Créons ensemble le contrepouvoir pour une ville juste et verte à Montréal! Qui décide réellement à Montréal? Les quelques personnes au pouvoir, promoteur-rices privés et (…)
Créons ensemble le contrepouvoir pour une ville juste et verte à Montréal!
Qui décide réellement à Montréal? Les quelques personnes au pouvoir, promoteur-rices privés et ceux et celles disposant des capitaux, ou les milliers de personnes qui vivent dans cette ville?
À Montréal, il existe une véritable culture de résistance, forte tradition de défiance alimentant une grande capacité d’action collective. Des centaines de groupes et d’organismes, soit des milliers de personnes, militent dans le but de concrétiser leurs aspirations pour une ville socialement juste, menée par et pour les résident-es, fortement ancrée dans la transition écologique.
Prenons la Ville vous invite au 6E SOMMET CITOYEN DE MONTRÉAL
Tissons des liens toujours plus forts entre nous et nos luttes et formons ensemble un véritable contre-pouvoir!
Venez participer aux discussions et aux ateliers visant à mettre en commun nos luttes et partager nos analyses pour agir ensemble auprès des différentes instances du pouvoir municipal.
Quelques groupes ayant déjà confirmés leur présence:
– Coalition Climate Montréal
– Mobilisation 6600
– Coalition pour le définancement de la police
– Comité citoyen et communautaire Bellechasse
– Groupe d’action citoyenne de Villeray et Petite-Patrie
– Opération Bridge-Bonaventure
Journées d’étude et de formation sur les enjeux de la biodiversité et de la justice sociale et climatique, en préparation de la COP15. Où et quand Date et heure ven., 25 (…)
Journées d’étude et de formation sur les enjeux de la biodiversité et de la justice sociale et climatique, en préparation de la COP15.
Partout sur la planète, les populations sont frappées par les effets du dérèglement climatique dont les conséquences dépassent le seul aspect de la hausse des températures. L’espace occupé par les forêts se réduit et affecte les écosystèmes. La dégradation des sols et la pollution des eaux heurtent les conditions de vie de milliards de personnes sur la planète. Un million d’espèces de la flore et de la faune sont en voie de disparition. Notre maison brûle, il faut agir!
Montréal sera l’hôte du 7 au 19 décembre 2022 de la Conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15). Cette nouvelle rencontre internationale est importante, car elle met au défi les gouvernements de la planète de conclure une entente sérieuse pour faire face au déclin de la biodiversité. Stopper aujourd’hui cette dégradation est vital pour notre avenir sur Terre et exige du courage politique pour enclencher la transition sociale et écologique de plus en plus urgente.
Objectifs de l’événement :
Suivant une formule d’éducation populaire pour la transformation sociale, les activités viseront à :
Ouvrir un espace de débat et d’échange au bénéfice des activistes et des mouvements sociaux dans la perspective de la COP15 sur la biodiversité;
Accroître la compréhension des enjeux et l’identification de solutions en faisant écho aux analyses et propositions antisystémiques en matière de biodiversité et de justice sociale et climatique, notamment en donnant la parole aux populations qui ont moins la chance d’être entendues (notamment les populations marginalisées, qui sont particulièrement touchées par la perte de biodiversité, notamment les populations autochtones d’ici et d’ailleurs);
Soutenir la préparation des actions de mobilisation qui se tiendront à l’occasion de la rencontre officielle du mois de décembre à Montréal.
L’écosocialisme, une question de lutte pratiqueLa nécesssité d’un écosocialisme mobilisateur et fédérateurEn guise de conclusion
Il y a 11 ans, les Nouveaux Cahiers du (…)
Il y a 11 ans, les Nouveaux Cahiers du socialisme publiaient un numéro intitulé Écosocialisme ou barbarie ![1] Pourquoi, donc, sortir un autre numéro sur l’écosocialisme à l’automne 2022 ?
L’aggravation de la crise globale du capitalisme, avec en prime une situation climatique qui frise la catastrophe, rend la proposition écosocialiste plus urgente que jamais. En 2011, la crise financière était à peine vieille de trois ans et les politiques d’austérité commençaient à s’imposer partout sur la planète. Aujourd’hui, de multiples crises – économique, sociale, sanitaire, climatique – s’imbriquent et s’aggravent mutuellement au point où les économistes nous préviennent qu’une période de stagflation (stagnation économique et inflation) nous pend au nez et les virologues que d’autres pandémies sont tapies dans l’ombre.
Il y a 11 ans, des analystes marxistes aussi avertis que Sam Gindin et le regretté Leo Panitch nous disaient que l’économie chinoise s’apprêtait à intégrer le capitalisme global dominé par les États-Unis et, qu’en conséquence, les crises du système proviendraient dorénavant des contradictions économiques et sociales au sein des États et non plus des contradictions entre États[2]. Aujourd’hui, nous voyons le retour des tensions géopolitiques entre grands blocs rivaux, les États-Unis et leurs alliés d’un côté, l’axe Chine-Russie de l’autre, la récurrence des guerres par procuration, l’Ukraine en ce moment, et le danger accru de conflit nucléaire.
En 2011, plusieurs analystes de gauche se plaignaient du peu de résistance populaire au néolibéralisme en crise depuis 2008. Nous assistons à un changement important depuis une décennie alors que nous avons vécu au moins deux grandes vagues de révoltes populaires mondiales : dès 2010, le Printemps arabe et les grandes révoltes contre l’austérité en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord, dont notre Printemps érable, en Amérique latine. À partir de 2019, une deuxième grande vague se manifeste : par la mobilisation mondiale de la jeunesse contre les changements climatiques, les luttes populaires contre la droite en Amérique du Sud, au Chili, en Argentine, en Bolivie, en Colombie, et l’important mouvement antiraciste et anti-Trump de Black Lives Matter aux États-Unis.
De nos jours, la discussion publique à gauche ne porte plus sur l’absence de résistance populaire au néolibéralisme, mais plutôt sur les moyens stratégiques et tactiques pour que ces multiples révoltes puissent aboutir à de réelles transformations systémiques.
L’écosocialisme, une question de lutte pratique
La situation actuelle nous amène à centrer ce numéro sur la question de la stratégie, c’est-à-dire sur la lutte politique pour un socialisme écologique et libérateur. Non pas que l’exploration théorique et programmatique de cette société nouvelle soit terminée. Non pas que les questions politiques soient toutes clarifiées. Non pas que l’hypothèque attachée au terme de « socialisme » après les échecs du XXe siècle soit levée. Non, il y a encore fort à faire sur toutes ces questions.
Cependant, le débat théorique ne se pose plus comme en 2011. Aujourd’hui, c’est devenu une question pratique, une question de luttes sur le terrain, car, depuis 2011, les initiatives écosocialistes politiques et sociales se multiplient.
En 2012, Jean-Luc Mélenchon, alors candidat du Front de gauche aux élections présidentielles françaises, proposait de lier luttes écologiques et luttes sociales dans une vision de rupture avec le capitalisme et le productivisme afin de promouvoir une planification écologique démocratique radicale. Il a appelé « écosocialisme » cette nouvelle synthèse du socialisme et de l’écologie et l’a intégrée dans son programme électoral[3]. Avant l’élection présidentielle suivante, en 2017, Mélenchon a récidivé. Alors qu’il était au moment le plus fort de sa période « populiste de gauche », il a néanmoins conclu sa brochure, L’ère du peuple, par un appel éloquent et puissant : « Nous proposons un nouvel énoncé de la stratégie émancipatrice pour le futur de l’humanité. Cette nouvelle conscience et son programme d’action sont l’écosocialisme[4] ». En 2022, Mélenchon remportait 22 % des votes aux élections présidentielles et un remarquable 26 % aux élections législatives, à la tête d’une alliance de gauche, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), configurée et menée par son parti La France insoumise. En place de choix au programme de cette alliance, devenue la principale opposition en France : la planification écologique et démocratique, héritée des programmes écosocialistes des années précédentes.
En 2019, Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, l’égérie de Democratic Socialists of America (DSA), lancent le Green New Deal (GND) qui devient rapidement la revendication phare de la nouvelle gauche socialiste étatsunienne[5]. Bien que lancée au Congrès des États-Unis, et donc relativement limitée au départ, cette revendication antinéolibérale peut relier les luttes sociales et climatiques et préfigurer l’écosocialisme, comme le font remarquer les Autochtones radicaux du collectif Red Nation[6]. L’intellectuelle et militante bien connue, Naomi Klein, ne s’y trompera pas : elle affirme dans son livre On Fire. The Burning Case for a Green New Deal que le GND proposé par les jeunes socialistes américains exprime l’aspiration à une vision écosocialiste et démocratique, aux antipodes du vieux socialisme industriel et autocratique de l’Union soviétique[7].
Les mouvements sociaux ne sont pas en reste. Alors qu’en 2011, les plus à gauche affirmaient qu’il fallait « changer le système, pas le climat », l’idée se précise aujourd’hui d’un anticapitalisme assumé souvent suivi d’un appel à l’écosocialisme.
Ainsi la Cooperation Jackson, un mouvement de coopératives d’habitation et de production, dans la ville à majorité afro-américaine de Jackson au Mississippi, s’affiche-t-elle ouvertement non seulement comme antiraciste, anticoloniale et antipatriarcale, mais aussi comme socialiste et écologique[8]. Il en est de même du collectif autochtone Red Nation qui n’hésite pas dans son manifeste Red Deal[9] à se réclamer de la lutte de libération des Autochtones et de l’écosocialisme. Il prône l’appui au Green New Deal, mais aussi son dépassement vers un Red Deal qui non seulement donne la priorité à la libération des Autochtones, mais aussi à une position de gauche révolutionnaire susceptible de créer des alliances populaires contre les classes dominantes.
Le mouvement des grèves étudiantes et de la jeunesse lancé avec éclat par la jeune militante suédoise Greta Thunberg connaît un développement similaire. Les grèves de l’automne 2019 ont mobilisé six millions de participantes et participants dans le monde, dont une manifestation monstre de 500 000 personnes à Montréal. Depuis, Greta et son mouvement Fridays for Future (FFF) ont constamment radicalisé leurs positions. Les dénonciations du capitalisme, du colonialisme et du racisme sont maintenant explicites dans les appels à reprendre les grèves à l’automne 2022[10]. Plusieurs militantes et militants de FFF membres de différentes sections nationales européennes se sont joints à des initiatives telles que les Rencontres écosocialistes de Lisbonne. Ces dernières ont donné lieu au lancement d’une revue écosocialiste en ligne, Fight the Fire, à laquelle participe le militant et théoricien écosocialiste Andreas Malm[11].Cette nouvelle publication veut diffuser les idées écosocialistes dans le mouvement international pour la justice climatique.
Parallèlement, les idées écosocialistes ont souvent un ancrage solide et ancien dans les luttes populaires, ouvrières et paysannes du Sud global. En 2009, lors du Forum social mondial à Belém au Brésil, s’est tenue une rencontre internationale d’écosocialistes où fut adoptée le Déclaration écosocialiste de Belém[12] avec un fort contenu anti-impérialiste et décolonial, et ce, en présence de nombreux militants et militantes du Brésil et de l’Amérique latine. Au Brésil, l’influence écosocialiste se fait sentir dans des mouvements sociaux aussi influents que le Mouvement des sans-terre, les mouvements pour les droits territoriaux des peuples autochtones et contre l’extractivisme, ainsi qu’au sein des partis politiques comme le PSOL (Partido Socialismo e Liberdade, le Parti socialisme et liberté).
En Afrique du Sud, les idées écosocialistes se développent depuis 2011 dans les syndicats militants et les organisations populaires. Depuis deux ans, un mouvement de convergence de 260 organisations a permis la mise sur pied d’un vaste projet critique du capitalisme vert et de l’écoblanchiment gouvernemental, Climate Justice Charter (CJC)[13]. Le CJC appelle à une transition démocratique populaire. Des militants écosocialistes participent à la direction du mouvement. Ce ne sont que quelques exemples d’un courant qui prend sans cesse de l’ampleur dans maints pays en développement.
La nécesssité d’un écosocialisme mobilisateur et fédérateur
La nécessité d’une alternative globale et radicale au capitalisme crève les yeux. Les Nations unies, par la voix de leur secrétaire général, s’épuisent à dénoncer la dérive climatique et les catastrophes pour l’humanité qui en résultent. Les scientifiques du GIEC[14] tirent la sonnette d’alarme et préviennent que des transformations sont urgentes et nécessaires si l’on veut éviter l’irréparable. Des écologistes connus tel le biologiste David Suzuki martèlent qu’une action radicale s’impose. La question de la transition est sur toutes les lèvres : transition énergétique, écologique, technologique, verte, c’est la question de l’heure.
Loin de faire la fine bouche face à la question de la transition, que certains considèrent comme une compromission avec les tenants du système, nous y voyons au contraire l’occasion de réaffirmer la nécessité d’une transition antisystémique et de transformer cette perspective en revendication agissante et mobilisatrice sur le terrain des luttes de classes et populaires.
Pour ce faire, nous tenterons de clarifier dans ce dossier certains des grands éléments de la stratégie écosocialiste. Nous l’avons divisé en trois grandes sections : Théorie, Débats stratégiques, Luttes et résistances.
La section Théorie explore les principes qui guident notre action à l’aide de quelques textes de penseurs socialistes étatsuniens inédits en français. Si les lectrices et lecteurs francophones connaissent bien Michael Löwy et Daniel Tanuro, ils n’ont peut-être pas lu d’auteurs écosocialistes étatsuniens. Nous saisissons l’occasion pour présenter Nancy Fraser, autrice marxiste féministe de grande valeur, qui expose une vision intersectionnelle de l’écosocialisme et démontre la capacité fédératrice de ce projet. Une entrevue avec John Bellamy Foster, un théoricien remarquable du socialisme écologique marxiste, nous donne un aperçu des contributions de l’école dite de « la rupture métabolique » à une conception révolutionnaire et anti-impérialiste de l’écosocialisme. Ce socialisme du XXIe siècle a relancé les recherches sur la planification démocratique et la mise sur pied d’une nouvelle structure technologique respectueuse de la nature, autrement dit sur la transformation révolutionnaire des rapports sociaux et des forces productives.
Simon Tremblay-Pepin nous présente deux articles (de Fikret Adaman et Pat Devine ainsi que d’un groupe d’universitaires québécois) touchant les débats sur les modèles de planification démocratique de l’économie et l’importance d’y intégrer la question environnementale. En dernier lieu, Jonathan Durand Folco nous rappelle que l’attention accordée aux questions stratégiques ne peut se faire au détriment de l’éthique et des valeurs, comme la bienveillance, l’honnêteté, la coopération, la transparence, utiles à la construction des mouvements sociaux et à l’élaboration d’un projet socialiste, inclusif, démocratique et émancipateur.
Une entrevue de David Camfield, menée par Donald Cuccioletta, ouvre la section Débats stratégiques. L’intellectuel manitobain réaffirme le premier grand principe de la stratégie écosocialiste : la transformation profonde de la société exige un mouvement de masse et une stratégie de transition antisystémique. Dans l’article « Pour résoudre le dilemme de Greta », Louis Desmeules et Jean-Luc Filion expliquent que le mouvement des grèves climatiques de la jeunesse est arrivé à la même conclusion : il faut rompre avec le capitalisme si l’on veut sauver la planète. Une fois cela dit, de quel mouvement avons-nous besoin ? René Charest parcourt les trois derniers livres du penseur radical Andreas Malm qui, à l’aide de formules-choc telles que le besoin d’un léninisme écologique, remet en question le pacifisme réformiste de l’écologisme dominant et affirme que le mouvement doit adopter une stratégie d’actions de masse radicales, seules susceptibles de fédérer les classes populaires dans leur affrontement avec les classes dominantes.
Qu’en est-il de l’outil politique de la lutte pour l’écosocialisme ? La forme « parti » est-elle toujours adéquate ? Dans un mini-dossier intitulé « Les contradictions de Québec solidaire dans la lutte aux changements climatiques », deux membres de Québec solidaire, parti comparable aux formations de « nouvelle gauche » apparues ces quinze dernières années en Occident, relatent les détails des luttes internes pour que Québec solidaire adopte une vision de la transition écologique qui est anticapitaliste et ouverte sur l’écosocialisme. Jennie-Laure Sully nous rappelle ensuite que l’écosocialisme est de par sa nature une lutte anti-impérialiste et internationale. Elle met en garde contre toute forme d’occidentalocentrisme et invite à se reporter aux écrits et aux luttes émanant des peuples qui vivent en périphérie des États impérialistes.
Luttes et résistances, la dernière section de ce dossier, dresse le bilan de luttes menées sur le terrain et en tire des leçons. Cela va du mouvement international pour la justice climatique après la COP26 au récit critique de trois mobilisations écologiques ici même au Québec et à une réflexion d’une éducation populaire anticapitaliste et écosocialiste. Suit une version française condensée de l’introduction du livre manifeste « Le Red Deal : une action autochtone pour sauver la Terre » produit par le collectif autochtone radical The Red Nation. Ce document a malheureusement très peu circulé au Québec et il nous apparaît pertinent de remédier à cette lacune.
En guise de conclusion
Nous soumettons ce dossier sur l’écosocialisme à la réflexion et à la critique des militantes et militants du Québec. Nous espérons avoir l’occasion d’en discuter plus profondément dans un avenir rapproché selon des modalités à établir. Nous sommes très conscients du fait que ce dossier reste incomplet. Des questions aussi cruciales que la décroissance, l’écoféminisme, l’action écologique dans le mouvement syndical, la question nationale québécoise et l’environnement sont peu ou pas abordées. Ce dossier n’est qu’un début. Nous nous engageons à continuer le combat pour élaborer une stratégie écosocialiste pour notre temps.
NOTES
Nouveaux Cahiers du socialisme n° 6, automne 2011. ↑
Leo Panitch et Sam Gindin, The Making of Global Capitalism. The Political Economy of American Empire, New York, Verso, 2012, p. 19-21.↑
Jean-Luc Mélenchon, La règle verte. Pour l’éco-socialisme, Paris, Bruno Leprince/Café république, 2013. ↑
Jean-Luc Mélenchon, L’ère du peuple, Paris, Fayard, 2016, p. 118. ↑
Voir Donald Cuccioletta et Roger Rashi, « Un Green New Deal radical : la revendication-phare de la gauche socialiste américaine », Presse-toi à gauche, 1er septembre 2020. ↑
Voir dans ce numéro des NCS l’article « Le Red Deal : une action autochtone pour sauver la Terre » par The Red Nation. ↑
Naomi Klein, On Fire. The Burning Case for a Green New Deal, Toronto, Knopf Canada, 2019, p. 258-260. ↑
ÉDITORIAL du numéro 28 des NCS.
Ce 22 juin 2022 est le 119e jour de la guerre destructrice menée par la Russie de Poutine contre l’Ukraine. Médecins sans frontières s’alarme (…)
ÉDITORIAL du numéro 28 des NCS.
Ce 22 juin 2022 est le 119e jour de la guerre destructrice menée par la Russie de Poutine contre l’Ukraine. Médecins sans frontières s’alarme du taux « choquant » de « violence indiscriminée », c’est-à-dire affectant aussi les civil·e·s et pas seulement les soldats. Depuis ses débuts, cette guerre a toutes les caractéristiques d’une guerre impérialiste pour le contrôle de l’Ukraine devant les menaces réelles ou supposées d’une prise de contrôle par l’OTAN. Dans tous les cas, cette guerre est animée par une volonté d’expansion du Capital qui alimente la compétition politique et économique entre les pays. Pour se référer à la vision en termes de système-monde capitaliste de Wallerstein et d’Arrighi, on assiste ainsi à une période typique de chaos qui suit la perte de contrôle du pays jusqu’alors hégémonique, les États-Unis en l’occurrence, qui ne parviennent plus à dominer l’échiquier mondial face à la Chine, notamment. Ce chaos se traduit par la multiplication des conflits, celui en Ukraine montrant l’ampleur des crimes commis, car documentés à un niveau jamais atteint dans d’autres conflits en raison de l’existence des téléphones cellulaires et de l’Internet. Les destructions gratuites de bâtiments, qui rasent le passé d’un peuple, sont un autre témoignage de l’entreprise destructrice de domination.
Pour les Ukrainiennes et les Ukrainiens qui se sont mobilisés massivement et ont, à ce jour, toujours une véritable probabilité, si ce n’est de gagner, car les décombres et les morts ne se relèveront pas, du moins de résister contre cette tentative d’inféodation, plus rien ne sera jamais comme avant. Pour le reste du monde non plus. Il en était déjà ainsi après l’invasion américaine de l’Irak – ce que le monde occidental a voulu ignorer, mais ce qu’il sera difficile de nier en raison des conséquences déjà plus que palpables de la guerre en Ukraine.
D’abord, les réactions à cette guerre révèlent clairement qu’il y a bien une ligne de fracture entre le Nord et le Sud global, au détriment du Sud : elle s’incarne dans le « deux poids, deux mesures » dans l’accueil des réfugié·e·s. D’un côté, des femmes et des hommes africains, arabes, afghans, qui fuient les guerres chez eux et qu’on laisse s’échouer en Méditerranée, avec leurs enfants, ou qu’on abandonne dans leur pays alors qu’ils ont accepté de servir de traducteurs ou de travailler à l’ambassade canadienne, au péril de leur vie, comme l’ont fait nombre d’Afghanes et d’Afghans pour le Canada ou pour les États-Unis. De l’autre côté, des Ukrainiennes et des Ukrainiens qui « nous ressemblent », qui sont « comme nous », et pour lesquels on trouve normal d’élargir les quotas d’entrée.
Quelques commentatrices et commentateurs ont eu la grande élégance de ne pas se sentir amers face à cet aveu raciste[1] pour simplement préférer souhaiter que ce bel élan de solidarité envers les Ukrainiens se répète dorénavant pour les autres réfugié·e·s. Pour qu’on garde intacte cette émotion, cette empathie qui habite les êtres humains devant la détresse des leurs, alors qu’elle est fortement émoussée par la vision réductrice qui sous-tend le libéralisme, qui assimile les êtres humains à des Homo oeconomicus poursuivant leur intérêt personnel.
Autre enseignement de la crise ukrainienne, l’interdépendance énergétique des grandes puissances, la Russie étant le deuxième producteur de pétrole après l’Arabie saoudite et le premier producteur de gaz naturel, ce qui affecte particulièrement l’Europe, en particulier l’Allemagne. La communauté internationale et l’Union européenne ont beau redoubler leurs sanctions à l’égard de la Russie, elles ne dépendent pas moins d’elle. Pour compenser le désengagement officiel, la France n’aura ainsi jamais passé autant de commandes par contrat ponctuel (« one shot contract ») avec la Russie qu’en ce printemps 2022.
Cette situation d’interdépendance est complètement contradictoire avec l’idée de politiques menées au sein d’États-nations. Or, elle n’est pas nouvelle ; l’historien Braudel, qui est l’inspirateur des analyses en termes de système-monde capitaliste, avait déjà fait la démonstration de cette interdépendance depuis au moins le XVIe siècle avec la publication, dans les années 1970, de son ouvrage sur l’économie-monde[2]. C’est d’ailleurs au nom de cette interdépendance assumée qu’est venue l’idée de construire une Union européenne à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et de ses atrocités. Mais l’Union s’est arrêtée aux frontières de l’Europe occidentale; les classes dirigeantes ont continué à considérer les autres pays (hors Amérique du Nord) comme des pions dominés sur l’échiquier et non comme des alter ego avec lesquels il fallait aussi chercher un modus vivendi. Les Occidentaux n’ont pas retenu les leçons de la Shoah et n’ont pas voulu répondre à cette question lancinante de « comment on avait pu exterminer[3] » six millions de Juifs et un nombre non négligeable de personnes handicapées, homosexuelles et roms. Comment ? Parce que le récit occidental de référence hiérarchise les êtres humains, et d’ailleurs pas seulement les êtres humains, mais l’ensemble des vivants de la planète. L’effet délétère de cette hiérarchisation nous revient tel un boomerang sur une terre en proie aux changements climatiques. Avec les derniers rapports alarmants du GIEC[4] sur la nécessité d’opérer un changement draconien de nos modes de vie pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, on peut bien déplorer notre dépendance aux énergies fossiles, et d’autant plus aujourd’hui qu’elle nous rend aussi dépendants de la Russie, mais ce qu’il faudrait aussi dénoncer, c’est l’incapacité ou plutôt l’absence de volonté politique des classes dirigeantes pour concevoir et façonner un monde d’égaux, lequel couperait de surcroît la route aux dictateurs et à leurs valets.
Reste qu’il n’est pas possible actuellement de vivre en autarcie, même en développant des circuits courts de production, à moins de continuer à nier les rapports inégaux inscrits dans la mondialisation capitaliste. Nous ne sommes pas égaux face aux conséquences de la guerre en Ukraine comme nous n’étions pas égaux face à la pandémie de COVID-19 et aux mesures de confinement. Les pays du Sud, qui sont déjà plus affectés par les changements climatiques, sont de ce fait actuellement menacés par une famine que l’ONU qualifie à juste titre de planétaire. La Russie bloque les ports ukrainiens; or, les céréales ukrainiennes, comme les céréales russes, subissent l’embargo des sanctions économiques, essentielles à plusieurs pays d’Afrique et d’Asie (45 pays selon l’ONU, dont certains parmi les plus peuplés de la planète). La famine risque de s’intensifier si la Chine augmente ses importations de céréales pour compenser les mauvaises récoltes qui s’annoncent, en raison de sa sévère politique de confinement.
Les conséquences au Nord ne sont pas aussi mortifères, mais ne sont pas pour autant négligeables : elles se traduisent notamment par des taux d’inflation inégalés depuis quarante ans. Car la guerre en Ukraine, qui survient après deux ans de pandémie, aggrave les difficultés rencontrées dans la gestion des chaînes d’approvisionnement. Ajoutées à la crise énergétique, ces ruptures dans la circulation des marchandises contribuent à l’inflation.
Il ne s’agit donc pas principalement d’une surchauffe de l’économie qui motiverait, comme le prétendent les économistes orthodoxes, d’augmenter les taux directeurs des banques centrales, ainsi que le font la FED aux États-Unis et la Banque du Canada. Or, cette augmentation des taux d’intérêt de base, qui est amplifiée par les banques servant monsieur et madame Tout-le-Monde, a des répercussions inégales pour la population : autant elle favorise la protection des rentes et du patrimoine pour les ménages aisés, autant elle accentue la baisse du pouvoir d’achat inscrite dans l’inflation qui touche sévèrement les produits alimentaires.
Il y aurait pourtant d’autres façons de lutter contre l’inflation, ou d’accompagner la hausse des taux directeurs[5], qui permettraient de contrecarrer les effets inégaux des conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine. Par exemple au Québec, il s’agirait d’encadrer le prix des denrées de base ainsi que celui des services publics, comme les tarifs d’électricité, ou le prix des loyers, dont l’augmentation faramineuse résulte d’une spéculation immobilière effrénée depuis la pandémie. Mais ce n’est pas la voie choisie par les actuels gouvernements fédéral et provincial. Comme s’ils voulaient continuer à alimenter le mythe de l’impuissance des gouvernements devant les « lois économiques », un mythe qui sert à merveille le capitalisme, mais un mythe fortement ébranlé par les mesures de confinement prises par les États, qui ont alors trouvé le bouton pour arrêter net l’activité économique et qui ont ensuite multiplié les dépenses pour soutenir entreprises et ménages.
À la veille de la crise économique de 1929 et de la victoire du parti nazi au Parlement allemand, Freud écrivait Malaise dans la civilisation. Il observait les contradictions dans lesquelles sont plongés les êtres humains étant donné la façon dont la société occidentale se développe : elle prône la recherche du bonheur, mais accumule les obstacles à sa réalisation, en raison notamment, soulignait Freud à l’époque, de ses rapports sociaux et de son utilisation de la technique permettant dorénavant « aux hommes de s’exterminer jusqu’au dernier[6] ». Un siècle plus tard, et quelques guerres et génocides de plus, c’est une image cruelle de l’état de notre civilisation que renvoient la crise ukrainienne et ses réfugié·e·s qui tentent de survivre et se heurtent, malgré l’immense réseau de solidarité en Europe, aux tentatives d’exploiter leur détresse et d’asservir les femmes ukrainiennes qui fuient.
Carole Yerochewski
Pour le Comité de rédaction de NCS
NOTES
Voir en particulier la remarquable chronique d’Émilie Nicolas à ce sujet, dans Le Devoir du 3 mars 2022, « Le choix des mots ». ↑
Les responsables directs sont les nazis, mais les puissances occidentales étaient au courant depuis 1942 grâce à la résistance polonaise (voir le film Shoah du Français Claude Lanzmann, 1985) et ont laissé l’horreur continuer pour des raisons géopolitiques qui annonçaient la guerre froide. Il y a eu suffisamment de crimes coloniaux, de génocides et d’exterminations avant et après pour qu’on ne puisse ignorer que ce n’est pas une question de folie, de génétique ou de tradition du peuple allemand, mais bien le produit d’un système de domination. On peut d’ailleurs regarder avec cette perspective historique la série documentaire et fiction en quatre parties réalisée par le cinéaste haïtien Raoul Peck, Exterminez toutes ces brutes, produite par HBO et ARTE, 2021. ↑
GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. ↑
Voir dans ce numéro des NCS, l’entrevue de Bertrand Shepper, « Augmenter les taux d’intérêt, pas la réponse à l’inflation » par Carole Yerochewski. ↑
Jean-Michel Quinodoz, « Malaise dans la civilisation, S. Freud (1930). Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse », dans J.-M. Quinodoz, Lire Freud. Découverte chronologique de l’œuvre de Freud, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 263-269. ↑
Comme plusieurs l’ont déjà souligné sur différentes tribunes, Lorraine Guay, décédée le 17 juin dernier a accompli des tâches immenses dans les différents milieux militants et (…)
Comme plusieurs l’ont déjà souligné sur différentes tribunes, Lorraine Guay, décédée le 17 juin dernier a accompli des tâches immenses dans les différents milieux militants et professionnels dans lesquels elle a été impliquée : Jeunesse étudiante catholique (JEC), Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, Regroupement des ressources alternatives en santé mentale, Marche Du Pain et des Roses, Marche mondiale des femmes, Réseau de Vigilance, D’abord solidaires, OUI Québec, implication en solidarité internationale en Amérique latine et jusqu’à tout récemment au sein de Palestiniens et Juifs unis (PAJU)[1]. Au-delà de ce qu’elle a réalisé, dont nous sommes tous et toutes les bénéficiaires au Québec, j’aimerais rendre hommage à ce qu’elle nous laisse, comme personne, comme femme, comme militante. Cet héritage est précieux et mérite d’être partagé afin « qu’une certaine manière d’être au monde », comme elle le dirait, se poursuive et se transmette.
Lors d’une intervention publique à propos du livre Qui sommes-nous pour être découragées ?[2], Lorraine précise que si la militante traverse des moments de découragement, parce que les actions posées ne semblent pas avoir des effets suffisants et qu’on peut avoir le sentiment de devoir toujours recommencer, c’est la « posture » militante qui nous permet de remettre sans relâche l’ouvrage sur le métier, de percevoir que les luttes ne sont pas individuelles mais collectives, et donc plus grandes que nous. Les luttes ne nous appartiennent pas, nous avons le devoir de les faire vivre lors de notre passage sur terre, tout en sachant que ce sont les générations suivantes et à venir qui les poursuivront.
C’est également cette posture qui vient avec des qualités dont Lorraine débordait : la générosité, le soin aux autres, l’amour de la vie, mais aussi la capacité de douter, de se mettre en déséquilibre pour comprendre et apprendre, tout en gardant toujours la ligne rouge de la lutte pour la justice sociale comme horizon de court et de long terme. Elle savait être tenace dans sa quête. Lorraine était une femme fascinante. Je souhaite sincèrement que son parcours, ses écrits, ses actions nous inspirent pour l’éternité.
Pascale Dufour Professeure au département de science politique de l’Université de Montréal.
Le Collectif d’analyse politique et la revue Nouveaux Cahiers du socialisme ont perdu le 8 mars dernier un collègue, un ami et un militant de grande valeur. Pierre Beaudet a (…)
Le Collectif d’analyse politique et la revue Nouveaux Cahiers du socialisme ont perdu le 8 mars dernier un collègue, un ami et un militant de grande valeur. Pierre Beaudet a fondé ce collectif il y a une quinzaine d’années avec d’autres camarades désireux de participer à la création d’une nouvelle culture politique de gauche, pluraliste, critique et autocritique. Sous le leadership de Pierre, le collectif a rapidement mis sur pied la revue, un site Web et une université populaire.
Militant et homme de conviction depuis sa jeunesse, Pierre était le lanceur d’idées, celui qui apportait la plupart des projets et il en avait toujours en réserve. Il était aussi l’organisateur, le rassembleur qui travaillait en mettant sur pied des équipes. Infatigable, il animait les militantes et les militants pour mener les projets à terme. Pierre était aussi l’homme de confiance, celui qui trouvait les solutions aux problèmes, qui calmait les désaccords, qui trouvait la voie de passage.
La contribution de Pierre à la gauche tant québécoise qu’internationale va bien au-delà des NCS. Sa feuille de route est impressionnante. Dès la fin des années 1960, il milite pour le socialisme, contre le colonialisme britannique au Canada, pour l’indépendance du Québec. Par son travail dans des ONG en solidarité internationale, il établit des contacts militants partout dans le monde. Il s’investit dans le mouvement anti-apartheid et pour la cause palestinienne. Il fonde Alternatives avec d’autres militantes et militants. On ne peut parler des forums sociaux mondiaux, du mouvement altermondialiste, de l’union et du renouveau de la gauche au Québec, sans parler de Pierre Beaudet.
Embauché comme professeur à l’Université d’Ottawa en 2006, il participe à mettre sur pied l’École de développement international et mondialisation et codirige les éditions de deux manuels sur le développement international. Écrivain prolifique et engagé, il a publié plusieurs livres et des centaines d’articles sur un large éventail de sujets.
Le départ de Pierre Beaudet laisse un vide immense dans les réseaux militants et aussi plus largement. Ce court hommage ne peut rendre justice à son héritage multiple. C’est pourquoi le dossier principal du prochain numéro des NCS portera sur la contribution intellectuelle et politique de Pierre Beaudet.
Merci Pierre pour ta grande générosité et ton indéfectible engagement envers la construction d’un autre monde, plus juste et plus égalitaire.
Les Nouveaux Cahiers du socialisme vous invitent au lancement, le 10 novembre à 18 h, de son dernier numéro, « L’écosocialisme, une stratégie pour notre temps ». La librairie (…)
Les Nouveaux Cahiers du socialisme vous invitent au lancement, le 10 novembre à 18 h, de son dernier numéro, « L’écosocialisme, une stratégie pour notre temps ». La librairie Zone Libre, 262 rue Sainte-Catherine Est à Montréal, nous accueillera pour cet événement.
Il y aura des présentations des auteurs Roger Rashi, Donald Cuccioletta, René Charest et Jennie-Laure Sully, suivies d’un échange avec le public.
Ce numéro d’automne arrive un peu en retard en raison de différents problèmes, dus notamment au décès, en mars dernier, de Pierre Beaudet, un des artisans de ce numéro, comme il l’a aussi été pour la majorité des numéros.
Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être libre.
Karl Marx
Dans une chronique parue le 6 octobre 2021 dans Le Devoir, Jean-François Lisée propose sa lecture du (…)
Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être libre.
Karl Marx
Dans une chronique parue le 6 octobre 2021 dans Le Devoir, Jean-François Lisée propose sa lecture du rapport de la coroner Géhane Kamel[1] sur le décès de Joyce Echaquan, intervenu le 28 septembre 2020. Selon lui, l’enquête fait ressortir que Mme Echaquan a été victime du sous-financement chronique du système de santé et du manque de personnel qui en résulte. Bien sûr, il dénonce lui aussi les propos ouvertement racistes tenus par des infirmières et des proposées, dont cette phrase prononcée juste après le décès : « Les indiennes, elles aiment ça se plaindre pour rien, se faire fourrer pis avoir des enfants. Pis, c’est nous autres qui payons pour ça. Enfin elle est morte ». Mais, selon Lisée, si les individus qui ont tenu ces propos sont condamnables, il n’y aurait rien, là, de systémique, c’est-à dire ni institutionnalisation du racisme ni préjugés et biais collectifs inconscients.
Cet article n’a pas pour objectif de répondre à Lisée, même s’il fait le travail à ce sujet. Il s’agit plutôt d’examiner en quoi nous sommes toujours confrontés à un « colonialisme médical », ainsi que le mentionne le rapport d’enquête[2]. Nous commençons par présenter comment ce rapport éclaire l’existence d’un racisme systémique intrinsèque à tout le système de santé, tant québécois que canadien, sous la férule d’un pouvoir médical dont l’attitude légitime les disparités de traitement en matière de santé.
Les faits d’abord : c’est l’hypothèse d’un soi-disant sevrage, émise dès son entrée à l’hôpital par le gastroentérologue et devenue rapidement un diagnostic sans qu’aucun élément de son dossier ne l’étaye, qui a conduit à ne pas tenir compte de l’insuffisance cardiaque reliée à une cardiomyopathie ni du diabète dont souffre Joyce Echaquan, et à lui administrer une médication non seulement inappropriée mais dangereuse dans le cas où une telle patiente est maintenue couchée – elle était placée en contention par la médecin responsable des hospitalisations, sans surveillance adéquate contrairement à la politique édictée par l’hôpital. Ce n’est donc pas juste en réaction à des propos ouvertement racistes, mais bien parce qu’on la soumet à nouveau, comme cela a été le cas lors de précédents séjours, à un traitement inadéquat, que Joyce Echaquan est effrayée et qu’elle diffuse sa vidéo sur Facebook en demandant à son mari de venir la chercher.
Le diagnostic erroné établi lors de l’admission à l’hôpital le 26 septembre est totalement absent de la chronique de Lisée qui assure qu’il était normal de considérer cette possibilité de sevrage, puisque Joyce Echaquan avait indiqué qu’elle prenait du cannabis au moins trois fois par jour. Mais c’est le lendemain de son arrivée, le 27, qu’elle a donné cette réponse à une infirmière venue la questionner à ce sujet, au lieu de s’attarder sur les palpitations que Joyce Echaquan signalait et sur l’aggravation de son état, qui n’était prise au sérieux ni par le personnel soignant ni par la résidente en gastroentérologie venue la visiter le 28 au matin[3]. Comme le souligne la coroner, c’est plutôt le diagnostic posé à l’admission qui a ouvert l’avenue conduisant à son décès. Celui-ci a résulté d’un « œdème pulmonaire provoqué par un choc cardiogénique » et est qualifié d’accidentel par la coroner, qui écarte évidemment l’intention. Mais elle accrédite en revanche la dimension systémique du racisme à l’œuvre : « Le racisme et les préjugés auxquels Mme Echaquan a fait face ont certainement été contributifs à son décès[4] ».
Car l’hypothèse-diagnostic de sevrage s’explique d’abord par les préjugés envers les personnes autochtones, soupçonnées en permanence de se droguer, d’être irresponsables, etc. « Dès son arrivée au Centre hospitalier de Lanaudière, Mme Echaquan est rapidement étiquetée comme narcodépendante et, sur la base de ce préjugé, il en découle que ses appels à l’aide ne seront malheureusement pas pris au sérieux [5]». Or, ce diagnostic fautif aurait pu être immédiatement réfuté si on avait procédé à un bilan comparatif de médicaments dès l’hospitalisation. Il a par ailleurs été contredit par la consultation à ce sujet du 28 septembre. Il vaut la peine de lire ce passage du rapport d’enquête pour mesurer la force des préjugés et stéréotypes à l’encontre des communautés autochtones :
Questionnés tour à tour durant les audiences, aucun médecin ni membre du personnel du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière n’ont été en mesure de nous indiquer sur quoi reposait ce diagnostic de narcodépendance de Mme Echaquan. Ils ne seront pas non plus en mesure de nous informer sur la base clinique en fonction de laquelle ce diagnostic est établi (outre les notes au dossier médical antérieur qui datent de quelques années et qui n’ont pas été réévaluées). Lors du témoignage du gastroentérologue, il admettra que le terme narcodépendance peut induire un biais dans l’esprit des gens. Une conversation aurait également eu lieu entre Mme Echaquan et un autre médecin du centre hospitalier. Cette conversation est peu documentée au dossier médical et nous invite plutôt à croire que Mme Echaquan était inconfortable à être soulagée avec de la morphine. En effet, Mme Echaquan reprochait aux intervenants du système de santé de ne jamais régler ses douleurs et de simplement la retourner à la maison avec des analgésiques. C’est la thèse la plus probable compte tenu des effets secondaires engendrés lors de ses dernières hospitalisations.
Ces faits témoignent d’un racisme systémique, reposant sur des pratiques institutionnalisées. De plus, le témoignage de la voisine de civière qui a assisté à diverses interactions entre le personnel médical et Joyce Echaquan « a permis de bien camper comment la dispensation des soins peut se faire selon deux poids, deux mesures, en fonction de l’origine et de l’étiquette qu’on appose[6] ».
Le rapport d’enquête de la coroner souligne aussi que ces disparités de traitement ne sont pas spécifiques à l’hôpital de Lanaudière, mais se retrouvent dans tout le système de santé, au Québec et au Canada. On peut rapprocher ce constat d’autres pratiques médicales discriminantes liées à des procédures institutionnalisées de cette discipline, et qui ne sont pas spécifiques au Canada. Ainsi, on sait que les signes de malaise cardiaque chez les femmes ont longtemps été sous-estimés parce qu’ils sont différents de ceux des hommes, qui servent de repère « universel ». Il en va de même pour apprécier le taux d’oxygène dans le sang, car les appareils sont calibrés pour les caractéristiques des peaux blanches qui diffèrent de celles des peaux foncées. Or, ces biais sont à présent reproduits dans les systèmes d’intelligence artificielle et, plus précisément, dans les bases de données qui reposent sur un « manque de diversité ou de représentativité des données, ou encore [résulte] des problèmes de discriminations historiques », ce qui conduit à sous-diagnostiquer des maladies, par exemple des cancers de la peau, chez des personnes ayant la peau foncée[7].
Est-ce que de tels faits à caractère systémique se produisent à l’égard de personnes étiquetées pauvres ou à bas salaire ? Pour se défendre d’un comportement raciste, une des deux personnes enregistrées par la vidéo de Joyce Echaquan a assuré à l’audience qu’elle aurait tenu les mêmes propos au sujet d’« une femme sur le bien-être social qui a plein d’enfants ». Cette remarque est révélatrice d’une stigmatisation sociale qui peut conduire à des exclusions des soins de santé. En France par exemple, nombre de médecins spécialistes ont refusé d’accueillir des prestataires de l’aide sociale pourtant couverts totalement à partir de 1999 par le système français pour les frais de santé, mais bien sûr avec un coût plafonné pour les médecins.
Le mépris social à l’égard des pauvres et du peuple en général, entendu ici comme un synonyme de classes populaires, est l’une des marques de la violence de classe qu’exercent sans répit les classes dominantes. Il s’alimente à plusieurs sources. Les pauvres et les précaires constitueraient par exemple « les classes dangereuses » et ce qualificatif est régulièrement ranimé par une intelligentsia qui se veut empathique, mais qui confond morale et social, car, comme le souligne Faure, la démarche mélange depuis son élaboration dans la première moitié du XIXe siècle « description objective et préjugés, volonté d’amélioration sociale et stigmatisation des populations fragiles[8] ». Plus récemment, à la fin du XXe siècle, parallèlement au déploiement du néolibéralisme et de l’autoritarisme grandissant des gouvernements pour mettre en œuvre ses politiques, des personnalités politiques et intellectuelles contribuent à entretenir la confusion entre la montée de l’extrême droite et l’engouement des classes populaires à son endroit, par le recours au terme « populisme », utilisé souvent dans le même esprit que la notion de « classes dangereuses ». Ce jugement moral s’accompagne en effet d’une compréhension paternaliste de la situation, du type « s’ils [le peuple] sont racistes, c’est parce qu’ils sont peu éduqués » – réflexion qui laisse pantois à l’heure où les niveaux d’instruction s’élèvent partout dans le monde. En tout cas, cette apparence d’analyse sur des phénomènes politiques et sociologiques plus complexes[9] aboutit surtout à laisser dans l’ombre le fait que la montée de l’extrême droite repose en premier lieu sur les appuis financiers, politiques et symboliques (de légitimation) que lui apportent les classes dominantes, comme l’a rappelé le philosophe Jacques Rancière[10].
Peut-on pour autant parler de racisme social ou de « racisme de classe » comme le proposent des sociologues qui dénoncent ainsi le renvoi des classes populaires à « l’inculture », à la « nature », à la « barbarie » [11] ? Plutôt que de hiérarchiser les deux phénomènes en imaginant que l’un (la pauvreté) emboite l’autre (le racisme), nous croyons bien plus heuristique d’interroger sur quels aspects les deux phénomènes s’enchevêtrent et sur quels aspects ils se distinguent, et dévoilent dans ce cas-ci la persistance d’un « colonialisme médical ». Car le racisme est une idéologie qui a sa propre logique de construction sociale de catégories déshumanisées (ou, dit autrement, de sous-humains), qui se matérialise aussi par une violence de la domination, mais une violence spécifique à l’égard des cibles, communautés colonisées dépossédées de leur territoire et de leur culture ou groupes sociaux racisés.
Par exemple, quoiqu’il existe plusieurs études sur les inégalités en santé, découlant des déterminants sociaux de la santé, mais aussi d’un accès inégal aux soins, il n’y en a pas, à notre connaissance, qui montrerait un ciblage systématique des classes populaires en matière de traitement médical, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de préjugés de la part de soignants[12]. En revanche, le ciblage des communautés autochtones forme la trame de cette violence spécifique, qualifiée de « colonialisme médical » par le pédiatre urgentiste canadien Samir Shaheen-Hussain[13] : enfants autochtones des pensionnats « servant [à des] expérimentations médicales [entre 1942 et 1952] » ou « affamés pour élargir [les] connaissances médicales », etc. Ces descriptions intolérables nous renvoient aux violences exercées contre les juifs servant de cobayes dans les camps d’extermination nazis ainsi qu’aux politiques eugénistes, pas seulement en Allemagne mais aussi en Europe du Nord et ailleurs, ou encore aux essais incontrôlés de médicaments sur les populations en Afrique, ou au refus de médecins étatsuniens de prodiguer (entre 1932 et 1972) un traitement « à des hommes noirs atteints de syphilis pour étudier l’évolution de la maladie ».
Bien sûr, nous ne voyons plus de médecins pratiquer de telles expériences. Du moins nous n’en avons pas connaissance. Mais nous en voyons différencier l’accès aux soins. Ils ont le pouvoir de le faire et, en tant que classe dominante au sein de la hiérarchie médicale et au-delà, ils servent de référence. Le Québec gagnerait sans doute beaucoup à reconnaître cette situation, à reconnaître que le système de santé souffre de pratiques modelées par le colonialisme. Il gagnerait aussi à briser le mythe selon lequel tous les médecins délivreraient des diagnostics « neutres » et poseraient des actes sans préjugé, sans biais résultant de leurs représentations, alors qu’ils ne reçoivent pas de formation spécifique sur les relations avec les malades et les enjeux de racisme systémique. Il gagnerait sans doute beaucoup à reconnaître que même si pendant longtemps, il a été aliéné et « né pour un petit pain », ses institutions modelées par les classes dominantes oppriment non seulement des groupes sociaux dominés mais aussi d’autres peuples. Il est dommage que, dans les suites de l’enquête, les médias n’aient pas vraiment relevé que la coroner recommande, notamment, au Collège des médecins du Québec qu’il « revoie la qualité des actes médicaux de la médecin responsable des hospitalisations en médecine familiale et de la résidente en gastrologie[14] ». L’ordre professionnel le fera-t-il, quand bien même il s’est empressé de dénoncer le racisme systémique, oui, systémique, peu de mois après la mort de Joyce Echaquan ?
Carole Yerochewski est sociologue
Me Géhane Kamel, Rapport d’enquête. Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès concernant le décès de Joyce Echaquan, Québec, Bureau du coroner, septembre 2021. ↑
Le rapport d’enquête note ainsi : « Le 28 septembre 2020, à 8 h 45, la résidente en gastroentérologie voit aussi Mme Echaquan, qui a des tremblements, mais ceux-ci ne lui semblent pas forcément crédibles », p. 9. ↑
Karine Gentelet et Lily-Cannelle Mathieu, « Comment l’intelligence artificielle amplifie et reproduit le racisme », The Conversation, 23 novembre 2021. ↑
Olivier Faure, « La naissance des classes dangereuses : entre mythe et concept », Rhyzome, n° 23, 2006, p. 4. ↑
On lira avec intérêt Annie Collowald, Le populisme du FN, un dangereux contresens, Paris, Éditions du Croquant, 2004. ↑
Jacques Rancière, « Défaire les confusions servant l’ordre dominant », entrevue avec Jacques Confavreux, Mediapart, 3 décembre 2019. ↑
Voir Gérard Mauger dans « Populisme » (Savoir/Agir, vol. 1, n° 15, 2011, p. 85-88) où il indique, en se référant à Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et littérature, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1989) que le racisme de classe « dérive d’un ethnocentrisme fondé sur la certitude propre à une classe de monopoliser la définition culturelle de l’être humain et donc des hommes qui méritent pleinement d’être reconnus comme tels », p. 86. ↑
Introduction
Généralement, on admet que l’articulation de la dyade racisme-migration est le plus souvent déduite de phénomènes tels que la colonisation ou la domination (…)
Introduction
Généralement, on admet que l’articulation de la dyade racisme-migration est le plus souvent déduite de phénomènes tels que la colonisation ou la domination historique de la force de travail. Mais à surinvestir sans élasticité les notions de colonialisme et de colonisation, on pourrait croire que cela renvoie à un passé perçu comme distant.
C’est à ce hiatus que pallie notamment le sociologue péruvien Anibal Quijano qui forgea la notion de colonialité du pouvoir[1]. Celle-ci pointe la perpétuation et donc l’actualité du rapport colonial, rapport variable mais fortement prégnant et continu. Actuellement, ce rapport prend forme dans les mutations du racisme et dans sa corrélation avec l’enjeu migratoire. C’est ce qui fera l’objet de ce texte.
Cette perspective articulée autour de la colonialité du pouvoir repose sur l’analyse institutionnelle et matérialiste de la matrice raciale. Elle révèle notamment les différents modes d’exploitation et les processus d’exclusion que vivent certaines populations migrantes et exilées. Aujourd’hui, l’enjeu de la migration est pour beaucoup tributaire de cette histoire persistante de structures inégalitaires issues de la domination coloniale, à la source d’importants déplacements de populations.
Tenant compte de l’enjeu migratoire, il est important de faire valoir un cadre d’analyse qui reconnait la force et la portée de l’histoire de l’exploitation coloniale dans notre présent et qui en restitue les dimensions politiques, économiques et sociales. C’est donc une sorte de généalogie des structures issues de la domination coloniale et leur caractère profondément racialisé qu’il faut mettre en évidence. Il faudrait dès lors faire valoir un point de vue qui repose l’actualité du phénomène migratoire dans une optique de transformation des modalités institutionnelles inégalitaires fortement issues du capitalisme mondialisé et d’une division internationale du travail qui lui est corollaire.
Ce qui donne lieu à un régime de gouvernance migratoire qui ne vise pas tant à l’exclusion des migrantes et migrants, mais plutôt à mettre en valeur, à ramener à des proportions économiques exploitables certains segments et éléments turbulents qui caractérisent les mouvements migratoires contemporains. Ces éléments turbulents, nous dit Sandro Mezzadra[2], apparaissent comme des excédents structurels par rapport aux équilibres du « marché du travail ». Dans cet ordre d’idées, nous enseigne Mezzadra, l’objectif des États et des organisations internationales n’est nullement de fermer hermétiquement les frontières des « pays riches », mais d’établir un système de digues, de produire en dernière instance, pour reprendre l’expression de Nicholas De Genova[3], un processus actif d’inclusion du travail migrant à travers sa « clandestinisation » ou son incorporation subalterne et différenciée dans le régime de droit et de citoyenneté des pays récepteurs.
Cela est notamment observable dans les programmes migratoires temporaires contemporains qui ont pris des proportions importantes[4] : on y observe un régime du travail institutionnellement discriminant, racialisant, construit « sur mesure », parallèlement aux relations de travail industrielles en vigueur pour les autres travailleuses et travailleurs résidents permanents et citoyens.
Pour sa part, la question de l’asile subit une sorte de relégation et occupe une place subalterne. On l’aborde dans le langage de la protection humanitaire (avec tous ses avatars en termes de représentations dépréciatives sur les personnes racisées), ce qui exclut toute la dimension politique qui y est rattachée. L’ordre humanitaire prévalant ici s’inscrit largement dans le registre de la survie : sa logique désigne des sujets bénéficiaires passifs d’une « responsabilité (externe) de protéger ». Plutôt qu’à des citoyennes et des citoyens dotés de droits, les bénéficiaires de l’ordre humanitaire s’apparentent ainsi à des victimes recevant des actes de charité.
Dans ce qui suit, nous essaierons donc de montrer que les politiques migratoires canadiennes et québécoises se sont constituées en suivant ces logiques marquées par la colonialité du pouvoir, reproduisant des politiques migratoires racialisantes. En somme, le phénomène migratoire est une porte d’entrée pour saisir de manière plus profonde les divers modes de domination historiques qui se cristallisent dans les politiques des États et les institutions. L’étude du processus migratoire sert en cela de point d’appui pour continuer à étudier la variabilité du phénomène colonial et racial en d’autres temps et dans d’autres lieux.
L’institutionnalisation de la subordination dans la catégorie juridique « demandeur d’asile »
Pour mieux comprendre notre thèse – la colonialité de la gestion des migrations – prenons pour cas de figure la catégorie juridique du demandeur d’asile, figure emblématique des transformations de la « gestion des migrations ». Les migrantes et les migrants au Canada sont, de manière générale, mobilisés d’abord comme force de travail, mais la figure du demandeur d’asile, elle, laisse entrevoir avec précision toute l’étendue matérielle, symbolique et institutionnelle de la colonialité du système d’immigration.
Au cours des dernières années, une distinction a été instillée par le champ médiatique et politique entre « vrai réfugié » et « migrant économique », ce qui a modifié en profondeur la représentation sociale des demandeurs d’asile et les conditions socioéconomiques dans lesquelles ils sont accueillis. Cette distinction porte en elle une logique du soupçon alimentée par la crainte d’accueillir une ou un « faux réfugié », qui instrumentaliserait le système de l’asile afin de migrer pour des raisons économiques. La logique de protection qui fonde la catégorie « demandeur d’asile » a dans ce contexte été mise en veilleuse au profit d’un courant « national-sécuritaire » et d’une « idéologie du rejet ». S’y observe une obsession pour le renforcement des contrôles, la hantise de l’immigration irrégulière et l’identification des « faux réfugiés », ce qui a eu pour effet de produire ce que Jérôme Valluy appelle un retournement du droit de l’asile[5]. Les États usent de la catégorie de « réfugié » non pour organiser l’accueil des personnes tentant de fuir la cruauté de leur existence, mais pour délégitimer celles ne correspondant pas à certains critères formels, largement restrictifs, ou qui ne parviennent pas bien à répondre et à cadrer avec les règles tacites du système d’asile largement soumises à une logique managériale de rendement et à des habitus du témoignage de la persécution.
L’anthropologue Michel Agier[6] nous dit que l’une des clés de compréhension de ce caractère restrictif régissant les procédures autour du droit d’asile et la portée limitative de la notion de protection réside dans la prise en compte d’un fait si évident qu’il échappe généralement à l’attention : c’est la supériorité des discours d’État sur les discours communs pour dire la « vérité » de la réalité des personnes cherchant l’asile. Ainsi, dit-il, lorsqu’un agent de l’État dit que telle personne demandant l’asile est un « migrant » et non un « réfugié », sa parole crée la réalité qu’elle désigne, elle est performative. Lorsqu’un militant associatif ou une personne quelconque dit le contraire, ses mots émettent une opinion, considérée comme respectable, humaniste et généreuse, mais pas « réaliste ».
Ce climat idéologique et politique a influé sur les politiques migratoires et le système d’immigration, et la catégorie « demandeur d’asile » est dès lors devenue une catégorie qui fait problème, puisqu’elle porterait en elle la pression d’une immigration subie. C’est pourquoi dans le contexte des transformations du droit d’asile, on a vu apparaître une série de mesures visant à rigidifier les processus d’obtention du statut de « réfugié ».
Cela étant, la catégorie « demandeur d’asile » nous semble avoir été « altérisée » par le pouvoir dans le but de contraindre les demandeurs d’asile à une position liminale, marquée par la précarité et l’incertitude liées au statut et la subordination sociale. Elle se trouve à être mise au banc des catégories légitimes d’immigration. Comme toute catégorisation, elle révèle le pouvoir qui assigne, domine et essentialise une partie de la population. Ainsi, il nous semble que la colonialité du pouvoir dans la gestion des migrations se révèle ici caractéristique : l’État-nation et ses appareils procèdent à une institutionnalisation de l’altérisation/subordination de la catégorie « demandeur d’asile » et l’assigne à une « condition limite » – ils ne sont ni tout à fait exclus ni inclus.
Cette institutionnalisation de la colonialité du pouvoir se concrétise en la catégorie « demandeur d’asile », et est prise en charge par trois processus : (1) une sécurisation du territoire, (2) la fermeture du peuple démocratique et (3) l’exclusion intérieure par le travail.
Une sécurisation du territoire
Considérons le premier processus. Dans un contexte où les demandeurs d’asile ont été considérés comme une menace, l’État-nation met en place diverses mesures de « sécurisation » du territoire national afin de limiter l’arrivée de ces « migrants non sélectionnés ». L’objectif consiste à protéger la souveraineté, la sécurité et la stabilité, en ayant recours à des restrictions juridiques et des contrôles policiers. Dans le cas du droit d’asile, ce processus vise une transformation restrictive de celui-ci par des mesures visant à dissuader les migrantes et les migrants de venir au Canada. Ces mesures peuvent être appliquées en amont de l’arrivée des demandeurs sur le territoire ou au moment de leur demande. Citons par exemple (a) la notion de l’asile interne (le demandeur doit d’abord prouver qu’il ne peut se réfugier à l’intérieur de son pays d’origine), (b) l’entente sur les tiers pays sûrs, (c) l’instauration de la notion de « demande manifestement infondée » qui autorise les agents frontaliers du Canada de décider de la possibilité pour la personne demandeuse de déposer ou non une demande d’asile, et ce, à partir de la cohérence (ou incohérence) de son premier témoignage.
D’autres tentatives s’opèrent également pour limiter le nombre de demandeurs d’asile en (d) limitant l’octroi de visas, et (e) en interceptant des migrants sans papiers avant qu’ils ne quittent leur pays d’origine. Ainsi, depuis la fin des années 1990, le Canada restreint le droit d’asile par diverses « politiques de dissuasion ». Ces restrictions se sont intensifiées entre les années 2006 et 2015, sous le gouvernement conservateur de Harper, notamment par l’adoption, en février 2012, de la loi C-31, Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada. On assiste donc à une forme franche de la biopolitique du pouvoir colonial : en prétendant « protéger » le territoire national, on met en danger la vie de milliers de personnes, une violence légitimée par le pouvoir étatique pour qui la présence des personnes demandeuses d’asile est menaçante. Le droit d’asile étant censé protéger et accueillir ceux et celles qui sont mis au ban de leur société d’origine, ces transformations sont révélatrices d’un laisser mourir des vies que l’on juge superflues.
Si les réfugié·e·s arrivent, malgré tout, sur le territoire canadien et accèdent à la demande d’asile, la colonialité du pouvoir continue son exercice : elles et ils font face à l’arbitraire du pouvoir qui prend prétexte de l’exceptionnalité de leur condition. Concrètement, les demandeurs d’asile sont des « victimes collatérales » de ce contexte de « sécurisation/nationalisme » et leur vie dépend de l’arbitraire du pouvoir. On l’a vu lors des négociations entourant la régularisation des « anges gardiens » durant les temps forts de la pandémie de COVID-19. Ils sont également sujets à la détention s’ils sont jugés « à risque », selon le pouvoir discrétionnaire de la police des frontières. Et ce, sans qu’il y ait d’accusation précise à leur égard et sans qu’ils sachent la durée de leur détention. La précarité du statut les rend également sujets à la « possibilité de déportation ». Celle-ci et le pouvoir de détenir rendent possible l’assujettissement des demandeurs d’asile.
La fermeture du peuple démocratique
Analysons à présent le deuxième élément du processus : les demandeurs d’asile sont maintenus à l’extérieur du « peuple démocratique ». Cette exclusion est paradoxalement maintenue par le principe démocratique lui-même, comme nous allons le voir, mais elle est accentuée par cette colonialité du pouvoir qui réserve un sort particulier aux demandeurs d’asile. En effet, ces derniers sont dans une « condition limite », voire liminale : ni tout à fait exclus ni inclus à la nation – il s’agit d’un autre mécanisme du processus d’altérisation des demandeurs d’asile.
Non seulement le pouvoir protège ses frontières terrestres, mais il vise également à protéger l’« identité nationale » des dérives potentielles qu’engendreraient les différences culturelles de ces migrantes et migrants. Dans ce contexte, toutes les caractéristiques des personnes migrantes deviennent « objet d’insécurité » qui menacerait une « identité sociétale homogène et fantasmée ».
Ainsi, les demandeurs d’asile porteraient atteinte à une identité nationale : le « nous » imaginaire construit au sein de la nation et fixé par le droit de la nationalité serait, comme le rappelle souvent Monique Chemillier-Gendreau[7], perturbé par des arrivées intempestives, non souhaitées et non contrôlées, d’individus appartenant préalablement à un autre « nous ». En effet, les gouvernants tiennent des discours qui évoquent un conflit civilisationnel entre les migrants et les Occidentaux, on martèle l’incompatibilité des modes de vie, les menaces sur l’identité culturelle et sur les pratiques démocratiques, notamment.
Dans ce contexte, on a vu des peuples démocratiques – représentés par les parlements – réclamer leur propre fermeture et refuser d’accueillir des migrants. Cela aura un impact direct sur la protection juridique qui leur est offerte : ils sont exclus du principe d’universalité de la justice qui fonde la règle démocratique.
Le désir de « souveraineté démocratique » et les discours nationalistes et sécuritaires reposent sur le principe d’une communauté civique et ses particularités culturelles et identitaires. Or, le principe démocratique est fondé sur deux grandes lignes directrices : la délibération par une communauté civique et l’universalité de la justice. Ainsi, la souveraineté démocratique ne peut se baser uniquement sur la communauté civique à préserver, puisqu’elle se base aussi sur le respect de l’universalité des droits de la personne – dont le droit au refuge. Or, on voit bien que le cas des demandeurs d’asile démontre que ces deux principes entrent ici en contradiction. C’est ce que Seyla Benhabib[8] nomme le « paradoxe de la légitimité démocratique ». En effet, ceux qui sont exclus du « peuple démocratique » peuvent difficilement réclamer ces droits puisque, dans cette situation, l’autorité légitime responsable de les inclure serait ce même « peuple démocratique » qui les exclut. C’est pour cette raison que l’on parle d’une position liminale et limite; si les demandeurs d’asile sont bel et bien sur le territoire et sont assignés à une certaine catégorie juridique, ils ne sont pas inclus dans la nation, et sont maintenus par elle dans une forme de déni de justice. Dans ce contexte, le droit au refuge est déterminé par l’État-nation : la convention de Genève donne le droit de chercher refuge mais pas l’obligation d’accorder le refuge. C’est donc la règle démocratique qui porte en elle le caractère excluant de la nation, celui qui maintient le pouvoir sur les demandeurs d’asile : maintenus à l’extérieur de la nation par cette nation même, tout en y étant inclus par la catégorie limite de « demandeur d’asile », ils sont objets du droit sans pouvoir en être les sujets.
L’exclusion intérieure par le travail
Enfin, troisième processus, le cas du travail constitue également un bon exemple de cette institutionnalisation de la colonialité du pouvoir dans la catégorie des demandeurs d’asile : ils sont également intégrés au marché du travail sous la forme de la marginalisation et de la domination. Le marché de l’emploi est structuré de façon à reléguer les demandeurs d’asile au bas de l’échelle salariale et au bas de l’échelle d’un travail socialement valorisé. En effet, le marché de l’emploi serait un « champ » dans lequel la citoyenneté agit comme capital distinctif.
Les demandeurs d’asile sont à bien des égards relégués à des boulots de « survie ». Une étude empirique de Jackson et Bauder[9] montre que les demandeurs d’asile sont conscients de cette relégation. Ils disent, entre autres, avoir des « jobs de réfugiés ». Le système canadien est encore une fois à l’origine d’un tel état de fait : il ne reconnait pas leurs diplômes ou ne leur accorde pas d’équivalences, à l’instar des autres migrants. Le chiffre « 9 » par lequel débute le numéro d’assurance sociale des demandeurs d’asile les maintient dans un état liminal, car ce numéro marque leur impermanence et les empêche d’accéder à des promotions et à des emplois permanents.
En somme, ces mesures privent les demandeurs d’asile d’une inclusion économique, juridique et politique et les soumettent à une position d’objet. Elles incarnent donc cette colonialité qui soumet les demandeurs d’asile dans une position de « subalterne » et les maintient dans cet état. Mais cette subalternisation n’est pas épiphénoménale ou réductible aux seules personnes cherchant l’asile et la protection. Elle opère au-delà de la question de l’asile.
La matrice de la race en migration et ses glissements sémantiques
Le sociologue dominicain Amín Pérez s’efforçant de faire connaitre le travail du sociologue algérien Abdelmalek Sayad, pionnier de la sociologie du phénomène migratoire, rappelle que celui-ci se reflète entre autres dans « les enjeux du langage et des pratiques administratives qui régulent et hiérarchisent nos rapports sociaux, nos identités individuelles et collectives. Pour Sayad, l’immigration offre une entrée dans les modes d’action étatique qui définissent les lignes de partage entre le légitime et l’illégitime, le dominant et le dominé, le “normal” et “l’anormal”. L’immigration pousse l’État à se penser en dehors de ses lignes habituelles. Ses rapports aux étrangers nous dévoilent les tenants réels de son action[10] ».
C’est aussi ce qu’a illustré à sa façon la sociologue équatorienne Encarnación Gutiérrez Rodríguez en analysant comment les modalités selon lesquelles les choix migratoires et les processus d’octroi de l’asile produisent des catégories hiérarchisées de personnes migrantes qui découlent des représentations et imaginaires coloniaux autour de la question de la « race ». Cette logique y est décrite comme une « colonialité de la migration », notion analysée par Gutiérez Rodríguez comme un concept central des politiques migratoires qui élude généralement les dispositifs coloniaux de pouvoir pourtant fondamentaux[11]. Il est donc important de rendre compte de la « biopolitique » des sociétés industrielles qui traitent les personnes migrantes comme un « matériel humain », une ressource exploitable et renouvelable selon les besoins du capital.
Examinons maintenant la dimension discriminatoire de nombreux dispositifs des orientations migratoires. Les orientations migratoires des États capitalistes postcoloniaux concernant les dispositifs juridiques parallèles et le recrutement stratégique et ciblé pour nombre de secteurs d’emplois sont partie prenante de rapports sociaux racialisés. Elles le sont pour toutes les personnes corvéables, celles qui sont discriminées, exploitées et utilisées essentiellement comme force de travail, préférablement pour des considérations biopolitiques. L’exemple du gouvernement Legault qui a employé, en pleine pandémie, des demandeurs d’asile dans le système de santé par le biais d’agences de placement est éloquent. Ce qui a objectivement eu pour effet de conditionner les termes de leur régularisation.
Plusieurs figures intellectuelles de la gauche radicale (parmi lesquelles Étienne Balibar, Stuart Hall, Nacira Guénif) ont insisté sur la nécessité d’analyser les effets délétères et toxiques d’un glissement sémantique et de sens faisant en sorte que le signifiant « race » se faufile autour d’une « chaîne d’équivalences[12] » où il se trouve en partie ou totalement remplacé par d’autres termes (religion, civilisation, ethnicité, culture, différence) dans ses attributs et fonctions discriminatoires et d’exclusion. Cela est observable à la fois dans les processus d’altérisation des demandeurs d’asile et des travailleurs migrants temporaires, mais aussi dans les processus de racisation qui affectent des personnes perçues comme migrantes alors qu’elles sont nées au Québec.
Les gauches canadienne et québécoise doivent se positionner dans tous ces débats. Il est important aussi de rendre compte du contexte d’effritement de l’État-providence qui fait en sorte que des secteurs d’emplois de qualité sont plus difficilement à la portée de catégories ne cadrant pas avec le « régime de normalité » des majorités. Il est dès lors capital de revenir à la question du racisme et au procédé d’euphémisation de « race » qui opère comme signifiant « flottant » ou « glissant » pour reprendre les termes de Stuart Hall[13]. Les « chaines d’équivalence » incluent aussi bien des corrélats que des substituts de race. Ainsi, quand il s’agit de questions patentes comme « doit-on réduire les seuils d’immigration » ou « comment penser la survie de la langue », ce sont certaines catégories racisées qui se trouvent en sous-texte des discours publics qui orientent les réponses latentes. La colonialité du pouvoir opère justement du fait des représentations qui associent certains discours à certaines catégories sans qu’elles ne soient explicitement nommées.
Il serait sans doute plus que pertinent de voir dans ces différents processus discursifs qui procèdent objectivement à une euphémisation du racisme une sorte de formation discursive institutionnalisée dans laquelle l’usage du signifiant « race » s’accompagne d’une permanente dénégation, au profit de notions le plus souvent drapées de nouveaux oripeaux langagiers, caractéristiques de cette colonialité du pouvoir en matière migratoire.
Selon les contextes, situations et conjonctures, diverses notions (migrant, musulman, terroriste, clandestin) ont donc constitué des substituts ou ont opéré comme corrélats ou comme « marqueurs » tacites et invisibles de la race. Mais aucune des formations discursives ne permet de dépasser la problématique du racisme, justement parce que ces formations ne remettent pas en question les hiérarchies sociales et les rapports de pouvoir, qu’elles ne font en fait que légitimer et parfois consolider. Ce sont ces formes de néoracisme ou de racisme « sans race », voire « après la race », qu’il faut donc savoir repérer dans les débats autour de la question migratoire. C’est pour ainsi dire comme si la race a été enterrée vivante.
Cette question peut être comprise dans la façon même de penser la migration dans les pays occidentaux, une caractéristique analysée par Nacira Guénif : la population est pensée à partir de la notion de « population issue de…[14] » ou, comme le montre Étienne Balibar, de « schème généalogique[15] ». C’est ce qui explique que nous sommes encore tenaillés et hantés par les traces de l’esclavage, les effets de la colonisation, de la « ligne de couleur », du colonialisme; en somme, par les stigmates qui se perpétuent à l’endroit des personnes non eurodescendantes.
L’effet patent y est observable dans la façon et la manière dont nos sociétés libérales, qui prêchent pourtant le respect de l’individualité et l’égalité des chances, enferment les personnes racisées et leur « descendance » dans une « extériorité constitutive » ou une « identité étrangère » remontant à deux ou trois générations, en dépit du fait qu’elles sont des sociétés (bien que certaines issues de colonies de peuplement) formées par l’hybridation et les apports migratoires, comme c’est le cas en Amérique du Nord et en Europe.
Mais ce schème généalogique a aussi pour effet corollaire un besoin de communauté chez les groupes majoritaires dont les formations politiques qui usent du discours identitaire font écho. Mais tout cela est aussi à analyser en lien avec la façon dont le capitalisme néolibéral renforce les usages discriminatoires et les logiques préférentielles du schème généalogique.
Dans le contexte actuel, la perte des droits sociaux et la dégradation des conditions de travail favorisent la montée du discours de l’extrême droite. Une partie importante de la classe ouvrière est influencée par ce genre de discours. C’est là que l’enjeu migratoire complique la donne. D’autant plus que les personnes migrantes ont certes des doléances d’égalité citoyenne en lien avec le travail notamment, mais également sur la question décoloniale (légitime et nullement revancharde) de la dignité et de la justiciabilité historique.
La gauche doit apporter des réponses novatrices et courageuses, et qui sortent du seul cadre du nationalisme méthodologique, à l’instar de l’enjeu climatique pour ainsi dire. L’un des grands défis et enjeux qui hypothèquent en quelque sorte l’avenir de nos sociétés et leur dimension égalitaire et démocratique dans la conjoncture actuelle, ne se réduit pas seulement à saisir l’évolution des mouvements migratoires en provenance de l’espace extraoccidental (le Sud global), mais à essayer de comprendre la position que prendra la population des pays du « Nord », si l’on veut éviter de céder aux sirènes des théoriciens réactionnaires du « grand remplacement ». C’est cette division potentielle, source redoutable de conflictualité, que nous devons anticiper si l’on veut disposer de la question migratoire dans une perspective à la hauteur des exigences historiques.
Sabrina Zennia est travailleuse sociale et Mouloud Idir coordonnateur du secteur Vivre ensemble au Centre justice et foi
Aníbal Quijano, « “Race” et colonialité du pouvoir », Mouvements, vol. 3, n° 51, 2007, p. 111-118. ↑
Sandro Mezzadra, « Capitalisme, migrations et luttes sociales. Notes préliminaires pour une théorie de l’autonomie des migrations », Multitudes, vol. 19, n° 5, 2004, p. 21. ↑
Nicholas P. De Genova, « Migrant “illegality” and deportability in everyday life », Annual Review of Anthropology, vol. 31, 2002, p. 439. ↑
Cela s’observe aussi dans la façon très conditionnée d’intégrer les demandeurs d’asile à des niches d’emploi très fortement marquée par l’exploitation et la précarité. ↑
Jérôme Valluy, Le rejet des exilés. Le grand retournement du droit de l’asile, Broissieux, Éditions du Croquant, 2009. ↑
Michel Agier, « La lutte des mobilités. Catégories administratives et anthropologiques de la migration précaire », dans Annalisa Lendaro, Claire Rodier et Youri Lou Vertongen (dir.), La crise de l’accueil. Frontières, droits, résistances, Paris, La Découverte, 2019, p. 81. ↑
Seyla Benhabib et Robert Post, Another Cosmopolitanism, Oxford scholarship online, octobre 2011, p. 29. ↑
Samantha Jackson et Harald Bauder, « Neither temporary, nor permanent : the precarious employment experiences of refugee claimants in Canada », Journal of Refugee Studies, vol. 27, n° 3, 2013, p. 360-381. ↑
Mouloud Idir, « La culturalisation des enjeux migratoires participe d’une dépolitisation de luttes et revendications éminemment politiques. Entretien avec le sociologue Amín Pérez », Webzine Vivre ensemble, 2 avril 2016. ↑
Ce que nous disons ici consiste surtout à prolonger des travaux comme ceux de la sociologue équatorienne Encarnación Gutiérrez Rodríguez qui a bien pointé les manières dont les politiques migratoires et les politiques d’asile produisent des catégories hiérarchisées de personnes migrantes et de réfugiées qui consolident et réifient les imaginaires coloniaux des races à aseptiser, neutraliser, policer, contrôler, classer diviser… Voir : Encarnación Gutiérrez Rodriguez, « The coloniality of migration and the “refugee crisis” : on the asylum-migration nexus, the transatlantic white european settler colonialism-migration and racial capitalism », Refuge, Revue canadienne sur les réfugiés, vol. 34, n° 1, 2018, p. 16-28. ↑
Quand plusieurs discours ou représentations se rejoignent autour d’un même enjeu de sens. Derrière un mot, un langage, chacun entend un ensemble de significations tenues pour être plus ou moins synonymes : cela permet de les rassembler en chaines équivalences. ↑
Pour Stuart Hall, la race, l’ethnie et la nation sont des signifiants flottants, dont le sens n’est jamais complètement fixé ; celui-ci dépend des contextes spatiotemporels, socioéconomiques et politiques. Par signifiant flottant, et selon l’usage qu’on en fait ici, il faut comprendre un ensemble de discours publics auxquels sont associées certaines figures racisées sans qu’elles ne soient directement citées. ↑
Cette entrevue réalisée par Pierre Beaudet avec Lorraine Guay est extraite d’un dialogue à trois publié dans le numéro 14 des NCS (automne 2015). L’entrevue au complet se (…)
Cette entrevue réalisée par Pierre Beaudet avec Lorraine Guay est extraite d’un dialogue à trois publié dans le numéro 14 des NCS (automne 2015). L’entrevue au complet se trouve à : Entrevue avec Lorraine Guay et Jocelyne Bernier.
Où et quand a commencé ton aventure ?
Née à Verdun en 1943, j’ai grandi dans ce quartier à l’époque composé de francophones et d’anglophones de couches moyennes et populaires. En général, les anglophones étaient propriétaires des commerces et des logements, et les franco, locataires ! On vivait côte-à-côte, mais aussi face-à-face, les relations étant plutôt tièdes. Mon père, un « commis-voyageur », se promenait aux quatre coins de la ville pour vendre des « guenilles » comme il disait. Il était payé à la commission, et donc on n’était pas riches mais pas pauvres non plus. À l’époque, la tradition était de permettre aux garçons de poursuivre leurs études, mais moi, je voulais beaucoup étudier ! J’avais gagné une bourse de la Société St-Jean-Baptiste pour étudier avec les Sœurs Jésus-Marie de Longueuil. Mais pour continuer, il fallait aller comme pensionnaire. Mes parents n’en avaient pas les moyens. Je me suis donc inscrite à l’École normale Eulalie-Durocher à St-Lambert même si je voulais être médecin ! À cette époque pour les filles du milieu ouvrier, le « choix » était limité : secrétaires, enseignantes, infirmières ou…femmes au foyer » !
L’éducation reçue t’a quand même donné des moyens…
L’École normale a été un milieu stimulant. C’est là que je me suis éveillée politiquement à travers la Jeunesse étudiante catholique, la JEC. Dans ce début de révolution tranquille, l’Église était divisée entre l’élite traditionnelle et des jeunes qui voulaient que ça change. La JEC prônait la prise en charge des enjeux étudiants–à travers le fameux VOIR-JUGER-AGIR-. On mettait en place le syndicalisme et le journalisme étudiants. On lisait des livres à l’index en cachette ! Cela m’a causé plusieurs démêlés avec les religieuses et j’ai finalement été « mise à la porte » en plein milieu de mon avant-dernière année scolaire. À la suite des pressions du diocèse, on m’a laissé terminer mon diplôme sur l’avenue Mont-Royal…à la condition de ne participer à aucune activité parascolaire.
Les jeunes de l’époque commençaient à bouger …
Au sortir de l’École, je suis devenue animatrice au secrétariat national de la JEC où j’ai connu plusieurs copains et copines qui ont fait leur chemin par la suite comme Louise Harel, Robert Perrault, Léa Cousineau, Guy Lafleur. La JEC comptait alors plusieurs milliers de personnes impliquées dans les associations étudiantes et le journalisme étudiant. La vision était chrétienne, mais dans son interprétation progressiste : il fallait s’attaquer aux causes structurelles des injustices et pas juste à leurs conséquences, en rupture avec la conception traditionnelle de « charité » En 1967, l’année de l’expo universelle, la JEC internationale tenait ses assises à Montréal. Une occasion unique où on rencontrait des jeunes chrétiens engagés dans la résistance, au Chili, au Brésil et ailleurs. Ils nous parlaient de sous-développement, de pillage du tiers-monde, de l’impérialisme. On était éblouis. On lisait Fidel Castro, Frantz Fanon et même la revue Parti pris !
Et puis, il y a eu 1968 …
En novembre 68, peu après les événements, je débarquais à Paris avec mon copain qui avait été élu secrétaire de la JECI. Nous étions dans la rue à toutes les semaines en solidarité avec le Brésil, le Chili, le Vietnam. Peu après, c’était la crise d’octobre et lors de la visite de Bourassa à Paris plusieurs mois plus tard, de nombreux québécois dont nous étions ont été surveillés de près. Le manifeste du FLQ nous avait touchés par son ton radical et son langage populaire. Pour autant, la dérive de l’action armée a été rebutante. Quant à une certaine extrême-gauche française, j’avais un malaise. Cet attachement à un communisme théorique, alors que l’Union soviétique emprisonnait ses dissidents, me semblait inacceptable.
Et au retour c’était l’insertion dans le mouvement populaire…
Aussitôt revenue au Québec en 1972, j’ai travaillé à la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, d’abord comme organisatrice communautaire, puis comme infirmière. La clinique était une initiative des étudiants progressistes en médecine de McGill. On se battait contre l’élite locale qui tenait la main haute sur la caisse populaire, contre le pouvoir médical, contre les autorités de tous bords tous côtés. En même temps, on a créé une coalition avec d’autres cliniques pour résister au projet du gouvernement libéral d’avaler les initiatives communautaires dans les CLSC. Tout en étant d’accord avec l’idée des CLSC dont l’inspiration venait en grande partie des cliniques populaires, nous voulions conserver l’autonomie de nos cliniques, qui agissaient sur une base autogérée comme à la Pointe, à Saint-Henri, à la Clinique St-Jacques. On se définissait comme « rouges » et « experts »; on voulait changer les rapports de pouvoir, y compris au niveau médical, qui était une chasse gardée des « experts ». L’idée était (et reste) que les citoyens et les citoyennes doivent prendre en main leur santé, car la maladie, ce n’est pas une simple pathologie, mais très souvent une conséquence d’un système pourri.
La priorité est toujours restée vers le travail à base…
Un peu plus tard dans les années 1970, une convergence s’est créée autour du Rassemblement des citoyens de Montréal, le RCM, avec des militants de groupes populaires, des syndicalistes, des intellectuels, des femmes, des anglophones et des francophones lassés du système dominé par le maire Drapeau. À Pointe St-Charles nous avions décidé d’investir ce parti dont le programme correspondait aux aspirations du quartier. Finalement, Marcel Sévigny a été élu comme conseiller municipal avec l’équipe de Jean Doré en 1986. C’est la seule fois où j’ai été membre d’un parti politique. Mais au bout du compte, mon insertion dans la vie et la société, c’était toujours la Clinique. Non seulement cela a été un bon milieu de travail, mais ça m’a ramenée à une communauté qui a des besoins, mais aussi des rêves, des volontés de résister. La clinique, c’était un milieu de vie, ouvert jour et nuit, où on venait consulter, se rencontrer, socialiser. La Clinique remettait en question le pouvoir médical et travaillait à promouvoir l’implication active des citoyennes et des citoyens les plus vulnérables. « Tout le pouvoir aux citoyens…mais pas n’importe quels citoyens » était alors un des slogans très populaire.La clinique était aussi un incubateur de pratiques novatrices en santé et en travail social. Elle a été impliquée dans la solidarité internationale. Ainsi après le coup d’État au Chili, nous avons non seulement participé aux manifestations contre Pinochet soutenu par les USA, mais nous avons accueilli de nombreux chiliens dans le quartier.
Parlant solidarité, tu as décidé de faire le saut…
Tout en travaillant et en militant à la clinique, j’ai toujours continué de m’impliquer dans la solidarité internationale. En 1980, j’étais allée au Nicaragua dans la première brigade de solidarité avec les Sandinistes. En 1983, dans le cadre du mouvement québécois de solidarité avec le Salvador, j’y suis allée pendant huit mois comme infirmière dans une des zones contrôlées par la guérilla du Front Farabundo Martí de libération nationale. La résistance salvadorienne faisait face à une extrême-droite très puissante qui contrôlait le pays avec l’aide des terribles escadrons de la mort et soutenue inconditionnellement par les États-Unis. Bien que soumis à des bombardements intensifs et à des attaques de l’armée salvadorienne, les paysans résistaient courageusement. Je garde un souvenir indélébile de ces moments à la fois très difficiles (j’ai manqué mourir quelques fois) et merveilleux de solidarité que m’ont manifesté ces femmes et ces hommes qui construisaient peu à peu une autre société plus juste, plus démocratique.
Et puis, il y a eu ton implication dans le domaine de la santé mentale
En 1987, je considérais que j’avais fait mon temps à la clinique même si j’adorais mon boulot. J’ai quitté tout en continuant à m’impliquer au conseil d’administration pendant un certain temps. Un peu plus tard, j’ai été engagée comme coordonnatrice du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale, un carrefour d’une centaine de groupes locaux créant des alternatives à la psychiatrie dominante. Cela correspondait à un virage où de plus en plus de groupes locaux impliqués dans des luttes spécifiques sentaient le besoin de se regrouper dans des regroupements provinciaux pour s’entraider, partager leurs expériences, mener des campagnes coordonnées pour les droits sociaux, pour les femmes, jeunes, le logement, les réfugiés, etc.
Ce domaine était tout un enjeu …
La psychiatrie au Québec a toujours fait partie du système médical conventionnel, elle est là pour « soigner des patients qui souffrent de « maladies » ». Les grands asiles psychiatriques ont occupé cette fonction jusqu’au début de la Révolution tranquille quand les révélations de Jean-Charles Pagé (un interné de St-Jean-de-Dieu) avec son livre-choc Les fous crient au secours », de même que les mobilisations des groupes de défense de droits et les actions d’intervenants plus « modernes », ont sonné le début de la désinstitutionalisation. Entre-temps, les départements de psychiatrie des hôpitaux ont remplacé ces anciennes institutions d’internement, mais sans changer substantiellement le rôle de la psychiatrie biomédicale : « stabiliser » les malades par la médicamentation. Dans la population, le regard sur les personnes vivant des problèmes de santé mentale n’a pas beaucoup évolué : on les croit « dangereux », on s’oppose à les voir circuler dans son propre quartier…leur présence dévalorisant la valeur des maisons !!!!
La bataille pour une « autre » santé mentale en fin de compte…
Le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale cherchait à accueillir « ailleurs et autrement » les personnes concernées et s’inscrivait en rupture avec la psychiatrie dominante proposant de comprendre les troubles non pas comme des dysfonctionnements exclusivement cérébraux ou physiologiques, mais comme des expériences humaines liées aux trajectoires de vie personnelles, aux conditions de vie, aux contraintes systémiques (pauvreté, inégalités hommes-femmes, exclusion, etc.). Des groupes très diversifiés : défense de droits, entraide, insertion au travail, hébergement, art, etc.et animés par des « malades mentaux » eux-mêmes que l’institution avait condamnées à la chronicité-, des animateurs communautaires, des artistes, des intervenants de diverses disciplines, etc. ont littéralement créé des pratiques novatrices qui préfiguraient les services d’aujourd’hui.
En 1995, le Québec se préparait à un deuxième référendum. C’était un grand enjeu pour toi…
Plusieurs groupes populaires ne voulaient pas être trop identifiés. Mais la plupart ont participé activement aux commissions mises en place par Parizeau sur l’avenir du Québec. Et avec d’autres, ils ont eu une influence sur la formulation d’un projet de société d’orientation social-démocrate qu’on retrouve dans « Le cœur à l’ouvrage »[1]. Pour ma part, je me suis investie dans les Partenaires pour la souveraineté, une coalition non partisane qui réunissait les groupes pro-souveraineté tels des syndicats, et des collectifs surgis de la base, autoorganisés comme « les femmes pour la souveraineté, « les pompiers pour la souveraineté », les « religieuses pour la souveraineté ». Il ne s’agissait pas de forcer des organisations à se prononcer et donc à se diviser, mais plutôt de favoriser les rassemblements de citoyen-ne-s sur une base personnelle.
Et pourtant cela a été un échec …
Une ou deux semaines de campagne de plus et on l’aurait probablement gagné. De plus en plus, le peuple prenait la parole. Pour autant, la campagne était trop braquée sur les chefs. On voulait tellement qu’il y ait plus de jeunes, plus de femmes, plus d’immigrants. Parizeau était d’accord, mais pas les deux autres. Et il y a eu l’opération malhonnête de l’État fédéral, dont le fameux « love-in » à Montréal, où les participants étaient en congé payé pour nous supplier de rester dans leur cher Canada. En réalité cependant, ce ne sont pas les « autres » qui nous ont battus. C’est nous-mêmes. C’est l’insuffisance de la participation populaire. C’est le vote pour le « non » dans la région de Québec. On n’était pas encore assez déterminés et unis, et on a perdu.
Mais le pire est survenu après …
Ce qui nous a jeté par terre, cela a été la déclaration de Parizeau. Faire porter le blâme sur les immigrants a été une erreur monumentale, qui a terni la belle bataille populaire qui avait été menée. C’était non seulement une deuxième défaite, mais un retour en arrière. J’ai d’ailleurs écrit ce soir-là, comme plusieurs d’ailleurs, à Parizeau pour lui dire ma façon de penser. Malheureusement, cela s’est aggravé après son départ. Avec l’arrivée du conservateur Lucien Bouchard, tout a bifurqué. On avait vu son arrogance pendant la campagne référendaire. Son intronisation a porté un coup fatal au PQ.
Malgré cela, au tournant des années 1990, il y a un rebond du mouvement populaire …
La Marche des femmes Du pain et des roses contre la pauvreté et la violence, en 1995, peu de temps avant le referendum, a été un point tournant. Cette Marche a galvanisé le mouvement des femmes et suscité la mobilisation du mouvement populaire : il y a quand même eu 25,000 personnes à Québec pour l’arrivée des marcheuses ! Pour l’époque, c’était énorme. Cette marche a été un tel succès que l’idée d’internationaliser le processus a fait son chemin et donné naissance à la Marche mondiale des femmes en 2000. C’était juste après Seattle en 1999 et juste avant le premier Forum social mondial à Porto Alegre en janvier 2001, des événements auxquels nous avons participé très activement. Nous sentions l’arrivée de temps nouveaux pour un « autre monde possible » comme le rappelait sans cesse le fameux slogan du mouvement altermondialiste. Mais cela n’allait pas sans lutte au sein même de ce mouvement. J’étais à Genève à l’époque, en tant que représentante de la Marche mondiale des femmes et nous devions travailler fort pour faire accepter à nos collègues masculins que la lutte principale n’était pas contre le seul système capitaliste, mais aussi contre le système patriarcal, qu’il y avait imbrication et renforcement réciproque de ces systèmes. Vaincre le capitalisme n’allait pas automatiquement entraîner la fin du patriarcat… dur à faire accepter ça !!!!
Tu as continué en travaillant à construire des coalitions…
À l’initiative de Françoise David, en janvier 2003, nous avons créé D’Abord Solidaires, un mouvement de citoyens et de citoyennes déterminés à faire échec à la droite. Ce nouvel acteur social allait contribuer à (re)mobiliser des gens de gauche. Il a d’ailleurs joué un rôle significatif aux côtés du Collectif pour un
Québec sans pauvreté et du Forum social Chaudière-Appalaches dans la formation d’un « Réseau de vigilance » qui a coalisé dans la lutte contre le gouvernement libéral de Jean Charest l’ensemble des forces sociales du Québec: syndicats, mouvements communautaires, groupes de femmes, écologistes, étudiants, etc. Dès 2004, le Réseau a été très actif dans l’organisation de manifestations amorcées par le réseau des CPE. Charest a dû remballer sa « réingénierie ».
C’est dans cette période que l’idée a émergé de construire une force politique …
J’étais sceptique face au projet de création d’un nouveau parti politique d’autant plus qu’il y avait déjà l’Union des forces progressistes (UFP). Je comprenais la préoccupation de Françoise David, mais j’ai préféré continuer d’expérimenter la pratique citoyenne de D’Abord Solidaire. C’était mon option de fond et ça le demeure encore. Une des raisons de ma tiédeur concerne le système électoral québécois bipartisan, qui s’avère très difficile à changer malgré les efforts déployés depuis près de 45 ans et plus récemment par le Mouvement pour une démocratie nouvelle. Sans un mode de scrutin de type proportionnel, je pense que la concurrence de formations politiques « à gauche » pave la voie à une monopolisation du pouvoir de longue durée par les Libéraux ou la CAQ. Une autre de mes préoccupations est que les mouvements progressistes ont longtemps dénigré le terrain municipal. Il y avait, il y a encore selon moi, un manque de vision dans cette posture. Les gauches en Europe et en Amérique latine ont investi les municipalités avec des avancées intéressantes en termes de politiques sociales et économiques.
Construire et animer des coalitions, ce n’est pas toujours évident …
Travailler ensemble exige de chaque groupe et individu de mettre ses structures et modes de fonctionnement à l’épreuve de visées communes, ce qui ne va pas de soi ! Les grosses organisations plus structurées, possédant plus de ressources, ont toujours beaucoup de difficulté à considérer les groupes plus « petits » comme des acteurs sociaux ayant une égale importance dans les combats communs. Par ailleurs les plus « petits » peinent à reconnaître que le membership et les responsabilités ne sont pas les mêmes. Accepter l’égalité dans l’asymétrie est donc un défi pour toutes les coalitions, de même que le temps consacré aux débats, le règlement des inévitables conflits et « joutes de pouvoir », le choix de porte-paroles, le partage des ressources. En pensant aux concertations passées et aux nouvelles formes d’organisation collective, on conclut qu’il faut éviter de s’installer dans la permanence et la rigidité des structures, mais plutôt à s’investir ensemble dans l’effervescence et la durée des combats à mener.
Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?
Les luttes sont longues et nécessitent une pluralité de mouvements capables de susciter la mobilisation citoyenne. Nous sommes peut-être sortis de la « nostalgie des grands récits »[2], des rêves d’un « grand soir lumineux », mais certainement pas de l’aspiration à « un autre monde possible ». Je reconnais l’importance des partis politiques, mais j’ai choisi de poursuivre mes engagements dans des mouvements citoyens et dans le travail de solidarité internationale. Et puis, des jeunes particulièrement inspirants sont là !
NOTES
[1] Le camp du changement (1995). Le cœur à l’ouvrage. Bâtir une nouvelle société québécoise.
[2] Colette St-Hilaire (1994) Le féminisme et la nostalgie des grands Récits. Cahier de recherches sociologiques no. 23 p 79-113.