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Le CACV : 50 ans de luttes à Verdun
Cette exposition a été préparée par Archives Révolutionnaires et le Comité d’action des citoyennes et citoyens de Verdun. Elle a été présentée pour la première fois le 19 septembre 2025, à l’occasion du 50e anniversaire du CACV.





À Blainville, la CAQ choisit Stablex plutôt que la santé publique
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Les profs albertains forcé de rentrer en classe après une autre ingérence
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Après les ententes, poursuite de la mobilisation des syndicats du secteur public !

En décembre 2023, l’adoption par les organisations syndicales de l’entente de principe à la table centrale met fin au Front commun intersyndical du secteur public, le plus gros et le plus important depuis celui de 1972. La signature et l’application des nouvelles conventions collectives se sont effectuées durant l’année suivante. D’autre part, les grandes réformes du secteur public votées par le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) il y a plus d’un an commencent à être mises en application dans le domaine de l’éducation et de la santé, notamment. C’est donc le moment de dresser un bilan de la mobilisation historique des travailleuses et travailleurs de l’État. Cette opération s’inscrit dans une pratique militante et vise à évaluer l’efficacité de notre lutte au regard de la progression du mouvement syndical dans le secteur public au cours de son histoire. Ce bilan nécessite d’abord une explicitation historique des réformes qui ont précédé le dernier Front commun. Celle-ci sera suivie par un rappel des grandes attaques de la CAQ contre le secteur public. Finalement, le texte proposera une lecture de la dernière ronde des négociations et des mobilisations en cours vis-à-vis des réformes néolibérales.
40 ans de politiques d’austérité
L’application mur à mur de politiques d’austérité par nos gouvernements successifs remonte à 1982. Cette année marque un tournant dans les relations de travail du secteur public au Québec. Le Parti québécois de René Lévesque, alors au pouvoir, impose par décret des conventions collectives iniques aux 320 000 travailleuses et travailleurs du secteur public. Le droit de grève est suspendu. Les lois 70 et 105 imposent des baisses salariales de 20 % pour les trois premiers mois de 1983, un gel salarial pour la première année de la convention collective et une augmentation salariale inférieure à l’indexation pour les deux autres années, et ce, dans un contexte où l’inflation est très élevée[1]. Des conditions de travail à la baisse sont décrétées, dont un alourdissement de la tâche, avec des pertes d’emploi en corollaire. En février 1983, face aux syndicats réfractaires des enseignantes et enseignants du primaire, du secondaire et des cégeps en grève illégale depuis trois semaines – les autres organisations syndicales ont été en grève quelques jours en janvier – le gouvernement Lévesque suspend la Charte des droits et libertés et fait adopter la loi 111, une loi abusive qui ordonne le retour au travail[2] sous peine de sanctions très sévères (congédiement discrétionnaire, perte d’ancienneté, non-perception de la cotisation syndicale). En 1985, la loi 37 fixe de façon rigide un nouveau cadre de négociation des conventions collectives du secteur public, d’exercice du droit de grève et ajoute de nouvelles dispositions concernant les services essentiels[3]. Depuis lors, le mouvement syndical s’est fait plus discret au moment des négociations dans le secteur public et les gouvernements successifs ont pu adopter leurs politiques d’austérité sans trop d’entraves.
En 1996, le nouveau « pacte social » négocié entre le gouvernement de Lucien Bouchard, le patronat et les centrales syndicales vise l’atteinte du déficit zéro pour l’an 2000[4]. Pour ce faire, le gouvernement annonce des coupes budgétaires de 3,2 milliards de dollars pour trois années consécutives[5]. Les services publics voient leur financement réel fondre face à l’inflation galopante et s’en trouvent grandement détériorés.
Lorsque les libéraux prennent le pouvoir en 2003 sous la gouverne de Jean Charest, les fonds publics sont siphonnés vers le privé : cliniques privées, groupes de médecins de famille et écoles privées subventionnées gagnent alors du terrain. Les travailleuses et travailleurs de l’État, de leur côté, écopent de gels de salaire entre 2003 et 2005. Sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard, les services publics se voient imposer davantage de bureaucratie et de centralisation par des politiques issues de la nouvelle gestion publique ; c’est la création des supercentres intégrés de santé et services sociaux (CISSS)[6] et les commissions scolaires deviennent davantage subordonnées au contrôle du ministère de l’Éducation qui dicte les orientations, les objectifs et les cibles, notamment pour les plans de réussite. Le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) prendra le relais de ces orientations centralisatrices et abolira les élections scolaires en 2020 ; les commissions scolaires francophones sont transformées en centres des services scolaires dirigés par des non-élu·e·s. Il en résulte pour la population québécoise des files d’attente interminables pour recevoir des services, et des services expéditifs deviennent la norme.
Les attaques de la CAQ contre le secteur public
En 2023, la bataille s’annonce donc décisive pour les services publics lorsque la CAQ dépose l’un après l’autre ses projets de réformes. D’abord en éducation, Bernard Drainville fait adopter une centralisation des pouvoirs par le ministre de l’Éducation, ce qui lui permettra de nommer les membres du conseil d’administration des centres de services scolaires et d’annuler leurs décisions. Puis, il limite davantage l’autonomie professionnelle des enseignantes et enseignants en créant l’Institut national d’excellence en éducation qui mise sur les « données probantes[7] » pour déterminer le perfectionnement des enseignants, ce qui, à leurs yeux, permettrait sans doute de régler les nombreux problèmes du système d’éducation public… La loi réduit le Conseil supérieur de l’éducation en un Conseil de l’éducation supérieure. Cet organisme consultatif indépendant, vieux de 60 ans, n’aura plus rien à dire sur l’éducation obligatoire. Il était une voix de réflexion critique intolérable pour le ministère de l’Éducation[8].
En santé, le gouvernement met sur pied l’agence Santé Québec qui sera dirigée par une « top gun » du privé – selon l’expression du ministre de la Santé – et imposera sa vision à l’ensemble des travailleuses et travailleurs du système public de santé. Les infirmières se font demander plus de flexibilité et de mobilité. Il est aussi prévu de créer des minihôpitaux privés avec des fonds publics pour soi-disant désengorger le réseau public. On évoque aussi la possibilité de permettre aux médecins de pratiquer à la fois dans le régime public et au privé.
Ces réformes jettent de l’huile sur le feu et attisent immédiatement une montée de boucliers de la part des syndicats. Ceux-ci, à travers leur présence médiatique et par des campagnes publiques, réussissent habilement à obtenir la sympathie du public : 52 % des Québécoises et Québécois appuient les demandes du Front commun contre 28 % pour le gouvernement[9]. L’écran de fumée des réformes de la CAQ dissipé, le parti de François Legault baisse substantiellement dans les sondages : sa cote de popularité fond de 10 % en l’espace d’un mois[10]. À cela s’ajoutent des dépenses qui sont vues comme du gaspillage d’argent public, notamment des hausses de salaire de 30 % pour les député·e·s et l’octroi de 5,6 millions de dollars pour accueillir à Québec des matchs de hockey des Kings de Los Angeles. Les organisations syndicales CSN, FTQ, CSQ, APTS, FAE et FIQ[11] réussissent à convaincre la population que la CAQ opère une destruction des services publics et met ceux-ci sous sa coupe au moyen d’une centralisation sauvage. De cette façon, le gouvernement caquiste de centre droit s’inscrit dans la continuité des gouvernements de Lucien Bouchard (dont François Legault a été ministre), de Jean Charest et de Philippe Couillard. À la différence cependant que la CAQ avait compris l’importance du secteur public lors de la pandémie de COVID-19. Ainsi, lorsqu’il change son fusil d’épaule au moment des négociations et fustige celles et ceux qu’il appelait nos « anges gardiens », il perd de sa crédibilité.
Dans les secteurs privé et parapublic, avant le Front commun, on assiste également à un regain des moyens de pression lors des négociations collectives. Les conflits de travail de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, se multiplient. Qu’il s’agisse des syndiqué·e·s de la Société québécoise du cannabis (SQDC), du cimetière Notre-Dame-des-Neiges ou du port de Québec, le Québec enregistre une hausse importante des heures de grève[12].
Le moment du Front commun
Le Front commun intersyndical de 2023 réunit les syndiqué·e·s de l’APTS, la CSN, la CSQ et la FTQ. Il est composé de plus de 420 000 personnes. À cela s’ajoute la Fédération autonome de l’enseignement qui représente 65 000 enseignantes et enseignants répartis dans 40 % des écoles de la province. Avec la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) qui représente 80 000 infirmières, on en arrive à un dixième de la population active au Québec qui est en négociation. À l’automne 2023, les syndiqué·e·s se dotent de mandats de grève générale illimitée avec une écrasante majorité (certains votes sont presque unanimes)[13] !
À la fin du mois de novembre 2023, alors que la grève est déclenchée chez les enseignantes et enseignants de la FAE et que les membres du Front commun commencent des séquences ponctuelles de débrayage, la CAQ contre-attaque avec un discours de panique morale qui aura cependant très peu d’échos dans la population. « Je demande aux syndicats d’enseignants d’arrêter la grève pour le bien de nos enfants[14] », déclare le premier ministre Legault. La rhétorique voulant que les grévistes, en cessant de donner un service essentiel, prennent en otage la population (les élèves et les patients) ne fonctionne plus dès lors que ces services essentiels sont malmenés par des dizaines d’années de coupes et d’austérité néolibérale. L’appui des parents à la grève de la FAE se manifeste sur les lignes de piquetage et en ligne. Le groupe Facebook Entraide pour les profs en grève rassemble 6 600 membres. Les étudiantes et étudiants en enseignement de l’UQAM se joignent à la mêlée et partent en grève générale illimitée le 25 novembre. En décembre, selon un sondage léger, 72 % des Québécoises et Québécois appuieraient une grève de la FIQ[15]. Lorsque le Front commun débraye, des manifestations importantes sont organisées à Trois-Rivières, Québec, Sherbrooke, Rimouski.
À Montréal, l’injonction du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) interdisant aux syndiqué·e·s de piqueter devant les écoles a pour effet de rassembler les enseignantes et enseignants dans des manifestations plus larges. Elles et ils augmenteront la pression, d’abord en occupant les bureaux du Conseil du trésor au centre-ville de Montréal, puis en bloquant momentanément l’accès au port de Montréal avec l’appui des camionneurs.
La bataille de l’opinion publique semble perdue pour le gouvernement de la CAQ. Sortir un décret forçant le retour au travail des grévistes aurait signifié pour lui la perte de toute légitimité. Le gouvernement est forcé de négocier. Il tentera bien de laisser durer la grève générale illimitée des enseignantes et enseignants pour renverser la vapeur en sa faveur, car il sait que ceux-ci n’ont pas de fonds de grève, mais sans succès. Sur les piquets de grève, les enseignantes et enseignants reçoivent du support moral et financier d’autres syndiqué·e·s. Ceux-ci savent bien que l’issue de la grève et la convention collective que le Front commun obtiendra peuvent avoir des répercussions pour les négociations à venir dans leur secteur.
La CSQ sera la première à signer une entente de principe sectorielle, les pressions de la FAE ayant sans doute une influence dans l’avancement de la négociation à leur table. Comme l’écrivait Jean-Marc Piotte à propos des toutes premières rondes de négociations dans le secteur public, la stratégie employée par le gouvernement consiste à laisser trainer les négociations avec les groupes les plus forts « de sorte que les groupes les plus faibles signent et fixent le pattern[16] ». Sur ce plan, la CAQ a su exploiter les divisions d’un Front commun éparpillé dans les revendications sectorielles. Les autres centrales suivront après la CSQ, puis une proposition de règlement à la table centrale sera acceptée le 29 décembre.
Une expérience formatrice
Le moment de la grève générale illimitée s’est révélé une excellente école de mobilisation pour les membres de la base à l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal (APPM). Lorsque la grève a débuté, les enseignantes et enseignants ont dû apprendre à organiser et à gérer un piquet de grève, ce qui, pour la plupart, était du jamais vu, la dernière grève ayant eu lieu en 2015. Le piquetage a constitué un moment privilégié d’échanges avec les passants et les collègues sur ses conditions de travail et ses souhaits pour l’éducation. Soulignons que les jours de débrayage du Front commun ont permis des discussions des plus souhaitables entre travailleuses et travailleurs de différentes accréditations syndicales au sein d’une même école. Les techniciennes et techniciens en éducation spécialisée, les concierges et le personnel de soutien membres du Front commun ont pu partager un ou des moments de solidarité avec les enseignantes, les enseignants et les orthopédagogues syndiqué·es avec la FAE. Lorsque le CSSDM a déposé son injonction interdisant le piquetage sur le terrain des écoles, les enseignantes et enseignants ont redoublé de créativité pour rester visibles. Par exemple, à Rosemont, le quartier où j’enseignais, les délégué·e·s de différentes écoles primaires, secondaires et professionnelles ont organisé un rassemblement auquel les parents ont été invités.
L’amélioration de la composition de la classe, revendication portée par la FAE, a vite été reprise par les enseignantes et enseignants et les médias. Plus la grève avançait, plus, sur les lignes de piquetage, elles et ils identifiaient l’école à trois vitesses – école privée subventionnée, école publique à projets particuliers et parcours régulier au public – comme la principale cause des disparités au sein du système scolaire. En effet, les élèves qui obtiennent les meilleurs résultats se retrouvent concentrés dans les écoles privées et dans celles avec des projets particuliers. Les classes dites régulières, pour leur part, se retrouvent avec une concentration disproportionnée d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA). Cet écrémage, couplé à des coupes dans les services pour les élèves EHDAA, est à la source du problème de la composition de la classe. Résultat : le Québec a le système d’éducation le plus inégalitaire au pays[17] ! Ainsi, un enjeu sectoriel d’organisation du travail – la composition de la classe – est devenu pour bien des enseignantes et enseignants un enjeu politique concernant l’organisation de notre système d’éducation. Bien qu’il ne soit pas question d’en finir avec l’école à trois vitesses dans l’entente de principe adoptée, la grève dans le milieu de l’éducation a permis d’unir les enseignantes et enseignants autour d’une revendication qui porte en elle le germe d’une lutte politique. Aguerris par le mois de grève, certains enseignants et enseignantes ont tout de suite repris la lutte par un boycottage du plan de rattrapage scolaire du ministre Drainville, dénonçant un alourdissement d’une tâche déjà trop importante[18]. D’autres, en octobre 2024, ont pris l’initiative d’écrire et de faire circuler une pétition contre la fermeture de 26 classes d’adaptation scolaire, effectuée en catimini par le CSSDM[19].
Le contenu de l’entente sectorielle a divisé les enseignantes et enseignants. La présidente de la FAE, Mélanie Hubert, ira jusqu’à affirmer : « Nous n’avons pas eu l’entente que les profs méritent[20] ». Toutefois, sur le plan salarial, les syndiqué·e·s ont réussi à faire débourser le gouvernement de la CAQ plus qu’il ne l’avait sans doute prévu. En deux mois, l’offre patronale est passée de 10,3 % sur cinq ans à 17,5 % sur la même période. La CSN et la FTQ qualifieront l’entente d’historique, soulignant la protection contre l’inflation pour les trois dernières années de la convention. Soulignons un autre gain important : l’entente signée avec les enseignants comporte une mesure qui vise à alléger la lourdeur de la composition de la classe, même si le mécanisme d’évaluation des cohortes est loin de constituer une solution parfaite. Il faut rappeler toutefois que le mécanisme pourra être amélioré lors de la prochaine ronde de négociation. C’est un gain minimal, mais il prouve que les travailleuses et travailleurs du secteur public peuvent porter des revendications sur l’organisation même des services publics, et si leur mobilisation est assez efficace, y exercer une influence. Finalement, le Front commun a réussi à se relever de la ronde des décrets de 1982. Cela a pu se réaliser grâce à une mobilisation vigoureuse des membres de la base qui a pris par surprise le gouvernement et les directions syndicales. On a même vu, au sein de la FAE, un premier syndicat, l’APPM, adopter un mandat de grève sans attendre de recommandation des instances supérieures.
La mobilisation continue
Signalons un autre élément important : la mobilisation des syndicats pour défendre la mission des services publics se poursuit encore maintenant, même si la négociation est finie. Pensons à la campagne de la FAE pour défendre le réseau de la francisation contre les coupes de la CAQ. Depuis l’annonce de ces coupes, différents syndicats affiliés à la FAE ont organisé des manifestations contre cette mesure d’austérité. En plus d’enlever leur emploi à plusieurs enseignantes et enseignants, ces coupes dans les cours de francisation vont empêcher de nouvelles et nouveaux arrivants de s’intégrer au Québec. La décision est d’autant plus choquante que la CAQ se plaint que le Québec reçoit des immigrantes et immigrants à un rythme trop élevé et qu’il n’est pas capable de leur permettre de s’intégrer adéquatement. La mobilisation de la FAE a forcé le gouvernement à revenir sur sa décision et à annoncer pour janvier 2025 un financement de 10 millions de dollars pour les cours de francisation[21].
Les syndicats de cégep ont aussi organisé des mobilisations pour dénoncer les gels budgétaires imposés de façon arbitraire par le gouvernement de la CAQ. Le plan d’action de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) contre les compressions et l’austérité prévoit une mobilisation pour l’année 2025 et envisage une « escalade de moyens de pression[22] ». Dans la santé, les mobilisations dénonçant la création de l’agence Santé Québec par le ministre Christian Dubé ont aussi fait grand bruit. Face à des travailleuses et des travailleurs opposés à sa réforme et face à une population dubitative, le ministre Dubé a dû annoncer des mesures pour inciter les médecins à pratiquer dans le réseau public. Même si la CAQ a réussi à faire passer en force ses réformes néolibérales, l’opposition demeure vive et tout indique que la grève n’est pas un moyen de pression « brûlé », devant des gouvernements têtus. Dans le sillage du Front commun et de la FAE, les éducatrices des CPE et les travailleurs de la Société de transport de Montréal (STM) sont dans une escalade de moyens de pression dans leurs négociations au moment d’écrire ces lignes.
Et maintenant
Aux prises avec un déficit plus élevé que prévu, le gouvernement Legault coupe de façon arbitraire et improvisée dans les services publics. En prétextant toujours un besoin de « flexibilité », la CAQ suscite la colère, avec raison, dans les rangs des syndiqué·e·s et perd de plus en plus de plumes dans les sondages (24 % d’appui[23]). Pendant ce temps, les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs et travailleuses du secteur public – désertion du personnel qualifié, bureaucratie épuisante, surcharge de travail – s’accentuent à un rythme effarant depuis le début des années 2000. Il est de plus en plus clair pour elles et eux que leur lutte n’est pas qu’une question de salaire. Or, si les problèmes politiques nécessitent des solutions politiques, il n’est pas dit que celles-ci doivent provenir des urnes. Comme le soulignait Jean Marc Piotte :
Dans le secteur public, la grève entraîne des économies pour l’État et des pertes de salaire pour les travailleurs. Ceci ne signifie pas que la grève est un instrument inefficace dans le secteur public : cela indique seulement que la grève, comme les autres moyens de lutte, ne peut y avoir un sens et une efficacité que si elle est pensée politiquement[24].
Pour les militantes et militants des syndicats du secteur public, il s’agit de s’organiser : s’informer, investir son syndicat et développer des liens avec des collègues dans d’autres accréditations syndicales. Différentes initiatives de cet ordre ont vu le jour dans la dernière année et méritent d’être soulignées, comme le Caucus de la base enseignante à l’APPM et le Caucus du secteur public d’Alliance ouvrière.
Par Émile Lacombe, Enseignant au secondaire au Centre de services scolaire de Montréal
- Martin Petitclerc et Martin Robert, Grève et paix, Montréal, Lux, 2018, p. 99 ; Yvan Perrier, « De la négociation en rang dispersé à la création des quatre Fronts communs intersyndicaux CSN-FTQ-CEQ », Bulletin d’histoire politique, vol 30, n° 2, 2022. ↑
- Ibid. ↑
- Petitclerc et Robert, 2018, p. 122-123. ↑
- Ibid., p. 171. ↑
- Ibid., p. 172. ↑
- À Montréal, ce sont cinq centres intégrés universitaires de santé et services sociaux (CIUSSS) qui sont créés. ↑
- Fédération autonome de l’enseignement (FAE), La réforme Drainville. Un écran de fumée, juin 2023. ↑
- Marie-Odile Magnan, « Quid des recherches en éducation ? », Le Devoir, 10 mai 2023. ↑
- Étienne Richer, « Sondage Léger : Appui fort au Front commun », NÉGO 2023, 18 décembre 2023. ↑
- Léger, « Intentions de vote provinciales : décembre 2024 », Firme Léger, 4 décembre 2024. ↑
- Confédération des syndicats nationaux (CSN), Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). ↑
- Anabelle Caillou, « Pourquoi les grèves sont-elles en hausse au Québec ? », Le Devoir, 15 novembre 2024. ↑
- Front commun, « Vote de grève – Oui à 95 % », Info-négo, 17 octobre 2023. ↑
- Marie-Michèle Sioui, Marie-Ève Cousineau, Alex Fontaine, « La FAE continuera son mouvement de grève, malgré les appels de Legault », Le Devoir. 1er décembre 2023. ↑
- Lia Lévesque, « La grève de la FIQ appuyée par 72 % des Québécois, selon un sondage Léger », Le Devoir, 5 décembre 2023. ↑
- Jean-Marc Piotte, « La lutte des travailleurs de l’État », Les Cahiers du socialisme, n° 4, automne 1979, p. 8. ↑
- Conseil supérieur de l’éducation, Remettre le cap sur l’équité. Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016, Québec, 2016, p. 54. ↑
- C’était le cas à l’école secondaire Père-Marquette ↑
- Zacharie Goudreault, « Enseignants et parents se mobilisent pour sauver les classes d’adaptation à Montréal », Le Devoir, 1er octobre 2024. ↑
- Jeanne Corriveau, « Les enseignants n’ont pas obtenu l’entente qu’ils méritent, estime la présidente de la FAE », Le Devoir, 5 février 2024. ↑
- Isabelle Porter, « Le gouvernement Legault promet une rentrée 2025 plus calme en francisation », Le Devoir. 5 décembre 2024. ↑
- Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec – FNEEQ (CSN), Plan d’action de la FNEEQ contre les compressions et l’austérité, conseil fédéral, 29 novembre 2024. ↑
- Léger, 4 décembre 2024, op. cit. ↑
- Jean-Marc Piotte, La lutte syndicale chez les enseignants, Montréal, Les éditions Parti Pris, 1973, p. 157. ↑

Un programme de combat axé sur le climat et articulé aux plus urgentes luttes sociales et la nécessaire lutte contre le fascisme
Un militant impliqué à Solidarité Environnement Sutton en Estrie a pris le temps de commenter ma proposition de programme pour Québec solidaire et m'a demandé d'y répondre.
| 1. L'hégémonie pétro-gazière du Canada et à son Quebec bashing | l'indépendance nationale tenant compte du droit à l'autodétermination autochtone. |
On aurait tort de croire que pour aboutir à une société de soin et du lien basée sur la décroissance matérielle la lutte pour l'indépendance nationale y arrive comme un chien dans un jeu de quilles. Contrairement aux nouvelles nations étatsunienne, haïtienne, qui l'a cependant payé très cher, et latino-américaines, tombées dans l'orbite de l'impérialisme britannique puis étatsunien, la nation québécoise a échoué dès le départ à se libérer du conquérant anglais. Par là son sort s'apparente à celui des nations autochtones même si elle participe à leur oppression comme nation « blanche ». D'où la nécessité stratégique de s'associer à ces nations tant pour se déblanchir que pour augmenter son rapport de forces. Idem avec le peupletravailleur canadien souhaitant le même projet de société. Elle ne peut plus désormais pour sa survie compter sur la « revanche des berceaux » sur le dos des femmes à l'encontre de la nation canadienne adossée à une forte immigration.
Une nation périclitant démographiquement, déconsidérée et bafouée au point qu'une partie de sa jeunesse a honte de sa langue nationale considérée comme ringarde est incapable de marquer l'histoire si ce n'est en se folklorisant. Elle est incapable de rompre ses liens de dépendance et de subordination avec la nation canadienne dont la matrice économique est l'axe financier-pétrolier-gazier plus que jamais liée à l'impérialisme étatsunien qui va jusqu'au rejet de son projet de capitalisme vert sauf l'extractivisme minier. Lors de la « révolution tranquille », le projet de société qui l'animait était celui d'une société de bien-être ce qui l'a projeté dans la modernité au-delà de celle canadienne mais sans parvenir à rompre sa soumission nationale. En a découlé, dans un contexte mondial de recul néolibéral, le présent recul national qui ne peut être renversé que par un renouveau de la lutte indépendantiste prenant à bras-le-corps le grand défi du XXIe siècle soit la lutte pour une société du soin et du lien basé sur la décroissance matérielle.
| 2. La crise du logement | le collectif logement social écoénergétique pour tout le monde et pas seulement pour les pauvres. |
Dans l'actuelle conjoncture, la crise du logement, au cœur de la crise du coût de la vie, est le grand marqueur de la crise sociale auquel n'échappe aucun pays urbanisé. Tant que le logement restera une marchandise et non un droit il sera soumis la croissance exponentielle de la rente foncière dans des zones urbaines de plus en plus concentrées refoulant dans les banlieues les ménages populaires, ce qui leur inflige une pénible, coûteuse et énergivore gestion de leur mobilité. Tant que le logement sera soumis à l'idéologie du bonheur clin-clan de la « villa campagnarde » il dévorera les espaces naturelles, il enflera inutilement les services publics et il consommera une effarante quantité de matériaux per capita. Il tiendra le ménage populaire prisonnier des fins de mois, aux dépens de la fin du monde, au profit des banques et des développeurs tout en l'engonçant dans l'idéologie de la propriété privée.
| 3. logements déficients c'est | leur rapide mise à niveau écoénergétique par un programme public selon un code du logement tendant à l'énergie zéro. |
Que faire avec ces vieux logements centraux et surtout ces banlieues tentaculaires ? Il faut ici penser à une transition écoénergétique accélérant leur densification et à terme leur transformation. Il faut transiter vers un aménagement du territoire débarrassé de l'étalement urbain c'est-à-dire de l'auto solo et de la villa campagnarde. Dans ce contexte, les quartiers et villages contiennent les services de proximité dont les écoles primaires et secondaires. Beaucoup de quartiers centraux des grandes villes contiennent déjà bon nombre de services de proximité malgré la plaie de la circulation automobile parce qu'il n'y a pas de maisons unifamiliales et même peu de maisons en rangée.
Pour les banlieues et villages il faudra une politique de densification (dés)incitative qui se pratique déjà spontanément comme la subdivision pour loger les vieux parents ou la famille d'un enfant, la co-location ou tout simplement la vente à un ménage plus nombreux. Cette transition doit être facilité par du collectif logement social pour les gens âgés à même leur quartier, une aide au déménagement, un soutien aux rénovations écoénergétiques par ailleurs obligatoires et, dans les zones rurales, une politique de retour au village pour les habitations isolées hors ferme. (Par contre, la minimaison dans la cour arrière est cependant peu écologique, peu viable et même discriminatoire, ce qui s'applique aussi aux soi-disant « logements modulaires » pour les sans-abris.) Les banlieues faites pour l'auto solo peuvent être desservies par des minibus, éventuellement sans chauffeurs sur des circuits balisés et entretenus à cet effet, les reliant au circuit principal. Quant aux villages, il y aura un service d'autobus fréquent les reliant à la ville.
| 4. la mobilité durable | Le transport en commun gratuit, partout, fréquent, confortable et électrique, et un complément d'autopartage communautaire |
Entre un système de transport adossé au véhicule privé électrique et celui adossé au transport actif et en commun public, il faut choisir. Le premier qui change tout pour que rien ne change nécessite que s'y superpose un dispendieux système souterrain et/ou aérien afin de rendre viable la congestion urbaine dans des villes de plus en plus centralisées. Le deuxième remplace à bon marché et rapidement l'auto solo par le transport actif et en commun quitte à être complété, dans la période transitoire, par un service collectif d'autopartage genre Communauto.
| 5. transport marchand c'est | La souveraineté alimentaire, les trajets courts, la sobriété et la durabilité de la consommation et le transport électrifié par rail. |
| 6. Le gaspillage | La garantie de la réparation accessible ou du remplacement, du bannissement de la publicité et de la mode commerciale. Produire moins, échanger plus. |
Le transport des marchandises doit d'abord être drastiquement réduit. L'alimentation carnée accapare 80% des terres. L'alimentation végétarienne permet de maximiser la souveraineté alimentaire et par là les trajets courts. Idem pour les cultures maraîchères urbaines. L'interdiction de la villa campagnarde et de l'auto solo sape les fondements de la consommation de masse. L'obligation de durabilité et de réparabilité sur fond d'interdiction de la publicité et de la mode commerciales en détruit les moyens. Il faut pouvoir recycler par l'échange ce dont on n'a plus besoin. On imagine des pôles de quartier et de villages d'échanges et de réparations assumant les garanties légales aux frais des entreprises quitte bien sûr à référer ce qui est plus complexe. Le train (et le navire) électrifié transportera ce qui reste, et les petits véhicules électriques se chargeront du « dernier kilomètre ». |
7. La ville infernale et dangereuse | La ville piétonnière et cyclable, de services de proximité, d'agriculture urbaine et de parcs nature. Repeuplement des régions. Plus de petites fermes collectives |
L'agro-industrie comme le développement des communications et des transports a non seulement vidé la campagne de sa population mais l'a aussi urbanisée. Une société du soin, de la terre comme des gens, et du lien, autant avec la terre qu'avec les gens, intègre la campagne dans la ville. Elle le fait en transformant ces déserts biologiques que sont les pelouses en jardins communautaires tout comme les toits qui peuvent l'être. Elle le fait en transformant les friches, une fois dépolluées, en parcs nature y compris en forêts urbaines. Elle le fait aussi en initiant la jeunesse aux soins de la nature et à l'agriculture maraîchère jusqu'à à mobiliser les urbains pour faire des corvées agricoles ce que facilitent les trajets courts. Pour accomplir ces tâches, il faudra lever l'obstacle de la propriété privée foncière qui bloque tout. (Voir le point 10 pour le repeuplement des campagnes.)
| 8. L'étalement et à la congestion urbains envahissant la campagne | c'est l'interdiction de l'auto solo privé et de la maison « campagnarde ». Avant d'interdire l'auto solo il faut établir un système de transport en gratuis, fréquent et efficace. Voir plus bas. |
Il va de soi que pour le peuple-travailleur, ou le « 90% », aucune mesure pénalisante ne peut lui être imposé sans qu'une solution plus écologique, non plus dispendieuse et non moins commode soit disponible. Cela vaut tant pour le transport que pour l'habitat. En ce moment, pour la majorité des banlieusards et des gens en région, l'auto solo et la « villa campagnarde » sont incontournables. La pénalisation et éventuellement l'interdiction de ces deux cancers, à la fois écologiques et mamelles de l'endettement des ménages, supposent la disponibilité du transport en commun mur à mur et du collectif logement social et écoénergétique.
| 9. La crise de l'embonpoint | l'alimentation surtout végétarienne cultivée biologiquement et disponible en produits frais et peu transformés. Services dont écoles à distance de marche |
L'embonpoint est la conséquence d'une stratégie de l'industrie alimentaire misant sur la transformation du lent repas convivial en une rapide bouffe individualiste compatible avec la compétitivité s'accroissant sous le néolibéralisme et la stressante généralisation de la précarité. Comme compensation, l'industrie produit une alimentation carnée, sucrée, grasse et salée tout en étant ultra-transformée pour en faire une marchandise qui puisse circuler longtemps. Une urbanité sans villa campagnarde et sans auto solo, en rapprochant les gens et en diminuant la production matérielle, crée les conditions de la convivialité et de la lenteur en autant que le but de la production ne soit plus la maximisation du profit mais le soin et le lien pour maximiser le temps libre créatif.
| 10. Les croissantes pandémies dues au zoonoses | la préservation des forêts et zones humides d'où en finir avec l'expansive agriculture carnée. Diminuer de financer les grosses fermes industrielles. Augmenter le financement de petites fermes bio et collectives |
L'agriculture comme la foresterie écologiques sont plus intensifs en travail que l'agriculture et la foresterie industrielles parce qu'elles prennent en compte la productivité des sols à maintenir si ce n'est à améliorer sans compter les impacts environnementaux des engrais, surtout artificiels, de l'usage de l'eau et de la déforestation. Il devrait s'ensuivre un repeuplement relatif des zones rurales surtout si la politique agricole inclut une politique de conditionnement alimentaire (et non pas d'ultra-transformation) sur place.
Quant à la propriété et gestion des fermes, l'échec des fermes-usines des exéconomies collectives (URSS, Chine, Cuba) a démontré qu'il faut maintenir une forte liaison organique entre l'agriculteur-trice et sa ferme. Il y a nécessité d'une planification indicative, mélange d'incitatifs et de pénalités, laquelle de facto existe déjà tellement l'État capitaliste est interventionniste en agriculture. La formation comme l'interventionnisme étatique seront axés cependant sur l'agro-écologie végétarienne. Comme forme de propriété on pense à la ferme familiale et à celle coopérative mais dont la distribution foncière sera encadrée pour éviter spéculation et perte du foncier agricole (voir le point suivant).
L'ouvrier-ère agricole, nécessaire lors des périodes de travail intensif peut être associé-e comme coopérant à la ferme si ces heures annuels de travail très intenses à certaines période de l'année équivalent à celles normalement réparties également sur l'année. Cette solution suppose une politique de revenus du travail assurant un revenu et des conditions de travail viables et des droits du travail identiques pour toustes les travailleur-euse-s à la ferme et alignés sur ceux urbains, y compris l'accès à la syndicalisation, et débouchant automatiquement sur la citoyenneté. Il faut aussi miser sur la participation de la jeunesse urbaine pour certains travaux.
| 11. Les monocultures de l'agro-industrie épuisant les sols | l'agriculture biologique sans additifs d'origine fossile et liée à l'urbain par des trajets courts. Voir les 6 changements structurant demandés par l'Union paysanne. Socialiser l'alimentation |
En toute démocratie, on ne peut pas être d'accord avec le monopole syndical de l'UPA quoique la recherche de l'unité du monde agricole, très minoritaire dans notre société urbanisée, est fort compréhensible pour avoir un bon rapport de forces quoiqu'il faille distinguer les intérêts des grandes fermes mi-capitalistes des petites fermes. L'Union paysanne est rébarbative au modèle agricole québécois (quotas, plans conjoints) qu'elle rend responsable de la disparition des fermes et de la crise de la relève. Le problème de fond est plutôt l'endettement des fermes, au profit des banques, pour faire face à la cherté du fond de terre et à celle des quotas dues à leurs quantités fixes ce qui génère une rente que s'accapare la banque par les intérêts dont le paiement est garanti par l'État.
Pour résoudre les problèmes soulevés, on n'échappe pas à la nécessité d'un organisme démocratique agriculteurs-trices / consommateurs-trices / gouvernements ventilé régionalement qui soit propriétaire-locateur de l'ensemble des terres agricoles. Cet organisme cèderait à bon compte les terres, en tenant compte de l'héritage pour ne pas nuire au lien organique séculaire de la famille ou celui collectif avec la terre, en retour d'un contrat social précisant les droits et devoirs du locataire à long terme dans le cadre des politiques agrobiologiques nationales qui n'auraient rien de banales.
| 12. La mauvaise santé et le stress | le plein emploi, le contrôle ouvrier des cadences, la baisse du temps de travail, le revenu et services minimum garantis. L'État capitaliste, ni un gouvernement social démocrate ne peuvent pas réaliser ces 5 objectifs. Travailler à augmenter les entreprises collectives à but non lucratif fait diminuer les profits et surtout confie les gestion à plus de travailleurs. |
| 13. L'inflation | la totalité de la société du soin et du lien, le contrôle des loyers et des prix des aliments de base, et la gratuité de l'électricité de base. Pas réalisable en système capitaliste. Le but des entreprises et des gouvernements c'est l'augmentation du PIB |
| 14. L'austérité des services publics | leur ample bonification quantitative et qualitative et la resocialisation des pans privatisés. |
Ici se pose l'éternel débat entre lutte pour les réformes et le réformisme ce que résout théoriquement le concept trotskyste de « revendications transitoires » dont l'application exige toutefois sens stratégique et souplesse tactique. Rejeter la lutte pour les réformes afin de lutter contre le capitalisme est gauchiste ce qui isole ce type de militantisme le condamnant à une existence groupusculaire. Limiter son horizon aux réformes sans perspective anticapitaliste est opportuniste à savoir c'est s'adapter par facilité à l'idéologie dominante. Il en résulte soit à s'illusionner en cas de victoire, habituellement partielle ou toujours temporaire, soit à se décourager et à démissionner en cas, fréquent dans la conjoncture actuelle, de défaite.
Toute l'histoire des luttes du Front commun est une souque à la corde entre le mouvement syndical et le gouvernement du Québec afin de déterminer les paramètres de la politique salariale publique laquelle influence celle générale tout comme l'encadrement de la politique sociale par l'entremise des conditions de travail. La dernière ronde, loin d'être victorieuse, a quand même empêché la CAQ d'infliger d'importants reculs que prépare la loi 89. Il y a au Québec un certain contrôle des loyers même s'il est biaisé en faveur des propriétaires. Le parachèvement de la nationalisation de l'électricité dans les années 1960 a valu aux ménages une « subvention interne » de leurs tarifs aux dépens des entreprises que même la CAQ n'a pas osé remettre en question : « Les entreprises paient en moyenne un tarif de 3,9 % supérieur au tarif résidentiel, mais les demandes d'augmentation de 3,3 % pour les entreprises et de 3,3 % pour les industries sont prévues pour 2025 et 2026, tandis que l'augmentation sera de 3 % pour les ménages en 2025 et 2026. » (IA de Google).
Les entreprises autogérées dans un cadre capitaliste sont, à cet égard, une arme à deux tranchants. Elles peuvent certainement être un moyen de sauver ou créer son emploi ou encore de s'accorder des conditions de travail plus correctes. Mais elles doivent s'insérer compétitivement dans le marché ce qui bien souvent exige de s'auto-exploiter d'autant plus qu'elles ne sont pas généralement soutenues par la Finance (nécessaire simplement pour le crédit de roulement), les organisations spécialisées ou les gouvernements. Obtenir ce soutien, allant de soi pour les entreprises capitalistes, devient une lutte politique.
| 15. Les hydrocarbures et à l'énergivore croissance | la sobriété inhérente à la société du soin et lien et l'électrification de l'énergie et des moteurs. Plus de sobriété, moins d'autos électriques, plus de transports en commun électriques. Réduire les camions et augmenter le transports de marchandises par le train électrique. |
Celleux qui identifient bonheur et PIB concluront que la sobriété d'une société du soin et du lien n'est qu'une malheureuse société spartiate. Pourtant cette société minimise le temps contraint de l'aliénant travail de masse pour maximiser le temps libre artistique et scientifique et celui consacré aux affaires de la cité. Loin de restreindre habitat et mobilité, cette société de décroissance matérielle en réduira le fardeau tout en répondant aux besoins raisonnables d'espace, de confort et de déplacement obligés et ludiques. Pour ce faire, il ne faut pas équivaloir bonheur à un aliénant cumul consommateur singé sur l'accumulation capitaliste quoique structurellement encouragé comme illusoire sécurité individualiste à la place de la solidarité du soin et du lien. Plus encore, cette défocalisation vis-à-vis la matérialité libère l'horizon du soin des gens et de la terre-mère, et le temps à lui consacrer, ce qui signifie une forte croissance des services publics (santé, éducation, garderies, personnes âgées).
| 16. La fausse pénurie d'électricité | la suffisante actuelle production hydraulique et éolienne plus du solaire intégré aux bâtiments écoénergétiques. Resocialisation des secteurs privatisés d'Hydro-Québec. |
Les énergies renouvelables dans le contexte du capitalisme vert sont habituellement une occasion de privatisation qu'Hydro-Québec n'a pas raté. Il ne s'agit pas d'en évincer MRC et gouvernements autochtones mais bien les « partenaires » privés dont l'expertise peut être nationalisée ce qui élimine la rente qui leur a été cédée sous forme de prix garantis exorbitants.
À souligner et à resouligner que le passage aux énergies renouvelables dans un contexte de croissance inhérent au capitalisme est un cul-de-sac. D'une part, ces énergies ne remplaceront pas celle fossiles mais s'y additionneront comme au XXe siècle le pétrole et le gaz l'ont fait par rapport au charbon. D'autre part, ces renouvelables énergies diffuses et aléatoires ont besoin par kWh d'une énorme quantité de matériel pour les capter, transformer et transporter. Il leur en faut plus que celles fossiles qui fourniront la majorité de l'immense quantité d'énergie à leur extraction, transformation et recyclage. Ajoutons-y le pourvoiement de très grands espaces pour un déploiement qui n'en finira plus.
| 17. Le financement d'une société écologique | son implicite bon marché, la socialisation de la Finance et l'imposition des profits et du capital. Est-ce ces deux solutions sont faisables en système capitaliste ? |
En plus de la réponse général en 12-13-14, j'ajouterais que la nationalisation au moins partielle du capital bancaire a déjà été le lot de gouvernements de gauche sous contrainte de crise comme au Mexique et en France au début des années 1980. Lors de la crise de 2008, les gouvernements étatsunien et britannique ont partiellement et temporairement nationalisé certaines banques. Au Canada, « [l]e taux de l'impôt général des sociétés a atteint un sommet de 47 % au cours de la décennie 1950. Il a ensuite diminué progressivement pour arriver à 21 % en 2007. Depuis 2012, le taux d'imposition des sociétés est de 15 % » (Radio-Canada, La Vérif, 4/04/25). C'est une question de rapport de forces et de conscience sociale.
| 18. la résistance du « marché » | l'expropriation des secteurs stratégiques tels la Finance, l'énergie, les communications, le transport, la santé. |
La nationalisation des hauteurs stratégiques de l'économie, généralement sous contrôle oligarchique, doit être comprise comme une mesure défensive afin d'enlever à l'ennemi capitaliste ses principaux moyens économiques non seulement de domination, pour laquelle le contrôle de l'État est essentiel, mais aussi pour orienter l'épargne nationale et les flux matériels. Ceci dit, Hydro-Québec n'a rien de socialiste ; son orientation est déterminée par le gouvernement qui est au service de Québec Inc., une composante de Canada Inc.. Les multiples entreprises étatiques chinoises, dont l'ensemble de la Finance, ne font nullement de la Chine une société socialiste ; elle est sous l'emprise d'un capitalisme bureaucratique, qui limite pour le meilleur et pour le pire la loi de la concurrence, et qui est particulièrement répressif, ce que Trump s'empresse d'imiter, et de plus en plus impérialiste.
Il ne suffira donc pas de la nationalisation du grand capital pour que la société prenne un tournant anticapitaliste soin et lien. Il faudra aussi socialiser. On a vu plus haut ce que ça pourrait signifier pour la gestion des terres agricoles. On peut imaginer une solution semblable pour Hydro-Québec, et pour d'autres secteurs. Mais la clef de la démocratie d'une société du soin et du lien, ou plus abstraitement écosocialiste, réside dans l'organique démocratie des comités en partant de la base (lieux de travail et d'étude, quartiers et villages) jusqu'au niveau mondial en passant par le national. Ces comités ne naissent pas par décrets mais se construisent et se pérennisent dans la lutte sociale surtout quand elle atteint un certain niveau de développement et de politisation.
| 19. Les divisifs sexisme et racisme | l'écoféminisme donnant la priorité aux activités du soin et du lien et aux travaux essentiels des personnes racisées. |
Le vieux socialisme échoué du XXe siècle s'appuyait sur les cols bleus mâles des usines organisées très verticalement, ce que tendaient à imiter l'organisation syndicale. En découlait une tendance à réduire la révolution socialiste à une affaire de nationalisation sous gouverne de l'unique parti révolutionnaire. Aiguisé par une situation objective désespérée, le bolchevisme lui-même a cédé à la tentation. Il a fallu la crise existentielle de ce socialisme dont ne survivent que de macabres caricatures (Corée du Nord, Nicaragua, Venezuela), des échecs bureaucratiques (Cuba) ou masqués en succès capitalistes (Chine, Vietnam) ou échecs capitalistes (Russie, Europe de l'Est) pour qu'apparaisse dans la brume de la conjoncture les signes d'un renouveau.
Depuis décembre 2010 en Tunisie, les soulèvements populaires de grande ampleur et soutenus se succèdent les uns après les autres, du « printemps arabe » à ceux de la génération Z (Sri Lanka, Bangladesh, Népal, Madagascar, Pérou, Maroc) dans lesquels se distinguent les femmes et auxquels participent les LGBTQ+. Faute d'être canalisés par une gauche encore gangrenée par le « socialisme du XXe siècle » devenu un rétrograde « campisme », ces soulèvements n'aboutissent qu'à des changements superficiels, souvent régressifs et parfois catastrophiques (Soudan). Il n'en reste pas moins que ces soulèvements annoncent une recomposition écosocialiste reflétant le riche pluralisme social et politique des peuplestravailleurs et s'inspirant des préoccupations, besoins et modes d'organisation féministes devenant écoféministes.
Rien ne dit que le syndicalisme ne saura pas se renouveler par une profonde démocratisation antibureaucratique et rien ne dit non plus que les nouveaux mouvements sociaux sauront dépasser l'horizontaliste incité par les réseaux sociaux mais peu propice à dépasser la spontanéité et facilitant à la longue une implicite direction non-redevable.
| 20. L'impérialisme génocidaire | le soutien aux peuples en lutte pour leur libération par tous les moyens nécessaires y compris par les armes s'il le faut. |
C'est une vérité de La Palice que de constater le globalisme inhérent à la crise climatique. On le constate tout autant en ce qui concerne l'économie et le mode de vie sous influence de l'American Way of Life auquel aspire l'émergente « classe moyenne » mondiale. Le mode de vie traditionnel c'est l'affaire des pauvres… une bonne moitié de la population mondiale qui n'émet que 10% des GES mondiaux (Oxfam) tandis que la classe riche (10%) en émet 50% et la « classe moyenne » (40%) le 40% restant. Cette « classe moyenne », majoritaire dans les pays du vieil impérialisme et happant une grande partie du prolétariat organisé, est prise en sandwich entre les riches s'en remettant à la gouvernance oligarchique (le 1% si ce n'est le 0,1%) et la masse des pauvres de plus en plus visible dans laquelle elle ne veut pas sombrer.
Apeurée par le néolibéralisation de plus en plus autoritaire du monde répandant la misère, cette « classe moyenne » se crispe sur ses acquis et mue en un bloc conservateur faute d'une gauche crédible en mesure de renouveler sa vision du monde. Elle devient l'otage de forces politiques brouillant la responsabilité du puissant 1% oligarchique difficile à renverser. Ces forces de droite se radicalisant de plus en plus jusqu'au néofascisme leur offrent en pâture des boucs émissaires faciles à réprimer dont l'immigration racisée est le paratonnerre. Cette crispation conservatrice s'étend au maintien du mode de vie cristallisé dans la famille traditionnelle donc aux dépens des femmes, du moins de celles voulant se libérer de ce modèle, et de la plupart des LGBTQ+ qui ne s'y reconnaisse pas. Ainsi s'explique la relative paralysie politique des pays du vieil impérialisme vis-à-vis la myriade de soulèvements des pays du Sud depuis 2010 principalement impulsés par une jeunesse instruite et sans travail.
| 21. Les migrations | une frontière ouverte avec une politique d'accueil intégrante au sein d'une société de plein emploi écologique et socialement utile. |
La polycrise mondiale, dont l'axe d'empirement est l'envenimement exponentiel de la crise climatique, se décline tant en guerres devenant génocidaires comme en misère devenant majoritaire. Comme cette polycrise frappe davantage les pays du Sud déjà affaiblis par l'impérialisme soutenant des régimes militaro-répressifs à sa solde, elle démultiplie les migrations surtout vers d'autres régions du même pays et vers d'autres pays du Sud. C'est toutefois la minorité voulant émigrer au Nord, la plus jeune et entreprenante, qui chamboule la politique des pays du vieil impérialisme. Elle est pourtant un précieux apport de renouvèlement tant démographique que socio-économique. Au lieu d'un racisme austéritaire, il n'y faut qu'une politique d'accueil et d'intégration ce qui exige à l'interne une politique de plein emploi écologique adossée à une société du soin et du lien à décroissance matérielle.
Une telle politique internationaliste unifie le peuple-travailleur tant de facto que consciemment alors que le racisme ne le fait que de facto tout en le divisant socialement et politiquement. L'impossible blocage des frontières, qui n'est pas plus dans l'intérêt des écosocialistes que du patronat, ne fait que créer une masse de prolétaires sans droits corvéable à merci. Cette masse exclue mène inexorablement à l'abaissement des conditions de travail de toute la classe. Si par contre elle est incluse par une politique internationaliste, elle unit l'ensemble de la classe dans un combat commun contre le patronat et leurs gouvernements.
Cette unité combative crée les conditions d'une politique extérieure antiimpérialiste soutenant tant les luttes de libération nationale, y compris en armes s'il le faut, qu'une politique de développement socio-économique compensatoire de l'historique pillage écologique et de la surexploitation du peuple-travailleur en commençant par l'effacement de la dette extérieure publique et privée des pays du Sud.
En réaction à ce commenté programme de combat, les réalo-réalistes objecteront qu'on a autre chose à faire que de rêver en couleurs. Pourtant le besoin d'une alternative n'a jamais été aussi pressant. Chamboulé par le trumpisme auquel, sous le masque du nationalisme canadien, s'adapte le gouvernement Libéral fédéral, la CAQ, avec le PQ qui se prépare à prendre le relais, s'enlisent dans un trumpisme soft pervertissant à droite-toute un nationalisme qui a historiquement été progressiste depuis la Révolution tranquille. Qu'on y songe, la cause indépendantiste risque d'y périr corps et âme que ce soit à la suite de l'effondrement du bluff péquiste ou de sa troisième et dernière prise référendaire, ou pire encore, d'une improbable victoire d'un Québec indépendant réduit à une satrapie à la remorque du trumpisme.
Urgentes, certes, sont les luttes socio-économiques pour le logement et contre la vie chère tout comme l'impérieuse nécessité des luttes démocratiques contre le néofascisme anti-immigrant et anti-autochtone et ses guerres génocidaires. Ce n'est pas une excuse, ce que souhaitent patronat et gouvernements, pour balayer à l'arrière-scène l'impérieuse lutte écologique dont celle climatique, contradiction centrale du XXIe siècle. Elles doivent au contraire concrètement s'y articuler comme le propose ce programme de combat « Pour une société du soin et du lien en décroissance matérielle ». Ce programme en devient la lumière au bout du tunnel qui galvanise ces dures luttes défensives contre une droite qui perd toute retenue humaniste sous prétexte d'ultra-nationalisme, antichambre du fascisme, comme alternative suicidaire au néolibéralisme « austoritaire ».
La proposition de programme Solidaire à adopter au congrès du début novembre tente de noyer le poisson de la centralité de la crise climatique devenue la crise de la civilisation et même celle existentielle de l'humanité. Il s'affiche par son style technocratique et sa longueur comme programme de gouvernement, bien lointain, et non de combat. D'importants amendements concernant la décroissance et la socialisation viendront peut-être atténuer l'affaire mais sans changer la donne. D'autant plus que ces amendements sont ambigus. La décroissance y est présentée comme générale et non seulement matérielle mais sans lien avec une critique de la consommation de masse dont les piliers sont la « villa campagnarde » et l'auto solo. Le rapport avec la transformation de l'agriculture est absent. Aucune connexion n'est faite avec l'écoféministe société du soin et du lien. La différence entre socialisation et nationalisation reste floue surtout eu égard à la proposition principale.
Marc Bonhomme, 25 octobre 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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Les débats en cours au congrès de Québec solidaire sur l’actualisation du programme
Le congrès de Québec solidaire, qui se tiendra à Québec les 7, 8 et 9 novembre prochains, vise essentiellement à réactualiser le programme du parti. Cette réactualisation se fait très rapidement. Alors que Québec solidaire avait mis dix ans à produire, dans une série de congrès, le programme actuel, les associations locales, les Comités d'actions politiques et les différentes instances du parti ont reçu le Cahier de propositions le 8 septembre. C'est à partir de ce cahier que les membres ont été invité·es à élaborer des amendements ou de nouvelles propositions. Ces dernières ont été traitées par un Comité de synthèse, qui a ensuite retourné le document aux membres le 23 octobre 2025. Les différentes délégations disposaient d'à peine plus de deux semaines pour prendre position. Ce n'était pas un mince travail, car le Cahier de synthèse compte 66 pages et les huit blocs suivants seront soumis à la discussion au congrès : 1. Économie et transition socioécologique ; 2. Habitation, énergie, ressources naturelles et travail ; 3. Santé et services sociaux ; 4. Fiscalité, famille, éducation et justice ; 5.Culture et démocratie ; 6. Indépendance et altermondialisme ; 7. Féminisme, identités sexuelles et genre, peuples autochtones ; 8. Immigration, inclusion et langue française. Les débats sont nombreux. Le travail à abattre est colossal. Le temps disponible pour une réflexion approfondie sur les différents enjeux sera sans doute insuffisant. Nous tentons ici d'identifier rapidement les principaux enjeux et leur importance, sans pouvoir, bien sûr, aborder toutes les propositions soumises au débat.
Bloc 1 — Économie et transition socioécologique
Le premier bloc articule une vision où la crise climatique et la transition socioécologique constituent la base d'un nouveau modèle économique. La thèse centrale du texte initial Programme actualisé) est que les dérèglements climatiques sont à la racine des crises multiples et qu'ils exigent un redéploiement des priorités économiques autour d'une « économie verte et solidaire ».
La proposition 1.3 (Option B) du CAP écologiste, du CAP Indépendance du Québec et de l'Association de Viau vise à radicaliser cette orientation en reliant explicitement l'effondrement de la biodiversité et la crise écologique à la logique capitaliste. Cet amendement incarne la ligne de rupture, car il identifie clairement la logique capitaliste comme cause de la destruction du vivant.
L'opposition entre les versions « coordination nationale » et « CAP écologiste » ne porte pas sur les constats écologiques, mais sur le niveau de confrontation avec le capitalisme. Alors que la version officielle reste centrée sur la protection et la préservation, la proposition 1.8, Option B, introduit la critique de la surproduction, du gaspillage et des industries destructrices (armes, obsolescence programmée, luxe). Ces propositions visent à inscrire explicitement le programme dans une logique de décroissance planifiée et de sobriété collective.
Sur le plan institutionnel, la tension principale réside entre une approche axée sur le développement de l'économie sociale et une approche de socialisation démocratique des grands secteurs économiques.
Plusieurs associations (1.13 – CAP écologiste, CAP Indépendance et NDG) réclament la remise en question de la propriété privée des grands moyens de production et la socialisation des monopoles stratégiques — notamment les banques, l'énergie et les grandes entreprises minières et forestières — sous contrôle populaire décentralisé. Cet amendement définit une ligne de rupture anticapitaliste, en opposition aux amendements plus modérés qui limitent la transformation à un élargissement du modèle coopératif ou collectif.
Le débat sur les critères à appliquer en cas de nationalisation illustre cette tension : d'un côté, une vision centrée sur des critères économiques (caractère stratégique des entreprises, capital nécessaire de l'État, échec du privé) ; de l'autre, une vision politique fondée sur la souveraineté populaire, l'emploi et la transition écologique (1.16). Les propositions les plus radicales plaident pour la nationalisation sans compensation, notamment dans les secteurs minier et énergétique, accompagnée d'un contrôle démocratique des travailleurs, des travailleuses et des citoyen·nes.
Les amendements sur l'entrepreneuriat (1.2.2) prolongent ce clivage : la version initiale tend à valoriser les PME comme moteur du développement local, tandis que les CAP écologiste et intersyndical dénoncent l'intégration du capital québécois aux logiques extractives et fossiles. Leurs propositions appellent à différencier les orientations économiques selon les secteurs (PME, grandes entreprises, capital extractif) et à nationaliser/socialiser le secteur industriel des grandes entreprises pour le mobiliser au service de la transition énergétique.
Enfin, les propositions sur la gouvernance territoriale (création de Conseils régionaux de transition) visent à décentraliser la planification écologique et à démocratiser les choix d'investissement. Elles introduisent une dimension nouvelle de planification démocratique régionale.
Bloc 2 — Habitation, énergie, ressources naturelles et travail
Le deuxième bloc relie les questions du territoire, de l'énergie et de l'habitation à celle de la souveraineté populaire sur les ressources. La thèse de fond est celle d'un habiter écologique et collectif du territoire, conciliant logement, biodiversité et aménagement démocratique. Les amendements introduisent des précisions importantes : protection de 30 % du territoire, création d'un service public de la biodiversité, reconnaissance juridique d'entités naturelles comme le fleuve Saint-Laurent. Ces propositions traduisent un déplacement vers une approche écocentrée du droit, où le vivant devient sujet de droit et non simple ressource.
Sur l'habitation, les divergences sont plus modestes : le débat se limite à des reformulations autour de la lutte contre la spéculation immobilière, de la régulation du marché locatif et de la part du revenu consacrée au logement (30 % ou 25 %). L'esprit général demeure celui du logement comme droit social, avec un accent sur les modèles communautaires, coopératifs et intergénérationnels.
C'est dans le domaine énergétique et des ressources naturelles que les clivages sont les plus nets. Les propositions du CAP écologiste et de Jean-Lesage appellent à la nationalisation complète du secteur énergétique, à la création de micro réseaux municipaux publics, au refus de toute relance nucléaire et à la socialisation des entreprises œuvrant dans les énergies fossiles. Elles insistent sur la planification industrielle et la réduction radicale de la consommation d'énergie. La version officielle, plus prudente, parle plutôt de revaloriser les énergies renouvelables et de renforcer la résilience du réseau, sans remettre en cause la structure de propriété.
Le même débat traverse la section sur les mines et forêts : plusieurs amendements demandent le passage sous contrôle démocratique, l'expropriation sans compensation des multinationales et la gestion publique des forêts par les travailleur·euses, les communautés locales et les Premières Nations. Ces propositions visent une véritable socialisation des ressources, alors que le texte de base reste dans une optique de régulation publique.
Les amendements introduisent aussi la reconnaissance des droits des Premières Nations et la cogestion territoriale comme conditions de la transition.
Enfin, sur le travail, les amendements au chapitre Humaniser le travail soutiennent une réduction immédiate du temps de travail à 35 heures, puis à 32 heures, avec maintien du salaire, égalité des droits pour le temps partiel et extension des congés parentaux. La transition socioécologique s'y lie à la reconquête du temps de vie, dans une perspective féministe et antiproductiviste.
Bloc 3 — Santé et services sociaux
Le troisième bloc renoue avec la tradition de la santé publique universelle et de la prévention sociale. Le texte de base affirme que la santé passe par la lutte contre la pauvreté et le renforcement des services de proximité, notamment les CLSC. Les amendements de Notre-Dame-de-Grâce introduisent une orientation plus interventionniste : interdiction graduelle de la publicité sur les produits nocifs (alcool, tabac, jeu, véhicules polluants), traduisant une volonté de réencadrer culturellement la consommation dans une optique de santé publique.
Les amendements les plus nombreux de ce bloc concernent la reconnaissance des médecines traditionnelles. Plusieurs options s'affrontent :
• certaines (Options A, E, F) veulent reconnaître les savoirs millénaires, notamment autochtones, dans une logique de sécurisation culturelle ;
• d'autres (Options B, G) insistent sur la validation scientifique et la réglementation de ces pratiques ;
• une dernière (Option D) exige l'approbation des autorités compétentes avant intégration au système public.
Ces divergences traduisent un clivage entre une approche pluraliste et décoloniale de la santé et une approche rationaliste et scientifique stricte. L'option B (Rouyn-Noranda) cherche un équilibre en intégrant ces pratiques sous évaluation publique — une forme d'ouverture contrôlée, innovante, sans rupture. Cette ligne propose un pluralisme responsable, tandis que celle de l'option la plus prudente (G) maintiendrait une santé publique plus conservatrice.
Bloc 4 — Fiscalité, familles, éducation et justice
Le texte original du Programme actualisé réaffirme la vision d'un État solidaire, fort et revitalisé, garant de la justice sociale et du financement adéquat des services publics. Le texte insiste sur la reconnaissance de l'action communautaire autonome, dont il entend respecter l'autonomie tout en assurant un financement stable à la mission des organismes. Plusieurs amendements soulignent le refus explicite de toute austérité, affirmant que l'investissement social n'est pas un luxe, mais une nécessité pour assurer la cohésion et la dignité collectives.
La section sur la fiscalité met l'accent sur une redistribution plus équitable des richesses et sur la lutte contre la pauvreté. En santé, le programme défend une approche globale centrée sur la prévention, l'accessibilité, la décentralisation, l'interdisciplinarité et l'universalité des soins, incluant un accès universel aux médicaments et une approche féministe et inclusive.
La réforme du filet social vise à assurer des services sociaux de qualité et accessibles, à revaloriser la protection de la jeunesse et à renforcer la sécurité résidentielle. La politique familiale proposée se veut inclusive, articulée autour de l'égalité dès la petite enfance, de la reconnaissance de la diversité des formes familiales et du droit de vieillir dans la dignité.
En matière d'éducation, QS réaffirme que l'égalité passe par un accès universel au savoir. La gratuité scolaire complète, de la petite enfance à l'université, fait l'objet d'un débat majeur : certaines propositions étendent la gratuité à tous les ordres d'enseignement, incluant la formation professionnelle et la francisation, tandis que d'autres insistent sur une priorisation progressive selon les capacités de l'État. Les discussions autour de la fin de l'école à trois vitesses témoignent d'une volonté commune d'unifier le réseau scolaire, mais des divergences subsistent sur le statut des écoles privées et sur les mesures concrètes pour garantir la réussite de toustes les élèves, notamment ceux et celles en difficulté (HDAA). Les amendements oscillent entre des formulations plus inclusives et d'autres plus normatives, sans opposition idéologique nette.
La section sur la justice est globalement consensuelle. Les modifications proposées portent surtout sur le rôle de la police : plusieurs contributions insistent pour que la force policière soit comprise comme un instrument de protection et non de répression, tout en reconnaissant les problématiques spécifiques vécues par les minorités racisées et nationales.
Bloc 5 — Culture et démocratie
Le programme réaffirme la vision d'une culture en commun, appuyée sur un réseau public de bibliothèques, de maisons de la culture et d'institutions locales ouvertes à la communauté. L'ajout d'une dimension de réutilisation du patrimoine bâti à des fins sociales et communautaires (logement social, hébergement d'organismes) reflète une conception de la culture ancrée dans le tissu vivant des collectivités plutôt que limitée à la conservation patrimoniale. Ces ajouts font consensus.
Sur le plan démocratique, Québec solidaire défend une réforme du mode de scrutin et de la carte électorale visant à renforcer l'équité et la représentation territoriale, tout en préservant l'indépendance des institutions électorales. Deux propositions concurrentes sur le droit de vote des personnes immigrantes cristallisent un clivage :
• la première (5.13, option A) l'accorde aux personnes ayant obtenu la résidence permanente depuis au moins deux ans ;
• la seconde (5.15, option B) l'étend aux personnes ayant déposé une demande de résidence permanente. Cette dernière est perçue comme plus inclusive.
Les sections sur la décentralisation et la laïcité reprennent les orientations du programme actuel. Un ajout important de Hull (5.18) condamne explicitement le détournement réactionnaire de la laïcité utilisé pour stigmatiser les minorités, notamment les femmes musulmanes, recentrant la laïcité sur ses fondements d'égalité et d'émancipation. Cet ajout se démarque de la rhétorique de la CAQ et du PQ en réaffirmant la laïcité inclusive et antiraciste de QS.
Bloc 6 — Indépendance et altermondialisme
Le chapitre sur l'indépendance articule une conception populaire, féministe et inclusive du projet de pays. Le texte du Programme actualisé propose d'associer l'ensemble des composantes sociales du Québec à la démarche constituante et de garantir les droits des personnes pendant la période de transition, incluant la protection des travailleuses et travailleurs fédéraux, des programmes sociaux et des statuts des personnes immigrantes.
Le débat majeur porte sur la composition et le mode de désignation de l'Assemblée constituante. Les propositions varient entre un tirage au sort, une élection au suffrage universel et des amendements qui proposent de ne pas se prononcer actuellement sur le sujet. La synthèse privilégie l'élection démocratique avec parité de genre et représentation proportionnelle de la diversité sociale, afin d'éviter la dépolitisation de l'exercice.
Les différentes options stratégiques pour la construction d'une majorité indépendantiste (A à F) ne reflètent pas de clivage de fond, mais des nuances d'expression. Elles convergent vers une vision de l'indépendance comme projet de société de rupture, anticapitaliste, anticolonial, écologique et démocratique, arrimé aux luttes sociales et aux mouvements populaires. L'enjeu principal demeure la manière de transformer la mobilisation sociale en force politique réelle. Présenter six options en discussion alors que celles-ci partagent la même orientation, comme cela se reflète dans les argumentaires, est difficilement compréhensible.
La dimension altermondialiste du Programme actualisé vise à inscrire un Québec indépendant dans un ordre mondial fondé sur la paix, la solidarité et la souveraineté des peuples. Les amendements principaux (CAP altermondialiste) renforcent cette orientation : l'option B maintient la ligne historique de QS, opposée à la participation à l'OTAN ou au NORAD et favorable à une refonte démocratique de l'ONU. Ce choix explicite marque une fidélité au pacifisme internationaliste du parti et rejette les formulations jugées trop vagues.
Bloc 7 — Féminisme, identités et peuples autochtones
Le Programme actualisé réaffirme la construction d'un Québec féministe et inclusif, intégrant la pluralité des genres. Les reformulations visent à actualiser le langage sans modifier la direction politique. L'amendement 7.4 (Jean-Lesage) introduit une rupture majeure : la reconnaissance de l'écoféminisme. En articulant patriarcat, capitalisme et destruction de la nature, cette proposition relie les luttes des femmes à la critique systémique de l'économie politique. Elle déplace le féminisme de l'égalité formelle vers une analyse de la reproduction sociale, du travail gratuit et de la domination violente — une vision révolutionnaire du care comme fondement du commun. Cette articulation entre féminisme, écologie et économie du soin renforce la cohérence du programme solidaire autour du prendre soin comme principe organisateur d'une société égalitaire.
Bloc 8 — Immigration, inclusion et langue française
Le bloc sur l'immigration met de l'avant une conception plurielle et inclusive du Québec, opposée à toute forme de racisme, de transphobie et de capacitisme. La proposition 8.6 (Comité de coordination national) est une proposition de rupture : elle critique les politiques migratoires dictées par le marché et redéfinit l'immigration dans une logique solidaire et planifiée, refusant la notion instrumentale de « capacité d'accueil ».
À l'inverse, la 8.8 (Hull) demeure purement quantitative et n'opère pas la rupture nécessaire avec la notion de capacité d'accueil.
Les propositions 8.11 à 8.13 convergent vers une intégration inclusive, mais c'est la 8.12 (CAP écologiste) qui maintient la dimension communautaire et territoriale. Enfin, la 8.15 (Jean-Lesage, CAP écologiste) défend la régularisation massive des sans-papiers, position de rupture démocratique fondamentale.
Les amendements précisent que la langue française est à la fois instrument démocratique et socle du projet collectif, et que l'État doit garantir à chacun·e les moyens de l'apprendre. En matière d'intégration, les propositions convergent vers un modèle régionalement différencié, mais centré sur le financement adéquat des organismes communautaires.
Une proposition importante, 8.15 (Jean-Lesage, CAP écologiste), défend la régularisation massive des sans-papiers et l'égalité de droits entre toutes les personnes résidant au Québec, consacrant ainsi la vision universaliste de QS d'une citoyenneté fondée sur la résidence et la participation plutôt que sur le statut administratif.
En somme
L'analyse des blocs 1 à 3 fait apparaître deux orientations divergentes :
1. Une orientation écosociale, qui privilégie la régulation publique, l'économie sociale et la transition progressive ;
2. Une orientation éco-socialiste de rupture, portée par plusieurs CAP (écologiste, indépendance, Jean-Lesage, Viau, etc.), qui prône la socialisation des secteurs stratégiques, la planification démocratique décentralisée et la confrontation explicite avec le capitalisme extractif.
Au niveau de son orientation économique et écologiste, le congrès de 2025 devra trancher entre une transition verte ou sa définition comme un parti de transformation anticapitaliste, démocratique et populaire de l'économie et de l'État québécois.
Les blocs 4 à 8 du Programme actualisé témoignent d'un resserrement du projet solidaire autour de trois axes :
1. Un État social fort, garant de la redistribution, de la justice et des services publics accessibles ;
2. Une démocratie inclusive et décentralisée, reconnaissant la pluralité nationale, culturelle et territoriale du Québec ;
3. Une indépendance populaire et altermondialiste, inséparable des luttes féministes, écologiques, antiracistes et autochtones.
Les divergences entre amendements dans les blocs 4 à 8 ne traduisent pas des ruptures idéologiques profondes, mais des choix significatifs entre des formulations techniques et d'autres plus militantes, entre la volonté de clarté stratégique et la prudence institutionnelle.
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Stanley Ryerson et la méthode d’un historien marxiste

Stanley Bréhaut Ryerson (1911-1998) demeure l’une des plus célèbres figures associées au Parti communiste du Canada (PCC). Alors que Tim Buck représente le dirigeant inébranlable et que Norman Bethune incarne l’internationalisme prolétarien – jusqu’au sacrifice ultime – la figure de Ryerson évoque l’intellectuel organique, théoricien et pédagogue du parti[1]. Pourtant, rien ne le destine à devenir une figure de proue du mouvement communiste. Ryerson nait dans une famille bourgeoise; son arrière-grand-père Egerton Ryerson a été un des architectes du système scolaire canadien au XIXe siècle alors que son père Edward Ryerson a été secrétaire de la Faculté de médecine et membre du sénat de l’Université de Toronto. Le jeune Stanley fréquente les meilleures écoles de la province et se destine à une carrière prometteuse, possiblement dans le domaine des lettres. C’est lors de ses années d’études à Paris (1931-1934[2]) qu’il découvre la pensée marxiste et qu’il adhère au communisme. À son retour au Canada, il s’implique dans les organisations de jeunesse du PCC, avant d’y occuper des fonctions de plus en plus importantes. Dès 1935, il est élu membre du comité central et nommé responsable du programme d’éducation. Dans les années suivantes, il coordonne diverses publications du parti, dont sa revue théorique National Affairs Monthly, et devient le représentant du PCC à la rédaction de la revue du Kominform[3], Pour une paix durable, pour une démocratie populaire. Dans les années 1960, il recentre ses efforts sur la recherche historique. Il quitte le PCC en 1971, tout en poursuivant une carrière à l’Université du Québec à Montréal (1970-1991).
En parallèle de son rôle de dirigeant et de ses tâches éditoriales, Ryerson élabore une théorie concernant la recherche historique et l’enseignement dans une perspective révolutionnaire. Il publie des livres importants sur l’histoire canadienne et le marxisme, rédige des articles sur l’approche matérialiste en histoire, met en place l’École nationale du parti et, plus largement, développe une méthode pédagogique novatrice. Celle-ci mobilise l’histoire dans un dessein heuristique, afin de développer la conscience de classe du prolétariat et de contribuer au processus révolutionnaire. Le développement de cette méthode se fait en plusieurs temps, d’abord par l’appropriation de l’épistémologie marxiste et par ses premières recherches, notamment sur les Patriotes de 1837-1838. Ryerson se demande alors consciemment quel rôle l’histoire peut jouer pour comprendre notre situation et pour produire des effets politiques. Au tournant des années 1930-1940, il met en place, avec l’aide de Margaret Fairley, un cursus d’histoire marxiste destiné aux militants et militantes du parti. Enfin, les deux camarades imaginent le projet d’une « histoire du peuple » du Canada, qui sera en partie réalisée par Ryerson dans ses livres The Founding of Canada (1960) et Unequal Union (1968). C’est de cet ambitieux programme que le présent article souhaite rendre compte, avec l’espoir d’en ranimer l’esprit, sinon la lettre.
Matérialisme et recherche historique
Comme on le sait, le marxisme se fonde sur un certain nombre de principes analytiques (matérialisme historique, critique de l’économie politique) et de conceptions politiques (lutte des classes, révolution prolétarienne) en mesure d’expliquer le régime capitaliste d’exploitation et d’indiquer une voie de dépassement, nommément par la collectivisation des moyens de production, puis le communisme. Dans cette théorie, l’étude de l’histoire occupe une place centrale pour comprendre le monde tel qu’il s’impose à nous et pour fournir les outils de sa critique. Plus précisément, la conception matérialiste de l’histoire, ou le matérialisme historique, met en valeur l’importance des rapports de production dans la structuration d’une société lors d’une époque donnée. Elle indique la place déterminante de l’économie, sans pour autant nier le rôle des acteurs humains, mais en réfutant la transcendance des idées. Cette approche montre comment l’action politique, pour s’avérer concluante, doit transformer les rapports économiques qui existent entre les humains.
L’ensemble de ces rapports [de production] forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s’élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. […] Le changement dans les fondations économiques s’accompagne d’un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice. Quand on considère ces bouleversements, il faut toujours distinguer deux ordres de choses. Il y a le bouleversement matériel des conditions de production économique. On doit le constater dans l’esprit de rigueur des sciences naturelles. Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques, philosophiques, bref les formes idéologiques, dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu’au bout[4].
C’est cette méthode que Stanley Ryerson découvre à Paris durant l’année scolaire 1931-1932 et qui conditionne son programme de recherche, puis d’éducation[5]. En plus des ouvrages de Marx, Ryerson accède à la riche littérature publiée par le Bureau d’éditions et les Éditions sociales, deux organes officiels du Parti communiste français (PCF). Ces éditeurs, qui impriment une soixantaine de titres annuellement au début des années 1930, bâtissent leur catalogue autour de la théorie marxiste et de l’histoire[6]. Ryerson connait durant son séjour parisien l’un des ouvrages les plus importants pour la formation militante d’alors, La théorie du matérialisme historique (Nicolas Boukharine, 1921), traduit et publié en français par les Éditions sociales en 1927. Ce livre systématise la théorie marxiste concernant l’approche scientifique, la dialectique, les études historiques et la lutte des classes. Lors d’un deuxième séjour universitaire à Paris (année scolaire 1933-1934), Ryerson participe à l’Association des écrivains et des artistes révolutionnaires (AEAR) où il rencontre notamment Paul Vaillant-Couturier et divers auteurs, dont Henri Barbusse. Ce dernier codirige aussi les activités de l’Université ouvrière de Paris (1932-1939) qu’il fait découvrir à Ryerson. Cette institution offre une véritable éducation aux ouvriers en vue d’en faire des cadres compétents du parti, incluant un programme nettement plus poussé que l’habituelle agitation-propagande. L’exercice est un succès puisqu’on dénombre plus de 2 100 inscrits et inscrites pour l’année 1933-1934[7].
De retour au Canada, Ryerson possède une solide formation théorique concernant le marxisme et la conviction que l’histoire peut et doit jouer un rôle central dans un programme pédagogique à vocation révolutionnaire. Il désire mettre ses connaissances au service des femmes et des hommes militants et travailleurs, suivant un modèle inspiré de l’Université ouvrière, ce qu’il peut réaliser en tant que nouveau directeur de l’éducation au sein du PCC et comme participant à l’Université ouvrière de Montréal, de tendance communiste libertaire[8]. Le projet de Ryerson comprend deux volets complémentaires : étudier l’histoire du Canada et s’en servir comme outil politique. C’est ce qu’il indique dans l’avant-propos de son premier ouvrage, intitulé 1837, The Birth of Canadian Democracy : « Ce travail doit servir de point de départ à une entreprise qui n’a que trop tardé : l’analyse, du point de vue du marxisme, de l’histoire de notre pays. […] Puissent ces pages servir à renforcer la conviction et la compréhension des Canadiens, dépositaires d’un héritage très précieux de lutte et de liberté ; un héritage qui ne sera pleinement réalisé que sous le socialisme, lorsque l’exploitation, le besoin et l’insécurité auront été bannis du sein de notre peuple[9] ». Ce projet se poursuit et se précise dans les années suivantes, avec l’aide de Margaret Fairley, tant par des publications que par l’entremise des écoles du PCC destinées aux cadres ou au grand public.
Exposer « la véritable histoire de notre pays »
Dans l’objectif de rédiger une histoire émancipatrice du Canada, Stanley Ryerson propose un certain nombre de principes méthodologiques. Il décide de recourir aux témoignages des travailleuses et des travailleurs eux-mêmes (principalement par l’entremise des journaux ouvriers), de centrer son histoire sur les classes laborieuses, d’adopter une approche résolument matérialiste et, enfin, de souligner la dialectique entre les facteurs économiques et politiques. Bien qu’il inscrive son travail dans une perspective atlantique, il repère aussi des thèmes prépondérants pour l’histoire canadienne, dont la transition inachevée du féodalisme au capitalisme, la construction de la confédération par et pour la bourgeoisie anglo-saxonne de la vallée du Saint-Laurent et les oppressions nationales. Ces éléments impliquent de faire une histoire qui intègre la lutte des classes aux questions coloniales-nationales. Le projet se cristallise en décembre 1946, lors d’une conférence organisée par la National Affairs Monthly. Ryerson y présente une synthèse de l’historiographie canadienne et souligne la différence entre les perspectives bourgeoise et marxiste, la première évacuant la lutte des classes assumée par la seconde. Surtout, on décide de procéder à des recherches collectives et personnelles sur plusieurs sujets, ce qui mène à nombre de publications dans les années suivantes. Ryerson doit s’occuper de l’histoire sociale et politique, alors que Margaret Fairley, qui vient de publier une anthologie de textes progressistes intitulée Spirit of Canadian Democracy[10], poursuit son travail sur la littérature. D’autres militants et militantes prennent des engagements afin de réaliser le programme de recherche du parti, dont Tim Buck qui publie une étude sur les structures du pays (Canada, The Communist Viewpoint, 1948[11]) et Rebecca Buhay qui codirige les écoles du parti[12].
C’est pourtant Ryerson qui réalise la plus impressionnante recherche découlant de la rencontre de 1946, en rédigeant une « histoire du peuple » au Canada. Fort de diverses études préliminaires pour des livres ou des cours, il consacre une grande partie de son énergie dans les années 1950 à rédiger le premier volume de son histoire qui parait en 1960 sous le titre The Founding of Canada. Beginnings to 1815[13]. Dans la mesure où plusieurs contretemps, notamment dus à son militantisme, l’ont empêché de recourir massivement aux sources primaires, Ryerson se base principalement sur des témoignages publiés et produit un essai d’interprétation, dans une perspective à la fois matérialiste et engagée. Cette approche ne l’empêche pas de réaliser une œuvre remarquable, à la jonction de la philosophie de l’histoire et d’un recadrage inédit quant aux sujets historiques. Il est le premier à consacrer une large part de son travail exclusivement aux peuples autochtones[14]. Plus largement, ce sont les masses populaires qui intéressent Ryerson, et non les élites françaises ou britanniques. Les questions nationales sont elles-mêmes traitées à l’aune de l’oppression ou de l’exploitation qu’elles impliquent. Le colonialisme est pensé en fonction de la dépossession, puis de la relégation qu’il entraine pour les peuples autochtones, alors que la Conquête de 1763 est considérée en regard de la reconfiguration des structures d’exploitation qui affecte notamment les populations francophones. Dans tous les cas, les évolutions économiques n’excluent jamais l’agentivité politique, surtout celle des classes laborieuses.
Le deuxième volume de l’histoire du Canada de Ryerson, intitulé Unequal Union, parait en anglais en 1968, puis en français (sous le titre de Capitalisme et confédération) en 1972[15]. Dans cet ouvrage, Ryerson aborde directement la transition du féodalisme au capitalisme, les luttes démocratiques des Patriotes (1837-1838), la naissance de la classe ouvrière, la construction du Canada contre la volonté populaire et, enfin, les résistances ouvrières et autochtones face à la nouvelle confédération. Ce maitre-ouvrage est l’occasion pour Ryerson de mobiliser les sources qu’il accumule depuis plus de trente ans et d’offrir une histoire intégrée du XIXe siècle, qui démontre comment l’État canadien s’est constitué contre les désirs démocratiques des populations, et ce, au profit de la bourgeoisie anglophone de la vallée du Saint-Laurent. C’est également l’occasion pour Ryerson de signaler la filiation entre les luttes démocratiques passées et le projet révolutionnaire qu’il défend. Par l’entremise des journaux et des écrits des acteurs (Patriotes, ouvriers, militantes et militants syndicaux et socialistes, etc.), l’auteur construit un récit vivant, aussi informé que plaisant à lire. Les courts chapitres permettent une lecture facile, créant un outil d’érudition autant que de pédagogie populaire. Plusieurs des sections peuvent être étudiées indépendamment, afin de servir pour des cours destinés au grand public. Dans l’ensemble, Unequal Union remplit tous les critères qui importent pour Ryerson : l’approche matérialiste, la centralité du peuple, la lutte des classes, l’accessibilité du récit et, enfin, sa portée pédagogique et politique[16].
Dans les deux volumes parus de son « histoire du peuple »[17], Ryerson adopte la méthode du matérialisme historique, dont il présente sa vision en postface de l’ouvrage de 1960 : « Contrairement à ce que veut une erreur très répandue, le marxisme n’est pas un déterminisme économique. Le marxisme maintient que ce sont les êtres humains qui font leur histoire, avec leur travail, leurs luttes et leurs rêves, que tout cela est compréhensible et a un sens quand on le replace dans son véritable cadre : la domination progressive de l’être humain sur les forces de la nature, et la succession des systèmes sociaux qui ont marqué, l’un après l’autre, les étapes de cette progression[18] ». Cette posture le place en porte-à-faux avec l’interprétation nationaliste (École de Montréal) comme avec l’interprétation économiste (Harold Innis, École de Québec) de l’histoire canadienne. La première tendance préconise une lecture basée sur l’affrontement entre les « races » française et anglaise en Amérique. Elle est répandue dans le monde anglophone depuis le rapport de Lord Durham (1839), tout en fondant les analyses de l’École historique de Montréal, dont les principaux représentants sont l’abbé Lionel Groulx et Michel Brunet. La deuxième tendance, quant à elle, réduit l’histoire à ses aspects économiques. Pour Harold Innis, la succession des ressources exploitées (poisson, fourrure, bois, blé, etc.) est l’élément déterminant pour comprendre les évolutions du Canada, alors que pour les tenants de l’École historique de Québec (Marcel Trudel, Fernand Ouellet), le niveau d’avancement du Canada à une période donnée est déterminé principalement par le degré de pénétration du libéralisme économique et du capital marchand. Bien que Ryerson s’intéresse à la fois aux facteurs nationaux et économiques, il conteste tout réductionnisme, en insistant sur la dialectique entre l’économie et la politique, ainsi que sur l’agentivité des classes populaires dans la mécanique du progrès social[19].
En plus des réflexions propres à l’histoire canadienne dans l’œuvre de Ryerson, il est important de rappeler que sa méthode et ses découvertes s’inscrivent dans un cadre plus large. Pour l’historien, le matérialisme historique est une approche scientifique à portée universelle, qui s’appuie sur les données de l’histoire mondiale dans laquelle se déploient les réalités nationales. L’histoire proposée par Ryerson innove donc par ses allers-retours entre les réalités métropolitaines et coloniales (comme dans Les origines du Canada) ou par son inscription des rébellions des Patriotes dans le contexte des révolutions atlantiques (vers 1775-1840). Pareillement, son étude de la naissance du prolétariat au Canada et de l’exacerbation de la lutte des classes au courant du XIXe siècle s’inscrit dans le contexte mondial d’affirmation du capitalisme, bientôt confronté au mouvement socialiste. Le passage du général au particulier découle d’une approche dialectique proprement marxiste, tout en assumant une forme d’irréductibilité d’un terme à l’autre, comme dans le rapport entre l’économie et la politique. La conséquence la plus importante de ce cadrage sur les recherches de Ryerson est probablement le fait de refuser une explication monocausale du développement du capitalisme, qu’elle soit endogène ou exogène. Enfin, comme nous l’avons vu, l’épistémologie globale de Ryerson lie le passé et le présent ou, plus précisément, effectue un retour vers le passé pour mieux décoder et transformer le présent. Cette relation ne réduit pas pour autant l’histoire aux nécessités contemporaines, mais reconnait sans fard qu’elle est écrite par les humains du présent pour servir leur dessein, nommément celui du socialisme pour Ryerson[20].
Bien qu’elle demeure exceptionnelle dans l’historiographie canadienne, l’approche de Ryerson fait écho à l’historicisme de plusieurs penseurs anglo-saxons marxistes de sa génération, au premier rang desquels se trouvent Christopher Hill, Eric Hobsbawm et Edward P. Thompson. Le parcours intellectuel et militant de ce dernier rappelle, sur bien des plans, celui de Ryerson. En effet, Thompson réalise initialement son travail d’historien au sein du Parti communiste de Grande-Bretagne (PCGB), où il cofonde le Communist Party Historians’ Group (Groupe des historiens du Parti communiste) en 1946[21]. Celui-ci comprend d’ailleurs l’historien Maurice Dobb, dont Ryerson s’inspire ouvertement. Leur objectif est de mettre en valeur une tradition populaire radicale pour inspirer les pratiques politiques contemporaines, et ce, par une réécriture de l’histoire britannique dans une perspective matérialiste, centrée sur les classes populaires, et donc en rupture avec les récits politiques classiques dédiés aux prétendus « grands hommes ». La contribution la plus riche à ce programme est offerte par Thompson dans son ouvrage The Making of the English Working Class publié en 1963[22]. L’historien y présente un récit détaillé de l’émergence du prolétariat sur fond de transition vers le capitalisme, avec une attention particulière pour la contradiction qui s’amplifie entre les ouvriers et les bourgeois. Il met aussi de l’avant les luttes sociales afin d’en montrer les potentialités inachevées. « La parenté de [l’œuvre de Ryerson] avec celle de Christopher Hill et celle d’E.P. Thompson, notamment, est manifeste à la fois par l’importance accordée à la dimension empirique, par le soin apporté à la connaissance de l’historiographie courante, comme aussi par la volonté de fonder théoriquement l’analyse sur les concepts fondamentaux du matérialisme historique, soit l’interaction entre forces productives et rapports de production, et le caractère fondateur des luttes de classes[23]. »
Enfin, pour revenir à Ryerson, il est à noter que l’interprétation novatrice qu’il propose a certainement eu des retombées majeures sur l’historiographie canadienne postérieure, notamment en ce qui concerne l’importance accordée au républicanisme des Patriotes, à la construction foncièrement antidémocratique de la fédération canadienne ou au rôle des luttes populaires dans l’obtention de mesures progressistes tout au long du XIXe siècle. Pourtant, cette influence est rarement évoquée par les universitaires qui ne trouvent peut-être pas de bon ton de reconnaitre leur dette envers un historien marxiste et révolutionnaire. Cette mésestime universitaire demeure néanmoins secondaire en regard des objectifs fixés par Ryerson. Comme il l’énonce dès 1947 : « Notre étude théorique portera ses fruits dans la mesure où elle fusionnera avec les tâches pratiques de la lutte. […] Nous traitons de la véritable histoire de notre pays pour armer et pour inspirer le camp du peuple dans la bataille contre le fascisme en Amérique, et pour aider à faire avancer la lutte pour un Canada socialiste[24] ». Pour le dirigeant marxiste, c’est l’éducation qui permet cette jonction entre la théorie et la pratique.
Une pédagogie révolutionnaire
En plus de son travail d’historien, Ryerson est fort préoccupé par l’éducation et la politique. Ses premiers articles, publiés au printemps 1933, s’intitulent « Education and the proletarian path[25] » et « The canadian student movement[26] ». Ryerson y aborde les inégalités profondes qui gangrènent le système d’éducation canadien, lequel sert aussi de relais à l’idéologie bourgeoise. En sens contraire, le militant appelle de ses vœux le développement d’une école dédiée aux intérêts du prolétariat. Avec sa nomination comme directeur du programme d’éducation du PCC en 1935, puis comme responsable national de la formation au sein du Parti ouvrier progressiste (organisation paravent du PCC) en 1943, Ryerson peut mettre en place des programmes de formation et une pédagogie qui répondent à ses desseins révolutionnaires. Pour ce qui est de l’éducation auprès des masses, il s’inspire des universités ouvrières de Paris et de Montréal où il a donné des conférences[27]. Pour ce qui est des cours plus avancés, destinés aux militants et militantes communistes ou syndicaux, il élabore un cursus influencé par les formations soviétiques et françaises, tout en prenant soin de l’adapter au contexte canadien. Le document de base qui sert à l’ensemble des programmes éducatifs est un petit livre publié en 1946 par Ryerson, intitulé A World to Win. An Introduction to the Science of Socialism[28]. Comme son titre l’indique, l’ouvrage présente les fondements de l’approche marxiste, à savoir la contradiction entre le capital et le travail, le stade monopoliste de l’économie, l’impasse du réformisme, la nécessité d’une révolution prolétarienne et un aperçu du socialisme. Il est intéressant de noter que l’ouvrage applique la méthode du matérialisme historique tout au long des sujets traités, avant de le définir seulement à l’antépénultième chapitre. L’objectif est de montrer comment cette méthode permet de traiter avec justesse des problèmes réels avant de l’exposer de manière théorique.
Ryerson met aussi en place, avec l’aide de Rebecca Buhay, l’École nationale de formation (ÉNF), dont la principale activité consiste en un programme d’études de trois mois, à temps plein, offert chaque été aux cadres du PCC. Comme le rappelle un participant : « Les diverses écoles du parti, en particulier l’École nationale de formation, offraient la possibilité de surmonter le manque de considération pour la théorie, ou peut-être la crainte qu’on en avait fréquemment, dans un parti où les membres, souvent peu instruits, étaient plutôt orientés vers l’action[29] ». Les cours sont pourtant exigeants, comprenant une étude des textes fondamentaux de Marx et d’Engels, y compris l’ensemble du Capital (Livre 1), huit textes de Lénine et deux de Staline, l’histoire du Parti communiste de l’Union soviétique, des ouvrages de Tim Buck et de Stanley Ryerson, ainsi que des dossiers publiés par la National Affairs Monthly. Ces lectures servent de prémisses à de longues discussions collectives sur les textes afin d’en saisir pleinement le contenu et l’utilité pour l’action politique. « Il y avait aussi des ateliers portant sur différents sujets comme parler en public, réaliser une émission radio de cinq minutes, les slogans, la rédaction de tracts, les étapes d’organisation d’une campagne[30]. » L’ensemble vise à consolider la connaissance des participants et des participantes quant au marxisme-léninisme, à la situation mondiale et canadienne, aux nécessités politiques dans le contexte d’après-guerre et au socialisme, afin de stimuler l’action militante. Finalement, la formation comprend une réflexion critique sur l’activité des personnes présentes dans l’objectif qu’elles s’améliorent, la fameuse pratique de la critique et de l’autocritique.
Le rôle de l’historien professeur rappelle encore l’approche d’Edward Thompson qu’un commentateur décrit ainsi : « Comme enseignant, il ne cesse d’ailleurs de proclamer que son but est de former des révolutionnaires. […] L’enseignement acquiert pour lui une dimension politique puisqu’il s’agit d’apprendre aux travailleurs à ne pas avoir honte de leur origine tout en leur offrant les moyens de se réapproprier leur passé. Mais Thompson ne veut pas seulement former des militants conscients et instruits, il entend également apprendre d’eux et approfondir sa connaissance intime du monde ouvrier[31] ». On trouve chez Ryerson une même connexion entre la recherche historique et le travail pédagogique auprès des prolétaires, qui débouche sur une communauté d’intérêts mutuellement bénéfiques. En effet, le théoricien comme les ouvriers conscients et les militants aguerris convergent dans une même direction : la volonté de faire valoir les intérêts des classes laborieuses aux dépens de ceux des bourgeois. Pourtant, l’unité de pensée et d’action de l’ensemble de la classe ouvrière n’est pas gagnée d’avance, ni même nécessaire, ce qui prouve l’importance du travail de réflexion, de rédaction, de diffusion et d’éducation. Le marxisme de Ryerson fait le pari que les conditions objectives – nommément la contradiction entre le capital et le travail – offrent un terreau fertile pour de telles pratiques sociales et politiques. C’est cette mentalité qui structure le travail éducatif de Ryerson et qu’il tente de transmettre dans le document Notes on How to Study for Students Group Leaders (1946). Il y préconise l’étude personnelle et collective, ainsi que la mise à l’épreuve des apprentissages à l’aune des enjeux concrets que rencontrent les participantes et les participants.
Ryerson poursuit son travail de réflexion et d’éducation au Centre d’études marxistes à Toronto qu’il dirige de 1960 à 1969, ainsi que comme directeur de la revue Marxist Quarterly (1962-1966). Parallèlement à ses études historiques, il cherche à repenser le cadre d’action socialiste en regard des reconfigurations socioéconomiques des années 1960. C’est dans ce contexte qu’il publie le second volume de son histoire du Canada intitulé Unequal Union (1968), ainsi que plusieurs textes sur la démocratie dans le mouvement socialiste et l’avenir politique du Québec. Ces prises de position précipitent la rupture entre Ryerson et la direction du PCC, amenant l’historien à démissionner du comité central en 1969, puis à quitter le parti en 1971. Cela dit, Ryerson demeure attaché à la méthode qu’il a développée et appliquée tout au long de sa vie, comprenant la recherche et l’éducation dans un objectif de transformation sociale. C’est pourquoi il choisit de se joindre au corps professoral de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 1970 et d’y faire carrière jusqu’à sa retraite en 1991. En effet, cette université a pour vocation de démocratiser l’accès aux études supérieures et d’encourager l’esprit critique des jeunes générations. Ryerson contribue à cette mission en proposant des cours sur le marxisme et l’histoire canadienne. Dans le même sens, il participe à plusieurs projets collectifs ayant une portée politique, dont le plus connu est l’ouvrage Histoire du mouvement ouvrier au Québec (1825-1976). 150 ans de luttes, copublié par deux centrales syndicales, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), devenue la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). À l’orée du troisième front commun intersyndical du secteur public, l’objectif de cette publication est clair : « Il faut absolument que le mouvement ouvrier québécois retrouve la mémoire collective de ses actions et luttes passées, cette mémoire qui permet de mieux continuer le combat, aujourd’hui, en tirant les leçons des combats d’hier[32] ».
* * *
De nos jours, face à l’exacerbation des dangers causés par le capitalisme – la crise écologique, la vie chère, le retour du fascisme – il est temps de renouer avec la méthode mise de l’avant par Ryerson et ses camarades dans les années 1930 et 1940. En ce sens, l’élaboration d’un programme de recherche incluant des études historiques, économiques et politiques, établi officiellement et dont un certain nombre de personnes auraient pour tâche la réalisation, semble une base prometteuse. De même, il est temps de réfléchir à la création d’institutions de formation rigoureuses destinées à augmenter la conscience de classe des travailleurs et des travailleuses, et à contribuer à la lutte pour l’égalité. À la manière du PCF ou du PCC, la constitution d’écoles pour les militants et les militantes, ainsi que d’universités populaires, permettrait de consolider nos pratiques et d’élargir notre mouvement. Un tel projet, visant à refonder notre approche théorique et à lancer un ambitieux réseau d’éducation politique, doit être l’œuvre d’une large coalition des forces progressistes. Il est dorénavant nécessaire si nous voulons être en mesure de comprendre, d’attaquer et de dépasser le système d’exploitation capitaliste. « En luttant pour ce changement fondamental, les communistes expriment les aspirations d’un grand nombre de Canadiens qui rêvent d’une société nouvelle, libérée de l’exploitation et fondée sur les principes de la justice sociale[33]. »
Par Alexis Lafleur-Paiement, doctorant en philosophie politique et chargé de cours à l’Université de Montréal, membre du collectif Archives Révolutionnaires
- Sur la vie et l’œuvre de Ryerson, on consultera Robert Comeau et Robert Tremblay (dir.), Stanley Bréhaut Ryerson, un intellectuel de combat, Hull, Vents d’Ouest, 1996, ainsi que Gregory Kealey, « Stanley Bréhaut Ryerson : intellectuel révolutionnaire canadien » et « Stanley Bréhaut Ryerson : historien marxiste », dans Robert Comeau et Bernard Dionne (dir.), Le droit de se taire. Histoire des communistes au Québec, Montréal, VLB Éditeur, 1989, p. 198-241 et 242-272. ↑
- Plus précisément, Ryerson séjourne à Paris une première fois pour l’année scolaire 1931-1932, puis une seconde fois pour l’année scolaire 1933-1934. ↑
- Le Kominform, le Bureau d’information des partis communistes, 1947-1956, centralise les activités des partis alliés de l’URSS après la Deuxième Guerre mondiale. ↑
- Karl Marx, « Avant-propos à la Critique de l’économie politique » (1859) dans Œuvres. Économie, tome 1, Paris, Gallimard, 1965, p. 272-273. ↑
- Aux influences françaises, il faut ajouter celle de Bill Sparks qui anime un groupe d’études au sein du PCC, auquel participe Ryerson en 1932-1933. Voir Andrée Lévesque, « Les années de formation du militant », dans Comeau et Tremblay, 1996, op. cit., p. 26. ↑
- Le Bureau d’éditions publie principalement les brochures et les rapports du PCF, alors que les Éditions sociales traduisent et diffusent la documentation du mouvement communiste international. Voir Marie-Cécile Bouju, « Les maisons d’édition du PCF, 1920-1956 », dans Nouvelles Fondations, no 7-8, 2007, p. 260-265. ↑
- Simon Godard, « Faire l’économie de la révolution », dans Danièle Fraboulet et Philippe Verheyde (dir.), Pour une histoire sociale et politique de l’économie, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2020, p. 409-421. Les statistiques de fréquentation de l’Université ouvrière de Paris figurent dans le tableau 1. ↑
- L’étude la plus complète à ce sujet est celle de Mathieu Houle-Courcelles, Ni Rome, ni Moscou : l’itinéraire des militants communistes libertaires de langue française à Montréal, thèse de doctorat, Université Laval, 2020, p. 155-244. Ryerson a participé à cette initiative en présentant des conférences. ↑
- Stanley Ryerson, 1837, The Birth of Canadian Democracy, Toronto, Francis White Publishers, 1937, p. 10-11 (notre traduction). ↑
- Margaret Fairley, Spirit of Canadian Democracy, Toronto, Progress Books, 1946. ↑
- Tim Buck, Canada, The Communist Viewpoint, Toronto, Progress Books, 1948. ↑
- Sur cette conférence et ses implications, voir Stephen Endicott, « Les années torontoises, 1943-1969 », dans Comeau et Tremblay, 1996, op. cit., p. 49. ↑
- Stanley Ryerson, The Founding of Canada. Beginnings to 1815, Toronto, Progress Books, 1960. L’ouvrage est traduit sous le titre Les origines du Canada, Montréal, VLB Éditeur, 1997. ↑
- Les six premiers chapitres du livre traitent des sociétés autochtones avant l’arrivée des Européens au Canada. ↑
- Stanley Ryerson, Unequal Union. Confederation and the Roots of Conflict in the Canadas, 1815-1873, Toronto, Progress Books, 1968. La version revue et augmentée publiée en français en 1972 a récemment été rééditée sous le titre Capitalisme et confédération, Montréal, M Éditeur, 2024. ↑
- Pour une réflexion plus poussée sur le contenu de l’ouvrage, nous nous permettons de renvoyer à notre préface (coécrite avec Nathan Brullemans) dans Ryerson, Capitalisme et confédération, 2024, op. cit., p. 7-29. ↑
- Le troisième et dernier volume prévu, qui devait couvrir grosso modo la période de 1873 à 1970, n’a jamais été rédigé. Nous n’avons pas trouvé d’explication à ce sujet, mais la rupture entre Ryerson et le PCC en 1971 y est sûrement pour beaucoup. ↑
- Ryerson, Les origines du Canada, 1997, op. cit., p. 373. ↑
- Ryerson revient à plusieurs reprises sur les critiques qu’il oppose aux interprétations nationalistes et économistes étroites, notamment dans Capitalisme et confédération, 2024, op. cit., p. 41-43 et 481-500. ↑
- Pour une réflexion sur les dynamiques à l’œuvre dans la pensée historique de Ryerson, voir Jean-Paul Bernard, « Stanley B. Ryerson, historien », dans Comeau et Tremblay, 1996, op. cit., p. 93-102. ↑
- Thompson est un des principaux animateurs du groupe de 1946 à 1956, avant de quitter le PCGB afin de protester contre l’invasion de la Hongrie par l’URSS. ↑
- Edward Thomspon, The Making of the English Working Class, Londres, Victor Gollancz, 1963. Le livre a été traduit sous le titre La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Seuil, 1988. ↑
- Jean-Marie Fecteau, « Classes, démocratie, nation. La transition au capitalisme chez Stanley B. Ryerson », dans Comeau et Tremblay, 1996, op. cit., p. 237. ↑
- Stanley Ryerson, « Marxism and the writing of canadian history », dans National Affairs Monthly, vol. 4, no 2, février 1947, p. 51 (notre traduction). ↑
- Stanley Ryerson, « Education and the proletarian path » (deux parties), dans Masses, vol. 1, no 8, mars-avril 1933 et no 9, mai-juin 1933. ↑
- Stanley Ryerson, « The canadian student movement » (deux parties), dans The Young Worker, 17 avril 1933 et 13 mai 1933. ↑
- L’Université ouvrière de Montréal (1925-1935) diffuse de la littérature révolutionnaire tout en présentant régulièrement des conférences et des causeries. Ses activités se poursuivent sous d’autres noms en 1936-1937, avant sa disparition définitive. Par contre, elle n’offre pas un véritable cursus d’études comme son pendant parisien ou les écoles du PCC. ↑
- Stanley Ryerson, A World to Win. An Introduction to the Science of Socialism, Toronto, Progress Books, 1950 [1946]. L’édition de 1950 est une version révisée et augmentée de celle de 1946. ↑
- Stephen Endicott, « Les années torontoises, 1943-1969 », dans Comeau et Tremblay, 1996, op. cit., p. 50. ↑
- Ibid., p. 52. ↑
- François Jarrige, « Edward P. Thompson, l’historien radical », préface dans Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Seuil, 2012 [1988], p. IX-X. ↑
- Collectif, Histoire du mouvement ouvrier au Québec (1825-1976). 150 ans de luttes, Montréal, CSN et CEQ, 1979, p. 8. ↑
- Pour un Canada socialiste. Le programme du Parti communiste du Canada, Toronto, Progress Books, 1960, p. 31. Ryerson a été un des principaux rédacteurs de ce programme en tant que membre du comité central du parti. ↑

ÉROS CRÉATIF de Stéphane Crête En librairie le 11 novembre
L'auteur se met à nu sur sa quête spirituelle et sexuelle, en lien avec la création.
Éros créatif retrace le parcours d'un homme en quête de sens dans sa vie sexuelle. À travers quinze tentatives d'écriture — essais, récits, contes ou fictions —, Stéphane Crête explore les multiples visages de l'éros et sa rencontre possible avec le mystère, la créativité, la spiritualité et la liberté intérieure.
Chaque texte est suivi d'une réflexion sur le processus d'écriture, les résistances rencontrées et les tabous soulevés. Ce livre témoigne ainsi d'un double cheminement : celui d'une parole qui cherche à émerger, et celui d'une sexualité qui se veut plus consciente, créative et libre des conditionnements.
Nourri par la pensée queer, le tantrisme, la psychologie archétypale et le mythe du héros, Éros créatif propose une voie originale pour réinventer notre rapport à l'intimité et au désir.
Un ouvrage à la fois sensible, drôle et lucide, destiné à toutes celles et ceux qui souhaitent remettre du sens, de la beauté et de la liberté dans leur vie sexuelle.
L'auteur
Artiste bien connu du grand public pour ses rôles à la télé et au cinéma, Stéphane Crête est également auteur, enseignant et ritualiste. En plus d'avoir publié plusieurs textes de théâtre, sa bibliographie compte également le recueil Bien faire et se tenir en joie (Somme toute, 2023) et l'essai Marquer le temps, entre profane et sacré, la recherche de nouveaux rituels (Le Jour, 2021). Éros créatif est son 8e ouvrage. Il habite en campagne, dans la région de Lanaudière.
Extrait - Éros créatif
« Une dernière chose. Bien que l'essentiel de ce livre pointe vers la lumière, il m'est impensable de ne prétendre qu'à la pureté. Dans mon parcours sexuel, le trivial a côtoyé le mystérieux, le vulgaire a cohabité avec le sublime. C'est cette danse qui caractérise le mieux mon chemin et je souhaite en rendre compte ici. Je serai sans doute trop obscène pour les uns, pas assez sulfureux pour les autres. Qu'importe. Puisque l'un de mes grands chantiers consiste à transcender les dualités, je choisis dès lors d'embrasser la grossièreté comme la grâce. » Stéphane Crête
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S’organiser autrement : le pari de la coopération
Rallumer le phare : la FQPPU invite la population à signer massivement la pétition déposée à l’Assemblée nationale pour protéger la mission universitaire
EN BREF : - - -
Une pétition pour restaurer et protéger la mission universitaire. La FQPPU lance un
appel à la population pour signer massivement la pétition déposée à l'Assemblée
nationale, un geste démocratique fort pour défendre le financement public, la liberté
académique, l'autonomie institutionnelle et la collégialité des universités québécoises.
Une réponse à une crise mondiale des universités. Dans un contexte international où
la liberté d'enseignement et la recherche subissent des ingérences politiques et
économiques croissantes — comme le révèlent l'Academic Freedom Index et le dernier
rapport de Scholars at Risk —, la FQPPU alerte sur la nécessité de restaurer l'université
comme lieu de pensée libre et de débat éclairé.
Un engagement collectif et durable. Portée par cinq piliers — financement public, liberté
académique, collégialité, autonomie institutionnelle et lutte contre la marchandisation du
savoir —, la campagne Rallumer le phare amorce un mouvement universitaire et citoyen
de longue haleine pour maintenir vivante la mission d'intérêt public de l'université au
Québec.
Montréal, le 27 octobre 2025 — Face à la régression mondiale de la liberté académique, la
Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU) lance une pétition déposée à l'Assemblée nationale pour protéger l'université québécoise.
Dans un contexte mondial où la mission d'intérêt public de l'université se trouve menacée par
des logiques politiques, idéologiques et économiques, la FQPPU invite ainsi la population à
rallumer le phare et à se mobiliser pour défendre son financement, la liberté académique de ses communautés, l'autonomie de ses établissements et la collégialité de sa gouvernance.
Partout dans le monde, la capacité des universités à remplir leur mission est en danger. Le plus récent Academic Freedom Index constate une baisse significative de la liberté académique dans 34 pays au cours de la dernière décennie, y compris dans des démocraties établies qu'on croyait à l'abri de telles menaces, en raison de la montée des forces anti-pluralistes et de la politisation des savoirs.
Le rapport Free to Think 2025de Scholars at Risk dresse le même constat. La liberté d'enseignement, la diffusion des idées et l'autonomie institutionnelle sont fragilisées par des ingérences politiques, des pressions économiques et des attaques contre les chercheuses et chercheurs. Selon l'organisme, nous vivons actuellement « une crise mondiale de la liberté académique ».
Au Québec comme ailleurs, ces tendances menacent le rôle de l'université en tant que lieu de
pensée libre et de débat éclairé. Bien qu'ici la Loi sur la liberté académique dans le milieu
universitaire reconnaisse désormais ce droit, son exercice demeure fragile à plusieurs égards.
Des ingérences politiques au sein d'institutions d'enseignement supérieur ont assombri les
dernières années. De plus, le gel et les compressions budgétaires imposés aux universités,
combinés à la chute historique de 46 % en moyenne des demandes d'admission d'étudiantes et d'étudiants internationaux après que le gouvernement leur ait fermé la porte, plongent l'ensemble de nos établissements dans une situation extrêmement précaire.
La pétition déposée à l'Assemblée nationale se veut un geste démocratique fort pour inverser
cette dérive et réaffirmer la valeur de l'université comme bien commun. Les dérapages ayant
présentement lieu au sud de nos frontières le montrent de façon exemplaire : c'est l'avenir des générations à venir, de notre démocratie et de notre capacité collective à penser librement qui est en jeu.
Rallumer ensemble le pharede l'université Chaque signature compte. Chaque nom ajouté à cette pétition envoie un message clair et sans équivoque aux politiques sur l'importance de la mission universitaire pour éclairer notre présent et contribuer à trouver des solutions pour l'avenir, dans un contexte marqué par des crises sociales et environnementales sans précédent.
« L'université n'est ni un instrument à la disposition des partis politiques ni une entreprise qui sert des intérêts privés », rappelle Madeleine Pastinelli, présidente de la FQPPU « C'est un lieu de pensée libre et de débat, un phare collectif qui éclaire nos sociétés et nous permet d'imaginer d'autres possibles. Signer cette pétition, c'est exiger que ce phare continue de briller. »
Pour Fasal Kanouté, vice-présidente de la FQPPU, « ce geste simple est un acte de solidarité
envers celles et ceux qui enseignent, cherchent et transmettent le savoir dans un contexte de
plus en plus difficile. C'est aussi une façon d'affirmer notre volonté de bâtir une université
accessible à toutes et à tous, une université inclusive et tournée vers le bien commun. »
La campagne Rallumer le phare s'articule autour de cinq piliers essentiels à la mission
universitaire : un financement public adéquat et durable, la protection intégrale de la liberté
académique, une gouvernance collégiale authentique, une autonomie institutionnelle réelle et un front commun contre la marchandisation du savoir.
Cette pétition n'en constitue que la première étape. Elle ouvre un vaste chantier collectif —
universitaire et citoyen — pour restaurer et protéger durablement la mission d'intérêt public de nos universités. Car rallumer le phare, c'est aussi s'engager à le maintenir allumé, ensemble, pour les générations à venir.
Depuis 1991, la FQPPU est l'instance de concertation et de représentation du corps
professoral universitaire québécois.
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Oser prendre un cours plus à gauche !
À l'heure où se profilent chez nos voisins du sud d'inquiétantes menaces autoritaires ; à l'heure où le gouvernement Legault aux abois impose l'austérité et un tournant de la loi et l'ordre aggravé de replis identitaires, il est temps que puissent se faire mieux entendre au Québec les voix et aspirations du monde ordinaire et des classes populaires. Et cela, autant dans les mille et une interventions de la société civile que dans le monde de la politique institutionnelle !
Il est donc temps que Québec solidaire puisse retrouver l'élan critique qui le caractérisait à ses origines, lui qui, né en 2006, se voulait être un parti autant des urnes et de la rue, en se faisant sans concession l'écho et le soutien des luttes sociales, féministes, écologistes et altermondialistes du moment. Et ce n'était pas rien que puisse exister au Québec une telle force collective, un tel parti de gauche capable de rivaliser avec l'ADQ (l'ancêtre de la CAQ) tout en proposant une alternative solidaire aux politiques néolibérales proposées par Jean Charest. Un indéniable pas en avant !
C'est en résumé le point de vue du Parti de la rue, un regroupement très actif de membres et de militants/tes qui persistent et signent : demeurer actif et militer au sein de QS en alimentant l'idée que ce parti prenne à l'avenir un cours plus à gauche et plus en phase avec les défis qui se dressent devant lui, notamment à l'heure où la crise climatique atteint des niveaux records.
Les faux pas de QS
Il est vrai qu'à partir de 2017/2018, sans doute par empressement et par manque d'expérience, Québec solidaire a commencé à perdre la boussole qui était la sienne. Incapable d'instaurer en son sein des débats politiques sains et approfondis, peinant en même temps à gérer de manière harmonieuse les rapports entre l'aile parlementaire et la base militante, sa direction s'est peu à peu empêtrée dans des conflits interpersonnels, tout en s'orientant —tangente communicationnelle oblige— vers un recentrage électoraliste, espérant du même coup faire du parti, un parti de gouvernement à relativement court terme.
En fait, c'était aller trop vite en besogne et ne pas saisir l'importance des multiples défis de transformation sociale qui pèsent sur la société québécoise, tant en termes de transition écologique que de luttes aux inégalités sociales grandissantes ou encore de conquêtes de souveraineté et de résistances à l'autoritarisme grandissant. Surtout c'était oublier que ces transformations si nécessaires ne pourront voir le jour que si de larges secteurs de la population se remettent en mouvement, que si les mouvements sociaux du Québec, parviennent à se remobiliser ensemble autour d'un grand projet politique capable de rassembler tous ces enjeux socio-politiques de fond.
Un virage en profondeur
Les défis sont donc considérables, et d'abord au sein même de QS. Ils exigent que le parti loin des formules toutes faites s'interroge de manière transparente sur ses bons coups et moins bon coups passés. Ils exigent aussi que le parti effectue un virage en profondeur autour de la mobilisation sociale et de la lutte contre le désordre établi actuel, lui permettant d'être, dans cette conjoncture si difficile et inquiétante, ce parti des urnes et de la rue qui redonne au peuple du Québec le goût de l'audace et de la lutte collective, et pourquoi pas dans la conjoncture actuelle, d'une indépendance plurielle, inclusive et authentiquement populaire.
Il est vrai que Québec solidaire se trouve à la veille d'un nouveau congrès qui, début novembre statuera sur un nouveau programme et lui donnera l'occasion de faire connaître quel sera son nouveau porte parole masculin. Mais c'est le constat qu'il faut faire : rien de ce qui se discute actuellement touchant à l'actualisation du programme de QS, rien non plus de ce qui se débat entre les candidats en lice, ne donne l'impression qu'un tel virage se prépare. Comme si, en dépit de tout, l'électoralisme communicationnel continuait à coller à la peau du parti. Et qu'on ne voulait pas prendre la mesure des défis posés par la conjoncture ainsi que des changements de fond à effectuer.
Comme pour la marche mondiale des femmes
Certes, c'est là un problème qui n'est pas propre au Québec, mais à la gauche en général et quel que soit le pays où elle se trouve. Il reste que devant la montée si préoccupante de la droite et de la droite-extrême, c'est tout à la fois à travers un positionnement beaucoup plus radical et ferme en termes de grandes orientations stratégiques, et une grande souplesse dans les formes de luttes à encourager et à relancer que la gauche pourra aider au regroupement et à la remise en mouvement des forces sociales progressistes. Un peu comme l'ont fait les organisatrices de la marche mondiale des femmes le 15 octobre dernier, qui sans rien céder sur leurs revendications propres n'en ont pas moins tenu un discours tout à la fois radical et rassembleur. Avec le réconfort et l'allégresse que l'on sait !
Aussi, contrairement à ce laissent sous-entendre bien des chroniqueurs emportés par le vent de droite, [1] c'est justement en osant prendre un cours plus à gauche, que QS pourra retrouver son élan du passé, regagner bon nombre des militants/es perdus, et partant remonter dans le sondages ainsi que mieux se positionner pour les élections provinciales à venir. Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
[1] Voir notamment la dernière chronique de Michel David passablement inquiétante, qui, à l'unisson du discours médiatique dominant, démolit grossièrement les traditionnelles mesures de gauche, mais sans même prendre la peine d'argumenter autrement que de se référer aux dires de la feu et très conservatrice.... Denise Bombardier. Voir https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/927264/hommage-amie-manon?utm_source=infolettre-2025-10- 23&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

Des citoyens invitent les élus, les candidats et les médias à une marche exploratoire sur le tracé du pipeline d’hydrogène d’Enbridge à Gatineau
Le 24 octobre 2025, l'Association des résidents et résidentes de Buckingham (ARB) a tenu une marche exploratoire sur une partie du tracé proposé pour le projet de la conduite d'hydrogène mené par Enbridge Gaz Québec.
Gatineau, le 27 octobre 2025
L'événement visait à sensibiliser les candidats municipaux, des intervenants en environnement et les médias aux risques associés à ce projet. Le tracé traverse des zones résidentielles denses, des lieux patrimoniaux, des rues avec le passage d'environ 7000 camions lourds par année, des zones susceptibles aux glissements de terrain, des écoles, un poste de police et des résidences pour personnes âgées dans les secteurs de Buckingham et Masson Angers.
« En voyant ce tracé de leurs propres yeux, les candidats et intervenants ont pu observer
l'ampleur du risque et mieux comprendre pourquoi une conduite d'hydrogène n'a pas sa place
dans un quartier résidentiel. Manifestement, le terrain parle de lui-même et ce projet nécessite une étude complète du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). » explique Véronique Santos, administratrice de l'ARB.
Le parcours de la marche comprenait plusieurs arrêts avec témoignages et explications des
membres de l'ARB. Les organisateurs souhaitent également démontrer comment le tracé retenu pour l'hydrogénoduc met en lumière les limites de la gouvernance des grands projets
énergétiques au Québec, où la tentative de décarbonation s'effectue souvent au détriment d'une évaluation environnementale indépendante et rigoureuse. L'hydrogène est un gaz léger, volatile, inodore, avec une flamme invisible à l'œil nu et une plage d'explosivité plus large que celle du méthane.
L'ARB rappelle que les citoyens attendent toujours la réponse du ministre de l'Environnement,
Bernard Drainville, suite à la demande officielle de la Ville de Gatineau visant à soumettre le
projet d'Enbridge à un BAPE. Malgré les invitations transmises, ni le député de Papineau,
Mathieu Lacombe, ni le ministre de l'Environnement, Bernard Drainville, n'étaient présents à la marche. À cela, aucun des candidats de l'Équipe Mario Aubé ne s'est présenté à la marche.
« Les citoyens demeurent dans l'attente d'un geste clair de la part du gouvernement et de la ville de Gatineau afin que la sécurité publique et la transparence prévalent dans l'évaluation de ce projet. » affirme Nicole Carrière-Robitaille, présidente de l'ARB.
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Capital et capitalisme, Contre-révolution, Discussion, Monde, USA Plongeon dans l’idéologie fasciste 2.0
Depuis l'arrivée au pouvoir de Trump II, un nombre croissant de commentaires, d'informations et d'analyses ont été produits, même en langue française, sur les idéologues de la Silicon Valley devenus des extrémistes de droite, mais d'un nouveau genre, ayant joué un rôle décisif dans sa réélection. Cet intérêt s'est fixé d'abord sur Elon Musk mais il est vite apparu qu'Elon Musk n'est, en quelque sorte, que la partie la plus visible d'un iceberg, ou plutôt d'une tribu, de désaxés qui ne sont ni plus ni moins que les types les plus riches du monde.
Tiré d'aplutsoc
Son conflit spectaculaire avec Trump après qu'il a eu lancé le démantèlement de la fonction publique aux Etats-Unis, d'ailleurs suivi d'un rabibochage fragile, tout aussi infantile dans la forme, lors de la cérémonie à grand spectacle à la mémoire de Charlie Kirk, n'a pas mis fin à cette prise de conscience car il s'agit d'une conjonction de forces sociales tout à fait fondamentale, entre la pointe de la pyramide du capital financier, les « capital-risqueurs », et la masse MAGA et religieuse de la base trumpiste, conjonction qui fonctionne avec ou sans Musk.
Parmi les publications parues à ce sujet, signalons surtout des traductions de l'anglais : l'article de Naomie Klein et Astra Taylor, La montée du fascisme de la fin des temps, le livre de Quinn Slobodian, Le capitalisme de l'Apocalypse ou le rêve d'un monde sans démocratie (Seuil 2025, paru en anglais en 2022), ouvrage centré sur le sécessionnisme libertarien et les villes fermées pour riches, et, directement en langue française, Apocalypse Nerds. Comment les techno-fascistes ont pris le pouvoir, éditions Divergences, de Nastasia Hadjaoui et Olivier Tesquet, et, au Seuil, Cyberpunk. Le nouveau pouvoir totalitaire, de Asma Mhalla, et, en remontant un peu en arrière, les travaux du sociologue Fred Turner sur la culture de la Silicon Valley (Aux sources de l'utopie numérique : De la contre culture à la cyberculture, C&F éditions, 2013). Le site Grand continent, qui représente le secteur politico-idéologique libéral qui voudrait ne pas abandonner le libéralisme politique, est une ressource clef, en langue française, et souvent « en temps réel », sur les textes produits par ces messieurs les gourous de la Silicon Valley.
Il commence même à se produire un effet éditorial de mode, auquel il convient de faire attention, car il n'est pas sans cultiver une certaine fascination analogue à celle de l'esthétique futuriste du premier fascisme italien, fascination nourrie par la science-fiction dystopique, qui est, ouvertement, une source d'inspiration pour le gang de Peter Thiel notamment, alors que ses auteurs, s'ils pensaient peut-être dessiner un avenir possible, l'entendaient comme un cauchemar dans le cas de Blade Runner de Philip K. Dick (1966), mais qui, avec Neuromancien de William Gibson (1984), fournit le livre clef de l'idéologie et de l'esthétique « cyberpunk » …
Peter Thiel
Peter Thiel est le principal nom qui émerge sitôt que l'on examine les idéologues de la Silicon Valley et la réaction contemporaine la plus extrême. Il n'est pas le plus connu du grand public (c'est Musk, et Kurtis Yarvin est cité plus souvent par les divers commentateurs), mais il est le plus important, pour trois raisons.
Il est lui-même un capitaliste de tout premier plan de la « tech », ayant fondé PayPal en 1998 avec Max Levchin, puis divers fonds d'investissements en « capital-risque », est devenu le premier investisseur extérieur, et membre du conseil de direction, de Facebook puis Meta, et fonde, en 2004, Palantir, du nom d'une pierre magique chez Tolkien dans le Seigneur des anneaux, principale société de collecte de données individuelles qui travaille notamment avec la police américaine, et sert actuellement à « profiler » migrants et opposants à Trump : interrogé par un journaliste lui demandant si Palantir n'est pas le prête-nom des services US de renseignement, CIA, FBI et NSA, il répondait, avant même l'avènement de Trump II, que c'était l'inverse et que ce sont les agences d'Etat les prête-noms de Palantir !
Deuxième raison de son importance, Thiel est celui qui a mis le pied à l'étrier, coaché ou aidé de manière décisive plusieurs personnages clefs, à commencer par Musk en personne, qui fut son concurrent puis son allié au tournant des XX° et XXI° siècles et dont il a financé notamment le lancement de SpaceX et Starlink. Musk l'a largement dépassé par le capital qu'il a accumulé et sa fortune personnelle, mais Thiel a été un levier clef pour lui. Et c'est probablement lui qui a mis Trump et Musk en relation.
Ses poulains financiers sont aussi des investissements politiques, formés et lancés par lui : en 2022 il finance deux candidats républicains, également placés à la tête d'entreprises de la « tech » et de la distribution, Blake Masters en Arizona, qui ne percera pas, et James David Vance dans l'Ohio, devenu depuis vice-président de Trump, un personnage central, qui déclare aussi avoir été converti au catholicisme par les conférences données par Thiel dans la Silicon Valley, en 2016. Tlon Corp, entreprise du net promouvant le « féodalisme digital », dirigée par le sulfureux Kurtis Yarvin, est également financé par le « capital-risque » de Thiel, et Yarvin est donc un Thiel boy.
Troisième raison : Thiel est probablement le plus gros producteur de thèmes idéologiques, formant au total un ensemble non pas cohérent, mais riche et coloré, d'idées, de fantasmes, de rengaines, dans lesquels s'articulent les éléments du fascisme apocalyptique 2.0. Il y a une « pensée Thiel », même si j'hésite à le qualifier de « penseur » : ses pensées forment, de son point de vue, et comme toute chose selon lui, un capital, voire un « capital-risque », une box dans laquelle puiser pour apporter des munitions au combat mondial du capital contre ses ennemis, qui est pour lui le combat mondial préparant la révélation ultime – l'Apocalypse – contre l'Antéchrist et ses figures. Comme avec la SF dystopique, il est facile de fantasmer sur la « Thiel idéologie » : Apocalypse, fin des temps, surhumanité, les mêmes à la Musk se présentent chez lui avant Musk, sous une forme apparemment raffinée et sérieuse.
Mais pour comprendre à quoi on a réellement affaire – pour comprendre le fascisme 2.0, le fascisme du XXI° siècle, le fascisme qui assume la fin des temps et qui le dit – sans céder à la fabulation verbeuse, la bonne porte d'entrée n'est pas l'Apocalypse de Jean selon Thiel, dont je parlerai, mais plus loin.
Zero to One
La bonne porte d'entrée, c'est une chance, est le petit manuel de « fondateur d'entreprise de capital-risque », qu'un libraire mercantile hésiterait à mettre au rayon « développement personnel » à côté des coachs et des gourous, ou au rayon « économie » façon HEC, qu'a écrit Thiel.
Sorti aux Etats-Unis en 2014, co-signé avec Blake Masters, Zero to One est le seul ouvrage important de Thiel paru en français, en 2016 chez J.C Lattès, collection J'ai lu. Un qui l'a lu et en aurait fait son livre de chevet, n'est autre que Pierre-Edouard Stérin, qui se veut catholique comme lui, et cherche en France à financer l'union des droites, son arrivée au pouvoir et les spectacles façon « Murmures de la Cité ».
Cette porte d'entrée dans la nébuleuse et saugrenue « pensée Thiel » est la bonne, car le capitaliste Thiel y développe ses conceptions, qu'il pense géniales et supérieures au commun des mortels, et y exhibe des contradictions, qu'un lecteur sérieux de Marx ne peut que trouver, avec le plus grand intérêt, transparentes. Thiel lui-même ne comprend pas ce qu'il fait, ni ce qu'il dit, en tant que faisant fonction du capital risque, mais il ressent de vrais problèmes, qu'il entend résoudre par la fuite en avant fasciste 2.0. Franchissons donc ce seuil.
Pour le monopole, contre la concurrence ; pour la technologie, contre la mondialisation
Immédiatement, nous comprenons en quoi Thiel se distingue des idéologues ordinaires du libéralisme économique, et même de beaucoup de libertariens : la concurrence le gonfle, elle n'est pas, pour lui, « libre et non faussée » comme le dit le traité de Maastricht (pour lequel il professe le plus grand mépris), mais elle est moutonnière, pavlovienne et mimétique, ne suscitant pas le progrès, mais la répétition, ne modifiant pas la qualité du monde, mais la quantité des choses dans le monde. Le capitalisme dit de libre concurrence est rejeté par lui dans la même catégorie que la démocratie et que le collectivisme, celle de l'uniformité. A la concurrence, il préfère le monopole, tout en déplorant que les vrais monopoleurs tiennent un discours trompeur les faisant passer pour pas si puissants que cela, à l'instar de Google cherchant à se faire passer pour un simple acteur technologique dans un monde impitoyable.
Le monopole est lié par Thiel, non à la rente (foncière, immobilière, mafieuse, minière, pétrolière, numérique surtout) ou à l'alliance avec l'Etat, qui en sont les caractéristiques réelles les plus fréquentes, y compris voire surtout chez lui-même et les gourous de la Silicon Valley, mais à l'invention technologique constituant en principe une création brute. L'opposition monopole-concurrence est donc complétée par l'opposition technologie-mondialisation, et là, second écart par rapport à l'idéologie dominante des dernière décennies : la mondialisation emmerde Thiel, car elle ne fait qu'étendre quantitativement les mêmes choses, en un processus continu d'imitation, incarné pour lui, notamment (et d'une manière très illusoire qui exprime bien les faiblesses du business man yankee croyant que les prouesses technologiques lui sont réservées !), par la Chine.
On l'aura compris, Thiel se prend pour un créateur absolu, un « fondateur », ce que symbolise le titre du livre : le futur, entendu comme un monde différent ne répétant pas le présent, est créé par ceux qui sautent de 0 à 1, ex nihilo, pas par les suivistes et les perfectionneurs de l'existant, la foule, qui, eux, ne font que répéter les 1 une fois ceux-ci créés, comme ils l'ont appris à l'école, et qui montent peu à peu de 1 à n, puis à n + 1, et ainsi de suite. Le monde selon Thiel se veut binaire et non pas pluriel …
Le spleen de Thiel envers le capitalisme
Au chapitre IV de Zero to One, Peter Thiel s'adonne à une typologie binaire des mentalités humaines, des formations sociales, et des philosophies, croisant deux binômes, optimiste-pessimiste et défini-indéfini, ce qui donne donc quatre cases, où tout ranger : l'Amérique des trente glorieuses et la philosophie allemande révolutionnaire de Hegel et de Marx étaient « optimistes définies », sachant ou croyant savoir ce qu'ils voulaient réaliser, alors que la Chine contemporaine et la philosophie classique (Platon, Aristote) sont « pessimistes définies », sachant ou croyant savoir ce qu'ils veulent éviter, et par contre, l'Amérique contemporaine et le libéralisme classique, réformiste ou libertarien – Rawls ou Nozick- sont « optimistes indéfinis », croyant au progrès sans en discerner les voies – d'où cette critique de la finance boursière dominante ayant accumulé des masses de capital-argent, qu'elle ne sait plus qu'en faire, ce qui est très juste -, alors que les « pessimistes indéfinis » sont paralysés ou théorisent le retrait, tels les matérialistes de l'Antiquité (Epicure, Lucrèce) : c'est l'Europe, et singulièrement les institutions de l'UE, qui sont, comme monde social et continent, frappées aujourd'hui de cette atonie passive, indécise et peureuse, censée caractériser la bureaucratie en général, et la bureaucratie professorale en particulier.
Si l'Europe est foutue, et la Chine imitatrice et méfiante, on aura compris que Thiel penche pour le retour à un véritable optimisme défini pour les Etats-Unis, qu'il pense sans doute leur apporter. La vision globale de la période ouverte depuis 1968-1973 n'est donc pas du tout, chez lui, marquée par l'optimisme béat sur la « mondialisation » qui a longtemps prévalu : le ralentissement européen, et la marche en aveugle de la finance optimiste mais indéfinie, se complètent pour décrire ce qui apparaît, en termes économiques, comme une longue « phase » B » dépressive dont on n'est jamais sorti : tout en se réservant « l'optionnalité illimitée » que confère l'accumulation de capital-argent, il se trouve que « Personne au sein de la chaîne, à aucun moment, ne sait que faire de cet argent dans l'économie réelle. »
Thiel pense avoir la clef pour sortir de cette situation, mais avant de voir en quoi consiste celle-ci, penchons-nous sur la manière dont il n'enjolive en rien le capitalisme contemporain. Très clairement, pour lui, il n'y a plus, depuis la « mondialisation », de progrès techniques révolutionnaires modifiant les fondements de la vie. L'informatique et les communications, les ordinateurs portables et les téléphones et smartphones, sont la généralisation quantitative de procédés préexistants, pas une révolution technologique, industrielle ou biopolitique : rien de tout cela. Pour Thiel, et c'est un très grave problème, nous sommes dans une phase de ralentissement !
Ce ralentissement de l'accumulation-transformation technologique réelle a commencé au tournant des années 1970 et, loin d'être surmonté, s'est accentué avec l'avènement de la sphère Internet. La tech, modèle Silicon Valley, est l'exception : Thiel pense, on va y revenir, avoir « créé », lui et quelques autres, du nouveau réellement nouveau, sautant de 0 à 1. Mais dans un créneau limité, il en convient.
Le ralentissement de ce qu'il appelle l'innovation affecte selon lui les biotechnologies, sur lesquelles on avait envisagé une quatrième révolution industrielle vers l'an 2000, laquelle n'a pas eu lieu, car le champ du biologique est encore trop indéfini : les start-up de la biotechnologie n'ont pas émergé comme celles du logiciel, les premières n'engendrant et n'étant inspirées que par des individus électrons libres de laboratoires subventionnés, donc limités, les secondes l'étant par les créateurs « geeks et passionnés » dans lesquels il se classe.
Cette critique s'étend à l' « économie verte », censée assurer la « transition » énergétique et écologique. Thiel ne croit pas au capitalisme vert et souligne le piétinement des énergies renouvelables : « Au lieu d'une planète plus saine, nous avons récolté une énorme bulle des technologies propres. » qui s'ajoutent aux anciennes, « sales », sans les remplacer. C'est pertinent … Une exception qui ne change pas la règle serait, selon Thiel, Tesla, conception innovante due à Musk (qui ne l'a pas conçue mais a connecté capitaux et « créateurs »).
Ce scepticisme s'étend aussi à l'IA – ce livre fut écrit en 2014 mais l'explosion de l'IA n'a pas fait changer d'avis Thiel depuis : l'IA ne fait qu'ajouter une quantité de procédures et d'objets, et d'énergie consommée, supplémentaire, et incite à la paresse, alors que la bonne combinaison entre logiciel et cerveau humain serait illustrée par l'art policier de la surveillance généralisée version Palantir …
Thiel se fait du souci pour l'accumulation capitaliste. Le spleen de Thiel porte un nom chez Marx : tendance à la baisse du taux général de profit. Laquelle est la réalité, cyclique mais montante, de l'époque actuelle : il faut investir toujours plus pour un profit proportionnellement toujours moindre, et aucune des bulles successives et des généralisations techno-organisationnelles de l'informatique et des coms' n'a pallié cette tendance, bien au contraire, depuis des décennies. La « phase B » continue, il n'y a pas de « nouvelle onde longue » mais la crise de 2008 et ses suites. Nous avons chez Thiel la perception, le sentiment, la préscience, de l'obsolescence du capitalisme. Voilà le point clef que la plupart de ses commentateurs critiques ne voient pas.
Fétichisme monétaire
Voici donc l'un des plus importants capitalistes du monde, à la fois en tant que pur capitaliste et par son influence politique voire culturelle, pour qui les mécanismes dominants du capitalisme conduisent au blocage, et qui ne voit pour en sortir que l'intervention quasi magique des « créateurs » ou « fondateurs ». A l'élément de lucidité rampante – la conscience, ou plutôt la prescience, de la tendance à la baisse du taux général de profit – se juxtapose immédiatement le fétichisme monétaire porté à la puissance 2. Le premier paragraphe du chapitre 7 est exemplaire des procédés de bonimenteur de foire de Thiel, qui, à n'en pas douter, ont marché dans les conférences vespérales entre speedés de la Silicon Valley :
« L'argent créé de l'argent. « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a. » (Mathieu 25 : 29). Albert Einstein va dans le même sens quand il affirme que les intérêts composés sont « la plus grande découverte mathématique de tous les temps » et même « la force la plus puissante de l'univers ». Quelle que soit votre version préférée, le message ne peut pas vous échapper : ne sous-estimez jamais une croissance exponentielle. En réalité, rien ne prouve qu'Einstein ait jamais prononcé aucune de ces deux phrases – ces citations sont tout à fait apocryphes. Mais le fait même qu'on les lui attribue renforce le message : ayant investi le capital de toute une brillante vie, Einstein continue d'en toucher les intérêts depuis la tombe en se voyant attribuer le crédit de propos qu'il n'a jamais tenus. »
Albert Einstein, mathématicien sérieux et socialiste antistalinien, n'a non seulement jamais prononcé de telles bêtises, mais il était impossible qu'il les prononçât : Thiel ne fait que gaspiller le « crédit » qu'il lui prête en expliquant que quoi qu'il ait dit ou pas dit c'est pareil !
La fable des intérêts composés croissant éternellement est aussi vieille que le fétichisme du capital produisant des intérêts, de l'argent produisant de l'argent, A-A' (Argent-Argent plus survaleur) comme disait Marx, et toujours aussi risible.
Nous avons d'autre part, avec la citation de l'Evangile de Mathieu, la seule allusion biblique directe de Zero to One, mais très significative. Cette parabole, que l'on retrouve dans Mathieu, 13 :12, et dans Luc, 19 :26, n'est évidemment pas un appel de Jésus à investir un capital-risque ni même à placer son argent en banque, mais elle est ce qu'elle est, c'est-à-dire une parabole parmi d'autres analogues, expliquant par des images qu'il faut faire fructifier et ne pas garder pour soi le don de la parole christique.
Le point important ici est que pour Thiel, tout est « capital », et surtout une « brillante vie », comme Einstein. Le capital c'est de l'argent et l'argent c'est de la valeur : qu'est-ce que la valeur pour Thiel ? C'est le potentiel d'enrichissement futur, une promesse gagée sur l'avenir, des intérêts « exponentiels », où l'excellence, ou plutôt la magie, du fondateur, lui procurera à lui et son entreprise, toujours plus d'argent, pour les siècles des siècles.
Le fétichisme est à son apogée : toute relation entre la valeur et le travail humain a disparu, ainsi qu'entre la valeur et le temps de travail socialement nécessaire au moment présent : le travail humain ne fait pas partie de la magie par laquelle 0 devient 1 !
La valeur est ici anticipation, comme en bourse (gagée sur le travail humain futur, ce qu'ignore Thiel !). La bonne anticipation est celle qui mise sur une création, un saut de 0 à 1 : la valeur est donc celle de l'individu créateur, auquel sa création procurera un monopole.
En matière de fétichisme, l'oncle Picsou est largement surclassé : Thiel se considère lui-même comme un capital-argent créant de l'argent !
De bien petits inventeurs en vérité…
Mais quelles sont ces trouvailles « technologiques » qui conduisent le « créateur » à devenir un capital-argent incarné impulsant une croissance « exponentielle », monopolistique et royale ?
Dans le cas de Peter Thiel, c'est PayPal : d'abord, en 1998, un système de paiement par mails, puis, un peu plus tard, un site dédié. Dans le cas de Pierre-Edouard Stérin, la réplique franchouillarde de Peter Thiel, la SmartBox : un système de ventes de séjours hôteliers comme cadeaux. C'est assez clownesque : on voit que ces grands « technologues » n'ont inventé ni la machine à vapeur, ni la bicyclette, ni les semi-conducteurs et les transistors, ni les codes informatiques qu'ils utilisent, en fait en mode « n+1 » comme dirait Thiel. Avec Palantir, les ingénieurs travaillant pour Thiel lui font un système de mise en réseau et de connexions. Mises en réseaux, connexions, ad infinitum et ad nauseam : voilà ce dont il s'agit.
La manière dont une innovation technique, ou organisationnelle, ou, le plus souvent, technico-organisationnelle, permet à l'entreprise qui l'emploie la première de dégager des surprofits par rapport au profit moyen, tout en vendant moins cher en général, a été exposée par Marx aux livres I et III du Capital : mais l'innovation, en se généralisant par la concurrence, conduit à recalibrer le taux général de profit, à la baisse – les surprofits alors se tarissent.
La formidable fiction idéologique du créateur ex nihilo bouleversant le monde se ramène … à ça. On comprend comment le capitaliste Thiel oscille entre le spleen et la magie, la magie et le spleen …
Très significativement, Thiel consacre tout un chapitre de Zero to One à prendre la défense des vendeurs : le produit ne se vend pas tout seul, et le vrai créateur est aussi un « vendeur de soi-même » (logique, puisque ce monsieur est le capital incarné !). La vente, c'est magique et c'est indispensable, c'est une activité en soi – en fait la principale : la technologie n'est qu'un accessoire facultatif de la vente dans les trouvailles des Thiel et des Stérin, qui prétendent sincèrement incarner la technologie en incarnant le capital !
Il faudrait donc se départir de l'image négative de l'arnaqueur qui place au porte-à-porte des voitures d'occasion, nous explique Thiel : mais le cordon ombilical qui le relie à l'arnaqueur bonimenteur reste très visible !
Le domaine clef par lequel les « créateurs » créent, à l'âge du capitalisme saturé dont l'accumulation illimitée devient proportionnellement de moins en moins rentable, c'est donc la circulation, à savoir le fait que la circulation aille de plus en plus vite – le temps, qui, comme dit le proverbe, est de l'argent, doit devenir du capital, du capital-risque, du capital postulant la croissance « exponentielle » … pour se sortir du pétrin ! – la question du temps et de l'accélération est celle du livre II du Capital de Marx, qui éclaire cette psychologie et cette pratique bien qu'elles aient connu une suramplification depuis.
Dans plusieurs articles, Thiel présente la mer, le cloud et l'espace (avec la planète Mars) comme les nouveaux champs de l'investissement en capital, mais il ne s'agit pas, là non plus, de technologie à proprement parler, ni même d'exploration en tant que découverte, mais bien d'exutoire à une circulation accélérée, dont la surconsommation par des communautés de milliardaires, dans des îles privatisées et/ou artificielles, serait un des aspects.
Accumulation, circulation, et, résumant l'une et l'autre, accélération, telles sont les vraies divinités de ce culte aveugle qui préconise de foncer, à toute allure, toujours plus fort … dans leur propre vide !
The Kings
Les incarnations de ces divinités abstraites véritables, c'est-à-dire les faisant fonction de l'accumulation-circulation-accélération du capital, sont des individus : les « fondateurs », équipes unies au travail comme dans la vie, et, très important, unies par le secret, secret commercial, secret de fabrication, complicité des codes, et savoirs ésotériques, faisant un tout, sous l'égide du premier fondateur, leur chef, qui les a groupés et qui attribue un rôle précis à chacun.
Le staff formé par Thiel dans PayPall doit avoir tant une Weltanschauung qu'une coolitude en commun : pas de costar cravatte, mais des sweats à capuche, distinguant des « individus sortant de l'ordinaire » !
Ainsi fut formée, revendique Thiel, ce qui fut appelé la mafia PayPall : il assume qu'on qualifie son gang de mafia et de secte, reconnaissant parfaitement cette dimension. Tous sont des « collaborateurs », comme on dit dans les « entreprises », oeuvrant dans des open space, et ce schéma est imposé du haut en bas de la hiérarchie. Pas de syndicats, bien entendu (Thiel n'en dit tout simplement pas un mot) : ils sont de facto interdits en Silicon Valley (aussi bien quand le boss est démocrate et « sociétalement » ouvert).
Ces individus extraordinaires (et pourtant en réalité si conformes !) sont borderline : ils oscillent entre le rôle social de Chef charismatique et celui de marginal devenant un bouc émissaire. Dans les deux cas, souvent Aspergers – on pense bien sûr à Elon Musk.
Cette bipolarité psychosociale définit les « fondateurs », ceux que l'opinion publique américaine appelle de manière plus réaliste des « oligarques », entre lesquels se déroulent des « bromances », collaboration et rivalité explosive combinant amour-haine, dans laquelle la sexualité (y compris dans le plus célèbre duo, Trump-Musk !) est sous-jacente et souvent évidente – une sexualité tendanciellement plutôt inter-masculine, l'affirmation de virilité participant pleinement de cette dimension.
Thiel n'explicite pas cette dimension sexuelle pourtant évidente, mais il est à noter que les femmes ne sont que très faiblement présentes dans le chapitre qu'il consacre aux « fondateurs », l'avant-dernier de Zero to One, et elles le sont d'une manière bien précise : soit comme proies – une illustration montre le fondateur de Virgin Records, Richard Branson, embarquant une belle, soulevée dans ses bras- soit comme « princesses » : les deux femmes signalées, parmi une bonne douzaine de « fondateurs » oligarchiques, Britney Spear et Amy Whinehouse, le sont pour illustrer la destruction qui menace les personnalités charismatiques. Force est de constater que les femmes ne sont pas royales, mais princières, et qu'une princesse ça déchoit souvent. Une personnalité telle que Taylor Swift, stabilisée dans une représentation de puissance qui fait front à la domination masculine, ne saurait exister ici.
C'est bien une sorte de caste royale que cherche à définir Thiel. Les manifestants américains des 14 juin et 18 octobre 2025 qui, par millions et millions, s'unissent derrière le mot- d'ordre No Kings, font preuve d'un sûr instinct démocratique révolutionnaire.
Cette thématique monarchiste, qui chante aux oreilles de Donald Trump, a pour spécialiste idéologique le Thiel boy qu'est Curtis Yarvin, dont les productions sont en fait d'une grande pauvreté intellectuelle. Il répète que l'Etat ne peut pas fonctionner comme démocratie, mais comme monarchie, sur le modèle de l'entreprise capitaliste qui est, par essence – et ceci est vrai – monarchique. La formule Start up nation, chez Macron, est apparentée à cette conception, et nous signale l'amorce macronienne de l'illibéralisme, les situations politiques française et européenne lui ayant interdit d'aller trop loin dans cette voie.
Yarvin, par le look ténébreux se voulant tempétueux et sulfureux et l'obscurité affectée des propos, y compris son rididule pseudonyme – Mencius Moldbug ! – est un sous-produit de cette offensive idéologique, dont la cible est la démocratie. Il passe pour le principal « fondateur » du concept de « Gaza-Riviera » …
Dans l'élite des « fondateurs », il ne saurait y avoir égalité. Chacun se voit attribuer une responsabilité claire par le chef, c'est-à-dire le roi. C'est le règne des rois qu'appelle, explicitement, Thiel. La bipolarité du fondateur culmine dans celle du roi : il est le chef et il est le sacrifié, le bouc émissaire. Il peut revenir après avoir été exécuté : c'est le « retour du roi ». Ce titre de la troisième partie du Seigneur des anneaux de Tolkien montre l'accession à la royauté effective du coureur des bois Aragorn. Thiel le reprend bien entendu sciemment, et nous présente comme exemple emblématique d'un « retour du roi » le rappel de Steve Jobs à la tête d'Apple, banni en 1995 et rappelé en 1997, qui « invente » ensuite l'Ipod, l'Iphone et l'Ipad. Le cinglé charismatique est indispensable : à lui le pouvoir.
Derrière Aragorn et Steve Jobs, c'est bien une certaine conception de la figure christique – le crucifié maudit, bouc émissaire qui reviendra en Majesté, l'archétype idéologique présent entre ces lignes : nous pouvons maintenant quitter Zero to One et examiner le fond de sauce ésotérique de la Thiel idéology.
Ingrédients du fond de sauce de Thiel
On aura peut-être reconnu, dans ce qui précède, des formules provenant de l'auteur français René Girard : la concurrence mimétique et le bouc émissaire. Il est devenu assez banal de dire que Peter Thiel serait un disciple de René Girard. A vrai dire, Thiel n'est le disciple de personne hors de son portefeuille de « valeurs » auquel il s'identifie.
Dans un article de 2007, The Straussian Moment – signé par Thiel en sa qualité de président de Clarium Investment : il a voulu souligner que c'est bien le gestionnaire de fonds qui parle – Thiel dessine une sorte de généalogie sommaire de penseurs capitalistes.
Avant de voir celle-ci, notons bien qu'il fait cela suite au choc des attentats du 11 septembre 2001. Selon lui, l'Occident serait désarmé fâce à de vrais religieux pour qui l'important est l'au-delà, le paradis. Tout indique en fait que Thiel a été impressionné par le millénarisme apocalyptique moderne (et nullement médiéval) des islamistes d'al-Qaeda puis de Daesh. De fait, les analogies entre islamisme et fondamentalisme chrétien sont évidentes, et cela y compris dans l'imagerie moderniste, futuriste, de fer et de feu, des clips de Daesh. Filiation inavouable puisque l'islam est censé être l'altérité ennemie dans la vision du monde néoconservatrice à laquelle, en l'occurrence, adhère Thiel. C'est l'Occident, et même seulement l'Amérique, entendue comme les Etats-Unis, qu'il veut sauver. La parenté fondamentale de l'héritage religieux et culturel des trois monothéismes, et donc les analogies structurelles entre leurs formes modernes d'eschatologie destructrice, lui échappent donc, mais elles n'en sont pas moins à l'œuvre.
La généalogie sommaire de l'article de 2007 comporte d'abord John Locke, récusé en tant que penseur classique du libéralisme économique et politique. Les Lumières n'ont été que ramollissement de l'Occident et perte de la foi, avènement de l'uniformité mimétique de la modernité capitaliste et démocratique. En réaction à ce déclin, Thiel valorise d'abord Carl Schmitt, théoricien catholique de la dictature (le pouvoir « décisionnel ») qui fut aussi un authentique nazi. Mais Carl Schmitt, en voulant retrouver le sens de l' « Ennemi » censé refonder une vraie politique, veut nous ramener à un stade antérieur (le temps des Croisades), ce qui n'est pas possible. Thiel passe alors à Léo Strauss, le principal théoricien des néoconservateurs américains dans la mesure où ceux-ci ont fait de la « philosophie politique », issu du judaïsme et ayant fui le nazisme. Strauss, de manière cryptée – il a en effet disserté sur l'ésotérisme chez les philosophes ne disant pas tout de ce qu'ils pensent – suggérerait un retour aux données de base du monothéisme « actif » et vivant : recherche de la vertu, croyance en une vérité, importance de l'au-delà et de l'eschatologie. Mais ce serait René Girard, essayiste catholique français, qui irait le plus loin en montrant en quoi l'humanité est mimétique et fait société par la violence mimétique exercée contre le bouc émissaire, jusqu'à ce que le Christ choisisse lui-même de polariser cette violence, pour annoncer sa fin ultime à venir, lors de la fin des temps.
Tout cela, à vrai dire, a surtout pour effet de construire autour de Thiel une espèce d'aura mystérieuse, à défaut de dégager des lignes claires de pensée, fut-elle religieuse. La construction politico-religieuse de Thiel n'est jamais exposée systématiquement par lui, et il est assez amusant qu'il ait récemment protesté contre une « fuite », l'un de ses auditeurs ayant rendu publiques les notes d'une conférence confidentielle où il était question de la fin des temps. Cet ésotérisme cache … peu de choses : il est assez facile de reconstituer systématiquement le tissu de références bibliques donnant in fine la conception « thielesque » de l'époque actuelle, prélude à la fin des temps, ce qui nous permettra ensuite, pour en terminer avec lui, de présenter sa « théorie de l'histoire ».
Apocalypse
L'ensemble s'organise très clairement, bien que Thiel refuse tout exposé clair, autour des notions religieuses d'Apocalypse, d'Armageddon, d'Antéchrist, de Katechon.
Dans les représentations populaires courantes, Apocalypse veut dire catastrophe, et la représentation courante est celle d'un film catastrophe à l'échelle mondiale. Mais le mot grec veut dire révélation, dévoilement de la vérité, et désigne plutôt ce qui, dans les prophéties et annonces de la fin, est censé advenir après les catastrophes. Pour la présente étude, nous pouvons assimiler l'Apocalypse à la notion de Parousie, ou second avènement du Christ – le retour du roi chez Thiel. Thiel est canonique sur un point : l'Apocalypse et/ou la Parousie, que l'on ne peut prévoir, vient après les catastrophes, guerres, effondrement, crise climatique – mais celle-ci n'a nulle place centrale chez lui, j'y reviendrai -, catastrophes qui relèveraient plutôt de la catégorie de l'Armageddon.
Armageddon
Ce nom de lieu n'apparaît qu'une seule foi dans la Bible, Apocalypse, 16 :16, où il désigne la montagne de Megiddo, sous le mont Carmel, comme lieu du rassemblement « des rois du monde entier pour la guerre » (Apocalypse, 16 :14), rois du monde qui affrontent Dieu et sont vaincus par lui. En contexte islamiste, un équivalent a été forgé avec Dabiq, localité du Nord de la Syrie où un hadith du IX° siècle prêté au prophète Muhammad prophétisait la bataille victorieuse des musulmans contre les byzantins ; pour Daesh, la bataille de Dabiq sera la bataille finale contre l'Occident et les mécréants – manque de bol, c'est l'Armée Syrienne Libre appuyée par la Turquie qui les a délogés de Dabiq fin 2016. Mais le principe est le même : Armageddon voit Dieu vaincre les rois du monde réunis, Dabiq voit Dieu vaincre les ennemis de l'islam réunis.
Dans les spéculations de Thiel, qui ne sont pas sans analogie de structure, on le voit, avec celles de Daesh, l'important est que l'on peut prétendre que selon les textes « sacrés » plus ou moins tiraillés et interprétés, une unification du monde a lieu avant la catastrophe de la grande guerre mondiale finale, qui elle-même précède l'Apocalypse. Armageddon est donc préparé par une mondialisation unifiante et uniformisante.
Antéchrist
Là intervient l'Antéchrist selon Thiel, autrement dit l'Ennemi. Il ne faut pas oublier, à ce stade, la notion d'Ennemi chez Carl Schmitt, à savoir l'adversaire existentiel contre lequel se constitue la vraie politique selon lui, « politique » n'étant pas un terme repris chez Thiel, qui l'associe plutôt à la décadence démocratique égalisatrice. Le plus parfait exemple de l'Ennemi selon Schmitt contre lequel le combat est constitutif du « politique » est illustré par les Juifs pour les nazis.
On résume : avant l'Apocalypse, ou révélation, il y aura la vraie catastrophe finale, Armageddon, et avant Armageddon, nous aurons un principe unificateur du monde qui est l'Antéchrist. Quelles sont alors les figures de l'Antéchrist selon Thiel, qui, s'il rappelle qu'on ne peut pas et qu'on ne doit pas situer l'Apocalypse sur le calendrier, n'hésite pas, en revanche, à localiser l'Antéchrist dans le moment présent ?
L'Antéchrist, ou Antichrist (les deux sens se cumulent : ante=avant, anti=ennemi), est un terme qui n'apparait que fort peu dans le Nouveau Testament, dans les deux épitres de Jean, où il semble désigner divers « faux docteurs », chrétiens dissidents des débuts, mais il a été rapproché de « l'Adversaire » qui trompe tout le monde en parlant au nom de Dieu, dans la seconde épitre de Paul aux Thessaloniciens, 2 : 1-5, et, partant, de tous les ennemis désignés dans l'Apocalypse de Jean, Dragon, Bête, Grande prostituée. On peut donc facilement cogiter qu'il est le chef qui rassemble les mauvais rois de ce monde, qu'il a unifié, avant de se prendre sa raclée à Armageddon, dans la guerre mondiale finale.
Mais qui est l'Antéchrist ? Trump, Steve Jobs, Peter Thiel ?
Dans la série récente de conférences à San Francisco à laquelle j'ai fait allusion plus haut, tenue durant la seconde quinzaine de septembre 2025, soi-disant confidentielle mais dont le fuitage a été organisé par Reuters, le Guardian et le Washington Post, sans doute avec l'accord de Thiel, il a raconté que l'Antéchrist va réclamer et recevoir le prix Nobel de la paix. Cette provocation de vendeur de voitures d'occasion attire évidemment l'attention puisque tout le monde pense tout de suite à Trump, qu'officiellement il soutient : lui savonnerait-il la planche ? Trump serait-il l'Antéchrist (après tout, des chrétiens fervents mais plus proches de l'humanité pourraient y penser !) ?
Il poursuit en racontant que l'Antéchrist doit avoir la vélocité de Steve Jobs : un second candidat ? Il laisse aussi entendre que lui-même, à la fois fou et génie, pourrait avoir à voir avec l'Antéchrist. Je soupçonne Peter Thiel de bien se marrer quand il débite de telles sornettes devant un auditoire fasciné. Il ressort de ce qui précède que les anti-Antéchrist présentent de fortes ressemblances avec l'Antéchrist. Normal, puisque l'Antéchrist doit passer pour christique pour mieux tromper son monde.
Et, de plus, la Silicon Valley est présentée, dans ces conférences, comme un haut lieu de l'ordre mondial qu'instaure l'Antéchrist, en même temps que le lieu où se lèvent ceux qui préviennent de sa venue. L'Antéchrist met en place une machinerie, un dispositif mondial, à la fois réglementaire, administratif-bureaucratique, financier-humanitaire, et technique. Là, Thiel reprend une expression de Martin Heidegger, le philosophe nazi, qui désignait comme machination et comme dispositif l'agencement technique-capitaliste du monde conçu par le complot juif. L'Antéchrist selon Thiel et le prétendu complot juif ont des points communs évidents.
Après avoir joué avec l'idée que l'Antéchrist pourrait bien être Donald Trump, Steve Jobs ou Peter Thiel, ce gros farceur sort un argument massue nouveau : l'Antéchrist doit dominer le monde rapidement, donc dans sa jeunesse. Il y a des précédents en matière de vélocité, tous marqués par le nombre 33 : le Christ aurait été crucifié à 33 ans, Alexandre le Grand a conquis le monde de son temps avant 33 ans, le Bouddha a officié avant 33 ans, et, argument choc, Frodon reçoit l'Anneau du pouvoir, dans Tolkien, à 33 ans. Si avec ça vous n'êtes pas convaincu …
Donc, les vieux mâles comme Trump ou Thiel ne sont pas l'Antéchrist ! Ouf.
Bon sang mais c'est bien sûr ! C'est Greta Thunberg !
L' Antéchrist est donc un jeune, ou, pire, une jeune, de la « génération Z », celle qui brandit le drapeau de One Piece de Katmandou à Rabat en passant par Tananarive. Ce farceur est un contre-révolutionnaire conséquent !
Donnant alors des noms, Thiel lâche, et ce n'est pas la première fois, celui de Greta Thunberg, jeune, femme, faible en tant qu'étant en situation de handicap, adversaire du capitalisme et susceptible, oh horreur, d'avoir un jour le Nobel de la paix !
Tiens donc, notre « fondateur » aurait-il là un bouc émissaire à la Girard, lui qui par ailleurs fantasme des « princesses » et des « rois » … Asperger, mais façon Musk ?
Pour faire bonne mesure, il lâche aussi les noms de partisans de la régulation éthique de l'IA et des flux qui lui sont liés, car s'il est sceptique sur l'IA il la veut dérégulée, Nick Bostrom et Eliezer Yudkowsky.
Rapprocher Greta Thunberg de l'Antéchrist – au moment précis où elle a été victime de violences sexuelles des militaires israéliens, et alors qu'une enquête complète serait nécessaire sur l'investissement lucratif de Palantir dans la destruction de Gaza – n'était pas une première ; c'est une obsession récurrente chez Thiel depuis début 2025, qu'il a notamment assénée dans un podcast diffusé cet été, dans lequel il explique aussi que le droit de vote des femmes est dangereux, car leur empathie les porte à protéger les faibles, et qu'il ne faut pas protéger les faibles. Protéger les faibles, c'est ralentir l'accumulation et la circulation du capital, et c'est là la fonction … de l'Antéchrist !
Voilà Peter Thiel, fasciste assumé : sa peur et sa haine se cristallisent sur les figures susceptibles de représenter la force des opprimé.e.s, qu'il accuse de complot visant à former un gouvernement mondial, en une projection de son propre rôle social analogue aux mécanismes de l'antisémitisme. Même chez le capitaliste Thiel, on peut parler d'anticapitalisme tronqué et fétichisé, pour reprendre ici l'analyse marxiste de l'antisémitisme de Moshe Postone : car les forces qu'il craint, tendance à la baisse du taux de profit général et mondialisation « uniformisante », sont elles-mêmes liées à l'accumulation du capital, qu'il veut accélérer et accélérer encore par le complot secret – qu'il préconise ouvertement comme méthode de management – des monopoles aux mains des rois du monde, de vieux hommes tout puissants … et apeurés devant ce qu'il nomme le complot mondialiste de l'Antéchrist !
Si donc les forces internationalistes de la jeunesse et des exploités et opprimés, se présentant comme le bien, sont au service de l'Antéchrist, préparant le gouvernement de la paix mondiale et de l'arrêt de l'accumulation et de la circulation du capital, lui-même le prélude au combat de la fin (Armageddon), que suivra la révélation dernière de la fin des temps (Apocalypse), quel est le rôle, dans cette histoire religieuse, de Trump ou de Thiel eux-mêmes, qui s'avèrent, parce que vieux mâles, ne pas être l'Antéchrist, mais bien ses adversaires ?
Katechon
C'est là qu'intervient le dernier fétiche religieux de notre série, le plus fumeux : le Katechon. La source scripturaire est la suite directe du passage de la seconde épitre de Paul aux Thessaloniciens où il est question de « l'Adversaire » : « Et vous savez ce qui le retient maintenant, de façon qu'il ne se révèle qu'à son moment. Dès maintenant, oui, le mystère de l'impiété est à l'œuvre. Mais que seulement celui qui le retient soit d'abord écarté. Alors l'Impie se révèlera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l'anéantira par la manifestation de sa Venue. » (2 Thessaloniciens, 2 :6-8, traduction dite de la Bible de Jérusalem). To katecon, en grec, c'est « ce qui retient ».
Ce passage des plus obscurs de Paul semble dire que quelque chose retient l'Adversaire, qui serait l'Antéchrist, et que quand ce quelque chose sera écarté l'Antéchrist triomphera momentanément, avant sa défaite ultime. Le sens est d'autant plus incertain qu'en grec ancien kateco est un verbe qui signifie d'abord contenir, maitriser, s'emparer, plutôt que « retenir » qui est le sens adopté ici. Avec un certain bon sens, Augustin d'Hippone écrivait dans la Cité de Dieu (livre XX, chapitre 19), au début du V° siècle, que quand Paul dit « vous savez », « … ce qu'ils savaient nous l'ignorons », et que le tout est donc complétement obscur. Ce qui n'a pas empêché les interprètes d'interpréter, et c'est au XX° siècle que cette histoire de Katechon, telle qu'elle nous intéresse ici, a été vraiment lancée, par Carl Schmitt, et pas très tôt, mais pendant la seconde guerre mondiale et par la suite.
Dans le Nomos de la Terre, paru en 1950 – le livre par lequel il reprend ses activités éditoriales après la défaite de son parti, le parti nazi, en 1945 -, Schmitt fait l'éloge du Katechon comme ayant été la force de la Chrétienté médiévale : « Je ne crois pas qu'une autre représentation de l'histoire que celle du kat-echon soit même possible pour une foi chrétienne originaire. La foi en une force qui retient la fin du monde jette le seul pont qui mène de la paralysie eschatologique de tout devenir humain jusqu'à une puissance historique aussi imposante que celle de l'Empire chrétien des rois germaniques. » Le katechon est un pouvoir de type impérial au sens ancien (pas un césarisme moderne à la Napoléon, précise Schmitt) qui, malgré ses défauts en tant que Cité terrestre humaine, « retient » la fin des temps, sans lequel il n'y aurait pas d'histoire humaine, mais Parousie directe. Ainsi entendue, cette notion fumeuse semble conservatrice et stabilisatrice.
Mais chez Thiel, l'Antéchrist correspond aux éléments qu'il perçoit comme conservateurs et stabilisateurs. Le problème, c'est l'accumulation et la circulation du capital ralentie, réduits au quantitatif de la mondialisation, à la concurrence plate généralisée, dans un monde d'Etats modernes démocratiques coexistant pacifiquement. Le monde unifié qui effraie Thiel est celui de l'utopie libérale ancienne, celui des ONG et des « institutions internationales », celui de l'OMC, celui qu'il attribue à Greta Thunberg – et à Georges Soros, qui a rompu la collaboration financière avec lui dans les années 2010. Il partage cette animosité avec les « antilibéraux » et autres « altermondialistes », mais il les met dans le même sac, celui de l'internationalisme unificateur.
De la sorte opère une très remarquable inversion idéologique par rapport à la position traditionnaliste qui est encore celle de Carl Schmitt, où la fin du monde qu'il faut retarder participe du chaos et de la destruction. Cela bien que l'Etat total de Schmitt (le III° Reich en fait : c'est une construction apologétique faite après coup par ses thuriféraires, à la suite du probable SS Armin Moeller, qui a fait croire que la Révolution conservatrice n'était pas nazie, voire était antinazie, comme l'a démontré Emmanuel Faye) était déjà un monstre mécanique destructeur accélérant production, reproduction et circulation du capital. Il y avait donc une contradiction entre la figure du Katechon romain-germanique et chrétien sur laquelle se replie Schmitt et la réalité de l'Etat total décisionnaire.
Cette contradiction est levée chez Thiel, très simplement : si l'Antéchrist est ralentissement de l'accumulation-circulation-accélération du capital, le Katechon devient chez lui ce qui secoue, ce qui brise, réintroduisant une action pseudo-politique pour accélérer l'accumulation, briser des frontières tout en en érigeant d'autres, le Katechon est action pure, il peut être divaguant, menteur, désordonné, pourvu qu'il mette du mouvement, le Katechon est disruptif comme diraient les macroniens français … le Katechon, mais, bonne mère, c'est Donald Trump !
Evidemment, Thiel ne peut pas purement et simplement déclamer que Greta Thunberg, et avec elle la jeunesse, la démocratie et la révolution sont l'Antéchrist, alors que Trump est le Katechon qui, n'est-ce pas, retient la fin du monde, vrai envoyé de Dieu (les Christian Nationalists et la New Apostolic Reformation sont s'accord : et comme il est d'essence terrestre et humaine c'est un grand pécheur, c'est normal et c'est une preuve !). Il ne le dit jamais comme ça, en toute simplicité. Il a besoin de nébulosité, de décorum, de pédantisme, de prendre des poses de mage et des airs de gourou, de plus en plus fatigué toutefois, car l'accumulation-circulation-accélération, ça fatigue !
Et puis, sans doute le Katechon trumpien ne fait-il pas que retarder la fin des temps : il la prépare aussi, comme le fait l'Antéchrist de son côté, mais vous aurez remarqué que la chasse aux migrants, la guerre, les tarifs douaniers, les fake news, sont de son côté, alors qu'en face, côté Antéchrist, on parle paix, santé et sécurité pour tous, justice climatique : ce sont les mensonges de l'Adversaire, n'est-ce pas, mais le camp de Dieu et du Bien est bel et bien présentement celui du fer et du feu, de la destruction créatrice et du tourbillon accélérationniste brûlant et rasant tout sur son passage !
Et quand Greta, la génération Z, la paix et autres jeunes sots woke sembleront triompher, n'est-ce pas, arrêtant l'accumulation au motif infantile de « sauver la planète », alors adviendra le combat de la fin, Armageddon (Dabiq !) : Thiel cite alors la première épitre aux Thessaloniciens de Paul, 5 :1 : « Quand les hommes diront : paix et sureté ! alors une ruine soudaine les surprendra, comme les douleurs de l'enfantement surprennent la femme enceinte, et ils n'échapperont point. » Bien fait pour vous, les gueux !
Il est possible que Thiel ait trouvé le thème du Katechon non pas chez Paul via Schmitt, mais sous l'influence russe : cela fait en effet quelques années que Douguine et les eurasiens nomment la Russie, ou l'Eglise orthodoxe, ou Poutine en personne, le Katechon qui prolonge le monde et les traditions avant la fin. Trump et Poutine peuvent très bien être pensés comme un Katechon bicéphale, ce qui ne fait que rajouter une touche tératologique supplémentaire à tout ce délire. Cela dit, le Katechon avec Thiel perd toute dimension stabilisatrice et conservatrice pour devenir franchement déstabilisateur et novateur, à savoir fasciste.
Un résumé du film comme Thiel se gardera bien de le faire
On résume : le moment historique présent est le temps du Katechon, où l'action perturbatrice de Donald Trump relance l'accumulation et la circulation du capital en semant un salutaire désordre de fer et de feu, contrebalançant les forces de l'Antéchrist jeunes, démocratiques, révolutionnaires et mondialistes. Celles-ci finiront toutefois par paraître triompher : si c'est au moment du 33° anniversaire de Greta Thunberg, quand elle aura le prix Nobel de la paix ouvrant la guerre d'Armageddon, ce sera en 2036, mais Thiel évite d'être aussi précis : il doit passer un peu pour un fou, mais pas complétement, et laisse aux plus exaltés de ses auditeurs le soin de compléter.
Alors, le combat ultime débouchera sur le retour du roi, comme dans le Seigneur des Anneaux, et ce sera l'Apocalypse. Amen.
La conception accélérationniste de l'histoire
Avant de nous demander ce que pourrait bien être cette Apocalypse selon saint Peter, dégageons aussi la conception de l'histoire humaine que nous avons là : c'est une histoire orientée vers une catastrophe, ce qui correspond bien au Zeitgeist contemporain du capitalisme tardif, de la catastrophe climatique et de l'épée de Damoclès atomique.
Thiel est soucieux d'écarter les représentations cycliques où le même revient régulièrement, et où l'on n'a pas une catastrophe finale, mais des hauts et des bas avec des catastrophes récurrentes. Dans ses conférences pseudo-secrètes de San Francisco, il se réfère à un texte vétéro-testamentaire, le prophète Daniel, auquel il décerne le titre tout à fait erroné et ridicule d'« historien biblique », car il veut en faire un théoricien de l'histoire. Dans le Livre de Daniel, nous avons la théorie d'une succession de quatre empires, le quatrième étant le dernier.
Ainsi serait brisée la roue de la Fortune, le cycle du recommencement ou de l'Eternel retour nietzschéen. Thiel a même trouvé dans Daniel le passage suivant (12 :4) : « Toi, Daniel, tiens secrètes ces paroles, et scelle le livre jusqu'au temps de la fin. Plusieurs alors le liront, et la connaissance augmentera. »
La connaissance n'est-elle pas en train d'augmenter de façon exponentielle sans permettre de réels progrès et alors que les inquiétudes existentielles explosent elles aussi ? Nous y sommes !
Au dernier chapitre de Zero to One, sans introduire ce gloubi-boulga « biblique », Thiel avait terminé son manuel de spéculateur devenu éloge des rois fous, par une interrogation sur ce qui est souhaitable pour l'histoire humaine aujourd'hui. Chose intéressante, il dit emprunter les quatre schémas du futur qu'il présente, au « philosophe » Nick Bostrom, en fait un « futurologue » que, dans ses conférences de septembre 2025, Thiel a ciblé comme Antéchrist possible. Mais il n'est pas étonnant que les soldats du Katechon flirtent avec ceux de l'Antéchrist, on l'aura compris !
Donc, Thiel reprend de Bostrom quatre schémas du futur : 1) l'oscillation cyclique avec catastrophes non finales mais périodiques, 2) la stagnation, 3) l'effondrement et 4) le saut exponentiel vers le haut permis par la « singularité », que Bostrom et d'autres associent aux LLM (Grands Modèles de Langage) de l'IA, ce que ne fait pas Thiel.
Celui-ci finalement calme le jeu, dans son petit manuel de développement personnel qu'est Zero to One : trouvons « des moyens singuliers de créer des choses inédites » et blablabla. Mais si nous rapprochons, et il convient de le faire envers un auteur qui préconise l'écriture cryptique, l'appel à la singularité techno-capitaliste du dernier chapitre et l'éloge du « retour du roi » à l'avant-dernier, nous retrouvons le programme apocalyptique des conférences de septembre 2025.
Ce rejet des cycles et/ou de la stagnation est en fait, de façon non assumée et non maitrisée, un rejet de l'histoire du capital, qui a fonctionné par des cycles, courts (les crises de surproduction) et longs (les « ondes longues » de Kontradieff et Mandel), tout en sautant d'un régime global de production et d'accumulation à un autre en passant d'une onde longue à l'autre. C'est justement cela qui coince aujourd'hui. Cet état de crise du mode de production capitaliste est perçu par l'un des plus grands capitalistes du monde, très proche du président américain et de l'homme le plus riche du monde (Musk), comme imminence de l'effondrement et de la singularité : Antéchrist (stagnation) débouchant sur l'effondrement (Nobel de la paix à Greta Thunberg, abomination de la désolation : qu'est-ce qu'on se marre !) et le rebondissement par la singularité (Armageddon, Apocalypse). Ainsi sont résolues les contradictions de l'accumulation capitaliste, pour les siècles des siècles. Amen.
Les sources de l'accélérationnisme
Le Katechon trumpien est accélérationniste. Et l'Apocalypse, comme singularité, serait l'accélération exponentielle, le saut de 0 à l'infini. Accélérationnisme est le nom donné à un courant précis que Thiel a intégré à ses conceptions, mais avant d'être un courant idéologique des plus baroque, l'accélérationnisme est tout bonnement la tendance du capital à s'accumuler et à circuler toujours plus vite, l'élément de circulation accélérée étant aussi central, et indissociable, que l'accumulation proprement dite (d'où l'importance du très méconnu livre II du Capital de Marx).
L'accélérationnisme comme idéologie et comme secte exprime cette tendance dans un habillage esthétique et verbeux, mais la tendance lui préexiste, et déjà le futurisme fasciste italien, les envolées néo-millénaristes nazies, mais aussi les proclamations exaltées sur la planification souveraine dans les régimes « socialistes », étaient accélérationnistes. L'accélérationnisme est en germe dans le culte de la croissance du PIB.
C'est donc plutôt un accélérationnisme explicite, et porté à la puissance 2, aspirant à être porté à la puissance infinie, qui apparait comme l'une des composantes du fascisme 2.0. A la différence de Yarvin, qui me semble être une sorte de comique troupier sortant des studios de la mafia PayPal, le courant accélérationniste proprement dit est au départ indépendant de l'ultra-droite modèle Silicon Valley, et il vient s'y incorporer.
L'histoire de ce petit courant autonome, qui va se déverser dans la rivière fasciste 2.0, ne manque pas d'intérêt. Elle commence en Grande-Bretagne avec le CCRU, Cybernetic Culture Research Unit, club formé à l'université de Warwick en 1995 et autodissous en 2003. Look et culture prétendument subversive en font le ciment, avec des cogitations verbeuses brassant Heidegger, Deleuze-Guatari et Derrida, et une dose de Marx filtrée par Althusser (Slavo Zizek a quelques affinités avec eux). Le tout sur fond musical, car le genre jungle et les débuts de la musique techno et des raves parties forment le background des soirées de discussions au CCRU.
Ce cercle, qui a cultivé et laissé une certaine légende en contexte anglophone (à peu près ignoré en contexte francophone) était sans orientation politique initiale, si ce n'est l'adaptation au monde no future du post-thatchérisme, dont ces grands ados sont de purs produits. Parmi eux des auteurs de positions diverses en sont sortis : la « cyberféministe » Sadie Plant, l' « afrofuturiste » Kodwo Eshun, anglo-guinéen, et, surtout, les Castor et Pollux de l'accélérationnisme que seront, « de gauche », Mark Fisher, et, « de droite », Nick Land.
Mark Fisher a théorisé l'ubiquité et la « naturalité » du capitalisme, fétichisme absolu dont on ne peut plus sortir autrement qu'en accélérant certains de ses traits et en repérant les virtualités non réalisées qui nous hantent (il se réfère ici à Benjamin et surtout à l'« hantologie » de Derrida). Se présentant comme marxiste cyberpunk, ses idées ne débouchent pas sur la révolution, mais sur des recherches culturelles orientées vers la SF, le fantastique et la musique post-punk. Il se suicide en 2017, ce qui, symboliquement signe l'impasse de l'accélérationnisme « de gauche ».
Nick Land, performer outrancier à l'époque du CCRU de Warwick et auteur de nouvelles d'épouvante, qui dès le départ fonde son aura intellectuelle sur l'exégèse de Martin Heidegger (sa thèse universitaire de 1987 porte sur le « graphème », sic, dans Heidegger …) et de George Bataille, opte pour la dystopie combinée au bond en avant technologique, conduisant à la fusion hommes/machines. Les conceptions transhumanistes et leurs cousines russes « cosmistes » sont réactivées et portées à incandescence. La notion d' « hyperstition » lui est commune avec Mark Fisher, mais chez ce dernier, il s'agit du fétiche idéologique qui s'incarne et modèle la réalité capitaliste, alors que pour Land, c'est une valeur positive (et la seule possible) à laquelle il faut adhérer à fond pour conformer la réalité au fantasme, les entités fictives devant modeler la réalité : la vitesse de circulation du capital et son accumulation doivent s'accélérer à l'infini et le monde suivra, en devenant un cybermonde connecté et marchand, à l'échelle du cosmos.
Plus exactement, en entrant dans un processus de destruction-création puis destruction amplifiée, etc., illimité, l'idée de connexion marchande généralisée, dans la mesure où elle a à voir avec un monde « plat » de concurrence égale, ne rend pas pleinement compte du schéma idéologique à l'œuvre ici, lequel consiste justement, comme le monopole chez Thiel, à toujours fuir l'uniformité de la sphère concurrentielle de la circulation, transformant ce « mauvais infini », comme auraient dit Hegel et Marx, en une spirale exponentielle, mais laquelle relève tout autant et même plus encore du « mauvais infini » : fuite en avant.
Nick Land : de l'acceptation du fétiche-capital au nazisme 2.0
Après la période CCRU de Warwick, Land a vécu à Taiwan puis à Shanghai, écrivant des guides touristiques et des nouvelles d'horreur. Il garde de cette période la conviction que la grande ville chinoise est un modèle pour l'ordre capitaliste de demain. Il revient à la surface idéologique étatsunienne à la fin de la décennie 2000, après la crise de 2008, et très probablement cornaqué par Thiel qui le met en relation avec Yarvin : une idée de « fondateur », qui se dit que ces deux là feront un cocktail intéressant. Thiel avait donné la ligne, juste auparavant, dans un court billet affirmant l'incompatibilité entre liberté et démocratie. Le petit-fils du pape de l'économie néolibérale de l'université de Chicago Milton Friedman, Patri Friedman, était aussi dans la boucle.
Land et Yarvin
Yarvin, sous la dénomination pédante faussement érudite de « néocaméralisme », avait commencé à théoriser un néo-monarchisme entrepreneurial censé prendre la place de l'Etat. Land contribue à formuler des logos plus popularisables. Sous le nom de NRx, néo-réaction, le lien est établi avec l'extrême droite plus traditionnelle de la planète MAGA en préformation, avec Steve Bannon. Sous le nom de Dark Enlightment, Lumières obscures (qui inspirera en 2024 la casquette Dark MAGA d'Elon Musk), sont revendiqués l'obscurantisme et l'irrationalisme associés à la technologie. Le cauchemar doit devenir réalité, tel est, littéralement, le cri de guerre de l'hyper-réaction folle.
L'aspect le plus connu, car il a été amplement commenté dans les trois petits livres que je cite au début de ce travail, surtout chez Quinn Slobodian, du « programme » des Lumières obscures, est la version extrême droite des Zones d'Autonomie Temporaire de l'extrême gauche altermondialiste anarcho-écolo

Le courage de porter une bonne parole
Alors que la course au co-porte-parolat de Québec solidaire est entamée, une question s'impose : que cherchons-nous vraiment à élire ? Un simple relais du programme, ou une voix capable d'incarner, d'orienter et de bousculer ? Si nous abordons ce sujet aujourd'hui, c'est parce que la course actuelle met en lumière une question trop souvent laissée dans l'ombre :qu'est-ce que signifie réellement « porter la parole » d'un parti comme le nôtre ?
Les statuts du parti décrivent les tâches du poste — représenter le parti, relayer les luttes sociales, coordonner le travail parlementaire — mais ils ne disent presque rien de son articulation politique : comment ces responsabilités s'exercent, avec quelle marge d'initiative, et quelle vision du rapport entre le parti, la rue et les institutions.
Deux visions du co-porte-parolat
Depuis la fondation du parti, deux conceptions du rôle s'affrontent, souvent sans se dire.
D'un côté, une vision fonctionnelle : le co-porte-parole comme gestionnaire d'image, garant d'un ton et d'une ligne qu'il ne faut pas dépasser.
De l'autre, une vision politique et mobilisatrice : celle d'un co-porte-parole catalyseur, capable de nourrir le débat, de relier la rue et le parlement, d'incarner un horizon collectif.
Le débat ne porte donc pas sur des styles de communication, mais sur la nature même du parti : un parti qui administre le consensus ou un parti qui assume la conflictualité féconde et la délibération démocratique.
Clarifier ce rôle, ce n'est pas une question de forme, mais de fond démocratique : c'est redire qui parle au nom du parti, et au nom de qui cette parole est portée.
Le co-porte-parolat n'est pas une fonction administrative, c'est un mandat profondément politique. Il s'agit de choisir la direction que nous voulons donner à notre parti, la manière dont nous voulons renouer avec les luttes populaires et la vitalité démocratique de notre base.
Québec solidaire n'est pas un parti comme les autres : il est né de la rue, des mouvements, des colères et des espoirs de celles et ceux qui refusent la résignation. C'est à cette hauteur-là que doit se situer notre débat : non dans la gestion des apparences, mais dans la construction d'un projet de transformation.
Loin d'un rôle neutre
L'article 12.4.1 des statuts du parti définit les co-porte-paroles comme les personnes chargées de représenter le parti publiquement, d'exprimer ses positions et d'assurer les liens avec les mouvements sociaux, les organismes et les institutions.
Mais cette définition dit tout du faire, et rien de l'être. Elle décrit la fonction, pas l'incarnation politique. Car représenter n'est pas répéter : c'est porter, traduire, articuler.
Ce rôle n'est pas un simple relais neutre d'un programme figé, mais un espace d'orientation et d'inspiration. Un·e porte-parole incarne une lecture du moment, une manière de concevoir la parole du parti dans l'espace public. Parler au nom du parti n'est jamais un geste administratif : c'est un acte politique, donc nécessairement conflictuel et situé.
Chaque co-porte-parole imprime une direction, même sans l'affirmer ouvertement. Par les thèmes qu'il met de l'avant, la façon dont il relie l'action parlementaire aux luttes sociales, il oriente la trajectoire du parti.
Prétendre qu'il n'y a « pas de tendance » ou « pas de différence politique » dans le parti, entre les candidatures ou anciens co-porte-parole du parti, c'est nier cette évidence, son histoire et la situation actuelle dans laquelle nous nous trouvons. Toute prise de parole est un choix politique. Le langage, les thèmes, les alliances mises en avant traduisent une conception du rôle de Québec solidaire — un parti d'opposition parlementaire, ou un mouvement de transformation sociale.
La neutralité, surtout dans un parti de gauche, n'est pas synonyme d'unité : elle devient souvent le masque de la normalisation. La politique naît de la clarté des désaccords et du courage de nommer les choix collectifs.
Assumer une orientation, une lecture du moment, une vision stratégique, ce n'est pas diviser : c'est éclairer. Le courage politique ne consiste pas à ne froisser personne, mais à ouvrir les débats là où ils sont nécessaires, à rendre explicite ce qui est implicite, à redonner à la parole du parti sa fonction première : porter la transformation, pas l'équilibre.
La parole revient — et reviendra toujours — aux membres
Le rôle des co-porte-paroles n'a de sens que s'il s'enracine dans la parole collective des membres. Leur légitimité ne découle pas du simple fait d'être élu·e·s, mais du lien vivant avec celles et ceux qui militent et portent le parti au quotidien.
C'est à travers eux que circule le souffle politique de Québec solidaire — celui d'un parti qui ne parle pas à la place de, mais avec.
Pour la première fois, les co-porte-paroles seront choisi·e·s par l'ensemble des membres, au suffrage universel et par vote préférentiel. Ce changement transforme le rapport entre la base et la direction : plus inclusif, mais aussi plus fragile. Le risque, c'est qu'il devienne un exercice de notoriété, détaché de la dynamique collective qui donne tout son sens au co-porte-parolat. Car un parti de gauche n'est pas une entreprise où l'on choisit un visage : c'est un espace où l'on construit une direction, ensemble.
Notre responsabilité collective est donc claire : faire de ce moment électoral un espace d'éducation populaire politique, un moment de clarté et de débat sur la trajectoire du parti.
Le choix du 8 novembre ne portera pas seulement sur une personne, mais sur une orientation, une conception du rôle du parti, une lecture du moment historique. Et ce choix ne s'arrêtera pas au vote. Car les membres ne sont pas les spectateurs d'un processus : ils en sont le cœur, la conscience et le contre-pouvoir. C'est à eux que revient, ultimement, la tâche de veiller à ce que la parole portée en leur nom reste vivante, fidèle et transformante.
C'est ainsi qu'on redonne chair à notre démocratie interne : en reconnaissant que la parole politique du parti ne part pas d'en haut, mais d'en bas. Qu'elle ne descend pas vers la base — elle en émane. Et que si le ou la co-porte-parole doit être le moteur du débat, les membres en demeurent la boussole et la force motrice.
La clarté politique est une forme de courage démocratique
Refuser de débattre au nom de la neutralité, c'est céder à un réflexe technocratique : celui qui croit que la politique se gère au lieu de se construire. Mais la clarté, elle, est une exigence démocratique. Elle permet à un parti vivant d'assumer ses désaccords, de nommer les tensions et de choisir lucidement sa direction.
Les membres ont le droit de savoir quelle lecture du moment inspire leurs co-porte-paroles. Ils ont le droit de choisir, non pas entre des tempéraments, mais entre des visions.
Clarifier, c'est rendre visible ce qui structure notre action collective. C'est refuser l'ambiguïté confortable au profit d'un engagement lucide.
La clarté politique n'oppose pas : elle rassemble sur des bases assumées, redonnant au parti la confiance nécessaire pour débattre sans se diviser.
Redonner au parti le goût du débat
Québec solidaire n'a pas besoin de porte-voix prudents, mais de porte-parole politiques : des femmes et des hommes capables de relier la rue au parlement, d'incarner une parole ancrée dans les luttes, capable d'émouvoir autant que de convaincre.
Une parole qui inspire, qui confronte, qui dérange parfois — parce qu'elle est vivante.
Un co-porte-parole, ce n'est pas quelqu'un qui s'efface pour ménager les équilibres, mais quelqu'un qui parle pour faire avancer. Quelqu'un qui assume de porter la voix des luttes, même quand elle dérange, parce qu'elle appartient à celles et ceux qu'on entend trop peu.
Le co-porte-parolat n'est pas une fonction neutre : c'est un engagement collectif, le lieu où s'exprime la cohérence entre la base et la direction, entre la mémoire des luttes et l'avenir que nous voulons construire.
Et si la parole peut encore changer les choses, alors faisons en sorte qu'elle soit vraie, forte et juste.
Le Verbe s'est fait lutte.
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Course à la chefferie du NPD : La reconstruction est mal partie
Le premier évènement d'envergure nationale des candidats au leadership du NPD a donné lieu à un spectacle d'une mièvrerie navrante. Pas de débats entre les candidats, pas de présentation de plateformes politiques, pas de vision pour la reconstruction du parti. Seul un candidat, le journaliste et militant Avi Lewis, le plus à gauche des cinq candidats déclarés, a eu le courage de faire une déclaration politique et d'offrir une vision de reconstruction du parti centrée sur la lutte à l'oligarchie économique, la défense des salariés et des classes populaires ainsi que sur la transition verte (green new deal).
Ce forum des candidats tenu dans un luxueux hôtel d'Ottawa et animé par Bea Bruske, la présidente de la grande centrale syndicale canadienne, le Conseil du travail du Canada , était taillé sur mesure pour la candidate préférée de la direction du parti : la super-modérée Heather MacPherson, députée d'Edmonton, dont la seule proposition politique pour le moment est d'ouvrir le parti à tous et toutes, sans « test de pureté politique, comme le faisait ma famille quand j'étais enfant alors que tout le monde était bienvenu à la table familiale ». Ce n'est pas avec de telles banalités que pourra avancer la tâche titanesque de rebâtir ce parti social-démocrate dévasté lors des élections fédérales du printemps dernier qui l'ont vu perdre 17 de ses 24 députés, tomber sous la barre des 12 députés nécessaires afin d'être officiellement reconnu au parlement et toucher le fond du baril avec un famélique 8% du vote. Pris en tenailles, le NPD a perdu des votes urbains au profit du Parti libéral et des votes ouvriers et populaires au profit des Conservateurs. Sans un énergique virage à gauche et une reconstruction en profondeur, le NPD pourrait littéralement disparaitre de la carte aux prochaines élections fédérales, élections qui ne sauraient d'ailleurs trop tarder avec un gouvernement minoritaire en poste à Ottawa.
L'absence du français lors de ce forum : une erreur politique grave
Une faiblesse flagrante lors de ce premier forum national fut la quasi totale absence du français, ou même de simple référence au Québec, avec l'exception notable d'Avi Lewis qui a tenu à ouvrir sa présentation en formulant quelques phrases dans la langue de Molière. Mais absolument rien de la part des quatre autres candidats ! Et pourtant, la plus simple des analyses politiques devrait amener ces candidats à se soucier beaucoup plus du Québec où l'appui au NPD a sombré à un catastrophique 2% dans les sondages. On est bien loin de la « vague orange » de 2011 alors que le NPD sous la houlette du feu Jack Layton avait amassé pas moins de 42.90% des suffrage et fait élire 59 députés dans la province. C'est à se demander ce que fera la direction du parti lors du prochain forum des candidats qui devrait se tenir à Montréal dans un mois, soit le 27 novembre. Ils nous promettent un débat majoritairement en français. Espérons que ce sera le cas et qu'il soit plus éclairant sur la reconstruction du parti.
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Des jeunes se mobilisent à Québec et à Montréal pour le 30e anniversaire du référendum de 1995
Samedi 25 octobre dernier, plus d'un millier de jeunes à Montréal et plus de 200 à Québec se sont mobilisés à l'occasion du 30e anniversaire du référendum de 1995 sur la souveraineté. Leur mot d'ordre : « Le Québec, un pays ! »
Dans les deux villes, la foule était composée majoritairement de jeunes de moins de 20 ans, déterminés à raviver la flamme indépendantiste. Leur enthousiasme contrastait avec le scepticisme ambiant souvent associé à la question nationale. Pour eux, l'indépendance du Québec reste un projet d'avenir, porteur d'émancipation collective et d'inclusion.
À Montréal, la manifestation était organisée par le Oui Québec et la Société Saint-Jean-Baptiste. À Québec, c'est le Comité indépendantiste du Québec du cégep Limoilou qui a été au cœur de l'initiative, appuyé par d'autres comités jeunes provenant de différentes institutions scolaires. Cette mobilisation traduit un phénomène en pleine expansion : la formation de comités indépendantistes dans les cégeps et les universités, signe d'un renouveau générationnel du mouvement souverainiste.
Plusieurs députés de partis indépendantistes se sont joints aux rassemblements. À Montréal, Ruba Ghazal, Andrés Fontecilla et Manon Massé de Québec solidaire étaient présents pour appuyer la jeunesse mobilisée.
Devant la foule, Ruba Ghazal a réaffirmé la nécessité de bâtir un mouvement indépendantiste inclusif, écologique et ouvert sur le monde :
« Le Québec que nous voulons doit être un pays vert, juste et inclusif, où l'on protège l'environnement et les minorités. À l'heure où la droite identitaire indépendantiste tente de s'imposer dans le débat public, nous devons porter un projet rassembleur. »
Fille d'immigrants et “enfant de la loi 101”, la députée de Mercier a souligné l'importance de redonner à la souveraineté un visage accueillant :
« Je veux porter ce projet avec ma voix d'immigrante, parce que je crois profondément que l'indépendance peut être un projet pour tout le monde. »
À Québec, le député solidaire Sol Zanetti a livré un message semblable, en insistant sur deux leçons qu'il tire du référendum de 95, la place qui doit être donné aux Premières nations et la nécessité de construire un Québec inclusif de toutes les Québecoises et les Québecois. Ila appelé à conjuguer l'indépendance avec les luttes sociales et environnementales. Pour plusieurs militant·e·s indépendantistes présents, ayant vécu le référendum de 1995, la manifestation symbolisait le passage du flambeau à une nouvelle génération prête à reprendre la lutte.
Le député du Parti québécois, Pascal Paradis, a lui aussi salué cet élan. Selon lui, la mobilisation des jeunes démontre que la question nationale n'appartient pas au passé, mais qu'elle peut être repensée à la lumière des défis contemporains.
Le média Presse-toi à gauche publie ci-dessus la vidéo de l'intervention de Sol Zanetti ainsi que l'enregistrement audio des interventions de Pascal Paradis et de Catherine Gentilcore, député·e·s du Parti québécois, témoignant d'un souffle nouveau qui anime la jeunesse indépendantiste à l'aube d'un nouveau cycle politique.
* Merci à Sébastien Bouchard pour la vidéo de l'intervention de Sol Zanetti
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Au référendum de 1995, le FRAPRU avait activement mené une campagne pour l’indépendance
L'abondante couverture médiatique que les médias accordent aujourd'hui au 30ième anniversaire de la campagne référendaire du 30 octobre 1995 me rappelle certains souvenirs de cette intense période politique. Ça peut paraître surprenant aujourd'hui, mais le FRAPRU avait activement mené campagne pour l'indépendance, mais en dehors du Camp officiel du Oui dirigé par le premier ministre Jacques Parizeau. Pour le comprendre, il faut revenir six ans en arrière, alors que le débat sur ce qu'on appelle alors la question nationale reprend de plus belle, suite à l'échec de l'accord constitutionnel du Lac Meech. Je raconte cette histoire dans « Le Radical de velours » paru en 2012 chez M Éditeur.
« Alors qu'il ne s'était jamais prononcé sur la question nationale québécoise, c'est par une grande majorité que son assemblée générale vote en faveur d'une « indépendance progressiste ».
C'est la position que la délégation du FRAPRU défend, en janvier 1991, devant la Commission Bélanger-Campeau, formée à l'initiative de Robert Bourassa, après le rejet de Meech. Nous y prônons d'emblée la nécessité de l'indépendance, mais en nous empressant d'ajouter : « Mais le rapatriement par le Québec de l'ensemble des pouvoirs, s'il est nécessaire et, à notre avis, inévitable, est à lui seul insuffisant pour mener une lutte en profondeur contre l'oppression nationale et ses diverses manifestations, à moins qu'il ne s'inscrive dans un processus de rupture avec le capitalisme et en particulier avec les tendances actuelles au néo-libéralisme.. »
Nous nous démarquons aussi de « la tendance actuelle à l'unanimisme social, au grand consensus national, prôné par les Lucien Bouchard, les Jacques Parizeau et même les Robert Bourassa qui, au nom d'un soi-disant intérêt national supérieur, voudraient faire taire toutes les voix discordantes, niveler toutes les différences et faire marcher toute la société québécoise au même pas, celui des affairistes québécois ».
Nous esquissons enfin les grands traits du pays que nous voulons bâtir : un Québec qui lutte contre les inégalités sociales, reconnaît le droit à l'autodétermination des nations autochtones, représente une terre d'accueil respectueuse des droits de ses minorités, permet la plus complète égalité entre les femmes et les hommes, s'appuie sur des préoccupations écologiques majeures et élargit la démocratie.
Inutile de dire que notre mémoire est accueilli froidement, y compris par les souverainistes qui participent à la commission.
Cette position, le FRAPRU la défendra pendant six ans, y compris lors du référendum pancanadien du 26 octobre 1992 sur l'entente constitutionnelle de Charlottetown et celui du 30 octobre 1995 sur la souveraineté-partenariat. (…)
En 1995, après avoir à nouveau fait entériner sa position par ses instances démocratiques, il s'associe encore à d'autres groupes, cette fois sous le slogan « Oui, au-delà des partis ! » Une déclaration, rédigée par la militante Lorraine Guay et appuyée par plus de 300 individus et groupes, l'explique : « D'une certaine façon, nous devons faire la souveraineté malgré les partis politiques et, pour certains, contre eux. » Comme d'autres, j'arbore fièrement un macaron qui affirme : « Oui à la souveraineté. Non au PQ. »
Les groupes organisent quelques activités dont une assemblée publique et surtout une ligne de piquetage devant les bureaux du président de Bombardier, Laurent Beaudoin, qui a menacé de déménager son entreprise en cas de victoire du oui. Les dizaines de personnes présentes y marchent avec un bâillon sur la bouche pour montrer que la place démesurée prise par les gens d'affaires dans le débat référendaire réduit au silence les préoccupations du reste de la population.
Le FRAPRU organise aussi des activités sur ses propres bases, autour de la publication d'un Dossier noir montrant comment le gouvernement fédéral n'accorde pas son dû au Québec dans ses interventions en habitation. »(…)
Durant les dernières semaines de la campagne référendaire, alors que même Lucien Bouchard se met à parler de résistance à ce qu'il appelle le vent froid conservateur qui vient du reste du Canada, le oui semble voguer vers la victoire.
Le 27 octobre, à trois jours du référendum, je suis sur l'autoroute 417 en direction de Hull où je dois participer à une activité de mobilisation. Je vois passer des dizaines et des dizaines d'autocars et autres véhicules ornés d'unifoliés se dirigeant vers la Place du Canada, à Montréal, pour participer à un énorme « Love In » fédéraliste.
Quel qu'ait été l'impact de ce rassemblement, qui bafoue la Loi sur la consultation populaire, le non l'emporte, le 30, mais par à peine 45 000 votes.
Le premier ministre Parizeau y réagit avec un discours revanchard blâmant le « vote ethnique » et rapetissant le combat souverainiste au seul fait de la majorité francophone du Québec. Son successeur Lucien Bouchard, lui, l'abandonne carrément, en décidant de plutôt entraîner le Québec sur la voie du déficit zéro. C'est le début d'une longue période de déprime collective qui n'est même pas encore terminée.
Le prochain rendez-vous référendaire que plusieurs prévoyaient pour bientôt n'a pas eu lieu. Bien des individus et des groupes comme le FRAPRU se sont désintéressés de la question pour se concentrer sur d'autres préoccupations. C'est aussi mon cas. Je demeure souverainiste, mais il me faudra des années avant que j'y trouve à nouveau une source de motivation. »
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Un festival d’obséquiosité
Si les scènes de célébration de Donald Trump à la Knesset israélienne et à Charm el-Cheikh étaient destinées à une exploitation cinématographique ou théâtrale, elles se classeraient sans aucun doute parmi les pires mises en scène de l'histoire. Ces deux spectacles ont formé ensemble un festival d'adulation, sans précédent pour un président américain ou pour tout dirigeant élu par une élection libre. Ils rappellent davantage l'adulation dont sont l'objet les despotes dans leur propre pays ou au sein de leur empire – comme celle du dirigeant nord-coréen chez lui ou le culte de la personnalité qui a entouré Staline dans les républiques et les États satellites de l'Union soviétique.
Tiré du site du CADTM. Dessin de Sonia Mitralias
De ce point de vue, cependant, l'obséquiosité affichée à la Knesset était en fait plus sincère que celle du sommet de Charm el-Cheikh. Comme Benyamin Netanyahou l'a dit à son ami américain, ce fut le résultat de « l'alliance sacrée entre nos deux terres promises » – faisant ainsi allusion aux caractéristiques communes des États-Unis et d'Israël en tant qu'États nés d'un colonialisme de peuplement et d'une guerre génocidaire contre les populations autochtones. Le parallèle historique entre les deux États est aujourd'hui complet. De plus, il ne fait aucun doute que Trump est, de tous les présidents américains, celui qui a été le plus favorable à l'État sioniste, et pas seulement à l'État lui-même, mais aussi au pouvoir néofasciste de Netanyahou, une caractérisation politique qui s'applique d'ailleurs à Trump lui-même.
Le président américain a répondu à l'adulation du premier ministre israélien en le louant, soulignant sa contribution au plan de paix annoncé par Trump en sa présence à Washington, deux semaines plus tôt. L'impudence de Trump est même allée jusqu'à demander au président israélien, assis à sa gauche, de gracier Netanyahou pour les accusations de corruption auxquelles il fait face, les rejetant avec cette remarque désinvolte : « Des cigares et du champagne, qui diable s'en soucie ? » Trump faisait référence aux accusations de pots-de-vin contre Netanyaohu (estimés à 260 000 dollars), qui sont en effet bien modestes par rapport aux cadeaux somptueux que Trump lui-même a reçus de gouvernements étrangers, en particulier des monarchies du Golfe – dans le cadre d'une pratique mondiale de la corruption à grande échelle.
Comme l'avait prédit un ancien conseiller politique de Netanyahu dans une interview citée par un correspondant du Financial Times vendredi dernier : « Il n'y a pas de meilleur directeur de campagne pour Netanyahu que Trump. Son discours [à la Knesset] marquera le début de la campagne électorale. » En effet, Trump a bel et bien inauguré la campagne de réélection de Netanyahu, dans la perspective des élections à la Knesset qui doivent avoir lieu dans pas plus tard qu'un an. En fin de compte, les plus grands bénéficiaires du plan du président américain et de sa visite ne sont pas seulement Trump lui-même, qui s'est prélassé dans les éloges flagorneurs de Netanyahu et du chef de l'opposition israélienne, mais aussi Netanyahou.
Le plan Trump est, en fait, le résultat d'un accord entre les deux hommes, en réaction aux négociations qui se sont rapidement enlisées après l'échange initial de prisonniers survenu à la suite de la trêve déclarée à la veille de la deuxième investiture de Trump, en janvier dernier. Trump a exigé que le Hamas libère tous ses otages en même temps, afin de l'empêcher d'utiliser leur libération progressive comme moyen de négociation. Il a ensuite donné le feu vert à Netanyahou pour reprendre les opérations militaires et poursuivre la destruction et l'occupation par Israël des zones résidentielles restantes de Gaza. Alors que l'action militaire israélienne battait son plein, l'administration Trump fit pression sur les gouvernements régionaux pour qu'ils exercent à leur tour leur pression sur le Hamas, obligeant finalement le mouvement à libérer ses derniers captifs, diminuant ainsi largement sa capacité d'affecter l'avenir de la bande de Gaza, ou de la cause palestinienne en général.
Cette libération des derniers captifs israéliens a ôté un fardeau important des épaules de Netanyahou, car elle était le principal thème de ralliement du mouvement populaire contre lui. Il était pris entre le marteau de l'opposition et l'enclume d'alliés encore plus à droite que lui. Une fois de plus, comme au début de l'année, Netanyahou a utilisé la pression américaine comme prétexte pour accepter ce à quoi ses alliés s'étaient jusque-là opposés. Les deux principaux dirigeants de l'ultradroite sioniste ont fini par assister à la session de la Knesset et applaudir tant Trump que Netanyahu. Le premier ministre israélien et ses alliés savent pertinemment que le plan de Trump est voué à l'échec, tandis que le Hamas et toutes les autres fractions palestiniennes n'ont plus de moyen d'empêcher Israël d'envahir et occuper davantage de ces parties de la Palestine qu'il lui reste encore à annexer officiellement (voir « Après l'“accord du siècle”, l'“accord du millénaire” ». Al-Quds Al-Arabi, 30 septembre 2025).
Quant à la cérémonie de Charm el-Cheikh, elle était moins une célébration de la « grandeur » de Trump qu'un reflet du caractère saugrenu de l'obséquiosité dont il est l'objet de la part des dirigeants mondiaux présents. Pour croire que leurs flatteries étaient sincères, il faudrait douter de leurs capacités mentales, en particulier si l'on considère l'humiliation que Trump a infligée à beaucoup d'entre eux. Aucun président américain avant Trump n'a traité la scène mondiale avec un tel mépris et pourtant aucun n'a été l'objet d'une telle obséquiosité. Cela montre qu'en cette époque de décadence politique, de loi de la jungle et de montée du néofascisme, de nombreux dirigeants contemporains sont prêts à abandonner leur dignité et à se soumettre à ceux qui ont plus de pouvoir et de richesse.
Quant au fier peuple palestinien, il a prouvé un siècle durant son refus de se soumettre à ses oppresseurs – qu'il s'agisse des autorités du mandat britannique ou du gouvernement sioniste. Les Palestiniens ne baiseront pas la main de Donald Trump et ne lui témoigneront pas de « reconnaissance », quoi que fassent ceux qui prétendent les représenter. Ils ne se soumettront pas au soi-disant Conseil de la paix présidé par Trump, qui comprend des personnalités comme Tony Blair, le partenaire de George W. Bush dans l'occupation de l'Irak. Le peuple palestinien poursuivra plutôt sa lutte pour l'intégralité de ses droits. Il lui faut maintenant tirer les leçons de la Karitha (grande catastrophe) d'aujourd'hui, comme de la Nakba d'hier, et trouver le moyen de retrouver l'élan qui fut le sien lors des deux glorieuses Intifadas populaires de 1936 et 1988 – points culminants de sa longue histoire de résistance.
* Dernier ouvrage paru : Gaza, génocide annoncé. Un tournant dans l'histoire mondiale.
Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 14 octobre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
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Zohran Mamdani : Nous pouvons conquérir la liberté pour tous
Lors d'un rassemblement hier soir à Queens, New York, aux côtés du sénateur Bernie Sanders et de la représentante Alexandria Ocasio-Cortez, Zohran Mamdani s'est adressé à une foule de 13 000 personnes :
« Depuis trop longtemps, la liberté n'appartient qu'à ceux qui peuvent se la payer. »
27 octobre 2025 | tiré de Jacobin
https://jacobin.com/2025/10/mamdani-nyc-mayor-election-speech
Zohran Mamdani :
Face à plus de 13 000 personnes réunies au Forest Hills Stadium, il serait tentant de croire que ce moment a toujours été écrit d'avance. Et pourtant, lorsque nous avons lancé cette campagne le 23 octobre, il y a un an et trois jours, il n'y avait pas une seule caméra de télévision pour la couvrir.
Quand nous avons commencé, mon nom n'était qu'une anomalie statistique dans les sondages. Quatre mois plus tard, en février dernier, notre soutien culminait péniblement à 1 %. Nous étions à égalité avec le candidat bien connu nommé « quelqu'un d'autre ». J'ai toujours su que nous pouvions le battre.
Lorsque nous avons lancé cette campagne, le monde politique n'y a guère prêté attention, car nous voulions bâtir un mouvement à l'image de la ville telle qu'elle est réellement, et non telle que les consultants politiques la voient sur un tableur.
Et à l'époque, dans les couloirs du pouvoir, on nous prenait pour une blague. L'idée de changer fondamentalement à qui le gouvernement de cette ville rend des comptes semblait inimaginable. Et même si nous parvenions à gagner du terrain, demandaient-ils, comment pourrions-nous jamais surmonter les dizaines de millions de dollars d'attaques qui s'abattraient sur nous ?
Mais nous savions alors ce que nous savons encore aujourd'hui : New York n'est pas à vendre.
Alors que les jeunes se mobilisaient en nombre record, que les immigrants se reconnaissaient enfin dans la politique de leur ville, que des aînés longtemps sceptiques se remettaient à rêver, nous avons parlé d'une seule voix : New York n'est pas à vendre.
Et maintenant que nous nous tenons au bord de la reconquête de cette ville, arrachée des mains des politiciens corrompus et des milliardaires qui les financent, faisons retentir nos mots si fort ce soir qu'Andrew Cuomo puisse les entendre dans son appartement à 8 000 dollars par mois. Qu'il puisse les entendre même s'il est à Westchester ce soir. Et qu'ils résonnent jusque dans la Maison-Blanche, pour que son marionnettiste les entende aussi : « New York n'est pas à vendre. »
Treize jours après l'annonce de ma candidature, Donald Trump a remporté de nouveau la présidence. Le Bronx et Queens ont connu parmi les plus grands basculements vers la droite de tout le pays. Peu importe le journal que l'on lisait ou la chaîne que l'on regardait, l'histoire semblait la même : notre ville glissait vers la droite.
Des nécrologies politiques ont été écrites sur la prétendue incapacité des démocrates à toucher les électeurs asiatiques, les jeunes, les hommes. Encore et encore, on nous répétait que si nous voulions battre le Parti républicain, il nous faudrait devenir le Parti républicain.
Andrew Cuomo lui-même a dit que nous avions perdu non pas parce que nous n'avions pas su répondre aux besoins de la classe ouvrière, mais parce que nous avions passé trop de temps à parler de toilettes et d'équipes sportives.
Ce fut un moment où notre horizon politique semblait se rétrécir. Et à ce moment-là, New York, tu avais un choix : reculer ou te battre. Et nous avons choisi d'arrêter d'écouter ces « experts » pour commencer à t'écouter, toi.
Nous sommes allés dans deux des endroits qui avaient le plus basculé vers la droite : Fordham Road et Hillside Avenue. Ces New-Yorkais étaient très loin du cliché de l'électeur trumpiste.
Ils nous ont dit qu'ils avaient soutenu Donald Trump parce qu'ils se sentaient déconnectés d'un Parti démocrate devenu complaisant dans la médiocrité et qui ne consacrait son temps qu'à ceux qui donnaient des millions. Ils nous ont dit qu'ils se sentaient abandonnés par un parti inféodé aux grandes entreprises, qui leur demandait leur vote sans jamais leur présenter une vision claire de ce pour quoi il se battait.
Ils nous ont dit qu'ils ne croyaient plus en un système qui ne prétendait même plus offrir de solution au défi central de leur vie : la crise du coût de la vie. Le loyer était trop cher. Les courses aussi. La garde d'enfants aussi. Prendre l'autobus aussi. Et travailler deux ou trois emplois ne suffisait toujours pas.
Trump, malgré tous ses défauts, leur avait promis une politique qui mettrait plus d'argent dans leurs poches et ferait baisser le coût de la vie. Donald Trump a menti. C'était à nous de tenir la promesse faite aux travailleurs qu'il avait trahis.
Au cours des huit mois de la primaire, nous avons expliqué comment nous comptions affronter cette même crise de l'accessibilité. Et nous ne l'avons pas fait seuls.
Ce mouvement a été porté par des dizaines de milliers de New-Yorkais ordinaires qui frappaient aux portes après douze heures de travail et téléphonaient jusqu'à en avoir les doigts engourdis. Des gens qui n'avaient jamais voté sont devenus des militants acharnés. Une communauté s'est formée. La ville a appris à se connaître elle-même. C'était votre mouvement — et il le restera toujours.
À mesure que la neige fondait, notre campagne s'est mise à croître plus vite que quiconque ne l'aurait imaginé. Tant de petits donateurs ont contribué que nous avons dû leur demander d'arrêter : s'il vous plaît, arrêtez.
Nous avons grimpé dans les sondages plus vite qu'Andrew Cuomo ne pouvait composer le numéro de Donald Trump. Les gens ont appris à prononcer mon nom.
Et les milliardaires ont eu peur. Ou, comme l'a écrit le New York Times, « les Hamptons étaient en thérapie de groupe à propos de la course à la mairie ».
Ces grands donateurs et politiciens discrédités ont tout fait pour voler notre ambition, parce qu'ils ne pensent pas que vous méritez la beauté d'une vie digne. Andrew Cuomo et ses amis corporatistes ont tout fait pour faire de cette campagne une campagne de peur et de petitesse. Ils ont dépensé des millions, allongé artificiellement ma barbe pour me rendre plus menaçant, peint notre ville en enfer dystopique, et ont travaillé jour et nuit à diviser les New-Yorkais.
Ils ont échoué.
Quelques jours avant l'élection, lorsque j'ai parcouru Manhattan à pied, des centaines de New-Yorkais ont marché à mes côtés. Nous avons traversé Times Square sous un panneau d'affichage qui donnait à Cuomo près de 80 % de chances de victoire. Nous savions déjà que les experts allaient encore se tromper.
Andrew Cuomo devait être « inévitable ». Et pourtant, le 24 juin, nous avons brisé cette prétendue inévitabilité.
Nous avons gagné avec 13 % d'avance, avec le plus grand nombre de votes jamais enregistrés dans une primaire municipale à New York. Certains de ces électeurs avaient voté pour Trump. Beaucoup n'avaient jamais voté. Et quand Andrew Cuomo m'a appelé à 22 h 15 pour concéder la défaite, il m'a dit : « Vous avez créé une force immense. »
Quand on construit une coalition qui fait de la place pour chaque New-Yorkais, c'est exactement ce qu'on crée : une force immense. Et cette force n'a cessé de croître au cours des quatre derniers mois. Nous comptons désormais plus de 90 000 bénévoles.
Nous avons parlé à des millions de New-Yorkais. Nous avons présenté des plans concrets : embaucher des milliers d'enseignants, mettre fin à la mainmise des consultants et des contrats privés dans l'administration, et affronter le « boss final » des infrastructures new-yorkaises : les échafaudages.
Mais ces dernières semaines, à l'approche de la fin de la campagne, nous avons vu se déchaîner une islamophobie qui choque la conscience.
Andrew Cuomo, Eric Adams et Curtis Sliwa n'ont aucun projet pour l'avenir. Tout ce qu'ils ont, c'est le manuel du passé. Ils ont cherché à faire de cette élection un référendum non pas sur la crise du coût de la vie, mais sur ma foi — et sur la haine qu'ils veulent banaliser.
Nous avons passé des mois à convaincre le monde que les New-Yorkais ont le droit de vivre dans la ville qu'ils aiment. Et voilà que nous devons défendre l'idée même qu'un musulman ait le droit de la diriger.
Ces mêmes élites et politiciens corrompus veulent nous dépouiller de notre ambition, parce qu'ils pensent que vous ne méritez pas la dignité. Encore et encore, ils vous encouragent à rêver plus petit, car ils savent qu'un New York réinventé menace leurs profits. Mais moi, je crois que cette ville est comme l'univers : en expansion constante.
Nous méritons un gouvernement municipal aussi ambitieux que les travailleurs qui font de cette ville la plus grande du monde. Nous ne pouvons pas attendre que quelqu'un d'autre le fasse à notre place.
Attendre, trop souvent, c'est faire confiance à ceux qui nous ont menés là où nous en sommes. Le 4 novembre, nous remettrons cette ville sur la voie qui doit être la sienne.
Et ce jour-là, nous répondrons à une question qui hante l'Amérique depuis sa fondation : Qui a le droit d'être libre ?
Certains entendent cette question et connaissent déjà la réponse. Ce sont les oligarques, ceux qui ont accumulé d'immenses richesses sur le dos de ceux qui travaillent du lever du soleil jusqu'à la nuit tombée. Ces barons voleurs croient que leur argent leur donne plus de voix que le reste d'entre nous.
Je ne parle pas seulement des Bill Ackman ou Ken Langone de ce monde. Je parle de ceux dont vous ne connaissez même pas le nom, qui donnent plus aux super PACs que ce que nous pourrions jamais leur imposer comme impôts, et qui se réjouissent quand leurs publicités diffusent le mot « djihad mondial » en surimpression sur mon visage.
Leur liberté ne se paie pas seulement au prix de la vérité et de la dignité. Elle se paie aussi au prix de la liberté des autres. Ce sont des autoritaires qui veulent nous maintenir sous leur pouce, parce qu'ils savent qu'une fois que nous nous serons libérés, nous ne nous laisserons plus jamais écraser.
Chacun de ces gens pense que New York est à vendre. Depuis trop longtemps, mes amis, la liberté n'a appartenu qu'à ceux qui peuvent se la payer. Les oligarques de New York sont les plus riches de la ville la plus riche du pays le plus riche de l'histoire du monde. Ils ne veulent pas que l'équation change.
Ils feront tout pour que leur emprise ne se relâche pas.
Mais la vérité est aussi simple qu'incontestable : nous avons tous droit à la liberté.
Chacun d'entre nous — les travailleurs de cette ville, les chauffeurs de taxi, les cuisiniers, les infirmières, tous ceux qui cherchent une vie de grâce et non d'avidité — nous avons tous droit à la liberté.
Et le 4 novembre, grâce au travail acharné de plus de 90 000 bénévoles aux quatre coins de cette ville, c'est exactement ce que nous dirons au monde. Car pendant que les donateurs milliardaires de Donald
Trump croient pouvoir acheter cette élection, nous avons un mouvement de masse. Un mouvement qui n'a pas peur de ce qu'il croit — et qui y croit depuis longtemps.
Ceux qui s'inquiètent de ce que deviendra ce mouvement le 1er janvier sont les mêmes qui s'inquiétaient, le 23 octobre, de ce qu'il deviendrait aujourd'hui. Mais notre objectif n'a pas changé, pas plus que nos promesses.
Comme je l'ai dit le soir de l'annonce de ma candidature : le rôle du gouvernement est d'améliorer réellement nos vies. Et voici, mot pour mot, ce pour quoi nous nous battons :
Nous allons geler les loyers pour plus de deux millions de locataires à loyer stabilisé et mobiliser toutes nos ressources pour construire des logements pour tous ceux qui en ont besoin.
Nous allons supprimer le tarif sur toutes les lignes d'autobus et faire de ces bus — aujourd'hui les plus lents du pays — un réseau fluide et accessible.
Et nous allons instaurer un service de garde universel gratuit, pour que les New-Yorkais puissent élever leur famille dans la ville qu'ils aiment.
Dignité, mes amis, est un autre mot pour liberté.
Ensemble, New York, nous allons geler les… [la foule crie « loyers ! »]
Ensemble, New York, nous allons rendre les bus… [« gratuits ! »]
Ensemble, New York, nous allons instaurer la… [« garde universelle ! »]
Nous ferons de cette ville un lieu où chacun peut vivre dignement. Aucun New-Yorkais ne devrait être chassé de quoi que ce soit d'essentiel à sa survie. Et nous avons cru, nous croyons, et nous croirons toujours que c'est le devoir du gouvernement d'assurer cette dignité.
En me tenant devant vous ce soir, je puise ma force dans l'héritage de celles et ceux qui, en Amérique, ont lutté pour la liberté, refusant d'accepter que le gouvernement soit incapable de répondre à l'urgence du moment. Quand le pouvoir du peuple surpasse l'influence des puissants, il n'est aucune crise que le gouvernement ne puisse affronter.
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Bernard Lahire : « L’obscurantisme est sans frontières »
Dans une tribune à Sciences Humaines, le sociologue Bernard Lahire dénonce la « guerre contre la science » menée aux États-Unis, tout en rappelant que des mouvements similaires se développent en France.
Bernard Lahire (Sociologue, directeur de recherche CNRS.)
Publié le 17 mars 2025sur sciencehumaines.com
Depuis son élection à la présidence des États-Unis, Donald Trump mène une véritable « guerre contre la science », comme l'a bien nommée l'historien des sciences Robert Proctor. Lui et son ministre de « l'efficacité gouvernementale », Elon Musk, s'attaquent à tous les secteurs de la réalité dont ils ne veulent plus entendre parler et aux problèmes dont ils veulent purement et simplement nier l'existence. Aujourd'hui, cette offensive concerne notamment les questions qui touchent à l'environnement et au climat, aux inégalités sociales ou au genre, mais rien n'indique que cette liste ne s'allongera pas à l'avenir. Dès lors qu'un intérêt économique, politique ou culturel sera contrarié par des travaux scientifiques, tout sera mis en œuvre pour faire taire les chercheurs : licenciements, censures, suppression de financements, destruction ou confiscation de précieuses bases de données, etc.
Cette triste et brutale réalité trumpienne, faite de négation de pans entiers du réel et de destruction des conditions de production de discours vrais sur le monde, a au moins pour vertu de rappeler une évidence que les « relativistes » persistent à nier : les sciences ne sont ni des opinions parmi d'autres ni de simples « points de vue », mais des démarches qui s'efforcent, par des moyens rationnels et sous contrôle d'une communauté de pairs, de produire des vérités sur le monde – qu'il soit physique, chimique, biologique, psychique ou social.
C'est cette rigueur qui donne aux chercheurs, au terme d'un long processus, le droit de revendiquer pour les connaissances scientifiques une valeur et une autorité supérieures à celles de la plupart des autres discours. Les dominations, les stigmatisations, les inégalités, le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité sont des réalités incontestables, et les chercheurs qui ont mis au jour les faits évolutifs ont clairement réfuté la prétention des créationnistes à dire le vrai.
En déclenchant des réactions de défense de la science (« Stand up for Science ») un peu partout dans le monde, la politique de destruction étatsunienne a, semble-t-il, commencé à réveiller les consciences sur la nécessité de chérir les sciences, toutes les sciences (de celles qui s'intéressent à la matière ou à la vie à celles qui étudient les sociétés). En France, des voix se sont élevées en soutien aux chercheurs étatsuniens frappés par des mesures gouvernementales d'une violence inouïe.
Le ministre en charge de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, a ainsi déclaré le 12 mars sur Franceinfo : « Aujourd'hui, nos universités et nos centres de recherches se mobilisent et l'État sera là pour accompagner les chercheurs américains. » De grands établissements français d'enseignement supérieur et de recherche, ainsi que des académies et des sociétés savantes, ont appelé à participer à la journée de manifestation du 7 mars et ont exprimé leur soutien aux chercheurs étatsuniens.
Tout cela pourrait sembler rassurant, mais en réalité, la situation n'est malheureusement pas si différente des deux côtés de l'Atlantique. Pour ne prendre que le cas de la France, l'enseignement supérieur et la recherche ont été systématiquement affaiblis par les gouvernements successifs. Le gouvernement actuel a même considérablement diminué leur budget de 929 millions d'euros par rapport à 2024, soit 1,5 milliard d'euros corrigés de l'inflation. Priver les chercheurs et enseignants-chercheurs de moyens peut aboutir à des résultats comparables à ceux produits par une politique de censure.
La France propose d'accueillir des chercheurs étatsuniens (certaines voix précisant toutefois que les principaux concernés seront essentiellement les plus « grands » ou les plus « prometteurs » d'entre eux, et voyant dans cet accueil une « opportunité » unique de collaborer avec ces chercheurs) qui ne peuvent plus travailler dans leur pays. Mais qui accueillera en France les milliers de docteur.e.s formés dans nos universités et qui, post-doc après post-doc, ne trouvent pas de postes ? Les coupes budgétaires drastiques en matière d'enseignement supérieur et de recherche montrent que la France n'est en fait pas en mesure d'accueillir ses propres chercheurs.
Par ailleurs, le cynique locataire de la Maison-Blanche et son non moins cynique ministre de l'efficacité gouvernementale censurent ouvertement les chercheurs. On sait ainsi précisément ce qu'ils veulent faire disparaître et pourquoi ils le font. Par exemple, bien conscient que la puissance étatsunienne est sérieusement concurrencée par la Chine, Donald Trump a affirmé sans rire que « le réchauffement climatique a été inventé par les Chinois pour nuire à l'industrie américaine ». Pour pouvoir produire encore et encore, et retrouver sa place de leader au sein de l'économie mondiale, il faut faire sauter tous les freins placés par ceux qui se soucient davantage de la survie de l'espèce et du respect de la biodiversité que de la compétitivité économique. De même, les attaques contre le supposé « wokisme », qui visent plus directement l'ensemble des sciences humaines et sociales travaillant sur les inégalités ou les dominations en tout genre, cherchent à empêcher la prise de conscience de toutes les injustices commises à l'égard des classes populaires, des femmes, des minorités ethniques ou sexuelles, des personnes en situation de handicap, etc.
Mais la France n'est pas épargnée. De la dénonciation d'une « écologie punitive », qui sert avant tout à justifier le fait de ne pas faire ce qu'il serait urgent de faire, à la croisade contre le « wokisme », catégorie attrape-tout englobant une grande partie des sciences humaines et sociales, et préparant des lendemains de censure très brutale. Sur ce dernier point, on se souvient notamment de la demande d'enquête sur « l'islamo-gauchisme » adressée au CNRS en 2021 par la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, ou encore du colloque critique du « wokisme », organisé à la Sorbonne les 7 et 8 janvier 2022, ouvert par le ministre de l'Éducation nationale de l'époque, Jean-Michel Blanquer.
Tout récemment encore, dans une tribune publiée le 10 mars 2025 (« Quel avenir pour le CNRS ? », Les Échos), un ancien président du CNRS et ancien président de l'Académie des sciences, Bernard Meunier, ne propose rien de moins que d'exclure les sciences humaines et sociales du CNRS pour les renvoyer vers les universités, elles-mêmes actuellement très appauvries. Selon lui, « il est urgent de revenir aux fondamentaux, à un CNRS dirigé par des scientifiques de haut niveau, avec un périmètre restreint allant des mathématiques à la biologie, avec les sciences expérimentales comme socle commun. » Exit donc « les domaines des humanités », et plus précisément encore « une partie importante des sciences sociales » invitées à aller survivre ailleurs, « dans le giron de l'université ». Une façon indirecte de dire que les sciences sociales ne sont pas des sciences, qu'elles n'ont pas produit des chercheurs de haut niveau (faut-il rappeler à Bernard Meunier les grands noms des sciences sociales françaises, qui sont mondialement reconnus, et parmi lesquels on trouve quelques lauréats de la médaille d'or du CNRS ?), et qu'elles doivent laisser les vraies sciences entre elles (on cherchera cependant vainement le socle expérimental commun aux mathématiques et aux sciences de la matière et de la vie…).
Contrairement à ce que répète inlassablement un certain discours politico-médiatique, il n'existe pas un fossé entre les États-Unis, d'une part, et « L'Europe » et ses « valeurs », d'autre part. La dévalorisation des sciences et des savants est en cours depuis longtemps déjà (rappelons-nous des propos diffamants sur les chercheurs français tenus par Nicolas Sarkozy, Président de la République, le 22 janvier 2009). L'extrême droite est à la porte du pouvoir dans nombre de pays, ou l'a déjà franchie (Italie, Hongrie, Slovaquie). Partout les populations désignées comme « étrangères » servent de boucs émissaires, accusées d'être responsables de tous nos malheurs (chômage, criminalité, délinquance, etc.).
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on observe des deux côtés de l'Atlantique des mouvements similaires, des tendances mortifères en matière de démocratie, d'émancipation, de science et de vérité. Ces phénomènes se développent lentement depuis plusieurs décennies, l'arrivée de Trump au pouvoir n'ayant fait que désinhiber la parole des destructeurs locaux et accélérer les processus de dégradation démocratique et scientifique. Si nous devons donc toutes et tous nous lever et défendre la science, c'est parce que l'obscurantisme n'est pas un produit importé, mais une production « bien de chez nous ».
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Constitution du Québec : Une version caquiste jusqu’ici
Il s'agit d'un sujet qui est apparu récemment dans l'actualité québécoise et sur lequel, malheureusement, trop peu de débats s'amorcent, en raison d'autres préoccupations fortement légitimes (accès aux services de santé et d'éducation, crise du logement, coût de la vie, etc.).
Le Projet de loi no 1 ou Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, officiellement présenté par le ministre de la Justice et également ministre responsable des Relations canadiennes, à savoir monsieur Simon Jolin-Barrette, représente pourtant une démarche incontestablement capitale pour la nation (incluant le territoire) du Québec.
Oser une telle démarche constitutionnelle peut s'avérer louable, dans la mesure où elle pourra asseoir la destinée de la population québécoise. Or, à partir de cette même justification, l'impression d'un empressement laisse poindre plutôt à l'horizon un risque, malgré les précautions précisées dans le projet de loi sur les possibilités d'y apporter des modifications. Une ouverture « large » au dialogue serait requise, dans le respect de notre démocratie. Il faudrait donc mobiliser plus que les politicienNEs sur la question. Si la Constitution représente « la loi des lois » (ANQ, 2025, Projet de loi no 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, Partie I, Titre premier, article 1, p. 8), alors il faut obtenir idéalement consensus sur ce qu'elle doit contenir et inspirer.
Après avoir défini la notion de constitution, une analyse sur quelques aspects du projet de loi servira d'abord à nous en faire une idée, de façon à nous questionner ensuite sur ce qu'elle devrait refléter en songeant à la société québécoise dans laquelle nous souhaitons et souhaiterions vivre.
Par constitution
Sans rechercher l'exhaustivité sur la définition historique de la constitution, nous choisirons plutôt quelques points d'appui. D'abord, la Magna Carta ou Grande Charte (1215) symbolise peut-être le mieux les premiers pas véritables vers une Constitution, dans la mesure où elle a servi de rempart politique et juridique contre les abus, voire même l'exercice tyrannique de la royauté anglaise de l'époque (Fauquier, 2018). Pour la première fois, un écrit servait ici à établir et à distinguer les droits du roi de ceux des barons, tout en mentionnant la façon de répartir le pouvoir. Apparaît en quelque sorte l'idée d'un contrat, comme l'a avancé John Locke (1802[1690]) des siècles plus tard. Bien entendu, un contrat qui lie des personnes conformément aux droits de la nature, d'après le philosophe anglais. Au-delà des relations hommes/femmes et maîtres/serviteurs, Locke s'inspire de l'humanisme en prétendant à la naissance de l'homme — nous ajoutons pour lui ici la femme — dans la liberté accordée par la nature. En l'occurrence, la formation d'une société exige le consentement par un grand nombre de personnes à sacrifier une partie de leur liberté naturelle, dans ce but exprès. Et ce consentement majoritaire serait à la base de la société comme droit de souveraineté. Le gouvernement royal doit alors être compris comme étant une partie de cette société souveraine, et se veut exécuteur du contrat entendu avec la population visée sur un territoire lui étant identifié. Montesquieu utilisera un autre terme que contrat, à savoir celui de la constitution. Sans définir la notion dans son Esprit des lois, il a su y apporter plusieurs descriptifs en l'associant à la forme de gouvernement — républicain, monarchique et despotique — qui la façonne à son image. On y apprend alors des « principes fondamentaux » qui caractérisent les constitutions afférentes, au point d'entrevoir les forces et les faiblesses des différents régimes politiques. Les rapports entre les gouvernantEs et les gouvernéEs sont identifiés, mais aussi entre les personnes ainsi qu'entre les personnes et les biens. En revanche, la meilleure constitution doit rappeler le rempart politique et juridique, de façon à diviser les pouvoirs — législatif, exécutif et judiciaire. Ces précautions de Montesquieu demeurent encore aujourd'hui présentes dans les constitutions de régime politique en particulier démocratique.
Ce rapide rappel permet d'associer une constitution aux principes fondamentaux par lesquels il y a forme du gouvernement, précisément sur les rapports entre gouvernantEs et gouvernéEs, la séparation (Locke) et la division (Montesquieu) des pouvoirs ainsi que leur organisation. Elle constitue en elle-même une « charte des pouvoirs publics », en ce sens où, en nous répétant quelque peu, elle détermine « les méthodes de désignation et les compétences respectives des institutions de l'État ainsi que leurs rapports juridiques » (Hermet, 2010, s.p.). Mais l'esprit de la Magna Carta demeure effective, c'est-à-dire de limiter l'arbitraire des pouvoirs publics du souverain, ou des autorités publiques ou encore des dirigeantEs.
Par ailleurs, quelle est la différence entre une charte et une constitution ? On pourrait vraisemblablement les prendre pour synonymes. Selon le sens commun, la charte se comprend telle une loi ou une règle fondamentale et, comme déjà dit, une constitution rassemble des textes fondamentaux, ce qui signifie alors plusieurs chartes touchant différents aspects (droits et libertés, famille, travail, etc.). Ce dernier point s'avère important, dans la mesure où il doit n'y avoir qu'une seule Constitution ou Grande Charte. Ainsi, le terme sert à titre distinctif, alors que normalement la Constitution s'écrit avec un « C » majuscule. Car c'est à partir d'elle que toutes les lois et tous les droits obtiennent leur légitimité, donc aussi toutes les chartes jugées nécessaires au fonctionnement harmonieux de la société à l'intérieur de son régime politique. Et c'est là que réapparaît Montesquieu, puisqu'à la société se frotte l'État avec ses pouvoirs. La Constitution établit d'ailleurs les paramètres du pouvoir de l'État face à ses citoyenNes, ainsi que leurs droits et libertés sur le sol de cet État. Toute constitution doit aussi, malgré la fixité souhaitée aux dires de Montesquieu, pour plus de stabilité dans l'espace et le temps, contenir une formule d'amendement, justement parce que nous évoluons dans un monde changeant et qu'il existe au sein de la nature humaine une inclination à orienter les lois d'une certaine façon susceptible de ne plus prévaloir dans l'avenir.
Ces précisions maintenant apportées, allons-y avec un nombre restreint de constats après lecture du projet de Constitution pour le Québec, présenté par le ministre de la Justice et également ministre responsable des Relations canadiennes.
Être rassembleuse
En tant que principale loi de la nation, la Constitution du Québec se doit de rassembler le plus possible l'ensemble de sa population qui accordera son consentement via éventuellement un référendum. L'article 1 dresse une liste d'attributs de l'État-nation, étant donc libre, française (par son identité, ses valeurs, sa culture, son histoire, son patrimoine et sa langue), reconnaissant un équilibre entre les droits collectifs et les droits et libertés individuels, de même que souscrivant à affirmer son identité nationale et culturelle. Or, la diversité s'avère atténuée, en plus d'exposer une hiérarchisation des principales communautés d'origine : celle française — surtout par la langue et la culture — vient au premier rang, suivie par la reconnaissance des peuples autochtones dont les droits ancestraux sont subordonnés aux droits collectifs ainsi qu'aux droits et libertés individuels, puis vient plus loin le respect accordé aux institutions de la communauté québécoise d'expression anglaise. Il aurait été préférable d'éviter ce genre de division ou de classification, afin de refléter davantage l'esprit d'une constitution québécoise rassembleuse. Les différentes origines devraient être placées côte à côte dans un même point, ainsi que les différents droits mis ensemble en un autre point. Cette modification n'empêche nullement d'attribuer une volonté chez la nation de respecter l'identité française, de faire donc de la langue française celle officielle, toujours en reconnaissant le commun accord des populations d'origine. S'il est dit dans le chapitre deuxième intitulé « De ses droits collectifs », précisément à l'article 13 (p. 9), que la population québécoise — dans son entièreté — peut disposer d'elle-même en vertu de « droits universellement reconnus », faisant du « principe de l'égalité de droit des peuples et de leur droit de disposer d'eux-mêmes » un principe à défendre, cela oblige d'entrée de jeu à favoriser une union solidaire des parties de la population québécoise d'origine, toujours dans cet esprit d'une Constitution du Québec rassembleuse. Pour compléter, cette avenue exige de revoir la formulation de l'article 50 (p. 12), faisant partie du Titre quatrième intitulé « De l'État national du Québec », au chapitre troisième « Du gouvernement du Québec », alors qu'il est écrit que le « gouvernement soutient activement l'essor des communautés francophones et acadienne » uniquement. Pourquoi ne pas privilégier plutôt cette formule : « Le gouvernement du Québec exprime sa volonté de soutenir toutes les communautés québécoises, sans exclusion, travaillant de concert au respect de la langue française » ?
Par ailleurs, l'intrusion soudaine de distinctions pouvant être rattachées à des droits collectifs, de même qu'à des droits et libertés individuels, en songeant ici au chapitre premier « Des principes fondateurs », toujours du Titre quatrième « De l'État national du Québec », risque de provoquer divers questionnements, alors qu'il existe déjà des chartes qui servent à détailler les grands principes. Nous faisons particulièrement référence aux articles 27 et 29 (p. 10) qui ciblent la protection des enfants et la liberté des femmes à interrompre leur grossesse. Pourquoi ne pas avoir inclut également un article sur la protection des aînéEs, qui peuvent être autant vulnérables que les enfants ? Pourquoi avoir ciblé les femmes au sujet de l'avortement ? Et pourquoi seulement l'avortement ? De nombreux cas de féminicide exposent également le besoin de protéger davantage les femmes, d'être donc plus interventionniste lors de moments de violence conjugale notamment. Introduire des spécificités de cette nature occasionne automatiquement une réaction à vouloir ajouter ce qui n'a pas été souligné. On s'éloigne encore une fois d'une constitution rassembleuse. Si on reconnaît le Québec comme « État de tradition civiliste » (chapitre premier « Des principes fondateurs », article 26, p. 10), donc de droit civil, cela permet aussi de ramener l'idée d'un fondement rassemblant les droits collectifs ainsi que les droits et libertés individuels, qui d'ailleurs apparaissent déjà au préalable « Des principes fondateurs » dans les Titres deuxième et troisième (p. 9). S'ajoute l'égalité entre les femmes et les hommes, à l'article 28 (p. 10), qui s'avère certes louable et fondamentale, mais qui ne tient pas compte de la nouveauté contemporaine du phénomène LBGTQIA+, en se limitant à cette expression. L'égalité entre les femmes et les hommes pourrait donc être complétée par celle entre toutes personnes humaines, sans distinction.
Intégrité territoriale
Dans la Parti II du projet de loi concernant la « Loi sur l'autonomie constitutionnelle du Québec », spécifiquement au chapitre IV intitulé « L'intégrité territoriale du Québec », les articles 18 à 21 (pp. 19-20) ramènent la notion de territoire aux terres, aux immeubles et aux biens publics. Selon Henri Dorion et Jean-Paul Lacasse (2011, p. 26), un territoire « se dit d'un espace terrestre (mais aussi maritime) avec lequel une communauté humaine ou un État entretient un faisceau de relations ». Autrement dit, le terrestre inclut tout ce qui est sur et sous le sol dans un souci d'utilisation, auquel s'ajoutent bien entendu les étendues d'eau, les rivières et donc les frontières maritimes. Il ne faut point non plus négliger l'air et la frontière aérienne. Par ailleurs, les biens privés font partie autant que les biens publics du territoire québécois, même si le gouvernement ne peut — dans le cadre de circonstances normales — les disposer à sa guise. Vouloir être plus précis sur la définition démontre l'importance de veiller à la défense du territoire dans ses plus infimes aspects, car le bien-être de la nation dépend de lui et de ses ressources. En lien avec ce dernier point, l'article 14 (p. 18), faisant partie du chapitre III sur « L'action gouvernementale », souligne les éléments à protéger et à promouvoir lors de négociations avec un autre palier de gouvernement du Canada. Outre la langue française, les droits collectifs, la culture, l'histoire, le patrimoine et l'autonomie québécoise, il est question de l'intégrité du territoire québécois. Or, celle-ci doit refléter également ce que Dorion et Lacasse mentionnent en termes de relations, ce qui insinue notamment l'activité économique. Si cet aspect n'apparaît pas dans l'acception même de la notion d'intégrité territoriale, cela signifie l'absence constitutionnelle d'une volonté de l'État québécois à protéger et à promouvoir l'économie du Québec. À noter toutefois un ajout en ce sens dans la Partie III du projet de loi intitulée « Loi sur le Conseil constitutionnel », alors qu'au chapitre II « Avis », à l'article 3 (p. 28), l'économie du Québec apparaît au point 7 des éléments que doit prendre en considération le Conseil constitutionnel afin de donner son avis au sujet d'une initiative fédérale.
Contestation de la loi et formule d'amendement
À l'intérieur d'une constitution, il doit y avoir une formule d'amendement ; par exemple, dans la Loi constitutionnelle du Canada de 1982, la Parti V présente la procédure de modification de la Constitution canadienne. En revenant à la Partie II du projet de loi concernant la « Loi sur l'autonomie constitutionnelle du Québec », quelques modalités de modifications constitutionnelles sont exposées, c'est-à-dire essentiellement par motion au sein du Parlement. Le projet de loi reste quelque peu évasif sur ce qui peut mener à une modification, voire à un amendement, et sur les mesures de contestation qui pourraient en découler. Le plus surprenant est l'absence même d'un chapitre clairement identifié, afin de pouvoir nous y référer rapidement. Aucun référendum n'est prévu advenant une modification affectant les pouvoirs de l'État face aux citoyenNEs ou concernant les droits et libertés fondamentaux. Par ailleurs, le Parlement du Québec se donne la prérogative de la souveraineté parlementaire dans toute loi édictée (voir l'article 9 du chapitre II sur « L'action parlementaire », p. 16), sans possibilité de pourvoi judiciaire « fondé sur un droit ou une liberté visé par une telle disposition de souveraineté parlementaire, en vue de faire déclarer inopérante la loi ou la disposition visée par cette disposition de souveraineté parlementaire ». Il serait opportun d'être prévenant, de façon à apporter une précision d'usage, dans la mesure où l'exercice de la souveraineté parlementaire pourrait être remise en cause, lorsque des actions contraires à l'esprit de la loi (donc à l'esprit de la Constitution) surviendraient. C'est à ce niveau que la séparation des pouvoirs[1] reste essentielle, afin de permettre au judiciaire de freiner une législation susceptible de favoriser certains groupes au détriment de l'ensemble de la population, autrement dit, de s'opposer aux principes et aux droits déclarés dans la Constitution.
Prélude à la souveraineté « complète »
Guy Rocher (1996) avait noté dans le droit canadien une philosophie libérale, voire même un individualisme libéral, où les valeurs de liberté, d'égalité et de démocratie se rejoignaient dès l'origine. Mais cette vision « individualisée » de la société dans le droit civil se confrontait, et se confronte encore, à une autre collectiviste du droit public. En d'autres termes, dans le droit canadien se heurtent une vision axée sur les individus dans leurs relations entre eux, avec l'État ainsi qu'avec les biens du point de vue judiciaire, et une autre sociale qui concerne le législatif. Or, le Québec s'en sort mieux sur cet aspect, alors qu'il tend à réaliser l'équilibre des deux. Rocher a d'ailleurs comparé la Charte canadienne de 1982 avec la Charte québécoise pour aboutir à ces constats : la Charte canadienne en est une surtout politique, faisant de l'individu un citoyen, et donc se concentrant sur les relations entre les personnes et l'État, au point où la société civile n'a plus sa place ; tandis que la Charte québécoise tient compte à la fois des droits et des libertés de la personne, ainsi que des droits collectifs (économiques et sociaux), en plus de souligner la valeur de l'égalité. Ces différences se transposent évidemment dans les relations entre les gouvernements du Canada et du Québec. D'ailleurs, Rocher (1996, p. 59) a su éclairer dans le fédéralisme — soi-disant — équilibré, ce biais volontaire en faveur du pouvoir central fédéral qui s'est frayé un chemin jusqu'à la Cour suprême, au point de préciser : « Ce souci du rôle international du Canada, que l'on voulait voir assurer par le gouvernement central, explique peut-être pour une part que les revendications du Québec, principal tenant d'une conception plus décentralisée de la fédération canadienne, trouvent peu d'écho à la Cour suprême ». Cette supposition prend de l'importance en regardant plusieurs articles du présent projet de loi sur la Constitution du Québec.
Obtenir une représentativité à la Cour suprême et même au Sénat s'explique toujours du point de vue québécois (Partie II « Loi sur l'autonomie constitutionnelle du Québec », chapitre V « La représentation du Québec », articles 22 à 24, p. 20). Mais on s'aperçoit surtout de l'utilité de la Constitution du Québec comme moyen de défense contre l'intrusion et l'ingérence du gouvernement du Canada dans les champs de compétences du Québec. Plus encore, se dénote une volonté d'autonomie et d'indépendance, susceptible — un jour — d'outrepasser la souveraineté parlementaire et culturelle. Même si le projet de la Constitution reconnaît la participation du Québec à la fédération canadienne, il y a mention dans la Partie II concernant la « Loi sur l'autonomie constitutionnelle du Québec », précisément à l'article 3 du chapitre I sur « Les objectifs et le champ d'application » (p. 15), du fait que « [l']État du Québec participe librement à l'union fédérale canadienne et contribue à son évolution [...] », ce qui à l'article 1 justifie l'affirmation de la souveraineté parlementaire du Québec, et ce, dans la défense « des intérêts supérieurs du Québec, son intégrité territoriale ainsi que sa représentativité au sein des institutions communes de l'union fédérale canadienne » (p. 15), à savoir aussi son autonomie constitutionnelle visant à permettre au Québec « d'exercer tous ses pouvoirs, d'accomplir toutes les responsabilités qui leur sont afférentes et de faire librement tous les choix qui en découlent, sans subordination à l'État fédéral et sans empiétements de celui-ci sur les compétences constitutionnelles du Québec » (p. 15). Les notions de liberté et d'autonomie se combinent ici. Agir librement dans les choix du Québec et souligner la participation libre à la fédération canadienne supposent tout autant le choix libre de ne plus y participer. En ce sens, le projet de Constitution du Québec, tel que rédigé, représente en quelque sorte une dernière chance à la fédération canadienne avant de basculer vers l'indépendance politique, même si l'intention consiste à mieux outiller le Québec contre les empiétements du fédéral. Autrement dit, apparaît cette épée de Damoclès ou cet avertissement d'une sortie de la fédération canadienne pouvant devenir réelle. Car demeure ce paradoxe — certainEs diront plutôt cette aberration — d'une Assemblée nationale souveraine, alors que la nation qu'elle représente ne l'est pas.
Qui plus est, l'autonomie exprimée et tendant vers une proximité à la souveraineté se révèle également dans les articles touchant les activités à l'international. Tout d'abord, dans la Partie I « Constitution du Québec », spécifiquement à l'article 58 du Titre cinquième intitulé « Des affaires extérieures » (p. 13), il est dit que « [s]eul l'État du Québec peut lier le Québec avec un autre État », forçant donc la main du fédéral à toujours discuter avec le Québec dans ses accords internationaux. Ensuite, à l'intérieur de la Partie II « Loi sur l'autonomie constitutionnelle du Québec », à l'article 25 du chapitre VI « L'action internationale » (p. 21), on précise ce qui vient d'être cité en affirmant que « [l]e gouvernement peut déclarer que le Québec n'est pas lié par un engagement international ou une entente internationale conclu par le gouvernement fédéral et portant sur une matière relevant de la compétence du Québec lorsqu'il estime que sa participation à la négociation de cet engagement ou de cette entente n'était pas suffisante ». Ainsi, il n'est pas seulement question d'informer le Québec, mais de faire participer la province aux négociations du Canada avec l'international. Enfin, le projet de Constitution rappelle les propos de Rocher sur la vision décentralisée de la fédération canadienne du Québec, voire même sa définition de ce que cette fédération devrait être pour librement y participer. À ce titre, il est dit dans la Partie II « Loi sur l'autonomie constitutionnelle du Québec », à l'article 13 du chapitre III « L'action gouvernementale » (p. 17), que les priorités du Québec « dans ses relations avec les autres partenaires fédératifs » doivent être tenue en compte, en plus d'identifier « les mesures pouvant susciter la participation des autres États fédérés dans la défense et la promotion d'intérêts communs ». En d'autres termes, la fédération canadienne rassemble des États autonomes — au mieux souverains — pour réaliser des buts communs, alors que chacun est partenaire dans cette union consentie, ce qui suppose le rôle de support du fédéral à ce partenariat et non sa prédominance sur les divers partenaires.
En définitive, si les caquistes à l'initiative du projet de Constitution ne sont pas indépendantistes, se constate néanmoins leur expression d'un droit à l'autonomie au sein d'une fédération canadienne « serviable » plutôt que « contraignante ». Mais l'avertissement reste clair sur une mesure extraordinaire, bien que non écrite, en lien avec l'éventualité d'une authentique indépendance.
Derrière le projet de Constitution
Pourquoi oser une telle initiative si tardivement dans le mandat du gouvernement ? En réponse, apparaissent les résultats des sondages défavorables au gouvernement actuel qui l'empressent à réagir afin d'éviter un désastre lors des prochaines élections. Face à l'avance du Parti québécois (PQ), la stratégie d'une Constitution québécoise force cet adversaire à se positionner. Certes, le PQ ne s'oppose point à l'idée d'une constitution. Par contre, l'indépendance du Québec y serait mentionnée et, idéalement, concrétisée au préalable. La Coalition Avenir Québec (CAQ) cherche donc à démontrer la possibilité d'une constitution, sans quitter la fédération canadienne, puisque la province possède déjà la liberté et le droit de le faire. Il n'empêche, comme nous l'avons noté, que l'ouverture à l'indépendance n'est pas oubliée. Mais il y a aussi un autre adversaire, à savoir le Parti libéral du Québec (PLQ), dont le chef est issu d'un ancien gouvernement fédéral et qui se dit prêt à signer la Loi constitutionnelle de 1982 dans la mesure où les cinq conditions à l'origine de l'entente du Lac Meech y soient incluses, pour ne pas dire enchâssées. Le projet de Constitution du Québec devient alors un défi pour un fédéraliste avoué. Par le fait même, la CAQ cherche à amener le chef du PLQ sur un sujet qu'il aurait assurément préféré éviter, d'autant plus que les faux pas peuvent et n'ont pas tardé à se produire chez ce dernier.
Par cette opération constitutionnelle, la CAQ tente de se présenter comme le parti capable de rassembler toutes les Québécoises et tous les Québécois : pour les électrices et électeurs plutôt fédéralistes et souhaitant des relations économiques avantageuses au sein du Canada, le projet de Constitution permet à la CAQ d'affirmer son intention de demeurer à l'intérieur de la fédération canadienne, mais aussi de démontrer son aptitude à pouvoir négocier avec le gouvernement fédéral, en se dotant donc d'une nouvelle arme de persuasion, tout en indiquant également aux électrices et aux électeurs souverainistes, peu favorable à un référendum, une éventualité de sortie, si nécessaire, parce qu'alors plus profitable pour le Québec. D'un côté, il est dit entre les lignes que la CAQ travaillera davantage aux intérêts des Québécoises et des Québécois en situation de fédéralisme, comparativement au PLQ qui risque d'être moins alerte et de laisser le fédéral empiéter dans les champs de compétences du Québec. De l'autre côté, la CAQ ne provoquera pas de référendum sur l'indépendance, d'autant plus que la population n'y est pas prête, comparativement au PQ qui dit vouloir aller en ce sens dès l'obtention du pouvoir. Voilà donc une manoeuvre qui, d'après la CAQ, pourrait influencer la suite des choses en vue de l'année électorale. Car le parti fixe le cadre législatif sur lequel il se basera pour obtenir un troisième mandat ; autrement dit, il se donne non seulement un outil électoral, mais un moyen d'informer la population québécoise de sa capacité à continuer son travail au gouvernement, et ce, en démontrant son intérêt pour l'avenir du Québec. Reste toutefois à savoir si cela se réalisera comme prévu.
Conclusion
En procédant tout d'un coup à l'élaboration d'un projet de loi pour offrir au Québec sa propre constitution, la CAQ a choisi d'imposer sa vision, forçant ainsi les autres partis à prendre à leur tour position. Le premier jet du projet de loi no 1 présente certains aspects intéressants et d'autres nous apparaissent comme totalement inacceptables (ou impertinents) et ne méritent pas d'y apparaître (exemples : le droit à l'avortement ; l'interdiction de contester devant les tribunaux certaines législations du gouvernement du Québec ; l'absence d'une véritable formule d'amendement ; la notion de « souveraineté parlementaire » qui peut donner lieu, éventuellement, à des manifestations assimilables à de l'absolutisme ou de l'autoritarisme, ce qui contrevient à une précaution selon laquelle il appartient aux tribunaux, et à eux seuls, de décider intimement si la volonté majoritaire des députéEs de l'Assemblée nationale est liberticide ou non, autrement dit constitutionnelle ou pas).
On ne peut faire du projet de Constitution du Québec un enjeu électoral, en raison de son importance pour l'avenir de la nation québécoise. La valeur du consensus apparaît, puisqu'une constitution ne peut être « colorée » politiquement par un parti. Ce point s'avère d'autant plus capital, dans la mesure où le consentement de la nation doit être aussi prise en compte, pour qu'ensuite l'Assemblée nationale procède à la mise en forme de la « loi des lois » pour le Québec. De là aussi l'enjeu de la souveraineté, ce qui insinue une réflexion sur ce que doit représenter la fédération canadienne et la place du Québec parmi les partenaires. En parallèle, elle peut aussi se déplacer du côté du paradoxe d'une souveraineté parlementaire pour une nation non souveraine. Mais l'ouverture du débat à venir laisse présager plutôt une avenue électorale, alors que le PLQ et son chef, anciennement du gouvernement fédéral, devront avancer sur un terrain glissant, tandis que le PQ devra manoeuvrer de façon à conserver son identité qui le maintien en position avantageuse d'après les sondages. Pour ce qui est de Québec solidaire, ses déchirements récents — et l'annonce du départ de certaines de ses figures de proue — en font un acteur qui se demande, à ce moment-ci, s'il survivra au prochain rendez-vous avec l'électorat. Rien n'empêche qu'il faut ne pas taire l'appel lancé par la cheffe parlementaire de la formation de gauche, madame Ruba Ghazal, aux autres chefs de l'opposition parlementaire (messieurs Rodriguez du PLQ et St-Pierre-Plamondon du PQ) à « bloquer l'adoption du projet de constitution québécoise de Simon Jolin-Barrette ».
Pour éviter un déroulement qui rappellerait le triste épisode de la domiciliation au Canada de l'AANB de 1867 et de l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 — mieux connu sous le nom de Coup de force de Pierre Elliot-Trudeau —, toute entreprise de rédaction et d'adoption d'une loi dite constitutionnelle pour le Québec ou la Nation québécoise doit nécessairement prévoir clairement le cheminement suivant : la mise sur pied d'une Assemblée constituante ayant pour mandat de procéder à la rédaction d'une constitution prévoyant minimalement les droits et libertés des citoyennes et des citoyens, les pouvoirs de l'État et une formule d'amendement digne de ce nom ; le rôle des députéEs de l'Assemblée nationale dans ce processus ; et surtout, pour assurer ultimement la légitimité de la démarche, un référendum non pas consultatif, bien plutôt délibératif afin de clore le processus.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
24 octobre 2025
10h15 AM
Note
[1] Par séparation des pouvoirs, il est question de l'indépendance du judiciaire face à l'exécutif et au législatif.
Références
ANQ (Assemblée nationale du Québec). (2025). Projet de loi no 1. Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec. Présenté par M. Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable des Relations canadiennes (Deuxième session, quarante-troisième législature). Province de Québec : Éditeur officiel du Québec.
Dorion, H., & J.-P. Lacasse. (2011). Le Québec : territoire incertain. Québec, QC : Septentrion.
Fauquier, M. (2018). Une histoire de l'Europe. Aux sources de notre monde. Monaco, France : Éditions du Rocher.
Hermet, G. (2010). Constitution. Dans G. Hermet, B. Badie, P. Birnhaum & P. Braud, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques (7e éd. revue et augmentée, version numérique sans pagination). Paris, France : Armand Colin.
Locke, J. (1802[1690]). Traité du gouvernement civil. Paris, France : Calixte Volland.
Montesquieu, C. de Secondat. (XVIIIe siècle). De l'Esprit des Lois : Premier jet (Tome I, version manuscrite — archives de La Brède). Paris, France : NAF 12832.
Rocher, G. (1996). Études de sociologie du droit et de l'éthique. Montréal, QC : Les Éditions Thémis.
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Sortir de l’approche coloniale 5 enjeux pressants en matière de droits des peuples autochtones au Québec
Nous reproduisons ici une partie du bilan produit par la Ligue des droits et liberté.
Vous pourrez trouve le document à l'adresse suivant https://liguedesdroits.ca/sortir-de-lapproche-coloniale/
Pourquoi ce bilan ?
La Ligue des droits et libertés (LDL) est une organisation non partisane et indépendante vouée à la promotion et la défense des droits humains depuis 1963. Ses interventions pour exiger le respect des droits des peuples autochtones remontent aux années 1970 et se poursuivent aujourd'hui, en rappelant aux gouvernements leurs obligations en matière de respect des droits humains, dans une perspective fondée sur l'interdépendance des droits.
À titre d'organisation allochtone et de défense des droits et libertés, la LDL adresse ce document principalement aux personnes et organisations allochtones. Ce dernier offre un survol de quelques enjeux importants qui touchent les droits des peuples autochtones au Québec et propose un bilan des (in)actions du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) dans ce domaine, depuis son accession au pouvoir en 2018. Il poursuit deux principaux objectifs, soit de sensibiliser la population québécoise sur ces enjeux et de réclamer que l'État québécois, quel que soit le parti au pouvoir, respecte ses obligations en vertu du droit national et international relatif aux droits humains.
Après sept ans de gouvernement majoritaire de la CAQ, la LDL croit effectivement qu'il est temps de dresser un bilan critique de la contre-performance de celui-ci et de rappeler au gouvernement et aux partis d'opposition les solutions existantes pour assurer la reconnaissance, la protection et la mise en œuvre des droits des peuples autochtones.
Toutefois, il convient d'insister sur le fait que les obstacles et les reculs dans ce domaine sont loin d'être le fait exclusif du gouvernement provincial actuel. Ils s‘inscrivent en effet dans le prolongement des politiques racistes et assimilationnistes qui ont façonné l'histoire du Québec et du Canada. Les pistes de solution à emprunter sont pourtant claires et devraient interpeller tous les acteurs politiques, tant sur le plan municipal, provincial que fédéral, à qui incombe la responsabilité d'assurer le respect des droits humains.
Quelques avancées ont eu cours dans les dernières années grâce aux efforts de mobilisation des communautés autochtones et une sensibilisation accrue – quoiqu'encore insuffisante – du grand public face aux violences coloniales et à leurs impacts sur les droits humains. Mais force est d'admettre que le portrait global au Québec demeure sombre, se caractérisant soit par un statu quo, soit par des reculs.
Cet outil ne prétend pas à l'exhaustivité. Il propose un tour d'horizon partiel des luttes et des enjeux actuels concernant la défense des droits des peuples autochtones au Québec. Pour l'élaborer, les membres du comité de travail de la LDL sur les droits des peuples autochtones ont consulté de multiples sources documentaires, notamment des communiqués et mémoires d'organisations autochtones, mais sans que ces dernières ne soient directement impliquées dans l'analyse et la rédaction de ce document. Les membres du comité se sont également appuyé.es sur le cadre de référence des droits humains, notamment sur les droits et principes inscrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), afin d'analyser l'état de la situation au Québec et proposer des recommandations qui permettent la mise en œuvre effective de ces droits.
Une négation obstinée du racisme systémique
« L'Assemblée générale,
Convaincue que le contrôle, par les peuples autochtones, des événements qui les concernent, eux et leurs terres, territoires et ressources, leur permettra de perpétuer et de renforcer leurs institutions, leur culture et leurs traditions et de promouvoir leur développement selon leurs aspirations et leurs besoins […] proclame solennellement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont le texte constitue un idéal à atteindre dans un esprit de partenariat et de respect mutuel »
– Extraits de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2007.
À travers le monde, les violences coloniales et le racisme systémique auxquels sont confrontés les peuples autochtones sont de plus en plus nommés, compris et reconnus, grâce aux luttes incessantes des Autochtones pour défendre leurs droits culturels, ancestraux, territoriaux et à l'autodétermination. Au Québec, plusieurs rapports et recommandations émanant de commissions d'enquête ont mis en lumière l'héritage et les persistances du colonialisme et du racisme systémique ainsi que leurs impacts sur les droits des peuples autochtones.
Le gouvernement Legault, en place depuis 2018, s'est entêté à nier l'existence, au Québec, d'un racisme de nature systémique à l'égard des peuples autochtones. Cette négation a été particulièrement explicite dans les réactions et commentaires du gouvernement lors des occasions suivantes :
– dépôt du rapport de la Commission d'enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (Commission Viens) en septembre 2019 ;
– création du Principe de Joyce par le Conseil des Atikamekw de Manawan et le Conseil de la Nation Atikamekw en novembre 2020 ;
– publication du rapport de la coroner Géhane Kamel sur la mort de Joyce Echaquan en octobre 2021 ;
– l'étude en commission parlementaire en septembre 2023 du projet de loi no 32, Loi instaurant l'approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux ;
– le refus, au début du mois de septembre 2025, d'un financement fédéral visant l'équité dans le système judiciaire à travers, notamment, les évaluations de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle[1].
Par exemple, en 2021, en réaction au dépôt du rapport de la coroner Kamel, à la suite du décès de Mme Joyce Echaquan, le premier ministre François Legault a affirmé à plusieurs reprises que le racisme systémique a déjà existé au Québec, notamment à l'époque des pensionnats, mais que ce n'est toutefois plus le cas aujourd'hui.
Pour justifier son refus de le reconnaître, le premier ministre s'est servi de cette définition du terme « systémique » donnée par le Petit Robert : « Relatif à un système dans son ensemble ». Il a alors ajouté :
Pour moi, un système, c'est quelque chose qui part d'en haut. Prenons, par exemple, le réseau de la santé. Est-ce qu'il y a quelque chose qui part d'en haut puis qui est communiqué partout dans le réseau de la santé en disant : Soyez discriminatoires dans votre traitement auprès des autochtones ? Moi, c'est évident que, pour moi, la réponse, c'est non.[2]
Il est sans doute utile ici de rappeler que les relations entre l'État et les Autochtones au Québec s'inscrivent dans un long historique d'oppression coloniale, marqué notamment par le colonialisme d'occupation et de peuplement, l'usurpation des territoires autochtones et de leurs ressources, le système des pensionnats et les politiques de génocide culturel, la sédentarisation et les déplacements forcés de population, le déni des droits culturels et ancestraux, les politiques d'assimilation et les nombreuses autres formes de violences coloniales, physiques ou symboliques, qui se perpétuent encore aujourd'hui.
Or, pour le premier ministre, la discrimination et le racisme au Québec ne se résumeraient qu'à de rares comportements individuels et isolés : « C'est possible qu'à certains endroits il y a [sic] des employés, des groupes d'employés, peut-être certains cadres qui aient [sic] des approches discriminatoires »[3]. De la même manière, le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, estime que « le racisme, c'est souvent le résultat de l'ignorance, du manque de connaissances »[4]. Les deux laissent par ailleurs entendre que parler de racisme systémique est divisif et ne permettrait pas de s'attaquer aux comportements inacceptables.
En réalité, leurs propos témoignent d'un manque de connaissance du système raciste, de ses structures et des mécanismes qui les perpétuent. Réduire le racisme à une série de comportements haineux, intentionnels et individuels, c'est refuser de prendre acte des dimensions systémique, structurelle et institutionnelle du racisme, qui sont abondamment documentées par la science.
Le chef du Conseil des Atikamekw de Manawan, Sipi Flamand, est catégorique à propos de ce déni :
Tant que le gouvernement refusera de reconnaître le caractère systémique du racisme et de la discrimination à l'égard des Autochtones, les mesures qu'il mettra en œuvre pour soutenir les communautés ne représenteront qu'un pansement sur des problèmes plus profonds[5].
Les enjeux abordés en ces pages illustrent quelques-unes des manifestations du colonialisme et du racisme systémique au Québec, et leurs impacts sur les droits humains des peuples autochtones. Nous aborderons la contre-performance du gouvernement de François Legault quant à plusieurs aspects de la réalité des peuples autochtones. Parmi ceux-ci, nous discuterons d'abord des droits linguistiques, puis nous poursuivrons avec la sécurisation culturelle et le Principe de Joyce. Nous traiterons par la suite de la protection de la jeunesse ainsi que des femmes et enfants autochtones disparus ou assassinés. Nous terminerons par une analyse du rapport problématique qu'entretient le gouvernement de la CAQ avec le droit à l'autodétermination des peuples autochtones.
Références
[1] Miriam Lafontaine, « Système judiciaire |Québec refuse des fonds fédéraux pour les évaluations de l'incidence de l'origine ethnique ». La Presse, 2 septembre 2025. www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2025-09-02/systeme-judiciaire/quebec-refuse-des-fonds-federaux-pour-les-evaluations-de-l-incidence-de-l-origine-ethnique.php.
[2] Assemblée nationale du Québec, (2021, 5 octobre), Conférence de presse de M. François Legault, premier ministre. https://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-77251.html?appelant=MC
[3] Assemblée nationale du Québec, (2021, 5 octobre), Conférence de presse de M. François Legault, premier ministre. https://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-77251.html?appelant=MC
[4] Assemblée nationale du Québec, (2021, 9 décembre), Conférence de presse de M. Benoit Charette, ministre responsable de la Lutte contre le racisme, M. Ian Lafrenière, ministre responsable des Affaires autochtones, et M. Christopher Skeete, adjoint parlementaire du ministre responsable de la Lutte contre le racisme – Assemblée nationale du Québec. https://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-80311.html
[5] Frédéric Lacroix-Couture, « Des groupes autochtones demandent la reconnaissance du racisme systémique ». La Presse, 16 mars 2023. https://www.lapresse.ca/actualites/2023-03-16/des-groupes-autochtones-demandent-la-reconnaissance-du-racisme-systemique.php.
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Austérité et favoritisme : la CAQ, un parti au service des élites
Depuis son arrivée au pouvoir, la Coalition Avenir Québec (CAQ) s'est confortablement installée dans son fauteuil de gouvernement au service des élites économiques.
Tiré du journal CSN Le.point.syndical
Le projet politique de ce club sélect au service des mieux nantis est clair et limpide : un Québec où tout se vend, tout se privatise, tout s'exploite. Cette organisation politique applique sans gêne un programme hostile aux droits des travailleuses et travailleurs et est obsédée par l'enrichissement du secteur privé – duquel bon nombre de ses proches font partie.
François Legault et ses ministres ne s'en cachent même plus : les syndicats sont leurs ennemis, des « nids de guêpes » pour reprendre leurs propos. Afin d'affaiblir le pouvoir collectif des travailleuses et des travailleurs pour mieux faire passer des politiques qui enrichissent une minorité, le ministre du Travail, Jean Boulet, a déposé un projet de loi en février dernier. Adopté depuis, il restreint grandement la possibilité pour les syndiqué-es d'améliorer leurs conditions d'emploi. Prétextant qu'il considérera davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock out, le gouvernement se donne le droit de mettre fin à des conflits de travail et d'imposer des services minimums dans tous les secteurs, ou presque. En plus de judiciariser inutilement les conflits, cette loi vient limiter de manière abusive les moyens dont disposent les salarié-es syndiqués pour exercer leur rapport de force nécessaire en négociation. Le message est clair : « Fermez-la, travaillez sans exiger plus, contentez-vous du minimum ! »
Le vrai visage de la CAQ
Les caquistes nous parlent de « rigueur », de « responsabilité » et de « saine gestion des finances publiques ». Mais ces mots maquillent ce qui constitue une austérité néolibérale sans imagination. C'est la réalité québécoise depuis plus de 40 ans.
Pendant que les plus riches et les grandes entreprises dorment sur leurs avantages fiscaux, que la CAQ procède à une baisse d'impôt, se privant ainsi de revenus essentiels, elle continue de réduire les services publics et laisse les écoles tomber en ruines, tout en regardant les hôpitaux crouler sous la pression. Parallèlement, des cliniques et entreprises privées de soins médicaux obtiennent des contrats mirobolants alors que les hôpitaux publics manquent de personnel et de matériel. Les ministres caquistes transforment la maladie en occasion d'affaires et la détresse humaine, en ligne comptable. Résultat de tout cela ? Des services sociaux qui disparaissent, une érosion de la confiance de la population envers ces derniers, des travailleuses et des travailleurs à bout de souffle et le privé qui s'insère partout où il le peut.
Depuis l'arrivée au pouvoir de François Legault, la frontière entre l'État et les intérêts privés est devenue complètement floue. On ne compte plus les nominations de proches dans des postes clés, les contrats publics accordés à des entreprises dirigées par d'anciens collaborateurs ou des donateurs et les appels d'offres qui favorisent la voisine ou le cousin. Quelques exemples : la gestion des maisons des aîné-es, confiée à des entrepreneurs proches du pouvoir, s'est soldée par des dépassements de coûts faramineux et une efficacité douteuse ; le 3e lien, présenté comme une nécessité stratégique, semble avant tout une bébelle électorale et une occasion en or pour des firmes d'ingénierie et des promoteurs bien connectés.
Salaire minimum : un mépris assumé
Parlons-en, du minimum. La CAQ refuse obstinément de hausser le salaire minimum à un niveau décent, pendant que le coût de la vie explose. Les gens peinent à boucler leurs fins de mois, mais le gouvernement préfère parler de « compétitivité » et de « prudence économique ». Traduction : mieux vaut protéger les marges de profit des entreprises que de garantir un revenu de base décent à celles et ceux qui font en sorte que le Québec fonctionne.
Et la crise du logement ? Joyeuse inertie. Des familles dorment dans des voitures ou restent piégées dans des appartements insalubres alors que le Québec connaît une flambée des loyers. Un contrôle des loyers aiderait grandement les locataires, mais la CAQ ne règlemente d'aucune façon l'accès au logement. Le parti aggrave même cette crise en révisant la méthode de calcul de l'indice d'augmentation de loyer à l'avantage des propriétaires ! La CAQ n'a pris aucune mesure sérieuse pour le logement social et n'a visiblement aucune volonté d'imposer des balises aux promoteurs voraces.
En somme, la CAQ gouverne avec la main de fer du patronat et le sourire figé du comptable. Son agenda est clair : casser les syndicats, prôner des politiques qui contribuent à réduire le pouvoir d'achat des travailleuses et travailleurs, privatiser l'essentiel des services publics et injecter des milliards dans le privé. Ce choix politique n'est pas un manque de vision, c'est un choix délibéré… et glaçant.
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Intervention de la députée Alejandra Zaga-Mendez à l’Assemblée nationale contre l’adoption du projet la loi 106
La députée de Verdun pour Québec solidaire, Alejandra Zaga-Mendez, a dénoncé, dans une intervention à l'Assemblée nationale, le projet de loi 106, intitulé « Loi visant principalement à instaurer la responsabilité collective et l'imputabilité des médecins quant à l'amélioration de l'accès aux services médicaux ». En réalité, elle a démontré que, derrière cette formule alambiquée, le gouvernement de la CAQ cachait mal son irresponsabilité et son autoritarisme. C'est l'ensemble du système de santé qui paiera le prix de cette loi improvisée et imposée par le bâillon. (PTAG)
24 octobre 2025 |
Mme Alejandra Zaga Mendez : Merci, Mme la Présidente. J'imagine que, comme plusieurs de nos collègues, depuis une heure et demie, nous prenons connaissance de ce projet de loi. Je tiens à dire qu'il y a tout de même des nouveautés dans ce projet de loi, et j'y reviendrai.
Le débat d'aujourd'hui porte, bien sûr, sur la procédure d'exception et cette motion sans préavis. Nous n'en sommes pas surpris. Ni moi ni mon groupe ne le sommes, car ce que nous constatons est un symptôme d'un gouvernement qui refuse d'écouter, de dialoguer, de négocier, de s'asseoir à la table et de faire les choses comme il faut.
Le gouvernement de la CAQ choisit, depuis quelque temps… pardon, le projet de loi reflète cette manière de gouverner à coups de décrets et de bâillons. Je pense que c'est notre quatrième de la législature, et j'en compte déjà trois en moins de six mois et demi. Plutôt que de négocier et de convaincre dans le dialogue, la CAQ impose. Ce faisant, elle écrase tout le système de santé. Oui, on impose des mesures aux médecins, mais c'est tout le système qui en paiera le prix. Comme certains collègues l'ont dit, le gouvernement devient de plus en plus autoritaire. Ce recours exceptionnel est devenu sa méthode de gouvernance, et aujourd'hui il sert à imposer une loi spéciale qui ira contre des médecins.
On dit parfois que « le diable est dans les détails », mais, Mme la Présidente, la surprise se trouve à la fin de ce projet de loi. Je vous invite à consulter l'annexe. Nous n'aurons pas le temps, aujourd'hui, parce qu'on aura juste cinq heures d'étude détaillée, on va à peine ouvrir deux ou trois articles. C'est ça la procédure d'exception qu'on est en train de nous imposer.
J'ai parcouru toutes les annexes avant de venir au débat. Vous verrez ce que l'on appelle les « objectifs nationaux de performance », des objectifs auxquels la rémunération des médecins sera désormais attachée.
Sur le fond, écrire des objectifs est une bonne chose, personne n'est contre la tarte aux pommes. Mais le problème réside dans le niveau d'exigence de ces objectifs et dans le fait de croire qu'en les inscrivant dans une loi, on les atteindra automatiquement. Par exemple, il y a des objectifs pour les chirurgies en oncologie, visant à effectuer plus de 90 % des opérations en moins de 60 jours. Or nous n'avons ni assez de blocs opératoires, ni assez de personnel pour atteindre ces objectifs.
Deux options se présentent quand met des objectifs comme ça : soit les médecins décident de ne pas suivre ces objectifs, et perdent leur rémunération, soit ils s'y conforment malgré des conditions impossibles. Dans les deux cas, ce sont les patient·e·s et le personnel qui en souffriront. Les infirmières et tout le personnel qui tient le système de santé à bout de bras seront sous pression.
Ces objectifs me rappellent des promesses électorales des plateformes de 2018 et 2022, concernant la réduction des temps d'attente aux urgences et la rapidité des chirurgies. Pourquoi inscrire ces promesses électorales dans la loi alors que nous n'aurons même pas le temps d'en débattre ?
La CAQ impose ces mesures sans consultation, alors qu'elles pourraient être adoptées par règlement, comme prévu ailleurs. Résultat : encore plus de pression sur le système de santé, sans amélioration des soins, sans débat ni consultation. C'est inacceptable.
Il y a beaucoup de personnes, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Assemblée, qui ne seront peut-être même pas là dans un an pour appliquer ces objectifs. Ces mesures sont lancées dans l'air, et le gouvernement se lave les mains. Les objectifs peuvent être écrits, mais leur réalisation est une autre affaire.
C'est le cadeau que le ministre de la Santé laisse : toute la responsabilité aux médecins, plus de travail et de pression sur le système. La réforme promise avec la loi n° 15 et Santé Québec tarde à se concrétiser. Nous voyons seulement une augmentation de la gestion, tandis que les patient·e·s attendent encore et encore pour des rendez-vous.
Cette procédure d'exception nous muselle, elle muselle l'opposition et même des fonctionnaires du ministère de la Santé, qui ont exprimé qu'il serait impossible d'atteindre tous ces indicateurs. Ceux-ci ont été écartés ou ignorés.
Ce gouvernement ne tolère plus les contradictions ni les questionnements. Il s'agit désormais d'un problème de démocratie. En contournant le débat et en utilisant la force comme seul langage, il érode la confiance des citoyens envers leurs institutions et leur réseau de santé.
Je suis extrêmement déçue. Nous allons mener cette bataille avec notre groupe parlementaire, car il s'agit avant tout de fournir des soins aux patient·e·s sans surcharger un réseau déjà à bout de souffle. Nous n'avons pas les infrastructures nécessaires pour atteindre ces pseudo-objectifs. Ce ne sont pas des objectifs, mais des promesses en l'air, c'est une plate-forme électorale. Merci, Mme la Présidente.
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