se démarquer lors du vote sur la nouvelle commission, Fratelli d'Italia et Forza Italia ayant voté en faveur d'Ursula Von Der Leyen (tandis que la Ligue a voté contre, avec le reste de l'extrême droite européenne). En échange, Fratelli d'Italia a obtenu la nomination de son Raffaele Fitto au poste de vice-président exécutif. En faisant le bilan des politiques européennes d'autres leaders de droite (par exemple Matteo Salvini), Giorgia Meloni a compris qu'une approche ouvertement « souverainiste » et anti-européenne n'était pas très payante. Elle a donc mis en œuvre et continue de mettre en œuvre une politique d'intégration progressive dans les institutions de l'UE, avec pour l'instant des résultats indéniables.
En matière de politique étrangère, certaines divergences subsistent entre les partis de la coalition de droite, Fratelli d'Italia et Forza Italia étant plus clairement atlantistes que l'Ukraine, mais l'activisme de Trump semble faire l'unanimité et Giorgia Meloni est certainement la mieux placée pour tirer parti de l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite américaine.
Étant donné que le gouvernement italien a été le premier parmi les principaux pays occidentaux à tomber entre les mains de l'extrême droite, il faut reconnaître que Giorgia Meloni a réussi à normaliser la présence d'une extrême droite fasciste (ou du moins post-fasciste) à la tête de la troisième économie européenne, devenant ainsi une référence internationale pour tous les partis de droite.
Elle a habilement réussi à s'entourer d'une aura de respectabilité, à se doter d'une image institutionnelle et « modérée », à s'imposer comme un acteur essentiel dans la résolution des principaux défis de l'UE, non seulement sur l'Ukraine, mais aussi sur d'autres questions. Elle a réussi à établir et à afficher une relation explicitement cordiale et symboliquement significative avec la présidente de la Commission, allant même jusqu'à organiser avec elle une visite conjointe sur l'île de Lampedusa, principale destination des migrants en provenance d'Afrique du Nord, afin de montrer leur entente et leur collaboration sur le sujet délicat de l'immigration, thème sur lequel l'ensemble de la politique européenne semble se rapprocher des positions xénophobes et racistes de la droite italienne. Dans le même temps, elle a réussi à combiner tout cela avec une entente affichée avec l'administration Trump, qui lui rend en quelque sorte la pareille en la présentant comme une interlocutrice privilégiée.
Malgré les critiques largement inefficaces que la Ligue de Matteo Salvini et du général néofasciste Roberto Vannacci adresse à Giorgia Meloni depuis la droite, il faut dire que cette dernière, grâce à son pragmatisme, a réussi à gagner de plus en plus le soutien des patrons, même les plus puissants, autrefois perplexes face au « souverainisme » de l'extrême droite, à son gouvernement et à sa politique. Il faut également ajouter que son « modèle » contribue à la « montée » au pouvoir d'autres partis d'extrême droite au niveau international, car il incite des secteurs de plus en plus larges des classes dominantes à dire : « eh bien, vous voyez, en fin de compte, il n'y a pas lieu d'avoir peur d'eux, au contraire, comme le montre Giorgia Meloni, ils peuvent faire un travail utile pour nous ».
… et agressivité réactionnaire envers ceux qui ne sont pas d'accord
Contrairement à cette image « institutionnelle », au niveau national, la Première ministre utilise des tons de plus en plus agressifs et méprisants à l'égard de l'opposition (elle a récemment qualifié la timide solidarité de l'opposition institutionnelle envers la Palestine de « complicité avec le Hamas ») et de ceux qui osent la critiquer. Bien qu'elle fût encore totalement inconnue en Italie il y a quelques semaines, elle a immédiatement utilisé l'assassinat de Charlie Kirkpour attaquer la gauche, tant modérée qu'extrémiste, allant jusqu'à organiser au Parlement italien une commémoration grotesque de l'activiste réactionnaire pro-Trump.
L'orientation réactionnaire de la droite continue de présider à son action dans le pays. Nous avons déjà évoqué le « décret sécurité ». D'autres mesures ont été prises contre les familles « arc-en-ciel », c'est-à-dire non binaires, empêchant la régularisation des enfants adoptés ou procréés de manière hétérodoxe. Elle a tout fait pour imposer un contrôle strict sur les médias, en particulier sur les chaînes de télévision.
La tactique de Giorgia Meloni consiste à utiliser et à essayer d'approfondir au maximum la crise de crédibilité de toute l'opposition dans toutes ses nuances, du centrisme vide de Matteo Renzi à la démagogie résiduelle impuissante du Mouvement 5 étoiles, en passant par l'approche tardive et bancale du PD d'Elly Schlein. Toute l'opposition continue de payer le prix de sa longue et désastreuse saison au gouvernement (entre les gouvernements « politiques » dirigés par le PD ou le Mouvement 5 étoiles et les gouvernements « techniques » soutenus par le PD, cela s'est prolongé de 2011 à 2022), de ses politiques antisociales, de ses réformes institutionnelles perverses, de son soutien aux poussées racistes et sécuritaires, de son accompagnement à la pulvérisation définitive de ce qui était autrefois la cohésion de la classe ouvrière.
Cela se traduit par une diminution progressive mais inexorable du nombre d'électeurs actifs (lors des dernières élections régionales, ce chiffre s'est toujours situé autour de 50 %, voire en dessous), diminution qui pénalise beaucoup plus l'opposition que les forces de droite au pouvoir. Une analyse intéressante basée sur le pourcentage de votes qui ne s'expriment pas seulement sur la liste mais aussi dans les préférences pour un candidat montre que ce pourcentage est beaucoup plus faible dans le vote de droite (surtout pour Fratelli d'Italia) alors qu'il est très élevé (parfois pour le PD, il frôle ou dépasse les 70 %) pour ceux de l'opposition. Ce phénomène indique la capacité persistante de la droite à « parler » également à l'opinion publique, à celle qui est moins organisée et moins liée aux partis, tandis que l'opposition parvient difficilement à attirer les votes de l'électorat non aligné.
Cela suffit à décrire l'impuissance de l'opposition politique et institutionnelle, avec la crise et le déclin du Mouvement 5 étoiles, miraculeusement maintenu en vie, après la mort de Gianroberto Casaleggio et la « trahison » de Beppe Grillo, par la direction de Giuseppe Conte. Le PD est actuellement contraint de faire bonne figure face à la gestion « mouvementiste » d'Elly Schlein, mais continue d'être totalement infesté par une nomenklatura d'administrateurs nostalgiques de Matteo Renzi. Tout cela a favorisé une certaine croissance de l'aile gauche de l'opposition, celle « rouge-verte » de l'AVS de Nicola Fratoianni et Angelo Bonelli, mais c'est une aile qui continue à végéter dans une subordination totale aux autres.
Quant à la « gauche radicale », on aurait envie de ne pas en parler afin de jeter un « voile pudique » sur son « existence ». Mais il faut dire que le mouvement extraordinaire qui s'est développé ces dernières semaines pour condamner le génocide perpétré à Gaza par Netanyahu et son gouvernement et la complicité de nombreux gouvernements (dont celui de l'Italie) permet un nouveau remaniement des forces en présence, en marginalisant de manière significative ce qui reste du Parti de la refondation communiste (PRC) et en mettant au premier plan les ailes les plus ouvertement « campistes » de la gauche radicale italienne (le syndicat USB et l'organisation politique Potere al Popolo), qui, grâce à leur activisme politique et social et à certains choix tactiques qui se sont révélés visionnaires, ont pris une place de premier plan dans ce mouvement.
Les manifestations qui ont puissamment traversé l'Italie (à l'instar d'autres pays) au cours de l'action de la Global Sumud Flotilla montrent le potentiel persistant qui existe encore dans le pays. Une évaluation politique froide constate qu'il n'y a pas dans le pays d'acteurs politiques et sociaux capables d'orienter ce potentiel, si ce n'est dans l'impasse d'un dangereux campisme. Cependant, la nouvelle mobilisation de masse et la nouvelle disponibilité à la militance politique créent de nouveaux espaces de travail politique afin qu'une option internationaliste cohérente puisse contester l'hégémonie des campistes dans la gauche radicale.
Pendant ce temps, Giorgia Meloni, avec son pragmatisme tactique, combinant arrogance verbale et modération insinuante, attend que l'« effet Trump » s'étende dans le monde, que d'autres pays européens (la France ? La Grande-Bretagne ? L'Allemagne ?) tombent entre les mains d'autres camarades d'extrême droite et leur offre un modèle d'action.
Publié le 25 octobre 2025 par Il Refrattario e controcorrente et traduit par ML pour le réseau Bastille.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Plus d’un million de réfugiés syriens en Europe menacés d’expulsion
Il y a environ 45 000 réfugiés syriens en France, ce qui est peu par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne, la Suède ou l'Autriche. Depuis la chute du régime de Bachar Al-Assad, des demandes d'asile en cours d'instruction ont été suspendues en raison des incertitudes liées à la transition politique en cours.
Avec la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie le 8 décembre 2024, certains hommes politiques liés à l'extrême droite ont proposé d'expulser et de rapatrier les réfugiés syriens, tandis que plusieurs pays européens – France, Allemagne, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Suède, Grèce et Italie – ont annoncé la suspension de l'examen des demandes d'asile des citoyens syriens. Est-ce légalement faisable
L'article original a été publié sur Voxeurop un média en ligne indépendant qui est le premier à être géré par une coopérative européenne de presse.
6 novembre 2025 | tiré de Mondafrique
https://mondafrique.com/moyen-orient/plus-dun-million-de-refugies-syriens-en-europe-menaces-dexpulsion/
Le contexte : La fin du régime dictatorial d'Al-Assad et la prise du pouvoir par le Commandement général, l'exécutif dirigé par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ont mis fin à la guerre civile qui a débuté avec le soulèvement de mars 2011. Le changement de régime aurait marqué, pour certains défenseurs de l'expulsion des réfugiés, un retour à la normale dans le pays. Les conditions dans lesquelles les citoyens syriens peuvent demander l'asile en Europe ne seraient donc plus réunies, et les pays européens pourraient donc légitimement refuser de traiter les demandes d'asile et ainsi renvoyer les réfugiés syriens dans leur pays.
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il y avait environ 1,2 million de réfugiés et près de 124 000 demandeurs d'asile d'origine syrienne dans l'Union européenne au premier semestre 2024. En Italie, on compte aujourd'hui 3 500 réfugiés syriens et un peu plus de 250 demandeurs d'asile.
Dans le langage courant, les termes “réfugiés”, “demandeurs d'asile” et “apatrides” sont utilisés de manière interchangeable, mais ces trois définitions recouvrent des réalités très différentes. Pour résumer :
Définitions
Les demandeurs d'asile sont des personnes qui ont quitté leur pays par crainte de persécution ou de violation de leurs droits et qui recherchent une protection juridique dans un autre pays.
Le statut de réfugié, quant à lui, est l'un des types de protection juridique qui peut être accordé à un demandeur d'asile, à condition qu'il remplisse certaines conditions.
La protection subsidiaire, quant à elle, est un autre statut, moins protecteur, destiné aux demandeurs qui ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié.
Le statut d'apatride, quant à lui, concerne une personne privée de nationalité, avec toutes les conséquences que cela implique.
Qu'on ne s'y trompe pas ; tout réfugié syrien, au sens juridique du terme, est bel et bien reconnu par l'Etat, qui lui fournit une protection et un permis de séjour. Dans le cas des suspensions d'examen de demandes d'asile, ce ne sont toutefois pas les réfugiés syriens qui sont visés, mais les demandeurs d'asile, c'est-à-dire les personnes qui ont demandé une protection internationale et attendent une réponse.
La décision de suspendre ces demandes, comme dans le cas de la volonté du gouvernement italien, concerne ce dernier groupe de personnes.
Italie
Filippo Ungaro, porte-parole du HCR en Italie, précise dans un entretien avec Internazionale que “certains Etats ont suspendu la prise de décision concernant les demandes de protection internationale présentées par des ressortissants syriens jusqu'à ce que la situation dans le pays se soit stabilisée et que des informations fiables sur la situation en matière de sécurité et de droits humains soient disponibles pour évaluer les besoins de protection internationale des demandeurs individuels”.
Mais pour le HCR, au vu de la situation incertaine en Syrie, “il reste crucial que les personnes soient toujours en mesure de demander l'asile et qu'elles puissent le faire. De même, les demandeurs d'asile syriens qui attendent une reprise de la décision sur leur demande doivent pouvoir continuer à bénéficier des mêmes droits que tous les autres demandeurs, y compris en termes de conditions d'accueil.”
Selon le HCR, la Syrie ne peut, pour l'heure, pas être considérée comme un pays sûr et aucune pression ne peut être exercée sur les réfugiés en Europe pour qu'ils retournent dans un pays qui se trouve dans une situation humanitaire grave. Ungaro acquiesce : “Compte tenu de l'évolution rapide de la situation en Syrie et du niveau élevé d'incertitude quant aux développements à court et moyen terme, le HCR n'est actuellement pas en mesure de fournir des conseils détaillés sur les facteurs de risque pour les demandeurs d'asile syriens susceptibles d'entraîner des besoins de protection internationale. Aujourd'hui, plus de 90 % des Syriens à l'intérieur du pays ont besoin d'une assistance humanitaire.”
France
En France, les demandes d'asile sont examinées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Si celui-ci ne peut pas refuser d'examiner une demande, il peut toujours décider de suspendre temporairement les évaluations ; c'est ce qu'il a fait le 9 décembre, au lendemain de la chute du régime de Bachar al-Assad. Pour l'heure, l'Ofpra n'est pas revenu sur sa décision. En 2023, 4 465 demandes ont été déposées ; environ 2 500 en 2024. Selon l'Office, 700 sont encore en cours de traitement.
“En France, c'est la loi qui fixeles conditions de [cessation] de la protection internationale”, explique Claudia Charles du Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigré·es). Ce droit est fondé sur la Convention de Genève, qui détermine le statut de réfugié et ses conditions. Elle stipule, entre autres conditions, que la cessation de ce statut est possible si “les circonstances à la suite desquelles [la personne] a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité”.
En clair, si la situation qui a provoqué le départ – crainte de persécutions en raison de son origine, de sa religion, de ses opinions, etc. – n'est plus d'actualité. Y a-t-il eu un changement fondamental dans le régime politique du pays en question ? Un système judiciaire garantissant effectivement les droits fondamentaux sur l'ensemble du territoire a-t-il été mis en place ? Si oui, une cessation du statut de réfugié est possible.
Quant à la protection subsidiaire, un statut moins protecteur que le statut de réfugié, elle peut être révoquée pour des motifs similaires. Une cessation est également possible en cas de fraude ou de crime grave, par exemple. Mais l'examen doit se faire au cas par cas, précise Claudia Charles.
Quant au retrait ou au non-renouvellement d'un titre de séjour, qui peut éventuellement conduire à l'expulsion, il est possible sous certaines conditions, notamment si la personne concernée a fait l'objet d'une condamnation pénale ou si elle représente une menace pour l'ordre public. L'expulsion proprement dite est également régie par le droit français.
Les dossiers sont nécessairement analysés au cas par cas, et ce à chaque étape. Mais compte tenu de la situation politique instable en Syrie, un retour des réfugiés syriens semble pour l'instant impossible.hDans une déclaration publiée le 17 décembre, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés précise : “Le HCR a publié une position actualisée sur les retours en Syrie, qui met l'accent sur le principe de non-refoulement (ou de non-rapatriement forcé) et sur le droit des Syriens à accéder à l'asile. Si les risques de protection liés à la persécution par l'ancien gouvernement ont diminué, d'autres risques peuvent persister ou émerger pour les groupes particulièrement vulnérables”.
Pour Gianfranco Schiavone, président du Consortium italien de solidarité (ICS) à Trieste et expert en droit migratoire de l'Association pour les études juridiques sur l'immigration (Asgi), il faut préciser que les retours qui ont lieu ces jours-ci en Syrie (après le 9 décembre) depuis le Liban et la Turquie sont volontaires et n'ont pas d'impact direct sur la situation des Syriens dans l'Union européenne. “En Europe, nous avons des règlements spécifiques pour la protection internationale qui sont garantis”, explique-t-il. “Nous devons également évaluer les conditions matérielles des Syriens au Liban ou en Turquie par rapport à celles des Syriens en Europe”. Alors que les Syriens au Liban vivent dans la précarité et ne bénéficient parfois d'aucune protection juridique, “cette situation n'est pas comparable à celle de personnes qui vivent dans l'Union européenne depuis des années et qui s'interrogeront sur les choix à faire à l'avenir”.
Si les conditions de sécurité en Syrie venaient à changer, il est possible que certains pays européens révoquent le statut de réfugié de ceux qui l'ont déjà obtenu. Mais selon Schiavone, il s'agit d'un processus très long, qui impliquerait plusieurs étapes à exclure pour l'instant : “Le droit européen […] prévoit la possibilité de révoquer la protection internationale en cas de besoins de protection qui ont cessé”. Pour l'heure, “il n'est pas possible d'adopter une mesure similaire pour les Syriens, étant donné les conditions d'incertitude absolue qui prévalent dans le pays. En tout état de cause, il s'agirait de mesures individuelles”.
Entre-temps, de violents combats entre HTC et les forces alaouites fidèles au régime de Bachar al-Assad ont éclaté début mars sur la côte, faisant plus de 1000 de morts – dont de nombreux civils – selon l'Observatoire syrien des droits humains (une ONG basée à Londres), et incitant le gouvernement intérimaire à imposer un couvre-feu dans les villes de Lattaquié, Tartous et Homs. Dans ce contexte, il est d'autant plus difficile que la Syrie obtienne prochainement le statut de pays sûr.
Cet article a été rédigé avec le soutien de l'EMIF (European Media and Information Fund). Le contenu soutenu par le Fonds européen pour les médias et l'information relève de la seule responsabilité de son ou ses auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l'EMIF et des partenaires du Fonds, de la Fondation Calouste Gulbenkian et de l'Institut universitaire européen.

Meurtri mais déterminé, le peuple ukrainien se bat
Si les manœuvres diplomatiques occupent le devant de la scène, le peuple ukrainien, dans un contexte de plus en plus difficile, continue de résister, y compris dans les zones occupées.
Tiré de Inprecor
31 octobre 2025
Par Dominique
© Katya Gritseva
Les revirements incessants de Trump maintiennent un climat d'incertitude, cherchant à pousser l'Ukraine et la Russie à négocier un cessez-le-feu, au détriment d'une véritable négociation de paix. Le gel du conflit sur les lignes de front actuelles serait défavorable à l'Ukraine. Il constituerait un gain majeur pour Poutine.
Face au double jeu des Russes (parler de négociations tout en intensifiant les opérations militaires), l'Union européenne n'arrive pas à trouver une position commune de soutien efficace à l'Ukraine. Son aide militaire reste en deçà des besoins. Elle peine à s'imposer dans les négociations et renâcle à utiliser les avoirs russes gelés depuis le début de l'invasion à grande échelle (près de 200 milliards d'euros).
La population civile paie un lourd tribut
Les attaques de drones et de missiles contre les infrastructures énergétiques entraînent un risque d'effondrement partiel de la « vie normale », faute de chauffage, d'électricité, d'eau. Cette semaine, les Russes ont bombardé des habitations et une école maternelle de Kharkiv, avec des enfants à l'intérieur. Ils mènent de véritables chasses contre les civils avec des drones FPV dans les villes, notamment à Kherson. En violation du droit international, les occupants transfèrent et placent des milliers d'enfants ukrainiens pour les « russifier ».
Sur une ligne de front globalement figée, les tentatives d'infiltration des troupes russes maintiennent la pression sur l'armée ukrainienne : si leurs gains restent limités, cette guerre d'usure impose un coût humain, matériel et économique énorme pour l'Ukraine.
En ciblant des raffineries et des dépôts de munitions à l'intérieur de la Russie, les forces ukrainiennes portent des coups sérieux à l'économie russe. Hausse des prix et pénuries de carburant commencent à peser sur la vie quotidienne et le moral de la population. Ces frappes réussies accentuent les difficultés financières du régime.
Une résistance acharnée
Encouragés par le succès des mobilisations contre la corruption en juillet, syndicats et associations citoyennes se battent. Les syndicats contestent les projets de lois qui affaiblissent les droits des travailleurEs et leurs conditions de travail, notamment Be Like We Are (Soyez comme nous sommes) dans le secteur de la santé. Bilkis, association féministe, inclusive et anticapitaliste, fournit des produits de première nécessité et des médicaments aux femmes, aux personnes déplacées ou vulnérables.
Bien d'autres, Solidarity Collectives, le syndicat étudiant Priama Diia, l'organisation politique Sotsialnyi Rukh, articulent une solidarité active et concrète, la défense des droits de toutes et tous et la perspective d'une Ukraine libérée du joug des oligarques et de l'agenda néolibéral.
En Crimée et dans les zones occupées, des mouvements semi-clandestins intensifient leurs activités contre les occupants, contre la militarisation forcée ou l'imposition de la nationalité russe. Atesh (partisans ukrainiens, Tatars, opposants russes) et Yellow Ribbon combinent apparitions symboliques et opérations de sabotage qui ciblent la logistique ennemie (lignes ferroviaires, dépôts de munitions).
Sur le front, à l'arrière, dans les territoires occupés, malgré l'épuisement et les souffrances de près de quatre ans d'une guerre meurtrière, dans l'incertitude des tractations diplomatiques, le peuple ukrainien résiste.
Publié le 30 octobre 2025 par L'Anticapitaliste
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Les luttes sociales de la jeunesse ukrainienne en période de guerre
Dans le 11e arrondissement de Paris, des militantes ukrainiennes du collectif Priama Diia (Action directe) conversent autour d'une même question : comment la jeunesse peut-elle se mobiliser pendant la guerre ?
28 octobre 2025 | tiré du journal des alternatives
https://alter.quebec/les-luttes-sociales-de-la-jeunesse-ukrainienne-en-periode-de-guerre/
Priama Diia est un syndicat étudiant ukrainien qui a émergé en 2023. Ses fondements se sont manifestés dans les années 1990 et ont réapparu récemment dans une Ukraine qui “ manquait de mouvements de gauche ». Leurs représentantes, Katya Gritseva et Maria Sokolova étaient à Paris le 11 septembre pour parler de leur lutte au sein du collectif. C'est la guerre et la crise sociale profonde émergente qui ont su mobiliser la jeunesse ukrainienne autour d'une « gauche socialiste et anti-impérialiste ». L'organisateur et animateur de la rencontre, Bernard Dreano fait converger dans cette discussion, artistes, activistes et étudiant.es dans un élan solidaire envers l'Ukraine.
Une jeunesse mondiale debout contre la guerre
La jeunesse semble plus que jamais mobilisée contre les conflits dans le monde. La population étudiante prend d'assaut ces mouvements pour contrer un système complaisant envers des gouvernements agressifs et envahisseurs. Les étudiants du monde s'étaient insurgés contre la guerre Israélo-Palestinienne il y a quelques semaines, mais la mobilisation contre la guerre en Ukraine connaît un essoufflement. Mise de côté par défaut, la population ukrainienne qui y survit au quotidien ne l'oublie pas et espère pouvoir reposer sur les soutiens internationaux qu'elle avait reçus au commencement de l'invasion russe.
Un collectif étudiant engagé
Priama Diia comprend 150 000 membres, particulièrement à Kiev et Lviv, le collectif tente de mobiliser la jeunesse ukrainienne scolarisée restée au pays mais également celles réfugiées à l'étranger pour porter leur lutte à l'international. Ils re rangent à gauche et revendiquent des enjeux qui touchent presque tous les étudiants dans le monde : la discrimination, la précarité, le logement, les droits des femmes…
Dans son ancienne université à Kiev, Katya se battait déjà autour des mêmes enjeux, elle décrit la décrépitude des locaux universitaires où elle étudiait et logeait. Ils sont souvent seuls face à leur difficulté, un dénominateur commun pour les étudiants en lutte. À Odessa, les activistes de Priama Diia venaient en aide aux itinérants, dont beaucoup sont des anciens soldats qui ont tout perdu au cours du conflit.
La guerre n'a fait qu'empirer la situation des personnes les plus précaires ; elles perdent leur maison dans les bombardements et sont contraintes à l'itinérance, encore plus vulnérables face à une guerre destructrice. Priama Diia est un collectif qui travaille en collaboration avec de multiples syndicats ukrainiens, dans un effort de consolidation des luttes sociales pour améliorer les conditions de vie et de travail de tous.tes, au-delà de la guerre. Ils luttent contre l'autoritarisme, le capitalisme et surtout, la fausse perception véhiculée sur l'Ukraine et son armée.
L'Ukraine, un pays fasciste ?
Le pays et son armée, abriterait l'extrême droite, composée de soldats fascistes contre lesquels se dresse la Russie. Ce scénario, majoritairement transmis par le Kremlin, souhaite inverser la responsabilité de la guerre vers une Ukraine qu'il faudrait « sauver du fascisme ». Une rhétorique façonnée par Moscou, que Katya Gritseva déconstruit de toute pièce : « C'est la Russie, le pouvoir impérial envahisseur qu'il faut combattre ».
Originaire de Marioupol, une ville maintenant occupée par l'armée russe, elle porte une lutte marquée par les difficultés de la condition ouvrière de sa famille. En Ukraine, la loi martiale engendre des obstacles significatifs pour les mouvements sociaux ; leurs actions sont fortement réprimées. Les grèves sont restreintes et le taux de mobilisation en souffre, « les Ukrainiens ont peur de manifester ».
Priama Diia espère apporter du soutien et rassurer la population qui pense « que l'heure n'est pas pour les luttes sociales, il faut défendre le pays ». Le manque de confiance dans les institutions a suffi pour sortir la population de chez elle et la ramener dans la rue pour manifester contre la corruption. À la suite de la suppression du caractère indépendant des instances anti-corruption en Ukraine, la population a manifesté en pleine guerre pour s'opposer à la volonté du gouvernement. Un mouvement encore une fois initié par une jeunesse engagée.
Au Maroc, au Népal, à Madagascar et même au sein d'une Ukraine en plein conflit, la jeunesse amorce des mouvements sociaux majeurs. Gritseva insiste : « Nous pouvons encore militer et lutter. ». Partout dans le monde, la jeunesse est le vecteur de cette lutte.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Mamdani : la vraie gauche triomphe à New-York
Tout d'abord ne boudons pas notre plaisir : l'élection de Zohran Mamdani à New York lors de l'élection municipale qui s'est tenue dans la plus grande ville états-unienne est un rayon de soleil et une injection d'espoir dans un monde où les mauvaises nouvelles sont légion.
Tiré de : La chronique de Recherches internationales
Pierre Guerlain
Professeur de civilisation américaine, université Paris Nanterre
Mamdani, qui était quasi-inconnu il y a un an, a mené une campagne progressiste et tenu un discours de gauche véritable sans se laisser intimider par les nombreuses critiques venues non seulement de la droite et de l'extrême droite mais aussi d'une partie des Démocrates dits modérés qui sont la marionnette des milliardaires, ceux que Sanders appelle la « classe des donateurs ».
Cette élection locale a d'ores et déjà des répercussions nationales voire même internationales. Mamdani avait gagné la primaire démocrate contre Andrew Cuomo, un ancien gouverneur de l'État de New York lequel avait démissionné suite à des accusations de harcèlement sexuel et de malversations. Cuomo décida alors de se présenter comme indépendant contre Mamdani, le candidat de son parti, et fut immédiatement soutenu par les puissances d'argent et Trump qui a même pris position contre le candidat républicain, Curtis Sliwa.
Le maire de New York précédent, Eric Adams, était lui aussi impliqué dans diverses affaires et avait bénéficié d'un pardon grâce à l'intervention de Trump. Il avait lui aussi appelé à voter contre Mamdani pour Cuomo. Arrêtons-nous un instant sur cette parfaite illustration de collusion entre deux partis censés être antagonistes : aussi bien Cuomo qu'Adams avaient fait alliance avec Trump qui est supposé être l'adversaire principal des Démocrates. Cette collusion oligarchique existe bien évidemment aussi à l'échelon national. Charles (dit Chuck) Schumer, sénateur démocrate de l'État de New York a lui aussi refusé de soutenir Mamdani et fait porter le soupçon d'antisémitisme à ce candidat musulman pour ses prises de position propalestiniennes. Mamdani quant à lui a affirmé qu'il serait vigilant dans la lutte contre l'antisémitisme, ce qui fait partie du programme de tous les progressistes.
L'élection à la mairie de New York était donc assez atypique car, dans cette ville dominée par les Démocrates, Mamdani avait face à lui un Républicain désavoué par Trump et un ancien démocrate à la moralité douteuse et soutenu par Trump figure repoussoir tant pour la gauche que pour les néolibéraux. Il n'en reste pas moins qu'avec un peu plus de 50 % des voix Mamdani a réussi un exploit.
Zohran Kwame Mamdani est le fils d'un professeur de l'université Columbia, Mahmood Mamdani, et d'une mère cinéaste reconnue, Mira Nair. Il est né en Ouganda en 1991 et fut naturalisé américain en 2018. Comme il l'a souligné dans son discours de victoire après l'élection, il est donc un immigrant dont la réussite a été fulgurante. Il vient d'une famille privilégiée et intellectuelle mais, en tant qu'immigré et musulman, son discours ne ressemble pas à celui des classes dominantes dont il ne partage pas l'habitus.
Il fait partie du groupe qui s'intitule « Socialistes Démocratiques d'Amérique » qui est considéré comme la gauche du parti démocrate mais dont les idées sont très différentes de la direction du parti, dépendante des financements des ultra-riches. En France ou en Europe plus généralement ce genre de groupe correspondrait à un parti différent de nature social-démocrate. Aux États-Unis le bipartisme quasiment incontournable conduit à la formation de coalitions diverses à l'intérieur des partis. Se revendiquer socialiste aux États-Unis est rare et audacieux tant le mot et l'idée sont vilipendés depuis des décennies. C'est se positionner résolument à gauche. Durant la campagne, Cuomo avait parlé d'une guerre civile dans le parti démocrate et affirmé que les Etats-Unis n'étaient pas un pays socialiste.
Dans son discours de victoire Mamdani a cité Eugene Debs le dirigeant socialiste du début du 20e siècle qui a fondé le syndical Industrial Workers of the World et fut candidat à l'élection présidentielle à plusieurs reprises. Debs fut attaqué de toutes parts et emprisonné plusieurs fois. Ce rappel historique est important lorsque l'on pense à la poursuite de la carrière de Mamdani.
Le programme de Mamdani prévoit des bus gratuits, un gel des loyers dans les immeubles gérés par la municipalité, des magasins d'aide alimentaire, des crèches gratuites, des financements pour les écoles, la construction de logements accessibles pour les travailleurs. Pour financer les programmes sociaux, il promet d'imposer une taxe sur les 1 % les plus riches gagnant plus d'un million de dollars et les entreprises. Le taux d'imposition sur les entreprises de 11,5 % serait, selon son programme, le même qu'au New Jersey, État voisin. Le programme prévoit aussi d'augmenter le salaire minimum à 30 dollars avant 2030. Ce programme est typique de la gauche universaliste et se focalise sur les besoins des classes moyennes ou ouvrière sans distinction de race, genre ou religion. Ceci pourrait sembler aller de soi mais marque une rupture avec les discours néolibéraux sur la diversité ethnique qui effacent ou nient les rapports de classe1.
Il est donc fort significatif des évolutions politiques aux États-Unis qu'un candidat très multiculturel par ses racines en Afrique et en Inde et donc « non-blanc » comme l'on dit aux États-Unis, tienne un discours inclusif organisé autour de considérations économiques et écologiques sans oublier les communautés marginalisées. Il réussit la synthèse entre ce que l'on appelle la gauche sociale et la gauche de la diversité et donc permet à chaque groupe de quitter son « silo » de revendications déconnecté des autres groupes. Mamdani a su parler à des gens d'origines diverses sans faire de l'ethnicité un badge ou une barrière. La foule dans ses meetings est fort diverse et inclut, contrairement à ce que disent ses détracteurs, des blancs, des Juifs et surtout des jeunes et des personnes de condition modeste. Plus de 60 % des électeurs entre 18 et 29 ans ont voté pour lui contre 29 % des plus de 65 ans ce qui marque un clivage générationnel. Un candidat ouvertement critique des politiques israéliennes est élu à New York, ceci marque une évolution notoire.
Bien évidemment un programme représente des intentions et il reste à voir s'il sera appliqué. Dans son discours de victoire Mamdani a cité cette phrase célèbre : « On fait campagne en poésie mais on gouverne en prose. » Il faut espérer que cela n'annonce pas un changement radical à la Obama, candidat de l'espoir qui est devenu un Président « normal » contenu par le complexe militaro-industriel. La tâche qui attend Mamdani est énorme et il doit s'attendre à de très nombreuses attaques. On l'a déjà comparé aux terroristes de 11 septembre 2001 et accusé de vouloir imposer la charia à New York mais on peut remarquer que lorsque Trump reçoit l'ancien djihadiste d'Al Qaïda et de l'État islamique devenu président de la Syrie, al Joulani devenu al-Charaa, les médias dominants ne trouvent rien à redire. Une sénatrice démocrate, Kirsten Gillibrand, a qualifié Mamdani de « djihadiste ». Il faut s'attendre à une multiplication d'attaques de ce genre. L'extrême droite qui vend des armes à l'Arabie saoudite est aussi celle pour qui tout musulman, même le plus pacifique et intégré est un terroriste potentiel. Il est fort probable que Mamdani sera soumis aux mêmes attaques rhétoriques que Jeremy Corbyn qui lui n'était pas musulman mais fut accusé de sympathie pour les terroristes et d'antisémitisme. Mamdani a obtenu les voix d'un tiers de la communauté juive new-yorkaise et n'a jamais fait de déclarations antisémites. Réclamer la justice pour les Palestiniens n'a rien d'antisémite comme le savent les supporters juifs et jeunes de Mamdani mais on peut s'attendre à des campagnes de calomnies. L'organisation ADL (Anti-Defamation League) a créé un instrument de surveillance de Mamdani (Mamdani monitor).
Une autre approche de Trump et de l'extrême droite a déjà été annoncée : priver la ville de fonds fédéraux. C'est, appliquée aux États-Unis même, la technique utilisée contre le Chili : « faire hurler l'économie ». Trump a appelé Mamdani « communiste » et l'on sait qu'aux États-Unis c'est une insulte qui au temps du maccarthysme pouvait conduire en prison. Il va tout faire pour mettre en échec le maire de la ville qui est aussi celle du magnat immobilier. Il est aussi probable que Trump lance sa police de l'immigration (ICE) contre les migrants à New York ou qu'il envoie des troupes fédérales sous un prétexte ou un autre comme il l'a déjà fait à Los Angeles, Washington ou Chicago. Le prétexte est en général la criminalité et le commerce illégal de la drogue. Le même prétexte que pour préparer la guerre contre le Venezuela.
Ne doutons pas que Trump mettra toute la force financière, économique et policière de l'État fédéral pour faire échouer Mamdani.
Son succès électoral n'en est pas moins porteur d'espoir car il accompagne d'autres succès anti-Trump ailleurs dans le pays et montre qu'il existe une forte aspiration à la justice sociale, notamment chez les jeunes. Les campagnes de Sanders en 2016 puis 2020 l'avaient déjà montré. Sanders avait été détruit par des Démocrates fort peu démocratiques mais avait accepté de jouer le jeu du parti. Mamdani qui a montré sa grande intelligence, son contact facile avec les travailleurs et ses qualités de débatteur qui ne cède pas sur ses identités ou ses valeurs est beaucoup plus jeune et instruit par l'histoire récente du parti démocrate livré aux forces d'argent. Avec ses milliers de partisans il saura, espérons-le, déjouer tous les pièges et les attaques dont on voit déjà les grandes lignes.
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Site :http://www.recherches-internationales.fr/
https://shs.cairn.info/revue-recherches-internationales?lang=fr
Note
1. On peut trouver le programme de Mamdani à l'adresse suivante :https://www.zohranfornyc.com/platform
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Etats-Unis-New York. Les leçons à tirer d’une victoire et les batailles qui s’ensuivront
Ce n'était pas censé se produire. Lorsque Zohran Mamdani a démarré sa campagne pour la mairie fin octobre 2024, le candidat lui-même était probablement la seule personne dans la ville à penser qu'il pouvait gagner.
Tiré de A l'Encontre
6 novembre 2025
Par Eric Blanc
Le réactionnaire New York Post tente de déchiffrer le conflit socio-politique lié à la victoire électorale de Zohran Mamdani.
L'élection de Donald Trump deux semaines plus tard a renforcé le consensus général selon lequel New York et le pays dans son ensemble basculaient résolument à droite. On nous disait que le seul moyen pour le Parti démocrate de survivre électoralement était de se recentrer sur le « centre modéré ». Même les partisans de gauche les plus optimistes de Mamdani pensaient que le meilleur scénario possible était une défaite honorable aux primaires municipales.
La victoire historique de ce soir (4 novembre) prouve que les sceptiques avaient tort. Malgré les millions de dollars investis dans des publicités négatives financées par des milliardaires et malgré les tentatives de Trump de faire pression sur les électeurs pour qu'ils soutiennent Andrew Cuomo, les New-Yorkais envoient un socialiste démocrate de 34 ans à Gracie Mansion avec un mandat fort pour rendre notre ville à nouveau abordable.
Il s'avère que les choses ne sont pas appelées à empirer indéfiniment. À l'heure où les attaques autoritaires s'intensifient, où les inégalités économiques atteignent des sommets astronomiques et où le Parti démocrate est en plein désarroi, les ondes de choc du séisme politique provoqué par Zohran Mamdani se feront sentir dans tout le pays. Le message central de cette campagne – pour des prix abordables [logement, transports urbains, crèche…], contre les milliardaires – n'est pas moins pertinent en dehors de New York.
Il ne sera pas facile de concrétiser la vision de Mamdani. Certaines des personnes et des institutions les plus puissantes au monde feront tout pour nous en empêcher. Cependant, transformer notre ville est possible si un grand nombre de New-Yorkais ordinaires se joignent à la lutte. Les oligarques des États-Unis ont raison de s'inquiéter.
Comment il a gagné
Comment Mamdani a-t-il réussi l'un des plus improbables retournements de situation de la politique américaine moderne ? Hier soir, les experts se sont efforcés de minimiser l'importance politique de cette bataille cherchant à mettre en avant tout autre enseignement que le plus évident : Zohran était le porte-parole authentique d'un programme qui exprimait la colère de la classe laborieuse face à un statu quo défaillant.
Oui, il est vrai qu'Andrew Cuomo [indépendant, ex-démocrate] et Eric Adams [républicain] étaient des candidats défaillants.
Et oui, il est vrai que Mamdani est charismatique et que son équipe a brillamment exploité les réseaux sociaux. Mais le dynamisme de cette campagne ne peut être dissocié de son orientation.
Le contenu de la campagne de Mamdani ne se réduisait pas non plus à parler uniquement des problèmes quotidiens, une stratégie que les consultants démocrates centristes vendent aujourd'hui comme la panacée pour les maux du parti. Oui, son objectif était de réduire le coût de la vie pour les travailleurs et travailleuses. Mais Mamdani a su se démarquer en se concentrant sans relâche sur trois projets exceptionnellement ambitieux : la gratuité des services de garde d'enfants, des bus rapides et gratuits, le gel des loyers, afin de rendre New York abordable grâce à l'action gouvernementale et non à des incitations du marché libre. Et surtout, il a insisté sur le fait que tout cela serait financé par l'imposition des riches. Il ne s'agissait pas là de clintonisme [référence à Bill Clinton, 1993-2001].
Tout aussi important, Zohran Mamdani était un porte-parole crédible de cette vision transformatrice, car il n'était pas redevable aux entreprises ni membre d'un establishment démocrate en déliquescence. Le fait que Zohran Mamdani soit un socialiste démocrate et qu'il ait refusé de mettre les Palestiniens de côté a confirmé son statut d'outsider authentique aux yeux de millions de New-Yorkais habitués à ce que les politiciens traditionnels disent une chose et en fassent une autre.
Comme Bernie Sanders avant lui – et contrairement à des candidats comme Kamala Harris – lorsque Zohran parlait des salarié·e·s contre les milliardaires, on savait qu'il était sincère. C'est sur la base de cette crédibilité que le candidat Zohran, avec l'aide d'innombrables militant·e·s du Democratic Socialists of America (DSA), a mis en place une machine électorale sans précédent, composée de plus de 100 000 bénévole·s. Il n'y a en effet pas de zohranisme sans la politique de Zohran.
Sa campagne excellente était une condition nécessaire à la victoire, mais elle n'aurait pas pu aller aussi loin si elle n'avait pas coïncidé avec des changements radicaux dans l'opinion publique. Zohran a réalisé ce que les campagnes de Bernie en 2016 et 2020 avaient envisagé mais n'avaient jamais vraiment réussi à faire : remodeler de manière spectaculaire l'électorat en inspirant de nouveaux électeurs (principalement des jeunes) tout en convainquant un grand nombre de démocrates traditionnels déçus par l'establishment du parti.
Au cours des derniers mois, porter un pin's ou un t-shirt à l'effigie de Zohran était un moyen infaillible de recevoir constamment des encouragements et des applaudissements de la part d'inconnus dans toute la ville. Zohran a non seulement dominé parmi les milléniaux et les Zoomers diplômés de l'université dans le « Commie Corridor » [référence à un article du New York Times du 25 juin qui, sous le nom de Commie Corridor, définissait la zone d'Astoria au sud jusqu'à Sunset Park comme celle où se concentre une jeunesse universitaire teintée de gauche], mais il a également remporté la victoire dans des quartiers populaires comme Brownsville et East New York.
Les premières données suggèrent qu'il a remporté une victoire décisive parmi les groupes démographiques avec lesquels les démocrates ont récemment eu le plus de difficultés : les jeunes hommes et les travailleurs et travailleuses de tous les bords. Comme l'a fait remarquer un internaute hier soir, « il existe une coalition anti-Zohran, mais c'est celle que nous souhaitons : les riches et les républicains ». Il a également obtenu de très bons résultats auprès des « wine moms », ces femmes libérales de la classe moyenne plus âgées, qui constituent une partie cruciale de la base démocrate et qui se sont radicalisées face à l'incapacité de Chuck Schumer [leader de la fraction démocrate au Sénat] et Hakeem Jeffries [leader de la fraction démocrate à la Chambre des représentants] à mener une lutte sérieuse contre Trump. Il s'agissait d'un référendum sur l'avenir du Parti démocrate, et l'establishment a subi une défaite cuisante.
La victoire de ce soir 4 novembre montre que les jeunes et les travailleurs et travailleuses en ont assez du statu quo et recherchent une alternative. Néanmoins, les figures de l'establishment des deux côtés de l'échiquier politique rejetteront certainement les résultats d'aujourd'hui comme une exception dans une ville profondément démocrate, victoire impossible à reproduire ailleurs car les électeurs des autres régions sont « plus modérés ». Cependant, trois des quatre derniers maires de New York (Eric Adams, Michael Bloomberg et Rudy Giuliani) n'étaient guère progressistes. Et cet argument suppose à tort que la plupart des Américains ont des préférences politiques cohérentes et s'inscrivent parfaitement dans un axe allant de très conservateur à très libéral.
Les Américains ressentent les effets de la crise partout, et pour vaincre le courant MAGA, nous devons diriger cette colère « vers le haut » – contre les grandes entreprises américaines – afin que cette colère ne se retourne pas contre les immigrants et les enfants transgenres. [Le soir de la victoire électorale, Zohran Mamdani a déclaré : « Notre New York est la New York faite par tous les immigré·e·s. » De plus, il fait référence Eugene Victor Debs (1855-1926), un socialiste syndicaliste révolutionnaire qui fut l'un des fondateurs de l'Industrial Workers of the World-IWW. – Réd.]
Comme le montrent les recherches du Center for Working-Class Politics, notre meilleur atout pour vaincre électoralement le trumpisme est le même dans tous les coins du pays : des campagnes populaires économiques autour de candidats authentiquement anti-élites. Cela pourrait signifier se présenter en tant qu'indépendants dans certaines régions du pays où l'image du Parti démocrate est devenue toxique. Et dans les États républicains comme le Nebraska, un emploi de col bleu ou un passé militant syndicaliste peut être un signal anti-élite plus efficace qu'une carte de membre du DSA. Cependant, si la forme que prend le « populisme économique » peut varier d'une région à l'autre, le message politique fondamental restera le même : les salarié·e·s méritent la sécurité économique et la dignité, et c'est pourquoi il est temps de faire payer les milliardaires. La victoire de ce soir va certainement susciter d'innombrables nouvelles initiatives dans ce sens, à travers tout le pays.
Engagez-vous dans la lutte
Comme la politique de la classe laborieuse a un fort potentiel pour supplanter le centrisme démocrate et l'autoritarisme républicain, une administration Mamdani couronnée de succès représente une menace sérieuse pour les dirigeants établis des deux partis, sans parler des milliardaires qui considèrent même les modestes hausses d'impôts comme l'avènement du communisme. Il faut s'attendre à ce que les élites, à commencer par le président Trump, fassent tout leur possible pour empêcher Zohran de mettre en œuvre son programme.
Élire un combattant à la mairie ne suffit pas pour renverser la situation face à des adversaires aussi puissants. Un grand nombre de citoyens lambdas de la ville et de l'État doivent se joindre au combat après ce soir.
Le fait que des politiciens de l'establishment comme la gouverneure Kathy Hochul [de l'Etat de New York] aient soutenu Mamdani témoigne de la force du mouvement qui le soutient. Mais le refus persistant de notre gouverneur, qui dispose d'un droit de veto, de soutenir l'imposition des riches montre à quel point nous avons encore du chemin à parcourir.
Pour pousser Hochul et d'autres politiciens de l'establishment à financer des réformes transformatrices – et pour maintenir la popularité de Zohran face aux attaques et aux crises inévitables –, ce mouvement doit s'étendre et s'approfondir. Après des victoires comme celle de ce soir, il est facile de surestimer la force de la gauche. Cependant, il est clair que le déclin de l'establishment démocrate a créé un espace permettant à l'influence électorale de la gauche de monter en flèche bien au-delà de notre force organisée dans les quartiers populaires et sur les lieux de travail.
La plupart des New-Yorkais ne sont pas syndiqués, la plupart des syndiqués ne sont pas actifs, et une grande partie de l'écosystème progressiste au sens large reste cloisonnée dans de petites organisations à but non lucratif dirigées par leur personnel. Et si c'est une excellente nouvelle que DSA de New York compte désormais plus de 11 300 membres, cela ne représente qu'une petite fraction des plus de 100 000 membres de la campagne et une fraction encore plus petite du million de personnes qui ont voté pour Mamdani.
Ce déséquilibre entre la force électorale et non électorale de la gauche est un phénomène relativement nouveau. En revanche, les « socialistes des égouts » de Milwaukee ont conquis la direction des syndicats plus d'une décennie avant de remporter la mairie en 1910, un poste qu'ils ont effectivement occupé pendant la majeure partie des cinquante années suivantes. Et le plus grand maire de New York, Fiorello La Guardia, a pu mener à bien un programme populiste ambitieux et aider notre ville à sortir de la Grande Dépression, en partie parce qu'il était soutenu par un mouvement syndical en pleine expansion dans les années 1930 [voir le rappel historique effectué par Eric Blanc dans son article publié sur le site alencontre.org le 25 juin 2025 ].
La tâche qui nous attend consiste à tirer parti de la dynamique de la victoire de ce soir, ainsi que des leviers de la mairie et de la portée de la vaste plateforme de Zohran, pour mettre en place un mouvement de la classe laborieuse suffisamment puissant pour transformer New York. Beaucoup le feront en adhérant à DSA, d'autres en syndiquant leur lieu de travail, et certains en combinant les deux.
Mais le plus urgent est que de nombreux New-Yorkais se mobilisent dans le cadre de grandes campagnes de front unipour obtenir la gratuité des services de garde d'enfants, des logements abordables et des bus gratuits grâce à l'imposition des riches, et pour protéger nos voisins sans papiers de la brutalité des services de l'immigration et des douanes par des perturbations massives non violentes, telles que des grèves dans les lycées. Changer le rapport de forces par une organisation tournée vers l'extérieur contribuera bien davantage à faire de la plateforme de Zohran une réalité que les critiques gauchistes incessantes sur les limites et les compromis inévitables liés à l'administration de la ville. [Voir l'article de Mel Bienenfeld publié, comme deuxième contribution du dossier mis en ligne sur ce site le 3 novembre. L'auteur, au-delà d'une logique de compromis institutionnel, met en priorité l'accent sur la nécessité de mobilisation sociale et politique d'envergure pour faire aboutir les revendications clés de la plateforme présentée par Zohran Mamdani. Ce qui sera le test décisif face à la résistance des dominants, à laquelle participeront y compris de forces de l'establishment démocrate. – Réd.]
Personne ne peut prédire ce que l'avenir nous réserve. Trump intensifie sa mainmise sur le pouvoir à l'échelle nationale, et les milliardaires de New York ne céderont pas facilement leur pouvoir ou leurs profits. Nous sommes certains d'être confrontés à toutes sortes de crises et de revers au cours des mois et des années à venir.
La victoire remarquable de Mamdani a néanmoins donné aux travailleurs et travailleuses ainsi qu'à la gauche un élan d'espoir, à une époque où la peur et la résignation sont plutôt la norme. Ce n'est pas une mince affaire. Comme l'a fait remarquer Victor Berger, le « socialiste des égouts » de Milwaukee, en 1907, « le désespoir est le principal adversaire du progrès. Notre plus grand besoin est l'espoir. »
La victoire d'hier soir devrait nous inciter tous à nous organiser plus que jamais pour la ville – et le monde – que nous croyons possible. Comme Zohran aujourd'hui, Berger comprenait que « la terre est assez grande et assez vaste pour procurer toutes les bonnes choses de la vie à chaque être humain qui y est né… [Mais] pour obtenir un monde meilleur, nous devrons travailler et nous battre pour cela. » Cette bataille ne fait que commencer. (Article publié sur le site Labor Politics le 5 novembre 2025 ; traduction-édition rédaction A l'Encontre ; titre de la rédaction de A l'Encontre)
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Vers l’inéluctable affrontement à mort Trump-Mamdani !
Jeune, intelligent, talentueux, plein d'énergie, beau garçon, charismatique, très bon orateur, grand travailleur, fin communiquant, et ainsi de suite.
10 novembre 2025
yorgos mitralias
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/yorgos-mitralias/blog/101125/vers-l-ineluctable-affrontement-mort-trump-mamdani
Les médias de nos pays ne se trompent pas quand ils attribuent à Zohran Mamdani toutes ces vertus. Zohran est tout ça. Mais, par contre, ils se trompent lourdement quand ils attribuent uniquement a ces vertus de Mamdani ses triomphes électorales : d'abord aux primaires du parti Démocrate en juin passé, et ensuite aux élections pour la mairie de New York il y a quelques jours, le 4 novembre. Car, comme d'ailleurs Mamdani lui-même n'arrête pas de le répéter, ces triomphes électoraux successifs sont à attribuer à un mouvement inédit et de masse : c'est à dire aux 50.000 volontaires de sa campagne pour les primaires,(1) et aux…104.000 volontaires de sa campagne finale qui l'a vu battre un Cuomo d'abord Démocrate, ensuite Indépendant et finalement candidat de l'establishment tant Démocrate que Républicain, soutenu par la fine fleur des milliardaires américains !
En d'autres termes, nos bons médias oublient de mentionner l'essentiel, celle qui est probablement la plus importante des vertus de Mamdani : sa capacite d'inspirer, de galvaniser, de politiser et d'organiser autour d'un programme mobilisateur, des dizaines de milliers de jeunes dans un mouvement sans pareil non seulement aux Etats-Unis mais peut être dans le monde entier ! Des dizaines de milliers de jeunes de toute origine ethnique à l'image du melting pot multiculturel de la population newyorkaise, des afro-américains, des juifs, des chinois, des japonais, des arabes, des indiens, ou des européens, qui se sont dépensé sans compter, sillonnant la ville pendant de longs mois, et visitant par exemple plus de 3,5 millions de maisons de leurs concitoyens ! Des dizaines de milliers de jeunes volontaires qui ne sont pas tombés du ciel car plusieurs d'eux étaient déjà organisés dans des syndicats ouvriers, des collectifs communautaires et évidemment, dans les Socialistes Démocrates d'Amérique (DSA) dont s'est revendiqué Zohran durant toute sa campagne.
Mais, force est de constater que Mamdani lui-même n'est pas tombé du ciel, comme le laissent entendre les grands médias de nos pays, ainsi que -malheureusement- plusieurs voix et autres « sensibilités » de gauche, « oubliant » de reproduire ce que Mamdani ne cesse de répéter : qu'il doit beaucoup a Bernie Sanders et à l'énorme mouvement de jeunes qu'il a inspiré à l'occasion de ses campagnes présidentielles de 2016 et 2020. Un mouvement qui, selon ses dires, l'a politisé avant de le radicaliser et le former, comme d'ailleurs des milliers d'autres jeunes américains qu'on retrouve maintenant dans le noyau de 700 militants qui dirige de fait le mouvement de 104.000 volontaires pour Mamdani ! C'est d'ailleurs, avec l'infatigable Bernie Sanders que Mamdani a mené souvent sa campagne avant de la clore triomphalement avec son grand meeting de Queens. Ignorer l'importance et l'apport de Bernie Sanders aux victoires de Mamdani, équivaut à ne pas comprendre ce qui se passe actuellement dans la société et la gauche américaine…
Mais, attention : Zohran n'est pas un simple clone de Bernie, il est un peu son fils spirituel qui va pourtant bien plus loin que son vieux maitre à penser. Par exemple, sur la question probablement la plus critique de l'émancipation du parti Démocrate. Malgré les critiques souvent dures qu'il lui a adressées et les distances qu'il a toujours prises avec ce parti, Bernie Sanders n'a jamais fait le pas décisif de couper les ponts avec lui et de se déclarer en faveur de la création d'un troisième parti, celui des travailleurs et travailleuses américains. Par contre, Mamdani a fait déjà campagne comme membre des DSA (et « ), et semble disposé à réfléchir sérieusement à cette perspective, d'autant plus qu'il est en train de créer actuellement des rapports de force autrement favorables à la création de ce troisième parti des travailleurs.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard que, à l'instar de Bernie Sanders, Mamdani s'adresse en toute priorite aux travailleurs et à la classe ouvrière, et que le noyau dur de son programme répond à quelques-uns de leurs besoins emblématiques : transports rapides et gratuits, gel des loyers, le SMIC a 30 dollars l'heure, service municipal de la petite enfance universel et gratuit, épiceries municipales à bas prix, sans oublier son intention de financer tout ça en taxant les super riches et les entreprises. Évidemment, il y a eu ceux, à gauche mais aussi à…droite, qui font la fine bouche en trouvant les mesures phare du programme de Mamdani bien réformistes ou social-démocrates. Comme il y a eu d'autres qui ont fustigé le fait que Mamdani n'a rien dit de la… révolution. En réalité, il n'y a pas des mesures qui sont « réformistes : ou « révolutionnaires » par elles-mêmes et le programme de Mamdani est aussi « réformiste » que celui de Lénine et de ses bolcheviques qui ont pris le pouvoir au lointain 1917, en promettant du pain, la paix, et la terre à ceux qui la travaillent (мир, земля и хлеб)…
Le troisième, et probablement le plus important « oubli » des médias et des divers « analystes » de droite et de gauche concerne le contexte politique de l'élection de Mamdani. Ce contexte qui fait que son programme, et surtout son irruption sur le devant de la scene politique américaine à la tête d'un mouvement de masse sans precedent, font que Mamdani incarne, aux yeux de ses compatriotes, non seulement les résistances populaires au trumpisme, mais aussi l'espoir pour une société plus démocratique, solidaire et juste, une société de ceux d'en bas. La conséquence en est que Mamdani devienne pour Trump, son principal ennemi, celui qui conteste directement sa toute-puissance, ce que personne d'autre n'a voulu ou pu faire jusqu'à maintenant ! Et force est d'admettre que Trump ne se trompe pas du tout quand il voit en Mamdani la plus grande menace qui pèse tant sur ses ambitions dictatoriales que sur le pouvoir de ses amis billionaires.
Alors, ce qui est à l'ordre du jour n'est pas tellement la capacite de Mamdani de gérer New York, et d'appliquer son programme, comme le prétendent nos médias qui font abstraction de la situation réelle et de l'extrême brutalité de Trump car il n'aura pas, tout simplement, le temps pour faire tout ça. Par contre, ce qui est à l'ordre du jour tout de suite sera sa capacite d'affronter avec succès l'offensive que Trump prépare déjà afin de briser et de faire disparaitre le plus vite possible celui qui, à juste titre, represente la plus grande menace pour lui et ses acolytes libertariens et fascistes. Car il serait tout à fait illusoire de croire que quelqu'un comme Trump, qui a appliqué avec fanatisme durant toute sa vie, l'adage « la meilleure défense c'est l'attaque », pourrait maintenant devenir plus conciliateur et opter pour autre chose que l'attaque dure et frontale contre Mamdani et son mouvement populaire !
Voici donc pourquoi l'affrontement Trump-Mamdani se profile déjà a l'horizon, etpourquoi il est devenu inéluctable. Et vu qu'il aura lieu au cœur même du monstre capitaliste et impérialiste, il va de soi que son déroulement fera trembler tout le monde et son issue influencera et façonnera le présent et l'avenir de toute l'humanité. Raison de plus pour que nous ne contentons pas de suivre simplement les évènements. Car il est plus que temps que ceux d'en bas prennent exemple de ceux d'en haut qui se coalisent et se coordonnent pour donner naissance au monde cauchemardesque de leurs rêves. Alors, à nous tous et toutes de nous coaliser aussi et de nous activer aux cotés de cette autre Amérique qui ne s'avoue pas vaincue et qui se bat déjà avec courage contre la plus grande menace existentielle qu'a eu à affronter l'espèce humaine…
Note
1. Voir Zohran Mamdani. Un jeune socialiste musulman à la tête d'un mouvement de masse, triomphe de l'establishment Démocrate à New York : https://www.cadtm.org/Zohran-Mamdani-Un-jeune-socialiste-musulman-a-la-tete-d-un-mouvement-de-masse
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Trump prive les pauvres de nourriture pendant la crise budgétaire
Donald Trump a profité de la crise budgétaire, qui dure depuis plus d'un mois et a entraîné la fermeture (shutdown) du gouvernement fédéral, pour mettre fin au financement de programmes d'aide sociale qui fournissent nourriture et éducation à des dizaines de millions de personnes à faibles revenus.
Hebdo L'Anticapitaliste - 774 (06/11/2025)
Par Dan La Botz
traduction Henri Wilno
Les républicains et les démocrates du Congrès n'ont pas réussi à s'entendre sur le budget fédéral, principalement parce que les démocrates refusent de voter un nouveau budget sans garantie que l'Affordable Care Act (ACA), qui fournit une couverture d'assurance maladie à 44 millions d'AméricainEs, soit maintenu.
Augmentation vertigineuse des assurances
La période de souscription des contrats d'assurance ACA a débuté le 1e novembre, mais beaucoup ont été choquéEs de constater que leurs montants avaient augmenté, parfois de manière astronomique. Une personne seule gagnant 32 000 dollars par an qui payait 58 dollars par mois devra désormais payer environ 180 dollars, soit une augmentation de 1 468 dollars par an. De même, une famille de quatre personnes gagnant 66 000 dollars par an pourrait voir sa cotisation passer d'environ 121 dollars à 373 dollars par mois, soit une augmentation d'environ 3 025 dollars par an.
Afin de protéger leurs électeurs contre cette augmentation des coûts, les démocrates ont refusé de voter le budget, ce qui a entraîné le shutdown, la « fermeture du gouvernement ». Trump en a profité pour continuer à financer les programmes qui lui plaisent, tels que l'armée et l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), tout en supprimant d'autres programmes.
Définancement de l'aide alimentaire
Trump a ainsi supprimé les fonds destinés au programme d'aide alimentaire supplémentaire (SNAP), connu sous le nom de « coupons alimentaires », qui fournit de la nourriture à 42 millions de personnes à faibles revenus ou sans revenus, soit 12,5 % de la population américaine. La plupart sont des enfants, des personnes âgées ou des personnes handicapées. Aux États-Unis, la pauvreté et les inégalités économiques sont endémiques. Rien qu'à New York, on compte 100 000 enfants issus de familles sans abri.
Le programme distribue plus de 90 milliards de dollars par an, soit environ 10 % de toutes les dépenses alimentaires, ce qui profite donc aux magasins d'alimentation. Dans certains quartiers, les clients des magasins familiaux peuvent être pour 75 à 90 % des bénéficiaires de coupons alimentaires. Le programme SNAP subventionne également les agriculteurs et profite donc aux communautés rurales.
Les juges fédéraux ont ordonné à Trump de financer le SNAP en utilisant le fonds de réserve de six milliards de dollars, mais Trump a repoussé cette demande.
Définancement de l'éducation
Trump a également cessé de financer environ 10 % du programme Head Start, un programme d'éducation préscolaire qui s'adresse à 750 000 enfants issus de familles à faibles revenus. Head Start fournit également de la nourriture et des services de santé à ces enfants.
Le premier programme américain de coupons alimentaires a été mis en place en 1939 sous la présidence du démocrate Franklin D. Roosevelt, et le programme actuel a débuté en 1964, sous la présidence du démocrate Lyndon B. Johnson. Le programme Head Start a été créé par le président Johnson en 1965. Ces programmes ont été créés par les démocrates, mais bon nombre de leurs bénéficiaires sont républicains, et les coupes budgétaires de Trump leur porteront également préjudice.
Beaucoup de celles et ceux qui ont défilé le 18 octobre lors des manifestations No Kings organisées dans 2 700 villes et villages et rassemblant sept millions de manifestants brandissaient des pancartes critiquant l'attaque de Trump contre les travailleurEs et les pauvres. Et ce mois-ci, il y aura des élections pour les gouverneurs et les législateurs des États, ainsi que six élections spéciales au Congrès pour remplacer les représentants qui ont démissionné ou sont décédés. Nous verrons comment le dernier acte de cruauté de Trump affectera ces élections.
Dan La Botz, traduction d'Henri Wilno
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le Président de l’ombre. L’architecte du projet 2025, Russel Vought se sert de la paralysie budgétaire du gouvernement pour dépouiller les agences fédérales
La majorité républicaine à la Chambre des représentants et au Sénat ont laissé R. Vought et la Maison blanche de D. Trump les fouler aux pieds. On observe des demies-mesures, des commentaires mous de la part du leader de la majorité au Sénat, M. Thune, et du speaker de la Chambre M. Johnson : « Nous ne savons pas vraiment si nous n'aimons pas ce que fait M. Vought ».
Democracy Now| 21 octobre 2025
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr
Introduction, avec extraits d'une vidéo et de commentaires de Andy Kroll
Amy Goodman : (…) La paralysie budgétaire du gouvernement entre dans sa troisième semaine et le puissant directeur du Bureau de gestion et du budget, Russel Vought, annonce une coupe de onze milliards de dollars au Corps des ingénieurs de l'armée pour les projets dans les villes démocrates de Baltimore, New York, San Francisco et Boston.
Ce responsable était la cheville ouvrière de l'écriture de l'ultra- conservateur projet 2025 dont le Président Trump s'est désolidarisé antérieurement. Il est maintenant le principal conseiller du Président pour le budget. Politico a rapporté récemment que le Sénateur leader de la majorité républicaine, M. John Thune, avait mis ses collègues législateurs.trices, en garde durant les négociations budgétaires : « Nous n'avons pas le contrôle de ce qu'il (R. Vought) va faire ». Au début de la fermeture (partielle) du gouvernement, D. Trump a publié une vidéo générée par intelligence artificielle rappelant la chanson classique : (Don't Fear) The Reaper, (personnage figurant la mort) décrivant R. Vought comme le Grim Reaper de Washington D.C.
Donc, nous jetons un regard sur le « président de l'ombre » comme on le nomme parfois. (…) Andy Kroll reporter à Politico qui a visionné une vidéo d'investigation portant sur ce personnage. Il se joint à nous.
Andy Kroll : J'avais entendu le nom de Russ Vought mais il était toujours un peu hors de mon champ de vision. Et je suis tombé sur cette vidéo.
Russel Vought : Nous voulons traumatiser les bureaucrates. Nous voulons que quand ils se lèvent le matin ils n'aient pas envie de venir travailler.
A.K. : Il parle de traumatiser les fonctionnaires fédéraux comme son objectif.
R.V. : Nous voulons les traumatiser.
A.K. : Ça a semé une graine dans mon cerveau et j'ai voulu savoir qui était cette personne. Il a refusé de me donner une entrevue. J'ai donc décidé de parler à quiconque possible, de visionner des vidéos, d'écouter tous les balados. J'ai ainsi eu accès à des heures et des heures d'instructions-informations à ses supporters qui n'avaient pas encore été publiés où que ce soit.
R.V. : Les États-Unis ont vécu rien de moins qu'une révolution tranquille… Nous connaissons la CRT (Critical Race Theory) et l'inondation transgenre a déferlé dans nos écoles et nos institutions. … L'invasion à la frontière, bien franchement, c'est la colonisation à l'envers. … En ce moment, nous essayons de sauver le pays.
(…) Je pense qu'il faut réhabiliter le nationalisme chrétien … Nous avons la plus importante entreprise d'expulsion de l'histoire … nous avons bloqué le financement de Planned Parenthood (organisme de la santé des femmes n.d.t.) … Je veux être celui qui a écrasé le « Deep State » … Oui il faut introduire le traumatisme chez les bureaucraties, ils détestent le peuple américain.
A.K. : Sa vision consiste vraiment à réorienter l'histoire américaine.
R.V. : Notre devoir est envers l'avenir de notre pays, bien franchement, l'avenir de la civilisation occidentale et bien sûr de l'histoire.
A.G. : (Nous sommes donc accompagnés.es) par Andy Kroll, reporter d'investigation à Politico. Cette vidéo accompagne son dernier article intitulé : The Shadow President.
Andy, soyez le bienvenu sur Democracy Now ! Dites-nous exactement qui est Russel Vought. C'est l'homme derrière Project 2025, celui dont le Président Trump a dit qu'il n'en savait rien. Que fait R.Vought en ce moment et pourquoi les Républicains.es autant que les Démocrates en ont-ils peur ?
A.K. : Très agréable d'être ici, Amy et merci de me recevoir.
Je dirais que Russel Vought est sans doute l'aide le plus important et le conseiller le plus important du Président Trump et de son administration en ce moment. Je sais que vos auditeurs.trices et vos téléspectateurs.trices connaissent le nom de Srephen Miller. Il est souvent perçu comme le numéro deux du Président. Mais, en ce moment précis, en plein milieu de la paralysie du gouvernement, le 21ième jour, Russ Vought est celui qui a le plus d'influence dans ce gouvernement et de loin. Il est un moteur, probablement le moteur, derrière cette paralysie et particulièrement dans la politique de licenciement de fonctionnaires fédéraux en très grand nombre, de la menace de le faire encore plus, d'utiliser cela en vue de geler des projets majeurs, de s'en servir comme levier de punition envers les Démocrates et encore une fois envers des fonctionnaires sans attaches politiques particulières.
Il est aussi le directeur du budget à la Maison Blanche. À ce titre, il est une sorte de visionnaire dans l'administration Trump, qui y va seul de temps en temps, mettant de l'avant le Project 2025 dans la rédaction duquel il a joué un rôle majeur. Et franchement, il joue un rôle non négligeable dans l'ombre en faisant avancer l'administration Trump dans son programme de politique intérieure. On le présente comme un expert en matière budgétaire comme un homme du Président de plus, mais en réalité il fait tellement plus que cela. Des sources dans le gouvernement fédéral avec qui j'ai parlé, le décrivent comme le deuxième commandant en chef, un Président de l'ombre. Sa présence a donc été, au cours des neufs premiers mois de cette présidence, viscérale avec une influence énorme.
Juan Gonzalez : (D.M) Andy, (…) il y a 40 ans, durant le premier mandat de Ronald Regan, il y avait aussi un autre directeur du budget, David Stockman, qui est devenu notoire pour avoir abaissé les impôts et taxes et spécialement le niveau de dépenses du gouvernement. Quelle différence voyez-vous entre lui et R. Vougt ?
A.K. : Oui ! Et j'aime beaucoup cette référence. J'ai beaucoup lu au sujet de D.Stockman en travaillant à ce projet, en particulier j'ai relu son ouvrage. Je pense que je vais mal citer le titre, je crois que c'est : The Triumph of Politics. Durant l'administration Reagan, au cours des premières années, il écrit et démontre que ce sont les politiques qui entravent ce qu'il veut faire, soit de fantastiques coupes de budget, faire faire d'énormes reculs dans le filet de protection sociale, dans les programmes gouvernementaux etc. etc. Ce livre ressemble à une lamentation de l'auteur qui n'a pas pu aller de l'avant avec sa vision.
Quarante ans plus tard, nous voilà avec R. Vought qui réussit d'une certaine façon là ou D. Stockman a échoué. Et il a probablement appris une ou deux leçons. Donc, pourquoi ce succès ? D'une certaine façon, il a testé (les règles) et dans certains cas, il s'est éloigné de la règle du droit, il a défié les lois adoptées par le Congrès qui disent que vous devez dépenser l'argent pour des programmes précis ; il a défié les lois du Congrès qui stipulent que vous devez être transparent à propos de l'Office of Management and Budget, qu'il dirige ce qui veut dire qu'il faut des financements, alors qu'il les gèle, quand il les retient complètement. Il est beaucoup agressif dans sa manière de mener son plan de coupes, des spectaculaires reculs qu'il fait subir à ce que le gouvernement peut faire. D. Stockman ne l'étais autant. Peut-être qu'ils se rejoignent pour ce qui est de la vision, des politiques et l'idéologie. En s'inspirant probablement du passé, R.Vought, jusqu'à maintenant, a agi de manière plus agressive pour installer sa vision. Il n'a pas laissé les lois, les jurisprudences mettre des freins à la mise en œuvre de son plan extrêmement agressivement conservateur.
J.G. : Et qu'en est-il de la réponse de la majorité républicaine au Sénat à ce qui n'est pas qu'un petit démantèlement mais une véritable destruction du pouvoir du Congrès sur les finances du gouvernement fédéral ?
A.K. : Ouais ! C'est quelque chose de remarquable à observer. Je dirais qu'il y a une très grande différence entre aujourd'hui et l'époque Reagan. Durant ces années nous avions un Congrès qui agissait pour et par lui-même pour assumer ses responsabilités constitutionnelles définies à l'article 1 soit, de contrôler les finances. C'est que le Congrès doit faire. Et l'article 11 stipule que l'exécutif va s'assurer de mettre en œuvre les lois que le Congrès adopte.
R. Vought fait maintenant ce que l'administration Reagan n'a pas fait ou du moins pas avec l'ampleur de ce que fait l'administration Trump soit, essentiellement passer outre aux pouvoirs que le Congrès détient en vertu de l'article 1. C'est élémentaire dans le droit constitutionnel, digne d'un cour 101, pouvoirs et contre- pouvoirs, (cheks and balances), la séparation des pouvoirs. R. Vought a fondamentalement déclaré au Congrès : « Je vais vous retirer votre pouvoir constitutionnel sur les finances, Je vais geler les financements que vous avez attribués en vertu de la loi. Je vais bloquer les programmes pour lesquels, vous du Congrès, Républicains.es, Démocrates, avez voté des financements. Allez-y faites quelque chose ! Défiez- moi » !
Et le Congrès n'a rien fait. La majorité républicaine à la Chambre des représentants et au Sénat ont laissé R. Vought et la Maison blanche de D. Trump les fouler aux pieds. On observe des demies-mesures, des commentaires mous de la part du leader de la majorité au Sénat, M. Thune, et du speaker de la Chambre M. Johnson : « Nous ne savons pas vraiment si nous n'aimons pas ce que fait M. Vought ». Mais ils n'ont jamais affirmé leur autorité en vertu de l'article 1. Et au cours du processus, la Maison blanche les a bafoués et réduits en miettes les trois parties du système démocratique dont nous disposons dans ces opérations. C'est vraiment étonnant et remarquable d'observer cela en temps réel.
A.G. : Dans votre vidéo ProPiblica, vous diffusez un segment d'une conférence de R. Vought au Vought's Center for Renewing America. Il est sur scène avec Steve Bannon l'allié de D. Trump :
Steve Bannon : Je me rends compte qu'il y a des gens qui questionnent Trump. Mais à voir la performance de commandement d'hier soir, c'est comme (si c'était) Charlemagne. Comme un chef viking debout là. Russ peut … c'est un instrument très imparfait, d'accord ? Mais c'est l'instrument de Dieu. C'est l'instrument de Dieu pour accomplir sa vengeance. D'accord ?
A.G. : « Il est l'instrument de Dieu pour accomplir sa vengeance », a dit S. Bannon à propos de R. Vought assis juste à côté de lui. Andy Kroll, qu'elle signification donnez-vous à ce qu'il fait ? Voyez-vous quelque chose qui pourrait l'arrêter y compris la Cour suprême ? Le feront ils d'ailleurs ?
A.K. : Je pense que c'est là que vont conduire ces batailles à propos de actions extrêmement agressives de ce personnage avec sa vision de cet exécutif isolé et ultra puissant ; c'est déjà déféré devant les tribunaux et ultimement devant la Cour suprême : des causes portant sur la capacité du Président à confisquer les fonds fédéraux, sur son pouvoir de congédier unilatéralement des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux et de casser le pouvoir des syndicats au passage. Nous nous acheminons vers une gigantesque bataille juridique et de décisions des tribunaux. Je dirais, que dans les prochains un ou deux ans, nous pourrions devoir changer radicalement la façon dont nous concevons le fonctionnement de notre démocratie représentative.
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

YouTube a discrètement supprimé plus de 700 vidéos documentant les violations des droits humains commises par Israël
Le géant technologique a supprimé les comptes de trois éminents groupes palestiniens de défense des droits humains, cédant aux sanctions imposées par Trump.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Un documentaire mettant en scène des mères ayant survécu au génocide perpétré par Israël à Gaza. Une enquête vidéo révélant le rôle d'Israël dans le meurtre d'un journaliste palestino-américain. Une autre vidéo dévoilant la destruction par Israël de maisons palestiniennes en Cisjordanie occupée.
YouTube a discrètement supprimé toutes ces vidéos début octobre, en effaçant les comptes qui les avaient publiées de son site web, ainsi que les archives de leurs chaînes. Ces comptes appartenaient à trois groupes palestiniens de défense des droits humains de premier plan : Al-Haq, Al Mezan Center for Human Rights et Palestinian Centre for Human Rights.
Cette mesure fait suite à une campagne du gouvernement américain visant à étouffer la responsabilité d'Israël dans les crimes de guerre présumés commis contre les Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.
Les chaînes YouTube des organisations palestiniennes hébergeaient des heures d'images documentant et mettant en évidence de possibles violations du droit international par le gouvernement israélien à Gaza et en Cisjordanie, notamment le meurtre de civils palestiniens.
« Je suis très choquée que YouTube fasse preuve d'un tel manque de courage », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de Democracy for the Arab World Now. « Il est vraiment difficile d'imaginer un motif sérieux pour affirmer que le partage d'informations provenant de ces organisations palestiniennes de défense des droits humains violerait d'une manière ou d'une autre les sanctions. Il est décevant et assez surprenant que YouTube cède à cette désignation arbitraire de ces organisations palestiniennes et décide désormais de les censurer. »
Après que la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt et inculpé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l'ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant pour crimes de guerre à Gaza, l'administration Trump a pris la défense des actions d'Israël en sanctionnant les responsables de la CPI et en ciblant les personnes et les organisations qui coopèrent avec la Cour.
« Il est scandaleux que YouTube soutienne la volonté de l'administration Trump de supprimer de la vue du public les preuves de violations des droits humains et de crimes de guerre », a déclaré Katherine Gallagher, avocate principale au Center for Constitutional Rights. « Le Congrès n'était pas censé permettre au président de couper le flux d'informations vers le public américain et le monde entier. Au contraire, les informations, y compris les documents et les vidéos, sont spécifiquement exemptées en vertu de la loi que le président a invoquée pour justifier les sanctions de la CPI. »
« Un revers alarmant »
YouTube, qui appartient à Google, a confirmé à The Intercept avoir supprimé les comptes des groupes à la suite des sanctions prises par le département d'État à leur encontre après examen. L'administration Trump a imposé ces sanctions aux organisations en septembre en raison de leur collaboration avec la Cour pénale internationale dans des affaires accusant des responsables israéliens de crimes de guerre.
« Google s'engage à respecter les sanctions applicables et les lois sur la conformité commerciale », a déclaré Boot Bullwinkle, porte-parole de YouTube, dans un communiqué.
Selon la politique de Google en matière de conformité aux sanctions, « les produits Google destinés aux éditeurs ne sont pas accessibles aux entités ou aux personnes soumises à des restrictions en vertu des sanctions commerciales et des lois sur la conformité des exportations applicables ».
Al Mezan, une organisation de défense des droits humains à Gaza, a déclaré à The Intercept que sa chaîne YouTube avait été brusquement supprimée le 7 octobre dernier sans notification préalable.
« La suppression de la chaîne nous empêche d'atteindre notre public cible et de remplir notre mission », a déclaré un porte-parole du groupe, « et nous empêche d'atteindre nos objectifs et limite notre capacité à atteindre le public avec lequel nous souhaitons partager notre message ».
La chaîne du groupe Al-Haq, basé en Cisjordanie, a été supprimée le 3 octobre, a déclaré un porte-parole du groupe, avec un message de YouTube indiquant que son « contenu enfreignait ses directives ».
« La suppression par YouTube de la plateforme d'une organisation de défense des droits humains, effectuée sans avertissement préalable, représente un grave défaut de principe et un recul alarmant pour les droits humains et la liberté d'expression », déclare le porte-parole d'Al-Haq dans un communiqué. « Les sanctions américaines sont utilisées pour paralyser le travail de dénonciation des violations commises en Palestine et réduire au silence les voix et les victimes palestiniennes, ce qui a un effet domino sur les plateformes qui agissent également dans le cadre de ces mesures pour réduire davantage au silence les voix palestiniennes. »
Le Centre palestinien pour les droits de l'homme, que l'ONU décrit comme la plus ancienne organisation de défense des droits humains à Gaza, déclare dans un communiqué que la décision de YouTube « protège les auteurs de violations des droits humains de toute obligation de rendre des comptes ».
« La décision de YouTube de fermer le compte du PCHR est essentiellement l'une des nombreuses conséquences auxquelles notre organisation a été confrontée depuis la décision du gouvernement américain de sanctionner nos organisations pour notre travail légitime », a déclaré Basel al-Sourani, responsable international du plaidoyer et conseiller juridique du groupe. « YouTube a déclaré que nous ne respections pas sa politique en matière de règles communautaires, alors que tout notre travail consistait essentiellement à présenter des rapports factuels et fondés sur des preuves concernant les crimes commis contre le peuple palestinien, en particulier depuis le début du génocide en cours le 7 octobre. »
« En agissant ainsi, YouTube se rend complice du silence imposé aux victimes palestiniennes », ajoute M. al-Sourani.
Regarder au-delà des États-Unis
Selon un décompte effectué par The Intercept, la suppression des comptes des trois groupes de défense des droits humains a entraîné la disparition de plus de 700 vidéos.
Les vidéos supprimées couvrent un large éventail de sujets, allant d'enquêtes, telles qu'une analyse du meurtre par Israël de la journaliste américaine Shireen Abu Akleh, à des témoignages de Palestiniens torturés par les forces israéliennes, en passant par des documentaires comme « The Beach », qui raconte l'histoire d'enfants jouant sur une plage et tués par une frappe israélienne.
Certaines vidéos sont encore disponibles grâce à des copies enregistrées sur l'Internet Archive's Wayback Machine ou sur d'autres plateformes, telles que Facebook et Vimeo. La suppression n'a affecté que les chaînes officielles des organisations ; les vidéos produites par les organisations à but non lucratif mais hébergées sur d'autres chaînes YouTube restent actives. Cependant, il n'existe pas d'index cumulatif des vidéos supprimées par YouTube, et beaucoup semblent ne pas être disponibles ailleurs en ligne.
Les groupes craignent que les vidéos publiées ailleurs en ligne ne soient bientôt supprimées, car la plupart des plateformes qui les hébergent sont également des services basés aux États-Unis. L'ICC a elle-même commencé à étudier la possibilité de recourir à des prestataires de services hors des États-Unis.
Al-Haq a déclaré qu'elle chercherait également des alternatives aux entreprises américaines pour héberger son travail.
YouTube n'est pas la seule entreprise technologique américaine à empêcher les groupes de défense des droits des Palestiniens d'utiliser ses services. Le porte-parole d'Al-Haq a déclaré que Mailchimp, le service de liste de diffusion, avait également supprimé le compte du groupe en septembre. (Mailchimp et sa société mère, Intuit, n'ont pas immédiatement répondu à une demande de commentaire).
Céder à la demande de Trump
Les gouvernements américain et israélien se protègent depuis longtemps de la CPI et de toute obligation de rendre des comptes pour leurs crimes de guerre présumés. Aucun des deux pays n'est signataire du Statut de Rome, le traité international qui a institué la Cour.
En novembre 2024, les procureurs de la CPI ont émis des mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant, accusant les dirigeants d'avoir intentionnellement affamé des civils en empêchant l'aide humanitaire d'entrer à Gaza. Les administrations Biden et Trump ont toutes deux rejeté la légitimité de ces mandats.
Depuis sa réélection, Trump a adopté une posture plus agressive à l'égard des accusations contre Israël. Au début de son second mandat, Trump a renouvelé les sanctions contre la CPI et a pris de nouvelles mesures plus sévères à l'encontre des fonctionnaires de la Cour et de toute personne accusée de les aider dans leurs efforts. En septembre, dans un nouveau décret, il a spécifiquement sanctionné les trois groupes palestiniens.
Les mesures prises par les États-Unis font suite à la désignation par Israël d'Al-Haq comme « organisation terroriste » en 2021 et à une campagne de dénigrement en ligne menée par des militants pro-israéliens qui tentent d'établir un lien entre le Centre palestinien pour les droits de l'homme et des groupes militants.
Les sanctions gèlent les avoirs des organisations aux États-Unis et interdisent aux personnes sanctionnées de se rendre dans le pays. Les juges fédéraux ont déjà rendu des injonctions préliminaires dans deux affaires en faveur des plaignants qui ont fait valoir que les sanctions avaient violé leurs droits garantis par le premier amendement.
« L'administration Trump s'efforce de contribuer à la censure des informations sur les atrocités commises par Israël en Palestine, et les sanctions contre ces organisations sont délibérément conçues pour rendre leur association effrayante aux yeux des Américains qui s'inquiètent des lois sur le soutien matériel », a déclaré Whitson, de DAWN, qui a rejoint une coalition d'organisations en septembre pour exiger que l'administration Trump lève ses sanctions.
Comme beaucoup d'entreprises technologiques, YouTube s'est montré disposé à se conformer aux exigences de l'administration Trump et d'Israël. YouTube s'est coordonné avec une campagne organisée par des travailleurs israéliens du secteur technologique afin de supprimer les contenus jugés critiques à l'égard d'Israël sur les réseaux sociaux. Aux États-Unis, Google, la société mère de YouTube, a secrètement transmis des informations personnelles issues de comptes Gmail à l'agence américaine de contrôle de l'immigration et des douanes (ICE) dans le but d'arrêter un étudiant militant pro-palestinien.
Même avant la campagne génocidaire d'Israël à Gaza, YouTube avait été accusé d'appliquer de manière inégale ses directives communautaires afin de censurer les voix palestiniennes tout en s'abstenant d'exercer un contrôle similaire sur les contenus pro-israéliens. Selon un rapport de Wired, cette tendance s'est poursuivie pendant la guerre.
Au début de l'année, YouTube a fermé le compte officiel de l'Addameer Prisoner Support and Human Rights Association. Cette décision a été prise après que l'organisation UK Lawyers for Israel (Avocats britanniques pour Israël) ait écrit à YouTube pour souligner que l'organisation avait été sanctionnée par le département d'État.
Whitson a averti que la capitulation de YouTube pourrait créer un précédent et pousser d'autres entreprises technologiques à se plier à la censure.
« Ils permettent en fait à l'administration Trump de dicter les informations qu'ils partagent avec le public mondial », a-t-elle déclaré. « Cela ne s'arrêtera pas à la Palestine. »
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : The Intercept
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le Moyen-Orient et le capitalisme fossile : Pétrole, militarisme et ordre mondial
Depuis plus d'un siècle, le Moyen-Orient est au cœur de la construction de l'ordre mondial contemporain. Aujourd'hui, la région est le plus important exportateur de pétrole au monde, et ses vastes réserves ont façonné l'essor du capitalisme fossile et l'urgence climatique qui se déploie. Cependant, l'importance du pétrole moyen-oriental s'étend bien au-delà de son rôle en tant que source d'énergie.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
28 octobre 2025
Par Adam Hanieh
La richesse qu'il génère est intégrée au commerce mondial des armes et au système financier moderne. Ces dynamiques ont fait du Moyen-Orient un foyer permanent du pouvoir occidental, avant tout celui des États-Unis. Pour comprendre pourquoi la lutte contre le capitalisme fossile est indissociable des luttes pour la justice au Moyen-Orient, il est nécessaire de retracer comment le pétrole, le militarisme et l'empire ont été entrelacés au cours du siècle dernier.
L'empire fossile européen
Les racines de cet ordre résident au début du vingtième siècle. Avec l'effondrement de l'Empire ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la France ont divisé le Moyen-Orient en zones d'influence et de contrôle. Le pétrole était un facteur important dans ce processus : les réserves pétrolières de la région étaient abondantes, peu coûteuses à extraire et géographiquement proches de l'Europe. L'extraction de ce pétrole était contrôlée par une poignée de sociétés européennes qui payaient des redevances minimales aux monarques locaux soutenus par le régime colonial. À ce stade, les compagnies pétrolières américaines avaient peu de présence dans la région.
Bien que le charbon demeurât le combustible fossile dominant au monde durant cette phase précoce de domination coloniale, le pétrole devenait de plus en plus important, en particulier pour la conduite de la guerre [1]. En 1914, par exemple, Winston Churchill avait déclaré que les réserves pétrolières de l'Iran étaient essentielles pour faire passer la marine britannique du charbon aux navires fonctionnant au pétrole. Les navires fonctionnant au pétrole étaient beaucoup plus légers, plus rapides et n'avaient pas besoin d'espace pour des zones de stockage de charbon encombrantes ; ils pouvaient donc transporter des armes et du personnel supplémentaires. Le passage stratégique au pétrole pour la marine britannique dépendait de la domination coloniale britannique au Moyen-Orient. À l'époque, l'extraction et le raffinage du pétrole en Iran étaient gérés par l'Anglo-Persian Oil Company, une entreprise détenue par le gouvernement britannique [2]. Aujourd'hui, nous connaissons cette entreprise sous le nom de BP.
Deux transitions : du charbon au pétrole, et de la domination européenne à la domination américaine
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le système énergétique mondial est passé définitivement du charbon au pétrole en tant que combustible fossile primaire (bien que ce passage n'ait pas signifié un déclin concomitant de la consommation de charbon, qui a continué de croître, atteignant des niveaux records en 2024). Cette transition énergétique était étroitement liée à l'émergence des États-Unis en tant que puissance mondiale dominante, supplantant les États d'Europe occidentale qui avaient été affaiblis par la guerre. Contrairement à la plupart des pays européens, les États-Unis possédaient de vastes réserves pétrolières nationales, et les compagnies pétrolières américaines dominaient la production internationale.
Le Moyen-Orient était essentiel au passage mondial de l'utilisation des combustibles fossiles. La demande de pétrole augmentant rapidement, Washington cherchait à protéger ses réserves nationales des pressions à l'exportation qui pourraient faire monter les prix intérieurs. Le Plan Marshall stipulait donc que les besoins énergétiques de l'Europe devaient être satisfaits principalement de l'étranger, et le pétrole moyen-oriental était relativement bon marché, abondant et facilement transportable. Plus d'aide du Plan Marshall a été dépensée pour le pétrole que pour toute autre marchandise — et la plupart provenait du Moyen-Orient [3]. Ainsi, la transition du charbon au pétrole de l'après-guerre en Europe occidentale était autant un développement moyen-oriental qu'européen.
Les deux transitions interdépendantes qui se sont produites durant cette période ont eu lieu parallèlement à l'effondrement de l'ancien ordre contrôlé par les Européens au Moyen-Orient [4]. Des mouvements anticoloniaux et nationalistes arabes éclataient dans toute la région, en particulier en Égypte, où un monarque soutenu par les Britanniques, le roi Farouk Ier [5], a été renversé par un coup d'État dirigé par le populaire officier militaire Gamal Abdel Nasser [6], en 1952. La victoire de Nasser a inspiré une série de luttes sociales dans toute la région, avec des appels généralisés de mouvements politiques à nationaliser les ressources pétrolières et à utiliser cette richesse pour inverser les effets de la domination coloniale.
Tandis que l'emprise politique de la Grande-Bretagne et de la France s'affaiblissait au Moyen-Orient, les États-Unis se sont employés à s'établir comme la force extérieure dominante de la région. L'avancée de Washington reposait sur deux alliances majeures. La première était avec l'Arabie saoudite. Durant les années 1940 et 1950, les entreprises pétrolières américaines en étaient venues à contrôler entièrement la production pétrolière saoudienne. L'Arabie saoudite, cependant, n'était pas à l'abri des mouvements radicaux de gauche et de l'agitation ouvrière, et il y avait même un courant nassériste au sein de la famille royale saoudienne. Face à ces défis, les États-Unis ont donné un soutien inconditionnel à une faction conservatrice de la monarchie saoudienne, fournissant des armes, formant la Garde nationale saoudienne et les soutenant contre les rivaux internes et les courants nationalistes régionaux. De cette manière, l'Arabie saoudite a été incorporée dans un ordre régional et mondial centré sur les États-Unis.
Le deuxième pilier de la puissance américaine était Israël — en particulier après la guerre de 1967, dans laquelle Israël a vaincu l'Égypte et une coalition d'autres États arabes, portant un coup majeur au nassérisme et aux courants politiques radicaux dans la région [7]. À partir de ce moment, les États-Unis ont commencé à fournir à Israël pour des milliards de dollars de matériel militaire et de soutien financier chaque année, comme ils continuent de le faire aujourd'hui. Tout comme l'Afrique du Sud de l'apartheid, l'alliance des États-Unis avec Israël repose sur le fait qu'Israël est une colonie de peuplement : un pays fondé sur la dépossession de la population palestinienne d'origine et l'exclusion raciste continue des Palestiniens qui sont restés sur la terre (soit sous occupation militaire en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, soit en tant que citoyens palestiniens d'Israël). Une partie substantielle de la société israélienne bénéficie de cette dépossession et de la violence contre la population palestinienne, et ils en sont venus à voir ces privilèges en termes racialisés et messianiques. Avec cette structure sociale distincte et cette dépendance au soutien extérieur pour sa survie, Israël est un allié des États-Unis beaucoup plus fiable qu'un État « client » normal (comme l'Égypte ou la Jordanie, qui doivent toujours répondre aux pressions sociales et politiques venant d'en bas).
C'est pourquoi Israël, malgré un PIB par habitant supérieur à celui du Royaume-Uni, de l'Allemagne et de la France, a reçu plus d'aide étrangère américaine cumulée que tout autre pays au monde. L'ancien secrétaire d'État américain Alexander Haig a un jour décrit Israël comme « le plus grand porte-avions américain au monde ». Joe Biden, s'exprimant en 1986, a qualifié Israël de « meilleur investissement de 3 milliards de dollars que nous faisons », affirmant que « s'il n'y avait pas d'Israël, les États-Unis d'Amérique devraient inventer un Israël pour protéger ses intérêts dans la région ». Parallèlement à ce soutien militaire et économique, l'État américain a également continuellement œuvré pour bloquer toute censure internationale d'Israël. Depuis 1945, plus de la moitié de toutes les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU que les États-Unis ont opposé leur veto ont été celles critiquant Israël. Ce soutien américain à Israël n'est pas lié à un président ou à un parti en particulier — il est bipartisan et n'a pas faibli depuis plus de six décennies.
Pétrole, OPEP et richesse pétrodollar
Un changement majeur dans l'industrie pétrolière mondiale a eu lieu en 1960 avec la création de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) par cinq grands pays producteurs de pétrole : l'Iran, l'Irak, le Koweït, l'Arabie saoudite et le Venezuela [8]. Au moment de la création de l'OPEP, ses États fondateurs ne contrôlaient pas entièrement les énormes réserves pétrolières qui se trouvaient à l'intérieur de leurs propres frontières. Au contraire, l'extraction, le raffinage et la commercialisation de presque tout le pétrole mondial étaient dominés par sept compagnies pétrolières américaines et européennes, populairement connues sous le nom de « Sept Sœurs » [9]. Ces entreprises étaient les précurseurs des géants pétroliers occidentaux d'aujourd'hui, tels qu'ExxonMobil, Chevron, Shell et BP. Du champ pétrolifère à la pompe à essence, les Sept Sœurs contrôlaient l'extraction mondiale du pétrole — y compris dans les États membres de l'OPEP — qu'elles expédiaient et transformaient en produits raffinés vendus au consommateur final (situé massivement sur les marchés occidentaux). Crucialement, les Sept Sœurs fixaient également le prix du pétrole brut, payant des redevances minimales aux gouvernements de l'OPEP pour le droit d'accéder et d'extraire leur pétrole.
Avec la création de l'OPEP, cependant, les principaux pays producteurs de pétrole ont commencé à affirmer leur contrôle sur l'extraction et la production de réserves brutes à l'intérieur de leurs propres pays. À l'échelle mondiale, la nationalisation progressive du pétrole par ces pays a affaibli le pouvoir des entreprises occidentales sur l'industrie pétrolière et a contribué à soutenir l'essor des compagnies pétrolières nationales (CPN) dans des endroits comme l'Arabie saoudite. En 1970, les compagnies pétrolières occidentales détenaient plus de 90 % des réserves pétrolières en dehors des États-Unis et de l'Union soviétique ; une décennie plus tard, leur part tomberait à moins d'un tiers [10].
La nationalisation du pétrole signifiait également que les entreprises pétrolières occidentales perdaient leur capacité à fixer le prix du pétrole, ce qui a entraîné une série de hausses de prix majeures dans les années 1970. Le pétrole étant désormais le principal combustible fossile au monde, ces hausses de prix signifiaient que les États producteurs de pétrole commençaient à accumuler d'énormes niveaux de richesse financière provenant des exportations. Entre 1965 et 1986, les seuls membres moyen-orientaux de l'OPEP gagneraient environ 1,7 billion de dollars (1 700 milliards de dollars) grâce à la vente de pétrole, l'Arabie saoudite gagnant plus de 40 % de ce total [11]. Ces excédents financiers énormes — surnommés « pétrodollars » par les observateurs de l'époque — formaient une partie cruciale de l'architecture financière mondiale telle qu'elle s'est développée à partir des années 1970. Plus important encore, ils ont contribué à renforcer la position des États-Unis — au sommet d'un système financier international centré sur le dollar — des marchés financiers américains et des institutions financières euro-américaines.
La relation des États-Unis avec l'Arabie saoudite et les autres monarchies du Golfe était essentielle au développement de ce système financier. Le soutien américain à la monarchie saoudienne garantissait que le contrôle du pétrole ne serait pas utilisé pour bouleverser radicalement le système politique mondial. Crucialement, les Saoudiens ont également accepté que le pétrole soit tarifé en dollars américains (jusqu'au milieu des années 1970, environ 20 % des transactions pétrolières internationales étaient effectuées en livres sterling britanniques). Cela a aidé à consolider le dollar américain en tant que monnaie de réserve internationale, parce que tous les pays étaient forcés de détenir de grandes quantités de dollars pour financer leurs importations de la marchandise la plus importante au monde [12]. Pour les États-Unis, cela signifiait également que la demande internationale de dollars dépassait les besoins nationaux, de sorte que les États-Unis pouvaient dépenser plus à l'étranger qu'ils ne gagnaient avec moins de préoccupations concernant l'inflation ou les inquiétudes de taux de change qui contraignaient d'autres pays. Le dollar fonctionnant comme la monnaie de réserve mondiale, les États-Unis ont acquis un énorme levier sur d'autres États par la menace de sanctions ou d'exclusion du système bancaire américain. Nous pouvons voir ces réalités aujourd'hui.
Une partie importante de cette structure financière impliquait la recirculation de la richesse pétrodollar du Golfe dans les marchés financiers américains [13]. Un aspect de cela était l'achat de bons du Trésor américain et d'autres titres américains. Une série d'accords secrets ont été négociés entre le gouvernement américain et la monarchie saoudienne pour canaliser les revenus pétroliers vers les marchés américains, et à la fin des années 1970, l'Arabie saoudite détiendrait un cinquième de tous les bons et obligations du Trésor détenus par des gouvernements en dehors des États-Unis. Le Golfe est également devenu l'un des plus grands acheteurs d'armes et de matériel militaire de fabrication américaine, une relation qui se poursuit jusqu'à aujourd'hui.
Liens Est-Est
Durant la majeure partie du vingtième siècle, les exportations de pétrole du Golfe se dirigeaient largement vers l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord, la richesse pétrodollar se recirculant dans les marchés financiers occidentaux par les diverses voies décrites ci-dessus. À partir du début des années 2000, cependant, la géographie de l'industrie pétrolière a commencé à changer radicalement parallèlement à l'émergence de la Chine en tant que nouvel « atelier du monde ». L'essor de la Chine en tant que centre de fabrication et d'industrie mondiales a entraîné une croissance rapide des besoins énergétiques du pays, et la plupart étaient satisfaits par des importations.
En 2000, la Chine représentait seulement 6 % de la demande mondiale de pétrole ; en 2024, le pays consommait environ 16 % du pétrole mondial, plus que toute l'Europe combinée. Aujourd'hui, près de la moitié des exportations mondiales de pétrole vont en Asie de l'Est, principalement vers la Chine. La majorité des importations de pétrole chinoises proviennent du Moyen-Orient, en particulier des monarchies du Golfe et de l'Irak. La Chine a également entraîné une augmentation énorme de la demande de gaz naturel — en 2024, un peu moins d'un cinquième des exportations mondiales de gaz naturel liquéfié (GNL) allaient en Chine, le Golfe se classant comme le deuxième plus grand fournisseur de ces exportations (après l'Australie).
Les exportations de pétrole et de gaz du Golfe sont largement contrôlées par les compagnies pétrolières nationales (CPN) de la région — telles que Saudi Aramco, désormais la plus grande compagnie pétrolière au monde. Contrairement aux années 1970, les CPN du Golfe ne sont plus simplement impliquées dans l'extraction de pétrole brut, car elles se sont étendues en aval dans le raffinage, la pétrochimie (comme les plastiques et les engrais), ainsi que la commercialisation, l'expédition et la logistique. Des entreprises comme Aramco ont également lancé une série de coentreprises en Chine, en Corée du Sud et au Japon, approfondissant les interdépendances entre les marchés du Golfe et de l'Asie de l'Est. Ce circuit d'hydrocarbures « Est-Est » est désormais un axe majeur de la production et de la consommation mondiales de combustibles fossiles, et est largement dominé par les CPN du Golfe et de Chine plutôt que par les entreprises pétrolières occidentales traditionnelles.
La croissance de la demande mondiale de pétrole et de gaz liée à l'essor de la Chine a été associée à deux décennies de prix du pétrole relativement élevés. Pour les monarchies du Golfe, cela a produit un nouveau boom pétrodollar, avec des billions de dollars de richesse pétrolière affluant dans leurs banques centrales et fonds souverains. L'ampleur de cette richesse est en partie indiquée dans les réserves de change du Golfe, qui ont atteint 800 milliards de dollars en 2024, les quatrièmes plus importantes au monde derrière la Chine, le Japon et la Suisse. Parallèlement à ces réserves de banques centrales, près de 5 billions de dollars d'actifs sont contrôlés par des fonds souverains basés dans le Golfe — environ 40 % de la richesse mondiale des fonds souverains.
Malgré le déplacement vers l'est des exportations énergétiques du Golfe, la richesse pétrodollar de la région reste largement axée sur les marchés financiers américains et ouest-européens. Les investissements du Golfe dans les marchés boursiers américains, par exemple, ont presque triplé depuis 2017 et représentent maintenant environ 5 % de tous les investissements étrangers dans les entreprises américaines. Poursuivant les tendances historiques, l'exportation de matériel militaire occidental vers le Golfe a également monté en flèche au cours de la dernière décennie. Plus d'un cinquième des exportations mondiales d'armes sont allées au Golfe entre 2019 et 2023, dépassant toute autre région dans le monde. Celles-ci comprennent des avions, des navires et des missiles, avec une majorité écrasante fournie par les États-Unis — aux côtés de l'Italie, de la France et du Royaume-Uni. En effet, environ un quart des exportations d'armes américaines sont allées à l'Arabie saoudite seule durant 2016-2020, et l'Arabie saoudite est restée le plus grand destinataire unique d'armes américaines en 2020-2024. Grâce à ces achats, les dépenses militaires du Golfe fournissent un flux de revenus clé pour les entreprises militaires américaines tout en renforçant simultanément les liens stratégiques plus larges entre les monarchies du Golfe et l'État américain.
Les accords d'armements avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont également soutenu la survie d'industries alliées dans des pays comme la Grande-Bretagne, où les ventes d'avions de chasse à Riyad se sont révélées vitales pour soutenir le secteur aérospatial national du Royaume-Uni. Ces armes, à leur tour, ont été déployées par les États du Golfe pour poursuivre des politiques étrangères de plus en plus affirmées, de manière plus destructrice au Yémen et en Libye, mais aussi dans des efforts pour façonner les trajectoires politiques à travers le Moyen-Orient et la Corne de l'Afrique plus larges.
Pourquoi la Palestine est une question climatique
Ces flux énergétiques et pétrodollars doivent être compris dans le contexte de la géopolitique plus large du Moyen-Orient. Le centre ici est l'affaiblissement relatif du pouvoir américain dans la région au cours des deux dernières décennies, une tendance qui s'est accélérée après l'invasion de l'Irak en 2003. Bien que Washington demeure l'acteur externe dominant, sa position est de plus en plus contestée par d'autres États, notamment la Chine et la Russie. Les puissances régionales — telles que la Turquie, l'Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis — continuent d'étendre leur influence, même si elles restent profondément liées aux structures militaires et financières américaines. L'Iran, se tenant en dehors de ce système d'alliance ancré aux États-Unis depuis la révolution de 1979, poursuit également ses propres réseaux et stratégies régionales qui l'amènent souvent à la confrontation avec Washington. Ces dynamiques forment une partie critique de l'affaiblissement plus large de l'hégémonie mondiale américaine et se déroulent au milieu des crises sociales, politiques et écologiques qui se chevauchent de notre monde contemporain.
Confrontés à ces défis, les États-Unis ont cherché à réaffirmer leur primauté au Moyen-Orient. La clé de cela est une tentative de longue date de lier ensemble les deux piliers majeurs du pouvoir américain dans la région — les monarchies du Golfe et Israël — au sein d'un seul bloc aligné avec les intérêts américains [14]. Une indication claire de cette orientation stratégique est venue avec les accords d'Abraham de 2020 soutenus par Trump [15], dans lesquels les Émirats arabes unis et Bahreïn ont formellement normalisé leurs relations avec Israël. Cet accord, motivé par d'importantes incitations américaines, a ouvert la voie à un accord de libre-échange entre les Émirats arabes unis et Israël en 2022 — le premier du genre entre Israël et un État arabe. Le Soudan et le Maroc ont rapidement suivi, donnant à Israël des relations diplomatiques formelles avec quatre États arabes. Aujourd'hui, Israël a des relations formelles avec des pays représentant environ 40 % de la population de la région arabe, y compris certaines de ses plus grandes puissances politiques et économiques.
Le soutien à Israël et à sa guerre génocidaire à Gaza forme une partie intégrante de cette stratégie américaine. L'expansion militaire d'Israël depuis 2023 — de Gaza au Liban à l'Iran — a été une tentative de réécrire la politique de la région et d'ouvrir la voie à une sorte de normalisation avec le Golfe (en particulier l'Arabie saoudite) dans le cadre de tout accord d'après-guerre. En liant le pouvoir militaire d'Israël aux réserves d'hydrocarbures du Golfe, aux vastes excédents financiers et au commerce pétrolier basé sur le dollar, Washington vise à repousser sa position régionale et mondiale affaiblie. Le succès sécuriserait non seulement l'influence américaine au Moyen-Orient, mais fournirait également un levier décisif dans toute confrontation plus large avec la Chine (surtout compte tenu de la dépendance de la Chine aux importations de pétrole du Golfe).
En fin de compte, ces dynamiques ne peuvent être séparées de la position cruciale du Moyen-Orient dans notre monde centré sur les combustibles fossiles. Les États du Golfe et leurs CPN redoublent d'efforts sur la production d'hydrocarbures, enfermant la planète dans une trajectoire de catastrophe climatique certaine. Pour les États-Unis, cette expansion de combustibles fossiles qui s'approfondit — liée à son alliance stratégique avec les monarchies du Golfe et leur normalisation avec Israël — est une source cruciale de pouvoir à un moment où la domination mondiale américaine fait face à des défis croissants. Il ne peut y avoir de démantèlement de l'ordre fossile, ni de véritable libération palestinienne, sans briser ces alliances. C'est pourquoi la Palestine est au cœur d'une lutte contre le capitalisme fossile — et pourquoi la bataille extraordinaire pour la survie menée par les Palestiniens aujourd'hui, à Gaza et au-delà, est indissociable de la lutte pour l'avenir de la planète [16].
Adam Hanieh
Professeur d'économie politique et de développement mondial à l'Université d'Exeter et chercheur distingué à l'Institut d'études internationales et régionales de l'Université Tsinghua à Pékin.
P.-S.
https://transitionsecurity.org/oil-militarism-global-order/
Traduit pour ESSF par Adam Novak
Notes
[1] Timothy C. Winegard, The First World Oil War, University of Toronto Press : 2016.
[2] Mattin Biglari, Nationalising Oil and Knowledge in Iran : Labour, Decolonisation and Colonial Modernity, 1933-51, Edinburgh University Press : 2025.
[3] David S. Painter, « The Marshall Plan and Oil », Cold War History, 2009, vol. 9, pp.159-175.
[4] Adam Hanieh, Crude Capitalism : Oil, Corporate Power, and the Making of the World Market, Verso : 2024.
[5] Le roi Farouk Ier (1920-1965) régna sur l'Égypte de 1936 à 1952. Il fut renversé par un coup d'État mené par des officiers nationalistes.
[6] Gamal Abdel Nasser (1918-1970) fut le deuxième président de l'Égypte de 1954 à 1970. Il devint une figure emblématique du nationalisme arabe et du mouvement des non-alignés, notamment après sa nationalisation du canal de Suez en 1956.
[7] Adam Hanieh, Robert Knox et Rafeef Ziadah, Resisting Erasure : Capital, Imperialism and Race in Palestine, Verso : 2025.
[8] Giuliano Garavini, The Rise and Fall of OPEC in the Twentieth Century, Oxford University Press : 2019.
[9] Les « Sept Sœurs » étaient : Standard Oil of New Jersey (devenue Exxon), Standard Oil of New York (devenue Mobil), Standard Oil of California (devenue Chevron), Texaco, Gulf Oil, Royal Dutch Shell et Anglo-Persian Oil Company (devenue BP).
[10] Brian Levy, « World Oil Marketing in Transition », International Organization, 1982, vol. 36, pp.113-133.
[11] Adam Hanieh, Crude Capitalism : Oil, Corporate Power, and the Making of the World Market, Verso : 2024.
[12] Adam Hanieh, Crude Capitalism : Oil, Corporate Power, and the Making of the World Market, Verso : 2024.
[13] David E. Spiro, The Hidden Hand of American Hegemony : Petrodollar Recycling and International Markets, Cornell University Press : 1999.
[14] Adam Hanieh, Robert Knox et Rafeef Ziadah, Resisting Erasure : Capital, Imperialism and Race in Palestine, Verso : 2025.
[15] Les accords d'Abraham sont une série d'accords de normalisation diplomatique entre Israël et plusieurs États arabes, négociés avec le soutien de l'administration Trump en 2020.
[16] Adam Hanieh, Robert Knox et Rafeef Ziadah, Resisting Erasure : Capital, Imperialism and Race in Palestine, Verso : 2025.
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.












