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La mer de Chine orientale, cette autre zone de tensions en Indo-Pacifique

30 janvier 2024, par Olivier Guillard — , ,
Taïwan, la Corée du Nord et la mer de Chine du Sud ne sont pas les seuls points chauds en Asie-Pacifique. La mer de l'Est ou mer de Chine orientale a connu un dangereux regain (…)

Taïwan, la Corée du Nord et la mer de Chine du Sud ne sont pas les seuls points chauds en Asie-Pacifique. La mer de l'Est ou mer de Chine orientale a connu un dangereux regain de tension dans le dernier semestre, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.

Tiré de Asialyst
21 janvier 2024

Par Olivier Guillard

Un navire de surveillance de la marine chinoise croise des gardes-côtes japonais près des îles Senkaku/Diaoyu en mer de Chine orientale, le 23 avril 2013. (Source : Bloomberg)

*En direction de Séoul et de Washington en cette année électorale (législatives sud-coréennes en avril, présidentielles américaines en novembre).

Au même titre que l'inquiétante actualité sino-taïwanaise de ces derniers mois et que l'effervescente agitation rhétorique et balistique de la défiante Corée du Nord*, la mer de Chine du Sud et sa kyrielle d'incidents, d'intimidations et de postures belliqueuses entre les marines chinoises et philippines du trimestre passé a très logiquement attiré la plus grande attention de la communauté internationale et la curiosité de l'opinion. C'est que le niveau de tension est devenu singulièrement préoccupant entre Pékin et Manille, littéralement à couteaux tirés par bâtiments interposés dans le sensible périmètre du Second Thomas Shoal (haut-fond), dans l'archipel des Spratleys.

*Cf. Britannica.
Ce trio majeur de points chauds asiatiques pourrait naturellement être complété par la guerre civile en cours en Birmanie depuis bientôt trois ans. Il mérite amplement l'attention qui lui est consacré, tant les enjeux associés emportent de lourdes conséquences régionales et internationales. Pourtant, à y regarder de plus près, il est un autre espace asiatique maritime disputé où, à intervalles réguliers, s'exercent les pressions concurrentes d'acteurs étatiques aux conceptions territoriales pas nécessairement alignées, là encore : la mer de Chine orientale (ou mer de Chine de l'Est). Étirée sur environ 750 000 km², cette zone maritime est un bras de l'océan Pacifique bordant l'Asie orientale continentale et s'étendant vers le Nord-Est depuis la mer de Chine méridionale, à laquelle elle est reliée par le sensible détroit de Taïwan*. Elle s'étend à l'Est jusqu'à la chaîne des îles japonaises Ryukyu, au Nord jusqu'à Kyushu, au Nord-Ouest jusqu'à l'île sud-coréenne de Cheju, enfin à l'Ouest jusqu'aux provinces orientales côtières chinoises. « Un grand nombre d'îles et de hauts-fonds parsèment la frontière orientale ainsi que la zone proche de la Chine continentale », précise utilement Britannica.

Souveraineté territoriale et contentieux

*Situées à 150 km au nord de Yonaguni (Japon), à 190 km au nord-est de Keekung (Taiwan), à 350 km au sud-est de Wenzhou (Chine). **En 2012, le gouvernement japonais a acheté ce chapelet rocheux inhabité à une famille nippone pour quelques dizaines de millions de dollars (Le Monde, 5 septembre 2012). ***Cf. site de l'Ambassade du Japon en France.

La République populaire de Chine, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud se disputent l'étendue de leurs zones économiques exclusives (ZEE) respectives en mer de Chine orientale. C'est précisément entre la deuxième et le troisième économie mondiale que le désaccord est le plus marqué au niveau de la souveraineté dans ce périmètre maritime orientale contesté. Pékin et Tokyo cumulent deux contentieux distincts à son propos : le premier concerne la souveraineté sur les îles Senkaku*/Diaoyu, 8 îlots rocheux inhabitués sur 7 km², situés au nord-ouest de Taïwan, administrés par le Japon** mais revendiqués par la Chine (ainsi que Taïwan). « Après le rattachement des îles Senkaku en 1895, le gouvernement chinois ne contesta pas la souveraineté japonaise sur ces îles pendant plus de 75 ans. Tout changea dans les années 1970, lorsque les îles suscitèrent un intérêt croissant en raison de la possible présence de gisements pétroliers en mer de Chine orientale », souligne à ce sujet le gouvernement japonais***.

*SIPRI, Promoting crisis management in the East China Sea.

Le second contentieux sino-nippon en mer de Chine orientale concerne la délimitation maritime et notamment les zones économiques exclusives (ZEE) de 200 milles nautiques, calculées à partir des lignes de base des côtes des deux pays. Celles-ci se chevauchent sur une superficie non négligeable. Pékin revendique l'extension de sa ZEE le long de son plateau continental jusqu'à la côte japonaise, tandis que Tokyo promeut une résolution selon le principe d'équité et une frontière maritime le long d'une ligne médiane*.

Récentes frictions

Lors du semestre écoulé, de l'été 2023 aux premiers jours de 2024, la mer de Chine orientale a été le théâtre de divers épisodes de tension entre acteurs régionaux. Sans augurer nécessairement à court terme une escalade se muant en crise plus grave, elles laissent toutefois entrevoir à court et moyen terme de possibles lendemains crispés.

*USNI news, 14 décembre 2023.
À la mi-décembre, les armées de l'air russe et chinoise patrouillaient conjointement dans la région Asie-Pacifique. Elles déployaient à cette occasion des bombardiers stratégiques Tupolev-95MS et Hong-6K survolant la mer du Japon et la mer de Chine orientale, au grand déplaisir de Tokyo, entre autres*.

Une quinzaine de jours plus tôt, le 28 novembre, les autorités chinoises suggéraient à leurs homologues australiennes de les informer des mouvements de leur marine dans les zones contestées de la mer de Chine méridionale, mais également de la mer de Chine orientale. Et Pékin de mettre en garde Canberra contre les possibles « risques d'escalade et de détérioration des relations entre les deux armées ».

Début novembre, les garde-côtes chinois déclaraient avoir « mis en garde » plusieurs bâtiments japonais coupables « d'intrusion illégale » dans les eaux entourant les îles Senkaku/Diaoyu, et avoir « pris les mesures de contrôle nécessaires ». Pékin exhorte alors Tokyo à cesser immédiatement toute « activité illégale » dans la zone et à veiller à ce que de tels incidents ne se reproduisent pas à l'avenir… De leur côté, les garde-côtes japonais relatent que leurs patrouilleurs avaient demandé à plusieurs reprises à trois navires des garde-côtes chinois de quitter les eaux en question. Un face-à-face tendu – mais sans confrontation ni blessé – entre bâtiments chinois et nippons en tous points conformes à un incident similaire survenu mi-octobre.

Un « Millésime 2024 » encore plus crispé ?

Dans les derniers jours de l'année écoulée, la presse japonaise rappelait que le président chinois Xi Jinping avait ordonné récemment aux garde-côtes de la République populaire de « renforcer leur activité » pour « affirmer la souveraineté chinoise » sur les Senkaku/Diaoyu.

Des instructions suivies à la lettre par la marine chinoise en ces premières semaines de 2024 : quelques jours après effectué des manœuvres maritimes les 8 et 9 janvier (des exercices de tirs en conditions réelles) au large de Ningbo et Zhoushan au sud de Shanghai, la marine chinoise et ses garde-côtes supplétifs patrouillaient à nouveau quelques heures à proximité des Senkaku, « afin d'assurer la protection des droits », les garde-côtes japonais également déployés sur zone exhortant à plusieurs reprises les quatre navires chinois à quitter « les eaux territoriales nipponnes ».

Ces confrontations sino-japonaises en mer de Chine orientale n'ont jusqu'alors pas débouché sur des accrochages maritimes tels que ceux observés au dernier trimestre 2023 en mer de Chine du Sud entre les marines chinoise et philippine. Toutefois, à mesure que les garde-côtes chinois se montrent de plus en plus présents et entreprenants en mer de Chine du Sud et de l'Est, que Pékin s'arc-boute de plus en plus sur son agenda et sa posture nationaliste pour justifier, de Taïwan aux Spratleys, des Senkaku/Diaoyu aux Paracels, ses incertaines velléités territoriales, on ne peut à terme que redouter la survenance « accidentelle » d'un accrochage dans les eaux disputées entourant ces îlots rocheux inhabitués – mais si convoités.

*Congressional Research Service report U.S.-China Strategic Competition in South and East China Seas : Background and Issues for Congress, Congressional Research Service, 14 septembre 2023.

« Les actions des forces maritimes chinoises sur les îles Senkaku, administrées par le Japon, en mer de Chine orientale, sont une autre source de préoccupation pour les observateurs américains. La domination chinoise dans la région maritime proche de la Chine – c'est-à-dire la mer du Sud et la mer de Chine orientale, ainsi que la mer Jaune – pourrait avoir une incidence considérable sur les intérêts stratégiques, politiques et économiques des États-Unis dans la région indopacifique et dans d'autres régions », synthétisaient l'été dernier les rédacteurs et experts du Congressional Research Service*.

En début de semaine, dans la foulée du tir d'un missile balistique nord-coréen à portée intermédiaire (IRBM) le 14 janvier, les marines américaine (avec le groupe aéronaval du porte-avions à propulsion nucléaire USS Carl Vinson), japonaise et sud-coréennes ont mené trois jours durant des manœuvres conjointes en mer de Chine de l'Est. Dans le souci certes de manifester une fois encore collectivement à destination de Pyongyang l'hostilité de Tokyo, Séoul et Washington à pareil aventurisme balistique, mais également pour adresser un message de fermeté à l'endroit de Pékin et de ses postures territoriales hasardeuses en mer de Chine orientale.

Il y a fort à parier que ce double message, pour limpide soit-il, sera hélas probablement lu avec un certain détachement tant dans la capitale chinoise que dans l'austère Pyongyang. Une fois encore.

Par Olivier Guillard

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Taïwan : la victoire pleine d’incertitudes de William Lai

30 janvier 2024, par Pierre-Antoine Donnet — , , ,
Les menaces et la désinformation du Parti communiste chinois n'y ont rien fait. Le vice-président sortant William Lai Ching-te, poulain de Tsai Ing-wen qui ne pouvait se (…)

Les menaces et la désinformation du Parti communiste chinois n'y ont rien fait. Le vice-président sortant William Lai Ching-te, poulain de Tsai Ing-wen qui ne pouvait se représenter au terme de ses deux mandats, a été élu le 13 janvier président de Taïwan avec 40,1 % des voix. Mais il ne s'agit pas d'un triomphe. Le Parti démocratique progressiste (DPP) devra en effet composer avec l'opposition au parlement de l'île du fait de législatives qui annoncent des temps compliqués.

Tiré d'Asialyst.

Jamais sans doute une élection présidentielle à Taïwan n'avait suscité autant d'intérêt à travers le monde. Le gouvernement taïwanais a affirmé le 14 janvier avoir reçu les félicitations de « plus de 50 pays dont 12 alliés diplomatiques ». La victoire de William Lai Ching-te, ancien médecin spécialiste des lésions de la moelle épinière et candidat du Parti démocratique progressiste, a, sans surprise, suscité la colère de Pékin qui a répété son narratif inchangé depuis des années. « Quels que soient les changements qui surviennent à Taïwan, il est une donnée fondamentale et immuable : il n'existe qu'une seule Chine dans le monde et Taïwan en fait partie », a ainsi déclaré au lendemain du scrutin un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.

« Taïwan n'a jamais été un pays, a renchéri le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi. Ce n'était pas le cas dans le passé, et ce ne le sera certainement pas dans le futur. Si quiconque sur l'île de Taïwan a l'intention d'aller vers l'indépendance, il divisera la Chine et sera sans aucun doute sévèrement puni par l'Histoire et la loi. [Ce vote] n'entravera pas la tendance inévitable d'une réunification avec la Chine. »

Le président chinois Xi Jinping a été encore plus explicite : « Les forces patriotiques à Taïwan doivent être encouragées et gagner en puissance pour unifier [la Nation], a-t-il écrit dans un article publié le 15 janvier par Qiushi (求是, Rechercher la vérité), le magazine du Parti communiste. Les actes séparatistes pour l'indépendance de Taïwan doivent être rejetés. La réunification complète de la mère-patrie doit aller de l'avant. »

Le bureau chinois des Affaires de Taïwan, par la voix de son porte-parole Chen Binhua, a complété : « Nous nous opposerons fermement aux activités séparatistes visant à l'indépendance de Taïwan ainsi qu'à l'ingérence étrangère. » Ce dernier terme vise principalement les États-Unis qui sont aujourd'hui l'un des très rares pays fournissant des armes à Taïwan. Une délégation informelle envoyée par Washington est d'ailleurs arrivée dès le 14 janvier dans l'île pour marquer le soutien américain à ce processus démocratique mené à bien la veille. Cette délégation était composée de l'ancien conseiller à la Sécurité nationale Stephen Hadley, de l'ex-secrétaire d'État adjoint James Steinberg et de la présidente de l'Institut américain à Taïwan Laura Rosenberger. La délégation bipartisane a rencontré la présidente taïwanais sortante Tsai Ing-wen pour lui transmettre « les félicitations du peuple américain à Taïwan pour le succès des élections », selon un communiqué de Washington.

Illustration de la proximité politique entre Taïwan et les États-Unis, le secrétaire d'État Antony Blinken a fait parvenir au président-élu taïwanais un message de félicitations personnel : « Nous nous attendons à travailler avec le Dr. Lai et avec les dirigeants taïwanais de tous les partis pour faire avancer nos intérêts et nos valeurs communes. [Les États-Unis] s'engagent à maintenir la paix et la stabilité entre les deux rives du continent chinois et de Taïwan. » Blinken a néanmoins précisé que la collaboration entre Washington et Pékin s'appliquait dans le cadre d'une « relation de longue date non officielle » qui respecte le concept d'une seule Chine observée par les États-Unis. Ce message dont la teneur est proche d'une reconnaissance de Taïwan comme un État n'a pas manqué de déclencher la fureur de Pékin qui a dénoncé dans un communiqué « une violation par Washington de son engagement à ne maintenir avec Taïwan que des relations non officielles ».

La France a elle-même salué le 14 janvier la tenue des élections et le Quai d'Orsay a adressé ses « félicitations » aux électeurs et candidats « ayant participé à cet exercice démocratique », sans mentionner nommément le président-élu Lai Ching-te. « Nous réaffirmons le caractère crucial de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan, appelons au respect du statu quo par toutes les parties, et espérons une reprise du dialogue entre les deux rives du détroit », a conclu le communiqué de la diplomatie française.

Équation à plusieurs inconnues

C'est au terme d'une campagne marquée par une forte pression diplomatique et militaire de la Chine que Lai Ching-te a remporté à 64 ans cette élection présidentielle à un tour. Il prendra ses fonctions le 20 mai prochain, aux côtés de sa vice-présidente Hsiao Bi-khim (蕭美琴), ancienne représentante de Taipei à Washington. Lai a promis de « protéger Taïwan des menaces et intimidations continuelles de la Chine ». Dans un communiqué publié le 14 janvier, le ministère des Affaires étrangères à Taipei a, lui, appelé la Chine communiste à « respecter les résultats de l'élection, à faire face à la réalité et à renoncer à réprimer Taïwan ».

Habitués aux menaces chinoises, les Taïwanais ont fait le choix de la continuité. Ils ont préféré Lai Ching-te, honni par Pékin, plutôt que Hou Yu-ih (侯友宜), candidat du Kuomintang (KMT), ou Ko Wen-je, du Parti populaire de Taiwan (TPP), deux opposants favorables à des relations plus étroites avec la Chine. Il s'agit de la troisième victoire consécutive du DPP à la présidentielle, du jamais vu dans la jeune démocratie taïwanaise.

« Nous avons montré au monde combien nous chérissions la démocratie », s'est réjoui le nouveau président, devant des dizaines de milliers de partisans venus célébrer sa victoire le 13 janvier au soir à Taipei. « Taïwan a remporté une victoire pour la communauté des démocraties, s'est-il félicité. Nous resterons du côté des démocraties. […] Seul le peuple de Taïwan a le droit de choisir son propre président. »

Pour Lai Ching-te, la tâche à venir sera probablement herculéenne. En filigrane, les pressions chinoises vont certainement s'intensifier encore, les stratèges du PCC sachant pertinemment l'existence de deux inconnues qui se présentent à lui.

Primo, les jours et semaines qui viennent seront cruciaux car Pékin pourrait bien très fortement hausser le ton, explique Lev Nachmann, chercheur à l'Université Nationale Chengchi de Taipei, cité par le magazine nippon Nikkei Asia. « Taïwan va se retrouver confrontée soit à des exercices militaires chinois très sonores, similaires à ceux qui avaient suivi la visite de [l'ancienne présidente de la Chambre américaine des Représentants] Nancy Pelosi au cours de l'été 2022, soit à une panoplie de menaces militaires plus discrètes combinées à une rhétorique brutale. » Le test sera l'attitude de Pékin à l'approche de l'investiture de Lai le 20 mai. De plus, le Kuomintang pourrait être tenté de tirer parti de la bellicosité qui sera exprimée par le régime chinois pour conforter ses positions dans la population taïwanaise.

La deuxième inconnue vient de la nouvelle donne politique dans l'île. La victoire de William Lai, malgré son score honorable, est loin d'être totale. Le DPP a perdu sa majorité au parlement, ne remportant que 51 sièges contre 52 au Kuomintang, tandis que le TPP en a gagné 8, des candidats non inscrits ayant obtenu 2 sièges. Le TPP se retrouve ainsi dans une position d'arbitre pour apporter son soutien au DPP ou au Kuomintang en fonction des gains qu'il trouvera auprès de l'un ou de l'autre. Peu après l'annonce des résultats définitifs du vote le 13 janvier, le candidat du TPP Ko Wen-je a déclaré que son parti jouerait le rôle d'une « minorité critique ». Le candidat du Kuomintang Hou Yu-ih a, quant à lui, refusé de dire si les deux partis d'opposition allaient faire cause commune contre le gouvernement, se contentant d'un truisme : « Les partis d'opposition auront la responsabilité d'être des partis d'opposition. »

William Lai devra donc composer avec ses opposants pour gouverner, un exercice qui s'avère compliqué sinon même tumultueux. « Le prochain gouvernement Lai, en particulier ses projets de loi et son budget, seront scrutés avec beaucoup plus de pressions de la part des élus que [pendant les deux mandats] de l'administration Tsai, analyse Jing Bo-jiun, un chercheur de haut rang à l'université d'Oxford, cité par le média japonais. [Le président-élu] Lai va aussi faire face à une fatigue plus prononcée des électeurs vis-à-vis du DPP qui comptera 12 ans de pouvoir en 2028″, année de la prochaine élection présidentielle. Cette situation politique est inédite à Taïwan et comporte donc de fortes incertitudes pour l'avenir de la démocratie dans l'île.

Lei Fei-fan, un ancien secrétaire général adjoint du DPP aujourd'hui membre d'un think tank influent à Taïwan, s'est dit « assez inquiet » du fait que le nouveau gouvernement connaîtra « une période très difficile » pendant les quatre années à venir, en particulier sur les questions liées aux relations entre Taïwan et la Chine communiste. Selon Lei, cité par l'agence Reuters, l'opposition au parlement pourrait être tentée de renforcer ses échanges avec Pékin.

« Compétition du siècle »

Ainsi, aux yeux de certains analystes, le Parti communiste chinois pourrait tirer parti de cette nouvelle donne politique interne pour traiter directement avec les personnalités de l'opposition taïwanaise. Et d'ignorer le gouvernement installé par Lai Ching-te. Pékin pourrait par exemple inviter en Chine des personnalités en vue de l'opposition ou décréter des embargos sur l'importation de certains produits taïwanais afin d'affaiblir l'autorité de Lai et de son gouvernement. « Il pourrait bien surgir de fortes tensions entre le palais présidentiel et les élus » de Taïwan tandis que « les ingérences de Pékin dans les affaires taïwanaises vont elles aussi s'intensifier », craint Michael Fahey, un avocat et commentateur américain établi à Taïwan, cité par le Nikkei Asia.

Le régime chinois garde le même objectif : isoler Taïwan sur la scène internationale, semer le doute au sein de la population taïwanaise dans le but ultime de rattacher l'île au continent, si possible sans devoir déclencher une offensive militaire. D'ailleurs, l'un des pays entretenant des relations diplomatiques avec Taipei, Nauru, une petite île du Pacifique, a annoncé le 15 janvier rompre avec Taipei et reconnaître dans la foulée la République populaire de Chine. Désormais, seuls 12 pays maintiennent encore des relations officielles avec Taïwan.

Cependant, nuance Su Tzu-yun, un influent chercheur de l'Institute for National Defence and Security Research, un think tank proche des milieux militaires à Taïwan, il est peu probable que Xi Jinping décide d'actions militaires offensives dans les mois à venir. « Il va observer ce que va dire Lai Ching-te d'ici son investiture. Le Parti communiste chinois est très réaliste. Ce qu'il ne supporte pas, c'est le risque politique. »

Les autorités chinoises affirment depuis des décennies que la « réunification » de Taïwan au continent est inéluctable, par la force si nécessaire. Ces dernières années, Xi Jinping a été clair : il s'agit là d'une « cause sacrée » qui doit être menée à bien par la génération présente. À la veille du scrutin taïwanais, Zhang Xiaogang, porte-parole du ministère chinois de la Défense, avait averti que l'Armée populaire de libération ne manquerait pas « d'écraser » toute velléité d'indépendance dans l'île.

En dépit de la victoire du DPP et de l'élection de Lai Ching-te le 13 janvier, l'avenir de Taïwan est tout sauf sûr, tant sont grandes les incertitudes à la fois géopolitiques, politiques, militaires et sociétales dans l'île comme aux États-Unis, en Asie et en Europe. Si Washington a toujours réaffirmé son soutien à Taipei depuis l'arrivée au pouvoir du président Joe Biden, l'armée américaine est aujourd'hui engagée sur trois fronts : l'Asie de l'Est, l'Ukraine et depuis le 7 octobre, le Moyen-Orient. Sans compter les élections présidentielles aux États-Unis en novembre prochain : la campagne des primaires qui a commencé le 15 janvier s'avère très risquée pour un Joe Biden candidat à sa réélection à l'âge de 81 ans.

L'avenir de l'île n'en est pas moins crucial. La Chine traverse une profonde et inédite crise économique et sociale, tandis que la force militaire des Américains reste impressionnante, combinée avec l'intérêt des pays démocratiques pour Taïwan avec qui le courant de solidarité ne cesse de croître. Le 15 janvier, l'un des meilleurs spécialistes de l'île, J. Michael Cole, chercheur au Global Taiwan Institute, posait ainsi, dans Foreign Affairs, l'enjeu mondial lié au sort de Taipei : « Taïwan est au cœur de la compétition du siècle, celle qui déterminera si l'ordre international établi perdurera ou s'il sera remplacé par l'autoritarisme. »

Par Pierre-Antoine Donnet

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Cour Internationale de Justice : Israël au banc des accusés, victoire du droit !

30 janvier 2024, par Association France Palestine Solidarité, Cour Internationale de Justice — , , , ,
La Cour Internationale de Justice (CIJ) a rendu ce vendredi 26 janvier sa décision sur les mesures conservatoires demandées par l'Afrique du Sud contre Israël au sujet du (…)

La Cour Internationale de Justice (CIJ) a rendu ce vendredi 26 janvier sa décision sur les mesures conservatoires demandées par l'Afrique du Sud contre Israël au sujet du génocide en cours dans la bande de Gaza.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Elle a affirmé sa compétence à statuer sur la requête de l'Afrique du Sud dans le cadre de la Convention pour la prévention et la répression du risque de génocide et a rejeté la demande d'Israël de radier l'affaire.Tout en rappelant que pour l'instant elle n'en était pas à statuer sur le fond, la Cour considère qu'il existe un risque sérieux de génocide et que des mesures conservatoires sont nécessaires pour préserver les droits de la population palestinienne.

Après avoir rappelé la définition du génocide – un ensemble d'actes qui visent à détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux - la présidente a décrit, nombre de rapports à l'appui, ce que subit depuis le 7 octobre la population de la bande de Gaza : des dizaines de milliers de morts et de blessés, les destructions massives de bâtiments, les déplacements forcés, la privation de nourriture, d'eau et de soins. Elle a ainsi estimé que l'existence même des habitants de la bande de Gaza est menacée et évoqué les traumatismes terribles des survivants.

Elle a également rappelé les nombreux discours déshumanisants des responsables politiques israéliens et considéré qu'il existe un lien direct entre ces discours et le risque de génocide à Gaza. Elle a considéré qu'il y avait un risque réel et imminent qu'un préjudice irréparable soit causé aux droits des habitants de Gaza.En conséquence de quoi la Cour ordonne à Israël :

de prévenir tout acte génocidaire, d'empêcher ses militaires de commettre de tels actes et d'assurer l'entrée dans la bande de Gaza de nourriture, d'eau, de médicaments et d'autres besoins humanitaires

de s'abstenir de commettre des actes constitutifs d'un génocide et de poursuivre les auteurs d'incitation au génocide

de soumettre sous un mois un rapport avec les mesures prises pour s'acquitter des ordonnances de la Cour.Bien que la Cour n'ordonne pas explicitement un cessez-le-feu, l'obligation de laisser entrer l'aide humanitaire impose de facto ce cessez-le-feu.

L'AFPS se réjouit de la décision historique de la CIJ. Les décisions de la CIJ sont définitives, contraignantes et sans appel, et tous les États doivent se conformer à leurs obligations légales en prenant toutes les mesures possibles pour s'assurer qu'Israël respecte la décision de la Cour et mette en œuvre intégralement et sans délai les mesures provisoires ordonnées.

La décision de la CIJ accroît la responsabilité juridique des États qui doivent mettre fin au génocide israélien en cours.L'AFPS s'adresse donc solennellement au gouvernement français et particulièrement à son ministre de l'Europe et des Affaires étrangères qui a affirmé la semaine dernière devant l'Assemblée nationale : « accuser Israël de génocide dépasse le seuil moral ». La première réaction de la diplomatie française n'est absolument pas conforme à gravité de la situation. Non seulement elle ne précise pas comment elle va contraindre Israël à appliquer les décisions de la Cour, mais on comprend qu'elle va contester auprès d'elle la qualification de génocide. Nous rappelons donc à messieurs Macron et Séjourné qu'au-delà de la responsabilité de la France, c'est leur responsabilité personnelle et morale dans une potentielle complicité du crime de génocide qu'ils engagent.

Les décisions de la CIJ ont été toutes prises à la quasi-unanimité de ses 17 juges, monsieur Séjourné, allez-vous reconnaître, comme la Cour vient de le faire, que le risque de génocide à Gaza est plausible ?

La démarche de l'Afrique du Sud redonne toute sa place au droit international. La France s'est engagée à respecter la décision de la Cour Internationale de Justice : il faut donc passer aux actes maintenant ! Il faut contraindre Israël à respecter les ordonnances de la Cour ! C'est une obligation autant juridique que morale.

Il ne suffit pas de rappeler à Israël qu'il doit se conformer au droit, il faut le lui imposer, comme il faut lui imposer par tous les moyens le cessez-le-feu, y compris par des sanctions. Et en tout premier lieu, cesser de vendre des armes à Israël !

Le Bureau national de l'AFPS
Le 26 janvier 2024

Le communiqué de la Cour internationale de justice

Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël)

La Cour indique des mesures conservatoires

LA HAYE, le 26 janvier 2024. La Cour internationale de Justice a rendu ce jour son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l'Afrique du Sud en l'affaire relative à l'Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël).

Il est rappelé que, le 29 décembre 2023, l'Afrique du Sud a déposé une requête introductive d'instance contre Israël au sujet de supposés manquements par cet État aux obligations qui lui incombent au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (la « convention sur le génocide ») en ce qui concerne les Palestiniens dans la bande de Gaza. Dans sa requête, l'Afrique du Sud a également prié la Cour d'indiquer des mesures conservatoires pour « protéger contre un nouveau préjudice grave et irréparable les droits que le peuple palestinien tient de la convention sur le génocide » et « veiller à ce qu'Israël s'acquitte des obligations que lui fait la convention de ne pas commettre le génocide, ainsi que de le prévenir et de le punir » (voir communiqué de presse 2023/77).

Des audiences publiques sur la demande en indication de mesures conservatoires de l'Afrique du Sud se sont tenues les jeudi 11 et vendredi 12 janvier 2024.

Dans son ordonnance, qui a un caractère obligatoire, la Cour indique les mesures conservatoires suivantes :

« 1) Par quinze voix contre deux,L'État d'Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l'encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d'application de l'article II de la convention, en particulier les actes suivants :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner
sa destruction physique totale ou partielle ; et

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Moseneke, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; M. Barak, juge ad hoc ;

2) Par quinze voix contre deux,L'État d'Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Moseneke, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; M. Barak, juge ad hoc ;

3) Par seize voix contre une,L'État d'Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l'incitation directe et publique à commettre le génocide à l'encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; MM. Barak, Moseneke, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ;

4) Par seize voix contre une,L'État d'Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d'existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; MM. Barak, Moseneke, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ;

5) Par quinze voix contre deux,

L'État d'Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d'actes entrant dans le champ d'application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Moseneke, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; M. Barak, juge ad hoc ;

6) Par quinze voix contre deux,

L'État d'Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l'ensemble des mesures qu'il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d'un mois à compter de la date de celle-ci.

POUR : M me Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, M me Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Moseneke, juge ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; M. Barak, juge ad hoc. »*

Mme la juge XUE joint une déclaration à l'ordonnance ; M me la juge SEBUTINDE joint à
l'ordonnance l'exposé de son opinion dissidente ; MM. les juges BHANDARI et NOLTE joignent des déclarations à l'ordonnance ; M. le juge ad hoc BARAK joint à l'ordonnance l'exposé de son opinion individuelle.

Un résumé de l'ordonnance figure dans le document intitulé « Résumé 2024/01 », auquel sont annexés des résumés de la déclaration et des opinions. Ce résumé ainsi que le texte intégral de l'ordonnance sont disponibles sur la page de l'affaire sur le site Internet de la Cour.

Les communiqués de presse précédents concernant l'affaire sont disponibles sur le site Internet de la Cour.

Remarque : Les communiqués de presse de la Cour sont établis par son Greffe à des fins d'information uniquement et ne constituent pas des documents officiels.

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l'organe judiciaire principal de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946. La Cour est composée de 15 juges, élus pour un mandat de neuf ans par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l'ONU. Elle a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). La Cour a une double mission, consistant, d'une part, à régler conformément au droit international les différends d'ordre juridique qui lui sont soumis par les États et, d'autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l'ONU et les institutions du système dûment autorisés à le faire.

Département de l'information

Mme Monique Legerman, première secrétaire de la Cour, cheffe du département :
+31 (0)70 302 2336

Mme Joanne Moore, attachée d'information : +31 (0)70 302 2337

M. Avo Sevag Garabet, attaché d'information adjoint : +31 (0)70 302 2394

Adresse électronique : info@icj-cij.org

La « coordination » entre le régime de Sissi et le pouvoir politico-militaire israélien pour le contrôle des clés de la prison bombardée de Gaza

Il y a quelques semaines, la fille d'amis palestiniens qui étudie à l'étranger m'a demandé de l'aider à lancer une campagne de crowdfunding [financement participatif] pour (…)

Il y a quelques semaines, la fille d'amis palestiniens qui étudie à l'étranger m'a demandé de l'aider à lancer une campagne de crowdfunding [financement participatif] pour sauver sa famille, qui a été déplacée de la ville de Gaza à Rafah, dans le sud.

Tiré d'À l'encontre.

Mercredi 24 janvier, Ahmed S. a demandé aux utilisateurs de Facebook au « cœur généreux » de l'aider à faire sortir sa sœur et ses jeunes enfants de la bande de Gaza.

Sur la même page, Ismail A. a écrit mardi qu'il avait besoin de coordonner d'urgence un départ dans les 48 heures pour les personnes qui ont des visas de résidence pour les Emirats arabes unis. Il peut payer 5000 dollars, et non les « frais astronomiques » exigés actuellement.

Munzer S. a également demandé ce jour-là une « coordination » urgente pour la sortie de Rafah d'une femme et de son fils qui avaient déjà un visa de tourisme pour la Turquie. Dimanche, Rawan A. a lancé un appel au même groupe Facebook : « Quelqu'un peut-il aider une famille déplacée du nord vers le sud ? Ils sont actuellement dans une tente, leur situation est grave et leur mère est malade. Qui peut faire un don ? Et connaissez-vous quelqu'un qui puisse les faire sortir de Gaza, car les frais pour obtenir un “bon de sortie” [le terme « coordination » recouvre ce trafic] sont exorbitants ? »

Le groupe Facebook, appelé Rafah Inland Crossing Network, est rempli de messages similaires, mais aussi d'annonces d'appartements à louer au Caire et d'appels à acheter des livres égyptiennes en échange de shekels (à 12 ou 13 livres pour un shekel, alors que le taux officiel est d'environ 8,4). On y trouve également des numéros de téléphone de personnes qui promettent d'organiser des départs.

Le désespoir des personnes cherchant à partir s'accroît à mesure qu'Israël continue de repousser les habitants de Gaza tout au sud de l'enclave, y compris les centaines de milliers de personnes déplacées qui n'ont pas encore fui Khan Younès, assiégée et bombardée. Selon les estimations de l'ONU, plus d'un million de personnes sont entassées dans le gouvernorat de Rafah, qui comptait environ 300 000 habitants avant la guerre. Elles sont horrifiées par chaque rumeur ou déclaration israélienne annonçant l'approche de l'offensive terrestre à Rafah.

A 50 ou 100 mètres de là, de l'autre côté de la frontière égyptienne, ils peuvent être à l'abri de la mort. Mais pour résister à ce qui est considéré comme les plans d'Israël pour s'emparer à nouveau de Gaza, l'Egypte continue d'interdire aux habitants de Gaza de partir comme ils le souhaitent. Les porte-parole égyptiens disent qu'ils ne collaboreront pas avec les projets et objectifs israéliens visant à vider Gaza de sa population. Un départ n'est possible que si des pays étrangers interviennent en faveur de certaines personnes pour une raison ou une autre, et pour quelques blessés graves et malades, dont la sortie est rendue possible au prix de grands sacrifices.

Mardi 23 janvier, les médias sociaux se sont emballés. Motaz Azaiza avait décidé de partir. Il fait partie des jeunes journalistes indépendants courageux qui ont documenté les bombardements, les sauvetages et les récupérations de corps dans les décombres, ainsi que les hôpitaux et les écoles débordant de personnes déplacées. Sur Instagram, où il compte environ 17 millions de followers, il a d'ailleurs posté une photo de lui en train de quitter son gilet de protection [sur lequel était indiqué « Press »] ainsi que ses collègues. Après plus de 100 jours de reportage, il avait de nombreuses raisons de partir, certaines connues, d'autres non.

L'une de ces raisons était peut-être le fait que 26 membres de sa famille dans la ville de Deir el-Balah [à mi-distance entre la ville de Gaza et Rafah] ont été tués par une frappe aérienne israélienne le 12 octobre. Le désespoir et le deuil peuvent s'accumuler lentement et frapper sans prévenir. La semaine dernière, un site d'information égyptien a rapporté qu'un avion militaire qatari avait attendu Motaz Azaiza à l'aéroport égyptien d'El Arish, dans le Sinaï, et l'avait emmené à Doha, la capitale du Qatar. Mais son départ, qui s'est déroulé sans encombre, est l'exception qui confirme la règle.

La seule issue et solution

Les personnes mentionnées dans les cinq premiers paragraphes font référence à une route dont les Egyptiens nient l'existence mais qui est connue de tous. De nombreux médias, dont Haaretz, en ont parlé. Pour un prix élevé – qui est passé de 4000 dollars au début de la guerre à 10 000 dollars par personne, aujourd'hui – des intermédiaires anonymes promettent de faire passer les habitants de Gaza par le point de passage de Rafah vers l'Egypte. L'euphémisme utilisé pour désigner cette vaste entreprise de corruption est « coordination ».

Les Egyptiens ont catégoriquement démenti un article publié le 8 janvier par The Guardian sur ce phénomène qui a commencé avant la guerre. Diaa Rashwan, directeur du service d'information de l'Etat égyptien, a déclaré que les droits de douane étaient perçus à Rafah conformément à la législation égyptienne, mais que n'étaient pas fondés les rapports faisant état de pots-de-vin versés par des fonctionnaires pour le franchissement de la frontière.

« Est-il vrai que les coordinations ont cessé ? » a demandé Sara M. mercredi 24 janvier au soir au sein du groupe Facebook. En fait, dans les jours qui ont suivi le démenti, des gens ont appris qu'il n'était plus possible de payer pour passer le point de passage. Mais un habitant de Rafah a déclaré à Haaretz ce jour-là que ce système avait repris, et une personne sur Facebook a dit à Sara : « Cela a pris fin seulement dans ce qui est rapporté par les médias. »

Dans son démenti, Diaa Rashwan a appelé les Palestiniens à signaler aux autorités égyptiennes toute pression exercée par des personnes cherchant à tirer profit du souhait des Palestiniens de passer par le point de passage. Il est presque certain que personne ne donnera l'information. Tout d'abord, ce paiement, aussi inaccessible soit-il pour la plupart des habitants de Gaza, semble être la seule bouée de sauvetage, un rêve ou une corde à saisir, d'autant plus que la fin de la guerre s'éloigne de plus en plus dans le temps.

Il est vrai qu'il existe aussi un ethos patriotique pour rester à Gaza. Il s'agit en partie d'une résistance aux objectifs déclarés des partisans de la droite israélienne qui cherchent à s'y installer après avoir expulsé les Palestiniens [1]. Il y a aussi le sumud [persévérance inébranlable] traditionnel, la fermeté, une position consciente adoptée avec ou sans choix. C'est devenu une seconde nature en raison du lien profond de la population avec son lieu de naissance. Mais cette éthique n'a jamais été aussi fortement en conflit avec le désir de vivre, les inquiétudes concernant les enfants et leur avenir, et le besoin fondamental d'être préservée de la peur de la mort ou des blessures graves que l'on peut subir à chaque instant.

La deuxième raison est que les gens sont convaincus que les « coordinateurs » de sortie rémunérés sont liés aux services de sécurité égyptiens, c'est-à-dire au cœur de l'establishment. « La liste des personnes quittant Rafah n'est pas seulement contrôlée par des agents au point de passage, mais par les plus hauts fonctionnaires du Caire », a déclaré à Haaretz un chercheur égyptien qui a requis l'anonymat. Il a précisé que tous les Egyptiens qui travaillent à Rafah – même les concierges – sont soumis à un processus de contrôle strict par des personnes haut placées. Tous les services de sécurité égyptiens sont représentés à Rafah. L'Egypt's General Intelligence Service y est l'autorité centrale. « Il s'agit d'une corruption autorisée par l'Etat ; il n'est pas nécessaire de comprendre la physique nucléaire pour arriver à cette conclusion », selon ce chercheur.

Le démenti officiel est ridicule, a-t-il déclaré. Selon lui, la corruption a commencé en 2005 avec le retrait d'Israël de la bande de Gaza, la fermeture quasi hermétique du point de contrôle israélien d'Erez avec Gaza et le début de la fermeture du point de passage de Rafah pendant de longues périodes pour des raisons de sécurité. « Quiconque semble choqué feint probablement la surprise. Comme partout ailleurs dans le monde, la guerre exacerbe le phénomène. Pendant des années, il y a eu une alternative au passage normal : les tunnels. Même là, l'argent parvenait aux agents de sécurité et aux officiers égyptiens. Les noms ont changé, mais la méthode est restée la même. A une différence près : aujourd'hui, ce point de passage connaît une sorte d'embouteillage, car c'est le seul moyen pour les habitants de la bande de Gaza de sortir et d'entrer en contact avec le monde extérieur. »

Un habitant de Gaza qui, avant la guerre, se rendait régulièrement à l'étranger pour des raisons familiales décrit le type d'embouteillage durant les périodes dites normales. « Le point de passage égyptien peut traiter environ 500 personnes par jour, alors que chaque jour, au moins 10 000 habitants de Gaza veulent et doivent voyager », explique-t-il.

La forte demande concernait les étudiant·e·s qui étudiaient à l'étranger, les hommes d'affaires, les patients dont le traitement n'était pas disponible à Gaza et qu'Israël n'autorisait pas à se rendre dans les hôpitaux de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, les personnes qui avaient (et ont) de la famille dans d'autres pays, et tout simplement les personnes qui voulaient se libérer de la prison appelée Gaza et qui ont réussi à obtenir un visa de touriste pour un autre pays. Même les quelques centaines de personnes qui passent chaque jour subissent des retards de plusieurs heures pour des raisons obscures. « Comment se fait-il que ce qui est possible à l'aéroport du Caire – des passagers passant le contrôle frontalier en quelques minutes – prenne 12 heures à Rafah ? Je ne comprends pas », dit cet habitant de Gaza.

En raison de l'écart entre la capacité limitée du point de passage et le nombre de personnes cherchant à partir, un système d'enregistrement anticipé des demandeurs avait été mis au point par le ministère de l'Intérieur contrôlé par le Hamas. La date prévue était communiquée, mais il n'y avait aucune garantie qu'elle serait respectée. En général, il fallait plusieurs semaines pour que le tour de la personne enregistrée arrive. Dans un message texte envoyé à son téléphone, elle était informée du jour et du numéro de l'autobus auquel elle était affectée.

Par le passé, Haaretz a appris que les autorités du Hamas donnaient la priorité à leur personnel et à leurs associés lorsqu'elles établissaient les listes des personnes qui partaient. Depuis 2014, et surtout ces trois dernières années, la transparence a été introduite pour s'assurer que les premiers à s'inscrire seraient les premiers à partir. Dans les cas vraiment urgents, il a été possible d'utiliser des « contacts » avec de hauts responsables du Hamas, qui se « coordonnaient » directement avec les Egyptiens. Mais, comme me l'a assuré un habitant de Gaza, ces numéros de téléphone étaient généralement accessibles à tous.

Pour ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas attendre longtemps, il existait des agences de voyage palestiniennes qui, moyennant quelques centaines de dollars, accéléraient le processus. Certaines de ces agences étaient liées à une entreprise publique égyptienne de tourisme appelée Ya Hala. Le service comprenait un raccourcissement de la période d'attente et une enquête précoce pour s'assurer qu'il n'y avait pas de problèmes de sécurité, que ce soit de la part d'Israël ou de l'Egypte.

Il y avait donc une « coordination » régulière qui coûtait entre 100 et 300 dollars par personne en fonction de la saison et de la situation politique. On pouvait attendre jusqu'à une semaine avant le départ. Et il y avait une « coordination VIP » pour environ 700 à 900 dollars : avec départ dans les trois jours. Vous êtes assis dans une pièce séparée du passage de Rafah – avec une tasse de café et l'air conditionné – et votre transport jusqu'au Caire est organisé à l'avance par la compagnie. Vous n'étiez pas harcelé aux points de contrôle militaires en cours de route.

De lourds pots-de-vin ab absurdum

Lorsque la guerre a éclaté, le point de passage de Rafah a été fermé aux habitants de Gaza pendant près d'un mois. Une fois qu'il a été ouvert – et, là encore, d'abord aux détenteurs de passeports étrangers –, la société Ya Hala a cessé de fournir ses services de « coordination », en raison de la décision du Caire de ne pas permettre une fuite massive des habitants de Gaza vers l'Egypte. Pour environ 650 dollars, Ya Hala ne s'occupe plus que des Palestiniens citoyens égyptiens dont le départ, pour quelque raison que ce soit, n'a pas été immédiatement autorisé par Le Caire.

Pour les autres, le prix est passé de quelques centaines de dollars à 10 000 dollars par personne, ce qui signifie que seules quelques personnes – les habitants de Gaza les plus riches et les mieux connectés, ou ceux qui ont de riches parents à l'étranger – peuvent fuir le cauchemar sans fin que connaissent plus de 2 millions d'habitants de Gaza.

Les intermédiaires ne sont pas connus par leur nom, et leur lien avec les entités au point de passage n'est pas clair non plus. Leurs numéros de téléphone sont obtenus par le bouche-à-oreille ou par des annonces sur les médias sociaux. Les « vrais » courtiers demandent à recevoir la moitié du montant à l'avance et l'autre moitié de l'autre côté. Si le départ n'est pas possible, l'argent est remboursé. Les escrocs s'emparent de l'argent lorsque le payeur découvre que son nom ne figure pas sur la liste.

Les personnes qui ne sont pas tenues de payer ces frais exorbitants sont les suivantes : les Palestiniens ayant la double nationalité, ou les parents au premier degré de citoyens étrangers dans les pays qui autorisent leur entrée, ou encore ceux qui ont des liens particuliers avec les ambassades de divers pays, ou qui ont soumis des demandes spéciales aux services de sécurité égyptiens et israéliens pour autoriser leur sortie. Selon le site Internet du coordinateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires, depuis le début de la guerre jusqu'au 22 janvier, environ 14 300 personnes ayant la nationalité de 69 pays ont quitté le territoire par Rafah après avoir été soumises à une « évaluation de sécurité ».

Lorsque la sortie est « coordonnée », l'autorité frontalière, qui est contrôlée par le Hamas, publie une liste complète des personnes qui partent, avec leur nom complet et leur numéro d'identification, et parfois leur année de naissance et leur numéro de téléphone. Il s'agit d'une liste reçue des autorités frontalières égyptiennes, après avoir été contrôlée par les autorités israéliennes. Une minorité est constituée de personnes malades ou blessées, ainsi que de leurs accompagnateurs. Tous les autres apparaissent généralement sous le nom du pays qui a organisé le départ. Les habitants de Gaza affirment que les personnes qui paient pour la « coordination » figurent sur la liste des Egyptiens.

Haaretz n'a pas pu déterminer le nombre total de personnes qui ont quitté Gaza, mais le COGAT (Administration civile israélienne dans les Territoires palestiniens) lui a indiqué que « le processus de départ des Palestiniens de Gaza vers l'Egypte est coordonné entre Israël et l'Egypte ». Certains des Palestiniens qui sont des citoyens de pays étrangers, ou des parents au premier degré de citoyens étrangers, ont été informés par les ambassades que c'était Israël qui avait interdit leur sortie. Certaines ambassades ne disent pas à leurs citoyens quelle partie a refusé leur départ.

Mais les Palestiniens soupçonnent qu'il y a des cas où les Egyptiens interdisent la sortie, afin que des pots-de-vin soient versés. Selon une source, des fonctionnaires palestiniens – vêtus d'uniformes de la police de l'Autorité palestinienne mais subordonnés au Hamas – inspectent également les personnes qui quittent le pays par Rafah. Selon une personne qui est partie récemment, ces fonctionnaires ne jouent aucun rôle dans le processus d'approbation ou de refus du départ.

Du côté égyptien de Rafah, un visa est délivré pour trois jours. Sur le sceau, il est indiqué que 25 dollars ont été payés (comme à l'aéroport), mais, comme l'a dit récemment une femme qui a quitté Gaza, « nous payons 35 dollars, et nous ne savons pas à qui vont ces 10 dollars supplémentaires ».

Les personnes qui souhaitent rester en Egypte sont autorisées à prolonger leur permis d'un mois auprès du ministère de l'Intérieur. Les personnes qui dépassent la durée de leur séjour doivent payer une amende lorsqu'elles quittent le pays ou retournent à Gaza. Beaucoup de ceux qui paient les prix élevés de la « coordination » tiennent également compte du fait qu'ils devront payer l'amende pour avoir enfreint les conditions du visa.

Le chercheur égyptien mentionné explique que, théoriquement, l'entreprise de corruption à la frontière contredit la décision de l'Egypte de ne pas laisser les habitants de Gaza fuir la bande pendant les bombardements israéliens sur Gaza. Mais, dit-il, « en fait, l'un encourage l'autre. Le fait que le point de passage soit fermé permet d'exiger et d'accepter de lourds pots-de-vin ad absurdum. » Il ajoute : « Même les citoyens égyptiens présents à Gaza n'ont pas été autorisés à partir immédiatement, et ils doivent maintenant payer pour la “coordination”. L'Etat [égyptien] – qui est en situation de faillite – permet cette corruption, et ce au plus haut niveau, afin que ses fonctionnaires et officiers soient satisfaits et conservent leur loyauté. »

« Nous sommes, en somme, les vaches à lait de l'Egypte », ajoute un habitant de Gaza qui a perdu de l'argent au profit d'un intermédiaire, même s'il a finalement traversé sans cette aide.

Un membre du groupe Facebook nommé Marie met en garde contre un vétéran de l'escroquerie d'origine turque qui a escroqué les familles des blessés et des défunts. Il prétend maintenant être jordanien, écrit-elle. « Qu'Allah te coupe la main et te gèle la langue », a-t-elle écrit. En réponse à un message, quelqu'un a commenté : « L'une des conditions pour mettre fin à la guerre doit être l'ouverture d'un passage maritime vers Chypre, car le passage de Rafah, sous la férule du régime égyptien actuel, implique l'humiliation et l'avilissement de tous ceux qui le traversent. »

Article publié dans le quotidien israélien Haaretz le 29 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre.


[1] Le dimanche 28 janvier était organisé à Jérusalem dans la salle de conférence appelée Binyanei Ha'uma International Convention Center un vaste rassemblement ayant, entre autres, pour thème le transfert des Palestiniens hors de la bande de Gaza.

On y trouvait de nombreux membres de la Knesset et du gouvernement. Nir Hasson, dans Haaretz du 29 janvier, égrène les noms suivants : Bezalel Smotrich, ministre des Finances et ministre délégué de la Défense, Orit Malka Strouck, du Parti sioniste religieux et ministre des Colonies (Implantations !), Itamar Ben-Gvir, du parti Force juive, ministre de la Sécurité nationale, Amichai Eliyahu, du parti Force juive et ministre du Patrimoine, et Yitzhak Wasserlauf, de Force juive, ministre du Néguev, de Galilée et de la Résilience nationale, Haim Katz, ministre du Tourisme, membre du Likoud, Amichai Chikli, ministre de la Diaspora et de l'Egalité sociale, membre du Likoud, Shlomo Karhi, ministre des Communications, membre du Likoud)… Sur le site pro-israélien i24news, en date du 28 janvier, était clarifié l'objectif de cette assemblée dite « festive » : « reconstruire les implantations juives israéliennes au cœur de la bande de Gaza et encourager l'émigration de la population palestinienne après la fin de la guerre contre le Hamas ». Selon i24news, Itamar Ben-Gvir a déclaré : « Le temps est venu de revenir dans le Gush Katif [groupe de colonies au sud de Gaza établies après 1967] et d'encourager l'émigration volontaire », faisant allusion aux implantations israéliennes autrefois installées à Gaza et évacuées en 2005. »

Par « émigration volontaire », ces forces entendent la déportation des Palestiniens dans la continuité de 1948 et de politique de colonisation par refoulement en Cisjordanie. Toujours selon i24news, Smotrich a affirmé : « sans implantation, il n'y a pas de sécurité. Et sans sécurité aux frontières d'Israël, il n'y a pas de sécurité dans aucune partie d'Israël », avant de conclure : « Si Dieu le veut, ensemble nous réglerons la question et nous serons victorieux. »

La réalisation de ce projet – réunissant des éléments d'une politique génocidaire – du gouvernement Netanyahou est connectée aux résultats de la guerre, c'est-à-dire à la situation militaire sur le terrain une fois la guerre « terminée ». C'est cette situation qui déterminera la réalisation complète, partielle de ce type de plan tel qu'exprimé lors de cette « conférence ». (Réd.)

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Cisjordanie-témoignages. « Barbarie ordinaire et impunité »

30 janvier 2024, par Ezra Nahmad — , , ,
En Cisjordanie les agressions des colons et de l'armée se suivent et se ressemblent, lorsqu'elles ne convergent pas. Elles relèvent des mêmes scénarios : intimidations, (…)

En Cisjordanie les agressions des colons et de l'armée se suivent et se ressemblent, lorsqu'elles ne convergent pas. Elles relèvent des mêmes scénarios : intimidations, enlèvements, coups et blessures, fabrication de preuves à charge, pillages et destructions. Cet enfer de tous les jours n'est pas le fait de quelques individus, c'est le lot « ordinaire » d'une guerre coloniale menée depuis des décennies.

25 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023. (Villages Group)
https://alencontre.org/moyenorient/palestine/78140.html

Pour ce qui touche à la terreur dans le mont Hébron, au sud de la Cisjordanie, les témoignages d'une association israélienne, The Villages Group, sont précieux. Ses membres visitent les villages du mont Hébron pour maintenir des liens d'amitié et de solidarité, et fournir une aide matérielle. Voici des extraits de leurs comptes rendus. Des témoignages d'exactions qui se sont multipliées depuis le 7 octobre.

Enlèvements. Décembre 2023

Un jeune de 17 ans a été enlevé samedi vers midi à son domicile d'Umm Al Kheir. Les soldats de la « police des frontières » l'ont chargé dans une Isuzu blanche, les yeux bandés, les mains menottées derrière le dos, et sont repartis. Pourquoi ont-ils fait ça ? Simplement parce qu'il est palestinien. Sa famille a passé de longues heures à s'inquiéter, sans nouvelles. Nous [The Villages Group] avons tout essayé pour savoir où il se trouvait et avons interpellé notre avocat, Riham – en vain.

Cette disparition ressemble à d'autres cas récents. Dimanche matin, après vingt heures d'incertitude, ce jeune a été libéré. On ne lui a rien donné à boire ni à manger pendant son enlèvement. […] Nous comprenons maintenant pourquoi nous ne pouvions pas le localiser : il ne s'agissait pas d'une arrestation officielle, mais d'un acte de sadisme délibéré à l'initiative de quelques soldats.

Nous connaissions ce garçon depuis des années, ainsi que ses frères et sœurs, car nous avons aidé la plupart d'entre eux à poursuivre leurs études. « Aujourd'hui, disent-ils, la plupart des écoles sont fermées à cause du harcèlement des colons et des soldats. Les enseignants n'ont pas été payés parce que les partis d'extrême droite qui contrôlent le gouvernement israélien n'ont pas donné à l'Autorité palestinienne les fonds [obtenus via les taxes sur les travailleurs palestiniens dans les entreprises israéliennes] qui lui reviennent. »

J'ai reçu un appel de Y. Son village a été investi le matin – comme c'est le cas quotidiennement – par deux colons avec un quad ; ils ont photographié de près les villageois et leurs enfants. Peu de temps après, cinq colons en uniforme ont débarqué dans une camionnette. De la direction opposée, des soldats réguliers sont arrivés à pied. On ne sait pas qui avait pris l'initiative du rassemblement. Les premiers étaient grossiers et violents, les soldats étaient un peu plus posés, mais ils laissaient faire.

Deux jeunes villageois ont été battus, enchaînés ; les yeux bandés, ils ont été emmenés dans la camionnette vers une destination inconnue. L'un a été descendu du véhicule et laissé quelque part, et l'autre a été conduit dans la soirée au commissariat de police, meurtri, accusé d'avoir frappé un soldat (mensonge). Aussi ridicules que soient les accusations, dès que les colons déposent une plainte, elle est enregistrée comme procédure « légale » officielle, et nous ne pouvons rien faire. Les avocats ne peuvent pas non plus être d'une grande aide dans de tels cas. Les colons savent qu'il s'agit là d'une autre forme de harcèlement et de torture.

Vandalisme et pillage à Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023

Les habitants de Khalet A-Dabe' vivaient dans des grottes jusqu'à ce qu'ils commencent à construire des maisons afin d'améliorer leur qualité de vie. J. a également construit une maison, mais elle a été démolie par l'armée. J. a reconstruit, les autorités ont encore démoli, et ainsi cinq fois. Après la dernière démolition, J. rénove la grotte mais reçoit les invités dans une tente dressée sur les décombres. Depuis que la guerre a éclaté, le harcèlement des colons s'est accru, alors J. a commencé à dormir dans la tente tandis que sa femme et ses cinq enfants dormaient dans la grotte.

Le 8 décembre à l'aube, dit-il, « plusieurs soldats sont entrés dans la tente, ont dit qu'ils venaient chercher des armes. Ils se sont bien comportés, ont fait leurs recherches et sont partis. Mais ensuite les colons sont arrivés. Depuis le début de la guerre, ils portent des uniformes et des armes militaires, ils ressemblent à des soldats. Mais ils étaient masqués. Avec eux, c'était différent, il y a eu des injures grossières – “fils de pute [répété en hébreu et en arabe], tu es le Hamas” –, et ils ont pointé leurs armes sur nos visages. Ils ont encore fouillé, tout renversé, détruit les projecteurs, démonté une partie de la clôture […]. Ils allaient de maison en maison et saccageaient tout. Dans la partie principale du village, ils ont forcé tous les habitants à se réunir dans une seule maison. Ils ont emmené mon cousin S. aux latrines et l'ont battu là-bas.

Au bout d'un moment, un colon est arrivé avec un cartable contenant de vieilles munitions. Ils ont continué à le battre pour qu'il avoue que cela lui appartenait, mais ce n'était pas le cas. Il a été emmené par les soldats, enchaîné et les yeux bandés, pour un trajet de plusieurs heures, avant d'aboutir au commissariat de Kiryat Arba (la colonie proche de Hébron). Les soldats ont continué à faire preuve de cruauté, notamment en éteignant des cigarettes sur ses bras. » Il est probable que les colons eux-mêmes aient apporté le sac avec les munitions. Mais la libération immédiate de S. atteste que la police s'est rendu compte qu'il s'agissait là d'une tromperie des colons.

Les dégâts matériels les plus graves ont été commis dans la petite école dans laquelle étudient dix enfants du village – de la 1re à la 4e année. Les colons se sont déchaînés là-bas et ont détruit tout ce qu'ils pouvaient, ils ont cassé les armoires et les portes et vandalisé les livres et les cahiers. Les écoles sont une cible privilégiée. Au cours de leur « perquisition », les vandales ont cassé des téléviseurs et des ustensiles de cuisine, volé des outils de travail, un marteau-piqueur et un générateur, ainsi que de l'argent, de l'or et des bijoux. « Qu'est-ce que cela a à voir avec une fouille d'armes ? », demande J.

Les actes de terreur coloniale en Cisjordanie sont attestés par de nombreux articles publiés dans la plupart des organes de presse internationaux. Des centaines d'agressions ont été répertoriées ces derniers mois. Pourtant, la complicité des colons, de l'armée et du système judiciaire, établie depuis de longues années, est souvent brouillée, ignorée. L'impunité et l'omerta équivalent à une caution. Israël recourt toujours à l'inversion des accusations, en fabriquant le cas échéant de fausses preuves. Les falsifications sont facilitées par les outils technologiques. Ces pratiques criminelles, accompagnées de meurtres quelquefois, se situent dans la continuité des stratégies engagées à la création de l'État d'Israël, mais les actes de barbarie ont augmenté ces derniers mois.

Raids de l'armée

Il faut ajouter à cette barbarie quotidienne les raids de l'armée. Jénine (nord de la Cisjordanie) ou Tulkarem (nord-ouest) ont été les cibles d'incursions militaires ou de bombardements par des drones. Le 12 décembre, l'armée a tué douze Palestiniens à Jénine. Mais elle a aussi volé et pillé dans la grande tradition des armées coloniales. Après le départ des soldats, un épicier faisait, devant une journaliste du Monde, l'inventaire de ce qui avait été volé : « Regardez, ce sont les restes des graines de tournesol qu'ils ont prises. Ils ont mangé et bu des articles de ma boutique. »

À la mi-janvier, l'armée a mené à Tulkarem une opération meurtrière dite « antiterroriste » de trente-cinq heures. Les témoins ont fait état de destructions des rues et des voitures par des bulldozers militaires. Depuis le 7 octobre, 360 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par l'armée ou par les colons [1]. De l'avis de tous les observateurs, l'arbitraire colonial sous toutes ses formes ne fait que renforcer l'influence du Hamas. (Article publié sur le site de Politis le 24 janvier 2024)


[1] La tragédie quotidienne se prolonge à Gaza. Le 24 janvier un porte-parole de l'UNRWA a indiqué que des centaines de personnes réfugiées dans l'un de ses centres de formation – devenu un lieu de refuge – à Khan Younès ont essuyé des tirs israéliens nourris. Le bâtiment a pris feu, de nombreuses personnes n'ont pu s'échapper, au moins 9 personnes ont été tuées et les blessé·e·s se comptent par dizaines.

Le 25 janvier, le ministère de la Santé de Gaza déclare qu'une attaque a été menée contre des personnes affamées qui faisaient la queue pour obtenir une aide humanitaire dans le nord de la ville de Gaza, ravagée par la guerre. « L'occupation israélienne a commis un nouveau massacre contre des “bouches affamées” qui attendaient de l'aide », a déclaré Ashraf al-Qudra sur Telegram. L'attaque s'est produite au rond-point du Koweït, dans la ville de Gaza, et a fait au moins 20 morts et 150 blessés. Le nombre de morts est susceptible d'augmenter car des dizaines de personnes ont été grièvement blessées. Les victimes sont soignées à l'hôpital al-Shifa, qui est à court de fournitures médicales et ne dispose que de quelques médecins, a indiqué Ashraf al-Qudra. (Réd.)

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Rendre la bande de Gaza invivable pour les générations à venir

30 janvier 2024, par Joshua Frank — , ,
Sur une plage typique du centre de Gaza, à un kilomètre au nord du camp de réfugiés d'Al-Shati, aujourd'hui rasé, de longs tuyaux noirs serpentent à travers des collines de (…)

Sur une plage typique du centre de Gaza, à un kilomètre au nord du camp de réfugiés d'Al-Shati, aujourd'hui rasé, de longs tuyaux noirs serpentent à travers des collines de sable blanc avant de disparaître sous terre. Une image diffusée par les Forces de défense israéliennes (FDI) montre des dizaines de soldats posant des canalisations et ce qui semble être des stations de pompage mobiles qui doivent prélever de l'eau dans la mer Méditerranée et l'acheminer dans des tunnels souterrains. Selon divers rapports, le plan consiste à inonder le vaste réseau de puits et de tunnels souterrains que le Hamas aurait construit et utilisé pour mener à bien ses opérations.

Tiré de A l'Encontre
23 janvier 2024

Par Joshua Frank

(Atia Mohammed/Flash90)

« Je ne donnerai pas de détails, mais il s'agit d'explosifs servant à détruire et d'autres moyens visant à empêcher les militants du Hamas d'utiliser les tunnels pour attaquer nos soldats », a déclaré le chef d'état-major de Tsahal, le lieutenant-général Herzi Halevi. « Tout moyen qui nous donne un avantage sur l'ennemi qui [utilise les tunnels], qui le prive de cet atout, est un moyen que nous étudions pour son usage. Et voir si c'est une bonne idée… »

Alors qu'Israël teste déjà sa stratégie d'inondation, ce n'est pas la première fois que les tunnels du Hamas sont soumis au sabotage par l'eau de mer. En 2013, l'Egypte voisine a commencé à inonder les tunnels contrôlés par le Hamas qui auraient été utilisés pour la contrebande de marchandises entre la péninsule du Sinaï et la bande de Gaza. Pendant plus de deux ans, l'eau de la Méditerranée a été déversée dans le réseau de tunnels, causant des dégâts à l'environnement dans la bande de Gaza. Les nappes phréatiques ont rapidement été polluées par la salinité et, par conséquent, la terre est devenue saturée et instable, provoquant des affaissements du sol et la mort de nombreuses personnes. Des champs agricoles autrefois fertiles ont été transformés en mares de boue salée, et l'eau potable, déjà rare à Gaza, s'est encore dégradée.

La stratégie actuelle d'Israël visant à noyer les tunnels du Hamas causera sans aucun doute des dommages similaires et irréparables. « Il est important d'avoir à l'esprit », prévient Juliane Schillinger, chercheuse à l'université de Twente (située à Enschede), aux Pays-Bas, « qu'il ne s'agit pas seulement d'eau à forte teneur en sel : l'eau de mer le long de la côte méditerranéenne est également polluée par les eaux usées non traitées, qui sont continuellement déversées dans la Méditerranée par le système d'égouts défectueux de Gaza. »

Bien entendu, cela semble faire partie d'un objectif israélien plus ample : non seulement démanteler les capacités militaires du Hamas, mais aussi dégrader et détruire encore plus les aquifères menacés de Gaza (déjà pollués par les eaux usées qui s'échappent des canalisations vétustes). Les responsables israéliens ont ouvertement admis que leur objectif est de faire en sorte que Gaza soit un endroit invivable, une fois qu'ils auront mis fin à leur campagne militaire impitoyable.

« Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », a déclaré le ministre de la Défense Yoav Gallant peu après l'attaque du Hamas du 7 octobre. « Nous allons tout éliminer et ils le regretteront. » Et Israël tient aujourd'hui sa promesse.

Comme si ces bombardements aveugles (« A Times Investigation Tracked Israel's Use of One of Its Most Destructive Bombs in South Gaza, New York Times, 21 décembre 2023), qui ont déjà endommagé ou détruit jusqu'à 70% des habitations de Gaza (Jerusalem Post, 30 décembre), ne suffisaient pas, le déversement d'eau polluée dans ces tunnels fera en sorte que certains bâtiments d'habitation restants souffriront également de problèmes structurels. Et si le sol est meuble et peu sûr, les Palestiniens auront du mal à reconstruire.

L'inondation des tunnels par des eaux souterraines polluées « provoquera une accumulation de sel et l'effondrement du sol, ce qui entraînera la démolition de milliers de maisons palestiniennes dans la bande de terre densément peuplée », explique Abdel-Rahman al-Tamimi, directeur du Palestinian Hydrologists Group, la plus grande ONG qui surveille la pollution dans les territoires palestiniens. Sa conclusion est on ne peut plus saisissante : « La bande de Gaza deviendra une zone dépeuplée et il faudra environ 100 ans pour se débarrasser des effets environnementaux de cette guerre. »

En d'autres termes, comme le souligne Abdel-Rahman al-Tamimi, Israël est en train de « détruire l'environnement ». Et à bien des égards, tout a commencé par la destruction des verdoyantes oliveraies de Palestine.

La fin des olives

Au cours d'une année moyenne, Gaza produisait autrefois plus de 5000 tonnes d'huile d'olive provenant de plus de 40 000 arbres. La récolte d'automne, en octobre et novembre, a longtemps été une période de fête pour des milliers de Palestiniens et Palestiniennes. Les familles et les amis chantaient, partageaient les repas et se réunissaient dans les vergers pour faire la fête sous les arbres anciens, qui symbolisaient « la paix, l'espoir et la prospérité ». Il s'agissait d'une tradition importante, d'un lien profond à la fois avec la terre et avec une ressource économique vitale. L'année dernière, les récoltes d'olives ont représenté plus de 10% de l'économie gazaouie, soit un total de 30 millions de dollars.

Bien entendu, depuis le 7 octobre, la récolte d'olives a cessé. La tactique israélienne de la terre brûlée a entraîné la destruction d'innombrables oliveraies. Des images satellites publiées début décembre montrent (The Observers, 12 décembre 2023) que 22% des terres agricoles de Gaza, dont d'innombrables vergers d'oliviers, ont été complètement ravagées.

« Nous avons le cœur brisé à cause de nos cultures, que nous ne pouvons pas atteindre », explique Ahmed Qudeih, un agriculteur de Khuza, une ville du sud de la bande de Gaza. « Nous ne pouvons ni irriguer, ni cultiver nos terres, ni en prendre soin. Après chaque guerre dévastatrice, nous payons des milliers de shekels pour garantir la qualité de nos récoltes et rendre notre sol à nouveau approprié à l'agriculture. »

L'acharnement militaire d'Israël contre Gaza a eu un impact très profond sur la vie humaine (plus de 22 000 morts [actuellement, plus de 25 000 morts], dont un nombre important de femmes et d'enfants, et des milliers d'autres corps ensevelis sous les décombres et que l'on ne peut donc pas dénombrer). Cette dernière vague de violences militaires israéliennes n'est que la continuation particulièrement sinistre d'une campagne, qui dure depuis 75 ans, d'éradication de l'héritage culturel palestinien. Depuis 1967, Israël a déraciné plus de 800 000 oliviers palestiniens, parfois pour faire place à de nouvelles colonies juives illégales en Cisjordanie ; dans d'autres cas, pour de prétendues raisons de sécurité ou par pure rage sioniste viscérale (Middle East Monitor, « Illegal Settlers destroy, steal hundreds of olive trees in Bethlehem », 31 mars 2023).

Les oliviers sauvages sont cultivés par les habitants de la région depuis des milliers d'années, depuis la période chalcolithique (âge du cuivre durant le néolithique) au Levant (4300-3300 avant notre ère), et la destruction de ces vergers a eu des conséquences catastrophiques sur l'environnement. « L'abattage des arbres est directement lié à des changements climatiques irréversibles, à l'érosion des sols et à une réduction des récoltes », selon un rapport de la Yale Review of International Studies datant de 2023. « L'écorce pérenne et ligneuse agit comme un puits de carbone… [un] olivier absorbe 11 kg de CO2 par litre d'huile d'olive produit. »

En plus de constituer une récolte et une valeur culturelle, les oliveraies sont vitales pour l'écosystème de la Palestine. De nombreuses espèces d'oiseaux, dont le geai d'Europe, le pinson vert, la corneille à capuchon, la pie-grièche masquée, l'oiseau-soleil de Palestine et la fauvette sarde, dépendent de la biodiversité des arbres sauvages de Palestine, parmi lesquels six espèces sont souvent présentes dans les oliveraies des territoires : le pin d'Alep, l'amandier, l'olivier, le nerprun de Palestine, l'aubépine épineuse et le figuier.

Comme l'ont écrit Simon Awad et Omar Attum (Indiana University Southeast) dans le numéro de décembre 2019 du Jordan Journal of Natural History : « [Les] oliveraies en Palestine pourraient être considérées comme des paysages culturels ou être désignées comme des systèmes agricoles d'importance mondiale en raison de la combinaison de leur biodiversité et de leurs valeurs culturelles et économiques. La valeur de la biodiversité des oliveraies historiques a été reconnue dans d'autres parties de la Méditerranée, certains proposant que ces zones soient protégées parce qu'elles constituent un habitat utilisé par certaines espèces rares et menacées et qu'elles sont importantes pour le maintien de la biodiversité régionale. »

Un olivier ancien et indigène devrait être considéré comme un témoignage de l'existence même des Palestiniens et de leur lutte pour la liberté. Avec son tronc épais et torsadé, l'olivier constitue une mise en garde pour Israël, non pas en raison des fruits qu'il porte, mais à cause des histoires que ses racines racontent sur un paysage écorché et un peuple meurtri qui a été assiégé sans pitié et sans relâche pendant plus de 75 ans.

Le phosphore blanc et les bombes, les bombes et encore les bombes

Tout en contaminant les aquifères et en déracinant les oliveraies, Israël empoisonne désormais Gaza depuis le ciel. De nombreuses vidéos analysées par Amnesty International et confirmées par le Washington Post (12 octobre 2023) montrent des fusées éclairantes et des panaches de phosphore blanc pleuvant sur des zones urbaines densément peuplées. Utilisé pour la première fois sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale pour couvrir les mouvements de troupes, le phosphore blanc est connu pour être toxique et dangereux pour la santé humaine. Son utilisation en milieu urbain est désormais considérée comme illégale au regard du droit international. Or, Gaza est l'un des endroits les plus densément peuplés de la planète. « Chaque fois que le phosphore blanc est utilisé dans des zones civiles surpeuplées, il présente un risque élevé de brûlures atroces et de souffrances à vie », déclare Lama Fakih, directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Human Rights Watch (HRW).

Si le phosphore blanc est hautement toxique pour l'homme, des concentrations importantes ont également des effets délétères sur les plantes et les animaux. Il peut perturber la composition du sol, le rendant trop acide pour les cultures. Et ce n'est là qu'une partie de la masse de munitions qu'Israël a déversées sur Gaza au cours des trois derniers mois. Cette guerre (si l'on peut appeler « guerre » un assaut aussi asymétrique) a été la plus meurtrière et la plus destructrice de l'histoire récente (Julia Frankel, AP, January 11, 2024). Selon certaines estimations, elle est au moins aussi grave que les bombardements alliés sur l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, qui ont anéanti 60 villes allemandes et tué un demi-million de personnes, d'après les estimations.

Comme les forces alliées de la Seconde Guerre mondiale, Israël tue sans discernement. Sur les 29 000 missiles/bombes air-sol tirés, 40% ont été des bombes non guidées larguées sur des zones résidentielles très peuplées (CNN, December 22, 2023). Les Nations unies estiment qu'à la fin du mois de décembre, 70% des écoles de Gaza, dont beaucoup servaient d'abris aux Palestiniens et Palestiniennes fuyant l'assaut israélien, avaient été gravement endommagées (Boston Review, December 20, 2023). Des centaines de mosquées et d'églises ont également été touchées et 70% des 36 hôpitaux de Gaza ont été touchés et ne fonctionnent plus.

Une guerre qui dépasse toutes les prévisions

« Gaza est l'une des campagnes de représailles des civils les plus intenses de l'histoire », affirme Robert Pape, historien à l'université de Chicago. « Elle se situe désormais clairement dans le quartile supérieur des campagnes de bombardement les plus dévastatrices de l'histoire. »

Il est encore difficile d'appréhender les dégâts infligés, jour après jour, semaine après semaine, non seulement aux infrastructures et à la vie civile de Gaza, mais aussi à son environnement. Chaque bâtiment qui explose laisse derrière lui un nuage de poussière toxique et de vapeurs qui réchauffent le climat. « Dans les zones touchées par un conflit, la détonation d'explosifs peut libérer d'importantes quantités de gaz à effet de serre, notamment du dioxyde de carbone, du monoxyde de carbone, des oxydes d'azote et des particules », explique Erum Zahir, professeur de chimie à l'université de Karachi (TRTWorld, November 2023).

La poussière dégagée par l'effondrement des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 a fait des ravages parmi les premiers intervenants. Une étude réalisée en 2020 a révélé que les sauveteurs étaient « 41% plus susceptibles de développer une leucémie que les autres individus ». Quelque 10 000 New-Yorkais ont souffert de problèmes de santé à court terme à la suite de l'attaque, et il a fallu un an pour que la qualité de l'air dans le sud de Manhattan revienne à son niveau d'avant le 11 septembre.

Bien qu'il soit impossible d'analyser tous les impacts des bombardements israéliens incessants, on peut supposer que la destruction en cours de Gaza aura des effets bien pires que ceux du 11 septembre sur la ville de New York. Nasreen Tamimi, directrice de l'Autorité palestinienne pour la qualité de l'environnement, estime qu'une évaluation environnementale de Gaza aujourd'hui « dépasserait toutes les prévisions » (Euronews.green, 20 décembre 2023).

L'accès à l'eau potable était au cœur du casse-tête auquel étaient confrontés les Palestiniens de Gaza, même avant le 7 octobre, et les bombardements incessants d'Israël n'ont fait que l'exacerber de manière effroyable. Un rapport de l'UNICEF datant de 2019 indique que « 96% de l'eau de l'unique aquifère de Gaza est impropre à la consommation humaine ».

L'électricité intermittente, conséquence directe du blocus israélien, a également endommagé les installations sanitaires de Gaza, entraînant une contamination accrue des eaux souterraines qui, à son tour, a provoqué diverses infections et des épidémies massives de maladies d'origine hydrique évitables. Selon HRW, Israël utilise le manque de nourriture et d'eau potable comme outil de guerre, ce qui, selon de nombreux observateurs internationaux, constitue une forme de punition collective – un crime de guerre de forte gravité. Les forces israéliennes ont intentionnellement détruit des terres agricoles et bombardé des installations d'eau et d'assainissement dans ce qui semble être un effort pour rendre Gaza littéralement invivable.

« Je dois marcher trois kilomètres pour obtenir 4 litres [d'eau] », a déclaré Marwan, 30 ans, à HRW. Comme des centaines de milliers d'autres habitants de Gaza, Marwan a fui vers le sud avec sa femme enceinte et ses deux enfants au début du mois de novembre. « Il n'y a pas de nourriture. Si nous parvenons à trouver de la nourriture, c'est sous forme de conserves. Nous ne mangeons pas tous bien. »

Dans le sud de Gaza, près de la ville surpeuplée de Khan Younès, les eaux usées s'écoulent dans les rues car les services d'assainissement ont cessé de fonctionner. Dans la ville de Rafah, où tant de Gazaouis ont dû se réfugier [sur ordre de l'armée israélienne], les conditions sont plus que désastreuses. Les hôpitaux de fortune de l'ONU sont débordés, la nourriture et l'eau manquent et la famine est en nette augmentation. Fin décembre, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé plus de 100 000 cas de diarrhée et 150 000 infections respiratoires dans une population gazaouie d'environ 2,3 millions d'habitants. Ces chiffres sont probablement très inférieurs à la réalité et augmenteront sans aucun doute au fur et à mesure que l'offensive israélienne se poursuivra. En effet, 1,9 million de personnes ont déjà été déplacées, soit plus de 85% de la population, et la moitié d'entre elles sont maintenant menacées de famine, selon l'ONU.

« Depuis plus de deux mois, Israël prive la population de Gaza de nourriture et d'eau, une politique encouragée ou approuvée par de hauts responsables israéliens et qui reflète l'intention d'affamer les civils comme méthode de guerre », rapporte Omar Shakir de Human Rights Watch.

Rarement, si ce n'est jamais, les auteurs de massacres (qui craignent la saisine par l'Afrique du Sud de la Cour internationale de justice de La Haye pour actes de génocide de la part d'Israël) n'ont exposé aussi clairement leurs cruelles intentions. Comme l'a dit le président israélien Isaac Herzog dans un effort méprisant de justifier les atrocités auxquelles sont confrontés les civils palestiniens, « c'est une nation entière qui est responsable [du 7 octobre]. Cette rhétorique selon laquelle les civils n'étaient pas conscients, pas impliqués, n'est absolument pas vraie. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu se battre contre ce régime diabolique [du Hamas]. »

La violence infligée aux Palestiniens par un Israël soutenu de manière si frappante [la livraison quotidienne de munitions nullifie les déclarations de Biden] par le président Biden et son équipe de politique étrangère ne ressemble à rien de ce dont nous avions été témoins auparavant, plus ou moins en temps réel, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Gaza, ses habitants et les terres qui les ont nourris pendant des siècles sont en train d'être saccagés et transformés en un enfer trop invivable, dont l'impact sera ressenti – c'est une certitude – pour les générations à venir. (Article publié sur le site TomDispatch, le 11 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Joshua Frank, journaliste californien reconnu et co-rédacteur du site CounterPunch. Il est l'auteur de Atomic Days : The Untold Story of the Most Toxic Place in America (Haymarket Books, octobre 2022).

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Appel à la paix : faisons de ce mois de janvier un temps de prise de conscience pour une Résistance créatrice de l’humanité pour la Paix, la Justice et la Liberté

Après les massacres du Hamas en Israël, la vengeance et la punition collective engagées par Netanyhaou et son gouvernement d'extrême droite, conduisent aujourd'hui au massacre (…)

Après les massacres du Hamas en Israël, la vengeance et la punition collective engagées par Netanyhaou et son gouvernement d'extrême droite, conduisent aujourd'hui au massacre massif de palestiniens (femmes, enfants, civils) dans la bande de Gaza comme en Cisjordanie.

Et pendant ce temps, des otages israéliens sont morts ou restent emprisonnés malgré l'échange, après une trêve, d'otages contre des prisonniers palestiniens. Il n'y a pourtant aucune solution militaire envisageable après 75 ans de violences. Seule une solution politique humaine, viable et pérenne assurera la sécurité des deux peuples dans une coexistence pacifique. Les atrocités de la guerre ne font que renforcer la rage et la violence des deux côtés. C'est le cas pour Israël et Gaza, pour l'Ukraine, pour le Soudan, pour tous les peuples opprimés ou en butte à des pouvoirs autoritaires et partout où les droits humains élémentaires sont bafoués. Il nous faut refuser cet engrenage de régressions inhumaines, appuyer l'action du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, et donner toute sa "place à l'humanité » pour reprendre le thème du même nom initié par les Dialogues en humanité.

En ce temps de vœux, faisons de ce passage d'année un temps de deuil pour les régressions inhumaines qui signent des défaites de l'humanité et témoignons au contraire d'une résistance créatrice et d'une espérance dans l'alliance des forces de vie, de justice et de liberté.

Cet appel signé Edgar Morin et Patrick Viveret le 1er janvier 2024 a, notamment , comme premiers signataires :

Geneviève Ancel co fondatrice du réseau international des Dialogues en humanité.
Catherine André rédactrice en chef de Vox Europe.
Alain Caillé directeur de la revue du Mauss et initiateur du mouvement des convivialistes.
Anne Marie Codur du réseau international des « guerrières de la paix ».
Jean Fabre ancien directeur adjoint du Programme des Nations Unies pour le développement.
Merci d'appuyer en donnant votre nom et prénom, votre titre et votre mail à
Jean Pierre Lancry jeanpierrelancry@gmail.com
et Patrick Viveret : patrick.viveret@icloud.com
Merci à Jean-Claude Oliva pour le relais en Amérique via
Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la Paix jasmin.pierre@uqam.ca
Jacques Lévesque, professeur émérite, doyen de la Faculté de Science Politique et de Droit 1999- 2005, Université du Québec à Montréal, levesque.jacques@uqam.ca
Marie-Luc Arpin, professeure, Marie-Luc.Arpin@USherbrooke.ca
Michel Seymour, professeur retraité, Université de Montréal, seymour@videotron.ca
Saul, Samir, professeur, samir.saul@umontreal.ca
Baba, Sofiane, professeur, Sofiane.Baba@USherbrooke.ca
Renée Joyal, juriste et professeure honoraire, joyal.renee@uqam.ca
Tamara Lorincz, doctorante Wilfrid Laurier University, tlorincz@dal.ca
Yvon Rivard, écrivain, professeur retraité McGill, y_rivard@sympatico.ca
Élisabeth Gallat-Morin, musicologue Université de Montréal morinjy@cooptel.qc.ca
Derek Paul, professeur retraité Univ. Toronto, derekleverpaul@gmail.com
Vandelac, Louise, professeure titulaire, vandelac.louise@uqam.ca
Mergler, Donna, professeure émérite, mergler.donna@uqam.ca
Lilya Prim-Chorney, danseuse retraitée, lilyacontact@hotmail.com
Pietro Pizzuti, membre de l'Agora des Habitants de la Terre, pizzuti.pietro@gmail.com
Dimitri Roussopoulos, éditeur, dimitri@blackrosebooks.com
Pierre Dubuc, éditeur, pierre-dubuc@videotron.ca
Nadia Alexan, professeure retraitée, nadia.alexan@videotron.ca
Claudio Zanchettin, philosophe, cl.zanchettin@gmail.com
Pascale Frémond, Présidente Religions pour la Paix - Québec et Religions for Peace Canada, religionspourlapaixquebec@gmail.co
Louise Marie Beauchamp, co-présidente APLP lmbeauchamp@artistespourlapaix.org
Izabella Marengo, vice-présidente APLP izabella.marengo@artistespourlapaix.org
Raymond Warren, sculpteur, warrenraymond956@gmail.com
Pascale Camirand, philosophe féministe, pascalecamirand@hotmail.com
André Jacob, professeur retraité UQAM, www.andrejacobgalerie.com
Gilarowski, Elizabeth, independant writer/researcher thatwar@hotmail.com
Jacques Goldstyn, Artiste pour la Paix de l'Année jacquesgoldstyn@gmail.com
Daniel Gingras, membre du C.A. Artistes pour la Paix daniel.gingras.dg90@gmail.com
Barbara Guy, doctorante en sciences de l'environnement barbarav@gmail.com
Lucie Sauvé, professeure émérite - environnement sauve.lucie@uqam.ca
Micheline Labelle, professeure émérite – sociologie labelle.m@uqam.ca

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Une brève explication du discours et de l’approche organisationnelle de l’anarcho-syndicalisme, accompagnée d’une explication sur la différence avec le syndicalisme révolutionnaire.

Rapport sur le mouvement ouvrier chinois | Groupe pro-AIT en Chine

https://liberteouvriere.files.wordpress.com/2024/01/cwm.png https://0.gravatar.com/avatar/08b9589eb27d3c06729f93084302d98e4131a5e1c0977a835d8b57b967e3a53b?s=96&d=identicon&%2338;r=G28 janvier 2024, par liberteouvriere
Depuis les dix dernières années nous avons fait le suivi des statistiques des mouvements ouvriers de différentes régions et industries. Ce portrait révèle une situation (…)

Depuis les dix dernières années nous avons fait le suivi des statistiques des mouvements ouvriers de différentes régions et industries. Ce portrait révèle une situation sociale, politique et économique qui va au-delà du discours officiel. Il laisse aussi présager des changements futurs au sein (...)

Les conditions de travail prennent une nouvelle tournure en Ontario

27 janvier 2024, par Southern Ontario Committee
Le 2 janvier, les travailleurs de Loblaws Great Food and Superstore ont célébré la ratification de leur nouvelle convention collective, qui prévoit une augmentation de salaire. (…)

Le 2 janvier, les travailleurs de Loblaws Great Food and Superstore ont célébré la ratification de leur nouvelle convention collective, qui prévoit une augmentation de salaire. Cette victoire fait suite à la grève réussie des travailleurs de Metro Grocery à l'été 2023 et crée un nouveau (...)

Réchauffement ou pas réchauffement

27 janvier 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Avec les températures actuelles au Bas-Saint-Laurent et Gaspésie, l’effet d’un réchauffement global ne devrait plus (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Avec les températures actuelles au Bas-Saint-Laurent et Gaspésie, l’effet d’un réchauffement global ne devrait plus être à douter. Par exemple, un état d’urgence a été décrété à Maria la semaine du 7 janvier. En effet, d’intenses (...)

Bonjour de Gaza, la détruite et la dévastée !

26 janvier 2024, par Rédaction-coordination JdA-PA
par Ziad Medhouk Ziad Medhouk est professeur de français à l’Université Al-Aqsa à Gaza. Écrivain et poète palestinien d’expression française. il est diplômé de l’Université de (…)

par Ziad Medhouk Ziad Medhouk est professeur de français à l’Université Al-Aqsa à Gaza. Écrivain et poète palestinien d’expression française. il est diplômé de l’Université de Paris VIII St-Denis. Auteur de plusieurs livres publiés en France et aussi au Québec, il est notamment connu pour son (...)

Élections au Sénégal, l’opposant Sonko est écarté

26 janvier 2024, par Serigne Sarr
Sérigne Saar En vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024 au Sénégal, 93 dossiers furent reçus par le Conseil constitutionnel, qui s’est prononcé sur la valeur (…)

Sérigne Saar En vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024 au Sénégal, 93 dossiers furent reçus par le Conseil constitutionnel, qui s’est prononcé sur la valeur juridique des dossiers fournis par les candidatures. Or une vingtaine de candidatures seulement furent validées. Parmi (...)

La CIJ se prononce sur le génocide à Gaza, mais peut-elle faire une différence ?

26 janvier 2024, par International
Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu une décision très attendue sur les mesures d'urgence demandées par l'Afrique du Sud dans l'affaire qui (…)

Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu une décision très attendue sur les mesures d'urgence demandées par l'Afrique du Sud dans l'affaire qui l'oppose à Israël. Les accusations sont graves, et évidemment justifiées : selon la Cour, Israël aurait dû prendre des (...)

Dans la rue

26 janvier 2024, par Éditions Écosociété, François Saillant — , ,
Le 30 janvier prochain, alors que vous aurez l'occasion de découvrir Dans la rue, un livre de François Saillant qui revient l'histoire combative du FRAPRU et des luttes pour le (…)

Le 30 janvier prochain, alors que vous aurez l'occasion de découvrir Dans la rue, un livre de François Saillant qui revient l'histoire combative du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec. Alors que la crise du logement s'aggrave, certains et certaines commencent à pointer du doigt l'éternel bouc émissaire de tous les maux, l'immigration, pour expliquer l'ampleur du problème. Or, à la lecture de ce livre, il devient évident que les décisions politiques passées ont un impact démesuré sur la situation actuelle. Voilà une belle occasion de remettre les pendules à l'heure.

Une plongée dans l'histoire du FRAPRU, un mouvement combatif, créatif et déterminant pour le droit au logement au Québec. Un livre incontournable pour mesurer l'impact des décisions passées sur la crise actuelle du logement.

La crise du logement frappe durement la population du Québec. Dès qu'il est question de cet enjeu, le nom du FRAPRU vient immédiatement en tête. Et pour cause. Depuis 45 ans, le Front d'action populaire en réaménagement urbain est un acteur incontournable des luttes citoyennes. Nous lui devons notamment, en grande partie, la construction de plus de 43 000 logements sociaux suite à la fondation d'AccèsLogis ou encore le blocage des hausses de loyer dans les HLM. C'est également un des organismes communautaires les plus effervescents que le Québec ait connu : entre la construction d'un bidonville devant l'Assemblée nationale, un campement d'hiver sur la rivière des Outaouais, les jeûnes à relais, manifestations, chorales, occupations et spectacles, ses actions n'ont jamais laissé indifférents.

Le FRAPRU est issu des premiers comités citoyens nés dans les années 1960 – 1970 en réaction aux projets de rénovation urbaine qui éventraient les centres-villes et en chassaient les classes populaires au nom du progrès. Aujourd'hui, il est actif sur le front du logement et de la défense des droits sociaux (lutte contre la pauvreté, financement des services publics). François Saillant, qui en a été le porte-parole pendant près de 38 ans, raconte ici l'histoire de ce regroupement qui est parvenu, malgré des moyens modestes, à influencer certaines politiques publiques afin d'éviter des reculs majeurs en matière de droit au logement et de justice sociale.

Cette plongée historique permet aussi de mesurer l'impact des décisions politiques passées sur la crise actuelle du logement. Pensons notamment au désengagement fédéral de 1994 (manque à gagner d'environ 80 000 logements sociaux aujourd'hui, soit à peu près l'équivalent de Trois-Rivières en terme de population), au fait qu'aucun nouveau HLM n'a été bâti en 30 ans ou encore à la promesse brisée du gouvernement Legault de construire les logements sociaux promis par les gouvernements précédents.

Récit d'une aventure collective, Dans la rue est l'histoire de « tant et tant de personnes qui, au fil des ans, se sont impliquées dans leurs groupes locaux […] pour poursuivre sans relâche la lutte pour le droit au logement et la justice sociale ». À la fois témoignage de l'intérieur et exercice de mémoire militante, ce livre leur est dédié.

En librairie le 30 janvier
Précommander le livre > Canada (https://www.leslibraires.ca/livres/dans-la-rue-francois-saillant-9782897199579.html)
https://www.facebook.com/events/836590098240036/?acontext=%7B%22event_action_history%22%3A%7D
Venez célébrer avec nous le 45e anniversaire du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) ainsi que la parution du dernier livre de François Saillant, Dans la rue - Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec !

✦ L'événement aura lieu le jeudi 1er février, au Ausgang Plaza, 6524, rue Saint-Hubert, Montréal, Métro Beaubien, à partir de 19h.

✦ Au menu : prises de paroles, chorale du FRAPRU, prestation de la Fanfare d'occasion et du groupe Soul Papayaz.

✦ Événement privé, gratuit, sur inscription, places limitées : https://bit.ly/3RXPjhx (https://bit.ly/3RXPjhx?fbclid=IwAR2jNr7VMh3wyStZd_TSd4GjMeBjMyp3kxuC5oWQy98EW86VAmKhWM6pdRY)
https://www.facebook.com/events/1443256786261623/?acontext=%7B%22event_action_history%22%3A%7D
https://www.salutbonjour.ca/2024/01/09/des-lectures-stimulantes-pour-nos-jeunes?fbclid=IwAR3mWCG-bMdo7vP5uIuBaFsgaZdx2p-hVWb51hQL9iIQrTPjdQv7Ir_FSpI

TVA - Salut Bonjour ! / (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2022431/voiture-electrique-ecoblanchiment-pollution-castaignede) Recension des quatre livres de la collection Radar par Léa Clermont-Dion (https://www.salutbonjour.ca/2024/01/09/des-lectures-stimulantes-pour-nos-jeunes?fbclid=IwAR3mWCG-bMdo7vP5uIuBaFsgaZdx2p-hVWb51hQL9iIQrTPjdQv7Ir_FSpI)

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Des travailleurs de Pete’s Frootique ont lutté et gagné contre l’offre « insultante » de Sobeys

26 janvier 2024, par L'Étoile du Nord
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Dominer la terre ou la ménager ?

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Présentation du dossier écrit par le coordonnateur du projet En mars 2021, le journaliste Rémy Bourdillon produisait pour Le Mouton Noir un dossier Web étoffé sur les parcs éoliens en construction dans l’est du Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie1. En amorce à ces articles réunis sous le titre « (...)

Tous les tapis roulants mènent à Rome (la suite)

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La démocratie au cœur de la transition

24 janvier 2024, par Revue Droits et libertés
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La démocratie au cœur de la transition

Frédéric Legault, Sociologue, enseignant et co-auteur de Pour une Écologie du 99 % : 20 mythes à déboulonner sur le capitalisme publié chez Écosociété en 2021 Laurence Guénette, Coordonnatrice de la LDL et antérieurement militante au sein des milieux écologistes

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023

Nous ne sommes pas tous et toutes égaux face à la crise écologique1 et ne subissons pas au même degré les violations de droits humains qu’elle engendre. Dans la nécessaire transition écologique qui est sur toutes les lèvres actuellement, la démocratie devra jouer un rôle de premier plan. Puisque ce sont les classes populaires et les groupes marginalisés qui ont le plus à perdre, et à l’échelle internationale les populations du Sud global, ces mêmes groupes ont tout avantage à faire entendre leur voix et à s’opposer aux choix politiques et aux structures économiques qui accentuent la crise écologique. Pour prévenir ou amoindrir la catastrophe, il faut donc davantage de démocratie, et un renforcement des droits humains qui sont le socle de cette démocratie. Pour la Ligue des droits et libertés, les droits humains doivent être au cœur des réflexions sur la transition et servir de cadre d’analyse. Autant les impacts de la crise écologique que les mesures d’adaptation et d’atténuation envisagées doivent être examinés à la lumière des droits humains. Ceux-ci proposent un cadre d’analyse qui « désindividualise et acquiert une portée plus collective, et qui se conforme à l’exigence de l’interdiction des discriminations, devenues systémiques, à l’heure de la transition écologique2 ». L’interdépendance des droits prend tout son sens devant les crises environnementales, qui ont des impacts avérés sur le droit à la vie, à la sécurité, à la santé, au logement, au travail, etc. Tant les écosystèmes eux-mêmes que les mouvements écologistes sont affectés par les violations du droit de manifester, du droit à l’information, du droit à la justice, du droit de défendre les droits3 ! L’universalité des droits humains prend également tout son sens, et exige que les droits des populations victimes du colonialisme et de l’extractivisme soient pleinement pris en compte. Le droit à un environnement sain4, qui se développe beaucoup depuis quelques années à l’échelle internationale, reflète remarquablement bien l’interdépendance des droits. Ses composantes substantielles (air et atmosphère, eau, sols, éléments toxiques, etc.) s’arriment à des droits démocratiques incontournables pour permettre la pleine réalisation de ce droit : ses composantes procédurales. Celles-ci comprennent l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice, conditions sine qua non à une réelle participation démocratique en matière d’environnement. Plusieurs identifient la planification démocratique de l’économie5 comme étant la meilleure façon d’alléger la pression de l’activité humaine sur les écosystèmes. Comme le capitalisme est un système basé sur la propriété privée, les entreprises sont en compétition entre elles. La propriété privée des moyens de production entraine donc une concurrence entre les entreprises pour écouler leur production au plus bas coût possible. Elles cherchent donc à réduire leurs coûts de production, à maximiser leurs profits et, conséquemment, à croitre. Parce que les principales décisions y sont prises par et pour les intérêts d’une élite restreinte, un système hiérarchique comme le capitalisme est intrinsèquement enclin à défendre les intérêts des élites. Il n’est pas adapté pour respecter et assurer la mise en œuvre des droits humains, ni n’a cela pour objectif ! Et lorsque les populations et les groupes marginalisés sont néanmoins entendus et pris en compte, c’est au prix de longues luttes exigeantes. C’est là un puissant argument en faveur d’une démocratisation de l’économie, qui doit aller de pair avec la transition écologique qui est sur toutes les lèvres. Comme l’élite dirigeante n’a pas intérêt à décider en fonction de l’intérêt de la classe dirigée, combattre la crise écologique et l’immobilisme de ceux et celles qui en bénéficient implique de lutter pour davantage de réelle participation démocratique, y compris en matière économique. Cette exigence de démocratie est d’autant plus nécessaire que ces crises menacent tout un ensemble de droits, du droit à l’eau et au logement en passant par le droit à la vie. Elles impactent de façon exacerbée certaines populations déjà marginalisées, comme les peuples autochtones, les populations appauvries du Sud global et les personnes en situation de handicap, par exemple. Ce n’est pas pour rien que les composantes procédurales et démocratiques sont au cœur de la réalisation du droit à un environnement sain, et sont nécessaires pour que la réponse aux crises environnementales soit porteuse de justice sociale. Or, en plus d’être inéquitablement répartie, la croissance économique a une dimension irréductiblement matérielle : davantage de voitures, de gratte-ciels, d’appareils électroniques, etc. Comme les ressources sont intrinsèquement limitées, toute forme de croissance dite verte est forcément une équation insoluble. Ne nous laissons pas berner ; la transition ne se réduira pas à une transition technique au sein d’un système capitaliste, visant à basculer des énergies fossiles vers des sources d’énergie renouvelables. En fait, il ne suffit plus de réfléchir à une transition énergétique, mais bien de préparer une descente énergétique. La transition ne peut consister en un simple changement d’huile : une réorganisation en profondeur de nos sociétés s’impose afin de satisfaire les besoins de toutes et tous dans le respect des limites planétaires. Pour y arriver – et nous savons que c’est possible6 – une société se doit de mettre en place un système dans lequel les entreprises ne seraient pas poussées à maximiser leurs profits pour survivre, un système où les dynamiques de concurrence et de croissance doivent être remplacées par des dynamiques de collaboration et de bien-vivre que permettrait un régime de propriété collective. Encore une fois, proposer la planification démocratique de l’économie met les collectivités au cœur de la prise de décision et permet la mise en place de ces dynamiques. Pour éviter que la nécessaire descente énergétique et matérielle ne se fasse au détriment des plus vulnérables, les décisions entourant cette réorganisation sociétale devront être prises par et pour l’ensemble de la population. Un tel système mettrait fin à l’externalisation des impacts des décisions économiques, tant les violations de droits humains que les émissions polluantes, ainsi qu’au phénomène du pas dans ma cour, puisque la planification démocratique de l’économie postule que toutes les personnes concernées et potentiellement affectées soient impliquées dans la prise de décisions. Autrement dit, un système au cœur duquel les droits humains, notamment le droit à un environnement sain, et la démocratie servent de boussole. Défendre le contraire, c’est s’engager dans une voie dangereuse. On peut aisément imaginer un gouvernement conservateur récupérer le discours écologiste pour défendre un programme autoritaire d’austérité et de réduction des conditions de vie de la majorité. Un tel gouvernement pourrait utiliser la catastrophe climatique pour justifier la suspension de certains droits et libertés. Ainsi, si on évacue la démocratie du processus de transition (et avec elle les droits des personnes les plus démunies ou marginalisées), on risque fort d’assister à une reconfiguration, voire un renforcement, des rapports de pouvoir préexistants aux crises environnementales, et conséquemment à des bilans beaucoup plus catastrophiques en matière de droits humains et de dommages environnementaux ! Dans les années à venir, les mouvements sociaux devront demeurer à l’affût pour préserver les espaces de participation démocratique qui existent et lutter pour les élargir. La démocratie requiert du temps. L’urgence climatique et environnementale ne doivent surtout pas servir de prétexte à des reculs démocratiques, alors que la démocratie est plus nécessaire que jamais !
  1. La crise écologique réfère non seulement aux changements climatiques, mais également à la perte accélérée de la biodiversité, à l’épuisement du phosphore dans les sols cultivables, à la pollution majeure des écosystèmes par les déchets et les produits toxiques, à la rareté de l’eau qui s’annonce, etc.
  2. En ligne : https://liguedesdroits.ca/revue-dossier-ecologie-dh/
  3. Pour ce droit spécifique, voir la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme de 1999 A/RES/53/144.
  4. Le droit à un environnement sain est brièvement mentionné dans la Charte québécoise, mais non justiciable, et absent de la Charte canadienne.
  5. Bengi Akbulut, Éric Pineault, Frédéric Legault, Mathieu Dufour, Simon Tremblay-Pepin, L’environnement et la planification démocratique de l’économie, L’écosocialisme, une stratégie pour notre temps - Nouveaux Cahiers du socialisme - No 28 - Automne 2022.
  6. Daniel W. O’Neill, Andrew L. Fanning, William F. Lamb et Julia K. Steinberger (2018), A good life for all within planetary boundaries, Nature Sustainability, vol. 1, p. 88-95

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Guatemala : l’installation périlleuse du nouveau président

24 janvier 2024, par Célia Sales
Par Célia Sales Depuis sa victoire aux élections en août dernier, Bernardo Arévalo n’était pas au bout de ses peines. Il a finalement réussi à prendre ses fonctions comme 52e (…)

Par Célia Sales Depuis sa victoire aux élections en août dernier, Bernardo Arévalo n’était pas au bout de ses peines. Il a finalement réussi à prendre ses fonctions comme 52e président de la République guatémaltèque le 14 janvier dernier, après des tentatives de coup d’État institutionnalisées (...)

Le droit à l’éducation en tant que droit humain

23 janvier 2024, par Revue Droits et libertés

Le droit à l'éducation en tant que droit humain

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024

Christine Vézina, Professeure, Faculté de droit de l’Université Laval, directrice et chercheure principale de COMRADES – Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux Le droit à l’éducation est un droit de la famille des droits économiques, sociaux et culturels, protégé par les articles 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)1 ratifié par le Québec et le Canada en 1976. Comme tous les droits humains, le droit à l’éducation impose des obligations de respect, de protection et de mise en œuvre à la charge de l’État2. Conformément à ses engagements, le gouvernement du Québec doit donc s’abstenir d’agir de manière à porter atteinte au droit, réglementer l’action du secteur privé afin qu’il se conforme aux obligations imposées par le droit à l’éducation et enfin adopter, de manière délibérée, des lois, des politiques publiques et des programmes et les financer suffisamment, afin de donner effet audit droit.

Visionner la conférence!

Un droit d’autocapacitation

La singularité du droit à l’éducation repose sur le fait qu’il est un droit d’autocapacitation, c’est­-à­-dire un droit destiné à donner du pouvoir aux personnes et « une des clefs des autres droits inhérents à la personne humaine3». En misant sur l’épanouissement « de la personnalité humaine » et « du sens de sa dignité », le droit à l’éducation vise à permettre à toutes et tous de participer à « une société libre », en y jouant un « rôle utile »4. C’est l’article 13(1) du PIDESC qui consacre explicitement cette idée, se conjuguant au présent et au futur. On détecte en effet, au cœur du droit à l’éducation, une double temporalité qui lui est propre. Le droit vise à miser sur le présent, tout en formulant un projet d’avenir où les groupes diversifiés de la société se comprennent. En nous invitant ainsi à rêver au futur, on peut dire que le droit à l’éducation est porteur d’espoir. Il l’est aussi par son humanisme qui dépasse, selon le Comité des droits économiques sociaux et culturels (CDESC), la finalité utilitariste que l’on peut associer à l’éducation : « son importance ne tient pas uniquement aux conséquences [qu’a l’éducation] sur le plan pratique. Une tête bien faite, un esprit éclairé et actif capable de vagabonder librement est une des joies et des récompenses de l’existence5 ». La visée d’autocapacitation du droit à l’éducation a aussi une portée transfor­mative dans le sens où elle cherche à permettre aux adultes et aux enfants socialement et économiquement margi­nalisés de se doter des moyens leur permettant d’être actrices et acteurs de leur communauté. Pour atteindre cet objectif aux bienfaits collectifs, il importe pour l’État de concevoir les fonds affectés à l’éducation comme « un des meilleurs investissements financiers que l’État puisse réaliser6 » plutôt   que   comme des dépenses.

Quatre caractéristiques essentielles et interdépendantes

Pour concrétiser ces précieux objectifs poursuivis par le droit à l’éducation, quatre caractéristiques essentielles et interdé­pendantes doivent structurer l’intervention de l’État : la dotation, l’accessibilité, l’acceptabilité et l’adaptabilité, le tout devant être surdéterminé par l’intérêt supérieur de l’apprenant7. Ces exigences imposent de prévoir des établissements, des programmes et des services éducatifs disponibles, en nombre suffisant, qui soient accessibles sur les plans physique et économique, sans discrimination. Ces établissements, programmes et servi­ces doivent être acceptables pour les personnes, c’est­-à­-dire qu’ils doivent être de bonne qualité, pédagogiquement perti­nents et culturellement appropriés. Ils doivent aussi être souples et adaptés aux besoins des étudiant-­e­-s et des sociétés en mutation. Ces caractéristiques forment en quelque sorte des vecteurs d’effectivité du droit à l’éducation.

Du minimum au maximum des ressources disponibles

L’État dispose d’une certaine marge de manœuvre pour réaliser progressivement le droit à l’éducation, tout en ayant l’obligation de mobiliser l’ensemble des ressources disponibles pour lui donner effet8. Ce volet de ses obligations est toutefois trop souvent instrumentalisé pour invisibiliser les obligations à réali­sation immédiate qui s’imposent à lui et pour justifier indûment des atteintes au droit. Il importe donc de bien démêler les différents types d’obligations prévus au PIDESC. Au chapitre des obligations à réalisation immédiate, soit les obligations dont la réalisation ne peut être différée dans le temps, se trouvent celles qui visent à assurer la jouissance du noyau minimal essentiel du droit. Ce seuil minimal fondamental, en deça duquel il est impossible d’aller, exige l’accès gratuit et universel à l’éducation primaire, des programmes éducatifs qui visent les objectifs humanistes poursuivis par l’article 13(1) du PIDESC, l’adoption et la mise en œuvre d’un programme national d’éducation visant l’enseignement secon­daire, universitaire et l’éducation de base, accompagné d’indicateurs destinés à l’évaluer9 et le libre choix de l’éducation sans ingérence de l’État10. L’interdiction de discrimination dans l’accès aux établissements, programmes et services s’impose également de manière immé­diate, à titre de composante du noyau minimal essentiel11. L’appréciation des obligations à réalisa­tion progressive, quant à elle, est tributaire du niveau de richesse de l’État. Essentiellement, plus l’État est riche et moins il peut s’exonérer des atteintes au droit qui découlent de son inaction. Dans tous les cas, l’exigence de progressivité n’est pas synonyme d’inaction12. En effet, l’État est tenu d’agir de manière immé­diate dans le but d’assurer l’éducation secondaire, universitaire et l’éducation de base. Il est de plus reconnu que la collecte de données ventilées13, permettant de mieux comprendre les réalités et de déce­ler la discrimination, s’impose à l’État dès la ratification du PIDESC. Enfin, le pendant de l’obligation à réalisation progressive se manifeste dans l’interdiction de mesures régressives, lesquelles ne peuvent s’avérer justifiées que dans des circonstances limitées et exceptionnelles14.

Des voies de recours effectifs

Comme pour tous les droits prévus au PIDESC, l’État est tenu de prévoir des voies de recours en cas d’atteinte au droit protégé, à défaut de quoi il doit démontrer qu’il ne s’agit pas de mesures appropriées pour donner effet au droit15.
Ces recours doivent prévoir des réparations pour les victimes d’atteintes attribuables à l’action et à l’omission de l’État et, à la fois, forcer son imputabilité.
À ce titre, il importe de rappeler que le Canada a accepté la dernière recommandation formulée par le Conseil des droits de l’homme, dans le cadre de l’examen périodique universel, exigeant qu’il cesse de demander à ses procureur-­e­-s de plaider l’injusticia­bilité des droits économiques, sociaux et culturels16. Ce bref survol nous a permis de tracer les contours du droit à l'éducation tel qu'il existe en droit international des droits humains. Comme nous l’avons vu, ce droit impose une diversité d’obligations à l’État et forme un cadre d’analyse à partir duquel il est possible de jeter un regard critique sur le système d’éducation québécois et ses failles. À l’heure du système à trois vitesses, de la médicalisation de l’éducation et des bris de scolarisation, de la scolarisation partielle et précaire des élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation, il ne fait aucun doute que la grille du droit à l’éducation peut présenter un atout pour catégoriser les atteintes au droit et ainsi, inscrire le comportement de l’État dans un rapport juridique qui exige de la bonne foi, de l’imputabilité, de la transparence, du suivi et de l’évaluation fondés sur des données ventilées et, lorsque requis, des réparations.
  1. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993 RTNU 3 à l’art 16 (entrée en vigueur : 3 janvier 1976, adhésion par le Canada le 19 août 1976) [PIDESC].
  2. CDESC, CDESC, Observation générale 13. Le droit à l’éducation (art. 13 du Pacte), Doc off CES NU, 21e sess. DOC NU E/C.12/1999/10, par. 46 [Observation générale no 13].
  3. Id., par. 1
  4. PIDESC, art. 13(1).
  5. Observation générale no.13, par. 1.
  6. Id.
  7. Id., par. 6 et 7.
  8. PIDESC, art. 2(1); CDESC, Observation générale no 3 : La nature des obligations des États parties, Doc off CES NU, 5e sess, Doc NU E/1991/23 (1990) par. 1, 2, 9, 10, 11, 12, 13 [Observation générale no 3]; Observation générale 13, par. 43. Notons que les Observations finales du CDESC à l’égard du Canada, formulées lors de la dernière évaluation du pays dans le cadre du suivi de la mise en œuvre du PIDESC, en 2016, recommandait explicitement au Canada de mettre en place une politique fiscale équitable permettant de mobiliser les ressources disponibles requises pour donner effet aux droits économiques, sociaux et culturels. CDESC, Observations finales concernant le 6e rapport périodique du Canada, Doc off CES NU, 57e sess, Doc NU E/C.12/CAN/CO/6, par. 7 et 8 [Observations finales relatives au Canada de 2016].
  9. Observation générale no. 13, par. 52.
  10. Id., par. 51.
  11. Id., par. 57.
  12. Id., par. 44.
  13. Id., par. 37.
  14. Id., par 45.
  15. PIDESC, 2(1); CDESC, Observation générale no. 3, par. 5.
  16. Recommandation réitérée par le CDESC dans ses dernières observations finales à l’égard du Observations finales relatives au Canada de 2016, par. 5 et 6.

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Je sors du numérique (1re partie)

23 janvier 2024, par Marc Simard
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Déni de réalité : pourquoi le climatoscepticisme progresse

23 janvier 2024, par Albin Wagener — , ,
Les discours niant le dérèglement climatique foisonnent. À force d'outils efficaces, les climatosceptiques prospèrent et sont loin de vouloir s'arrêter, explique le chercheur (…)

Les discours niant le dérèglement climatique foisonnent. À force d'outils efficaces, les climatosceptiques prospèrent et sont loin de vouloir s'arrêter, explique le chercheur Albin Wagener.

Tiré de Reporterre.net
15 janvier 2024

Par Albin Wagener

Albin Wagener est chercheur associé à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, Plidam) et au laboratoire Prefics de l'université Rennes 2.

C'est un paradoxe de notre époque : alors que les effets du changement climatique sont de plus en plus couverts par les médias et n'ont jamais été aussi saillants pour les populations, le climatoscepticisme reprend lui des forces au gré de l'actualité climatique. D'après un sondage mené par Ipsos et le Cevipof en 2023, ce sont 43 % de Français qui refusent de « croire » au réchauffement du climat.

Plusieurs fois annoncé comme dépassé ou cantonné à des sphères complotistes, le climatoscepticisme n'en finit pas de se régénérer. Si les origines de ce courant remontent aux États-Unis, il prospère chez nous aujourd'hui via des incarnations bien françaises, comme l'a montré le récent documentaire La Fabrique du mensonge sur le sujet. Tâchons donc de revenir un peu en arrière pour comprendre le succès actuel de ces discours niant le dérèglement climatique.

Une narration efficace

Dans les années 1980, aux États-Unis, l'émergence et la propagation d'une « contre-science » du climat ont résulté de la mobilisation de think tanks liés au parti républicain et au lobbying de grandes entreprises, principalement dans le secteur de la production pétrolière, en s'inspirant par ailleurs des pratiques de l'industrie du tabac.

Le terme de « climatoscepticisme » est, à cet égard, lui-même aussi trompeur que révélateur : en liant « climat » et « scepticisme », le terme donne l'impression d'une posture philosophique vertueuse (notamment la remise en question critique et informée), et induit en erreur. Car il s'agit ici bien moins de scepticisme que de déni, voire de cécité absolue vis-à-vis de faits scientifiques et de leurs conséquences, comme le rappelle le philosophe Gilles Barroux.

Mais qu'importe : au moment de l'Accord de Paris et du consensus de plus en plus large sur le climat, le climatoscepticisme semblait réduit à portion congrue : en France, en 2019, la Convention citoyenne pour le climat montrait que le sujet pouvait être pris au sérieux tout en donnant lieu à des expérimentations démocratiques. Puis en août 2021, la loi Climat et Résilience semblait ancrer un acte politique symbolique important, bien qu'insuffisant.

« Je ne crois pas au changement climatique », a écrit l'artiste Banksy sur une façade d'un immeuble de Londres, près d'une eau stagnante rappelant une inondation. Flickr/CC BY-NC 2.0 Deed/Dunk

Pourtant, malgré ces évolutions politiques, le climatoscepticisme prospère aujourd'hui en s'éloignant de son incarnation et champ originel, puisqu'il constitue désormais une forme de discours, avec ses codes, ses représentations et ses récits. C'est précisément en cela qu'il est si dangereux : du point de vue linguistique, narratif et sémantique, il utilise des ressorts hélas efficaces, qui ont pour objectif d'instiller le doute (a minima) ou l'inaction (a maxima).

« Préserver la domination de l'Homme sur ce que l'on appelle abusivement la « Nature » »

Plus clairement, les sphères climatosceptiques vont par exemple utiliser des termes aux charges sémantiques équivoques (climatorassurisme, climatoréalisme, etc.), remettre en question la véracité des travaux du Giec [1], mettre en exergue les variations du climat à l'échelle du temps géologique (la Terre ayant toujours connu des périodes plus ou moins chaudes ou froides), ou bien encore expliquer que toute action mise en œuvre pour lutter contre le changement climatique relèverait en fait de l'autoritarisme liberticide. En d'autres termes, le doute est jeté sur tous les domaines, sans distinction.

De ce point de vue, il est important de noter que le climatoscepticisme peut prendre plusieurs formes : déni de l'origine anthropique du réchauffement, mise en exergue de prétendus cycles climatiques, remise en cause du rôle du CO2 ou technosolutionnisme chevronné sont autant de variables qui donnent sa redoutable vitalité au climatoscepticisme.

Lire aussi : Christophe Cassou : « Le climatoscepticisme a la couleur de l'extrême droite »

Mais que cachent les discours climatosceptiques ? Outre les intérêts économiques, on retrouve également la préservation d'un ordre social et de systèmes de domination spécifiques : domination de l'Homme sur ce que l'on appelle abusivement la « Nature » (incluant les autres espèces, l'intégralité de la biodiversité et les ressources), exploitation des ressources nécessaires à l'activité industrielle et économique, mais aussi domination de certaines communautés sur d'autres — notamment parce que les femmes ou les populations indigènes sont plus vulnérables au changement climatique, tout en représentant également les populations les plus promptes à proposer des innovations pour contrer ses impacts.

Des cibles et intérêts marqués

Au-delà de sa pérennité, les recherches ont montré à quel point le climatoscepticisme restait efficace pour retarder l'action politique. Il ne s'agit pas ici de dire que la classe politique est climatosceptique, mais qu'un certain nombre d'acteurs climatosceptiques finissent par diffuser des discours qui font hésiter les décideurs, retardent leurs actions ou font douter quant aux solutions ou alternatives à mettre en place.

La France n'échappe pas à cette tendance : entre les coups médiatiques de Claude Allègre, l'accueil de Greta Thunberg à l'Assemblée nationale ou encore les incursions de divers acteurs climatosceptiques (se désignant eux-mêmes comme climatoréalistes ou climatorassuristes), le paysage médiatique, politique et citoyen se retrouve régulièrement pollué par ce type de discours.

Doté de solides ressources financières, ce mouvement a pu contester les résultats scientifiques dans la sphère publique, afin de maintenir ses objectifs économiques et financiers.

Le Giec en a, par ailleurs, fait les frais de manière assez importante — et encore aujourd'hui ; régulièrement en effet, des scientifiques du Giec comme Jean Jouzel ou Valérie Masson-Delmotte, qui se sont engagés pour porter de manière pédagogique les travaux collectifs dans l'espace médiatique, se sont retrouvés la cible de critiques, notamment sur la véracité des données traitées, ou la raison d'être financière du groupement scientifique mondial. Cela est notamment régulièrement le cas sur les réseaux sociaux, comme le montrent les travaux de David Chavalarias.

Prôner les certitudes d'un « vieux monde inadapté »

Au-delà de ces constats informatifs, une question émerge : pourquoi sommes-nous si prompts à embrasser, de près ou de loin, certaines thèses climatosceptiques ? Pourquoi cette forme de déni, souvent mâtinée de relents complotistes, parvient-elle à se frayer un chemin dans les sphères médiatiques et politiques ?

Pour mieux comprendre cet impact, il faut prendre en considération les enjeux sociaux liés au réchauffement climatique. En effet, cette dimension sociale, voire anthropologique est capitale pour comprendre les freins de résistance au changement ; si la réaction au changement climatique n'était qu'affaire de chiffres et de solutions techniques, il y a longtemps que certaines décisions auraient été prises.

En réalité, nous avons ici affaire à une difficulté d'ordre culturel, puisque c'est toute notre vie qui doit être réorganisée : habitudes de consommation ou pratiques quotidiennes sont concernées dans leur grande diversité, qu'il s'agisse de l'utilisation du plastique, de la production de gaz à effet de serre, du transport, du logement ou de l'alimentation, pour ne citer que ces exemples.

« Il est le symptôme d'autodéfense d'un vieux monde qui refuse de mourir »

Le changement est immense, et nous n'avons pas toujours les ressources collectives pour pouvoir y répondre. De plus, comme le rappelle le philosophe Paul B. Preciado, nous sommes dans une situation d'addiction vis-à-vis du système économique et industriel qui alimente le changement climatique ; et pour faire une analogie avec l'addiction au tabac, ce ne sont jamais la conscience des chiffres qui mettent fin à une addiction, mais des expériences ou des récits qui font prendre conscience de la nécessité d'arrêter, pour aller vite. Cela étant, le problème est ici beaucoup plus structurel : s'il est aisé de se passer du tabac à titre individuel, il est beaucoup plus compliqué de faire une croix sur le pétrole, à tous les niveaux.

Paradoxalement, c'est au moment où les effets du changement climatique sont de plus en plus couverts par les médias que le climatoscepticisme reprend des forces, avec une population de plus en plus dubitative. Ce qui paraît paradoxal pourrait en réalité être assez compréhensible : c'est peut-être précisément parce que les effets sont de plus en plus visibles, et que l'ensemble paraît de plus en plus insurmontable, que le déni devient une valeur refuge de plus en plus commode. Il s'agirait alors d'une forme d'instinct de protection, qui permettrait d'éviter de regarder les choses en face et de préserver un mode de vie que l'on refuse de perdre.

Si le climatoscepticisme nous informe sur nos propres peurs et fragilités, il est aussi symptomatique du manque de récits alternatifs qui permettraient d'envisager l'avenir d'une tout autre manière. En effet, pour le moment, nous semblons penser la question du changement climatique avec le logiciel politique et économique du XXe siècle. Résultat : des récits comme le climatoscepticisme, le greenwashing, le technosolutionnisme (le fait de croire que le progrès technique règlera le problème climatique), la collapsologie ou encore le colibrisme (le fait de tout faire reposer sur l'individu) nous piègent dans un archipel narratif confus, qui repose plus sur nos croyances et notre besoin d'être rassurés, que sur un avenir à bâtir.

De fait, le climatoscepticisme prospère encore, car il est le symptôme d'autodéfense d'un vieux monde qui refuse de mourir. Sans alternative désirable ou réaliste, alors que nos sociétés et nos économies sont pieds et poings liés par la dépendance aux énergies fossiles, nos récits sont condamnés à tourner en rond entre déni, faux espoirs et évidences trompeuses.

C'est bien là tout le problème : si les chiffres sont importants pour se rendre compte de l'importance du changement et de ses conséquences (y compris pour mesurer les fameux franchissements des limites planétaires), ce n'est pas avec des chiffres seuls que l'on met en mouvement les sociétés et les politiques. Les tenants du climatoscepticisme ont parfaitement compris cette limite, en nous proposant les certitudes confortables d'un vieux monde inadapté, face aux incertitudes paralysantes d'un avenir qui sera radicalement différent du monde que nous connaissons, mais que nous avons le choix de pouvoir écrire.

Cette tribune a été initialement publiée sur le site The Conversation.

1. Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution de climat

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Un entretien avec UGO PALHETA, sociologue, maître de conférences à l'Université de Lille, auteur de « La nouvelle internationale fasciste » (Textuel, 2022) et de « La possibilité du fascisme » (La Découverte, 2018).

18 janvier 2024 | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Ils-ne-passeront-pas

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