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Harcèlement lesbophobe : « Cette histoire, nous ne la connaissons que trop bien »

9 septembre, par Alice Coffin — , ,
On ne connaît pas personnellement Caroline Grandjean. On ne connait pas non plus ses proches, ni leurs souhaits, même si on a d'immenses pensées. Mais cette histoire, nous ne (…)

On ne connaît pas personnellement Caroline Grandjean. On ne connait pas non plus ses proches, ni leurs souhaits, même si on a d'immenses pensées. Mais cette histoire, nous ne la connaissons que trop bien. Notre histoire lesbienne est criblée des injures létales infligées à nos sœurs. La lesbophobie tue. Les insultes tuent.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/05/harcelement-lesbophobe-cette-histoire-nous-ne-la-connaissons-que-trop-bien/?jetpack_skip_subscription_popup

Texte lu le 2 septembre 2025 par Alice Coffin dans le cadre d'un événement organisé par Label Gouine* au Bonjour Madame (bar parisien du 11eme arrondissement) et rédigé en collaboration avec la LIG (Fonds de dotation Lesbiennes d'Intérêt Général), L'Observatoire de la lesbophobie, SOS homophobie, Label Gouine*, 1001 Queer.

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On ne connaît pas personnellement Caroline Grandjean. On avait appris le harcèlement lesbophobe dont elle était la cible par la presse. On ne connait pas non plus ses proches, ni leurs souhaits, même si on a d'immenses pensées, pour elles, pour eux, et d'abord pour sa femme mentionnée dans les articles de presse. On va donc, sans parler de sa vie à elle, et en attendant, on l'espère très vite, d'en savoir plus et de pouvoir lui rendre un hommage plus personnel, simplement lui adresser un femmage lesbien. Car sans connaitre Caroline, cette histoire nous ne la connaissons que trop bien.

Notre histoire lesbienne est criblée des injures létales infligées à nos sœurs. La lesbophobie tue. Les insultes tuent.

Caroline Grandjean, directrice de l'école primaire de Moussages, village du Cantal,s'est suicidée hier après des mois de harcèlement et d'insultes lesbophobes. Elle avait effectué des signalements (plusieurs plaintes ont été déposées) et avait dénoncé à maintes reprises le manque d'appui institutionnel. « Sale gouine », « Gouine = Pédophile », « Dégage la gouine » : ce sont les tags qui ont été inscrits sur les murs de son école. Elle avait également reçu une menace de mort dans la boîte aux lettres de l'établissement et évoqué le manque de soutien de la mairie face à ce déferlement.

Elle s'est [jetée d'une falaise, hier, jour de la rentrée des classes.

Le Syndicat des Directrices et Directeurs d'École a affirmé aujourd'hui que Caroline Grandjean a été « broyée par l'institution », ainsi que « par son village, par ses parents d'élèves ».

C'était déjà, la fin du film La Rumeur, récit fiction de deux enseignantes, Martha et Karen, poursuivies par la lesbophobie de tout un village. Le film se termine par le suicide de Martha. La scène finale voit Karen marcher, seule, et digne, face aux villageois. C'est cette fierté qu'il faut garder.

C'était déjà le début de Stone Butch Blues. Leslie Feinberg y décrivait l'horreur du harcèlement butchophobe à l'école.

D'autres œuvres ont suivi, témoignant de la persistance de cette mécanique mortelle. Blue Jeans, en 2022, met en scène une prof de sport harcelée à l'école après la promulgation de la loi « Section 28 » par Margaret Thatcher en 1988. Cette loi stipulait qu'il ne fallait « promouvoir l'enseignement dans aucune école publique de l'acceptabilité de l'homosexualité en tant que prétendue relation familiale ».

Rappelons qu'en 2022, Emmanuel Macron affirmait à propos des questions liées à l'orientation sexuelle : « Je ne suis pas favorable à ce que cela soit traité à l'école primaire. Je pense que c'est beaucoup trop tôt. Je suis sceptique sur le collège mais ma position n'est pas arrêtée ».

Au-delà des œuvres, nos pensées pour Caroline Grandjean renvoient à nos mémoires. Celles de professeures ou d'élèves tuées par la lesbophobie. Nous pensons à Dinah, 14 ans, qui s'est suicidée après avoir été la cible à l'école d'un harcèlement lesbophobe et raciste.

Il n'existe pas de statistiques en France, mais on peut penser qu'elles seraient similaires à celles établies au Royaume-Uni. Plus de 75% des enseignant∙es LGBT+ ont subi du harcèlement ou des brimades professionnelles. Plus de 60% ont été discriminées pendant leur carrière.

Au-delà de notre émotion profonde, de notre colère immense, nous voulons terminer cet hommage lesbien non pas par une minute de silence, car silence = death (silence = mort) comme le scandait Act up, mais par desimages d'action. Celles du mythique groupe de gouines les Lesbian Avengers. Leur premier combat, leur première action, portait contre l'homophobie à l'école. Voici quelques images, avec des témoignages d'enseignantes lesbiennes, pour nous encourager à continuer le combat, en mémoire de Caroline Grandjean.

Un rassemblement plus large est prévu cette semaine. Nous manifesterons devant le ministère de l'Education nationale pour dénoncer son inaction coupable et mortifère.

Rendez-vous vendredi 5 septembre à 18h30, à l'angle des rues Grenelle et Saint-Simon.

https://blogs.mediapart.fr/pour-caroline-g/blog/030925/harcelement-lesbophobe-cette-histoire-nous-ne-la-connaissons-que-trop-bien

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6e action de la Marche mondiale des femmes

9 septembre, par Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF) — , ,
Le grand rassemblement du 18 octobre 💜🌍 Horaire : 10h00 à 12h00 : Arrivée des autobus, micro-ouvert 12h00 à 15h00 : Marche 15h00 à 16h00 : Cérémonie de clôture (…)

Le grand rassemblement du 18 octobre 💜🌍

Horaire :
10h00 à 12h00 : Arrivée des autobus, micro-ouvert
12h00 à 15h00 : Marche
15h00 à 16h00 : Cérémonie de clôture (performances et prises de paroles)
Lieu :
Place de l'Assemblée nationale (Ville de Québec)

Sur la Marche :
Trajet de 2 km et relativement plat
Des transports adaptées suivront la marche
Fontaines d'eau sur place pour remplir votre gourde 💧
Chaises en quantité limité
Apportez vos imperméables, gourdes, repas, collation et une serviette pour pique-niquer, il n'y aura pas suffisament de tables
Les parapluies ne sont pas autorisés

Autobus
Nous invitons toutes les organisations qui coordonnent des transports de remplir ce formulaire avant le 8 septembre
En savoir plus

Village féministe - 17 octobre

Les mobilisations pour la 6e action de la Marche mondiale des femmes sont commencées depuis le 8 mars ! Et dans le calendrier d'actions, on vous propose de participer au Village féministe la veille du grand rassemblement.

Parce qu'une journée de mobilisation ce n'est pas assez et que les moments de formation sont essentiels à l'action !

🗺️Au programme :

Ateliers créatifs, panels, activités d'éducation populaire autonome, kiosques interactifs, théâtre engagé… pour rire, se mobiliser, créer et s'organiser collectivement.

👩‍🦽L'événement est accessible : interprétation LSQ, accessibilité aux personnes à mobilité réduite, dîner gratuit). Évènement en non-mixité inclusive.

Merci au Regroupement des groupes de femmes de la Capitale-Nationale pour l'organisation de cette journée.

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Sit-in de Mères au Front « pas de futur, sans nature ! »

9 septembre, par Mères au front — , ,
TIOHTIÁ:KE / MONTRÉAL, 3 septembre – Dans le contexte de la destruction sans précédent de la biodiversité, les groupes Mères au front de Montréal, de la Rive-sud, des (…)

TIOHTIÁ:KE / MONTRÉAL, 3 septembre – Dans le contexte de la destruction sans précédent de la biodiversité, les groupes Mères au front de Montréal, de la Rive-sud, des Basses-Laurentides, du Saguenay, ainsi que le groupe Vigie citoyenne Port de Contrecœur appellent à un sit-in spécial « Pas de futur, sans nature ! », ce dimanche 7 septembre à 11 h 30, à l'occasion de la Journée internationale de l'air pur pour des ciels bleus.

Message des groupes co-organisateurs : « nos territoires et la vie qu'ils portent doivent être réellement protégés, non pas sacrifiés aux intérêts industriels ». Les mobilisations contre l'agrandissement du site toxique de Stablex, contre l'expansion du Port de Contrecœur, contre la destruction de milieux naturels par l'usine Northvolt, et contre le projet de loi 97 qui définit un nouveau régime forestier, sont autant de batailles locales qui illustrent un même combat à l'échelle du Québec : celui de freiner l'accaparement et la dévastation des territoires. Des centaines de personnes sont attendues pour cette mobilisation, où se rassembleront citoyen·ne·s et groupes environnementaux autour d'une exigence unique : mettre fin à la complaisance de nos gouvernements envers les projets destructeurs et garantir un avenir habitable.

Cet événement rappelle également que la lutte des Mères au front, ici comme ailleurs, est celle du droit universel à respirer, à vivre sainement et à transmettre une planète vivante à nos enfants ainsi qu'aux sept prochaines générations.

Quoi : En plus de l'animation, des prises de parole et de la musique, les participant·e·s seront invité·e·s à prendre part à un die-in, et à assister à une performance du groupe Puppets for the Planet.

Quand : Le dimanche 7 septembre de 11 h 30 à 13 h 00

Où : Devant le bureau de François Legault à Montréal, au 770 Sherbrooke Ouest

Qui : Plusieurs centaines de citoyennes et citoyens, Laure Waridel, écosociologue PhD et co-fondatrice de Mères au front, ainsi que plusieurs groupes alliés tels que FREDA-Front de résistance écologique et de défense autochtone, la Société pour Vaincre la Pollution (SVP), la Coalition des organismes contre Stablex, le MARE - Mouvement d'action
régional en environnement, Eau Secours, Mobilisation 6600, Last Generation, Greenpeace et plusieurs autres.

Porte-parole : Des porte-parole seront sur place pour répondre aux questions des médias.

* Sylvie Cantin, Mère au front Rive-Sud et coordonnatrice du Comité Northvolt de Mères au front
* Rebecca Pétrin, directrice d'Eau Secours [2] et représentante de la coalition des organismes contre Stablex
* Hélène Reeves, porte-parole de Vigie citoyenne Port de Contrecœur pour l'agrandissement du Port de Montréal à Contrecœur
* Anne-Marie Chapleau, Mère au front et porte-parole du comité Forêt/caribou de Mères au Front pour le projet de loi 97
* Anick Bonneville, Membre fondatrice de FREDA-Front de résistance écologique et de défense autochtone [3] et mère au front pour le cas du projet de loi 97

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SIT-IN DE MÈRES AU FRONT « PAS DE FUTUR, SANS NATURE ! »

7 SEPTEMBRE 2025

5 septembre 2025, Montréal / Tiohtià:ke (Québec) - Depuis maintenant trois ans, les Mères au front et leurs allié·e·s se réunissent tous les premiers dimanches du mois pour rappeler à François Legault et à son gouvernement ses responsabilité concernant l'avenir des générations présentes et futures, menacé par l'inaction du gouvernement face à la crise environnementale en cours. À l'occasion de la Journée internationale de l'air pur pour des ciels bleus, ce dimanche 7 septembre à 11h30, des groupes de Mères au front du Saguenay, des Basses-Laurentides, de la Rive-Sud et de Montréal, se joindront à la Vigie citoyenne du port de Contrecœur, FREDA-Front de résistance écologique et de défense autochtone et la Coalition des organismes contre Stablex pour un sit-in Spécial au cours duquel iels exigeront que les territoires et la biodiversité qu'ils abritent soient véritablement protégés. Il y a urgence d'agir face aux conséquences sans précédent de l'écocide en cours.

Ensemble, iels dénoncent le fait qu'au nom de l'économie, le gouvernement du Québec et celui du Canada, permettent la destruction de forêts, du fleuve, de milieux humides et de terres agricoles. Un environnement sain représente un bien commun précieux à protéger, et essentiel à la bonne santé des populations, particulièrement face à la crise climatique.

« Nous demandons au gouvernement la révision, voire l'abandon des projets de développement industriels comme Northvolt, Stablex, le Port de Contrecoeur et le projet de loi 97 sur le régime forestier, qui contribuent à détruire le territoire et la biodiversité, ce qui va à l'encontre du bien-être des communautés et de la population. À cela,
nous répondons : "Pas de futur, sans nature !” » - Isabelle Senécal, pour Mères au front Montréal

Lors du sit-in, il y aura des prises de parole des représentant·e·s de différents groupes et organisations, et de la musique. Les participant·e·s seront également invité·e·s à prendre part à un die-in, en plus d'assister à une performance du groupe _Puppets for the Planet_.

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Sondage : Les Québécois(es) veulent des projets au service du bien commun sans sacrifier l’environnement

9 septembre, par Équiterre — , ,
Montréal, 8 septembre 2025 — Dans un nouveau sondage effectué par la firme Léger pour le compte d'Équiterre concernant la nouvelle loi fédérale Bâtir le Canada (C-5), la (…)

Montréal, 8 septembre 2025 — Dans un nouveau sondage effectué par la firme Léger pour le compte d'Équiterre concernant la nouvelle loi fédérale Bâtir le Canada (C-5), la population québécoise a exprimé clairement sa préférence : elle souhaite des projets qui bénéficient directement aux collectivités et elle rejette massivement le contournement des lois environnementales.

Les gens veulent des impacts concrets — pas un pipeline

Les personnes sondées ont identifié la bonification des services publics, la protection des collectivités affectées par les phénomènes climatiques extrêmes et les mesures d'adaptation aux changements climatiques comme prioritaires.

Le projet d'intérêt national recevant le moins d'appui ? Un pipeline ou un gazoduc.

Depuis que la loi C-5 a été présentée, les promoteurs pétrogaziers salivent à l'idée de faire traverser le territoire canadien avec un gros tuyau pour mettre nos ressources naturelles sur un bateau. Or, c'est la dernière chose que les Québécois(es) veulent (48 %). Le gouvernement fédéral et celui du Québec devront être à l'écoute.

« Les gens veulent des systèmes de détection et des équipements de lutte contre les feux de forêt (83 %), ils veulent protéger leurs villes et villages contre les inondations (78 %), ils veulent construire des logements abordables (80 %), des hôpitaux (77 %) et des écoles (72 %). C'est ça qu'ils privilégient comme projets d'intérêt national parce que ce sont des projets concrets qui vont avoir un impact direct sur leur qualité de vie », explique Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d'Équiterre.

On ne touche pas à l'environnement

Il serait difficile de ne pas souligner le fort rejet de l'approche gouvernementale visant à contourner les lois environnementales comme celles sur les espèces en péril (61 %), les oiseaux (59 %) ou les poissons (59 %).

  • « Le message est clair : les gens veulent que ça bouge, mais ils ne veulent pas que le gouvernement fasse n'importe quoi et sacrifie l'environnement au passage », ajoute Marc-André Viau.

Des consultations essentielles

Depuis l'annonce du dépôt de la loi, le gouvernement a choisi de bouger à vitesse grand V en imposant notamment un bâillon à toutes les étapes du processus parlementaire. Le sondage suggère que le gouvernement ne pourra pas esquiver encore longtemps les bonnes pratiques en matière d'acceptabilité sociale.

Selon les personnes sondées, le gouvernement doit tenir compte de l'avis des gouvernements provinciaux (84 %), des populations locales (80 %) et des peuples autochtones (71 %) dans la désignation des projets.

Elles sont aussi majoritairement opposées à l'imposition d'un projet que refuserait un gouvernement provincial (67 %), la population locale (67 %) ou les peuples autochtones (59 %).

« On ne pourra pas continuer longtemps à travailler ce dossier-là derrière des portes closes. Il va falloir, plus tôt que tard, impliquer la population et lui proposer des projets qui l'intéressent », conclut Marc-André Viau.

Pour une vision écologique et citoyenne du développement au sud de l’aéroport de Québec

9 septembre, par Collectif — , ,
La ville de Québec entend répondre aux « besoins » industriels pour justifier la destruction d'une grande partie de milieux naturels situés sur plus d'un km2. Le secteur sud de (…)

La ville de Québec entend répondre aux « besoins » industriels pour justifier la destruction d'une grande partie de milieux naturels situés sur plus d'un km2. Le secteur sud de l'aéroport est constitué de boisés, de trois ruisseaux et de vastes milieux humides, mais également de bonnes terres agricoles inutilisées. Pour ce secteur, nous proposons plutôt une vision d'avenir, une vision qui réponde aux besoins actuels mais également futurs de la population de Québec.

S'il est un besoin universel, c'est bien celui de respirer un air pur, rendu possible par les végétaux terrestres et aquatiques qui produisent l'oxygène et assainissent l'air. Le secteur est déjà affecté par la pollution générée par l'aéroport et d'importantes voies de circulation. La pollution nuit également à la santé des autres espèces animales alors que les normes visent seulement les humains. La destruction d'écosystèmes ne fera qu'aggraver la situation.

Le besoin de se nourrir est également incontestable. Tout comme les milieux naturels, les terres agricoles de ce secteur constituent un héritage précieux. Les événements météorologiques extrêmes affectant de plus en plus les récoltes, les chaînes d'approvisionnement et les voies de circulation, les États décideront de nourrir leur population plutôt que de poursuivre les exportations. Se donner la possibilité d'assurer notre sécurité alimentaire à proximité devrait donc être privilégié surtout que ce territoire offre déjà framboises, pommes, cerises, noisettes, mûres, amélanches, asclépiade et bien d'autres ressources.

Vivre dans un état optimal de santé physique et mentale constitue également une aspiration universelle. Et le seul contact avec la nature offre des bénéfices incalculables et gratuits. Une amélioration du fonctionnement du système immunitaire, la prévention du déclin cognitif, une réduction de la tension artérielle, une diminution des comportements hyperactifs et impulsifs chez les enfants et une augmentation des interactions sociales n'en sont que quelques exemples. Observer tranquillement les plantes se développer, apercevoir des traces de vie animale ou bouger intensément au grand air, à travers la beauté naturelle, sont des activités qui peuvent être mises en place rapidement sans investissement important.

Nous devons réaliser que la place de l'humain se situe au sein même des écosystèmes plutôt qu'à l'extérieur ou au-dessus. Le respect de la nature dont nous dépendons pourrait alors devenir le centre de nos préoccupations et se refléter dans l'orientation prioritaire d'aménagement de notre territoire, de sorte que nos besoins humains pourraient être plus adéquatement et durablement satisfaits.

Pour assurer ce respect, il est nécessaire d'avoir en main les études de caractérisation indépendantes nous permettant de de connaître parfaitement les espèces animales et végétales peuplant le territoire. Des études devraient également être faites, notamment, concernant les espaces de liberté à consentir aux ruisseaux et aux milieux humides puisqu'ils se déplacent au fil des changements environnementaux.

Un autre besoin humain fondamental est celui d'avoir un abri. Dans les zones appropriées, nous devrions développer du logement social et abordable puisque c'est ce type d'habitation dont la population a actuellement le plus besoin. La Ville agirait enfin dans le sens inverse au marché spéculatif qui fait en sorte que ce sont davantage les banques, que les personnes, qui sont propriétaires de leur habitation. Nous sommes aussi d'avis que le milieu de vie devrait inclure différentes catégories de gens, dans un même édifice : personnes âgées, familles, personnes à faible revenu, notamment, car ce sont ces personnes qui ont actuellement le plus besoin de logement à coût raisonnable.

Puisque le lien social et l'autonomie sont également des besoins humains fondamentaux, la densification résidentielle constituerait la règle. Pour optimiser l'espace intérieur, des aires communes dédiées à différents usages, collectifs ou individuels comme recevoir un invité, devraient être envisagées, tout en prévoyant des espaces d'intimité.

La construction de bâtiments économes en énergie, par exemple en les positionnant dans une orientation favorable à une basse consommation énergétique, devrait être favorisée ainsi que l'utilisation de matériaux à faible empreinte environnementale.

D'autres usages complémentaires aux vocations résidentielles et agricoles pourraient également être inclus, dans la mesure où ils s'inscrivent dans une perspective écologique, comme des services de garde, le partage des savoirs, diverses formations dont l'agroécologie, et des ateliers de réparation. La réduction, la récupération et le traitement sur place des déchets, notamment liés à la construction, devraient d'ailleurs faire partie intégrante de la planification.

Par ailleurs, puisque l'ensemble des zones naturelles sont interdépendantes, il n'est généralement pas question, de segmenter le territoire, par exemple par des routes asphaltées traversant de part et d'autre le secteur. Ainsi, on devrait tenir compte de la proximité avec la route de l'aéroport à l'est et de la route Jean-Gauvin à l'ouest dans le choix des lieux à développer. La connexion entre les nouveaux secteurs et avec les zones déjà existantes au sud serait finalisée grâce à des sentiers pédestres, de vélo, de ski et de raquette.

Les modes de transports collectifs réduiront aussi notre empreinte sur le territoire en évitant le recours à de vastes stationnements. Et cela abaissera les coûts de transport individuels.

La perspective écologique, en plus de viser à ce que les humains entretiennent des relations équilibrées avec la nature, concerne également l'organisation humaine. L'entraide a permis à la nature de prospérer généreusement, bien davantage que la concurrence. Par exemple, les champignons mycorhiziens dans le sol sont essentiels à la plante pour se nourrir et la plante lui fournit en retour les sucres qu'elle synthétise grâce à l'apport du soleil. La coopération a également permis à l'humanité de tirer le meilleur d'elle-même.

Les personnes qui évolueront au sien de nouveau milieu de vie, celles qui y produiront la nourriture ou celles qui y assumeront diverses autres responsabilités devraient être impliquées dans la planification et la création des différents espaces. La participation du voisinage dès les premières phases des projets, devrait également être favorisée, encouragée et activement recherchée afin qu'ils s'intègrent harmonieusement au quartier actuel et puissent susciter des collaborations. Tous ces gens contribueront à la création de cette vision pacifiste et démocratique en favorisant espaces communs, transports collectifs et actifs, constructions et activités ayant un impact minimal sur la nature.

Réunir des personnes qui ne se connaissent pas et proviennent d'horizons divers constitue un beau défi. Des organisations ayant l'expérience dans ce genre de défi devraient appuyer les personnes concernées afin qu'un dialogue respectueux et constructif puisse permettre un avancement harmonieux des différents projets. Des ressources plus spécialisées dans le domaine de la construction, par exemple, devraient également s'adjoindre aux groupes citoyens.

La ville a la possibilité d'agir pour favoriser la création d'un milieu de vie agréable dans le secteur sud de l'aéroport qui soit à l'image des populations qu'il pourrait desservir. Surtout, elle a le devoir de favoriser la résilience face aux changements climatiques, ce qui inclut de conserver la fraîcheur de la ville et les fonctions écologiques des milieux naturels. Ce faisant, elle peut contribuer à préserver la santé de ses citoyennes et citoyens ainsi que des autres êtres vivants actuels et futurs auxquels nous sommes intrinsèquement liés.

Cela implique que la Ville et ses partenaires cessent de traiter l'environnement comme un dossier parmi d'autres en minimisant l'importance des milieux naturels. Les ressources humaines, matérielles et financières pourraient alors être redirigées de manière à ce que les écosystèmes puissent demeurer nos alliés à perpétuité, tout en favorisant la création d'emplois conséquents. Aucun objectif, même économique, ne peut être atteint sans stabilité et durabilité écologique - fondement de toute aspiration humaine depuis toujours.

Résidents et résidentes de Québec ayant signé :

Coralie Rousseau, pour un futur vert et sain
Maxine Dandois-Fafard, Mère au front Québec
Enrique Macias, La Ville que nous voulons
Claire Murati, Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale nationale
Marie-Hélène Joannette-Cartier, Mère au front pour Céleste
Katherine Robitaille, Doctorante à l'Université Laval
Ariane Leduc, Mère au front
Béatrice Lara Bilodeau, Mère au front pour Rose
Thms Gsln, Citoyen concerné et engagé pour la préservation des écosystèmes
Linda Auclair, citoyenne consciente que le VIVANT est essentiel et qu'il doit être aimé et protégé inconditionnellement
Marie-Hélène Felt, Mère au front pour Élie et Jeanne

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Plus de salaire, mais moins de démocratie syndicale – Une victoire compliquée à Air Canada

9 septembre, par David Camfield — , ,
Comme le rapporte la Presse Canadienne, les agent·es de bord d'Air Canada ont rejeté à 99,1 % l'entente de principe avec la compagnie aérienne alors que le taux de (…)

Comme le rapporte la Presse Canadienne, les agent·es de bord d'Air Canada ont rejeté à 99,1 % l'entente de principe avec la compagnie aérienne alors que le taux de participation au vote s'est élevé à 99,4% selon le SCFP. Cette décision n'aura cependant pas d'influence sur les vols, puisqu'aucune grève ni lock-out ne pourra avoir lieu. Air Canada et le SCFP avaient envisagé cette éventualité et se sont entendus pour ne pas déclencher de grève ou de lock-out pendant que les négociations se poursuivaient par voie de médiation et d'arbitrage. 5 Septembre 2025. (PTAG)

2 septembre 2025 tiré d'International Viewpoint

Après quatre jours de grève inspirants, les agent·es de bord d'Air Canada votent maintenant sur une entente de principe (EP) qui offre des gains salariaux significatifs. Mais pour obtenir cette EP, les dirigeants syndicaux ont aussi accepté de sacrifier le droit des travailleuses et travailleurs de rejeter l'ensemble de l'entente et de lutter pour plus. Le socialiste canadien David Camfield explique les circonstances inhabituelles de cette lutte – et l'entente tout aussi inhabituelle qui l'a conclue.

Les agent·es de bord d'Air Canada (AC) et d'Air Canada Rouge, environ 10 500 travailleuses et travailleurs, ont fait grève du 16 août jusqu'au matin du 19 août. Le personnel est composé à 70 % de femmes et surtout de jeunes – les trois quarts ont moins de cinq ans d'ancienneté. Ils sont membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) parce qu'Air Canada était autrefois une société d'État fédérale (une entreprise publique) qui a ensuite été privatisée.

Les travailleurs n'étaient en grève que depuis quelques heures lorsque le gouvernement fédéral libéral est intervenu. La ministre du Travail a ordonné au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), l'organisme fédéral compétent pour les travailleur·euses du transport aérien, d'ordonner au syndicat de mettre fin à la grève et de trancher le conflit par arbitrage exécutoire. Cette intervention était largement attendue, puisque les libéraux l'avaient déjà fait à plusieurs reprises, en utilisant l'article 107 du Code canadien du travail.

La plupart du temps, les dirigeants syndicaux s'étaient simplement pliés à cette décision, mais pas cette fois-ci. La grève a continué.

Le président national du SCFP, Mark Hancock, a déchiré l'ordonnance de retour au travail du CCRI devant une foule de grévistes en liesse à l'aéroport Pearson de Toronto. Le message des dirigeant·es du SCFP national et de la composante Air Canada du syndicat était clair : la grève ne serait réglée que par la négociation. C'était une défiance ouverte de l'ordonnance fondée sur l'article 107, dont les dirigeant·es du SCFP contestaient la légitimité.

Hancock a déclaré qu'il était prêt à aller en prison si nécessaire. Cela peut arriver : Grace Hartman, présidente nationale du SCFP, avait purgé une peine de prison en 1981 pour avoir refusé d'ordonner aux travailleuses et travailleurs des hôpitaux ontariens en grève illégale de retourner au travail. Jean-Claude Parrot, du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, avait lui aussi été emprisonné en 1978 pour avoir refusé de dire à ses membres de respecter une loi de retour au travail qui mettait fin à une grève postale.

La grève était absolument solide, sans surprise, car le vote de grève avait été adopté à 99,7 % avec une participation de 94,6 %. Les agent·es de bord soutenaient fermement les revendications syndicales clés : des augmentations salariales substantielles pour compenser l'érosion du pouvoir d'achat subie sous la précédente convention collective – qui avait duré dix ans ! – et la fin du travail non rémunéré, une pratique de longue date dans l'industrie. En effet, les agent·es de bord n'étaient payé·es que pour le temps passé en vol, et non pour tout le temps passé dans l'avion au sol, avant ou après un vol.
Bien que la grève ait cloué au sol tous les vols d'Air Canada et perturbé les voyageur·euses, il y avait beaucoup de sympathie pour les agent·es de bord. Le SCFP avait préparé le terrain grâce à une communication publique efficace centrée sur la question du travail non rémunéré. Des membres d'autres syndicats et des personnes pro-syndicales ont commencé à se joindre aux piquets de grève.

Pour beaucoup de syndicalistes actif·ves, de militant·es de gauche et, je crois, pour de nombreux travailleurs et travailleuses, voir Hancock déchirer l'ordonnance de retour au travail et insister pour que la grève ne prenne fin qu'avec une entente négociée a été électrisant. Pour quiconque était consterné par l'usage du fameux article 107 pour étouffer les grèves et inquiet que cela donne des idées aux gouvernements provinciaux d'ajouter des dispositions semblables aux lois provinciales du travail – qui couvrent environ 90 % des travailleuses et travailleurs de l'État canadien –, voir le SCFP tracer une ligne de résistance a été très inspirant.

Le Congrès du travail du Canada (CTC), équivalent de l'AFL-CIO aux États-Unis, a publié le 17 août une déclaration exigeant le retrait de l'ordonnance. Il promettait un appui financier et autre à la grève, ainsi qu'une « solidarité indéfectible » si le gouvernement intentait une action contre le SCFP. Sans surprise, il restait vague sur la nature concrète de cet appui, mais il s'agissait tout de même d'un soutien sans équivoque à une grève défiant la loi. Le CTC appelait aussi le gouvernement à s'engager à ne plus jamais utiliser l'article 107 contre une grève et à l'abroger dès la prochaine session parlementaire.

La grève a continué jusqu'au lundi 18 août, alors que les négociations étaient suspendues. Mais ce soir-là, on annonçait que l'équipe de négociation du syndicat rencontrerait Air Canada. Tôt le matin du mardi, un accord était annoncé et la grève terminée. Le communiqué du SCFP donnait l'impression d'une grande victoire :

« Les agents de bord d'Air Canada et d'Air Canada Rouge ont conclu une entente de principe, obtenant un changement transformationnel pour notre industrie après une lutte historique pour affirmer nos droits constitutionnels. Le travail non rémunéré, c'est fini. Nous avons retrouvé notre voix et notre pouvoir. Quand nos droits ont été bafoués, nous avons tenu bon, nous avons riposté – et nous avons obtenu une entente de principe sur laquelle nos membres peuvent voter. »

C'est ainsi que la plupart des gens qui soutenaient la grève perçoivent le résultat, mais il n'a pas fallu longtemps avant que des faits viennent nuancer ce tableau.

L'entente de principe soumise au vote ne donne en réalité aux membres que le choix entre ratifier l'accord ou le rejeter, auquel cas les salaires seraient tranchés par arbitrage, tandis que toutes les autres clauses négociées seraient quand même intégrées dans la convention collective. Ce n'est pas du tout ainsi que fonctionne normalement la négociation collective au Canada. Les travailleuses et travailleurs syndiqués ont le droit de voter pour accepter ou rejeter une entente de principe dans son intégralité, sauf en cas d'arbitrage exécutoire. Mais ici, de façon très inhabituelle, et parce que le CCRI avait déclaré la grève terminée juridiquement, les travailleuses et travailleurs font face à un vote de ratification qui ne leur permet pas vraiment de rejeter l'entente. Les dirigeant·es du SCFP ont accepté un règlement qui prive les travailleurs-euses de ce droit et les empêche de reprendre la grève pour obtenir mieux dans ce cycle. Ils n'ont pas gagné une véritable entente de principe négociée que les membres pouvaient accepter ou rejeter, ce qui aurait rendu l'ordonnance de retour au travail lettre morte, encore moins forcé son retrait.

Les travailleurs et travailleuses doivent donc se prononcer sur un vote de ratification qui ne leur permet pas réellement de rejeter l'entente. (Voir l'introduction)

Quant au contenu de l'entente de principe de quatre ans, elle prévoit des augmentations salariales. Pour celles et ceux ayant moins de cinq ans d'ancienneté, une hausse de 12 % dès la première année ; pour les autres, 8 %. Ensuite, 3 %, 2,5 % et 2,75 % les trois années suivantes. Il y a aussi une rémunération partielle au sol, d'une heure ou un peu plus par segment de vol, selon la largeur du fuselage, avec un pourcentage progressant de 50 % du taux horaire cette année à 70 % en 2028. Ce sont des gains, absolument, mais cela ne signifie pas que le travail non rémunéré est terminé ni qu'il s'agit d'un changement « transformationnel ».

Le vote de ratification est en cours, du 27 août au 6 septembre, en ligne et par téléphone, et je m'attends à ce que certains ne votent pas du tout en raison de leur déception, de leur colère et de leur résignation face au fait que, même s'ils rejettent l'entente, ils ne seront pas autorisés à se battre pour une meilleure. Mais comme les attentes étaient élevées, peut-être qu'une majorité votera non. Bien qu'il soit théoriquement possible que les agent·es de bord rejettent l'entente puis déclenchent une grève sauvage qui défie la loi et leurs responsables syndicaux, je ne pense pas que cela se produira. Il faudrait pour cela une organisation vraiment solide parmi les travailleuses et travailleurs de la base, en dehors de la structure syndicale officielle, avec des dirigeants combatifs et sûrs d'eux, des conditions préalables qui semblent douteuses en ce moment.

Dans l'ensemble, je pense que le résultat est une victoire partielle et compliquée. Les travailleurs·euses ont obtenu de réels gains salariaux, mais ils n'ont pas le droit de rejeter une entente et de lutter pour une meilleure. Ce qui s'est passé ne semble guère de nature à dissuader le gouvernement fédéral d'utiliser à l'avenir l'article 107 pour mettre fin aux grèves.

Il convient de souligner que négocier une entente que les travailleurs·euses n'ont pas réellement le droit de rejeter présentait des avantages à la fois pour la compagnie et pour les responsables du SCFP. La compagnie a obtenu la garantie que la grève ne reprendrait pas, et les dirigeants syndicaux ont obtenu une protection contre la pression de la base les incitant à se battre pour une meilleure entente et à mener davantage d'actions de grève.

De plus, le résultat d'une entente que les travailleurs·euses ne peuvent pas réellement rejeter est néfaste pour la construction syndicale. Ce n'est pas démocratique. Cela a retiré des mains des travailleurs et travailleuses la décision de savoir si l'entente était suffisante. Cela n'encouragera pas les militantes et les militants les plus combatifs, qui ont été vraiment inspiré·es par la grève, à s'impliquer davantage dans le syndicat.

Une victoire plus importante était certainement possible. Air Canada était complètement clouée au sol. Elle perdait beaucoup d'argent et était donc sous une forte pression. La direction n'était absolument pas préparée à ce qui s'est produit. Elle s'attendait à ce que le gouvernement fédéral intervienne et que les dirigeants du SCFP disent alors aux travailleurs·euses de se conformer à un ordre de retour au travail. Pendant la grève, le SCFP a publié en ligne une image contenant une citation tirée d'une entrevue accordée par le PDG d'AC, Michael Rousseau, à BNN Bloomberg le 18 août. Rousseau a déclaré : « Eh bien, nous pensions, évidemment, que l'article 107 serait appliqué, et qu'ils n'essaieraient pas illégalement de l'éviter. »

Si la grève s'était prolongée, je pense que le SCFP aurait pu remporter une victoire beaucoup plus grande pour les agent·es de bord et pour la classe ouvrière dans son ensemble. Même sans forcer le gouvernement à annuler l'ordonnance, ils auraient pu obtenir une entente avec des gains plus importants, qui ignorait l'ordre de retour au travail — une entente que les travailleurs·euses auraient pu ratifier ou réellement rejeter. Cela aurait été un précédent incroyable. Et si des actions de solidarité avaient eu lieu, de la part de travailleurs·euses d'aéroport ou de travailleurs·euses de WestJet, principal concurrent d'AC — par exemple des ralentissements, des arrêts maladie, ou le refus de franchir les lignes de piquetage — d'autres employeurs auraient paniqué en coulisses et auraient fait pression sur AC pour régler le conflit. Je ne sais pas si de telles actions de solidarité auraient eu lieu si la grève s'était prolongée, puisque c'est illégal et que la plupart des travailleurs·euses aujourd'hui n'ont aucune expérience de ce type d'action, mais il n'est pas impossible qu'au moins un peu de cela se soit produit, surtout si le gouvernement avait décidé de punir le SCFP pour avoir défié la loi.

Alors, pourquoi les responsables du SCFP ont-ils mis fin à la grève de la façon dont ils l'ont fait ? Pour les dirigeants nationaux du SCFP, je pense que l'objectif principal était de négocier un règlement avec certains gains pour les agent·es de bord. Ils ne voulaient pas que tout soit décidé par un arbitre. Après l'intervention du gouvernement, cela restait leur objectif primordial. Remporter une victoire politique contre l'utilisation de l'article 107 pour casser des grèves — ce qui aurait été une victoire pour la classe ouvrière dans son ensemble — passait au second plan. Une fois qu'ils ont forcé AC à revenir à la table des négociations, ils ont abandonné cet objectif et se sont concentrés sur le but principal.

Pourquoi ont-ils agi ainsi ? Surtout parce qu'ils sont attachés à la négociation collective. Ce processus légalement encadré et strictement contrôlé est au cœur de ce que fait la couche des permanents syndicaux, qu'il s'agisse des dirigeants élus ou du personnel — cela, ainsi que la gestion des griefs, qui est la manière de traiter les différends sur les droits des travailleurs·euses entre deux rondes de négociation.

Je pense que les dirigeants du SCFP ont montré qu'ils sont prêts à soutenir une action militante si c'est ce qu'il faut pour préserver la négociation collective conventionnelle. Cela les distingue des chefs de nombreux autres syndicats. L'intervention flagrante du gouvernement avec des ordres ou des lois de retour au travail mine la négociation collective conventionnelle. Ils sont donc parfois disposés à soutenir les travailleurs·euses qui la contestent, ou même à diriger cette contestation, comme ils viennent de le faire. Ils sont parfois prêts à utiliser des tactiques militantes pour lutter pour des objectifs qui ne sont pas radicaux.

Il faut se rappeler que défier la loi peut entraîner des amendes massives pour les syndicats. Cela peut les affaiblir en tant qu'institutions, voire menacer leur capacité à fonctionner. Pour l'appareil syndical, composé de dirigeants et de permanents à temps plein, c'est un problème d'une autre nature que pour les syndiqué·es de la base, car leur fonction dépend du maintien de la machine syndicale. Donc, une fois que les principaux dirigeants du SCFP ont vu une voie vers une entente qui mettrait fin à la grève et écarterait la menace d'amendes importantes ou de poursuites pour avoir défié la loi, ils l'ont saisie.

Un connaisseur du SCFP m'a dit ceci : « Il faut reconnaître au National d'avoir si bien joué ses cartes — ils se donnent efficacement l'image de militants audacieux auprès des membres et du public, tout en contenant les luttes dans les limites du statu quo. Ils ont le beurre et l'argent du beurre. »

Ce n'est pas la première fois qu'ils agissent ainsi. En 2022, lorsque le Conseil des syndicats scolaires de l'Ontario (OSBCU) du SCFP était en négociation et qu'il a été frappé par une loi provinciale préventive pour l'empêcher de faire grève, ils ont défié la loi et ont quand même fait grève. L'organisation d'actions de solidarité pour soutenir l'OSBCU avait commencé. Dès que le premier ministre provincial a dit qu'il retirerait la loi si la grève cessait, les responsables nationaux du SCFP et d'autres dirigeants syndicaux ont fait pression sur la présidente de l'OSBCU pour qu'elle accepte l'offre et retourne à la table de négociation sans le levier que représentaient les travailleurs et travailleuses en grève et leurs nombreux soutiens. Et c'est ce qui s'est passé.

De loin, le résultat de la grève d'Air Canada peut facilement sembler être ce que le SCFP national a dit qu'il était. Beaucoup de gens pensent donc probablement que ce fut tout simplement une immense victoire. Cela encouragera les militant·es syndicaux à l'utiliser comme exemple positif. Ils pourront dire : « Regardez, le SCFP a défié la loi et a gagné, c'est ce que nous devrions nous préparer à faire si nécessaire. » C'est bien. C'est positif que les agent·es de bord aient montré qu'on peut mener une grève populaire qui défie la loi et qui gagne, même si cela cause des désagréments à beaucoup de gens. C'est bien que le geste de Hancock, déchirant l'ordre de retour au travail, ait été largement relayé dans les médias.

Mais ce qui s'est réellement passé n'est pas ce que cela semble être vu de loin. Pour moi, ce qui s'est passé confirme que nous ne pouvons pas compter sur l'appareil syndical pour nous battre et gagner de façon cohérente, même quand les responsables semblent plus combatifs. Les membres qui veulent des syndicats réellement combatifs, démocratiques et solidaires doivent s'organiser eux-mêmes et travailler à transformer nos syndicats. Nous devons construire des caucus, des groupes de membres qui prennent à cœur ce que disait le Comité des travailleurs de Clyde en Écosse en 1915 : « Nous soutiendrons les responsables tant qu'ils représenteront correctement les travailleurs, mais nous agirons indépendamment dès qu'ils les trahiront. »

30 août 2025
Source : Tempest.

Braver l’interdit Histoire féministe de l’avortement au Québec [1969-1988]

9 septembre, par Marie-Laurence Raby — , ,
Parution le 16 septembre au Québec — Marie-Laurence Raby En 1969, une vaste réforme du Code criminel ouvre la porte à la décriminalisation partielle de l'avortement au (…)

Parution le 16 septembre au Québec
— Marie-Laurence Raby

En 1969, une vaste réforme du Code criminel ouvre la porte à la décriminalisation partielle de l'avortement au Canada et rend possibles certaines interventions pour des raisons thérapeutiques. Au Québec, c'est l'occasion pour le mouvement féministe de se mobiliser et de demander l'accessibilité complète et universelle des services et le retrait de la tutelle médicale. Certaines militantes mettent sur pied un vaste réseau de services d'avortement, actif jusqu'à l'arrêt Morgentaler de 1988.

Les militantes ont défié les lois, joué au chat et à la souris avec la police, traversé la frontière états-unienne et mobilisé leur savoir-faire pour offrir des avortements sécuritaires. C'est cette histoire de l'ombre que raconte ici Marie-Laurence Raby. Une aventure souvent occultée dans l'histoire par le travail des hommes médecins.

« Le mépris n'aura qu'un temps ! »

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L’anti-impérialisme ne peut se diviser sans trahir tous les peuples

9 septembre, par Didier Epsztajn, Michel Lanson, Patrick Silberstein — , ,
Comment stopper les crimes de guerres, les politiques d'apartheid, les crimes contre l'humanité, les génocides, les féminicides, les viols ? Comment arrêter des gouvernements (…)

Comment stopper les crimes de guerres, les politiques d'apartheid, les crimes contre l'humanité, les génocides, les féminicides, les viols ? Comment arrêter des gouvernements élus ou non, des bandes armées, des autoproclamés serviteurs de dieu ? Comment réduire les soutiens ou les silences institutionnalisés qui permettent à certains de tuer, massacrer, piller, exproprier… ?

Tiré du numéro 14 de la revue Adresse : internationalisme et démocratie.

Aucune condition préalable ne doit être mise aux actions collectives pour neutraliser les responsables de ces crimes. Cependant, la compréhension des mécanismes et des rapports sociaux qui ont favorisé ou permis les ignominies, est plus que jamais nécessaire pour envisager d'agir dans l'intérêt du plus grand nombre.

Nous ne devons jamais négliger les résistances internes (que certain·es cependant continuent publiquement de nier) aux différents exactions des gouvernements, comme, par exemple, au sein de la Fédération de Russie. Ce que nous rappellent à propos de l'avenir de la Fédération de Russie Kirill Medvedev (« Protestations en temps de guerre à l'intérieur des frontières de la Fédération de Russie ») et Liliya Vejevatova (« La résistance féministe en Russie »). On a pu voir également avec la « révolution des cartons », comment les Ukrainien·nes ont su rappeler à leur gouvernement que la conduite de leur guerre contre l'invasion russe était inséparable de l'approfondissement de la démocratie. Différentes formes d'autoritarisme, comme l'analyse Enzo Traverso dans « Autoritarisme et démocratie au 20e siècle », se dessinent, s'entrecroisent, se complètent ou s'affrontent.

L'agression, avec la dimension génocidaire des enlèvements d'enfants et son cortège de crimes de guerre, de la Fédération de Russie de l'Ukraine se poursuit. A Gaza, les crimes de l'armée israélienne sont aujourd'hui nommés politique d'affamement et génocide (voir, entre autres, l'article de Shatha Yaish : « Notre génocide ») ; la politique d'expropriation des populations palestiniennes en Cisjordanie s'amplifie. Tout cela avec la complicité active de certains États et le double langage d'autres (dénonciations du génocide et livraison de minéraux, collaboration institutionnelle, commerce dont celui des armes).

Sans prise en compte de l'ensemble des situations, la pensée devient hémiplégique (et se transforme souvent en soutien implicite à certains dictateurs), les repères s'effondrent, les mensonges se travestissent en vérités, les mots perdent leur sens. Il est donc temps de se pencher sur les propositions de Vladislav Starodubtsev : « Repenser un programme de gauche ».

La crise du mode de production capitaliste (stagnation de la productivité du travail, problèmes liés à valorisation du capital ou au taux de profit dégagé) et des relations sociales (dont la polarisation des richesses captées par des minuscules minorités dans la plupart des pays) qui s'y déploient se traduisent par la montée de l'autoritarisme. Aux choix démocratiques, les possédants opposent leur arbitraire (Samuel Farber : (Réflexions sur l'arbitraire »).

Aux États-Unis, Trump et son vice-président s'efforcent de cocher toutes les cases de ce qu'Enzo Traverso nomme le postfascisme :

Revendications territoriales pour satisfaire l'espace vital de l'État dominant : Canada, Groenland.

En finir avec les règles de la mondialisation, appliquer des droits de douane aux pays exportateurs en fonction de l'arbitraire étasunien.

Désignation de l'ennemi intérieur, l'Autre, les immigré·es.

Constitution d'une police fédérale dédiée à leur « chasse » (ICE : Immigration and customs enforcement).

Interdiction et arrestations des manifestant·es pour la Palestine. Poursuite des étudiant·es pro-palestinien·nes.

Destitutions de juges. La parole gouvernementale primant sur les décisions de justice.

Glorification de l'armée et indirectement fête d'anniversaire du chef (le 14 juin).

Restrictions des crédits aux universités. Fermeture de départements contestant le savoir officiel. Intervention directe dans l'élaboration des programmes en fonction de ce « savoir ».

Fermeture du ministère fédéral de l'éducation.

Construction de la « vérité officielle » y compris contre les faits établis (licenciement de la directrice chargée d'établir les chiffres de l'emploi, du chef du renseignement militaire). La propagande devenant la parole officielle.

Chasse aux transexuel·les dans l'armée et les services publics.

Pour verrouiller l'ensemble de ces mesures « antilibérales » que nous ne pouvons pas toutes énumérer ici, l'emploi de la « Garde nationale » fédérale contre l'avis des maires et gouverneurs : à Los Angeles contre les manifestations contre les exactions de l'ICE, à Washington pour quadriller la ville en attendant de faire de même à Chicago et dans les autres villes démocrates. La sécurité, la sécurité au moment des élections voulue par l'instigateur de l'assaut du Capitole (6 janvier 2021) est toujours le prétexte avancé pour justifier ce qui se déploie : un coup d'État rampant.

S'étendre sur ce point est important car nous connaissons les dictatures (Chine, Russie…) les États « illibéraux » (Hongrie, Inde…) mais jamais nous n'avions assisté à la transformation d'une démocratie bourgeoise en un État post-fascisme en direct au vu et au su du monde entier. Certes, résister est encore possible, dans la rue comme au moment du No Kings Day, dans les syndicats et les associations, mais sans unité des travailleurs et des travailleuses, des partisans·es de l'extension de la démocratie, des communautés, la course contre la montre risque fort d'être perdue.

Le refus des « encadrements » démocratiques et de leur concrétisation sous la forme de droits individuels et collectifs se traduit aussi par le refus des instances internationales comme la CPI et la CIJ. Pourtant par leurs simples existences elles limitent les arbitraires et participent du commun collectif. Le droit international n'est pas une coquetterie (voir les articles dans des précédents numéros d'Adresses). La déclaration Cour internationale de justice (CIJ), « Les États ont l'obligation légale de réduire leurs émissions et de protéger le climat », nous rappelle que nous vivons dans un monde borné. Réduire les émissions de gaz de serre des uns (les pays historiques les plus riches, la Chine et les pays producteurs de pétrole) est une urgence pour tous et toutes.

De la Kanaky à Mayotte, du Sahara occidental à la Palestine, la question coloniale, les politiques néocoloniales ne peuvent être contournées par celles et ceux qui gardent comme boussole le Principe espérance (Ernst Bloch) et qui luttent pour l'émancipation de toutes et tous. Kevin Anderson dans un entretien avec Grusha Gilayeva : « Les chemins de la révolution et le marxisme aujourd'hui », nous invite à reconsidérer des théories toujours en élaboration.

La majorité des travailleurs à travers le monde sont des travailleuses, la majorité des migrants sont des migrantes. L'apartheid dont elles sont victimes en Afghanistan et en Iran semble laisser plus indifférent que l'apartheid subit par les Palestinien·nes. Si les structures sexistes des sociétés et des pouvoirs sont généralisées dans le monde, leurs constructions sont cependant historiques et évolutives. La violence sexiste ne vient pas de nulle part. Un exemple et une analyse nous sont proposés par Roomaan Leach : « Les fondements structurels de la violence sexiste en Afrique du Sud ».

Dans ce numéro aussi, d'autres Adresses à visiter, des sites et des journaux, pour des informations et des analyses.

Partagez pour discuter ensemble.

Éditorial sur les cotisations syndicales : S’acharner sur la mauvaise cible

9 septembre, par Caroline Senneville — , ,
Dans le contexte de nombreuses crises actuelles, il est pour le moins surprenant qu'un gouvernement considère l'attaque des organisations syndicales comme une voie à (…)

Dans le contexte de nombreuses crises actuelles, il est pour le moins surprenant qu'un gouvernement considère l'attaque des organisations syndicales comme une voie à privilégier.

Les intentions de vote de la CAQ sont au plus bas. La solution du gouvernement Legault est de ressortir les mêmes vieilles cartes usées dans l'espoir de se relancer. Il mise sur un grand tour de magie et s'en prend encore une fois à l'immigration et aux syndiqué-es.

Cette stratégie est un cul-de-sac parce que la baisse de confiance de la population vient d'ailleurs. Le gouvernement déplait en imposant une énième vague d'austérité qui nuit aux services publics, tout en multipliant de mauvais investissements faits avec les fonds publics.

Restreindre le droit de grève, droit qui permet d'améliorer les conditions de travail et les salaires de milliers de Québécoises et de Québécois n'était pas suffisant. Voilà qu'on s'en prend maintenant aux cotisations et aux finances des syndicats.

Cette nouvelle salve s'inspire des attaques similaires menées par la droite extrême chez nos voisins du sud, avec les résultats que l'on connait : un taux de syndicalisation famélique, une classe moyenne qui en arrache devant des riches de plus en plus fortunés, le tout dans un climat social très préoccupant.

Dans le contexte de nombreuses crises actuelles, il est pour le moins surprenant qu'un gouvernement considère l'attaque des organisations syndicales comme une voie à privilégier. Des milliers de Québécoises et de Québécois peinent à se loger et à composer avec la hausse du coût de la vie. Et la solution serait de s'en prendre à l'institution qui est le meilleur garde-fou pour la classe moyenne ? Rappelons que les syndicats demeurent l'un des meilleurs outils pour freiner les inégalités sociales.

Disons-le-nous franchement : depuis la hausse de l'inflation, des milliers de travailleuses et de travailleurs ont réussi à obtenir de bonnes augmentations salariales. Tout ça parce que leur employeur leur aurait fait de beaux cadeaux en remerciement du service rendu ? Que nenni ! Ce sont les luttes syndicales qui, d'hier à aujourd'hui, permettent d'améliorer le quotidien des travailleuses et des travailleurs.

Le rôle des syndicats ne peut se confiner à négocier des conventions collectives. Les travailleuses et les travailleurs ne sont pas des robots qu'on éteint après leur shift. Ce sont des citoyennes et des citoyens qui subissent la hausse du prix des loyers et des propriétés et les impacts des coupes et des réformes centralisatrices du secteur public. Rien ne sert d'avoir le meilleur contrat de travail si tu ne peux te loger ou avoir accès à des services d'éducation et de santé. C'est grâce aux luttes syndicales que nous avons obtenu l'équité salariale, des services publics de qualité, une protection en santé et sécurité du travail et de bonnes conventions collectives. Ce n'est certainement pas le patronat qui a milité pour mettre sur pied un régime d'assurance parentale ! Ces gains font une différence dans la vie de la majorité de la population.

Attaquer les syndicats ne fait que déséquilibrer davantage le rapport de force entre les employeurs et les travailleurs. Notre système de relations de travail s'ancre dans un compromis historique. Pour obtenir la paix industrielle, les employeurs et les gouvernements ont consenti à reconnaître les syndicats.

Pendant que le gouvernement s'en prend aux cotisations syndicales, pas un mot sur les millions de dollars dépensés par les associations patronales pour faire du lobbying auprès des élu-es. Si l'on veut regarder de près les finances des syndicats, pourquoi ne pas en faire autant pour les entreprises ? Est-ce que certaines décisions de syndicats peuvent être remises en question ? Tout à fait. Ils ne sont pas parfaits. Mais s'attaquer sans cesse à la même cible favorise le pouvoir patronal et accentue les inégalités sociales.

Militer syndicalement, c'est accepter de déranger. C'est accepter de contrarier les puissants ; pas pour le plaisir, mais pour améliorer la vie des travailleuses et des travailleurs. Et c'est la voie que la CSN continuera de suivre.

Caroline Senneville

Présidente de la CSN

Grande mobilisation citoyenne contre les compressions budgétaires

9 septembre, par Audrey Parenteau — , , ,
Des centaines de personnes se sont réunies le 7 septembre dernier devant les bureaux du ministère de l'Éducation, à Montréal, afin de dénoncer les compressions budgétaires en (…)

Des centaines de personnes se sont réunies le 7 septembre dernier devant les bureaux du ministère de l'Éducation, à Montréal, afin de dénoncer les compressions budgétaires en éducation. Rassemblés à l'initiative du mouvement citoyen Uni-es pour l'école, parents, enfants, citoyennes et citoyens, personnel de l'éducation, organismes de la société civile et syndicats, dont la CSQ et ses fédérations, ont revendiqué un investissement massif et durable en éducation.

« Le gouvernement prend nos enfants en otage en leur coupant les ailes », a dénoncé l'une des porte-paroles du mouvement, Geneviève Simon Potvin. La mère de deux adolescents s'est dite « particulièrement inquiète et désabusée » par le système d'éducation : « On va accepter ça, jusqu'où ce lent et sournois démantèlement du réseau public ? »

« On nous répète que l'éducation est une priorité pour le gouvernement, mais à la rentrée, ce qu'on voit, ce sont des classes sans enseignant, des élèves sans soutien et des écoles qui tombent en ruine, a-t-elle ajouté. Les élèves dans nos classes aujourd'hui, ce sont aussi les élèves qui ont souffert de la pandémie hier. Et au lieu d'investir et de compenser, d'aider et de prioriser, on coupe. Ce n'est pas prioriser ça, c'est nous mentir. »

Pour Adam Pétrin, également porte-parole d'Uni-es pour l'école, ce qui se passe en ce moment, « c'est un manque de volonté politique. Le gouvernement a de l'argent puisqu'il a réussi à trouver des milliards de dollars pour Northvolt, pour le fiasco SAAQclic et pour la baisse d'impôt. »

Plusieurs représentantes et représentants de la CSQ et de ses fédérations de la petite enfance, de l'éducation et de l'enseignement supérieur étaient également présents à la mobilisation afin de soutenir le mouvement. D'autres manifestations ont également eu lieu simultanément dans d'autres régions du Québec, notamment en Outaouais et à Québec.

Rappelons que la CSQ et ses fédérations réclament depuis plusieurs mois une grande réflexion collective en éducation qui impliquerait l'ensemble des actrices et acteurs du milieu. Elles souhaitent parler de la réussite éducative des jeunes, de l'égalité des chances, de mixité scolaire et sociale. Elles veulent également un plan, un projet collectif, structurant et inspirant pour le Québec de demain.

Contrats en informatique Le SPGQ appuie la demande de moratoire

9 septembre, par Syndicat des professionnelLEs du gouvernement du Québec (SPGQ) — , ,
Québec, le 7 septembre 2025 — Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) appuie la demande de moratoire de Québec solidaire sur l'octroi (…)

Québec, le 7 septembre 2025 — Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) appuie la demande de moratoire de Québec solidaire sur l'octroi de nouveaux projets de transformation numérique de l'État jusqu'à ce que les recommandations de la commission Gallant soient mises en œuvre et que les enquêtes de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et de l'Autorité des marchés publics (AMP) soient complétées.

« La solution aux problèmes dans les projets informatiques passe par le développement de l'expertise interne. C'est beaucoup plus économique que d'embaucher des consultants tout en offrant un bien meilleur contrôle sur l'exécution des projets. Il faut absolument éviter d'autres scandales comme SAAQclic qui mènent à un gaspillage éhonté de fonds publics », plaide Guillaume Bouvrette, président du SPGQ.

Le gouvernement se trompe de cible quand il met à pied des centaines de personnes dans la fonction publique. « C'est dans la sous-traitance que le gouvernement devrait faire le ménage pour assainir ses finances. Fin du gel de recrutement, conditions attrayantes pour favoriser l'attraction et la rétention de talents et formation du personnel, voilà des mesures plus efficientes et économiques que la sous-traitance pour offrir à la population des services numériques dignes de ce nom ! Actuellement, le gouvernement coupe dans les ressources et plaide ensuite qu'il doit faire appel à des firmes externes par manque d'expertise. C'est insensé », juge M. Bouvrette.

À titre d'exemple, au ministère de la Cybersécurité et du Numérique, les appels d'offres ont totalisé près de 200 millions $ en 2024 (excluant les contrats de moins de 100 000 $) et les contrats de gré à gré plus de 126 millions $. « Le gouvernement doit sortir de cette relation toxique avec les firmes de consultation informatique. Il paie continuellement des consultants à des tarifs moyens de 800 $ à 900 $ par jour et parfois beaucoup plus. Les dépassements de coûts sont monnaie courante. Il faut arrêter de s'imaginer qu'on économise en faisant appel à des sous-traitants, c'est tout simplement faux », insiste M. Bouvrette.

À propos du SPGQ

Le SPGQ est le plus grand syndicat de personnel professionnel du Québec. Créé en 1968, il représente plus de 35 000 spécialistes, dont environ 26 000 dans la fonction publique, 6 000 à Revenu Québec et 3 000 répartis dans les secteurs de la santé, de l'enseignement supérieur et au sein de diverses sociétés d'État.

Source
Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec

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Lock-out et gourmandise patronale

9 septembre, par Martin Gallié — ,
La colère gronde ce mercredi soir, 3 septembre 2025, dans la salle du Conseil central du Montréal Métropolitain de la CSN. 150, peut être 200 personnes remplissent la salle, (…)

La colère gronde ce mercredi soir, 3 septembre 2025, dans la salle du Conseil central du Montréal Métropolitain de la CSN. 150, peut être 200 personnes remplissent la salle, des dizaines sont debout, appuyées sur les murs avec des banderoles, des pancartes, des chandails syndicaux.

Elles sont « crinquées », peut-on entendre ; elles sont écœurées par un Gouvernement Legault au service exclusif du patronat et d'une minorité de privilégiés, qui octroie en pure perte des centaines de millions de dollars de fonds publics à des multinationales (Northvolt, IBM etc.) sans étude ou garantie sérieuse, de manière opaque, en outrepassant ses propres règlements environnementaux ou autres, au nom… de l'emploi et de la compétitivité du Québec. Ce même gouvernement qui, dans le même temps, coupe des millions de dollars dans les services publics québécois, restreint davantage encore le droit de grève, s'attaque aux syndicats, aux immigrant·es et qui continue d'exiger toujours plus de sacrifices de la part des travailleurs et des travailleuses de la santé, de l'éducation, des transports collectifs comme du secteur privé et cette fois-ci au nom, sans rire et sans vergogne... d'une saine gestion des fonds publics québécois, de la transparence et du "bien être" de la population.

Et ce soir, cette colère elle est portée et personnifiée par les dizaines de travailleurs et de travailleuses de chez Demix (anciennement Béton provincial) et de chez Héroux-Devtek qui, à 19h, prennent encore le temps de partager leur histoire.

Ils et elles sont en lock out, certains depuis neuf mois.

Ceux de Demix sont les premiers à témoigner. C'est la seconde fois depuis décembre 2024 qu'ils se déplacent au CCMM-CSN un mercredi soir. Gilets de sécurité jaune et orange sur le dos, ce sont des opérateurs de bétonnières, des mécaniciens, des doseurs. Ils sont employés par l'une des plus grandes entreprises de béton du Canada mais aussi « le pire employeur ; plus personne ne veut bosser pour lui… il recrute maintenant des travailleurs étrangers temporaires », témoigne l'un d'entre eux. Celui-ci poursuit et raconte que depuis le 5 décembre, ils sont en lock-out. Pourquoi ? « Eh ben parce qu'on s'est tenu debout ! ». Ils ont en effet eu l'impudence de refuser l'« offre » patronale, à savoir : un gel des salaires pendant quatre ans, l'abolition de la contribution patronale au REER collectif, soit une diminution de 5.5% du salaire ; la réduction de la contribution patronale aux assurances collectives (de 100% à 50%) ; une convention de sept ans ; des coupes dans le temps supplémentaire etc.

Le travailleur poursuit. Cela fait donc neuf mois, dans le froid ou en pleine canicule, qu'ils tiennent chaque jour la ligne de piquetage, font le tour des cimenteries et des chantiers du Québec, manifestent devant les résidences de leur patron etc. On apprend ainsi que ce dernier, un « philanthrope de Matane », vient de s'acheter « un chalet à 11 millions à Magog ».

« Même histoire classique mais violente pareil »

C'est ensuite au tour des travailleurs et des travailleuses de chez Héroux-Devtek de témoigner. Chandails verts et logo CSN sur le dos, ils et elles s'approchent de l'estrade.

Un représentant syndical raconte à son tour la « même histoire classique mais violente pareil » pour reprendre ses termes. L'employeur, une multinationale de l'aéronautique, spécialisée dans les trains d'atterrissage, a décrété un lock out le lendemain du rejet de l'« offre patronale », le 8 juillet dernier. Là encore, c'est donc la même histoire de dizaines d'employé·es déterminé·es qui déclarent aimer leur travail mais qui subissent un lock out, qui doivent vivre quotidiennement avec des pertes des salaires, qui fatiguent sur les lignes de piquetage et qui s'inquiètent pour leur avenir et celles de leurs proches.

De son côté, l'employeur recourt allègrement à des briseurs de grève selon le Tribunal administratif du travail et, peut-être en récompense pour avoir violé la loi, il verse « 1.6 millions et 1.2 millions de dollars aux deux principaux dirigeants de la compagnie ».

Pendant ce temps, toute honte bue, le Gouvernement et le Conseil du patronat du Québec dénoncent la surenchère, accusent les syndicats de faire durer les conflits et s'offusquent de la « gourmandise syndicale » qui nuit à la compétitivité et détruit les emplois. George Orwell ou Donald Trump, chacun dans son registre bien entendu, auraient pu s'inspirer d'eux.

Martin Gallié
Délégué du Syndicat des professeur·es de l'UQAM (SPUQ)

Illustration : "La gourmandise" de Louis Leopold Boilly, 1824
Photos du CCMM-CSN du 3 septembre : https://www.facebook.com/photo?fbid=1238511884958527&set=pcb.1238512198291829

Margaret Atwood publie une nouvelle satirique critiquant l’interdiction de livres au Canada

9 septembre, par Leyland Cecco — , ,
L'auteure a plaisanté en disant qu'elle avait écrit une œuvre « appropriée » après que l'interdiction scolaire de l'Alberta ait inclus son roman « La Servante écarlate. » (…)

L'auteure a plaisanté en disant qu'elle avait écrit une œuvre « appropriée » après que l'interdiction scolaire de l'Alberta ait inclus son roman « La Servante écarlate. »

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Cette controverse s'inscrit dans un mouvement plus large de censure dans les institutions éducatives nord-américaines, où des groupes conservateurs utilisent la rhétorique de la « protection des enfants » pour cibler principalement des œuvres traitant de diversité sexuelle et de genre, ainsi que des classiques de la littérature mondiale abordant des thèmes sociaux complexes.

Margaret Atwood a publié une nouvelle critiquant les responsables élus pour une interdiction de livres de grande envergure dans la province canadienne de l'Alberta [1]. La décision controversée de retirer des livres prétendument contenant du « contenu sexuel explicite » a vu de nombreuses œuvres littéraires emportées dans le filet, y compris l'œuvre dystopique d'Atwood La Servante écarlate.

Dans un message sur les réseaux sociaux, Atwood a écrit que puisque son œuvre célèbre n'était plus autorisée dans les écoles de l'Alberta, elle avait écrit une œuvre courte « appropriée » pour les adolescents, ajoutant que l'œuvre était nécessaire parce que le ministre de l'Éducation de la province pensait que les étudiants étaient des « bébés stupides ».

L'histoire extrêmement brève retrace la vie de John et Mary, deux enfants « très, très bons ».

« Ils ne se curaient jamais le nez, n'avaient jamais de selles ou de boutons », a-t-elle écrit dans les premières lignes, ajoutant qu'ils étaient des chrétiens fervents qui « ne prêtaient aucune attention à ce que Jésus avait réellement dit sur les pauvres » et pratiquaient plutôt « un capitalisme égoïste et rapace » dans la veine de l'héroïne littéraire conservatrice Ayn Rand [2].

« Oh, et ils ne mouraient jamais, parce qui veut s'attarder sur, vous savez, la mort et les cadavres et beurk ? »

Atwood écrit que tandis que le couple « vécut heureux pour toujours », les avertissements sinistres de son roman de 1985 La Servante écarlate – qui décrit un régime fondamentaliste totalitaire dans lequel des femmes asservies sont forcées de porter des enfants – « se réalisèrent se réalisèrent et [la première ministre de l'Alberta] Danielle Smith [3] se retrouva avec une belle nouvelle robe bleue mais sans emploi » – une référence aux épouses d'élite du roman qui ont du pouvoir mais ne sont pas autorisées à travailler.

« Fin. »

Les groupes « droits des parents » gagnent du terrain

L'interdiction de l'Alberta a émergé comme le produit d'un lobbying intense par des groupes socialement conservateurs de « droits des parents » dans la province et reflète une tendance aux États-Unis.

Action4Canada et Parents for Choice in Education (PCE) [4] ont revendiqué le mérite de l'interdiction de livres et ce dernier a envoyé un courriel aux partisans après l'annonce de l'interdiction les remerciant pour leurs efforts à contacter les responsables gouvernementaux au sujet des livres « graphiques ».

Le gouvernement de l'Alberta définit le « contenu sexuel explicite » dans sa politique comme « contenu contenant une description détaillée et claire d'un acte sexuel ». Les étudiants de la maternelle à la 12e année [5] ne peuvent accéder à aucun « contenu » dans une bibliothèque scolaire qui répond à cette définition.

Les écoles publiques de l'Alberta ont jusqu'en octobre pour se conformer à l'ordre, mais certaines écoles ont déjà publié leurs listes de livres interdits. Le conseil scolaire d'Edmonton [6] a dit qu'il retirerait 200 livres des bibliothèques scolaires, y compris La Servante écarlate.

Une liste controversée d'œuvres littéraires classiques

D'autres livres à retirer des étagères incluent le roman dystopique de George Orwell 1984, dont les responsables disent qu'il contient des passages qui discutent de rapports sexuels et de viol ; I Know Why the Caged Bird Sings de Maya Angelou [7] et Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley.

La semaine dernière, Smith a critiqué les responsables pour avoir établi une liste si large de livres à retirer, décrivant la mesure comme une « conformité vicieuse ».

Smith a montré aux journalistes des extraits de romans graphiques – y compris Gender Queer de Maia Kobabe [8] – qui ont provoqué les nouvelles règles en premier lieu pour les illustrations explicites d'actes sexuels qu'ils contiennent. Le livre est une histoire de passage à l'âge adulte acclamée mondialement sur la vie adolescente et le début de l'âge adulte. Les critiques de l'interdiction disent que des groupes de pression de plus en plus puissants ciblent des livres qui affirment les identités LGBTQ+ [9].

Avant l'interdiction, Atwood avait aussi posté sur les réseaux sociaux mettant en garde contre la lecture de La Servante écarlate parce que « vos cheveux prendront feu ! »

« Procurez-vous-en un maintenant avant qu'ils organisent des autodafés publics. »

Leyland Cecco

Pop fascisme VS Pop gauchisme : qui va l’emporter ?

9 septembre, par Mačko Dràgàn — , ,
La pop culture est devenue le terrain d'une lutte intense, qui se joue à coups de memes, de vidéos Youtube, de stories d'influenceurs et de shorts de Tik-tokeuses. « bataille (…)

La pop culture est devenue le terrain d'une lutte intense, qui se joue à coups de memes, de vidéos Youtube, de stories d'influenceurs et de shorts de Tik-tokeuses. « bataille de civilisation » VS « lutte des classes » : à chaque camp, son écosystème, ses mots et ses codes. Retour sur ce combat pour l'hégémonie culturelle autour des travaux de Bolchegeek, Maxime Macé et Pierre Plottu.

Tiré du blogue de l'auteur.

Vous l'aurez sans doute noté, à moins de vivre dans une grotte ou la boîte crânienne de Pascal Praud : l'extrême-droite la plus virulente a le vent en poupe, et inonde le champ culturel et médiatique. Et ce, notamment, nous disent les éditions Divergences, qui ont publié en septembre dernier « Pop-Fascisme. Comment l'extrême-droite a gagné la bataille culturelle sur internet » des journalistes Maxime Macé et Pierre Plottu, « grâce à un intense combat mené par la fachosphère et ses troufions sur Internet ». Et « cet écosystème coordonné, pensé et interconnecté a permis à ces « idées » de se répandre jusque dans les médias, avec l'appui de Bolloré et de ses sbires littéralement en croisade. Combien de vues se transforment en voix pour le Rassemblement national ? Comment en est-on arrivé là ? ».

Viande rouge, cigares et « grand-remplacement »

Au menu (littéralement) : de la viande rouge, des cigares et du sport, car homme-blanc-alpha-manger-viande, pas comme ces hommes-soja (nom donné par l'extrême-droite aux gauchistes supposés maigres et mal nourris) à cheveux bleus et de moins de 100 kilos. Plottu et Macé, sur le plateau de l'émission Au Poste, de David Dufresnes (1), donnent ainsi l'exemple du très suivi Baptiste Marchais, « influenceur culturiste qui connaît le succès avec ses ‘'repas de seigneur'' », dîners lors desquels il peut ressortir la rhétorique d'extrême-droite la plus éculée : « l'homme blanc solide a disparu avec la bataille de Verdun, parce que ce sont eux les courageux morts au front, tandis que ne subsistent aujourd'hui que les lâches ».

Lui-même mène donc un business de coach en musculation, ce qui lui permet, en plus de son programme idéologique, de mettre un juteux beurre dans ses épinards. Car cette fachosphère est financièrement profitable, d'autant que soutenue par les milliardaires Pierre-Edouard Stérin et Bolloré, qui rachètent tout ce qu'il leur est possible de racheter, donnant ainsi une image médiatique favorable, et des canaux de diffusion massifs, à des collectifs fascistes comme les Némésis, dont Retailleau a récemment dit « partager les combats ». Avec, toujours, comme modus operandi, la construction de la « menace » gauchiste et « immigrationiste », avec une phraséologie de « l'ennemi intérieur » identique à celle de la presse antisémite des années 30 : « C'est très important de caricaturer l'ennemi. D'abord parce qu'il est beaucoup plus simple de lutter contre un adversaire caricaturé plutôt qu'un adversaire pluriel, et puis parce que ça renforce ses propres positions », dit Macé dans cette même émission, où il rapporte aussi ce bandeau observé sur la chaîne LCI, à propos de la déportation de migrants en Albanie par la mussolinienne Georgia Meloni : « La re-migration : une solution ? ».

Quand The Boys massacre le trumpisme

Je retrouve Benjamin Patinaud, dit le Bolchegeek, à la terrasse d'un petit bar de Lyon. Spécialisé dans ces questions, entre autres pour Blast, le journal l'Humanité et sur sa propre chaîne Youtube, il a réalisé il y a peu une vidéo sur la série Canal « Paris Police », série historique fort gauchiste, dont la saison 2, se déroulant en 1905, a vu le très catholique Bolloré censurer, suppose-t-il, toute mention… de la loi 1905 de séparation de l'église et de l'État, un comble. De même pour un affrontement entre les ligues d'extrême-droite et la police et les anarchistes, se déroulant hors-champ. Reste, malgré le coup de pression, cette réalité d'une série grand public, populaire, de qualité, assumant fièrement son ancrage féministe, antifasciste, antiraciste… Mais le constat d'ensemble de la pop, malgré son caractère apparemment progressiste, est-il si optimiste, si positif ? C'est l'objet de notre rencontre.

Nous en venons rapidement à parler de la série The Boys, sur Amazon Prime, à laquelle il a également consacré une vidéo. Une série « très pas subtilement de gauche (rires) », où l'on suit une troupe de massacreurs badass de super-héros machistes et fascistes, dirigés par Homelander, caricature de Superman à la sauce Trump, bébé-cadum grotesque pathologiquement accro à la violence et au pouvoir. Mais il s'est tout de même trouvé des groupes masculinistes pour déclamer leur amour de ce personnages, obligeant l'acteur interprète, Anthony Starr, à prendre la parole à de nombreuses reprises, déclarant : « Ce personnage n'est absolument pas un héros… Pourtant, beaucoup le glorifient et l'adorent. C'est vraiment surréaliste. » Et poussant, donc, Bolchegeek à faire sa vidéo sur la mécompréhension de la série (2) : « Il y a plein de gens qui me demandaient Andor, tu vois, un des meilleurs trucs sur la révolution dans la pop culture. Mais j'ai voulu plutôt réagir là-dessus, car à un moment il faut arrêter les conneries : présenter The Boys comme « anti-woke » alors que ça dit tout le contraire, c'est juste n'importe quoi, il faut redescendre ».

Car c'est l'une des particularités de cette série. Présenter, à traits épais, une sorte de « fascisme 2.0 », un dystopique néo-nazisme « inclusif » drivé par une armée de marketeux ayant pour but d'instrumentaliser les thématiques antiracistes, LGBTQIA+ et féministes pour servir leur plan idéologique ultra-conservateur. « Et ça, c'est totalement un move de gauche, en fait ! Il y a des gens d'extrême-droite, ils se disent, ah, ça critique l'hypocrisie homo, etc. Ils se rendent pas compte qu'en fait, dans les milieux LGBT, le pink-washing, c'est l'ennemi, quoi ». Même s'il se veut optimiste sur le fait que « la majorité du public de The Boys, c'est des gens qui sont quand même sensibles aux idées progressistes », et « qu'on surestime aussi le nombre de gens qui comprennent pas », il montre cependant la puissance de déni et de toxicité culturelle de la fachosphère, capable d'essayer de tirer vers soi la couverture d'une série qui lui crache très ouvertement à la gueule.

La pop a-t-elle une réelle influence ?

Je demande à Benjamin si, à ses yeux, ce genre de productions culturelles a un réel pouvoir d'influence sur les imaginaires. Il réfléchit. De mon côté, lui dis-je, « je pense qu'il y a une incidence positive. Je ne peux pas m'imaginer qu'un gamin qui mate The Boys et qui trouve les personnages super cool, et où les nazis sont présentés comme étant des grosses merdes, ne va pas être influencé ». Il est, lui, plus nuancé : « C'est une question qu'on me pose souvent, et je trouve que ça serait cool d'avoir une discussion collective un peu là-dessus, parce que j'ai pas trop d'idées arrêtées. En fait, mon intérêt, ça serait de dire que la bataille culturelle, c'est important, que c'est là que tout se joue, et de la surestimer. Mais je n'ai pas envie de faire ça. Et vu l'état du monde, il faut bien croire que ça n'a pas non plus une incidence si forte que ça. Pour l'instant, je me dis que c'est forcément mieux d'avoir des séries, des films » allant dans notre sens, comme le carton du film Sinners, de Ryan Coogler, hommage à la Blaxploitation se concluant par un massacre de blancs du KKK, ou la série Watchmen, « qui imagine une uchronie où en fait, il y aurait eu un tournant progressiste. Comme il y a eu un tournant Reagan, tu vois. Sauf que là, c'est pas Reagan, c'est Robert Redford, le président (rires). Mais évidemment la morale, même si ça critique certains aspects de la gauche, c'est que c'est toujours mieux d'être de notre côté que de celui des fascistes ».

Il donne aussi l'exemple de Beyond the spider-verse, film d'animation de Sonny Marvel où l'on retrouve le personnage de Spider-Punk, un anarchiste « qui est juste génial. Le gamin d'un pote, qui doit avoir six ans, quand, dans le film, il enlève son masque, et qu'en plus, c'est un Noir, avec des dreads, et qu'on voit que c'est le personnage le plus stylé de l'univers, il fallait voir sa gueule... il va s'en souvenir toute sa vie ». Il conclut : « Et il y a plein de petits trucs comme ça, je pense qu'on ne se rend pas compte de l'impact sur les nouvelles générations » ; « Une génération qui aura vécu avec des Spider-Punks, c'est pas la même génération qui aura vécu avec des héros reaganiens ». Car les productions culturelles estampillées de droite, il en a regardé, notamment pour le podcast Dis-Cor-Dia : « c'est tout le temps des merdes. La dernière fois, ils m'ont fait faire la trilogie adaptée de La Grève de Ayn Rand. L'idée du bouquin est trop conne : tous les entrepreneurs se disent qu'ils en ont marre des collectivistes et donc ils se cassent. C'est fait par une espèce de boîte de prod' de droite, mais nulle, avec de moins en moins de budget à chaque film. Personne ne regarde ça. C'est des trucs nazes de Bac DVD… »

Une offensive réactionnaire réelle - et efficace ?

Si quelqu'un comme Louis Sarkozy, fils de, nouvelle coqueluche des réac' du pays, n'a vendu que 2000 exemplaires de son bouquin malgré son passage sur tous les plateaux télé, le livre de Jordan Bardella, ou la revue fasciste Furia, de Papacito et Obertone, diffusés dans tous les points de vente Bolloré, sont de véritables succès - même si, tempère Benjamin, « Salomé Saqué a vendu autant si ce n'est plus, avec une exposition médiatique moindre ». Et, selon lui, citant les travaux de Vincent Tiberj critiquant la prétendue « droitisation de la société », « la pop culture est quand même massivement progressiste. Les artistes ont tendance à être au moins un peu plus progressistes que la moyenne, quoi. Et sans artistes, tu ne produis rien ». « Faire des bons films, des bons livres, ils galèrent. La culture meme, internet, tiktok, ils y arrivent très bien. Mais c'est vrai que faire une culture, ils n'y arrivent pas ».

Ces contenus immédiats, qui touchent principalement les jeunes ados, adeptes de trucs courts basés sur « la déconne », arriveront-ils à asseoir en eux une véritable idéologie ? Difficile de le savoir. Mais « ce qui est observé par contre c'est qu'il y a un retour, notamment chez les jeunes mecs, du masculinisme, notamment via les influenceurs. C'est terrifiant. J'espère qu'ils en reviendront. Et s'ils n'en reviennent pas tout de suite, ça fait quand même des dégâts. S'ils grandissent avec ça, il y a du chemin à faire pour eux…. »

A la fin de leur essai, Maxime Macé et Pierre Plottu rappellent que lorsque le Rassemblement National, après la dissolution, a manqué d'arriver en tête du second tour des législatives, Squeezie, suivi par 19 millions de personnes, a pris clairement position contre l'extrême-droite, de même que Lena Mahfouf, dite Lena Situation - 11 millions d'abonnés. Cependant, précisent les auteurs, « passée la joie, les influenceurs ayant pris la parole contre le RN se sont inquiétés pour la suite. « Je considère que ce n'est qu'un sursis et non une victoire », a ainsi estimé le vidéaste MisterMV, près de 500 000 abonnés sur Youtube, pour qui la gauche doit désormais « reconstruire et trouver une solution pour parler aux circonscriptions tombées sous le joug du RN » […] Reste à savoir si cet élan perdurera au-delà de l'urgence d'un scrutin. Car, en parallèle, la fachosphère continue à fourbir ses armes ». A la gauche de faire de même, sur le vaste terrain de lutte de la pop.

Par Macko Dràgàn

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(1) https://www.auposte.fr/pop-fascisme-trump-aux-usa-influenceurs-en-france-auposte-x-mediapart/

(2) Bolchegeek, Pourquoi personne ne comprend THE BOYS, vidéo Youtube

Des acteurs et réalisateurs s’engagent à ne pas collaborer avec des institutions cinématographiques israéliennes “impliquées dans un génocide”

9 septembre, par Anna Betts — ,
Des centaines d'acteurs, réalisateurs et autres professionnels de l'industrie cinématographique ont signé un nouvel engagement dans lequel ils promettent de ne pas collaborer (…)

Des centaines d'acteurs, réalisateurs et autres professionnels de l'industrie cinématographique ont signé un nouvel engagement dans lequel ils promettent de ne pas collaborer avec des institutions cinématographiques israéliennes qu'ils estiment “impliquées dans un génocide et un apartheid contre le peuple palestinien”. “En tant que cinéastes, acteurs, travailleurs et institutions du cinéma, nous reconnaissons le pouvoir du cinéma à façonner les perceptions”, indique le texte de l'engagement. “Dans ce moment de crise urgente, où nombre de nos gouvernements permettent le carnage à Gaza, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour lutter contre la complicité dans cette horreur incessante.”

Parmi les signataires figurent les réalisateurs Yorgos Lanthimos, Ava DuVernay, Asif Kapadia, Boots Riley et Joshua Oppenheimer ; ainsi que les acteurs Olivia Colman, Mark Ruffalo, Tilda Swinton, Javier Bardem, Ayo Edebiri, Riz Ahmed, Josh O'Connor, Cynthia Nixon, Julie Christie, Rebecca Hall, Aimee Lou Wood et Debra Winger. L'engagement comptait 1 200 signataires dimanche soir.

Le texte, partagé en exclusivité avec le Guardian, affirme s'inspirer du boycott culturel qui a contribué à la fin de l'apartheid en Afrique du Sud.

Les signataires s'engagent à ne pas projeter de films, à ne pas apparaître dans ou à ne pas collaborer d'aucune manière avec les institutions considérées comme complices, incluant festivals, cinémas, diffuseurs et sociétés de production. Les exemples de complicité incluent “le blanchiment ou la justification d'un génocide et d'un apartheid, et/ou un partenariat avec le gouvernement qui les commet”.

“Nous répondons à l'appel des cinéastes palestiniens, qui ont exhorté l'industrie cinématographique internationale à refuser le silence, le racisme et la déshumanisation, ainsi qu'à faire tout ce qui est humainement possible pour mettre fin à la complicité dans leur oppression”, peut-on lire dans le communiqué.

L'engagement a été publié par le collectif Film Workers for Palestine (Travailleurs du cinéma pour la Palestine). Le scénariste David Farr, l'un des signataires, a déclaré :

“En tant que descendant de survivants de la Shoah, je suis bouleversé et révolté par les actions de l'État israélien, qui impose depuis des décennies un système d'apartheid au peuple palestinien dont il a pris les terres, et qui perpétue aujourd'hui un génocide et un nettoyage ethnique à Gaza.Dans ce contexte, je ne peux pas soutenir que mon travail soit publié ou joué en Israël. Le boycott culturel a eu un impact significatif en Afrique du Sud. Il en aura un cette fois-ci aussi, et selon moi, il doit être soutenu par tous les artistes de conscience.”.

Une foire aux questions (FAQ) jointe à l'engagement explique comment identifier les institutions impliquées, en précisant que :

“Les principaux festivals de cinéma israéliens (notamment, mais sans s'y limiter : le festival du film de Jérusalem, le festival international du film de Haïfa, Docaviv et TLVFest) continuent de collaborer avec le gouvernement israélien pendant qu'il mène ce que des experts de premier plan qualifient de génocide contre les Palestiniens à Gaza”.

Et d'ajouter : “La grande majorité des sociétés de production et de distribution israéliennes, des agents de vente, des cinémas et autres institutions cinématographiques n'ont jamais soutenu les droits des Palestiniens tels que reconnus internationalement.”

L'engagement note cependant que « certaines institutions israéliennes ne sont pas complices » et recommande de suivre les lignes directrices fixées par la société civile palestinienne.

Les signataires précisent également que l'engagement ne les empêche pas de travailler avec des individus israéliens : “L'appel vise à inciter les professionnels du cinéma à refuser de collaborer avec les institutions israéliennes complices des violations des droits humains du peuple palestinien.
Ce refus vise la complicité institutionnelle, et non l'identité. Il y a aussi 2 millions de Palestiniens citoyens d'Israël, et la société civile palestinienne a élaboré des directives adaptées à ce contexte.”

L'engagement ne mentionne pas explicitement le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), le principal effort de la société civile visant à identifier les complicités avec Israël. Cependant, il s'agit de l'une des initiatives de boycott culturel les plus notables annoncées contre Israël depuis le début de l'offensive sur Gaza, près d'un an après qu'un millier d'écrivains ont signé une déclaration similaire.

Cette initiative évoque le collectif Filmmakers United Against Apartheid, fondé en 1987 par Jonathan Demme, Martin Scorsese et d'autres grands noms du cinéma, qui refusaient de projeter leurs films dans l'Afrique du Sud de l'apartheid.

Cette campagne s'inscrit dans un contexte de multiplication des protestations dans l'industrie du divertissement contre la guerre menée par Israël à Gaza. Plus tôt cet été, des centaines d'acteurs et de réalisateurs, dont Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Ralph Fiennes et le réalisateur Guillermo del Toro, ont signé une lettre ouverte dénonçant le silence de l'industrie cinématographique face à la campagne militaire israélienne à Gaza.

Beaucoup des signataires de ce nouvel engagement figuraient également parmi les membres du Screen Actors Guild qui, l'année dernière, ont demandé à leur syndicat de protéger les membres contre d'éventuelles représailles en raison de leurs prises de position sur la Palestine. Plus récemment, le syndicat des acteurs norvégiens a recommandé à ses membres de ne pas travailler avec certaines institutions culturelles israéliennes.

L'été dernier, Variety rapportait qu'une soixantaine de cinéastes palestiniens avaient signé une lettre accusant Hollywood de “déshumaniser” les Palestiniens à l'écran depuis des décennies.

Dans cette lettre, les cinéastes appelaient leurs collègues internationaux à “refuser de collaborer avec des sociétés de production profondément complices de la déshumanisation des Palestiniens, ou du blanchiment et de la justification des crimes d'Israël contre nous.”

La semaine dernière, The Voice of Hind Rajab, un nouveau film sur une fillette de cinq ans tuée par les forces israéliennes à Gaza en 2024, a reçu une standing ovation de 23 minutes après sa première au festival du film de Venise. Brad Pitt, Jonathan Glazer, Joaquin Phoenix, Rooney Mara et Alfonso Cuarón comptent parmi les producteurs exécutifs du film.

Traduction par RM pour l'Agence Média Palestine.

Source : The Guardian.

Make Hollywood Great Again : le cinéma américain au cœur d’une bataille idéologique

9 septembre, par Geographies en mouvement — ,
Hollywood, jadis vitrine du rêve américain, traverse une crise idéologique. Polarisation politique, pressions symboliques et recomposition des marchés font du cinéma un champ (…)

Hollywood, jadis vitrine du rêve américain, traverse une crise idéologique. Polarisation politique, pressions symboliques et recomposition des marchés font du cinéma un champ de bataille. S'y rejoue la redéfinition des normes culturelles, des récits dominants et de la projection internationale des valeurs nationales, entre fragmentation des publics et impératifs économiques. (Nashidil Rouiaï)

Tiré du blogue de l'auteur.

Depuis plus d'un siècle, Hollywood n'est pas seulement une fabrique de récits : c'est aussi un vecteur de projection des valeurs américaines à l'échelle mondiale, un instrument central du soft power des États-Unis[1]. À travers ses productions cinématographiques et sérielles, l'industrie hollywoodienne a contribué à façonner des imaginaires collectifs bien au-delà de ses frontières[2]. Cette puissance symbolique, que Joseph Nye a définie comme la capacité d'influencer sans contrainte, repose sur l'attractivité d'un modèle culturel. Mais ce rôle n'est ni neutre ni immuable : l'histoire du cinéma américain est traversée par des tensions idéologiques, des conflits de représentation, des débats sur la morale, l'identité et la norme sociale.

L'époque actuelle ne fait pas exception. La réélection de Donald Trump en 2025 a ravivé les luttes culturelles, inscrivant l'industrie cinématographique dans une logique de polarisation accrue − vis-à-vis de l'exécutif, mais aussi au sein de ses propres publics.

Vitrine viriliste et effluves de naphtaline

Dès le début de son mandat, Donald Trump a multiplié les gestes symboliques vers le monde du cinéma. La nomination, en janvier 2025, de Sylvester Stallone, Mel Gibson et Jon Voight comme « ambassadeurs » de l'industrie hollywoodienne − sans mission définie − relève moins d'une politique culturelle structurée que d'un affichage idéologique. Ces figures masculines, blanches, sexagénaires, issues d'un cinéma d'action patriotique, incarnent une vision nostalgique de l'Amérique : virile, triomphante, unidimensionnelle. Cette mise en scène vise à opposer les productions contemporaines, jugées trop woke, à un âge d'or fictionnalisé, débarrassé de toute diversité revendiquée.

Ce geste politique est performatif mais fragile. Il mobilise des symboles saturés, détachés de toute stratégie industrielle cohérente et expose l'administration à un double paradoxe : d'une part ces figures apparaissent aujourd'hui datées, voire caricaturales ; d'autre part, elles sont peu compatibles avec les logiques économiques dominantes du secteur, qui visent à capter des publics jeunes, urbains et connectés − les salles de cinéma, par exemple, attirent majoritairement des spectateurs de 14 à 34 ans, qui représentent environ la moitié des entrées. Mais ces publics ne se résument pas à une seule catégorie : à la fois dans les salles et sur les plateformes, les spectateurs se caractérisent aujourd'hui par une grande hétérogénéité, en termes d'âge, de capital culturel, d'origines ou de sensibilités. Les plateformes comme Netflix[3] construisent leur stratégie autour de ce pluralisme, en s'appuyant sur des modèles algorithmiques capables d'agréger des niches globales et de répondre à des attentes narratives multiples, parfois contradictoires[4].

Au-delà de l'instrumentalisation de figures emblématiques du cinéma d'action, une offensive plus structurelle s'esquisse. Les politiques de diversité, d'équité et d'inclusion (DEI), promues depuis plusieurs années par des groupes comme Disney, Netflix ou Amazon Studios, sont devenues des cibles récurrentes du pouvoir exécutif : dès sa réélection, Donald Trump a interdit leur mise en œuvre dans les agences fédérales et conditionné des aides publiques à leur abandon dans les entreprises privées. En parallèle, certains films accusés de véhiculer un discours trop progressiste ont fait l'objet de pressions, voire de campagnes de boycott. La Petite Sirène (Marshall, 2023), porté par l'actrice afro-américaine Halle Bailey, ou Blanche-Neige (Webb, 2024), avec Rachel Zegler, actrice latino-américaine, ont été accusés d'effacer l'« identité blanche ». Dans un registre différent, The Apprentice (Abbasi, 2024), consacré aux débuts de Donald Trump, a suscité une hostilité intense. Le film, pourtant présenté au Festival de Cannes en 2024, a eu de grandes difficultés à trouver un distributeur aux États-Unis. Il a ensuite été visé par des menaces de poursuites judiciaires, tandis que son acteur principal, Sebastian Stan, a rapporté un isolement marqué au sein de la profession.

Le retour d'un maccarthysme culturel ?

Le parallèle avec le maccarthysme est tentant : dans les années 1950, les studios hollywoodiens avaient collaboré activement avec les autorités fédérales pour censurer ou exclure les artistes jugés subversifs, sous l'impulsion de la commission HUAC (House Un-American Activities Committee). La situation actuelle semble pourtant différente : dans ce climat de tensions, les grands studios adoptent une posture de retenue. Loin d'un ralliement explicite à la ligne idéologique de l'administration, il s'agit plutôt d'un ajustement prudent des prises de position publiques et, parfois, des contenus. Ce repositionnement se lit notamment dans la faible politisation des grands événements médiatiques du secteur.

La cérémonie des Oscars en mars 2025 en a fourni une illustration. Aucun discours de soutien ou de critique n'a directement évoqué l'administration en place, contrairement à certaines années où plusieurs acteurs et actrices n'hésitaient pas à exprimer des positions tranchées. Ce silence a d'ailleurs été remarqué et critiqué, non comme un signe d'adhésion, mais comme une forme d'évitement tactique, révélatrice de l'atmosphère tendue. Certaines prises de parole ponctuelles, comme celle de Jane Fonda lors des SAG Awards (Screen Actors Guild Awards), ont tenté d'introduire une parole critique, bien que de manière mesurée. Cette autocensure ne concerne pas uniquement les prises de position publiques : elle tend aussi à infléchir les choix éditoriaux. La production de certains films devient plus risquée − soit parce qu'elle est susceptible de heurter l'exécutif, soit parce qu'elle expose ses acteurs ou réalisateurs à des campagnes hostiles, notamment sur les réseaux sociaux.

Il ne s'agit cependant pas d'une transformation radicale du paysage cinématographique : les lignes de force qui structurent les contenus depuis plus d'une décennie − diversification des récits, ouverture à de nouveaux visages, inclusion de thématiques sociétales − restent largement présentes, notamment sur les plateformes de streaming. Mais l'atmosphère actuelle pousse certains studios à adopter une stratégie d'attente. Dans ce contexte, le climat de précaution agit moins comme une censure que comme une logique de mise en veille : laisser passer la tempête, différer certaines productions, limiter les prises de risque en attendant un moment plus propice pour porter à l'écran des récits jugés potentiellement polarisants.

Les moyens d'influence de l'État fédéral

Pour comprendre cette logique de mise en veille, il faut cerner les risques économiques et pratiques auxquels l'industrie culturelle hollywoodienne est exposée. Si elle repose sur un modèle largement privatisé, elle n'échappe pas totalement à l'emprise des institutions publiques. Loin d'un pilotage direct à la française par un organe comme le CNC, le rapport entre les pouvoirs publics et les studios hollywoodiens s'inscrit dans une logique d'influence plus diffuse, mais non moins structurante.

Au niveau fédéral, plusieurs instruments permettent d'exercer une pression stratégique. La Federal Communications Commission (FCC), organe de régulation des télécommunications, en constitue aujourd'hui le relais le plus visible. Officiellement indépendante, mais présidée depuis 2024 par un proche du président, la FCC a ouvert en 2025 une enquête sur les politiques de diversité menées par le groupe Disney, sous prétexte d'examiner les pratiques internes de recrutement et de gouvernance. Si cette enquête ne vise pas explicitement les contenus audiovisuels − ce qui serait inconstitutionnel − elle fonctionne comme un signal : les studios sont désormais observés. En creux, l'objectif politique transparaît : il s'agit infléchir les représentations par un encadrement des conditions de leur élaboration.

D'autres leviers viennent compléter ce dispositif d'influence. L'administration fédérale peut conditionner son soutien à l'industrie par des aides économiques, des incitations fiscales, ou encore des autorisations logistiques. La mise à disposition de ressources militaires par le Pentagone pour certains tournages − chars, avions, personnels techniques − constitue un soutien précieux pour certains blockbusters, en particulier dans le genre du film de guerre ou d'espionnage. Ce partenariat, ancien et bien documenté, peut être suspendu ou réévalué selon les priorités politiques du moment, introduisant une forme de dépendance implicite entre studios et autorités fédérales.

À cela s'ajoute l'échelon des États : aujourd'hui, 37 États américains proposent des dispositifs d'incitation à la production cinématographique − crédits d'impôt, aides à l'installation, mise à disposition de studios ou de décors. Ces politiques territoriales, souvent concurrentielles, participent d'une économie politique du cinéma qui repose notamment sur la territorialisation des tournages. Elles créent un environnement dans lequel les studios doivent composer avec les attentes politiques locales, parfois dans la ligne présidentielle, parfois plus progressistes.

Enfin, les grandes opérations de fusion-acquisition − fréquentes dans le secteur des médias et des plateformes − sont soumises à validation par les agences fédérales. Ce pouvoir d'agrément, technique en apparence, peut devenir un levier de négociation. Dans un contexte de concentration croissante du secteur, les studios savent qu'un alignement avec l'administration en place peut faciliter certaines opérations stratégiques. La prudence éditoriale devient alors un investissement symbolique, destiné à garantir des marges de manœuvre commerciales.

En somme, l'État fédéral américain ne contrôle pas l'industrie culturelle hollywoodienne, mais il contribue à structurer les conditions dans lesquelles elle évolue. Par un jeu d'actions indirectes, de pressions diffuses et de partenariats conditionnels, il agit comme un filtre, un catalyseur ou un frein, selon les configurations. Cette influence s'est accrue sous l'administration Trump, qui a su mobiliser les outils de l'État pour réorienter, sans l'avouer, les représentations produites par Hollywood. Une stratégie d'autant plus efficace qu'elle ne repose pas sur l'imposition d'une ligne unique, mais sur l'activation sélective de dépendances structurelles.

Fragmentation des récits et polarisation idéologique

Les tensions actuelles entre industrie cinématographique, pouvoirs publics et attentes sociales ne donnent pas lieu à un basculement univoque du paysage audiovisuel américain. Au contraire, c'est par la fragmentation que se redessinent les équilibres : diversification des récits, polarisation des publics, émergence de contre-industries conservatrices. Cette recomposition interne témoigne moins d'un alignement généralisé sur une ligne idéologique que d'une adaptation tactique à des rapports de force mouvants, dans un champ devenu instable.

D'un côté, les productions progressistes − intégrant des thématiques liées à la diversité, au genre, aux inégalités − demeurent présentes et parfois très performantes sur le plan économique. C'est le cas du film Wicked (Chu, 2024), porté par deux actrices issues des minorités (Cynthia Erivo et Ariana Grande), qui figure parmi les plus gros succès mondiaux récents, malgré des campagnes de critique sur les réseaux sociaux. De même, des séries comme The Last of Us (HBO – 2023-2025), Arcane (Netflix – 2021-2024) ou Sex Education (Netflix − 2019-2023) participent à incarner une ligne éditoriale inclusive, plébiscitée par une part importante du public.

D'un autre côté, on assiste à l'essor de nouvelles plateformes et structures de production revendiquant une orientation conservatrice, religieuse, ou nationaliste. Des studios comme Angel Studios ou Pinnacle Peak Pictures (anciennement Pure Flix) se positionnent comme porteurs de productions conservatrices. Le premier a rencontré un succès inattendu avec Sound of Freedom (Monteverde, 2023) centré sur le démantèlement d'un réseau de pédocriminalité en Colombie, tandis que le second a produit la série de films God's Not Dead (2014-2024), qui dénoncent les discriminations et les menaces subies par les chrétiens évangéliques de la part des élites intellectuelles et culturelles aux États-Unis.

Cette polarisation idéologique s'observe aussi dans les stratégies de distribution. Ces studios ont su contourner les circuits classiques en mobilisant les plateformes de streaming, les réseaux religieux et communautaires, ou encore les salles indépendantes. Ils développent une économie de niche engagée, fondée sur la fidélité d'un public-cible, et sur des dispositifs de financement participatif ou de marketing communautaire.

Dans ce contexte, Hollywood ne s'uniformise pas, il se fragmente : la polarisation politique qui traverse la société américaine se traduit par une polarisation culturelle croissante, non seulement dans les récits, mais dans les structures mêmes de l'industrie.

Notes

[1] Benezet, E., Courmont, B., (2007), Hollywood -Washington : Comment l'Amérique fait son cinéma, Paris,

Armand Colin, 240 p. ; Valantin, J-M., (2003), Hollywood, le Pentagone et Washington. Les trois acteurs d'une stratégie globale, Paris, Editions Autrement, 206 p. ; Totman, S., (2009), How Hollywood Projects Foreign Policy, Basingstoke, Palgrave, 226 p.

[2] Bosséno, C-M., Gerstenkorn, J., (1992), Hollywood : l'usine à rêves, Paris, Galimard, 176 p.

[3] On considère ici Hollywood au sens large, en y incluant les plateformes de streaming, dans la mesure où elles jouent désormais un rôle central dans la production, la distribution et la structuration des récits audiovisuels contemporains.

[4] Wayne, M. L. (2021). “Netflix audience data, streaming industry discourse, and the emerging realities of ‘popular' television”. Media, Culture & Society, 44(2), 193-209.


À écouter

« Cinéma : Make Hollywood Great Again », France Culture, 23/4/2025.


Sur le blogue

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« Géographie de la violence : les États-Unis en pôle-position » (Gilles Fumey)

Haïti : la Drill, entre phénomène musical et vecteur de violence urbaine

9 septembre, par Marvens Jeanty — ,
Importée des États-Unis et adaptée à la réalité haïtienne, la drill, un sous-genre du rap au style percutant, s'est imposée depuis quelques années comme l'un des courants (…)

Importée des États-Unis et adaptée à la réalité haïtienne, la drill, un sous-genre du rap au style percutant, s'est imposée depuis quelques années comme l'un des courants musicaux les plus populaires chez la jeunesse urbaine. Si elle séduit par son énergie brute et sa dimension expressive, elle soulève également de vives préoccupations quant à son rôle dans la normalisation de la violence, dans un pays déjà ravagé par l'instabilité sécuritaire et la crise sociale.

Par Jeanty Marvens

Linguiste

Une bande-son de la rue

Initialement née dans les quartiers défavorisés de Chicago, la drill s'est ensuite propagée à Londres, Paris, puis Port-au-Prince. En Haïti, ce courant musical a trouvé un terrain fertile dans les bidonvilles et zones sensibles, où de jeunes artistes comme Bourik the Latalay, Jiji 445 , ou King Peliko, s'imposent sur les plateformes numériques. Ces musiques sont consommées majoritairement par une jeunesse très vulnérables et qui a souvent tendance à prendre au sérieux les paroles utilisées et le comportement adopté par ces chanteurs de drill. Les conséquences s'avèrent démesurées dans un pays où déjà rien ne va.

Les paroles de leurs morceaux sont explicites : elles abordent la rue, les guerres de territoires, propagande des produits illicites, la vengeance, les armes à feu et la défiance envers les autorités. Dans les clips, les armes – parfois bien réelles – et les gestes menaçants occupent une place centrale, traduisant une volonté assumée de représenter sans filtre une
réalité brutale.

Un exutoire artistique ou une incitation à la violence ?

Pour de nombreux artistes, la drill est un canal d'expression légitime, permettant de traduire les frustrations, la colère et le sentiment d'abandon d'une jeunesse livrée à elle-même. À travers la musique, certains trouvent une échappatoire, une forme de reconnaissance sociale, voire une opportunité économique dans un contexte où les voies traditionnelles sont verrouillées.

Mais pour d'autres observateurs, ce mouvement musical agit également comme amplificateur de tensions. Dans un pays où les affrontements entre gangs rivaux sont quotidiens et où les armes circulent librement, la diffusion massive de textes glorifiant la violence peut avoir des effets pervers. Certaines chansons, loin de simplement raconter la violence, la banalisent voire la légitiment. Dans certains cas, elles servent de tribunes aux revendications de groupes armés ou de messages codés entre factions criminelles.

Un vide institutionnel préoccupant

Le développement de la drill en Haïti s'inscrit dans un contexte de désintégration de l'autorité étatique, d'absence de politique culturelle, et d'effondrement du système éducatif. Pour les jeunes issus des quartiers défavorisés, cette musique devient parfois le seul espace de visibilité dans une société où ils sont largement marginalisés.

« La drill est une manifestation artistique d'un malaise social plus profond. Ce n'est pas la musique qui crée la violence, mais elle peut contribuer à en entretenir la dynamique », analyse un sociologue spécialiste des cultures urbaines. Le problème n'est donc pas uniquement musical, il est sociopolitique.

Entre liberté artistique et responsabilité collective

La question de la régulation reste délicate. Tenter de censurer ce mouvement serait perçu comme une atteinte à la liberté d'expression et risquerait d'amplifier le phénomène. Toutefois, des pistes existent : éducation aux médias, accompagnement artistique, mise en place de programmes d'encadrement dans les quartiers sensibles, sensibilisation sur l'impact social des paroles.

Les plateformes de diffusion comme YouTube ou TikTok, souvent pointées du doigt pour leur manque de modération, pourraient également jouer un rôle plus actif en instaurant des mécanismes de signalement et de contextualisation des contenus violents.


Conclusion : une musique miroir d'un pays en crise

La drill en Haïti ne peut être réduite à un simple divertissement musical. Elle est à la fois le symptôme et le révélateur d'un profond déséquilibre social. Elle traduit un mal-être, mais elle peut aussi, si elle est canalisée, devenir un moteur de transformation culturelle.

La balle est désormais dans le camp des acteurs politiques, culturels et éducatifs. Car derrière le bruit des basses et les rimes percutantes, c'est toute une génération qui tente de faire entendre sa voix.

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Livre à paraître : Passer à l’action !

9 septembre, par Les Éditions Écosociété — , , ,
À quelques jours de la rentrée, dans un contexte de coupes en éducation qui poussent peut-être à annuler le club d'échec, fermer le journal étudiant ou à réduire les heures (…)

À quelques jours de la rentrée, dans un contexte de coupes en éducation qui poussent peut-être à annuler le club d'échec, fermer le journal étudiant ou à réduire les heures d'ouverture de la bibliothèque, etc. ; explorons l'importance de ces espaces d'engagement dans le parcours des jeunes.

Passer à l'action ! le premier essai de Catherine Ouellet-Cummings, créatrice multidisciplinaire et coéditrice de la revue pour enfants Grilled-Cheese, paraîtra le 17 septembre prochain !

Il s'agit du 10e essai dans la collection Radar (15 ans +) chez Écosociété.

En bref : Dans Passer à l'action ! Catherine Ouellet-Cummings nous présente des jeunes de tous les horizons qui ont choisi de s'impliquer dans leur milieu scolaire ou ailleurs. Leurs récits démontrent que ces expériences d'engagement ont été formatrices et motivantes dans leur parcours, ont même souvent contribué à leur réussite.

À propos du livre

L'engagement vient d'une envie de changer quelque chose, de prendre part à un mouvement, de partager une passion ou de sentir qu'on appartient à une communauté. Appuyer une cause, participer à un projet dans son école, apprendre ce qui ne s'enseigne pas, défendre ses idées, aider un organisme, influencer des décisions, se sentir moins seul·e, revendiquer des changements : il existe autant de raisons de s'engager que de gens qui s'engagent. Cette démarche, à tout âge de la vie, permet de développer son estime de soi, de créer des liens sociaux et de trouver sa place dans la communauté.

Devant une injustice, plus facile de se taire, mais ça ne fait pas changer les choses. Les jeunes sont sensibles aux inégalités ; et si on valorisait davantage leur idéalisme, leurs motivations ? Et si on répondait à leur désir de savoir et d'avoir un impact ? Cet essai, en donnant la parole aux jeunes, invite toute une société à tendre l'oreille pour grandir avec sa jeunesse et rester ouverte à de nouvelles manières d'envisager l'avenir. Et si on leur donnait les outils pour se mobiliser plutôt que de leur apprendre à se taire ?

À propos de l'autrice

Catherine Ouellet-Cummings a publié des textes dans plusieurs magazines québécois et est créatrice de fanzines. En 2006, elle a cocréé le studio multidisciplinaire L'abricot. Elle est également cofondatrice et éditrice de Grilled cheese, un magazine jeunesse bilingue.

Les crises du capitalisme : logique, moment, perspectives

9 septembre, par Cédric Durand — , ,
Cet article est issu d'une soirée du Centre d'études marxistes, le 16 décembre 2024. Ces formations visent à la fois un objectif d'autoformation et de réflexion critiques. (…)

Cet article est issu d'une soirée du Centre d'études marxistes, le 16 décembre 2024. Ces formations visent à la fois un objectif d'autoformation et de réflexion critiques. Elles empruntent donc beaucoup à des travaux préexistants de camarades issu·es ou non de notre courant. L'auteur expose ici les dynamiques en œuvre dans les crises du capitalisme.

11 mai 2025 | tiré de la Revue L'Anticapitaliste n° 165 | Crédit Photo : Photothèque Rouge / Copyright : Photothèque Rouge/DR

Je vais être un peu technique, mais pas trop. Et compte tenu du cadre limité de cette présentation, je ne pourrai évidemment pas aborder l'ensemble des mécanismes des crises du capitalisme. Le capitalisme, c'est la crise, mais il y en a de différentes sortes.

Il y a les crises emblématiques : celle qui commence avec le krach d'octobre 1929 aux États-Unis, suivie de la grande dépression internationale ; celle des subprimes de 2008, qui a entraîné la faillite de Lehman Brothers et une grande récession sur une bonne dizaine d'années. Il y a aussi les crises trainantes, comme la stagflation des années 1970 (hausse des prix, hausse du chômage) qui débouche sur la vague néolibérale des années 1980 ou la déflation japonaise de 1991-2021, marquée par une atonie générale. Il y a aussi les crises dans la périphérie, comme le défaut de paiement du Mexique en 1982, qui déclenche une crise dans les autres pays du Sud, ou la crise asiatique de 1997-1998, qui touche la Thaïlande, l'Indonésie, la Corée du Sud, etc.

L'histoire du capitalisme, c'est donc l'histoire de ses crises, mais aussi l'histoire de ses réponses temporaires à ses crises, par une réorganisation qui relance l'accumulation. Pour Ernest Mandel il y a un lien entre les grandes crises et les vagues d'accumulation du capital (les ondes longues). Pour lui, les solutions aux grandes crises sont toujours externes à l'économie capitaliste, ce sont les guerres, les conquêtes de régions non encore dominées par le capital, etc. Tandis que pour les théoriciens de la régulation, il existe des ajustements institutionnels qui permettent de sortir de ces grandes crises. Dans tous les cas, même si l'on admet une grande plasticité du capitalisme, jusqu'où peut-elle aller ?

Je souhaiterais ici évoquer les trois logiques fondamentales des crises, telles qu'analysées par Marx et les auteurs qui en sont proches. Puis, aborder la crise actuelle comme moment charnière, comme moment de bascule dans la régulation du capitalisme. Enfin, je prendrai quelques risques en tentant d'esquisser ce que nous indique le présent comme préfiguration de l'avenir.

Les trois logiques des crises capitalistes

Je distinguerai la suraccumulation de capitaux, la spatialisation (spatial fix) et la socialisation des crises.

1. La suraccumulation

Le capitalisme, c'est une accumulation de valeurs. David Harvey propose une analogie avec le cycle de l'eau (les océans, la condensation dans les nuages, l'eau qui retombe en précipitations), c'est toujours de l'eau sous différentes formes. La valeur c'est la même chose. Or, le capital, c'est de la valeur en mouvement. Pour bien comprendre ce qu'est le capitalisme et d'où viennent ses crises, je citerai Marx (Le Capital, Livre I, section VII) :

« Le premier mouvement qu'effectue le quantum de valeur censé fonctionner comme capital est la transformation d'une somme d'argent en moyens de production et en force de travail. Celle-ci se déroule sur le marché, dans la sphère de circulation. » C'est le mouvement A-M (transformation de l'argent en marchandise) : quelqu'un a de l'argent, il achète des bâtiments, des machines et de la force de travail.

« La seconde phase de mouvement, le procès de production, est achevée quand les moyens de production sont transformés en une marchandise dont la valeur dépasse la valeur de ses composantes, autrement dit, en une marchandise qui contient le capital avancé à l'origine plus une survaleur. » C'est le procès de production (PP), au cours duquel ces marchandises sont transformées en quelque chose qui vaut davantage que ses composantes, une valeur supplémentaire.

« Ces marchandises doivent ensuite être relancées dans la sphère de la circulation. Il faut les vendre, réaliser leur valeur en argent, retransformer cet argent en capital et ainsi de suite. Ce circuit, qui parcourt constamment les mêmes phases successives, constitue la circulation du capital. » Il faut que le capitaliste réalise sur le marché la valeur nouvelle qui a été créée dans le procès de production (c'est le mouvement M'-A').

Pour comprendre les crises du capitalisme, il faut avoir en tête ces trois moments. Ce schéma de David Harvey (voir figure 1) permet de représenter la même chose. L'intérêt de cette représentation, c'est qu'elle suggère tous les points où la crise peut avoir lieu.

Figure 1

Elle peut se déclarer sur les marchés financiers : vous lancez une production de brocolis surgelés, votre business plan est parfait, mais les banques ne peuvent pas vous prêter d'argent, parce qu'on est en pleine crise des subprimes, en 2008. Mais la crise peut aussi se déclarer dans le procès de production, par exemple, parce qu'en 2021-2022, la pandémie prive votre entreprise des puces électroniques nécessaires. La production peut aussi être stoppée par une grève ou une catastrophe écologique. Enfin, la réalisation des profits peut être empêchée par l'absence de débouchés solvables au prix attendu, un aspect sur lequel insistent beaucoup les keynésiens. Ce schéma permet de comprendre que les crises du capitalisme peuvent avoir de multiples causes internes ou externes tout au long de la circulation du capital.

Les causes internes sont toujours liées à la suraccumulation du capital. Il y a trop de capital par rapport aux possibilités de l'utiliser de manière rentable. En d'autres termes, plus les profits sont importants, plus il est difficile de maintenir un taux de profit élevé. Cela nous ramène au thème très discuté par les marxistes de la baisse tendancielle du taux de profit (l'augmentation de la part du capital constant – les infrastructures, les machines, les matières premières –, qui ne produit pas de survaleur, augmente par rapport à celle du capital variable, la force de travail, qui produit seule la valeur nouvelle). Mais il peut aussi y avoir des stocks excédentaires et des capacités de production sous-utilisées ; un excédent de cash, parce qu'il est difficile d'investir de manière rentable (Apple dispose aujourd'hui de 160 milliards de dollars en cash) ; le chômage est aussi une manifestation de cette incapacité de mobiliser les ressources productives.

La suraccumulation conduit à la dévalorisation du capital : par ex., avec les crises immobilières, le capital congelé dans l'immobilier perd de sa valeur. C'est vrai aussi des stocks d'automobiles invendues, des machines sous-utilisées, etc. Cette dévalorisation est une manifestation de la crise, mais aussi un moyen pour le capital, qui a réussi à surmonter la crise, de se relancer en éliminant de la circulation le capital suraccumulé. Il y a ainsi de petites crises, avec des faillites, et des capitalistes qui parviennent à racheter des actifs à moindre coût, et des grandes crises, où le capitalisme peine à se relancer, comme en 1929-1932 ou en 20081…

2. La spatialisation (spatial fix)

C'est l'idée qu'on peut résoudre les crises en les déplaçant ailleurs. Par exemple, la réponse à la crise des années 1970 a été la mondialisation, la délocalisation d'une partie des activités ou l'achat d'intrants à moindre coût à des fournisseurs étrangers. Ce mécanisme a été perçu par David Ricardo et par Marx2. D'autre part, puisque la crise résulte de la suraccumulation de capitaux, l'investissement à l'étranger représente aussi une réponse possible. Marx explique que l'exportation des capitaux vise à relever le taux de profit. Il s'agit donc d'aller chercher des profits à l'étranger. La théorie marxiste de l'impérialisme explique que les capitalistes qui investissent à l'étranger vont devoir protéger leurs actifs, d'où la course aux armements, le militarisme et la guerre qui en découlent. Le cas de la Première Guerre mondiale est le plus classique.

La montée de la conflictualité avec l'étranger est aussi une réponse aux crises de réalisation (de débouchés), comme l'a montré notamment Rosa Luxemburg.

Il y a souvent un antagonisme entre marxistes et keynésiens sur ce point-là, que Michal Kalecky, un marxo-keynésien des années 1930-1940, a tenté de dépasser en expliquant qu'il y a certes des moyens de résoudre bien des crises du capitalisme, mais que cela n'est pas possible pour des raisons politiques. Parce que si la résorption du chômage dépendait d'une intervention de l'État, la société n'aurait pas besoin du capitalisme pour se gouverner elle-même ; mais aussi, parce que la disparition de l'armée de réserve industrielle minerait la discipline dans les usines. En revanche, la relance par le militarisme (keynésianisme militaire) ne pose pas les mêmes problèmes. L'aversion pour les dépenses publiques est surmontée par les dépenses d'armement, comme le montre en particulier le fascisme3.

Il peut aussi s'agir de transférer ailleurs, en particulier sur les pays du Sud, les coûts d'ajustement des crises. Le classique en la matière, c'est la crise de la dette. Dans les années 1980, lorsque le Plan Brady « résout » la crise de la dette latino-américaine, l'État américain « vient au secours » des pays les plus touchés en échange de concessions extraordinaires, les plans d'ajustement structurels, au profit des multinationales du Nord. Mais de l'argent est bien injecté dans ces économies, qui permet de sauver les banques américaines très exposées. De même, en 2011-2012, la « résolution » de la crise grecque vise à éviter un défaut de paiement et une contagion pour les banques européennes, en particulier françaises et allemandes, au prix d'un terrible ajustement pour la population grecque. Au lieu de dévaloriser les actifs des banques européennes, on a dévalorisé les Grecs eux-mêmes en coupant dans leurs salaires et leurs dépenses publiques. La perte de valeur a été ainsi transférée spatialement.

3. La socialisation

S'il y a une crise finale du capitalisme, il ne faut pas la penser en termes d'effondrement ou d'émergence spontanée du socialisme. En revanche, il y a une limite au capitalisme. Dans l'avant-dernier chapitre du Livre I du Capital, Marx explique que la tendance à long terme du capitalisme, c'est l'expropriation des expropriateurs, c'est-à-dire des capitalistes qui ont, à l'origine, exproprié les paysans, les petits artisans, les indigènes des colonies, etc. Or, cette logique d'expropriation s'est poursuivie durant toute l'histoire du capitalisme.

Les grosses entreprises absorbant les plus petites, le capitalisme conduit à une concentration et à une centralisation croissante de la production. Le monopole du capital devient ainsi un obstacle au fonctionnement du capitalisme, la loi de la valeur supposant la concurrence des capitaux entre eux. De même, la socialisation du travail tend à devenir incompatible avec son enveloppe capitaliste. « Les forces productives matérielles de la société entrent ainsi de plus en plus en contradiction avec les rapports de production existants ».

On notera que dans l'ensemble de ses raisonnements sur la logique des crises, Marx déploie une méthode qui consiste à découvrir le monde nouveau dans la critique du monde ancien. Il faut ainsi chercher dans l'ancien les potentialités de l'avenir. « Nous ne voulons pas anticiper le monde dogmatiquement, mais découvrir le monde nouveau en commençant par la critique du monde ancien » (Lettre à Arnold Ruge, septembre 1943).

Le moment charnière dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui

Nous sommes dans un moment de « périphérisation » de l'Europe, qui a été au centre du capitalisme pendant une grande partie de son histoire. Elle reste centrale à certains égards, mais de moins en moins. On peut dire qu'elle devient semi-périphérique dans une série de secteurs de pointe. Les deux graphiques en figure 2 montrent clairement cela.

Figure 2

Et si on considère les choses en détail, on s'aperçoit que la part des États-Unis dans le PIB mondial (à parité de pouvoir d'achat) a diminué, mais pas tant que ça, tandis que la réduction des parts du Japon, de l'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni sont spectaculaires. Pour ne prendre que l'Allemagne et la France, soit le cœur de l'Union européenne, elles représentaient 10,6 % du PIB mondial en 1980. Aujourd'hui, elles ne pèsent plus que la moitié, soit 5,3 % du PIB mondial. En revanche, la Chine et l'Inde sont passées de 5 % du PIB mondial à plus de 20 % aujourd'hui. Il s'agit d'un basculement historique.

Ce basculement s'est produit dans une période marquée par la perte de dynamisme du capitalisme dans les principaux pays riches : dans les pays du G7, la croissance annuelle est passée de 3 %, au début des années 1980, à 1 % aujourd'hui, avec une grande instabilité croissante (la crise de 2008 et celle du Covid y sont particulièrement spectaculaires (voir figure 3).

Figure 3

Ce n'est pas pareil dans le reste du monde : la Chine et l'Inde ont connu une croissance accélérée avec un ralentissement dans les années 2000 (très marqué pour la Chine), qui se traduit par une décélération à l'échelle mondiale. Depuis les années 2010, la Chine ne compense plus le ralentissement observé dans le reste du monde. Nous sommes donc dans un moment marqué par la marginalisation de l'Europe et par un ralentissement généralisé du capitalisme mondial, à l'œuvre depuis plusieurs décennies dans les économies riches, auquel participe aujourd'hui la Chine (voir figure 4).

Figure 4

Nous assistons à un épuisement des forces motrices du régime néolibéral, qui a été tiré par la mondialisation financière (commerce et investissements internationaux). Il avait permis de compenser la perte de dynamisme des « pays riches ». Or, la part du commerce dans le PIB mondial a cessé de croître dans la foulée de la crise de 2008 et il a même commencé à reculer (voir figure 5).

Figure 5

De même, les entreprises tendent à moins investir dans les pays éloignés. Enfin, la part du commerce mondial sous sanction n'a cessé d'augmenter depuis 2010 (aujourd'hui 12 %), d'où une tendance à la fragmentation économique.

Depuis la crise de 2008, on observe aussi un ralentissement très net des investissements internationaux, en particulier dans les pays riches. La mondialisation financière n'a pas disparu, mais elle a cessé de croître et elle a marqué une tendance au repli.

Quelle est la dynamique des profits financiers ? Pour les États-Unis, c'est assez net. On assiste à un déclin de la part des profits financiers sur l'ensemble des profits. Pour la zone euro, on a observé une même tendance moins nette jusqu'en 2022-2023, mais, avec la hausse des taux d'intérêt, les banques ont réalisé de gros profits depuis lors. Il semble pourtant bien que le poids du secteur financier ait commencé à reculer dans l'économie mondiale.

Ce qui est le grand mystère, c'est la suraccumulation du capital fictif (actions, titres de la dette publique, prêts bancaires, etc.) (voir figure 6), qui est échangé et comptabilisé comme d'autres éléments du capital, mais qui ne génère pas de valeur, contrairement au capital investi dans les entreprises. Dans le langage commun, il s'agit de la « sphère financière ». Quel est donc le poids de ce que Marx appelait « les formes basiques du capital fictif », c'est-à-dire la capitalisation boursière, le crédit au secteur non financier et la dette publique, par rapport au PIB, à l'économie globale ? Dans ces dernières décennies, il n'a cessé de croître (à part en Allemagne, où il s'est stabilisé autour de 2008).

Figure 6

Si on veut comprendre comment le capitalisme a tenu durant ces dernières années, il faut tenter de comprendre ce qui se joue avec ce poids extraordinaire de la sphère financière et jusqu'où cela peut aller. Hyman Minsky, un économiste étatsunien postkeynésien progressiste a évoqué un « moment » où la croissance de la sphère financière arrive à un niveau insupportable, prélude à un retournement brutal. Pour éviter la répétition de la crise de 2008, James Crotty, un économiste postkeynésien américain influencé par le marxisme, avait affirmé alors qu'il fallait contraindre politiquement les marchés financiers à se contracter par rapport aux secteurs non financiers et marginaliser ou interdire les titres non transparents, complexes ou illiquides4. Il ajoutait que si ce n'était pas le cas, la croissance trop faible de l'économie réelle ne permettrait pas à terme de soutenir les expectatives de profit d'une sphère financière en expansion continue.

Pourtant, la sphère financière a continué à croître depuis 2008. Pourquoi ? Parce que l'État a volé à son secours. Les banques centrales ont validé des dettes privées en augmentation constante. Ainsi, leurs actifs, qui ne représentaient que 5 % du PIB des États-Unis en 2005 et 10 % de celui de la zone euro, se montaient respectivement à près de 40 % et 70 % du PIB en 2022 (voir figure 7). Pourtant, comme l'a expliqué l'économiste marxiste Suzanne de Brunhoff, aucune politique publique de pourra jamais abolir les contradictions fondamentales qui sont à l'origine des tensions financières. La question est de savoir où se situe l'ultime frontière de cette intervention publique et si l'on s'en rapproche aujourd'hui. Sans entrer dans des considérations techniques, je pense que nous sommes arrivés au terme de l'hégémonie de la sphère financière et qu'il va donc falloir réduire le poids du capital fictif par rapport à l'économie réelle.

Figure 7

Cela ne veut pas dire qu'il va y avoir une crise financière catastrophique. Celle-ci aurait en effet déjà dû avoir lieu. En mars 2020, avec le Covid, les bourses se sont effondrées. Pourtant, elles se sont assez vite rétablies. Pourquoi ? Parce que les banques centrales sont intervenues pour empêcher une crise financière. À l'automne 2023, la Fed est encore intervenue massivement pour éviter une contagion de la faillite de la Silicon Valley Bank. En Europe, un mécanisme de la BCE est prévu pour contenir toute nouvelle crise de la dette. Donc, je crois plutôt à une crise financière au ralenti, qui verrait le capital fictif rongé par l'inflation. Cependant, avec l'essor des crypto monnaies et leur dérégulation par Trump, un grave choc financier ne peut pas être exclu.

Il n'en reste pas moins que la sphère financière ne tient que par le soutien public, et donc par une volonté politique. Lorsque la droite dénonce l'assistanat et l'explosion des dépenses publiques, etc., il faut lui rappeler ce fait essentiel.

En quoi le moment présent est-il porteur des traces de l'avenir ?

Qu'est-ce qu'on peut observer dans le présent et quelles en sont les potentialités futures ? Je vais discerner trois logiques : l'exaltation néofasciste (l'affreux) ; le vraiment moche, une stagnation techno-féodale ; une planification écosocialiste, ce qu'on souhaiterait, qui semble peu probable. Mais à l'ère des catastrophes, les choses bougent très vite. On peut aussi imaginer des hybridations de ces trois solutions.

1. L'exaltation néofasciste (l'affreux)

Nous observons aujourd'hui le mariage, à la tête de l'économie la plus puissante économie du monde, d'une extrême droite décomplexée avec une dimension néofasciste et de l'homme le plus riche du monde, Elon Musk, incarnation des secteurs les plus dynamiques du capitalisme en termes de valorisation. Les mêmes tendances sont à l'œuvre dans d'autres régions du monde.

Quelle est la signification économique de cela ? Rappelons que pour Kalecki, le fascisme permet de dépasser l'aversion pour les dépenses publiques, parce que la résorption du chômage ne débouche pas sur un meilleur rapport de force pour les travailleurs, dans la mesure où la liquidation des syndicats et la répression politique y pourvoient (la pression politique remplace la pression économique du chômage). Cela rend possible une relance keynésienne par les dépenses publiques avec une explosion de la dette. C'est ce qui semble se dessiner aux États-Unis, mais aussi en Allemagne, où la règle d'or de la réduction du déficit budgétaire est remise en cause à l'approche des élections, même si la droite l'emporte. Les capitalistes semblent croire à cette solution, si l'on considère la hausse des marchés boursiers aux États-Unis après l'élection de Trump. Ils se disent que les impôts vont baisser, que les réglementations vont être allégées, et que de nouveaux profits seront possibles.

Les marchés anticipent aussi un retour de l'inflation. L'idée que la dernière vague d'inflation a été réglée durablement n'est pas convaincante en raison des tensions que connaît la finance internationale dans un contexte de fragmentation géopolitique et de guerre. Aux États-Unis, la facilitation de la formation d'ententes et de cartels, mais aussi la hausse des droits de douane, va aussi dans ce sens. Toutefois, en dépit de la baisse de la syndicalisation, cette dernière période a vu une montée des mobilisations ouvrières et certaines victoires (en particulier dans l'automobile). Or, il faut souligner que l'inflation n'est pas neutre sur le plan social. Bien sûr, si le pouvoir d'achat des classes populaires pouvait être maintenu, elle éroderait le pouvoir du capital. Ça a été le cas après la Seconde Guerre mondiale. Mais si la défense des bas revenus n'est pas assurée, elle pèse proportionnellement plus sur eux, parce que ce sont les produits les moins chers qui voient leurs prix augmenter le plus vite. Avec Trump, l'autoritarisme politique tendrait donc plus que jamais à faire payer l'inflation par les classes populaires.

Avec la hausse des dépenses publiques dans le secteur de l'armement, la guerre devient aussi une option moins improbable. Ceci peut aller de pair avec un retour de formes de planification et d'organisation de l'économie. Or, ce que montre Benjamin Bürnbaumer, c'est que la dynamique des capitalismes étatsunien et chinois les pousse de plus en plus à la confrontation. Les complémentarités entre eux, qui avaient nourri la mondialisation financière, tendent aujourd'hui à s'épuiser avec le rattrapage de la Chine5.

2. Le techno-féodalisme (le mauvais)

Le technoféodalisme est une tendance à l'œuvre au cœur du capitalisme actuel6. Le féodalisme, c'était une petite production sur laquelle pesait le prélèvement seigneurial en raison d'une contrainte politique. Certes, le capitalisme actuel ne tend pas à revenir à la petite production individuelle, tout au contraire, la socialisation croissante de la production se poursuit (il suffit de penser à Amazon et à ses liens avec une multiplicité sans précédent de secteurs économiques). Mais une logique de prélèvement, de prédation, se développe, et ceci sous trois angles :

A) Comme le serf du Moyen Âge était attaché à la terre, nous sommes attachés à la « glèbe numérique ». Les individus, la gig économie, les entreprises, les États, etc. dépendent toutes de ces plateformes. Il en découle que des entreprises très particulières dominent la structuration actuelle du capitalisme.

B) On observe une fusion de l'économique et du politique. En Chine, les plateformes numériques sont très développées et l'État les a reprises en main au cours de ces 3 à 4 dernières années. Il a acquis des actions des participations qui ne lui rapportent aucun dividende mais lui donnent un pouvoir de veto. L'État chinois comprend en effet que le contrôle de ces plateformes est indispensable au contrôle de l'organisation sociale, c'est pourquoi il n'entend pas les laisser se développer de façon autonome.

C) La concurrence entre les entreprises existe toujours, mais elle se fait de plus en plus au niveau de ces énormes capitaux numériques dans un jeu à somme nulle. Leur logique vise à multiplier les capteurs qui permettent de contrôler l'activité sociale, de la centraliser vers leurs plateformes et de prélever ainsi un revenu. Ce n'est pas une logique de production, mais une logique de prédation par le contrôle du territoire de l'organisation sociale. Des entreprises sont désormais capables de centraliser et de conserver les connaissances sociales générales, formant une nouvelle classe d'organisations propres, de plus en plus détachées des autres capitaux au sommet de la structure industrielle. Elles se battent entre elles pour monopoliser les formes de coordination sociale.

Ernest Mandel insistait sur la capacité des multinationales à organiser l'activité économique. Mais que dire du petit nombre de plateformes qui rivalisent pour le contrôle ultra-centralisé de l'activité sociale ? Ces entreprises sont des méta-agents de la connaissance. Elles représentent le top du capitalisme mondial. Ce sont les plus grosses sociétés en termes de capitalisation boursière (voir figure 8). Parmi les 8 première, il y en a 7 qui sont américaines et liées au numérique (la seule qui ne l'est pas est saoudienne, dans le secteur pétrolier).

Figure 8

Des figures incarnent cette évolution. Musk est l'homme le plus riche du monde, il est à la manœuvre au cœur du gouvernement US, il possède les capacités de calcul les plus développées (en 2024, il a lancé le centre de calcul Colossus pour entraîner son modèle d'IA), mais aussi l'ensemble de données propriétaires le plus important (grâce à son réseau de satellites Starlink qui lui fournit des images satellite et des flux de communication de l'ensemble de la planète en temps réel ; grâce aussi aux caméras vidéos de tous les véhicules Tesla qui circulent dans le monde ; grâce aux données de son réseau social X).

L'essor du techno-féodalisme laisse entrevoir une société post-capitaliste sous une forme terrifiante qui pourrait conduire à un nouveau mode de production régressif.

3. La planification écosocialiste (le bon)

Bien sûr, cette option paraît aujourd'hui improbable en raison des rapports de force sociaux en présence. Mais il ne faut pas oublier que la crise écologique qui ne cesse de s'accélérer va avoir des répercussions politiques exceptionnelles. Sur les 9 frontières écologiques évaluées, 6 ont déjà été dépassées (voir figure 9). L'idée qu'il va falloir modifier de façon radicale les formes d'organisation de notre rapport à la biosphère va devenir de plus prégnante dans les années et décennies à venir. Or, les deux options précédentes ne présentent aucune réponse à ce problème.

Figure 9

Comme l'économiste écologiste William Kapp l'écrivait déjà en 1970 : « La transformation actuelle de l'environnement n'est plus l'expression d'une maîtrise croissante du monde dans lequel nous vivons, mais au contraire le signe d'une perte de cette maîtrise ». Ce qui se joue à propos de la planification écosocialiste, c'est le métabolisme de la société humaine avec la nature qui est complètement dans le rouge. Aujourd'hui, le principal agent de ce métabolisme, c'est la loi du profit. Si on prend au sérieux le défi écologique, il en découle donc des conclusions radicales.

La crise écologique est aussi économique. C'est ce que les marxistes écologistes appellent « la seconde crise du capitalisme », associée aux perturbations dans le processus de valorisation liées aux dégradations de l'environnement. Un graphique de la Banque des règlements internationaux, la banque des banques centrales, montre que les catastrophes naturelles sont de plus en plus importantes et que leur coût est de plus en plus lourd. Ceci pèse bien sûr sur le secteur des assurances, mais pas sur lui seul.

Cette crise peut-elle être maîtrisée au sein du capitalisme ? Que dire de la « finance verte » ? Le responsable des investissements chez Black Rock a jeté l'éponge après un an et demi en raison d'une crise morale. Il explique que les investissements verts sont du greenwashing (une escroquerie consciente), mais aussi une escroquerie théorique (si l'on pouvait faire autant ou plus de profits avec des « investissements verts », la loi du profit les garantirait spontanément).

En Allemagne, une filiale de la Deustche Bank proposait des « investissements verts ». À la suite d'une dénonciation de la part d'un responsable, une enquête de police l'a forcée à réduire de 75 % les actifs qu'elle prétendait « verts », c'est-à-dire qu'elle mentait à 75 %. Enfin, une étude publiée en septembre 2024, qui prend en compte toutes les obligations « vertes » publiques et privées émises aux États-Unis de 2014 à 2023, a montré que 2 % seulement d'entre elles apportaient quelque chose par rapport aux investissements classiques (dans 98 % des cas, ces investissements n'ont rien de « vert »).

Si les décideurs publics et privés parlent beaucoup des enjeux écologiques, ils ne font pas grand-chose de tangible en la matière. C'est une source de crise interne et de fragilité au sein des élites responsables de ces politiques. C'est pourquoi, avec Razmig Keucheyan, nous avons développé un programme de planification écologiste réformiste-révolutionnaire, qui met l'accent sur la socialisation de l'investissement7. Cette perspective a été défendue par Michel Husson, sous le nom de plume de Maxime Durand, dans un papier remarquable8.

Planifier écologiquement aujourd'hui, c'est se donner les moyens d'établir un inventaire permanent de la nature, alors que la comptabilité écologique n'existe pas. C'est se donner le moyen de faire des scénarios en fonction des contraintes écologiques dont on prend conscience et de quel genre de vie on veut. L'outil pour le faire, c'est le contrôle des investissements qui priverait les capitalistes de leurs principales prérogatives. Ainsi pourrions-nous éviter les défaites et les cauchemars que j'ai évoqués précédemment. 

Notes

1. David Harvey, Les limites du capital. Suaccumulation et dévalorisation. Éd. Amsterdam, 2020.
2. « Le capital est envoyé à l'étranger, non pas parce qu'il ne pourrait absolument pas être utilisé dans le pays, mais parce qu'il peut être employé à un taux de profit plus élevé dans un pays étranger » (Marx, Le Capital, Livre III, chap. XV.
3. Sous le fascisme, « l'aversion pour les dépenses publiques [...] est surmontée en concentrant les dépenses publiques sur l'armement » in Michal Kalecki, Selected Essays on the Dynamic of Capitalist Economy, Cambridge U. P., 1971, p. 141.
4. « L'ampleur et la gravité de la crise actuelle montrent clairement que la trajectoire de croissance des marchés financiers au cours des dernières décennies n'est pas viable et doit être inversée » in James Crotty, Cambridge Journal of Economics, 33(4), 2009.
5. Benjamin Bürnbaumer, Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation. Éd. Maspero, 2024.
6. Cédric Durand, Tecno-féodalisme, critique de l'économie numérique. Éd. La Découverte, 2023.
7. Cédric Durand et Razmig Keucheyan, Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique, Paris, La Découverte, 2024.
8. « Planification. 21 thèses pour ouvrir le débat », 1991 (http ://hussonet.free.fr/plani21.pdf).

Où la main très visible de Donald Trump conduit-elle les États-Unis ?

9 septembre, par Robert Boyer — , ,
Alors que les dirigeants du Sud global s'unissent pour tourner le dos à la politique tarifaire de Washington, Donald Trump poursuit l'administration de la politique économique (…)

Alors que les dirigeants du Sud global s'unissent pour tourner le dos à la politique tarifaire de Washington, Donald Trump poursuit l'administration de la politique économique des États-Unis suivant ses intérêts personnels. Si le président américain donne la priorité à la souveraineté, les effets du « national capitalisme autoritaire » qu'il déploie vont à l'encontre des objectifs du Make America Great Again.

9 septembre 2025 | tiré d'AOC media
https://aoc.media/opinion/2025/09/08/ou-la-main-tres-visible-de-donald-trump-conduit-elle-les-etats-unis/?loggedin=true

La fin du projet néolibéral a déjà été annoncée à de multiples reprises, alors même que, pendant plusieurs décennies, il a continué à inspirer les politiques, même de ses opposants. On pense au programme politique de Tony Blair ou encore à celui des partis de gauche, tel le Parti Socialiste français ou encore des Démocrates nord-américains. Au-delà de tout doute, Donald Trump ouvre une autre période qu'il convient de caractériser.

Un interventionnisme tous azimuts

Clairement le mythe de la main invisible du marché organisant l'allocation des ressources a vécu tant du fait de la domination de monopoles dans les secteurs émergents que de la recherche de la souveraineté nationale par nombre de gouvernements. Or le meilleur élève de la classe est sans nulle doute Donald Trump. Voici un échantillon de ses récentes décisions.

Le gouvernement américain octroie de nouvelles licences d'exportation aux entreprises NVIDIA et AMD moyennant le paiement de 15 % de taxes. La même mesure est envisagée pour l'exportation au reste du monde des avions F35s. Les décisions du gouvernement sont souvent négociées unilatéralement avec les entreprises qui parviennent parfois à être exemptées des droits de douane brandis comme des menaces. On se souvient du cadeau de Tim Cook à Trump qui lui a permis d'exempter Apple de droits sur l'importation de chips.

Contrairement à l'administration Biden, les mesures ne sont pas horizontales et universelles mais spécifiques car bilatérales et façonnées par la vision très personnelle du monde de Donald Trump. En témoigne la distribution chaotique de l'augmentation des droits de douane, déterminée plus par la vision géopolitique de Donald Trump que par la recherche de l'efficacité économique.

Au début de son second mandat, le lobby des capitalistes high tech de la Silicon Valley semblait faire jeu égal avec le Parti Républicain quant à l'orientation de la politique économique. Depuis le spectaculaire divorce entre Elon Musk et Donald Trump, il est clair que le pouvoir en dernière instance appartient au politique. La chute des cours boursiers de Tesla entérine cette hiérarchie. Lorsque le Président des États-Unis menace le PDG d'Intel à propos de ses exportations en direction de la Chine ce dernier résiste un temps avant d'accepter de céder 10 % de son capital à l'État Américain. Observerait-on une certaine convergence entre l'administration de l'économie par le gouvernement Chinois et celui des États-Unis, les objectifs politiques l'emportant sur le jeu des forces du marché en ce qui concerne les décisions stratégiques ?

Un national capitalisme autoritaire….

La rupture avec l'idée que l'économie est la discipline régissant l'allocation efficace des ressources rares est complète. La stratégie ouvertement protectionniste entend se passer des bénéfices de la division internationale du travail au nom de la souveraineté nationale. C'est un changement majeur par rapport au rôle qu'avaient joué les États-Unis quant à l'ouverture progressive du monde, mais finalement réussie, à l'échange international.

La seconde rupture concerne l'état de droit et le primat de la démocratie : le gouvernement a le droit de s'affranchir des règles juridiques et même de la constitution afin de mieux servir l'intérêt national. L'exécutif tend à concentrer une partie croissante du pouvoir de l'État, au détriment des instances délibératives et du respect du droit.

Voilà qui justifie le recours à la notion de « national capitalisme autoritaire » forgée à la lumière de la stratégie déployée par Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, ce depuis plusieurs décennies. Ou encore de Viktor Orbán, qui fut, semble-t-il, un temps une source d'inspiration pour Trump. Le trumpisme est alors resitué dans un mouvement plus général de basculement du primat de l'économie à celui de la sécurité et de la souveraineté. Une enquête récente montre que près de 70 % de la population mondiale n'est plus régie par des gouvernements se réclamant de la démocratie mais de formes variées d'autoritarisme (Narendra Modī) ou même de dictature au titre du Parti Communiste (Xi Jinping).

De longue date, telle était aussi la stratégie de Vladimir Poutine, sans que pour autant ce dernier parvienne à relancer la modernisation de l'économie russe. Ainsi, ce national capitalisme autoritaire est loin d'être la panacée permettant de construire des systèmes économiques alternatifs à ceux fondés sur le libéralisme. En effet, au surprenant succès économique du Parti Communiste Chinois, s'oppose le long déclassement de l'économie russe alors qu'Inde et Turquie suivent des trajectoires économiques encore différentes.

…. Contre l'amélioration du niveau de vie

Pour autant, le trumpisme introduit des caractéristiques spécifiques. D'abord, il vise un réexamen radical du capitalisme Nord-Américain en tant que pilier des relations internationales. En conséquence, la nouvelle politique impacte directement la plupart des autres pays. Leurs gouvernements se demandent si le trumpisme ne va pas s'imposer comme le nouveau régime politique. La manipulation de la menace des droits de douane est devenue l'instrument privilégié, ce qui déstabilise la plupart des autres régimes socioéconomiques, dont par exemple celui de l'Inde et plus encore celui de l'Union Européenne.

Ensuite la personnalisation et concentration du pouvoir atteignent des niveaux sans précédent pour un pays qui se voulait exemplaire en matière de démocratie. Traditionnellement, était établie une claire distinction entre les deux corps du roi : l'un personnel et mortel, l'autre incarnant un pouvoir intertemporel. De fait, dans nombre de pays, le Président est le mandataire du peuple. A contrario, Donald Trump considère que le pouvoir lui a été personnellement délégué et qu'il n'a pas à être contrôlé par une quelconque instance. Qu'il prenne des décisions qui favorisent l'accroissement de sa propre fortune n'a plus rien de choquant aux yeux de tous ceux qui ont peur de perdre leur statut et leur charge dès lors qu'ils déplaisent ou entrent en conflit avec le Président.

Ainsi s'introduit une extraordinaire personnalisation et subjectivité des décisions économiques du Président des États-Unis. Régler ses comptes avec ses partenaires ou ses ennemis conduit souvent à des décisions qui pénalisent l'économie américaine. Or Donald Trump avait promis de faire baisser l'inflation, dont l'envolée sous Biden avait pénalisé le niveau de vie des Américains et c'est l'une des raisons pour lesquelles ils ont voté pour lui à l'élection de 2024. Cette contradiction va se développer tout au long de la seconde présidence au point d'en déterminer l'issue.

Le refus des procédures de contrôle et de régulation

Par rapport au premier mandat, le second se caractérise par la levée du contrôle que pouvaient exercer les conseillers et les administrations fédérales sur les décisions irraisonnées de Donald Trump. Tel n'est plus le cas du second puisque le critère dans le choix des hauts fonctionnaires n'est plus la compétence mais la loyauté à l'égard du président. Ont été ainsi mis à pied nombre de hauts responsables qui capitalisaient l'expertise de l'administration fédérale dans les domaines du renseignement, de l'appareil statistique, de la diplomatie, de la justice, de l'éducation ou encore de la santé.

Voilà qui augure fort mal de l'efficacité d'une politique dont la philosophie est simple et brutale : l'exécutif a le droit de reconfigurer ses relations avec le législatif et le juridique et donc d'ignorer les procédures héritées de ses prédécesseurs. En quelque sorte, le président est le décideur en toute matière et en première instance. Un tel basculement est-il viable ?

Si chaque jour le droit est mis à mal, vont se cumuler des décisions qui n'ont aucun fondement juridique ou légitimité constitutionnelle. Cela peut s'avérer dramatique puisque, par exemple, sauf situation d'urgence dûment constatée, la fixation des droits de douane appartient au Congrès et non au président. Adieu donc à une force de rappel qui viendrait de la délibération dans l'espace politique et de sa capacité à éviter des erreurs majeures du point de vue de l'intérêt bien compris des États-Unis.

Le fait que le parti Républicain se soit rangé sous la bannière de Donald Trump est aussi préoccupant car une stratégie erronée peut ainsi se prolonger tout au long du second mandat. Seul deux ou trois Républicains ont eu le courage de s'exprimer contre Donald Trump alors que d'autres opposants potentiels ont décidé de ne pas se représenter aux prochaines élections. La prise de contrôle du parti par le président se construit donc sur la peur de ne pas pouvoir être candidat dès lors que l'on se serait opposé, en quoi que ce soit, à sa volonté. L'autoritarisme a remplacé la délibération démocratique. S'inscrit dans la même stratégie la volonté de redécoupage des circonscriptions électorales afin d'éviter la défaite des Républicains aux élections de mi-mandat.

La presse américaine est bien connue pour exercer un contrôle exigeant sur les décisions du gouvernement. On se souvient d'affaires célèbres à l'issue desquelles, par exemple, le président Nixon dût démissionner pour avoir indûment espionné le siège du parti démocrate. A contrario, en 2025 le Washington Post ne s'autorise plus à critiquer le président et la presse en général est loin de sonner l'alarme concernant la montée de l'autoritarisme. A nouveau le président a les moyens de limiter leur liberté de parole, tout comme la liberté de recherche dans le système académique, si importante dans la construction du soft power américain. De plus, comme il a déjà été mentionné, la Silicon Valley s'est rangée dans le clan de Trump et la volonté d'obstruction d'Elon Musk a été annihilée.

Le salut pourrait-il venir des anciens alliés des États-Unis qui lui rappelleraient les vertus du multilatéralisme et la raison économique qui montre que le protectionnisme tous azimuts est un jeu perdant-perdant ? Bien sûr, il n'en est pas question lorsque l'on observe la violence du traitement réservé à l'Union Européenne. Pendant ce temps, la Chine défend avec succès ses intérêts, alors que c'était la principale cible de Donald Trump. De plus, en complément de la route de la soie, elle est en train d'aiguiser la volonté des BRICS de faire émerger à terme un régime international qui marginaliserait les États-Unis. Dans ce contexte, ce sont les financiers internationaux qui détiennent le pouvoir de « réguler » en dernière instance l'aventure trumpiste. Ce n'est guère encourageant.

La crise ouverte de l'idéal démocratique

Rétrospectivement, Kamala Harris n'avait pas totalement tort de penser que l'un des enjeux de l'élection de novembre de 2024 n'était autre que l'avenir de la démocratie. L'argument était loin d'être percutant pour les laissés pour compte de l'internationalisation et la financiarisation de l'économie américaine, mais pour l'analyste le danger qu'elle pointait s'avère réel. Pourquoi donc les institutions de l'état de droit et l'idéal démocratique n'ont-ils pas résisté ?

Au fil des multiples interventions militaires de l'Irak à l'Afghanistan, l'opinion publique s'est lassée de voir les États-Unis jouer le rôle de gendarme du monde, au détriment de la recherche de solutions aux problèmes domestiques. Tant les Républicains que les Démocrates ont été parties prenantes de ces dépenses militaires considérables qui ont plutôt aggravé les problèmes qu'elles étaient censées résoudre. Tant le Président Obama que Trump ont perçu ce danger et ce dernier en a fait un argument de campagne électorale : obtenir par exemple la paix en Ukraine dès son arrivée au pouvoir.

La brèche sociale créée par l'ouverture à la concurrence européenne, japonaise, asiatique puis mondiale, s'est approfondie au cours des trois dernières décennies. Comme l'impôt a été rendu moins progressif, le rendement du capital a décollé par rapport à la progression de la productivité qui auparavant assurait une certaine stabilisation des inégalités de revenus et de patrimoine. A la place d'un électeur médian supposé arbitrer entre les programmes politiques Démocrate et Républicain, est apparue une polarisation des intérêts et des attentes opposant deux Amériques : celle des perdants contre celle des gagnants. Comme le parti Démocrate avait délaissé sa base ouvrière livrée à elle-même, ce fut une cible tentante et relativement facile pour le repositionnement du parti Républicain. Le mouvement, initié par Sarah Palin culmine avec la première puis la seconde campagne électorale de Trump. Peu lui importait la démocratie car l'essentiel était la peur et parfois la réalité du déclassement des Américains sans ou peu diplômés. On trouve là la ligne de partage entre l'électorat de Kamala Harris et celui de Donald Trump.

Il est une troisième rupture qui tient à la formation et l'origine de l'élite politique. Traditionnellement elle était formée dans les grandes universités et dominaient les formations juridiques. Ainsi, les présidences, tout particulièrement démocrates, ont développé une approche procédurale de la politique. La dérèglementation générale et la prise de pouvoir par Wall Street génèrent une tout autre élite, d'abord industrielle puis financière. La concentration du capital qui en résulte donne l'initiative aux entrepreneurs. Il en ressort une alliance entre la haute technologie et les inventeurs d'instruments financiers favorisant l'innovation. Le pouvoir de contrôle de l'administration américaine s'en trouve réduit.

Le personnage haut en couleur de Trump est représentatif de ce basculement. Ses talents de communication fondés sur le mensonge systématique viennent habiller une prise de pouvoir longtemps silencieuse mais qui peut s'affirmer en plein jour dans le second mandat.

Ce dépérissement de la démocratie s'explique aussi par l'affirmation de l'intérêt individuel comme premier par rapport à celui de la collectivité. La liberté de s'enrichir rapidement tend à saper la légitimité de la solidarité sociale. Ce sentiment libertarien est une composante du trumpisme. Pour l'opinion publique, la considération à l'égard des entrepreneurs qui ont su fonder une nouvelle activité l'emporte sur l'impératif de redistribution. Cette sérialisation des individus s'accompagne de la crise de la plupart des organisations et institutions qui traditionnellement assuraient l'intermédiation politique, comme en témoigne l'évolution, par exemple des partis ou des syndicats. Ainsi, dans la sphère politique, le trumpisme inaugure une nouvelle époque. Est-ce pour autant le cas dans la sphère économique ?

Une hétérodoxie économique radicale mais incohérente

Récemment est apparue une tout autre interprétation du trumpisme. L'analyse du Big and Beautiful Budget fait ressortir une certaine continuité par rapport au programme conservateur traditionnel des Républicains. La poursuite des réductions d'impôts creuse certes le déficit public mais il soutient le revenu d'autant plus que les individus sont riches.

Par contraste, les Américains les plus modestes devraient enregistrer une baisse de leur revenu après impôt et surtout souffrir d'une réduction de la couverture santé, soit un objectif permanent des Républicains depuis l'Obama Care. Favoriser les entreprises pétrolières, moderniser l'armée et accélérer la dérèglementation sont aussi, de longue date, au cœur du projet Républicain. Selon cette interprétation, Trump ne serait qu'un faire-valoir pour poursuivre l'expérience de Reagan au XXIe siècle.

C'est oublier l'extraordinaire capacité de nuisance dont l'autocrate Trump est porteur. Au fil des mois, force est de constater qu'il détruit progressivement tous les atouts sur lesquels était basée l'hégémonie, pour ne pas dire l'impérialisme américain. Les barrières tarifaires érigées avec le reste du monde vont affecter négativement le niveau de vie sans pour autant faire renaître Détroit comme emblème et défenseur de l'American World Life. Une drastique réduction du travail illégal va pénaliser la capacité productive dans l'agriculture, la construction, les services, soit un autre facteur de renchérissement du niveau de vie.

Attaquer l'actif essentiel que constituent les grandes universités et instituts de recherche revient à pénaliser la croissance à long terme et fournir autant d'atouts à la Chine quant à la maîtrise du ou des paradigmes émergents (intelligence artificielle et surtout préservation de l'environnement). Un autre danger menace la société américaine : déréglementer la finance, créer des stable coins, autoriser les actifs cryptos, remettre en cause l'indépendance de la FED sont autant de facteurs de déstabilisation d'une économie travaillée par l'exubérance irrationnelle suscitée par l'IA. Plus dure et inextricable sera la prochaine crise financière ! Bref, l'hétérodoxie économique de Trump est radicale mais sans avenir car incohérente.

Dans le long terme, mobiliser en permanence la menace des droits de douane sans parvenir à un accord en bonne et due forme et durable détruit la confiance qu'avaient les partenaires des États-Unis en la parole de ses gouvernements. Fonder un autre ordre international sur de pures relations de pouvoir bilatérales est sans doute la meilleure façon de marginaliser à long terme l'économie américaine et de rendre plus problématique la prospérité de sa population.

On mesure la contradiction ouverte entre transformation politique et dynamique économique. Nul ne sait sur quoi elle finira par déboucher !

Robert Boyer

Économiste, Directeur d'études à l'EHESS

Les syndicats britanniques soutiennent l’Ukraine

L'expérience britannique montre qu'une prise de conscience internationaliste est possible et peut déboucher sur des résultats concrets 219 août 2025 | tiré du site du (…)

L'expérience britannique montre qu'une prise de conscience internationaliste est possible et peut déboucher sur des résultats concrets

219 août 2025 | tiré du site du RESU-Belgique | Photo : Le 22 février 2025, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Londres contre l'alliance anti-ukrainienne de Trump et Poutine. L'essentiel de la mobilisation a été réalisé par des syndicats. | Source : article de Sacha Ismael paru en anglais dans The Chartist | Traduction : en français par le RESU-Belgique
https://www.solidarity-ukraine-belgium.com/post/les-syndicats-britanniques-soutiennent-lukraine

Dès le début de l'invasion massive russe en Ukraine, les mobilisations de solidarité ont été marquées par une très forte présence syndicale. L'Ukraine Solidarity Campaign regroupe à la fois des membres individuels et des organisations affiliées qui peuvent être des fédérations syndicales ou des syndicats locaux. Cette solidarité syndicale s'est traduite par une aide importante aux syndicats ukrainiens dans leur double combat contre l'agression russe et pour la défense des droits sociaux et syndicats en Ukraine. Entre 2022 et 2025, de nombreux débats ont permis d'étendre le soutien à un certain nombre de syndicats qui s'étaient alignés sur une ligne campiste ou pacifiste. Nous reproduisons cette article de Sacha Ismael qui décrit ce processus. Alors qu'en Belgique, la solidarité syndicale avec l'Ukraine reste à un niveau assez faible, l'expérience britannique montre qu'une prise de conscience internationaliste est possible et peut déboucher sur des résultats concrets.

Depuis que la Russie a envahi l'Ukraine, de plus en plus de syndicats britanniques ont adopté des politiques de solidarité avec l'Ukraine. Cette année aussi, on a vu un changement dans ce sens.

En 2023, après qu'une série de syndicats aient pris position en faveur de l'Ukraine, le congrès du TUC a voté à une écrasante majorité en faveur d'une motion de solidarité. En 2024, les grands changements ont eu lieu au sein du syndicat de l'enseignement post-16 UCU et du géant des services publics UNISON (1). À la suite d'une campagne menée par ses membres, le congrès de l'UCU a effectivement renversé la position de type « Stop the War Coalition (2) » qu'il avait adoptée en 2023, a soutenu la résistance ukrainienne et s'est affilié à la Ukraine Solidarity Campaign (USC) ; et la conférence nationale des délégués d'UNISON, qui a enfin discuté de l'Ukraine pour la première fois, a facilement adopté unemotion de solidarité et s'est affiliée.

Congrès syndicaux de 2025

Cette année, les tentatives visant à détourner les syndicats d'une position pro-ukrainienne ont heureusement échoué, tandis qu'un grand progrès a été réalisé en matière de solidarité :

• Le gain a été réalisé au sein du syndicat des travailleurs de l'éducation NEU, qui compte un demi-million de membres. Après avoir été empêchés pendant trois ans de voter sur des motions de solidarité par des moyens antidémocratiques et avoir été limités à rejeter les motions de Stop the War, les délégués à la conférence ont enfin eu la possibilité de voter en faveur d'une position pro-ukrainienne, grâce aux efforts de campagne du NEU Ukraine Solidarity Network. Au final, le résultat n'a pas été serré : le vote enregistré contre l'un des deux amendements destructeurs de type STW a été de 63 % contre 37 %, tandis que le vote final en faveur de la motion non amendée a été plus important.

• Le syndicat de la fonction publique PCS (3) a été le premier syndicat à s'affilier à l'USC après l'invasion à grande échelle, votant massivement en faveur du soutien à l'Ukraine en 2022 et 2023, et le syndicat a organisé une vaste solidarité concrète. Cette année, une motion visant à renverser cette position, rejetant la lutte de l'Ukraine comme une guerre par procuration de l'Occident et engageant le PCS à faire campagne pour la fin de l'aide militaire, a été soumise à sa conférence annuelle des délégués.

Au final, avec des débats sur l'industrie, de vives polémiques autour des droits des trans et de la Palestine dominant l'ordre du jour, l'Ukraine n'a pas été abordée. À l'approche de la conférence et pendant celle-ci, la dynamique semblait vraiment de notre côté. Quoi qu'il en soit, la position pro-ukrainienne du PCS reste inchangée, même si certains éléments de la direction du syndicat y sont hostiles et qu'il faudra peut-être se battre pour la maintenir.

• Rien à l'ordre du jour du congrès de l'UCU (4) pour renverser la position adoptée l'année dernière. Il y avait cependant deux motions intitulées « Welfare not warfare » (Le bien-être plutôt que la guerre) : la première concernait en fait la militarisation au Royaume-Uni et ne mentionnait pas l'Ukraine, mais la seconde utilisait la position de Keir Starmer sur les troupes britanniques de maintien de la paix pour rejeter une position pro-ukrainienne. L'USC et les membres de l'UCU pour l'Ukraine ont plaidé pour s'opposer à la seconde motion. Les délégués ont voté en faveur de la première et ont renvoyé la seconde à leur direction nationale.

Le NEU et l'UCU ont affiché une tendance similaire, les délégués votant massivement contre le militarisme occidental, mais rejetant les tentatives de Stop the War de lier cela à l'opposition à la lutte ukrainienne.

• Juste après l'invasion à grande échelle, l'exécutif national du syndicat des pompiers (FBU) a adopté une positionsimilaire à celle de STW, et le FBU a été l'un des deux seuls syndicats à s'opposer à la motion du congrès du TUC de 2023. Cependant, sa conférence n'a jamais discuté de l'Ukraine. Cette année, une résolution a été présentée pour la première fois, incluant l'opposition à la guerre de la Russie et le soutien à l'autodétermination de l'Ukraine, la solidarité concrète avec les pompiers ukrainiens et l'affiliation à l'USC. Malheureusement, elle a été retirée, mais sa présentation a constitué un pas en avant.

• Une motion de solidarité avec l'Ukraine a également été présentée à la réunion des délégués du Syndicat national des journalistes, mais elle n'a pas été adoptée.

S'organiser pour la solidarité

Au moment où Chartist était mis sous presse, d'autres conférences syndicales étaient prévues, notamment celles des trois grands syndicats UNISON, Unite (4) et GMB (5). La conférence politique biennale du syndicat général Unite (7-11 juillet) prévoit une motion visant à activer les liens et la solidarité concrète avec les travailleurs et les syndicats ukrainiens, qui avait été approuvée lors de la dernière conférence en 2023, mais qui n'avait pas été mise en œuvre.

Juste avant le début de la saison des conférences syndicales au Royaume-Uni, le Conseil exécutif central du syndicat général GMB a également accepté d'affilier l'USC, devenant ainsi le sixième syndicat national britannique à le faire, après UNISON, PCS, ASLEF, UCU et NUM.

Ce qui s'est passé au sein du FBU est instructif : si le retrait de la résolution est décevant, il est significatif qu'elle ait été présentée à la suite d'un travail de solidarité croissant au sein du syndicat, construit autour des appels financiers de l'USC en faveur des pompiers et des secouristes ukrainiens, et qu'une région du FBU, les West Midlands, ait récemment adhéré à la campagne. Dans d'autres syndicats également, la période récente a renforcé les liens et la solidarité concrète avec le mouvement syndical ukrainien. On est bien placés pour continuer à construire dans les mois à venir.

Dans plusieurs cas, notamment au sein du NEU (7), les partisans de Stop the War ont tout fait pour éviter, voire empêcher, que les conférences syndicales discutent de l'Ukraine. En plus, STW et ses partisans ont généralement omis de rendre compte des décisions syndicales qui leur étaient défavorables. Lors du congrès de l'UCU, il est apparu que ses partisans affirmaient avoir gagné lors du congrès de 2024, alors qu'ils avaient en fait perdu !

En revanche, la campagne Ukraine Solidarity a encouragé un débat aussi large que possible et une prise de décision démocratique, par principe et parce qu'elle sait que cela profite généralement à notre camp. Nous nous sommes efforcés de rendre publiques avec précision les discussions et les décisions des syndicats dans l'ensemble du mouvement syndical et au-delà.


Notes rédigées par le RESU-Belgique :

(1) Avec 1,3 million de membres, UNISON est la plus grande fédération syndicale britannique, elle organise principalement des travailleurs des services publics.

(2) La "Stop de war coalition" (STW) a été formée en 2001 pour combattre une éventuelle participation britannique à la guerre en Afganistan. Elle a ensuite organisé de nombreuses campagnes concernant l'Irak, la Libye et d'autres conflits. Cette coalition défend une idéologie campiste. Elle est opposée aux guerres menées par les Etats-Unis et les pays occidentaux et refuse de prendre le parti de peuples qui combattent d'autres puissances impérialistes. En Syrie, elle considérait la dictature de la famille Assad comme un régime s'opposant à l'impérialisme. Elle refuse tout soutien à l'Ukraine en affirmant que la guerre massive a été provoquée par l'agressivité de l'OTAN à l'égard de la Russie.

(3) PCS est une fédération syndicale de fonctionnaires qui organise près de 190.000 membres.

(4) L'UCU regroupe des travailleurs de l'enseignement supérieur. Il compte environ 120.000 membres.

(5) Avec 1,2 million de membres, UNITE regroupe principalement des travailleurs du secteur privé.

(6) GMB est une fédération syndicale qui regroupe principalement des travailleurs de l'industrie. Avec 580.000 membres, c'est la troisième fédération syndicale la plus importante.

(7) La NEU regroupe des travailleurs de l'enseignement primaire et secondaire. Il regroupe environ 450.000 membres.

États-Unis : Trump est en train d’anéantir les syndicats. Pourquoi sont-ils si silencieux ?

Ce Labor Day est particulièrement malheureux pour le monde du travail. Le mouvement syndical a été constamment mis à l'épreuve ces dernières décennies, mais le président Trump (…)

Ce Labor Day est particulièrement malheureux pour le monde du travail. Le mouvement syndical a été constamment mis à l'épreuve ces dernières décennies, mais le président Trump est le président le plus résolument antisyndical depuis avant la Grande Dépression. Si le mouvement ouvrier ne se bat pas plus fort qu'il ne l'a fait depuis que M. Trump a retrouvé la présidence, son avenir sera sombre.

M. Loomis est historien du mouvement ouvrier et écrit régulièrement sur les syndicats, la politique et les travailleurs

3 septembre 2025 | tiré de l'Aut'Journal | Article paru dans le New York Times, du 1er septembre 2025.
https://www.lautjournal.info/20250903/etats-unis-trump-est-en-train-daneantir-les-syndicats-pourquoi-sont-ils-si-silencieux

M. Trump et son administration ont unilatéralement retiré les droits de négociation collective à des centaines de milliers de travailleurs fédéraux. Au sein du Department of Veterans Affairs seul, 400 000 employés, soit 2,8% des travailleurs syndiqués américains, ont perdu leurs droits à la négociation collective à cause d'un décret qui finira par toucher plus d'un million de travailleurs fédéraux.

M. Trump a marqué le début du week-end de Labor Day jeudi en poursuivant son assaut contre les syndicats fédéraux, ajoutant l'Office des brevets, la NASA et le National Weather Service à sa liste d'agences ciblées.

Malgré cette attaque contre leur existence même, on n'a presque rien entendu des syndicats. Où est le mouvement syndical dans la bataille publique pour préserver les emplois syndiqués, empêcher le démantèlement du filet de sécurité et mener le combat pour la démocratie ? À part quelques déclarations et discours enflammés, le mouvement reste muet.

Si le mouvement ouvrier veut survivre, il doit revenir à des tactiques de mobilisation massive, rappelant aux Américains que leurs droits sont le fruit d'un travail collectif — et non du soutien à un président qui prétend aider les travailleurs américains tout en réduisant les normes de sécurité, en soutenant des tarifs qui augmentent le coût des biens de consommation et en privant les travailleurs de leurs droits légaux à des contrats.

Tout cela se produit alors que le soutien des Américains aux syndicats est au plus haut depuis le milieu des années 1960.

On ne saurait trop insister sur l'importance des attaques de M. Trump contre les travailleurs du secteur public. Ce secteur est devenu le bastion du mouvement syndical, permettant au taux de syndicalisation de l'ensemble de la main-d'œuvre de rester autour de 10%, alors que dans le secteur privé, ce taux est inférieur à 6%.

Compte tenu des mesures prises par M. Trump cette année — et en l'absence de réelle opposition publique de la part de Républicains soi-disant favorables aux syndicats comme Josh Hawley et Marco Rubio — il est probable qu'il ne restera plus de travailleurs fédéraux syndiqués en dehors des agences de réglementation d'ici à la fin de son mandat en 2029.

M. Trump a attaqué les travailleurs autrement. Il a affaibli le Department of Labor par des coupes du Department of Government Efficiency. Il revient aussi sur des règles mises en place sous les administrations Obama et Biden qui permettaient aux aides à domicile de toucher des heures supplémentaires et aux ouvriers agricoles de revendiquer de meilleures conditions de travail.

M. Trump a également sérieusement fragilisé le National Labor Relations Board, qui traite des milliers de dossiers syndicaux chaque année, en limogeant son président et en nommant des personnalités proches du patronat pour orienter son action à l'encontre des intérêts des travailleurs.

Le mouvement syndical, malgré ses discours sur la solidarité, reste profondément divisé sur la meilleure façon d'organiser, de s'engager en politique et d'aborder la question Trump. Certains dirigeants, notamment Sean O'Brien, président des Teamsters, ont soutenu Trump et ses Républicains, notamment sur les restrictions à l'immigration. D'autres syndicats dont les membres sont majoritairement blancs et masculins penchent aussi vers les Républicains, mais cela reste une minorité parmi les membres.

En 2024, les travailleurs syndiqués ont constitué l'un des rares groupes démographiques où les Démocrates ont amélioré leur position par rapport à 2020. Cela reflète peut-être les efforts de Joe Biden pour être, comme il le disait, « le président le plus favorable aux syndicats de l'histoire américaine ».

Les syndicats disposent du soutien interne, de la structure et de la capacité d'organisation nécessaires pour lutter contre Donald Trump. Pourtant, personne dans le mouvement syndical n'a pris n'a pris la parole publiquement pour contrer Mr. O'Brien et expliquer clairement à l'opinion publique que la plupart des syndicats sont fortement opposés à Trump.

Cela ne signifie pas que le mouvement ouvrier, qui reste trop lié aux rouages internes du Parti démocrate, doit suivre celui-ci aveuglément. La direction démocrate elle-même est divisée sur la manière de lutter contre Trump, et les syndicats ont besoin d'indépendance tant dans leur politique que dans leurs tactiques pour susciter la confiance publique, afin qu'ils — et non Trump — puissent reconstruire le pouvoir de la classe ouvrière aux États-Unis.

Si certains des plus grands syndicats, dont les enseignants et les travailleurs des services, ont grandi en recrutant de nouveaux membres et en devenant politiquement puissants, beaucoup d'autres résistent depuis longtemps aux grands efforts d'organisation, préférant se concentrer sur la défense de leurs membres actuels. Cela explique en grande partie pourquoi le mouvement syndical peine à intégrer de nouveaux secteurs pour remplacer les usines automobiles, sidérurgiques et autres industries ayant bâti de solides syndicats dans les années 1930.

L'absence de réponse du mouvement syndical face à Trump contraste fortement avec la réponse lors de la crise ayant suivi le licenciement des contrôleurs aériens par Ronald Reagan en 1981. La journée de la solidarité (« Solidarity Day ») avait réuni pas moins de 260 000 membres et alliés syndicaux à Washington en septembre 1981 pour appeler les travailleurs à lutter contre la domination de Reagan sur la classe ouvrière. Cela n'a pas arrêté le déclin du mouvement syndical, mais a permis aux Démocrates d'agrandir nettement leur majorité à la Chambre lors des élections de mi-mandat de 1982.

Pour survivre à l'assaut de Trump, le mouvement syndical doit se montrer à la hauteur du moment. D'abord, il doit transgresser les protocoles syndicaux en dénonçant publiquement les dirigeants comme M. O'Brien. Tant que les syndicalistes ne reprendront pas le contrôle du discours de la résistance, beaucoup dans la grande coalition libérale penseront que les syndicats soutiennent bien plus Trump qu'ils ne le font réellement.

Ensuite, les syndicats doivent impliquer leurs propres membres sur des sujets n'a pris la parole publiquement. Cela suppose une éducation politique beaucoup plus poussée, non seulement sur les candidats lors des élections, mais aussi sur les enjeux du moment. Cela fait des décennies que de nombreux syndicats évitent d'aborder les sujets qui divisent (comme l'immigration) avec leurs membres. Chez certains, cela répond au fait que l'identité syndicale pèse moins lourd que d'autres convictions politiques chez beaucoup de membres. Mais discuter de politique uniquement durant les élections crée un fossé entre le discours et l'action qui fait que beaucoup de membres finissent par décrocher.

Enfin, les syndicats doivent remplir le vide ressenti par des millions d'Américains face à leur vie économique. Le désespoir ressenti sur des questions comme la fermeture d'usines et l'inflation a mené les travailleurs à soutenir Trump. Mais cela a aussi provoqué un brusque regain de popularité des syndicats dans le pays. La plupart des gens pensent que le système est en panne et cherchent un acteur capable de le réparer. Les syndicats peuvent assurer ce rôle de leadership.

Les syndicats aiment rappeler que la véritable force des travailleurs est de pouvoir interrompre leur travail, via la grève. Ils devraient s'en servir pour s'opposer à la guerre menée par le président Trump contre la classe ouvrière.

L’Iran doit renoncer à la bombe et Israël démanteler la sienne

9 septembre, par Michel Rogalski — ,
C'est bien connu, les medias chassent en meute et bien souvent avec la complaisance de la classe politique qui participe ainsi à la fabrication de l'opinion publique. (…)

C'est bien connu, les medias chassent en meute et bien souvent avec la complaisance de la classe politique qui
participe ainsi à la fabrication de l'opinion publique.

Tiré de la revue Rechreches Internationales
https://webmail.koumbit.net/roundcube/?_task=mail&_frame=1&_mbox=INBOX&_uid=161053&_part=3&_action=get&_extwin=1
Michel Rogalski *

Le spectre de la bombe iranienne fait ainsi la une de tous les plateaux médiatiques sans que soit abordée la question de l'autre bombe, l'israélienne. Comme si celle-ci était naturelle, allait de soi et ne pouvait faire l'objet d'aucune interrogation. Ainsi l'une serait admissible et l'autre désignée comme le mal absolu. La seconde ferait l'objet de toutes les critiques, la première serait un tabou qu'il serait indécent d'évoquer, au risque pour le journaliste qui en serait tenté de sentir son oreillette grésiller, le rappeler à l'ordre et lui faire sentir que sa carrière n'est plus assurée. Ainsi, il y aurait une bombe de la guerre et une bombe de la paix.

C'est ainsi que medias et classe politique organisent de concert le débat en évoquant de façon récurrente la menace iranienne d'accéder à l'arme nucléaire. On remarquera la fausse symétrie, l'une n'étant que virtuelle, l'autre bien réelle, mais tous deux se réfugiant, pour l'un dans l'absence d'assumer en entretenant un flou total et pour l'autre
en jurant que telle n'est pas son intention et qu'on lui fait un mauvais procès. Dissimulation chez l'un et déni chez l'autre.

L'affaire remonte à loin et reste régie par l'ombre tutélaire du Traité de non-prolifération nucléaire signé en 1968, peu à peu rejoint par une majorité de pays – aujourd'hui 192. D'emblée, refuser d'adhérer à l'Accord signifiait une intention non dissimulée d'accéder au statut de puissance dotée de l'arme nucléaire. Peu de pays en prirent le risque. On en connaît la liste : Afrique du Sud, Inde, Pakistan, Israël. Tous ces pays, avec des complicités diverses, accédèrent à
l'arme nucléaire. Deux y renoncèrent, l'Afrique du Sud et l'Ukraine, pour des raisons différentes. On peut donc affirmer que le traité, même si tous ses termes ne sont pas intégralement appliqués, a rempli l'essentiel de son rôle, celui d'éviter la prolifération nucléaire.

Ainsi l'Afrique est devenu un continent dénucléarisé et l'Amérique latine a évité de l'être malgré les ambitions symétriques de l'Argentine et du Brésil. La situation du continent asiatique étendu au Moyen-Orient est fort différente et beaucoup plus complexe car des situations spécifiques y coexistent permettant à chacun de s'affirmer comme un cas particulier. Après l'avoir signé, la Corée du Nord s'en est retirée et possède aujourd'hui l'arme et les missiles
pouvant la porter. La Chine était déjà dotée au moment de l'Accord.

L'Inde, le Pakistan et Israël, non signataires du Traité, se sont chacun dotés de l'arme et l'Iran signataire de l'Accord est suspecté par la communauté internationale de ne pas le respecter et de refuser de se soumettre aux inspections de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) censée en contrôler l'application et à procéder à une aide technique pour accéder à l'usage pacifique du nucléaire.

Il lui est reproché d'enrichir l'uranium à des taux qui se rapprochent de la capacité d'accéder à la bombe. L'Iran réfute ces accusations et affirme qu'il n'a pas une telle intention. C'est dans ce contexte que, sous la mandature de Barack Obama, un Accord fut signé à Vienne en 2015, le Joint Comprehensive Plan of Action (JPCoA) associant les 5 membres du Conseil de sécurité, l'Allemagne et l'Iran. Cet Accord fut dénoncé unilatéralement par D. Trump en 2018. Depuis lors, malgré les sanctions, Téhéran augmente le nombre et le rythme de ses centrifugeuses enrichissant l'uranium à des teneurs qui approchent un possible usage militaire.

Aujourd'hui, Donald Trump, devant l'inefficacité de son retrait de l'Accord, semble désireux de renouer le contact avec l'Iran, sans se concerter avec l'Europe, et entame une série de négociations bilatérales auxquelles les Iraniens, lassés de l'entrave des embargos, L'Iran doIt renoncer à La bombe et IsraëL démanteLer La sIenne acceptent de participer. Trump tente aujourd'hui de revenir sur sa posture, mais en écartant les Européens. Ces négociations se déroulent sous l'égide du Sultanat d'Oman alors qu'États-Unis et Iran n'ont plus de relations diplomatiques. Le contexte a bien changé.
Israël s'est imposée comme puissance militaire régionale incontestée et accumule les victoires par les armes contre le Hamas à Gaza, contre le Hezbollah au Liban, bénéficie de la chute du régime syrien et a détruit une large partie des défenses antimissiles iraniennes. Téhéran a perdu beaucoup d'alliés au Moyen-Orient, peine sous les sanctions
et redoute une attaque israélienne sur son potentiel nucléaire. Bref, Israël a fait le « sale boulot » pour le compte de l'Occident sous la protection des bâtiments de guerre américains patrouillant en Méditerranée orientale.
En réalité il est fort probable que l'Iran souhaite accéder au statut d'un État du « seuil nucléaire », c'est-à-dire d'être en capacité rapidement (entre un et deux ans) de devenir, si nécessaire, une puissance nucléaire. D'autres pays comme la Corée du Sud ou le Japon, pourraient partager une telle ambition. Cela ferait tâche d'huile au Moyen-Orient et demain l'Arabie saoudite ou la Turquie participeraient à une telle prolifération. Rien ne serait plus dangereux.

Tout doit être fait, par des moyens diplomatiques et coopératifs pour rechercher une issue non militaire.
Le paradoxe c'est qu'au Moyen-Orient le seul État doté – Israël – est le plus véhément dans l'opposition farouche à une éventuelle bombe iranienne, adoptant ainsi comme seule logique celle de vouloir être la seule puissance nucléaire de la région, au point de menacer de frappes préemptives le dispositif iranien, comme il le fit à l'égard de l'Irak en détruisant en 1981 son réacteur nucléaire en cours de construction. Cette posture n'a aucune légitimité dès lors que sa sécurité est garantie par l'allié américain qui n'hésite pas à déplacer ses bâtiments de guerre en Méditerranée pour signifier sa
totale solidarité avec Tel-Aviv et par le soutien acquis d'avance des pays occidentaux. Car en cas de danger existentiel tout le monde sait qu'Israël sera défendu de façon inconditionnelle par tous ses alliés qui ne manquent jamais de le répéter.

Cette bombe israélienne qui fut construite avec la complicité dissimulée d'États dotés et signataires du Traité de non-prolifération – notamment de la France et des États-Unis – est une incitation à pousser d'autres pays de la région à s'engager dans la même voie.

Longtemps cachée, niée et dissimulée son existence est maintenant admise mais, au contraire d'arsenaux d'autres pays pour lesquels la communication est d'usage dès lors que les expérimentations sont réussies, elle reste entourée d'un flou discret. Envisagé très tôt par Ben Gourion le programme israélien démarre dès la fin des années 1950
et sera effectivement considéré comme opérationnel dès le début des années 1970. Depuis lors, il est entouré d'une opacité entretenue et fait figure d'« exception » acceptée y compris par l'AIEA qui n'a jamais pris le sujet à bras-le-corps et a ainsi contribué à en « normaliser » l'existence. Ainsi le pays peut prétendre bénéficier du prestige de la
possession de l'arme nucléaire sans avoir à en payer le moindre coût diplomatique ou moral et peut continuer à jouir du monopole de l'arme nucléaire dans la région. Partant de ce principe d'exception, Tel-Aviv peut s'exonérer de toute recherche politico-diplomatique en vue d'une zone exempte d'armes nucléaires au Moyen-Orient.

Cette discrétion fut accompagnée et partagée par la quasi-totalité du monde occidental. Dans le pays, les critiques et les discussions fusent de toutes parts sur les options sécuritaires choisies par les dirigeants et visent tout à la fois l'armée, le Mossad et le Shin Bet, mais la question nucléaire reste taboue et n'est jamais débattue.

Aujourd'hui, poser, à raison, la question de l'accession de l'Iran à l'arme nucléaire est légitime, et il faut se réjouir de la reprise des négociations avec les États-Unis à Oman, mais peut-on aborder ce sujet en entretenant délibérément le silence sur l'autre bombe du Moyen-Orient ? Autre forme de deux poids et deux mesures ?

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Comment l’IA générative asphyxie le journalisme

9 septembre, par N Smyrnaios — ,
L'IA générative détourne l'audience des médias. La chute du trafic et des recettes publicitaires érode le modèle économique du journalisme. Cette captation par les plateformes (…)

L'IA générative détourne l'audience des médias. La chute du trafic et des recettes publicitaires érode le modèle économique du journalisme. Cette captation par les plateformes menace la production d'information originale et la survie d'un web ouvert, essentiel à notre compréhension du monde.

Tiré du blogue de l'auteur.

Dans les coulisses d'un internet en mutation, l'intelligence artificielle générative redéfinit les règles du jeu, imposant aux médias traditionnels, qu'ils soient de modestes publications ou de grands conglomérats, une remise en question existentielle. L'avènement de services comme AI Overviews de Google, et plus généralement l'essor des chatbots intelligents, ne se contente pas de modifier nos habitudes de consommation de l'information.

Là où il s'applique, comme aux États-Unis, il bouleverse les fondements économiques sur lesquels reposait jusqu'alors le journalisme et, par extension, la vitalité même du web ouvert. Cette transition rapide, orchestrée par des plateformes dont le modèle économique privilégie la rétention de l'utilisateur et la monétisation publicitaire directe, plutôt que le renvoi de trafic vers les producteurs de contenu, est lourde de conséquences pour un secteur déjà fragilisé.

L'érosion rapide du trafic des éditeurs

Les études récentes dressent un tableau préoccupant de la diminution du trafic vers les sites d'information. Ahrefs, par exemple, a révélé qu'une page de premier rang bénéficiant d'un aperçu IA subissait une baisse moyenne de 34,5% du taux de clics (CTR). Ce phénomène, loin d'être anecdotique, est renforcé par les observations de Similarweb, qui indique que près de 69% des recherches d'actualités n'aboutissent désormais à aucun clic vers un site d'information, contre 56% auparavant. Le trafic organique a chuté de plus de 2,3 milliards de visites à la mi-2024 à moins de 1,7 milliard aujourd'hui.

Les expériences des médias illustrent cette tendance alarmante : le Digital Content Next (DCN), un groupement de 40 éditeurs incluant des poids lourds comme le New York Times et Condé Nast, rapporte une perte médiane de 10% du trafic de recherche Google pour ses membres entre mai et juin 2025, atteignant -7% pour les médias d'information et -14% pour les autres. Certaines publications sont frappées de plein fouet, comme le Mirror, qui a vu sa visibilité sur Google chuter de 80% depuis 2019, ou le Financial Times, confronté à une baisse de 21% de son trafic ce printemps.

La Professional Publishers Association (PPA) au Royaume-Uni a également documenté des baisses drastiques de CTR, avec un titre de magazine lifestyle passant de 5,1% à 0,6% pour une requête populaire, et un magazine automobile perdant 25% de son trafic malgré une augmentation de 7% de sa visibilité dans les pages de Google, résultat du moindre nombre de clics. Ces chiffres contredisent les affirmations de Google, qui tente de minimiser l'impact de ses fonctionnalités IA sur le trafic référent, des allégations jugées « incomplètes » et basées sur des « méthodologies défectueuses » par les éditeurs.

Des répercussions économiques graves

Les répercussions économiques de cette érosion du trafic sont d'ores et déjà tangibles et souvent dramatiques. Les revenus publicitaires, part essentielle du modèle économique de nombreux médias, s'effondrent, entraînant des licenciements massifs et des fermetures de services. Business Insider, par exemple, a annoncé le licenciement de 21% de ses effectifs à cause de la diminution du trafic de ses sites. Moins de trafic signifie moins de revenus, ce qui se traduit directement par moins de journalistes, moins d'enquêtes approfondies, moins de correspondants étrangers et une réduction drastique du journalisme original.

Cette situation est d'autant plus préoccupante que les entreprises d'IA adoptent souvent une stratégie de « blitzscaling », privilégiant une croissance rapide et l'acquisition d'utilisateurs à la rentabilité immédiate. Elles dépensent des sommes considérables pour développer des outils qui n'ont pas encore trouvé de modèle économique viable, mais qui, dans leur expansion, détruisent les structures économiques qui soutiennent le journalisme et la production de savoir public.

Le risque du cercle vicieux de l'IA

Cet affaiblissement du journalisme, qui peinait déjà à se financer, pose un risque systémique pour l'écosystème de l'information. Si le contenu original ne peut plus être monétisé, la motivation à le produire disparaît. L'IA, conçue pour synthétiser et générer des réponses, est fondamentalement dépendante de la qualité et de la fraîcheur des données sur lesquelles elle est entraînée. Or, si le journalisme s'étiole, les systèmes d'IA finiront par créer un cercle vicieux où ils se nourriront de leur propre substance dégradée. Le web risque alors de se transformer en une « galerie de miroirs », reflétant des résumés de résumés, des hallucinations d'IA et des communiqués de presse sans source originale fiable ou critique en vue.

Les outils d'IA ne sont pas neutres ; ils reflètent les biais de leurs données d'entraînement, de leurs codeurs et des motivations de leurs entreprises. Des exemples comme le chatbot Grok, qui, après une mise à jour, s'est auto-proclamé MechaHitler illustrent les dangers des réponses générées par une IA mal entraînée ou défaillante. En l'absence de journalisme professionnel et de qualité, les utilisateurs risquent de se fier davantage à des machines qui semblent faire autorité qu'à des experts qualifiés, même dans des domaines critiques comme la santé, où l'expertise est primordiale. Le journalisme citoyen, bien que potentiellement puissant, ne peut remplacer des institutions comme les médias professionnels avec leurs les ressources nécessaires pour révéler des vérités complexes tout en protégeant les sources.

La réaction des éditeurs

Face à cette menace existentielle, les éditeurs étatsuniens ne restent pas inactifs et ripostent sur plusieurs fronts. Des poursuites judiciaires retentissantes ont été engagées, le New York Times ayant par exemple intenté une action contre OpenAI et Microsoft pour l'utilisation non autorisée de son contenu protégé par le droit d'auteur pour entraîner leurs modèles. Au-delà des tribunaux, les associations professionnelles comme le DCN et la PPA réclament une régulation plus stricte et une transparence accrue de la part de Google. Elles demandent notamment la séparation des crawlers IA de Google de ses crawlers de recherche, car les éditeurs ne peuvent actuellement pas refuser que leur contenu soit utilisé par les aperçus IA sans risquer de disparaître complètement de l'index de recherche. Une injonction pourrait être émise dans le cadre de l'affaire antitrust du ministère de la Justice américain contre Google, forçant potentiellement cette séparation cruciale.

En parallèle, les éditeurs déploient des stratégies préventives et d'adaptation. Beaucoup reconnaissent la nécessité de se concentrer sur le renforcement de leur marque et de celle de leurs journalistes, car dans un environnement saturé par l'IA, la crédibilité et la confiance ne sont plus automatiquement conférées par le simple fait de figurer en haut des résultats de recherche. Le Wall Street Journal, par exemple, a cherché à embaucher un "coach de talents" pour aider ses journalistes à développer leur marque personnelle, misant sur l'idée que les lecteurs suivront les individus plutôt que les plateformes.

Les éditeurs diversifient également leurs canaux de distribution via des newsletters, des applications et les plateformes sociales pour réduire leur dépendance au trafic de recherche organique. Google, sous pression, a même lancé des initiatives comme "Offerwall", permettant aux éditeurs d'expérimenter des modèles de monétisation alternatifs tels que les micropaiements ou l'inscription à des newsletters. Enfin, des contre-mesures technologiques émergent, comme Poisonify, un outil développé par le musicien Benn Jordan pour « empoisonner » les données musicales et empêcher les IA d'utiliser le contenu sans autorisation, ou les outils de Cloudflare pour bloquer les robots d'exploration IA. Des startups proposent également de nouveaux modèles, comme Tollbit, un « paywall pour bots » permettant aux sites de facturer l'accès à leur contenu aux crawlers IA, ou ProRata, qui redistribue les revenus publicitaires générés par les réponses IA aux sites sources.

Un avenir incertain pour le journalisme

En conclusion, l'impact de l'IA générative sur les médias et le web ouvert est bien plus qu'une simple perturbation technologique ; il s'agit d'une refonte fondamentale des dynamiques de l'information et de sa monétisation. Les géants du web, dans leur quête de suprématie et de profits publicitaires, semblent prêts à sacrifier l'économie de l'information qui a permis l'émergence du web tel que nous le connaissons.

L'AI Overviews de Google est le symptôme d'une stratégie plus vaste visant à transformer les moteurs de recherche en « moteurs de réponses », capturant l'attention des utilisateurs et les revenus associés. Cette évolution, si elle n'est pas endiguée par une régulation ferme et une prise de conscience collective, menace de vider le journalisme de sa substance et de transformer le web en un écosystème d'informations obsolètes, biaisées ou générées artificiellement. L'exigence de vérité, de contexte et de responsabilité, si essentielle à une société démocratique, ne disparaîtra pas, mais sa pérennité dépendra de la capacité des éditeurs, des régulateurs et du public à défendre un journalisme de qualité et un web ouvert et diversifié face aux appétits insatiables des grandes plateformes.

Gaza ou la férocité médiatique

À Gaza, les bombes ont fait leur œuvre de destruction quand les mots, souvent distordus, sanctifiés, réécrits, ont préparé le terrain. Les médias occidentaux, en relayant sans (…)

À Gaza, les bombes ont fait leur œuvre de destruction quand les mots, souvent distordus, sanctifiés, réécrits, ont préparé le terrain. Les médias occidentaux, en relayant sans recul le récit israélien, ont érigé un décor de guerre qui a sacrifié la voix des Palestiniens, là où l'information aurait dû dire la vérité et non la fabriquer.

Tiré du blogue de l'auteur. L'auteur est journaliste.

« Nous avons créé une légende à partir d'un massacre », Baldwin

« La perception n'est pas fantaisiste, elle est destructrice », Emerson

« Les mots justes, trouvés au bon moment, sont de l'action », affirmait la philosophe Hannah Arendt, pour qui le « dire du monde » est autant le « faire du monde ». La fonction performative du langage est aussi vieille que le « Fiat Lux ». Ce qui est construit par les mots peut être perçu réel dans son existence et ses conséquences.

Ramenée aux médias, la remarque d'Arendt revient à poser que le journalisme est aussi action. Il ne se contente pas de dire le réel. Il tisse la perception du monde. Les médias opèrent une mise au monde et une institutionnalisation de leur interprétation des faits. Cet ordonnancement médiatique puissant doit être compris pour une vraie citoyenneté. Car le drame est que ce qui est vrai pour les « mots justes » l'est tout autant pour les mots injustes. Voici pour la théorie.

Le massacre du 7 octobre 2023, et la guerre contre Gaza qui a suivi, ont ouvert une parenthèse médiatique singulière en raison de l'anomalie paroxystique de cette couverture médiatique. C'est à dessein que je précise « contre Gaza » et non « à Gaza », la population civile étant la première victime de ce conflit. Un « anathème » disent certains politiques israéliens, reprenant ainsi les termes bibliques de la conquête de Canaan. « Futuricide » posent des juristes tant l'armée israélienne s'est acharnée à empêcher tout avenir pour les Palestiniens dans la Bande de Gaza.

Dans quelle mesure le narratif médiatique a permis et accompagné cette guerre contre Gaza est la question qui devrait nous hanter. Quels mots injustes, pour reprendre la catégorisation d'Arendt, ont fourni le sous-bassement rhétorique aux crimes que de nombreux juristes qualifient déjà de crime de génocide ?

Si les médias n'ont pas construit la route qui mène aux crimes de guerre, ils l'ont pour certains pavée, la rendant praticable et facile.

Au commencement donc, il y a une stupéfaction. Les exemples abondent de ce qu'il faut bien appeler une distorsion médiatique des faits. Au lieu d'interroger et de douter de chaque affirmation de l'armée israélienne, les médias ont endossé leur récit univoque. Un grand renversement des principes mêmes du journalisme, qui enseigne pourtant que la première règle est celle des 5W ou « who, what, where, when, why ». Pourtant, le « pourquoi » n'existe pas quand il s'agit des Palestiniens. Des victimes sans cause, comme flottant dans les limbes de l'évènement autogénéré.

Dans cet océan d'étonnements, un exemple. Ce « Merci, mon Colonel » qui venait conclure chaque prise de parole d'Olivier Rafowitz sur des plateaux français. Le mot semblait rouler avec gourmandise dans la bouche des journalistes qui concluaient ainsi le déroulé du parole du porte-parole francophone de l'armée israélienne. Sans doute, le frisson à peu de frais de toucher la chose militaire, d' « en être » depuis un plateau tv confortable. C'était là l'acquiescement à un tapis de mots qui venait justifier les tapis de bombes qui avaient troué le ciel, la terre et la chair de Gaza. Ce « Mon Colonel » faisait des journalistes les supplétifs empressés de la communication israélienne. Des soldats en somme, pour l'autre guerre, l'informationnelle, sans laquelle la guerre sur le terrain aurait été moins aisée.

Ce colonel remerciera à son tour BFMTV de faire “du travail excellent par rapport à la présentation du conflit ». La présentation seule, celle qui fige dans un présent décontextualisé. Car jamais ces journalistes ne poseront la seule question qui vaille devant le représentant d'une armée qui empêche tout journaliste d'accéder au terrain. Pourquoi ce blocus informationnel ? Rompez !

Devant le traitement médiatique de Gaza, il m'est souvent arrivé de repenser à un apologue de la tradition juive. On raconte qu'au 19e siècle, passant par hasard dans un shtetl polonais, un célèbre archer remarqua un nombre important de cible avec la flèche figée à chaque fois dans le mille. Il voulut rencontrer cet archer de talent et devant son insistance, les villageois finissent par lui présenter un homme tout tremblant de vieillesse. Le visiteur, étonné, veut voir de ses yeux les prouesses de l'archer cacochyme. Ce dernier se saisit de l'arc, ferme les yeux, tire sa flèche au hasard et va tranquillement dessiner la cible à la craie…la flèche au milieu. Voilà comment opèrent certains médias. Le réel importe peu, une fois la flèche du récit figée. Il s'agit simplement, par la représentation médiatique, de maintenir ce récit au centre.

La déraison médiatique

Le récit médiatique de Gaza a été tissé de ces scènes répétées, lesquelles venaient créer comme une alter-réalité, une distorsion des faits et du réel. Et on ne cessera de s'étonner que le dispositif médiatique ait produit tant d'irrationalité. Comment ce même dispositif réglé a produit de la fiction au lieu de rendre compte du réel ? Il m'est souvent arrivé, à titre personnel, d'avoir l'étrange impression de me trouver devant un conte de fées naturalisé plutôt que face à un travail journalistique. Le dispositif médiatique sur Gaza rationalise (de plus en plus laborieusement) l'irrationnel et l'inacceptable. La lingua franca médiatique normalise le génocide.

Certes, la couverture de Gaza a d'abord renouvelé les travers inhérents aux médias. Banalité de la mésinformation et de la désinformation. La communication d'Israël a misé sur ces effets structurels. Les médias mainstream ou Corporate media, comme disent les anglo-saxons, fonctionnent d'abord en vase clos et s'abreuvent aux mêmes sources. Une structuration du récit par les grandes agences de presse internationales qui fournissent le matériau premier. Les médias sont également conservateurs au sens où ils tendent à valider l'ordre existant, quel que soit cet ordre. La parole institutionnelle rassure les journalistes, et de glissement en glissement, ils s'en font désormais les rapporteurs et relais disciplinés plutôt que les questionneurs distants. La sociologie des journalistes participe aussi de ce conservatisme. Chaque journaliste apporte avec lui un univers mental et social. Que certains n'en aient pas conscience, comme le poisson rouge ignore qu'il évolue dans l'eau et qu'il est constamment mouillé, n'empêche pas ce fait.

Le récit médiatique fonctionne par la répétition, l'amplification et la saturation. “L'esprit de gramophone”, selon l'intuition géniale de George Orwell pour qui la propagande des démocraties se faisait moins par la répétition de la force que par la force de la répétition. Ce mécanisme a joué sa part pour Gaza, notamment avec la répétition de formules, dont la plus péremptoire et paralysante : “Israël a le droit de se défendre”. Pourtant, Israël se défend contre une population civile occupée qui, elle, a juridiquement le droit de se défendre contre cette même occupation. Dans les limites du droit international.

L'imposition du récit premier a également joué, à travers le recours à des codes journalistiques rassurants. D'où ces scènes d'”explication” (en hébreu, Hasbara) sous les hôpitaux palestiniens bombardés car accusés d'être des QG du Hamas, images et visites fournies gracieusement par l'IDF. Constat déplorable pour notre profession, cette communication a fleuri sur la paresse des médias qui se sont fait chambre d'échos et de validation plutôt qu'instance de vérification.

Autre mécanisme de communication sur lequel s'est appuyé l'armée israélienne, celui de l'habituation. Un paradigme s'est installé devant les exactions israéliennes à Gaza : d'abord le scandale, puis l'habituation et enfin le trop-plein qui pousse à l'apathie morale. Ainsi les bombardements d'hôpitaux ont d'abord choqué, puis leur répétition est devenue un déjà-vu et un déjà-dit médiatiques pour lesquels l'indignation n'avait plus de souffle. Si bien qu'en mai 2025, à la télévision israélienne, le député Zvi Sukkot a pu déclarer : « Vous pouvez tuer 100 Gazaouis en une nuit, et personne ne s'en soucie ». C'est cela l'habituation médiatique, un dynamique constante de l'acceptable et donc de l'inacceptable. Les médias ont fini par normaliser les situations anormales car « When everything is outrageous, nothing is outrageous »…

Cette guerre contre Gaza n'a pas échappé à un aplanissement des faits. Le dispositif médiatique objectivise toute parole et opinion, la plaçant sur le même plan que les faits. Ce métier est aussi en lambeaux par la multiplication des doxosophes ou prédicateurs de plateau, plus communément appelés “éditorialistes”. La grande ruse de l'éditorialiste est qu'il n'est pas tenu à la vérification des faits mais à leur seule interprétation. Il ne s'agit plus de savoir mais de croire.

À défaut de réalité, le récit médiatique de Gaza a produit un effet de réalité par la répétition, l'équivalence entre faits et opinion, le recours à des experts inexpérimentés, aux slogans. Autrement dit, par le recours, via un discours aux apparences rationnelles, à une mythologie. Car c'est là la force du dispositif médiatique, il rationalise, confère à un récit le vernis de la démonstration et du réel. La structuration entre logos et mythos ne veut dès lors plus rien « dire », dans tous les sens du terme. La différence entre le discours logique et l'art de la fable, voire de l'affabulation, disparaît sur certains médias.

Nous avons aussi assisté, avec Gaza, à une pétrification du langage et à sa descente dans le non-sens. Un bréviaire de mots, psalmodiés comme un credo. Ainsi « Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient », sans que jamais on n'interroge la santé d'une démocratie effective seulement pour une partie de la population qui vit entre la mer et le Jourdain. Quand bien même la presse israélienne alerte sur le glissement illibéral du pays avec un Netanyahou si occupé à survivre politiquement qu'il met au pas les contre-pouvoirs du pays.

Avec la couverture médiatique de Gaza (et il faut peser l'ambivalence du mot “couverture”, qui tient autant du dévoilement que de l'occultation), nous avons assisté à la disparition du réel. Le grand paradoxe, ou la grande perversité, est que cette disparition s'est faite sous couvert d'information et de réalité.

C'est l'avenir du réel qui se joue là aussi. L'hyperréalisme induit par le dispositif médiatique a accouché d'un nihilisme médiatique comme destruction de la réalité. En bout de chaîne médiatique, le peuple palestinien en paie le prix du sang.

D'effacement en occultation

Je ne cesse d'être frappée par la mythologie qui accompagne le récit médiatique sur Israël. Tout se passe comme si s'opérait sur ce pays un transfert d'une sacralité étrange par un Occident aux cieux pourtant vidés de sens.

Par sacralité, il faut entendre ce mot au sens premier, religieux : séparé. Israël est un pays “mis à part”. Une absence de normalité qui se perçoit dans un paradoxe épais : Israël est tellement moral qu'il échappe aux règles morales communes.

Cette sacralisation d'Israël en vient à attribuer à ce pays des caractéristiques quasi divines. Le nom de ce pays ne doit pas être “pris en vain”, comme le nom de Dieu dans le décalogue, notamment avec cette incapacité à le nommer et désigner sa responsabilité dans les crimes commis à Gaza. D'où ces titres flottants, où la conséquence était nommée sans que jamais la cause ne le soit. Les Palestiniens meurent, la famine s'installe, les hôpitaux sont détruits comme par la magie d'une volonté désincarnée et anonyme.

Israël ne bombarde pas mais “frappe”, comme le ferait un Dieu punisseur et omniscient. Ce pays apparaît alors comme ontologiquement “innocent” et donc irresponsable. Une théodicée en somme que le récit médiatique vient construire. La guerre contre Gaza doit être saisie dans un tel prérequis narratif, d'autant plus puissant qu'il est non-dit.

Cette incapacité médiatique à nommer la responsabilité d'Israël tout en décrivant les conséquences de ses actes a constitué un véritable obstacle épistémologique pour les médias, surtout occidentaux. Un écueil non nommé qui a donné lieu à toutes ces circonvolutions absurdes observées dès qu'il s'agissait de nommer les actes israéliens. D'où le recours au vocabulaire de la catastrophe naturelle ou encore à la tragédie, avec sa cohorte de déresponsablisation. Ainsi, il a été plus facile à certains médias de parler de “crise humanitaire” pour la famine à Gaza que de documenter les entraves des autorités israéliennes à l'entrée de vivres, pourtant parfaitement documentées par les ONG, l'ONU ou surtout des journalistes palestiniens et israéliens.

Autre observation, le récit médiatique s'inscrit dans une chronologie comme débutée seulement le 7 octobre. L'interprétation du massacre du 7 octobre a été comme figée dans un éternel présent, sans cesse réactualisé. Un événement sans cause, comme apparu soudainement dans un vide serein et paisible. Si rien n'excuse ce massacre de civils israéliens, comme tout massacre de civils, il s'inscrit dans un continuum historique. Ne pas appréhender les événements ainsi est se condamner à les reproduire.

Cette vision médiatique de l'histoire israélo-palestinienne rappelle ce que le philosophe Charles Mills appelle une « épistémologie de l'ignorance ». Les évènements semblent se produire dans un vide où le rôle du colonialisme, de l'impérialisme, du racisme, dans la formation des dynamiques contemporaines est tout simplement ignoré. Ce vide épistémologique a rendu là encore le récit médiatique incomplet, voire absurde. Rien n'explique le 7 octobre quand tout se justifie par ce même évènement.

La société israélienne comme certains médias occidentaux ont été traversés par des « États de déni », selon l'expression et le livre éponyme de Stanley Cohen, lequel s'est inspiré de son expérience de militant des droits humains en Israël pendant la première Intifada à la fin des années 1980. S'appuyant sur cette expérience, le sociologue israélien décrit un répertoire de dénis employés en Israël : « Cela ne s'est pas produit » (nous n'avons torturé personne) ; « Ce qui s'est produit est autre chose » (il ne s'agissait pas de torture, mais de « pressions physiques modérées ») ; « Il n'y avait pas d'alternative » (la torture un mal nécessaire).

Dès lors, "Il n'y a pas de génocide à Gaza" ; "il n'y a pas de journalistes à Gaza" ; "il n'y a pas de famine à Gaza" ; “il n'y a pas de civils à Gaza”. Autant de négations qui me rappellent la blague juive de ce chaudron neuf qui n'avait jamais été prêté mais a été rendu troué. Gaza est comme ce chaudron tout à la fois neuf et troué, perdu et jamais prêté : une impossibilité épistémologique.

Autre conséquence de cette sacralisation d'Israël, se note dans le récit médiatique une sur-présence d'Israël qui a pour pendant exact l'effacement des Palestiniens. Les Palestiniens sont généralement décrits comme étant « morts » ou « tués » dans des frappes aériennes, sans mention de l'auteur de ces frappes. Les victimes israéliennes, en revanche, sont « massacrées » et « égorgées ». S'ils apparaissent, les corps des Palestiniens sont une masse indistincte-, foule, groupe, tas, dans la vie comme dans la mort. À l'opposé, chaque Israélien est individualisé, doté d'affects trop souvent refusés aux Palestiniens. L'hyperbole pour décrire les souffrances israéliennes a eu pour pendant l'euphémisation, voire la silenciation des souffrances palestiniennes. La couverture de la guerre contre Gaza est aussi, paradoxalement, l'itinéraire de la disparition d'un peuple en sursis, comme tout peuple colonisé.

Dans le récit médiatique fait de Gaza, si les Palestiniens apparaissent, ils ne le sont qu'à travers leurs corps meurtris. Peu de place est faite à leur psyché, désir et volonté. Ils sont éternels sujets et objets d'un récit qui les dépouille de leur agentivité et souveraineté individuelle. En revanche, les affects israéliens sont mis en avant, en psyché individuelle dont seuls les Israéliens semblent dotés. Avec cet effacement médiatique, les Palestiniens ont subi tout autant une violence physique qu'une violence symbolique. Le drame est que ce traitement médiatique différencié a donné lieu à une “économie” macabre et raciste, où se trouvent figées les catégories de victime, la violence légitime, et in fine la justification de la destruction. Gaza révèle ainsi un ensauvagement policé et une radicalisation des médias occidentaux.

Outre la dévastation physique, les Palestiniens se sont vus opposer le refus implicite de raconter eux-mêmes cette guerre et ce qu'elle leur fait. Je me suis souvent demandé dans quelle mesure cela tenait aussi à des réflexes racistes inconscients, la parole “arabe” étant systématiquement dépréciée et suspecte quand celle d'Israël, présentée et perçue comme conforme aux normes occidentales de rationalité, était reçue sans recul et doute.

Edward Saïd avait déjà décrit ce mécanisme de dépossession de la parole sur soi. Ce que l'intellectuel palestinien appelait “Permission to narrate” ou l'autorisation de raconter. “Dès les débuts des spéculations occidentales sur l'Orient, la seule chose que l'Orient ne pouvait pas faire était de se représenter lui-même”, analysait-il.

Le traitement médiatique de Gaza n'a rien de nouveau sous les cieux sépia de l'orientalisme.

Le récit palestinien, ou plutôt le témoignage, ​​a été d'emblée soupçonné, là où le récit israélien était médiatiquement objectivité. Alors même que les médias se contentaient trop souvent des dénégations officielles israéliennes. Ainsi les Palestiniens, qu'ils soient journalistes, associatifs et civils, ont très vite affirmé que l'aide du GHF servait surtout à organiser des massacres. Il aura fallu que Ha'Aretz rassemble des témoignages de soldats israéliens confirmant ce fait pour que cela soit diffusé. Mais même là, certains médias occidentaux ont préféré titré sur les réponses israéliennes plutôt que sur l'enquête elle-même.

Là encore, comment ne pas y déceler un effet de cet orientalisme qui attache aux peuples sémites les travers de fourberie, d'exagération et de mensonge. Ce que la société israélienne a ramassé dans le mot-valise “Pallywood” qui emporte l'idée que les Palestiniens mettent en scène leur propre souffrance. En cela, et je ne cesse de m'en étonner, la société israélienne projette sur les Palestiniens ce regard orientaliste qui, au cœur de l'antisémitisme européen, était projeté sur les Juifs. L'histoire de cet antisémitisme est traversée de ces mêmes accusations d'exagération et de lamento, même au plus fort des massacres et persécutions. Même au sortir des camps de concentration et d'extermination.

Tout se passe comme si c'était opéré un transfert tragique, celui de l'orientalisme européen vis-à-vis des Juifs vers la société israélienne vis-à-vis des Palestiniens. C'est peut-être en cela que la société israélienne est profondément une société orientaliste et donc une société occidentale, selon l'intuition d'Edward Saïd pour qui Orientalisme et Occidentalisme fonctionnent en symétrie inversée. C'est par cet orientalisme, et donc par le traitement des Palestiniens, qu'Israël entend aussi s'affirmer comme partie prenante de l'Occident.

Les petits soldats de l'occidentalisme

Tout récit est traversé d'un méta-récit, sous-texte ou pré-texte, d'autant plus puissant qu'il est implicite. Le récit médiatique n'échappe pas à cette règle. Depuis le 7 octobre 2023, des méta-récits ont singularisé la couverture de la guerre contre Gaza. Ce sont ceux-ci qui font aussi que le génocide à Gaza a été permis par ce récit médiatique.

D'abord, il me semble que la colonisation des Palestiniens et le génocide des Gazaouis a été implicitement vus par les médias occidentaux, comme la réparation du génocide juif. Et c'est sans doute là que gît le nœud tragique de ce qui se joue à Gaza et plus largement en Palestine. Le sang versé reste innocent.

Cette grille de lecture est tout droit issue de la Seconde Guerre Mondiale, quand l'Occident a dû se rejustifier après un génocide industriel d'ampleur inédite. Sur les cendres et le scandale d'Auschwitz, l'Occident a reconstruit sa fausse innocence. En soutenant coûte que coûte le gouvernement israélien, l'Occident est persuadé d'avoir tourné le dos à ce qui a mené aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, à Gaza, l'Occident répète ses fautes.

Dans la couverture médiatique de Gaza et la Palestine, il s'est agi beaucoup moins de défendre Israël que de défendre l'Occident auquel Israël a été identifié (et s'est identifié). À la retraumatisation constante d'Israël à travers un vocabulaire emprunté au plus fort des persécutions européennes (pogrom, extermination, génocide) a fait écho la rejustification ou la rédemption, au sens quasi religieux, de l'Occident. Plus Israël est sans équivoque la seule victime, plus l'Occident se justifie.

Mais ce récit lié à cette guerre fondatrice s'échoue et se brise désormais à Gaza. Un autre récit a émergé, celui des pays du sud. Il est ainsi significatif que ce soit l'Afrique du sud, pays qui sait dans sa chair ce qu'est le racisme, qui a la première saisi les instances internationales, CIJ comme CPI, pour alerter sur la situation à Gaza. À cette initiative sud-africaine se sont très vite ajoutés d'autres pays, le groupe de La Haye, dont la majorité sont d'anciennes colonies européennes. Rompus au colonialisme européen, ces pays considèrent Gaza comme l'un des derniers scandales coloniaux.

Gaza fait sens et signe comme la persistance d'un ordre mondial occidental qui s'accroche à ses derniers privilèges. C'est pourquoi il faut imaginer Israël comme un double ou une projection de l'Occident. Un pays auquel est autorisé des comportements que l'Occident se refuse ouvertement et s'accorde plus discrètement. Alors que la politique ethnique est mal vue en Occident, Israël est autorisé à la pousser jusqu'à ses extrêmes meurtriers, comme l'apartheid, la colonisation, les guerres dites préventives et réellement prédatrices. Quand un Louis Sarkozy affirme qu' « ils crèvent tous. Israël fait le travail de l'humanité », que le chancelier Merz affirme en marge du G7 (groupe occidental s'il en est) qu' « Israël fait le sale boulot pour nous » ou que, en religiosité hallucinée, le sénateur américain Ted Cruz affirme qu' "dans la Bible, ceux qui bénissent Israël seront bénis", tous font d'Israël le gladiateur ou le proxy de l'Occident, pour parler le langage moderne de la géopolitique. Autrement dit, Israël mène les guerres symboliques et réelles d'un Occident alarmé par sa propre chute. Telle est l'incohérence au cœur de l'ordre libéral occidental que Gaza a aussi révélée.

À Gaza s'affrontent donc deux méta-récits : celui issu de la Seconde Guerre Mondiale, lequel a fondé l'ordre international occidental dans lequel nous vivons depuis. Et celui issu des décolonisations. Qui l'emportera se joue aussi dans la petite enclave gazaouie. Quand Benjamin Netanyahou affirme qu'Israël est aux avants postes de la lutte pour la “civilisation occidentale”, il s'agit tout à la fois de créer une solidarité automatique comme d'indiquer, comme l'affirment aussi Manuel Valls, Bernard Henri Lévy ou encore en 2014 José-Maria Aznar que “si Israël tombe, l'Occident tombe aussi”.

La pensée racialiste et civilisationnelle a détraqué nos médias. Le suprémacisme international a fait écho au suprémacisme national et inversement. La couverture de Gaza en a été imprégnée, avec la projection sur Israël du nihilisme européen cristallisé en montée des extrêmes et figuration de l'Islam comme ennemi intérieur et extérieur.

Car il existe un lien entre l'islamophobie en Occident et le soutien à Israël. La communication israélienne présente ainsi la question palestinienne non pas comme une lutte nationale mais comme une guerre de religion entre Juifs et Musulmans.

Cette lecture convient aussi bien aux messianistes évangéliques qu'aux milliardaires catholiques, tous engagés dans une stratégie de reconquête culturelle de la sphère occidentale.

Gaza restera une plaie ouverte pour les médias occidentaux. Ils se sont fait les soldats zélés d'un occidentalisme plutôt que les défenseurs de principes universels. Un génocide plus tard, la couverture de Gaza a ravivé les clichés et tropes les plus dangereux de l'antisémitisme. Là est aussi la gravité du traitement médiatique de la guerre à Gaza. Là est aussi notre grande responsabilité.

Les partenariats entre les acteurs du développement et de l’aide humanitaire sont essentiels pour l’intégration des réfugiés dans les systèmes de protection sociale

9 septembre, par Organisation internationale du travail (OIT) — ,
Une nouvelle note de l'Organisation internationale du Travail (OIT) souligne comment une décennie de travail de l'OIT démontre qu'une collaboration plus étroite entre les (…)

Une nouvelle note de l'Organisation internationale du Travail (OIT) souligne comment une décennie de travail de l'OIT démontre qu'une collaboration plus étroite entre les agences humanitaires et les acteurs du développement est essentielle pour intégrer les réfugiés dans les systèmes nationaux de protection sociale.

Tiré de Entre les lignes et les mots

GENÈVE (OIT News) – À l'occasion de la Journée mondiale de l'aide humanitaire, l'OIT a publié Protection sociale et déplacements forcés – Enseignements tirés d'une décennie d'activités de l'OIT, une nouvelle note présentant des recommandations pratiques pour promouvoir l'inclusion des personnes en situation de déplacement forcé dans les systèmes nationaux de protection sociale.

Le moment choisi pour la publication de ce document est particulièrement crucial car le système mondial d'aide humanitaire est poussé à ses limites. À ce titre, le document vise à aider les pays et les acteurs humanitaires et du développement qui les soutiennent à améliorer l'accès à la sécurité des revenus, aux soins de santé et à d'autres services essentiels pour les personnes en situation de déplacement forcé, tout en réduisant la fragmentation et en favorisant la cohésion sociale.

Il tire les enseignements des dernières décennies de coopération de l'OIT avec les acteurs humanitaires visant à faciliter la transition entre les interventions humanitaires d'urgence ad hoc et les systèmes de protection sociale fondés sur les droits. La note met également en évidence la manière dont laprotection sociale universelleet l'égalité de traitement entre les ressortissants nationaux et les non-ressortissants peuvent contribuer à relier les efforts humanitaires, de paix et de développement.

Les déplacements forcés sont en augmentation dans le monde entier, sous l'effet des conflits, de la violence, des catastrophes environnementales et de la crise climatique. Ce défi croissant exige des réponses fondées sur les droits de l'homme et garantissant aux personnes en situation de déplacement forcé l'accès aux services et protections essentiels.

La protection sociale est un droit humain fondamental, ancré dans les droits à la sécurité sociale et à la santé, et elle doit être garantie pour tous, y compris les réfugiés et les autres populations déplacées. La protection sociale en matière de santé, en particulier, offre un point d'entrée solide pour l'inclusion, car elle est alignée sur les priorités nationales en matière de santé publique, tout en contribuant à une intégration plus large dans les systèmes de protection sociale. – Shahra Razavi, Directrice du Département de la protection sociale universelle de l'OIT

Le document souligne qu'une approche à deux volets, combinant le renforcement des systèmes nationaux et l'inclusion opérationnelle des personnes déplacées, est la voie la plus efficace à suivre et celle qui permettrait de garantir que personne ne soit laissé pour compte.

Les partenariats entre les acteurs du développement et de l'aide humanitaire sont essentiels pour que ces stratégies d'inclusion fonctionnent. L'OIT apporte son expertise technique et ses normes internationales, tandis que les organisations humanitaires fournissent un accès direct aux communautés déplacées et une connaissance approfondie de leur situation. L'élaboration récente de principes communs par plusieurs organismes des Nations Unies est alignée avec les enseignements tirés par l'OIT et contribue à encadrer ces partenariats dans le cadre du nexus humanitaire-développement-paix.

Il est également essentiel de relier la protection sociale aux programmes pour l'amélioration des moyens de subsistance, car cela permet aux personnes déplacées d'avoir un accès durable aux prestations tout en améliorant leurs possibilités d'emploi, leurs revenus et leur bien-être. Pour garantir un impact à long terme, un financement durable et un plaidoyer plus fort sont nécessaires, afin de garantir une assistance sociale fondée sur les droits pour les groupes vulnérables et d'aligner les ressources nationales et internationales.

L'OIT réaffirme son engagement à soutenir les pays qui étendent la couverture de la protection sociale aux populations déplacées et à leurs communautés d'accueil, tout en progressant vers des systèmes universels.

https://www.ilo.org/fr/resource/news/les-partenariats-entre-les-acteurs-du-developpement-et-de-laide-humanitaire

Partnerships between humanitarian and development actors are key to including refugees in social protection systems
https://www.ilo.org/resource/news/partnerships-between-humanitarian-and-development-actors-are-key-including

Las alianzas entre los agentes humanitarios y de desarrollo son esenciales para la inclusión de los refugiados en los sistemas de protección social
https://www.ilo.org/es/resource/news/las-alianzas-entre-los-agentes-humanitarios-y-de-desarrollo-son-esenciales

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Harcèlement sexuel dans une entreprise de métallurgie

9 septembre, par Tiffany Coisnard — ,
Mme Z. est soudeuse, elle est engagée en CDD à partir du mois de septembre 2018 dans une entreprise de métallurgie. Tiré de Entre les lignes et les mots (…)

Mme Z. est soudeuse, elle est engagée en CDD à partir du mois de septembre 2018 dans une entreprise de métallurgie.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/07/harcelement-sexuel-dans-une-entreprise-de-metallurgie-la-victime-condamnee-a-payer-les-frais-de-justice-de-son-employeur-par-le-conseil-de-prudhommes-dannecy/?jetpack_skip_subscription_popup

Elle travaille souvent en binôme avec son collègue M. A. Les deux logeant loin du lieu de travail, ils s'échangent leurs numéros de téléphone dans le but d'organiser des covoiturages pour se rendre au travail.

Des propos à caractère sexuel et des images pornographiques

Très vite, les moindres faits et gestes de Mme Z. deviennent des prétextes pour son collègue à tenir des propos à caractère sexuel : Lorsqu'elle se penche pour souder une pièce, il lui dit que « ça lui donne des idées ». Alors qu'elle est enrhumée, il lui propose de boire son sperme en guise de sirop.

Mme Z. ne cesse de manifester ses refus ; lorsqu'il se plaint de sa vie sexuelle, elle lui suggère de consulter des sites spécialisés souhaitant ainsi contourner ses propos, lorsqu'il lui fait des propositions sexuelles en prétendant qu'elle a besoin de se « détendre » et qu'il faut « profiter de la vie », elle lui répond que son travail et ses enfants la comblent déjà de bonheur. Et quand M. A lui envoie des GIFs issus de vidéos pornographiques par sms, montrant des actes de pénétration en gros plan, seulement un mois après son embauche, Mme Z. lui répond par un « émoji en colère » suivi du prénom de son collègue et d'un point d'exclamation, exprimant ainsi sa colère de recevoir de telles images.

Face à ces violences incessantes, le travail de Mme Z. est constamment perturbé. Alors qu'elle est concentrée, enlevant le serre-joint d'une pièce, M. A n'arrête pas de l'asséner de propos à caractère sexuel. Déconcentrée, elle ne remet pas le serre-joint en place et fait tomber sa pièce, se blessant au niveau de la côte.

Le stress engendré par le harcèlement sexuel qu'elle subi déclenche une crispation de sa mâchoire, appelée bruxisme, ce qui abîme ses dents. Mme Z. doit alors porter une gouttière. Quand on est victime de violences sexuelles au travail, on serre les dents, au sens figuré comme au sens propre.

Mme Z. signale les faits au chef de l'atelier. La secrétaire, à qui elle se confie le même jour, l'informe que M. A avait déjà commis des violences à son encontre également et que le chef d'atelier avait dû intervenir afin qu'il cesse. C'était donc, a minima, le deuxième signalement que ce chef d'atelier recevait concernant les agissements de M. A.
Malgré cela, rien ne sera mis en place pour protéger Mme Z.

Face à l'inertie de son employeur, un ami de Mme Z, M. F, rencontre M. A sur le parking de l'entreprise afin de lui demander de cesser ses agissements. Ce dernier propose alors de l'argent pour faire taire Mme Z.

Inquiète du comportement de M. A envers d'autres femmes, Mme Z. se rend au domicile de M. A accompagnée par un proche, M. L, dans le but d'avertir sa conjointe des violences qu'elle subissait. Après quoi M. A déposera une plainte pour violation de domicile et chantage ! L'inversion de culpabilité à son paroxysme !

Elle dépose alors une main courante en décembre 2018, puis en 2022, elle saisit les prud'hommes.

Une défense abjecte

Dans ce dossier, la défense use encore et toujours des mêmes stéréotypes : Mme Z. ne pourrait pas être victime car elle est plus âgée que M. A. C'est bien connu, dès lors que la différence d'âge est en faveur des femmes, elles sont soudainement protégées du patriarcat et il devient tout bonnement impossible de subir des violences sexuelles… De quoi nous donner envie de dérégler nos horloges.

Plus sérieusement, si la différence d'âge entre un agresseur et sa victime nous apporte des éléments de compréhension des rapports de pouvoir qui se jouent lorsque l'agresseur jouit d'une plus grande ancienneté dans l'entreprise et que le plus jeune âge d'une victime la vulnérabilise, l'absence de ce type de rapport de pouvoir lié à l'âge ne permet évidemment pas de faire disparaître tous les autres. En l'occurrence, Mme Z. a un contrat précaire et n'a pas eu la possibilité de développer des relations au travail lui permettant d'avoir du soutien puisqu'elle vient juste d'arriver dans l'entreprise, elle est donc seule, et la façon dont son poste et l'atelier sont organisés accentue cet isolement, propice à la commission de violences à son encontre. De plus, il règne un climat permissif dans l'entreprise, celle-ci ayant déjà eu connaissance de violences similaires commises par M. A sans que cela ne semble la pousser à mettre de quelconques mesures en place, bafouant ainsi ses obligations. Le fait que Mme Z. soit ou non plus âgée que M .A est sans incidence sur la caractérisation du harcèlement sexuel et ces autres facteurs ont bien permis à M. A de tenir ces propos à connotation sexuelle en toute impunité. La défense lui reproche également l'attitude de ses proches, notamment, le fait que M. F, ami de Mme Z., ait cherché à rencontrer M. A sur le parking de l'entreprise. Comme d'habitude, les victimes ont toujours tort ; lorsqu'elles refusent l'aide de leurs proches, on soupçonne que la situation n'est pas « si grave » sinon quoi, elles auraient accepté n'importe quelle aide afin de faire cesser les violences. Lorsqu'elles acceptent l'aide de leurs proches, il pèse sur elles le stéréotype d'une femme vengeresse.

Enfin, la défense va jusqu'à rendre Mme Z. responsable du comportement de son entourage ! Un de ses amis, qui témoigne dans la procédure, avait partagé sur son compte facebook personnel des images à connotation sexuel. La défense a alors estimé que ce témoin n'avait pas de leçon à faire sur le sexisme et que son comportement en ligne était de nature à décrédibiliser son témoignage. En clair, Mme Z. devrait jouer les modératrices de contenu auprès de ses proches pour avoir le droit de produire leurs témoignages.

Il est intéressant aussi de constater que la défense considère bien que des images à caractère sexuel soient offensantes pour les femmes lorsque celles-ci sont publiées sur un réseau social par un ami, mais pas lorsqu'elles sont imposés par un collègue, dans le cadre du travail…

Un jugement à charge contre la victime

Dans son jugement du 18 septembre 2023, le conseil de prud'hommes d'Annecy a non seulement débouté Mme Z. de toutes ses demandes, mais il l'a également condamné à l'article 700 du code de procédure civile, c'est-à-dire, au paiement des frais engagés par la partie adverse. C'est donc une décision que Mme Z peut légitimement ressentir comme une « punition » pour avoir voulu être rétablie dans ses droits.

Le conseil de prud'hommes d'Annecy justifie sa décision par « une attitude de chantage et de menace » envers M. A, faisant référence à la visite de M. F au domicile de M. A.

Mme Z. a simplement fait appel à ses proches pour se défendre et espérer pouvoir reprendre son poste en sécurité. Elle souhaitait faire cesser le harcèlement sexuel commis à son encontre, elle a alors essayé toutes les stratégies possibles, et demander l'aide d'un ami en faisait simplement partie. Cela ne fait d'ailleurs que démontrer l'état de détresse dans lequel elle se trouvait…

Ainsi, le conseil de prud'hommes d'Annecy s'est contenté de croire les allégations de la partie adverse qui prétendait que Mme Z. avait tenté d'extorquer de l'argent à M. A (c'était pourtant lui qui tentait d'acheter son silence !), sans que la défense n'ait à produire aucune preuve de cette « attitude de menace », tout en décidant d'ignorer les preuves du harcèlement sexuel commis par M. A. En effet, en plus d'un grand nombre d'éléments – tels que l'enquête de l'inspection du travail qui caractérise précisément l'existence du harcèlement sexuel à l'encontre de Mme Z. et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, des éléments médicaux attestant de la dégradation de son état de santé, des témoignages indirects et des captures d'écran des gifs pornographiques envoyés par M. A – ce dernier avait beau contesté une partie des faits, il avait bien reconnu, lors d'un entretien dans les bureaux de la société, l'envoi de photographies à caractère pornographique et avait également reçu un rappel à loi, impliquant donc qu'il avait reconnu les faits, là encore.

La partie adverse prétendait que ces messages avaient été envoyés en dehors du temps et du lieu de travail, sans pour autant, encore une fois, le démontrer, alors que les horaires d'envoi pouvaient correspondre au temps de travail. En outre, elle a sanctionné le harceleur d'un seul avertissement montrant bien que les faits commis relevaient de sa responsabilité. De plus, l'AVFT et Me Mylène HADJI, avocate de Mme Z., avaient présenté avec précision dans leurs écritures plusieurs décisions étendant la responsabilité de l'employeur en dehors du temps et du lieu de travail, dès lors que les protagonistes étaient en lien en raison du travail.

Les justifications du conseil de prud'hommes d'Annecy pour débouter Mme Z. et la condamner au paiement des frais engagés par la partie adverse s'arrêtent là, en seulement quelques paragraphes visant tantôt à rendre Mme Z. responsable des violences subies, tantôt à nier la responsabilité de son employeur.

Quant à l'AVFT, nous avons été déclarée irrecevable pour ne pas avoir soutenu oralement nos conclusions en première instance, en raison d'une impossibilité matérielle exceptionnelle dont nous avions informé le Conseil.

Mme Z. et l'AVFT ont fait appel de cette décision. L'audience s'est déroulée le 22 mai 2025. Mme Z. était représentée par Me Mylène HADJI. L'AVFT n'était plus représentée, la déclaration d'appel ayant été déclarée caduque.

Le délibéré sera rendu le 11 septembre 2025.

Tiffany Coisnard pour l'AVFT
https://www.avft.org/2025/09/03/harcelement-sexuel-dans-une-entreprise-de-metallurgie-la-victime-condamnee-a-payer-les-frais-de-justice-de-son-employeur-par-le-conseil-de-prudhommes-dannecy/

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Solidarity : la gauche étasunienne et la question du travail

9 septembre, par Solidarity - USA — , ,
L'organisation étasunienne, socialiste, féministe et anti-raciste, Solidarity tient prochainement son congrès. Nous avons traduit le projet de résolution sur la question du (…)

L'organisation étasunienne, socialiste, féministe et anti-raciste, Solidarity tient prochainement son congrès. Nous avons traduit le projet de résolution sur la question du travail. Celui-ci permet de se faire une bonne idée de l'ampleur des attaques du gouvernement Trump contre les syndicats et plus largement la classe ouvrière dans son ensemble. Le texte fait également le point sur les différents syndicats et associations qui se mobilisent actuellement aux États-Unis, sur leurs priorités et elle ouvre la discussion sur des pistes d'actions de solidarité. Beaucoup de choses donc utiles pour le mouvement ouvrier Québécois.

https://solidarity-us.org/

PROJET DE RÉSOLUTION SUR LE TRAVAIL
Projet du Comité national de solidarité sur le travail en 2025 et au-delà

La signature des contrats automobiles 2023 de l'UAW, qui éliminent les salaires à deux vitesses, a été rapidement suivie par le vote des travailleurs de Volkswagen dans le Tennessee en faveur de l'adhésion à l'UAW. Avec l'accord selon lequel les Teamsters travailleraient avec des formations syndicales indépendantes pour syndiquer les travailleurs d'Amazon, ces événements ont marqué un nouveau départ pour le mouvement syndical. Mais le pourcentage élevé de syndiqués et de personnes de couleur ayant voté pour Trump comme alternative au néolibéralisme et aux erreurs des syndicats a mis des bâtons dans les roues d'une avancée attendue du mouvement syndical. Le mouvement syndical, tout comme les mouvements sociaux, est passé d'une position offensive à une position défensive.

Au cours de son second mandat, Trump a adopté une position hostile à l'égard des syndicats en publiant des décrets révoquant les droits de négociation collective de 80 % des employés fédéraux, en licenciant des milliers d'autres et en réduisant de 25 % le salaire minimum dans tous les contrats fédéraux.

Les fonctionnaires fédéraux ont organisé des piquets de grève devant les bâtiments dont ils avaient été exclus et ont rejoint le tout nouveau Federal Unionists Network (FUN), une coalition capable de réagir immédiatement. Cette action, menée principalement par la base, a attiré toute une série de dirigeants syndicaux dans l'organisation et, grâce à des actions en justice, a contraint l'administration à faire (partiellement) marche arrière.
C'est en invoquant la « sécurité nationale » que Trump a pu supprimer les protections (conditions de travail, promotion, formation, rémunération des heures supplémentaires et des déplacements, licenciements et renvois, etc.) et contraindre les fonctionnaires fédéraux à devenir des employés « à volonté ». Bien sûr, une contestation judiciaire était nécessaire, mais elle s'est avérée terriblement insuffisante. Alors que le procès suit son cours devant les tribunaux, l'administration Trump va de l'avant et les fonctionnaires fédéraux travaillent sans droits. Les syndicats fédéraux et l'AFL-CIO ne semblent pas avoir l'intention de remettre en cause cette « réalité sur le terrain ».

De plus, le ministère du Travail a annoncé son intention d'abroger plus de 60 réglementations relatives au lieu de travail. Il s'agit notamment de réduire les exigences en matière de salaire minimum pour les aides-soignants à domicile et les personnes handicapées, d'abaisser le niveau d'exposition aux substances nocives et de limiter les sanctions infligées aux employeurs dans certaines circonstances lorsque des travailleurs sont blessés ou tués.

Ces nouvelles réglementations ont été annoncées par la secrétaire au Travail Lori Chavez-DeRemer, la personne recommandée pour ce poste par le président du syndicat Teamsters, Sean O'Brien. Elle a déclaré qu'il s'agissait de « la proposition la plus ambitieuse visant à réduire les formalités administratives de tous les départements du gouvernement fédéral ».

Si nous assistons à des attaques sauvages sous l'équipe Trump, les administrations précédentes refusaient déjà de soutenir les travailleurs. Par exemple, le salaire minimum fédéral est de 7,25 dollars de l'heure, sans augmentation depuis 2009, et il existe des exceptions à ce salaire de misère pour les travailleurs recevant des pourboires, les travailleurs handicapés, les jeunes de moins de 18 ans et certaines professions. Même avant l'investiture de Trump, des tentatives avaient été faites pour affaiblir les lois sur le travail des enfants. Au début de l'année, le New York Times a publié une série d'articles révélant de nombreux cas d'enfants immigrés travaillant dans des professions dangereuses. Plusieurs d'entre eux ont été gravement blessés ou sont décédés. (https://www.nytimes.com/series/alone-and-exploited)

Une réponse importante à ce climat politique négatif est May Day Strong (NEA), un réseau de résistance lancé par le Chicago Teachers Union (CTU), le United Teachers of Los Angeles (UTLA) et d'autres syndicats du secteur public. Mais si l'on consulte leur site web (https://maydaystrong.org/), on constate que parmi leurs partisans figurent un certain nombre de syndicats locaux et internationaux (dont la NEA et le National Nurses United), ainsi que diverses organisations de mouvements sociaux et à but non lucratif. Ils ont commencé par lancer un appel à des actions de masse le 1er mai. Bien que moins massives que les rassemblements « Hands Off », les marches et les rassemblements ont réuni entre 60 000 et 80 000 militants syndicaux et communautaires dans plus de 1 000 lieux. Basé sur le mouvement syndical, le réseau a tendu la main aux organisations communautaires et d'immigrants autour d'un programme en cinq points :

Mettre fin à la mainmise politique des milliardaires,
Protéger et défendre Medicaid, SSI et d'autres programmes sociaux essentiels pour les travailleurs,
Financer pleinement l'éducation, les soins de santé et le logement pour tous,
Mettre fin aux attaques contre les immigrants, les Noirs, les peuples autochtones et les populations transgenres,
Investir dans les besoins des gens, pas dans la guerre.

Le MDS a organisé plusieurs réunions de planification en personne et via Zoom, auxquelles ont participé plusieurs centaines de personnes. Il distribue des kits d'outils MDS (que la NEA a aidé à développer) pour l'organisation locale ; la prochaine action nationale se mobilise autour de la fête du Travail. Il prévoit 20 à 30 conférences régionales au cours de l'automne dans le but de coordonner les actions et les grèves régionales menant au 1er mai 2026.

Ce projet ambitieux vise à tester le terrain pour voir ce qui est possible et permettre à certaines régions du pays ou à certains segments de la population active de montrer la voie, dans l'espoir d'inspirer d'autres acteurs. Nous voulons participer à ce projet, contribuer à son développement et analyser les possibilités qu'il offre.

Nous voulons construire ce vaste réseau syndical de gauche, composé à la fois de responsables syndicaux élus et de simples membres. C'est le genre d'initiative dont nous avons besoin pour lutter contre le programme de Trump.

Un exemple : la grève chez Air Canada

Un exemple concret et actuel est la grève des agents de bord d'Air Canada en août 2025. Avant même l'expiration de leur contrat, de longues files de membres brandissant des pancartes faisaient du piquetage devant les aéroports, défilant dans les aéroports avec leurs pancartes et envahissant les conférences de presse de la direction avec leurs revendications. Alors que la direction comptait sur le gouvernement canadien pour imposer une injonction afin de forcer les travailleurs à reprendre le travail pendant la poursuite des négociations, 10 000 agents de bord et leur syndicat, le SCFP, ont clairement indiqué qu'ils étaient prêts à poursuivre la grève si la direction ne répondait pas à leurs revendications.

Les principales revendications du syndicat étaient les suivantes : 1) que la société paie les heures de travail avant et après l'embarquement qui n'étaient pas rémunérées (seul le temps de vol l'était !) et 2) qu'elle augmente les salaires. Le public était favorable à ces revendications, même si 100 000 passagers par jour ne pouvaient pas prendre l'avion.
Lorsque la direction d'Air Canada a constaté que le gouvernement intervenait mais que le syndicat défiait l'ordre, elle a été contrainte de présenter une proposition provisoire. C'est le message clair du syndicat concernant ses revendications et sa volonté de rester uni, même au mépris de la « loi », qui a contraint la compagnie à agir. De retour au travail, les agents de bord voteront pour accepter ou non le contrat.

Immigration

Une série d'actions supplémentaires est menée dans plusieurs syndicats américains. Ce qui est important à ce sujet, c'est que les syndicats soutiennent activement leurs membres qui sont arrêtés et menacés d'expulsion.

• Lors des raids massifs menés par l'ICE à Los Angeles, David Huerta, président de SEIU Californie, a été arrêté et accusé d'avoir entravé le travail d'un agent fédéral à l'extérieur d'un entrepôt de vêtements où des manifestants s'étaient rassemblés pour s'opposer au raid de l'immigration. SEIU a appelé les syndicats à organiser des manifestations pour réclamer sa libération, et plusieurs manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays.
• Le SEIU a également soutenu activement les membres qui ont été arrêtés et détenus, notamment Rumeysa Ozturk, étudiante diplômée de l'université Tufts et membre du SEIU Local 509, qui a été kidnappée par des agents d'immigration masqués, et Lewelyn Dixon (64 ans), technicienne de laboratoire à l'université de Washington, membre du SEIU Local 925 et résidente permanente. Dans ces affaires, le SEIU a collaboré avec des groupes d'étudiants et des associations locales pour faire connaître leur cas et organiser des piquets de grève devant les centres de détention.
• L'UAW a également soutenu des étudiants diplômés menacés d'expulsion pour avoir exprimé ou écrit leur soutien au cessez-le-feu à Gaza et au désinvestissement des entreprises vendant des armes à Israël.
• La section locale 100 du SMART a soutenu son membre, Kilmar Armando Abrego Garcia, en prenant publiquement sa défense et en collaborant avec CASA, une organisation dirigée par des travailleurs et des immigrants. Ils ont contacté d'autres syndicats du bâtiment pour soutenir les droits des immigrants.
• Toutes les formes d'activité syndicale doivent collaborer avec les centres de travailleurs, en particulier avec le National Day Laborer Organizing Network (NDLON) et les organisations communautaires.

Il est essentiel de discuter et d'analyser sur le lieu de travail, dans les locaux syndicaux et dans nos communautés comment ces attaques sont menées sous de faux prétextes. La sécurité des travailleurs est qualifiée d'« obsolète », les immigrants sont étiquetés comme des « criminels », les travailleurs d'autres pays nous « volent » en quelque sorte nos emplois et la « sécurité nationale » exige l'annulation des négociations collectives pour les fonctionnaires fédéraux. De nombreux membres syndicaux ont succombé à la rhétorique qui monte les travailleurs les uns contre les autres. Trop de nos collègues pensent que ce n'est qu'en érigeant des barrières que nous pouvons protéger nos communautés. La première tâche du syndicat est de montrer comment le fait de nous serrer les coudes nous donne le pouvoir de convaincre la direction de nous respecter. Nous nous protégeons lorsque nous protégeons tout le monde. Si nous échouons, nous ne pourrons pas nous protéger.

Nous avons aujourd'hui l'occasion de nous défendre et de défendre nos collègues contre les enlèvements par des agents masqués. Beaucoup ont gobé la promesse de Trump d'expulser les « terroristes » et les « criminels », oubliant que chaque travailleur est une personne avec une histoire. Nous devons saisir cette occasion pour « connaître nos droits » en tant que groupe et réapprendre que « l'atteinte à l'un est l'atteinte à tous ».

Concrètement, cela signifie organiser des formations sur la manière de minimiser les interactions de la direction avec les autorités et de s'unir contre les raids sur le lieu de travail.

Bien que limitée, la présence syndicale est présente dans le mouvement visant à mettre fin au génocide à Gaza. Le Réseau national du travail pour le cessez-le-feu demande ce qui suit :
• Il doit y avoir un cessez-le-feu à Gaza,
• Les otages détenus par le Hamas doivent être immédiatement libérés, tout comme les prisonniers de guerre palestiniens.
• Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement américain doit immédiatement suspendre son aide militaire à Israël.

Les syndicats qui ont initialement signé la déclaration sont les suivants : Association of Flight Attendants–Communications Workers of America (AFA-CWA) ; American Postal Workers Union (APWU) ; International Union of Painters and Allied Trades (IUPAT) ; National Education Association (NEA) ; Service Employees International Union (SEIU) ; United Auto Workers (UAW) et United Electrical, Radio and Machine Workers (UE).
À ce jour, plus de 200 syndicats et organisations ont signé leur déclaration. Au total, ces signataires représentent plusieurs millions de travailleurs. Leur site web est https://www.laborforceasefire.org/.

Bien qu'il ne s'agisse pas d'un groupe militant, ce réseau syndical démontre que les responsables peuvent adopter des positions progressistes. Le problème est que la plupart des membres connaissent mal la question ou ne savent pas comment s'impliquer.

Divers syndicats

Nous ne pouvons pas fournir d'évaluations détaillées des différents syndicats et de leurs engagements. La campagne de l'UAW pour syndiquer le Sud semblait prometteuse, mais l'échec à obtenir une convention collective après la victoire électorale chez Volkswagen et l'échec à obtenir la reconnaissance syndicale chez Mercedes ont coupé l'élan.
Pour compliquer encore la tâche de l'UAW, les problèmes au sein du Comité exécutif international semblent épuiser l'énergie du syndicat. Le soutien de l'UAW aux droits de douane, bien qu'il semble populaire auprès d'une partie des membres, sape la capacité du syndicat à demander l'aide dont il a besoin pour syndiquer les usines implantées à l'étranger qui produisent désormais la majorité des véhicules américains. Dans de nombreux cas, les seules usines non syndiquées de ces entreprises sont situées dans le sud des États-Unis.

Si les syndicats des fonctionnaires fédéraux sont les premiers sur la sellette de Trump, les syndicats des assistants diplômés et des professeurs sont les suivants. L'administration Trump, comme l'administration Biden, prétend lutter contre l'antisémitisme sur les campus, mais elle utilise une définition erronée du terme afin d'attaquer le droit des étudiants diplômés et des professeurs de s'exprimer et de s'organiser contre les politiques gouvernementales.

Les enseignants des écoles publiques, les travailleurs de la santé et les employés des épiceries ont des campagnes contractuelles prévues à l'automne. Selon un article de Labor Notes publié en février 2025, intitulé « The Big Union Contract Fights Coming in 2025 » (Les grandes luttes syndicales à venir en 2025), plusieurs syndicats ont discuté de la stratégie de grève et envisagent d'aligner la date de leur prochain contrat sur celle de mai 2025, date choisie par le président de l'UAW, Shawn Fein.

La question clé est de savoir si ces discussions aboutiront à des résultats concrets. C'est l'une des raisons pour lesquelles May Day Strong a encouragé l'organisation d'actions à l'occasion de la fête du Travail en septembre, qui seront suivies d'une série de conférences régionales.

Comment s'organiser ?

Pour changer les conditions de travail, il faut expliquer ce qui doit être fait. Il faut présenter les choses de manière à ce que chaque travailleur se sente concerné par la nécessité de travailler ensemble. Cela ne signifie pas nécessairement un gain matériel immédiat, même si c'est souvent le cas. Dans d'autres cas, cela peut impliquer de se serrer les coudes pour renforcer le syndicat et le rendre plus efficace à long terme. Il est également important de formuler des revendications de manière à ce que la direction « comprenne », mais aussi à ce que le grand public comprenne et sympathise. Cela est d'autant plus nécessaire si cela doit causer des désagréments, comme cela a été le cas pour beaucoup lors de la grève d'Air Canada.

Les syndicalistes de base qui souhaitent changer leur syndicat doivent envisager de rejoindre les comités syndicaux locaux et de suivre des cours sur le syndicalisme dans leur localité et dans les universités voisines. C'est un moyen sûr de rencontrer d'autres travailleurs et de nouer des liens avec des responsables locaux militants qui souhaitent avoir un impact sur le syndicat. Souvent, ces comités sont également organisés au niveau régional et national. Même s'ils sont quelque peu bureaucratisés, ils constituent souvent une première étape dans l'organisation locale. Un comité de solidarité qui s'engage à défendre les grèves d'autres syndicats est certainement un moyen de nouer des liens avec d'autres syndicats.

Il existe également diverses organisations qui jouent un rôle important dans la fourniture de ressources et de formations aux travailleurs et à leurs syndicats. Parmi celles-ci, on peut citer Labor Notes, Emergency Workers Organizing Committee, Labor Network for Sustainability et Higher Ed Labor United (HELU).

De nouveaux caucus pourraient voir le jour grâce à ce travail, ou d'anciens caucus pourraient être relancés. Étant donné que la raison d'être d'un caucus est d'avoir un effet positif en remettant en question une méthode bureaucratique qui empêche d'élaborer des stratégies pour obtenir les revendications nécessaires, ceux qui s'adressent à l'ensemble des membres sur des questions clés peuvent avoir un impact plus important que les caucus qui se qualifient eux-mêmes de « révolutionnaires ». Ces derniers ont généralement un programme détaillé et imposent souvent des exigences idéologiques et organisationnelles à leurs membres.

Un caucus est généralement formé autour des conditions de travail ou des contrats, mais il peut également aborder des questions sociales. Il est essentiel d'envisager de mener des campagnes autour de ces questions de manière à faire comprendre comment cette oppression collective affecte les membres du syndicat.

Par exemple, s'opposer aux salaires à deux vitesses n'est pas seulement une question de justice pour les nouveaux employés, mais cela protège également les travailleurs plus âgés contre le harcèlement et renforce le syndicat contre d'autres attaques. Dans d'autres cas, si les autorités parviennent à monter une attaque autour de questions sociales ou internationales, cela les encouragera à nous attaquer également.

Lorsque la question se pose pour la première fois dans le cadre de la lutte contre le racisme, du soutien aux droits des femmes, des LGBTQ+ ou des immigrants, elle découle généralement d'une discrimination exercée par la direction au travail, mais parfois aussi par un collègue. Que l'attaque résulte d'une discrimination au travail ou soit le résultat de ce qui se passe dans la communauté ou dans le pays, l'important pour un caucus qui se saisit de la question est d'insister sur la nécessité de se protéger mutuellement en s'opposant à la discrimination. C'est ce même principe fondamental qui nous pousse à prôner la solidarité avec les travailleurs mexicains et chinois plutôt que de les considérer comme des « voleurs » d'emplois.

Nous nous protégeons de la déshumanisation en comprenant que si cela peut arriver à d'autres, cela nous arrivera certainement aussi. C'est le sens de la solidarité. C'est pourquoi nous devons élaborer des stratégies sur notre lieu de travail, qu'il soit actuellement syndiqué ou non. En élaborant des plans collectifs, nous nous défendons non seulement les uns les autres au mieux de nos capacités, mais nous développons également les compétences stratégiques qui maximisent le pouvoir des travailleurs.
Ces initiatives sont des débuts importants dans le développement d'un mouvement syndical militant. Les réunions syndicales, les comités syndicaux et les formations intersectorielles doivent considérer leur travail comme un moyen de renforcer cette solidarité. Nous avons besoin à la fois d'initiatives ascendantes et du soutien des dirigeants élus. Nous avons également besoin d'un espace où les travailleurs de tous les secteurs peuvent se rencontrer pour discuter et planifier. Des conférences à l'échelle de la ville ou de la région constituent la prochaine étape logique.

Les discussions entre travailleurs doivent se poursuivre et porter sur la manière d'intensifier notre action. Cela implique diverses tactiques, tant sur le lieu de travail que dans la communauté. Cela inclut l'entraide, les piquets de grève, la surveillance des tribunaux, les manifestations. Cela signifie des plaintes collectives, des pétitions, des marches vers les superviseurs pendant les pauses, le travail au ralenti et des grèves coordonnées, voire échelonnées.

https://solidarity-us.org/category/newsletter/
Traduit par Martin Gallié, avec Deepl.com

Comment le militantisme féminin en Russie a-t-il évolué depuis le 24 février 2022 ?

9 septembre, par Liliya Vezhevatova — , ,
Pourquoi les initiatives populaires menées par des femmes sont-elles devenues l'une des rares formes de résistance résilientes ? La militante féministe et LGBT+ Liliya (…)

Pourquoi les initiatives populaires menées par des femmes sont-elles devenues l'une des rares formes de résistance résilientes ?

La militante féministe et LGBT+ Liliya Vezhevatova explore comment les femmes à travers le pays continuent de se soutenir mutuellement et d'établir des pratiques horizontales malgré la répression, l'isolement et la militarisation.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/07/08/le-tissu-de-la-resistance-feministe/?jetpack_skip_subscription_popup

Les règles de vie en Russie ont radicalement changé depuis le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine le 24 février 2022. L'appareil répressif s'est renforcé. Il est également devenu plus sévère. Il ne reste pratiquement plus d'espace pour critiquer le gouvernement, s'engager dans la défense des droits humains ou exprimer des opinions féministes. La Russie connaît désormais presque quotidiennement des détentions, des interrogatoires, des perquisitions et des arrestations pour des motifs politiques. Les militant·es comme les citoyen·nes ordinaires sont touché·es. Des personnes sont licenciées, détenues ou emprisonnées pour avoir tenu des propos anti-guerre, participé à des manifestations pacifiques ou publié des opinions impopulaires en ligne. Au moment où nous écrivons ces lignes, 3 861 personnes sont impliquées dans des affaires pénales à motivation politique en Russie. Dans le même temps, la société s'est de plus en plus militarisée. Cela est dû aux discours promus par le gouvernement, les médias pro-gouvernementaux, la politique familiale et le système éducatif. Cela inclut des cours obligatoires appelés « Conversations sur des sujets importants », qui justifient la guerre et sont souvent dispensés par des anciens combattants. Parallèlement, la sphère reproductive fait l'objet d'un contrôle accru.

Dans ce contexte, les initiatives féminines locales revêtent une importance particulière. Il est difficile d'évaluer si elles représentent un mouvement de masse ou si elles disposent de ressources suffisantes pour apporter des changements systémiques dans le pays. Cependant, elles continuent de fonctionner malgré la censure, les pressions, la menace de poursuites pénales et le manque de financement.

Nous appelons initiatives féminines locales des collectifs non gouvernementaux, non hiérarchiques et souvent informels qui travaillent de manière autonome, en ligne ou hors ligne, au niveau local ou en réseau. Elles sont unies par leur volonté d'aider les femmes, leur attention aux expériences de violences et leur rejet du programme officiel de l'État, ainsi que par leur perspective féministe ou anti-guerre, bien qu'elle ne soit pas toujours explicitement énoncée. En raison des conditions actuelles, ces groupes doivent souvent utiliser des formulations prudentes et des modes d'existence relativement sûrs pour rester sous le radar des forces de l'ordre. Pourtant, ils sont conçus pour être compris par celles qui ont besoin de les comprendre. Ces groupes ne sont pas officiellement enregistrés et ne reçoivent aucun financement public. Souvent, ils ne reçoivent aucun financement du tout. Ils travaillent de manière anonyme ou semi-légale.

Certaines de ces initiatives ont vu le jour bien avant la guerre, dans le cadre d'un mouvement féministe lent, vulnérable, mais vivant en Russie. D'autres ont émergé après le début de l'invasion de l'Ukraine, en réponse à la violence, à l'anarchie et aux destructions croissantes. Contrairement au militantisme féminin pro-gouvernemental, qui se concentre sur la démographie, la militarisation et le soutien aux « valeurs traditionnelles », les initiatives citoyennes s'attaquent aux problèmes réels auxquels les femmes sont confrontées dans un pays en guerre.

Comment ces initiatives ont-elles évolué depuis 2022 ? Quels types d'actions sont menées ? Quels sont les risques auxquels les féministes sont confrontées et pourquoi leurs expériences sont-elles importantes pour l'avenir de la société civile en Russie ?

Notre objectif n'est pas de fournir un aperçu exhaustif, mais plutôt de montrer comment, malgré les difficultés, des communautés dans différentes régions de Russie continuent d'exister et d'évoluer, protégeant les femmes et d'autres groupes vulnérables.

Réponse à l'invasion

Un mouvement féministe existait déjà en Russie avant 2022. Des groupes féministes étaient actifs dans tout le pays. Selon l'organisation féministe russe Ona (Elle), en 2021, des événements féministes ont été organisés dans 45 grandes villes en dehors de Moscou et de Saint-Pétersbourg.

Les campagnes en faveur des sœurs Khachaturyan, la promotion d'uneloi contre la violence domestiqueetl'affaire Yulia Tsvetkova ont été largement médiatisées. Les féministes se sont également opposées aux tentatives de restriction del'accès à l'avortement. À Saint-Pétersbourg, Novossibirsk, Tcheliabinsk et dans d'autres villes, des femmes ont organisé des piquets de grève et des campagnes publiques avec des slogans tels que « Mon corps, mon choix » et « Si tu ne donnes pas naissance, tu n'as pas ton mot à dire ». Il existe des projets à grande échelle et des ONG qui se consacrent à l'aide aux femmes concernées, tels que Nasiliu.net(Non à la violence), le Consortium of Women's Non-Governmental Organizations (Regroupement des organisations non gouvernementales de femmes) etSyostry (Sœurs). Il y a également eu des initiatives locales plus modestes, telles que Rebra Yevy (Les côtes d'Ève) à Saint-Pétersbourg et un groupe féministe dans la ville d'Astrakhan. Presque toutes les universités régionales ont vu émerger des groupes féministes ou des publications (par exemple, FemKubanka à l'université d'État du Kouban et FemIrGU à l'université d'État d'Irkoutsk). Ces groupes ont organisé des événements de sensibilisation, des clubs de lecture, des expositions et des festivals, tels queNe Vinovata (Non coupable) et le Moscow FemFest.

Bien que la guerre ait radicalement changé les conditions de travail, elle n'a pas marqué le début du mouvement ; mais plutôt constitué un moment de transformation d'un domaine déjà établi

Si la guerre a radicalement changé les conditions de travail, elle n'a pas marqué le début du mouvement, mais plutôt constitué un moment de transformation dans un champ déjà bien établi.

Dans les mois qui ont suivi l'invasion de l'Ukraine, les manifestations contre la guerre étaient encore publiques en Russie. Malgré une répression croissante, des piquets de grève, des manifestations de rue et des distributions d'autocollants et de tracts contre la guerre ont eu lieu dans tout le pays. Les initiatives féminines locales ont été parmi les rares formes de résistance résilientes, qu'il s'agisse d'initiatives pré-existantes ou de celles qui ont vu le jour en réponse aux événements actuels. Ces initiatives ont pris en charge la coordination des actions, l'entraide et l'élaboration d'un langage de résistance. Leur travail a largement défini le visage de la protestation anti-guerre en Russie, en particulier sur l'horizontalité, la décentralisation et la vulnérabilité avec une résilience frappante.

Féministes contre la guerre

La Résistance féministe contre la guerre (FAWR) a vu le jour fin février 2022 en réponse à la guerre et à la militarisation croissante. Le réseau s'appuyait sur des liens sociaux préexistants entre des militantes féministes à travers le pays. Le deuxième jour de l'invasion, des militantes ont publié le Manifeste de la Résistance féministe contre la guerre. Le manifeste appelait les femmes à s'unir dans la lutte pour la paix. Des militantes du monde entier ont immédiatement traduit le manifeste en 30 langues. La FAWR a lancé une campagne ouverte intitulée « Women in Black » (Femmes en noir), au cours de laquelle des femmes ont organisé seules des piquets de grève à travers le pays pour demander la fin de la guerre. Les membres du mouvement ont participé à des manifestations de masse, organisé leurs propres manifestations et distribué des tracts.

En avril 2022, des informations ont fait état de la mort d'au moins 5 000 civil·es à Marioupol et de l'enterrements de corps devant des immeubles résidentiels. En réponse, les militantes du FAWR ont organisé la campagne commémorative Marioupol-5000, installant des pierres tombales symboliques dans les jardins résidentiels de plusieurs villes russes. L'objectif de cette action était de détourner l'attention du public du militarisme émotionnel perpétué par la propagande pour la porter sur le sort tragique des civil·es. Dans le même but, le FAWR a publié pendant deux ans un journal intitulé Zhenskaya Pravda.

Parallèlement, des militantes ont mis en place une infrastructure horizontale en organisant des canaux d'entraide, en compilant des bases de données pour le soutien juridique et psychologique, en créant des guides de sécurité numérique et des modèles de lettres et de pétitions, ainsi qu'en mettant en place des « tchat » privés et sécurisés pour la coordination. Les membres ont formé de petites cellules autonomes en Russie et à l'étranger. Elles ont adapté le matériel à leur contexte local et ont agi de manière indépendante.

À l'été 2022, la répression s'est intensifiée, avec des arrestations massives, des interrogatoires et des perquisitions qui devenaient monnaie courante. Certaines militantes de la FAWR ont été contraintes de quitter le pays, tandis que d'autres ont poursuivi leur travail dans la clandestinité. En décembre 2022, le gouvernement russe a commencé à percevoir les initiatives féministes comme une force politique organisée, puis a qualifié la FAWR d'agent étranger, un statut discriminatoire appliqué aux organisations ou aux individu·es qui, selon le gouvernement, reçoivent des fonds de l' étranger ou sont sous influence étrangère.

En avril 2024, un an et demi plus tard, la FAWR a été ajoutée à la liste des [1]https://ovd.info/express-news/2024/.... Le gouvernement a déclaré que leurs activités menaçaient l'ordre constitutionnel, la capacité de défense ou la sécurité du pays, et a interdit toute activité et tout soutien à la FAWR en Russie.

Aujourd'hui, la FAWR est un vaste réseau décentralisé de 22 cellules actives s'étendant de la Corée du Sud aux États-Unis, ainsi qu'une communauté de femmes participantes individuelles à l'intérieur et à l'extérieur de la Russie. Cette structure en réseau permet au mouvement de rester résilient et de poursuivre son travail malgré la censure et la répression. Les militantes se réunissent pour organiser des manifestations locales, s'entraider, défendre les droits humains et mener des campagnes de sensibilisation. La campagne #передано_из_россии (envoyé_depuis_la_Russie), lancée en mars 024, est un exemple frappant de ce type de coordination. Cette campagne, qui s'est déroulée pendant les élections présidentielles, a rassemblé des participantes de différents pays devant les bureaux de vote installés dans les consulats et les ambassades. Elles brandissaient des pancartes sur lesquelles figuraient des messages de personnes vivant en Russie, des mots que ces dernières ne pouvaient pas prononcer librement dans leur pays. Ce mode de protestation a également été utilisé lors des commémorations des 8 et 9 mai et du 17 novembre (après l'assassinat d'Alexeï Navalny), ainsi que lors des marches LGBT+. La campagne est devenue une forme d'expression collective et un espace de solidarité.

Mouvement des proches des soldats mobilisés

Lorsqu'on évoque la résistance des femmes au début de la guerre, il est important de mentionner les manifestations organisées par les épouses et les mères des soldats incorporés après la « mobilisation partielle des réservistes militaires » déclarée par la Russie en septembre 2022. Ces manifestations ne sont pas le fruit d'un mouvement féministe organisé. Il s'agit plutôt d'initiatives spontanées et populaires menées par des femmes confrontées à la violence de l'État de la manière la plus personnelle qui soit : la conscription de leurs proches. Malgré le manque de ressources, d'institutions ou d'infrastructures « oppositionnelles », elles ont réussi à créer des groupes d'entraide, à développer un langage pour l'expression publique et à défendre leur droit à la solidarité. Il s'agit là d'un des exemples les plus remarquables d'activisme féminin populaire apparu pendant la guerre. Depuis l'automne 2022, des femmes de tout le pays organisent des piquets de grève, enregistrent des vidéos d'appel et descendent dans la rue pour réclamer le retour de leurs proches.

Les manifestations au Daghestan et en Yakoutie ont été massives, rassemblant jusqu'à 1 500 personnes et ont été réprimées avec violence par les forces de sécurité. Le 25 septembre 2022, par exemple, la police et les agents de la Garde nationale ont dispersé un rassemblement majoritairement féminin à Makhachkala. La police a utilisé des gaz lacrymogènes contre les manifestantes et a traîné de force nombre d'entre elles dans des fourgons de police. Néanmoins, les femmes sont revenues dans les rues le lendemain et la manifestation a été réprimée une fois de plus. Les organisations de défense des droits humains ont rapporté qu'au moins 250 personnes, dont des journalistes couvrant les événements, ont été arrêtées à Makhachkala au cours des deux jours. En Yakoutie, environ 6 000 hommes sur une population masculine totale de 400 000 ont été mobilisés. Les manifestant·es ont évoqué un génocide des peuples autochtones et ont souligné les failles du projet de loi et la répartition inégale des avis de mobilisation dans le pays. Des forces de sécurité venues de Moscou ont été déployées dans la région pour réprimer les manifestations.

Au cours de cette période, les femmes qui manifestaient ont attiré l'attention sur des problèmes tels que le manque de formation des soldats mobilisés, la pénurie d'uniformes et de fournitures médicales, l'absence de rotation dans les zones de combat, la signature forcée de contrats et la mobilisation illégale. Elles ont également exprimé leur inquiétude quant à l'envoi de conscrits au front et ont appelé à des négociations de paix avec l'Ukraine. Les manifestations ont été alimentées par l'inquiétude pour les proches mobilisés, ainsi que par la plus grande dépendance économique des femmes à l'égard des hommes dans des régions telles que le Daghestan, la Kabardino-Balkarie et la Yakoutie. La conscription inégale et intense dans ces régions a souvent laissé des familles sans soutien financier et sans moyens de subsistance.

À l'occasion de la fête des mères en novembre 2022, la FAWR, en collaboration avec les mères des personnes mobilisées, a lancé une campagne exigeant le retrait des troupes d'Ukraine et le retour des hommes. Elle a recueilli plus de 100 000 signatures en quelques jours seulement.

Au fil du temps, les manifestations spontanées de femmes ont commencé à prendre des formes plus organisées. Des initiatives indépendantes coordonnant les actions des militantes ont vu le jour, telles que le Conseil des mères et des épouses et Put' Domoy (Le chemin du retour). Elles ont publié des manifestes et des pétitions, et organisé des événements et des « flash mobs ». En novembre 2023, des militantes de Put' Domoy ont lancé une pétition contre « l'esclavage légalisé » et la « mobilisation indéfinie des réservistes militaires ». Elles ont également organisé un « flash mob » au cours duquel elles ont collé des autocollants sur des voitures avec le slogan « Vерните мужа, я Zа#балась » (Rends-moi mon mari, je suis foutue).

Les autorités ont réagi durement à ces manifestations. Elles ont refusé l'autorisation de rassemblement, arrêté des participantes, bloqué des groupes et des publications sur les réseaux sociaux et fait pression sur les hommes dont les femmes participaient aux manifestations. Les femmes ont néanmoins persévéré. Elles ont organisé des événements hebdomadaires, tels que des dépôts de fleurs sur la tombe du Soldat inconnu près du Kremlin et des sit-in devant le ministère de la Défense.

Au début de l'année 2024, les manifestations des proches des mobilisés ont perdu de leur ampleur. Le Conseil des mères et des épouses et The Way Home ont été qualifiés d'« agents étrangers » et contraints de cesser leurs activités publiques. Début 2025, Olga Tsukanova, fondatrice du Conseil des mères et des épouses, a été arrêtée pour avoir prétendument manqué à ses obligations légales en tant qu'« agent étranger ». À l'heure actuelle, elle est toujours en détention provisoire et risque jusqu'à deux ans de prison.

Cependant, l'expertise en matière d'auto-organisation n'a pas disparu. De nombreuses participantes au mouvement pour la démobilisation poursuivent leurs efforts à travers des activités moins visibles. Il s'agit notamment de soutenir les familles des hommes mobilisés, de s'engager dans la défense des droits humains, de faire du bénévolat et d'aider d'autres initiatives. Grâce à leur expérience personnelle, à leur solidarité spontanée et à leur soutien mutuel, les bases d'un mouvement féminin résilient et populaire, capable de fonctionner même dans un régime fermé, militarisé et répressif, sont en train d'être jetées.

Armée des belles [Army of Beauties]

L'Armée des belles est une initiative populaire menée par des femmes qui a vu le jour en 2022, fondée par Nadine Geisler, de son vrai nom Nadezhda Rossinskaya, photographe et fleuriste à Belgorod. Lorsque la guerre a éclaté, elle a transformé son appartement en refuge pour les réfugié.es ukrainien.nes, qu'elle a ensuite transformé en centre d'aide humanitaire.

À cette époque, il existait de nombreux groupes de volontaires à Belgorod, mais la plupart d'entre eux se concentraient sur l'aide aux militaires. L'Armée des belles, en revanche, s'est concentrée sur l'aide aux réfugié.es et aux personnes restées dans les zones touchées par la guerre. Malgré l'absence de soutien institutionnel et la menace constante de persécutions, Nadine Geisler et ses camarades ont évacué des personnes des régions frontalières, distribué de l'aide humanitaire et trouvé des logements temporaires.

Les activités du groupe n'ont pas échappé aux autorités. En février 2024, Geisler a été arrêtée et accusée de haute trahison. En juin 2025, elle a été condamnée à 22 ans de prison dans une colonie pénitentiaire.

Initiatives locales

Depuis 2022, de petits groupes féministes ont poursuivi leur travail ou ont vu le jour dans différentes régions de Russie. Bien que ces initiatives soient rarement relayées par les médias, elles font partie intégrante du tissu de la résistance. Elles ne sont pas unies par une idéologie commune, mais par une pratique commune : protéger les personnes vulnérables, aider les victimes de traumatismes et s'opposer systématiquement à la militarisation et à la violence.

Le groupe féministe Feminitiv.Kaliningradopère de manière isolée dans la région enclavée de Kaliningrad. Ses membres organisent des événements éducatifs, des projections de films et des conférences. Elles créent également des espaces sûrs pour discuter des questions féministes, de la violence, des droits reproductifs et de la santé mentale. Le groupe propose des séances gratuites de conseil avec des psychologues bénévoles sur une base individuelle. Malgré leurs ressources limitées et les risques permanents, elles soutiennent les manifestations de solidarité locales et s'engagent activement auprès des jeunes.

Women's Solidarity est né dans la communauté anarchiste de la ville d'Irkoutsk. Les militantes organisent des concerts de musique punk et enquêtent sur les cas de maltraitance dans les colonies pénitentiaires pour femmes. Elles collaborent également avec des organisations de défense des droits humains et des centres d'aide d'urgence. Elles participent à des initiatives menées par les mères de prisonniers, fournissent une assistance juridique, distribuent de l'aide humanitaire et mènent des activités antimilitaristes. Grâce à sa structure horizontale et à ses liens étroits avec d'autres organisations de gauche et de défense des droits humains, le groupe reste actif malgré une répression croissante.

Les militantes féministes de Tcheliabinsk organisent des cercles de discussion et des rencontres thématiques. Elles forment un réseau de connexions horizontales sous le nom collectif Jenschina Mojet ! (Une femme peut !). Ces groupes sont généralement informels et fonctionnent sur la base de relations personnelles, d'une coordination ponctuelle et d'une confiance mutuelle. Ils se concentrent sur le soutien mutuel, le traitement des expériences de violence et de traumatisme, l'organisation de discussions, de pique-niques féministes, de projections de films et d'actions de solidarité.

Le média féministe Ogon'(Feu) est actif à Krasnodar. Une petite équipe de militantes produit des arumentaires et organise des événements afin de contribuer à la création d'une communauté sûre et solidaire pour les femmes.

Ces groupes peuvent s'adapter à des conditions changeantes grâce à leur format décentralisé, leurs liens horizontaux et l'absence de structure formelle. Malgré des possibilités d'action publique limitées, elles poursuivent leur travail à travers des pratiques de soutien et de résistance significatives, bien que souvent invisibles, dans la vie quotidienne.

Il est important de noter que les initiatives féminines locales dans les républiques nationales russes opèrent dans des conditions difficiles. L'autoritarisme croissant est aggravé par la pression patriarcale traditionnelle. Parallèlement, la militarisation se conjugue à une vulnérabilité systémique et à un manque d'infrastructures de soutien. Malgré la répression, les militantes poursuivent leurs efforts, travaillant souvent dans l'ombre, sans statut officiel ni déclaration publique. Elles s'attachent à aider les femmes, à défendre leurs droits et à mener une réflexion critique sur leur place dans la société.

Des groupes féministes tels queBashFem et FemKyzlar sont actifs dans les républiques du Bachkortostan et du Tatarstan. Elles organisent des réunions, des tables rondes et des groupes de soutien afin d'explorer les intersections entre le féminisme et l'islam. Elles génèrent des connaissances locales malgré la censure et la stigmatisation.

L'initiative Ya–SVOBODA (I–Liberté) en République de Bouriatie poursuit son travail, né dans un contexte de défense des droits humains. Le groupe a lancé une campagne contre le harcèlement de rue en 2022 et se concentre actuellement sur la création d'un refuge pour femmes dans la ville d'Oulan-Oude. Le projet aide les femmes et d'autres groupes alliés à faire face aux conséquences de la violence. Il fournit des conseils juridiques, explique comment obtenir de l'aide et offre des ressources pour le rétablissement psychologique. Il sensibilise également de manière constante à des questions négligées, allant de la violence domestique aux lacunes de la législation. Dans une région où l'État néglige ses responsabilités sociales, de telles actions deviennent une forme de résistance politique.

L'activisme féministe est rarement présent dans la sphère publique dans le Caucase du Nord, non pas parce qu'il n'existe pas, mais parce que les risques sont exceptionnellement élevés. Bien que cela ne soit pas impossible, ces efforts sont extrêmement dangereux en raison de la pression exercée par l'État et les milieux traditionalistes. Dans ce contexte, la confiance, la flexibilité et les réseaux horizontaux sont essentiels pour mener des actions efficaces et ciblées.

Parallèlement à des efforts anonymes et clandestins, certaines initiatives plus structurées existent. Le groupe de défense des droits humainsMarem soutient les femmes victimes de violences domestiques dans les républiques nationales de Tchétchénie, du Daghestan, d'Ingouchie et d'Ossétie. Le groupe fournit des conseils juridiques et psychologiques et, si nécessaire, aide à évacuer les femmes vers des lieux sûrs.

Selon les coutumes locales, les enfants de la région sont considérés comme faisant partie de la lignée paternelle. En cas de séparation familiale, cela conduit souvent les mères non seulement à perdre la garde de leurs enfants, mais aussi à se voir refuser tout contact avec eux. Le projet de recherche et d'éducation Kavkaz bez Materi (Caucase sans mères) s'efforce de remédier à cette situation.

Malgré de nombreux obstacles, le groupe de crise SK SOS poursuit son travail considérable pour défendre les droits des personnes LGBT+ dans le Caucase du Nord. Des défenseur·es des droits humains et des militant.es ont fondé ce projet en 2017, lorsque des informations ont fait état de persécutions et de meurtres massifs de personnes LGBT+ en Tchétchénie. Le programme SK SOS aide les personnes LGBT+ à fuir les régions où elles sont victimes de discrimination, de violences et en proie à des dangers mortels.

Dans les républiques nationales russes, l'agenda féministe est étroitement lié à la pensée décoloniale. Les militantes rejettent les rôles qui leur sont imposés, remettent en question les normes culturelles et développent un langage de résistance fondé sur leur expérience personnelle et sur le contexte local. Cela a donné naissance à une forme unique de mouvement féministe : intersectionnel, résilient et profondément ancré dans les communautés qu'il sert.

Résistances

Depuis 2022, la pression sur les droits reproductifs s'est intensifiée en Russie. Parmi les changements significatifs, on peut citer les tentatives de restriction de l'accès à l'avortement, l'introductiond'amendements sur la « protection de la vie avant la naissance » à la Douma d'État, l'adoption d'une loi contrela « propagande pour le non-bébé » etl'implication accrue de l'Église orthodoxe russe dans les questions de santé. La propagande d'État ne considère plus les femmes comme des individues mais comme des instruments de la politique démographique. Dans un contexte de militarisation et de patriarcat, les initiatives numériques féminines à la base sont devenues l'une des rares formes de résistance : horizontales, réparties localement, souvent invisibles mais très efficaces.

En réponse à la montée de la violence et à l'atteinte à leur autonomie corporelle, les femmes ont commencé à créer des systèmes de soutien en dehors des canaux officiels. C'est ainsi qu'est né le Fonds de stockage de contraception d'urgence. Sa fondatrice a déjà été interviewée par Posle. Le projet rassemble plus de 220 femmes bénévoles de 80 villes à travers la Russie, qui opèrent via un « bot » Telegram. Grâce à ce système, des dizaines de femmes et de filles, y compris des survivantes de violences sexuelles , ont pu accéder gratuitement, anonymement et rapidement à la contraception d'urgence. Il s'agit là d'une forme de résistance à l'état pur qui s'exerce au niveau de l'autonomie corporelle dans une situation d'isolement juridique et social.

Une autre forme de soutien essentielle a été mise en place par les militantes à l'origine de l'initiative Poputchitsa (Compagne de voyage). Ce qui a commencé comme de petits groupes Telegram s'est transformé en un réseau de solidarité complet, permettant aux femmes de tout le pays de s'entraider pour rentrer chez elles en toute sécurité. Elles trouvent des compagnes de voyage, accompagnent des inconnues, partagent leurs itinéraires et offrent leur soutien via un « bot » et des « chats » locaux. Cette initiative aborde les questions de sécurité physique et du droit des femmes à se déplacer librement dans la ville. Elle permet aux femmes de choisir leurs itinéraires et leurs horaires sans crainte, de gérer leur temps et de vivre sans se limiter en raison de la menace croissante de violences exacerbées par la guerre.

L'Alliance des initiatives féminines opère à la croisée du politique et du social. C'est l'une des rares structures publiques à avoir lancé une campagne en faveur des droits reproductifs. Les militantes ont lançé une pétition demandant des réformes du système de soins maternels, notamment l'augmentation des allocations de maternité, la suppression de toutes les restrictions à l'avortement dans les cliniques privées, l'interdiction à l'Église orthodoxe russe d'interférer dans la médecine et la résolution des pénuries d'anesthésiques et de vaccins dans les maternités. Parallèlement, les membres de l'Alliance ont lancé une campagne d'envoi de lettres massives à la Douma d'État et aux dirigeant·es des partis politiques. Ces lettres demandaient aux dirigeant·es de rejeter un projet d'amendement à la loi « sur les principes fondamentaux de la protection de la santé publique », qui proclame la nécessité de « protéger la vie avant la naissance ». En substance, cette formulation ouvre la voie à une interdiction totale de l'avortement et met en danger l'accès des femmes enceintes aux soins médicaux. Leurs actions montrent que la résistance politique fondée sur l'expérience et la réalité quotidienne des femmes est possible, même sous une censure sévère.

Le projet « Droit à l'avortement » a vu le jour dans le contexte de l'offensive politique contre les droits reproductifs en Russie. L'initiative apporte un soutien juridique et informatif aux femmes qui rencontrent des obstacles dans leurs démarches pour obtenir une interruption médicale de grossesse. Les militantes ont rassemblé des informations actualisées sur la manière de procéder à un avortement légal et ont lancé un « bot » Telegram grâce auquel les utilisatrices peuvent bénéficier de consultations juridiques personnalisées. Cette initiative est une réponse directe à la pression croissante exercée par l'État, l'Église et certaines institutions médicales. Elle a un objectif à la fois pratique et politique : défendre les droits fondamentaux des femmes sur leur corps et leurs droits juridiques.

Enfin,Gribni:tsa est un projet féministe libertaire qui opère à la croisée des domaines des soins, de l'entraide et de l'action politique. Il réunit des militantes de différentes régions au sein d'un réseau qui assure un soutien et une coordination. Les participantes échangent leurs expériences, partagent leurs ressources et organisent des manifestations collectives. Les militantes de Gribni:tsa mettent fortement l'accent sur la mise en œuvre des principes d'interaction horizontale et de prise de décision par consensus afin de nourrir la dynamique interne d'initiatives durables. L'un des outils pratiques du projet est un manuel sur l'organisation d'événements militants en Russie. Ces événements vont des soirées de rédaction de lettres pour les prisonnier·es politiques à des actions de nettoyage local en passant par des discussions sur des films et des livres. Gribni:tsa démontre que même dans des conditions d'isolement et de pression, des formes résilientes d'action collective peuvent être créées sans structures formelles ni visibilité publique.

Une autre campagne majeure exigeant l'adoption d'une loi tant attendue pour lutter contre la violence domestique est actuellement en cours dans toute la Russie. Une pétition a été lancéesur le portail Russian Public Initiative pour exhorter les autorités fédérales à reprendre les discussions sur cette loi, qui a été reportée et rejetée à plusieurs reprises au fil des ans. La pétition a rapidement recueilli plus de 100 000 signatures vérifiées, ce qui signifie que la commission fédérale compétente doit désormais examiner cette initiative.

Pour attirer l'attention sur cette campagne, les pages publiques de groupes féministes à travers le pays ont partagé des photos de femmes brandissant des pancartes faites à la main avec des messages tels que « Nous avons besoin de cette loi », « C'est de la violence, pas de la famille » et « Je refuse de me taire ». Ces images proviennent aussi bien de grandes villes que de petites localités. Les visages de nombreuses participantes sont masqués, non pas pour créer un effet dramatique, mais pour des raisons de sécurité. Face à la répression croissante en Russie, même un geste symbolique est devenu risqué.

Une telle loi est particulièrement urgente compte tenu du retour massif des soldats du front. Des milliers de femmes sont confrontées à une violence accrue tout en perdant les moyens de protection les plus élémentaires. Dans un contexte de militarisation et d'effondrement des institutions sociales, une loi comme celle-ci pourrait constituer une barrière essentielle, même imparfaite, entre les femmes et de nouvelles violences. Il ne s'agit plus seulement d'une initiative législative, mais d'une question de survie. Des initiatives citoyennes comme celles-ci ont constitué le fondement de la résistance des femmes au cours des trois dernières années. Elles n'ont ni hiérarchie, ni statut juridique, ni possibilité d'être interdites, mais elles fonctionnent parce qu'elles reposent sur la confiance, la solidarité et l'expérience vécue.

La résilience des personnes vulnérables

Les initiatives féminines locales survivent non pas malgré leur vulnérabilité, mais grâce à elle. L'absence de hiérarchie, d'enregistrement officiel, de figures publiques et d'adhésion fixe les rend moins vulnérables à la violence étatique. Alors que les institutions traditionnelles qui renforcent la résilience « selon les règles » s'effondrent, les réseaux de solidarité perdurent. Ces réseaux reposent sur des liens horizontaux, une coordination ponctuelle et la confiance personnelle.

Il ne s'agit pas d'un choix stratégique, mais plutôt d'un mécanisme de survie adaptatif. Les initiatives émergent, disparaissent, changent de format, se dissolvent, se regroupent et forment de nouvelles configurations. Elles ne construisent pas de structures verticales, elles s'enracinent dans la réalité. La flexibilité, l'invisibilité et la petite échelle ne sont pas des faiblesses, mais plutôt des sources de résilience.

Cependant, ces structures ont leurs inconvénients à longs termes. Moins une initiative est visible, plus il est difficile de la faire entendre. Si l'anonymat offre une protection contre la répression, il conduit également à l'isolement et à l'absence de soutien. L'épuisement émotionnel, la peur et l'incapacité à planifier plus de trois mois à l'avance font partie intégrante de ce travail. Bien que la décentralisation n'élimine pas la pression, elle contribue à empêcher la disparition totale. Ces initiatives ne se développent pas selon la logique du marché ou de la bureaucratie. Elles se propagent comme un mycélium [champignon – NdT : de manière invisible, en réseau et de façon non linéaire. C'est ce qui les rend résilientes dans des conditions où la simple survie est une forme de résistance.

Alternatives féministes

Les initiatives féminines locales en Russie répondent aux conséquences de la guerre, telles que l'augmentation de la violence, la pression sur la société civile et la perte de la sécurité fondamentale. Mais elles créent également des espaces dans lesquels différentes règles d'interaction peuvent être établies. Leur travail est basé sur la bienveillance, les relations horizontales et un soutien mutuel quotidien et constant, plutôt que sur la coercition et la subordination.

Dans ce cadre, les femmes ne sont pas des objets de politique étrangère ou de statistiques démographiques. Elles sont plutôt des figures autonomes qui prennent des décisions, organisent l'aide, établissent des liens et créent des modes de vie durables.

Ces initiatives s'inscrivent dans une perspective féministe qui s'exprime à travers des actions concrètes et non par de simples déclarations idéologiques. Il s'agit d'un travail quotidien qui consiste à faire face à la vulnérabilité, tant la sienne que celle des autres. Ce travail rejette la peur et l'utilisation de la violence comme arme. C'est un choix en faveur de la bienveillance et de l'entraide, et non une adhésion aux rôles de genre. Il s'agit plutôt d'une stratégie politique employée lorsque d'autres formes d'action sont bloquées ou criminalisées.

Lorsque l'État s'appuie sur la guerre, la soumission et le contrôle physique, les initiatives féminines locales offrent une base alternative, aussi fragile soit-elle. Grâce à la bienveillance, à l'entraide et aux liens horizontaux, elles trouvent un moyen non seulement de survivre, mais aussi de préserver un espace dans lequel elles peuvent rester humaines.

Il ne s'agit pas d'un geste désespéré ou d'un idéal abstrait. Vivre autrement est un choix réel et reproductible. Il ne s'agit pas de se soumettre, mais de se soutenir. Il ne s'agit pas de peur, mais de travailler ensemble. Il n'y a pas d'autre moyen d'assurer l'avenir.

Liliya Vezhevatova ‍
Publié dans Posle,
https://www.posle.media/article/fabric-of-resistance-womens-activism-in-times-of-war
Traduction Deepl revue ML, corrigée pour le blog
https://www.reseau-bastille.org/2025/07/03/federation-de-russie-le-militantisme-feministe-en-temps-de-guerre/

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[1] « organisations indésirables »

Ukraine : entretien avec les féministes de Bilkis

9 septembre, par Patrick Le Trehondat — , ,
Manifestation de juillet, droit à l'avortement, Espaces des choses et luttes féministes, activités internationales... entretien avec Yana du groupe féministe ukrainien Billais. (…)

Manifestation de juillet, droit à l'avortement, Espaces des choses et luttes féministes, activités internationales... entretien avec Yana du groupe féministe ukrainien Billais.

Parlons d'abord des manifestations de juillet qui s'opposaient aux menaces du gouvernement contre l'indépendance des agences anti-corruption, NABU et SAP. Vous y avez participé activement. Pourquoi ? et comment avez-vous vécu ces manifestations ? Il semble qu'il y avait beaucoup de jeunes présents et de femmes.

Bilkis est une communauté de personnes conscientes qui se soucient de l'avenir de notre société. C'est pourquoi nous avons rejoint les manifestations, car nous ne pouvions pas rester à l'écart. La corruption est l'un des principaux obstacles à la démocratie, à l'égalité, à la justice et, en fin de compte, à la sécurité. Même si nous ne sommes pas des militantes qui travaillent quotidiennement sur les questions de lutte contre la corruption, il s'agit clairement d'une de nos valeurs, et nous estimons qu'il est de notre responsabilité d'intervenir chaque fois qu'il y a un risque de recul.

Oui, la plupart des manifestants étaient des jeunes, et beaucoup d'entre eux étaient des femmes. C'est compréhensible : un grand nombre d'hommes servent actuellement dans l'armée et défendent notre pays (les femmes sont également présentes dans l'armée, mais les hommes sont encore nettement plus nombreux). Les femmes constituent aujourd'hui un élément essentiel du front intérieur, qui est absolument indispensable à l'armée qui se bat littéralement pour notre droit d'exister. Il existe actuellement un dicton populaire en Ukraine : « Vous êtes soit dans l'armée, soit pour l'armée. » Je l'étendrai ainsi : « Vous êtes soit dans l'armée, soit pour l'armée, soit pour la construction d'un État social-démocratique fort en Ukraine. » Cependant, il y avait également des hommes aux rassemblements, principalement des étudiants, mais aussi quelques soldats.

À ma connaissance, les manifestations ont commencé à Kyiv et à Lviv, et le lendemain, elles se sont étendues à de nombreuses autres villes, environ 15 à 20 à travers le pays. Il s'agissait de rassemblements pacifiques, au cours desquels les participant·es brandissaient des affiches et des banderoles et prononçaient des discours en faveur du NABU et du SAP (remarque : NABU — Bureau national anticorruption d'Ukraine, un organisme indépendant chargé de lutter contre la corruption à haut niveau ; SAP : le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption, qui supervise les enquêtes du NABU et le représente devant les tribunaux). Le Parlement ukrainien avait décidé de leur retirer leur indépendance, et le président avait initialement soutenu cette décision. La principale revendication des manifestants était donc très claire : rétablir l'indépendance de ces institutions de lutte contre la corruption.

Sur les photos on voit que les gens semblaient heureux de manifester malgré les risques en raison de bombardements ?

Malheureusement, les Ukrainiens sont habitués au bruit des explosions, qui font désormais partie de leur quotidien, mais cela ne les a pas empêchés de descendre dans la rue. Heureusement, personne n'a été blessé par les attaques de missiles ou de drones russes pendant ces manifestations. La joie que l'on peut observer sur les visages des personnes sur les photos, malgré les risques, provient de deux éléments : premièrement, le sentiment de force que procure le nombre, le fait de réaliser combien d'autres personnes partagent vos valeurs, et deuxièmement, l'expérience stimulante de l'action directe. Vous ressentez que c'est votre pays, votre foyer, et que vous pouvez vous exprimer, manifester votre désaccord, et que cela a vraiment de l'importance.

Le gouvernement Zelensky a reculé. Pensez-vous que cette victoire soit définitive ?

Quant à savoir s'il s'agit d'une victoire définitive, il est difficile de se prononcer. Pour l'instant, il semble que oui, le gouvernement de Zelensky ait reculé. Cependant, nous continuons bien sûr à suivre la situation de près et n'excluons pas la possibilité que les autorités tentent à nouveau de limiter l'indépendance des organismes de lutte contre la corruption.

Le 7 juin dernier, le conseil municipal d'Ivano-Frankivsk a lancé un appel la Verkhovna Rada visant à interdire l'avortement. Il y a eu une pétition dans cette ville contre cet appel et la Marche des femmes veut poursuivre en justice le conseil municipal. Pouvez-vous parler du droit à l'avortement en Ukraine et des menaces qui pèsent contre lui ?

En Ukraine, comme dans de nombreux autres pays, l'avortement est soumis à certaines restrictions, mais dans l'ensemble, notre législation est assez libérale. Jusqu'à 12 semaines de grossesse, l'avortement est accessible sur demande, sans qu'il soit nécessaire d'en expliquer les raisons. Entre 12 et 22 semaines, il n'est autorisé que dans des circonstances spécifiques définies par la loi et avec l'accord d'une commission médicale spéciale. Plusieurs tentatives ont été faites au Parlement pour introduire des projets de loi visant à restreindre les droits des femmes en interdisant l'avortement, mais aucun d'entre eux n'a dépassé le stade de la première lecture. De temps à autre, des voix conservatrices, qu'il s'agisse de députés, de prêtres ou de personnalités publiques, se font entendre pour réclamer de telles interdictions, mais elles ne bénéficient pas d'un soutien significatif de la part de la population. À notre avis, il n'y a actuellement aucune menace directe pour le droit à l'avortement en Ukraine. On a presque l'impression que ce droit fait désormais naturellement partie de l'État, car lorsque l'Ukraine a obtenu son indépendance en 1991, elle a conservé la loi de la période soviétique — et en Ukraine soviétique, l'avortement était légal depuis 1920 (à l'exception de l'interdiction stalinienne de 1936 à 1955). Cela dit, la situation est loin d'être idéale. Bien que l'avortement soit protégé par la loi, la stigmatisation qui l'entoure reste très forte en Ukraine. Ce n'est toujours pas un sujet dont on parle ouvertement, et les femmes sont souvent jugées pour cela, en particulier dans les petites villes et les villages. Les Églises jouent également un rôle important dans la diffusion de discours anti-avortement et stigmatisant.

Une des activités les plus réussies de Bilkis est l'Espace des choses qui fonctionne à Lviv depuis août 2022. Plus de trois d'années d'activités ! Pouvez-vous nous dire où vous en êtes avec la gestion de cet espace ?

Nous vous remercions pour cette question. En effet, l'Espace des choses existe depuis trois ans maintenant, et il semble qu'il soit sur le point de subir une transformation. Jusqu'à présent, le projet a été financé par des subventions qui couvraient le loyer, les charges, le mobilier et les salaires. Cependant, à l'heure actuelle, nous ne disposons de financements que jusqu'à la fin de l'année 2025, et nous devons réfléchir à l'avenir au-delà de cette date. Nous avons recherché de nouvelles opportunités, telles que des subventions écologiques ou sociales, mais nous n'avons malheureusement rien trouvé de convenable jusqu'à présent. C'est pourquoi nous envisageons de devenir financièrement indépendants et de modifier légèrement le format. Pour nous, le principe d'altruisme a toujours été très important. Les gens nous apportent des objets gratuitement, et nous les distribuons gratuitement. Cependant, il est malheureusement nécessaire de disposer de fonds pour louer un espace pour ce projet. Nous envisageons donc d'adopter un modèle d'entrepreneuriat social.

Qu'est-ce que cela signifierait concrètement ?

Une partie des articles donnés serait vendue, et les recettes serviraient directement à financer l'Espaces des choses. Parallèlement, nous continuerions à gérer le projet comme nous l'avons toujours fait, avec un espace où les gens peuvent venir prendre gratuitement ce dont ils ont besoin. L'accès gratuit aux articles restera donc possible, mais certains articles seront également vendus afin de soutenir la pérennité du projet.

Vous êtes très actives sur différents sujets. De plus vous avez réussi à organiser un rassemblement le 8 mars 2025 à Lviv avec Feminist workshop. Une première dans cette ville. Par exemple récemment vous vous êtes intéressées aux questions du logement mais aussi par exemple à la question décoloniale. Pouvez-vous nous dire quelques mots de toutes vos activités si diverses ?

Oui, et en juin, nous avons également organisé, en collaboration avec Feminist Workshop, une action dans le cadre du Mois des fiertés à Lviv — le premier événement de ce type dans la ville. Lorsque Bilkis a vu le jour, nous avions trois valeurs fondamentales : le féminisme, la justice économique et l'horizontalité. Aujourd'hui, ces valeurs sont passées à cinq (qui en englobent en réalité davantage) : le féminisme queer, l'intersectionnalité, l'horizontalité, l'égalité socio-économique et la décolonialité. Nous réfléchissons également beaucoup à l'écologie et à l'impact du patriarcat et du capitalisme sur notre planète. Notre mission est de sensibiliser le public au féminisme et aux questions LBTQI+, d'impliquer les jeunes femmes et les personnes queer dans l'activisme et de lutter contre les discours patriarcaux, homophobes et transphobes dans la société ukrainienne. Notre activité principale est le travail médiatique, à travers lequel nous menons à bien cette mission. Nous créons du contenu vidéo, des textes analytiques et divertissants, que nous publions principalement sur Instagram. En outre, nous organisons occasionnellement des événements éducatifs tels que des conférences, des ateliers et des projections de films, ainsi que des actions de rue. Et bien sûr, nous gérons notre projet social et écologique l'Espaces des choses, où les gens peuvent donner des objets dont ils n'ont plus besoin et prendre gratuitement ceux qui leur sont utiles.

Vous avez également une intense activité internationale. Les membres de Bilkis défendent la cause de femmes ukrainiennes à Bruxelles, New York, Stockholm, Strasbourg... Quel bilan faites-vous de ces déplacements à l'étranger, comment avez-vous été accueillies ?

Nous venons tout juste de commencer notre travail de sensibilisation à l'échelle internationale. Nous souhaitons à la fois en apprendre davantage sur le contexte mondial des luttes pour les droits des femmes, y compris les conflits dans d'autres pays et divers discours (anti)coloniaux, et partager l'expérience de l'Ukraine : notre combat pour les droits des femmes et notre résistance à l'impérialisme russe. Jusqu'à présent, nous pouvons affirmer que ces voyages ont été très inspirants. À chaque fois, nous revenons avec un sentiment renouvelé de l'importance de la solidarité internationale et de la nécessité de prêter attention à d'autres contextes, dans la mesure du possible. Les gens remarquent souvent notre logo (ce qui est compréhensible) et le complimentent fréquemment, ce qui est toujours agréable.

3 septembre 2025
Entretien réalisé par Patrick Le Tréhondat

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