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Venezuela : accélération autoritaire et répression de la gauche critique. Entretien avec Edgardo Lander
Depuis les élections de 2024 au Venezuela, le gouvernement de Nicolás Maduro a intensifié son virage autoritaire déjà ancien. Plus de 2 000 personnes ont été arrêtées dans les jours qui ont suivi le scrutin, et la persécution ciblée s'est étendue aux journalistes, aux syndicalistes, aux universitaires et aux défenseurs et défenseuses des droits humains.
15 octobre 2025 | tiré de contretemps.eu
La militante des droits humains Marta Lía Grajales a disparu pendant deux jours après avoir dénoncé le passage à tabac brutal de mères qui réclamaient la libération de leurs enfants emprisonné·es. María Alejandra Díaz, avocate chaviste et ancienne membre de l'Assemblée constituante, a été radiée du barreau et harcelée après avoir appelé à la transparence dans le dépouillement des votes. Ces cas illustrent une stratégie plus large d'intimidation et de criminalisation.
La répression s'abat avant tout sur la gauche critique. Ces derniers mois, les médias officiels ont accusé Edgardo Lander, Emiliano Terán Mantovani, Alexandra Martínez, Francisco Javier Velasco et Santiago Arconada d'avoir formé un prétendu « réseau d'ingérence étrangère » déguisé en travail universitaire et environnemental. Des institutions telles que la Faculté des sciences économiques et sociales de l'Université centrale du Venezuela, le CENDES, l'Observatoire d'écologie politique et la Fondation Rosa Luxemburg ont également été diffamées dans le cadre de cette prétendue conspiration.
En effet, en contexte d'avancée impérialiste sur la Caraïbe, d'exécutions extrajudiciaires de vénézuéliens par les EEUU avec l'excuse de la lutte contre la drogue, la notion d'anti-impérialisme est instrumentalisée par le gouvernement Maduro pour taire la dissidence et réprimer la population. Dynamique qui doit aussi être mise en perspective avec l'octroi à Maria Corina Machado, figure de l'extrême droite vénézuélienne, du prix Nobel de la Paix. Elle dédie son prix à Donald Trump lui-même, et remercie son soutien pour ce qu'elle appelle la lutte pour la démocratie au Venezuela. Une curieuse conception de la démocratie si l'on prend en compte ses alliances non seulement avec l'administration états-unienne, mais aussi avec les extrêmes droites de l'Amérique latine dont Milei et Bolsonaro, et européennes dont le parti Vox en Espagne ou encore le parti d'extrême droite européen « Patriots for Europe ».
Edgardo Lander — sociologue, professeur retraité de l'Université centrale du Venezuela et figure de proue des débats latino-américains sur la démocratie, l'extractivisme et l'avenir de la gauche — fait lui-même partie des personnes visées. Son travail critique sur l'arc minier de l'Orénoque et son insistance sur la pensée indépendante l'ont placé dans le collimateur du gouvernement[1]. On pourra également relire deux entretiens avec Edgardo Lander que nous avions publié antérieurement : en janvier 2009où il se demandait alors où en était le « processus bolivarien », et en 2018 où il proposait (avec Miriam Lang) un bilan de l'expérience des gouvernements progressistes en Amérique latine de la fin des années 1990 aux années 2010.
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Anderson Bean – Depuis les élections controversées de 2024, la répression contre les voix critiques s'est intensifiée, avec plus de 2 000 personnes arrêtées et une multiplication des cas de persécution ciblée. Comment décririez-vous le climat général de répression au Venezuela depuis les élections ?
Edgardo Lander – Ces élections ont été, à bien des égards, un tournant dans le processus bolivarien au Venezuela. Ces dernières années, des limites qu'on croyait infranchissables ont été, à maintes reprises, allègrement franchies.
Jusqu'aux élections présidentielles vénézuéliennes de l'année dernière, le système était, dans l'ensemble, fiable. Certes, il y avait eu quelques cas isolés de fraude évidente, comme lors des élections des gouverneurs à Bolívar et Barinas, mais ceux-ci n'avaient pas eu d'incidence sur les résultats au niveau national. Le système de vote électronique automatisé du Venezuela, avec ses multiples garanties, rendait très difficile toute fraude à grande échelle.
Le processus était simple : vous votiez, la machine affichait votre choix sur un écran, puis imprimait un reçu papier. Vous vérifiez qu'il correspondait à votre vote et le déposiez dans une urne. À la fin de la journée, les machines produisaient un rapport et, en présence de témoins, les urnes étaient ouvertes et comparées aux résultats des machines. Les procès-verbaux étaient signés par les témoins pour certifier que les décomptes électroniques et papier correspondaient. C'est pourquoi, jusqu'à ce moment-là, les élections vénézuéliennes étaient, je le répète, fondamentalement fiables.
Mais cette fois-ci, lorsque le gouvernement a commencé à recevoir les résultats, il s'est rendu compte qu'il n'allait pas seulement perdre, mais perdre lourdement. Il pensait peut-être pouvoir se permettre une défaite serrée, puis manipuler les résultats dans quelques États pour s'en sortir avec une victoire. Mais l'écart était tellement important que cela s'est avéré impossible. Ils ont donc balayé les règles du jeu.
Ils ont prétendu que le système avait été piraté depuis la Macédoine du Nord. Puis le président du Conseil National Électoral est apparu, littéralement une serviette à la main [2], et a lu des chiffres sans rapport avec le vote réel. Peu de temps après, Maduro a été déclaré vainqueur.
Il s'agissait là d'une ligne rouge très importante, car elle marquait le passage d'un gouvernement qui, certes, manipulait les ressources publiques, menaçait les fonctionnaires, réprimait et intimidait l'opposition, empêchait les partis d'opposition de mener leurs activités, etc., mais où, le jour même des élections, les votes des citoyens étaient au moins fidèlement enregistrés par les machines. Pour la première fois, ils ont décidé, sans vergogne, d'enfreindre les règles du jeu et de supprimer la notion même d'élections du jeu politique ou démocratique. C'était un pas vers un régime qui se révélait ouvertement autoritaire, au mépris de la Constitution et des normes électorales.
Naturellement, cela a déclenché des manifestations massives, auxquelles le gouvernement a répondu par des arrestations massives. Bon nombre de ces arrestations étaient tout à fait arbitraires : des jeunes qui se trouvaient devant leur maison ou qui venaient d'aller acheter du pain ont été accusés de terrorisme et emmenés. Le gouvernement a en substance admis qu'il ne pouvait obtenir le soutien de la majorité et que, s'il voulait rester au pouvoir, il devait recourir à la répression et instiller la peur dans la population.
C'est pourquoi, après le jour du scrutin, il y a eu deux jours de manifestations importantes. Au moins 25 000 personnes sont descendues dans la rue et près de 2 000 ont été arrêtées dans le cadre d'une répression brutale. Cela leur a permis de semer la terreur et de renvoyer les gens chez eux.
Depuis lors, cette logique de répression systématique s'est poursuivie à tous les niveaux. Elle s'est traduite par l'arrestation de journalistes, d'économistes pour avoir publié des chiffres qui déplaisaient au gouvernement, de syndicalistes et d‘universitaires. Après la vague d'arrestations massive qui a suivi les élections, la répression est devenue plus sélective, tout en glissant vers une intolérance quasi totale à l'égard de la dissidence
Le gouvernement a fermé davantage de médias et invoqué une série de lois[3] ces derniers mois – la « loi anti-haine », la « loi anti-terrorisme » et d'autres – visant à criminaliser tout acte d'opposition, aussi pacifique soit-il, car tout acte de ce type est immédiatement qualifié de terrorisme.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un gouvernement qui tente de nier toute possibilité d'expression de la dissidence, tout espace où elle pourrait exister. Cela explique les attaques contre les universités, les journalistes et la campagne systématique contre les ONG. Comme le gouvernement insiste pour présenter tout comme une bataille entre un « gouvernement révolutionnaire » et « l'agression impérialiste », les ONG sont qualifiées d'instruments financés par l'étranger, dirigés par la CIA, dont le but est de saper le gouvernement. Plus récemment, cela a consisté à cibler la Fondation Rosa-Luxemburg[4] et à qualifier les dénonciations de l'arc minier de l'Orénoque (AMO)[5] d'« attaques contre l'État ».
Une étape très récente et significative dans la dérive autoritaire a été franchie avec l'assaut contre la veillée des mères de prisonnier·es politiques. Ces mères, dont les enfants sont emprisonné·es, avaient fait le tour des bureaux du pouvoir judiciaire jusqu'à ce qu'on leur dise que seul le président de la Cour suprême pouvait statuer sur leur cas. Elles se sont rendues au tribunal, ont demandé une audience, se sont vu refuser, puis ont décidé d'organiser une veillée sur la place devant le bâtiment. Elles ont monté une tente, rejointes par des militant·es des droits humains, et avaient même emmené des petits enfants avec elles. Vers 22 heures, la garde permanente devant le tribunal a été retirée, les lumières de la zone ont été éteintes, puis quelque 80 membres de colectivos[6] pro-gouvernementaux, dont certains masqués, sont arrivés. Ils ont battu les mères, leur ont volé leurs téléphones portables et leurs cartes d'identité, et les ont chassées de la place au milieu de la nuit. Beaucoup de mères venaient de province et se sont retrouvées bloquées dans la ville, sans moyen de communication.
C'était vraiment scandaleux, une nouvelle escalade de la logique autoritaire. Et lorsque les mères ont essayé de porter plainte auprès du bureau du procureur général et du médiateur, on leur a répondu qu'on ne pouvait rien faire, car il s'agissait d'une « action privée » des colectivos, et non de la police — une affirmation absurde.
Cette offensive contre les intellectuels, contre l'Université Centrale du Venezuela – qui est devenue un espace important de réflexion et de dissidence – s'inscrit dans une stratégie plus large : tout lieu où peuvent s'exprimer des voix différentes de celles du gouvernement doit être traité comme un ennemi, comme un agent de l'impérialisme, et être persécuté. Telles sont les nouvelles règles du jeu.
Anderson Bean – Au cours de l'année écoulée, nous avons vu des cas où même des personnes issues du milieu chaviste ont été réprimées – par exemple, Marta Lía Grajales, qui a été forcée à monter dans une camionnette banalisée et détenue après avoir dénoncé le passage à tabac violent de mères qui manifestaient pour la libération de leurs enfants, un épisode que vous venez de décrire, et María Alejandra Díaz, avocate et ancienne membre de l'Assemblée constituante, qui a été radiée du barreau après avoir exigé de la transparence lors des élections de 2024. Que révèlent ces cas sur la volonté du gouvernement Maduro de s'en prendre à ses anciens alliés et à sa propre base ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur leur situation et sur leur importance ?
Edgardo Lander – Marta Grajales (1980) a en fait disparu pendant environ deux jours et demi. Son mari et des organisations de défense des droits humains ont fait le tour des centres de détention habituels où les personnes sont emmenées dans ces circonstances, et dans chacun d'entre eux, on leur a répondu qu'elle n'était pas là. La réaction a été si forte – mobilisation de l'opinion publique latino-américaine, du monde universitaire, des réseaux d'organisations sociales et même d'une partie de la base chaviste – que le gouvernement, apparemment (je ne peux pas l'affirmer avec certitude, mais cela semble probable), a été surpris par la force de la réaction et a décidé de libérer Marta immédiatement.
Cela ne signifie pas pour autant qu'elle est libre : elle fait toujours l'objet d'accusations extrêmement graves qui pourraient lui valoir jusqu'à dix ans de prison si son affaire est jugée et qu'elle est condamnée. Mais ce qui est déjà clair, c'est qu'il ne s'agit pas ici de réprimer l'opposition de droite. Marta n'est pas une femme de droite, c'est une compañera, une militante chaviste de longue date. Le fait est qu'il n'importe plus désormais d'avoir une carte du parti, un passé militant ou des années d'identification au gouvernement. Être chaviste n'est plus une protection.
C'est pourquoi je souligne l'une des caractéristiques clés de la situation politique actuelle, résumée dans un hashtag qui a accompagné de nombreuses déclarations du gouvernement ces derniers jours : « Douter, c'est trahir ». Ils le répètent sans cesse. Et c'est un signe de faiblesse, d'insécurité, car il y a des gens au sein des forces armées, de la police et même de la base chaviste qui ne sont pas d'accord avec ce qui se passe. Dans ce contexte, non seulement il est interdit de dénoncer les abus, mais il est même interdit de douter. Quiconque a des doutes doit les garder pour lui, car exprimer ses doutes est considéré comme une trahison.
Il s'agit d'un nouveau modèle autoritaire dans lequel non seulement les organisations autonomes sont interdites, mais même les syndicats ont été déclarés obsolètes – Maduro a annoncé qu'il créerait une nouvelle structure pour les remplacer. Il a également déclaré la création de milices sur les lieux de travail : 450 000 personnes armées sur les lieux de travail à travers le pays, soi-disant pour résister à l'impérialisme lorsque les Marines arriveront. Tout cela ferme tout espace démocratique possible, toute possibilité d'expression libre. L'objectif est de générer la peur – la peur de sortir dans la rue, la peur de s'exprimer, la peur parmi les journalistes qui s'autocensurent – afin qu'au final, nous nous retrouvions avec un régime fermé sans aucune option.
Les relations de Maduro avec la gauche à travers le continent se sont considérablement détériorées. Les seuls gouvernements avec lesquels il s'aligne encore sont ceux de Cuba, du Nicaragua et, dans une certaine mesure, de la Bolivie, du moins jusqu'aux récentes élections. Au-delà de cela, le Venezuela est très isolé. Bien sûr, il existe encore un secteur de la gauche qui s'accroche à l'idée que « l'ennemi est toujours l'impérialisme – quiconque s'oppose à l'impérialisme est mon allié, quiconque ne s'y oppose pas est mon ennemi ». Ainsi, même dans ce contexte de dénonciations graves, le Forum de São Paulo[7]– qui regroupe de nombreux partis de gauche « officiels » d'Amérique latine (pas tous, mais un nombre important) – a publié une déclaration qui ne fait aucune mention des droits humains, des persécutions ou des détentions. Il n'évoque que les menaces que représentent les États-Unis pour la souveraineté vénézuélienne, abordant ainsi un tout autre sujet.
C'est extrêmement grave. J'insiste toujours sur le fait que la pire chose que l'on puisse faire à la gauche, à toute option anticapitaliste ou progressiste dans le monde d'aujourd'hui, c'est d'appeler ce qui existe au Venezuela « socialisme » ou « gouvernement de gauche ». Car cela provoque un tel rejet que les gens disent, à juste titre : « Si c'est ça la gauche, si c'est ça le socialisme, alors je voterai pour la droite. » C'est pourquoi je considère la position du Forum de São Paulo comme perverse : elle perpétue le mythe selon lequel les gouvernements de Cuba, du Nicaragua et du Venezuela sont des gouvernements révolutionnaires, progressistes et démocratiques. Et pourtant, n'importe qui peut lire les journaux pour voir la réalité.
Dans le cas du Venezuela, c'est encore plus évident en raison du nombre considérable de migrant.es qui ont quitté le pays. Leurs récits de première main sur ce qu'ils et elles ont enduré ne peuvent être réduits au silence ou niés : il y a tout simplement trop de voix qui disent la même chose. Demandez-leur pourquoi ils ont dû partir, et les réponses s'accumulent : à cause de ceci, de cela et de cela. Les témoignages sont accablants.
Anderson Bean – Dans ce contexte, vous et d'autres universitaires éminents avez été accusés dans les médias officiels de faire partie d'un prétendu « réseau d'ingérence politique déguisé en travail universitaire et environnemental ». Pourriez-vous commencer par expliquer en quoi consistent réellement ces accusations et d'où elles proviennent ? À partir de là, comment interprétez-vous la signification plus large de ces attaques pour la liberté académique et le débat critique au Venezuela ? Pourquoi pensez-vous que ces attaques ont lieu maintenant, et que révèlent-elles sur les priorités et les craintes du gouvernement à l'heure actuelle ?
Edgardo Lander – Je pense que ces accusations ne sont qu'une autre expression de ce que j'ai décrit : un gouvernement qui cherche à empêcher toute forme de désaccord avec ses politiques. Il ne s'agit pas seulement de réprimer les travailleur·ses qui se mobilisent pour obtenir des salaires décents, ou les mères qui exigent la libération de leurs enfants emprisonné·es. Il s'agit aussi de faire comprendre que la communauté intellectuelle elle-même, simplement en menant des recherches sur les politiques de l'État, commet une infraction.
Prenons le cas des recherches sur ce qui se passe dans l'arc minier de l'Orénoque. Il s'agit simplement d'enquêter, de se demander ce qui arrive aux populations autochtones. Des études montrent, par exemple, que les enfants autochtones ont des taux élevés de mercure dans le sang. C'est cela, la recherche : documenter ce qui se passe réellement. Mais pour le gouvernement, il s'agit d'une atteinte à son autorité, à son droit de définir les politiques qu'il juge appropriées.
Ainsi, lorsqu'ils me citent personnellement, ce n'est pas parce que j'aurais accompli quelque chose d'extraordinaire — au-delà du fait d'exprimer des opinions, de participer à des débats ou de diffuser des idées à travers l'Amérique latine. Le gouvernement considère tout cela comme un danger, une menace, et cherche à le faire taire. Il tente d'amener les intellectuel·les, même celles et ceux qui ne formulent que des critiques modérées, à s'autocensurer ou à éviter de mener des recherches susceptibles de mettre en lumière des réalités embarrassantes pour le pouvoir.
Il s'agit d'un véritable resserrement de l'étau, d'un siège qui, peu à peu, se referme jusqu'à étouffer tout espace de respiration.
Anderson Bean – Outre des personnes comme vous, des institutions bien connues telles que la Faculté des sciences économiques et sociales de l'UCV, le CENDES[8] et l'Observatoire d'Écologie Politique[9] ont également été attaquées. Parmi elles, le cas de la Fondation Rosa Luxemburg se distingue, notamment en raison de ses liens publics avec le parti allemand Die Linke. Pour ceux qui ne la connaissent pas, pourriez-vous expliquer ce qu'est cette fondation, quel type de travail elle a mené au Venezuela et pourquoi elle pourrait aujourd'hui être la cible d'attaques ?
Edgardo Lander – Tout d'abord, pour ceux qui ne connaissent pas bien les fondations politiques allemandes, il convient d'expliquer leur fonctionnement. Dans le système politique allemand, les partis qui dépassent un certain seuil de représentation parlementaire reçoivent un financement public pour une fondation politique liée à ce parti. Les sociaux-démocrates ont une fondation – la Fondation Ebert, le Parti chrétien-démocrate en a une – la Fondation Adenauer – et le parti de gauche, Die Linke, a la Fondation Rosa Luxemburg.
Ces fondations travaillent principalement en dehors de l'Allemagne et se concentrent sur le débat culturel et politique. Elles ne sont en aucun cas des activistes politiques intervenant directement dans les affaires d'autres pays. Dans le cas de la Fondation Rosa Luxemburg, elle dispose de bureaux dans toute l'Amérique latine : au Mexique (couvrant le Mexique, l'Amérique centrale et les Caraïbes), au Brésil, en Argentine (pour le Cône Sud) et à Quito, qui couvre le Venezuela, la Colombie, l'Équateur et la Bolivie.
Pendant les années de gouvernements progressistes, la Fondation Rosa Luxemburg – et en particulier son bureau andin à Quito – a travaillé sur une question qui est au cœur des débats de la gauche et des mouvements sociaux en Amérique latine depuis le début du siècle : l'extractivisme. La question de savoir ce que signifie continuer à repousser la frontière minière vers de nouveaux territoires, et la dévastation que cela cause aux terres autochtones à travers le continent.
D'une part, les gouvernements progressistes ont encouragé, célébré et activé des processus d'organisation populaire, des secteurs populaires urbains aux peuples autochtones, en passant par les éleveurs et les paysans. Mais les politiques extractivistes ont également signifié que lorsque les peuples autochtones ont résisté à l'occupation de leurs territoires, l'État a répondu par la répression.
La question de l'extractivisme et du modèle de développement plus large poursuivi par les gouvernements progressistes est donc liée à la crise civilisationnelle à laquelle nous sommes confrontés. Elle touche aux limites de la planète, aux droits des peuples autochtones, aux menaces environnementales. Il s'agit là de questions intrinsèquement politiques, qui ne sont pas neutres ni purement académiques. Elles affectent directement la vie des gens.
C'est pourquoi, au Venezuela aujourd'hui, même la recherche ou la critique publique de la politique extractiviste – comme la remise en cause de la stratégie du gouvernement dans l'arc minier de l'Orénoque – est considérée comme une attaque directe contre l'État. Tout récemment, la Fondation Rosa Luxemburg a été désignée comme l'ennemi principal, précisément parce qu'elle a soutenu des débats, des études et des mouvements qui remettent en question les coûts sociaux et environnementaux de l'exploitation minière et de l'extractivisme. Ce qui est en réalité un travail de recherche universitaire et de soutien aux mouvements sociaux est présenté par le gouvernement comme une subversion politique.
Prenons l'exemple de l'eau. Il est difficile d'imaginer aujourd'hui, où que ce soit dans le monde, un mouvement de défense de l'eau qui ne soit pas politique. Car si les gens défendent l'eau, c'est parce que quelqu'un fait quelque chose pour la contaminer ou l'épuiser. Cela en fait nécessairement un sujet de débat, et le débat implique toujours des positions politiques.
Le fait n'est donc pas que la Fondation Rosa Luxemburg soit apolitique. Les questions sur lesquelles elle travaille – l'extractivisme, les droits des autochtones, les menaces environnementales – ont inévitablement une dimension politique. Mais il ne s'agit en aucun cas d'une fondation qui soutient ou finance des politiques visant à saper le gouvernement vénézuélien.
Si des groupes enquêtent sur l'arc minier de l'Orénoque et que leurs rapports montrent les effets extrêmement négatifs de l'exploitation minière illégale dans cette région, le gouvernement considère cela comme une attaque contre lui-même. Et à partir de là, la seule alternative qui reste est le silence : personne ne dit rien sur quoi que ce soit.
L'affirmation selon laquelle la Fondation Rosa Luxemburg est financée par le gouvernement allemand et fait donc partie d'un projet impérialiste américain visant à affaiblir le Venezuela est, outre le fait qu'elle relève de la paranoïa, une simple tentative de tout mettre dans le même sac et d'attaquer les ONG dans leur ensemble.
Bien sûr, il existe de nombreuses petites organisations diverses qui travaillent sur des questions telles que les élections, l'environnement, les droits humains, les droits des femmes, etc. Dans toute l'Amérique latine, beaucoup de ces groupes reçoivent des financements extérieurs, parfois des églises, parfois de l'Union européenne, parfois d'autres sources. Et le gouvernement tente de présenter tout cela comme faisant partie d'une grande stratégie impérialiste visant à financer ces organisations afin de renverser le gouvernement.
Cela n'a pas vraiment de sens d'un point de vue concret, mais d'un point de vue politique, cela a tout son sens pour convaincre la base qui soutient le gouvernement que le Venezuela est attaqué et que toute personne qui semble neutre – ou même sympathisante du chavisme – mais qui critique ensuite les politiques gouvernementales sur des questions que l'État considère comme vitales, rejoint immédiatement le camp ennemi. Et l'ennemi doit être combattu.
Cela place bien sûr la Fondation Rosa Luxemburg dans une situation très difficile. Il lui devient extrêmement difficile de mener à bien son travail. Et les communautés avec lesquelles elle travaille – petits agriculteurs, paysans et autres – finissent par perdre le soutien dont elles bénéficiaient jusqu'à présent.
Quoi qu'il en soit, il est important d'être clair : il s'agit d'une petite fondation. Elle ne dispose pas de millions et de millions de dollars. Ses projets sont modestes.
Anderson Bean – Pourquoi pensez-vous que ces attaques ont lieu maintenant, et que révèlent-elles sur les priorités et les craintes du gouvernement à l'heure actuelle ?
Edgardo Lander – Je pense que ce qui se passe actuellement est lié à ce que j'ai déjà mentionné : le gouvernement se sent de plus en plus isolé. Il se sent de plus en plus isolé sur la scène internationale et de plus en plus discrédité au sein de la gauche mondiale, même s'il existe des tensions et des contradictions dans ce domaine. Et bien sûr, il constate également un mécontentement au sein de sa propre base.
Tout d'abord, cela s'explique par le fait que les conditions de vie des citoyens ordinaires ne s'améliorent pas. Aujourd'hui, le salaire minimum au Venezuela est inférieur à un dollar étatsunien par mois. Il est partiellement compensé par diverses primes, distribuées arbitrairement à qui bon leur semble, quand bon leur semble, et utilisées comme un outil de contrôle politique sur la population.
Nous avons affaire à un gouvernement qui a depuis longtemps abandonné tout projet politique. Tout le discours sur l'approfondissement de la démocratie, sur le socialisme, a tout simplement disparu de l'horizon. Le seul objectif du gouvernement est désormais de se maintenir au pouvoir.
Pour se préserver, il comptait auparavant sur un certain niveau de soutien populaire. Mais comme ce soutien n'a cessé de diminuer, la répression est devenue sa seule option. C'est pourquoi son discours s'appuie désormais fortement sur des appels au patriotisme, au nationalisme, à l'anti-impérialisme et aux menaces extérieures. Dans ce discours, tout est mis dans le même sac. Les ONG sont également incluses, car le gouvernement a besoin de présenter tout cela non pas comme des menaces pour lui-même, mais comme des menaces pour le Venezuela.
Anderson Bean – Enfin, bon nombre de ceux qui sont attaqués, y compris vous-même, collaborent depuis longtemps avec des mouvements et des camarades à l'étranger. Quelles formes de solidarité internationale sont les plus utiles à ce stade ?
Edgardo Lander – Tout d'abord, en parlant non seulement de la situation actuelle, mais aussi dans un sens plus durable, je voudrais revenir sur un point que j'ai soulevé précédemment. Pour les secteurs de la gauche vénézuélienne qui ont vécu et souffert de ce qui s'est passé dans ce pays au cours de ces dernières années, il est très douloureux de voir des intellectuel·les, des organisations et des journalistes de gauche continuer à décrire le Venezuela comme un gouvernement de gauche, un gouvernement socialiste ou un gouvernement révolutionnaire. C'est déchirant, profondément douloureux, car cela revient à ignorer toutes les preuves de ce qui se passe réellement dans le pays, à fermer les yeux sur la réalité — tout cela au nom de la lutte contre l'impérialisme.
Mais lutter contre l'impérialisme doit nécessairement signifier offrir un mode de vie meilleur que celui qu'offre l'impérialisme, et non pire. C'est pourquoi je pense que le travail que vous faites et l'initiative de votre livre sont si précieux : ils créent un espace pour une discussion sérieuse, réfléchie et raisonnée sur ce qui se passe réellement, plutôt que de tomber dans un débat simpliste et manichéen entre « les bons et les méchants » ou « les anti-impérialistes contre les pro-impérialistes ».
Il s'agit d'une question de solidarité — non pas de solidarité avec un gouvernement, mais de solidarité avec les peuples. Et cela est important non seulement pour le Venezuela, mais aussi au niveau international. Le mot « socialisme » devient de plus en plus populaire dans certaines parties du monde ; en fait, il attire de plus en plus de personnes. Mais lorsque le « socialisme » est assimilé au Venezuela, cela nuit à son attrait. C'est pourquoi il est absolument essentiel de distinguer l'expérience vénézuélienne du rêve d'un autre monde possible.
À l'heure actuelle, la réaction internationale à la détention de Marta Lía Grajales, puis aux accusations portées contre l'Université centrale du Venezuela, le CENDES et la Fondation Rosa Luxemburg, a sans doute surpris le gouvernement, en raison de l'ampleur du rejet qu'elle a suscité. Et l'une des caractéristiques déterminantes de la gauche a toujours été la notion d'internationalisme.
Si nous voulons réfléchir à la crise civilisationnelle, aux alternatives au développement et à la résistance à l'extractivisme, nous ne pouvons le faire dans les limites d'une seule nation. Il faut aborder ces questions à travers des réseaux qui traversent les frontières. Par exemple, lors de la lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA/ALCA) il y a vingt ans, il y eut un niveau remarquable de coordination à l'échelle du continent : syndicats, étudiant·es, travailleur·euses du secteur public, paysan·nes, organisations autochtones, mouvements féministes — de toute l'Amérique latine, y compris du Canada et des États-Unis. Ces coordinations ont créé des réseaux, des savoirs, des contacts personnels et des moyens de partager l'information.
Ces réseaux et ces savoirs sont toujours vivants en Amérique latine. Ils n'ont plus la vigueur qu'ils avaient durant la lutte contre la ZLEA, mais ils perdurent. C'est pourquoi, très souvent, lorsqu'un événement se produit dans un pays de la région, il y a une réaction à l'échelle du continent, car les canaux permettant de communiquer ce qui se passe et d'appeler à réagir sont toujours là.
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Anderson M. Bean est sociologue, Teaching Assistant Professor à la North Carolina A&T State University (Greensboro). Spécialiste du Venezuela et de la démocratie participative, il est l'auteur deCommunes and the Venezuelan State : The Struggle for Participatory Democracy in a Time of Crisis (Lexington Books, 2022/2023) et l'éditeur du volume Venezuela in Crisis. Socialist Perspectives (Haymarket Books, 2025). Il a notamment publié « Venezuela, Human Rights and Participatory Democracy, » Critical Sociology 42, no. 7–8 (2016).
Edgardo Lander (né en 1942 à Caracas) est un sociologue vénézuélien, professeur retraité de l'Université centrale du Venezuela (UCV). Titulaire d'un doctorat en sociologie de l'Université de Harvard (1977), il est l'auteur de travaux majeurs sur la démocratie, la mondialisation néolibérale, l'extractivisme et la pensée décoloniale. Membre du comité international du Forum social mondial (Caracas, 2006), il est également associé au Transnational Institute (TNI) et au Grupo Permanente de Trabajo sobre Alternativas al Desarrollo. Parmi ses publications : Neoliberalismo, sociedad civil y democracia : ensayos sobre América Latina y Venezuela (Nueva Sociedad, 1995), et l'ouvrage collectif qu'il a dirigé, La colonialidad del saber : eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas (CLACSO, 2000). Ses recherches récentes portent sur les contradictions du processus bolivarien et sur les impacts sociaux et écologiques de l'Arc minier de l'Orénoque.
Cet entretien a été conduit en espagnol par Anderson Bean. Une première traduction anglaise a été publiée sur le site de Tempest (11 septembre 2025).
Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.
Photo : Yoletty Bracho.
Notes
[1] L'interview a eu lieu avant l'attaque navale illégale menée le 2 septembre 2025 par les États-Unis contre un bateau battant pavillon vénézuélien dans la mer des Caraïbes, qui a causé la mort des 11 personnes à bord (NDLR).
[2] Lors de l'annonce officielle des résultats, le président du Conseil national électoral, Elvis Amoroso, est apparu à la télévision une serviette à la main, visiblement interrompu en pleine digestion. L'image, devenue virale, a illustré à sa manière le caractère improvisé — sinon indigeste — de la proclamation des résultats.
[3] La Loi contre la haine, pour la coexistence pacifique et la tolérance (Ley contra el odio, 2017) punit jusqu'à vingt ans de prison tout message jugé « incitant à la haine », permettant la censure de médias et la répression d'opposant·es. La Loi organique contre le crime organisé et le financement du terrorisme (Ley Orgánica contra la Delincuencia Organizada y Financiamiento al Terrorismo, 2012, révisée) est fréquemment utilisée pour poursuivre des syndicalistes, des chercheur·ses et des ONG accusé·es de « terrorisme » ou « d'ingérence étrangère ». Ces textes constituent aujourd'hui les principaux instruments juridiques de la dérive autoritaire du gouvernement vénézuélien.
[4] Fondation Rosa-Luxemburg (Rosa-Luxemburg-Stiftung, RLS) — Fondation politique allemande proche de Die Linke. Son bureau régional andin (Quito, ouvert en 2010) coordonne des projets en Équateur, Colombie, Bolivie et Venezuela, autour de l'éducation populaire, des droits sociaux et de la critique de l'extractivisme (par ex. le groupe « Alternatives au développement »). Au Venezuela, la coordination a notamment impliqué la sociologue Alexandra Martínez (1982), activiste engagée dans des processus de renforcement du pouvoir populaire. La RLS et plusieurs universitaires critiques (dont E. Lander, E. Terán Mantovani, A. Martínez) ont été accusés par les médias officiels de former un prétendu « réseau d'ingérence étrangère » ; ces accusations ont été dénoncées comme infondées par la Faculté des sciences économiques et sociales de l'Université centrale du Venezuela (UCV), tandis que la RLS a rejeté toute « ingérence » et réaffirmé son rôle de soutien à la réflexion critique et aux mouvements sociaux.
[5] Arc minier de l'Orénoque (AMO) — Zone spéciale de 111 843 km², située dans les États de Bolívar et Amazonas, désignée en février 2016 par Nicolás Maduro comme « zone de développement stratégique national » pour l'exploitation d'or, diamant, coltan et autres minerais. Le projet, qui couvre près de 12 % du territoire vénézuélien, est dénoncé par des chercheurs, ONG et organisations autochtones pour ses effets : déforestation, pollution au mercure, violences liées à l'extraction illégale et violations des droits des peuples originaires. Le gouvernement qualifie fréquemment ces critiques d'« attaques contre l'État ».
[6] Colectivos — Groupes organisés de base, nés dans les quartiers populaires vénézuéliens dans les années 2000, initialement liés à l'auto-organisation communautaire et au soutien au processus bolivarien. Beaucoup ont évolué en groupes armés pro-gouvernementaux, jouant un rôle de contrôle social et participant à des actions de répression, souvent en coordination informelle avec les forces de sécurité de l'État.
[7] Le Forum de São Paulo (Foro de São Paulo) est une instance régionale de concertation fondée en 1990 à l'initiative du Parti des travailleurs (PT) brésilien et de Fidel Castro, dans le but de coordonner les forces de gauche latino-américaines après la chute du bloc soviétique. Il rassemble aujourd'hui environ 120 partis et mouvements politiques issus de 27 pays d'Amérique latine et des Caraïbes, couvrant un large spectre allant des partis sociaux-démocrates aux formations se réclamant du socialisme révolutionnaire. Le Forum continue de se réunir régulièrement : sa XXVIIe rencontre s'est tenue à Tegucigalpa (Honduras) en juin 2024, et un Groupe de travail permanent s'est encore réuni à Caracas en janvier 2025. Voir : Foro de São Paulo, “Documento Base del XXVII Encuentro del Foro de São Paulo”, Fondation Perseu Abramo, 2024, en ligne : fpabramo.org.br.
[8] CENDES — Centro de Estudios del Desarrollo (Centre d'études du développement) de l'Université centrale du Venezuela (UCV), fondé en 1961 avec le soutien de la CEPAL, comme institut interdisciplinaire dédié à la recherche, à la formation et à la planification en matière de développement économique et social. Il a contribué à moderniser la réflexion sur le développement en Amérique latine, en intégrant l'économie, la sociologie, la santé publique et l'aménagement du territoire. Le centre édite les Cuadernos del CENDES, l'une des principales revues de sciences sociales au Venezuela. Depuis les années 2000, il s'est particulièrement illustré par ses travaux critiques sur l'extractivisme, l'Arc minier de l'Orénoque (AMO) et les contradictions du modèle rentier vénézuélien.
[9] Observatorio de Ecología Política de Venezuela (OEP) — Collectif créé en 2016, rassemblant chercheurs et militants pour documenter les conflits socio-environnementaux liés à l'extractivisme pétrolier et minier, à la déforestation et aux violations des droits des peuples autochtones. L'OEP publie rapports, cartes et dossiers (notamment via l'Environmental Justice Atlas) et s'est distingué par ses critiques de l'Arc minier de l'Orénoque, ce qui lui a valu d'être récemment accusé par les médias officiels d'« ingérence » aux côtés du CENDES et de la Fondation Rosa Luxemburg.
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Des milliers de personnes descendent dans les rues du Pérou après la chute d’un nouveau gouvernement
La chute de Dina Boluarte de la présidence péruvienne a été provoquée par le fujimorisme et ses alliés réactionnaires au parlement. Le Congrès a décidé de destituer la présidente quelques mois avant l'élection présidentielle, prévues pour le 12 avril 2026. Le controversé président du Congrès, José Jerí, a pris la présidence.
« 20 » octobre 2025 | tiré d'inprecor.org
https://inprecor.fr/des-milliers-de-personnes-descendent-dans-les-rues-du-perou-apres-la-chute-dun-nouveau-gouvernement
Le premier objectif de cette manœuvre était pour ces secteurs de se décharger de la grande crise générée par leur propre coalition ultra-conservatrice, en rejetant toute la responsabilité sur Boluarte. Le deuxième objectif était de désamorcer le processus de mobilisation initié par les jeunes, ainsi que les grèves des transports, dans un contexte de mécontentement énorme d'une population souffrant d'insécurité (5 000 personnes ont déjà été assassinées par des tueurs à gages).
Mais la coalition réactionnaire qui a porté Boluarte au pouvoir puis l'a renversée n'a pas réussi à démanteler le processus. L'appel à une journée nationale de lutte le 15 octobre a pris de l'ampleur. Le gouvernement intérimaire de José Jerí Oré a tenté une vieille recette, en appelant au dialogue, cherchant à désamorcer la mobilisation sociale qui s'annonçait déjà comme l'une des plus importantes depuis décembre 2022.
Le plan de Jerí consistait à proposer une table de dialogue, convoquée pour le 14 octobre, en coordination avec le maire de Pataz.
Ce dernier a décidé de baisser les drapeaux de la lutte, de faire confiance à Jerí et de ne pas participer à la journée d'action du 15, au grand dam des milliers de manifestant·es qui avaient parcouru plus de mille kilomètres. Dans le même temps, le nouveau président a organisé une série de réunions avec des gouverneurs, des maires, des recteurs d'université et des artistes, ainsi qu'avec un groupe qui prétendait représenter la Fédération des étudiants du Pérou (FEP).
Tout était conçu pour donner l'image d'un État prêt à écouter. Mais en réalité, il s'agissait d'une opération de désamorçage politique, consistant à ouvrir de petites soupapes pour que la vapeur sociale ne fasse pas exploser la chaudière.
Tout en parlant de dialogue, José Jerí a nommé un cabinet encore plus réactionnaire, avec un passé putschiste. Il a placé Ernesto Álvarez Miranda, un ultra-conservateur qui était magistrat à la Cour constitutionnelle et doyen de la faculté de droit de l'USMP, à la tête du Conseil des ministres. Jerí a clairement indiqué que ce serait un gouvernement dont la politique d'État serait la répression. Il avait déjà qualifié sur les réseaux sociaux les jeunes mobilisé·es de « gang qui veut prendre d'assaut la démocratie » et d'« héritiers du MRTA ». Il ne s'agissait pas d'une excentricité, mais plutôt d'une préparation idéologique à la répression : criminaliser la protestation pour justifier l'usage de la force.
Les événements du 15 octobre
La mobilisation, initialement menée par des groupes de jeunes de la génération Z, s'est transformée en un mouvement national impliquant des étudiant·es plus âgé·es, des enseignant·es, des artistes, des streamers, des syndicats et des communautés locales, ainsi que des organisations de la gauche péruvienne. Les principales revendications des manifestants visaient Jerí lui-même et le Congrès. Ils ont appelé à la démission du nouveau président, qui fait partie de la mafia putschiste au sein du parlement et qui fait l'objet d'une accusation de tentative de viol. Beaucoup ont réclamé la dissolution du Congrès actuel.
Des manifestations ont eu lieu dans les 24 régions administratives. À Arequipa, les marches ont coïncidé avec la visite du roi d'Espagne au Congrès international de la langue espagnole, créant une scène symbolique : des jeunes confrontés à la fois au régime putschiste et à l'ancien ordre colonial. À Lima, la journée s'est terminée avec des dizaines de blessés et souillée par le sang d'Eduardo Ruiz Sáenz (« Trvko »), un rappeur de 32 ans. Ruiz a été abattu sur la Plaza Francia, loin de l'épicentre des événements de la journée. Le meurtre d'Eduardo a encore attisé la colère populaire. Outre la mort du jeune homme, un autre meurtre a été commis et des centaines de personnes ont été blessées par des balles en caoutchouc. La demande de punition des meurtriers est un important cri de ralliement.
Des témoins ont déclaré que c'était un policier en civil du groupe Terna qui avait tiré les coups de feu. Le gouvernement a réagi avec cynisme : Jeri a parlé d'« un petit groupe d'infiltrés », tentant d'effacer la mort du jeune homme et de transformer la tragédie en bruit. Le sang d'Eduardo Ruiz n'était pas le résultat d'un « excès de zèle policier ». Il confirmait la nature répressive du régime putschiste de Jeri et de son Congrès.
Des élections au milieu de la lutte ?
Il est très improbable que les élections générales de 2026 se déroulent sans incident. Ce dont les travailleur·ses, les étudiant·es et le peuple péruvien en général avaient désespérément besoin est en train de devenir réalité : une alliance sociale a commencé à se former entre les lycéen·nes et les étudiant·es, qui défilent aux côtés des enseignant·es, des associations artistiques, des collectifs de quartier et des mouvements indigènes, tous avec pour objectif d'abroger toutes les lois adoptées par le Congrès mafieux et de traduire en justice et de punir les responsables des meurtres commis par la police. Le 15 octobre est donc une date historique, un jour où les jeunes, les travailleur·ses et les peuples du Pérou ont brisé la passivité imposée par la peur et la fragmentation.
Mais chaque étincelle a besoin d'être organisée pour devenir un incendie. Le moment est très délicat et complexe. Nous sommes à six mois des élections générales, auxquelles participeront 43 partis, dont 99 % sont de droite ou de centre-droit. La coalition encore au pouvoir souhaite que seuls les candidat·es de droite accèdent au second tour. À gauche, on trouve l'alliance Venceremos, qui regroupe Nuevo Perú por el Buen Vivir et Voces del Pueblo, auxquels se sont joints Unidad Popular, Tierra Verde et Patria Roja, ainsi que certains syndicats tels que la CUT et des mouvements sociaux. Il est essentiel de lutter également sur ce terrain.
Si la présentation d'une alternative de gauche unifiée dans le processus électoral est une nécessité, la tâche la plus difficile consiste à aider les jeunes, les travailleur·ses et les mouvements populaires à passer de l'indignation à la construction d'un espace large, unifié et démocratique pour coordonner la lutte contre le régime. Un espace qui ne soit pas accaparé par les bureaucraties ou les sectaires, qui discute démocratiquement des mesures à prendre, des prochaines actions et d'un plan national de lutte pour une nouvelle Assemblée constituante nationale.
Le 18 octobre 2025, publié par International Viewpoint
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Equateur : Chasse aux sorcières contre les dirigeant·es et militant·es des mouvements sociaux
L'Équateur est à la croisée des chemins. Tout en intensifiant la répression contre les manifestations [avec au moins trois morts ces dernières semaines], Noboa a lancé une chasse aux sorcières contre les dirigeant·es et militant·es des mouvements sociaux.
20 octobre 2025 | Correspondencia de Prensa
D'une part, une nouvelle phase de lutte sociale a commencé. Depuis le 23 septembre, la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur) organise des manifestations, qui ont jusqu'à présent été les plus intenses dans les provinces d'Imbabura, Pichincha, Cotopaxi et Chimborazo, en réponse à l'augmentation des prix du diesel. Mais quelques jours plus tôt, le 16 septembre, une manifestation de masse rassemblant 100 000 personnes a défilé dans la ville de Cuenca pour défendre le bien commun qu'est l'eau, dont les sources sont menacées par les licences environnementales accordées par le gouvernement à des entreprises transnationales.
Quelques semaines auparavant, à l'initiative du FUT (Front unitaire des travailleurs), une vingtaine d'organisations avaient formé le Front pour la défense de la santé, de l'éducation publique, du travail décent, de la sécurité sociale, des droits humains et de la nature. Le FUT et ce nouveau Front ont organisé plusieurs actions, manifestations et sit-in pour protester contre les lois antidémocratiques sur l'intégrité, la sécurité et le renseignement (qui instaurent une sorte d'état d'urgence permanent et étendent les possibilités d'espionnage contre les organisations et les dirigeants sociaux), contre un projet de réforme de la loi sur la sécurité sociale qui ouvrira la porte aux banques privées pour contrôler certaines parties de la BIESS (la banque de l'Institut équatorien de sécurité sociale), contre les milliers de licenciements dans le secteur public (on estime que le gouvernement licenciera 70 000 travailleur·ses) et contre la crise que l'inaction du gouvernement a provoquée dans le domaine de la santé publique.
Mais, d'autre part, la réponse du gouvernement a été la persécution, l'espionnage et la répression. Cela n'est pas surprenant car, depuis janvier 2024, Noboa s'est employé à mettre en place et à perfectionner un régime autoritaire qui subordonne et menace les autres fonctions de l'État afin de les mettre au service du président et de son groupe : s'il s'est retourné contre son vice-président au début de son premier mandat, il a préféré ces derniers mois s'en prendre à la Cour constitutionnelle. Bien que la Cour ait cédé au référendum de Noboa et à sa proposition d'Assemblée constituante, avec laquelle il espère démanteler tous les droits restants, elle n'a pas accepté toutes les dispositions des lois antidémocratiques de Noboa. Le président se venge en accusant la Cour d'être responsable de la violence du trafic de drogue.
Le président a pu faire avancer la conception de son régime autoritaire en se cachant derrière la « guerre interne » qu'il a déclarée contre le « terrorisme » et en utilisant comme prétexte la peur de la population face à la violence liée à la drogue. Cependant, il est désormais clair que cette guerre était en réalité préparée contre les protestations sociales.
Au lieu d'écouter la voix du peuple, Noboa renforce le caractère antidémocratique de son régime. Dès l'annonce des manifestations des autochtones, le président a menacé de « les dénoncer pour terrorisme » et de les envoyer « en prison pour 30 ans ». Lors des premières manifestations, Noboa a déclaré qu'« il ne s'agissait pas de manifestations, mais d'actes de terrorisme », qu'il s'agissait de « la même vieille mafia » et que les manifestations étaient financées par des cartels miniers et de la drogue illégaux.
Les manifestations ont été sévèrement réprimées, et l'armée a même fait des descentes dans des maisons des communautés autochtones pour arrêter des jeunes. D'autres personnes ont été arrêtées sans avoir participé aux manifestations. Parmi les personnes détenues figurent 12 jeunes autochtones d'Otavalo qui ont été transférés arbitrairement vers des prisons à Esmeraldas et Portoviejo, où un nouveau massacre a eu lieu quelques heures plus tôt, faisant une trentaine de morts. En les transférant vers ces prisons, le gouvernement met en danger la vie de ces jeunes militant·es.
Il a immédiatement ordonné le gel des comptes bancaires des dirigeant·es de la CONAIE et du Conseil de l'eau de Cuenca. Dans le même temps, il a lancé des poursuites par l'intermédiaire du ministère public. Ces derniers jours, le parquet chargé de la criminalité organisée, transnationale et internationale a « demandé des informations » à Edwin Bedoya, président du FUT (Front unitaire des travailleurs) et du CEDOCUT (Confédération équatorienne des organisations classistes pour l'unité des travailleurs), Andrés Quishpe, président de l'UNE (Union nationale des éducateurs), Gary Esparza, président de la FENOCIN (Confédération nationale des organisations paysannes, indigènes et noires), et Nery Padilla, président de la FEUE (Fédération des étudiants universitaires de l'Équateur).
Parallèlement, le ministère public a ouvert une enquête « pour enrichissement personnel injustifié » contre 58 militants et dirigeants de la CONAIE, du Front national anti-mines et de plusieurs autres organisations sociales et ONG environnementales liées aux mouvements sociaux.
Marlon Vargas, président de la CONAIE, Leonidas Iza, ancien président de la CONAIE, et Guillermo Churuchumbi, coordinateur de Pachakutik, ont également été inculpés par le ministère public de la ville de Riobamba pour avoir organisé la grève. Dans le même temps, les médias communautaires, tels que la chaîne de télévision du Mouvement indigène et paysan de Cotopaxi (MICC), sont censurés.
Les mobilisations de ces dernières semaines marquent un nouveau tournant dans la lutte sociale en Équateur, car elles montrent qu'une opposition populaire se forme contre le gouvernement antidémocratique et néolibéral de Daniel Noboa. C'est déjà un fait, quelle que soit l'ampleur et la profondeur des manifestations actuelles. Dans le même temps, les luttes cherchent des moyens de se rassembler et de créer des espaces d'unité plus larges.
Les deux sont considérés comme une menace par le gouvernement et les oligarchies au pouvoir, qui réagissent donc avec tant de violence et de mauvaise foi. Face à cela, la solidarité avec les organisations, leurs dirigeant·es et les luttes qu'ils mènent est urgente.
Le 28 septembre 2025
Publié à l'origine dans Correspondencia de Prensa.
Vous trouverez ci-joint le document Chers camarades afin que les organisations sociales, syndicales ou politiques puissent l'adapter à leur manière (les parties formelles, pas le contenu) et l'envoyer au président du CEDOCUT (Edwin Bedoya) presidenciaced… ou même l'adapter pour l'envoyer aux consulats ou ambassades équatoriens.
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Instaurer la Journée du mouvement féministe ukrainien
Au nom des femmes ukrainiennes, nous vous proposons de soutenir l'initiative visant à instaurer le 8 décembre comme Journée du mouvement féministe ukrainien. Le 8 décembre est une date historique dans l'histoire du mouvement féministe ukrainien.
Ce jour-là, en 1884, à Stanislavov (aujourd'hui Ivano-Frankivsk), à l'initiative de la fondatrice du mouvement féministe Natalia Kobrinska, la « Société des femmes ruthènes » a été créée. Il s'agissait de la première institution féminine officiellement créée, dotée de ses propres statuts, objectifs et domaines d'activité, qui a marqué le début de l'ère du mouvement féministe ukrainien et a réuni les femmes ukrainiennes de l'époque autour de valeurs communes : l'accès à l'éducation, le travail intellectuel, l'entraide, l'égalité sociale et le droit de vote.
C'est à l'initiative de la « Société des femmes ruthènes » qu'a été publié en 1887 le premier almanach .féminin au monde, « Perchyj vinok » (La première couronne), qui est devenu un exemple sans précédent d'organisation des femmes de l'Ukraine, alors divisée par l'empire. L'appel de l'almanach – « Au nom de notre unité nationale » – a instauré une tradition de coopération active entre les femmes des deux côtés de la frontière, a stimulé les processus de construction nationale et a établi une tradition d'écriture féminine et de sororité littéraire. L'importance immuable de cette date réside également dans le fait qu'elle est devenue un repère historique pour les luttes des femmes des générations suivantes, qui, à différentes époques, ont commémoré cette date en organisant des congrès, des éditions, diverses manifestations commémoratives, démontrant ainsi le lien historique étroit avec l'expérience de leures prédécesseures et développant, sur la base de leurs réalisations, la nouvelle pensée du féminisme ukrainien. Au fil des siècles, les femmes ukrainiennes ont été des participantes actives des mouvements de libération et continuent aujourd'hui à lutter consciemment pour le droit de vivre sur leur terre et de préserver leur culture et leurs traditions. Le 140e anniversaire du mouvement féministe ukrainien, célébré l'année dernière, a montré que les femmes souhaitaient vivement que cette date soit officiellement commémorée.
En témoigne l'ampleur du retentissement des événements organisés à l'occasion du 140e anniversaire, qui ont rassemblé les femmes ukrainiennes non seulement dans différentes régions d'Ukraine, mais aussi dans les communautés ukrainiennes à travers le monde. Compte tenu de ces arguments, et à l'occasion du 140e anniversaire du mouvement des femmes ukrainiennes, nous demandons que le 8 décembre soit déclaré Journée du mouvement des femmes ukrainiennes.
Date de début de la collecte des signatures : 16 septembre 2025
Autrice : Tetyana Mykolaivna Chernetskaya.
* Natalia Kobrinska (1851 1920) a animé de 1893 à 1896, sa maison d'édition La cause des femmes.
Publié dans Lettre du RESU du 7 octobre
Télécharger la lettre du RESU : Lettre du RESU 7:10:2025
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Contrat et ordre du jour : nouvelle architecture de projet militaire
Qu'est-ce qui change dans le projet militaire à partir du 1er octobre ? Comment l'État mobilise-t-il les citoyens pour la guerre contre l'Ukraine ? Comment fonctionne le nouveau modèle de contrôle des conscrits ? Le journaliste Daniil Gorodetsky répond à ces questions.
10 octobre 2025 | tiré d'Inprecor.fr
Le 22 juillet, un projet de loi a été soumis à la Douma d'État, qui modifie considérablement l'ordre habituel de la conscription militaire. Si auparavant la convocation était remise deux fois par an – au printemps et en automne – maintenant les bureaux d'enregistrement et d'enrôlement militaires garderont les consrits inscrits toute l'année : du 1er janvier au 31 décembre. L'envoi aux troupes est toujours prévu pour le printemps et l'automne, mais l'ensemble du processus préparatoire – commissions, inspections et émission de convocations – deviendra continu.
Le document a été rédigé par Andreï Kartapolov, président de la Commission de la Défense de la Douma d'État, et son premier adjoint, Andreï Krasov. Selon eux, l'initiative est purement « technique » : elle vise à alléger la charge de travail des bureaux de recrutement militaire, à éliminer les procédures d'urgence traditionnelles et à rendre les examens médicaux plus approfondis.
Mais il y a aussi une motivation différente dans les déclarations publiques. Le vice-président du Comité, Alexey Zhuravlev, a déclaré directement : « il n'y aura pas de fenêtres pour la détente ». C'est-à-dire que les pauses habituelles, lorsqu'il était possible de gagner du temps, disparaissent. Maintenant, l'ordre du jour peut venir à tout moment de l'année, et pour ceux qui espéraient s'asseoir entre les appels, la marge de manœuvre est réduite au minimum.
Le 24 septembre, la Douma d'État a adopté le projet de loi en première lecture. En l'absence d'objections sérieuses de la part des députés, il pourrait être définitivement approuvé dans les prochaines semaines, et la conscription annuelle débuterait le 1er janvier 2026.
« Officiellement, la conscription ne réduit pas le nombre de reports, mais elle permet aux conscriptions de se dérouler toute l'année. Cela élimine les habituelles « fenêtres » entre les campagnes, où l'on pouvait gagner du temps ou profiter des frais de procédure », a déclaré Valeria Vetoshkina, avocate du Mouvement des objecteurs de conscience, à After.Media. « Désormais, une convocation peut arriver à tout moment, ce qui réduit la marge de manœuvre. De plus, à compter de cette année, la décision du comité de conscription est valable 12 mois dans tout le pays ; elle ne peut plus être annulée par un déplacement ou une modification de l'inscription. »
Les avocats soulignent que plus une personne reste longtemps sous le contrôle du bureau d'enrôlement militaire, plus elle a de chances de se voir proposer un contrat avant même d'être affectée à son unité. Officiellement, ce sera volontaire, mais en pratique, il est souvent difficile de refuser, d'autant plus que les derniers moyens légaux de différer son service militaire disparaissent. Les inquiétudes sont d'autant plus vives que la disparition des « fenêtres de temps » traditionnelles prive nombre de ces derniers moyens légaux de différer son service ou d'obtenir un sursis légal. Désormais, on peut se retrouver au bureau d'enrôlement militaire n'importe quel mois, sans répit ni possibilité de « se reposer » entre deux conscriptions.
Tout cela se produit dans un contexte de rapports croissants faisant état de pressions croissantes sur les nouvelles recrues et les conscrits pour qu'ils signent un contrat. Pour certains, c'est une occasion de gagner de l'argent, pour d'autres, un piège difficile à échapper, surtout à l'approche du front.
Le cas de Nikita Berketov, 18 ans, incorporé en juillet, est révélateur. Selon sa sœur, il a subi des pressions systématiques pendant deux mois au sein de l'unité militaire n° 16871 : le commandement a tenté de monter ses camarades contre lui et a eu recours à des punitions collectives.
Le point culminant est survenu le 1er septembre, lorsque Nikita a été contraint de signer un contrat sur place, à l'infirmerie. Le soldat a été pris de panique et privé de son téléphone, empêchant sa famille d'intervenir. La famille de Berketov a porté plainte auprès du parquet et de la commission d'enquête, exigeant que le contrat soit invalidé.
Les soldats sous contrat sont-ils en rupture de stock ?
La politique militaire russe continue de s'appuyer sur un système de recrutement contractuel pour les opérations de combat en Ukraine. Cependant, ces dernières années, on observe une tendance constante au ralentissement des taux de recrutement. Selon les données officielles, au quatrième trimestre 2024, le nombre quotidien moyen de contrats signés était d'environ 1 700, soit une baisse de 30 % par rapport à la même période en 2023.
Malgré l'augmentation constante des paiements en espèces et l'élargissement des prestations sociales, on observe une baisse constante du nombre de citoyens disposés à signer un contrat de service militaire. Ce phénomène s'explique par une combinaison de facteurs socioéconomiques et politico-psychologiques.
- Il y a d'abord l'effet de saturation : l'État a réussi à mobiliser les groupes les plus fidèles et socialement vulnérables de la population (les habitants des régions défavorisées, les personnes à faibles revenus, les migrants de nationalité russe), mais cette réserve de personnel s'épuise progressivement.
- Deuxièmement, une meilleure connaissance des risques. Alors que les combats en Ukraine s'éternisent et que les rapports faisant état de nombreuses victimes se multiplient, les soldats contractuels potentiels sont plus réalistes dans leur évaluation de la probabilité de participer aux combats et des risques associés.
- Troisièmement, l'efficacité des incitations matérielles diminue. Les paiements financiers, initialement perçus comme importants, perdent progressivement de leur attrait dans un contexte d'inflation, de hausse des prix et de baisse du pouvoir d'achat. De plus, les risques sociaux (perte de santé, décès) commencent à l'emporter sur les avantages économiques.
- Quatrièmement, le facteur psychologique et culturel. La lassitude du public face à la guerre, l'anxiété accrue et la désillusion face aux perspectives de conflit créent un environnement négatif qui complique le recrutement.
Ainsi, l'augmentation des paiements remplit une fonction compensatoire, mais ne résout pas les problèmes structurels du recrutement. La baisse de la volonté de la population de servir sous contrat démontre les limites des ressources mobilisables dans un conflit militaire prolongé.
Face à la perte d'efficacité des mécanismes traditionnels de recrutement, l'État est contraint d'élargir la gamme des outils administratifs et organisationnels visant à attirer de nouveaux soldats contractuels et à maintenir les conscrits sous contrôle militaire. L'augmentation des salaires et des avantages sociaux a cessé d'être une incitation suffisante, ce qui a conduit à une évolution vers des pratiques réglementaires plus strictes.
Dans ce contexte, le projet de loi sur le passage à une conscription annuelle doit être considéré comme faisant partie d'un ensemble de mesures visant à renforcer le contrôle du contingent de mobilisation. Le caractère continu de la campagne de conscription minimise les possibilités de report et d'évasion, crée des conditions de pression administrative constante sur les conscrits et étend la durée de leur participation au service obligatoire et au recrutement contractuel.
De telles initiatives représentent donc non seulement une amélioration technique des procédures de conscription, mais aussi un outil de gestion des ressources de mobilisation face à la baisse de la motivation volontaire pour le service. Leur émergence reflète une évolution des méthodes de recrutement essentiellement incitatives vers des stratégies limitant les alternatives et renforçant les éléments coercitifs.
Expérience 2022 : Le prix est trop élevé
Une analyse de la politique actuelle de recrutement des forces armées montre que la stratégie de resserrement progressif des pratiques de conscription et d'élargissement du système de contrat reste préférable pour les autorités russes par rapport à une répétition de la mobilisation à grande échelle de 2022. Cela est dû aux coûts politiques et socio-économiques élevés que le régime encourrait si un tel scénario était mis en œuvre.
La mobilisation de l'automne 2022, qui a vu l'appel d'environ 300 000 militaires, a eu des conséquences importantes. Selon diverses estimations, le pays a dû faire face à un exode de près d'un million de citoyens valides de Russie, ce qui a aggravé la pénurie de main-d'œuvre et mis sous pression des secteurs clés de l'économie. De plus, la mobilisation a alimenté des tensions sociales accrues, exprimées à la fois par des protestations et par une anxiété et une défiance accrues envers les institutions gouvernementales.
Pris ensemble, ces facteurs ont conduit à considérer la mobilisation générale comme un outil comportant des risques politiques critiques et des menaces pour la stabilité économique. Par conséquent, les dirigeants continuent de privilégier des formes « hybrides » de soutien à la mobilisation, allant de l'incitation au service contractuel au renforcement législatif des contrôles sur les conscrits. La mobilisation de masse, comme l'a démontré l'expérience de 2022, est considérée comme un dernier recours, auquel les autorités ne sont prêtes à recourir qu'en cas de menace immédiate de défaite militaire.
Nouveau modèle de contrôle
Ainsi, le passage à une conscription annuelle ne doit pas être considéré comme une innovation isolée, mais comme un élément d'une transformation institutionnelle plus large du système de recrutement militaire. Sa principale caractéristique est sa synchronisation avec l'introduction d'un registre électronique complet des conscriptions, qui, pris ensemble, renforce considérablement le contrôle de l'État sur les ressources de mobilisation.
Le registre électronique est déjà opérationnel : depuis 2023, les convocations sont publiées sur les comptes personnels du site web de Gosuslugi et sont automatiquement considérées comme délivrées, même si le citoyen ne les a pas ouvertes. Le système prévoit également une série de mesures restrictives pour les réfractaires au service militaire, notamment l'interdiction de voyager à l'étranger, d'enregistrer des biens immobiliers, d'obtenir un permis de conduire et d'obtenir un prêt. Ce mécanisme a été expérimenté dans plusieurs régions et, depuis 2024, il est progressivement déployé à l'échelle nationale, devenant un outil standard pour les bureaux d'enregistrement et d'enrôlement militaires. La numérisation élimine ainsi le principal inconvénient de la pratique antérieure : la possibilité de contester le fait d'avoir servi ou de se soustraire à une convocation.
La continuité du processus de conscription élimine les délais de report, et la numérisation du mécanisme de notification minimise les possibilités de résistance individuelle aux pratiques administratives. Il en résulte l'émergence d'un nouveau modèle d'interaction entre l'État et le citoyen, dans lequel les obligations de mobilisation deviennent un facteur permanent de la réalité sociale, rendant toute tentative de les contourner extrêmement difficile.
Sur le plan politique et juridique, cela marque une transition d'un recrutement essentiellement incitatif et temporaire vers un contrôle systématique, assisté par la technologie, des conscrits et des soldats contractuels potentiels. Prises ensemble, ces mesures témoignent de la volonté des autorités d'institutionnaliser les ressources de mobilisation tout en évitant la répétition de campagnes de mobilisation à grande échelle, politiquement dangereuses et coûteuses.
Publié le 1er octobre 2025 par Postle, traduit par Samzdat2.
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Résister à la machine de guerre de Vladimir Poutine
En Russie et dans l'Ukraine occupée, des milliers de civils ont été emprisonnés ou ont été victimes de disparitions forcées pour s'être exprimés contre l'invasion. Ces chiffres témoignent d'une répression sans précédent depuis les années 1950.
14 Octobre 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières Simon Pirani
https://europe-solidaire.org/spip.php?article76616
Le 16 mai 2022, l'artiste ukrainien Bohdan Ziza a déversé de la peinture bleue et jaune — les couleurs du drapeau de son pays — sur un bâtiment de l'administration municipale de sa ville natale, Ievpatoria, en Crimée.
Ziza a publié une vidéo de cette action en ligne, avec un appel aux « adeptes de la culture du graffiti, à tous les vandales de Crimée, de Russie et de Biélorussie » pour protester contre « la guerre la plus horrible » déclenchée par « [Vladimir] Poutine et la machine d'État ». Il a rapidement été arrêté et inculpé pour « acte terroriste » et « incitation au terrorisme ».
En juin 2023, Ziza a utilisé sa déclaration finale devant le tribunal militaire russe qui l'a condamné à quinze ans de prison pour dénoncer à nouveau la guerre : « Mon action était un cri du cœur, de ma conscience, à ceux qui avaient peur — comme j'avais peur — mais qui ne voulaient pas non plus de cette guerre ».
Ziza est l'un des dix manifestants pacifistes dont les discours sont publiés ce mois-ci, en traduction anglaise, dans Voices Against Putin's War : protesters' defiant speeches in Russian courts [1]. Le recueil comprend également deux déclarations faites hors tribunal, des entretiens et lettres connexes, un résumé de dix-sept autres discours pacifistes devant les tribunaux, ainsi qu'une enquête sur le mouvement de protestation contre la guerre et la répression qu'il subit.
En Russie, les dissidents utilisent depuis les rebelles populistes [2] des années 1870 leur déclaration finale devant le tribunal pour appeler à la résistance au pouvoir. Cette tradition a prospéré dans les mouvements ouvriers qui ont précédé la révolution de 1917, a été brisée par les procès staliniens des années 1930 avec leurs confessions stéréotypées, et est née de nouveau après le « dégel » des années 1950, avec des dissidents tels que les écrivains Andreï Siniavski et Iouri Daniel.
En 2022, l'invasion totale de l'Ukraine par la Russie a été suivie d'une répression brutale de la société civile dans les territoires occupés, Crimée comprise, ainsi que d'une répression de la dissidence intérieure. La protestation a été chassée des rues. Des actions directes non violentes individuelles comme celle de Ziza, ou le fait d'écrire ou de parler contre la guerre, ont été punis de longues peines de prison, comme celles que purgent actuellement la plupart des protagonistes de Voices Against Putin's War.
Ruslan Siddiqi, l'anarchiste russo-italien, est allé plus loin : il purge une peine de vingt-neuf ans de prison pour avoir fait dérailler un train transportant des munitions vers des unités de l'armée russe en Ukraine. Devant le tribunal, il s'est déclaré prisonnier de guerre, plutôt que prisonnier politique : « Mes cibles étaient l'équipement militaire russe et les chaînes logistiques utilisées pour transporter le matériel militaire et le carburant. Je voulais entraver les opérations militaires contre l'Ukraine ».
Agir selon sa conscience, dans un monde dystopique de militarisme et de gros mensonges, était une considération centrale pour de nombreux protagonistes.
Alexeï Rojkov, qui a incendié un centre de recrutement militaire dans la région de Sverdlovsk [3], s'est enfui au Kirghizistan sous caution avant d'être kidnappé par les forces spéciales russes et ramené pour être jugé. Il a déclaré au tribunal qui l'a condamné à seize ans : « Bien que je n'aie jamais été un politicien ou un homme d'État, je ne pouvais pas rester indifférent lorsque la guerre a commencé. J'ai une conscience, et j'ai préféré m'y accrocher ».
Les protagonistes du livre s'opposent à la guerre à partir d'un large éventail de points de vue politiques. D'un côté, il y a des pacifistes comme Sacha Skotchilenko, l'artiste condamnée à sept ans de prison pour avoir remplacé des étiquettes dans un supermarché par des messages pacifistes manuscrits (et libérée plus tard lors d'un échange de prisonniers entre la Russie et des pays occidentaux), qui a déclaré au tribunal : « Les guerres ne se terminent pas grâce aux guerriers — elles se terminent grâce aux pacifistes ».
D'autre part, il y a des militants politiques qui ont parlé du droit de l'Ukraine à résister militairement à la Russie. Aleksandr Skobov, soixante-sept ans, le plus âgé des protagonistes, emprisonné pour la première fois pour son activité dans l'aile socialiste du mouvement dissident soviétique en 1978, a refusé de se lever lorsque le juge est entré dans le tribunal. Il a souhaité la mort à « l'assassin, tyran et scélérat Poutine ». Il a déclaré qu'il ne cesserait jamais d'appeler les Russes honnêtes à rejoindre les forces armées ukrainiennes et de réclamer des frappes aériennes sur les installations militaires russes.
Tout aussi résolue dans son soutien à l'Ukraine était la plus jeune protagoniste, Daria Kozyreva, dix-neuf ans, condamnée à deux ans et huit mois de prison pour avoir déposé des fleurs et un poème devant la statue de Taras Chevtchenko [4], le poète national d'Ukraine, à Saint-Pétersbourg.
Devant le tribunal, Ziza a dénoncé non seulement l'invasion de 2022 mais aussi l'assaut frénétique contre les organisations tatares de Crimée qui l'a précédée en Crimée, que la Russie a annexée en 2014. « Ceux qui recherchent si passionnément des “nazis” en Ukraine n'ont pas ouvert les yeux sur le nazisme en Russie, avec son éphémère “monde russe” », avec lequel les forces armées ont « tenté d'extirper l'identité ukrainienne ». (Le mois dernier, Ziza, à sa propre demande, s'est vu révoquer la citoyenneté russe qui lui avait été imposée ainsi qu'à tous les résidents de Crimée. Il se trouve aujourd'hui dans la prison centrale de Vladimir [5], où les « politiques » sont incarcérés depuis le XIXe siècle.)
Voices Against Putin's War résulte du travail d'un petit groupe de traducteurs bénévoles soutenant les organisations pacifistes russes, dont j'ai fait partie, et est soutenu par le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine [6]. En plus des discours publiés, nous avons résumé dix-sept autres discours provenant du merveilleux site Internet Poslednee Slovo [7].
Les procès mis en lumière dans le livre fournissent également un aperçu du virage de la Russie en temps de guerre vers une forme de fascisme. Contre ceux qui entreprennent des actions directes non violentes, les accusations en vertu des lois antiterroristes ont été standardisées en 2022, avec des peines de prison allant de dix à vingt ans. La torture des détenus est systématique.
Les longues peines sont conçues pour terroriser les gens et les réduire au silence : Andreï Trofimov a reçu dix ans pour des publications sur les réseaux sociaux justifiant les actions militaires ukrainiennes contre la Russie. Pour son discours de deux minutes devant le tribunal militaire, qui s'est terminé par « Gloire à l'Ukraine ! Poutine est un connard », il a été accusé d'« approbation du terrorisme » et de « diffamation de l'armée » : trois années supplémentaires ont été ajoutées à sa peine.
La monstruosité de la répression intérieure russe ne peut être correctement comprise que dans le contexte du bain de sang qu'elle a infligé à l'Ukraine, et en particulier aux territoires occupés. Des centaines de milliers de soldats russes et ukrainiens ont été tués et blessés au combat, et des millions de civils ukrainiens ont été déracinés de leurs foyers par les bombardements. À cela s'ajoute, dans les zones occupées, l'imposition forcée de la citoyenneté russe, les déportations massives y compris d'enfants (la base d'une affaire contre Poutine à la Cour pénale internationale), le nihilisme judiciaire et un effondrement économique.
L'instrument principal de discipline sociale dans les zones occupées est les disparitions forcées, y compris l'emprisonnement. En septembre 2024, le registre ukrainien des personnes « disparues dans des circonstances particulières » comptait quelque 48 324 noms, dont 4 700 ont été confirmés par le gouvernement ukrainien comme étant en captivité, bien que le nombre réel puisse être bien plus élevé.
L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [8] a estimé que 16 000 personnes du registre étaient des civils adultes. Le Groupe de protection des droits humains de Kharkiv [9] a identifié 5 000 victimes de disparitions forcées lors de la préparation de matériel pour la Cour pénale internationale, et l'ombudsman ukrainien travaille sur 1 700 de ces cas. (Tous ces chiffres concernent des civils détenus ou disparus, distincts des prisonniers de guerre ukrainiens, dont il y en a environ 8 000 à 10 000.)
En bref, la Russie a fait de nombreux milliers de prisonniers civils dans les territoires occupés, dont le sort reste souvent inconnu. Beaucoup sont des prisonniers politiques : 585 journalistes, responsables communautaires et militants des territoires nouvellement occupés identifiés par des organisations de défense des droits humains, 265 recensés par le Groupe des droits humains de Crimée et d'autres. En outre, il y a les milliers de prisonniers civils emprisonnés par les soi-disant « Républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk [10] entre 2014 et 2022, y compris pour des délits politiques, qui ont été transférés dans des prisons en Russie.
Parallèlement à cette orgie de violence, la machine de répression intérieure de la Russie s'est emballée. Une série de nouvelles lois de censure — par exemple, pénalisant la « diffusion d'informations sciemment fausses sur l'armée russe » (ce qui inclut le fait d'appeler la guerre une guerre) — se sont ajoutées aux lois préexistantes sur les « agents étrangers », les « organisations indésirables » et l'« extrémisme » de la dernière décennie. Les rafles policières délirantes de personnes dont les commentaires critiques sont récoltés sur les réseaux sociaux se sont intensifiées.
La principale organisation de défense des droits humains Political Prisoners Support : Memorial [11], désormais basée à l'étranger, recense plus de 3 000 détenus politiques aujourd'hui, contre seulement cinquante en 2015 et 420 en 2021. Après le « dégel » post-stalinien, les historiens estiment que le nombre de détenus politiques en Union soviétique est tombé à 5 000-10 000 dans les années 1970 (dans l'union de quinze républiques, avec une population presque deux fois supérieure à celle de la Russie seule). La tendance reflétée dans ces chiffres justifie le terme que nous avons utilisé dans Voices Against Putin's War : un « goulag du XXIe siècle ».
Au milieu d'une marée internationale d'autoritarisme de droite et de militarisme croissants, culminant avec le génocide à Gaza, les discours du livre sont significatifs bien au-delà de la Russie. Dans sa préface, John McDonnell [12], ancien député travailliste de gauche en Grande-Bretagne, les qualifie d'« inspiration pour tous ceux à travers le monde qui voient une injustice et qui refusent de se conformer passivement », des objecteurs de conscience israéliens aux militants de Palestine Action [13] en Grande-Bretagne, en passant par les femmes manifestant pour la vie et la liberté en Iran. C'est là que réside l'espoir en ces temps sombres.
Simon Pirani a dirigé l'édition de Voices Against Putin's War. Il est professeur honoraire à l'université de Durham et auteur de livres sur la Russie et l'Ukraine, ainsi que sur les systèmes énergétiques. Il tient un blog sur People and Nature.
P.S.
https://jacobin.com/2025/10/putin-ukraine-dissent-political-prisoners
Traduit pour ESSF par Adam Novak
Notes
[1] Voix contre la guerre de Poutine : discours de défi de manifestants devant les tribunaux russes, recueil publié par Resistance Books
[2] Mouvement révolutionnaire russe des années 1860-1880 qui prônait le retour au peuple et l'organisation de la société autour des communes rurales traditionnelles
[3] Également appelée région d'Ekaterinbourg, située dans l'Oural
[4] Poète, écrivain et artiste ukrainien (1814-1861), figure emblématique de la littérature ukrainienne et symbole de l'identité nationale ukrainienne
[5] Prison située à environ 180 km à l'est de Moscou, construite au XVIIIe siècle, qui a hébergé de nombreux prisonniers politiques sous le régime tsariste et soviétique
[6] European Network for Solidarity With Ukraine, coalition d'organisations de la société civile européenne créée après l'invasion russe de 2022
[7] « Le dernier mot » en russe, site qui archive les déclarations finales de prisonniers politiques devant les tribunaux
[8] OSCE, organisation régionale de sécurité regroupant 57 États d'Europe, d'Asie centrale et d'Amérique du Nord
[9] Organisation ukrainienne de défense des droits humains créée en 1992
[10] Entités séparatistes pro-russes autoproclamées dans l'est de l'Ukraine en 2014, reconnues par la Russie en 2022 juste avant l'invasion à grande échelle
[11] Organisation de défense des droits humains fondée en 1989 pour documenter les répressions soviétiques, dissoute en Russie en 2021-2022 mais poursuivant ses activités depuis l'étranger
[12] Député travailliste britannique de gauche (2015-2024), ancien ministre du cabinet fantôme sous Jeremy Corbyn
[13] Réseau militant britannique menant des actions directes contre les entreprises complices de l'occupation israélienne

Crise politique (France) : Suspension de la réforme des retraites : un tour de passe-passe qui ne doit pas démobiliser
Après le cirque politique de la semaine dernière et la nomination de ce gouvernement de macronistes pur sucre et de repris de justice, Sébastien Lecornu a donc prononcé sa déclaration de politique générale.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
15 octobre 2025
Par NPA / NPA l'Anticapitaliste
Cette déclaration de politique générale comporte une provocation : l'annonce d'inscrire l'accord de Bougival sur la Kanaky dans la Constitution avant la fin de l'année. Cet accord est un scandale imposé par l'État colonial contre le peuple Kanak, qui remet en cause le processus de décolonisation dans lequel la France s'est pourtant engagée en signant les accords de Nouméa et Matignon. En faisant ce choix, Lecornu soigne la droite et l'extrême droite, il flatte les courants réactionnaires attachés à la France coloniale et impérialiste, mal en point et chassée de ses zones d'influence et d'ingérence traditionnelles. Cette décision provoquera une colère légitime des Kanak, que le NPA-l'Anticapitaliste soutiendra.
Mais le principal effet de manche de cette déclaration de politique générale est la proposition de suspendre la « réforme » des retraites. Cette suspension n'est ni un report ni une abrogation. Il n'y aura certes ni relèvement de l'âge jusqu'en janvier 2028, ni augmentation des trimestres – qui restent bloqués à 170, soit 42,5 annuités. Mais, dès janvier 2028, la mesure phare des 64 ans sera relancée et la réforme Touraine (43 annuités) se poursuivra. En 2023, les travailleurEs se sont très largement mobiliséEs – par la grève et par leur présence par millions dans la rue – pour l'abrogation de cette réforme injuste, pas pour sa suspension. Lecornu s'est acheté du temps en faisant une concession au PS, qui ne votera pas la censure. En faisant ce choix, le PS laisse le gouvernement proposer un budget d'austérité qui va aggraver la régression sociale menée par Macron depuis 2017.
Car ce que le gouvernement feint de lâcher sur la réforme des retraites, il le prend sur la sécurité sociale et sur le dos des travailleurEs. Les principales mesures antisociales du budget de Bayrou sont ici reprises :
• année blanche pour les agentEs publics, pour les pensions et les prestations sociales ;
• suppressions de postes dans les services publics ;
• gel du barème de l'impôt qui va faire basculer 400 000 foyers fiscaux dans l'impôt ;
• doublement des franchises médicales…
• 7,1 milliards de coupes budgétaires sont prévues dans la santé, et le gouvernement entend poursuivre ses attaques contre le montant et la durée des indemnités journalières.
Bref, poursuivre la feuille de route macroniste : faire payer les travailleurEs pour continuer de gaver le patronat et les milliardaires.
Ce qui l'a contraint à cette suspension, c'est la situation politique ouverte par les mobilisations depuis la rentrée. Les journées « Bloquons tout » du 10 septembre puis de grèves intersyndicales des 18 septembre et 2 octobre ont imprimé un climat social et un rapport de force qui ont fait chuter Bayrou et donc permis cette suspension. Mais il est urgent de reprendre le chemin des luttes, de la rue, de la grève pour gagner sur nos revendications, et en premier lieu l'abrogation totale de la réforme des retraites.
C'est dans cette perspective que le NPA-l'Anticapitaliste continuera d'interpeller publiquement les autres forces politiques de gauche en portant deux éléments essentiels : la nécessité de faire barrage à l'extrême droite et la construction d'un front social et politique portant un programme basé sur les revendications de notre classe, portées par l'intersyndicale et le programme du NFP de juin 2024.
Il y a urgence, et les forces de la gauche sociale et politique doivent se réunir rapidement pour construire la seule réponse que Macron pourra entendre : le rapport de force, classe contre classe.
Montreuil, le 15 octobre 2025
NPA-l'Anticapitaliste
P.-S.
• NPA. Publié le Mercredi 15 octobre 2025 à 11h58 :
https://npa-lanticapitaliste.org/communique/suspension-de-la-reforme-des-retraites-un-tour-de-passe-passe-qui-ne-doit-pas
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Le gouvernement Lecornu et la contre-réforme des retraites : une suspension en trompe-l’œil
Au cœur du deal noué entre le Premier Ministre et le Parti socialiste, la suspension de la réforme des retraites est présentée comme une grande victoire par Olivier Faure afin de justifier la non-censure du gouvernement.
Ce triomphalisme semble pourtant complètement décalé par rapport aux annonces de Sébastien Lecornu. L'annonce du Premier Ministre laisse prévoir un décalage du calendrier de la réforme de 2023, d'environ 3 mois pour les générations 1964 à 1968. La cible des 64 ans et 172 annuités continuerait d'être poursuivie au même rythme, simplement décalé d'une année de naissance.
L'économiste Michaël Zemmour décrypte à chaud les annonces du Premier Ministre.
15 octobre 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/suspension-reforme-retraites-lecornu-mensonge/
Le Premier Ministre a annoncé lors de son discours de politique générale du 14 octobre 2025 : « C'est pourquoi, je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu'à l'élection présidentielle. Aucun relèvement de l'âge n'interviendra à partir de maintenant jusqu'à janvier 2028, comme l'avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d'assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu'à janvier 2028. »
Sous un jeu d'hypothèse raisonnables, et sous réserve de voir comment l'amendement gouvernemental sera rédigé voici ce qu'on peut comprendre :
– Il s'agit d'un décalage du calendrier de la réforme qui fait en sorte que le prochain « pas » d'âge et de durée qui devait être franchi en 2026 soit franchi au cours de l'année 2028.
– Il maintient par la suite l'avancée de la réforme menant l'âge à 64 ans et la durée de cotisation à 172 trimestres à un rythme accéléré (nous faisons l'hypothèse qu'il le maintien au même rythme mais cela pourrait être plus rapide).
– Les générations 1964 à 1968 (3,5 millions de personnes) gagneraient 3 mois d'âge et les générations 1964 à 1965 3 mois de durée. Les suivantes seront intégralement touchées par la réforme de 2023, en l'absence de toute nouvelle loi.
– Il ne s'agit pas d'un gel de la réforme (« suspension ») au sens où la réforme n'est pas arrêtée au point qu'elle a atteint en 2025 : l'âge cible de 64 ans reste inscrit dans la loi et serait atteint en 2033 au lieu de 2032. La durée cible de 172 trimestres serait atteinte en 2029 au lieu de 2028.
– Un scénario alternatif au gel (« suspension ») serait différent budgétairement et pour les personnes concernées à partir de 2028. La différence est qu'en l'absence de toute intervention, il bloque l'avancée de la réforme après 2027 (en vert sur le graphique).
– En effet la loi ne peut pas « ne rien dire » pour les générations 1966 et suivante. Ce qu'elle dit est important car c'est ce qui arrivera par défaut en l'absence de nouvelle loi.
Détail des calculs
Actuellement l'âge de départ est de 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation de 170 trimestres.
Pas d'augmentation avant janvier 2028, veut dire a priori, que toutes les générations qui partiront entre aujourd'hui et 2027 partiront à 62 ans et 9 mois et 170 trimestres.
Les personnes qui auront 62 ans et 9 mois en décembre 2027, les dernières qui seront concernées par cette mesure, sont nées en mars 1965. On peut en déduire que les personnes nées en avril 1965 partiront à 63 ans et 171 trimestres. Puis la réforme poursuivra son cours ordinaire (on peut même imaginer que ça aille plus vite).
Au total, les générations 1964, 1965, 1966, 1967 et 1968 (3,5 millions de personnes) gagnent probablement un trimestre d'âge et un trimestre de durée (et même peut être 6 mois pour les personnes nées en début d'année 65). Les autres générations ne gagnent rien et voient l'âge de 64 ans et l'accélération de la réforme Touraine toujours inscrits dans la loi.
*
Cette analyse a été faite en peu de temps et publiée sur le blog d'Alternatives Économiques. Toutes les remarques et amendements sont les bienvenus.
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Belgique. Epreuve de force après le succès de la manifestation contre l’austérité
Ce mardi 14 octobre une marée humaine a une nouvelle fois envahi les rues de Bruxelles. Aucun avion au départ ni à l'arrivée des aéroports, écoles fermées, entreprises à l'arrêt, transports publics paralysés ; il n'y avait plus que les trains dont le trafic avait augmenté pour acheminer les manifestant·e·s vers Bruxelles. La mobilisation à l'appel du front commun syndical (FGTB socialiste, CSC chrétienne et CGSLB libérale) et de nombre d'associations (OXFAM, Greenpeace, Réseau de lutte contre la pauvreté, ONG de développement…) a donc été très largement entendue. Les manifestant·e·s, bien plus de 100 000, étaient cette fois encore plus nombreux que lors des mobilisations précédentes.
Tiré de A l'Encontre
18 octobre 2025
Par Mateo Alaluf
Bruxelles, 14 octobre 2025. (Capture d'écran)
Le déni du gouvernement
Les mobilisations, grèves et manifestations ont été nombreuses depuis la formation, il y a 9 mois, du gouvernement présidé par le nationaliste flamand Bart de Wever et composé de deux grandes formations de droite, la Nouvelle alliance flamande (NVA) et les libéraux conservateurs francophones du Mouvement réformateur (MR), ainsi que de trois formations du centre, les démocrates chrétiens flamands du CD&V, les francophones des Engagés et ex-socialistes flamands, reconvertis en centristes sous l'appellation de Vooruit (en avant) [1]. Son programme n'annonçait-il pas le pire pour les chômeurs et chômeuses, les pensionné·e·s, les demandeurs d'asile et les services publics ? On mesure à présent les effets des mesures sur le chômage, des restrictions sur l'éducation, la culture et la santé, du blocage des salaires et de la diminution des pensions de retraite. Les réductions de cotisations sociales sur les hauts salaires illustraient, presque à l'excès, que « ce sont toujours les mêmes poches que l'on sollicite ». Sans parler de l'acceptation enthousiaste de l'injonction de Donald Trump par le gouvernement de doubler les dépenses militaires.
C'était aussi ce 14 octobre, jour de rentrée parlementaire à la Chambre, que le Premier ministre devait présenter la déclaration de politique générale. Par contraste avec la foule qui manifestait dans les rues, les bancs du gouvernement étaient pourtant vides. La majorité n'avait pu trouver d'accord sur le budget et avait reporté sa déclaration. Les députés de l'opposition soulignaient le manque de respect pour le Parlement. Ceux de la majorité avaient-ils, malgré tout, entendu le signal donné au même moment sous leurs fenêtres par les manifestants ? Axel Ronse, chef de groupe de la NVA, principal parti de la majorité, l'avait bien entendu, « un signal – déclara-t-il sous les applaudissements du groupe MR (deuxième parti de la majorité) – des cinq millions de personnes qui ont travaillé mardi ». Selon les dires de Georges-Louis Bouchez, président du MR, les manifestants ne pèsent pas lourd face aux électeurs de son parti. Encore mieux : prétextant de quelques incidents mineurs et des dommages causés à la façade du bâtiment de l'Office des étrangers, Théo Francken, ministre de la Défense NVA, de retour d'une visite aux Etats-Unis, a plaidé pour équiper les policiers d'armes non létales et faire usage à l'avenir de balles en caoutchouc contre les manifestants [2].
Comme partout en Europe, l'Etat social a été grignoté en Belgique depuis près d'un demi-siècle, par les politiques néo-libérales. Mais la capacité de mobilisation des organisations syndicales est demeurée forte et l'érosion du Parti socialiste est restée limitée et a été compensée par la montée importante du Parti du travail PTB (gauche radicale). La gauche avait donc été en mesure de limiter la dégradation de la sécurité sociale, des services publics et des salaires grâce notamment au maintien d'un système d'indexation automatique des salaires et des allocations sociales.
Au lendemain de sa victoire électorale et de la constitution d'un gouvernement à son image, la droite croit à présent le moment venu pour achever son œuvre. Les deux partis de droite, NVA (nationalistes flamands) et MR (libéraux conservateurs francophones) qui dominent la coalition, sont décidés à faire épouser au pays l'air du temps. Ils avaient déjà engagé le combat culturel contre le « wokisme », la lutte contre « l'assistanat », contre les mesures climatiques « excessives » et pour libérer les entreprises des « charges sociales » et du « conservatisme des syndicats ». Ils n'ont dès lors aucune intention de maintenir encore le système des négociations collectives, qui avait jusqu'ici régi la vie sociale, mais sont résolus à mettre hors-jeu le mouvement syndical, principal obstacle à leur politique.
Question sociale et tournant autoritaire
La coalition gouvernementale dispose d'une majorité à même de porter son projet politique. Face à la résolution du gouvernement d'imposer sa politique d'austérité les organisations syndicales sont au pied du mur. Elles ne pourront plus se contenter de mobilisations dont l'enjeu est de créer un rapport de force alors qu'elles sont privées de perspective réelle de négociation. Dès lors, le but du mouvement devient de plus en plus la chute du gouvernement.
Malgré sa détermination, la difficulté d'élaborer un budget laisse transparaître les failles de la coalition gouvernementale. Les deux partis de droite conservatrice, dopés au « trumpisme », parviendront-ils à entraîner jusqu'au bout leurs partenaires centristes dans cette guerre de classes ? Ainsi un député Vooruit (ex-socialistes flamands) confiait au journal Le Soir (15/10) que la mobilisation ne lui ferait pas quitter le gouvernement mais permettrait « de refuser les mesures les plus dingues ». Si bien qu'à la suite des manifestants, Jean-François Tamellini, président de la FGTB Wallonne, affirmait que l'enjeu du mouvement est bien la chute du gouvernement.
Mais le déni de la contestation dont fait l'objet le gouvernement donne la mesure de la fracture profonde de la société. En réalité la question sociale se double d'un tournant sécuritaire qui menace l'Etat de droit et d'un engagement atlantiste qui privilégie les dépenses militaires. Le rapport de l'Institut fédéral des droits humains (IFDH) institué par le Parlement fait état de la non-exécution de procédures de justice par l'Etat (essentiellement en matière d'accueil), de « procédures bâillons, restrictions des libertés fondamentales », sans parler de l'avant-projet de loi liberticide visant l'interdiction d'organisations jugées radicales. L'IFDH rappelle également la lettre ouverte, cosignée par le Premier ministre Bart de Wever et huit autres chefs d'Etat européens, mettant en cause la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) en matière de migration. Par ailleurs 34 milliards d'investissements supplémentaires seront consacrés aux dépenses d'armement dans le cadre de l'OTAN, dont l'achat d'avions F35 supplémentaires.
Le mouvement social qui traverse la Belgique depuis la formation du gouvernement est incontestablement de grande envergure. Comme le dit Thierry Bodson, président de la FGTB, « le combat contre le gouvernement Arizona[3] n'est pas celui d'une journée, d'une année mais d'une génération entière qui refuse qu'on détruise en six mois ce que nos parents et grands-parents ont mis du temps à bâtir » [4].
Ce combat est mené aussi par une génération qui est engagée dans une lutte contre l'austérité, l'autoritarisme et, comme les générations précédentes pour l'Algérie et le Vietnam, celle-ci l'est pour la Palestine et le droit international. Sera-t-elle à même de gagner en Belgique contre un gouvernement porteur de la révolution conservatrice menée par l'extrême droite qui, depuis les Etats-Unis, commence pays après pays à étouffer l'Europe ?
Mateo Alaluf, professeur émérite de sociologie de l'Université libre de Bruxelles, auteur de l'ouvrage Le socialisme malade de la social-démocratie, éditions Syllepse et Page deux, mars 2021. Un des animateurs de l'Institut Marcel Liebman.
[1] En Belgique, tous les partis politiques se sont scindés suivant leur appartenance linguistique. Seul le Parti du Travail de Belgique PTB (gauche radicale) est demeuré unitaire.
[2] En fait, quelques incidents mineurs lors de la manifestation ont donné lieu à des violences policières largement étayées par la presse, des images et témoignages. Même le Comité P, la police des polices, fait état de l'usage de plus en plus agressif du gaz lacrymogène.
[3] Arizona est le nom donné à la coalition gouvernementale fédérale dominée par les nationalistes flamands NVA (couleur jaune) et les libéraux francophones MR (bleu), comprenant également les socialistes flamands (rouge) et les chrétiens démocrates flamands et francophones (orange). Ces couleurs correspondent à celles du drapeau de l'Etat de l'Arizona. Après le succès de la droite aux dernières élections législatives, la coalition Arizona a succédé au gouvernement Vivaldi de centre gauche.
[4] La Libre Belgique, 15/10/2025.
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Suède : Le nouveau gouvernement s’en prend aux pauvres
À compter du 1er octobre, la nouvelle loi sur l'assurance chômage entrera en vigueur, ce qui détériorera considérablement les choses pour toutes les personnes qui recevront une notification de prestations à partir de cette date. Cependant, les personnes déjà au chômage continueront de percevoir des prestations selon l'ancien système pendant les 300 premiers jours, ce qui reste maigre mais ne constitue pas une détérioration.
14 octobre 2025 | Internationalen
C'est lors d'une conférence de presse en février dernier que le gouvernement a annoncé les changements qui deviennent aujourd'hui réalité. Nous pouvons constater une amélioration dans la nouvelle loi, dans la mesure où le plafond est légèrement relevé pour le montant que vous pouvez gagner tout en continuant à percevoir 80 % de vos indemnités – jusqu'à un revenu mensuel de 34 000 couronnes pendant les 100 premiers jours –, mais sinon, tout va dans le sens contraire.
Aujourd'hui, on touche 80 % pendant les 200 premiers jours de chômage, mais désormais, ce taux sera ramené à 70 % après 100 jours. Actuellement, le taux est de 70 % entre le 200e et le 300e jour, mais la coalition Tidö le ramène à 65 %.
Cependant, ce sont les chômeurs de longue durée qui perçoivent actuellement une aide à l'activité qui sont les plus touchés par ces mesures, une catégorie dans laquelle on entre après 300 jours sans emploi et dont le niveau d'indemnisation est de 65 %. Les partis de gauche souhaitent maintenir la limite à ce niveau, mais la réduire de cinq points de pourcentage tous les 100 jours, pour atteindre un seuil final de 365 couronnes après impôts pour chaque jour ouvrable normal. Les personnes qui bénéficient déjà d'une aide à l'activité seront également touchées par cette détérioration après 100 jours d'indemnisation à compter du 1er octobre.
Aujourd'hui, certains chômeurs ne perçoivent qu'un peu plus de 9 000 couronnes suédoises nettes par mois d'aide, mais avec 365 couronnes suédoises par jour, cela signifierait une détérioration significative, avec moins de 8 000 couronnes suédoises par mois à leur disposition. Mais comment peut-on vivre avec cela, avec un loyer de peut-être 5 000 à 6 000 couronnes ? La vérité est que davantage de chômeurs sont contraints de demander une aide sociale, que les coûts sont répercutés sur les municipalités et qu'un fardeau encore plus lourd pèse sur les services sociaux déjà en sous-effectif et surchargés. De plus, les personnes qui vivent déjà dans des conditions extrêmement précaires sont encore plus mises sous pression, avec tout ce que cela implique en termes de souffrance personnelle et de risque de troubles psychologiques. Mais lors de la conférence de presse de l'année dernière, le ministre du Travail de l'époque, Johan Persson (L), a déclaré avec aplomb : « Nous renforçons désormais notre politique en faveur de l'emploi. L'assurance chômage doit être un tremplin vers de nouvelles perspectives, et non un hamac dans lequel on risque de rester coincé pendant longtemps ».
L'attaque des partis conservateurs contre les chômeurs de longue durée est purement inhumaine et n'est rien d'autre qu'une chasse aux pauvres en Suède, avec l'idée sous-jacente que certaines personnes n'ont tout simplement pas le droit de donner un peu de lustre à leur existence. Nous devons toutefois garder à l'esprit que cela ne devrait pas nécessairement se passer ainsi, et que cela n'a d'ailleurs pas toujours été le cas en Suède : jusqu'au 1er juillet 1993, le niveau d'indemnisation des chômeurs était de 90 % pendant 300 jours, et même pendant 450 jours pour les personnes âgées de plus de 50 ans ! Ce n'est pas non plus cette indemnisation généreuse qui a fait grimper le chômage. Au contraire, pendant plusieurs décennies, il n'atteignait même pas un tiers de son niveau actuel.
Il est également essentiel de comprendre que cette politique de droite repose sur un véritable objectif de classe. En effet, la seule possibilité pour la classe ouvrière de s'imposer face aux détenteurs du capital est de refuser, collectivement et individuellement, de travailler dans n'importe quelles conditions. Pour ce faire, deux choses sont nécessaires : une caisse de grève et une caisse de chômage. La caisse de grève est le fondement de l'organisation syndicale et ce qui donne au collectif la possibilité de faire grève pour faire valoir ses revendications.
. L'assurance chômage fixe un seuil minimum pour le salaire et les conditions de travail de chaque individu, une dernière bouée de sauvetage qui permet de refuser des emplois aux salaires et conditions de travail abusifs. La prétendue « ligne de force » de la droite n'a jamais visé à réduire le chômage, mais à utiliser celui-ci pour détériorer la situation de tous les travailleurs. Une partie importante de cette stratégie consiste à détériorer les conditions d'octroi des allocations chômage.
Pour réduire réellement le chômage, la politique du gouvernement Tidö – qui repose principalement sur la détérioration des conditions pour les demandeurs d'emploi et la baisse des impôts – est totalement contre-productive. Nous aurions aujourd'hui besoin de beaucoup plus de mains pour remettre en état et développer le système de protection sociale. Pensez également à toutes les ressources qui devraient être consacrées à la mise en place d'une véritable transition climatique verte. De plus, il est grand temps de procéder enfin à une réduction significative du temps de travail. Un changement radical de politique ouvrirait la voie à une réduction drastique du chômage !
Publié par Internationalen le 3 octobre 2025, traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro
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Je soutiens Mamdani, le candidat démocrate à la mairie de New York — point final !
Je soutiens Zohran Mamdani, le candidat démocrate à la mairie, et je le fais sans réserve et de tout cœur. Et c'est ce que j'aurais souhaité que Solidarity décide et déclare. Au lieu de cela, Solidarity a adopté une position qui suggère qu'il ne souhaite pas vraiment soutenir Mamdani, qu'il considère qu'il risque d'échouer, voire de trahir ses principes. La déclaration de Solidarity est tellement pleine de réserves, d'avertissements et de présages de catastrophe qu'il est difficile d'imaginer qu'elle encourage les gens à voter pour lui, et encore moins à faire campagne pour lui.
Voici quelques-unes des réserves et mises en garde de Solidarity :
– Mamdani a clairement choisi de se présenter au sein du Parti démocrate, et non de suivre une voie indépendante. Nous ne sommes pas d'accord avec cette perspective ; en fait, nous la considérons comme une contradiction avec les exigences de la campagne....
– Mamdani s'est toujours engagé à se présenter comme candidat au sein du Parti démocrate et il est fort probable qu'il construise sa coalition gouvernementale avec des éléments de l'appareil du parti qui insisteront sans aucun doute pour supprimer la dimension radicale de son programme.
– ... il est beaucoup plus probable que les pressions du pouvoir et les exigences de l'establishment démocrate érodent la force de Mamdani et de son mouvement.
Eh bien, bon sang, si c'est le cas, pourquoi se donner tant de mal ? Pourquoi voter pour ce type qui ne fera que se laisser dominer par l'appareil du parti et succomber aux exigences de l'establishment démocrate ?
La réponse de Solidarity est que, même si elle ne le soutient pas vraiment, elle soutient son mouvement. Le mouvement populaire enthousiaste qui le soutient n'est organisé que dans le cadre de sa campagne électorale. Solidarity veut soutenir le mouvement, mais le mouvement veut élire son candidat.
Solidarity déclare également qu'il est d'accord avec une grande partie de son programme – ses appels à réduire les loyers, à rendre les bus gratuits et à fournir des services de garde d'enfants aux familles qui travaillent – et avec sa politique pro-palestinienne. Bien sûr, elle prévient que « si des éléments importants du programme de Mamdani sont conformes aux principes socialistes, la campagne ne remet toutefois pas en cause le cadre de l'économie capitaliste ». Alors, ce n'est peut-être pas si génial que ça... ?
Solidarity aurait vraiment souhaité que Mamdani ne se présente pas comme démocrate, mais plutôt comme socialiste démocratique indépendant. Cependant, les membres de Solidarity savent qu'il aurait été pratiquement impossible pour Mamdani de lancer une campagne indépendante. Ses camarades du Democratic Socialists of America (DSA), qui constituent le noyau de son organisation de campagne, ne l'auraient pas soutenu. Les syndicats ne l'auraient pas soutenu. Les médias l'auraient ignoré et exclu. La collecte de fonds pour un candidat inconnu aurait été extrêmement difficile.
Je parle de cette question d'après mon expérience personnelle. En 2010, je me suis présenté non pas comme candidat démocrate, mais comme candidat du Parti socialiste au Sénat américain pour l'Ohio, avec le soutien de quelques autres organisations socialistes. J'ai obtenu 25 368 voix, soit 0,7 % du total, tandis que le candidat républicain Rob Portman en a obtenu 2 125 810 et le candidat démocrate Lee Fisher 1 448 092. Mon score représentait une part plus importante des voix que celle obtenue par les autres candidats socialistes dans l'Ohio au cours des dernières décennies.
La majorité de Solidarity a adopté la déclaration sur la campagne de Mamdani – qualifiée de « soutien critique » lors des discussions de notre groupe – car elle permet aux membres de Solidarity de dire : « Regardez, nous avons les mains propres. Nous n'avons jamais soutenu le Parti démocrate capitaliste et impérialiste. Et même si nous avons apprécié son mouvement et même une grande partie de son programme, nous n'avons jamais dit que nous soutenions Mamdani. » Très bien, tant mieux pour vous, cela figure dans votre dossier permanent.
Mais posez-vous la question suivante : serions-nous, nous les socialistes, dans une meilleure position si Mamdani s'était présenté en tant qu'indépendant, avait recueilli 1 ou 2 % des voix, mais que nous pouvions dire que nous avions mené un combat juste et pur ? Ou s'il devenait réellement maire de la plus grande ville des États-Unis et pouvait mettre en œuvre quelques programmes qui amélioreraient la vie des gens, renforçant ainsi la réputation du socialisme en général ?
Le Parti démocrate est un parti capitaliste et je m'oppose, par principe, à voter pour les démocrates comme un moindre mal. Comme mes camarades, j'aimerais voir émerger un parti politique indépendant, issu de la classe ouvrière et engagé en faveur du socialisme démocratique. Je pense qu'un tel parti est en fait susceptible de voir le jour grâce aux luttes menées pour des positions progressistes et de gauche au sein du Parti démocrate.
À l'heure actuelle, Mamdani n'est pas seulement un moindre mal, mais un candidat qui représente un bien positif et qui construit les forces susceptibles de remettre en cause le système. Nous devons nous organiser et voter pour lui.
Dan La Botz
Mon dernier livre.
Radioactive Radicals Un roman sur le travail et la gauche
Rendez-vous sur danlabotzwritings.com, puis sur « Books » (Livres).
Publié le 18 octobre 2025 par Solidarity : https://solidarity-us.org/i-support-mamdani-the-democratic-party-candidate-for-nyc-mayor-period/
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L’impérialisme de Trump en échec
Trump tente de réaffirmer la domination mondiale des États-Unis, ce qui met en péril le peu de stabilité qui subsiste dans les relations internationales et accroît le risque de nouvelles guerres.
Hebdo L'Anticapitaliste - 771 (16/10/2025)
Par Dan La Botz
traduction d'Henri Wilno
Les États-Unis ont toujours fait la guerre et étendu leur territoire. Ils ont fait la guerre aux peuples amérindiens, au Mexique (dont ils ont pris la moitié du territoire), puis à l'Espagne, s'emparant de Cuba, de Porto Rico et des Philippines. Les États-Unis sont devenus une grande puissance au début de la Première Guerre mondiale et la puissance mondiale dominante à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans l'après-guerre, ils ont mené des coups d'État en Iran, au Guatemala et au Chili, et ont fait la guerre au Vietnam.
Mais au 21e siècle, les États-Unis sont confrontés à la concurrence économique de la Chine partout dans le monde et à la concurrence militaire de la Russie en Europe. Trump tente aujourd'hui de redonner aux États-Unis leur puissance d'antan, de « rendre sa grandeur à l'impérialisme américain ». Mais jusqu'à présent, il a échoué.
Échec face à la Chine et à la Russie
Trump s'efforce d'étouffer l'économie chinoise et de manœuvrer la Russie pour l'amener à conclure une sorte de partenariat. Trump a frappé la Chine avec des droits de douane astronomiques de 50 % et a restreint les transferts de technologie, tandis que la Chine a réagi en imposant des restrictions sur les terres rares. Mais Trump n'a pas réussi à forcer la Chine à se soumettre.
Les États-Unis et l'OTAN n'ont pris aucune mesure importante lorsque la Russie a pris la Crimée à l'Ukraine en 2014 et n'ont pas réagi dans un premier temps à l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie en février 2022. Trump n'a pas réussi à mettre fin à la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine et a tenté à plusieurs reprises de flatter, de séduire et de bluffer le président russe Vladimir Poutine, sans succès. Aujourd'hui, les drones russes survolent non seulement l'Ukraine et la Moldavie, mais aussi l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Danemark, la Norvège, la Roumanie, la Pologne et l'Allemagne et Poutine menace d'utiliser des armes nucléaires.
Échec au Moyen-Orient
Dans l'espoir de rétablir la domination américaine au Moyen-Orient, Trump a négocié les accords d'Abraham, initialement signés par Israël, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Maroc en 2020. Mais ce plan a été mis à mal par l'attaque du 7 octobre et par la guerre génocidaire menée depuis deux ans par Israël contre Gaza. Après avoir fourni au moins 21,7 milliards de dollars à Israël pour la guerre, Trump est aujourd'hui salué pour avoir mis fin au conflit. Mais cette guerre, qui pourrait ne pas prendre fin, a saboté le plan de Trump pour la réorganisation de la région.
Bellicisme en Amérique latine
En Amérique latine, Trump a pris certaines de ses mesures les plus énergiques pour prendre le contrôle. Il a récemment ordonné la destruction de quatre bateaux dans les Caraïbes, affirmant sans preuve qu'il s'agissait d'un « conflit armé » avec des « organisations narco-terroristes », tuant 11 personnes en violation du droit international. Cela semble être une préparation au renversement de Maduro au Venezuela, sur la tête duquel il a mis une prime de 50 millions de dollars. L'attribution du prix Nobel de la paix à Maria Corina Machado, une politicienne d'extrême droite qui a encouragé Trump à envahir le pays, pourrait faciliter un coup d'État soutenu par les États-Unis. Le Mexique, que Trump a menacé de bombarder pour détruire les cartels de la drogue, observe la situation avec méfiance. Trump, intervenant dans la politique intérieure du Brésil, a imposé des droits de douane de 40 % à ce pays parce que ses tribunaux ont condamné l'ancien président d'extrême droite Bolsonaro. Et en Argentine, pour soutenir un autre président d'extrême droite, Javier Milei, Trump organise un plan de sauvetage de 20 milliards de dollars.
Trump tente de refaire des États-Unis le leader mondial, mais jusqu'à présent, il échoue.
Dan La Botz, militant de DSA (Democratic Socialists of America), traduction Henri Wilno
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Zohran Mamdani : « Notre heure est venue »
Hier soir (13 octobre), lors d'un rassemblement électoral, Zohran Mamdani s'est adressé à ses partisan·es : « Pendant trop longtemps, nous avons essayé de ne pas perdre. Il est maintenant temps de gagner. »
https://jacobin.com/2025/10/mamdani-mayor-nyc-campaign-speech
14 octobre 2025
Hier soir, lors d'un rassemblement à l'United Palace, le candidat socialiste démocrate à la mairie de New York, Zohran Mamdani, s'est adressé à ses partisan·es. Nous reproduisons ici l'intégralité de son discours.
Merci aux élu·es, aux dirigeant·es syndicaux et aux leaders de mouvements sociaux qui sont parmi nous ce soir. Et merci à la procureure générale de New York, Tish James. Pendant des années, vous vous êtes battue pour les New-Yorkais·es, et maintenant, c'est à notre tour de nous battre pour vous.
Il y a quelque chose de spécial dans cette salle ce soir. C'est le pouvoir. C'est le pouvoir de centaines de milliers de New-Yorkais·es uni·es, prêt·es à inaugurer une nouvelle ère. C'est le pouvoir d'un mouvement qui a remporté la bataille pour l'âme du Parti démocrate. Qui a relégué la vision d'Andrew Cuomo, faite d'austérité et de mesquinerie, à la place qui lui revient : sur une ligne électorale dont personne n'a jamais entendu parler.
C'est un pouvoir plus grand que celui de n'importe quelle personne travaillant seule pour un New York où la dignité est accordée à tous.
Et c'est le pouvoir d'une campagne qui, pour la deuxième fois en cinq mois, est au bord de la victoire. Dans trois semaines à compter de demain, nous gagnerons à nouveau.
Cela n'est possible que grâce à vous. Cette campagne a mobilisé le plus grand nombre de bénévoles de toute l'histoire de la ville de New York. Il y a 3 200 personnes dans cette salle ce soir. Et à vos côtés, il y en a plus de 80 000 autres à travers notre ville — à Brownsville, à Parkchester, à Flushing et ici même à Washington Heights, des New-Yorkais·es qui ont frappé aux portes, passé des appels téléphoniques et inscrit des électeur·ices jour après jour, semaine après semaine, mois après mois. Vous avez travaillé si dur pour une raison simple : réinventer fondamentalement ce qui est possible à New York.
Aujourd'hui, certain·es s'opposent à cette vision. Des milliardaires comme Bill Ackman et Ronald Lauder ont investi des millions de dollars dans cette course électorale, car ils affirment que nous représentons une menace existentielle.
Et je suis ici pour admettre une chose. Ils ont raison.
Nous représentons une menace existentielle pour les milliardaires qui pensent que leur argent peut acheter notre démocratie.
Nous représentons une menace existentielle pour un statu quo défaillant qui étouffe la voix des travailleurs et des travailleuses au profit des entreprises.
Et nous sommes une menace existentielle pour un New York où une dure journée de travail ne suffit pas pour gagner une bonne nuit de sommeil.
Et nous sommes absolument une menace existentielle pour les politiciens discrédités comme Andrew Cuomo, qui sapent la confiance du public, harcèlent les femmes et ne cachent pas leur désespoir de collaborer avec Donald Trump et ses donateurs.
Nous sommes une menace existentielle pour les milliardaires qui pensent que leur argent peut acheter notre démocratie.
Soyons clairs. Ce n'est pas le moment de capituler. Nous traversons une période d'obscurité politique. Donald Trump et ses agents de l'ICE enlèvent nos voisin·es immigré·es de notre ville en plein jour, sous nos yeux. Son administration autoritaire mène une campagne de représailles sans merci contre toustes celleux qui osent s'opposer à elle, contre les tribunaux qui osent lui demander des comptes et contre nos voisin·es transgenres et homosexuel·les qui osent simplement être elleux-mêmes.
Et encore et encore, Trump a rompu la promesse qu'il avait faite au peuple américain de se battre pour la classe ouvrière en s'attaquant à la crise du coût de la vie. Au cours des neuf derniers mois, nous avons assisté au plus grand transfert de richesse des pauvres vers les riches de l'histoire.
Trump est comme Andrew Cuomo : redevable aux milliardaires et aux oligarques. Et comme Cuomo, il s'est plié à leur volonté.
Les ravages qu'il a laissés dans son sillage sont stupéfiants. Des dizaines de millions d'Américains, dont des millions ici même à New York, vont perdre leur Medicaid, leur Medicare, leurs prestations SNAP. À cause de la corruption de Trump, des enfants vont se coucher le ventre vide. Des malades vont mourir. Quelle que soit la manière dont on mesure les choses, nos vies se sont détériorées.
Je repense au pasteur avec qui je me suis assise il y a quelques semaines à East Flatbush. Il m'a raconté comment, en septembre, une jeune femme de sa congrégation l'avait abordé après la messe. Elle lui avait dit qu'elle faisait l'objet d'une mesure d'expulsion. Il la connaissait bien et savait qu'elle travaillait avec des jeunes handicapé·es dans cette ville. Elle lui avait dit qu'elle n'avait pas les moyens de payer un·e avocat·e et qu'elle n'avait personne d'autre vers qui se tourner. Elle lui a demandé s'il pouvait l'accompagner au 26 Federal Plaza. Il a accepté.
Dans la salle d'audience, le juge lui a dit de se préparer à partir avec les vêtements qu'elle portait. Il lui a demandé si elle avait fait ses adieux à sa famille. Elle s'est mise à pleurer.
Puis, comme par miracle, le juge a changé d'avis. Il a décidé de faire passer son ordonnance de statut de protection temporaire avant l'ordonnance d'expulsion. Pendant un instant, le danger a semblé écarté.
Mais le pasteur savait que l'ICE attendait dehors. Ils se moquaient bien de l'ordonnance du tribunal, car ils se moquaient bien de l'état de droit.
Il s'est tourné vers quelques observateur·ices présent·es dans la salle et leur a demandé de sortir les premier·es. Il a demandé à un autre homme de retenir l'ascenseur. Il a pris la jeune femme sous les bras, a ouvert les portes, l'a fait passer rapidement devant les agents de l'ICE pour l'emmener dans l'ascenseur, puis dans une voiture qui attendait, avant de repartir à toute vitesse vers Brooklyn.
Pendant tout ce temps, ses pieds n'avaient même pas touché le sol. Il m'a dit que cela lui avait fait penser au chemin de fer clandestin. Et pourtant, il savait qu'elle était loin d'être en sécurité.
Nous vivons à une époque dont nous avons entendu parler dans les livres. Je sais que beaucoup d'entre nous, lorsque nous repensons à des moments de l'histoire qui ressemblent à ceux que nous vivons aujourd'hui, où la tyrannie régnait et où l'État imposait la violence avec une joie sinistre, nous nous demandons ce que nous aurions fait. Nous n'avons pas besoin de nous poser la question. Ce moment est arrivé.
Et je suis fier de voir cette foule, ces New-Yorkais·es qui, malgré le désespoir, ont continué à croire en un monde meilleur. À chaque pâté de maisons parcouru, à chaque signature obtenue, vous avez refusé de normaliser une politique de cruauté, de cupidité et d'exploitation. Vous avez affirmé votre pouvoir.
Nous voyons ce pouvoir lorsque les infirmier·es, les enseignant·es et les chauffeurs et chauffeuses de bus, ces hommes et ces femmes travailleuses et travailleurs syndiqués, terminent leur service et se rendent directement à une réunion électorale.
Nous le voyons lorsque ces mêmes New-Yorkais·es qui se rendent à pied au travail consacrent leurs week-ends à se battre pour des bus rapides et gratuits pour des inconnu·es qu'ils et elles ne rencontreront jamais.
Et nous le voyons lorsque des grands-parents dont les enfants sont depuis longtemps adultes se battent pour la mise en place d'un système universel de garde d'enfants afin qu'une jeune famille qu'ils n'ont jamais rencontrée, vivant à l'autre bout de la ville, puisse se permettre de rester ici.
Avec autant de ténèbres, il faut du courage pour éclairer une nouvelle voie. Comme l'a dit un jour Thomas Sankara, « Le changement fondamental ne vient que du courage de tourner le dos aux anciennes formules, du courage d'inventer l'avenir. » Ensemble, c'est exactement ce que nous avons fait.
Pendant trop longtemps, on nous a demandé de nous contenter d'abstractions et de lettres au ton ferme ; de nous satisfaire d'une politique bâtie sur des fondations fragiles, fondée uniquement sur ce à quoi nous nous opposons, sans jamais déclarer ce que nous soutenons réellement ; d'accepter des dirigeant·es prêt·es à nous vendre au plus offrant.
Ce n'est pas ce qu'est ce mouvement, et il ne le sera jamais. Nous savons ce que nous défendons, et nous ne reculerons pas. Un mouvement par le peuple et pour le peuple ne répond qu'au peuple.
À vingt-deux jours de la clôture des urnes, exprimons haut et fort ce que nous croyons afin que le monde entier le sache. Nous croyons que dans la ville la plus riche du pays le plus riche de l'histoire du monde, les travailleurs et travailleuses méritent une vie digne.
Nous croyons que les bus devraient être rapides et [la foule crie : « gratuits ! »]
Nous croyons que le logement est beaucoup trop cher. Nous allons construire des centaines de milliers de logements abordables, nous attaquer aux mauvais propriétaires et geler les [la foule crie : « loyers ! »]
Et nous croyons que les frais de garde ne devraient pas coûter autant qu'une année de scolarité au City College. C'est pourquoi nous allons mettre en place un système universel [la foule crie : « de garde d'enfants ! »].
Ce ne sont pas seulement des slogans. Ce sont des engagements. Nous ne les prononçons pas simplement pour inspirer, mais parce que c'est ce que nous allons réaliser. Nous croyons en des écoles qui reçoivent les investissements dont elles ont besoin, en des infrastructures résistantes aux effets croissants de la crise climatique et en un budget qui finance entièrement nos parcs et nos bibliothèques.
Nous croyons en une sécurité publique qui garantit réellement la sécurité et la justice. Nous pouvons faire de cette ville un endroit où personne n'a peur de marcher dans la rue ou de prendre le métro. Une ville où nos policier·es se concentrent sur les crimes graves et où ce sont les professionnel·les de la santé mentale qui s'occupent des crises de santé mentale.
Pendant trop longtemps, nous avons essayé de ne pas perdre. Il est maintenant temps de gagner.
À New York, nous croyons qu'il faut défendre celles et ceux que nous aimons. Au cours des neuf derniers mois, nous avons vu l'homme le plus puissant du monde dépenser une énergie considérable pour s'en prendre à ceux et celles qui ont le moins. Que vous soyez un·e immigrant·e, un·e membre de la communauté transgenre, l'une des nombreuses femmes noires que Donald Trump a licenciées d'un emploi fédéral, une mère célibataire qui attend toujours que le prix des produits alimentaires baisse, ou toute autre personne acculée au pied du mur, votre combat est aussi le nôtre.
Ne vous y trompez pas, notre mouvement sait exactement pour qui et pour quoi nous nous battons. Nous n'avons pas peur de nos propres idées. Pendant trop longtemps, nous avons essayé de ne pas perdre. Il est maintenant temps de gagner.
Je sais que depuis notre victoire du 24 juin, certain·es se sont demandé si ce à quoi nous aspirons est possible. Que les jeunes dont on parle comme étant l'avenir pourraient aussi être le présent. Que la gauche qui a critiqué pourrait aussi être la gauche qui tient ses promesses.
À cela, mes ami·es, j'ai une réponse très simple : oui.
Et à celles et ceux qui doutent, qui n'arrivent pas à y croire, qui partagent notre vision mais ont peur de se permettre d'espérer, je vous demande : quand la dignité a-t-elle jamais été donnée ?
Les mêmes questions qui nous ont été posées ont été posées aux syndicats, au mouvement des droits civiques, à tous ceux et à toutes celles qui ont eu le courage d'exiger un avenir sans pouvoir encore le voir : ne pouvait-on pas attendre ? Ne voyait-on pas qu'on en demandait trop ?
Ils et elles savaient que nous ne pouvons pas déterminer l'ampleur de la crise à laquelle nous sommes confrontés. Nous ne pouvons que décider de la manière dont nous y répondons. Nous savons que chaque grande victoire doit être remportée, car elle ne sera jamais donnée.
Lorsque les syndicats ont obtenu le week-end, afin que les travailleurs et travailleuses aient le temps de se reposer, c'était un pouvoir conquis, pas accordé. Lorsque celles et ceux qui nous ont précédés ont manifesté pour le droit de vote et les droits civiques, ils et elles ont triomphé parce qu'iels ont osé rêver, pas parce qu'iels en ont reçu la permission d'un establishment politique satisfait du statu quo.
Lorsque des millions de personnes âgées ont été sorties de la pauvreté grâce à la sécurité sociale, c'est parce que les Américain·es en avaient assez d'une situation qui ne leur convenait pas et en voulaient une nouvelle. Et le New York que nous aimons a été construit par celles et ceux
qui refusent de se contenter de moins. De grands leaders comme Fiorella La Guardia nous ont appris que l'ambition est quelque chose à embrasser, et non à traiter comme un crime. Lorsque nous nous libérons du carcan des petites attentes, notre ville construit des parcs et des hôpitaux, et nous montrons au monde que l'ambition et la compassion sont en fait étroitement liées.
En cette période sombre, New York peut être une source de lumière. Et nous pouvons prouver une fois pour toutes que la politique que nous menons ne doit pas nécessairement être fondée sur la peur ou la médiocrité. Le pouvoir et les principes ne doivent pas nécessairement être en conflit à la mairie. Car nous utiliserons notre pouvoir pour transformer les principes en possibilités.
Dans douze jours, les New-Yorkais·es commenceront à voter. Nous élirons notre prochain maire. Mais plus que cela, nous ferons un choix très simple.
Un choix entre la démocratie et l'oligarchie. Un choix entre une ville abordable ou plus de la même chose. Un choix entre un maire qui travaille pour celles et ceux qui ont du mal à payer leurs courses ou celles et ceux qui ont du mal à acheter une élection. Un choix entre l'espoir d'un avenir meilleur et un passé brisé.
Pendant des années, pour reprendre les mots du Dr Martin Luther King, on nous a demandé d'attendre une saison plus propice. On nous a dit que le changement n'était pas encore tout à fait possible, que ce n'était pas encore notre tour, qu'il viendrait bientôt.
On nous a dit d'attendre alors que nos ami·es et nos voisin·es ont déménagé. On nous a dit d'attendre alors que notre ville est devenue de plus en plus inabordable. On nous a dit d'attendre alors qu'une vie agréable est devenue hors de portée.
Mes ami·es, nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d'attendre. Car trop souvent, attendre revient à faire confiance à ceux qui nous ont menés à cette situation.
Nous pouvons exiger un gouvernement qui améliore nos conditions de vie. Nous pouvons dire aux milliardaires que cette ville ne leur appartient pas. Nous pouvons dire à Donald Trump qu'il ne peut pas acheter cette élection. Et nous pouvons dire à Andrew Cuomo que New York n'est pas à vendre.
Ainsi, le soir du 4 novembre, lorsque le monde apprendra que nous avons encore gagné, il connaîtra notre réponse à la question : nous choisissons l'avenir. Car à tous ceux et toutes celles qui disent que notre heure viendra, mes ami·es, notre heure est venue.
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Amira Hass. Pourquoi la Cisjordanie ne s’est pas soulevée
Amira Hass est une journaliste israélienne du quotidien de gauche Haaretz, installée depuis vingt ans à Ramallah, en Cisjordanie. Elle explique pourquoi aucune intifada n'a éclaté dans ce territoire occupé, et largement occulté, après le 7 octobre 2023. À l'inverse de ce qu'avaient imaginé les chefs du Hamas à Gaza. Entretien.
Tiré d'Orient XXI.
. — Vous êtes basée à Ramallah, en Cisjordanie. Pourquoi, d'après vous, n'y a-t-il pas eu d'intifada en Cisjordanie après le 7 octobre, même s'il y a eu de violents affrontements armés dans le Nord ?
Amira Hass. — C'est une question cruciale, peut-être LA question à se poser, pas seulement parce que Yahya Sinouar et Mohammed Deïf (1) imaginaient une révolte palestinienne majeure et une guerre régionale contre Israël après le lancement de leur grande attaque militaire. Cette question est valide, car la réalité créée par Israël à Gaza et en Cisjordanie avant le 7 octobre était insupportable.
Tout d'abord, je ne qualifierais pas d'intifada la présence de quelques dizaines de jeunes hommes armés dans les camps de réfugiés du Nord, prêts à être tués sur le champ.
Si l'on se réfère à la première intifada (1987-1993), elle désignait un soulèvement populaire, avec la participation de tous les milieux et, par conséquent, un mouvement dont la lutte armée n'était pas le moteur principal, voire pas du tout. Un mouvement qui supposait un état d'esprit de solidarité interne, de la coordination et un objectif clair. La résistance armée, elle, est toujours l'apanage d'un petit nombre et constitue un phénomène essentiellement masculin, du moins dans le contexte palestinien. L'objectif de ces groupes n'a d'ailleurs jamais été très clair.
Si l'on n'a pas vu davantage de groupes de jeunes hommes armés tirer ici ou là sur un poste militaire, un véhicule blindé ou un colon, cela tient d'abord à l'état des forces des deux organisations qui ont financé et encouragé l'armement des jeunes : le Hamas et le Djhad islamique. Ils étaient actifs dans le Nord, mais moins dans le reste de la Cisjordanie.
Ensuite, malgré la gloire tissée autour de ces groupes et les sentiments de compassion envers chaque martyr, j'ai tendance à croire que la plupart des habitants de Cisjordanie doutaient de l'efficacité de leurs actions.
- « Les enclaves palestiniennes conçues par Oslo et Israël ont fragmenté la vie quotidienne »
P.A. — Pourquoi ?
A.H. — Il y a un tabou dans la société palestinienne : critiquer les opérations armées et les martyrs. Donc le ressentiment et la colère vis-à-vis des groupes armés dans les villes et les camps de réfugiés — dont Israël a détruit bâtiments et infrastructures et déplacé environ 40 000 habitants — ne sont ni évoqués ni rapportés publiquement.
Mais je suppose que ces critiques circulent sous le manteau et sont connues. Dans le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, les services de sécurité de l'Autorité palestinienne, en relation avec des membres du Fatah (ce sont parfois les mêmes personnes), ont réussi à convaincre les hommes armés de quitter le camp — s'ils venaient de l'extérieur — ou de remettre leurs armes. La population a accepté la logique d'une telle position.
P.A. — Pourquoi n'a-t-on pas vu de soulèvement populaire et non violent comme alternative à la lutte armée ?
A.H. — La réalité des accords d'Oslo a déconnecté l'occupé de l'occupant en plaçant une entité tampon entre les deux : l'Autorité palestinienne (AP). Pour lancer un projet de désobéissance civile de masse, il faut d'abord appeler à la rupture des liens bureaucratiques et sécuritaires entre l'entité tampon et l'occupant. Autrement dit, exiger de l'Autorité palestinienne qu'elle agisse différemment. D'innombrables demandes et plusieurs résolutions du conseil central de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) réclamant la fin de la coopération sécuritaire avec Israël, n'ont jamais été entendues ou mises en œuvre par Abou Mazen [Mahmoud Abbas] et sa cour.
La dimension bureaucratique de la coopération palestinienne avec Israël est encore plus difficile à contester ou à stopper, car elle touche aux besoins fondamentaux des citoyens : obtenir une pièce d'identité, enregistrer les naissances, partir à l'étranger, ouvrir une entreprise et un compte bancaire, importer et exporter, etc. Une telle rupture exige une planification minutieuse, une décision commune et la volonté de l'ensemble de la population de se préparer en amont à d'énormes sacrifices au quotidien. Il y a quelques années, Qadura Farès, cadre du Fatah et ancien prisonnier — apprécié et vénéré par la base, mais souvent en disgrâce auprès des dirigeants — avait conçu un ambitieux plan de désobéissance civile de masse, mais il n'a manifestement jamais réussi à convaincre de sa faisabilité.
Durant les 30 années d'existence des zones A et B, les Palestiniens ont joui d'un certain « répit » face à l'occupant : certes dans des zones restreintes et pour des périodes limitées. J'appelle cela la « logique des bantoustans ». Elle a habitué les gens à un confort limité et à une normalité limitée, qu'ils n'étaient pas disposés à abandonner.
Enfin, les enclaves palestiniennes conçues par Oslo et Israël, toujours plus dispersées, toujours plus réduites, ont fragmenté la vie quotidienne sous une domination étrangère hostile : chaque ville ou village vit différemment cette expérience et trouve, ou pas, ses propres moyens de collaborer ou de résister. Ce fut très visible lors du mouvement de résistance contre le mur de séparation, au début des années 2000 : organisées par chaque village en son nom, les manifestations n'étaient pas exclusivement palestiniennes. On pouvait compter avec la présence et le soutien de militants internationaux et israéliens. Il est difficile d'imaginer aujourd'hui l'élaboration d'une stratégie unifiée à l'échelle de toute la Cisjordanie. La solidarité interne est affaiblie.
- « La brutalité de la répression israélienne contre toute tentative de résistance est effrayante »
P.A. — Il semble qu'une partie de la population palestinienne se soit sentie trahie ou abandonnée par ses dirigeants ?
A.H. — Les « dirigeants » palestiniens n'ont évidemment aucun intérêt pour une nouvelle stratégie. Ils sont devenus une nomenklatura, qui identifie la « cause nationale » à sa propre stabilité et à son bien-être. Les cercles élargis autour du noyau de cette nomenklatura — c'est-à-dire les fonctionnaires et les milieux d'affaires — dépendent de lui et ne peuvent se permettre, ou n'osent pas, s'en détacher.
Il existe par exemple une institution officielle, la Commission de résistance à la colonisation et au mur. Elle est principalement composée de militants du Fatah rémunérés par l'Autorité. Elle collecte des informations, dispose d'avocats qui représentent les citoyens dans les affaires de spoliation des terres [par Israël], et organise des manifestations de solidarité et de protection avec les communautés menacées par les colons et la bureaucratie de l'occupation.
S'il n'y a aucune raison de douter de la sincérité des individus impliqués — exposés aux tirs des soldats, à la violence des colons et aux arrestations —, ils n'ont pas reçu l'adhésion des masses. Au contraire, leur identification au Fatah et à l'Autorité ne leur attire aucune sympathie de l'opinion publique. Ils sont inconnus, à l'inverse de ces jeunes qui ont été tués par l'armée israélienne et dont les portraits géants — munis d'armes impressionnantes — sont placardés partout.
De fait, la brutalité de la répression israélienne contre toute tentative de résistance est effrayante. Indépendamment de toute forme de résistance ou d'opposition, cette brutalité est plus intense et généralisée qu'auparavant. Surtout sous cette coalition d'extrême droite et depuis le 7 octobre. Pour résister de manière proactive, le collectif palestinien a besoin de croire en son efficacité, d'avoir des dirigeants dignes de confiance, à l'écoute du peuple et capables de le guider avec un objectif commun clair.
Tout cela manque. Les sondages peuvent bien faire dire aux Palestiniens qu'ils sont favorables à la lutte armée et que c'est la seule façon de parvenir à une solution, mais en pratique leurs choix personnels démontrent le contraire. Je vois des parents s'efforçant d'éloigner leurs enfants des affrontements près des postes militaires, ou de les envoyer étudier à l'étranger, même s'ils soutiennent idéologiquement la lutte armée.
P.A. — De nouvelles formes ou de nouveaux espaces de résistance émergent-ils en Cisjordanie depuis le 7 octobre ?
A.H. — Avant de voir émerger de nouvelles formes de résistance, un bouleversement majeur dans la politique interne palestinienne est nécessaire. Sous forme de renaissance d'une OLP désormais obsolète ? D'une OLP entièrement neuve ? De changement impulsé par la diaspora ? D'initiative palestinienne inclusive [englobant les Palestiniens dits de « 1948 »] ? Chacune de ces options a ses avocats ou est associée à certaines initiatives intellectuelles, ce qui a minima nous indique combien la population aspire à un changement politique. Mais il va sans dire que c'est aux Palestiniens de décider.
En tout cas, à l'heure où le génocide perpétré par l'État israélien à Gaza se poursuit, la sensation d'incompétence et de paralysie politiques est plus forte que jamais, à l'opposé de l'ambiance victorieuse des premiers jours après le 7 octobre et des slogans que l'on entendait dans la diaspora palestinienne et en Cisjordanie.
- « Les colons mènent une guerre sur plusieurs fronts contre les Palestiniens »
P.A. — Quel est l'impact de l'accélération de la colonisation et de la violence des colons depuis le 10 octobre ? Comment percevez-vous les (nouvelles ?) stratégies israéliennes de colonisation ?
A.H. — Vivre sous l'occupation et la colonisation éternelles est une forme de résistance permanente. Parce qu'il s'agit d'un mode de vie organique ni organisé ni planifié. On parle de soumoud. (2). Comme l'objectif d'Israël a toujours été d'accumuler « le plus de terres avec le moins de Palestiniens possible », la détermination des communautés d'éleveurs et d'agriculteurs à rester sur leurs terres et la capacité à assurer une certaine normalité dans les zones A et B, ont été phénoménales.
Mais le gouvernement actuel et ses milices semi-officielles de gangs de colons ont réussi à briser le soumoud dans de larges régions de Cisjordanie, à expulser une soixantaine de communautés et empêcher des dizaines de villages d'accéder à leurs terres cultivées ou aux pâturages.
Les méthodes ne sont pas vraiment nouvelles, mais les « jeunes des collines » (3) et la construction parfaitement organisée et planifiée d'avant-postes par des bergers violents sont venus assister la bureaucratie de l'occupation : cette dernière a toujours cherché à « nettoyer » la plus grande partie de la Cisjordanie de toute présence palestinienne, mais elle le faisait « trop lentement ». Le processus s'est désormais accéléré.
Par ailleurs, les colons et leurs instances non gouvernementales, dirigés et inspirés par le Gauleiter de Cisjordanie, Betzalel Smotrich, mènent une guerre sur plusieurs fronts contre les Palestiniens qui parvient à briser la « logique du Bantoustan ». Personne n'est en sécurité nulle part.
- « Les prisons sont le lieu où les sadismes d'État et individuel convergent »
P.A. — Pouvez-vous détailler cette guerre multifrontale ?
A.H. — Les recettes de l'Autorité palestinienne sont ouvertement pillées. Smotrich, le ministre des Finances, interdit tout simplement le transfert des revenus — sous forme de taxes douanières sur les importations palestiniennes transitant par les ports israéliens — au trésor public de l'Autorité palestinienne.
Les sources d'eau sont systématiquement détournées par l'État et les colons. Depuis octobre 2023, l'armée bloque villes et villages au moyen de grilles de fer flambant neuves, entravant la liberté de circulation encore plus qu'avant. Répondant à une revendication constante des colons : circuler « en sécurité » sur les routes de Cisjordanie.
En outre, on assiste à une vague sans précédent de vols et de « confiscations » d'argent liquide et d'or chez les habitants, perpétrés par des soldats dépêchés par leurs commandants lors d'incursions à toute heure du jour et de la nuit. Ce, alors même que la population a déjà dépensé le plus gros de ses économies, car, contre l'avis même des militaires, le gouvernement empêche des dizaines de milliers de Palestiniens de retourner travailler en Israël. Pour la troisième année consécutive, l'armée interdit à des milliers d'agriculteurs de récolter leurs olives — une source importante de revenus et une manifestation collective, à la fois nationale et émotionnelle, de continuité et d'appartenance à la terre.
Sans oublier les arrestations massives et les détentions, dont les conditions sont devenues épouvantables : famine, humiliation, surpopulation carcérale propice aux maladies de peau, privation des livres et du matériel d'écriture, interdiction des visites familiales… Les prisons sont le lieu où les sadismes d'État et individuel convergent et se manifestent le plus ouvertement.
Partout, les Palestiniens sont désormais exposés aux caprices des soldats et des colons, ainsi qu'à la cruauté calculée des responsables et des institutions en charge. Rien d'étonnant à ce que la population craigne qu'une fois qu'Israël en aura « fini » avec Gaza, il lance des expulsions massives, voire une politique de génocide, en Cisjordanie.
- « En l'absence de “sang neuf”, l'Autorité palestinienne se caractérise par une sclérose d'idées et d'actions »
P.A. — Comment percevez-vous le rôle de l'AP, à la fois force de collaboration et de répression contre son peuple et néanmoins obstacle aux tentatives d'annexion d'Israël ?
Amira Hass — Il est important de distinguer l'AP en tant que prestataire de services à la population, en tant que direction nationale, et en tant qu'entité politique visant à accéder au statut d'État. De nombreux individus et acteurs de l'Autorité sont d'honnêtes soutiens de famille résolus à servir leur communauté. Le détournement des revenus de l'AP par Israël a réduit leurs salaires de moitié, voire des deux tiers, depuis plusieurs années déjà. Ce qui a évidemment des répercussions personnelles et professionnelles et affecte leur volonté de bien faire leur travail.
Il est d'ailleurs remarquable que le secteur public continue de fonctionner et de fournir des services, aussi modestes et insatisfaisants soient-ils. Quant aux institutions elles-mêmes, leur fonctionnement varie d'un endroit à l'autre, il peut être minimal, notamment en raison des contraintes budgétaires, tandis qu'ailleurs certains secteurs sont minés par la politique interne — comme le système judiciaire.
Les accords d'Oslo ont dégagé Israël de toute responsabilité envers le peuple qu'il continue d'occuper, et l'Autorité doit remédier au mal que cause Israël : qu'il s'agisse d'aider les personnes déplacées, les familles démunies, les blessés ou simplement ceux qui souffrent d'hypertension artérielle en raison d'une réalité insupportable et du stress permanent. Jusqu'à aujourd'hui, l'AP paie les frais des patients gazaouis venus se faire soigner en Cisjordanie avant le 7 octobre. Elle paie leur hébergement et leurs soins. Elle paie aussi l'eau potable qu'Israël a dû fournir [sous la pression internationale] à Gaza. De petites quantités qui constituent désormais la seule eau potable disponible sur place.
À cet égard, on ne peut pas dire que l'Autorité travaille contre son propre peuple. En revanche, c'est le cas lorsqu'on examine son rôle de direction politique nationale. En l'absence d'élections ou de « sang neuf », elle se caractérise par une sclérose d'idées et d'actions. En tant que nomenklatura, elle est incapable de s'affranchir de ses intérêts personnels et, par conséquent, de prendre la moindre initiative de changement ou de désobéissance civile vis-à-vis des Israéliens. Dans certains cas, sa promptitude à suivre les diktats israéliens relève d'une véritable collaboration, je parle ici de collaboration bureaucratique.
P.A. — Et la collaboration sécuritaire ?
A.H. — J'ignore si, et dans quelle mesure, l'Autorité parvient, souhaite ou peut déjouer des attaques armées contre des Israéliens. En revanche, elle devrait avoir le droit, à mon avis, de s'opposer aux actions qui facilitent les campagnes de destruction et les expulsions massives par Israël. Mais elle préfère utiliser ses services de sécurité pour intimider et étouffer les critiques internes et le libre débat. Étant donné qu'il s'agit d'une nomenklatura — avec ses phénomènes évidents de népotisme, les salaires élevés et les avantages qui vont avec, son hostilité au recours à la lutte armée — par ailleurs sensée — est jugée comme un signe de corruption, sinon de trahison, par la population.
- « Une reconnaissance dénuée de sanctions contre Israël n'est qu'un vœu pieux »
P.A. — Malgré la dernière vague de reconnaissances de l'État de Palestine, que reste-t-il de la « solution à deux États » ?
A.H. — Nous faisons une erreur en continuant à parler de « solution ». Dans les processus historiques, la question est de savoir ce que l'on fait afin de garantir que la prochaine phase sera meilleure pour le peuple. Les retardataires qui reconnaissent aujourd'hui un État palestinien semblent ignorer la réalité de l'annexion de facto par Israël de la majeure partie de la Cisjordanie et la menace des expulsions massives.
Mais je voudrais être positive : faisons pression sur ces pays et leurs dirigeants pour qu'ils imposent des sanctions à Israël pour que ce dernier commence par démolir les quelque 300 avant-postes déjà érigés, comme une première étape avant le démantèlement progressif des colonies.
Il faut réaffirmer l'axiome selon lequel toutes les colonies sont illégales. Il faut rejeter l'affirmation selon laquelle elles sont « irréversibles », car cela signifie que nous acceptons et soutenons la dépossession quotidienne et permanente des Palestiniens.
Une fois que le processus de négociation aura repris, l'État de Palestine pourrait accepter que des Israéliens juifs restent à l'intérieur de ses frontières. Mais à condition que les anciennes colonies soient ouvertes à tous et pas seulement aux Israéliens juifs ; que les propriétaires fonciers — y compris les communautés locales dont les terres sont publiques et non privées — soient indemnisés pour les terres volées ; que les colons violents soient expulsés ; et que l'État d'Israël garantisse que ceux qui restent ne formeront pas une cinquième colonne. Une reconnaissance dénuée de sanctions immédiates et audacieuses contre Israël n'est qu'un vœu pieux.
P.A. — Pour terminer sur une note plus personnelle, comment se passe le travail d'une journaliste israélienne en Cisjordanie depuis le 7 octobre ?
A.H. — La situation est plus frustrante que jamais : il y a trop d'événements majeurs et dangereux, trop d'incidents, d'attaques et de résolutions gouvernementales [israéliennes] qu'il faut couvrir sérieusement et minutieusement. Et les lecteurs [israéliens], plus que jamais, refusent de connaître et de comprendre le contexte général.
Notes
1- NDLR. Yahya Sinouar, chef du Hamas dans la bande de Gaza, puis leader du mouvement islamiste après l'assassinat d'Ismaïl Haniyeh en août 2024. Considéré comme le cerveau des attaques du 7 octobre 2023. Tué le 16 octobre 2024 par l'armée israélienne à Rafah. Mohammed Deïf, chef militaire du Hamas. Tué le 13 juillet 2024 par l'armée israélienne à Al Mawasi, près de Khan Younès.
2- Difficilement traduisible, le terme soumoud exprime le fait de « tenir bon ».
3- Les « jeunes des collines » sont un mouvement de jeunes colons ultra radicaux.

Les manifestations au Népal ont des racines profondes
Dans certaines conditions, une étincelle peut déclencher un incendie de prairie. Les manifestations contre l'interdiction des réseaux sociaux au Népal se sont transformées en un véritable soulèvement après que la police a tué 19 manifestant·es. Les maisons de personnalités politiques de premier plan ont été attaquées, le parlement incendié et le gouvernement est en ruines. Mais quelle sera la suite ?
Tiré de Inprecor 737 - Octobre 2025
7 octobre 2025
Par Alex De Jong
Bureau des impôts incendié à Chitwan, 9 septembre 2025. © हिमाल सुवेदी / CC BY-SA 4.0.
Dans un article publié dans Himal Southasian (1), Roman Gautam a souligné l'influence d'autres soulèvements : « lorsque les Sri-Lankais se sont soulevés en 2022 pour chasser le régime Rajapaksa », les Népalais·es « ont pris note ». Puis vint le Bangladesh et sa révolution de juillet dernier, et Sheikh Hasina et tout le système politique qui l'entoure ont été visibles. Dans les images des manifestations au Népal, on peut voir le drapeau avec un crâne et des os qui est devenu le symbole des manifestations indonésiennes (2).
Le déclencheur a été l'interdiction des réseaux sociaux, dont dépendent de nombreuses personnes qui gèrent de petites entreprises. Les réseaux sociaux tels que WhatsApp et Messenger sont également un moyen de communication avec les millions de travailleur·ses migrant·es népalais·es à l'étranger. Environ 7,5 % de la population népalaise vit à l'étranger et les transferts de fonds représentent plus d'un quart du PIB du pays, soit plus que l'aide publique au développement et les investissements directs étrangers combinés. Cette migration à grande échelle est motivée par les mauvaises perspectives d'avenir dans un pays où près d'un jeune sur quatre est au chômage. Les vidéos virales montrant les enfants de politiciens menant une vie luxueuse ont ajouté de l'huile sur le feu.
Dans ces conditions, la protestation contre l'interdiction des réseaux sociaux s'est rapidement transformée en un mouvement contre les politiciens corrompus et incontrôlables, tenus pour responsables du manque de perspectives pour la population. Puis, le 8 septembre, la police a ouvert le feu sur une manifestation, tuant 19 personnes (3). Parmi les morts se trouvaient des enfants encore en uniforme scolaire. Ce type de violence a été perpétré par un gouvernement dirigé par quelqu'un qui se dit communiste, K.P. Sharma Oli, du Parti communiste népalais (marxiste-léniniste unifié) ou CPN-UML (4). La colère s'est transformée en indignation. Le lendemain, Oli a démissionné et l'interdiction des réseaux sociaux a été levée, mais c'était trop peu et trop tard.
Le discrédit jeté sur la coalition dirigée par Oli, composée du CPN-UML et du Congrès népalais (NC), ne se limite pas à ces deux partis. De manière révélatrice, mardi, la maison de l'opposant politique et ancien Premier ministre Prachanda a également été attaquée5. Comme Oli, Prachanda est un communiste autoproclamé ; il est le président du Parti communiste népalais (Centre maoïste). Le CPN-UML, le Congrès népalais6 et le Centre maoïste sont les trois principaux partis politiques du pays. Depuis 2008, le Népal a connu 13 gouvernements, ces trois partis se succédant au pouvoir.
Déclin et effondrement d'une révolution
Ce n'est pas la première fois dans l'histoire récente que le Népal connaît un soulèvement populaire. En 1990, des manifestations populaires ont mis fin à la monarchie au Népal et le pays est devenu une monarchie constitutionnelle multipartite. Le CPN-UML, qui a commencé comme un front de gauche participant à ce mouvement, s'est ensuite imposé comme l'un des principaux partis politiques du pays.
Malgré son nom, l'idéologie de ce parti n'a pas grand-chose de communiste. Au début des années 90, son secrétaire général, Madan Bhandari, a formulé l'approche du parti, la « théorie de la démocratie multipartite populaire ». Il s'agissait essentiellement d'une continuation de la théorie stalinienne de la révolution par étapes précédemment défendue par le parti. Elle maintenait l'ancienne conception selon laquelle, avant que toute forme de socialisme ne soit possible, il fallait passer par une phase d'accumulation du capital en alliance avec les « capitalistes nationaux ». La formulation de Bhandari ajoutait que cette phase « nouvelle démocratique » serait réalisée par des moyens électoraux, via le parlement, et dans le respect du pluralisme politique. Dans ce qui est devenu les documents fondateurs du CPN-UML, Bhandari, décédé en 1994, soulignait que la nouvelle démocratie « ne diffère pas dans sa structure socio-économique et son système de production ». Il s'agirait d'un « système de production fondamentalement capitaliste », qui serait réalisé par « les travailleur·ses et les gens ordinaires ».
Une grande partie de la politique népalaise des années 90 a été caractérisée par la concurrence entre le CPN-UML, le NC, un parti se disant social-démocrate, et le parti nationaliste hindou et monarchiste Rastriya Prajatantra. La plupart des critiques que les partis s'adressaient les uns aux autres portaient sur des accusations de corruption et de népotisme, plutôt que sur l'orientation politique. Une différence résidait dans l'orientation internationale : le NC était historiquement considéré comme pro-indien, tandis que le CPN-UML « admire les grandes réalisations de la construction du socialisme à la chinoise » par le Parti communiste chinois. Malgré ces différences, ces trois partis ont formé à différents moments des coalitions (gouvernementales) entre 1990 et 2005, lorsque le roi a pris en main le pouvoir exécutif.
Une partie de la tragédie du Népal réside dans le fait que le mouvement maoïste de Prachanda est né comme un mouvement révolutionnaire qui promettait de mettre fin à la stagnation sociale et économique et de briser la domination des partis établis. En 1996, les maoïstes ont présenté au gouvernement, alors dirigé par le NC, une liste de 40 revendications comprenant la redistribution des terres, un système d'allocations chômage, des soins de santé et l'éducation, ainsi que la fin de la discrimination fondée sur les castes (7) et l'autonomie des régions marginalisées. Leurs revendications n'ayant pas été satisfaites, ils ont lancé une lutte armée contre l'État népalais. La « guerre populaire » maoïste a pris de l'ampleur au tournant du siècle, lorsque les maoïstes contrôlaient une grande partie des campagnes. Alors que l'insurrection prenait de l'ampleur, le roi népalais Gyanendra, qui était également commandant de l'armée, a concentré le pouvoir entre ses mains.
Mais ce faisant, il s'est attiré l'hostilité de la plupart des partis politiques, y compris le Congrès népalais et le CPN-UML. En avril 2006, un mouvement de masse a éclaté dans les villes népalaises. Baptisé Jana Andolan II ou Mouvement populaire II, en référence au mouvement de 1990, ce mouvement de protestation a conduit à la destitution du roi et au rétablissement du régime parlementaire. Entre-temps, les maoïstes étaient parvenus à un accord avec les partis d'opposition et s'étaient engagés à mettre fin à la lutte armée par la voie de la négociation. Leur objectif était désormais « la compétition multipartite dans un cadre constitutionnel défini », comme l'a déclaré Prachanda. Le 21 novembre 2006, les maoïstes ont annoncé la fin de leur insurrection et la dissolution des organes politiques qu'ils dirigeaient dans les campagnes. Les maoïstes ont ensuite rejoint le gouvernement intérimaire.
Pendant la guerre populaire, les maoïstes ont souligné que leur objectif immédiat était de « construire un nouveau type de relations capitalistes nationales, orientées vers le socialisme ». Lors d'un entretien en 2001 avec un journaliste du Washington Times, Baburam Bhattarai (8), leur principal idéologue à l'époque, l'a supplié de « bien vouloir noter que nous ne faisons pas pression pour une “république communiste”, mais pour une république démocratique bourgeoise ». Cette stratégie était similaire à celle du CPN-UML, mais différait sur la manière d'atteindre la phase préparatoire du « capitalisme national », soit par des élections, soit par la lutte armée.
En 2001, Bhattarai a également déclaré qu'il n'y avait « absolument aucune possibilité » que les maoïstes se transforment en « parti parlementaire » et qu'ils « trahissent ainsi les aspirations révolutionnaires des masses ». Mais c'est exactement ce qui s'est produit après 2006. Aussi brillants qu'ils aient été sur le champ de bataille, les maoïstes ont d'abord été surpassés sur la scène institutionnelle par les partis établis, puis rapidement assimilés.
Le caractère progressiste du projet de Constitution a été progressivement réduit. Il n'a pas fallu longtemps pour que la direction maoïste s'effondre et commence à s'accuser mutuellement de corruption. Même l'argent destiné aux anciens combattants qui devaient être intégrés dans l'armée nationale a disparu. Le changement de mode de vie d'une personne comme Prachanda était en effet flagrant. Certains groupes radicaux ont quitté le parti, mais ceux-ci n'offraient guère plus qu'une répétition des anciens dogmes et la promesse de quelque chose que peu de gens souhaitent : un retour à la guerre populaire à un moment donné dans le futur.
Musical chairs
Une fois adoptée, la nouvelle Constitution contenait effectivement certains changements progressistes, tels que la transformation du pays en une république laïque. Mais d'autres dispositions démocratiques, telles que l'octroi de plus de pouvoir politique aux régions marginalisées dans un système fédéral, n'ont pas été mises en œuvre, ou seulement partiellement. Pour de nombreux·ses Népalais·es, peu de choses ont changé dans la vie quotidienne.
Depuis 2008, les maoïstes ont eu quatre fois le poste de Premier ministre du Népal : Bhattarai une fois, Prachanda trois fois, la dernière fois étant de 2022 à 2024. À différentes époques, les maoïstes ont formé des coalitions avec chacun des principaux partis du gouvernement récemment tombé. En 2018, le CPN-UML et les maoïstes, partis qui s'étaient encore récemment livrés une lutte acharnée, ont même connu une fusion de courte durée. L'échec de cette fusion, comme d'autres scissions du CPN-UML et des maoïstes en 2021, a été largement causé par des désaccords sur les positions à adopter. Un cynique pourrait dire que près de 20 000 personnes sont mortes pendant la guerre populaire pour que les maoïstes puissent se joindre au jeu politique des chaises musicales.
Alors que de nombreux problèmes fondamentaux du pays restent sans solution, il n'est pas surprenant que les forces de droite reviennent sur le devant de la scène. Au début de cette année, le Népal a connu d'importantes manifestations monarchistes. Le rétablissement de la monarchie est une position minoritaire, mais les monarchistes sont galvanisés par l'échec évident du CPN-UML, du NC et du Centre maoïste. La « résurgence des activités pro-monarchiques », comme l'a dit un journaliste népalais (9), « reflète davantage la tentative de la vieille garde de tirer profit de la frustration généralisée du public plutôt qu'un soutien à une institution discréditée ». Selon certaines rumeurs, les forces monarchistes de droite auraient également attisé les récentes violences. De même, l'Inde et les forces nationalistes hindoues, qui souhaiteraient que le Népal redevienne un État hindou et que sa politique étrangère se détourne de la Chine au profit de l'Inde, sont montrées du doigt. Il est tout à fait possible que ces forces tentent de tirer profit de la situation actuelle. Il est évident que ce type de manœuvres a été rendu possible en premier lieu par la colère et la déception généralisées.
La colère légitime suscitée par la corruption peut être un pas vers une radicalité sociale. Mais il existe également un risque que cette énergie soit récupérée par des forces plus conservatrices, comme le montre le sort réservé à d'autres manifestations anti-corruption. En particulier parmi les classes moyennes urbaines et les militants des ONG, les notions néolibérales de « bonne gouvernance » situent la cause de la pauvreté et du sous-développement non pas dans l'impérialisme et l'exploitation capitaliste, mais dans l'incapacité à « faire respecter l'État de droit ». Le sentiment que « tous sont corrompus » peut alimenter le désir d'un homme fort, d'un outsider qui « ferait le ménage ».
Les mouvements de protestation peuvent renverser un gouvernement, mais prendre le pouvoir pour changer réellement le cours de la société est une autre affaire. Les agences de lutte contre la corruption ne suffisent pas lorsque les enjeux sont des questions telles que la réforme agraire, l'autodétermination des minorités, les droits des travailleur·ses et la lutte contre la domination du capital.
Les cas du Sri Lanka, où la révolte populaire a abouti à la mise en place d'un gouvernement qui poursuit essentiellement les politiques néolibérales, et du Bangladesh, où, après le soulèvement de juillet 2024, c'est la droite qui est en passe de se développer, sont des exemples qui donnent à réfléchir. Mais ce serait une grave erreur d'en tirer la leçon que la gauche devrait s'abstenir de telles protestations, ou pire encore, soutenir des gouvernements dont la corruption et l'incompétence flagrantes leur ont fait perdre le soutien populaire. C'est lorsque les masses entrent en action que l'histoire s'écrit. Les socialistes doivent prendre part à ces luttes afin de pouvoir proposer une meilleure voie.
Le 11 septembre 2025
Publié par Tempest, traduit pour ESSF par Adam Novak.
1. Himal Southasian est un magazine mensuel influent publié au Népal qui couvre les affaires politiques et culturelles de l'Asie du Sud. « Le règlement de comptes horrifique du Népal avec sa classe politique défaillante », 12 septembre 2025, Inprecor. La famille Rajapaksa a dominé la politique sri-lankaise pendant des décennies. Gotabaya Rajapaksa a été contraint de démissionner de la présidence en juillet 2022 suite à des protestations de masse contre la crise économique. Sheikh Hasina était Première ministre du Bangladesh depuis 2009. Elle a été contrainte de fuir le pays en août 2024 suite à des protestations dirigées par des étudiant·es.
2. Ce drapeau noir orné d'un crâne et d'os croisés est devenu un symbole des protestations étudiantes indonésiennes contre les politiques du gouvernement.
4. Le PCN (UML) est l'un des principaux partis politiques du Népal, se revendiquant du marxisme-léninisme mais ayant adopté des politiques largement capitalistes.
5. Pushpa Kamal Dahal « Prachanda » était le leader du mouvement maoïste armé qui a mené une « guerre populaire » de 1996 à 2006, avant de devenir Premier ministre à plusieurs reprises.
6. Le Congrès népalais (NC) est un parti politique fondé en 1947, historiquement social-démocrate et pro-indien.
7. Le système des castes au Népal divise traditionnellement la société en groupes hiérarchiques héréditaires, les castes inférieures étant historiquement discriminées.
8. Baburam Bhattarai était le principal idéologue du mouvement maoïste et plus tard Premier ministre du Népal de 2011 à 2013.
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Les protestations au Népal sont le résultat d’une révolution avortée
Lorsque le Népal est devenu une république en 2008, cela a suscité l'espoir d'une transformation fondamentale de la société népalaise. L'incapacité des partis de gauche népalais à répondre à ces attentes a créé un climat de mécontentement parmi les jeunes, qui a explosé au cours du mois dernier.
Tiré de Inprecor
15 octobre 2025
Par Sushovan Dhar
Au cours du mois dernier, le Népal, pays enclavé de l'Himalaya, a connu les manifestations les plus violentes depuis près de deux décennies. Si le déclencheur immédiat a été l'interdiction des réseaux sociaux par le gouvernement, le soulèvement s'est rapidement transformé en une révolte nationale contre des problèmes socio-économiques plus larges tels que la corruption, le chômage et la dérive autoritaire du pays.
Des dizaines de milliers de jeunes, pour la plupart adolescents ou âgés d'une vingtaine d'années, ont envahi les rues de Katmandou, Pokhara et Biratnagar. Ils ont démoli des barricades, affronté les forces de sécurité et rempli la capitale de chants de défi.
La réponse de l'État a été rapide et brutale : balles en caoutchouc, canons à eau, gaz lacrymogènes et tirs à balles réelles. À la mi-septembre, au moins 72 personnes avaient trouvé la mortet plus de 2 000 avaient été blessées.
Vague de révolte
Le « mouvement de la génération Z », comme on l'appelle, s'inscrit dans une vague de révolte régionale plus large. De Colombo en 2022, où les Sri-Lankais ont contraint leur président à fuir, à Dhaka en 2024-2025, où des manifestations généralisées ont conduit au renversement du gouvernement de Sheikh Hasina, les populations de toute l'Asie du Sud se soulèvent. Elles s'attaquent aux élites dont les politiques les privent de l'accès même aux produits de première nécessité.
Le rôle du Népal dans ce cycle continu revêt une importance particulière, car cela fait seulement dix-sept ans que le pays a aboli la monarchie et instauré une république démocratique fédérale. L'ironie est amère. La génération née après 2008 et élevée sous le drapeau de la République mène aujourd'hui un soulèvement contre la corruption, la pauvreté et la trahison qui ont suivi.
Pour comprendre pourquoi, revenons sur la révolution avortée presque aussitôt après avoir commencé. Pendant des siècles, le Népal a été gouverné par des monarques qui présidaient une société rigoureusement hiérarchisée et inégalitaire. Cet ordre a commencé à s'effondrer en juin 2001, lorsqu'un massacre au palais a coûté la vie au roi Birendra et à une majeure partie de la famille royale, propulsant son frère Gyanendra sur le trône.
Le nouveau roi a rapidement révélé son penchant autoritaire. En 2005, il a dissous le parlement, imposé l'état d'urgence et censuré la presse. La réaction qui s'en est suivie a été baptisée Mouvement populaire II (« Jan Andolan II ») de 2006, lorsque des millions de personnes sont descendues dans les rues, défiant le couvre-feu et les balles.
Les travailleurs, les paysans, les étudiants et les femmes ont défilé ensemble, contraignant le roi à rétablir le parlement. Deux ans plus tard, en mai 2008, la monarchie a été officiellement abolie et le Népal a été déclaré « république démocratique fédérale ».
À une époque où la gauche mondiale était aux prises avec les effets du triomphalisme néolibéral, les communistes népalais ont fait preuve d'une rare résilience politique. Les maoïstes du pays, sortis d'une décennie d'insurrection, sont devenus le parti prédominant au Parlement. Pour beaucoup à travers le monde, le Népal était une source d'optimisme et la preuve que la lutte révolutionnaire pouvait encore mener les masses à la victoire.
Une révolution avortée
Les premières années de la République ont été marquées par des attentes exaltantes. Les maoïstes promettaient une réforme agraire, l'égalité pour les Dalits et les femmes, et la reconnaissance des nationalités opprimées. La nouvelle république devait être fondée sur les principes de justice sociale et de participation démocratique, créant ainsi les bases d'une société plus égalitaire.
Cependant, la révolution s'est presque immédiatement enlisée. Après avoir remporté près des deux cinquièmes des sièges lors des élections à l'Assemblée constituante en 2008, les maoïstes ont abandonné la mobilisation de masse au profit de manœuvres parlementaires. C'était un domaine dans lequel leurs opposants nationaux bénéficiaient du soutien de l'État indien, soucieux d'empêcher son voisin de se déplacer trop à gauche.
Le Parti communiste népalais-marxiste-léniniste unifié (CPN-UML) était un rival politique et parfois un allié des maoïstes. Le CPN-UML était une force beaucoup moins radicale que son nom pouvait le suggérer. Il était un acteur établi depuis le début des années 1990, avec une expérience au sein du gouvernement, et il restait ancré dans la politique clientéliste.
La rédaction d'une nouvelle constitution s'est éternisée pendant des années, tandis que les dirigeants des partis se partageaient les ministères et les contrats. L'énergie radicale qui avait renversé la monarchie a été absorbée par les institutions de l'État. Après avoir échoué à faire adopter la nouvelle constitution proposée, les maoïstes ont perdu une part considérable de leur soutien lors des élections pour une deuxième assemblée constituante en 2013, se retrouvant derrière le CPN-UML et le Congrès népalais.
En 2018, les maoïstes et le CPN-UML ont fusionné pour former un seul Parti communiste népalais. À l'époque, les maoïstes disposaient de cinquante-trois sièges au parlement, tandis que leurs partenaires en avaient 121. Fort d'une majorité parlementaire décisive, le nouveau parti avait plus de pouvoir que n'importe quelle force de gauche dans l'histoire du Népal.
Mais, au lieu d'une transformation, c'est la paralysie qui s'est installée. Le Premier ministre K. P. Sharma Oli a dissous le Parlement en 2020 dans une tentative flagrante de prise de pouvoir, dissolution qui a ensuite été annulée par la Cour suprême. Le parti récemment unifié s'est rapidement scindé en deux, laissant la gauche fracturée et discréditée.
Une coalition avec le leader maoïste Prachanda comme Premier ministre a été au pouvoir de 2022 à 2024, avant de céder la place à un autre gouvernement dirigé par Oli qui excluait les maoïstes. C'est le dernier gouvernement d'Oli qui a introduit l'interdiction des réseaux sociaux, provoquant les troubles du mois dernier.
Une idéologie bancale
Malgré le rôle héroïque joué par les partis communistes népalais dans la mobilisation de millions de personnes, les limites de leur programme ont facilité leur intégration sans heurts dans le système capitaliste qu'ils s'étaient autrefois engagés à renverser. À un stade précoce, certaines sections de la gauche parlementaire, en particulier le CPN-UML, étaient prêtes à se contenter d'une monarchie constitutionnelle. Ce n'est que la pression exercée par le soulèvement populaire de 2006 qui a imposé la république.
De leur côté, les maoïstes ont mené une guerre populaire pendant dix ans et bénéficiaient d'un soutien important dans les campagnes, où les structures foncières inégales maintenaient les paysans dans des conditions proches du servage. Pourtant, malgré toute sa combativité, l'insurrection rurale n'a jamais été ancrée dans une stratégie révolutionnaire visant à démanteler le capitalisme lui-même. Les luttes anti-féodales, aussi populaires soient-elles, ne génèrent pas automatiquement un programme socialiste.
La vision maoïste, façonnée par l'orthodoxie stalinienne-maoïste, donnait la priorité à la lutte armée dans les zones rurales, mais manquait d'une vision pour le pouvoir ouvrier dans les villes ou la construction d'institutions socialistes au-delà du champ de bataille. Lorsque la monarchie est tombée, ce vide théorique s'est traduit par une capitulation rapide devant la politique parlementaire et les modèles de développement néolibéraux. La transition rapide d'une insurrection anti-féodale à une gouvernance néolibérale n'était donc pas tant un accident que l'aboutissement logique des limites idéologiques du mouvement.
Les conséquences de cette révolution avortée sont désormais visibles dans les rues. En canalisant une insurrection de masse vers des manœuvres parlementaires, les dirigeants communistes ont laissé se creuser un vide entre les aspirations populaires et les institutions étatiques. Les travailleurs n'ont vu aucun changement dans leurs conditions de vie, les paysans n'ont obtenu aucun gain significatif et les jeunes n'ont vu aucun avenir au-delà de la migration ou du chômage.
Les mêmes partis qui promettaient autrefois la libération sont devenus les administrateurs des réformes néolibérales et les courtiers des prêts étrangers. Pour une génération née après 2008, la République n'est pas un symbole d'émancipation, mais un rappel des promesses non tenues. Le mouvement de la génération Z est, en ce sens, le règlement tardif des compromis des maoïstes et du CPN-UML — une révolte à la fois contre la corruption des dirigeants actuels, et contre la révolution avortée qui a abouti à une république sans transformation.
Ce qui s'est produit n'était pas l'aboutissement d'une révolution, mais plutôt sa fin prématurée. Les insurgés qui avaient autrefois mobilisé des millions de personnes sont devenus des bureaucrates défendant leurs privilèges. La monarchie avait été renversée, mais l'ouverture révolutionnaire qui s'était alors créée a été brutalement refermée de l'intérieur.
Le cadre idéologique qui sous-tendait ce recul était la doctrine d'une révolution en deux étapes. Selon les maoïstes, le CPN-UML et d'autres partis de gauche, la première tâche historique du Népal était d'achever une transformation démocratique bourgeoise en démantelant les structures féodales et en établissant une république. Ce n'est qu'après cette étape, à un moment indéfini dans l'avenir, que l'on pourrait envisager la transition socialiste.
Dans la pratique, cette théorie a fourni une justification en même temps politique et morale à l'intégration dans le système parlementaire. Une fois la monarchie renversée, les dirigeants ont pu présenter leur adhésion au constitutionnalisme, aux politiques de développement néolibérales et au compromis entre les élites comme une « étape nécessaire » plutôt que comme une trahison. En repoussant le socialisme à un horizon abstrait, ils ont légitimé leur propre cooptation et désarmé les forces mêmes qui avaient rendu la révolution possible.
Une république sans résultats
En théorie, la Constitution népalaise de 2015 consacre un impressionnant catalogue de droits : égalité, éducation, soins de santé, logement, souveraineté alimentaire, espace démocratique pour tous les citoyens, etc. Dans la pratique, cependant, ces droits se sont révélés être des promesses creuses.
Les services publics sont sous-financés et minés par la corruption. La pandémie a mis en évidence la pourriture interne du système, qui a finalement conduit à son effondrement. On a pu observer des hôpitaux à court d'oxygène et des familles transportant des corps vers des crématoriums après avoir été refoulées des services d'urgence.
Pendant ce temps, l'économie a continué à se détériorer, l'inflation dépassant les 7 % en 2022-2023et les prix des denrées alimentaires et du carburant grimpant en flèche. Le chômage des jeunes a atteint 20 %. Pour une génération qui a grandi avec le rêve de la prospérité républicaine, la réalité s'est traduite par une stagnation des salaires, une augmentation des coûts et une pression constante pour émigrer à l'étranger.
La base économique de la République a radicalement changé après 2008. L'agriculture, qui était autrefois le pilier de l'économie, a connu un déclin brutal, entraînant l'effondrement des revenus agricoles. Cela a poussé des millions de personnes à émigrer sous la pression des difficultés économiques.
Aujourd'hui, les transferts de fonds des travailleurs népalais à l'étranger représentent près d'un quart du PIB, soit l'un des taux les plus élevés au monde. Les villages se sont vidés de leurs jeunes hommes ; les familles survivent grâce aux virements bancaires en provenance du Golfe, de Malaisie et d'Inde, tandis que les cercueils reviennent à l'aéroport de Katmandou avec une sinistre régularité.
Dans leur pays, les Népalais n'ont guère d'autres alternatives viables que l'émigration. Or à l'étranger, ils sont traités comme une main-d'œuvre jetable. Ce cycle illustre bien la gravité de la crise : une république qui promettait dignité et opportunités a plutôt externalisé la survie de ses migrants.
Bien sûr, cette économie établie sur les transferts de fonds a réduit la pauvreté absolue, mais elle a renforcé la dépendance et les inégalités. Elle a également remodelé la composition des classes sociales au Népal. Une main-d'œuvre urbaine précaire et informelle et une vaste diaspora font vivre le pays, tandis que l'État se révèle incapable de créer des emplois décents sur le territoire national.
Tâches inachevées
Les promesses de changement des maoïstes n'ont pas été tenues : la discrimination fondée sur la caste persiste, les femmes sont toujours confrontées à des inégalités systémiques et les groupes autochtones restent marginalisés. Ce qui devait être une république pour les marginalisés est devenu un État dominé par des élites recyclées.
Son incapacité à concrétiser les promesses a conduit à une approche de plus en plus autoritaire à l'égard de toute forme de dissidence : harcèlement de journalistes, surveillance des militants et répression des manifestations. Les ouvertures démocratiques établies en 2006 ont progressivement diminué.
Les élites se sont tournées vers des diversions nationalistes, déplaçant leur attention entre l'Inde et la Chine tout en attribuant les troubles à des « mains impérialistes cachées ». La gauche comme la droite ont accusé les États-Unis d'orchestrer les manifestations actuelles. Bien sûr, les puissances impériales cherchent à exercer leur influence au Népal, mais ce discours est devenu un prétexte commode pour échapper à toute responsabilité face à la faim, au chômage et à la désillusion qui alimentent les troubles.
Le soulèvement a déjà bouleversé le paysage politique existant, même s'il ne l'a pas encore complètement transformé
Le mouvement actuel de la génération Z représente une résurgence de la contestation après des années de statu quo politique qui a favorisé les élites tout en laissant des millions de personnes dans la pauvreté. Les personnes nées après 2008 sont à la tête de ce mouvement, rejetant les pratiques établies de la République dont elles ont hérité. Leurs revendications vont au-delà de la liberté d'expression et des droits civils et politiques formels ; elles dénoncent ouvertement la corruption, les inégalités et la trahison des promesses révolutionnaires.
Le soulèvement a déjà bouleversé le paysage politique existant, même s'il ne l'a pas encore complètement transformé, entraînant la démission d'Oli et la mise en place d'un gouvernement intérimaire. La question de savoir si cette énergie peut être canalisée dans un processus de transformation durable reste ouverte.
Forces politiques
Les troubles et l'instabilité politique qui en ont résulté ont ouvert des perspectives pour la droite népalaise, jusqu'alors marginalisée dans le courant dominant. Les forces monarchistes, brandissant des drapeaux royaux et promettant la stabilité grâce à un retour au passé, ont gagné en importance. Leur discours gagne en crédibilité face à la désillusion généralisée à l'égard de la République ; cependant, leur programme ne promet qu'une régression autoritaire.
Si l'on examine la situation actuelle, il est difficile d'imaginer un retour à la monarchie, car l'équilibre des forces de classe qui a permis son renversement n'a pas fondamentalement changé. L'ordre républicain, aussi critiquable soit-il, repose sur l'alliance des classes moyennes urbaines, de la jeunesse organisée et des groupes historiquement marginalisés qui considèrent la monarchie népalaise comme synonyme d'exclusion et d'autoritarisme. Ces groupes sont peut-être fragmentés, mais leur mémoire collective de la lutte de masse et le souvenir laissé Jan Andolan II sont de puissants obstacles à une restauration royaliste.
Sur le plan institutionnel, l'État post-2008 a été remodelé afin de consolider la légitimité républicaine grâce à la promulgation d'une nouvelle constitution, à la restructuration des organes représentatifs et à l'intégration dans les normes démocratiques mondiales. Sur le plan international également, les grandes puissances ont peu d'intérêt à soutenir un retour à la monarchie. Ainsi, la république garantit mieux leurs intérêts en matière de stabilité, d'aide au développement et d'accès aux marchés.
En l'absence d'une perspective idéologique claire, le symbolisme royaliste peut gagner en visibilité dans les moments de désillusion vis-à-vis des élites républicaines corrompues. Cependant, il fonctionne davantage en tant que référence de protestation que comme un projet politique cohérent. Sans un réalignement décisif des classes nationales et des acteurs mondiaux, la renaissance de la monarchie reste plus un spectre qu'une alternative réaliste.
Le défi le plus important est celui que doit affronter la gauche. Le Népal est l'un des rares pays où des communistes déclarés ont obtenu la majorité parlementaire. Pourtant, ils ont gaspillé cette opportunité en abandonnant la mobilisation de masse au profit d'accords bureaucratiques. La tâche consiste désormais à renouer avec la colère dans les rues.
Les syndicats, les organisations paysannes et les mouvements étudiants doivent être revitalisés. Des expériences telles que la mairie indépendante de Balen Shah à Katmandou montrent la soif d'alternatives. La gauche peut soit répondre à cette demande par un programme de démocratie radicale et de transformation sociale, soit regarder les forces autoritaires et réactionnaires combler le vide.
Reconstruire la gauche
Malgré une base organisationnelle solide, des racines sociales profondes et une place centrale dans la transformation républicaine du pays, la gauche népalaise a perdu une portion substantielle de la confiance populaire dont elle jouissait autrefois. Des décennies de divisions internes et d'opportunisme ont miné sa crédibilité. Pour retrouver sa pertinence, la gauche doit à la fois inverser la relation entre le parti et le peuple, et se libérer de l'orthodoxie stalinienne-maoïste qui a figé son imagination politique.
Un obstacle central est la persistance de la théorie des deux étapes. Celle-ci a été utilisée par les dirigeants de gauche pour justifier des alliances avec des forces réactionnaires et pour mettre de côté les revendications radicales sous le prétexte de la nécessité tactique et du pragmatisme. Cette approche a étouffé tout potentiel d'approfondissement de la démocratie ou de promotion du socialisme. Il est essentiel de rompre avec ce cadre si la gauche veut présenter un programme qui corresponde aux expériences et aux luttes des travailleurs, des paysans et des jeunes.
Les méthodes organisationnelles bureaucratiques et monolithiques issues des pratiques soviétiques et chinoises du XXᵉ siècle déforment le concept de centralisme démocratique, le transformant en une pratique de centralisme bureaucratique. Cette déformation conduit à la suppression de la dissidence, à un leadership irresponsable et à des partis politiques qui fonctionnent davantage comme des machines clientélistes que comme des vecteurs d'émancipation.
Pour rétablir la confiance, la gauche doit faire preuve de démocratie interne en promouvant des débats ouverts, la rotation des dirigeants et de la transparence dans la prise de décision. En outre, elle devrait créer des mécanismes garantissant la responsabilité envers les membres de la base plutôt qu'envers des politiciens de carrière.
Les crises matérielles auxquelles sont confrontés les citoyens ordinaires soulignent l'urgence de cette transformation. L'inflation, les migrations massives, le chômage des jeunes et l'effondrement agricole ont rendu insignifiants des slogans tels que « guerre populaire » ou « nouvelle démocratie ». À moins que la gauche n'ancre sa politique dans des programmes concrets – plans pour l'emploi rural et urbain, investissements dans la santé publique, l'éducation et l'adaptation au changement climatique –, elle continuera à céder du terrain à la nostalgie royaliste et au populisme de droite.
L'enjeu n'est pas seulement l'avenir de l'expérience républicaine du Népal, mais également la crédibilité de la gauche elle-même. L'alternative au renouveau est la marginalisation, une politique prise au piège entre une rhétorique révolutionnaire vide de sens et des manœuvres cyniques de coalition. La tâche consiste donc à ré-imaginer le socialisme comme un projet vivant et démocratique, ancré dans la voix du peuple, des institutions responsables et une volonté de s'opposer au capital sous toutes ses formes, tant au niveau mondial que national.
Dix-sept ans après la chute de la monarchie, la révolution népalaise reste inachevée. La République promettait l'égalité et la justice, mais elle a apporté l'instabilité et la trahison. Pourtant, le soulèvement actuel prouve que le peuple n'a pas abandonné capacité à façonner l'histoire.
La crise népalaise ne concerne pas seulement des dirigeants défaillants, elle concerne un processus révolutionnaire avorté alors qu'il venait à peine de voir le jour. La question est maintenant de savoir si la gauche peut renouer avec cette promesse radicale ou si l'avenir du Népal sera déterminé par la fausse stabilité des monarchistes, des nationalistes et des puissances impériales.
Les foules qui envahissent les places de Katmandou nous rappellent une vérité évidente : la lutte qui a commencé en 2006 n'est pas terminée. La République n'a jamais été une fin en soi. Ce n'était qu'un début.
Traduit par Christine Pagnoulle, publié par le CADTM le 30 septembre 2025
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Inde : Qu’est-ce qui se cache derrière le « nouveau bien-être social » de Modi ?
Imaginez le Premier ministre indien en Père Noël : récemment, à la veille de Navratri, un festival d'une semaine qui précède les grandes fêtes hindoues de Dussehra et Diwali, Narendra Modi a annoncé une réduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur une longue liste de produits de consommation courante. Désormais, le beurre, le ketchup, les pizzas végétariennes, le dentifrice, l'après-rasage, les lave-vaisselle, le ciment et d'autres produits sont entre 3 et 12 % moins chers.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
« Vous allez faire des économies et pouvoir acheter plus facilement les produits que vous aimez. Les pauvres, la classe moyenne, la nouvelle classe moyenne, les jeunes, les agriculteurs, les femmes, les commerçants, les négociants et les entrepreneurs : tous vont profiter de cette fête des économies. En d'autres termes, pendant cette période de festivités, tout le monde va avoir le cœur rempli de joie », a déclaré Modi dans son discours de dix-neuf minutes à la nation.
Il est raisonnable de supposer qu'il ne distribue pas ces cadeaux uniquement dans un esprit de fête. Des élections sont prévues en novembre dans le Bihar, l'un des États les plus peuplés et les plus pauvres de l'Inde. « Le Premier ministre Modi a pris cette décision importante au moment opportun », a déclaré Ramdas Athawale, ministre d'État chargé de la justice sociale et de l'autonomisation. « Nous allons remporter [les élections] dans le Bihar. »
Athawale est syndicaliste et appartient au Parti républicain indien (A), un des partenaires mineurs de la coalition du Parti nationaliste hindou Bharatiya Janata (BJP) de Modi. Le parti trouve ses racines dans la Fédération des castes répertoriées de l'avocat dalit B. R. Ambedkar. Modi, lui-même issu d'une caste inférieure, reconnaît que les élections ne peuvent être gagnées uniquement grâce à la religion et à l'idéologie.
En Inde, plus de 60 % de la population appartient à des castes inférieures ou n'appartient à aucune des castes (Dalits), ce qui leur donne droit à des emplois réservés (appelés « réservations ») dans la fonction publique, tandis que plus de 800 millions de personnes reçoivent des subventions alimentaires dans le cadre de la loi nationale sur la sécurité alimentaire. Cela souligne le fait que les questions relatives au pain quotidien sont décisives lors des élections.
« Le programme de bouteilles de gaz du Premier ministre »
Cela profite aux partis qui (co)gouvernent l'un des États et territoires de l'Inde, et en particulier au gouvernement fédéral de New Delhi. Ceux-ci font souvent la promotion commerciale de leurs programmes sous le nom du Premier ministre. Par exemple, « le programme de bouteilles de gaz du Premier ministre » fournit gratuitement du gaz de cuisine aux groupes à faibles revenus sous la forme de bouteilles de gaz ornées de l'image de Modi. Le « programme de logement du Premier ministre » a permis de construire 25 millions de nouvelles maisons rurales depuis 2016. L'une de ces maisons appartiendra bientôt à la famille Bhallavi, qui compte cinq membres et vit dans l'État du Madhya Pradesh, dans le centre de l'Inde. Elle a reçu une subvention de 120 000 roupies (environ 1 200 euros). « La vie est dure », a déclaré M. Bhallavi, « mais je suis reconnaissant au gouvernement de m'avoir permis de construire ma première maison ».
Plus les électeurs dépendent de l'État, plus les cadeaux électoraux prennent de l'importance.
L'initiative la plus réussie de Modi reste toutefois la mission « Swachh Bharat » (Inde propre), qui vise à lutter contre la défécation en plein air grâce à la construction massive de toilettes. Depuis le lancement du programme en 2014, le gouvernement affirme avoir construit plus de 100 millions de toilettes. Afin d'atteindre l'objectif ambitieux de mettre fin à la défécation en plein air en Inde d'ici la fin 2025, le programme d'hygiène « Sauchalay Yojana » a été lancé cette année, et offre aux familles sans toilettes 12 000 roupies (120 euros) pour en permettre la construction.
Alors que l'économie indienne connaît une croissance régulière depuis des années, les programmes sociaux et les « revdis » (mot hindi signifiant « cadeaux ») ont atteint des niveaux sans précédent. « Les dépenses publiques consacrées à ces aides sont estimées entre 0,1 et 2,7 % du PIB », a déclaré Ajay Dua, ancien secrétaire au ministère du Commerce. « Les États les plus pauvres dépensent davantage, malgré leurs capacités moindres. »
« Il pleut des aides sociales »
La logique est claire : plus les électeurs dépendent de l'État, plus les cadeaux électoraux prennent de l'importance. C'est pourquoi les partis tentent de se faire mieux que leurs concurrents en offrant les cadeaux les plus attrayants, créant ainsi un labyrinthe de programmes sociaux dans lequel il est difficile de s'y retrouver. « Il pleut des aides sociales au Bihar », titrait récemment The Hindu. Souvent, les bénéficiaires potentiels ne sont même pas conscients de la chance qu'ils ont.
Le ministre en chef du Bihar, Nitish Kumar, du parti Janata Dal (United), qui dirige actuellement un gouvernement de coalition avec le BJP de Modi, a annoncé que les volontaires qui aident les personnes issues des castes les plus basses et des populations autochtones des villages à faire valoir leurs droits recevront une subvention de 25 000 roupies (250 euros) pour acheter une tablette. De plus, leurs indemnités de transport et de fournitures de bureau ont été augmentées.
D'autres programmes étatiques dans le Bihar comprennent une subvention de 10 000 roupies (100 euros) pour l'achat de téléphones portables afin d'aider les enfants défavorisés à accéder au système éducatif, des allocations chômage de 1 000 roupies par mois pour les jeunes diplômé.e.s, des prêts jusqu'à 200 000 roupies pour les femmes entrepreneuses, une allocation vestimentaire de 5 000 roupies pour les ouvriers du bâtiment et une augmentation de 700 roupies des pensions mensuelles pour les veuves et les personnes handicapées.
Il n'est pas facile de faire la distinction entre ces cadeaux et les éléments constitutifs de l'État providence garanti par la Constitution indienne. Le préambule de la Constitution déclare que l'Inde est une « république souveraine, socialiste, laïque et démocratique ». Le Premier ministre Modi souligne que ses programmes ne sont en aucun cas revdis. « La culture Revdi est contraire au développement de notre pays », a-t-il récemment déclaré. « Ceux qui soutiennent cette culture ne construiront jamais de nouvelles autoroutes ou de nouveaux aéroports. »
Il faut distinguer les offres gratuites des programmes sociaux, estime l'ancien président de la Cour suprême D. Y. Chandrachud. « Il doit y avoir un équilibre entre les coûts économiques et le bien-être public », a-t-il déclaré. En 2022, il a instamment demandé aux partis politiques de présenter un cadre permettant de faire cette distinction « avant mon départ à la retraite, s'il vous plaît ». Chandrachud a pris sa retraite en 2024, mais le débat se poursuit.
Critique de la politique sociale de redistribution
Modi affirme que son gouvernement a déjà versé 34 000 milliards de roupies, soit environ 340 milliards d'euros, sous forme de transferts directs en espèces aux ménages à faibles revenus depuis 2014, soit plus de 30 milliards d'euros par an. Le politologue Devesh Kapur, de l'université Johns Hopkins, parle d'un « virus des transferts d'argent » qui touche tous les partis et tous les États. Il existe aujourd'hui environ 2 000 programmes de transferts d'argent dans le pays. « Tous les partis en Inde savent que le bien-être social est important pour les électeurs », explique M. Kapur.
L'économiste Arvind Subramanian, ancien conseiller du gouvernement, fait référence au « »nouveau bien-être social » de Modi, qui privilégie les dépenses privées telles que la construction de toilettes plutôt que les biens publics tels que l'éducation de base et les soins de santé. « Les États jouent avec le feu », prévient-il. « Ces programmes sont de plus en plus considérés comme des dûs. Je ne sais pas où cela va s'arrêter. »
Pourtant, Kapur voit également le côté positif de cette évolution. La capacité de l'État indien à venir en aide à des centaines de millions de personnes s'est considérablement accrue. « Au cours de la dernière décennie, l'État a ouvert des comptes bancaires pour 350 millions de personnes, raccordé 80 millions de foyers au gaz et construit 100 millions de toilettes au profit de 600 millions de personnes. Il ne fait aucun doute que l'État indien est désormais capable de transformer les investissements en réalisations », affirme M. Kapur. En d'autres termes, le gouvernement de M. Modi tient ses promesses.
Si une grande partie de ce que l'on peut qualifier d'assistanat est appréciable, on peut toutefois craindre que cela se fasse au détriment de ce qui est essentiel à la productivité et à la croissance à long terme.
La question de savoir si cet argent est toujours investi à bon escient est une autre affaire. N.K. Singh, président de la quinzième Commission des finances indienne, qui supervise la répartition des recettes entre le gouvernement central et les gouvernements des États, qualifie ces cadeaux de « désastre fiscal ».
« En réalité, la persistance de la culture du gratuit est le signe que notre politique économique ne parvient pas à construire un État providence qui investit dans le capital humain », explique l'économiste Yamini Aiyar du Centre for Policy Research (CPR), un groupe de réflexion basé à New Delhi.
L'Inde ne consacre qu'environ 3 % de son PIB aux soins de santé, contre 11 à 12 % dans la plupart des pays industrialisés. Les dépenses d'éducation, qui s'élèvent à environ 4 %, sont conformes à la moyenne mondiale. Mais les deux systèmes, santé et éducation, sont très inefficaces.
« Aucune nation ne peut prétendre à un statut de grand pays lorsque les perspectives d'avenir d'un si grand nombre de citoyens sont limitées par la malnutrition, une éducation insuffisante et la discrimination fondée sur le sexe », selon le rapport économique 2018 du gouvernement indien. Pourtant, ce genre de constatations ne permet pas de remporter des campagnes électorales.
« Tout cela nécessite la mise en place d'institutions stables, ce qui est un travail difficile », a déclaré Devesh Khapur. « Si une grande partie de ce que l'on peut qualifier d'État providence est remarquable, on peut craindre que cela se fasse au détriment même de ce qui est essentiel à la productivité et à la croissance à long terme. »
Le socialisme est peut-être inscrit dans la Constitution indienne, mais il est absent du programme électoral de la plupart des partis. Les appels à la suppression de ce terme du préambule, lancés de temps à autre, n'ont jusqu'à présent pas obtenu la majorité nécessaire. « Au fil des ans, le socialisme a évolué pour devenir un concept général largement accepté, compris comme la justice économique et sociale pour tous », explique la journaliste Neerja Chowdhury. Elle note que le Premier ministre Narendra Modi est plus enclin à mener une politique sociale que bon nombre de ses prédécesseurs, ce qui explique en grande partie la persistance de sa popularité.
Britta Petersen dirige le bureau sud-asiatique de la Fondation Rosa Luxemburg à New Delhi.
Source Rosalux
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro
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Plus de 1 000 personnes exécutées depuis début 2025 : les autorités intensifient leur offensive contre le droit à la vie
Les autorités iraniennes ont exécuté plus de 1 000 personnes depuis le début de l'année 2025, soit le nombre annuel d'exécutions le plus élevé recensé par Amnesty International en Iran depuis au moins 15 ans, a déclaré l'organisation. Elle appelle les autorités iraniennes à instaurer, dans un premier temps, un moratoire sur les exécutions et lance un appel urgent à tous les États pour qu'ils fassent pression sur l'Iran en faveur de la suspension de toutes les exécutions prévues.
Tiré de Entre les lignes et les mots
En moins de neuf mois, le nombre de personnes mises à mort par le pouvoir iranien depuis le début de l'année a déjà dépassé le sinistre total enregistré en 2024, à savoir 972.
Depuis le soulèvement « Femme. Vie. Liberté » en 2022, les autorités iraniennes ont intensifié leur recours à la peine de mort comme instrument de répression étatique et pour écraser la dissidence, dans un contexte de nette augmentation des exécutions pour des infractions liées à la législation sur les stupéfiants. En 2025, elles ont aussi multiplié les condamnations à mort sous couvert de sécurité nationale, au lendemain de l'escalade des hostilités entre Israël et l'Iran au mois de juin, après les frappes militaires israéliennes contre l'Iran.
« La hausse continue des exécutions en Iran atteint des proportions effroyables : la peine de mort est instrumentalisée de façon systématique à des fins de répression et pour étouffer la dissidence, ce qui porte une atteinte ignoble au droit à la vie, a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International.
« La hausse continue des exécutions en Iran atteint des proportions effroyables : la peine de mort est instrumentalisée de façon systématique à des fins de répression et pour étouffer la dissidence, ce qui porte une atteinte ignoble au droit à la vie » – Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International
« La peine de mort est odieuse en toutes circonstances, mais l'appliquer à grande échelle à l'issue de procès iniques aggrave encore l'injustice. Parmi les personnes visées en toute impunité figurent les dissident·e·s politiques, les membres de minorités ethniques opprimées, les manifestant·e·s et les personnes condamnées à mort pour des infractions liées aux stupéfiants.
« La communauté internationale doit prendre des mesures énergiques et immédiates et faire pression sur les autorités iraniennes afin qu'elles suspendent toutes les exécutions prévues, annulent toutes les condamnations à mort et imposent un moratoire officiel sur toutes les exécutions, en vue d'abolir totalement ce châtiment. Compte tenu de l'impunité systématique en matière d'exécutions arbitraires, les États doivent également rechercher des moyens efficaces d'amener les responsables iraniens à rendre des comptes, notamment en exerçant la compétence universelle à l'égard de tous ceux qui sont raisonnablement soupçonnés d'être pénalement responsables de crimes relevant du droit international et d'autres violations graves des droits humains. »
Les personnes en danger sont notamment les accusés condamnés à la peine capitale pour des infractions liées à la drogue ou des chefs d'inculpation formulés en des termes excessivement généraux et flous, tels que l'« inimitié à l'égard de Dieu » (moharebeh), la « corruption sur terre » (ifsad fil Arz) et la « rébellion armée contre l'État » (baghi), à l'issue de procès des plus iniques devant les tribunaux révolutionnaires.
D'après les multiples recherches menées par Amnesty International, les tribunaux révolutionnaires, qui exercent leur compétence sur les infractions liées à la sécurité nationale et aux stupéfiants, manquent d'indépendance et prononcent des peines sévères, y compris la peine de mort, à l'issue de procès manifestement iniques, et les accusés qui comparaissent devant ces tribunaux sont systématiquement privés de leur droit à un procès équitable. Le 17 septembre 2025, Babak Shahbazi a été exécuté arbitrairement, après avoir été condamné à mort par un tribunal révolutionnaire au mois de mai à l'issue d'un procès manifestement inéquitable, au cours duquel ses allégations de torture et de mauvais traitements n'ont fait l'objet d'aucune enquête.
Le recours à la peine de mort touche de manière disproportionnée les minorités marginalisées, en particulier les membres des communautés afghane, baloutche et kurde. Au moins deux femmes kurdes, la travailleuse humanitaire Pakhshan Azizi et la dissidente Verisheh Moradi, sont condamnées à mort et risquent d'être exécutées.
En Iran, les Afghans sont également très touchés par cette situation. Le nombre d'Afghans exécutés dans le pays a plus que triplé, passant de 25 en 2023 à 80 en 2024. Ce phénomène inquiétant coïncide avec la recrudescence des discours racistes et xénophobes de la part du pouvoir iranien, qui s'est poursuivie en 2025, et avec la vague sansprécédent d'expulsions forcées vers l'Afghanistan de nombreux Afghan·e·s, dont certains sont nés et vivent en Iran depuis des décennies.
La nette hausse du nombre d'exécutions pour des infractions liées aux stupéfiants, qui a débuté en 2021, s'est poursuivie cette année, en violation du droit international et des normes associées, qui interdisent strictement de recourir à la peine de mort pour ce type d'infractions.
Après l'escalade des hostilités entre Israël et l'Iran, de hauts représentants de l'État iranien, notamment le Responsable du pouvoir judiciaire Gholamhossein Mohseni Eje'i, ont appelé à accélérer les procès et les exécutions pour « soutien » ou « collaboration » avec des États hostiles, dont Israël. Dans ce contexte marqué par ces appels inquiétants, le Parlement iranien a adopté une loi qui, si elle est approuvée par le Conseil des gardiens, étendrait le recours à la peine de mort à des infractions liées à la sécurité nationale formulées en termes vagues – « coopération avec des gouvernements hostiles » et « espionnage » notamment.
Depuis le 13 juin 2025, au moins 10 hommes ont été exécutés pour des accusations motivées par des considérations politiques, dont au moins huit pour espionnage pour le compte d'Israël. Amnesty International a recenséde nombreux cas de personnes risquant d'être exécutées pour des motifs politiques similaires, notamment l'universitaire suédo-iranien Ahmadreza Djalali et la défenseure des droits des femmes et des travailleursSharifeh Mohammadi, dont la condamnation à mort a été confirméepar la 39e chambre de la Cour suprême en août 2025.
Amnesty International s'oppose catégoriquement à la peine de mort, en toutes circonstances. Ce châtiment viole le droit à la vie tel qu'il est proclamé par la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) et constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.
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Pas de cessez-le-feu en Cisjordanie occupée
Alors qu'un accord de cessez-le-feu vient d'être conclu à Gaza, la brutalité de la colonisation israélienne en Cisjordanie occupée continue de s'accélérer.
Tiré d'Agence médias Palestine.
« La Cisjordanie est toujours la cible de l'armée et des colons, tandis que le gouvernement israélien poursuit un programme d'escalade de colonisation et d'annexion », déclare ce matin Hanan Ashrawi, femme politique palestinienne, sur X. « Si les causes profondes ne sont pas traitées, il ne peut y avoir de paix ni de stabilité véritables », a-t-elle déclaré.
Depuis l'annonce du cessez-le-feu à Gaza en effet, de nombreux incidents sont rapportés en Cisjordanie occupée.
Les médias locaux rapportent que deux Palestinien-nes dont un-e enfant ont été blessé-es par l'armée israélienne lors d'un raid israélien mené dans le sud de la ville de Jénine. Des soldats israéliens ont également tiré à balles réelles lors d'un raid dans le centre d'Hébron, au sud de la Cisjordanie, sur trois enfants palestinien-nes âgé-es de 14 à 16 ans.
Hier soir, les forces israéliennes ont détruit la maison de Muhammad Bassam Taha dans la ville de Qatana, au nord de Jérusalem-Est occupée. Cet homme, accusé d'avoir perpétré un attentat, avait déjà été tué par l'armée israélienne, et cette destruction constitue une punition infligée à sa famille.
Les attaques émanent également des colons illégaux israéliens, comme celle qui a visé hier un Palestinien âgé de 75 ans, Odeh Ali Odeh Ghazal, alors qu'il revenait de ses terres près du village de Kisan, à l'est de Bethléem.
Ce matin, l'armée israélienne a pris d'assaut la ville de Sinjil, en Cisjordanie occupée, au nord de Ramallah, perquisitionnant des habitations et arrêtant trois Palestinien-nes, rapporte l'agence de presse Wafa.
Dans son dernier bilan hebdomadaire, l'OCHA dénombre 999 meurtres de Palestinien-nes en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023, assassiné-es par l'armée ou les colons israéliens. Plus de 10 000 Palestinien-nes ont été déplacé-es par les démolitions, les attaques de colons et les restrictions d'accès, dans cette même période.
Dans l'ombre du génocide à Gaza en effet, Israël a multiplié les opérations militaires en Cisjordanie, les terres au mépris du droit international et annihilant toute possibilité de création d'un État palestinien.
L'OCHA rapporte également qu'entre le 30 septembre et le 6 octobre en Cisjordanie, 38 Palestinien-nes dont cinq enfants ont été blessé-es en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Parmi les blessé-es figuraient huit Palestiniens qui tentaient de franchir la barrière pour rejoindre Jérusalem-Est et Israël, dont cinq dans le gouvernorat de Bethléem, deux à Jérusalem et un à Hébron. Depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle les autorités israéliennes ont révoqué ou suspendu la plupart des permis délivrés aux travailleur-euses palestinien-nes et autres personnes pour accéder à Jérusalem-Est et à Israël, OCHA a recensé 126 incidents où des Palestinien-nes ont été tué-es ou blessé-es alors qu'ils ou elles tentaient de franchir la barrière pour accéder à des lieux de travail à Jérusalem-Est et en Israël.
La colonisation israélienne « constitue une menace existentielle »
Le retrait d'Israël et de ses colons illégaux des terres occupées en Cisjordanie n'est pas évoqué par l'accord de « paix » proposé par Donald Trump, et il est à craindre que que l'armée israélienne y poursuivra son offensive.
En janvier dernier, lors du cessez-le-feu qui avait duré deux mois avant d'être unilatéralement brisé par Israël, les troupes israéliennes retirées de Gaza avaient été déployées en Cisjordanie, entamant l'offensive la plus meurtrière de ces deux années écoulées dans la région : l'opération « Mur de fer ». Cette opération, qui a compris les sièges brutaux des camps de Jénine et Tulkarem, a entraîné le déplacement de plus de 40 000 Palestinien-nes et près de la moitié des meurtres enregistrés ces deux dernières années.
Depuis la reconnaissance en septembre dernier de l'État de Palestine par plusieurs pays occidentaux dont la France et le Royaume-Uni, Israël a restreint la liberté de circulation de milliers de Palestinien-nes en Cisjordanie par l'installation de nouvelles barrières et postes de contrôle, et autorisé de nouveau plans de colonisation, pourtant illégale y compris au regard du droit israélien.
Cette situation inquiète jusqu'au président français Emmanuel Macron, qui déclarait hier que la colonisation israélienne « constitue une menace existentielle pour un État de Palestine », sans pour autant annoncer de mesure concrète ni de sanction envers Israël. « Elle est non seulement inacceptable et contraire au droit international. Elle alimente les tensions, la violence, l'instabilité et, de fait, elle vient d'abord contredire le plan américain et notre ambition collective d'une région en paix. »
La colonisation israélienne bafoue en effet le droit international et a été condamnée par plusieurs instances juridiques internationales. Il appartient aux États de procéder à des sanctions économiques et diplomatiques afin d'appliquer ce droit.

Gaza : Ce cessez-le-feu qui n’en est pas un
Alors qu'Israël a déclenché des attaques massives sur Gaza ces deux derniers jours, le mépris de son engagement dans l'accord de « paix » conclu à Charm el-Cheikh n'est plus à démontrer.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Israël a violé l'accord de cessez-le-feu plus de 80 fois au cours des dix derniers jours, soit depuis que ledit cessez-le-feu est, officiellement, en vigueur. Avec une nette accélération des attaques depuis hier, la durabilité de la trêve semble plus que jamais illusoire.
Au moins 97 Palestinien-nes ont été assassiné-es par Israël depuis le début du « cessez-le-feu », un bilan provisoire qui pourrait s'alourdir à mesure que des corps sont extraits des décombres des bâtiments effondrés.
Quel cessez-le-feu ?
« Ces violations vont des tirs directs contre des civils aux bombardements et attaques délibérés, en passant par le recours simultané à des frappes aériennes et l'arrestation d'un certain nombre de civils », indique aujourd'hui un communiqué du bureau des médias de Gaza. « Ces pratiques reflètent l'approche agressive persistante de l'occupant, sa volonté manifeste d'escalade sur le terrain et sa soif constante de sang et de mort. »
La première de ces violations a eu lieu presque immédiatement après l'entrée en vigueur de la trêve. À 10 heures, heure locale, le 11 octobre, des coups de feu ont été tirés depuis des véhicules israéliens stationnés à Khan Younis, tuant un Palestinien. Plusieurs coups de feu ont été signalés plus tard dans l'après-midi et dans la soirée du même jour, l'armée ayant tiré depuis des véhicules militaires et des quadricoptères.
Vendredi 17 octobre, l'armée israélienne a tiré sur un véhicule civil, tuant 11 membres de la famille Abu Shaaban dans le quartier de Zeitoun. Sept enfants et trois femmes se trouvaient dans la voiture – la famille tentait de rejoindre son domicile.
Hier, dimanche 19 octobre, Israël a fermé les points de passage censés permettre l'entrée de l'aide humanitaire, avant de mener une série d'attaques aériennes, larguant 153 tonnes de bombes sur Gaza et assassinant au moins 45 de personnes.
« J'ai senti mon cœur se serrer, j'ai senti que le cessez-le-feu était rompu », a déclaré Abu Abdallah, un homme d'affaires de la ville de Gaza, à l'agence de presse Reuters. « Ce qui s'est passé hier a poussé les gens à se ruer pour acheter de la nourriture, les commerçants cupides ont augmenté les prix ; l'accord semble si fragile. »
Lundi, après avoir déclaré qu'il respecterait à nouveau l'accord, Israël a tué plusieurs Palestiniens dans le quartier de Shujayea, au nord de Gaza, affirmant qu'ils « représentaient une menace » pour les soldats israéliens après avoir franchi la « ligne jaune » non marquée derrière laquelle l'armée israélienne s'était retirée.
Si deux points de passage ont pu rouvrir aujourd'hui, le point de passage de Rafah, à la frontière entre Gaza et l'Égypte, reste fermé, empêchant non seulement l'entrée de l'aide humanitaire, mais aussi l'évacuation médicale des Palestiniens blessés et malades.
La faute rejetée sur le Hamas
L'armée israélienne affirme, malgré tout, que le « cessez-le-feu » est encore en vigueur, et prétend que ses bombardements hier étaient une « riposte » à un attaque contre ses soldat-es dans les environs de Rafah.
La branche armée du Hamas, les Brigades Qassam, a déclaré ne pas avoir connaissance d'affrontements, soulignant qu'Israël contrôle la zone de Rafah et que les Brigades n'avaient aucun contact avec les combattants palestiniens à Rafah.
« Les faits sur le terrain révèlent exactement le contraire », explique un communiqué, « car ce sont les autorités d'occupation qui ont formé, armé et financé les gangs criminels qui ont commis des meurtres, des enlèvements, des vols de camions d'aide humanitaire et des agressions contre des civils palestiniens. Ils ont ouvertement admis leurs crimes dans les médias et dans des clips vidéo, confirmant l'implication de l'occupation dans la propagation du chaos et la perturbation de la sécurité »
Israël accuse également le Hamas de tarder à restituer les corps de 28 prisonniers tués lors du bombardement israélien de Gaza, quand le groupe affirme depuis la signature de l'accord avoir besoin d'équipements de terrassement lourds pour pouvoir fouiller et retrouver tous les corps des prisonniers, ainsi que ceux d'environ 10 000 Palestinien-nes qui auraient péri sous les décombres des bombardements israéliens.
La rhétorique de la « faute du Hamas » est systématiquement employée par Israël pour justifier son génocide à Gaza, qui a fait au moins 68 216 mort-es depuis le 7 octobre 2023.
De son côté, le président états-unien Donald Trump a déclaré que le cessez-le-feu était toujours en vigueur, réaffirmant que les responsables américains veilleraient à ce que la situation reste « très pacifique ».
« Ce n'est pas la paix »
Aujourd'hui, des médias français affirment que le cessez-le-feu « reprend » après une journée sanglante. Mais si le cessez-le-feu peut être mis sur pause à tout moment par Israël, peut-on vraiment l'appeler ainsi ?
L'« accord Trump » sur Gaza, « ce n'est pas la paix, loin de là », analyse l'écrivain et chercheur Majed Abusalama. « Alors que les demandes de démilitarisation des groupes de résistance palestiniens, y compris le Hamas, résonnent haut et fort, aucun appel parallèle n'a été lancé pour sanctionner Israël, mettre fin à l'aide militaire à Tel-Aviv ou démilitariser l'État. »
Le déséquilibre est évident dans l'accord conclu : pas de garantie pour l'autodétermination des Palestinien-nes, pas d'engagement pour Israël. Un situation proche de celle observée au sud Liban depuis un an : un cessez-le-feu qui n'a de paix que le nom, puisqu'il n'empêche pas Israël de poursuivre ses opérations militaires et attaques aériennes répétées. Tel-Aviv a violé cet accord plus de 4 500 fois depuis novembre 2024. Selon les données officielles, au moins 276 personnes ont été assassiné-es par Israël lors de ces attaques.
Depuis le début de sa guerre génocidaire à Gaza, Israël n'a de cesse de saboter les négociations de cessez-le-feu, revenant sur chaque acquis et rejetant la faute sur le Hamas, dans un faux-semblant de dialogue.
Il faut rappeler cependant que cet accord a été arraché par la mobilisation internationale qui a fait pression sur les dirigeants, et les militant-es dénoncent que cet accord ne serait qu'une diversion. « Où sont les ministres et les chefs d'État qui célébraient la ‘paix' la semaine dernière ? », demande aujourd'hui la rapporteuse des droits à l'ONU Francesca Albanese sur son compte X.
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Le recours massif d’Israël à l’intelligence artificielle
Le programme connu sous le nom de Gospel (Habsora) traitait des images satellites, des flux de drones et des données de renseignement pour générer des listes de frappes. Un autre système, Lavender, exploitait les métadonnées téléphoniques et les réseaux sociaux afin de classifier des dizaines de milliers d'hommes palestiniens comme combattants présumés, malgré des taux d'erreur élevés reconnus.
Tiré de mondafrique
28 septembre 2025
Par Nicolas Beau -
AI software on laptop used by state of Israel security services to prevent terrorism attacks. Artificial intelligence tech used by Mossad agency to defend borders, isolated over Israeli flag, camera B
Plus significatif encore, Israël utilisait des outils de surveillance téléphonique et de reconnaissance d'images capables d'estimer en temps réel le nombre de personnes présentes dans un bâtiment — réparties entre hommes, femmes et enfants — avant d'autoriser une frappe. Ces outils fournissaient aux commandants militaires un inventaire précis des civils à chaque étape. Ce n'était pas une situation marquée par l'incertitude ; la présence civile était évaluée par des algorithmes et archivée dans des bases de données.
Ces systèmes ne fonctionnaient pas de manière autonome. Des enquêtes menées en 2024–2025 ont révélé que l'infrastructure cloud Azure de Microsoft hébergeait une grande partie des données de surveillance et des processus analytiques qui alimentaient le système de ciblage israélien. L'unité 8200, l'agence israélienne d'élite en matière de renseignement électromagnétique, utilisait Azure pour stocker et traiter des communications palestiniennes interceptées ainsi que des images servant de base aux systèmes Gospel et Lavender. Microsoft n'a pas fourni d'armes, mais l'entreprise a offert l'infrastructure informatique permettant au système de surveillance et de ciblage de fonctionner à grande échelle.
Face aux critiques croissantes, Microsoft a discrètement limité certains de ses prestations aux services de renseignement israéliens, reconnaissant ainsi implicitement les risques juridiques et réputationnels encourus. Selon le droit international, les entreprises peuvent être tenues responsables de complicité de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité si elles fournissent sciemment une assistance facilitant la commission de ces actes.
Des précédents historiques, allant des procès du Zyklon B aux affaires contemporaines liées aux technologies de surveillance, montrent que les fournisseurs d'infrastructures ne sont pas à l'abri d'un examen judiciaire lorsque leurs services contribuent à des crimes internationaux.
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Le règlement du conflit israélo-palestinien : un préalable au règlement du conflit israélo-palestinien bien plus qu’un point d’aboutissement.
Depuis longtemps, les plans de paix visant à pacifier le Proche-Orient se sont succédé, ce qui n'empêche pas la région de demeurer une poudrière.
Photo Serge D'Ignazio
Or, un des éléments centraux de cette instabilité chronique reste le conflit israélo-palestinien, lequel fragilise toute cette zone à divers degrés. Son dernier rebondissement (la guerre Gaza-Israël) en illustre l'acuité. Le conflit s'est étendu sur une petite étendue de territoire mais a provoqué des répercussions qui ont accentué les divisions même parmi les chancelleries occidentales. Désormais, la cause palestinienne a gagné beaucoup en termes de crédibilité auprès des opinions publiques de l'Occident, même aux États-Unis.
Pourtant, avec la conclusion ce qu'on a nommé les Accords d'Abraham conclus en 2020 sous le premier mandat présidentiel de Donald Trump, on avait cru qu'enfin une paix globale se trouvait à portée de main. Cinq États avaient alors normalisé leurs relations diplomatiques avec l'État hébreu : les Émirats arabes unis, et Bahrein (15 septembre), le Soudan (23 octobre), le Maroc (10 décembre) et le Bhoutan (12 décembre). L'Égypte et la Jordanie l'avaient déjà fait depuis longtemps. Ces pays rompaient ainsi avec la position traditionnelle de la plupart des gouvernements proche-orientaux selon laquelle il ne saurait y avoir de paix ni d'échanges commerciaux avec l'État hébreu sans règlement de la question palestinienne, Ce retournement a provoqué la colère compréhensible de l'Autorité palestinienne, laquelle a dénoncé la conclusion de ces ententes comme une trahison.
Cependant, des enquêtes d'opinion dans les pays arabes ayant signé ces ententes de normalisation avec Israël ont montré qu'une majorité de citoyens les considéraient d'un oeil sceptique, par exemple, en novembre 2022, 76% des Saoudiens et Saoudiennes entretenaient une opinion négative à ce propos. En novembre-décembre 2023, après l'offensive du Hamas et la réaction israélienne démesurée qui en a résulté, 96% des participants saoudiens et saoudiennes à un sondage pensaient que les nations arabes devaient rompre leurs liens avec Israël, seulement 16% d'entre eux appuyant l'idée que le Hamas devait accepter une solution à deux États. On trouverait sans doute de semblables proportions dans d'autres pays de la région si des sondages s'y tenaient (s'ils ont été faits, je n'ai pas pu en consulter les résultats). Cette radicalisation des opinions arabes a plongé dans l'embarras leurs dirigeants, tout autocratiques soient-ils.
Bref, entre les classes politiques arabes bon-ententistes avec Tel-Aviv et leurs populations, on note une distance évidente sur ce problème crucial : le conflit entre Israël et la Palestine. Les classes populares arabes sont conscientes de la duplicité de leurs gouvernants et de leur complicité avec Washington.
En réalité, toute la stratégie des gouvernements occidentaux, et en particulier de l'américain, a longtemps consisté à tenter d'isoler les Palestiniens en poussant les gouvernements de la région à conclure la paix avec Israël et ce avant même de régler le point essentiel du contentieux israélo-arabe : le conflit entre la Palestine et l'État hébreu.
Isoler les Palestiniens et Palestiniennes équivaut à les couper du soutien de leurs « frères arabes » et par conséquent, à les affaiblir. Divers pays musulmans, arabes et nord-africains, ne reconnaissent toujours pas l'État hébreu` : l'Algérie, l'Irak, l'Iran, le Liban, Oman, le Qatar, l'Arabie saoudite, la Syrie, la Libye, la Tunisie et le Yémen, mais n'apportent aucun soutien réel à la Palestine.
La politique américaine d'isolement relatif de la Palestine vise à l'affaiblir et en fin de compte, à la pousser à conclure une paix au rabais avec Tel-Aviv par d'importantes concessions territoriales en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Toute cette stratégie américaine d'encerclement de la Palestine par l'intermédiaire de gouvernements arabes enfin « réconciliés avec la seule société démocratique de la région » vise à réaliser la sécurité de cette dernière mais sans garantir pour autant la liberté des Palestiniens et Palestiniennes.
Elle repose sur l'idée que le règlement du contentieux israélo-palestinien constitue un point d'aboutissement de la pacification du Proche-Orient alors que c'est l'inverse : seule la justice envers les Palestiniens peut faire baisser durablement les tensions dans la région, bien qu'il en subsistera toujours, comme partout dans le monde. Mais il faut cesser d'essayer de passer à la trappe le droit du peuple palestinien à l'autodétermination en le noyant dans un faux processus global de paix. Même si ses propos sont méprisables et condamnables, au moins le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou l'a dit ces derniers temps : « Il n'y aura pas d'État palestinien ». Il exprimait ainsi la pensée à peine dissimulée des responsables américains. Sa brutalité remplaçait leur hypocrisie.
Jean-François Delisle
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L’antisionisme, condition indépassable pour une gauche anticoloniale et antiraciste
Thomas Vescovi explique en quoi l'antisionisme est un impératif pour une gauche anticoloniale et antiraciste. Pour cela, il revient sur l'histoire du sionisme et développe une réflexion sur les significations de l'antisionisme, notamment à partir de ses travaux sur la société israélienne.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Rappelons qu'outre les différents antisionismes élaborés par des courants très minoritaires de la société israélienne, présentés ici par Thomas Vescovi, il faut compter avec l'antisionisme palestinien et arabe dont l'enjeu principal est la libération de la Palestine. Au nom de cet objectif, une lutte anticoloniale palestinienne et arabe se déroule depuis près de cent ans, dont les élaborations théoriques et les stratégies doivent aussi nourrir les positionnements de toute gauche aspirant à rompre avec l'européocentrisme.
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La question du sionisme peut être abordée sous trois angles : un débat théorique, une analyse pratique, et un questionnement sur son actualité.
D'un point de vue théorique, le sionisme peut être défini comme un mouvement nationaliste juif visant à se libérer de la persécution antisémite par la construction d'un État[1]. Ce projet étatique sous-tend de nombreux débats autour des notions d'identité (« qu'est-ce qu'être Juif ? »), de nation (« existe-t-il un fait national juif ? »), de peuple (« existe-t-il un peuple juif ? »), de la nature de l'État à créer (théocratique, libéral, socialiste…), mais aussi du rapport des populations juives au diasporisme[2] et aux meilleures stratégies pour lutter contre l'antisémitisme. Ces débats ont été inhérents au mouvement sioniste et ont nourri la vie intellectuelle juive européenne tout au long des XIXe et XXe siècles. C'est à ce titre que se sont développés, parmi les communautés juives, les premiers positionnements antisionistes[3], qu'ils émanent du marxisme, de l'humanisme libéral ou du rabbinat[4]. La littérature à ce sujet est riche et les débats continuent d'être vifs[5].
À ce stade, une question mérite d'être posée : considérant qu'au sein des luttes antiracistes les modalités doivent être d'abord discutées par les premiers concernés, qu'aurais-je à faire, en tant qu'homme blanc non-juif, dans ce débat théorique ? Si la revendication d'un État est devenue à travers l'histoire pour une partie significative des communautés juives la solution centrale pour être protégée de l'antisémitisme, assurément que nous pouvons le regretter en considérant que d'autres voies sont possibles que celle d'un nationalisme ethnoreligieux, mais suis-je le mieux placé pour le contester ?
En d'autres termes, contrairement à l'idée répandue selon laquelle les antisionistes s'opposeraient par principe à l'existence d'un État juif, l'opposition n'est pas fondamentalement théorique mais strictement pratique.
Nationalisme colonial, colonialisme nationaliste
Aux origines du mouvement sioniste, non seulement son caractère colonial est affirmé[6], mais la réalité concrète de la présence d'une population sur la terre convoitée pour réaliser le projet national est prise à bras le corps : l'historien Nur Masalha[7], notamment, a montré combien l'idée de « transfert » a été récurrente dans les débats des congrès sionistes et au sein des échanges épistolaires de ses dirigeants. Lorsque sont entendus aujourd'hui au sein du gouvernement israélien des ministres plaider pour le « déplacement » des Palestiniens de Gaza, c'est-à-dire un nettoyage ethnique, ils ne s'inscrivent pas en rupture de l'histoire du sionisme, mais pleinement dans sa continuité sous une forme radicalisée.
En 1946, à la veille du vote onusien, si le mouvement sioniste ne dispose que de 9 à 10 % maximum du territoire palestinien, pour une population deux fois moins nombreuses, il est cependant parvenu à constituer les bases d'institutions pré-étatiques. Celles-ci s'avèrent décisives pour imposer par la force un État sur 78 % de la Palestine et expulser près des deux tiers de la population arabe. Dès le lendemain de cette séquence, le narratif israélien a cherché à réfuter le caractère originellement colonial de son entreprise, pourtant assumé à ses débuts.
Le premier argument, qui repose sur l'absence d'une métropole, ne tient pas face à la réalité des faits. Rappelons que déjà dans les années 1950, l'historiographie palestinienne, suivie par une partie du champ intellectuel français, a appréhendé la création d'Israël comme une construction coloniale, ce que les settler colonial studies sont venues affirmer avec davantage de détails et de précisions à partir des années 2010[8]. Le sionisme n'aurait jamais pu se réaliser sans l'aide conséquente apportée par des fondations occidentales, le soutien logistique d'États européens, puis l'armement soviétique fourni lors de la première guerre israélo-arabe.
Ce dernier constitue d'ailleurs le second argument, systématiquement invoqué pour relativiser l'expulsion des Palestiniens en 1948, en faisant une « conséquence malheureuse » d'un affrontement militaire. Or, l'entrée en guerre des États arabes ne se produit qu'au lendemain de la déclaration d'indépendance d'Israël, le 14 mai 1948 : environ 400 000 Palestiniens ont alors déjà été contraints à l'exil forcé, dans un contexte d'affrontements irréguliers entre groupes armés arabes et juifs depuis janvier de cette année. Le nettoyage ethnique de la Palestine ne s'opère pas en conséquence de la guerre, mais comme le projet essentiel à la réalisation du projet sioniste qui ne peut avoir lieu qu'en ayant anéanti les moyens de défense des autochtones.
Dès lors, le positionnement antisioniste, avant toute chose, découle de l'anticolonialisme. C'est parce que le sionisme, qui passe par l'émigration et le rassemblement d'une population sur une terre, transforme ces émigrés en colon, que l'anticolonialisme nous oblige à nous y opposer. Parce que la sécurité promise à ces populations par cette émigration ne se réalise qu'au travers d'un projet colonial, et donc la dépossession des Palestiniens, que l'anticolonialisme nous oblige à nous y opposer.
Arrivé à ce stade, apportons deux précisions essentielles.
En aucun cas cet anticolonialisme ne nie la réalité d'une potentielle relation affective et/ou culturelle des populations juives à travers le monde avec la Palestine. En revanche, cette relation ne peut en aucun cas être constitutif de droits particuliers sur cette terre : pour paraphraser Elias Sanbar, « la Bible n'est pas un cadastre »[9].
De la même manière, en aucun cas cet anticolonialisme ne s'oppose à l'émigration de population juive en Palestine, fidèle au principe de la libre circulation des êtres humains. Ce à quoi cet antisionisme s'oppose, c'est au fait que l'organisation sioniste se soit appuyée, et continue de le faire, sur cette émigration pour constituer au début du XXe siècle une société à part de celle existante[10], puis à partir de 1948 en remplacement par le biais de politiques coloniales et d'apartheid[11].
En d'autres termes, c'est parce que le sionisme constitue un colonialisme de peuplement[12] que le positionnement antisioniste se justifie. Il ne s'agit pas d'une « question juive », mais d'un enjeu colonial.
En étant le fruit d'une expropriation coloniale, l'État d'Israël, tel qu'il s'établit en 1948, ne peut se définir autrement que sur une base ethniciste et profondément inégalitaire. L'intellectuel et dirigeant politique Ilan Halevi[13] expliquait qu'en s'affirmant depuis sa création comme État juif, Israël distingue parmi ses citoyens ceux qui sont Juifs et auquel l'État appartient et ceux qui ne le sont pas et auquel l'État va délivrer certains droits sans une égalité pleine et entière. Jusqu'à aujourd'hui, la législation israélienne comprend encore près d'une cinquantaine de lois d'apartheid structurant le statut de sous-citoyenneté des non-Juifs, à commencer par les 18 % de Palestiniens[14], descendants des quelques 160 000 autochtones qui n'ont pas été chassés hors de la Palestine pendant la nakba.
Tel qu'il se réalise au prisme de la création d'Israël, le mouvement sioniste place le racisme et l'inégalité des droits comme des normes acceptables. L'évolution extrême droitiste de la société israélienne et de ses dirigeants ne constitue en aucun cas une rupture avec l'histoire du pays, mais une évolution politique et intellectuelle nourrie par les fondements coloniaux, ethnicistes et suprémacistes d'Israël[15]. Un racisme qui, rappelons-le, s'est aussi appliqué à l'égard de populations juives, à l'instar des Juifs dits orientaux, originaires du monde musulman. Les universitaires Ella Shohat[16] ou Yakov Rabkin[17], à travers leurs travaux, ont démontré comment le sionisme, par le colonialisme, a participé à la construction d'une antinomie entre arabité et judéité.
Un colonialisme en échec
Mais ce projet sioniste s'est confronté à un échec. Alors qu'en Australie ou en Amérique du nord, les colonialismes de peuplement ont réussi à faire disparaître les autochtones, la quête en Palestine pour plus de terres et le moins d'autochtones s'est enrayée. Si la souveraineté israélienne est une réalité de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain, soit la délimitation géographique de la Palestine historique, la démographie conteste la viabilité de cette emprise coloniale avec un équilibre entre Arabes et Juifs[18].
Cette configuration place Israël face à une équation pouvant se résumer ainsi : maintenir le caractère juif de l'État conduit à structurer sur l'ensemble de la Palestine historique un régime d'apartheid au détriment de toute prétention démocratique ; soutenir un idéal démocratique conduit inexorablement à s'attaquer aux structures coloniales et suprémacistes de l'État, délaissant son caractère juif. La droite et l'extrême droite israéliennes soutiennent sans ambiguïtés la première option, assurant même agir au nom de la défense de la démocratie, comme le démontre la sociologue Nitzan Perelman en parlant de « democratic washing »[19].
Du côté de l'opposition sioniste à Netanyahou, le refus de l'option démocratique et d'un État pleinement égalitaire peut être moins assumé, mais n'en demeure pas moins réel. Les manifestations de 2023 contre la réforme judiciaire du gouvernement Netanyahou en sont une illustration[20] : au terme des quarante semaines d'une historique mobilisation, jamais la contradiction d'un État à la fois juif et démocratique n'a été réellement interrogée, ni les structures coloniales des institutions que les manifestants tenaient à défendre, à commencer par la Cour suprême.
Cette seconde option peut quant à elle connaître deux variables. D'une part, celle de la construction d'un État binational sur l'ensemble de la Palestine historique[21]. D'autre part, le soutien à la solution à deux États mais en défendant une transformation radicale d'Israël pour faire advenir un « État de tous ses citoyens ». Cette dernière variable est parfois interprétée comme une défense indirecte du sionisme, alors même que ses partisans récusent cette affirmation. À titre d'exemple, le Parti communiste israélien soutient indéfectiblement la solution à deux États avec un Israël radicalement réformé, tout en appréhendant le sionisme comme « une idéologie basée sur le suprémacisme et le racisme »[22].
Que faire du sionisme ?
La réalité démographique actuelle était prévisible dès 1967, et ce n'est pas un hasard si les années 1970 ont été riches en Israël de débats pour repenser le sionisme. Il y a ainsi eu, à gauche, le courant post-sioniste[23], les appels à dé-sioniser Israël[24] ou à former une nation hébraïque israélienne plutôt que juive. À l'autre extrémité du champ politique, la droite n'a pas été absente de ces réflexions, en façonnant un néo-sionisme qui connaît une première victoire électorale en 1977, avant de devenir le courant politique hégémonique dans les années 2000[25].
Les néo-sionistes réfutent l'idée que le sionisme serait dépassé dès lors qu'Israël a été créé et enraciné, puisque de leur point de vue demeurent des territoires sous contrôle israélien mais où la souveraineté juive n'est pas encore une réalité effective, à savoir la bande de Gaza et la Cisjordanie notamment. Ce néo-sionisme va également renforcer le caractère ethniciste, religieux et d'apartheid de l'État, à l'image de la Loi fondamentale dite d'État-nation du peuple juif votée à l'été 2018[26].
Confronté à cette réalité pratique du projet sioniste, l'antisionisme apparait comme un positionnement politique naturel pour demeurer fidèle aux convictions anticoloniales et antiracistes. Toutefois, les débats autour de cette question ces dernières années prouvent, qu'à gauche, il n'en n'est rien. Aussi pouvons-nous entendre que l'antisionisme serait en réalité « anachronique » dès lors qu'Israël existe : les antisionistes chercheraient à aller contre l'histoire en rejouant 1948 à l'envers. Ou encore que le positionnement antisioniste ne prendrait pas en compte le « sionisme d'origine », en d'autres termes celui théorique de la construction d'un État-refuge.
Ces deux postulats tendent ainsi à plaider pour un délaissement de l'antisionisme au profit du soutien à un « sionisme libéral et démocratique » ou à ménager les critiques envers un « sionisme de gauche » avec qui des convergences politiques seraient possibles.
Mais un tel sionisme a-t-il déjà existé en pratique ? À quel moment et en quel lieu, depuis 1948, les Palestiniens ont-ils pu rencontrer ce « sionisme libéral et démocratique ou socialisant » ? La réalité pratique est aussi brutale que concrète : peu importe la couleur des gouvernements, la politique israélienne à l'égard des Palestiniens s'est résumée à la violence de la soldatesque et la dépossession de leur terre, de leur culture, de leur identité, par le colonialisme. Actuellement, dans le champ politique israélien, il n'existe aucune figure ou représentation d'un « sionisme libéral » défendant sans ambiguïté le droit à l'autodétermination du peuple palestinien.
Une telle offre politique pourrait-elle advenir ? Il convient d'en rester sur une analyse empirique et matérielle : les responsables politiques israéliens issus du champ sioniste ont toujours privilégié la préservation de l'État colonial aux dépends des droits des Palestiniens. La diplomatie publique israélienne, ou hasbara, s'est employée à longueur d'argumentaires à façonner un narratif afin de justifier les pires injustices à l'encontre des Palestiniens : le gouvernement militaire d'exception (1948-1966) consacrant leur humiliation et leur expulsion comme une méthode légitime de gestion, la colonisation et l'occupation de leurs terres avec leur lot d'exactions et de meurtres, la mise en place de centaines de check-points qui étouffent leur quotidien, la construction d'un mur qui sépare des familles et empêche des paysans d'accéder à leurs champs, l'incarcération massive de centaines de milliers d'individus (sans distinction de religion, de sexe ou d'âge), la destruction de milliers de maisons… Et à présent un génocide.
La séquence Rabin-1993 ne serait-elle pas un contre-exemple de ce qui précède ? Cet argument devenu central dans la défense de l'idée qu'un autre sionisme est possible reste fallacieux à plus d'un titre. Tout en reconnaissant le logique espoir que les accords d'Oslo ont pu faire naître, nombre d'études et d'ouvrages ont démontré le piège qu'ils ont constitué : une puissance coloniale imposant au colonisé une réforme du régime d'occupation sans jamais remettre en question les structures et les rapports de domination[27].
Enfin, le dernier argument fréquemment mobilisé pour soutenir le caractère inopérant du positionnement antisioniste tient à mettre en avant un soutien prétendument massif des populations juives à travers le monde en faveur du sionisme. Bien que martelé de façon péremptoire, rappelons que cette affirmation ne repose sur aucune étude empirique et mériterait, dans tous les cas, d'observer dans le détail la complexité des positionnements réels.
Surtout, l'extrême droitisation d'Israël et le génocide à Gaza nourrissent la réflexion sur une reconsidération de la relation entretenue par une partie des juifs occidentaux avec Israël, comme le montrent les textes récents de Peter Beinart[28] ou Naomi Klein[29]. Mais aussi, rappelons-le, c'est précisément parce que l'idéal d'un ou de deux États pleinement égalitaires sur la Palestine historique contrevient à la réalité pratique du sionisme que des organisations juives, en Israël comme ailleurs, continuent de se proclamer antisioniste par fidélité à l'anticolonialisme et à l'antiracisme.
Arrivé au terme de cet argumentaire, il reste à se confronter à un enjeu déterminant pour la stratégie politique à adopter : l'antisionisme ne peut pas se suffire à lui-même. Différents exemples par le passé ont montré qu'une position antisioniste stricte et vide de toute autre grille d'analyse pouvait mener à soutenir des dictatures par simple convergence antisioniste et campiste, mais aussi à se risquer à une forme de confusionnisme tant à l'extrême droite plusieurs figures ont su maquiller leur antisémitisme derrière une posture antisioniste.
Dès lors, le positionnement antisioniste doit en permanence être adossé à un engagement antifasciste, antiraciste et croisé à une grille de lecture décoloniale. De son côté, le mouvement antiraciste ne peut pas prétendre être en capacité de pointer le plus finement possible les rapports de domination au sein de la société française s'il manque de lucidité sur les systèmes oppressifs à travers le monde, dont l'État colonial israélien, fruit du projet sioniste, fait pleinement partie.
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Ce texte est tiré des interventions réalisées les vendredi 22 et dimanche 24 août lors des universités d'été de La France insoumise et de Révolution écologique pour le Vivant.
Thomas Vescovi, doctorant en Études et sciences politiques (Ehess/ULB), auteur de L'échec d'une utopie, une histoire des gauches en Israël (2021), et membre fondateur du collectif Yaani.
Notes
[1] Nous lirons notamment Zeev Sternhell, Aux origines d'Israël (1996) et Walter Laqueur, Histoire du sionisme Vol. 1 et 2 (1994).
[2] Béatrice Orès et Sonia Fayman, « Comment le sionisme instrumentalise le concept de diaspora », Yaani.fr, 31 mai 2025 : https://www.yaani.fr/2025/05/31/comment-le-sionisme-instrumentalise-le-concept-de-diaspora/
[3] Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman, Antisionisme. Une histoire juive (2023).
[4] Yakov Rabkin, Au nom de la Torah : une histoire de l'opposition juive au sionisme (2004).
[5] Sarah Benichou et Tal Madesta, « Depuis le 7-Octobre, des voix juives de gauche en ébullition », Mediapart, 24 mai 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/france/250524/depuis-le-7-octobre-des-voix-juives-de-gauche-en-ebullition
[6] Michael Seguin, « Conceptualiser la colonialité d'Israël : retour sur la trajectoire d'une analyse polémique », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], 131, 2016 : http://journals.openedition.org/chrhc/5192
[7] Nur Masalha, Expulsion of the Palestinians. The Concept of “Transfer” in Zionist Political Thought, 1882-1948 (2012).
[8] Leila Seurat, « Palestine. La recherche au défi du discours colonial », Orient XXI, 14 janvier 2025 : https://orientxxi.info/magazine/palestine-la-recherche-au-defi-du-discours-colonial,7902
[9] Elias Sanbar, Figures du Palestinien. Identités des origines, identité du devenir (2004) et Les Palestiniens dans le siècle (2007).
[10] Deborah Bernstein, Constructing boundaries : Jewish and Arab Workers in Mandatory Palestine (2000) et Zachary Lockman, Comrades and Enemies : Arab and Jewish Workers in Palestine, 1906-1948 (1996)
[11] Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine (2008) et Thomas Vescovi, L'échec d'une utopie, une histoire des gauches en Israël (2021).
[12] Sbeih Sbeih, « Sur la condition coloniale en Palestine », Contretemps, 24 juillet 2024 : https://www.contretemps.eu/author/sbeih-sbeih/
[13] Lire notamment Ilan Halevi, Sous Israël, la Palestine (1978) et Question juive. La tribu, la loi, l'espace (2016).
[14] Ben White, Être palestinien en Israël. Ségrégation, discrimination et démocratie (2015) et Thomas Vescovi et Dominique Vidal, « Arabes israéliens : les discriminations au service de l'apartheid », Palestine Solidarité, n°85, juillet 2023 : https://www.france-palestine.org/Arabes-israeliens-les-discriminations-au-service-de-l-apartheid
[15] Sylvain Cypel, L'État d'Israël contre les Juifs (2020).
[16] Ella Shohat, Le sionisme du point de vue de ses victimes juives (2006) et Colonialités et ruptures. Écrits sur les figures juives arabes (2021).
[17] Yakov Rabkin, Judaïsme, islam et modernités (2022).
[18] « Territoire et population, les chiffres clés 2024 », Plateforme-palestine.org : https://plateforme-palestine.org/Territoire-et-population-les-chiffres-cles-2019
[19] Nitzan Perelman, « DemocraticWashing : le cas israélien », Yaani.fr, 29 juin 2024 : https://www.yaani.fr/2024/06/29/democraticwashing-le-cas-israelien/
[20] Thomas Vescovi, « La contestation au défi de l'occupation », Orient XXI, 28 mars 2023 : https://orientxxi.info/magazine/la-contestation-au-defi-de-l-occupation,6329
[21] Caterina Bandini et Thomas Vescovi, « Le charme discret de l'idée binationale », Yaani.fr, 15 septembre 2024 : https://www.yaani.fr/2024/09/15/le-charme-discret-de-lidee-binationale/
[22] Interview d'Ofer Cassif, député communiste au Parlement israélien, par Pierre Barbancey, dans L'Humanité dimanche, 4 septembre 2025.
[23] David Newman, « Le post-sionisme : une vision plus juste de la société israélienne contemporaine », Mouvements, 2004/3, n°33-34, 2004 [En Ligne] : https://shs.cairn.info/revue-mouvements-2004-3-page-49?lang=fr&tab=cites-par
[24] Michel Warschawski, Sur la frontière (2013).
[25] Uri Ram, Israeli Nationalism : Social conflicts and the politics of knowledge (2010).
[26] Dominique Vidal, « En Israël, les trois dimensions d'une dérive fascisante », Orient XXI, 10 juillet 2018 : https://orientxxi.info/magazine/en-israel-les-trois-dimensions-d-une-derive-fascisante,2542
[27] Lire notamment Gilbert Achcar, Gaza, un génocide annoncé (2025) et Xavier Guignard, Comprendre la Palestine (2024)
[28] Sylvain Cypel, « « Je ne crois plus en un État juif ». La bombe Peter Beinart », Orient XXI, 24 juillet 2020 : https://orientxxi.info/magazine/je-ne-crois-plus-en-un-etat-juif,4036
[29] Naomi Klein, « We need an exodus from Zionism », The Guardian, 24 avril 2024 : https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/apr/24/zionism-seder-protest-new-york-gaza-israel
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Crise Washington–Bogotá : dignité colombienne et double morale antidrogue

Dans le cadre de la première phase du plan Trump pour Ghaza : Libération de 20 otages israéliens et 2000 prisonniers palestiniens ce matin
Pendant que la première étape du Plan Trump pour « la paix à Ghaza » tire à sa fin aujourd'hui, avec la restitution par le Hamas de 20 otages vivants, en contrepartie de la libération de 2000 prisonniers palestiniens, plus d'une vingtaine de dirigeants du monde prendront part au sommet des chefs d'Etat pour l'après-guerre à Ghaza, qui se tiendra à Charm El Cheikh, en Egypte, là où les pourparlers pour un accord de cessez-le-feu ont eu lieu, sous la supervision des Etats-Unis et avec la médiation qatarie, égyptienne et turque.
Tiré d'El Watan.
Un sommet auquel prendra part le président Donald Trump (après une visite éclaire en Israël, où il a prononcé un discours devant la Knesset), pour sceller définitivement le plan de 20 points qu'il a conçu pour l'avenir de Ghaza et des Palestiniens, sans la présence de l'Autorité palestinienne.
Parmi les premiers dirigeants qui ont annoncé leur participation à cet événement, il y a ceux de la France, de l'Italie, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Jordanie, de l'Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis, du Qatar et de la Turquie. Hier et après l'annonce par l'armée israélienne de l'achèvement de la première phase de son retrait de Ghaza, entamé dès l'entrée en vigueur du cessez-le-feu vendredi dernier, des informations contradictoires sur la libération des otages par le Hamas, tantôt présentée comme « imminente » et « anticipée » et tantôt pour aujourd'hui. Mais, au début de l'après-midi, « une source importante du Hamas », non identifiée, a déclaré à la chaîne qatarie Al Jazeera que « les factions de la résistance ont terminé de compter le nombre de prisonniers encore en vie et de les répartir dans différents endroits de Ghaza, en vue de leur transfert », en précisant que les délégations de la résistance et de la Croix-Rouge se retrouveront dans la nuit pour convenir d'un mécanisme de remise des prisonniers de l'occupation, qui s'effectuera sur trois axes différents de la bande de Ghaza.
La même source a révélé à la chaîne qatarie que « le mouvement était en contact intensif avec les médiateurs pour affiner les listes de prisonniers palestiniens devant être libérés » et précisé que les « médiateurs travaillent toujours pour parvenir à un règlement définitif concernant les listes de prisonniers, malgré le refus de l'occupation, suite aux informations faisant état de l'intransigeance israélienne concernant les noms de certains dirigeants du mouvement des prisonniers ». Le « responsable » du Hamas qui s'est confié à Al Jazeera a indiqué, en outre, que « les factions de résistance ont renouvelé leur engagement à libérer les prisonniers de l'occupation selon le calendrier convenu ».
Des femmes et des enfants parmi les prisonniers palestiniens libérés
Pour sa part, la Chaîne 12 israélienne a annoncé le « déplacement vers le sud d'Israël des bus de la Croix-Rouge, en prévision de la libération des otages israéliens lundi matin ». De son côté, le bureau d'information des prisonniers palestiniens a parlé d'« obstacles complexes » qui, selon lui, « continuent d'empêcher l'annonce officielle des listes de prisonniers palestiniens libérés dans le cadre de l'accord d'échange, qui comprend des prisonniers de la bande de Ghaza, des femmes et des enfants ».
Selon le bureau, « des efforts sont déployés 24 heures sur 24 pour surmonter ces obstacles et mener à bien les procédures requises », et d'ajouter que « les noms et les détails complets de l'accord seront annoncés immédiatement après la conclusion des négociations et l'approbation des listes définitives, jusqu'au dernier nom ». Juste après, dans un communiqué, le bureau du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a déclaré que « le gouvernement israélien espère que les prisonniers israéliens seront remis à la Croix-Rouge lundi matin ».
Lui emboîtant le pas, et dans une lettre adressée aux familles des otages israéliens, le coordinateur des affaires des prisonniers israéliens écrit que la libération des otages « commencera le lundi matin » et que « les corps des otages décédés ne seront pas tous restitués après les 72 heures prévus. Israël travaillera avec la force internationale pour les localiser », ajoutant : « Nous nous attendons à ce que le Hamas déploie des efforts pour assurer leur retour. »
En outre, le vice-président américain, J. D. Vance, a confirmé le voyage de Donald Trump « au Moyen-Orient pour rencontrer les otages israéliens qui seront libérés dans le cadre de la première phase de l'accord de paix entre Israël et le Hamas », avant d'ajouter aux médias américains : « Touchons du bois, nous sommes très confiants que les otages seront libérés et que le Président se rendra effectivement au Moyen-Orient, probablement ce soir (NDLR : hier soir), pour les rencontrer et les saluer en personne. »
Pour ce qui est de l'exécution de la première étape de l'accord, Vance l'a qualifiée de « grand jour pour leurs familles, mais je pense que plus important encore, c'est un grand jour pour le monde entier ». Il a déclaré que le Plan Trump était « une tâche très ambitieuse » et que le président américain a « mené une diplomatie très peu traditionnelle avec des personnes qui n'étaient pas des diplomates de 40 ans, mais qui apportaient une perspective nouvelle (…). Nous sommes désormais à l'aube d'une paix durable au Moyen-Orient ». Le vice-Président a cependant averti que la mise en œuvre de la deuxième phase de l'accord, qui prévoit que le Hamas accepte de remettre les armes et l'administration de Ghaza, à un organisme palestinien de technocrates indépendants, « nécessitera une influence et une pression constantes de la part du président des Etats-Unis vers le bas ».
Des corps de certains otages décédés pourraient être portés disparus
Vance a également estimé, à propos des 200 militaires dépêchés à Ghaza que « ce ne sont pas des troupes qui seront déployées à Ghaza, mais des troupes qui sont déjà au Commandement central (NDLR : base aérienne d'Al Udeid au Qatar). Elles sont sur cette base depuis de très nombreuses années et elles contribueront à la surveillance et à la médiation de cette paix ». Pour lui, « il y aura inévitablement des conflits ici. Il y aura des points sur lesquels les habitants de Ghaza seront en désaccord avec Israël, et les Israéliens seront en désaccord avec les Etats arabes du Golfe. Nous considérons que notre rôle consiste réellement à servir de médiateur dans certains de ces conflits, et la pression reste sur tout le monde pour parvenir à une solution durable et pérenne ». Il a parlé des pays arabes et à majorité musulmane, en citant comme exemple l'Indonésie, qui « vont fournir des troupes pour assurer la sécurité de Ghaza » et que cela, a-t-il souligné, « permettrait de reconstruire, de démanteler les réseaux ''terroristes'' et d'assurer une paix durable. Les Etats-Unis continueront à jouer leur rôle de médiateur, et je pense que c'est une très, très bonne position pour nous tous ».
Quelques heures plus tard, le porte-parole du gouvernement israélien a averti que la libération des détenus palestiniens « n'aurait lieu qu'après la confirmation » de la restitution des otages israéliens, « prévue pour lundi matin ». Selon lui, la restitution des otages « commencerait tôt lundi matin (…) » et s'effectuera « en une seule fois ». Le responsable a confirmé que l'armée israélienne « s'était retiré jusqu'à la ligne jaune, attendant la libération imminente de tous » les otages et que « les Palestiniens seraient libérés après que la libération des prisonniers israéliens soit confirmée ».
Il a également déclaré qu'il s'attendait « à ce que la plupart » des corps des otages « soient retrouvés », et averti que « certains pourraient rester portés disparus », confirmant ainsi les informations publiées par des médias israéliens, selon lesquelles certaines familles des otages décédés ont été informées du fait que les dépouilles ne seront pas restituées durant la première étape de l'accord de cessez-le-feu.
Cependant, le porte-parole du gouvernement israélien n'a pas été aussi direct. Il a affirmé que les responsables de son pays « étaient prêts à recevoir les corps des 28 otages décédés après la libération des 20 otages vivants ». Selon les termes de l'accord, le Hamas a jusqu'à aujourd'hui à midi (9h GMT) pour restituer les 20 otages vivants, en échange de près de 2000 prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes.
Le Hamas insiste pour la libération des prisonniers enlevés de sa liste par Israël
Dans l'après-midi d'hier, Ousama Hamdan, un des dirigeants du Hamas, a confirmé à l'Agence France Presse (AFP) que « l'échange de prisonniers devrait commencer lundi matin comme convenu ». Mais le Hamas a insisté, hier, pour que sept dirigeants palestiniens portés sur la liste qu'il a remis aux médiateurs et entérinée par Israël, dans le cadre du Plan Trump, soient libérés. Israël et sous la pression de l'extrême droite messianiste, représentée notamment par le ministre de la Sécurité, Itamar Ben Gvir, a apporté, selon le porte-parole du bureau du Premier ministre, « des modifications de dernière minute » à la liste des prisonniers palestiniens libérables. Le leader d'extrême droite exhorte, a écrit Times Of Israel, a exhorté « le bureau du Premier ministre à expulser plusieurs prisonniers reconnus coupables de meurtre ou de tentative de meurtre, plutôt que de les libérer en Cisjordanie ».
Ces changements, ont rapporté des médias hébreux, ont porté sur l'exclusion de 11 militants palestiniens qui purgent de lourdes peines, le remplacement de leurs noms par ceux d'autres militants emprisonnés. « Le Hamas insiste pour que la liste finale comprenne sept hauts dirigeants, notamment Marwan Barghouti, Ahmad Saadat, Ibrahim Hamed et Abbas Al Sayyed », a déclaré, hier à l'AFP, « une source » non identifiée. Vendredi dernier, le ministère israélien de la Justice avait publié la liste des noms de 250 prisonniers à libérer, amputée de plusieurs noms dont, entre autres, ceux de Marwan Barghouti du Fatah et Ahmad Saadat du Front populaire de libération de la Palestine (FDLP). Le Hamas a continué à faire pression sur les médiateurs pour qu'Israël libère tous les prisonniers portés sur la liste entérinée par les médiateurs.
Moussa Abou Marzouk, le numéro 2 du Hamas, a affirmé à la chaîne qatarie Al Jazeera que le mouvement de la résistance « insiste sur la libération de Barghouti et d'autres personnalités importantes », en précisant que cela est « en pourparlers avec des médiateurs ».
Dans le cadre de la première phase de l'accord, 250 prisonniers palestiniens condamnés à perpétuité doivent être libérés. Parmi eux, 115 retourneront chez eux en Cisjordanie et à Al Qods, tandis que 135 autres seront expulsés vers l'étranger. D'après le site d'information hébreu Walla, Ben Gvir estime que laisser entrer des militants qu'il a qualifié de « terroristes condamnés en Cisjordanie répandra la peur parmi les résidents du territoire, même si les responsables de la Défense préféreraient qu'ils restent à proximité pour les surveiller de près ».
En fin de journée, alors que le bureau des médias de Ghaza confirmait l'« existence d'obstacles empêchant l'annonce officielle des listes des prisonniers palestiniens » devant être libérés aujourd'hui, dans les prisons israéliennes, l'administration pénitentiaire a mis le niveau d'alerte au plus haut degré, en raison de l'opération de libération des détenus palestiniens, la population de Ghaza et de Jordanie, et malgré la dévastation de l'enclave et les opérations de perquisition et d'arrestation des forces d'occupation israéliennes en territoire occupé, pour empêcher toute démonstration de joie à l'accueil des prisonniers libérés, se préparent à recevoir les leurs après des années d'absence passées dans les geôles mouroirs de l'occupant.
Chronique d’une néophyte de l’altermondialisme
Appel à soutenir les communautés équatoriennes contre le projet de la minière canadienne Loma Larga

À vous toustes mes solidaires,
Déjà 20 ans que je suis investie corps et âme dans notre parti. Comme plusieurs autres j'avais besoin de voir naître et grandir un parti politique qui partage complètement mes valeurs et qui porte la même vision du projet de société auquel j'aspire tant. J'ai décidé de porter ce rêve de transformation comme élue de l'Assemblée nationale. Ça fait aujourd'hui 11 ans que je suis députée dont 7 à titre de porte-parole. Je ne vous cacherai pas que je suis éreintée. Voyant venir l'élection 2026, j'ai dû me poser la question : est-ce que je suis prête à m'embarquer pour un autre 4 ans ?
La décision n'a pas été facile à prendre et c'est avec un pincement au cœur que j'en suis arrivée à la conclusion qu'il serait mieux pour moi de ne pas me représenter. Je suis arrivée à la fin d'un cycle dans lequel j'ai bataillé très fort, j'ai appris beaucoup et j'ai donné énormément, j'ai donné tout ce que j'avais. Maintenant il est temps pour moi de passer à une autre étape de ma vie et de passer le flambeau.
Tout au long de ce parcours vous m'avez témoigné confiance et amour. Vous m'avez rappelé quotidiennement, qu'en se tenant les coudes serrés, on est plus solide. Mais j'ai aussi expérimenté que lorsqu'on les desserre, le vent de droite passe par toutes les craques et fini par éroder la nécessaire solidarité, cet ingrédient essentiel pour transformer un jour ce monde qui devient de plus en plus invivable pour de plus en plus de gens.
Je suis très fière d'avoir représenté Québec solidaire, ce parti qui a passé au travers mille tempêtes depuis sa création, mais qui finit toujours par retomber à flot parce que le Québec à besoin de nous comme parti. Et ça nous le savons.
Un nouveau cycle s'amorce avec bientôt la formation de notre nouveau duo de PP. En ces temps où plus que jamais nous devons être au coude-à-coude pour résister à ce qui est devant nous, je compte sur vous pour honorer ce défi. La droite veut nous voir à genoux, voir même mort, et ne cesse de le répéter sur toutes les tribunes. Certains des plus progressistes finissent même par croire que notre parti est moribond. Je veux vous faire une mise en garde : ne les croyez pas, les tenants de la droite espèrent ardemment de nous voir nous décourager et baisser les bras. On ne se laissera pas berner. Longue vie à notre Québec solidaire !
J'ai un merci tout particulier aux personnes militantes de ma circonscription qui, à travers ces années, m'ont soutenue et aidée à garder Ste-Marie-St-Jacques solidaire. Nous aurons encore besoin de vous. Et comment remercier à la hauteur de leur engagement toutes ces femmes et ces hommes qui au fil des années dans mon bureau de comté, ont été mes yeux, mes oreilles et ma tête pour assurer à mes concitoyen⋅nes les services auxquels elles, ils et iels avaient droit. Merci de m'avoir accompagnée et fait briller. Je vous dois beaucoup.
Je resterai avec vous comme députée et militante pour la prochaine année et j'irai par la suite trouver mon nouveau chemin pour continuer à faire advenir ce qui m'a toujours motivée : changer le monde en profondeur. Je commence à comprendre que le chemin qui nous y mènera sera rempli de courage, de respect, d'humilité et de beaucoup d'amour.
Nous continuerons ensemble cette bataille contre ces vents et ces gens qui ne sont pas du même côté de l'histoire que nous.
Avec tout mon amour,
Manon
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Le caractère de classe du fascisme – Georges Dimitrov
Georges Dimitrov (1882-1949) a été l’un des principaux dirigeants du mouvement communiste durant l’entre-deux-guerres. Il a dirigé l’insurrection communiste de Bulgarie en 1923, avant de s’exiler en URSS. De 1934 à 1943, il est secrétaire général de l’Internationale communiste. Dans le cadre de ses fonctions, il propose une analyse approfondie du fascisme lors du VIIe Congrès de l’Internationale (août 1935). Dimitrov montre que le fascisme poursuit la tendance autoritaire du capitalisme et qu’il représente une « forme extrême » du grand capital. Il souligne que le fascisme trouve un écho auprès de certains groupes, car il mobilise un discours de changement, contrairement au statu quo libéral. Enfin, Dimitrov avance que les organisations révolutionnaires doivent combattre le fascisme par la force.
Nous présentons un extrait du rapport de Dimitrov qui décrit le caractère de classe du fascisme. Ce texte peut nous aider à décoder les phénomènes autoritaires et fascistes contemporains, et à mieux organiser notre riposte. Comme l’affirme Dimitrov : « Quiconque ne lutte pas, au cours de ces étapes préparatoires, contre les mesures réactionnaires de la bourgeoisie et le fascisme grandissant, n’est pas en état d’entraver la victoire du fascisme, mais au contraire la facilite. »
Source : DIMITROV, Georges. Œuvres choisies (tome 2), Sofia-Presse, 1972, pages 6-11.
Le caractère de classe du fascisme (G. Dimitrov, 1935)
Le fascisme au pouvoir est, comme l’a caractérisé avec raison la XIIIe Séance plénière du Comité exécutif de l’Internationale communiste, la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier.
La variété la plus réactionnaire du fascisme, c’est le fascisme du type allemand, il s’intitule impudemment national-socialisme sans avoir rien de commun avec le socialisme allemand. Le fascisme allemand, ce n’est pas seulement un nationalisme bourgeois, c’est un chauvinisme bestial. C’est un système gouvernemental de banditisme politique, un système de provocation et de tortures à l’égard de la classe ouvrière et des éléments révolutionnaires de la paysannerie, de la petite-bourgeoisie et des intellectuels. C’est la barbarie médiévale et la sauvagerie. C’est une agression effrénée à l’égard des autres peuples et des autres pays.
Le fascisme allemand apparaît comme la troupe de choc de la contre-révolution internationale, comme le principal fomenteur de la guerre impérialiste, comme l’instigateur de la croisade contre l’Union soviétique, la grande patrie des travailleurs du monde entier.
Le fascisme, ce n’est pas une forme du pouvoir d’État qui, prétendument, « se place au-dessus des deux classes, du prolétariat et de la bourgeoisie », ainsi que l’affirmait par exemple Otto Bauer. Ce n’est pas « la petite bourgeoisie en révolte qui s’est emparée de la machine d’État », comme le déclarait le socialiste anglais Brailsford. Non. Le fascisme, ce n’est pas un pouvoir au-dessus des classes, ni le pouvoir de la petite-bourgeoisie ou des éléments déclassés du prolétariat sur le capital financier. Le fascisme, c’est le pouvoir du capital financier lui-même. C’est l’organisation de la répression terroriste contre la classe ouvrière et la partie révolutionnaire de la paysannerie et des intellectuels. Le fascisme, en politique extérieure, c’est le chauvinisme sous sa forme la plus grossière, cultivant une haine bestiale contre les autres peuples.
« Le fascisme, c’est le pouvoir du capital financier lui-même. C’est l’organisation de la répression terroriste contre la classe ouvrière […] L’arrivée du fascisme au pouvoir, ce n’est pas la substitution ordinaire d’un gouvernement bourgeois à un autre, mais le remplacement d’une forme étatique de la domination de classe de la bourgeoisie – la démocratie bourgeoise – par une autre forme de cette domination, la dictature terroriste déclarée.»
Il est nécessaire de souligner avec une vigueur particulière ce véritable caractère du fascisme, parce que le masque de la démagogie sociale a permis au fascisme d’entraîner à sa suite, dans une série de pays, les masses de la petite bourgeoisie désaxée par la crise, et même certaines parties des couches les plus arriérées du prolétariat, qui n’auraient jamais suivi le fascisme si elles avaient compris son caractère de classe réel, sa véritable nature.
Le développement du fascisme et la dictature fasciste elle-même revêtent dans les différents pays des formes diverses, selon les conditions historiques, sociales et économiques, selon les particularités nationales et la situation internationale du pays donné. Dans certains pays, principalement où le fascisme n’a pas de large base dans les masses et où la lutte des différents groupements dans le camp de la bourgeoisie fasciste elle-même est assez forte, le fascisme ne se résout pas du premier coup à liquider le Parlement et laisse aux autres partis bourgeois, de même qu’à la social-démocratie, une certaine légalité. Dans d’autres pays, où la bourgeoisie dominante appréhende la proche explosion de la révolution, le fascisme établit son monopole politique illimité ou bien du premier coup, ou bien en renforçant de plus en plus la terreur et la répression à l’égard de tous les partis et groupements concurrents. Ce fait n’exclut pas, de la part du fascisme, au moment d’une aggravation particulière de sa situation, les tentatives d’élargir sa base et, sans changer d’essence de classe, de combiner la dictature terroriste ouverte avec une falsification grossière du parlementarisme.
L’arrivée du fascisme au pouvoir, ce n’est pas la substitution ordinaire d’un gouvernement bourgeois à un autre, mais le remplacement d’une forme étatique de la domination de classe de la bourgeoisie – la démocratie bourgeoise – par une autre forme de cette domination, la dictature terroriste déclarée. Méconnaître cette distinction serait une faute grave, qui empêcherait le prolétariat révolutionnaire de mobiliser les couches laborieuses les plus tendues de la ville et de la campagne pour la lutte contre la menace de la prise du pouvoir par les fascistes, et d’utiliser les contradictions existant dans le camp de la bourgeoisie elle-même. Mais c’est une faute non moins grave et non moins dangereuse de sous-estimer l’importance que revêtent, pour l’instauration de la dictature fasciste, les mesures réactionnaires de la bourgeoisie, qui s’aggravent aujourd’hui dans les pays de démocratie bourgeoise, et qui écrasent les libertés démocratiques des travailleurs, falsifient et rognent les droits du Parlement, accentuent la répression contre le mouvement révolutionnaire.
Camarades, on ne saurait se faire de l’arrivée du fascisme au pouvoir l’idée simpliste et unie qu’un comité quelconque du capital financier déciderait d’instaurer à telle date la dictature fasciste. En réalité, le fascisme arrive ordinairement au pouvoir dans une lutte réciproque, parfois aiguë, avec les vieux partis bourgeois ou une portion déterminée d’entre eux, dans une lutte qui se mène même à l’intérieur du camp fasciste et qui en arrive parfois à des collisions armées, comme nous l’avons vu en Allemagne, en Autriche et dans d’autres pays. Tout cela sans affaiblir cependant l’importance du fait qu’avant l’instauration de la dictature fasciste, les gouvernements bourgeois passent ordinairement par une série d’étapes préparatoires et prennent une série de mesures réactionnaires contribuant à l’avènement direct du fascisme. Quiconque ne lutte pas, au cours de ces étapes préparatoires, contre les mesures réactionnaires de la bourgeoisie et le fascisme grandissant, n’est pas en état d’entraver la victoire du fascisme, mais au contraire la facilite.
« Le fascisme ne se borne pas à attiser les préjugés profondément enracinés dans les masses ; il joue aussi sur les meilleurs sentiments des masses, sur leur sentiment de justice et parfois même sur leurs traditions révolutionnaires. […] Le fascisme vise à l’exploitation la plus effrénée des masses, mais il aborde celles-ci avec une habile démagogie anti-capitaliste, en exploitant la haine profonde des travailleurs pour la bourgeoisie rapace, les banques, les trusts et les magnats financiers »
Les chefs de la social-démocratie estompaient et cachaient aux masses le vrai caractère de classe du fascisme, ils n’appelaient pas à la lutte contre les mesures réactionnaires de plus en plus fortes de la bourgeoisie. Ils portent la grande responsabilité historique du fait qu’au moment décisif de l’offensive fasciste, une partie considérable des masses travailleuses, en Allemagne et dans une série d’autres pays fascistes, n’a pas reconnu dans le fascisme le rapace financier sanguinaire, leur pire ennemi, et du fait que ces masses n’ont pas été prêtes à la riposte.
Quelle est donc la source de l’influence du fascisme sur les masses ? Le fascisme réussit à attirer les masses parce qu’il en appelle, de façon démagogique, aux plus sensibles de leurs besoins et de leurs aspirations. Le fascisme ne se borne pas à attiser les préjugés profondément enracinés dans les masses ; il joue aussi sur les meilleurs sentiments des masses, sur leur sentiment de justice et parfois même sur leurs traditions révolutionnaires. Pourquoi les fascistes allemands, ces laquais de la grande bourgeoisie et ces ennemis mortels du socialisme, se font-ils passer devant les masses pour des « socialistes » et représentent-ils leur avènement au pouvoir comme une « révolution » ? Parce qu’ils visent à exploiter la foi dans la révolution, l’élan vers le socialisme, qui vivent au cœur des grandes masses travailleuses d’Allemagne.
Le fascisme agit dans l’intérêt des ultra-impérialistes, mais il se montre aux masses sous le masque de défenseur de la nation lésée et en appelle au sentiment national blessé, comme, par exemple, le fascisme allemand qui entraîna les masses derrière lui avec le mot d’ordre « Contre Versailles ! ».
Le fascisme vise à l’exploitation la plus effrénée des masses, mais il aborde celles-ci avec une habile démagogie anti-capitaliste, en exploitant la haine profonde des travailleurs pour la bourgeoisie rapace, les banques, les trusts et les magnats financiers, et en formulant les mots d’ordre les plus tentants au moment donné pour les masses politiquement frustes. En Allemagne : « l’intérêt général prime l’intérêt privé ». En Italie : « notre État n’est pas un État capitaliste, mais corporatif ». Au Japon : « pour un Japon sans exploitation ». Aux États-Unis : « Pour le partage de la richesse ». Etc.
Le fascisme livre le peuple à la merci des éléments vénaux les plus corrompus, mais se présente devant lui en revendiquant un « pouvoir honnête et incorruptible ». En spéculant sur la profonde déception des masses à l’égard des gouvernements de démocratie bourgeoise, le fascisme s’indigne hypocritement contre la corruption (par exemple, les affaires Barmat et Sklarek en Allemagne, l’affaire Staviski en France, et une série d’autres).
« Le fascisme capte, dans l’intérêt des cercles les plus réactionnaires de la bourgeoisie, les masses déçues qui abandonnent les vieux partis bourgeois. Mais il en impose à ces masses par la violence de ses attaques contre les gouvernements bourgeois, par son attitude intransigeante à l’égard des vieux partis de la bourgeoisie. »
Le fascisme capte, dans l’intérêt des cercles les plus réactionnaires de la bourgeoisie, les masses déçues qui abandonnent les vieux partis bourgeois. Mais il en impose à ces masses par la violence de ses attaques contre les gouvernements bourgeois, par son attitude intransigeante à l’égard des vieux partis de la bourgeoisie.
Dépassant en cynisme et en hypocrisie toutes les autres variétés de la réaction bourgeoise, le fascisme adapte sa démagogie aux particularités nationales de chaque pays et même aux particularités des différentes couches sociales dans un seul et même pays. Et les masses de la petite bourgeoisie, voire une partie des ouvriers, poussés au désespoir par la misère, le chômage et la précarité de leur existence, deviennent victimes de la démagogie sociale et chauvine du fascisme.
Le fascisme arrive au pouvoir comme le parti de choc contre le mouvement révolutionnaire du prolétariat, contre les masses populaires en fermentation, mais il présente son avènement au pouvoir comme un mouvement « révolutionnaire » contre la bourgeoisie au nom de « toute la nation » et pour le « salut » de la nation. Rappelons-nous la « marche » de Mussolini sur Rome, la « marche » de Pilsudski sur Varsovie, la « révolution » nationale-socialiste de Hitler en Allemagne, etc.
Mais quel que soit le masque dont le fascisme s’affuble, sous quelque forme qu’il apparaisse, quelle que soit la voie qu’il emprunte pour arriver au pouvoir : Le fascisme est l’offensive la plus féroce du Capital contre les masses travailleuses. Le fascisme, c’est le chauvinisme effréné et la guerre de conquête. Le fascisme, c’est la réaction forcenée et la contre-révolution.
Le fascisme, c’est le pire ennemi de la classe ouvrière et de tous les travailleurs !

« Le vautour fasciste a découvert que nous ne sommes pas des moutons », 1944. Affiche antifasciste produite par le caricaturiste Viktor Nikolaevich Deni (1893-1946).
ANATOMIE D’UNE IMPOSTURE : La guerre des civilisations
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