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Permis de travail fermés – Des centrales syndicales réclament des changements majeurs au gouvernement fédéral

19 décembre 2023, par Centrale des syndicats démocratiques (CSD), Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Confédération des syndicats nationaux (CSN), Fédération des Travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) — , ,
Montréal, le 18 décembre 2023 – En cette Journée internationale des migrants et dans le cadre de la consultation sur les permis de travail fermés et les travailleurs étrangers (…)

Montréal, le 18 décembre 2023 – En cette Journée internationale des migrants et dans le cadre de la consultation sur les permis de travail fermés et les travailleurs étrangers temporaires (TET) du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration, quatre grandes centrales syndicales ont déposé un mémoire conjoint et réitèrent leur demande d'abolir ces permis et de les remplacer par des permis de travail ouverts, sans attache sectorielle ou régionale.

La Centrale des syndicats démocratiques (CSD), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) dénoncent que le Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET) soit devenu aujourd'hui un moyen simple et rapide de combler des pénuries de main-d'œuvre persistantes, alors qu'au début, il visait réellement à combler de rares cas de pénuries. Cette voie de passage facile n'encourage pas les employeurs à améliorer les conditions de travail ni à investir dans la productivité de leur entreprise. Si les besoins du marché de l'emploi sont permanents, le gouvernement du Canada doit plutôt favoriser l'accès à la résidence permanente et améliorer le système d'immigration permanente.

« Le moment est opportun pour que le Canada change ses lois et ferme une des voies les plus décriées de l'exploitation contemporaine. Le recours aux TET est devenu d'une telle ampleur qu'on ne peut plus ignorer les effets délétères du permis de travail fermé, pour lequel il n'y a tout simplement plus d'acceptabilité sociale. Nous unissons nos voix pour défendre une vision de l'immigration plus inclusive, plus respectueuse de la dignité des personnes immigrantes et plus structurante pour les milieux de travail », soutiennent le président de la CSD, Luc Vachon, le vice-président de la CSQ, Mario Beauchemin, la présidente de la CSN, Caroline Senneville, et le secrétaire général de la FTQ, Denis Bolduc.

De plus, dans le contexte actuel de contraction du marché du travail et de hausse du taux de chômage, des TET ont perdu ou sont à risque de perdre leur emploi, sans possibilité d'opter pour un autre boulot, et le PTET contribue grandement à les faire basculer dans la catégorie des personnes sans statut, un nombre en augmentation.

Solutions

Les personnes immigrantes temporaires liées à un employeur unique sont vulnérables à toutes sortes d'abus, de discriminations et d'exploitations, car l'exercice de leurs droits comporte de hauts risques de représailles, comme le démontrent de nombreuses études. Les TET sont aussi exposés à des risques de santé et de sécurité plus élevés, car souvent, ils n'osent pas dénoncer une situation, même lorsqu'ils sont syndiqués.

Au-delà du remplacement des permis de travail fermés par des permis ouverts, la CSD, la CSN, la CSQ et la FTQ demandent :

1- Une augmentation des investissements dans les mécanismes d'information des personnes immigrantes temporaires sur leurs droits, d'inspection de leur milieu de travail, et de plaintes et de sanctions ;

2- Une priorisation de l'immigration permanente plutôt que temporaire, afin de combler de manière définitive les besoins socioéconomiques du pays ;

3- Une collaboration et un respect des compétences constitutionnelles des provinces et des accords entre les divers ordres de gouvernement ainsi qu'une concertation avec les partenaires de la société civile, dont les organisations syndicales.

Au Canada, le nombre de personnes immigrantes temporaires a plus que doublé en l'espace de trois ans (de 1 305 206 en 2020 à 2 198 679 en 2022), notamment à la suite de l'Entente Québec-Ottawa allégeant les règles du PTET.

La CSD, la CSQ, la CSN et la FTQ sont présentes dans tous les secteurs d'activités économiques. Ensemble, elles représentent près de 1,2 million de travailleuses et travailleurs.

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La crise climatique, un enjeu de santé et sécurité au travail

19 décembre 2023, par Guillaume Tremblay-Boily — , ,
L'été 2023 s'annonçait comme le premier véritable été post-pandémique. Après trois ans de crise sanitaire, nous pouvions espérer un certain retour à la normale. Mais les feux (…)

L'été 2023 s'annonçait comme le premier véritable été post-pandémique. Après trois ans de crise sanitaire, nous pouvions espérer un certain retour à la normale. Mais les feux de forêt qui ont frappé le Québec tout au long de la saison chaude nous ont rappelé qu'une crise encore plus grande se profile à l'horizon : celle liée aux changements climatiques. Tout comme la crise sanitaire, la crise climatique touche directement les milieux de travail. En ce sens, elle interpelle le mouvement syndical, qui peut prendre des mesures pour y faire face.

Tiré du Monde ouvrier no 146. L'auteur est chercheur à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques.

D'après le dernier rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), la fenêtre pour agir afin de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré se referme rapidement, mais chaque dixième de degré gagné peut faire une différence dans la vie des habitant·e·s de la Terre. Au cours du siècle, on peut s'attendre à une augmentation des événements météorologiques extrêmes et à une aggravation des catastrophes naturelles. Les averses dangereuses vont être de plus en plus probables. On fera aussi face à un accroissement du risque de tornades, de sécheresses, de feux de forêt et de vagues de chaleur. Selon des prévisions de Santé Canada, le nombre de journées de plus de 30o pourrait tripler d'ici 2080.

Ces changements affecteront directement les travailleuses et les travailleurs. En 2018, une vaste étude de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) – l'équivalent français de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) – a évalué les risques induits par le réchauffement climatique sur la santé au travail. D'après l'étude, il y a consensus autour du constat que les changements climatiques vont mener à une hausse de la fréquence et de la gravité des risques professionnels. Parmi les risques directs identifiés, il y a ceux associés aux vagues de chaleur, qui peuvent provoquer la déshydratation, les coups de chaleur et même la mort. Mais il y a aussi des risques indirects. Par exemple, les auteurs et autrices de l'étude mentionnent que la chaleur élevée peut nuire à la qualité du sommeil, ce qui peut engendrer une baisse de vigilance au travail, et donc accroître la probabilité que des accidents surviennent. L'étude préconise le développement d'une « culture de la prévention » face aux impacts des changements climatiques.

Pistes d'action syndicale face aux changements climatiques

Il faut donc dès maintenant poser des gestes pour limiter le réchauffement de la planète et repenser l'organisation du travail afin de réduire les risques associés aux perturbations du climat. On peut par exemple mettre en place des mesures pour éviter que des gens soient forcés de travailler lorsque les conditions ne sont pas sécuritaires.

Il serait ainsi possible d'instaurer des congés climatiques dans les conventions collectives et dans les normes du travail. Ces congés pourraient prendre une forme individuelle ou collective. Les congés individuels pourraient fonctionner de la même manière que les congés de maladie. Au cours d'une année, chaque personne aurait la possibilité de s'absenter du travail un certain nombre de jours lorsqu'une condition météorologique inhabituelle met en péril sa santé, sa sécurité, sa capacité à travailler ou sa capacité à se rendre au travail. Pensons par exemple aux familles qui ont subi l'inondation de leur maison à Longueuil en septembre 2022 ou à Baie-Saint-Paul en mai 2023. Parions qu'elles auraient souhaité pouvoir prendre un congé payé au moins le temps de gérer la catastrophe.

Les congés collectifs consisteraient à fermer automatiquement un milieu de travail (ou à limiter automatiquement le temps de travail) au-delà d'un certain seuil qu'on juge dangereux. En France, il existe déjà des « congés intempéries » pour les personnes employées dans le domaine de la construction. Des élu·e·s français·e·s ont proposé de mettre en place des « congés canicule » qui toucheraient l'ensemble des milieux de travail. En Allemagne, un·e salarié·e ne peut travailler plus de 4 heures lorsqu'il fait 29°C sur son lieu de travail. Quand la température atteint 35°C, le travail doit être suspendu pour la journée. Les établissements scolaires allemands doivent aussi fermer lorsqu'il fait trop chaud dans les salles de classe, l'idée étant qu'il est difficile de se concentrer quand la température est trop élevée.

Le droit de refuser de faire une tâche pourrait aussi être repensé en tenant compte des changements climatiques. À l'heure actuelle, la Loi sur la santé et la sécurité du travail reconnaît qu'un travailleur ou une travailleuse peut refuser d'exécuter une tâche s'il ou elle a des motifs raisonnables de croire que l'exécution de ce travail l'expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou psychique ou peut avoir l'effet d'exposer une autre personne à un semblable danger. Dans un contexte où les risques climatiques augmentent, il importe de prendre en considération les conditions météorologiques dans lesquelles la tâche se déroule pour juger de sa dangerosité.

Mais pourrait- on pousser encore plus loin la réflexion sur la notion de tâche dangereuse ? Pourrait-on envisager de reconnaître que l'exécution d'une tâche peut porter atteinte à l'environnement et à la biodiversité ? La Charte québécoise des droits et libertés de la personne reconnaît depuis 2006 le droit de toute personne de « vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité ». Or, certaines activités commerciales et industrielles mettent en péril ce droit.

L'industrie fossile, notamment, représente une grave menace pour la planète et son expansion doit être stoppée, selon le rapport 2022 du GIEC. Conséquemment, on pourrait concevoir que le droit de refus soit étendu à des tâches jugées dangereuses du point de vue des risques climatiques. À titre d'exemple, si le droit de refus était appliqué de cette façon, des fonctionnaires chargé·e·s d'évaluer un projet de pipeline ou des travailleurs et travailleuses chargé·e·s de construire une telle infrastructure pourraient se prévaloir de ce droit pour refuser d'y participer. Ce droit de refus pourrait alors servir de fondement pour planifier une transition écologique à l'échelle des entreprises.

Dans les milieux de travail et dans l'espace public, des campagnes pour l'instauration de congés climatiques et pour l'extension du droit de refus seraient sans doute de bonnes occasions de sensibiliser la population aux conséquences des bouleversements climatiques.

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Les défis de 2024 pour une société plus juste et plus égalitaire

19 décembre 2023, par Fédération des Travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) — , ,
L'année 2023 est enfin derrière nous et nous en sommes à l'heure des bilans, sans oublier de jeter un regard sur ce que nous réserve 2024. Tiré du Monde ouvrier no 146. (…)

L'année 2023 est enfin derrière nous et nous en sommes à l'heure des bilans, sans oublier de jeter un regard sur ce que nous réserve 2024.

Tiré du Monde ouvrier no 146.

Il y a maintenant un an, la FTQ a élu un nouveau Bureau lors de son 33e Congrès, ainsi qu'une première femme à la présidence, un moment historique. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, comme le dit si bien l'expression, et nous en avons accompli des choses. Ne craignons pas de célébrer nos victoires.

Le dépôt d'un projet de loi anti-briseurs de grève au fédéral, la décision d'Ottawa allonger jusqu'à quatre semaines supplémentaires les prestations de chômage pour celles et ceux qui œuvrent dans les industries à activités saisonnières, l'adoption d'une loi protégeant les régimes de retraite en cas de faillites d'entreprises pour ne nommer que ces dossiers. Nous croyons sincèrement que le lobbying que nous avons fait auprès du gouvernement fédéral a porté ses fruits.

Au Québec, le gouvernement de la CAQ est plus difficile à suivre, mais nous avons tout de même réussi à lui faire abandonner sa réforme du Régime de rentes du Québec. Cependant, nous sommes inquiets en ce qui a trait à la centralisation qui s'annonce en santé et en éducation : il faudra rester attentifs et vigilants. Peutêtre que nous aurons à nous engager dans une vaste campagne d'accréditations syndicales en santé. Il faudra être solidaires et prêts à mener ce combat : nous le devons à nos membres. D'ailleurs, avec l'accord du Bureau de la FTQ, nous avons mis en place un comité de syndicalisation qui profitera à tous nos affiliés. Aussi, lors du dernier Congrès, comme équipe de direction, nous avons pris l'engagement de tenir une fois par année un Conseil général en région. Ce premier Conseil général en région a eu lieu en mai dernier à Baie-Comeau et, franchement, ce fut un grand succès de participation ! En 2024, nous aurons un deuxième Conseil général en région qui se tiendra à Matane au mois de mai.

Au cours de la prochaine année, nous aurons à nous mobiliser pour la modernisation de la loi anti-briseurs de grève du Québec et à faire pression pour la mise en place d'un véritable programme d'assurance médicaments public et universel à l'échelle du pays et aussi au Québec. D'ailleurs, le gouvernement fédéral a déjà promis d'aller de l'avant avec ce projet. Nous sommes également à préparer un plan d'action sur la vie chère, avec un salaire permettant d'assurer ses besoins de base, soit l'accès à un logement et à un panier d'épicerie à un prix abordable, mais aussi qui permet de mettre un peu d'argent de côté pour d'autres besoins essentiels afin que les travailleuses et travailleurs soient des acteurs économiques épanouis et que leurs familles puissent vivre dignement.

Enfin, il faudra faire comprendre au gouvernement que les permis de travail fermés pour les personnes immigrantes embauchées par différentes entreprises doivent être abolis. Une travailleuse ou un travailleur doit avoir le choix de quitter un patron qui ne le respecte pas pour offrir ses services dans un autre établissement.

La FTQ est la plus grande centrale syndicale du Québec, soyons en fiers. Bien sûr, il y aura des tempêtes, mais il y aura aussi de grandes victoires, et c'est ensemble et unis que nous aurons à livrer nos batailles !

Solidairement,

Magali Picard, présidente

Denis Bolduc, secrétaire général

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Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable

19 décembre 2023, par Regroupement pour un Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable — , ,
Le premier décembre dernier, une vaste coalition de groupes citoyens, écologistes, syndicaux, communautaires, ainsi que des professionnels, spécialistes et personnalités (…)

Le premier décembre dernier, une vaste coalition de groupes citoyens, écologistes, syndicaux, communautaires, ainsi que des professionnels, spécialistes et personnalités publiques de divers horizons lançait le Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable..

Ce manifeste est une réponse globale à l'empressement du gouvernement Legault à favoriser l'augmentation de la production électrique, l'extractivisme pour soutenir la filière batteries et la privatisation des énergies renouvelables. La publication de ce Manifeste vise à ouvrir la discussion la plus large possible.sur la question de l'énergie afin d'aboutir à des politiques visant à véritablement lutte contre les changements climatiques à protéger le territoire et la planète. (PTAG)

Nous sommes des forces convergentes de groupes environnementaux, du milieu syndical, de scientifiques, de professionnel·les et de spécialistes de divers domaines ainsi que des groupes citoyens et communautaires. Nous sommes engagé·es pour un avenir viable et juste. Nous savons que les défis pour y arriver sont de taille. Nous nous regroupons pour agir collectivement sur l'avenir énergétique de la société québécoise.

Cet été, le gouvernement Legault a organisé, sans grand bruit et en toute hâte, une consultation publique sur un projet de loi visant l'encadrement et le développement des énergies propres au Québec. Ce projet de loi devrait être déposé cet automne et visera entre autres à « moderniser » le cadre légal et réglementaire du secteur de l'énergie, la Loi sur Hydro-Québec et la Loi sur la Régie de l'énergie 1. Cette loi, nous dit le gouvernement, répond à un impératif : décarboner le système énergétique du Québec et atteindre la carboneutralité. Les modifications sont présentées comme des détails techniques visant à faciliter les transformations dont nous avons besoin pour atteindre cet avenir durable et juste auquel nous aspirons.

Or, à en juger par les déclarations récentes de François Legault, Pierre Fitzgibbon et Michael Sabia, il est clair que les enjeux touchés par cette loi vont bien au-delà de la question de l'électricité et de l'usage des énergies fossiles. Leur perspective sur le futur diverge indéniablement de la nôtre, et il existe un risque réel que leurs propositions nous éloignent considérablement du projet de société dont nous avons besoin pour un avenir viable et juste.

Questions et enjeux

Plusieurs questions se posent à nous dans le contexte où le Québec devra se défaire de sa dépendance aux énergies fossiles qui représentent la moitié de l'énergie consommée chaque année. Comment prendre pleinement conscience de l'effort collectif que nécessiterait la transition énergétique ?

  • Accepterons-nous d'octroyer notre production énergétique en priorité à des industries étrangères énergivores ? Ou prioriserons-nous l'électrification de nos maisons, nos transports et nos industries ?
  • Cette priorisation implique-t-elle une redéfinition de ce qui est entendu d'une vie épanouissante afin de protéger le territoire et la planète ? Ou souhaitons-nous plus simplement électrifier le statu quo ?
  • Sommes-nous prêt·es à réduire la demande en énergie et mettre en place les transformations socio-économiques nécessaires pour y arriver de façon juste ? Ou souhaitons-nous endommager irrémédiablement le territoire ainsi que les écosystèmes qui s'y trouvent et affecter les communautés locales par la construction de grands barrages, de parcs éoliens, de centrales nucléaires et de mines d'uranium ?
  • Si, au final, nous devons augmenter notre production énergétique, quelles options sont les plus acceptables ?
  • Allons-nous continuer à confier la production d'énergies renouvelables au secteur privé, ou est-il plutôt souhaitable d'en reprendre la gestion publique ?
  • Devrions-nous renforcer une gestion centralisée ou décentralisée de la responsabilité de la production et de la distribution vers les municipalités, les MRC ou les Régies intermunicipales ?

Pour quels arbitrages opterons-nous ? Ce ne sont que quelques exemples des grands choix de société qui se présentent à nous et qui auront des impacts à long terme.

Alors que les décisions d'une telle importance devraient émerger du dialogue social et du débat démocratique, elles semblent plutôt se prendre derrière des portes closes par une poignée de personnes. La situation est d'autant plus critique que le ministre de l'Économie et de l'Énergie se promène à travers le globe en faisant miroiter des térawattheures (TWh) d'énergie propre et à bas coût pour attirer des entreprises étrangères énergivores, quitte à construire toujours plus de barrages pour leur fournir plus d'électricité. Gouverner le Québec comme le Dollarama de l'énergie 2 pourrait avoir des conséquences désastreuses sur le territoire, sur notre capacité à fournir une énergie abordable à la population et à électrifier l'économie.

Ce bradage des ressources énergétiques est peut-être rentable à court terme pour un gouvernement et une industrie qui confondent transition écologique et occasions d'affaires. À long terme, des investissements privés et sans vision d'ensemble seront autant de verrous qui limiteront notre capacité à prendre en main collectivement et de façon démocratique notre avenir énergétique. Pour faire face à la crise climatique et environnementale qui nous menace, ce n'est pas d'un plan de développement industriel dont nous avons besoin, mais bien d'un véritable plan pour une transition énergétique porteuse de justice sociale.

Contexte historique et précédents

Nous dénonçons le manque de dialogue social, de vision et de planification dans le secteur énergétique depuis plusieurs années. Nous sommes collectivement confronté·es à des choix historiques qui vont déterminer l'avenir du Québec pour plusieurs générations. Les transformations à mettre en place auront des impacts importants sur nos modes de vie ainsi que sur nos façons de produire et de consommer. Les investissements faits aujourd'hui seront structurants pour l'économie et la société de demain. Malheureusement, le projet de loi censé baliser l'avenir énergétique du Québec risque de s'inscrire dans une logique extractiviste et de mettre en place les bases pour une importante crise sociale.

Rappelons que des situations similaires, où des projets de loi mal ficelés et inadéquats concernant des décisions importantes pour notre avenir énergétique ont été prises sans consulter adéquatement et ont été imposées à la population. Les lois adoptées, parfois sous bâillons, ont par la suite été contestées fortement, menant à des revirements plus conformes à la volonté populaire. Notons entre autres le projet de loi 106 adopté en 2016 et qui ouvrait la porte à l'exploitation du gaz au Québec. Il a été renversé en 2022 par la loi R-1.01 4 qui mettait fin à l'exploitation pétrolière et gazière sur l'ensemble du territoire. Notons également que plusieurs projets peu en phase avec la transition énergétique tels que l'exploitation des gaz de schiste, le 2 Suroit, le pipeline Énergie Est, le port méthanier de Cacouna et GNL Québec ont été abandonnés suite à de fortes mobilisations de la société civile dont nous nous réclamons.

Ainsi le manque de vision et de planification actuel cause un gaspillage d'énergies et de temps forts précieux. En plus, il risque de nous plonger dans une crise sociale qui pourrait braquer la population et ralentir les changements dont nous avons besoin. Pourquoi continuer sur cette voie ?

De nombreuses organisations ont déjà contribué à dessiner les grandes lignes d'un plan de transition ainsi qu'à élaborer des propositions concrètes telles la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité du Front commun pour la transition énergétique 4 ; les 101 idées pour la relance du Pacte pour la transition énergétique et le Plan de la Déclaration d'urgence climatique 5. Chacun de ces plans permet d'esquisser les mesures dont nous avons besoin pour aborder les défis qui se posent à nous. Pouvons-nous nous appuyer sur ces réflexions pour mieux anticiper la profondeur des transformations nécessaires et en assurer la cohérence ?

Notre vision

Nos efforts ne doivent plus être consacrés essentiellement à nous opposer à des projets destructeurs. Il nous faut plutôt travailler à la construction d'un avenir viable. Nous croyons fermement que l'énergie doit être gérée de manière responsable, c'est-à-dire de façon démocratique, orientée vers l'intérêt public et générée en respectant les limites biophysiques de la planète. Nous demandons que l'énergie soit considérée comme un bien public. Nous réclamons un débat large sur l'avenir énergétique du Québec menant à une nouvelle politique énergétique cohérente. Celle-ci doit être basée sur une planification intégrée des ressources et permettre une réduction des demandes en énergie ainsi qu'une sortie juste, graduelle et prévisible, mais rapide, des énergies fossiles. Nous nous opposons à toute augmentation des tarifs d'électricité qui accentuerait la précarité et risquerait de ralentir la transition énergétique. Nous exigeons une meilleure protection des territoires, qui se fera en consultant les peuples autochtones et avec le consentement des communautés locales, en assurant leur participation aux prises de décisions qui les concernent et en reconnaissant leurs droits. En nous engageant ainsi, nous visons à protéger notre patrimoine énergétique commun pour les générations futures.

Des valeurs fondamentales

Nous prenons fermement parti pour le bien commun, la démocratie, la transparence, l'imputabilité, la justice sociale, la tolérance, la prise en compte des limites biophysiques de la planète, la stabilité, la sécurité énergétique, la préservation de nos acquis sociaux, la responsabilité face aux générations futures et la qualité de vie pour toutes et tous.

Nous voulons nous consacrer à construire un Québec résilient, décarboné, viable et juste.

Ce que nous nous engageons à faire

Face aux menaces qui pèsent sur notre avenir énergétique, nous sommes prêt·es à intensifier notre mobilisation pour mettre une pression incontournable sur les titulaires de charges publiques. Nous sommes déterminé·es à faire entendre nos voix et à exiger des modifications à cette loi qui soient adaptées au contexte actuel. Ensemble, nous travaillerons sans relâche pour défendre un avenir viable, basé sur des choix énergétiques cohérents et démocratiques et nous n'accepterons aucune régression dans notre quête pour protéger le vivant, l'intégrité de nos territoires et pour garantir l'équité énergétique pour tous et toutes.

Le rôle fondamental de l'énergie pour répondre à nos besoins essentiels

L'énergie joue un rôle central dans la satisfaction des besoins essentiels et du fonctionnement des sociétés modernes. Que ce soit pour éclairer nos maisons, nous transporter, chauffer nos bâtiments, faire fonctionner nos industries, sécuriser nos approvisionnements, l'énergie est une composante fondamentale de notre vie quotidienne. L'accès à l'énergie assure non seulement notre confort, notre bien-être, notre sécurité et nos activités économiques, mais c'est aussi une condition à la pleine réalisation des droits humains tels que le droit au logement, à la santé, à l'alimentation et à la dignité.

Cependant, ce n'est généralement pas l'énergie elle-même qui est requise par la population. Ce sont plutôt les services fournis par l'énergie : chauffage, climatisation, éclairage, cuisine, transport, communication. Pour réaliser le droit à la santé et à la dignité, il faut avoir accès à un espace de vie dans lequel la température est raisonnable en été comme en hiver. Pour ce faire, une maison convenablement isolée contribue autant au confort hivernal qu'un volume supplémentaire de combustible. De la même manière, un ménage a le droit à la mobilité et non pas un droit à l'essence 6. Cette distinction est importante puisqu'elle permet d'envisager des solutions pour réduire la consommation d'énergie tout en répondant aux mêmes besoins et en assurant un niveau similaire de bien-être.

Il en découle que la population doit avoir le droit d'accéder à des services énergétiques pour assurer un niveau de vie décent. Garantir un accès aux services énergétiques tout en limitant le gaspillage d'énergie est un équilibre crucial pour répondre aux besoins de la société tout en minimisant les impacts environnementaux. Nous croyons fermement que l'énergie est un bien public essentiel et qu'il en découle qu'elle doit être gérée dans l'intérêt collectif, plutôt que pour le profit privé.

Pour une énergie publique sous contrôle démocratique

Nous demandons à ce que l'énergie soit reconnue comme un service public dont les actifs sont stratégiques. Nous demandons que les actifs, la production, le transport et la distribution d'électricité renouvelable au Québec soient entièrement publiques, sous contrôle démocratique et soient utilisés dans le but d'atteindre les objectifs climatiques du Québec.

Une énergie gérée publiquement permet d'assurer l'accès universel, ce qui signifie que tous les citoyens et toutes les citoyennes, quel que soit leur lieu de résidence ou leur niveau de revenu, ont un accès le plus abordable possible aux services énergétiques.

Une vision globale à long terme et une planification cohérente sont nécessaires

Compte tenu de l'importance des enjeux et des besoins de transformation profonde du système énergétique, il est impératif que le gouvernement du Québec adopte une vision globale et à long terme pour élaborer et mettre en oeuvre des politiques cohérentes et ambitieuses, garantissant la sécurité énergétique et la protection du territoire tout en répondant aux défis de la crise climatique et du déclin de la biodiversité.

Nous dénonçons la forme de la consultation mise en place par le gouvernement en amont du projet de loi visant l'encadrement et le développement des énergies propres au Québec. Cette consultation était précipitée, incomplète et bien en deçà des engagements du premier ministre Legault sur la tenue d'un débat de société sur l'énergie. Elle se déroulait l'été, en période de vacances, ce qui a empêché plusieurs personnes d'intervenir. Nous estimons que l'absence de réelle consultation risque de porter atteinte aux fondements mêmes du système énergétique québécois et de nous priver de la possibilité de faire les choix énergétiques en phase avec nos valeurs.

Le manque de vision du gouvernement du Québec concernant la transition énergétique a été souligné à plusieurs reprises 7,8,9. Cette absence de vision se traduisait dans les résultats du Plan d'action 2013-2020 sur les changements climatiques du précédent gouvernement, qui ont été qualifiés de consternants 10. Elle se manifeste encore clairement dans le Plan pour une économie verte (PEV). Ce dernier se concentre principalement sur les occasions d'affaires liées à l'électrification et aux emplois bien rémunérés, sans prendre suffisamment en compte la faisabilité et les véritables répercussions d'une telle transformation. Selon cette approche, la transition vers une économie plus « verte » serait principalement une affaire lucrative pour le secteur privé.

En 2019, Hydro-Québec mentionnait un surplus d'énergie de 40 TWh 11. À peine trois ans plus tard, les besoins supplémentaires pour atteindre la carboneutralité d'ici 2050 étaient estimés à 100 TWh de plus que les 212 TWh que nous produisions déjà 12. Ensuite, le ministre Pierre Fitzgibbon a suggéré que les exigences pourraient atteindre 150 TWh 13, puis a évoqué l'idée d'augmenter la production jusqu'à 200 TWh 14. Ces chiffres contradictoires montrent à quel point la consommation d'énergie est mal planifiée. Des positions tout aussi contradictoires ont également été énoncées concernant l'augmentation des tarifs d'électricité, le recours au nucléaire, les nouveaux aménagements hydroélectriques et des mesures favorisant une sobriété plus ou moins bien définie.

Au-delà de cette vision incertaine et changeante, il y a lieu de demander s'il est réaliste de prévoir mettre en place les infrastructures pour augmenter de façon aussi considérable la production d'énergie. Ces nouvelles infrastructures, qui devraient être installées rapidement, équivaudraient en termes de capacité à celles qui ont été construites au Québec depuis la fin du XIXe siècle. Il faudrait déterminer quelles sources d'énergie privilégier, sacrifier une portion importante du territoire à cette production énergétique et trouver une quantité suffisante de matériaux et de main-d'oeuvre pour accomplir une telle tâche, ce qui est loin d'être acquis 15,16. Cela sans compter les investissements majeurs requis. De plus, alors que des choix d'une telle importance devraient émerger du dialogue social et du débat démocratique, les décisions semblent plutôt prises par un nombre restreint de personnes, derrière les portes closes du bureau du ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie. Cette façon de procéder favorise les décisions à la pièce et les solutions à court terme qui ne nous permettront pas d'atteindre nos objectifs, tels que définis dans ce manifeste.

Pour un débat sur l'énergie au Québec

Nous appelons à un débat public large, éclairé et ouvert sur l'avenir énergétique du Québec afin de tracer une feuille de route cohérente qui nous permettra d'atteindre nos objectifs collectifs. Nous demandons que le gouvernement mobilise les structures nécessaires pour un dialogue social permettant une concertation démocratique sur l'avenir énergétique du Québec. Nous demandons que chaque partie souhaitant participer à ce processus de débat public puisse être entendue et que tous les efforts nécessaires pour la participation de groupes diversifiés et représentatifs soient faits, y compris les communautés autochtones qui, par la richesse de leurs savoirs ancestraux, pourraient grandement enrichir nos réflexions.

Pour une nouvelle politique énergétique au Québec

La transformation du système énergétique et les investissements doivent être guidés par une vision ambitieuse et cohérente pour l'avenir. Nous demandons que le gouvernement mette en place une nouvelle politique énergétique permettant d'implanter un système énergétique socialement juste, décarboné et respectueux des limites des écosystèmes. Nous demandons que les objectifs, les moyens et les scénarios de transition d'une politique énergétique soient élaborés au grand jour, à la suite d'un débat public large mobilisant des instances de plénière et de concertation avec des groupes diversifiés, le tout à partir d'une méthodologie transparente. La politique devrait tenir compte des points présentés dans la suite de ce manifeste.

Reconnaître la crise écologique - au-delà du remplacement des énergies sales par des énergies « propres »

Le gouvernement a fait récemment plusieurs annonces au nom de la transition énergétique, avec une approche qui laisse penser que l'électrification résoudra tous les problèmes. Cependant, l'angle environnemental semblent n'y être qu'un lointain arrière-plan. La recherche de consertement des populations locales et des communautés autochtones ne semble pas non plus une priorité.

La prise de conscience croissante des défis environnementaux, tels que la crise climatique, la perte de biodiversité et la dégradation des écosystèmes, transforme la manière dont nous pouvons envisager l'utilisation de l'énergie et le développement de nouvelles sources. La décarbonation du système énergétique québécois est essentielle pour répondre aux engagements internationaux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et préserver l'environnement pour les générations futures. Ce processus est confronté à plusieurs défis majeurs et la décarbonation nécessite un effort soutenu et coordonné.

Cependant, il est nécessaire de reconnaître que même les sources d'énergie renouvelable ne sont pas exemptes de contraintes écologiques et sociales. L'installation de parcs éoliens, de centrales solaires, de barrages hydroélectriques, l'extraction de graphite, de cuivre et de lithium ou encore la production de bioénergie ont des impacts environnementaux. Ces infrastructures et ces projets souvent imposants perturbent notamment les écosystèmes locaux, la qualité ou la disponibilité de l'eau et les habitats naturels dans un contexte où la biodiversité est en déclin sévère 16. Ils peuvent occuper de vastes superficies et entrer en conflit avec l'utilisation du territoire à des fins autres qu'énergétiques et ainsi affecter également les communautés locales. De plus, la disponibilité à long terme de plusieurs ressources stratégiques nécessaires à ces énergies est de plus en plus remise en question. L'hydroélectricité, bien que moins émettrice de GES, n'est pas non plus sans impact sur l'environnement. Le harnachement de rivières, la création de réservoirs et l'ouverture de nouveaux accès à des territoires auparavant inaccessibles ont des conséquences importantes sur les écosystèmes entiers, entraînant des perturbations dans les habitats naturels. L'effet cumulatif des barrages au fil de l'eau et des centrales hydroélectriques, tant sur le cycle de l'eau que sur la biodiversit, n'a d'ailleurs jamais fait l'objet d'études.

La transition vers les énergies renouvelables est cruciale pour réduire notre empreinte carbone, mais elle n'est pas suffisante à elle seule pour décarboner l'économie tout en respectant les limites planétaires. La transition doit également être guidée par une approche holistique qui tient compte des multiples impacts environnementaux à tous les stades du cycle de vie de l'énergie. Cela exigera de miser sur la réduction des demandes énergétiques.

Pour une planification intégrée des ressources

Nous demandons une planification énergétique intégrée selon une approche systémique plutôt que selon une approche en silo. Celle-ci devrait tenir compte des besoins actuels et futurs de la société québécoise. Elle devrait notamment prendre en considération les options liées à la réduction des demandes, l'ecacité énergétique, les sources d'énergie renouvelable et devrait également impliquer les ministères parties prenantes (par exemple, le ministère des Transports et celui des Affaires municipales et de l'Habitation). Au-delà des questions énergétiques, elle devrait considérer l'impact sur
le climat, la qualité de l'air, le territoire, les écosystèmes et les communautés humaines et viser à minimiser ces impacts. Elle devrait étendre sa compréhension à tout le cycle de vie des différentes filières énergétiques, de la récolte ou de l'extraction de matières premières à la production de l'énergie en passant par la production des infrastructures, le transport, jusqu'à l'utilisation, les émissions et les déchets. Elle garantira enfin garantir un accès aux services énergétiques pour assurer un niveau de vie décent dans le respect des limites planétaires et des territoires. L'évaluation environnementale régionale développée par le Centre québécois du droit de l'environnement est une piste qui pourrait être explorée pour évaluer l'effet cumulatif des projets envisagés 18,19, 20. Le cadre écologique de référence publié par le Ministère de l'environnement et de la lutte contre les changements climatiques devrait contribuer à informer les décisions. 21

Pour des mesures qui favorisent la réduction des demandes en énergie

En conformité aux possibilités et contraintes biophysiques de chaque bio-territoire, nous demandons l'utilisation de mesures pour réduire les demandes d'énergie, à la fois totale et par secteur, notamment en visant l'efficacité énergétique et l'incitation collective à des modes de vie durables. Les politiques à mettre en place pour réduire la consommation d'énergie devraient notamment favoriser la mobilité active, collective et partagée, un aménagement plus durable du territoire, des bâtiments plus écoénergétiques, un système alimentaire plus local, sain et écologique, et soutenir des comportements individuels et collectifs favorisant le partage, la sobriété de manière équitable. Cette réduction de la demande concerne aussi bien les citoyennes et les citoyens que le secteur institutionnel et les petites, moyennes et grandes entreprises.

Bien qu'elle présente des défis dans sa mise en œuvre, la réduction de la consommation d'énergie est essentielle pour préserver le territoire et lutter contre la crise climatique, ainsi que pour permettre un partage équitable des ressources entre le Nord et le Sud global.

Se débarrasser de notre dépendance aux énergies fossiles - une nécessité !

Nous nous apprêtons à dépasser dangereusement les limites planétaires liées aux émissions de GES. Selon l'Agence internationale de l'énergie, d'ici 2035, les émissions de GES doivent diminuer de 80 % dans les économies dites « avancées » et ces dernières doivent atteindre des émissions nettes nulles vers 2045 22. Pour sa part, le secrétaire général des Nations unies demande aux pays développés « de s'engager à atteindre l'objectif d'une consommation nette nulle le plus près possible de 2040 23 ». En tant que nation riche, le Québec doit faire sa juste part 24 dans la lutte climatique et faire preuve de beaucoup plus d'ambition alors que la cible gouvernementale de réduction de 20 % en 2020, par rapport à 1990, a été manquée, que le Québec n'est nullement en voie de réaliser la baisse officiellement visée de 37,5 % d'ici 2030 (par rapport à 1990 25) et que cette cible est largement insuffisante.

Nous savons que toutes les trajectoires modélisées à l'échelle mondiale qui limitent le réchauffement à des seuils nous évitant de basculer dans des scénarios de plus en plus catastrophiques impliquent des réductions rapides et majeures des émissions de GES dans tous les secteurs 26. Au Québec, près des trois quarts de nos émissions sont attribuables aux énergies fossiles 27. De ces émissions fossiles, les trois quarts proviennent de l'utilisation de pétrole dans le secteur des transports et un cinquième résulte de l'utilisation du gaz « naturel » dans les secteurs résidentiel, commercial, institutionnel et industriel. Le remplacement des combustibles fossiles par l'électricité pourrait nous faire profiter d'un avantage économique considérable : la diminution de nos importations massives de gaz et de pétrole, qui nous permettra d'importantes économies et réduira notre déficit commercial.

Le principe du pollueur payé - l'exemple de l'entente entre Énergir et Hydro-Québec
Le gaz naturel est une énergie fossile qu'il faut éliminer le plus rapidement possible : nous continuerons d'aggraver la crise climatique tant qu'il sera utilisé dans nos maisons et immeubles. Pourtant, en juillet 2021, Hydro-Québec et Énergir annonçaient un partenariat qu'elles qualifiaient d'« inédit » pour « réduire les émissions de GES 28 ». L'entente vise à présenter la biénergie, c'est-à-dire le passage de systèmes de chauffage au gaz vers la biénergie hydroélectricité/gaz,comme un pas vers la décarbonation du parc immobilier. En réalité,miser sur la biénergie plutôt que sur l'électrification permet deprolonger la dépendance au gaz.

Cette entente contrevient au principe fondamental du pollueur-payeur, voire introduit le concept troublant de pollueur-payé. Elle prévoit qu'Hydro-Québec dédommagera financièrement la firme gazière privée pendant au moins 25 ans pour compenser les pertes causées par ce transfert énergétique. Aurait-on idée de compenser les pétrolières pour chaque recharge de voiture électrique ? On parle ici de quelque 2,4 milliards de dollars versés par les client·es d'Hydro-Québec 29 ! Bien que l'entente tienne toujours, plusieurs groupes ont plaidé à la Régie de l'énergie contre l'idée qu'Hydro-Québec puisse refiler la facture à ses clients au travers d'augmentations des tarifs d'hydroélectricité et ont eu gain de cause 30.

Pour atténuer nos craintes, on veut nous faire croire qu'un mélange de gaz naturel ordinaire et de gaz de source renouvelable (GSR) peut être efficace pour réduire les GES. Il s'agit en fait d'une fausse solution. Le GSR représente à peine 1 % de ce que transporte Énergir dans ses conduites jusqu'à nos maisons. La réglementation prévoit que le GSR comptera pour 2 % du gaz distribué à compter de 2023, pour 5 % à compter de 2025 et pour 10 % à compter de 2030 31. C'est donc dire qu'en 2030, Énergir distribuera encore 90 % de gaz « naturel » fossile issu de la fracturation hydraulique ! Plusieurs groupes dénoncent l'entente entre Énergir et Hydro-Québec et demandent son abandon.

Cette entente met en danger la notion de responsabilité environnementale et économique. Il est impératif de garantir que les entreprises qui ont un impact sur l'environnement assument pleinement leurs responsabilités.

Pour des plans contraignants visant une sortie graduelle et prévisible, mais rapide des énergies fossiles

Nous appelons à la mise en place de politiques énergétiques qui prévoient l'élimination progressive, mais rapide des énergies fossiles de manière prévisible et ordonnée.

Contre le principe du pollueur payé

Nous demandons que le gouvernement rejette toute mesure qui ferait payer la transition énergétique ou les pertes de revenus des producteurs et des distributeurs d'énergies fossiles par les entreprises productrices d'énergies renouvelables ou par leurs consommateurs et consommatrices. Nous dénonçons tout « dédommagement » versé à des entreprises d'énergie fossile autre que pour soutenir la transition juste des emplois.

Nos infrastructures stratégiques - Hydro-Québec : un patrimoine collectif

L'énergie est bien plus qu'une simple commodité ; elle est également produite par des infrastructures stratégiques. Les installations de production, les réseaux de transport et les systèmes de distribution d'énergie forment l'épine dorsale de l'économie et des sociétés modernes. Ces infrastructures sont
essentielles pour maintenir la stabilité économique, la sécurité nationale et la qualité de vie. Par conséquent, la gestion et la sécurisation de ces ressources énergétiques revêtent une importance capitale, tant pour répondre aux besoins présents que pour préparer un avenir viable.

Le Québec a depuis longtemps compris l'importance stratégique de l'énergie. Avant qu'Hydro-Québec ne soit fondée en 1944, la population était insatisfaite des services plus ou moins fiables, du refus d'électrifier certaines régions rurales 25 des entreprises privées faute de « rentabilité ». Les tarifs souvent élevés, malgré les profits importants 26, et inégaux selon l'adresse et la région étaient également une source de mécontentement. En 1963, une deuxième vague de nationalisation d'un système largement privé jugé coûteux et inecace a consolidé la société d'État responsable de la production, du transport et de la distribution de l'électricité au Québec permettant ainsi d'électrifier l'ensemble du territoire québécois. Depuis, de grands projets hydroélectriques ont été développés dans le Nord québécois ainsi que d'imposants réseaux de transport à haute tension, technologie développée au Québec. Hydro-Québec est ainsi devenue l'un des plus importants producteurs d'hydroélectricité au monde.

Hydro-Québec est bien plus qu'une simple entreprise d'énergie. C'est une pièce importante du patrimoine profondément ancrée dans l'identité collective du Québec. C'est un bassin d'expertise comme nulle autre ailleurs et plus que jamais une clé pour notre avenir. Il est cependant important de reconnaître que le développement de ces immenses réservoirs et les infrastructures de transport de l'électricité ont souvent eu des répercussions disproportionnées sur les terres, les ressources et les modes de vie des communautés autochtones, notamment des nations Kanien'kehá:ka, Anishinabeg, Atikamekw, Innus, Mi'kmaq, Wendat, Abénaquis, Eeyou et Inuit. affectant profondément et de façon irrémédiable leur mode de vie et leur culture et entraînant des pertes douloureuses de territoires ancestraux et de lieux de sépulture.

Aujourd'hui, l'hydroélectricité produite au Québec émet peu de GES comparativement aux énergies fossiles. Elle est convoitée par des entreprises de partout dans le monde qui souhaitent s'accoler l'étiquette « verte », comme en témoignent les nombreux projets énergivores qui ont été soumis au gouvernement récemment 34. François Legault a d'ailleurs affirmé qu'Hydro-Québec se préparait à annoncer « beaucoup de barrages » pour répondre à cette demande 35. Le plan d'action d'Hydro-Québec, déposé en novembre 2023, prévoit d'ici 2035 « l'ajout de 60 TWh, soit entre 8 000 et 9 000 MW de puissance additionnelle. C'est équivalent à trois de nos plus grands ouvrages hydroélectriques : l'aménagement Robert-Bourassa (LG-2), Manic-5 et le complexe de la Romaine 36 »

Un retour en arrière avec des bras grand ouverts au privé

Hydro-Québec a été fondée alors que les défauts du système énergétique privé préexistant étaient évidents et que la population exprimait une grande insatisfaction devant les problèmes causés par des services défaillants. Aujourd'hui, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne envisagent la possibilité d'étendre considérablement la portion publique de leur secteur de l'énergie, notamment pour garantir la sécurité de ce maillon névralgique de leur économie 37. La sécurité d'approvisionnement, soit une livraison stable et fiable d'énergie, est récemment devenue un enjeu important sur lequel les États souhaitent avoir plus de contrôle. Irons-nous dans le sens contraire ? Souhaitons-nous réellement un retour en arrière ?

Le spectre de la privatisation et de la dérèglementation plane sur le secteur énergétique québécois. Le projet de loi qui sera déposé à l'automne pourrait favoriser la participation du secteur privé au développement des infrastructures énergétiques 38 et faire ainsi augmenter encore la part grandissante d'énergie déjà produite par le privé 39. Le trio de décideurs formé par François Legault, Pierre Fitzgibbon et Michael Sabia a laissé entendre que le privé pourrait avoir un rôle important à jouer, notamment dans la construction de petits barrages et d'éoliennes, tout en assurant que « les grands ouvrages vont rester l'apanage de la société d'État » 40,41,42. La possibilité de permettre à un plus grand nombre d'entreprises de produire leur propre énergie a aussi été évoquée 43.

Les mémoires soumis par les organisations liées au monde des affaires mettent en lumière de façon claire des positions en ligne avec cette tendance et les demandes exprimées illustrent les intentions du secteur privé concernant la question de l'énergie :

• Augmenter la production d'énergie en vue de stimuler la croissance économique ;
• Maintenir l'utilisation des combustibles fossiles aussi longtemps que possible 36 et même l'augmenter 37 ;
• Encourager la privatisation de la production d'énergies renouvelables 38,39,40 ;
• Réduire les réglementations qui entravent les initiatives du secteur privé 41,42 ;
• Abolir les mécanismes qui garantissent l'accès à une énergie abordable dans le secteur résidentiel 43,44,45,46,47 ;

La privatisation risquerait ainsi de compromettre l'accès à une énergie propre, fiable et abordable pour la population québécoise, tout en réduisant la capacité du gouvernement à orienter la politique énergétique dans l'intérêt public à long terme. C'est pourquoi nous nous joignons à de nombreux défenseurs de l'énergie publique au Québec qui s'opposent vigoureusement à la privatisation et plaident en faveur du maintien d'un système énergétique sous contrôle public 56 57, 58, 59.

Hydro-Québec doit rester dans le giron public afin d'écahapper à la course au profits et de lui permettre d'accorder la priorité à la décarbonation des activités existantes de la société québécoise plutôt qu'aux nouveaux projets industriels énergivores.

Contre la privatisation totale ou partielle d'Hydro-Québec

Nous nous opposons fermement à toute tentative de privatisation d'Hydro-Québec ou de ses actifs. Hydro-Québec est un actif patrimonial et stratégique et doit rester sous contrôle public. Nous rejetons toute forme d'érosion de cette institution, cruciale pour notre bien-être collectif, au profit du privé. Nous demandons à ce que l'obligation d'Hydro-Québec de distribuer l'électricité à toute personne qui le demande soit maintenue pour le secteur résidentiel. Nous demandons que la production serve en priorité à l'électrification des transports ainsi que des industries et des bâtiments existants. Nous demandons également des modifications réglementaires pour permettre à Hydro-Québec d'acheter les surplus d'électricité des autoproducteurs et le maintien des règles qui empêchent les grands consommateurs d'acheter leur électricité directement d'un producteur d'électricité renouvelable sans transport ou avec transport privé.

Favoriser la démocratie dans la gestion de l'énergie : la Régie de l'énergie, un outil indispensable

L'une des principales préoccupations dans la préservation de l'énergie publique au Québec est d'assurer une imputabilité des décisions. La Régie de l'énergie du Québec joue un rôle central dans les processus démocratiques de gestion de l'énergie. En tant qu'organisme gouvernemental indépendant, elle régule les secteurs de l'électricité, du gaz naturel et du pétrole, approuvant les plans d'approvisionnement et établissant des tarifs et des normes, tout en favorisant la transparence et la participation publique. Selon la loi, elle a pour mandat d'assurer « la conciliation entre l'intérêt public, la protection des consommateurs et un traitement équitable du transporteur d'électricité et des distributeurs ». Elle favorise également « la satisfaction des besoins énergétiques dans le respect des objectifs des politiques énergétiques du gouvernement et dans une perspective de développement durable et d'équité au plan individuel comme au plan collectif 52 ». Elle prend des décisions basées sur des données factuelles, contribuant ainsi à éviter les décisions politiques arbitraires.

Le rôle de la Régie de l'énergie est donc essentiel pour équilibrer les intérêts des citoyen·nes, des entreprises et la protection de l'environnement et ainsi renforcer la démocratie dans ce domaine vital pour la société québécoise. C'est un rempart contre les abus et une contre-expertise au gouvernement et à Hydro-Québec.

Il est essentiel de sauvegarder et de renforcer le rôle de la Régie de l'énergie, garantissant ainsi un échange public entre experts et permettant l'intervention du public. La Régie doit avoir les ressources et l'autorité nécessaires pour protéger les intérêts des citoyen·nes et veiller à ce que les décisions en matière d'énergie soient prises de manière équitable et transparente. Le processus de sélection des régisseurs et administrateurs devrait être transparent et relever d'instances démocratiques.

Une volonté d'affaiblir la Régie de l'énergie ?

Déjà, des dispositions ont affaibli la Régie dans les dernières années. En 2000, le projet de loi 116 retirait à la Régie son droit de regard sur la production énergétique, soustrayant du même coup la production, dont la construction de nouveaux barrages, de tout examen public 53. En 2019, le projet de loi 34 était adopté sous bâillon, au mépris de la forte opposition. Il affranchissait Hydro-Québec de plusieurs contrôles de la Régie de l'énergie sur sa tarification, levant notamment l'obligation de se soumettre à un exercice d'examen chaque année au profit d'un examen aux cinq ans et arrimant les augmentations des tarifs à l'inflation plutôt qu'aux taux les plus bas compatibles avec une saine administration financière, comme c'était le cas lors de la création d'Hydro-Québec. En février 2023, depuis l'adoption du projet de loi 2, c'est le gouvernement du Québec, avec Hydro-Québec, plutôt que la Régie, qui autorisent les projets industriels qui demandent plus de 5 MW de puissance 54. Notons également qu'à ce jour, bien que la Régie soit tenue au « respect des objectifs des politiques énergétiques du gouvernement et dans une perspective de développement durable et d'équité », elle ne dispose pas des pouvoirs pour assurer l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) lors de ces arbitrages.

Plusieurs intervenants du milieu des affaires réclament d'affaiblir davantage la Régie de l'énergie. La Fédération des Chambres de commerce s'attend par exemple « à ce que l'allègement du fardeau réglementaire et administratif soit au cœur de la nouvelle approche en matière énergétique et ce, autant pour les autorisations de projets d'envergure que pour le fonctionnement de la Régie 55 ».

Ouvrir une nouvelle brèche dans les compétences de la Régie équivaudrait à renoncer à notre capacité à exercer nos droits de représentation, de contestation et de révision des décisions politiques qui, autrement, resteraient inaccessibles à tout recours. Nous ne devrions pas permettre un glissement vers des choix énergétiques faits par un nombre restreint d'individus, ce qui compromettrait la prise de décisions éclairées basées sur des données scientifiques et techniques ainsi que la possibilité d'une participation publique au débat.

Pour la sauvegarde et le renforcement des pouvoirs de la Régie de l'énergie

Nous demandons que tous les moyens et les structures nécessaires soient mis en place pour garantir et protéger le rôle la Régie de l'énergie du Québec en tant que tribunal administratif indépendant et impartial en matière énergétique. Nous demandons d'étendre ses pouvoirs à l'évaluation des activités de production énergétique en toute transparence.

En plus de ses rôles actuels de réglementation et d'approbation des projets d'approvisionnement énergétique, nous demandons que la Régie de l'énergie, conformément à une politique énergétique basée sur une planification intégrée des ressources, soit tenue d'intégrer les objectifs de lutte au réchauffement climatique et de protection de l'environnement à ses critères prioritaires de décision et approuve les projets de production d'énergie pour qu'ils soient alignés sur la transition vers un système énergétique juste, décarboné et respectueux des écosystèmes. Cette obligation ne doit d'aucune manière exempter les projets des évaluations environnementales stratégiques et des procédures d'enquête et d'audiences publiques auxquelles ils sont soumis en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement.

Les processus de la Régie doivent être plus inclusifs, indépendants et transparents.

L'importance d'une transition juste et inclusive

Les impacts de la crise climatique et de la transition énergétique ne sont pas distribués également. La notion de transition énergétique et écologique juste — ou transition juste — a été développée par le mouvement syndical mondial pour protéger les travailleuses et les travailleurs touché·es par la transition vers une économie sobre en carbone. Elle est née de la nécessité de protéger les moyens de subsistance de ces personnes et de s'assurer que les gouvernements accordent une attention aux conséquences des transformations profondes liées à la transition. Elle a permis de renforcer les capacités d'agir ainsi que le partage d'expériences et de compétences tout en établissant les bases d'un dialogue social inclusif.

La transition énergétique provoque des changements majeurs et constitue une occasion de transformations importantes dans le monde du travail. Ce phénomène concerne les travailleuses et les travailleurs dont les emplois dépendent d'industries à hautes émissions de GES, qui pourraient se retrouver en situation de précarité et devoir réorienter leur carrière.

En 2015, l'Organisation internationale du Travail (OIT) a adopté les Principes directeurs de la transition juste, qui soulignent que cette transition repose sur le dialogue social, la protection sociale, le droit au travail décent et le droit à l'emploi. Il est maintenant nécessaire d'adapter ce concept à la situation actuelle du Québec, que ce soit dans ses différentes régions ou secteurs d'activité.

Pour les travailleuses et travailleurs ainsi que les communautés qui dépendent des énergies fossiles, une transition juste signifie leur donner accès à de bons emplois de remplacement avec toute la formation nécessaire. Cela signifie également une pleine participation démocratique des personnes concernées à la planification de la transition. Les travailleurs et travailleuses touché·es par la transition font un travail crucial en plus de posséder une expertise essentielle dans un contexte de transformation du système énergétique et de sortie graduelle des énergies fossiles.

La crise climatique et la transition auront des répercussions sur l'ensemble de l'économie et pas seulement sur le secteur de l'énergie 64. Les travailleurs et travailleuses des services publics, des secteurs agricole, forestier et de la construction, les femmes, les populations à faible revenu, les jeunes, les personnes âgées et les peuples autochtones sont également parmi les plus affectés par la transition.

Les mesures visant à juguler la crise climatique pourraient elles aussi pénaliser injustement certaines personnes et accroître les inégalités. À moins de prévoir des mécanismes de compensation, certaines mesures fiscales, réglementaires ou tarifaires, entre autres, pourraient avoir un impact démesuré sur les groupes les moins nantis. Pourtant, ils contribuent généralement le moins au réchauffement climatique. Il importe donc que chaque mesure de transition écologique soit assortie d'une analyser d'impact social, par exemple l'analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) ou l'analyse différenciée selon les sexes plus (ADS+), afin d'évaluer ses effets sur les populations les plus vulnérables et d'adopter des politiques publiques plus inclusives. Des mesures visant à contrer les impacts négatifs sur ces populations devraient également être mises en place. La progressivité des mesures est donc un élément essentiel d'une transition porteuse de justice sociale. La transition peut être l'occasion de construire une société plus résiliente dans laquelle la richesse sera mieux distribuée.

En intégrant ces aspects sociaux et économiques dans la planification de la transition énergétique, nous pouvons non seulement faciliter l'acceptabilité de la lutte contre la crise climatique, mais également promouvoir une société plus équitable et viable.

Pour une transition juste pour les travailleurs et travailleuses

Nous exigeons une transition juste vers une économie décarbonée respectant les limites planétaires qui garantit le dialogue social, des emplois décents pour tous et toutes, qui protège les droits des travailleurs et travailleurs, qui favorise l'inclusivité, qui soutient la formation et la reconversion professionnelles et qui adopte des politiques industrielles et publiques pour une véritable protection sociale permettant de faire face aux défis environnementaux. La transition juste est essentielle pour créer un avenir où le travail décent, la justice sociale et l'éradication de la pauvreté vont de pair.

Pacte social, bloc patrimonial et interfinancement : notre héritage énergétique

En 1962, un « pacte social » entre l'État québécois, Hydro-Québec et la population a été établi. La population assumait collectivement le risque financier de la nationalisation d'Hydro-Québec en garantissant les emprunts et en les payant avec ses impôts. En retour, l'accès à l'électricité lui était facilité par une tarification relativement basse et uniforme sur l'ensemble du territoire 57, notamment grâce à l'uniformisation régionale et à une mesure appelée l'interfinancement 58. L'interfinancement consiste à faire payer une catégorie de clients (les clients des secteurs commercial, institutionnel et industriel) des tarifs plus élevés que les coûts afin de financer des tarifs plus bas que les coûts pour une autre classe de consommateur (les clients résidentiels).Grâce à l'interfinancement, la population québécoise paie 86 % des coûts de service des coûts de l'hydroélecetricité. 61.

Malgré l'interfinancement, les entreprises et les industries paient l'électricité à des tarifs extrêmement compétitifs comparativement à d'autres villes nord-américaines 60. De plus, les entreprises et les industries, qui financent cette réduction, ont accès à des avantages fiscaux tels que le remboursement des taxes et la déduction de leur compte d'électricité de leurs impôts, ce que la clientèle résidentielle ne peut obtenir.

En 1981, le concept du versement d'un dividende d'Hydro-Québec à son actionnaire unique a été mis en place. En 2022, Hydro-Québec remettait ainsi près du trois quarts de ses bénéfices au Gouvernement du Québec, soit un dividende de 3,4 milliards de dollars. Avec les taxes, frais et redevances, la contribution de la société d'État aux coffres publics était portée à 6 milliards de dollars 61. Ces ponctions compromettent cependant la mission initiale d'Hydro-Québec de fournir une énergie à faible coût à la population québécoise.

En 2000, un changement législatif, qui dérèglementait la production de l'électricité et introduisait des mécanismes de concurrence, a mené en contrepartie à la création du « bloc patrimonial ». Le bloc patrimonial désigne une quantité d'électricité destinée prioritairement à la desserte des besoins québécois et dont le prix, fixé dans la Loi, devait préserver l'esprit du pacte social de 1962 62. « Il s'agit en quelque sorte d'un dividende consenti à la population québécoise pour refléter l'investissement collectif dans le développement du potentiel hydroélectrique par le passé. Ce bloc d'énergie protégé de la fluctuation des prix du marché se chiffre à 165 TWh, ce qui représentait en 2018 environ 90 % de l'énergie électrique consommée annuellement au Québec 63 ». Au-delà de ce bloc, l'énergie supplémentaire est fournie au prix du marché.

Nos investissements gigantesques dans Hydro-Québec nous valent ainsi, encore aujourd'hui, un accès universel relativement abordable en électricité.

Précarité énergétique : un problème affectant déjà les ménages québécois

La précarité énergétique désigne la situation où un ménage a de la diculté à se procurer l'énergie nécessaire pour la satisfaction de ses besoins de base dans son logement ou y arrive au détriment d'autres besoins essentiels 64, ce qui peut compromettre leur qualité de vie, leur santé et leur bien-être. Malgré les tarifs d'énergie relativement bas, selon la mesure retenue, entre 9 et 16 % des ménages sont en précarité énergétique au Québec.

En 2018, Hydro-Québec a procédé à près de 50 000 interruptions de service chez ses clients en recouvrement, et dans 11 % des cas pendant plus d'une semaine 65. Une coupure de service de plusieurs jours, lorsqu'il fait froid, met en danger ces personnes. À Montréal, où il fait plus chaud que dans bien des régions du Québec, la température est inférieure à 0 °C, en moyenne 19 jours en novembre et 13 jours en avril 66. Cette réalité prive de nombreux ménages à faible revenu au Québec de leur droit fondamental à des services énergétiques nécessaires à leur bien-être et à leur participation à la société. La prise en compte de la précarité énergétique dans la planification énergétique est essentielle pour assurer une transition énergétique véritablement équitable et inclusive.

Dans un contexte où le prix de l'énergie augmente plus rapidement que la capacité de payer des ménages, la planification énergétique devrait intégrer cette dimension et cibler des solutions spécifiques pour aider les ménages vulnérabilisés à accéder à une énergie abordable, à améliorer l'ecacité énergétique de leurs logements et à réduire leur dépendance aux énergies polluantes. Cela contribue non seulement à réduire les inégalités énergétiques, mais également à créer une société plus résiliente et socialement équitable, où chacun peut bénéficier des avantages de la transition énergétique.

Un manque de vision qui pourrait causer une hausse douloureuse des tarifs

Plusieurs menaces planent et pourraient engendrer une pression à la hausse sur les tarifs :

La révision de la tarification : Au début mai, lors de l'étude de crédits, le ministre Pierre Fitzgibbon ramenait son concept de sobriété énergétique en l'associant à une révision possible de la tarification résidentielle Hydro-Québec afin « d'ajuster les comportements » des Québécois 67. Pour certains des experts consultés par le gouvernement, le processus actuel d'établissement des tarifs ne donne pas un signal de prix incitatif, ce qui est considéré comme problématique dans un contexte où l'ecacité énergétique doit être mise au premier plan 68. Le projet de loi risque de remettre en question la tarification qui procure actuellement une énergie relativement abordable, d'autant plus que le PDG 12 d'Hydro-Québec arme que l'électricité est devenue un « actif précieux », ce qui justifierait des augmentations de tarifs 69 ;
L'attribution abusive de blocs d'énergie à des projets énergivores : Il est inacceptable de dilapider des TWh imaginaires en les octroyant à des industries énergivores pour qui l'utilisation d'hydroélectricité considérée comme « verte » est une plus-value, de créer ainsi en toute connaissance
de cause une rareté énergétique et d'utiliser le spectre de la hausse de tarifs pour « ajuster les comportements des Québécois·es » et forcer la sobriété. De même, la vente d'électricité à nos voisins du Sud précarise la position d'Hydro-Québec dans son devoir de distribuer cette énergie aux citoyens qui ont payé pour la produire. C'est le symbole flagrant du manque de capacité de voir loin du gouvernement de la CAQ ;
L'interfinancement remis en question : La fin de l'interfinancement a été réclamée par plusieurs intervenants proches du monde des affaires 70,71,72,73. Au Québec, les entreprises se plaignent, mais oublient qu'elles bénéficient de tarifs très avantageux, si on les compare à ce qui leur en coûterait ailleurs en Amérique du Nord ;
L'abolition du bloc patrimonial : Le bloc patrimonial est régulièrement remis en question par divers protagonistes 74,75 et l'Institut économique de Montréal revenait à la charge avec cette proposition lors des consultations 76 ;
• L'entente Énergir-Hydro : Cette entente prévoit des compensations à Énergir, un distributeur de gaz naturel, par Hydro-Québec, un fournisseur d'hydroélectricité. C'est grâce au processus de la Régie de l'énergie que des organismes ont pu demander à ce que les coûts de l'entente ne soient pas refilés aux client·es d'Hydro-Québec et ont eu gain de cause 77 ;
La marge de profit et les garanties exigées par le privé : Afin de satisfaire la demande énergétique du Québec qui va au-delà de la production d'électricité historique (le bloc patrimonial), Hydro-Québec doit conclure des accords d'approvisionnement avec des fournisseurs d'électricité à la suite d'appels d'offres. Tous les producteurs peuvent soumissionner, y compris Hydro-Québec et les producteurs privés. Bien que Fitzgibbon arme que le privé soit plus ecient, l'effet de la privatisation sur les tarifs d'électricité peut être significatif. Les bénéfices de la vente d'énergie d'un distributeur public reviennent à la communauté, tandis que l'entreprise privée a un impératif de rentabilité et que les dividendes sont distribués aux propriétaires ou aux actionnaires. Ces actionnaires peuvent délocaliser leurs revenus et ainsi appauvrir le Québec ;
Une transformation du système énergétique chaotique et mal planifiée : Le manque de vision et de planification adéquate pour l'avenir énergétique peut engendrer des coûts et une pression à la hausse sur les tarifs, notamment en s'engageant sur des pistes qui seront éventuellement abandonnées. Les projets énergétiques provoquant de l'opposition forte, des retards et même leur annulation ne sont pas sans conséquences financières, sans compter qu'ils nous font perdre un temps précieux.

Une hausse des tarifs pourrait donc être imposée à cause de choix discutables de la part de notre gouvernement. Elle affecterait de façon disproportionnée les ménages à faible revenu et augmenterait la précarité énergétique. Nous devons nous assurer que les tarifs restent équitables et stables, évitant ainsi les disparités régionales, notamment en assurant une planification adéquate. Il faut aussi confier la discussion sur la fixation des tarifs à la Régie de l'énergie, en considérant la nécessité de restaurer son rôle initial. Elle pourra ainsi déterminer chaque année si les hausses demandées par les distributeurs d'énergie sont justifiées.

Contre une augmentation des tarifs d'électricité qui accentue la précarité et risque de ralentir la transition énergétique

Dans un contexte de bouleversements climatiques, une transition énergétique porteuse de justice sociale implique de garantir la sécurité et l'équité en matière d'accès à l'énergie propre et abordable pour toutes et tous, en particulier pour les populations vulnérabilisées. Nous demandons que le gouvernement rejette tout plan de transition énergétique qui pénaliserait les ménages à revenus faibles ou modestes. À cet effet, la préservation du bloc patrimonial et de l'interfinancement est cruciale.

Nous demandons à ce que les énergies renouvelables et à faible impact environnemental soient encouragées par des tarifs compétitifs, tandis que les sources d'énergies polluantes ou non durables devraient supporter des coûts plus élevés pour refléter leurs externalités négatives.

Des impacts démesurés sur le territoire

La transition énergétique, si elle n'est pas adéquatement planifiée, pose un risque important pour le territoire. Le développement de la production de 200 TWh supplémentaires d'ici 2050, comme le suggère le gouvernement Legault, pose de nombreux défis environnementaux et sociaux d'une telle ampleur qu'ils seront parfois fort diciles, voire impossibles à surmonter.

Pour générer 200 TWh supplémentaires d'électricité au moyen d'installations hydroélectriques seulement, il faudrait plus que doubler notre production actuelle d'hydroélectricité (182 TWh), ce qui causerait de nombreux problèmes. En termes de superficie, selon le ratio actuel, il faudrait des réservoirs qui couvriraient près de 24 000 km2, souvent en territoires autochtones, soit cinquante fois la superficie de l'île de Montréal. Le potentiel réel pour harnacher des rivières est aujourd'hui limité et les cours d'eau sur lesquels il serait possible de bâtir de nouveaux barrages sont de plus en plus éloignés. Les coûts de production augmenteraient alors substantiellement. Il faudrait aménager plusieurs milliers de kilomètres de lignes à haute tension et de voies terrestres dans le pergélisol de plus en plus instable et dans des milieux naturels fragiles. Les futurs développements toucheraient le territoire du caribou dont les populations sont actuellement en déclin marqué 88.

Si cette quantité d'énergie (200 TWh) était produite à partir d'éoliennes seulement, il faudrait dix-neuf fois la capacité éolienne actuelle (10,4 TWh). Produire cette énergie (ou 80 000 MW) exigerait de déployer les fermes de vent sur environ 30 000 km2 : l'équivalent de soixante fois la superficie de l'île de Montréal 89.

On compte présentement quarante parcs éoliens au Québec 90 et de nombreux appels d'offres sont à prévoir. Or, l'installation d'éoliennes provoque déjà une résistance dans certaines communautés locales. Avec une multiplication des projets, celle-ci pourrait augmenter. Les impacts de la présence d'éoliennes sur le territoire sont assurément moindres que ceux associés à des énergies fossiles, comme les sables bitumineux de l'Ouest canadien. Cependant, bien que l'énergie éolienne soit une source renouvelable, les parcs d'éoliennes sont des infrastructures qui nécessitent l'utilisation de matériaux non renouvelables (acier, béton, etc.). Les pales ont également une durée de vie limitée, en moyenne de vingt ans, et sont pour le moment difficiles à recycler 91. La construction et l'entretien des parcs éoliens crée une pression à la hausse pour lancer de nouveaux projets extractifs. De plus, il est à noter qu'en 2017, plus de la moitié des parcs éoliens étaient de propriété non québécoise 92.

Le développement prévu par le Plan pour une économie verte, axé sur l'électrification des voitures individuelles, exigera d'importantes quantités de matière et d'énergie. Il est responsable d'une bonne partie de l'augmentation de la consommation d'énergie prévue dans les prochaines années et d'une pression accrue pour l'exploitation de mines de lithium et de graphite nécessaires à la fabrication de batteries. Le nombre de claims miniers est en hausse importante 93. Ces droits exclusifs d'exploration du sous-sol québécois ont préséance sur tout autre usage du territoire et engendrent actuellement des problèmes importants de non acceptabilité sociale concernant l'accès et l'administration du territoire94,95.

Il ne s'agit ici de discréditer les énergies renouvelables, mais bien de reconnaî

L’UMQ doit abandonner ses partenariats avec Énergir et défendre l’autonomie des villes en matière de décarbonation

19 décembre 2023, par Regroupement des organismes environnementaux en énergie — , ,
Greenpeace, le Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ), Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) et Travailleuses et travailleurs pour la (…)

Greenpeace, le Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ), Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) et Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) sont fortement préoccupés par les récentes révélations de liens de proximité entre l'Union des municipalités du Québec (UMQ) et Énergir, le principal lobby gazier du Québec, qui nuisent aux efforts de décarbonation entrepris par les municipalités. Les groupes estiment que l'UMQ devrait mettre fin à ses partenariats avec Énergir et soutenir activement ses membres qui souhaitent une sortie du gaz naturel des bâtiments.

Cette demande des groupes survient après que le président de l'UMQ ait récemment déclaré que l'UMQ prépare un règlement-type que devraient suivre ses membres afin de respecter les orientations du gouvernement du Québec en matière d'utilisation du gaz naturel dans les bâtiments. Cette façon d'obtempérer aux orientations du gouvernement Legault plutôt que de représenter les intérêts des villes, lesquelles agissent au Québec en tant que réels gouvernements de proximité, est inquiétante et inacceptable, d'autant que plusieurs de ses membres prônent des solutions climatiques plus ambitieuses.

Apparence de conflit d'intérêt

La déclaration du président de l'UMQ a été faite dans la foulée des allégations d'apparence de conflit d'intérêt entre l'UMQ et son partenaire Énergir. Celui-ci a récemment engagé une poursuite contre la ville de Prévost, laquelle a décidé cet automne d'adopter un règlement novateur pour décarboner les bâtiments sur son territoire.

Au micro de Radio-Canada, Rémy Trudel, ancien ministre des Affaires municipales et professeur associé à l'École nationale d'administration publique (ÉNAP) en gouvernance des organisations, s'inquiétait grandement de ce règlement-type de l'UMQ présentement en préparation parce qu'il pourrait mettre en cause l'autonomie des municipalités : « Le doute qui se soulève, c'est [sur] quel type de relation entretient-on corporativement avec l'État, avec le gouvernement, pour voir se profiler de telles clauses dans le règlement qui seraient conseillées aux municipalités. Il y a une ligne là, une ligne très dangereuse qui est franchie. »

Selon Jean-Pierre Finet du ROEÉ, « il doit être jugé inacceptable que le président de l'UMQ suive les orientations de Québec sans les remettre en question. Son rôle est de représenter l'intérêt de ses membres auprès du gouvernement. Pas l'inverse. »

« Il y a moins de 2% de gaz naturel renouvelable dans le réseau d'Énergir. Les maires de Prévost, Montréal, Candiac, Mont Saint-Hilaire et plusieurs autres qui désirent aussi bannir le gaz des nouveaux bâtiments ne sont pas dupes. Ils ne veulent pas faire semblant que leurs nouveaux bâtiments consomment du gaz naturel renouvelable, sachant très bien qu'en réalité, ils consommeront du gaz presqu'entièrement fossile, comme tous les clients d'Énergir d'ailleurs » de souligner Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace Canada.

Les groupes demandent donc que l'UMQ agissent avec fermeté et retrouvent son indépendance par rapport à la gazière alors que, selon les dires du président, les membres du conseil d'administration doivent se rencontrer sous peu pour discuter des liens entre l'UMQ et Énergir.

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Hommage national pour Karl Tremblay

19 décembre 2023, par Louise Morand — , ,
Le groupe Les Cowboys fringants touche le cœur des gens dans toute la francophonie. Ses chansons dénoncent notamment la cupidité des politiciens-hommes d'affaires indifférents (…)

Le groupe Les Cowboys fringants touche le cœur des gens dans toute la francophonie. Ses chansons dénoncent notamment la cupidité des politiciens-hommes d'affaires indifférents au monde vivant qui les entoure, indifférents au bien commun et aux destructions qu'ils créent et dont nous voyons les conséquences désastreuses croître à chaque saison : dérèglement climatique, perte de biodiversité, perte de démocratie, accroissement des inégalités sociales (Plus rien, La cave, 8 secondes, L'Amérique pleure, En berne).

Le gouvernement de François Legault, avec ses barons techno-financiers, incarne parfaitement au Québec ce système politico-économique qui conduit directement, dans l'aveuglement volontaire, au délabrement social et à la destruction du vivant.

Cet été, selon les sources officielles, plus de 18 millions d'hectaresde forêt ont été incendiés au Canada, dont plus de 4 millions au Québec. Selon la biologiste experte des forêts Catherine Potvin, ces incendies sont une conséquence du réchauffement climatique. Comme plusieurs scientifiques, elle est d'avis que la forêt boréale a peut-être atteint un point de bascule. Dorénavant, les forêts affaiblies émettent davantage de CO₂ qu'elles n'en captent, ce qui accélère le réchauffement et laisse présager encore plus de catastrophes à venir. Depuis longtemps, les scientifiques sonnent l'alarme et exhortent les gouvernements et les populations à transformer l'économie et notre mode de vie pour freiner la crise climatique. Les solutions sont connues. Les plus urgentes sont l'élimination de notre dépendance aux énergies fossiles, la diminution de notre consommation d'énergie (ce qui implique, entre autres, de mettre fin au commerce mondialisé), et la protection et la restauration de 30% des milieux naturels terrestres et marins d'ici à 2030 et de 50% d'ici à 2050.

Les politiques du gouvernement Legault sont à l'opposé de ces priorités. En effet, ce gouvernement favorise la dépendance au gaz (politique de biénergie entre Énergir et Hydro-Québec) et soutient les projets autoroutiers et le transport individuel aux dépens du développement dutransport en commun. Sous prétexte de répondre aux besoins de la transition, il autorise la destructiondes milieux humides et de l'habitat d'espèces menacées et octroie des droits miniers partout au Québec (jusqu'à 408% d'augmentation dans Lanaudière), en plus d'accorder des droits de coupes forestières dans des aires protégées et jusque dans l'habitat du caribou. Il ignore les demandes des citoyens et des experts qui réclament une évaluation environnementale (BAPE) du projet d'usine de batteries de Northvolt et une réflexion sur la filière éolienne et sur l'avenir énergétique du Québec. Il continue enfin à accorder des passe-droits aux promoteurs d'un développement énergétique illimité et semble vouloir ouvrir la porte au démantèlement du monopole d'Hydro Québec et à un retour à la privatisation de la production d'électricité. Ces orientations, comme bien d'autres, sont contraires à la volonté des Québécois et des Québécoises, qui veulent assurer un avenir viable à leurs enfants et bénéficier d'un environnement sain.

François Legault a offert de rendre un hommage national à Karl Tremblay, le chanteur des Cowboys fringants, décédé récemment. Souhaitons que cet hommage marque pour lui et pour son gouvernement le début d'une prise de conscience du sens et de la valeur du message social, politique et environnemental véhiculé par les chansons des Cowboys fringants.
Merci Karl Tremblay, merci Cowboys fringants.

Louise Morand
L'Assomption

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Coupe en altitude dans les Chic-Chocs : Une coalition en demande l’arrêt

19 décembre 2023, par Collectif — , ,
Nouvelle, Matane, Gaspé, Val-d'Or et Québec, 18 décembre 2023 - Une coalition de groupes environnementaux composée de Environnement Vert Plus, du Comité de protection des monts (…)

Nouvelle, Matane, Gaspé, Val-d'Or et Québec, 18 décembre 2023 - Une coalition de groupes environnementaux composée de Environnement Vert Plus, du Comité de protection des monts Chic-Chocs, de la Société de Conservation ZICO de la Baie de Gaspé, de l'Action Boréale et de Nature Québec demande la fin des coupes dans les zones situées à plus de 600 mètres d'altitude.

Selon nos informations, le ministère des forêts a permis au Groupe Lebel l'abattage de sapinières centenaires à l'été 2023. Ces sapinières faisaient l'objet d'un plan de récupération de bois affecté par la tordeuse des bourgeons de l'épinette, ou Plan d'Aménagement Spécial 2022-2033 (PAS 22-23).

L'image satellitaire ci-bas montre, en rouge, les zones où Groupe Lebel a eu des autorisations de coupes totales dans la réserve faunique de Matane. Les zones en noir ont été retirées du PAS 22-23 suite à des pressions du Comité de protection des monts Chic-Chocs et à des négociations au sein de la table GIRT. Les zones encerclées en jaune sont des zones du PAS où l'on voit que Groupe Lebel a effectué ces coupes. Ces coupes ont eu lieu entre 720 m et 850 m d'altitude. Elles surviennent après d'autres coupes totales déjà fortement critiquées sur les flancs du mont Hélène et du mont Jimmy Russell à l'été 2022, ces dernières situées dans la zone d'habitat en restauration (ZHR) du caribou.

« Les sapinières centenaires en altitude dans les Chic-Chocs sont des écosystèmes très résilients qui ont subi plusieurs épisodes de tordeuse de bourgeon de l'épinette. Elles y ont résisté et survécu. La diversité d'âge de ces populations est une clef dans leur résistance aux aléas environnementaux - et maintenant on a remis le compteur à zéro » se désole Judes Côté du Comité de Protection des Monts Chic-Chocs.

« Ces vieilles sapinières sont des forêts inéquiennes, i.e. des forêts dont l'âge des arbres varie beaucoup. Les forêts comme celle-là ne retournent pas à leur état initial après une coupe totale, à cette altitude. Mais laissée à elle-même, les vieux arbres morts apportent une protection aux arbres plus jeunes contre les intempéries hivernales particulièrement rigoureuses. Les coupes totales en altitude empêchent le renouvellement de la forêt, ce qui fait de ces parcelles des émettrices de carbone. » explique Pascal Bergeron d'Environnement Vert Plus.

« La grive de Bicknell niche dans ces vieilles sapinières inéquiennes en altitude. Elle est menacée en raison de la disparition de cet habitat. La situation est d'autant plus fâcheuse que le ministère des Forêts ne replantera pas ces parcelles en sapin : il ne fera planter que de l'épinette. Donc on aura remplacé un habitat propice à une espèce menacée par un habitat qui ne sera plus celui de prédilection qu'elle recherche. » explique Margret Grenier de la Société de conservation ZICO de la Baie-de-Gaspé.

Les groupes signataires condamnent ces coupes et demandent à Groupe Lebel et au ministère qui les a permises de cesser toutes les coupes dans la réserve faunique de Matane, peu importe le motif, lorsqu'elles se situent :

- en altitude, au-delà de 600 mètres ;
- dans la zone d'habitat en restauration identifiée dans le scénario pour la Stratégie caribou
<https://mffp.gouv.qc.ca/la-faune/es...>
;
- dans l'habitat de la grive de Bicknell.

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Gros CAQa

19 décembre 2023, par Manon Ann Blanchard — , ,
Gros CAQa Pas envie d'écrire avec des mots bien lichés. Jos est tombé dans une CrAQ de ton système de CAQa Depuis il tente de tuer les CAQuerelles Qui envahissent le (…)

Gros CAQa

Pas envie d'écrire avec des mots bien lichés.

Jos est tombé dans une CrAQ de ton système de CAQa

Depuis il tente de tuer les CAQuerelles

Qui envahissent le lit de sa fille la nuit.

Mais ça, c'est pas mauvais pour les petits enfants ?

Mononc Lego ?

Lili CAsQue encore pour la facture

D'effets scolaires pour sa classe

Les petits auront des collations, des crayons, des cahiers,

Même si sa petite paie en prend une ClAQue.

Tout le monde en a marre de ce gouvernement

AntidémoCrAQtique,

AutoCrAQtique.

Dans la CAQcophonie de tes sorties médiatiques

Quand tu parles pour rien dire,

Les yeux en signes de piastres,

Tu nies la déCAQlade,

De tout ce qui faisait

Du Québec, le Québec.

T'en as rien à foutre en vrai.

Tu fais des CAQous aux pleins

Dans l'espoir que tu en seras

Minable minus.

T'as de vision que pour tes poches proches.

Mais nous, tu sais nous ?

Nous qui subissions tes exCAQtions ?

Jos, Lili et Maude la PAB,

Qui rêve du jour où tu te retrouveras à dépendre d'elle

Pour t'enfoncer ta misogynie là où elle pense,

Nous en en a plein notre frCAQ.

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Notre Royaume n’est pas de ce monde

19 décembre 2023, par Jennifer Richard, Feguerson Thermidor — , ,
L'écrivaine, franco-américaine, Jennifer Richard , Prix Ivoire 2023 pour son roman" Notre Royaume n'est pas de ce monde" répond aux questions de Feguerson Thermidor, directeur (…)

L'écrivaine, franco-américaine, Jennifer Richard , Prix Ivoire 2023 pour son roman" Notre Royaume n'est pas de ce monde" répond aux questions de Feguerson Thermidor, directeur harique littéraire.

Feguerson THERMIDOR : Vous avez remporté le prix Ivoire cette année pour votre roman : "Notre Royaume n'est pas de ce monde", quel sentiment ressentez-vous ? Et parlez-nous de ce roman ?

Jennifer RICHARD : Ce fut une grande surprise pour moi de voir mon livre récompensé par un prix en Côte d'Ivoire. Savoir que ce livre est lu loin de chez moi m'honore grandement. Et il me semble que cela fait sens, dans la mesure où je m'efforce, par mon travail, de participer à la décentralisation culturelle.

F.T : Vous êtes franco-américaine, d'origine guadeloupéenne par votre mère et normande par votre père, comment toutes ces origines ont-elles contribué à votre carrière d'écrivaine ?

J.R : Mes origines, ainsi que mes liens avec les territoires français d'outre-mer, ont contribué avant tout à faire de moi une citoyenne critique. Découvrir mon propre pays par les extrémités plutôt que par son centre politique m'a influencée sans que je m'en rende compte, pendant longtemps. Aujourd'hui, si je suis si attentive à la façon dont se déploie la démocratie à la française, je sais que c'est grâce à ces liens. Le regard que je porte sur l'histoire, et que je transcris dans mes livres, est la continuité de mon regard de citoyenne.

F.T : Votre roman se déroule sur plusieurs continents, Amérique, l'Afrique, l'Europe, etc., comment êtes-vous parvenue à camper ces personnages ayant des traits culturels différents pour enfin donner ce bel ouvrage littéraire ? Était-ce un travail aisé pour vous ? Peut- on parler d'un roman complexe ?

J.R : Le travail aurait été colossal si je ne l'avais pas dompté dès l'abord. Je travaille avec méthode, depuis toujours, quoi que je fasse. Mes études de droit ont sans doute figé la rigidité de ma discipline. Je rassemble les sources, lis les documents glanés, parcours livres, articles et photos, dresse un plan détaillé, chapitre par chapitre, élabore un arc de dramaturgie. Quand tout cela est effectué, je commence à rédiger. Il m'a fallu cinq ans pour les recherches et la rédaction de mes trois livres sur l'impérialisme (Il est à toi ce beau pays, Le diable parle toutes les langues, et Notre royaume n'est pas de ce monde).

F.T : Vous avez publié en 2018 aux éditions Albin Michel : "Il est à toi ce beau pays", par rapport à la multiplicité de vos origines, quelle place occupent la langue et la notion d'ethnie dans vos romans ?

J.R : "Il est à toi ce beau pays" est la première partie d'un long récit, qui se termine avec Notre royaume n'est pas de ce monde, bien que les deux parties puissent se lire indépendamment. Cette longue histoire, qui court de 1873 à 1916, est commentée par des chef d'Etat ou des intellectuels qui ont été assassinés pour leurs idées ou leurs actes entre 1830 et 2011. Le récit au premier niveau se déroule sur trois continents, les protagonistes sont originaires de nombreux pays. Sexe, religion, nationalité ne comptent pas. Race et ethnie, encore moins. Ce sont les idées qui sont mises en commun, échangées, discutées, contrées et appuyées par les uns et les autres. La Révolution, oui, mais laquelle ?

F.T : Pourrait-on dire que vous êtes dans un réalisme merveilleux ?

J.R : Je serais ravie qu'un lectorat haïtien décèle un réalisme merveilleux dans certains chapitres du livre. Oui, certains passages "décrochent" de la narration classique et mêlent rêve et réalité, sans que je détermine une frontière précise. J'invite parfois le lecteur à admettre une réalité parallèle, un glissement vers un autre monde, qui influerait sur le nôtre.

F.T : Comment vous voyez la littérature dans la vie des gens ??? Pensez-vous que cela sauve des vies ?

J.R : La littérature n'est pas assez présente. Elle ne l'a jamais été et ne le sera jamais. Mais il faut peut-être accepter qu'elle soit une porte difficile à ouvrir pour beaucoup de personnes, qu'elle soit même invisible. Sauver des vies... qui a ce pouvoir ?

Propos recueillis par Feguerson Thermidor
Écrivain-poète
Directeur Hafrikque littéraire

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Hein ! qu’on est bien à la manif ?

19 décembre 2023, par Omar Haddadou — , ,
– Tu appelles ça une journée d'action ? – Attends Lucky ! Ils arrivent. Sois patient ! – Ça fait une heure qu'on poireaute dans le froid. – Parole engagée de Gilet jaune, (…)

Tu appelles ça une journée d'action ?

Attends Lucky ! Ils arrivent. Sois patient !

Ça fait une heure qu'on poireaute dans le froid.

– Parole engagée de Gilet jaune, vaut toutes les professions de foi.

– Mon œil !
Regarde là-bas ! Y ‘en a un qui pointe.

– C'est un éboueur. Avec la même chasuble, bébête.
– Tu crois, Lucky ?
Tes militants sont de la fête avant les fêtes.
Tu penses ?
– Un clébard n'a pas l'étoffe d'un Froussard ni d'un Politicard !

C'est-à-dire ?
Il ne ment pas, ne se ravise pas !
-T'as raison, l'esplanade est vide.

– J'te dis, ce RDV des Gilets jaunes est un bide. Ton sit-in devant le siège du média raciste et bienpensant, fait chou blanc.
– J'étais sûr qu'ils allaient chopiner en cette période récréative, jusqu'à mettre la Sécu à sec, mon Lucky.

– T'as qu'à tendre l'oreille aux sirènes des ambulances.

– Ils sont combien à y croire encore, Lucky ?

A peine une dizaine, Tambourineur inclus.

–Pas glorieux.

J'étais bien au chaud à regarder mes copains « Les 101 Dalmatiens », mes croquettes allégées à portée de museau, et finalement…

Finalement, le Collectif a botté en touche ! Désolé Lucky !

J'ai la dalle. Et comble du désespoir, pas une poubelle accessible dans ce 15ème cossu.

– J'te promets un gourmet canin royal, Lucky.

–Trop tard !

-Tu me tiens rigueur ?

-Oui ! J'aime pas les batailles qui avancent à reculons. Une banderole qui se déploie qu'à la lumière d'un ciel azur.

– Je vois où tu veux en venir.

–Si t'avais l'intelligence de m'en parler, je t'aurais évité cet affront.

– Ah bon ?
Oui Monsieur !
Je t'aurais ameuté, d'un coup d'aboiement, des bataillons de klebs pour éradiquer cette gangrène xénophobe. Il y aura des Pit-bulls, Rottweilers, Bergers allemands, Lycaons d'Afrique, le club des Inuits du Canada, des Sloughis d'Algérie, les Bergers du Caucase et même les Chow Chow chinois.
–Et si le mouvement s'essouffle encore une fois, Lucky ?

- T'inquiète ! Les SPA* arriveront en renfort !

Texte et photo : Omar HADDADOU 2023
* Société Protectrice des Animaux.

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La fabrique des migrations : Une interminable perte de connaissances (3/4)

19 décembre 2023, par Brezh Malaba, Elizabeth BanyiTabi, Emmanuel Mutaizibwa, Ngina Kirori, Theophilus Abbah, Zam Magazine — ,
Qu'est-ce qui pousse des milliers d'Africain·es à s'exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « (…)

Qu'est-ce qui pousse des milliers d'Africain·es à s'exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « d'accueil » ? Dans cette série du magazine ZAM déclinée en quatre épisodes, cinq journalistes décryptent les mécanismes de la migration. Ce troisième volet est consacré à la « fuite des cerveaux ».

Tiré d'Afrique XXI.

La circulation extrêmement dense en semaine sur Zakariya Maimalari Street et Muhammadu Buhari Way, dans le quartier central des affaires d'Abuja, au Nigeria, est en grande partie due aux va-et-vient de jeunes hommes et femmes qui garent leurs voitures sur les trottoirs pour s'engouffrer dans les centres de demande de visas. Le parking réservé aux visiteurs de la société VFS Global, qui occupe plusieurs étages de l'immeuble de la Sterling Bank, sur Muhammadu Buhari Way, ne suffit plus depuis longtemps à accueillir le trop-plein de demandeurs. Il en va de même pour le parking du concurrent de VFS, TLS Contact, dont les bureaux sont situés au troisième étage de la gigantesque Mukhtar El-Yakub Plaza, sur Zakariya Maimalari Street.

Les centaines de candidats au départ sont des personnels de santé qualifiés, des experts en informatique ou encore des comptables. Ils veulent faire « japa », un mot yoruba que l'on peut traduire par « s'échapper » ou « s'enfuir ». Les raisons qui poussent à faire « japa », selon les personnes interrogées dans les files d'attente par le journaliste de ZAM Theophilus Abbah, vont du taux de chômage élevé (estimé à environ 41 % de la tranche d'âge active au Nigeria) à l'extrême pauvreté (qui touche 133 millions de personnes sur une population de 200 millions de Nigérians), en passant par la corruption et la mauvaise gouvernance d'une élite richissime. Nombreux sont ceux qui disent ne pas croire au changement – en tout cas pas dans un avenir proche.

En février 2023, des élections contestées ont une fois de plus porté au pouvoir un autocrate âgé et malade : Bola Tinubu, 71 ans, dont le premier acte a été de s'envoler pour la France afin d'y suivre un traitement médical. Ces dernières années, les manifestations en faveur de la justice sociale et des droits de l'homme au Nigeria ont été violemment réprimées.

Pour le docteur Ejike Oji, ancien conseiller du gouvernement, c'est précisément « la frustration de l'excellence » dans un système fondé sur le favoritisme plutôt que sur la compétence qui fait fuir les professionnels de santé. « Les nominations ne sont pas basées sur le mérite. Les personnes qualifiées sont écartées au profit des enfants des riches, des politiciens et de l'élite. Les personnes discriminées doivent donc trouver d'autres moyens de survie, et cela inclut le départ vers l'Europe et l'Amérique du Nord », déplore-t-il.

Au Zimbabwe, voter avec ses pieds

Parmi les milliers de jeunes gens qui font la queue pour obtenir un passeport au Makombe Building, le siège de l'état civil zimbabwéen situé en périphérie de Harare, la capitale, beaucoup s'éloignent dès que nous nous présentons comme journalistes. « Je ne veux pas avoir d'ennuis. Ils me refuseront un passeport si vous prenez une photo de moi ici », explique une femme d'une vingtaine d'années en cachant son visage. D'autres disent au journaliste Brezh Malaba qu'ils craignent d'être arrêtés s'ils parlent. Depuis le 23 décembre 2022, date à laquelle le projet de loi sur la codification et la réforme du droit pénal (Criminal Law Codification and Reform Amendment Bill), communément appelé « projet de loi patriotique » (Patriotic Bill), a été publié dans la gazette du gouvernement, le fait de « porter délibérément atteinte à la souveraineté et à l'intérêt national du Zimbabwe » est considéré comme un crime. Cela inclut le fait de critiquer le gouvernement.

Ceux qui acceptent de s'exprimer sur leur situation personnelle ne le font que sous le couvert de l'anonymat. Leurs histoires se ressemblent toutes : ils veulent obtenir un passeport et quitter le Zimbabwe au plus vite. Ces entretiens ont eu lieu plusieurs mois avant les élections générales du 23 août 2023, ce qui signifie que beaucoup de ceux qui s'expriment dans cet article ont probablement déjà quitté le pays – votant, pour ainsi dire, avec leurs pieds.

Au Zimbabwe, la motivation économique est, plus encore qu'au Nigeria, aggravée par la répression de toute forme d'opposition, de critique ou d'activisme en faveur du changement. Le président de l'Amalgamated Rural Teachers Union of Zimbabwe (Artuz), Obert Masaraure, et ses camarades de lutte affirment qu'ils tentent depuis des années d'améliorer la situation des enseignants : « Nous avons écrit des lettres ouvertes, nous avons manifesté, nous avons essayé d'attirer l'attention des autorités. Mais l'année dernière, le gouvernement a porté contre nous des accusations de meurtre forgées de toutes pièces. »

L'accusation de meurtre, visant notamment Masaraure et un de ses collègues, Robson Chere, secrétaire général de l'Artuz, porte sur la mort d'un homme appelé Roy Issa, décédé en 2016 après avoir chuté du balcon d'un hôtel à Harare. Cette accusation laisse perplexe : aucun des deux n'a jamais été officiellement suspecté par la police, et une enquête a déjà abouti à une mort accidentelle. Amnesty International a publié une déclaration dans laquelle l'ONG affirme que cette affaire est un exemple de persécution politique.

« Nous ne pouvons avoir une vie digne »

L'accusation de meurtre n'est que l'une des nombreuses affaires portées par l'État zimbabwéen contre le président du syndicat. En 2019, il avait été accusé d'« incitation » à « commettre des violences publiques » et de « subversion ». Alors que l'affaire Roy Issa est en cours, Masaraure a dû comparaître à nouveau devant le tribunal le 31 mai 2023, cette fois pour un tweet dans lequel il encourageait le public à soutenir Robson Chere lors de son procès. Masaraure a également été victime d'effractions à son domicile et de passages à tabac par les forces de sécurité. Les deux hommes sont actuellement en liberté sous caution.

Ces dernières années, des dizaines d'avocats des droits de l'homme et de militants de l'opposition au Zimbabwe ont été arrêtés et mis en prison, sur la base d'accusations souvent considérées comme ridicules. Une recherche Google sur les « accusations forgées de toutes pièces » au Zimbabwe renvoie à des centaines d'informations depuis 2017, année où l'actuel président, Emmerson Mnangagwa, est arrivé au pouvoir à la faveur du coup d'État contre Robert Mugabe.

Lors de son entrevue avec Brezh Malaba, Masaraure a évoqué une enquête menée auprès des membres de l'Artuz selon laquelle 95 % d'entre eux déclarent qu'ils cherchent du travail à l'extérieur du Zimbabwe. Le syndicaliste dit comprendre les enseignants qui participent à la fuite des cerveaux. « Ici, on ne peut pas se nourrir, et quand on élève la voix, on est puni. Nous ne pouvons pas avoir une vie digne », déplore-t-il.

En Ouganda, les universitaires bâillonnés...

En Ouganda, le campus de l'université Makerere de Kampala, qui était jadis un lieu de débats animés pour les intellectuels en herbe et qui a produit des auteurs et des chercheurs de renom tels que l'écrivain kényan Ngũgĩ wa Thiong'o, le poète malawite David Rubadiri et le président fondateur de la Tanzanie Julius Nyerere, est bien triste. Au cours de la dernière décennie, la répression du régime dirigé par l'autocrate Yoweri Museveni, âgé de 79 ans, s'est intensifiée. Des universitaires critiques comme Stella Nyanzi ont quitté l'Ouganda après avoir été arrêtés et détenus. D'autres ont été réduits au silence.

Les professeurs qui sont encore là, interrogés sous le couvert de l'anonymat par le journaliste Emmanuel Mutaizibwa, disent qu'ils ont peur d'être harcelés par des personnes nommées à des postes à responsabilité, comme le nouveau vice-chancelier Barnabas Nawangwe, et le nouveau président de la commission des nominations, le gendre du président, Edwin Karugire. « Les universitaires ne peuvent plus s'exprimer librement. Quel que soit le point de vue que l'on adopte, cette situation est dangereuse », déclare l'un d'entre eux.

Yusuf Serunkuma, ancien élève de Makerere, qui enseigne les études africaines à l'université Martin-Luther, en Allemagne, a lui aussi constaté une « peur omniprésente » chez ses anciens collègues de l'université, ajoutant que « la vitesse à laquelle le professeur Nawangwe signe des lettres d'expulsion d'universitaires et d'étudiants dissidents est époustouflante ». Son collègue basé aux États-Unis, Moses Khisa, ancien élève de Makerere lui aussi, aujourd'hui professeur associé à l'université d'État de Caroline du Nord, estime que ces mesures sont prises à dessein : « Une fois que vous avez soumis l'intelligentsia, vous pouvez gouverner à votre guise. »

Au pays, le numéro de téléphone de Danson Kahyana, professeur de littérature à Makerere depuis l'année dernière, ne répond plus. Son dernier article, publié en avril 2022 dans l'hebdomadaire ougandais The Observer, faisait état d'une agression dont il avait été victime après avoir écrit des papiers critiques à l'égard du gouvernement. Il y expliquait qu'il avait été suivi et arrêté par des hommes à moto, qui l'avaient agressé et lui avaient cassé les dents. Dans le même article, il affirmait que sa vie avait changé « à bien des égards » depuis lors. « Vous voyez un agresseur potentiel sur chaque boda boda [moto-taxi, NDLR]) qui passe. Mais pire que le traumatisme, c'est l'autocensure : on meurt intérieurement en tant qu'écrivain et en tant qu'intellectuel. » Divers enseignants de Makerere s'accordent à dire qu'ils partiront dès qu'ils trouveront des opportunités à l'étranger…

... Et les médecins lessivés

Toujours à Kampala, des jeunes médecins qui ont tenté d'améliorer les conditions de travail des agents de la santé ont fini par jeter l'éponge après que la police et l'armée ont réprimé leurs manifestations – des marches pour réclamer de meilleures conditions d'hospitalisation et le paiement des salaires impayés, au moment même où une campagne sur X (ex-Twitter) intitulée « Uganda Health Exhibition » faisait circuler des photos de médecins opérant des patients à même le sol et de cliniques sans toit. Interrogée par Emmanuel Mutaizibwa, l'interne en médecine Judith Nalukwago, qui a participé à ces manifestations, explique qu'elle souhaite rester en Ouganda parce qu'elle rêve d'y créer son propre hôpital et un fonds caritatif pour aider ses concitoyens, mais elle constate que maintenant de nombreux collègues se préparent à partir, « dès qu'ils obtiendront leur licence ».

L'ancien président de l'Association médicale ougandaise, le Dr Ekwaro Obuku, estime que 2 500 médecins sur les quelque 8 000 praticiens agréés, soit près d'un tiers, sont déjà partis travailler à l'étranger au cours des dernières années.

Ce qui irrite peut-être le plus les professionnels ougandais, c'est le fait que le secteur public reste désespérément pauvre alors que, comme dans les quatre autres pays où cette enquête a été menée, l'élite dirigeante, elle, mène la belle vie. Selon plusieurs journaux ougandais, le président Museveni s'est récemment vu allouer l'équivalent de 350 millions de shillings ougandais (84 000 euros) pour sa literie, ses vêtements et ses chaussures, rien que pour cette année.

Larmes de crocodile

Les gouvernements du Nigeria, du Kenya et du Zimbabwe ont officiellement exprimé leur inquiétude face à la « fuite des cerveaux » qui touche leur pays, mais ils n'ont pas encore pris de mesures concrètes pour améliorer les conditions de travail ou les possibilités d'emploi. Début 2023, l'Assemblée nationale du Nigeria a tenté d'adopter une loi permettant d'empêcher un agent de santé de quitter le pays pour travailler à l'étranger tant qu'il n'aura pas servi sur place pendant au moins cinq ans. Le projet de loi a été rejeté au motif qu'il était discriminatoire – une explication qui pourrait être liée au fait que les députés nigérians eux-mêmes sont susceptibles d'avoir des parents et des amis qui pourraient un jour faire « japa ».

Au cours de la même période, les représentants du gouvernement kényan ont annoncé des mesures visant à améliorer les conditions de travail des médecins, mais aucune n'avait été réellement mise en œuvre au moment de la publication de cet article.

Le Zimbabwe a de son côté demandé à l'ONU d'imposer « des dommages et intérêts » aux pays qui « braconnent » le personnel de santé des pays du Sud, comme le Royaume-Uni. Sans répondre directement, le gouvernement britannique a depuis publié un code de recrutement révisé pour le secteur de la santé, qui stipule que « les organisations de santé et de soins sociaux en Angleterre ne recrutent pas activement dans les pays que l'Organisation mondiale de la santé reconnaît comme ayant les défis les plus pressants en matière de personnel de santé et de soins [parmi lesquels figurent la plupart des pays africains, NDLA] à moins qu'il n'y ait un accord de gouvernement à gouvernement ».

Néanmoins, les médecins et les infirmières ont continué à quitter les hôpitaux délabrés du Zimbabwe, ce qui a fait dire à un correspondant d'Al-Jazeera qu'il est « futile de blâmer le Royaume-Uni alors que le Zimbabwe porte la part de responsabilité la plus importante dans la crise qu'il traverse aujourd'hui ». Les larmes versées sur le départ des médecins par un gouvernement qui préside aux destinées d'hôpitaux dépourvus de médicaments ou d'appareils ressemblent à celles d'un crocodile – il s'agit d'ailleurs du surnom du président du Zimbabwe.

Au Cameroun, la militante de l'opposition Kah Walla, qui a été à la pointe de la lutte contre la corruption et l'injustice sociale dans le pays, ne voit pas les gens revenir de l'étranger de sitôt. « Tant que nous serons dans ce régime, les choses continueront à empirer, et de plus en plus de gens partiront », dit-elle. Mais elle garde espoir : « Si nous parvenons à changer le régime et à reconstruire notre pays, même les personnes qui ont émigré reviendront ». Son ONG, Stand Up 4 Cameroon, plaide pour que la communauté internationale aide les forces démocratiques locales et mette un terme à l'aide au développement non contrôlée qui atterrit dans les poches du régime de Paul Biya. Mais ses appels sont tombés dans l'oreille d'un sourd lorsque le FMI a de nouveau accordé une subvention de 300 millions de dollars au gouvernement camerounais. Cette aide est censée aider les pays africains à se développer. « Mais comment allons-nous nous développer alors que tous nos cerveaux s'en vont ? » s'interroge un des Nigérians interviewés pour cette enquête.


Notes : Cet article a été publié en anglais dans le cadre d'une enquête transnationale menée par une équipe de journalistes dans cinq pays africains en partenariat avec le magazine ZAM, et intitulée « Migration is not the West's problem, it is Africa's » (« La migration n'est pas le problème de l'Occident, c'est celui de l'Afrique »).

Cette enquête s'intéresse aux raisons qui poussent de nombreux Africains à prendre la route de l'exil pour l'Europe, le Golfe ou l'Amérique.

L'équipe d'enquêteurs et d'enquêtrices est composée de : Emmanuel Mutaizibwa (Ouganda), Elizabeth BanyiTabi (Cameroun), Ngina Kirori (Kenya), Theophilus Abbah (Nigeria) et Brezh Malaba (Zimbabwe). L'ensemble a été coordonné et édité par Evelyn Groenink, rédactrice en chef des enquêtes de ZAM.

En partenariat avec ZAM Magazine, Afrique XXI publie l'intégralité de cette série. Article traduit de l'anglais par Rémi Carayol.

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Économie politique et société : Mode de production, mode d’existence

19 décembre 2023, par Ivonaldo Leite — ,
Par Ivonaldo Leite Université Fédérale de Paraíba, Brésil On entend par rapports de production les relations qui s'établissent entre les membres (groupes ou classes) de la (…)

Par Ivonaldo Leite
Université Fédérale de Paraíba, Brésil

On entend par rapports de production les relations qui s'établissent entre les membres (groupes ou classes) de la société au cours du processus de production et qui déterminent le rôle de chacun dans ce processus et la modalité de la répartition du produit social entre eux.
On sait que l'être humain ne vit pas sa lutte contre la nature individuellement mais en société où les membres coopèrent et dépendent les uns autres, la division social du travail étant donnée. On sait aussi qu'à partir d'une certaine étape dans son développement l'être humain crée par son travail des instruments qui visent à augmenter sa productivité. Mais quel est le but immédiat de l'activité économique ?

On peut dire que l'objectif général de l'activité économique est de satisfaire les besoins des membres de la société, selon l'approche de l'économie politique mise en avant par Dowidar (L'économie politique : une science sociale). Je le pense aussi et je suivrai ici ses thèses.
L'ensemble des besoins à satisfaire est le produit de l'ensemble des conditions de la vie sociale dans une société déterminé. La détermination de ces besoins détermine en même temps les buts qu'on vise lors de l'activité économique dans cette société, buts stabilisés par les habitudes et les moeurs sociales, reconnus par la religion et protégés par le droit dans certains cas. Si l'objective générale final de l'activité économique, la satisfaction des besoins des membres de la société, est le même pour toutes les sociétés, le but immédiat de l'activité économique, c'est-à-dire le but immédiate au point de vue de ceux qui prennent les décisions de production, se détermine socialement – et donc historiquement – et diffère d'un mode production à l'autre.

De ce point de vue, on peut distinguer trois types de but immédiat d'activité économique. C'est-à-dire : 1) Le but à atteindre par ceux qui effectuent la production peut être la satisfaction des besoins des producteurs directs et des besoins de ceux auxquelles ils sont obligés de céder une partie du produit de leur travail (ou une partie de leur temps de travail) ; 2) Le but immédiat de l'activité économique peut être la réalisation du gain monétaire sous la forme d'un revenu monétaire ; 3) Le but immédiat de l'activité économique peut être finalement la satisfaction des besoins des membres de la société. Ici, la production se fait pour la satisfaction des besoins que l'utilisation des ressources de la société permet de satisfaire pour les producteurs directs, sous les conditions techniques et sociales de la production historiquement données. Dans ce cas, le but immédiat de l'activité économique et le but final de cette activité coïncident : la satisfaction des besoins des membres de la société engagés dans le processus du travail productif.

A ce propos, on peut distinguer un mode de production où le processus de production et de reproduction fonctionne d'une manière spontanée, c'est-à-dire où le résultat final du processus économique dans son ensemble est fonction des différentes décisions individuelles prises indépendamment, sans coordination effective préalable. On peut distinguer ce mode du mode de production où le fonctionnement du processus économique est conscient, planifié : le résultat social de l'activité économique dans son ensemble est envisage a priori en déterminant ses réalisations au cours d'une période future déterminée.

Mais qu'est-ce qu'un mode de production ? Tout d'abord, il est important de souligner une perspective de base : pour produire, les conditions du processus de production doivent être remplies. Ces conditions son : 1) le travail, l'effort conscient fourni par la force de travail, avant une certaine formation technique qui lui permet d'utiliser ; 2) les moyens de production : la terre, les instruments et les objets de travail.

Ces conditions, qu'on a appelées, au point de vue terminologique, les forces productives, représentent l'essence du processus de production, abstraction faite de la forme social qu'il revêt. Ces forces montrent, dans leur changement incessant, le niveau de la productivité du travail et reflètent, par conséquent, le degré de maîtresse de la nature par l'homme, dans la société.

Dans le cadre de ces forces, les moyens de production font l'objet d'une relation sociale qui détermine la situation de chaque individu (groupe ou classe) vis-a vis des autres, en ce qui concerne ce moyens de production, et qui détermine, par conséquent, son rôle dans le processus de production et sa parte du résultat de l'appropriation collective de la nature par la travail social. Cette relation représente donc la base des relations qui s'établissent entre les individus dans le processus de production. Ces relations correspondent à un certain niveau de développement des forces productives et se combinent avec pour former un mode de production qui se distingue des autres modes de production.

Le mode de production se détermine donc à la fois par un certain type de rapports de production dominants et par un certain niveau de développement des forces productives.
Il est donc important de comprendre que l´économie capitaliste est une forme historique de la production marchande monétaire qui se généralise jusqu'à couvrir, d'une manière ou de autre, l'économie mondiale en pénétrant les sociétés précapitalistes qui existaient dans les différentes parties de l'Asie, de l'Afrique et de Amérique Latine.

En effet, l'approche des caractéristiques du mode de production capitaliste doit le prendre dans son développement historique pour montrer comment ce développement a abouti à une économie mondiale composée de deux types de sociétés, produits de ce même processus, comme le souligne la théorie de la dépendance. C'est-à-dire, les sociétés capitalistes avancées, avec une économie ayant les caractéristiques essentielles du mode production capitaliste, et las sociétés sous-développées avec leurs économies subordonnées dans le cadre de l'économie capitaliste mondiale.

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Derrière les mots

19 décembre 2023, par Kaveh Boveiri — , , ,
Kaveh Boveiri Si la compréhension de complication des énoncés des politiciens n'est pas la première leçon en sciences politiques, elle en est certes une des premières. (…)

Kaveh Boveiri

Si la compréhension de complication des énoncés des politiciens n'est pas la première leçon en sciences politiques, elle en est certes une des premières.

Cette compréhension se manifeste en une double étape avec deux composantes entrelacées. Il faut, d'une part, contextualiser chaque énoncé dans la totalité d'énoncés dudit politicien. Mais, d'autre part, il faut décortiquer la manière dont cet énoncé est lié avec les actes de ce politicien.

Ici, nous essayons de réaliser une telle pratique.

« Bibi (le surnom du dirigeant israélien), je t'aime beaucoup, mais je ne suis d'accord avec rien de ce que tu dis. »
Cette phrase, confirmée par Joe Biden, peut être lue, entre autres, dans La Presse du 11 décembre. Dans un autre passage de même article, nous pouvons lire :

« C'est le gouvernement le plus conservateur de l'histoire d'Israël » et la frange la plus à droite de l'exécutif « ne veut rien qui ressemble de près ou de loin à une solution à deux États », a insisté le président américain, pour qui c'est au contraire.

Ces énoncés ont créé une joie délectable dans la situation carrément sans espoir de la situation actuelle à Gaza. « Il s'est finalement réveillé. Partiellement grâce à nous, sans doute, les membres de ce monde conscient » nous le disent, plusieurs parmi nous. Une conséquence logique de cela est la possibilité d'être moins actifs concernant le démocideactuel à Gaza. En tant que les artistes, plus de 4000 de nous, ont déjà signé une pétition exprimant notre solidarité avec les Palestiniens. C'est aussi le cas pour milliers des écrivains contre la guerre à Gaza. Les millions de nous descendent aussi dans les rues chaque semaine.

Laissons-nous contextualiser ces énoncés, pour voir si cet espoir est légitime.

S'il veut être cohérent, la personne qui articule cette phrase, ou son gouvernement, devrait logiquement accepter le cessez-le-feu humanitaire. En revanche, nous témoignons que le mardi 12 décembre,devant l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU), 153 votent pour une mesure, avec 23 pays abstentions — Les États-Unis restent avec 8 autres pays dans le monde en votant contre ! Ainsi, le gouvernement de Biden avec son amour de ce dernier pour Bibi préfère à rester dans son isolement aggravant contre une telle mesure. Cela c'est pour contextualisation verbale, la mise en contexte de quelques énoncés dans la totalité des énoncés.

D'autre part, il faut voir la manière dont ces énoncés se trouvent en consistance ou inconsistance avec les actes. Juste quelques jours avant, notamment, le samedi 9 décembre, le congrès est informé par le gouvernement de l'approbation « d'urgence » de fournir l'Israël par 14 000 obus de chars,sans que cette mesure soit passée d'abord par le congrès !
Nous voyons ainsi que lesoutien sans faille des États-Unisauprès de l'Israël, depuis le 7 octobre, reste ininterrompu dans les actes et dans les paroles.

« Bibi, je t'aime beaucoup. Tout ce qui vient après “mais” dans la phrase ci-dessous n'est que pour fermer les gueules des gens qui sont jaloux à notre amour mutuel ». On peut imaginer cette phrase de la part de Joe Biden en s'adressant à son amour en privé.
En ce qui concerne notre rôle, nous sommes loin d'avoir achevé nos objectifs.

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Face à la convergence des crises, le défi de faire avancer les travailleur·es et les peuples

19 décembre 2023, par Ana Cristina Carvalhaes — ,
Le siège et le massacre en cours contre les Palestinien·nes de Gaza, menés par l'État israélien avec le soutien ouvert des États-Unis et le silence complice des autres (…)

Le siège et le massacre en cours contre les Palestinien·nes de Gaza, menés par l'État israélien avec le soutien ouvert des États-Unis et le silence complice des autres puissances impérialistes occidentales, s'ajoutent à la guerre de Poutine contre l'Ukraine pour prouver l'instabilité et la violence brutale qui caractérisent le nouveau scénario géopolitique mondial. La multiplication des guerres et l'aggravation des tensions entre et au sein des États ne sont qu'un des signes de la nouvelle période historique de convergence des crises, qui a débuté avec la crise de 2008.

Tiré de Quatrième internationale
13 décembre 2023

Par Ana Cristina Carvalhaes

Le texte suivant n'est pas un travail personnel mais le résultat de discussions que nous avons eues ces derniers mois entre les membres du Comité international de la IVe Internationale. Nous constatons une situation d'internationalisation sans précédent des grandes questions qui se posent à l'humanité. La crise du capitalisme a pris une nouvelle ampleur depuis le krach de 2008 et la récession qui a suivi, mais surtout avec la pandémie de Covid. La crise capitaliste est clairement devenue multidimensionnelle. Il y a une convergence, une articulation entre la crise environnementale – qui produit depuis quelques années des phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes, dont les récentes vagues de chaleur excessive – et la phase de stagnation économique durable, avec l'intensification de la lutte pour l'hégémonie dans le système interétatique entre les États-Unis et la Chine, avec les avancées de l'autoritarisme et du néofascisme, avec la résistance des peuples et des travailleurs et la multiplication des guerres dans le monde (Palestine, Ukraine, Soudan, République démocratique du Congo et Myanmar).

Cette articulation montre que nous sommes entré·es dans un nouveau moment de l'histoire du capitalisme. Une période qualitativement différente de celle que nous avons vécue depuis la mise en place de la mondialisation néolibérale à la fin des années 1980 et beaucoup plus conflictuelle du point de vue de la lutte des classes que celle qui s'était ouverte avec l'effondrement de l'Union soviétique et des régimes bureaucratiques d'Europe de l'Est. Comme nous le disions en mars 2021, « la pandémie aggrave la crise multidimensionnelle du système capitaliste et ouvre un moment d'imbrication de phénomènes anciens qui s'étaient développés de manière relativement autonome et qui, avec la pandémie, convergent de manière explosive : […] Il s'agit de processus qui se manifestent et interagissent entre eux, modifiant l'ordre mondial hérité des années 1990 avec la fin du bloc de l'Europe de l'Est, l'implosion de l'URSS et la restauration capitaliste tant dans cette partie du monde qu'en Chine ».

La toile de fond et le point de rencontre de toutes les facettes de cette crise multidimensionnelle, c'est la crise écologique, causée par deux siècles d'accumulation capitaliste prédatrice. L'escalade de la crise climatique et environnementale frappe durement l'humanité et la vie sur la planète : le climat s'emballe, la biodiversité disparaît, on est face à la pollution, à des contaminations et à des pandémies. L'économie mondialisée, basée sur la combustion d'énergies fossiles et la consommation croissante de viande et d'aliments ultra-transformés, produit rapidement un climat qui réduira les limites dans lesquelles l'humanité peut vivre sur la planète. La fonte des pôles et des glaciers accélère la montée des eaux et la crise de l'eau. L'agro-industrie, l'exploitation minière et l'extraction d'hydrocarbures progressent (non sans résistance) sur les forêts tropicales, pourtant essentielles au maintien des systèmes climatiques et de la biodiversité de la planète. Les effets de la crise climatique continueront à se manifester violemment, détruisant les infrastructures, les systèmes agricoles, les moyens de subsistance et provoquant des déplacements massifs de populations. Rien de tout cela ne se produira sans une exacerbation des conflits sociaux.

Cette situation a-t-elle des précédents ? C'est un débat collatéral mais très animé parmi les historiens. Bien sûr, ce qui se rapproche le plus de ce que nous vivons aujourd'hui, c'est la convergence des crises qui a eu lieu au début du 20e siècle – celle qui a abouti à « l'âge des catastrophes », comme l'a nommé Hobsbawm (1914-1946), et à deux guerres mondiales sanglantes. Il y a au moins deux très grandes différences avec cette situation : premièrement, nous sommes aujourd'hui face à la crise écologique. Le système a créé les conditions d'une complète transformation, régressive, de la vie de l'humanité et de toutes les formes de vie. La seconde, non moins cruciale, est que les changements, de plus en plus rapides, se combinent avec le maintien d'un élément de la période précédente : l'absence d'une alternative au capitalisme qui soit crédible aux yeux des masses, l'absence d'une force ou d'un ensemble de forces anticapitalistes dirigeant des révolutions économiques et sociales.

Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de luttes et de résistances. Au contraire. Ce siècle a connu au moins deux grandes vagues de luttes démocratiques et anti-néolibérales, dont ont fait partie le mouvement des femmes, un mouvement renouvelé, et le mouvement antiraciste qui a débuté aux États-Unis. Cependant, ces grandes luttes ont été confrontées, d'un point de vue objectif, non seulement au capitalisme néolibéral et à ses gouvernements, mais aussi aux dilemmes de la réorganisation structurelle du monde du travail – la classe ouvrière industrielle a perdu de son poids social dans une grande partie de l'Occident ; les opprimé·es, les jeunes et les nouveaux secteurs de travailleur.es précaires ne sont pas encore organisés de manière permanente et ont en général des difficultés à s'unir avec le mouvement syndical. Cette situation s'accompagne d'une régression de la conscience des opprimé·es et des exploité·es, affectée par les reconfigurations géographiques, technologiques et structurelles et par l'hyper-individualisme néolibéral. À cela s'ajoute l'extrême fragmentation de la gauche socialiste, pour constituer une situation où les luttes sont plus difficiles et où les résultats en termes de conscientisation et d'organisation politique sont plus rares.

La combinaison des crises les amplifie

Caractériser la crise capitaliste comme multidimensionnelle signifie qu'il ne s'agit pas d'une simple somme de crises, mais d'une combinaison dialectiquement articulée, dans laquelle chaque sphère a un impact sur l'autre et est impactée par les autres. En ce qui concerne la relation entre l'économique-social et l'écologique, les pays impérialistes centraux de l'Ouest et de l'Est (du moins du point de vue d'une partie non suicidaire des bourgeoisies centrales) ont le défi très difficile de mettre en œuvre une transition énergétique qui minimiserait les effets du changement climatique à un moment où la tendance à l'accélération de la baisse du taux de profit s'accentue. Le lien entre la guerre en Ukraine (avant l'explosion du conflit en Palestine) et la stagnation économique a aggravé la situation alimentaire critique des plus pauvres dans le monde, avec plus de 250 millions de personnes supplémentaires souffrant de la faim en dix ans (2014-2023). Le flux de personnes déplacées par les guerres, le changement climatique, la crise alimentaire et la propagation des régimes répressifs augmente, en particulier dans les pays du Sud, bien que les médias accordent plus d'importance aux déplacements forcés Sud-Nord.

Les perspectives désastreuses dans les domaines environnemental et économique, depuis au moins 2016, ont sans aucun doute joué un rôle important en poussant une partie des fractions bourgeoises dans différents pays à se détacher du projet des démocraties formelles comme meilleur moyen de mettre en œuvre les préceptes néolibéraux. Des secteurs de plus en plus importants de la bourgeoisie adoptent des alternatives autoritaires au sein des démocraties libérales, ce qui a conduit au renforcement des mouvements fondamentalistes de droite et des gouvernements d'extrême droite (Trump, Modi, Bolsonaro), ainsi qu'à l'établissement de liens entre les partisans de ces forces à l'échelle internationale.

L'expansion d'une sociabilité néolibérale hyper-individualiste qui, combinée à l'utilisation par la droite des réseaux sociaux et peut-être maintenant de l'IA, favorise encore plus la dépolitisation, la fragmentation des classes et le conservatisme. Les technologies numériques contribuent également à approfondir la subordination-clientélisation de la petite et moyenne paysannerie, voire leur réduction massive, alors qu'elles sont les principales productrices d'aliments dans le monde. D'autre part, le néolibéralisme, en continuant à attaquer violemment ce qui reste des États-providence, en imposant la surexploitation des travailleuses et travailleurs de l'industrie et des services, et surtout des soignant·es, jette les femmes, en particulier les travailleuses, dans le dilemme de survivre (mal) ou de se battre.

Avec les plans d'austérité le système s'attaque brutalement aux services sociaux qu'il avait créés dans le passé : il les supprime complètement ou, lorsque des bénéfices peuvent être réalisés, les donne au secteur privé. De cette manière, le néolibéralisme maintient les femmes dans la main-d'œuvre formelle (dans le Nord) ou moins formelle, plus informelle (dans le Sud), réduisant encore les salaires et les revenus de celles qui « travaillent à l'extérieur » ou fournissent des services, tout en accablant les femmes actives dans leur ensemble avec les tâches de soins aux enfants, aux personnes âgées, aux malades, aux personnes différentes – le travail que l'État-providence couvrait autrefois, lorsqu'il existait. Les réseaux de reproduction sociale étant en crise, davantage dans les pays néocoloniaux que dans les métropoles, la société néolibérale « domestifie » (rend domestique à nouveau) et racialise (confie aux femmes non blanches, noires, indigènes, immigrées) les tâches de soins, mais n'assume pas la responsabilité de la reproduction sociale dans son ensemble.

D'un point de vue géoéconomique, dispositifs numériques et algorithmes permettent au capitalisme néolibéral d'aujourd'hui et à son système interétatique d'exploiter de nouvelles forces productives (plateformes numériques), de nouveaux types de relations sociales de production (ubérisation) et la marchandisation de diverses relations sociales . Dans le même temps, le centre de gravité de l'accumulation mondiale de capital s'est déplacé au 21e siècle de l'Atlantique Nord (Europe-États-Unis) vers le Pacifique (États-Unis, en particulier la Silicon Valley, l'Asie de l'Est et du Sud-Est). Ce n'est pas seulement la Chine qui est décisive, mais toute la région, du Japon et de la Corée à l'Australie et à l'Inde.

Sur le plan politique, le grand ennemi

Les nouvelles extrêmes droites, sous différentes versions, progressent en Europe – en France elles pourraient arriver au gouvernement –, en Amérique latine, où elles viennent de conquérir la Casa Rosada (Argentine), après le coup d'État de Dima Boluarte au Pérou, en 2022, et aux États-Unis, où Trump pourrait revenir à la Maison Blanche. Elles sont de véritables menaces en Asie, avec le fils du dictateur Marcos aux Philippines et le xénophobe anti-musulman Narendra Modi en Inde. Dans cette crise politique de longue durée, le mécontentement touche de plein fouet non seulement la droite « traditionnelle » ou plus « cosmopolite » (au sens de néolibérale « progressiste », comme le dit Nancy Fraser), comme aux États-Unis, en Italie, en Inde (Parti du Congrès) et aux Philippines, mais aussi les social-démocraties et les « progressismes » qui ont cogéré les États néolibéraux des dernières décennies – cf. les victoires de Duterte en 2016 contre une coalition de droite et de Bolsonaro contre le PT en 2018, ainsi que la récente défaite du péronisme et la montée de Vox en Espagne.

Depuis 2008, et de manière plus marquée depuis le Brexit et la victoire de Trump en 2016, les mouvements et partis d'extrême droite se sont renforcés et multipliés avec des victoires électorales à l'intérieur des systèmes politiques. Ils se présentent comme contre-systémiques, bien qu'extrêmement néolibéraux, conservateurs, nationalistes, xénophobes, racistes, misogynes, antiféministes, anti-droits LGBTQIA+, transphobes, et inspirés ou massivement soutenus par le fondamentalisme religieux, de type chrétien néo-pentecôtiste en Amérique latine et aux États-Unis, et hindouiste en Inde. Contrairement aux fascismes d'il y a cent ans, ils répandent le négationnisme scientifique, la négation de la science dans la compréhension du changement climatique – parce qu'ils ont besoin de nier la réalité tragique pour présenter un quelconque espoir – et dans l'orientation de la prise en charge collective des populations face aux pandémies et aux épidémies.

La montée de cette constellation de néo ou post-fascismes est principalement le résultat d'au moins deux décennies de crise des démocraties néolibérales et de leurs institutions. Ces régimes néolibéraux ont été responsables – et sont perçus comme tels par les populations – de l'accroissement des inégalités, de la paupérisation, de la corruption, de la violence et de l'absence de perspectives pour les jeunes. Ils se sont révélés incapables de répondre de manière satisfaisante aux aspirations des peuples et des travailleurs. La racine profonde de la nouvelle extrême droite est donc le désespoir des secteurs sociaux appauvris face à l'aggravation de la crise, la désintégration du tissu social imposée par le néolibéralisme – dans lequel le fondamentalisme religieux se développe – combinée aux échecs des « alternatives » représentées par le social-libéralisme et le « progressisme ». En conséquence, des fractions de la bourgeoisie sont apparues et se sont développées dans le monde entier, qui soutiennent le néofascisme en tant que solution politico-idéologique capable de mettre fin à des régimes, de contrôler les mouvements de masse d'une main de fer, d'imposer des ajustements brutaux et des dépossessions afin de récupérer les taux de profit. L'exemple le plus notable de cette division est la polarisation aux États-Unis entre le trumpisme (qui a pris d'assaut le Parti républicain) et le Parti démocrate.

Parallèlement et conjointement, on assiste au renforcement d'une tendance : théocraties meurtrières et véritables califats au Moyen-Orient, dictatures en Asie centrale, néofascisme oligarchique-impérial de Poutine en Russie, tandis que le Parti communiste chinois sous Xi Jing Ping étend la répression. Cette combinaison constitue une menace historique pour les libertés civiles et les acquis démocratiques partout dans le monde, parmi lesquels les révolutionnaires, sans abaisser notre critique des limites des démocraties bourgeoises formelles, valorisent tout particulièrement le droit des exploités et des opprimés à lutter et à s'organiser pour lutter. Dans ce contexte défavorable à celleux d'en bas, la soi-disant gauche nostalgique du stalinisme qui défend Poutine et le modèle chinois ou Maduro et Ortega comme alternatives au système impérial, collabore à l'affaiblissement et à l'usurpation de ces libertés, créant un obstacle de plus à la lutte pour une démocratie réelle et socialiste.

La crise économique et sociale

Nous vivons toujours sous l'impact de la grande crise financière de 2008, qui a ouvert une nouvelle grande dépression (au sens de Michael Roberts), comme celle des années 1873-90 et surtout comme celle de 1929-1933. Pour la plupart des analystes de gauche, nous vivons une crise de la mondialisation néolibérale. D'abord parce que ce mode de fonctionnement capitaliste n'est plus capable, comme par le passé, de garantir la croissance et les taux de profit qu'il a connus à la fin des années 1980 et 1990. Ensuite parce que la polarisation géopolitique, aggravée par l'invasion de l'Ukraine, par la progression des nationalismes et maintenant par le massacre de Gaza par Israël, ébranle les chaînes de valeur super-internationalisées (citons la chaîne énergétique Europe-Russie et la production mondiale de puces, cible de la fureur américaine pour empêcher le leadership chinois dans les télécommunications et l'intelligence artificielle). Avec la pandémie de Covid, puis l'invasion russe de l'Ukraine et ses conséquences, ainsi que la rivalité accrue entre les États-Unis et la Chine, les chaînes de production mondiales, déjà ébranlées, sont en train d'être remodelées. Cependant, aucune de ces difficultés n'empêche les gouvernements impérialistes néolibéraux et leurs subordonnés de poursuivre leurs ajustements et leurs attaques vicieuses contre les salaires et les budgets sociaux, ainsi que la marchandisation de l'agriculture.

Malgré la croissance dérisoire enregistrée après 2008, l'économie néolibérale lutte contre sa propre crise en fuyant vers l'avant, à travers la concentration continue du capital, la financiarisation, l'endettement public et privé, la numérisation – qui confère de plus en plus de pouvoir aux grandes sociétés transnationales en général et aux grandes entreprises technologiques en particulier. La combinaison de la stagnation en Occident, de l'inflation croissante (aggravée par la guerre en Ukraine) et de la mise en œuvre des mêmes politiques néolibérales ne fait qu'exacerber les inégalités sociales, régionales, raciales et de genre entre les pays et à l'intérieur de ceux-ci.

La reprise des échanges économiques internationaux et l'importante offre de crédit pour soutenir la reprise des activités après la pandémie de Covid ont créé une augmentation soudaine de la demande, une spéculation sur l'énergie et les matières premières et un niveau d'inflation inconnu depuis des décennies, une situation aggravée à tous égards par l'impact économique des guerres sur les chaînes de production et de distribution mondialisées.

La forte hausse de l'inflation est exacerbée par une spirale d'augmentation des marges bénéficiaires et des prix, et non par une spirale d'augmentation des salaires et des prix, contrairement à ce que prétendent la BCE et la Fed en particulier. La Fed, la BCE et d'autres banques centrales ont augmenté les taux d'intérêt, avec le risque d'une récession mondiale en 2023, et en affectant les systèmes financiers moins réglementés tels que ceux des États-Unis et de la Suisse. La recherche effrénée de la protection contre la crise (ou du maintien des profits) encourage la spéculation financière et menace en permanence le système avec la vague de faillites de 2008 qui a touché non seulement les banques mais aussi de grandes entreprises industrielles comme General Motors, Ford, General Electrics, ou de grandes sociétés immobilières. Outre son caractère récessif – qui ébranle le niveau de vie des masses laborieuses – la hausse des taux d'intérêt accroît les dettes souveraines et privées, créant les conditions de nouvelles crises de défaut régionales, voire mondiales.

L'ordre géopolitique en reconfiguration

Le « chaos géopolitique » dont nous parlions il y a quelques années s'est aggravé, d'une part, et, d'autre part, il donne lieu à ce que l'économiste marxiste Claudio Katz appelle une crise du système impérial, c'est-à-dire un affaiblissement de la puissance hégémonique accompagné de l'affirmation de nouveaux impérialismes, tels que le chinois et le russe. Il s'agit d'une reconfiguration en cours dans un contexte mondial d'immense instabilité, sans que rien ne soit consolidé, de sorte que toute affirmation catégorique est aujourd'hui un pari sur l'hypothèse la plus probable. En tout état de cause, l'unipolarité du bloc sous leadership américain n'existe plus.

Les faits montrent qu'avec le renforcement du géant asiatique dans les domaines économique, technologique et militaire, nous vivons, à tout le moins, un conflit inter-impérialiste basé sur la rivalité entre l'ancien système impérial – le bloc américain avec les impérialismes européens, la province canadienne, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie – et le bloc qui est en train de se construire autour de la Chine. Le bloc chinois en expansion et offensif inclut la Russie (malgré ses intérêts particuliers et ses contradictions avec Pékin), la Corée du Nord, de nombreuses républiques d'Asie centrale, se fait de nouveaux amis parmi les califats du Moyen-Orient (Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn, Iran) et tente de transformer les BRICS en une alliance contre les impérialismes occidentaux.

La nature du « grand bond » chinois des 30 dernières années est capitaliste. Héritier d'une grande révolution sociale et d'un tournant restaurateur à partir des années 1980, indispensable à la refonte néolibérale du monde (menée en partenariat avec les États-Unis et leurs alliés), l'impérialisme chinois présente des caractéristiques particulières, comme tous les impérialismes. Il repose sur un capitalisme étatique planifié, centralisé dans le PCC et les forces armées chinoises, avec des politiques développementalistes classiques, où de nombreuses grandes entreprises sont des joint-ventures entre des entreprises appartenant à l'État ou contrôlées par l'État et des entreprises privées. Son impérialisme est encore, bien sûr, en construction, mais il est très avancé dans cette construction. Au cours des dix dernières années, la Chine a fait un bond en avant dans l'exportation de capitaux et est devenue le pays qui dépose et enregistre le plus de brevets au monde. Au cours des deux dernières années seulement, la Chine est devenue davantage un exportateur qu'un importateur de capitaux, en mettant l'accent sur ses participations dans des sociétés énergétiques, minières et d'infrastructure dans les pays néocoloniaux (Asie du Sud-Est et Asie centrale, Afrique et Amérique latine). Elle investit de plus en plus dans l'armement et franchit avec véhémence la ligne – Taïwan et la mer du Sud – que ses rivaux et les États plus faibles ne doivent pas franchir. Elle n'a pas encore envahi ou colonisé « un autre pays » sur le modèle européen ou américain, bien que sa politique à l'égard du Tibet et du Xijiang (et des petits territoires historiquement en litige avec l'Inde et le Bhoutan) soit essentiellement impérialiste et colonialiste.

La Russie d'aujourd'hui, en revanche, est l'État résultant de la grande destruction des fondations de ce qu'était l'Union soviétique et de la restauration chaotique et non centralisée qui y a eu lieu, basée sur la prise de contrôle d'anciennes et de nouvelles entreprises par des bureaucrates devenus oligarques. Poutine et son groupe, issu des secteurs des anciens services d'espionnage et de répression, ont conçu au début du siècle le projet de recentraliser le capitalisme russe, en utilisant les relations bonapartistes entre oligarques et une version 21e siècle de la vieille idéologie nationale-impérialiste de la Grande Russie, transformée en principal instrument pour réaffirmer le capitalisme russe dans la concurrence impérialiste et pour accroître qualitativement la répression des peuples de la Fédération – y compris le peuple russe.

C'est dans ce nouveau contexte que nous devons comprendre l'invasion russe de l'Ukraine, la guerre qui dure depuis presque deux ans maintenant, et l'offensive israélo-américaine contre Gaza. La guerre en Ukraine pourrait durer encore longtemps, sans qu'aucune force armée ne l'emporte sur l'autre, d'autant que les Etats-Unis ont eu bien plus intérêt, en octobre 2023, à garantir par une aide militaire et financière le massacre palestinien que la guerre défensive du gouvernement et du peuple ukrainiens pour leur autodétermination. Les États-Unis sont à l'offensive avec Israël en Palestine, leur bloc reste actif sur le théâtre des opérations en Europe de l'Est, tout en se préparant à l'éventualité de conflits en Asie (Taïwan, mer de Chine) et en Océanie. Avec une Chine en difficulté économique, un Poutine renforcé pour l'instant et un régime américain en grave crise – avec la possibilité d'un retour de Trump à la Maison Blanche – le scénario du système capitaliste interétatique est celui de conflits croissants, de tensions et d'incertitudes tout aussi grandes pour les travailleurs et les peuples.

Ce nouveau (dés)ordre impérialiste n'a pas seulement entraîné des guerres en Ukraine et en Palestine. Nous assistons à la multiplication des situations de guerre dans le monde entier, comme en Syrie, au Yémen, au Soudan et dans la partie orientale de la République démocratique du Congo, sans parler des guerres civiles évidentes ou déguisées, comme la guerre civile au Myanmar, premier exemple de celles à venir, et la guerre permanente des États latino-américains contre les organisations criminelles, et de ces dernières contre les masses, comme au Mexique et au Brésil. Cette situation conflictuelle progresse dans la géoéconomie et la géopolitique de l'Afrique, où la Russie rivalise économiquement et militairement avec la France et les États-Unis, notamment dans les anciennes colonies francophones d'Afrique de l'Ouest. De son côté, la Chine continue d'essayer d'accroître son influence économique dans toutes les parties du continent africain. Ce nouveau désordre menace de multiplier les conflits inter-impérialistes et de relancer la course au nucléaire, rendant le monde plus instable, plus violent et plus dangereux.

L'émergence de rivaux n'enlève rien à la nature des États-Unis en tant que pays le plus riche et le plus puissant militairement, dont la bourgeoisie est la plus convaincue de sa « mission historique » de dominer la planète à tout prix, et donc de faire la guerre pour poursuivre son hégémonie. Le fait est que si les États-Unis sont imbattables en matière de coercition, ils ont un sérieux problème : une hégémonie impérialiste (comme toutes les hégémonies) ne peut être maintenue que si elle convainc également ses alliés et son opinion publique intérieure. L'Oncle Sam est en effet celui qui a le dernier mot dans la « collectivité » impérialiste encore hégémonique, mais il a de très graves problèmes qui n'existaient pas dans la période précédente : son élite économique et politique est divisée comme jamais auparavant sur le projet de domination intérieure (une société et un régime démocratique bourgeois en crise ouverte depuis que le Tea Party et Trump ont pris le contrôle du Parti républicain de l'intérieur) et est obligée de faire face au gâchis de défaire les chaînes de valeur qui ont profondément lié l'économie des États-Unis à celle de la Chine au cours des 40 dernières années.

Cette conception est devenue plus évidente depuis l'ascension de Trump aux États-Unis et a été consolidée par la posture de la Chine dans la guerre en Ukraine. (Certains experts font remonter les origines de la rivalité actuelle à 1991-2000, avec l'hégémonisme unipolaire des États-Unis. Cela vaut la peine d'être lu et débattu). ) S'il est essentiel de caractériser ce qui change dans le bloc des puissances et des anciennes puissances, cette refonte a de profondes implications pour la périphérie et la semi-périphérie.

La place de la guerre en Ukraine

L'invasion de l'Ukraine par l'armée de Poutine a accéléré le remodelage du monde géopolitique. Avec l'escalade des tensions en Asie de l'Est à propos de Taïwan et de la mer de Chine méridionale, le risque de guerres directes entre les principales puissances impériales s'est accru. Il existe un risque d'escalade nucléaire, même si ce n'est pas le scénario le plus probable. Le « nouvel ordre » en construction, qui comporte déjà la menace de conflits inter-impérialistes plus nombreux et d'une reprise de la course nucléaire, rend le monde plus conflictuel et plus dangereux.

L'invasion russe, atroce et injustifiée, de l'Ukraine décidée par Poutine le 24 février 2022 et la guerre qu'elle a provoquée ont déjà fait plus de 250 000 morts (50 000 dans l'armée russe) et près de 100 000 civils ukrainiens. La Russie continue de bombarder les zones civiles et d'attaquer les chemins de fer, les routes, les usines et les entrepôts, ce qui a détruit les infrastructures ukrainiennes. Des millions d'Ukrainiens ont été contraints de fuir le pays, laissant des familles et des communautés brisées. Elles et ils sont devenus des réfugiés, ce qui, selon les pays d'accueil, peut signifier sans statut permanent, sans logement, sans travail ou sans revenu, et faisant peser une lourde charge sur les pays voisins dont les populations se sont mobilisées pour apporter un soutien matériel.

Nous défendons le droit du peuple ukrainien à déterminer son propre avenir dans son propre intérêt et dans le respect des droits de toutes les minorités ; son droit à déterminer cet avenir indépendamment des intérêts de l'oligarchie ou du régime capitaliste néolibéral actuel, des conditions du FMI ou de l'UE, avec l'annulation totale de sa dette ; et le droit de tous les réfugié·es et personnes déplacées de retourner chez eux en toute sécurité et dans le respect de leurs droits.

La seule solution durable à cette guerre passe par la fin des bombardements des populations civiles et des infrastructures de l'énergie, ainsi que le retrait complet des troupes russes. Toute négociation doit être publique devant le peuple ukrainien. Nous luttons pour le démantèlement de tous les blocs militaires – OTAN, OTSC, AUKUS – et nous continuons également à lutter pour le désarmement mondial, en particulier en ce qui concerne les armes nucléaires et chimiques.

En Russie et en Biélorussie, celleux qui s'opposent à la guerre impérialiste de Poutine sont criminalisés. En Russie, les déserteurs de l'armée et celleux qui osent protester ouvertement sont sévèrement réprimés. Des centaines de milliers de personnes ont également été contraintes de fuir la Russie, souvent sans statut de réfugié et en subissant les effets des mesures destinées à punir les partisans du régime russe. Elles aussi méritent toute notre solidarité, et nous appelons à la fin de toute répression des opposants russes à la guerre et, si nécessaire, leur accueil dans le pays de leur choix.

Coups d'État récents en Afrique

Les récents coups d'État militaires dans les anciennes colonies françaises d'Afrique (Mali, Burkina Faso et Niger) sont un indicateur de la profonde crise sociale et politique que traverse cette région, fragilisée par la montée en puissance des actions militaires des groupes terroristes islamistes, renforcés par la défaite de Kadhafi en Libye et l'intervention des puissances occidentales. Dans ces trois pays, les militaires qui ont pris le pouvoir, sans rencontrer de résistance dans un contexte de crise de régime, ont profité du discrédit total des institutions politiques et du rejet généralisé de la présence impérialiste française au sein de la population, notamment parmi les jeunes du Sahel. Ce rejet de la France impérialiste par la population s'est également exprimé très clairement au Sénégal lors des mouvements sociaux de 2021. Dans le cas du coup d'État militaire au Gabon, qui fait partie de l'Afrique centrale et qui est également une ancienne colonie française, ce qui est décisif, c'est la crise du régime, car dans ce pays il n'y a pas de rejet de la France comme dans ses voisins.

En tout état de cause, les militaires qui sont arrivés au pouvoir n'offrent pas de véritable alternative aux politiques impérialistes et au modèle néolibéral, tout comme les islamistes qui sont arrivés au pouvoir par le biais des élections en Tunisie et en Égypte après le printemps arabe. Aucun d'entre eux ne se prononce même sur la question de l'anti-impérialisme – si puissant sur le continent dans les années 1960 et 1970 – et sur la nécessité d'une unité africaine radicalement différente de la prétendue unité représentée par l'UA et son orientation d'intégration dans la mondialisation néolibérale.

En tant que Quatrième Internationale, nous rejetons le discours impérialiste occidental qui, sous prétexte de rétablir l'ordre constitutionnel dans ces pays, veut soutenir une intervention militaire pour préserver ses intérêts. Nous soutenons la demande de retrait des troupes militaires françaises de toute la région, à commencer par le Niger. Nous exigeons la fermeture de la base militaire américaine d'Agadez au Niger et le départ des troupes du groupe Wagner. Nous soutenons tous les efforts pour récupérer la souveraineté politique et économique des peuples, dans le sens d'un mouvement nouveau et anti-systémique pour l'unité des pays et des peuples d'Afrique.

Ceux qui sont au bas de l'échelle réagissent par des mobilisations

Après la crise de 2008, les mobilisations de masse ont repris partout dans le monde. Printemps arabe, Occupy Wall Street, Plaza del Sol à Madrid, Taksim à Istanbul, juin 2013 au Brésil, Nuit Debout et Gilets jaunes en France, mobilisations à Buenos Aires, Hong Kong, Santiago et Bangkok. Cette première vague a été suivie d'une deuxième vague de soulèvements et d'explosions entre 2018 et 2019, interrompue par la pandémie : la rébellion antiraciste aux États-Unis et au Royaume-Uni, avec la mort de George Floyd, les mobilisations de femmes dans de nombreuses parties du monde, y compris la lutte héroïque des femmes en Iran, les révoltes contre les régimes autocratiques comme en Biélorussie (2020), une mobilisation de masse des paysans indiens qui a triomphé en 2021. L'année 2019 a vu des manifestations, des grèves ou des tentatives de renversement de gouvernements dans plus d'une centaine de pays – dans plus d'un pays sur trois, les soulèvements ont conduit au départ du chef d'État ou de gouvernement (Soudan, Algérie, Bolivie, Liban), à un remaniement ministériel (Irak, Guinée, Chili) ou encore à l'abandon des réformes qui firent éclore les mobilisations (France, Hong Kong, Indonésie, Équateur, Albanie, Honduras) (étude du site d'information français Mediapart, 24/11/2019, https://www.me…).

Il faut souligner, au lendemain de la pandémie, les trois mois de résistance en France contre la réforme des retraites de Macron et le soulèvement des travailleurs, des étudiants et de la population en Chine qui a contribué à mettre en échec la politique du PCC « Zéro Covid ». Aux États-Unis, le processus de syndicalisation et de lutte se poursuit dans les nouvelles branches de production (Starbuck's, Amazon, UPS), avec l'émergence de nouveaux processus anti-bureaucratiques de base, avec des grèves de travailleurs dans l'éducation, les soins de santé et, en 2022/2023, les grandes grèves des scénaristes et des acteurs d'Hollywood, ainsi que la grève historique et jusqu'à présent victorieuse des travailleurs des trois grandes entreprises automobiles du pays.

La classe ouvrière au sens large, qui se prépare aujourd'hui aux impacts de l'intelligence artificielle (et qui résiste, comme le montre la grève des scénaristes et des acteurs américains), est toujours vivante et nombreuse, bien que restructurée, réprimée, moins consciente et organisée qu'au siècle dernier. Les grands complexes industriels survivent en Chine et s'étendent en Asie du Sud-Est. Les paysans d'Afrique, d'Asie du Sud (Inde et Pakistan) et d'Amérique latine résistent courageusement à l'invasion de l'agro-industrie impérialiste. Les peuples autochtones, qui représentent 10 % de la population mondiale, résistent à l'avancée du capital sur leurs territoires et défendent les biens communs indispensables à toute l'humanité. La défaite du Printemps arabe et la tragédie syrienne retardent la résilience des peuples du Proche et du Moyen-Orient ; malgré cela, nous avons assisté au soulèvement héroïque des femmes et des filles d'Iran.

En Amérique latine, les explosions sociales et les luttes – qui ont combiné les revendications démocratiques et économiques – sont canalisées dans les élections des gouvernements dits « progressistes » de la deuxième vague, avec toutes les différences qui existent entre les gouvernements de Lula, Amlo, Petro et Boric. Notre politique générale ne doit pas être une opposition frontale et sectaire à ces gouvernements, mais une politique de revendication et de mobilisation (y compris vers de meilleurs moyens de combattre l'extrême droite), tout en maintenant l'indépendance des mouvements et des partis dans lesquels nous agissons avec toutes leurs contradictions.

Les travailleur.es résistent toujours au capital et luttent pour leurs conditions de vie, bien que sous de nouvelles formes d'organisation du travail et de nouvelles manières de s'organiser pour lutter, et donc avec plus de difficultés que pendant les années « glorieuses » de l'État-providence du 20e siècle. L'enjeu est de travailler plus que jamais, dans chaque pays, dans chaque périphérie urbaine, sur chaque lieu de travail, dans chaque occupation et chaque grève, dans chaque nouveau syndicat de base, dans chaque nouvelle catégorie et chaque nouveau mouvement populaire de résistance à l'ordre, en s'unissant les un·es aux autres pour des revendications communes, en créant et en renforçant l'auto-organisation et la politisation anticapitaliste des revendications, en vue de la reconstruction d'une conscience des exploités et des opprimés contre le capitalisme et de leur indépendance de classe.

En Afrique subsaharienne il y a, d'une part, les mouvements dits citoyens (Le Balai citoyen, Y en a marre !, Lucha, etc.) qui semblent chercher un nouvel élan et, d'autre part, les manifestations populaires, y compris celles de l'opposition politique, auxquelles les régimes répondent aussi par une répression féroce (Sénégal, Swatini/ex-Swaziland, Zimbabwe, etc.). En général, l'ancrage à gauche ou « progressiste » (anti-néolibéral) n'est pas évident, sans parler d'une perspective anticapitaliste (évoquée par les camarades algériens lors du Hirak).

Des exigences centrales pour une nouvelle ère

Dans ce contexte général, la situation des classes laborieuses, des exploité·es et des opprimé·es met en avant différentes revendications qui combinent les domaines économiques, féministes et antiracistes avec les questions socio-environnementales et démocratiques en général – contre les régimes autoritaires, le néofascisme et tous les impérialismes. Les politiques unitaires de gauche (fronts uniques) et même l'unité transitoire avec les secteurs moyens ou bourgeois contre le fascisme (fronts larges) constituent une partie importante de notre répertoire en ces temps, mais jamais en négociant ou en acceptant la perte de notre indépendance politique ou celle des mouvements sociaux.

Les besoins fondamentaux, les droits fondamentaux doivent être satisfaits pour tous les humains, avec des soins de santé gratuits, un logement et un travail dignes et des salaires et pensions décentes, ainsi que l'accès à l'eau. Une grande partie de l'humanité dispose de moins en moins de ces avantages en raison de la privatisation de la terre et des moyens de production pour les profits capitalistes, des politiques d'austérité et du changement climatique aux conséquences catastrophiques.

Nous devons lutter contre les gouvernements autoritaires et pour les droits démocratiques, pour le droit général de la société aux soins, contre la discrimination dont les femmes sont victimes, empêchées de disposer de leur propre corps et de leur propre vie, pour le droit à l'avortement, pour l'égalité des salaires et des revenus, contre le racisme structurel qui discrimine les Noirs, les peuples indigènes et les autres ethnies racialisées, et contre l'homophobie et la transphobie qui s'attaquent à la communauté LGBTQI dans le monde.

Toutes ces luttes doivent s'unir pour vaincre les nouveaux fascismes, pour renverser les régimes d'exploitation et d'oppression, pour mener la lutte contre le capitalisme. Toutes ces tâches, au milieu des guerres, des catastrophes climatiques et des menaces d'ajustement, induisent la nécessité d'un nouvel internationalisme, un internationalisme militant des peuples d'en bas. Alors que de nombreux mouvements sociaux et mobilisations explosent aujourd'hui, il faut reconstruire des liens et des initiatives internationalistes – comme celles des travailleur·es portuaires de toute l'Europe boycottant Israël –, des campagnes qui rassemblent la gauche et les mouvements sociaux, avec des échanges qui permettent de défendre des revendications communes, de faciliter des victoires et des avancées capables de retourner la situation en faveur des majorités sociales.

21 novembre 2023

Ana Cristina Carvalhaes est journaliste, militante du PSOL (Brésil) et membre du Bureau exécutif de la Quatrième Internationale.

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Appel à ne pas financer le projet de TotalEnergies en Papouasie Nouvelle-Guinée

19 décembre 2023, par Collectif — , ,
Nos 50 organisations de la société civile de Papouasie Nouvelle-Guinée, du Pacifique, de France et d'ailleurs vous demandent de vous engager à ne pas financer ou fournir de (…)

Nos 50 organisations de la société civile de Papouasie Nouvelle-Guinée, du Pacifique, de France et d'ailleurs vous demandent de vous engager à ne pas financer ou fournir de soutien financier au projet Papua LNG, développé par TotalEnergies avec ExxonMobil, Santos et JX Nippon (1). En effet, nous savons que TotalEnergies cherche actuellement à obtenir des soutiens financiers pour ce projet, avec l'appui du Crédit Agricole, conseiller financier du projet.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Votre banque a financé le projet PNG LNG en Papouasie Nouvelle Guinée (2) et/ou un autre projet de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) impliquant TotalEnergies dans la région Asie-Pacifique au cours des 6 dernières années (3). Nous vous demandons de cesser de soutenir l'expansion des énergies fossiles, qui est incompatible avec l'objectif mondial de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a confirmé que les émissions des infrastructures fossiles existantes dépasseront largement le budget carbone restant pour limiter le réchauffement planétaire à moins de 1,5°C (4). Le scénario Net zero by 2050 de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) indique par ailleurs qu'aucun nouveau projet de production de pétrole ou de gaz, ni aucun nouveau terminal de liquéfaction n'est nécessaire pour répondre aux besoins énergétiques mondiaux (5). Le projet Papua LNG, qui comprend 9 puits offshore, une usine de traitement du gaz, 4 trains de liquéfaction électrique et un gazoduc de 320 km, n'est donc pas compatible avec le scénario Net zero de l'AIE (6).

En tant que tel, ce projet n'est pas compatible avec les politiques des banques australiennes et françaises BNP Paribas, Commonwealth Bank of Australia, Crédit Mutuel, Société Générale et Westpac, qui ont accordé des prêts à l'infrastructure PNG LNG entre 2010 et 2014 (7), et qui ont depuis adopté des politiques climatiques excluant ce type de projet (8). Afin de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, tous les acteurs financiers devraient suivre la même logique et cesser de financer l'expansion pétrolière et gazière.

En l'occurrence, les émissions totales du projet Papua LNG sont estimées à 220 millions de tonnes d'équivalent CO2 (MTCO2e). Au cours de sa durée de vie, ce seul projet émettra autant que la population entière du Bangladesh – 169 millions de personnes – en une année entière (9).

De plus, alors que TotalEnergies affirme que ses projets de GNL contribueront à remplacer le charbon par le gaz pour produire de l'électricité, l'impact climatique du GNL peut être aussi important que celui du charbon si l'on prend en compte les émissions de gaz à effet de serre tout au long de la chaîne de valeur. En effet, le gaz fossile est principalement composé de méthane fossile, dont le potentiel de réchauffement est 82,5 fois plus élevé que celui du CO2 sur une période de 20 ans (10). Il suffit de quelques pour cent de fuites de gaz pour que le gaz devienne un facteur de changement climatique aussi important que le charbon à court terme (11).

Le projet risque également d'avoir de graves répercussions environnementales, sociales et potentiellement économiques en Papouasie Nouvelle Guinée. Le projet serait développé dans la province du Golfe, une province dont les zones côtières sont déjà durement touchées par le dérèglement climatique. L'élévation du niveau de la mer et les tempêtes océaniques ont contraint certaines communautés de la baie d'Orokolo à déplacer leurs habitations à plusieurs reprises (12).

Un projet antérieur développé par ExxonMobil – PNG LNG – fait l'objet d'un grave bilan en matière de violations de droits humains, de violences intra-communautaires, de conflits fonciers et à de promesses non tenues (13). Les consultations avec les communautés affectées dans le cadre du projet Papua LNG laissent craindre que leurs droits ne seront pas davantage protégés : les consultations ne sont pas menées avec la transparence nécessaire pour garantir leur consentement libre, informé et préalable (14).

Il n'est donc pas surprenant qu'un conseil de chefs, représentant 600 clans dans la région où le projet Papua LNG est développé, ait vivement dénoncé le processus de consultation en septembre dans le Post Courier, l'un des journaux les plus importants de la Papouasie Nouvelle Guinée. Selon cet article, ces chefs de clan ont indiqué que la rivière Purari, utilisée par TotalEnergies pour transporter des matériaux vers le site du projet, avait été « fermée par les propriétaires terriens pendant deux semaines » et que les opérations seraient interrompues si le dialogue n'était pas établi (15).

Le projet comporte également des risques financiers considérables. S'il est mis en oeuvre, le projet Papua LNG commencera à fonctionner à la fin de 2027 ou en 2028, alors que la demande mondiale de gaz devrait atteindre son maximum avant la fin de la décennie, selon les trois scénarios de l'AIE (16). La date des premiers chargements de GNL du projet coïncide avec une probable offre excédentaire des livraisons mondiales de gaz. En effet, les capacités de liquéfaction devraient augmenter en 2026 et 2027. Les perspectives de baisse des prix sont donc importantes à partir de cette période, avec des risques élevés pour les rendements des investisseurs du projet (17).

En outre, rien ne garantit que le GNL produit par le projet Papua LNG sera vendu, car aucun accord de vente et d'achat à long terme n'a été rendu public à ce jour (18). Comme en Europe (19), la surcapacité en GNL peut donc conduire à des actifs échoués et les infrastructures de GNL du projet Papua LNG pourraient demeurer inutilisées.

Enfin, la Papouasie Nouvelle Guinée n'a pas besoin de ce projet – dont 95% de la production doit être exportée – même pour ses propres besoins énergétiques et sa transition énergétique durable. Un rapport récent montre que le gouvernement du pays a déjà identifié de nombreux projets qui, s'ils se concrétisaient, augmenteraient considérablement l'accès à l'énergie grâce aux nouvelles énergies renouvelables (20). Le financement nécessaire pour ces projets est estimé à moins de 100 fois le budget du projet Papua LNG (21).

Pour contribuer à maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, nous vous demandons de mettre fin immédiatement à tous les services financiers directs aux nouveaux projets pétroliers et gaziers en amont et en aval et de conditionner les services financiers généraux aux développeurs pétroliers et gaziers, y compris TotalEnergies, ExxonMobil, JX Nippon et Santos, à leur engagement de ne pas développer de tels projets. En conséquence, nous vous demandons de vous engager à ne pas soutenir le projet Papua LNG.

Nous vous remercions de l'attention que vous porterez à ce sujet important et serions heureux de vous rencontrer, vous et votre équipe, pour en discuter plus avant. Une réponse à cette lettre avant le vendredi 22 décembre serait très appréciée.

Organisations signataires : Center for Environmental Law and Communities Rights (CELCOR, Papua New Guinea) ; Reclaim Finance (International) ; Alofa Tuvalu (France, Tuvalu) ; Les Amis de la Terre / Friends of the Earth France ; Bank Climate Advocates (United States) ; Bank on our Future (United Kingdom) ; BankTrack (International) ; Bio Vision Africa (BiVA, Uganda) ; Bloom (France) ; Both ENDS (The Netherlands) ; Carrizo/Comecrudo Tribal Nation of Texas (United States) ; Earth Action, Inc. (United States) ; Earthlife Africa (South Africa) ; Environment Governance Institute Uganda ; Extinction Rebellion Carnage Total (France) ; Extinction Rebellion France ; FairFin (Belgium ; Friends of the Earth Japan ; Fridays for future Uganda ; Friends of the Earth United States ; Fund Our Future (South Africa) ; Global Witness (International) ; Greenpeace France ; Green Faith Indonesia ; The Green Youth Movement Denmark (Den Grønne Ungdomsbevægelse) ; JA ! Justica Ambiental (Mozambique) ; Japan Center for a Sustainable Environment and Society (JACSES) ; Jordens Vänner / Friends of the Earth Sweden ; Jubilee Australia Research Centre ; Justice Institute Guyana ; Kiko Network (Japan) ; Laudato Si Movement (International) ; LDH (0L0igue des droits de l'Homme) (France) ; Liveable Arlington (United States) ; Market Forces (International) ; Mekong Watch (Japan) ; Missão Tabita (Mozambique) ; NOAH – Friends of the Earth Denmark ; Oil Change International (International) ; Parents for Climate (Australia) ; Positive Money UK ; Public Citizen (United States)
Rainforest ActionNetwork (United States) ; ReCommon (Italie) ; Society of Native Nations (International) ; Stand.earth (International) ; StopTotal (France) ; Switch It Green (United Kingdom) ; Texas Campaign for the Environment (United States) ; Urgewald (Germany).

Paris, le 13 décembre 2023
Lire le communiqué « Appel à ne pas financer le projet de totalenergies en Papouasie Nouvelle Guinée” en format pdf

https://www.ldh-france.org/appel-a-ne-pas-financer-le-projet-de-totalenergies-en-papouasie-nouvelle-guinee/

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L’Argentine n’est pas à vendre : les syndicats réagissent à la privatisation

19 décembre 2023, par Sindicatos por la democracia energetica — , ,
Le 19 novembre 2023, Javier Milei a largement battu le ministre de l'Economie Sergio Massa, remportant les 24 provinces argentines sauf trois. Il promet de tout privatiser y (…)

Le 19 novembre 2023, Javier Milei a largement battu le ministre de l'Economie Sergio Massa, remportant les 24 provinces argentines sauf trois. Il promet de tout privatiser y compris l'énergie.

28 novembre 2023 | tiré de canadian.dimension | Photo : Photo avec l'aimable autorisation de Vox España/Flickr.
https://canadiandimension.com/articles/view/argentina-is-not-for-sale-unions-respond-to-privatization

Les Argentins, lassés de l'inflation annuelle qui dépasse les 140 % et d'un taux de pauvreté qui atteint 40 %, ont élu l'économiste libertaire de droite Javier Milei. Le dimanche 19 novembre 2023, Milei a largement battu le ministre de l'Economie Sergio Massa par 55,7 % contre 44,3 %, remportant toutes les provinces du pays sauf trois. Il avait fait campagne en promettant de privatiser les entreprises d'État, de réduire les dépenses publiques, de dollariser l'économie, d'éliminer la banque centrale et de fermer des ministères clés, dont ceux de la Santé et de l'Éducation.

Milei fait de la privatisation de la compagnie pétrolière publique argentine, YPF, une priorité absolue. « La première chose à faire est de larestructurer pour que YPF puisse être « vendu de manière très favorable aux Argentins ». Il a ajouté : « Tout ce qui peut être entre les mains du secteur privé sera entre ses mains. » Milei a déclaré qu'il privatiserait également la télévision publique, la radio nationale et l'Agence nationale de presse (Telám). Les actions cotées à New York de l'argentine YPF ont grimpé de plus de 40 % après cette annonce.

Les commentateurs ont souligné qu'un programme de privatisation aussi radical nécessitera des réformes constitutionnelles et, dans certains cas, de nouvelles lois de la part d'un Congrès où Milei n'a pas encore la majorité. ‍

Appel à l'action des syndicats argentins

Hugo « Cachorro » Godoy, secrétaire général du CTA-Autónoma, a présenté une première analyse des facteurs à l'origine de ces résultats :

Nous avons voté contre ce gouvernement [d'Alberto Fernández], qui n'a rempli aucun des objectifs et des engagements pris, et qui était initialement aux antipodes de la politique de Macri et des impositions du FMI. À la fin de quatre années de gouvernement, la situation était pire qu'à ses débuts, particulièrement dans les domaines économique et social. Milei arrive au pouvoir porté par la fragmentation du camp populaire [la base de la classe ouvrière] et de la fragmentation des relations de travail, où la précarité a produit des dommages économiques et sociaux, y compris 43 pour cent de pauvreté [et] 10 pour cent de personnes souffrant de la faim. En ce qui concerne [Milei], il dénie le rôle de l'État comme instrument d'équité et d'équilibre dans une société, il est indispensable de construire un programme alternatif pour reconstituer les secteurs populaires et la base ouvrière.

La Confédération générale du travail de la République argentine (CGT), la plus grande confédération syndicale du pays, a réuni ses syndicats et a averti qu'elle n'accepterait aucun recul de ses droits ni aucun retard dans les négociations. Il a également rejeté les menaces de Milei concernant la paralysie des travaux publics et la privatisation des chemins de fer et des Aerolíneas Argentinas.

« Beaucoup de gens ont voté pour Milei en sachant ce qu'il allait faire, mais ils pensaient qu'il ne les toucherait pas. Si c'est le cas, la CGT sera là [...] Nous n'allons pas permettre la privation des droits et encore moins qu'il attaque les salaires », a déclaré Héctor Daer, représentant du secteur de la santé à la CGT.

Le Syndicat des travailleurs de la métallurgie (UOM) a annoncé que les mesures drastiques annoncées par Milei « ne sont pas bonnes pour les travailleurs, comme la paralysie des travaux publics en cours de développement dans tout le pays ».

Pedro Wasiejko, secrétaire général de la Fédération des syndicats des travailleurs de l'énergie, de l'industrie, des services et des secteurs connexes (Fetia), a fait référence à un récent sommet de la fédération qui s'est conclu à l'unanimité sur le fait que « sans développement productif autonome, il n'y a pas de possibilité de justice sociale ou de souveraineté nationale... Le [sommet] a mis en évidence l'énorme potentiel de nos entreprises d'État ainsi que les connaissances approfondies et les capacités de leurs travailleurs qui ont clairement émergé, en contraste clair avec les propositions de ceux qui prétendent que la seule issue est de les privatiser et de les fermer.

Julio Acosta, secrétaire général de la Fédération des travailleurs de l'énergie d'Argentine (FeTERA), a partagé ses réflexions sur la nécessité de construire un sentier public en Argentine. Le texte suivant a été écrit juste avant les élections, lorsque FeTERA a rejoint le TUED :

La dénationalisation des entreprises publiques a fait perdre à l'Argentine sa souveraineté, dans cette offensive du capital contre le travail, elle a mis notre pays à genoux au point qu'actuellement la politique économique est dictée par le FMI, et tous les trois mois, une délégation du Fonds arrive dans notre pays pour vérifier si les objectifs qu'ils proposent sont atteints, ce qui signifie plus d'ajustements pour les travailleurs, plus de dépendance, plus d'arriération.
La seule issue pour l'Argentine est de recouvrer sa souveraineté. Défaire les transformations structurelles du néolibéralisme, retrouver la souveraineté énergétique, la souveraineté alimentaire (nous sommes un pays qui produit de la nourriture pour plus de 450 millions d'habitants, et il y a des millions de personnes qui souffrent de la faim), ainsi que la souveraineté financière et économique.
Recouvrer la souveraineté signifie démarchandiser le secteur de l'énergie, le nationaliser, renationaliser les services essentiels, changer le modèle de privatisation pour un modèle de propriété étatique avec la participation et le contrôle des utilisateurs et des travailleurs, et ainsi récupérer les droits des travailleurs, des utilisateurs et de la société dans son ensemble.

En réponse aux annonces de privatisation de Milei, les mouvements sociaux regroupés au sein de l'Union des travailleurs de l'économie populaire (UTEP) et de l'Association des travailleurs de l'État (ATE) ont appelé à « éviter la destruction de l'État proposée par Milei » et ont affirmé qu'ils ne permettraient pas « la nouvelle tentative de privatisation des entreprises publiques ».

« Nous ne nous écarterons pas d'un millimètre du mandat qui nous a été confié par nos membres. Avant de partir, le gouvernement actuel doit garantir les augmentations promises pour novembre et décembre. Et à la prochaine, nous voulons dire que nous défendrons de toutes nos forces les emplois et les politiques publiques que nous avons gagnés », a déclaré Rodolfo Aguiar, secrétaire général de l'Association des travailleurs de l'État (ATE).

« Nous devons être forts et unis parce que la sortie est toujours collective. Nous avons besoin d'un État fort et souverain, et il est clair que la moitié de notre pays n'est pas en mesure d'en apprécier l'importance. C'est très affligeant parce que ceux d'entre nous qui sont au courant de l'histoire de notre pays savent ce qui s'est passé avec les privatisations et les démantèlements », a ajouté Mercedes Cabezas, secrétaire adjointe de l'ATE.

Le Syndicat de la presse de Buenos Aires (SiPreBA) a appelé à des rassemblements cette semaine à Radio Nacional, TV Pública et Télam, respectivement, sous le slogan « Sans médias publics, il n'y a pas de démocratie ».

Brésil : Reconstruire après la présidence Bolsonaro

Sans minimiser les différences importantes entre l'Argentine et le Brésil, ce dernier a été confronté à des défis similaires sous les administrations Temer et Bolsonaro avec la privatisation d'importantes entreprises publiques telles qu'Eletrobras et Petrobras. La lutte contre ces privatisations et la lutte actuelle, sous Lula, pour récupérer et restaurer les entreprises peuvent offrir des informations précieuses sur la stratégie.

CUT du Brésil s'est adressé au mouvement ouvrier argentin dans une déclaration post-électorale. « Notre histoire de solidarité entre la CUT Brésil et les syndicats argentins est marquée par des luttes acharnées et des résistances aux gouvernements autoritaires et néolibéraux qui, pendant des décennies, ont œuvré pour remettre les biens publics, les secteurs stratégiques de nos économies aux entreprises multinationales et, sous prétexte de réduire les dépenses, détruire nos systèmes publics de protection sociale et du travail. Le résultat, nous le savons déjà, est que des millions de travailleurs seront abandonnés par l'État minimal, poussés vers la famine, la violence et le chômage [...] Nous serons ensemble dans cette période de résistance, mais aussi d'organisation de la lutte pour défendre un projet souverain d'intégration régionale...

La reconquête de la politique industrielle de l'État et la restauration de la démocratie, du mouvement ouvrier et des services publics figuraient parmi les thèmes centraux du 14e Congrès national de la CUT Brésil (CONCUT14) qui s'est tenu en octobre 2023. Plus de deux mille délégués brésiliens et 150 délégués internationaux, dont le TUED, ont participé à ce congrès historique qui a marqué le premier depuis la défaite de Bolsonaro.

Dans les jours qui ont précédé la CONCUT, la TUED a participé à la troisième édition du Forum syndical international pour une transition sociale et écologique, organisé par la CUT du Brésil, la Rosa Luxemburg Stiftung (RSL), la Confédération générale du travail de France (CGT), la Confédération coréenne des syndicats (KCTU) et la TUED. À la suite du Congrès, le TUED a également participé à la convocation par Industriall Global Union Brésil des syndicats du secteur industriel du pays, notamment la Fédération brésilienne des travailleurs du pétrole (FUP), la Confédération nationale des métallurgistes de la CUT (CNM/CUT), la Fédération nationale et la Confédération des travailleurs urbains - FNU/CNU et le Syndicat des travailleurs de l'énergie (Sinergia CUT), entre autres.

Les Syndicats pour la démocratie de l'énergie (TUED) sont une initiative mondiale et multisectorielle visant à faire progresser la direction et le contrôle démocratiques de l'énergie d'une manière qui promeut des solutions à la crise climatique, à la pauvreté énergétique, à la dégradation des terres et des personnes, et répond aux attaques contre les droits et la protection des travailleurs.

Cet article a été publié à l'origine sur le site Web du TUED.

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« Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit »

19 décembre 2023, par Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles Faites aux Enfants (CIIVISE) — , ,
Il y a 3 ans, la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles Faites aux Enfants (CIIVISE) était installée, avec pour lettre de mission de recueillir les (…)

Il y a 3 ans, la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles Faites aux Enfants (CIIVISE) était installée, avec pour lettre de mission de recueillir les témoignages des personnes ayant été victimes de violences sexuelles pendant leur enfance en créant un espace inédit d'expression et faire des préconisations de politiques publiques pour améliorer la réponse des différentes institutions.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Par son rapport « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit », publié ce vendredi 17 novembre, la CIIVISE restitue ces trois années d'engagement, livre son analyse des violences sexuelles faites aux enfants et présente des préconisations de politique publique. Quatre parties le structurent : les piliers, la réalité, le déni, la protection.

Les violences sexuelles faites aux enfants, l'inceste, sont un problème social historique et politique. Si longtemps confinées à la sphère privée et à l'intime secret, elles mettent aussi en question nos représentations collectives de la famille, de la sexualité, de la liberté, de la relation et du pouvoir. Face à cela, la culture de la protection ne peut être édifiée sans piliers inébranlables, afin de regarder la réalité en face, et sortir du déni.

La réalité peut être décrite en quelques chiffres : 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l'impunité des agresseurs et l'absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d'euros chaque année en dépenses publiques. Les deux tiers de ce coût faramineux résultent des conséquences à long terme sur la santé des victimes. La réalité c'est d'abord le présent perpétuel de la souffrance.

Ce que la CIIVISE a à dire après trois ans d'engagement, d'écoute, de discernement et d'action, c'est ceci : nous, la société, nous nous sommes trompés. Nous avons cru qu'il était préférable de faire comme si ça n'existait pas, comme si c'était impossible. Nous avons préféré ne pas voir. La CIIVISE ne sera pas la première à mettre en évidence le déni dont les violences sexuelles faites aux enfants font l'objet.

Il est possible de sortir du déni, de remettre la loi à sa place, d'être à la hauteur des enfants victimes et des adultes qu'ils sont devenus. C'est le sens des 82 préconisations formulées de ce rapport. Elles sont réalistes et réalisables. Leur mise en œuvre sera moins coûteuse que le coût du déni.

La commission espère qu'il ne s'agit pas de son rapport final mais d'un rapport d'étape.

Elle espère que ce rapport sera lu et qu'il suscitera l'intérêt des mouvements et professionnels de la protection de l'enfance et celui des mouvements et professionnels de la lutte contre les violences sexuelles.

Elle espère qu'il sera lu par tous les citoyens, quel que soit leur métier ou leur engagement, parce que ce dont parle la CIIVISE les concerne nécessairement.

Elle espère que les personnes qui lui ont confié leur témoignage, et toutes les victimes de violences sexuelles dans leur enfance, se reconnaitront dans chaque mot, qu'aucun mot ne les troublera, que cette multitude de femmes et d'hommes se dira que la CIIVISE a été à la hauteur de leur attente, de leur parole, de leur exigence.

Elle espère enfin que ce rapport sera connu des enfants, d'une manière ou d'une autre ; que les enfants en entendront parler et se diront que cette CIIVISE a fait un travail sérieux, comme les enfants font un travail sérieux parce que les enfants sont des gens sérieux, qui vivent leur vie sérieusement ; que les enfants victimes se diront qu'ils vont être protégés, que les adultes qui les croient et veulent les protéger vont réussir parce qu'ils ne sont pas tout seuls.

Télécharger le rapport

Télécharger la synthèse
La littérature et notamment la littérature contemporaine permet, comme le dit Christine Angot, que « les mots soient visibles ». La littérature « fait voir » la réalité même quand cette réalité fait l'objet d'un déni ancien et puissant. C'est le cas des violences sexuelles faites aux enfants et notamment de l'inceste. Avec l'association Idéokilogramme, Henriette Zoughebi a réalisé pour la CIIVISE un recueil des œuvres littéraires qui s'inscrivent dans la lutte contre le déni.

Télécharger le receuil

La CIIVISE reçoit les témoignages dans le respect des articles 434-3 et 434-1 du Code pénal qui lui font obligation d'informer les autorités judiciaires de toutes les agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur dont elle a connaissance, ainsi que de tout viol commis sur un majeur dont l'auteur serait susceptible de commettre de nouveaux viols qui pourraient être empêchés.

https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-la-ciivise/

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La guerre, les femmes et les viols : on vous croit

19 décembre 2023, par Collectif, Fabienne Messica — , ,
La lutte contre le sexisme, les violences faites aux femmes, l'antisémitisme et les racismes ne souffre aucune exception, aucune exemption, y compris au sein de la gauche (…)

La lutte contre le sexisme, les violences faites aux femmes, l'antisémitisme et les racismes ne souffre aucune exception, aucune exemption, y compris au sein de la gauche antiraciste et féministe. N'oublions pas ce que les corps des femmes exhibés, malmenés, torturés, violés ou anéantis sous les bombes et ceux des enfants, nous disent de cette guerre entre Israël et le Hamas.

Tiré de Entre les lignes et les mots

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/11/la-guerre-les-femmes-et-les-viols-on-vous-croit/

A l'heure où cette tribune est publiée, de nombreux textes ont abordé la question des viols le 7 octobre sous des angles d'ailleurs différents. Il m'aura fallu trois semaines pour parvenir à une version suffisamment rassembleuse tant le sujet est lourd de conséquences et psychologiquement chargé. Il est important de comprendre qu'à l'heure où la Cour Pénale Internationale a été saisie pour crimes de guerres, crimes contre l'humanité et crimes de génocide à l'encontre de l'État d'Israël, les crimes de viols commis en Israël le 7 octobre – et possiblement à l'encontre des otages – sont constitutifs de crimes de génocide. Ceci fait suite à plusieurs jugements prononcés à partir de 1998 par le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie ainsi que le jugement prononcé en 1998 par le Tribunal International pour le Rwanda à l'encontre de Jean-Paul Akayesu.

Malgré les appels nombreux à un cessez-le-feu et à la libération des otages, l'offensive israélienne à Gaza se poursuit et des familles entières, dont de nombreuses femmes et enfants sont anéanties.

La justice internationale est saisie. Ce texte n'a pas prétention à rendre à sa place un jugement mais à dénoncer le caractère patriarcal de cette guerre.

Fabienne Messica.

Tribune

Femmes victimes de viols dans des actes de guerre : qui que vous soyez, israéliennes, palestiniennes ou de tout autre pays : on vous croit !

La lutte contre le sexisme, les violences faites aux femmes, l'antisémitisme et les racismes ne souffre aucune exception, aucune exemption, y compris au sein de la gauche antiraciste et féministe.

Rien ne justifie les horreurs contre les populations civiles. Confondre la solidarité qui est aussi la nôtre avec les Palestinien-es pour leurs droits avec le déni des souffrances endurées le 7 octobre 2023 par les civils israéliens et en particulier les femmes, c'est se tromper de combat.

Nous tenons à l'affirmer bien que nous ne partagions pas l'accusation trop globale et sans nuance à l'égard des mouvements féministes à qui l'on reproche le retard ou parfois le déni dans la dénonciation des violences subies le 7 octobre par des femmes israéliennes. Nous savons aussi que les extrêmes-droites se saisissent de ces tensions dans le but d'invalider les luttes des femmes pour leurs droits, pour l'égalité et contre les violences sexistes et sexuelles. Mais si cette tentative de délégitimer le féminisme est inacceptable, la critique est permise.

La question des viols du 7 octobre est cruciale pour la propagande autour du Hamas qui, dès les premières heures, s'est attachée à nier l'extrême cruauté des actes commis (malgré les scènes filmées par les assaillants eux-mêmes et envoyées aux familles des victimes) pour que ces actes soient nimbés du qualificatif de résistance. Cette violence spécifique peut aussi faire l'objet d'une instrumentalisation par le gouvernement israélien pour justifier une riposte toujours plus meurtrière que nous condamnons fermement.

Mais ce n'est pas un motif pour invisibiliser ces crimes car la condition des femmes et les violences spécifiques qui s'exercent à leur égard ne sont jamais secondaires aux intérêts des uns et des autres !

La parole féministe ne peut être confisquée, embrigadée, paralysée au prétexte d'instrumentalisations possibles. Or le silence sur les viols et violences sexistes et sexuelles du 7 Octobre dans de nombreux pays et même à l'ONU Femmes [1], en est un exemple. Si nous le disons, ce n'est pas pour attaquer le féminisme, mais pour réaffirmer ses valeurs qui devraient primer.

En tant que féministes, condamner, quels qu'en soient leurs auteurs, les viols et violences sexistes et sexuelles qui sont des crimes contre l'humanité, relève de nos fondamentaux. Notre critique du patriarcat, de la glorification de la guerre, de la violence, de la puissance, de l'esprit militaire et du nationalisme et du colonialisme qui font système, reste entière. Nous savons que la guerre joue un rôle essentiel pour perpétuer les innombrables dominations tandis que les femmes occupent une place spécifique dans les stratégies guerrières : faire des enfants, les garçons seront des soldats et les filles feront des enfants… De plus, l'atteinte aux corps des femmes est considérée par des belligérants comme l'atteinte à la virilité de « l'ennemi » dans une conception et une pratique, fondamentalement virilistes.

C'est avec les féministes pacifistes qui dans ce conflit ont œuvré dans la solitude, supportant les insultes et les menaces des hommes nationalistes, masculinistes, fanatiques religieux qui les considèrent comme des traitres et « des putains de l'ennemi » que nous pouvons défaire ces logiques ; c'est avec nos sœurs israéliennes et palestiniennes qui tentent depuis des décennies de tracer une autre voix et sont renvoyées à leur appartenance nationale, israéliennes ou palestiniennes, à leur qualité de juives, de musulmanes ou de chrétiennes dans une perspective qui les assigne à la solidarité avec les bellicistes de leur pays ou de leur religion, alors même que la ligne de fracture ne se situe pas seulement entre deux peuples mais à l'intérieur de chacun de ces peuples.

Tel est le message du mouvement les Guerrières de la paix, un mouvement féministe mixte, créé il y a un an en France qui milite avec les sociétés civiles israéliennes et palestiniennes dans la continuité des Femmes en noir, mouvement israélo palestinien créée en 1988 pour mettre fin à la colonisation. Ni l'ethnicité, ni la religion ne sont la cause de la guerre mais bien plus des idéologies nationalistes et xénophobes. Le lien entre le patriarcat et le nationalisme est largement démontré. Défaire le patriarcat, c'est défaire le nationalisme belliqueux et xénophobe. Défaire le patriarcat, c'est défaire la guerre ; et les autocrates le savent bien qui verrouillent la liberté et les droits des femmes.

Nous ne pouvons dédouaner ni la société israélienne, ni la société palestinienne et les pouvoirs politiques qui les dirigent de tout patriarcat. L'expérience des femmes qui ont participé à des mouvements de libération nationaux devrait à cet égard nous enseigner que les moyens utilisés dans des guerres de libération, parmi lesquels l'éviction de tout groupe concurrent et souvent l'oppression du peuple qu'on prétend libérer, ne sont pas neutres. Ce n‘est donc pas n'importe quel acte dit de résistance ni n'importe quel pouvoir politique qu'il convient de soutenir.

Dans son livre, « Ne suis-je pas une femme [2] », bell hooks, célèbre afro-féministe, décrit avec finesse la double exclusion des femmes noires. Elle montre que des oppressions peuvent se combiner, dans la domination des femmes noires, à savoir le racisme d'une part et d'autre part, le sexisme dans son propre camp de lutte contre le racisme.

Alors quand nous lisons, dans une tribune, publiée le 21 novembre dans « le media », par un collectif de féministes militantes, chercheuses et artistes, que ce dernier, non seulement nie l'augmentation des actes antisémites dans le monde mais encore, réduit les évènements du 7 octobre à de la simple de propagande, c'est pour nous un détournement du féminisme. Écrire que parler de ces viols et des violences sexistes et sexuelles et condamner les actions des combattants du Hamas, c'est « réitérer la vision d'un monde musulman barbare contre une population israélienne féminisée et ainsi lavée et blanchie de tout soupçon. La condamnation sans appel des combattants du Hamas s'arrime en effet à la construction d'un Orient monstrueux, nécessairement coupable des pires atrocités contre les femmes, permettant ainsi une fois de plus d'annuler toute perspective historique quant à la violence intrinsèque à la colonisation » est une forme alambiquée de deshumanisation des victimes et d'héroïsation d'actes que nous avons tout de même coutume de condamner sans réserve.

Certes, le discours qui fait de cette guerre un conflit de civilisation est islamophobe et nous le rejetons fermement. Mais un discours qui nie les atrocités commises le 7 octobre au nom de la lutte contre l'islamophobie n'est pas entendable non plus.

A nous féministes de nous montrer dans ce domaine à la hauteur des enjeux. A nous, engagées dans la lutte contre le sexisme et tous les racismes et pour une paix juste et durable entre Israël et la Palestine de dénoncer sans réserve et sans exception, les virilismes, la militarisation des conflits et le patriarcat.

Premiers signataires
Fabienne Messica, Ligue des Droits de l'Homme, Golem
Pierre Tartakowsky, président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme,
Nora Tenenbaum, militante féministe,
Jonas Pardo, militant et formateur contre l'antisémitisme, golem
Laura Fedida, militante antiraciste
Didier Epsztajn, animateur du blog « entre les lignes entre les mots »
Yann Levy, photographe et journaliste
Mélanie Jaoul, féministe intersectionnelle, Présidente de AATDS
Illana Weizman, essayiste
Sandro Munari architecte-urbaniste
Deborah de Robertis, artiste
Sarite Rosen Artiste plasticienne
Fiona Schmit, autrice et militante féministe
Eva Vocz, miltante féministe, chargée de plaidoyer à Act Up

[1] Qui réagit tardivement par un tweet lunaire le 25 octobre.
[2] C'est Sojourner Truth, militante noire américaine qui prononça cette phrase en 1851 dans un discours à une Convention des femmes à Akron en Ohio

https://blogs.mediapart.fr/messicafabienne/blog/091223/la-guerre-les-femmes-et-les-viols-vous-croit
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Deuxième rapport : Le sexisme dans la publicité française

19 décembre 2023, par Résistance à l'Agression Publicitaire (R.A.P.) — , ,
Résistance à l'Agression Publicitaire (R.A.P.) publie le deuxième rapport de son Observatoire de la Publicité Sexiste intitulé Le sexisme dans la publicité française, (…)

Résistance à l'Agression Publicitaire (R.A.P.) publie le deuxième rapport de son Observatoire de la Publicité Sexiste intitulé Le sexisme dans la publicité française, 2022-2023. Ce rapport fait suite à une première version publiée en 2021 et montre que les mauvaises pratiques constatées à l'époque restent de mise, voire se renforcent. L'autorégulation publicitaire est un échec : la publicité française contribue à perpétuer les stéréotypes et les injonctions de genre les plus ridicules et les plus violentes.

Consultez le rapport en cliquant sur ce lien

De mars 2022 à mars 2023, R.A.P. a mis en ligne un formulaire permettant aux citoyen·nes de dénoncer et documenter des publicités sexistes subies dans leur quotidien. En un an, sur 285 contributions provenant de toute la France, 87% ciblent le genre féminin. L'analyse précise de ces contributions montre que les techniques et les mises en scène observées entre 2019 et 2020 restent utilisées par le secteur publicitaire. Les secteurs d'activité les plus représentés sont ceux de l'habillement et de la parfumerie (55%) ainsi que l'hygiène et la beauté (18,5%) qui constituent à eux seuls presque trois-quart des publicités jugées sexistes dans l'échantillon. Cette prédominance annonce déjà le rôle de l'esthétisme et de l'apparence dans le « publisexisme ».

L'ensemble des stéréotypes et injonctions sexistes véhiculés par la publicité est majoritairement propagé par les images, quoique des slogans sexistes continuent d'être diffusés. Des femmes sexualisées, y sont représentées dans des postures de séduction et/ou de soumission. Elles y apparaissent en général comme mises à nues, fragmentées, infantilisées, érotisées, et réduites à être traités comme des objets plutôt que comme des sujets, Les corps représentés répondent aux mêmes normes discriminantes (minceur, blanchité, jeunesse, épilation) et/ou irréalistes (par l'emploi de mannequins et le recours systématique à la retouche photographique) que précédemment. Quand, parfois, des corps moins normés sont représentés, c'est pour être soumis à de semblables traitements sexualisants. Les hommes restent dans le rôle du sachant, fort et protecteur. Autres éléments, le modèle du couple est systématiquement hétéronormé et le partage des tâches toujours aussi genré.

Face à ces abus persistants, le rapport conclut que les mesures censées réguler l'industrie publicitaire sont insuffisantes : mentions légales, chartes de bonne conduite et instances d'« autorégulation » échouent à filtrer ou contrebalancer ces campagnes. C'est pourquoi R.A.P. préconise la création d'une autorité indépendante, dotée de réels pouvoir de régulation ; l'inscription de l'interdiction du sexisme publicitaire dans la loi ; l'interdiction de la représentation des corps (entiers ou morcelés, humains ou humanoïdes, réalistes ou caricaturés) en publicité. « Face à un publisexisme qui se perpétue et s'accommode de toutes les chartes ou comités d'éthique, il nous faut des lois. Si la publicité prétend nous transmettre des informations sur des produits, ce sont les produits qu'elle doit montrer », déclare Jeanne Guien, porte parole de R.A.P.

Introduction

Chaque jour, nous recevons des centaines de messages publicitaires. Cette pression permanente, non sollicitée, contribue à façonner nos jugements et nos représentations.

En effet, les messages publicitaires sont stéréotypés : ils recourent de façon répétitive à des repré- sentations et injonctions similaires. Lorsque ces messages stéréotypés ciblent certains groupes sociaux, ils contribuent au développement de normes, souvent caricaturales voire discriminantes. C'est notamment le cas en ce qui concerne la représentation des femmes et minorités de genre dans la publicité.

En 2019, l'association Résistance à l'Agression Publicitaire (RAP) a créé l'Observatoire de la Publicité Sexiste (OPS), dans le but d'enquêter sur les stéréotypes et injonctions sexistes véhiculés par la publicité (ou « publisexisme »). Réunissant et analysant des publicités observées dans toute la France pendant un an, nous avons publié un premier rapport en 2021, qui constatait que le publisexisme était un problème actuel, touchant principalement les femmes et s'appuyant sur des mises en scène stéréotypées : des corps sexualisés, épilés, blancs, minces, jeunes, en position de soumission, de séduction, d'infantilisation, de travail domestique, etc.

Entre mars 2022 et mars 2023, nous avons relancé ce dispositif, afin d'étudier la persistance de ces mises en scènes et leurs éventuelles évolutions. 285 contributions ont été envoyées sur notre formulaire en ligne (contre 165 pour le premier rapport), issues de toute la France et tirées de différents supports (affichage extérieur, réseaux sociaux, télévision, prospectus, etc.). Sur la base de ces contributions, ce nouveau rapport montre que l'industrie publicitaire ne parvient pas à réformer ses pratiques sexistes. En effet, les mises en scène observées entre 2019 et 2020 restent utilisées. De plus, certains efforts consentis par cette industrie (notamment, le fait d'inclure des mannequins non blanc·he·s ou non maigres) tendent à renforcer le publisexisme, en appliquant ces mises en scène à de nouveaux groupes sociaux, devenus de nouvelles cibles marketing.

Parce qu'à l'heure actuelle, rien ne nous protège de ces pratiques, nous concluons ce rapport en présentant nos revendications, pour en finir avec ces agressions sexistes quotidiennes et banalisées.

Consultez le rapport en cliquant sur ce lien
https://antipub.org/wp-content/uploads/2023/11/RAP-SEXISME-PUB-FINAL.pdf
https://antipub.org/rapport-sexisme-dans-la-publicite-francaise-2/

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Alternatives féministes aux dilemmes de l’humanité : affronter le capitalisme dans le présent

19 décembre 2023, par Ana Priscila Alves — ,
Lisez le discours sur les stratégies internationalistes de l'organisation anticapitaliste, tenu lors de la conférence Dilemmes de l'humanité Tiré de Entre les lignes et les (…)

Lisez le discours sur les stratégies internationalistes de l'organisation anticapitaliste, tenu lors de la conférence Dilemmes de l'humanité

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/15/alternatives-feministes-aux-dilemmes-de-lhumanite-affronter-le-capitalisme-dans-le-present/

La Marche Mondiale des Femmes est ancrée dans une tradition internationaliste. C'est aussi le fruit du combat de toute une vie de la compagne Nalu Faria. Nous suivons les tâches que Nalu nous a laissées – qui sont nombreuses, pour nous toutes et tous, combattants et combattantes du monde qui l'avons rencontrée, qui ont croisé son dévouement, son engagement et ses accumulations.

Je commencerai donc par deux réflexions que Nalu nous a toujours apportées. La première est l'importance de construire l'internationalisme, de comprendre que les luttes socialistes et féministes sont antisystémiques et doivent être internationales, entre camarades du monde entier. La deuxième réflexion porte sur l'importance du processus ; non seulement l'importance de cet espace que nous construisons aujourd'hui, mais le processus qui nous a amenées ici et aussi ce qui est déclenché à partir de cet espace.

L'organisation contre la mondialisation

Dans quel état sommes-nous, travailleurs et travailleuses, aujourd'hui ? Notre organisation est une réponse et une construction alternative pour transformer les conditions dans lesquelles nous vivons. Dans quels scénarios naissent les mouvements sociaux ? Comment s'organise la lutte ? Au Brésil, par exemple, entre 1964 et 1985, nous avons vécu une dictature militaire, dans un processus qui, paradoxalement, a fait émerger plusieurs mouvements sociaux actuels, tels que le Mouvement des travailleurs sans terre (MST – Movimento dos Trabalhadores Sem Terra), la Centrale Unique des Travailleurs (CUT – Central Única dos Trabalhadores), l'Association Nationale des étudiants diplômés (ANPG – Associação Nacional de Pós-Graduandos), et plusieurs autres.

Puis, dans les années 1990, nous avons vécu un moment où l'impérialisme nous a imposé un projet de mondialisation, internationalisant davantage l'économie néolibérale de précarité de nos vies. En Amérique latine, en particulier, on a essayé de nous imposer la ZLEA, un accord de libre-échange. À ce moment-là, dans la transition des années 1990 aux années 2000, l'organisation des mouvements créait deux voies : certains pensaient que contester cet agenda d'institutionnalité pouvait apporter des opportunités nous, d'autre part, pensions que ce n'était pas le cas. Nous avons compris que c'était très similaire aux conditions dans lesquelles nous vivions déjà, et que ce projet essayait de nous approfondir et de nous piéger dans une condition de subordination.

Les Nations Unies (ONU) ne nous représentaient pas, et nous avons compris que la lutte et les réponses nécessaires ne pouvaient venir que des travailleurs et travailleuses. Dans ce contexte de néolibéralisation, la Marche Mondiale des Femmes, la Via Campesina et d'autres mouvements ont émergé, avec la compréhension que si l'oppression est internationale, notre réponse – notre socialisme, notre féminisme – doit également être internationale.

La classe ouvrière et ses dilemmes actuels

Aujourd'hui, nous vivons une nouvelle inflexion du système capitaliste. Nous voyons que le système capitaliste n'attaque pas seulement le travail, mais nos vies. Le capitalisme est incompatible avec la vie. Nous le voyons aujourd'hui dans la confrontation de nos camarades en Palestine. Nous l'avons également vu ces dernières années lors de la pandémie, car pendant que les gens mouraient dans les pays du Sud, un vaccin était déjà prêt et inaccessible. À l'époque, nous étions nombreux à comprendre que les luttes pour briser les brevets et contre les entreprises pharmaceutiques transnationales s'inscrivaient dans le cadre d'une lutte de solidarité internationale de la classe ouvrière.

La période de pandémie a entraîné un remaniement du travail, ce qui a été encore plus difficile pour les femmes. D'une part, nous avons assisté à un approfondissement de l'ubérisation, non seulement dans le travail des plateformes à proprement parler, mais aussi dans la flexibilisation de tous les droits. D'autre part, même dans ces conditions précaires, les femmes ont été expulsées de ce marché du travail. Au Brésil, en 2020, 96% des personnes qui ont perdu leur emploi formel étaient des femmes, selon l'enquête sur le Rapport annuel d'information sociale (Rais). Cette tendance a eu lieu non seulement au Brésil, mais dans le monde entier. Aujourd'hui, nous avons beaucoup plus d'hommes que de femmes sur le marché du travail économiquement actif.

Les crises du capital sont nécessaires pour recomposer les profits, mais aussi pour recomposer leurs chaînes d'exploitation, dont fait partie la division sexuelle du travail. Les crises vont de pair avec des politiques d'austérité, de réduction de l'État et de ses systèmes de santé, d'éducation publique et de soins. Lorsque le marché nous expulse du marché du travail et que l'État se retire de ces tâches, le message qu'ils nous transmettent est qu'il s'agit d'une responsabilité des femmes. Qu'ils veulent nous renvoyer à la maison pour que nous nous occupions des malades, des enfants, des personnes âgées et aussi des hommes, qui sont sur ce marché du travail économiquement actif de plus en plus écœurant.

Pour le système capitaliste, toutes ces tâches de soins incombent aux femmes.
Ana Priscila Alves

Cette condition soulève deux éléments : le premier est que le travail salarié n'est pas une règle ni pour les pays du Sud ni pour les femmes. Il existe un certain nombre d'emplois non formels et non rémunérés. La seconde est la construction capitaliste de fausses dichotomies, telles que la production et la reproduction, publique et privée, raison et émotion. Toutes sont faites pour rendre invisible le travail gratuit effectué par les femmes. Le travail de reproduction de la vie soutient l'économie. Supposer que les femmes seront responsables des soins nous impose une précarité structurelle, marquée par le système capitaliste, patriarcal et raciste et la division internationale du travail.

Alternatives féministes pour changer le monde

Le féminisme, qui est en fait le capitalisme peint en lilas, ne nous sert pas. Le féminisme a besoin d'être populaire, de démanteler les fondements de ce système capitaliste qui nous opprime partout dans le monde. Nous apportons comme alternative une économie féministe, capable de mettre la vie au centre. L'économie est l'ensemble des tâches qui assurent la vie et permettent à la société de continuer à fonctionner.

Comprenant que le conflit du capital contre la vie structure notre société, nous construisons ces alternatives sur nos territoires. Dans la pandémie, nous avons compris la nécessité de nommer ceux qui nous oppriment et de faire face à l'offensive des sociétés transnationales – pharmaceutiques, minières, privatisation de l'eau, entre autres. Les femmes donnent des réponses parce qu'elles sont à l'avant-garde de cette résistance sur leurs territoires, avec la mémoire, le mysticisme, l'agriculture familiale et l'économie solidaire.

Quand on regarde les alternatives proposées dans nos pays et territoires, on se rend compte que c'est le défi de notre époque historique. Dans les années 1980, un certain nombre de mouvements sociaux ont pu émerger pour lutter pour la démocratie. Dans les années 1990, nous nous sommes battues contre la mondialisation capitaliste. Il est maintenant temps de comprendre la réorganisation du capital et de lutter pour construire le socialisme aujourd'hui, à notre époque historique.

Ce système qui nous tue ne peut pas continuer. –
Ana Priscila Alves

Nalu Faria a répété à plusieurs reprises que la réponse aux problèmes et dilemmes de l'humanité se trouve dans la classe ouvrière elle-même, dans le quotidien, dans les mouvements, dans les alternatives que nous avons déjà construites chaque jour, dans nos lieux d'action et de vie. La réponse au démantèlement des fondements matériels du capitalisme réside dans les mouvements de résistance que nous faisons à travers le monde. C'est notre tâche : changer le monde pour changer la vie des femmes et changer la vie des femmes pour changer le monde. E c'est pourquoi nous continuerons jusqu'à ce que nous soyons toutes libres.

Ana Priscila Alves
Ana Priscila Alves est membre de la Marche Mondiale des Femmes à Rio de Janeiro, au Brésil. Ce texte est une édition de son discours au panel « Organisation de la classe ouvrière », qui s'est tenu le 15 octobre, lors de la 3ème Conférence internationale Dilemmes de l'humanité, à Johannesburg, en Afrique du Sud.
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Transcription par Vivian Fernandes (AIP)
Édition par Helena Zelic
https://capiremov.org/fr/analyse/alternatives-feministes-aux-dilemmes-de-lhumanite-affronter-le-capitalisme-dans-le-present/

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Accorder le statut de salarié-e-s à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs handicapé-e-es en établissement et services d’aide par le travail

19 décembre 2023, par Collectif — , ,
La conférence nationale du handicap du 26 avril 2023 a affirmé une ambition majeure : « cesser d'enfermer les personnes dans des dispositifs et des parcours spécifiques et (…)

La conférence nationale du handicap du 26 avril 2023 a affirmé une ambition majeure : « cesser d'enfermer les personnes dans des dispositifs et des parcours spécifiques et rendre l'environnement professionnel de droit commun totalement accessible, quel que soit le handicap ».

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/15/accorder-le-statut-de-salarie-e-s-a-toutes-les-travailleuses-et-a-tous-les-travailleurs-handicape-e-es-en-etablissement-et-services-daide-par-le-travail/#

Madame la première Ministre,

Mais la loi Plein Emploi adoptée par le parlement ne change pas le statut des travailleur·euse.s en ESAT toujours « usager-ère-s » et dépendant du Code de l'Action Sociale et des Familles et non du Code du travail, ce qui reste pour les personnes concernées une grave discrimination et une non-reconnaissance de leur travail.

En droit du travail, trois notions principales déterminent la qualité de salarié.e : le contrat de travail, la rémunération et le lien de subordination. Ces critères doivent s'appliquer à toutes les personnes qui travaillent en ESAT.

Maintenir ces personnes dans la seule mouvance de l'action médico-sociale est contradictoire avec l‘objectif recherché : « Chacun est présumé pouvoir travailler en milieu ordinaire ».

Le Code du travail prévoit déjà des cadres juridiques particuliers dans lesquels les salarié.e.s bénéficient à la fois des mêmes droits que les autres salarié.e.s et de dispositions protectrices particulières comme dans les entreprises d'insertion, les entreprises adaptées, les salariés de l'intérim.

Nous ne comprenons pas pourquoi votre Gouvernement a refusé, systématiquement et sans débat, tous les amendements allant dans ce sens.

En ESAT, les travailleur·euse.s sont soumis à l'autorité de l'association qui les emploie. Ils ont une production à assurer et doivent travailler 35 heures avec une rémunération mensuelle moyenne de 350€ !

– Quel accès aux formations qualifiantes de droit commun ?
– Quel accès à un emploi librement choisi en milieu ordinaire ?
– Quels moyens humains, techniques et financiers seront mis en œuvre en ce sens ?

Les avancées votées comme le droit de se syndiquer ou de faire grève, la mutuelle collective ou la prise en charge partielle des frais de transports ne changent pas fondamentalement le statut des travailleur·euse.s handicapé.e.s des ESAT.

Il est temps d'en finir avec le statut d'usager-ère-s et d'accorder les mêmes droits que tous les salarié.e.s de ce pays. Ce qui est la réalité dans bon nombre de pays européens.

Nous vous rappelons que la loi du 11 février 2005 s'intitule : « Pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Il est temps de la mettre pleinement en œuvre.

En vous remerciant de votre attention, nous vous prions d'agréer Madame la Première ministre, l'expression de notre plus haute considération.

Signataires : François Couturier, A.M.I Association nationale de défense des Malades Invalides et handicapés ; Chantal Rialin, F.D.F.A Femmes pour le Dire Femmes pour Agir ; Marie Rabatel, Association Francophone des Femmes Autistes ; Manuel Bernardo, F.M.H Fédération des Malades et Handicapés ; Patrick Baudouin, LDH (Ligue des droits de l'Homme) ; Céline Perdreau, Association Les Dévalideuses ; Sophie Binet, C.G.T Confédération Générale du Travail ; Benoît Teste, F.S.U Fédération Syndicale Unitaire ; Julie Ferrua, Union Syndicale Solidaires. ; Christophe Logez ; A.C.O ESAT des Vosges avec le soutien de l'Action Catholique Ouvrière nationale.

Paris, le 12 décembre 2023.
https://www.ldh-france.org/accorder-le-statut-de-salarie-es-a-toutes-les-travailleuses-et-a-tous-les-travailleurs-handicape-ees-en-etablissement-et-services-daide-par-le-travail/

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Les 10 % les plus riches profitent financièrement du réchauffement climatique

19 décembre 2023, par Amélie Quentel — , ,
Si l'on prend en compte les placements financiers des 10 % les plus riches, leur empreinte carbone est deux fois plus élevée que les chiffres jusque-là avancés, selon une étude (…)

Si l'on prend en compte les placements financiers des 10 % les plus riches, leur empreinte carbone est deux fois plus élevée que les chiffres jusque-là avancés, selon une étude économique.

Tiré de Reporterre.

Prenons un steak. Qui est responsable des émissions induites par sa production ? Celui qui le mange ? Celui qui le produit ? Les deux ? Si l'on prend en compte les investissements des riches, c'est-à-dire leurs actions dans les entreprises, pour calculer leur empreinte carbone, celle des 10 % les plus riches serait 2 à 2,8 fois plus élevée qu'on ne le pensait. Voilà la principale conclusion de l'étude publiée le 7 décembre par les économistes Lucas Chancel et Yannic Rehm.

Intitulé The carbon footprint of capital (« L'empreinte carbone du capital », en français), ce texte de soixante-deux pages, disponible sur le site du World Inequality Database, se base sur des données récoltées en France, en Allemagne et aux États-Unis. Son but : « Présente[r] de nouvelles estimations sur l'inégalité des empreintes carbone individuelles entre les groupes de richesse » dans ces trois pays. Et ainsi « mett[re] en évidence le domaine dans lequel le potentiel de réduction des émissions est le plus important pour les individus ».

« Cette étude est révolutionnaire »

« Cette étude est révolutionnaire dans le sens où elle montre que la responsabilité des émissions ne repose pas que sur les consommateurs mais aussi sur les actionnaires, qui détiennent les moyens de production », explique à Reporterre Alexandre Poidatz, responsable climat et inégalités chez Oxfam France.

Les deux chercheurs ont mis en place un « nouveau cadre de mesure ». Habituellement, l'empreinte carbone est calculée en fonction de la consommation et du mode de vie — logement collectif ou villa avec piscine, voyage en train ou en avion... Cette fois, les économistes ont aussi pris en compte les émissions relatives à la possession d'actifs (actions au sein d'entreprises, immobilier, fonds de pension…).

Ils proposent ainsi trois façons différentes de calculer l'empreinte carbone d'un individu [1] :

la première attribue l'ensemble des émissions aux consommateurs ;

la deuxième, nommée « le scénario investisseurs », attribue la totalité de l'empreinte carbone liée à l'activité productive d'une entreprise à ceux qui la détiennent ;

la dernière est dite « mixte ». Elle attribue aux consommateurs les émissions liées aux secteurs de production (l'acheminement du steak jusqu'à la grande surface par exemple), sauf celles liées aux investissements et donc au capital. Ces dernières sont attribuées aux actionnaires des entreprises.

Près de trois fois l'empreinte carbone d'un Français moyen

Si l'on considère que ceux qui détiennent les usines sont responsables de ce qu'elles produisent (le deuxième scénario), alors cela fait plus que doubler l'empreinte carbone des 10 % les plus riches, l'augmentant de 2 à 2,8 fois en fonction du pays par rapport à la première approche. Selon ce scénario, un individu faisant partie des 10 % les plus riches en France émet ainsi en moyenne 38 tonnes équivalent CO2 tous les ans. Si l'on ne considère que ce que les riches consomment (premier scénario), alors le chiffre n'est « que » de 16 tonnes éqCO2. En France, la moyenne est de 10 tonnes éqCO2 par an et par personne. L'Accord de Paris, lui, fixe à environ 2 tonnes l'empreinte que nous devrions avoir.

Enfin, si l'on prend le troisième scénario, une personne faisant partie des 10 % des plus riches en France émet en moyenne 25 tonnes éq CO2 par an.

« C'est par la réorientation de leurs actifs financiers vers des entreprises bas carbone que les plus riches peuvent non seulement réduire leur empreinte individuelle, mais aussi engendrer une réduction de l'empreinte collective », analyse Alexandre Poidatz, d'Oxfam France, ONG ayant déjà publié de nombreux travaux sur le sujet.

Il souligne un autre enseignement majeur de cette étude : le fait que les 10 % les plus riches profitent financièrement du réchauffement climatique. « Plus on est riche, plus on détient, logiquement, d'actifs financiers. Mais leur travail permet de démontrer un autre point très important : le fait que plus on est riche, plus on détient des actifs financiers polluants. En d'autres termes, les plus riches s'enrichissent grâce à leurs investissements dans des entreprises polluantes. »

Selon les économistes, « il s'avère que les plus riches possèdent des actifs à plus forte intensité de carbone que les segments moyens et pauvres de la société [...]. Les actifs financiers, en particulier les actions, ont une forte intensité d'émissions. Pour chaque million détenu en actions, les émissions annuelles de carbone sont estimées à 120-150 tonnes éq CO2 en France », ajoutent-ils. Dans le « scénario investisseurs », 75 à 80 % de l'empreinte carbone des 10 % les plus riches est d'ailleurs liée à leur possession d'actifs, et non à leur mode de vie. « En se concentrant uniquement sur les émissions liées à la consommation directe ou indirecte, on risque de passer à côté d'une grande partie des émissions, en particulier chez les personnes fortunées », alertent-ils.

La taxe carbone doit peser sur les plus riches

Afin d'« élargir la boîte à outils politique », les deux économistes formulent ainsi plusieurs propositions et pistes de réflexion pour réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre. Parmi elles : le « ciblage du contenu en carbone des actifs », qui pourrait passer par « l'interdiction de certains types d'investissements », la mise en place d'« incitations fiscales pour les produits d'investissements verts » ou encore par la « taxation des investissements ou actifs polluants ».

C'est qu'au-delà de la question climatique, un calcul adéquat de l'empreinte carbone comporte aussi un enjeu de justice sociale, comme l'écrivent Chancel et Rehm : « Les taxes sur le carbone prélevées sur la consommation frappent généralement de manière disproportionnée les groupes à faible revenu et à faible taux d'émission. Au contraire, une taxe sur le carbone appliquée au contenu en carbone des actifs ou des investissements pèserait principalement sur les riches émetteurs. »

Notes

1- Ils prennent tous en compte les émissions directes des ménages (émissions principalement liées à la combustion de carburant pour se déplacer et de gaz ou fioul pour se chauffer) mais pas forcément les émissions indirectes, due à la production des biens consommés.

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Changement climatique. Le rôle ignoré des ex-empires coloniaux

19 décembre 2023, par Carbon Brief, Simon Evans, Verner Viisainen — , ,
La responsabilité historique du changement climatique est radicalement modifiée lorsque l'on tient compte des émissions de CO2 générées par les anciennes puissances coloniales (…)

La responsabilité historique du changement climatique est radicalement modifiée lorsque l'on tient compte des émissions de CO2 générées par les anciennes puissances coloniales dans les territoires qu'elles contrôlaient. L'Europe a ainsi un impact beaucoup plus important que ne le laissent penser les modes de calcul actuels.

Tiré d'Afrique XXI.

Selon le sixième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), il existe des preuves « sans équivoque » que l'homme a réchauffé la planète, provoquant des changements « rapides et généralisés » dans les océans, les glaces et les terres émergées. Le résumé destiné aux décideurs politiques indique que le réchauffement actuel a été causé par « plus d'un siècle d'émissions nettes de GES [gaz à effet de serre] provenant de l'utilisation de l'énergie, de l'utilisation des terres et des changements d'affectation des terres, du mode de vie et des habitudes de consommation, ainsi que de la production ».

Il est pratiquement certain que le réchauffement de la planète atteindra un nouveau record en 2023. Les émissions de CO2 d'origine humaine sont le principal facteur du réchauffement, et il existe une relation directe et linéaire entre la quantité de CO2 libérée et le réchauffement de la surface de la Terre. Pourtant, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d'augmenter et ont également atteint des niveaux records en 2023. Le changement climatique a déjà des répercussions importantes qui touchent de manière disproportionnée les pays à faible revenu, qu'il s'agisse de vagues de chaleur et de sécheresse meurtrières ou d'une perte de glace « catastrophique », souligne encore le Giec.

En outre, le moment où 1 tonne de CO2 est émise n'a qu'un impact limité sur l'ampleur du réchauffement qu'elle provoquera en fin de compte. Mais, une fois émise, l'augmentation des niveaux de CO2 dans l'atmosphère qui en résulte est permanente à l'échelle humaine. Et ce même si les molécules de CO2 ont une durée de vie limitée dans l'atmosphère (1) puisqu'elles circulent à travers le « cycle du carbone » (2). Par conséquent, les émissions de CO2 des siècles précédents continuent de contribuer au réchauffement de la planète, et le réchauffement actuel est déterminé par le total cumulé des émissions de CO2 au fil du temps.

Le budget carbone dépassé dans cinq ans

La quantité totale de CO2 qui peut être émise pour rester en deçà d'une limite donnée des températures mondiales est appelée « budget carbone ». L'analyse suivante utilise les dernières estimations du budget carbone restant pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à moins de 1,5 °C par rapport aux températures préindustrielles.

L'addition de toutes les émissions de CO2 d'origine humaine recensées dans cette analyse, au cours de la période 1850-2023, s'élève à 2 558 Gigatonnes de CO2 (GtCO2). Cela signifie que le budget carbone restant pour l'objectif des 1,5 °C ne sera que de 208 GtCO2 à la fin de 2023. Il reste moins de 8 % du budget – et celui-ci sera épuisé en moins de cinq ans si les émissions mondiales de CO2 se poursuivent aux niveaux actuels.

Au cours de la première décennie couverte par l'analyse de Carbon Brief, les émissions liées à la terre, y compris la déforestation, représentent plus de 90 % du CO2 émis chaque année. Ce schéma est inversé aujourd'hui, les combustibles fossiles et la production de ciment représentant environ 91 % des émissions mondiales de CO2 en 2023, comme le montre la figure ci-dessous.

Les émissions annuelles mondiales de CO2 provenant des combustibles fossiles et du ciment ont dépassé les émissions liées à la terre pour la première fois en 1947 – par coïncidence, l'année où l'Inde et le Pakistan ont obtenu leur indépendance. Dans l'ensemble, les combustibles fossiles et le ciment représentent plus des deux tiers des émissions cumulées de CO2, soit 71 % des émissions totales produites entre 1850 et 2023. L'utilisation des terres et la sylviculture représentent les 29 % restants.

Les estimations de Carbon Brief concernant les émissions cumulées depuis 1850 – et le budget carbone restant à ce jour – sont entièrement alignées sur les dernières mises à jour du Giec en 2021. L'épuisement accéléré du budget carbone qui permet de ne pas dépasser 1,5 °C est illustré par des marqueurs dans la figure ci-dessus, montrant les années où 25 %, 50 % et 75 % du budget ont été utilisés. Cela illustre qu'il a fallu 107 ans pour épuiser le premier quart du budget carbone, puis seulement 33 ans pour utiliser le quart suivant et seulement 22 ans pour le troisième quart. Au rythme actuel, le dernier quart du budget 1,5 °C sera épuisé en 16 ans.

La responsabilité du réchauffement modifiée

La responsabilité historique est éthiquement complexe, mais il est clair que les puissances coloniales ont eu une influence significative sur les paysages, l'utilisation des ressources naturelles et les modèles de développement qui ont eu lieu sous leur domination. Il serait difficile de justifier le fait de l'ignorer complètement. En effet, il est bien connu que les puissances coloniales ont extrait des ressources naturelles des terres colonisées pour soutenir leurs puissances économique, militaire et politique.

Pourtant, le lien avec les émissions historiques n'avait jamais été quantifié. Cette analyse attribue l'entière responsabilité des émissions passées à ceux qui détenaient le pouvoir de décision ultime à l'époque, à savoir les dirigeants coloniaux. Cela va à l'encontre de l'hypothèse implicite des analyses précédentes, dans lesquelles aucune responsabilité n'était attribuée aux puissances coloniales. Il est permis de penser que la véritable part de responsabilité dans le réchauffement actuel se situe quelque part entre ces deux extrêmes, où les émissions sont entièrement attribuées soit aux puissances coloniales, soit à leurs anciennes colonies. Conformément à cette approche, l'analyse attribue la responsabilité des émissions dans les anciennes républiques soviétiques à la Russie, car le pouvoir de décision était fortement centralisé à Moscou.

La figure ci-dessous montre les vingt premiers pays du monde en termes d'émissions historiques cumulées de CO2. Les colonnes bleues indiquent les émissions qui ont lieu à l'intérieur des frontières actuelles de chaque pays, tandis que les parties rouges indiquent les émissions qui ont eu lieu sous sa domination, dans les territoires qu'il contrôlait. Les parties bleu clair indiquent les émissions des anciennes colonies réaffectées à l'ancienne puissance coloniale.

Les principales puissances européennes postcoloniales, dont le Royaume-Uni (+70 %), la France (+51 %) et les Pays-Bas (+181 %), voient toutes leur part d'émissions historiques augmenter de manière significative. Bien qu'ils ne figurent pas dans le top 20, la Belgique (+33 %), le Portugal (+234 %) et l'Espagne (+12 %) enregistrent des effets similaires. Collectivement, l'Union européenne (UE) et le Royaume-Uni assument une responsabilité beaucoup plus grande (+28 %). En revanche, l'Inde (-15 %) et l'Indonésie (-24 %) se distinguent particulièrement par la réduction de leur part d'émissions cumulées, dans le cadre de cette nouvelle approche de la responsabilité historique du réchauffement.

La Russie voit également une augmentation significative de sa responsabilité historique dans le réchauffement actuel, qui augmente de deux cinquièmes pour atteindre 9,3 % du total mondial, selon l'approche adoptée dans cette analyse. Néanmoins, certains affirment que la nature de la dynamique du pouvoir au sein de l'ex-Union soviétique était différente de celle qui existait entre les colonialistes européens et les peuples qu'ils avaient colonisés à l'étranger.

Bien qu'ils ne figurent pas dans le top 20, l'Autriche (+72 %) et la Hongrie (+70 %) enregistrent également des changements importants, en raison de l'ancien empire austro-hongrois. Cet empire était lui aussi d'une nature différente des colonisations d'outre-mer des autres puissances européennes.

Un classement bouleversé

La prise en compte de la domination coloniale modifie le classement d'un certain nombre de pays. Le Royaume-Uni en est l'exemple le plus frappant, passant du huitième au quatrième rang des pays contribuant au changement climatique. Cela signifie qu'il dépasse son ancienne colonie, l'Inde, en termes de responsabilité passée. De même, si les Pays-Bas ne dépassent pas tout à fait l'Indonésie, leur classement relatif est sensiblement différent après prise en compte de la responsabilité coloniale dans les émissions passées.

Ces changements sont illustrés dans la figure ci-dessous, qui montre les vingt premiers pays du monde classés en fonction de leur part d'émissions cumulées. À gauche, seules les émissions à l'intérieur des frontières actuelles sont prises en compte, tandis qu'à droite, les émissions sous la domination coloniale sont ajoutées (l'UE et le Royaume-Uni sont représentés comme un bloc).

Les autres changements évidents dans le classement ci-dessus concernent l'Ukraine et le Kazakhstan, deux anciennes républiques soviétiques qui ont été soumises au pouvoir centralisé de Moscou pendant la majeure partie du XXe siècle. Ces républiques et d'autres anciennes républiques soviétiques voient de grandes quantités d'émissions de CO2 basées sur les combustibles fossiles supprimées de leurs comptes.

Le graphique présenté plus haut, qui montre au fil du temps les émissions d'origine fossile par rapport à celles d'origine terrestre, explique pourquoi ces deux pays, en particulier, voient leurs émissions baisser de manière importante. Les émissions annuelles de CO2 ont été dominées par les contributions de l'Utilisation des terres, le changement d'affectation des terres et la foresterie (UTCF) jusqu'au milieu du XXe siècle, lorsque l'utilisation des combustibles fossiles a commencé à exploser. De nombreuses anciennes colonies européennes d'Asie, d'Afrique, d'Océanie et des Amériques ont accédé à l'indépendance bien avant le moment où l'utilisation des combustibles fossiles s'est accélérée. En revanche, les anciennes républiques soviétiques ont fait partie de l'Union soviétique administrée par Moscou bien plus tard, jusqu'à son effondrement, en 1991.

Une soif de ressources naturelles

L'histoire de l'impérialisme européen est « inséparable de l'histoire du changement environnemental mondial », affirment les professeurs William Beinert et Lotte Hughes dans leur ouvrage Environment and Empire (Oxford University Press, 2007). Pour le Royaume-Uni, l'un des moteurs a été ce qu'ils décrivent comme la « déforestation intérieure progressive » du pays, qui a « accéléré la dépendance au charbon pour l'énergie » et stimulé la demande d'importations de bois.

À son tour, le passage à l'énergie mécanique basée sur les combustibles fossiles « a énormément élargi les possibilités de production et de consommation métropolitaines [et] a facilité une nouvelle poussée de l'expansion impériale, portée par les navires à vapeur, les chemins de fer et les véhicules à moteur », indiquent Beinert et Hugues. Mais encore : « Les pays métropolitains ont recherché des matières premières de toutes sortes, du bois aux fourrures en passant par le caoutchouc et le pétrole. Ils ont créé des plantations qui ont transformé l'écologie des îles. Les colons ont introduit de nouvelles méthodes d'agriculture ; certains ont déplacé les peuples indigènes et leurs méthodes de gestion de la terre. »

Cette soif de ressources naturelles a entraîné la déforestation et la modification de l'environnement dans les pays colonisés, des Amériques à l'Asie, des Caraïbes à l'Océanie, en passant par l'Afrique. À la Barbade, par exemple, l'établissement de plantations « a nécessité la destruction des forêts [...] par une combinaison de cerclage et de brûlage », selon Beinert et Hughes. De même, à Madère, « l'un des mythes fondateurs évoqués par les colons était un feu qui brûlait pendant sept ans – une puissante métaphore de la déforestation ».

Également, alors que les forêts coloniales étaient vidées de leur capacité à produire du bois de qualité, la colonisation a conduit aux débuts des « pratiques et idées conservationnistes », écrivent Beinart et Hughes : « Alors que les ressources naturelles ont été intensément exploitées, un processus connexe, la montée des pratiques et des idées conservationnistes, était également profondément enraciné dans l'histoire impériale. De grandes étendues de terre ont été réservées aux forêts, aux parcs nationaux ou à la faune. »

Le déboisement, un moyen de contrôler les colonies

L'Empire britannique était particulièrement étendu, contrôlant environ un quart de la surface terrestre à son apogée, à la fin du XIXe siècle – et plus d'un quart de sa population. Dans la nouvelle analyse de Carbon Brief, les émissions des quarante-six anciennes colonies sous domination britannique sont réaffectées au Royaume-Uni, ce qui double presque sa part au niveau mondial. Ce résultat est représenté dans la figure ci-dessous, avec des contributions notables de l'Inde et du Myanmar, ainsi que de pays tels que l'Australie, le Canada, la Tanzanie, la Zambie et les Émirats arabes unis, hôtes de la COP 28.

La contribution la plus importante aux émissions coloniales du Royaume-Uni provient de l'Inde et la deuxième du Myanmar, comme le montre la figure ci-dessus. Dans leur livre, Beinart et Hughes décrivent les liens étroits entre la colonisation de ces pays et l'exploitation de leurs ressources naturelles, les deux interagissant et se renforçant mutuellement, les ressources étant utilisées pour consolider le contrôle britannique. Ils écrivent : « Les bois durs indigènes constituaient la première richesse, essentiels à l'armée, à la marine et aux chemins de fer britanniques, ils sont devenus les rouages de la conquête de l'Inde. Les nouvelles exigences ont inévitablement conduit à la déforestation. Les chemins de fer [qui étaient au cœur de la demande intérieure de bois en Inde] étaient essentiels pour déplacer les troupes et ainsi contrôler le territoire. La Compagnie des Indes orientales considérait également le déboisement pour faire place à la culture comme un moyen d'étendre son contrôle. »

Beinart et Hughes évoquent également l'utilisation particulière du teck de Myanmar pour la construction de navires de guerre : « Le teck de Birmanie, ou teck de l'Amirauté, était réputé pour être le plus solide. Utilisé pour les frégates de la marine, on dit qu'il a sauvé la Grande-Bretagne pendant les guerres napoléoniennes [au début du XIXe siècle, NDLR] et qu'il a contribué à son expansion maritime. » Plus tard, l'épuisement des forêts de feuillus indigènes a conduit à des efforts de conservation coloniaux, bien que les motivations – et les moyens utilisés – ne soient pas que la préservation.

Les deux chercheurs citent Hugh Cleghorn, conservateur des forêts pour la présidence de Madras, qui écrit, en 1861, sur la « rapacité insouciante de la population autochtone, qui coupe et défriche [les forêts], sans être en aucune façon sous le contrôle ou la réglementation de l'autorité ». Il poursuit :

  • Lorsqu'un département forestier [indien] a été créé en 1864, la Grande-Bretagne ne disposait que de peu d'experts. [Le forestier allemand Dietrich] Brandis avait été amené deux ans plus tôt de Birmanie, où on lui attribuait le sauvetage des forêts de teck birmanes des marchands de bois, au profit des constructeurs de navires britanniques... Les conservateurs étaient sous pression pour gérer efficacement les forêts, répondre aux besoins de l'amirauté et d'autres acteurs en grandes quantités de bois, tout en réalisant des bénéfices et en limitant les revendications des populations locales sur les forêts. Les Britanniques revendiquaient des territoires qu'ils considéraient comme inoccupés et non réclamés, et considéraient les propriétés princières comme leur appartenant en vertu du droit de conquête.

Des dynamiques similaires étaient à l'œuvre en Indonésie, longtemps sous domination néerlandaise. Le professeur Peter Boomgaard, historien de l'Indonésie, a écrit en 1999 que la déforestation sur l'île indonésienne de Java « a commencé à être perçue comme un problème vers 1850 » (3). Boomgaard ajoute que cela a conduit à la mise en place d'un service forestier colonial et à la création de forêts protégées. Ce schéma, qui comprend la confiscation des terres et l'exclusion des populations autochtones au nom de la conservation, s'est répété dans de nombreuses autres anciennes colonies.

Les vestiges de la colonisation subsistent

La figure ci-dessous montre que les émissions cumulées à l'intérieur des frontières des Pays-Bas (à gauche), soit quelque 12,6 GtCO2 entre 1850 et 2023, sont presque triplées si l'on tient compte des émissions qui ont eu lieu sous la domination coloniale néerlandaise, en particulier en Indonésie (à droite).

Sur son blog, le professeur Budiman Minasny, pédologue indonésien, décrit l'impact de la colonisation néerlandaise sur l'île de Sumatra :

  • Lorsque nous parlons de déforestation, l'Indonésie apparaît toujours comme le principal coupable. On parle moins de l'origine néerlandaise de la déforestation en Indonésie. Les Néerlandais ont découvert l'industrie du tabac à Deli dans les années 1860 et ont créé un système de plantation à l'échelle industrielle. Les sultans locaux ont collaboré et ont accordé des concessions de 1 000 à 2 000 hectares de terres à chaque entreprise dans le cadre d'un bail de 75 ans. Les planteurs coloniaux néerlandais sont partis du principe que le tabac ne pouvait bien pousser que dans le sol qui venait d'être défriché de la jungle vierge. C'est ainsi que l'industrie a conduit au défrichage à grande échelle des forêts vierges pour produire des feuilles de tabac exportées vers l'Europe et l'Amérique.

L'héritage actuel de la domination coloniale fait l'objet d'un débat, mais de nombreux vestiges subsistent, que ce soit dans la structure des fonctions administratives de l'État ou dans la présence d'intérêts commerciaux détenus par des multinationales basées dans les anciennes puissances coloniales. Comme l'explique une étude publiée en 2015, ces héritages coloniaux perdurent : « Bien que le colonialisme ait été démantelé dans la première moitié du XXe siècle, ses politiques de nationalisation des forêts sont restées inchangées dans de nombreux États indépendants des tropiques, y compris le Nigeria », estiment Oliver O. O. Enuoh et Francis E. Bisong (4).

Beinart et Hughes estiment par ailleurs que « le contrôle impérial britannique de l'Inde a eu un impact majeur sur la gamme extraordinairement variée d'arbres et de produits forestiers. Il a également limité l'accès des plus pauvres aux forêts. L'exclusion ultérieure des humains des parcs naturels était également en partie ancrée dans les lois forestières coloniales, qui traitaient les populations locales comme des gaspilleurs et des destructeurs. Mais les pressions sur la forêt n'ont pas cessé avec l'indépendance. Le taux actuel de déforestation serait largement supérieur à 1 million d'hectares par an. »

Rapporter les émission à la population

Les émissions globales cumulées sont ce qui importe pour l'atmosphère, étant donné qu'elles sont directement liées au niveau de réchauffement que nous connaissons aujourd'hui. Toutefois, du point de vue de l'équité et de la justice climatique – les frontières nationales étant des constructions politiques arbitraires –, il convient également de considérer la responsabilité au niveau individuel. Cela implique de pondérer les totaux des émissions cumulées par les nations en fonction des populations respectives de ces nations, afin de calculer les émissions cumulées par habitant.

La première approche prend les émissions cumulées d'un pays à ce jour et les divise par la population en 2023. Les résultats sont présentés dans la figure ci-dessous, qui montre les dix principaux émetteurs et cinq autres pays sélectionnés. Les émissions par habitant à l'intérieur des frontières de chaque pays sont indiquées en bleu, tandis que les émissions par habitant produites dans les anciens territoires sous domination coloniale sont indiquées en rouge. Les émissions par habitant réaffectées à une puissance coloniale sont indiquées en bleu clair.

Les anciennes puissances coloniales que sont les Pays-Bas (2 014 tonnes de CO2 par personne) et le Royaume-Uni (1 922 tCO2) sont les principaux émetteurs mondiaux sur cette base cumulée par habitant. Ils sont suivis par la Russie (1 655 tCO2), les États-Unis (1 560 tCO2) et le Canada (1 524 tCO2). La figure montre que la responsabilité coloniale dans les émissions fait reculer les États-Unis et le Canada, qui passent respectivement de la première à la quatrième place, et de la deuxième à la troisième place.

D'autres anciennes puissances impériales, dont la Belgique (1 487 tCO2) et l'Autriche (987 tCO2), figurent également dans le top 10, de même que les anciennes colonies que sont l'Australie (1 088 tCO2, soit une baisse de 10 % due à la réaffectation des émissions coloniales) et Trinité-et-Tobago (948 tCO2, soit une baisse de 16 %). La figure montre également cinq autres pays sélectionnés : le Portugal (945 tCO2) et la France (857 tCO2), dont l'empreinte coloniale est importante, ainsi que les grands émetteurs que sont la Chine (217 tCO2) et l'Inde (52 tCO2), qui sont loin derrière les autres nations sur une base par habitant. Le graphique ne montre pas la moyenne du continent africain (92 tCO2), qui, comme celle de l'Inde, est bien inférieure à la moyenne mondiale de 318 tCO2.

La deuxième méthode de pondération des émissions historiques rapportées à la population prend en compte les émissions par habitant d'un pays pour chaque année et les additionne au fil du temps. Les émissions par habitant des populations d'hier et d'aujourd'hui ont ainsi le même poids. Les résultats sont présentés dans la figure ci-dessous, qui énumère à nouveau les dix premiers émetteurs et cinq autres pays sélectionnés.

Il est à noter que les Pays-Bas est le premier émetteur, quelque soit la méthode. De même, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada restent dans les cinq premiers sur ce deuxième calcul.

Une fois que l'on tient compte des importantes émissions initiales par habitant, dues à la déforestation sous le régime colonial, la Nouvelle-Zélande et l'Australie reculent dans le classement sur ce deuxième calcul par habitant. Le graphique inclut cinq autres pays sélectionnés, dont la Malaisie et l'Indonésie, qui présentent des dynamiques similaires à celles de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Enfin, le graphique inclut à nouveau la Chine et l'Inde, montrant que leurs émissions cumulées par habitant sont loin derrière celles de la plupart des autres pays.

Les importations, l'autre source d'émissions

La recherche de ressources naturelles outre-mer, pour alimenter l'essor de l'industrialisation et de la mondialisation, a été l'un des moteurs de la conquête coloniale. Dans l'ère postcoloniale, le commerce international continue de stimuler les importations et les exportations de CO2, intégrées dans les biens et services à forte intensité de carbone. Alors que la comptabilité standard des émissions est basée sur l'endroit où le CO2 est émis, la comptabilité des émissions basée sur la consommation donne l'entière responsabilité à ceux qui utilisent les produits et les services rendus. Cela tend à réduire le total pour les principaux exportateurs, tels que la Chine.

Cependant, le calcul des émissions sur cette base présente des difficultés, car il nécessite des tableaux commerciaux détaillés. Les données sur les émissions liées à la consommation utilisées pour cette analyse ne commencent qu'en 1990 et n'incluent que le CO2 provenant des combustibles fossiles et du ciment, ce qui signifie qu'elles excluent le commerce antérieur à 1990 et l'UTCF. En gardant ces limites à l'esprit, la figure ci-dessous montre comment la responsabilité nationale pour les émissions historiques est encore déplacée lorsque l'on tient compte du CO2 échangé dans les biens et services.

Les émissions cumulées au cours de la période 1850-2023, y compris celles qui ont eu lieu à l'étranger sous le régime colonial, sont indiquées en bleu foncé. Les parties rouges montrent le CO2 supplémentaire associé aux biens et services importés depuis 1990, tandis que le bleu clair montre le CO2 incorporé dans les exportations.

Les anciennes puissances coloniales, comme le Royaume-Uni et la France, ont également été des importateurs nets de CO2 depuis 1990, comme le montre le graphique – bien que l'impact sur leurs totaux globaux soit faible. Si l'on tient compte de ces importations et exportations de CO2, la part du Royaume-Uni dans les émissions historiques passe de 5,1 % à 5,3 %, tandis que celle de la France passe de 2,2 % à 2,3 %. À l'inverse, la part de la Chine dans les émissions historiques et sa responsabilité dans le réchauffement actuel tombent de 12,1 % à 11,1 %, si l'on tient compte des échanges de CO2 depuis 1990. La part de l'Inde dans le total mondial diminue également légèrement, passant de 2,9 % à 2,8 %.

Les biens exportés représentaient jusqu'à un quart des émissions annuelles de la Chine au milieu des années 2000. Plus récemment, cependant, leur part est tombée à environ 10 % de la production annuelle de CO2 de la Chine. L'inclusion des échanges à forte intensité de carbone antérieurs à 1990 modifierait le tableau présenté dans la figure ci-dessus. Le Royaume-Uni, en tant qu'« atelier du monde » au XIXe siècle, a exporté d'importants volumes de biens à forte intensité énergétique et de carbone, souvent fabriqués à partir de ressources provenant de son empire. D'autres nations en voie d'industrialisation, telles que les États-Unis et l'Allemagne, étaient également de grands exportateurs de produits manufacturés, jouant, comme l'indique un article publié en 2017 dans la revue Ecological Economics (5), un rôle similaire à celui de la Chine dans la lutte contre le changement climatique.

Notes

1- La durée de « demi-vie » d'une molécule (temps qu'il lui faut pour se dégrader de moitié) est de 100 ans.

2- Le dioxyde de carbone est en permanence échangé entre l'atmosphère, l'océan, les roches, les animaux et les végétaux. Les activités humaines (combustion des carburants fossiles, déforestation...) relâchent du dioxyde de carbone en excès dans l'atmosphère. Elles déséquilibrent le cycle, augmentant ainsi l'effet de serre.

3- Peter Boomgaard, « Oriental Nature, its Friends and its Enemies : Conservation of Nature in Late-Colonial Indonesia, 1889–1949 », Environment and History, 1999.

4- Oliver O. O. Enuoh, Francis E. Bisong, « Colonial Forest Policies and Tropical Deforestation : The Case of Cross River State, Nigeria », Tropical Ecological Consult Ltd., Department of Geography and Environmental Science, University of Calabar, 2015.

5- Astrid Kander, Paul Warde, Sofia Teives Henriques, Hana Nielsen, Viktoras Kulionis, Sven Hagen, « International Trade and Energy Intensity During European Industrialization, 1870–1935 », Ecological Economics, 2017.

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Soudan, le nœud coulant

19 décembre 2023, par Luiza Toscane — , ,
La guerre entre les Forces armées soudanaises (FAS) dirigées par Abdel Fattah al-Burhan, à la tête du Conseil de souveraineté de transition, mis en place suite au coup d'État (…)

La guerre entre les Forces armées soudanaises (FAS) dirigées par Abdel Fattah al-Burhan, à la tête du Conseil de souveraineté de transition, mis en place suite au coup d'État du 25 octobre 2021, et les Forces de soutien rapide (FSR), de Mohamed Daglo dit « Hemedti », ex numéro 2 du même Conseil, commencée en avril dernier, n'a connu aucun répit. Le bilan humanitaire de ce conflit à l'écart duquel se sont tenues les populations, est catastrophique.

Tiré d'Afrique en lutte.

Début octobre, on évaluait les morts à 9 000 [1] et les blessés à 16 000. Il faut prendre les chiffres, en constante évolution par ailleurs, avec précaution. Les chiffres donnés par l'ONU sont en général ceux du ministère de la Santé soudanais qui recense les morts comptabilisés par les hôpitaux et sont donc inférieurs aux chiffres susmentionnés. On estime que sur les 45 millions d'habitantEs que compte le Soudan, plus de 7 millions sont déplacéEs, dont 4,3 millions dans la foulée du conflit. Le pays accueillait par ailleurs au moment du déclenchement de la guerre 1 million de déplacéEs venant du Soudan du Sud, de l'Érythrée, de la République Centrafricaine (RCA) ou de la Syrie.

À la date du 9 octobre, 1 105 791 personnes avaient fui le pays, dont une majorité au Tchad [2], mais également au Soudan du Sud, en Égypte, en Éthiopie, en RCA ou en Libye, dont 67 % de Soudanais selon l'Organisation Internationale des Migrations.

Les victimes jamais comptabilisées de ce conflit sont les femmes violées en masse, kidnappées ou disparues.

Les prisons et les centres de détention secrets comptent les détenus par milliers. Beaucoup d'écoles ne fonctionnent plus, des dizaines d'entre elles servant d'abris pour les déplacés. 19 millions d'enfants sont déscolarisés [3].

Des dizaines d'hôpitaux ont été bombardés et bien des structures de santé ne fonctionnent plus que par le volontariat de civils, mais il manque de l'eau potable, des médicaments et du personnel qualifié. Or, des épidémies mortelles [4] de choléra, de dengue et de malaria se propagent, ainsi que la rougeole infantile.

Ajoutons que dans ce pays, où les régions de l'est sont épargnées par le conflit, l'économie et l'agriculture ont été sinistrées : ces six mois ont vu des épisodes de sécheresse, puis d'inondations, qui ont conduit les agences humanitaires à parler de risque de famine pour la moitié des habitants du pays.[5] Il faut y ajouter les SoudanaisEs mortEs de faim, en raison du siège militaire de localités.

Les récentes inondations dans l'État du Nil font courir un risque sanitaire aux populations, puisque les eaux charrient le mercure utilisé pour l'extraction de l'or [6].

Vers une partition de fait ?

À la mi-septembre, l'émissaire spécial de l'ONU pour le Soudan, Volker Perthes, a démissionné, en alertant sur un risque de « guerre civile ». Si cette démission n'est pas une grande perte, l'émissaire ayant concentré ses efforts dans la tenue de négociations incluant les forces contre-révolutionnaires et négligeant les Comités de résistance [7] qui refusaient la négociation avec les forces issues du coup d'État de 2021, ses mises en garde reflètent un aveuglement total. La « guerre civile » n'est pas un « risque » mais une réalité. Dans l'ouest du pays, au Darfour où se concentrent les FSR, les massacres des populations non arabes, notamment les Masalit, ont commencé dès juin dernier [8]. Et l'appel à la mobilisation des FSR a rencontré un écho positif chez des tribus arabes. Quand on sait que les FSR sont les héritières des milices janjawid qui ont à leur actif un nettoyage ethnique qui a fait 300 000 morts (là aussi on ne compte pas les viols) et deux millions de déplacéEs au Darfour depuis 2003, il ne s'agit pas d'une hypothèse. En 2010, la Cour pénale internationale avait lancé un mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir, alors président du Soudan, incluant des accusations de génocide [9].

L'évolution du conflit redessine la carte des forces en présence qui pourrait laisser présager une partition du pays : Khartoum, la capitale, est l'objet de combats quotidiens âpres : les FSR qui ne disposent pas d'aviation, ont réussi à conquérir plusieurs zones et la capitale subit les bombardements des FAS. À l'ouest du Soudan, les FSR sont hégémoniques sur des bases ethniques. L'est du pays est contrôlé par les FAS. Au sud, les forces de Mouvement populaire pour la libération du Soudan (MPLS) ont profité du conflit pour lancer des offensives depuis l'été dans le Kordofan du Sud et le Nil Bleu. Si ces deux dernières régions connaissent à leur tour de graves problèmes sociaux (absence de scolarité, de santé et hausse des prix) depuis l'entrée en guerre du MPLS contre les FAS, ce troisième acteur n'a qu'un rôle marginal par rapport aux deux autres.

En effet, la guerre al-Burhan/Hemedti n'est pas seulement locale : elle se serait déjà terminée faute de munitions ou d'armes. Le premier est soutenu par l'Égypte, le Qatar, la Turquie et le second, par les forces du maréchal Haftar (est libyen) et les Émirats arabes unis. La guerre s'est internationalisée, les milices Wagner ayant toujours soutenu Hemedti, tandis qu'en riposte, Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a rencontré le 23 septembre dernier Abdel Fattah al-Burhan en Irlande, confirmant implicitement les rumeurs d'attaques, filmées sur les réseaux sociaux, par des drones ukrainiens FPV (pilotage en immersion par caméra embraquée) contre les FSR. Sergueï Lavrov avait rencontré al-Burhan et Hemedti le 9 février dernier. Le Soudan est, après l'Algérie, le second importateur d'armes russes en Afrique et il est question de concrétiser enfin l'établissement d'une base navale russe sur la mer Rouge à Port Soudan. La Russie n'a pas intérêt non plus à trop soutenir l'un plutôt que l'autre, mais plutôt à garder de bonnes relations avec les deux, pour préserver, quel que soit le vainqueur, son accès aux zones d'exploitation aurifère dans le pays.

Ainsi le conflit va s'éterniser, ou conduire à une partition est-ouest, achevant l'épuration ethnique à l'ouest.

Des populations oubliées

Dans tous les cas, si aucune solution politique n'est envisageable, les interventions humanitaires sont à leur tour bloquées par les combats, ou inexistantes. Ainsi, aucun moment, il n'y a eu de pont aérien ou d'évacuation envisagée, ni même discutée pour exfiltrer des populations comme cela a pu être le cas pour des Irakiens en 2015 [10]… ou des Afghans en 2021 [11], même si ces dernières initiatives furent sélectives et limitées.

Fuir dans les pays limitrophes ne constitue pas une solution : dans les camps du Tchad vivent près d'un demi-million de personnes avec des difficultés d'accès à l'eau, à la nourriture et aux soins médicaux. Ils manifestent pour leurs droits, comme à Iridimi, le 30 septembre, pour obtenir de la nourriture non périmée [12]. L'Égypte a posé des limites : seules les femmes et les filles, et les hommes de moins de 16 ans et de plus de 50 ans peuvent entrer, mais munis de passeports en cours de validité. Les autres hommes doivent demander des visas et se heurtent à beaucoup de refus. L'Éthiopie exige des visas d'entrée pour les ressortissants de l'Union Africaine. Seul le Soudan du Sud n'exige ni visa ni ressources, mais il n'y a guère d'assistance au point de passage et la région est elle-même l'objet de combats. Reste la fuite avec des passeurs. Lors des inondations à Derna en Libye, on a recensé 155 Soudanais morts [13], sans parler des disparus.

Sans oublier l'hospitalité « à la française » : la France a fermé dès le mois d'avril sa représentation diplomatique au Soudan, ce qui oblige celleux qui le peuvent à se rendre dans les pays limitrophes, comme l'Éthiopie qui exige un visa d'entrée. L'ambassade de France à Khartoum, avant de fermer, a détruit tous les passeports de SoudanaisEs en quête de visa, par une décision qu'elle juge « inévitable », enfermant celles et ceux qui avaient voulu fuir un pays en guerre. Les États-Unis auraient fait de même14, et bien des ambassades européennes ou autres n'ont pas répondu aux détenteurs/rices de passeports. Une réfugiée soudanaise en France avait demandé la réunification familiale à laquelle elle pouvait prétendre pour ses deux filles mineures. Ces dernières étaient bloquées au Soudan suite à la destruction de leurs passeports par la France et leur mère n'est pas parvenue à ce que les autorités françaises leur délivrent un laissez-passer15, bien qu'elles soient soutenue par plusieurs associations, au terme d'un marathon juridique qui s'est achevé en juillet dernier.

Luiza Toscane

Notes

1.Sudan Situation Update : October 2023 | Ethnic Strife Amid Escalating Power Struggles (acleddata.com).

2.Selon le décompte actualisé du Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU : situation Soudan (unhcr.org).

3.Dabanga Radio TV Online (dabangasudan.org).

4.WHO scales up Sudan aid after cholera outbreak - Dabanga Radio TV Online (dabangasudan.org).

5.Les difficultés de financement du Programme alimentaire mondial pourraient pousser « 24 millions de personnes » au bord de la famine (lemonde.fr).

6.Dabanga Radio TV Online (dabangasudan.org).

7.« Pendant la guerre actuelle, il y a beaucoup moins d'espace possible pour les comités de résistance par rapport à avant », L'Anticapitaliste.

8.Conflit au Soudan : « La catastrophe est peut être d'une plus grande ampleur » dans la région d'el-Geneina (rfi.fr).

9.Al Bashir | International Criminal Court (icc-cpi.int).

10.06_Fiche_IRAK_-_dihad-FR_cle851713.pdf (diplomatie.gouv.fr).

11.Afghanistan - Accueil en France des personnes évacuées d'Afghanistan (vols d'évacuation des 21, 22 et 23.08.2021) - Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (diplomatie.gouv.fr).

12.alrakoba.net.

13.skynewsarabia.com

14.U.S. Diplomats in Sudan Shredded Passports, Stranding Sudanese - The New York Times.

15.Référés-liberté contre le refus de délivrer des laissez-passer à des mineures soudanaises empêchées de rejoindre leur mère réfugiée en France, GISTI.

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Soudan : la guerre dont on ne parle pas

19 décembre 2023, par Emma Bougerol — , ,
Le Soudan connaît une guerre civile à l'impact humanitaire sans précédent. Pendant que deux généraux se disputent le pouvoir depuis avril, la population dépend de l'aide (…)

Le Soudan connaît une guerre civile à l'impact humanitaire sans précédent. Pendant que deux généraux se disputent le pouvoir depuis avril, la population dépend de l'aide extérieure. Il est essentiel de ne pas l'oublier, soulignent les médias indépendants.

Photo et article tiré de NPA 29

« Il se déroule une crise humanitaire au Soudan au moment où l'on parle, mais le monde détourne les yeux quand il s'agit de l'Afrique. Les gens n'en parlent même pas. Beaucoup de personnes dans le monde ne savent même pas qu'il se passe quelque chose au Soudan. » Les mots sévères de Mahdi Garba, journaliste humanitaire pour HumAngle, sont à la hauteur de son désarroi face à la guerre civile que traverse actuellement le Soudan.

Depuis avril 2023, plus de 10 000 personnes ont été tuées. Les déplacés internes et à l'extérieur se comptent en millions. Une partie de la population est forcée de s'exiler dans des pays voisins, eux aussi instables, comme le Soudan du Sud ou le Tchad, explique Mahdi Garba. Désormais, « 25 millions de personnes dépendent de l'aide humanitaire pour survivre (sur une population totale de 45,6 millions d'habitants) », note Equal Times.

La population prise dans une guerre pour le pouvoir

Le Soudan connaît, depuis plusieurs années, une période d'instabilité politique dont les premières victimes sont les civils. Fin 2018, une révolution populaire met un terme à 30 ans de pouvoir d'Omar el-Béchir.

Fin 2019, à la suite d'un coup d'État visant à instaurer une démocratie, les représentants du soulèvement concluent un fragile accord de partage du pouvoir avec l'armée. S'en suivent deux années où le pays est « dirigé par une alliance très instable dans laquelle le gouvernement civil était supervisé par le général Abdel al-Burhan, chef des forces armées soudanaises », retrace dans The Conversation le chercheur espagnol Alfredo A. Rodríguez Gómez.

En 2021, un nouveau coup d'État est mené par l'armée : « C'est la révolution dite de “la trompe d'éléphant”, au cours de laquelle Abdel al-Burhan a dissous le Conseil souverain soudanais, l'organe suprême de gouvernement, et s'est autoproclamé chef de l'État soudanais pour une période indéterminée. »

Or « la paix et la stabilité n'ont pas été au rendez-vous », note-t-il. Le 15 avril 2023, une lutte pour le pouvoir éclate entre Abdel al-Burhan, qui dispose de l'appui des Forces armées soudanaises, et le général Mohamed Haman Dogolo, dit « Hemetti », chef du groupe paramilitaire appelé Forces de soutien rapide. Au début limités à la capitale, Khartoum, les combats s'étendent désormais à tout le pays, particulièrement dans la zone du Darfour, à l'ouest du pays.

L'organisation Human Rights Watch alertait, fin novembre, sur les « massacres ethniques et pillages » dans la région contre les civils de l'ethnie Masalit, commis par les forces de Hemetti et des milices alliées.

« Une guerre à laquelle le monde a tourné le dos »

« Huit mois après le début de la guerre, nous comptons les morts par milliers », soupire Mahdi Garba, dans le podcast « The Crisis room » de HumAngle. L'indifférence de la communauté internationale a des conséquences directes sur les populations, puisque l'aide humanitaire est trop faible face à l'ampleur des souffrances en cours.

Plus de 25 millions de personnes « ont désespérément besoin de l'essentiel – nourriture, abri, protection », souligneHumAngle, citant un communiqué du directeur soudanais de Save the Children. Selon leurs chiffres, près de 350 000 enfants ont dû quitter leur foyer entre début octobre et mi-novembre.

« Nous avons besoin de ressources urgentes et accrues pour protéger les enfants et les familles maintenant – pendant qu'ils sont déplacés -, mais nous avons également besoin de structures en place pour les protéger pendant leur déplacement et lorsqu'ils arrivent dans les zones de rassemblement », alerte-t-il.

Le média indépendant Equal Times parle d'une « guerre à laquelle le monde a tourné le dos ». Face à de tels drames humains, le silence paraît assourdissant. Le travail des journalistes est de donner une voix à ceux qui n'en ont pas, de participer à la connaissance de situations oubliées, méconnues. Cette newsletter veut mettre en avant ces voix, ces récits, pour rendre impossible l'indifférence. Pour continuer ce travail l'année prochaine (et celles d'après), nous avons besoin de votre soutien.

Emma Bougerol 18 décembre 2023

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Conversion des forêts, l’agriculture industrielle l’emporte sur l’agriculture de subsistance

19 décembre 2023, par Bernadette Nambou, Didier Madafime , Fanta Mabo — , , ,
La conversion des forêts en terres cultivées est aujourd'hui le premier moteur de déforestation. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'Agriculture (…)

La conversion des forêts en terres cultivées est aujourd'hui le premier moteur de déforestation. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'Agriculture (FAO), elle est à l'origine d'au moins 50 % de la déforestation mondiale, principalement pour la production de d'huiles de palme et de soja.

Plantation de monoculture de palmiers à huile à Edéa (Littoral - Cameroun)

En Afrique, et plus particulièrement au Cameroun et au Bénin, la culture industrielle du palmier à huile, du soja ainsi que du coton sont en têtes des facteurs de défrichages des forêts. Les superficies occupées par ces cultures sont de loin supérieures à celles occupées par l'agriculture de subsistance. Toute chose qui ne manque pas de provoquer des conflits fonciers entre les communautés villageoises et les agro-industries.

Les populations du village Apouh à Ngog situé dans l'arrondissement d'Edéa 1er, département de la Sanaga-Maritime, région du Littoral du Cameroun, sont toujours sur un pied de guerre avec la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm). L'entreprise a défriché près de 90% de la superficie de ce village, pour la culture du palmier à huile. Une agriculture industrielle qui prive la population locale de terres nécessaires à l'agriculture de subsistance. « La Socapalm s'est emparée de toutes nos terres. Nos maisons sont entourées par les palmiers à huile. Il n'y a plus d'endroit où nous pouvons cultiver ce que nous allons manger. Sur les quelques rares espaces qui nous restent, les plantains et les tubercules de maniocs sont asséchés par les épandages aériennes de pesticides. Nous sommes au village, mais c'est en ville que nous partons acheter de la nourriture. », s'indigne Félicité Ngon Bissou, présidente de l'Association des femmes riveraines de la Socapalm d'Edéa (AFRISE).

Félicité Ngon Bissou, president de l'association des femmes riveraines de la Socapalm d'Edéa (AFRISE)
C'est depuis une dizaine d'années que le torchon brule entre agriculture industrielle et agriculture villageoise à Apouh à Ngog. En avril 2023, Sa Majesté Mercure Ditope Lindoume, le chef traditionnel de cette communauté d'environ 300 âmes a été placé en garde à vue administrative, sur instruction de Cyrille Yvan Abondo, le préfet du département de la Sanaga Maritime. Le chef et ses sujets s'étaient farouchement opposés au replanting des palmiers derrières les habitations. « Nous n'avons pas pour objectif de bloquer les activités de la Socapalm. Nous pensons qu'après plus de 60 années d'expropriation de nos terres, cette entreprise doit libérer ne serait-ce que les alentours de nos maisons, soit une superficie d'environ 250 hectares, afin que nous puissions y produire de quoi manger. », soutient le chef de 2e degré.

Etendue sur 58 063 ha pour ce qui est de son site d'Edéa, la Socapalm est possédée à 67,46% du capital par Socfinaf, filiale camerounaise du groupe Socfin (Société financière des Caoutchoucs), à 22,36% par l'État du Cameroun et le capital restant est coté depuis 2009 à la Bourse des valeurs mobilières de l'Afrique centrale (Bvmac). Dans une réaction mise à notre disposition, l'entreprise se dédouane de tout accaparement de terres, et dit fonctionner de manière durable, et dans l'intérêt des populations riveraines de ses plantations. « Nous tenons à rappeler que le légitime propriétaire des terres étant l'État du Cameroun, il est le seul à pouvoir statuer sur la mise à jour des limites des concessions et la Socapalm ne saurait s'accaparer les terres des populations environnantes. De plus, contrairement aux allégations, il n'y a aucun rejet possible des effluents de l'huilerie dans les rivières, et encore moins de dangers environnementaux liés aux épandages aériens. L'entreprise fait l'objet de plusieurs audits annuels de la part de l'organisme de certification, de notre consultant en la matière qui nous accompagne depuis plusieurs années, et bien entendu de la part des autorités : missions du Ministère de l'Environnement, de l'Industrie ou encore de l'Agriculture. », se défend la Socapalm.

Pour l'heure, les habitants d'Apouh à Ngog ne décolèrent pas. Ils doivent se rendre à 7 kilomètres de leurs maisons à travers d'énormes plantations de palmiers, pour pratiquer une agriculture de subsistance sur 150 ha de terres. Ce qui pour eux représente une insulte, face aux 58 063 ha terres occupées par l'agro-industrie.

Dans la région du Sud, une palmeraie grignote 60 000 hectares de forêt

À un vol d'oiseau d'Edéa, nous sommes dans la région du Sud, et plus précisément dans le département de l'Océan. Ici, le rapport de déforestation entre l'agriculture industrielle et l'agriculture de subsistance, est bien plus que d'actualité. Et c'est une fois de plus le palmier à huile qui est au centre des querelles. Des investisseurs nationaux comptent y produire 180 000 tonnes d'huile de palme par an grâce au projet « Camvert », une plantation de monoculture de palmiers à huile, prévu sur 60 000 hectares (grande comme trois fois la ville de Douala), dans les arrondissements de Campo et de Niete.

À la Direction général de Camvert à Yaoundé la capitale du Cameroun, Mamoudou Bobbo, le Project Manager Officer de l'entreprise nous fait savoir que le projet lancé en 2020 a déjà rasé près de 2000 hectares sur le site Campo, pour le planting de 250 000 plants de palmier à huile.

pépinière de Camvert au Sud du Cameroun

Une implantation mal vécu par les communautés riveraines du projet, bien que vivant essentiellement de la pêche, de la chasse et de la cueillette. « Dans cette partie détruite par Camvert, on campait pour faire la chasse. On y allait aussi pour récolter du miel. Aujourd'hui, il n'y a plus rien », nous confie Henry Nlema, membre de la communauté des pygmées de Campo. Pour les quelques rares exploitations d'agriculture familiale qui existent à Campo, le quotidien n'est plus serein. L'implantation de la palmeraie provoque la divagation des animaux sauvages, notamment les éléphants. « Ils attendent la tombée de la nuit pour venir manger les bananiers, maniocs et autres, que nous cultivons derrières nous maisons. Nous sommes vraiment découragés », se désole une quinquagénaire, assise sur un tabouret dans sa cuisine qui lui sert également de salle de séjour.

La reconversion des forêts par la culture industrielle du palmier à huile est d'une ampleur considérable dans le département de l'Océan, région Sud du Cameroun. Dans l'arrondissement de Bipindi des pygmées Bagyeli s'opposent depuis 2018 à un décret présidentiel octroyant 18 000 hectares de leur forêt à Biopalm, une autre société agro-industrielle de palmiers à huile.

Dans la région du centre, une mono culture de 18 700 ha de cannes à sucre

Sa majesté Benoît Bessala Bessala, chef de 2e degré de Nkoteng (municipalité située dans la région du Centre au Cameroun), a le ton amer, quand il parle de l'agro-industrie qui opère dans sa localité depuis 1964. « Rien ne va. Ça, je ne saurai mâcher mes mots. Le climat n'est pas serien entre nous, populations autochtones et la société sucrière du Cameroun (Sosucam). Les problèmes sont tellement multiples que je ne saurais les énumérer ici. Vous qui venez de Yaoundé, lorsque vous passez par Nanga-Eboko, vous êtes obligé de vous boucher les narines, bien que vous soyez dans la voiture. Notre rivière est totalement polluée. Nous ne pouvons plus avoir du poisson. Aucune ne mesures répertoire. Vous savez, Sosucam, c'est des costauds. Cela veut dire que partout où nous irons nous plaindre, rien de ne sera fait. » s'indigne l'autorité traditionnelle, avant de jeter le regard vers l'horizon, dans un air de désespoir.

Située à 136 Km au Nord – Est de la ville de Yaoundé, la commune de Nkoteng a pour principale activité commerciale l'agriculture, qui occupe plus de 90% de la population active. L'agriculture mécanisée est pratiquée par la Sosucam, entreprise agro industrielle sucrière spécialisée dans la culture et la transformation de la canne à sucre. Avec des plantations de la canne à sucre s'étendent sur une superficie de près de 18 700 ha (sur deux sites sucriers, celui de MBandjock et celui de NKoteng) pour une production annuelle de près de 105 000 tonnes de sucre, l'entreprise possédée à 74% par le groupe français Somdiaa et à 26% par l'État du Cameroun, emploie 6 000 ouvriers, constitués essentiellement de locaux.

siège de la Sosucam à Bandjock

Malgré un impact environnemental dénoncé par les riverains, la société qui est pourtant dotée d'un certificat de conformité environnementale délivré par l'administration, n'est pas la seule à avoir rasé le couvert forestier local pour s'implanter. À travers une agriculture traditionnelle, pratiquée avec des moyens technologiques rudimentaires, la population villageoise développe des cultures pérennes. C'est le cas de Papa Lucas, un sexagénaire qui possède 15 ha de cacao. « Avec cette cacaoyère, je dépasse ces fonctionnaires de Yaoundé qui ne foutent rien dans les bureaux » s'en vente-t-il, marchant vers son pick-up, tout en balançant son trousseau de clés. Comme lui, beaucoup d'autres locaux défrichent la forêt, pour cultiver non seulement du cacao, mais aussi du café, et du palmier à huile en pleine introduction dans l'arrondissement, avec déjà plus de 40 hectares mis en place. Selon les chiffres de la délégation du ministère de l'agriculture dans le département de la Haute Sanaga, la production actuelle du cacao oscille entre 25 et 30 tonnes, alors que celle du café avoisine les 7 tonnes.

Quid du Bénin

Au Bénin, les communautés villageoises sont en première ligne de la reconversion des forêts en exploitation agricole. Ici, 54,8% de la population pratique l'agriculture, notamment la culture du coton, pratiqué sur 90% des exploitations agricoles, avec près de 40% des entrées de devises. Le Bénin est le premier producteur de coton en Afrique de l'ouest, avec plus de 730 000 tonnes chaque année.

Cultivateurs de coton au Benin

À la question de savoir, qui de l'agriculture de subsistance ou de celle des cultures de rente, détruit plus la forêt, les acteurs sont unanimes. Ce sont les cultures de rente qui sont responsables de la déforestation au Bénin. Selon les chiffres du ministère béninois en charge de l'environnement, près de 100 000 ha de forêts sont détruits chaque année pour l'extension des plantations de coton, et dans une moindre mesure, de soja, de riz, de maïs, et de palmier à huile. Les communes de Banikora et de Kandi, situées respectivement au Nord-Ouest et Nord du Bénin, sont les principaux bassins de production de Coton.

Banikaora, la première commune cotonnière du Bénin

Banikaora est la première commune du Bénin en matière de production du coton. Pour la dernière campagne 2021-2022, cette commune a produit environ 167 296 tonnes de coton soit ¼ de la production nationale, sur une superficie d'environ 140 000 ha. C'est beaucoup d'espace en thème de superficie et pour le 1er Adjoint au Maire de Banikaora, Sabi Goré Bio Ali, cet espace ne suffit toujours pas. « Nous sommes limités en terme d'espace, parce qu'il y a le parc et la forêt classée de l'Aliborie supérieur, qui nous contraignent à ne pas étendre nos plantations. », explique l'élu local.

Mairie de Banikoara

Banikora est limitrophe du Parc w et de la forêt classée de l'Alibori supérieur. Mais le statut protégé de ces aires naturelles, ainsi que les dispositions fermes de l'État, les cotonculteurs étendent leurs plantations au-delà des frontières avec les aires protégées. « Au paravent un agriculture cultivait au trop deux ha. Mais maintenant, compte tenu de l'utilisation des herbicides, chacun va jusqu'à 10 ha, voir même 20 ha. Ce qui nous pousse à détruire la forêt. », reconnait Tamou Chabi, cotonculteur à Banikaora.

Kandi

Kandi couvre une superficie de 3421 Km2 avec une population estimée à 177 683 habitants. La commune occupe chaque année, la deuxième position en matière de production de coton après Banikoara. À l'issue de la campagne 2021-2022, cette commune a produit 68 000 tonnes de coton sur une superficie de 71 000 hectares. Tout comme Banikoara, elle fait partie du département de l'Alibori, la zone agro-écologique du bassin cotonnier.

Seidou Abdou Wahah, 1er Adjoint au maire de Kandi

Ils sont 20 000 à produire le coton à Banikoara, répartis dans 194 Coopératives villageoises des producteurs de coton (CVPC). Comme Banikoara, Kandi fait aussi le soja, le riz, le maïs. Pour le 1er Adjoint au Maire de Kandi, il faut faire une pause dans la production du coton et imaginer autres alternatives pour le développement du Bénin. « Par le passé, l'on était capable de vous dire que les pluies auront lieu à telle date. Mais aujourd'hui, puisque le couvert végétal n'est pas là, les prévisions météorologiques sont démenties par la réalité sur le terrain. Je penses qu'au niveau où nous sommes, on est obligé de marquer un arrêt, et de penser à une autre pièce de rechange. », confie Seidou Abdou Wahah, 1er Adjoint au maire de Kandi.

La société civile dénonce l'agriculture industrielle

Djibril Azonsi, Directeur general de LE RURAL

LE RURAL est un groupe de presse agricole basé au Bénin. Il informe depuis quelques années sur les thématiques relatives à l'agriculture, l'agrobusiness, le genre et développement, la recherche et innovation, la santé et nutrition et l'environnement. Pour son directeur général, il n'y a pas de doutes, c'est l'agriculture de rente qui détruit le plus de forêt au Bénin. « Les cultures de rente sont essentiellement à but commercial. Elles se font sur des grandes superficies, contrairement à l'agriculture de subsistance, qui est destinée à l'alimentation de la famille, et dont les excédents peuvent être vendus pour gérer les autres charges du quotidien. C'est vrai que jusqu'ici, il n'existe pas de chiffres actualisés sur les occupations spatiales de chaque cultures, mais je pense qu'en tête des cultures qui détruisent le plus la forêt, nous avons le coton. Parce que c'est l'une des cultures qui demande qu'on défriche sérieusement le terrain. », explique Djibril Azonsi, directeur général de LE RURAL.

Aristide Chacgom, coordonateur de Green Development Advocates (GDA)

Au Cameroun, Aristide fait partie des acteurs de la société civile engagés dans la lutte contre la déforestation. « Je dirais sans ambages que c'est l'agriculture industrielle qui détruit plus la forêt. Si vous prenez par exemple la cacaoculture que pratiquent encore certains de nos parents de manière rudimentaire, vous verrez qu'elle ne détruit pas totalement la forêt, car le cacao est cultivé sous ombrage. Et même quand les communautés forestières pratiquent l'agriculture, vous verrez qu'elles réservent toujours des espaces forestiers pour la collecte des produits forestiers non ligneux ou pour la pharmacopée traditionnelle. Hors l'agriculture industrielle procède par un rasage total de la forêt, pour la remplacer par une végétation non naturelle, qui pour le cas du Cameroun, peut être le palmier à huile ou l'hévéa, qui sont les principalement cultivés par les agro-industries. On peut également évoquer la canne à sucre. », explique Aristide Chacgom, coordonnateur Chez Green Development Advocates (GDA).

Les pouvoirs publics préconisent l'agroforesterie

Gaston Dossouhoui, Ministre béninois de l'Agriculture

Au Bénin où nous avons pu rencontrer le ministre de l'agriculture, il en ressort une prise de conscience des dégâts forestiers causés tant par les cultures de rente, que par les cultures de subsistance. « Il est très courant de constater que la reconversion des forêts en terres agricoles nous pousse petit à petit vers la désertification, ce qui finira par nous affamer. Mais voilà, il faut produire. Je suis d'accord avec vous que l'agriculture familiale, pratiquée sur des petites superficies, cause moins de dégâts aux forêts, semble-t-il, mais ça cause quand même. Car la manière de cultiver, la manière de défricher, les brulis que nous faisons, les arbres que nous incinérons afin que nos ignames reçoivent bien le soleil pour une bonne tubérisation, constitue déjà une déforestation. Le problème n'est pas seulement l'échelle qu'on utilise pour certaines cultures industrielles, mais la méthode. Nous avons démontré à suffisance, depuis près de 30 ans, que pour un champ de cotonnier, lorsque vous avez là-dessus, 40 pieds bien repartis de karité, vous n'affectez pas le rendement. Alors, que faire pour cette logique entre dans les têtes de nos producteurs ? Tout le débat est là. » déclare Gaston Dossouhoui, le ministre béninois de l'agriculture.

Pour le membre du gouvernement l'urgence est de réduire l'impact de l'agriculture sur les forêts, sans toutefois chercher à savoir quel type d'agriculture détruit le plus la nature. Pour concilier la production des aliments et la préservation des forêts, outre l'agroforesterie, le ministère béninois de l'agriculture conseille aux agriculteurs, l'usage des techniques de semis qui ne nécessite pas le remuage des sols. L'alternance de certaines cultures sur un même sol permet aussi de préserver sa fertilité. C'est le cas entre l'igname, et des cultures locales comme le Moukono et le kajanus.

Fanta Mabo, Didier Madafime et Bernadette Nambou, avec le soutien du Rainforest Jurnalism Fund et le Pulitzer Center

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Sanaa Seif : « Il faut se battre pour tout, pour le moindre droit »

19 décembre 2023, par Sanaa Seif — , ,
Depuis 1952, lorsque l'occupation britannique a quitté l'Égypte, le pays est dirigé par l'armée. La dictature de 30 ans d'Hosni Mubarak a été renversée après le soulèvement de (…)

Depuis 1952, lorsque l'occupation britannique a quitté l'Égypte, le pays est dirigé par l'armée. La dictature de 30 ans d'Hosni Mubarak a été renversée après le soulèvement de 2011 qui a débuté le 25 janvier, une date connue sous le nom de « jour de rage ». De nouvelles élections ont eu lieu en 2012, qui ont conduit à la victoire de Mohamed Morsi du parti islamiste Fraternité musulmane. Son mandat a duré un an, jusqu'à ce qu'il soit interrompu par le coup d'État militaire dirigé par le général Abdel Fattah Al-Sisi en 2013. Depuis lors, la population égyptienne vit sous un régime autoritaire et antidémocratique.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Sanaa Seif est une cinéaste et militante égyptienne et britannique. Elle était présente lors du soulèvement de 2011 et a fait campagne pour la libération de son frère, Alaa Abd Al-Fattah, et d'autres prisonniers politiques du régime d'Al-Sisi. Ses actions en défense de ces militants ont abouti à son arrestation à trois reprises. Dans cette interview, réalisée en juin 2023, Sanaa parle de la conjoncture politique actuelle en Égypte et de sa campagne en cours pour la libération des défenseurs des droits humains dans le pays.

Pendant les manifestations de 2011, vous avez accompagné vos parents et vos frères dans la lutte et êtes devenue active dans le mouvement à partir de là. Quelle est votre lecture des manifestations de cette période ? Qu'est-ce que cela a signifié pour l'organisation et la réorganisation des mouvements dans le pays ?

Les principaux slogans prononcés dans les rues étaient « Pain, liberté et justice sociale ». L'objectif principal était d'établir la démocratie, et nous n'avons pas cela. Et puis les mouvements de 2011 ont été vaincus. L'inflation est galopante, les prix sont beaucoup plus élevés, la valeur de l'argent a beaucoup baissé. La violence policière est très présente.

Mais c'était quand même un moment très significatif et important dans l'histoire de notre pays, parce que c'était très fort, mais très pacifique. C'était un moment de possibilité et de potentiel dans notre pays, mais nous avons commis beaucoup d'erreurs collectivement – en particulier les groupes politiques organisés. Nous n'avons pas défendu la valeur de la démocratie et, face à la complexité de notre pays et de notre société, nous voulions seulement que l'armée résolve nos problèmes sociaux à notre place. Par conséquent, naturellement, l'armée en a profité. Le régime militaire d'aujourd'hui n'est plus déguisé comme avant, et Abdul Fatah Khalil Al-Sisi est déjà notre président depuis dix ans.

En Égypte, il y a un dilemme politique constant entre avoir des groupes islamistes ou l'armée au pouvoir. Ce sont les groupes organisés. Tout autre – progressiste, de gauche, conservateur, tout groupe civil ou radical comme nous – est très petit et peu organisé, car l'État ne le permet pas. Il était donc en quelque sorte connu qu'une fois les sociétés ouvertes, les islamistes constitueraient l'opposition la plus populaire. Ils ont remporté les élections, obtenu la majorité au parlement et à la présidence et ont mal gouverné pendant un an. Ils sont arrivés après la révolution, mais n'ont fait aucune réforme de la police et ont continué les lois dictatoriales contre la population chrétienne… Toutes les mauvaises choses qui avaient conduit à la révolution ont continué, mais au lieu d'être au nom de l'armée, elles sont désormais au nom de l'Islam.

L'armée a profité de cette occasion pour organiser un coup d'État et, fondamentalement, rejeter la démocratie. Naturellement, lorsque l'armée est revenue au pouvoir, elle a opprimé tout le monde sous prétexte qu'elle combattait le terrorisme et l'extrémisme. L'armée se présentait comme laïque, mais d'un point de vue religieux, elle était aussi conservatrice que la Fraternité musulmane et tout aussi sectaire.

Avec un gouvernement antidémocratique, il y a beaucoup en jeu au-delà du manque de démocratie lui-même. Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de la situation politique actuelle dans votre pays ?

En ce qui concerne la liberté personnelle, l'État a une certaine propagande contre le harcèlement sexuel, qui est criminalisé par la loi. Mais la violence réelle à l'égard des femmes a augmenté. Aujourd'hui, il y a de nombreux cas de filles arrêtées parce qu'elles ont fait des vidéos sur TikTok. Il y a un aspect de classe à cela. Si c'est une fille de la classe moyenne supérieure qui parle anglais et réalise ces vidéos et qui est une influenceuse dans l'une des régions chics d'Égypte, c'est acceptable. Mais si c'est une fille de la classe moyenne inférieure qui fait ces vidéos, elle se fait arrêter pour prostitution. Notre procureur général a fait des déclarations publiques sur les valeurs familiales. Ainsi, les filles, la communauté LGBT et toute autre minorité sont beaucoup plus persécutées.

D'un point de vue financier, nos militaires sont impliqués dans toutes sortes d'entreprises, même des entreprises privées qui font partie des services de renseignements généraux. Il y a un cas assez célèbre d'un homme qui a refusé de remettre son entreprise à l'armée et s'est retrouvé en prison, avec son fils, pendant deux ans. De nombreuses communautés ont été expulsées parce que l'armée a décidé de construire un mégaprojet sur le territoire. La compagnie pétrolière italienne Eni a commencé à extraire du gaz naturel liquéfié (GNL) en Égypte, tout comme British Petroleum. Nous n'avons pas la liberté de la presse, donc nous n'avons pas beaucoup d'informations, mais les communautés autour des usines de GNL dénoncent la pollution de l'eau. Les pêcheurs affirment qu'il n'y a plus de poissons dans les eaux.

Pendant les mobilisations de 2011, vous et d'autres militants avez travaillé à l'édition et à la publication du journal indépendant Al-Gornal. Pouvez-vous nous parler de cette expérience et des outils de communication dans le pays ?

Aujourd'hui, nous avons environ trois grands médias indépendants qui sont encore en mesure d'opérer dans le pays. C'est un grand défi de le faire et de nombreux journalistes sont arrêtés, mais nous avons encore des restes de la société civile qui sont dans l'opposition. Avant, nous avions beaucoup plus de véhicules de presse, de journaux et autres. Tous nos médias grand public sont passés sous le contrôle du service des renseignements généraux, qui réglemente également les reportages.

« En 2011, j'avais 16 ans. La plupart des membres du groupe travaillant à Al-Gornal avaient mon âge. Nous n'étions pas journalistes, mais nous nous sommes rendu compte que c'était un moment de liberté quelque peu exceptionnel, et nous voulions simplement le souligner. » – Sanaa Seif

Les gens parlaient librement sur Internet, mais nous voulions une publication imprimée. Pour le contenu, nous avons créé une page Facebook et lancé un appel à articles. C'était un processus très inspirant. Il y avait une publication mensuelle et nous avions six numéros. Nous avons distribué 25 000 exemplaires gratuitement avec un réseau de distribution impressionnant. C'était un contenu très sérieux, et le mérite n'était pas le nôtre, mais des personnes qui se sont engagées avec nous.

Pendant toutes ces années de participation active au militantisme, vous avez été arrêtée trois fois. Votre frère, militant des droits humains en Égypte, est toujours en prison aujourd'hui. Comment se sont déroulées les campagnes pour la libération des militants emprisonnés, dont votre frère ?

Mon frère est en prison depuis neuf ans. Au début, nous faisions campagne à l'intérieur du pays, et c'est ainsi que cela se passe dans le cas de la plupart des personnes arrêtées. Il y a beaucoup de gens qui militent et plaident non seulement pour la libération des personnes incarcérées, mais aussi pour de meilleures conditions. Il faut se battre pour tout, pour chaque petit droit : obtenir de la nourriture pour ces personnes, des lettres, leur rendre visite. Rien ne peut être tenu pour acquis. Toutes mes arrestations ont eu lieu parce que je défendais la liberté de mon frère et du reste des personnes emprisonnées en général. Son avocat a été arrêté pour l'avoir défendu – il est également journaliste.

Aujourd'hui, ma façon de faire campagne est avec les gouvernements occidentaux pour aborder la situation des droits humains en Égypte. À Genève, nous nous sommes battu.e.s pour changer les conseils de voyage en Égypte, afin qu'ils disent qu'il est possible d'être arrêté dans le pays, et que le passeport ne vous protégera pas. Cela a eu un certain succès et, bien sûr, c'est grâce à la solidarité de militant.e.s comme nous. Je suis au Caire depuis un an, mais j'ai beaucoup voyagé et, en gros, j'ai fait campagne à l'extérieur. Je veux rester dans mon pays. C'est un grand risque d'utiliser les espaces occidentaux pour faire campagne pour nous, peuple égyptien. J'ai donc décidé de le faire et de rester au pays, pour qu'il n'y ait aucune répercussion contre mon frère. Lors de la conférence des Nations Unies sur le climat, la révélation de l'affaire que j'ai faite m'a apporté une certaine protection. Je peux vivre au Caire, mais c'est toujours dangereux et ils peuvent m'arrêter, mais ce ne sera pas une décision facile. C'est un risque calculé, où il y aura un certain prix politique.

Langue originale : anglais
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Édition par Hélène Zelic
https://capiremov.org/fr/entrevue/sanaa-seif-il-faut-se-battre-pour-tout-pour-le-moindre-droit/

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La fabrique des migrations : La grande illusion des « retours volontaires » (4/4)

19 décembre 2023, par Brezh Malaba, Elizabeth BanyiTabi, Emmanuel Mutaizibwa, Ngina Kirori, Theophilus Abbah, Zam Magazine — ,
Qu'est-ce qui pousse des milliers d'Africain·es à s'exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « (…)

Qu'est-ce qui pousse des milliers d'Africain·es à s'exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « d'accueil » ? Dans cette série du magazine ZAM déclinée en quatre épisodes, cinq journalistes décryptent les mécanismes de la migration. Ce quatrième et dernier volet s'intéresse aux « projets de retour » financés notamment par l'Union européenne.

Tiré d'Afrique XXI.

Coincé dans le désert algérien « sans rien », Uka Ifeanyi a accepté, le 14 février 2023, l'offre de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) de se réinstaller au Nigeria – une offre financée par l'Union européenne (UE) dans le cadre d'un programme visant à mener à bien des « projets de retour » pour les migrants refoulés. Après qu'il a été ramené par avion à Lagos, le personnel de l'OIM lui a demandé « de patienter trois mois pour obtenir un logement et [se] réinstaller, explique-t-il au téléphone. Mais, depuis, personne ne [l']a appelé. »

Ce n'est pas ce à quoi Ifeanyi s'attendait, car les fonctionnaires de l'OIM l'avaient spécifiquement interrogé sur ses compétences, et lui avaient promis une aide pour lancer une petite entreprise dans sa région d'origine. « Ils m'ont demandé ce que je voulais faire et je leur ai dit que je voulais me lancer dans la plomberie, poursuit-il. Ils ont noté tout cela, nous ont donné à chacun 50 000 nairas [environ 58 euros] sur une carte bancaire et nous ont demandé de rentrer chez nous. Mais ils n'ont jamais rappelé. »

Grace Onuru, qui était bloquée en Libye après avoir plusieurs fois échoué à rejoindre l'Europe, a bénéficié de l'aide de l'OIM pour rentrer au Nigeria en mars 2023. À son arrivée à Lagos, raconte-t-elle, « les fonctionnaires de l'OIM ont demandé à chacun d'entre nous quel métier il souhaitait exercer. Je leur ai dit que j'avais une formation d'infirmière et que je voulais ouvrir un magasin de produits pharmaceutiques. » Comme Ifeanyi, elle a reçu une carte bancaire créditée de 50 000 nairas. « Cette somme devait nous permettre de rentrer chez nous au Nigeria. Ils ont promis de nous contacter dans les trois mois. Mais, six mois plus tard, personne ne m'a appelée. »

Onuru dit qu'elle a désespérément besoin d'aide : « En ce moment, je suis bloquée. Aucun membre de ma famille ne peut m'aider. » À l'exception d'une école primaire dans laquelle elle squatte la nuit, à Lugbe, un quartier d'Abuja, elle n'a aucun endroit où aller. « Je n'ai rien à manger. Je n'ai pas de travail et je n'ai personne vers qui me tourner. »

60 % des nigériens secourus veulent repartir

On retrouve ce genre de récits dans plusieurs rapports, dont un rédigé par des chercheurs mandatés par l'Union européenne elle-même (1). L'étude note qu'une majorité de migrants revenus au pays vivent encore sous des tentes, ont disparu ou sont dans une situation pire qu'avant. Tous les rapports s'accordent à dire que plus de 60 % des Nigérians qui ont été « secourus » (souvent des prisons et des centres de détention en Afrique du Nord) sont tentés de repartir. Trois anciens migrants, rentrés depuis 2017 et interrogés par ZAM, ne disent pas autre chose. Eux ont réussi à se réinstaller, avec l'aide de projets financés par l'UE. L'un a créé une ferme piscicole, un autre un salon de coiffure, et le dernier un atelier de soudure et d'électricité. Ils affirment que la plupart des personnes avec lesquelles ils étaient revenus au Nigeria – l'un d'eux a mentionné de nombreuses « mères célibataires qui étaient censées ouvrir des salons de coiffure » – sont reparties après avoir vendu leur « pécule de départ », parfois « avec l'aide du personnel de l'OIM ».

Quelles sont les raisons de cet échec ? L'OIM n'a pas répondu aux sollicitations de ZAM. Pour Osita Osemene, de Patriotic Citizen Initiatives, l'une des ONG impliquées dans le programme de réinstallation, l'OIM et le gouvernement nigérian n'ont pas fait grand-chose pour permettre aux nouveaux arrivés de se réinstaller. Il ajoute que, selon lui, le gouvernement nigérian est le principal responsable de cette situation : « Ce sont des Nigérians, notre gouvernement doit prendre ses responsabilités. L'OIM est censée continuer à les soutenir et leur donner un peu de capital pour qu'ils se lancent dans les affaires. Cela n'a pas toujours été le cas. Mais que fait le gouvernement nigérian à ce sujet ? »

Le porte-parole de l'Agence nationale de gestion des urgences (National Emergency Management Agency, Nema), Manzo Ezekiel, qui est chargé de transporter les rapatriés au Nigeria, précise que le mandat de la Nema est d'accueillir les personnes qui ont été évacuées d'Afrique du Nord par l'OIM vers le Nigeria. « Nous leur apportons le soutien financier nécessaire pour qu'ils retournent dans leur lieu de résidence, explique-t-il. La Commission nationale pour les réfugiés, les migrants et les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays est chargée de leur fournir une formation à l'entrepreneuriat ou de leur donner des capitaux pour créer des entreprises. » La porte-parole de la Commission pour les réfugiés, Khadija Imam, n'a pas répondu à nos questions.

Bloqués en Afrique du nord

Selon une enquête du journal néerlandais The Correspondent, l'Union européenne a financé, entre 2011 et 2019, 47 projets régionaux de « facilitation des transports » destinés à aider les migrants retrouvés le long des routes migratoires dans les pays d'Afrique du Nord « à retourner volontairement » dans leurs pays d'origine, pour un coût de 775 millions d'euros. Pour le seul Nigeria, le coût s'est élevé à 68 millions d'euros. Mais même dans les cas où les projets ont été couronnés de succès, leur impact réel est douteux. Si l'OIM au Nigeria indique dans son rapport de 2021 qu'elle a aidé 3 042 migrants à « retourner volontairement » au Nigeria, ce chiffre est dérisoire par rapport au nombre de migrants nigérians qui empruntent chaque année des itinéraires illégaux dans la direction opposée : ils seraient, selon les estimations, entre 44 000 à 85 000 (2).

Selon des recherches menées en 2007, entre 66 % et 80 % d'entre eux sont susceptibles de rester bloqués en Afrique du Nord. Mais ce pourcentage pourrait avoir augmenté particulièrement au cours des huit dernières années, depuis que les initiatives européennes ont transformé les zones frontalières nord-africaines en murs lourdement surveillés. Depuis 2015, la pression de l'UE a conduit à la criminalisation du transport des migrants le long des itinéraires. Le Fonds fiduciaire européen d'urgence pour l'Afrique, doté de 6 milliards de dollars, également créé en 2015, a par ailleurs financé des infrastructures qui acheminent les migrants illégaux vers les prisons et les centres de détention en Libye. Les Subsahariens vivant actuellement dans des conditions d'exploitation ou détenus dans des pays comme la Libye seraient, selon les estimations, entre 1 et 2 millions.

Arrêtés, battus et violés

Au Cameroun, selon l'OIM, 5 450 migrants ont été « autorisés à retourner [dans leur pays] et à se réintégrer » entre 2017 et 2021, dans le cadre de l'Initiative conjointe UE-OIM pour la protection et la réintégration des migrants. Dans un rapport qui se concentre sur la période allant de janvier à juin 2021, l'OIM écrit qu'au cours de ces six mois, 233 Camerounais ont bénéficié de son « Programme d'aide au retour volontaire et à la réintégration ». L'organisation note que cela a été « loin d'être un parcours sans heurts » et qu'« il y a des retards pour certains projets de réintégration en raison du manque de constance et/ou de dévouement de certains rapatriés qui demandent une réintégration socio-économique. » Citant un rapatrié prénommé Arnaud, 31 ans, rentré d'Algérie en janvier 2023, qui « a d'abord connu une période difficile » mais qui maintenant « élève et vend des poulets », le rapport indique cependant que, dans son cas également, « des défis subsistent ».

L'ONG Human Rights Watch a rapporté qu'entre 2020 et 2022, 80 à 90 demandeurs d'asile déboutés aux États-Unis, qui ont été expulsés vers le Cameroun, ont subi des persécutions et d'autres violations graves des droits de l'homme dès leur retour dans leur pays, certains affirmant avoir été arrêtés, battus et violés par des gendarmes.

Comme au Nigeria, le nombre de rapatriés au Cameroun reste faible par rapport à celui des personnes qui quittent le pays. Alors que l'OIM fait état d'un peu plus de 1 000 rapatriés par an rien qu'en 2022, 8 115 Camerounais, soit huit fois plus, sont partis demander l'asile ailleurs – en dehors de l'Afrique pour la plupart. On ignore combien d'entre eux ont péri ou se sont retrouvés sans moyens de poursuivre leur voyage. On ne sait pas non plus ce qu'il est advenu, selon les données mentionnées ci-dessus, des 5 437 personnes dont la demande a été rejetée.

Dans les camps en Arabie saoudite

Selon des ONG kényanes, il existe treize « centres de secours » pour les travailleurs kényans victimes d'abus en Arabie saoudite. Gérés par l'État saoudien et ne recevant qu'occasionnellement la visite de dignitaires kényans, ces centres n'ont pas bonne presse. Des femmes y seraient détenues pendant des années, le temps que leurs « papiers soient traités », et celles qui tombent malades n'y sont pas soignées. « De nombreuses femmes sont bloquées dans ces camps », déclare Fred Ojiro, porte-parole de l'ONG de défense des droits de l'homme Haki. « Au cours de la deuxième semaine de juin [2023], une femme y est décédée. D'autres décès relevés dans des rapports n'ont pas pu être confirmés », dit-il.

Si les estimations selon lesquelles une grande majorité des travailleurs migrants, en particulier les employées de maison (parmi les quelque 300 000 Kényans travaillant dans les États du Golfe), sont exploités, battus et violés sur leur lieu de travail sont exactes, le nombre de femmes accueillies dans ces camps est remarquablement faible : selon les chiffres officiels, elles ne seraient que 288 au total. Il n'a pas été possible de déterminer si cela signifie que les femmes « préfèrent » leur travail « d'esclave » aux camps, qu'elles ne veulent pas être forcées à rentrer chez elles ou qu'elles ne sont tout simplement pas au courant de l'existence de ces camps (ni d'ailleurs de la ligne téléphonique d'urgence et de l'adresse électronique que le gouvernement kényan a mis en place).

En ce qui concerne la réinstallation dans leur pays d'origine, rien n'indique que des employées de maison victimes d'abus ont reçu de l'aide pour commencer un nouvel emploi au Kenya (hormis le fait que la secrétaire permanente aux Affaires étrangères et à la diaspora, Roseline Njogu, a déclaré que les billets de retour à Nairobi depuis les camps de secours « ont été financés » par son ministère). « Nous faisons ce que nous pouvons », soupire Faith Murunga, une Kényane qui a été ébouillantée par son employeur en Arabie Saoudite et qui alerte désormais sur les risques de l'émigration dans le Golfe. Selon elle, les ONG n'ont pas les moyens de faire plus que des campagnes de sensibilisation.

Le mirage de la biométrie

L'UE ne semble pas se préoccuper outre mesure de la plupart des migrants kényans et ougandais se rendant dans le Golfe, contrairement aux Ouest-Africains qui souhaitent se rendre en Europe. Les dépenses les plus importantes du Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique sont consacrées au contrôle des frontières : 250 millions d'euros, sur les 770 millions dépensés entre 2011 et 2019, ont servi à mettre au point une carte d'identité numérique biométrique pour les Nigérians, afin d'empêcher le franchissement illégal des frontières.

Mais ce projet a lui aussi peu de chances d'atteindre son objectif. Dans une enquête précédente, ZAM révélait que les frontières du Nigeria sont toujours aussi poreuses, tandis que le nouveau projet de carte d'identité biométrique n'a été qu'une vache à lait pour divers syndicats corrompus opérant au sein et autour du service d'immigration du Nigeria, le NIS.

Un sondage réalisé par le Bureau nigérian des statistiques auprès des personnes de retour d'Europe montre que, selon elles, la migration vers l'Europe diminuerait si le Nigeria offrait des emplois, une éducation, la sécurité, des infrastructures sociales, et s'il réformait un système actuellement basé sur le favoritisme. Le Dr Ejike Oji, qui a étudié la migration des médecins vers l'Europe, estime que l'UE devrait modifier l'orientation de ses interventions pour ne plus se contenter de « contrôler les frontières », mais plutôt engager les responsables gouvernementaux « sur la question de l'injustice sociale au Nigeria ».

La même chose pourrait être dite dans le cas d'autres pays africains. Mais, à en juger par de récents documents de l'UE et du Royaume-Uni consacrés à la stratégie de l'Europe pour l'Afrique (3), les politiques menées dans cette région vont se concentrer sur la « coopération renforcée en matière de migration et de mobilité », dans le cadre de « partenariats égaux » avec les gouvernements de pays où de nombreux citoyens disent vouloir partir.

L'extrême droite en embuscade

Cette stratégie reste en place malgré une avalanche de recherches récentes, dont certaines ont été reproduites sur le site web de la Commission européenne, qui montrent que les immigrés clandestins africains ne représentent qu'une proportion minuscule des tendances migratoires totales en Europe et au-delà. Au cours de cette enquête, deux diplomates européens ont confirmé, lors de conversations « off the record », qu'ils étaient au courant, mais, a déclaré l'un d'eux, les mesures ont été maintenues « en raison de la pression des populistes ». L'extrême droite des pays européens et du Royaume-Uni ont à plusieurs reprises exprimé leur inquiétude de voir leurs pays « inondés » d'immigrants africains, ce qui a conduit l'influenceur Onye Nkuzi, qui compte plus de 300 000 abonnés sur X (ex-Twitter) et analyse les tendances migratoires et les attitudes européennes, à tweeter en août 2023 : « L'Europe craint davantage de devenir noire que de subir une guerre nucléaire. »

Les autres préoccupations mentionnées dans ces documents politiques sont le président russe Vladimir Poutine et la Chine. Ces documents expriment la crainte que ces « autres acteurs géopolitiques [...] étendent leur influence » sur les gouvernements africains. Il est donc important, peut-on y lire, que les gouvernements africains s'engagent plus que jamais dans des « partenariats égaux ».

Le soutien à la « société civile » et aux « médias libres » est mentionné avec beaucoup moins de ferveur et beaucoup moins souvent dans les journaux, ce qui a amené un interlocuteur camerounais, qui fait partie de l'opposition démocratique, à demander : « Mais pourquoi ne peuvent-ils pas simplement nous soutenir ? »

Notes

1- Voir Chloe Sydney, « Nigeria : returning migrants at risk of new displacement or secondary migration », Migration Governance and Asylum Crises, juillet 2021. À télécharger ici.

2- Ce chiffre a été calculé par ZAM à partir d'estimations de 2007 (voir « Irregular Migration from West Africa to the Maghreb and the European Union : An Overview of Recent Trends », OIM, 2008) appliquées aux dernières données de demandes d'asiles produites par l'Union européenne.

3- À lire par exemple ici, ou encore .

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COP28 : le capitalisme vert contre l’Afrique

19 décembre 2023, par Paul Martial — ,
La COP28 ouvre une course effrénée à l'accaparement des forêts africaines par des multinationales présentes sur le marché des crédits carbone. Tiré d'Europe solidaire sans (…)

La COP28 ouvre une course effrénée à l'accaparement des forêts africaines par des multinationales présentes sur le marché des crédits carbone.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Le marché de compensation de carbone permet à des entreprises d'acheter des permis d'émission de gaz à effet de serre. Une mesure présentée comme un moyen de ralentir le réchauffement climatique.

Affaires juteuses

Afin d'éviter les mesures contraignantes de sortie des énergies fossiles, la COP28 mise sur les technologies et le marché de compensation de carbone. Ce dernier reçoit l'assentiment d'un large éventail d'acteurs. Ainsi les entreprises pollueuses peuvent continuer leur activité tout en proclamant leur neutralité carbone sur leurs produits ou services. Les pays d'Afrique espèrent engendrer des revenus grâce à leurs massifs forestiers, tout comme les grandes ONG versant dans le business, comme WWF en charge de la gestion de certains massifs ou Verra qui s'est proclamé garant de l'intégrité du marché de compensation de carbone.

Sauf qu'une enquête récente menée conjointement par les journaux The Guardian et Die Zeit avec l'aide d'une ONG (une vraie cette fois-ci) d'investigation, SourceMaterial, montre que les compensations carbone sont surévaluées de près de 400 %. Confirmée par une étude de Cambridge estimant que 10 % de ces projets ont un réel effet sur le ralentissement du réchauffement climatique.

Spoliation des forêts

Dans ce nouvel eldorado du capitalisme vert les perdants sont évidemment la planète et les populations. Après avoir dilapidé la manne pétrolière en achat d'armes, en travaux de prestige et en détournement de fonds, les potentats africains voient là une nouvelle occasion de s'enrichir indûment. Le moyen utilisé est le même que pour celui de l'accaparement des terres arables. Désormais des grandes entreprises mettent la main sur les forêts. C'est le cas par exemple de l'entreprise suisse South Pole dans la région de Kariba au Zimbabwe, projet décrié pour son manque de probité.

La COP28 n'est pas seulement l'occasion pour son président le Sultan Ahmed Al-Jaber, PDG du groupe Abu Dhabi National Oil Company, de conclure des contrats pétroliers comme nous l'indique la BBC. Elle offre désormais la possibilité au Sheikh Ahmed Dalmook Al Maktoum de la famille royale de faire de bonnes affaires avec sa société Blue Carbon LLC. Ainsi il vient de signer un contrat avec le Liberia en vue de mettre la main sur un million d'hectares. Des accords similaires ont été passés avec l'Angola, le Kenya, la Tanzanie, l'Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe. Près de 25 millions d'hectares de forêt, l'équivalent de la surface du Royaume-Uni passent sous le contrôle des Émirats arabes unis. Si les contrats sont opaques, on sait que l'essentiel des revenus du marché de ­compensation reviendront à Blue Carbon.

La COP28 permettra donc aux dictatures du Golfe de continuer à vendre du pétrole et gagner de l'argent en permettant aux multinationales de se parer de vertu écologique tout en polluant. Mais que pouvions-nous attendre d'une COP dont 2 500 participantEs sont des lobbyistes de groupes pétroliers ?

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À Toni Negri, camarade et militant infatigable

19 décembre 2023, par Collectif — , ,
Alors que Toni Negri s'en est allé, ce 16 décembre 2023, un collectif de camarades italiens rend un hommage ému à ce « militant infatigable des mouvements sociaux et politiques (…)

Alors que Toni Negri s'en est allé, ce 16 décembre 2023, un collectif de camarades italiens rend un hommage ému à ce « militant infatigable des mouvements sociaux et politiques des années 60 et 70, ardent promoteur du mouvement pour l'Autonomie ouvrière, et principal bouc émissaire de la répression étatique ». Ce fondateur de l'opéraïsme « a donné une cohérence théorique aux luttes ouvrières et prolétariennes dans l'Occident capitaliste et aux transformations du Capital qui en ont résulté. »

Tiré du blogue de l'auteur.

Toni Negri nous a quittés. Pour certains d'entre nous, c'était un ami cher mais pour nous tous, il était le camarade qui s'était engagé dans le grand cycle des luttes politiques des années soixante et dans les mouvements révolutionnaires des années soixante-dix en Italie. Il fut l'un des fondateurs de l'opéraïsme et le penseur qui a donné une cohérence théorique aux luttes ouvrières et prolétariennes dans l'Occident capitaliste et aux transformations du Capital qui en ont résulté. C'est Toni qui a décrit la multitude comme une forme de subjectivité politique qui reflète la complexité et la diversité des nouvelles formes de travail et de résistance apparues dans la société post-industrielle. Sans la contribution théorique de Toni et de quelques autres théoriciens marxistes, aucune pratique n'aurait été adéquate pour le conflit de classes.

Un Maître, ni bon ni mauvais : c'était notre tâche et notre privilège d'interpréter ou de réfuter ses analyses. C'était avant tout notre tâche, et nous l'avons assumée, de mettre en pratique la lutte dans notre sphère sociale, notre action dans le contexte politique de ces années-là. Nous n'étions ni ses disciples ni ses partisans et Toni n'aurait jamais voulu que nous le soyons. Nous étions des sujets politiques libres, qui décidaient de leur engagement politique, qui choisissaient leur voie militante et qui utilisaient également les outils critiques et théoriques fournis par Toni dans leur parcours.

Nous nous souvenons de Toni comme d'un militant infatigable des mouvements sociaux et politiques des années 60 et 70, comme un ardent promoteur du mouvement pour l'Autonomie ouvrière, comme le principal bouc émissaire de la répression étatique, qui a culminé avec les grandes arrestations du 7 avril 1979 et le procès politique qui a suivi. Onze ans et demi de détention, prisons de haute sécurité, menaces et passages à tabac ont été le prix que l'État lui a fait payer. Nous nous souvenons également de lui dans les douleurs et les contradictions de son départ d'Italie et de son exil en France, au cours duquel il n'a pas abandonné un seul instant son engagement à trouver une solution politique au problème des milliers de militants politiques enfermés dans des prisons spéciales en Italie. La preuve en fut l'interruption volontaire de son exil et son retour en Italie en 1997 dans l'espoir de contribuer à la fin de la législation spéciale, mais qui lui a valu de rester en prison jusqu'en 2003. Nous nous souvenons de lui lorsqu'il a déclaré que « le communisme est une passion collective joyeuse, éthique et politique qui lutte contre la trinité propriété, frontières et capital ». Nous nous souvenons de lui comme d'un homme toujours à l'écoute, en particulier des jeunes, un homme ouvert au dialogue et à la discussion, mais un opposant ferme à toute idéologie et pratique du capital et aux forces politiques qui lui donnent les formes institutionnelles.

Pour le monde culturel, philosophique et politique, Toni était un profond exégète de la pensée de Spinoza et l'un des plus grands théoriciens marxistes au tournant des XXe et XXIe siècles.

Pour nous, il était aussi et surtout le camarade Toni.

Avec amour nous te disons au revoir, avec amour nous embrassons Judith, Anna, Nina et Checco.

Signataires :

Gianfranco Pancino
Loredana Zamuner
Giustiniano Zuccato
Isabella Annesi Maesano
Anna Soldati
Emanuela Bertoli
Sergio Bianchi
Donato Tagliapietra
Lia Lanzi
Leandro Barozzi
Giuliano Righi Riva
Sandra Doveri
Patrizio Galmarini
Maurizio Lazzarato
Gianni Mainardi
Agostino Mainardi
Jason Francis Mc Gimsey
Elicio Pantaleo
Ornello Turco
Barbara Bucco
Maurizio Gibertini
Teresa Passamonti
Italo Migliori
Angelo Gagliardi
Luciano Mioni
Mirco Dalle Carbonare
Gianni Sbrogiò
Patrizia Corrà
Roberto Segalla
Puccio Landi
Chicco Funaro
Lauso Zagato
Carlo Levi Minzi
Sandro Scarso
Marzio Sturaro
Paolo Benvegnù
Stefano Micheletti
Gigi Roggero
Paolo de Marchi
Paola Vellucci
Gaetano Grasso
Pino Cosenza
Emilio Mentasti
Giorgio, Ivan, Diego, Mara, Yuri Boscarolo
Piero Mancini
Paolo Carpignano
Icio Molinari
Fabrizio Sormonta
Piero Despali
Susanna Scotti
Gianfranco Ferri
Ulisse Marcato
Valerio Guizzardi
Ignazio Brivio
Flavio Restelli
Giorgio Moroni
Marco Scarfò
Giuli Peyronel
Giorgio Bonazzi
Saro Romeo
Tiziana Saccani
Giorgio Griziotti
Nadia Colella
Manuela Facinelli
Emilio Comencini
Angiola Zampieri
Annaflavia Bianchi
Fiorenzo Sperotto

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Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

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