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Extrême centrisme et nouvelle norme oligarchique. Note sur l’élection états-unienne

17 décembre 2024, par Thierry Labica — , ,
La victoire de Trump lors de l'élection présidentielle états-unienne a fait l'objet d'intenses discussions partout dans le monde, en particulier à gauche. Comment en est-on (…)

La victoire de Trump lors de l'élection présidentielle états-unienne a fait l'objet d'intenses discussions partout dans le monde, en particulier à gauche. Comment en est-on arrivé là ? Beaucoup d'éléments ont été avancés – parfois importants, quelquefois anecdotiques voire grotesques – mais il semble que soit largement sous-estimé le facteur principal : la démobilisation de l'électorat démocrate, liée au bilan de Joe Biden et à la campagne particulièrement droitière de Kamala Harris.

Tiré de la revue Contretemps
14 décembre 2024

Par Thierry Labica

Une lecture unilatéralement pessimiste de l'élection présidentielle américaine présente deux désavantages notables. Du premier, on ne conviendra pas de manière évidente. Il faut l'envisager néanmoins : on risquerait de passer à côté du pittoresque et du merveilleux qui imprègnent cet épisode politique, fatal pour ce qu'il restait encore de vernis de décence et de rationalité officielles.

Qu'on y songe. Le président qui vient d'être élu avec un soutien renforcé dans tous les secteurs de l'électorat par rapport à sa première victoire en 2016 est celui-là même qui a présidé à la gestion catastrophiquement meurtrière de la pandémie du Covid19 ; qui a fomenté l'émeute du 6 janvier 2021 contre le Capitole ; qui a été unanimement reconnu coupable de trente-quatre chefs d'accusation de falsification comptable dans une affaire de paiement dissimulé en vue d'obtenir le silence d'une actrice de X dont il avait obtenu une relation sexuelle ; qui a été condamné pour violences sexuelles (en 1996) et diffamation de sa victime à laquelle il a dû verser la somme de cinq millions de dollars (en 2023) ; qui a dû rembourser 25 millions de dollars aux étudiant.es piégé.es dans l'escroquerie de la « Trump University » ; qui s'est amusé à simuler une fellation sur un micro dans un meeting de campagne ; a diverti son auditoire avec ses commentaires explicites sur les parties génitales d'une star américaine du golf lors d'un autre meeting ; a répandu les rumeurs racistes les plus étranges sur les immigrés haïtiens qui mangeraient les animaux domestiques des braves gens de Springfield dans l'Ohio.

« Nous devons vivre honnêtement »

Ce conte de fée à l'envers s'est rapidement peuplé d'une galerie de personnages tous plus enchanteurs les uns que les autres : au ministère de l'énergie, un patron de l'industrie fossile (Chris Wright) comptant parmi les opposants les plus déterminés à la lutte contre le changement climatique ; un agresseur sexuel (Pete Hegseth) à la défense ; un autre (Matt Gaetz) visé par une enquête pour rapports sexuels avec une prostituée mineure, usage de stupéfiants et détournement de fonds de campagne [1] ; à la santé, un conspirationniste anti-vaccins déclaré (Robert F Kennedy) aux « convictions » fluctuantes sur le droit à l'avortement .

Au moins aussi remarquablement bizarre ; le choix d'Elon Musk et du milliardaire de la biotech, Vivek Ramaswamy, pour diriger ensemble un nouveau « ministère de l'efficacité gouvernementale ». Musk a d'ores et déjà annoncé son projet de réduire d'au moins un tiers les dépenses du budget fédéral américain, soit une réduction de plus de deux mille milliards de dollars d'une dépense totale de 6,75 mille milliards sur la base de l'année 2024.

Or, selon l'ex-secrétaire au trésor, Larry Summers, la masse salariale totale de l'État fédéral ne représentant qu'environ quinze pour cent de la dépense fédérale, même le licenciement de l'intégralité des employé.es de l'État fédéral ne permettrait pas ne serait-ce que d'approcher un tel objectif de décimation budgétaire. Musk, toutefois, voit peut-être déjà la réalité terrestre depuis mars.

Mais le meilleur tient incontestablement en ceci : c'est l'homme le plus riche du monde – la fortune d'Elon Musk s'élève à 334 milliards de dollars fin novembre 2024 – et généreux donateur de la campagne du milliardaire Trump, au côté du milliardaire Ramaswamy, qui vient expliquer aux américain.es qu'« il nous faut réduire nos dépenses afin de vivre selon nos moyens », et qu'il va donc falloir en passer par « des difficultés temporaires ».

Mais ceci « assurera une prospérité de long-terme […] Il y a tant de gâchis gouvernemental que l'on se croirait dans une pièce entouré de cibles que l'on ne peut pas rater -tu tires dans n'importe quelle direction et tu es sûr d'atteindre une cible ». Musk dit d'ailleurs s'attendre à des « réactions d'anticorps » de tous bords, mais qu'à cela ne tienne, « tout le monde va avoir droit à une coupe […] Nous devons vivre honnêtement ».

Ambivalence et contradictions du résultat

Un certain pessimisme nous ferait aussi sous-estimer les nuances significatives que mérite la lecture de ce scrutin. En dépit de ses tendances lourdes, celui-ci continue de nous rappeler que la politique est toujours pleine de surprises.

La poussée du vote populaire en faveur de Donald Trump n'est pas synonyme d'une adhésion forte à son message. Au 27 novembre, les résultats combinés des divers sondages indiquaient une courte majorité d'opinion défavorable à la successeure de Biden. Ils montraient en outre une préférence pour une majorité démocrate au Congrès sur l'ensemble de la période allant de fin mars à l'élection du 5 novembre [2].

Ce décalage s'illustre dans le fait, par exemple, qu'une majorité de l'opinion publique américaine (62%) se déclare en faveur d'un moindre rôle de l'argent dans la politique ; en faveur de la réduction des coûts de santé et de l'amélioration du système éducation (60%) ; et si les positions anti-immigration ont eu un écho important au cours de la campagne, il demeure que 56% des Américain.es (contre 40%) se disent favorables à une facilitation de la régularisation des immigré·es sans papiers aux États-Unis [3].

Il vaut la peine d'observer que ces élections sont intervenues dans une période de défiance croissante et transpartisane à l'égard des grandes entreprises et des banques : en 2022, selon le Pew Research Centre, 71% des enquêtés estimaient que les grandes entreprises avaient « un effet négatif » sur la vie du pays, et 56% jugeaient les banques et autres institutions financières dans les mêmes termes [4], estimant (toujours à 56%) que le gouvernement faisait « trop peu » pour en contrôler l'activité. Si les chiffres varient d'une enquête à l'autre [5], la généralisation de la défiance, voire, de l'hostilité, à l'égard des puissances du capitalisme américains paraît faire l'objet d'un constat largement partagé.

Ceci explique en partie, au moins, certaines ambivalences de ce scrutin. Dans plusieurs États, en effet, la majorité en faveur de Trump s'est accompagnée de votes progressistes, ou tout au moins, en net décalage avec l'orientation oligarchiste ultra-réactionnaire du candidat présidentiel.

Par exemple : sur les dix États où la question du droit à l'avortement (pour le rétablir ou en allonger la période d'accès) figurait sur le bulletin de vote, sept ont voté pour la protection de l'avortement tout en donnant une majorité à Trump.

Le vote du Missouri a donné une majorité pro-Trump tout en votant en faveur d'amendements visant à mettre fin – au niveau de l'État du Missouri – à l'interdiction de l'avortement, à augmenter le salaire minimum et à étendre l'accès au congé maladie [6]. Même chose en Arizona. En Floride, l'échec tient au fait que le vote en faveur de l'allongement de la période d'accès à l'avortement, bien qu'atteignant 57,2%, n'a pas franchi le seuil de 60%requis dans cet État pour adopter l'amendement.

Nombre d'États ont placé Trump en tête tout en choisissant des candidat·es démocrates (Sénat ou Congrès) au niveau local. De ce point de vue, la réélection d'Alexandria Ocasio Cortez dans le 14e district de New York est emblématique : la candidate clairement identifiée à gauche a été réélue avec 68,9 % des voix, mais ce par un électorat qui, pour une part, a nettement renforcé le vote (+ 10 %, mais encore minoritaire dans cet État) pour Trump à la présidence.

Cette situation s'est déclinée de diverses manières dans le Michigan, le Wisconsin, en Caroline du Nord, ou le Nevada. Rien d'inédit, certes, mais il y a là de quoi nuancer un peu la vision, en partie juste, d'une Amérique politiquement polarisée comme rarement auparavant. Et le simple fait que nombre de candidat·es démocrates soient impeccablement de droite ne contribue pas qu'un peu à la préservation de relatifs consensus « bipartisans ».

Défaite d'une campagne droitière

Un peu de nuances, donc, et pas de vote homogène pour le fascisme quand bien même le fascisme figure bien au menu. Comme le dit si bien le commentaire de l'excellent John Oliver dans son émission (HBO) du 14 novembre, ces « bonnes nouvelles » s'apparentent à l'heureuse surprise de trouver un billet de vingt dollars qu'on avait encore sa poche au moment même où un ours te saute dessus. Reste cependant à savoir comment on en est venu à se trouver si dangereusement exposé à un tel assaut.

La défaite démocrate semble avoir entraîné une épidémie d'examens de conscience, ou au choix, une chasse au bouc émissaire : faut-il expliquer les 2 points pourcentage de retard sur Trump par le taux de participation ? Par l'inflation ? Par le vote de minorités qui ont renoncé à leur allégeance aux démocrates ? Par l'attitude des Arabes-américains du Michigan pour qui la politique extérieure américaine et le génocide en Palestine ne pouvaient pas être négociables [7] ? Par le profil « trop à gauche », voire, « d'extrême-gauche » (« far left ») de Kamala Harris ? Trop « woke » ? « Les médias » ? Si ces différents facteurs méritent des degrés divers de – voire aucune – considération, aucun d'entre eux ne permet de rendre compte de l'échec au bout du compte.

Beaucoup d'éléments semblent indiquer en revanche que la défaite démocrate est avant tout celle d'une campagne menée à droite, qui misait sur la loyauté contrainte d'un électorat démocrate présumé captif. Remarquons d'abord la manière dont la candidate démocrate aura réduit son message programmatique à la thématique du danger pour la démocratie représenté par le fasciste Trump et à la question des droits reproductifs.

Le premier problème ici tient au fait que, d'une part, Trump a lui aussi fait campagne sur la question de la sauvegarde de la démocratie américaine (sans renoncer à l'accusation de l'« élection volée » en 2020) et que, d'autre part, nombre d'électrices et d'électeurs avaient la possibilité de rétablir ou de renforcer le droit à l'avortement à l'échelle de leur propre État lors de ce même vote du 5 novembre.

En outre, la campagne de Kamala Harris s'est appliquée à envoyer des signaux à un électorat de droite susceptible de ne pas vouloir d'un retour de Trump au pouvoir. Aussi a-t-elle choisi de tourner le dos à tout ce qui avait assuré la popularité des candidatures de Bernie Sanders lors des primaires de 2016 et 2020, et dont Biden avait su tirer parti.

Loin d'afficher une orientation ne serait-ce que modérément social-démocrate, en défendant par exemple le bilan de Biden sur le progrès de salaires réels et son affichage pro-syndical, la baisse de l'inflation, les mesures protectionnistes de l'Inflation Reduction Act (Août 2021) et la consolidation de l'emploi industriel, Harris jugea bien plus urgent de faire savoir, par exemple, qu'elle aussi était propriétaire d'un semi-automatique Glock, ce entre deux apparitions de campagne aux côtés de Liz Cheney et de son père, Dick Cheney, vice-président de George Bush Jr. de 2001 à 2009 et figure centrale du néo-conservatisme américain fanatiquement va-t-en-guerre du début du 21e siècle.

On ne peut donc être surpris du constat fait par J. Abbott et F. Deveaux dans Jacobin, de l'extrême sous-représentation des thématiques ouvrières et salariales dans la communication de la campagne démocrate, et pour ne rien dire d'une quelconque coloration ouvrière dans la composition sociale des candidatures démocrates à l'échelle du pays. Et où étaient passées les questions de la pauvreté, ou du dérèglement climatique… ?

Consensus pour un régime d'oligarchie représentative

Ce n'est malheureusement pas tout. La campagne démocrate, après s'être engagée sur la dénonciation de l'accaparement oligarchique, servi par Trump, est vite revenue à la raison : le parti démocrate devait être lui aussi le parti non-seulement des dirigeants des grandes entreprises (88 d'entre eux lui ont exprimé leur soutien en septembre), mais également des milliardaires érigés en dignes représentants de la réussite entrepreneuriale et accessoirement, donateurs d'une campagne dont le coût cumulé s'est élevé à seize milliards de dollars.

À la tribune de la convention démocrate au mois d'Août 2024 et dans l'entourage de campagne immédiat de Harris, les milliardaires JB Pritzker, Mark Cuban, Reid Hoffman et d'autres sont venus incarner tout ce qu'une majorité de l'opinion publique américaine rejette (cf. les enquêtes déjà citées) : pouvoir des grandes entreprises, concentration sans précédent de la richesse, emprise de l'argent sur la politique.

Cuban, qui s'est flatté d'avoir inondé la direction de campagne de ses messages, et d'autres, ont en outre réclamé qu'en contrepartie de leur soutien, Harris s'engage à se débarrasser de Lina Khan, la présidente de l'agence gouvernementale chargée des relations concurrentielles, de la protection des consommateurs et de la lutte contre la publicité mensongère et les pratiques commerciales déloyales (commission fédérale du commerce, FTC).

Khan a réussi, par exemple, à faire interdire les « clauses de non-concurrence » (« non-compete agreements ») qui permettent à un employeur d'interdire à un salarié, pendant une période déterminée, d'aller travailler pour une entreprise concurrente. A l'annonce de cette mesure, la présidente de la FTC a expliquéque si les employeurs voulaient éviter que leurs salarié.es aillent servir la concurrence, la concurrence entre eux est toujours possible et souhaitable pour garder ces salarié.es en améliorant leur salaire et leurs conditions de travail. Une communiste, assurément.

La gauche démocrate s'est immédiatement insurgée contre ce chantage venant du grand-patronat rhabillé en sage conseil de campagne. En septembre, A. O. Cortez a menacé :

« Que ce soit bien clair, dès lors que les milliardaires font du pied au tandem [Harris-Walz] : au premier qui approche de Lina Khan, ce sera la baston générale [there will be an out and out brawl]. Et c'est une promesse. Elle est la preuve que ce gouvernement se bat pour le monde du travail ».

Pour Bernie Sanders :

Lina Khan est la meilleure présidente de la FTC de l'histoire moderne. En s'attaquant à la rapacité des grandes entreprises et aux monopoles illégaux, Lina fait un travail exceptionnel en empêchant les géants du business d'arnaquer les consommateurs et d'exploiter les travailleurs. » [8]

Autre signal de ce tour pris par la campagne ; Harris est aussi revenue sur un projet fiscal qu'elle était pourtant censée avoir défendu aux côtés de Biden. En septembre (au moment du grand ralliement patronal collectif officiel) la candidate démocrate avait annoncé vouloir relever à 28% l'impôt sur les plus-values à long-terme (avoirs détenus pendant plus d'une année) que Trump avait plafonné à 20 pour cent. Or, parmi ses mesures fiscales pour 2025, Biden avait proposé un relèvement à 39,6% – quand Sanders avait, lui, défendu un relèvement à 54,2%. Entre l'éviction revendiquée de Lina Khan et ces 28% face à la brutalisation oligarchique de la société américaine, on comprend quelle base sociale est venue faire entendre son rappel à l'ordre.

Mépris à l'égard des aspirations et colères populaires face au pouvoir démesuré des mastodontes du capitalisme américain et de ses oligarques corrupteurs d'une scène politique noyée dans un océan de dollars ; mépris pour l'électorat populaire traditionnellement pro-démocrate présumé captif, condamné à la loyauté, et que l'on a donc cru pouvoir tranquillement ignorer ; mépris pour toute la jeunesse (et au-delà) pro-démocrate qui a passé l'année à manifester contre la complicité américaine dans le génocide perpétré par Israël – avec une aide militaire américaine massive – en Palestine et qui a eu le droit aux qualificatifs infamants désormais rituels, et pas une minute de parole pour leurs déléguées à la tribune de la convention du parti ; mise à distance des principales figures de la gauche démocrate dont l'énormité des scores fait peut-être comprendre ce qu'il aurait fallu défendre dans cette campagne – peut-être et un peu tard. Sans aller chercher les résultats de Tlaib, Omar ou Sanders, le seul fait que dans plusieurs États (Montana, Ohio, Pennsylvanie), les candidat.es démocrates locales (pour le Sénat, le Congrès, des postes de gouverneur.es..) ont recueilli plus de voix qu'Harris elle-même résume sans doute assez bien les choses.

Trump, quant à lui, n'aura, bien entendu, reculé devant aucune contorsion opportuniste : Trump anti-guerre , ou Trump pro-Tik Tok, un réseauqu'il avait pourtant lui-même menacé d'interdire. Mais une fois la mesure sur le point d'être reprise par le Congrès en mars 2024, Trump n'a pas hésité à tourner casaque, comprenant l'extrême impopularité d'une interdiction du réseau le plus populaire aux États-Unis, utilisé par 150 millions d'américains, et surtout par la jeunesse.

Trump, la pandémie, et l'ironie de l'histoire

Au-delà de ces manœuvres, reste aussi, et surtout, comme l'expliquait Ben Davis dans le Guardian au lendemain du scrutin, ce facteur probablement central : les mesures anti-Covid de la fin du mandat de Trump, en contrepoint de la gestion gouvernementale catastrophique de cette crise, aboutirent à la mise en place d'une forme d'« État providence » dont les Américain.e.s n'avaient pour la plupart jamais fait l'expérience. D'où le fait que, pour 73% de l'opinion, la priorité accordée à « l'économie » (Pew Research 2024).

Cette analyse mérite d'être citée longuement :

« L'extension massive, écrit Davis, presque du jour au lendemain, du filet de sécurité sociale et son retrait rapide, presque du jour au lendemain, représentent, en termes matériels, les plus grands changements de politique de l'histoire américaine. Pendant une courte période, et pour la première fois dans l'histoire, les Américain.e.s disposaient d'un véritable filet de sécurité : de solides protections pour les travailleurs et les locataires, des allocations chômages extrêmement généreuses, un contrôle des loyers et des transferts directs de liquide de la part du gouvernement américain ».

En dépit de toutes les souffrances induites par le Covid,

« entre la fin 2020 et le début de l'année 2021, les Américain.e.s firent brièvement l'expérience de la liberté propre à la socialdémocratie. Ils et elles avaient assez d'argent liquide pour prévoir sur le long-terme et prendre des décisions en fonction de leurs propres souhaits et non simplement pour survivre. […] À la fin du mandat de Trump, le niveau de vie américain et le niveau de sécurité économique et de liberté étaient meilleurs qu'à son début et, avec la perte de cet État social élargi, la situation était pire au terme du mandat de Biden en dépit des succès réels de ses réformes pour les travailleurs et les organisations syndicales. Voilà pourquoi les électrices et les électeurs voient dans Trump quelqu'un plus à même de veiller sur l'économie ». [9]

C'est donc le même Trump qui s'apprête à lancer une phase de violence sociale dont l'ampleur a bien des chances de s'avérer inédite, pour le plus grand bonheur de nos Gasparian, Pécresse, et al. S'il est certain que le capitalisme oligarchique encore parlementaire révèle chaque jour qui passe sa nature de canular sordide et mortifère, il demeure que la politique reste pleine de surprises ; ce que cette élection continue de révéler du potentiel d'audience de masse de la gauche n'est pas la moindre d'entre elles.

*

Illustration : Wikimedia Commons.

Notes

[1] Gaetz a finalement démissionné de son siège au Congrès, mi-novembre.

[2]ABC news propose d'utiles récapitulatifs : https://projects.fivethirtyeight.com/polls/favorability/donald-trump/

[3]Pew Research Center, https://www.pewresearch.org/short-reads/2024/03/07/state-of-the-union-2024-where-americans-stand-on-the-economy-immigration-and-other-key-issues/

[4]« Anti-corporate sentiment in U.S. is now widespread in both parties », 17 11 2022, https://www.pewresearch.org/short-reads/2022/11/17/anti-corporate-sentiment-in-u-s-is-now-widespread-in-both-parties/.

[5]Voir, « Confidence in institutions », https://news.gallup.com/poll/1597/confidence-institutions.aspx ; cf encore, par exemple, https://www.bloomberg.com/graphics/2024-opinion-how-big-business-lost-americans-trust/ (« Comment la confiance des américains dans les grandes entreprises est allée de mal en pis »).

[6]Pour le Missouri, outre les nombreux choix de candidat.es pour les échelons nationaux et de l', environ trente-cinq propositions supplémentaires concernant de l' du Missouri étaient soumises au vote. https://www.ballotready.org/elections/missouri-general-election-d45b75a3-39e0-419a-ac29-8da0dbb675e

[7] Voir : https://www.middleeasteye.net/opinion/us-elections-instead-looking-inwards-white-liberals-blaming-arabs-trumps-victory (« Au lieu de se poser des questions sur eux-mêmes, les blancs de gauche rendent les arabes responsables de la victoire de Trumps »)

[8]Cités dans : https://thehill.com/policy/technology/4924081-ocasio-cortez-defends-ftc-chair-khan-brawl/

[9] Voir : https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/nov/09/trump-victory-explanation-scrutiny. Je remercie Vasant Kaiwar d'avoir attirer mon attention sur ce texte.

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États-Unis - La fête est finie – La crise de l’électoralisme de gauche

17 décembre 2024, par Kim Moody — , ,
L'expérience d'une action électorale socialiste et progressiste de gauche depuis le Parti Démocrate fait maintenant face à une crise fondamentale. L'élan créé par la campagne (…)

L'expérience d'une action électorale socialiste et progressiste de gauche depuis le Parti Démocrate fait maintenant face à une crise fondamentale. L'élan créé par la campagne présidentielle de Sanders en 2016, qui a contribué à propulser la brigade, le « squad » ce groupe de 6 membres progressistes de la chambre des Représentants qui s'est ainsi auto-désignée, vers un poste politique, et qui a inspiré la croissance rapide de DSA (les socialistes démocrates d'Amérique), a été perdu à la suite de la course tronquée de Sanders en 2020 et de sa reddition rapide à Biden. La dérive de la brigade et d'autres vers le centre politique et opérationnel du parti démocrate et leur soutien aux dirigeants néolibéraux du parti ont soulevé des questions sérieuses sur l'utilisation du Parti démocrate pour les objectifs socialistes.

Tiré de Inprecor
13 décembre 2024

Par Kim Moody

Ceci a été souligné par l'appui d'Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) et d'autres membres de la brigade à Biden, même après son déplacement vers la droite, au début de 2023, sur des questions clés comme l'immigration et le forage pétrolier, comme l'a souligné la publication FiveThirtyEight (23 mars 2023). Plus généralement, la résistance accrue de la part des dirigeants et des institutions du parti a limité la capacité de la gauche à se développer de manière significative. Cela s'est traduit par les gains relativement minces réalisés par les socialistes et les progressistes de gauche lors des élections législatives de 2022. En plus de cela, la hausse des coûts des campagnes électorales pour le Congrès et la récente baisse des petites donations politiques ont encore entravé la capacité de la gauche électorale à pouvoir étendre son influence.

La preuve de cette crise se manifeste partout dans l'état de l'organisation de la gauche électorale. Le regroupement « Justice Democrate », sans doute l'agent le plus efficace pour les progressistes lors des primaires électorales, a licencié neuf de ses vingt membres du personnel en juillet en raison d'un manque de fonds. Comme le dit le Huffington Post, « sa mission est plus confuse et ses coffres sont épuisés ». En août, il a licencié trois autres employés sur un total de douze, soit plus de la moitié de son personnel. Même avant cela, en avril, le Mouvement du Soleil Levant, un allié de Justice Démocrate, a licencié 35 des 100 membres de son état-major, tandis que Middle Seat, un collecteur de fonds et l'un des meilleurs contributeurs d'AOC pour les campagnes 2020 et 2022, a licencié environ un tiers de son personnel. Même Emily's List a connu des mises à pied. Tout cela dans la période précédant les élections cruciales de 2024.

La cause immédiate de cette crise est le financement. Tout d'abord, le coût moyen de l'obtention d'un siège à la Chambre des représentants est passé de 1,3 million de dollars en 2016 à 2,5 millions de dollars pour un siège vacant et à 2,9 millions de dollars pour triompher en 2022 d'un candidat à sa réélection. Les petits dons ont été plus faibles dans ce cycle en raison du dégoût de la politique et des démocrates en particulier, comme cela est examiné ci-dessous. Comme l'a rapporté le New York Times (16 juillet 2023), avec de petits dons qui arrivent lentement, la campagne de Biden est encore plus dépendante des donateurs riches qu'en 2020. Dans le même temps, de nombreux donateurs politiques importants versent des contributions directement aux comités de campagne du parti et à des fonds « non déclarés » pour les campagnes 2024 du Sénat et de la Chambre des représentants. Mais la rareté des petits dons frappe plus durement les organisations de gauche qui manquent de donateurs riches, de subventions ou de soutiens de fondations.

Un résultat de cette crise et de la résistance accrue de la part de la direction du parti est le report de la date de mise à la retraite de cette vieille garde. Ceci est particulièrement critique parce que, en supposant que le but soit de changer le Parti démocrate ou de le déplacer vers la gauche, il n'y a pas d'autre moyen de faire disparaître la majorité centriste des démocrates à la Chambre et dans tout le système politique. Les départs à la retraite et la mise en place de candidatures ouvertes sont trop peu nombreux pour être une voie vers une présence importante dans le caucus du Parti démocrate à la Chambre ou au Sénat ou à peu près dans n'importe quelle instance législative d'État. Cela signifie que le JD semble avoir complètement abandonné les candidatures défiant des titulaires déjà en poste. JD se concentre actuellement sur le soutien au titulaire Jamaal Bowman, qui est attaqué par des campagnes et des fonds pro-israéliens. Alors que JD avait approuvé huit candidats à la Chambre des représentants qui défiaient des titulaires centristes en 2020 et deux en 2022, elle n'en a désigné aucun pour 2024, selon le Huffington Post (10 août 2023),

De même, alors que Notre Révolution a soutenu Barbara Lee en Californie pour le siège ouvert au Sénat par le décès de Dianne Feinstein, ainsi qu'un certain nombre de candidats principalement pour des scrutins locaux, il n'a pas encore approuvé de candidature à la Chambre des représentants pour les élections de la fin du mois d'octobre 2024. En 2022, Notre Révolution avait approuvé 18 candidats à la Chambre des représentants, dont six s'opposant à un démocrate majoritaire. Sanders, qui avait soutenu 13 candidats à la Chambre en 2022, dont quatre contestaient le siège de titulaires déjà en place, n'a approuvé qu'un seul candidat à la Chambre en 2023. C'était Aaron Regunberg, un candidat non élu pour la nomination démocrate pour un siège vacant représentant le premier district du Congrès de Rhode Island, qui avait été choisi par élection spéciale. Jusqu'à présent, Sanders n'a approuvé qui que ce soit pour la Chambre en 2024.

AOC a également approuvé Regunberg, mais son fonds de financement « Courage pour gagner » qui disposait de plus de 500 000 dollars, n'a contribué que pour 5000 dollars versés à deux candidats, seulement à la Chambre des représentants, les titulaires déjà en poste Cori Bush et Greg Casar, selon le rapport de la Commission électorale fédérale du 30 septembre 2023. Aucun autre soutien officiel d'AOC à des candidats à la Chambre des représentants pour le cycle électoral 2023-2024 n'a pu être trouvé au moment de l'écriture du présent document. La commission électorale nationale de DSA, qui a approuvé par le passé les candidats à la Chambre et aux assemblées législatives des États, n'a jusqu'ici approuvé qu'un petit nombre de candidats locaux. Il est clair que la gauche électorale est en retrait.

Cette baisse est en partie due à la performance relativement médiocre des candidatures de gauche en 2022. Malgré un grand nombre de sièges obtenu à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat de 2022, les gains nets pour les progressistes de gauche cette année-là ont été faibles. Sur les 23 candidats de gauche, définis comme ceux soutenus par Bernie Sanders, JD et/ou Notre Révolution, dix ont remporté leur primaire. Sur les huit personnes qui contestaient des candidats déjà en poste, une seule (Jamie McLoed Skinner) a gagné, mais a perdu l'élection finale. Sur les 15 candidats qui ont participé à des primaires ouvertes, neuf ont réussi. Ce chiffre est en net recul par rapport à 2020, lorsque les progressistes de gauche avaient remporté 22 des 32 sièges vacants, selon la publication FiveThirtyEight (27 septembre 2022).

En tout, en 2022, dix progressistes de gauche avaient remporté leurs primaires et treize l'avaient perdu, ce qui n'est pas si mal. Mais trois progressistes de gauche, comme défini ci-dessus, avaient perdu contre des modérés lors de primaires entre sortants dans des districts redessinés, et trois nouveaux candidats qui avaient remporté leurs primaires ont été défaits aux élections finales. Le gain net pour 2022 n'était donc que de quatre, aucun n'ayant remporté un scrutin face à un sortant candidat à sa réélection (1). C'est clairement un mauvais signe pour ceux qui espèrent transformer le Parti Démocrate. Les perspectives pour 2024 sont, à tout le moins, nettement pires pour la gauche, avec un taux de sortants candidats à leur réélection s'élevant à 94 %, la pression croissante pour soutenir les modérés dans les districts en balance incertaine pour ne pas faire chavirer le bateau Démocrate, et la crise financière de la gauche électorale s'approfondissant.

Les élections législatives de chaque État sont bien sûr beaucoup moins chères et un peu plus accessibles. La part des candidats sortants était supérieure à 95 % en 2022, et cette année-là seuls 22 % de ces élus démocrates sortants ont été confrontés lors de primaires à des candidatures concurrentes. Le renouvellement des sièges est toutefois plus élevé et les primaires ouvertes sont plus fréquentes, soit environ 24 % en 2022. Seulement environ 4 % sont des mandats en nombre limité, dont un tiers environ sont détenus par les Démocrates. Il est toutefois décourageant de constater qu'il y a plus de 7 000 sièges à pourvoir dans les assemblées législatives des États. Bien que le coût d'une campagne pour un siège législatif soit beaucoup plus faible que celui du Congrès, il a doublé en moyenne au cours des deux dernières décennies pour atteindre plus de 100 000 dollars en 2020, selon la Conférence nationale des assemblées législatives des États. Il est sans doute plus élevé maintenant et, bien sûr, encore plus élevé dans des Etats comme New York, la Californie, Washington et d'autres.

Les membres DSA, qui se présentent plus souvent à ce niveau, occupaient 56 sièges législatifs en 2023 (2). Alors qu'en 2022, DSA au plan national avait approuvé 18 candidats pour des postes au niveau des États, cette année, aucun candidat à ce niveau n'a été approuvé par la commission électorale nationale de DSA, selon son site web. Sans doute certains sont soutenus par des sections locales. « Notre Révolution », qui avait approuvé 80 candidats à des postes d'État en 2022, n'a approuvé aucun candidat cette année, selon ses sites web. Bernie Sanders non plus. Il semble que la crise de la gauche électorale frappe aussi sa participation aux scrutins électoraux.

La politique mise aux enchères : la crise du financement des élections provoquée par le capital

Que la crise politique du cycle électoral 2023-2024 de la gauche entraîne un plongeon de ses sources de financement est, en soi, significatif. Tout d'abord, cela révèle à quel point l'action électorale actuelle de gauche s'inscrivant dans le Parti Démocrate est dépendante d'équipes qui, comme JD, sont centralisées depuis le sommet, de sociétés de financement à but lucratif comme Middle Seat, et même de sociétés comme le géant numérique NGP-VAN, qui est le principal processeur de données du Parti Démocrate et est utilisé par tous les membres de la brigade d'AOP. Pour l'autre, cela montre aussi la forte dépendance des candidats de gauche à des dons provenant d'autres États et de districts plutôt que sur une organisation structurée de façon permanente au plan local.

La cause sous-jacente de cette crise de financement est toutefois sur le long terme l'escalade du coût des campagnes électorales dont la responsabilité incombe au capital. Elle a commencé avec l'entrée des fonds de financement dans les années 1970, mais elle s'est accélérée bien au-delà de cela, poussée par des donateurs riches et aisés (3). Incluant l'argent dépensé par les candidats, les comités du parti et celui hors des circuits contrôlés, le coût des élections du Congrès à mi-mandat est passé de 1,6 milliard de dollars en 1998, déjà bien au-dessus des années précédentes, à près de 9 milliards de dollars en 2022 (4). « La course aux dépenses toujours croissante entre les partis politiques signifie que le prix de l'admission au Congrès continue d'augmenter ». La politique est devenue l'objet d'enchères dans lesquelles le plus offrant gagne 90 % du temps.

Et c'est l'argent qui fait avancer le processus. Seulement 18 % de tous les fonds de la campagne électorale du cycle 2022 provenaient de dons inférieurs à 200 dollars. Les démocrates ont fait un peu mieux, mais les petits dons ne représentaient toujours que 19 % de tous les fonds qu'ils avaient collectés. La baisse des dons de petite taille et l'augmentation continue du coût des élections indiquent que la richesse et le capital joueront un rôle de plus en plus important lors des prochaines élections. Et Opensecrets.org (2 août 2023) s'attend à ce que 2024 soit « l'élection la plus chère de l'histoire ».

Les membres de la brigade, qui ne récoltent pas d'argent auprès des entreprises, collectent pour leurs campagnes électorales des millions en provenance principalement de dons individuels de l'extérieur de leurs propres états et districts. La plupart de ces fonds sont collectés par des fournisseurs numériques tels qu'ActBlue ou Middle Seat. AOC est l'un des cas les plus extrêmes. Elle a recueilli plus de 12 millions de dollars dans le cycle électoral de 2022, beaucoup plus que tous les autres membres de « la brigade ». Plus de 80 % de cette somme provenait d'un autre État. En 2020, la dernière année fournie par les chiffres de district d'OpenSecrets.com, moins de 1 % du financement d'AOC provenait de son district. Il devrait être évident que, avec des fonds pour les candidats de gauche qui s'épuisent, cette dépendance à l'égard d'un grand nombre de dons plus modestes provenant de partout dans le pays ne peut pas assurer le financement des campagnes d'autres candidats de gauche aux primaires.

Considérez ceci : JD avait levé seulement 6,5 millions de dollars, principalement auprès de plus de 1 300 personnes, dans le cycle électoral de 2022 avant de faire face à sa crise financière. Hakeem Jeffries, un militant centriste, leader dans la lutte contre les opposants de gauche aux élections de 2022, et déclaré antisocialiste, est maintenant le leader minoritaire, élu à l'unanimité, du Parti Démocrate à la Chambre des Représentants (5). Il a collecté pour lui tout seul 5,9 millions de dollars cette année-là. Dans ce montant, près de 80 % provenaient de dons importants ou de fonds électoraux et seulement 5,5 % de contributions modestes. Cette année 2024, il a déjà touché 7,8 millions de dollars. Il est assez évident que la gauche électorale du Parti démocrate ne peut pas rivaliser avec la majorité dominante du parti, qui est lourdement financée par des sociétés et des individus fortunés.

Considérez aussi que, alors que la gauche électorale se retire de primaires impliquant des sortants centristes en place, le New York Times (29 octobre 2023) rapporte que les alliés de l'establishment du parti, le Comité américain des affaires publiques d'Israël (AIPAC) et la majorité démocrate pour Israël (DMI) se préparent à défier les neuf représentants démocrates en poste qui, le 25 octobre, au milieu des bombardements intenses et aveugles de Gaza par Israël, ont voté contre l'aide militaire à Israël. Le soutien inconditionnel à Israël est depuis longtemps une politique fondamentale du Parti démocrate, et l'opposition aux candidats critiques de la politique d'apartheid d'Israël envers les Palestiniens n'est pas nouvelle.

Dans les élections de 2022, AIPAC a dépensé 13 millions de dollars et DMI 9 millions de dollars, dont une grande partie "en dehors" des fonds contrôlés, pour vaincre des adversaires de gauche qui n'étaient pas considérés comme suffisamment amicaux par Israël. Selon Opensecrets.org (17 novembre 2022), AIPAC a dépensé 2 millions de dollars en argent "extérieur" pour vaincre Summer Lee, un critique de la politique d'apartheid d'Israël, dans les primaires de mi-mandat de 2022 et 3,2 millions de dollars supplémentaires aux élections finales, soit plus du double de ce que Lee a dépensé pour ce cycle. Dans ce cas, ils n'ont pas réussi à empêcher sa victoire. (Celui qui a le plus d'argent ne gagne que 90 pour cent du temps.) Lee, qui est l'un des neuf démocrates votant contre l'aide militaire à Israël en octobre, fait déjà face à un concurrent et sera certainement une cible de dépenses de l'AIPAC en 2024. Ilhan Omar et Jamall Bowman, qui étaient également opposés au matériel militaire supplémentaire pour Israël, ont également attiré des concurrents aux primaires. L'escalade des enchères politiques continue.

Sur un plan plus fondamental, on pourrait se demander pourquoi les socialistes jouent à ces jeux politiques axés sur l'argent. Un examen de la façon dont AOC a dépensé les millions qu'elle a collectés principalement à l'extérieur de son district révèle que dans le cycle 2022, 60 % sont allés aux salaires du personnel, à la collecte de fonds et à l'administration, et 24 % pour les achats dans les médias, ce qui constitue la majeure partie de la campagne électorale. Le reste, vraisemblablement, est allé au travail de base de campagne électorale. Les organisations de base permanentes ne sont pas incluses. La pratique réelle de l'électoralisme de DSA et de la gauche n'est pas fondée sur l'organisation de masse ou la lutte des classes, comme on le prétend parfois, mais sur l'élection d'individus à des fonctions pour faire « du bien » au nom de la classe ouvrière, par des primaires qui attirent les électeurs plus aisés, tout cela dans l'espoir que la base suivra (6). Leurs méthodes électorales ne sont guère différentes de celles des Démocrates traditionnels, qui dépendent de sociétés professionnelles de financement et d'experts en campagne. C'est une approche du sommet vers la base électorale. Ils sont plus que dépendants de personnalités très en vue comme Bernie et AOC. C'est une approche du sommet vers la base et, d'un point de vue socialiste, l'inverse de ce qu'il faudrait faire.

Une politique électorale socialiste doit être organisée sur une base de masse entièrement différente, avec une stratégie totalement différente en dehors du cadre institutionnel et politique du Parti Démocrate. Des organisations politiques indépendantes de la classe ouvrière avec une organisation permanente, de masse et de base dans les quartiers et les lieux de travail pourraient facilement remplacer l'argent par des organisations et des mobilisations démocratiques des électeurs (à ne pas confondre avec les campagnes ciblées par ordinateurs d'inscription sur les listes électorales).

Une crise de confiance (bien méritée) dans la politique, les politiciens et les grands partis

Mais si le financement est le problème immédiat, cette crise est aussi le résultat d'une augmentation assez récente de la méfiance envers la politique, les politiciens et les grands partis qui ont eux-mêmes conduit à la baisse des petits dons. « Notre Révolution », par exemple, a trouvé dans un récent sondage de ses "membres" que "41 % nous ont dit qu'ils se sentaient déprimés, en colère ou démotivés par l'élection 2024". Avec Bernie, « la brigade », le caucus des membres progressistes du Congrès (CPC) et la plupart des progressistes alignés derrière Biden, il n'y a pas de place pour une opposition de gauche dans le Parti Démocrate.

Cette désillusion dépasse largement la gauche politique. Comme le révèle une récente enquête du Pew Research Center, la vision sceptique de la politique de la plupart des Américains a en fait empiré, précisément à l'époque où les socialistes électoralistes ont été en hausse par le biais du Parti Démocrate, entre 2018 et 2023 (7). Le pire de tout cela est concentré sur le Congrès. Par exemple, la proportion de Démocrates et de leurs sympathisants qui pensent que les membres du Congrès "se soucient des gens qu'ils représentent" est passée de 51 % en 2018 à 40 % cette année. Les mêmes qui pensaient que les membres du Congrès ont promu des politiques "dans l'intérêt public" sont passés de 48 % à 37 % au cours de cette période. En outre, les politiciens, y compris les Démocrates, sont jugés "hors de contact" avec leurs électeurs.

Parmi les démocrates et leurs sympathisants, 74 % pensaient que les membres du Congrès ont fait un très ou assez mauvais travail d'écoute de leurs électeurs. 81 % de ces démocrates ont dit que « la plupart des fonctionnaires élus ne se soucient pas de ce que les gens comme eux pensent ». On peut supposer que beaucoup pensaient à leurs propres représentants démocrates. 84 % de tous ceux qui "sont très engagés avec la politique" ont donné la même réponse. En termes d'influence, parmi ceux qui ont répondu, 70 % pensaient que les gens de leur district avaient trop peu d'influence, tandis que 80 % disaient "les gens qui ont donné beaucoup d'argent à leurs campagnes politiques" avaient trop d'influence. Cette vision négative ne concernait cependant pas uniquement les politiciens individuels.

L'un des résultats les plus révélateurs du sondage Pew a été la forte baisse de ceux qui ont une opinion favorable du Parti Démocrate dans son ensemble. Considérant que plus de 60 % avaient une opinion positive de ce parti à la fin des années 1990 et au début des années 2000, cela est tombé au aux environs de 40 % de 2008 à 2018, Sans doute une conséquence de la récession et de la déception vis-à-vis de l'administration Obama. Puis de 2018 à juillet 2023, l'approbation du Parti démocrate a chuté à 37 % tandis que ceux qui ont une opinion défavorable de ce parti ont augmenté à 60 %. Interrogés, près des trois quarts des démocrates et de leurs sympathisants répondent que la phrase "J'aimerais souvent qu'il y ait plus de partis politiques parmi lesquels choisir dans ce pays" décrit leur point de vue extrêmement (44 %) ou un peu (30 %). Parmi les indépendants, beaucoup de ceux qui ont une orientation démocrate expriment davantage ce point de vue que parmi les républicains. Les Démocrates ne sont pas très contents de leur parti.

Comme le souligne l'enquête de Pew, les points de vue positifs des Démocrates en particulier sont "maintenant à leur point le plus négatif des trois dernières décennies." Et cela précisément pendant la période de montée de l'électoralisme socialiste dans ce parti. Je ne dis pas que Bernie Sanders, AOC, « la brigade » ou DSA sont à blâmer pour cette image sombre de la façon dont la plupart des gens voient la politique et le parti démocrate en particulier. Mais, comme leur incapacité croissante à s'opposer à la direction du Parti Démocrate, en fait leur approbation constante des chefs du Parti Démocrate, y compris Biden, (8) leur haut niveau de votes "d'unité" sur le programme législatif de Biden, et, en conséquence leur identification publique plus forte avec le parti suggèrent qu'ils ne l'ont pas empêché ou même modéré, malgré leur popularité individuelle ou leurs opinions personnelles. Rien dans le sondage Pew ne montre que les gens voient une tendance contraire à cette détérioration des opinions concernant les politiciens et le Parti Démocrate.

Le sort de DSA lui-même est peut-être l'impact le plus immédiat de ce malaise politique croissant pour la gauche. Avec l'effondrement de la dynamique Sanders et l'augmentation des luttes internes parfois vives au sujet de l'incapacité de l'organisation à garder ses « élus » Démocrates, et après avoir été mis en cause, notamment par la guerre Israël/Palestine et par l'interdiction de Biden de la grève dans les négociations ferroviaires, le groupe a connu une perte importante et continue de ses membres. Selon son rapport sur le budget de juin, DSA a vu ses membres (en comptant les cotisants en retard) passer de leur sommet de 94 000 à la mi-2021 à 78 000 en mai 2023. Le nombre de « membres en règle », une mesure plus réaliste, est passé de 78 000 à 57 000 Cette perte d'environ un quart de ses effectifs réels est intervenue alors que les opinions favorables au Parti Démocrate chutaient à nouveau à des niveaux bas et que la controverse sur le comportement des « élus » occupaient pendant un certain temps une place centrale dans les débats. Bien qu'il soit trop tôt pour le dire, les retombées actuelles de la guerre entre Israël et Gaza menacent de fragmenter davantage DSA.

En dépit de cette crise pré existante, un consensus a semblé apparaître lors son congrès de juillet, DSA y a réaffirmé son engagement à « contester tactiquement les règles électorales actuelles conduisant au vote démocrate » ? En reconnaissance du problème de l'insertion des militants de DSA dans les organes de direction définissant la politique de l'organisation, il a été proposé d'agir comme un parti, afin d'organiser le travail des militants de DSA et de leur fournir un soutien. Une proposition visant à imposer un certain type de responsabilité ou de discipline sur les "élus", cependant, a échoué. La question de la sortie du Parti Démocrate, qui n'a jamais suscité l'intérêt des "élus" de DSA, est tombée en poussière avant même le congrès et a pratiquement disparu de la discussion. D'autre part, il y a eu un intérêt renouvelé pour la création d'une nouvelle organisation de masse avec sa propre identité qui serait parallèle au parti lui-même et, pourrait, dans le cas des élections au Congrès et dans la plupart des assemblées législatives d'État, rivaliser avec le caucus démocrate pour la désignation de ses candidats. Compte tenu du déséquilibre institutionnel et financier initial de pouvoirs entre DSA et cette nouvelle organisation, et du fait que les questions de stratégie électorale dépendent de la direction du parti et non de cette nouvelle organisation envisagée ; il n'est pas difficile de prévoir quelle organisation a l'avantage sur l'autre.

Cette idée semble avoir été introduite pour la première fois par Jared Abbott et Dustin Guastella en 2019, Bien que l'idée d'une telle organisation ait été proposée en détail sans le terme par Seth Ackerman en août 2016. (9) Les dates sont importantes. C'est juste après le défi couronné de succès de Sanders et l'élection en 2018 de quatre membres de « la brigade ». Si un projet électoral aussi ambitieux pouvait avoir une opportunité de développement, c'était certainement au cours des premières années d'élan qui ont suivi la campagne électorale de Sanders entre 2015 et 2017, l'élection de « la brigade » en 2018, et la croissance initiale de DSA. Les membres de DSA élus entre 2018 et 2020, sans le soutien desquels un tel projet ne serait pas crédible précisément parce qu'il s'agit d'un projet électoral centré sur le Parti démocrate, n'ont jamais manifesté d'intérêt pour un tel type d'organisation fondée sur une base militante. Au lieu de cela, ils se sont contentés du caucus des membres progressistes du Congrès, le CPC, d'ONG non lucratives, de campagnes pilotées par des personnels salariés, comme JD et « Our Revolution », et de collecteurs de fonds numériques telles que ActBlue qui facture ses services ou Middle Seat qui réalise son propre profit. Et maintenant, l'élan est perdu, la crise a commencé, et les partisans potentiels d'une organisation de masse, parmi les titulaires actuels de postes de gauche au Congrès, sont étroitement alliés avec la direction du parti.

Comment sortir de ce désordre

La crise de la politique électorale (et bien plus encore) ne peut être résolue ou transcendée par un électoralisme "tactique" dans un parti démocrate de plus en plus autoritaire et impopulaire. "Continuons simplement à agir plus fort" fonctionne rarement en pleine crise, surtout quand cette activité fait partie du problème. Comme cela a été le cas tout au long de l'histoire des États-Unis, notamment dans les années 1850-1860 (esclavage), 1890 (populisme agraire et ouvrier), 1930 (travail), 1950-1960 (droits civiques, libération des opprimés, et soulèvements de la base), il a fallu des bouleversements sociaux de masse pour desserrer l'étau des classes dirigeantes sur la politique et réduire les barrières à tout progrès social et politique. Le besoin criant est celui d'un mouvement de la classe ouvrière durable et complet avec les syndicats, des organisations des opprimés, Des expressions politiques indépendantes tant dans les communautés que sur les lieux de travail pour faire les premiers pas vers un nouveau parti de la classe ouvrière. Tout cela doit venir d'abord et avant tout des racines du pouvoir de classe qui se trouvent dans la production de biens et de services. Dans cette tâche apparemment écrasante, les socialistes ont maintenant un couple de choses qui vont en leur faveur.

Le premier est la montée bien documentée de l'action syndicale et ouvrière. Ce n'est pas encore la poussée nécessaire pour sortir de l'impasse, mais c'est un mouvement dans la bonne direction. De plus, contrairement à la politique électorale, la grande majorité des États-Unis l'apprécie favorablement. Le soutien aux syndicats a augmenté depuis 2017, passant de 56 % en 2016 à 61 % en 2023. Gallup a rapporté qu'il avait atteint 71 % en 2022, puis était tombé à 67 % mais je crois que cela est dû à un hasard statistique. Le bond à 71 % en 2022 était entièrement dû à un bond soudain et suspect de neuf points de pourcentage dans l'approbation républicaine des syndicats, de 47 % en 2021 à 56 % en 2022. Il est ensuite retombé à un niveau plus typique pour les Républicains de 47 % en 2023, portant la moyenne globale à 67 %. Cela donnait l'impression qu'il y avait eu une baisse importante du soutien aux syndicats en 2023, mais rien ne permet de le croire.

Tout d'abord, la baisse rapportée par Gallup en 2023 n'était certainement pas due à une réaction contre les grèves. Le même sondage Gallup a titré une section "Les Américains favorisent les travailleurs dans les conflits du travail" et montre qu'en 2023, de grandes majorités soutiennent les travailleurs de l'automobile contre les entreprises (75 %), frappant les auteurs de films et de télévision par 72 %, et les acteurs par 67 % contre leurs employeurs. Un sondage Reuters/Ipsos réalisé en septembre lors de la grève de l'UAW des travailleurs de l'automobile de Detroit a montré que 58 % des travailleurs soutenaient les grévistes. Un sondage conjoint du 21 au 25 septembre du groupe de stratégies mondiales / GBAO a révélé que 76 % des entreprises soutenaient l'UAW contre les sociétés automobiles, Un sondage de CNN du 4 au 9 octobre a révélé que 76 % des sondés étaient d'accord avec les grévistes et seulement 23 % avec les compagnies.

D'autre part un sondage AFL-CIO d'août 2023 réalisé auprès des électeurs inscrits avec un échantillonnage d'électeurs de moins de 30 ans, d'électeurs d'origine asiatique et de syndiqués, " un échantillon assez différent que le sondage aléatoire sélectionné par Gallup, 71 % des interrogés approuvent les syndicats. Ce nombre montant à 88 % parmi les moins de 30 ans et à 91 % parmi les Démocrates. En plus de cela, 75 % des travailleurs soutiennent la grève, 93 % pour les Démocrates et 90 % pour les moins de 30 ans. Même en tenant compte des biais dans l'échantillon, cela révèle un fort soutien aux syndicats et aux grèves dans les principales circonscriptions. Selon tous les indicateurs des sondages de Gallup, Reuters/Ipsos, GSG/GBAO, AFL-CIO et CNN, un nombre croissant de résidents américains pensent que les syndicats sont une bonne façon d'améliorer leur vie, même s'il faut une grève pour le faire, et généralement seulement moins d'un quart soutient le capital contre les travailleurs. Comme nous l'avons vu, cela contraste fortement avec ce que la majorité pense de la politique, des politiciens et du parti démocrate en particulier. Cela inclut Biden, dont l'approbation a atteint 37 pour cent en septembre, tandis que celle de sa gestion de l'économie est tombée à 30 pour cent, selon le sondage Washington Post-ABC.

Le contraste ainsi que le calendrier sont frappants ! Sans doute Biden ou ses conseillers l'ont remarqué, ce qui est une des raisons pour lesquelles le président s'est présenté à un piquet de grève de l'UAW dans le Michigan en septembre. Si les démocrates ont besoin des votes suburbains aisés pour gagner une majorité au Congrès, Biden a besoin des syndicats et du vote des ouvriers pour espérer l'emporter dans les États incertains du Middle West. En fait, Biden n'est pas nouveau quant à l'utilisation politique des piquets de grève au moment des élections. Lors de la grève de GM en 2019, Bloomberg (23 septembre 2019) a rapporté que lorsque les primaires présidentielles ont décollé en septembre, le candidat Biden s'est joint aux membres en grève de l'UAW dans une usine de GM à Kansas City. Le même jour, Elizabeth Warren avait également participé à un piquet de grève à l'usine GM de Detroit-Hamtramck.

Comme l'ancien conseiller de Clinton, Paul Bledsoe, l'a récemment déclaré à Politico au sujet des élections de 2024 : "D'ici le jour des élections, il doit se tromper du côté du travailleur et du consommateur. C'est la politique de notre époque." Et après ça ? Eh bien, Biden consulte régulièrement la PDG de GM Mary Barra sur l'avenir de l'industrie automobile, qui a visité la Maison Blanche huit fois depuis que Biden est entré en fonction, selon Politico (19 septembre 2023). Un jour pour les travailleurs, huit jours pour le patron. C'est aussi la politique de notre époque.

Bien sûr, l'appui de l'opinion publique ou les apparitions présidentielles ne gagnent pas à elles seules des grèves ou n'apportent pas de succès aux défilés et manifestations. . Cela nécessite une organisation et une lutte de classe directe. Bien que les socialistes ne puissent pas créer eux seuls le mouvement ils ont souvent joué un rôle de premier plan dans le développement et même la direction de la lutte des classes aux États-Unis et dans le monde entier. Même à notre époque, les socialistes ont aidé à mener des actions de masse, depuis le mouvement des enseignants en 2018 jusqu'aux organisations de base d'enseignants, de chauffeurs routiers, d'ouvriers, et d'autres, ainsi que les efforts pour organiser Amazon, et plus encore. Ce sont des mouvements dans lesquels les travailleurs participent collectivement et directement et ressentent leur pouvoir, quelque chose que l'on ne ressent plus clairement dans la politique électorale actuelle.

L'accélération du conflit de classe en mouvement, ainsi que sa popularité croissante, est une invitation et un défi pour le mouvement socialiste actuel aux États-Unis à se joindre à nous et à faire une différence. C'est ainsi que nous inspirons les gens à agir, à briser le cynisme et le fatalisme causés par la réalité de la politique électorale dominante, et à aider les gens à changer eux-mêmes afin de changer le monde "d'en bas" et peut-être même à créer un nouveau type de politique démocratique (avec un petit d) de la classe ouvrière aux États-Unis.

Hiver 2024, publié par New Politics, traduit par Jean-Claude Vessillier.

1. Moody, « Enlisé dans la boue. Plongeant à droite : 2022 Midterm Elections », Against the Current (223, mars/avril 2023), p. 25.
2. Même le taux d'élection des membres de DSA aux conseils municipaux, de loin le moins cher et le plus facile à gagner, a ralenti. Sur les 95 titulaires actuels de ces fonctions, à l'exclusion des maires, 29 ont pris leurs fonctions en 2022 et seulement neuf en 2023. Wikipedia, « Liste des socialistes démocrates d'Amérique en fonction publique », dernière édition le 23 octobre 2023.
3. Kim Moody, « The “Class Ceiling” : Political Money and the Primary Election », Spectre (numéro 6, automne 2022), p. 38-45.
4. Sauf indication contraire, tous les chiffres sur le financement des élections proviennent d'OpenSecrets.org et la plupart des données électorales proviennent de Ballotpedia ou des sites Web des candidats.
5. Moody, « Enkisé dans la boue », 26.
6. Moody, « The Class Ceiling », p. 37-38.
7. Pew Research Center, Americans' Dismal Views of the Nation's Politics (19 septembre 2023).

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Le Texas, terrain d’expérimentation pour le plan d’expulsion de migrants voulu par Trump

17 décembre 2024, par Arelis R. Hernández, Molly Hennessy-Fiske — , ,
Les élus républicains texans ont tenu à fait de leur État un “modèle” en matière de lutte contre l'immigration. Ils comptent bien jouer un rôle de premier plan dans la (…)

Les élus républicains texans ont tenu à fait de leur État un “modèle” en matière de lutte contre l'immigration. Ils comptent bien jouer un rôle de premier plan dans la politique d'expulsion massive des immigrés clandestins annoncée par le futur président, souligne le “Washington Post”.

Tiré de Courrier international. Article publié en anglais dans le Washington Post. Dessin de Ramsès, Cuba.

Alors que les opposants à Donald Trump dénoncent le plan d'“expulsions massives” annoncé par le futur président, les élus républicains du Texas font tout pour faire de leur État la rampe de lancement de cette politique.

Le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, et d'autres officiels de l'État ont passé les quatre dernières années à se positionner en principaux opposants à la politique migratoire de Joe Biden et à poursuivre la campagne de répression aux frontières lancée par Trump pendant son premier mandat. Bien qu'ils ne disposent d'aucune autorité constitutionnelle en la matière, ils ont usé de tout l'arsenal à leur disposition pour intensifier drastiquement les mesures et les lois anti-immigrés à l'échelle locale et défendre l'application de ces mesures à l'échelle nationale.

Ainsi, ils ont injecté 11 milliards de dollars dans l'opération Lone Star, menée par Greg Abbott, qui visait à renforcer les frontières, à acheminer les demandeurs d'asile en bus jusqu'à des États distants [et gouvernés par des démocrates] et à cibler les organisations qui prenaient leur défense. Autant de mesures en profonde rupture avec le “conservatisme compassionnel” des républicains texans qui, il fut un temps, accordaient des bourses aux étudiants sans papiers et facilitaient l'accueil de milliers de réfugiés.

“Les dirigeants du Texas veulent construire un modèle de politique migratoire extrêmement dure et cruelle, qui puisse être repris par le gouvernement fédéral”, analyse Daniel Hatoum, avocat de l'association Texas Civil Rights Project. “Le Texas n'attend qu'une seule chose : que le gouvernement Trump coopte ses institutions pour appliquer sa politique antimigrants.”

Le “tsar des frontières”

Ce message était d'ailleurs au cœur du discours de Greg Abbott prononcé le 26 novembre aux côtés de Thomas Homan, futur “tsar des frontières” de Trump, lors d'une visite à la base militaire frontalière d'Eagle Pass. L'année dernière, cette localité s'est retrouvée en première ligne du conflit opposant le gouverneur du Texas, qui dénonçait une “invasion” record de migrants, et l'administration fédérale.

“Le changement est en marche”, a annoncé le gouverneur aux soldats de la garde nationale du Texas et aux membres des forces de l'ordre réunis pour un repas de Thanksgiving. Les officiels texans se concertent déjà avec l'équipe de transition de Trump au sujet de la sécurité aux frontières sur “les actions, la planification, les dispositifs”, a-t-il ajouté.

Depuis l'élection du 5 novembre, les gouverneurs de certains États ont laissé entendre qu'ils pourraient réduire le financement de la sécurité frontalière, d'autant plus si le gouvernement fédéral prend le relais. C'est tout le contraire de ce que prévoient Greg Abbott et Tom Homan, qui veulent augmenter les fonds consacrés à la lutte anti-immigration.

Une fois que Trump aura pris ses fonctions, Greg Abbott l'assure :

  • “Nous allons faire davantage, et plus vite, que tout ce qui a été fait auparavant pour reprendre le contrôle de nos frontières, rétablir l'ordre dans nos communautés et identifier, localiser et expulser les criminels qui ont passé la frontière.”

Tom Homan, qui occupait déjà le poste de directeur de l'ICE, agence chargée du contrôle des frontières et de l'immigration, pendant le premier mandat de Trump, ne tarit pas d'éloges à propos de l'opération Lone Star et de son “succès sans précédent”. Il envisage d'adopter une approche similaire à l'échelle nationale :

  • “C'est un modèle que nous pouvons appliquer à l'ensemble du pays.”

Plus à l'est, dans la vallée du Rio Grande, la commissaire à l'aménagement du territoire du Texas, Dawn Buckingham, s'est rendue devant le tronçon de mur de 82 kilomètres érigé le long de la frontière avec le Mexique sans aucune aide fédérale. À cette occasion, elle a annoncé la création de l'“initiative Jocelyn”, du nom d'une jeune fille de 12 ans assassinée cette année à Houston par des immigrés vénézuéliens qui avaient franchi illégalement la frontière. Cette initiative mettra à disposition plus de 500 hectares de terres publiques pour accélérer l'expulsion des “clandestins criminels”.

“Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider le futur gouvernement”, a-t-elle déclaré, avant d'ajouter : “Si vous avez besoin d'un terrain et d'infrastructures pour assurer l'expulsion de criminels violents, nous avons déjà identifié plusieurs propriétés adéquates et pouvons rendre cela possible dès le premier jour du second mandat [de Trump].”

En effet, le Texas dispose de vastes terrains, mais aussi de lieux de détention pour y rassembler les immigrés le temps de décider de leur sort. Cela dit, l'économie texane dépend fortement de la main-d'œuvre sans papiers, en particulier les secteurs en plein essor comme la construction, l'agriculture et les services, une question sciemment ignorée par les républicains comme Tom Homan.

Un État sous contrôle total des républicains

Mark Krikorian, directeur du Center for Immigration Studies [un think tank anti-immigration], s'attend à ce que le Texas soit au cœur des expulsions de masse de Trump pour plusieurs raisons : “Cela va au-delà des immigrés qui ont franchi la frontière ces derniers temps : il faut considérer l'ensemble de ceux qui sont arrivés ces quatre dernières années et qui se trouvent en grande partie au Texas”, commente-t-il. Des aspects logistiques entrent également en jeu : pour les immigrés mexicains et sud-américains arrêtés ailleurs dans le pays, “le sud du Texas est l'endroit le plus proche de là où on veut les renvoyer”.

La question politique ne doit pas non plus être négligée : le Texas est le seul État frontalier où les républicains disposent de la majorité au parlement local et contrôlent les principales instances étatiques, dont le poste de gouverneur.

Lors des derniers tours de vis migratoires – qui s'étaient traduits par la politique de séparation des familles de migrants à la frontière pendant le mandat de Trump, et par la rétention de familles de migrants pendant celui de Barack Obama –, les autorités du Texas ont bâti des infrastructures gigantesques pour détenir temporairement toutes ces personnes.

Or, “il est beaucoup plus facile de dépoussiérer et de réutiliser des installations qui existent déjà”, résume Mark Krikorian.

Le recours à l'état d'urgence

En 2021, excédé par le président Biden, qu'il jugeait incapable de sécuriser la frontière, Greg Abbott a décrété l'état d'urgence. Cette disposition lui a permis de contourner certaines lois et normes environnementales et de délier les cordons de la bourse pour lancer l'opération Lone Star. Il a amassé à la frontière des soldats de la garde nationale du Texas et des policiers, et installé barrières flottantes et barbelés. Il a aussi affrété des bus afin d'acheminer quelque 120 000 demandeurs d'asile depuis la zone frontalière vers des villes démocrates aux quatre coins du pays.

Le Texas a aussi créé un appareil de justice pénale destiné aux immigrés qui enfreignent les lois de l'État, a construit de nouveaux centres de rétention et libéré des milliers de places dans trois prisons d'État pour y placer des migrants, puis jugé et expulsé massivement ces détenus. L'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a porté plainte l'année dernière au nom de plusieurs migrants. “L'opération Lone Star a un bilan dramatique en termes de droits humains”, dénonce Cody Wofsy, de l'ACLU.

Plus tôt cette année, Greg Abbott a adopté un décret qui oblige les hôpitaux publics à interroger les patients sur leur statut migratoire et à signaler le montant de tout soin prodigué à une personne présente illégalement sur le territoire. Une autre mesure inscrite à l'ordre du jour de la prochaine session parlementaire permettrait aux forces de l'ordre de prendre les empreintes digitales des enfants en situation irrégulière et de les stocker dans une base de données, ce qui pourrait permettre de leur restreindre l'accès à l'école publique.

“La cruauté est le but recherché”

“Cela fait des années que nous essayons en vain de tirer la sonnette d'alarme sur ce qui se passe au Texas”, déplore Victoria Neave Criado, élue démocrate à la Chambre des représentants de l'État : “Militariser la frontière, attiser la peur et semer le chaos dans nos communautés ne fera pas du Texas un endroit plus sûr.”

C'est à Eagle Pass que le durcissement est le plus palpable. La garde nationale du Texas y a pris possession du parc municipal en bordure du Rio Grande pour y établir son QG, puis a restreint l'accès au fleuve. Au Texas, l'argent du contribuable a donc servi à payer des contractants pour bâtir cette nouvelle base militaire baptisée Camp Eagle, et à financer les patrouilles de soldats le long de la frontière. Cette présence militaire n'a pas décliné malgré le durcissement du droit d'asile par le gouvernement Biden et le renforcement des actions menées par la police mexicaine aux frontières.

Amerika Garcia Grewal organise tous les mois une veillée pour les migrants morts en traversant la frontière. Selon elle, les autorités du Texas ont trouvé comment monétiser la souffrance et se servent de sa communauté comme d'un terrain d'expérimentation. “La cruauté est le but recherché, assure-t-elle, c'est un business très lucratif.”

Molly Hennessy-Fiske et Arelis R. Hernández

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« Manif » immigration le 30 octobre : Instrumentalisation ?

17 décembre 2024, par Germain Dallaire — , ,
Parler de l'immigration comme un sujet sensible est un euphémisme. Le qualificatif d'explosif conviendrait peut-être mieux surtout à un moment où la question de l'indépendance (…)

Parler de l'immigration comme un sujet sensible est un euphémisme. Le qualificatif d'explosif conviendrait peut-être mieux surtout à un moment où la question de l'indépendance revient dans l'actualité. Ce caractère explosif crée un terrain favorable aux manipulations de toute sorte. Le 30 novembre dernier, la Presse Canadienne sous la plume de Caroline Chatelard publiait un article substantiel d'une quinzaine de paragraphes sous le titre « Des immigrants dans la rue pour protester contre les gels de programmes d'immigration ».

Germain Dallaire

L'article a été repris intégralement par Le Devoir, La Presse, Radio-Canada ainsi que des journaux locaux. La lecture de cet article soulève des questions importantes compte tenu du traitement avantageux dont il a fait l'objet.

L'article relate une « manifestation » qui s'est tenue le 30 octobre dernier devant le bureau montréalais du Ministère québécois de l'immigration, de la Francisation et l'Intégration. J'écris manifestation entre guillemets parce qu'à aucun moment dans l'article il n'est fait mention du nombre de personnes présentes. Seule indication, l'article parle de « petite troupe multiculturelle ».

Cette « manif » était organisée par un organisme répondant au nom OEQNA pour On Est Québécois Nous Aussi, organisme de défense des droits des immigrants. L'article rapporte les paroles de la présidente Claire Launay ainsi que deux personnes immigrantes. Comme le titre l'indique, la « manif » visait à dénoncer le gel des programmes d'immigration. Les deux paliers de gouvernement sont mentionnés. Première question, pourquoi ne pas donner le nom de On Est Canadiens Nous Aussi ?

Dans l'entrevue, la présidente va jusqu'à dénoncer le gel récent du programme de contrat fermé à Montréal pour certaines catégories d'emploi. Curieux quand même venant d'un organisme qui se donne pour mission la défense des personnes immigrées. Rappelons simplement que par deux fois déjà, un rapporteur de l'ONU a décrit ce programme comme de l'esclavage moderne.

Le monde merveilleux de Google étant ce qu'il est, les choses se précisent en faisant une recherche concernant la présidente Claire Launay. On y apprend qu'elle a un CV très impressionnant. Après avoir travaillé pour la firme d'affaires publiques Navigator, elle a joint Force Jeunesse en 2020 pour en devenir directrice générale. Navigator est rien de moins que « la première entreprise canadienne de gestion, d'enjeux et de communication stratégique ». Une sorte de McKensie de ce monde. Force Jeunesse est un organisme qui travaille fort à l'intégration des jeunes professionnels dans les conseils d'administration et les postes de direction des entreprises.

Le moins qu'on puisse dire est qu'on est loin ici du profil classique du groupe communautaire rassemblant des gens mal pris qui tirent le diable par la queue pour s'organiser. La couverture de presse est à l'avenant. Petite comparaison : en fin de semaine se sont tenues des manifestations dans sept villes du Québec rassemblant en tout 3 à 400 personnes pour protester contre le projet de loi 69. Ni Le Devoir, ni La Presse, ni Radio-Canada (national) en ont parlé. Ni la Presse Canadienne naturellement. Il faut dire que cette dernière appartient en bonne partie à Power Corporation et que la fille de Desmarais est très impliquée dans le projet Tess Canada, un des principaux bénéficiaires potentiels de ce projet de loi.

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Chaos Ou un futur dystopique aux portes enflammées de l’Apocalypse

17 décembre 2024, par Gaétan Roberge — ,
 Selon la revue Science, la planète Terre s'approche dangereusement de cinq points de bascule qui provoqueront des perturbations climatiques majeures risquant ainsi de créer (…)


Selon la revue Science, la planète Terre s'approche dangereusement de cinq points de bascule qui provoqueront des perturbations climatiques majeures risquant ainsi de créer un terrible et incontrôlable effet domino.

Soit la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, celle de l'Antarctique Ouest, le dégel brusque du pergélisol boréal, la mort des récifs coralliens de basse latitude et finalement, la perte des glaciers montagneux qui représentent les sentinelles des changements climatiques. Précisons que le dégel du pergélisol entraînera la délocalisation de milliers de personnes qui perdront non seulement leur habitat et leur territoire, mais leurs identités et leurs traditions. Nous subirons également les émanations de quantités astronomiques de CO2 et de méthane – le méthane possédant un pouvoir de réchauffement plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone – augmentant les GES dans l'atmosphère et modifiant non seulement nos modèles météorologiques, mais surtout nos modes de vie.

Dès 1988, trois scientifiques, James Hansen, Makiko Sato et Reto Ruedy avaient pourtant sonné l'alarme en faisant la première déclaration publique importante ayant trait au réchauffement de la planète. Ils annonçaient au monde – preuves à l'appui – que nous nous dirigions vers une « nouvelle frontière climatique » avec des conséquences désastreuses pour le climat de la planète et que des catastrophes matérielles et surtout humanitaires sans précédent s'en suivraient. Le monde allait brûler et se noyer à la fois si nous ne faisions rien. Et depuis ? Quelle perte de temps et surtout quel impardonnable, voire criminel gâchis causé par les tergiversations de nos dirigeants, les fourberies des lobbys climatosceptiques et par une certaine incrédulité des populations ! Ne nous le cachons pas, c'est en raison de notre déni et d'une certaine turpitude si de graves et imprévisibles bouleversements climatiques et leurs effets cataclysmiques pour l'environnement et notre survie continueront de se produire et qu'ils iront en s'amplifiant.

Deux erreurs ont été commises au départ, soit de n'avoir pas su mieux informer et impliquer immédiatement les populations et d'avoir privilégié, sur le tard, des mesures dites d'adaptation aux changements climatiques – discours que nous tenons encore aujourd'hui – plutôt que de s'attaquer frontalement et collectivement aux véritables causes directes et indirectes responsables de tous ces bouleversements si dévastateurs et meurtriers. Ces perturbations climatiques qui affectent dorénavant tous les coins du globe et de manières fort inégales, mais surtout injustes pour les populations vulnérables touchées et qui s'avèrent pourtant très peu responsables des désordres davantage générés par les États riches qui s'entêtent à perpétrer leur mode de vie : « steak, blé d'inde, char ». Les pays en développement ainsi touchés se sentent floués, humiliés et désespérés de devoir sans cesse batailler, voire quémander afin de recevoir de justes et indispensables contributions financières – et non pas des miettes offensantes et irresponsables à l'image de la récente COP 29 – pour réparer les dévastations subies, mais surtout pour s'y prémunir et sauver l'habitat et la vie de millions de personnes gravement menacées.

Nous vivons actuellement sous respirateur artificiel dont le courant pourrait venir à manquer et nous ne sommes pourtant pas sans savoir qu'aucune civilisation n'est durable sans un climat stable. Toutefois, si nous nous entêtons à nier et minimiser les évidences et à sans cesse concocter des cocktails de solutions factices, provisoires et insuffisamment globales, notre monde présent s'exposera davantage à des vagues déchirantes et violentes de réfugié-e-s climatiques et économiques littéralement aux abois ainsi qu'à de tragiques et meurtriers conflits entre nations.

Nous assisterons aux pillages de biens et de ressources, à l'augmentation du surendettement éhonté des nations ainsi qu'à l'effondrement problématique de systèmes politiques et économiques. Des sociétés imploseront entraînant des épisodes dramatiques de guérillas urbaines accompagnées de tentatives de corruption, de campagnes d'extorsion et allant même jusqu'à des scènes de pillages et de tueries sanguinaires – la situation affligeante qui prévaut actuellement en Haïti en est une tragique illustration –. Il s'en suivra une détérioration angoissante des rapports humains alimentant de dramatiques éclosions de racisme et de xénophobie, une aggravation de la pauvreté, de la misère et l'apparition d'épidémies et même de pandémies. Nous assisterons à la montée en puissance de la propagation gangréneuse de trois virus. Tout d'abord, la tonitruante et désastreuse bouffonnerie diplomatique des rondes des Conférences des Parties (COP) accouchant de duperies et de lamentables échecs institutionnalisés dans l'atteinte réelle des cibles climatiques mondiales. Quant au second virus, soit le marchandage et le pelletage en avant ainsi que les ruptures d'engagement dans les mises en œuvre des accords internationaux. Puisque le prochain Gouvernement américain du vautour Trump entend éventuellement se retirer de l'Accord de Paris, de 2015, sur le climat. Quant au Canada – le quatrième plus grand producteur de pétrole brut et cinquième plus grand producteur de gaz naturel –, il s'illustre à merveille dans un double-jeu en adhérant à des accords de réduction des GES, mais en ne respectant jamais ses propres cibles et tout en continuant de subventionner à coup de milliards de dollars la tirelire déjà bien garnie des riches transnationales productrices du pétrole le plus sale et destructeur pour l'environnement, soit celui des sables bitumineux de l'Alberta et dont l'immense étendue des déchets environnementaux est même visible de l'espace. Et finalement, la montée en flèche des dictatures, des autocraties et des oligarchies ouvertement et dangereusement imprégnées d'idéologies doctrinaires et fascistes. Il s'agit d'une véritable lame de fond de régimes autoritaires, d'autant plus que près des trois-quarts de la population mondiale vivent actuellement sous l'emprise de tels régimes. Des régimes dissimulés sous des allures d'un populisme de bon aloi, abonnés aux fumisteries, à la propagande haineuse, aux discours racistes et xénophobes, allergiques à la liberté d'expression, carburant arbitrairement à la « climatosceptie » et répressifs face aux actions climatiques. Fait à noter, on observe cette répression même à l'intérieur de sociétés déclarées démocratiques. Pour exemples, la réélection récente de Trump, personnage dangereux et chaotique, et chez nous au Québec, les pénibles et inhabituelles conditions de détention et de libération des activistes du pont Jacques-Cartier qui constituent un précédent inquiétant et portant frontalement atteinte aux droits fondamentaux des citoyens et citoyennes qui luttent en l'occurrence pour le climat.

Puis, nombre de pays et leur population ne cesseront de s'enfoncer dans les sables mouvants du chaos, de se nourrir de miettes rationnées et rassises, de boire les eaux contaminées et fangeuses du désespoir et de vomir jusqu'à la bile les mystifications, les actions contestables ainsi que les inactions condamnables, voire criminelles des États vis-à-vis les générations à venir. D'interminables et effroyables conflits et guerres de pouvoir, de territoire pour la mainmise de ressources vitales telles l'eau, la terre, l'énergie et la nourriture se produiront à une échelle planétaire. Les lois du nombre et de la survie des plus forts domineront sans partage les rapports humains et ceux des États anéantissant ainsi toute forme de compassion, de dialogue et de paix. Les sociétés perdront alors leurs précieux repères et des millions de personnes en souffriront et mourront. Quant aux survivantes, elles se retrouveront écorchées dans l'âme, le cœur tailladé en lambeaux de douleur et l'esprit désespéré par la tourmente déchirante des événements et risquant ainsi d'y voir sacrifier une large part de leur dignité et de leur humanité. – Nous sommes d'ailleurs au début de ce stade. –

Jusqu'à présent, nos systèmes d'alarme n'ont pas correctement été activés puisque nous avions délibérément choisi d'en retirer les piles afin d'empêcher un réveil trop brutal … Nous avons préféré à la place jouer à l'autruche avec la biodiversité et nous amuser à la roulette russe avec le climat. Mais à terme, si nous ne parvenons pas à stopper ces stratégies désastreuses de l'extractivisme à outrance, de la surexploitation du vivant, de la croissance sans fin, de l'accumulation compulsive de richesses et de la production de biens non essentiels et surtout sciemment frappés d'obsolescence ; les continents et leurs populations en porteront les profonds stigmates. Notre civilisation poubelle débordante d'illusions dorées et couronnée de son couvercle d'argent pourrait finir par se décomposer et encombrer les vallées de la désolation et les sommets de la misère pour ensuite s'effondrer avec fracas sur elle-même. Ainsi, nous serons donc parvenus en un court siècle et demi seulement à mettre en place les conditions favorables à l'apparition d'un terrible chaos nous propulsant à vitesse grand V au tragique et peut-être irréversible dénouement d'une éventuelle disparition.

Quant à la terre elle-même, notre passage n'évoquera pour elle qu'un bref, mais ô combien pénible épisode de sa grande et formidable aventure. Cependant, avec le temps qui s'écoule inéluctablement dans les espaces interstellaires de l'Univers, elle parviendra, comme elle l'a d'ailleurs toujours fait par le passé, à rétablir un nouvel équilibre afin de demeurer vivante pour des millénaires et poursuivre son périple au sein du singulier concert des planètes. Après tout, Gaïa cette étonnante planète azurine loge dans un coin de la Voie lactée depuis 4,543 milliards d'années et elle n'a jamais vraiment eu besoin de notre secours afin de poursuivre son évolution et survivre aux dangers. Hélas, nous n'avons jamais cessé de la surexploiter et d'abuser outrageusement d'elle, tout en bénéficiant des innombrables bienfaits dont elle nous a si généreusement gratifiés jusqu'à maintenant.

Relativement à notre inconduite, nous avons déjà commencé à payer un très lourd tribut et tout ce gâchis, qui aurait pourtant pu et dû être évité ou à tout le moins limité, claironne de jour en jour le prélude de notre agonie. À moins de modifier sans plus tarder nos modes de vie mortifères couplés à nos actions empreintes de réflexions sclérosantes et de tout tenter pour nous extirper des sentiers tortueux de la torpeur et nous débarrasser de nos obsessions mercantiles illusoires. Il nous faudra également faire preuve de bonne volonté afin d'endiguer nos vagues d'écoanxiété et ouvrir pleinement les volets de notre raison pour y laisser entrer des fragments de lumière salvatrice et oxygéner nos cœurs pour saisir le jour et protéger le souffle du vivant foisonnant dans nos multiples et complexes environnements. Et qu'en plus, nous balancions aux ordures les amoncèlements nauséabonds de supercheries composées de recettes improvisées – non biodégradables –, de solutions provisoires dites durables, mais qui s'avèrent en fait des bombes à retardement pour l'environnement ou des leurres anesthésiants aux factices couleurs verdoyantes à l'image de notre aveuglante et vrombissante ambition de remplacer 1,4 milliard de véhicules à moteur en circulation dans le monde par 1,4 milliard de gros VUS électriques alimentés aux piles au lithium. – Il n'y a pas de meilleure façon de jouer à pile ou face avec notre destin … – Ultimement, que nous décrétions le passage à la caisse, et non à tabac …, des États producteurs d'énergie fossile et des grandes entreprises pétrolières dégoulinantes de profits faramineux. Mais également, les tenant-e-s de l'évitement et de l'évasion fiscales ainsi que les 2 686 milliardaires qui parasitent le palmarès de la planète Forbes manifestant une certaine gloriole teintée d'indécente arrogance et trônant sans aucune honte sur leur fortune scandaleusement démesurée estimée à 14 000 milliards de dollars, en 2024, et en osant même pousser le bouchon jusqu'à nous faire la leçon.
– Pensons aux toquades et aux stepettes d'un Elon Musk qui vaut depuis peu 440 milliards de dollars et qui vient de se payer un président avec ses 270 millions de dollars de contribution et d'hériter du rôle de « désosseur » de l'appareil gouvernemental américain …
– Ainsi, en s'inspirant de la seconde guerre mondiale, nous désignerons cette mesure de « ponction salutaire » et non consensuelle sous l'appellation OPEG : « opération effort de guerre ». Au final, pour souligner cette campagne historique dans les annales de la duperie après avoir réussi à épingler tout ce « bon monde », au jour venu de la Tanksgiving, on épinglera sur leur Macdodue poitrine de dindon patriotique une mirifique médaille gratuite et en authentique toc soulignant leurs services obligatoires rendus à l'humanité et portant l'inscription : « In rich we don't trust ».

Nous aurons le devoir suprême de protéger la biodiversité et l'environnement ainsi que de poursuivre la lutte avec courage et détermination pour la sauvegarde des territoires afin d'épargner de la destruction les réalisations millénaires et les mirifiques beautés du monde actuel symbolisant tout l'amour et le génie d'environ 7 000 générations d'humains ; à savoir notre attachement individuel et collectif à notre patrimoine tant immobilier, mobilier qu'immatériel. Nous devrons également reconquérir nos territoires intérieurs dévastés par les torrents lénifiants de l'individualisme et corrompus par l'avidité et la cupidité afin d'y redécouvrir nos valeurs universelles abandonnées sur le bas-côté de l'humanité. Ainsi, nous devrons faire preuve de plus de justice et de sagesse, d'entraide et d'empathie, de tolérance, de partage de nos savoirs et de nos richesses, de solidarité accompagnée du devoir de loyauté les uns envers les autres et surtout du respect et de la protection des droits et libertés et osons l'espérer : de fraternité et d'amour. Finalement, face aux ouragans de plus en plus dévastateurs qui érodent et minent les côtes des continents ainsi qu'aux dévastations qui s'en suivent, submergeant nos cités, incendiant nos forêts et nos terres, nous devrons impérativement former une nouvelle Alliance durable, légitime et souveraine entre les États à l'image d'un nouvel Arche – nOé-NUsien – afin de sauvegarder tout ce qui doit et peut l'être encore.

L'humanité ne doit pas se laisser mystifier et aveugler par des « shows de boucane » et s'engager à l'aveugle dans des sorties de crise à la Dunkerque. Elle doit plutôt combattre ses démons intérieurs et vaincre ses servitudes, surtout celle de l'obsession de l'argent. Elle doit éviter de sombrer dans des réalités virtuelles bichonnées et tronquées de surcroît par l'IA, d'abandonner sa conscience et de se prendre les pouces dans les mailles mercantiles et tentaculaires des médias sociaux qui font souvent office de moulins à broyer la réalité pour en extraire de l'anxiété et de la désinformation en ligne. Nous ne devons nullement craindre d'inscrire la contestation à la source de nos idéaux, faire preuve de résistance face aux répressions et ultimement semer à tout vent les germes de l'espoir et les semences de l'espérance afin d'engendrer un monde nouveau et inclusif dans lequel tous et toutes auront non seulement le droit, mais aussi la possibilité de rêver la vie et même de créer leur propre vie. Un monde dans lequel la notion de « Droit au bonheur » serait enchâssée dans toutes les Chartes et les Constitutions. Nous devons nous attaquer aux inégalités sociales qui ne cessent de s'accentuer, mieux répartir les richesses et donner de l'espoir de vie, de l'oxygène de courage et la parole salvatrice aux peuples de la terre.

Il nous faut marcher vers la libération en ancrant l'être humain et principalement les enfants et les jeunes au centre même de l'existence et de nos aspirations. Modifier nos paradigmes décisionnels à courte vue en invitant la sagesse, les sciences et l'imagination à siéger au sein des arcanes du pouvoir pour y assiéger les seigneurs et les vassaux du capital avec leurs diktats arbitraires, bannir les enfirouapeur-e-s parachuté-e-s par les think tanks de tout acabit et maintenir en enclos les hordes galopantes et tonitruantes de lobbystes brandisseur-e-s d'épouvantails. Il nous faudra débusquer, puis pousser jusqu'au bas des marches du temple de la vie ces peddlers chimériques bardés de leurs attirails économiques, financiers et technocratiques, fourbis de leurs tirailleries militaires et enferrés dans leurs tiraillements idéologiques et religieux et qui nous ont habilement piégés jusqu'à maintenant par leurs fumisteries institutionnalisées et conduits tout droit et à nos frais jusqu'aux portes enflammées de l'Apocalypse.

Nous devons prendre la mesure de l'ampleur du péril car la situation planétaire n'a jamais été aussi critique. L'humanité court à sa perte puisqu'elle est en voie d'atteindre les points de bascule du non-retour. La cible de l'Accord de Paris vient d'ailleurs de fondre sous les rayons de l'indolence puisque l'observateur Copernicus nous apprend que le mois de novembre 2024 aura été le 16e des 17 derniers mois avec une température moyenne dépassant de plus de 1,5 °C de celle de la période préindustrielle et que nous nous acheminons vers une hausse d'au moins 2,6 °C. Nous assisterons alors à l'anéantissement de notre luxuriante biodiversité pendant que de terribles perturbations climatiques frapperont de plus en plus violemment aux portes de tous les continents et aux fenêtres de nos vies en n'épargnant rien ni personne. Pour nous et les générations futures, c'est tout comme si l'humanité venait de souscrire à l'aveugle un abonnement au chaos, à la destruction et aux souffrances et que celui-ci ne comportait malheureusement aucunes balises et date de terminaison.

Le temps qui nous incombe ne nous laisse guère d'alternative ; les glaciers millénaires s'évanouissent, le ciel et les océans se gonflent de colère, le pergélisol dégèle, la terre sombre inexorablement dans les inondations, les sécheresses – selon l'ONU, les trois quarts des terres mondiales sont plus sèches qu'il y a 30 ans – et les incendies et l'humanité s'effondre en agonisant de chaleur et de froid, de faim et de soif, de maladie, de conflits et d'injustice. Ainsi, après 2,8 millions d'années d'évolution et 300,000 ans après l'apparition de l'Homo sapiens, nous sommes malheureusement parvenus à cette croisée des chemins où nous devons réaliser que la programmation de l'obsolescence planétaire et le décompte de l'extinction définitive du Genre humain sont bel et bien amorcés et il n'appartient plus qu'à nous de les dégoupiller. Pour cela, tous les États doivent impérativement mettre fin à la convoitise, à la haine et aux guerres pour véritablement s'unir dans le dialogue, le respect et la paix afin de livrer l'ultime combat pour la suite du monde et à la gloire des humains ! Nous avons une obligation ultime de résultat et devons absolument nous convaincre que tout est possible et qu'ensemble, mais ensemble seulement, nous pouvons y parvenir.

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Albert Camus

Ainsi, en plus du péril nucléaire planétaire dont faisait référence Camus lors dans son discours de réception du Prix Nobel de littérature, le 10 décembre 1957, nous sommes maintenant confrontés à un second et gravissime péril, soit celui du péril climatique. Malheureusement, je serais même tenté d'en ajouter un troisième à la liste, soit l'arrivée d'une nouvelle présidence américaine qui n'augure rien de bon, mais absolument rien de bon pour l'avancement de nos luttes vers un meilleur monde … En terminant, prenons acte que ce n'est assurément pas en laissant les ultra-riches implanter leurs petits pénates pantouflards sur le sol de la Planète rouge que nous sauverons les peuples qui veulent continuer de vivre dignement et en harmonie sur notre unique et extraordinaire véhicule céleste.

Gaétan Roberge, Père de deux filles, d'un petit-fils et citoyen du monde - Décembre 2024

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La chaîne tordue

17 décembre 2024, par Jean-François Delisle — , ,
Tout le monde en Occident a applaudi la chute du régime sanguinaire du Parti baas dirigé par le dictateur Bachar-al-Assad le 8 décembre dernier, une divine surprise pour les (…)

Tout le monde en Occident a applaudi la chute du régime sanguinaire du Parti baas dirigé par le dictateur Bachar-al-Assad le 8 décembre dernier, une divine surprise pour les responsables occidentaux. Les chancelleries occidentales ont salué sa déchéance et ont fait mine de se réjouir de la libération du peuple syrien. Elles souhaitent évidemment, pour la forme, une succession démocratique et libérale pour les Syriens et Syriennes et surtout un gouvernement pacifique. On espère que le régime qui succédera à celui du Baas apportera de la stabilité à cette région du Proche-Orient.

Cette attitude n'est pas tout à fait insincère. Mais il faut souligner que le Syrie d'al-Assad formait un maillon majeur de ce qu'on a appelé "l'axe de la résistance" à Israël. En effet, le régime en place à Damas était très lié à celui de Téhéran qui approvisionnait par son intermédiaire en armes et munitions le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza. Maintenant que ce maillon est brisé, l'axe de la résistance s'en trouve très affaibli. Pour sa part, le Hezbollah a subi de durs revers sous les coups de boutoir de l'aviation israélienne. Par conséquent, le Hamas à Gaza est devenu isolé et plus vulnérable qu'auparavant, ce qui rend plus incertaine la prolongation de sa résistance. Les dirigeants américains en sont très conscients et ils incitent donc l'organisation révolutionnaire à tenir compte du nouveau rapport de forces qui vient de s'établir au Proche-Orient. Son approvisionnement en matériel militaire devient beaucoup plus modeste depuis que le régime Assad a disparu. Cela procure à Tel-Aviv un avantage appréciable que le cabinet Netanyahou souhaite décisif. Mais l'est-il vraiment ?

Les relations conflictuelles d'Israël avec certains de ses voisins (comme actuellement l'Iran son pire ennemi) n'aboutissent jamais à une paix globale et durable, vu l'expansionnisme territorial israélien en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. À court terme, l'État hébreu est sorti vainqueur de ces conflits avec eux, mais à long terme, les choses s'avèrent plus problématiques.

Tout d'abord, on ne peut prévoir la nature du régime qui succédera à celui du Baas ; sera-t-il intégriste, autoritaire, hostile à Israël ou au contraire libéralo-électoral ? En tout état de cause, il est loin d'être sûr, peu importe sa nature que ce régime adoptera une politique conciliante à l'égard de Tel-Aviv, d'autant qu'on remarque beaucoup de groupes intégristes parmi ceux qui ont renversé le régime de Bachar-al-Assad.

Ensuite, la population syrienne a encore sur le coeur les bombardements israéliens sur son territoire commis voici encore très récemment. Le nouveau régime, qui prendra sans doute encore bien du temps à s'établir hésitera beaucoup à normaliser ses relations avec Tel-Aviv, si jamais il s'y décide. Le gouvernement Netanyahou en menaçant d'adopter la ligne dure à l'endroit de la Syrie si une ou des "organisations terroristes" conquéraient le pouvoir ne fait qu'empirer la situation. La ligne dure comporte ses limites, comme le prouve la résistance tenace du Hamas à Gaza, lequel n'est pas éliminé contrairement à ce que prétendent certains analystes occidentaux.

Mais on doit reconnaître que la chute imprévue du régime Assad constitue un revers d'importance pour l'Iran et le Hamas. Toutefois, ce n'est pas la première fois qu'on donne la cause palestinienne pour finie, mais elle rebondit sans cesse. Une révolution trouve toujours les moyens de se procurer des armes là où elle le peut. On en parle peu (vu que la guerre Gaza-Israël monopolise l'attention des médias) mais la résistance palestinienne en Cisjordanie s'intensifie, à cause de la politique répressive brutale du régime d'extrême-droite de Netanyahou.

Un gouvernement par ailleurs toujours plus contesté en Israël même et dont le premier ministre lui-même Benyamin Netanyahou fait l'objet de poursuites judiciaires dans son propre pays et en plus, avec son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, d'accusations devant la justice internationale.

Il s'agit là du dernier maillon, mais non le moindre de la chaîne politique régionale si tordue du Proche-Orient.

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Jean-François Delisle

Le STTP dénonce l’ordre de retour au travail, certains postiers veulent le défier

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/PXL_20241216_164013490-1024x576.jpg16 décembre 2024, par West Coast Committee
Alors que les postiers sont forcés de retourner au travail, le syndicat dénonce la mesure et certains travailleurs veulent la défier. L’article Le STTP dénonce l’ordre de (…)

Alors que les postiers sont forcés de retourner au travail, le syndicat dénonce la mesure et certains travailleurs veulent la défier. L’article Le STTP dénonce l’ordre de retour au travail, certains postiers veulent le défier est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

Le STTP dénonce l’ordre de retour au travail, certains postiers veulent le défier

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/PXL_20241216_164013490-1024x576.jpg16 décembre 2024, par West Coast Committee
Alors que les postiers sont forcés de retourner au travail, le syndicat dénonce la mesure et certains travailleurs veulent la défier. L’article Le STTP dénonce l’ordre de (…)

Alors que les postiers sont forcés de retourner au travail, le syndicat dénonce la mesure et certains travailleurs veulent la défier. L’article Le STTP dénonce l’ordre de retour au travail, certains postiers veulent le défier est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

Quelle tradition, monsieur Legault ?

16 décembre 2024, par Élisabeth Germain — , ,
« La tradition catholique il faut s'en rappeler. Ça fait partie de ce qu'on est », a déclaré le premier ministre en entrevue au Devoir. Selon François Legault, il ne « faut (…)

« La tradition catholique il faut s'en rappeler. Ça fait partie de ce qu'on est », a déclaré le premier ministre en entrevue au Devoir. Selon François Legault, il ne « faut pas être gênés » d'évoquer cette tradition dont les Québécois devraient être fiers.

Élisabeth Germain, 2024-12-07

Alors qu'il contemplait Notre-Dame des hauteurs du Centre Georges Pompidou, le premier ministre a estimé que « cette cathédrale veut dire beaucoup pour nos deux nations. Même si nos deux nations ont choisi la laïcité, il reste quand même quelque chose de cette tradition catholique. »

Eh oui, monsieur Legault, il reste quelque chose de cette tradition catholique.
Il reste vous savez quoi ? Des relents de paternalisme, des odeurs de curé contrôlant sa paroisse et les mœurs de ses ouailles, quelque chose comme un idéal de troupeau uni derrière son berger. Aujourd'hui, monsieur Legault, je trouve que vous jouez pas mal fort au berger. Pendant la Covid, votre paternalisme a pu être rassurant, et on s'est serré les coudes devant les difficultés. Mais ce temps où vous surplombiez la situation est terminé et on ne retournera pas à cette unité éphémère.

De qui, de quoi parlez-vous quand vous dites « notre Québec » ? Le Québec appartient à ceux et celles qui y vivent, qu'iels soient ici depuis un an ou cent ans. Nous ne sommes pas tous pareils, ni tous d'accord. La souche québécoise est une illusion. Si vous parlez de la tradition catholique, faites-le avec un grain de sel, car beaucoup de Québécois dits de souche en ont souffert amèrement. Comme mon grand-père, excommunié parce qu'il prônait l'école obligatoire jusqu'à 14 ans… Comme ma mère, comme les générations de femmes qui ont élevé des familles à n'en plus finir parce que le curé leur dictait de faire leur devoir conjugal et leur interdisait la contraception. Comme la honte et le rejet infligés aux « filles-mères », comme on les appelait.

Je n'en dis pas plus. Je conviens que l'église catholique a véhiculé des courants spirituels appréciables, mais dans l'ensemble, le dernier siècle du catholicisme (1850-1950) a été d'une étroitesse étouffante. Refusant les étrangers, les anglais, les juifs, les protestants, les non-catholiques, prêchant la pauvreté et l'ignorance, le clergé a façonné un ghetto québécois privé de la richesse des immigrants, des autres cultures, des autres façons de vivre. On y respirait un air de sacristie. Est-ce que c'est là que vous voulez retourner, avec votre tradition catholique ?

Nous avons créé de nouvelles traditions d'ouverture, d'accueil, de création et de dynamisme depuis les années 1960. Elles ne sont pas catholiques, et elles ne sont pas intolérantes. Ne recommencez pas à bâtir des murs d'orthodoxie, de valeurs québécoises, de protection, d'interdictions, de pouvoir mâle. En fait, vous avez déjà recommencé. Alors, stop ! Votre laïcité intolérante ressemble trop à la religion que nous avons laissée derrière. Reprenez plutôt le fil généreux et solidaire d'une (imparfaite) révolution tranquille que la droitisation néo-libérale des 40 dernières années s'acharne à tailler en pièces.

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LA CONSTRUCTION DE LA VIOLENCE, DE L’INJUSTICE PAR LES MINIÈRES AU MEXIQUE:Le film documentaire La garde blanche du cinéaste Julien Élie

16 décembre 2024, par Marc Simard
La construction de la violence, de l’injustice et la destruction des territoires par les minières canadiennes et américaines dans certaines zones rurales éloignés des grands (…)

La construction de la violence, de l’injustice et la destruction des territoires par les minières canadiennes et américaines dans certaines zones rurales éloignés des grands centres urbains au Mexique, c’est en partie ce que raconte le documentaire La garde blanche (2023) du réalisateur Julien (…)

Comptes rendus de lecture du mardi 17 décembre 2024

16 décembre 2024, par Bruno Marquis — , ,
La conquête de la Palestine Rachad Antonius Ce court essai a été publié il y a quelques mois, alors que le génocide des Palestiniens par l'État d'Israël était déjà en cours. (…)

La conquête de la Palestine
Rachad Antonius

Ce court essai a été publié il y a quelques mois, alors que le génocide des Palestiniens par l'État d'Israël était déjà en cours. Il clarifie opportunément la réalité historique en Palestine, qui en est une de conquête depuis une centaine d'années, et le rôle des pays occidentaux, à commencer par la Grande-Bretagne et les États-Unis, dans cette dépossession et l'élimination des Palestiniens. Un essai nécessaire pour rétablir les faits et contrer la propagande qui fait des victimes des bourreaux et des bourreaux des victimes, et qui permet à l'État d'Israël, avec le soutien des pays occidentaux, de violer impunément les droits humains et de poursuivre actuellement cet insoutenable génocide.

Extrait :

La fiction de la conformité au droit international a encore une fois éclaté lorsqu'elle a été confrontée à l'appui des puissances occidentales à la perpétuation du massacre, exprimé par une euphémisme : oui à un cessez-le-feu, mais sous certaines conditions. Il a fallu des mois et plus de 30 000 morts palestiniens pour que, finalement, le Canada demande timidement ce cessez-le-feu, et ce, sous les mêmes conditions que celles demandées par Israël. Ces conditions ont été exigées uniquement de la part du Hamas : libérer tous les otages israéliens. Sans exiger d'Israël le moindre engagement : ni celui d'une cessez-le-feu durable, ni celui de libérer les civils palestiniens emprisonnés sans accusation, ni celui de mettre fin au blocus de Gaza imposé depuis 2007, ni celui de laisser passer les vivres et l'aide humanitaire par voie terrestre. Telle est en effet la position du Canada, exprimée par sa ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, Mélanie Joly, lors de l'émission « Tout le monde en parle » à Radio Canada, le 7 avril 2024.

Robert Rumilly, l'homme de Duplessis
Jean-François Nadeau

Ce que m'avait rappelé la victoire de la Coalition avenir Québec (CAQ), en 2018, c'est ce vieux fond conservateur qui perdure, bien terré dans certaines régions du Québec. L'Action démocratique du Québec, la drôlement nommée, avait bien fait revivre un peu l'Union nationale de Maurice Duplessis, mais heureusement toujours en restant dans les marges. Cette fois, avec quelques carriéristes ou arrivistes bien sûr, voilà que cette vieille droite idéologique revient au pouvoir, revient nous hanter pourrait-on dire. « Robert Rumilly, l'homme de Duplessis », celle des biographies de Jean-François Nadeau que j'ai la plus appréciée, bien que j'aie bien aimé aussi « Bourgault » et « Adrien Arcand, führer canadien », nous fait revivre dans le détail cette période bien longue et bien sombre de notre histoire où cette droite exerçait le pouvoir. Pour l'historien Robert Rumilly, les idéaux de la Révolution française ont souillé la France. Il s'exile ainsi au Canada et, à compter de 1928, s'engage dans une activité intellectuelle frénétique qui a marqué son temps. On lui doit pas moins de quatre-vingt-onze livres, dont l'Histoire de la province de Québec en quarante-et-un volumes, que j'ai eu dans ma bibliothèque pendant plusieurs années, sans compter les brochures et les conférences. Écrivain donc prolifique, Rumilly se démarque aussi par son rôle de rassembleur infatigable des intellectuels de droite de son époque. Passionné par la politique, il organise des rapprochements entre des personnages comme Maurice Duplessis, Camillien Houde, Henri Bourassa, René Chaloult… et même Conrad Black. Son énergie est surtout, bien sûr, consacrée au service de l'Union nationale de Duplessis. Pétainiste impénitent, Rumilly accueille en Amérique des collaborateurs des nazis, à commencer par le célèbre Jacques Dugé comte de Bernonville. Jusqu'à la fin de sa vie, en 1983, il demeure fidèle à son maître Charles Maurras, l'idéologue de l'Action française. Somme toute, si l'on n'est guère enclin à aimer un type comme « Robert Rumilly », on aimera cependant bien sa biographie « Robert Rumilly, l'homme de Duplessis ».

Extrait :

La mort remonte à 1972. À Rio de Janeiro, au petit matin du 27 avril, on trouve le corps de Jacques Dugé, comte de Bernonville. Il gît, selon des témoignages, près d'un portrait du maréchal Pétain. De Bernonville, presque 75 ans, est mort par strangulation. On l'a garrotté, un supplice souvent utilisé dans l'Espagne de Franco, une dictature que de Bernonville a estimée presque autant que celle de Pétain.

Le mouvement masculiniste au Québec
Sous la direction de Méissa Blais et Francis Dupuis-Déri

Je vous recommande la lecture de ce bouquin fort instructif qui porte sur ce mouvement réactionnaire qu'est le masculinisme. Depuis quelques années, l'idée que les hommes vont mal gagne des adeptes. Cette prétendue crise de la masculinité aurait pour cause les femmes, et surtout les féministes, qui domineraient la société québécoise. Des partisans de la « cause des hommes » grimpent sur les ponts pour y déployer des banderoles, intentent des poursuites judiciaires contre des militantes, prennent la parole en commissions parlementaires, font du lobbyisme auprès d'institutions politiques, publient des livres et multiplient les attaques sur le Web. Certains vont même jusqu'à harceler des groupes de femmes…

Extrait :

Les remises de prix participent du processus d'héroïsation. Marc Lépine n'a pas reçu de prix, mais des saluts militaires. Durant les années 1990, des soldats du Régiment aéroporté de l'armée canadienne basé à Petawawa ont rendu cet hommage au meurtrier. Les demandes d'explication des députés de l'opposition au ministère de la Défense de l'époque n'ont pas empêché que certains de ces militaires obtiennent une promotion, ni qu'une seconde célébration en hommage à Lépine s'organise au même endroit, l'année suivante. Ces hommages rendus remplissent ici la même fonction que l'attribution d'un prix, à savoir qu'ils commémorent le tueur et confirment son statut de héros.

La grimace
Heinrich Böll
Traduit de l'allemand

Il y a peu de personnages, sauf peut-être certains personnages de Roger Martin du Gard, auxquels je me suis autant identifié qu'à celui de Hans dans « La grimace » d'Heinrich Böll. Ce roman est une virulente critique du catholicisme politique allemand des années 1960. Hans, jeune Allemand, a préféré devenir clown que de se complaire dans la société opportuniste, moralisatrice et oublieuse de l'époque. Un très beau et bon roman encore une fois. Très drôle aussi parfois.

Extrait :

Karl et Sabine se mettaient alors à discuter de ces opuscules et calendriers qui indiquent les périodes durant lesquelles une femme ne risque pas de se faire faire un enfant. Ce qui ne les empêchait pas de les mettre au monde l'un après l'autre. Il ne leur venait même pas à l'esprit que ces discussions pussent nous être pénibles, à Marie et à moi, qui n'arrivions pas à avoir d'enfant. Enfin, quand il était gris, Karl lançait force imprécations contre Rome, accumulant sur la tête du pape et des cardinaux les plus funestes malédictions ; et le plus ridicule de toute l'affaire, c'est que c'était moi qui prenait la défense du pape.

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De « Coule pas chez nous » à « Roule pas chez nous ». Une histoire de résistances

Les militant·es bas-laurentien·nes n'en sont pas à leur premier rodéo : l'industrie pétrolière canadienne reluque depuis longtemps ses berges et ses vallons pour y faire couler (…)

Les militant·es bas-laurentien·nes n'en sont pas à leur premier rodéo : l'industrie pétrolière canadienne reluque depuis longtemps ses berges et ses vallons pour y faire couler ou étaler du bitume. Comment une poignée de militant·es écologistes a-t-elle mis à genoux un géant de l'industrie ?

Au début des années 2000, le Bas-Saint-Laurent est à l'avant-plan de la lutte contre les mégaporcheries. Au Kamouraska, l'Union paysanne vient de voir le jour et mène une guerre de tranchées contre l'industrie porcine ! Elle réussira à éviter le pire en mobilisant toute une population effrayée à l'idée de voir cette industrie polluer l'air, le sol et l'eau si précieuse à la qualité de vie de celles et ceux qui habitent ce territoire.

À l'automne 2002, un peu plus à l'est sur la Rivière Trois-Pistoles, un groupe de personnes déterminées, dont je faisais partie, décide de s'opposer à la privatisation et au bétonnage de nos rivières en occupant le chantier de construction du barrage nuit et jour. À cette époque, près de 36 projets de petites centrales hydroélectriques privées devaient voir le jour et venir enrichir plusieurs des firmes d'ingénieurs qu'on a vues défiler à la Commission Charbonneau quelques années plus tard. Ce programme de petits barrages était en fait un bon moyen de venir remercier ces firmes qui enrichissaient les partis politiques par la technique des prête-noms. Ces derniers leur retournaient l'ascenseur en échange de petits cadeaux sous forme de projets énergétiques avec un prix d'achat garanti par Hydro-Québec Distribution.

Après une mobilisation citoyenne à la grandeur du Québec et la mise en place de la campagne « Adoptez une rivière », le gouvernement Landry refusait toujours de reculer. Par l'action directe, soit le blocage du chantier et son occupation pendant 40 jours par les militant·es écologistes, la médiatisation du dossier de la Rivière Trois-Pistoles prit une ampleur nationale. La pression populaire se fit sentir jusqu'à l'Assemblée nationale et le gouvernement n'eut d'autre choix que de mettre fin à ce programme de copinage déguisé en développement économique régional. Encore une fois, le Bas-Saint-Laurent était la figure de proue d'un mouvement national pour la protection du territoire. Des dizaines de rivières furent sauvées du bétonnage !

Cacouna et Trans-Canada : jamais deux sans trois

Au début des années 80, Trans-Canada a déjà dans ses cartons l'idée d'utiliser le port de mer en eau profonde de Gros-Cacouna comme port méthanier. Ce projet, complètement fou, avait même réussi à obtenir l'approbation du BAPE de l'époque, mais était finalement tombé à l'eau. Le projet qui comprenait une exploitation gazière dans le Grand Nord de l'Arctique était jugé trop risqué techniquement et financièrement pour aller de l'avant. En 2005, Trans-Canada est de retour à Cacouna avec Petro-Canada comme partenaire, et propose cette fois-ci d'importer du gaz russe liquéfié et de le transporter aux États-Unis par gazoduc.

La population locale est divisée : d'un côté, on s'inquiétait de la sécurité et de la protection du territoire ; de l'autre, on était attiré par les promesses d'un eldorado économique que faisait miroiter la compagnie. Le projet nommé à l'époque Énergie Cacouna recevra également le OK du BAPE et laissera beaucoup d'amertume chez les citoyen·nes de la municipalité qui, par un référendum serré, s'étaient positionné·es en faveur du projet. La persévérance des habitant·es de Cacouna qui s'opposaient à Trans-Canada aura toutefois permis d'éviter le pire en retardant le début de la construction du terminal méthanier. Ce délai fit en sorte qu'au début 2008, Gazprom annonce qu'il retire ses billes des projets Rabaska à Beaumont et d'Énergie-Cacouna en tant que fournisseur de gaz naturel, anéantissant les espoirs des promoteurs. La découverte du gaz de schiste aux États-Unis sera le prélude d'un gigantesque boom gazier qui rendra obsolète l'importation du gaz naturel provenant de Russie, évitant du même coup les deux éléphants blancs que seraient devenus ces ports méthaniers.

En 2013, lorsque Trans-Canada annonce son retour à Cacouna, cette fois pour construire un port pétrolier voué à l'exportation des sables bitumineux, la population locale est pour une troisième fois prise en otage. Dans la communauté, très peu de gens osent lever la main pour reprendre une autre bataille, car les cicatrices des luttes précédentes ne sont pas encore guéries. C'est alors que commence l'une des plus belles luttes environnementales de l'histoire du Québec, qui finira par faire plier bagage à ces cowboys de l'Ouest venus cavalièrement tenter de dérouler leur tuyau de bitume pour exporter leur pétrole sale à travers Cacouna.

Une large mobilisation

Depuis quelques mois déjà s'activait un groupe au Kamouraska qui militait contre le projet Énergie Est et son projet d'oléoduc à 14 milliards de dollars. Ce groupe deviendra l'initiateur du mouvement « Coule pas chez nous », qui ne tardera pas à faire des petits au Témiscouata et tout le long du tracé de l'oléoduc traversant le Québec. Le 10 mai 2014, lors du lancement de la campagne « Coule pas chez nous » à Cacouna, se met en branle simultanément la Marche des peuples pour la terre mère. Cette grande marche de sensibilisation réunit plus d'une centaine de marcheur·euses, qui, parti·es de Cacouna, termineront leur périple de 700 km 34 jours plus tard à Kanehsatake. Cette marche contribuera à renforcer le mouvement anti-oléoduc et à réseauter les activistes de partout au Québec qui sont affecté·es et qui luttent contre ce projet.

À Rivière-du-Loup, les Pétroliques Anonymes sont également à l'affût, tout comme « Prospérité sans pétrole » et « Non à une marée noire dans le Saint-Laurent », deux groupes très actifs à Rimouski. Un groupe de Trois-Pistoles financé par Greenpeace organise une vigile citoyenne qui fera de la surveillance en kayak de mer et à partir de la montagne de Gros-Cacouna pour observer les travaux de relevés sismiques dans la pouponnière des bélugas. Cette surveillance, avec l'aide juridique du Centre québécois du droit à l'environnement, permettra de détecter plusieurs infractions au certificat d'autorisation environnementale de Trans-Canada qui, par la voix de son porte-parole Philippe Canon, se targuait de respecter les plus grands standards de sécurité environnementale. Ces groupes du Bas-Saint-Laurent iront chercher l'appui de nombreuses organisations environnementales nationales et seront à la tête des deux manifestations d'avril et octobre 2014, cette dernière venant mettre un clou dans le cercueil du projet de port pétrolier de Cacouna. Quelques mois plus tard, c'est tout le projet Énergie-Est qui tombera, mettant fin une fois pour toutes à cette saga.

Toujours plus de bitume

Comme on peut le constater, la région du Bas-Saint-Laurent est foisonnante de groupes citoyens mobilisés pour la protection du territoire. On l'a vu plus haut, cette lutte n'est jamais réellement terminée, car le système capitaliste se nourrit de la destruction de l'environnement. La principale menace en 2023 pour le Bas-Saint-Laurent provient non pas de l'Alberta, mais plutôt de la Chambre de commerce de Rimouski, appuyée par une partie de sa population souhaitant dérouler une autoroute de bitume sur un peu plus de 50 km entre Notre-Dame-des-Neiges et le village du Bic. Cette semi-autoroute 20 à deux voies contiguës viendrait défigurer et saccager la majestueuse vallée de la Rivière Trois-Pistoles avec la construction d'un pont gigantesque évalué à près de 300 millions de dollars. En plus du magnifique paysage bas-laurentien, le projet détruirait des terres agricoles, de nombreuses érablières, des milieux humides et des kilomètres de forêt, tout ça pour un coût total de près de 1,7 milliard de dollars. Alors que la Ville de Rimouski a signé la déclaration d'urgence climatique, que la perte de biodiversité est devenue un enjeu critique sur la planète et que le GIEC soutient qu'il faut un moratoire sur la construction d'autoroutes, comment se fait-il que l'on puisse toujours rêver à plus de bitume pour les générations futures ?

La population active, celle qui se déplace le plus en voiture, sera en fort déclin au Bas-Saint-Laurent dans les années à venir. L'érosion côtière avec laquelle nous devrons composer par la protection des infrastructures routières et le déplacement du parc immobilier dans l'Est-du-Québec, coûtera plusieurs milliards de dollars aux contribuables québécois·es. Pourquoi ne pas utiliser les centaines de millions de dollars qu'on veut dépenser pour ce bout d'autoroute et plutôt en investir une petite partie pour sécuriser la route 132 existante ? On pourrait prendre le reste de l'argent pour protéger le mieux possible les nombreuses petites municipalités de l'Est-du-Québec. Ces municipalités doivent quémander au gouvernement des sommes d'argent astronomiques qu'elles reçoivent présentement au compte-gouttes alors que la situation est urgente. Quoi qu'il en soit, la mobilisation contre ce projet d'une autre époque s'organise et comme par le passé, les promoteurs de bitume croiseront sur leur route une résistance féroce, forte d'une expérience militante qui devrait leur faire réfléchir à deux fois avant de se lancer dans cette folie bitumineuse !

Mikael Rioux est activiste.

Photo : Des adolescent·es sur la passerelle des portes de l'enfer, au-dessus de la rivière Rimouski dans la réserve Duchénier, à Saint-Narcisse-de-Rimouski, dans Rimouski-Neigette. Années 2000 (Michel Dompierre).

Crise du logement. La mobilisation face à l’inaction

Le Bas-Saint-Laurent n'a pas été épargné par l'intensification de la crise du logement qui sévit partout au Québec. Voici un tour d'horizon de la situation du logement depuis (…)

Le Bas-Saint-Laurent n'a pas été épargné par l'intensification de la crise du logement qui sévit partout au Québec. Voici un tour d'horizon de la situation du logement depuis le début de la pandémie et de la vague de mobilisation qui en découle.

Depuis longtemps, les régions « ressources » souffrent des kilomètres qui les séparent des lieux de pouvoir. On peine à faire entendre nos besoins qui varient d'un coin à l'autre de ce vaste territoire. De plus, la région est organisée autour d'impératifs économiques plutôt qu'autour des besoins des personnes qui l'habitent. Le logement ne fait pas exception. Alors que plusieurs circonscriptions ont récemment élu des députés caquistes, il est difficile de croire que les choses changeront de sitôt. Rappelons que le gouvernement a nié la crise du logement jusqu'en avril 2022 et que ses actions se résument à mettre fin au programme AccèsLogis, redirigeant les fonds publics vers un nouveau programme en habitation « abordable » accessible au privé. Avant d'aborder la situation actuelle du logement locatif et de la mobilisation de la communauté, mettons les dernières années en contexte.

Des structures disparates face à la crise

Le portrait d'aujourd'hui n'est pas bien différent de celui de 2020. Au niveau de la répartition de la population et des services, on doit conjuguer avec quelques grandes villes et énormément de villages. Peu de municipalités encadrent formellement le logement locatif. Même lorsqu'un règlement en salubrité existe, il est méconnu et les employé·es de la municipalité peinent à faire les suivis nécessaires. Au niveau de l'organisation communautaire, les ressources d'aide sont éparses et limitées devant autant de réalités diversifiées. Elles sont surtout concentrées dans les villes comme Rimouski et Rivière-du-Loup et arrivent difficilement à desservir les municipalités en périphérie.

Un autre élément incontournable est la présence de grandes familles de propriétaires qui possèdent une grande proportion des logements et qui jouissent d'impunité lorsqu'elles brisent les lois. Chapeau aux locataires qui font valoir leurs droits, parce qu'être en mauvais termes avec ces entreprises, c'est courir le risque d'être barré·e de centaines de logements. Bref, le manque de ressources communautaires, de cadre municipal et de conséquences pour les propriétaires mettent déjà la table pour des pratiques abusives et nuisent à la défense des droits.

En mars 2020 arrive la pandémie : les inégalités sont exacerbées et les problèmes s'intensifient. Les conditions de vie se dégradent, surtout pour les locataires déjà précarisés par l'absence de contrôle sur leur milieu de vie. Alors qu'on observe des hausses des demandes d'aide alimentaire des ménages, on voit apparaître une relève immobilière avec des pratiques plus agressives et décomplexées : coupures d'eau, rénovations surprises, intimidation… On veut évincer pour monter les prix, et ça presse ! Ces aspirations financières concordent avec l'arrivée d'une vague de gens de la ville habitué·es à payer plus cher. Les logements déjà insuffisants se font plus rares, accélérant la hausse des loyers. La compétition est tellement forte que les propriétaires ne se cachent même plus pour discriminer.

Rappelons qu'en crise du logement, on manque surtout de logements salubres, réellement abordables, près des services essentiels, où l'on n'est pas menacé·e au quotidien de se faire évincer par une rénoviction ou parce qu'on refuse une hausse abusive de loyer. Les efforts pour remédier à l'exode des jeunes et la pénurie de travailleur·euses persistent malgré les listes d'attente qui s'allongent pour les logements, les soins et les services de garde. Incapables de se loger près des services, les gens s'éloignent des centres. Alors que se déplacer sans voiture est complexe, vivre en périphérie signifie débourser pour aller à l'épicerie, au bureau de poste, à l'hôpital… sans compter l'isolement vécu par les gens qui quittent leur quartier. Entre les démarches d'attractivité et les appels à l'aide de la population et des organismes locaux, on peine à voir le bout du tunnel.

Le Comité logement Bas-Saint-Laurent

Le logement ne fait pas exception en matière de sous-financement et d'essoufflement du communautaire. Jusqu'à l'an dernier, nous étions la seule association de locataires à l'est de Québec avec un seul employé permanent à Rimouski depuis notre fondation en 1999. Depuis, nous avons pris le nom de Comité logement BSL pour mieux représenter la taille du territoire desservi. Maintenant, nous sommes deux employé·es pour couvrir tout le BSL, mais en vérité, on reçoit des appels de la Côte-Nord, de la Gaspésie, des Îles-de-la-Madeleine. Il existe maintenant Solidarité logement Rivière-du-Loup et Action-Logement de l'Est à Matane, mais le financement reste incertain à court et long terme pour ces organismes.

Évidemment, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'organismes officiels qu'il n'y a pas de solidarité et de mobilisation. À Gaspé et à Sept-Îles, des groupes citoyens s'organisent pour informer les locataires. La population est plus informée sur ses droits et l'aide aux locataires prend plus de place au sein de notre organisme. Or, victimes de notre popularité, le téléphone ne dérougit pas, alors que l'accès au Tribunal administratif du logement (TAL) est difficile : il faut y trouver la bonne personne pour avoir droit à des informations sans se faire référer vers son comité logement. D'autant plus que les prises de rendez-vous sont laborieuses au TAL ; il n'y a que quelques disponibilités par mois. Lorsqu'on a de la difficulté à lire, qu'on n'a pas Internet ou de voiture, la situation s'empire ! La mobilisation collective est essentielle, alors que l'aide individuelle comporte ses limites pour défendre l'accès à du logement abordable de qualité. Toutefois, il est difficile de se mobiliser pour les locataires à l'extérieur de Rimouski puisque l'éparpillement de la population sur un vaste territoire limite les occasions de rencontres et de concertation des luttes.

Vu la difficulté à se faire entendre par le provincial et les tentatives répétées par les gouvernements de « fermer les régions », nous nous sommes tourné·es vers un palier plus accessible : le municipal. Ainsi, on met la pression sur la ville de Rimouski pour agir face à l'impossibilité de se loger et aux pratiques illégales des propriétaires. Le comité logement BSL demande à cette instance de construire des logements hors marché, de clarifier les règles et mécanismes en matière de salubrité et de lutter activement contre la discrimination.

Réponses citoyennes

Ceux et celles qui ont vécu hors des centres urbains le savent : en étant « loin de tout » et moins nombreux·ses, si on veut que quelque chose se passe, il y a de bonnes chances qu'il faille le faire soi-même ! C'est un fardeau, mais aussi une carte blanche pour développer les espaces dont on a besoin. Malgré les embûches et le manque de lieux de rassemblement, les projets qui tiennent le coup sont fantastiques, à l'image des gens qui les portent.

Les gens ont soif de rencontres et d'entraide et ça paraît. On a envie de se donner les outils pour se rencontrer, réfléchir, faire avancer les choses. Dans les derniers mois, on remarque une mobilisation citoyenne dynamique à Rimouski : la sauvegarde des Ateliers Saint-Louis, de la Maison Brune ou du boisé à Pointe-au-Père. En plus des organismes communautaires qui effectuent un travail plus qu'essentiel avec de moins en moins de ressources, on voit beaucoup de projets collectifs grandir : les Bains Publics, la Couverte, la Frip Mob'ile, l'Aranéide, l'Outillerie, Lutte à l'Est, le FestiQueer et bien d'autres.

Au Comité logement BSL aussi, on désire se mobiliser et s'organiser concrètement. Nous avons la chance d'avoir une vingtaine de bénévoles qui s'impliquent activement à Rimouski. Depuis 2020, le groupe se rencontre pour jaser d'actualité, organiser des actions, se former sur des enjeux liés au logement. Ensemble, on cherche à comprendre ce qui se passe, à trouver les leviers de pouvoir citoyen et à mobiliser notre voisinage. Nous militons pour le développement de projets de logement communautaire où les locataires auront une emprise sur leur qualité de vie.

Même s'il est difficile d'être optimiste face à la situation actuelle, la population reste impliquée et créative. Elle a de l'audace dans ses projets, et on aimerait voir la même chose du côté des administrations municipales. Mais pendant que le municipal et le provincial se passent le blâme, prenons plutôt les devants !

Cassandre Vassart-Courteau, organisatrice communautaire au Comité Logement BSL

Photo : Des pêcheurs au saumon s'activent sur la rivière Matapédia, dans les environs de Causapscal, dans la Matapédia. Années 2000 (Michel Dompierre)

Communautés LGBTQIA2S+. La similitude de nos singularités

Ielles sont de plus en plus nombreux·euses à choisir le Bas-Saint-Laurent pour s'établir : la communauté queer dans la région est en pleine croissance, tout particulièrement (…)

Ielles sont de plus en plus nombreux·euses à choisir le Bas-Saint-Laurent pour s'établir : la communauté queer dans la région est en pleine croissance, tout particulièrement dans le Kamouraska, à Trois-Pistoles et à Rimouski. Sa présence est un moteur important de dynamisme culturel et événementiel dans notre coin, et elle mène plusieurs organismes et institutions à revoir leurs pratiques et leur offre de services afin de les rendre mieux adaptées aux besoins des membres de la communauté LGBTQIA2S+ installé·es dans notre région loin des grands centres.

Même si de nombreuses luttes demeurent, des actions concrètes sont posées afin de mieux répondre aux besoins de l'ensemble de la population bas-laurentienne, que ce soit par des initiatives citoyennes ou institutionnelles. Bien que ces actions soient souvent menées par et pour des personnes issues des communautés LGBTQIA2S+, cela se fait de manière non exclusive, c'est-à-dire qu'une ouverture est conservée pour l'inclusion d'individus d'autres communautés, quel que soit leur genre, leur origine ou leur orientation sexuelle.

Une langue qui parle à tous·tes

L'un des lieux où tout le monde devrait être en mesure de se reconnaître constitue la langue. Et c'est pourquoi avec l'essor de l'écriture inclusive, qui selon moi aurait dû s'affirmer et s'implanter bien avant, de nombreux établissements révisent leur protocole de rédaction. Le journal Le Mouton Noir, originaire de Rimouski, qui œuvre pour la parole citoyenne du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, est en train de réviser ses politiques linguistiques. En tant que rédactrice adjointe, je trouve qu'il est primordial pour un journal comme Le Mouton Noir, qui devrait se démarquer de la masse, d'accorder une place pour l'expression des communautés LGBTQIA2S+. D'autant plus qu'une foule de projets initiés par et pour ces communautés dans la région méritent d'avoir une tribune et que l'ensemble du lectorat, qui comprend de nombreuses personnes qui s'identifient aux communautés de la diversité sexuelle et de la pluralité de genres, puisse s'y reconnaître.

L'université, plus qu'un lieu d'apprentissage

L'un des piliers d'une ville réside souvent dans ses établissements d'enseignement et c'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit de la région. Ici, l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) constitue un maillon primordial non seulement pour Rimouski, mais également pour l'ensemble du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Le regroupement ID-est, installé à l'université et se portant à la défense de la diversité des identités de genre et de la diversité sexuelle, organise de nombreux événements : karaoqueer, soirée de jeux de société, club de lecture queer, etc. L'un des enjeux auxquels souhaitent répondre ces initiatives est la création d'espaces sécuritaires pour le rassemblement et l'expression des personnes des communautés LGBTQIA2S+. En plus d'offrir ces activités, ce même organisme met également sur pied le Festiqueer, un festival célébrant la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Par ailleurs, l'organisation lutte activement au sein de l'UQAR pour la reconnaissance du choix du nom, du prénom et du genre sans égard à ce qui figure sur les documents légaux. Sans oublier la présence du Comité Institutionnel de l'UQAR pour l'Équité, la Diversité et l'Inclusion (CIÉDI) qui appuie ces nombreux projets et en met d'autres sur pied.

Se rejoindre sur une même page

Un autre vecteur primordial au sein d'une communauté est la possibilité d'avoir un lieu d'expression et de diffusion. Répondant à ce besoin, le magazine queer Aranéide se démarque par sa popularité autant dans le Bas-Saint-Laurent qu'en dehors de la région. Sa mission : offrir un espace de partage pour les artistes queers. Les appels d'œuvres s'adressent aux artistes hors de Montréal et de Québec qui s'identifient queers, peu importe ce que cela signifie pour elleux. Maintenant que le magazine connait un franc succès, il est autosuffisant et contribue même à encourager d'autres initiatives queers. De ce fait, sous les mêmes pages se rassemblent les désirs d'un lieu commun, sécuritaire, ouvert et inclusif.

Une culture diversifiée

Ce qui anime une région est également la vie culturelle qu'on y retrouve. Le foisonnement des diverses offres de contenus, qu'il s'agisse de spectacles, d'expositions ou de pièces de théâtre, permet à l'artiste de la relève que je suis de moins en moins ressentir le besoin d'aller à Québec ou à Montréal. Parmi ces offres, j'y retrouve les incontournables spectacles de drag. Plus besoin de faire appel à des troupes géographiquement éloignées, la Haus of Boudoir présente des spectacles mettant en vedette des artistes bas-laurentien·nes dans de nombreux endroits culturels comme l'UQAR ou les Bains publics, un cabaret culturel situé en plein cœur du centre-ville de Rimouski. Dans ces soirées, les spectateur·trices sont souvent encouragé·es à défier les codes du genre et ainsi à célébrer la singularité des personnes au sein de la communauté LGBTQIA2S+.

Vers des services inclusifs

Les services en région peuvent bénéficier de certains avantages et désavantages. Au Bas-Saint-Laurent, parmi les aspects bénéfiques, on retrouve la mise à jour du mandat de La Débrouille. Ce centre d'aide aux femmes victimes de violence conjugale s'adresse maintenant à la fois aux femmes cis et aux personnes trans. Le Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et la violence faites aux femmes (CALACS) de l'est du Bas-Saint-Laurent a également emboîté le pas. L'organisme travaille en ce moment avec un comité consultatif de personnes non-binaires afin de réviser leur vision, leurs valeurs et leur mandat. Le fait de prendre en compte le point de vue de personnes de la communauté dans la mise à jour manifeste un profond désir de proposer des services cohérents qui correspondent réellement aux besoins des personnes visées par ces changements. Ces nouvelles inclusions témoignent d'une capacité majeure à s'adapter aux réalités de la population.

Avec tous ces changements, il est facile d'affirmer que le Bas-Saint-Laurent, une région loin des grands centres, prolifère de projets et de lieux inclusifs pour les communautés LGBTQIA2S+. Toutefois, il reste de nombreuses choses à entreprendre. Les spécialistes de soins du Bas-Saint-Laurent – qu'il s'agisse de travailleur·euses social, d'infirmier·ères, de médecins, de psychologues, de psychiatres, etc. – ne bénéficient pas d'une formation permettant de répondre et d'accompagner adéquatement les personnes trans et non-binaires. Les personnes de la communauté LGBTQIA2S+ doivent encore aujourd'hui se rendre à Québec pour consulter des expert·es ayant la formation « Standards of care » [1], une formation pourtant accessible en ligne et qui devrait, selon moi, être dorénavant incluse dans toutes les formations de soins.

Une double décentralisation

Rimouski, la plus grande ville à l'est de Québec, reste un lieu de centralisation des mouvements dans le Bas-Saint-Laurent. Toutefois, la dynamique entre les différents acteur·trices de la communauté LGBTQIA2S+ déborde des frontières de Rimouski. Malgré la distance, un lien de solidarité et de partage subsiste, comme le confiait Boud lors d'une entrevue avec Le Mouton Noir [2]. Et cette dynamique s'étend au-delà des liens d'un individu à un autre. Les organismes collaborent pour s'informer et informer la population, créer des lieux de rassemblement, des événements, etc., et cette collaboration dépasse les frontières du Bas-Saint-Laurent avec quelques autres organismes provinciaux dont Divergenres, basé à Québec, qui a pour mandat de décloisonner les réalités des personnes de la diversité de genres.

De plus, certaines personnes de la communauté ont manifesté le souhait d'avoir des bars gais en région. Ces exemples ne constituent qu'une fine part des améliorations qu'il serait possible d'apporter. Je croise les doigts pour que le Bas-Saint-Laurent et toutes les autres régions du Québec (et du monde, mais ce n'est pas réaliste, du moins, pas pour le moment) commencent ou poursuivent le mouvement d'inclusion des communautés LGBTQIA2S+ afin que les personnes qui en font partie puissent s'épanouir, peu importe leur lieu de vie.


[1] Cette formation offerte par The World Professional Association for Transgender Health (WPATH) permet de s'ajuster aux besoins de santé des personnes transsexuelles, transgenres et au genre non conforme. The World Professional Association for Transgender Health, Standards of care version 8. En ligne : www.wpath.org/publications (page consultée le 23 février 2023)

[2] Belleau-Arsenault, Catherine. 2022, La communauté queer est effervescente dans l'est du Québec (partie 1), www.moutonnoir.com/2022/10/la-communaute-queer-est-effervescente-dans-lest-du-quebec (page consultée le 23 février 2023)

Tina Laphengphratheng est citoyenne rimouskoise et rédactrice adjointe au journal Le Mouton Noir. Merci à Maxence St-Onge, consultant en équité, diversité et inclusion, pour les nombreuses références, les discussions et les réflexions engendrées lors de nos échanges. Ce texte n'aurait pas pu être aussi représentatif des initiatives LGBTQIA2S+ sans sa généreuse collaboration.

Photo : Ce cœur dans le ciel est dessiné par les Snowbirds, ces avions militaires dans le cadre de l'un des rares spectacles aériens donnés dans le ciel de Rimouski. L'étonnant cœur dessiné par ces avions militaires rassemble les spectateurs aux côtés d'un chevreuil mort (Michel Dompierre).

L’asphalte s’en crisse sous les pneus, d’la culture

15 décembre 2024, par Marc Simard
Aujourd’hui c’est la crise. Demain, ça s’ra vachement mieux tu lèches le noyau d’la cerise, tu tires la vache par la queue Jacques Higelin, Aujourd’hui la crise, 1981. Oxymores (…)

Aujourd’hui c’est la crise. Demain, ça s’ra vachement mieux tu lèches le noyau d’la cerise, tu tires la vache par la queue Jacques Higelin, Aujourd’hui la crise, 1981. Oxymores idéologiques Nous sommes dans le futur. En 2025. Et il reste bien peu de résistance à une vision du monde ancrée dans (…)

Arts oratoires : une scène effervescente

15 décembre 2024, par Yanick Perreault — , ,
Quelle est la portée politique des arts de la parole ? Qu'est-ce que ça signifie, avoir une telle pratique artistique au Bas-Saint-Laurent ? J'ai questionné des personnes qui (…)

Quelle est la portée politique des arts de la parole ? Qu'est-ce que ça signifie, avoir une telle pratique artistique au Bas-Saint-Laurent ? J'ai questionné des personnes qui animent ces scènes et qui organisent ces événements, ces joyeuses révolutions et protestations.

Propos d'acteur·rices du milieu compilés par Yanick Perreault, slammeur basé à Rimouski

Le Bas-Saint-Laurent regorge d'artistes et de scènes des arts de la parole. Étant moi-même slammeur depuis près de cinq ans, j'avais envie d'en apprendre plus sur cette scène à laquelle j'appartiens. J'ai demandé à quelques artistes de nous parler de la portée politique des arts oratoires, et des événements qu'ielles souhaitent mettre en lumière. À mon avis, la solidarité qu'ielles cultivent, en plus de l'admiration et la reconnaissance qu'ielles témoignent les un·es envers autres, fait de cette pratique artistique un espace propice aux rassemblements et à la création d'autres mondes. Place à la parole !

Louis Melon, artiste de la parole bas-laurentien, habitant dans la région du Kamouraska :

« Le slam au Bas-Saint-Laurent, c'est des belles soirées sans prétention, où l'amateurisme côtoie l'extraordinaire. Donc, accessible par définition, éclectique et flexible. La portée politique du slam, pour moi, c'est sa propension à débroussailler des tabous, à engager des réflexions sur des sujets intimes et à s'attaquer au pouvoir, à l'ordre, à la moutonnerie et l'immobilisme – un bon coup de gueule, ça fait un peu partie de mon identité de slammeur. S'impliquer dans le milieu du slam, c'est amener sa pierre à l'édifice peu importe la manière, que ce soit en animant, en organisant, en slammant, mais surtout en étant dans le public. »

Camille Gosselin, artiste de la parole et organisatrice de soirées et événements, région du Kamouraska :

« L'art oratoire est nécessaire dans la vie culturelle d'une région, autant pour rassembler les gens autour d'un point commun inspirant que pour permettre de découvrir des gens avec des histoires pertinentes et mystérieuses. C'est un devoir de s'entraider à nommer des maux dans une communauté et de créer des espaces pour les partager et nourrir notre imagination créatrice. C'est formidable que dans une si petite région, plusieurs types de soirées poétiques s'offrent et qu'elles soient toutes de grands succès. J'aime particulièrement les Slam Poésie à la Baleine Endiablée de Rivière-Ouelle, car c'est un lieu confortable et neutre qui va chercher un public très varié, passant de jeunes étudiant·es à personnes âgées. C'est une petite région avec des grand·es artistes. »

Gabrielle Ayotte Garneau, directrice générale de l'organisme les Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant de Trois-Pistoles, artiste de la parole, région Trois-Pistoles et les Basques :

« Autant le slam que les arts de la parole en général me semblent des formes d'art très fortes, dotées d'une longue tradition et ancrées dans la communauté du Bas-Saint-Laurent. D'abord, le slam : Slam-Est-du-Québec a fait un travail considérable au cours des dix dernières années pour qu'il soit bien en vie, dynamique et d'une grande qualité. Il n'y a aucune scène de slam où l'écoute est aussi bonne, la salle aussi pleine (proportionnellement parlant) et le niveau aussi fort malgré l'accessibilité et la diversité des voix que celle de la brasserie le Bien le Malt à Rimouski. Slam Rivière-du-Loup accomplit aussi un immense travail de mobilisation avec le slam. Quand je me suis installée dans la région, je n'en revenais pas de voir le bar plein à craquer un lundi soir pour écouter de la poésie. Et de voir un public aussi varié, pas uniquement constitué de profs de littérature, ça m'a fortement impressionnée.

Ensuite, le milieu du conte est fort dans la région des Basques depuis longtemps. Trois-Pistoles est l'hôte de l'un des plus gros festivals de contes au Québec, le Rendez-vous des Grandes Gueules qui s'y tient depuis 26 ans. S'y passent du conte, du récit de vie, de la poésie, des performances… et l'événement est précédé d'une réputation internationale pas piquée des vers ! Le Carrefour de la littérature, des arts et de la culture (CLAC) de la Mitis fait aussi un super travail pour faire vivre les arts littéraires au Bas-Saint-Laurent, autant avec ses résidences qu'avec son festival et sa programmation régulière. Bref, le slam et l'art oratoire dans la région c'est, selon moi, notre grosse force, notre spécialité, c'est une source de fierté et c'est surtout très vivant !

Je pense que la culture est un vecteur politique considérable et donc que ces scènes ont un rôle important à jouer. Une bonne façon d'amener le public et les artistes à réfléchir sans leçon moralisatrice, c'est de laisser les valeurs et les principes s'inviter dans les lieux culturels. Je ne parle pas nécessairement d'avoir des événements politiques en soi, mais bien que la direction artistique des scènes culturelles soit traversée d'enjeux actuels. Pour favoriser cela, il faut que les programmations paritaires mettent en valeur une diversité de voix : c'est non négociable et ça amène le public à nous suivre, à découvrir et à s'ouvrir. La programmation culturelle, ce n'est pas de la politique frontale, mais c'est un outil politique fondamental. Nos choix de programmation ont des répercussions que je souhaite positives autant pour le milieu local (le public et les artistes) que pour le milieu du conte au Québec. C'est un sujet que nous ne prenons pas à la légère dans la direction artistique de nos événements. D'ailleurs, à l'inverse, je tombe des nues quand j'entends des programmateurs se défendre de leur programmation exclusivement masculine en disant “ je n'avais pas remarqué ! ”. Programmer est un pouvoir politique important.

À titre d'exemple, l'organisme les Compagnons, qui opère à Trois-Pistoles et qui est consacré à la mise en valeur du patrimoine vivant, est un gros joueur dans le développement des arts de la parole. Sa responsabilité, lorsque vient le temps de faire des choix artistiques, est d'autant plus importante à mon sens. Nous souhaitons offrir des cachets exemplaires, offrir des expériences enrichissantes autant pour le public que pour les artistes. Nous devons rester accessibles, nous souhaitons que notre salle de spectacle le soit tout autant. Il est aussi essentiel de travailler en collaboration avec les autres organisations culturelles régionales et les autres organismes diffuseurs de contes au Canada. Personnellement, je souhaite que les Compagnons soit un centre culturel dans les Basques, un organisme solide qui peut soutenir les projets culturels naissants, soutenir les artistes dans leur création. Outre être un diffuseur, je pense que nous pouvons être un acteur du développement culturel du Bas-Saint-Laurent. »

* * *

Impossible de terminer ce tour d'horizon des arts de la parole au Bas-Saint-Laurent sans mentionner des personnes comme Caroline Jacques et Gervais Bergeron qui font un super travail pour organiser le festival Slam ton Festival à Saint-Fabien. Iels organisent aussi occasionnellement les soirées Slam ton Pirate au Vieux Théâtre de St-Fabien. Je peux affirmer que ce furent des soirées et un festival mémorables. Iels ont pris une pause durant la dernière année, mais il y a une rumeur qui court que le festival Slam ton Festival pourrait être de retour. Il y a aussi de belles soirées micro ouvert au BeauLieu Culturel du Témiscouata à Témiscouata-sur-le-Lac qui voient le jour de plus en plus. Ce sont des soirées qui font rayonner des artistes du Témiscouata et d'ailleurs. Il y a aussi des soirées micro ouvert qui émergent ici et là, notamment des soirées à la Microbrasserie La Captive à Amqui que j'organise où j'aimerais le plus possible faire rayonner des artistes du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Les arts de la parole sont en ébullition dans le Bas-Saint-Laurent, de plus en plus d'événements et d'artistes émergent. Il reste encore beaucoup à explorer. À vous la parole, maintenant !

Illustration : Quelques événements culturels consacrés à l'art oratoire au Bas-Saint-Laurent

L’archivage culturel, une responsabilité collective

15 décembre 2024, par Philippe de Grosbois — , , ,
Même si elle n'a plus la cote depuis l'ère numérique, la télé est toujours parmi nous et demeure très influente. Depuis 70 ans, elle marque notre imaginaire collectif et notre (…)

Même si elle n'a plus la cote depuis l'ère numérique, la télé est toujours parmi nous et demeure très influente. Depuis 70 ans, elle marque notre imaginaire collectif et notre discours politique. Pourtant, on ne l'archive pas de manière systématique. Ce travail dépend en grande partie de passionné·es et de militant·es. Regard sur deux documentaires qui soulignent cette tâche essentielle, ainsi que l'état inquiétant de l'archivage culturel à l'ère numérique.

« All archives create futures » Thomas Levin

Recorder. The Marion Stokes Project

Dans les années 1960, l'Afro-Américaine Marion Butler est bibliothécaire. Elle se marie avec un socialiste et milite au Parti communiste – ce qui a peut-être mené à son renvoi éventuel de la bibliothèque. Entre 1967 et 1971, elle co-anime l'émission d'affaires publiques Input avec celui qui deviendra son deuxième mari, John Stokes. Elle est très sensible au pouvoir de la télévision pour façonner notre vision du monde.

À partir de 1977, Marion Stokes entreprend d'enregistrer du contenu télévisuel de manière continue. Sa démarche augmente peu à peu en intensité, notamment à partir de 1979, lors de la crise des otages américain·es en Iran. Stokes est méfiante à l'égard du récit médiatique dominant à propos de cette saga étalée sur plus d'un an. Son projet est aussi encouragé par les débuts de l'information en continu (CNN débute ses activités en 1980), qui accroît la rapidité de production et de circulation des nouvelles. Elle s'inquiète des effets de ces chaînes émergentes, notamment le temps accordé aux faits divers sensationnalistes ou sordides qui leur permettent de meubler l'espace disponible et faire de l'audience.

Les magnétoscopes de Stokes tournent sans arrêt jusqu'à son décès en 2012. Dans une journée « ordinaire », il y a trois à cinq enregistrements simultanés ; lors de grands événements, il peut y en avoir jusqu'à huit. La démarche de Stokes semble nourrie à la fois par la compulsion et par une remarquable capacité à anticiper les tendances à venir : elle refuse d'utiliser le système de programmation de sa télévision par crainte que ses enregistrements soient surveillés (inquiétude qui ne relève plus du fantasme à l'ère des télévisions connectées). Elle investit très tôt dans Apple, ce qui accroît la fortune dont disposait déjà son mari.

Après sa mort, son fils peine à trouver une organisation qui voudrait bien stocker et traiter les 71 000 cassettes vidéo de matériel, entreposées dans pas moins de neuf appartements différents ! À noter que Stokes accumulait aussi une quantité colossale de journaux, de magazines, de livres et d'ordinateurs.

C'est finalement Roger Macdonald de l'Internet Archive (sorte de bibliothèque d'Alexandrie du numérique ; voir encadré) qui va manifester de l'intérêt pour cette collection sans égal. Le matériel est transféré dans quatre conteneurs, de Philadelphie à San Francisco, où il est toujours en cours de numérisation à ce jour.

La série 7 up – 63 up

Le projet du Britannique Michael Apted (qui fût d'abord recherchiste puis réalisateur) est d'un autre ordre, mais révèle tout autant la pertinence de l'archivage des productions télévisuelles. En 1964, l'émission d'affaires publiques World in Action présente Seven up !. On y rencontre quatorze enfants de sept ans, choisi·es pour refléter la société britannique de l'époque). Certain·es proviennent de milieux très privilégiés (et affirment déjà lire le Financial Times et vouloir étudier à Cambridge !) et d'autres, de milieux plus populaires. Peu de femmes, cela dit – ce que regrettera Apted –, et une seule personne racisée.

Au départ, il n'était pas question de faire une série, mais sept ans après la première mouture, on propose de retourner voir les jeunes, devenu·es adolescent·es. Suite à cela, le rythme est pris : le public britannique aura l'occasion de retrouver ces protagonistes à 21, 28, 35, 42, 49, 56… et finalement 63 ans en 2019.

Une telle archive est véritablement unique : elle nous permet d'être témoin des aspirations, des réussites et des regrets qui tissent la trame d'une existence humaine. En filigrane, on voit aussi le Royaume-Uni se transformer, notamment lors des années Thatcher, et après le vote en faveur du Brexit en 2016.

La préoccupation initiale pour les classes sociales s'est avérée une intuition très fructueuse. Comme sociologue, j'y ai vu une démonstration éloquente de la reproduction sociale : les choix de carrière, les dispositions sociales et même le vieillissement des corps montrent sans conteste l'influence du milieu d'origine sur les parcours individuels.

Et pourtant, ces films viennent aussi montrer que ces destins ne sont jamais écrits d'avance, en particulier avec le cas de Neil, dont le parcours de vie est digne d'un roman. Fils de parents enseignants, il est confronté à la dépression et à des problèmes de santé mentale. À 21 ans, on le retrouve dans un logement pour personnes itinérantes ; à 28 et 35 ans, il est carrément à la rue. Puis, surprise, vers ses 40 ans, Neil devient conseiller municipal puis prédicateur dans une église.

Au fil des épisodes, on voit aussi la relation entre le réalisateur et ses « sujets » s'approfondir. La démarche d'Apted fait elle-même l'objet d'un regard réflexif et critique de la part de plusieurs participant·es. Certain·es sont absent·es pendant quelques épisodes avant de revenir (ou pas). Plusieurs évoquent l'angoisse montante lorsqu'un nouveau jalon de sept ans approche. D'autres critiquent explicitement le portrait que le réalisateur a fait d'eux, ou les questions déplacées qu'il a pu poser par le passé. Par exemple, même si elle demeure très attachée au projet, Jackie reproche à Apted le double standard genré dans les questions qui ont été posées à 21 ans (d'ordre politique pour les hommes et liées au mariage pour les femmes). Le format de l'émission et le développement d'une relation de confiance ouvrent ainsi un espace pour un regard critique sur la mise en récit télévisuelle elle-même. Il est plutôt rare de voir une telle remise en cause du regard de surplomb qui accompagne presque inévitablement la division des rôles propres aux médias de masse du 20e siècle.

L'édition la plus récente (celle de 2019, où les participant·es ont 63 ans) sera probablement la dernière, puisqu'une des 14 protagonistes était déjà décédée et qu'Apted lui-même s'est éteint en 2021.

Les promesses manquées du numérique

Le lectorat intéressé par ces films se demandera sans doute où il est possible de les visionner. Le documentaire sur Marion Stokes est relativement accessible : on peut l'acheter sur iTunes ou sur Amazon Prime Video. La dernière mouture de la série 7 up – 63 up est également facile à repérer. Mais dès que l'on remonte à 56 up et avant, cela devient pratiquement introuvable. Les films sont bien sur iTunes, mais ils ne peuvent être achetés depuis le Canada.

Il y a une étrange ironie à ce que des films consacrés à une forme d'archivage soient eux-mêmes si peu disponibles. L'ère numérique amenait avec elle la promesse d'un réservoir de culture presque infini, facilement accessible pour tout foyer disposant d'un bon accès à Internet. Quelques décennies plus tard, il y a bien quelques sites qui cultivent cet idéal, notamment YouTube du côté commercial (et désorganisé), ainsi que l'Internet Archive et la fondation Wikimedia du côté des projets à but non lucratif. Et pourtant, pour voir les huit premiers épisodes de la série 7 up – 63 up, c'est du côté du partage des fichiers par torrent, qu'on pourrait décrire comme une forme criminalisée d'archivage, qu'il faut se tourner. Autrement, c'est le néant.

Il n'est pas nécessaire de chercher des documents étrangers ou anciens pour se heurter à des difficultés quasi insurmontables. Le documentaire Le Dernier Nataq de Lisette Marcotte (2019), qui porte sur les racines abitibiennes de Richard Desjardins, n'est disponible absolument nulle part, pour autant que je sache. Ni en format numérique ou DVD ni en bibliothèque ou par torrent, nulle part. Le film Les fils de Manon Cousin (2019), qui documente le travail d'organisation communautaire de prêtres dans le quartier montréalais de Pointe-Saint-Charles dans les années 1970, peut être loué pendant 48 heures, mais il semble totalement impossible de le conserver.

Du côté de la fiction, la série de Xavier Dolan La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé (2022) est uniquement disponible sur la plateforme Illico (et en torrent). Il faut donc s'abonner pour pouvoir la visionner et l'enregistrement ne peut être que temporaire. Même les écoles ont de la difficulté à accéder au cinéma québécois, apprenait-on récemment [1].

Le piège de la « découvrabilité »

Que s'est-il passé ? Où le bateau a-t-il été manqué ? Il y a sans doute plusieurs explications à trouver, mais il me semble qu'on ne peut écarter une piste majeure, à savoir l'attitude à la fois corporatiste, réactionnaire et répressive d'une large part de l'industrie culturelle face à l'irruption de l'environnement numérique.

Presque 25 ans après l'ascension de Napster dans le paysage musical, l'attitude de l'industrie a finalement très peu changé : plutôt que de chercher de nouvelles manières de financer la culture à l'ère numérique (notamment en s'alliant aux batailles contre les paradis fiscaux et l'évasion fiscale des géants du numérique, les principaux gagnants de ce nouveau contexte), on se crispe autour d'un droit d'auteur mal adapté et qu'il aurait fallu repenser. On se retrouve aujourd'hui avec une culture enfermée dans toutes sortes de considérations légales, au point où il est difficile non seulement de se l'approprier, mais même parfois de simplement y accéder.

On peut aisément constater l'impact de ce corporatisme et ce manque de vision lorsqu'on se penche sur le concept de « découvrabilité », de plus en plus populaire dans le milieu. D'ailleurs, selon l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), ce concept est né au Québec. L'OIF définit la découvrabilité comme « le processus de rencontre entre un contenu et son public dans l'environnement numérique », ce qui inclut trois dimensions : la repérabilité (notamment par les moteurs de recherche), la disponibilité et enfin la visibilité par les recommandations (des algorithmes en particulier) [2].

Il est nécessaire de se donner des repères fiables dans l'environnement numérique et en cela, le concept de découvrabilité peut être utile. Par ailleurs, le terme a surtout connu un essor dans un contexte où des plateformes très voraces (Google/YouTube, Spotify, Netflix, etc.) sont parvenues à avoir une mainmise quasi monopolistique sur l'accès des citoyen·nes à toutes sortes de contenus culturels. La mobilisation actuelle du milieu culturel autour de la découvrabilité ne s'inscrit donc pas dans le cadre d'une bataille plus fondamentale contre cette mainmise des géants et pour l'appropriation collective de la culture, mais cherche principalement à amener un maximum de paires d'yeux et d'oreilles face à de la culture produite chez nous.

Ainsi, alors que les libéraux fédéraux ont fait adopter en avril dernier une loi incitant Netflix, Spotify et compagnie à ajuster leurs algorithmes pour qu'ils recommandent davantage d'œuvres canadiennes et québécoises, on ne remet pas en question le fait que ce modèle d'affaires nous ramène à un statut passif de spectateur·trices accédant à la culture par l'intermédiaire de serveurs distants. On ne remet pas non plus en question le fait que la circulation des œuvres est sévèrement entravée par une lecture du droit d'auteur devenue parfois contre-productive. De fait, selon cette logique, il vaut mieux ne pas pouvoir voir Le Dernier Nataq, et donc n'en tirer aucun revenu, que de le laisser à la disposition du public.

Dans la même veine, la récente série de Xavier Dolan a soulevé une autre cruelle ironie. En effet, le cinéaste a affirmé avoir dû renoncer à l'inclusion de chansons québécoises à ses épisodes, parce que des chansons d'Isabelle Boulay et Bruno Pelletier, par exemple, « sont en fait des chansons dont les droits ont été cédés […] les artistes étaient au début de leur carrière et ils voulaient céder leurs droits à leur “label”. Ces [maisons de disques-là] ont fait faillite ou ont cédé leur catalogue à de plus gros joueurs » [3]. Voilà pour la (re)découvrabilité.

L'archivage comme projet militant

Bien sûr, il faudrait sans doute mieux distinguer l'archivage de productions culturelles du passé de l'accessibilité aux œuvres du présent. Or, la possibilité d'accéder et de télécharger les créations contemporaines est garante de l'archivage du futur. De fait, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les stations de télé ne conservent pas tout le matériel qu'elles produisent. Sans la contribution bénévole (et parfois militante) de personnes dévouées comme Marion Stokes, mais aussi d'un grand nombre de fans, une vaste quantité de matériel télévisuel serait aujourd'hui perdue. Après tout, quel est l'intérêt économique, pour un média privé, à conserver des archives ? Le stockage, le traitement et l'entretien par des archivistes professionnel·les représentent des coûts importants pour des bénéfices commerciaux minimes. De plus, les archives peuvent contenir des passages embarrassants ou qui ont mal vieilli, ce qui peut inciter des organisations à les laisser tomber dans l'oubli.

La capacité citoyenne d'archiver, en partie par le téléchargement, doit être revendiquée avec beaucoup plus de force qu'elle ne l'est actuellement, pour contrer le virage en cours qui nous amène à être locataires de notre propre culture. On ne peut faire confiance ni aux entreprises médiatiques, ni aux ayants droit ou aux gigantesques plateformes commerciales du numérique pour entretenir ces archives. Il faut plutôt considérer celles-ci comme des communs, et soutenir les initiatives qui vont en ce sens : bibliothèques publiques, centres d'archives – tant physiques que numériques – mais aussi stockage et partage citoyens. Disques durs de tous les foyers, unissez-vous !


[1] Olivier Du Ruisseau, « Le cinéma québécois, pas toujours accessible dans les écoles », Le Devoir, 24 avril 2023.

[2] Organisation internationale de la francophonie, « La découvrabilité des contenus culturels francophones », YouTube, 7 décembre 2021. www.youtube.com/watch ?v=pZJY2jPaRLQ

[3] Cité dans Agence QMI, « Xavier Dolan a dû renoncer à une dizaine de chansons québécoises pour sa série », Le Journal de Québec, 3 décembre 2022. www.journaldequebec.com/2022/12/03/xavier-dolan-a-du-renoncer-a-une-dizaine-de-chansons-quebecoises-pour-sa-serie

Grève suspendue à Postes Canada, les postiers n’abandonneront pas

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/vlcsnap-2024-12-14-13h14m28s670-1024x594.png14 décembre 2024, par Comité de Montreal
Le ministre du Travail force les postiers à retourner travailler, au moins jusqu'en mai. Pour eux, ce n'est qu'une pause dans leur lutte. L’article Grève suspendue à Postes (…)

Le ministre du Travail force les postiers à retourner travailler, au moins jusqu'en mai. Pour eux, ce n'est qu'une pause dans leur lutte. L’article Grève suspendue à Postes Canada, les postiers n’abandonneront pas est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

Grève suspendue à Postes Canada, les postiers n’abandonneront pas

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/vlcsnap-2024-12-14-13h14m28s670-1024x594.png14 décembre 2024, par Comité de Montreal
Le ministre du Travail force les postiers à retourner travailler, au moins jusqu'en mai. Pour eux, ce n'est qu'une pause dans leur lutte. L’article Grève suspendue à Postes (…)

Le ministre du Travail force les postiers à retourner travailler, au moins jusqu'en mai. Pour eux, ce n'est qu'une pause dans leur lutte. L’article Grève suspendue à Postes Canada, les postiers n’abandonneront pas est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

La chasse sportive : entre gestion de la nature, illusion de supériorité et oubli de la vulnérabilité humaine

14 décembre 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La chasse sportive, en particulier celle à l’orignal, occupe une place prépondérante dans la culture québécoise. (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La chasse sportive, en particulier celle à l’orignal, occupe une place prépondérante dans la culture québécoise. Chaque année, des milliers de chasseurs s’aventurent en forêt, à la recherche d’une proie, comme en Gaspésie où la saison de (…)

Le « défi 50% » du Front commun pour la transition énergétique

14 décembre 2024, par Marc Bonhomme — ,
Est-il encore une fois nécessaire de rappeler que l'année 2024 sera vraisemblablement l'année la plus chaude, la première dépassant le fatidique 1.5°C que le GIEC-ONU et la COP (…)

Est-il encore une fois nécessaire de rappeler que l'année 2024 sera vraisemblablement l'année la plus chaude, la première dépassant le fatidique 1.5°C que le GIEC-ONU et la COP de Paris avaient fortement recommandé de ne pas dépasser ? Est-il utile de rappeler que les COP de 2024, sur le climat comme sur la biodiversité en passant par les négociations sur un traité sur le plastique se sont terminées en échec patent ? Faut-il souligner encore une fois que le Canada est le cancre du G-7 pour les émanations de gaz à effet de serre (GES) ? Faut-il dénoncer l'hypocrisie du Québec de prétendre être le premier de la classe au Canada, parce qu'il ne tabule pas les effarantes émanations des GES dues à la production de pétrole bitumineux albertain que pourtant il consomme ?

Cette tâche apparemment impossible de rapidement réduire les émanations de GES, le « défi 50% » de la « Journée de travail sur la sobriété énergétique » organisée par le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ) a prouvé le contraire, du moins sur le plan technique. On peut avantageusement consulter les présentations Power point. Au-delà de l'argumentation technique et au besoin chiffré, l'orientation politique de l'ensemble de l'œuvre, comme le nom de la journée l'indiquait, c'est la sobriété énergétique. Pour le transport des personnes, c'est la maximisation du transport en commun électrifié comme service public gratuit. Pour le transport des marchandises, c'est la maximisation du rail électrifié pour les longs trajets et des petits véhicules électrifiés pour les courts trajets. Pour l'habitation, c'est l'habitation collective écoénergétique et socialisée. Pour l'aménagement du territoire, c'est la maximisation des trajets courts pour l'approvisionnement, l'interpénétration ville-campagne et les quartiers et villages 15 minutes. Pour l'industrie, c'est la minimisation électrifiée de la production, efficace, durable et réparable. Pour la nourriture, c'est l'agriculture biologique.

Le cul-de-sac de « l'économie sociale » dans un contexte capitaliste vert

Pour dire toute la vérité, les objectifs et moyens proposés, sauf pour l'industrie, et au-delà de leur technicité parfois trop complexe parfois trop schématique, ne se situaient pas par rapport au capitalisme vert d'où une certaine retenue des propositions. Là où le bât blesse c'est de proposer, pour y arriver, la stratégie de « l'économie sociale » qui non seulement laisse dans l'ombre le recours ou non à la centralité du marché mais qui aussi pense pouvoir bouleverser la société et son économie par uniquement une approche locale et régionale. Dans les présentations, il n'a nullement été question d'orientation, de programme, de plateforme, de stratégie et encore moins d'organisation politique nationale bien que le FCTÉ et une bonne partie des organisations membres soient des organisations sociales nationales. Quant à la centralité du marché, on a eu droit à un clash sotto voce et par la bande entre Pierre-Olivier Pineau des HEC, qui prônait « l'écofiscalité » comme première mesure pour transformer le secteur du transport des marchandises — mais le « [t]ransfert modal vers le rail & maritime » réglerait 80% du problème ! —, et sans doute au-delà, et Éric Pineault de l'UQÀM qui envisageait la possibilité de la « décroissance socialiste » pour la mise au pas de l'industrie, et sans doute pour l'ensemble de l'œuvre.

Peut-être les ateliers de l'après-midi ont-ils comblé ces lacunes et débrouillé l'écheveau politique ? Pour cause de manque de place et de retard à m'inscrire, je les ai ratés. Toujours est-il que la gauche politique, en particulier Québec solidaire, a évité un regard critique. Plus largement, les présentations se sont abstenues de faire le point climatique et écologique sur la société québécoise et, de ce fait, sur ses politiques dans ces domaines. C'est un gros trou que s'il eut été remblayé aurait mis en lumière le cul-de-sac du capitalisme vert dont son respect sacré du marché… et de l'impuissance de la stratégie de l'économie sociale. N'empêche, on réalise pleinement la possibilité technique de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour gagner la lutte climatique en autant que ce soit rapide et radical c'est-à-dire dans le contexte d'une planification démocratique hors marché laquelle justement créerait les conditions de la réalisation efficace de la créativité locale et régionale.

Marc Bonhomme, 14 décembre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

Signons l’appel « Israël doit être arrêté ! » d’ici le 15 janvier

14 décembre 2024, par Rédaction-coordination JdA-PA
14 mois, Israël poursuit son assaut génocidaire contre Gaza : 2,3 millions de Palestinien·ne·s, désignés comme « animaux humains », sont bombardés, privés de nourriture et (…)

14 mois, Israël poursuit son assaut génocidaire contre Gaza : 2,3 millions de Palestinien·ne·s, désignés comme « animaux humains », sont bombardés, privés de nourriture et d’eau, alors que leurs infrastructures de survie sont systématiquement détruites. C’est ainsi que s’ouvre la nouvelle (…)

Critique de film—« Union » donne la parole au processus de syndicalisation

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/Screenshot-2024-12-13-at-5.52.03%E2%80%AFPM-1.png13 décembre 2024, par Southern Ontario Committee
Union (2024) nous emmène dans les coulisses du combat difficile et délicat qui a mené à la création d'un syndicat dans l'entrepôt JFK8 d'Amazon à Staten Island. Avec un regard (…)

Union (2024) nous emmène dans les coulisses du combat difficile et délicat qui a mené à la création d'un syndicat dans l'entrepôt JFK8 d'Amazon à Staten Island. Avec un regard réel et intime sur les personnes qui mènent la charge, ce film nous montre à quel point il peut être difficile de tenir (…)

Critique de film—« Union » donne la parole au processus de syndicalisation

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/Screenshot-2024-12-13-at-5.52.03%E2%80%AFPM-1.png13 décembre 2024, par Southern Ontario Committee
Union (2024) nous emmène dans les coulisses du combat difficile et délicat qui a mené à la création d'un syndicat dans l'entrepôt JFK8 d'Amazon à Staten Island. Avec un regard (…)

Union (2024) nous emmène dans les coulisses du combat difficile et délicat qui a mené à la création d'un syndicat dans l'entrepôt JFK8 d'Amazon à Staten Island. Avec un regard réel et intime sur les personnes qui mènent la charge, ce film nous montre à quel point il peut être difficile de tenir (…)

Voyage à la villa du jardin secret : pourquoi et pour qui écrit-on ?

13 décembre 2024, par Marc Simard
Le 24 septembre dernier paraissait, aux éditions Le Quartanier, l’œuvre la plus récente de l’écrivain rimouskois J. P. Chabot. Décrire Voyage à la villa du jardin secret est (…)

Le 24 septembre dernier paraissait, aux éditions Le Quartanier, l’œuvre la plus récente de l’écrivain rimouskois J. P. Chabot. Décrire Voyage à la villa du jardin secret est une tâche presque impossible. Ce roman, complexe, intelligent et réfléchi, suit le cours labyrinthique de la pensée. Le (…)

Agir pour le droit international des droits humains

13 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Agir pour le droit international des droits humains

Sam Boskey, premier vice-président du CA de la Ligue des droits et libertés Les conflits qui se déroulent un peu partout sur la planète contribuent à nous enseigner la géographie. Nombreux sont celles et ceux qui n’auraient pu situer sur une carte la bande de Gaza, le Yémen, le Katanga, le Sud-Soudan ou le Donbass avant que les médias et les réseaux sociaux ne soient envahis de reportages ou de publications sur les assauts militaires, les tractations complexes des relations internationales, l’aide internationale de nombreuses organisations humanitaires ou encore, les missions de paix des Nations unies (ONU). [caption id="attachment_20676" align="alignnone" width="731"] Photo ONU, UN7732841, Sphère dans une sphère, Arnaldo Pomodoro, 1996.[/caption] Si les notions de géographie sont mises à jour par les conflits, de façon similaire, ces derniers permettent à de nombreuses personnes de s’initier au droit international des droits humains, et aux instruments et organes sensés en assurer la surveillance et le respect : conventions sur le génocide, sur les crimes de guerre, sur les droits des réfugié-e-s, Cour internationale de justice, Cour pénale internationale, rapporteuses et rapporteurs spéciaux de l’ONU, etc. L’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) en 1948 — peu de temps après les catastrophes pour l’humanité en Afrique, en Chine, en Espagne, qui ont culminé avec l’Holocauste et les bombes atomiques larguées sur le Japon — ne prouve pas que la plupart des pays du monde aient soudainement décidé de tourner leur attention vers la paix et l’amour.

La survie de l'humanité

C’était plutôt la reconnaissance que, dans la nouvelle ère des armes nucléaires, l’éradication des conditions qui provoquent les hostilités — en utilisant l’institution du droit international des droits humains — était une condition sine qua non de la survie de l’humanité. Il s’avère nécessaire de regarder avec lucidité les revers que subit le cadre international de promotion et de protection des droits humains dans le contexte de conflits armés au Moyen-Orient et la montée des politiques réactionnaires, ici comme ailleurs. Face à la multiplication des débats sur la législation des droits humains et sur ses institutions, les répliques fusent de toute part. Une nouvelle variante pathogène germe à travers le monde : des pays, des politiques, des entreprises, des mouvements populaires, qui non seulement ignorent délibérément les décrets internationaux, mais les calomnient, les attaquent et remettent en cause leur légitimité. Plusieurs exemples le démontrent : le comportement des pays qui continuent activement à envoyer des armes dans les zones de guerre, ou à permettre aux entreprises basées chez eux de le faire ; la dérive des politiques nationales vers une attitude agressive envers les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ; la tentative de criminaliser la parole et le droit de manifester des personnes qui tentent de faire pression sur leur gouvernement et leurs institutions, au pays et à l’étranger, pour qu’ils respectent les droits humains.

Les défis du droit international

Avec les avis de la Cour internationale de justice ou les rapports de la Rapporteuse spéciale Francesca Albanese, ouvertement ignorés par certain-e-s et insuffisants pour changer la donne, avec la désignation du secrétaire général de l’ONU comme persona non grata par Israël, les événements actuels incitent à une réflexion de fond dans la communauté promouvant et protégeant les droits humains. Les défis du droit international des droits humains et des instances qui le composent ne sont pas nouveaux ; de puissants rapports de force entre les États sont à l’œuvre depuis le départ. Néanmoins, malgré les revers, il est plus essentiel que jamais d’avoir des exigences élevées en ce qui concerne l’adoption du cadre de référence des droits humains par les gouvernements du monde entier. Malgré cette visibilité accrue du droit international durant certaines périodes, ce n’est pas pour autant que les droits humains et le système international voué à les protéger soient pleinement assimilés à notre culture commune. Par exemple, la célébration de la Journée des Nations unies, le 24 octobre, est depuis longtemps tombée en désuétude dans nos écoles. Presque passé sous silence, le 75e anniversaire de la DUDH, le 10 décembre 2023, appelait à davantage d’attention médiatique et politique que le traitement marginal que ce jalon important du XXe siècle a reçu. Si le Canada est signataire de dizaines d’accords internationaux sur les droits humains, les tribunaux sont souvent réticents à les appliquer, à moins que les législatures nationales ne les aient explicitement incorporés dans les lois internes. Mentionnons tout de même qu’avec lenteur et obstacles multiples des avancées se font en droit interne.

Vers de nouvelles stratégies

Il est de plus en plus évident qu’en tant que communauté des droits humains, nous devons développer de nouvelles stratégies autres que les activités éducatives traditionnelles qui n’ont jamais suffi à induire le changement. Elles sont même de plus en plus inefficaces face aux négatrices et négateurs des droits humains, personnes de pouvoir et institutions qui ne souhaitent pas respecter les droits et libertés. Elles alimentent sciemment la désinformation, instrumentalisent certains droits, et se permettent de plus en plus de mépris dans leurs affirmations ; le droit international peut s’appliquer à d’autres, mais pas nécessairement à elles et eux.

Pour le respect des droits humains

Le Québec témoigne du même glissement vers une rhétorique de rejet des droits humains : le gouvernement au pouvoir traite parfois les droits et libertés comme des obstacles exaspérants, et à d’autres occasions il appuie son argumentaire sur certains droits, au détriment d’autres droits. Il ne tient pas compte de l’interdépendance, de l’indivisibilité et de l’universalité des droits. Il déroge aux droits protégés par nos Chartes pour adopter des législations attentatoires aux droits. Il remet en cause la séparation des pouvoirs, et donc l’idée selon laquelle nul n’est au-dessus de la Loi, en remettant en question le rôle des tribunaux de vérifier la conformité des lois avec les droits humains. Ainsi, les tumultes de ces dernières années doivent nous inciter à réfléchir aux conditions systémiques qui permettent ce mépris du cadre de référence des droits humains ainsi qu’aux stratégies pour changer la donne. De tout temps, énoncer les droits et les faire connaître n’a jamais suffi à permettre leur exercice réel et leur appropriation sur le plan culturel. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Il est essentiel de poursuivre les mobilisations et la pression sur les gouvernements pour exiger d’eux le respect des droits humains sur le plan local et le respect de leurs obligations à l’international. Il est vrai que les mécanismes et instances du droit international échouent à contraindre les États à respecter les droits. Il n’en demeure pas moins que le cadre des droits humains revêt une puissance argumentaire et analytique extraordinaire dont nous devons, toutes et tous, nous saisir collectivement pour notre avenir commun.

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Imaginer une ville des droits humains

13 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Nouveau numéro maintenant disponible !

La Ligue des droits et libertés consacre son nouveau numéro de Droits et libertés aux enjeux de droits humains dans les villes au Québec.

Au sein des villes, tous et toutes ne sont pas égaux. Les inégalités existent et persistent dans le temps concernant l'accès au transport, aux emplois, à l'espace public, au logement ou à l'exercice de la citoyenneté, par exemple.

Les municipalités sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans l'élaboration de politiques, de programmes et d'initiatives pour relever les défis actuels et futurs, qui sont vastes et urgents, comme les enjeux environnementaux.

Ce palier gouvernemental peut assurer le respect, la protection et la mise en oeuvre des droits humains et contribuer positivement à la transformation sociale.

Lancement

Le lancement de la revue a lieu le mercredi, 5 février 2025 dès 18 h à la Librairie Zone libre à Montréal.
Inscrivez-vous!
Bonne lecture !

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Procurez-vous la revue Droits et libertés!


* Les articles sont mis en ligne de façon régulière. *

Dans ce numéro

Éditorial

Agir pour le droit international des droits humains
Sam Boskey

Chroniques

Le monde de Québec
30 ans de luttes pour les droits et libertés à Québec
Sophie Marois
Josyanne Proteau
Un monde de lecture
Du naturalisme antique à l'écologie contemporaine
Catherine Guindon
Un monde sous surveillance
Lutter contre l'ingérence sans bafouer les droits
Tim McSorley
Ailleurs dans le monde
Repenser les droits humains en Haïti
Frantz Voltaire

Hors dossier

Toutes les vies se valent-elles vraiment?
Christian Djoko Kamgain Du Bandung de 1955 à 2024! Les Suds du Nord parlent!
Safa Chebbi Trump, ou comment user du droit contre la justice
Édouard de Guise

Dossier principal

Imaginer une ville des droits humains

Présentation

Imaginer une ville des droits humains
Diane Lamoureux Une exigence du droit international des droits humains
Me Lucie Lamarche Municipalités et droits humains: une rencontre qui se densifie
Me Benoît Frate
Me David Robitaille Habiter et cohabiter
Michel Parazelli Nouveaux visages de l'itinérance… issus de l'immigration
Maryse Poisson
Mauricio Trujillo Pena
Florence Bourdeau Participation citoyenne et villes, quel avenir?
Elsa Mondésir Villefort Défis de collaboration entre villes et organismes communautaires
Caroline Toupin La transition écologique, ça concerne tout le monde!
Entretien avec Nadia Lemieux
Propos recueillis par Elisabeth Dupuis Emplois municipaux, pour qui?
Elisabeth Dupuis Embarquez avec nous!
Comité mobilité de la Table des groupes de femmes de Montréal

Reproduction de la revue

L'objectif premier de la revue Droits et libertés est d'alimenter la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Ainsi, la reproduction totale ou partielle de la revue est non seulement permise, mais encouragée, à condition de mentionner la source.

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Envahissante forêt

Tronçonnage à gogo pour des arbres qui, lentement mais sûrement, envahissent le parc du Mont St-Bruno. Protection extrême ?! Mais de quoi, mille bombes ? Du grand méchant loup (…)

Tronçonnage à gogo pour des arbres qui, lentement mais sûrement, envahissent le parc du Mont St-Bruno. Protection extrême ?! Mais de quoi, mille bombes ? Du grand méchant loup ? Même pas, celui là on l'a zigouillé depuis longtemps. Reste encore ces maudits arbres qui, pas croyable, grandissent. Selon la SEPAQ, ils « empiètent », ils « envahissent » les sentiers et, tenez-vous bien, sont « accidentogènes » (ça ne vous rappelle pas les platanes le long des routes en France ?!).

Si c'était un show d'humour je me roulerais par terre… Mais, ce n'est pas une blague. Ce sérieux gestionnaire – extrême, peureux et dominateur – face à cette rarissime forêt qui mérite qu'on la respecte plutôt que de chercher des raisons d'abattre, cette fois, pas moins de 600 arbres. Une hécatombe !

On dira qu'il ne faut pas chipoter avec la sécurité – voyez par exemple la « mise à niveau » cet automne du barrage du Lac Seigneurial après celle, encore mal cautérisée, de celui du Lac du Moulin. Un massacre inadmissible, une coupe à blanc en plein parc national. Même si on peut invoquer l'ignorance, chaque arbre compte dans le présent et le dans le futur, sur lequel on scie toujours la branche sur laquelle on chancelle… Assurément, nous ne sommes pas (encore) en Amazonie ou en Colombie Britannique. Il va pourtant falloir y voir. Sans en avoir l'air, presqu'en catimini, et pour des raisons meilleures les unes que les autres, la SEPAQ nous prend pour de vulgaires client·es en nous infantilisant pour justifier les exactions arboricoles. Refusons. Nous sommes des citoyen·nes qui, coûte que coûte, devons lutter pour ne pas laisser saccager notre forêt, et incarner un rare rempart contre l'abrutissement. Ce lieu doit redevenir un sanctuaire naturel ! Il faut que les « spécialistes » et la SEPAQ cessent de jouer aux apprentis sorciers avec la nature. Nous voyons trop bien le cul de sac où cela nous mène… Même si on laisse, écologiquement (sic), les corps d'arbres au sol après leur mort violente.

Photo : Lac des Bouleaux dans le Parc National du Mont-Saint-Bruno en hiver (Remi.saias, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons)

Coup d’éclat des travailleurs de Postes Canada à Ottawa

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/Screenshot-2024-12-12-143439-e1734062879151-1024x437.png13 décembre 2024, par Comité Ottawa-Gatineau
Des centaines de postiers du STTP de l’est du pays se sont réunis sous la pluie glaciale au siège social de Postes Canada mercredi. Les postiers sont descendus en une masse (…)

Des centaines de postiers du STTP de l’est du pays se sont réunis sous la pluie glaciale au siège social de Postes Canada mercredi. Les postiers sont descendus en une masse solidaire en face des bureaux de leur employeur à Ottawa afin de réaffirmer qu’ils ne se laisseront pas « bafouer » et « (…)

Coup d’éclat des travailleurs de Postes Canada à Ottawa

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/Screenshot-2024-12-12-143439-e1734062879151-1024x437.png13 décembre 2024, par Comité Ottawa-Gatineau
Des centaines de postiers du STTP de l’est du pays se sont réunis sous la pluie glaciale au siège social de Postes Canada mercredi. Les postiers sont descendus en une masse (…)

Des centaines de postiers du STTP de l’est du pays se sont réunis sous la pluie glaciale au siège social de Postes Canada mercredi. Les postiers sont descendus en une masse solidaire en face des bureaux de leur employeur à Ottawa afin de réaffirmer qu’ils ne se laisseront pas « bafouer » et « (…)
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Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

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Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

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