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Noël ! Noël ! Joyeux Noël à tous, Vraiment ?
Je suis assis devant mon thé, dans ce café sur la rue Masson.
Et à cette approche de ce "Temps des Fêtes", je réfléchis.
Et je réfléchis !
Et je réfléchis sur 2 réalités totalement différentes.
La réalité d'ici au Québec versus celle de la Palestine où pour les palestiniens la vie de chaque jour équivaut à "Survivre en Enfer" où les démons ont remplacé leur fourche par le "Uzi Pistol Model B" (pistolet automatique israélien) assassin et le souffre par le phosphore blanc.
Pendant qu'ici on se demande comment on décora notre maison pour Noël, en Palestine, à Gaza une famille palestinienne se demande où réussiront-ils à se trouver un toit à se mettre sur leur tête.
Pendant qu'ici on se demande qu'est-ce qu'on servira au invités pour le réveillon, à Gaza une famille palestinienne se demande s'ils pourront manger au moins un repas cette semaine ?
Pendant qu'ici on se questionne sur quoi leur acheter comme cadeaux, à Gaza plusieurs gazaouis se demande, s'interrogent si leur famille sera encore en vie demain matin ou si elle aura été assassinée.
Pendant qu'ici au Québec on se demande quels jouets acheter pour Noël pour les enfants, à Gaza des parents craignent pour la vie de leurs enfants.
Pendant qu'ici qu'on se demande avec qui nous passerons Noël, à Gaza autour de 2 Millions de palestiniens se demandent s'ils seront encore vivant à la fin de la semaine ou auront été assassinées.
Pendant qu'à Tel Aviv ce gouvernement d'extrême-droite israélien se félicite pour sa barbarie, partout sur notre planète, des millions de juifs ne reconnaissent pas l'État d'Israël comme représentant de leur peuple.
Israël, un envahisseur colonisateur, voleur de territoire, agresseur qui prétend se défendre.
Trop souvent on perçoit sur les médias la question :
Est-ce qu'Israël a le droit de se défendre ?
Non, la question devrait être
Est-ce que le peuple palestinien a le droit de se défendre contre un envahisseur ?
Oui hélas, il y a bien des questions à se poser sur l'honnêteté d'Israël !
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Le conflit israélo-palestinien : un débat aussi redondant que faussé et usé à la corde
On ne peut discuter du conflit israélo-palestinien sans que les passions ne s'enflamment de part et d'autre. Nous sommes en présence d'un sujet hypersensible qui fige les positions des deux camps en présence, le pro-israélien d'une part et le propalestinien de l'autre. Le soutien inconditionnel de la direction américaine à l'État hébreu y contribue pour beaucoup. C'est aussi le cas de la plupart des classes politiques occidentales à divers degrés.
Même si des divisions apparaissent (enfin !) dans le camp du Parti démocrate aux États-Unis à ce sujet, la présidence américaine ne dévie pas de l'appui sans failles qu'elle a toujours apporté à Israël, comme en témoigne son récent véto au Conseil de sécurité à une résolution réclamant un cessez-le-feu à Gaza, et ce en dépit de nombre élevé de victimes civiles gazaouies provoqué par les bombardements aériens israéliens. De là à en conclure qu'une vie palestinienne vaut moins que son équivalent israélien...
Pour l'essentiel, la direction américaine suit la position du gouvernement de Tel-Aviv : la priorité va à l'élimination du Hamas même au détriment de la vie et de la sécurité des Gazaouis, et ce malgré des plaidoyers assez faiblards en faveur de "pauses humanitaires" et de "respect aussi poussé que possible de la population civile". C'est assez pareil du côté des autres gouvernements occidentaux en dépit d'une évidente émotion de plusieurs de leurs politiciens et politiciennes devant l'ampleur de la boucherie infligée par l'armée israélienne aux Gazaouis.
Tous et toutes invoquent pour justifier leur position pro-israélienne le "droit à l'autodéfense" du gouvernement israélien mais sans jamais faire référence à celui à la résistance des Palestiniens et Palestiniennes. Quand ces derniers l'exercent, il est immédiatement stigmatisé et qualifié de "terrorisme" (un terme passe-partout, à géométrie variable).
L'antijudaïsme qui a longtemps sévi dans plusieurs pays d'Occident et le fait que l'État d'Israël a été fondé par des Juifs européens pour la plupart, expliquent en bonne partie le soutien à Israël par les classes politiques occidentales. Il s'y ajoute aux États-Unis le grand nombre de Juifs et de Juives (dont tous ne sont pas sionistes, il importe de le préciser) et un puissant et très influent lobby sioniste dont fait partie un courant évangélique protestant qui vénère Israël pour des motifs religieux.
Par contraste, les Arabes en général et les Palestiniens en particulier sont implicitement considérés comme des peuples inférieurs en raison de leur culture politique. Aussi présente-t-on souvent le conflit israélo-palestinien comme une lutte ente la démocratie et le libéralisme présumés d'Israël d'un côté, et l'autoritarisme arabe de l'autre. On refuse de tenir compte du fait que les Juifs ont édifié leur État en 1947-1948 sur les ruines de l'ancienne Palestine arabe et qu'ils occupent la Cisjordanie et Jérusalem-Est depuis 1967 ni non plus qu'ils y poursuivent leur colonisation au mépris du droit à l'autodétermination du peuple palestinien et du droit international.
Sionistes et pro-israéliens font de l'urticaire quand les propalestiniens critiquent cette politique et que certains d'entre eux refusent d'adhérer au principe du "droit à l'existence" d'Israël. Il s'ensuit donc une pluie d'accusations à leur endroit, s'étendant de "l'antisémitisme" à la collusion intellectuelle avec le "terrorisme" palestinien. Il en résulte des polémiques hargneuses et brouillées.
Poser la question dans les termes adéquats s'impose donc. Fondamentalement, il s'agit d'un conflit territorial et politique, non d'une lutte entre le droit israélien et la violence palestinienne. Ce qu'on qualifie "d'antisémitisme" n'a rien à y voir. Évidemment, les anti-judaïques détestent Juifs et Israéliens confondus, mais les partisans et partisanes de la cause palestinienne ne sont pas tous anti-judaïques, loin de là.
On remarque aussi beaucoup de mauvaise foi (consciente ou non) chez plusieurs pro-israéliens. Ils dissimulent leur haine à l'égard des Palestiniens et Palestiniennes derrière les habituels alibis de "défense de la démocratie israélienne et de lutte contre l'antisémitisme". Ils sont trop hypocrites pour admettre qu'ils défendent avant tout le nationalisme israélien plutôt que le régime politique de ce pays.
Par bonheur, devant l'urgence de la situation, les "plaques tectoniques" partisanes face à ce conflit commencent à bouger. Plusieurs politiciens occidentaux veulent remettre à l'ordre du jour le projet d'une solution à deux États. La Maison-Blanche s'y ralliera-t-elle cette fois pour de vrai ? Les actions suivront-elles les belles paroles ? On le saura plus tard. Les opinions publiques occidentales deviennent aussi beaucoup plus critiques à l'endroit d'Israël, même aux États-Unis où un mouvement grandit en faveur de la cause palestinienne.
En politique comme en géologie, rien n'est fixé pour toujours.
Jean-François Delisle
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Un débat pour aller vers une grève générale dans le mouvement ouvrier américain.

Nous donnons ici la traduction d'un article de la journaliste indépendante américaine Kim Kelly, largement diffusé sur les réseaux sociaux par le syndicat UAW, United Automobile Workers.
26 novembre 2023 | aplutsoc2
Ce printemps, un « caucus » réformateur, l'UAWD, Unite All Workers for Democracy, a imposé l'élection directe de plusieurs dirigeants de ce syndicat clef du mouvement ouvrier américain, totalement bureaucratisé et ankylosé depuis des années, aboutissant à promouvoir un nouveau dirigeant, Shawn Fain, qui a proposé l'organisation d'une grève ciblée touchant les points clefs de production des trois majors de l'automobile. Cette grève retentissante a été un vrai succès revendicatif (hausses de salaires de 25 % voire plus en 4 ans, fort recul des statuts les plus précaires) et une victoire morale de tout premier ordre.
L'article de Tim Kelly défend et illustre, en la présentant comme potentiellement révolutionnaire, tout en étant pragmatique, la nouvelle tactique syndicale mise en œuvre. Il reconnaît lui-même que la principale faiblesse du lancement d'un mouvement allant vers la « grève générale » pour le renouvellement d'un maximum de contrats de travail en 2028, c'est que c'est en 2028 !
Il serait erroné de hausser les épaules : il faut au contraire saisir tout ce que signifie le fait que la Working class, comme le dit S. Fain (à la différence de Jo Biden qui parle de Middle class !), annonce et impose son propre calendrier, comme acte en fait politique, visant à étendre la lutte des classes à l'échelle de tous les États-Unis.
Rappelons qu'en France, un moment essentiel de la constitution de la classe ouvrière comme classe organisée s'affirmant comme telle, fut le lancement par la CGT en 1902 du mot-d'ordre « A partir du 1° mai 1906 nous ne travaillerons plus que 8 heures par jour » (en fait la loi des 8 heures date de 1919).
La vraie faiblesse n'est pas le délai, mais elle se combine à la force de cette affirmation d'indépendance : c'est la question du pouvoir politique national puisque les présidentielles ont lieu l'année prochaine, ce que nos syndicalistes se gardent bien d'évoquer directement.
Or, comme l'écrit d'ailleurs Tim Kelly, les stand up strikes de la nouvelle UAW et leur issue se situant dans la perspective « 2028 » sont en fait la seconde étape d'un débat naissant sur l'action de classe généralisée, et donc sur la grève générale, aux États-Unis. La première étape en effet, avait été suscitée par le danger de coup d'État de Trump lors des dernières présidentielles : le syndicat des Hôtesses de l'air et l'union locale AFL-CIO du Vermont, notamment, avaient envisagé la grève générale dans ce cas là, ce qui avait été dénoncé par la direction de l'AFL-CIO. L'UAWD et les courants similaires dans l'AFL-CIO, comme celui des Hôtesses de l'air et comme les plus anciens Teamsters for Democratic Action, sont donc en train de passer à la seconde phase, concrète et pragmatique, de ce débat.
C'est un passage obligé. Mais concret et pragmatique ne veut pas dire moins politique, bien au contraire. Il est nécessaire que les militants nord-américains mobilisés sur les questions internationalistes (Ukraine, Palestine) et sur la question du pouvoir aux États-Unis et le danger Trump, fassent le lien avec ce qui a commencé à se produire là !
La traduction, les photos illustrant le texte et les notes sont de la rédaction.

La grève de l'UAW pourrait enfin nous faire préparer une grève générale.
Shawn Fain n'a pas vraiment la mine d'un fauteur de troubles. Né et élevé à Kokomo, dans l'Indiana, ce père de famille à lunettes aurait pu passer toute sa vie à travailler comme électricien, à jouer avec ses petits-fils les week-ends et à aspirer paisiblement à sa retraite. Mais au cours des derniers mois, il est devenu l'un des dirigeants syndicaux les plus apprécié – et les plus redoutés – du pays. Après des décennies de service à différents niveaux au sein de son syndicat, le célèbre United Auto Workers, Fain a triomphé lors de la toute première élection directe du syndicat et a pris ses fonctions dirigeantes le 26 mars dernier.
Dès lors, il a commencé à causer beaucoup de problèmes aux PDG de l'industrie automobile, lançant ses membres dans une grève innovante de six semaines, « Stand up strike » qui rendait hommage au passé du syndicat tout en s'efforçant de promouvoir son avenir. (1)
Fain, avec son franc-parler, s'est révélé être un leader extrêmement loquace, qu'il cite les Écritures ou qu'il s'en prenne à la classe capitaliste. Pour lui, la cupidité des entreprises est l'ennemi contre lequel toute la classe ouvrière est confrontée, et l'appel à « manger les riches » est bien plus qu'un slogan sur un T-shirt : c'est un appel à l'action. « On nous accuse de mener une guerre de classes », a-t-il déclaré lors d'un livestream le 13 septembre. « Il y a une guerre de classes dans ce pays depuis 40 ans. La classe des milliardaires a tout pris et a laissé tous les autres se battre pour les restes. »
En identifiant ces vampires corporatifs avides d'argent comme les coupables de l'immense inégalité qui définit désormais la vie aux États-Unis, Fain a souligné que c'est vraiment nous contre eux. Si nous voulons survivre, nous devons nous organiser et travailler ensemble pour gagner notre juste part de ce qui reste du rêve américain.
Ce désir d'amélioration est ce qui a poussé des milliers de membres de l'UAW à arrêter le travail dans cette grève désormais historique de six semaines. Leurs actions ont forcé les PDG du secteur automobile à revenir à la table des négociations pour aboutir à des victoires importantes – et inattendues – pour le syndicat. Des accords provisoires ont été conclus par les Trois Grands le 28 octobre, et deux semaines plus tard, les membres de Ford, GM (General Motors) et Stellantis (2) ont voté à 64 % pour ratifier les nouveaux contrats.
Après la fin de la grève, Fain s'est montré exubérant quant à ce qui avait été réalisé, les qualifiant de « contrats records » et de « victoire majeure pour notre mouvement ». Et surtout il dit n'avoir pas fini. « Lorsque nous reviendrons à la table des négociations en 2028, ce ne sera pas seulement les Big Three, mais avec les Big Five ou Big Six », a-t-il déclaré.
L'UAW a connu une croissance à pas de géant au cours des dernières années, grâce à une solide organisation parmi les étudiants diplômés et d'autres travailleurs universitaires ; seul un quart environ de ses membres actuels travaillent désormais à la fabrication de voitures (3). Le syndicat a annoncé son intention d'intensifier ses efforts de syndicalisation dans l'industrie automobile et d'intégrer les travailleurs d'entreprises non syndiquées, comme Tesla et Toyota. Cette décision sert à la fois d'invitation aux travailleurs non syndiqués de l'automobile qui ont besoin d'être représentés et d'avertissement aux PDG qui profitent de leur travail (4) : nous arrivons !
L'UAW ne mènera pas non plus seule sa prochaine bataille. L'un des aspects les plus intéressants des nouveaux accords de principe de l'UAW chez Ford, GM et Stellantis est qu'ils expireront tous le 30 avril 2028. Si ces contrats expirent sans parvenir à un nouvel accord satisfaisant, l'UAW sera prête à grève le 1er mai, autrement connu sous le nom de Journée internationale des travailleurs.

Shawn Fain et Sara Nelson.
C'est une date très importante pour le Labor (5). Cette fête est célébrée dans le monde entier par des millions de travailleurs, de syndicats et de mouvements sociaux, et a débuté ici lorsque la militante anarchiste noire Lucy Parsons a dirigé le premier défilé de la Fête du Travail à Chicago le 1er mai 1886 (ce contre quoi, aux États-Unis, le 1er janvier a depuis été déclaré « Jour de la Fidélité », et la Fête du Travail reste une arnaque gouvernementale.)
De plus, l'UAW espère qu'il ne sera pas seul sur les piquets de grève. Fain a appelé les autres syndicats à programmer l'expiration de leurs contrats dans les mêmes délais et à « faire preuve de force collective ». Non, vous ne rêvez pas : le chef d'un important syndicat américain appelle le reste du mouvement à se rassembler et à commencer à planifier une grève générale !
Comme je l'ai écrit en 2019, la présidente de l'Association of Flight Attendants-CWA, Sara Nelson (6), a électrisé le mouvement syndical en évoquant simplement l'idée d'une grève générale, et alors qu'un arrêt maladie massif des travailleurs de la TSA (7) immobilisait les principaux hubs aériens : la menace combinée a contribué à éviter une fermeture du gouvernement.
Depuis lors, de nombreux appels à la grève générale ont été lancés, principalement par des individus et des groupes sur les réseaux sociaux, ce qui a souvent semé la confusion quant à la forme réelle d'une grève générale. Pour être clair, une grève générale n'est pas une protestation, ni un rassemblement, ni un simple piquet de grève, ni un boycott. Il s'agit, comme je l'ai déjà défini, « d'une action syndicale dans laquelle un nombre important de travailleurs d'un certain nombre d'industries différentes, qui constituent la majorité de la main-d'œuvre totale d'une ville, d'une région ou d'un pays donné, se réunissent pour prendre des mesures collectives d'action. » Tout au long de l'histoire, les travailleurs ont utilisé cette tactique comme arme nucléaire pour fermer des villes entières en cas de besoin, notamment Philadelphie en 1835, Seattle en 1919 et au-delà.
Nous avons vu ce qu'une ligne de piquets de grève peut faire à un lieu de travail, comme la fermeture de la SAG-AFTRA (8) et de la WGA (9) à Hollywood et la grève nationale de Starbucks lors du Red Cup Day(10),et nous savons, par les précédents historiques, que des milliers de travailleurs ont lancé une grève générale dans toute une ville. Cela peut paralyser tout une région. Imaginez alors ce qui pourrait arriver si des centaines de milliers, voire des millions de travailleurs de différentes entreprises débrayaient tous en même temps ? Travailleurs de l'automobile, infirmières, agents de bord, mineurs de charbon, Teamsters, étudiants diplômés, débardeurs, postiers, pilotes, ouvriers agricoles, électriciens, agents sanitaires, enseignants, cheminots … Les possibilités sont illimitées, tout comme le potentiel de perturbation.
Si seulement quatre ou cinq des syndicats représentant les travailleurs mentionnés ci-dessus s'unissaient dans une grève générale nationale, le pays tout entier s'arrêterait. Lorsque Shawn Fain demande à ses collègues syndicaux de fixer le délai à mai 2028, ce qu'il dit en réalité, c'est de se préparer à fermer les portes et à uniformiser les règles du jeu entre patrons et travailleurs à l'échelle nationale une bonne fois pour toutes.
La question est cependant de savoir s'il est réellement possible d'avoir une grève générale aux États-Unis en 2028 ?
Mai 2028 est dans environ quatre ans et demi. Cela peut sembler éternel vu d'aujourd'hui, mais cela arrivera beaucoup plus tôt que nous le pensons, et nécessitera une planification sérieuse. Il faudra renforcer les fonds de grève des syndicats afin que les grévistes ne souffrent pas de la faim ou ne perdent pas leurs soins de santé. Il faudra organiser les personnes qui ne font pas partie des syndicats en grève pour les impliquer et prendre en charge ceux qui n'ont pas accès aux ressources syndicales.
Il est également essentiel de se rappeler exactement pourquoi Fain appelle les syndicats à faire grève dans le cadre des négociations contractuelles : parce que les grèves de solidarité (dans lesquelles les travailleurs se joignent à une grève en solidarité avec les grévistes d'un autre lieu de travail) sont, dans la plupart des cas, illégales aux États-Unis. En raison de la loi Taft-Hartley de 1947, adoptée à la suite de la grève générale d'Oakland menée par les femmes en 1946, les grèves générales sont également illégales(11). Ce piétinement du droit des travailleurs à faire preuve de solidarité est une source de frustration depuis des décennies, mais a également incité les syndicalistes et les dirigeants syndicaux à faire preuve de créativité lorsque cela est nécessaire.
Ainsi, si, comme Fain l'a suggéré, un certain nombre de syndicats distincts fixent l'expiration de leurs contrats au même moment et se mettent en grève en conséquence, aucune loi n'est enfreinte. C'est juste le bon timing. Et puis, par exemple, si des milliers d'autres travailleurs, syndiqués ou non, sympathisants de la cause, tombaient tous malades en même temps et devaient cesser de travailler pendant la grève générale… eh bien, c'est tout simplement grave.
Les arrêts de travail sont une tactique séculaire avec un historique de succès récent (et il n'existe pas de lois antisyndicales contre le fait d'« attraper un vilain rhume »). En 2019, alors que la fermeture partielle des agences fédérales a privé les travailleurs de la TSA(12)de leurs chèques de paie, des centaines d'entre eux se sont déclarés malades (à un moment donné, le taux d'intervention a chuté à 10 %). Cela a effrayé les représentants du gouvernement et les PDG des compagnies aériennes, contribuant ainsi à mettre fin à la fermeture. En bref, cela a fonctionné – et cela peut fonctionner à nouveau, si nécessaire.
l est encourageant de voir autant de personnes exprimer leur enthousiasme à l'idée d'une grève générale. Pour être tout à fait honnête, cependant, nous n'aurons probablement qu'une seule chance d'y parvenir avant que le gouvernement n'invente un nouvel ensemble de lois pour rendre les choses encore plus difficiles à faire. Le fait d'avoir créé des syndicats dotés de ressources financières considérables et de services juridiques chevronnés menant la charge dans ce domaine n'est peut-être pas la démarche d'avant-garde révolutionnaire que certains espéraient ; avec suffisamment de temps, cependant, cela pourrait le devenir.
À l'heure actuelle, les syndicalistes de base ont quatre ans et demi pour rallier leurs dirigeants à la proposition de Fain. Ce n'est pas une tâche facile.
Ce n'est un secret pour personne qu'une grande partie de l'establishment syndical est allergique à la moindre bouffée de militantisme et bien trop à l'aise avec les Démocrates du monde des affaires. L'AFL-CIO a la décevante habitude de museler la dissidence dans ses rangs, depuis son refus d'expulser les policiers de la fédération au niveau national (13) jusqu'à son habitude de punir les conseils locaux et nationaux allant à l'encontre des positions officielles de la fédération. En 2020, l'AFL-CIO du Vermont a adopté une résolution plutôt prémonitoire envisageant une grève générale dans tout l'État au cas où Trump refuserait de quitter ses fonctions. En réponse, l'AFL-CIO nationale a ouvert une enquête contre le conseil AFL-CIO de l'Etat et l'a formellement réprimandé.
On ne sait pas si les trois dernières années ont eu un impact sur l'appétit de l'AFL-CIO pour une grève générale, mais étant donné le bilan de l'organisation, les chances ne sont peut-être pas en notre faveur. Heureusement, les responsables syndicaux ont une durée de vie et les élections sont un excellent moyen de bouleverser le positionnement politique de votre syndicat. Prenez le cas de Fain, qui occupe son poste actuel grâce, en partie, au travail du caucus réformateur Unite All Workers for Democracy.
Si les adhérents de votre syndicat sont impatients de partir en 2028 mais que vos dirigeants ne sont pas à la hauteur du défi, dirigez vos propres listes réformatrices et remplacez-les ! Si vous n'êtes pas encore membre d'un syndicat, adhérez ! Si votre lieu de travail n'est pas organisé, organisez-le ! Si vous ne pouvez pas faire l'un ou l'autre en raison du secteur dans lequel vous travaillez, de votre santé, de vos capacités ou de vos obligations familiales, prenez contacts avec des syndicalistes et trouvez la tache qui vous convient le mieux. Nous avons du temps – faites-en bon usage !
Comme l'a dit Fain : « Si nous voulons vraiment nous attaquer à la classe des milliardaires et reconstruire l'économie afin qu'elle commence à fonctionner dans l'intérêt du plus grand nombre et non de quelques-uns, alors il est important non seulement de faire grève, mais aussi de faire grève ensemble. »
Avec une planification minutieuse, nous pouvons vraiment faire passer cette grève générale de 2028 d'une chimère à une réalité réalisable, réalisable et bouleversante. Nous devons juste commencer maintenant.
KIM KELLY :
NOTES.
1. La formule « Stand up strike » désigne des piquets mobiles popularisant la grève et bloquant l'accès à certains site de production, pour assurer les arrêts ciblés sur les lieux clef, demandant un niveau élevé d'organisation. Elle fait référence au moment fondateur de l'UAW, à savoir les « Sit down strikes » (grèves avec occupations, ce que ne sont pas les « Stand up strikes ») de 1937.
2. Anciennement Chrysler.
3. D'après Dianne Feeley, ouvrière de l'automobile de Detroit à la retraite et rédactrice en chef de Against the Current, dans un article paru en français dans Inprecor de novembre 2023, le « coût du travail » (capital variable dans les termes de Marx) ne représente que 4 % à 5 % du prix des véhicules et était de 7 % à 8 % avant la crise de 2008. La productivité du travail est donc très forte, mais cela n'enlève rien au fait que la survaleur en quoi consiste le capital vient du travail : d'où l'efficacité de la grève. Les « réformateurs » de l'UAW nous montrent qu'une technicité plus élevée peut renforcer, et non pas diminuer, la force de frappe du travail humain dans la lutte des classes. Ce pari sur la hausse des qualifications ne doit cependant pas nous faire négliger l'autre fait flagrant dans la campagnes des piquets : la présence massive des femmes, des noirs et des latinos.
4. Tesla notamment, dont le patron est le prophète-escroc du capital Elon Musk, est à la tête du passage à la voiture électrique et ne veut pas de syndicat « chez lui ». Certains médias annoncent même un duel Fain-Musk. En fait, la stratégie de Fain consiste ici à faire du travail ultra-qualifié dans des industries ultra-automatisées une arme sociale de choc, et ce n'est pas en 2028 mais dès maintenant que la bataille de la syndicalisation chez Tesla vient de commencer, avec des adhésions « clandestines » dans les usines de Californie.
5. Nous ne traduisons pas le terme typiquement américain « Labor » (et non « Labour », à l'anglaise), qui figure depuis le début (1886) dans le sigle de l'AFL : la meilleure traduction serait « classe des travailleurs ». Il s'agit des producteurs du capital, potentiellement tous organisables en syndicats.
6. Syndicat des Hôtesses de l'Air. Sara Nelson, membre du Parti démocrate mais qui a refusé des fonctions gouvernementales proposées par Biden, a parlé de grève générale contre un éventuel coup d'État de Trump, et a commencé à former un caucus (alliance) avec le courant réformateur de l'UAW de Shawn Fain.
7. Transportation Security Administration.
8. Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists, qui a, contre les producteurs groupés dans l'Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP), et en alliance avec le WGA (note suivante) lancé la grève d'Hollywood cet été.
9. Writers Guild of America, syndicat des scénaristes.
10. Le Red Cup Day, 16 novembre, est une journée de promotion des magasins Starbucks avec comme emblème un gobelet rouge. Le 16 novembre 2023 a été détourné en « rébellion de la coupe rouge » par des milliers d'employés qui ont fait grève pour exiger le droit syndical.
11. La grève générale d'Oakland en 1946 a entraîné toute la ville à l'initiative des femmes employées de commerce auxquelles le droit syndical était refusé. La loi anti-grève Taft-Hartley a été votée par le Congrès après l'élection de Truman en 1948, pour lequel AFL et CIO (qui fusionneront en 1955) avaient appelé à voter, et avec l'aval de Truman.
12. Transportation Security Administration : agents de sécurité des aéroports.
13. L'exigence de chasser les flics des syndicats s'est exprimée en 2020 lors de la vague de manifestations et d'émeutes faisant suite à l'assassinat raciste de George Floyd, vague qui a conduit à la défaite électorale de Trump à la fin de l'année.
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Débats du Comité international de la IVe Internationale

La réunion du Comité international de la IVe Internationale s'est tenue du 21 au 25 octobre. Elle a rassemblé plus de 80 camarades de plus de 30 pays des différents continents. C'était la première réunion en présence physique depuis l'épidémie de Covid. Les deux dernières années, les réunions avaient eu lieu en visioconférence, ce qui avait permis de rassembler un très grand nombre de camarades, puisqu'il n'y avait pas l'obstacle des visas et des coûts de transport, mais il faut reconnaître que les réunions physiques sont d'une qualité humaine et politique bien supérieure.
Tiré de Quatrième internationale
2 décembre 2023
Par Léon Crémieux et Antoine Larrache
Nous avons pu accueillir de nouvelles organisations observatrices, du Brésil, d'Irlande, des États-Unis. Une vingtaine d'organisations n'ont pas pu participer, notamment en raison des politiques de restriction de visas.
La réunion s'est tenue dans le contexte d'une situation internationale particulièrement complexe, celle d'une crise multidimensionnelle dont les guerres en Ukraine et en Palestine, mais aussi au Myanmar et les situations aux Philippines, en Indonésie, en Inde, moins connues en Europe, montrent l'ampleur de la violence.
Mais la rencontre de militant·es de tant de pays qui mènent les batailles pour un autre monde, discutant des moyens de faire évoluer le rapport de forces, produit des dynamiques humaines et militantes qui permettent d'envisager une contre-offensive.
La discussion a été structurée par quatre grands débats, dans la perspective du congrès mondial qui doit avoir lieu en 2025. Le premier concernait le manifeste écosocialiste qui propose un programme révolutionnaire adapté à la période actuelle, le second l'analyse de la situation mondiale, le troisième la construction des mouvements de masse et le quatrième les tâches de construction de l'Internationale.
Vers un programme actualisé pour le renversement du capitalisme
La réunion a débuté par une discussion concernant la préparation d'un manifeste écosocialiste de la IVe Internationale que nous souhaitons adopter lors du prochain congrès. Il s'agit, à partir de l'analyse de la situation mondiale, de formuler des perspectives révolutionnaires adaptées à la période. Le texte est un outil pour discuter au sein de l'Internationale, entre ses sections mais aussi à l'intérieur de chaque section, puis de se tourner vers l'extérieur, de redonner de la force à un projet alternatif au capitalisme. En effet, malgré la crise profonde et multidimensionnelle du système, malgré les grandes mobilisations qui existent dans le monde, il n'y a pas aujourd'hui d'alternative positive, de projet qui rassemble le prolétariat. Nous voulons contribuer à reconstruire une telle perspective, en donnant des éléments sur la société que nous voulons.
Le manifeste rappelle la démarche transitoire qui a prévalu dans notre tradition, faisant le lien entre d'un côté les revendications immédiates, les préoccupations des masses, et de l'autre la remise en cause du capitalisme, de la propriété privée des moyens de production et de l'État, par le biais d'une série de mots d'ordre, de projets concrets qui tracent la voie vers une autre société. Pour chaque élément, il s'agit de réfléchir à une démarche permettant la mobilisation, l'auto-activité du prolétariat, son émancipation, une démarche de réappropriation sur le plan politique et culturel autant que matérielle.
C'est le cas pour ce qui concerne les mots d'ordre sociaux, des salaires à la protection sociale, et dans tous les domaines.
Le document en cours de rédaction a détaillé les mots d'ordre concernant la nécessité d'un programme mondial de décroissance juste, écosocialiste, la réorganisation du travail et de la production, l'égalité ; un programme de développement anti-impérialiste dans les pays dominés ; ainsi qu'une actualisation de la stratégie de prise du pouvoir, faisant le lien entre les résistances sociales, les expériences alternatives à Mindanao, au Rojava, au Chiapas, et la nécessité d'une stratégie de renversement de l'ordre établi, d'une prise du pouvoir par le prolétariat, basée sur l'auto-organisation, l'auto-émancipation comme but mais aussi comme stratégie pour permettre les changements sociaux.
Une situation de crise profonde du système
Après une journée de réunions continentales et l'habituelle réunion non mixte des femmes, la plénière a redémarré avec un échange liant les différents éléments de la situation : pandémie et crise écologique, crise économique et ses conséquences sur les luttes sociales, montée de l'extrême droite et des courants néofascistes ou ultra-autoritaires dans différents pays, et bien sûr les guerres. La montée de l'autoritarisme est analysée dans ce cadre : « les fractions de la bourgeoisie du monde entier ont émergé et se sont développées pour soutenir le néofascisme en tant que solution politico-idéologique capable de durcir les régimes, de contrôler les mouvements de masse d'une main de fer, d'imposer des ajustements brutaux et des dépossessions afin de récupérer le taux de profit. » Tandis que la crise économique constitue potentiellement les prémices de nouvelles crises de paiement de la dette au niveau régional, voire mondial, avec les conséquences que cela aurait sur les classes populaires.
Les guerres actuelles sont un signe de la « reconfiguration de l'ordre géopolitique mondial » en cours. Celle-ci tend à se structurer autour de l'affrontement entre le bloc dirigé par les États-Unis et celui en construction autour de la Chine. D'autres puissances impérialistes jouent un rôle important, en particulier l'Union européenne, et la Russie avec la guerre en Ukraine. Mais l'élément clé est la capacité de la Chine à contester la domination des impérialistes occidentaux dans leurs sphères d'influence historiques. Le CI écarte les orientations campistes qui peuvent exister dans certains courants, qui prétendent que la Russie ou la Chine joueraient un rôle objectivement progressiste face au bloc occidental. En réalité, les affrontements entre les impérialistes n'apportent que des malheurs aux peuples et, tout en nous opposant à l'OTAN et à tous les accords impérialistes, nous soutenons les luttes des peuples opprimés en Ukraine, au Soudan, en Palestine, etc.
Quelques semaines après l'offensive du 7 octobre, le CI a voté une motion faisant le lien entre Ukraine et Palestine, parce que nous dénonçons aussi bien les offensives militaires de la Russie que d'Israël, et nous défendons le droit des peuples à se libérer, les armes à la main, même si nous ne partageons pas l'orientation politique du gouvernement ukrainien et du Hamas.
Reconstruire les mouvements sociaux face à l'exploitation et aux oppressions
Le débat suivant concernait l'intervention dans les mouvements sociaux. Pour l'essentiel il s'agissait, dans la période actuelle de crise du mouvement ouvrier à l'échelle internationale, de discuter de la nécessité pour les révolutionnaires de contribuer à la reconstruction de la conscience de classe et de ses organisations. Ce qui signifie construire les organisations pour elles-mêmes, pour ce qu'elles apportent au rapport de forces et à la structuration du prolétariat, notamment en s'aidant mutuellement, en étant le creuset des revendications anticapitalistes transitoires et de l'auto-organisation.
L'introduction et la discussion ont également mis en garde contre les dangers d'institutionnalisation – c'est-à-dire d'intégration à l'appareil d'État ou aux compromis avec la bourgeoisie – et de bureaucratisation.
Il s'agissait aussi de définir des principes pour notre intervention dans ces mouvements sociaux. En plus de contribuer à les construire sincèrement, d'aider à ce qu'ils se coordonnent, nous intervenons pour défendre des principes démocratiques, pour combattre la fragmentation et le gauchisme et pour avancer, dans le respect des rythmes de débats, des mots d'ordre politiques remettant en cause le système. Les syndicats sont le principal outil d'organisation du prolétariat, mais nous avons également discuté de l'intervention dans les mouvements féministes – particulièrement dynamiques depuis quelques années –, les mouvements paysans, indigènes, écologistes, antiracistes, LGBTQI, des personnes handicapées, et devons poursuivre d'ici le congrès la discussion, notamment sur les mouvements de jeunes, pour les services publics, contre la dette et contre la guerre.
Renforcer l'Internationale et ses sections
La dernière discussion abordait les tâches de construction de l'Internationale. Il s'agit, partant du contexte politique mondial, de la nécessité comme de la possibilité de faire apparaître un projet alternatif à l'échelle internationale, de renforcer la visibilité de l'Internationale et de ses positions. Nous avons franchi quelques étapes avec la mise en place du site fourth.international, principalement en anglais, en français et en castillan, mais aussi une actualisation très régulière en arabe notamment. Nos sites d'actualité Punto de vista international, International Viewpoint, Inprecor, notre participation à différentes autres revues en ligne, ainsi que l'édition de livres, nous permettent de promouvoir des prises de position et des analyses sur différents sujets. Nous avons décidé de renforcer notre présence avec la mise en place d'équipes de travail plus régulières.
Enfin, le document et le débat ont fait état du travail de renforcement des instances comme le Bureau exécutif, le secrétariat – désormais largement international grâce à la visioconférence –, les coordinations régionales, les commissions thématiques. Il rappelle aussi les efforts nécessaires dans la formation, avec les écoles construites autour des instituts d'Amsterdam, de Manille et d'Islamabad, dans le travail jeune et dans la reconstruction de campagnes d'action internationales, en retrait depuis le recul du mouvement altermondialiste.
Enfin, nous avons repris les discussions sur la nécessité d'actions positives pour les femmes – et les autres personnes souffrant de l'oppression patriarcale – avec les réunions non mixtes, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la préoccupation de renforcer la présence des femmes dans les instances. Ces discussions ne sont pas simplement théoriques, elles lient les questions de principes avec des discussions concrètes sur les problèmes que nous rencontrons et comment les résoudre. Avec la volonté également d'étendre ces préoccupations à l'ensemble des sphères opprimées.
On peut dire ainsi que, après la pandémie qui a, de fait, freiné une série d'activités de l'Internationale, ce Comité international a été l'occasion de reprendre le chemin d'une adaptation de l'Internationale aux évolutions de la crise du capitalisme, aux acquis des luttes sociales et à l'actualisation de son projet politique et militant. Il est maintenant de notre responsabilité collective, en tant qu'instances de direction et comme militant·es de base, de faire fructifier ces débats, les alimenter, les percuter de nos expériences, pour renforcer le rôle de notre organisation dans le combat pour l'émancipation humaine.
Le 22 novembre 2023
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Génocide en Palestine : anatomie d’un débat français sabordé

Le 18 octobre 2023, le quotidien Le Monde publiait une tribune de Didier Fassin dans laquelle il s'inquiétait du double standard des autorités françaises au regard des victimes palestiniennes1 et des discours déshumanisants à propos des Palestiniens, « prélude aux pires violences ».
Yazid Ben Hounet, anthropologue
Le mot génocide y était utilisé en reprise du « plaidoyer juif » de la directrice exécutive de Jewish Voice for Peace appelant à « se dresser contre l'acte de génocide d'Israël ». Il est, quelques jours plus tard, mis en titre de son texte paru dans A.O.C (« Le spectre d'un génocide à Gaza », 1er novembre 2023). Au moment où Didier Fassin introduisit, dans le débat public français, la question du génocide à propos de la Palestine, et de Gaza en particulier, celle-ci circulait déjà largement en dehors de l'hexagone. Avant même le 18 octobre, le mot était en effet déjà employé par des chercheurs dans des publications sérieuses : notamment dans Foreign Policy (9 octobre), Jewish Currents (13 octobre), ainsi que dans la revue Third World Approaches to International Law (TWAIL), où 880 universitaires, dont de nombreux spécialistes éminents des droits humains, du droit international et des génocides, avertissaient quant à un potentiel génocide à Gaza (17 octobre 2023). On saura donc gré à Didier Fassin d'avoir amené le débat dans la sphère publique française.
Dans ce texte, nous expliquerons comment et pourquoi le concept de génocide a été utilisé par de si nombreux spécialistes pour alerter sur la situation à Gaza, et plus largement en Palestine, et pour appeler les États à leur devoir de protection. Nous discuterons ensuite de la manière dont ce sujet légitime a été sabordé dans la presse française. Nous présenterons enfin les mobilisations des experts du droit international et des droits humains, ainsi que les plaintes déposées au niveau de la Cour pénale internationale, lesquelles plaident en faveur des positions de Didier Fassin.
Du génocide en Palestine avant le 18 octobre 2023
Le terme génocide a été utilisé par différents universitaires depuis bien longtemps. Il n'est pas inutile ici de remonter à une figure majeure de la philosophie française, Gilles Deleuze qui, déjà en 1983, laissant tomber la forme interrogative, contrairement à Fassin, n'hésitait pas, lui, à utiliser l'affirmative :
« On dit que ce n'est pas un génocide. Et pourtant c'est une histoire qui comporte beaucoup d'Oradour, depuis le début..[…] C'est un génocide, mais où l'extermination physique reste subordonnée à l'évacuation géographique : n'étant que des Arabes en général, les Palestiniens survivants doivent aller se fondre avec les autres Arabes. L'extermination physique, qu'elle soit ou non confiée à des mercenaires, est parfaitement présente. Mais ce n'est pas un génocide, dit-on, puisqu'elle n'est pas le « but final » : en effet, c'est un moyen parmi d'autres »2.
Autre temps, autre mœurs : le texte de Gilles Deleuze avait l'avantage de pointer déjà du doigt l'archéologie et la logique de la violence annihilatrice israélienne et ses justifications religieuses et mystiques.
Plus proche de nous, et avant même le 7 octobre 2023, c'est Michael Barnett, professeur à l'Université de Washington, qui, s'inquiétant à la fois de l'ampleur des violences perpétrées par les colons israéliens dans le village palestinien d'Hawara, du parcours et des discours du ministre des finance israéliens, Bezalel Smotrich, et de l'opinion publique israélienne3, se demandait, le 6 mars 2023, si Israël n'était pas au bord du génocide4. Rappelant les conditions pré-génocidaires (lequel demeure toutefois impossible à prédire), il estimait déjà à cette date qu'Israël remplissait toutes les cases.
Le 9 octobre, Yousef Munayyer, politiste et chef du programme Palestine/Israël au Arab Center Washington DC. s'alarmait, dans Foreign Policy, du fait que le gouvernement des Etats Unis ne se contentait pas d'abdiquer sa responsabilité officielle et morale, mais permettait des atrocités de masse à un moment où tous les signaux d'alarme d'un génocide étaient allumés5.
Quatre jours plus tard, Raz Segal, professeur associé à Stockton University, spécialiste des études sur l'holocauste et les génocides, publiait un texte dans Jewish Currents au titre et au sous-titre plus qu'explicite, où l'interrogation n'est pas placée sur le terme de génocide mais sur la surdité de la communauté internationale : « Un cas d'école de génocide. Israël a été explicite sur ce qu'il fait à Gaza. Pourquoi le monde n'écoute-t-il pas ? »6
Il n'est pas inutile de citer ici un passage du texte de Raz Segal qui argumente les raisons pour lesquelles l'usage du terme de génocide lui parait évident :
« Mais l'assaut sur Gaza peut également être compris en d'autres termes : comme un cas d'école de génocide se déroulant sous nos yeux. Je dis cela en tant que spécialiste des génocides, qui a passé de nombreuses années à écrire sur la violence de masse israélienne contre les Palestiniens. J'ai écrit sur le colonialisme de peuplement et la suprématie juive en Israël, sur la déformation de l'Holocauste pour stimuler l'industrie israélienne de l'armement, sur la militarisation des accusations d'antisémitisme pour justifier la violence israélienne contre les Palestiniens, et sur le régime raciste de l'apartheid israélien. Aujourd'hui, après l'attaque du Hamas samedi et le meurtre de masse de plus de 1 000 civils israéliens, le pire du pire est en train de se produire.
Raz Segal faisait également lui-même la comparaison avec le massacre des Herero et Nama (Namibie), qualifié de premier génocide du 20ème siècle, par la similitude d'un fait plutôt rare à déceler : la clarté de l'expression publique de l'intention génocidaire de la part des responsables militaires. Il mettait ainsi en parallèle les ordres explicites du général allemand, Lothar von Trotha (1904), et ceux du ministre israélien de la défense, Yoav Gallant (9 octobre 2023) : « Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agirons en conséquence ». Cette rhétorique déshumanisante serait par ailleurs renforcée par les propos des dirigeants occidentaux – Joe Biden parlant d'‘un acte purement diabolique', à propos des massacres du 7 octobre, et Ursula von der Leyen de ‘mal ancien' – permettant ainsi « la destruction à grande échelle de vies palestiniennes », selon Raz Segal. Il ajoutait notamment que : « l'affirmation du ‘mal', dans son absolutisme, élude les distinctions entre les militants du Hamas et les civils de Gaza, et occulte le contexte plus large de la colonisation et de l'occupation ».
Quatre jours plus tard, le 17 octobre 2023, la revue Third World Approaches to International Law (TWAIL) publiait une Déclaration d'universitaires mettant en garde contre un potentiel génocide à Gaza7. Elle est signée par 880 universitaires, dont Didier Fassin et Raz Segal. Parmi les signataires, on trouve principalement des spécialistes du droit international, des droits humains et des études sur les génocides, de surcroit exerçant un peu partout, au Nord comme dans le Sud Global.
Dans cette déclaration, les signataires lançaient un appel urgent aux États pour qu'ils prennent des mesures concrètes et significatives afin de prévenir individuellement et collectivement les actes génocidaires, conformément à leur obligation légale de prévenir le crime de génocide.
Le lendemain, le réseau décolonial d'Afrique du Nord publiait une lettre ouverte intitulée « Pas de paix sans décolonisation ! » et signée par plus de 400 universitaires8. On pouvait notamment y lire ceci :
« Au moment où nous rédigeons ce texte, Israël a sommé 1.1 millions d'habitants d'évacuer sous 24h la bande de Gaza Nord et de se réfugier vers le Sud. Tout habitant non évacué sera présumé membre du Hamas et menacé d'être éliminé par les forces armées israéliennes. Ce vendredi 13 octobre 2023, l'humanité a assisté, pour la première fois dans son histoire récente, à l'annonce en direct d'un génocide programmé. En soutenant le massacre, que ce soit de manière tacite ou manifeste, les puissances occidentales ont perdu toute légitimité à intervenir dans un processus de paix durable. Exposant au monde son système de valeurs à géométrie variable, l'Occident a montré une nouvelle fois son mépris pour les « valeurs universelles » qu'il claironne.[…] Le silence assourdissant de la communauté internationale sur les crimes de guerre commis aujourd'hui en Palestine sont une preuve de plus que l'inégalité raciale a toujours été au cœur des projets coloniaux, puis impériaux de l'Occident. En réalité, c'est sur fond de cette inégalité raciale que se sont toujours justifié les plus grands massacres et génocides perpétrés à l'encontre des populations racisés. »
Un triste débat français
L'attaque et le massacre du 7 octobre avaient déjà braqué les projecteurs sur la région. Les « préconditions génocidaires » apparaissant toutes remplies, « l'expression publique de l'intention génocidaire » de la part des responsables militaires étant actée, et ayant assisté à « l'annonce en direct d'un génocide programmé », il demeurait impossible pour de nombreux universitaires de rester silencieux. Ajoutons à cela le fait qu'Israël avait déjà commencé à tapisser de bombes Gaza, un territoire surpeuplé, une prison à ciel ouvert, d'une manière rarement inégalée dans tout autre conflit de l'histoire récente – en date du 2 novembre, Israël avait déjà frappé la bande de Gaza avec l'équivalent de deux bombes nucléaires9 – ; rappelons également qu'une telle punition collective à l'égard d'une population occupée – illégale au regard du droit international (cf. infra) – reçue l'aval des alliés d'Israël (USA et pays européens en tête) au nom d'un effarant « droit de se défendre » ; on comprendra ainsi mieux l'émoi et le niveau d'alerte de la part de nombreux chercheurs.
Le texte de Didier Fassin, paru dans AOC, a donné lieu à plusieurs critiques, dans la presse française, pour l'essentiel négatives. Par-delà les différences, on décèle d'emblée un point commun aux différentes réponses : toutes (celles de Karsenti et al., Illouz, Kotek, etc.) ne font nullement mention des textes précédemment cités, qui pourtant expliquent en partie le positionnement de Didier Fassin. Ce simple fait interroge sur la capacité de leurs auteurs à s'extraire des polémiques franco-francaises du moment, à prendre du recul, et à voir un peu plus loin, que ce soit dans le temps (cf. Deleuze) ou dans l'espace (textes publiés en dehors du microcosme français).
La première réponse au texte de Fassin a été rédigée par Karsenti, Ehrenfreund, Christ, Heurtin, Boltanski et Trom et publiée également dans A.O.C (13 novembre 2023). L'analyse des deux premiers paragraphes suffit pour discréditer cette réponse et leurs auteurs. Il y a d'abord une belle mystification suggérant la conformité d'Israël au droit international, lorsque ceux-ci mentionnent la « communauté internationale » et le « partage de la Palestine mandataire décidé à l'ONU le 29 novembre 1947 »10. Une telle formulation n'est pas anodine. Il convient d'abord de préciser ici que la « communauté internationale » – c'est-à-dire les Etats membres de l'ONU – ne comprenait que 57 pays (soit près du quart des Etats membres actuels - 193), pour l'essentiel des pays occidentaux, dont des puissances coloniales. Le processus de décolonisation permettra l'élargissement des Etats membres et donc la reconnaissance progressive d'une véritable « communauté internationale ». Par ailleurs, seule une petite trentaine de ces pays – dont des pays satellites des grandes puissances, sous pressions de ces dernières (comme Haïti et les Philippines) – votèrent positivement le plan de partage. On rappellera également que ce dernier n'a pas été accepté par de nombreux promoteurs de l'Etat d'Israël qui déclarèrent unilatéralement l'établissement de cet État le 14 mai 1948. C'est notamment dans cet intervalle, entre novembre 1947 et mai 1948 que survint le massacre de Deir Yassin (9 avril 1948) ; ignoble massacre, dénoncé dans le New York Times (4 décembre 1948)11 par des intellectuels juifs de renom, dont Hannah Arendt et Albert Einstein, et perpétré par ceux – Menahem Begin en tête – qui allaient devenir des hauts responsables de l'Etat d'Israël et qui fondèrent le Likoud – parti de Netanyahou, actuellement au pouvoir. Une telle mystification permet ainsi d'éluder « une histoire qui comporte beaucoup d'Oradour, depuis le début », la Nakba de 1948, les multiples violences et enfreintes au droit international commises par l'Etat d'Israël.
Ces auteurs plaident par la suite la légitimité du soutien à la guerre d'Israël12. Explicite apologie de la guerre qui, bien sûr, ne fera l'objet d'aucune poursuite ou sanction disciplinaire en France (au contraire de la simple suspicion d'« apologie du terrorisme » pour celles et ceux qui se sont efforcés de resituer les massacres du 7 octobre dans leur contexte historique), mais qui pose néanmoins de graves problèmes. Ethiquement d'abord : peut-on légitimer le soutien à la guerre, de surcroit quand on est chercheur en sciences sociales, ou doit-on au contraire appeler à la paix ? Ensuite, ces propos sont illégaux. Depuis le code de Hammurabi (1750 av J. C.) et l'invention des premiers droits écrits (cf. H.S. Maine, Ancient Law, 1861) le mouvement de l'Humanité a été de restreindre la vengeance indiscriminée au profit de sanctions ciblées. Rien ne justifie, en droit (national et international), le bombardement de populations civiles et a fortiori le siège total privant les civils d'eau, de nourriture, d'électricité et de soins, à Gaza ou ailleurs, en représailles à une action armée. Une puissance occupante – comme cela est le cas d'Israël – a par ailleurs le devoir de protection des populations civiles en vertu des conventions de Genève. Enfin, les populations occupées ont le droit de se soustraire de l'emprise étrangère par tous les moyens en leur pouvoir, y compris la lutte armée (résolution 37/43 des nations unies, point 2).
De ces arrangements avec l'histoire, l'éthique professionnelle et le droit (fondamental et international) – par des auteurs apparemment incapables de se corriger entre eux – découlent fatalement un texte malsain et malhonnête visant uniquement à ternir l'image de Didier Fassin, lequel réactiverait « un geste antisémite classique qui procède toujours par inversion ».
Le texte d'Eva Illouz, dans Philosophie Magazine (13 novembre 2023) pose également quelques problèmes. Dès le départ, une formule vise à susciter l'émotion et à stigmatiser sur la base d'une allégation qui suscite le malaise : « Mais nous ne savions pas qu'un massacre barbare de bébés, femmes enceintes, vieillards, civils pour la plupart dévoués à la cause de la paix, serait accueilli avec exultation ou indifférence par des musulmans au travers du monde et par des universitaires, artistes et intellectuels des démocraties occidentales ». Des universitaires, des hommes et des femmes dans le monde musulman et au-delà, qui exultent en raison d'un massacre de bébés, de femmes enceintes… ? Vraiment ? Choisir les mots justes est un devoir moral et intellectuel, nous explique-t-elle, pourtant. On voit ensuite dans ce texte deux problèmes majeurs.
Il y a d'une part la reprise sans distance de la propagande israélienne : « opération à Gaza », « Le 13 octobre 2023, l'armée israélienne appelle les civils à évacuer pour aller au sud du Wadi Gaza. 900 000 Gazaouis sont évacués malgré les tentatives du Hamas de les empêcher de bouger afin qu'ils leur servent de bouclier humain. Israël crée des couloirs humanitaires » ; « Une riposte militaire, même féroce, contre un ennemi qui a enfreint les frontières et le droit international [cf. supra sur le droit international], et qui met en œuvre beaucoup de moyens pour éviter des pertes civiles, n'est pas un génocide ».
Il y a d'autre part le refus de considérer la dimension coloniale s'agissant d'Israël : « Il est impossible de trouver des parallèles et des similitudes entre le colonialisme impérial d'une nation puissante et le nationalisme de va-nu-pieds se battant pour leur survie et recevant l'approbation légale et morale de la communauté internationale ». C'est pourtant là une grille de lecture de nombreux analystes. En outre, elle oublie ici de mentionner que le colonialisme le plus dur pour les autochtones comporte une bonne part de colonisation de peuplement « de va-nu-pieds se battant pour leur survie » et recevant l'approbation politique des puissances impériales.
L'essentiel de sa démonstration consiste à reprocher « la méthode peu rigoureuse » de Didier Fassin, en s'appuyant sur une figure d'autorité, l'anthropologue Philippe Descola, et sur son approche du comparatisme structural. Or, Philippe Descola l'explique lui-même, il s'agit là d'une méthode parmi d'autres qui a sa faveur, après avoir comme de nombreux anthropologues pratiqué d'autres formes de comparatisme – « ethnographique » ; « ethnologique »13. Didier Fassin – usant de la formule « comparaison n'est pas raison » – avait déjà honnêtement signalé dans son article dans AOC que son objectif était de tenter d'établir des parallèles et de repérer des similitudes avec les génocide des Herero – et non pas de faire du comparatisme structural. Raz Segal avait déjà pointé le 13 octobre une similitude entre ces deux événements (cf. supra). Du reste la comparaison heuristique (en référence à Paule Veyne) que propose Didier Fassin se rapproche également du comparatisme promu par Marcel Detienne (autre figure importante des sciences sociales) qui, dans Comparer l'incomparable (2000), dénonçait les mensonges et les dangers mortels de l'incommensurable, de l'incomparable des nationaux de tout poil ; tout en plaidant pour un comparer à la fois expérimental et constructif.
L'historien Joel Kotek réfute, pour sa part, totalement la comparaison entre « l'offensive israélienne » et le génocide des Herero (L'express, 22 novembre 2023). Il met en exergue les notions d'intention et de décision et nous explique : « Contrairement à ce que pense Didier Fassin, l'extermination des Herero n'est pas due à un engrenage fatal mais à la décision mûrement réfléchie, mieux encore, proclamée du général en chef du corps expéditionnaire allemand, Lothar von Trotha, d'en terminer une fois pour toutes avec le peuple Herero ». Il semble bien ici que Joel Kotek n'ait nullement connaissance des textes de Michael Barnett et de Raz Segal, cités plus haut, qui justement alertent des préconditions et de la décision proclamée. S'il voit une « séquence génocidaire » dans les massacres du 7 octobre, il semble rester sourd et aveugle aux dimensions génocidaires des représailles israéliennes, telles que pointées par de nombreux auteurs.
Par ailleurs, comme dans le texte d'Eva Illouz, on retrouve chez Joel Kotek des reprises de la propagande israélienne, mettant par exemple en avant les efforts « du commandement militaire israélien d'épargner au maximum les femmes, les enfants et les malades palestiniens » sans même mentionner que factuellement ce sont bien ces catégories qui sont les plus massivement touchées par l'armée israélienne et les bombardement israéliens. Au 4 décembre, l'UNICEF dénombrait 15 523 personnes tuées dans la bande de Gaza. Femmes et enfants représentaient 70% des victimes14. Le 30 novembre 2023, le site indépendant +972, publiait un long article intitulé « ‘A mass assassination factory' : Inside Israel's calculated bombing of Gaza » documentant la dimension massive, intentionnelle – y compris à l'égard des civils – et froide des représailles de l'armée israélienne, et ce à l'aide du système d'intelligence artificielle Habsora. Il en expliquait également la généalogie15.
Comme Eva Illouz, Joel Kotek refuse enfin de voir la question coloniale en réfutant tout lien entre Israël et le colonialisme. On comprend ainsi pourquoi, pour lui, le génocide des Hereros n'est entendable que lorsqu'il est rapporté à la Shoah. C'est d'ailleurs sa thèse puisqu'il le présente avant tout comme un Sonderwelg allemand16. Dès lors qu'il est mis dans son contexte colonial et qu'il est comparé à un autre contexte colonial – celui de la Palestine (en dépit du déni sur ce sujet) – transparait chez Kotek (et d'autres personnes) une forme de dissonance cognitive. Du massacre de Deir Yassine à celui de Gaza, en passant entres autres par celui de Sabra et Chatila, et 75 années de violence à l'encontre des Palestiniens, peut-on parler également de Sonderweg israélien ?
La discussion la plus intéressante a été, jusqu'à présent, celle engagée par le politiste Pierre Natnaël Bussière, dans L'Obs (28 novembre 2023)17. S'attardant sur la formule de Fassin – « il y a en effet une responsabilité historique à prévenir ce qui pourrait devenir le premier génocide du XXIe siècle » - cet auteur s'interroge légitimement et avec beaucoup de sincérité sur ce que la formule « premier » peut contenir d'invisibilisation des autres massacres récents et/ou en cours dont ceux contre les Ouïgours en Chine ou les Tigréens en Ethiopie. Ce texte a par ailleurs l'intérêt d'éclairer le lecteur sur la guerre à huis clos en Ethiopie et sur les massacres perpétrés contre les Tigréens, faits plutôt méconnus du grand public français. Il est vrai que la question palestinienne, qui est posée depuis des décennies, la soudaine polarisation médiatique sur le Proche-Orient, suite à l'attaque et au massacre du 7 octobre, ainsi que « l'annonce en direct d'un génocide programmé » ont interpellé davantage l'opinion et, bien entendu, les universitaires.
Il reste ici que la comparaison avec le génocide des Herero et Nama a une vertu heuristique qui n'a pas été suffisamment soulignée et qu'il est possible (« ce qui pourrait » pour reprendre la formule de Fassin) que le massacre de Gaza devienne le premier génocide du XXIe siècle jugé en tant que tel par la juridiction la plus habilitée à le faire : la Cour Pénale Internationale (CPI).
Colonialisme, mobilisations et plaintes déposées auprès de la CPI
On a pas assez attiré l'attention sur le fait que le massacre des Herero et Nama est non seulement reconnu comme le premier génocide du XXe siècle, mais il est également le seul en contexte colonial. C'est là un fait à interroger. Ni la traite transatlantique des esclaves, ni les massacres des Indiens d'Amérique, que Deleuze comparait aux Palestiniens18, ni ceux de l'Etat indépendant du Congo, sous tutelle belge (1885-1908), ni les massacres à Madagascar (1947), ni ceux, en Algérie, à Setif, Guelma et Kherrata (1948) – pour ne citer quelques exemples – ne sont reconnus internationalement comme des génocides (bien que localement, dans les pays directement concernés, citoyens, chercheurs et responsables politiques n'hésitent pas à employer le terme).
Plusieurs des auteurs, ainsi que les tribunes, précédemment cités pointent du doigt la dimension coloniale et son lien avec le sort subi – massacres, nettoyage ethnique, génocide, etc. – par les Palestiniens. C'est également cette dimension que pointe Craig Mokhiber, directeur du Bureau de New York du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, dans sa lettre de démission adressée le 28 octobre 2023 au Haut-commissaire des droits de l'homme, Volker Turk. Il y expliquait notamment ceci :
« En tant qu'avocat spécialisé dans les droits de l'homme, avec plus de trente ans d'expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l'objet d'abus politiques. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, dans la continuité de décennies de persécution et d'épuration systématiques, entièrement fondées sur leur statut d'Arabes, et associé à des déclarations d'intention explicites de la part des dirigeants du gouvernement et de l'armée israéliens, ne laisse aucune place au doute ou au débat. […]Il s'agit d'un cas d'école de génocide. Le projet colonial européen, ethno-nationaliste, de colonisation en Palestine est entré dans sa phase finale, vers la destruction accélérée des derniers vestiges de la vie palestinienne indigène en Palestine. Qui plus est, les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et d'une grande partie de l'Europe sont totalement complices de cet horrible assaut. Non seulement ces gouvernements refusent de remplir leurs obligations conventionnelles ‘d'assurer le respect des conventions de Genève, mais ils arment activement l'offensive, fournissent un soutien économique, des renseignements, et couvrent politiquement et diplomatiquement les atrocités commises par Israël »19
On remarquera également que les plaintes déposées auprès de la CPI ont été portées surtout par des pays anciennement colonisés et par des avocats et collectifs attentifs à la situation palestinienne mais aussi à la question coloniale.
La première plainte pour « génocide » a, en effet, été déposée le 10 novembre 2023 à La Haye devant la Cour pénale internationale par le pénaliste français Gilles Devers, accompagné de trois autres avocats de Belgique, de Jordanie et du Maroc. Elle a été signée par quelque 280 avocats et une centaine d'ONG (le nombre a augmenté depuis) et couvre également les crimes perpétrés par le Hamas lors de l'assaut sur le sud d'Israël le 7 octobre 2023. Gilles Devers est l'avocat représentant les Palestiniens devant la CPI, mais il est aussi celui Front Polisario, représentant légitime du peuple sahraoui, toujours en proie au dernier conflit de décolonisation d'Afrique (Sahara Occidental).
Le 13 novembre, le Center for Constitutional Rights déposait une plainte fédérale aux États Unis, au nom de Children International-Palestine, et d'autres organisations. Les plaignants poursuivent le président Biden, le secrétaire d'État Blinken et le secrétaire à la défense Austin pour leur incapacité à prévenir, et leur complicité dans, le génocide en cours du gouvernement israélien contre eux, leurs familles et les 2,2 millions de Palestiniens de Gaza. La plainte déposée contre les trois hauts fonctionnaires américains fait valoir qu'ils violent le droit international, notamment les dispositions codifiées dans la convention sur le génocide de 1948 et la loi correspondante sur la mise en œuvre de la convention sur le génocide (18 U.S.C. § 1091) adoptée par le Congrès des États-Unis en 198820.
Le 16 novembre 2023, le site du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme nous informait du fait que près de 40 experts de l'ONU, spécialistes du droit international et des droits humains, alertaient sur le risque de génocide. On pouvait lire que « les graves violations commises par Israël à l'encontre des Palestiniens à la suite du 7 octobre, en particulier à Gaza, indiquent qu'un génocide est en cours »21.
Le 17 novembre, des Etats du Sud ayant ratifiés le Statut de Rome – l'Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti – déposaient conjointement plainte auprès de Karim Khan, procureur général de la CPI. Celle-ci inclue notamment la qualification de génocide.
Le 17 novembre également, la Commission Internationale des Juristes22 appelait les États qui ont une position d'influence auprès du gouvernement d'Israël - en particulier les États-Unis - à prendre toutes les mesures raisonnables en leur pouvoir pour prévenir le génocide à Gaza, notamment en appelant à un cessez-le-feu, en prenant des mesures pour assurer la levée du siège et en empêchant le déplacement des Palestiniens en dehors de la bande de Gaza, et à cesser toute assistance militaire, y compris les ventes d'armes, qui permettrait ou faciliterait le génocide, et d'autres crimes en vertu du droit international. Elle exhortait les autres États à agir immédiatement en vertu de l'article VIII de la Convention sur le génocide, en demandant aux organes compétents des Nations unies, y compris le Conseil de sécurité des Nations unies, et en particulier l'Assemblée générale des Nations unies, de prendre des mesures urgentes en vertu de la Charte des Nations unies pour prévenir et réprimer tout acte de génocide à Gaza, notamment en appelant à un cessez-le-feu immédiat. Elle demandait également à la Commission internationale indépendante d'enquête sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, ainsi qu'au Bureau du Procureur de la CPI, d'étendre rapidement leurs enquêtes sur la situation en Palestine afin d'y inclure le génocide.
Le 30 novembre et le 1er décembre 2023 se tenait à Alger, autrefois Mecque des révolutionnaires, un grand rassemblement de juristes en soutien à la Palestine, juristes émanant de plusieurs pays du Monde Arabe, de l'Afrique, mais aussi d'Europe23. L'un des objectifs de cette rencontre était de constituer un Comité permanent pour la poursuite de l'Etat d'Israël devant la Cour pénale internationale (CPI) et d'autres cours compétentes.
***
Au moment où nous achevons ce texte – 6 décembre 2023 – les attaques sur Gaza ont déjà repris depuis cinq jours, après une trêve d'une semaine. Les morts – enfants et femmes en premier lieux – s'amoncellent. La partie sud de Gaza, où se concentre maintenant l'essentiel de la population, sur ordre d'Israël et en raison de ses bombardements dans le Nord de Gaza, est maintenant celle qui est bombardée. Les Palestiniens sont aujourd'hui, plus qu'avant, pris au piège.
Beaucoup de chercheurs en France et en Europe se refusent à parler de génocide et évoquent, au mieux, le terme de nettoyage ethnique. Faut-il leur rappeler que de nombreux génocides ont été perpétrés dans la continuation du nettoyage ethnique et lorsque celui-ci a été rendu impossible ? Combien de cases faudra-il cocher avant que les puissances occidentales se décident à réagir fermement et que les intellectuels se saisissent vraiment de ce sujet ?
Notes
1. « Certaines victimes méritent-elles plus que d'autres la compassion ? Faut-il considérer comme une nouvelle norme le ratio des tués côté palestinien et côté israélien de la guerre de 2014 à Gaza : 32 fois plus de morts, 228 fois plus parmi les civils et 548 fois plus parmi les enfants ? » (Fassin, 18 octobre)
2. Gilles Deleuze, 2003 (1983), « Grandeur de Yasser Arafat », dans Deux régimes de fous, éditions de minuit, Paris, pp. 221-223. Texte initialement paru en 1984, daté de 1983, dans la revue d'études palestiniennes.
3.Près de 50% des juifs israéliens appuient l'idée d'expulsion des Palestiniens, selon M. Barnett (référence à la suite).
4.M. Barnett, “Is Israel on the Precipice of Genocide ?”, Political Violence @ A Glance, 6 mars 2023 : https://politicalviolenceataglance.org/2023/03/06/is-israel-on-the-precipice-of-genocide/
5.Yousef Munayyer, “Laying Siege to Gaza Is No Solution. U.S. support for Israel's incursion could enable mass atrocities”, Foreign Policy, 9 octobre 2023 : https://foreignpolicy.com/2023/10/09/israel-palestine-gaza-hamas-invasion-genocide-united-states/
6.Raz Segal, “A Textbook Case of Genocide. Israel has been explicit about what it's carrying out in Gaza. Why isn't the world listening ? », Jewish Currents, 13 octobre 2023 : https://jewishcurrents.org/a-textbook-case-of-genocide
7.Public Statement : Scholars Warn of Potential Genocide in Gaza, 17 octobre 2023 : https://twailr.com/public-statement-scholars-warn-of-potential-genocide-in-gaza/
8.https://www.tsa-algerie.com/pas-de-paix-sans-decolonisation/ ; https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/guerre-israel-palestine-pas-paix-sans-decolonisation-reseau-decolonial-afrique-nord
9.https://euromedmonitor.org/en/article/5908/Israel-hit-Gaza-Strip-with-the-equivalent-of-two-nuclear-bombs
10. « Le 7 octobre 2023, l'État d'Israël a été attaqué sur son territoire souverain, celui qu'à la suite de ce que Raul Hilberg a appelé « la destruction des Juifs d'Europe » par l'Allemagne et ses complices, la communauté internationale lui avait reconnu lors du partage de la Palestine mandataire décidé à l'ONU le 29 novembre 1947 » (Karsenti et al.).
11.« New Palestine Party : Visit of Menachem Begin and Aims of Political Movement Discussed » : https://www.marxists.org/reference/archive/einstein/1948/12/02.htm
12.« Le soutien à la guerre qu'Israël mène actuellement contre le Hamas à Gaza est légitime, dans les limites posées par le droit international humanitaire » (Karsenti et al.).
13.https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/qu-est-ce-que-comparer
14.https://www.unicef.fr/article/israel-palestine-les-enfants-paient-le-prix-de-la-guerre/
15. https://www.972mag.com/mass-assassination-factory-israel-calculated-bombing-gaza/
16. Kotek, J. (2008). Le génocide des Herero, symptôme d'un Sonderweg allemand ?. Revue d'Histoire de la Shoah, 189, 177-197. https://doi.org/10.3917/rhsho.189.0177
17.https://www.nouvelobs.com/opinions/20231128.OBS81439/les-ethiopiens-et-les-ouigours-existent-ils-m-didier-fassin.html
18. « La complicité des Etats-Unis avec Israël ne vient pas seulement de la puissance d'un lobby sioniste. Elias Sanbar a bien montré comment les Etats-Unis retrouvaient dans Israël un aspect de leur histoire : l'extermination des Indiens, qui, là aussi, ne fut qu'en partie directement physique. Il s'agissait de faire le vide, et comme s'il n'y avait jamais eu d'Indiens, sauf dans des ghettos qui en feraient autant d'immigrés du dedans. A beaucoup d'égards, les Palestiniens sont les nouveaux Indiens, les Indiens d'Israël », Gilles Deleuze, 2003 (1983), « Grandeur de Yasser Arafat », p. 223.
19.https://www.democracynow.org/2023/11/1/craig_mokhiber_un_resignation_israel_gaza
20.https://ccrjustice.org/stop-the-genocide
21. https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/11/gaza-un-experts-call-international-community-prevent-genocide-against
22.ONG internationale de défense des droits de l'homme créée en 1952. Elle est composée d'un groupe permanent de 60 éminents juristes. https://www.icj.org/gaza-occupied-palestinian-territory-states-have-a-duty-to-prevent-genocide/
23.« Fin de la Conférence internationale "Justice pour le peuple palestinien" par l'adoption de la "La Déclaration d'Alger" », Radio algérienne, 1er décembre 2023 : https://news.radioalgerie.dz/fr/node/36441 Entretien de Gilles Devers : https://www.youtube.com/watch?v=cZGj3HisZ6U ;
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Appel aux travailleurs du monde : Bloquez les navires du génocide israélien !

Le Masar Badil, le Mouvement palestinien pour une voie révolutionnaire alternative, appelle tous les militants syndicaux, syndicalistes et organisations de travailleurs à prendre des mesures pour bloquer les navires israéliens, refuser de les charger ou les décharger, et refuser de transporter des armes de guerre vers l'occupation israélienne actuelle. perpétrer un génocide contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza assiégée.
Nous avons déjà assisté à plusieurs actions importantes à travers le monde, en premier lieu les actions de l'armée et du peuple yéménites visant à bloquer l'utilisation des mers yéménites pour le transport et le passage des navires et des marchandises sionistes.
Les travailleurs des transports en Belgique, à Barcelone et au Japon ont déclaré qu'ils refuseraient de charger des armes destinées à l'occupation israélienne, tandis que les dockers en Italie ont mené une grève d'une journée contre le génocide en cours. De l'Inde aux Philippines en passant par l'Afrique du Sud, le mouvement syndical a clairement exprimé sa position, exigeant l'expulsion des ambassadeurs sionistes et rejetant le recours à la main-d'œuvre migrante pour soutenir le régime d'occupation israélien en remplacement des travailleurs palestiniens.
Nous constatons également une volonté croissante des mouvements populaires de prendre des mesures sérieuses et significatives pour arrêter la machine de guerre sioniste, illustrée par les actions directes de Palestine Action visant à fermer Elbit Systems, le plus grand fabricant d'armes israélien, et à extraire un coût financier et matériel important de Elbit en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Les travailleurs palestiniens, les organisations syndicales et les syndicats ont déjà lancé un appel aux travailleurs du monde entier pour qu'ils refusent de fabriquer et de transporter des armes pour le régime d'occupation, et de nombreuses organisations et militants participent au blocus des usines d'armement, des chemins de fer et des ports transportant des armes et des fournitures. à l'occupation, représentée par la campagne Block the Boat.
Il est extrêmement important qu'il ne s'agisse pas d'actions symboliques, de déclarations de solidarité ou de messages de soutien. Refuser les navires israéliens des ports du monde est, en s'appuyant sur l'exemple yéménite, un moyen matériel d'assiéger l'occupation et de soutenir le peuple colonisé et occupé de Palestine. Il s'agit d'une contribution matérielle pour faire face et mettre fin à l'escalade du génocide perpétré par le régime israélien depuis plus de 75 ans, avec une escalade intense et sanglante au cours des 57 derniers jours qui a déjà coûté la vie à près de 20 000 Palestiniens.
Israël ne commet pas seul son génocide. Il est soutenu, armé et financé par les puissances impérialistes – en premier lieu les États-Unis, ainsi que leurs partenaires au Canada, en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne. Chaque port et chaque entreprise qui autorise des navires israéliens de toute sorte à accoster dans son port est un partenaire à part entière des crimes de guerre et du génocide avec le sang du peuple palestinien sur les mains et doit être tenu pour responsable.
Nous savons que nous ne pouvons pas attendre que ces mêmes États criminels ou agences internationales tiennent ces parties responsables de leurs crimes en cours ou mettent fin au génocide. Le peuple palestinien et sa Résistance luttent quotidiennement pour y parvenir. Nous vous appelons, travailleurs du monde, à exercer votre immense pouvoir, le pouvoir des travailleurs, sans lequel rien ne fonctionne.
Nous, à Masar Badil, avons été invités par les travailleurs de Gaza à vous adresser cet appel, à vous, notre classe ouvrière internationale, à exploiter votre pouvoir et à contribuer matériellement à mettre fin au génocide. Nous vous invitons à :
1. Bloquer et rejeter l'apparition ou l'accostage de tout navire israélien dans n'importe quel port mondial ; de refuser de charger ou décharger un navire israélien. Tous les États devraient suivre l'exemple yéménite et interdire l'utilisation de leurs ports et de leurs mers pour armer ce régime génocidaire !
2. Refuser de charger, décharger ou permettre de naviguer sur tout navire de quelque pays que ce soit apportant des armes, du matériel et des fournitures au régime sioniste génocidaire. Les mains des travailleurs ne doivent pas être souillées par le fardeau du génocide !
Nous, travailleurs palestiniens en exil et dans la diaspora, faisons partie intégrante des travailleurs du monde. Il est grand temps d'intensifier notre participation à cette lutte jusqu'à un niveau matériel capable de fermer les routes commerciales du génocide, de l'occupation et du colonialisme, en coupant le flux d'armes, de bombes et d'artillerie qui permet au régime israélien de massacrer des hommes palestiniens. les femmes et les enfants. Nous appelons vous tous aujourd'hui, nos collègues travailleurs, à nous rejoindre dans l'action pour mettre fin au génocide, pour la justice, la victoire et la libération des travailleurs et du peuple de Palestine !
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Face aux violences d’extrême droite, un nouveau guide de riposte à l’attention des associations et des syndicats

L'année se termine, et c'est déjà l'heure des bilans : 2023 a été marquée par les violences d'extrême droite en France, et dans le monde, contre les associations et syndicats, ainsi que les personnes racisées ou LGBTQIA+.
Tiré de Entre les lignes et les mots
VoxPublic présente aujourd'hui un nouveau guide pratique à l'attention des militant·es et des personnes exposé·es à cette menace. Il s'organise selon le triptyque « identifier, anticiper, riposter aux menaces » :
* Identifier les différents groupuscules et partis d'extrême droite et leurs méthodes ;
* Anticiper et prévenir les attaques ;
* Organiser la riposte juridique, médiatique et militante.
A partir de nombreux témoignages recueillis par VoxPublic, le guide propose une mise en commun de recommandations et de « bonnes pratiques » afin d'être en capacité de riposter collectivement pour défendre les droits de toutes et tous, l'égalité et la démocratie.
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VoxPublic publie un nouveau guide pratique à l'attention des militant·es associatifs et syndicalistes exposé·es à des menaces et violences d'extrême droite. Il s'organise selon le triptyque « identifier, anticiper, riposter aux menaces » : identifier les différents groupuscules et partis d'extrême droite et leurs méthodes ; anticiper et prévenir les attaques ; organiser la riposte juridique, médiatique et militante.
En janvier2023, le projet Horizon visant à accueillir des personnes réfugiées dans le village de Callac (Côtes-d'Armor) est abandonné par des élus locaux effrayés après des mois d'intimidations et de violences perpétrées par l'extrême droite. Premier coup de tonnerre dans cette année 2023 marquée par les violences d'extrême droite à l'encontre des associations et des syndicats, mais aussi d'élu·es.
À Bordeaux, les locaux de plusieurs associations, dont le Planning Familial, ainsi que des lieux de culte (mosquées), ont été vandalisés, des tags néonazis et des messages d'intimidation y sont laissés. À Tours, le centre LGBTQIA+ a été attaqué six fois en six mois. En mai, à Nîmes, un incendie s'est déclaré dans l'immeuble accueillant le siège local du syndicat Solidaires alors qu'une réunion s'y tenait, et en juillet le local CGT de Brest est également vandalisé. Lors des manifestations de révolte contre la mort du jeune Nahel Merzouk en juin 2023, dans plusieurs villes, des « milices » d'extrême droite attaquent les manifestant·es. Ce sont ces mêmes groupuscules identitaires et nationaliste-révolutionnaires que l'on retrouve en train de mener une ratonnade à Romans-sur-Isère (Drôme) samedi 25 novembre…
Qui sont ces groupes divers et dispersés sur tout le territoire français ? Quelles sont leurs méthodes et leurs liens avec les partis politiques ? Ce guide tente d'apporter un éclairage à ces questions pour les militant·es associatifs et syndicaux confronté·es aux menaces et violences d'extrême droite.
A partir de nombreux témoignages recueillis par VoxPublic, ce guide propose une mise en commun des recommandations et des « bonnes pratiques » afin de mieux anticiper ces menaces et d'être en capacité de riposter collectivement. Nous y abordons les stratégies juridiques, celles de communication et de riposte médiatique, ainsi que des mesures de sécurité essentielles pour prévenir les risques encourus par les militant·es et toutes les personnes ciblées par l'extrême droite.
Guide au format PdF :
les_associations_et_syndicats_face_aux_menaces_et_violences_extreme_droite_voxpublic-2
https://entreleslignesentrelesmots.files.wordpress.com/2023/12/les_associations_et_syndicats_face_aux_menaces_et_violences_extreme_droite_voxpublic-2.pdf
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Appel pour une initiative parlementaire sur la prévention et la réparation de la souffrance psychique au travail

La sortie du film de Jean-Pierre Bloc « Par la fenêtre ou par la porte » sur « l'affaire » des suicides chez France Télécom et le succès d'audience qu'il rencontre, sont l'occasion de réfléchir et de débattre sur un phénomène marquant de l'évolution des rapports sociaux au travail, celui de la souffrance psychique professionnelle. Et aussi celui de la Justice. Souvenons-nous.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/08/appel-pour-une-initiative-parlementaire-sur-la-prevention-et-la-reparation-de-la-souffrance-psychique-au-travail/
En 2004, la privatisation de l'opérateur public de téléphone doit s'accompagner d'une réduction à marche forcée des effectifs et de la transformation en profondeur de ses métiers. Sous la férule de son PDG, Didier Lombard, l'entreprise va passer d'une logique de service public à celle d'un leader du CAC 40 et 22 000 agents doivent partir… de gré ou de force. Ce sera le plan Next, un management brutal et agressif qui doit déstabiliser les fonctionnaires de l'opérateur et dégrader leurs conditions de travail pour les pousser vers la porte ou la fenêtre selon les mots même du PDG devant ses cadres dirigeants. 35 agents se suicideront entre 2008 et 2009 et, suite à la plainte de Sud, rejointe par les autres syndicats, et à une enquête de l'Inspection du travail, un procès se tiendra en correctionnel à Paris, en 2019, puis en appel en 2022 et débouchera sur des condamnations historiques des principaux dirigeants à un an de prison de prison assorti du sursis et 15 000 euros d'amende pour harcèlement moral institutionnel. Une première dans le monde feutré et très sélectif des grandes entreprises mondialisées.
Certes, cette condamnation et ce qualificatif de harcèlement moral institutionnel, parfois appelé harcèlement managérial, ont eu un fort retentissement médiatique et politique, notamment dans les cercles de dirigeants et du management. Mais sans doute pas suffisamment puissant pour inverser des tendances de fond sur les organisations du travail et les pratiques managériales délétères.
Au-delà de la question du suicide, c'est bien celle de la souffrance psychique au travail qui caractérise l'évolution des modes de management et d'organisation du travail ces 30 dernières années. Avec des conséquences délétères massives. Qu'il s'agisse des données statistiques du Réseau national de vigilance et de prévention des maladies professionnelles (RNV3P) ou de celles de la surveillance des maladies à caractère professionnel de Santé publique France, les pathologies psychiques arrivent en seconde position – juste après les troubles musculo-squelettiques (TMS) – des maladies liées au travail depuis plusieurs années. « Le « management », la « relation au travail et violence » et les « exigences inhérentes à l'activité » représentaient plus de neuf FORE (facteurs organisationnels, relationnels et éthiques ) sur dix en lien avec des TMS ou de la souffrance psychique. », peut-on lire dans l'étude de Santé publique France publiée en avril 2023.
Même constat du côté des inaptitudes médicales déclenchées par le médecin du travail et qui entrainent souvent des licenciements (plus de 100 000 par an selon les données administratives) et des sorties précoces de l'emploi. Du coté des chiffres officiels, on notera que 1600 maladies professionnelles de la sphère psychique sont reconnues et indemnisées chaque année par le régime général de la Sécurité sociale et plus de 28 000 accidents du travail d'origine psychique. Mais ces chiffres ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Selon la commission (1) chargée d'évaluer la sous-déclaration des maladies professionnelles pour déterminer dans le cadre du PLFSS le montant que la branche AT-MP doit reverser à l'Assurance maladie, 108 000 cas de pathologies professionnelles d'origine psychique devraient être reconnues. Cela montre tout à la fois l'ampleur du phénomène et le décalage existant entre la réalité et la reconnaissance de celle-ci. Cet écart ne facilite ni la prise de conscience ni la prévention. Et dans ce domaine de la prévention, les marges de progrès sont importantes comme le soulignait la Cour des comptes dans un rapport daté de décembre 2022 (2). Malgré les plans santé travail (PST) successifs, malgré les dernières réformes des services de santé au travail, malgré les priorités affichées des pouvoirs publics sur ces questions, et notamment celles relatives aux risques psychosociaux et à la prévention des facteurs de risques organisationnels, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Et pour en revenir au début de notre propos, à l'affaire France Télécom, toutes les leçons n'ont pas été tirées.
Tout d'abord, parmi les origines probables de cette difficulté à faire entrer la prévention dans les entreprises, il y en a une qui apparait culturellement persistante. Dans le monde du travail, les règles qui organisent la vie en société et qui régulent les rapports entre les individus, ne sont jamais la simple transposition des règles communes de la « vie civile ». Elles sont systématiquement « adoucies », adaptées, ceci afin de ne pas entraver l'efficacité économique. Les procès France Télécom, devant le tribunal correctionnel puis devant la Cour d'appel, en donnent une illustration saisissante. Au regard de la gravité des faits et des conséquences, les condamnations apparaissent relativement clémentes. Elles sont pourtant le strict reflet du Code pénal. En effet, l'article L222-33-2 du Code pénal prévoit une peine de 2 ans d'emprisonnement 3 et de 30 000 euros d'amende en cas de harcèlement moral au travail.
Dans le même Code pénal, les mêmes faits relevés dans la sphère privée du couple, prévoit des peines s'échelonnant de 3 ans d'emprisonnement à 10 ans et de 45 000 euros d'amende à 150 000. En milieu scolaire, les peines prévues sont les mêmes que celles prévues pour un couple.
Dans tous les cas prévus par le législateur, la répression est la moins punitive dans le domaine du travail. Rien ne justifie cette clémence, d'autant que, lorsqu'elle est systémique comme dans le cas de France Télécom, les dégâts humains peuvent être considérables quant au nombre de personnes affectées. Nous demandons donc un alignement des peines encourues et une adaptation en ce sens du Code pénal, en son article L2226-33-2.
En matière civile, il devient absolument nécessaire de simplifier la réparation des maladies professionnelle d'origine psychique. Cela faciliterait la prise en charge des victimes mais aussi cela inciterait davantage les entreprises à engager des politiques de prévention plus efficaces, visant en priorité la transformation de l'organisation du travail, l'adaptation du travail à l'homme et l'adoption de méthodes de management moins délétères.
La priorité nous semble être de créer des tableaux de maladie professionnelle qui éviteraient ainsi le recours aux comités régionaux de reconnaissance des pathologies professionnelles (C2RMP) qui sont surchargés et dont les conditions d'accès sont relativement complexes dans le cas des pathologies psychiques et donnent lieu à de grandes inégalités de traitement des dossiers. Nous proposons qu'une mission d'information parlementaire se penche sur les conditions de reconnaissance des maladies professionnelles d'origine psychique.
Un autre aspect fondamental nous semble résider dans la prévention insuffisante des RPS. De nombreux leviers ont déjà été actionnés par les 3 un an de prison et 15 000 euros à la période de l'affaire France-Télécom pouvoirs publics, sans que cela ne permette véritablement des progrès significatifs de ce fléau.
Deux voies nous semblent devoir être explorées pour redonner du sens au travail et redynamiser le dialogue social dans l'entreprise sur ces questions de santé au travail et de prévention des RPS.
La première est celle recommandée par les Assises du travail qui se sont déroulées au début de l'année 2023 dans le cadre du Conseil national de la Refondation souhaité par le président de la République. Le rapport remis le 18 avril par Sophie Thierry, présidente de la commission travail et emploi du Conseil économique social et environnemental (Cese) et Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault, tous les deux garant des assises, comporte 17 recommandations dont celle (N°14) d'« Ajouter un 10ème principe général de prévention à l'article L.4121-2 du code du travail : écouter les travailleurs sur la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales. » Cette proposition s'inscrit dans l'axe n°4 des Assises : Préserver la santé physique et mentale des travailleurs, un enjeu de performance et de responsabilité pour les organisations. Ajoutons qu'ainsi, des traces seraient laissées des problèmes débattus et de la façon dont ils ont été réglés ou non par le dialogue social.
La seconde voie consiste à remettre la prévention des risques professionnels au cœur du dialogue social dans les entreprises. Aujourd'hui, un constat s'impose : la suppression des CHSCT par les ordonnances Travail de 2017 a cassé la dynamique de prise en charge de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels dans les entreprises. Cette analyse est partagée par de nombreux observateurs, qu'ils soient professionnels de la prévention, chercheurs, voire experts des relations sociales comme le sont Jean-François Pillard, ex-négociateur du Medef ou Marcel Grignard, ancien numéro 2 de la CFDT, qui ont piloté avec France Stratégie le Comité d'évaluation des ordonnances. Leur note conclusive parle d'elle-même, qui montre que le bouleversement opéré par la fusion des trois instances représentatives du personnel a chamboulé le dialogue social dans les entreprises, créé de la difficulté des nouveaux CSE à s'emparer des questions du travail, et rend compte de la « lassitude des élus devant une mission de plus en plus difficile », avec les risques pour la « démocratie de représentation ». Dans leur rapport de 2021, les experts concluent qu'il « convient de se reposer la question » sur la manière d'appréhender la santé au travail dans les entreprises. Il nous semble donc qu'il revient au parlement, à travers là encore une mission d'information, de lancer une réflexion approfondie sur la nécessité de corriger les défauts des ordonnances de 2017 et sur la meilleure façon de relancer une dynamique de prévention dans les entreprises à partir d'un rôle régénéré des instances représentatives du personnel.
Patrick Ackermann, syndicaliste
Jean-Pierre Bloc, réalisateur
Thomas Coutrot, statisticien et économiste
François Desriaux, rédacteur en chef Santé et Travail
Emmanuel Dockès, professeur de droit, université Lyon 2
Daniela Garcia, syndicaliste
Jean-Paul Teissonnière, avocat
Sophie Taillé-Polian, députée Ecologiste
(1) Rapport_commission%20sous-d%C3%A9claration%20AT-MP%202021.pdf
(2) Les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises | Cour des comptes (ccomptes.fr)
Je me permets de vous faire suivre l'appel que nous lançons en faveur d'une initiative parlementaire sur la prévention et la réparation de la souffrance psychique au travail, à l'occasion de la projection du film « Par la fenêtre ou par la porte » sur l'affaire des suicides à France Telecom, le 14 déc à 20heures à l'AN.
N'hésitez pas à vous inscrire.
https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSfRY0480JyV80K8fsqGwWVlPKzbR9AskXuqJVbaMQZHkAEIZQ/viewform
François Desriaux
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Dilemmes de l’humanité : avancer vers la construction d’un socialisme féministe

Tiré de capiremov
https://capiremov.org/en/experience/dilemmas-of-humanity-advancing-towards-building-a-feminist-socialism/
27/11/2023 |
Écrit par Bianca Pessoa et Ana Priscila Alves
Les débats de la conférenceDilemmes de l'humanitéportent sur le féminisme et la lutte antipatriarcale pour construire le socialisme dans le monde
La 3e Conférence internationale sur les dilemmes de l'humanité s'est tenue à Johannesburg, en Afrique du Sud, en octobre 2023. C'est une démonstration que l'organisation autour de la lutte socialiste internationaliste est un mouvement fort, des membres d'organisations politiques, de mouvements sociaux, de partis et de syndicats du monde entier se sont réunis pour débattre et construire un programme de luttes communes pour construire le socialisme, organiser la classe ouvrière, défendre la vie et la nature, construire la démocratie populaire et mener la lutte anti-impérialiste pour la souveraineté des peuples et des territoires.
Dans une vidéo produite par Capire pendant la conférence, des femmes de différentes parties du monde parlent de ce qui est nécessaire pour construire un socialisme féministe.
La lutte socialiste et internationaliste est construite par de nombreuses mains et ne peut avancer que si les femmes sont présentes et actives. Afin d'articuler cette lutte comme un axe central et transversal dans la construction de la société que nous voulons, le séminaire « Féminismes et lutte contre le patriarcat », qui s'est tenu le 16 octobre, faisait partie du programme de la conférence. Ce fut un moment de débat et de réflexion sur l'importance cruciale des organisations de femmes et des organisations de personnes dissidentes dans l'élaboration d'un projet socialiste, internationaliste et solidaire. La conférence internationale a été le résultat de l'accumulation d'éditions de conférences régionales, où les luttes féministes et la lutte contre le patriarcatsont apparues comme un thème central de la lutte des classes dans les continents.
Les participants suivants ont participé au séminaire : la professeure, chercheuse et militante Akua Opokua Britwum, du Ghana ; la militante thaïlandaise pour la démocratie Kunlanat Jirawong-Aram ; Olfa Baazaoui, membre du Parti des travailleurs tunisiens ; María Inés Davalos, militante de la Coordination nationale des organisations de femmes travailleuses, rurales et indigènes (Coordinadora Nacional de Organización de Mujeres Trabajadoras, Rurales e Indígenas – Conamuri) du Paraguay ; Maite Mola, originaire du Pays basque et membre du Parti de la gauche européenne ; et Maisa Bascuas, chercheuse à l'Institut tricontinental de recherche sociale en Argentine, en charge de la médiation. Le débat a commencé par la projection du documentaire indien Kudumbashree : When Millions of Women Organize, produit par Peoples Dispatch et NewsClick. Le documentaire raconte l'histoire de plus de quatre millions de femmes organisées dans la lutte pour l'autonomie dans l'État du Kerala, dans le sud de l'Inde.
Construire un socialisme féministe
Selon Akua Opokua, le patriarcat précède le capitalisme. Mais depuis que le capitalisme a pris forme, la structure patriarcale a été repensée pour permettre une exploitation encore plus grande du travail des femmes. Au Ghana, explique-t-elle, les femmes ont joué un rôle important dans la lutte contre le colonialisme et vers l'indépendance du pays. Après l'indépendance, la lutte a été organisée sur la base de l'anti-impérialisme, dans la lignée des luttes menées sur tout le continent africain contre l'apartheid et l'exploitation du travail et de la nature par les pays européens. Les groupes organisés de femmes se sont développés au fil des ans, confrontant et dénonçant l'appropriation du féminisme par l'agenda néolibéral. « Dans le mouvement socialiste au Ghana, nous recherchons des jeunes qui veulent une société différente pour apporter des changements, car il existe un lien entre le patriarcat et le système capitaliste », déclare-t-elle.
En Thaïlande, le journal de gauche Dindengcouvre la lutte pour la démocratie dans le pays et le féminisme socialiste façonné par les femmes thaïlandaises. Le journal se concentre sur la production de textes, de podcasts et de traductions en thaï sur les débats de la gauche mondiale. Ils visent à rendre l'information accessible à la population. Kunlanat Jirawong-Aram explique que les femmes thaïlandaises sont confrontées à l'un des taux d'incarcération les plus élevés au monde. « Une de nos camarades qui était en prison nous a dit que presque toutes les femmes qu'elle a rencontrées en prison étaient là à cause des hommes dans leur vie », explique-t-elle. De plus, ils sont victimes du militarisme et de l'impérialisme américains, qui continuent d'opérer dans le pays. Malgré les défis auxquels elles sont confrontées, à Dindeng, les femmes s'organisent pour partager leur programme féministe dans des articles publiés sur le site web et aussi dans des mobilisations de rue.
En Tunisie, les femmes ont joué un rôle central dans le mouvement de libération nationale. Olfa Baazaoui explique que même si les lois les plus progressistes récemment promulguées ont été attribuées au président, ces lois sont le résultat du travail du mouvement des femmes. En 2021, il y a eu un coup d'État en Tunisie, lorsque le président Kaïs Saïed a dissous le parlement. À ce jour, il gouverne en tant que seul souverain avec les pleins pouvoirs. « Nous nous battons pour essayer de préserver les acquis démocratiques que nous avons obtenus, car c'est la seule façon d'aider les femmes à s'organiser et à lutter pour la démocratie et plus de droits », explique Olfa.
Au Paraguay, les camarades de Conamuri, membres du CLOC-Via Campesina, ont façonné le féminisme paysan et populaire comme un engagement politique pour la défense de la vie. Ils sont fondés sur les expériences vécues dans les territoires. Le féminisme implique la défense de la terre, des semences et de la lutte contre la violence. « Les luttes sont vivantes et nous savons que la lutte pour l'émancipation des femmes doit aller de pair avec la fin de la propriété privée », déclare María Inés Davalos. En Amérique latine, l'occupation massive des terres par les entreprises transnationales et l'agrobusiness est l'un des principaux défis. Cependant, sur le même territoire, il y a des femmes qui vivent de leurs terres et de leurs produits, et qui se battent pour la souveraineté alimentaire : « c'est notre façon de communiquer avec les autres, de lutter contre les multinationales et de nous protéger des semences génétiquement modifiées ».
En Europe, les femmes luttent contre la montée de l'extrême droite et du conservatisme et contre l'augmentation de la violence, en particuliercontre les femmes migrantes des pays du Sud. Pour Maite Mola, bien que le problème de l'immigration ne soit pas spécifique aux femmes, ce sont elles qui souffrent le plus aux frontières et des vulnérabilités qu'elles rencontrent en arrivant dans les pays où elles se sont installées. Dans cette partie du monde, il y a également des progrès en ce qui concerne les plaintes des femmes contre la pornographie et les formes de cyberviolence de plus en plus récentes, telles que la création de deep fakes pornographiques, en utilisant des images de toute femme ayant déjà publié des photos en ligne. « De plus, la question de l'avortement est centrale. Nous devons nous battre pour ce droit. C'est aussi une lutte des classes, pas une question de caprices. Même si c'est illégal, les femmes qui ont de l'argent peuvent avorter, et celles qui n'en ont pas meurent », a déclaré Maite.
Pour Kunlanat, la construction féministe passe aussi par le décloisonnement entre la rationalité, perçue comme masculine et appréciée, et la sensibilité, perçue comme féminine et inutile dans la lutte : « les espaces politiques sont normalisés pour être dominés par les hommes, et les femmes ne sont pas perçues comme politiques. Même aujourd'hui, les femmes sont considérées comme des personnes qui n'ont pas de pensées et d'idées propres dans un monde qui essaie de faire passer la logique avant les émotions. Mais les émotions ne doivent pas être inférieures. Nous devons considérer les émotions comme des émotions politiques. À propos du féminisme et de la lutte socialiste, María Inés partage que « pour nous, le féminisme est basé sur la classe parce qu'il cherche à construire le socialisme. Nous avions l'habitude de dire « pas de féminisme, pas de socialisme », mais nous devons aller de l'avant avec une vision positive. Aujourd'hui, nous disons 'avec le féminisme, nous construisons le socialisme' ».
Traduit de l'anglais par Rane Souza
Sous la direction de Helena Zelic
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France - Communiqué commun : Stop aux attaques contre le mouvement féministe ! Nous refusons l’instrumentalisation de nos luttes

Les manifestations du 25 Novembre contre les violences faites aux femmes et minorités de genre ont été un franc succès populaire avec près de 100 000 participantes partout en France. Cela montre une fois de plus la force de la mobilisation pour en finir avec les violences.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
28 novembre 2023
Par GrèveFéministe , NousToutes
Cependant, nous, associations et collectifs féministes, membres des collectifs de l'organisation de la manifestation parisienne du 25 novembre, sommes aujourd'hui accusées sur les réseaux sociaux et par certains médias de nier les violences sexuelles et féminicides perpétrés contre des femmes juives en Israël par le Hamas le 7 octobre, et d'avoir empêché de manifester à Paris ce samedi un collectif venu dénoncer ces violences.
Nous tenons en premier lieu à re-affirmer que nous combattons collectivement toutes les violences, les exactions, les féminicides commis contre toutes les femmes et minorités de genre quels qu'en soient les auteurs et ce, partout dans le monde. En tant que féministes, nous combattons fermement toutes formes d'antisémitisme, de racisme, d'islamophobie et de discrimination. C'est pourquoi nous condamnons sans ambiguïté les crimes sexuels et sexistes, viols et féminicides commis par le Hamas, qui ont particulièrement visé les femmes, les personnes LGBTQIA+ et les enfants. Nous apportons tout notre soutien aux victimes et à leurs proches. Les violences sexuelles en temps de conflit, bien souvent systématiques et massives, sont des armes de guerre qui visent à détruire les personnes victimes et plus largement tout un peuple. Selon l'ONU, elles constituent des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Dans la manifestation parisienne du 25 novembre, des organisations et des personnes juives féministes étaient présentes aux côtés des autres organisations et collectifs féministes. Il avait été annoncé que la manifestation porterait aussi cette lutte.
Malgré cela, une campagne de dénigrement poussée par certains médias et des réseaux d'extrême droite, des tribunes mensongères et des campagnes de fake news sur les réseaux sociaux ont réussi à convaincre de nombreuses personnes du contraire, y compris des femmes et des féministes juives. Nous le déplorons.
Ces fake news se sont accompagnées d'alertes et de menaces d'actions violentes de groupuscules d'extrême droite pendant la manifestation. C'est pourquoi celle-ci était sous haute surveillance et haute tension.
Le 25 novembre, un collectif dénonçant les viols et féminicides du 7 octobre et accusant les féministes d'être silencieuses sur le sujet était présent place de la Nation. Ses membres, hommes et femmes, ont défilé autour de la place avec des pancartes attaquant une partie des associations organisatrices de la manifestation comme « Féminicide de masse, féministes à la Hamas » ou « #Metoo unless you are jew ». Beaucoup d'hommes portaient des gants coqués ce qui a inquiété les organisations présentes et la police qui y ont reconnu des personnes d'extrême-droite. Les CRS ont décidé de les encadrer sur la place de la Nation.
Depuis samedi, sur les réseaux sociaux, des individus ont mis en cause des féministes et organisé un dénigrement collectif de la manifestation et de ses organisatrices. Ces attaques ne sont pas seulement diffamatoires, elles sont dangereuses. Plusieurs appels au cyberharcèlement à l'encontre du collectif #NousToutes ont été émis. Les militantes bénévoles se retrouvent exposées à des centaines de messages et mails d'insultes, de menaces de viol et de mort y compris sur leur téléphone ou mail personnel. Nous rappelons que le cyber harcèlement est une forme de violence grave parmi celles que nous dénoncions en manifestant samedi et est punie par la loi.
Nous sommes aux côtés de toutes les victimes et de leurs proches. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles est une longue marche qui ne devrait jamais être instrumentalisée. Elle appelle au contraire l'union et le rassemblement de toutes et tous. Nos organisations féministes sont diverses, elles sont unies dans la dénonciation des violences faites aux femmes et aux minorités de genre, d'où qu'elles viennent et quels qu'en soient les auteurs.
GrèveFéministe et NousToutes
Membres des collectifs de l'organisation de la manifestation parisienne du 25 novembre
P.-S.
• CGT. PUBLIÉ LE 28 NOV. 2023 :
https://www.cgt.fr/comm-de-presse/stop-aux-attaques-contre-le-mouvement-feministe-nous-refusons-linstrumentalisation-de-nos-luttes
Copyright
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Jeunes femmes journalistes en formation, nous dénonçons le sexisme qui règne dans la profession

« Toi, tu vas l'avoir ton stage… » Cette phrase, on voudrait l'entendre après une présentation réussie. Pas lors d'une soirée, de la bouche d'un homme de l'âge de notre père qui nous la glisse à l'oreille d'un ton chargé de sous-entendus.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Chaque année, le congrès de la Presse Hebdomadaire Régionale (PHR) rassemble de nombreux éditeurs de presse locale. Les étudiants de la licence professionnelle « Presse de proximité » de l'École supérieure de journalisme de Lille (ESJ Lille) sont traditionnellement conviés. Mi-juin, à Laval, nous y avons donc présenté notre travail de l'année, un magazine thématique et deux quotidiens édités durant le congrès.
Si nous avons été félicitées pour notre travail, nous nous sommes également senties humiliées, parfois considérées comme des proies. « J'informais les personnes présentes qu'elles pouvaient participer à un quiz avec un panier garni à la clé, un homme m'a répondu avec un sourire : “C'est vous, le lot à gagner ?” »
Scénario similaire en distribuant les journaux à l'entrée. « Un homme s'est approché. Je lui ai tendu un journal. Il m'a dit qu'il aimerait me présenter à plein de collègues en me reluquant. Je lui avais juste dit bonjour. » Ce n'est pas nouveau, la promotion d'il y a vingt-trois ans faisait déjà état de « propositions douteuses et de blagues graveleuses ».
Une fois la journée de conférences terminée, mettez des éditeurs, employeurs potentiels, face à de jeunes femmes journalistes en pleine construction professionnelle, arrosez le tout d'alcool et vous obtiendrez une atmosphère malsaine. Regards insistants, remarques déplacées et gestes malvenus, le congrès a été un concentré de ces violences que nous pouvons subir dans l'exercice de notre profession. Ces actes, signalés dès le lendemain aux organisateurs de l'événement, répondent à la définition de l'outrage sexiste ou sexuel aggravé, un délit puni d'une amende de 3750 €.
Nous relayons l'actualité locale et nationale. C'est notre métier. Nous décrivons des réalités. Nous témoignons aujourd'hui de cette atmosphère étouffante, non sans difficulté face aux pressions dont nous avons pu faire l'objet.
Ce malaise, nous le vivons aussi dans nos rédactions locales, isolées, où nous n'avons parfois qu'une poignée de collègues et pas toujours de syndicats sur place à qui nous adresser. Nous sommes fatiguées de ne pas être écoutées. Quand la profession changera-t-elle ? Combien d'écoles devront faire attention à ne pas envoyer de jeunes femmes dans certains journaux, dans certaines rédactions ? Combien d'entre nous renonceront à leur rêve par peur de violences ? Les mentalités doivent profondément évoluer. Le journalisme est, aussi, un métier de femmes. Nous y avons toute notre place. Nous ne tolérerons pas ces violences.
Les femmes de la 28e promotion de la licence Presse de proximité de l'ESJ Lille
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Les femmes ukrainiennes luttent contre l’escalade de la violence sexiste dans le contexte de la guerre

Note de la rédaction : cet article a été parrainé par les organisations à but non lucratif HIAS et VOICE qui travaillent ensemble pour résoudre le problème de la violence contre les femmes et les filles en Ukraine, dans le cadre du projet « Partnering for Change : A Project Partnership Centering Women and Girls in the Ukraine Regional Response ». Les femmes présentées par leur nom complet dans le reportage ont accepté de révéler leur identité.
Tiré de Entre les lignes et les mots
AVERTISSEMENT : Cet article contient des descriptions qui peuvent heurter la sensibilité.
Elle avait un sac sur la tête et ses mains étaient menottées. Elle était horrifiée au plus haut point et n'avait aucune idée de l'endroit où elle se trouvait.
Plus tôt dans la journée, des militants russes s'étaient emparés de Mme Huseinova à son domicile de Novoazovsk, dans la partie occupée de l'oblast de Donetsk. Ses positions pro-ukrainiennes ont été à l'origine de la perquisition et de la détention.
Dans certains locaux froids, elle a été placée face au mur.
« Vous savez que vous êtes impuissante et que vous ne pouvez rien faire », a déclaré Mme Huseinova, aujourd'hui âgée de 61 ans, au Kyiv Independent. « Vous vous tenez là, un sac sur la tête, les mains menottées. On vous déshabille et on vous touche. Ils se moquent de vous, vous pincent et vous frappent ».
Pour Mme Huseinova, ce fut le début de trois années de captivité en Russie, au cours desquelles elle a été témoin de nombreuses violations des droits des êtres humains, notamment des agressions sexuelles et des coups portés à des femmes ukrainiennes.
Mme Huseinova fait partie des 108 femmes libérées le 17 octobre 2022. Des expériences comme la sienne sont courantes parmi les femmes en Ukraine, mais seules quelques-unes choisissent d'en parler.
En ce sens, l'Ukraine ressemble beaucoup au reste du monde, où la violence à l'égard des femmes et des filles est monnaie courante et où les guerres ne font qu'aggraver la situation, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits des êtres humains. Même pour les non-captives, le stress, l'anxiété, l'instabilité économique et sociale causés par la guerre créent des conditions propices à l'augmentation de la violence domestique et d'autres abus.
En octobre 2022, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que l'invasion à grande échelle avait déjà « augmenté la violence sexuelle et sexiste, y compris la violence sexuelle liée au conflit » en Ukraine – « pourtant, la plupart des cas ne sont jamais signalés ».
« Celles qui ont souffert de la violence restent souvent silencieuses parce qu'elles craignent les regards critiques, les ragots et la condamnation. Nous sommes une société d'individus libres qui se battent pour la justice ». a déclaré la première dame Olena Zelenska lors de la conférence « Uni·es pour la justice » en mars.
« Notre tâche principale est de rendre cette justice aux survivantes des crimes horribles de cette guerre épouvantable. Nous devons avant tout leur fournir un traitement équitable, un soutien, du respect et de l'aide. »
La violence sexuelle comme arme
À son retour en Ukraine, Huseinova a pris une longue douche chaude, essayant de se débarrasser de l'odeur insupportable de la prison russe.
Elle a dû passer 50 jours à Izoliatsia, un centre de torture situé dans la partie occupée de Donetsk, qui serait géré par les services de sécurité fédéraux russes, puis environ trois ans dans un centre de détention provisoire de Donetsk. À l'intérieur, Mme Huseinova savait que si elle sortait un jour, elle continuerait à se battre pour la liberté et la justice des autres femmes ukrainiennes.
Selon le ministère de la réintégration des territoires temporairement occupés, au moins 126 Ukrainiennes, dont 80 civiles, étaient en captivité en Russie en juin 2023.
« Elles sont toujours là. Je sais quels risques elles courent, dans quelles conditions elles se trouvent et à quel point c'est difficile pour elles, physiquement et psychologiquement », explique Mme Huseinova.
À cette fin, elle a rejoint Sema Ukraine, une organisation à but non lucratif qui réunit et soutient les femmes qui ont survécu à des violences sexuelles liées au conflit, ou CRSV. L'organisation a été fondée en 2019 et, après 2022, elle est passée de moins de 20 à plus de 50 femmes, toutes survivantes.
La responsable du groupe, Iryna Dovhan, a subi des tortures en public. Des photos d'elle attachée à un poteau et battue dans une rue de Donetsk ont horrifié le monde entier en 2014.
Depuis, les violences sexuelles sont monnaie courante dans les territoires occupés, mais elles ont véritablement pris de l'ampleur après l'invasion totale.
« En 2022, ils ont reçu un mandat pour se comporter sans retenue. Ils ont gagné encore plus de confiance dans l'impunité », a déclaré Dovhan au Kyiv Independent.
Le bureau du procureur général de l'Ukraine a enregistré 235 cas de violence sexuelle et sexiste, principalement à l'encontre de femmes, depuis le 24 février 2022.
« En fait, il y a beaucoup plus de crimes de ce type, ce qui est également confirmé par nos partenaires internationaux. Les survivantes ont le plus souvent honte et peur de signaler ces crimes », a déclaré en mars la vice-première ministre chargée de l'intégration européenne, Olha Stefanishyna.
Un rapport récent de la commission d'enquête internationale indépendante des Nations unies sur l'Ukraine fait état d'un certain nombre de cas où « les soldats russes ont fait irruption dans les maisons des villages qu'ils occupaient, ont violé des femmes et une jeune fille, et ont commis d'autres crimes de guerre contre les victimes et les membres de leur famille ».
Parmi les cas étudiés dans les oblasts de Kherson et de Zaporizhzhia, les victimes de viol comprenaient une jeune fille de 16 ans et des femmes âgées de 19 à 83 ans. Parmi elles, une jeune fille enceinte de 16 ans et trois femmes plus âgées vivant seules, ou avec de jeunes enfants, ou avec des membres de leur famille souffrant d'un handicap.
Pramila Patten, représentante du secrétaire général des Nations unies pour les violences sexuelles en période de conflit, a déclaré en octobre dernier que le viol faisait partie de la « stratégie militaire » de la Russie et qu'il s'agissait d'une « tactique délibérée pour déshumaniser les victimes ».
« L'utilisation systématique de la violence sexuelle comme arme de guerre est l'une des caractéristiques des crimes de masse contre les civiles commis par les troupes russes en Ukraine », déclare le procureur général Andrii Kostin. « Nous considérons également les violences sexuelles liées aux conflits comme un élément de génocide ».
Dovhan est d'accord : « La violence sexuelle liée aux conflits est très traumatisante. Elle a des conséquences à long terme qui détruisent non seulement la vie de la personne qui l'a subie, mais aussi tout son cercle social, sa famille et sa descendance. »
Mais même lorsque les Russes ne peuvent pas atteindre les femmes, la violence sexiste, elle, peut les atteindre. Les cas de violence domestique sont de plus en plus nombreux.
« Nous ne pouvons pas dire que les femmes (ukrainiennes) sont protégées contre la violence sexiste et la violence domestique », déclare Halyna Iegorova, responsable du groupe de protection contre la violence sexiste au bureau de représentation ukrainien de l'organisation à but non lucratif HIAS, basée aux États-Unis.
« Mais la grande différence est que dans le territoire occupé, il n'y a pas d'accès aux services d'aide, contrairement aux zones contrôlées par l'Ukraine, où de telles opportunités existent ».
Aucun endroit n'est sûr
En Ukraine, deux femmes sur trois subissent des violences psychologiques, physiques ou sexuelles au cours de leur vie, et 18% des femmes et des filles âgées de 15 à 49ans ont subi des violences de la part de leur partenaire intime, selon l'OMS.
Valentyna, 56 ans, résidente de l'oblast de Vinnytsia, a été témoin de cette situation : sa famille a subi des années de violence de la part de son neveu, âgé de 36 ans. La situation a empiré après le début de l'invasion à grande échelle.
« En mai et juin seulement, j'ai dû appeler la police à quatre reprises », a déclaré Valentyna au Kyiv Independent.
Alors que l'invasion dure depuis près de deux ans, la violence domestique dans le pays s'aggrave. En août, le responsable de la police nationale, Serhii Aloshkin, a déclaré que le nombre de cas avait augmenté de 40% par rapport à l'année dernière.
En octobre 2023, la police a enregistré près de 244 000 appels pour violence domestique, soit autant que pendant toute l'année 2022, selon le ministre de l'intérieur Ihor Klymenko.
« Le stress psychologique, la pression émotionnelle, la séparation des familles, le chômage et d'autres facteurs aggravent la situation de la violence domestique dans le pays », a déclaré Klymenko.
La psychanalyste Iryna Kuratchenko partage cet avis, ajoutant que de nombreux soldats sont psychologiquement traumatisés lorsqu'ils rentrent du front.
« Il y a eu une augmentation du nombre de cas dans lesquels des militaires masculins commettent des violences domestiques », a déclaré au Kyiv Independent Mm Kuratchenko, qui dirige également l'association de psychologues et de psychanalystes Vzayemodiya, une ONG basée à Zaporizhzhia, qui soutient les survivantes de violences basées sur le genre (VBG).
Elle raconte par exemple l'histoire d'une femme qui s'est retrouvée piégée et incapable de fuir son mari violent lorsque l'invasion à grande échelle a commencé.
Certaines femmes se sont retrouvées coincées dans les zones occupées, à la fois avec leurs partenaires violents et avec les Russes rapaces.
Même lorsqu'elles fuient la guerre, les femmes ukrainiennes sont toujours en danger. Une étude réalisée en 2022 par l'université de Birmingham, comportant 32 entretiens avec des femmes ukrainiennes réfugiées ou déplacées à l'intérieur du pays, a révélé que toutes avaient été victimes de violences de guerre.
« Certaines avaient subi des violences sexuelles et sexistes avant la guerre, tandis que d'autres avaient été exposées à différentes formes d'abus qui s'étaient poursuivis pendant le conflit, en transit, puis une fois qu'elles avaient trouvé refuge. »
Les femmes qui fuient laissent derrière elles tout leur système de soutien, y compris leurs amis, leur famille et les professionnel·les de santé en qui elles ont confiance, explique Mme Iegorova. Il est beaucoup plus difficile de trouver de l'aide dans un endroit inconnu, ce qui décourage les femmes d'essayer.
Les survivantes choisissent souvent de ne pas signaler les violences sexistes, par manque de confiance dans le système judiciaire ou par crainte de l'agresseur.
Les organisations ukrainiennes et internationales se sont mobilisées pour faire évoluer cette perception.
S'exprimer, demander justice
Selon Mme Kuratchenko, l'Ukraine a réalisé des progrès significatifs en matière de traitement et de réaction à la violence liée au sexe ces dernières années.
Le parlement a finalement ratifié la Convention d'Istanbul, dont les signataires collaborent pour protéger les victimes et poursuivre les auteurs.
« Cela signifie également que chaque année, le pays doit rendre compte de la manière dont il respecte la convention d'Istanbul. C'est une grande responsabilité » explique M. Kuratchenko. « L'État, les organismes d'application de la loi et d'autres structures font beaucoup, mais la guerre… prévaut. »
La police nationale compte plus de 60 unités chargées d'intervenir en cas de violence domestique, de conseiller les victimes et d'essayer de prévenir ces crimes, selon son rapport du 23 novembre.
L'éducation est un élément essentiel de la prévention.
Mme Iegorova explique que de nombreuses personnes en Ukraine « vivent sans se rendre compte que la violence fait partie de leur vie », car elles ne peuvent pas l'identifier.
« C'est pourquoi notre organisation, ainsi que d'autres organisations travaillant dans le domaine de la santé et de la sécurité publiques, a pour tâche principale de sensibiliser la population à ces questions afin qu'elle puisse les reconnaître », explique-t-elle.
« Ce n'est que lorsqu'une personne reconnaît qu'elle vit dans une situation de violence et qu'elle comprend qu'elle est victime de violence qu'elle peut chercher de l'aide par elle-même. »
Selon Mme Iegorova, HIAS a récemment organisé un programme éducatif de huit semaines à l'intention des femmes, leur apprenant à identifier la violence liée au sexe et à savoir où chercher de l'aide.
« Nous nous efforçons également de faire en sorte que des informations sur les organisations travaillant dans le domaine de la violence liée au sexe soient disponibles dans chaque conseil rural ou urbain », dit-elle. « Nous nous efforçons de les distribuer même dans les hôpitaux ou les cliniques pour femmes, afin que les personnes qui viennent les consulter puissent voir les brochures.
Basée dans la région partiellement occupée de Zaporizhzhia, Vzayemodiya organise notamment des formations pour les forces de l'ordre locales et d'autres spécialistes, leur apprenant à identifier les CRSV, à communiquer avec les survivantes et à savoir où les orienter pour qu'elles obtiennent l'aide dont elles ont besoin, y compris un soutien psychologique.
En plus d'informer les Ukrainien·nes et le monde entier sur les actes de violence sexuelle commis par les troupes russes, Sema Ukraine contribue également à documenter ces cas, afin de traduire les auteurs en justice.
L'organisation aide également les survivantes à obtenir une assistance médicale, sociale et juridique et soutient leurs familles, en particulier les enfants.
« Ce qui rend notre organisation remarquable, c'est que nous avons plus d'une douzaine de femmes qui ont réussi à transformer leur traumatisme en capacité post-traumatique au sein de l'organisation », explique Dovhan.
« Elles sont actives, elles aident les autres et elles servent d'exemple aux nouvelles femmes qui rejoignent l'organisation. »
Plusieurs autres organisations dirigées par des femmes soutiennent les survivantes de violences basées sur le genre dans toute l'Ukraine.
L'organisation Green Landia, basée à Kharkiv, a par exemple récemment créé des « espaces de soutien pour les femmes et les filles » dans la capitale régionale et dans l'oblast, proposant des sessions éducatives et psychologiques, des ateliers d'art et d'autres activités.
À Kherson, l'organisation Uspishna Zhinka (Successful Woman en anglais) éduque les femmes sur les « relations saines et malsaines », les stéréotypes de genre et l'égalité. Elle travaille également à l'autonomisation économique des femmes pour les aider à échapper à la violence domestique.
Pour avoir un impact encore plus important, ces organisations ont également besoin de soutien.
En collaboration avec l'organisation féministe mondiale Voice, HIAS soutient de petites organisations ukrainiennes dirigées par des femmes, telles que Sema Ukraine, Uspishna Zhinka, Green Landia et Vzayemodiya. Les subventions leur permettent de fournir des conseils individuels et collectifs ainsi que des biens de première nécessité aux survivantes de la violence liée au sexe et de la violence sexuelle et sexiste.
« Les groupes de soutien pour les femmes qui ont subi des violences domestiques sont très efficaces, surtout lorsque celles-ci partagent leurs propres expériences. C'est le moyen le plus efficace pour elles d'entrer en contact et de guérir », explique Mme Kuratchenko.
Le financement de ces organisations est important car, comme le souligne Mme Iegorova, elles « apportent un soutien solide à la population locale ».
« Sans elles, il serait beaucoup plus difficile pour l'État de répondre aux besoins de la population. »
Toutefois, pour recevoir une aide cruciale et entamer une action en justice, les victimes de violences sexistes doivent commencer par signaler ce qui leur est arrivé.
Le médiateur ukrainien, Dmytro Lubinets, affirme que les récits des victimes de la violence sexuelle et sexiste sont « leurs armes dans la lutte contre l'agresseur et servent d'outils dans les mains des forces de l'ordre sur le champ de bataille juridique ».
« N'ayez pas peur de vous exprimer. N'ayez pas peur d'exiger que les auteurs soient punis », ajoute Mme Huseinova.
Bonjour, ici Daria Shulzhenko. J'ai écrit cet article pour vous. Depuis le premier jour de la guerre totale menée par la Russie, je travaille presque sans relâche pour raconter les histoires des personnes touchées par l'agression brutale de la Russie. En racontant toutes ces histoires douloureuses, nous contribuons à tenir le monde informé de la réalité de la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine. En devenant membre du Kyiv Independent, vous pouvez nous aider à continuer à dire au monde la vérité sur cette guerre.
Daria Shulzhenko, Journaliste
Daria Shulzhenko est journaliste au Kyiv Independent. Elle a été journaliste au Kyiv Post jusqu'en novembre 2021. Elle est titulaire d'une licence en linguistique de l'Université internationale de Kiev, avec une spécialisation en traduction de l'anglais et de l'allemand. Elle a auparavant travaillé comme rédactrice et chercheuse indépendante.
https://kyivindependent.com/ukrainian-women-fight-escalated-gender-based-violence-amid-war-2/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Sehjo Singh : « Le système des castes a besoin du patriarcat pour rester fort »

En Inde, la déforestation et le patriarcat vont de pair ; par conséquent, le féminisme et l'écologie doivent également se construire ensemble. Sehjo Singh fait partie de la Confluence des alternatives (en hindou, Vikalp de Sangam), une articulation d'organisations et de mouvements de défense de la nature, des communautés et de la souveraineté alimentaire en Inde. Sehjo a accordé cette interview lors de la 13e Rencontre internationale de la Marche mondiale des femmes, à Ankara, Turquie. Lors de la rencontre, la présence de délégations de pays asiatiques parmi les militantes du mouvement et les organisations alliées était significative.
À l'occasion, Capire a parlé avec Sehjo de l'histoire de la construction du féminisme en Inde et des résistances et alternatives actuelles proposées par les femmes de la région. Selon Sehjo, les confrontations anti-patriarcales impliquent une critique du système des castes et de la lutte pour la terre, basée sur la réalité et les besoins des femmes populaires. Pour elle, la première bataille à mener est de reconnaître la centralité des agricultrices dans la production alimentaire et dans la garantie de la biodiversité : « Cela ne veut pas dire que les femmes contribuent – je dirais que ce sont les femmes qui la soutiennent ».
*
Tout d'abord, pourriez-vous vous présenter et parler de votre trajectoire politique ?
J'ai eu la chance d'avoir une éducation avec des parents qui faisaient partie d'une chose appelée le mouvement soufi en Inde, alors j'ai aussi eu une éducation progressiste. J'ai grandi après l'émergence et la montée de forts mouvements de gauche dans le pays ; il était donc naturel pour moi d'avoir une vision qui va au-delà et un désir de vie guidé par la Justice. Ce sont les principales circonstances responsables de la personne que je suis.
Quand j'étais encore à l'université, il y a eu une percée majeure du mouvement des droits humains et du mouvement des droits des femmes. Des droits humains, en raison de l'expérience de suppression des droits que notre pays a eue. Et les droits des femmes, probablement à cause de l'époque où cela s'est produit : dans les années 1970, lorsque de nombreuses nouvelles et études sur les droits des femmes ont été publiées dans le monde entier. C'était quelque chose qui a uni de nombreuses femmes en Inde. Bien sûr, c'était au départ les femmes privilégiées, mais leur propre perspective est née pour se connecter avec les mouvements populaires.
Il est intéressant de noter que l'une des premières mobilisations des femmes dans le pays portait sur l'écologie. Cela s'appelait le « Mouvement Chipko ». « Chipko » signifie embrasser, enfoncer, et le mouvement a embrassé des arbres dans une vallée de la chaîne de montagnes himalayenne pour arrêter la déforestation. Plus tard, il y a eu des mouvements et des lois liés au droit des femmes à la propriété, pour changer la façon dont la justice traitait le viol… De nombreuses lois ont changé, mais il y a aussi eu beaucoup de mobilisation dans les territoires.
C'était une époque où les femmes étaient encore battues et même tuées pour une chose appelée « dot ». C'est un concept très étrange au sein des sociétés de castes hindoues. Cela signifie que si vous donnez votre fille à quelqu'un, vous devez également payer une compensation, ce qui est très contre-intuitif et illogique. C'est comme si la femme était un fardeau qui est transféré, avec une attente qui ne peut être satisfaite. À l'époque, cela a commencé à être rendu public et les médias ont commencé à en parler. Je me souviens, quand j'étais jeune fille, j'allais avec d'autres filles chez des gens qui avaient exigé une dot et je peignais la clôture ou la maison en noir.
Il existe un lien profond entre le féminisme et l'écologie. L'inégalité et l'injustice commencent à la maison. C'est en elle que nous posons les bases de la façon dont les êtres humains peuvent se traiter les uns les autres de manière inégale, comment les êtres humains peuvent s'opprimer les uns les autres. Le patriarcat est un système auquel tout le monde participe. En Inde, sur le patriarcat repose la chose la plus ingénieuse et perverse que l'on puisse concevoir : le système des castes, qui refuse de disparaître.
« Le système des castes a besoin du patriarcat pour rester fort »
– Sehjo Singh
Si les femmes avaient leurs propres choix et droits, la caste serait rapidement démolie, car les femmes se marieraient, s'aimeraient et se reproduiraient comme elles le souhaitent – ce que le système des castes ne peut admettre. Le traitement entre humains a des liens profonds avec la façon dont les gens traitent la nature.
Comment se passe la participation des femmes aux mouvements agroécologiques et pour la protection des forêts ? Quelles sont les contributions des femmes dans ces processus ?
Je le dirais autrement : ce n'est pas que « les femmes contribuent » – je dirais que ce sont « les femmes qui soutiennent ». Les femmes sont de petites agricultrices, ce sont elles qui restent à la maison lorsque les hommes migrent. Ce sont les femmes qui soignent et cultivent. Et ce ne sont pas seulement les femmes, ce sont les femmes les plus pauvres.
« Ce sont les femmes les plus pauvres, avec moins de privilèges, qui soutiennent et défendent l'agroécologie. » – Sehjo Singh
Ce sont des agricultrices avec toutes sortes de talents. L'existence à la fois d'Adivasis (peuple originaire d'Inde) et de Dalits (terme pour « intouchables ») est ce qui garantit en fait la défense des forêts, le sauvetage des semences et la coopération dont toute agriculture naturelle a besoin.
De plus en plus, tout finit par entrer dans le secteur commercial. Lorsque l'agriculture biologique devient une proposition d'élite, quelqu'un d'autre est crédité pour le travail des femmes. Le standard de ces femmes est déjà l'agriculture biologique. La chose la plus importante pour les femmes est et devrait être leur reconnaissance en tant qu'agricultrices. C'est la première bataille : la lutte pour l'idée que les femmes sont des agricultrices. Le concept patriarcal est que la femme appartient à la famille d'agriculteurs et que leur travail fait partie de la famille. Elle est la chef de famille et elle n'est même pas payée pour cela.
C'est une bataille non seulement avec le gouvernement, avec le milieu universitaire, avec les chercheurs, les personnes qui comptent les statistiques, et même pas seulement avec les femmes elles-mêmes. Le terme « femme agricultrice » est devenu connu. Je me souviens avoir eu des difficultés avec ce terme au début des années 1990 et personne ne le connaissait. À l'époque, Internet était une nouveauté. Je voulais créer un site Web pour les agricultrices, et personne ne comprenait de quoi je parlais.
Parlons de la lutte féministe en Inde aujourd'hui. Quel est le rôle des femmes dans les immenses mobilisations politiques d'aujourd'hui ?
Il est très intéressant de voir que la mobilisation des femmes aujourd'hui ne se fait pas avec des personnes qui « connaissent les termes ». Elles ne sont pas la « classe cool ». Je vais vous donner un exemple : la mobilisation récente la plus impressionnante a été faite par des sportives d'Inde qui avaient subi des abus sexuels et du harcèlement de la part du président de la Fédération de lutte libre. Il avait des liens politiques profonds et, dans le système judiciaire, personne ne pouvait rien faire à son sujet. Alors ces femmes sont descendues dans la rue pour parler de harcèlement sexuel. Ce ne sont pas des femmes avec une éducation qui leur permettrait de parler de ces choses, mais elles ont réussi à résoudre le problème. Cela se reflète également dans les médias aujourd'hui, car il n'est plus possible d'ignorer les problèmes des femmes de cette manière.
Cependant, le climat général n'est propice aux droits de personne. Il y a une profonde préoccupation avec les récits de « femmes déesses », « femmes sur un piédestal », « femmes qui devraient être vénérées », par opposition aux « femmes égales ». La droite déclare : « Bien sûr, nous vénérons les femmes, mais bien sûr, nous ne leur permettrons pas d'être égales – et dans le cas des femmes Dalits, nous nous en fichons vraiment ». Il y a eu des cas troublants de viols et de meurtres de femmes Dalits qui ont été réduits au silence.
« Ce n'est pas le meilleur moment, mais il est peu probable que ce type de mobilisation soit freiné. C'est un long processus qui est là pour durer. »
– Sehjo Singh
Vous participez maintenant à la 13ème Rencontre internationale de la Marche Mondiale des Femmes, dans le cadre de la délégation de la région asiatique. Quels défis régionaux voyez-vous ?
La Marche Mondiale des Femmes me plaît beaucoup car c'est un mouvement politique. La chose la plus importante pour connecter les femmes asiatiques est de se connecter à ce dont elles discutent et à ce qui les intéresse. Il y a sans aucun doute une préoccupation pour les forêts, les semences, l'éducation des filles, la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour toute la famille. Ils s'inquiètent de l'eau et de la durée pendant laquelle ils disposeront encore d'eaux souterraines et d'autres ressources.
Le meilleur moyen est de se connecter, de voir comment gagner dans leurs luttes et d'offrir des exemples de mobilisations bonnes et réussies d'autres régions du monde, faites par des femmes comme elles. Le moment est difficile, et je crois que nous ne trouverons de la force que dans les territoires, dans les gens qui sont unis, et non dans un leader charismatique ou une sorte de Messie que certaines personnes recherchent peut-être. Il faut regarder le territoire, ceux et celles qui marchent sur le sol, et non pas vers le haut.
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : anglais
Édition par Helena Zelic
https://capiremov.org/fr/entrevue/sehjo-singh-le-systeme-des-castes-a-besoin-du-patriarcat-pour-rester-fort/
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2023, année la plus chaude de l’histoire

C'est officiel : 2023 est « l'année la plus chaude de l'histoire », rapporte Copernicus. Cette annonce du service européen d'observation de la Terre a été faite le 6 décembre alors même que l'année n'est pas terminée et elle confirme les prévisions publiées en octobre dernier.
6 décembre 2023 | tiré de reporterre.net
https://reporterre.net/2023-annee-plus-chaude-histoire
La température moyenne mondiale est de 1,46 °C au-dessus de la moyenne de l'ère pré-industrielle, correspondant à la période 1850-1900. Elle est « 0,13 °C plus élevée que la moyenne sur onze mois pour 2016, actuellement l'année civile la plus chaude jamais enregistrée », précise Copernicus. À l'instar de cinq autres mois de l'année, novembre 2023 n'échappe pas aux records : il a été le mois le plus chaud jamais enregistré dans le monde, avec une température moyenne de l'air de surface de 14,22 °C, soit 0,85 °C au-dessus de la moyenne 1991-2020. Novembre 2023 a également été hors norme pour la température à la surface des océans qui a été en moyenne la plus élevée de tous les mois de novembre.
« Tant que les concentrations de gaz à effet de serre continueront d'augmenter, nous ne pouvons pas nous attendre à des résultats différents de ceux observés cette année, a résumé Carlo Buontempo, directeur de Copernicus. La température continuera d'augmenter, de même que les effets des vagues de chaleur et des sécheresses. »
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« Nous sommes au cœur du sixième effondrement du système terrestre »

« Cinq seuils naturels importants risquent déjà d'être franchis, selon le rapport Global Tipping Points, et trois autres pourraient l'être au cours de la prochaine décennie si la planète se réchauffe de 1,5 °C (2,7 °F) par rapport aux températures préindustrielles » nous apprend The Guardian du 6 décembre au moment où le Québec commémore le drame féminicide de Polytechnique qui fut peut-être à sa façon un point de bascule social. Quels sont ces points de bascule climatiques ? « L'effondrement des grandes nappes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique occidental, le dégel généralisé du pergélisol, la mort des récifs coralliens dans les eaux chaudes et l'effondrement d'un courant océanique dans l'Atlantique Nord. […] Les chercheurs ont déclaré que les systèmes étaient si étroitement liés qu'ils ne pouvaient pas exclure des "cascades de basculement". La désintégration de la calotte glaciaire du Groenland, par exemple, pourrait entraîner un changement brutal de la circulation méridienne de retournement de l'Atlantique, un courant important qui fournit la majeure partie de la chaleur au Gulf Stream. Cela pourrait à son tour intensifier l'oscillation australe El Niño, l'un des phénomènes météorologiques les plus puissants de la planète. […] [L]e rapport indique que trois autres pourraient bientôt rejoindre la liste. Il s'agit des mangroves et des prairies marines, qui devraient disparaître dans certaines régions si les températures augmentent de 1,5 à 2 °C, et des forêts boréales, qui pourraient basculer dès 1,4 °C de réchauffement ou jusqu'à 5 °C. » (Ajit Naranjan, Earth on verge of five catastrophic climate tipping points, scientists warn, The Guardian, 6/12/23).
tiré du Guardian
Ce nouvel avertissement met la table à un puissant message du commentateur renommé George Monbiot, aussi publié aujourd'hui, destiné aux personnes abonnées au Guardian affirmant que « [n]ous sommes au cœur du sixième effondrement du système terrestre ». Ce n'est pas le moment de céder à la « fatigue climatique » mais d'organiser la contre-offensive dont la grèves dans les services publics est partie prenante comme puissant message collectif pour une société de prendre soin des gens et de la terre-mère. Voici ce message :
L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés pour persuader les gens d'aimer et de protéger le monde vivant est le langage dans lequel cet amour est exprimé. Peu de termes que nous utilisons décrivent de manière vivante la planète que nous essayons de défendre ou les menaces qui pèsent sur elle. Prenons l'exemple de "l'environnement" : un terme froid, abstrait et distancié qui ne fait naître aucune image dans l'esprit. Avez-vous déjà vu un "environnement" ? Ou encore "changement climatique", un terme si doux et si neutre pour décrire une catastrophe existentielle. C'est comme appeler une armée d'invasion des "visiteurs inattendus".
Cela fait longtemps que je réclame un langage plus efficace, et j'ai été ravie quand, en 2019, le Guardian a commencé à changer sa façon de parler de notre crise, en utilisant des termes tels que "planète vivante" ou "monde naturel" au lieu d'"environnement", et en remplaçant "changement climatique" par "effondrement du climat". Je suis d'autant plus heureux de constater que le changement opéré par le Guardian a déclenché un changement plus large.
Mais il y a un terme en particulier qui me gêne encore. Il peut sembler étrange de le contester, car il est assez explicite : extinction de masse.
Il est utilisé pour décrire les événements catastrophiques (il y en a eu cinq depuis l'apparition des animaux à corps dur) qui ont anéanti de nombreuses formes de vie sur la planète. Nous sommes actuellement au milieu du sixième de ces événements. Quel est donc mon problème ?
Je pense que ce terme reflète ce que les paléontologues appellent le "biais taphonomique" : une vision erronée du passé causée par ce qui se trouve, ou ne se trouve pas, à être préservé. Nous appelons ces événements "extinctions massives" parce qu'il est facile de voir la disparition d'un grand nombre d'espèces dans les archives fossiles. Les roches révèlent également un problème plus profond, mais qui est moins immédiatement visible. Les extinctions massives, aussi horribles soient-elles, ne sont que l'une des conséquences d'un phénomène encore plus important : L'effondrement des systèmes terrestres. Je pense que c'est ainsi que nous devrions appeler la situation à laquelle nous sommes confrontés. Nous sommes au milieu du sixième effondrement des systèmes terrestres.
En d'autres termes, les activités humaines ne provoquent pas une crise de la biodiversité, ni une crise du climat, ni une crise de l'eau douce, ni une crise des forêts, ni une crise des sols, ni une crise des océans. Nous sommes en train de créer une crise globale. Si la compartimentation de cette crise globale nous aide à l'étudier et à en rendre compte, la nature, elle, ne connaît pas de telles cases. Tous ces systèmes sont intimement liés et mutuellement dépendants. Il n'y a pas de limites strictes entre eux. Si l'un d'entre eux tombe en panne, il menace d'entraîner les autres dans sa chute. C'est ce qui s'est produit lors des cinq derniers effondrements des systèmes terrestres.
Nous devons, dans la mesure du possible, comprendre l'ensemble.
Notre omni-crise est également une crise politique et économique. Elle est avant tout le fait d'un petit nombre d'oligarques et d'entreprises immensément puissants : les polluocrates. Il s'agit d'une crise de pouvoir : le pouvoir qu'ils exercent sur nous et sur les systèmes terrestres, leur capacité à bloquer le changement progressif dont nous avons besoin, à faire en sorte que le statu quo, qui leur a conféré leur pouvoir, perdure.
Pour eux aussi, il s'agit d'une crise existentielle. Alors que les signes de l'effondrement des écosystèmes sont de moins en moins niables, leurs industries — combustibles fossiles, production de viande, voitures, routes, avions, mines, exploitation forestière, pêche — sont plus que jamais soumises à l'examen du public. Ils doivent donc se battre plus que jamais.
Ils injectent de l'argent dans la politique, en finançant et en dirigeant des partis politiques, en exigeant des lois toujours plus draconiennes contre les manifestations, en payant des groupes de pression (appelés thinktanks) pour qu'ils publient des déclarations trompeuses, et en finançant des fermes à trolls pour inonder les médias sociaux. Les médias milliardaires, qui représentent les mêmes intérêts, diffusent des informations erronées de plus en plus farfelues sur les politiques les plus légères (net zéro, zones à faibles émissions, villes de 15 minutes) qui pourraient contribuer à freiner le glissement vers la destruction. Leurs stratégies sont omnicides.
Notre survie dépend désormais de la défense et de l'expansion d'îlots de résistance : des lieux à partir desquels nous pouvons expliquer et débattre de la crise des systèmes terrestres à laquelle nous sommes confrontés. Le Guardian est l'un de ces îlots. En refusant de succomber à l'assaut généralisé des polluocrates contre les populations et la planète, en enquêtant sur les stratégies qu'ils utilisent et le pouvoir qu'ils exercent, en demandant des comptes aux gouvernements qu'ils ont capturés et en cherchant obstinément à dire la vérité sur les crises auxquelles nous sommes confrontés, il développe certains des outils nécessaires à la riposte.
Rien n'est facile ici. Le temps est compté, les puissances qui s'opposent à nous sont immenses. Mais nous savons que, tout comme les écosystèmes, les systèmes sociaux ont des points de basculement, et l'histoire montre que ceux-ci se révèlent souvent beaucoup plus proches que nous ne l'imaginons. Il s'agit maintenant d'atteindre les points de basculement sociaux avant les points de basculement écologiques.
George Monbiot
Chroniqueur au Guardian
The Guardian
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2023 : les émissions mondiales de carbone provenant des combustibles fossiles atteindront un niveau record

Les émissions mondiales de carbone provenant des combustibles fossiles ont de nouveau atteint des niveaux record en 2023, alors que les spécialistes avertissent que le rythme de réchauffement prévu ne s'est pas atténué au cours des deux dernières années.
Tiré de A l'Encontre
5 décembre 2023
Par Ajit Niranjan
Selon un rapport du Global Carbon Project, le monde est en passe d'avoir brûlé plus de charbon, de pétrole et de gaz en 2023 qu'en 2022, rejetant dans l'atmosphère 1,1% de dioxyde de carbone supplémentaire qui contribue à réchauffer la planète. Et ce à un moment où les émissions doivent chuter si l'on veut éviter que les événements climatiques extrêmes ne deviennent plus violents.
Cette conclusion intervient alors que les dirigeants mondiaux se réunissent à Dubaï à l'occasion du difficile sommet (COP28) sur le climat. Dans un rapport distinct publié mardi, Climate Action Tracker (CAT ) a légèrement revu à la hausse ses projections concernant le réchauffement futur par rapport aux estimations qu'il avait faites lors d'une conférence à Glasgow il y a deux ans.
Pour maintenir le réchauffement en dessous de 1,5 °C, il faudrait parvenir à « zéro émission nette » de CO2 » avant 2040
« Deux ans après Glasgow, notre rapport est pratiquement pareil », a déclaré Claire Stockwell, analyste chez Climate Analytics et auteure principale du rapport du CAT. « On pourrait penser que les événements extrêmes qui se produisent dans le monde entier incitent à l'action, mais les gouvernements semblent inconscients et pensent que le fait de faire du sur-place permettra de gérer le flot de répercussions. »
A mesure que le carbone encrasse l'atmosphère, piégeant la lumière du soleil et brûlant la planète, le climat devient de plus en plus hostile à la vie humaine. Le Global Carbon Project a constaté que le taux de croissance des émissions de CO2 avait sensiblement ralenti au cours de la dernière décennie, mais que la quantité émise chaque année avait continué d'augmenter. Le CAT prévoit que les émissions totales de CO2 en 2023 atteindront le niveau record de 40,9 gigatonnes.
Selon cette équipe internationale composée de plus de 120 scientifiques, si le monde continuait à émettre du CO2 à ce rythme, il épuiserait le budget carbone [1] restant pour avoir une chance infime de maintenir, au cours des sept ans à venir, le réchauffement de la planète à 1,5 °C au-dessus des températures de l'ère préindustrielle. Dans 15 ans, les scientifiques ont estimé que le budget pour 1,7 °C serait également épuisé.
Les chercheurs ont constaté d'importantes différences régionales en matière d'émissions. Ils s'attendaient à ce que les émissions de combustibles fossiles augmentent cette année en Inde et en Chine, les deux plus grands pollueurs, et qu'elles diminuent aux Etats-Unis et dans l'Union européenne, les deux plus grands pollueurs en termes historiques. De plus, la moyenne des émissions du reste du monde aurait dû également légèrement diminuer.
Les émissions provenant de l'utilisation de combustibles fossiles devraient croître en 2023 et atteindre le chiffre record de 36,8 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2)
Les chercheurs ont constaté que les émissions dues à la déforestation et à d'autres changements d'affectation des sols étaient également censées avoir légèrement diminué, mais pas suffisamment pour que les volumes actuels de plantation d'arbres puissent compenser cette baisse.
Pour la première fois, les scientifiques ont également mis en évidence la croissance des émissions provenant des transports aériens et maritimes internationaux. Ensemble, ces deux types d'émissions devraient avoir augmenté de 11,9%, sous l'effet de la montée en flèche des émissions dues à la navigation aérienne.
Pierre Friedlingstein, climatologue au Global Systems Institute de l'université d'Exeter et auteur principal de l'étude, a déclaré : « Les effets du changement climatique sont évidents tout autour de nous, mais les mesures prises pour réduire les émissions de carbone provenant des combustibles fossiles restent terriblement lentes. Il semble désormais inévitable que nous dépassions l'objectif de 1,5 °C de l'accord de Paris. Les dirigeants réunis à la COP28 devraient convenir de réductions rapides des émissions de combustibles fossiles même pour conserver l'objectif de 2°C. »
Samedi 2 décembre, plus de 117 gouvernements présents au sommet de Dubaï ont décidé de tripler la capacité mondiale en matière d'énergies renouvelables et de doubler le taux d'amélioration de l'efficacité énergétique d'ici à 2030.
Certains dirigeants ont également approuvé des efforts visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles, bien que seule une poignée d'entre eux ait exprimé un soutien au traité de non-prolifération [des énergies fossiles].
Selon Glen Peters, directeur de recherche à l'institut de recherche sur le climat Cicero [Norvège], qui a coécrit le rapport, les gouvernements sont disposés à promouvoir les énergies propres, mais n'ont pas fait grand-chose pour contrecarrer les combustibles fossiles. « Il ne suffit pas de soutenir les énergies propres. Des politiques sont également nécessaires pour éliminer les combustibles fossiles du système énergétique », a-t-il ajouté.
Le rapport indique également que la technologie permettant d'extraire le dioxyde de carbone de l'atmosphère n'aurait, cette année, pratiquement rien fait pour arrêter le réchauffement de la planète. Les chercheurs ont constaté que les niveaux actuels d'élimination basés sur cette technologie – qui n'incluent pas le carbone absorbé par les arbres – sont plus d'un million de fois inférieurs aux émissions actuelles de CO2 d'origine fossile.
Corinne Le Quéré, professeure à l'Ecole des sciences de l'environnement de l'université d'East Anglia, a déclaré : « Tous les pays doivent décarboniser leurs économies plus rapidement qu'ils ne le font actuellement afin d'éviter les pires impacts du changement climatique. » (Article publié par The Guardian, le 5 décembre 2023 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Un budget carbone ou quota d'émissions représente la limite supérieure des émissions de CO2 permettant de rester en dessous d'une moyenne mondiale donnée, en l'occurrence 1,5°C comme défini lors de l'Accord de Paris – COP21 en 2015. (Réd.)
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Climat : les COP peuvent-elles organiser la sortie des énergies fossiles ?

Voilà un progrès : longtemps restées dans l'ombre, les énergies fossiles sont désormais au cœur du débat public autour de la COP28 sur le climat qui se tient à Dubai. La COP28 sera même évaluée à l'aune de la formulation qui sera retenue à ce sujet. Néanmoins, même dans le cas où cette formulation serait ambitieuse, elle restera non contraignante et de portée symbolique. Explications.
Tiré du blogue de l'auteur.
"COP28 : lever le tabou sur les énergies fossiles" titrait Le Monde en ouverture de COP. Puisqu'un débat public s'organise autour de la capacité de la COP28 à nous faire avancer sur une sortie programmée et organisée des énergies fossiles, je voudrais dans ce post expliquer pourquoi c'est à la fois un progrès, mais qu'il ne faut pas trop se faire d'illusions sur le résultat, même s'il devait être positif, de la COP28 en la matière. En plus de l'inertie historique, du rôle des lobbys pétro-gaziers et du manque volonté des Etats, il existe des raisons structurelles expliquant pourquoi les COP n'ont jamais su / pu s'emparer pleinement de la question des énergies fossiles. Ainsi que des raisons économiques et financières structurantes qui rendent toute évolution en la matière extrêmement difficile.
Ce qui suit est pour partie extrait et retravaillé d'une note publiée en 2021.
Quel que soit le résultat de la COP28 sur le climat organisée à Dubai (Emirats arabes unis), cette COP a fait éclater au grand jour l'un des points aveugles des négociations sur le réchauffement climatique menées depuis trente ans : l'urgence de sortir des énergies fossiles pour conserver une chance de ne pas dépasser les 1,5°C ou 2°C de réchauffement climatique.
Pour qui a passé des années à expliquer, malgré un intérêt médiatique limitée, qu'il était totalement aberrant de parler des symptômes, les gaz à effet de serre relâchés dans l'atmosphère, sans traiter les causes, ces quantités astronomiques d'énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) nécessaires pour alimenter la formidable machine à réchauffer la planète qu'est l'économie mondiale, il est heureux de lire des édito de grands médias et d'entendre des reportages radios-TV grand public évoquer cette question : lorsque j'ai publié « Sortons de l'âge des fossiles » en octobre 2015, avant la COP21 à Paris, combien de fois ai-je entendu des ONG (pas toutes), des journalistes (pas tous) et des négociateurs (pas tous) me rétorquer qu'il n'était pas opportun de poser les questions ainsi. Réjouissons-nous donc que le sujet soit désormais dans le débat public. Mais rien n'est réglé. Explications.
Bref historique des énergies fossiles dans les COP
Jusqu'à la COP26 de Glasgow, les énergies fossiles, responsables de plus de 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre n'avaient jamais été mentionnées dans les décisions de COP, pas plus que dans les accords internationaux qui en sont issus (Protocole de Kyoto, Accord de Paris etc). Par exemple, dès le début des COP, au milieu des années1990, une proposition de moratoire sur de nouvelles explorations et exploitations d'énergies fossiles, avait déjà été portée par des ONG de pays du Sud confrontés à l'exploitation pétrolière (Nigéria, Equateur). Elle avait été largement ignorée, tant par les ONG du Nord que par les Etats et négociateurs, ainsi que des médias.
Plus récemment, malgré les propositions de chercheurs et d'une partie de la société civile, l'Accord de Paris ne dit rien sur les énergies fossiles : il ne les mentionne même pas, pas plus qu'il ne prévoit de programme de travail afin de s'accorder sur des restrictions, des contraintes ou des interdictions à l'exploration et l'exploitation de nouveaux gisements. Ainsi, il n'a jamais été possible de mettre sur la table des négociations ne serait-ce que l'idée d'un moratoire international sur toute nouvelle exploration et mise en exploitation d'hydrocarbures non conventionnels comme les hydrocarbures de schiste. Cela n'est malheureusement pas prêt de changer.
Pourquoi ces oeillères ? Lobbys, déni, inertie et neutralité des négociations.
Lobbys - Alors que nous apprenons que la COP28 détient désormais le nombre record de lobbyistes du pétrole, du gaz et du charbon présents au sein d'une COP, avec près de 2500 personnes, soit 4 fois plus qu'à la COP27, il est aisé et justifié d'évoquer le rôle néfaste joué par les lobbys des énergies fossiles depuis des décennies. En effet, depuis trente ans, les multinationales des énergies fossiles ont tour à tour nié 1) le réchauffement climatique alors qu'elles en connaissent l'existence et les risques depuis les années 1950-60, puis 2) son origine anthropique et/ou l'urgence à agir et enfin 3) le fait d'en être pour une grande partie les responsables.
Déni - Il est également juste et approprié de rappeler combien les Etats, et les pouvoirs publics en général, se complaisent dans l'idée qu'il serait possible de résoudre la crise climatique par des dispositifs techno-scientifiques ne nécessitant pas de transformer de fond en comble leurs mix énergétiques. De fait, en trente ans de négociations et de déni, aucun Etat n'a jamais mis sur la table de proposition concrète pour limiter, conditionner ou interdire l'exploration et/ou la mise en production de nouveaux gisements d'énergies fossiles. Pas plus hier qu'aujourd'hui : ce qui est proposé pour la COP28 se limite à faire mention des énergies fossiles dans le texte de décision finale, sans dispositifs juridiques précis.
Inertie - Il est enfin pertinent de faire remarquer qu'obtenir une limitation ou une interdiction de l'exploration et/ou la mise en production de nouveaux gisements d'énergies fossiles ne faisait pas partie du mandat de négociations que les Etats de la planète se sont collectivement donnés au Sommet de la Terre en 1992 à Rio de Janeiro en créant la Convention cadre sur le réchauffement climatique (CCNUCC). Puisque ce document est toujours celui qui encadre les négociations climatiques internationales à l'oeuvre, il paraît dès lors difficile d'obtenir d'Etats souverains qu'ils négocient et prennent des engagements sur des sujets sur lesquels ils ne se sont pas engagés à en prendre.
Neutralité - La réduction de la production d'énergies fossiles ne fait donc pas légalement partie du mandat des négociations sur le changement climatique. Celles-ci fonctionnent comme si elles étaient « neutres » du point de vue des sources d'énergie et du mix énergétique de l'économie mondiale, tout en faisant une place de choix aux avis de l'Agence internationale de l'énergie atomique et en reconnaissant la situation spécifique des pays dont « l'économie est fortement tributaire (...) des revenus de la production, de la transformation et de l'exportation des énergies fossiles » (article 4.10 de la CCNUCC).
De bonnes raisons expliquent l'absence de négociations sur les énergies fossiles
Parler d'Etats souverains conduit à toucher du doigt l'une des raisons fondamentales pour lesquelles les « énergies fossiles » ne sont pas à l'ordre du jour des négociations sur le réchauffement climatique. En effet, les mix énergétiques nationaux font partie des compétences nationales les mieux protégées par les Etats, une dimension intangible de leur souveraineté. Pour deux raisons. D'abord parce que les chefs d'Etat et de gouvernement sont redevables devant les populations des choix énergétiques qu'ils effectuent, et ces dernières doivent pouvoir avoir prise, dans un cadre démocratique, sur ces décisions.
De plus, disposer de ressources fossiles en son sol est un gage d'indépendance et de souveraineté, notamment vis-à-vis des anciens pays colonisateurs. Après la décolonisation et l'indépendance de bon nombre d'entre eux, les Etats du Sud ont cherché à ce que le principe de souveraineté permanente d'un Etat sur ses ressources naturelles soit entériné par l'Assemblée générale des Nations unies et progressivement introduit dans le droit international. Comme un moyen d'assurer la pleine souveraineté des Etats et la pleine autodétermination des peuples. Par cette reconnaissance légitime, le droit international existant est donc plutôt un frein et, en tout cas, ne donne pas d'outil pour contraindre les Etats à ne pas exploiter leurs ressources fossiles.
La « non-négociabilité » des choix énergétiques nationaux dans un cadre multilatéral est le résultat de cette histoire. Il en découle une tension inévitable entre des politiques énergétiques nationales (ou régionales) qui déterminent grandement le mix énergétique mondial, et donc l'accélération du réchauffement climatique, et l'impossibilité de débattre directement de ces politiques nationales dans un cadre multilatéral onusien. L'accord de Paris ne prévoit en effet aucune obligation à transcrire les engagements pris en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre en baisse de production d'hydrocarbures. Ainsi, aucun des grands producteurs mondiaux de pétrole et de gaz n'a inclus dans sa contribution nationale (NDC) un plan organisant précisément la décroissance de l'exploitation d'énergies fossiles sur son territoire.
Inflexions internationales à l'AIE et à la COP26
Au printemps 2021, l'Agence internationale de l'énergie a publié un rapport en forme de déflagration dans l'industrie pétro-gazière, habituée à se considérer comme un secteur aux perspectives de croissance infinie. L'AIE conclut son rapport – qui peut être critiqué par ailleurs – en indiquant que limiter le réchauffement à 1,5°C implique de ne plus développer de nouveaux champs de pétrole, de gaz ou de charbon dès 2021. Cette prise de position est venue à la fois légitimer les propos de celles et ceux qui alertent depuis des années sur la nécessité de ne plus programmer de nouveaux investissements et nouvelles infrastructures dans les énergies fossiles, et d'autre part clairement indiquer qu'il n'est plus possible d'envisager la lutte contre les dérèglements climatiques sans envisager la fin des énergies fossiles. Un progrès.
Ce rapport a notamment permis de faire évoluer les positions de nombreuses institutions internationales, à commencer par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qui ne cesse désormais d'affirmer qu'il faut « sonner le glas du charbon et des énergies fossiles, avant qu'ils ne détruisent la planète ». Des propos qui étaient ceux de quelques chercheurs et ONG il y a vingt ans, et qui sont désormais repris, et légitimés, par le secrétaire général de l'ONU.
Néanmoins, une prise de position aussi claire ne s'est pas encore traduite précisément dans les décisions de COP. Une légère avancée a eu lieu lors de la COP26 à Glasgow mais la formulation choisie est plus dilatoire que transformatrice : « réduction progressive de l'électricité produite à partir du charbon non adossée à des dispositifs de captage ou de stockage de carbone (« unabated ») et des subventions inefficaces aux énergies fossiles ». Cette mention, certes première historique, qui n'engage finalement aucun Etat de la planète à changer ses priorités en la matière. Le seul principe que les Etats appliquent consciencieusement en 30 ans de négociations persiste : « notre mix énergétique national est non négociable ».
Qu'attendre de la COP28 à ce sujet ? Cet engagement sera-t-il contraignant ?
Evitons de nous bercer d'illusions. Le plus probable est que la décision finale de la COP28 reste assez proche des formules de la décision de la COP26. Au mieux avec une formulation plus explicite et élargie, marquant la reconnaissance de la Communauté internationale qu'il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans réduction de la consommation et de la production d'énergies fossiles. Cela constituerait une avancée diplomatique. Tant sur le plan du symbole que de nature à continuer à faire évoluer le débat dans les institutions internationales.
A l'heure de la rédaction de ce texte (mercredi 6 décembre), la première version de la décision de COP qui circule dans les négociations comporte trois options de formulation à ce sujet :
– la première, la plus volontariste, indique « une élimination progressive et planifiée des combustibles fossiles » : c'est la plus improbable ;
– la deuxième propose d' « accélérer les efforts visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles ‘unabated' », objectif donc qui ne vaudrait que pour les énergies fossiles dont l'extraction ou le raffinage ne serait pas associé à des systèmes de captage du CO2 ;
– la troisième consisterait à ce qu'il n'y ait aucune mention de cet objectif.
Visiblement, le pays hôte et les pays producteurs de pétrole et de gaz optent pour la deuxième formulation qui soulève tout un tas de questions insolubles : opérationalité technique, intérêt climatique réel, coût monstrueux ; vitesse de déploiement ; garanties de séquestration sur le temps long, etc.
Quelle que soit la formulation retenue, il faut immédiatement en mesurer la portée. Les décisions de COP ne sont pas de la même nature qu'un traité international (Protocole de Kyoto ou Accord de Paris) et n'impliquent rien d'immédiat dans les politiques publiques des Etats. Si la COP a certainement le pouvoir d'émettre des recommandations sur les énergies fossiles, notamment parce que les objectifs de l'Accord de Paris de rester en deçà de 1,5 ou 2°C sont en danger, il ne s'ensuit pas qu'une décision de la COP impose une obligation aux États. Si la formulation finale devait être ambitieuse – ce qui est loin d'être gagné – elle n'obligera aucun Etat à réduire, limiter ou interdire l'exploration ou l'exploitation des énergies fossiles sur leur territoire national. Au contraire, tous les projets annoncés ces dernier mois, au mépris des recommandations de l'AIE, pourront perdurer.
Le plus intéressant serait que la décision de la COP28 soit composée d'une recommandation générale sur les énergies fossiles et de la constitution d'un programme de travail interne aux COP afin qu'il y ait désormais une négociation permanente entre les Etats-membres sur l'exploration et l'exploitation des énergies fossiles. C'est dans le cadre d'une négociation permanente qu'il pourrait y avoir une avancée tangible dans les années à venir. A titre de comparaison, cela a pris près de 30 ans pour la reconnaissance des pertes et dommages et la création d'un fonds pour les pays pauvres. Un tel cadre permanent de négociations sur les énergies fossiles n'est à ce stade pas prévu.
Compliquons les choses : les énergies fossiles alimentent l'économie mondiale
Si les Etats voulaient vraiment limiter à 1,5°C le réchauffement climatique mondial, il faudrait qu'ils s'engagent à organiser et planifier une baisse de la production mondiale de gaz et de pétrole de 3 % par an jusqu'en 2050 et de 7% pour le charbon, comme le recommandent les scientifiques. Les trois ont pourtant continué à augmenter rapidement depuis trente ans. Notamment parce que les énergies fossiles sont indissociablement liées au mode d'organisation de la mondialisation capitaliste, principal moteur de la croissance mondiale de ces trente dernières années : sevrer l'économie mondiale des énergies fossiles ne saurait se faire sans réorganisation complète de cette économie mondiale complètement accro aux énergies fossiles.
Ce n'est pas l'objet de ce papier de prétendre résoudre cet immense défi en quelques paragraphes, mais notons néanmoins quelques points :
– il a été montré que les grandes bourses mondiales, et plus largement le système financier international, sont totalement dépendants de l'industrie fossile (valorisations boursières, flux financiers et physiques, etc)
– de nombreuses entreprises multinationales ne peuvent pas sortir des énergies fossiles seules et le droit existant (international et national) ne dispose de quasiment aucun outil pour les y forcer ;
– le régime de croissance mondial est structurellement dépendant d'énergies fossiles disponibles en grande quantité et à prix modérés et ne saurait perdurer tel qu'il existe sans elles ;
Or, tous ces sujets ne sont pas l'objet des négociations climatiques internationales et sont même exclus du cadre de négociation par le texte fondateur de la CCNUCC (art. 3.5).
Quelles pistes pour avancer plus vite ?
Puisque le droit international et les droits nationaux sont aujourd'hui trop faiblement dotés d'outils en mesure d'organiser le sevrage de l'économique mondiale et des économies nationales accros aux énergies fossiles, il faut faire feu de tout bois :
– accueillir positivement d'éventuelles avancées au sein de la COP28 en indiquant immédiatement quelles en sont les limites ;
– tenter de faire évoluer la CCNUCC et les négociations climatiques internationales pour ouvrir des négociations sur les choix énergétiques des pays ;
– pousser pour que l'AIE, suite à son rapport, s'empare pleinement de ces enjeux et devienne prescripteur international, mandaté pour évaluer les scenarii énergétiques nationaux des pays riches et établir des recommandations / normes internationales en la matière ;
– soutenir toutes les coalitions plurilatérales ad hoc lancées à ce sujet en marge des négociations climatiques internationales (BOGA, etc-, en les arrimant le plus fortement possible à la CCNUCC (redevabilité, NDC sur les mix énergétiques, etc) ;
– proposer que la COP commande au GIEC un rapport d'analyse de la cohérence des mix énergétiques nationaux avec les engagements climatiques mondiaux ;
– soutenir à la mise en oeuvre de protocoles additionnels au titre de la CCNUCC sur des sujets touchant les énergies fossiles (fuites méthane, etc), obligeant les Etats à une forme de redevabilité ;
– appuyer la mise en œuvre d'un Traité de non-prolifération des énergies fossiles tel que le proposent des organisations de la société civile.
– exiger une refonte de l'OMC et de ses principes à l'aune des objectifs climatiques ; pareil au FMI et à la BM ;
– etc.
Quel que soit le résultat de la COP28, laisser les énergies fossiles dans le sol n'est plus perçu comme une idée farfelue, mais comme la condition sine qua non d'une possible « neutralité carbone » en 2050. Il est donc urgent d'essayer de trouver comment progresser sur ce terrain.
En refusant de substituer une politique drastique de sobriété énergétique à leur dépendance russe, les pays européens sont en train de nous faire perdre de nombreuses années de lutte contre le changement climatique en Europe, mais également à l'échelle mondiale. Nous allons payer très cher le fait de ne pas avoir profité de la pandémie de COVID puis de la guerre en Ukraine pour mettre sur pied des plans de relance puis des plans de sobriété 100% climato-compatibles en mesure de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Mais l'histoire n'est pas finie.
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Les succès électoraux de l’extrême-droite aux quatre coins du monde

Ugo Palheta, sociologue, est l'auteur de nombreux ouvrages traitant du fascisme. Il revient pour Politis sur les succès électoraux, aux quatre coins du monde, de l'extrême droite. Jusqu'où ?
07 décembre 2023 | tiré de Politis.fr | Hebdo 1787
L'extrême droite enregistre des succès dans de plus en plus de pays, jusqu'à pouvoir gouverner. Au-delà de leurs différences programmatiques, Geert Wilders, Javier Milei, Viktor Orbán, Giorgia Meloni, Marine Le Pen… ne partagent-ils pas une stratégie commune ?
Ugo Palheta : Javier Milei me semble renvoyer en partie à quelque chose de différent mais, pour tous les autres, nous faisons face à une vieille stratégie propre à l'extrême droite : prétendre constituer une troisième voie. Ce n'est plus le « ni capitalisme ni communisme » de l'entre-deux-guerres (car le capitalisme paraît impossible à vaincre et le communisme n'est plus une véritable force organisée), mais ni « mondialisme d'en haut » (finance) ni « mondialisme d'en bas » (immigration), pour parler comme Marine Le Pen ; ni droite « cosmopolite » ni gauche « immigrationniste ».
Cela permet à ces extrêmes droites de s'adresser aussi bien à des possédants (petits ou grands) qui se sentent menacés (souvent imaginairement) qu'à des dépossédés, à qui elles promettent une amélioration de leur sort aux dépens de groupes stigmatisés comme « inassimilables », « fauteurs de troubles » et/ou « antinationaux ».
Le cas de Javier Milei renvoie davantage à mon sens à Donald Trump, ou à Éric Zemmour dans le contexte français. Il s'agit de personnages sans expérience politique, issus de la droite, et dont toute la stratégie repose sur la surenchère raciste, masculiniste, autoritaire, antisociale et antigauche, afin de construire un nouvel espace politique à droite de la droite traditionnelle (Milei), de conquérir et de radicaliser la droite traditionnelle (Trump) ou de contester une extrême droite déjà installée (Zemmour).
Ces mouvements séduisent davantage les jeunes. Pour quelles raisons ?
Ugo Palheta : Leur stratégie peut parler à des franges de la jeunesse qui sont peu ou pas attirées par les mouvements antiracistes, féministes ou écologistes, qui sont politiquement et idéologiquement désaffiliées (davantage que leurs aînés, du moins),et à ce titre disponibles pour des discours prétendument « antisystème », plus ou moins complotistes, etc.
Les jeunesses attirées par ces extrêmes droites sont homogènes racialement (elles sont très majoritairement blanches ou se considèrent comme telles) mais hétérogènes socialement. Les jeunes qui militent dans ces mouvements sont plutôt issus des classes moyennes et supérieures situées du côté du pôle économique (pour parler comme Pierre Bourdieu), alors que l'électorat jeune de l'extrême droite appartient plutôt aux classes populaires blanches des petites villes ou des zones rurales et semi- rurales (notamment pour le RN).
Néanmoins, les jeunes sont, dans tous les pays, celles et ceux qui s'abstiennent le plus, donc ce n'est pas un raz-de- marée. Mais, indéniablement, le lien entre la jeunesse et la gauche n'a plus rien de naturel ou d'évident ; il est un enjeu de la bataille politique, en cours et à venir.
Les médias ont-ils une responsabilité dans la montée de l'extrême droite ?
Ugo Palheta : Le rôle des médias dominants a été énorme dans l'imprégnation du corps social par les « idées » et affects fascistes, conjointement aux partis qui ont dominé le jeu politique en France pendant longtemps (RPR-UMP-LR, PS, puis LREM et Renaissance), et c'est le fait de gens qui ne se définissent évidemment pas comme d'extrême droite : mise au premier plan de faits divers permettant d'appuyer une vision sécuritaire du monde, construction de l'immigration et de l'islam comme « problèmes publics », disqualification permanente de la gauche, éviction des mouvements d'émancipation (notamment antiracistes et féministes), banalisation de l'extrême droite, dépolitisation de la politique, etc. Le cocktail est terrible et il a contribué à nous mener là où nous en sommes, pas si loin de l'abîme.
La victoire de Marine Le Pen en 2027 est quasiment présentée comme acquise. Vraiment ?
Ugo Palheta : Non, et ces prédictions font partie du rouleau compresseur médiatique, comme lorsque les médias dominants ne cessaient de présenter le RN comme le « grand gagnant » de la mobilisation contre la réforme des retraites, alors même que le mouvement commençait à peine.
Il y a encore du chemin avant que l'extrême droite conquière le pouvoir, mais ne nous leurrons pas : si rien n'est fait très vite, si la gauche ne se ressaisit pas en se rassemblant autour d'un programme de rupture (avec le néolibéralisme, avec les politiques racistes et sécuritaires, avec le productivisme), si les mouvements sociaux ne mettent pas tout leur poids dans la balance, alors nous atteindrons un point de non-retour, avec le risque que la gauche sociale et politique soit balayée pour longtemps !
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FSM 2024 au Népal : le rendez-vous de l’espoir !

Montréal, le 11 novembre 2023 — Le prochain Forum social mondial se tiendra en 2024 du 14 au 19 février dans un petit pays de 30 millions de personnes, le Népal, coincé entre la Chine et l'Inde.
Pourquoi le Népal ?
L'exception népalaise et le FSM
Après une décennie de lutte armée et de mobilisations des mouvements populaires et sociaux, le pays s'est engagé sur la voie du socialisme démocratique dans le cadre d'une République fédérale où l'inclusion, la justice sociale et la diversité ethnique, linguistique et culturelle sont encouragées. C'est cet élan progressiste, exemplaire dans la région, qu'entend nourrir le FSM en posant ses valises à Katmandou.
Le Forum social mondial (FSM) est le rendez-vous des organisations de la société civile et des mouvements sociaux issus des quatre coins de la planète qui œuvrent à construire un monde plus juste, durable, inclusif et démocratique, dans le respect des droits des peuples. Né au Brésil, à Porto Alegre en 2001, le FSM a déjà parcouru tous les continents, à l'exception notable de l'Europe. Il a même rassemblé près de 35 000 personnes à Montréal en août 2016 pour la première et unique fois en Amérique du Nord.
Un autre monde, maintenant !
Depuis près de 25 ans, le FSM entend dynamiser les alternatives à la mondialisation néolibérale, ce projet visant à réduire la planète à un immense marché offert au capitalisme triomphant. Le produit mondial brut a été multiplié par 6 depuis les années 1980 et le nombre de milliardaires a bondi de 600 % ce dernier quart de siècle. Les inégalités ont explosé à l'intérieur et entre les pays.
L'extractivisme et le consumérisme mènent la planète au bord du gouffre. Les conflits se multiplient et poussent des millions de personnes sur le chemin de l'exil, alors que d'autres s'affairent à ériger des murs pour ne pas assumer leur devoir de solidarité humaine. Plus que jamais, l'espoir, les solutions, les propositions novatrices sont nécessaires pour faire face aux défis de notre temps, voir le beau et reconnaître le bon en nous et dans tout ce qui nous entoure.
L'espoir, c'est la jeunesse
On estime la participation à plus de 50 000 personnes provenant de différentes régions de la planète, dont une forte majorité du continent asiatique. Au Québec, plusieurs organisations de solidarité internationale se sont rassemblées pour mettre en place le collectif québécois En route pour le FSM au Népal. Appuyé par Les Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ), ce collectif est composé majoritairement de jeunes et de femmes qui ont à cœur de construire un monde différent dans un esprit de solidarité intergénérationnelle. Cette démarche se poursuivra d'ailleurs dans le projet de FSM thématique sur les intersections en juin 2025 à Montréal.
Dans un contexte international particulièrement assombri et l'inaction climatique des gouvernements face aux industries fossiles à la COP28, il est essentiel de concilier le pessimisme de l'intelligence avec l'optimisme de la volonté. La transition écologique et sociale progresse, les mentalités changent. L'ouverture sur le monde est essentielle pour penser en dehors de la boîte et s'extirper des griffes des tenants du statu quo qui nous mènent tout droit à la catastrophe en ne cherchant qu'à conserver leurs privilèges.
L'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), Katalizo, Alternatives, le Journal des Alternatives — une plateforme altermondialiste (JdA-PA) et le Réseau international pour l'innovation social et écologique composent le Collectif québécois En route vers le FSM 2024 au Népal. Le Collectif est heureux de confirmer la collaboration avec Lojiq (Les organismes jeunesse internationaux du Québec) qui ont annoncé le soutien d'une dizaine de jeunes du Québec, qui s'ajoutent à une dizaine d'autres jeunes et moins jeunes, dans une délégation intergénérationnelle pour le FSM 2024 au Népal.
Pour en savoir plus et prendre contact
Pour les réseaux intéressés à en savoir plus sur la participation au FSM au Népal : Denis Côté dcote@aqoci.qc.ca ;
Pour les médias :
Carminda MacLorin : directrice de Katalizo / Forum social mondial des intersections, Carminda.maclorin@katalizo.org
Ronald Cameron, rédaction JdA-PA, redaction@alter.quebec
Liens
Page FB : https://www.facebook.com/profile.php?id=61552824996919
Site web du FSM au Népal : https://wsf2024nepal.org/
Dossier JdA-PA : https://alter.quebec/category/altermondialismes/forums-sociaux-mondiaux/fsm-2024-nepal/
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Poutine envoie les occidentaux dans les cordes

Le Président russe s'offre l'Afrique, le monde arabo-musulman et fait un pied nez aux Occidentaux en proie au naufrage, ulcérant le conglomérat médiatique français. La cause ukrainienne s'avère trop dispendieuse. Le soutien à Kiev a baissé de 90%. Zelensky est reçu ce matin par Washington. Pendant que la Gauche française fait tomber la Loi Immigration !
De Paris, Omar HADDADOU
Le socle occidental s'effrite ! Sa politique nombriliste, son soft et hard power, ses think-tank, menacent de voler en éclat. La France vit au rythme des aménagements post-ravages coloniaux, un racisme épidémiologique florissant et une violence mondiale récurrente ! Outrée, la Gauche ainsi que d'autres partis, ont livré, ce lundi 11 décembre, une bataille au ministre de l'Intérieur à l'Assemblée nationale et obtenu, sur le fil, le vote d'une motion rejetant la Loi Immigration, chère à Darmanin. Suffocation !
Ce dernier aurait reçu un appel de Macron, le dissuadant de démissionner.
Ce coup de théâtre s'opère au moment où les aides d'urgence à l'Ukraine, 2 ans après le déclenchement de la guerre et l'Opération spéciale, renvoient Washington et l'Union européenne à l'évidence d'une déroute cuisante.
La nouvelle dynamique et ses paquets d'aide à Kiev, s'essouffle. Tant ressassée à travers les médias, la victoire vire au dégrisement. Pour se consoler de la débâcle, certains chroniqueurs et consultants (es) français, payés au cachet, continuent à prendre les citoyens pour un cheptel, orienté au gré du cri du berger. Dans ce phénomène d'aspiration coercitive, Zelensky pourrait creuser d'avantage le gouffre financier de ses alliés lassés, si Joe Biden lui concocte une nouvelle formule de financement, après les 246 milliards d'euros endigués. Gaza peut s'éteindre dans l'indifférence !
L'épisode du blocage par le Congrès américain de l'assistance budgétaire, matérielle et humaine, porté au dernier moment par le chef républicain de la Chambre des représentants Mike Johnson au motif de la politique migratoire des Etats-Unis, n'est qu'un écran de fumé, une diversion.
Puisque ce dernier rencontrera Zelensky aujourd'hui. Un tête à tête qui pourrait déboucher, dans le même temps, sur un accord d'allocation des 50 milliards d'euros (en suspens) de l'Union européenne.
Moralité ? Les stocks d'armes seront bien écoulés et le rêve de Zelensky maintenu ! Dans ce contexte géopolitique en ébullition, le président russe continue à peaufiner son Sud global.
Les Occidentaux lui prédisaient et fomentaient une fin éminente. Fort du dernier plébiscite, Poutine s'adjuge une 5ème réélection sans coup férir. Le mandat d'arrêt de la CPI jeté dans le caniveau, le chef du Kremlin se pavane en ennemi farouche de l'Impérialisme sauvage, défiant ses détracteurs, éliminant les conspirateurs d'une main de maître, déclinant des invitations, s'engageant à bras le corps dans le projet de la route de la soie, le rétablissement de la puissance russe, en dictant un nouvel Ordre mondial dans lequel le Sud Global et l'Afrique en particulier occuperaient une position centrale.
Son ministre des Affaires étrangères, Dimitri Peskov, n'hésite pas à lui tresser des lauriers : « Poutine joue un rôle extraordinaire dans le monde », lance-il aux médias. Le trauma colonial et ses corolaires de prédation, de domination jouant en sa faveur, il déloge la France du Niger, le Mali et le Burkina Faso et raffle les gros contrats. Un retour triomphal sur la scène internationale et une prospérité économique notable (hausse du PIB russe de 5%), en dépit de l'impact de la guerre.
Ses dernières pérégrinations aux pays du Golfe dont les Emirats-Unis, l'Arabie Saoudite et, par ricochet, au riverain l'Iran, renseignent sur la détermination à renforcer ses liens dans un monde polarisé. L'ancien judoka, candidat à sa succession le 17 mars, savoure l'étendue de son influence. Son appel au cessez le feu à Gaza reste toutefois inaudible !
Le journal l'Humanité fait état de 17 700 Gazaouis tués dont plus de 5 00 enfants. Pour venir à bout du Hamas, la dernière option mise sur la table, est d'inonder les tunnels. Peine perdue leur rétorqua un géologue français : « le sol à Gaza est très poreux ! ».
O.H
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La diplomatie néfaste de Kissinger en Afrique

Cet article de Peter Vale, chercheur à l'université de Pretoria, publié dans The Conversation Africa le 10 février 2023, analyse la politique du célèbre secrétaire d'État américain en Afrique méridionale, et la déclare un échec.
Tiré de Mondafrique
6 décembre 2023
Par Peter Vale
Cet article a été traduit par Mateo Gomez (Mondafrique).
Henry Kissinger, qui a sensationalisé l'art de la diplomatie entre 1969 et 1977, est mort à l'âge de 100 ans. Dans les nécrologies qui ont depuis été écrites, certains louent le rôle de Kissinger dans la construction des relations Est-Ouest lors de son mandat en tant que secrétaire d'État américain. Et ils sont plusieurs à commenter les décennies qui suivirent cette période qu'il était un homme d'État, un statesman. Des critiques radicaux ont pointé du doigt les méthodes impitoyables de Kissinger, comme son encouragement du coup d'État au Chili, le 11 septembre 1973 – et ont demandé à qu'il soit jugé pour crimes de guerre.
Traditionnellement, la diplomatie était une entreprise presque cachée pour des hommes en costume gris qui (surtout par intuition) comprennaient les graves affaires de guerre et paix. Kissinger en a fait un site de célébrités, de jet-set et d'opinions d'experts. Le monde regardait où il allait. Les accomplissements diplomatiques de Kissinger sont étonnants – la reconnaissance de la République Populaire de Chine, en 1972/1973, par les États-Unis était époustouflante. Mais la sortie du Vietnam et la détente avec l'URSS, qui a mené à des discussions sur la limitation d'armes stratégiques (comprenez nucléaires). Ces actes ont contribué à consolider la marque mondiale de Kissinger. Mais son bilan dans le Sud global, notamment en Afrique, est lamentable.
Une grande partie de la renommée de Kissinger – ou de son infamie, selon le sujet – a été poussée par la “diplomatie de la navette”, une tactique utilisée initialement dans la guerre du Kippour en 1973. Dans un effort de médiation entre l'Egypte et Israël, il faisait des aller-retours très publics entre les deux pays. Un an après, la diplomatie de la navette fut à nouveau nécessaire en Afrique méridionale lorsqu'il devint clair que Kissinger avait mal compris la place de la région dans les affaires et la politique mondiale.
Ceci était devenu évident dès 1969, lors d'une fuite d'un document politique qui expliquait l'approche américaine aux affaires régionales. Le document recommandait que les États-Unis “penchent” vers les régimes blancs et coloniaux pour protéger les intérêts stratégiques et économiques du pays. Alors que la grande narrative de la vie de Kissinger est écrite, ses interventions en Afrique du Sud doivent être jugées comme des ratés puisqu'il ne fit rien pour en finir avec le colonialisme et le règne des minorités blanches.
Le règne des minorités blanches.
La thèse de doctorat de Kissinger à Harvard porta célèbrement sur la diplomatie du congrès de Vienne (1814-1815). Il a soutenu que la « légitimité » dans les affaires internationales reposait sur l'établissement d'un équilibre entre États puissants plutôt que sur la promotion de la justice. Mais l'Europe du XIXe siècle n'était pas un guide pour gérer l'Afrique australe du XXe siècle, où la légitimité des États a été obtenue par la libération plutôt que par les subtilités de la diplomatie des grandes puissances.
En avril 1974, un coup d'État à Lisbonne marqua la fin du colonialisme portugais en Afrique. Il a révélé la vulnérabilité de la domination blanche en Rhodésie (aujourd'hui le Zimbabwe) et dans le Sud-Ouest africain contrôlé par l'Afrique du Sud (aujourd'hui la Namibie). Bien que cachés à l'époque, il est aujourd'hui clair que les événements de Lisbonne ont contribué à attiser l'incendie qui allait s'abattre sur l'Afrique du Sud. La stabilité du « Sud blanc » étant menacée, la politique américaine devait être repensée. C'est l'intervention de Cuba en Angola qui a poussé Kissinger à recadrer l'approche de Washington dans la région en termes de guerre froide. L'Afrique du Sud et les États-Unis ont soutenu le mouvement rebelle Unita pour combattre le gouvernement du Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), allié de l'Union soviétique.
Il fallait pour cela se rapprocher du régime de l'apartheid tout en encourageant simultanément le changement au Zimbabwe et en Namibie. La navette a commencé par un discours prononcé à Lusaka, en Zambie, qui a fait pression sur la Rhodésie, dirigée par les blancs, pour qu'elle accepte l'idée d'un « gouvernement majoritaire » de noirs. Plus suavement, Kissinger a demandé à l'Afrique du Sud d'annoncer un calendrier pour atteindre « l'autodétermination » en Namibie. Kissinger s'est ensuite rendu en Tanzanie pour prononcer un discours similaire.
Une série de réunions de haut niveau ont suivi avec le premier ministre de l'apartheid, John Vorster. Celles-ci eurent lieu en Allemagne et en Suisse. Le récit de ces rencontres est une lecture intéressante. Lors du dîner du 23 juin 1976, la glace fut brisée autour d'une plaisanterie raciste qui instaura une bonhomie entre une douzaine d'hommes blancs qui délibérèrent pendant deux heures sur l'avenir d'un sous-continent de noirs. Le régime de l'apartheid s'était catapulté directement dans l'orbite étoilée de Kissinger.
Un compte rendu officiel des pourparlers suggère que la délégation sud-africaine semblait hébétée. Étaient-ils bouleversés par l'événement, ou étaient-ils sous le choc des événements de la semaine précédente à Soweto [près de Johannesbourg], lorsque la police de l'apartheid a tué des écoliers non armés qui protestaient contre l'imposition de la langue afrikaans comme langue d'enseignement ? De leur côté, les Américains semblaient désireux d'apprendre : dès le début des débats, Kissinger avait déclaré qu'il « essayait de comprendre » ; à un autre moment, il était « analytique ». Fidèle à la forme diplomatique, l'apartheid n'a pas été discuté même si une certaine attention a été accordée au Sud-Ouest africain. La discussion est restée centrée sur la Rhodésie. Finalement, une stratégie fut convenue : Vorster amènerait les Rhodésiens récalcitrants à s'entendre sur la règle de la majorité ; Kissinger obtiendrait que les Zambiens et les Tanzaniens soutiennent l'accord ; les progrès sur la question namibienne seraient plus lents.
Le point culminant de tout l'exercice fut la visite de Kissinger à Pretoria en septembre 1976. Par hasard, le Premier ministre blanc de Rhodésie, Ian Smith, devait être en ville pour assister à un match de rugby. Le New York Times a rapporté que Kissinger avait été reçu par une petite garde d'honneur – composée de soldats noirs – à la base aérienne de Waterkloof lorsque son avion avait atterri. Et Kissinger et son entourage – y compris les éléments de la presse les plus importants – se sont installés à l'hôtel Burgerspark de Pretoria. Pendant quatre jours, une Afrique du Sud de plus en plus isolée et condamnée au niveau international s'est retrouvée sous le feu des projecteurs de l'attention mondiale – ce fut sans aucun doute le point culminant de la diplomatie de l'apartheid.
Le drame du week-end portait moins sur la question de savoir si Kissinger avait rencontré des dirigeants noirs critiques de l'apartheid – le rédacteur en chef et activiste Percy Qoboza était le seul – que sur la question de savoir si Kissinger, en tant qu'envoyé des États-Unis, pouvait rencontrer directement Smith, dont le régime était pas reconnu internationalement. Les deux hommes se sont rencontrés pendant quatre heures le dimanche matin et un accord a été conclu. En larmes, Smith, alors Premier ministre, annonça que la Rhodésie accepterait le principe du gouvernement majoritaire. Mais les processus de suivi ont été flous. Le régime illégal a duré encore quatre ans.
Kissinger a effectué deux autres visites en Afrique du Sud. C'était notamment en septembre 1982, lorsqu'il prononçait le discours d'ouverture d'une conférence organisée par l'Institut Sud-africain des Affaires Internationales. La deuxième fois, c'est quand (avec d'autres) il a tenté en vain de résoudre la crise provoquée par le rejet par le chef du Parti de la Liberté Inkatha, Mangosuthu Buthelezi, de la constitution provisoire de l'Afrique du Sud en avril 1994.
L'intérêt de Kissinger pour l'Afrique australe au milieu des années 1970 reposait sur l'idée que l'équilibre reviendrait si les intérêts des plus forts étaient restaurés. Il n'a pas compris que la lutte pour la justice changeait le monde – et la diplomatie elle-même.
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Au Mali, une nouvelle donne

Si la prise de Kidal, bastion de la rébellion touarègue, est un succès pour la junte, elle risque en retour de favoriser une recomposition des mouvements armés autonomistes et islamistes.
Hebdo L'Anticapitaliste - 685 (30/11/2023)
Par Paul Martial
Crédit Photo
Wikimedia Commons
Après plus de dix ans de contrôle par les mouvements rebelles touarègues, les Forces armées maliennes (FAMA) accompagnées des mercenaires de Wagner sont entrées dans Kidal il y a maintenant deux semaines.
La prise de Kidal
Les autorités du Mali ont déployé des moyens importants pour s'emparer de la ville située au nord-ouest du pays. Les attaques aériennes de l'aviation et l'utilisation de drones Bayraktar TB2 de fabrication turque récemment acquis ont été décisives. Si le gouvernement de Bamako se félicite de cette victoire, il se garde bien de parler des dizaines de morts et de blessés civils dont des enfants victimes des bombardements. Les FAMA ont pénétré dans une ville en grande partie désertée par les populations.
Quant aux forces rebelles du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), qui regroupe une grande partie des organisations touarègues, elles ont rejoint pour la plupart le massif montagneux de l'Adrar Tigharghar.
Fin de l'accord de paix
C'est incontestablement une victoire pour la junte malienne. Cette dernière, par la voix de son président Assimi Goïta n'avait cessé d'affirmer sa volonté de défendre la souveraineté nationale en recouvrant l'ensemble du territoire.
La conséquence directe est que l'accord de paix d'Algérie de 2015 entre mouvements armés et autorité malienne a volé en éclats. Si sur le terrain cet accord n'a jamais été réellement appliqué, il avait cependant l'avantage d'être une référence pour l'ensemble des belligérants.
La prise de Kidal s'est faite au détriment de la lutte contre les djihadistes tant du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al Qaïda, que de l'État islamique qui commence à amorcer une opération d'enracinement dans la région de Ménaka.
Une victoire à la Pyrrhus ?
Le vrai défi n'est pas de conquérir une ville ou un territoire mais d'y rester et d'être capable d'assurer la sécurité, de l'administrer et d'implémenter les services de l'État. D'autant que les forces rebelles ne manqueront pas de mener une guérilla qui risque d'envenimer les relations déjà tendues entre les FAMA, leur supplétifs russes et les populations.
La victoire de la junte peut être fragilisée si on assiste à une alliance entre le CSP-PSD et le GSIM. Bien que les agendas politiques des uns et des autres divergent, des rapprochements peuvent avoir lieu. Iyad Ag Ghali, le dirigeant du GSIM, est un combattant de la première heure de la cause touarègue et est à ce titre très respecté. De plus, les frontières des mouvements armés restent perméables. Ainsi, une option qui désormais devient plausible est d'assister à des attaques convergentes des groupes autonomistes/séparatistes et islamistes comme ce fut le cas au début de la crise malienne en 2012. Un retour en arrière de dix ans qui n'augure rien de bon.
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Argentine - Après la victoire de l’extrême droite : #MILEI NO !

Entretien avec Martin Mosquera suite à la victoire de l'extrême-droite en Argentine. Martin Mosquera chargé de cours à l'Université de Buenos Aires et rédacteur en chef de Jacobin America Latina est militant de Democracia Socialista, organisation sympathisante de la IVe Internationale en Argentine.
Tiré de Quatrième internationale
8 décembre 2023
Par Martín Mosquera
Copyright
Wikimedia Commons
Peux-tu revenir sur ce qui explique la victoire si nette de Milei ?
Je vois plusieurs raisons au vote Milei. L'Argentine traverse depuis une dizaine d'années une situation de stagnation économique, une crise qui a affecté les deux forces politiques principales – le péronisme et le macrisme – constitutives d'une sorte de bipartisme depuis la seconde moitié du XXe siècle. Ce malaise social durable a muté en une crise de représentation très forte. En termes gramsciens, une crise d'hégémonie, c'est-à-dire plus qu'une crise politique, une crise institutionnelle. À cela s'ajoute une crise spécifique du péronisme, notamment dans les secteurs ouvriers.
Chaque fois qu'émerge une extrême droite avec un poids électoral qui lui permet de disputer le pouvoir, c'est dû à la rupture entre les masses prolétaires et les outils politiques qu'elles s'étaient appropriés. Ces dernières années, le péronisme a vécu une de ces crises aiguës que l'Argentine connait cycliquement depuis 40 ans : hyperinflation des années 1990, la crise de 2001 et la crise de la fin du macrisme avec une dévaluation très forte et des reculs salariaux importants. Le péronisme les avait toujours vécues de l'extérieur, avait toujours amorti les tendances centrifuges en leur mettant une limite. C'est ce dispositif politique qui entre en crise.
Un blocage économique et une crise de représentation ne sont que des conditions de possibilités d'émergence d'une force d'extrême droite. C'est du fait de la dynamique de rupture de secteurs des classes populaires avec un péronisme qui exécute ses politiques d'austérité au nom du progressisme et de l'interventionnisme étatiques, qu'un discours antiétatique, d'ultradroite, a pu s'insérer au sein des classes populaires.
Un élément supplémentaire tient à la fragmentation progressive des classes laborieuses ; la crise du péronisme est une crise du sujet social du péronisme, c'est-à-dire des classes laborieuses. La séparation entre travailleurs formels et informels et, y compris, parmi les travailleurs informels, entre celles et ceux qui reçoivent des aides de l'État et celles et ceux qui n'en ont pas, sont des divisions sociales dans lesquelles a pu pénétrer un discours d'extrême droite.
Comment caractériserais-tu Milei ? Peut-on parler d'un danger fasciste ?
Nous parlons d'une force politique d'extrême droite, d'ultradroite, qui contient des éléments en lien avec la « famille militaire », le négationnisme de la dictature, et des éléments fascistoïdes. Je crois qu'il faut éviter deux types d'écueil : le premier est une inflation du terme « fasciste », qu'on utilise pour délégitimer tout trait de gouvernement autoritaire – je crois qu'on perd ainsi la spécificité du phénomène, et le fascisme n'est que l'une des formes de réactions autoritaires. L'autre écueil, symétrique, serait de ne pas voir les formes actuelles du fascisme, en retenant des caractéristiques si spécifiques qu'elles ne peuvent se répéter. Aujourd'hui il n'y a pas de partis de masse comme c'était le cas des partis nazi et fasciste, il n'y a pas de groupes paramilitaires, on ne voit pas un terrorisme étatique d'une telle ampleur, même s'il y a des exceptions. Donc une erreur symétrique consisterait à se dire que les leçons des années 1930 n'ont aucune utilité pour l'actualité.
Je me situe dans un entre-deux. Je crois que dire que Milei est fasciste est abusif, à court terme. Qu'est-ce qui a constitué dans les années 1930 une catégorie politique qui nous permet de réfléchir et agir ? J'en retiens principalement deux : l'une est l'usage massif de la violence politique, parler de fascisme sans violence politique n'a aucun sens ; l'autre est la question du changement de régime politique. Un gouvernement autoritaire ne passe pas nécessairement par le corporatisme de l'époque, qu'il semble très difficile de reproduire aujourd'hui, mais par un changement de régime. S'il s'accommode d'une alternance libérale démocratique conventionnelle, parler de fascisme est inapproprié.
Un troisième trait qu'il me parait important de souligner est que le fascisme a été une contre-révolution par le bas. Il a réuni un mouvement politique ultraréactionnaire et un mouvement de masses. Une particularité qui le différencie par exemple de la dictature militaire, verticaliste et installé depuis les hautes sphères, qui peut avoir ou non un soutien social passif, mais avec d'autres caractéristiques.
Comment se situent les droites actuelles et le phénomène Milei ? Je crois qu'il y a une menace anti-démocratique, mais qu'il est peu probable et peu réalisable qu'elle mène à un changement de régime politique. On peut se retrouver devant quelque chose qui tienne davantage à des attaques s'inscrivant dans le respect de la démocratie conventionnelle. Les cas les plus significatifs de ce style seraient Erdogan en Turquie, Bukele au Salvador, etc. Je pense que nous allons affronter un durcissement étatique qui accompagne une thérapie de choc néolibérale et va avoir besoin du facteur coercitif pour mener à bien ses contre-réformes. Mais à l'heure actuelle il n'est pas possible de savoir où va être le curseur du gouvernement Milei sur le spectre allant d'un gouvernement conventionnel de la démocratie bourgeoise à un régime fasciste.
Plutôt que de penser à un improbable gouvernement fasciste, il faut analyser si cette combinaison de facteurs – escalade répressive, intensification et durcissement autoritaire de l'État – peut mener à une défaite catastrophique de la classe ouvrière. Je crains que oui. Une défaite sociale avec ces caractéristiques n'a pas besoin d'un changement de régime pour se produire : pour Milei, le thatchérisme par exemple me semble être une analogie historique beaucoup plus opérante que les années 1930, en raison d'un élément du populisme plébiscitaire : la démocratie et le peuple représentés par le chef d'État contre les « minorités corporatistes » qui défendent leurs intérêts particuliers. C'est ainsi que Milei traite les mouvements sociaux, les syndicats, le mouvement piquetero.
J'ajouterais un élément : Milei a gagné parce qu'il y a dans la société argentine un processus de droitisation, même s'il est certain que la majorité de la population n'adhère pas à l'intégralité de son programme. Une partie prépondérante, plutôt que de voter « pour » lui, a voté « contre » le kirchnerisme. Cela résonne comme un nouveau « que se vayan » de 2001 tinté de la « fin de récré » qu'avait sonnée la droite en 2015. Mais au premier tour, 30 % ont voté pour Milei et 22 % ont voté pour une autre candidate très à droite, Patricia Bullrich, qui a fait ouvertement campagne sur l'autoritarisme.
Quelles sont les relations de Milei avec la droite traditionnelle ?
La droite traditionnelle a eu un rôle clé, qui a permis que Milei passe de 30 % des votes au premier tour à quasiment 56 % au second tour. Sa victoire est passée par l'acquisition d'un nouvel espace électoral : des secteurs de classe moyenne antipéronistes. Un secteur de la droite traditionnelle, que représentent l'ex-président Mauricio Macri et sa candidate Patricia Bullrich, est crucial : ces deux figures ont conduit un dispositif de mutation et d'alliance.
Une des possibilités est que ce lien se consolide par une coalition gouvernementale et parlementaire avec le secteur Macri-Bullrich. Il faudrait également qu'ils arrivent à convaincre des parlementaires, des gouverneurs locaux, etc. de les suivre. La Libertad avanza de Milei pourrait former une sorte de coalition thatchériste et atteindre un certain niveau de gouvernabilité.
Pour l'instant, c'est incertain, pour deux raisons. La première est qu'il y a plus de disputes entre le groupe de Milei et la droite dirigée par Macri et Bullrich, que ce que l'on aurait pu prévoir, alors que Milei essaye de diversifier ses soutiens en direction du péronisme provincial. La seconde, c'est que des secteurs du péronisme distants du kirchnerisme pensent que négocier avec Milei peut permettre une résorption des désaccords internes au péronisme et leur donne la possibilité de gouverner leurs provinces tranquillement. Aujourd'hui, Milei semble être en train de diversifier ses bases de soutien mais il reste difficile de savoir si cela est généralisable, car Milei ne dispose que d'une petite minorité parlementaire.
Comment se situent les secteurs significatifs de la bourgeoisie dans ce contexte ?
Au départ, la candidature de Milei a été rejetée par le centre du pouvoir économique. Le gouvernement et l'ambassade des États-Unis, comme le gros de la bourgeoisie argentine, se sont maintenus à distance. La bourgeoisie préférait la candidature de Massa. Mais depuis l'élection, l'alliance entre Macri et le groupe de Milei s'est forgée et l'option préférentielle du pouvoir économique est apparue : que Milei soit la tête du gouvernement. Il y a eu de plus en plus de soutien financier à Milei et maintenant s'ouvre un nouveau chapitre : son gouvernement. On va avoir un processus d'accommodation de la bourgeoisie en fonction des bénéfices qu'elle peut tirer d'un gouvernement Milei.
Dans des articles récents, tu insistes sur le contexte de reflux et de la démobilisation du mouvement ouvrier et populaire. Comment réorganiser une résistance efficace dans ce contexte ?
Il y avait beaucoup d'illusions dans la gauche. Par exemple, récemment lors d'une réunion un dirigeant du trotskisme argentin me disait : « Si Milei gagne, il va y avoir des mobilisations révolutionnaires des classes laborieuses ». Je ne crois pas : une grande explosion sociale, à court terme, est improbable parce qu'on peut constater un déclin de la conflictualité, de la combativité sociale et syndicale, depuis 2018. Ses racines sont nombreuses mais l'une d'elles est la crise qui érode les structures de la classe ouvrière, ses instruments pour intervenir et la confiance dans ses propres forces.
Si on envisage le début d'un nouveau cycle de luttes capable de mettre une sorte de limite à Milei, il est probable qu'à un moment on aura une lutte témoin. Il faut générer les conditions pour que de telles luttes ne soient pas mises en échec.
Actuellement, on insiste sur comment éviter une défaite catastrophique pour la classe ouvrière, qui lui coûterait une génération pour se remettre debout. Il n'y a pas de formule magique, mais il y a des choses à apprendre des expériences. Les moments de grande offensive des classes dominantes font surgir un outil issu de la tradition marxiste révolutionnaire, discuté lors des congrès de la IIIe et IVe Internationale : le front unique ouvrier. Il s'agit de générer des alliances défensives avec toutes les forces de la classe ouvrière, des secteurs populaires, contre l'ennemi principal. Ce type d'alliance, où « on marche séparément mais on frappe ensemble », doit être opposé à la collaboration de classe ou la subordination à la bourgeoisie – parce qu'il y a toujours l'autre stratégie possible, la tentation de trouver refuge auprès de la bourgeoisie démocratique. C'est la différence entre front unique et Front populaire. Cependant, la frontière entre les deux est un peu brumeuse parce que le réformisme est un pont vers la collaboration de classe. Il y a donc une bataille politique à mener dans laquelle il convient de ne pas avoir de stratégies trop propagandistes.
Dans les années 1930, Trotski s'est opposé au Front populaire, mais il n'a jamais songé appeler à voter blanc ou à s'abstenir en 1936 au moment du Front populaire espagnol. La même année, il a critiqué l'Independent Labor Party, qui n'a pas appelé à voter pour les travaillistes contre les conservateurs, même pas contre les fascistes !
Il est important de générer des cadres unitaires défensifs, qui permettent de résister avec le plus de force possible à l'offensive du gouvernement, tenter tout ce qu'on peut pour que les luttes ne soient pas fragmentées. Il y a un risque sérieux que Milei attaque la classe ouvrière segment par segment et que les luttes soient ainsi mises en échec. Et la lutte ne peut pas être seulement sociale, elle doit nécessairement être aussi politique.
Les organisations politiques dominantes des vingt dernières années sont en fin de cycle. C'est le cas pour le kirchnerisme, c'est le cas pour le Frente de Izquierda y de los Trabajadores, la frange la plus à gauche. Ça ne veut pas dire que ces acteurs disparaissent. Mais je suis de ceux qui pensent qu'il faut construire un outil politique de gauche radicale, unitaire, différent de ce qu'on a eu dans la dernière période, ayant un rôle important dans la résistance contre l'extrême droite.
Comment tu caractérises la politique des forces de gauche les plus importantes ?
J'ai écrit quelques textes en polémique avec la politique de la majorité du FIT, c'est à dire du PO, du PTS et du MST. La quatrième force du FIT, Izquierda Socialista, a eu une politique différente et ça ne me paraît pas anodin que le principal dirigeant syndical du FIT ait aussi été le leader d'une politique alternative, lui qui est au contact avec les classes travailleuses. La politique de la majorité de la coalition des partis de la gauche radicale a été d'appeler à voter blanc. Une politique de neutralité alors qu'il y avait une grande bataille à mener et que la priorité pour n'importe quel militant de gauche ou du mouvement social était d'éviter un gouvernement d'extrême droite ! Au second tour, le FIT a maintenu une équidistance, restant neutre, n'appelant pas franchement à voter blanc, mais n'appelant pas à voter contre l'extrême droite.
Il y a eu une série d'arguments avancés, selon moi tous erronés. Le premier a consisté à dire que puisque Milei n'était pas fasciste, il n'était pas nécessaire de sortir le « manuel du Front unique ». Parmi la série de variantes de politiques autoritaires que peut mener la classe dominante, il n'y a pas que l'option du fascisme. Face à toutes ces variantes, il faut opposer une politique défensive unitaire large. Le fait que ce ne soit pas du fascisme ne signifie pas que l'hypothèse d'une défaite catastrophique pour la classe ouvrière n'est pas sur la table.
Le second argument, extravagant selon moi et assez impropre à la tradition marxiste était : « les choses se résolvent dans les rues et pas dans les urnes ». Le FIT dit « votons blanc, parce que les urnes, ce n'est pas important ». C'est presque ridicule de dire que celui qui accède au gouvernement n'a pas d'impact sur la lutte de classes. Est-ce que cela ne génère pas des conditions plus ou moins favorables ?
Et le troisième argument, c'est l'idée que Milei n'aurait pas de soutien, ce fantasme selon lequel, du fait de la mobilisation ouvrière ou du rejet des classes dominantes, Milei sera un gouvernement de court terme.
Je crois que le FIT a commis une erreur stratégique grave dont il faut voir si le coût politique sera significatif. Il y a eu un grand mouvement social dans les dernières semaines de campagne, vraiment autogestionnaire, où les gens essayaient de convaincre autour d'eux, dans la rue, les abstentionnistes ou les électeurs de Milei. Le FIT est resté complètement extérieur à cette mobilisation.
Quels secteurs seront attaqués ?
Tout indique que ce seront les fonctionnaires, les travailleurs d'État, parce qu'une particularité de l'ascension de l'extrême droite par rapport à celles de Trump, Bolsonaro et consorts, c'est une situation économique extrêmement fragile et une grande crise inflationniste. En 1992, un an après l'hyperinflation en Argentine, Perry Anderson parlait d'une équivalence fonctionnelle entre la dictature militaire, qui fonctionne par la terreur, et le moyen non coercitif que constitue l'hyperinflation, qui génère une crise aiguë des liens sociaux. Une avalanche de privatisations changerait complètement le fonctionnement de l'État : par exemple la privatisation d'YPF (la première entreprise du pétrole et de l'énergie), mais aussi celle des médias encore publics.
Le second objectif possible est l'attaque contre le mouvement ouvrier organisé, les travailleurs de secteurs bénéficiant d'accords issus de la période antérieure. Il faudra voir comment répondent, non seulement la classe ouvrière, mais les bureaucraties syndicales.
L'autre facteur clé, c'est le mouvement piquetero, ces travailleurs sans emploi auto-organisés. Ils ne sont plus salariés, sont plus dans l'informels, c'est un univers sociologique hétérogène. La théorie selon laquelle, sans collectifs de travail et sans rapport entre ouvriers, on ne peut pas s'organiser, ne fonctionne pas en Argentine : il y a une auto-organisation des « pauvres en mouvement ». Je crois que ça va être une cible de Milei.
Ma sensation est qu'il ne va pas vouloir superposer les mesures drastiques du « plan de stabilisation » de la situation économique, qui vont générer très rapidement un choc avec ses bases, tout en menant conjointement l'attaque contre le mouvement piquetero. Mais après vingt ans de mobilisation piquetera, les blocages d'accès et les filtrages d'axes routiers ont fait naitre une certaine fatigue sociale. Le gouvernement va essayer de l'instrumentaliser.
Le gouvernement Milei tentera aussi d'avancer son agenda conservateur contre les droits LGBT et l'avortement.
Face à ces tâches, quelles sont les priorités de Poder popular ?
Il ne faut pas analyser la situation comme une alternance routinière. C'est une étape nouvelle, avec des risques nouveaux.
Le premier pas à franchir est d'impulser dans les luttes la construction de cadres unitaires les plus larges possibles et les doter du programme le plus radical possible, en tenant compte de la situation défensive, mais sans se limiter au programme de la bureaucratie syndicale ou des secteurs proches d'une politique de conciliation avec le gouvernement.
En même temps, il faut construire une alternative politique, qui n'existe pas à l'heure actuelle. Les luttes sociales et politiques pourraient se renforcer mutuellement au travers de cet instrument. L'usure des mouvements sociaux après une période intense de luttes, et le réveil que peut provoquer la victoire de Milei, peuvent se conjuguer pour faire de ce moment celui la lutte contre l'extrême droite, au travers d'une lutte politique, d'une organisation politique commune, en cohérence avec cet objectif.
En tenant compte du fait que les deux principales forces politiques des vingt dernières années ont été mises en échec : avec leur politique néolibérale, elles n'ont pas du tout fait barrière à l'ultradroite. Le péronisme a participé à labourer le terrain sur lequel l'extrême droite germe et pousse. Ce n'est pas un bloc contre le fascisme, il a au contraire alimenté le monstre, y compris en soutenant la campagne et la candidature Milei au départ, lorsque cette tactique lui semblait parfaite pour diviser le vote de droite.
Il en va de même pour le FIT dont la politique abstentionniste, garantissant son auto-marginalisation par rapport au mouvement social démocratique surgi lors des dernières semaines de la campagne, a montré le plafond stratégique.
Je crois qu'il y a une opportunité pour construire un mouvement politique avec d'autres caractéristiques, avec le programme le plus radical possible pour les masses dans la période actuelle.
Mais tout est très brumeux. Par exemple, comment va évoluer la crise du péronisme ? Saura-t-il intégrer les secteurs en colère contre les politiques passées ? Cela pourrait ouvrir une fenêtre pour un phénomène de radicalisation avec lequel il faudrait dialoguer. Est-ce qu'une autre force va sortir des luttes ? Est-ce qu'on va assister à une fragmentation nouvelle, ou est-ce que des secteurs, jusqu'alors inactifs ou démobilisés, vont construire des luttes et des initiatives sociales et politiques alternatives ? Peut-il y avoir un débouché positif à l'aventurisme fou du FIT au second tour ? C'est possible, les grandes erreurs, si l'on tire des bilans corrects, peuvent donner lieu à des évolutions positives. D'ailleurs, certains secteurs du FIT commencent à évoluer positivement en s'écartant de la ligne majoritaire.
À ce stade, tout reste ouvert, dans ce panorama de transition d'une fin de cycle vers le cycle politique qui s'ouvre.
Il s'agit de savoir si l'on est face aux conditions d'une défaite majeure, catastrophique pour le mouvement ouvrier, dont la classe ouvrière mettra du temps à se relever. La classe travailleuse Argentine a une tradition d'insubordination. En 2001, il y a eu alors une dynamique face aux politiques d'ajustements et de contre-réformes menées par les classes dominantes. Ce que le gouvernement Milei met en jeu, c'est ce type de choses et il faut que l'on travaille pour y faire face. n
Le 23 novembre 2023
Publié par Inprecor
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Panama, le peuple contre une transnationale d’exploitation minière

Après plus d'un mois de manifestations de masse sur tout le territoire, le peuple panaméen a réussi à obtenir de la Cour suprême de justice (CSJ) qu'elle déclare inconstitutionnelle la loi 460, du 20 octobre dernier, qui accordait de nombreux avantages à Minera Panama, une filiale de la société canadienne First Quantum Minerals, en plus de prolonger ses opérations pour 20 ans.
9 décembre 2023 | tiré du site rebelion.org
https://rebelion.org/panama-el-pueblo-contra-la-transnacional/
Il est indéniable que les citoyens de l'isthme ont été les protagonistes de l'une des plus grandes luttes pour la souveraineté ces derniers temps, face aux défis que représentent le pillage de leurs richesses minières et la dégradation de l'environnement national.
Cette histoire s'est amorcée par une réforme de la Constitution de 1972. à la fin des années 1990, ce qui a ouvert les portes à la sociétés transnationale pour l'extraction de l'or, du cuivre et d'autres métaux. First Quantum se démarque par les minéraux exploités dans un gisement de cuivre dans le nord de la province de Colón, situé près d'une zone protégée dans la forêt de La Amistad.
Les deux sites font partie du corridor biologique mésoaméricain. une étape naturelle qui s'étend sur huit pays dont les gouvernements se sont engagés à protéger et à faciliter le transit des espèces tropicales.
Déjà en 2017, la CSJ avait déclaré inconstitutionnel le premier contrat avec la société minière signé en 1997 sous le gouvernement d'Ernesto Pérez Balladares, lorsqu'il avait été constaté qu'il avait été signé sans la médiation du processus d'appel d'offres et dans des conditions désavantageuses pour l'État, y compris le paiement de redevances équivalentes à seulement 2% des bénéfices.
Le portail spécialisé dans le journalisme environnemental Mongabay a rapporté qu'au cours des quatre dernières années, la transnationale a exporté 4 900 millions de tonnes de concentré de cuivre extrait par Minera Panama vers la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Allemagne et l'Espagne.
Au cours des six premiers mois de 2023, selon un Le document financier de First Quantum, Minera Panamá a réalisé un chiffre d'affaires de 2,33 milliards de dollars, soit 42 % de ses revenus au niveau mondial. De plus, il est parvenu à un accord avec l'État pour annuler uniquement les compensations sans payer de redevances plus élevées.
Face à de telles anomalies, aux manifestations populaires massives contre le contrat léonin et à la déclaration d'inconstitutionnalité de la CSJ, le président Laurentino Cortizo a été contraint d'approuver la fermeture de la mine à ciel ouvert.
Le ministre du Commerce et de l'Industrie, Federico Boyd, qui était chargé de négocier le contrat minier, a démissionné le 30 novembre, mais avant cela, pour tenter d'expliquer son implication dans les négociations, il a déclaré que la décision de justice « pourrait entraîner de graves conséquences telles que des pertes d'emplois, des arbitrages internationaux, une baisse des investissements a-t-il averti.
Il est vrai que pour le Panama, il y aura des pertes d'emplois et une réduction de son produit intérieur brut (PIB), bien que les écologistes affirment que cette activité nuit gravement à l'environnement et que « le Panama est meilleur sans exploitation minière ».
D'autre part, les actions de First Quantum ont chuté de 5 % avec une perte estimée à plus de 10 milliards de dollars canadiens (0,7 milliards de dollars américains) en valeur marchande.
Comme on pouvait s'y attendre, l'entreprise canadienne s'est tournée vers les tribunaux internationaux pour régler le différend dans le cadre d'un processus d'arbitrage qui pourrait s'éterniser pendant des années et entraîner des coûts élevés pour les parties.
Les opérations de First Quantum sont évaluées à 10 milliards de dollars, produisant 0,1 % de l'offre mondiale de cuivre dans des gisements avec des réserves équivalentes à plus de 5 milliards de dollars aux prix actuels.
La transnationale pourrait exiger une compensation de 50 000 millions de dollars et, selon l'accord, l'arbitrage aura lieu à Miami, qui conspire contre le gouvernement panaméen en raison de la tradition extrêmement capitaliste de cette ville américaine.
Plusieurs entreprises canadiennes ont des activités minières en Amérique latine (Mexique, Pérou, Chili et Argentine) d'où elles extraient du zinc, du cuivre, du lithium, du plomb, de l'argent et de l'or. Des spécialistes comme Michael Reckordt, de l'ONG allemande Powershift, affirment que la somme d'argent qu'elles possèdent donne aux entreprises étrangères une grande marge de manœuvre pour la corruption ou d'autres moyens d'atteindre leurs objectifs.
Depuis quelques années, les protestations en Amérique latine contre l'extraction des matières premières et les impacts environnementaux se multiplient. L'Observatoire des conflits miniers en Amérique latine (OCMAL) recense actuellement 364 procès concernant les impacts de l'exploitation minière dans la région.
Rien qu'au premier semestre 2023, le Le Transnational Institute (TNI), basé à Amsterdam, a découvert 18 nouvelles poursuites intentées par de grandes entreprises nord-américaines et européennes contre États d'Amérique latine et des Caraïbes. Le TNI a souligné qu'il s'agit de l'une des régions du monde qui ressentent le plus l'impact du régime d'arbitrage dans les accords commerciaux internationaux.
C'est en grande partie la faute des gouvernements néolibéraux qui ont cédé les ressources naturelles de leurs peuples en échange de l'enrichissement de quelques-uns. Les masses panaméennes ont montré qu'unies, elles peuvent vaincre ces infâmes politiques de pillage.
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Grèce : 1973-2023, la révolte des étudiantEs de Polytechnique « n’ira pas au musée » !

Le 17 novembre 1973, un tank de la junte des colonels abattait la grille d'entrée de l'université Polytechnique à Athènes, écrasant les étudiantEs mobiliséEs en masse et donnant le signal d'un massacre dans et autour de la fac.
Hebdo L'Anticapitaliste - 684 (23/11/2023)
Par A. Sartzekis
Crédit Photo
DR
Un an plus tard, la junte soutenue par les États-Unis tombait et depuis, chaque année, des mobilisations massives célèbrent cette révolte. Ces dernières années, la droite à laquelle participent d'anciens suppôts de la junte, tente de salir et faire oublier cet acte historique, dont le caractère, comme le souligne dans EF Syn le journaliste antifasciste Dimitris Psarras, est « une révolte liant l'explosion spontanée de la jeunesse avec l'action organisée de groupes de la gauche contre la dictature ».
« Éducation, pain, liberté »
Aujourd'hui encore, c'est là l'une des plus grandes peurs de la droite au pouvoir, car le mot d'ordre d'alors « Éducation, pain, liberté » reste plus actuel que jamais : dans les manifs cette année, les jeunes dénonçaient les mesures de privatisation et d'exclusion dans l'éducation, la politique de misère et de chômage. Ils dénonçaient aussi une répression violente des policiers de Mitsotakis, non seulement contre les mobilisations (par exemple, avec la destruction de la place Exárcheia, symbole de résistance), mais aussi contre la jeunesse en général. Cette semaine, les policiers ont de nouveau tué un jeune Rom et tabassé plusieurs jeunes.
Tous ces faits renforcent la colère des jeunes contre ce pouvoir très mal élu (un électeur sur cinq) et qui tente de faire croire le contraire pour imposer ses sales mesures. D'où l'importance du 17 novembre cette année, préparé en ce cinquantenaire par plusieurs meetings pour débattre du lien entre 1973 et 2023. Et, le 17, ont donc eu lieu dans le pays de nombreuses manifs, avec dans les principaux mots d'ordre des slogans antifascistes et anti-répression, et comme toujours une dynamique anti-impérialiste qui, cette année, a pris la couleur d'un soutien massif au peuple palestinien, notamment sur les banderoles et par le port de centaines de drapeaux palestiniens.
Mouvement social dynamique et absence de perspective crédible à gauche
À Athènes, la manif, formée de cortèges étudiants, de la gauche radicale et révolutionnaire et du KKE (PC grec), et forte de 30 000 personnes, est allée jusque devant l'ambassade américaine, une bonne partie continuant en direction de l'ambassade d'Israël. En tête de cortège, derrière un immense drapeau palestinien, les étudiantEs de Polytechnique et parmi eux, plusieurs soldats en uniforme, pour rappeler l'importance de résister à l'embrigadement. À Salonique, à Patras, les cortèges étaient massifs et partout avec ce caractère anti-impérialiste, forcément tournés contre la politique des États-Unis en raison de l'histoire locale et du soutien américain à Nétanyahou. Manque pourtant une dénonciation de l'impérialisme russe, de sa terrible guerre d'agression contre le peuple ukrainien et de son sale rôle en particulier dans le soutien à peine déguisé à des mouvements fascistes. Cela renvoie à l'histoire de la gauche grecque, marquée par le stalinisme et le campisme, mais aussi, dans la période, par une désorientation et un sectarisme très forts, certains se réjouissant ainsi de l'éclatement de Syriza (avec un « chef » sans aucune référence de gauche et grand inquisiteur) qui vient se rajouter au paysage très dispersé de la gauche grecque. En ce sens, ce 17 novembre illustre le paradoxe d'un mouvement social très dynamique et d'une absence de perspective crédible à gauche qui rend très urgentes des initiatives de dialogue et de recomposition.
Athènes, le 18 novembre 2023
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Allemagne : Die Linke en ordre de bataille malgré la scission Wagenknecht

Le parti de gauche, qui a lancé sa campagne des européennes avec à sa tête Carola Rackete, la capitaine courage du Sea-Watch 3, entend revenir rapidement sur tous les fronts de classe, de l'immigration au social en passant par l'écologie. Lors de son congrès d'Augsbourg, le week-end dernier, le parti Die Linke semble être parvenu à rassembler ses forces pour initier « un nouveau départ » en dépit du terrible coup porté par l'annonce de la scission et de la création d'un nouveau parti par Sahra Wagenknecht.
21 novembre 2023 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article68879
À Augsbourg, le parti a entériné le lancement de sa campagne des élections européennes de juin, ratifiant un programme et une liste de candidats sous la double conduite de son coprésident Martin Schirdewan et de Carola Rackete (sans parti), militante du droit des réfugiés, qui s'est fait connaître, en 2019, comme la capitaine courage du Sea-Watch 3.
Après des semaines d'errances contraintes en pleine mer, la jeune femme avait, on s'en souvient, donné l'ordre de débarquer à Lampedusa pour qu'y soient accueillis des migrants malades et à bout de forces, en dépit des injonctions de Matteo Salvini, ministre de l'Intérieur de la Lega (extrême droite) au sein du gouvernement de l'époque.
Die Linke veut se relever du départ de Wagenknecht
Ce choix européen illustre le gouffre qui sépare désormais Die Linke de l'Alliance de Sahra Wagenknecht (BSW), l'association fédérale qui doit évoluer en nouveau parti politique d'ici début 2024. La limitation de l'immigration constitue en effet l'un des thèmes favoris de l'égérie des plateaux télé et ex-dirigeante de Die linke, dont l'objectif déclaré est de ramener dans son giron une partie de l'électorat populaire, « celui qui s'abstient ou se laisse séduire » par une AfD (extrême droite) en pleine ascension, à plus de 20 %, un niveau record dans les sondages. Die Linke entend répondre au « besoin d'un parti de classe en Allemagne », avec d'autant plus de force, relève Martin Schirdewan, qu'au même moment l'ensemble du spectre politique allemand « se laisse tirer vers la droite ».
Le défi est redoutable car Sahra Wagenknecht a entraîné derrière elle une dizaine de députés. Ce qui sonne le glas d'un groupe parlementaire Die Linke, privant la formation de moyens et de relais de communication. Le parti présente l'année 2024 comme un nouveau tremplin vers un retour sur les fronts du social, de l'écologie et des droits des femmes avec en point de mire les législatives de 2025.
Si le parti Die Linke a dû déplorer une série de départs depuis l'annonce de Sahra Wagenknecht, il enregistre, au même moment, un afflux plus important de nouveaux membres, en particulier parmi les jeunes. Mieux, des personnalités de premier plan, qui lui avaient tourné le dos à cause des dérapages populistes de Sahra Wagenknecht, annoncent aujourd'hui leur retour. Comme Ulrich Schneider, président d'une très influente confédération d'associations humanitaires.
Un sondage Kantar, réalisé pour la Fondation Rosa-Luxemburg, place à 15 % le potentiel électoral de Die Linke, trois points au-dessus de celui de l'Alliance BSW de Sahra Wagenknecht. Surtout, l'enquête montre que le transfert d'électeurs de Die Linke vers BSW ne serait pas ou peu significatif, quand 29 % des sympathisants de l'AfD (extrême droite) et 21 % de ceux du FDP (droite libérale) disent qu'ils pourraient se laisser tenter par un vote Wagenknecht. Bertolt Brecht, qui est né dans la ville d'Augsbourg, lança un jour cette formule : « Celui qui combat peut perdre. Mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » Dans la grande cité bavaroise, Die Linke a décidé de se battre.
P.-S.
• L'Humanité. Mise à jour le 21.11.23 à 18:29 :
https://www.humanite.fr/monde/allemagne/allemagne-die-linke-en-ordre-de-bataille-pour-son-congres-malgre-la-scission-de-sahra-wagenknecht
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Russes de gauche contre l’invasion de l’Ukraine : « Sans le succès de cette campagne, il n’y aura pas de paix réelle et complète »

Mikhaïl Lobanov est un militant et syndicaliste russe de gauche qui enseignait les mathématiques à l'université de Moscou. En 2023 il a mené campagne pour devenir député de la Douma d'État à Moscou, en s'appuyant sur une vaste coalition de militants syndicaux, écologistes et locaux. Il a remporté la victoire contre le candidat du pouvoir avant que ne tombent les résultats – falsifiés – du vote électronique. Cette campagne victorieuse lui a apporté une importante notoriété en Russie parmi les militantEs et au-delà. Opposé ouvertement à la guerre contre l'Ukraine, il a subi menaces et répressions qui ont conduit à son licenciement puis à son exil pour éviter l'emprisonnement. Grâce à la solidarité de syndicalistes et mathématicienEs français, il a pu s'établir en France où il continue ses activités professionnelles et militantes. Avec d'autres camarades russes exiléEs, il travaille à la mise en place d'un réseau de militantEs de gauche anti-guerre dans plusieurs pays du monde avec comme objectif final la transformation radicale du système politico-économique russe.
décembre 2023, par LOBANOV
Le discours qu'il a prononcé en français lors d'un après-midi de festivité qui lui était consacré à Paris le 2 novembre est publié ci-dessous. L'événement était organisé par l'association de solidarité Free Azat composée de militants politiques et de mathématicienEs qui mènent depuis plusieurs mois une campagne pour la libération du jeune mathématicien Azat Miftakhov, injustement emprisonné depuis quatre ans et demi. L'association est également active dans la solidarité envers toutEs les prisonnierEs politiques russes.
Bonjour, cherEs amis, cherEs camarades !
Je remercie toutes celles et ceux qui ont pris le temps et l'énergie de venir aujourd'hui. Il n'est pas facile pour moi de parler en français. Et pour vous, ce ne sera pas facile à écouter. Il s'agira donc d'un discours très court. Pas que les choses les plus importantes.
Pourquoi on est ici ?
Parce que les camarades français ont dit que c'était la coutume ici, en France. Eh bien, c'est la coutume. Mais ce matin déjà, je me suis soudain souvenu qu'en 2021 et 2022, j'ai organisé et participé à des événements un peu pareils. Deux fois par an. Il s'agissait de l'ouverture et de la clôture de nos campagnes électorales. J'ai fait ça avec une équipe de camarades, un collectif de personnes partageant les mêmes idées. En 2023, nous n'avons pas eu d'événement d'ouverture. Bien que nous ayons lancé plusieurs projets importants en Russie. Justement, cette année c'est trop dangereux de rassembler du monde dans une salle en Russie.
Hier, un groupe des communistes internationalistes de Russie, qui m'a soutenu pendant les campagnes électorales et les campagnes pour l'autogestion dans nos universités, qui continue d'exister et d'agir en Russie a organisé un rassemblement public. Ils se sont rassemblés dans une salle un peu comme ici pour discuter de politique.
La police et les agents anti-extrémistes ont débarqué dans la salle et ont demandé à tout le monde de s'allonger sur le sol.
Les gens ont été matraqués, on leur a confisqué leur téléphone, on les a forcés à dire des mots de passe, on leur a fait subir des pressions psychologiques et physiques.
Deux personnes que je connais personnellement ont été emmenées au poste de police et n'ont pas encore été relâchées. Voilà un peu de l'actualité de la Russie.
Nos événements en 2021 et 2022 lançaient les campagnes dont la durée était limitée. Nous connaissions dès le début la date de réunion finale.
Aujourd'hui on lance une nouvelle étape de notre campagne. Et cette fois, nous n'avons pas de dates précises. Je ne peux pas vous dire QUAND la réunion finale aura lieu. Je peux vous dire OÙ. Ce sera à Moscou.
Qu'est-ce qu'on lance aujourd'hui ? Il s'agit d'une campagne sans laquelle il ne sera pas possible de faire des mathématiques ou d'autres sciences en Russie. Il ne sera pas possible de faire de l'art, de la poésie, de discuter, de s'exprimer librement. Sans le succès de cette campagne, ni Azat Miftakhov, ni Boris Kagarlitsky, ni Sasha Skochilenko, ni Dima Ivanov, ni des milliers d'autres prisonnierEs politiques ne seront libéréEs.
Sans le succès de cette campagne, il n'y aura pas de paix réelle et complète. La paix qui mettra fin à la guerre insensée menée par une poignée de personnes très riches au Kremlin. Cette guerre a été déclarée à la fois au peuple ukrainien et au peuple russe. (Les deux peuples souffrent différemment, ne croyez pas que je mette nos peines sur le même plan !) Mais il est clair qu'on a besoin de transformation politique en Russie. En d'autres termes, on a besoin d'une révolution.
Et nous savons qu'elle est possible. Ça vous étonne ?
Possible parce que, premièrement, les gens en Russie sont depuis longtemps insatisfaits de leur vie. Personne n'est content de la politique intérieure. Tout le monde voit l'inégalité énorme.
Et ce mécontentement touche tout le monde, peu importe s'ils soutiennent Poutine, s'ils déclarent qu'ils le soutiennent ou s'ils le détestent. Peu importe s'ils soutiennent la guerre (d'ailleurs, la guerre est soutenue par une minorité absolue de la société russe).
Deuxièmement, parce que les événements tragiques qui ont commencé le 24 février 2022 ont généré et continuent de générer de nouvelles crises pour les autorités.
Troisièmement, parce qu'il reste un grand nombre de personnes actives en Russie, qui continuent à élaborer des projets, à se réunir lors de réunions syndicales, à créer des clubs de cinéma clandestins et bien d'autres choses. Tout ça, en attendant le moment où il y aura une chance et un espace pour de grands projets politiques.
Et aussi parce que ceux qui ont dû quitter la Russie ont trouvé le soutien et la solidarité auprès de leurs camarades et collègues ici, de ce vote de la frontière. Une solidarité qui nous a aidés à survivre dans cette mission politique et à s'impliquer dans un travail et des activités communes avec nos camarades en Russie.
C'est pourquoi je remercie mes collègues mathématiciens, les militantEs syndicaux et mes camarades qui m'ont permis de faire ce « voyage d'affaires politiques ». Comme vous le savez, il n'est plus possible pour moi d'agir en Russie. Je ne dis pas « l'immigration ». Je dis un « voyage d'affaires politiques ». Grâce à mes camarades, je peux suivre mes études de mathématiques et m'engager dans la lutte pour la transformation politique de la Russie.
Ainsi, pour moi personnellement, ce n'est pas seulement une soirée de joie et de remerciements. C'est aussi une soirée de début de l'étape la plus importante, de la campagne la plus importante.
On continue, et comme on dit en Russie « все только начинается », « Ce n'est qu'un début ».
Merci à vous !
Mikhaïl Lobanov
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P.-S.
L'Anticapitaliste
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La montée des luttes sociales en Ukraine

Alors que les pays occidentaux célébraient le 105e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, un autre hachoir à viande dans les tranchées entraînait une augmentation des activités protestataire en Ukraine. Le 27 octobre, à Kyiv, Odessa, Poltava et dans dix autres villes du pays, des proches de soldats mobilisés ont manifesté pour exiger leur démobilisation. La plupart de ces militaires sont au front depuis le début des hostilités en février 2022 et sont en mauvaise condition physique et morale. Le 12 novembre, les mêmes actions ont déjà été annoncées dans 20 villes et villages d'Ukraine. Cependant, nombre de ceux qui ne veulent pas se battre ne sont pas pressés de soutenir ces actions, craignant que la nécessité de remplacer les soldats renvoyés chez eux ne fournisse une autre raison pour augmenter la conscription. La question est désormais à l'étude par les autorités.
7 décembre 2023 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/07/la-montee-des-luttes-sociales-en-ukraine/
Les habitants de Sosnivka, dans la région de Lviv, se sont prononcés contre la décision d'envoyer des criminels travailler dans une mine de charbon située sur le territoire de cette ville. « L'absurdité de cette question est que les mineurs qui ont une spécialité, qui ont une expérience du travail dans les mines, ne sont pas exemptés de mobilisation, ils sont envoyés dans les tranchées. Et ce sont des condamnés qui les remplacent. Nous ne savons pas en vertu de quels articles ils ont été condamnés. Nous ne savons pas à quoi s'attendre de ces gens », a déclaré Vera Bogdanova de Sosnivka. La mine emploie 300 personnes, dont 87 extraient directement le charbon. Trois douzaines de mineurs ont été mobilisés. L'entreprise a décidé d'employer 10 détenus pour travailler de nuit. À la mi-octobre, les habitants de la ville sont venus exprimer leur protestation devant le conseil municipal de Chervonograd. Ils ont soumis un projet de décision : contacter le gouvernement et le président pour vérifier la légalité de la présence des prisonniers à la mine. Cependant, il n'y a pas eu suffisamment de votes lors de la session.
Le 14 octobre, des dizaines d'habitants de la communauté territoriale d'Ovruch (région de Jitomir) se sont rassemblés lors d'un rassemblement non autorisé devant le conseil municipal, exigeant des explications des autorités locales concernant l'annulation des paiements dus aux victimes de l'accident de Tchernobyl. Les autorités ont interdit la manifestation en invoquant la loi martiale. Cependant, des gens sont venus au bâtiment administratif pour exiger l'assurance que les paiements seraient inclus dans le budget de l'État et une explication sur ce qui serait fait pour empêcher à l'avenir l'annulation de ces paiements. Le maire d'Ovruch a déclaré qu'une séance extraordinaire du conseil municipal avait eu lieu et qu'il y avait une réponse de la part des députés de la région de Jytomyr, que des appels qui seraient examinés lors de la réunion des commissions budgétaires.
Le soir du 29 novembre, à Luzanovka quartier d'Odessa, les habitants ont manifesté pendant quatre jours contre le manque de chauffage et de lumière dans leurs maisons. Ils ont bloqué la rue, puis se sont dispersés en raison d'une alerte aérienne et de l'arrivée des flics.
Dans la seconde moitié du mois de novembre, les étudiants de l'Université nationale de l'aviation de Kyiv ont organisé des rassemblements spontanés en raison de l'absence de chauffage dans les bâtiments universitaires. « Le 20 novembre, le chauffage a été allumé, avant il gelait dans les locaux. Lorsque le chauffage a été allumé, la plupart des bâtiments sont restés tout aussi froids, car le système est vieux et il y a des fuites à de nombreux endroits. Ils ont également allumé le chauffage mais les radiateurs sont à peine chauds, on dirait que c'est juste pour éviter que le tuyau n'éclate », nous a dit un étudiant nommé Maksym. Un nouveau rassemblement a eu lieu le 21 novembre. Selon l'administration, le problème était déjà en train d'être résolu, mais les dettes financières de l'université compliquent le processus.
Les coursiers du service de livraison de nourriture Bolt se mettent en grève tous les vendredis. Ils cherchent à obtenir un salaire minimum garanti, à augmenter les taux de rétrocession sur leurs courses à 70% et à débloquer les comptes de leurs collègues injustement bloqués. Le 20 octobre environ 70% des restaurants de la rive gauche de la capitale ont été fermés pour cause de grève !
Fin octobre également, un scandale a éclaté dans tout le pays avec un chauffeur de taxi Bolt à Kyiv, qui a été banni à vie de cette application pour avoir déposé deux passagers agressifs qui exigeaient de lui parler exclusivement en ukrainien. Nous avons soutenu l'appel au boycott de cette entreprise, qui est bien plus connu comme service de taxis que comme un service de livraison. On peut donc espérer que cette campagne ne sera pas seulement une réponse à la violation de la dignité humaine et des droits du travail du chauffeur, mais qu'elle contribuera également à soutenir la grève des coursiers.
Sur la ligne de front de Lisichansk (une partie de la région de Louhansk occupée par la Russie depuis l'année dernière), les travailleurs des services d'eau se seraient mis en grève le 2 septembre en raison de plusieurs mois d'arriérés de salaires non payés. À ce moment, le 80e, anniversaire de la libération du nazisme y était célébré en même temps que le Jour de la Ville. Début octobre, on a appris qu'ils avaient été payés. Fin septembre également, il a été signalé une manifestation des travailleurs des services d'eau dans la ville voisine de Roubijne (Rubizhne), mais nous n'avons pas réussi à connaître les détails exacts : peut-être que la grève a été empêchée par des promesses de remboursement des dettes ; selon une autre version, ceux qui s'étaient rassemblés pour la manifestation se seraient dispersés après avoir vu un groupe de personnes armées. D'une manière ou d'une autre, au moment de notre reportage sur ces conflits, nous avons reçu la preuve que les dettes étaient en train d'être remboursées.
Et enfin, un exemple de rébellion individuelle. Dans la même ville de Kyiv, un homme ivre au chômage a brisé l'écran d'un terminal de la PrivatBank parce que celui-ci avait transféré par erreur son argent, qu'il voulait envoyer à une connaissance, pour aider l'armée. Cela s'est produit le 11 juillet, mais le verdict n'a été rendu public que récemment. Le tribunal lui a infligé une amende de 51 hryvnia en vertu de l'article administratif relatif au petit hooliganisme. Le hooliganisme est vraiment mesquin, mais l'année dernière, il était difficile d'imaginer un tel acte !
Pendant ce temps, lors du forum d'hier, les représentants de toutes les factions et associations de députés du parlement ukrainien ont adopté une déclaration commune sur le refus d'élections en Ukraine jusqu'à la fin de la loi martiale. Selon l'historien de l'anarchisme d'Odessa Vyacheslav Azarov, cela anéantira les espoirs des alliés occidentaux d'avoir un gouvernement moins corrompu, plus transparent et plus accommodant ici. Aujourd'hui, ils n'ont que deux options : verser des milliards pour soutenir l'arrière ukrainien et les forces armées ukrainiennes jusqu'à ce qu'elles atteignent les frontières promises de 1991, ou étrangler le gouvernement en coupant les fonds et les fournitures militaires jusqu'à ce qu'ils acceptent de négocier ou qu'un nouveau Maïdan éclate. La première option représente des années d'armement et de coûts financiers inabordables pour les alliés. La seconde n'est pas seulement des émeutes alimentaires à l'arrière de l'Ukraine, mais aussi une menace plus grave de voir l'ennemi profiter de l'agitation et de l'affaiblissement des forces armées de l'Ukraine, de renverser les défenses et s'emparer d'un certain nombre d'autres régions, menaçant ainsi les gouvernements des pays de la coalition occidentale de défaite aux élections. Enfin, rappelons la récente campagne réussie visant à sauver la dernière forêt de pins de Kharkov de l'extraction du sable.
assembly.org.ua (Collectif libertaire de Kharkiv.)
1er décembre 2023
Traduction Patrick Le Tréhondat
Publié par https://libcom.org/tags/assemblyorgua
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Yémen : de l’intervention impérialiste à une crise humanitaire sans précédent

En 2011, dans le sillage du printemps arabe, un gigantesque soulèvement populaire balayait le Yémen. Dans ce pays dominé par la la corruption, miné par les divisions entre le nord et le sud et le rôle écrasant des vieilles hiérarchies militaro-tribales, un espoir se levait. La jeunesse occupait les places, pendant des mois, à Sanaa, à Taez, à Aden. Parmi ses principaux porte-parole, on retrouvait même une femme, Tawakkol Karman, et une exigence, un État civil, qui rompe avec les vieilles hiérarchies militaro-religieuses et tribales.
Tiré de Quatrième internationale
4 décembre 2023
Par Frank Prouet
Copyright
DR
La révolution unifiait le pays, dans l'espoir d'en finir avec un pouvoir corrompu, incarné par le clan du président Saleh, qui vendait pour une bouchée de pain les richesses gazières du pays aux multinationales, comme le français Total, qui utilisait et manipulait la montée du danger d'Al-Qaida au Yémen pour se rendre indispensable aux yeux des bailleurs de fonds internationaux, notamment étatsuniens.
La révolution était assez forte pour chasser le président Saleh du pouvoir. Mais pas question pour les impérialismes étatsunien mais aussi français, pas question pour la monarchie saoudienne voisine, pas question pour les vieilles forces réactionnaires militaro-tribales yéménites, de laisser la révolution gouverner. Le détroit de Bab el Mandeb, par où transite un tiers du pétrole du monde, ne pouvait être sous le contrôle d'un gouvernement révolutionnaire. L'Arabie saoudite voisine, où jusque le nom du pays est privatisée par un seul clan, ne pouvait accepter une révolution qui chassait le tyran. Les richesses devaient retourner aux vieilles élites claniques marginalisées par le clan Saleh.
Cette coalition réactionnaire a d'abord bloqué l'accouchement d'une nouvelle Constitution démocratique, puis imposé un gouvernement de continuité avec l'ancien régime en imposant Hadi, l'ancien Premier ministre du président déchu, à la tête d'un gouvernement transitoire. Elle s'est unie, puis déchirée pour conquérir le pouvoir, plongeant le pays dans une crise militaire et humanitaire sans fin. Une crise décuplée par l'intervention militaire aventureuse Tempête décisive, lancée en 2015 par Mohamed Ben Salman, MBS, le nouvel homme fort de l'Arabie saoudite, avec le soutien de son allié et mentor Mohamed Ben Zayed, des Émirats arabes unis, sous l'égide du parapluie américain, et plus discrètement français. L'agression du richissime royaume saoudien contre le pays le plus pauvre du monde arabe devait régler en quelques mois le problème des Houthis, soutenus par l'Iran, qui avaient pris le contrôle de la capitale Sanaa, en alliance avec l'ex-président déchu Saleh, dans un retournement d'alliance spectaculaire. Huit ans plus tard, le Yémen est plus divisé que jamais, et la guerre est toujours là, qui aboutit à l'impasse d'aujourd'hui.
Tempête décisive, une aventure réactionnaire…
Cette aventure yéménite de MBS s'explique autant par la volonté du nouvel homme fort saoudien d'assoir son jeune pouvoir au sein du royaume que par l'affrontement sourd qui oppose les Saoud à la République islamique d'Iran depuis la chute du Shah. Un affrontement rythmé par la guerre Iran-Irak, où le royaume saoudien a financé l'agression irakienne, ou par les affrontements entre pèlerins iraniens et police saoudienne à La Mecque en 1987. Ces tensions n'ont fait que s'aviver avec la montée en puissance du nucléaire iranien. Avec Israël, l'Arabie saoudite a dénoncé la signature de l'accord sur le nucléaire de 2015, qui laissait un volet nucléaire civil et réintroduisait le pétrole iranien sur le marché au moment où son prix s'effondrait. Sans oublier la minorité chiite en Arabie saoudite, majoritaire dans la région de Al-Hassa, principale région pétrolière saoudienne, vue comme une perpétuelle menace intérieure. Pour le royaume sunnite, protecteur des lieux saints, les printemps arabes n'étaient rien d'autre qu'une volonté iranienne de constituer, contre les sunnites, un arc chiite du Bahrein au Yémen en passant par la Syrie et l'Irak.
C'est qu'au Yémen justement, en 2014, surfant sur le mécontentement populaire, les Houthis chassent militairement de la capitale Sanaa le gouvernement de transition de Hadi, qui d'un côté fait exploser le prix du gaz pour les Yéménites, mais de l'autre le brade encore et toujours à Total. Les Houthis sont issus d'une branche particulière du chiisme, les zaydites, qui ont dominé le Yémen pendant des siècles, puis ont été marginalisés par la République puis la réunification. Plus qu'un protagoniste d'un conflit religieux – chiites contre sunnites – les Houthis représentent une minorité qui critique haut et fort l'alignement du président Saleh sur l'impérialisme américain, sous prétexte de lutte contre le terrorisme après le 11 Septembre. Un adversaire bien commode, allié de l'Iran honni par l'impérialisme américain, contre lequel Saleh envoie des bombes, mais aussi des écoles coraniques sunnites ultra-orthodoxes, comme Dar al-hadith, en plein territoire chiite, pour réactiver un conflit religieux bien peu réel au départ. Ironie de l'histoire, Saleh, comme beaucoup de membres de l'élite yéménite, est issu de la minorité zaydite ! Que ne ferait-il pas pour garder le pouvoir 33 ans et pour avoir les subventions américaines. Il irait jusqu'à s'allier avec les adversaires d'hier ! Et c'est une alliance improbable et instable entre Houthis et Saleh tout juste chassé du pouvoir, qui expulse le nouveau gouvernement de transition Hadi de Sanaa. Le gouvernement Hadi, issu du fragile compromis entre les forces qui voulaient faire rentrer la révolution dans le rang et se partager le pays, doit se réfugier à Aden, dans le sud. Il ne doit son salut qu'au soutien militaire et financier de la coalition internationale réactionnaire États-Unis - Arabie saoudite - Émirats arabes unis.
Deux coalitions fragmentées
À Sanaa, les Houthis et l'ancien président déchu Saleh, alliés d'un jour, se déchirent à nouveau. Saleh est assassiné. Les Houthis sont seuls maitres du jeu fin 2017. Au Sud, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, alliés et soutiens financier et militaire d'une coalition anti-houthis hétérogène, voient leurs protégés respectifs s'affronter à l'arme lourde. C'est que l'Arabie saoudite porte à bout de bras les milices de Hadi réfugiées à Aden. Qui ont emporté dans leurs bagages Al-Islah, le parti militaro-tribal lié aux Frères musulmans. Ces mêmes milices qui ont mené la guerre contre les sudistes lors de la tentative de sécession de 1994, qui a fait des milliers de morts dans les rangs sudistes et emporté les espoirs d'autonomie. Les Émirats arabes unis, alliés de l'Arabie saoudite, financent surtout les milices du mouvement sudiste, certes opposés aux Houthis, mais qui créent, contre les protégés des Saoudiens réfugiés à Aden, un Conseil de transition du Sud, qui va bientôt s'affronter militairement au gouvernement Hadi et à ses soutiens d'Al-Islah.
Cette cohabitation improbable a en effet réveillé les vieilles fractures nord-sud. Le nord issu de l'occupation ottomane et de la lutte contre la monarchie, avec la République arabe du Yémen. Le sud issu de l'occupation par l'impérialisme anglais du grand port d'Aden et de son arrière-pays, pour sécuriser son empire et la route des Indes. Issu aussi de l'expérience avortée de la République démocratique populaire du Yémen, qui a suivi le retrait obligé des Anglais. Cette expérience très avancée, avec éducation et santé gratuites, égalité formelle hommes femmes et positions anti-impérialistes, a été la cible de nombreuses attaques qui ont limité son développement, favorisé les fractures internes et l'ont poussée dans les bras de l'URSS. Elle a pris fin à la chute du Mur, et s'est conclue en 1990 par une réunification entièrement dominée par les élites du nord de la République arabe du Yémen.
Mais le front anti-houthis fracturé au sud se lit aussi sur fond de concurrence économique grandissante entre Saoudiens et Émiratis. MBS veut un royaume saoudien qui ne soit plus seulement une pétromonarchie. Il veut engager une transition grandiose et probablement bien peu réaliste, développer les services, le tourisme, les investissements privés étrangers, avec son projet vision 2030. Il fait pression sur les multinationales pour rapatrier leur siège à Ryad, ce qui le met inévitablement en concurrence avec Dubaï, première ville des Émirats. En 2021, Ryad met un ultimatum aux grands groupes étrangers. Plus de contrats publics après 2024 si vous ne localisez pas votre siège régional dans le royaume, qui n'accueille que 5 % des sièges internationaux contre 76 % pour les Émirats. Il faut dire que l'assassinat de Jamal Khashoggi, journaliste de cour devenu critique du pouvoir saoudien, le kidnapping de centaines de princes enfermés de longs mois au Hilton Ryad et qui en ressortent les poches délestées, la démission forcée de Saad Hariri, Premier ministre libanais, sunnite et allié de l'Occident, après son kidnapping par MBS à Ryad, ont refroidi plus d'un investisseur étranger et suscité la colère américaine.
Le tableau de la fracturation du Yémen serait incomplet, si l'on n'ajoutait pas Al-Qaida dans la Péninsule arabique, AQPA, et la branche yéménite de l'État Islamique, qui profitent des affrontements pour gagner un temps des territoires, notamment le port de Mukalla et la vallée de l'Hadramaout. Sans parler aussi des drones américains qui frappent régulièrement marchés et chefs tribaux. Une fragmentation politico-militaire à l'infini, dont la principale victime est le peuple yéménite…
Les deux camps enlisés
Après huit années de guerre, l'Arabie saoudite n'a pas vaincu les Houthis, soutenus par l'Iran, qui contrôlent les deux tiers nord du territoire. Son alliance est fracturée, le Yémen balkanisé. Le gouvernement yéménite en exil qu'il fait et qu'il défait, n'a de pouvoir que sur les chambres des hôtels de luxe qu'il occupe à Ryad. Un enlisement qui coûte cher au royaume. Pire, l'Arabie Saoudite et ses terminaux pétroliers ont été plusieurs fois la cible de drones houthis de conception iranienne, réduisant temporairement ses capacités d'exportation de pétrole, richesse essentielle qui représente 90 % des rentrées de l'État. Mohamed Ben Salman retiendra que les États-Unis n'ont pas bougé le petit doigt, quand les drones iraniens ont frappé son pays.
La guerre est ingagnable par l'Arabie saoudite, qui souhaite se recentrer sur son agenda économique, dont l'horizon radieux s'éloigne encore avec la crise covid, et dont l'actualité est de moins en moins dictée par sa relation exclusive avec les États-Unis, qui ne l'ont pas soutenu, et qui doit reprendre langue avec l'Iran pour sortir de ce bourbier. De même, les Houthis, solidement installés au nord, ne peuvent espérer conquérir la totalité du territoire yéménite. Leur échec meurtrier, avec la mort de plusieurs dizaines de milliers de combattants, dont de nombreux enfants soldats, dans la tentative de prendre le contrôle de la région pétrolière de Marib a sonné le glas de leurs espoirs.
Le Yémen a faim et soif !
La guerre aurait fait plus de 100 000 victimes civiles. Près de quatre millions de personnes ont fui les combats et les bombardements. Mais la faim, la malnutrition, la soif tuent plus sûrement encore que les bombardements des écoles, des hôpitaux, des marchés, des mariages, par la coalition saoudienne. L'ONU parle de 200 000 victimes civiles indirectes. Vingt-quatre millions de personnes, 80 % de la population, ont besoin d'une aide d'urgence. Un chiffre jamais atteint par aucun pays au monde. Plus de la moitié de la population ne mange pas à sa faim. 7,4 millions de personnes souffrent de malnutrition, dont 2 millions d'enfants, selon Oxfam. Le système de santé est exsangue, les rares structures sanitaires qui fonctionnent, notamment celles des ONG, sont bombardées par les avions saoudiens. Les prix explosent alors que les revenus s'effondrent. Pour asphyxier financièrement les Houthis, qui prélèvent des droits de douane et rançonnent les organisations humanitaires, l'Arabie saoudite bloque l'acheminement de l'aide humanitaire, déjà largement sous-dimensionnée par rapport aux immenses besoins. La crise humanitaire s'aggrave avec le blocus saoudien du port d'Hodeida et de l'aéroport de Sanaa. Le pays est renvoyé au 191e rang de l'indice de développement de l'ONU. Voilà le prix payé pour l'intervention de l'impérialisme et la revanche des vieilles hiérarchies militaro-tribales contre la révolution.
On retiendra la participation française à la sale guerre du Yémen. Malgré les dénégations du gouvernement français, la fuite d'une note de la direction du Renseignement militaire a confirmé les accusations portées par les ONG françaises. En pleine affaire Khashoggi, elle révélait que 48 canons Caesar fabriqué par Nexter, détenu à 100 % par l'État français, d'une portée de 42 km, étaient déployés par l'Arabie saoudite à sa frontière avec le Yémen. La livraison s'est achevée en 2018, bien après le début du conflit. Un nouveau contrat d'exportation est même signé en décembre 2018, dans le plus grand secret, pour des blindés Titus et des canons tractés 105LG. Après les États-Unis, la France est le principal pays fournisseur de la sale guerre qui martyrise et affame le Yémen.
Le Yémen a faim, mais le Yémen a aussi soif ! Dans une des régions habitées les plus sèches du monde, le réchauffement climatique diminue encore le niveau des précipitations, les transformant en rares épisodes pluvieux diluviens qui arrachent les terres arables, avec d'autant plus de facilité que les cultures en terrasse ne sont plus entretenues avec la guerre. Mais l'effondrement du système hydrique ne date pas de la guerre. Il a été aggravé par les effets conjoints des politiques d'aide des institutions internationales néolibérales et de l'ancien pouvoir central yéménite. Tous deux ont favorisé, à coups de subventions et en fermant les yeux, la multiplication anarchique des pompages d'eau en forage profond, que seuls peuvent se payer les grands propriétaires terriens. Pour produire le quat, cette plante euphorisante gourmande en eau, qui rapporte beaucoup mais pompe 40 % de l'eau agricole yéménite. Pour produire des cultures d'exportation, comme la banane ou la mangue au service des multinationales. Ces forages épuisent les aquifères, détournent l'eau des cultures villageoises de subsistance, multiplient les conflits autour de l'eau. Les puits de surface des petits paysans s'assèchent. Cela augmente encore leur dépendance aux chefs tribaux, à leurs camions-citernes qui amènent l'eau potable, dont la qualité se dégrade, à la campagne comme à la ville. En 2017, le Yémen enregistre la pire épidémie de choléra connue au monde, avec plus d'un million de cas, alors que son système de santé est effondré. Ce modèle de gestion de l'eau est insoutenable à court terme. Il pompe plus que la ressource en eau ne peut se renouveler, alors que l'eau renouvelable n'est que de 72 m3 par habitant et par an, très loin déjà des 500 m3 définis comme seuil de rareté.
Le pouvoir saoudien veut se retirer du bourbier yéménite
Sur ce champ de ruines, la révolution matée, sans espoir de victoire pour aucun des multiples camps réactionnaires, les négociations directes entre les Houthis et l'Arabie saoudite ont commencé à porter leurs fruits, sous le regard de l'envoyé spécial de l'ONU Hans Grundberg. Des prisonniers sont échangés, l'accord de cessez-le-feu d'octobre 2022 fait cesser les bombardements aériens saoudiens et les attaques de drones houthis, l'accès à l'aide humanitaire s'améliore, des discussions commencent sur le paiement des fonctionnaires houthis sur les revenus du pétrole yéménite, gérés par l'Arabie saoudite, une revendication essentielle des Houthis… Tout cela constitue un fragile espoir de paix, mais dans un pays dévasté et fragmenté par les vieilles hiérarchies et l'agression impérialiste, qui semble avoir tué l'espoir démocratique et unitaire de toute une jeunesse. Fragile espoir d'une paix pourtant indispensable à la réorganisation d'une société civile et démocratique yéménite, seule véritablement porteuse d'espoir.
Car une « victoire » des houthistes, à travers le retrait de l'ennemi saoudien, et la fin de son soutien financier et militaire aux différents fronts anti-houthistes, n'est pas synonyme de victoire de la démocratie ou du droit des femmes. Loin de là ! Les nombreux emprisonnements, assassinats, disparitions, rafales de kalachnikov dans les jambes que le pouvoir houthis a infligé à ses oppositions, les multiples affaires de corruption ou les campagnes pour une tenue décente islamique en attestent.
Mais l'horizon saoudien de retrait du Yémen ne peut se comprendre seulement à travers l'échec de son aventure militaire. Il doit être mis en relation avec les évolutions de la situation internationale, et du rôle plus autonome que MBS peut et veut y jouer. Deux événements internationaux illustrent cette nouvelle donne. Un mois avant les élections américaines de mi-mandat, l'Arabie saoudite choisit de réduire de deux millions de barils de pétrole par jour la production de l'OPEP, pour augmenter sa rente pétrolière. Cela porte un coup sévère à Biden en faisant grimper les prix du pétrole juste avant une élection difficile pour les Démocrates. Et cela donne une bouffée d'oxygène à Poutine, qui voit la rente pétrolière s'envoler malgré les sanctions contre son invasion de l'Ukraine. Alors que Biden est allé jusqu'à serrer honteusement la main de MBS à Jeddah, après avoir réclamé son isolement suite au meurtre de Khashoggi, alors que Biden a tout fait pour bloquer la résolution au Sénat de Bernie Sanders sur les pouvoirs de guerre pour limiter le soutien étatsunien à la guerre du Yémen, alors que les tribunaux américains ont accordé l'immunité au prince, Biden n'a pu compter sur le soutien de l'Arabie saoudite dans son bras de fer avec la Russie sur le pétrole.
En avril 2023, lors d'une spectaculaire rencontre en Chine, donc sous l'égide de Xi Jinping, l'Arabie saoudite et l'Iran ont rétabli leurs relations diplomatiques, rompues depuis 2016. Autre annonce fracassante, la création en Arabie saoudite d'une usine de montage de drones de fabrication chinoise. Ou la participation aux BRICS aux côtés de la Chine et de la Russie. Dans le même temps, Mohamed Ben Salman met sur la table la proposition d'établir des relations diplomatiques officielles avec Israël, en échange d'un engagement contraignant de la part des États-Unis à sa défense en cas d'agression. La volonté de MBS est clairement de se désengager du bourbier yéménite, d'avancer dans les négociations de paix avec les Houthis, sur fond de rapprochement entre l'Iran et l'Arabie saoudite, pour profiter au mieux de la rente pétrolière, quitte à mettre en difficulté le parrain américain, pour se recentrer sur son horizon 2030, en profitant d'un monde multipolaire et des tensions Chine-États-Unis pour mieux négocier une place plus autonome. Quitte là encore à froisser les États-Unis.
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Cohen se trompe ; c’est Israël qui, en termes de moralité, atteint le fond du baril

Le 6 décembre 2023, le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, invoquant un article rarement utilisé de la Charte des Nations Unies, appelle le Conseil de sécurité, « face au risque grave d'effondrement du système humanitaire à Gaza », à « faire pression pour éviter une catastrophe humanitaire et à appeler à un cessez-le-feu humanitaire complet ».1
Ovide Bastien, professeur retraité du Collège Dawson
photo Serge Ignacio
La réaction du ministre des Affaires extérieures d'Israël, Eli Cohen, est immédiate :
« Le mandat de Guterres est un danger pour la paix mondiale, affirme Cohen. Sa demande d'activation de l'article 99 et l'appel à un cessez-le-feu à Gaza constituent un soutien à l'organisation terroriste Hamas et une approbation du meurtre de personnes âgées, de l'enlèvement de bébés et du viol de femmes. Quiconque soutient la paix dans le monde doit soutenir la libération de Gaza du Hamas. (...) Guterres a atteint, en termes de moralité, le fond du baril (has reached a new moral low). »2
Cohen se trompe. C'est Israël qui atteint ce fond...
Ainsi que les États-Unis qui, hier 8 décembre, et pour la 45ième fois dans l'histoire du Conseil de sécurité, osent se ranger du côté d'Israël, utilisant leur droit de véto pour bloquer la motion de cessez-le-feu acceptée par tous (sauf le Royaume-Uni qui s'abstenait).
Bombarder massivement Gaza depuis deux mois, en utilisant entre autres les 300 avions de combat F-16 fournies par les États-Unis (aucun autre pays, à part les États-Unis, en possède autant) ; occasionner la mort de 17,700 Palestiniens, dont 7,250 enfants et 5,100 femmes ; la blessure de 48,000 ; le déplacement, parfois à plusieurs reprise, de 1,9 millions (85% de la population) qui peinent à trouver de quoi manger et boire, et où dormir ; la destruction massive de mosquées, écoles, et maisons de telle sorte que 80% de ces dernières se trouve ou complètement détruites ou très endommagées ; rendre inopérants la plupart des hôpitaux et centres de santé de Gaza, en les privant de ressources et les attaquant ; créer une situation où il devient de plus en plus évident, d'heure en heure, que le nombre de morts par faim et maladie va rapidement dépasser, et de beaucoup, le nombre de personnes tuées par fusils et bombardements...
Tout cela, selon Cohen, démontrerait, chez Israël, un haut niveau de moralité, le soutien de la paix dans le monde, l'effort de protéger les Gazaouis et de les libérer du monstre qu'est le Hamas !
Par ailleurs, tenter de mettre fin à ce carnage, qualifié de génocide par de nombreux observateurs ; tout faire afin qu'une aide massive arrive rapidement à Gaza pour empêcher que ne s'accentue une situation humanitaire déjà carrément catastrophique ; appeler à la libération de tous les otages, tout en préconisant une solution politique à une situation où, depuis des décennies, de millions de Palestiniens vivent, à toutes fins pratiques, comme otages dans des camps de concentration ; tout cela constituerait, selon ce même Cohen, la preuve par excellence que Guterres se montre carrément indigne de son poste et qu'il a vraiment atteint, en termes de moralité, le fond du baril !
Pourquoi une telle attitude chez Cohen, reflet de ce que pense sans doute la majorité des Israéliens ? Pourquoi, d'une part, cette grande sensibilité, on ne peut plus justifiée, quant aux atrocités énormes commises par le Hamas le 7 octobre - violence sexuelle et la mort de 1,147 Israéliens - et, d'autre part, cet incroyable aveuglement relativement aux atrocités que vivent les Gazaouis, non pas seulement depuis deux mois, mais depuis des décennies ? Pourquoi les médias israéliens, à la suite du 7 octobre, évitent de montrer les meurtres en masse d'enfants palestiniens et de civils innocents, et la destruction massive de Gaza, alors qu'ils n'hésitent pas à montrer, le 7 décembre, les images troublantes de nombreux Gazaouis civils, nus et en simple caleçons, qui viennent d'être détenus dans un abri de l'ONU ?
Dans une conférence qu'il donnait en 2015, le journaliste israélien fort respecté du journal Haarets, Gideon Levy, nous en offre la réponse.
Ci-bas cette conférence, que j'ai traduite en français. Lectrices et lecteurs intéressés pourront la visionner eux-mêmes (https://youtu.be/EnaacT4eBrA?si=w9vtBtnRMHZzM0RN). À la suite de l'attaque d'Israël par le Hamas le 7 octobre, cette conférence devenait rapidement virale dans les réseaux sociaux :
« Ce n'est qu'à la fin des années 1980, lorsque, tout à fait par hasard, j'ai commencé à voyager en tant que journaliste dans les territoires occupés, que j'ai réalisé que le plus grand drame d'Israël se déroulait à une demi-heure de nos foyers, dans notre sombre arrière-cour, » raconte Levy.
« Cependant, cet énorme drame n'intéresse pratiquement personne en Israël ; il est caché dans notre sombre arrière-cour. Même si tous ces crimes se déroulent à une demi-heure de chez nous, la plupart des Israéliens, ou ne veulent pas le savoir, ou ne le savent pas, ou, aussi et surtout, s'en foutent complètement.
« Israël s'est entouré de boucliers, de murs. Non seulement de murs physiques, mais aussi de murs mentaux.
« Je ne veux pas entrer dans les détails de tout cela – ce qui nécessiterait une autre conférence - mais je voudrais mentionner brièvement les trois principes qui nous permettent, à nous Israéliens, de vivre si facilement avec cette réalité pourtant brutale.
« Voici ces trois principes.
« Premièrement, la plupart des Juifs – pas tous – se voit comme le peuple choisi par Dieu. Si nous sommes le peuple choisi, se disent-ils, alors nous avons le droit de faire absolument tout ce que nous voulons.
« Deuxièmement, si nous examinons toutes les occupations qui ont eu lieu par des puissances dans l'histoire, celle d'Israël se distingue de toutes les autres. C'est la seule occupation, assez bizarrement, où c'est l'occupant lui-même qui se voit comme victime. Personne d'autre dans son entourage serait victime, selon Israël. Pas même le peuple qu'elle occupe. Voilà pourquoi nous sommes capables, comme Israéliens, de vivre en paix, malgré notre statut d'occupant.
« L'autre jour, le professeur Falk mentionnait la stratégie duale pratiquée par Israël, poursuit Levy. À la suite des attaques terroristes à Paris et à Copenhague, Benjamin Netanyahou lançait une invitation à tous les juifs du monde entier. ‘Venez tous vivre ici, en Israël, disait-il. C'est de loin la place plus sécuritaire pour vous ; ici vous êtes à l'abris.' Pourtant, c'est le même Netanyahou qui affirmait, à peine 24 heures plus tard, qu'Israël se trouvait confronté à une menace existentielle, à cause d'une possible bombe iranienne !
« Je me suis alors demandé, ironise Levy, où se trouve la logique dans tout cela. Pourquoi mon premier ministre inviterait-il des gens à venir ici si l'Iran menace de nous bombarder ?
« J'arrive maintenant au troisième principe – et c'est sans doute le plus grave de tous.
« Nous, Israéliens, nous déshumanisons systématiquement les Palestiniens. S'ils ne sont pas des humains, alors la question des droits de l'homme disparaît automatiquement.
« Si vous creusez un peu le for intérieur de la grande majorité des Juifs, vous reconnaitrez chez eux cette attitude carrément déshumanisante par rapport aux Palestiniens. On ne les reconnaît pas comme des êtres humains. On ne les reconnaît pas comme nos égaux.
« Il m'est arrivé une fois d'écrire que nous les Juifs, nous traitons les Palestiniens comme des animaux. Cela, bien sûr, m'a valu une montagne de critiques.
« Combien d'Israéliens arrivent-ils à se mettre dans la peau d'un Palestinien ? Si ce n'est que pour une seule journée, ou un seul moment ?
« J'aimerais vous donner deux exemples qui illustrent ce que je veux dire.
« Il y a plusieurs années, j'interviewais Ehud Barak, qui était alors candidat au poste de Premier ministre.
« M. Barak, lui ai-je demandé, qu'est-ce qui vous serais arrivé si vous étiez né Palestinien ? »
« Je me serais certainement joint à une organisation terroriste, » m'a-t-il spontanément rétorqué.
« Barak m'a donné la seule réponse franche et honnête qu'il pouvait me donner. Car tel que je le connaissais, il n'était pas du tout le genre de personne passive, qui, si abusée, se laisserait faire. Il se serait engagé dans la lutte pour son peuple et n'aurait jamais accepté de jouer le rôle de collaborateur pour les occupants.
« Mon interview, bien sûr, a causé un grand scandale en Israël. Comment pouvais-je, comme journaliste, poser une telle question à Barak ?
« Un deuxième exemple. À la suite de la deuxième Intifada, je me trouve un jour à Jénine, la ville la plus fermée en Cisjordanie, qui est alors soumise à un siège absolu. Lorsque, en quittant Jénine, j'arrive au poste de contrôle, je vois une ambulance palestinienne stationnée là devant moi, ses phares rouges allumés.
« En ce temps-là, aucune voiture ne pouvait entrer ou sortir librement de Jénine.
« Alors que j'attends, je vois des soldats israéliens qui jouent au backgammon dans la tente à côté du poste de contrôle. Conscient que lorsque j'interviens avec les soldats, cela finit généralement très mal, je décide de patienter. Je reste dans ma voiture.
« Cependant, après 40 minutes d'attente, je perds patience. Je sors de la voiture, me rends à l'ambulance, et demande au chauffeur, « Qu'est-ce qui se passe ? »
« C'est toujours comme cela, » me répond-il. « Ils nous font toujours attendre une heure avant d'autoriser notre départ. »
« Apprendre cela me fait sauter au plafond, et je confronte les soldats.
« Bien sûr, ceux-ci tentent de se défendre. Mais la chose qui finit par les faire sortir littéralement de leurs gonds, c'est lorsque je leur demande :
« Vous est-il déjà arrivé d'imaginer que c'est votre propre père qui se trouve dans cette ambulance-là ? »
« Ils pètent les plombs et pointent même leurs fusils vers moi.
« Comment diable pouvais-je avoir le culot de comparer leur propre père à un simple Palestinien ?
« Voilà pourquoi, comme Israéliens, il nous est aussi facile de vivre en paix avec nous-mêmes tout en commettant des crimes et subjuguant de façon aussi brutale le peuple palestinien, » conclut Gideon Levy.
Absence totale de la question palestinienne dans les immenses manifestations qui, avant le 7 octobre, déstabilisaient pendant des mois le gouvernement Netanyahou
On trouve une illustration spectaculaire du mur psychologique que décrit Gideon Levy dans les immenses manifestations qui, avant l'attaque du Hamas, ébranlaient pendant des mois le gouvernement de Netanyahou.
Si Israéliens de tendance séculière et Israéliens fondamentalistes religieux de droite s'opposaient carrément au sujet de la réforme judiciaire que proposait, début 2023, le gouvernement Netanyahou, les deux groupes, cependant, se montraient d'accord pour passer complètement sous silence l'oppression systématique que vivent les Palestiniens dans la bande de Gaza et en Cisjordanie depuis des décennies.
Sitôt la proposition de réforme lancée, de dizaines de milliers d'Israéliens commençaient à manifester le samedi de chaque semaine en criant haut et fort leur opposition à celle-ci. Cette réforme, disaient-ils, va affaiblir la Cour suprême. Elle va même permettre à Netanyahou d'échapper aux nombreuses accusations de corruption portées contre lui.
• Le 22 janvier 2023, Al Jazeera rapportait que pour une troisième semaine de suite, une immense manifestation avait lieu à Tel Aviv. Les manifestants affirmaient que les changements proposés menaceraient les contrôles démocratiques et les contrepoids exercés par les tribunaux sur les ministres. Qu'ils renforceraient le contrôle politique sur les nominations judiciaires et limiteraient les pouvoirs de la Cour suprême d'annuler les décisions du gouvernement ou les lois de la Knesset. « Ils veulent nous transformer en dictature, ils veulent détruire la démocratie », déclarait le président de l'Association du barreau israélien, Avi Chimi. « Ils veulent détruire l'autorité judiciaire ; il n'y a pas de pays démocratique sans autorité judiciaire. »
• Le 12 mars 2023, CNN rapportait qu'un « demi-million d'Israéliens descendaient dans la rue pour la dixième semaine consécutive de manifestations contre le projet du gouvernement de Benjamin Netanyahu visant à réformer le système judiciaire du pays.3
• Le 19 juillet 2023, Reuters rapportait que la « volonté de la coalition nationaliste et religieuse du gouvernement Netanyahou de modifier le système judiciaire et de limiter certains pouvoirs de la Cour suprême déclenchait des manifestations sans précédent, ébranlant l'économie et suscitant l'inquiétude des alliés occidentaux quant à la santé démocratique d'Israël. Certains réservistes, poursuivait Reuters, ont menacé de ne pas obéir aux ordres d'appel dans le cadre des protestations. »4
L'absence complète, dans ces manifestations tout à fait historiques, de la cause palestinienne, étonnait et troublait tellement 3,000 universitaires, membres du clergé et autres personnalités d'Israël/Palestine et de l'étranger, que cela les amenait, le 4 aout 2023, c'est-à-dire deux mois avant l'attaque surprise et fort meurtrière du Hamas dans le sud d'Israël, à signer une pétition intitulé ‘The Elephant in the Room.5
C'est bien, affirmaient les signataires de la pétition, de manifester contre la réforme judiciaire que propose le gouvernement Netanyahou. Cependant, nous nous inquiétons de voir l'absence complète, dans ces manifestations, de l'occupation illégale de millions de Palestiniens dans les territoires occupés. Les manifestants semblent ignorer, ou accorder peu d'importance, au fait que cette réforme vise à approfondir et étendre l'occupation illégale. Ce sont les colons d'extrême droite, affirment-ils, qui représentent le fer de lance d'une réforme qui ne vise rien de moins que l'annexion pure et simple de la Cisjordanie.
« Les Palestiniens, poursuivent les signataires de la pétition, sont privés de la quasi-totalité des droits fondamentaux, y compris le droit de vote et de protestation. Ils sont confrontés à une violence constante : rien que cette année, les forces israéliennes ont tué plus de 190 Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza et démoli plus de 590 structures. Les groupes d'autodéfense des colons brûlent, pillent et tuent en toute impunité. Sans droits égaux pour tous, que ce soit dans un État, dans deux États ou dans un autre cadre politique, il y a toujours un risque de dictature. Il ne peut y avoir de démocratie pour les Juifs en Israël tant que les Palestiniens vivent sous un régime d'apartheid, comme l'ont décrit les experts juridiques israéliens. En effet, le but ultime de la révision judiciaire est de renforcer les restrictions sur Gaza, de priver les Palestiniens de l'égalité des droits tant au-delà de la Ligne verte qu'à l'intérieur de celle-ci, d'annexer davantage de terres et de nettoyer ethniquement tous les territoires sous domination israélienne de leur population palestinienne. Les problèmes n'ont pas commencé avec le gouvernement radical actuel : le suprémacisme juif se développe depuis des années et a été consacré par la loi sur l'État-nation de 2018.6
« Les juifs américains, poursuivent les signataires, sont depuis longtemps à l'avant-garde des causes de justice sociale, de l'égalité raciale au droit à l'avortement, mais ils n'ont pas accordé suffisamment d'attention à l'éléphant dans la pièce. C'est-à-dire, à l'occupation israélienne de longue date qui, nous le répétons, a engendré un régime d'apartheid. Au fur et à mesure qu'Israël se tourne vers la droite et tombe sous le charme du programme messianique, homophobe et misogyne du gouvernement actuel, les jeunes juifs américains s'en éloignent de plus en plus. Pendant ce temps, des milliardaires juifs américains soutiennent l'extrême droite israélienne.
« En ce moment d'urgence mais aussi de possibilité de changement, nous appelons les leaders du judaïsme nord-américain - dirigeants de fondations, universitaires, rabbins, éducateurs – à :
1. Soutenir le mouvement de protestation israélien, tout en l'appelant à embrasser l'égalité pour les Juifs et les Palestiniens à l'intérieur de la Ligne verte et dans les Territoires palestiniens occupés.
2. Soutenir les organisations de défense des droits de l'homme qui défendent les Palestiniens et fournissent des informations en temps réel sur la réalité vécue de l'occupation et de l'apartheid.
3. S'engager à revoir les normes et les programmes éducatifs destinés aux enfants et aux jeunes juifs afin de fournir une évaluation plus honnête du passé et du présent d'Israël.
4. Exiger des dirigeants élus des États-Unis qu'ils contribuent à mettre fin à l'occupation, qu'ils limitent l'utilisation de l'aide militaire américaine dans les territoires palestiniens occupés et qu'ils mettent fin à l'impunité d'Israël au sein des Nations unies et d'autres organisations internationales.
« Fini le silence. Il est temps d'agir. »
Malheureusement, il a fallu le massacre perpétré par le Hamas dans le sud d'Israël le 7 octobre pour briser, finalement, le silence.
Cependant, au lieu d'agir en se tournant vers le cœur du problème, ce que les signataires de la pétition appelle l'occupation inhumaine du peuple palestinien - The Elephant in the Room -, Israël riposte à un massacre en en perpétrant un autre.
Et un massacre qui, en termes de morts, blessés, et destruction massive de toute infrastructure civile, est non seulement infiniment plus brutale que celui du Hamas, mais qui enfonce encore plus profondément le clou d'une occupation carrément inhumaine et qui dure depuis des décennies.
Notes
1. Guterres exhorte leConseil de sécuritéà agir pour éviter une catastrophe humanitaire à Gaza, ONU Info, le 6 décembre 2023. Consulté le 7 décembre 2023.
2.Toi Staff and Agencies, Israeli FM accuses UN head of backing Hamas after he uses rare clause to urge truce, The Times of Israel, le 7 décembre 2023. Consulté le même jour.
3.Hadas Gold et Amir Tal, Half a million Israelis join latest protest against Netanyahu'sjudicial overhaul, organizers say, CNN, le 12 mars, 2023. Consulté le 23 novembre 2023.
4.Dan Williams, Thousands rally, Israeli reservists step up protest against judicial change, Reuters, le 19 juillet 2023. Consulté le 30 novembre 2023.
5.TheElephant in the Room, publié le 4 aout 2023. Consulté le 30 novembre 2023.
6.Cette loi a été fortement critiqué au niveau international. Dans son article, La fin de l' « État juif et démocratique » ?, Soline Schweisguth en faisait la critique suivante : « Alors que la Déclaration d'indépendance de 1948 précisait que l'État assurerait « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe » ainsi que « la pleine liberté de conscience, de culte, d'éducation et de culture », la nouvelle Loi fondamentale ne donne le droit d'autodétermination qu'au peuple juif. De plus, la langue arabe était jusqu'à présent une langue nationale ; désormais, elle ne bénéficie plus que d'un « statut spécial ». Ce point contredit une des conditions posées par l'ONU en 1949 lors de l'entrée d'Israël dans l'organisation internationale. » Le média de l'histoire : herodote.net, le 19 juillet, 2018. Consulté le 2 décembre 2023.
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Le 9 octobre 2023, à peine deux jours après l'invasion surprise et meurtrière du Hamas dans le sud d'Israël, et alors que les cris de vengeance se font entendre un peu partout en Israël, Gideon Levy, dans sa chronique du journal Haarets, ose décrire ainsi l'effet de ce mur psychologique :
« Nous tirons sur des innocents, nous arrachons les yeux des gens et leur fracassons le visage, nous expulsons, nous confisquons, nous volons, nous arrachons les gens de leur lit, nous procédons à un nettoyage ethnique et, bien sûr, nous poursuivons l'incroyable siège de la bande de Gaza. Et malgré tout cela, nous continuons à croire que tout ira bien. »
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