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Le droit à l’éducation : son exercice pour les adultes

6 février 2024, par Revue Droits et libertés

Le droit à l'éducation : son exercice pour les adultes

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024

Daniel Baril, Directeur général, Institut de coopération pour l’éducation des adultes Pierre Doray, Président, Institut de coopération pour l’éducation des adultes Le droit à l’éducation est promulgué le 10 décembre 1948 (article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme). Ce faisant, les signataires recon­naissent son caractère universel et ainsi l’importance de l’éducation tant pour les personnes que pour les États ; mais les vrais défis résident dans la mise en œuvre de ce droit. En effet, les enjeux sont nombreux, tant son application est compliquée par la diversité des situations. L’application ne peut pas être similaire dans les pays du Sud et ceux du Nord, tellement la scolarisation est différente1. Au Canada, l’éducation est du ressort des provinces. Il existe 13 systèmes éducatifs, sans compter la diversité des organisations commu­nautaires et la panoplie d’organismes d’éducation populaire. L’engagement des entreprises en matière de formation de leur personnel est variable selon leur taille et leur secteur économique. Visionner la conférence! La mise en œuvre est différente en formation initiale et en formation des adultes. L’obligation scolaire et les lois sur le travail des enfants ont contribué à faire de l’éducation la principale activité des enfants et des jeunes. En éducation des adultes, la situation est tout autre. La participation à des activités est largement fondée sur le volontariat et l’engagement personnel, gages d’une implication dans l’activité d’apprentissage. La participation dépend aussi de l’offre de formation, de même que des lois et des politiques qui structurent l’organisation des services de formation et des pratiques éducatives, qu’elles soient réalisées dans un cadre gouvernemental, privé ou associatif (organismes de la société civile). En somme, la mise en œuvre est largement sujette à des conditions d’existence et de développement variables. Dans une telle situation, une approche universaliste est difficile à tenir, car trop de différences entre pays, contextes socio­économiques et juridictions éducatives existent et modulent la réalité des pra­tiques éducatives. Nous désirons rendre compte de l’évolution du développement de l’éducation des adultes. Nous voulons aussi souligner comment les décisions prises ont créé une jurisprudence, et possiblement de l’irréversibilité, qui bali­sent, voire contraignent, la portée du droit affirmé, soit le droit en pratique plutôt que le droit théorique. Nous mettrons l’accent sur l’évolution du droit ainsi que sur l’impact des politiques et de la conjoncture sur ce droit.

Quelques rappels historiques

L’éducation des adultes s’est peu à peu consolidée au cours du XIXᵉ siècle, de telle sorte que dans la première moitié du XXᵉ siècle, les nouvelles institutions éducatives (écoles professionnelles, éco­les techniques, universités, organismes communautaires et organismes syndicaux) s’engagent en éducation des adultes. Ces initiatives sont pérennes, contrairement au siècle précédent. Le champ de l’éducation des adultes se structure. L’Institut canadien de l’Éducation des Adultes est créé2 pour regrouper les formatrices et formateurs de différents milieux sociaux et éducatifs. En 1960, la seconde conférence de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) sur l’éducation des adultes se tient à Montréal. Le principe de l’éducation permanente fait son entrée au Québec. Les travaux conduisant à des réformes au cours de la Révolution tranquille s’en inspirent. Ainsi, le gouvernement met sur pied un comité sur le développement de l’éducation des adultes dont le président est Claude Ryan. Le rapport Parent y puisera de nombreuses propositions concernant l’éducation permanente. Trois secteurs connaîtront une croissance significative. L’école du soir (formation créditée) se développe dans les éta­blissements scolaires, du secondaire à l’université. L’éducation populaire se répand, notamment grâce aux idées portées par Paulo Freire. Finalement, des activités de formation professionnelle sont organisées, dans un esprit providentialiste de lutte contre le chômage. La dernière manifestation de l’esprit social­-démocrate en éducation des adultes est la publication du rapport Jean3 (1982), qui propose un regard global sur l’éducation des adultes afin de la sortir de sa marginalisation dans le champ de l’éducation. Dès 1984, nous assistons à une reconver­sion des politiques par la professionnalisation des pratiques. Le plan d’action dit s’inspirer du rapport Jean, mais ne propose que des réformes concernant les formations professionnelles. Cette conversion est liée au contexte écono­mique4. Le Québec connaît au tournant des années 1980 une importante crise économique qui se manifeste par une tout aussi importante crise de l’emploi. En plus, l’esprit néolibéral se diffuse et sert de référent intellectuel et normatif à une révision des politiques publiques. Au cours de ces années, les réformes se multiplient : révision des programmes de formation professionnelle et technique, centration des services d’éducation des adultes sur la formation professionnelle et sur la formation sur mesure pour soutenir les entreprises dans leur effort de qualification, création d’instances de concertation regroupant les partenaires du marché du travail, modification des politi­ques sociales5 et adoption de la Loi sur le financement de la formation en entreprise (loi dite du 1 %). Une pratique amorcée dans la période précédente se poursuit : l’achat de cours par le ministère de l’Emploi et du Travail aux établissements scolaires. En parallèle,   les   ressources octroyées à l’éducation populaire diminuent, de manière absolue comme relative. Les politiques publiques réorientent les efforts vers la professionnalisation de l’éducation des adultes. En 2002, le gouvernement du Québec publie la première politique de l’éducation des adultes, qui reprend les grandes orientations du projet éducatif de l’éducation et la formation tout au long de la vie (EFTLV)6.
Différentes mesures sont proposées pour augmenter la littératie des groupes sociaux plus défavorisés ; d’autres, pour assurer une plus grande employabilité de différentes catégories de travailleur-­euse-­s. Dans l’une ou l’autre situation, un point commun ressort : le lien avec l’emploi.
Le thème des compétences prendra d’ailleurs plus d’importance dans les débats sur la formation des adultes. L’orientation d’ensemble reste néolibérale, pour faire référence à la distinction de Griffin7, entre une approche progressiste et une approche néolibérale de l’EFTLV. Dans les premières années de la politique, plusieurs mesures ont aussi cherché à susciter la demande de formation. Elles s’adressaient pour l’essentiel aux participant-e-­s potentiels. Pensons à la semaine des adultes en formation ou à un élargissement de l’accès aux pratiques de reconnaissance des acquis. Le sort de la politique est aujourd’hui ambigu. Elle prévoyait des plans d’action de 5 ans. En 2007, le gouvernement libéral devait produire un second plan, mais il n’est jamais arrivé. Nous pouvons y voir l’intérêt qu’il accordait à l’éducation des adultes... Une des mesures les plus importantes a été de faire de la formation générale des adultes la bouée de sauvetage des élèves en difficulté scolaire à l’école secondaire. Formellement, la politique est toujours active ; mais dans les faits, elle est tombée en désuétude.

Conclusion

Les politiques sont un levier stratégique de la mise en œuvre du droit à l’éduca­tion. Les valeurs qui leur servent de points d’ancrage, les diagnostics sur lesquels elles font reposer leur lecture de l’environnement ainsi que les objectifs qu’elles poursuivent peuvent fonder le droit à l’éducation. En ce sens, le portrait que nous avons exposé retrace une activité intensive au Québec en matière de politiques depuis les années 1960. Ces politiques ont per­mis des progrès en matière de droit à l’éducation. Les lois ayant traduit les réformes des années 1960 le montrent éloquemment. En éducation des adultes, l’intégration à la fin des années 1990 du droit à la formation générale pour les adultes dans la Loi sur l’instruction publique est un exemple à souligner. Depuis son affirmation dans la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, le droit à l’éducation a servi de point de repère aux politiques qui devaient désormais contribuer à sa mise en œuvre. Or, l’éducation se transforme dans un contexte où les sociétés imposent des exigences croissantes à leurs citoyen­-ne­-s en matière de connaissances et de com­pétences. La recomposition de l’offre de formation par la croissance de l’éducation numérique, largement sous l’égide des grandes firmes de l’économie numérique, en est un exemple. Les pénuries de main­-d’œuvre, qui sévissent depuis plusieurs années, demandent aussi de repenser les politiques éducatives. En conséquence, les politiques sont confrontées à de nouveaux défis et enjeux d’une société comptant sur l’apprentissage tout au long de la vie. Il en ressort une pression omniprésente pour l’actualisation et le développement continu des capacités qui invite à repenser la portée du droit à l’éducation. Dans nos sociétés où le savoir est un moteur de développement individuel et collectif, un droit qui apparaît principalement centré sur l’éducation scolaire initiale des jeunes générations ne peut répondre que de manière incomplète à des besoins d’apprentissage s’étendant tout au long de la vie. Dans cette optique, non seulement de nouvelles politiques en phase avec une société de plus en plus exigeante en matière de connaissances et de compétences doivent-elles voir le jour, mais un droit actualisé à l’éducation devient aussi un chantier pertinent. À cet effet, l’UNESCO mène actuellement une telle réflexion qui sera porteuse et dont le Québec pourra s’inspirer.
  1. Bélanger et P. Federighi, Analyse transnationale des politiques d’éducation et de formation des adultes : la libération difficile des forces créatrices, Paris, UNESCO, 2000. Voir aussi M. Elfert, UNESCO, the Faure Report, the Delors Report, and the Political Utopia of Lifelong Learning, European Journal of Education, 2015.
  2. L’ICEA a changé de nom à la fin des années 1990.
  3. Michèle Stanton-Jean, Commission d’étude sur la formation des adultes, Apprendre : Une action volontaire et Responsable : énoncé d’une politique globale de L’éducation Des Adultes dans une Perspective d’éducation permanente, Ministère des Communications du Québec, 1982.
  4. Bernier, Formation et employabilité – Regard critique sur l’évolution des politiques de formation de la main-d’œuvre au Québec, Presses de l’Université Laval, 2011, 195 pages. P. Doray et F. B. Simoneau, Jalons pour une sociologie historique de l’éducation des adultes. Dans M. Doucet et M. Thériault, L’Adulte en apprentissage… pour devenir soi : Espaces et passages, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2019.
  5. Les gouvernements privilégient dorénavant les mesures de relance plutôt que les mesures dites de filet de sécurité.
  6. Ministère de l’Éducation du Québec, Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue. Apprendre tout au long de la vie, 2002, et ministère de l’Éducation du Québec, Plan d’action en matière d’éducation des adultes et de formation continue, 2002.
  7. Griffin, Lifelong learning and social democracy, International Journal of Lifelong Education, 1999 et C. Griffin, Lifelong learning and welfare reform, International Journal of Lifelong Education, 1999.

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Solidarité avec la Palestine : défendons l’humanité

6 février 2024, par Marc Simard
Depuis plusieurs semaines, devenues mois, une infinie tristesse m’habite devant la détresse humaine et surtout devant la violence, tout aussi humaine. L’article qui suit est (…)

Depuis plusieurs semaines, devenues mois, une infinie tristesse m’habite devant la détresse humaine et surtout devant la violence, tout aussi humaine. L’article qui suit est largement inspiré d’une lettre adressée à notre député fédéral afin qu’il transmette la parole d’un groupe de citoyennes (...)

La gestion de l’immigration au Canada et au Québec est un vrai bordel

6 février 2024, par Jonathan Durand Folco — , ,
Après avoir ignoré la crise du logement pendant des années, en épargnant les acteurs responsables de la crise, on attribue ensuite cette même crise aux immigrants qui seraient (…)

Après avoir ignoré la crise du logement pendant des années, en épargnant les acteurs responsables de la crise, on attribue ensuite cette même crise aux immigrants qui seraient la principale cause de la pénurie de logements. Après l'argument sordide "ils nous volent nos jobs", nous sommes aujourd'hui arrivés au discours "ils nous volent nos logements".

Jonathan Durand Folco | Page Facebook | 22 janvier 2024

On laisse ici de côté le rôle des spéculateurs immobiliers, des plateformes numériques comme Airbnb, de la Banque centrale du Canada qui a fait grimper les taux d'intérêts, du sous-financement du logement social depuis des décennies, du désinvestissement des différents paliers de gouvernements qui continuent de se renvoyer la balle sans jamais prendre de leadership sur la question. On ne nomme jamais l'éléphant dans la pièce, c'est-à-dire le capitalisme néolibéral financiarisé, qui privilégie la construction de condos de luxe et d'appartements pour célibataires ou couples sans enfants, au lieu de satisfaire les besoins sociaux urgents en matière de logement.

Au lieu de réguler le marché privé et spéculatif du logement, ou de construire massivement des unités d'habitation par la puissance publique, on joue à l'autruche pendant des années, puis on pointe du doigt les immigrants une fois que la situation est devenue catastrophique et invivable pour la classe moyenne. Certes, l'arrivée d'un nombre important d'immigrants exerce une pression sur le marché de l'habitation, mais la pénurie de logements et l'envolée des prix de l'immobilier ne découlent pas d'abord de leur présence.

Pendant ce temps, le gouvernement Trudeau augmente les cibles d'immigration à 500 000 nouveaux arrivants pour se donner une belle image vertueuse, tout en multipliant le recours aux travailleurs étrangers temporaires, dont certains se retrouvent dans une situation de quasi-esclavage (selon un expert de l'ONU). Rappelons qu'il y avait plus de 2,2 millions de résidents non-permanents au Canada en juillet 2023, et leur nombre ne fait qu'augmenter année après année.

Selon la journaliste Sarah Champagne dans un article du Devoir du 27 septembre 2023 : "Les détenteurs d'un permis de travail seulement constituent près de la moitié de tous les non-permanents, soit 1 million de personnes. Cette proportion était un peu plus basse au Québec, soit de 43 %. Les autres catégories d'immigrants temporaires comprennent les étudiants étrangers, au nombre de 856 051, qui ont un permis de travail en plus ou non. Restent les 84 191 membres de la famille qui accompagnent ces immigrants, mais qui n'ont pas eux-mêmes un permis."

Aujourd'hui, on apprend que le gouvernement Trudeau "va plafonner pendant deux ans le nombre d'étudiants étrangers" comme réponse à la crise du logement. Selon le ministre fédéral de l'Immigration Marc Miller, "en 2024, 364 000 permis d'étude seront accordés, une baisse de 35 % par rapport à 2023". Alors que les universités sont sous-financées et utilisent la stratégie de recrutement d'étudiants internationaux pour garder la tête hors de l'eau, on vient de leur couper l'herbe sous le pied. Cela aura un impact direct sur le secteur universitaire, une petite université comme la mienne ayant entre 30 et 40% d'étudiants internationaux depuis quelques années. L'impact sur le nombre de logements disponibles, par contre, sera aussi minime qu'un coup d'épée dans l'eau.

Au Québec, le gouvernement Legault cherche à se donner l'image du bon père de famille et du nationaliste protecteur en gardant un seuil d'immigration plutôt bas, tout en ayant recours massivement à la main d'œuvre précaire et bon marché des travailleurs temporaires et sans statut pour continuer de faire rouler l'économie.

Alors qu'il limitait le nombre d'immigrants réguliers à 50 000 en 2023, le Québec recevait 58 000 travailleurs temporaires étrangers la même année. Le slogan de Legault en 2018 était "en prendre moins, mais en prendre soin"...On voit aujourd'hui qu'il "prend soin" d'une minorité de personnes qui arrivent ici, tout en laissant dans la précarité un grand nombre de gens qui n'ont pas la citoyenneté et ont peu de chances de l'obtenir en raison des obstacles administratifs qui s'ajoutent année après année.

Cette ségrégation entre deux catégories de travailleurs, la première étant celle du "travail libre" des citoyens nationaux, et la seconde celle du "travail non-libre" des résidents temporaires, avec un statut précaire ou irrégulier, prend son origine dans la dynamique du "capitalisme racial", lequel fonctionne comme un système d'exploitation à deux vitesses.

Ce capitalisme racial sous-tend à la fois la politique des libéraux multiculturalistes et des nationalistes conservateurs, car au-delà des discours idéologiques sur l'immigration, notre système économique a besoin de leur présence pour assurer l'accumulation des profits et la reproduction du statu quo. Selon la logique libérale, les immigrants sont qualifiés de "bons pour l'économie et pour la diversité", tandis que selon la logique du populisme conservateur, ils représentent une "menace pour l'identité nationale ou la protection de la langue", les adeptes de l'extrême droite allant jusqu'à parler de "noyade démographique" pour décrire la situation actuelle.

Le problème en réalité, c'est le capitalisme qui contribue à la crise des services publics, à la pénurie de logements, à l'exploitation des travailleurs d'ici et la surexploitation des travailleurs migrants précaires, à la destruction de l'environnement, à l'explosion du coût de la vie, tout cela générant un sentiment d'insécurité généralisée, que ce soit au niveau identitaire ou sur le plan économique.

À mon avis, la principale différence entre la gauche et la droite dans ce débat réside dans l'attribution des principales crises de notre époque. Pour la droite, ce sont les wokes et les immigrants qui sont la principale cause des problèmes actuels, alors que pour la gauche, c'est notre système inégalitaire désuet qui amplifie les inégalités, détruit le commun et effrite la cohésion sociale, en opposant les gens d'ici à ceux d'ailleurs.

Je ne dis pas ici qu'on ne peut pas débattre des seuils d'immigration, ou que toutes les personnes qui posent des questions en ce sens sont forcément racistes. Je ne crois pas non plus que les gens qui croient qu'il faut éviter de mettre tous nos problèmes sur le dos des immigrants seraient des "wokes totalitaires", comme le suggèrent certains. Ces débats sont souvent émotifs et polarisants, et je crois que l'enjeu migratoire ne représente que la pointe de l'iceberg de la crise de notre "modèle de société". On peut parler de monter ou de baisser les "seuils d'immigration" comme on veut, mais tant qu'on ne s'attaquera pas aux problèmes sociaux sous-jacents, qui affectent la qualité de vie des gens d'ici comme des nouveaux arrivants, on s'enfermera dans des débats de chiffres stériles.

Le "modèle québécois" est brisé, tout comme le "modèle canadien". Nous traversons une période de turbulences où le durcissement des frontières s'accompagnera de l'intensification des systèmes de contrôle et de surveillance, de l'incarcération massive de personnes sans statut dans des camps de détention aux conditions souvent inhumaines, de l'exploitation sans vergogne de travailleurs étrangers dans le secteur agricole, le monde industriel, la logistique et le travail de soins, dévalorisant ainsi symboliquement ceux et celles qu'on appelait il n'y a pas très longtemps nos "travailleurs essentiels" ou nos "anges gardiens". On préfère considérer ces gens comme des ressources non régularisées, au lieu de les accueillir en leur garantissant leurs droits et leur dignité.

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Le scénario proposé par le texte Solidaires à la croisée des chemins mènerait QS à l’impasse !

6 février 2024, par André Frappier — , ,
Le texte de Bálint Demers pose la question de la stratégie de la lutte sociale pour la gauche au Québec. Dans cette mesure, il permet d'ouvrir la discussion sur cette question (…)

Le texte de Bálint Demers pose la question de la stratégie de la lutte sociale pour la gauche au Québec. Dans cette mesure, il permet d'ouvrir la discussion sur cette question fondamentale. Mais les fondements politiques qui soutiennent son texte ne s'inscrivent pas dans une perspective d'alliance des forces sociales en lutte mais plutôt dans une perspective d'alliance des partis politiques, en l'occurrence le PQ et QS, dans un échange de procédés vers la souveraineté. Un scénario que nous avons déjà visité. Nous saisissons l'occasion pour analyser les failles dans la stratégie actuelle de QS mais également dans le scénario que l'auteur nous propose afin de dresser les perspectives qui, à notre avis, peuvent nous amener à un rassemblement des forces sociales pour leur émancipation.

L'Indépendance

PSPP parle d'indépendance, mais a-t-il rejeté le confédérationniste (soit la souveraineté-association) ? Il parle de monnaie canadienne – mais il souligne également que ce n'est qu'une hypothèse… L'indépendance n'est pas fondamentale pour le PQ qui a tenu ses deux référendums sur une nouvelle alliance (référendum de 1980) ou sur un nouveau partenariat (référendum de 1995). S'il revient à ses fondamentaux, c'est à ces derniers qu'il reviendra. Parmi d'autres fondamentaux, auxquels le PQ reste fidèle, il y a le libre-échange, assurance de la domination des multinationales sur l'économique du Québec.

Sur la démondialisation, il a repris les thèses sur la croissance nationale, sans remettre en question les tenants et aboutissants de la mondialisation – soit le libre-échange. Sur l'immigration, il a fait des personnes migrantes les causes des maux de la société québécoise en matière de logement, de difficultés des services publics ou d'itinérance. Il a proposé des quotas pour limiter à 35 000 personnes l'immigration permanente. Il a fait campagne contre le niveau des demandes des réfugié-e-s. Il a refusé d'admettre l'existence du racisme systémique malgré les dénonciations des peuples autochtones et des communautés ethnoculturelles. Il s'est rangé ainsi dans le camp du nationalisme conservateur, allant jusqu'à faire pression sur la CAQ pour son soi-disant laxisme en matière d'immigration.

Il réduit la question nationale aux francophones de souche, ne tenant aucunement compte des populations racisées ni des motifs qui conduisent les populations du sud global à émigrer au nord.

La stratégie d'indépendance du Québec ne peut, à plus forte raison dans la situation politique et économique actuelle, se situer autrement que dans une stratégie d'alliances avec les forces sociales du reste du Canada et avec les populations autochtones. Dans ce sens, la dynamique sociale au Québec qui a pour origine l'oppression nationale a permis des luttes sociales de grande ampleur qui n'ont pas d'équivalent dans le reste du Canada. Les luttes syndicales du secteur public ou les luttes étudiantes comme celle de 2012 en sont des exemples.

Le sort réservé à la Grèce en 2005 qui a subi le blocus financier de la Troïka, soit la Banque centrale européenne (BCE), le Fond monétaire international (FMI) et l'Union européenne (UE), démontre qu'un projet de changement social ne peut se faire sans une stratégie de soutien international. C'est également le cas du Québec. Naomi Klein avait développé une analyse percutante sur cette question dans La stratégie du choc.

L'auteur mentionne que QS semblait pouvoir jouer le rôle d'alternative suite à son succès électoral de 2018. Mais que depuis l'élection de 2022 il s'est fait damer le pion par le PQ.

Le succès de 2018 est le résultat du débat initié par le CCN concernant l'opposition à l'alliance électorale avec le PQ. Un débat public et dans les instances de QS qui a duré pratiquement une année. Ce débat a servi à politiser les membres concernant notre projet souverainiste et nous a permis de vivre un exercice de démocratie large. Il a permis également de déjouer les pièges mesquins tendus par Jean-François Lisée qui visaient à neutraliser QS pour emporter la mise et le pouvoir, son objectif n'ayant rien à voir avec la souveraineté.

L'élection des 10 députéEs était le résultat d'une campagne imaginative et qui savait illustrer les principaux enjeux de société tels les soins de santé, les soins dentaires, l'éducation, l'inclusion et le projet d'indépendance. Résultat qui aurait été impossible si QS était tombé dans le piège du PQ et de Lisée. Nous aurions politiquement été associés aux politiques du PQ et nous aurions sombré avec lui. Nous n'aurions jamais fait élire 10 personnes et nous ne serions certainement pas rendus là où nous sommes aujourd'hui. Cette conclusion pourtant évidente est passée pratiquement sous silence, même à l'intérieur des rangs de QS.

L'élection de 2022 et après

Cette campagne a démontré les limites d'une campagne se voulant porteuse de changement social avec par exemple son plan de transport écologique, mais sans plan global de changement de société. QS a omis d'indiquer qu'il mettrait les multinationales à profit afin de financer ses projets. La population laborieuse plus aisée, celle qui a un emploi stable et un fonds de retraite, a eu la nette impression qu'elle était la cible et qu'elle serait la seule à contribuer.

L'indépendance est également disparue de cette campagne. Ce changement de société, socialement et économiquement égalitaire, féministe et inclusif nécessite un combat des idées mais aussi un combat dans la rue, contre les dominants, les corporations et les multinationales. L'indépendance ne peut prendre un sens que si elle se conjugue dans un combat inclusif de toute la population laborieuse du Québec dans cet espoir de justice. On ne peut mener une campagne électorale sans mener ces combats, sinon nous serons pris au piège, celui du pouvoir pour le pouvoir.

L'auteur Bálint Demers apporte une réflexion et des critiques sur cette période concernant entre autres la timidité du caucus solidaire au sujet de l'abolition du serment à la monarchie britannique. Son plan stratégique passe par contre à côté des éléments essentiels à la construction d'un rapport de force et du rassemblement des forces sociales. Sa stratégie se concentre d'abord et presqu'uniquement sur la question de l'unité des partis souverainistes QS et PQ, dans une perspective politique qui fait abstraction des luttes de classe dans le reste du Canada, de l'importance des revendications territoriales et des luttes des populations autochtones et de la réalité des populations racisées et issues de l'immigration.

Il nie l'existence du nationalisme identitaire et va même jusqu'à en changer le nom pour « enjeux symboliques-institutionnels » et associe les positions inclusives de QS concernant la laïcité à un nouveau concept qu'il appelle « la gauche libérale américaine ». Il crée ainsi un effet de brouillard qui vient neutraliser le poids de ce nationalisme. Il prend ainsi à partie les populations racisées en les considérant comme adversaires déjà gagnés au fédéralisme et aux politiques libérales.

Il affirme ainsi que cette politique de QS l'a éloigné du sens commun de la majorité des Québécois et Québécoises sur les enjeux symboliques-institutionnels (laïcité) et conclut que le seul bassin politique pour QS est celui du PQ. Il met de côté toutes les personnes qui rejettent le nationalisme identitaire, ce nationalisme qui est vu et senti comme raciste et repoussant, qui conduit toutes ces populations, racisées ou non, à rejeter le nationalisme et par voie de conséquence l'indépendance.

Le refus de reconnaître la réalité du racisme systémique, contre les personnes noir-e-s, les peuples autochtones, et l'islamophobie, en solidarité avec le positionnement de la CAQ, démontre que le PQ refuse de comprendre les voies de la construction du Québec comme société plurinationale et pluriculturelle.
Sa perspective ne peut donc concevoir cette question politique que de façon binaire. Il classe ainsi ceux et celles qui considèrent la problématique de façon inclusive et égalitaire avec les populations racisées dans le camp du Parti Libéral. Un raccourci mensonger qui rejette l'idée d'une culture politique universalisante. Comme l'a écrit Silvia Federici, « les communs doivent être envisagés comme les résultants d'une diversité d'histoires d'oppression et de luttes dont les différences ne produisent pas de divisions politiques. Les communs sont le produit de la lutte ». [1]

Cela l'entraine également à ignorer le rôle qu'ont joué des personnages comme Jean-François Lisée ou Gilles Duceppe dans la stigmatisation des personnes racisées avec une vision du Québec où la définition est l'intégration aux « valeurs québécoises » comme cela a été le cas avec le débat concernant le port du voile. Comment oublier la campagne à la direction du PQ où Lisée avait affirmé qu'Adil Charkaoui appuyait son principal adversaire dans la course à la chefferie du Parti québécois ? Il avait également fait allusion au fait qu'en Afrique, les AK47 sous les burqas étaient une réalité.
Gilles Duceppe, dirigeant du Bloc québécois, avait utilisé les mêmes préjugés et fait campagne pour que le serment d'allégeance à la reine soit fait à visage découvert. Dans un message publicitaire contre le NPD de Mulcair, le Bloc avait même produit une vidéo dans laquelle une coulée de pétrole se transformait en niqab. [2] Le député Louis Plamondon avait publié une publicité qui portait uniquement sur le port du niqab et dans laquelle il démontrait que le Bloc était le seul parti à être contre.

La Ligue des droits et libertés soulignait dans son Portrait de l'extrême droite au Québec publié en 2019 [3], que le projet de la Charte des valeurs québécoises semblait avoir donné une légitimité politique aux discours identitaires. C'est en effet à partir de 2015 que naissait à travers la province une nouvelle panoplie de groupes nationalistes identitaires, xénophobes et anti-immigration.

L'espace politique de QS

Balint Demers affirme que faire le choix du souverainisme de gauche implique qu'il faille pour QS développer un espace politique commun avec le PQ,. Rien n'est plus faux.

QS traverse cependant une période problématique en termes d'orientation politique et de processus démocratique. Le livre de Catherine Dorion a souligné quelques éléments qui ont permis de lever le voile sur ce processus. L'absence de référence à l'indépendance lors de la campagne électorale de 2022 n'est pas le fruit du hasard. Le processus d'indépendance implique une prise en main de notre économie et de nos ressources. Par exemple, le programme prévoit que « …Québec solidaire préconise de placer l'industrie minière sous contrôle public (participation majoritaire de l'État), incluant au besoin la nationalisation complète. De plus, afin de réaffirmer la souveraineté de l'État et de la collectivité sur le territoire québécois, un gouvernement solidaire élaborera une nouvelle loi sur les mines à la suite d'une consultation populaire. »

La direction de QS n'a pas souligné la nécessité de mettre à contribution les multinationales dans le plan de financement du plan de transport, qui était un élément phare de notre campagne de 2022. Cela a eu pour effet que les mauvaises cibles, la population qui a un fonds de pension et ou une maison, ont senti que c'est uniquement elles qui devraient contribuer à financer nos projets étatiques. Cette mesure a été caractérisée par le terme taxe orange.

S'en prendre aux multinationales représentait probablement un écueil d'un point de vue communicationnel, parce qu'il fallait indiquer comment on les forcerait à se conformer à nos réglementations. Mais notre objectif, s'il n'est qu'électoral, conduira à une adaptation à ce qui est politiquement acceptable. Cette attitude a pour effet également de négliger la construction d'une mobilisation sociale, essentielle au changement de société que nous préconisons.

On voit également un manque important sur la question de l'immigration. Bien que la direction de QS ait proposé le seuil d'immigration le plus élevé et n'adhère pas au discours identitaire, elle reste dans le discours d'adaptation à l'immigration selon nos besoins, particulièrement en main d'œuvre. Cette position évacue la problématique des changements climatiques causés par l'industrialisation et la déforestation, dont les populations du sud global subissent plus fortement les conséquences, ainsi que l'exploitation économique intense par les compagnies multinationales. Au final les populations du sud global ont de moins en moins d'autre choix que celui d'émigrer vers le nord.

Cette question nous interpelle en tant que parti de gauche. Nous ne pouvons trouver de solution dans un cadre uniquement national, qui revient à calculer le taux d'immigration qui nous convient. Il est essentiel de voir cette problématique de façon mondiale et d'en faire une analyse anticapitaliste.

Vers un républicanisme radical

Les membres de Québec solidaire ont opté pour une perspective inclusive et altermondialiste comme en fait foi le programme et les différentes décisions prises en instances nationales.

Affirmer que Québec solidaire et le clivage ouverture/fermeture alimentent le nationalisme conservateur est un déni de la réalité. Les partis qui nourrissent et ont fait du nationalisme leur fonds de commerce, ce sont la Coalition Avenir Québec et le Parti québécois. Affirmer que les raisonnements de PSPP relèveraient non du nationalisme conservateur, mais du républicanisme, à partir de sa critique du multiculturalisme qui empêcherait « la constitution d'une communauté politique de citoyennes et de citoyennes repose sur un nationalisme étroit, qui nie le caractère pluriculturel et plurinational de la société québécoise. » Ce n'est pas un républicanisme radical, c'est un républicanisme d'exclusion.

Le républicanisme que doit développer Québec solidaire est celui d'une république sociale qui remet en question au-delà de la monarchie canadienne, le pouvoir économique des grandes entreprises au nom d'une souveraineté populaire véritable.

Le républicanisme du PQ a toujours été sous-développé. Le PQ, dans son histoire, n'a jamais radicalement remis en question le régime parlementaire d'origine britannique. Il n'a jamais remis en question la réalité du pouvoir politique basée sur la domination d'une minorité possédante. Son radicalisme n'est pas radical et il ne s'inscrit nullement dans une logique de mise en place d'une véritable république sociale.

Si Bálint Demers demande à Québec solidaire d'abandonner des pans entiers de son programme, il ne demande rien au PQ. Il ne demande pas l'abandon de son ralliement au nationalisme conservateur, il ne demande pas de rompre avec sa démagogie anti-immigrant, il ne demande pas d'envisager une démarche de souveraineté populaire.

Le texte de Bálint Demers est une initiative qui permet un débat. Mais son analyse propose en fait une alliance avec un parti qui n'a jamais rompu avec le néolibéralisme et qui est basé sur une conception nationaliste identitaire. L'avenir de la société québécoise est au contraire lié à une perspective inclusive, socialiste et internationaliste. Québec solidaire est le seul parti qui peut mener cette lutte.

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De justesse et d’une grande tristesse…

6 février 2024, par Yvan Perrier — ,
5 syndicats pour, 4 syndicats contre le contenu de l'entente de principe conclue en décembre dernier entre le Conseil du trésor et la FAE. Le tout s'accompagne, dans au moins (…)

5 syndicats pour, 4 syndicats contre le contenu de l'entente de principe conclue en décembre dernier entre le Conseil du trésor et la FAE. Le tout s'accompagne, dans au moins un syndicat, d'une très faible majorité (50,58% en faveur).

Personne ne peut se satisfaire d'un tel résultat obtenu de justesse. Au mieux, nous pouvons rêver à de nouveaux pourparlers à venir entre le ministère de l'Éducation et la FAE en vue de trouver des solutions adéquates aux problèmes les plus criants qui étaient au cœur de la présente négociation. Au pire, les enseignant.e.s de la FAE et les élèves auront à vivre, d'ici au moins le 31 mars 2028, avec les solutions, dans une certaine mesure, bancales négociées entre les deux parties et ne l'oublions pas solutions quand même recommandées aux enseignant.e.s pour adoption par l'instance fédérative de négociation de la FAE.

L'étape de la rédaction du « clause à clause »

La double condition (unités et mandats) étant maintenant satisfaite, la prochaine étape entre les parties négociantes consistera à consigner par écrit dans la convention collective les modifications à y introduire dans ce qu'il est convenu d'appeler, dans le jargon des relations de travail, « la rédaction du clause à clause ». Un exercice parfois long, pénible et laborieux. Là où il n'y aura aucune ambiguïté, réside en ceci : le contenu de l'entente prévoit, pour certains enseignant.e.s des gains salariaux importants et pour d'autres ce sera le moule uniformisateur du 17,4% (sur cinq ans) plus un potentiel d'ajustement, pour toutes et tous, de 3% face à l'inflation[1] (pour les trois dernières années en raison d'un maximum de 1% par année). Sur cet aspect de la réalité, pour les gestionnaires du monde scolaire, les choses seront faciles à mettre en application. Pour le reste, certaines « solutions » (sic) imaginées durant la négociation n'iront pas de soi.

Le défi de garder et d'attirer le personnel enseignant demeure entier

Avec un tel résultat mitigé en faveur de l'entente de principe force est de constater qu'un des enjeux principaux de la présente ronde de négociation – la composition de la classe – ne semble pas avoir été bien compris par le gouvernement. La solution de l'État patron (une prime là où il n'y aura aucune ressource professionnelle digne de ce nom) apparaît à sa face même comme une mesure inappropriée. Donner plus de fric, jusqu'à 8000$ par année, cela permettra-t-il réellement de répondre adéquatement aux besoins des élèves ? Cela permettra-t-il de retenir le personnel expérimenté ou d'attirer de nouvelles et de nouveaux enseignant.e.s ? C'est ce que nous serons en mesure de vérifier au cours de prochains mois et des prochaines années. En ce sens, le défi de garder et d'attirer le personnel enseignant, dans le réseau d'enseignement public de certains centres de services scolaires du Québec, demeure entier. Par conséquent, le défi d'offrir un enseignement élémentaire et secondaire de qualité à toutes et à tous, dans certaines écoles, reste également entier.

Une leçon possible à retenir de la présente négociation

Nous avons pu entendre au cours des dernières semaines certaines et certains ex-leaders syndicaux nous dire qu'une négociation ne permettait pas de régler la totalité des problèmes. C'est vrai. Mais diantre, à quoi peut bien servir une négociation quand celle-ci a pour effet de s'ajouter à d'autres rondes précédentes qui ont contribué à pelleter par en avant des problèmes ? Qui a la responsabilité de la gestion de la chose commune et de l'intérêt général dans notre société ? Qui doit trouver les conseillères et les conseillers capables de dégager des orientations susceptibles de résoudre nos problèmes sociaux et éducatifs ? Le gouvernement et ses différents ministères ou les syndicats ? Un gouvernement qui refuse d'écouter et de négocier sur la base des revendications des personnes à qui il confie la responsabilité de dispenser sur une base quotidienne des services jugés essentiels dans notre société est un gouvernement qui regarde ses salarié.e.s de haut. La présente ronde de négociation a été profitable, dans une certaine mesure pour les enseignant.e.s qui font, dans certains cas, des gains salariaux importants, mais elle a aussi permis au gouvernement d'imposer, dans un cadre négocié, sa solution, partiellement modifiée du côté de la FAE, à l'aide à la classe. Il n'est pas certain, selon nous, que toutes les écoles élémentaires et secondaires du Québec sortent gagnantes de la présente ronde de négociation.

La vision du gouvernement Legault

Pour le moment il est permis de dire que la vision de l'éducation élémentaire et secondaire et les pseudoréponses apportées aux problèmes qui la confrontent qui vont primer dans certaines régions au Québec (Montréal, Québec, Laval, Laurentides, Outaouais et Estrie) semblent découler de la vision et des intérêts du gouvernement. Le problème avec le gouvernement Legault est le suivant : il ne parvient pas à saisir ce à quoi correspond l'intérêt général de la population et il est incapable d'accepter de mettre en place des mesures ou des correctifs qui s'attaquent à la complexité de certains problèmes. De plus, il fait la sourde oreille à plusieurs solutions qui viennent de la base. Résultat : avec son approche qui réside dans plus d'argent à distribuer auprès de certain.e.s salarié.e.s, il laisse les services publics se dégrader et il s'imagine qu'avec ses primes il va attirer des personnes au travail sans leur offrir des conditions de travail digne de ce nom.


Pour conclure

Il n'est pas exagéré de dire que la situation dans certaines écoles publiques est catastrophique et le manque de ressources professionnelles compétentes est criant. La présente négociation était une occasion de s'attaquer à ces fameux problèmes de la charge de travail, d'attraction et de rétention des enseignant.e.s et également d'innover en ouvrant des postes à des ressources professionnelles d'accompagnement qualifiées. Nous verrons dans le temps ce que donnera l'aide à la classe, l'amélioration de l'échelle salariale pour les enseignant.e.s en début de carrière et les primes. À première vue, à la lumière des résultats obtenus chez les membres de la FAE, ce qui a été négocié ne semble pas suffisant pour relancer dans la voie de la réussite des élèves de certaines écoles publiques. C'est donc de justesse et avec une grande tristesse que semble se conclure, du côté de la FAE, la ronde de négociation 2023 avec le gouvernement Legault.

Après la signature de la nouvelle convention collective viendra l'heure du bilan de la négociation et qui sait l'heure des décisions à prendre en lien avec l'avenir professionnel de certaines personnes actives dans les structures syndicales et dans leur profession. Resteront-elles ou resteront-ils en place ou iront-elles et iront-ils ailleurs ? La décision leur appartient. À l'issue du processus qui s'est échelonné sur un peu plus de quatorze mois et d'un affrontement ouvert qui a duré 22 jours, il n'y a pas lieu de conclure ici à une grande victoire syndicale. C'est d'une tristesse à la fois pour certain.e.s enseignant.e.s de l'école publique et également pour leur organisation syndicale.

Yvan Perrier

4 février 2024

11h10

yvan_perrier@hotmail.com

1. La nouvelle convention collective des enseignant.e.s prévoit une bonification moyenne de 4% de leur échelon salarial.

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Les TJC lancent la campagne « Sortons le gaz de nos lieux de travail »

6 février 2024, par Marc Bonhomme — , ,
La CAQ a bloqué à double tour l'inclusion de toute clause environnementale dans la convention collective du secteur public malgré l'appui explicite de syndicats de professeurs (…)

La CAQ a bloqué à double tour l'inclusion de toute clause environnementale dans la convention collective du secteur public malgré l'appui explicite de syndicats de professeurs de cégep. Les Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC), qui en avaient fait la proposition, loin de jeter la serviette rapplique en lançant la campagne « Sortons le gaz de nos lieux de travail ». Comme le dit d'entrée de jeu cette campagne :

Le gaz naturel dans les institutions publiques, c'est l'équivalent carbone de plus de 250 000 voitures. TJC vous propose de vous mobiliser pour sortir le gaz fossile - dit “gaz naturel” - de votre milieu de travail. Contactez votre syndicat, téléchargez la trousse de mobilisation, et écrivez-nous pour nous faire part de vos progrès !
Au Québec, les émissions de gaz à effet de serre (GES) des bâtiments représentent 7,1 mégatonnes (Mt) d'équivalents CO2 (en 2020). Le gaz « naturel », mieux appelé gaz fossile, est responsable de 63 % de ces émissions. Dans le milieu industriel, commercial et institutionnel, les émissions de GES liées au chauffage sont évaluées à 4,1 Mt d'équivalents CO2, soit 5,5 % des émissions de GES de la province. Ces émissions sont équivalentes aux émissions annuelles de 1,26 millions de voitures. Au moins 46 000 bâtiments commerciaux et institutionnels doivent encore être décarbonés au Québec alors que le chauffage des bâtiments est reconnu pour être un des secteurs les plus faciles à décarboner.

Un factuel argumentaire percutant et une concrète trousse de mobilisation en 7 étapes

Notons l'argumentaire percutant de la campagne qui dénonce ce gaz naturel composé à « 95 % de méthane […] dont le pouvoir de réchauffement est 81,2 fois plus élevé que celui du CO2 (sur 20 ans) » et qui « provient principalement de terres autochtones non cédées de l'Alberta et de la Colombie-Britannique ». La soi-disant solution biénergie proposée par le duo Hydro-Québec et Énergir génère deux fois plus de gaz à effet de serre (GES) que celle tout électricité mais coûte moins chère à cause de la structure tarifaire actuelle d'Hydro-Québec. « Avec une meilleure isolation des bâtiments, un chauffage électrique fonctionnant avec des thermopompes (3 à 5 fois plus efficaces que les plinthes) et des accumulateurs thermiques, les coûts d'exploitation seraient inférieurs à ceux de la biénergie […] Il existe plusieurs solutions pour [résoudre le problème de l'heure de pointe] notamment l'amélioration de l'efficacité énergétique, le recours aux thermopompes, aux accumulateurs thermiques, à la domotique et à la géothermie. »

« Il est également possible de récupérer les rejets thermiques des industries ou des centres de données […] Pour les nouveaux bâtiments, il faut mettre en place des normes de construction tendant vers des bâtiments à consommation énergétique nette zéro. La Bibliothèque de Varennes, la Maison du développement durable et le Mountain Equipment Coop de Longueil en fournissent de bons exemples. » Quant « gaz naturel renouvelable » (GNR), non seulement est-il pour l'instant « imaginaire », car « le gaz distribué par Énergir est composé à environ 99 % de gaz fossile », mais aussi « [l]a production à grande échelle de GNR peut poser d'autres problèmes écologiques : menaces pour les forêts et leur biodiversité, maintien des élevages industriels, perpétuation du gaspillage alimentaire. Elle pourrait aussi faire concurrence au compostage. »

Pour soutenir l'organisation de la campagne sur les lieux de travail, TJC suggère un mode d'emploi appelé « trousse de mobilisation » contenant un processus de « 7 étapes simples » dans lesquelles s'imbriquent une « proposition de résolution syndicale » et un « exemple de pétition ». On y suggère entre autres d'« entre[r] en contact avec l'association étudiante pour tenter d'obtenir son appui… », l'organisation de kiosques et « une tournée des bureaux, départements et espaces de travail ». On y conseille de monter un dossier concret sur la transformation de la climatisation avec argumentaire à l'appui propagé par le kiosque et le recours aux réseaux sociaux. « Si la position de votre CA semble intenable, envisagez de contacter les médias locaux. » On remarque que le mode d'emploi s'adresse particulièrement aux syndicats de l'enseignement ce qui reflète la composition réellement existante des TJC au stade actuel de son développement.

Un manifeste donnant l'esprit éco syndicaliste et démocratique de cette campagne pragmatique

En complément à la démarche pragmatique et concrète « Sortons le gaz de nos lieux de travail », les TJC se sont dotés d'un manifeste qui, si l'on peut dire, en donne l'esprit :

Nous produisons du jetable. Nous sacrifions des lacs et des forêts. Nous soignons avec des horaires qui nous rendent malades. Nous éduquons une jeunesse que l'on prive d'avenir. Cette contradiction nous brûle. Nous réclamons le droit de « gagner notre vie » sans contribuer à l'effondrement du vivant. On oppose souvent les emplois et l'écologie. Mais ce n'est pas le travail qui s'oppose à ce qui rend la vie humaine possible, ce sont les exigences toujours croissantes de productivité et de profit. […] Ceux qui accumulent le plus ne créent aucune richesse : ils la prennent sans honte en semant la désolation derrière eux. Les peuples autochtones et les personnes les plus précaires, surtout au Sud, sont les premier-ères à en payer le prix. […] Nous revendiquons une organisation du travail qui redonne au vivant autant qu'elle lui prend. Le syndicalisme doit devenir un écosyndicalisme : il doit défendre, bien plus que des salaires et des congés, des conditions de travail qui enrichissent et régénèrent notre milieu de vie. C'est en nous appuyant sur nos syndicats que nous pourrons contrer le ravage. […] Nous avons le pouvoir de sonner l'alarme et de forcer l'arrêt de la machine. […] Les carburants fossiles sont aujourd'hui la principale menace à la préservation de l'humanité, mais aussi de l'ensemble du vivant. Il faut s'en libérer. La crise écologique ne se résoudra pas en achetant une voiture électrique. Ce sont les transports publics qu'il faut déployer partout, c'est le chauffage au gaz qu'il faut détrôner, ce sont nos manières d'habiter, de produire et de manger qu'il faut révolutionner. […] Pour faire face aux catastrophes d'aujourd'hui et de demain, nous avons besoin de services publics forts et de programmes d'aide accessibles. Nous revendiquons une taxation massive de la richesse pour assurer des conditions de vie décentes à tous et toutes. […] Nous en avons soupé des consultations qui supposent notre « acceptabilité sociale ». Nous revendiquons une véritable démocratie politique et économique qui ne s'arrête pas aux portes du parlement et du patronat. […]
Nous sommes les travailleuses et travailleurs pour la justice climatique. Joignez-vous à nous.

Reste la tâche ardue mais emballante d'enraciner cette campagne dans les lieux de travail.

Marc Bonhomme, 3 février 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c

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« C’est trop ! », « Un fardeau ! », « Y a des abus ! » - Québec solidaire, le droit d’asile et l’immigration

6 février 2024, par Camille Popinot — ,
Après avoir méthodiquement coupé le financement des services publics et en chute libre dans les sondages, le gouvernement Legault reprend une recette éculée de la droite la (…)

Après avoir méthodiquement coupé le financement des services publics et en chute libre dans les sondages, le gouvernement Legault reprend une recette éculée de la droite la plus réactionnaire et se lance dans une surenchère xénophobe. Les migrant.es et plus récemment des demandeurs et les demandeuses d'asile en particulier sont systématiquement associé.es à la crise du logement, au débordement des services d'urgence, aux classes d'écoles surchargées, au développement de « groupes criminalisés » etc.

Loin de dénoncer cette instrumentalisation de l'immigration et la persécution des demandeurs d'asile, Québec solidaire, sans vergogne, sans aucune donnée, sans même questionner celles du gouvernement, sans aucun égard pour les obligations internationales du Québec, reprend haut et fort cet argumentaire xénophobe.

« 500 000 travailleurs temporaires », « c'est trop… ce n'est pas raisonnable » affirme ainsi le 25 janvier, le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois . « Le Québec a fait plus que sa part en matière de demandeur d'asile » ; « y a un fardeau.. y a des abus… y a un impact… c'est mathématique…c'est clair, on va se le dire », martèle à son tour, pendant plus de cinq minutes, Guillaume Cliche-Rivard avocat et porte-parole de Québec solidaire en matière d'immigration, lors d'un entretien avec un fervent défenseur des « valeurs québécoises », Mario Dumont, qui opine du chef et boit du petit lait.

Et quelle est la solution de Québec solidaire ? « Notre position n'a pas changé : Québec solidaire réclame depuis longtemps un changement de modèle basé sur des études, et élaboré avec l'appui des expert.es et des groupes » ; tout en affirmant, qu'il ne faut pas dépasser un quota de 80 000 résidant.es permanents par an. Pourquoi ce chiffre ? On ne sait pas.

On sait en revanche que quelques jours plus tard, le 1er février, la Ministre de l'immigration, Christine Fréchette, reconnaissait sur Radio-Canada qu'elle n'avait aucune donnée permettant d'appuyer l'idée d'un quelconque lien entre les demandeurs d'asile et les classes surchargées, par exemple. Dans le même sens, le 5 février, on apprenait que le gouvernement Legault gonflait artificiellement le nombre de demandeurs et demandeuses d'asile au Québec et qu'il n'avait absolument aucune idée de si elles ou ils avaient pu bénéficier de services sociaux du Québec ou si elles ou ils avaient préféré quitter le Québec pour d'autres Provinces, peut-être plus accueillantes.

Pendant ce temps, le Conseil du patronat du Québec, chiffres et études à l'appui quant à lui, relève que « les villes du Québec ayant le plus faible taux d'inoccupation se trouvent en région, là où le pourcentage de population immigrante est le plus bas » et « rappelle que l'immigration est une solution à nos enjeux, et non un obstacle » .

Alors, quand le patronat défend une politique migratoire plus ouverte que le parti qui se prétend le plus à gauche de l'échiquier politique, il semble effectivement plus que temps d'exiger des porte-paroles de Québec solidaire qu'ils fassent des études et qu'ils se renseignent. Cela permettrait peut-être d'éviter qu'ils attribuent sans aucune preuve des responsabilités aux demandeurs et aux demandeuses d'asile et plus largement aux migrant.es dans la crise du logement, dans la surcharge des services publics de santé et d'éducation et surtout qu'ils cessent d'alimenter ce discours xénophobe nauséabond.

A minima, ils pourraient commencer par s'engager à respecter les engagements internationaux et rappeler que les États sont juridiquement tenus d'accueillir les demandeurs et demandeuses d'asile et d'examiner leurs demandes. A minima toujours, ils pourraient revendiquer la résidence permanente à des travailleurs et des travailleuses temporaires éhontément exploité.es, victimes de « discrimination systémique » selon un rapport de 2010 de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) et soumis.es à un programme qualifié en 2023, par un rapporteur des Nations Unies, comme « un terreau pour des formes d'esclavage modernes ».

Après, si un parti de gauche souhaitait développer une politique d'immigration « de gauche », on rappellera que la régularisation des personnes sans statut, la libre circulation, l'ouverture des frontières, la lutte contre la xénophobie et la solidarité internationale ont fait partie, historiquement, des critères pour se revendiquer de gauche.

Camille Popinot

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Un tournant : le Canada et le jugement de la Cour internationale de justice sur un génocide à Gaza

6 février 2024, par Derek Sayer — , ,
Le 26 janvier la Cour internationale de justice a émis un jugement intermédiaire en réponse à la poursuite de l'Afrique du sud contre Israël qui l'accuse de génocide à Gaza. Ce (…)

Le 26 janvier la Cour internationale de justice a émis un jugement intermédiaire en réponse à la poursuite de l'Afrique du sud contre Israël qui l'accuse de génocide à Gaza. Ce jugement exige qu'Israël cesse les attaques militaires contraires à la loi internationale, prenne des mesures immédiates pour que l'aide humanitaire soit distribuée aux civils.es palestiniens.nes de l'enclave.

Derek Sayer, professeur émérite de l'Université d'Alberta et Fellow de la Société royale de Canada
Canadian Dimension, 30 janvier 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Note : Dans ce texte le # suivi d'un nombre correspond aux articles du jugement de la CIJ. L'utilisation du terme UNRWA est choisi plutôt que le nom Français de l'agence en concordance avec cette utilisation courante dans les grands médias. A.C.

En moins de 48 heures le Canada et d'autres « démocraties occidentales » ont cessé leur financement à l'UNRWA, l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés.es de Palestine dans le Proche Orient, l'organisation dont dépend Gaza pour l'aide effective dont elle a besoin.

C'est un tournant dans l'histoire moderne : ce sont bien les auteurs.es des « règles de base de l'ordre international » sorties des cendres de la deuxième guerre mondiale qui leur donnent le coup de grâce, non ses ennemis. On lance les gants et retire les masques.

Le jugement de la CIJ

Trouvant que la « situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza est dans un sérieux risque de détérioration à l'avenir » (#72), la Cour impose à Israël l'application de « six mesures provisoires » afin de « préserver … les droits des Palestiniens.nes de Gaza, qui préviennent des actes de génocides à leur égard et d'autres actes interdits associés » (#59). Le jugement insiste « qu'il y a urgence, dans le sens qu'il existe un réel risque imminent que des préjudices irréparables soient infligés aux droits, que le tribunal le pense plausible avant que sa décision finale ne soit émise » (#74, italiques par l'auteur).

Certaines mesures parmi d'autres :

• « Prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir a) la mort des membres du groupe, b) de causer de sérieux effets sur la santé physique et mentale des membres du groupe, c) de délibérément infliger au groupe des conditions de vie en vue de le mener à sa destruction physique en tout ou en partie, d) d'imposer des mesures pour empêcher les naissances dans le groupe » (#79).

• « S'assurer immédiatement que les forces armées ne commettent aucun des actes ci-haut décrits ». (#79)

• « Prendre immédiatement des mesures effectives pour rendre la distribution urgente des services de base et d'assistance humanitaire pour contrer toutes les circonstances menaçant la vie des Palestiniens.nes de la bande de Gaza ». (#80. Italiques de l'auteur).

Même si la Cour n'a pas les moyens de faire appliquer ces injonctions, elle les impose à tous les pays qui ont accepté sa juridiction, dont Israël et le Canada.

La Cour internationale de justice (CIJ) a été créée en 1946. Elle est le tribunal principal des Nations Unies et la Cour du plus haut niveau au monde pour juger des disputes entre pays. Les mesures (décrites ici) ont été votées à majorité de 16 contre un ou 15 contre deux par les (19) juges de la CIJ qui ont été élus.es par l'Assemblée générale des Nations Unies et son Conseil de sécurité. Plusieurs viennent de pays dont les gouvernements ont soutenu Israël jusqu'à maintenant dans son conflit avec le Hamas dont les États-Unis, l'Allemagne, la France et l'Australie. Des ministres de haut rang du gouvernement israélien ont accusé la CIJ d'antisémitisme ; c'est proprement risible. Malgré que nous nous sommes habitués.es à ce que ceux et celles qui soutiennent Israël, qui ont fait de ce terme une arme, y masquent absolument toutes les critiques à l'État d'Israël et ses agissements à Gaza.

La réponse du Canada au jugement de la CIJ

Le jour même de la publication de ce jugement, la ministre des affaires étrangères du Canada, Mme Mélanie Joly, a répondu au nom du gouvernement par un bref communiqué : « Le Canada soutient le rôle critique de la CIJ dans le règlement pacifique des disputes et son travail pour le maintien des règles de base de l'ordre international. Notre soutien à la CIJ ne veut pas dire que nous acceptons, dans ce cas, les prémices de la cause apportées par l'Afrique du Sud … Le Canada va continuer à soutenir Israël, son droit à l'existence et de se défendre en observance de la loi internationale … le Canada demeure profondément préoccupé par la crise humanitaire à Gaza et les sérieux impacts qu'elle a sur les civils.es palestiniens.nes ».

Ce message contient bien des aspects préoccupants. Le Canada soutient la CIJ ; cela va de soi puisqu'il est sujet à sa juridiction. Il est correct de dire « notre soutien … ne veut pas dire que nous acceptons les prémices de la cause portée par l'Afrique du Sud » jusqu'au moment où la décision finale du tribunal est en faveur de l'Afrique du Sud. Le Canada est obligé de l'appliquer qu'il soit d'accord ou non. La raison pour introduire cette phrase n'est autre que de jeter un doute sur la validité des décisions intérimaires de la CIJ sans remise en cause explicite.

Le communiqué affirme « Qu'Israël a droit à l'existence et à se défendre en respectant la loi internationale » alors que rien ne dit le contraire dans le jugement. Mme Joly nous éloigne de la seule préoccupation de la Cour qui doit établir si Israël commet ou non un génocide à Gaza, et nous centre sur la façon qu'a Israël de présenter ses actions comme des actes de légitime défense. En même temps, le communiqué passe allègrement sur ce que le jugement reconnait comme « plausible » (#54,66,74), soit, que les actes d'Israël aient enfreint la loi internationale et dépassé ce qui est permis par la légitime défense.

En plus, le communiqué insiste pour statuer que « rien ne peut justifier les brutales attaques du Hamas du 7 octobre dont le nombre effarant de pertes de vies, les actes de violences haineux perpétrés sur les personnes attaquées, dont les violences sexuelles ». Il est fort probable que le Hamas ait commis des crimes de guerre haineux le 7 octobre mais, plusieurs des pires mentionnés, dont les violences sexuelles ne sont toujours pas attestées. Mais, encore une fois, ça n'a rien à voir puisque le jugement porte sur Israël et non sur le Hamas ; ce n'était pas lui qui était jugé. C'est typique des gouvernements et des médias occidentaux : ils l'ont répété depuis l'attaque du 7 octobre pour justifier ou éloigner l'attention accordée à la réponse d'Israël par ses actions à Gaza.

Plus important encore, le communiqué de Mme Joly ne fait aucune mention (italiques de l'auteur n.d.t) des mesures provisoires imposées par le tribunal, à part qu'il souligne qu'Israël et le Hamas doivent « faciliter un accès rapide et sans faille aux secours humanitaires pour les civils.es ». Au contraire, on ajoute des conditions à ce à quoi la CIJ oblige Israël, soit d'immédiatement et sans conditions, de mettre en place un « cessez-le-feu durable » durant lequel, « le Hamas doit libérer tous les otages et cesser de faire des civils.es palestiniens.nes des boucliers humains et déposer les armes ». Que la Cour exige « qu'Israël (lui) soumette, dans un mois, un rapport sur toutes les mesures prises pour respecter ces directives » souligne à quel point elle attache de l'importance à l'immédiateté de ces mesures provisoires. (#82).

Même si elle proclame que le Canada soutien le processus de la Cour, en pratique, Mme Joly fait fi de l'aspect contraignant du jugement temporaire qui résulte du processus et des informations sur lesquelles il repose.

Comment cela peut-il être en phase avec le soutien du Canada « aux règles de base sur lesquelles repose l'ordre international » ?

La catastrophe humanitaire à Gaza

Dans son sommaire, la CIJ ne laisse aucun doute sur « la situation catastrophique à Gaza » (#72).

La Cour considère que la population civile de la Bande de Gaza demeure extrêmement vulnérable. Elle rappelle que les opérations militaires qu'Israël a menées après le 7 octobre 2023 ont résulté en fait en des dizaines de milliers de morts et de blessés.es, dans la destruction d'habitations, d'écoles, de centres médicaux et autres infrastructures vitales comme au déplacement massif de personnes … En ce moment, plusieurs Palestiniens.nes de la bande de Gaza n'ont pas d'accès aux plus importants équipements de base : la nourriture, l'eau potable, l'électricité, les soins médicaux essentiels et au chauffage (#70).

Le jugement cite des données des Nations Unies qui montrent qu'entre le 7 octobre et le 26 janvier (courant) 26,083 Palestiniens.nes ont été tués.es par les attaques israéliennes à Gaza. 70% de ces personnes étaient des femmes et des enfants. Des milliers de plus manquent à l'appel et sont probablement sous les débris. Durant la même période, 64,487 personnes ont été blessées et 1 million 700 mille déplacés.es de façon permanente. Plus de 60% des habitations de Gaza ont été détruites ou endommagées de même que 378 installations éducatives, 161 mosquées et 122 ambulances. Seuls 14 des 36 hôpitaux de Gaza n'ont pas été totalement détruits et fonctionnent partiellement.

La CIJ était particulièrement préoccupée par les risques imminents de famine puisqu'Israël poursuit son blocus qui ne laisse passer que très peu d'aide :

93% de la population de Gaza fait face à un niveau critique de famine puisqu'il manque de nourriture de même qu'à un haut niveau de mal nutrition ; c'est sans précédent. Au moins un ménage sur 4 vit dans des conditions catastrophiques : avec la faim dû à un manque extrême de nourriture, a dû vendre ses biens et prendre d'autres mesures extrêmes. La famine, le dénuement et la mort sont évidents (#48).

Depuis ce moment, la situation humanitaire s'est encore aggravée. Le 29 janvier, on dénombrait au moins 26,637 personnes décédées et 65,387 blessées par les attaques Israéliennes sur Gaza depuis le 7 octobre. Des centaines sont probablement morts.es depuis le jugement de la Cour. Le carnage continue sans indications qu'Israël se soumettra aux obligations imposées par la CIJ, soit de cesser la tuerie ou que le Canada lui demandera de le faire.(Italiques de l'auteur n.d.t.)

L'attaque contre l'UNRWA

Le jour même où la CIJ émettait son jugement, le chef de l'UNRWA, M. Philippe Lazzarini, annonçait qu'en réponse aux allégations d'Israël à l'effet que certains.es de ses employés.es auraient participé à l'attaque du Hamas le 7 octobre, il avait : « en vue de protéger les capacités de l'agence à distribuer l'aide humanitaire, pris la décision d'immédiatement mettre fin aux contrats de ces employés.es et lancé une enquête afin d'établir la vérité sans délai ». Le Secrétaire des Nations Unies, M. A. Guterres, a confirmé que 12 de ces employés.es étaient accusés.es par Israël.

Le moment choisi pour cette annonce par Israël, laisse fortement penser qu'il s'agit de sa part d'une manœuvre de diversion pour éloigner les regards du jugement de la CIJ mais aussi, possiblement des conséquences d'un potentiel génocide.

Avec les États-Unis, le Royaume Uni, l'Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon, l'Allemagne, l'Italie et quelques autres pays européens, le Canada a répondu à M. Lazzarini en annonçant la suspension immédiate de son financement à l'agence. Donnons crédit à l'Irlande, l'Écosse, l'Espagne, le Luxembourg et la Norvège pour avoir refusé ce boycott. M. Lazzarini était atterré : « Il est choquant d'apprendre ces suspensions de financement en réaction aux allégations contre un petit nombre de membres de notre personnel. Spécialement, étant donné la décision immédiate de l'UNRWA de mettre fin à leurs contrats et de demander une enquête indépendante et transparente…

L'UNRWA est la première agence humanitaire à Gaza. Elle dessert environ 2 millions de personnes qui en dépendent pour leur survie. Beaucoup ont faim alors que le signal de la famine sonne. L'agence donne des refuges à plus d'un million de personnes, de la nourriture et les soins de santé primaires même lors de la plus haute intensité des hostilités…

Il serait immensément critiquable de sanctionner l'agence et toute la communauté qu'elle dessert à cause d'allégations d'actes criminels commis par quelques individus spécialement en temps de guerre et de crises politiques dans la région ».

21 ONGs, dont Oxfam et Save the Children, on écrit pour dire qu'elles « sont profondément préoccupées et outragées (de voir) quelques-uns des plus importants donateurs s'être unis pour suspendre leur financement à l'UNTWA … (cela) va avoir un impact sur l'assistance vitale pour plus de 2 millions de civils.es, dont la moitié sont des enfants, qui comptent sur son aide à Gaza ».

Leur déclaration conjointe note en plus :

152 membres du personnel de l'UNRWA ont été tués.es. L'UNRWA a vu 145 de ses installations endommagées par les bombardements. Elle est la plus importante agence humanitaire à Gaza et son assistance humanitaire ne peut être remplacée par aucune autre agence qui s'y trouve. Si, ces suspensions ne sont pas retirées, nous feront face à un effondrement total de la réponse humanitaire déjà réduite à Gaza.

Le moment des monstres

Avec ce châtiment barbare imposé à 2,2 millions de déplacés.es Palestiniens.nes désespérés.es qui survivent sous les bombardements incessants d'Israël, à cause d'allégations de crimes commis par une douzaine des employés.es de l'UNRWA qui en comptent 13,000 à Gaza, nous sommes devant une parfaite métaphore de l'obscénité de la guerre.

Selon les données officielles d'Israël, le nombre exact de morts lors de l'attaque du Hamas le 7 octobre, était de : « 695 civils.es israéliens.nes dont 36 enfants, 373 membres des forces de sécurité et 71 étrangers.ères pour un total de 1,139 décès ». Ce nombre comprend 2 bébés. (N'en déplaise aux nombreux reportages à propos d'allégations de « 40 bébés décapités » qui n'ont pas encore été complètement démenties).

Les médias israéliens rapportent qu'un nombre inconnu mais substantiel de ces morts seraient le fait de tirs amis à cause soit des conditions chaotiques du 7 octobre ou de l'application du Protocole Hannibal qui autorise de prendre tous les moyens nécessaires, dont les tirs, pour prévenir la prise d'otages par l'ennemi. À la fois, les témoignages oculaires et les preuves visuelles (les édifices détruits, les véhicules brûlés) suggèrent que plusieurs des morts dans les Kibboutz de Be'eri et au festival de musique Nova, ont été causées par des armes aériennes ou des obus tirés par des tanks que le Hamas ne possède pas. Quelques-unes des pires images (de ce massacre), ont été utilisées par la propagande israélienne.

Nous ne connaîtrons probablement jamais toute la vérité à propos du 7 octobre. Mais la monstrueuse disproportion de la réponse israélienne n'est pas remise en doute. Pour chaque individu tué en Israël le 7 octobre, 23 Palestiniens.nes l'ont été à Gaza ; pour chaque civil.e israélien.ne tué.e le 7 octobre, 77 Palestiniens.nes l'ont été à Gaza. Mais nous vivons au temps des monstres, quand le vieux monde se meurt alors que le nouveau, peine à naître.

Je ne comprends pas quel pourrait être l'intérêt du Canada à s'associer à ce que peuvent, de façon plausible, être des actes génocidaires de la part d'Israël à Gaza. Nous avons refusé de nous associer aux États-Unis dans sa guerre au Vietnam et à la guerre en Irak en 2003. Qu'est-ce qui est si différent en ce moment ? Qu'y a-t-il de si particulier à propos d'Israël qui nous permette de défier la CIJ et d'affaiblir les règles de base de l'ordre international alors que nous devons les protéger ? Nous avons agi autrement lors de causes semblables devant la CIJ, dans les cas du Myanmar et de l'Ukraine.

Je ne prétends pas avoir les réponses (à ces questions). Mais je crains fort qu'elles reposent dans le racisme profond qui accorde implicitement moins de valeur à la vie des Palestiniens.nes, des Arabes et des Musulmans.es qu'à celle des blancs.hes. Le contraste de la réponse du gouvernement Trudeau à la guerre en Ukraine et à celle de Gaza est glaçante. Mais, comme Israël et les États-Unis, le Canada est un colonisateur qui construit sur la dépossession de ses habitants.es indigènes. Quand tombent les masques …..

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Le Parti Québécois et Québec solidaire : des frères ennemis ?

6 février 2024, par Jean-François Delisle — , ,
Dans le texte publié la semaine dernière et intitulé : "Les solidaires à la croisée des chemins", Balint Demers reprend le même vieux thème du lien entre indépendance et (…)

Dans le texte publié la semaine dernière et intitulé : "Les solidaires à la croisée des chemins", Balint Demers reprend le même vieux thème du lien entre indépendance et socialisme démocratique (ou social-démocratie).

Il propose une alliance informelle et ponctuelle, bref un rapprochement entre le Parti québécois et Québec solidaire. Selon lui, seule cette entente sur une base souverainiste et social-démocrate serait susceptible de redonner de la vigueur à Québec solidaire qui formerait une sorte de front commun avec le Parti québécois.

À première vue, cette stratégie est logique et pourrait porter ses fruits. Mais l'auteur prend pour acquis la vérité du virage "social-démocrate et écologique entamé sous Jean-François Lisée puis confirmé et clarifié sous PSPP".

Il n'entre pas dans mes intentions de commenter en détails toutes les propositions et suggestions de Balint Demers. Il me paraît avoir raison sur un certain nombre de critiques comme l'adoption par la direction du parti des thèses de la gauche libérale américaine et son opposition à la loi 21 et se tromper sur d'autres. Je vais plutôt me livrer à une remise en perspective historique de l'évolution du Parti québécois et du Québec solidaire.

Il faut d'abord corriger une erreur de sa part. Contrairement à ce qu'il affirme, le Parti québécois ne s'est pas rallié au néolibéralisme à partir de Lucien Bouchard, premier ministre de 1996 à 2001. L'adhésion du cabinet péquiste à ce courant idéologique et aux politiques sociales restrictives qui en découlent remonte au second et dernier mandat de Lévesque (1981-1985). Elle est donc ancienne. Pour résumer, René Lévesque avait donné le pouvoir aux éléments conservateurs du parti après le scrutin d'avril 1981. Son gouvernement a par conséquent coupé massivement et arbitrairement dans les dépenses publiques pour compenser la baisse des paiements de transfert fédéraux et affronter la récession de 1982-1984. Il s'est mis à tenir un discours néoconservateur pour justifier ce changement de cap dont l'ampleur et la brutalité ont surpris bien des gens. À partir de 1982, il n'a plus défendu la social-démocratie que du bout des lèvres. Il en a résulté une impopularité croissante du gouvernement péquiste. Il a rompu avec ses alliés traditionnels (les centrales syndicales et les groupes communautaires) pour tenter de se rallier le monde des affaires, un vieux rêve de Lévesque et d'une partie de sa garde rapprochée. S'il a bien réussi la première partie de l'opération, la seconde connut un échec monumental.

À la suite de ce qu'on a appelé "le rapatriement de la constitution" en 1982 par le gouvernement libéral fédéral de Pierre-Elliott Trudeau malgré l'opposition du Québec et surtout du marasme économique qui sévissait, Lévesque a du démissionner en 1985 dans le discrédit général. Il avait perdu la confiance de plusieurs de ses députés, qui sentaient leur réélection menacée. Pierre-Marc Johnson l'a remplacé au pied levé, ce qui n'épargna pas la défaite du gouvernement péquiste au scrutin tenu cette année-là. Les libéraux de Robert Bourassa le remplacèrent.

Les gouvernements du Québec qui se sont par la suite succédé ont tous plus ou moins suivi la même voie socio-économique, reprenant les thèmes néolibéraux comme l'avait déjà fait René Lévesque : austérité, équilibre à tout prix des finances publiques, survalorisation du privé dans l'économie, précarisation croissante du marché de l'emploi et j'en passe. Lucien Bouchard n'a fait que continuer dans cette veine.

C'est en réaction contre cette orientation néo-conservatrice que la gauche sociale s'est regroupée pour former d'abord l'Union des forces populaires (l'UFP) en 2002 et ensuite Option citoyenne en 2004. Les deux ont fusionné en 2006 pour donner Québec solidaire.
Ayant participé à la mise sur pied de l'UFP je me souviens que l'objectif premier du parti n'était pas l'indépendance mais une forme de socialisme démocratique. Québec solidaire une fois mis au monde a immédiatement fait sien l'objectif souverainiste. C'est en 2011 que fut intégré un projet d'assemblée constituante, ouvert à toutes les tendances (y compris fédéralistes), qui devait rédiger une constitution pour le Québec, laquelle serait soumise à la population par voie de référendum et qui servirait éventuellement de base de discussion avec Ottawa. Cette décision me semblait plus rassembleuse que l'adoption d'une orientation indépendantiste. En mai 2017, le parti a décidé de ne soumettre à la population qu'un projet indépendantiste (sous l'influence d'Option nationale dont les militants avaient "pacté" l'assemblée qui devait décider de la nature du projet à proposer aux gens).

Mais selon les sondages, une majorité de membres de QS ne sont pas souverainistes, ou du moins n'accordent pas la priorité à cet objectif, ce qui explique les contorsions de sa direction sur ce sujet.

Sur ce plan, le Parti québécois présente l'avantage de la clarté. Par contre, pour ce qui regarde son "virage social-démocrate et écologique", il faut se rappeler qu'il a l'habitude de jouer sur les mots. Il s'est toujours prétendu progressiste tout en justifiant des politiques rétrogrades par les présumés nécessaires sacrifices que travailleurs et travailleuses devaient accepter afin de sauvegarder la capacité de redistribution de l'État... Présentement, sous PSPP, le Parti québécois tente de revamper son image de parti de gauche. Mais dans quelle mesure peut-on prendre ce virage au sérieux ? Ça reste à voir.

Un examen rétrospectif s'impose à ce point de mon exposé au sujet de ce qu'on appelle "la gauche". Il faudrait plutôt parler "des gauches". On en distingue trois au Québec.

1- Une gauche nationaliste, indépendantiste mais dont tous les membres ne sont pas à gauche sur le front social ;
2- Une gauche sociale, surtout syndicale et communautaire mais dont tous ne sont pas indépendantistes ;
3- Une gauche culturelle (artistes, chansonniers, comédiens, etc)..

Fin des années 1960 et début de la décennie suivante, à la faveur de la fièvre souverainiste alors montante, l'ensemble des deux dernières gauches a rejoint le camp souverainiste, non sans esprit critique vis-à-vis de la direction péquiste, ce qui explique les tiraillements qui ont marqué l'histoire de cette formation politique. Mais elles ont fortement contribué à la doter d'un programme très social-démocrate, plus que ne l'aurait souhaité Lévesque. Si celui-ci était un grand réformateur d'État, c'était moins le cas sur le plan social. Là-dessus, il nichait plutôt au centre-droit.

Ces trois gauches ont donc toujours malaisément cohabité au sein du Parti québécois. Notoirement, durant la décennie 1970, la plupart des artistes étaient indépendantistes mais pas forcément péquistes, en dépit du charisme que dégageait René Lévesque.

Au cours de la décennie suivante, ce front souverainiste a éclaté vu le virage à droite imprévu de la direction péquiste. La quasi victoire du OUI à la souveraineté-association lors du référendum d'octobre 1995 n'a pas changé grand chose à cette perte de confiance de plusieurs alliés du Parti québécois. La désillusion de plusieurs militants communautaires et syndicaux à l'endroit du gouvernement péquiste mené par Lucien Bouchard a été le déclencheur du processus qui a mené à la fondation de Québec solidaire. Quant aux artistes, ils se sont peu à peu éloignés de l'idéal indépendantiste et du parti qui l'incarnait, d'autant plus que celui-ci a pratiquement cessé d'en parler après l'arrivée au pouvoir de Lucien Bouchard en 1996. Ancien ministre fédéral dans le cabinet conservateur de Brian Mulroney, il a beaucoup plus traité d'équilibre des finances publiques que d'émancipation nationale...

Donc, les groupes de gauche se sont éloignés du PQ pour l'évident motif d'une confiance trahie à plusieurs reprises par ce dernier. Sous le leadership de Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP), il a recouvré de la force il faut l'admettre, mais même une victoire électorale en 2026 ne constituerait pas le gage de celle du OUI à la souveraineté lors d'un hypothétique troisième référendum.

J'en arrive au coeur de ma démonstration, si je puis m'exprimer ainsi. Contrairement à l'idée courante qui prévaut dans les milieux indépendantistes, souveraineté et progrès social ne vont pas automatiquement de pair.

Tout débat majeur sur l'indépendance reléguerait au second plan celui du type de société que nous voulons. Il s'agit là de deux discussions distinctes. Si une majorité de Québécois et de Québécoises apportait son appui à la souveraineté lors d'un autre référendum, une crise majeure éclaterait nécessairement entre Québec et Ottawa. En effet, Ottawa, le Canada anglais (et indirectement Washington) ont des intérêts énormes à défendre au Québec ; la classe politique et bureaucratique fédérale (francophone comme anglophone), sauf le Bloc québécois bien sûr ne lâcherait pas le morceau facilement. S'ouvrirait alors une longue et cahoteuse période de transition marquée par des négociations corsées entre délégués québécois et fédéraux ; on remarquerait toutes sortes de pressions, de manoeuvres d'intimidation et de chantage d'Ottawa à l'égard de Québec, car l'accession du Québec à la souveraineté signifierait la reconfiguration en profondeur des arrangements constitutionnels, politiques et commerciaux qui encadrent le fonctionnement du Canada ; elle entraînerait aussi son affaiblissement marqué sur la scène internationale. Paul Saint-Pierre Plamondon et Gabriel Nadeau-Dubois (comme avant eux René Lévesque) misent beaucoup sur "l'esprit démocratique" d'Ottawa pour mener à bien, sans trop de secousses, les négociations sur le rapatriement des pouvoirs à Québec. Mais l'importance des enjeux en cause amènerait le gouvernement fédéral à mettre pas mal d'eau dans son "vin démocratique". Il n'est pas certain que ces deux leaders indépendantistes ont l'étoffe nécessaire pour gagner une lutte serrée qui s'annonce intense.

Pour préserver les équilibres budgétaires et financiers élémentaires, un gouvernement indépendantiste quel qu'il soit devrait couper dans les dépenses publiques à un degré encore inégalé. Affirmer cela n'équivaut pas à pratiquer le terrorisme psychologique, mais à regarder la réalité bien en face. Réaliser la souveraineté-association exigerait beaucoup de la part des Québécois et Québécoises.

Certes, un Québec plus ou moins indépendant émergerait de cette difficile période de transition, si la majorité de sa population tenait le coup. À court terme, il serait exsangue sur le plan financier. Les beaux projets de justice redistributive se trouveraient remis à un avenir assez lointain.

Associer étroitement indépendance, justice sociale et protection de l'environnement ne va pas de soi. Il faut cesser de rêver en couleurs.

On peut choisir de mousser l'indépendance, mais comme le disait le défunt Pierre Bourgault : "Le Parti québécois a le devoir de ne rien cacher à la population."

Il est impossible pour un parti politique qui se veut important de ne pas prendre en compte la question nationale. La position de 2011 avancée par Québec solidaire d'une assemblée constituante ouverte à toutes les tendances me semble plus porteuse que son indépendantisme ambigu et hésitant actuel.

Lorsqu'une majorité de membres ne partage pas l'orientation officielle de la direction, des louvoiements de sa part sont inévitables et nuisent à la limpidité de sa démarche. Qui en profite alors ? La Coalition avenir Québec perd beaucoup de membres par les temps qui courent, mais ils rejoignent en grande majorité le Parti québécois. Québec solidaire n'en profite guère, ce qui augure mal pour son avenir. Il devrait demeurer fidèle à sa vocation initiale : réinventer la social-démocratie, sans pour autant balancer ce qu'on nomme la question nationale. Exactement l'inverse de la démarche péquiste actuelle. Ses chances de succès augmenteraient s'il acceptait de corriger des erreurs de parcours comme celles identifiées par Balint Demers. Il serait alors en meilleure posture pour faire des alliances formelles ou informelles avec le Parti québécois. Si la réalisation de la souveraineté constitue la raison d'être du Parti québécois, celle de réinventer la social-démocratie justifie l'existence de Québec solidaire. Si ce dernier décide de s'allier au PQ, dans les conditions actuelles, il n'est pas certain qu'il aurait la force de le tasser. Il serait peut-être réduit au rôle de petit frère de l'aîné souverainiste...

Jean-François Delisle

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Les membres de la coalition Sortons le gaz réclament une approche ambitieuse pour décarboner l’ensemble des bâtiments du Québec

6 février 2024, par Association québécoise des médecins pour l'environnement, Coalition Sortons le gaz !, Greenpeace Canada, Nature Québec — , ,
Des représentant(e)s de la coalition Sortons le gaz ! seront à l'Assemblée nationale aujourd'hui à 15 h afin de présenter leur mémoire dans le cadre des consultations (…)

Des représentant(e)s de la coalition Sortons le gaz ! seront à l'Assemblée nationale aujourd'hui à 15 h afin de présenter leur mémoire dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi n° 41 – Loi édictant la Loi sur la performance environnementale des bâtiments et modifiant diverses dispositions en matière de transition énergétique et de réagir à la volonté du gouvernement d'encadrer le gaz dans les bâtiments. Accueillant favorablement ces propositions, les membres de la coalition ont tout de même plusieurs préoccupations quant au niveau d'ambition énoncé et s'inquiètent des impacts potentiels que pourraient avoir ces mesures sur les nombreuses municipalités engagées dans la décarbonation des bâtiments.

Alors que le gouvernement du Québec vient d'annoncer son intention d'encadrer le gaz dans les bâtiments, la coalition insiste sur l'importance d'inclure tous les bâtiments existants et futurs du parc immobilier du Québec dans sa stratégie de décarbonation, et d'exclure les fausses solutions telles que la biénergie électricité-gaz ou le gaz de source renouvelable (GSR) qui devraient être réservés à certains cas bien précis.

Les membres de la coalition sont aussi d'avis que le ministre doit permettre aux municipalités qui le souhaitent d'adopter des règlements plus ambitieux que la norme nationale qui sera établie en matière de performance environnementale.

« La volonté du gouvernement du Québec d'encadrer le gaz et l'efficacité énergétique des bâtiments est une excellente nouvelle. Toutefois, si l'ambition n'est pas au rendez-vous, si les mauvaises solutions sont retenues ou si le cadre proposé vient annuler ou restreindre les initiatives municipales de décarbonation des bâtiments, le Québec passera à côté de l'objectif », déclare Marie-Noëlle Foschini, coordonnatrice de la coalition.

« Même si le projet de loi 41 présente des avancées intéressantes en matière d'efficacité énergétique, c'est trop peu trop tard. Nous aurions applaudi ce projet de loi il y a 15 ans, alors qu'il faut aujourd'hui aller beaucoup plus loin pour réellement décarboner les bâtiments du Québec. Nous suivrons donc de près l'intention annoncée aujourd'hui par le ministre Charette d'encadrer d'ici peu l'utilisation du gaz dans le secteur des bâtiments », affirme Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec.

« En proposant des demi-mesures, le gouvernement continue de souffler sur les braises de la crise climatique et alimente les événements climatiques extrêmes comme les feux de forêts records de l'an dernier. Le gouvernement doit décarboner beaucoup plus rapidement les bâtiments et abandonner les fausses solutions comme le gaz fossile et le gaz naturel renouvelable au profit de l'efficacité énergétique et des solutions 100% électrique. Les solutions pour réduire la consommation d'énergie et sortir le gaz des bâtiments sont économiquement avantageuses et ont démontré leur efficacité » a déclaré Patrick Bonin responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada

« Décarboner est important pour la réduction des GES, qui ont des impacts sur la santé humaine, et pour la réduction des problèmes de santé relatifs à la qualité de l'air, dans les bâtiments existants et nouveaux. Car les bâtiments et les équipements fonctionnant au gaz ont des effets sur la santé de plus en plus connus et reconnus, et d'autant plus chez les plus vulnérables, comme les enfants (dont le système respiratoire est en développement) et les personnes atteintes de problèmes respiratoires chroniques ou qui peuvent le devenir », souligne Patricia Clermont, coordonnatrice de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME)

Lors des consultations particulières, la coalition sera représentée par Marie-Noëlle Foschini, coordonnatrice de la coalition Sortons le gaz !, Patricia Clermont, coordonnatrice pour l'Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME), Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec, et Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada.

Lien vers le mémoire de la coalition

Le modèle économique de la CAQ ou le refus de s’engager vers une véritable bifurcation écologique

6 février 2024, par Réseau Militant Écologiste de Québec solidaire (RMÉ-QS) — , ,
Le premier ministre François Legault se disait ému en annonçant le plus grand investissement privé dans l'histoire du Québec, celui de la compagnie suédoise Northvolt. Il faut (…)

Le premier ministre François Legault se disait ému en annonçant le plus grand investissement privé dans l'histoire du Québec, celui de la compagnie suédoise Northvolt. Il faut dire que les gouvernements fédéral et québécois lui avaient construit un pont d'or, subventionnant cette entreprise à la hauteur de 7,3 milliards de dollars. Ce n'est qu'un début, nous prévenait Pierre Fitzgibbon. D'autres milliards sont également prévus pour soutenir la filière batteries. [1] Le gouvernement fédéral et celui de l'Ontario ont d'ailleurs déjà offert une subvention de 16,3 milliards de dollars pour favoriser l'installation de la première usine nord-américaine de batteries pour véhicules électriques de Volkswagen en Ontario. [2] .

Le développement de la filière batteries et la hauteur des subventions pour en favoriser la croissance sont l'expression du développement d'un nouveau modèle économique pour le Canada et le Québec reposant sur le renforcement des liens de dépendance avec l'économie américaine. Cette politique économique ne répond en rien à l'urgence de la crise climatique et va directement à l'encontre d'une lutte conséquente contre cette dernière.

Ce modèle se donne comme objectif de satisfaire les besoins en énergie et en composantes de batteries des grandes entreprises américaines, particulièrement les entreprises de l'automobile, pour qu'elles soient en mesure d'affronter la concurrence des entreprises chinoises tant en ce qui a trait à la production de minerais stratégiques qu'à celle des batteries ou des voitures électriques. L'objectif des grands de l'auto, comme GM, Ford, Stellantis et Volkswagen, entre autres, est de convertir le parc des automobiles thermiques en voitures électriques, d'en vendre le maximum, à fort prix, y compris avec l'aide des gouvernements pour ce faire.

Davantage d'extraction minière, davantage de production d'énergie électrique éolienne ou solaire, davantage d'investissements industriels gourmands en ressources minières et énergétiques dans une filière vouée à la transformation du parc automobile, le tout sous le contrôle de multinationales étrangères. Voilà, en somme, le modèle économique que cherche à nous imposer le gouvernement Legault. Ce modèle n'a rien à voir avec les objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES) ni avec ceux de la réduction des dépenses en ressources et en énergie nécessaires pour faire face à la crise climatique.

A. Davantage d'extraction minière avec ses conséquences environnementales désastreuses

Le Québec dispose de minéraux stratégiques (cobalt, coltan, cuivre, graphite, lithium, zinc, nickel) et de terres rares (néodyme, europium, gadolinium, terbium, dysprosium). Depuis quelques mois, facilitée par la Loi des mines qui donne tous les droits aux minières et aux spéculateurs, on a assisté à la prolifération de demandes de claims miniers sur le territoire du Québec . On compte désormais (en 2022) plus de 20 000 titres miniers dans sept régions du sud du Québec, dont 7 674 titres miniers dans trois régions du sud-est du Québec en date de novembre 2022 : Estrie (1 739), Bas-Saint-Laurent (1 242) et Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (4 693). [3] .

Les projets d'exploitation minière grugent les terres agricoles et cela ne fait que commencer à cause de la recherche des minerais stratégiques particulièrement le graphite dans le sud du Québec. La Commission pour la protection des terres agricoles du Québec a accordé 100 % des demandes d'exploration des minières en milieu agricole, 97 % des projets d'infrastructures liés au transport et à la production d'électricité et 99 % des demandes d'implantation des parcs éoliens sur les territoires agricoles. [4]

La multiplication des claims par les minières en territoires citoyens montre que les droits des minières ont préséance sur les plans d'aménagement des territoires des villes et des Municipalités régionales de Comté (MRC). Le développement des mines et des entreprises par les multinationales risque de se faire aux dépens du contrôle citoyen sur ces territoires. Laisser libre cours aux principes dévastateurs du free mining fait aussi courir le risque immense de voir se multiplier les cas de contamination des réserves d'eau potable de ces territoires.

Cette montée d'un extractivisme sans balise vise à répondre aux besoins des entreprises multinationales que le gouvernement Legault cherche à attirer par des subventions qui se comptent maintenant en milliards de dollars.

B. L'augmentation de la production électrique pour répondre aux besoins des entreprises multinationales

Le gouvernement Legault ne vise nullement à réduire les demandes en énergie en priorisant l'efficacité et la sobriété énergétique. Dans une démarche de prophétie autoréalisatrice, il crée la perspective d'une pénurie d'énergie électrique pour répondre à des projets de croissance à tout prix à l'initiative des multinationales. Pour concrétiser cette perspective, l'énoncé de la CAQ est : « Hydro-Québec calcule qu'il faudra 150 à 200 TWh additionnels pour répondre à la demande d'électricité du Québec à l'horizon 2050 » soit deux fois plus d'électricité qu'actuellement. Pour y parvenir, la société d'État entend notamment « tripler la production éolienne » et « ajouter de la capacité de production hydroélectrique », tout en augmentant « la puissance de centrales existantes ainsi qu'en en créant de nouvelles » [5] . Cette approche de croissance à tout prix ne se préoccupe en rien de la diminution des émissions de GES et de la protection des ressources ; les associations patronales exultent.

Mentionnons ici qu'à plus long terme, cette augmentation se fera par la mise en chantier de vastes barrages hydro-électriques comme l'a annoncé à plusieurs reprises le premier ministre Legault. La renégociation avec Terre-Neuve-et-Labrador du contrat de Churchill Falls s'inscrit dans cette même logique des besoins en hydro-électricité. [6]. L'heure est donc dans ce modèle économique au renforcement des capacités de production d'électricité pour satisfaire les besoins des industries de la filière batteries, pour augmenter l'exportation directe de cette énergie pour les multinationales de l'automobile aux États-Unis et pour faire du Québec selon l'expression du premier ministre, la “batterie de l'Amérique du Nord”.

C. Fitzgibbon planifie la privatisation de la production d'énergie et la fin du monopole d'Hydro-Québec

La perspective d'une privatisation totale ou partielle d'Hydro-Québec est dans les plans du ministre de l'Économie et de l'énergie et du PDG d'Hydro-Québec. Cette privatisation ne prendra sans doute pas la forme de la vente d'une partie d'Hydro-Québec aux entreprises privées, mais le secteur privé est appelé à occuper une place de plus en plus importante dans la production de l'électricité. Déjà la production des énergies renouvelables (éoliennes et solaires) qui est appelée à se développer rapidement se fait par des entreprises privées, souvent multinationales. On pouvait lire dans le Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable publié en novembre dernier, cet avertissement : « Nous nous opposons fermement à toute tentative de privatisation d'Hydro-Québec ou de ses actifs. Hydro-Québec est un patrimoine stratégique et doit rester sous contrôle public. Nous rejetons toute forme d'érosion de cette institution, cruciale pour le bien-être collectif, au profit du privé ».

Les syndicats d'Hydro-Québec affiliés au SCFP ont d'ailleurs lancé une campagne publique pour mettre en garde contre toute volonté de privatisation de la société d'État. Le développement de la filière-batteries, soutenu par les gouvernements fédéral et provincial exigera beaucoup d'électricité et le ministre Fitzgibbon, a ouvert la perspective d'autoproduction d'électricité par les entreprises privées dont les surplus pourraient être revendus à Hydro-Québec. La porte est grande ouverte aux projets privés de production et de transports d'électricité, comme celui de TEX, en Mauricie. [7]

Le ministre Fitzgibbon présentera d'ailleurs, dans les prochaines semaines, un projet de loi pour légaliser la vente d'électricité entre compagnies privées. Cela signifie que la production des énergies renouvelables se fera selon la logique de recherche de profits, sans plan d'ensemble. Cela affaiblit le rôle d'Hydro-Québec dans cette production tout en diminuant sa capacité à long terme à fournir des redevances qui permettent au gouvernement du Québec de soutenir ses missions sociales, entre autres, l'accès à une électricité abordable pour tous.

D. Le mépris gouvernemental de la consultation et du pouvoir citoyen

Que ce soit pour la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda, pour l'aluminerie d'Arvida, pour le Port de Québec ou enfin pour l'usine de Northvolt, le gouvernement Legault est plus que conciliant sur les dépassements des normes environnementales par les entreprises. C'est plus de 89 entreprises très polluantes que le gouvernement autorise à déroger à la loi. [8] Il se heurte ainsi, comme l'a montré un sondage Léger d'août 2022, à la population du Québec dont le consentement est exigé à hauteur de 78 % pour toute nouvelle exploitation minière. 75% de la population voudrait interdire tout projet minier dans les zones touristiques et 89% souhaiterait interdire tout rejet des déchets miniers dans les lacs, rivières et milieux écologiques sensibles. La Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine a demandé au gouvernement d'interdire cette pratique, mais le gouvernement est jusqu'ici resté sourd à ses demandes. Le gouvernement de la CAQ va jusqu'à autoriser des méga-projets en dépit des études du BAPE qui en identifient des lacunes. Il va même jusqu'à se passer des études du BAPE.

Le gouvernement du Québec se moque du nécessaire consentement des populations locales qui seront impactées tant par l'exploitation minière que par de grands projets industriels. Il prétend tenir compte des droits des peuples autochtones, mais ce ne sera que leur mobilisation et notre solidarité qui permettront la reconnaissance de leurs droits.

Le gouvernement de la CAQ dit bénéficier de l'oreille des pouvoirs et de la finance et avoir une vision d'hommes d'affaires. C'est pourquoi il refuse de réformer la loi sur les mines, d'écouter les doléances des Nations autochtones et des municipalités et de donner la priorité concernant l'aménagement du territoire au pouvoir citoyen. La mobilisation unitaire contre le projet de loi que doit présenter le ministre Pierre Fitzgibbon sera essentielle pour défendre la majorité populaire contre les intentions prédatrices du capital d'ici et d'ailleurs.

E. La filière batteries, un soutien au tout à l'automobile (thermique ou électrique)

Le premier ministre Legault et son ministre Fitzgibbon font fi de la nécessité de tenir compte des limites de la planète et de veiller à l'économie des ressources et de l'énergie. Ils refusent d'opérer une transformation radicale des formes que prend la mobilité. En 2021, le gouvernement Legault dépensait encore deux fois plus d'argent pour le réseau routier qu'en transport collectif. En 2022, l'argent du PQI pour le transport collectif diminuait encore : « Loin d'atteindre la moitié, les investissements en transport collectif représentent donc 30,4 % des dépenses dans les transports, contre 31 % dans le PQI 2021 et 34 % dans le PQI 2020. » [9]

C'est là la manifestation du refus du gouvernement de sortir du paradigme de l'auto solo comme principal instrument de la mobilité. Ce choix favorise l'étalement urbain et l'effritement des terres agricoles sacrifiées à la construction d'infrastructures routières et de nouveaux quartiers.

Le premier levier au Québec pour limiter la pollution et amoindrir le changement climatique est la limitation des déplacements et l'utilisation en priorité des transports en commun, du vélo et du partage des véhicules. Le passage à l'utilisation des transports en commun implique de rendre le transport public possible, efficace et gratuit. A contrario, la production d'un nouveau parc de voitures électriques par les multinationales de l'automobile vise à produire plus, pour vendre plus et empocher le maximum de profits sans modifier les habitudes de transport. On est loin de la nécessaire réduction du parc automobile comme l'a évoqué le ministre Fitzgibbon. On est en fait engoncé dans une dynamique tout à fait contraire.

F. Un modèle économique qui ne tient aucun compte de l'urgence climatique et de la démocratie citoyenne.

Refuser de remettre en question le free mining et le pillage de nos ressources ; soutenir les multinationales qui veulent faire main-basse sur la production des énergies renouvelables, mettre fin au monopole d'Hydro-Québec sur la production de l'énergie, fermer les yeux et permettre à des entreprises polluantes de ne pas tenir compte des normes environnementales, refuser de donner la priorité au développement des transports publics, refuser de s'engager dans une politique de sobriété tant en ce qui concerne nos ressources et notre énergie, balayer du revers de la main les propositions des citoyens et citoyennes des différentes régions et des institutions qui les représentent, voilà le modèle de développement que veut nous imposer le gouvernement de la CAQ.

Le modèle économique du premier ministre Legault et de son ministre Fitzgibbon ne vise pas à répondre aux besoins de la majorité populaire du Québec. Il cherche à faire du Québec une terre d'investissement profitable pour les multinationales dont la classe dominante d'ici espère recueillir certaines retombées, en reléguant au dernier de ses soucis la nécessité de répondre à la crise climatique qui ne cesse de se manifester de façon toujours plus dramatique.

Québec solidaire s'engage à réduire les émissions de GES « d'au moins 55 % par rapport au niveau de 1990 d'ici 2030, en se rapprochant le plus possible de la cible de 65 % ». Mais il lui reste à élaborer un plan global de bifurcation écologique pour parvenir à cet objectif. Il rejette l'extractivisme et veut en finir avec le « free mining » imposé par la Loi des mines. Mais il ne s'est contenté jusqu'ici à proposer un moratoire sur la ruée vers les claims miniers. Il propose la nationalisation des énergies renouvelables. Mais il serait nécessaire de mener une campagne sur la reprise en mains de nos ressources naturelles, minières et forestières. Il refuse la privatisation de la production de l'énergie. Il donne la priorité aux transports publics et à l'économie d'énergie. Il lui reste à insister sur le fait que l'autosolo même électrique n'est pas une solution à la crise climatique et à montrer l'impasse d'un modèle économique construit autour de la filière batteries. En précisant ses orientations, il sera en mesure de proposer une alternative concrète à la politique anti-écologique du gouvernement Legault.

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Les groupes demandent au gouvernement d’interrompre le projet et de refuser son financement

6 février 2024, par Gilles Provost, Ginette Charbonneau, Ralliement contre la pollution radioactive — , ,
Des groupes de citoyens de l'Ontario et du Québec soutiennent que certains déchets destinés à une gigantesque décharge de déchets radioactifs, près de la rivière des Outaouais, (…)

Des groupes de citoyens de l'Ontario et du Québec soutiennent que certains déchets destinés à une gigantesque décharge de déchets radioactifs, près de la rivière des Outaouais, devraient être enfouis en profondeur.

Ottawa, le 5 février 2024 — Des groupes de citoyens ont lancé un avertissement urgent au sujet des déchets radioactifs qui seraient enfouis dans une gigantesque décharge sur une colline, à 1 km de la rivière des Outaouais en amont d'Ottawa, Gatineau et Montréal. Ces groupes citent des experts dans le domaine du nucléaire qui affirment que certains déchets seront fortement radioactifs pendant des milliers d'années et que nous devons les enfouir en profondeur pour protéger la population.

La Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) a approuvé récemment cette déchargé haute comme un édifice de sept étages, connue sous le nom d'Installation de gestion des déchets près de la surface (IGDPS).

En 2017, le rapport d'un <https:/www.canada.ca/fr/services/e...>'>comité d'experts a mentionné les perceptions selon lesquelles la CCSN est en relation trop étroite avec <https:/concernedcitizens.net/2021/...>'>l'industrie nucléaire et qu'elle promeut des projets qu'elle devrait réglementer.

Si elle était construite, l'IGDPS contiendrait plus d'un million de tonnes de déchets radioactifs et d'autres déchets dangereux résultant de 80 ans d'exploitation des Laboratoires de Chalk River ; cette installation de recherche nucléaire contaminée appartient au <https:/ottawacitizen.com/news/chal...>'>gouvernement fédéral. Des déchets <https:/concernedcitizens.net/2022/...>'>radioactifs commerciaux et provenant d'autres sites du gouvernement fédéral y <https:/concernedcitizens.net/2020/...>'>seront placés.

L'IGDPS est sur le site des Laboratoires nucléaires canadiens (LNC), à 180 km au nord-ouest d'Ottawa, sur la rivière des Outaouais, juste en face de la province de Québec. Des études démontrent que cette décharge de déchets aura des <https:/concernedcitizens.net/2021/...>'>fuites radioactives pendant son exploitation et qu'elle s'effondrera après quelques <https:/concernedcitizens.net/2020/...>'>centaines d'années à cause de l'érosion. Cela contaminera la rivière des Outaouais, source d'eau potable de millions de Canadiens.

Concerned Citizens of Renfrew County and Area, l'Association des propriétaires de chalets d'Old Fort William, le Ralliement contre la pollution radioactive et le Regroupement pour la surveillance du nucléaire figurent parmi les nombreux organismes qui critiquent depuis 2016 la conception de cette décharge géante de déchets radioactifs. Selon eux, l'information est trop vague concernant les déchets destinés à l'IGDPS même si la Commission de sureté nucléaire et les Laboratoires nucléaires canadiens ont affirmé à plusieurs reprises que seulement des déchets radioactifs de faible activité y seront placés.

" Les installations de gestion des déchets près de la surface ne conviennent pas aux déchets radioactifs de moyenne activité qu'on voulait y mettre au début, "déclare Ginette Charbonneau du Ralliement contre la pollution radioactive. " À la suite des protestations du public, les promoteurs du projet disent maintenant que l'IGDPS n'acceptera que des déchets de faible activité. Malheureusement, ce n'est pas crédible. Il est très difficile de séparer des déchets de faible activité et de moyenne activité qui ont été stockés ensemble dans des colis non marqués. Il est donc inévitable qu'il y ait encore des déchets de moyenne activité dans cette décharge en surface. C'est très dangereux ".

Johanna Echlin de l'Association des propriétaires de chalets d'Old Fort William (Québec) mentionne que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) est l'organisme responsable de la sûreté et de la sécurité nucléaires au niveau mondial. Selon l'AIEA, les <https:/concernedcitizens.net/2022/...>'>déchets hérités par les Laboratoires de Chalk River sont de "moyenne activité " et ils devraient être enfouis à des dizaines ou des centaines de mètres sous terre.

Les groupes de citoyens citent également les déclarations de James R. Walker (Ph.D), un ancien cadre supérieur responsable des déchets radioactifs hérités des Laboratoires de Chalk River. M. Walker énonce clairement dans ses commentaires à<https:/concernedcitizens.net/2019/...>'>la CCSN que certains déchets destinés à l'IGDPS sont des " déchets de moyenne activité " qui nécessitent plutôt un stockage souterrain. Il affirme que la décharge serait dangereusement radioactive pendant des milliers d'années et que les radiations provenant de l'installation dépasseraient les niveaux autorisés.

" Le Cabinet et le Parlement ont le pouvoir et le devoir de renverser cette décision le plus tôt possible ", déclare Lynn Jones de Concerned Citizens of Renfrew County and Area. " Il est clair que les actionnaires d'Atkins Realis (anciennement SNC-Lavalin), de Fluor et de Jacobs seront les seuls à bénéficier du projet d'IGDPS. Tous les autres n'en tireraient que des problèmes : pollution de la rivière des Outaouais, risques sanitaires accrus, coûts de nettoyage astronomiques et une grande tache noire sur la réputation internationale du Canada ".

Dans une lettre envoyée <https:/concernedcitizens.net/2024/...>'>le 5 février aux élus et aux responsables locaux, les groupes de citoyens demandent au gouvernement canadien de stopper ce projet et de couper son financement. Les études menées par le promoteur lui-même<https:/concernedcitizens.net/2024/...>'>démontrent clairement que les déchets destinés à l'IGDPS sont fortement contaminés par de grandes quantités de substances radioactives de très longue durée de vie provenant des réacteurs nucléaires, expliquent-ils dans leur lettre. Ces déchets pourraient provoquer des cancers, des malformations congénitales et des mutations génétiques chez les populations exposées.

Le Canada devrait s'engager à construire des installations de gestion des déchets radioactifs <https:/concernedcitizens.net/2022/...>'>de classe mondiale, afin de garantir la sécurité des Canadiens et de créer de bons emplois dans l'industrie nucléaire, tout en gérant les déchets de manière sûre pour les générations futures, disent ces groupes de citoyens.

Le coût de la dépollution du site des Laboratoires de Chalk River a été estimé à <https:/concernedcitizens.net/2020/...>'>8 milliards de dollars lorsque le site a été confié au secteur privé par le gouvernement Harper en 2015. Le consortium multinational appelé "Canadian National Energy Alliance "**, dirigé par SNC-Lavalin (aujourd'hui appelé Atkins Realis), a remporté le contrat de plusieurs milliards de dollars pour gérer et nettoyer "rapidement et à moindre coût" le site de Chalk River et d'autres sites fédéraux. Depuis que le consortium a pris le relais, les contribuables canadiens ont vu le coût d'exploitation des Laboratoires nucléaires canadiens (autrefois les Laboratoires de Chalk River) gonfler de 336 millions de dollars par an à plus de 1,5 milliard de dollars par année.

  • **Le consortium connu sous le nom de Canadian National Energy Alliance est composé d'Atkins Realis (anciennement SNC-Lavalin), qui a été radié par la <https:/www.worldbank.org/en/news/p...>'>Banque mondiale pendant 10 anset qui a fait l'objet d'accusations de fraude, de pots-de-vin <https://www.bennettjones.com/layout...>'>et de corruption au Canada. La société texane Fluor Corporation a payé 4 millions de dollars pour mettre fin à des allégations de<https:/www.justice.gov/opa/pr/texa...>'>fraude financièreliées à des travaux de nettoyage de déchets radioactifs sur un site américain ; et la société texane Jacobs Engineering, qui a récemment acquis CH2M, un membre initial du consortium, a accepté de payer 18,5 millions de dollars pour mettre fin à des<https:/www.justice.gov/opa/pr/ch2m...>'>accusations criminelles fédérales sur un site de nettoyage de déchets radioactifs aux États-Unis.

Ginette Charbonneau, physicienne et porte-parole du Ralliement contre la pollution radioactive

Gilles Provost, porte-parole du Ralliement contre la pollution radioactive

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Pour une écologie sociale du capitalisme avancé

6 février 2024, par Eric Pineault — , , ,
Éric Pineault Professeur au Département de sociologie der et membre de l'Institut des sciences de l'environnement tiré de FRACTURES, vol.2 no. 9 | Le Bulletin des membres (…)

Éric Pineault Professeur au Département de sociologie der et membre de l'Institut des sciences de l'environnement

tiré de FRACTURES, vol.2 no. 9 | Le Bulletin des membres de l'IRIS

Quatre-vingt-douze gigatonnes. C'est la quantité de matière qui a été globalement extraite sur la planète en 2o17. Environ la moitié de cette masse (44Gt) était constituée de minéraux non métalliques-sable, gravier, calcaire et autres, dont l'essentiel a été transformé en béton-, une autre partie de ces 44 Gt a servi de remblai et le reste a été dissipé sous forme d'engrais essentiels à l'agriculture industrielle ou bien façonné en pro¬duits de verre jetables (recyclables). La biomasse issue du vivant représente le quart (24 Gt sur 92 G) de l'extraction globale. En tant que flux de matière, elle circule dans les sociétés sous la forme de denrées alimentaires et d'aliments pour animaux, est également brûlée comme combustible ou finalement accu¬mulée dans les bâtiments sous la forme de bois et de ses déri¬vés ligneux. Les combustibles fossiles, qu'ils alimentent des machines ou qu'ils soient transformés en plastiques à usage unique, représentent 15 Gt sur 92. L'extraction mondiale de métaux ajoute 9 Gt de matière à ce flux de masse.

Quatre-vingt-douze gigatonnes en 2o17, certainement plus aujourd'hui en 2023, tandis qu'en 1970, le flux extractif mondial s'élevait à 27 gigatonnes. La masse de matière que les sociétés et leurs économies ont arrachée à la terre et mise en mouvement a été multipliée par 3,4 en un peu moins d'un demi-siècle. Une croissance exponentielle qui est l'incarnation matérielle de l'accumulation capitaliste et de sa croissance éco¬nomique. Pour mettre ces chiffres en perspective, on estime à 118 gigatonnes la quantité de matière fixée par la photosynthèse dans les écosystèmes terrestres grâce à l'énergie du soleil etau travail biologique des plantes. Ces flux massifs rivalisent ainsi en ampleur avec ceux qui assurent l'épanouissement de tous les êtres vivants terrestres de notre planète. Leurs effets négatifs sur les écosystèmes et les grands cycles biogéochimiques de la planète sont tout aussi imposants.

Une fois extraite par les processus économiques, cette matière sera soit accumulée sous la forme de stocks biophy-siques (bâtiments, ouvrages, infrastructures, machines et cossins) ou bien elle fera l'objet d'un usage rapide plus ou moins dissipatif (pensons au sel de déglaçage, aux canettes d'aluminium et aux ustensiles en bambou). Dans tous les cas, la matière extraite se dirige inexorablement vers son point de dissipation final où elle deviendra -à des vitesses distinctes - déchets, résidus ou émissions. Car même la matière accumulée et façonnée en artefacts durables tels que les machines, bâti¬ments, barrages ou autoroutes n'est pas immuable ; elle finira, elle aussi, par se dissiper sous la forme de déchets. Par contre, pendant leur existence, ces stocks durables commandent par leur usage certains flux de matière, et cela renforce encore la dépendance à long terme du processus économique à l'égard de l'extraction et de la dissipation de masse.

Extraction et dissipation sociale sont les interfaces et fron¬tières entre l'économie saisie dans sa matérialité et l'environ-nement naturel. De pan et d'autre de la frontière extractive et dissipative, la nature est réduite à sa fonction de source de matière première ou de puits absorbant les déchets et résidus de la société. Ce sont tout le long de ces frontières qu'émergent les contradictions écologiques des économies capitalistes et de leur croissance.

C'est pour comprendre cette matérialité de l'économie capitaliste, son métabolisme social, que je me suis lancé dans la recherche qui a mené à l'écriture du livre The social ecology of capi¬tal. L'écologie sociale étudie le flux de matière que mobilisent et transforment les sociétés pour assurer leur reproduction maté¬rielle. Par le biais de l'analyse du métabolisme. des sociétés, elle s'intéresse à la composition et au volume de l'extraction de matière, aux conditions écologiques et sociales de l'extraction, aux transformations entropiques que subit cette matière dans le cadre des relations de production et de consommation, aux modalités qui régulent sa dissipation sociale sous la forme de déchets et d'émissions. Du point de vue de l'écologie sociale, l'économie capitaliste repose ainsi sur quatre relations méta-boliques fondamentales. À côté des relations de production et de consommation, qui sont les structures classiques qu'analyse l'économie politique, s'ajoutent les relations sociales d'extrac¬tion et de dissipation, relations métaboliques qui encadrent et déterminent le processus économique du capitalisme et son écologie.

Pour l'écologie sociale, la matérialité du processus économique du capitalisme repose sur quatre moments uccessifs organisés en un flux linéaire : extraction- production - consommation - dissipation.

L'écologie sociale s'intéresse également à la manière dont le capital s'accumule à chacun de ces points et à la façon dont il se fixe dans des artefacts (machines, ouvrages, infrastruc¬tures et bâtiments ayant de longs cycles d'amortissement qui engagent la société dans des flux extractifs et dissipatifs futurs. La dépendance vis-à-vis de l'extraction, de la circulation et de la dissipation de certaines matieres est ainsi capitalisée par les projets d'investissements des grandes entreprises privées. L'accumulation du capital au point d'extraction, par exemple, se traduit en résistance des entreprises d'énergies fossiles à la transition écologique. L'accumulation de capital au point de dissipation, par exemple dans un site d'enfouissement, un incinérateur ou une technologie de capture et de séquestra-tion de CO,, implique la même inertie matérielle. Pourquoi produire et consommer moins alors qu'il faut jeter plus pour rentabiliser ces sites du capital dissipatif ? Pour répondre à cette question, il faut examiner de près la logique économique des grandes entreprises multinationales qui contrôlent l'essentiel des flux biophysiques dans le capitalisme par le biais de stra¬tégies monopolistiques.

Le capitalisme avancé a été théorisé par une longue tradi¬tion d'économistes politiques radicaux. Les hétérodoxes tant marxistes que postkeynésiens le définissent comme un régime d'accumulation basé sur la surconsommation de ce que le capi¬tal surproduit. Dans cette économie, production de masse et consommation de masse sont couplées l'une à l'autre, stabili¬sant le système et soutenant la croissance économique à long terme. L'écologie sociale du capital et le tournant matérialiste écologique qu'elle propose s'appuient sur cette tradition en étudiant les moteurs métaboliques de la croissance et de l'ac¬cumulation ainsi que les conséquences et les contradictions écologiques que cette croissance implique. Elle souligne que s'il y production et consommation de masse, il y a également extraction de masse et dissipation de masse. Le livre se conclut sur la question de savoir comment sortir de l'engrenage de la croissance capitaliste dans lequel la plupart des sociétés sont prises aujourd'hui en examinant les voies alternatives que sont le socialisme et la croissance verte progressive. Il se ter¬mine par un appel à considérer sérieusement la décroissance socialiste comme la seule alternative viable à l'effondrement socioécologique.

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Le dernier conseil fédéral de la FNEEQ et notre deuxième front

6 février 2024, par Kaveh Boveiri — , ,
Si l'on entend fréquemment que le deuxième front (qui va au-delà du salaire et des conditions de travail) est ce qui caractérise la CSN, c'est a fortiori vrai de la Fédération (…)

Si l'on entend fréquemment que le deuxième front (qui va au-delà du salaire et des conditions de travail) est ce qui caractérise la CSN, c'est a fortiori vrai de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN).

Kaveh Boveiri

Étant donné que l'ensemble des membres de cette fédération est l'un des composants principaux (scientifique, social, mais aussi politique) de la société québécoise, on prévoit que les enjeux de ce deuxième front soient considérés dans toutes les réunions, assemblées et conseils de la FNEEQ.

Cette caractéristique peut être également reconnue, sans difficulté, lors du Conseil fédéral de la FNEEQ qui a eu lieu du 31 janvier au 2 février Québec. Les discussions chaleureuses contre la privatisation du système de santé et le gouvernement caquiste, la loi PL15, l'accent donné à la manifestation contre les féminicides, n'en sont que quelques exemples. Dans ce texte, en revanche, nous soulignons quelques éléments relevés de ce conseil concernant le génocide actuel à Gaza.

Tandis que le gouvernement canadien, avec sondoute connu, hésite encore à exprimer une demande de cessez-le-feu, la FNEEQ trouve un tel acte absolument nécessaire.

Le conseil décide de se joindre à plus de 1000 organismes internationaux pour soutenir la demande de l'Afrique du Sud contre les actions d'Israël en reconnaissant ces actes comme un cas du génocide. Le gouvernement canadien n'a pas encore eu le courage d'un tel appui.

Non seulement le conseil apuie-t-il la signature d'une déclaration lancée par les syndicatspalestiniens contre l'apartheid exercé contre les de la part de la FNEEQ, mais il encourage tous ses syndicats affiliés de le faire.

De plus, malgré toutes les menaces que subit le mouvement du « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » (BDS), non seulement la FNEEQ, en tant que membre fondateur de ce mouvement, ne recule pas sur sa position, mais il la réitère et invite tous ses syndicats affiliés à le faire.

Dans tous ces cas, et en gardant son esprit militant contre l'intimidation des membres de la FNEEQ, le Conseil insiste sur la nécessité de trouver une solution pacifique à la situation actuelle en Palestine en général et à Gaza en particulier, une solution qui vise l'autodétermination du peuple palestinien.

Tout cela montre comment un ensemble progressiste de la classe ouvrière se distancie des membres indifférents de la société, des associations moins soucieuses face aux enjeux du deuxième front, mais aussi, et ceci a une importance primordiale, se distingue des politiques des gouvernements québécois et canadien.

Avec cette détermination, nous pouvons espérer témoigner par une participation plus remarquable des membres de la FNEEQ avec son drapeau lors de manifestations pour la Palestine et au-delà de cela.

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Déclaration de Bea Bruske : Les syndicats du Canada dénoncent la PM de l’Alberta qui fait de la politique sur le dos des enfants, jeunes et adultes trans et d’identités de genre diverses

6 février 2024, par Congrès du travail du Canada (CTC) — , ,
Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, a publié la déclaration suivante : « La première ministre Smith de l'Alberta a récemment annoncé une panoplie de (…)

Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, a publié la déclaration suivante : « La première ministre Smith de l'Alberta a récemment annoncé une panoplie de nouvelles mesures qui porteraient atteinte à l'inclusion, au bien-être et à la sécurité de la population albertaine trans et d'identités de genre diverses.

Les élus politiques sont tenus de prendre des décisions fondées sur des preuves et sur la compassion, et les mesures proposées par Smith sont exactement à l'opposé, s'appuyant plutôt sur la désinformation et mettant en danger les enfants trans et queer.

La première ministre Smith se dit « profondément préoccupée » par les enfants et les jeunes trans et d'identités de genre diverses. Mais ses propositions ne sont rien d'autre qu'une tentative cynique de violer les droits de protection de la vie privée et de la sécurité des enfants queer et trans en Alberta.

Nous assistons à une hausse de la violence transphobe légiférée, à savoir, la montée des politiques et des lois dites « droits des parents » au Canada, et nous ne pouvons le tolérer.

Les syndicats du Canada ne peuvent tolérer les tactiques de Smith qui ne règlent pas les questions réelles au détriment des jeunes 2SLGBTQI+. Nous devons donner la priorité à la santé et au bien-être des jeunes 2SLGBTQI+ en rejetant les politiques transphobes.

Cette annonce s'ajoute à une série de décisions du gouvernement Smith qui ont nui aux Albertaines et aux Albertains, et ne fait rien pour régler les véritables crises auxquelles il est confronté. Les choix du gouvernement Smith ont aggravé, par exemple, la crise de l'abordabilité et ont fait grimper l'utilisation des banques alimentaires. Au moment où Smith perd le soutien des Albertains en général et des membres du PCU en particulier, elle s'inspire d'un programme dommageable du Parti conservateur pour essayer de se faire du capital politique.

Avec l'annonce de cette semaine, Smith est maintenant le troisième premier ministre provincial conservateur à utiliser les enfants trans comme pions politiques, et nous ne pouvons le tolérer. Les syndicats du Canada ne resteront pas les bras croisés alors que la première ministre Smith et d'autres leaders conservateurs font de la politique sur le dos des communautés trans et d'identités de genre diverses. Nous continuerons d'unir les travailleuses et travailleurs partout au pays et de travailler en toute solidarité avec les défenseurs de personnes 2SLGBTQI+ pour dénoncer ces politiques discriminatoires.

Nous ne pouvons pas accepter de nos gouvernements qu'ils prennent des décisions unilatéralement afin de faire valoir leurs intérêts ou d'utiliser les enfants comme un outil politique pour détourner l'attention du fait qu'ils ne font pas face aux véritables défis auxquels sont confrontés les travailleuses et travailleurs et leurs familles – comme la crise du coût de la vie. »

Lettre ouverte | Questions tendancieuses en consultation pré-budgétaire

6 février 2024, par Audrey Gosselin Pellerin, Émilie Charbonneau — , ,
Le ministre des Finances a lancé récemment le processus annuel de consultation entourant l'élaboration du prochain budget du Québec. C'est en mars prochain que sera dévoilé le (…)

Le ministre des Finances a lancé récemment le processus annuel de consultation entourant l'élaboration du prochain budget du Québec. C'est en mars prochain que sera dévoilé le fruit du travail du ministre Eric Girard, mais nous pouvons dès maintenant soulever d'importantes inquiétudes sur le processus de consultation lui-même.

Émilie Charbonneau est deuxième vice-présidente de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) ; Audrey Gosselin Pellerin est organisatrice féministe politique du Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec. Elles cosignent 28 autres signataires membres de la Coalition Main rouge.*


Un fait saute aux yeux : le ministre sollicite les avis de ceux et celles qui ont de bonnes chances d'être d'accord avec lui. C'est ce qu'il a fait ces derniers mois en demandant les opinions, sous la forme de mémoires, d'un groupe restreint d'économistes. Parmi eux se trouvent bien entendu d'éminents chercheurs universitaires dont les travaux éclairent avec pertinence l'oeuvre de la planification budgétaire. Cependant, s'y trouvent aussi, de manière fort disproportionnée, des économistes associés à des institutions financières ou à des organismes de recherche dont les biais favorables à celles-ci sont manifestes.

Cela pourrait se comprendre et s'expliquer si, parallèlement, le ministre s'informait auprès de sources plus variées et représentatives, mais ce n'est pas le cas. Il semble se satisfaire d'un portrait partiel, fortement influencé par les intérêts des banques et du monde des affaires, et non d'un dialogue social digne de ce nom.

Par exemple, il est de plus en plus difficile de rencontrer le ministre, ou un membre de son équipe, dans le processus de consultation budgétaire. Aux demandes de rencontres provenant de groupes de la société civile, l'argument du manque de temps, forçant à restreindre la liste des organismes rencontrés pour l'élaboration du budget, arrive de plus en plus souvent, tel un jugement duquel on ne peut faire appel.

Pire, les consultations publiques sont résolument orientées, invariablement, pour confirmer les priorités gouvernementales. Ce n'est pas nouveau, les consultations accessibles sur la page Web du ministère n'ont jamais brillé par leur ouverture aux idées et aux débats. De surcroît, cette année, il n'est même plus possible de sortir du chemin tracé en utilisant, par exemple, une case « autres considérations » afin de faire entendre un son de cloche un brin discordant.

On nous demande, notamment, quelles devraient être les priorités du gouvernement lors du prochain budget. S'ensuivent sept réponses possibles, qui vont toutes dans le sens de ce que le gouvernement affirme déjà vouloir faire. On demande, par exemple, si Québec devrait réduire le fardeau fiscal des Québécois et des Québécoises. Impossible de répondre qu'au contraire, il devrait travailler à augmenter les contributions fiscales des plus riches et des entreprises. On nous offre aussi l'option d'améliorer le potentiel économique du Québec afin de relancer l'économie de manière durable, mais il est impossible de dire au ministre qu'une relance durable passe d'abord par une lutte contre les inégalités. Pourtant, plusieurs mesures fiscales progressives rapporteraient des milliards aux finances publiques…

Si le gouvernement a été élu pour gouverner, il n'a pas été élu pour faire fi des avis discordants aux siens. N'oublions pas que plus de la moitié des électeurs et des électrices n'ont pas voté pour la Coalition avenir Québec (CAQ) qui, pourtant, prétend gouverner en leur nom aujourd'hui. La moindre des choses serait de mettre en place des consultations dignes de ce nom, ne serait-ce que pour que la diversité des idées et des opinions puisse s'exprimer et être prise en compte.

Actuellement, le gouvernement ne se donne même pas la peine d'entendre tout le monde pour ensuite décider. Il écarte, dès le début, ceux et celles qui ne pensent pas comme lui.

*Ont cosigné cette lettre : Réjean Leclerc, président, FSSS-CSN ; Véronique Laflamme, porte-parole, FRAPRU ; Benoît Lacoursière, secrétaire général et trésorier, Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec – CSN ; Stéphanie Vallée, présidente, Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles ; Patricia Chartier, coordonnatrice, Coalition des Tables régionales d'organismes communautaires (CTROC) ; Patrick Bydal, vice-président à la vie politique, Fédération autonome de l'enseignement ; Christian Daigle, président général du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) ; Marie-Line Audet, directrice générale, Table nationale des corporations de développement communautaire (TNCDC) ; Vanessa Massie, présidente de L'R des centres de femmes du Québec ; Claude Vaillancourt, président, Attac-Québec ; Dominique Daigneault, présidente, Conseil central du Montréal métropolitain – CSN ; Marianita Hamel, co-coordonnatrice, Solidarité populaire Estrie ; Mariepier Dufour, directrice générale, Fédération des associations des familles monoparentales et recomposées du Québec ; Maud Provost, organisation communautaire, Réseau d'action des femmes en santé et services sociaux (RAFSSS) ; Steve Baird, organisateur communautaire, Front commun des personnes assistées sociales du Québec ; Marie-Christine Latte, coordonnatrice, Organisation populaire des droits sociaux ; Jean Trudelle, président, Debout pour l'école ; Marie-Andrée Painchaud-Mathieu, coordonnatrice, Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM) ; Louis-Frédéric Verrault-Giroux, agent de mobilisation et de communication, TROVEP de Montréal ; Joanne Blais, directrice, Table de concertation du mouvement des femmes de la Mauricie (TCMFM) ; Marie-Eve Surprenant, coordonnatrice, Table de concertation de Laval en condition féminine ; Élise Landriault-Dupont, co-coordonnatrice aux volets vie associative et vie d'équipe, Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale – RGF-CN ; Karine Verreault, directrice générale, ROC 03 ; Joée Deschênes, agente de concertation, Table de concertation du mouvement des femmes Centre-du-Québec (TCMFCQ) ; Gisèle Dallaire, coordonnatrice de RÉCIF 02 ; Isabelle Thibault, co-coordonnatrice générale, Réseau des femmes des Laurentides ; Joanne Blais, directrice, Table de concertation du mouvement des femmes de la Mauricie (TCMFM) ; Martin Leclerc, représentant sociopolitique, Alliance des professeures et professeurs de Montréal (APPM).

La ruée minière au XXIe siècle : Enquête sur les métaux à l’ère de la transition

6 février 2024, par Editions de la rue Dorion — , ,
Une nouvelle ruée minière d'une ampleur inédite a commencé. Au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, il faudrait produire en vingt ans autant de métaux qu'on en a (…)

Une nouvelle ruée minière d'une ampleur inédite a commencé. Au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, il faudrait produire en vingt ans autant de métaux qu'on en a extrait au cours de toute l'histoire de l'humanité. Ruée sur le cuivre en Andalousie, extraction de cobalt au Maroc, guerre des ressources en Ukraine, cette enquête sur des sites miniers du monde entier révèle l'impasse et l'hypocrisie de cette transition extractiviste.

En analysant la nouvelle géopolitique minière, Celia Izoard met au jour un autre enjeu : répondre aux besoins en métaux colossaux du numérique, de l'aérospatiale ou de l'armement, dans un monde où les industries occidentales rivalisent avec les superpuissances des ressources que sont devenues la Chine et la Russie. Sous la bannière de la « civilisation », du « développement », la mine a joué un rôle structurant dans l'expansion du capitalisme. À l'ère de la « transition », comment dépasser ce régime minier auquel les élites ont suspendu notre destin ?

Celia Izoard est journaliste et philosophe, spécialiste des nouvelles technologies au travers de leurs impacts sociaux et écologiques. Elle est l'autrice de Merci de changer de métier. Lettre aux humains qui robotisent le monde (2021) et coautrice de La machine est ton seigneur et ton maître (2022). Elle a traduit 1984 de George Orwell (2019) et Le livre de la jungle insurgée d'Alpa Shah (2022). Tous ces livres sont publiés aux Éditions de la rue Dorion.

Cet ouvrage est le fruit d'une collaboration avec les Éditions du Seuil et paraît en France dans la collection « Écocène ».

Celia Izoard

344 pages

À paraitre le 5 février 2024

Format 14 x 19 cm

ISBN : 978-2-924834-52-7

Prix : 26.95 $

— - Format e-pub ---

ISBN : 978-2-924834-53-4

Prix : 19.99 $

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Miguel Urbán : « L’extrême droite se radicalise de plus en plus tandis que la gauche devient de plus en plus modérée »

6 février 2024, par Andrés Gil, Miguel Urbán — , ,
Miguel Urbán (Madrid, 1980) est membre du Parlement européen et leader d'Anticapitalistas. Il a participé à la fondation de Podemos il y a dix ans, après des années de (…)

Miguel Urbán (Madrid, 1980) est membre du Parlement européen et leader d'Anticapitalistas. Il a participé à la fondation de Podemos il y a dix ans, après des années de militantisme qui l'ont amené à s'impliquer dans des mobilisations contre des sommets internationaux tels que le G8 à Gênes, lorsque la police italienne a abattu le militant Carlo Giuliani en juillet 2001. Urbán, qui achève son deuxième mandat au Parlement européen, vient de publier Trumpismos (Verso Libros), un ouvrage dans lequel il analyse les différents phénomènes de l'extrême droite dans le monde.

28 janvier 2024 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/miguel-urban-la-extrema-derecha-crece-siendo-cada-vez-mas-radical-mientras-la-izquierda-es-cada-vez-mas-moderada/

On se demande souvent si nous vivons dans les années 1930, en raison de la façon dont les élites politiques et économiques conservatrices ouvrent la voie à l'extrême droite, alors qu'il y a une crise des systèmes libéraux. Dans quelle mesure sommes-nous dans une sorte de République de Weimar ?

Nous avons toujours du mal à penser le présent et l'avenir, et nous cherchons des parallèles. Depuis la crise de 2008 jusqu'à aujourd'hui, il y a eu non seulement une crise économique multidimensionnelle, avec certains éléments similaires à ce qu'a été le krach de 1929, mais aussi l'émergence de l'extrême droite. Et cela amène les gens à se demander si une sorte de réédition du néo-fascisme est possible.

Ces questions, légitimes, montrent l'incapacité de penser l'avenir, et c'est pourquoi nous devons penser en termes de passé. Bien sûr, il y a des parallèles. L'extrême droite actuelle reprend des éléments de mobilisation des passions comme le fascisme de l'entre-deux-guerres, mais ce que j'essaie de défendre dans le livre, c'est que nous ne sommes pas face à une sorte de réédition des fascismes de l'entre-deux-guerres, mais plutôt à quelque chose de nouveau.

Cela ne veut pas dire que c'est moins dangereux ou meilleur, mais que c'est nouveau. Et nous devons partir de ce qu'était l'analyse du fascisme pour analyser l'extrême droite actuelle ; Mais cela devrait être un point de départ et non un point d'arrivée.

Il y a un élément fondamental expliquant la brutalité du fascisme, c'est la Première Guerre mondiale, qui a construit toute une base militante d'ex-combattants, tant en Italie qu'en Allemagne et dans d'autres pays où le fascisme était très fort, comme c'est le cas en France.

Un autre élément fondamental est la montée du mouvement ouvrier. Les années 1920 ont été une période de révoltes, de révolutions. En Allemagne, nous avons l'échec de la révolution spartakiste, avec l'assassinat de Rosa Luxemburg ; nous avons la République hongroise des Soviets ; La révolution russe, bien sûr, qui conditionne que l'État libéral ne puisse pas mettre la classe ouvrière à genoux simplement en s'appuyant sur la coercition de l'État.

Et il y a ce qu'on appelle un État capitaliste d'urgence : les appareils répressifs de l'État ne suffisent pas à mettre fin à la montée du mouvement ouvrier et il faut mobiliser une partie de la population pour écraser les tentatives révolutionnaires.

À ce jour, nous n'avons pas ces révoltes. C'est vrai qu'en 2011, avec le 15 M [1], la Grèce et l'Amérique latine, on a pu voir certains exemples, mais ça ne peut s'identifier à la profondeur, au niveau de rupture des montées ouvrières des années 20 et 30 en Europe.

L'autre élément, c'est la rupture de la petite bourgeoisie, de la classe moyenne, de la classe qui a donné la subjectivité du fascisme dans l'entre-deux-guerres. C'est la classe moyenne, profondément effrayée, qui était surreprésentée. Nous trouvons ce parallèle dans la montée de l'extrême droite d'aujourd'hui et dans la montée du fascisme.

Mais il y a aussi une rupture fondamentale ici, et c'est que le fascisme avait besoin de construire des mécanismes de mobilisation de masse pour écraser la classe ouvrière. L'extrême droite d'aujourd'hui ne construit pas des mouvements de masse, mais des projets électoraux. L'extrême droite d'aujourd'hui n'entre pas dans nos quartiers parce qu'elle a un local, un groupe militant, mais par la télévision, par les téléphones portables.

Notre incapacité à regarder vers l'avenir nous pousse à chercher des parallèles. Il y en a, il y en a, mais il y a suffisamment de différences pour justifier que nous soyons confrontés à un phénomène nouveau dans un contexte évidemment différent.

Ce que l'extrême droite semble être capable de faire, c'est d'attirer les victimes de la mondialisation, du changement climatique. Ils ont une réponse à court terme qui n'est pas une solution au problème.

Comme dans les années 1930, la partie décisive de la mobilisation de cette extrême droite, c'est la classe moyenne, on pourrait dire la petite bourgeoisie. Une classe moyenne qui n'est même pas victime de la mondialisation, les victimes de la mondialisation se trouvent dans les pays du Sud. Il s'agirait d'une classe moyenne effrayée par un scénario d'appauvrissement possible, d'une vie plus difficile.

La situation économique a également été un catalyseur pour 15M.

Mais 15M était plutôt une rupture des promesses qui avaient été théoriquement données. De plus, c'était une question très générationnelle, ce n'était même pas tant l'étudiant universitaire que celui qui avait déjà fini, à qui on avait dit : « Tu étudies, tu as une carrière, tu auras un doctorat et tu auras un travail, une famille et un projet de vie ». Lorsque cette promesse n'est pas tenue, une explosion s'ensuit.

L'extrême droite s'empare de ces peurs qui ne se manifestent pas sous la forme d'une explosion sociale, comme les 15 millions de personnes qui descendent dans la rue, sur les places, qui participent à la politique, mais qui se produisent normalement avec des tremblements de terre électoraux.

Milei en est un magnifique exemple, il façonne l'agitation autour d'une révolte électorale, le vote protestataire. Et puis il ajoute d'autres choses, évidemment.

Contrairement aux fascismes classiques, qui proposent un avenir différent du capitalisme libéral, l'extrême droite ne propose pas un projet d'avenir, elle propose un retour au passé : nous ne sommes pas face à un mouvement révolutionnaire, mais à un mouvement réactionnaire. Pourquoi ? Parce qu'il se connecte très bien avec la crise du néolibéralisme.

Nous sommes incapables de penser à l'avenir. Et c'est la grande défaite de la gauche. Et face à l'incapacité de penser l'avenir, l'extrême droite propose un retour à un passé mythifié et irréalisable. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Et ça, cela débouche sur le négationnisme climatique, sur la promesse de vivre au moins comme nos parents...

Nous ne pouvons pas comprendre l'émergence d'un mouvement mondial comme celui de l'extrême droite sans comprendre que nous sommes confrontés à une crise mondiale du néolibéralisme en tant que tel et à son incapacité à penser l'avenir. Nous avons peur de ce qui nous attend, car la seule certitude que nous avons, c'est que nous allons vivre plus difficilement. Et ce que l'extrême droite vous dit, c'est : on peut revenir en arrière, c'est un projet réactionnaire de retour au passé, face à une crise politique et de gouvernance néolibérale.

Tout comme dans les années 1930, nous assistions à l'éclatement de l'Empire britannique en tant qu'empire hégémonique, nous assistons maintenant à l'éclatement de l'Empire américain en tant qu'empire hégémonique. Quel plus grand retour au passé que de rendre sa grandeur à l'Amérique. [2] ?

Dans le libellé de ce slogan, il est déjà reconnu qu'ils sont maintenant moins grands qu'auparavant.

Dans le moment réactionnaire dans lequel nous nous trouvons, le néolibéralisme a annulé l'avenir, et nous ne pensons qu'en termes de passé. Et cette peur de penser à l'avenir signifie que, pour la première fois, lorsque le prétendu ascenseur social qui n'a jamais existé est brisé, lorsque de plus en plus de capital s'accumule et qu'il y a plus d'inégalités, pour la première fois dans l'histoire, nous ne regardons pas vers le haut, mais vers le bas. Et c'est là que se construit l'extrême droite, à partir de ce regard vers le bas. Il ne s'agit pas de vivre mieux, c'est pas de sombrer, de ne pas d'être comme celui qui est en dessous de nous. Et sur cette peur que l'extrême-drote construit la logique de la guerre entre le dernier et l'avant-dernier, où cette classe moyenne n'aspire plus à être une classe moyenne supérieure, mais à ne pas être une classe ouvrière.

Et la classe ouvrière n'aspire pas à être le migrant qui nettoie les maisons. Et donc on va dans une logique terrible où l'extrême droite arrive à proposer une solution : on va revenir au passé, et s'il y a un problème de pénurie, alors expulsons les secteurs sociaux de la distribution des ressources rares. Et qui est expulsé ? Les secteurs les plus fragiles de la société. Ici, nous expulsons les Africains subsahariens, mais à Londres, ils expulsent les Espagnols, les Polonais, parce que c'est de cela qu'il s'agissait avec le Brexit, contre les Européens qui sont allés travailler à Londres et qui se sont disputé des ressources rares, du travail, des logements, des prestations sociales.

Face à cette logique, la gauche n'apporte pas de réponses. Questionner l'extrême droite, c'est s'interroger sur la nécessité de penser un avenir différent, dans lequel nous gérons la crise écologique, nous gérons la pénurie, où nous pouvons gérer collectivement afin de vivre une vie meilleure.

Oxfam a constaté que si les 99 personnes les plus riches du monde perdaient 99 % de leur richesse, elles seraient toujours les 99 personnes les plus riches du monde. C'est là que le bât blesse. Mais l'extrême droite est profondément fonctionnelle dans ce système néolibéral qui engendre les peurs mêmes auxquelles l'extrême droite est censée répondre. Et il y a l'effet Milei de manière très claire, qui nous fait regarder notre voisin subsaharien avant Amancio Ortega - [3].

Cela me rappelle le décret sur la dignité en Italie, un décret promu par le M5S [4] et approuvé par le gouvernement de coalition avec la Lega de Salvini, qui a été défendu par des gens de gauche dans un débat qui avait à voir avec la gestion de la pénurie. Et il y a aussi l'hypothétique succès que pourrait avoir le nouveau parti rouge-brun en Allemagne.

Le soi-disant mouvement rouge et blrun est le produit des défaites de la gauche. Lorsque vous adhérez au discours d'exclusion de l'extrême droite, vous perdez ou, pire, vous faites partie du problème. Les premiers à utiliser le Manifeste communiste furent les immigrés italiens, espagnols et polonais à Paris. Bien sûr, les premiers qui ont compris l'importance de ce que proposait le Manifeste communiste et ont compris qu'il n'était pas nécessaire d'opposer ceux d'en bas à ceux d'en bas, mais que ceux d'en bas devaient être opposés à ceux d'en haut. Les premiers à comprendre la force internationaliste des prolétaires du monde entier s'ils s'unissent. Il est intéressant de comprendre cette logique de ceux d'en bas contre ceux d'en haut comme antagonisme de classe.
Le bipartisme achète l'agenda politique de l'extrême droite, de la compétition, de la guerre entre le dernier et l'avant-dernier. N'oublions pas les politiques migratoires, par exemple la dernière loi de Macron en France, que Le Pen elle-même a considérée comme une victoire idéologique pour son parti. Une authentique lépénisation des esprits traverse les politiques migratoires de la moitié du monde. Et cela aussi est un produit de la défaite de la gauche. Et puis nous voyons des monstres qui ont commencé comme des rouges-bruns devenir juste des bruns.

Vous avez mentionné Milei à plusieurs reprises. L'autre jour, à Davos, il a prononcé un discours très favorable aux entreprises, au capitalisme, et il a dit que la menace de l'Occident est le socialisme et que tout le monde est collectiviste, sauf le sien.

Milei est une branche de l'anarcho-capitalisme, ce serait la branche des paléolibertariens qui combinent un élément profondément réactionnaire et conservateur que le Parti libertarien américain n'a pas. Et cela lui permet de se connecter avec certains éléments de la droite classique. Massa n'était pas un candidat de gauche, au mieux un candidat de centre-droit. Un politicien du système, tout comme Macri, tout comme Bullrich et le capitalisme argentin ait préféré une personne sans aucune sorte de capacité gouvernementale, une personne totalement imprévisible à une personne prévisible ce qui démontre la radicalisation de la droite.

Nous ne pouvons pas oublier qu'Esperanza Aguirre elle-même a demandé le vote pour lui, qu'Isabel Diaz Ayuso [5] a demandé le vote pour lui, que Mario Rajoy [6] a demandé de voter pour une personne comme Milei, qui parle de vendre vos organes comme un article commercial. C'est la radicalisation de la droite traditionnelle et la capacité de l'extrême droite à fixer l'ordre du jour à l'échelle internationale.

Thatcher a toujours dit que sa plus grande victoire était que Tony Blair ne voulait pas changer sa politique. L'autre jour, alors que Macron faisait passer la loi sur l'immigration la plus sauvage et la plus raciste de l'histoire de France avec les voix de Le Pen, Le Pen a parlé de victoire idéologique.

Nous assistons à une radicalisation de plus en plus grande vers la droite de manière brutale, et que la plus grande attaque contre les droits des réfugiés et des migrants va avoir lieu avec ce nouveau pacte migratoire qui a été approuvé avec la présidence espagnole du Conseil de l'UE, cédant au chantage, par exemple. La décision de Meloni de criminaliser les ONG qui recherchent et veulent sauver des réfugiés en Méditerranée illustre la capacité de l'extrême droite à fixer l'ordre du jour.

Ils construisent un climat politique où il est logique pour eux de gouverner. Y a-t-il eu des histoires au sujet du gouvernement de Meloni ?

Si l'on se reporte aux années 2000, lorsque Haider est arrivé au pouvoir pour la première fois en Autriche, avec le Parti populaire, il y a 11 pays européens qui ont protesté contre l'inclusion d'un parti d'extrême droite dans un gouvernement européen. Certains ont mêmeété jusqu'à protester diplomatiquement contre l'Autriche.

Avons-nous assisté à une sorte de protestation, à une sorte de rougissement pour avoir mis Vox (parti d'extrême-droite en Espagne) dans les gouvernements régionaux municipaux, parce que Meloni gouverne, parce que le PiS a gouverné en Pologne, parce que le parti de Haider, le FPÖ, a de nouveau gouverné avec le Parti populaire, qui est maintenant, soit dit en passant, la force dominante dans les sondages autrichiens ? Aucunr.

Cet élément de radicalisation vers la droite est l'une des grandes victoires de l'extrême droite. Le fait que tout le monde ait adhéré à son programme politique, auquel nous parlions de rouge et de brunisme, même une partie de la gauche s'exprimant dans ses propres termes.

Meloni [7] s'est rendue à Bruxelles dès son entrée en fonction, et Metsola [8] l'a accueillie avec des baisers et des câlins. Ensuite, elle a vu Weber [9] à plusieurs reprises, et il semblait que, puisqu'elle était alignée sur l'OTAN dans le conflit en Ukraine et qu'en même temps elle avait cessé d'avoir ce discours critique avec l'Union européenne, il lui suffisait de s'intégrer dans le tableau.

Peu importe vos politiques racistes tant que vous soutenez géopolitiquement la ligne des élites européennes. Tant que vous acceptez le cadre néolibéral de l'Union européenne, il n'y a pas de problème. En fait, il est curieux qu'après le Brexit, il y ait une vague d'euroscepticisme, mais l'extrême droite n'est plus eurosceptique, elle est euroréformiste. L'extrême droite a compris qu'elle ne voulait pas quitter un club dans lequel elle pouvait gouverner.

Ce que je propose dans le livre, ce n'est pas que l'extrême droite soit née avec Trump, mais que Trump lui donne une nouvelle dimension. La victoire aux États-Unis donne à l'extrême droite un élément de mimétisme, une portée mondiale, mais pas parce qu'elle veut être Trump, mais parce que Trump permet à Bolsonaro d'être Bolsonaro.

C'est là le grand élément du trumpisme, compris non pas comme un mouvement américain, mais comme un courant international dans lequel Ayuso s'inscrirait également dans cette logique trumpiste, où il y a un élément communicatif et discursif, où il y a des schémas communs dans la manière de communiquer autour de la provocation, des fake news, une série d'éléments communs qui construisent l'idiosyncrasie de ce mouvement diversifié qu'est le trumpisme. où il peut y avoir un paléolibertaire comme Milei, un néo-fasciste comme Meloni, un homme d'affaires comme Trump, un évangélique comme Bolsonaro ou un hindou comme Modi.

Le livre tente de faire valoir que nous sommes confrontés à une crise mondiale et à l'émergence d'une vague réactionnaire mondiale. Nous avons abordé la question de l'extrême droite indienne avec Modi. Et ce n'est pas anodin, car nous sommes déjà face au pays le plus peuplé du monde. Nous avons parlé d'Erdogan, de Netanyahou, nous avons parlé de Poutine... Nous parlons d'un certain nombre d'éléments qui sont communs.

Nous sommes dans un climat où la moindre étincelle peut mettre le feu au monde. Comprendre ce monde en flammes, essayer de le comprendre pour essayer de le changer, c'est ce que propose le livre, parce que le livre au final essaie de ne pas tomber simplement dans une logique académique rigoureuse d'analyse du monde, de l'extrême droite et du contexte, mais aussi de proposer des alternatives, de proposer quoi faire à partir de la modestie que ce livre ne va pas donner toutes les réponses.

Il y a une chose dont elle parle, qui a aussi à voir avec la bataille culturelle et la capacité à fixer l'ordre du jour, et comment cette bataille peut aussi être menée à gauche, comme le féminisme, la culture…

Il y a des expériences qui ne sont pas très connues des Espagnols, comme Rock Against Rascism, à l'époque de l'émergence du discours de haine d'extrême droite dans la musique anglaise, qui est liée à l'émergence de partis d'extrême droite très actifs dans les rues à la fin des années 70. Au début des années 80 en Angleterre, ils commençaient aussi à se connecter à une subjectivité de la jeunesse anglaise, ayant même certains succès électoraux locaux. Et comment se construit tout un mouvement culturel et politique qui se connecte à un mouvement antifasciste diversifié, qui construit un mouvement culturel et musical où il n'était plus cool d'être nazi, plus transgressif et alors que cela générait un rejet.

C'est très intéressant ce que les gens de SOS Racisme ont fait plus tard, qui l'ont aussi pratiqué au Portugal et à Toulouse avec Zebda.

Que peut-on faire d'autre pour surmonter ce bon sens de l'extrême droite ?

Nous avons plus de questions que de réponses, mais le premier élément est de bien analyser le phénomène, car cela déterminera nos tâches, et c'est ce que propose ce livre.

Si tout est fascisme, nous ferons des erreurs, nous banaliserons le fascisme. Si Ayuso est un fasciste... ce n'est pas la même chose que Social Home. Ce n'est pas la même chose et ils ne représentent pas la même chose. Et Vox [10] n'est pas la même chose qu'Aube dorée [11], et il ne peut pas être combattu de la même manière. Je ne pense pas que cette utilisation abusive du terme fasciste par la gauche nous apporte quoi que ce soit. Si nous pensions que le fascisme allait gagner dans notre pays, nous devions entrer dans la clandestinité. Une mauvaise analyse nous donne de mauvaises tâches.

Quelle est la solution de la gauche ? La gauche doit commencer à proposer de futures alternatives à la crise climatique, à la crise économique, à la crise du système capitaliste. Nous devons commencer à réfléchir à des alternatives post-capitalistes dans un scénario de crise et d'affrontements inter-impérialistes.

Si nous ne proposons pas d'alternative, une proposition pour l'avenir, il est normal que ce qui l'emporte soit une proposition du passé.

Un autre élément qui me semble fondamental est d'intégrer la logique de la distribution et des biens communs. Bien sûr, si l'on ne remet pas en cause le temple sacré de la propriété, si avec une crise pandémique qui a généré l'une des crises les plus fortes du capitalisme de ces dernières décennies, il n'a pas été possible de remettre en cause le droit de propriété des vaccins qui avaient été produits avec de l'argent public, c'est un signe d'une défaite politique, culturelle et idéologique de la gauche.

Cela ne serait pas arrivé dans les années 70, cela aurait été impossible. Dans les années 2000, Lula lui-même a ouvert des brevets pour, par exemple, lutter contre le sida.

Ou bien on commence à réfléchir à des alternatives écosocialistes à la crise écologique, on entre dans le temple de la propriété et on commence à parler de biens communs, de partage, de travailler moins pour travailler ensemble, de reconstruire les liens de classe et de communauté dans nos quartiers, de reconstruire le tissu social, de syndicalisme sur les lieux de travail, du syndicalisme social dans nos quartiers, ou tout passera par les téléphones portables.

Parce qu'en fin de compte, l'extrême droite s'est construite sur la peur de l'individualité. S'ils veulent que nous soyons seuls, ils devront nous trouver ensemble. C'est un slogan qu'il faut construire. Une grande partie de la victoire qui a marqué le début d'un cycle de contestation dans notre pays découle de cette construction où vous avez été expulsé seul dans votre maison et où vous avez trouvé vos voisins défendant votre maison et votre vie.

Les solidarités de classe et communautaires sont le meilleur antidote au virus de la haine de l'extrême droite, qui fomente la guerre entre le dernier et l'avant-dernier, le désignation des ennemis.

C'est un élément fondamental que d'arrêter de penser aux temps frénétiques d'une politique des médias sociaux pour revenir à un temps de politique humaine, de reconstruction du tissu où il faut comprendre que face à la défaite dans laquelle nous nous trouvons, les raccourcis électoraux ne sont pas valables.

C'est une question qui fait aussi partie de la défaite de la gauche, une gauche avec moins d'ancrage social que jamais, et qui fait confiance à tout pour gagner les élections et co-gouverner avec le Parti socialiste au lieu de commencer à réfléchir à la façon dont nous reconstruisons une société profondément atomisée et détruite et à la façon dont nous nous ancrons dans cette société. Comment s'insérer pour reconstruire un cycle qui remet en question ce qui se passe, qui nous permet de nous remettre de la défaite politique et idéologique dans laquelle nous nous trouvons.

Je dis toujours que nous ne nous sommes pas encore remis de la défaite d'Athènes, de Grèce, qui ne s'est pas encore remise, notamment parce qu'elle n'a pas tiré de leçons. Linera a dit que la gauche ne peut pas se modérer ; que nous ne sommes pas en période de modération et que la gauche doit se radicaliser.

J'ai toujours dit que les deux risques de Podemos étaient de se modérer et de se normaliser. Nous ne pouvons pas nous normaliser, nous ne pouvons pas être une offre électorale de plus du marché néolibéral et nous ne pouvons pas nous modérer et nous devons commencer à comprendre que les majorités sociales ne se construisent plus seulement à partir du centre, mais aussi à partir des marges, à l'extérieur du système.

L'une des grandes lectures de Milei est qu'il n'a pas construit une majorité en se modérant lui-même ou en se déplaçant du centre. C'est tout le contraire. Trump, Bolsonaro, Le Pen... L'extrême droite grandit avec un projet de plus en plus radical et nous devenons de plus en plus modérés ; de plus en plus internationalistes et nous nous devenons de moins en moins internationalistes. Eh bien, peut-être qu'il y a aussi une recette à ce niveau.

23J [12] a été vécu comme un triomphe parce qu'il a évité d'avoir Santiago Abascal [13] comme vice-président du gouvernement, par exemple, dans les urnes.

Le danger est qu'elles se transforment en défaites différées. Le fait que nous considérions 23J comme une victoire est le produit de notre défaite. Si nous ne faisons rien, si nous refaisons la même chose qui nous a permis d'être sur le point de perdre, la prochaine fois, nous perdrons sûrement.

Il y a des victoires qui peuvent être, si vous ne faites rien, des défaites différées. Le Pen a réussi à fixer l'agenda politique et à construire des victoires idéologiques, en étant systématiquement battue par ce front républicain qui a pratiquement fait disparaître la gauche française jusqu'à ce qu'elle soit sortie de la roulette du hamster dans laquelle ils nous avaient mis.

Le seul qui peut bénéficier de cette stratégie est le PSOE. S'il y a quelque chose à faire pour arrêter le fascisme, bien sûr, votons tous pour le PSOE. Pourquoi pas ? Si nous n'expliquons pas que nous ne voulons pas être la béquille sympathique du Parti socialiste, si nous voulons être quelque chose de plus qu'une béquille sympathique du système, ce que nous proposons, c'est que le système nous mène à l'abîme et que nous voulons rompre avec le système.

Si nous n'en parlons pas, ce qui se passe arrivera. En fait, je crois que l'extrême droite grandit aussi parce qu'on a toujours pensé que s'il y avait des troubles, si le capitalisme générait des troubles, bien sûr, qui allait les canaliser ? Et l'extrême droite démontre qu'à l'heure de l'agitation croissante, elle est capable de les gérer et de les canaliser, proposant même d'augmenter et d'accélérer les recettes qui génèrent ces troubles dans une logique de travestissement politique brutal.

L'une des personnes les plus riches des États-Unis se présente comme anti-establishment. C'est ça le trumpisme. Trump ressemble plus à Berlusconi qu'à Mussolini, c'est un fourre-tout.

En parlant de la radicalisation du discours. Nous voyons comment Netanyahou est un exemple, quand il a commencé en politique, il n'était pas sur les positions qu'il occupe maintenant.

Je ne pense pas qu'il ait jamais été pour la perspective des deux États. Et, en fait, le seul politicien sioniste qui a vraiment défendu la logique à deux États a été assassiné. Yitzhak Rabin a été assassiné par son peuple en tant que traître.

Mais ce gouvernement d'Israël est le plus ultra de l'histoire du pays.

Bien sûr, mais ne regardons pas Netanyahou, regardons les 70% de la société israélienne qui soutiennent le gouvernement Netanyahou. Pourquoi le soutiennent-ils ? Et comme plus rien ne scandalise la communauté internationale, parce que la logique était qu'Israël était la seule démocratie du Moyen-Orient et que les autres étaient des sauvages. Cette logique atavique, occidentale et profondément coloniale, quioublie qu'Israël est une colonie européenne au Moyen-Orient.

Cela a été brisé il y a longtemps. Beaucoup de gens ne savent pas qu'Israël n'a pas de constitution, le seul contrepoids qu'il a à l'exécutif est soi-disant la Cour suprême, une Cour suprême qui a été démantelée par Netanyahou lui-même.

Je parle du processus, de la façon dont le soi-disant illibéralisme est la phase la plus élevée du néolibéralisme, et de la façon dont le néolibéralisme a absorbé la démocratie libérale qui est une sorte de Frankenstein autoritaire avec des éléments formels de démocraties libérales, une démocratie où l'on vote, mais où il n'y a pas vraiment de séparation des pouvoirs où toute la logique libérale a été bannie.

Netanyahou est le rêve de l'extrême droite européenne. Il a réussi à construire un État ethnique : en 2018, il a approuvé que seuls les Juifs soient citoyens d'Israël. Personne au monde n'est allé aussi loin. Ni Milei, ni Bolsonaro, ni Trump, ni Orbán. Personne, pas même Poutine. C'est comme si nous décrétions maintenant que seule la religion catholique romaine est espagnole.

C'est ce que propose par exemple l'extrême droite en France avec la question de savoir ce que c'est que d'être français. L'extrême droite vit une névrose identitaire, on le voit aussi en Espagne avec Vox : seuls ceux qui ont une affiliation idéologique politique avec les prétendues valeurs espagnoles sont espagnols. Ainsi, le catalan n'est pas espagnol, mais pas plus que les féministes, les rouges, les migrant-e-s, etc. Une attribution idéologique est recherchée avec l'idée d'hispanité. Tout comme Le Pen remet en question le fait que les gens qui sont en France depuis cinq générations ne sont pas français, ils sont musulmans.

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[1] le mouvement des Indignés en Espagne

[2] le slogan de Trump -make America great again !

[3] riche homme d'affaires espagnol

[4] Le Mouvement 5 étoiles (en italien, Movimento 5 Stelle ou Cinque Stelle, M5S) est un parti politique italien fondé en 2009 par Beppe Grillo et Gianroberto ...

[5] présidente de la communauté de Madrid

[6] du Parti populaire espagnol

[7] Giorgia Meloni, qui avec son parti post-fasciste Fratelli d'Italia a remporté une victoire historique aux législatives italiennes du 25 septembre 2022

[8] Roberta Metsola est la présidente du Parlement européen

[9] Manfred Weber est membre de l'Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU) et est a été élu au Parlement européen en 2004, puis réélu en 2009, 2014 et 2019

[10] parti d'extrême-droite espagnol

[11] parti d'extrême-droite grec, néo-nazi

[12] 23 juillet 2023, date de l'élection législative en Espagne

[13] chef du parti d'extrême droite Vox

Mois de l’histoire des Noirs : une programmation diversifiée et inspirante

6 février 2024, par Centrale des syndicats du Québec (CSQ) — , ,
Depuis 2007, février est officiellement le Mois de l'histoire des Noirs au Québec, un mois pendant lequel on souligne la contribution historique des communautés noires à la (…)

Depuis 2007, février est officiellement le Mois de l'histoire des Noirs au Québec, un mois pendant lequel on souligne la contribution historique des communautés noires à la société québécoise. Une foule d'activités sont organisées pour l'occasion.

Tiré de Ma CSQ cette semaine.

Au Québec, cela fait plus de 30 ans que la Table ronde du Mois de l'histoire des Noirs organise des activités permettant de découvrir la richesse et la diversité des communautés noires.

Le personnel qui travaille en petite enfance, en éducation (du primaire au secondaire, en passant par la formation générale des adultes) ou encore au cégep, peut trouver dans cette riche programmation de quoi l'inspirer pour intégrer cet évènement à sa pratique et ainsi éveiller les tout-petits, les élèves ainsi que les étudiantes et étudiants à des sujets touchant les communautés noires, leurs réussites et les défis qui leur sont propres, encore aujourd'hui.

Découvrez la programmation complète.

Petit historique de ce mois bien spécial

Le Mois de l'histoire des Noirs prend racine dans toute une mouvance de défense des droits civiques aux États-Unis, qui visait à combattre, par la recherche et l'éducation, le racisme et les préjugés de la société. Le rêve de son instigateur, le Dr Carter G. Woodson, était que l'histoire africaine et afro-américaine fasse l'objet d'un enseignement scolaire dans le respect de la diversité et empreint d'une sensibilité à son égard.

Ce noble objectif s'inscrit pile dans la mission et les valeurs de la CSQ !

Carter G. Woodson, père du mois de l’histoire des Noirs

6 février 2024, par Alain Saint Victor — , ,
L'historien afro-américain Carter G. Woodson est considéré comme le père du mois de l'histoire des Noirs. Pour comprendre pourquoi Carter Woodson a eu cette idée, il faut (…)

L'historien afro-américain Carter G. Woodson est considéré comme le père du mois de l'histoire des Noirs. Pour comprendre pourquoi Carter Woodson a eu cette idée, il faut comprendre le contexte historique de l'époque.

L'auteur est historien.

Après la guerre civile aux États-Unis qui a duré 4 ans (1861 à 1865), et qui a fait près de 600 000 morts, l'abolition de l'esclavage est proclamée partout au pays (le 13e amendement). 4 millions d'esclaves étaient devenus libres. La question était de savoir comment intégrer ces esclaves dans la société américaine. Rappelons que plusieurs personnalités politiques dont Lincoln lui-même (dans un premier temps) et organisations ne pensaient pas qu'il était possible d'intégrer les anciens esclaves dans la société.

Mais grâce au 14e amendement ratifié en 1868, ces anciens esclaves étaient devenus citoyens américains. Un programme a été mis sur pied pour les aider économiquement (leur donner une propriété, 40 acres et une mule) et politiquement (le droit de vote, etc.). Ce programme est appelé Reconstruction. Mais après l'assassinat du président Abraham Lincoln en 1865, ce programme a été graduellement démantelé, sous la présidence d'Andrew Johnson, pour finalement disparaître au début des années 1870.

À partir de cette décennie, le pays rentre dans une nouvelle période historique qu'on appelle Jim Crow. C'est une longue période qui dure à peu près 100 ans, au cours de laquelle, les Afro-Américains sont victimes d'un racisme extrêmement violent. Plus de 4 000 Noirs sont assassinés et lynchés. Dans plusieurs États du Sud, on leur enlève le droit de vote. Plusieurs entreprises, commerces, associations, organismes noirs sont détruits, réduisant à néant toute possibilité de fonder une base économique qui aurait pu permettre à la population afro-américaine de devenir prospère.

Dans les écoles, partout aux États-Unis, on apprenait que les Noirs n'avaient pas d'histoire, que les Noirs n'ont rien fait, qu'ils n'ont pas contribué au progrès de la société, etc. Beaucoup de gens pensaient que ces anciens esclaves ne pourront jamais intégrer la société, que ce serait mieux qu'ils retournent en Afrique ou s'installer dans un autre pays (Haïti a été l'un des pays visés. En fait plusieurs Noirs américains s'y sont installés à la fin du 19e siècle).

Carter Woodson est né à cette époque, plus précisément en 1875. Ses parents étaient d'anciens esclaves.

Il fait ses études secondaires à l'école Frederick Douglass. Il entre par la suite à l'université Lincoln et à l'université Chicago. Pour finir, il est admis à l'université Harvard où il décroche un doctorat en histoire (le 2e Noir qui obtient un doctorat dans cette université, après WEB Dubois).

En tant qu'historien, Woodson définit clairement son objectif. Il s'agit de faire connaitre l'histoire des Noirs aux États-Unis. En 1916, il crée une organisation, l'Association pour l'Étude de la Vie et de l'Histoire des Noirs. Il fonde au cours de la même année The Journal of Negro History, connu aujourd'hui (depuis 2001) sous le nom de The Journal of African American History.

En 1926, il propose la deuxième semaine du mois de février comme la semaine de l'histoire des Noirs, en hommage à Frederick Douglass et Abraham Lincoln qui sont nés en février.

En lançant cette idée en 1926, Woodson cherche à faire reconnaître la contribution des Noirs, leur existence en tant que citoyens. Et si l'on considère le contexte social dans lequel vivait l'historien, son idée était vraiment révolutionnaire, et même subversive. À l'époque le racisme biologique était à son apogée, des dizaines de Noirs étaient lynchés et assassinés chaque année, et cela impunément. Le Noir était perçu au mieux comme un sous-homme, au pire comme une bête qu'il fallait traquer et contrôler. Faire connaitre l'histoire d'une contribution sociale quelconque des Noirs était donc impensable à cette époque.

Pourtant, l'idée de Woodson d'observer une semaine pour signaler l'histoire des Noirs fut un succès instantané. Plusieurs organismes, enseignants et progressistes noirs et blancs mirent sur pied des groupes de discussion et essayèrent avec les moyens disponibles d'éduquer les gens sur la contribution historique des Noirs à la société. Les efforts de faire comprendre au public l'importance de cette contribution furent constants et assidus, et après des décennies de lutte, cela a finalement porté fruit. Il a fallu quand même attendre jusqu'en 1976 pour que le gouvernement américain reconnaisse la semaine de l'histoire des Noirs et d'adopter du même coup le mois de février comme le mois de l'histoire des Noirs. Quant au Canada, ce n'est qu'en 2008, grâce à une motion du premier sénateur noir Donald Oliver, que le mois de février fut adopté par le parlement canadien comme mois de l'histoire des Noirs.

Aujourd'hui, certains remettent en question la pertinence d'observer un mois de l'histoire des Noirs. Woodson, lui-même, pensait que l'adoption d'une semaine du mois de février pour souligner l'histoire des Noirs aux États-Unis serait temporaire, le temps nécessaire, que Woodson espérait un temps court, pour que cette histoire fasse partie de l'histoire officielle. Il est vrai que beaucoup de progrès ont été réalisés depuis 1926, mais il reste beaucoup à faire : ici au Canada et au Québec, l'image du perpétuel immigrant collée aux membres de la communauté noire, de l'étranger, même si plusieurs générations ont vu le jour sur le sol canadien et québécois montre qu'il est important de continuer la lutte, la lutte non seulement pour faire connaitre le parcours historique particulier des Noirs au Canada, mais aussi de faire comprendre que cette histoire fait partie, comme l'histoire d'autres communautés ethniques, de l'histoire canadienne et québécoise.

Quelques livres de Woodson (disponibles sur le net) :

The history of the Negro church (1921)

A century of Negro migration (1918)

The Mis-Education of the Negro (1933)

Valérie : « la prostitution fabrique des hommes sans empathie »

6 février 2024, par Valérie Pelletier — , ,
Valérie est Québécoise, militante féministe abolitionniste, chanteuse. À 43 ans, elle est l'exemple incarné de la femme qu'on a détruite et qui s'est relevée ; une femme partie (…)

Valérie est Québécoise, militante féministe abolitionniste, chanteuse. À 43 ans, elle est l'exemple incarné de la femme qu'on a détruite et qui s'est relevée ; une femme partie à la reconquête d'elle-même et qui en sort plus forte ; une personnalité attachante et joyeuse qui clôt ses conférences en chantant.

Choisi, pas choisi ? La prostitution, ce n'est pas une question de choix des femmes ; c'est une question d'aménagement de la sexualité des hommes. Que ce soit bien clair : subir des pénétrations à répétition est une violence. Ce n'est même plus un débat.

Aujourd'hui, je me sers de mon vécu pour comprendre le niveau systémique. Ce qui est intéressant dans mon histoire, c'est en quoi elle rencontre celle des autres.

J'ai été dans la prostitution de 16 à 23 ans. À 16 ans, j'étais dans l'idée du business, du corps outil. Pas besoin d'un gun (revolver – NDLR) sur la tempe pour y rester. J'étais dedans, je n'avais pas d'autre référence, je ne connaissais que les codes de l'industrie du sexe ; et personne n'était là pour me dire que je valais mieux que ça.

Quand j'étais dans les clubs, mon père était mon chauffeur. C'est lui qui m'y amenait. Je trouvais ça cool. Il ne me jugeait pas, il ne me prenait pas d'argent, il était ouvert d'esprit ! En fait, il avait été portier dans un club de danseuses et il était accro à la porno. Il cachait des magazines partout dans la maison, même dans la pièce où je jouais petite fille. Il était voleur, menteur, malhonnête. Il ne m'a jamais touchée mais il m'a fait intégrer tous ces codes. Je le détestais. Il est mort maintenant, c'est une délivrance.

À Montréal, il y a les clubs de danseuses nues où la prostitution s'exerce dans des cabines. Autour, il y a des miroirs partout, on vit dans le regard de l'autre, c'est très dissociant. Et on doit payer pour tout : le service du bar, les amendes, les tenues sexy, les préservatifs. On peut être mise à la porte n'importe quand, pour n'importe quoi. Il n'y a pas de salaire, on n'est pas rémunérée pour le spectacle de danseuse nue ; seulement pour ce qui se passe dans les cabines.

Une illusion de sécurité
La prostitution « indoor », c'est une illusion de sécurité. Ces clubs sont tenus par les mafias et les gangs de bikers qui sont des criminels et des trafiquants. Je me suis retrouvée dans une fusillade un soir. Quand ils voient que la police arrive, les gérants sortent vite des trucs des coffres. C'est le crime organisé, un univers sordide de gens délabrés qui font du blanchiment d'argent et trempent dans les machines à sous.

Ma stratégie de survie a été de ne pas prendre d'alcool ou de drogues. Je vivais en hyper vigilance, je ne buvais que mes bouteilles d'eau cachetée que je recapsulais et que je cachais sous ma chaise. Et comme mon père était dans le circuit, je n'ai pas eu de proxénète.

Je dansais nue, toujours cambrée, en talons hauts (aujourd'hui, je ne mets plus jamais de talons, c'est un acte militant). Face aux clients, je ne ressentais que du dégoût. Mais on ne peut pas se permettre de ressentir ces émotions-là. Pour tenir, il faut tout mettre à distance. J'avais mes rituels : les douches, mon autre nom… Je me suis abîmé le dos et j'ai hérité d'une sciatique qui revient tous les hivers. J'ai encore des douleurs, des migraines chroniques ; et une colite ulcéreuse, maladie inflammatoire auto-immune qu'ont beaucoup de survivantes.

À cause de mon psycho-traumatisme, des années après ma sortie, je me suis mise à prendre du cannabis tous les soirs. Je me sentais bien avec mais j'ai arrêté parce que je devenais passive. Du coup, les cauchemars sont revenus, ces labyrinthes où un prédateur me poursuit ; vingt ans après, je reste encore hantée pendant mon sommeil, c'est épuisant.

La prostitution, c'est dégradant ; dans une ruelle comme dans des draps en satin. On est un réceptacle dans lequel des hommes se vident. On est en risque d'être tuée ; bien plus que les policiers, les pompiers et les militaires. La pornographie, c'est pareil, cette prostitution filmée revendue un nombre infini de fois et qui formate les jeunes femmes pour leur dire ce qu'on attend d'elles : c'est l'érotisation de l'avilissement et des rapports de pouvoir. Il suffit de lire les forums de clients pour voir comment ils parlent de nous…

C'est quoi consentir dans la prostitution ? L'argent crée un biais ; le type te fait mal, tu laisses faire pour que ça finisse plus vite. Les prostituées, dont le « travail » est d'être perpétuellement sexuellement harcelables, sont les grandes oubliées de #metoo.

Ce que fabrique la prostitution, filmée ou pas, c'est des hommes stupides, compulsifs et sans empathie. On peut attendre quoi d'hommes qui se voient proposer dans les bordels allemands de participer à des gang bangs et d'acheter des femmes enceintes jusqu'au troisième trimestre ?

Une rupture de la pensée

Pour en sortir, le premier déclic pour moi, c'est quand un homme m'a proposé de l'argent dans ma propre vie, pas dans la prostitution ! Ce moment a fait un clash dans ma tête. Et il y a eu le jour où j'ai dit à mon père que j'avais reçu une bourse pour aller à l'université et que j'avais l'intention de m'inscrire en écologie. Au lieu de s'en réjouir, la seule chose qu'il a trouvée à dire, c'est « comment tu paieras ton loyer ? ». Pour moi, tout a basculé. J'étais bonne à livrer sexuellement aux hommes, pas à faire des études à l'université !

À partir de là, j'ai continué un moment mais le féminisme a orienté mes lectures. Comprendre le système a été guérisseur. J'ai pu identifier ce qui ne m'appartenait pas mais relevait de l'influence de mon père et de la société. Et il y a eu le travail de thérapie, et la question : comment j'ai pu me leurrer à ce point ?

Peu à peu, j'ai effectué une rupture de la pensée ; un changement de paradigme. Avant, je m'en voulais d'avoir accepté tout ça, j'avais honte, je me considérais comme ma propre abuseuse. Maintenant, je suis fière. Je dis la vérité aux gens. S'ils ne m'aiment pas à cause de ça, ils ne me méritent pas. C'est une clarification.

À la réflexion, j'ai découvert que cette industrie m'avait maintenue dans une position de mineure au niveau socio-économique. Mon père, qui a habité pendant 20 ans sur mon palier, gérait mes factures avec mon argent ; en ne m'apprenant pas comment faire, il me gardait sous emprise. Aujourd'hui, il n'y a plus que dans l'industrie du sexe qu'une femme dit à un homme « donne-moi mon argent ».

Je sais que c'est dur pour celles qui défendent l'industrie d'entendre ce que j'ai à dire ; elles qui militent aux côtés de leurs clients pour qu'ils gardent le droit de les acheter ! Elles me détestent, alors que moi j'ai envie de les prendre dans mes bras et de pleurer. Quand j'en entends une se réjouir que son compagnon ne voie pas d'inconvénient à ce qu'elle soit prostituée, je me dis qu'elle va sacrément lui en vouloir le jour où elle va arrêter ! Il me laissait faire ça, et il s'en fichait ? Elle aussi, elle risque de changer de paradigme…

Quand on est dans une réalité, on la défend. Des mineurs aussi ont défendu leur métier malgré l'amiante. Quand j'étais dedans, je me souviens avoir regardé les femmes « normales » de haut ; de m'être dit qu'elles, elles n'auraient pas été capables.

Franchement, nous dire que c'est un travail ! Mais dans quel travail c'est muqueuse contre muqueuse ? Échange de fluides corporels ? Dans tout métier, s'il y a muqueuse ou fluide corporel, ils sont mis à distance. Et, dans quel métier il faut payer pour travailler ? Je payais

100 dollars par soir pour avoir le droit de « danser ». Aujourd'hui, dans les vitrines belges, les femmes déboursent 250 € avant d'avoir fait un seul client ! On a vu ça où, un métier où, plus tu as d'expérience, plus tu dois baisser tes prix ? Où il n'y a ni protection ni avantages ? Où la seule promotion, c'est de devenir proxénète des autres ? Et est-ce qu'il y a d'autres métiers dont on invoque le droit « d'en sortir » ?

« Travailleuses du sexe », c'est un terme imposé par le lobby proxénète. Ce qu'elles appellent « compétences », marcher sur des talons de 15 cm, se dissocier pour résister à la violence qu'on leur impose, dans quel autre métier est-ce utile ? La dissociation, c'est un mécanisme de défense, pas une compétence professionnelle.

Militer, c'est prendre des risques

Aujourd'hui, je milite activement. Mais militer, c'est prendre des risques et se condamner à la précarité. Je commence à être connue au Québec et j'ai perdu des emplois à cause de ça. Notamment un, que j'adorais : je rendais visite à des femmes en milieu carcéral, c'était un travail d'accompagnement pour leur éviter de retomber dans l'exploitation sexuelle une fois purgée leur peine. Et un autre travail, auparavant, dans un organisme pour femmes, où des transactivistes m'ont accusée de transphobie parce que je défends le droit des femmes à des services qui leur soient réservés.

J'ai intenté des poursuites pour ce licenciement injuste, j'ai gagné et obtenu des excuses. Mais le mal était fait. Il faut savoir qu'au Québec, aujourd'hui, tout est queer. Depuis 2014, il suffit de s'auto-déclarer femme, sans chirurgie ni prise d'hormones, pour être considérée comme femme. Les femmes et les lesbiennes sont effacées et il est de plus en plus difficile de conserver des financements pour des organisations non mixtes. Une nouvelle fois, nous les femmes devons tout accepter.

Celles qui veulent s'engager aujourd'hui, je les encourage mais il faut qu'elles sachent que c'est difficile et qu'il faut savoir fixer ses limites.

Vers la troisième abolition ?

Au Québec, la politique privilégiée est celle de la réduction des méfaits. C'est prendre la question ici et maintenant, pas plus. Quand je questionne les travailleurs sociaux pour savoir s'ils demandent aux femmes en situation de prostitution si elles voudraient faire autre chose, ils répondent « oh non, ce serait un jugement de valeur ! » On n'a même plus l'exigence humaine élémentaire de ne pas être prostituable ! C'est surréaliste. Pour aider vraiment les femmes, il faut les reconnecter à leurs rêves, leur faire rencontrer des amis, organiser des activités, des sorties… Moi, je ne me sens en sécurité intellectuelle qu'avec des gens qui voient pour moi d'autres compétences que d'être prostituée.

En France, vous avez de l'avance avec les parcours de sortie prévus par la loi et avec les travaux de vos psychotraumatologues, comme Muriel Salmona. La psychotraumatologie n'est même pas un domaine d'étude au Québec ! Mais nous sommes meilleurs sur la réception des plaintes dans les commissariats.

Actuellement, au Canada, alors que la loi fédérale est abolitionniste, les villes continuent d'octroyer des permis d'exploitation au commerce du sexe et conservent le « zonage érotique » ancestral. Notre but à nous abolitionnistes n'est pas d'enlever leur gagne-pain aux femmes, mais de nous attaquer à ce proxénétisme.

Décriminaliser les personnes en situation de prostitution mais criminaliser les clients et les proxénètes est une révolution de la pensée. Pour moi, la prostitution sera la troisième abolition : après celle de l'esclavage et celle du travail des enfants, la sexualité libre de contrainte des femmes doit suivre.

Des rencontres, un réseau

Aujourd'hui, j'habite le même appartement qu'au temps où j'étais dans les clubs. Il y a toujours en bas un salon de massages érotiques et au coin un hôtel de passes. Beaucoup de femmes ont besoin de recommencer leur vie ailleurs ; j'ai choisi l'inverse. Je me suis dit que c'était mieux que ce soit moi qui change et que rester aiderait le quartier à monter de niveau.

Je n'aurais jamais imaginé avoir un jour la vie que j'ai aujourd'hui. Je me suis rendue à Glasgow à la conférence Filia, puis en France, à Nantes, Paris, Marseille. J'ai fait tellement de belles rencontres. Et je suis plein de femmes à la fois, militante abolitionniste, écologiste, chanteuse… J'ai autour de moi un réseau de survivantes incroyable. Je me sens pleine de joie de vivre.

Valérie Pelletier, 3 février 2024

Voir, Claudine Legardinier, https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/temoignages/valerie-la-prostitution-fabrique-des-hommes-sans-empathie/

Version du texte, reprise de : https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/03/valerie-la-prostitution-fabrique-des-hommes-sans-empathie/

Empêchons l’assassinat de la culture palestinienne

6 février 2024, par Coalition d'artistes et de personnalités — , ,
« À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l'existence même du peuple est visée. » Après le saccage du célèbre « Théâtre de la Liberté » le 13 (…)

« À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l'existence même du peuple est visée. » Après le saccage du célèbre « Théâtre de la Liberté » le 13 décembre dernier par l'armée israélienne, un ensemble d'artistes et de personnalités dénonce cette stratégie d'effacement. « Massacrer l'enfance et la jeunesse, détruire les installations éducatives, abattre les porteurs de sa culture, c'est assassiner un peuple. »

30 janvier 2024 | Tiré du blogue de l'auteur.

Le « Théâtre de la Liberté » avait joué sans interruption et enseigné l'art dramatique dans les territoires occupés, en surmontant tous les obstacles et rayonnant partout dans le monde depuis sa fondation en 2006 au milieu du camp de réfugiés de Jénine par l'artiste israélo-palestinien Juliano Mer Khamis, assassiné en 2011.

Le 13 décembre dernier ses locaux ont été saccagés par l'armée, ses animateurs battus et incarcérés. À ce jour, le directeur général du théâtre Mustafa Sheta et son président Bilal Al-Saadi, sont toujours détenus sans motif.

Plus qu'un symbole, c'est une stratégie. À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l'existence même du peuple est visée.

Qu'est-ce qui fait qu'un peuple est un peuple ? demandait Jean-Jacques Rousseau dans un passage fameux du Contrat Social (1762). Cette question nous hante alors que nous assistons, horrifiés, à la destruction du peuple de Palestine écrasé sous les tonnes de bombes à Gaza, tiré à vue, battu, emprisonné en Cisjordanie par des colons et des soldats racistes à qui on a donné carte blanche, humilié et discriminé en Israël par des lois de ségrégation ethnico-religieuse…

Que fait donc le monde ?

À part l'Afrique du Sud qui vient de sauver l'honneur à La Haye et le Secrétaire Général des Nations-Unies qui crie dans le désert, les associations qui dénoncent la catastrophe humanitaire et tentent de faire passer un peu d'eau, de vivres et de médicaments, le monde attend, il justifie, il regarde ou il prête main forte, exerçant son veto par ci, livrant des munitions par là.

L'histoire jugera.

Un peuple, outre son nom, ce sont des hommes et des femmes de chair et d'os, des familles avec leurs vergers et leurs maisons, des enfants qui jouent et qui étudient, des ouvriers, des paysans, des travailleurs sociaux et des intellectuels, des soignants et des artistes. Mais c'est aussi une culture active, enrichie d'expériences heureuses ou malheureuses, transmise de génération en génération, qui fait l'idée qu'il a de lui-même et son unité sous l'oppression.

Et ce sont toutes les institutions qui font vivre cette culture : écoles, universités, théâtres, journaux, associations, lieux de culte ou de sociabilité. C'est tout cela qu'Israël, lancé par ses dirigeants dans une guerre d'extermination et de vengeance qui n'observe aucune limite et ne respecte plus aucune loi, a entrepris de détruire.

Au-delà de la « seconde Naqba » déjà programmée par de hauts responsables civils et militaires, il faut que, cette fois et pour de bon, le peuple palestinien soit décimé, décomposé, exclu de sa propre terre, de sa propre histoire. Que ses capacités de résistance soient anéanties.

Il n'est pas sûr que, malgré sa violence et son surarmement, le colonialisme israélien ainsi déchaîné parvienne à ses fins, tant les Palestiniens ont historiquement fait la preuve de leur solidarité et de leur volonté de survivre en tant, précisément, que peuple.

Mais les ravages causés par cette guerre d'extermination du fort contre le faible, déjà effroyables, deviendront irréparables si rien n'est fait pour les arrêter. Il faudra des décennies pour les compenser, ne serait-ce qu'en partie. Et le traumatisme qu'ils sont en train de causer ne s'effacera plus jamais. Il portera de nouvelles violences.

Car Israël a parfaitement compris, et de longue date, que son projet d'expropriation exigeait non seulement de tuer et de réprimer, mais de démanteler et d'effacer du paysage toutes les institutions qui confèrent au peuple palestinien sa propre identité et permettent de la préserver.

Il y a une cohérence sinistre entre le fait que, comme à Gaza, les enfants soient massacrés par milliers, ou, comme en Cisjordanie, les adolescents ciblés par les tueurs et emprisonnés au moindre geste (voire sans aucun geste), et le fait que la dernière université de la bande côtière, dite islamique et reconnue pour la qualité de ses enseignants et de ses chercheurs, soit rasée au sol. Ou que les tirs de missiles guidés par Intelligence Artificielle aient déjà éliminé par prédilection des dizaines de journalistes et d'écrivain.es (comme le poète Nour el-Din Haggag, dont on aura pu lire la déchirante Lettre d'adieu au monde). Ou que sous des prétextes juridiques fabriqués en vue de l'extension des colonies, les écoles de Palestine occupée soient détruites au bulldozer à peine sorties de terre, comme hier à Musafer Yatta (Hébron) et à Jib Al-Theeb (Bethleem) malencontreusement située en « zone de tir ». Et ainsi de suite.

Massacrer l'enfance et la jeunesse, détruire les installations éducatives, abattre les artisans de sa culture, c'est assassiner un peuple. C'est le crime contre l'humanité par excellence, que nous, les « civilisés », nous étions engagés solennellement à prévenir et à réprimer.

C'est à quoi nous assistons depuis des décennies en Palestine, et qui sous nos yeux, vient de s'accélérer dramatiquement.

Les Palestiniens appellent à l'aide, avec fierté, avec désespoir, avec colère.

Nous sommes comptables devant eux et devant le monde de nos actions et de notre inaction. Nos dirigeants, qui ne voient jamais qu'un seul côté des violences commises, et ne cessent d'osciller honteusement entre le soutien aux assassins et des remontrances humanitaires purement symboliques, doivent impérativement revenir aux exigences du droit international.

Ils doivent agir et s'exprimer pour que, au moins, le crime soit nommé et condamné. Eux aussi seront comptables.

Signataires

Les Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine (ATL Jénine) avec : Étienne Balibar, Sonia Fayman, Julio Laks, Sophie Mayoux, Danièle Touati, Aline Bacchet,

ainsi que :

Ahmed Abbes, mathématicien
Tony Abdo Hanna, auteur
Raed Andoni, cinéaste
Cynthia Arra, collaboratrice à la direction d'acteurs
Kader Attia, artiste plasticien
Jean-Luc Bansard, comédien, metteur en scène
Marcos Barrientos, musicien
Julián Bastias, écrivain
Philippe Bazin, artiste
Nicolas Becker, Musicien & sound designer
Annie Benveniste, sociologue
Stéphane Bérard, artiste
Juliette Bialek, comédienne
Simone Bitton, cinéaste
Catherine Blondeau, autrice et directrice de théâtre
Elsa Bouchain, comédienne
Nicolas Bouchaud, comédien
Seloua Luste Boulbina, philosophe et politiste
Thomas Brémond, Directeur de la photographie
Anne Cantineau, comédienne
Carolyn Carlson, chorégraphe
Laurent Cauwet, éditeur et auteur
Laurence Chable, comédienne
Leila Chahid, ancienne déléguée générale de la Palestine
Rebecca Chaillon, metteuse en scène, comédienne
Yves Chaudouët, artiste
Sarah Chaumette, comédienne
Séverine Chavrier, metteuse en scène
James Cohen, politologue
Patrick Condé, comédien
Yann Coquart, Auteur-Réalisateur
Sylvain Creuzevault, metteur en scène
Annie Cyngiser, sociologue
Jonathan Daitch, auteur, photographe
Marianne Dautrey, traductrice, critique, éditrice, cinéaste
Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue
Virginie Despentes, autrice
Lena Dia, comédienne
Joss Dray, auteure, photographe
Valérie Dréville, comédienne
Karine Durance, attachée de presse cinéma
Ivar Ekeland, mathématicien, économiste
Mohammed El Khatib, auteur et metteur en scène
Annie Ernaux, autrice
Fantazio (Fabrice Denys), performeur
Alain Frappier, auteur dessinateur
Désirée Frappier, scénariste
Marine Gacem, scénariste
Nathalie Garraud, metteuse en scène
Brigitte Giraud, écrivaine
Julien Gosselin, metteur en scène
Dominique Grange, chanteuse engagée
Lucie Guien, comédienne
Alain Guiraudie, cinéaste
Didier Haboyan, musicien
Adèle Haenel, actrice
Hervé Hamon, écrivain
Arthur Harari, réalisateur
Berry Hayward, musicien
Daniel Jeanneteau, scénographe, metteur en scène
Hervé Joubert-Laurencin, cinéaste
Karim Kattan, écrivain
Miloud Khétib, comédien
Nicolas Klotz, cinéaste
Julie Kretzschmar, metteuse en scène, direction de structure culturelle
André Laks, helléniste
Guy Lavigerie, metteur en scène
Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien
Hervé Loichemol, metteur en scène
Frédéric Lordon, philosophe, économiste
Michael Löwy, sociologue
Bernard Lubat, musicien
Joëlle Marelli, traductrice, poète, chercheuse indépendante
Maguy Marin, chorégraphe
Rosalía Martinez, musicologue
Audrey Maurion, monteuse et documentariste
Marie-José Mondzain, philosophe
Mathilde Monnier, chorégraphe
Gérard Mordillat, auteur, cinéaste
Edgar Morin, sociologue, philosophe
Daniel Navia, musicien
Olivier Neveux, professeur d'études théâtrales
Stanislas Nordey, acteur, metteur en scène
Marcelo Novais Teles, cinéaste
Annie Ohayon, productrice
Valérie Osouf, artiste visuelle et documentariste
Alexis Pelletier, poète
Macarena Peña, musicienne,
Patrick Penot, directeur de Sens Interdits
Elisabeth Perceval, cinéaste
Katia Petrowick, danseuse, comédienne
Dominique Pifarély, violoniste
Ernest Pignon-Ernest, plasticien
Jean-Marc Poli, musicien
Joël Pommerat, auteur, metteur en scène
Nathalie Quintane, poète
Jacques Rancière, philosophe
Robin Renucci, acteur et metteur en scène
Jane Roger, distributrice de films
Olivier Saccomano, auteur
Elias Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine
Blandine Savetier, metteuse en scène
Eyal Sivan, cinéaste
Makis Solomos, musicologue
Rosemary Standley, chanteuse
Frédéric Stochl, musicien
Tardi, dessinateur
Nadia Tazi, philosophe
Jean-Pierre Thorn, réalisateur
Véronique Timsit, dramaturge
Christine Tournadre, réalisatrice
Florence Tran, cinéaste
Isabelle Ungaro, réalisatrice
Eleni Varikas, politologue
Marie Vayssière, comédienne et metteuse en scène
Françoise Vergès, autrice
Gisèle Vienne, chorégraphe
Vanina Vignal, cinéaste
Zoé Wittock, cinéaste
Sergio Zamora, écrivain

Violence conjugale : Le ministre doit aider les victimes à sortir de l’enfer

6 février 2024, par Sophie Ferguson, Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) — , ,
Et si dix jours de congé payés pouvaient faire la différence entre la vie et la mort ? Dix jours pour fuir la violence et reprendre son souffle, c'est vraiment un minimum. (…)

Et si dix jours de congé payés pouvaient faire la différence entre la vie et la mort ? Dix jours pour fuir la violence et reprendre son souffle, c'est vraiment un minimum. Pourtant, le ministre du Travail Jean Boulet n'a pas jugé bon d'inclure cette porte de sortie aux travailleuses et travailleurs victimes de violence conjugale dans le projet de loi 42 visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuelle en milieu de travail.

Se libérer de l'emprise d'un partenaire violent est souvent loin d'être simple pour une victime. Très souvent, l'agresseur contrôle pratiquement tous les aspects de sa vie, rendant sa fuite d'autant plus difficile. Le milieu de travail est parfois le seul espace qui reste à la victime pour réussir à s'en sortir et l'employeur a le devoir de l'aider à y parvenir.
La revendication des dix jours de congé payés pour les victimes de violence conjugale n'est pas nouvelle. Il y a près de deux ans, une pétition en ce sens a été déposée à l'Assemblée nationale et le ministre n'y avait pas non plus donné suite. Il a maintenant l'occasion de corriger le tir. Le gouvernement fédéral et la majorité des autres provinces offrent des congés semblables aux victimes de violence conjugale. Le Québec est dernier de classe au pays sur cette question.

Parmi les autres mesures pour aider les victimes de violence, il aurait été opportun d'inclure dans le projet de loi la mise en place de formations de sentinelles en milieu de travail pour soutenir les victimes de la violence conjugale, familiale et sexuelle. Une initiative semblable d'Unifor dans les milieux de travail de ses membres s'est révélée très positive. Il y aurait lieu de s'en inspirer.

Mieux soutenir les victimes

Il y a plusieurs mesures intéressantes dans le projet de loi 42, comme la formation obligatoire pour les arbitres de grief, la réduction de la portée des clauses d'amnistie dans les conventions collectives et l'ajout de précision à la Politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique.

D'autres éléments du projet de loi mériteraient toutefois d'être modifiés afin de mieux soutenir les victimes de harcèlement et de violence à caractère sexuel en milieu de travail. Le harcèlement ou l'agression perpétré par un collègue (personne de confiance) ou un patron (personne en autorité) de la victime devrait, par exemple, être considéré comme étant survenu à l'occasion du travail, jusqu'à preuve du contraire. Se faire tripoter par son patron dans un party de bureau n'est pas plus acceptable que lors d'une réunion !

Les délais de prescription pour un recours, variables d'un recours à l'autre, devraient aussi être harmonisés pour réduire la confusion et faciliter la vie des victimes.
Le projet de loi 42 est une bonne chose, mais le ministre devrait saisir l'opportunité et aller encore plus loin.

Sophie Ferguson
Deuxième vice-présidente
Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec

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L’ASPQ lance un nouveau livre collaboratif sur la réduction de la maladie

6 février 2024, par Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) — , , ,
Montréal, 1er février 2024 – Alors que les urgences débordent, et que le Québec peine à répondre à la demande en soins des Québécois·es, l'Association pour la santé publique du (…)

Montréal, 1er février 2024 – Alors que les urgences débordent, et que le Québec peine à répondre à la demande en soins des Québécois·es, l'Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) et une diversité d'actrices et acteurs des milieux de la santé publique, de la recherche et du communautaire joignent leurs savoirs scientifiques et expérientiels dans un livre collaboratif, intitulé le Livre de la réduction de la maladie au Québec (https://aspq.org/app/uploads/2024/01/2024-livrereductionmaladie-aspq-vf.pdf) . Ce livre a pour objectif de dresser un bilan des causes évitables de maladie au Québec, et d'offrir des solutions radicales pour agir en amont des centres de soins et bâtir un véritable système de santé.

Réduire la maladie : une entreprise urgente et réalisable

Le Québec a du mal à répondre dans un délai raisonnable, et ce depuis plusieurs années, à la demande en soins de sa population. Et l'avenir ne s'annonce pas plus heureux. Notre système de santé est confronté à des défis contemporains qui causent une augmentation de la maladie à gérer : vieillissement de la population, mode de vie, changements climatiques, inégalités socio-économiques, etc.

Les indicateurs sont au rouge : accès difficile à un médecin de famille, listes d'attente préoccupantes, lits manquants, épuisement et pénurie de personnel, recours au temps supplémentaire, grèves inédites dans le secteur, etc. Si la gestion de la maladie accapare aujourd'hui la plus grande part du budget québécois, soit un montant d'un milliard de dollars par semaine, et que celui-ci est en augmentation, combien de temps avons-nous avant de voir le système s'écrouler ? Jusqu'à quel point la gestion de la maladie va-t-elle prendre une place démesurée dans notre société ?

« Moins de maladies, c'est moins de coûts pour la société, moins de souffrances inutiles et c'est aussi un meilleur accompagnement des patient·es qui ont besoin de soins en libérant de l'espace occupée par des maladies évitables. Intensifier la prévention dans divers secteurs est indispensable à un réseau plus humain, performant et résilient », rappelle Thomas Bastien, directeur général de l'ASPQ

Bientôt, si on ne freine pas les dépenses liées à la gestion de la maladie, on devra amputer d'autres secteurs et projets importants pour la population. « On peut diminuer le besoin et la dépense en soins tout en continuant d'offrir de bons services en investissant davantage dans la prévention et la promotion de la santé. Il faut agir davantage sur les causes évitables des maladies », explique M. Bastien.

Un livre porteur de solutions

« Il est urgent d'entamer une transition pour opérer un système au service de la réduction de la maladie. Notre livre constitue les premières pages de cette histoire essentielle. Il est le socle d'un Plan santé 2.0 qui complète la première partie sur la qualité de l'expérience patient·e dans le système de soins. Il accompagne le réseau de la gestion de la maladie et ses partenaires vers un véritable système de santé, » ajoute M. Bastien.

Un plan santé 2.0 requiert :

1. Une reconnaissance de la réduction de la maladie comme l'un des piliers d'un réseau de la santé et des services sociaux plus efficace et plus humain, et de la nécessité d'adopter cette approche pour la réussite et la pérennité de la transformation en vue ;

2. L'élaboration d'un plan d'action sur la réduction de la maladie au cœur du système – un Plan santé 2.0 intégrant la réduction de la maladie aux autres actions proposées par le gouvernement dans le Plan initial ;

3. Des investissements en réduction de la maladie dans des poches budgétaires déjà connues du gouvernement, ayant pour cible la promotion de la santé.

Ce livre s'adresse aux décideuses et décideurs de tous les paliers politiques et les invite à gouverner la santé globale des Québécoises et Québécois et non la maladie. Toutes les personnes susceptibles d'influencer les différents milieux de vie où évolue la population sont aussi appelées à contribuer à cette ambition de mettre en place un véritable système de santé au Québec.

Citations

« Les maladies du cœur et l'AVC sont deux des principales causes de décès au pays, et près de 80 % des affections précoces peuvent être évités grâce à des comportements sains. La prévention des maladies du cœur et de l'AVC commence donc par la connaissance des facteurs de risque. L'adoption d'une approche de réduction de la maladie, incluant l'accès à un environnement sain, est donc primordiale pour aider les différents systèmes de santé, » Marc-André Parenteau – Conseiller principal, Affaires gouvernementales et défense des intérêts, Québec, à Cœur + AVC.

« Les données disponibles nous révèlent que chaque dollar investi en prévention et en promotion de saines habitudes de vie permet d'économiser 5,60 $ sur les dépenses en soins de santé. Et si on ajoute à cela l'accompagnement de professionnel·les qualifié·es, pour faciliter la mise en place et l'adhésion au plan, on obtient de bien meilleurs résultats ! Par exemple, si le réseau développait un « réflexe kinésiologie », on pourrait davantage réduire le fléau de la sédentarité de manière durable et ce serait tou·te·s les citoyen·es qui en bénéficieraient ainsi que le portefeuille collectif, » Valérie Lucia – Directrice générale de la Fédération des kinésiologues du Québec.

« Le Livre de la réduction de la maladie orchestré brillamment par l'ASPQ nous rappelle l'incontournable nécessité d'agir en amont de la maladie et de viser l'élimination des iniquités de santé, le principal obstacle à une société saine. Cet ouvrage ne peut se faire qu'en impliquant tous les secteurs de la société tant en recherche, dans la pratique que dans la prise de décision, et pas uniquement notre système de soin. Ce n'est qu'à la condition d'un tel travail collectif que nous pourrons parvenir à des milieux de vie sains et justes pour tous les vivants. » – Johanne Saint-Charles, Directrice de l'Institut Santé et Société.


À propos du Livre

L'élaboration du Livre de la réduction de la maladie a été rendue possible grâce à la contribution de l'ASPQ, de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), du Réseau francophone international pour la promotion de la santé (REFIPS), de Cœur + AVC, du Réseau canadien pour l'usage approprié des médicaments et la déprescription, de L'Anonyme, du Regroupement intersectoriel en santé de l'Université du Québec (RISUQ), du Réseau québécois de recherche sur le sommeil, du Réseau d'action pour la santé durable du Québec (RASDQ), de la Fédération des kinésiologues du Québec, de l'Université de Sherbrooke, de la Société canadienne du cancer, Data Lama, du Collectif Vital, de l'Institut Santé et Société, de l'Université du Québec à Montréal, du Groupe Entreprises en santé, de l'Observatoire québécois des inégalités, et du Mouvement pour l'autonomie dans l'enfantement.

À propos de l'Association pour la santé publique du Québec (ASPQ)

L'ASPQ regroupe citoyens et partenaires pour faire de la santé durable, par la prévention, une priorité. L'ASPQ soutient le développement social et économique par la promotion d'une conception durable de la santé et du bien-être. La santé durable s'appuie sur une vision à long terme qui, tout en fournissant des soins à tous, s'assure aussi de les garder en santé par la prévention. www.aspq.org.

Association pour la santé publique du Québec

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L’Ukraine abandonne discrètement le néolibéralisme

6 février 2024, par Luke Cooper — ,
Avec la déception de la contre-offensive 2023 et le passage à une guerre d'usure brutale, l'humeur s'est assombrie dans l'espace d'information pro-ukrainien. L'isolement (…)

Avec la déception de la contre-offensive 2023 et le passage à une guerre d'usure brutale, l'humeur s'est assombrie dans l'espace d'information pro-ukrainien. L'isolement dramatique de l'Occident face à la guerre israélienne à Gaza remet en question la position de l'Ukraine dans le tribunal de l'opinion publique mondiale. Alors que ses principaux alliés sont accusés d'une hypocrisie stupéfiante et que l'attention mondiale se porte sur la crise du Moyen-Orient, les opposants au soutien de la guerre d'autodéfense de l'Ukraine ont senti l'opportunité d'arrêter, ou du moins de retarder, le flux d'aide militaire et financière.

Dans ce contexte, l'Ukraine a repensé sa stratégie pour le "front intérieur", c'est-à-dire la manière d'organiser son économie nationale pour maximiser les ressources disponibles pour l'effort de guerre. Certains de ces changements sont si spectaculaires qu'ils s'apparentent à une révolution discrète de la doctrine. Ironiquement, pour un gouvernement dont le président se définit comme un "libertaire économique", Kiev supervise aujourd'hui l'expansion la plus importante du rôle économique de l'État depuis l'indépendance.

Origines du "tournant"

Lors de la conférence de Londres sur le redressement de l'Ukraine (URC) en juin 2023, des signes de cette remise en question étaient déjà perceptibles, mais ils semblaient timides et incohérents, manquant surtout d'un soutien uniforme au sein du gouvernement. En effet, les représentants ukrainiens semblaient souvent présenter des propositions contradictoires. Certaines étaient lourdement chargées d'archétypes néolibéraux, promettant aux investisseurs de nouveaux cycles de déréglementation du marché du travail, même si cela allait à l'encontre des normes minimales requises pour l'adhésion à l'Union européenne, ainsi qu'un environnement fiscal très faible, avec de grandes dépenses promises dans les infrastructures et l'énergie, censées être financées par la croissance qui en résulterait.

D'autres discours, en revanche, ont été beaucoup plus circonspects, soulignant le long chemin de la reconstruction et la priorité urgente de calibrer l'économie aux besoins de la lutte contre la guerre. Serhiy Marchenko, le ministre ukrainien des finances, a fait une intervention particulièrement remarquée, à contre-courant de certains de ses collègues. Il a plaidé en faveur d'une stratégie de développement qui donne explicitement la priorité aux besoins économiques de l'Ukraine en temps de guerre. Traditionnellement, nous étions ouverts à toute forme d'argent. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Si vous voulez investir en Ukraine, vous devez accepter les priorités de l'Ukraine", a-t-il déclaré.

Alors que la stratégie industrielle et les politiques préférentielles à l'égard des producteurs nationaux étaient autrefois taboues, elles sont aujourd'hui considérées comme vitales pour la résistance de l'Ukraine en temps de guerre.

Depuis, la politique ukrainienne laisse entrevoir une victoire de ces "sensibles" à Kiev. Les propositions de Rostyslav Shurma, chef adjoint du cabinet du président, visant à réduire les impôts sur les sociétés, les revenus et la TVA à un taux unique de 10 % pendant la guerre, ont disparu pour de bon, semble-t-il. Au lieu de cela, la stratégie nationale ukrainienne en matière de recettes pour 2024-2030 présente un plan visant à améliorer la collecte des impôts et à supprimer les nombreuses échappatoires introduites ces dernières années. Il s'agira notamment de revenir à un barème progressif de l'impôt sur le revenu, d'abolir le faux système largement utilisé du "travail indépendant" qui permet aux travailleurs salariés d'accéder à des taux ultra-faibles commençant à seulement 2 %, d'introduire un impôt sur les bénéfices des sociétés et de prendre des mesures visant à garantir le respect total des nouvelles règles mondiales en matière d'impôt minimum sur les sociétés.

Ces mesures reflètent les réformes institutionnelles introduites historiquement par les États en guerre pour centraliser et rationaliser les efforts de collecte des recettes (le système britannique d'imposition des salaires sur le lieu de travail - "Pay As You Earn" - a, par exemple, été introduit en 1944). Mais la stratégie en matière de recettes contient également des critiques intéressantes de ce que l'on pourrait appeler les "excès de libéralisation" du développement de l'Ukraine depuis la Révolution de la Dignité. Elle décrit comment le "système fiscal simplifié" avec des taux très bas pour les "entrepreneurs" (interprété d'une manière très large qui pourrait potentiellement inclure tout citoyen ukrainien payant des impôts) a non seulement facilité l'évasion des riches, mais a également permis la contrebande de produits de contrefaçon, en raison de l'absence de toute exigence de tenue de registres appropriés, et a normalisé l'absence de relations de travail correctes dans un certain nombre de secteurs.

Le développement de l'économie de guerre ukrainienne

Cette réforme fiscale s'est accompagnée d'une évolution plus large vers un "interventionnisme" économique. La fiction selon laquelle les marchés pourraient fonctionner en temps de guerre a été largement abandonnée. Alors que la stratégie industrielle et les politiques préférentielles à l'égard des producteurs nationaux étaient autrefois taboues, elles sont désormais considérées comme vitales pour la résistance de l'Ukraine en temps de guerre. Les représentants du gouvernement ukrainien se sont régulièrement engagés à soutenir l'"internalisation" de la reprise en donnant la priorité à l'industrie nationale - une politique qui, si elle est contestée juridiquement auprès de l'UE ou de l'OMC, pourrait obliger Kiev à déclarer une exception à ses engagements internationaux pour des raisons de sécurité nationale.

L'état d'esprit a également changé chez les partisans du gouvernement et les personnes influentes de la société civile. Les militants anti-corruption qui, par le passé, avaient tendance à considérer la libéralisation du marché comme une voie vers une gouvernance transparente, actualisent radicalement leurs prescriptions et leurs propositions, en s'inspirant des leçons tirées de la seconde guerre mondiale. Dans l'une de ces interventions, la très respectée militante anti-corruption Daria Kaleniuk évoque les "démocrates de la nouvelle donne" et le travail de Harry Hopkins, proche confident du président Roosevelt pendant la guerre, qui préconise l'élaboration d'un "livre de la victoire" établissant une correspondance entre les besoins militaires et les ressources et actifs productifs de l'économie.

De tous les changements en cours à Kiev, le plus encourageant est sans doute l'approche holistique que les ministres du gouvernement ukrainien adoptent à l'égard du développement à long terme de l'Ukraine. Tetyana Berezhna, vice-ministre de l'économie de l'Ukraine, a approuvé, par exemple, un rapport de l'Organisation internationale du travail de décembre 2023 qui montrait que le taux de croissance cible de 7 % du PIB de l'Ukraine serait très difficile à atteindre sans une politique qui s'attaque à l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes et aux obstacles à la participation des femmes sur le marché du travail. En ce sens, le succès des efforts déployés par l'Ukraine pour améliorer la capacité de production de l'économie après la guerre dépendra en fin de compte de l'augmentation des revenus et du bien-être social de l'ensemble de la population.

L'Ukraine a dépensé plus pour la défense en 2023 que l'ensemble de ses dépenses publiques en 2021.

L'explication simple de l'abandon discret du néolibéralisme par l'Ukraine est l'augmentation insatiable des dépenses militaires combinée à l'impact des risques liés à la guerre sur l'activité du marché.L'ensemble de ces facteurs a conduit à une économie dominée par l'État. Le Centre de stratégie économique a provisoirement estimé que les dépenses militaires représenteront 30 % du PIB en 2023. L'Ukraine a dépensé plus pour la défense en 2023 que l'ensemble de ses dépenses gouvernementales en 2021.

En raison de la nature du complexe militaro-industriel, où l'intervention efficace de l'État implique une planification stratégique des prix, de la structure organisationnelle et des investissements, l'expansion radicale des dépenses militaires de l'Ukraine est nécessairement en train de remodeler le modèle économique du pays.

Il est toutefois intéressant de noter que ce système est loin d'être entièrement "étatiste". La résistance ukrainienne utilise efficacement des technologies numériques peu coûteuses et facilement reproductibles, ainsi que des réseaux de production décentrés.Come Back Alive, par exemple, la plateforme numérique de collecte de fonds, qui dispose d'une licence pour importer des articles militaires et à double usage, intervient activement en tant qu'investisseur dans le processus de production. Cette combinaison d'organismes publics, privés et à but non lucratif semble créer un écosystème qui soutient l'innovation et l'adaptabilité dans la course technologique pour la supériorité sur la ligne de front.

Malgré ces progrès impressionnants, l'Ukraine reste très dépendante de l'aide financière extérieure. Même si les alliés fournissent l'ensemble des financements promis, les Ukrainiens resteront largement distancés par la Russie en 2024. Le gouvernement devra gérer avec soin ses liens extérieurs complexes et défendre vigoureusement ses intérêts dans une certaine tension avec les institutions mondiales, le cas échéant. Le Fonds monétaire international (FMI), par exemple, a joué un rôle important en poussant l'Ukraine à s'éloigner des politiques fiscales libertaires, mais il a fait part de son opposition à une stratégie d'internalisation préférentielle.Le processus d'adhésion à l'Union européenne est également mal conçu pour répondre aux besoins de l'Ukraine, le processus d'intégration du marché unique risquant d'exposer un pays en guerre à des "règles du jeu équitables" qui ne le sont manifestement pas du point de vue ukrainien.

Il ne sera pas facile pour Kiev de naviguer dans cet environnement stratégique complexe. Mais malgré l'horreur effroyable de la guerre russe et la multitude de crises en cascade au niveau mondial, l'Ukraine a franchi un cap. Dans cette lutte entre David et Goliath, David pourrait bien remporter une victoire improbable.

Luke Cooper, 31 janvier 2024

Texte repris du site : https://ukraine-solidarity.eu/manifestomembers/get-involved/news-and-analysis/news-and-analyses/ukraine-is-quietly-abandoning-neoliberalism

Traduit avec Deepl.com

Illustration reprise du site : https://www.algerie-eco.com/2017/01/15/planification-economie-de-marche-pr-a-lamiri/

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Quand l’Occident cloue le cercueil israélien du peuple palestinien !

6 février 2024, par Yorgos Mitralias — ,
D'abord les faits : L'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) fait vivre près de 4 millions de réfugiés (…)

D'abord les faits : L'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) fait vivre près de 4 millions de réfugiés palestiniens, gérant leurs écoles et leurs hôpitaux, tout en leur fournissant de l'eau potable et de la nourriture. Rien qu'à Gaza, l'UNRWA emploie 13 000 personnes. Israël accuse 12 d'entre eux d'être impliqués dans l'attaque du Hamas du 7 octobre. La direction de l'UNRWA licencie 9 d'entre eux, et un dixième est décédé. Immédiatement après, 11 pays occidentaux annoncent qu'ils cessent de financer l'UNRWA, ce qui signifie la fin automatique de l'UNRWA et peut-être des réfugiés palestiniens eux-mêmes, puisque ces 11 pays sont les principaux bailleurs de fonds de l'organisation des Nations Unies qui a – en fait – maintenu en vie des générations de réfugiés palestiniens depuis 1949…

Les mots sont évidemment superflus pour commenter cette décision monstrueuse des 11 grands et moyens pays occidentaux, alors que le génocide du peuple palestinien bat son plein. La brutalité de cette décision devient encore plus monstrueuse quand on sait que la plupart de ces 11 pays – et les plus riches d'eux – ont un passé génocidaire incroyablement « riche ». Et le pire, c'est qu'au moins certains d'entre eux « trouvent difficile », voire refusent de le reconnaître et même de s'excuser auprès de leurs victimes !

Nous ne reviendrons pas sur le cas du Japon, dont les autorités, Premier ministre en tête, rendent encore hommage, une fois par an, à leurs compatriotes criminels de guerre qui ont commis ce qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un génocide du peuple chinois dans les années 1930 ! Mais nous dirons encore quelques mots sur les cas très instructifs mais aussi odieux de deux autres de ces 11 pays si « vertueux », les pays européens beaucoup plus proches de nous, que sont la Suisse et l'Allemagne. Car le lien entre le passé coupable de cette dernière et le génocide de Gaza a été évoqué publiquement à l'initiative du président de la Namibie, donc du pays qui a été la victime de la – chronologiquement – première opération génocidaire allemande.

Réagissant à ce qu'il a qualifié de décision « choquante » de l'Allemagne de cesser de financer l'UNRWA et de soutenir Israël dans l'affaire qui l'oppose à l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice de La Haye, le président namibien Hage Geingob a dénoncé « l'incapacité de l'Allemagne à tirer les leçons de sa cruelle histoire » et a ajouté : « L'Allemagne ne peut pas moralement exprimer son engagement envers la Convention des Nations unies contre le génocide, y compris l'expiation du génocide en Namibie, tout en soutenant l'équivalent d'un holocauste et d'un génocide à Gaza ».

Et voici de quoi il s'agit : « Entre 1904 et 1908, environ 80% du peuple herero et 50% du peuple nama vivant sur le territoire de l'actuelle Namibie ont été exterminés par les forces du Deuxième Reich, soit environ 65 000 Herero et 10 000 Nama… ce crime de l'histoire coloniale africaine est aujourd'hui considéré comme le premier génocide du XXe siècle ». Ce n'est peut-être pas un hasard si la citation ci-dessus, comme la plupart des autres informations sur ce « premier génocide du XXe siècle », est tirée du… Memorial de la SHOAH, l'extraordinaire « musée et centre de documentation » de Paris consacré à l'Holocauste du peuple juif par le Troisième Reich nazi. Mais nous continuons : le 2 octobre 1904, le chef du corps expéditionnaire allemand, le général Lothar von Trotha, signa un « ordre d'extermination » (Vernichtungsbefehl) ordonnant : « Tous les Herero doivent quitter le pays. S'ils ne le font pas, je les forcerai à partir avec mes grosses pièces d'artillerie, les canons. Tout Herero trouvé sur le sol allemand… armé ou non armé, avec ou sans animaux, sera exécuté. Je n'accepte ni femmes ni enfants. Ils doivent partir ou mourir. Telle est ma décision pour le peuple Herero » [1].

Et c'est ce qui s'est passé. Mais pas seulement par les balles et les obus, mais aussi par la faim et la soif dans le désert du Kalahari où les survivants ont été poussés. Et aussi par l'enfermement dans des camps de travail forcé et d'extermination où ils sont morts comme des mouches. Si tout cela vous rappelle quelque chose qui s'est passé 35-40 ans plus tard, vous avez raison Et pas seulement parce que le premier gouverneur colonial allemand de la région des Herreros et des Nama s'appelait Göring, et qu'il était… le père du futur maréchal nazi et commandant en second d'Hitler, Hermann Göring. Mais surtout parce que certains des génocidaires de 1904 ont vécu assez longtemps pour jouer un rôle de premier plan dans l'holocauste de la nation juive 30 ans plus tard. Comme, par exemple, Franz Ritter von Epp, bras droit de l'abominable von Trotha et eminence du parti nazi, qui a noyé dans le sang le soulèvement de Spartacus de Rosa Luxemburg et exterminé les Juifs et les Roms de Bavière alors qu'il en était le dirigeant suprême…

Le pire, dans le cas de l'Allemagne, n'est cependant pas tout cela. C'est que ce n'est qu'en 2021, 100 ans plus tard (!), que l'Allemagne s'est autorisée à reconnaître son crime et à s'excuser officiellement ! Et que, malgré les pressions de la Namibie et des descendants des victimes de son génocide, ce n'est qu'en 2011 que l'Allemagne leur a rendu … les crânes de leurs ancêtres, sur lesquels les anthropologues racistes de Berlin, dirigés par le tristement célèbre Eugen Fischer, mentor et professeur du bourreau d'Auschwitz Josef Mengele, ont fait leurs « études » pseudo-scientifiques !

Mais venons-en à la Suisse, dont le ministre des affaires étrangères a justifié sa décision de supprimer le financement de l'UNRWA par le fait que « La Suisse a une tolérance zéro pour tout soutien au terrorisme et tout appel à la haine ou incitation à la violence ». Tout serait bien si son pays faisait effectivement ce qu'il proclame. Mais le problème est que depuis la Première Guerre mondiale, la Suisse a fait et continue de faire exactement le contraire : elle se distingue par son soutien aux terroristes et aux incitateurs à la haine et à la violence. Et surtout au plus grand d'entre eux, à Hitler, à son régime et à sa guerre !

En réalité, la Suisse des grands banquiers et des marchands d'armes a servi le régime nazi comme aucun autre pays. De quelle manière ? D'abord comme receleur du IIIe Reich, en faisant ce que même l'Espagne de Franco et le Portugal de Salazar ont refusé de faire : elle a accepté de mettre dans ses banques, et de « blanchir », l'or des banques centrales des pays conquis, mais aussi des particuliers – principalement juifs – qui avait été pillé et volé par l'Allemagne nazie ! Et elle l'a fait parce qu'elle est devenue non seulement le véritable coffre-fort du régime nazi, mais aussi le principal financier de sa guerre ! Et de quelle manière ? En « échangeant » l'or volé contre des francs suisses, la seule monnaie convertible que l'Allemagne pouvait se procurer à l'époque, pour acheter les matières premières (pétrole, caoutchouc, etc.) dont elle avait besoin pour lancer et poursuivre sa guerre !

Mais examinons la culpabilité de la Suisse depuis le début. C'est Hitler lui-même qui a garanti la fameuse « neutralité » suisse pour la simple raison qu'une Suisse conquise par l'armée allemande (comme il était prévu à l'origine) ne pouvait pas avoir sa propre monnaie convertible pour répondre aux besoins du régime nazi. Des besoins absolument vitaux puisque ses caisses étaient vides en 1939 en raison du coût astronomique de ses préparatifs de guerre, qui n'avaient été que partiellement couverts par l'or de l'Autriche intégrée au Reich, repoussant d'un an seulement la faillite de l'économie allemande. Et c'est pour toutes ces raisons qu'il est aujourd'hui communément admis par les historiens les plus autorisés que sans la Suisse et ses « services », la Seconde Guerre mondiale serait terminée au moins deux ans plus tôt, d'autant plus c'est en fait l'industrie de guerre suisse qui a équipé la Wehrmacht dans une mesure considérable au cours des deux dernières années de la guerre, alors que les usines allemandes étaient impitoyablement bombardées et réduites à l'état de ruines. D'ailleurs, il est à noter que l'industrie de guerre Bührle-Oerlikon de M. Bührle (la plus grande fortune de Suisse) a livré ses dernières armes à tir rapide à la Wehrmacht quelques jours avant la fin de la guerre, en avril 1945 !

Mais, ce n'est pas seulement que les autorités suisses et leurs banquiers ont même accepté sans états d'âme… 120 kg d'or provenant de dents en or retirées des déporté·es dans les couloirs de la mort des différents camps d'extermination. C'est aussi qu'elles connaissaient très bien, très tôt et même « de première main » les crimes nazis sans précédent puisqu'elles avaient envoyé des équipes de médecins et d'infirmières suisses sur le front de l'Est pour soigner les blessés de la Wehrmacht, et ce sont ces médecins qui ont vu de leurs propres yeux et informé leurs compatriotes des meurtres de masse de dizaines de milliers de civils juifs soviétiques ! Et elles l'ont fait tout a fait consciemment parce que les dirigeants suisses eux-mêmes étaient des antisémites convaincus, ce qui est prouvé par de nombreux documents officiels comme par exemple celui des négociations avec les autorités nazies sur le « contrôle des voyageurs » lequel révèle que ce ne sont pas les nazis allemands mais les vertueux « libéraux » suisses qui ont invente et proposé, en 1939, aux Allemands (qui ont accepté) l'infâme tampon avec la lettre J (comme dans Jude, Jew, Juif) qui « ornait » les passeports des juifs d'Allemagne. Et ils ont fait ça pour… les distinguer des autres voyageurs allemands afin qu'ils ne soient pas acceptés comme réfugiés politiques en Suisse ! [2]

Mais comme dans le cas de l'Allemagne, le pire est que la Suisse officielle a tout fait dans le demi-siècle qui a suivi, pour couvrir et dissimuler sa culpabilité, calomniant voire détruisant ceux qui cherchaient la vérité ou en étaient eux-mêmes les témoins oculaires. Comme, par exemple, le courageux Paul Grüninger, chef de la police du canton de Saint-Gall, qui a délivré de fausses cartes d'identité et de faux papiers à des Juifs persécutés, sauvant littéralement 3 600 d'entre eux. D'ailleurs, c'est parce que Paul Grüninger a défié les ordres et n'a pas fait ce que la Suisse officielle a fait, c'est-à-dire refuser l'asile à des dizaines de milliers de Juifs ou même en livrer plusieurs à la Gestapo, que Paul Grüninger a été jugé, condamné, privé de sa pension, et qu'il est mort pauvre et traité de « traître à la patrie » en 1972. Détail éloquent : sa condamnation n'a été… « annulée » qu'en 1995 !

Nous nous arrêtons ici sans aborder la question toujours brûlante (en 2024 !) des milliers de dépôts juifs de l'entre-deux-guerres « dormants » dans les banques suisses, pour la restitution desquels les banquiers suisses exigent souvent la présentation des reçus (!) que les déposants juifs auraient dû emporter avec eux dans les chambres à gaz des différents camps d'extermination Vraiment, quel degré d'arrogance, d'hypocrisie et de cynisme faut-il au ministre suisse des affaires étrangères pour oser déclarer que « La Suisse a une tolérance zéro pour tout soutien au terrorisme et tout appel à la haine ou incitation à la violence » ? Tout comme l'Allemagne, la Suisse de « ceux d'en haut » ne semble pas vouloir tirer les leçons de son histoire récente. Et c'est pourquoi elle renverse la morale et fait du péché une vertu, afin de rester toujours fermement aux côtés de ses capitalistes et des génocidaires qui font ses affaires, remplaçant simplement son antisémitisme traditionnel par son islamophobie actuelle…

Yorgos Mitralias
3 février 2024
Publication reprise de : https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/03/les-cas-tres-instructifs-de-lallemagne-et-de-la-suisse/

Notes
[1] Nous recommandons l'« histoire illustrée » suivante, réalisée par l'artiste et journaliste canadien Danylo Hawaleshka, et intitulée « Israël, Gaza, l'Allemagne et le génocide en Namibie »
https://www.aljazeera.com/gallery/2024/1/23/israel-gaza-germany-and-the-genocide-in-namibia
[2] Pour tout cela et bien plus encore, voir le documentaire « L'honneur perdu de la Suisse », d'abord interdit (1997) par les autorités suisses, puis « libéré » après une décision de la Cour européenne des droits de l'homme à laquelle ses auteurs ont fait appel
https://www.rts.ch/play/tv/histoire-vivante/video/lhonneur-perdu-de-la-suisse?urn=urn:rts:video:8036475

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Du fleuve à la mer ? Discussion de la question judéo-palestinienne.

6 février 2024, par Vincent Presumey — , ,
Le numéro de janvier 2024 de la revue Inprecor, publiée sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IV° Internationale, titre sur la Palestine avec le mot d'ordre : « Du (…)

Le numéro de janvier 2024 de la revue Inprecor, publiée sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IV° Internationale, titre sur la Palestine avec le mot d'ordre : « Du fleuve à la mer, Palestine libre et démocratique », et son article principal, de Michael Karadjis, militant australien aux analyses souvent pertinentes et engagé dans la solidarité avec les peuples syrien ou ukrainien, est un plaidoyer argumenté en faveur de ce mot d'ordre, plaidoyer que je voudrais discuter et, très largement, contester. Non par souci polémique mais parce que la question est importante et que l'analyse critique de cet article permet de la traiter assez précisément.

Sommaire du texte

Non aux intimidations préalables à toute discussion !
Comment l'OLP a failli.
Hamas et OLP.
Le niveau d'analyse doit être international si l'on veut y comprendre quelque chose.
On ne saurait ignorer la question antisémite !
Le 7 octobre.
Quels sont les mots d'ordre efficaces ?
La revendication des deux États laïcs et démocratiques.
Deux pierres de touche.
Le droit des réfugiés palestiniens.
Digression européenne.
Le droit judéo-palestinien à exister et la notion de refuge national.
Digression australienne.
Pour conclure : la question judéo-palestinienne, pivot des rechutes campistes.

Lire le texte complet au format PDF

Le chapitre de conclusion du texte

Pour conclure : la question judéo-palestinienne, pivot des rechutes campistes.

Les campistes, disions-nous. L'invasion de toute l'Ukraine par l'impérialisme russe le 24 février 2022 a enclenché un processus d'éloignements et de regroupements (trop lent à mon goût !) dans la gauche internationaliste, dissociant les internationalistes véritables des campistes pour qui tout pays capitaliste adversaire des États-Unis mérite soutien. Mais la provocation pogromiste du Hamas le 7 octobre 2023, ouvrant un moment de réaction au niveau mondial, a constitué le pivot, la borne pouvant porter un coup d'arrêt aux évolutions vers l'internationalisme réel.

Le fait que des analystes excellents de la guerre impérialiste russe, tel que Michael Karadjis, puissent se livrer à une « analyse » totalement dépourvue de la moindre continuité avec la compréhension de la situation mondiale suite au 24 février 2022, totalement dégagée de toute donnée internationale réelle en dehors de la répétition du rôle traditionnellement attribué à Washington, montre bien ce rôle de croche-pied que joue la question judéo-palestinienne à l'encontre de la construction d'un internationalisme, et donc d'une Internationale, réels et efficaces.

C'est que l'ampleur, et le caractère semi-conscient voire inconscient, des représentations fantasmatiques, des mythes et des formes de fétichisme dans tout ce qui se rattache à cette question, exigent de toute tentative d'analyse qu'elles se dégagent de ces passions et les regardent en face, froidement. Les imprécations amalgamant quiconque doute à des ignorants d'extrême-droite, par lesquelles M. Karadjis inaugure son article, sont caractéristiques : les militants doivent être tenus par des fétiches, par des peurs, par des formules rituelles, sitôt qu'il est touché à la question judéo-palestinienne. Le premier devoir de tout révolutionnaire conscient est ici de traquer les fétiches.

Pour ce faire, il faut sans cesse envisager la situation dans sa globalité, en faisant intervenir la lutte des opprimés comme facteur central de fond, et le rôle de toutes les puissances impérialistes et régionales, et en situant les faits dans leur contexte réel du moment présent et pas dans une histoire éternelle de terre promise et/ou volée.

Nous avons mondialement affaire à la multipolarité impérialiste. Elle constitue à la fois un désordre et un système de domination. Les États-Unis en font partie : il n'y a pas à choisir entre elle et eux. Ils sont l'acteur le plus puissant de ce désordre multipolaire. Dire qu'il faut faire attention à ne pas faire du « campisme dans l'autre sens », sous-entendu pro-américain, pro-occidental ou pro « sioniste », traduit la non prise en compte du fait que la multipolarité est la forme actuelle de la totalité du système impérialiste mondial. Aux États-Unis, Trump en a été et en est à nouveau le héraut, mais Biden lui-même a évacué l'Afghanistan et a proposé le taxi de l'évacuation à Zelenski. Le choix pour les partisans de l'émancipation n'est pas de pencher côté « BRICS » ou côté « Occident » ou d'osciller tantôt d'un côté tantôt de l'autre en se gardant de trop pencher. Si l'on se fonde sur le combat des exploités et des opprimés, et sur une méthode d'analyse partant de la globalité de l'affrontement social, alors on combat l'ensemble de la multipolarité impérialiste.

Cela conduit à envisager la situation à son échelle réelle, et à saisir l'unité de Gaza et de l'Ukraine et l'unité des ennemis de l'immense majorité : Netanyahou et Poutine, grâce au Hamas et avec l'aide de Biden qui bloque un cessez-le-feu, ouvrent la route à Trump et à la pire réaction !

VP, le 23/01/2024.

Source : https://aplutsoc.org/2024/01/28/du-fleuve-a-la-mer-discussion-de-la-question-judeo-palestinienne-par-vincent-presumey/

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Selon la Banque mondiale, les « pays en développement » sont pris au piège d’une nouvelle crise de la dette : Comment l’expliquer ?

6 février 2024, par Éric Toussaint — , ,
Le dernier rapport de la Banque mondiale sur les dettes des « pays en développement », publié le 13 décembre 2023 [1] , révèle une réalité alarmante : en 2022, l'ensemble des (…)

Le dernier rapport de la Banque mondiale sur les dettes des « pays en développement », publié le 13 décembre 2023 [1] , révèle une réalité alarmante : en 2022, l'ensemble des pays en développement ont dépensé un montant record de 443,5 milliards de dollars pour assurer le paiement de leur dette publique extérieure. Pour cette même année 2022, les 75 pays à bas revenus qui ont accès aux crédits de l'Association internationale de développement (IDA), l'institution de la Banque mondiale qui octroie des crédits aux pays les plus pauvres, ont payé à leurs créanciers un montant record de 88,9 milliards de dollars. La dette externe totale de ces 75 pays a atteint un montant record de 1 100 milliards de dollars, soit plus du double du niveau de 2012. Selon le communiqué de la Banque mondiale, entre 2012 et 2022, ces pays ont vu leur dette extérieure augmenter de 134 %, un taux supérieur à celui de l'augmentation de leur revenu national brut (RNB), qui a été de 53 %.

Comité pour l'annulation des dettes illégitimes (CADTM)
18 décembre 2023

Par Eric Toussaint

Illustration : Diego Rivera, El hombre controlador del universo, reproduction de Gumr51, WikimediaCommons, CC, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Libro_Los_Viejos_Abuelos_Foto_68.png

Sommaire

. Comment expliquer l'actuelle crise de la dette qui affecte les maillons les plus faibles de (...)

. À partir des années 2020, l'engrenage vers une nouvelle grande crise de la dette

La BM ajoute : « La flambée des taux d'intérêt a accentué les vulnérabilités liées à la dette dans tous les pays en développement. Rien qu'au cours des trois dernières années, on a compté 18 défauts de paiement souverains dans dix pays en développement, soit plus que le nombre enregistré au cours des deux décennies précédentes. À l'heure actuelle, environ 60 % des pays à faible revenu sont exposés à un risque élevé de surendettement ou sont déjà dans cette situation. »

La Banque mondiale, en conséquence, tire la sonnette d'alarme : une nouvelle crise de la dette a démarré. Des sommes énormes sont dépensées pour rembourser les créanciers et cela au détriment de la satisfaction des besoins grandissants de centaines de millions de personnes qui ont un besoin vital d'aide. Rappelons que, selon un autre rapport de la Banque mondiale cité par le Financial Times [2] , entre 2019 et 2022, plus de 95 millions de personnes supplémentaires sont tombées dans l'extrême pauvreté.

La Banque mondiale reconnaît que les prêteurs privés ont commencé en 2022 à fermer le robinet des crédits aux PED tout en pressant au maximum le citron pour obtenir le plus de remboursements. En effet, selon la BM, les nouveaux crédits octroyés par les prêteurs privés aux pouvoirs publics des pays en développement ont chuté de 23 %, ayant été ramenés à 371 milliards de dollars, soit leur plus bas niveau en dix ans. Par contre, ces mêmes créanciers privés ont récolté 556 milliards de dollars sous forme de remboursement. Cela signifie qu'en 2022, ils ont perçu 185 milliards de dollars de plus en remboursements que ce qu'ils en ont décaissé en prêts. Toujours selon la Banque mondiale, c'est la première fois depuis 2015 que les créanciers privés recevaient plus de fonds qu'ils n'en injectaient dans les pays en développement.

La Banque mondiale n'explique pas comment on en est arrivé là car cela impliquerait de remettre en cause le modèle et le système économique dont elle fait la promotion et qu'elle considère comme étant la seule option possible. Cela l'obligerait également à pointer clairement la culpabilité des banques centrales d'Amérique du Nord et d'Europe occidentale, et donc des autorités des principales puissances occidentales qui dominent tant la Banque mondiale que le FMI.

Comment expliquer l'actuelle crise de la dette qui affecte les maillons les plus faibles de l'économie capitaliste mondiale ?

"C'est la première fois depuis 2015 que les créanciers privés recevaient plus de fonds qu'ils n'en injectaient dans les pays en développement"

Pour comprendre la crise actuelle, il faut revenir sur ce qui s'est passé au cours des 15 dernières années.

À partir de 2010-2012, la réduction progressive des taux d'intérêt au Nord a réduit le coût de la dette au Sud. Les banques centrales des pays les plus industrialisés ont procédé à une baisse des taux d'intérêt en les amenant à 0%. Cette politique visait à maintenir à flot les marchés financiers en particulier et les grandes entreprises privées en général. Il s'agissait également de rendre la dette publique du Nord plus facilement gérable et refinançable. Cette politique de taux très bas pratiquée par les grandes puissances capitalistes a encouragé le financement des dépenses par la dette et a produit une très forte augmentation des dettes tant publiques que privées au Nord comme au Sud de la planète. Elle a entraîné une baisse du coût du refinancement pour les pays en développement. Ce financement à bas coût, combiné à l'afflux de capitaux du Nord à la recherche de meilleurs rendements face aux taux d'intérêt bas au Nord, et à des recettes d'exportation élevées (car le prix des matières premières exportées du Sud vers le Nord restait élevé), ont donné aux gouvernements des pays en développement, y compris les plus pauvres, une dangereuse impression de sécurité. Des pays pauvres d'Afrique subsaharienne qui n'avaient jamais eu l'occasion d'imprimer et de vendre des titres de leurs dettes souveraines sur les marchés financiers internationaux ont pu facilement trouver acquéreurs pour leurs titres de dette. Les fonds d'investissements et les banques du Nord ont acheté les titres du Sud car ils offraient un meilleur rendement que les titres du Trésor américain, que les titres japonais, allemands, français ou d'autres pays européens, tous proches de 0% ou ne dépassant pas 2 à 3%.

Sans difficulté, des pays pauvres ont émis et ont vendu des titres de leur dette externe sur les marchés internationaux. Le Rwanda est un cas emblématique. Alors qu'il est un des pays les plus pauvres de la planète et qu'il a été marqué par le génocide de 1994, il a pu pour la première fois de son existence émettre des titres de sa dette souveraine et les vendre à Wall Street. Cela a été le cas en 2013, en 2019, en 2020 et en 2021. De même pour le Sénégal qui a pu émettre 6 emprunts internationaux entre 2009 et 2021, au cours des années 2009, 2011, 2014, 2017, 2018 et 2021. L' Éthiopie, pays également très pauvre a pu émettre un emprunt international en 2014. Le Bénin y a eu accès plus récemment et a émis 3 emprunts sur les marchés internationaux en 2019, 2020 et 2021. La Côte d'Ivoire, sortie d'une situation de guerre civile il y a à peine quelques années, a également émis des titres chaque année de 2014 à 2021, alors qu'elle fait également partie des pays pauvres très endettés. On peut également mentionner les emprunts du Kenya (2014, 2018, 2019, 2021), de la Zambie (2012, 2014, 2015), du Ghana (2013 à 2016, 2018 à 2021), du Gabon (2007, 2013, 2015, 2017, 2020, 2021), du Nigeria (2011, 2013, 2014, 2017, 2018, 2021, 2022), de l'Angola (2015, 2018, 2019, 2022) et du Cameroun (2014, 2015, 2021). Du jamais vu au cours des 60 dernières années. Cela témoigne d'une situation internationale qui était tout à fait particulière : les investisseurs financiers du Nord disposaient d'énormément de liquidités et face à des taux d'intérêt très bas dans leur région, ils étaient à l'affût de rendements intéressants. Le Sénégal, la Zambie et le Rwanda promettaient un rendement de 6 à 8 % sur leurs titres : du coup, ils attiraient des sociétés financières qui cherchaient à placer provisoirement leurs liquidités même si les risques étaient élevés. Les gouvernements des pays pauvres sont devenus euphoriques et ont tenté de faire croire à leur population que le bonheur était au coin de la rue, alors que la situation pouvait dramatiquement se retourner. La presse internationale a parlé d'afro optimisme succédant à l'afro pessimisme [3]. Les dirigeants africains se sont vantés de leur succes story, attribuée à leur capacité à s'adapter à la mondialisation néolibérale, à l'ouverture des marchés. La Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement (BAfD) les ont félicités. Or, ces gouvernants ont accumulé des dettes de manière tout à fait exagérée sans consulter les citoyen·nes de leur pays. Quand les banques centrales ont décidé, à partir de 2022, d'augmenter les taux d'intérêt, la situation financière s'est brutalement détériorée

À partir des années 2020, l'engrenage vers une nouvelle grande crise de la dette

La combinaison de la pandémie, des effets de la guerre en Ukraine, de l'inflation et des hausses de taux d'intérêt des banques centrales des pays les plus industrialisés a déclenché une nouvelle crise de la dette dans l'ensemble des pays du Sud. Depuis 2020 et surtout 2022, nous sommes dans une nouvelle conjoncture, une nouvelle crise de la dette aux proportions énormes qui a été causée par quatre chocs pour le capitalisme mondial. Ce sont tous des chocs exogènes aux pays les plus pauvres. Tout d'abord, la pandémie de coronavirus, qui a provoqué des décès massifs dans le monde entier, des confinements généralisés, des ruptures de chaînes d'approvisionnement…

Deuxièmement, la crise économique aggravée par la pandémie. Celle-ci a sapé les économies des pays en développement, de l'Amérique latine à l'Asie en passant par l'Afrique. Des pays comme le Sri Lanka et Cuba, qui avaient adopté une stratégie économique basée sur le tourisme, ont été particulièrement touchés par l'arrêt des transports aériens.

L'interaction de ces deux chocs a jeté les bases de la nouvelle crise de la dette souveraine. Au moment même où les États ont dû augmenter leurs dépenses publiques pour faire face à la pandémie, leurs économies sont entrées en récession, tarissant les recettes fiscales. En conséquence, la dette souveraine a explosé.

Le troisième choc a été l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022. Elle a immédiatement déclenché des hausses spéculatives massives des prix des céréales comme le blé. On peut parler de hausse spéculative parce que pendant les premiers mois de la guerre, les stocks de céréales de l'Ukraine et de la Russie n'ont pas diminué. Or les prix des céréales ont littéralement flambé. Ensuite, les exportations ont été interrompues, ce qui a eu pour effet d'étouffer les approvisionnements et de faire grimper les prix encore davantage, jusqu'à ce qu'un accord soit orchestré pour permettre la reprise des expéditions. Accord remis en cause depuis fin juillet 2023. Il y a également eu une flambée des prix des engrais chimiques ainsi que du pétrole et du gaz.

Les prix ont grimpé dans le monde entier, en particulier dans les pays qui importaient la majeure partie de leurs denrées alimentaires, les engrais et les combustibles. Dans les pays d'Asie et d'Afrique, l'inflation a pesé lourdement sur les populations, déjà appauvries par la récession. Un très grand nombre de personne n'ont pas pu faire face à l'augmentation du prix des denrées alimentaires et des combustibles.

Le quatrième choc et certainement le plus important a été la décision unilatérale de la Réserve fédérale américaine, de la Banque centrale européenne et de la Banque d'Angleterre de relever leurs taux d'intérêt. Aux États-Unis, la Fed a relevé ses taux de près de 0 à plus de 5 %, la Banque d'Angleterre et du Canada ont fait de même tandis que la Banque centrale européenne les a portés à 4,5 %.

Ces hausses ont eu un effet dévastateur sur les pays du Sud. Des pays comme la Zambie et le Ghana, qui étaient considérés comme des succes story, sont entrés en suspension de paiement. Les fonds d'investissement, qui avaient acheté des obligations souveraines dans ces pays, se sont rendu compte que la hausse des taux d'intérêt dans le Nord signifiait qu'ils pouvaient obtenir un taux de rendement plus élevé en achetant de telles obligations aux États-Unis, en Europe et en Grande-Bretagne. Nous avons donc assisté à un rapatriement des capitaux financiers du Sud vers le Nord.

Pire encore, les fonds d'investissement ont dit aux États du Sud que s'ils voulaient refinancer leur dette, ils devraient payer des taux d'intérêt de 9 à 15 %, et dans certains cas jusqu'à 26% (comme dans le cas de la Zambie ou de l'Égypte [4]), faute de quoi les fonds n'achèteraient pas leurs obligations. Si les pays n'ont eu d'autre choix que d'accepter, nombre d'entre eux n'ont aucun moyen d'effectuer leurs paiements à des taux aussi élevés. Il en résulte une nouvelle crise de la dette souveraine.

"Entre 2008 et 2023, le fossé entre pays en développement et pays développés a encore augmenté contrairement à la mission confiées aux institutions de Bretton Woods et aux soi-disant bienfaits du capitalisme".

La Banque mondiale ne nie pas le rôle très négatif de la flambée des taux d'intérêt mais elle se garde bien de pointer du doigt la responsabilité des dirigeant·es des banques centrales des puissances qui dominent les deux institutions de Bretton Woods.

La Banque mondiale ne recommande pas aux gouvernements des pays endettés de se protéger en déclarant une suspension coordonnée des paiements de la dette. Or, selon le droit international, ils en ont parfaitement le droit. En effet, ils peuvent évoquer le changement fondamental de circonstances provoqué par les chocs externes provenant du Nord, en particulier la décision unilatérale des banques centrales d'Amérique du Nord et d'Europe occidentale d'augmenter radicalement les taux d'intérêt.

En cas de changement fondamental de circonstances et de chocs externes, il n'y a pas d'obligation de poursuivre l'exécution d'un contrat d'emprunt et de continuer à rembourser la dette.

Par ailleurs, la Banque mondiale n'assume pas non plus ses responsabilités. C'est elle qui ,avec le FMI, a encouragé les pays aujourd'hui endettés à contracter un maximum de nouveaux emprunts et à ouvrir au maximum leurs économies, ce qui les a fragilisés par rapport aux chocs externes qui viennent de se succéder en trois ans.

Si on prend une perspective longue et qu'on fait un bilan de l'action de la Banque mondiale et du FMI qui sont nés il y a bientôt 80 ans, en 1944, on ne peut que constater l'échec complet de ces deux institutions multilatérales qui étaient censées permettre un solide développement et le plein emploi. On trouve d'ailleurs dans un important rapport présenté par le FMI en 2023 un aveu d'échec accablant. En effet, dans le World Economic Outlook d'avril 2023, le FMI affirme qu'il faudra 130 ans pour que les pays en développement réduisent de moitié le fossé qui sépare leur revenu par tête d'habitant de celui des pays développés. 130 ans pour réduire de moitié ce qui sépare le revenu per capita des pays en développement de celui des pays riches ! Cela a un moment où l'humanité est confrontée dans l'immédiat à des menaces à plus courte échéance pour son existence, à cause de la crise écologique qui a pris des proportions extrêmes. Mais le comble, c'est que dans le World Economic Outlook d'avril 2008, le FMI affirmait qu'il faudrait 80 ans pour réduire le fossé en question. La conclusion est simple : entre 2008 et 2023, le fossé entre pays en développement et pays développés a encore augmenté contrairement à la mission confiées aux institutions de Bretton Woods et aux soi-disant bienfaits du capitalisme.

Il faut également citer les politiques d'ajustement structurel qui ont mené à la privatisation des systèmes de santé aux Suds, et à une plus grande dépendance de ces pays aux céréales, intrants et autres produits importés. Ces politiques matraquées depuis plus de 40 ans ont complètement désarmé les pays des Suds pour faire face aux chocs extérieurs tels que la pandémie de Covid-19 ou la hausse mondiale du prix des céréales et des taux d'intérêt.

Il y a deux siècles, au début de la révolution industrielle capitaliste, la différence de revenu per capita entre pays appelés aujourd'hui en développement et pays développés était très faible. Le capitalisme victorieux aujourd'hui à l'échelle de la planète a augmenté comme jamais dans le passé le fossé entre nations. Sans parler du fossé au sein de chaque nation qu'elle soit du Sud ou du Nord entre le 1% le plus riche et les 50% d'en bas.

Il est grand temps de dissoudre la Banque mondiale et le FMI et de construire une autre architecture internationale respectueuse des droits humains et de la Nature. Il est grand temps de se débarrasser du système capitaliste et de réaliser une révolution écosocialiste, internationaliste, féministe,…

Notes

[1] Source : https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2023/12/13/developing-countries-paid-record-443-5-billion-on-public-debt-in-2022 |
Rapport complet est disponible ici : https://www.worldbank.org/en/programs/debt-statistics/idr/products

[2] Martin Wolf, “The global economy holds up yet limps on”, 11 October 2023.

[3] CADTM, « Afrique, le piège de la dette et comment en sortir », décembre 2022, https://www.cadtm.org/Afrique-le-piege-de-la-dette-et-comment-en-sortir.

[4] L'évolution des rendements des titres souverains à 10 ans est disponible ici : http://www.worldgovernmentbonds.com/country/puertorico/ On y voit que le rendement (yield) sur les titres à 10 ans de la Zambie et de l'Égypte atteint 26%, celui de la Turquie atteint 25%, celui du Kenya 18,5%, celui du Pakistan et de l'Ouganda, 16%.

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François Chesnais : une contribution incontournable à l’analyse du capitalisme

6 février 2024, par Marc Humbert — ,
Marc Humbert rend hommage à l'économiste marxiste François Chesnais, disparu en octobre 2022, en rappelant sa contribution à la compréhension de la place de la technologie dans (…)

Marc Humbert rend hommage à l'économiste marxiste François Chesnais, disparu en octobre 2022, en rappelant sa contribution à la compréhension de la place de la technologie dans l'économie capitaliste et en revenant sur son analyse de l'évolution des forces productives.

Tiré de la revue Contretemps
30 janvier 2024

Par Marc Humbert

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François Chesnais, au cours d'une certaine période de son activité professionnelle, a cherché, entre autres, à approfondir la compréhension de la manière dont le capitalisme poursuivait le développement des forces productives. Je l'ai fréquenté professionnellement à cette époque où il était économiste à l'OCDE et qui va pour moi de la fin des années soixante-dix au milieu des années quatre-vingt-dix.

J'ai souhaité lui rendre hommage en rappelant sa contribution à certaines réflexions qui ont fait évoluer l'opinion de nombre d'économistes à cette époque. Dans ce cadre, il a bien décrypté le jeu des firmes multinationales, appuyé par les États dominants, dans la mondialisation de l'industrie et de l'économie mondiale. L'un de ses partenaires dans ces réflexions en a dressé un bilan historique long, voyant là « Comment l'Occident s'est enrichi 1] », un titre ironique paraphrasant celui du célèbre ouvrage sur la Richesse des Nations, d'Adam Smith, le père de l'économie libérale.

Mon propos comprend deux sections, une première rappelle la contribution de François Chesnais à l'appréciation du rôle de la technologie dans l'économie, ceci dans le cadre de l'apparition d'une nouvelle approche hétérodoxe de la théorie économique standard. La seconde tend à montrer que même après la fin de cette période qui semblait marquer un désintérêt pour les réalités industrielles, François Chesnais lui accordait encore toute son importance. Il s'interrogeait ainsi récemment pour savoir si cette fois le développement des forces productives avaient effectivement rencontré des limites infranchissables.

I. Conceptions du rôle de la technologie dans l'évolution de l'économie

A)Les apories des théories économiques disponibles sur la question de la technologie

La théorie économique standard de l'équilibre économique général suppose que l'ensemble de tout ce qui est matériel et immatériel destiné à satisfaire la consommation, la demande solvable des populations, est mis à leur disposition par le libre fonctionnement des marchés.

C'est ce fonctionnement qui assure une allocation optimale des ressources et offre à ces populations, à l'économie dans son ensemble, de se trouver dans une situation pareto-optimale, impossible à dépasser. La production de biens, de services, de services producteurs se fait dans un état donné de la technologie, on ne voit même pas apparaître la catégorie firme ou entreprise ; le texte de Coase de 1937 qui montrait que la firme est la négation du rôle des marchés ne sera exhumé par des semi-hétérodoxes que bien plus tard sous l'influence de Williamson en 1975. La théorie standard est une microéconomie sans acteurs concrets, mais modélisée selon le souci de chaque avatar de maximiser sa satisfaction, son bénéfice, à la moindre peine, au coût le plus bas possible, sans aucune autre considération. Avatar qui a été appelé homo economicus [2].

Après la crise de 1929, les libéraux thuriféraires du capitalisme ont été secoués par l'interventionnisme du New Deal qui a évité l'effondrement ou/et la révolte sociale. Les économistes vont devoir s'adapter. Un interventionnisme raisonné des politiques a besoin d'indicateurs et c'est ainsi que va naître la comptabilité nationale. Elle sera aussi bien utile pour que les idées de macroéconomie portées par la théorie générale de Keynes [3] publiée en 1936 puissent devenir des pratiques nationales de politique économique après 1945.

Les idées Keynésiennes ont été hybridées par des économistes qui les ont transformées en une recette de stop and go ou de fine tuning par les dépenses publiques ou le déficit budgétaire : si la demande globale est excessive et provoque l'inflation, un coup de frein est donné, tant pis pour le chômage qu'il peut provoquer. Vice versa, si la demande est insuffisante, les dépenses publiques pourront augmenter et relancer la machine et l'emploi. Toutefois cela n'était pas suffisant pour les responsables politiques qui, après 1945, ne voulaient pas seulement éviter les crises, mais surtout faire croître le PIB dont on allait vérifier désormais chaque année le taux de croissance.

C'est lui qui va permettre de faire espérer aux masses une amélioration de leur niveau de vie et garantir ainsi leur adhésion au système libéral c'est-à-dire éviter qu'elles ne soient tentées par l'expérience communiste, en particulier celle qui avait cours à l'Est de l'Europe où régnait disait-on la pénurie. C'est aussi ce type de promesse faite par le président américain Truman [4] en 1949 qui va assurer que les pays nouvellement indépendants et tous les autres encore non industriels, bref le Tiers-Monde, attendent sagement leur tour comme les y incite Rostow [5] en 1960 et demeurent au sein du « monde libre ». Ils ont été accompagnés dans leur attente par la communauté internationale qui a lancé la première décennie du développement en 1962 [6]. En l'absence répétée de toute réussite, cette première décennie a été suivie d'une série d'autres décennies et on est encore loin d'aboutir selon cette voie. Beaucoup de pays non occidentaux se sentent plus qu'impatients d'autant plus que pour raison écologique on leur demande de modérer leurs projets.

Mais comment mettre les économies sur un sentier de croissance ? Il n'y avait pas encore en 1945 de théorie de la croissance et les économistes patentés se sont alors mis au travail. Notamment des keynésiens plus ou moins dissidents des néoclassiques libéraux qui vont pondre l'objet attendu. C'est Robert Solow qui prend le leadership en 1956 avec une théorie macroéconomique de la croissance [7]. Ce qu'on y appelle technologie, est un rapport entre les quantités de Capital K et les quantités de travail L mises en œuvre selon une certaine fonction de production macroéconomique pour donner comme résultat notre PIB.

Quand en 1962 Denison s'aventure à tester ce modèle sur les données concrètes de la croissance américaine entre 1929 et 1957, il s'aperçoit que l'évolution des quantités de capital et de travail employées n'explique que moins de 50% de la croissance américaine. Il essaie toutes les idées astucieuses possibles pour gonfler « avec du supposé progrès – technique – » les quantités de facteurs mais il lui reste encore un « résidu » de 20% de croissance inexpliquée [8]. En France des économètres macroéconomistes de renom se coltinent le même exercice et montrent en 1972, malgré des raffinements sophistiqués, qu'il reste 50% de la croissance française entre 1951 et 1959 qui ne peut être expliqué [9].

Pour les mêmes raisons de la non prise en considération directe de ce qu'on soupçonne être le progrès technologique, on ne peut expliquer les différentiels de croissance entre les économies nationales (Denison 1967) [10]. Si on regarde du côté de Marx, ses disciples n'étaient guère mieux équipés. Certes Marx a la vision que ce sont les changements technologiques – l'évolution des forces productives- qui ont fait évoluer le social. Bien que ces changements ne soient pas explicités et expliqués ils sont tenus pour déterminants. Les forces productives à l'évidence, malgré les contradictions croissantes attendues, n'avaient pas encore atteint leur stade ultime quand Lénine a voulu coupler la technologie capitaliste (l'électrification) aux soviets pour construire le socialisme. Pas plus en 1945. Ce stade ultime ne semble pas encore atteint aujourd'hui.

Plus benoîtement et objectivement, on peut remarquer que L'URSS, après un rattrapage (aidé après 1945 par un brain-drain des ingénieurs allemands) s'est retrouvée dans les années soixante à la traîne des changements technologiques accélérés dans les pays capitalistes keynésiens, hormis dans le militaire. Il n'y avait pas vraiment de pénuries à l'Est, mais le niveau de bien-être matériel offert aux masses, comparé à celui dont bénéficiaient en moyenne celles de l'Ouest, présentait un différentiel qui a mécontenté la masse ouvrière soviétique au moins autant que la quasi absence de libertés individuelles.

Les rapports sociaux caractéristiques de la domination bourgeoise d'après la révolution industrielle selon Marx, ne permettent pas d'expliquer de façon satisfaisante, à mon sens, ni le rythme ni le contenu de la révolution industrielle encore moins la manière dont se poursuivent ces changements technologiques. Le modèle de reproduction élargie de l'accumulation en deux sections dont une productrice de biens d'équipement ne nous renseigne guère sur la dynamique technologique.

L'élévation de la composition organique du capital ne dit rien sur ce que sont les machines et le capital constant – et ce qu'elles sont, ou sur ce que sont certains de leurs éléments qui jouent ou non un rôle crucial, de même rien sur les qualifications variées des travailleurs et leur organisation selon des modalités différentes de celles employées pour les travailleurs manuels. Certes la plupart des adeptes de cette vision scientificisée s'efforcent de concocter ce qui manque et cela permet à leurs yeux de rendre compatible la poursuite des changements technologiques et la théorie de Marx. Mais leurs résultats n'ont pas convaincu grand monde en dehors du cercle étroit de leurs fidèles.

En France l'école de la régulation, inspirée de marxisme et de keynésianisme, donne sa version de l'explication des crises avec une théorie des formes institutionnelles qui elle aussi n'a que faire de se pencher sur la manière dont sont produites et changent les technologies. En 1986, dans la synthèse qu'il dresse de dix ans de travaux collectifs, Robert Boyer [11], que François Chesnais et moi-même avons fréquenté et apprécié, écrit que c'est peut-être une voie parallèle que de s'en préoccuper. Sur les cent-trente pages de son ouvrage en forme de bilan, dix lignes évoquent parmi des projets qu'il dit similaires à la théorie de la régulation ceux « des spécialistes du changement technique qui sont à la recherche d'un modèle évolutionniste (R.R. Nelson, S.G. Winter) permettant de cerner simultanément changement technique et mutation dans les formes institutionnelles (G. Dosi, L. Orsenigo, G. Silverberg) ». Pour que certains contributeurs de la théorie de la régulation commencent à traiter de ces questions technologiques, il a fallu attendre le colloque de Barcelone en 1988. Là sera organisée une session intitulée « Les enjeux sociaux de la technologie » – à la quelle ma contribution [12] a été diversement appréciée (mais publiée par la revue Tiers-Monde en 1989).

De fait ce qu'on appelle le « capitalisme » ne s'est pas encore effondré. C'était pourtant ce que prédisaient de nombreux marxistes au début des années 1970. Mais, cinquante ans plus tard, le capitalisme parait n'avoir jamais été aussi puissant. La crise de 2008 a réveillé l'espoir mais il a été déçu jusqu'à aujourd'hui. Toutefois, certains pensent que le capitalisme va très mal – et François Chesnais était de ceux-là – et qu'une reprise technologique serait cette fois peu assurée – François Chesnais était plus que dubitatif – et d'autres sont certains qu'une nouvelle crise plus importante est inévitable et va amplifier le déclin du capitalisme le rapprochant de son écroulement.

C'est bien possible. Personnellement je veux bien y croire car je suis fondamentalement opposé à la logique capitaliste. Mais il me semble que l'issue dramatique qui menace une grande partie de l'humanité pour les années 2070 c'est plus l'in-habitabilité de la Terre. Certes pour des raisons d'évolution des conditions écologiques dont est évidemment responsable l'évolution du capitalisme concret et l'oligarchie qui l'a pilotée, et qui la pilote encore à son profit. J'y reviendrai avec ce que j'en ai lu de François. Mais tout d'abord rappelons que si le capitalisme ne s'est pas effondré c'est en bonne partie en raison de son moteur technologique ce sur quoi François Chesnais m'était apparu tout à fait d'accord.

B) Les courants de pensée économique se saisissant de la question de la technologie

François Chesnais a fréquenté et travaillé avec les trois principaux leaders qui ont fait avancer la réflexion économique sur la question de la technologie. Il s'agit des regrettés Christopher Freeman, et Nathan Rosenberg – qui ont été au moins proches du marxisme à une certaine époque- ainsi que de Richard Nelson [13].

(i) Christopher Freeman

Christopher Freeman est un britannique (disparu en 2010 à l'âge de 88 ans) qui a consacré à temps plein sa vie d'économiste aux questions de la technologie à partir de la création en 1966 du Science Policy Research Unit de l'université du Sussex dont il a été le premier directeur fondateur. Il constitue une équipe avec laquelle il explore la création de nouvelles technologies dans tous les secteurs et dans de nombreux pays. Il accueille des doctorants de divers pays d'Europe (en particulier d'Italie) et d'Amérique Latine. Il publie seul et en collaboration, de nombreux articles, rapports, ouvrages.

Avec Giovanni Dosi, venu d'Italie, sera forgé le concept de paradigme technologique (1982) et l'hypothèse qu'est survenue dans l'industrie une innovation radicale avec l'invention des semi-conducteurs qui a provoqué une sorte de révolution diffusant peu à peu dans tous les secteurs d'activité [14]. Avec Carlotta Perez [15], venue du Venezuela (et qui fut un temps son épouse), il s'attache à développer l'idée des cycles longs héritée de Kondratiev [16] et interprétés par Schumpeter [17]. Le SPRU est visité également par Luc Soete qui fondera ensuite un centre un peu similaire à Maastricht.

De retour d'un séjour au Japon, Christopher Freeman se persuade qu'il faut concevoir que chaque pays organise de fait son système d'innovation et publie en 1987 un ouvrage en ce sens [18]. En 1988, avec Richard Nelson, Gerald Silberberg et Luc Soete, Freeman publie une somme collective sur l'introduction du changement technique dans la théorie économique et commande un chapitre à François Chesnais qu'il a fréquenté à l'OCDE [19]. Un autre familier du SPRU, Bengt-Åke Lunvall, un Suédois implanté à l'université de Aalborg au Danemark, s'empare du concept de système national d'innovation et sort en 1992 un ouvrage collectif auquel sera associé François Chesnais qui là encore publie un chapitre [20].

Parmi de nombreux chercheurs du monde entier qui ont été accueillis ou/et formés au SPRU et qui sont devenus des contributeurs notoires aux travaux sur le fonctionnement et le rôle de la technologie il faut nommer Helena Lastres et José Cassiolato. En raison de l'importance internationale de leurs contributions et aussi parce qu'ils y ont associé François Chesnais jusqu'à sa disparition.

Ces deux Brésiliens ont établi en 1997, dans leur université fédérale de Rio de Janeiro, à l'Institut d'économie industrielle, un réseau interdisciplinaire de recherche, inspiré en particulier du concept de système d'innovation. Il s'intitule Redesist, ce qui signifie « Réseau de Recherche sur les arrangements locaux d'innovation et de production » Ce réseau a fêté ses 20 ans d'existence en 2017 [21] et poursuit sa dynamique. Il s'est développé avec des groupes participant répartis dans 27 universités de tout le Brésil et des groupes dans la plupart des pays d'Amérique Latine et des accords avec des groupes et des chercheurs individuels dans le monde, dont François Chesnais et moi-même. Ce réseau a organisé un grand nombre de colloques internationaux, et a réalisé un grand nombre de rapports pour soutenir des politiques de développement. Il a publié un très grand nombre d'études, d'analyses théoriques d'articles dans des revues scientifiques, coordonnant des ouvrages en portugais et en anglais.

En 2003 ils ont accueilli le premier colloque international d'un réseau plus vaste encore dont ils ont été les animateurs en assurant son secrétariat pendant de longues années. Il s'agit de GLOBELICS. Un réseau mondial (GLOBE) sur les systèmes d'apprentissage, d'innovation et de formation des capacités (Learning, Innovation, Competence Building) co-fondé par Bengt-Åke Lundvall et Luc Soete, préalablement cités [22]. Ces thèmes ont été considérés comme au cœur des questions du développement économique et le réseau a organisé des colloques mondiaux dans tous les continents et continue à le faire. Leur 20ème colloque aura lieu en octobre 2023 à Kérala en Inde [23] sur la transformation des économies du Sud global liée à des innovations entraînées par l'essor des connaissances.

José Cassiolato et Helena Lastres se sont assurés la collaboration de François Chesnais qu'ils ont fait intervenir très souvent dans des colloques et journées qu'ils ont organisés depuis 1997 et l'ont fréquemment publié et encore au cours de ces dernières années [24]. Ils lui ont permis également, en l'invitant régulièrement au Brésil d'y continuer ainsi ses relations de travail et de militance. Enfin, et ceci n'est pas le moins de leurs soutiens aux travaux de recherche de François Chesnais, ils ont organisé un hommage à son intention pour ses 80 ans, ce qui s'est concrétisé sous la forme d'un ouvrage collectif publié en 2014. Ils y ont accueilli un texte de Catherine Sauviat sa compagne et complice de nombreux travaux. Elle y présente (en anglais) ce qu'elle connait du parcours intellectuel de François Chesnais [25]. Les différents chapitres (en portugais) de l'ouvrage d'hommage présentent chacun un aspect de l'apport de la pensée de François au Brésil et aux chercheurs Brésiliens sur les questions du développement et de la mondialisation.

(ii) Nathan Rosenberg

Nathan Rosenberg (disparu en 2015 dans sa quatre-vingt-huitième année) était américain. Professeur d'histoire économique (à Stanford à partir de 1974), il s'est intéressé à comprendre comment la technologie s'est développée et a forgé le monde occidental. Un premier ouvrage [26] publié en 1976 qui met cette question en perspective a été très remarqué, tandis qu'un second [27] sorti en 1982 porte un titre provocateur. « Inside the black box ».

Pour la plupart des économistes de toutes obédiences, il y a des lois du système économique, mais celles-ci n'expliquent pas par le menu la production de puissance, la production de ce changement ou de ce progrès technique qui booste la machine. Personne (ou presque) ne se risque à soulever le capot, la machine est une boîte noire. Il sera invité en 1991, lors du grand colloque organisé pour les 25 ans du SPRU, à prononcer le discours inaugural [28]. Un colloque qui a réuni tous ceux qui avaient rejoint ce champ de travail depuis plus ou moins longtemps, comme François Chesnais qui appréciait beaucoup l'approche historique de Nathan Rosenberg. Je m'y trouvais aussi bien sûr.

(iii) Richard Nelson

Richard Nelson (né en 1930 – 93 ans), après s'être intéressé à l'économie de la recherche scientifique de base avec un article remarqué [29] en 1959, a voulu comprendre plus complétement le processus d'innovation, c'est-à-dire au sens de Rosenberg, soulever le capot.

Dès 1962 ses recherches se sont orientées dans cette direction [30]. Il publie en 1977 dans la revue du SPRU, avec son collègue Sidney Winter, un article [31] sur la manière de chercher une théorie pertinente de l'innovation. Dans la foulée ils publient en 1982 un ouvrage qui fera date en fondant les bases de ce qui sera dit une théorie économique évolutionnaire [32].

Il s'est emparé lui aussi du concept de système national d'innovation et publie en 1993 un ouvrage avec une mise en regard des systèmes de différents pays. Il a confié à François Chesnais le chapitre sur le système français d'innovation [33]. L'introduction de l'ouvrage est co-signé par Nelson et Rosenberg. Rosenberg signe le chapitre sur le système d'innovation des Etats-Unis avec David Mowery qui a été son étudiant. Bengt-Åke Lunvall co-signe un autre chapitre.

C) La relation a-typique de François Chesnais avec Schumpeter

Ce que je viens de rappeler montre l'existence d'une communauté de chercheurs derrière lesquels planent l'ombre de Schumpeter. C'est une communauté scientifique au sein de laquelle François Chesnais occupe une place à l'importance reconnue. Au moins depuis les années quatre-vingt jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix. Si cette communauté continue de fonctionner sur ce champ, François Chesnais s'en est éloigné quelque peu après 1995.

Mais auparavant et après une quinzaine d'années intenses en débats, colloques, publications – j'aurai moi aussi le plaisir de publier François dans l'ouvrage collectif que j'ai sorti en 1992 chez l'éditeur clé qui avait accompagné cette communauté, Frances Pinter [34] – François réalise un maître ouvrage dans le cadre de la Direction de la Science de la Technologie et de l'Industrie où il était à la manœuvre.

C'est lui qui fut la cheville ouvrière du Programme Technologie/ Economie lancé en 1988 avec un programme approuvé par les Ministres des pays membres en 1991. Une revue a été lancée, mais surtout il en est sorti un ouvrage publié [35] en 1992. Comme rarement dans les publications de ce type par l'OCDE, juste avant la signature du secrétaire général de l'institution est indiqué « François Chesnais a assuré la coordination générale et l'établissement du texte définitif ».

François a pu y insister sur tous les thèmes qui lui paraissaient essentiels, les questions d'investissement et de formation des compétences humaines, la complétion du marché mondial et les firmes multinationales, l'oligopolisation et les réseaux d'alliances entre firmes géantes, la compétitivité structurelle, les questions d'industrialisation tardive et les problèmes de l'environnement.

Mais il faut noter que dans la longue bibliographie de cet ouvrage ne figurent ni Marx ni le Schumpeter de 1911, de la théorie de l'évolution économique [36] ou celui sur les cycles [37] de 1939. Pourtant se trouve référencé le livre qui fera la renommée publique de Schumpeter et publié en 1942 sous le titre de « Capitalisme Socialisme et Démocratie [38] ».

Schumpeter lui-même soulignait qu'il était un des rares économistes avec Marx et les marxistes à s'intéresser aux crises, à l'investissement ou l'accumulation du capital et aux grandes firmes et aux oligopoles. Mais si pour Marx le capitaliste bourgeois était l'homme aux écus qui précipitait la survenue des crises économiques, pour Schumpeter c'était l'entrepreneur qui se saisissait et provoquait des innovations et sortait l'économie des situations de crises.

Bien des marxistes et même des Keynésiens régulationnistes orthodoxes ou dissidents négligent Schumpeter. C'est par exemple le cas de notre ami Bernard Billaudot qui a cherché à repenser l'économie et à décrire l'ordre économique moderne [39]. Il dit s'être plongé dans une relecture approfondie de tout ce qui comptait à ses yeux parmi des économistes, des historiens, des philosophes, des sociologues des politistes dont il mentionne une liste très longue. Schumpeter ne semble pas présenter d'intérêt à ses yeux, car il ne le mentionne à aucun moment au cours de son texte long de 1000 pages.

François Chesnais, quant à lui, ne l'a pas négligé. Tout en regrettant encore récemment (en 2019) [40], « le désintérêt des économistes marxistes pour la technologie, marqué aujourd'hui par la quasi-absence de travaux économiques sur l'informatisation et l'automatisation ». Certes et c'est aussi ma position, il ne trouve aucune raison pour supposer que les cycles à la Kondratieff pourraient s'imposer de manière externe et déterministe au fonctionnement de nos économies [41]. Mais Schumpeter et Marx sont à peu près d'accord avec ce que soulignait François dans un article [42]de 1967 « la loi de développement des forces productives propre au système capitaliste est celle d'un développement potentiellement illimité de ces forces ».

Pour Schumpeter, le capitalisme est le lieu où souffle un ouragan permanent de destruction créatrice [43]. Si la contradiction marxiste est supposée mener à une destruction, elle est aussi supposée être bientôt définitive, et non pas créatrice. Pourtant Schumpeter rejoint Marx sur l'issue finale, le capitalisme finira par s'effondrer.

François Chesnais n'emploie guère Marx dans ses travaux sur la technologie au sein de cette communauté de recherche, mais il n'hésite pas pour autant à le faire à l'occasion pour rappeler qu'il y a selon lui au-delà des comportements des firmes et autres acteurs, les déterminants du processus historique du développement capitaliste.

Ainsi il écrit p. 498 in Dosi et al. (1988) [44] : “ tandis que les FMN sont manifestement des agents actifs dans le processus d'internationalisation et même des architectes de certains aspects de ce processus, et qu'elles doivent en conséquence être analysées pour elles-mêmes, elles sont cependant dépendantes d'un ensemble global de facteurs sur lesquels elles n'ont en fait peu ou pas de prise et qui tous ont leur source dans les mécanismes de base qui emmènent le processus historique du développement capitaliste. L'un de ces mécanismes est le développement (de manière contradictoire, antagonique et inégale) des forces de production, parmi lesquels la science et la technologie jouent un rôle qui devient de plus en plus central ».

Je suis obligé de remarquer que cela revient à dire que le déterminisme historique laisse attendre la fin du capitalisme et s'accompagne de quelques degrés de liberté qui permet de reporter cette fin. Et que François Chesnais en deçà du déterminisme historique s'intéressait à la manière dont les firmes, les entrepreneurs s'employaient à s'emparer de ce que lui, considérait, de facto, comme de simples degrés de liberté. Mais il s'intéressait aussi au degré de liberté (?) des Etats. Bref la technologie en elle-même ne suffit pas pour sortir de crise (sauver le capitalisme ?), retrouver un cycle ascendant, il faut des entrepreneurs et des institutions, des conditions socioéconomiques.

C'était Ergas qui avait souligné, en amont de l'idée de système national d'innovation, l'importance des politiques technologiques [45]. On pourrait dire qu'à certains égards François Chesnais était proche d'une sorte de keynésianisme technologiste. Quand il se demande dans un texte publié en 2016 pour ses amis Brésiliens, si le capitalisme va à nouveau s'en sortir par la technologie, il pense que le hic se trouve dans le fait que les tendances actuelles laissent prévoir que le chômage devrait se développer massivement [46]. Comme il l'y rappelle, des études documentées l'avaient affirmé déjà en 2013. Mais dix ans plus tard, en 2023, le fait est, qu'en Europe et aux Etats-Unis, il n'est pas plus important qu'en 2008, il est même plus bas aux Etats-Unis, en revanche la « qualité » et le « niveau de rémunération » des emplois semblent s'être dégradés. L'armée de réserve tarde à se constituer. Pourtant au vu de l'évolution tendancielle de l'accumulation et des taux de profits, François Chesnais, en 2022, écrivait que le capitalisme mondial était dans l'impasse [47].

II. Adieu à l'industrie ?

A) La financialisation

A partir du milieu des années 1990, François Chesnais a été happé par les questions de la financiarisation mondialisée du Capital. Mes relations avec lui se sont espacées. Bien sûr il a cependant, en 2002, soutenu le réseau de chercheurs que j'ai lancé depuis la CEPAL à Santiago du Chili : PEKEA (Political and Ethical Knowledge in Economic Activities) pour construire une approche politique et éthique des activités économiques. Un réseau mondial qui a regroupé jusque 1 000 chercheurs et militants pour moitié économistes et d'autres sciences sociales, dans une cinquantaine de pays. Il l'approuvait lui qui considérait qu'il n'y avait pas de raison que l'économie ne soit pas une science sociale comme une autre.

Il a quitté en quelque sorte le champ où nous travaillions ensemble, tout en m'informant qu'il y reviendrait. C'est le sens de la dédicace qu'il m'a écrite– comme il m'a donné et dédicacé La technologie et l'économie et bien d'autres de ses ouvrages- sur l'exemplaire qu'il m'a confié de son ouvrage collectif de 1996 La mondialisation financière- Genèse, coût et enjeux. On peut y lire ce qui suit [48] : « nous sortons de l'économie industrielle pour mieux pouvoir y revenir après avoir un peu mieux compris l'environnement financier des firmes et l'identité des forces et des acteurs qui pèsent même sur les groupes les plus puissants ».

A vrai dire il en est resté apparemment assez loin même s'il a lui-même affirmé dans un entretien révélé récemment mais donné à Contretemps en 2014 [49] :

« dans mes travaux récents j'essaie de corriger l'impression que certains ont pu avoir que, comme Aglietta, je donnais la primauté à la finance. Je suis vraiment revenu à l'internationalisation de la production et à la configuration des groupes industriels actuels, donc aux chaînes de valeur. »

C'est effectivement ce qu'il a fait dans son dernier grand ouvrage [50], en anglais, publié un peu après, en 2016. Il y montre bien que les banques ne dominent pas les grands groupes industriels, lesquels en revanche, interviennent sur les marchés financiers et restent les acteurs dynamiques de la mise en compétition planétaire acharné des salariés et des nations du monde. Certes l'imbrication des unes et des autres est bien réelle.

Mais tout n'est pas là pour comprendre la crise, cette crise de 2007-2008. Il ne faut pas en rester selon lui à des analyses maniant les variables usuelles du raisonnement. Cette crise dont on n'est pas encore sorti, pourrait être finale parce que le capitalisme aurait touché des limites infranchissables. C'est ce qu'il soutient dans la conclusion de l'ouvrage de 2016 que je viens de citer.

B) Le capitalocène

Dans l'ouvrage qu'il avait publié en 1992 pour l'OCDE, François Chesnais avait consacré un chapitre entier aux questions environnementales qui y sont prises très au sérieux. Toutefois, François Chesnais, et moi-même, n'avons pris conscience que plus tardivement de la rupture quasi paradigmatique que signifiaient les alertes données de manière toujours plus forte depuis 1972 (Rapport Meadows et Sommet des Nations Unies à Stockholm) et les observations scientifiques de plus en plus alarmantes. Pour moi cette prise de conscience était quasi explicite lors du colloque PEKEA de Bangkok en 2004. Je ne sais quand exactement cela fut le cas pour François mais il écrivait déjà en 2008 que la crise climatique allait se combiner avec la crise du capital [51]. Et c'est dans cette suite qu'il en est arrivé, apparemment à partir de 2010 – à adopter et intégrer dans ses analyses le concept d'Anthropocène – signifiant que l'espèce humaine est responsable de l'entrée dans une nouvelle ère géologique.

Quand il écrit en février 2012 un texte fondé sur son intervention pour le colloque de 2011 organisé au Brésil par l'équipe de José Cassiolato, il indique [52] qu'il ajoute une section à ce qu'il avait présenté lors du colloque pour expliquer que la combinaison de la crise climatique à la crise économique, financière et sociale exige une « rupture copernicienne ». Il situe l'origine de la situation dans la rupture épistémique provoquée par l'essor du capitalisme aux XVIe et XVIIe siècle– essor dans lequel Marx aurait déjà perçu que pourrait surgir la menace présente aujourd'hui. Il adopte la qualification de l'entrée dans l'Anthropocène comment faisant suite à l'Holocène pour caractériser ce qui est la situation présente.

Pour en sortir il est nécessaire selon François Chesnais d'entreprendre une nouvelle rupture épistémique et des mutations institutionnelles et organisationnelles radicales. Il adoptera quelques années plus tard le concept de Capitalocène [53] proposé par Jason Moore et c'est une version renouvelée [54] du texte de 2012 (que je viens de citer) qu'il donne à nos amis Brésiliens. Dans cet ouvrage qui s'interroge sur le futur du développement, il donne comme titre à son chapitre une affirmation qui peut me servir pour m'essayer à quelques mots de conclusion sur cet hommage à François Chesnais à travers la relation de mon compagnonnage intellectuel avec lui. Après avoir étudié toutes ces années les changements en cours dans l'industrie voilà, écrit-il, qu'arrive le temps de « l'entrée dans une période historique totalement nouvelle ».

Si un véritable retour à l'industrie lui – nous – a été presque impossible, c'est en raison « du changement climatique et de l'épuisement de ressources naturelles vitales [qui, comme l'affirme Ernest Mande [55] font que] « la lutte pour une issue socialiste prend l'importance d'une lutte pour la survie même de la civilisation humaine et de la race humaine ».

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Marc Humbert est professeur émérite d'économie politique, Université de Rennes.

Notes

[1] Nathan Rosenberg and L.E. Birdzell (1986) How the West grew rich, Nexw York, Basic Books, traduction française Nathan Rosenberg and L.E. Birdzell (1988) Comment l'Occident s'est enrichi, Paris, Fayard. Les auteurs montrent comment, selon eux, au cours de l'histoire, en Occident, le capitalisme économique a remplacé les pouvoirs politiques et religieux pour piloter le devenir des sociétés.

[2] Ronald Coase (1937) “The Nature of the Firm”, Economica, New series, vol. 4, N°16, p. 386-405. Oliver Williamson (1975) Market and Hierarchies : Analysis and Antitrust Implications : A Study in the Economics of Internal Organization, New York, The Free Press.

[3] John Maynard Keynes (1936) The General Theory of Employment, Interest and Money London, Macmillan.

[4] Le texte du discours à la nation de Harry Truman est disponible en ligne (dernière visite le 21 novembre 2020) ; https://www.presidency.ucsb.edu/documents/inaugural-address-4 .

[5] A la suite d'un article publié en 1959 : Walt Whitman Rostow (1959) “The stages of Economic Growth” The Economic History Review, Vol 12, n°1, p. 1-16. Il en sortira un ouvrage au sous-titre explicite et qui deviendra un best-seller mondial : Walt Whitman Rostow (1960) The stages of economic growth, a non-communist manifesto, Cambridge, Cambridge University Press.

[6] Voir p.vi, in U Thant (1962) The United Nations Development Decade – Proposals for action, Report of the Secretary General, New York, United Nations. Department of Economic and Social Affairs.

[7] Robert Solow (1956), “A contribution to the Theory of Economic Growth”, The Quarterly Journal of Economics, Vol 70, n°1, February, p. 65-94.

[8] Edward F. Denison (1962) The Sources of Economic Growth in the United States and the Alternatives before Us, New York, Committee for Economic Development.

[9] Jean-Jacques Carré, Paul Dubois, Edmond Malinvaud (1972) La Croissance française : un essai d'analyse économique causale de l'après-guerre, Paris, Le Seuil.

[10] Edward F. Denison (1967) Why Growth Rates Differ, Wahsington D.C., Brookings.

[11] Robert Boyer (1986) La théorie de la régulation- une analyse critique, Paris, La Découverte.

[12] Marc Humbert (1989) « Les régulations sociales face au système industriel mondial », Revue Tiers-Monde, T. XXX, n° 120, octobre-décembre, p. 823-846. Version réduite et révisée de la Communication au colloque La théorie de la régulation : bilan et perspective, session Enjeux sociaux de la technologie, Barcelone, 16-18 juin 1988, 30 pages.

[13] Ce qui suit n'est pas une présentation de la pensée de, et de tout ce qu'ont fait, ces trois contributeurs à la formation de ce courant économique hétérodoxe. Je n'en dis que le minimum pour les « situer » pour ceux qui ignorent ce courant et par ailleurs pour rappeler ce qui, à ma connaissance, témoigne de l'interaction de François Chesnais avec eux et faisant de lui un contributeur essentiel de ce courant.

[14] Christopher Freeman (1982) The Economics of Industrial Innovation, London, Pinter. Giovanni Dosi (1982) “Technological paradigms and technological trajectories. A suggested interpretation of the determinants and directions of technical change”, Research Policy, Vol 11 ; Issue 3, June, p. 147-162.

[15] Carlota Perez (1983) » Structural change and the assimilation of new technologies in the economic and social system « , Futures, vol. 15, no. 5, pp. 357-375 et Carlota Perez (1985) » Micro-electronics, Long Waves and World Structural Change « , World Development, vol. 13, no. 3, pp. 441-463.

[16] Nikolaï Kondratiev a conçu cette idée par ses observations statistiques au début des années 1920, son article en russe de 1925 a été partiellement traduit en 1926 en allemand dans Archiv fur Sozialwissenschaft und Sozialpolitik ce qui l'a fait connaître et permettra sa publication complète en anglais : Nikolaï Kondratiev (1935) « The Long Wave in Economic Life », Review of Economics and Statistics, n°17, p. 105-115.

[17] Joseph Schumpeter (1939) Business Cycles : A Theoretical, Historical, and Statistical Analysis of the Capitalist Process, New York and London, McGraw-Hill.

[18] Christopher Freeman (1987) Technology Policy and economic Performance : Lessons from Japan, London, Pinter.

[19] Giovanni Dosi, Christopher Freeman, Richard Nelson, Gerald Silverberg and Luc Soete (1988) Technical Change and Economic Theory, London, Pinter. François Chesnais y a écrit le chapitre 23 : “Multinational entreprises and the international diffusion of technology » p. 496-527.

[20] Bengt-Åke Lunvall (1992) National Systems of Innovation – Towards a Theory of Innovation and Interactive Learning, London, Pinter. François Chesnais y a écrit le chapitre 13 “National Systems of Innovation, Foreign Direct Investment and the Operations of Multinational Enterprises” p. 265- 295.

[21] Marcelo de Matos, José Cassiolato, Helena Lastres, Cristina Lemos, Marina Szapiro (org.) (2017) Arranjos Produtivos Locais, Referencial, experiências e politícas em 20 anos de Redesist (Arrangements productifs locaux, Référentiel, expériences et politiques en 20 années de Redesist), Rio de Janeiro, E-papers.

[22] Freeman a été un acteur important de ce réseau mondial et Nelson (voir ci-après) l'est encore.

[23] Voir https://www.conftool.org/globelics2023/register.php

[24] Voir par exemple : Helena Lastres, José Cassiolato, Gabriela Laplane et Fernando Sarti (Org.) (2016) O Fururo do Desenvolvimento – Ensaios em homenagem a Luciano Coutinho (Le futur du développement- Essais en hommage à Luciano Coutinho, professeur d'économie politique, directeur de la Banque nationale de développement du Brésil), Campinas, UJNICAMP. Francois Chesnais y a écrit (p. 38 – 57) le chapitre intitulé “ The entry in a totally new historical period ».

Ou encore : José Cassiolato, Maria Gabriela Podcameni, Maria Clara Soares (org.) (2015) Sustentabilidade sociambiental em um contexto de crise (soutenabilité socio envrionnementale dans un contexte de crise), Rio de Janeiro, Epapers. François Chesnais y a écrit p. 39 – 63 « Uma interpretação sobre a situação econômica mundial seguida por consideracções sobre a crise ambiental (Une interprétation de la situation économique mondiale suivie de considérations sur la crise environnementale »).

[25] José Eduardo Cassiolato, Marcelo Pessoa de Matos, Helena M. M. Lastres (2014) Desenvolvimento e mundialização O Brasil e o pensamento de François Chesnais (Développement et mondialisation, Le Brésil et la pensée de François Chesnais, Rio, E-Papers. Catherine Sauviat y a écrit p. 29-36 “ Some notes on what I know about François's intellectual trajectory”.

[26] Nathan Rosenberg (1976) Perspectives on Technology, Cambridge, Cambridge University Press.

[27] Nathan Rosenberg (1982) Inside the Black Box :Technology and Economy, Cambridge, Cambridge University Press.

[28] Nathan Rosenberg (1991) “Critical Issues in Science Policy Research” [Opening Address to the SPRU 25th Anniversary Conference], Science and Public Policy, Vol 18, n°6, p. 335-346.

[29] Richard Nelson (1959) “The simple economics of basic scientific research”, Journal of Political Economy, n°67, p. 297–306.

[30] Richard Nelson (ed.) (1962) The Rate and Direction of Inventive Activity : Economic and Social Factors, NBER Special Conference Series, Princeton, Princeton University Press.

[31] Richard Nelson et Sidney G. Winter (1977), “In search of a useful theory of innovation”, Research Policy vol.6, n°1, p.36–76.

[32] Richard Nelson and Sidney G. Winter (1982) An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambridge, Harvard University Press.

[33] Richard Nelson (ed) (1993) National Innovation Systems- A Comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press. François Chesnais y a écrit “The French National System of Innovation”, p. 192-229.

[34] Marc Humbert (ed.) (1993) The Impact of Globalisation on Europe's Firms and Industries, London, Pinter, François Chesnais y a écrit “Globalization, world oligopoly and some of their implication”, p. 12- 21.

[35] François Chesnais (coord.) (1992) La technologie et l'économie – les relations déterminantes, Paris, OCDE. Il avait aussi poussé à la création en 1986 d'une revue STI Science Technologie et Industrie publiée en français et en anglais (elle a disparu en tant que revue en 1994) voir François Chesnais (1986) « Science Technologie et Compétitivité » Revue STI n° 1, Automne.

[36] Schumpeter a écrit en 1911 Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung, eine Untersuchung über Unternehmergewinn, Kapital, Kredit, Zins und den Konjunkturzyklus.( Théorie de l'évolution économique. Recherche sur le profit, le crédit, l'intérêt et les cycles) publié à Berlin en 1912 par Duncker et Humblot.

[37] Ouvrage déjà cité (Joseph Schumpeter,1939, op.cit.). Il n'y a pas un mot sur les cycles longs et sur les soixante-quatre que compte l'ouvrage il n'y a pas un seul encadré sur le sujet malgré le succès de cette référence parmi les économistes du courant néo-technologique et néo-schumpétérien, surtout après la publication de Christopher Freeman (1984) Long Waves in the World Economy, London, Pinter, ouvrage qui lui figure cependant en bibliographie.

[38] Joseph Schumpeter (1942) Capitalism Socialism and Democracy, New York, Harpers and Brothers.

[39] Bernard Billaudot (2022) Économie – Passé, présent, avenir, Paris, Classiques Garnier. Schumpeter ne figure pas dans l'index des Auteurs. Voir mon commentaire de son ouvrage : Marc Humbert (2023) « Etudier l'ordre économique moderne avec Bernard Billaudot » L'Economie Politique, n° 98, Mai, p. 104-112.

[40] Dans François Chesnais (2019) « Capitalisme, théorie des ondes longues et technologie contemporaine », Contretemps, Décembre, Il a noté que les ondes longues à la Kondratiev avaient été cependant en premier reprises par des marxistes comme Mandel l'avait revendiqué dans un ouvrage publié en 1980 (Ernst Mandel (1980) Long Waves of Capitalist Development, A Marxist Interpretation, Cambridge, Cambridge University Press) mais que seuls les néo-schumpétériens en ont fait usage.

[41] François Chesnais (1982) “Schumpeterian recovery and the Schumpeterian Perspective – Some Unsettled Issues and Alternative Interpretation” in Herbert Giersch (Ed.), Emerging Technologies : Consequences for Economic Growth, Structural Change and Employment, Tübingen J.C.B. Mohr.

[42] François Chesnais (1967) « La contradiction entre les forces productives et les rapports sociaux de production et ses traits spécifiques dans le cadre du système capitaliste », La Vérité, p 12- 22. La citation tirée de la page 17.

[43] Schumpeter introduit ce concept « d'ouragan de destruction créatrice » dans l'édition de 1950 de Capitalisme Socialisme et Démocratie.

[44] Je traduis ici ce passage qui a été écrit en anglais et où les italiques sont de l'auteur : « while MNEs are obviously active agents in the process of internationalization and even architects of some aspects of the process, and must consequently be analysed in their own right, they are, nonetheless, responding to an overall set of factors over which they have in fact little or no control and which all stem from the basic mechanisms driving the historical process of capitalist development. One of these mechanisms is the development (in a contradictory, antagonixtice and unequal manner) of the forces of production, among which science and technology play an increasingly quite central role”.

[45] Voir par exemple Henri Ergas (1984) “ Why Do Some Countries Innovate More Than Others” CEPS Paper, n°5, Centre for European Policies Studies, Bruxelles. Et encore : Henri Ergas (1987) “Does Technology Policy Matter” in B.R. Guile and H. Brooks eds, Technology and Global Industry, Washington National Academy Press.

[46] Entraînant une insuffisance de la demande ou dit autrement une crise de réalisation, voir p. 45 in Francois Chesnais (2016) “The entry in a totally new historical period » in Helena Lastres et al., op. cit..

[47] François Chesnais (2022) « De la stagnation à la régression ? Le capitalisme mondial dans l'impasse », Contretemps, Janvier.

[48] Note manuscrite à mon intention et de la part du collectif par François Chesnais sur l'exemplaire qu'il m'a donné de François Chesnais (Coord.) (1996) La mondialisation financière- Genèse, coût et enjeux, Paris, Syros.

[49] Entretien publié en janvier 2023 par la Revue en ligne Contretemps qui le livre comme un inédit de François Chesnais (2023) « François Chesnais, théoricien de la mondialisation du capital et de la finance », janvier.

[50] François Chesnais (2016) Finance Capital Today. Corporations and Banks in the Lasting Global Slump, Leiden and Boston, Brill.

[51] François Chesnais (2008) « La crise climatique va se combiner avec la crise du capital » Inprecor n°541-542, septembre-octobre.

[52] Il donne cette indication p. 39 dans son texte qui a été publié (p. 39-63) en 2015 in José Cassiolato et al., (2015) Sustentabilidade etc., op.cit.

[53] Il cite un article de Jason Moore (2014) où le concept avait tout d'abord été avancé et l'ouvrage de 2015 : Jason Moore (2015) Capitalism in the Web of Life, Ecology and the Accumulation of Capital, London, Verso.

[54] Ce texte déjà cité se trouve dans Francois Chesnais “ The entry in a totally new historical period ». (p. 38 – 57) in Helena Lastres et al. (2016) O Futuro do Desenvolvimento etc., op.cit.

[55] Je cite François Chesnais dans Chesnais (2019, op.cit.) au moment où il reprend une partie d'une citation un peu plus longue de Mandel, très éclairante et qui est la suivante, tirée de l'introduction de Mandel à l'édition anglaise du livre III du Capital :« La barbarie, comme résultat possible de l'effondrement du système, est aujourd'hui une perspective beaucoup plus concrète et précise qu'elle ne l'était dans les années vingt et trente. Même les horreurs d'Auschwitz et d'Hiroshima apparaîtront légères par rapport aux horreurs avec lesquelles une dégradation continue du système confrontera l'humanité. Dans ces circonstances, la lutte pour une issue socialiste prend l'importance d'une lutte pour la survie même de la civilisation humaine et de la race humaine. » Mandel, Introduction au livre III du Capital, Penguin, Londres, 1981, pp. 87-89. Traduction de François Chesnais.

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Médias. Les grèves se multiplient dans les journaux américains

6 février 2024, par Courrier international — , ,
Après les journalistes de la presse nationale, comme le “Los Angeles Times”, ou des magazines du groupe Condé Nast, c'est au tour de ceux de la presse régionale américaine de (…)

Après les journalistes de la presse nationale, comme le “Los Angeles Times”, ou des magazines du groupe Condé Nast, c'est au tour de ceux de la presse régionale américaine de se mettre en grève pour dénoncer les coupes claires dans leurs budgets et leurs effectifs, et exiger des hausses de salaires.

01 février 2024 | tiré du Courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/medias-les-greves-se-multiplient-dans-les-journaux-americains

Des quotidiens américains en vente dans un kiosque du quartier de Soho, à Manhattan, le 23 janvier 2024.Des quotidiens américains en vente dans un kiosque du quartier de Soho, à Manhattan, le 23 janvier 2024. AHMED GABER/THE NEW YORK TIMES
C'est peu dire que la presse américaine se porte mal. La semaine dernière, c'est l'annonce d'un vaste plan social au sein du plus grand quotidien de la côte ouest américaine, le Los Angeles Times, qui faisait les gros titres.

Cette semaine, c'est au tour des journalistes de la presse régionale de se mettre en grève, et en particulier “ceux des titres appartenant au groupe Tribune Publishing, racheté en 2021 par le fonds spéculatif Alden Global Capital”, rapporte The Washington Post, qui suit de près les mouvements sociaux en cours dans les médias américains et dont la rédaction a été ébranlée par une grève de vingt-quatre heures au début du mois de décembre 2023 ainsi que par de nombreux départs de journalistes.

LIRE AUSSI : Médias. Ces milliardaires qui voulaient sauver la presse américaine, mais perdent des fortunes

Débrayage dans sept rédactions

Ce jeudi 1er février, “les employés de sept rédactions, dont celle du Chicago Tribune, du Orlando Sentinel et du Virginian-Pilot vont débrayer pour protester contre le refus de leur accorder des hausses de salaire indexées sur l'augmentation du coût de la vie et en raison des menaces qui pèsent sur leurs plans d'épargne-retraite par capitalisation”.

Cette mobilisation intervient alors que les rédactions du groupe Tribune Publishing ont connu ces dernières années d'importantes hémorragies de personnel, précise le quotidien de la capitale fédérale américaine. Ainsi, au Chicago Tribune, le nombre de reporters a été divisé par plus de deux depuis 2019, tandis qu'au Orlando Sentinel “la rédaction autrefois composée de 55 journalistes et photographes ne compte désormais plus que 32 salariés syndiqués”.

Vagues de licenciements

Les médias américains ont été confrontés à de nombreux défis ces dernières années, rappelle le Washington Post. Ils ont notamment dû affronter “la baisse de leurs revenus publicitaires, une chute du nombre de leurs abonnés, ainsi que des vagues successives de licenciements”.

Au Los Angeles Times, c'est 115 journalistes qui ont été licenciés la semaine dernière, soit plus de 20 % des effectifs de la rédaction. Le Washington Post, lui, a traversé à la fin de l'année dernière un plan de départs volontaires qui a concerné quelque 240 salariés, soit une réduction de 10 % de ses effectifs.

Et “les médias appartenant au groupe Tribune Publishing ont été encore davantage décimés”, depuis le rachat par Alden Global Capital, souligne le Washington Post. Ce qui vaut à ce fonds spéculatif d'être surnommé la “grande faucheuse des journaux”.

Courrier international

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