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Une histoire de la résistance au féminin

13 mai, par Claire Berest — , ,
Après avoir mis en lumière de grandes sportives trop souvent peu connues, Valérie de Swetschin, rend hommage dans son dernier ouvrage, illustré par Frédéric Bélonie, Elles ont (…)

Après avoir mis en lumière de grandes sportives trop souvent peu connues, Valérie de Swetschin, rend hommage dans son dernier ouvrage, illustré par Frédéric Bélonie, Elles ont résisté, à trente femmes « engagées contre le nazisme ». Certaines d'entre elles sont célèbres – et enfin célébrées ! – telles Germaine Tillion, Lucie Aubrac, Geneviève De Gaulle-Anthonioz, ou encore Joséphine Baker et Charlotte Delbo … mais beaucoup d'autres sont encore peu connues, voire invisibilisées… Il est temps de les découvrir, et de les faire découvrir !

Par Claire Berest, Le Café pédagogique, Paris, 10 mai 2025

*L'Histoire s'écrit aussi au féminin*

Il est vrai que l'Histoire s'est bien plus souvent écrite au masculin qu'au féminin, et donc intéressée avant tout à « la Résistance institutionnelle ou à la lutte armée, deux domaines réservés aux hommes ». Pourtant, comme le rappelle l'autrice dans la préface de l'ouvrage, les femmes n'ont pas attendu d'avoir le droit de vote pour avoir une conscience politique. Et si elles n'ont pas été le plus souvent combattantes, ou que « leurs activités ont laissé peu de traces », leur rôle fut essentiel.

Si « on estime que 25 à 30% des résistants étaient des femmes », force est de constater, explique Valérie de Swetschin, que pourtant « elles représentent à peine 10% des médaillés de la Résistance », et qu'on ne compte que 6 femmes parmi les 1038 « Compagnons de la Libération », une distinction qu' « il est peut-être temps de mettre au féminin ». L'entrée au Panthéon de Germaine Tillion et Geneviève De Gaulle-Anthonioz en 2015, ou encore de Joséphine Baker en 2021, a amorcé un mouvement de visibilisation, mais on est encore loin du compte. Témoigner de leur engagement, leur rendre hommage et leur donner la place qui leur est due, est bien le moins que l'on puisse faire en ces temps où l'oubli « des pires heures de l'Histoire » guette, et où les dernières et derniers survivant·es de la Seconde Guerre monde mondiale et des camps d'extermination disparaissent.

*Histoire et histoires*

Elles ont résisté nous propose donc 30 portraits de femmes, agentes de liaison ou de renseignement ; militantes ou femmes politiques ; intellectuelles ou artistes ; reporters ou photojournalistes… Des histoires fortes, de femmes fortes, engagées et résistantes, comme celle de Betty Albrecht, cofondatrice du mouvement de Libération nationale. Arrêtée par la Gestapo en mai 1943, elle résistera à la torture de Klaus Barbie et finira par se pendre dans sa cellule la nuit de son transfert à Fresnes, quelques jours plus tard, « pour ne pas parler ». Ou comme celle de la petite bretonne « plastiqueuse à bicyclette », Jeanne Bohec, qui dut se battre contre les clichés pour obtenir « le droit d'être parachutée derrière les lignes ennemies », seule femme instructrice de sabotage de toute la Résistance ; ou encore celle de la championne de tennis Simonne Mathieu, qui organisera et dirigera la première unité féminine de la France libre à Londres, et dont le nom sera donné en 2019 au 3ème court de Roland-Garros et au trophée du double-dames…

Mais loin de se limiter à une succession de biographies, aussi passionnantes soient-elles, l'ouvrage invite aussi à se plonger véritablement dans la manière dont l'histoire de ces femmes, tissée d'héroïsme souvent tragique, vient éclairer l'Histoire de cette période. Régulièrement, en effet, l'autrice nous propose de nous arrêter dans notre découverte sur des « zooms » qui prolongent tel ou tel portrait pour évoquer « Les spécificités de la Résistance féminine », « L'étoile jaune » et « Le statut des Juifs », le « Chant des partisans », ou encore « Le procès de Nuremberg », « Les ‘‘tondues de la Libération'' », la « Spoliation des œuvres d'art »… Une prise de recul qui invite à articuler destins individuels et Histoire commune, pour mieux en comprendre les ressorts, complétée, en fin d'ouvrage, par une chronologie, simple et éclairante, une biblio-sitographie, et quelques références de vidéos et podcasts judicieuses.

De belles découvertes à proposer à des élèves, dès la fin du cycle 3, et jusqu'en classes terminales.

Claire Berest, Le Café pédagogique, 2025-05-10

/Elles ont résisté. Portraits de 30 femmes engagées contre le nazisme/, Valérie de Swetschin. Illustrations de Frédéric Bélonie. Sur le site des édifions Eyrolles. <https://www.editions-eyrolles.com/l...>

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« La Meute » : le livre qui accuse « Jean-Luc Mélenchon et sa cour » de pratiques sectaires

13 mai, par humanite.fr — , ,
Tiré de l'Humanité https://www.humanite.fr/politique/france-insoumise/la-meute-le-livre-qui-accuse-jean-luc-melenchon-et-sa-cour-de-pratiques-sectaires Le livre « La Meute » (…)

Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/politique/france-insoumise/la-meute-le-livre-qui-accuse-jean-luc-melenchon-et-sa-cour-de-pratiques-sectaires

Le livre « La Meute » d'Olivier Pérou et Charlotte Belaïch, publiée le 7 mai, se présente comme une enquête au cœur de la France Insoumise sur les pratiques de Jean-Luc Mélenchon et sa proche conseillère, Sophia Chikirou. Les bonnes feuilles et différents extraits publiés en avant-première donnent à voir des méthodes « autoritaires » qui apparaissent à l'opposé du projet égalitaire et démocratique défendu par le mouvement.

Il est une chose où Jean-Luc Mélenchon a « fait mieux » depuis la présidentielle de 2022 : il a peaufiné sa diabolisation. Après la diffusion du documentaire de Complément d'enquête sur France 2, un livre, « la Meute » 1 publié le 7 mai, raconte les vicissitudes internes de La France insoumise (LFI). Un livre que les éditions Flammarion ne nous ont malheureusement pas livré en temps et en heure. Bonnes feuilles et extraits ont doncété publiés dans Le Monde et d'autres journaux. Dans ces morceaux choisis, on découvre les manières autoritaires du fondateur du mouvement et ancien candidat à l'élection présidentielle.

Dans les pages d'ouverture de l'édition du 6 mai de Libération, la co-autrice, Charlotte Belaïch, montre combien « Jean-Luc Mélenchon a peu à peu construit un clan prêt à tout pour l'emmener au pouvoir » et décrit les phénomènes « de cour », avec des militants qui l'attendaient « comme le messie » dans ce qui était alors sa circonscription marseillaise, et la construction d'une croyance en la victoire inéluctable, qui soude les dirigeants.

Olivier Pérou et Charlotte Belaïch racontent égalementles évictions, voire excommunications, et départs de militants et dirigeants chevronnés – sur fond de violences verbales – remplacés par une jeune garde plus fidèle au dirigeant. Il en est ainsi du sort réservé à Charlotte Girard, ancienne responsable du programme du mouvement qui a critiqué l'implication dans la campagne des européennes de Sophia Chikirou, omniprésente et très proche de Jean-Luc Mélenchon, régulièrement pointée pour son autoritarisme.

« Aucune idée politique ne se trouve dans ce livre »

Interrogée à l'Assemblée nationale, la présidente des députés insoumis Mathilde Panot a réagi à la publication de « la Meute », y voyant « un ouvrage qui collectionne des ragots et des mensonges ». « Dans certains passages, il y a des gens censés se détester, qui sont amis dans la vraie vie », ajoute-t-elle. La cheffe de groupe souligne « qu'aucune idée politique ne se trouve dans ce livre, aucune de nos campagnes, aucune de nos mobilisations ». Et de rappeler : « Si nous sommes des responsables politiques, c'est pour proposer un autre projet de société à ce pays. »

C'est l'un des défauts de la séquence médiatique ouverte par le documentaire de Complément d'enquête et la Meute. Ces travaux journalistiques seront instrumentalisés pour cornériser la France insoumise à l'approche du congrès du Parti socialiste en juin, et esquiver ainsi les débats de fond sur les stratégies d'alliances et les orientations politiques à gauche. Celles-ci pourraient pourtant être sujettes à débat.

« La Meute » de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, Flammarion, 352 pages, Avril 2025, Paris

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Comptes rendus de lecture du mardi 13 mai 2025

13 mai, par Bruno Marquis — , ,
Sens dessus dessous Eduardo Galeano Traduit de l'espagnol On ne peut qu'être reconnaissant à Lux Éditeur d'avoir publié au cours des années de nombreux ouvrages de ce grand (…)

Sens dessus dessous
Eduardo Galeano
Traduit de l'espagnol

On ne peut qu'être reconnaissant à Lux Éditeur d'avoir publié au cours des années de nombreux ouvrages de ce grand écrivain uruguayen qu'est Eduardo Galeano. Cet ouvrage nous décrit avec de nombreux exemples et des anecdotes éclairantes le capitalisme et ses manifestations : dévastation de la planète, pullulement des haines sexistes et racistes, exacerbation des injustices et abrutissement généralisé. « Construit comme un manuel scolaire à ne surtout pas suivre, il s'adresse avec une ironie douce-amère aux cancres de l'école de ce monde à l'envers, à ceux qui refusent de devenir les bons élèves d'un système qui promeut le crime, le mensonge, le mépris et l'amnésie. » Un bouquin dont je vous recommande vivement – et très vivement – la lecture !

Extrait :

À la différence de la solidarité, qui est horizontale et s'exerce d'égal à égal, la charité se pratique du haut vers le bas, humilie celui qui la reçoit et n'altère jamais un tant soit peu les relations de pouvoir : dans le meilleur des cas, il y aura un jour une justice, mais en haut au ciel. Ici sur terre, la charité ne perturbe pas l'injustice. Elle se propose seulement de la dissimuler.

Israël, Palestine, États-Unis : le triangle fatidique
Noam Chomsky
Traduit de l'anglais

« Israël, Palestine, États-Unis : le triangle fatidique » est l'un des ouvrages les plus ambitieux jamais écrit sur le rôle déterminant des États-Unis dans le conflit entre le sionisme et les Palestiniens. C'est un exposé tenace de la corruption, de l'avidité et de la malhonnêteté intellectuelle. Et c'est un ouvrage d'une importance capitale, qui doit être lu par tous ceux et celles qui se soucient de la chose publique.

Extrait :

La campagne de propagande contre le « fondamentaliste islamique » n'est pas dépourvue d'éléments grotesques — même si l'on met de côté le fait que la culture états-unienne se compare à la culture iranienne par son fondamentalisme religieux. L'État fondamentalisme islamique le plus extrémiste du monde est l'Arabie saoudite, loyal allié des États-Unis — ou plutôt, pour être plus précis, la dictature familiale qui sert de « façade arabe » derrière laquelle les États-Unis contrôlent dans les faits la péninsule arabe, pour reprendre les termes qui caractérisaient le règne colonial britannique. Dans ce cas, l'Occident n'éprouve aucune difficulté avec le fondamentalisme islamique. Or un des groupes fondamentalistes islamiques qui figurent vraisemblablement parmi les plus fanatiques du monde ces dernières années est dirigé par Gulbuddin Hekmatyar, extrémiste qui était l'un des favoris de la CIA et qui était le principal bénéficiaire des 3,3 milliards de dollars d'aide (officielle) des États-Unis aux rebelles afghans (un montant à peu près équivalent étant, dit-on, fourni par l'Arabie saoudite), lui qui a bombardé Kaboul en faisant des milliers de victimes et en chassant des centaines de milliers de personnes hors de la ville (toutes les ambassades occidentales comprises) afin d'arracher le pouvoir par les armes. Certes, ce n'est pas tout à fait la même chose que de vider Phnom Penh comme l'a fait Pol Pot, opération au cours de laquelle l'État à la solde des États-Unis s'est comporté de manière beaucoup plus sanglante.

Pas pleurer
Lydie Salvayre

C'est en lisant une brève biographie de Georges Bernanos que je suis tombé sur ce Goncourt de 2014. « Pas pleurer » nous raconte, à travers la vie d'une vieille dame, la sombre histoire de la guerre civile espagnole. Les souvenirs de cette dame, recueillis par sa fille, nous rappellent l'espoir, et momentanément la joie, puis, comme on le sait, les sombres et massives tueries de Franco avec la bénédiction de l'Église catholique ; elle nous raconte aussi, plus brièvement, l'aveuglement d'une partie de la gauche à l'endroit de Staline. La lecture se fait parallèlement à ce qu'écrivait à l'époque Georges Bernanos sur l'affreuse collaboration de l'Église catholique avec la dictature, dans ce qui allait devenir le merveilleux recueil « Les grands cimetières sous la lune ».

Extrait :

Ma mère s'appelle Montserrat Monclus Arjona, un nom que je suis heureuse de faire vivre et de détourner pour un temps du néant auquel il était promis. Dans le récit que j'entreprends, je ne veux introduire, pour l'instant, aucun personnage inventé. Ma mère est ma mère, Bernanos l'écrivain admiré des Grands cimetières sous la lune et l'Église catholique l'infâme institution qu'elle fut en 36.

Les grands cimetières sous la lune
Georges Bernanos

C'est probablement Georges Bernanos qui m'a amené à la littérature. C'était « Nouvelles histoires de Mouchette » et j'étais adolescent. J'ai beaucoup lu cet auteur par la suite, et bien d'autres aussi. J'ai relu récemment « Les grands cimetières sous la lune », que j'avais lu il y a bien longtemps. Je l'ai relu en même temps que le roman « Pas pleurer » de Lydie Salvayre, dont j'ai parlé il y quelques jours. C'était toujours aussi bon, ces « Grands cimetières sous la lune ». J'aime Bernanos, j'aime son style et j'aime sa rigueur. C'est assurément le plus grand des écrivains catholiques...

Extrait :

Dès lors, chaque nuit, des équipes recrutées par lui opérèrent dans les hameaux et jusque dans les faubourgs de Palma. Où que ces messieurs exerçassent leur zèle, la scène ne changeait guère. C'était le même coup discret frappé à la porte de l'appartement confortable, ou à celle de la chaumière, le même piétinement dans le jardin plein d'ombre, ou sur le palier le même chuchotement funèbre, qu'un misérable écoute de l'autre côté de la muraille, l'oreille collée à la serrure, le cœur crispé d'angoisse. - « Suivez-nous ! » - ... Les mêmes paroles à la femme affolée, les mains qui rassemblent en tremblant les hardes familières, jetées quelques heures plus tôt, et le bruit du moteur qui continue à ronfler, là-bas, dans la rue. « Ne réveillez pas les gosses, à quoi bon ? Vous me menez en prison, n'est-ce pas señor ? - Perfectamente », répond le tueur, qui parfois n'a pas vingt ans. Puis c'est l'escalade du camion où l'on retrouve deux ou trois camarades, aussi sombres, aussi résignés, le regard vague ... Hombre ! La camionnette grince, s'ébranle. Encore un moment d'espoir, aussi longtemps qu'elle n'a pas quitté la grand-route. Mais voilà déjà qu'elle ralentit, s'engage en cahotant au creux d'un chemin de terre. « Descendez ! » Ils descendent, s'alignent, baisent une médaille, ou seulement l'ongle du pouce. Pan ! Pan ! Pan ! - Les cadavres sont rangés au bord du talus, où le fossoyeur les trouvera le lendemain, la tête éclatée, la nuque reposant sur un hideux coussin de sang noir coagulé. Je dis fossoyeur, parce qu'on a pris soin de faire ce qu'il fallait non loin d'un cimetière. L'alcade écrira sur son registre : « Un tel, un tel, un tel, morts de congestion cérébrale. »

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Intellectuel… de gauche

13 mai, par Bruno Marquis — , ,
(Ce texte a d'abord été publié dans l'édition de mai du journal Ski-se-Dit.) Longtemps le mot « intellectuel » n'aura été qu'un adjectif. Ce n'est qu'après l'affaire Dreyfus, (…)

(Ce texte a d'abord été publié dans l'édition de mai du journal Ski-se-Dit.)

Longtemps le mot « intellectuel » n'aura été qu'un adjectif. Ce n'est qu'après l'affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle, que l'on a commencé, dans la presse française, et particulièrement sous la plume du journaliste et écrivain Henry Fouquier, à l'utiliser comme nom ou substantif pour qualifier les journalistes, écrivains et hommes politiques de gauche ou progressistes. Il fallut attendre le début des années 1920 pour que la droite française, qui vilipendait jusqu'alors ces intellectuels, ne commence à s'approprier aussi le terme. Cette utilisation de l'adjectif comme nom s'est ensuite répandue, dans un sens comme dans l'autre, dans les autres langues.

Si le terme sied bien à la gauche, parce qu'il qualifiait ceux dont les actes engagent la réflexion, « gardiens de l'idéal républicain », contre les forces de l'argent, des armes et du conservatisme, il sied beaucoup moins à la droite, qui défend elle, souvent par d'affreuses contorsions de l'esprit, ces mêmes idéaux de richesses individuelles, de contrainte ou d'un passé idéalisé. Il sied de ce fait beaucoup mieux à des hommes et des femmes comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Foucault et Pierre Bourdieu, qu'à des Charles Maurras, Éric Zemmour, Michel Houellebecq et Michel Onfray ; et chez nous à des Françoise David, Normand Baillargeon et Francis Dupuis-Déri, qu'à des Christian Rioux, Sophie Durocher ou Mathieu Bock-Côté.

Le terme intellectuel, voyez-vous, confère un aura de respectabilité à ceux auxquels on l'attribue. Henry Fouquier considérait les intellectuels comme « des individus dont les actes engagent la réflexion et qui théorisent leurs pensées », dont les valeurs morales et l'intégrité constituent les seuls moteurs. L'intellectuel était et devrait ainsi être encore à la recherche du beau, du bon et du juste. Que l'on ait pu accoler à ce terme des racistes de tout acabit, des sexistes et des intolérants, des fascistes même, des déclinistes et promoteur du « grand remplacement », même des promoteurs de cette fumisterie de « la main invisible » selon laquelle l'addition des intérêts individuels aboutit à l'intérêt général, est une ignominie !

D'autres termes conviendraient beaucoup mieux à ces défenseurs d'un passé bêtement idéalisé et collaborateurs du grand capital. Ils auraient malheureusement pour eux le défaut d'exprimer des vérités qui n'ont rien de louables. L'appropriation à leur compte de termes propres à la gauche, en les dévoyant de leur sens originel, leur convient drôlement mieux. Non seulement elle leur confère un semblant de respectabilité, mais elle brouille les repères, elle brouille les cartes.

Le dévoiement des mots n'est pas anodin. Accoler à des termes comme « intellectuel », « démocratie », ou « défense », des idéaux réactionnaires, antidémocratiques et guerriers nous empêche d'y voir clair. Surtout lorsque ces termes sont utilisés de façon continue, dans des médias et par des communicateurs que nous jugeons dignes de confiance. De telles manipulations du langage ont entre autres pour effet d'inhiber la réflexion chez les populations occidentales, populations qui sont parmi les plus à même – je me répète – d'infléchir de façon positive, respectueuse des droits humains et progressiste l'orientation des politiques.

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Libération de l’ancien Député Antoine ALFREDO Junior : un signe inquiétant pour la justice haïtienne

Par Smith PRINVIL Port-au-Prince, Haïti, 9 mai 2025-Dans un tournant qui suscite confusion et indignation, l'ex-député de la commune de Kenscoff, Antoine ALFREDO Junior, (…)

Par Smith PRINVIL

Port-au-Prince, Haïti, 9 mai 2025-Dans un tournant qui suscite confusion et indignation, l'ex-député de la commune de Kenscoff, Antoine ALFREDO Junior, arrêté le 4 avril 2025 pour des accusations graves telles que complot contre la sûreté de l'État et financement de groupes criminels, a été libéré ce vendredi 9 mai 2025 après seulement un mois de détention. Malgré la lourdeur des charges pesant contre lui, la décision de son relâchement a laissé un goût amer dans la bouche des Haïtiens qui se battent quotidiennement contre l'impunité.

L'arrestation d'ALFREDO, un homme politique influent et ancien parlementaire, avait mis en lumière la grave situation sécuritaire qui frappe Haïti, marquée par l'implication présumée de certains acteurs politiques dans le financement de gangs armés. Au moment de son arrestation, de nombreux observateurs espéraient que la justice haïtienne allait enfin frapper un grand coup contre ceux qui nourrissent le chaos dans le pays.

Mais ce vendredi, contre toute attente, l'ex-député a été libéré. Pas de procès, pas de verdict, mais un simple contrôle judiciaire. Son passeport a été retenu par le Parquet, et il lui a été interdit de quitter le pays, une mesure qui semble plus symbolique que réelle. Le contraste avec la situation des milliers de détenus en attente de jugement est frappant. Ce genre de traitement réservé à un homme politique, au cœur d'un scandale d'une telle ampleur, soulève de nombreuses interrogations.
Dans les rues de Port-au-Prince, et au-delà, la décision a été accueillie avec une grande perplexité. Les citoyens, souvent pris au piège entre l'aspiration à un changement radical et l'inertie du système judiciaire, voient dans cette libération une nouvelle preuve de l'impunité qui sévit dans le pays. "C'est un choc. Comment un homme accusé de financer des gangs, de conspirer contre l'État, peut-il être remis en liberté si vite ? Cela donne l'impression que la justice n'est là que pour protéger les puissants", confie Jean-Marie, un citoyen de la capitale.

D'autres, plus désabusés, y voient la confirmation de ce qu'ils appellent la "loi du plus fort", où les hommes de pouvoir et leurs alliés échappent aux conséquences de leurs actions. "Ce n'est pas étonnant", ajoute Mireille, une militante des droits humains. "Cela arrive tout le temps, les politiciens ont toujours des routes secrètes pour sortir de la justice."

La rapidité avec laquelle ALFREDO a retrouvé sa liberté ne fait qu'accentuer le sentiment d'impunité qui gangrène les institutions haïtiennes. Alors que le pays est plongé dans une violence incontrôlable, les Haïtiens attendent des réponses fermes et des actions concrètes. Mais au lieu de cela, ils sont témoins de décisions qui font l'impasse sur les principes de justice. L'absence d'un véritable procès pour un homme accusé de tels crimes laisse un vide inquiétant dans la structure même de l'État de droit.

La décision du Parquet de libérer ALFREDO sans explication claire est d'autant plus préoccupante que cette affaire expose des failles béantes dans la transparence des procédures judiciaires. Où sont les garanties que cette affaire sera pleinement examinée ? Pourquoi aucune information détaillée n'a été donnée sur les enquêtes menées ?

Les observateurs internationaux et les organisations de défense des droits humains suivent avec attention cette affaire, car elle pourrait avoir des répercussions sur la perception du pays à l'échelle mondiale. Un Haïti où la justice est perçue comme biaisée et manipulée par des intérêts politiques ne peut espérer renouer avec une stabilité durable.

La libération d'Antoine ALFREDO Junior est plus qu'une simple décision judiciaire : elle est le symptôme d'un mal profond qui ronge la nation haïtienne. Alors que le pays continue de sombrer dans l'insécurité, le système judiciaire semble se soumettre aux pressions politiques et économiques, sacrifiant ainsi la confiance du peuple.

Les Haïtiens ne doivent pas accepter cette situation comme une fatalité. La mobilisation populaire doit être renforcée pour réclamer une justice équitable et indépendante, capable de traiter tous les citoyens de manière égale, qu'ils soient puissants ou démunis. Car tant que l'impunité régnera, Haïti restera enchaînée à un système qui ne sert que ceux qui ont déjà tout.

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Laura Gil élue à la tête de l’OEA : Ref-Haïti salue une avancée majeure pour l’égalité de genre

Par Smith PRINVIL Port-au-Prince, 9 mai 2025 – L'élection de la diplomate colombienne Laura Gil à la tête de l'Organisation des États Américains (OEA) a suscité une vague de (…)

Par Smith PRINVIL

Port-au-Prince, 9 mai 2025 – L'élection de la diplomate colombienne Laura Gil à la tête de l'Organisation des États Américains (OEA) a suscité une vague de réactions positives à travers le continent. En Haïti, l'organisation féministe Le Refuge des Femmes d'Haïti (Ref-Haïti) n'a pas tardé à saluer ce qu'elle qualifie de « victoire historique pour la représentation des femmes dans les sphères de pouvoir ».

Mme Gil devient la première femme élue à la direction de cette institution continentale, fondée en 1948. Un fait inédit que Ref-Haïti interprète comme un signal fort en faveur de la parité et de l'inclusion dans les plus hautes instances de gouvernance régionale.

« Son élection est bien plus qu'un symbole. C'est une avancée réelle dans la lutte pour l'égalité. Elle montre à toutes les filles et les femmes qu'elles ont pleinement leur place dans les espaces de décision », a déclaré Novia Andrée Steciles Augustin, présidente de Ref-Haïti.

Active dans la défense des droits des femmes et des filles, Ref-Haïti milite depuis plusieurs années pour une gouvernance plus équitable et féministe, à la fois au niveau local et international. Pour l'organisation, l'accession de Mme Gil à ce poste stratégique doit désormais se traduire par des politiques concrètes, capables de répondre aux inégalités persistantes dans la région.

Tout en saluant cette nomination, Ref-Haïti rappelle que des défis importants demeurent : violences basées sur le genre, sous-représentation politique, inégalités économiques. « Le leadership féminin est un levier, mais c'est l'action qui fera la différence », souligne l'organisation.

Ref-Haïti réaffirme son engagement aux côtés de toutes celles qui, dans les Amériques, luttent pour faire entendre la voix des femmes et bâtir des sociétés plus justes, plus inclusives et plus humaines.

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Rapport de avril 2025 : Le sinistre record d’exécutions de femmes

De Vakilabad à Evin : Le sinistre record d'exécutions de femmes Tiré de Entre les lignes et les mots https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/07/rapport-de-avr

De Vakilabad à Evin : Le sinistre record d'exécutions de femmes

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/07/rapport-de-avril-2025-le-sinistre-record-dexecutions-de-femmes/

Télécharger le rapport

L'exécution de cinq femmes en avril : un nouveau sommet de violence contre les femmes en Iran

Rapport de avril 2025 : Le sinistre record d'exécutions de femmes – Le mois de janvier 2025 a été marqué par une vague de protestations dans tout l'Iran, les femmes jouant un rôle de premier plan. De Téhéran à des villes plus petites comme Sanandaj et Ilam, des femmes de tous âges sont descendues dans la rue pour réclamer la justice, une aide économique et la fin de la discrimination. Leur présence a été frappante, démontrant une résistance inébranlable face à une répression croissante.

À l'aube du mardi 8 avril 2025, les murs de la prison de Vakilabad à Machhad ont été témoins d'une scène sombre et douloureuse. Au moins dix personnes ont été pendues, parmi lesquelles trois femmes. Exactement une semaine plus tard, le mardi 15 avril 2025, une autre femme opprimée a été pendue à la prison de Choubindar, à Qazvin.

Le lundi 28 avril, Marjan Sabzi, une nouvelle victime, a été pendue dans la prison de Dastgerd à Ispahan, en même temps que six autres détenus.

Avec l'exécution de ces cinq femmes en avril, le nombre de femmes exécutées en Iran en 2025 atteint désormais treize. Ces femmes étaient les victimes des conditions économiques désastreuses, de l'injustice structurelle et de la pauvreté chronique qui marginalisent des milliers de femmes en Iran.

Marzieh Esmaili, âgée de 39 ans et mère d'une adolescente, a été pendue à Qazvin pour avoir prétendument transporté 600 grammes de drogues contre seulement 10 millions de tomans (environ 100 dollars). Vivant dans une pauvreté absolue, Marzieh Esmaili n'avait aucun soutien social ou juridique. Elle n'avait ni famille ni les moyens financiers de se payer un avocat.

L'identité des trois autres femmes exécutéesà Vakilabad demeure inconnue, bien que l'une d'entre elles ait été accusée de meurtre. Les détails de son affaire restent flous, mais, comme dans de nombreux cas similaires, cette femme n'a pas bénéficié d'un procès équitable, ni d'un accès à un avocat indépendant, ni d'une réelle possibilité de se défendre. La majorité des femmes exécutées dans de telles conditions avaient auparavant été victimes de mariages précoces et de violences domestiques, des cris de détresse qui n'ont jamais trouvé écho.

L'exécution de ces femmes, perpétrée dans le lourd silence des médias d'État, ne représente qu'une partie du bilan sanglant d'un régime qui détient le triste record mondial d'exécutions de femmes, et qui instrumentalise la violence institutionnalisée contre les femmes pour assurer sa survie.

Dans son rapport annuel 2024, Amnesty International a indiqué que plus de 64% des exécutions mondiales avaient été recensées en Iran.

Comparaison statistique des exécutions de femmes en Iran

Sur une période de huit ans, de 2013 à 2020, au moins 120 femmes ont été exécutées en Iran. Durant ces années, la moyenne annuelle d'exécutions de femmes était de 15. Ainsi, en 2024, lorsque 34 femmes ont été exécutées, le nombre de femmes exécutées a plus que doublé par rapport à cette moyenne, signalant une augmentation alarmante.

Depuis l'arrivée au pouvoir d'Ebrahim Raïssi en 2021, le nombre d'exécutions, y compris celles des femmes, a fortement augmenté. Après la mort de Raïssi, le 19 mai 2023, et l'ascension de Massoud Pezeshkian en août 2023, cette tendance à la hausse s'est poursuivie, avec une rapidité encore accrue.

Au cours des 34 mois de la présidence de Raïssi, 63 femmes ont été exécutées, soit une moyenne mensuelle de 1,85 femme exécutée. Après la mort de Raïssi, la moyenne est montée à 3,3 femmes exécutées chaque mois.

Au cours de l'année 1403 du calendrier persan (du 20 mars 2024 au 20 mars 2025), 38 femmes ont été exécutées en Iran, marquant une hausse de 90% par rapport à l'année précédente.

De plus, en seulement neuf mois après l'arrivée au pouvoir de Pezeshkian, le nombre total de victimes d'exécutions en Iran a dépassé 1 000. Sur toute l'année 2024, plus de 1 000 exécutions ont été enregistrées.

Ces faits démontrent encore une fois que, peu importe qui occupe la présidence sous le régime clérical, la politique de répression brutale et de violations systématiques des droits humains reste une caractéristique intrinsèque de la dictature religieuse au pouvoir en Iran.

Femmes, cibles d'une cruauté et d'une violence organisées

L'exécution de femmes en Iran, sous le régime misogyne des mollahs, n'est pas seulement une vengeance contre quelques condamnées. Ce régime utilise les corps et les âmes des femmes pour semer la peur, humilier et exercer son contrôle. Les femmes qui osent élever la voix, tout comme celles qui tombent silencieusement victimes de la pauvreté et de la discrimination, sont toutes la cible d'une violence gouvernementale organisée.

Mortes à l'aube, la poursuite du massacre des femmes de 1988

Bien que lors des récentes exécutions, ces femmes n'aient pas été accusées de délits politiques, leurs exécutions étaient entièrement politiques, visant à faire taire les voix de la protestation et de la justice. Les voix des femmes exécutées au cours de près d'un demi-siècle de domination cléricale, uniquement pour leurs croyances, résonnent encore dans l'histoire. Des potences de Vakilabad aux salles de la mort d'Evin, leur résistance étouffée demeure vivante. Celles qui réclamaient justice devant le monde entier nous rappellent que le courage, même réduit au silence, ne meurt jamais.

Les cris des femmes exécutées en 1988 résonnent au printemps 2025

Avril 2025 a été marqué par une révélation nouvelle et terrifiante émanant du cœur du régime. Un enregistrement audio récemment publié par Hossein Ali Montazeri a exposé l'exécution massive de 300 femmes membres de l'OMPI (Organisation des Moudjahidines du Peuple d'Iran) durant l'été 1988. Parmi ces femmes figuraient également deux ressortissantes françaises.

Dans cet enregistrement diffusé par la BBC en avril 2025, Hossein Ali Montazeri, alors dauphin désigné de Khomeini, critique ouvertement la décision d'exécuter en masse les femmes membres de l'OMPI pendant l'été 1988. Cet enregistrement capture une conversation entre Montazeri et les membres de la « Commission de la mort » à la prison d'Evin, révélant des crimes où les principales victimes étaient de jeunes femmes exécutées uniquement pour leurs convictions politiques, sans avoir commis aucun acte criminel.

Montazeri évoque spécifiquement l'exécution d'environ 300 femmes de l'OMPI, dont deux françaises, précisant que celles-ci auraient pu être utilisées comme levier diplomatique. Il cite également l'exemple d'une jeune sympathisante de l'OMPI condamnée à mort uniquement en raison de son opposition idéologique au régime, alors qu'elle n'avait aucun antécédent criminel.

Dans cet enregistrement, Montazeri remet en question la légitimité religieuse d'exécuter des femmes, soulignant que même selon la jurisprudence chiite, de telles exécutions sont injustifiables. Il insiste sur le fait que nombre de ces femmes avaient été emprisonnées simplement pour avoir lu ou distribué des tracts.

Cette révélation met une nouvelle fois en lumière le massacre sanglant des femmes durant l'été 1988 – une violence qui était non seulement politique mais également profondément idéologique et misogyne. Cette bande audio constitue un témoignage historique du rôle central joué par les femmes dans la résistance et du prix qu'elles ont payé dans leur lutte contre la dictature misogyne au pouvoir en Iran.

Solidarité dans les prisons de femmes contre la peine de mort

Face à la brutalité croissante du régime, les prisonnières d'Evin à Zahedan ont élevé leur voix plus fortement contre la peine de mort. La campagne « Mardi non aux exécutions », qui a vu une large participation des prisons pour femmes, continue de s'amplifier chaque semaine.

Le dernier mardi d'avril 2025, la campagne « Mardi non aux exécutions » a franchi une nouvelle étape dans la dénonciation des crimes du régime et la protestation contre la vague croissante d'exécutions en Iran. Ce jour-là, les voix de protestation des prisonniers politiques à travers tout le pays, notamment dans les sections féminines des prisons, ont été entendues dans le monde entier, mettant une fois de plus en lumière la résistance héroïque des prisonnières contre les exécutions et la répression.

Lors de la 64ᵉ semaine de la campagne, à la mi-avril, le quartier des femmes de la prison de Zahedan a également rejoint le mouvement. Désormais, le nombre de prisons féminines participant à la campagne s'élève à dix, incluant Evin à Téhéran, Adelabad à Chiraz, Lakan à Rasht, Dizelabad à Kermanchah, Choubindar à Qazvin, la prison centrale de Sanandaj, la prison centrale d'Ourmieh, ainsi que les prisons de Marivan, Kamyaran et Zahedan.

Ces jours marqueront l'histoire des prisonniers politiques en Iran, en particulier celle des prisonnières. Elles inscrivent leur appel dans la conscience universelle des droits humains : personne ne doit être exécuté.

Les familles des prisonniers condamnés à mort ne restent pas silencieuses

Parallèlement à la campagne « Mardi non aux exécutions », désormais active dans 41 prisons à travers le pays, les familles des prisonniers politiques poursuivent également leurs rassemblements de protestation.

Lors de ces rassemblements, auxquels participaient les mères et pères âgés de ces prisonniers, les manifestants brandissaient les photos de 10 prisonniers politiques de l'OMPI condamnés à mort et scandaient des slogans tels que « Non aux exécutions » et « Non aux condamnations répressives ».

Les rassemblements des familles de prisonniers politiques reflètent une opposition généralisée à la répression et aux lourdes peines infligées aux prisonniers politiques en Iran.

Le mardi 29 avril, en plus d'un groupe de familles de condamnés à mortqui s'est réuni devant la prison d'Evin, des jeunes des villes de Boukan, Racht et Shahriar ont également mené des actions de protestation contre la peine de mort, exprimant leur solidarité avec les prisonniers en grève de la faim dans le cadre de la campagne « Les mardis contre les exécutions ».

Pendant ce temps, les prisonnières politiques en grève de la faim dans le quartier des femmes de la prison d'Evin ont organisé une manifestation à 11 heures dans la cour du quartier, en solidarité avec les familles rassemblées à l'extérieur.

En marchant et en scandant des slogans, elles ont exigé l'arrêt des exécutions ainsi que la libération des prisonniers politiques.

Un appel aux consciences éveillées du monde entier

Le rythme d'exécutions sans précédent en 2024 et 2025, notamment la brutalité ciblant les femmes et les mineurs, constitue un véritable signal d'alarme pour les consciences éveillées du monde entier.

La Commission des Femmes du Conseil National de la Résistance Iranienne renouvelle son appel aux gouvernements du monde entier, toute relation avec le régime iranien doit être conditionnée à l'arrêt des exécutions et de la torture en Iran.

https://wncri.org/fr/2025/04/30/rapport-de-avril-2025/

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Lutte de masse en Inde contre la culture du viol

Le 14 août 2024 à 23h55, les rues du Bengale, habituellement désertes à cette heure-ci, étaient bondées d'Indiennes revendiquant leur moitié de ciel. À l'approche du 77e (…)

Le 14 août 2024 à 23h55, les rues du Bengale, habituellement désertes à cette heure-ci, étaient bondées d'Indiennes revendiquant leur moitié de ciel. À l'approche du 77e anniversaire de l'indépendance du pays, elles ont fait de cette nuit leur propre fête en exigeant la fin de la culture du viol, qui sape toute notion d'indépendance.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/05/lutte-de-masse-en-inde-contre-la-culture-du-viol/
Avec l'aimable autorisation de la revue Inprecor

Presque tous les coins et recoins étaient occupés par des femmes : des travailleuses de différents secteurs confrontées au harcèlement sexuel sur leur lieu de travail ; des étudiantes dans les écoles, les collèges et les universités qui doivent se battre pour s'affirmer sur leurs campus centimètre par centimètre ; des femmes entravées par la corvée quotidienne des tâches ménagères ; des médecines, des infirmières, des enseignantes et des employées de maison qui sont toutes descendues dans la rue pour protester.

Cinq nuits plus tôt, une interne avait été violée et assassinée dans une salle de réunion pendant son service de nuit. Ses parents avaient été informés qu'elle s'était « suicidée » et avaient dû attendre trois heures avant d'être autorisés à entrer dans la salle.

Des rumeurs ont circulé sur sa santé psychologique. Le directeur de la faculté de médecine RG-Kar a même fait une remarque honteuse, en demandant ce « que faisait cette jeune fille si tard » dans la salle de réunion. Le rapport d'autopsie avait déjà révélé qu'elle avait été violée avant d'être étranglée.

Les propos du directeur ont suscité une vague d'indignation. Un appel à une manifestation « Reprenons la nuit » (Take Back the Night) à la veille du Jour de l'Indépendance en Inde s'est répandu comme une traînée de poudre, déclenchant dans le pays un vaste mouvement, d'une ampleur inédite depuis dix ans. Rien qu'au Bengale-Occidental, environ 250 lieux de manifestation ont été organisés dans les villes, les chefs-lieux de district et les villages, où des femmes et des personnes transgenres et queer ont bravé les couvre-feux pour occuper les rues et réclamer justice.

La nuit du 14 août s'est avérée historique

Ce n'était pas la première fois que la campagne « Reprenons la nuit » était organisée pour protester contre le harcèlement sexuel dans le pays. Ce n'était pas non plus la première fois que des femmes indiennes en colère manifestaient massivement, en solidarité, pour réclamer justice contre le viol et le harcèlement sexuel.

Ce n'était pas non plus la première fois qu'un crime aussi brutal était commis en Inde. Dans l'Inde d'aujourd'hui, où les pouvoirs en place entretiennent une culture du viol, régime après régime, ce qui s'est passé à RG-Kar ne fait pas exception. Dans l'Inde d'aujourd'hui, dirigée par un régime de droite fasciste dont les dirigeants sont ouvertement misogynes et ont utilisé le viol comme arme politique pour réprimer la dissidence et réduire les femmes au silence, ce meurtre et les graves dénis de justice commis par les autorités sont devenus la norme.

Mais ce qui était historique dans cette manifestation, c'était l'élan spontané des femmes. Dans différentes régions du Bengale-Occidental, des femmes avaient organisé des manifestations pour revendiquer la nuit, réclamer justice pour les victimes, exiger des transports publics sûrs pour les femmes, des toilettes publiques, exiger la mise en place d'un comité interne des plaintes fonctionnant sur chaque lieu de travail, et revendiquer les droits fondamentaux du travail pour les femmes dans les secteurs organisés et non organisés.

Pour beaucoup de ces femmes, c'était leur première manifestation. Pour beaucoup, c'était aussi leur première nuit sous le ciel étoilé. Pour beaucoup, c'était la première fois qu'elles lançaient des slogans.

Un carnaval de la résistance

Pour beaucoup, c'était aussi leur première expérience d'organisation politique. Des travailleuses précaires ubérisées, en uniforme, partageaient leurs expériences de harcèlement au travail. Des infirmières d'hôpitaux privés et publics parlaient du manque d'infrastructures pour exercer leurs fonctions de nuit en toute sécurité. Des artistes de théâtre parlaient du harcèlement auquel elles sont confrontées.

Des femmes, des personnes queer et transgenres avaient voyagé deux à trois heures pour se rendre sur les lieux de manifestation. Constatant l'absence de transports en commun, elles ont formé des groupes pour organiser voyages et venir ensemble.

Des femmes des bidonvilles voisins partageaient leurs expériences de harcèlement et de violence à la maison ou au travail. Des mères venaient avec leurs filles. Des sœurs venaient ensemble. Lors des rassemblements, de vieilles amies se retrouvaient. C'était un véritable carnaval de la résistance.

Des inconnu·es ont ouvert leurs portes toute la nuit pour permettre aux manifestant·es d'utiliser leurs toilettes. Les coopératives de marché du quartier ont gardé leurs locaux ouverts aux femmes. Des étudiantes des campus universitaires publics voisins ont négocié avec leurs autorités pour que les portes des campus et les foyers pour femmes restent ouvertes. Certaines femmes sont sorties de chez elles, sans être accompagnées par un homme, la nuit, déterminées à revendiquer leur propre espace public et à organiser des manifestations dans leur quartier.

« Azaadi »

Aux cris de « Azaadi » (« Liberté »), les femmes ont revendiqué d'être libérées du viol, de la violence domestique, du harcèlement au travail, de la surveillance morale, de la pénibilité des tâches ménagères, des salaires discriminatoires au travail, des remarques condescendantes des pères et des frères, de ce système capitaliste patriarcal et brahmanique. Des femmes brandissaient haut le drapeau rouge, tandis que des personnes queer et trans arboraient des drapeaux arc-en-ciel.

Des femmes portaient des portraits de révolutionnaires, rappelant l'héritage de la résistance féminine. Un immense drapeau rouge, orné du portrait de la révolutionnaire indienne martyre Pritilata Waddedar, flottait haut, veillant sur celles et ceux qui se considéraient comme ses camarades [1].

Il y avait des affiches faites à la main par des mains inexpérimentées, des slogans criés par celles qui étaient conditionnées à ne jamais élever la voix. Il y avait des chants, des performances, des partages d'expériences, tandis que les femmes passaient la nuit sous le ciel à discuter, crier, s'écouter, s'appuyant les unes sur les autres.

Pourtant, à mesure que la nuit avançait, les nouvelles d'une attaque contre les médecins grévistes de RG-Kar ont commencé à affluer. Un groupe de voyous avait pénétré dans les locaux du sit-in, démontant le site, tabassant les médecins protestataires et tentant de détruire la scène sacrilège. Leur intention était manifestement de falsifier les preuves et de menacer les manifestant·es. Pendant ce temps, les policiers en service ont reçu l'ordre de détourner le regard.

Ce qui avait commencé comme une manifestation s'est transformé en un véritable mouvement, rassemblant des personnes jusque-là indifférentes au sang versé dans les rues. Ce mouvement comprenait que la dignité et la sécurité des femmes sont liées au droit à un système de santé publique qui soigne les citoyens ordinaires. Or, ce système s'effondre sous l'effet de la corruption, mettant même en danger la vie des patient·es.

Culture de l'impunité, privatisation et État néolibéral

L'impunité et le message envoyé par l'énorme démonstration de force mise en œuvre pour vandaliser et détruire le lieu de manifestation de RG-Kar, ont libéré une colère qui couvait dans le pays depuis une décennie. Celles et ceux d'entre nous qui étaient étudiant·es lors de l'affaire du viol de Delhi en 2012 – où une jeune femme de la classe moyenne, brutalement violée et torturée par plusieurs hommes, a succombé à ses blessures – avaient vu des milliers d'étudiantes et de femmes de la classe moyenne occuper les rues pour réclamer justice.

Les manifestations avaient alors suscité des débats houleux sur les violences sexistes. Plus tard, une commission judiciaire a signalé que l'insuffisance des infrastructures et les défaillances du gouvernement et de la police étaient la cause profonde des crimes contre les femmes. Ce tollé a conduit à une modification des lois sur le viol en Inde. Pourtant, dix ans plus tard, alors que nous descendons à nouveau dans la rue, nous sommes toujours confronté·es à une culture de l'impunité.

Presque tous les partis politiques – de la gauche parlementaire aux centristes en passant par la droite – ont à maintes reprises protégé des violeurs et entretenu la culture du viol pour consolider leur emprise électorale. La montée du fascisme hindouiste (Hindutva) a entraîné une explosion de violences sexistes atroces. Le viol a souvent été utilisé comme arme politique pour réprimer les manifestations et affirmer son autorité sur les minorités.

Cette culture de l'impunité, entretenue par le fait de protéger les violeurs, de falsifier les preuves et d'utiliser ouvertement l'appareil d'État pour les protéger, avait créé des précédents que tout parti au pouvoir pouvait suivre. Que le parti au pouvoir au Bengale-Occidental ait utilisé tous ses moyens pour couvrir les auteurs du crime de RG-Kar n'était donc guère surprenant. Pourtant, cette fois, cela a alimenté la colère d'une population qui semblait en avoir assez.

Du crime à la révolte revendicative

Le viol et le meurtre de RG-Kar ont peut-être suscité une telle indignation parce que la victime était médecin, une femme occupant un emploi de col blanc « honorable », agressée alors qu'elle était de garde dans un hôpital public. Cela signifiait que les femmes n'étaient nulle part en sécurité. Cela a également révélé l'inégalité de nos espaces de travail, conçus pour fragiliser les femmes actives, les personnes trans et queer. Des femmes actives, issues des secteurs organisés et non organisés, ont afflué aux rassemblements.

Des rassemblements ont été organisés par des travailleuses de l'anganwadi (centres de santé ruraux), des travailleuses des cantines, des agents de santé infantile (ICDS), des employées de maison, des informaticiennes et des travailleuses précaires. La revendication de justice et de dignité s'est également propagée sur les lieux de travail. Elles ont exigé que les employeurs rendent des comptes pour garantir la sécurité dans l'entreprise des femmes, des personnes transgenres et queer, et qu'ils désignent précisément des personnes chargées de lutter contre les violences de genre.

Alors qu'une telle indignation avait été absente dans les cas précédents de violence sexiste – quand le viol a été utilisé par l'État comme une des armes pour réprimer les mouvements dans l'arrière-pays, quand la violence sexiste a été utilisée pour perpétuer les atrocités de caste ou pour intensifier l'occupation – les manifestations autour de l'agression de R.G.-Kar ont ouvert des possibilités de discussions autour des implications de tous ces silences.

L'état déplorable du système de santé

Le mouvement « Reprenons la nuit » a lancé un débat sur la justice de genre, dénonçant l'échec des mécanismes institutionnels à garantir la sécurité et la dignité des femmes sur leur lieu de travail et dans l'espace public. Cette lutte contre l'impunité a également renforcé la voix des professionnels de santé, qui ont exprimé leurs inquiétudes face à la corruption qui gangrène les hôpitaux publics.

Des témoignages provenant de différents hôpitaux publics ont commencé à affluer, révélant un système plus vaste, conçu pour rendre les soins plus inaccessibles aux personnes marginalisées. Ces récits ont mis à nu un système fragile, avec des travailleur·ses surmené·es et à bout de souffle, un système délibérément rendu dysfonctionnel par les lobbys qui poussent le système de santé vers la privatisation.

L'état déplorable du système de santé publique indien était déjà apparu pendant la pandémie. Celle-ci a suscité des discussions sur les politiques d'ajustement structurel imposées comme conditions à des prêts bancaires, à la demande de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, dans les années 1980. Cela a ouvert la voie à la privatisation, déchargeant ainsi l'État de son rôle de principal garant et pourvoyeur des services de santé.

Le viol et le meurtre d'une interne d'un hôpital public ont révélé l'indifférence de l'État envers les professionnel·les de santé publique. On attend d'elles et eux qu'ils redoublent d'efforts face à l'effondrement rapide du système. Ce meurtre a d'ailleurs suscité un mouvement plus large, mené par les jeunes médecins des 22 facultés de médecine du Bengale, pour exiger un système de santé publique meilleur et plus sûr.

Les médecins protestataires ont appelé à une grève illimitée et ont organisé un sit-in devant le ministère de la Santé. Alors que le gouvernement tentait d'éteindre l'incendie en promettant d'assurer la sécurité dans les hôpitaux publics par le déploiement de forces de sécurité dans les locaux hospitaliers, les manifestant·es ont rejeté cette idée et ont rétorqué que leur sécurité ne serait assurée que par la démocratisation de l'espace de travail et la mise en place d'infrastructures pour mettre fin à la corruption et contribuer à la reconstruction d'un système détérioré.

Les revendications du mouvement ont trouvé un écho particulier auprès des classes moyennes et ouvrières, premières bénéficiaires du système de santé publique. Elles ont subi de plein fouet les coûts de la privatisation du secteur de la santé.

Les partis politiques d'opposition ont tout fait pour détourner le mouvement à des fins électorales, mais ils ont été rejetés par la plus grande masse des protestataires, qui avaient désormais constaté que la quasi-totalité des partis politiques parlementaires œuvraient au maintien du statu quo. Face à l'immense indignation publique, le gouvernement a été contraint de muter le commissaire de police qui avait fermé les yeux et facilité la falsification de preuves dans l'affaire RG-Kar.

Les médecins protestataires ont suspendu leur grève, mais ont été contraint·es d'entamer une grève de la faim face au refus du gouvernement de céder sur leurs autres revendications. Cependant, après une réunion avec le chef du gouvernement de l'État, qui a promis d'examiner leurs revendications, la grève a été interrompue.

Un verdict… et la bataille continue

Le tribunal a condamné un auxiliaire bénévole de la police de Calcutta à la réclusion à perpétuité pour le viol et le meurtre brutal d'une médecin résidente de 31 ans au RG Kar Medical College and Hospital. Ce verdict a encore alimenté les protestations, car le procès semblait occulter la complicité de l'État dans la protection du meurtrier et exonérer les autorités hospitalières de leur responsabilité de préserver la dignité et la sécurité de leurs employé·es.

Alors que le Bengale se prépare à une nouvelle bataille pour contester les failles du verdict, l'État réclame la peine capitale pour l'auteur du crime. Pourtant, c'est le parti au pouvoir qui a d'abord protégé l'accusé et est connu pour sa complicité avec des organisations criminelles impliquées dans diverses affaires de corruption.

Il est toutefois intéressant de noter que la revendication de la peine capitale n'était pas issue du mouvement des jeunes médecins ni des mouvements de revendication de la nuit. La lutte pour la justice de genre en Inde a historiquement milité contre la peine capitale, la dénonçant comme un outil de répression étatique conférant à l'État le monopole de la violence. L'État cherche à se débarrasser d'un individu tout en démissionnant de sa responsabilité à initier un changement systémique.

Le verdict est tombé quelques jours seulement après le décès d'une femme enceinte adivasi (membre des peuples autochtones) dans un autre hôpital public d'une ville de district du Bengale.

Elle est décédée après avoir reçu une solution saline toxique, interdite dans d'autres États. Pourtant, sous la pression d'une entreprise pharmaceutique, les hôpitaux publics du Bengale, peu soucieux de la vie des femmes marginalisées, continuent de l'utiliser. Une fois de plus, sa mort a mis en lumière les failles du système de santé publique, où l'État et le capital se soucient peu de la vie des femmes et des personnes marginalisées.

Le rôle d'un mouvement féministe de masse

Il est significatif que le mouvement féministe en Inde contre le harcèlement sexuel au travail ait commencé avec le viol par plusieurs hommes d'une travailleuse communautaire qui dirigeait un programme de sensibilisation de l'État dans son village contre le mariage des enfants.

Ce mouvement, au début des années 1990, s'est battu pour que l'État soit tenu responsable en tant qu'employeur. Il a pu affirmer légalement que le sexisme et le harcèlement sexuel au travail créent un environnement de travail hostile. Il est du devoir de l'employeur de garantir la sécurité et la dignité de ses travailleur·ses.

Trente ans plus tard, nos espaces de travail restent conçus pour rendre vulnérables les femmes, les personnes trans et queer, dont le travail est censé être bon marché. De plus, le pourcentage de femmes actives dans le secteur formel diminue à mesure que la dérégulation du travail féminin s'accentue.

Dans le secteur informel, les employeurs ne sont tenus ni de garantir des conditions de travail sûres, ni de respecter les réglementations protégeant les droits des travailleur·ses. En réalité, on peut affirmer que la lutte pour la dignité au travail ne se limite pas à l'affirmation de l'identité des femmes en tant que travailleuses, mais concerne aussi la valorisation du travail lui-même.

À l'heure où les politiques néolibérales permettent à l'État de se désengager des services publics, où les codes du travail sont réécrits pour criminaliser la syndicalisation et allonger les horaires de travail afin de renflouer les caisses des patrons, où les fermetures d'usines et la privatisation des services publics favorisent le dérèglement du travail, où l'État fasciste normalise chaque jour la violence, la bataille pour le pain et les roses risque d'être longue. Cette bataille nécessiterait une organisation accrue des travailleurs dans les champs et les usines, dans les foyers et les hôpitaux, dans les écoles et dans la rue, pour revendiquer chaque centimètre carré d'espace sûr, chaque nuit et chaque jour.

Jhelum Roy
Jhe lum Roy est doctorante à l'université de Jadavpur et membre du groupe féministe Feminists in resistance, à Calcutta ; Publié par Against the Current n°235 (mars-avril 2025), traduit par Sylvie Parquet
https://againstthecurrent.org/atc235/india-mass-struggle-vs-rape-culture/

[1] Pritilata Waddedar (1911-1932), membre de l'Armée républicaine indienne, dirigea avec quinze autres personnes une attaque armée contre un club européen. Blessée par balle à la jambe, elle s'empoisonna au cyanure pour éviter d'être capturée par la police coloniale. Prévoyant la possibilité de sa mort, elle portait dans sa poche une lettre, « Inquilab Zindebad » (longue vie à la Révolution), qui a inspiré d'autres femmes depuis. Pritilata est la première femme martyre du Bengale et est considérée comme une icône révolutionnaire.

Publié dans Inprecor n°731 d'avril 2025

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Le président de l’UE devrait faire l’objet d’une enquête pour complicité dans les crimes de guerre d’Israël, selon un expert de l’ONU sur la Palestine

13 mai, par Arthur Neslen, Francesca Albenese — , , , ,
« Je ne suis pas quelqu'un qui dit : 'L'histoire les jugera' - ils devront être jugés avant cela », a déclaré Francesca Albanese dans une interview exclusive. Tiré de The (…)

« Je ne suis pas quelqu'un qui dit : 'L'histoire les jugera' - ils devront être jugés avant cela », a déclaré Francesca Albanese dans une interview exclusive.

Tiré de The Intercept
https://theintercept.com/2025/05/03/eu-israel-palestine-war-crimes-accountability/

Arthur Neslen
3 mai 2025 04:00

En tant que La Cour de justice franchit les prochaines étapes de l'enquête et de la poursuite des crimes de guerre dans la guerre d'Israël contre Gaza, le principal expert de la Palestine aux Nations Unies fait pression pour encore plus de responsabilité internationale.

Dans une interview exclusive de grande envergure accordée à The Intercept, la rapporteuse spéciale de l'ONU pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a appelé à ce que les hauts responsables de l'Union européenne – y compris la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen – soient accusés de complicité de crimes de guerre pour leur soutien à Israël lors de son assaut de 18 mois sur Gaza.

« Ils devront comprendre que l'immunité ne peut pas être synonyme d'impunité. »

« Le fait que les deux plus hautes personnalités de l'UE continuent de s'engager comme d'habitude avec Israël est plus que déplorable », a déclaré Albanese. « Je ne suis pas quelqu'un qui dit : « L'histoire les jugera » – ils devront être jugés avant cela. Et ils devront comprendre que l'immunité ne peut pas être synonyme d'impunité.

Israël a tué plus de 50 000 personnes et détruit la quasi-totalité des infrastructures civiles de Gaza depuis une attaque du Hamas en octobre 2023. La plupart des morts étaient des civils, dont des dizaines de milliers de femmes et d'enfants.

L'objectif initial d'Israël de restituer les otages pris par le Hamas s'est transformé en une vision soutenue par les États-Unis pour nettoyer ethniquement les Palestiniens de Gaza. À cette fin, l'armée israélienne a intensifié ses attaques meurtrières, ainsi qu'un embargo étanche sur la nourriture, l'eau, l'électricité et l'aide.

« Il est impossible de ne pas y voir une intention d'extermination », aécrit l'ancien chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, à la fin du mois dernier.

Une plainte contre Leyen, le président de la Commission européenne, a été déposée devant la Cour pénale internationale en mai dernier pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité à Gaza.

Depuis son entrée en fonction en décembre, la nouvelle chef des Affaires étrangères du bloc, Kaja Kallas, a accusé le Hamasd'être responsable de la décision d'Israël de mettre fin à son cessez-le-feu en mars, de maintenir des relations diplomatiques normales et de « manifester sa solidarité avec Israël ».

« La Convention sur le génocide de 1948 appelle les signataires non seulement à punir, mais aussi à prévenir le génocide », a déclaré Mouin Rabbani, analyste du Moyen-Orient et chercheur non résident au Center for Conflict and Humanitarian Studies. « Ici, nous avons les deux hauts responsables de l'UE qui non seulement refusent de prendre des mesures, même symboliques, pour prévenir le génocide, mais qui le normalisent et le soutiennent activement, en sachant pertinemment que leur soutien permet les crimes auxquels ils s'opposent nominalement. »

« Bien sûr, les points et les observations du Rapporteur spécial Albanese sont justes et tout à fait corrects. »

Un porte-parole de la Commission européenne, l'organe exécutif de l'UE, a insisté sur le fait que le bloc était toujours attaché au droit international, affirmant que les relations commerciales et diplomatiques des Européens avec Israël permettaient aux responsables d'exprimer leurs « positions et préoccupations ».

La porte-parole, Gioia Franchellucci, a déclaré : « L'accord d'association avec Israël est la base juridique de notre dialogue en cours avec les autorités israéliennes et il fournit des mécanismes pour discuter des questions et faire valoir nos points de vue. »

À la fin de l'année dernière, The Intercept a révéléqu'un rapport interne rédigé par un haut responsable des droits de l'homme de l'UE appelait les pays européens à suspendre toutes leurs relations politiques et le commerce d'armes avec Israël en raison de preuves de crimes de guerre.

Au-delà de demander des comptes aux dirigeants de l'UE, Albanese a déclaré qu'elle travaillait sur un rapport qui exposera les banques, les fonds de pension, les entreprises technologiques et les universités pour leur complicité dans la destruction de Gaza.

« Tous ceux qui sont impliqués dans l'occupation illégale, en lui apportant un soutien, aident et encouragent les violations du droit international et les violations des droits de l'homme, dont un certain nombre constituent des crimes », a-t-elle ajouté. « Il peut y avoir une responsabilité individuelle et une responsabilité individuelle pour ceux qui ont aidé et encouragé ou permis de tels crimes. »

La guerre d'Israël contre Gaza

Bien que l'International La Cour pénale a émis des mandats d'arrêt contre des dirigeants israéliens, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu, William Schabas, professeur de droit international à l'Université de Middlesex, un expert en génocide, qui a déclaré que poursuivre un haut responsable de l'UE romprait avec le précédent.

« Il est clair qu'il y a une affaire », a-t-il déclaré. « Tous les partisans d'Israël dans le monde ne sont pas des « complices », mais elle est à la tête d'une organisation intergouvernementale très importante et encourage Israël. Mais je pense qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que le procureur de la CPI s'en occupe parce qu'il n'a émis que quelques mandats d'arrêt identifiant des personnes du gouvernement israélien et n'a montré aucun intérêt à aller plus loin que cela.

« Von der Leyen reflète clairement une position prise par de nombreux gouvernements de l'UE, qui est un soutien très inconditionnel à Israël, et ils le font en allant à l'encontre d'informations publiques suggérant qu'Israël commet des crimes terribles à Gaza et en Cisjordanie. »

Les derniers appels à la responsabilité juridique interviennent alors que l'audience publique de la Cour internationale de justice se poursuit sur les obligations d'Israël de permettre à l'aide humanitaire – et aux agences d'aide – d'accéder aux territoires palestiniens occupés.

Le tribunal a précédemment statué que les actions d'Israël à Gaza pourraient vraisemblablement équivaloir à un génocideet a ordonné à Israël d'autoriser davantage d'aide.

La question a déclenché des bouleversements politiques mondiaux et, tout en la minimisant, Albanese a déclaré qu'elle et sa famille avaient fait l'objet de menaces de mort depuis la publication de son rapport « Anatomie d'un génocide » en mars 2024.

« Je viens d'un endroit qui m'a appris que la mafia tue par le silence. Ça tue quand les gens ne réagissent pas.

« Ma sécurité est devenue de moins en moins certaine depuis que j'ai présenté mon rapport surl'anatomie d'un génocide », a déclaré Albanese. « J'ai reçu des appels au milieu de la nuit qui me menaçaient, moi, des membres de ma famille, mes enfants. Bien sûr, je ne peux pas vous dire que je suis en sécurité à 100 %. Bien sûr, je prends des précautions. Bien sûr, là où je vis, j'ai une protection – on ne sait jamais ! – mais en même temps, je ne me laisserai pas paralyser à cause de ces techniques de style mafieux.

« Je viens d'un endroit qui m'a appris que la mafia tue par le silence », a-t-elle déclaré. « Ça tue quand les gens n'y réagissent pas. C'est pourquoi je suis si motivé dans ce que je fais. Je continuerai à parler jusqu'à ce que je n'aie plus d'air dans mes poumons.

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Dans l’Alabama, Trump laisse les plus pauvres dans leurs eaux usées

13 mai, par Edward Maille — , ,
Revenu à la Maison Blanche depuis 100 jours, Donald Trump s'en prend maintenant aux programmes de justice environnementale. Dans l'Alabama, il a annulé un accord pour lutter (…)

Revenu à la Maison Blanche depuis 100 jours, Donald Trump s'en prend maintenant aux programmes de justice environnementale. Dans l'Alabama, il a annulé un accord pour lutter contre l'absence de systèmes d'assainissement.

Tiré de Reporterre
2 mai 2025

Par Edward Maille

Fort Deposit, Calhoun (Alabama, États-Unis), reportage

Terri Wewell, représentante démocrate au Congrès, est sur scène et dénonce les politiques de Donald Trump. Épaulée par des experts, elle parle de l'importance des aides sociales et des assurances maladie. Mais, depuis les gradins de l'auditorium de Fort Deposit (Alabama), la plupart des questions concernent les problèmes de fosses septiques. Cette préoccupation des habitants du comté de Lowndes fait suite à l'annulation par le ministère de la Justice d'un accord de « justice environnementale » avec les autorités de santé de l'Alabama, qui risque de renforcer la catastrophe sanitaire en cours dans la région.

L'objectif était de remédier au manque de systèmes d'assainissement pour évacuer les eaux usées d'habitations dans le comté. Le gouvernement a justifié cette décision en s'appuyant sur les politiques de Donald Trump contre les mesures de « diversité, équité, et inclusion ». La rhétorique républicaine est que ces programmes sont une forme de discrimination et favoriseraient certaines populations.

« Jamais vu une telle situation dans un pays développé »

Devant la foule, l'élue Terri Sewell est formelle : « Cela n'a rien à voir avec une initiative de diversité, équité et inclusion. C'est une crise de santé publique à propos d'un droit humain fondamental. Personne, surtout dans ce grand pays, ne devrait avoir des eaux usées dans son jardin. » En 2022, 80 % des foyers du comté n'avaient pas de système d'évacuation des eaux usées convenable, selon le journal Montgomery Advertiser.

En 2017, Philip Alston, envoyé spécial des Nations unies en visite dans la région, a affirmé qu'il n'avait « jamais vu une telle situation dans un pays développé ». La même année, une étude tirait la sonnette d'alarme sur des parasites intestinaux très répandus chez les habitants, à cause de l'insalubrité.

La maison de Willie Perryman, à Calhoun (Alabama), dans l'un des comtés les plus pauvres des États-Unis. © Edward Maille / Reporterre

La région se trouve dans la « Black Belt », le nom donné au croissant géographique formé par des comtés du sud-est du pays avec une majorité d'habitants noirs. La situation dure depuis trente ans dans cette région rurale, où la distance entre les maisons rend impossible le raccord à un système d'égout.

Flaques d'eaux usées

Dans la commune de Calhoun, une dizaine de kilomètres au nord de Fort Deposit, Willie Perryman est assis à côté de sa femme devant leur maison. Leur petit-fils tente de faire voler un cerf-volant. Deux chiots gambadent et s'aventurent à l'arrière de la maison, où l'enfant, lui, n'a pas le droit d'aller. « Je ne veux pas qu'il marche dans les microbes », dit Willie Perryman, 70 ans, se déplaçant avec sa canne.

Willie Perryman, 70 ans, devant sa maison de Calhoun (Alabama). © Edward Maille / Reporterre

De l'autre côté du bâtiment en tôle, un tuyau de PVC sort du mur avant de s'enfoncer dans la forêt. La canalisation laisse sur son passage une flaque d'eaux usées. « Ce sont mes urines et mes microbes qui fuient, explique Willie Perryman. J'ai besoin que quelqu'un s'en occupe. Je suis en colère, car je n'arrive pas à avoir de l'aide. » Le propriétaire n'a pas les moyens d'installer un système d'assainissement, et il n'est pas le seul.

Faute de moyens pour installer un système d'assainissement, de nombreux habitants de l'Alabama évacuent leurs eaux usées par de simples tuyaux qui vont les déverser dans la nature, à l'écart de la maison. © Edward Maille / Reporterre

Les tuyaux en PVC ont régulièrement des fuites, inondant d'eaux usées le jardin des personnes qui les utilisent. © Edward Maille / Reporterre

Le sol, dont la fertilité a jadis concentré les plantations esclavagistes dans la région, est en partie responsable des difficultés pour installer un système d'assainissement. « Le sol de la Black Belt n'absorbe pas les liquides, ou très lentement. Avec un bon sol, l'eau s'enfonce d'un pouce [2,5 centimètres] toutes les 30 minutes. Ici, cela prend 240 minutes », explique Sherry Bradley, la directrice exécutive du Blackbelt Unincorporated Wastewater Program (BBUWP). Il faut donc installer des systèmes d'assainissement individuels sophistiqués, que l'association aide à mettre en place.

Mais les ressources manquent dans ce comté, l'un des plus pauvres du pays, où presque un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. « Quand vous avez de la pauvreté, avec ce type de sol, vous allez avoir des tuyaux de PVC, explique la directrice. Les gens n'ont pas les moyens pour des systèmes individuels. » Ces tuyaux sont une alternative à bas coût pour évacuer les eaux usées à quelques mètres de la maison, les déversant dans la nature, sans aucun traitement d'épuration. Ils peuvent aussi avoir des fuites, répandant leur contenu sur leur passage.

Les installations individuelles appropriées, elles, coûtent « entre 18 000 et 30 000 dollars », de sorte que, parfois, « l'installation du système coûte plus cher que la maison ».

Négligence de la part des autorités

L'accord de « justice environnementale » conclu sous la présidence de Joe Biden en 2023, reconnaissait une négligence de la part des autorités locales dans leur gestion de la situation sanitaire. Avant l'accord, le ministère de la Justice enquêtait sur les pratiques des autorités locales, les soupçonnant de discrimination envers la population en raison de l'absence de mesures suffisantes mises en place, dans un comté majoritairement noir.

Un tiers des habitants du comté de Lowndes vit sous le seuil de pauvreté. © Edward Maille / Reporterre

L'accord permettait aussi « que le ministère de la Justice s'assure de la bonne utilisation des fonds fédéraux pour l'installation des systèmes dans le comté de Lowndes », dit Deborah J. Stewart, consultante pour l'entreprise de conseil Avalon, qui travaille avec l'association Lowndes County Unincorporated Wastewater Program, également chargée d'installer des systèmes d'assainissement.

Une maison où l'association Blackbelt Unincorporated Wastewater Program aide à installer une fosse septique. © Edward Maille / Reporterre

La fin de l'accord n'annule pas pour autant pas tous les projets en cours. Il existe d'autres fonds publics et privés pour continuer ce travail d'installation de systèmes d'assainissement. Dans un communiqué, le département de la santé de l'Alabama a expliqué qu'il comptait « continuer à travailler [avec les partenaires qui reçoivent des fonds, pour les distribuer] à l'installation des systèmes septiques », comme prévu par l'accord « jusqu'à l'expiration des fonds déjà alloués ».

« Je devais choisir : Noël pour mes trois petits-enfants ou faire pomper les eaux usées »

« Nous continuons notre travail », assure Perman Hardy, la présidente de la BBUWP, qui préfère ne pas commenter la décision du gouvernement. La sexagénaire comprend la souffrance des habitants de la région, puisqu'elle en est aussi passée par là. Chez elle, il ne s'agissait pas de tuyaux PVC fuyant dans le jardin, mais d'une fosse septique défectueuse. Régulièrement, les eaux usées remontaient par ses toilettes. « Tous les deux ans, je devais choisir : Noël pour mes trois petits-enfants ou faire pomper les eaux usées. Je devais expliquer à mes petits-enfants de 2, 5 et 7 ans pourquoi ils n'allaient pas avoir de Noël cette année », raconte-t-elle.

Sherry Bradley et Perman Hardy devant les locaux de l'association Blackbelt Unincorporated Wastewater Program à Haynville (Alabama). © Edward Maille / Reporterre

Le dilemme a duré une vingtaine d'années, jusqu'à ce que Perman Hardy apprenne que son système avait besoin d'une pompe. « Les personnes qui ont installé le système ont profité de moi », dit-elle. Le problème est aujourd'hui réglé. La chasse d'eau peut être tirée, même « pendant un orage ». De quoi motiver l'engagement de la présidente de l'association : « J'espère qu'avec notre travail, les gens pourront ressentir la même chose que moi. »

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Allemagne : Le succès de la 6e conférence syndicale de la Fondation Rosa Luxemburg

La 6e conférence syndicale de la Fondation Rosa Luxemburg (RLS) s'est tenue du 2 au 4 mai 2025 à Berlin. Avec plus de 3000 participant.es, ce fut le plus grand rassemblement de (…)

La 6e conférence syndicale de la Fondation Rosa Luxemburg (RLS) s'est tenue du 2 au 4 mai 2025 à Berlin. Avec plus de 3000 participant.es, ce fut le plus grand rassemblement de syndicalistes de gauche depuis des décennies – un indicateur impressionnant de la volonté d'organiser un contre-pouvoir face à des vents contraires de plus en plus violents.

6 mai 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières

L'affluence était telle que les salles étaient pleines à craquer – un défaut dans l'organisation que la plupart des personnes présentes ont toutefois supporté avec patience et bonne humeur. Même si l'ambiance était chaleureuse, tout le monde était conscient que des temps plus difficiles sont à venir – et pas seulement à cause du nouveau gouvernement.

Plus que de simples retrouvailles

Cette conférence a été bien plus qu'une réunion de vétérans du syndicalisme. Elle a envoyé un message politique : la base vit, s'organise – et pose des questions qui vont au-delà du contenu des conventions collectives et des luttesnautour deéleur renouvellement. Son rayonnement a dépassé la clientèle classique de Die Linke et a attiré un grand nombre de personnes actives dans les syndicats – qu'elles soient proches du parti ou non, organisées ou non.

Les militants d'entreprise et les luttes des secteurs du mouvement syndical marqués par l'immigration étaient encore plus visibles que lors des conférences précédentes. La tribune n'a pas été monopolisée par des représentant.e.s de premier plan des directions des syndicats et des milieux officiels, mais surtout par des collègues impliqué.es dans des conflits d'entreprise – de Tesla, Charité Facility Management (CFM), du commerce de détail et autres.

Entre espoir et inquiétude

L'atmosphère était électrisante, presque euphorique – un mélange d'espoir, de sensation de renouveau et de combativité - et en même temps plus sérieuse et soucieuse que d'habitude, à la mesure de la situation actuelle. Régulièrement, des applaudissements éclataient, des slogans, des chants et même des larmes accompagnaient en particulier les discours combatifs. On sentait une aspiration au respect et à la dignité, à une époque où les humiliations et les abus dont sont victimes les travailleurs et les travailleuses sont devenus monnaie courante dans la société.

À la marge, il y a eu – comme toujours – des exagérations et des critiques. Certains groupes sectaires se sont fait remarquer de manière fâcheuse : Leur « critique » de Die Linke – par exemple l'affirmation selon laquelle « seul l'AfD est encore un parti pour la paix » - a suscité l'incompréhension de beaucoup. Une exagération qui n'est pas seulement bancale d'un point de vue analytique, mais dont l'effet peut être dangereux. Une chose est apparue clairement : La bataille antimilitariste a besoin d'une autre base – une base qui unit et non qui divise.

Et c'est exactement ce qu'a offert la conférence, y compris sur cette question : aucune hésitation à manifester sa solidarité avec la Palestine et le mouvement de solidarité en Allemagne. Au contraire – personne ne contestera qu'il s'agit aujourd'hui de l'expression la plus développée de la solidarité internationale dans le mouvement syndical.

Le rôle des appareils, dont l'aile gauche a fortement contribué à la tenue de cette conférence, mériterait quant à lui d'être examiné de manière plus critique. Car c'est justement cette partie de la bureaucratie syndicale qui perçoit tout mouvement de transformation des structures syndicales – non pas toujours avec une franche hostilité, mais avec tout de même avec un scepticisme foncier.

Orientation et objectifs

Le thème de la conférence était « aller vers plus de conflits, plus de démocratie, plus de politique » - et c'est précisément cette ligne qui a traversé de nombreuses discussions. L'un des thèmes centraux était le suivant : la formule actuelle de ces conférences est-elle suffisante pour promouvoir une politisation syndicale en profondeur ?

L'une des choses qui ressort clairement, c'est que la manière dont le syndicat est organisé fait toute la différence – et plus encore. Les méthodes d'organisation qui se limitent aux luttes tarifaires et pour le renouvellement des conventions collectives au sein des entreprises ne sont pas suffisantes. Il faut établir un lien stratégique entre le travail quotidien dans l'entreprise et la politisation de la société - sans faire de la politique par procuration, sans se contenter de créer des événements ponctuels. C'est dans ce contexte que la notion de « boulot de fond qui ne se voit pas » (“Kleinarbeit”) est devenue un mot-clé. Le moment où la propagande s'arrête et où commence l'organisation. Se tourner vers « le grand nombre » au lieu de se concentrer sur les milieux prétendument « progressistes ». Le fait de développer la culture du conflit de manière discrète mais continue. Sans faire de bruit, sans chercher la publicité - mais mettre le confdit au cœur de tout mouvement réel. Une réflexion particulière sur ce sujet mérite d'être poursuivie.

Quand la pratique rencontre la théorie : des espaces pour un apprentissage stratégique

L'atelier organisé avec Keith Brown de Labor Notes (USA) et animé par Violetta Bock a été un bel exemple d'éducation politique en lien avec des repères pratiques. Avec plus de 200 participant.e.s, il a compté parmi les événements les plus fréquentés de la conférence.

Le dosage était parfait : des exemples de la pratique de l'organizing aux Etats-Unis, des informations précises sur les luttes contre Trump et contre les entraves à la syndicalisation ("union busting ») - et en même temps des outils pour l'organizing sur son propre lieu de travail. Beaucoup sont ressortis de l'atelier avec le sentiment : je peux commencer dès demain.

Le fait que même le syndicat IGBCE (Chimie- énergie-mines) ait lui aussi découvert l'organizing pour redonner de la vigueur à ses équipes montre à quel point ces approches sont désormais au cœur du renouveau syndical.

Pas de paix avec le réarmement

Lors de la séance plénière de clôture, une prise de position claire contre le réarmement et l'industrie de guerre a été suivie d'un appel à se regrouper lors des prochains congrès syndicaux pour combattre la ligne d'adaptation de la direction. Il est encore trop tôt pour savoir combien de collègues s'engageront dans cette lutte. Mais l'appel est lancé.

Fanny Zeise, co-organisatrice de la conférence, a identifié trois piliers du renouveau syndical : « Plus de disponibilité pour les conflits, plus de démocratie et plus de politique – c'est ce qu'exige de nous le vent contraire du néolibéralisme qui ne cesse de progresser ».

Le futur gouvernement fédéral ne répond pas aux problèmes actuels, a déclaré Fanny dans son discours de samedi soir. Au contraire, il s'en prend à la journée de huit heures, obtenue de haute lutte il y a 100 ans. Il s'agit de construire une résistance avec la population et surtout dans les entreprises où les travailleurs sont prêts à faire grève.

Plus qu'un encouragement : un moment stratégique

La 6e conférence syndicale fut plus qu'un rendez-vous pour se donner du courage. Elle a été un point d'ancrage – peut-être même un tournant – pour un mouvement qui ne reste pas figé, mais qui veut repenser à la fois la conflictualité, la clarté politique et la façon de s'organiser pour rassembler. Ainsi, la Fondation Rosa Luxemburg n'a pas seulement mis à disposition un espace, mais elle a également consolidé - c'est le voeu que nous formons – une structure durable sur laquelle les syndicalistes de gauche pourront compter à l'avenir.

Michael Sankari

P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde

Source - Internationale Sozialistische organisation, 06.05.2025 :
https://intersoz.org/zur-erfolgreichen-6-gewerkschaftskonferenz-der-rls/

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Le travail, l’État et le changement social

Commençons, comme le dit Nicos Poulantzas, par la création et le fonctionnement de l'État moderne dans sa matérialité d'appareil. Appareil spécialisé, centralisé, de nature (…)

Commençons, comme le dit Nicos Poulantzas, par la création et le fonctionnement de l'État moderne dans sa matérialité d'appareil. Appareil spécialisé, centralisé, de nature proprement politique, consistant en un assemblage de fonctions anonymes, impersonnelles et formellement distinctes du pouvoir économique.

Par Ivonaldo Leite
Sociologue, Université Fédérale de Paraíba, Brésil

Spécificité donc de l'État moderne qui renvoie précisément à cette séparation relative du politique et l'économique, et à toute une réorganisation de leurs espaces et champs respectifs, impliquée par la dépossession totale du travailleur direct dans les rapports de production capitalistes.

Ces rapports sont le sol d'une réorganisation prodigieuse de la division sociale du travail dont ils sont cosubstantiels, réorganisation qui marque la plus-value relative et la reproduction élargie du capital au stade du machinisme et de la grande industrie. Cette division proprement capitaliste, sous toutes ses formes, représente la condition de possibilité de l'Etat moderne.

Alors, je ne prends ici qu'un seul cas de cette division, celui de la division entre travail manuel et travail intellectuel. Comme Marx l'a bien montré, cette division ne peut absolument pas être conçue sur le mode empirique-naturaliste, comme une scission entre ceux qui travaillent avec leurs mains et ceux qui travaillent avec leur tête. Elle renvoie directement aux relations politico-idéologiques telles qu'elles existent dans des rapports de production déterminés.

C'est-à-dire, il y a une spécificité de cette division dans le capitalisme, liée à la dépossession totale du travailleur direct de ses moyens de travail. Ce qui a comme effet : a) la séparation caractéristique des éléments intellectuels d'avec le travail accompli par le travailleur direct, travail qui, dans cette distinction d'avec le travail intellectuel (le savoir) revêt ainsi la forme capitaliste de travail manuel ; b) la séparation de la science du travail manuel alors que, au « service du capital », elle tend à devenir force productive direct ; c) les relations particulières entre la science-savoir et les rapports idéologiques, voire l'idéologie dominante, non pas au sens d'un savoir plus « idéologisé » qu'autrefois, ni simplement au sens d'une utilisation politico-ideologique du savoir par le pouvoir (ce fut toujours le cas), mais au sens d'une légitimation idéologique du pouvoir instittué dans la modalité de la technique scientifique, c'est-à-dire la légitimation d'un pouvoir comme découlant d'une pratique scientifique rationnelle ; d) les rapports organiques établis désormais entre le travail intellectuel ainsi coupé du travail manuel et les rapports de domination politiques, bref entre le savoir et le pouvoir capitalistes.

Ce que Marx avait démontré à propos du despotisme d'usine et du rôle de la science dans le procès de production capitaliste, en y analysant les relations désormais organiques entre savoir et pouvoir, entre le travail intellectuel (savoir-science investi dans l'idéologie) et les rapports politiques de domination, tels qu'ils existent et se reproduisent déjà dans le procès d'extorsion de la plus-value.

Mais la connaissance scientifique dispose aussi d'un niveau d'autonomie pour révéler les contradictions de l'État et exposer les intérêts du bloc de forces au pouvoir. Dans cette optique, nous comprenons, par exemple, pourquoi l'actuel président des États-Unis déteste les scientifiques et les universités. Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, les chercheurs américains subissent des pressions inédites. Des agences comme la NASA et la NOAA sont touchées par des licenciements, tandis que des financements sont supprimés et des bases de données censurées. Certains termes comme « climat » ou « diversité » disparaissent des documents officiels.

Cependant, dans les temps turbulents comme ceux que le monde traverse actuellement, il est important de se rappeler que l'union entre le travail intellectuel et le travail manuel a le potentiel de générer un profond changement social, guidé par une perspective de transformation de l'appareil d'État dans une voie démocratique et émancipatoire. Ceci doit être accompagné par le déploiement de nouvelles formes de démocratie direct à la base et l'essaimage de réseaux et foyers autogestionnaires.

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Ukraine : comment tisser des liens syndicaux en temps de guerre

Une défaite militaire renforcera les forces réactionnaires, une issue perçue comme une victoire pourrait favoriser une voie progressiste. Illustration : Katya Gritseva (…)

Une défaite militaire renforcera les forces réactionnaires, une issue perçue comme une victoire pourrait favoriser une voie progressiste.

Illustration : Katya Gritseva

Entretien avec Denys Gorbach, chercheur à l'université de Lund (Suède) et auteur d'une thèse sur la classe ouvrière ukrainienne.

Denys Gorbach, quel est le paysage syndical ukrainien ?

Il existe deux grands types d'organisations syndicales.

En premier lieu, on trouve une galaxie d'organisations syndicales souvent appelées « officielles » ou « traditionnelles », qui sont les héritières du syndicalisme soviétique. A l'époque, le syndicat était le bras gauche de la direction : il était chargé d'assurer la paix sociale en offrant des services et des cadeaux tout en faisant le travail de « gestion des ressources humaines ». Ce modèle de syndicats « prestataires de services » est celui de la Fédération des syndicats d'Ukraine (FPU), qui réunissait 4,8 millions de membres à la veille de la guerre, dont 1,5 millions dans l'enseignement et 0,7 million dans la santé publique. L'affiliation au syndicat « officiel », c'est-à-dire à la FPU, reste quasiment obligatoire dans le secteur public (la fonction publique, les administrations locales, l'enseignement, la santé, la culture, etc.) où la relation de dépendance vis-à-vis du gouvernement reste importante ; ainsi que dans la grande industrie (métallurgie, agro-industrie, secteurs extractifs, énergie) où il s'agit plutôt de construire un rapport de force face à un employeur privé. Dans ces secteurs, adhérer au syndicat fait « naturellement » partie de la procédure d'embauche. Une fois engagé, on est libre de quitter le syndicat, mais en réalité, les « services », tant méprisés par les syndicalistes les plus militants, sont très prisés par les ouvriers, qui passent souvent d'un syndicat à l'autre pour maximiser leurs avantages.

En second lieu, il existe des syndicats dits « indépendants », dont l'histoire prend racine dans l'immense grève de mineurs de 1989 qui a contribué à la chute de l'URSS. La plus grande structure, la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU), compte à peu près un million de membres, notamment des mineurs, mais aussi des cheminots, des enseignants, des médecins, des aides-soignants, des camionneurs, etc. En général, il s'agit d'une minorité militante, soit environ 10% des travailleurs, souvent les plus qualifiés, qui peuvent se permettre de mener une lutte permanente contre l'employeur. Ces syndicats « militants » s'opposent aux syndicats « prestataires des services », mais ils ne peuvent pas non plus consacrer la totalité de leurs budgets aux caisses de grèves, car même la minorité combative exige des services et des avantages (cadeaux de Noël, centres de vacances, etc.). Si les syndicats « traditionnels » peuvent compter sur les revenus de leurs sociétés immobilières (qui s'élevaient, par exemple, à la moitié des rentrées de la FPU avant la guerre) et sur des subsides patronaux au niveau des entreprises, les syndicats « indépendants » ne vivent que des cotisations de leurs membres.

Quels rôles jouent les syndicats en temps de guerre ?

Avant l'invasion russe en 2022, la crise sanitaire avait déjà fortement réduit les possibilités de militantisme : il était difficile de se mettre en grève lorsque l'entreprise souffrait des retombés économiques du Covid et que les risques de se faire licencier étaient plus élevés. Néanmoins, même dans ces conditions, le syndicat indépendant des mineurs a réussi à soutenir une importante grève sauvage qui a paralysé les mines de Kryvyi Rih en 2020.

Ensuite, la guerre est venue dégradée encore davantage la situation des entreprises industrielles (celles qui n'ont pas été matériellement détruites), notamment à cause du blocus maritime. A cela s'ajoutent la mobilisation militaire et les politiques antisociales du gouvernement, qui se sont intensifiées en 2022. La loi martiale ne laisse pas beaucoup d'espace pour combattre les politiques néolibérales. Les syndicats agissent surtout au niveau de la diffusion d'un contre-discours et de la construction de liens avec les mouvements ouvriers dans les pays occidentaux. En effet, c'est la pression venant de l'étranger qui est aujourd'hui la plus susceptible de faire bouger les lignes au niveau du gouvernement ukrainien.

En parallèle, la guerre a imposé de nombreuses nouvelles missions aux syndicats. Depuis février 2022, ils s'occupent de leurs membres partis au front. Une partie importante de leurs ressources est consacrée à la coordination de l'aide matérielle aux syndicalistes devenus soldats. Malheureusement, un grand nombre d'entre eux sont morts. Dans ces cas là aussi, c'est le syndicat qui s'occupe de leurs familles, pour leur apporter une aide matérielle mais aussi juridique. En effet, le service juridique syndical est la structure la plus proche, par exemple, pour aider les veuves à établir auprès des services publics que le soldat est bien mort au combat et non simplement disparu : sans cela, elles ne peuvent pas prétendre aux allocations de l'Etat.

‍Avez-vous des nouvelles des militants syndicaux qui vivent encore dans les territoires occupés par l'armée russe ?

Le mouvement syndical du Donbass s'est scindé en 2014, quand les séparatistes aidés par l'armée russe ont pris le contrôle d'un grand nombre de territoires là-bas. Certains militants ont quitté ces territoires ; d'autres ont décidé de continuer leurs activités sous le nouveau pouvoir. Mais si les syndicats « officiels » se sont reconvertis, sur le modèle antérieur de soumission directe aux autorités politiques, les syndicats « indépendants » ont tout simplement été bannis, comme toutes les autres organisations à vocation militante indépendante du pouvoir. Depuis 2015-2016, je n'ai reçu aucune information concernant des militants indépendants du Donbass : c'est une espèce éteinte. L'invasion de 2022 a été beaucoup plus brutale que la guerre du Donbass déclenchée en 2014. S'il existait une certaine tolérance envers certaines initiatives populaires en 2014-2015, celle-ci a complètement disparu avec cette nouvelle guerre : à présent, il n'y a plus que l'armée qui avance, en détruisant des villes entières sur son passage. Difficile d'imaginer un syndicat, quel qu'il soit, à Maryinka ou à Vovtchansk soit-disant « libérées », où il n'y a plus ni entreprises ni maisons. Marioupol était un bastion ouvrier : aujourd'hui, ce n'est plus qu'un ramassis de béton brisé.

‍La guerre pousse-t-elle les syndicats à s'engager dans des actions plus politiques, en faveur d'une transformation sociale plus importante ?

C'est devenu un refrain populaire en Ukraine : « nos gars reviendront du front et réinstaureront la justice sociale ». En réalité, c'est plus compliqué. Il est en effet possible que les syndicalistes reviennent de la guerre renforcés et soudés en tant que force politique. Mais il n'y a rien d'automatique dans tout cela. Beaucoup de choses dépendront de la façon dont la guerre finira : une défaite militaire renforcera les forces les plus réactionnaires et revanchardes dans le pays, tandis qu'une issue qui serait perçue comme une victoire par les masses pourrait favoriser une voie progressiste.

‍Que pouvons-nous faire en Belgique pour soutenir les travailleurs et syndicats ukrainiens ?

Les efforts déjà entrepris par la gauche occidentale, et notamment par certains syndicats (notamment français), sont extraordinaires et très utiles politiquement : je parle des convois solidaires, grâce auxquels les travailleurs ukrainiens reçoivent de l'aide humanitaire, mais rencontrent aussi des syndicalistes étrangers et apprennent le sens du mot « solidarité » en pratique. Ces contacts sont sans doute l'une des rares conséquences politiques positives de cette invasion, car auparavant, on ne voyait pas l'intérêt de tisser de tels liens, surtout du côté occidental. Aujourd'hui, nous avons la possibilité de rattraper les décennies d'isolement passées et de bâtir des ponts, plutôt que de reproduire le discours de l'extrême droite sur la protection des frontières. Dans l'immédiat, une campagne menée par les forces de gauche pour accueillir l'Ukraine dans l'espace européen et pour lui permettre de se reconstruire grâce à l'annulation des dettes et au transfert des avoirs russes gelés serait la bienvenue. Une telle campagne se démarquerait des récits de l'extrême-droite prorusse et des libéraux qui veulent saigner l'Ukraine indéfiniment.

‍https://www.lacsc.be/cne/actualites/2025/04/22/ukraine-comment-tisser-des-liens-syndicaux-en-temps-de-guerre

https://www.solidarity-ukraine-belgium.com/post/ukraine-comment-tisser-des-liens-syndicaux-en-temps-de-guerre

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Le silence des tentes : des enfants brisés dans l’ombre des camps

Ils n'ont ni toit, ni école. Ils n'ont pour avenir que la poussière et l'oubli. Par Smith PRINVIL Et désormais, ils n'ont même plus leur innocence. Dans les camps de (…)

Ils n'ont ni toit, ni école. Ils n'ont pour avenir que la poussière et l'oubli.

Par Smith PRINVIL

Et désormais, ils n'ont même plus leur innocence. Dans les camps de déplacés qui se multiplient à Port-au-Prince et dans les zones périphériques, des enfants – filles et garçons – sont victimes de viols, d'agressions sexuelles et de violences inouïes. Leur seul crime : être nés au mauvais endroit, au mauvais moment, dans un pays piégé entre l'indifférence internationale et la faillite de l'État.

Ces enfants ne dorment pas, ils survivent. Dans des abris précaires, entre tôles et bâches usées, ils sont la proie de prédateurs impunis, parfois membres mêmes de leur communauté. La nuit, les cris se taisent sous la peur. Le jour, la honte bâillonne les victimes. Le tissu social s'effondre, et avec lui, toute capacité de protection.

Où sont les institutions de l'État ? Où est l'IBESR ? Où est le Ministère à la Condition féminine ? Où est la voix de ceux qui prétendent gouverner ? Pendant que des enfants sont violés dans des camps, pendant que des fillettes de 10 ans tombent enceintes dans l'anonymat le plus total, les autorités multiplient les promesses creuses et les réunions diplomatiques stériles.
Il ne s'agit plus seulement de sécurité. Il s'agit d'humanité. Chaque enfant violé est un acte de guerre contre l'avenir de ce pays. Chaque silence est une complicité. Chaque camp qui s'improvise sans encadrement est un incubateur de tragédies. Et pourtant, l'indignation reste tiède.

Ce pays n'a pas besoin d'un autre sommet international. Il a besoin de justice. Il a besoin de structures d'accueil sécurisées, de cellules d'écoute, de poursuites judiciaires exemplaires. Il a besoin qu'on arrête de tolérer l'intolérable sous prétexte de crise humanitaire. Il a besoin de se lever.

L'heure n'est plus aux discours, mais à la résistance. Et cette résistance commence par un cri : “Pas en notre nom !” Pas au nom du peuple haïtien que l'on prétend protéger tout en abandonnant ses enfants. Pas au nom de la paix, si cette paix s'achète au prix du corps des plus vulnérables.

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Turquie. Les femmes dans la rue contre les politiques misogynes

TURQUIE / KURDISTAN – Les femmes ont protesté dans la ville kurde de Diyarbakir (Amed) contre l'ingérence politique dans leur choix de vie, y compris leur façon d'accoucher, et (…)

TURQUIE / KURDISTAN – Les femmes ont protesté dans la ville kurde de Diyarbakir (Amed) contre l'ingérence politique dans leur choix de vie, y compris leur façon d'accoucher, et contre la recrudescence des violences faites aux femmes.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Par une manifestation suivie d'un rassemblement, les organisations de femmes d'Amed (tr. Diyarbakır) ont protesté contre les mesures politiques misogynes et la violence croissante contre les femmes. Sous le slogan « Les femmes ne se taisent pas – nous ne nous tairons pas », elles ont exigé l'autodétermination sur leur corps, leur identité et leur vie.

La Plateforme des femmes de Dicle Amed (DAKAP) et le Réseau de lutte contre la violence ont appelé à la manifestation. La marche de protestation a débuté devant le bâtiment administratif de la ville et s'est poursuivie jusqu'à la place Şêx-Seîd, dans le centre-ville. De nombreux militants et représentants de partis politiques y ont participé.

Protestation contre le contrôle de l'État sur le corps féminin

Au cours de la marche, les manifestantes portaient des pancartes avec des slogans tels que « Les féminicides sont politiques », « Jin, Jiyan, Azadî » (« Femme, Vie, Liberté ») et « Pas la justice des hommes, mais la vraie justice ». La manifestation visait à critiquer l'ingérence de l'État dans les décisions concernant le corps féminin, notamment en ce qui concerne l'accouchement et le rôle propagé des femmes en tant que mères.

Critique de « L'Année de la famille »

Lors du rassemblement de clôture, Arzu Koç, secrétaire à la politique intérieure de la branche locale du syndicat de l'éducation Eğitim Sen, a lu un texte commun des organisateurs. Elle a critiqué l'« Année de la famille 2025 » du gouvernement, qui ne serait pas une simple mesure symbolique, mais plutôt un programme idéologique : « Ce concept ne vise pas à soutenir les familles, mais plutôt à restreindre l'autodétermination des femmes. Les femmes sont réduites au rôle de mères et d'obéissances. Les naissances sont instrumentalisées politiquement par des campagnes publiques, tandis que les droits fondamentaux, comme la liberté de choisir son propre corps, sont bafoués. »

Violences faites aux femmes : l'État détourne le regard

Le communiqué condamne notamment le fait que les joueurs de football dans les stades promeuvent « l'accouchement normal » avec des banderoles, faisant ainsi pression sur les femmes. « Il s'agit d'une définition délibérée des limites – concernant notre corps, nos choix de vie. » Un accouchement normal signifie un accouchement sans césarienne. Le ministère turc de la Santé mène depuis un certain temps une campagne contre les césariennes.

La déclaration des organisations de femmes a également souligné le nombre croissant de féminicides, de violences sexuelles et de harcèlement en Turquie. Au lieu de prendre des mesures préventives, les auteurs sont protégés et les sanctions sont trop clémentes : « L'État promeut une culture du silence et de la fermeture des yeux, tandis que les femmes subissent des violences dans tous les domaines de la vie : à la maison, au travail, dans la rue. »

Les organisateurs ont clairement indiqué qu'ils ne se laisseraient pas réduire au silence. Nous ne permettrons pas que la maternité soit glorifiée et utilisée simultanément comme un outil de contrôle. Les femmes ne sont pas faites pour donner naissance ; elles ont le droit de vivre, de se battre et de façonner la société.

« Jin, Jiyan, Azadi »

Koç a conclu sa déclaration par un engagement clair en faveur de l'autodétermination : « Nos corps, nos identités, nos vies nous appartiennent. Aucune année proclamée d'en haut ne nous représentera, surtout pas sans notre consentement. » L'action s'est terminée aux cris de « Jin, Jiyan, Azadî » et « Halte aux violences faites aux femmes ». (ANF)

https://kurdistan-au-feminin.fr/2025/05/10/turquie-les-femmes-dans-la-rue-contre-les-politiques-misogynes/

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Viol et consentement : changer le système plutôt qu’un mot dans la loi

Le 1er avril 2025 au soir, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi transpartisane qui définit le viol ou l'agression sexuelle par le « non-consentement » de la (…)

Le 1er avril 2025 au soir, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi transpartisane qui définit le viol ou l'agression sexuelle par le « non-consentement » de la victime. Il s'agit en réalité de la troisième proposition sur ce thème débattu à l'Assemblée, depuis la directive européenne sur les violences de 2023, qui avait soulevé déjà une polémique car Emmanuel Macron s'était justement opposé à l'introduction de cette notion.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Avec l'aimable autorisation de l'autrice

Mais après un an de travaux à l'Assemblée nationale, ce nouveau texte a été adopté par 161 voix pour et seulement 56 contre (dont le Rassemblement national, le groupe ciottiste UDR et quelques député·es socialistes), avec le soutien du gouvernement qui a donc changé d'avis. Ce texte sera ensuite examiné par le Sénat.

Jusqu'à présent, le viol était défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Le nouveau texte définit le viol comme « tout acte sexuel non consenti ». Et précise : « Le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime. » Et d'ajouter enfin : « il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise », ce qui reprend les termes clés du Code pénal.

Pour les deux rapporteures de ce texte (Marie-Charlotte Garin, députée écologiste et Véronique Riotton, députée macroniste), c'est une victoire, un « changement de paradigme », en passant « d'une culture du viol à la culture du consentement ». Pourtant, l'ajout de ce terme est à l'origine d'une controverse au sein du mouvement féministe, mais aussi parmi les juristes et dans le monde de la recherche.

Un moyen de compenser une jurisprudence insuffisante…

A l'origine de ce changement, on trouve le gouvernement et ses ministres, mais aussi le Planning familial, le Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles, la Fédération nationale solidarité femmes, ainsi que des juristes comme Catherine Le Magueresse, également chercheuse.

Le premier argument est le constat que le viol est un phénomène massif qui demeure très largement impuni. Selon une enquête de l'Institut national de la santé et la recherche médicale (Inserm) de 2024, près de 30% des femmes de 18 à 69 ans ont déclaré avoir subi une tentative ou un acte sexuel forcé au cours de leur vie.

En 2021, selon les données du ministère de l'Intérieur, près de 250 000 personnes ont été victimes de violences sexuelles, dont 168 000 viols et tentatives de viol. Huit victimes sur dix ne portent pas plainte. Enfin, près de 73% des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite, selon les chiffres du ministère de la Justice publiés en 2018.

Par ailleurs, les rapporteures estiment que la jurisprudence est insuffisante « pour combler le silence de la loi sur la notion de consentement » et pour couvrir un grand nombre de cas de sidération, situations d'emprise et de coercition, ou encore les stratégies développées par certains agresseurs d'exploitation de la vulnérabilité des victimes.

SelonCatherine Le Magueresse, jusqu'à aujourd'hui, l'absence de consentement est appréciée à l'aune du comportement du mis en cause, s'il y a eu effectivement des formes de violence, contrainte, menace ou surprise. Et selon elle, « la seule preuve d'un refus ou d'une absence de consentement ne suffit pas à caractériser l'infraction ».

Elle cite ainsi des cas où la victime a dit non, mais ne s'est pas débattue ; où elle était sidérée, paralysée et n'a rien dit… Dans de nombreuses situations analogues, le magistrat François Lavallière a déclaré devant la mission d'information parlementaire avoir dû « classer sans suite de procédures, d'ordonner des non-lieux, de relaxer, alors que je croyais les victimes ».

… ou une arme en faveur de l'agresseur ?

De nombreuses associations féministes, comme Osez le féminisme ! (OLF), le Collectif contre le viol, et certain·es juristes ont pris position contre cette décision.

Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, explique dans sa chronique sur France inter, le 29 mars 2025, que considérer le viol comme une « pénétration non consentie » – et non comme une « pénétration imposée » – déplace le centre de gravité du crime : « non consentie » suppose que la justice scrute la victime, analyse son comportement, et qu'il faudra prouver qu'elle n'était pas consentante et ensuite démontrer que violeur le savait !

Selon lesféministes Emmanuelle Piet et Ernestine Ronai, qui travaillent depuis quarante ans auprès de victimes de viols, cette formulation « place le projecteur sur la victime et son consentement – ou son absence de consentement – plutôt que sur l'acte commis par l'agresseur. (…) L'agresseur, lui, peut se contenter d'affirmer qu'il n'a pas compris, qu'il pensait que c'était « ambigu » ».

De plus, selon unetribune dans Le Mondeportée par OLF, « la meilleure stratégie d'impunité pour l'agresseur est de fabriquer un consentement profondément vicié, de faire croire à sa victime d'abord, à la justice ensuite qu'elle était consentante, ou au moins, qu'il avait cru qu'elle était consentante ».

En fait, le consentement est déjà présent dans les dossiers, mais comme une arme pour l'agresseur et non pour la défense de la victime. Introduire la notion de consentement dans la loi ne serait donc pas sans danger, selon l'avocate féministe Lorraine Questiaux dans Dalloz actualité : « Aujourd'hui, aux assises, les accusés ne cessent de clamer qu'ils se sont assurés d'un consentement. Qu'en sera-t-il demain si la loi intègre la notion ? »

Pour une loi-cadre intégrale

Autre argument, contrairement aux rapporteures de la loi, la jurisprudence de la Cour de cassation est suffisamment protectrice, y compris dans des cas de sidération.

Toujours selon Lorraine Questiaux : « Ce n'est pas la loi qui pose problème. C'est son application par les magistrats et les enquêteurs. Souvent, l'enquête s'arrête dès qu'il y a un consentement apparent. La culture du viol rend inefficace notre législation. »

Cette réforme législative paraît donc inutile, alors qu'en revanche une réforme judiciaire s'impose pour en finir avec un dysfonctionnement global de la justice et de la police qui conduit à ce qu'une seule plainte pour viol sur dix aboutisse à une condamnation.

Entre 2016 et 2023, avec la vague #MeToo, le nombre de plaintes enregistrées par la police et la gendarmerie a augmenté de 187% pour les viols, les affaires traitées pour viols par les parquets ont augmenté elles de 115%, mais à moyens et effectifs constants. N'oublions pas que dans l'affaire tentaculaire des viols de Mazan, la juge d'instruction avait 89 autres dossiers à instruire en même temps.

La lutte contre les violences sexistes et sexuelles suppose d'adopter une loi-cadre intégrale, autour de 140 mesures, défendue par l'ensemble des féministes et que j'ai déjà eu l'occasion de présenter dans une précédente chronique.

Il s'agit en effet de développer la prévention, la formation, la sensibilisation l'accompagnement des victimes et la création de juridictions spécialisées. Car c'est avant tout le traitement défectueux des plaintes et l'absence de réelle considération des victimes qui font défaut.

Rachel Silvera
Maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre
https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/viol-consentement-changer-systeme-plutot-quun-loi/00114844

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La situation des droits humains dans le monde (avril 2025)

13 mai, par Agnès Callamard — ,
L'humanité se trouve à un tournant de son histoire. Des forces d'une ampleur sans précédent veulent en finir avec l'idéal des droits humains pour tous et toutes, cherchant à (…)

L'humanité se trouve à un tournant de son histoire. Des forces d'une ampleur sans précédent veulent en finir avec l'idéal des droits humains pour tous et toutes, cherchant à détruire un système international forgé dans le sang et les souffrances de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. La croisade religieuse, raciste et patriarcale qu'elles mènent, qui vise à mettre en place un ordre économique porteur d'iniquités toujours plus grandes entre les pays et en leur sein même, met en péril les avancées durement acquises ces 80 dernières années en termes d'égalité, de justice et de dignité.

7 mai 2025 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/07/la-situation-des-droits-humains-dans-le-monde-avril-2025/

Les 100 premiers jours du « règne » du président des États-Unis, Donald Trump, en 2025 ont notamment été marqués par une vague d'attaques frontales contre l'obligation de rendre des comptes en matière de droits fondamentaux, contre le droit international et contre l'ONU.

Les offensives irresponsables et punitives contre les initiatives destinées à lutter contre la pauvreté dans le monde et à mettre un terme aux discriminations et aux violences de longue date fondées sur les origines raciales ou le genre des personnes n'ont cependant pas débuté cette année. Le franchissement d'une ligne rouge ne se fait pas du jour au lendemain.

La politique appliquée par Donald Trump depuis le début de son deuxième mandat ne fait qu'accélérer des tendances qu'Amnesty International et d'autres organisations de défense des droits humains avaient déjà dénoncées. Malheureusement, nos avertissements n'ont pas été pris en compte et nos appels ont été ignorés. Nous sommes face à une trajectoire qui atteint certes des sommets en 2025, mais qui se situe dans la continuité et est la conséquence de décisions systémiques, délibérées et sélectives prises ces 10 dernières années.

Ne nous trompons pas. Donald Trump n'est pas seul en cause. Les racines du mal sont beaucoup plus profondes. Et, à moins d'une résistance concertée et courageuse, ce tournant historique se transformera en une véritable mutation : il ne s'agira plus d'une époque de changement, mais d'un changement d'époque.

Un cauchemar qui a commencé au ralenti

L'humanité voit depuis une bonne décennie les lois, les politiques et les pratiques autoritaires proliférer, l'espace civique se resserrer et la liberté d'expression et d'association régresser. Les choix politiques ont accru les inégalités et la pauvreté et engraissé les milliardaires. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence la cupidité, le racisme et l'égoïsme des grandes puissances, prêtes à laisser mourir des millions d'êtres humains. Confrontés à la crise climatique, les États n'ont en grande partie pas tenu les promesses qu'ils avaient faites à Paris en 2015.

Et tandis que les voyants passaient au rouge les uns après les autres, l'année 2024 a été celle d'un génocide.

2024 : Le génocide en direct

Depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle le Hamas a commis des crimes terribles contre des citoyen·ne·s d'Israël et d'autres pays et pris en otage de plus de 250 personnes, le monde assiste sur ses écrans à un génocide en direct. Les États ont regardé, comme s'ils étaient impuissants, Israël tuer des milliers de Palestiniennes et de Palestiniens, massacrant des familles entières sur plusieurs générations et détruisant des habitations, des moyens de subsistance, des hôpitaux et des établissements scolaires.

L'année 2024 restera dans les mémoires comme celle d'une occupation militaire israélienne plus éhontée et meurtrière que jamais, du soutien apporté à Israël par les États-Unis, l'Allemagne et quelques autres pays européens, du veto opposé à plusieurs reprises par le gouvernement du président Joe Biden aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu, et de la poursuite des fournitures d'armes à Israël.

En 2024, Israël et ses puissants alliés, au premier rang desquels les États-Unis, ont prétendu que le droit international ne s'appliquait pas à eux, ou ont agi comme si tel était le cas, choisissant d'ignorer les injonctions de la Cour internationale de justice et les décisions de la Cour pénale internationale.

En 2024, le président russe, Vladimir Poutine, a poursuivi sa politique d'attaques systématiques des infrastructures civiles en Ukraine, faisant encore plus de victimes civiles qu'en 2023. La Russie a détruit ou occupé la majorité des centrales thermiques ukrainiennes, entraînant de fréquentes coupures de courant pour des milliers de personnes. Des dizaines de prisonnières et de prisonniers de guerre ukrainiens ont été jugés en toute illégalité, en Russie et dans les zones d'Ukraine occupées par celle-ci.

En 2024, la guerre et la famine ont fait des milliers de morts au Soudan, théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacements forcés, dans l'indifférence quasi totale de la communauté internationale. Celle-ci ne s'est d'ailleurs guère plus souciée de l'escalade de la violence qu'ont connue la République démocratique du Congo, le Burkina Faso, le Niger ou encore le Myanmar. Les opportunités de ventes d'armes offertes par ces différentes crises n'ont en revanche pas manqué de retenir l'attention, et les appels à appliquer des embargos sur les armes sont, eux, restés lettre morte.

L'année 2024 a montré à quel point les États étaient prêts à mettre leur propagande au service des conflits armés – une propagande amplifiée par les algorithmes des réseaux sociaux et la contribution de voix puissantes – sans se préoccuper de l'exactitude ou des conséquences délétères des informations diffusées.

Bref, l'année 2024 nous a tous et toutes déshumanisés.

Justice internationale et multilatéralisme

L'Afrique du Sud a pourtant montré que d'autres choix étaient possibles. La requête qu'elle a introduite contre Israël auprès de la Cour internationale de justice pour violation de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide constitue une initiative déterminante en faveur de la justice. De même, la décision de la CPI de décerner des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef militaire du Hamas Mohammed Al Masri pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité représente une avancée historique.

Cependant, des pays qui avaient fermement soutenu la CPI lorsque celle-ci avait ouvert une procédure contre Vladimir Poutine concernant l'enlèvement d'enfants ukrainiens ont réagi très différemment lorsqu'il s'est agi d'Israël. Un certain nombre de membres du Sénat des États-Unis ont menacé le procureur de la CPI en 2024, et celui-ci a fait l'objet de sanctions de la part de Donald Trump en 2025.

Il n'est plus temps de se lamenter sur le deux poids, deux mesures dont ont fait preuve les architectes du système fondé sur des règles mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Avant même la fin de l'année 2024, de nombreux pays cherchaient activement à affaiblir les institutions de ce système et en piétinaient les valeurs, ne laissant en place guère plus qu'une coquille vidée de ses aspirations initiales.

Donald Trump ne fait finalement qu'accélérer des tendances déjà bien établies.

Liberté d'expression et médias : un canari au fond de la mine

Amnesty International avait mis en garde dès 2020 contre la dérive autoritaire constatée dans de nombreux pays. Nous avions raison de nous inquiéter. De nouvelles lois et pratiques autoritaires ont été adoptées en 2024. La répression de la dissidence politique s'est accentuée, avec notamment une multiplication des arrestations de masse et des disparitions forcées. Des ONG et des partis politiques ont encore été dissous de force, suspendus ou pris arbitrairement pour cible sous prétexte d'« extrémisme ». Les autorités ont réagi de façon disproportionnée aux actes de désobéissance civile, et des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s pour le climat, des étudiant·e·s et des personnes exprimant leur solidarité avec le peuple palestinien ont fait l'objet de poursuites judiciaires, souvent après avoir été qualifiés de « terroristes ». Les féministes, et plus largement les personnes militant pour les droits des femmes et des personnes LGBTI, étaient toujours confrontés à un important retour en arrière.

Vingt-et-un pays au moins ont adopté ou proposé des lois destinées à réprimer la liberté d'expression ou à interdire certains organes de presse. Le nombre de journalistes tués en 2024 a atteint de nouveaux sommets : selon le Comité pour la protection des journalistes, une ONG, au moins 124 journalistes et autres employé·e·s des médias ont trouvé la mort durant l'année. Près des deux tiers étaient des Palestiniens et des Palestiniennes tués par Israël.

Fièvre du forage et incendies de forêts

Aucune région n'a été épargnée par la crise climatique en 2024. En Asie du Sud, une vague de chaleur intense a été suivie d'inondations dévastatrices, qui ont touché des millions de personnes et entraîné des milliers de déplacements forcés. En Amérique du Sud, des incendies d'une ampleur sans précédent ont détruit de vastes zones de la forêt

amazonienne et mis en péril des écosystèmes à l'échelle de pays entiers. En Somalie, l'alternance des périodes de sécheresse et d'inondation a anéanti des villages et l'économie locale dans plusieurs secteurs, forçant des familles, voire des populations entières, à partir de chez elles.

2024 a été la première année civile au cours de laquelle la température moyenne mondiale a dépassé de plus de 1,5°C la moyenne enregistrée sur la période 1850-1900.

L'action climatique doit être à la hauteur de cette inquiétante augmentation. Or, non seulement les États se sont avérés incapables de sortir progressivement des énergies fossiles, mais ils n'ont pas non plus réussi, lors de la COP29, à parvenir à autre chose qu'un accord de financement au rabais qui risque de plonger les pays à revenus modestes dans un cycle infernal d'endettement.

Le mot d'ordre de Donald Trump (« fore, bébé, fore ») a simplement fait écho à ce qui était déjà en cours, et sa décision en 2025 de retirer les États-Unis de l'Accord de Paris sur le climat a été saluée par d'autres pays dépendant des énergies fossiles.

Ainsi, un peu partout dans le monde, des communautés entières vont continuer de brûler, de sombrer et de mourir.

Un cocktail toxique pour des millions d'êtres humains

En 2024, dans son rapport intitulé Poverty, Prosperity and Planet : Pathways out of the Polycrisis, la Banque mondiale s'est inquiétée de ce que la baisse de la pauvreté dans le monde avait ralenti et presque stagné au cours des cinq années précédentes, ce qui faisait craindre que la période 2020-2030 soit finalement une « décennie perdue » à cet égard.

Le cocktail empoisonné mélangeant fabrique de la pauvreté, conflit, répression politique et crise climatique a entraîné le déplacement de quelque 110 millions de personnes en 2024. Or, plutôt que de s'attaquer aux causes profondes de ces phénomènes, de nombreux gouvernements et mouvements politiques ont préféré tenir des discours xénophobes et racistes et inciter à la haine. Ignorant ou contournant les injonctions judiciaires, ils ont eu recours à des mesures extrêmes et brutales pour repousser les personnes se présentant à leurs frontières sans papiers en règle.

Égalité des genres ? Les droits des femmes et des personnes lgbti battus en brèche

En Afghanistan, 50% de la population (à savoir toutes les personnes de sexe féminin) était condamnée à ce que beaucoup qualifient de « mort lente ». Le régime des talibans a fait de l'existence même des femmes et des filles dans la sphère publique une infraction pénale, en niant leurs droits au travail et à l'éducation et en adoptant des lois « sur le vice et la vertu ». Des dizaines de manifestantes ont été victimes de disparitions forcées ou d'arrestations arbitraires.

En Iran, de nouvelles lois sur le port du voile obligatoire prévoyant de très fortes amendes et de lourdes peines d'emprisonnement, voire de flagellation, sont venues accroître la répression exercée sur les femmes et les filles, tandis que les fonctionnaires et les membres de milices autoproclamées qui s'en prenaient violemment à celles qui osaient braver la loi continuaient d'agir en toute impunité.

Les atteintes aux droits des personnes LGBTI se sont multipliées un peu partout et, de l'Argentine à la Russie, des gouvernements ont adopté des lois ou des politiques restreignant l'accès aux services de santé sexuelle et reproductive. Aux États-Unis, Meta et TikTok ont fait disparaître de leurs contenus en ligne certaines informations sur l'avortement. Par ailleurs, une hausse des violences fondées sur le genre, notamment des féminicides, ainsi que des violences sexuelles dans le cadre de conflits armés, a été signalée à de nombreux endroits de la planète.

La fin d'une époque ?

Les grandes puissances font bien peu de cas de notre histoire. Elles prétendent que les leçons des années 1930 et 1940, qui ont donné naissance à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, aux Conventions de Genève, à la Déclaration universelle des droits de l'homme ou encore à la Charte des Nations unies, peuvent être désormais écartées, oubliées, effacées. Avec l'élection de Donald Trump et la mainmise de grandes entreprises sur une grande partie de son gouvernement, nous nous retrouvons projetés à grande vitesse dans une ère brutale où la puissance militaire et le pouvoir économique font irruption dans le domaine des droits humains et de la diplomatie, où les politiques publiques sont façonnées par des hiérarchies de genre et raciales ainsi que par la logique du jeu à somme nulle, et où les relations internationales sont dictées par un nationalisme nihiliste.

Comment réagir ?

En 2024, les 193 États membres de l'Assemblée générale des Nations unies se sont mis d'accord pour lancer des négociations en vue d'élaborer le premier traité de l'histoire sanctionnant les crimes contre l'humanité. Cette même Assemblée a aussi décidé de mettre en place une convention-cadre sur la coopération fiscale internationale, ouvrant la voie à une coopération internationale permettant de lutter contre l'évasion fiscale et susceptible de dégager des fonds indispensables à la réalisation des droits fondamentaux. En 2024 également, la Gambie a rejeté une proposition de loi qui visait à abroger la Loi de 2015 portant modification de la Loi sur les femmes, au titre de laquelle les mutilations génitales féminines étaient interdites. La Pologne a adopté une définition du viol fondée sur le principe du consentement, devenant le 19e pays européen à le faire. Le Parlement bulgare a pour sa part rejeté une proposition de loi qui prévoyait la mise en place d'un registre des « agents de l'étranger », sur le modèle russe. Toujours en 2024, la justice belge a reconnu la responsabilité de la Belgique dans les crimes contre l'humanité commis pendant la colonisation. Et au début de l'année 2025, les autorités philippines ont remis à la CPI l'ancien président Rodrigo Duterte, inculpé de crimes contre l'humanité pour sa sanglante « guerre contre la drogue ».

Le Sommet de l'avenir organisé en septembre 2024 par l'ONU a certes donné des résultats limités, mais les États participants se sont néanmoins mis d'accord sur la nécessité de créer un système international plus équitable, en permettant une meilleure représentation au sein du Conseil de sécurité (en particulier des pays d'Afrique), en transformant l'architecture financière internationale, en remédiant à la crise de la dette et en augmentant le financement du développement.

Il est important de noter que cette année d'élections (64 scrutins au total se sont tenus dans le monde en 2024) ne s'est pas traduite par la victoire des adversaires des droits humains. Un peu partout, les citoyens et citoyennes ont été nombreux à choisir une autre voie, montrant que la montée des pratiques autoritaires n'était pas inévitable et qu'il était possible de s'y opposer.

Notre avenir n'est pas scellé, mais l'humanité se trouve à un moment charnière de son histoire. Cent jours après l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, certains États ont décidé de tenir tête, mais ils restent minoritaires. Beaucoup font mine de trouver le nouvel empereur fréquentable, voire veulent marcher dans ses pas. Pourtant, la réalité leur donne tort. Les voix dissidentes que l'on fait taire, les libertés académiques battues en brèche, l'escalade des budgets militaires, le pillage des allocations d'aide sociale, les représailles commerciales : tels sont les tristes oripeaux d'un monde empêtré dans une crise profonde.

Oui, nous devons répondre aux carences du système international pour que les droits humains soient respectés. Nous sommes cependant aujourd'hui confrontés à des forces qui se sentent toutes puissantes et qui aspirent à imposer un modèle totalement différent : non pas un système mieux à même d'assurer l'égalité et la justice et de servir l'état de droit, mais un système sans protection des droits fondamentaux, destiné à favoriser la recherche du profit plutôt que l'équité.

Organiser la résistance contre ces forces n'est pas seulement indispensable : c'est aussi la seule voie légitime dont nous disposons.

Comme à chaque fois que les États faillissent à leur devoir de faire respecter les droits humains, dirigeant·e·s associatifs et défenseur·e·s

des droits humains se mobilisent. Ces femmes et ces hommes résistent face à des régimes irresponsables fondés sur le pouvoir et le profit, qui mettent en danger notre dignité commune. Ces personnes prouvent une fois de plus que la société civile est en première ligne de la défense des droits humains et des libertés fondamentales.

Nous devons résister. Et nous résisterons.

Agnès Callamard
Secrétaire générale
avril 2025
https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2025/04/global-human-rights-crisis-trump-effect-accelerates-destructive-trends/

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Ni pacifisme ni union sacrée

13 mai, par Fabienne Dolet, Manon Boltansky — , ,
Le 8 mai, chaque année ou presque, est l'occasion pour les commentateurs de parler des décennies de paix qui ont suivi la capitulation et la fin des hostilités en Europe en (…)

Le 8 mai, chaque année ou presque, est l'occasion pour les commentateurs de parler des décennies de paix qui ont suivi la capitulation et la fin des hostilités en Europe en 1945.

8 mai 2025 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 753

Il serait surprenant que cette année encore il soit question de 80 ans de paix en Europe. Depuis l'invasion à large échelle de l'Ukraine par la Russie en février 2022, le récit d'une paix durable sur notre sol semble moins souvent servir.

80 ans de paix, vraiment ?

Un récit qui omet régulièrement de parler des guerres ailleurs qu'en Europe mais dans lesquelles l'État français a un rôle : Algérie (voir page 8), Vietnam, Kanaky dans les années 1980 et en 2024, au Rwanda en 1994… Un récit qui omet les conflits en Bosnie, Croatie et Serbie dans les années 1990.

La paix, c'est certes bon pour les affaires, et sans doute qu'après l'immense catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, les bourgeoisies européennes ont trouvé plus sage de s'entendre et de faire des affaires avec les États-Unis.

Pourtant, la paix n'est pas une option quand la limite aux profits n'existe plus, quand la limite à la course aux débouchés pour ses marchés nationaux n'existe plus, quand la limite à l'accaparement des ressources n'existe plus. Donald Trump incarne cet appétit sans limite pour le gain, le marché et les ressources, dans toutes ses prises de position : sur le Groenland (voir page 4, l'article en ligne) ; vis-à-vis de la Chine à propos des taxes douanières ; et dans ses pourparlers avec Zelensky et Poutine.

Cette escalade infernale du système capitaliste, qui conduit à l'intérieur de chaque pays les pauvres à devenir plus pauvres, et les riches toujours plus riches — au point que le Monde lui-même est obligé de titrer un papier du 6 mai « Inégalités : comment la France est redevenue une société d'héritiers ». Elle conduit aussi à l'échelle du monde le Nord global à exploiter le Sud global et sème les graines des conflits armés.

Un réarmement en marche

« Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l'orage », disait Jean Jaurès. Alors, quoi de plus naturel pour les anticapitalistes de faire la guerre à la guerre ! D'autant que les budgets militaires augmentent, en particulier en France. De 2017 à 2024, la part consacrée aux dépenses de la défense française est passée de 32,3 milliards d'euros à environ 47 milliards d'euros. L'augmentation est de seulement 6,1 % entre 2023 et 2024. En France, la part des dépenses militaires dans le PIB n'avait fait que décroître depuis 1956 (plus de 6 % du PIB). Sur un palier depuis 25 ans, les dépenses n'excédaient pas les 2 %1. Elles opèrent une remontée. De quoi laisser entendre que le ­réarmement est en marche.

Pas un sou pour la guerre

« Pas un sou pour la guerre », tel est le slogan qu'on a entendu le 1er Mai dans certains cortèges. À l'évidence, personne dans le mouvement ouvrier ne se réjouit de l'essor des dépenses militaires. Nous dénonçons la menace que représente les armes nucléaires.

Mais de quelle guerre parle-t-on ? Des guerres entre puissances impérialistes aux conséquences en cascade en raison des alliances et des alignements ? Des guerres régionales pour des ressources comme autour du Congo, du Rwanda, ou entre le Mozambique et le Zimbabwe ? Ou encore des guerres coloniales comme en Palestine ou en Ukraine ?

Comment les anticapitalistes peuvent-ils lutter contre la guerre sans sombrer dans un pacifisme que la lutte des classes et la nécessaire solidarité ­internationale nous interdit ?

Oui à la résistance armée

Nous luttons aux côtés des peuples de Kanaky, de Mayotte et de Guadeloupe contre notre propre impérialisme et tous les impérialismes. Nous défendons le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à résister, avec ou sans armes. Nous défendons les peuples opprimés qui luttent pour leurs droits sans renoncer à la lutte internationale des travailleurs contre les profits. Cela veut dire la nécessaire solidarité financière avec celles et ceux qui combattent pour leurs droits, organisée par le mouvement ouvrier, sans passer par les États.

Pour toutes ces raisons, nous appelons à se mobiliser contre l'impérialisme et les guerres qu'il engendre, et pour les droits des peuples oppriméEs, pour leur droit à vivre sur leurs terres.

La mobilisation contre le salon du Bourget du 16 au 22 juin sera l'occasion de rassembler toutes celles et ceux qui veulent dire Non à la guerre, mais aussi non au colonialisme. Pour notre part, nous le dirons avec force tout en reconnaissant aux peuples opprimés le droit à la résistance armée.

Il n'est pas question de se ranger derrière un impérialisme, ni d'union sacrée, pas plus qu'il n'est question de pacifisme abstrait. Il faut nous positionner clairement dans la guerre de classe internationale.

Fabienne Dolet et Manon Boltansky

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L’étroit moscoutaire

13 mai, par Patrick Silberstein — , , ,
Le maître du Kremlin s'apprête à recevoir des mains du maître de la Maison-Blanche la reconnaissance de jure de sa mainmise sur la Crimée. Il va également se voir reconnaître (…)

Le maître du Kremlin s'apprête à recevoir des mains du maître de la Maison-Blanche la reconnaissance de jure de sa mainmise sur la Crimée. Il va également se voir reconnaître le contrôle militaire sur de larges portions du territoire de l'Ukraine.

6 mai 2025 | tiré sur site Entre les lignes entre les mots

Quel soulagement pour les apôtres d'une paix négociée sur le dos du peuple ukrainien. Nous avons déjà beaucoup glosé dans les colonnes de cette revue sur les bonimenteurs et les boni-menteurs de la paix : les pacifistes sincères, les pacifistes moins sincères, les thuriféraires de Moscou d'hier et d'aujourd'hui, les sourds qui ne veulent pas écouter ce que veulent les Ukainien·es, les russophiles stipendiés ou intoxiqués, les adeptes de l'anti-impérialisme des imbéciles ou encore les munichois.

Ils ont tous de bonnes raisons pour exiger la paix – qui pourrait d'ailleurs exiger autre chose que la paix ? Les uns veulent le beurre plutôt que les canons, les autres une conférence des frontières et l'exigence de la neutralité de l'Ukraine, d'autres encore, se font les « interprètes » des russophones d'Ukraine pour demander un référendum dans des territoires occupés par une armée étrangère, d'autres encore pensent que l'abandon de quelques arpents de terre par l'Ukraine est peu cher payé pour leur propre tranquillité. Ils seront sans doute – paradoxe apparent – d'accord avec Trump quand il affirme que la guerre contre l'Ukraine, « ce n'est pas sa guerre ».

Il en est certains, à gauche, en France, qui ne pourront que se réjouir d'avoir eu, lors de l'occupation de la péninsule criméenne par la Russie, en 2014, ce cri du cœur de voir celle-ci échapper à l'OTAN.

Comme le rappelle un Tatar de Crimée cité par Justine Brabant dans les colonnes de Mediapart, « reconnaître l'occupation comme légitime [créerait] un précédent où la force l'emporte sur le droit ». C'est, ajoute-t-il, « valider tacitement l'idée que l'on peut venir et prendre ce qui n'est pas à soi. Un monde où la porte est ouverte à ceux qui redessinent les frontières par la force, et où les frontières deviennent des accords temporaires ». Comme l'écrivent Kateryna Denisova et Yuliia Taradiuk, dans l'article que publie Mediapart en collaboration avec The Kyiv Independent, « reconnaître l'occupation russe comme légitime est un tournant ».

Le dossier que nous publions ici vient rappeler que si depuis que la Crimée a « échappé au contrôle de l'OTAN » en 2014, Moscou a depuis lors activement remodelé la composition ethnique de la péninsule en y amenant près de un million de Russes et en forçant Ukrainiens et Tatars de Crimée – le peuple autochtone – à partir et en persécutant ceux qui restaient.

Serait-ce la paix des agresseurs et des tyrans qu'une certaine gauche s'apprête à soutenir ? Serait-ce la paix de ceux qui se partagent le monde qu'elle s'apprête à soutenir ? Serait-ce la paix des impérialismes complices et rivaux qu'elle s'apprête à soutenir ?

La paix, certes, nous la voulons. Mais une paix sans territoires occupés, une paix sans écrasement des libertés démocratiques, une paix sans négation du droit à l'autodétermination des nations, une paix sans pillage des ressources. La paix, certes, mais une paix qui protège l'Ukraine démocratique (malgré ses défauts), une paix qui n'abandonne pas le peuple russe et les peuples de la Fédération de Russie au talon de fer de Poutine et de ses oligarques.

La solidarité internationaliste est à ce prix.

Patrick Silberstein

Publié dans Soutien à l'Ukraine résistante (Volume 38)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/03/1er-mai-2025-solidarite-internationaliste-avec-les-travailleureuses-dukraine-pour-une-paix-juste-et-durable/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-38.pdf

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Accord Trump-Poutine : Point de départ pour la refonte du nouvel ordre international réactionnaire

13 mai, par Joxe Iriarte Bikila — , , ,
L'Ukraine, pays envahi, est parvenue à défendre son indépendance au cours de cette terrible guerre de trois ans, au prix de grands sacrifices, face à la puissante armée de (…)

L'Ukraine, pays envahi, est parvenue à défendre son indépendance au cours de cette terrible guerre de trois ans, au prix de grands sacrifices, face à la puissante armée de l'agresseur impérialiste. Cela n'aurait bien sûr pas été possible sans l'approvisionnement en armes fourni par l'Occident, mais le facteur principal reste le courage et la grande détermination du peuple ukrainien. C'est ainsi que l'intellectuel de gauche russe Ly Budaitskis évoque le sacrifice de l'Ukraine.

| 10 mai 2025 |tiré de viento sur | Version originale en basque
https://vientosur.info/el-punto-de-partida-para-la-remodelacion-del-nuevo-orden-internacional-reaccionario/

L'économiste Michael Roberts affirme : « L'invasion russe de l'Ukraine a eu des conséquences terribles pour le peuple ukrainien. 46 000 civils et peut-être 500 000 soldats sont morts. Des millions ont fui à l'étranger et des millions d'autres ont été contraints d'abandonner leur foyer. Kiev a perdu 50 000 travailleurs et travailleuses. Le PIB de l'Ukraine a chuté de 25 %, et 7,1 millions d'Ukrainien·nes vivent aujourd'hui dans la pauvreté. »

Lorsque la Russie a lancé son invasion générale en février 2022, les États-Unis ont d'abord conseillé à Zelensky de fuir le pays, pensant qu'il n'était pas possible d'arrêter l'armée russe. Pourtant, le peuple ukrainien a réussi à repousser les troupes russes, à la surprise des États-Unis comme de Poutine. C'est alors que les États-Unis et l'OTAN ont commencé à fournir une aide militaire et économique à l'Ukraine. Toutefois, ce soutien a été limité : suffisant pour permettre à l'Ukraine de résister, mais pas pour vaincre la Russie. Tel n'a jamais été l'objectif.

Nous devons garder tout cela à l'esprit pour évaluer correctement le tournant qui s'est produit depuis que Trump a pris la présidence des États-Unis. En échange de l'aide fournie (qui a représenté un gigantesque marché pour l'industrie de l'armement), les États-Unis veulent désormais imposer à l'Ukraine l'exploitation de minerais rares sur son territoire, et, en guise de coup de poignard dans le dos, l'obliger à accepter les territoires volés par Poutine si elle veut obtenir la paix. Autrement dit, l'alliance de deux impérialismes cherche à coloniser l'Ukraine, chacun selon ses propres intérêts.
Ce n'est pas la première fois qu'une grande puissance impérialiste change de cap et s'allie à un ancien ennemi. Rappelons le rapprochement soudain de Richard Nixon avec la Chine au début des années 1970, ce qui prolongea de plusieurs années la guerre du Vietnam (Mao réduisit son aide au Vietnam du Nord).

Mais il existe un précédent encore plus frappant : le pacte Hitler-Staline de 1939. L'alliance entre l'Allemagne fasciste et la Russie stalinienne a ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale.
Comme à cette époque, aujourd'hui le destin de l'Ukraine concerne le monde entier, car il pose la question des droits et de la souveraineté des petits États. Si l'accord entre Trump et Poutine sur la division du territoire et des ressources naturelles de l'Ukraine va de l'avant, il constituera un précédent comparable à l'Accord de Munich de 1938 et montrera que les petits États ne sont que des pions dans le jeu des grandes puissances. Cela devrait nous inquiéter.

Si ce soi-disant plan de paix se concrétise, une partie de l'Ukraine serait annexée par Poutine et une autre deviendrait une colonie économique de l'impérialisme américain. En plus d'entériner l'annexion, la Russie reconstruirait son appareil militaire — actuellement réduit (ses forces étant presque épuisées en raison des lourdes pertes subies, notamment en soldats et en armement lourd, comme les chars et l'artillerie) — pour se préparer à de futures attaques contre ses voisins. L'idée que la Russie chercherait à envahir toute l'Europe est simpliste et fausse : elle n'en a ni la force ni l'intérêt. Mais il est indéniable qu'elle nourrit des ambitions impérialistes à l'égard de ses voisins, en particulier la Finlande et les pays baltes. La Moldavie et la Géorgie sont également dans sa ligne de mire. La peur de la Russie dans ces pays peut nous sembler exagérée, mais elle est fondée. L'histoire en témoigne.

Nous ne pouvons faire nôtre le discours des oligarques et des militaristes qui disent : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ! » À cette idée, nous opposons : « Non à la guerre qui nous tue ! Non à la paix qui nous opprime ! », contre la fausse Pax Romana.

Les choses sont claires sur ce point. L'Union européenne veut nous impliquer dans une course à l'armement et promouvoir un climat de guerre sous prétexte d'aider l'Ukraine. Elle prévoit de dépenser 800 milliards d'euros dans l'armement et les armées. Sur ce total, 650 milliards devront être versés par les États membres, et les 150 milliards restants seront une dette mutualisée garantie par le budget de l'Union.

Nous devons exprimer notre rejet total de ces projets et, en même temps, condamner la présence de l'OTAN sur nos territoires et œuvrer à sa dissolution. Contre tous les blocs militaires — OTAN, OTSC, AUKUS — qu'ils soient occidentaux ou orientaux, et pour la dénucléarisation.

Cependant, au-delà de la question ukrainienne, il est utile de comprendre ce qui se cache derrière le pacte Trump-Poutine. Depuis longtemps, nous condamnons la posture impérialiste de l'actuelle Union européenne néolibérale ou du Parti démocrate aux États-Unis. Mais attention : ce que veulent Trump et Poutine, c'est une Europe encore plus droitière et plus réactionnaire, où Le Pen, Orban, Meloni, Abascal et consorts seraient les nouveaux maîtres du continent.

À court terme, ce plan vise à écraser l'Ukraine et à protéger les partis trumpistes et les souverainistes d'extrême droite en Occident.

Nous devons emprunter une autre voie : internationaliste, anti-impérialiste et antiraciste. Sans énergies fossiles, sans nucléaire, sans agro-industrie. Une Europe différente : démocratique, sociale, féministe, ouverte, généreuse et écologique. Développant la sécurité sociale, renforçant les services publics, luttant contre les inégalités, construisant une Europe qui éradiquerait la pauvreté. Cela suppose de socialiser la finance, l'énergie, l'industrie de l'armement (en la reconvertissant vers d'autres activités) et d'autres secteurs clés.

C'est là la meilleure manière d'atteindre une véritable paix. Ici et partout ailleurs.
Joxe Iriarte est militant d'Alternatiba

6 mai 2025

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L’Afrique dans l’ombre portée de l’extrême droite mondiale

13 mai, par Stefan Ouma — ,
Dans le brouhaha des nouvelles recompositions géopolitiques et géostratégiques mondiales, les alliances d'extrême droite doivent être abordées dans toutes leurs subtilités et (…)

Dans le brouhaha des nouvelles recompositions géopolitiques et géostratégiques mondiales, les alliances d'extrême droite doivent être abordées dans toutes leurs subtilités et complexités, en particulier pour ce qui concerne leur enchevêtrement avec l'Afrique, dont la lecture n'est pas aussi évidente qu'il y paraît.

Tiré d'Afrique XXI.

Donald Trump a récemment fait les gros titres en accusant, sur sa propre plateforme Truth Social, le gouvernement sud-africain de « confisquer des terres et de traiter très mal certaines catégories de personnes ». Pretoria a adopté début 2025 une nouvelle loi sur l'expropriation des terres, et Trump a senti qu'il pouvait en tirer profit. Elon Musk, son homme de main milliardaire, a joué un rôle similaire sur sa plateforme X, où il a mis en avant le récit, d'extrême droite, d'un génocide blanc se produisant dans son pays natal, dont les principales victimes seraient les fermiers afrikaners.

Le célèbre groupe suprémaciste afrikaner AfriForum s'est senti entendu et a salué Trump en sauveur, même si peu de fermiers semblent finalement prêts à accepter son offre de quitter leur vie encore relativement privilégiée en Afrique du Sud pour commencer une nouvelle vie dans l'Amérique de Trump, le « Make America Great Again » (MAGA). La reconnaissance par le président états-unien de leur détresse est le fruit d'années de travail idéologique autour de la notion de génocide blanc. De nombreux groupes d'extrême droite dans le monde, y compris l'Alternative für Deutschland (AfD), en Allemagne, ont commencé à adopter cette idée, et l'expression déborde le cas sud-africain, comme le montre, par exemple, la revendication du terroriste de Christchurch, qui a tué 49 personnes dans une mosquée néo-zélandaise en 2019 (on pourrait aussi citer les attaques terroristes d'Anders Breivik en Norvège ou la fusillade de Buffalo en 2022 aux États-Unis).

Ce n'était pas la première fois que Trump avait les yeux rivés sur l'Afrique du Sud. En 2018, il avait tweeté : « J'ai demandé au secrétaire d'État @SecPompeo d'étudier de près les saisies et expropriations de terres et d'exploitations agricoles en Afrique du Sud, ainsi que les meurtres à grande échelle de fermiers. » Cette déclaration était, en fait, le retweet d'un message du présentateur d'extrême droite Tucker Carlson. L'ancien présentateur de Fox News avait accueilli une délégation d'AfriForum en tournée aux États-Unis pour forger des alliances avec des conservateurs autour de leur situation. Dirigé par Kallie Kriel et Ernst Roest, le groupe présentait les Afrikaners comme des victimes du racisme anti-Blancs, de l'expropriation des terres et de la violence génocidaire. Bien entendu, Trump ne se souciait pas vraiment des Afrikaners blancs, mais il avait récupéré cette affaire à des fins idéologiques : il est certain que la perte de privilèges et de biens sous l'effet de la domination de la majorité noire pouvait toucher un point sensible de sa base dans le monde entier.

Se garder d'une lecture trop étroite

Si ce seul élément devrait nous inciter à explorer davantage les liens entre l'extrême droite et ce qui se passe en Afrique, le risque est de se cantonner à une lecture trop étroite à partir d'une perspective africaine. Par exemple, d'un point de vue africain, on pourrait considérer la montée des tensions politiques et la polarisation sociale en Europe et en Amérique du Nord – sur lesquelles ont prospéré les Républicains MAGA de Trump, l'AfD en Allemagne ou les Fratelli d'Italia de Meloni – comme des problèmes internes à des pays étrangers ; des problèmes d'hommes blancs qu'ils n'ont qu'à résoudre entre eux. Pourquoi embrasser la guerre des autres ? Les Africains l'ont déjà fait, sous la contrainte, sans en tirer ni récompense ni reconnaissance.

Naturellement, on pourrait concevoir une autre position qui souligne la nature très transnationale (1) de la progression de l'extrême droite reliant des pays aussi différents que les États-Unis, le Brésil, l'Allemagne, la Hongrie, l'Argentine, l'Inde et l'Afrique du Sud (ainsi que d'autres pays africains). Un autre point de vue, plus géopolitique, pourrait analyser la poussée de l'extrême droite, en particulier le second mandat revanchard de Donald Trump et sa volonté de bouleverser complètement l'ordre national et international, comme marquant le début d'une nouvelle ère avec laquelle les dirigeants africains devront composer. Dans cet ordre mondial en pleine recomposition, l'Afrique doit affirmer sa place ; elle doit tout repenser, de l'aide au commerce, des partenariats mondiaux à la transformation structurelle intérieure.

Nous avons choisi un autre point de vue, qui scrute les fondements idéologiques de l'extrême droite, qui cherche à comprendre pourquoi l'Afrique et la pensée d'extrême droite ne s'excluent pas mutuellement, pourquoi « l'Afrique », en tant que continent et catégorie, n'est pas insignifiante pour l'extrême droite mondiale. Je ne suis pas le premier à lancer cet appel (2), mais dans les lignes qui suivent, je voudrais souligner quatre points, pour le moment absents du débat qui pointe sur l'Afrique et l'extrême droite (mondiale). Je laisse de côté l'évidence que l'« Afrique » joue également le rôle d'épouvantail migratoire pour galvaniser le soutien populaire contre l'immigration, comme l'ont montré maintes fois des partis comme l'AfD en Allemagne ou la Lega ou Fratelli d'Italia en Italie.

L'imbrication de l'Afrique avec l'extrême droite mondiale

Le premier aspect – et le plus inconfortable – de l'imbrication entre l'Afrique et l'extrême droite est celui de l'attirance. Il faut rappeler que l'extrême droite mondiale n'est pas un bloc homogène et que l'on peut observer, par exemple, des différences notables sur ce qu'elle veut faire de l'État-nation (de sa destruction à son renforcement). Néanmoins, certains éléments de l'appareil idéologique de l'extrême droite ont développé un pouvoir transversal et trouvent du soutien même parmi des groupes sociaux improbables compte tenu de la place de la suprématie de la race blanche dans la pensée de l'extrême droite : la méfiance de l'extrême droite à l'égard de la mondialisation et de l'universalisme libéral, son penchant ouvertement patriarcal et autoritaire et son adhésion à d'autres types de hiérarchies/inégalités sociales rigides, sa position sur les droits sexuels/de reproduction et les questions LGBTQ, ses divergences avec les institutions démocratiques et les bureaucraties indépendantes ainsi que l'attachement idéologique de certains groupes d'extrême droite à un monde d'États-nations relativement homogènes, organisés autour d'une culture dominante, peuvent trouver un écho auprès d'acteurs politiques et de populations sur le continent et ailleurs dans le Sud global.

Le dernier point, par exemple, explique pourquoi on peut considérer la politique hindoue-nationaliste et antimusulmane du Premier ministre indien, Narendra Modi, comme fortement marquée à l'extrême droite, beaucoup de ces mouvements croyant que « les hiérarchies sociales sont naturelles, voire ordonnées par Dieu (ou les dieux) ».

Dans le même ordre d'idées, les positions militantes et revanchardes contre les LGBTQ (3) sont partagées par les politiciens et les activistes du Brésil, d'Ouganda, du Kenya et du Ghana et par les hommes politiques états-uniens d'extrême droite. La croisade des églises évangéliques fait, sans aucun doute, le pont entre ces géographies éloignées.

Des mégastars de la droite états-unienne séduisent en Afrique

En outre, le courant libertaire qui en est venu à définir la politique d'extrême droite aux États-Unis et ailleurs pourrait également séduire les jeunes et les entrepreneurs du continent socialisés dans un monde où l'« Africapitalisme » (4), les start-up et les hommes d'affaires comme créateurs de richesse sont devenus des figures normalisées. Prenons l'exemple de la mégastar de la droite radicale états-unienne Jordan Peterson et de ses débats sur YouTube avec l'entrepreneur sénégalais Magatte Wade, membre du réseau Atlas.

Alors que l'on pourrait penser que l'ancien professeur de psychologie de l'université de Toronto ne s'adresse qu'à quelques dévots de sa « fraternité de la rationalité blanche » qui le considèrent comme la voix de la raison dans un monde en proie au « wokisme », le psychologue omniscient, qui aborde tous les sujets, de la dépression masculine à la science du climat, semble rassembler une audience considérable dans les cercles noirs du monde entier. Les discours de Peterson et de Wade sont très proches dans leurs diatribes contre le « collectivisme » et la « victimisation », et tous deux défendent une définition étroite de la liberté : celle du capital. Dans cette vision, les problèmes de l'Afrique n'ont pas pour racines un monde organisé autour de la suprématie blanche, des relations commerciales injustes ou d'autres dépendances postcoloniales. Sont plutôt à blâmer les héritages historiques de la planification socialiste, une bureaucratie étouffante et une mauvaise gestion publique qui contraignent les Africains à être des entrepreneurs nés : une affirmation déjà formulée auparavant par des penseurs comme Olumayowa Okediran ou l'économiste ghanéen disparu George Ayittey.

À l'autre extrémité du spectre libertaire campent des personnages comme Andrew Tate, une personnalité des médias sociaux qui s'enorgueillit de sa misogynie et fait l'étalage éhonté de sa richesse. Par sa performativité de mâle alpha, Tate séduit un grand nombre de jeunes hommes en Afrique et ailleurs dans le Sud. Mais les jeunes hommes africains n'ont pas besoin de sortir du continent pour ça. Le Kényan Eric Amunga (et probablement beaucoup d'autres) offre désormais une alternative africaine plus proche. Le libertarianisme a pris de nouvelles formes et l'on verra si la version néoréactionnaire de ce mouvement, qui façonne désormais les actions de la « fraternité techno » (5) au sein ou à proximité du gouvernement états-unien, se manifestera dans d'autres zones géographiques.

Une utopie raciste surgie du passé

Le deuxième aspect de l'enchevêtrement Afrique-extrême droite est un désir utopique-nostalgique. Il est chargé de racisme et de sentiments anti-Noirs et symbolise le visage suprémaciste blanc plus ouvert de l'extrême droite, avec lequel la plupart des habitants du continent devraient avoir, d'emblée, un problème. Déjà, pendant le premier mandat de Trump, la Rhodésie était devenue le nouveau Valhalla de certains suprémacistes blancs, pour qui les luttes dans l'Amérique MAGA et le Zimbabwe étaient liées (« Make Zimbabwe Rhodesia Again ». En tant qu'État ethno-nationaliste géré par une minorité d'hommes blancs « rationnels » et hétérosexuels, ce pays semble avoir captivé l'imagination de certains membres de l'extrême droite comme une utopie passée à poursuivre. Dans ces cercles, il ne s'agit pas seulement de célébrer le gouvernement raciste de Ian Smith parce qu'il a dirigé un État discriminatoire (9 % de la population dictait sa loi aux autres), mais aussi parce qu'il est perçu comme ayant excellé dans l'autarcie et la résilience après avoir rompu avec la Grande-Bretagne lors de la déclaration unilatérale d'indépendance en 1965.

Comme nous l'avons vu plus tôt, l'Afrique du Sud a également attiré l'attention de l'extrême droite et elle est le seul pays du continent abritant une importante minorité de colons blancs aux inclinations d'extrême droite. Le Zimbabwe indépendant et l'Afrique du Sud contemporaine incarnent l'opposé de ce que veulent les suprémacistes blancs d'extrême droite. Les luttes foncières au Zimbabwe ont sans aucun doute réveillé des réflexes plus traditionnels chez les conservateurs et l'extrême droite, Mugabe s'étant attaqué à l'un des principaux piliers de la suprématie blanche coloniale, à savoir le droit de propriété privée. L'Afrique du Sud irrite plutôt l'extrême droite contemporaine, car sa politique d'émancipation économique des Noirs peut être efficacement perçue comme le cas ultime de la politique de Diversité, Équité et Inclusion honnie et démantelée par Donald Trump. Ainsi, l'Afrique du Sud est plus directement liée aux luttes idéologiques actuelles autour de l'attitude « woke » aux États-Unis et en Europe.

À ce stade, on ne peut que spéculer sur les raisons pour lesquelles la Rhodésie de l'apartheid l'emporte sur l'Afrique du Sud de l'apartheid dans l'imaginaire utopique et nostalgique de certains groupes d'extrême droite. L'une des raisons pourrait être que, son histoire étant moins connue, ses symboles peuvent être utilisés en public sans être immédiatement reconnaissables, ce qui confère à celui qui l'évoque un « statut d'initié ». Une autre raison pourrait être la nature du régime de Smith. Il s'aligne très bien avec les conceptions survivalistes du « dernier homme blanc debout ». En effet, le gouvernement rhodésien n'a pas seulement combattu les mouvements de libération des Noirs à l'intérieur et à l'extérieur de son territoire ; il a également défié l'autorité de l'ancienne mère patrie coloniale, la Grande-Bretagne, qui « cherchait désespérément à préserver la cohésion du Commonwealth […] et a été contrainte de faire des concessions aux membres africains qui exigeaient une position ferme à l'égard du régime d'apartheid de la Rhodésie », comme l'écrivait le site d'information Africa Is a Country dans l'article « The dangers of white totalitarianism », en décembre dernier. Aux yeux des suprémacistes blancs familiers du sujet, les manœuvres politiques du pays qui a donné naissance à Cecil Rhodes (Premier ministre de la colonie du Cap) ne sont rien d'autre que de la faiblesse.

Le syndrome du faux ami

Le troisième aspect de l'enchevêtrement Afrique-extrême droite est un aspect que j'appellerais le « syndrome du faux ami », une version du célèbre « l'ennemi de mon ennemi est le problème de mon ami ». Des États du Sahel comme le Mali et le Burkina Faso ont connu des coups d'État militaires portés par de forts sentiments populaires contre la Françafrique, la Russie remplissant le vide en tant qu'acteur géopolitique prétendument amical et anticolonial. Certains pourraient célébrer prématurément ces alliances comme une rupture avec la colonialité euro-atlantique – un désir qui doit être pris au sérieux, mais qui pourrait rapidement se révéler une nouvelle impasse. Il y a quelque temps, le théoricien décolonial Walter Mignolo a fait la une des journaux avec une critique du livre India, that Is Bharat, de Saj Deepak (rétractée par la suite). Deepak a été une source idéologique clé de l'Hindutva (nationalisme hindou) de Modi, mais son engagement décolonial a dû envoyer des signaux tentants.

Alexandre Douguine, homme politique et philosophe russe dont la pensée idéologique sur les grandes civilisations culturellement indépendantes est une source d'inspiration intellectuelle importante pour l'extrême droite, a récemment adopté Modi pour sa guerre contre la mentalité coloniale et contre les « récits contrôlés par l'Occident ». De même, Ramón Grosfoguel a été critiqué dans les cercles féministes radicaux pour avoir négligé la nature profondément patriarcale du régime iranien, symbolisée récemment par l'assassinat brutal de Mahsa Amini aux mains de la police des mœurs iranienne, dans son soutien à l'Iran en tant que force anti-impérialiste. Je suis moi-même très enclin à la pensée décoloniale, et les deux penseurs ont produit un travail important, mais je trouve ces alliances très problématiques. Elles ne peuvent fonctionner sans heurts que si l'on n'adopte pas une approche véritablement intersectionnelle déclinée le long du spectre alliant pensée et pratique (repoussoir que les critiques féministes d'Amérique latine et d'ailleurs ont utilisé à maintes reprises contre les théoriciens masculins de la décolonialité).

Revenons maintenant à l'Afrique. La Russie a été une force centrale des Brics, visant un ordre mondial alternatif « en solidarité avec les demandes africaines d'achèvement du processus de décolonisation » (6), comme l'a déclaré il y a quelque temps le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Ces dernières années, la Russie est passée maître dans l'art de déstabiliser les systèmes politiques des pays occidentaux par le biais de la cyberguerre et d'armées de trolls diffusant des fausses nouvelles. La Russie a ainsi joué un rôle clé dans la montée et le renforcement de l'extrême droite dans divers contextes. Le président Poutine a soutenu la politique de l'homme fort qui a fini par caractériser la montée de l'extrême droite, en particulier aux États-Unis – un soutien qui a donné naissance à une forme ouverte et profondément revancharde de suprématie blanche. En Allemagne, des centaines de pages Facebook « C'était mieux avant » ont vu le jour ces dernières années. Ces plateformes exploitent les attitudes racistes et nativistes d'une partie de la population allemande et représentent généralement un passé blanc, homogène et « monochrome », que les observateurs opposeraient cognitivement à un présent marqué par la diversité démographique et l'immigration : les effets destructeurs de la mondialisation. Les sentiments suscités par ces sites web profitent clairement aux partis d'extrême droite et résolument anti-Noirs tels que l'AfD, qui a beaucoup progressé en ravivant des conceptions ethniques de l'Allemagne que d'autres partis ont également adoptées.

La Russie chérit-elle vraiment la vie des Noirs ?

Si l'on considère que l'idéologie de Poutine est largement inspirée de la pensée ethno-nationaliste d'Alexandre Douguine (7), l'invasion de l'Ukraine par la Russie peut être considérée comme une mise en œuvre des idées de ce dernier. Depuis de nombreuses années, Douguine plaide pour une résistance aux forces du libéralisme occidental et la construction d'une civilisation eurasienne plus grande, impénétrable au mondialisme de l'Otan et au libéralisme occidental. Comme nous l'avons déjà souligné, cet objectif s'étend désormais au continent africain, où les régimes favorables à la France en Afrique de l'Ouest ont été renversés par des coups d'État militaires soutenus par la Russie, et où le groupe mercenaire Wagner mène des guerres pour le compte de divers régimes africains.

Mais à quel point la Russie est-elle une amie ? Tout d'abord, son soutien à des forces ouvertement racistes et suprémacistes en Europe et en Amérique du Nord suggère que les Africains ne devraient pas trop lui faire confiance. Les ambitions impériales de la Russie jettent un doute supplémentaire sur la bienveillance de ses actions, dont les retombées ont déjà fait beaucoup de mal aux Africains, victimes de la flambée des prix des denrées alimentaires provoquée par la guerre en Ukraine ou des atrocités commises par le groupe Wagner au Mali, au Soudan, en Centrafrique ou au Mozambique. Le groupe lui-même est connu pour ses liens avec l'extrême droite. Ses atrocités portent l'empreinte de formes profondément racialisées d'ultraviolence infligée aux Africains. Rien que le nom de Wagner aurait dû tirer la sonnette d'alarme : son fondateur, Dmitri Outkine, était un admirateur du compositeur préféré d'Hitler, et sa musique est la bande-son de la guerre, de la conquête et des volontés totalitaires.

Enfin, il ne faut pas oublier les années de violence anti-Noirs en Russie. Peu de dirigeants africains ont reconnu ce problème, mais ces événements font douter que les autorités russes chérissent réellement la vie des Noirs. Comme le souligne le Moscow Times, un journal russe anglophone considéré comme un agent étranger depuis 2024, « cette image de Moscou ami de l'Afrique se heurte au problème persistant du racisme en Russie, où une discrimination quotidienne omniprésente est souvent ponctuée d'actes de violence extrêmes tels que le meurtre de Ndjelassili ». (Étudiant gabonais, François Ndejlassili a été victime d'un crime raciste en 2023 en Russie.) Je vous épargne un quatrième point, mais demandons-nous au moins pourquoi Tucker Carlson, une voix éminente contre Black Lives Matter et un détracteur des efforts de redistribution des terres en Afrique du Sud, se présente aussi comme un ami de Poutine : ça n'est évidemment pas l'amour des vies noires qui les réunit.

L'appétit pour les ressources

Il est certain que l'extrême droite mondiale ne constitue pas un bloc homogène, comme on peut l'observer dans le contexte européen, où les différents partis semblent se partager entre une « extrême droite occidentaliste et atlantiste » et une « extrême droite de gauche » : d'une part, une extrême droite occidentaliste et atlantiste fondée sur la suprématie de la race blanche et l'idée d'une nécessaire maîtrise de l'ordre mondial par l'Occident dont l'armée est identifiée à l'Otan, et, d'autre part, une extrême droite antiaméricaine, eurasienne et prorusse, qui voit dans la fin de l'ordre unipolaire états-unien une occasion à saisir. Mais il faut voir que le sentiment anti-Noirs et les conceptions profondément patriarcales du pouvoir, du genre et de la politique sont des points de convergence entre ces deux groupes.

Le dernier aspect de l'enchevêtrement Afrique-extrême droite que je voudrais mentionner est celui de la volonté d'accéder aux ressources. Si la Russie, par l'intermédiaire du groupe Wagner, ne fait pas exception, la course aux terres rares dans le cadre de la compétition géopolitique sur l'intelligence artificielle entre les États-Unis et la Chine mérite une attention particulière. Alors que le premier mandat de Trump a été marqué par une version adoucie de la doctrine « America First », ses récentes revendications sur le canal de Panama, le golfe du Mexique, le Groenland et le Canada évoquent une stratégie plus expansionniste conforme à la doctrine Monroe originale (8). Afin de s'assurer l'accès à des infrastructures et à des ressources rares qui sont essentielles dans la course géo-économique et géopolitique avec la Chine, Trump est prêt à arracher par la force une plus grande Amérique dans laquelle aucune autre puissance ne saurait s'immiscer.

Étant donné que les frères techno de la Silicon Valley sont désormais directement liés au gouvernement états-unien, notamment Elon Musk et Peter Thiel, et que Trump a récemment lancé une nouvelle initiative d'intelligence artificielle (« Stargate »), on peut s'attendre à ce que la nouvelle administration états-unienne recoure à des moyens plus robustes pour accéder aux richesses africaines dont elle a besoin pour sa révolution IA. Après tout, « [c]es minerais ne proviennent pas des entreprises technologiques de la Silicon Valley ; ils sont extraits de trous creusés dans la terre, souvent par des travailleurs vulnérables dans des conditions difficiles », écrivait ODI Global en février 2025 dans un article intitulé « Critical minerals, critical moment : Africa's role in the AI revolution ». L'Afrique détient 30 % des minerais essentiels au développement à venir de l'électronique et de l'IA, et les entreprises de la Silicon Valley se sont elles-mêmes jetées dans la ruée par des moyens plus directs. Par ailleurs, ce n'est probablement pas une coïncidence si le Rwanda s'est senti autorisé à utiliser son mandataire, le M23, pour annexer littéralement des parties de l'est de la RD Congo, riche en terres rares, à une époque où les forces d'extrême droite aux États-Unis et en Israël discutent ouvertement de l'annexion du territoire d'autres peuples.

Alors, que faire ?

La lutte pour un nouvel ordre mondial n'a pas seulement été un objectif historiquement important pour les acteurs politiques en Afrique et ailleurs au Sud : elle reste aussi inachevée. Alors que l'hégémonie euro-atlantique est en train de décliner, les penseurs, les mouvements sociaux et les dirigeants politiques africains doivent tracer un chemin résolument éclairé par une analyse intersectionnelle du pouvoir, du savoir et du capital, qui comprenne la genèse de la suprématie blanche, la façon dont elle peut emprunter différentes formes (et couleurs), et comment cela finit par entraver la quête de modèles économiques, sociaux et environnementaux plus égalitaires, plus inclusifs, plus durables, moins violents et moins nocifs.

Alors que l'extrême droite mondiale semble engranger trop de succès avec sa manière de briser et de bâtir le monde, les forces progressistes du continent doivent imaginer des horizons mondiaux qui échappent aux spectres de la colonialité, de la suprématie blanche et du patriarcat toxique. Les idées sont déjà là (9). Il suffit de les adopter.

Notes

1- Conférence SciencesPo, Center for International Studies : « Global Right, Global White, South Africa and the Geopolical Imaginary of the Radical Right », septembre 2024, lien ici

2- « Unequal Worlds ; an Inequality Research Podcast », lien ici, « Could Far-Right Politics Rise in Africa ? Analyzing the Possibilities and Potential Manifestations », Ujasusi Blog, lien ici, et, en particulier, projet « World of the Right », Cambridge University Press)

3- « It's Not Just Uganda : Behind the Christian Rights Onslaught in Africa », The Nation, 4 avril 2014.

4- « “Africapitalism” and the limits of any variant of capitalism », Review of African Political Economy, 16 juillet 2020.

5- La Silicon Valley a été le creuset d'un fascisme techno incarné notamment par Peter Thiel, le fondateur de PayPal, et Elon Musk, membres de ce qu'on appelle aussi la PayPal Mafia.

6- « Decolonialism of the Far-Right », Miri Davidson, 24 mai 2024.

7- « Aleksandr Dugin and the ideology of national revival : Geopolitics, Eurasianism, and the conservative revolution », Taylor & Francis Online, European Security, volume 11, 2002.

8- voir ici.

9- « Imagining Global Futures », Boston Review, lien ici ; « The Audacity to Disrupt », Feminist Macroeconomic Acamedy, lien PDF ici ; Inocent Moyo et J. Sabelo Ndlovu-Gatsheni, The Paradox of Planetary Human Entanglements, Challenges of Living Together, Routledge, 2022 ; « Déclaration de Dakar », Musée des civilisations noires, 3 novembre 2022.

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Afrique du sud : Une démocratie indigne

13 mai, par Ali Ridha Khan — , ,
Trois décennies après l'apartheid, les Sud-Africains attendent toujours un logement, des terres et la dignité, tandis que les élites réclament une patience qui ne sert (…)

Trois décennies après l'apartheid, les Sud-Africains attendent toujours un logement, des terres et la dignité, tandis que les élites réclament une patience qui ne sert qu'elles-mêmes.

Tiré d'Afrique en lutte.

Trente et un ans après la chute de l'apartheid administratif, l'Afrique du Sud se trouve à un tournant délicat entre la promesse d'une démocratie fondée sur les droits et la réalité vécue d'inégalités généralisées, d'inertie bureaucratique et d'une confiance publique érodée. La Constitution de 1996 a consacré la justice administrative – le droit à des décisions légales, raisonnables et procéduralement équitables de la part des organismes publics – et a élevé la dignité humaine au rang de valeur fondamentale. Pourtant, pour des millions de Sud-Africains noirs, les interactions quotidiennes avec les services gouvernementaux trahissent ces idéaux. L'ancien président Thabo Mbeki a autrefois loué la « patience » des pauvres comme un atout politique, mais cette patience même, ancrée dans l'espoir et la résilience, a trop souvent été exploitée pour retarder ou nier une justice réelle.

La démocratie sud-africaine est, à bien des égards, devenue indigne : ses systèmes administratifs trahissent systématiquement les plus vulnérables, obligeant les citoyens à attendre indéfiniment des droits garantis sur le papier, tandis qu'une élite politique et une nouvelle classe restreinte de bénéficiaires s'accaparent impunément les ressources de l'État. Comprendre cette réalité exige de retracer les significations de la justice administrative, de la dignité et de la patience, avant de se pencher sur les manières dont les Sud-Africains se sont historiquement rebellés contre la trahison politique. Il est également nécessaire de prendre en compte l'incapacité des partis politiques à rendre des comptes, les dysfonctionnements administratifs qui creusent les inégalités, et les cas emblématiques – logement, réparations de la CVR, anciens combattants et restitution des terres – qui révèlent les failles de la promesse constitutionnelle. Enfin, cet essai examine comment le privilège blanc, amplifié par des groupes comme AfriForum et des acteurs internationaux pendant et après l'administration Trump, aggrave les frustrations nationales et alimente un déclin alarmant de la participation électorale.

Au cœur de l'ordre constitutionnel se trouve l'idéal de justice administrative. Tout exercice du pouvoir public doit être légal, raisonnable et équitable sur le plan procédural, protégé par des mécanismes tels que la loi de 2000 sur la promotion de la justice administrative. Comme l'a soutenu la juriste Cora Hoexter, le droit administratif constitue un contrôle essentiel de l'autorité de l'État, garantissant que les décisions affectant les droits sont prises de manière transparente et responsable. Au niveau international, la justice administrative est reconnue comme un pilier fondamental des droits de l'homme – une garantie nécessaire lorsque des fonctionnaires outrepassent leurs mandats ou violent les règles de procédure.

L'engagement constitutionnel en faveur de la dignité humaine est étroitement lié à cette structure. S'inspirant de l'éthique kantienne et ancrée dans la jurisprudence sud-africaine, la dignité n'est pas simplement un droit parmi d'autres, mais le fil conducteur de l'interprétation de tous les droits. La juge Laurie Ackermann a souligné son importance centrale. Au-delà du canon juridique, des penseurs de la conscience noire comme Steve Biko et des théoriciens décoloniaux comme Frantz Fanon ont insisté sur le fait que la dignité n'était pas une fioriture abstraite, mais la condition préalable à la libération. Biko cherchait à « revivifier la coquille vide [de l'homme noir]… pour lui insuffler fierté et dignité », tandis que Fanon soutenait que la véritable liberté politique exigeait la restauration de l'estime de soi volée par la domination coloniale.

Si la dignité représentait l'espoir du projet post-apartheid, la patience en était la monnaie d'échange. Mbeki célébrait la patience des pauvres comme un signe de maturité politique, une volonté d'endurer des difficultés temporaires au nom d'un avenir démocratique. Mais d'autres avertissaient que la patience pouvait facilement se transformer en résignation. Robert Sobukwe a mis en garde contre le gradualisme, avertissant que « plus on attend, plus la blessure est profonde ». Biko, lui aussi, reconnaissait que l'endurance passive servait en fin de compte les intérêts de l'oppresseur. Dans un pays où les promesses sont si souvent restées lettre morte, la patience est une vertu à double tranchant : signe de résilience, mais aussi symptôme d'une démocratie qui exige trop de souffrances de ceux qui en ont déjà trop supporté.

Pourtant, patience n'a jamais été synonyme de passivité. Bien que les Sud-Africains n'aient pas mené une seule révolution unifiée depuis 1994, la dissidence a éclaté lors de soulèvements épisodiques et localisés. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. L'éthique de réconciliation prônée par Nelson Mandela et l'approche réparatrice de la Commission vérité et réconciliation ont encouragé la foi en une réforme progressive plutôt qu'en un bouleversement radical. Des décennies de régime colonial et d'apartheid ont favorisé une culture de soumission et de déférence, renforcée par les appels de l'Église et des chefs traditionnels à attendre des jours meilleurs. Le souvenir des violences dans les townships des années 1980, ainsi que les exemples mondiaux de conflits civils, ont instillé une profonde méfiance face à l'effondrement de la société. Et en l'absence d'un mouvement révolutionnaire unifié pour ancrer les revendications post-apartheid, les protestations sont souvent restées fragmentées et axées sur des enjeux spécifiques. Le pouvoir coercitif de l'État et l'épuisement des manifestations répétées et infructueuses ont encore tempéré l'appétit pour la confrontation de masse.

Néanmoins, les Sud-Africains se sont rebellés de manière significative. Depuis 2004, des milliers de manifestations contre les services publics ont éclaté chaque année, les communautés bloquant les routes et affrontant la police en raison de pannes d'eau, d'électricité et d'assainissement. L'étude phare de Karl Von Holdt, « The Smoke That Calls », a montré comment les townships pauvres ont eu recours à des manifestations incendiaires pour se faire entendre d'un État indifférent. Les étudiants de tout le pays ont lancé un puissant défi lors du mouvement #FeesMustFall de 2015 et 2016, fermant les campus et prenant d'assaut le Parlement pour exiger la fin des augmentations de frais. En 2012, la grève des mineurs de Marikana pour un salaire décent s'est soldée par un massacre policier qui a galvanisé l'indignation nationale face à l'exploitation des travailleurs et à la violence d'État. Plus récemment, des mouvements comme #TotalShutdown ont vu des milliers de femmes se mobiliser contre la violence sexiste, tandis que les troubles de juillet 2021 – un mélange instable de factionnalisme politique et de pillages opportunistes – ont transformé certaines parties du KwaZulu-Natal et du Gauteng en scènes de quasi-insurrection, avec plus de 300 morts.

Ces rébellions fragmentées révèlent à la fois l'ampleur de la frustration populaire et la difficulté persistante de traduire des troubles sporadiques en une transformation systémique durable. Depuis 1994, la domination du Congrès national africain (ANC) a profondément façonné le paysage politique sud-africain. Sous le gouvernement d'unité nationale, l'ANC a recherché un équilibre délicat entre réconciliation et politique économique, remplaçant le Programme de reconstruction et de développement (RDP) par la stratégie plus néolibérale de croissance, d'emploi et de redistribution (GEAR) en 1996. Ce changement a anéanti les espoirs de redistribution radicale et semé les graines de désillusions futures.

La corruption s'est rapidement installée. Le contrat d'armement de 1999, le scandale de Nkandla, qui a vu la rénovation de la propriété du président Jacob Zuma pour un coût public de 246 millions de rands, et la période de captation de l'État entre 2009 et 2018 ont illustré la dérive constante de l'ANC vers le clientélisme et la corruption. Les commissions judiciaires – Seriti sur le contrat d'armement, Zondo sur la captation de l'État – ont minutieusement documenté les irrégularités, mais n'ont donné lieu qu'à peu de poursuites, ce qui a alimenté ce que l'on appelle désormais la « lassitude des commissions » et aggravé le cynisme de l'opinion publique.

L'opposition, pour sa part, n'a pas réussi à proposer d'alternative crédible. L'Alliance démocratique (DA) a peiné à s'étendre significativement au-delà de sa base électorale traditionnelle, blanche et métisse, tandis que le Parti de la liberté Inkatha reste cantonné à l'échelle régionale. Les Combattants pour la liberté économique (EFF) ont animé les débats nationaux en réclamant l'expropriation et la nationalisation des terres, mais restent confinés au sein du Parlement, capables de faire du bruit, mais incapables d'apporter un réel changement depuis les bancs de l'opposition. Les gouvernements de coalition des grandes métropoles ont souvent sombré dans des luttes intestines, renforçant le sentiment d'incompétence politique généralisée.

Le déficit croissant de responsabilité suit un scénario prévisible. Lorsque des scandales de corruption éclatent, le gouvernement annonce la création d'une commission d'enquête. Des années d'audiences s'écoulent. Des rapports sont déposés, souvent volumineux et accablants. Mais les conséquences tangibles restent insaisissables. Des individus puissants exploitent les lenteurs procédurales, fuient le pays ou comptent sur des interventions politiques pour échapper à la justice. Même les manifestations de masse sont souvent accueillies non pas par des réformes sérieuses, mais par la répression policière ou des excuses performatives qui finissent par étouffer la dissidence sans s'attaquer à ses causes profondes. Il en résulte une démocratie riche en formes – élections régulières, médias dynamiques, constitution solide – mais vidée de son essence. Les rituels de responsabilisation perdurent, mais la substance s'est flétrie. L'impunité, plutôt que les conséquences, définit le paysage politique sud-africain.

Au-delà des échecs des responsables politiques, l'effondrement de la justice administrative se ressent particulièrement au quotidien de la fonction publique. Il est devenu courant pour les ministres d'être publiquement surpris par les crises qu'ils sont censés superviser, convoquant des réunions d'urgence pour demander, perplexes, « Que se passe-t-il ? » Le clientélisme politique, notamment par le biais du déploiement de cadres, a progressivement érodé l'expertise technique dans les ministères clés, laissant de nombreux dirigeants mal équipés pour gérer les portefeuilles dont ils sont chargés.

L'adoption des outils de la nouvelle gestion publique – indicateurs clés de performance, planification axée sur les résultats, cadres stratégiques – a enraciné une culture du « cocher toutes les cases », de plus en plus déconnectée de la prestation de services concrets. Le succès se mesure à l'aune des formalités administratives plutôt qu'à l'impact ; lorsque les objectifs ne sont pas atteints, ils sont simplement révisés, sans être atteints. Parallèlement, pour éviter l'arbitraire par des procédures rigides, la bureaucratie est devenue réticente au risque, jusqu'à la paralysie. Les citoyens doivent s'y retrouver dans des processus labyrinthiques simplement pour enregistrer une entreprise, obtenir une pièce d'identité ou demander une aide sociale, en violation flagrante des principes Batho Pele (« Les citoyens d'abord ») qui visaient autrefois à guider la transformation du service public.

Démoralisés par les interférences politiques et les exigences impossibles des objectifs managériaux, les professionnels qualifiés ont quitté le secteur public en masse. Les rapports du Vérificateur général des comptes montrent que plus de 70 % des municipalités font désormais appel à des consultants externes pour leurs fonctions financières essentielles, signe révélateur de l'affaiblissement des capacités de l'État.

De tels dysfonctionnements portent directement atteinte à la dignité humaine. Des retraités âgés sont contraints de faire la queue pendant des heures pour finalement s'entendre dire « système hors service ». Des familles croupissent pendant des décennies sur les listes d'attente pour un logement. Les petits commerçants restent prisonniers des limbes bureaucratiques. Pour de nombreux citoyens, le visage de l'État n'est pas le président à Pretoria, mais un employé désintéressé derrière une vitre – une expérience qui incarne une démocratie indigne.

En matière de logement, les promesses de l'État post-apartheid sont cruellement déçues. Un logement convenable est un droit constitutionnel, mais plus de 1,2 million de demandes restent sans réponse dans le seul Gauteng, certaines remontant à 1996. En mars 2025, des habitants âgés de Soweto – certains aujourd'hui sexagénaires – ont manifesté devant la mairie après près de trente ans d'attente. Les allégations de corruption, de resquillage et d'attribution de logements à des personnes ayant des liens politiques aggravent les retards, transformant une promesse de dignité en source de honte et aggravant les conflits sociaux. De nombreuses familles déplacées se réfugient dans des quartiers informels ou des baraques construites par leurs soins, pour finalement être victimes d'expulsions violentes. De tels actes déclenchent souvent des protestations et alimentent parfois des comportements xénophobes de boucs émissaires, les habitants accusant les « étrangers » d'attributions corrompues.

Une trahison similaire caractérise le sort de ceux qui ont cherché réparation auprès de la Commission vérité et réconciliation. Entre 1996 et 1998, la CVR a promis des pensions, un logement, des soins de santé et d'autres formes de réparation à plus de 22 000 victimes en échange de la révélation de la vérité. En pratique, la plupart des victimes n'ont reçu qu'une subvention unique de 30 000 rands en 2001, et en 2022, près de 1,9 milliard de rands du Fonds présidentiel n'ont toujours pas été dépensés. Âgés et souvent malades, nombreux sont ceux qui continuent de saisir la Cour constitutionnelle pour obtenir des prestations médicales et une réinsertion sociale. Les poursuites pénales contre les auteurs de l'apartheid qui s'étaient vu refuser l'amnistie ont été confiées à l'Autorité nationale des poursuites, mais la plupart des affaires sont restées en suspens pendant des décennies. Le message est d'une clarté accablante : « Nous avons pardonné au nom de la nation, mais la nation nous a oubliés. »

Les anciens combattants ont eux aussi été laissés pour compte. Les combattants de l'uMkhonto weSizwe et de l'Armée populaire de libération d'Azan, autrefois reconnus et soutenus par la loi sur les anciens combattants militaires, vivent aujourd'hui dans la pauvreté et sont sans abri. En octobre 2021, d'anciens combattants, dont beaucoup étaient septuagénaires, ont pris en otage le ministre de la Défense pour réclamer des pensions et des logements impayés, ce qui a conduit à l'arrestation de 53 anciens combattants. L'ancien soldat du MK, Lesley Kgogo, campant devant le siège de l'ANC, a saisi l'ironie amère de la situation : « J'ai libéré le pays… Maintenant, je ne suis plus rien pour mon propre gouvernement. » Les excuses bureaucratiques concernant la vérification des identités ou les contraintes de financement sonnent creux face à l'incapacité morale de l'État à tenir ses promesses.

Le dossier inachevé de la restitution des terres complète ce sombre tableau. Sous l'apartheid, les Sud-Africains noirs étaient confinés à seulement 13 % du territoire du pays. Bien que la loi sur la restitution des droits fonciers prévoyait une indemnisation ou la restitution des terres pour les revendications déposées avant 1998, les progrès ont été lamentables. Seulement 10 % environ des terres agricoles commerciales ont été redistribuées, bien en deçà de l'objectif de 30 % fixé pour 2014. Au Cap, le District Six reste un symbole persistant de promesses non tenues : sur 2 760 familles requérantes, seules 108 avaient les clés pour reconstruire leur maison d'ici 2020, la restitution intégrale devant prendre des décennies et coûter des milliards de rands. Les demandeurs ruraux, dépourvus de soutien pour exploiter leurs terres, ont souvent opté pour de maigres indemnisations en espèces, compromettant ainsi le projet de réforme agraire. Parallèlement, les occupations de terres par des mouvements comme Abahlali baseMjondolo et les campements dirigés par l'EFF témoignent d'une impatience croissante – et d'un risque croissant de reprise du conflit – si la restitution continue de stagner.

Pourtant, alors que des millions de personnes languissent dans des conditions précaires, le privilège blanc demeure largement intact. Malgré les idéaux de la transition démocratique, les Sud-Africains blancs – environ 8 % de la population – continuent de posséder plus de 70 % des terres agricoles et de dominer les secteurs à hauts revenus du pays. Nombre d'entre eux se sont protégés des échecs de l'État post-apartheid en se retranchant dans des enclaves de sécurité privées, des lotissements sécurisés et des écoles privées d'élite, se désolidarisant ainsi efficacement des conséquences de l'effondrement de la gouvernance.

Des groupes comme AfriForum ont particulièrement bien réussi à internationaliser les récits de victimisation des Blancs. En 2018, AfriForum a réussi à convaincre l'administration Trump d'enquêter sur les prétendues « saisies de fermes » et les « massacres massifs d'agriculteurs » en Afrique du Sud. Le tweet désormais tristement célèbre de Donald Trump demandant au Département d'État d'enquêter sur les attaques de fermes – et plus tard, les offres spéculatives de réinstallation des Sud-Africains blancs sous une éventuelle seconde présidence Trump – illustrent comment des récits marginaux peuvent gagner en influence géopolitique. Parallèlement, les véritables luttes des Sud-Africains noirs – des familles qui attendent des décennies pour se loger, des vétérans qui dorment sur les trottoirs, des étudiants confrontés aux violences policières – reçoivent peu d'attention internationale. Cette inversion de l'empathie mondiale aggrave la frustration nationale, alimentant l'idée que la justice ne dépend pas du droit moral, mais de celui qui contrôle le mégaphone le plus fort à l'étranger.

Cette dynamique a alimenté une dangereuse lassitude démocratique. La participation électorale a fortement chuté, passant de 86,9 % aux élections de 1994 à seulement 59 % aux élections générales de 2024, soit seulement 41 % des adultes éligibles, compte tenu de la non-inscription. Les élections locales de 2021 ont vu la participation chuter encore plus bas, à 45,9 %. La participation des jeunes s'est effondrée : moins de 20 % des 18-35 ans se sont inscrits sur les listes électorales en 2021. Désillusionnés par la corruption, les promesses non tenues et la stagnation des conditions de vie, de nombreux Sud-Africains choisissent de plus en plus l'apathie plutôt qu'un vote qu'ils estiment peu susceptible d'apporter un changement significatif. À mesure que la participation diminue, le mandat démocratique des organes élus s'affaiblit, ce qui érode encore davantage leur motivation à tenir la promesse constitutionnelle de justice administrative.

La démocratie sud-africaine se trouve à un tournant périlleux. L'architecture juridique de la justice administrative et de la dignité demeure parmi les plus progressistes au monde, mais pour des millions de citoyens, le quotidien est synonyme d'aliénation, d'indignité et de promesses constitutionnelles non tenues. Les vertus de la patience et de la réconciliation, autrefois essentielles à une transition pacifique, ont été instrumentalisées en outils de complaisance, permettant aux élites politiques et bureaucratiques de différer l'obligation de rendre des comptes et de trahir les plus vulnérables.

Les rébellions épisodiques nous rappellent le pouvoir latent du peuple, mais sans contestation systémique soutenue, le statu quo perdure largement. Transformer une démocratie indigne en une démocratie digne de ses promesses constitutionnelles exige non seulement des réformes techniques de la gouvernance, mais aussi un réveil moral et politique plus profond. Une véritable responsabilisation doit être rétablie. Les fonctionnaires corrompus doivent être poursuivis rapidement et les recommandations de la commission mises en œuvre avec urgence et transparence. Une administration réactive doit être reconstruite en reprofessionnalisant la fonction publique, en renforçant l'expertise technique et en revigorant les principes Batho Pele qui privilégient le vécu des citoyens.

Une justice tangible doit également être rendue visible. Fournir des logements, verser les réparations prévues par la CVR, honorer les prestations des anciens combattants et accélérer la restitution des terres sont des mesures urgentes pour rétablir la confiance du public. L'inclusion économique doit être favorisée, non seulement par la redistribution, mais aussi en soutenant les entrepreneurs émergents, les bénéficiaires de la réforme agraire et en investissant massivement dans le développement des compétences des jeunes. Parallèlement, l'engagement civique doit être renforcé, les obstacles à la participation doivent être levés et la contestation doit être valorisée non pas comme une menace, mais comme un mécanisme de rétroaction essentiel pour une démocratie en difficulté de renouvellement.

Ce n'est qu'en alignant les promesses constitutionnelles sur des résultats concrets et visibles – où une grand-mère ordinaire pourra dire : « Mes droits sont respectés et ma voix compte » – que l'Afrique du Sud pourra honorer ses sacrifices passés et restaurer son autorité morale. Les prochaines décennies exigeront de l'impatience de la part des citoyens et de la réactivité de la part des dirigeants. Si ce défi est relevé, la justice administrative ne sera plus une abstraction juridique, mais une réalité vécue au quotidien par tous.


Ali Ridha Khan est chercheur au Centre de recherche en sciences humaines (CHR) de l'Université du Cap-Occidental (UWC). Il écrit et réfléchit sur les enjeux politiques de l'émotion, de l'esthétique et du bonheur.

Traduction automatique de l'anglais

Source : https://africasacountry.com

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Kenya - Disparaître pour avoir manifesté : le régime Ruto face à la jeunesse

13 mai, par Paul Martial — , ,
En menant une politique de kidnapping, les autorités tentent de bâillonner la contestation de la jeunesse largement présente sur les réseaux sociaux. Tiré d'Afrique en (…)

En menant une politique de kidnapping, les autorités tentent de bâillonner la contestation de la jeunesse largement présente sur les réseaux sociaux.

Tiré d'Afrique en lutte.

On se souvient au printemps dernier de ces grandes manifestations qui se sont déroulées à travers tout le pays contre le projet d'impôt autour du slogan « #RejectFinanceBill2024 ». Ce projet soutenu par le FMI, visait à faire payer aux populations des nouvelles taxes dans le but de rembourser les dettes s'élevant à 79 milliards de dollars. Cette mobilisation portée principalement par la jeunesse avait obligé William Ruto, le président de la République, à annuler le projet de loi.

89 enlèvements

Depuis la fin de cette mobilisation, les autorités ne cessent de mener une politique répressive qui s'illustre par des enlèvements et des exécutions extra-judiciaires. Ainsi 89 personnes ont été kidnappées, parfois en pleine journée, par des commandos d'hommes masqués. Parmi les victimes, on trouve des jeunes qui ont participé aux manifestations ou des activistes, notamment le caricaturiste Gideon Kibet qui a fait grand bruit dans le pays et a pu recouvrer la liberté. Ce n'est hélas pas le cas pour tout le monde. À ce jour, sur les 89 enlèvements 29 personnes ne sont toujours pas réapparues et pour d'autres les corps sans vie ont été découverts.

Les autorités assurent qu'elles ne sont pour rien dans ces pratiques. Un déni qui a volé en éclats avec ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Muturi. Il s'agit d'un jeune, Leslie Muturi, enlevé comme d'autres, mais son père ancien procureur général de la République et actuel ministre de la Fonction publique, est intervenu directement auprès des hauts responsables de la police. Les informations obtenues ­révélaient que son fils était aux mains des services de renseignement, après une intervention auprès du président William Ruto. Le jeune Muturi était libéré démontrant ainsi la responsabilité des forces de répression gouvernementales, bien que le Kenya ait signé la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Faire taire la contestation

Ces pratiques ne sont pas nouvelles, mais elles ont connu une accélération. Le but est d'instaurer une ambiance de peur parmi les opposantEs. ChacunE peut, du jour au lendemain, se retrouver aux mains de ces commandos. Les quelques personnes qui ont accepté de témoigner dans le rapport d'Amnesty International publié il y a quelques semaines font état de tabassages et de mauvais traitements lors de leur séquestration.

Cette répression est utilisée par le gouvernement pour tenter de briser une contestation de la jeunesse toujours active comme en témoigne la forte présence de l'activisme sur les réseaux sociaux. Y circulent messages, dessins et photos générées par l'intelligence artificielle ridiculisant le personnel politique et dénonçant leur incompétence et leur corruption. L'espace numérique est devenu un lieu de débat et d'opposition au pouvoir qui pourrait se transformer rapidement d'actions virtuelles en actions bien réelles, tant la situation sociale du pays s'est dégradée.

Paul Martial

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« Andrónico Rodríguez pourra-t-il sauver la gauche bolivienne ? »

La candidature du jeune président du Sénat, Andrónico Rodríguez, a bouleversé le paysage politique bolivien. A l'approche des élections présidentielles, le bloc lié au (…)

La candidature du jeune président du Sénat, Andrónico Rodríguez, a bouleversé le paysage politique bolivien. A l'approche des élections présidentielles, le bloc lié au Mouvement vers le socialisme (MAS) est plongé dans une guerre interne acharnée et la droite, bien que divisée et dépourvue de nouvelles figures, se réjouit d'une victoire au second tour. [Sur la crise du MAS, voir l'article de Fernando Molina publié sur ce site le 4 avril 2025.]

7 mai 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/divers/andronico-rodriguez-pourra-t-il-sauver-la-gauche-bolivienne.html

En acceptant cette candidature samedi 3 mai, Andrónico Rodríguez a décidé de s'engager plus fermement dans la guerre interne entre les partisans d'Evo Morales (« evistas) et ceux de Luis Arce (« arcistas »), qui menace de détruire le Mouvement vers le socialisme (MAS) et de bouleverser le paysage électoral. Devant les organisations sociales qui l'acclamaient à Oruro – lors du rassemblement saluant sa candidature officielle – coiffé d'un casque de mineur, le jeune président du Sénat (36 ans) a dit oui. Il se présentera à la présidence de la Bolivie le 17 août prochain.

Avec le président Luis Arce Catacora en baisse dans les sondages et Evo Morales inéligible, Andrónico, comme tout le monde l'appelle, cherche à se positionner comme le visage renouvelé d'un champ politique affaibli par les luttes intestines qui ont éclaté dès le retour au pouvoir du MAS en octobre 2020, après le renversement d'Evo Morales par un mouvement civique et policier en 2019.

La décision initiale de Luis Arce d'écarter de son cabinet les figures les plus importantes du mouvement « evista » a débouché sur une guerre sans merci : le gouvernement a poursuivi Evo Morales, qui s'est retrouvé « en exil » dans la région productrice de coca du Chapare, son bastion politique et territorial, gardé par des milices syndicales paysannes pour éviter qu'il ne soit arrêté. De son côté, ce dernier a cherché à affaiblir autant que possible le président qu'il avait lui-même mis en place et qu'il considère aujourd'hui comme la « droite interne ».

Le gouvernement d'Arce a relancé une plainte pour abus et traite d'êtres humains contre Evo Morales pour une relation avec une mineure, dans une affaire où le parquet a agi d'office. Il s'agit en réalité d'une plainte déposée par le gouvernement de Jeanine Áñez [présidente de novembre 2019 à novembre 2020, antérieurement deuxième vice-présidente de la Chambre des sénateurs], dont l'« arcismo » s'est emparé pour neutraliser l'ancien président. Ce dernier a quant à lui organisé une série de barrages routiers pour tenter d'éviter sa destitution, mais il n'a pas atteint son objectif et a fini par s'enfermer dans cette « zone de sécurité », même si l'attaque à main armée contre son véhicule, en octobre 2024, montre qu'il n'y a aucune sécurité au milieu d'un tel affrontement politique.

La médiation de diverses personnalités de la gauche du continent, notamment des présidents et anciens présidents, pour tenter de rapprocher les parties, n'a donné aucun résultat. Et le MAS s'est engagé dans un processus d'autodestruction. Les efforts visant à préserver la relation entre Evo et Andrónico n'ont pas non plus abouti. Au final, ce n'est pas la droite, affaiblie après le gouvernement de Jeanine Áñez et la défaite électorale de 2020, mais les affrontements internes, ajoutés à la crise économique, qui ont transformé le puissant parti paysan – capable d'organiser un bloc politique indigène-populaire tant dans les urnes que dans la rue – en une ombre de lui-même, traversé par un climat marqué par un climat de décomposition politique.

Dans cette guerre interne, Arce a d'abord obtenu que la justice « interprète » de manière arbitraire la Constitution en ce sens qu'une réélection non consécutive après deux mandats présidentiels n'est pas possible, ce qui met Morales hors jeu. Puis Arce a réussi à arracher au leader cocalero le sigle du MAS grâce à un congrès parallèle organisé par l'appareil d'Etat et reconnu ensuite par les juges. Mais l'actuel président ne peut guère tirer profit de ce sigle autrefois invincible : sa gestion, jugée médiocre par les analystes de tous bords idéologiques, ajoutée à une grave crise économique, l'a fait sombrer dans les sondages, avec environ 5% des intentions de vote. L'image d'Arce en tant qu'artisan du miracle économique bolivien [ministre de l'Economie de 2006 à 2017, puis de janvier à novembre 2019] s'est évanouie et il est désormais considéré comme un dirigeant incapable de gérer l'Etat. La chute des réserves de gaz a accéléré l'érosion du modèle mis en place depuis 2006, qui avait donné de bons résultats pendant des années en termes de croissance économique et d'accumulation de devises, mais qui semble aujourd'hui à bout de souffle.

Evo Morales est bien mieux placé dans les sondages (avec plus de 20% des intentions de vote), mais le rejet qu'il suscite dans une partie de la population rend sa victoire au second tour presque impossible. Retranché dans le Chapare, il s'est réaffirmé dans un discours bolivarien intransigeant et est allé jusqu'à accuser de trahison des personnalités telles qu'Álvaro García Linera, qui l'a secondé au pouvoir pendant près de 14 ans : cet ancien vice-président a déclaré publiquement qu'il valait peut-être mieux que Morales et Arce renoncent à leurs aspirations présidentielles afin de permettre l'émergence d'une nouvelle figure porteuse de changement. Cette figure d'unité, imaginait-il, pourrait être Andrónico Rodríguez.

Poussé par Evo Morales pour lui succéder à la tête des syndicats de cultivateurs de coca, Andrónico a été élu en 2018 vice-président des Seis Federaciones Cocaleras del Trópico de Cochabamba. Il fait partie de la nouvelle génération de leaders paysans, qui entretiennent des relations beaucoup plus souples avec les villes – ce que l'anthropologue Alison Spedding a qualifié de « semi-paysans » en raison de leur lien entre le monde urbain et rural. Né à Sacaba, capitale de la province du Chapare, il a étudié les sciences politiques à l'Université Mayor de San Simón (à Cochabamba), puis est retourné à la campagne. Selon son propre récit, il accompagnait son père aux réunions des syndicats paysans depuis son enfance et a pris conscience de la nécessité d'une éducation formelle. « Mon père avait un manque de connaissances et j'ai pensé que je devais surmonter cela. Je dois lire, étudier et voir comment collaborer avec ma communauté en m'appuyant sur des connaissances académiques et techniques plus solides. » En 2020, il est entré au Sénat et a été élu pour le présider. Perçu comme le « dauphin » d'Evo Morales, il a commencé à faire montre de ses capacités de leader au sein de la Chambre haute et à prendre ses distances avec la faction « evista », sans pour autant rejoindre celle d'« arcista », alors que le conflit ravageait le MAS.

Pesant chacun de ses pas pour éviter que de petites erreurs ne se transforment en fautes catastrophiques, et sans faire de vagues, Andrónico a acquis une autonomie croissante vis-à-vis de Morales. Le fait que, ces derniers temps, chaque fois qu'il était convoqué à une réunion d'« evistas » dans le Chapare, le sénateur se trouvait soudainement en voyage à l'étranger. Cela est devenu un sujet de conversation dans la politique et la presse locales. Voilà un timing impeccable pour ne pas rester collé à un Evo replié sur lui-même et aux discours radicaux – diffusés dans son émission sur la radio Kawsachun coca – qui l'éloignaient d'une grande partie de ses anciens électeurs.

Andrónico était sous la surveillance permanente de son mentor Evo qui cherchait à détecter d'éventuels actes de « trahison ». Au début, on craignait qu'il ne passe dans le camp d'Arce, mais lorsque cela ne s'est pas produit, la simple autonomie de ce qui commençait à être perçu comme une troisième ligne « androniquiste » apparaissait tout autant comme une menace pour Evo Morales. Ce dernier insiste pour se présenter à un nouveau mandat, pour lequel il a lancé le mouvement EVO Pueblo (Estamos Volviendo Obedeciendo al Pueblo). La réaction de l'ancien président à la candidature d'Andrónico Rodríguez a suivi le même ton : « Ceux qui s'éloignent sont au service de l'empire », a-t-il déclaré.

Andrónico Rodríguez semble conscient que le contexte politique de la Bolivie et de la région est très différent de l'enthousiasme anti-néolibéral de 2005, lorsque Evo Morales s'était imposé avec 54% des voix et avait ouvert la voie au « processus de changement » avec un discours nationaliste populaire et indigéniste à la fois radical et pragmatique. Déjà candidat, bien que n'ayant pas encore défini son programme/sigle, Andrónico a critiqué la construction d'usines publiques inefficaces destinées à satisfaire les revendications corporatistes des régions et des organisations sociales. Lors d'un forum organisé par le quotidien de Santa Cruz El Deber, le sénateur a souligné que l'Etat devait se concentrer sur des secteurs clés tels que les hydrocarbures et l'énergie, et ne pas se disperser dans des projets mineurs. « L'Etat n'a pas besoin de tout accaparer, mais d'être acteur là où cela compte vraiment », a-t-il déclaré. Il a même accusé Arce d'avoir transformé le modèle économique du MAS en un « Etat paternaliste qui relègue l'économie privée, communautaire et coopérative ».

La candidature d'Andrónico, qui recueille plus de 20% des intentions de vote, ce qui le place dans les sondages sur un pied d'égalité avec l'homme d'affaires Samuel Doria Medina [dirigeant de Unidad Democrata, vice-président de la IIe Internationale !], pourrait obtenir de bons résultats, selon ces mêmes sondages, lors d'un éventuel second tour. Le centre-droit est divisé et ne présente pas de nouveaux visages : Doria Medina lui-même, tout comme Jorge Tuto Quiroga [vice-président de 1997 à 2001 et président de 2001 à 2002] – aligné sur la droite de Miami – et le maire de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, sont des figures usées qui renvoient à l'ère pré-2005. Quiroga a pris la présidence en 2001 après la mort d'Hugo Banzer et Reyes Villa était l'un des principaux candidats à la présidence en 2002. La campagne de Doria Medina, en tant qu'économiste et homme d'affaires libéral-développementaliste, correspond mieux au contexte de crise, mais il n'en reste pas moins issu de la « vieille politique », ce qui s'ajoute à son manque légendaire de charisme. Bien que les tentatives de formation d'un bloc unitaire allant du centre à la droite aient échoué, tous les candidats de cet espace rêvent de battre facilement le MAS au second tour, dans une sorte d'« effet Equateur » [Daniel Noboa s'est imposé face à Luisa Gonzalez le 13 avril]. La candidature d'Andrónico va-t-elle bouleverser ce scénario ?

Le millionnaire histrionique Marcelo Claure [fondateur et PDG de Claure Group, président exécutif de Bicycle Capital et vice-président du groupe Shein], qui aspire à devenir une sorte d'Elon Musk dans le prochain gouvernement sans définir clairement sa préférence parmi les candidats de l'opposition en lice après l'échec de l'unité de la droite, a salué la décision d'Andrónico et a tenté de semer la zizanie avec son verbiage à la Trump : « Andrónico est mille fois mieux qu'un pédophile [en référence à Evo Morales] ou qu'un incapable [Arce] et j'ai bon espoir que nous travaillerons tous ensemble pour sortir la Bolivie de ce gouffre. »

Même s'il ne se présentera pas sous la bannière du MAS, Andrónico Rodríguez mise sur la représentation du même bloc « indigène plébéien » – qui reflète la diversité sociologique populaire bolivienne, également caractérisée par de puissantes formes d'entrepreneuriat – et dans les faits sur la reconstruction du MAS. Le nouveau candidat est autocritique à l'égard des dernières années du gouvernement du MAS et a commencé à présenter Evo Morales davantage comme une figure historique que comme un leader incontesté du présent.

Son profil ouvert au dialogue, qui lui a permis de rester à la tête de la Chambre haute malgré les aléas politiques, est un atout dans un contexte où la gauche doit regagner ceux qui se sont éloignés et, à terme, gouverner dans un contexte difficile. Parmi ses faiblesses, on peut citer son expérience politique limitée et le rejet social de l'actuelle gestion du MAS sous le gouvernement Arce. Le fait d'être en marge de l'« arcismo » (qui dispose des ressources de l'Etat) et de l'« evismo », qui bénéficie encore d'une base sociale, est à double tranchant : cela lui permet de renforcer son discours de renouveau, mais lui enlève toute structure de mobilisation. Dans l'ensemble, de nombreux secteurs sociaux, lassés des luttes internes, ont commencé à voir en Andrónico le nom d'un candidat qui semble a priori compétitif, alors que jusqu'à très récemment on ne voyait qu'une défaite du « bloc populaire » face à une droite qui, bien qu'ancrée dans le passé, est capable de canaliser le malaise ambiant.

(Article publié par Nueva Sociedad, mai 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)

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110 ans d’hégémonie : l’heure de la rupture a sonné

Ce dimanche 18 mai 2025, jour de notre fête nationale, une coalition d'organisations populaires — Convention Bois Caïman, ROSPO, KRIPÈP, GWLICH, MPN et MOZAPESS — invite la (…)

Ce dimanche 18 mai 2025, jour de notre fête nationale, une coalition d'organisations populaires — Convention Bois Caïman, ROSPO, KRIPÈP, GWLICH, MPN et MOZAPESS — invite la population à se lever comme un seul peuple contre l'hégémonie impérialiste américaine qui étouffe Haïti depuis plus d'un siècle.

Cette manifestation ne sera pas une marche ordinaire. Ce sera un acte de mémoire, de dénonciation et de résistance, une levée de boucliers contre 110 ans de domination géopolitique, dont les trois dernières décennies (1995-2025) marquent un cycle de tutelle insidieuse et destructrice.

Il y a exactement 110 ans, en 1915, les troupes américaines débarquaient à Port-au-Prince sous prétexte de rétablir l'ordre. Elles y ont imposé un contrôle militaire, économique et institutionnel, liquidant notre banque nationale, remodelant notre constitution, soumettant notre peuple. En 1934, les Marines repartent, mais la domination, elle, reste. Pire, elle se transforme, plus discrète mais plus efficace, grâce à la diplomatie, à la dette, aux ONG, aux “missions de paix”, et aux gouvernements dociles formés dans les écoles de l'Empire.

À partir de 1995, cette ingérence prend une nouvelle dimension : Haïti devient un laboratoire du néolibéralisme appliqué, un État-pilote pour les expériences de pillage légal sous couverture humanitaire. On privatise nos services, on détruit notre agriculture vivrière, on exporte notre misère, on importe la dépendance. Les coups d'État deviennent des transitions, les interventions armées se déguisent en missions de stabilisation, la dépossession se nomme “coopération internationale”.
Les peuples du Sud le savent : l'impérialisme ne s'est jamais retiré, il a juste appris à sourire. Mais les Haïtiens, peuple des révolutions, ne sont pas dupes. Le moment est venu de briser le silence diplomatique, de refuser le faux consensus, de dire haut et fort que la souveraineté n'est pas une faveur, mais un droit inaliénable.

Cette manifestation du 18 mai 2025 n'est pas simplement une marche. Elle est un cri de libération. Une exigence de justice historique. Une réclamation collective d'autodétermination. Elle rappelle que le drapeau que nous célébrons n'est pas un ornement patriotique, mais un symbole de rupture radicale avec toute forme de domination étrangère. Il ne peut flotter librement au-dessus d'un territoire sous surveillance étrangère.

Les 110 ans de 1915 à 2025 doivent marquer une prise de conscience nationale. Soit nous continuons à courber l'échine sous la logique de l'ingérence, soit nous redonnons sens à la promesse de 1804. Il n'y a pas de troisième voie.
Nous disons : Assez ! Aba okipasyon ! Vive Ayiti lib !Le 18 mai, marchons pour Dessalines, marchons pour demain, marchons pour ne plus jamais marcher sous commandement étranger.

Bolivar Jean Anderson Coordonnateur Général Convention Bois-Caïman

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État de la grève illimitée et de la mobilisation au Panama

Le climat de lutte dans la Comarca Ngäbe-Buglé annonce de probables blocages imminents, qui pourraient déclencher d'autres fermetures dans tout le pays, à partir des (…)

Le climat de lutte dans la Comarca Ngäbe-Buglé annonce de probables blocages imminents, qui pourraient déclencher d'autres fermetures dans tout le pays, à partir des mobilisations actuelles et de l'indispensable implication des communautés dans cette dynamique.

07 mai 2025 | tiré du site viensur.info

1. Contexte : Pour être candidat à la présidence, Mulino devait être désigné par une convention. Il était initialement candidat à la vice-présidence aux côtés de l'ex-président Martinelli, qui a été déclaré inéligible à la présidence à la suite d'une condamnation définitive pour corruption, prononcée par un arrêt de la Cour suprême en février 2024. Selon le Code électoral panaméen, les candidats à la vice-présidence ne peuvent remplacer un président que s'ils ont été élus. Mulino a pu être candidat grâce à un pacte d'impunité passé avec Gaby Carrizo, ancien vice-président du pays. La décision de la Cour suprême, publiée la veille des élections, justifiait son arrêt par le maintien de la "paix sociale", sans fondement constitutionnel et en violation du Code électoral.

2. Mulino a tenu ses engagements envers Gaby Carrizo et d'autres, preuve du pacte d'impunité qui lui a permis d'accéder à la présidence : aucun d'eux n'est poursuivi. Il est en revanche plus délicat d'accorder une amnistie à Martinelli, car s'il était libéré, Mulino devrait gouverner avec lui.

3. Mulino a remporté l'élection avec 34 % des suffrages exprimés, soit à peine 27 % des électeurs inscrits, en promettant le "chen chen", un retour à la prospérité en matière d'emploi qui avait marqué le gouvernement Martinelli (2009–2014), avec pour slogan "Mulino est Martinelli, Martinelli est Mulino". Ce double manquement – envers celui qui lui a apporté les voix et envers sa promesse de créer des emplois – combiné à son comportement élitiste et autoritaire typique des gouvernements d'extrême droite, lui laisse comme seul socle social les chambres patronales et les forces répressives, qui ont voté pour lui en raison des privilèges et de l'impunité dont il a bénéficié lorsqu'il dirigeait le ministère de la Sécurité sous Martinelli.

4. Ce gouvernement ne survivrait pas à un soulèvement national comme celui contre la société minière. Et dès la deuxième semaine de grève des enseignants, des signes évidents laissent entrevoir une explosion sociale : la répression continue, loin de décourager la lutte, attise l'indignation et élargit encore plus la protestation nationale.

5. Les actions répressives et les arrestations d'enseignants ont considérablement accru le nombre d'écoles rejoignant la grève et les mobilisations. Même dans les établissements où les enseignants n'avaient pas encore rejoint le mouvement, les élèves se sont mobilisés, parfois à l'initiative des parents. Des mobilisations d'élèves en uniforme ont déjà commencé dans les provinces de l'intérieur, et se propagent à la capitale. Chaque jour, école après école, se tiennent des assemblées et des manifestations de soutien à la grève, avec des déclarations de parents refusant d'envoyer leurs enfants en classe, dans tout le pays.

6. Ce mouvement extraordinaire revendique l'abrogation de la loi 462, qui réduit de moitié le montant des futures pensions, augmente l'âge de la retraite, et met en péril la sécurité sociale en confiant la gestion des fonds à des personnes nommées directement par le gouvernement et à des entreprises privées. D'autres exigences sont également portées : ne pas rouvrir la mine dont l'exploitation avait été stoppée par le soulèvement national de 2023, et annuler le mémorandum d'entente avec le gouvernement Trump, qui autorise le passage gratuit des navires de guerre américains par le canal de Panama et prévoit la réinstallation de trois bases militaires américaines dans le pays. Cette soumission du gouvernement Mulino est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour la population.

7. Ce qui s'est passé à Santiago de Veraguas, où le maire (du MOCA, parti dont le candidat est arrivé deuxième à la présidentielle) et les autorités locales ont rejoint le mouvement malgré les instructions présidentielles de faire payer 1 000 balboas pour la libération de chacun des 32 enseignants arrêtés lors d'affrontements avec la police, pourrait, si cela se reproduit dans d'autres villes et villages, entraîner une fracture institutionnelle majeure.

8. La participation croissante des élèves du secondaire au soutien de la grève, les efforts de mobilisation de Sal de las Redes sans ignorer la lutte contre la loi 462 – qui a été approuvée par 10 députés de la coalition Vamos –, les manifestations étudiantes organisées depuis les centres régionaux et les facultés ayant poussé le recteur Flores à appeler à la mobilisation, ainsi que la réapparition sur la scène politique de candidats comme Ricardo Lombana, Martín Torrijos, José Isabel Blandón, ou encore du leader de Vamos Juan Diego Vásquez, sans oublier la force des mobilisations du 1er mai, sont autant d'éléments qui montrent que nous nous rapprochons d'une situation similaire à celle de 2023.

9. Ni le recteur Flores, ni les candidats, ni le dirigeant de Vamos n'osent exiger ouvertement l'abrogation de la loi 462. Flores, sans doute dans l'espoir mal avisé de calmer les attaques du gouvernement contre l'université, n'est pas à la hauteur du rôle joué par la commission des professeurs de cette institution dans la défense de la sécurité sociale. Martín Torrijos évite le sujet car c'est son propre gouvernement qui a provoqué la faillite du régime solidaire il y a vingt ans. Quant à Lombana et aux députés de Vamos, leurs bancs ont voté pour la loi 462. Lombana ne s'est même pas exprimé publiquement à l'époque pour marquer son désaccord, tandis que Juan Diego Vásquez a soutenu les 10 députés de Vamos ayant voté avec le gouvernement, contrairement aux 10 autres, emmenés par Walkiria Chandler et Alejandra Brenes, qui ont voté contre. En revanche, le refus de Sal de las Redes de répondre à l'invitation présidentielle, dont l'objectif était de diviser les protestations entre "bonnes" et "mauvaises", renforce la voie vers un large mouvement de participation citoyenne, comme en 2023.

10. Le climat de lutte dans la Comarca Ngäbe-Buglé annonce de probables blocages imminents, qui pourraient déclencher d'autres fermetures dans tout le pays, à partir des mobilisations actuelles et de l'indispensable implication des communautés dans cette dynamique.

11. La tâche essentielle est de maintenir la grève et la mobilisation quotidienne, qui continue de croître dans les régions de l'intérieur. Il faut aussi préparer des actions juridiques préventives contre les retenues sur salaire et les menaces de non-paiement, car c'est par là que le gouvernement tente de briser la grève des enseignants.

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De Kiev à Bruxelles : la Grande Guerre patriotique comme outil de propagande de Poutine

Depuis le soulèvement de Maïdan et l'annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, la propagande du Kremlin n'a cessé de dépeindre les dirigeants ukrainiens comme des (…)

Depuis le soulèvement de Maïdan et l'annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, la propagande du Kremlin n'a cessé de dépeindre les dirigeants ukrainiens comme des nazis ou des fascistes. Les responsables russes et les médias d'État ont commencé à affirmer que les nouveaux dirigeants ukrainiens étaient des « néonazis » qui menaceraient la population russophone d'Ukraine. La Russie a également accusé les autorités ukrainiennes de « génocide » à l'encontre de la population du Donbass.

Le 24 février 2022, lors de l'annonce de l'invasion à grande échelle, la « dénazification » de l'Ukraine a été présentée comme l'objectif principal de la guerre. Sur le terrain, rien ne vient étayer les accusations de Moscou : personne n'a jamais documenté de « génocide » contre des personnes d'origine russe ou russophones, que ce soit en Ukraine ou ailleurs. Quant à l'extrême droite ukrainienne, son influence politique reste minime : lors des élections législatives de 2019, les principaux partis ultranationalistes, qui se sont présentés sur une liste commune, ont obtenu un peu plus de 2 % des voix, bien en dessous du seuil requis pour entrer au Parlement. En bref, l'image d'un « régime nazi » à Kiev repose sur un écart flagrant entre le discours et la réalité.

Cependant, le but de cette analyse n'est pas de montrer que la propagande russe est, en fait, de la propagande. Il s'agit plutôt de comprendre pourquoi les autorités russes invoquent sans cesse la Seconde Guerre mondiale – ou, dans le langage russe, la « Grande Guerre patriotique » – lorsqu'elles parlent de l'Ukraine. Comprendre cette dynamique mémorielle est essentiel pour saisir la puissance d'une rhétorique qui, malgré son absence totale de fondement factuel, continue de façonner la vision du monde russe.

Effacer la complicité soviétique dans la Seconde Guerre mondiale

L'insistance soviétique et russe à utiliser le terme « Grande Guerre patriotique » pour désigner exclusivement la période de 1941 à 1945 a un but précis : effacer les vingt et un mois qui ont précédé l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie. Entre le pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939 et l'opération Barbarossa du 22 juin 1941, Moscou et Berlin étaient des alliés de facto : ils ont coopéré étroitement sur le plan économique, coordonné leur diplomatie, envahi et partagé la Pologne en septembre 1939. Ensuite l'Union soviétique a annexé les pays baltes et déclaré la guerre à la Finlande. En réduisant la guerre à la période 1941-1945, l'URSS et la Russie ont pu nier toute responsabilité dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et se présenter uniquement comme la victime de l'agression nazie et le principal libérateur de l'Europe.

La Grande Guerre patriotique, et surtout la victoire de 1945, est devenue l'événement fondateur de l'histoire soviétique et la pierre angulaire de la mémoire collective. Mais cette mémoire, souvent présentée comme monolithique et universellement partagée, est tout sauf uniforme. Un Ukrainien de l'ouest, qui a subi deux occupations successives entre 1939 et 1944, se souvient d'une guerre très différente de celle d'un Ukrainien de l'est, dont l'expérience a été principalement marquée par la destruction nazie. Le souvenir d'un Russe n'a pas grand-chose à voir avec celui d'un Tatar de Crimée, déporté avec toute sa communauté et privé du droit au retour pendant des décennies. Quant aux Juifs soviétiques, dont les familles et les communautés ont été exterminées pendant l'Holocauste, ils ont longtemps été contraints au silence, les récits officiels ne laissant aucune place à la spécificité de leur souffrance.

Alors qu'en Europe occidentale et en Amérique du Nord, l'Holocauste est désormais considéré comme l'horreur ultime de la guerre, le mythe soviétique de la guerre efface cette tragédie en l'intégrant dans le vaste bilan humain du peuple soviétique dans son ensemble. Les souvenirs des minorités – massacres antisémites, déportations ethniques ou expériences diverses de l'occupation – ont dû être absorbés, réduits au silence et effacés.

L'expérience collective de la guerre et le discours officiel qui l'entourait ont profondément remodelé la conception du « fascisme » et de l'« antifascisme » de la population soviétique. Plutôt que de désigner une doctrine politique spécifique de l'entre-deux-guerres, le terme « fascisme » était devenu une étiquette fourre-tout pour désigner l'ennemi ultime. Trotsky ou les conservateurs britanniques pouvaient tout aussi bien être qualifiés de « fascistes », tout comme les opposants nationaux et internationaux après 1945, y compris les communistes chinois. Le mot « nazi » lui-même était rarement utilisé. Dans la vie de tous les jours, traiter quelqu'un de « fasciste » était plus une insulte grave qu'une affirmation idéologique.

Dans les années 1960 et 1970, alors que la foi dans le communisme comme projet d'avenir commençait à s'effriter, le culte de la victoire de 1945 est progressivement devenu le principal pilier de la légitimité du régime soviétique. Les commémorations sont devenues rituelles et ont fini par impliquer toutes les générations et tous les groupes sociaux : les enfants, alignés en rangs serrés, défilaient devant la Flamme éternelle ou la Tombe du Soldat inconnu ; les mariées, voiles flottant au vent et bouquets à la main, se rendaient sur les monuments aux morts pour déposer des fleurs et se faire photographier . Dans chaque ville, puis dans chaque village, des monuments commémoratifs construits par l'État, dont l'architecture solennelle visait à inscrire la mémoire de la Grande Guerre patriotique dans la vie quotidienne des citoyens, ont vu le jour.

L'ère Poutine : la mémoire comme arme

Sous Vladimir Poutine, le culte de la Grande Guerre patriotique a été ravivé. Après les manifestations pro-démocratiques de 2011 et la candidature de Poutine à un troisième mandat présidentiel en 2012, le régime a mis en place une politique délibérée de construction d'un récit historique visant à ancrer sa légitimité dans une vision de la nation assiégée. Face aux protestations généralisées contre l'autoritarisme croissant, les autorités ont choisi de présenter la Russie comme encerclée par des ennemis et Poutine comme le seul rempart capable de défendre la patrie. Pas besoin d'inventer une nouvelle idéologie : le mythe déjà bien établi de la Grande Guerre patriotique s'est naturellement imposé comme le récit stratégique du régime, fonctionnant à tous les niveaux.

La glorification de la victoire de 1945 a permis au régime de purger la mémoire collective de ses éléments spécifiquement socialistes : en ne conservant que le récit du triomphe national, la période soviétique a pu être intégrée de manière transparente dans une histoire nationale continue, sans rupture révolutionnaire. Dans le même temps, la réhabilitation de Joseph Staline en tant que vainqueur légitime a servi à légitimer l'autocratie. Les répressions massives et les politiques génocidaires qui ont coûté la vie à des millions de personnes ont été présentées comme une étape tragique mais nécessaire : elles avaient fait de l'URSS une superpuissance mondiale, capable de défendre la civilisation contre la « peste brune ».

Le Kremlin a multiplié les outils juridiques pour faire passer ce récit. Depuis 2020, la Constitution russe impose « le respect de la mémoire des défenseurs de la patrie » et interdit de « minimiser l'importance de l'héroïsme » du peuple soviétique. En avril 2021, Poutine a signé une loi qui durcit les sanctions pour les « insultes » ou les « fausses déclarations » sur la Seconde Guerre mondiale et sur ses vétérans. En décembre 2019, Poutine a lui-même réuni quelques dirigeants d'États post-soviétiques autour d'une pile de documents d'archives qui, selon lui, prouvaient des vérités historiques longtemps ignorées en Occident, les citant de manière sélective pour justifier, rétrospectivement, l'annexion de la Pologne et des États baltes par l'URSS. Poutine a ainsi instrumentalisé l'histoire, qui est devenue indissociable de l'intérêt national. Remettre en cause son interprétation équivaut à une trahison.

L'imaginaire national construit autour du culte de la Grande Guerre patriotique permet désormais de présenter toutes les actions de la Russie sur la scène internationale comme faisant partie d'une guerre éternelle contre le fascisme. Dans le discours des médias russes, il aurait été impensable de décrire le gouvernement ukrainien comme une « junte fasciste » ou comme une « clique nazie » en dehors du cadre narratif imposé par l'État au cours de la dernière décennie. L'invasion à grande échelle de 2022 est donc présentée comme la simple continuation de la Grande Guerre patriotique : un conflit ancré dans une conception cyclique du temps où la Russie, éternellement menacée par un ennemi occidental, se bat pour sa survie même, sur le sol ukrainien.

Chaque année, le 9 mai, les Russes défilent dans le Régiment immortel en portant les portraits de leurs proches qui ont combattu entre 1941 et 1945. De plus en plus, les visages de ceux qui ont combattu – ou sont morts – dans la guerre contre l'Ukraine s'ajoutent à ces rangs, comme si les deux guerres faisaient partie d'un seul et même combat sans fin. Les guerres passées et présentes se confondent, et la victoire de 1945 devient le prisme à travers lequel tous les événements – passés, présents et futurs – sont interprétés dans une chronologie historique continue.

Cette fusion symbolique explique aussi les images surréalistes des forces d'occupation russes qui, ces dernières semaines, ont placé des banderoles de propagande dans les villes ukrainiennes détruites. Bakhmout, ville inhabitable, a été transformée en scène pour célébrer le 80e anniversaire de la victoire de la Russie dans la « Grande Guerre patriotique ». Le culte de la victoire n'est pas seulement un élément central de l'imaginaire poutinien, il sert aussi de système d'exploitation pour la gouvernance intérieure et l'agression extérieure.

Élargir le récit de la guerre : de l'Ukraine à l'Europe

Ce cadre mythologique façonne aussi la politique étrangère de Moscou. Il alimente la croyance en un droit moral de « punir » les personnes accusées de collaboration avec l'ennemi ; le récit de la guerre devient un outil disciplinaire utilisé contre les pays voisins « rebelles ». Un exemple parlant est l'installation d'un écran géant à la frontière estonienne, diffusant en boucle les célébrations du Jour de la Victoire, une tentative de rappeler aux Estoniens, ainsi qu'aux Lettons et aux Lituaniens, que la victoire soviétique représente une supériorité morale inattaquable. S'identifier au discours de la Grande Guerre patriotique devient ainsi un signe de loyauté et de vertu ; le rejeter ou le remettre en question revient à prouver sa trahison, à s'exposer comme corrompu par l'ennemi et donc à être qualifié de fasciste. Grâce à ce mécanisme, le régime russe fait plus que contrôler la mémoire collective : il contrôle la sphère politique et sociale.

Dans l'imaginaire collectif russe, le mot « fascisme » a perdu tout lien avec une idéologie politique spécifique et désigne désormais uniquement une menace abstraite et absolue : le désir de détruire la Russie. Il est devenu synonyme d'« ennemi » ou de « russophobe », désignant toujours l'Autre, jamais un mouvement historiquement défini. Cette séparation entre le mot et son sens permet au régime de glorifier la victoire antifasciste tout en promouvant ouvertement un discours xénophobe, homophobe ou ultraconservateur, sans aucune contradiction apparente.

Le mot « dénazification », utilisé par Vladimir Poutine le 24 février 2022 pour justifier l'invasion, a d'abord laissé perplexes de nombreux Russes, qui ne connaissaient pas ce terme dans ce contexte. Peu après, l'agence de presse officielle RIA Novosti a publié un article de Timofey Sergeytsev – « Ce que la Russie doit faire avec l'Ukraine » – visant à clarifier sa signification : La « dénazification » était décrite comme un « nettoyage total », visant non seulement les prétendus dirigeants nazis, mais aussi « les masses populaires qui sont des nazis passifs », jugées coupables d'avoir soutenu le « gouvernement nazi ». Selon Sergeytsev, l'Ukraine moderne cache son nazisme derrière des aspirations à « l'indépendance » et au « développement européen ». Pour détruire ce nazisme, il faut « dé-européaniser » l'Ukraine. Dans cette logique, la dénazification devient synonyme d'élimination de toute influence occidentale en Ukraine et de démantèlement de l'existence du pays en tant qu'État-nation et société distincte. Incubé sur les plateformes officielles de l'État, ce discours révèle la véritable portée de la « dénazification » : un projet à grande échelle visant à effacer toute trace de singularité ukrainienne, un plan directeur pour le génocide.

L'article récemment publié sur le site officiel du Service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie (SVR), intitulé « L'eurofascisme, aujourd'hui comme il y a 80 ans, est un ennemi commun de Moscou et de Washington », illustre de manière frappante l'expansion du discours sur la « dénazification » bien au-delà de l'Ukraine. L'image qui l'accompagne montre un monstre hybride grotesque : son corps a la forme d'une croix gammée noire avec le cercle d'étoiles de l'UE au centre, tandis que sa tête est une caricature d'Ursula von der Leyen. La créature, les griffes ensanglantées tendues, est prise entre deux baïonnettes, l'une américaine, l'autre russe/soviétique. Cette image grotesque n'est pas seulement une provocation : elle reflète un discours profondément ancré dans la propagande d'État russe, où l'« eurofascisme » devient un concept opérationnel englobant toutes les sociétés européennes.

Un tel message, approuvé par les plus hautes sphères de l'État, aurait pu sembler absurde, voire comique, il y a quelques années encore, à l'instar de la rhétorique autour des « Ukronazis », que même les figures de l'opposition russe ne prenaient pas au sérieux, la qualifiant de cynique écran de fumée. Mais le point de basculement de 2022 a révélé la véritable nature de ces discours : le fondement idéologique d'une invasion à grande échelle, préparée de longue date dans la sphère informationnelle. Aujourd'hui, une partie de la société européenne, en particulier certains éléments de la gauche pacifiste, tombe dans le même piège : sous-estimer ou ignorer la dynamique de propagande en cours. Mais la machine est déjà en marche. Le langage du fascisme s'élargit chaque jour pour inclure de nouveaux ennemis désignés, et la guerre idéologique change de cap : elle ne s'arrête plus à l'Ukraine, elle vise désormais toute l'Europe. Face à cette reconfiguration brutale du discours officiel russe, la complaisance ou la passivité sont elles-mêmes devenues des formes d'aveuglement stratégique.

Hanna Perekhoda le 8 mai

Traduit Deepl revue ML

https://www.valigiablu.it/kyiv-brussels-great-patriotic-war-putin-propaganda
Publié par Réseau Bastille : https://www.reseau-bastille.org/2025/05/08/de-kiev-a-bruxelles-la-grande-guerre-patriotique-comme-outil-de-propagande-de-poutine/

À propos de la photo qui illustre ce texte : "La célèbre photographie du drapeau de l'URSS hissé sur le Reichstag symbolise souvent ce qui est présenté comme la victoire finale sur le monstre nazi. Cette photographie n'est pas celle de la prise du bâtiment mais une pose organisée quelques jours après. Elle a été retouchée pour enlever les montres des soldats, produits du pillage. Le photographe, Eugenie Khaldeï, juif du Donbass, sera victime des campagnes antisémites staliniennes quelques années plus tard, et perdra à nouveau son emploi, pour les mêmes raisons, sous Brejnev en 1972. Le soldat qui hisse le drapeau, Meliton Kantara, géorgien, est mort en 1993 réfugié à Moscou suite aux affrontements dans son Abkhazie natale ; la maison familiale sera détruite par l'armée russe lors de l'attaque de la Géorgie en 2008. Sur les deux autres soldats, l'un était russe, l'autre ukrainien". Vincent Présumey,
https://aplutsoc.org/2025/05/08/8-mai-1945-8-mai-2025/

Europe : Déception des gouvernements de droite et montée de la gauche radicale nordique

13 mai, par Denys Pilash, Nils Andersson — , ,
Li Andersson, l'une des personnalités politiques les plus populaires de Finlande, a dirigé son parti de 2016 à 2024, s'est présentée comme candidate à la présidence et a occupé (…)

Li Andersson, l'une des personnalités politiques les plus populaires de Finlande, a dirigé son parti de 2016 à 2024, s'est présentée comme candidate à la présidence et a occupé le poste de ministre de l'Éducation de 2019 à 2023. Elle préside maintenant la commission du Parlement européen chargée des droits sociaux et du travail.

7 mai 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74889

Andersson a été la voix de la solidarité avec l'Ukraine parmi les forces socialistes démocratiques européennes, plaidant pour un soutien global et une annulation de la dette pour le pays, ainsi que pour des sanctions plus sévères contre la Russie en tant qu'État agresseur, y compris des mesures ciblant la « flotte fantôme » de la Russie.

Denys Pilash : Au sein du groupe de gauche du Parlement européen, ce sont les partis écosocialistes nordiques qui prennent la position la plus claire en faveur de l'Ukraine. Et ce sont eux qui se sont le plus renforcés lors des dernières élections européennes. En particulier, votre Alliance de gauche a triplé son score pour atteindre 17,3 %, et vous avez personnellement établi un record national du nombre de voix obtenues en tant que députée européenne. Comment expliquez-vous ça ? Quel est votre secret ?

Li Andersson : Je pense qu'il est important de souligner que la gauche française et la gauche portugaise ont aussi voté en faveur de l'Ukraine, même sur la question des armes, donc ça ne concerne pas seulement les partis de gauche nordiques. On en parle moins dans les pays nordiques et on a aussi voté pour que des armes à longue portée ou des missiles puissent être utilisés par l'Ukraine sur le territoire russe. Ça a clairement divisé le reste de la gauche.

Si tu regardes les pays nordiques, ce ne sont pas des superpuissances. Les gens essaient de faire de la géopolitique uniquement en termes d'équilibre entre superpuissances, donc tout tourne autour des États-Unis et de la Russie. On ne peut pas vraiment intégrer d'autres pays dans ce genre de contexte ou de façon d'analyser le monde, on ne donne pas vraiment d'importance à ce que veulent les Ukrainiens ou les citoyens baltes et les États baltes. Venant de petits pays nordiques, on a la même analyse que la gauche ukrainienne sur ce qu'est l'impérialisme russe et sur l'importance de soutenir ceux qui doivent le combattre de les pires conditions qui soient. On travaille aussi beaucoup ensemble, et cette coopération est bénéfique. Dès le début de l'invasion, alors que de nombreux partis discutaient de la position à adopter sur ces questions, notre position a été soutenue par la coopération étroite qu'on a établie.

Certains militants de gauche sont coincés dans une sorte de dogmatisme issu de leur propre tradition. On entend beaucoup ce genre de discours pacifiste au sein de la gauche européenne, que les gens répètent simplement parce qu'ils ont l'impression que ce discours a toujours existé, qu'il fait partie de leur identité de parler et de penser d'une certaine manière. Et le danger, dans le cas de l'Ukraine, c'est que ça mène à une conclusion politique qui ne tient pas compte de la réalité de l'Ukraine et de la lutte contre l'impérialisme russe. Je sais que je simplifie à l'extrême, mais on voit sans cesse ce genre de logique : « les armes, c'est mal, donc on s'y oppose », ou « on ne veut pas d'une guerre plus grande, donc on s'oppose aux armes pour qu'il n'y ait pas d'escalade ». Les partis rouges-verts nordiques ont fait un gros boulot pour se moderniser, dépasser ce dogmatisme, et maintenant on a une analyse rouge-verte moderne du monde et des sociétés. C'est plus facile pour nous de ne pas rester coincés dans une certaine tradition dogmatique, au moins dans ce cas-là.

Il y a deux raisons pour lesquelles on a de bons résultats aux élections : l'une est liée au boulot qu'on a fait, et l'autre est liée à la mauvaise qualité du boulot de l'extrême droite. La gauche dans les pays nordiques a beaucoup profité d'une ligne très logique et cohérente en matière de droit international et de droits humains. Tous ces partis se sont donc exprimés très clairement sur les violations du droit international par Israël, ont clairement soutenu le peuple palestinien et ils se sont aussi clairement prononcés contre les violations du droit international par la Russie, tout en affirmant clairement leur solidarité avec l'Ukraine. Et c'est logique. C'est un raisonnement tout à fait logique si on se dit en faveur du droit international et des droits de l'homme, et je pense que c'est le cas des électeurs. De plus, ils ont approuvé notre analyse et notre position sur ce sujet. Et on voit bien que la droite dans les pays nordiques est, bien sûr, très anti-russe et condamne les violations du droit international par la Russie. Mais quand il s'agit d'Israël, elle ne fait pas de même. Son raisonnement n'est pas logique. Et puis, on voit certaines parties de la gauche qui sont très claires sur Israël, mais pas très claires sur la Russie ou l'Ukraine. La gauche nordique a fait du bon boulot là-dessus.

Et bien sûr, dans les élections européennes, on parle aussi beaucoup du changement climatique, des droits des travailleurs, d'un programme qui combine les thèmes traditionnels de la gauche en matière de marché du travail, de droits sociaux et de services sociaux, avec une ligne ambitieuse en matière de politique climatique et environnementale.

Les résultats des élections européennes en Europe du Nord ont-ils aussi été influencés par la déception des électeurs face aux gouvernements de droite qui ont mené des politiques antisociales ?

Oui, l'autre raison était, comme je l'ai dit, qu'au moment des élections, la Finlande et l'Italie étaient les seuls pays de l'UE où l'extrême droite était au pouvoir. En Suède, elle n'est pas au gouvernement, mais elle soutient le parti au pouvoir. Elle est donc presque au gouvernement car elle dispose même de bureaux dans les bâtiments gouvernementaux. Elle vote les budgets, mais elle n'a pas obtenu de postes ministériels. En Finlande et en Suède, les gens ont vu quel genre de politique ces partis mènent lorsqu'ils sont au pouvoir. Donc, d'une manière triste, on est en quelque sorte en avance sur l'évolution de l'Europe. Parce qu'en France, en Allemagne, en Autriche, en Espagne, même au Portugal, etc., on voit les partis d'extrême droite se développer partout, mais, nous, on a déjà vu ça, et maintenant on voit ce qu'ils font réellement lorsqu'ils arrivent au pouvoir.

Dans le contexte finlandais, ça a donné les pires politiques d'austérité que ce pays ait connues dans son histoire moderne. J'ai été chef de parti pendant huit ans, j'ai donc mené de nombreuses campagnes électorales, et je n'ai jamais vu autant de gens en larmes que pendant la campagne pour les élections européennes, parce qu'ils étaient très inquiets pour l'avenir de notre pays, et certains s'inquiétaient simplement de savoir comment ils allaient joindre les deux bouts, car les aides sociales ont été sévèrement réduites, en particulier pour les travailleurs à faibles revenus, les familles pauvres et les chômeurs. En plus de ça, ils ont aussi fait passer des réformes du marché du travail. Je les qualifie de « thatchériennes ». Je pense que le thatchérisme décrit très bien l'extrême droite en Finlande. Ils ont donc restreint le droit de grève. Ils vont faciliter le licenciement des travailleurs. Ils poussent à des réformes qui vont réduire la couverture des conventions collectives. Ils poussent aussi pour des réformes qui plafonneront les augmentations salariales des travailleurs du secteur public. À long terme, ce genre de mesures entraînera une transformation structurelle du marché du travail finlandais, qui nuira vraiment à la capacité des syndicats à défendre les travailleurs, mais aussi à la croissance réelle des salaires.

En Suède aussi, le système de santé est en crise. Le gouvernement est plus intéressé par les allégements fiscaux pour les riches que par l'octroi de ressources suffisantes à un système de santé en crise. On voit beaucoup de choses similaires, à l'exception des politiques du marché du travail, car les syndicats et les employeurs gardent ça pour eux ; mais on observe beaucoup d'attaques similaires contre le secteur public, combinées bien sûr à des restrictions en matière d'immigration, à des attaques contre les services publics et à plein d'autres choses. En Finlande, ils ont adopté une loi sur l'asile qui est contraire au droit international et au droit européen.

Notre message principal lors des élections européennes était d'empêcher que le même type de glissement vers l'extrême droite ne se produise au niveau européen, parce qu'on a déjà vu ce que ça veut dire en Finlande. L'Europe ne l'a pas vu. Ce message a été très bien reçu. Malheureusement, même si les pays nordiques ont obtenu de bons résultats, le reste de la gauche européenne n'a pas été aussi performant.

On assiste donc maintenant à un glissement du pouvoir vers l'extrême droite. Au début, il semblait qu'elle n'aurait pas d'influence sur la politique, au Parlement européen. Mais ces deux derniers mois, on a vu que ce n'était pas le cas. Le PPE, qui représente la droite traditionnelle, est prêt à former des majorités avec l'extrême droite et la droite radicale. Quand ça leur convient, ils sont prêts à utiliser cette majorité pour faire passer des lois au niveau national. À gauche, on n'était pas surpris que la droite fasse ça. Mais je pense que les sociaux-démocrates, les verts et les libéraux sont choqués. Et maintenant, la grande question au niveau européen est de savoir si ces groupes seront prêts à élaborer une stratégie pour contrer cette montée de la droite et lui couper l'herbe sous le pied. Sont-ils prêts à travailler avec les groupes politiques européens pro-démocratiques qui soutiennent l'Ukraine, ou sont-ils en fait prêts à gouverner avec le soutien de Meloni et Le Pen ?

Oui, en gros, ces gouvernements de droite ont mis en place les mêmes politiques sociales que notre bloc économique au sein de notre propre gouvernement. Tu présides maintenant la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen. Que peux-tu dire sur les moyens d'améliorer la situation des droits du travail dans l'UE et en Ukraine ?

Je sais qu'il y a une grande différence dans les pays nordiques. Si on regarde le Danemark et la Suède, le modèle traditionnel nordique du marché du travail fonctionne toujours, ce qui veut dire que le gouvernement n'intervient pas vraiment, mais laisse les acteurs du marché du travail décider eux-mêmes, négocier, etc. En Finlande, ce système est déjà cassé. Dans la plupart des pays européens, on n'a pas ce modèle nordique du marché du travail, donc c'est plus dirigé par le gouvernement. Les syndicats finlandais disaient que l'UE était la meilleure amie des travailleurs parce que, jusqu'à présent, de leur point de vue, la législation qui venait de l'UE était meilleure que celle des gouvernements nationaux, les gouvernements de droite. Ils ne diraient pas ça en Suède ou au Danemark, parce qu'ils ont encore le pouvoir là-bas.

Mais je pense que tous les autres pays devraient y réfléchir, car cela signifie pour moi qu'il y a encore de la place dans la politique européenne pour des politiques progressistes en matière de droits des travailleurs. Je venais de cette terrible situation de gouvernement de droite en Finlande. Quand j'ai étudié au Parlement européen, au sein de la commission, j'ai été très agréablement surpris de voir à quel point la commission écrivait de manière positive sur les négociations collectives. Même les groupes de droite au sein de la commission y sont plutôt favorables. Je pense donc qu'en tant que gauche, on devrait faire pression au niveau européen pour obtenir une politique du marché du travail aussi progressiste que possible. Je pense que c'est un domaine où l'extrême droite aurait du mal à s'imposer.

Et on devrait aussi bosser avec les syndicats et les mouvements sociaux ukrainiens. Parce que pour moi, je sais pas ce que tu en penses, mais pour moi, tout ce débat et cette perspective d'adhésion de l'Ukraine à l'UE sont quelque chose qu'on devrait utiliser pour pousser à l'amélioration de la législation sur le marché du travail, en utilisant cet argument de l'UE selon lequel pour que l'adhésion de l'Ukraine à l'UE devienne une réalité, il faut adopter une législation du travail qui garantisse une couverture aussi large que possible des négociations collectives. L'UE fait aussi beaucoup pour la santé et la sécurité des travailleurs, les substances dangereuses, la réglementation des quantités, etc. Je pense donc qu'il pourrait y avoir beaucoup de coopération sur ce thème entre la gauche au Parlement européen et les mouvements sociaux et syndicaux ukrainiens.

Li Andersson

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P.-S.
Réseau Bastille

https://www.reseau-bastille.org/2025/05/07/interview-de-li-andersson-et-jonas-sjostedt-alliance-europeenne-de-la-gauche-pour-le-peuple-et-la-planete-par-denys-pilash-pour-commons/

Entretien avec Li Andersson par Denys Pilash

Traduction Deepl revue ML

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Intervention d’Olivier Besancenot à Paris le 6 mais 2025 au meeting contre la dissolution d’Urgence Palestine et de la Jeune Garde

13 mai, par NPA — , ,
La LDH réaffirme son opposition au pouvoir de dissolution des associations ou groupements de fait par décret en Conseil des ministres. La mort d'une association est une (…)

La LDH réaffirme son opposition au pouvoir de dissolution des associations ou groupements de fait par décret en Conseil des ministres. La mort d'une association est une atteinte extrêmement grave à la liberté d'association, qui a été proclamée principe fondamental reconnu par les lois de la République par le Conseil constitutionnel en 1971.




Non à la dissolution d'associations par l'exécutif ! Ligue des droits de l'Homme

Signez la pétition : http://stop-dissolution.fr

Il pourrait être admis qu'en cas de groupe armé violent, l'exécutif dispose d'un pouvoir de suspension de ses activités. Mais la loi du 10 janvier 1936 a prévu la dissolution des groupes de combat ou des milices armées en ne réservant pas ce pouvoir au juge judiciaire mais au président de la République. La LDH a combattu la loi « séparatisme » notamment parce qu'elle étend les possibilités de dissolution des associations existantes, par exemple en cas d'appel à des « agissements violents à l'égard de personnes ou de biens » (sic !), ou même de tels actes réalisés par de simples membres. Le pouvoir exorbitant de dissolution est ainsi devenu un des moyens de maintien de « l'ordre public », ce qui banalise le recours à cette mesure extrême. La LDH a dénoncé l'atteinte à la liberté d'association et les risques pour la démocratie que fait encourir ce texte.

Il est certes possible de saisir le juge des référés d'un recours en suspension du décret de dissolution mais ce juge n'a pas le même pouvoir d'appréciation que lorsqu'il est saisi d'un recours pour excès de pouvoir. Or, l'annulation intervient longtemps après la mesure et l'association risque fort de ne plus pouvoir se reconstituer, ayant perdu ses adhérents, ses salariés, son local…

Depuis l'entrée en vigueur de la loi « séparatisme » de 2021, les dissolutions se multiplient (un quart de toutes celles prononcées depuis 1936), ce qui démontre la justesse de notre analyse.

Voici qu'il est annoncé la dissolution d'un groupe se proposant de combattre le fascisme, la Jeune Garde, ou d'un autre luttant pour la cause du peuple palestinien, Urgence Palestine.

Il est légitime de critiquer les modes d'action ou les positions de toute association, donc de ces groupes. Mais ce n'est pas l'exécutif qui doit devenir le censeur de la pensée ou des positions politiques. Si une infraction est commise, le juge pénal doit être saisi et l'association disposera alors des droits de la défense. Là, le juge administratif statuera sur des « notes blanches » du renseignement, non signées, dont le contenu procède plus par affirmations que par analyse de faits précis. La LDH refuse ce pouvoir exorbitant de l'exécutif, qui met en péril la liberté d'association et la liberté d'expression. Elle demande l'abandon des menaces de dissolution

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Belgique. « Grèves générales à répétition : une stratégie de l’usure »

13 mai, par Mateo Alaluf — , ,
Bruxelles, 29 avril 2025. Moins d'un mois après la précédente [voir sur la grève du 31 mars l'article publié sur ce site le 4 avril], à l'appel du Front commun syndical (…)

Bruxelles, 29 avril 2025.

Moins d'un mois après la précédente [voir sur la grève du 31 mars l'article publié sur ce site le 4 avril], à l'appel du Front commun syndical (Fédération générale du travail de Belgique FGTB et Confédération des syndicats chrétiens CSC), la Belgique a été à nouveau en grève générale ce 29 avril. Une nouvelle fois, les transports publics ont été à l'arrêt, les aéroports fermés, les vols annulés et le port d'Anvers entièrement paralysé. La grève a été largement suivie dans les services publics et le secteur privé. Même la justice est en révolte contre « une attaque sans précédent du gouvernement contre le pouvoir d'achat et l'indépendance des juges » : les tribunaux ont fonctionné au ralenti et le ministère public ne procédera plus à la suspension d'exécution des peines d'emprisonnement de moins de 5 ans voulue par le ministre de la Justice en raison de la surpopulation carcérale. Dans toutes les grandes villes, à l'appel des syndicats, manifestations et rassemblements ont dénoncé les mesures visant frontalement les services publics et la sécurité sociale.

5 mai 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/societe/syndicats/belgique-greves-generales-a-repetition-une-strategie-de-lusure.html

Le mouvement n'a même pas connu de répit pendant le mois qui a séparé les deux grèves générales : les chemins de fer ont été à l'arrêt tous les mardis d'avril, les enseignants ont mené des grèves tournantes dans la semaine du 7 au 11 avril, le secteur de la petite enfance a suivi le 16 avril et les services sociaux (CPAS) en sous-effectifs et dans l'incapacité d'accueillir les exclus du chômage se sont joints au mouvement le 24 avril. Alors que les patrons appelaient les syndicats « à quitter la rue et venir négocier », ceux-ci ont engagé contre la réforme du chômage une action devant les tribunaux et un recours devant la Cour constitutionnelle.

Après cette nouvelle grève générale, des mobilisations sont déjà programmées par les syndicats : des actions sont prévues dans les services publics le 20 mai, le 22 une manifestation du secteur non marchand et le 27 juin, à la veille des vacances, une concentration à Bruxelles devrait marquer la fin de la première phase du mouvement contre les décisions déjà prises par le gouvernement. Pour relancer le mouvement, une grande manifestation est prévue en septembre – au moment où une deuxième vague de mesures sera annoncée – sans doute davantage ciblée contre la réforme des retraites et les exclusions du chômage [1].

Les dernières élections législatives avaient conduit à la formation d'un gouvernement nettement marqué à droite, résolu à pressurer et fragiliser la sécurité sociale, amoindrir les services publics et affaiblir les organisations mutualistes et syndicales. Si bien que le bras de fer engagé entre le gouvernement Arizona [2] et le Front commun syndical a pris l'aspect d'un véritable règlement de comptes qui s'installe donc dans le temps [3]. Pour y répondre dans la durée, les organisations syndicales ont conçu une véritable stratégie de l'usure par une succession de grèves et manifestations à répétition.

Cette stratégie viendra-t-elle à bout de la détermination du gouvernement ? Le mécontentement et la révolte contre les « réformes » sont grands. Mais les mobilisations sans résultat immédiat ne risquent-elles pas de s'essouffler ? Tant que les actions syndicales sont prévisibles dans la durée, le gouvernement comme le patronat sont habitués à faire le dos rond en attendant que l'orage soit passé. En conséquence des militants et des centrales syndicales suggèrent de durcir le mouvement. Pourquoi pas des grèves au finish [arrêt du travail pour une durée indéterminée] ? Lors des rassemblements du 1er Mai, était présent dans les mémoires le souvenir des 5 semaines de grève générale de l'hiver 1960-1961 contre une loi dite « unique » visant précisément la sécurité sociale et les services publics qui avait fait chuter le gouvernement.

Face à des actions programmées, la détermination du gouvernement, le plus à droite de l'après-guerre, paraît grande. Mais la force des mouvements sociaux ne réside-t-elle pas précisément dans leur imprévisibilité ? (2 mai 2025)


[1] Pour le quotidien Le Soir du 28 avril, la secrétaire générale de la CSC, Marie-Hélène Ska, illustre au travers d'un cas concret ce qu'implique cette contre-réforme : « La caissière du Cora qui, en 2027, devra s'inscrire au chômage à l'âge de 60 ans. Elle pense qu'elle aura droit à plus de deux années de chômage parce qu'elle disposera des 32 années de carrière requises. Or, il s'agit d'années prestées à temps plein, alors que le temps de travail standard chez Cora, c'est un 4/5e temps. Pour elle, 32 années ne suffiront pas à éviter l'exclusion. » (Réd.)

[2] Arizona est le nom donné à la coalition gouvernementale fédérale dominée par les nationalistes flamands NVA (couleur jaune) et les libéraux francophones MR (bleu), comprenant également les socialistes flamands (rouge) et les chrétiens démocrates flamands et francophones (orange). Ces couleurs correspondent à celles du drapeau de l'état de l'Arizona. Après le succès de la droite aux dernières élections législatives, la coalition Arizona a succédé au gouvernement Vivaldi de centre gauche.

[3] Conjointement à la mobilisation syndicale du 29 avril, le collectif « Commune colère » a placardé le slogan sur la Tour des Finances (qui fait partie de la Cité administrative de l'Etat) : « 383 milliards d'évasion fiscale : Arizona vole dans les mauvaises poches ». Une membre du collectif déclare au quotidien Le Soir (29 avril) : « Alors que les travailleurs sont sommés de trimer plus pour gagner moins, les entreprises reçoivent un cadeau d'un milliard d'euros en réduction de cotisations. Le gouvernement aligne ses priorités sur l'agenda de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), au détriment de l'immense majorité de la population. » Le collectif conclut : « Il n'y aura pas de paix sociale sans justice sociale, ni de justice sociale sans chute du gouvernement Arizona. » (Réd.)

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