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Du blocus de Leningrad au siège de Gaza : la mentalité colonialiste

Le 27 janvier il y a 80 ans, les gens dans la rue s'étreignaient et pleuraient de joie. Ils célébraient la fin d'un siège de près de 900 jours que les forces soviétiques (…)

Le 27 janvier il y a 80 ans, les gens dans la rue s'étreignaient et pleuraient de joie. Ils célébraient la fin d'un siège de près de 900 jours que les forces soviétiques venaient de lever après des batailles féroces. Exactement un an plus tard, l'Armée rouge libérait Auschwitz. Aujourd'hui encore, en se promenant dans la principale avenue de Saint-Pétersbourg (le nom d'origine rendu à Leningrad), la perspective Nevski, on remarque un panneau bleu peint sur un mur pendant le siège : « Citoyens ! Ce côté de la rue est plus dangereux pendant les bombardements ».

Tiré de Pressenza.

Le blocus a été mis en œuvre par les forces terrestres et navales de l'Allemagne, de la Finlande, de l'Italie, de l'Espagne et de la Norvège. La ville fut assiégée trois mois et demi après le début de la guerre déclenchée le 22 juin 1941 par une coalition encore plus grande de l'Europe réunie sous la croix gammée. Sous la direction de l'Allemagne, des soldats de douze pays ont combattu en URSS : Roumanie, Italie, Finlande, Hongrie, Slovaquie, Croatie,
Espagne, Belgique, Pays-Bas, France, Danemark et Norvège. Deux millions d'entre eux sont partis en guerre contre l'Union soviétique en tant que volontaires.
La guerre contre l'URSS est très différente de celle que l'Allemagne avait menée en Europe occidentale. Il s'agissait d'une guerre d'anéantissement (Vernichtungskrieg). Le Troisième Reich voulait un espace vital à l'Est (Lebensraum im Osten), mais il n'avait pas besoin des gens qui y vivaient. En fait, la guerre contre l'Union soviétique était une guerre coloniale.
Considérés comme des sous-hommes (Untermenschen) les Soviétiques étaient destinés à être liquidés, affamés ou réduits en esclavage. Leurs terres devaient être colonisées par des « Aryens ». Pour exprimer son point de vue en termes raciaux familiers aux Européens, Hitler qualifiait la population soviétique d' »Asiatiques ».
Des millions de civils soviétiques – Slaves, Juifs, Tsiganes (Roms) et autres – ont été systématiquement mis à mort. L'ampleur dépasse le génocide que l'Allemagne avait commis dans le sud-ouest de l'Afrique (l'actuelle Namibie) de 1904-1908 en massacrant tout aussi systématiquement des tribus locales Namas et Hereros. Bien sûr, l'Allemagne n'était pas une exception : les autres puissances coloniales européennes n'étaient pas en reste.
Les envahisseurs nazis ont résumé leurs objectifs avec clarté : Après la défaite de la Russie soviétique, il ne peut y avoir aucun intérêt à ce que ce grand centre urbain continue d'exister. […] Après l'encerclement de la ville, les demandes de négociations en vue d'une reddition seront rejetées, car nous ne pouvons et ne devons pas résoudre le problème de la réinstallation et de l'alimentation de la population. Dans cette guerre pour notre existence même, nous ne pouvons avoir aucun intérêt à conserver ne serait-ce qu'une partie de cette très importante population urbaine.
La dernière ligne de chemin de fer reliant la ville au reste de l'Union soviétique est coupée le 30 août 1941, et une semaine plus tard, la dernière route est bloquée . La ville est encerclée, les réserves de nourriture et de carburant se tarissent et un hiver rigoureux s'installe. Le peu que le gouvernement soviétique réussit à livrer à Leningrad est strictement rationné. À un moment donné, la ration quotidienne a été réduite à 125 grammes de pain fabriqué avec autant de sciure de bois que de farine. Ceux qui n'ont même pas eu cette ration ont été forcés de manger des chats, des chiens, de la colle à papier peint, et il y a eu quelques cas de cannibalisme. Les cadavres jonchaient les rues, car les gens mouraient de faim, de maladie, de froid et des bombardements.

British Movietone Video : “Siege of Leningrad – 1944" | Movietone Moment

Leningrad, une ville de 3,4 millions d'habitants, a perdu plus d'un tiers de sa population. Il s'agit de la plus grande perte de vies humaines dans une ville moderne. L'ancienne capitale impériale, célèbre pour ses magnifiques palais, ses jardins élégants et ses panoramas à couper le souffle, a été méthodiquement bombardée et pilonnée. Plus de 10 000 bâtiments ont été détruits ou endommagés. Cette opération s'inscrit dans la volonté de démoderniser l'Union soviétique, la faire sortir de la modernité. Leningrad devait être anéantie précisément parce qu'elle était un grand centre de science et d'ingénierie, qu'elle abritait des écrivains et des danseurs de ballet, qu'elle était le siège d'universités et de musées d'art célèbres. Rien ne devait survivre dans les plans nazis.

Hélas, ni les sièges ni les guerres coloniales n'ont pris fin en 1945. La Grande-Bretagne, la France et le Pays-Bas ont mené des guerres brutales dans leurs colonies tentant de « pacifier les indigènes ». Le racisme était officiel aux Etats-Unis, un autre allié de l'URSS dans la lutte contre le nazisme. Douze ans après la guerre, il a fallu la 101e division aéroportée américaine pour déségréguer une école à Little Rock, dans l'Arkansas. Les valeurs de tolérance qu'articule actuellement l'Occident sont récentes et fragiles. Le racisme explicite n'est plus acceptable, mais implicitement il reste bien présent.

Les vies humaines n'ont pas la même valeur, ni dans nos médias, ni dans nos politiques étrangères. La mort de trois soldats américains tués en Jordanie il y a quelques jours attire plus l'attention des médias que celle de centaines de Palestiniens tués tous les jours. Des sanctions sévères sont imposées à l'Iran pour son programme d'enrichissement nucléaire civil, alors qu'aucune n'est imposée à Israël pour son arsenal nucléaire militaire. Les puissances occidentales continuent de fournir des armes et un soutien politique à Israël qui impose un siège à Gaza, où la population civile est non seulement bombardée et pilonnée, mais aussi délibérément affamée et laissée mourir de maladies. Yoav Galant, ministre israélien de la défense, a été très clair lorsqu'il a déclaré : « J'ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé ».

La Cour internationale de justice (CIJ) a trouvé plausible qu'Israël commet un génocide des Palestiniens de Gaza. Or, sans surprise, Washington, qui continue de fournir à Israël les munitions, trouve que les accusations de génocide à l'encontre d'Israël étaient « sans fondement ». Londres, un autre fournisseur d'armes à Israël, les considère « complètement injustifiées ». Les Pays-Bas livrent à Israël des pièces pour les avions F-35 utilisés contre Gaza. Ayant autorisé, en vue de l'exportation vers Israël, une dizaine de millions d'euros pour la fabrication de « bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs », Paris appelle la CIJ à bien vérifier s'il existe de la part d'Israël l'intention génocidaire.

Il s'avère que ce sont ces mêmes pays au lourd passé raciste et colonialiste qui sont complices actifs de la violence ayant causé la mort de près de 27 000 Palestiniens, dont 18 000 femmes et enfants. L'Allemagne qui a commis deux génocides racistes au vingtième siècle intervient à la CIJ en tant que tiers en faveur d'Israël. Elle rejette « avec véhémence » l'accusation contre Israël et décuple ses exportations d'armes vers ce pays.

Par surcroît, ces mêmes pays occidentaux viennent de suspendre le financement de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Cette décision a été prise à la demande d´Israël qui milite depuis longtemps pour l'abolition de cette agence essentielle à la survie même des Palestiniens. En se basant sur les allégations de ses services de renseignement, Israël a accusé quelques employés de l'agence, qui en a plus de treize mille à Gaza, de collusion avec le Hamas. Ce coup est porté alors que les Palestiniens font face à une catastrophe humanitaire frôlant le génocide.

Ayant acquiescé à la colonisation israélienne de la Palestine occupée, ces pays à l'expérience coloniale récente appuient activement cette guerre de « pacification des indigènes » à Gaza.

La commémoration du siège de Leningrad sur le fond de la tragédie de Gaza montre que l'accusation que le poète martiniquais Aimé Césaire a lancé à l'Européen en 1955 reste toujours actuelle : “Ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l´humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, c'est l'humiliation de l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d´Algérie, les coolies de l´Inde et les nègres d´Afrique.”

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Offensive contre Gaza. Premières fractures en Israël

Presque quatre mois après le début d'un assaut tous azimuts qui s'est peu à peu transformé en guerre génocidaire, l'échec militaire de l'État hébreu est flagrant, incapable (…)

Presque quatre mois après le début d'un assaut tous azimuts qui s'est peu à peu transformé en guerre génocidaire, l'échec militaire de l'État hébreu est flagrant, incapable d'accomplir aucun des objectifs annoncés. Une impasse qui nourrit l'impopularité croissante du premier ministre Benyamin Nétanyahou et suscite la fronde au sein de son cabinet de guerre.

Tiré d'Orient XXI.

Les premières fractures apparaissent au grand jour en Israël, non seulement sur la manière dont son offensive est menée à Gaza, mais aussi sur la nécessité de la poursuivre. Elles se manifestent jusqu'à l'intérieur du cabinet de guerre mis en place par le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. De notoriété publique, l'ambiance en son sein est glaciale. La principale dissension porte sur le sort des otages civils et des soldats détenus par le Hamas depuis le 7 octobre à Gaza. Elle oppose Nétanyahou et ses soutiens à deux ex-chefs d'Etat-major, Benny Gantz et Gadi Eisenkot. Pour les premiers, la « libération des otages » ne peut advenir qu'une fois la « victoire » assurée, c'est-à-dire l'« éradication » du Hamas. Pour les seconds, comme l'a déclaré Eisenkot sur la chaîne de télévision numéro 12, aucune victoire n'est envisageable sans une libération préalable des otages. Traduction : sans passer par une négociation avec le Hamas qui, pour les restituer, exige un cessez-le-feu durable et la libération de tous les Palestiniens détenus en Israël – ce que Nétanyahou récuse.

Le 18 janvier, en conférence de presse, le général Eisenkot a déjà « reconnu que les dirigeants israéliens ne disent pas toute la vérité sur la guerre. Il a refusé de répondre à une question quant à sa confiance en Nétanyahou et promu le sujet d'une rapide libération des otages, même si le prix est élevé. Enfin, il a proposé [la tenue] d'élections dans quelques mois » (1). En d'autres termes, une stratégie inverse à celle prônée par Nétanyahou, avec en prime son éviction de la scène politique une fois la guerre terminée. On comprend que l'ambiance soit frisquette. Le thermomètre est encore descendu de plusieurs degrés le 22 janvier, après la mort de 21 soldats israéliens (tous des réservistes entre 25 et 40 ans) dans une attaque à la roquette de miliciens du Hamas. Survenue après trois mois et demi d'une guerre où Israël dispose d'un avantage militaire démesuré, cette attaque dans le camp de réfugiés palestiniens de Maghazi, à 600 mètres seulement de la frontière israélienne, a accentué le sentiment d'échec qui domine les Juifs israéliens depuis le 7 octobre, malgré les communiqués de victoire quotidiens de l'armée. Elle a également ramené à la lumière une question récurrente en dépit des réticences : cette guerre est-elle « ingagnable » ?

Aucun objectif atteint

Brusquement, quelques données sont venues battre en brèche l'idée jusque-là largement dominante en Israël d'en finir une fois pour toutes avec le Hamas. Comment se fait-il qu'après plus de trois mois de bombardements aériens inouïs sur Gaza qui ont fait jusque-là près de 27 000 morts, le déplacement de près de 2 millions de personnes, une destruction tout aussi gigantesque des infrastructures et de l'habitat des Gazaouis, le Hamas soit encore en mesure de porter des coups aussi durs ? Des langues se délient.

On apprend que le « plan » initial de l'armée israélienne prévoyait un « contrôle opérationnel » total des trois grandes villes de la bande (Gaza city, Khan Younès et Rafah) avant la fin décembre. Le délai est dépassé d'un mois et l'objectif n'est pas atteint. On apprend aussi que le réseau de tunnels des forces armées du Hamas était beaucoup plus étendu qu'on ne le croyait, et que s'en emparer via des opérations terrestres provoquerait beaucoup plus de victimes que prévu. Surtout, le Wall Street Journal révèle que seuls 20 % des tunnels auraient été détruits en plus de trois mois.

Autre révélation : pour des motifs économiques, l'armée doit se défaire d'une partie importante de ses réservistes engagés à Gaza. Enfin, 117 jours après le carnage dans les kibboutz, le chef politique du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, et les deux chefs de sa branche armée, Mohammed Deif et Marwan Issa, sont toujours introuvables.

Dénoncer les « capitulards » et les « ennemis du peuple »

Le paradoxe est que celui qui mène la bataille pour sortir rapidement de la guerre et éviter un enlisement, en négociant une restitution des otages civils et des soldats israéliens captifs, soit précisément celui qui a « inventé » la doctrine militaire ayant conduit Israël aux crimes terribles commis à Gaza. Gadi Eisenkot est en effet l'ex-chef d'Etat-major qui a conçu la doctrine Dahiya (2) selon laquelle, dans les « guerres asymétriques » entre un État et un ennemi non-étatique, le seul moyen de vaincre consiste à imposer aux populations civiles qui abritent les « terroristes » le pire sort possible. Cette vision a été officiellement insérée en 2008 dans l'arsenal stratégique de l'armée israélienne.

Est-ce parce qu'il vient de perdre un fils de 25 ans et un neveu qui en avait 23, tous deux engagés à Gaza ? Toujours est-il que le général Eisenkot appelle aujourd'hui à négocier a minima une trêve avec le Hamas. Soudain, Chuck Freilich, un ancien numéro deux du Conseil de sécurité israélien, baisse la garde : « Il ne semble pas, déclare-t-il, que nous soyons en état d'atteindre nos objectifs » (3). Expert du King's College de Londres, Andreas Krieg estime qu'Israël est militairement « dans une impasse » (4).

Ce sentiment de l'échec, si peu familier, si insupportable pour une grande partie des Juifs israéliens, a aussi des conséquences internes. Les membres de l'extrême droite coloniale, alliés de Nétanyahou, se raidissent. Jusqu'ici, c'était les partisans d'une négociation avec le Hamas qu'ils dénonçaient comme des « capitulards ». Désormais, les familles de soldats morts à Gaza qui se joignent aux manifestants pour négocier une sortie de crise font eux aussi office d'« ennemis du peuple ». Les directives du gouvernement sont de « réprimer d'une main de fer » les voix israéliennes qui s'élèvent contre cette guerre. Celles-ci restent marginales, mais leurs manifestations vont croissant, tout comme croît la désillusion dans l'opinion publique.

« Le roi d'Israël » veut gagner du temps

Nétanyahou tente de rétablir son autorité en jouant sur le temps. Jusqu'ici, il n'y parvient pas. La presse fait état de contestation au sein de son gouvernement. Haaretz cite les confidences (anonymes) d'un de ses membres.

  • Cette guerre n'a ni objectif ni avenir, ce n'est qu'un moyen pour Nétanyahou de repousser le moment de s'attaquer à la question de sa responsabilité. (…) Dans chaque réunion (gouvernementale), il répète que la guerre va durer longtemps. Je pense qu'il sait lui-même que la probabilité est faible qu'il parvienne à atteindre ses objectifs. Il cherche juste à gagner du temps. […] Quant à abattre le Hamas, les succès réalisés au nord de la bande de Gaza sont déjà en train de s'éroder.

La guerre n'est pas encore finie que, sans attendre les commissions d'enquête qui suivront et le mettront forcément en position difficile, le « roi d'Israël » du dernier quart de siècle réunirait seulement 16 % des électeurs autour de son nom, selon un récent sondage. Quant à son parti, le Likoud qui jouit d'une majorité relative au parlement avec 32 sièges sur 120, il tomberait à 16 seulement si des élections avaient lieu demain. La seule stratégie de Nétanyahou, estime Mairav Zonszein, analyste israélienne de l'International Crisis Group, c'est « la guerre sans fin » (5). Mais cette stratégie bénéficie davantage à la droite coloniale radicale, plus conséquente que lui sur ce plan. Résultat : Nétanyahou apparait prisonnier de ses alliés, et mu davantage par ses intérêts personnels que par le bien public.

Pour Nétanyahou, la menace tient d'abord dans la possibilité d'un « lâchage » par Joe Biden. Ce risque-là paraît peu crédible, si l'on se fie à l'attitude du président américain depuis le début de cette guerre. Mais la position de ce dernier s'érode de jour en jour dans son propre camp. Le 18 janvier, 60 élus démocrates – soit un tiers de leurs représentants à la Chambre - se déclaraient dans une lettre au secrétaire d'État Antony Blinken « très préoccupés par la rhétorique extrémiste de certains responsables israéliens », en particulier leurs appels à l'épuration ethnique des Gazaouis. Jamais pétition anti-israélienne n'a réuni un tel nombre d'élus au parti démocrate, historiquement favorable à Tel Aviv. De plus, la réaction du premier ministre israélien à l'appel public du président états-unien d'ouvrir la voie vers un État palestinien une fois la guerre terminée a rendu furieux les membres démocrates du Congrès. « Jamais, avait répondu le premier ministre israélien, je ne ferai de compromis sur le contrôle total de la sécurité entre le Jourdain et la mer. »

Le 19 juillet, un sondage montrait que les trois-quarts des démocrates âgés entre 18 et 29 ans étaient hostiles au soutien inconditionnel de la Maison Blanche à Israël. Bref, si l'on n'entrevoit pas encore de fossé entre Israël et les États-Unis, la faille s'approfondit au sein du parti présidentiel, et Biden a besoin d'un succès politique spectaculaire pour être réélu. Une rumeur tenace aux États-Unis veut que le président Biden ait soutenu la guerre israélienne telle qu'elle a été menée précisément dans l'idée de parvenir, après son achèvement, à un accord politique entre Israéliens et Palestiniens pouvant mener à la « solution à deux États ». Y croira qui veut. En attendant, une cour californienne a jugé recevable une plainte déposée par le Centre pour les droits constitutionnels, une importante association juridique américaine qui accuse Joe Biden, son secrétaire d'État Antony Blinken et son secrétaire à la défense Lloyd Austin de « complicité de génocide ».

Une cour « partiale » et « antisémite »

Mais le choc le plus important en Israël est celui qui a suivi, le 26 janvier, l'ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) concernant la plainte de l'Afrique du Sud qualifiant de « génocide » la guerre menée à Gaza par Israël. Quoique la Cour n'ait pas exigé l'arrêt des combats, ce que Nétanyahou a immédiatement utilisé pour clamer victoire, le verdict n'a été perçu comme un succès par personne d'autre en Israël. Ceux qui ont fait l'effort de lire la décision ont compris que la cessation des combats de facto s'y inscrivait en creux. Comme l'a dit Naledi Pandor, le ministre sud-africain des affaires étrangères : « Comment fournir de l'aide et de l'eau sans cessez-le-feu ? Si vous lisez la décision de la Cour, elle signifie qu'un cessez-le-feu doit être prononcé ». Sans surprise, l'extrême droite mais aussi nombre d'autres commentateurs ont immédiatement vilipendé une cour « partiale », décrétée « antisémite ».

Surtout, en exigeant de l'État juif de « tout faire pour prévenir un génocide », la Cour suggère soit qu'un début d'action en ce sens est déjà enclenché, soit qu'un génocide à venir est une réalité potentielle. Son argument le plus fort sur l'intentionnalité d'un génocide consiste en une longue liste de propos tenus publiquement par divers dirigeants israéliens, politiques ou militaires, qui profèrent des souhaits ou des intentions sans conteste génocidaires. Le lendemain de l'adoption de l'ordonnance, un porte-parole a déclaré que « l'armée israélienne, après l'arrêt de la CIJ, allait renforcer la surveillance des vidéos et des publications dans lesquels on entend des appels à l'établissement de colonies dans la bande de Gaza, et des propos incitant à la violence contre les Palestiniens ».

Mais le 29 janvier, la droite israélienne organisait dans une salle de 3000 places à Jérusalem une « Conférence pour la victoire d'Israël ». C'était clairement une réponse à l'ordonnance de la CIJ. Le « transfert » des Palestiniens hors Gaza en a été le thème principal. Un avocat, Aviad Visoli, a plaidé qu' « une Nakba 2 est entièrement justifiée par les lois de la guerre ». Père d'un soldat détenu par le Hamas, le colon Eliahou Libman a lancé : « Ceux qui ne sont pas tués doivent être expulsés, il n'y a pas d'innocents ». Plus modéré, le ministre de la police, Itamar Ben Gvir a prôné une « émigration volontaire » des Gazaouis. Quinze membres de l'actuel gouvernement Nétanyahou issus de l'extrême-droite, du Likoud et même – une nouveauté – au parti religieux orthodoxe Unité de la Torah étaient à la tribune.

Diable ! Si on ne peut plus maintenant montrer sa joie en chantant et en dansant sur les gravats des maisons et au milieu des corps déchiquetés et enfouis des civils palestiniens, que les officiers de cette même armée avaient présentés comme autant d'« animaux humains », c'est à ne plus rien y comprendre, s'interroge le brave petit soldat israélien jusqu'ici convaincu d'être dans son bon droit.

Notes

1- « Amos Harel : « For Netanyahou, avoiding decisions on Gaza and Lebanon is the game plan », Haaretz, 21 janvier 2024.

2- Littéralement « banlieue » en arabe, en référence à la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah.

3- Chuck Freilich, « We in Israel are far more dependent on the U. S. than we ever knew », Haaretz Podcast, 23 janvier 2024.

4- Ronen Bergman & Patrick Kingsley, « In strategic bind, Israel Weighs Freeing hostages against destroying Hamas », New York Times, 28 janvier 2024.

5- « Netanyahu under pressure over Israel troop losses, hostages », AFP, 23 janvier 2024.

Cisjordanie-témoignages. « Barbarie ordinaire et impunité »

6 février 2024, par Ezra Nahmad — , ,
En Cisjordanie les agressions des colons et de l'armée se suivent et se ressemblent, lorsqu'elles ne convergent pas. Elles relèvent des mêmes scénarios : intimidations, (…)

En Cisjordanie les agressions des colons et de l'armée se suivent et se ressemblent, lorsqu'elles ne convergent pas. Elles relèvent des mêmes scénarios : intimidations, enlèvements, coups et blessures, fabrication de preuves à charge, pillages et destructions. Cet enfer de tous les jours n'est pas le fait de quelques individus, c'est le lot « ordinaire » d'une guerre coloniale menée depuis des décennies.

Tiré de A l'Encontre
25 janvier 2024

Par Ezra Nahmad

Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023. (Villages Group)

Pour ce qui touche à la terreur dans le mont Hébron, au sud de la Cisjordanie, les témoignages d'une association israélienne, The Villages Group, sont précieux. Ses membres visitent les villages du mont Hébron pour maintenir des liens d'amitié et de solidarité, et fournir une aide matérielle. Voici des extraits de leurs comptes rendus. Des témoignages d'exactions qui se sont multipliées depuis le 7 octobre.

Enlèvements. Décembre 2023

Un jeune de 17 ans a été enlevé samedi vers midi à son domicile d'Umm Al Kheir. Les soldats de la « police des frontières » l'ont chargé dans une Isuzu blanche, les yeux bandés, les mains menottées derrière le dos, et sont repartis. Pourquoi ont-ils fait ça ? Simplement parce qu'il est palestinien. Sa famille a passé de longues heures à s'inquiéter, sans nouvelles. Nous [The Villages Group] avons tout essayé pour savoir où il se trouvait et avons interpellé notre avocat, Riham – en vain.

Cette disparition ressemble à d'autres cas récents. Dimanche matin, après vingt heures d'incertitude, ce jeune a été libéré. On ne lui a rien donné à boire ni à manger pendant son enlèvement. […] Nous comprenons maintenant pourquoi nous ne pouvions pas le localiser : il ne s'agissait pas d'une arrestation officielle, mais d'un acte de sadisme délibéré à l'initiative de quelques soldats.

Nous connaissions ce garçon depuis des années, ainsi que ses frères et sœurs, car nous avons aidé la plupart d'entre eux à poursuivre leurs études. « Aujourd'hui, disent-ils, la plupart des écoles sont fermées à cause du harcèlement des colons et des soldats. Les enseignants n'ont pas été payés parce que les partis d'extrême droite qui contrôlent le gouvernement israélien n'ont pas donné à l'Autorité palestinienne les fonds [obtenus via les taxes sur les travailleurs palestiniens dans les entreprises israéliennes] qui lui reviennent. »

J'ai reçu un appel de Y. Son village a été investi le matin – comme c'est le cas quotidiennement – par deux colons avec un quad ; ils ont photographié de près les villageois et leurs enfants. Peu de temps après, cinq colons en uniforme ont débarqué dans une camionnette. De la direction opposée, des soldats réguliers sont arrivés à pied. On ne sait pas qui avait pris l'initiative du rassemblement. Les premiers étaient grossiers et violents, les soldats étaient un peu plus posés, mais ils laissaient faire.

Deux jeunes villageois ont été battus, enchaînés ; les yeux bandés, ils ont été emmenés dans la camionnette vers une destination inconnue. L'un a été descendu du véhicule et laissé quelque part, et l'autre a été conduit dans la soirée au commissariat de police, meurtri, accusé d'avoir frappé un soldat (mensonge). Aussi ridicules que soient les accusations, dès que les colons déposent une plainte, elle est enregistrée comme procédure « légale » officielle, et nous ne pouvons rien faire. Les avocats ne peuvent pas non plus être d'une grande aide dans de tels cas. Les colons savent qu'il s'agit là d'une autre forme de harcèlement et de torture.

Vandalisme et pillage à Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023

Les habitants de Khalet A-Dabe' vivaient dans des grottes jusqu'à ce qu'ils commencent à construire des maisons afin d'améliorer leur qualité de vie. J. a également construit une maison, mais elle a été démolie par l'armée. J. a reconstruit, les autorités ont encore démoli, et ainsi cinq fois. Après la dernière démolition, J. rénove la grotte mais reçoit les invités dans une tente dressée sur les décombres. Depuis que la guerre a éclaté, le harcèlement des colons s'est accru, alors J. a commencé à dormir dans la tente tandis que sa femme et ses cinq enfants dormaient dans la grotte.

Le 8 décembre à l'aube, dit-il, « plusieurs soldats sont entrés dans la tente, ont dit qu'ils venaient chercher des armes. Ils se sont bien comportés, ont fait leurs recherches et sont partis. Mais ensuite les colons sont arrivés. Depuis le début de la guerre, ils portent des uniformes et des armes militaires, ils ressemblent à des soldats. Mais ils étaient masqués. Avec eux, c'était différent, il y a eu des injures grossières – “fils de pute [répété en hébreu et en arabe], tu es le Hamas” –, et ils ont pointé leurs armes sur nos visages. Ils ont encore fouillé, tout renversé, détruit les projecteurs, démonté une partie de la clôture […]. Ils allaient de maison en maison et saccageaient tout. Dans la partie principale du village, ils ont forcé tous les habitants à se réunir dans une seule maison. Ils ont emmené mon cousin S. aux latrines et l'ont battu là-bas.

Au bout d'un moment, un colon est arrivé avec un cartable contenant de vieilles munitions. Ils ont continué à le battre pour qu'il avoue que cela lui appartenait, mais ce n'était pas le cas. Il a été emmené par les soldats, enchaîné et les yeux bandés, pour un trajet de plusieurs heures, avant d'aboutir au commissariat de Kiryat Arba (la colonie proche de Hébron). Les soldats ont continué à faire preuve de cruauté, notamment en éteignant des cigarettes sur ses bras. » Il est probable que les colons eux-mêmes aient apporté le sac avec les munitions. Mais la libération immédiate de S. atteste que la police s'est rendu compte qu'il s'agissait là d'une tromperie des colons.

Les dégâts matériels les plus graves ont été commis dans la petite école dans laquelle étudient dix enfants du village – de la 1re à la 4e année. Les colons se sont déchaînés là-bas et ont détruit tout ce qu'ils pouvaient, ils ont cassé les armoires et les portes et vandalisé les livres et les cahiers. Les écoles sont une cible privilégiée. Au cours de leur « perquisition », les vandales ont cassé des téléviseurs et des ustensiles de cuisine, volé des outils de travail, un marteau-piqueur et un générateur, ainsi que de l'argent, de l'or et des bijoux. « Qu'est-ce que cela a à voir avec une fouille d'armes ? », demande J.

Les actes de terreur coloniale en Cisjordanie sont attestés par de nombreux articles publiés dans la plupart des organes de presse internationaux. Des centaines d'agressions ont été répertoriées ces derniers mois. Pourtant, la complicité des colons, de l'armée et du système judiciaire, établie depuis de longues années, est souvent brouillée, ignorée. L'impunité et l'omerta équivalent à une caution. Israël recourt toujours à l'inversion des accusations, en fabriquant le cas échéant de fausses preuves. Les falsifications sont facilitées par les outils technologiques. Ces pratiques criminelles, accompagnées de meurtres quelquefois, se situent dans la continuité des stratégies engagées à la création de l'État d'Israël, mais les actes de barbarie ont augmenté ces derniers mois.

Raids de l'armée

Il faut ajouter à cette barbarie quotidienne les raids de l'armée. Jénine (nord de la Cisjordanie) ou Tulkarem (nord-ouest) ont été les cibles d'incursions militaires ou de bombardements par des drones. Le 12 décembre, l'armée a tué douze Palestiniens à Jénine. Mais elle a aussi volé et pillé dans la grande tradition des armées coloniales. Après le départ des soldats, un épicier faisait, devant une journaliste du Monde, l'inventaire de ce qui avait été volé : « Regardez, ce sont les restes des graines de tournesol qu'ils ont prises. Ils ont mangé et bu des articles de ma boutique. »

À la mi-janvier, l'armée a mené à Tulkarem une opération meurtrière dite « antiterroriste » de trente-cinq heures. Les témoins ont fait état de destructions des rues et des voitures par des bulldozers militaires. Depuis le 7 octobre, 360 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par l'armée ou par les colons [1]. De l'avis de tous les observateurs, l'arbitraire colonial sous toutes ses formes ne fait que renforcer l'influence du Hamas. (Article publié sur le site de Politis le 24 janvier 2024)


[1] La tragédie quotidienne se prolonge à Gaza. Le 24 janvier un porte-parole de l'UNRWA a indiqué que des centaines de personnes réfugiées dans l'un de ses centres de formation – devenu un lieu de refuge – à Khan Younès ont essuyé des tirs israéliens nourris. Le bâtiment a pris feu, de nombreuses personnes n'ont pu s'échapper, au moins 9 personnes ont été tuées et les blessé·e·s se comptent par dizaines.

Le 25 janvier, le ministère de la Santé de Gaza déclare qu'une attaque a été menée contre des personnes affamées qui faisaient la queue pour obtenir une aide humanitaire dans le nord de la ville de Gaza, ravagée par la guerre. « L'occupation israélienne a commis un nouveau massacre contre des “bouches affamées” qui attendaient de l'aide », a déclaré Ashraf al-Qudra sur Telegram. L'attaque s'est produite au rond-point du Koweït, dans la ville de Gaza, et a fait au moins 20 morts et 150 blessés. Le nombre de morts est susceptible d'augmenter car des dizaines de personnes ont été grièvement blessées. Les victimes sont soignées à l'hôpital al-Shifa, qui est à court de fournitures médicales et ne dispose que de quelques médecins, a indiqué Ashraf al-Qudra. (Réd.)

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« Le sionisme est aussi destructeur que l’islam politique »

6 février 2024, par Mačko Dràgàn — , , ,
Photographe, Olivier Baudoin a réalisé de nombreux séjours en Palestine, dont il a tiré un livre, Au-dessus du niveau de l'amer. Il revient pour nous sur la riche culture de (…)

Photographe, Olivier Baudoin a réalisé de nombreux séjours en Palestine, dont il a tiré un livre, Au-dessus du niveau de l'amer. Il revient pour nous sur la riche culture de cette région invisibilisée, et sur un conflit selon lui « simple à comprendre : c'est la lutte des classes. Il y a un oppresseur, et un oppressé. Un riche, un pauvre ».

Tiré du blogue de l'auteur.

Un soir du mois de novembre, je retrouve Olivier, la voix douce, la barbe en bataille, à une terrasse du Vieux-Nice. Il était en Palestine lors de l'attaque du Hamas, le 7 octobre, et a donc récemment été rapatrié -mais pas par la France, dont il dénonce la gestion incompétente, si ce n'est inexistante, de ses ressortissants. Sa compagne étant Belge, c'est ce pays qui les aidera finalement à rentrer, le 15 octobre. Auparavant, Olivier a réalisé de nombreux séjours là-bas, à partir de 2010, notamment avec la compagnie, ou pour des ateliers photo avec des jeunes du camp de réfugiés d'Aïda, ou encore pour son projet de livre.

Son vin blanc et ma bière commandés, il commence, directement, à me parler de ce qui est selon lui au cœur du conflit : la lutte des classes. « Ce n'est pas la grille de lecture qu'on applique généralement à ce conflit, et on a tort ».

« Je suis allé là-bas pour la première fois il y a 13 ans. Je suis tombé des nues de ce que je voyais. J'ai été élevé dans une famille communiste d'un côté, chrétienne de l'autre, donc dans des sentiments humanistes. Je partais donc initialement dans une vision d'équilibre entre la nécessité de protéger les Juifs de ce qu'on -nous, les Européens- leur a fait subir, et le fait que des gens, des Arabes, vivent là-bas, et doivent avoir une place. La bonne conscience occidentale, disons, la volonté que tout le monde aille bien ». Mais quand il est arrivé à Bethléem, en Cisjordanie, il a « très rapidement pris conscience de la dissymétrie. Ce n'était pas ça qui se jouait. J'ai compris, en 48 heures, qu'il y avait un occupant, et un occupé. Un oppresseur, et un oppressé. Un riche, et un pauvre. La lutte des classes, quoi ». Ce qui nous rappelle à ce que l'écrivain afro-américain Ta-Nehisi Coates a déclaré de retour de Palestine : « J'ai immédiatement compris ce qui se passait là-bas ». Un peuple objectivement, et aux yeux du monde, privé de tous ses droits fondamentaux. Il en concluait : « C'est en fait assez familier pour ceux d'entre nous qui connaissent l'histoire afro-américaine ».

Le conflit israélo-palestinien, une guerre ethnique ?

Je lui évoque l'ethnicisation qui est souvent faite du conflit. Dans les médias, on parle d'une guerre de religion, d'une guerre des « races ». C'est faux, tempère-t-il. « Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'antisémites là-bas, mais il n'y en a pas plus qu'ici... Voire moins. L'antisémitisme, je le ressens plus -en non-Juif, hein- chez nous. Et n'oublions pas l'inéquité profonde à la racine de tout ça : une zone très riche culturellement, à bien des égards, mais maintenue sous contrôle constant par une autre ».

Il décrit son ressenti de ce qu'il appelle « l'humeur sociale » en Palestine, une société selon lui « anarcho-disciplinée » (rires). « On a tendance à n'y pas aimer les ordres, les doctrines, et en même temps, on y est très protecteur. Quand tu arrives en Palestine, tu es forcément le bienvenu, on va te prendre en charge. Et ils ont fait ça avec les premiers Juifs qui sont arrivés d'Europe ; ils les ont accueillis, car cela fait partie de leur norme sociale ». Le monde Israélien, lui, est une société « totalement identique à la notre. Donc si tu ne restes que là bas, tu peux garder cette idée fantasmée d'une Palestine hostile ».

Il narre une anecdote. « L'autre jour, je parlais avec un ami, Juif et proche de la politique de Netanyahu, qui m'a affirmé, à moi ayant vécu en Palestine, lui n'y ayant jamais foutu les pieds, que si un Juif rentre en Cisjordanie, il est mort. C'est faux. Quand je suis allé pour la première fois en Palestine, c'est un Juif qui m'y a amené. Il se cachait pas, cela faisait des années qu'il travaillait là bas avec les Palestiniens. Que tu sois Juif, ils s'en caguent [s'en foutent, NDLR] ». Il conclut : « C'est la position de l'État d'Israël qui a mis les Juifs en insécurité, et a créé des tensions ». Rony Brauman ne dit d'ailleurs pas autre chose, quand il déclare : « Israël est l'endroit où les juifs sont le plus en danger au monde, et met en danger les juifs du monde ».

Selon lui la Palestine est tolérante, multiconfessionnelle. On le dit peu, mais Hebron, Bethléem ou Ramala, villes à grosse majorité musulmane, sont dirigées par des maires Chrétiens. « Ils votent pour des chrétiens -et aussi pour des femmes, puisque le maire précédent de Bethléem était une mairesse ». Une tolérance certes remise en question par les extrémistes du Hamas, dont l'arrivée au pouvoir, nous le savons maintenant, a été poussée par Netanyahu -qui préférait des religieux plutôt que des marxistes, tels ceux l'Organisation de libération de la Palestine.

La religion ne saurait être un projet politique

Car c'est bien là le nœud du problème : ce terrible mélange entre la politique et la religion. « L'islam politique est dangereux. Et la France, comme beaucoup d'autres pays, notamment à dominante musulmane, en sait quelque chose ». Mais, ajoute-t-il, « c'est quoi, le sionisme ? C'est un projet politique religieux. Il est tout aussi dangereux que l'islam radical. Mais ça n'est jamais présenté comme ça ; on en arrive même à ce que critiquer le sionisme soit considéré comme antisémite. C'est une absurdité totale ».

Il poursuit : « Le besoin pour les Juifs de se sentir en paix quelque part est évidemment légitimes, et les conséquence de l'antisémitisme historique sont une dette que nous n'avons toujours pas réglée ». Il évoque le « péché originel » occidental : « Avec le plan de partage de 1947, on a botté en touche, et on balancé des Juifs là-bas, les laissant se démerder. Soyons clairs : on les a spoliés, et loin de réparer ça, on les a ensuite envoyés spolier une autre terre ». Où s'est ensuite développé, avec le temps, une société de type occidental. « Quand je suis à Tel-Aviv, j'ai l'impression d'être à Nice. Toi et moi pourrions être là-bas, avoir la même conversation à propos de ton journal anar' critique du pouvoir, de Netanyahu… C'est ça Israël, j'y suis comme un poisson dans l'eau, et c'est quand je rentre en Palestine que je change de monde ».

Une différence qui vient nourrir le discours de l'extrême-droite sur Israël comme base avancée de l'occident face à une fantasmatique « horde arabe ». « Le projet sioniste est en train de créer un conflit international. C'est quoi ce bordel ? » Alors même que, selon lui, la motivation première de ce conflit n'est pas religieuse. « A part que les gens s'aiment et que tout le monde soit heureux, il n'y a normalement aucun projet politique dans le judaïsme ».

Des solutions ? (non.)

Mais que faire ? Croit-il, par exemple, à la solution d'un État binational -un et seul même État pour deux peuples, avec les mêmes droits ? « Mon humanisme dirait oui, mais en l'état des choses ça n'est pas faisable. Comment imaginer une solution à un État avec une population qui a été oppressée par l'autre pendant 75 ans ? » Avec notamment des prisonniers politiques qui sont en fait des otages, arrêtés et incarcérés des années, sans aucun jugement, des meurtres, des humiliations, de la torture… (1) Selon Olivier, la solution à un État, « c'est l'aboutissement. Mais ça ne se fera pas tant qu'il y aura le projet sioniste. Beaucoup de Palestiniens sont prêts à vivre en harmonie avec les Israéliens, et vice-versa, et celles et ceux que je connais en sont tout à fait capables, mais ça n'est pas pour tout de suite. Le peuple palestinien doit panser ses plaies. Il faudra du temps ».

Pour le moment hélas, pour Israël, « le projet, c'est d'éliminer les Palestiniens. Soit en les tuant, soit en les déportant. Et ce qui se passe aujourd'hui en Cisjordanie, je le vis par des amis qui y sont à la campagne, et qui ne sortent que tous les 15 jours par peur de se faire tuer par les colons. Les attaques s'intensifient, car le projet est d'installer le plus de colonies Israéliennes possible, cantonnant les palestiniens dans les villes, dans des îlots séparés, et sans autonomie alimentaire, car sans campagne, et donc totalement dépendant d'Israël pour se nourrir ». Le summum de l'oppression capitaliste militarisée.

Ce qui peut faire basculer les choses, « c'est que la diplomatie occidentale change ». Mais l'occident est-il prêt, sachant qu'Israël « est le pays parfait pour entretenir la discorde dans la péninsule arabique, et qu'on a toujours trouvé plein de prétexte pour foutre le bordel là-bas » ? « Je commence à bien connaître les sociétés arabes. Elles sont créatives, cultivées. Mais le problème est que l'Occident n'a aucun intérêt à ce que cet espace soit autonome, structuré -car c'est un véritable contre-pouvoir. C'est une zone bien trop riche à bien des égards, et pas que financièrement, pour la laisser en paix et la laisser s'organiser ».

Le déni de l'oppression

Lors de l'horrible attaque de la Rave-Party de Super-Nova, le 7 octobre, à la frontière entre Palestine et Israël, au-delà du choc, une question s'est posée : comment était-il envisageable, pour ces jeunes gens, de festoyer ainsi à deux pas d'un immense camp de prisonniers à ciel ouvert, où les violences sont quotidiennes ? Olivier, lui, ne s'en étonne pas. « En 2011, je suis allé dans un village en Cisjordanie où un mur sépare depuis 15 ans les habitations et les cultures. Chaque semaine, une manifestation avait lieu. Je m'y suis rendu, avec des amis Israéliens. Charges, lacrymos… Une grande violence. Et une demi-heure plus tard, tu es à Tel-Aviv, ville bio, baba-cool, écolo, et ce, à deux pas d'affrontements constants… C'est insupportable ».

Le déni est le moteur premier de l'oppression du peuple palestinien par le peuple israélien, malgré son grand progressisme sur beaucoup d'autres sujets. « Ils sont progressistes, oui, mais ils sont vachement bien et ils ont pas envie de partir. Voilà. Et quand ils réalisent ce qu'ils se passe, ce qui est le cas de beaucoup de mes potes israéliens qui militent contre la colonisation, ils se cassent. C'est intenable pour eux ».

Peut-être l'avenir viendra-t-il des jeunes générations ? Comme l'a déclaré Tal Mitnick, 18 ans, Israélien objecteur de conscience : « Le changement interviendra lorsque nous reconnaîtrons les souffrances endurées par le peuple palestinien [...] et le fait qu'elles sont le résultat de la politique israélienne. Cette reconnaissance doit s'accompagner de justice, et de l'édification d'une infrastructure politique basée sur la paix, la liberté et l'égalité. Je ne veux pas participer à la poursuite de cette oppression et de ce bain de sang » (2).

Par Mačko Dràgàn

Un article tiré de notre dernier numéro (#46), consacré aux luttes antiracistes. Nous mettons chaque mois une partie de notre contenu en accès libre, mais pour tout lire, et nous soutenir, abonnez-vous !

Notes

(1) Lire notamment sur Mediapart : « J'ai subi l'électricité » : les Palestiniens faits prisonniers à Gaza témoignent de tortures et d'humiliations, Gwenaelle Lenoir, 21/12/23.

(2) https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/je-refuse-de-participer-a-une-guerre-de-vengeance-lettre-dun-objecteur-de-conscience-israelien-20231228_274B5J76EJBX3MAIOF6I4BAA5E/?utm_medium=Social&xtor=CS7-51-&utm_source=Twitter#Echobox=1703749302

A voir

Le Sel de la mer (ملح هذا البحر, Milh hadha al-bahr), un film dramatique palestinien de Annemarie Jacir (2008)

Une jeune américaine d'origine Palestinienne revient sur les terres qui ont été spoliées à sa famille en 1948.

Déclaration de La Via Campesina sur la décision historique de la CIJ concernant le génocide à Gaza

La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu aujourd'hui un arrêt historique en réponse à une requête du gouvernement sud-africain, marquant ainsi une étape importante dans (…)

La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu aujourd'hui un arrêt historique en réponse à une requête du gouvernement sud-africain, marquant ainsi une étape importante dans la quête de justice et de responsabilité.

Tiré de Entre les lignes et les mots

photo Serge d'Ignascio

L'arrêt enquête sur les allégations de génocide commis par l'occupation israélienne contre les Palestinien·ne·s de la bande de Gaza pendant la guerre en cours, qui a tragiquement fait plus de 26 000 victimes palestiniennes, dont plus de 64 000 blessé·e·s et des milliers de disparu·e·s, en majorité des femmes et des enfants.

La Via Campesina se félicite de cette décision cruciale de la CIJ, qu'elle considère comme une victoire historique pour les droits du peuple palestinien et comme un premier pas crucial vers la responsabilisation de l'occupation israélienne pour ses crimes persistants et son évitement de la punition. Les ordres contraignants de la CIJ demandent à l'occupation israélienne de garantir l'accès de la population palestinienne à l'aide humanitaire, de prévenir les actes relevant du génocide, de prévenir et de punir l'incitation directe et publique à commettre un génocide, de prendre des mesures efficaces pour empêcher la destruction des preuves liées aux allégations de génocide, et de rendre compte des mesures prises pour mettre en œuvre les ordres de la Cour dans un délai d'un mois.

Bien que nous ayons espéré, à La Via Campesina, que la Cour rende une décision de cessez-le-feu immédiat comme mesure minimale pour sauver la vie de milliers de Palestinien·ne·s qui continuent d'être victimes de cette guerre, comme cela a été le cas lors de la guerre russo-ukrainienne, nous reconnaissons l'importance du rôle joué par la Cour dans la mise en œuvre de cette décision. Cette décision, qui soumet pour la première fois l'occupation israélienne à une responsabilité juridique, est une étape essentielle pour isoler l'État occupant en tant qu'État accusé d'avoir commis un génocide. Il est nécessaire que les États qui soutiennent l'occupation israélienne, en particulier ceux qui lui fournissent des armes, cessent de la soutenir, car elle contrevient à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Nous continuons de croire que cette décision de la CIJ est une première étape dans la responsabilisation de l'occupation pour ses crimes odieux et l'utilisation sans précédent de la famine comme arme dans sa guerre contre les civil·e·s à Gaza. Plus de deux millions de Palestinien·ne·s souffrent de la faim en raison de l'utilisation par l'occupation de tactiques d'affamation. La Via Campesina reste ferme dans son engagement à soutenir le peuple palestinien dans sa lutte pour la justice et son droit à vivre dans la dignité.

Cette décision nous donne de l'espoir, car elle montre que la justice peut triompher de l'oppression.

La Via Campesina est unie et continue à lutter pour une liberté durable et le respect de la Palestine et de son peuple.

La Via Campesina est résolument solidaire et se fait l'écho de l'appel à la liberté et à la dignité durables pour la Palestine et son peuple.

Mondialisons la lutte, mondialisons l'espoir
Bagnolet : 26 janvier 2024
Via-info-fr@viacampesina.org
http://viacampesina.org/Via-info-fr/
https://mail.viacampesina.org/lists/listinfo/Via-info-fr

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USA : Le syndicat de l’automobile appelle à préparer une grève générale tout en soutenant Biden

6 février 2024, par Dan La Botz — , ,
Le syndicat United Auto Workers (UAW) illustre à la fois les problèmes et les possibilités du monde du travail. La semaine dernière, son président Shawn Fain a soutenu la (…)

Le syndicat United Auto Workers (UAW) illustre à la fois les problèmes et les possibilités du monde du travail. La semaine dernière, son président Shawn Fain a soutenu la candidature du démocrate Joe Biden à l'élection présidentielle, tout en appelant à organiser une grève générale.

Hebdo L'Anticapitaliste - 693 (01/02/2024)

Par Dan La Botz
traduction Henri Wilno

Crédit Photo
Wikimedia Commons

En 2023, après l'inculpation et la condamnation pour corruption de l'ancienne direction de l'UAW, Shawn Fain et un groupe de réformateurs ont été élus à la tête du syndicat. Fain et son groupe ont alors mené le syndicat dans une grève nationale remarquable contre les trois grands constructeurs automobiles américains. Comme je l'ai écrit à l'époque : « L'UAW a mené une grève de 45 jours contre les trois grands constructeurs automobiles américains — Ford, Stellantis et General Motors — avant de négocier un contrat en octobre et d'obtenir non seulement d'importantes augmentations de salaire et l'élimination des échelons, mais aussi d'empiéter sur le contrôle des entreprises sur leurs usines et sur l'industrie. Cela faisait des décennies que les États-Unis n'avaient pas vu un syndicat mener une telle grève de travailleurs industriels ».

Vers un syndicat lutte des classes

Aujourd'hui, Shawn Fain a appelé les syndicats américains à organiser une grève générale… en mai 2028. S'exprimant lors de la conférence politique nationale de l'UAW, il a déclaré : « Nous voulons une grève générale. Nous voulons que tout le monde débraye, comme cela se fait dans d'autres pays ». Bien qu'il y ait eu quelques grandes vagues de grèves, comme celles de 1919, des années 1930, de 1946 et de 1970, et quelques grèves générales à l'échelle d'une industrie ou d'une ville, il n'y a jamais eu de grève générale à l'échelle nationale. Pour parvenir à une telle grève, Fain a appelé les syndicats à fixer la date d'expiration de leurs contrats collectifs à mai 2028, comme l'a fait l'UAW.

Un tel appel sera difficile à concrétiser. La loi Taft-Hartley de 1947 a interdit les grèves de soutien, les grèves de solidarité et les grèves générales, et depuis les années 1970 et jusqu'à ces dernières années, les grèves ont considérablement diminué aux États-Unis. Les dirigeants syndicaux ont hésité à remettre en cause le statu quo et, jusqu'à présent, les travailleurEs n'ont pas eu la conscience, l'organisation et la combativité nécessaires pour le faire. Il est clair que l'appel de Fain à une grève dans quatre ans est une tentative d'attirer l'attention des travailleurEs et d'orienter la classe ouvrière vers une politique de lutte de classe.

Dans le même temps, Fain a annoncé que l'UAW, qui compte près d'un million de membres (400 000 actifEs et 500 000 retraitéEs), soutiendra Biden à la présidence, qualifiant son rival Donald Trump de « briseur de grève » opposé à « tout ce que nous défendons ». Le président Biden avait rejoint les travailleurEs de l'UAW sur un piquet de grève l'année dernière, une première pour un président américain. Pourtant, un sondage interne de l'UAW réalisé l'été dernier a montré que 30 % des membres soutenaient Biden, 30 % soutenaient Trump et 40 % étaient indépendants. Lors des dernières élections présidentielles, environ 60 % des membres ont voté pour le parti démocrate. L'annonce de Fain vise à unifier les membres derrière Biden.

Le besoin d'un parti des travailleurEs

Les deux annonces de Fain révèlent les possibilités et les problèmes des travailleurEs. D'une part, une partie réduite mais significative de l'UAW et de la classe ouvrière en général est désormais prête à s'engager dans la lutte des classes. Mais l'orientation politique de la masse des travailleurEs est plus problématique. La direction de l'UAW a décidé de soutenir Biden, le candidat d'un parti capitaliste. Certains membres de l'UAW refusent cette position en raison du soutien de Biden à la guerre génocidaire d'Israël contre la Palestine. Un nombre encore plus important de membres de l'UAW soutient Trump et sa politique raciste, misogyne, pro-business et autoritaire. Et la classe ouvrière elle-même n'a pas de force politique indépendante.

Les États-Unis n'ont pas eu de parti ouvrier important — parti du travail, socialiste ou communiste — depuis les années 1910. Et la création d'un tel parti n'a pas rencontré beaucoup de soutien depuis les années 1930. Bien que sa création ne soit pas à l'ordre du jour pour le moment, le besoin d'un tel parti de travailleurEs est clair, mais il devra être créé en luttant contre la bureaucratie ouvrière et le Parti démocrate. Les obstacles sont donc clairs eux aussi.

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Malgré la famine qui menace à Gaza, les États-Unis suspendent leur financement

6 février 2024, par Amy Goodman, Jan Egeland — , , , , ,
Malgré la famine qui menace à Gaza, les États-Unis suspendent leur financement à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés.es de Palestine dans le (…)

Malgré la famine qui menace à Gaza, les États-Unis suspendent leur financement à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés.es de Palestine dans le Proche-Orient (UNRAW en Anglais) Après qu'Israël ait déclaré que 12 de ses employés.es aient participé à l'attaque du 7 octobre

Tiré de Democracy Now
Traduction Alexandra Cyr

Note : comme la plupart des médias francophones utilisent le sigle Anglais pour cette organisation, j'ai décidé d'en faire autant dans ce texte qui s'en trouve allégé. A.C.

A.G. : (…) Les autorités palestiniennes et les groupes de défense des droits humains dénoncent la décision des États-Unis et d'au moins 12 autres pays (dont le Canada n.d.t.) de suspendre temporairement leur financement à l'UNRWA après qu'Israël eut accusé 12 de ses employés.es d'avoir participé à l'attaque du 7 octobre. Neuf de ces personnes ont été remerciées et l'UNRWA déclare que deux des accusés.es sont décédés.es.

L'UNRWA est un de plus important employeur de Gaza avec 13,000 employés.es. Il aide la majorité des habitants.es de l'enclave soit environ 2millions 300 mille personnes. Cette agence est visée par Israël depuis longtemps. Depuis le début de la guerre à Gaza, 150 de ses employés.es ont été tués.es.

Francesca Albanese, la rapporteure spéciale des Nations Unies pour les Territoires palestiniens occupés, a écrit sur les réseaux sociaux : « Le lendemain du jugement de la Cour internationale de justice qui conclut qu'il était plausible qu'Israël commette un génocide à Gaza, certains États ont décidé de ne plus financer l'UNRWA imposant ainsi un châtiment collectif à des millions de Palestiniens.nes au pire moment. Agissant ainsi, ils violent probablement leurs propres obligations envers la Convention contre le génocide ».

Pendant ce temps, le chef de l'Office, M. Philippe Lazzarini, condamne le gel des fonds à un moment où la famine menace à Gaza. Il a déclaré : « La population palestinienne de Gaza ne mérite pas un châtiment collectif en plus. Cela nous entache tous et toutes ». Et le Secrétaire général des Nations Unies, M. António Guterres a exhorté les pays donateurs à continuer de financer l'UNRWA.

Pour creuser cet enjeu, nous rejoignons à Oslo en Norvège, Jan Egeland. Il est le secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés.es. La Norvège participe toujours au financement de l'UNRWA.

Merci beaucoup Yan d'être avec nous. Pour commencer, pouvez-vous réagir à cette coupure de financement alors qu'entre autre, Gaza est sous les bombardements et au bord de la famine ?

Jan Egeland : Oui. C'est la pire réaction à ces allégations voulant qu'une douzaine d'employés.es sur les 13,000 de l'UNRWA aient trahi nos principes humanitaires de neutralité, d'indépendance et aient participé à l'horrible attaque contre Israël. L'UNRWA a immédiatement répondu en remerciant ces personnes comme vous l'avez dit et demande maintenant une enquête indépendante. Ce que ces donateurs ont fait, les États-Unis, le Royaume uni, l'Allemagne, l'Italie, la Finlande, Les Pays Bas, l'Australie et quelques autres, c'est de retirer l'aide aux enfants de Gaza, au femmes de Gaza, à ceux et celles qui sont totalement innocents.es là-bas. C'est la pire décision possible au moment où la population est coincée sous les bombardements. Ne punissons pas tant d'innocents.es pour la conduite de quelques uns.es qui ont mal agit semble-t-il.

A.G. : Il va devenir intéressant de voir si Israël va divulguer des preuves pour que les Nations Unies puissent enquêter sur cette affaire. Car beaucoup de ces pays ont immédiatement suspendu leur fourniture d'armes. Je veux vous lire un clip d'un ancien haut fonctionnaire israélien, Noga Arbell. Il écrit : « Nous ne pourrons pas gagner cette guerre sans détruire l'Unrwa et cette destruction doit commencer immédiatement ». Le Premier ministre Netanyahu a déclaré que l'UNRWA ne sera plus à Gaza après la guerre. Qu'en dites-vous Jan Egeland ? Et parlez-nous, puisque vous êtes à la tête d'un grand groupe humanitaire, de l'importance de l'UNRWA parmi tous les autres groupes et sans parler des gens sur le terrain.

J.E. : L'UNWRA est absolument essentiel. En effet je dirige le Conseil norvégien pour les réfugiés.es, nous sommes une grand groupe humanitaire (et nous agissons) partout dans le monde. Nous sommes présents partout où il y a des conflits pour aider les déplacés.es et les réfugiés.es. Nous avons été à Gaza au cours des deux dernières décennies. Nous avons été financés par les États-Unis, 40 autres pays donateurs et des agences internationales partout dans le monde.

À Gaza, il faut reconnaitre qu'avec tous les autres groupes nous n'approchons même pas ce que l'UNRWA représente pour la population. L'organisation a été la réponse à la création d'Israël et la guerre de 1948 qui a déplacé une grande partie de la population originelle de la Palestine vers Gaza, la Cisjordanie et dans d'autres endroits. Depuis lors, il n'y a pas eu de traité politique de paix. Et c'est parce que la communauté internationale n'a pas réussi à forcer les deux parties, les Israéliens et les Palestiniens, à résoudre le conflit. Cela aboutit à ce que des groupes humanitaires, d'abord et avant tout, l'UNRWA prennent cette population en charge.

Donc, affaiblir et amoindrir l'UNRWA sous prétexte qu'il serait un groupe extrémiste comme le gouvernement israélien le dit, revient à dire : « Nous allons punir les femmes et les enfants, les innocents.es pour ce que des extrémistes ont fait alors que sévit la pire agitation et un conflit sans fin, que nous ne voulons pas en ce moment tenter d'avoir des discussions pour parler de notre avenir ». C'est condamnable.

Et les donateurs internationaux doivent maintenir leurs liens avec les organisations humanitaires comme la Norvège le fait. La Norvège est un donateur important, il donne plus per capita aux Palestiniens.nes que n'importe quel autre donateur. Nous continuons à financer l'UNRWA et nous lui disons : « C'est bien que vous ayez remercié (ces personnes), mis fin à leurs contrats et c'est bien aussi d'initier une enquête. (Avec ses conclusions) nous aviserons sur ce que nous devrons faire à l'avenir ».

A.G. : Avez-vous des preuves de ce qu'avance Israël ? Est-ce qu'il en a présenté ?

J.E. : Pour ce que j'en sais, ni l'UNRWA ni l'ONU et ses enquêteurs n'ont rien reçu. J'espère qu'ils en recevront pour qu'ils puissent faire une investigation en profondeur ; ce sont de sérieuses accusations. J'ai lu quelque chose à leur sujet dans le New York Times. Si c'est vrai, ils ont trahi tous nos principes de neutralité, d'impartialité et autre. C'est très important pour nous ; nous sommes des humanitaires désarmés.es là où le feu fait rage partout dans le monde.

Mais, il est clair que qui que ce soit qui travaille au Proche Orient ne peut garantir qu'il n'y aura pas quelqu'un.e dans ses rangs à avoir des engagements secrets. Les Palestiniens.nes ne peuvent faire cela ? Les Israéliens.nes ne peuvent faire cela ? Pourtant nous connaissons plusieurs Israéliens.nes qui ont fait de très mauvaises choses à Gaza même tirer sur des gens portant le drapeau blanc. Ils ont même tiré sur leurs propres compatriotes portant ce drapeau blanc. Leurs colons sont organisés, des organisations de type mafieuses qui déplacent femmes et enfants en Cisjordanie. Plusieurs d'entre eux sont recrutés par les Forces armées. Ils devraient être en prison mais sont dans les Forces armées. Personne ne peut garantir qu'il n'y y aura pas de problèmes. Donc il faut une enquête et que des réponses soient en place chaque fois que cela arrive. Mais ne coupez pas l'aide aux gens qui sont en grand besoin. C'est la pire réponse.

A.G. : Jan Egeland, merci d'avoir été avec nous. (…)

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Pourquoi de nombreux Noirs se détournent de Biden à propos de la Palestine

6 février 2024, par Malik Miah — , ,
25 janvier 2024 | tiré d'Inprecor.org https://inprecor.fr/node/3798 Le président Joe Biden est en difficulté auprès des jeunes électeurs afro-américains. Son soutien (…)

25 janvier 2024 | tiré d'Inprecor.org
https://inprecor.fr/node/3798

Le président Joe Biden est en difficulté auprès des jeunes électeurs afro-américains. Son soutien inconditionnel au sionisme et le soutien militaire américain à la guerre horrible menée par l'État israélien contre le peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie occupée sont à l'origine d'une opposition croissante.

Biden refuse de dire à l'État d'Israël de mettre fin à sa guerre génocidaire à Gaza. Il répète tous les mensonges du régime israélien.

Pour de nombreux jeunes Noirs qui pensent que le Parti démocrate tient leur soutien pour acquis, sa politique étrangère de guerre et d'édification d'un empire est le signe que l'on ne peut pas non plus compter sur Biden pour lutter contre le racisme dans son pays. Certains resteront chez eux ou voteront pour des candidats indépendants - ou même pour Trump comme un moindre mal lors de l'élection présidentielle de 2024.

Pendant ce temps, les démocrates conservateurs se sont associés au lobby pro-israélien pour cibler les élus de leur propre parti qui appellent à un cessez-le-feu permanent et à une aide humanitaire. La cible numéro un est la députée de Détroit, Rashida Tlaib, la seule Américaine d'origine palestinienne jamais élue au Congrès.

Des voix s'expriment sur la lutte commune

De nombreux organes d'information grand public rendent compte de cette évolution des points de vue. Un article de l'Associated Press du 17 décembre en est un exemple :

« Cydney Wallace, une militante de la communauté juive noire, ne s'est jamais sentie obligée de se rendre en Israël, bien que “l'année prochaine à Jérusalem” soit un refrain constant dans sa synagogue de Chicago.

« Cette femme de 39 ans a déclaré qu'elle avait beaucoup à faire chez elle, où elle donne fréquemment des conférences sur la lutte contre le sentiment antinoir dans la communauté juive américaine et sur le démantèlement de la suprématie de la race blanche aux États-Unis.

« Je sais pour quoi je me bats », a-t-elle déclaré.

« Tout a changé lorsqu'elle s'est rendue en Israël et en Cisjordanie à l'invitation d'un organisateur communautaire palestinien américain du quartier sud de Chicago, en compagnie de deux douzaines d'autres Noirs américains et de dirigeants religieux musulmans, juifs et chrétiens. »

Le voyage s'est brusquement terminé en raison de l'attaque du Hamas à l'intérieur d'Israël le 7 octobre.

Mais le voyage a eu un impact important sur les opinions de Wallace. Pour elle, et pour un nombre croissant de Noirs américains, la lutte des Palestiniens est le reflet de leur propre combat pour l'égalité raciale et les droits civiques. L'essor récent des mouvements de protestation contre les brutalités policières et la structure de la suprématie blanche et du racisme institutionnel qui sévit dans presque tous les domaines de la vie a rapproché les militants noirs et palestiniens autour d'une cause commune.

Une défiance croissante

Demetrius Briscoe avait voté pour Joe Biden en 2020, mais le senior de Bowie State University, une université historiquement noire du Maryland, hésite à soutenir le président l'année prochaine.

Demetrius Briscoe a déclaré à USA Today qu'il « ne pense pas que beaucoup de ses pairs voteront pour Joe Biden parce qu'il n'a pas exigé de cessez-le-feu ».

« Il est en train d'entacher sa présidence d'une tache qui, à mon avis, ne sera pas facile à effacer, a déclaré M. Briscoe, ajoutant que si les démocrates appellent à un cessez-le-feu, cela pourrait sauver le parti démocrate d'une vague de jeunes qui ne voteraient pas pour eux ».

Lors d'un rassemblement pour le cessez-le-feu en octobre à l'université Howard, Delaney Leonard, une étudiante de 19 ans qui a participé à l'organisation du rassemblement, a fait remarquer qu'elle n'avait pas l'intention de voter pour Biden. Elle ne pense pas être la seule.

« Cela va certainement jouer un rôle dans la décision de vote des gens », a déclaré Mme Leonard.

Keesha Middlemass, professeur agrégé de sciences politiques à l'université Howard, note que "les jeunes voient enfin l'impact de la machine de guerre américaine". Ils sont profondément préoccupés par la loyauté aveugle de Joe Biden à l'égard d'Israël, sans aucune considération pour le droit à l'existence des Palestiniens.

Solidarité et soutien mutuel

Khadirah Muhammad, senior en dernière année à l'université d'État de Géorgie, se souvient d'avoir vu sur les médias sociaux les peintures murales de Black Lives Matter à Gaza et d'avoir regardé les Palestiniens manifester lors des manifestations de George Floyd en 2020. Pour elle, il s'agit de symboles de solidarité.

« Je pense qu'il est nécessaire de s'exprimer lorsque les choses ne vont pas », a déclaré Muhammad, âgée de 22 ans, qui a participé à un rassemblement propalestinien sur le campus en octobre. « C'est vraiment déchirant. »

Selon Michael R. Fischbach, professeur d'histoire au Randolph-Macon College et auteur de Black Power and Palestine Transnational Countries of Color, si de nombreux chefs religieux, étudiants et militants juifs ont soutenu Martin Luther King Jr et le mouvement des droits civiques, le soutien à Israël s'est transformé dans les années 1960 avec l'aile Black Power de la lutte pour la liberté des Noirs.

Identification et action

Fischbach ne s'étonne pas que les jeunes Afro-Américains éprouvent de l'empathie pour les Palestiniens. Plusieurs facteurs les rapprochent, notamment un sentiment de parenté au sein de cette « communauté mondiale fermée », une opposition à ce qu'ils considèrent comme un colonialisme de peuplement et des expériences communes de vie dans des communautés ségréguées.

Il a souligné que « beaucoup de jeunes, notamment de couleur dans ce pays, peuvent instinctivement s'identifier aux Palestiniens parce que cela ressemble, encore une fois, à l'expérience qu'ils vivent chez eux ».

Depuis des décennies, des segments de la communauté afro-américaine ont exprimé leur soutien à la Palestine. Ce soutien s'accroît aujourd'hui, en particulier chez les jeunes Afro-Américains. Les sondages révèlent aujourd'hui que les Noirs sont plus critiques à l'égard de la politique américaine au Moyen-Orient.

Selon le Crowds Counting Consortium, une initiative du Nonviolent Action Lab de l'université de Harvard, 2 357 manifestations, rassemblements, veillées et autres actions propalestiniennes ont eu lieu aux États-Unis entre le 7 octobre et le 10 décembre.

Les sondages reflètent les sentiments

Parmi celles-ci, 652, soit près de 28 %, se sont déroulées sur des campus universitaires. (Le consortium a recensé 450 actions pro-israéliennes au cours de la même période).

Un sondage réalisé en novembre par GenForward, géré par l'université de Chicago, a révélé que 63 % des électeurs noirs prévoyaient de voter pour Biden en 2024, contre 17 % qui ont déclaré qu'ils voteraient pour Trump s'il était désigné. En 2020, M. Biden a remporté 92 % des suffrages des électeurs noirs contre 8 % pour Trump. Malgré le fort soutien dont bénéficie M. Biden, cette désaffection croissante menace sa réélection.

Dans le même sondage, 16 % des électeurs noirs ont déclaré être plus favorables aux Palestiniens qu'aux Israéliens dans le conflit, contre 13 % des électeurs noirs qui ont déclaré être plus favorables aux Israéliens. Trente-neuf pour cent des électeurs noirs ont déclaré avoir de la sympathie pour les deux groupes ; 32 % ont dit ne pas savoir.

Muhammad, qui a déjà voté pour des démocrates dans le passé, a déclaré qu'elle ne se sentait pas obligée de soutenir les démocrates, qu'elle a qualifiés de « faibles ».

« Non pas que je veuille revoir une présidence de Donald Trump », a-t-elle déclaré. « Mais honnêtement, une présidence de Joe Biden, je ne me vois pas voter pour ».

Muhammad a déclaré qu'elle envisageait d'autres solutions. "J'aime voter avec intégrité", a-t-elle déclaré.

Malcolm X à Gaza

Son inquiétude rappelle les propos tenus par Malcolm X en 1964, après la création de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). (L'OLP était une réponse au déplacement et à la dépossession des Palestiniens à la suite de la création d'Israël en 1948. L'OLP avait pour but de représenter le peuple palestinien dans son désir d'autodétermination et de rechercher l'unité arabe. Elle recherchait également l'unité arabe).

Malcolm X s'est rendu à Gaza en 1964, alors qu'il s'agissait encore d'un territoire égyptien (dont Israël s'est emparé après la guerre des six jours de 1967). Il a écrit et publié dans la Gazette égyptienne l'essai décisif « Zionist Logic » (la logique sioniste).

Fervent opposant au colonialisme et à l'exploitation sous ses diverses formes, Malcolm X a critiqué la manière dont le judaïsme, le sionisme et le colonialisme se mêlaient pour perpétuer un dangereux précédent, en expliquant :

« Si la revendication “religieuse” de l'État d'Israël n'a pas été respectée, elle a été rejetée : Si la revendication "religieuse" des sionistes est vraie, à savoir qu'ils devaient être conduits vers la terre promise par leur messie, et que l'occupation actuelle de la Palestine arabe par Israël est l'accomplissement de cette prophétie, où est leur messie dont les prophètes ont dit qu'il aurait le mérite de les y conduire ? C'est Ralph Bunche [médiateur des Nations unies] qui a “négocié” la prise de possession de la Palestine occupée par les sionistes ! Ralph Bunche est-il le messie du sionisme ? Si Ralph Bunche n'est pas leur messie, et que leur messie n'est pas encore venu, alors que font-ils en Palestine avant leur messie ?

« Les sionistes avaient-ils le droit légal ou moral d'envahir la Palestine arabe, de déraciner les citoyens arabes de leurs maisons et de s'emparer de tous les biens arabes sur la seule base de l'affirmation “religieuse” que leurs ancêtres vivaient là il y a des milliers d'années ? Il y a seulement mille ans, les Maures vivaient en Espagne. Cela donnerait-il aux Maures d'aujourd'hui le droit légal et moral d'envahir la péninsule ibérique, de chasser les citoyens espagnols et de fonder une nouvelle nation marocaine... là où se trouvait l'Espagne, comme les sionistes européens l'ont fait pour nos frères et sœurs arabes en Palestine ?

« En bref, l'argument des sionistes pour justifier l'occupation actuelle de la Palestine arabe par Israël n'a aucune base intelligente ou légale dans l'histoire... pas même dans leur propre religion. Où est leur Messie ? »

L'exigence de Mandela

Trois décennies plus tard, Nelson Mandela, leader révolutionnaire sud-africain et premier président d'une Afrique du Sud libre, a déclaré dans un discours prononcé en 1997 à l'occasion de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien ce qui résonne encore aujourd'hui chez une grande majorité de personnes du Sud :

« Nous savons trop bien que notre liberté [en tant que Sud-Africains] est incomplète sans la liberté des Palestiniens ».

L'intensité du soutien à la Palestine ne fait que se renforcer parmi les jeunes Afro-Américains.

Publié dans Against the Current en décembre 2023.

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Quelles hypocrisie, immoralité et même sadisme !

Dès qu'Israël allègue que douze membres de l'UNRWA auraient participé dans l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre, Washington suspend immédiatement son financement de cette (…)

Dès qu'Israël allègue que douze membres de l'UNRWA auraient participé dans l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre, Washington suspend immédiatement son financement de cette organisation humanitaire de l'ONU. Et le Canada, ainsi que plusieurs autres pays, emboitent le pas.

Ovide Bastien, auteur de Chili : le coup divin, Éditions du Jour, 1974

Cette allégation apparait le 26 janvier. Le jour même, assez étrangement, où la Cour internationale de justice rend public son jugement, on ne peut plus dévastateur, pour Israël.
L'accusation de génocide que l'Afrique du Sud porte contre Israël est recevable, affirme la Cour. La preuve présentée démontre clairement que c'est possible qu'Israël soit en train de commettre un génocide.

• La Cour énumère en détail les nombreuses déclarations où de leaders israéliens incitent au génocide.
• Elle montre comment le grand nombre de morts et de blessés à Gaza ainsi que la destruction massive d'infrastructure reflètent ces déclarations.
• Elle annonce qu'elle déclenche une enquête et somme Israël de s'abstenir de détruire toute preuve pouvant servir à celle-ci.
• Elle demande à Israël de punir tout leader tenant de futurs propos génocidaires et de s'abstenir de toute action future ayant un caractère génocidaire.
• Elle demande à Israël de mettre immédiatement fin à son blocage de l'aide humanitaire à Gaza.
• Elle somme Israël de faire rapport à la Cour d'ici un mois au sujet du respect de ces mesures.

En apprenant que Washington, mon pays le Canada, ainsi que plusieurs autres pays suspendent leur financement de l'UNRWA, je suis estomaqué.

Comment se fait-il qu'Israël sorte soudainement de son chapeau, en ce moment précis, cette petite bombe médiatique ?

Et pourquoi cet empressement de suspendre le financement de la seule organisation ayant une capacité réelle de venir en aide à une population plongée dans une catastrophe humanitaire incommensurable ?

Remonte en moi, comme un volcan en éruption, une grande émotion de colère et de révolte...

La même que je ressentais au Chili en septembre 1973 lorsqu'Augusto Pinochet renversait le gouvernement de Salvador Allende et écrasait dans le sang, la torture, et les camps de concentration de milliers d'adeptes de l'Unité populaire.

Pinochet décrivait sa prise de pouvoir brutale comme une œuvre sacrée, une intervention divine. Comme Israël aujourd'hui, il cherchait à contrôler le récit, surtout dans les médias. L'exécution sommaire de personnes résistant à son putsch était présentée dans les médias comme l'action de militaires se défendant contre de simples délinquants et terroristes.
La douleur de millions de Chiliens et Chiliennes était énorme. Le coup d'État produisait 3 000 morts... Au moins 40 000 personnes furent soumises à la torture. Entendre, au jour le jour, la description des méthodes de torture utilisées m'était insupportable...

Profondément ému et bouleversé, je tentais de faire entrer dans diverses ambassades des personnes cherchant désespérément à échapper à la terreur. Et je collaborais avec de nombreux journalistes, qui arrivaient à Santiago, afin que le monde sache ce qui se passait au Chili.

Je n'oublierai jamais la fois que l'ambassadeur canadien à Santiago, Andrew Ross, refusait de nous ouvrir la porte.

J'étais avec un médecin chilien, qui occupait un haut poste dans le gouvernement de Salvador Allende, sa femme, et leur nouveau-né de six mois. Nous avions beau expliquer à M. Ross que ce médecin risquait emprisonnement, torture, et même exécution, et le supplier de faire preuve d'un peu d'humanité, il n'y avait rien à faire.

« Les gens ne s'énervent pour rien. Le gouvernement ne fait que sévir contre les malfaiteurs », insistait-il, en refusant de donner refuge à cette famille.

Cette froideur et hypocrisie devant autant de souffrance humaine me scandalisaient et me révoltaient.

Notre ambassadeur canadien, je le savais, appuyait le coup d'État et s'en réjouissait. Comme d'ailleurs Washington qui avait tout fait, financièrement et diplomatiquement, et ce, depuis longtemps, pour assurer son succès. La CIA offrait même aux militaires chiliens des instructions au sujet des méthodes de torture les plus efficaces.

Lorsque nous écoutions la radio internationale de Washington, Voice of America, ce poste ne faisait que répéter comme un perroquet la version que diffusait quotidiennement les militaires chiliens. Une version incroyablement falsifiée des faits.

Mes amis étatsuniens me racontaient que lorsque certains d'entre eux se présentaient à l'ambassade des États-Unis à Santiago, on leur disait, pour calmer leur désarroi et peur, « Take a bufferin ! »

Lorsque l'Afrique du Sud, décembre dernier, accusait Israël de génocide et demandait à la Cour internationale de justice d'adopter des mesures provisoires, le président Joe Biden et son secrétaire d'État Antony Blinken firent immédiatement une déclaration en conférence de presse. Cette accusation « ne repose sur aucune base factuelle », ont-ils affirmé.
Et le président israélien Benjamin Nétanyahou a fait de même.

« Nous vivons dans un monde à l'envers », affirma-t-il. « C'est le Hamas terroriste qui commet un génocide contre le peuple juif ».

Le jour même où la Cour internationale de justice rend son jugement discréditant complètement, et Washington et Israël, apparaît soudainement, comme par magie, cette allégation au sujet de douze employés de l'UNRWA. Washington suspend immédiatement son financement à cette organisation, et, dans l'espace de quelques minutes, ce qui fait la une dans les journaux des principales puissances occidentales, ce n'est plus l'arrêt de la Cour internationale de justice, mais l'affaire UNRWA et la suspension immédiate du financement de cette organisation, d'abord par les États-Unis et bientôt par toute une série de pays, dont le Canada !

La très réputé BBC, par exemple, consacre huit minutes à présenter les allégations non prouvées d'Israël au sujet de douze employés de l'UNRWA et beaucoup moins de minutes à présenter l'arrêt tout à fait historique de la Cour internationale de justice. La chaîne de télévision CNN, rapporte le Guardian du 5 février, est confrontée à une levée de boucliers de la part de son propre personnel en raison de politiques éditoriales qui ont conduit à une régurgitation de la propagande israélienne et à la censure des points de vue palestiniens dans la couverture de la guerre à Gaza.

Pourquoi le Canada refuse-t-il d'appuyer, comme l'ont fait plusieurs autres pays, l'arrêt de la Cour internationale de justice ? Pourquoi accorde-t-il spontanément crédibilité, par ailleurs, aux allégations non-prouvées d'Israël ? Des allégations possiblement fondées sur des confessions obtenues de prisonniers palestiniens soumis à la torture, ou sur des textos et courriels inventés de toute pièce ? Des allégations, en plus, faites par un pays fort connu pour sa maltraitance des prisonniers palestiniens, incluant la torture, et pour sa production d'affirmations fausses, surtout en temps de guerre, qui s'effondrent par la suite ?

Quelles hypocrisie, immoralité, et même sadisme que de couper les vivres à l'UNRWA ! La principale agence onusienne fournissant de l'aide humanitaire à 6 millions de Palestiniens et qui a 13 000 employés à Gaza, cette bande pas plus grande que la moitié de la ville de New York, et qui se trouve en plein milieu d'une catastrophe humanitaire qui arrache le cœur ?
On peut difficilement se réjouir du fait que le Canada, après avoir suspendu son financement de l'UNRWA, décide d'accorder $40 millions à d'autres organisations qui viennent en aide aux Gazaouis.

« Il est inacceptable de suspendre le financement humanitaire en pleine crise de la seule organisation capable de fournir un soutien humanitaire efficace à ceux qui en ont besoin, » affirme la députée libérale à la Chambre des communes Salma Zahid. « Ternir l'ensemble de l'UNRWA à cause d'allégations concernant quelques employés équivaut à une punition collective des Palestiniens. »

Aussi encourageant que cela puisse paraître, on peut difficilement se réjouir non plus du fait que Joe Biden décide, le 1 février, d'imposer des sanctions aux colons israéliens accusés d'actes violents en Cisjordanie et que le Canada songe à imiter ce geste.

On doit se rappeler que Washington n'a jamais remis en question la légalité des colonies juives dans les territoires occupés. Ni le système d'apartheid imposé depuis fort longtemps à de millions de Palestiniens dans ces territoires. Depuis 1973, Washington offre à Israël un soutien sans équivoque, utilisant au moins 53 fois son droit de véto à l'ONU pour rejeter des résolutions – pourtant toujours acceptées par une écrasante majorité de pays - condamnant la violence contre les manifestants palestiniens et les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie occupée. Sous le gouvernement d'extrême droite de Nétanyahou, et surtout depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, cette violence en Cisjordanie n'a fait qu'augmenter. Le bureau humanitaire de l'ONU recensait 494 attaques jusqu'au 31 janvier, attaques souvent faites avec la complicité grossière des militaires israéliens, lors desquels 1 000 Palestiniens furent expulsés de leurs maisons et leur terre.

À cause des nombreuses colonies illégales, les terres palestiniennes de Cisjordanie se trouvent présentement découpées en 165 enclaves distinctes.

Comment, dans un tel contexte, penser à la création d'un État palestinien viable et d'un seul tenant ?

Joe Biden impose des sanctions à certains colons israéliens, mais pas aux principaux auteurs intellectuels de leur violence, les ministres israéliens Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich. Il n'impose pas de sanctions à Benjamin Nétanyahou. Ni aux généraux qui larguent des bombes de 2 000 lb, gracieuseté de Washington, à Gaza. Il ne s'engage pas à ne point utiliser son veto à une possible résolution du Conseil de sécurité pressant Israël de se conformer aux mesures provisoires de la Cour internationale de justice afin d'éviter de contribuer à un génocide plausible.

Lorsque je vois Joe Biden demander au Congrès d'approuver une aide de $17 milliards pour Israël, sans exiger que cette aide soit conditionnelle au respect des droits fondamentaux du peuple palestinien... Lorsque je l'entends, dans une conférence de presse où il apparaît envahi d'émotion, s'apitoyer sur le sort des 130 otages toujours détenus par le Hamas à Gaza, en omettant d'exprimer si ce n'est qu'un iota de compassion au sujet des 27 000 Gazaouis tués - la plupart enfants et femmes, des 66 000 blessés, des 25 000 enfants devenus orphelins et des centaines de milliers traumatisés à vie, des dix enfants par jour qui se font amputer un membre sans être anesthésiés, de la démolition par bombe de 70% de l'infrastructure à Gaza, du déplacement forcé de 85% de la population, d'une catastrophe humanitaire d'épidémie et de famine...

Lorsque je vois tout cela, c'est comme si je me retrouvais encore une fois devant Andrew Ross en septembre 1973 au Chili, avec le médecin chilien, Roberto Bellemare et sa famille. J'entends notre ambassadeur dire à Roberto :

« Ta peur d'être détenu, torturé, et peut-être exécuté n'a aucune base factuelle. It is meritless ! »

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Le 26 janvier, le College Langara de Vancouver a licencié Natalie Knight, une enseignante pro-palestinienne, pour « antisémitisme » et « célébration de la violence contre les civils », alors que celle-ci venait de revenir au travail suite à une suspension. Cette décision fait suite aux (...)

Lutte ouvrière et finalité révolutionnaire | Alfonso Salvador (Espagne, 2023)

https://liberteouvriere.files.wordpress.com/2023/10/foto-articulo-alfonso-salvador-560x416-1-1-576393566-e1696564301868.jpg https://0.gravatar.com/avatar/08b9589eb27d3c06729f93084302d98e4131a5e1c0977a835d8b57b967e3a53b?s=96&d=identicon&%2338;r=G https://liberteouvriere.files.wordpress.com/2023/10/foto-articulo-alfonso-salvador-560x416-1-1-576393566-e1696564301868.jpg?w=5601er février 2024, par liberteouvriere
Les organisations ouvrières ne devraient pas se lancer dans des combats en alimentant une vision partielle des conflits et des luttes existantes qui caractérisent la société de (…)

Les organisations ouvrières ne devraient pas se lancer dans des combats en alimentant une vision partielle des conflits et des luttes existantes qui caractérisent la société de classes. Leurs combats devraient non seulement préparer les travailleurs-travailleuses à remporter une victoire mais (…)

Revenons sur la venue d’un COSTCO, une bonne nouvelle ?

1er février 2024, par Marc Simard
L’actualité nous a appris au cours des derniers jours que le géant américain COSTCO allait finalement s’installer sur le territoire rimouskois. S’agit-il vraiment d’une bonne (…)

L’actualité nous a appris au cours des derniers jours que le géant américain COSTCO allait finalement s’installer sur le territoire rimouskois. S’agit-il vraiment d’une bonne nouvelle ? Oui, pour certains, mais nous ne sommes pas de cet avis, et même si ce dossier semble malheureusement clos, (...)

Est-ce que l’Occident va perdre (ou a perdu) son âme à Gaza ?

31 janvier 2024, par Ruba Ghazal
Ruba Ghazal C’est la question que je me suis posée en tournant la dernière page du roman Ténèbre de Paul Kawczak, qui ne ressemble à rien de ce que j’ai lu depuis longtemps. Le (…)

Ruba Ghazal C’est la question que je me suis posée en tournant la dernière page du roman Ténèbre de Paul Kawczak, qui ne ressemble à rien de ce que j’ai lu depuis longtemps. Le premier roman paru en 2020 de ce jeune auteur qui vit à Chicoutimi se passe à la fin du 19e siècle au […] L’article (...)

La zootechnie…à quoi ça sert ?

31 janvier 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La région du Bas-Saint-Laurent se caractérise par une exploitation agricole prospère grâce à ses sols fertiles et bon (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local La région du Bas-Saint-Laurent se caractérise par une exploitation agricole prospère grâce à ses sols fertiles et bon marché. On y trouve un bon nombre de cultures de maïs, de soya, des fermes laitières ou encore de l’élevage porcin, (...)

DÉFENDRE L’HUMANITÉ D’ACCORD MAIS PAS LE HAMAS

30 janvier 2024, par Marc Simard
Un article du dernier Mouton sur le conflit Israël-Gaza intitulé Défendons l’humanité, interroge. C’est étrange, le Hamas, responsable du massacre du 7 octobre, n’est y (…)

Un article du dernier Mouton sur le conflit Israël-Gaza intitulé Défendons l’humanité, interroge. C’est étrange, le Hamas, responsable du massacre du 7 octobre, n’est y mentionné qu’une seule fois, presque en passant et toute la suite du texte accable sans surprise l’État israélien, selon une (...)

Des cohabitations contre la pénurie de logement pour ne pas compter que sur de la construction

30 janvier 2024, par Jean Pellerin — , ,
– Jean Pellerin - Montréal Le gouvernement veut-il générer 72 000 cohabitations contre la pénurie ? 1. Il faut demander aux politiciens de faire faire des publicités (…)

Jean Pellerin - Montréal

Le gouvernement veut-il générer 72 000 cohabitations contre la pénurie ?

1. Il faut demander aux politiciens de faire faire des publicités sociétales pour inciter (incitation gentille non contraignante) des citoyens à cohabiter plutôt qu'à habiter en mode solo un logement (logement entier, étage ou chambre).

2. Le gouvernement pourrait aussi se servir d'Hydro-Québec pour donner un rabais de tarif aux personnes passant d'une occupation solo vers une cohabitation d'au moins 2 adultes, avec ou sans enfant. Une personne locataire en solo "splitterait" sa facture en 2 si elle prenait un.e coloc, et EN PLUS, Hydro-Québec diminuerait d'au moins 50% la facture à partager pour le logement.

3. Le gouvernement pourrait subventionner un organisme communautaire oeuvrant à "matcher" des gens en solo qui voudraient habiter en cohabitation, soit pour le logement au complet ou soit pour une chambre.

4. L'Assemblée Nationale du Québec pourrait voter une modification au Code Civil, donnant un nouveau droit au locataire qui passe d'une occupation solo à une occupation avec au moins un autre adulte. La cession de bail ?

5. Le gouvernement pourrait taxer un proprio qui a un local vacant mais occupable comme logement, ou qui a un logement occupé partiellement ou en permanence en AirBnb ou même qui est occupé par une personne adulte sans enfant en mode de vie en solo.

6. Les gouvernements des 2 paliers pourraient transformer le crédit d'impôt existant pour personne seule, en le remplaçant par un crédit du type : Crédit d'impôt pour personne seule dans un logement occupé en COHABITATION comprenant plus d'un adulte.

7. Le gouvernement pourrait payer une partie des frais de déménagement pour la personne qui accepte de passer d'une occupation en mode solo vers une cohabitation d'au moins 2 adultes, avec ou sans enfant.

8. Le gouvernement pourrait, pendant un temps X, payer des mensualités de loyer à des colocs, dont au moins un était auparavant dans un mode de vie en solo en logement.

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Assange et la mauvaise conscience des médias


30 janvier 2024, par Edition Agone — ,
Entre autres étonnements qui doivent saisir toute personne normalement constituée quand elle découvre la situation où se trouve le fondateur de WikiLeaks : une fois digéré le (…)

Entre autres étonnements qui doivent saisir toute personne normalement constituée quand elle découvre la situation où se trouve le fondateur de WikiLeaks : une fois digéré le paradoxe d'un journaliste emprisonné pour avoir rendu public des crimes dont les responsables sont, eux, toujours en liberté, ne nous reste plus qu'à constater l'indignité des médias dominants, notamment français.

29 janvier 2024 | Agone.org - [LettrInfo 24-IV]

Sans remonter aux trois années de rappel quotidien, par les journaux télévisés, au milieu de la décennie 1980, que les journalistes Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat étaient retenus en otage au Liban. On se souvient, vingt ans plus tard, des gigantesques affiches pour la libération de la journaliste Florence Aubenas enlevée à Bagdad. Ou encore des messages diffusés quotidiennement sur France Inter pour la libération des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, enlevés en Irak un an plus tôt. Et en 2023, l'État français a bien sûr “appris avec un immense soulagement” le retour d'Olivier Dubois, journaliste retenu en otage au Mali depuis 2021. Le corporatisme journalistique est-il lui aussi soumis chez nous à la préférence nationale ?

Pas seulement. Parce que le traitement venimeux d'un journaliste qui n'est “pas des nôtres” est tout aussi répandu dans les autres médias occidentaux. Variation sur le thème “Deux poids, deux mesures”. Qu'il suffit d'illustrer en comparant les statuts de Julian Assange et d'Alexeï Navalny. Certains lanceurs d'alerte méritent plus que d'autres l'attention bienveillante de nos médias : selon que vous serez du côté des puissants ou contre eux, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Mercredi dernier à la Bourse du travail de Paris, aux abords de la place de la République, avait lieu un débat autour du livre de la journaliste italienne Stefania Maurizi : synthèse de sa collaboration avec WikiLeaks et de quinze ans d'enquête sur les médias indépendants, la censure et les crimes d'État. Organisée par le Comité de soutien Assange, cette rencontre rassemblait les plus actifs de cette cause, soit Acrimed, Le Monde diplomatique, Anticor, Blast, la Ligue des droits de l'homme, Les Mutins, Le Mouvement de la paix et Le Vent se lève. Une liste de l'ensemble des soutiens de WikiLeaks réunit royalement une cinquantaine de structures, listées dans l'“Appel de Paris [sic] pour Julian Assange”, où les médias sont pour le moins minoritaires — même avec L'Humanité, AuPoste, la Fédération internationale des journalistes, Là-bas si j'y suis, Siné Mensuel et le Syndicat national des journalistes, la corporation ne pèse pas bien lourd. Et en ajoutant quelques figures politiques (dont le mathématicien et ancien élu LREM Cédric Villani et Arnaud Le Gall au nom de LFI) plus quelques notables intellectuels ou artistes ayant demandé que la France accorde à Assange l'asile politique (dont Jacques Audiard, Éric Cantona, Costa-Gavras, Mathieu Kassovitz, Edgar Morin, Thomas Piketty et Ludivine Sagnier), on a convoqué le ban et l'arrière-ban des soutiens d'Assange.

Mais le plus remarquable reste l'absence éclatante des médias dominants. En cherchant bien, on trouve évidemment dans leurs colonnes et programmes quelques articles ou émissions, sinon des brèves, ici et là, consacrées aux mésaventures d'Assange – dont un projet d'enlèvement et d'assassinat par la CIA. Mais sans insister, comme en passant. Sinon en étant plus ou moins malveillants, avec des papiers truffés d'erreurs (comme dans L'Obs) ou ambigus — comme Pierre Haski sur France Inter, Edwy Plenel dans Mediapart, les éditoriaux du Monde, etc.

Il semble en outre que, plus on monte en classe et en importance sociales, plus on est informé, plus on s'aligne sur la propagande officielle, aussi grossière soit-elle. Intervenant mercredi dernier aux côtés de Stefania Maurizi, la journaliste au Monde diplomatique Anne-Cécile Robert racontait qu'invitée en 2022 avec François Hollande à l'université d'été de l'École du Centre-Ouest des avocats, elle avait demandé à l'ancien président les raisons pour lesquelles la France n'avait pas, à l'instar d'autres pays — dont la Bolivie, le Honduras, Cuba, l'Argentine, le Brésil, le Mexique, le Venezuela, le Nicaragua et la Colombie —, soutenu la libération d'Assange en lui offrant asile. Tressautant, l'ex-président invoqua un “vol de documents”… Cette défausse dérisoire ne vaut pas celle de Gérald Darmanin face aux “coups de sang légitimes de ceux qui souffrent et qui gagnent pas beaucoup d'argent” — élévation du culot politique au meilleur de l'art dramatique. Mais elle thahit l'habitude du mensonge et l'impunité des vilaines petites lâchetés.

Pour autant, la meilleure information ne manque pas sur L'Affaire WikiLeaks : en plus d'un autre livre important, L'Affaire Assange. Histoire d'une persécution politique, par Nils Melzer, ancien rapporteur sur la torture de la Commission des droits de l'homme des Nations unies (du même auteur, lire aussi “Cajoler Pinochet, briser Assange”), signalons deux documentaires : Hacking Justice et Ithaka.

Mais, on l'a compris, on ne peut pas compter sur grand-monde pour leur diffusion — qu'il s'agisse de médias, d'édition, de librairie ou de cinéma… Pourtant, cette affaire ne se réduit pas à ce que vit un individu, aussi remarquable soit-il, juste sa cause et injuste le traitement qu'il subit. Le message adressé par les maîtres du monde au travers de l'“affaire WikiLeaks” concerne toute personne soucieuse de sa liberté d'expression : voilà ce qui vous attend si vous bravez l'ordre dominant.

Hacking Justice
Ithaka
L'affaire Assange
L'affaire Wikileaks

Sur L'Affaire WikiLeaks, en attendant deux interviews de Stefania Maurizi (dans Blast et Elucid), lire en ligne :


— “Un jeu inégal. Préface à L'Affaire WikiLeaks”, Serge Halimi (Au jour le jour, janvier 2024)


— “‘À l'heure où j'écris ces lignes…' Avant-propos à L'Affaire WikiLeaks”, Ken Loach (Au jour le jour, janvier 2024)

Également :

— “‘Stefania Maurizi : ‘Si Julian Assange est extradé, ce sera sa mort morale et la mort éthique du journalisme'”, propos recueillis par Meriem Laribi, Marianne, 24 janvier 2024

— “L'Affaire Wikileaks, de Stefania Maurizi, leçons d'investigation”, France Culture, 20 janvier 2024


— “Là où Julian Assange a des amis”, Meriem Laribi (Le Monde diplomatique, février 2023)

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Le Canada face à Gaza et aux demandeurs d’asile palestiniens : deux poids, deux mesures

30 janvier 2024, par Ken Theobald — , ,
Confronté à la crise en Ukraine, le gouvernement Trudeau a agi de manière rapide et ouverte, mais son traitement du cas de Gaza a été marqué par le retenue et le manque de (…)

Confronté à la crise en Ukraine, le gouvernement Trudeau a agi de manière rapide et ouverte, mais son traitement du cas de Gaza a été marqué par le retenue et le manque de conviction.

24 janvier 2024 / KEN THEOBALD/traduction Johan Wallegren

Près de 50 000 Palestiniens vivent au Canada. La plupart d'entre eux sont arrivés ici en tant que réfugiés. Cette communauté ne représente qu'une petite partie de la diaspora palestinienne mondiale, qui se chiffre à 7 millions de personnes. Assister de loin à la guerre est source d'impuissance et d'angoisse pour ceux qui font partie de cette diaspora.
Les Palestiniens sont un peuple apatride : 80 % d'entre eux ont été déplacés et 50 % vivent en dehors des frontières de leur patrie historique. Le droit au retour leur semble de plus en plus hors de portée. De nombreuses personnes faisant partie de la diaspora ont des membres de leur famille élargie ou des amis actuellement piégés à Gaza.

Lima Al-Azzeh, une jeune Palestinienne vivant à Vancouver, a récemment rédigé une chronique pour l'émission First Person de la CBC. Elle y parle de son sentiment d'impuissance et de la souffrance qu'elle éprouve en silence alors qu'elle attend des nouvelles des membres de sa famille à Gaza :

Et puis il y a les autres silences à affronter. Ceux que l'on sent comme étant plus personnels. On voit qui a protesté et qui ne l'a pas fait. On voit qui s'est manifesté avec un mot de soutien ou de réconfort et qui ne l'a pas fait. On voit qui, au fil des ans, s'est soucié de nous poser des questions sincères sur ce que cela signifie que d'être Palestinien. Il y a ce qu'on ressent quand on a le mal du pays et qu'on est confronté jour après jour à l'impossibilité d'y retourner.

Il s'agit du sixième conflit sur la période des quinze dernières années où les Palestiniens de Gaza ont été victimes de massacres perpétrés par l'armée israélienne. La guerre actuelle est certainement la plus dévastatrice, les Israéliens ayant exprimé leur intention d'éradiquer la vie palestinienne. Les dirigeants israéliens d'extrême droite qualifient d'« animaux humains » les Palestiniens qui ne font qu'essayer de survivre face aux déplacements massifs, aux bombardements incessants, au nettoyage ethnique, à la destruction de leurs maisons, au manque de soins médicaux, à la quasi-inexistence d'installations sanitaires et à la faim.
Il est difficile de ne pas croire que ce dont le monde est témoin à Gaza constitue la définition même du génocide – une tentative délibérée de « détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » en « infligeant délibérément au groupe des conditions d'existence calculées pour entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

Les Palestiniens peuvent trouver un certain réconfort dans le mouvement mondial de solidarité qui a émergé, y compris l'extraordinaire solidarité manifestée par l'Afrique du Sud. La diaspora palestinienne joue un rôle important en contribuant à la mobilisation, à la prise de parole et à l'appel à un cessez-le-feu permanent et en aidant des membres de familles élargies et d'autres palestiniens à demander l'asile.

En 2019, Jihan Qunoo, qui œuvrait alors comme travailleuse humanitaire à Gaza, a été la cible de menaces de la part des autorités locales. Elle s'est enfuie au Canada où elle a été accueillie comme réfugiée, contrainte de prendre la déchirante décision de laisser derrière elle son mari et ses trois filles en bas âge. Il lui a fallu deux ans et une campagne publique très médiatisée pendant la pandémie pour réussir à réunir sa famille autour d'elle. Madame Qunoo a bénéficié du soutien de Jenny Kwan, députée néo-démocrate de Vancouver-Est, et du Rural Refugee Rights Network (réseau rural pour les droits des demandeurs d'asile) de la région d'Ottawa, une organisation qui a aidé 14 autres familles palestiniennes.

En octobre 2023, Mme Qunoo a repris son rôle de militante et d'organisatrice, cette fois au nom des frères et des sœurs restés au pays, en vue de leur donner une chance d'échapper aux horreurs de la guerre à Gaza. Il y a aussi des gens comme Osama Ebid, qui est arrivé au Canada en 1994 et dont tous les frères et sœurs sont restés à Gaza. Il est aujourd'hui l'organisateur d'un groupe de mille Canadiens d'origine palestinienne qui cherchent à sauver des membres de leur famille élargie.

Au Canada, les gens comme Jihan et Osama se comptent par centaines et reçoivent le soutien de groupes ad hoc d'avocats, de travailleurs juridiques, de défenseurs des demandeurs d'asile et de responsables communautaires. Ces personnes plaident pour le regroupement familial et parallèlement, elles lancent des appels au cessez-le-feu et réclament plus d'aide humanitaire.

Les Canadiens d'origine palestinienne ont initialement été portés par l'espoir engendré par le soutien que le gouvernement Trudeau a offert aux Ukrainiens en 2022. Moins d'un mois après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, M. Trudeau avait annoncé toute une série de programmes destinés à aider les Ukrainiens déplacés et leurs familles. Ceux-ci se sont vu offrir un statut temporaire prolongé au Canada assorti du droit de travailler, d'étudier et de rester jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux en toute sécurité, cela sans contingentement. Finalement, plus d'un million d'Ukrainiens se sont vu offrir des visas, sans qu'aucun lien familial avec le Canada ne soit exigé.

En décembre, le Gaza Family Reunification Project (projet de réunification familiale pour Gaza, un collectif ad hoc d'avocats spécialisés dans l'immigration et les demandes d'asile), la Canadian Association of Refugee Lawyers (association canadienne des avocats spécialisés dans les questions d'asile), le Conseil canadien pour les réfugiés et plus de 550 familles canado-palestiniennes ont demandé au gouvernement fédéral d'adopter un plan d'immigration similaire en réponse à la situation urgente à Gaza.

Le 21 décembre, après des mois de plaidoirie de la part de Canadiens d'origine palestinienne et de défenseurs des droits de l'homme, le ministre de l'immigration Marc Miller a finalement annoncé un dispositif d'immigration spécial pour les habitants de la bande de Gaza demandeurs d'asile. Ceux-ci se verront offrir des visas temporaires de trois ans s'ils remplissent certaines conditions d'admissibilité et de sécurité. Avoir des membres de sa famille au Canada est une condition sine qua non.

Une nouvelle choquante a suivi une semaine plus tard, le 28 décembre : Monsieur Miller a annoncé que les mesures spéciales d'immigration pour les Palestiniens ne pourraient s'appliquer qu'à un total de mille personnes. Les familles et les organisateurs avaient alors déjà bien plus que ce nombre de noms à soumettre. Cette décision a été rapidement dénoncée par les défenseurs des droits de l'homme et décriée comme étant raciste et relevant d'une politique de deux poids, deux mesures.

Ce plafond signifie que les candidats seront en concurrence les uns avec les autres, ce que la députée Kwan a comparé à des « Hunger Games » pour demandeurs d'asile.
La différence de traitement entre les demandeurs d'asile ukrainiens et palestiniens est une injustice flagrante. La réaction du gouvernement Trudeau à la situation en Ukraine a été rapide et ouverte. Aucun plafond n'a été fixé pour le nombre de demandes et les candidats n'étaient pas tenus d'avoir des proches au Canada. Ottawa a finalement reçu 1 189 320 demandes de la part d'Ukrainiens et en a approuvé 936 293, avec des arrivées au Canada se chiffrant à 210 178.

En octobre, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a décrit Gaza comme étant « l'un des pires endroits au monde où se trouver en ce moment ». M. Miller a qualifié l'état de la situation sur place d'« invivable ». Bien que le gouvernement Trudeau reconnaisse qu'il n'y a pas de lieu sûr à Gaza, il a réagi avec retenue et manque de conviction tant à l'appel au cessez-le-feu qu'à la crise des réfugiés, faisant primer les préoccupations de sécurité.
Lors d'une entrevue accordée à l'émission du matin de la CBC, Ottawa Morning, le 11 janvier, M. Miller a parlé du programme spécial en déclarant : « nous avons des préoccupations extrêmes en matière de sécurité », répétant les mots « sécurité » et « terrorisme » à plusieurs reprises.

La procédure de demande d'asile pour les ressortissants de Gaza exige de fournir des renseignements personnels d'un niveau de détail sans précédent. On demande aux candidats de dévoiler leurs comptes de médias sociaux, tous leurs anciens numéros de téléphone et adresses électroniques, de présenter tous les passeports qu'ils ont eus et de détailler « toutes blessures ayant nécessité des points de suture ou une attention médicale ».

Le formulaire de candidature doit être rempli avec « un historique complet et détaillé des emplois occupés depuis l'âge de 16 ans, y compris les dates exactes, une description détaillée des rôles et responsabilités, le(s) nom(s) des superviseur(s), la raison du départ et tout problème disciplinaire ».

Le Canada réserve un traitement similaire à tous les demandeurs d'asile du Moyen-Orient – y compris ceux de Syrie, d'Afghanistan, d'Irak et maintenant de Gaza – qui sont souvent considérés comme des menaces potentielles et un risque de sécurité.

Dans une récente tribune publiée dans le journal étudiant The Tribune de l'université McGill, Dima Kiwan a écrit : « La politique inéquitable du Canada à l'égard des demandeurs d'asile ne reflète pas seulement la paresse du gouvernement, mais aussi le poids d'une rhétorique raciste, malheureusement courante, qui circule dans les médias grand public, selon laquelle les réfugiés ukrainiens, dont la majorité sont des Européens blancs et chrétiens, s'intégreront mieux à la société canadienne ».

Pour ne pas risquer de penser qu'il s'agit d'une aberration, il faut savoir que le Canada n'a jamais adopté de mesures spéciales en matière d'immigration à l'égard d'un peuple ou d'un pays d'Afrique.

Ce type de traitement différentiel et ce genre de manifestations de racisme peu subtiles remontent loin dans le temps au Canada, où l'immigration et la politique étrangère ont souvent été alignées sur les intérêts des grandes entreprises et des États-Unis.

Le Conseil national des musulmans canadiens, ainsi que de nombreuses autres organisations, demandent au gouvernement fédéral de supprimer le plafond de mille personnes fixé pour le nombre de Palestiniens pouvant demander l'asile au Canada.
Il est impératif de soutenir ces appels à la levée du plafond et à l'élargissement des critères d'admissibilité pour les Palestiniens. On demande aussi au gouvernement de renoncer à tous frais de demande et de faciliter l'évacuation des demandeurs d'asile de Gaza. Par-dessus tout, les gens de conscience doivent continuer de réclamer un cessez-le-feu permanent, la fin de cette guerre génocidaire et un recentrage sur l'aide humanitaire pour Gaza.

Ken Theobald est un travailleur communautaire et un militant anti-pauvreté basé dans la banlieue nord-ouest de Toronto.

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Northvolt sans BAPE, c’est NON : Mobilisation marche funèbre

30 janvier 2024, par Comité Action Citoyenne-Projet Northvolt —
Évènement de Comité Action Citoyenne-Projet Northvolt Gare de McMasterville, rue du Purvis-Club, McMasterville À tous les citoyens de la Vallée du Richelieu et de de (…)

Évènement de Comité Action Citoyenne-Projet Northvolt

Gare de McMasterville, rue du Purvis-Club, McMasterville

À tous les citoyens de la Vallée du Richelieu et de de partout ailleurs, groupes environnementaux, communautaires et syndicaux !

Venez participer à ce GRAND RASSEMBLEMENT FAMILIAL ET PACIFIQUE afin d'exiger la tenue d'un BAPE au sujet de Northvolt.

Dimanche le 4 février 2024, de 13 h à 15 h30

Départ : Stationnement de la gare de McMasterville, 399 rue du Purvis Club, McMasterville.

Arrivée : 255 Boul. Constable, (les personnes à mobilité réduite pourront s'y stationner)
Arrivée prévue 13 h 45..

Pour cette marche funèbre, nous réclamons la tenue d'une enquête du BAPE (Bureau d'audiences publiques en environnement) AVANT la construction de l'usine de Northvolt. Les normes sociales, environnementales et économiques ainsi que les lois doivent être respectées, pas enterrées vivantes !

Les gouvernements fédéral et provincial autorisent Northvolt à construire une giga-usine de batterie en Montérégie et leur octroient 7,3 milliards $ de nos impôts, SANS
AUCUNE ÉTUDE ENVIRONNEMENTALE OU SOCIALE.

Northvolt sans BAPE, c'est non !

Événement Facebook

Privatisation de la vente d’électricité : une opération à haut risque pour les ménages québécois

30 janvier 2024, par Collectif — ,
Nous, associations de défense des droits des consommateurs présentes à travers le Québec, exprimons notre profonde préoccupation face au projet de privatisation et de fin du (…)

Nous, associations de défense des droits des consommateurs présentes à travers le Québec, exprimons notre profonde préoccupation face au projet de privatisation et de fin du monopole d'Hydro-Québec sur la vente d'électricité.

Joanie Ouellette, analyste des enjeux économiques et énergétiques, Union des consommateurs
Émilie Laurin-Dansereau, Conseillère budgétaire, ACEF du Nord de Montréal

Alors que de nombreux ménages luttent déjà pour payer leur facture d'électricité, cette privatisation risque de se traduire par une hausse des tarifs pour les consommateurs, et ainsi, d'exacerber la crise actuelle de hausse du coût de la vie.

Impact sur les consommateurs résidentiels

La libéralisation du marché de l'électricité, loin d'être une solution anodine, présente des risques significatifs. Nous pouvons déjà prévoir que la compétition pour les ressources entre Hydro-Québec et les entreprises privées augmentera les coûts de production. En effet, les gisements disponibles pour l'éolien et les cours d'eau pouvant générer de l'hydroélectricité sont limités. Selon son Plan d'action 2035, Hydro-Québec a besoin de 8 000 à 9 000 MW supplémentaires. Si les entreprises privées s'accaparent les meilleurs gisements, Hydro-Québec devra développer cette nouvelle capacité sur des sites moins rentables, ce qui augmentera considérablement les tarifs.

Plusieurs pays ont déjà mis en place un processus de libéralisation de leur secteur de l'électricité. Bien que chaque modèle de marché d'électricité privé soit différent, une tendance ressort : la libéralisation mène à une augmentation drastique des tarifs, en plus de nécessiter des interventions étatiques coûteuses.

En Californie, la libéralisation du secteur de l'électricité a mené à une crise énergétique majeure, marquée par une hausse fulgurante des prix et de longues pénuries. En France, les tarifs d'électricité ont augmenté de 60 %, alors que l'inflation n'était que de 15 %. En Ontario, l'ouverture au privé du marché de l'électricité, dans les années 2000, a, là aussi, conduit à une hausse significative et rapide des prix. Le gouvernement de l'Ontario a été forcé de réagir en réintégrant progressivement des mesures de réglementation et de contrôle des prix de l'électricité.

La hausse des tarifs, un vrai problème

Certains défendent l'idée que les tarifs sont trop bas au Québec. Selon cette logique, il ne serait donc pas grave – voire souhaitable – que les tarifs augmentent afin d'envoyer des signaux-prix incitant les Québécois à réduire leur consommation d'énergie.
Or, cet argument néglige un aspect crucial : l'électricité est un bien à faible élasticité de la demande. En effet, les variations de prix entraînent peu de changements dans la consommation en raison de la dépendance des consommateurs à ce service essentiel. L'électricité répond à des besoins fondamentaux comme le chauffage, l'eau chaude, la cuisson et la conservation des aliments, l'éclairage, etc., limitant ainsi la capacité des individus à ajuster leur consommation. De plus, cette consommation dépend largement de facteurs indépendants de la volonté individuelle, comme les conditions météorologiques ou la performance énergétique des bâtiments et des appareils électroménagers, affectant particulièrement les ménages à faible revenu.

Un ménage sur sept éprouve déjà de la difficulté à payer sa facture d'électricité ou doit effectuer des sacrifices pour y parvenir. En 2023, environ 178 000 ménages ont dû conclure une entente de paiement avec Hydro-Québec pour éviter un débranchement.

Il est donc peu probable que la seule augmentation des tarifs puisse permettre de réduire la consommation d'électricité des Québécois. La conséquence la plus immédiate d'une hausse des tarifs sera d'alourdir une fois de plus le fardeau économique des ménages à faible revenu.

Le gouvernement devrait plutôt envisager l'octroi d'aides pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, en ciblant d'abord les logements locatifs. Cette option gagnant-gagnant permettrait de réduire la pression exercée sur Hydro-Québec pour développer sa capacité électrique tout en améliorant la situation des ménages, notamment les plus défavorisés.

De quoi avons-nous réellement besoin ?

Bien qu'une privatisation directe d'Hydro-Québec, par la vente de ses actifs à des acteurs privés, semble peu probable, il y a toutefois un réel risque de libéralisation du secteur de l'électricité, transformant un service public essentiel en une industrie soumise aux fluctuations du marché. Cela met en péril la mission fondamentale d'Hydro-Québec, qui est de fournir aux Québécois l'accès à de l'électricité abordable.

Entreprendre une privatisation sans l'analyse approfondie des conséquences pour les ménages québécois est imprudent. Les associations de défense des droits des consommateurs du Québec se désolent de l'approche actuelle, caractérisée par un manque de transparence et par l'absence de planification intégrée. Nous appelons le gouvernement à ouvrir le dialogue afin de s'assurer de prendre la pleine mesure des risques encourus pour les ménages québécois et de planifier le développement énergétique du Québec avec la communauté civile, non pas pour les industries, mais bien en fonction de l'intérêt des Québécois avant toute autre considération.

Signataires :
ACEF des Bois-Francs
ACEF de l'Est de Montréal
ACEF Estrie
ACEF de Lanaudière
ACEF de Laval
ACEF de la Péninsule
ACEF de Québec
Centre de recherche et d'information en consommation
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Un œil critique sur le « documentaire » de Poilievre sur le logement

30 janvier 2024, par Alex Grant — ,
Le chef conservateur propose des mesures qui enrichiront encore davantage les promoteurs et les investisseurs qui ont déjà une mainmise sur l'immobilier au pays. « L'enfer du (…)

Le chef conservateur propose des mesures qui enrichiront encore davantage les promoteurs et les investisseurs qui ont déjà une mainmise sur l'immobilier au pays. « L'enfer du logement », le mini-documentaire de Pierre Poilievre sur la crise du logement, a été visionné des millions de fois sur X (anciennement Twitter) et YouTube.

Tiré de Canadian Dimension

28 décembre 2023 / DE : Alex Grant / Traduction Johan Wallengren

S'étalant sur une quinzaine de minutes, cette vidéo léchée énonce un certain nombre de données statistiques non sans intérêt. La vision de la crise sous un angle capitaliste, libertaire et axé sur l'économie de marché pourrait avoir un attrait pour les segments de la classe ouvrière qui cherchent à comprendre « comment nous en sommes arrivés là et ce que nous pouvons faire pour nous en sortir », selon la formule de Poilievre.

Cependant, même si la vidéo fait le constat du problème, la seule solution proposée est de donner plus de pouvoir aux sociétés du secteur privé et aux promoteurs qui ont profité de la crise du logement (c'est-à-dire du manque de logements) au Canada. Elle s'en prend aussi aux municipalités qui envisagent des solutions de rechange, comme le développement du logement social en particulier. Il importe de battre en brèche les mythes qui émaillent la narration de Poilievre afin de créer un élan en faveur de mécanismes qui peuvent réellement résoudre la crise du logement tout en venant en aide aux travailleurs canadiens ordinaires et aux communautés marginalisées.

Après tout, la question du logement vient seulement d'émerger sur la scène politique canadienne comme un dossier d'importance vitale. Selon un sondage réalisé par Nanos Research, 14 % des Canadiens mettent le logement en tête de leurs préoccupations (seule l'inflation va chercher plus, avec 18 %). En tant que parti au pouvoir aux prises avec cette crise, les libéraux de Trudeau n'ont la confiance que de 16 % des Canadiens qui les voient comme les mieux outillés pour trouver des solutions. Les conservateurs n'ont pas tardé à se saisir de ce dossier en prévision des prochaines élections, qui pourraient se tenir dès l'an prochain.

La thèse de Poilievre

Poilievre, qui est le narrateur de la vidéo « L'enfer du logement », commence par lancer un appel aux jeunes qui font mine d'avoir abandonné l'idée d'être propriétaires d'une maison. Cette rhétorique s'est avérée efficace pour le leader conservateur, qui a fait souffler un « vent de jeunesse » dans les rangs de ses sympathisants, grâce aux gains réalisés parmi les milléniaux et les Canadiens plus jeunes. Par exemple, aux élections de 2015, 45 % des personnes âgées de 18 à 25 ans ont voté pour les libéraux et seulement 20 % pour les conservateurs. Les proportions se sont depuis inversées, puisqu'un sondage réalisé auprès des moins de 30 ans crédite Poilievre de 39 % des intentions de vote, contre 16 % pour Trudeau.

Une donnée statistique s'affiche au début de la vidéo : « 66 % DU REVENU MENSUEL MOYEN POUR LES PAIEMENTS D'UN LOGEMENT MOYEN ». Elle est suivie de commentaires de Poilievre selon lesquels il faut environ 25 ans pour économiser la mise de fonds nécessaire pour l'achat d'une maison à Toronto, la plus grande ville du Canada, alors que le loyer moyen à l'échelle du pays a doublé depuis 2015.

Le fait que Poilievre prenne 2015 comme année de référence n'a rien d'anodin, puisque cette année marque le début du règne de Justin Trudeau en tant que premier ministre.
Il y a huit ans, le loyer moyen d'un appartement à une chambre à coucher était de 973 $, contre 1 871 $ en 2023. Durant la même période, les paiements hypothécaires moyens sont passés de 1 418 $ à 3 562 $ et les mises de fonds minimales, de 22 635 $ à 51 060 $.
Poilievre enfonce le clou avec ces statistiques choquantes, qu'il met en contraste avec les coûts du logement de 2015, qui ne représentaient que 40 % du revenu médian [rappelons cependant que cette proportion de 40 % est nettement supérieure aux 30 % recommandés par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL)].

Déficits, planche à billets et inflation

Après avoir rapidement exposé les faits saillants concernant la crise de l'accessibilité aux logements (et le manque de disponibilité de ceux-ci) au Canada, la vidéo avance une explication quant à la façon dont nous en sommes arrivés là. Or, c'est là que le bât blesse. La première cible de Poilievre est la tendance du gouvernement Trudeau à creuser le déficit public et sa propension à recourir à l'« assouplissement quantitatif », un moyen de créer de la monnaie. Selon les conservateurs, ces techniques ont permis une augmentation de la masse monétaire huit fois plus rapide que la croissance du PIB au cours des trois dernières années, alimentant ainsi l'inflation. Poilievre affiche ensuite ses couleurs de populiste en montrant comment les rachats d'obligations aux fins d'assouplissement quantitatif par la Banque du Canada garantissent de gros bénéfices aux « riches investisseurs dont les relations bancaires leur permettent d'être les premiers servis ».

Le chef conservateur n'a pas tort sur le fond. La croissance de la masse monétaire sans augmentation des biens et services dans l'économie dilue la valeur de la monnaie, ce qui est générateur d'inflation. Mais il se garde bien d'évoquer les autres ressorts de l'inflation, comme le gonflement artificiel des prix. Selon une étude, les bénéfices des sociétés, exprimés en pourcentage du PIB, ont augmenté de 25 % en 2022 par rapport aux sommets atteints avant la pandémie. En termes monétaires, lit-on dans une analyse publiée par Canadiens pour une fiscalité équitable, les bénéfices de 2022 étaient supérieurs de 275 milliards de dollars à ceux de 2019.

D'autres études ont montré que la financiarisation (le processus par lequel les élites économiques acquièrent un plus grand contrôle sur la politique économique) est un moteur particulièrement important de l'augmentation des prix de l'immobilier. En 2020, en Ontario et en Colombie-Britannique, près de 40 % du parc immobilier était détenu par des sociétés ou des investisseurs et spéculateurs possédant plusieurs logements. Poilievre cite des données de la Banque du Canada montrant que les achats de logements par des investisseurs ont doublé en 2021. Toutefois, bien qu'il souligne le rôle des investisseurs dans l'augmentation artificielle du coût du logement, « L'enfer du logement » finit par proposer des mesures qui enrichiront davantage les promoteurs immobiliers et les investisseurs qui possèdent déjà une grande partie du parc immobilier au Canada. Nous y reviendrons.

Ensuite, Poilievre fustige la décision de la Banque du Canada d'augmenter les taux d'intérêt pour brider l'inflation, affirmant que cela ne serait pas nécessaire s'il n'y avait pas de « déficits inflationnistes ». Ce faisant, il simplifie les choses à l'extrême en prétendant que l'équilibre budgétaire ferait baisser l'inflation, ce qui, par ricochet, tempérerait les taux d'intérêt élevés qui font grimper les paiements hypothécaires. Or, un programme d'austérité qui passe par l'atteinte de l'équilibre budgétaire ne permettra en rien de lutter contre l'inflation induite par l'appât du gain. Ajoutons qu'il faudrait attendre longtemps pour voir des effets perceptibles d'une telle manœuvre et que cela reviendrait à ignorer la raison première des déficits.

L'explosion de la dette fédérale du Canada a en grande partie été générée par les programmes d'aide publique de la période de la pandémie, qui ont été largement soutenus par les conservateurs. Les conservateurs ont même réclamé des aides au paiement des loyers et des prêts aux entreprises plus généreux. L'Institut Fraser, avec ses idées très à droite, chiffre le coût des programmes COVID du Canada à 359,7 milliards de dollars. De ce montant, environ 110 milliards de dollars sont allés aux travailleurs au titre de la prestation canadienne d'intervention d'urgence (CERB) et de programmes connexes. Le reste, qui représente l'écrasante majorité de la dette dont Poilievre se plaint, a été distribué sous forme de subventions salariales, de prêts préférentiels et d'autres formes d'aide sociale aux entreprises pour lesquels les conservateurs ont également voté. Si Poilievre voulait être cohérent, il exigerait que les entreprises, en particulier celles qui étaient rentables et qui n'avaient pas besoin d'aide, remboursent les largesses du gouvernement dont elles ont bénéficié pendant la pandémie.

Distorsion des données sur le logement

Poilievre se met ensuite à scruter le retard pris par le Canada en matière de construction de logements. On voit qu'en 1972, alors que le Canada comptait 22 millions d'habitants, 230 000 logements étaient construits chaque année. En 2022, avec une population proche d'atteindre 40 millions d'habitants, nous n'avons construit que 220 000 logements.
La SCHL estime qu'à ce rythme, il manquera 3,5 millions de logements au Canada d'ici 2030. « L'enfer du logement » blâme les taux d'intérêt élevés et la « paperasserie », ces deux facteurs étant amalgamés sous la désignation de « gouvernement ».

Poilievre poursuit en citant une étude de l'Institut C.D. Howe selon laquelle, pour une maison moyenne de Vancouver, il faut ajouter 1,3 million de dollars de dépenses aux coûts de construction. Selon ses termes, ces surcoûts viennent des « barrières administratives », sous-entendu la paperasserie et la bureaucratie gouvernementale.

Or, à la lecture de cette étude, on se rend compte que Poilievre déforme les faits. Selon l'Institut C.D. Howe, « ce qui est mesuré, c'est intrinsèquement l'écart entre les coûts de construction des logements et le coût final pour les acheteurs. On mesure certes un écart, mais on n'analyse pas les dynamiques en jeu. La différence pourrait tout aussi bien s'expliquer par les profits amassés par les entreprises de construction ou les spéculateurs fonciers. Il ressort même de cette étude que certains droits municipaux prélevés pour la construction d'infrastructures locales peuvent en fait redonner de la valeur aux propriétés.

Accusations voilées et attaques contre les municipalités

Les médias de l'extrême droite se plaignent du fait que Poilievre n'a pas adopté l'argumentaire ouvertement raciste consistant à imputer la crise du logement aux immigrés et au « programme d'ouverture des frontières et d'immigration de masse de Trudeau ». Les stratèges conservateurs font sciemment l'impasse sur cette question, car ils se voient gagner du terrain auprès des communautés d'immigrés qui votaient auparavant pour les libéraux. Dans les passages de la vidéo où l'on s'en prend à la bureaucratie et aux barrières administratives, on voit apparaître à deux reprises la mairesse sino-canadienne de Toronto, Olivia Chow. Il est injuste, et pas rien qu'un peu, de s'en prendre à Madame Chow dans un contexte où l'on dénonce la crise du logement, sachant que celle-ci n'est en poste que depuis à peine six mois. On peut raisonnablement supposer qu'elle est ciblée à cause de ses origines ethniques et son appartenance au NPD, qui sont des caractéristiques susceptibles de réveiller l'hostilité de la droite. Si l'on voulait mettre un visage sur l'échec de la construction de logements abordables en Ontario, c'est plutôt Doug Ford qu'il faudrait mettre en exergue.

L'argumentaire de base des conservateurs est que la crise du logement peut être résolue en supprimant les subventions accordées aux « administrations municipales qui bloquent la construction de logements » - subventions qui va selon eux créer une nouvelle couche de bureaucratie.

Des réglementations municipales restrictives en matière de zonage ont certes joué un rôle dans le ralentissement du développement de projets immobiliers, mais les propositions de Poilievre aboutiraient à la suppression d'un grand nombre de programmes mis en place pour rénover et construire des logements sociaux.

Poilievre prévoit prendre en otage 4,5 milliards de dollars de subventions fédérales destinées aux municipalités et ne débloquer les fonds qu'à partir du moment où celles-ci construisent 15 % de logements de plus que l'année précédente. La question de savoir comment les villes et les régions sont censées atteindre cet objectif, alors même qu'elles sont privées des fonds censés les aider à construire des logements et des infrastructures connexes, n'est jamais abordée. Pour ne rien arranger, l'aide fédérale serait suspendue jusqu'à ce que les logements soient prêts à livrer, privant ainsi les municipalités de fonds essentiels pendant des années.
Or, à notre époque, les sociétés immobilières privées au Canada se portent mieux que jamais. Le secteur de la construction résidentielle au pays a en 2021 accru sa rentabilité, qui a progressé de 13,2 % sur l'année, comparativement à 12,5 % en 2020. Le volume du marché de l'immobilier résidentiel a augmenté d'environ 29 % au cours des cinq dernières années, pour atteindre 5,93 billions de dollars américains en 2023, et devrait selon les projections croître à un taux annuel supérieur à 4 % au cours des cinq prochaines années.

Les FPI, ou fiducies de placement immobilier, sont un autre ressort de la crise du logement qui n'est jamais mentionné par Poilievre. Ces fonds privés bénéficient d'un statut fiscal préférentiel et ont généré un rendement moyen de 9,7 % depuis qu'ils sont entrés à la Bourse de Toronto en 1997. Plus de 340 000 logements, soit entre 20 et 30 % de ceux construits spécifiquement aux fins de location, sont détenus par des FPI. L'univers des FPI comprend des logements dont les locataires à faibles revenus ont été évincés pour en reconstruire de nouveaux (« démoviction ») et on y dénote une tendance générale à pousser les loyers à la hausse pour maximiser les bénéfices des investisseurs. Aux côtés des grands fonds de pension et des sociétés de capital-investissement, les FPI se sont emparés de l'immobilier canadien à un rythme alarmant.

Le secteur du logement au Canada est largement dominé par des intérêts privés, ce dont on peut faire le constat sans passer pour un radical. Nonobstant la rhétorique de Poilievre, il importe de comprendre que la crise actuelle est un échec du capitalisme non réglementé. Il est démontrable que la recherche du profit ne s'accommode pas avec le besoin humain fondamental de se loger.

Public ou privé

Le programme des conservateurs en matière de logement, tel qu'il est présenté dans le documentaire vidéo de Poilievre, se concentre principalement sur la maximisation des profits des promoteurs, ignore la domination rampante des conglomérats immobiliers et néglige le besoin urgent d'ajouter davantage d'options abordables ou publiques à l'éventail de logements offerts. Il suffit de regarder ce que voulait faire le gouvernement Ford en Ontario. Celui-ci était prêt à céder une partie des terres protégées autour de Toronto à ses amis promoteurs. Une immense vague de mécontentement dans l'opinion publique a forcé l'abandon de ces plans, mais cela donne une idée de ce qui peut se passer lorsque les garde-corps sont abaissés et que les promoteurs sont autorisés à « construire, construire, construire ».

Une autre proposition de « l'enfer du logement » est la privatisation de 15 % des bâtiments du gouvernement fédéral et de milliers d'hectares de terres fédérales. Le passé nous enseigne que le fait de multiplier les possibilités de profit sans poser de conditions n'entraîne pas la construction de logements bon marché ni de qualité. Au lieu de cela, les spéculateurs vont soit construire des logements de luxe qui rapportent plus, soit garder des terrains en réserve dans l'attente d'un meilleur rendement.

La seule façon dont le régime d'austérité de Poilievre, qui prévoit un budget obligatoirement équilibré, pourrait faire baisser l'inflation et les taux d'intérêt serait un scénario où les réductions de services (qui s'accompagneraient de licenciements) déclencheraient une récession, comme cela s'est produit dans d'autres pays. Le remède serait alors sans nul doute pire que le mal et produirait une hausse du chômage et une baisse des recettes publiques qui feraient augmenter le ratio dette/PIB. Le fait de priver les villes d'un soutien financier essentiel, en particulier à un moment où l'immigration atteint des sommets, ne ferait qu'aggraver les choses.

Doper le capitalisme et les profits des entreprises qui ont présidé à la présente crise n'est pas la solution ; l'histoire nous montre par contre que l'intervention directe de l'État peut être porteuse de solutions clés. Avant les coupes opérées par les libéraux de Chrétien et Martin dans les années 1990, le Canada construisait chaque année environ 16 000 logements sans but lucratif ou coopératives d'habitation. En 1970, plus de 40 000 logements ont été construits par le gouvernement fédéral.

Le logement public et social constitue également un levier permettant d'exercer une pression à la baisse sur les prix du marché privé en agissant comme un concurrent qui tire les prix des logements vers le bas et réduit la pression sur la demande en incitant les gens à se tourner vers le secteur non lucratif. En s'attaquant à de tels programmes, les conservateurs montrent leur propension à permettre aux promoteurs privés d'augmenter les coûts des logements sans craindre une quelconque concurrence publique.

Lors des élections de 2004, Jack Layton, alors chef du NPD, s'est illustré en accusant Paul Martin d'être responsable de la mort de sans-abri à la suite des coupes dans les logements sociaux qu'il a supervisées dans les années 1990 (il a même écrit un livre à ce sujet). Au moment de cette sortie publique, Jack Layton a subi un retour de bâton médiatique, mais l'histoire lui a donné raison. Trente années de déréglementation de l'utilisation des sols, d'accès sans restriction et de subventions aux promoteurs et de marginalisation du secteur public nous ont conduits à la situation critique que nous connaissons aujourd'hui.

Toronto espère construire 65 000 logements à loyer contrôlé d'ici 2030 et la déclaration économique d'automne du gouvernement fédéral prévoit mettre de côté 1 milliard de dollars pour construire 7 000 nouveaux logements abordables. Or, c'est l'équivalent d'une goutte d'eau dans l'océan par rapport aux 3,5 millions de logements que la SCHL estime nécessaire de construire. Et sous un gouvernement Poilievre, même ces modestes mesures pourraient être déclarées « bureaucratiques » et être abolies sans crier gare.

Les conservateurs ont de bonnes chances de remporter les prochaines élections fédérales et à moins d'un revirement, ils pourront alors mettre en pratique leur politique du logement fondée sur le libre marché et le capitalisme libertaire. Mais les cadeaux et incitatifs offerts aux promoteurs privés, quelle que soit leur ampleur, ne sauraient les inciter à construire des logements de qualité décente et à bas prix dont le besoin est si criant. Si les sociétés immobilières peuvent gagner plus d'argent en spéculant, en reportant l'offre et en construisant des logements de luxe, c'est ce qu'elles vont faire. En l'état des choses actuel, on dénombre déjà au Canada 1,3 million de logements vacants utilisés comme des instruments d'investissement spéculatif plutôt que de servir à répondre aux besoins en matière de logement.

Nous ne pouvons pas permettre à Pierre Poilievre de s'approprier la question du logement. Il est essentiel d'accumuler des appuis en faveur de solutions réelles, loin des dogmes du libre marché, pour venir à bout de la crise. C'est la seule façon de mettre fin à l'enfer du logement qui afflige les familles canadiennes.

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“Punition collective” : la suspension des aides à l’UNRWA menace les Gazaouis de “famine”

30 janvier 2024, par Courrier international — , , ,
L'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) est dans la tourmente. Neuf pays ont annoncé suspendre leurs aides à l'agence dont le rôle social et humanitaire est (…)

L'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) est dans la tourmente. Neuf pays ont annoncé suspendre leurs aides à l'agence dont le rôle social et humanitaire est central dans la bande de Gaza. Au cœur de la polémique : des accusations concernant douze employés, soupçonnés d'avoir pris part aux attaques du Hamas le 7 octobre. Si certains journaux soutiennent la décision de suspension des ressources financières, d'autres, notamment dans la presse palestinienne, se montrent très critiques.

Tiré de Courrier international.

Le Japon a emboîté le pas à huit autres pays, dont les États-Unis et la France, en suspendant lui aussi son aide à l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), pilier de l'aide humanitaire à Gaza, prise dans la tourmente d'une polémique sur le possible rôle de certains de ses employés dans l'attaque du Hamas, le 7 octobre dernier, en Israël.

Vendredi 26 janvier, l'agence onusienne a déclaré, par la voix de son commissaire général, Philippe Lazzarini, avoir reçu des informations de l'État hébreu sur l'implication supposée de plusieurs de ses employés – douze, selon la presse – dans les attaques du groupe islamiste qui ont fait plus de 1 100 morts israéliens il y a près de quatre mois.

Dans la foulée, plusieurs pays ont annoncé la suspension de toute aide additionnelle à l'UNRWA. Les premiers à prendre cette décision ont été les États-Unis. Puis le Canada, l'Australie et l'Italie ont suivi, et, enfin, le Royaume-Uni, la Finlande, l'Allemagne, la France et le Japon.

“L'UNRWA est aux prises avec le Hamas”

Longtemps dans le viseur d'Israël, l'UNRWA – fondée en 1949 et au service aujourd'hui de 5,9 millions de personnes au Proche-Orient (Liban, Jordanie, Syrie…) – emploie 13 000 personnes à Gaza et constitue l'un des principaux acteurs sociaux et employeurs de l'enclave palestinienne (écoles, structures médicales, ramassage d'ordures, etc.), dont deux tiers des habitants sont des réfugiés.

Dans l'espoir de désamorcer la bombe, Philippe Lazzarini a affirmé le jour même avoir pris la décision “de mettre fin immédiatement aux contrats de ces membres du personnel et de lancer une enquête afin d'établir la vérité sans délai”.

Mais cela n'a pas empêché les suspensions des aides et, dans la presse israélienne et occidentale, même centriste, les soupçons de proximité avec le Hamas et les critiques à l'égard de l'agence se multiplient depuis.

“Le Hamas est le plus grand mouvement politico-socio-religieux et domine tous les aspects de la vie dans l'enclave côtière depuis près de dix-sept ans. L'UNRWA est aux prises avec le Hamas ; il ne pouvait en être autrement”, écrit ainsi Anshel Pleffer dans le quotidien israélien de centre gauche Ha'Aretz.

“Cette agence est la seule qui ne s'occupe que d'un peuple, et dans la bande de Gaza, elle n'a que très peu de personnel international […] Et l'on a souvent raconté que des enfants étaient éduqués à devenir des martyrs”, abonde de son côté le quotidien italien Corriere della Sera.

Selon des fuites des renseignements israéliens, relayées par The Financial Times, l'un des douze employés suspects aurait “kidnappé une femme, un autre saisi le corps d'un soldat tué, tandis qu'un troisième aurait participé aux combats près du kibboutz de Be'eri” entre le Hamas et les Israéliens.

“Neuf d'entre eux travaillaient comme enseignants dans des écoles gérées par l'UNRWA, selon une source proche des renseignements israéliens” citée par le quotidien britannique.

“La famine est désormais inévitable”

Mais au sein de l'ONU, parmi les pays arabes et dans la presse palestinienne, la décision de suspendre le financement est violemment critiquée. Certains médias y voient un complot israélo-américain pour démanteler une agence qui assure, selon eux, non seulement un rôle humanitaire capital mais préserve, de par son existence même, le droit rejeté par Israël au retour des réfugiés Palestiniens.

Il est “extrêmement irresponsable de sanctionner une agence et une communauté entière qu'elle sert en raison d'allégations d'actes criminels contre certains individus”, a réagi le directeur de l'UNRWA qui s'est dit choqué par la suspension des aides des neuf pays. “La plus haute autorité d'enquête du système des Nations unies a déjà été saisie de cette affaire très grave”, a assuré Philippe Lazzarini.

“​​La vie des habitants de Gaza dépend de ce soutien, tout comme la stabilité régionale”, a-t-il souligné, rapporte le site propalestinien situé aux États-Unis Electronic Intifada.

De son côté, Michael Fakhri, rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, a fustigé la décision, affirmant que “la famine était déjà imminente” à Gaza. Mais avec cette “punition collective” infligée aux Gazaouis pour “les actions présumées d'un petit nombre d'employés”, a-t-il ajouté, “la famine est désormais inévitable”.

Parmi les pays arabes, l'Arabie saoudite, poids lourd régional, a de son côté exhorté “tous les donateurs de l'UNRWA à assumer leurs responsabilités […] humanitaires envers les réfugiés palestiniens à l'intérieur de la bande de Gaza assiégée”, rapporte le journal Asharq Al-Awsat.

“Armes de guerre”

Pour le site Electronic Intifada, il ne fait aucun doute : “Israël utilise plus que jamais la nourriture et d'autres produits de première nécessité comme armes de guerre.”

Même son de cloche du côté du journal palestinien Al-Quds, qui déplore, lui, une stratégie israélienne visant à démanteler l'UNRWA pour des raisons surtout politiques et à visée stratégique. “Il est impossible de séparer la décision rendue [le 26 janvier] par la Cour internationale de justice [qui n'a pas réclamé à Israël l'arrêt immédiat de l'opération militaire à Gaza] et l'offensive orchestrée par Israël et les États-Unis contre l'UNRWA, dont le but est de tenter de […] liquider l'agence onusienne et avec elle la question des réfugiés” palestiniens et de leur droit au retour, écrit le quotidien.

En effet, pour les Palestiniens, l'existence même de l'UNRWA atteste officiellement que leur déplacement reste une question en attente d'être résolue. De son côté, Israël estime qu'autoriser les réfugiés à entrer sur son territoire reviendrait à détruire l'État hébreu et accuse l'UNRWA de laisser croire aux Palestiniens qu'il s'agit d'une possibilité.

En juin dernier devant le Conseil de sécurité des Nations unies, l'ambassadeur d'Israël auprès de l'ONU, Guilad Erdan, a qualifié l'UNRWA d'“agence destructrice”. Et avait martelé : “L'UNRWA entretient chez les Palestiniens le mensonge selon lequel le monde soutient leur droit au retour. Que ce soit clair, il n'y a pas de droit au retour.”

Courrier international

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La démocratie interne est nécessaire pour ancrer et structurer la gauche

30 janvier 2024, par Hendrik Davi — , ,
Hendrik Davi, député de la France Insoumise et militant de la Gauche écosocialiste, a publié en septembre 2023 un livre intitulé Le capital c'est nous. Manifeste pour une (…)

Hendrik Davi, député de la France Insoumise et militant de la Gauche écosocialiste, a publié en septembre 2023 un livre intitulé Le capital c'est nous. Manifeste pour une justice sociale et écologique, aux éditions Hors d'atteinte. Contretemps en publie quelques bonnes feuilles issues de la dernière partie, « Que faire en France au XXIe siècle ? », dans lesquelles l'auteur soulève les principaux défis organisationnels pour la gauche, à commencer par la question de la démocratie interne à la France Insoumise.

24 janvier 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/gauche-france-insoumise-democratie-interne-hendrik-davi/

Ce débat a évidemment ressurgi après la campagne présidentielle de 2022. Clémentine Autain, mais aussi François Ruffin, puis Raquel Garido, Alexis Corbière ou Éric Coquerel ont pris position pour une démocratisation de la FI.

Résumons les grandes critiques qui ont été adressées au mode d'organisation de la France insoumise. D'abord, les groupes d'action (GA) locaux avaient certes toute latitude pour définir leurs modalités d'action, mais ils ne disposaient d'aucune autonomie de moyens. Il leur était impossible de produire leur propre matériel militant et de le faire financer par la FI. Il n'y avait pas de représentations officielles de la FI aux différents échelons municipaux, départementaux ou régionaux : par conséquent, la préparation des élections intermédiaires a toujours été chaotique et les instances qui ont décidé des investitures étaient créées de façon ad hoc par en haut. Le tirage au sort était la seule façon de représenter « la base » dans ces différentes instances.

Il n'y avait donc par conséquent pas de représentation légitime de la FI dans des instances unitaires avec des syndicats, des associations ou des partis politiques. Enfin, des décisions stratégiques nationales ont été prises, comme le changement de ligne pour les européennes ou l'expérience de la Nupes, sans qu'elles n'émanent d'aucune instance nationale. Une dernière critique est revenue régulièrement : il n'y avait pas de travail sur la formation des militants, ce qui aboutissait in fine à un manque de cadres.

Des avancées ont été obtenues d'abord en 2019. Une coordination des espaces a été mise en place, le fonctionnement des différents espaces s'est amélioré, notamment celui de l'espace « programme », et un début d'autonomie financière des GA a été gagné. Mais, globalement, le caractère administratif du fonctionnement de la FI n'a pas évolué, même après la nouvelle réforme de 2022. La coordination des espaces tire vaguement sa légitimité d'une assemblée représentative, mais sans aucune élection.

Dans la FI perdure l'illusion d'une administration tournée vers l'action au service du peuple[1], tandis que la question de la direction, donc de la manière dont on choisit entre différentes options stratégiques possibles, est éludée. Il semble choquant de se satisfaire de ce mode de fonctionnement alors que nous nous battons contre le rabougrissement de la démocratie sociale dans la fonction publique et au sein des entreprises à travers les lois « travail » et, pire, que nous revendiquons un approfondissement radical de la démocratie à travers une VIe République.

À l'origine, la nécessité d'une organisation de type administratif et non démocratique est en fait théorisée implicitement par Jean-Luc Mélenchon à travers l'exigence d'une guerre de mouvement pour prendre le pouvoir et organiser directement le peuple en limitant le recours aux médiations. Je pense qu'il y a dans ce raisonnement une erreur fondamentale : une sous-estimation de la nécessaire dialectique entre la guerre de position et la guerre de mouvement. Un gouvernement dirigé par la FI issu d'une victoire obtenue lors d'une élection générale, s'apparentant à une guerre de mouvement réussie, n'aura pas les mêmes opportunités s'il peut s'appuyer ou non sur un parti de masse organisé démocratiquement, indépendamment des élus et des positions institutionnelles dans différentes collectivités territoriales.

J'y reviendrai dans le chapitre suivant, mais le déroulement du « jour d'après » une victoire électorale nationale dépend du niveau d'auto-organisation et de conscience de la fraction la plus avancée de ceux qui partagent notre horizon anticapitaliste et écosocialiste. Cela dépend aussi de l'indépendance des associations et des syndicats qui pourront maintenir cette auto-activité des masses, nécessaire dans la lutte des classes et qui a souvent fait défaut quand la gauche était au pouvoir, notamment entre 1981 et 1995 et entre 1997 et 2002.

L'absence de démocratie et le refus de reconnaître le pluralisme au sein de la FI sont, selon moi, des freins pour que la France insoumise devienne un instrument durable permettant d'organiser les masses dans la lutte contre le capitalisme et pour l'écosocialisme. Nous avons besoin, dans la durée, de formations politiques qui fonctionnent démocratiquement. J'en énumère ici quelques raisons essentielles.

Premièrement, le fonctionnement démocratique est, in fine, le plus efficace pour élaborer dans la durée des orientations justes et gagnantes. C'est le pari démocratique que j'ai déjà largement décrit. Je ne vois aucune raison à faire ce pari pour la société tout en imaginant qu'il serait invalide pour le parti ou le mouvement politique qui devrait être le moyen de faire gagner la VIe République. Pire, nous pouvons craindre que le manque de démocratie interne préfigure un manque de démocratie une fois au pouvoir. L'histoire des révolutions passées en Russie, en Chine ou à Cuba démontre que la prise de pouvoir sans exercice permanent de la démocratie, y compris interne, conduit à des échecs. Ceci est d'autant plus vrai que tout processus révolutionnaire mène à une lutte sans merci, qui tend de toute façon à rabougrir les traditions démocratiques. La vitesse avec laquelle Staline a réussi à étouffer la sève démocratique au sein du Parti bolchévique puis de la Troisième Internationale doit nous interpeller.

Deuxièmement, le fonctionnement démocratique est celui qui permet la constitution d'un collectif vivant d'intellectuels et de former dans la lutte politique des générations de cadres aptes à jouer par la suite le rôle de dirigeants. C'est dans les débats internes à la LCR, au NPA ou à la CGT, autour d'orientations parfois contradictoires, que j'ai appris à affirmer mes propres convictions. C'est en participant à ce mouvement démocratique conflictuel qu'on devient un cadre militant. La formation intellectuelle est nécessaire, mais elle ne peut se substituer à la formation par l'action militante et le débat démocratique.

La direction révolutionnaire formée par ces cadres militants joue un rôle important dans le processus révolutionnaire, car il faut des hommes et des femmes à la pointe du combat pour proposer des orientations. Celles-ci sont évidemment le fruit d'une réflexion collective et d'un aller-retour dialectique permanent entre la théorie et la pratique d'une part et entre la base et la direction d'autre part. Et ces propositions deviennent des orientations effectives des organisations si elles sont validées démocratiquement par l'ensemble de leurs adhérents. Éluder la question du pouvoir de proposition des directions est dangereux car en l'absence de localisation du pouvoir, tout le pouvoir est, sans contre-pouvoir, au pouvoir existant. Dans le cadre de la FI, ce pouvoir constitué est Jean-Luc Mélenchon lui-même et les cadres avec qui il élabore les grandes orientations stratégiques de façon informelle.

Au moment où j'écris ces lignes, la FI est donc à l'heure des choix. Soit nous arrivons collectivement à faire le pari de la démocratie interne et la FI pourrait devenir cet outil du XXIe siècle au service d'une révolution écosocialiste, soit les voies de la refondation trouveront d'autres chemins. La seule chose qui transcende le temps dans un processus révolutionnaire, ce sont les organisations. Toutes les solutions populistes qui trouvent des raccourcis autour de dirigeants charismatiques sont vouées à l'échec.

Nous le voyons sur ce sujet, un des principaux verrous à la refondation politique, qui est aussi prégnant dans la rénovation syndicale, est l'obsession de contrôle des dirigeants. La lutte contre toutes les captations de pouvoir par une minorité doit devenir une marque de fabrique du camp écosocialiste. Ce point névralgique recouvre la lutte contre le patriarcat et la culture de la prédation : nos organisations doivent donc organiser méthodiquement la déprédation. Nous devons nous doter de statuts qui protègent les femmes de la domination masculine, les personnes racisées des réflexes racistes, les jeunes de l'omniprésence des plus vieux et les ouvriers de la domination des intellectuels. Pour cela, la rotation des mandats électifs et de direction au sein du parti et le strict non-cumul des mandats sont des principes cardinaux que nous devons absolument respecter.

Mais même si nous arrivons sur le long terme à refonder une force radicale écosocialiste qui fonctionne démocratiquement, elle ne pourra à elle seul permettre aujourd'hui une victoire électorale à des élections générales. C'est la conséquence de l'analyse de la situation politique française : il existe durablement une tripartition du champ politique français avec l'extrême droite, le centre droit et la gauche. Sans unité, la gauche peut difficilement gagner des élections générales ; mais la forme de l'unité et le périmètre du front sont des éléments importants. Nous devons penser les différents fronts électoraux, capables de mobiliser l'électorat populaire pour permettre des victoires ou, au moins, d'avoir des élus dans les différentes collectivités territoriales et au niveau de l'État central.

Nous devons évidemment viser une victoire à des élections générales pour entamer un affrontement avec les classes dominantes et une bifurcation de notre modèle économique. Mais il ne faut pas sous-estimer l'importance de l'ancrage local, donc de victoires plus locales. C'est un autre impensé de l'extrême gauche, partagé par la France insoumise de 2017 à 2022. L'absence de structuration locale pérenne de la FI avait comme autre corollaire une faible capacité à s'ancrer dans les collectivités territoriales. Or, une des grandes réussites du PS et du PCF a été précisément de s'ancrer durablement dans les territoires grâce au socialisme et au communisme municipal, puis à la gestion de départements et de régions. Ces étapes sont absolument indispensables dans la reconstitution d'un rapport de force global et ne peuvent pas être négligées. L'ancrage local charrie néanmoins aussi son lot de risques et de limites que nous ne devons pas non plus sous-estimer.

D'abord, la géographie du capital tend de plus en plus à affaiblir les collectivités territoriales : elles ont de nombreuses prérogatives, mais de moins en moins de moyens propres. De plus, le processus de métropolisation et la montée en puissance du rôle des régions ont progressivement dépouillé les acteurs historiques des territoires qu'étaient les départements et les communes. Cette dynamique de dessaisissement démocratique des collectivités territoriales a pour conséquence qu'elles disposent de moins en moins de moyens réels pour freiner la dynamique néolibérale. Pire, cette dernière passe par une mise en concurrence réglée des collectivités territoriales.

La participation de révolutionnaires à des exécutifs de ce type doit être bien réfléchie et dépend du rapport de force. En revanche, nous avons toujours intérêt à y avoir des élus au moins dans l'opposition pour exercer un contrôle démocratique et accumuler une connaissance des dossiers. La condition pour participer à des exécutifs est, selon moi, la même que pour un gouvernement : nous devons participer à des coalitions larges rassemblant toute la gauche et les écologistes, mais dont le centre de gravité reste la gauche radicale, incarnée en France par la FI ou le FDG dans la période récente.

C'est cette approche que j'ai tenté de mettre en œuvre avec d'autres au sein du Printemps marseillais. Nous avons partiellement échoué : il est donc intéressant de revenir sur cet épisode. Le Printemps marseillais est un mouvement initié en 2019, avant la campagne des municipales à Marseille, par des personnalités venant du PS (Benoît Payan), d'EELV (Michèle Rubirola), du PCF (Jean-Marc Coppola, ancien candidat du FDG à la mairie de Marseille), de la FI (Sophie Camard, la suppléante de Jean-Luc Mélenchon), de syndicalistes (Pierre-Marie Ganozzi) et de collectifs de citoyens situés au au centre gauche comme Mad Mars (autour d'Olivia Fortin). Ce mouvement a pris corps autour d'une tribune et s'est ensuite constitué avec notamment un exécutif, le parlement du Printemps marseillais, qui rassemblait les différentes composantes et auquel j'ai participé de juillet à décembre 2019.

Au cours de l'été 2019, nous avons réussi à rassembler la FI autour d'une participation au Printemps marseillais sous deux conditions : d'une part, le Printemps marseillais devait inclure les collectifs des quartiers populaires qui allaient durablement ancrer sa dynamique à gauche ; d'autre part, le ou la candidate à la mairie ne devait pas être issu du Parti socialiste, pour incarner une alternative. Hélas, nous avons échoué sur ces deux conditions, raison pour laquelle j'ai fait le choix de quitter le mouvement. Benoît Payan a finalement renoncé à être candidat et Michèle Rubirola a été élue. La victoire s'est faite avec les secteurs de droite du 6/8, mais sans les quartiers populaires des XIII et XIVe arrondissements où deux candidatures de gauche se sont maintenues au premier tour (dont une portée par la FI), division qui a été fatale dans ce secteur. Enfin, Michèle Rubirola a rapidement été contrainte de quitter sa fonction et Benoît Payan est devenu maire de Marseille.

Notons au passage que les maux dont souffrent la France insoumise en tant que mouvement gazeux se sont retrouvés dans le Printemps marseillais, dirigé d'en haut par un petit groupe de personnes qui ont ainsi préempté l'espace de l'union de la gauche. Par ailleurs, une partie d'EELV est restée en dehors du mouvement et a soutenu la candidature alternative de Sébastien Barles.

Cette histoire est emblématique des batailles, ici perdues, que nous devons mener pour que les victoires de la gauche soient ancrées du côté anti-libéral. Même si la mairie mène une politique globalement de gauche, une de ses premières mesures a consisté à restreindre le droit de grève des personnels assurant la pause du midi dans les écoles. Sur ce sujet, comme sur d'autres, la mairie de Marseille mène des politiques qui s'affrontent directement aux revendications du mouvement social et notamment des syndicats de transformation sociale que sont la CGT, FSU et Solidaires. Le risque est grand que la seconde ville de France voie s'opérer un divorce entre le mouvement social et une mairie de gauche, qui risque d'aggraver l'éloignement du peuple de gauche et de la gauche institutionnelle.

Ce divorce a souvent eu par le passé des conséquences durables. Le peuple de gauche est ainsi resté longtemps marqué par les renoncements de Mitterrand après le tournant de la rigueur de 1983, ceux de la gauche plurielle de 1997 à 2002 qui ont conduit à l'échec de Lionel Jospin en 2002 ou ceux de Hollande qui ont mené la gauche à ses scores les plus faibles. Ces échecs de la gauche au pouvoir ont aussi eu des conséquences dans les collectivités territoriales : c'est le cas de la région Paca, longtemps dirigée par la gauche avec Michel Vauzelle, gauche qui n'arrive même plus à se maintenir au second tour depuis 2014 ! Quand nous arrivons dans des exécutifs, il est donc absolument essentiel que le centre de gravité soit une gauche d'affrontement avec la logique de prédation du capital et du productivisme.

C'est pour cela que l'expérience de la Nupes est si importante. Elle nous a permis de construire une unité dans un temps record autour d'un programme de plus de six cents mesures qui vise à transformer radicalement la société. Nous avons là un cadre d'alliance électorale rêvé. Il est d'abord extrêmement large, puisqu'il rassemble la gauche modérée du PS, l'écologie politique réformiste d'EELV, le PCF, mais aussi la FI et qu'il inclut l'extrême gauche avec notamment le Parti ouvrier indépendant, un élargissement à une partie du Nouveau parti anticapitaliste semblant possible. D'autre part, le centre de gravité est bien à gauche puisque la FI est la force principale du regroupement et dispose du plus grand nombre de députés.

Cette initiative a réussi grâce à un rapport de force construit pendant l'élection présidentielle : il aura fallu la division à l'élection présidentielle, l'échec de candidatures plus modérés et le succès de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Se battre uniquement pour l'unité de la gauche conduit en général à la subordonner à sa fraction la moins radicale. La stratégie de la FI a été la bonne : il fallait d'abord remobiliser les classes populaires autour d'un programme de rupture et d'affrontement avec la logique du capital ; puis, la force venant à la force, les citoyens plus sensibles à la gauche modérée ont fini par voter Jean-Luc Mélenchon. Nous avons ainsi subordonné le comportement électoral des franges modérées de la gauche aux intérêts de classe des couches les plus populaires232. C'est la voie que nous devons continuer à suivre. En revanche, ne nous illusionnons pas : le score à la présidentielle de 2017 et de 2022 ne représente pas le vrai rapport de force au sein de la société entre les différentes composantes de la gauche et de l'écologie politique.

Quelles sont nos tâches pour que la Nupes gagne les prochaines élections générales, soit à la suite d'une dissolution de l'Assemblée nationale, soit lors de la prochaine élection[2] présidentielle en 2027 ? D'abord, la Nupes doit être renforcée sur tout le territoire avec des assemblées de militants, de circonscriptions ou de villes, partout où c'est possible. Ces assemblées doivent toujours impliquer au mieux toutes les composantes de la Nupes. Le patient travail unitaire doit se poursuivre localement en prenant appui sur les campagnes nationales initiées par les forces politiques ou l'inter-groupe parlementaire. Hélas, à l'heure où j'écris ces lignes, c'est plutôt la division que semblent choisir les différents appareils politiques qui composent la Nupes. Quand bien même cette division l'emporterait, dans des institutions favorisant le fait majoritaire, l'unité demeurera nécessaire à cause de la tripartition du champ politique français et du risque néofasciste.

Ensuite, en tant que parlementaires, il est de notre responsabilité de faire vivre la Nupes au parlement et de parler d'une seule voix à chaque fois que c'est possible. Mais, pour gagner aux prochaines élections, la Nupes doit encore convaincre différentes franges de la population que nous disposons de solutions pour surmonter les crises sociales, économiques et écologiques. Différentes catégories de populations doivent être visées par notre discours. D'abord, il nous faut continuer notre travail de mobilisation des classes populaires notamment à travers un programme social ambitieux attaché à l'universalisation des droits. Il nous faut traduire ce programme en une série de mesures de transition simples et compréhensibles par toutes et tous. Par exemple, nous devons défendre l'indexation des salaires et de tous les revenus sur l'inflation, en expliquant que ce n'est pas aux salariés de payer la spéculation actuelle sur les matières premières et sur l'énergie. De façon complémentaire, le blocage des prix alimentaires et de l'énergie ainsi que l'encadrement des loyers doivent être mis en avant : voilà une autre facette de la lutte des classes pour une plus juste répartition de la valeur ajoutée.

Sur le long terme, un service public du logement doit être fondé pour construire massivement des logements sociaux et organiser la rénovation globale de tous les logements afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de limiter notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et des pays du Golfe. Un véritable service public unifié de l'énergie et des transports doit également permettre la bifurcation de notre modèle énergétique vers 100 % d'énergies renouvelables et des transports en commun plus fréquents, gratuits pour toutes et tous.

Bien sûr la mise en œuvre d'un tel programme d'urgence requiert une plus juste répartition des richesses, donc une décapitalisation des multinationales françaises. Nous devons assumer ce nécessaire affrontement. Bernard Arnault est devenu la première fortune mondiale avec 213 milliards d'€ : s'il redistribuait cette somme à chacun des 157 000 salariés de son groupe qui ont travaillé pour qu'il puisse amasser cette fortune, chacun d'eux recevrait 1,35 millions d'€. Il est possible de faire prendre conscience au plus grand nombre que la redistribution des richesses ouvre des possibilités gigantesques pour nos sociétés en matière de justice sociale et de bifurcation écologique.

Cependant, le risque de victoire du fascisme en France avec le Rassemblement national et Reconquête devient de plus en plus sérieux. Des puissances d'argent soutiennent désormais activement cette possibilité : c'est le cas notamment de Vincent Bolloré, devenu entre autres patron de CNews, d'Europe 1, du Journal du dimanche et de Paris Match. Le risque d'une union des droites est réel avec l'évolution actuelle des Républicains, écartelés entre le pouvoir macroniste qui se droitise et la menace RN.

Face à ces dynamiques de droitisation de la société française, la Nupes doit être capable elle aussi de reconquérir les classes moyennes supérieures qui votaient François Hollande et sont parties durablement chez Emmanuel Macron. Elle doit aussi pouvoir s'adresser à l'ancienne petite bourgeoisie commerçante et industrielle en partie polarisée par l'extrême droite, mais qui pourrait vouloir faire barrage au second tour à un président des riches qui ne représente pas ses intérêts.

Dans ce contexte, il est difficile de parler à tous les électorats. Mais je pense que, maintenant que nous sommes en position de reconquête globale à gauche avec la Nupes et que la FI y tient la position dominante, nous avons moins besoin du bruit et de la fureur, stratégie revendiquée par Jean- Luc Mélenchon pour nous faire entendre. Comme l'avance François Ruffin, il faut se « soc-démiser » sur la forme et rassurer les électorats qui pourraient se détourner de nous du fait du bruit et de la fureur. Pour parler aux couches populaires, nous avons surtout besoin d'un discours simple et efficace, radical sur le fond mais sobre sur la forme. Enfin, il n'existe pas de raccourcis médiatiques qui nous permettraient de convaincre les masses par des interventions radicales dans les médias car, nous l'avons vu, les espaces médiatiques nous sont défavorables. Nous devons surtout retrouver massivement le contact du terrain, ce qui passe par un déploiement le plus large possible sur tous les territoires.

Or ce déploiement n'est pas possible sans une structuration démocratique de la FI d'une part et sans une unité sans faille au sein de la Nupes d'autre part. La FI et la Nupes doivent donc réinventer des moyens de faire de la politique ensemble en faisant participer activement le plus grand nombre. Si nous y parvenons, je reste persuadé qu'une victoire électorale de la gauche sur une base de transformation radicale de la société est possible.

Notes

[1] Manuel Cervera-Marzal, Le Populisme de gauche, La Découverte, 2021.

[2] Avec une double limite tout de même : d'abord, la gauche n'a pas été présente au second tour de l'élection présidentielle ; ensuite, cette unité a avant tout été électorale.

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