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Derniers articles

Ruée minière au XXIè siècle : jusqu’où les limites seront-elles repoussées ? - Aurore Stephant à USI

23 janvier 2024, par Aurore Stephant — ,
12 juilllet 2022 https://www.youtube.com/watch?v=i8RMX8ODWQs Le monde fait face à une demande croissante en ressources minérales dans tous les secteurs, en particulier ceux (…)

12 juilllet 2022
https://www.youtube.com/watch?v=i8RMX8ODWQs

Le monde fait face à une demande croissante en ressources minérales dans tous les secteurs, en particulier ceux de la construction, du transport, de la défense, de l'approvisionnement en énergie ou encore des technologies de l'information et de la communication. Si la mine a servi toutes les révolutions industrielles, il est désormais attendu qu'elle soit plus que jamais sollicitée pour l'avènement de la Révolution 4.0, celle de la "dématérialisation", des énergies "propres" et des technologies "vertes". Jusqu'où toutes ces limites seront-elles repoussées pour répondre à une consommation de métaux démesurée ?

La conférence USI découvre et rend accessible les spécialistes de renommée internationale en sciences, en technologie, et en philosophie pour contribuer au progrès des organisations. USI accompagne les entreprises du CAC 40 et SBF 120 pour faire face aux enjeux de transformation stratégiques, technologiques et de management dans un monde en constante évolution. C'est également un espace d'inspiration, de rencontres et d'échanges avec un line-up inédit en Europe.

Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle

23 janvier 2024, par Jonathan Durand Folco, Jonathan Martineau — , ,
Webinaire initié par IID - Institut intelligence et données, ULaval Cette présentation offerte le 12 janvier 2024 par Jonathan Durand-Folco (Saint-Paul University) et (…)

Webinaire initié par IID - Institut intelligence et données, ULaval

Cette présentation offerte le 12 janvier 2024 par Jonathan Durand-Folco (Saint-Paul University) et Jonathan Martineau (Université Concordia) fait l'hypothèse que pour comprendre le déploiement accéléré des technologies algorithmiques et de l'intelligence artificielle dans les dernières années, il faut comprendre les transformations du capitalisme contemporain, et vice-versa. Le capital algorithmique est selon nous un nouveau stade historique du capitalisme, qui transforme la société en profondeur. À la fois logique d'accumulation, rapport social et nouvelle forme de pouvoir, le capital algorithmique nous impose de repenser les questions de justice, de vie bonne et de résistance.

Appel à l’aide pour la santé des enfants de Rouyn-Noranda ! Rouyn-Noranda, le vendredi 19 janvier 2024

23 janvier 2024, par Comité ARET, Mères au front de Rouyn-Noranda, Regroupement Vigilance Mines en Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT) — , ,
À la suite de l'annonce du départ du seul hémato-oncologue de RouynNoranda, Dr Samer Tabchi, des groupes citoyens ont acheminé une carte postale à de nombreuses personnes élues (…)

À la suite de l'annonce du départ du seul hémato-oncologue de RouynNoranda, Dr Samer Tabchi, des groupes citoyens ont acheminé une carte postale à de nombreuses personnes élues (Assemblée nationale, Ville de Rouyn-Noranda et députés fédéraux) afin de solliciter leur appui pour régler le problème à la source à Rouyn-Noranda et atteindre la norme québécoise pour l'arsenic et les autres métaux dans l'air dès 2024.

Ces groupes veulent rappeler que l'autorisation accordée à GFH comporte des exigences insuffisantes pour protéger les enfants qui n'ont pas voix au chapitre et vivront les conséquences à court et long terme de cette surexposition à un cocktail de toxiques.

La carte postale acheminée aux élu.e.s présente, sur fond de cheminée qui fume, un fœtus muni d'un masque pour illustrer sa vulnérabilité et le besoin de protection des enfants à naître. Dans le cadre de l'autorisation accordée à l'entreprise, les enfants ne seront pas protégés adéquatement avant plusieurs années.

Fonderie Horne Glencore RouynNoranda/Québec/Canada Les rejets de plomb, cadmium et arsenic dans l'air sont audessus des normes. Les données de surveillance de l'état de santé de la population indiquent un taux très élevés de bébés de faible poids, de maladies pulmonaires obstructives chroniques, de cancers du poumon et une espérance de vie moindre de 1 à 5 ans ! Glencore doit respecter les normes québécoises ! Aidez-nous !

« Les femmes enceintes, les foetus et les enfants n'ont pas de voix dans le dossier de la fonderie Horne malgré qu'ils soient les premiers à subir des effets sur leur santé. Le gouvernent de la CAQ se doit de rouvrir l'autorisation ministérielle et d'exiger l'atteinte des normes d'ici 1 an », exige Marc Nantel, porte-parole du REVIMAT. Page 2 sur 2

Le départ du Dr Tabchi était malheureusement prévisible et ne sera possiblement pas le seul. Dans leur mémoire1 déposé lors de la consultation menée à l'automne 2022 par le comité IMPACTE2 et appuyé par 74 médecins de Rouyn-Noranda, les médecins s'inquiétaient de l'impact sur l'attractivité et la rétention des médecins et autres professionnels de la santé advenant l'absence de retour rapide aux normes. Leur position était claire : la proposition de Glencore n'était pas acceptable et le délai pour atteindre la cible intermédiaire de 15ng/m3 pour l'arsenic dans l'air (5 fois la norme) est beaucoup trop long !

« Les médecins de Rouyn-Noranda insistaient sur la vulnérabilité des enfants : les 11 premières années de vie sont cruciales en ce qui a trait à l'exposition aux métaux lourds et que conséquemment, cette tranche de la population doit être particulièrement protégée », rappelle Nicole Desgagnes, porte-parole du comité ARET. Rappelons que des services de garde et une école se trouvent à moins de 500 mètres de la Fonderie. Déjà en 2018, une étude de biosurveillance démontrait clairement que de nombreux enfants de Rouyn-Noranda présentaient une concentration moyenne d'arsenic dans les ongles près de 4 fois plus élevée que celle du groupe témoin n'étant pas exposé aux émissions de la Fonderie Horne. En 2027, au terme de la présente autorisation ministérielle, presque 10 ans se seront écoulés sans qu'on ait pu offrir un milieu sécuritaire aux enfants.

« Parce qu'il a choisi de ne pas imposer à la Fonderie Horne le respect des normes québécoises, le gouvernement a abandonné nos enfants comme l'ont fait les gouvernements qui l'ont précédé. », s'indigne Jennifer Ricard-Turcotte, porteparole pour Mère au front. Les trois groupes rappellent que le ministre Charrette a le pouvoir de réviser l'autorisation et d'augmenter les exigences envers la Fonderie.

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Le regroupement vigilance mines Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT) milite pour améliorer la Loi sur les mines et pour la protection de l'environnement.

Le comité Arrêt des rejets émissions toxiques (ARET) est formé de parents d'enfants du quartier Notre-Dame de même que de citoyens et citoyennes mobilisé.e.s pour protéger la santé de leurs enfants et de toute la population de Rouyn-Noranda. Il a été mis en place au printemps 2019 à la suite des premiers résultats de l'étude de biosurveillance effectuée à l'automne 2018 auprès d'enfants du quartier Notre-Dame.

Mères au front de Rouyn-Noranda (MAF) a pour mission de protéger la santé et la sécurité de nos enfants face à la menace qu'occasionnent les changements climatiques, l'effondrement de la biodiversité et le pillage de nos écosystèmes. Nous exigeons de nos gouvernements qu'ils assument leurs responsabilités afin de protéger l'avenir de nos enfants.

1 Qualité de l'air à Rouyn-Noranda-Enjeux sur la santé. Un mémoire déposé dans le cadre de la consultation publique sur le projet de renouvellement de l'autorisation ministérielle de Glencore pour la Fonderie Horne. 8 octobre 2022. https://www.environnement.gouv.qc.ca/ministere/consultation-fonderie-horne/memoires//MEM_IMPACTE.pdf

2 IMPACTE : Initiative médicale pour l'action contre la toxicité environnementale

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Négociation dans les secteurs public et parapublic : Tout n’est pas réglé…

23 janvier 2024, par Yvan Perrier — ,
Après la conclusion d'une « proposition de règlement » à la table sectorielle de la FSE-CSQ le 22 décembre 2023, il y a eu une avalanche d'ententes de principes qui ont déboulé (…)

Après la conclusion d'une « proposition de règlement » à la table sectorielle de la FSE-CSQ le 22 décembre 2023, il y a eu une avalanche d'ententes de principes qui ont déboulé en santé et en éducation et ensuite, le 28 décembre 2023, la conclusion d'une proposition d'entente de principe à la table centrale entre le gouvernement du Québec et le Front commun intersyndical CSN-CSQ-FTQ-APTS. N'oublions pas ici l'annonce d'une proposition globale de règlement survenue le 27 décembre 2023 entre le Conseil du trésor et la FAE et ce après 22 jours de grève de la part des 66,500 enseignant.e.s de l'élémentaire et du secondaire qui adhèrent à cette association syndicale.

photo : Archives CSN 2023

Des votes d'acceptation ou de rejet de ces hypothèses ou propositions d'entente de principe se déroulent en ce moment et le moins que l'on puisse dire est que le tout ne semble pas susciter l'adhésion unanime et l'enthousiasme spontané chez les personnes qui ont fait la grève - entre deux et quatre semaines - et qui auront à vivre avec de nouvelles conditions de travail et de rémunération négociées, et ce jusqu'au 31 mars 2028.

Nous réitérons qu'il est trop tôt pour dresser un bilan de la plus récente ronde de négociation qui n'est pas encore terminée avec la FIQ, le SPGQ, le SFPQ et qui aura à se poursuivre avec la Fédération de la santé du Québec (FSQ-CSQ) dont l'instance fédérative a décidé de rejeter l'hypothèse de proposition d'entente de principe. Ceci étant dit, il est quand même possible de commenter certains aspects qui caractérisent le moment pour le moins contrasté et dissonant qui se déroule sous nos yeux sans nous immiscer dans le processus décisionnel présentement en cours.

Des points de vue opposés se font entendre

Divers points de vue opposés et divergents au sujet de ces ententes survenues à la table centrale (ou intersectorielle) et les tables sectorielles s'expriment par les temps qui courent dans les médias. Certains spécialistes de la négociation nous invitent à croire que les opposant.e.s aux ententes proviennent de ces personnes minoritaires qui appartiennent depuis la nuit des temps au camp des opposant.e.s et que ces personnes ne sont pas représentatives de la « majorité silencieuse ». De quoi s'agit-il vraiment ? Entendons-nous uniquement la voix de ces éternelles personnes insatisfaites ou ne sommes-nous pas plutôt invités à écouter l'expression d'un point de vue critique en provenance de personnes qui sont en mesure de juger par elles-mêmes ce qui peut être bon ou mauvais pour elles ? À vous de vous faire une tête sur le sujet, constatons que la déception semble répandue auprès de certain.e.s salarié.e.s syndiqué.e.s qui comptaient sur la présente ronde de négociation pour améliorer la qualité des services à la population, les conditions d'exercice de leur métier ou de leur profession, leur statut d'emploi, leur rémunération, leur régime de retraite, etc.. Reconnaissons-le, il y a une flopée importante de militant.e.s qui ont pris une part active à l'exercice des moyens de pression et à la grève qui, devant les résultats décevants de la négociation se disent : "Tout ça... pour ça !"

Sur la place qu'occupe certain.e.s personnes dans le débat

Cetain.e.s ex-leaders et ex-négociateurs issus du milieu syndical multiplient leurs interventions dans les médias en se faisant les promoteurs de ces règlements. La courtoisie élémentaire à observer dans la présente période invite plutôt à la retenue et à éviter d'exprimer une opinion susceptible d'influencer le vote. Car, ce ne sont pas les personnes qui ont déjà négocié dans le passé ou qui ont pris une part active au dénouement final des anciennes rondes de négociation qui peuvent vraiment contribuer à changer, à ce moment-ci, les choses pour le mieux. S'il est exact d'affirmer que la présente ronde de négociation ne pouvait pas régler la totalité des problèmes que rencontrent actuellement les salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic, il faut rappeler que la présente ronde de négociation devait servir à implanter de nouvelles solutions et à corriger également les lacunes présentent dans les conventions collectives négociées, dans le passé, par les personnes qui ont fait pression sur leurs membres en vue de les faire accepter. Nulle ou nul n'est en droit de s'ériger en guide suprême en indiquant le voie à suivre ici…

Puisque tout est chiffre, achetons la majorité avec du fric…

À la lumière des informations qui filtrent du processus opaque qui enrobe certaines ententes de principe il semble que pour résoudre les problèmes d'attraction, de recrutement et de rétention de la main-d'œuvre le gouvernement caquiste a décidé d'y aller de primes aux hommes de métier et aux personnels exposés aux quarts de travail les moins attrayants dans le secteur de la santé. Il a aussi accordé des hausses salariales différenciées aux psychologues et à certain.e.s enseignant.e.s. Des ressources supplémentaires ou des primes sont prévues pour certain.e.s enseignant.e.s qui sont confronté.e.s à des problèmes en lien avec la composition de la classe. À quel(s) condition(s) ? Ces conditions sont-elles vraiment applicables et adéquates ? Bref du fric et toujours plus de fric. Cela nous en dit long sur la vision du gouvernement Legault. Pour dégager une majorité en faveur de ses solutions aux multiples crises bien réelles dans les secteurs public et parapublic il met de l'avant des mesures qui à défaut d'ajouter des ressources compétentes ont pour effet de diviser les troupes avec du fric. Tout se passe comme si les négociatrices et les négociateurs du Conseil du trésor se sont dit qu'elles et qu'ils viendraient à bout de la résistance syndicale en divisant les salarié.e.s syndiqué.e.s en bonifiant la rémunération de catégories bien ciblées et au diable pour les autres. Mais qui se fait dire, année après année, par l'Institut de la statistique du Québec, qu'il existe un écart important dans la rémunération entre le secteur public du Québec et les autres services publics (fédéral, municipal et universitaire) ? Qui a à affronter la hausse des prix à l'épicerie, la hausse du coût des loyers, les variations souvent à la hausse des taux hypothécaires, la hausse généralisée du coût de la vie ? Les 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic ou uniquement un certain nombre qui va permettre d'atteindre le 50% plus un dans les assemblées générales qui ont à se prononcer sur les ententes de principe ?

Pythagore et Galillée ont affirmé que « Tout est chiffre » ou « Tout est mathématique ». Inspiré par ces deux grands génies le comptable Legault semble se dire, « Tout est fric » et, par conséquent, toute personne a son prix. Se pourrait-il que le premier ministre Legault se dise dans son for intérieur que la majorité des salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic ne sont que de vulgaires matérialistes qui vont se laisser acheter pour une poignée de dollars supplémentaires ? Bref, qu'il va trouver parmi les salarié.e.s syndiqué.e.s des personnes qui vont continuer à s'éreinter au travail en tenant à bout de bras les services publics en échange ici d'un avancement rapide dans les échelons et là avec une prime ou un salaire différencié ? Qu'en est-il donc maintenant de la valeur réelle de la prestation de travail ? Qu'en est-il donc de la valeur des qualifications de la main-d'œuvre ? Qu'en est-il donc de l'équité salariale ? Qu'en est-il donc de la relativité ? À la lumière du contenu de certaines ententes sectorielles, nous pouvons nous demander ce qu'il est advenu de ces principes à la base d'une rémunération juste. Ces principes de justice et d'équité entre les salarié.e.s ont-ils été négligés ou scrupuleusement observés dans la présente ronde de négociation ?

En quoi au juste la présente ronde de négociation est-elle historique ?

Tôt ou tard nous aurons à donner un nom à la présente ronde de négociation qu'on nous annonçait comme historique au départ en raison de sa coïncidence avec le cinquantième anniversaire du mythique Front commun de 1971-1972. Historique elle l'a été principalement sur le plan du nombre total de salarié.e.s impliqué.e.s par la négociation - plus de 600 000 dont environ 75% sont des femmes - et par le nombre de grévistes des secteurs public et parapublic en arrêt de travail le 23 novembre 2023 (plus de 560 000 grévistes). Mais, dans ce Guiness syndical, ne gommons pas et n'oublions surtout pas, sur le plan numérique, la grève « illégale » de 24 heures du 14 octobre 1976 qui a rassemblé au Canada plus d'un million de travailleuses et de travailleurs et, pour ce qui est de la durée, rappelons-nous la très longue grève des avocat.e.s et notaires de l'État québécois (LANEQ) qui avaient débrayé durant quatre mois en 2016 et 2017. N'oublions pas non plus les arrêts de travail des paramédicaux, en 1976, qui se sont échelonnés sur une période de deux mois. Que dire maintenant de la grève de 23 jours des infirmières et des infirmiers en 1999 ? Ce sont là aussi des moments historiques de la combativité syndicale toutes catégories de salarié.e.s syndiqué.e.s ou de l'ensemble ou encore d'une partie des salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic.

Donc la ronde de négociation 2022-2023 présente certes des aspects historiques, mais pour ce qui est des résultats obtenus, il va falloir se dire qu'ils ne sont pas hélas à la hauteur des attentes de plusieurs membres ni non plus de l'implication exigée et des sacrifices consentis pour atteindre ces résultats décevants aux yeux de plusieurs qui, dans certains cas, ne se rendront probablement pas à leur assemblée générale pour enregistrer leur vote dissident. C'est, pour le moment, le fric pour des groupes bien ciblés qui semble l'emporter sur les principes. Il s'agit donc, à coup sûr, d'une ronde de négociation qui comporte à sa façon, sur le plan historique, ses occasions manquées. Occasions manquées face à la qualité des services et aux conditions de travail, face à l'inflation, face au rattrapage, face à l'amélioration du statut à l'emploi des précaires, face à la bonification du régime de retraite, etc.. Se pourrait-il donc que si la présente ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic passe à l'histoire ce ne soit pas pour les bonnes et les mêmes raisons pour toutes et tous ?

Conclusion

La solution à un problème exige parfois un investissement supplémentaire. Il faut certes ajouter des ressources compétentes dans les services public et parapublic et ces ressources se payent. Mais ce n'est pas nécessairement en accordant une prime ici et là que la personne qui va voir ses gains bonifiés va nécessairement avoir les compétences pour résoudre les problèmes qu'elle affronte dans sa classe ou sur son lieu de travail. Le problème que rencontre une ou un salarié.e sur son lieu de travail exige de la part de l'État patron un apport d'argent supplémentaire, mais, face à certains problèmes, c'est avec l'ajout et le recrutement de ressources professionnelles et compétentes que les problèmes vont se résoudre, pas simplement avec une prime. Il faut donc se dire que dans les secteurs public et parapublic, là où il y a des ententes de principe qui sont entérinées par les assemblées générales, tout n'est pas réglé. Nous risquons, dans quatre ans, d'entendre la même litanie que nous avons entendue au cours des quatorze derniers mois au sujet de l'état « lamentable » ou « déplorable » ou encore« pitoyable » des services public et parapublic.

Durant la négociation des secteurs public et parapublic, le gouvernement Legault a incarné la cible des insatisfactions des salarié.e.s syndiqué.e.s et d'une partie importante de l'opinion publique, la question qui se pose maintenant est la suivante : vers qui sera dirigée l'ineffaçable source d'insatisfaction présente chez trop de salarié.e.s syndiqué.e.s précaires, permanent.e.s ou qui ne sont pas rémunéré.e.s à la hauteur de leur prestation de travail dans ces deux secteurs essentiels à notre qualité de vie en société ?

Lors de la ronde de négociation historique de 1971-1972, les négociateurs syndicaux sont parvenus à pulvériser le cadre monétaire que le gouvernement Bourassa refusait de négocier. La question qui se pose maintenant, dans les secteurs public et parapublic est la suivante : le cadre monétaire du gouvernement caquiste a-t-il été véritablement réduit à néant ? La négociation à la table centrale a-t-elle porté sur l'ampleur de l'enveloppe monétaire que le gouvernement doit consacrer à ses salarié.e.s syndiqué.e.s ou uniquement à sa répartition différenciée parmi les 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s dont environ 75% sont des femmes ? C'est en répondant à ces questions qu'il sera possible de déterminer si nous pouvons qualifier la présente ronde de négociation toujours en cours dans les secteurs public et parapublic de libre négociation ou de négociation factice.

Yvan Perrier

21 janvier 2024

11h30

yvan_perrier@hotmail.com

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Acceptable l’hypothèse de règlement soumise aux membres de la FAE et de la FSE ?

23 janvier 2024, par Ghislaine Raymond — ,
L'hypothèse de règlement soumise aux membres de la FAE et de la FSE comporte des avancées sur le plan monétaire, une amorce d'assouplissement du temps de présence de 32 heures (…)

L'hypothèse de règlement soumise aux membres de la FAE et de la FSE comporte des avancées sur le plan monétaire, une amorce d'assouplissement du temps de présence de 32 heures par semaine exigé depuis 20 ans et une absence de réponse adéquate aux problématiques soulevées par la composition de la classe. Est-ce que la survie de l'école publique s'en trouve confortée ? Voyons cela de plus près.

Échelles salariales bonifiées de 17,4%
Mesures complémentaires :
La FSE reçoit un ajout de 74 M$ soit 62% de cette enveloppe alors qu'il est de 45,1 M$ pour la FAE.

Après 11 ou 22 jours de grèves, il est justifié de s'attendre à une amélioration significative des difficultés rencontrées par les enseignant.es dans la composition de la classe.

Depuis plus de 20 ans, la classe est le lieu d'intégration de tous les jeunes dans les écoles publiques. Pour pallier la disparition des classes d'enseignement spécialisé, des ressources non récurrentes ont été ajoutées en appui au travail enseignant. Cette approche a permis aux gouvernements successifs de faire de grandes économies et l'alourdissement de la composition de la classe en découlant n'a pu être freiné adéquatement lors des rondes de négociation de 2000, 2004, 2010, 2015 et 2020.

Le ras-le-bol exprimé cet automne sur toutes les tribunes, sur les lignes de piquetage et dans la rue indiquait qu'il fallait qu'un sérieux coup de barre soit donné pour que l'école publique, en péril, se redresse. Tous les jeunes ont droit à un enseignement de qualité et à des ressources qui répondent à leurs besoins. Et les enseignant·es ont le droit de pouvoir exercer pleinement leur tâche, qui est d'enseigner.

Force est de constater que ce n'est pas le cas. Les élèves qui éprouvent de grandes difficultés n'ont pas de garantie que leur sort sera amélioré. Les parents n'ont pas l'assurance que les besoins de leur enfant recevront une réponse adaptée. Les enseignant·es ne voient aucune mesure pouvant les rassurer quant à leur capacité à accomplir les tâches auxquelles elles se sont engagées, en particulier celle de scolariser les élèves de leur classe. Où sont les travailleuses en éducation spécialisée, les travailleuses sociales, infirmières, psychologues, orthopédagogues et orthophonistes dont les élèves ont besoin ? Ces équipes multidisciplinaires ont pourtant déjà existé dans les écoles publiques.

Tel que l'indiquait Dominique Scali dans le Journal de Montréal le 22 janvier dernier, les bonifications apportées à la composition de la classe sont limitées à 4000 aides à la classe pour 20 000 écoles, des seuils de 60% d'élèves en difficulté devant être identifiés avec des plans d'intervention au primaire et de 50% au secondaire avant d'entrevoir une possibilité d'ouverture d'une classe spéciale ou l'ajout d'un supplément financier d'un maximum de 8000$. Cette approche comptable ne tient pas la route si on souhaite ainsi répondre aux besoins des élèves en difficulté et faire que la classe dite « régulière » en arrive à scolariser les jeunes qui y sont regroupés.

Le gouvernement a utilisé cette ronde de négociations pour asseoir ses principes de gestion managériale : maintenir un service public au statu quo en accomplissant les tâches des personnels des services de garde par le biais des aides à la classe. L'ajout de 5400 enseignant·es annoncé ne se réalisera que si ce milieu de travail devient attractif. Le salaire semble faire foi de tout pour le gouvernement. L'école à trois vitesses est confortée par cette approche, les écoles privées et les projets particuliers au secteur public n'ont rien à craindre.

Cette proposition d'entente doit être acceptée, disent maints commentateurs ainsi que d'anciens dirigeants syndicaux, rien ne justifiant de retourner en grève. Mais si on regardait ce résultat comme étant une étape franchie mais insuffisante qui requiert l'envoi d'un message clair au gouvernement ?

Les syndicats locaux réunis en instance sectorielle ont décidé de transmettre l'hypothèse de règlement sur la table à la veille de la nouvelle année. Les équipes de négociation qui ont peiné tout au long de l'automne n'ont pu aller plus loin, le gouvernement étant mauvais joueur à trouver des solutions innovantes aux problèmes concrets qui se vivent au quotidien dans les classes du secteur public.

Il est nécessaire que des engagements fermes du gouvernement garantissent que les élèves recevront les services auxquels ils ont droit, que les enseignant·es soient rassurés et sentent qu'ils ont intérêt à demeurer en poste et que les stagiaires et jeunes intéressés par l'enseignement s'y engagent.

Quel que soit le résultat final des votes en cours, que vous soyez de la FAE ou de la FSE, sachez que la lutte que vous avez menée n'a pas de commune mesure avec celles qui ont été faites dans le passé. Vous avez été au front tout l'automne, vous avez reçu un appui indéfectible des parents, vous méritez notre reconnaissance.

L'école publique ne peut reposer sur les seules épaules de celles et ceux qui y travaillent. Le gouvernement doit être imputable de la situation actuelle et trouver des solutions adaptées en sus de salaires proposés.

Enseigner, c'est faire reculer l'ignorance et ouvrir un espace à la citoyenneté et au développement de l'esprit critique par la transmission de savoirs, de connaissances.

Ces enjeux nous interpellent et la défense de l'école publique doit se poursuivre dans tous les quartiers où nous vivons. Vivement la tenue d'une Commission Parent 2.0 dans un avenir prochain.

Ghislaine Raymond
Enseignante en adaptation scolaire retraitée

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L’impact de la guerre génocidaire israélienne à Gaza sur le Moyen-Orient

23 janvier 2024, par Joseph Daher — , , ,
L'armée d'occupation israélienne continue, plus de 100 jours après son début, clenchement à mener une guerre génocidaire contre la population palestinienne de la bande de Gaza. (…)

L'armée d'occupation israélienne continue, plus de 100 jours après son début, clenchement à mener une guerre génocidaire contre la population palestinienne de la bande de Gaza. Cette opération a immédiatement succédé à l'attaque du Hamas du 7 octobre, qui a provoqué la mort de 1 139 personnes, dont 695 civils israéliens, 373 membres des forces de sécurité et 71 étrangers*.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
15 janvier 2024

Par Joseph Daher

Les 2,4 millions d'habitants de la bande de Gaza vivent sous un bombardement israélien constant d'une violence jamais égalée. À la mi-janvier 2024, selon les estimations les plus basses, plus de 24 000 Palestiniens auront été tués par les frappes israéliennes. La grande majorité des victimes sont des femmes et des enfants. Sans oublier les 10 000 autres disparu.e.s sous les décombres et présumé.e.s mort.e.s. Plus de 1,9 million de Palestiniens ont été déplacés sur le territoire de la bande de Gaza, soit plus de 85 % de la population totale. À bien des égards, il s'agit d'une nouvelle Nakba. Lors de la Nakba de 1948, plus de 700 000 Palestiniens avaient été chassés par la force de leurs foyers et étaient devenus des réfugiés. Ce mécanisme s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui.

A l'heure actuelle, les tensions régionales continuent de s'intensifier sans se transformer (pour l'instant) en une guerre ouverte généralisée, bien que les tensions se soient accrues de façon spectaculaire depuis le début du mois de janvier. Face à la violence de l'armée d'occupation israélienne, soutenue par ses alliés impérialistes occidentaux, les peuples de Syrie, d'Irak, du Yémen et du Liban sont confrontés aux risques croissants d'une conflagration régionale plus meurtrière encore.

EN SYRIE

Depuis le 7 octobre, Israël a pris à plusieurs reprises la Syrie pour cible, en procédant à des assassinats ciblés de personnalités importantes. Au sud de Damas, des missiles israéliens ont assassiné le général de brigade Razi Mousavi, un commandant clé de la Force Qods, la branche des opérations extérieures et l'unité d'élite des Gardiens de la révolution (le corps d'armée qui porte l'idéologie de la République islamique d'Iran). Les dirigeants iraniens ont promis de réagir à l'assassinat du 25 décembre. Quelques jours plus tard, le 8 janvier, Hassan Akkacha, un membre du Hamas responsable des opérations de tir de roquettes sur Israël depuis la Syrie, a été tué par l'armée d'occupation israélienne opérant à Beit Jinn, une ville israélienne située au sud-ouest de Damas. Entre le 12 octobre et le 8 janvier, pas moins de 18 frappes israéliennes ont visé à plusieurs reprises les aéroports de Damas et d'Alep. Elles ont également frappé des positions et des installations du Hezbollah et des forces pro-iraniennes dans la région de Damas.

Bien que le dictateur Bachar al-Assad ait affirmé en paroles sa solidarité avec les Palestiniens, le régime syrien ne semble avoir ni l'intérêt ni la capacité de participer directement à une riposte à la guerre israélienne contre la bande de Gaza. Cette attitude est historiquement conforme à la politique du régime syrien qui, depuis 1974, s'efforce d'éviter toute confrontation sérieuse et directe avec Israël. En outre, la condamnation de la guerre menée par Israël de la part des responsables syriens ne débouchera sur aucune forme de soutien militaire ou politique au Hamas. Il n'y aura pas de renforcement des relations entre ces deux acteurs, pas de retour à la configuration d'avant 2011, qui avait été suspendue après que le mouvement palestinien eut exprimé son soutien au soulèvement syrien.

Si le régime syrien a rétabli les liens avec le Hamas à l'été 2022, c'est grâce à la médiation du Hezbollah. Les relations futures entre la Syrie et le Hamas seront principalement fonction des intérêts liés à l'Iran et au Hezbollah et structurés par ces derniers.

Entre-temps, la violence s'est intensifiée dans le nord de la Syrie. Le nord-ouest est devenu un nœud de conflits marqué par une intensification des bombardements de la part de la Russie et de la Syrie. Cette escalade fait suite à une action particulièrement meurtrière menée lors de la cérémonie de remise des diplômes d'une académie militaire dans la ville de Homs qui a coûté la vie à au moins 89 personnes. Cette attaque, qui a été effectuée par des drones chargés d'explosifs provenant probablement des zones voisines contrôlées par les autorités turques ou par Hayat Tahrir Sham (HTS), a donné le coup d'envoi à une série de bombardements d'une ampleur accrue.

Cet attentat a servi de prétexte au régime syrien et à son allié russe pour intensifier leurs actions militaires dans la région, ce qui a eu de graves conséquences humanitaires. Depuis le début du mois d'octobre, plus de 100 personnes ont été tuées, dont près de 40 % d'enfants, et plus de 400 autres ont été blessées. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), 120 000 personnes ont été contraintes de quitter leur domicile en raison des tirs d'artillerie et des bombardements effectués par les forces armées de Damas et de Moscou.

L'armée turque a élargi sa zone d'action en ciblant les régions contrôlées par l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES). Cette décision stratégique a été prise à la suite d'un attentat suicide perpétré le 1er octobre à l'entrée du ministère de l'Intérieur à Ankara, qui a fait deux blessés parmi les policiers. Un groupe affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a revendiqué l'attentat. Ceci a conduit le gouvernement turc à prendre des mesures rapides et énergiques. Entre autres, le 17 octobre, le parlement turc a voté en faveur d'une prolongation de son mandat, autorisant les forces armées à lancer des opérations transfrontalières en Syrie et en Irak pendant deux années supplémentaires.

Depuis octobre 2023, de nombreuses frappes aériennes et des attaques de drones ont privé d'électricité, d'eau, de chauffage et d'autres types d' infrastructures une grande partie de la population du nord-est, temporairement ou pour toute la durée des froids mois d'hiver à venir. À la fin du mois de décembre, l'aviation et les drones turcs ont effectué une série de bombardements sur le nord-est de la Syrie, ciblant des sites pétroliers et des installations essentielles. Ces opérations ont provoqué des coupures de courant dans plusieurs villes et dans les campagnes du canton de Jazeera, réduisant de 50 % la capacité de production des centrales électriques. En 2023, les attaques turques ont tué au moins 176 civils et en ont blessé 272 autres. À la mi-janvier, la Turquie a mené une nouvelle série de frappes aériennes contre le nord-est de la Syrie et le nord de l'Irak.

Cette escalade généralisée dans la fréquence des bombardements au nord de la Syrie s'explique par la volonté de profiter du fait que l'attention de la communauté internationale se concentre actuellement sur la guerre israélienne contre Gaza. Les principaux États impliqués - notamment la Turquie, la Russie et le régime syrien - profitent stratégiquement de la forte concentration de la communauté internationale et de l'opinion publique sur la guerre israélienne. Cette manœuvre calculée leur permet d'opérer avec un degré bien réel d'impunité sur ce théâtre septentrional.

Mettant à profit le chaos, les bases militaires américaines en Syrie - et en Irak - sont devenues la cible d'un nombre croissant d'attaques de drones et de roquettes orchestrées par des groupes affiliés à l'Iran. Le 10 janvier, le ministère américain de la défense a annoncé que les troupes et les bases américaines en Syrie et en Irak avaient fait l'objet de 127 attaques depuis le 17 octobre. Ces actions sont une réponse directe au soutien apporté par Washington à l'action militaire d'Israël dans la bande de Gaza. C'est un moyen pour eux de faire progresser leurs intérêts à la fois politiques et locaux. Depuis la fin du mois d'octobre, les frappes aériennes américaines visent systématiquement plusieurs installations utilisées par les milices pro-iraniennes et le Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran dans l'est de la Syrie.

EN IRAK

En Irak, des tensions sont également apparues entre les forces armées américaines et les milices pro-iraniennes. Le 4 janvier, les forces américaines ont frappé un quartier général de la sécurité irakienne au cœur de la capitale, Bagdad. Deux membres de la faction al-Noujouba de la milice pro-iranienne Hachd al-Chaabi ont ainsi été tués. Parmi les miliciens assassinés, le commandant Abou Taqwa, qui était accusé par Washington d'être activement impliqué dans des attaques contre les bases militaires américaines en Irak. Les Hachd al-Chaabi étant officiellement intégrés à l'armée nationale irakienne, le ministère irakien des affaires étrangères a fermement condamné l'attentat.

Le cabinet du premier ministre Mohammad Chia al-Soudani a quant à lui qualifié la frappe du 4 janvier d'escalade dangereuse. Il a annoncé la formation d'un comité bilatéral chargé de prendre des mesures pour mettre fin définitivement à la présence des forces de la coalition internationale (dirigée par les États-Unis).

Ce n'est pas la première fois que la classe politique dirigeante irakienne appelle au départ des forces américaines. Après l'assassinat en 2020 par les Etats-Unis de Kassem Soleimani, chef de la force iranienne al-Qods des Gardiens de la Révolution à Bagdad, le Premier ministre par intérim Adel Abdel-Mahdi avait demandé à Washington la mise en place d'un plan de retrait de ses troupes. Cette demande avait reçu un refus catégorique de la part du Département d'Etat américain.

Le Parlement irakien avait également élaboré un projet de loi exigeant le retrait des troupes américaines, mais la résolution n'était pas contraignante. Officiellement, les 2 500 soldats américains présents en Irak fournissent assistance, conseil et formation aux forces armées irakiennes. Leur présence s'est faite à l'invitation du gouvernement irakien, qui en 2014 avait demandé une assistance pour combattre le groupe djihadiste dit État islamique (EI) , mais elle figurait aussi dans l'accord stratégique signé en 2008 entre l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki — aujourd'hui membre du Cadre de coordination chiite pro-iranien — et Washington. L'accord avait ensuite été approuvé par le Parlement irakien. De son côté, Washington souhaite maintenir sa présence militaire à la fois en Irak et en Syrie.

AU YÉMEN

De la même manière, du côté yéménite, la tension monte entre le mouvement politique armé yéménite des Houthis et les forces armées américaines et leurs alliés. Depuis le 7 octobre, en solidarité avec les Palestiniens, Les Houthis ont multiplié les attaques en mer Rouge contre des navires considérés comme liés à Israël. Ainsi, le 19 novembre, ils se sont emparés d'un navire marchand, le Galaxy Leader, propriété d'un homme d'affaires israélien, avec ses 25 membres d'équipage. Les Houthis ont déclaré en de nombreuses occasions qu'ils ne mettraient fin à ces attaques que lorsque la guerre israélienne contre les Palestiniens de la bande de Gaza cesserait.

Face à cette situation, Washington a mis en place début décembre une force navale multinationale pour protéger les navires marchands en mer Rouge, par laquelle transite 12% du commerce mondial. L'objectif principal est de préserver l'un des couloirs maritimes les plus importants pour le commerce international. Le dernier jour de l'année 2023, dix miliciens Houthis ont été tués lors de l'opération de destruction de trois navires revendiquée par l'armée américaine en riposte à l'attaque menée contre un porte-conteneurs appartenant à une compagnie danoise. Il s'agissait de la première frappe meurtrière contre les Houthis depuis la mise en place de la force navale multinationale. Quelques jours plus tard, les États-Unis et le Royaume-Uni ont réalisé une nouvelle série de frappes aériennes dirigées contre les Houthis. En outre, Washington a imposé des sanctions visant les circuits de financement des Houthis, ciblant plusieurs personnes et entités au Yémen et en Turquie. Entre le 18 novembre et le 13 janvier, plus de 27 navires de commerce qui naviguaient dans le sud de la mer Rouge et dans le golfe d'Aden ont été attaqués par les Houthis.

AU LIBAN

Alors que le Liban est la cible de missiles israéliens depuis le début de la guerre israélienne contre Gaza, les risques d'une confrontation plus importante entre le Hezbollah et Tel-Aviv ont augmenté après l'assassinat par Israël de Saleh al-Arouri, numéro deux du bureau politique du Hamas et l'un des fondateurs de son aile militaire, les Brigades al-Qassam. Cet assassinat a eu lieu dans la banlieue sud de Beyrouth le 2 janvier. Deux autres responsables du Hamas, Samir Fandi et Azzam al-Akraa, ainsi que quatre autres personnes affiliées au mouvement - mais aussi à la Jamaa Islamiya libanaise (une branche des Frères musulmans au Liban) - ont également été tués dans cet attentat.

Le chef du Hamas, Arouri, était installé au Liban depuis 2018. Emprisonné à deux reprises, il a passé une douzaine d'années dans les geôles israéliennes avant d'être libéré en avril 2010. Il était l'un des interlocuteurs privilégiés de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah.

Ensuite, c'est Wissam Tawil, commandant de la Force Al-Radwan, une unité militaire du Hezbollah, qui a été assassiné par un drone israélien dans le sud du Liban. Il s'agit du plus haut responsable militaire du Hezbollah tué depuis le 8 octobre. En réaction, le Hezbollah a pris pour cible des bases militaires situées au nord d'Israël.

Les attaques israéliennes ont causé la mort d'environ 160 membres du Hezbollah entre le 8 octobre et la mi-janvier 2023. Les attaques de l'armée d'occupation israélienne par avion et par drone sur des villages du Sud-Liban ont également entraîné le déplacement forcé de plus de 76 000 personnes ainsi que la destruction de vastes étendues de terres agricoles.

Pour l'instant, les assassinats d'Arouri et du commandant Tawil du Hezbollah n'ont pas modifié la position du parti islamique libanais ni celle de son principal soutien, l'Iran. La réticence à s'engager dans une riposte militaire plus intense s'explique par le souci de préserver les intérêts politiques et géopolitiques du Hezbollah. Le Hezbollah continue de servir de « front de pression » contre Tel-Aviv, comme l'exprime Hassan Nasrallah dans ses discours. De même, l'Iran ne veut pas que son fleuron, le Hezbollah, soit affaibli. L'objectif géopolitique de l'Iran n'est pas de libérer les Palestiniens mais d'utiliser ces groupes comme levier, notamment dans ses relations avec les Etats-Unis. Dans ce contexte, le Hezbollah s'en tient à des « réactions calculées et proportionnelles » contre les agressions israéliennes.

La menace réside dans la probabilité qu'Israël poursuive ses assassinats et ses attaques sur les territoires libanais. Une partie de la classe dirigeante israélienne souhaite, par le biais de cette guerre contre Gaza, forcer le Hezbollah à se retirer à 10 kilomètres de la frontière, c'est-à-dire au nord du fleuve Litani. Cela constituerait un succès politique et militaire pour Israël.

L'escalade des attaques israéliennes au Liban est liée à la nouvelle phase militaire engagée par Israël. Le retrait de Gaza de cinq brigades , composées principalement de soldats de réserve, au début de l'année relève de la stratégie israélienne de « guerre de faible intensité ». L'objectif est de renforcer le contrôle sur la majeure partie de la bande de Gaza tombée sous son emprise, de détruire le réseau de tunnels souterrains et d'éradiquer toute résistance restante. La multiplication des menaces et des attaques au Liban met en lumière l'occasion manquée par le Hezbollah d'obliger Israël à se battre sur deux fronts. Cette situation est en train de se retourner contre le Hezbollah.

CONCLUSION

Alors que la guerre génocidaire contre les Palestiniens enfermés dans la bande de Gaza se poursuit sans relâche. le gouvernement israélien a annoncé que la guerre se prolongerait « tout au long » de l'année 2024. L'impunité israélienne est une menace permanente pour les classes ouvrières régionales et continue de renforcer les dangers d'une guerre régionale. Parallèlement, l'impérialisme occidental dirigé par les États-Unis ne fait qu'aggraver la misère des classes populaires locales en soutenant Israël, les États autoritaires de la région et en poursuivant les bombardements.

Dans cette situation, que peuvent faire la gauche et les militant.e.s progressistes ?

Il est important de rappeler sans cesse notre opposition à l'État israélien d'apartheid, colonial et raciste, tout en continuant à défendre le droit des Palestiniens à résister contre un tel régime criminel. En effet, comme toute autre population confrontée aux mêmes menaces, les Palestiniens ont ce droit, y compris par des moyens militaires. De même, les Libanais ont le droit de résister à l'agression militaire d'Israël et à la guerre. Cette position ne doit pas être confondue avec le soutien aux perspectives et orientations politiques des différents partis politiques palestiniens et libanais, y compris le Hamas et le Hezbollah. Cela vaut également pour tous les types d'actions militaires que ces acteurs pourraient entreprendre. C'est particulièrement vrai pour les actions qui conduisent à l'assassinat aveugle de civils.

La tâche principale de la gauche reste de développer une stratégie basée sur une solidarité régionale par en bas. Cela implique de s'opposer aux États occidentaux et à Israël tout en s'opposant aux États autoritaires régionaux (que ce soit l'Iran, l'Arabie saoudite, la Turquie, le Qatar, les Émirats arabes unis, etc. et aux forces politiques qui leur sont liées. Cette stratégie, qui repose sur la lutte des classes conduite depuis le bas, est le seul moyen de parvenir à s'affranchir de ces régimes et de leurs soutiens impérialistes (qu'il s'agisse des États-Unis, de la Chine ou de la Russie). Dans le cadre de cette lutte, les Palestiniens, les Libanais et les habitants d'autres pays doivent également faire leurs les revendications de tous ceux qui souffrent d'oppression nationale - comme les Kurdes et tous les autres qui subissent des formes d'oppression ethnique, sectaire et sociale.

Joseph Daher, 15 janvier 2024

* Il convient de noter que le 7 octobre 2023, des civils israéliens ont également été tués par les forces d'occupation israéliennes, notamment par des tirs d'obus de chars sur des maisons où des Israéliens étaient détenus.
P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.

Source : olidarity. Posted January 17, 2024. January 15, 2024, forthcoming in March-April 2024 ATC 229 :
https://solidarity-us.org/impact-of-israeli-genocidal-war-in-gaza-on-the-middle-east/

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Paul Saint-Pierre Plamondon continue de faire des immigrant·es les boucs émissaires des différentes difficultés de la société québécoise

23 janvier 2024, par Bernard Rioux — , ,
Paul St-Pierre Plamondon a repris ses déclarations faisant de l'immigration le vecteur d'une crise sociale annoncée. Ce discours s'inscrit dans une orientation générale de la (…)

Paul St-Pierre Plamondon a repris ses déclarations faisant de l'immigration le vecteur d'une crise sociale annoncée. Ce discours s'inscrit dans une orientation générale de la bourgeoisie de différents pays visant à faire des personnes migrantes des boucs émissaires de l'ensemble des problèmes sociaux. Trump promet, s'il est réélu, d'expulser les immigrant·es illégaux. En France, le gouvernement d'Emmanuel Macron vient d'adopter une loi d'immigration qui enlève des droits aux personnes issues de l'immigration reprenant à son compte la rhétorique du parti de Marine Le Pen. Les pays d'Europe de l'Est, Pologne et Hongrie, avaient d'ailleurs déjà adopté des lois de même nature. Même la Hollande et les pays scandinaves ont mis en œuvre de telles politiques.

Au Canada, Pierre Poilièvre, chef du Parti conservateur, attribue lui aussi la crise du logement au nombre élevé d'immigrant·es accueilli·es par le gouvernement Trudeau. Il a demandé une baisse importante des seuils d'immigration pour faire face à la crise du logement.

Alors que ces discours sont partout dans les médias, on s'étonne que les sondages avalisent cette perception qui a été construite par des prises de parole qui pavent la voie au renforcement de la droite et de l'extrême droite. Le Bloc québécois a, lui aussi, repris les mêmes propos sur les crises du logement ou des services publics causés par le trop grand afflux d'immigrant·es. Le gouvernement Trudeau commence à s'adapter à ces pressions et a instauré des restrictions à ses politiques d'immigration en réduisant le nombre d'étudiant·es étrangers pouvant fréquenter les universités et collèges au Canada.

La pénurie de logements est sans doute exacerbée par l'augmentation de la demande, mais cette dernière existait bien avant l'augmentation du flux migratoire. [1] En fait, c'est cette pénurie elle-même qui doit être expliquée. De même, ce n'est pas l'augmentation d'immigrant-e-s qui est la cause de la crise dans les secteurs de la santé ou dans l'éducation, mais bien le sous-investissement découlant des politiques néolibérales et la volonté des gouvernements de favoriser la privatisation des services publics.

Lors du caucus de sa formation politique réunie à Alma en janvier denier, le chef péquiste a repris son discours sur la causalité entre niveau d'immigration et crise du logement. PSPP a répété que les seuils migratoires actuels fixés par Ottawa sont délirants, que l'itinérance s'accroît et que les loyers augmentent à cause de la « crise migratoire ». Comme l'écrit Aurélie Lanctôt, son message est clair : « les misères des locataires québécois s'expliquent avant tout par l'immigration incontrôlée ». [2] « Il n'écarte pas que sa cible de 35 000 (pour l'immigration permanente) soit abaissée ». Il voudrait également établir une cible pour l'immigration temporaire. [3]. Paul Saint-Pierre Plamondon reste donc engoncé dans sa démagogie contre les personnes immigrées. Nous republions donc, ici, la réponse que nous avions apportée lors de sa sortie de novembre dernier.

Faire des personnes migrantes, le bouc émissaire de tous les problèmes de la société québécoise, une démarche irresponsable


Le 5 novembre dernier, Paul St-Pierre Plamondon (PSPP) publiait sur Twitter un texte intitulé : « Politiques complètement irresponsables en immigration : vers une crise sociale sans précédent ». Il reprochait au gouvernement Legault d'avoir trahi une promesse électorale en haussant le seuil de l'immigration permanente à plus de 64 000 personnes par année. Et il ajoutait : « Un regard lucide sur la situation sociale et économique qui découle de ces seuils d'immigration doit nous amener à conclure que nous construisons de toute pièce une crise sociale sans précédent. » Rappelant les stigmatisations de Legault sur la « louisianisation » du Québec qui nous guetterait en cas d'augmentation du seuil d'immigration, il écrit un brûlot qui fait de l'augmentation de ce seuil la source de tous les maux dont souffre la société québécoise.

PSPP rend les personnes migrantes responsables de la crise du logement

Pour PSPP la crise du logement s'explique aisément. Elle découle de la hausse des seuils et l'arrivée de migrants permanents et temporaires. Cette arrivée massive de migrant-e-s déséquilibre les rapports entre l'offre et la demande. Pour le chef péquiste, cette arrivée massive provoque non seulement la pénurie de logements et l'augmentation des loyers, mais est aussi responsable du développement de l'itinérance.

En fait, la crise du logement a des sources beaucoup plus profondes. Dans un texte sur la crise du logement au Québec, le FRAPRU, reprenant les données de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, nous rapporte que « dans 44 régions métropolitaines, villes et agglomérations du Québec (…) toutes sauf trois, avaient un taux d'inoccupation des logements locatifs sous le seuil d'équilibre, réputé être de 3 %. » [4]. Et quelle est la cause de cette pénurie ? « Le marché est comprimé par la financiarisation du logement ; on ne construit plus pour loger des gens, mais plutôt pour réaliser des profits juteux, le plus rapidement possible. Pour cela, les promoteurs immobiliers peuvent compter sur des fonds d'investissement disposés à leur confier des prêts risqués, contre un taux de rendement élevé. (… ) Dans ce marché agité, la situation des familles de locataires est particulièrement pénible. Elles peinent à trouver un logement accessible financièrement et suffisamment grand. » [5]

L'IRIS nous offre une analyse des fondements de la crise du logement [6] et l'analyse nous propose de nombreuses recommandations pour y faire face. Retenons simplement ceci de leur propos :

Enfin, s'il est souhaitable d'augmenter le stock de logements disponibles dans plusieurs localités du Québec, les gouvernements et les administrations municipales doivent soutenir en priorité la construction de logements hors du marché privé afin d'augmenter le nombre d'habitations à bas prix, qui a eu tendance à diminuer au pays dans la dernière décennie, et de prévenir de futures hausses. Cela signifie de miser sur le logement social et communautaire, qui regroupe notamment les habitations à loyer modique, les coopératives d'habitation et les organismes sans but lucratif . [7]

Se contenter d'additionner l'immigration permanente et temporaire et comparer le résultat au nombre de logements construits, comme le fait PSPP, laisse échapper totalement les fondements de la crise du logement. C'est une démarche démagogique qui stigmatise et détourne le regard des causes réelles des problèmes vécus par la majorité populaire au Québec.

PSPP dénonce l'accaparement par les migrant-e-s des ressources de nos services publics

Pour PSPP, la crise des services publics s'explique tout aussi aisément. Les ressources de l'école publique comme des services de santé servent à répondre aux demandes provoquées par la vague migratoire actuelle.

Depuis des décennies, les services publics (santé, éducation, fonction publique) subissent les assauts du néolibéralisme : coupes, compressions, hausse de tarifs et processus de privatisation rampant. « Le système de santé et les services sociaux sont à bout de souffle, étouffés par des années de compressions. Les réseaux de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, mais aussi des services à la petite enfance, doivent également remplir leur mission, mais avec de moins en moins de ressources pour y arriver. Les programmes sociaux ont eux aussi été sous-financés, ce qui a contribué à maintenir des centaines de milliers de personnes dans la pauvreté et à aggraver la crise du logement. » [8]

À l'heure où les travailleuses et les travailleurs du secteur public se battent pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, les difficultés des services publics ne peuvent pas être rejetées sur le dos des personnes migrantes. Ces employé-e-s savent trop bien que ce sont les politiques néolibérales qui sont les véritables responsables des difficultés des services publics. La population du Québec qui est bien consciente que ces travailleurs et travailleuses, et particulièrement des femmes racisées comme cela est devenu clair durant la pandémie de la Covid, soutiennent à bout de bras ces services et ne peuvent acheter la démagogie dont PSPP fait preuve.

Enfin, PSPP désigne les personnes migrantes comme les responsables du recul du français

… « Après des décennies et des décennies de travail, on est en train de défaire tout l'héritage des 40 dernières années en protection du français en accueillant un nombre d'allophones beaucoup plus élevé que notre capacité d'intégrer et de franciser. »(PSPP)

Avec sa recherche de boucs émissaires pour expliquer les problèmes sociaux, PSPP s'avère incapable d'identifier les réels fondements de la précarité du français au Québec.

Si la langue française est la langue de la majorité au Québec, elle reste la langue minoritaire au Canada et sur le reste du continent et elle est au Québec confrontée à l'hégémonie économique, politique et culturelle de l'anglais.

Cette politique hégémonique découle de la politique assimilationniste de l'État canadien qui a marginalisé l'usage du français tout au long de son histoire. De multiples lois ont suspendu le statut légal du français une province après l'autre (Manitoba, Saskatchewan, Ontario). Encore aujourd'hui, le français recule partout au Canada non à cause des immigrant-e-s, mais à cause du statut de langue dominante de l'anglais comme l'anglais des affaires, de l'emploi et des communications.

Au Québec , la langue anglaise reste la langue la plus attractive. Ottawa joue un rôle important à ce niveau. La politique du bilinguisme qui impose au Québec des institutions bilingues conforte ainsi la place subordonnée de la langue française. Cette politique représente un refus de reconnaître le français comme langue nationale du Québec et découle du refus d'une véritable reconnaissance de la réalité nationale du Québec.

Le français n'est pas la langue commune du travail dans les grandes entreprises dont les plus importantes sont pour la plupart gérées en anglais. Les personnes immigrantes comme les natives francophones, se voient exiger la connaissance de l'anglais pour trouver un emploi ou aspirer à une promotion. La maîtrise de l'anglais est de plus en plus souvent exigée pour avoir accès à un emploi ou pour obtenir une promotion, parfois même dans les institutions de l'État. En somme, la place du français au Québec reflète le statut de minorité nationale du Québec dans le Canada et trouve son fondement dans le contrôle de l'économie par les grandes banques et les grandes entreprises anglophones malgré le développement d'une bourgeoisie québécoise dans les dernières décennies.

De plus le gouvernement du Québec, sous la domination des libéraux, a favorisé l'usage de l'anglais dans ses rapports avec les minorités culturelles et avec les grandes entreprises. Il a également accordé des budgets insuffisants à la francisation des nouveaux arrivants. À ces facteurs, il faut ajouter que le poids de l'anglais au niveau culturel a été renforcé par l'importance des médias sociaux américains et canadiens dans les productions des biens culturels les plus consommés. Tous ces facteurs expliquent pourquoi l'anglais a non seulement conservé, mais renforcé son pouvoir d'attraction auprès de la quasi-totalité des nouveaux arrivants et auprès de la population francophone elle-même.

La lutte pour l'indépendance est partie prenante de la défense de la langue française. Tant que le Québec restera subordonné à l'État canadien, comme le propose le gouvernement Legault, tant que les grandes entreprises stratégiques resteront en dehors de l'État du Québec, les droits nationaux du Québec et le caractère du français comme langue commune de la société québécoise seront constamment remis en question. La volonté majoritaire de la population de vivre dans un Québec français sera constamment frustrée par les attaques de l'État fédéral et du grand capital anglophone qui ne renoncera pas à imposer sa domination sur le Québec. C'est pourquoi la défense de la langue française passera par l'indépendance du Québec. Et cette indépendance, ne sera possible que si elle repose sur la reconnaissance de la diversité de la population du Québec et non sur une politique de division qui stigmatise les personnes migrantes et les communautés culturelles comme une menace à la cohésion nationale comme le font les nationalistes étroits de la CAQ et du PQ.

PSPP défend sans vergogne la logique du bouc émissaire pour expliquer les problèmes de la société québécoise

La politique prônée par PSPP reprend la logique de la forteresse assiégée que les entrepreneurs identitaires et autres idéologues de la droite n'arrêtent pas de construire. Ils présentent l'immigration comme le bouc émissaire des problèmes que connaît la société québécoise. Pas étonnant que Mathieu Boch-Côté ait présenté le texte de PSPP comme un texte courageux et intelligent. [9] Présenter des personnes immigrantes, comme les porteuses d'une possible régression culturelle et en faire des boucs émissaires de nos différents problèmes sociaux, de la crise du logement au recul du français en passant par la détérioration des services sociaux, c'est précisément cela qui peut nourrir la montée de la droite extrême et préparer le terrain à de nouvelles perturbations sociales. C'est exactement ce type de discours qui nous empêchera de construire un bloc social nécessaire à une lutte victorieuse pour l'indépendance.

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[1] Michel C. Auger Causalité et logement, La Presse, 21 janvier 2024

[2] Aurélie Lanctôt Ils volent nos logements !, Le Devoir, 19 janvier 2024

[3] Fanny Lévesque Seuils à 35 000, le PQ révisera son engagement électoral, La Presse 17 janvier 2024

[4] Frappru, Les crises du logement au Québec, Bulletin 141, printemps 2022

[5] ibid.Frappu

[6] IRIS, Crise du logement : un marché locatif en manque d'encadrement 29 juin 2023 de Julia Posca et Guillaume Hébert

[7] Ibid, Julia Posca et Guillaume Hébert

[9] Le complexe capitalisto-gaucho-fédéraliste, Mathieu Boch-Côté, Le Journal de Montréal, 8 novembre 2023

Inégalités : de l’indignation aux solutions

23 janvier 2024, par Nathalie Guay — , ,
On constate toutefois une dégradation de la situation à divers égards au Québec. L'inflation et la crise du logement exercent une pression plus forte sur les ménages les moins (…)

On constate toutefois une dégradation de la situation à divers égards au Québec. L'inflation et la crise du logement exercent une pression plus forte sur les ménages les moins nantis. Cela entraîne une hausse de l'insécurité alimentaire, qui est passée de 12,7% à 14,7% de 2020 à 2021, et qui affecte 1 250 000 personnes au Québec.

16 janvier 2024 | Observatroire des inégalités

Encore cette année, le rapport d'Oxfam sur les inégalités mondiales suscite des débats et une bonne dose d'indignation. On y apprend que cinq milliards de personnes se sont appauvries depuis 2020 alors que les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune et que les 1 % les plus riches de la planète émettent autant de carbone que les deux tiers les plus pauvres de l'humanité. Le rapport insiste particulièrement sur les inégalités de pouvoir au bénéfice des entreprises multinationales, mais aussi sur la répartition inégale de la richesse entre les hommes et les femmes – globalement les hommes possèdent 105 000 milliards de dollars de richesses de plus que les femmes – et entre les ménages blancs et les ménages racisés – « aux États-Unis, la richesse d'un ménage noir moyen ne représente que 15,8 % de celle d'un ménage blanc moyen ».

Le Québec peut être fier d'avoir su agir pour réduire certaines inégalités. Comme on le mentionne souvent, les inégalités de revenu après impôt, si elles sont plus élevées qu'au début des années 1980, se sont stabilisées au cours des deux dernières décennies. Cela est dû à une série de mesures fiscales, de transferts, de programmes sociaux et de politiques publiques, comme la politique familiale adoptée en 1997 qui a soutenu l'entrée massive des femmes sur le marché du travail.

On constate toutefois une dégradation de la situation à divers égards au Québec. L'inflation et la crise du logement exercent une pression plus forte sur les ménages les moins nantis. Cela entraîne une hausse de l'insécurité alimentaire, qui est passée de 12,7% à 14,7% de 2020 à 2021, et qui affecte 1 250 000 personnes au Québec. L'automne dernier, nous avons appris que le nombre de personnes en situation d'itinérance a bondi de 44% en 4 ans, et que le phénomène gagne de l'importance dans presque toutes les régions du Québec. L'année 2023 a aussi été marquée par de nombreuses discussions sur le système scolaire à trois vitesses qui compromet l'égalité des chances au Québec.

D'autres aspects attendent encore qu'on s'y penche avec plus d'attention. Par exemple, nous savons que les inégalités de richesse sont particulièrement élevées au Québec : la famille faisant partie des 10 % les plus riches possède un patrimoine 76 fois plus élevé que la famille faisant partie des 40 % les plus pauvres. Comme le souligne à juste titre le rapport d'Oxfam, les changements climatiques affectent davantage les personnes déjà pénalisées par les inégalités, non seulement dans les pays plus pauvres, mais à l'intérieur de tous les pays. Au Québec, notre évaluation de l'empreinte carbone des ménages basée sur la consommation confirme que les ménages mieux nantis émettent significativement plus de GES que les moins nantis. Et cela sans parler des nombreuses disparités qui affectent les conditions de vie des autochtones.

Comme notre histoire en témoigne, un arsenal de solutions existe afin d'agir sur les inégalités, et plusieurs organisations, ici Oxfam, proposent des pistes qui méritent d'être étudiées. Si un meilleur accès à des données de qualité, notamment sur la richesse détenue au sommet de la distribution et sur la consommation, est absolument nécessaire pour guider le développement de ces mesures, il faut aussi prendre le temps d'en débattre et créer les conditions pour faire de la réduction des inégalités un objectif de société au Québec. C'est la raison pour laquelle l'Observatoire québécois des inégalités et la Maison des affaires publiques et internationales de l'Université de Montréal organisent une table-ronde sur les perspectives québécoises sur la réduction des inégalités. Rendez-vous le 19 janvier !

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Plus de 20 groupes de la diaspora indienne au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie, en France et au Canada publient une déclaration commune sur leurs préoccupations concernant l’inauguration du Ram Mandir.

23 janvier 2024, par CERAS (Centre sur l'asie du sud), SADAC/CADSA (South Asian Diaspora Action Collective/Collectif d'action de la diaspora sud-asiatique) — , ,
L'inauguration du Temple Ram crée un précédent dangereux pour les minorités en Inde Montréal. 22 janvier 2024. Déclaration conjointe ** Les organisations de la (…)

L'inauguration du Temple Ram crée un précédent dangereux pour les
minorités en Inde

Montréal. 22 janvier 2024.

Déclaration conjointe

**

Les organisations de la société civile indienne sont extrêmement
préoccupées par le précédent dangereux créé par l'inauguration du temple
Hindou Ram à Ayodhya par le Premier ministre Narendra Modi. L'inauguration
marque le début des élections générales indiennes, qui auront lieu en
avril-mai 2024. C'est clairement le début de la campagne électorale du
parti Bharatiya Janta (BJP). Ayant lieu quatre jours avant le Jour de la
République de l'Inde, il s'agit également d'une tentative de mettre de côté
et de remplacer la Constitution laïque de l'Inde rédigée par le Dr B.R.
Ambedkar.

Le temple Ram a été construit sur les ruines de la mosquée Babri Masjid du
XVIe siècle, détruite par les suprémacistes hindous en 1992. En 2019, la
Cour suprême indienne s'est prononcée [1] en faveur de la revendication
foncière des suprémacistes hindous pour autoriser la construction du
temple, bien qu'il considère la destruction de la mosquée Babri Masjid
comme un acte criminel. Cependant, la décision n'est pas allée jusqu'à
condamner l'effacement culturel d'un site musulman historique, ni n'a
cherché à répondre aux violents affrontements communautaires qui ont suivi
dans le pays à la suite de sa destruction.

La « consécration » prévue du temple par le Premier ministre Modi et
d'autres membres du parti au pouvoir BJP et des piliers du Rashtriya
Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation suprémaciste hindou, est un
signal que l'Inde est sur le point de créer un Rashtra (État) hindou. Cela
mettra en œuvre les objectifs à long terme du RSS visant à faire de l'Inde
un Rashtra hindou et remplacer la Constitution par le Manusmriti, un ancien
texte hindou violemment brahmanique, anti-dalit (discriminatoire et
exclusive) et patriarcal. Bien entendu, cela indique également que
l'Hindutva (le suprémacisme hindou) sera au centre de la campagne
électorale du BJP.

Cela se produit dans le contexte d'une horrible escalade de la
discrimination et de la violence contre les minorités religieuses, en
particulier les musulmans. D'avoir comme but la création d'un État hindou
va également à l'encontre du tissu laïc du pays et de sa Constitution.

Le parti BJP, dirigé par Modi, cherche activement à effacer les traces de
l'héritage musulman en Inde, par exemple en révisant les manuels scolaires
et en réécrivant l'histoire telle qu'elle est racontée dans les médias
populaires et dans les sphères publiques et politiques. Il s'agit de
présenter la communauté minoritaire comme étrangère, sans aucun lien avec
l'Inde, conformément à l'idéologie suprémaciste hindoue.

L'appropriation de sites religieux musulmans, comme la mosquée Babri
Masjid, est l'un des outils de l'arsenal nationaliste hindou. Le verdict de
la Cour suprême sur la mosquée Babri Masjid en 2019 a donné lieu aux
allégations similaires [2] et aux campagnes bien planifiées de la part des
suprémacistes hindous contre les lieux de culte musulmans et sites
religieux ailleurs en Inde. Dans la ville de Mathura, dans l'Uttar Pradesh,
un procès est en cours pour déterminer si l'emplacement de la mosquée Shahi
Idgah est le lieu de naissance du dieu hindou Krishna. À Varanasi,
également dans l'Uttar Pradesh, la mosquée Gyanwapi est également
revendiquée par des groupes hindous alignés sur le parti au pouvoir, le
BJP. En acceptant des réclamations juridiques sur ces mosquées historiques,
les tribunaux, dont la Haute Cour de l'Uttar Pradesh, ont permis ces actes
d'appropriation. La Cour suprême indienne a elle-même ouvert la porte à des
contestations judiciaires contre la loi de 1992 sur les lieux de culte [3],
qui visait à protéger le caractère religieux des bâtiments historiques
après la destruction de la mosquée Babri Masjid.

Alors que l'Inde se prépare aux prochaines élections générales,
l'inauguration du temple Ram – sur le terrain où se trouvait autrefois la
mosquée Babri Majid – est un symbole puissant du mépris du BJP pour le
droit des minorités religieuses à exister dans la sphère publique indienne
et à exercer leur droit à la liberté de croyance. Cela cimente également un
dangereux précédent [4] déjà établi, en s'appropriant davantage le
patrimoine culturel et religieux des minorités et en leur supprimant leurs
droits [5] en tant que citoyens indiens.

Alors que la République indienne entre dans sa 75e année, nous, la diaspora
indienne, nous tenons aux côtés de tous ceux qui, en Inde, résistent
courageusement à l'offensive meurtrière et déshumanisante du régime Modi
contre les musulmans, les chrétiens, les Dalits et d'autres minorités, à
son castéisme et à sa misogynie virulente, à sa persécution des dissidents,
et ses tentatives de remplacer ou de saper la Constitution laïque.

Signataires :

South Asia Solidarity Group
South Asia Justice Campaign
Uniting Ummah of Australia Organisation
Indian American Muslim Council
Hindus for Human Rights - UK
Alliance Against Islamophobia . Australia
Strive UK
Anand Shakya, Maharashtra Officer Forum, Nagpur
UK Indian Muslim Council
Indian Alliance Paris, France
India Civil Watch International, North America
Periyar Ambedkar Thoughts Circle of Australia. (PATCA). Australia.
Melbourne Grand Mosque
Asim Jaleel - Craigieburn Masjid and Community Centre
Muslim Collective, Australia
Peace in India (UK)
Scottish Indians For Justice
South Asian Diaspora Action Collective (SADAC)
Women Against Caste
India Labour Solidarity (UK)
International Solidarity for Academic Freedom in India (InSAF India)
Coalition Against Fascism in India
The Rights Collective (UK)
CERAS (South Asia Forum)

Source :
South Asian Diaspora Action Collective (SADAC) & CERAS (South Asia Forum)

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Non-respect des droits des Premières nations : l’APNQL dénonce la décision de la CCSN et appelle à l’annulation du projet de gestion des déchets nucléaires à Chalk River

23 janvier 2024, par Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador — , ,
L'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) dénonce la décision de permettre l'installation d'un site de déchets nucléaires qui va à l'encontre des droits des (…)

L'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) dénonce la décision de permettre l'installation d'un site de déchets nucléaires qui va à l'encontre des droits des Premières Nations et qui pose des risques graves sur l'environnement.

En dépit des préoccupations soulevées par les Premières Nations et du soutien de plus de 140 municipalités à l'échelle nationale, la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) a en effet pris la décision d'autoriser le projet de l'Installation de gestion de déchets près de la surface (IGDPS) à Chalk River. La décision publiée le 9 janvier dernier suscite une vive opposition des communautés touchées, particulièrement des Premières Nations Anishinabeg, dont le territoire ancestral non cédé est directement affecté par les opérations menées à Chalk River. L'APNQL exprime sa solidarité envers ces communautés, particulièrement auprès de la Première Nation de Kebaowek qui poursuit sa campagne d'opposition au projet.

« Cette décision de la CCSN va à l'encontre des droits des peuples autochtones et des impératifs de protection environnementale. J'en appelle au gouvernement fédéral afin qu'il agisse conformément à ses obligations envers les Premières Nations, particulièrement de la Nation Anishinabe qui n'a aucunement donné son accord pour ce projet de dépotoir de déchets radioactifs sur son territoire ancestral non cédé. Le gouvernement doit immédiatement annuler ce projet », d'affirmer le Chef de l'APNQL, Ghislain Picard.

Bien que construit en Ontario, l'IGDPS entraînerait le déversement de matières radioactives dans la rivière des Outaouais, soulevant d'importantes préoccupations environnementales pour les communautés situées au Québec. Ce projet pose sans aucun doute des risques importants sur la sécurité et la santé des personnes et de l'environnement pour les générations futures.

Rappelons qu'en 2017, l'Assemblée des Premières Nations avait déjà souligné le non-respect par la CCSN et le gouvernement canadien de leur obligation constitutionnelle de consulter et d'accommoder les Premières Nations concernant l'IGDPS. Face à la décision finale de la CCSN, la Première Nation de Kebaowek, soutenue par plusieurs autres communautés et organisations civiles, appelle à une intervention urgente du gouvernement canadien, notamment afin qu'il respecte ses obligations à l'égard de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).

Pour plus d'informations et pour appuyer la Première Nation de Kebaowek, visitez : https://www.stopnuclearwaste.com/.

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Amazonie : signons l’appel contre le projet de la minière canadienne Belo Sun

23 janvier 2024, par Celia Sales — , , ,
L'organisme Alliance de la Volta Grande do Xingu (AVGX), Amazon Watch (Brésil) et International Rivers (É.-U.) appellent à la mobilisation nationale et internationale pour (…)

L'organisme Alliance de la Volta Grande do Xingu (AVGX), Amazon Watch (Brésil) et International Rivers (É.-U.) appellent à la mobilisation nationale et internationale pour dénoncer les impacts injustifiables et le harcèlement du mouvement d'opposition du projet de la plus grande mine d'or à ciel ouvert du Brésil de la minière canadienne Belo Sun en Amazonie. (texte et lien à la fin de l'article).

18 janvier 2024 | Entre les lignes entre les mots

Depuis presque trois ans, la compagnie minière Belo Sun Mineração Ltda a signé un accord avec l'ancien gouvernement de Bolsonaro, achetant les terres publiques amazoniennes afin d'ouvrir une mine d'or dans la municipalité de Pará. Cet accord, ne respectant même pas les conditions de vente des terres amazoniennes, représente avant tout un danger pour l'environnement et la population indigène qui y vit.

Les impacts écologiques d'un tel projet, utilisant sans scrupules des substances toxiques pour traiter l'or extrait, sont irréversibles, portant un coup meurtrier sur la prospérité de la forêt amazonienne et la santé des populations. D'autant plus que ces zones sont touchées par un projet hydroélectrique, impactant déjà l'équilibre des terres ancestrales indigènes.

En plus des conséquences environnementales, l'organisation AVGX dénonce le mépris de l'entreprise à respecter les droits humains et la souveraineté des habitants. En effet, en déclarant dès l'élaboration de l'accord ces terres comme inhabitées, les populations indigènes et paysannes qui y vivent ont directement été écartés des affaires. Entre condamnations de militant.es, de chercheur.es et d'enseignant.es ou encore des paysan.nes, la compagnie étrangère n'a eu aucun scrupule à mobiliser les instruments juridiques pour criminaliser ces défenseurs de leurs droits. Par ailleurs, malgré une plainte portée contre elle auprès du ministère des Droits de l'Homme et de la Citoyenneté, à la Commission interaméricaine des droits de l'homme et à l'ONU, la compagnie engage une armée privée solide afin d'empêcher tout soulèvement paysan.

C'est donc par la peur et le soutien des institutions brésiliennes que le projet de Belo Sun Mineração Ltda poursuit son implantation illégitime. En apportant son soutien aux militant.es qui ne se laissent pas intimider malgré les menaces, l'organisation locale AVGX cherche à protéger les populations autochtones et leur souveraineté territoriale. AVGX appelle les institutions brésiliennes à rejeter l'achèvement de ce projet en redonnant le pouvoir de gouvernance aux communautés locales.

Celia Sales

***

Texte de l'appel en français

Les organisations membres soussignées de l'Alliance Volta Grande do Xingu (AVGX) appellent les partenaires, les organisations de la société civile, les experts juridiques et les chercheurs à soutenir et à renforcer les individus et les mouvements qui, en raison de leur défense inlassable des peuples, de la biodiversité et de l'existence de la Volta Grande do Xingu, font l'objet d'intimidations et de tentatives de criminalisation de la part de la société Belo Sun Mineração Ltda.

Nous devons montrer aux grandes entreprises que la société civile au Brésil et à l'étranger est unie autour de cette cause. Nous ne reculerons pas dans la protection de l'environnement et des droits de l'homme face aux menaces. Signez cette note et rejoignez-nous dans la protection de l'Amazonie, du fleuve Xingu et de ses défenseurs !

Demandes :

1. Nous, citoyennes, organisations de la société civile et représentant.es des mouvements sociaux qui soutenons cette déclaration, condamnons la criminalisation promue par Belo Sun Mineração Ltda.

2. Nous exprimons notre solidarité avec les victimes de ce processus et soulignons notre compréhension de ce qui suit.

3. Nous soutenons les termes de cette pétition et unissons nos voix pour dénoncer le fait que l'intimidation et la criminalisation des défenseurs des droits humains, des militants, des chercheurs et des dirigeants des mouvements sociaux par Belo Sun sont inacceptables, et par conséquent, nous soutenons les termes de cette pétition.

Le projet de réforme agraire (Projeto de Assentamento) Ressaca est une zone désignée pour la réforme agraire et l'agriculture familiale locale située dans une région déjà très vulnérable du point de vue socio-environnemental.

Les membres de l'Alliance de la Volta Grande do Xingu qui appellent à appuyer cette déclaration sont :
• Articulação dos Povos Indígenas do Brasil – APIB
• Movimento Xingu Vivo – Brasil
• Amazon Watch
• Associação Interamericana para Defesa do Ambiente – AIDA
• International Rivers
• Earthworks Justiça Global
• MiningWatch Canada

Pour signer la pétition (texte en anglais et portugais)
Pour en savoir plus :
L'exploitation minière canadienne détruira-t-elle l'Amazonie ?

https://alter.quebec/amazonie_appel_contre_projet_miniere_canadienne_belosun/

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Journée internationale des droits des femmes : ça gronde !

23 janvier 2024, par Collectif 8 mars — , ,
Ce thème puissant s'inspire de la colère et de l'indignation que nous éprouvons devant les multiples crises qui ébranlent notre société. Ce thème illustre l'offensive (…)

Ce thème puissant s'inspire de la colère et de l'indignation que nous éprouvons devant les multiples crises qui ébranlent notre société.

Ce thème illustre l'offensive populaire et féministe devant les nombreuses crises qui secouent notre société.

Le Collectif 8 mars dévoile aujourd'hui le slogan et le visuel de la Journée internationale des droits des femmes 2024 : ÇA GRONDE. Ce thème puissant s'inspire de la colère et de l'indignation que nous éprouvons devant les multiples crises qui ébranlent notre société. Entre autres, les effets des changements climatiques sur notre environnement et sur nos vies, la pénurie et les coûts excessifs des logements, l'impact de la hausse du coût de la vie sur les ménages qui peinent à subvenir à leurs besoins de base, le sous-financement par le gouvernement de la CAQ des services publics et des programmes sociaux, où se retrouvent une main-d'œuvre majoritairement féminine. Toutes ces perturbations contribuent aux fractures sociales et aux polarisations, alimentant du même coup la division plutôt que la coopération.

À l'extérieur de nos frontières, les droits des femmes continuent d'être bafoués et niés dans de nombreux pays : selon un rapport de l'ONU, d'ici 2030, quelque 340 millions de femmes et de filles vivront dans une pauvreté extrême et près d'une sur quatre souffrira d'insécurité alimentaire, laquelle s'accentuera en raison des changements climatiques. Les inégalités de revenus demeurent importantes : à l'échelle mondiale, pour chaque dollar gagné par un homme, les femmes sont en moyenne rémunérées 51 cents et leur taux d'emploi est de 61 % contre 90 % chez les hommes.

De la colère à l'offensive !

Devant une telle conjoncture politique, économique, sociale et environnementale, la colère gronde ! Ce 8 mars, passons à l'offensive et transformons notre indignation en un mouvement de sororité afin de bâtir une société juste, féministe, inclusive, pacifiste et durable !

Ça gronde

Ce slogan, il se veut fort et puissant pour la Journée internationale des droits des femmes de cette année. Devant les crises qui se multiplient, les inégalités qui s'amplifient et les violences envers les femmes qui s'accentuent, la colère gronde. Transformons cette indignation en une force mobilisatrice et construisons une société féministe et solidaire !

Ça gronde en dedans, ça gronde en dehors, ça gronde partout. Partout, les inégalités. Partout, les violences. Partout, les crises. Crise climatique, crise du logement, crise de nos services publics, crise de confiance envers nos systèmes. Nos systèmes défaillants, dépassés, à bout de souffle. Nous aussi, on est « à boutte ». En colère. Et on a peur, parfois. C'est vrai, notre feu pourrait s'éteindre, anéanti par nos peines et par nos pleurs. Mais non. Il s'attise, il grandit. Il se nourrit des luttes des unes, s'alimente de l'indignation des autres. Ça gronde, ça bouillonne et ça fulmine. Ça explosera. Ça explose déjà de ce feu qui peut soigner, qui peut solidariser. De ce feu qui peut tout changer. — Collectif 8 mars

L'épinglette : symbole des luttes féministes

Porter l'épinglette du 8 mars, c'est afficher notre détermination à lutter pour le plein respect de nos droits fondamentaux. Cela ne pourra se faire qu'avec l'atteinte de l'égalité entre les femmes et les hommes et entre les femmes elles-mêmes.

Voir et télécharger tous les outils de visibilité du 8 mars 2024

Une création de Belvédère coop et des artistes visuelles Marianne Chevalier et Natalie-Ann Roy

Lorsque vous utilisez le visuel, merci d'indiquer les droits d'autrice de la manière suivante :
Collectif 8 mars/Belvédère coop. Illustration : Marianne Chevalier et Natalie-Ann Roy

Le matériel produit est la propriété du Collectif 8 mars. Toute reproduction est réservée aux organisations membres du Collectif et à ses affiliés, dont la CSN et ses syndicats. Si vous n'êtes pas membre du Collectif ou d'une organisation affiliée, vous devez demander la permission pour reproduire intégralement le matériel. Toute utilisation ou reproduction par des partis politiques est strictement interdite. Toute correction, transformation ou adaptation de l'illustration est interdite en l'absence du consentement préalable et écrit du Collectif 8 mars.

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Le thème du 8 mars 24 : Ça gronde

23 janvier 2024, par Collectif 8 mars — , ,
Nos systèmes défaillants, dépassés, à bout de souffle. Nous aussi, on est à boutte. En colère. Et on a peur, parfois. C'est vrai, notre feu pourrait s'éteindre, anéanti par nos (…)

Nos systèmes défaillants, dépassés, à bout de souffle. Nous aussi, on est à boutte. En colère. Et on a peur, parfois. C'est vrai, notre feu pourrait s'éteindre, anéanti par nos peines et nos pleurs. Mais non. Il s'attise, il grandit. Il se nourrit des luttes des unes, s'alimente de l'indignation des autres.

Ça gronde en dedans,
ça gronde en dehors,
ça gronde partout.

Partout, les inégalités.
Partout, les violences.
Partout, les crises.

Crise climatique,
crise du logement,
crise de nos services publics,
crise de confiance en nos systèmes.

Nos systèmes défaillants, dépassés, à bout de souffle. Nous aussi, on est à boutte. En colère. Et on a peur, parfois. C'est vrai, notre feu pourrait s'éteindre, anéanti par nos peines et nos pleurs. Mais non. Il s'attise, il grandit. Il se nourrit des luttes des unes, s'alimente de l'indignation des autres.

Ça gronde,
ça bouillonne et
ça fulmine.
Ça explosera.
Ça explose déjà de ce feu qui peut soigner, qui peut solidariser.

De ce feu qui peut tout changer.

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Rassemblement pour dénoncer le jugement Leclerc

23 janvier 2024, par Centre Femmes d'Aujourd'hui — , ,
Lundi dernier, le 15 janvier, on apprenait que le juge Bruno Leclerc a acquitté 3 hommes d'une accusation de viol collectif à l'encontre de deux adolescentes. Québec, le 18 (…)

Lundi dernier, le 15 janvier, on apprenait que le juge Bruno Leclerc a acquitté 3 hommes d'une accusation de viol collectif à l'encontre de deux adolescentes.

Québec, le 18 janvier 2024 - Des groupes de femmes, des citoyennes et des citoyens se sont rassemblés jeudi en fin de journée au Palais de justice de Québec à l'initiative du Centre Femmes d'aujourd'hui. Les militantes y dénonçaient le jugement rendu plus tôt cette semaine par le juge Bruno Leclerc, qui a acquitté trois hommes d'une accusation de viol collectif à l'encontre de deux adolescentes. Les manifestantes dénonçaient aussi le système de justice, qui selon elles, protège les agresseurs en étant inadaptés aux procès pour agressions sexuelles.

Incompréhension

Pour les organisatrices du rassemblement, le jugement est incompréhensible. Selon les informations rendues publiques, les victimes étaient intoxiquées, et des vidéos déposées en preuves le démontreraient. Les deux adolescentes ont aussi témoigné de perte de mémoire et de perte de conscience. Malheureusement, comme les victimes étaient intoxiquées, le juge Leclerc a estimé que leurs témoignages manquaient de fiabilité et qu'ils étaient
« insuffisants » pour prouver hors de tout doute raisonnable de leur incapacité à consentir. Pour les organisatrices, c'est la goutte qui fait déborder le vase. « Comment les victimes peuvent-elles être à la fois trop intoxiquées pour que leur témoignage soit crédible, mais suffisamment sobres pour consentir à des relations sexuelles ? » s'indigne Audrée Houle, du Centre Femmes d'aujourd'hui. Sa collègue, Alice Marcoux poursuit : « Le juge a fait bénéficier les accusés du doute raisonnable, soutenant qu'il ne pouvait affirmer que les victimes étaient incapables de consentir. Or, non seulement le consentement tacite n'existe pas en droit canadien, mais de plus, une intoxication sévère, comme celle décrite par les victimes, rend le consentement invalide. L'absence de consentement c'est un refus ! »

Doute DÉraisonnable ?

Pour les manifestantes, le doute invoqué est déraisonnable. Le juge qui a acquitté les accusés a pourtant soutenu que les faits se sont « probablement produits » et qu'un des accusés était « prêt à dire tout et n'importe quoi pour se justifier ». « Partout, on encourage les victimes à porter plainte, à dénoncer. Et on croit sincèrement qu'il faut le faire. Mais un tel jugement mine la confiance des victimes envers le système de justice. Ça envoie le message que, peu importe les preuves, ça ne sera jamais suffisant », croit Andréane Chabot, aussi du Centre Femmes d'aujourd'hui. Bien qu'elle provoque la colère, cette nouvelle n'est pourtant pas une surprise pour l'organisme organisateur. Madame Chabot poursuit en ce sens : « ce jugement s'ajoute à une liste déjà longue de jugements
en faveur des agresseurs. En 2022, le Tribunal ne croyait pas la version des faits de Gilbert Rozon, mais il a tout de même été acquitté. La même année, Simon Houle bénéficiait d'une absolution conditionnelle après avoir plaidé coupable à des accusations d'agression sexuelle. La même histoire se répète constamment, notre système judiciaire est complètement inadapté aux procès pour agressions sexuelles
». Josée Turbis, sa collègue, explique en ce sens :
« Exiger des victimes de livrer des témoignages parfaits, c'est complètement irréaliste. Comment se rappeler de tous les détails alors qu'on vivait un événement traumatique, qu'on était dans un état d'intoxication ou alors qu'on était inconsciente ? C'est un lourd fardeau à faire porter aux victimes et ça démontre bien à quel point les agressions sexuelles sont mal comprises ».
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Northvolt : des groupes environnementaux demandent une évaluation environnementale indépendante

23 janvier 2024, par Collectif — , ,
Les travaux d'abattage d'arbres et de remblaiement de milieux humides ont commencé hier matin sur le site de Northvolt sans que Québec n'ait tenu une véritable évaluation (…)

Les travaux d'abattage d'arbres et de remblaiement de milieux humides ont commencé hier matin sur le site de Northvolt sans que Québec n'ait tenu une véritable évaluation environnementale. Pourtant, plusieurs groupes environnementaux et groupes citoyens ont demandé la tenue d'une évaluation environnementale indépendante depuis l'annonce de l'implantation de l'usine de Northvolt à McMasterville et Saint-Basile-le-Grand en octobre 2023.

Une évaluation environnementale indépendante et des audiences publiques sont essentielles pour protéger les citoyens et l'environnement. Elles sont également nécessaires pour protéger de lui-même un gouvernement devenu juge et partie. Pour ce faire, il a à sa disposition le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), que ce soit par une évaluation de ce projet particulier ou par une évaluation environnementale stratégique de l'ensemble de la filière batterie.

Sans évaluation environnementale indépendante, le gouvernement deviendra prisonnier des concessions successives qu'il a faites jusqu'à maintenant et qui sait jusqu'où il devra aller face aux nombreux autres obstacles qui se dresseront assurément à l'avenir, tels que le pompage d'eau dans l'habitat du chevalier cuivré ou le dérangement du petit blongios durant la période de nidification.

Les critiques légitimes à l'égard de ce projet proviennent notamment d'un grand manque de transparence de la part des parties impliquées, et ce, depuis les premiers balbutiements. Les groupes environnementaux et citoyens et les médias se voient privés de documents ou en reçoivent de lourdement caviardés et ils obtiennent, au mieux, des informations incomplètes. La perception que le règlement relatif à l'évaluation environnementale des projets a été changé spécifiquement pour Northvolt nuit également grandement à l'acceptabilité sociale du projet. Ceci est renforcé par la tendance du gouvernement actuel à modifier les règles entourant les évaluations environnementales pour accélérer certains projets, ce qui mine la confiance du public.

Une évaluation environnementale indépendante est le meilleur moyen de s'assurer de la protection de l'environnement et de la pertinence des projets, et advenant qu'ils soient autorisés, de réaliser des projets qui respectent les normes et d'identifier s'il existe des solutions réalistes pour minimiser leurs impacts sur l'environnement. S'obstiner à vouloir en faire l'économie d'une évaluation environnementale indépendante pourrait s'avérer un pari coûteux.

Groupes signataires

Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE)

Eau Secours

ENvironnement JEUnesse

Équiterre

Fondation Rivières

Fondation David Suzuki

Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED)

Greenpeace Canada

Nature Québec

Projet de la réalité climatique Canada

Réseau québécois des groupes écologistes – RQGE

SNAP Québec

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Demande d’injonction contre Northvolt

23 janvier 2024, par Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) — , ,
Montréal, le 18 janvier 2024 – Le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) et trois citoyennes ont déposé aujourd'hui une demande d'injonction devant la Cour (…)

Montréal, le 18 janvier 2024 – Le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) et trois citoyennes ont déposé aujourd'hui une demande d'injonction devant la Cour supérieure pour demander la suspension immédiate des travaux du projet d'usine de batteries Northvolt, qui ont démarré ce début de semaine en Montérégie. L'audience sur ce recours devrait avoir lieu ce vendredi matin au Palais de Justice de Montréal.

18 janvier 2024 | tiré du site du Centre québécois du droit de l'environnement

Alors que l'abattage d'arbres a été observé et que la destruction de milieux humides abritant des habitats d'espèces en situation précaire est imminente, le CQDE demande la suspension de ces travaux inquiétants pour la biodiversité.

Il y a quelques mois, la destruction de milieux humides au même endroit a été refusée dans le cadre d'un projet antérieur. Les experts du ministère évoquaient l'importance de ces milieux pour la région et pour la biodiversité. Le CQDE déplore qu'il semble y avoir deux poids, deux mesures et souhaite donc faire la lumière sur cette apparente incohérence.

« La situation nécessitant une réponse urgente pour la protection de l'environnement, nous nous adressons maintenant aux tribunaux. Nous regrettons d'avoir à se rendre jusque-là, mais la destruction en cours, sans réponse adéquate aux inquiétudes du public, nous contraint d'agir rapidement », indique Marc Bishai, avocat au CQDE.

L'organisme espère que la décision de la Cour mènera à une suspension des travaux dès cette semaine.

Ce dossier illustre parfaitement l'importance du registre public environnemental, prévu par la loi depuis six ans. Si ce registre était déjà disponible, le CQDE et le public auraient déjà accès en un seul clic aux documents décrivant le projet autorisé et les conditions qui lui ont été imposées par le ministre de l'Environnement. Actuellement, il faut attendre la réponse à une demande d'accès à l'information, ce qui peut prendre des semaines, alors que des travaux sont déjà en cours sur le terrain et qu'il n'y a eu aucune évaluation environnementale indépendante permettant une participation significative du public.

« C'est inacceptable que le registre public se fasse toujours attendre pendant que la destruction de milieux sensibles se fait dans l'opacité. L'accès efficace à l'information est un pilier incontournable du droit de l'environnement, et le cas de Northvolt est un exemple flagrant de ce besoin de transparence. Cet accès à l'information est d'autant plus important dans le contexte où ce projet n'a pas été assujetti, malgré toutes les demandes en ce sens, à la procédure d'examen et d'évaluation des impacts sur l'environnement, incluant des audiences publiques devant le BAPE », ajoute Me Bishai.

Le CQDE est reconnaissant du soutien du cabinet d'avocates Lapointe Légale, qui représente l'organisme devant la Cour supérieure dans ce dossier. Le CQDE souligne l'engagement et la mobilisation des trois citoyennes co-demanderesses du recours, Jacinthe Villeneuve et Sabrina Guilbert, co-porte-paroles du Comité Action Citoyenne : projet Northvolt, ainsi que Vanessa Bevilacqua, membre de Mères au front Rive-Sud.https://www.facebook.com/MeresAuFrontRiveSud/

30-

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SÉRIE | Le transport collectif, pilier de la transition écologique

23 janvier 2024, par Guillaume Hébert, Joanie Ouellette, Nicolas Viens — , ,
L'adoption du Plan pour une économie verte doit engager le Québec sur la voie de la transition écologique. Le principal secteur d'émission de carbone, le transport, s'est tout (…)

L'adoption du Plan pour une économie verte doit engager le Québec sur la voie de la transition écologique. Le principal secteur d'émission de carbone, le transport, s'est tout naturellement retrouvé au cœur des débats sur la manière d'opérer cette transition. À cet égard, la stratégie gouvernementale actuelle repose largement sur l'électrification pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre du Québec. Or, c'est plutôt l'entièreté du système de transport, axé sur le recours à l'automobile individuelle, qui doit être repensée.

16 janvier 2024 | tiré du site de l'IRIS

Table des matières

Fiche no 1. L'enjeu budgétaire
Fiche no 2. Le modèle de développement
Fiche no 3. Automobiles et inégalités
Fiche no 4. La question du genre

Fiche no 1. L'enjeu budgétaire

Cette première fiche se penche sur la question du financement du transport collectif et met en lumière le fait que les choix budgétaires du gouvernement québécois ne sont pas à la hauteur de la transformation du transport dont le Québec a besoin à l'heure des changements climatiques.

Fiche no 2. Le modèle de développement

Une plongée dans l'histoire de l'automobile permet de constater que ce n'est pas son efficacité globale qui a permis son développement au XXe siècle, mais plutôt l'immense profitabilité qu'elle offrait à des entreprises capitalistes. Le défi climatique requiert aujourd'hui que ce modèle en matière de mobilité soit remplacé.

Fiche no 3. Automobiles et inégalités

La primauté de l'automobile dans notre système de transport contribue à reproduire les inégalités économiques entre les citoyen·ne·s. Dans cette fiche, nous montrons que pour bien des ménages, elle constitue un fardeau financier important qui nuit à l'accumulation de patrimoine.

Fiche no 4. La question du genre

Cette fiche explore le transport à travers le prisme du genre. Alors que la mobilité des femmes est compromise par la complexité des déplacements qu'elles doivent effectuer pour exécuter les tâches domestiques plus nombreuses qu'elles accomplissent, les contraintes en matière de mobilité se traduisent par de moins bonnes opportunités professionnelles pour les femmes.

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De quoi l’homosexualité de Gabriel Attal est-elle le nom ?

23 janvier 2024, par Trung Nguyên Quang — , ,
Le texte qui suit de Trung Nguyên Quang est un développement à partir d'un fil publié sur X dont la suppression partielle a été requise par la modération du réseau à la suite (…)

Le texte qui suit de Trung Nguyên Quang est un développement à partir d'un fil publié sur X dont la suppression partielle a été requise par la modération du réseau à la suite de signalements pour insultes et harcèlement. Le fil réagissait à un édito de Têtu Magazine qui se félicitait de la nomination de Gabriel Attal à Matignon au motif qu'il est gay, tout en s'étonnant que cette réjouissance ne soit pas unanimement partagée parmi les personnes LGBTI.

Tiré du site de la revue Contretemps
17 janvier 2024

Par Trung Nguyên Quang

Si le fil prenait un texte de Têtu pour point d'appui, les logiques qu'il essaye de décrire dépassent très largement le magazine. Tout comme il est permis de s'interroger sur l'identité de celles et ceux qui ont signalé le fil et demandé sa suppression, il est aussi permis de se satisfaire que le fil en question s'est vu confirmer par les jours qui ont suivi sa publication : Têtu, qui n'en tarissait plus d'articles réjouis, a même été contraint de titrer : « Gabriel Attal pond le gouvernement le plus LMPT depuis la manif pour tous ».

Depuis, c'est aussi Le Point, par un article de la main de Nora Bussigny, autrice d'une « enquête » à charge contre le « wokisme », qui est venu au secours de Têtu contre la critique portée par ce fameux fil sur X, au motif qu'il serait « homophobe ». À bon entendeur·se…

***

C'est d'un émoi particulier que la presse et les médias français de tous bords ont été saisis, la semaine dernière, lorsque Gabriel Attal a été annoncé comme successeur d'Elisabeth Borne : en le nommant à Matignon, Emmanuel Macron donnait à la Ve République son plus jeune premier ministre, et à la France son premier Premier ministre gay. Si la jeunesse de Gabriel Attal a bien suscité quelques réflexions admiratives, les plateaux de télévisions et les colonnes de presse ont surtout été occupés par son homosexualité, cette vieille obsession française dont la dépénalisation n'est survenue qu'en 1982, et contre laquelle les rues de France étaient noires encore de manifestant·es il y a 10 ans à peine.

Mais comme pour conjurer un passé peu glorieux et trop proche encore, la presse et les médias généralistes ne se sont pas autorisés un seul commentaire frontalement homophobe. Au contraire, tous et toutes se sont félicité·es, et ont félicité la France, qu'un homme homosexuel puisse, en 2024, devenir premier ministre, ou puisse le devenir sans que son homosexualité ne soit un sujet. Même la presse généraliste de droite et réactionnaire, d'ordinaire si prompt à cracher sur le fantasmatique lobby LGBT, a observé un silence discipliné quand elle se trouvait incapable de commenter la sexualité de Gabriel Attal sans en proposer un remède.

Que la presse généraliste de gauche, cette presse hétérosexuelle tièdement progressiste, tombe en irrémédiable pâmoison face à l'homosexualité de Gabriel Attal, on peut davantage le regretter, tout en le comprenant : sans doute n'a-t-elle pas, et c'est un problème, ni les compétences, ni les journalistes légitimes pour commenter l'homosexualité de Gabriel Attal autrement qu'en disant : « qu'il a changé, notre beau pays ! Bravo à nous ! ». Ainsi de Libération, qui titrait : « Gabriel Attal, premier Premier ministre gay : le signe d'une France qui progresse[1] ». Au demeurant, toutes les occasions ne sont-elles pas bonnes, et même nécessaires à saisir, pour faire savoir que l'on n'est surtout pas homophobe, tout le contraire ?

Confronté à ce choix binaire entre le silence et les éloges, les attentes étaient donc légitimement grandes à l'égard de la presse communautaire LGBTI, celle qui n'a pas à faire les preuves de sa gayfriendliness, celle où l'homosexualité est suffisamment banale pour ne plus s'émerveiller ni se satisfaire de la trouver chez les pires personnes, et peut-être même, au contraire, celle qui peut le regretter quand c'en est le cas – cette presse communautaire, donc, qui dans cette situation particulière portait une responsabilité particulière. C'est à ce titre que la réaction de la presse LGBTI a surpris, et même mis en colère, au premier rang desquelles réactions celle de Têtu, magasine LGBTI de référence qui s'inscrit dans l'héritage du Gai Pied dont il a pris la relève.

Dans un édito du 9 janvier dernier[2], Thomas Vampouille, directeur de rédaction manifestement outré que tou·tes les LGBTI de France, et d'ailleurs du monde entier, ne se réjouissaient pas, comme lui, de la nomination de Gabriel Attal à Matignon, nous exhortaient ainsi à nous ressaisir :

« Quand une personnalité issue d'une minorité accède à une fonction sociale jusqu'ici inaccessible, c'est une bonne nouvelle en soi », écrit-il, proposant également une analyse politique acérée s'il en est des critiques partisanes de l'homosexualité de Gabriel Attal : « Ceux qui regrettent, car là est bien le reproche, que le premier gay out chef d'un gouvernement français ne soit pas de gauche – ou ne le soit plus – négligent deux choses. D'abord, qu'il est permis d'être homo sans être de gauche, c'est de facto très répandu. Et si historiquement, la plupart des progrès réalisés sur le plan des droits LGBTQI+ l'ont été grâce à l'action de la gauche, il est arrivé à la droite de prendre des initiatives salutaires pour la communauté ». Et Vampouille de conclure : « Une première, dans l'histoire d'une minorité, ça ne change rien et tout à la fois. »

Outre qu'un tel édito n'est que la répétition de ce qui se lit dans la presse généraliste, et questionne de ce fait sur l'utilité (et l'identité) d'un magazine communautaire dont la seule fonction semble ici se réduire à répéter ce qui est déjà dit ailleurs, ce sont cinq lettres employées par Vampouille qui sont le cœur du problème, pas juste de cet édito, pas juste de Têtu, ni même de l'ensemble des articles et des interventions sur Attal et sa nomination mais, de manière générale, le problème d'une certaine façon de considérer l'homosexualité, ici celle d'Attal : « en soi ».

L'exhortation à la réjouissance qui nous est ici faite, comme l'élogieuse complaisance dont Attal a été l'objet en raison de sa sexualité, reposent sur une vision « en soi » de son homosexualité, c'est-à-dire une vision qui considère que l'homosexualité de Gabriel Attal peut et doit être envisagée de manière insulaire, indépendamment de ce que Gabriel Attal est par ailleurs, de ce que Gabriel Attal a fait comme responsable politique, et du contexte socio-politique spécifique au sein duquel Gabriel Attal accède à la fonction de premier ministre. Parce qu'il est difficile, aujourd'hui encore, d'être homosexuel·le, et souvent même dangereux, il faudrait célébrer toute personne qui, lestée de son homosexualité, parviendrait toutefois à se hisser à une position sociale sélective, et s'en satisfaire au nom de la visibilité d'une communauté tout entière…

Or, on n'est jamais que homosexuel·le ou que hétérosexuel·le, comme on n'est jamais que un homme ou que une femme, que une personne blanche ou que une personne non-blanche, que une personne cis ou que une personne trans, que une personne de classe populaire ou que une personne de classe supérieure… Tout comme, d'ailleurs, on n'est jamais homosexuel·le seul·e sur une île déserte paisiblement ensoleillée, mais toujours homosexuel·les dans un monde façonné de part en part par l'hétérosexualité, cette norme qui nous rappelle, à chaque instant, à nous TPG, que notre place dans ce monde est à gagner en permanence, et qu'être homosexuel·le a toujours un coût, pour celles et ceux qui le sont, et celles et ceux que l'homosexualité concerne plus indirectement.

Dès lors, parce que le cishétérosexisme augmente et se transforme, en France comme partout, et que l'homosexualité continue d'être une disqualification sociale, la question est moins celle des réjouissances suscitées ou non par la nomination d'un homme gay à un poste de pouvoir, qu'elle est celle de savoir pourquoi, et dans quelles conditions, un gouvernement déjà fragilisé, comptant par ailleurs plusieurs membres de la Manif pour tous dans ses rangs, a choisi pour Premier Ministre non pas juste un homme gay, mais cet homme gay.

Cet homme gay, c'est un homme cis, de classe supérieure, blanc, qui compte parmi ses derniers faits d'armes d'avoir défendu et voté une réforme des retraites dont l'impact sur les minorités de genre et de sexualité sera particulièrement néfaste ; d'avoir défendu et voté la loi immigration, une des lois les plus racistes de la Ve République, directement inspirée du programme du RN ; d'avoir dévoyé la laïcité pour traquer les élèves musulmanes à l'école, et les en exclure si leurs vêtements ne correspondaient pas à des normes racistes ; d'avoir négligé le suicide d'un jeune homosexuel de 13 ans, victime de harcèlement homophobe, et d'avoir ignoré par la suite les questions qui lui étaient posées au sujet de cette négligence…

Cet homme gay, c'est donc le type du gay que l'hétérosexualité dominante veut bien accepter : celui qui lui ressemble le plus, et qui, parce qu'il en partage les intérêts, se comporte en faveur de l'hétérosexualité blanche de classe supérieure, en votant, par exemple, des lois qui lui sont favorables. Cet homme gay, c'est donc le gay dont l'hétérosexualité veut bien s'accommoder pour mieux justifier de stigmatiser les autres gays qui ne lui ressemblent pas. C'est une acceptation de certain·es, qui est un contrôle de tou·tes, comme lorsque la droite vote ou soutient des lois favorables aux minorités de genre et de sexualité, pour se défendre ensuite d'être homophobe lorsqu'elle s'érige contre le mariage et l'adoption pour les couples de même sexe. En un mot, cet homme gay, c'est celui qui a pris sa part, et pas des moindres, au maintien et à la réactivation des hiérarchies sociales les plus excluantes et les plus meurtrières.

Ce sont donc ces deux réalités, dont on voudrait nous faire croire qu'elles sont incompatibles et qu'il faudrait choisir, que l'on doit absolument tenir et penser ensemble, en n'oubliant pas que Gabriel Attal a été le bras armé de politiques abjectes, et en n'oubliant pas non plus que Gabriel Attal est, entre autres choses et malgré tout, gay : non seulement a-t-il sans aucun doute déjà vécu des violences homophobes et en vivra encore d'autres, mais son homosexualité a aussi un coût pour quiconque s'y associe. Pour cela, sa nomination à la tête du gouvernement, par un président qui n'a jamais hésité à élever des homophobes notoires à des postes de pouvoir, interroge, et n'interroge pas tant pour les coûts qu'elle implique, mais aussi et surtout pour les profits qu'elle occasionne. Car si elle est coûteuse, la nomination de Gabriel Attal comme premier ministre est sans doute plus profitable encore.

Elle est profitable car les gages que donnent ses positions de genre, de classe et de race, en plus de ce qu'il a déjà accompli en volant au RN ses idées, compensent les coûts électoraux de son homosexualité qui, surtout, a l'avantage d'une plus-value. Cette plus-value de l'homosexualité vient de la respectabilité que confère toute revendication, aussi creuse soit-elle, d'un attachement à l'égalité des sexualités : si les formes que prend l'acceptation des minorités de genre et de sexualité sont encore très variables et limitées, se dire ouvertement homophobe, en revanche, est de moins en moins respectable, là où se dire gayfriendly l'est de plus en plus.

C'est jusque dans les rangs du Rassemblement National que la respectabilité conférée par les manifestations de gayfriendliness est recherchée, l'homophobie structurante et toujours actuelle du parti étant aujourd'hui cachée derrière un vernis d'acceptation et de tolérance[3]. Car, effectivement, si l'homosexualité est aujourd'hui acceptée, tant par celles et ceux qui la rejetaient violemment que par ceux et celles qu'elle laissait indifférent·es, c'est parce qu'elle offre un très avantageux retour sur investissement : les profits retirés de l'acceptation de l'homosexualité – valeur morale, autorité politique, mérite social, etc. – en excèdent bien suffisamment les coûts pour que la transaction soit lucrative. Autrement dit, si l'hétérosexualité accepte sélectivement l'homosexualité, ce n'est en rien une marque de son affaiblissement, mais bien une opération de capitalisation qui lui permet de maintenir sa domination en se drapant de respectabilité.

Par conséquent, un gouvernement dirigé par un homme gay est donc nécessairement un gouvernement respectable, et comment pourrait-on décemment critiquer l'action d'un gouvernement respectable au point d'avoir fait, en plus de l'égalité femme/homme sa grande cause, d'un homme homosexuel le premier Premier ministre gay ? La profitabilité de l'homosexualité et de son acceptation est bien là, de protéger non seulement Gabriel Attal, mais également le gouvernement qu'il dirige et le président qu'il sert, de toute critique, cela contre la réalité des faits s'il le faut.

Le gouvernement a voté une loi raciste ? Impossible, il est dirigé par un homme gay. Le gouvernement a voté une loi sexiste ? Impossible, il est dirigé par un homme gay. Le gouvernement a voté une loi homophobe ? Impossible, il est dirigé par un homme gay. Et ainsi de suite, pour toutes les critiques qui lui seraient adressées…

Le gouvernement Attal est vieux d'à peine quelques jours que déjà cette rhétorique est déployée : en déplacement au CHU de Dijon le 13 janvier, flanqué de Catherine Vautrin, sa ministre du Travail, de la Santé et de la Solidarité, membre fervente de la Manif pour tous dont la nomination a inquiété l'ensemble des associations de défense des droits LGBTI, Gabriel Attal est interrogé sur les prises de positions homophobes de sa ministre. Il répond :

« Catherine Vautrin est membre d'un gouvernement dont je suis à la tête. Chacun me connaît, chacun sait quelle est ma vie, et donc je le dis de manière très claire, Catherine Vautrin fait partie d'un gouvernement, appartient à une majorité résolument engagée contre les discriminations. »

CQFD. Comment oublier, par ailleurs, le coming out si opportun d'Olivier Dussopt, en plein 49.3 anti-démocratique sur la réforme des retraites… dans les colonnes si hospitalières de ce même Têtu Magazine, ce même Têtu Magazine qui a publié le 11 janvier un article dans lequel il affirmait, par la bouche de Annise Parker, ancienne maire de Houston, que « les démocraties sont plus fortes lorsque les personnes LGBTQ+ peuvent participer à tous les niveaux de gouvernement[4] »… ?

Les personnes LGBTI, garantes inconditionnelles d'égalité et de démocratie, voilà le récit fallacieux qui est écrit en collusion avec ces homosexuel·les qui « participent à tous les niveaux de gouvernement », un récit auquel contribuent toutes les célébrations de la nomination de Gabriel Attal qui envisagent son homosexualité « en soi », un récit qui a pour seule fonction de légitimer l'action d'un gouvernement chaque jour délégitimé car il piétine les dominé·es et foule aux pieds les principes les plus élémentaires d'une démocratie.

Pour ces raisons, se réjouir de la nomination de Gabriel Attal comme premier ministre, c'est échouer de (ou feindre de ne pas) voir le cynisme du calcul politique qui monnaie l'homosexualité, pour participer, consciemment ou pas, à faire de cette homosexualité un blanc-seing, à plus forte raison encore lorsque l'on est une publication LGBTI de référence. Pour le dire plus clairement encore : se réjouir de la nomination de Gabriel Attal, c'est se rendre complice de toutes les horreurs racistes, sexistes, classistes et homophobes que son homosexualité a déjà rendu possibles, et rendra encore possibles.

Peut-être était-ce naïf d'attendre d'un magazine qui s'évertue à pinkwasher Attal et Dussopt car ils s'appellent Gabriel et Olivier, tandis qu'il refusait farouchement de le faire pour Médine car il s'appelle Médine[5], qu'il questionne ce à quoi Gabriel Attal donne de la visibilité plutôt que de se réjouir si hâtivement de cette visibilité. Penser que ce Premier ministre visibilise l'homosexualité, ce n'est pas juste considérer qu'il existe une seule homosexualité, homogène et universelle, en l'occurrence blanche, bourgeoise et discrète – autrement dit, qu'il y a une seule bonne manière d'être homosexuel·le, là où le magazine exigeait justement de nos esprits qu'ils n'oublient pas qu'il existe des gays de droite.

C'est aussi refuser de voir que Gabriel Attal incarne une homosexualité très spécifique, non pas tant par ce qu'il est, mais surtout par ce qu'il fait. Car il n'est pas reproché à Gabriel Attal d'être gay, d'être de classe supérieure, d'être perçu comme blanc, ni d'ailleurs d'être quoi que ce soit, mais d'agir en faveur de la blanchité, de la bourgeoisie et de l'hétérosexualité, et par là de rendre disponible son homosexualité à ces systèmes de domination pour qu'ils s'en servent comme d'un pilier.

Que Le Point et Nora Bussigny, entre deux papiers sur les dérives de l'idéologie transgenre, le wokisme des miliant·es féministes et LGBTI, ou l'islamogauchisme des mobilisations antiracistes (ou les trois à la fois), volent au secours non seulement de Gabriel Attal mais aussi de Têtu en taxant le tweet à l'origine du présent texte d'homophobie, dit tout des coalitions réactionnaires qui se forment, volontairement ou pas, à partir de la défense d'une forme très spécifique, et excluante, de l'homosexualité[6].

Et c'est sans doute cela, le plus tragique : qu'une partie des personnes LGBTI se soit laissée si domestiquer et si approprier par les hétéros que la nomination d'un Premier ministre gay est bien davantage une victoire pour l'hétérosexualité et les dominations auxquelles elle prend part qu'elle n'en est une pour les TPG. Et les victoires, par les temps qui courent, sont rares pour le camp minoritaire, et le réflexe de célébrer la moindre des lueurs d'espérance se comprend, à condition qu'il ne fasse pas, justement, changer de camp.

Malgré les violences multiples et insoupçonnées auxquelles être pédé expose, les raisons existent non seulement d'être fier, mais également – soyons honnêtes, même si l'auteur de ces lignes a lui-même pris du temps avant d'en être convaincu – soulagé, de ne pas être hétérosexuel. Que Gabriel Attal soit nommé premier ministre, malheureusement, n'en est pas une.

*

Illustration : Photothèque rouge / Martin Noda / Hans Lucas.

Notes

[1] « Gabriel Attal, premier Premier ministre gay : le signe d'une France qui progresse », Quentin Girard, 9 janvier 2024, Libération : https://www.liberation.fr/politique/gabriel-attal-premier-premier-ministre-gay-le-signe-dune-france-qui-progresse-20240109_APVTB6PIJBHYHO75QJQR6FG27M/

[2] « Un Premier ministre gay, ça change quoi ? Rien, et tout à la fois », Thomas Vampouille, 9 janvier 2024, Têtu Magazine,https://tetu.com/2024/01/09/remaniement-gouvernement-gabriel-attal-premier-ministre-gay-cause-lgbt/

[3] « Entre homophobie et façade gay-friendly, le double jeu du RN », Youmni Kezzouf et David Perrotin, Mediaart, 14 janvier 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/politique/140124/entre-homophobie-et-facade-gay-friendly-le-double-jeu-du-rn

[4] « Les médias LGBT étrangers commentent la nomination du ‘millenial gay' Gabriel Attal », par Têtu, 10 janvier 2024, Têtu Magazine : https://tetu.com/2024/01/10/gabriel-attal-premier-ministre-millennial-gay-reactions-medias-lgbt-monde/

[5] « Médine, engagé courageux contre l'homophobie ? En voilà un joli pinkwashing ! », Nicolas Scheffer, 23 août 2023, Têtu Magazine : https://tetu.com/2023/08/23/medine-rappeur-polemique-antisemitisme-tarlouzes-mariage-homophobie-pinkwashing-eelv-lfi/

[6] « Quand la nomination d'Attal déchaîne l'homophobie de militants… LGBT », Nora Bussigny, 16 janvier 2024, Le Point : https://www.lepoint.fr/societe/quand-la-nomination-d-attal-dechaine-l-homophobie-de-militants-lgbt-16-01-2024-2549823_23.php

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Dans la rue - Une histoire du FRAPRU | Livre à paraître le 30 janvier

23 janvier 2024, par Les Éditions Écosociété — ,
Le FRAPRU célèbre ses 45 ans d'existence ! Cette plongée dans son histoire nous fait redécouvrir un des organismes les plus effervescents que le Québec ait connu, tout en nous (…)

Le FRAPRU célèbre ses 45 ans d'existence ! Cette plongée dans son histoire nous fait redécouvrir un des organismes les plus effervescents que le Québec ait connu, tout en nous permettant de mesurer l'impact des décisions politiques passées sur la crise actuelle du logement.

Le livre Dans la rue - Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec, de l'ex-porte-parole du FRAPRU François Saillant, va paraître en librairie le 30 janvier 2024.

En bref : François Saillant, qui a été porte-parole du FRAPRU pendant près de 38 ans, raconte ici l'histoire de ce regroupement qui est parvenu, malgré des moyens modestes, à influencer certaines politiques publiques au bénéfice de tous et de toutes, à commencer par les plus vulnérables.

À propos du livre

La crise du logement frappe durement la population du Québec. Dès qu'il est question de cet enjeu, le nom du FRAPRU vient immédiatement en tête. Et pour cause. Depuis 45 ans, le Front d'action populaire en réaménagement urbain est un acteur incontournable des luttes citoyennes. Nous lui devons notamment, en grande partie, la construction de plus de 43 000 logements sociaux suite à la fondation d'AccèsLogis ou encore le blocage des hausses de loyer dans les HLM. C'est également un des organismes communautaires les plus effervescents que le Québec ait connu : entre la construction d'un bidonville devant l'Assemblée nationale, un campement d'hiver sur la rivière des Outaouais, les jeûnes à relais, manifestations, chorales, occupations et spectacles, ses actions n'ont jamais laissé indifférents.

Le FRAPRU est issu des premiers comités citoyens nés dans les années 1960 – 1970 en réaction aux projets de rénovation urbaine qui éventraient les centres-villes et en chassaient les classes populaires au nom du progrès. Aujourd'hui, il est actif sur le front du logement et de la défense des droits sociaux (lutte contre la pauvreté, financement des services publics). François Saillant, qui en a été le porte-parole pendant près de 38 ans, raconte ici l'histoire de ce regroupement qui est parvenu, malgré des moyens modestes, à influencer certaines politiques publiques afin d'éviter des reculs majeurs en matière de droit au logement et de justice sociale.

Cette plongée historique permet aussi de mesurer l'impact des décisions politiques passées sur la crise actuelle du logement. Pensons notamment au désengagement fédéral de 1994 (manque à gagner d'environ 80 000 logements sociaux aujourd'hui), au fait qu'aucun nouveau HLM n'a été bâti en 30 ans ou encore à la promesse brisée du gouvernement Legault de construire les logements sociaux promis par les gouvernements précédents.

Récit d'une aventure collective, Dans la rue est l'histoire de « tant et tant de personnes qui, au fil des ans, se sont impliquées dans leurs groupes locaux […] pour poursuivre sans relâche la lutte pour le droit au logement et la justice sociale ». À la fois témoignage de l'intérieur et exercice de mémoire militante, ce livre leur est dédié.

À propos de l'auteur

François Saillant a été coordonnateur et porte-parole du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) de 1979 à 2016. Animateur du Regroupement de solidarité avec les Autochtones puis membre fondateur de Québec solidaire, il en a été candidat à trois reprises (2007, 2008 et 2012). Il est l'auteur de Le radical de velours (M éditeur, 2012) et de Lutter pour un toit (Écosociété, 2018).

« Telk Qadeya », l’hymne d’une rupture avec le monde occidental

La chanson « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause ») du groupe égyptien Cairokee connaît un succès exceptionnel depuis sa sortie fin novembre 2023. En dénonçant l'indignation (…)

La chanson « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause ») du groupe égyptien Cairokee connaît un succès exceptionnel depuis sa sortie fin novembre 2023. En dénonçant l'indignation sélective du discours occidental qui se prétend à la pointe des combats progressistes mais n'a aucune considération pour le génocide en cours à Gaza, le titre traduit un ressentiment largement partagé dans le monde arabe.

Tiré d'Orient XXI.

C'est l'histoire d'une valse à trois temps qui est en train de devenir l'hymne d'une jeunesse arabe. « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause ») est le dernier single de Cairokee, groupe de rock égyptien « avec une touche de fantaisie » (« with a twist »), selon leur propre expression. La chanson est sortie le 30 novembre 2023, presque deux mois après le début de la guerre génocidaire sur Gaza. L'annonce en a été faite sur les comptes officiels du groupe sans fioriture ni discours grandiloquent. Mais la chanson a fait plus d'un million de vues sur la seule chaîne YouTube du groupe, et a été reprise fin décembre par la chaîne libanaise Al-Mayadeen, illustrée par des vidéos de bombardements à Gaza. Si les mots « Gaza » ou « Palestine » ne figurent nulle part dans le texte, tout le monde sait bien de quoi il est question, et quel ordre mondial — mis à nu par la situation dans les territoires occupés — cette chanson vient pointer du doigt.

Largement partagé depuis sa sortie, le titre se retrouve sur les comptes des réseaux sociaux des Palestiniens de Gaza, adopté par ceux-là même dont il souhaitait porter la voix. Le groupe a d'ailleurs été invité à l'interpréter sur scène durant la cérémonie de clôture du festival égyptien du film d'El-Gouna, le 21 décembre 2023, où, contrairement au Red Sea Film Festival de Djeddah programmé quelques jours plus tôt, l'actualité palestinienne était fortement présente.

De la révolution égyptienne à la Palestine

À travers son nouveau titre « Telk Qadeya », Cairokee renoue ainsi avec sa tradition de chanson politique. Formé en 2003 au Caire, le groupe a commencé à connaître un large succès en 2011, en signant la chanson qui deviendra la bande originale de la révolution du 25 janvier 2011, « Sout Al Horeya » (« La voix de la liberté »), en collaboration avec l'acteur et chanteur Hany Adel, à l'époque membre du groupe Wust El Balad. Le clip a été filmé sur la place Tahrir au lendemain du départ de Hosni Moubarak.

Depuis, Cairokee a connu de nombreux succès sans cependant échapper à la censure, notamment pour son album No'ta Beeda (« Point blanc ») en 2017 qui n'a pas été commercialisé en Égypte. Car contrairement à d'autres, le groupe a refusé toute compromission avec le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi. Et c'est dans la fidélité à ses premiers engagements que sort aujourd'hui la chanson « Telk Qadeya », dont les paroles sont signées Mostafa Ibrahim, le « poète mélancolique de la révolution égyptienne ».

Exclus de l'espèce humaine

Au fil des vers, la chanson dresse un état des lieux cru de la situation politique pour souligner l'étendue du fossé qui s'est creusé depuis le 7 octobre :

Être un ange de blanc vêtu
Avec une moitié de conscience
Faire cas du mouvement des libertés
Faire fi des mouvements de libération
Aux morts prodiguer son affection
Selon leur nationalité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Les paroles ne se contentent pas de relever l'indignation sélective et les doubles standards d'un monde occidental qui a exclu les Palestiniens de l'espèce humaine, « comme si la terre qui les revêt/Ne venait pas de la planète terre ». Elles pointent également la logique inhérente à cette partie du monde qui se gargarise de combats sociétaux devenus les marqueurs d'une évolution morale dont l'Occident aurait l'exclusivité, tout en restant insensible au sort d'êtres humains en dehors de sa sphère culturelle. « Ça c'est une chose/Et ça c'en est une autre », martèle la chanson face à celui qui va « secourir des tortues marines/Et tuer des animaux humains » (1), ou à cet autre qui appelle « son concierge "gardien" Aux côtés d'une armée qui abat des écoles » (2).

Rupture consommée

La bande originale de ce constat est servie par la voix grave et posée du leader du groupe Amir Eid qui, pendant la première partie du morceau, interpelle l'Autre. Mais à mesure que la musique va crescendo, qu'un rythme oriental vient se mêler à celui de la valse et que les violons entrent en scène, la voix du chanteur monte dans les aigus. Son interlocuteur change d'identité : il ne s'adresse plus à celui qui « renvoie dos à dos/La victime et le bourreau/En tout honneur, intégrité/Et en toute neutralité » — référence sarcastique au discours médiatique qui se drape d'objectivité pour justifier l'invisibilisation des massacres en cours —, il parle avec celui qui « surgit des décombres » et lui dit :

Tu rassembles tes restes et tu te bats
Et tu montres à ce monde hypocrite
Comment fonctionne la loi de la jungle
Par où passe le chemin de la liberté
Et par où on attaque un char

En faisant explicitement référence à la lutte armée, la chanson interroge les normes légales que l'Occident a lui-même mises en place, et qu'il est le premier à contester. Elle entérine le refus de dépendre des détenteurs d'un discours creux n'ayant que de piètres condamnations à présenter « pour arrêter le carnage ».

Il n'est nullement question ici d'appeler à la démission. Juste ne plus rien attendre du camp d'en face : « Qu'importe que le monde se taise/Tu mourras libre et sans te rendre ». Deux paradigmes s'opposent, « Car ça c'est une chose/Et là c'est un combat », conclut la voix du chanteur, avant de s'évanouir dans un solo à la guitare électrique empreint de notes de blues.

Dès la sortie de « Telk Qadeya », la traduction anglaise du poème a été diffusée par Cairokee avec la chanson. L'image illustrant le single montre un buste de la statue de la Liberté à deux têtes, dénotant le double discours, au milieu d'un tableau rouge sang. Un message on ne peut plus limpide pour qui veut bien l'entendre.

Traduction du texte de la chanson par Nada Yafi.

Secourir des tortues de mer
Tuer des animaux humains
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Être un ange de blanc vêtu
Avec une moitié de conscience
Faire cas du mouvement des libertés
Faire fi des mouvements de libération
Aux morts prodiguer son affection
Selon leur nationalité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment être civilisé
Satisfaire à tous les critères
Avoir un langage mesuré
Se plaire à embrasser les arbres
Appeler son concierge « gardien »
Aux côtés d'une armée qui abat des écoles
Se voir éclaboussé de sang
Et dire que tout le monde est victime
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment puis-je croire en ce monde
Qui vous parle d'humanité
Quand une mère pleure son enfant
Mort de faim
Ou sous les bombes
Un monde qui renvoie dos à dos
La victime et le bourreau
En tout honneur, intégrité
Et en toute neutralité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment pourrais-je dormir en paix
Comment me boucher les oreilles
Lorsqu'une famille entière
Est enterrée dans sa maison
Et qu'on empêche les secours
Comme si la terre qui les revêt
Ne venait pas de la planète terre
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Habiter une vaste prison
Aux cellules de feu et de cendres
Et pouvoir surgir des décombres
En s'arrachant à ses blessures
Pour rendre gorge à l'assaillant
Pour dire à ce monde hypocrite
C'est là votre loi de la jungle
Trouver la voie de la liberté
Savoir pulvériser un char
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Qu'importe que le monde se taise
Tu mourras libre et sans te rendre
Pour que des générations à venir
Apprennent à défendre une cause

À quoi bon adjurer le monde
Pour qu'il dénonce et qu'il condamne
Il peut condamner à sa guise
Mais pour arrêter le carnage
Réduire la poudre et le fracas
Ramener la lumière du matin
Condamner ne suffira pas

Car ça c'est une chose
Et là c'est un combat

Notes

1- L'expression est une référence au ministre de la défense israélien Yoav Galant qui a qualifié les Palestiniens d' « animaux humains ».

2- Le terme « gardien » étant plus politiquement correct que celui de « concierge ».

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Un siècle après, pourquoi relire Lénine

23 janvier 2024, par Juan Dal Maso, Marina Garrisi — , ,
Après des décennies d'anti-léninisme écrasant, le climat idéologique français est-il en train de changer au point d'autoriser, enfin, un "retour à Lénine" ? Et cela peut-il (…)

Après des décennies d'anti-léninisme écrasant, le climat idéologique français est-il en train de changer au point d'autoriser, enfin, un "retour à Lénine" ? Et cela peut-il être utile aux militant-es, cent ans après sa mort ? Juan Dal Maso s'entretient avec Marina Garrisi, autrice d'un Découvrir Lénine qui vient de sortir en librairie.

Tiré de Révolution permanente.

Marina Garrisi, Découvrir Lénine, Paris, Les éditions sociales, 2024.

Juan Dal Maso : La France est un pays où il y a eu de grands lecteurs de Lénine (je pense à Henri Lefebvre, Louis Althusser ou encore Daniel Bensaïd). Quel est aujourd'hui l'état des débats sur Lénine dans la gauche française ?

Marina Garrisi : La situation sur laquelle s'ouvre le centenaire de Lénine est contradictoire. La tendance lourde reste celle d'un effacement tenace de la référence à Lénine, tant dans les milieux intellectuels que militants. On hérite de de la séquence précédente, celle de la chute du Bloc soviétique, de la victoire idéologique du néolibéralisme et de l'anti-marxisme qui, des Nouveaux philosophes au Livre noir du communisme, ont rendu presque impossible de se dire marxiste et encore moins léniniste. Cette situation idéologique n'est pas spécifiquement française, mais il est possible que la configuration spécifique du marxisme en France au XXe siècle, porté essentiellement par des organisations politiques (le PCF, et à une autre échelle les organisations trotskystes françaises) et peu implanté à l'université, l'ait renforcée une fois ces appareils déclinants. Bien sûr, Lénine a pâti de cette situation, au même titre que d'autres figures du mouvement ouvrier.

Mais il y a plus. L'effacement de Lénine est redoublé parce qu'à la différence d'autres révolutionnaires, il n'est pas mort en martyr de la révolution (Rosa Luxemburg, Léon Trotsky) ou en théoricien révolutionnaire (Karl Marx, Friedrich Engels) mais en révolutionnaire victorieux. Lénine incarne la révolution d'Octobre, le marxisme qui ne se contente pas d'interpréter le monde mais qui cherche, résolument et impitoyablement, à le transformer, et c'est à ce titre qu'il fait l'objet d'un acharnement spécifique. Au point que des « historiens » (en fait : des idéologues) en font l'« inventeur du totalitarisme », comme le martèle Stéphane Courtois, éditeur en 1997 du Livre noir du communisme, qui fait depuis figure de « spécialiste de Lénine », ce qui ne l'empêche pas d'être l'antiléniniste le plus décomplexé et le moins intéressant. Bref, tout cela n'a pas manqué de mettre les forces de gauche sur la défensive, au point que le PCF lui-même s'est fait de plus en plus silencieux sur Lénine à partir des années 1980. Et on ne peut pas dire non plus que Lénine ait été une référence pour les « nouvelles théories critiques » qui se sont développées au cours des années 1990. Même le « retour à Marx », perceptible et encouragé par la crise de 2008, n'a pas autorisé de véritable « retour à Lénine ». A part des réseaux militants extrêmement ténus (essentiellement issus du trotskysme français), Lénine n'est pas convoqué dans les débats politiques et ses textes ne font pas l'objet de nouvelles recherches.

Dans cette situation franchement désespérante je vois aussi des signes nettement plus encourageants. Je veux parler des propositions pour un « néo-léninisme » qui ont émergé dans le débat politique ces dernières années, porté par deux figures de la gauche radicale, Andreas Malm et Frédéric Lordon. En dépit de la singularité de leurs approches respectives, le néo-léninisme de Lordon et de Malm converge sur un certain nombre de points. De ce que j'en retiens, néo-léninisme est le nom qu'ils donnent à une proposition politique qui tient ensemble 1) l'urgence d'une rupture radicale avec le capitalisme écocidaire, 2) une proposition à vocation majoritaire (une « visée » ou « position directionnelle » » dit Lordon), 3) une stratégie qui ne fait pas l'impasse sur la prise du pouvoir. Leurs interventions me semblent particulièrement précieuses, non seulement parce qu'elles contribuent à refaire de Lénine une référence désirable pour une partie de la gauche radicale – et on partait de loin ! –, mais surtout parce qu'elles sont utiles aux décantations politiques et aux recompositions dans la gauche radicale française. Cela est particulièrement vrai dans le cas de Lordon, qui, contrairement à Malm, intervient directement dans la situation française. Comme il l'a dit lui-même, néo-léninisme est une manière de s'inscrire en faux contre « les politiques de l'intransitivité », incarnées en France par les courants autonome. Je suis entièrement d'accord avec lui lorsqu'il affirme que nous sortons d'une époque de résignation, où, pour reprendre un adage célèbre, la fin du monde était plus facile à imaginer que la fin du capitalisme. La situation politique dans laquelle nous sommes est extrêmement difficile et les défis sont devant nous mais néo-léninisme est le nom de cette nouvelle disposition.

Juan Dal Maso : Quels sont pour toi, dans le contexte contradictoire que tu viens de rappeler, les enjeux de ce centenaire en France ?

Marina Garrisi : D'abord, j'espère que le centenaire sera l'occasion de redécouvrir Lénine lui-même, sa vie et surtout son œuvre, les batailles politiques qu'il a menées, les arguments qu'il a développés, etc. Mais, plus important encore, qu'il redevienne un « objet chaud », à l'opposé du corps froid et embaumé qu'en ont fait les staliniens. Il s'agit moins d'exhumer ce qui serait « la quintessence » ou « les principes » du léninisme que d'en faire à nouveau un objet de débats, de controverses, de polémiques, en y retournant à partir des questions qui sont les nôtres aujourd'hui.

De ce point de vue, en un sens, le centenaire de Lénine arrive à point nommé. Ces dernières années, la France a été à la pointe des tendances à la crise et au durcissement de la lutte des classes en Europe. Cela ne s'est pas traduit en victoires décisives, mais favorise les clarifications. Par exemple, que la stratégie des directions des organisations du mouvement ouvrier et social sont incapables de mettre en œuvre les moyens d'une telle victoire. Un débat stratégique doit donc s'ouvrir. Cette situation est propice à réinvestir Lénine, pas uniquement pour adopter une disposition volontariste et rompre avec l'état de résignation, comme on vient de le voir, mais parce que le marxisme peut servir de « guide pour l'action » et que Lénine peut être utile dans cette voie.

Juan Dal Maso : L'œuvre de Lénine est immense, quels sont les points de sa pensée que vous avez choisi de mettre en avant et pourquoi ? Comment se présente plus généralement la collection « Découvrir » des éditions sociales ?

Marina Garrisi : En effet, le corpus léninien est imposant et peut en dissuader plus d'un. Les 45 tomes de l'édition française de ses Œuvres compte plusieurs dizaines de milliers de pages. Il existe des portes d'entrées plus faciles sur son œuvre (certaines de ses brochures les plus importantes sont disponibles en librairie et on peut encore trouver quelques anthologies thématiques) mais bien souvent ces ouvrages ne sont pas accompagnés des outils nécessaires faciliter leur lecture. Et ils ne permettent pas non plus d'avoir une vue large sur sa trajectoire théorique et politique, c'est-à-dire aussi sur ses flottements, ses évolutions, etc. Je ne suis pas étonnée quand des camarades font état de leur difficulté à lire Lénine – même quand la volonté est là, ça n'est pas toujours évident. Et c'est pourquoi un Découvrir Lénine semblait bienvenu. Son objectif est modeste : ce n'est pas un essai sur Lénine mais un ouvrage de pédagogie, qui déplie un certains nombre de concepts, d'arguments et de propositions politiques à partir d'un choix de textes de Lénine commentés.

Il n'a pas été facile de sélectionner onze extraits dans une œuvre aussi grande que celle de Lénine. Il fallait d'emblée assumer qu'une vision d'ensemble serait impossible (à cause de la quantité de ses écrits mais aussi des thématiques qui sont les siennes, des situations auxquelles il est confronté, des registres qui sont les siens, etc.). Rapidement, il m'est apparu que ce qui donnait une cohérence à ce que je voulais présenter de Lénine c'était la question du pouvoir. Durant toute sa vie, Lénine est tendu vers cette question du pouvoir. Pas parce qu'il verse dans l'obsession autoritaire ou dans la mégalomanie mais parce qu'il est convaincu que la question du pouvoir est « le problème fondamental de toute révolution ». Je me suis donc concentrée sur des textes qui offraient différentes portes d'entrée sur son scénario stratégique : la lutte politique, le rôle du parti révolutionnaire et son rapport aux masses, l'hégémonie du prolétariat dans la révolution, la question des alliances, la participation électorale, les luttes nationales, la guerre impérialiste, les racines de l'opportunisme du mouvement ouvrier, l'Etat et la dictature du prolétariat, les soviets, la bureaucratie, entre autres, sont étudiées dans le livre. Les textes de Lénine d'avant 1917 occupent une large place dans mon Découvrir parce que les problématiques qui sont les siennes dans ces années résonnent davantage avec les nôtres – non pas parce que le contexte historique serait le même, mais parce qu'on y lit le Lénine des taches préparatoires à la révolution.

Finalement, ce que je voulais montrer, c'est autant la richesse et la souplesse de ses réflexions tactiques que la cohérence de sa stratégie. Ces dernières décennies, on a eu tendance à présenter Lénine comme le penseur de la conjoncture, du moment opportun et du bon mot d'ordre. C'est vrai, et c'est là une des forces de Lénine, qui explique par exemple le rôle absolument décisif qu'il a pu jouer dans la révolution de 1917. Insister sur Lénine-homme-d'opportunités est aussi une façon de lutter contre l'image d'un homme intransigeant et raide qu'en a fait la caricature stalinienne après sa mort. Mais remplacer le mythe du Lénine-intransigeant par celui du Lénine-opportuniste (au sens premier du terme : sachant saisir les opportunités) n'est pas une bonne manière de renverser le problème. La force de Lénine c'est précisément sa capacité à relier une multitude de tactiques à une visée stratégique cohérente : une révolution socialiste où le prolétariat joue un rôle dirigeant en alliance avec les masses opprimées.

Juan Dal Maso : Dans le marxisme anglophone, on assiste à une relecture de Lénine qui le réduit presque à Kautsky. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que c'est une tendance qui existe en France aussi ?

Marina Garrisi : Le travail de Lars Lih demeure presqu'inconnu en France, à l'exception de quelques historiens. Cette situation pourrait changer puisque les éditions sociales viennent justement de publier un livre de Lars Lih, Lénine, une enquête historique. Le message des bolcheviks, à l'occasion du centenaire. Dans le monde anglophone, Lars Lih tient une place particulière dans les débats sur Lénine. Sebastian Budgen, éditeur de Lih en anglais et préfacier du livre publié par les éditions sociales, dit de lui que c'est un « objet intellectuel non identifié » : ni historien anticommuniste, ni partisan de l'histoire sociale et culturelle, ni issu d'une tradition militante. Cela lui donne une certaine liberté pour intervenir dans des débats souvent extrêmement polarisés et figés.

Dans l'ensemble, ses travaux plaident pour une « non-exceptionnalité » du bolchevisme et de Lénine au sein du marxisme. La trajectoire de ce dernier est inscrite dans la continuité de ce que Lih appelle la « social-démocratie révolutionnaire » (terme qui lui permet de mettre dans le même sac Luxemburg, Lénine, mais aussi le Kautsky d'avant-1914). Dans Lénine, une enquête historique, Lars Lih propose de renverser quatre « paradigmes » sur la trajectoire de Lénine (sur la question du parti ; sur la rupture avec la Deuxième Internationale, sur les « Thèses d'avril » et la politique de Lénine en 1917 ; sur le « communisme de guerre »).

Il serait intéressant de discuter spécifiquement chacun des « paradigmes » visé par Lih. Dans l'ensemble, mon impression est que Lars Lih exhume des pièces de l'histoire qui nous permettent de saisir plus correctement Lénine. En particulier sur Que faire ?, et sans partager les conclusions auxquelles il arrive, Lars Lih met le doigt sur des éléments neufs (notamment lorsqu'il montre que Lénine était loin d'être hostile ou méfiant des masses mais qu'il avait au contraire confiance dans leur capacité révolutionnaire) qui sont parfois utiles à la compréhension du projet léninien. Mais Lih a tendance à « tordre le bâton » (pour reprendre une formule chère à Lénine) et sa thèse selon laquelle Lénine est le parfait continuateur de Kautsky après la trahison de ce dernier en 1914 ne me convainc pas. Je me sens beaucoup plus proche de la thèse selon laquelle la rupture qui s'opère alors avec la Deuxième Internationale n'est pas seulement organisationnelle et politique mais aussi théorique, au sens fort du terme. C'est la thèse que défend, entre autres, Stathis Kouvélakis dans un article passionnant sur les enjeux de la redécouverte de Hegel par Lénine en 1914 et que je recommande chaudement.

Quoi qu'il en soit, il me semble qu'en dépit des conclusions auxquelles il parvient, et qu'on peut ne pas partager (c'est mon cas), le travail de Lars Lih joue un rôle progressiste en ce qu'il contribue à refaire de Lénine et de l'histoire de la Russie révolutionnaire des objets de débats. Pour ceux que ça intéresse, je renvoie à Marxisme, stratégie et art militaire, un ouvrage publié par les éditions Communard.es dans lequel Emilio Albamonte et Matias Maiello discutent de près certaines des thèses de Lars Lih. J'espère que la publication de Lars Lih en France va stimuler d'autres débats.

Juan Dal Maso : Quels sont les points de Lénine qui vous semblent les plus actuels ?

Marina Garrisi : Il y aurait beaucoup à dire et surtout à mettre en travail pour se réapproprier Lénine dans la configuration historique qui est la nôtre. Je voudrais insister sur trois problématiques qui ouvrent je crois des pistes intéressantes pour intervenir dans des débats contemporains.

1) Sur la stratégie

J'ai insisté sur le fait que Lénine était un théoricien et stratège du pouvoir et du pouvoir politique, c'est-à-dire aussi du pouvoir d'État. Mais il faut ajouter d'emblée que le problème de la conquête du pouvoir politique ne s'apparente pas à une conquête électorale ou à une conquête de l'Etat dans sa forme institutionnelle actuelle, c'est-à-dire bourgeoise. Sur ce point, je suis en désaccord avec la façon dont Malm a posé le problème. La lutte pour le pouvoir politique, chez Lénine, se pense de façon révolutionnaire, dans et par la lutte des classes, avec la conviction que ce sont les masses qui détiennent la force de renverser le système — ce qui le distingue aujourd'hui d'une grande majorité de la gauche, même celle qui se dit « radicale ». Bien sûr, en un sens, Lénine est aussi un penseur des institutions : le parti révolutionnaire, les syndicats, les soviets, pour ne nommer qu'eux, ce sont aussi des institutions. Mais ce sont des institutions de classe. Et Lénine lutte pour leur indépendance vis-à-vis de l'hégémonie bourgeoise, dans le cadre d'une stratégie pour le renversement révolutionnaire de l'Etat bourgeois.

Sur cette question, j'en profite pour faire une petite digression. A chaque élection, on voit fleurir les citations de Lénine tirées du même chapitre de sa brochure de 1920, La maladie infantile du communisme, pour justifier tel ou tel vote et taxer de gauchiste quiconque, à gauche, qui a une vue différente sur la question. C'est tout de même surprenant qu'aujourd'hui Lénine ne soit plus convoqué que pour justifier de voter pour un candidat bourgeois l'esprit tranquille ! Je crois vraiment qu'il faut en finir avec cet usage de la citation politique comme argument d'autorité. C'est une pratique feignante, stérile, et dans le cas de Lénine elle prend un tour carrément macabre puisqu'elle renvoie à la façon dont sa pensée a été réduite à un ensemble de dogmes par les staliniens.

Dans mon Découvrir, j'ai volontairement choisi un texte différent pour donner à voir l'attitude de Lénine face à la question électorale. Ce qu'il y a d'essentiel à comprendre, c'est que pour Lénine, participer aux élections pour construire une opposition communiste dans les institutions bourgeoises et même réactionnaires, c'est une politique qui peut s'avérer utile et même indispensable mais il s'agit toujours de tactiques parmi d'autres, jamais d'une stratégie. Cette distinction est importante. Les élections sont utiles pour amplifier la politique et la stratégie du parti, pas dans l'espoir de prendre le pouvoir ou de changer radicalement la vie des masses, dit Lénine, mais parce qu'elles servent de tribune pour l'agitation et la propagande socialiste, à condition de les utiliser pour développer la conscience de classe des masses et leur confiance dans leurs forces propres. Autrement dit il ne s'agit pas d'investir le terrain électoral pour reconduire la fable électorale mais d'utiliser les brèches laissées par les institutions bourgeoises pour renforcer une stratégie révolutionnaire.

Chez Lénine, la prise du pouvoir reste toujours une affaire de masses, et de masses en lutte de façon indépendante des institutions du pouvoir bourgeois. Donc oui, Lénine combat ceux qui, sur sa gauche, refusent de participer aux élections avec des arguments de principe et de pureté révolutionnaire, mais il lutte toujours aussi (et d'abord) contre ceux qui, à sa droite, trompent les masses en reconduisant la fable qui voudrait que ces institutions valent en elles-mêmes pour la prise du pouvoir.

2) Sur la classe ouvrière comme acteur politique

Parmi les nombreuses polémiques menées par Lénine en son temps, celle contre l'économisme me semble particulièrement utile pour éclairer certains débats contemporains. A son époque, les économistes refusent d'éveiller la classe ouvrière russe à la lutte politique contre le tsarisme, sous prétexte que cela la détournerait de ses « vrais » intérêts professionnels ou économiques. Lénine s'inscrit radicalement en faux contre cette conception de l'activité révolutionnaires. Il y voit un enjeu de taille : ne pas réduire l'activité du mouvement ouvrier à une activité « corporatiste », c'est-à-dire bourgeoise. Pour Lénine, la classe ouvrière ne peut être révolutionnaire qu'à condition de s'élever de ses intérêts corporatistes et de donner une direction à l'ensemble des mouvements démocratiques. C'est-à-dire à condition de devenir pleinement politique. On a là, en germes, la conception léniniste de l'hégémonie.

En quoi tout ça nous concerne-t-il ? Nous aussi, nous sommes confrontés à des acteurs ou à des courants à l'intérieur du mouvement ouvrier qui cherchent à restreindre l'activité de ce dernier à des questions purement économiques ou corporatistes, en établissant par exemple une frontière étanche entre le syndical et le politique. Cette logique existe jusque dans des secteurs de l'extrême-gauche, avec une façon de concevoir la centralité de la classe ouvrière qui est in fine ouvriériste. Or, seule une stratégie fondée sur une conception inverse peut permettre de construire une alternative aux politiques des bureaucraties syndicales, qui justifient à partir d'un tel logiciel leur politique conciliatrice, qui les a conduites au silence pendant le soulèvement des quartiers populaires, alors même qu'elle avait mis des millions de personnes dans les rues quelques semaines auparavant contre la réforme de retraites, et de passer un cap dans les mobilisations. La capacité de la classe ouvrière à émerger comme un véritable acteur politique dépend de sa capacité à se saisir de tous les combats qui traversent la société, qu'il s'agisse des luttes contre les oppressions ou des enjeux qui dépassent le terrain économico-syndical, comme l'autoritarisme croissant du régime. Comme tu l'as souligné à raison à l'occasion de plusieurs articles, dans une période de fragmentation de la classe ouvrière cet enjeu est relié à deux enjeux stratégiques centraux, l'unification du prolétariat et la conquête d'alliés qui permettent de construire un rapport de force à même de faire plier un pouvoir toujours plus radicalisé.

Dans un pays comme la France qui repose sur un pacte impérialiste, cela revêt une importance encore plus grande. Il est à la fois impossible de lutter pour l'unité des rangs des travailleurs et pour que ces derniers émergent comme un véritable acteur politique sans défendre un programme anti-impérialiste conséquent. Le pacte plus ou moins implicite entretenu avec l'impérialisme et le corporatisme du mouvement ouvrier sont des piliers de l'hégémonie bourgeoise républicaine française avec lesquels il faut rompre.

3) Sur le parti

Dans les débats contemporains, du côté de la gauche, le « parti d'avant-garde léniniste » est fréquemment présenté comme bon à remiser à la cave. Les principaux partis ou mouvements de ladite « gauche radicale » se présentent implicitement ou explicitement en rupture avec ce qu'ils qualifient de façon dédaigneuse les « avant-garde autoproclamées ». C'est le cas de Mélenchon mais aussi d'une partie de l'extrême gauche (par exemple le NPA B). L'opération est un peu grosse puisqu'il s'agit de se délimiter d'une conception qui n'était pas celle de Lénine (le parti comme « avant-garde autoproclamée »), dans un contexte de désorientation et de confusion idéologique générale, elle réussit en partie à s'imposer.

Je m'inscris en faux contre ces conceptions. Il me semble au contraire qu'une certaine conception léniniste du parti révolutionnaire est utile et même essentielle aujourd'hui. A condition de se mettre d'accord sur ce que ça veut dire, ce qui n'est pas chose aisée tant le sujet a été emmêlé par des dizaines d'années de querelle d'interprétations, de mythes et de falsifications. Pour ma part, j'identifie trois idées-forces importantes. 1) Un parti qui cherche à intervenir dans les luttes de classe et de masses, avec la conviction que des grands affrontements de classe et des explosions révolutionnaires ne manqueront pas d'arriver mais qu'ils ne suffiront pas à résoudre la question du pouvoir. Cette conception n'oppose pas le parti aux masses, mais au contraire voit la victoire comme résultant d'une articulation judicieuse entre l'action des deux ; 2) un parti politique centralisé, parce que l'ennemi qu'on affronte est lui-même ultra-centralisé. Le parti s'articule autour d'une vision commune de la situation et des tâches et donne une direction politique unifiée à des expériences locales qui sinon reste disparates et dispersées, il doit être suffisamment organisé pour être capable d'opérer des tournants brusques si la situation le commande ; 3) un parti de militants formés, aguerris, capables d'intervenir dans des situations diverses, de peser sur l'orientation du parti. Trois idées-forces que récapitule bien, il me semble, l'idée de parti comme « opérateur stratégique », selon une formule de Daniel Bensaïd.

On est à l'opposé des conceptions qui sous-tendent le mouvement gazeux. En fait, la forme organisationnelle est bien souvent cohérente avec le contenu de la stratégie. Un mouvement gazeux, avec une structuration faible (assez pour enrégimenter des équipes locales et faire rayonner la politique du mouvement mais pas trop importante pour empêcher la formation de courants internes) c'est une forme relativement cohérente pour développer une machine électorale. C'est une des raisons pour lesquelles je suis toujours assez sceptique des critiques de LFI qui se concentrent sur une critique du mouvement gazeux sans mettre en cause sa stratégie électoraliste, centrée sur un projet de réforme des institutions. En un sens, Mélenchon est plutôt cohérent. Je ne partage pas son projet mais il sait ce qu'il fait.

De mon point de vue, ce dont nous avons besoin ce n'est pas d'un mouvement gazeux ni d'une machine électorale mais d'un parti implanté dans notre classe, capable d'intervenir et de peser dans les affrontements de lutte de classes qui ne manqueront pas de se reproduire et de s'approfondir. Depuis 2016, la France ne cesse de connaitre des épisodes de ce genre. On a besoin d'une organisation politique qui fasse de l'intervention dans ces processus son centre de gravité. Aujourd'hui, il est clair que ce parti n'existe pas. C'est la proposition politique que nous défendons à Révolution Permanente mais l'émergence d'un véritable parti révolutionnaire ne dépend pas que de nous. Ce dont je suis convaincue, c'est qu'avancer dans cette perspective ne se fera pas sans un bilan critique du rôle joué par l'extrême gauche dans les dernières grandes batailles sociales.

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Dossier : Lénine vivant. Actualité d’un stratège communiste

23 janvier 2024, par Contretemps — ,
À l'occasion des 100 ans de la mort de Lénine, le 21 janvier 1924, nous vous invitons à lire ou relire ce dossier sur l'un des principaux dirigeants révolutionnaires du 20e (…)

À l'occasion des 100 ans de la mort de Lénine, le 21 janvier 1924, nous vous invitons à lire ou relire ce dossier sur l'un des principaux dirigeants révolutionnaires du 20e siècle.

Tiré de la revue Contretemps
22 avril 2020

Contretemps et Lénine 22 avril 2020

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Lénine est né le 22 avril 1870 et il fut, avec Léon Trotsky, le principal dirigeant de la Révolution d'Octobre. Nous proposons également une série de textes de Lénine lui-même, seule manière de mettre à distance les innombrables poncifs qui entourent le révolutionnaire russe et de comprendre ce que fut sa méthode. À cela il est impératif d'associer la lecture d'articles ou d'ouvrages historiques, au premier rang desquels on peut placer le livre d'Alexander Rabinowitch, dont on trouvera une présentation et un extrait ici, qui restitue en détail ce que fut l'action de Lénine en 1917. Comme le note Terry Eagleton, aucune tradition politique ne fut sans doute aussi caricaturée que la tradition léniniste, et cela de tous côtés : évidemment en premier lieu les anticommunistes forcenés de la droite libérale ou conservatrice et de l'extrême droite fasciste, mais aussi les sociaux-démocrates et socialistes de même que les anarchistes ; rappelons toutefois que partout dans le monde on trouva, parmi les fondateurs des partis communistes, d'assez nombreux anarchistes et syndicalistes révolutionnaires.

Au passage, il faut rappeler que la « violence » ou le « fanatisme » sans cesse reprochés à Lénine, se situent plutôt dans la guerre impérialiste de 1914, à laquelle la gauche réformiste apporta son soutien. La social-démocratie allemande, face aux insurgés de 1918-1919, mobilisa les corps-francs – ce noyau des futures milices nazies – pour massacrer les révolutionnaires (dont Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht). Les socialistes français ne furent pas en reste pendant la guerre d'Algérie, lorsque Guy Mollet – alors principal dirigeant de la SFIO – fut nommé Président du Conseil et intensifia la guerre coloniale. Mais on ne saurait renvoyer les deux traditions dos à dos ; car Lénine et les bolcheviks, quand ils assumèrent l'exercice de la violence, le firent en vue de mettre fin au règne de la bourgeoisie et d'abattre l'impérialisme, là où les sociaux-démocrates au pouvoir, lorsqu'ils usèrent de la violence, le firent toujours au service du maintien de l'ordre bourgeois et impérialiste.

On ne peut se tromper en affirmant la chose suivante : Lénine ne sera jamais pardonné. Il restera dans l'esprit des libéraux, conservateurs, réactionnaires et anti-communistes de tout poil comme l'un des inventeurs – sinon l'inventeur – du « totalitarisme », le défenseur halluciné d'un dogme absurde ou encore l'apôtre criminel d'une violence sans limites ; c'est encore ainsi qu'il était présenté dans une récente émission sur France culture qui lui était consacrée. Il n'y a pas lieu de se laisser intimider par cette litanie d'injures aussi vieille que la Révolution russe : ceux et celles qui instruisent le procès en totalitarisme de Lénine n'ont en effet généralement aucun mal à taire voire à justifier les crimes de masse commis par les puissances occidentales dans le cadre de la colonisation ; à élever au rang de héros nationaux le tyran Napoléon, le massacreur de la Commune Thiers ou quelque général tortionnaire d'Algériens ou de Malgaches ; ou encore à oublier – donc à absoudre – les dirigeants politiques qui envoyèrent en 1914 des millions d'hommes se faire massacrer pour le partage impérialiste du monde.

Si Lénine ne sera jamais pardonné, ce n'est donc pas parce qu'il aurait méprisé la démocratie (libérale), refusé le libre échange des opinions, ou commis des violences politiques en tant que principal dirigeant de l'URSS après la Révolution d'Octobre. Nombre de dirigeants politiques bourgeois n'ont eu aucun scrupule à étouffer la démocratie lorsque leurs intérêts fondamentaux étaient en jeu, à se jeter dans les bras des mouvements fascistes, et à réprimer de la manière la plus brutale et criminelle les mouvements de contestation, afin de perpétuer le pouvoir bourgeois. Lénine ne sera jamais pardonné parce qu'il incarne une révolution victorieuse qui a non seulement débarrassé la Russie du tsarisme (ce à quoi auraient pu opiner les bourgeoisies française et britannique si elles n'avaient été alliées militairement à ce qui constituait alors l'une des puissances les plus réactionnaires au monde), mais qui a aussi soustrait la Russie – alors un important champ d'investissements pour le capital occidental (notamment français) – à la domination capitaliste ; en somme une révolution démocratique, mais aussi une révolution socialiste et anti-impérialiste.

À la violence inouïe déclenchée par les bourgeoisies, que ce soit pour soumettre des nations entières au joug colonial (puis les maintenir sous ce joug), pour mater des insurrections populaires sur leurs sols (qu'on pense en France à juin 1848 ou à la Commune de Paris), pour asseoir leur domination sur le monde (Première Guerre mondiale) ou pour abattre la Révolution russe (une dizaine de pays, dont la France et la Grande-Bretagne, envoyèrent des armées en Russie entre 1917 et 1920), Lénine et les bolcheviks ont effectivement opposé, non les habituels vœux pieux du pacifisme, mais la violence révolutionnaire ; ils ont considéré qu'il fallait à tout prix assurer la défense de la Révolution. Les premiers ne manquent jamais de réjouir ceux et celles qui apprécient les opprimé·e·s héroïques mais impuissant·e·s, et qui ne tolèrent les révolutionnaires que vaincu·e·s. La seconde vaut immanquablement à ceux et celles qui en formulent la nécessité – et encore davantage à ceux et celles qui l'ont pratiquée – l'opprobre des belles âmes qui, à défaut de politique révolutionnaire, font des leçons de morale à un siècle de distance et voudraient – selon le vieux mot de Robespierre – « une révolution sans révolution », c'est-à-dire sans affrontement.

Puisqu'on a beaucoup accusé les bolcheviks, et Lénine en particulier, de n'avoir été que les adeptes sectaires et sanguinaires d'idées utopiques, il faut ici dire quelques mots de cette question de la violence. De quoi parle-t-on quand on évoque la violence révolutionnaire sinon d'une auto-défense exercée par ceux d'en bas, en réaction à la violence séculaire inhérente aux rapports d'exploitation et d'oppression ou de la terreur invariablement déchaînée par les classes possédantes quand se soulèvent les damnés de la terre ? Pour autant, cette violence ne fait jamais l'objet chez Lénine d'une fascination pathologique ; elle est « régulée stratégiquement » au sens où elle se trouve conditionnée (donc limitée) par un objectif stratégique – briser les appareils de domination construits par les classes possédantes pour préserver leurs privilèges, mais aussi la résistance farouche et inévitable que ces dernières ne manquent d'opposer à toute menace révolutionnaire –, autant qu'elle est tendue vers un horizon politique : celui d'une société sans exploitation ni oppression, pleinement démocratique, et où se trouverait ainsi minimisée l'exercice de la violence (y compris interpersonnelle) ? Rappelons à ce titre les mots de Trotsky dans son exil mexicain, quelques mois avant son assassinat par un agent de Staline : « La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence, et en jouissent pleinement ».

Il vaut la peine, à ce titre, de rappeler le train de mesures révolutionnaires prises par le gouvernement communiste, mesures généralement oubliées parce que recouvertes par le sempiternel débat autour de la violence : contrôle ouvrier sur la production expropriée, journée de travail de huit heures, deux semaines de congés payés, interdiction du travail de nuit pour les femmes et les enfants de moins de seize ans, formation d'une inspection du travail, suppression des discriminations entre travailleurs russes et étrangers, nationalisation des banques, interdiction des châtiments corporels pour les écoliers, séparation de l'Église et de l'État, registres d'état civil qui donnent aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes, instauration du mariage civil, droit au divorce, liberté d'avortement, abrogation du Code pénal tsariste qui condamnait au bagne les homosexuels, dépénalisation de l'homosexualité, création de maisons d'enfants, de foyers pour les gamins des rues et les nécessiteux, système de santé public et gratuit, etc.

Lénine ne peut être traité autrement par nos ennemis de classe que comme un « chien crevé », précisément parce qu'il a défendu – avec la vigueur et la constance qui lui sont propres – une politique visant à faire du prolétariat et de tous les groupes opprimés une puissance à même d'abattre le règne de la bourgeoisie, un sujet politique indépendant capable de supprimer une fois pour toutes les rapports d'exploitation et d'oppression. Il est sans doute celui qui, tirant un bilan à la fois enthousiaste, admiratif et froid du destin de la Commune de Paris, a pris le plus au sérieux l'intensité de la lutte politique que suppose l'objectif de la destruction du pouvoir bourgeois : la lutte pour le socialisme est une lutte à mort, non parce que les opprimé·e·s seraient avides de violence expiatrice (au contraire, nombre d'épisodes historiques ont donné à voir leur clémence vis-à-vis des oppresseurs), mais parce que la classe dominante ne saurait se laisser déposséder sans combattre, et sans menacer des pires châtiments les peuples insurgés. Lénine est ainsi le nom qu'a pris, au 20e siècle, la volonté ardente et obstinée, impatiente mais organisée, de rompre avec le capitalisme, toute forme d'oppression, et de bâtir une tout autre société. Outrage suprême : pour Lénine, cette lutte devait se mener sur tous les terrains, y compris ceux d'ordinaire réservés aux professionnels de l'exercice du pouvoir, fussent-ils « de gauche », « pour les battre tous par une attaque décisive du prolétariat et conquérir le pouvoir politique ».

Affirmer tout cela n'implique nullement de faire de Lénine un être infaillible, l'adoration stérile ne valant pas mieux que la détestation morbide. Il est nécessaire de critiquer la (trop) tardive préoccupation qu'il manifesta pour la bureaucratisation de la Révolution d'Octobre, de même que son rapport instrumental vis-à-vis des libertés publiques (d'expression, de réunion, de manifestation, etc.), qui fut critiqué très tôt par Rosa Luxemburg. Si l'on oublie généralement de rappeler qu'elle célébra la Révolution d'Octobre et insista sur le rôle central des bolcheviks, elle mit très tôt en garde ces derniers : la suspension des libertés publiques destine le prolétariat à la passivité, loin du rôle historique que lui accordait Marx (« l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes ! »). Ce qui pouvait être compréhensible dans le contexte épouvantable de la guerre civile ne l'était plus une fois celle-ci terminée : sans une renaissance des soviets (conseils), qui n'ont existé véritablement qu'en 1917, sans démocratie interne au Parti communiste mais aussi sans pluralisme politique et sans liberté de discussion dans la société russe, la sclérose bureaucratique issue de la période du « communisme de guerre » ne pouvait que s'amplifier, jusqu'à engloutir la Révolution. La contre-révolution avait paru venir uniquement de la vieille classe dominante russe et des puissances impérialistes ; elle vint finalement de la dégénérescence bureaucratique du Parti communiste, et fut fatale à la Révolution.

L'impasse de l'adoration, évoquée plus haut, permet enfin de dire quelques mots, beaucoup trop rapides à l'évidence, concernant le rapport entre léninisme et stalinisme. On sait l'usage que Staline et la bureaucratie triomphante firent de la figure de Lénine après sa mort, le ramenant au rang de pur fétiche. Cette stratégie d'appropriation (et de stérilisation) fut manifeste à travers sa momification dans le cadre du « mausolée de Lénine », qui fut d'ailleurs vivement contestée par la veuve de Lénine, Nadjedja Kroupskaïa, au nom des convictions mêmes du révolutionnaire russe ; une telle initiative l'aurait assurément révulsé. En proclamant (absurdement) la continuité avec Lénine, cette entreprise de sanctification servit en fait à justifier l'abolition de toute forme de démocratie interne, puis la purge des opposants à la ligne de Staline et enfin l'assassinat de la quasi-totalité des militants bolcheviks qui avaient animé et dirigé le parti en 1917 et durant les effroyables années de la guerre civile (1918-1921). Ce qui fut ainsi enseveli, au nom d'un « léninisme » imaginaire, ce fut bien le léninisme comme pratique révolutionnaire vivante, ce « léninisme sous Lénine » dont Marcel Liebman a fait un livre classique (enfin réédité récemment).

Trois exemples suffiront pour donner à voir cette rupture totale :

– Là où Lénine n'avait cessé, en particulier en 1917, de critiquer les « vieux-bolcheviks » qui s'accrochaient aux vieilles formules périmées et refusaient de modifier leurs conceptions stratégiques au regard de la nouvelle réalité, la bureaucratie codifia le « léninisme » pour en faire un nouveau dogme, intangible et incontestable, au nom duquel furent exclu·e·s puis éliminé·e·s les opposant·e·s.

– Là où la fraction bolchevik puis le parti communiste s'étaient caractérisés, au moins jusqu'à la terrible guerre civile, par une remarquable vitalité démocratique, en particulier une grande liberté de discussion malgré la répression tsariste et les contraintes de la clandestinité, Staline et sa clique inventèrent le mythe du « monolithisme » du parti, afin d'asseoir leur pouvoir illimité.

– Enfin, là où Lénine ne cessa d'insister sur la dimension internationaliste du projet communiste et de la Révolution russe, Staline inventa la thèse du « socialisme dans un seul pays » et soumit à ce titre les luttes des peuples opprimés et des prolétariats des pays capitalistes aux intérêts de la bureaucratie russe, c'est-à-dire au maintien d'une dictature, non du prolétariat, mais sur le prolétariat.

Les textes qui suivent, sur Lénine et le léninisme, permettront d'aller beaucoup plus loin dans ce sens, en insistant fortement sur la dimension stratégique de la pensée de Lénine, qui saisit la politique comme lieu spécifique de condensation des contradictions et le parti comme levier d'intervention au sein de celles-ci. Un parti conçu comme « opérateur stratégique » ou comme « boîte de vitesse » (pour reprendre les formulations de Daniel Bensaïd), capable d'analyser collectivement les flux et reflux de la combativité populaire et d'intervenir ainsi de la manière la plus efficace dans des situations politiques changeantes et contradictoires. 1917 donne une idée de la grande souplesse tactique de Lénine, sa « ligne » évoluant au gré des rapports de force entre les classes et entre les forces politiques mais aussi en fonction des objectifs atteignables en tel ou tel moment : préconisant une offensive politique ou suggérant une retraite tactique, œuvrant à un front d'organisations (face à la menace d'un coup d'État militaire) ou se séparant complètement des autres forces de gauche ; recommandant de gagner pacifiquement de l'influence dans le cadre des soviets ou appelant à l'insurrection militaire.

C'est pour l'essentiel à partir de la pensée de Lénine, élaborée au fil de l'expérience pratique du mouvement révolutionnaire russe de la fin du 19e siècle à la guerre civile, que se construit le langage stratégique du mouvement communiste au 20e siècle : parti révolutionnaire, hégémonie, front unique, gouvernement des travailleurs, objectifs transitoires, etc. Contre une certaine lecture « populiste de gauche », il faut d'ailleurs rappeler à quel point Gramsci s'inscrit de ce point de vue dans la continuité de la Révolution russe mais plus spécifiquement de Lénine. Ainsi chercha-t-il dans ses Cahiers de prison, donc dans les conditions extrêmement difficiles de son emprisonnement par le régime fasciste, à prolonger, développer et élaborer les intuitions développées par ce dernier concernant non seulement le rôle du parti communiste (le « Prince moderne » dans le langage des Cahiers de prison), sur la nécessité et les formes de l'alliance entre classes (prolétariat industriel et paysannerie dans le contexte d'alors), mais aussi sur les spécificités de la révolution socialiste en Occident, c'est-à-dire dans les vieux pays capitalistes ayant notamment une plus longue tradition de démocratie parlementaire.

De même doit-on insister sur l'importance qu'accorda Lénine à la question de l'impérialisme (et de la guerre), qu'il théorisa comme phénomène économico-politique bouleversant les coordonnées de l'action des masses à l'échelle mondiale. On doit se souvenir au passage des dures (et légitimes) critiques qu'il adressa aux jeunes partis communistes des puissances impérialistes, et rappeler que, dans les conditions d'intégration à l'Internationale communiste, figurait celle-ci :

« Tout Parti appartenant à la IIIe Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de ”ses” impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d'entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux ».

Aujourd'hui, alors que les mots « catastrophe », « effondrement », voire « fin du monde », sont sur toutes les lèvres, comment oublier que Lénine fut aussi un stratège de « la catastrophe imminente » et des « moyens de la conjurer », qui sut saisir dans la tragique expérience de la guerre une occasion de réaliser un front décisif entre une classe ouvrière minoritaire et une paysannerie radicalisée par la violence des combats et de la famine ? Il importe enfin de rappeler, contre toute lecture économiciste, à quel point Lénine ne cessa de souligner la nécessité de mener la lutte politique sur tous les terrains, non simplement celui des lieux de travail (évidemment crucial pour toute politique communiste), mais partout où les antagonismes sociaux pouvaient s'exprimer et les contradictions se cristalliser, allumant ainsi l'étincelle de la révolte.

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À PROPOS ET À PARTIR DE LÉNINE

« Eisenstein lisant Lénine lisant Hegel », par François Albera

L'héritage de Vladimir Lénine. Entretien avec Tariq Ali

« Le moment philosophique déterminé par la guerre dans la politique : Lénine 1914-1916 », par Étienne Balibar [Revue Période]

« Relire Lénine ? », par Pierre Beaudet

« Les sauts ! Les sauts ! Les sauts ! », par Daniel Bensaïd

« Lénine ou la politique du temps brisé », par Daniel Bensaïd

Lénine : 1893-1914. Construire le parti, par Tony Cliff

« Lénine à l'époque postmoderne », par Terry Eagleton

Lénine : La politique comme organisation, par Guillaume Fondu

Lénine, la révolution, l'insurrection, par Marina Garrisi

« Vladimir Ilitch Lénine : parti, presse, culture & révolution », par Fabien Granjon

« Lénine, lecteur de Hegel », par Stathis Kouvélakis [Revue Période]

« De l'impérialisme à la mondialisation », par Georges Labica

« Lénine et le parti », par Sylvain Lazarus

Lénine, une biographie. Introduction du livre de Lars T. Lih (Prairies ordinaires)

Lénine, Que faire ? et l'énergie révolutionnaire de la classe travailleuse, par Lars Lih

Lénine, Trotsky, et la transition au socialisme, par Ernest Mandel

« L'État et la révolution » de Lénine, de Ralph Miliband

« Le fantôme de Lénine. Sartre, l'État et la révolution », par Hervé Oulc'hen

La politique de Lénine en 17. Extrait du livre d'Alexander Rabinowitch

Lénine et l'Orient. Extrait du livre de Matthieu Renault L'empire de la révolution (Syllepse)

« Partialité, initiative, organisation : les usages de Lénine par Tronti », par Daria Saburova

« Les trop brèves convergences de la Révolution russe et de l'écologie scientifique », par Daniel Tanuro

Lénine mort, Lénine vivant, par Paul Vaillant-Couturier

« Le léninisme aujourd'hui : comment commencer par le commencement », par Slavoj Žižek

QUELQUES TEXTES DE LÉNINE

Le journal comme organisateur collectif (1902)

« Les ouvriers transforment la théorie grise en une réalité vivante »(1905)

Les marxistes et la religion (1905)

Les trois sources du marxisme (1913)

La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes (1916)

Face à la guerre (1915)

Il n'y a pas de révolution pure (1916)

Contre les vieilles formules, la souplesse tactique (1917)

De l'État (1919)

Gagner les masses (1920)

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Le PQ et la louisianisation du Québec.

23 janvier 2024, par Pierre Jasmin — ,
Lors de la première conférence de presse de l'année 2024 par le Parti Québécois, son chef Paul St-Pierre-Plamondon a accusé la CAQ d'avoir atténué les mesures fortes de (…)

Lors de la première conférence de presse de l'année 2024 par le Parti Québécois, son chef Paul St-Pierre-Plamondon a accusé la CAQ d'avoir atténué les mesures fortes de francisation promises, ce qui met en danger la primauté du français à Montréal : nous sommes d'accord.

Mais il reproche aussi au gouvernement Legault d'avoir renié sa promesse de récupérer d'Ottawa la gestion des immigrants temporaires dont les rangs semblent avoir gonflé à plus de cinq cent mille. Comme l'avaient fait la veille au niveau fédéral le chef de l'opposition Pierre Poilievre et le Premier ministre Justin Trudeau, le chef du PQ lance un cri d'alarme sur la situation particulière du Québec, où les mises en chantier de nouveaux logements ont chuté de 37% en 2023, à l'inverse de la demande en forte hausse des immigrants et aussi des sans-logis qui se multiplient hors des grandes villes, phénomène nouveau.

M. Saint-Pierre Plamondon s'est bien défendu dans son entrevue à Patrick Roy de Radio-Canada que lier l'immigration et la non-disponibilité des logements procède d'un raccourci intellectuel de droite. Pour nous, un effort d'imagination de plus est nécessaire pour constater que l'immigration massive se pressant aux portes du Canada est fonction de deux variables principales sur lesquelles nos gouvernements peuvent et doivent agir :

1- Les 112 millions de réfugiés dans le monde selon le Haut-Commissariat des
Réfugiés (Nations-unies) représentent une augmentation épousant le cycle ascendant des tensions guerrières américaines et canadiennesi vs le Moyen-Orient en entier jusqu'en Afghanistan et Libye (invasion 2011 par le général Bouchard à la tête des bombardiers de l'OTAN), menaçant aujourd'hui l'Iran et le Yémen, sans parler que le Venezuela, Cuba et neuf pays africains sont victimes de nos graves sanctions économiques illégales, dénoncées par le secrétaire général des Nations-Unies Antonio Guterres. Une mobilisation commune au fédéral du Bloc québécois, du NPD et du Parti vert pourrait sans doute arrêter ou du moins freiner cette spirale guerrière, en définançant les acquisitions à caractère principalement offensif du ministère de la Défense : F-35, frégates Irving-Lockheed Martin, drones, avions-ravitailleurs, sous-marins, hélicoptères ch-146 Gryffonii etc. On diminuerait aussi leurs dépenses pétrolières ainsi que leurs pollutions émettrices de gaz à effet de serres qui font aussi gonfler le nombre des réfugiés climatiques.

2- Quant au logement, ne pourrait-on pas envisager une taxe considérable qui
viserait les chalets, en appliquant en sus un coefficient sur les chalets hivérisés énergivores et un autre sur le nombre de kilomètres les séparant de la résidence principale (accessible par un VUS ou un camion à essence) : une telle taxe composée (appliquée en double sur un deuxième chalet et en triple sur un troisième ou sur une propriété secondaire en Floride, par exemple) amènerait des rentrées d'argent soutirées aux plus riches (une fois n'est pas coutume) et le gouvernement aurait ainsi les moyens d'augmenter ses subventions aux logements sociaux, aux CLSC, aux maisons Gilles-Carle et aux RPAs. Cela permettrait aux aînés d'évacuer les hôpitaux où ils monopolisent nombre d'infirmières qui seront plus utiles aux vrais malades. Et les chalets libérés deviendraient des logis disponibles pour des immigrants ou de jeunes couples débrouillards et leurs enfants découvrant la nature.

Une idée à développer de Pierre Jasmin, secrétaire des Artistes pour la Paix.

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Le Fatah de Yasser Arafat à Mahmoud Abbas : le déclin

23 janvier 2024, par Jean-François Delisle — , , ,
Joe Biden évoque de plus en plus la nécessité d'établir enfin un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Il exhorte Benyamin Netanyahou à accepter cette éventualité tout en (…)

Joe Biden évoque de plus en plus la nécessité d'établir enfin un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Il exhorte Benyamin Netanyahou à accepter cette éventualité tout en le priant de diminuer l'intensité de sa contre-offensive militaire à Gaza. En passant, il faut rappeler ici que les États-Unis au Conseil de sécurité de l'Onu ont opposé leur véto à une résolution le 8 décembre 2023 ordonnant un cessez-le-feu là-bas. Dans la foulée de cette logique de soutien quasi-inconditionnel à l'État hébreu, pas question pour la Maison-Blanche d'adopter des mesures de rétorsion contre Israël pour faire entendre raison au gouvernement du Likoud dominé par Netanyahou et sa clique. Elle s'en tient à des exhortations verbales tout en continuant à fournir au gouvernement israélien tout l'équipement militaire nécessaire pour pilonner Gaza.

Elle se contente de belles paroles.

La Maison-Blanche insiste sur la nécessité d'éliminer le Hamas avec lequel il n'est pas question d'entamer la moindre négociation. Elle veut plutôt le remplacer par le Fatah de Mahmoud Abbas qui contrôle une zone semi-autonome en Cisjordanie. Il est facile de discerner les ligne de force de la stratégie américaine : une fois le Hamas écarté de Gaza, le Fatah de Mahmoud Abbas le remplacerait et administrerait la petite bande côtière dans des conditions similaires à celles de la zone cisjordanienne sous son contrôle : ce bon Mahmoud Abbas, pacifique, bon-ententiste et collaborateur avec les autorités israéliennes pour les questions de sécurité prendrait la place d'Ismaël Haniyeh qui se trouve à la tête du bureau politique du Hamas et de Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza et représentant de l'aile dure du mouvement. Bref, le Fatah de Mahmoud Abbas serait mis en selle à Gaza une fois le Hamas balayé de la bande côtière.

Ce plan a-t-il des chances de réussir ? On peut en douter.

Tout d'abord, le Fatah sous la férule d'Abbas est largement discrédité en Cisjordanie même vu sa coopération sécuritaire avec Tel-Aviv, à tel point qu'un nombre croissant de membres et de partisans du Fatah rejoignent maintenant la résistance armée qui s'intensifie en Cisjordanie. La lutte pour la libération nationale en Cisjordanie et à Jérusalem-Est risque de se doubler d'une guerre civile ente les partisans résolus de la résistance et les bon-ententistes du courant Abbas, que Tel-Aviv soutiendrait bien entendu en cas de besoin. De plus, il est loin d'être certain que la population gazaouie pour sa part accepterait une administration autonome, inévitablement très limitée, du Fatah.

Même si, sous l'impulsion des classes politiques occidentales des négociations s'amorçaient entre le Fatah et la droite israélienne au pouvoir, on peut se demander à quoi elles aboutiraient dans l'état actuel des choses. Elles seraient nécessairement inégales, vu le rapport de forces entre les deux camps ; d'ailleurs, tout un pan de la société israélienne est fanatiquement opposé à l'établissement d'un État palestinien en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

On peut prévoir qu'au nom du "réalisme" et de la "souplesse" qui lui est associée, la Maison-Blanche, qui joue un rôle-clé dans la région, exhorterait la direction palestinienne à consentir aux concessions nécessaires à l'obtention de la paix, celle-ci dût-elle se solder par une entente à rabais dont Palestiniens et Palestiniennes feraient les frais. Si le passé est garant de l'avenir, ce scénario est le plus vraisemblable.

À moins que les gouvernements occidentaux, du moins les plus influents d'entre eux, ne se décident à contraindre Israël à faire de substantielles concessions aux Palestiniens, ce qui paraît peu vraisemblable.

Les Gazaouis risquent donc de se retrouver dans la situations des Cisjordaniens, les colons israéliens en moins, il est vrai. Mais ils devront se contenter d'une administration du Fatah, en tout cas pour un avenir prévisible. Rien d'enthousiasmant pour eux, donc.
Si Yasser Arafat (décédé en 2004), figure historique de la résistance palestinienne, voyait ce que le mouvement de libération dans la fondation duquel (en 1959) il a joué un rôle central est devenu, il se retournerait dans sa tombe...

Jean-François Delisle

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Coups de fouets sur le corps d’une femme se promenant en blouse rouge

23 janvier 2024, par Roya Heshmati — , ,
Roya Heshmati, d'origine kurde, arrêtée la nuit du 21 avril 2023, après avoir publiée sa photo sans voile sur les réseaux sociaux et détenue pendant 11 jours. Elle fut d'abord (…)

Roya Heshmati, d'origine kurde, arrêtée la nuit du 21 avril 2023, après avoir publiée sa photo sans voile sur les réseaux sociaux et détenue pendant 11 jours. Elle fut d'abord condamnée à 13 ans et 9 mois d'emprisonnement, une amende et 74 coups de fouets, pour « atteinte aux mœurs publiques » et « non-port du voile ».

Tiré de Entre les lignes et les mots

La peine d'emprisonnement fut annulée par la cour d'appel, mais l'amende et le châtiment corporel maintenus. Fouettée le 3 janvier, elle publia une note décrivant son expérience de façon détaillée. Cette note fut largement relayée sur les réseaux sociaux et repris par d'autres prisonniers de consciences tels que Sepideh Roshnou et Hossein Ronaghi.

« A propos de l'exécution de ma peine de 74 coups de fouet »

J'ai contacté mon avocat et nous nous sommes présentés au procureur du 7e district.

Lorsque nous avons traversé le portail, j'ai retiré mon voile. Nous sommes entrés dans la salle. Les cris et hurlements d'une femme nous parvenaient du couloir. Ils étaient en train de la faire descendre pour l'application de sa peine.

Mon avocat m'a dit : penses-y une dernière fois, le fouet va te marquer pour longtemps.

Nous nous sommes présentés devant le bureau N°1 de l'exécution des peines. L'employé m'a dit : remets ton voile pour éviter les problèmes. Je lui ai dit calmement : c'est précisément pour cela que je vais être fouettée, je ne le porterai pas.

Ils ont prévenu le bourreau. Il est monté et m'a dit : mets ton voile et suis-moi. J'ai répondu : je ne le ferai pas. Il m'a dit : tu ne le feras pas ? Je vais te fouetter si fort, pour que tu comprennes où tu es. Et on t'offrira 74 coups de fouets supplémentaires. Je n'ai pas mis mon foulard.

Nous sommes descendus. Plusieurs hommes avaient été arrêtés pour consommation d'alcool. Le bourreau m'a dit sur un ton autoritaire : je te dis, mets-le ! Je ne l'ai pas fait.

Deux femmes en tchador sont venues me mettre le voile sur la tête. Je l'ai enlevé. Cela s'est répété à plusieurs reprises. Elles m'ont menottée les mains dans le dos et m'ont remis le voile.

Nous sommes descendus par le même escalier par où ils avaient emmené la femme au sous-sol. C'était une petite pièce au bout du parking. Le juge, le bourreau et la femme en tchador se tenaient à mes côtés. La femme était clairement émue. Elle a soupiré plusieurs fois en disant, je comprends… je comprends… Le juge enturbanné m'a ri en face. Il m'a fait penser au vieux fripier de la Chouette Aveugle (Ndlr : Personnage du roman culte de Sadegh Hedayat). J'ai détourné le regard.

Ils ont ouvert la porte métallique. Les murs de la pièce étaient en béton nu. Un lit se trouvait au fond de la pièce, auquel on avait soudé des menottes à la tête et au pied. Un autre objet, comme un grand chevalet métallique rouillé, avec des menottes qui pendouillaient, gisait au milieu de la pièce. Plus une chaise et une petite table couverte de fouets. D'autres fouets pendaient du mur, derrière la porte.

On aurait dit une chambre de torture médiévale.

Le juge m'a demandé : Vous allez bien ? Pas de problème de santé ?

Je l'ai ignoré.

Il m'a dit : je vous parle !

Je n'ai pas répondu.

Le bourreau m'a dit : enlève ton manteau et allonge-toi sur le lit. J'ai accroché le manteau et le voile au chevalet de torture. Il a dit : mets ton voile. J'ai dit : je ne le ferai pas, mets ton Coran sous le bras et frappe. Et je me suis allongée sur le lit.

La femme s'est approchée et m'a dit : ne t'entêtes pas, s'il te plaît. Elle m'a couvert la tête avec mon châle. Le bourreau a choisi un fouet en cuir noir parmi les fouets accrochés derrière la porte, l'a tourné deux fois autour de sa main et s'est avancé vers le lit.

Le juge a dit, ne frappe pas trop fort. L'homme a commencé à frapper.

Sur mes épaules, mes omoplates, mon dos, mes fesses, mes cuisses, les mollets, et a recommencé ce cycle. Je n'ai pas compté les coups.

Je chantais tout bas : au nom de la femme, de la vie… le voile de la soumission sera arraché… notre nuit se transformera en aube et les fouets deviendront des haches.

Puis c'était fini. Nous sommes sortis. Je n'ai même pas voulu montrer que j'avais eu mal. Ils sont plus insignifiants que ça. On est remonté chez le juge d'exécution des peines. La femme me suivait au pas et faisait attention pour que mon foulard ne glisse pas. Devant le bureau du juge, j'ai jeté le foulard. La femme m'a supplié de le remettre. Je n'ai pas voulu. De nouveau, c'est elle qui me l'a mis sur la tête.

Dans le bureau, le juge m'a dit : nous ne sommes pas contents de ces faits, mais c'est une condamnation et la peine doit être exécutée. Je n'ai pas répondu.

Il a dit : si vous voulez vivre autrement, vous pouvez vivre à l'étranger. J'ai dit ce pays nous appartient à tous.

Il a dit : oui, mais il faut respecter la loi. J'ai dit : que la loi fasse son travail, et nous, continuerons à résister.

On a quitté la pièce. J'ai retiré mon voile.

Merci cher Monsieur Tâtâie. Si vous ne m'aviez pas accompagné, il aurait été beaucoup plus difficile de traverser cette période. Et désolée de ne pas avoir été une cliente facile. Je suis certaine que quelqu'un de votre magnanimité me comprendra. Je vous remercie pour tout.

Jin, Jiyan, Azâdi (Femme, vie, liberté)

Roya Heshmati

https://blogs.mediapart.fr/moineau-persan/blog/080124/coups-de-fouets-sur-le-corps-d-une-femme-se-promenant-en-blouse-rouge

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Tribune de l’Observatoire de la liberté de création « Quand des femmes prennent la parole pour dénoncer Depardieu, ce n’est pas l’art qu’elles attaquent, c’est un homme »

23 janvier 2024, par Tribune de l'Observatoire de la liberté de création — , ,
A l'occasion des Biennales internationales du spectacle qui se tiennent à Nantes depuis le 17 janvier, les membres de l'Observatoire de la liberté de création (OLC) – qui vient (…)

A l'occasion des Biennales internationales du spectacle qui se tiennent à Nantes depuis le 17 janvier, les membres de l'Observatoire de la liberté de création (OLC) – qui vient de se constituer en association – rappellent que la liberté artistique peut et doit s'articuler avec le respect de l'égalité et la lutte contre toute forme de violence.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/20/tribune-de-lobservatoire-de-la-liberte-de-creation-quand-des-femmes-prennent-la-parole-pour-denoncer-depardieu-ce-nest-pas-lart-quelles-attaquent-c/

Fin décembre 2023, le Figaro publie une tribune pour soutenir Gérard Depardieu. Rappelons ce qui la motive (que cette tribune désigne comme un « lynchage ») : l'acteur fait l'objet de diverses accusations et plaintes pour viols et agressions sexuelle et il est mis en examen dans le cadre de la procédure engagée par la comédienne Charlotte Arnould depuis le 16 décembre 2020. En avril 2023, Médiapart révèle le témoignage de 13 femmes qui accusent Gérard Depardieu de gestes ou propos obscènes lors des tournages de onze films entre 2004 et 2022. En juillet 2023, une autre femme dénonce une agression sexuelle sur un tournage en 2015. Le 10 septembre 2023, l'actrice Hélène Darras dépose une plainte pour agression sexuelle à l'encontre de Gérard Depardieu. Elle l'accuse de l'avoir « pelotée » en 2007 sur un tournage de film. Le 19 décembre enfin, une journaliste espagnole se plaint d'une agression sexuelle en 1995 alors qu'elle venait interviewer le comédien.

Ce dont attestent ces 17 femmes, c'est d'abord du caractère répété du comportement répréhensible du comédien, au vu et au su de toute une profession, sans que personne n'en tire de conséquence, au nom du talent de l'acteur. Or le talent ne peut en aucun cas être une excuse exonératoire. Ce dont attestent aussi ces femmes, c'est de la difficulté d'être entendues sur les tournages lorsqu'elles tentent de se plaindre, de l'attitude vindicative de Depardieu si elles osent parler à la production, de la peur d'être blacklistées et des propos les décourageant de porter plainte, leur assurant qu'elles ne seront pas entendues. D'ailleurs, peu ont franchi le cap de la plainte judiciaire. Ce qu'elles disent enfin, c'est leur solitude face à des violences qu'elles dénoncent comme systémiques dans ce métier.

Nous dénonçons la censure des œuvres et nous opposons à une confusion systématique entre les œuvres et leurs auteurs. Ce que dit un personnage dans une œuvre n'est pas nécessairement, la pensée de l'auteur. Nous réfléchissons au cas par cas aux conflits entre les différents droits et libertés qui composent le grand ensemble des droits humains. Nous invitons à réfléchir aux distinctions entre ce qui peut se passer à l'occasion de rapports sociaux hors de l'œuvre, dans le cadre de sa préparation, de sa réalisation ainsi que de sa diffusion.

Nous considérons que l'on doit faire la différence entre les œuvres et la conduite de ceux qui la créent, ou les incarnent, sans que ceci soit pour autant un dogme absolu. Par exemple, nul ne peut s'abriter derrière la liberté de création pour tenir des propos antisémites et révisionnistes, comme l'a fait Dieudonné à de multiples reprises dans ses spectacles. De même, un réalisateur qui filmerait une violence sexuelle non consentie par une comédienne, ou un plasticien maltraitant physiquement son modèle pour obtenir l'image voulue ne serait pas recevable à se prévaloir de la liberté de création et serait pénalement responsable, comme le comédien se livrant à cette violence. La Convention européenne des droits de l'Homme, qui protège la liberté d'expression (et donc de création, avec ses spécificités) dans son article 10, comporte une disposition que l'on oublie trop souvent et qui est pourtant très éclairante, son article 17 : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ».

Abus de pouvoir

Il est arrivé plusieurs fois à la cour de Strasbourg de considérer que celui qui mésuse de la liberté d'expression pour tenir des propos discriminatoires ou révisionnistes ne peut invoquer la liberté d'expression car son but est de détruire la société démocratique égalitaire telle que la promeut la Convention. Forts de notre connaissance du droit, de notre expérience, de nos riches débats internes et de nos prises de position publiques, nous souhaitons dire très fermement que ceux qui invoquent l'Art avec une majuscule comme un « totem d'impunité » pour les prédateurs sexuels mettent la liberté qu'ils prétendent défendre en danger. Si Depardieu était menacé de censure, ou si les œuvres dans lesquelles il a joué l'étaient, l'Observatoire de la liberté de création (OLC) s'y opposerait comme il l'a toujours fait pour d'autres artistes (Polanski, Cantat…). Dans une société démocratique, il revient aux spectateurs de juger les œuvres qu'ils sont libres de voir, ou de ne pas voir, et à la justice de juger les hommes.

Pour autant, le fait d'être un auteur, un artiste, un artiste-interprète, ne confère aucun statut exceptionnel qui permettrait de ne pas assumer la responsabilité relative aux actes délictueux commis envers des personnes à l'occasion de la préparation ou de l'élaboration d'œuvres. Un tournage, un spectacle, ne sont pas des lieux de non-droit et les professions concernées sont d'ailleurs en voie d'en prendre conscience. Ce sont des lieux de travail qui, comme tous les lieux de travail, doivent permettre à toutes et tous de remplir ses tâches sans être exposé(e), comme victime ou comme témoin, à des violences.

Quand des femmes osent finalement prendre la parole pour dénoncer un comportement délictueux, ce n'est pas l'art qu'elles attaquent, c'est un homme. Avec tout le courage que cela suppose, et tous les risques que cela leur fait encourir. Un homme qui semble avoir abusé de sa position iconique de « monstre sacré », ce que dira la justice, dont le travail est utilement complété par la presse que l'on ne saurait faire taire à coups de tribunes. Car ce que ne dira pas la justice, c'est tout le contexte social et historique qui a permis à une profession dans son ensemble de couvrir, voire de contribuer à produire ce type d'actes auxquels ont été exposées tant de femmes se taisant de peur de perdre leur emploi et de renoncer à leurs rêves. A ces femmes, l'Observatoire de la liberté de création (OLC) adresse son plein et entier soutien.

Tribune parue initialement dans Libération
https://www.ldh-france.org/18-janvier-2024-tribune-de-lobservatoire-de-la-liberte-de-creation-quand-des-femmes-prennent-la-parole-pour-denoncer-depardieu-ce-nest-pas-lart-quelles-attaquent-c/

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Davos : qui sont les cinq milliardaires dont la fortune a enflé de 14 millions de dollars par heure ?

23 janvier 2024, par Cyprien Boganda — , ,
Alors que débute, lundi 15 janvier, le forum de Davos, l'ONG Oxfam publie un nouveau rapport pointant l'accroissement des inégalités et la concentration des richesses au cours (…)

Alors que débute, lundi 15 janvier, le forum de Davos, l'ONG Oxfam publie un nouveau rapport pointant l'accroissement des inégalités et la concentration des richesses au cours des trois dernières années.

16 janvier 2024 | tiré de l'Humanité

Depuis 1971, d'éminents représentants de l'oligarchie économique et politique se réunissent à Davos, une station de sports d'hiver perchée au cœur des Alpes suisses, pour méditer sur les désordres du monde. Cette année, ils plancheront notamment sur la meilleure manière de « coopérer dans un univers fracturé », mais il y a fort à parier que le dernier rapport d'Oxfam ne fera pas partie des thèmes de discussion. C'est dommage : l'ONG a compilé un nombre impressionnant de données, qui illustrent la concentration des richesses et ses effets dévastateurs sur la planète.

Les super-riches au sommet, dans un océan d'inégalités

Si l'immense majorité de la population mondiale a été frappée de plein fouet par les trois crises majeures qui ont marqué ces trois dernières années – pandémie de Covid, guerre en Ukraine et flambée inflationniste –, les milliardaires ont vu leur compte en banque s'étoffer.
La richesse cumulée d'Elon Musk (Tesla), Bernard Arnault (LVHM), Jeff Bezos (Amazon), Larry Ellison (Oracle) et Warren Buffet (Berkshire Hathaway), les cinq plus riches d'entre eux, a grimpé de 114 % entre mars 2020 et novembre 2023, pour atteindre 869 milliards de dollars. Pour le dire autrement, cela signifie que leur fortune a enflé de 14 millions de dollars par heure…

Au-delà de ces « têtes d'affiche », l'ensemble des milliardaires de la planète ont vu leur fortune augmenter de 3 300 milliards de dollars sur la période, soit 34 % de hausse. En dépit de la croissance fulgurante de l'économie chinoise, le monde appartient toujours aux pays du Nord, selon les calculs d'Oxfam, puisque ces derniers ne concentrent que 20,6 % de la population mondiale mais près de 70 % des richesses.

En France, nos 42 milliardaires ont gagné 230 milliards d'euros en trois ans. Dans l'Hexagone, les 1 % les plus riches détiennent 36 % du patrimoine financier total, alors que plus de 80 % des Français déclarent ne posséder ni assurances-vie, ni actions directement.
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Au pays du président des riches, les millionnaires sont rois

Dans le même temps, le reste de l'humanité a fait les frais des crises produites par le capitalisme. « Partout dans le monde, l'inflation est plus rapide que la hausse des salaires, si bien que des centaines de millions de personnes ont de plus en plus de mal à finir le mois avec leurs revenus », note l'ONG, qui constate que les inégalités mondiales ont atteint un niveau « comparable à celui observé en Afrique du Sud », le pays le plus inégalitaire du monde.
En trois ans, la fortune cumulée de 4,7 milliards de personnes (60 % de l'humanité) a baissé de 0,2 %. Saisissante statistique : Oxfam a calculé qu'il faudrait 1 200 ans de labeur à une travailleuse du secteur sanitaire et social pour gagner ce qu'un PDG d'une des 100 premières entreprises américaines empoche en une année…

Les multinationales grandes gagnantes de la période

Si les milliardaires se sont enrichis, ils le doivent aux multinationales qu'ils dirigent. L'ONG s'est penchée sur la structure de propriété des 50 plus grosses entreprises de la planète. Bilan : plus d'un tiers d'entre elles comptent un milliardaire comme actionnaire principal ou comme PDG. La proportion grimpe à 70 % pour les 10 plus grosses. Jeff Bezos, fondateur d'Amazon, détient par exemple 83 % de sa fortune en actions de l'entreprise.

Robert Kuok, l'homme le plus riche de Malaisie, détient, avec sa famille, 51 % du capital du conglomérat PPB Group, dont les activités s'étendent du secteur agricole à l'immobilier. « Il en ressort que les super-riches du monde entier ne sont pas simplement les bénéficiaires passifs des profits faramineux réalisés par les entreprises, note Oxfam. Le fait qu'ils possèdent de grandes entreprises leur donne le pouvoir de les contrôler activement. »

Cela tombe bien, les multinationales ont profité à plein des crises de ces trois dernières années, quand elles ne les ont pas alimentées. Les rapports du FMI ont ainsi montré comment les profits des entreprises étaient devenus, dès le troisième trimestre 2022, le premier moteur de l'inflation en zone euro. Sans surprise, les grands gagnants se trouvent dans quatre secteurs : l'énergie, le luxe, la finance et la santé.

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Oxfam a, par exemple, calculé que 14 compagnies pétrogazières ont dégagé 190 milliards de dollars de superprofits en 2023 et que leurs bénéfices sont supérieurs de 278 % à la moyenne de la période 2018-2021. Plus généralement, 148 multinationales ont réalisé près de 1 800 milliards de dollars de bénéfices au cours des douze mois précédant juin 2023, parmi lesquelles une dizaine de françaises, comme Total, Hermès, Sanofi, LVMH ou Air liquide.

Le coût exorbitant des monopoles

Ces bénéfices sont extraordinairement concentrés, tous secteurs confondus : au niveau mondial, les 0,001 % d'entreprises les plus importantes empochent à elles seules environ un tiers de tous les bénéfices. « Un petit nombre de grandes entreprises dont la croissance semble sans limite exercent une influence vertigineuse sur les économies et les gouvernements, dénonce Oxfam, qui rappelle que les monopoles privés n'ont rien d'abstrait : ils impactent directement la vie de milliards de personnes en influant sur les salaires que nous touchons, sur la nourriture que nous avons les moyens d'acheter, les médicaments auxquels nous avons accès… »

L'ONG donne quelques exemples saillants de ces monopoles. Quatre multinationales se partagent 62 % du marché mondial des pesticides ; les trois quarts des dépenses publicitaires en ligne profitent à Meta, Alphabet et Amazon ; plus de 90 % des recherches en ligne s'effectuent via Google.

Les profits réalisés ne « ruissellent » pas sur le reste de l'économie, contrairement à ce que prétend la vulgate libérale, mais profitent avant tout à un petit nombre d'individus : pour chaque tranche de 100 dollars de bénéfices réalisés par 96 grandes entreprises entre juillet 2022 et juin 2023, 83 dollars ont été reversés aux actionnaires sous forme de rachats d'actions et de dividendes. Autant d'argent qui aurait pu être investi dans les travailleurs, en augmentant les salaires ou dans de nouveaux modes d'exploitation susceptibles de réduire les émissions de carbone, conclut l'ONG.

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En Jordanie, ils plantent des citronniers contre la sécheresse

23 janvier 2024, par Philippe Pernot — , ,
L'agriculture jordanienne souffre des politiques néolibérales et du détournement d'eau par Israël. Face à la crise, activistes et travailleurs agricoles se mobilisent pour (…)

L'agriculture jordanienne souffre des politiques néolibérales et du détournement d'eau par Israël. Face à la crise, activistes et travailleurs agricoles se mobilisent pour lutter contre la désertification et la précarité.

Tiré de Reporterre

Chaque voiture qui passe soulève un nuage de sable et de poussière. Sur la route qui longe la vallée du Jourdain, il est difficile de croire qu'il s'agit du lieu le plus fertile de toute la Jordanie. Des serres et des fermes y côtoient des terrains vagues de terre craquelée, asséchée.

La Jordanie est l'un des pays les plus arides de la planète et la désertification est galopante : 88 % des surfaces agricolessont abandonnées et se transforment en désert. Les petits agriculteurs luttent pour survivre. « Le plus difficile est vraiment le manque d'eau. J'ai une bassine de 2 000 m3, mais en été il me faudrait le double », dit Soleiman, 26 ans, qui a repris les terres de son père à Dayr'Allah, dans la partie moyenne de la vallée.

« En été, nous n'avons que six heures d'eau courante, deux jours par semaine », raconte le jeune homme au visage fin, qui a étudié l'agronomie en master à l'université. Ses champs de fruits et légumes s'étendent sur 8,5 dunums (soit 8 500 m2), à quelques centaines de mètres du Jourdain. Rivière sacrée des trois monothéismes, elle est réduite à un ruisseau boueux et pollué depuis les années 1960, son eau inutilisable pour l'agriculture. À sa place, un canal irrigue la vallée avec de l'eau recyclée venue d'ailleurs en Jordanie, mais seulement au compte-goutte.

Aujourd'hui, Soleiman n'est pas seul dans sa lutte contre la sécheresse. Deux membres du Arab Group for the Protection of Nature (APN) l'aident à planter 350 jeunes citronniers, orangers et autres agrumes au milieu d'un champ de salades.

« Nous aidons les agriculteurs à diversifier leurs cultures et à augmenter leurs maigres revenus afin qu'ils puissent envoyer leurs enfants à l'université et ne plus vivre au jour le jour, explique Mohammad Qteishat, responsable de projets auprès de l'organisation jordano-palestinienne. Nous leur vendons les arbres pour 25 piastres au lieu de 5 dinars [1 dinar = 100 piastres = 1,3 euro] sur le marché, comme ça on n'est pas dans une relation de dépendance. Au bout de trois ans, 100 arbres plantés peuvent apporter 500 dinars par mois [635 euros] », affirme-t-il.

La vallée du Jourdain en souffrance

Le choix de planter des agrumes est économique, mais aussi très symbolique. « Autrefois, cette région était extrêmement riche en biodiversité, très verte, recouverte de citronniers et d'orangers. Mais cela fait des années qu'ils sont morts, tant l'eau que nous recevons est polluée, explique Mohammad Qteishat. Maintenant, les arbres ont disparu, il ne pousse plus que des légumes. Même les oiseaux et les autres animaux ont changé. »

En 1964, Israël a construit des barrages en amont sur le Jourdain,le détournant vers ses propres terres agricoles, puis y rejetant des eaux usées industrielles et agricoles. La rivière aurait ainsi perdu jusqu'à 98 % de son flux historique, et serait polluée aux métaux lourds, affirme l'ONG EcoPeace. La Jordanie a ainsi dû construire des barrages sur les rivières Yarmouk et Zarqa, en amont, qui apportent l'eau nécessaire à la vallée via des canaux d'irrigation. Mais elle aussi est saline et souvent polluée.

D'après l'accord de paix entre la Jordanie et Israël de 1994, l'État hébreu doit donner 50 millions de m3 d'eauau Royaume hachémite chaque année. « Ils nous envoient parfois de l'eau usée : quand cela arrive, les arbres meurent en deux jours », affirme Mohammad Qteishat.

Résultat : une perte nette en matière de biodiversité et de revenus pour les agriculteurs de la vallée. Un accord qui prévoyait d'échanger de l'eau israélienne contre de l'électricité jordanienne a finalement été annulé par le gouvernement jordanien sous la pression d'énormes manifestations propalestiniennes.

« Je refuse de recevoir de l'eau d'Israël »

C'est que la majorité des Jordaniens, d'origine palestinienne, sont extrêmement critiques d'Israël et de son opération militaire à Gaza, qui a fait plus de 21 000 morts palestiniens en trois mois. Alors que des ONG internationales et agences de l'Organisation des Nations unies (ONU) dénoncent des crimes de guerre et craignent un génocide, les opérations militaires et les violences des colons se succèdent aussi en Cisjordanie occupée, faisant 300 morts palestiniens.

« Mon père est de Jordanie, ma mère de Jénine [en Cisjordanie]. Cela m'attriste énormément de voir ce qui se passe là-bas, confie Soleiman. Les Palestiniens et Jordaniens sont un seul peuple, bien sûr que moi, en tant qu'agriculteur, je refuse de recevoir de l'eau d'Israël, même si je dois vivre dans la sécheresse. » Des champs de Soleiman, on aperçoit la Cisjordanie occupée au-delà du Jourdain, qui délimite la frontière entre les deux pays.

L'agriculture jordanienne est très sensible aux crises qui embrasent la région : son alliance avec les États-Unis l'a vite rendue dépendante à l'aide internationale. Si, dans les années 1960, elle produisait encore70 % de l'orge et du blé consommés, la Jordanie doit aujourd'hui importer 90 % de ses céréales et de son énergie.

L'agriculture a vécu une spirale infernale : de secteur économique majeur comptant pour 40 % du PIB, elle est devenue un nain mal-aimé (6 % du PIB). Et ce, alors qu'elle consomme la moitié de toute l'eau disponible : un déséquilibre dangereux alors que le changement climatique va affecter le Moyen-Orient avec un réchauffement de plus de 5 °C, rendant de nombreux endroits invivables, selon des rapports alarmants.
La résistance s'organise sur les terres agricoles

En 2001, face à cette crise, l'APN a lancé la Caravane verte, une initiative pour planter des arbres devenus rares dans des régions menacées de désertification et de précarité. À ce jour, elle aurait fait pousser 166 000 arbres fruitiers chez 10 000 petits agriculteurs.

« Après plusieurs essais, nous avons vite compris qu'il faut planter des arbres qui sont utiles aux agriculteurs, résistants à la sécheresse, et qui rendent de la biodiversité aux sols, explique Mariam Al Jaajaa, présidente de l'organisation en Jordanie. Mais il ne s'agit pas d'une fausse biodiversité telle qu'elle est souvent présentée dans les projets des grandes ONG internationales, qui nient les dimensions sociales et politiques de l'agriculture. »

C'est que l'agrobusiness concentre les investissements étrangers depuis les grandes réformeséconomiques néolibérales des années 1990 et 2010. En réduisant les subventions et le filet de sécurité sociale, les programmes menés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont fait grimper le taux de chômage à plus de 45 % chez les jeunes, et plongé 25 % de la population dans la pauvreté. « La Jordanie a souffert de cinquante années de mauvaise gestion néolibérale, qui nous a laissés dépendants des aides et des importations : le pire, ce n'est pas le réchauffement climatique, mais les politiques », dit-elle.

Environ un quart des personnes les plus précaires de Jordanie, dont un grand nombre de réfugiés syriens et de migrants égyptiens, tirent leurs revenus de l'agriculture journalière. Mais pour les 210 000 travailleurs agricoles, les conditions de travail sont catastrophiques.

« Les problèmes des agriculteurs et des travailleurs agricoles sont sans fin, affirme Moqthal Zinat, secrétaire du Syndicat des travailleurs agricoles (UAW). La plupart sont journaliers, ils travaillent pour 1-2 dinars de l'heure, sans droits du travail, sans protection sociale, sans couverture médicale pour les accidents de travail, sans équipement de protection contre les pesticides et les insectes, souvent même sans accès à des toilettes — ce qui est un grand problème pour les travailleuses. »

Le Royaume jordanien ne reconnaît pas son syndicat légalement. Mais après deux ans de campagne et des sit-in, l'UAW a obtenu une réforme du droit du travail avec certaines avancées sociales. « Personne ne peut mieux aider les agriculteurs et travailleurs qu'eux-mêmes, surtout s'ils unissent avec les étudiants, les médecins, les autres travailleurs pour réclamer des droits. » Dans la vallée du Jourdain comme dans les rues d'Amman, les luttes s'organisent autour de la cause palestinienne, avec en trame de fond, l'espoir de tracer une voie indépendante.

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« Ils nous volent notre eau » : en Jordanie, la colère monte contre Israël

En Jordanie, des dizaines de milliers de personnes manifestent contre la guerre qu'Israël mène à Gaza et l'accusent de voler l'eau du Jourdain. Le fleuve sacré est devenu un (…)

En Jordanie, des dizaines de milliers de personnes manifestent contre la guerre qu'Israël mène à Gaza et l'accusent de voler l'eau du Jourdain. Le fleuve sacré est devenu un ruisseau pollué, dans un pays qui se désertifie.

Tiré de Reporterre

photo : Des soldats jordaniens observent des touristes et pèlerins juste en face du côté israélien, nommé « Qasr al-Yahoud » (« Forteresse des Juifs ») où flotte un drapeau israélien. Site de baptisme de Maghtas (« Béthanie-au-delà-du-Jourdain »), en Jordanie, le 26 novembre 2023. - © Philippe Pernot / Reporterre

« Israël et l'Amérique sont les vrais terroristes », « Nous choisissons la résistance », « Cessez le génocide », proclament les panneaux tenus par les dizaines de milliers de manifestants en colère, chaque vendredi depuis l'offensive israélienne à Gaza, qui a fait au moins 18 000 morts côté palestinien.

Ce sont les plus grands cortèges depuis le Printemps arabe de 2011 et un véritable séisme politique pour la Jordanie, réputée être le pays le plus calme et le plus stable de tout le Moyen-Orient. L'une des sources de leur mécontentement : l'eau.
Des dizaines de milliers de Jordaniens manifestent chaque vendredi dans le centre-ville d'Amman en soutien à Gaza, et parfois devant l'ambassade israélienne à Amman.

« Nous ne voulons pas l'eau d'Israël, nous ne voulons pas vivre dans la dépendance et l'humiliation », affirme Amani Younes, une Jordano-Palestinienne de 38 ans, qui manifeste avec sa fille. « Israël peut décider de nous couper l'eau comme à Gaza du jour au lendemain, et nous envoie parfois de l'eau contaminée qui nous fait tomber malade. Ne plus dépendre d'eux, c'est une question de survie », dit-elle avec colère.
Deux fois moins d'eau qu'en France

La Jordanie est l'un des pays les plus pauvres en eau au monde, avec une moyenne de 70 litres par personne et par jour, loin des quasi 150 litres en France, par exemple. Depuis l'accord de paix adopté entre la Jordanie et Israël en 1994 sous parrainage américain, l'État hébreu fournit entre 25 et 50 millions de m³ d'eau(MCM) au royaume hachémite chaque année.

Un nouvel accord entre les deux pays devait être ratifié le mois dernier pour échanger de l'eau potable israélienne contre de l'électricité jordanienne afin d'augmenter les réserves d'eau du pays frappé par la désertification.

Face à la brutalité de l'attaque israélienne à Gaza et sous la pression des manifestants, le gouvernement jordanien a toutefois claqué la porte des négociations. « Pouvez-vous imaginer un ministre jordanien assis à côté d'un ministre israélien pour signer un accord sur l'eau et l'électricité, alors qu'Israël continue de tuer des enfants à Gaza ? » a déclaré à la presse Ayman Safadi, ministre jordanien des Affaires étrangères, le 16 novembre.

L'eau se retrouve ainsi au cœur d'un séisme géopolitique. La Jordanie n'avait jamais exprimé ses désaccords avec autant de véhémence depuis la paix de 1994. Certes le ton montaitdepuis qu'Israël a intensifié la colonisation de la Cisjordanie en 2017, mais le royaume hachémite continuait de prévoir des accords avec son voisin.

Outre l'échange d'eau contre l'électricité, la Jordanie va acheter du gaz naturel israélien dans le cadre d'un accord secret — et vivement décrié par la population jordanienne.
Des serres agricoles dans la vallée du Jourdain. Elles sont irriguées par l'eau de rivières en amont via le canal du Roi Abdallah, terminé dans les années 2000, pour contrebalancer le flux endigué du Jourdain. © Philippe Pernot / Reporterre

« La paix entre Israël et la Jordanie échoue parce qu'elle n'était pas viable et qu'elle a été rejetée par la population, qui est totalement affectée par la question palestinienne », explique Amer Sebeileh, expert en géopolitique à Amman.

« La majorité palestinienne refuse la normalisation avec Israël »

« La Jordanie est confrontée à une crise profonde, poursuit-il, car la majorité palestinienne de la population continue de refuser la normalisation avec Israël, y compris la consommation de son eau, alors que la Jordanie reçoit déjà une grande partie de son eau auprès d'Israël. »
À Amman, lors de la grande manifestation hebdomadaire à Gaza. En arrière-plan, des pancartes lisent « La résistance est notre choix
» et critiquent le président étasunien, Joe Biden, pour son soutien à Israël.

Signe de l'escalade, la Jordanie a placé des tanks à la frontière pour décourager Israël d'expulser des Palestiniens de Cisjordanie, mais aussi pour empêcher des Jordaniens de se rendre en Palestine pour se battre. Sur 251 km, les eaux du Jourdain sont tout ce qui sépare Israël de la Jordanie : ses rives entièrement militarisées sont inaccessibles au public.

Sacré pour les trois religions monothéistes, le Jourdain a vu le baptême de Jésus par saint Jean-Baptiste, l'ascension de saint Élie sur un chariot de feu, et de nombreux autres miracles relatés dans la Torah, la Bible et le Coran. Ses eaux sont troubles, brunâtres, réduites à une petite rivière, voire à un ruisseau : l'ancien fleuve puissant, et source de vie en Palestine historique, est devenu l'ombre de lui-même.
Les rives asséchées du Jourdain témoignent de la décrue de la rivière sainte.

À certains endroits, le Jourdain aurait perdu jusqu'à 98 % de son flux historique,affirme l'ONG jordano-israélo-palestinienne EcoPeace. De plus, la rivière sainte est polluée par les industries chimiques et agricoles et par les colonies israéliennes.

En 2010, plusieurs sites saints sur le Jourdain avaient failli fermer à cause de la pollution. « Les pèlerins sont baptisés dans l'eau des égouts ! » affirme Myriam al-Jaajaa, présidente de l'ONG environnementale Arab Group for the Protection of Nature (APN).
Le Jourdain vu du côté jordanien : la rivière sacrée des trois monothéismes est devenue un ruisseau boueux et souvent pollué.

Approvisionné par plusieurs rivières et le lac Tibériade en amont, le flux du Jourdain était de 1,3 milliard de m³ dans les années 1930. Depuis la création d'Israël en 1948 et la première guerre israélo-arabe, les États de la région s'en disputent les ressources en eau.
Barrages en pagaille

La Syrie, le Liban, la Jordanie et Israël se sont accordés en 1955 : la Jordanie devait recevoir 740 MCM et Israël, 400 MCM. Mais l'État hébreu a construit deux barrages sur le Jourdainen 1964 et en a détourné l'eau vers ses terres agricoles. La Syrie a construit elle aussi des barrages sur le fleuve Yarmouk en amont.
Le désert au sud de la mer morte. La Jordanie est l'un des pays les plus désertiques du monde, avec une propension d'eau par personne bien inférieure à la moyenne mondiale.

En conséquence, le débit du fleuve sacré estpassé à moins de 200 MCM, laissant la Jordanie avec un ruisseau pollué incapable d'irriguer son agriculture. L'accord de paix de 1994 prévoit qu'Israël donne 50 MCM par an d'eau propre à la Jordanie et fixe des normes de qualité, « mais de facto, elle en reçoit la moitié », critique al-Jaajaa.

« Et il ne respecte pas ses engagements de qualité, poursuit-elle : Beaucoup de Jordaniens sont tombés malades dans les années 1990 et 2000 car nous recevions de l'eau contaminée, avant de construire nos propres canaux. »

« Israël a institutionnalisé le vol d'eau à grande échelle »

Au sud, la mer Morte ne reçoit presque plus aucune goutte, et disparaît au rythme inquiétant d'un mètre par an — de sorte qu'elle sera totalement asséchée d'ici 2100.

« Israël a institutionnalisé le vol d'eau à grande échelle », affirme Mme al-Jaajaa, selon qui « tous les Jordaniens se sentent dépossédés de leurs propres ressources et humiliés par les accords ». Contactés à plusieurs reprises, différents ministères du gouvernement israélien n'ont pas répondu aux questions de Reporterre.
Un camion-citerne apporte de l'eau à des particuliers dans le nord de la vallée du Jourdain, car l'eau de la rivière est impropre à la consommation. La plupart des Jordaniens ne reçoivent de l'eau dans leurs citernes personnelles qu'une fois par semaine, ou moins.

L'eau est devenue une arme lors des conflits du Proche-Orient. « Avant la création d'Israël, le mouvement sioniste réclamait déjà des frontières plus larges afin d'y intégrer toutes les ressources en eau de la région », dit Myriam al-Jaajaa.

Au fil de ses campagnes militaires, Israël a conquis plusieurs territoires riches en eau : le Jourdain à l'est, le lac Tibériade et le plateau du Golan au nord. Au sud,il transforme le désert du Néguev en zone agricole grâce à l'eau détournée d'ailleurs.
Une plage sur la mer morte, qui va disparaître d'ici la fin du siècle si sa décrue d'un mètre par an continue. Espace aqueux le plus salé du monde, de nombreux touristes s'y baignent pour flotter à sa surface et profiter des vertus des sels et minéraux qu'elle contient.

Tout ceci explique la colère des manifestants jordaniens : plus de la moitié des ressources d'eau israéliennes proviendraient aujourd'hui de territoires conquis,selon une étude. Les Palestiniens subiraient même une « occupation de l'eau », selon Amnesty International.
Forcés d'acheter l'eau vendue par Israël

Ils sont privés par l'armée israélienne de leur accès au Jourdain, de leurs puits et sources, et sont contraintsd'acheter de l'eau à la société israélienne Mekorot, au prix fort. 85 % des ressources en eau palestiniennes seraient sous contrôle israélien, affirment des chercheurs.
Un pan de frontière entre la Jordanie et Israël dans le désert au sud de la mer morte. Les pays ont signé un accord de paix depuis 1994, mais elle reste militarisée, inaccessible au public, et dotée de centaines de tours d'observation.

Les Israéliens disposent ainsi de250 litres par jour par personne, et même 300 pour les colons, alors que les Palestiniens de Cisjordanie ne bénéficient que de 20 à 70 litres par jour. À Gaza, 97 % de l'eau était déjà impropre à la consommation avant la guerre actuelle, à cause du siège imposé depuis des années par Israël, a constaté l'Organisation mondiale de la santé.

Depuis l'offensive israélienne, les Gazaouis disposent même de moins de 3 litres par jour, sont réduits à boire l'eau de pluie, et les conditions sanitaires mènent à des épidémies de maladies gastro-intestinales. L'hypothèse d'un tel scénario fait peur à de nombreux Jordaniens.

« Le conflit armé exacerbe le manque d'accès à l'eau des Palestiniens », dit Zafar Adeel, professeur et directeur exécutif du Pacific Water Research Center la Simon Fraser University au Canada, auteur denombreux livres et articles, et ancien président de UN Water. « Pendant que les yeux du monde sont rivés sur le conflit armé à Gaza, nous devons penser au jour d'après, à la paix. Partager l'eau pourrait être ce qui réunit tout le monde, en commençant par réduire les inégalités », espère-t-il.

En Jordanie, les avis sont moins optimistes. « Je ne pense pas que la diplomatie de l'eau puisse apporter la paix dans ces conditions », dit Myriam al-Jaajaa. Alors que de nombreuses ONG et agences onusiennes dénoncent un apartheid et des crimes de guerre israéliens contre les Palestiniens — voire un risque de génocide—, seul l'avenir dira si l'eau peut devenir un vecteur de paix durable, ou si elle restera une arme.

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Désamorcer les bombes carbone

23 janvier 2024, par Dominique Plihon — ,
Aux quatre coins de la planète, 422 « bombes carbone » menacent les chances pour l'humanité de contenir le dérèglement climatique dans des limites vivables. Ces sites (…)

Aux quatre coins de la planète, 422 « bombes carbone » menacent les chances pour l'humanité de contenir le dérèglement climatique dans des limites vivables. Ces sites d'exploitation d'énergies fossiles contiennent les plus grosses réserves de charbon, de pétrole et de gaz connues à l'échelle mondiale. Les 294 bombes carbone actuellement en exploitation ont un potentiel d'émissions conjoint de 880 gigatonnes de CO2 : de quoi épuiser le « budget carbone » restant à l'humanité pour contenir la hausse des températures mondiales sous la barre de 1,5 °C. Mais la situation pourrait encore empirer, car 128 autres bombes carbone sont à l'état de projet.

tiré de Politis, numéro 1793 | 1793_Politis_Abo_OGM.pdf

Les grandes banques internationales financent massivement l'exploitation et la prospection de ces installations fossiles. En 2022, elles ont alloué plus de 151 milliards d'euros aux entreprises – dont TotalEnergies est l'une des plus importantes – développant ces sites d'extraction de ressources fossiles [1].

Les banques françaises figurent parmi les principaux financeurs internationaux. D'après Oxfam, en un an, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités de financement des six principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale, BPCE, La Banque postale et Crédit mutuel – ont ainsi atteint plus de 3,3 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 7,9 fois les émissions de la France [2].

Face à ces bombes carbone, les États ont une double responsabilité. D'abord, en délivrant les licences d'exploitation des gisements fossiles et en subventionnant les entreprises qui portent les projets d'extraction. En second lieu, en ne jouant pas leur rôle de régulation des banques pour les amener à stopper le financement des bombes carbone. Le 1er octobre 2020, Bruno Le Maire lui-même, ministre de l'Économie et des Finances, actait les limites de sa propre politique basée sur les engagements volontaires des banques :

« Sur la question de la finance verte, je ne suis pas satisfait des résultats, je pense que les banques doivent pouvoir faire mieux. » La régulation du système financier doit reposer sur des règles contraignantes et non sur la bonne volonté des banques. Parmi les mesures urgentes à prendre, les banques devraient être astreintes à mettre en œuvre un plan pluriannuel de décarbonation de leurs activités de financement, sous peine de sanction financière.

L'action citoyenne a un rôle stratégique à jouer pour faire pression sur les banques et les autorités publiques. On doit saluer à cet égard l'initiative des 1 240 étudiants français de plusieurs universités et grandes écoles qui ont écrit, en novembre 2023, une lettre ouverte où ils expliquent ne plus vouloir travailler pour BNP Paribas tant que celle-ci continuera de financer les énergies fossiles.

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[1] (1) Rapport « Banking on Climate Chaos 2023 ».

[2] Rapport « Banques : des engagements à prendre au 4e degré », Oxfam, octobre 2020

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