Recherche · Dossiers · Analyses
Toujours au devant

Les médias de gauche

Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

Derniers articles

Fin des « obligations électorales » en Inde : un grain de sable dans la machine Modi

12 mars 2024, par Aurélie Leroy — , ,
Alors que les élections législatives se profilent au printemps 2024, la Cour suprême indienne vient de prendre une décision historique mettant fin aux « obligations électorales (…)

Alors que les élections législatives se profilent au printemps 2024, la Cour suprême indienne vient de prendre une décision historique mettant fin aux « obligations électorales », ces contributions financières anonymes aux partis politiques. Celles-ci ont été jugées « inconstitutionnelles » au motif qu'elles violent le droit à l'information des électeurs quant aux sources du financement politique.

Tiré du blogue de l'auteur.

Une analyse d'Aurélie Leroy, chercheuse au CETRI - Centre tricontinental.

Le système très controversé des « Electoral Bonds » a été introduit en 2017 par le gouvernement Modi pour formaliser les dons aux organisations politiques. Défendu par ses promoteur·trices comme un moyen de lutter contre l'argent noir dans les processus électoraux, il a été, dès le départ, fortement critiqué par des institutions de contrôle (comme la Banque centrale indienne et la Commission électorale) et par des opposant·es, qui y ont vu « une forme de corruption institutionnalisée » (The Wire, 26/02/2024) et « l'une des plus grandes fraudes à la démocratie électorale » (The Wire, 25/02/2024).

Le principe de ce mode de financement est simple. Des obligations sont achetées, sans limite, auprès de la State Bank of India (SBI) par des particuliers ou des entreprises pour ensuite être remises de manière anonyme aux partis politiques. En théorie, ces contributions sont donc anonymes, mais dans la pratique, la SBI, en tant que plus grande banque commerciale du secteur public, donc sous le contrôle du gouvernement, a donné au parti au pouvoir un accès non déclaré à ses données. Le nom des contributeur·trices est donc inconnu des électeur·trices, mais connu du pouvoir.

Le jugement rendu ce 15 février par la plus haute juridiction du pays est sans appel. Il rejette un système opaque et exige le droit pour les citoyen·nes de savoir qui finance les partis politiques. La Cour suprême somme également la SBI, vu l'imminence des élections, de cesser de vendre des « bonds » et de soumettre les détails des encaissements réalisés depuis 2019.

Cette décision représente un revers significatif pour l'homme fort de l'Inde. Elle le prive non seulement d'une source de financement dont il avait abondamment profité lors des scrutins de 2014 et 2019. Mais remet aussi en cause « la position morale du gouvernement » (Frontline, 16/02/2024) dans sa lutte contre la corruption, le cheval de bataille de Modi au cours de son premier mandat. La magistrature estime en effet qu'un tel système a permis aux entreprises donatrices d'offrir des pots-de-vin aux partis en échange de faveurs politiques ou de renvois d'ascenseur, à la base du « capitalisme de copinage » indien.

Lever le voile sur les contributeur·trices et les contreparties risque de causer quelques embarras au premier ministre, en raison de ses liens étroits avec des industriels comme Gautam Adani et Mukesh Ambani, qui ont exercé une influence grandissante sur le monde des affaires depuis son accession au sommet de l'État. Une situation d'autant plus fâcheuse qu'elle intervient quelques mois après le scandale autour de l'affaire Adani, accusé par Hindeburg Research de s'être rendu coupable de « fraude comptable éhontée, de manipulation d'actions et de blanchiment d'argent » (Le Monde, 19/11/2023). Cette récente décision de la Cour suprême met ainsi le doigt sur les relations fusionnelles et de dépendance mutuelle qui existent entre les mondes politique et une poignée de conglomérats privilégiés qui se partagent les richesses du pays. L'interdiction des obligations électorales n'est qu'une première étape, certes insuffisante, mais néanmoins indispensable pour réduire cette collusion qui gangrène l'économie et la politique indienne.

Cet acte fort replace aussi la Cour suprême, fortement affaiblie ces dernières années, dans un rôle de contre-pouvoir et de garante de la démocratie et de la Constitution. Il restaure une certaine confiance dans le pouvoir judiciaire et constitue « un point lumineux dans une longue série de verdicts judiciaires inexplicablement timorés » (Venkatesan, 2024). En 2023, la cour semblait en effet avoir baissé les bras et renoncé à s'opposer au pouvoir, en entérinant la décision prise par l'exécutif en 2019 d'abroger l'article 370 relatif à l'autonomie de l'État du Jammu-et-Cachemire ; ou encore en autorisant, toujours en 2019, la construction d'un temple hindou à Ayodhya sur les ruines de la mosquée Babri, démolie par des extrémistes hindous.

Les retombées de la décision de la Cour suprême sont potentiellement explosives en cette période de campagne pré-électorale. Les détails des obligations achetées depuis 2019 pourraient révéler quelles sont les entreprises ayant financé le principal parti au pouvoir et les avantages en retour qui leur ont été accordés (modification de réglementation, octroi de licence, etc.). Tout comme les « désavantages en retour » subis par les entreprises qui ont soutenu des partis de l'opposition. Si le processus en cours aboutit, les dons octroyés par les médias seront certainement, eux aussi, passés à la loupe. Cela pourrait entacher la crédibilité de certains organes de presse et de leurs contenus si des liens électoraux douteux sont identifiés.

Cette victoire judiciaire, sans juger de ses effets sur les prochaines élections générales, a permis de braquer les projecteurs sur les dysfonctionnements et les défaillances dans la marche de l'État et de l'économie. Elle est aussi un soubresaut démocratique bienvenu, qui freine le glissement progressif de l'Inde vers l'autoritarisme. Mais la démocratie indienne n'en reste pas moins vulnérable. « L'épisode des obligations électorales révèle les limites des contrôles institutionnels dans notre démocratie. Lorsqu'un pouvoir exécutif fort décide qu'il veut quelque chose, même quelque chose de dangereux et d'inconstitutionnel, il y a peu de résistance interne pour l'arrêter » (Patel, 2024).

Bibliographie

Bardhan P. (2023), « Unmasking India's Crony Capitalist Oligarchy », Project Syndicate, 13 février, https://www.project-syndicate.org/commentary/gautam-adani-scandal-india-crony-captalism-by-pranab-bardhan-2023-02?barrier=accesspaylog

Dieterich C. (2023), « En Inde, le scandale de l'affaire Adani embarrassant pour Narendra Modi », Le Monde, 19 novembre, https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/19/en-inde-le-scandale-de-l-affaire-adani-remonte-jusqu-a-narendra-modi_6201125_3234.html

Patel A. (2024), « Modi Government's Tryst with Electoral Bonds Should Neither Be Forgotten Nor Forgiven », The Wire, 20 février.

The Wire (2024), « Humiliation and the Upending of Poll Narratives : The Impact of the SC's Electoral Bonds Judgment », 26 février.

The Wire (2024), « Electoral Bonds : Where Did They Come From, Where Did They Go ? », 25 février.

Venkatesan V. (2024), « Supreme Court declaring electoral bonds unconstitutional is a monumental defence of democracy », Frontline, 16 février, https://frontline.thehindu.com/columns/supreme-courts-decision-to-declare-electoral-bonds-unconstitutional-is-a-monumental-defense-of-democracy/article67852053.ece

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Entre bombardements, famine et déplacements forcés : Un Ramadhan si triste à Ghaza

Voici donc planté le décor de ce triste Ramadhan 2024 qui même pour nous, citoyens d'Algérie, n'aura pas la même saveur, affectés que nous sommes par ce qu'endurent nos frères (…)

Voici donc planté le décor de ce triste Ramadhan 2024 qui même pour nous, citoyens d'Algérie, n'aura pas la même saveur, affectés que nous sommes par ce qu'endurent nos frères palestiniens. Alors que dire de ce que ressentent ceux qui subissent depuis plus de cinq mois maintenant, depuis exactement 156 jours, un véritable déluge de feu et des violences en tout genre, entre la famine, le froid, la peur, les affres de l'arrachement…

Tiré d'El Watan.

Alors que les espoirs d'une trêve arrachée avant le début du Ramadhan sont complètement anéantis, c'est donc sous les bombes et dans un climat de terreur inouïe que les Ghazaouis s'apprêtent à accueillir le mois sacré.

Et c'est sans doute le pire mois de jeûne qu'auront à vivre les Palestiniens, et tout spécialement la population civile de Ghaza qui aura eu à subir une succession d'épreuves d'une ampleur inédite depuis le début de la guerre totale déclenchée par l'occupant israélien contre l'enclave palestinienne.

Les Ghazaouis sont confrontés à une machine de guerre impitoyable qui fauche quotidiennement une centaine d'âmes en moyenne. A quoi s'ajoute la violence du déracinement quand on sait que plus de 85% des habitants de ce minuscule territoire ont perdu leur maison et sont condamnés à l'errance.

Et il faut citer également la famine qui est en train de déchiqueter les entrailles des survivants. Selon le ministère de la Santé dans la bande de Ghaza, la malnutrition a fait 26 morts ces derniers jours, majoritairement des enfants.

Même si le volume de l'aide humanitaire qui arrive à Ghaza a connu une légère hausse à la faveur des largages humanitaires qui se succèdent, cela reste dérisoire comparé à l'ampleur des besoins. Les ONG et les responsables onusiens ne cessent de le rappeler : rien ne peut remplacer efficacement la voie terrestre pour l'acheminement des aides.

Et même le port temporaire annoncé par Biden, et qui serait en mesure de fournir « plus de deux millions de repas par jour », selon le porte-parole du Pentagone, Pat Ryder, ne sera pas opérationnel avant deux mois, soit le temps nécessaire pour construire cette « jetée temporaire », d'après le même Ryder.

Des tablées en deuil

Voici donc planté le décor de ce triste Ramadhan 2024 qui même pour nous, citoyens d'Algérie, n'a pas la même saveur, affectés que nous sommes par ce qu'endurent nos frères Palestiniens. Alors que dire de ce que ressentent ceux qui subissent depuis plus de cinq mois maintenant, depuis exactement 156 jours, un véritable déluge de feu et des violences en tout genre, entre la famine, le froid, la peur, les affres de l'arrachement…

On est loin des ambiances « chamarrées » des mois de Ramadhan d'Orient. Le Ramadhan palestinien, cette année, sera, oui, plus âpre, plus âcre et plus dur que tous ceux qui l'ont précédé. Il faudrait peut-être remonter à l'année de la Nakba pour goûter à pareille amertume. Ghaza n'a guère le cœur aux préparatifs qui font que l'odeur du Ramadhan se fait déjà sentir avant même le commencement du jeûne.

Effroyablement démunie, désemparée, exsangue, la population de Ghaza n'a ni le cœur ni les moyens pour les caprices du mois gourmand. Ghaza affreusement défigurée, martyrisée, muée en nécropole géante. Les tablées de l'iftar à Ghaza, sous une tente vacillante, harcelée par le vent et les bombes, à la lueur d'une bougie, seront doublement dégarnies cette année. Dégarnies « gastronomiquement », mais surtout dégarnies socialement.

Car dans toutes les familles, il manquera des aimés à l'appel du muezzin. Le décor de ce Ramadhan noir, ce sont aussi tous ces lieux de culte réduits à leur tour en cendres. Mois de spiritualité, les Ghazaouis n'ont même pas de mosquée plus ou moins debout où prier. Ils vont devoir célébrer l'office des « tarawih » parmi les décombres des dômes et des minarets.

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a adressé un message vidéo plein d'empathie pour le peuple palestinien à l'occasion de ce Ramadhan si particulier justement.

Si pesant. Le patron de l'ONU émet d'abord le vœu que « cette période soit utilisée pour créer une dynamique visant à mettre fin aux divisions, à aider ceux qui en ont besoin et à travailler ensemble pour la sécurité et la dignité de chaque habitant de ce monde ».

Il a insisté sur le fait que ce rituel « porte les valeurs de paix, de résilience et de générosité ». « Malheureusement, regrette-t-il, nombreux sont celles et ceux qui passeront ce mois dans les conflits, les déplacements forcés et la peur. » Et de lancer : « Mes pensées et mon cœur les accompagnent, de l'Afghanistan au Sahel, de la Corne de l'Afrique à la Syrie et au-delà.

Et je voudrais adresser un message particulier de solidarité et de soutien à celles et ceux qui souffrent des horreurs à Ghaza. » Nivine Al Siksik, une jeune maman palestinienne rencontrée par un journaliste de l'AFP, ne cache pas son désarroi.

Elle agite un « fanous » en plastique, une lanterne typique des accessoires du Ramadhan en Orient pour distraire sa petite fille sous une tente à Rafah. « Ces lanternes traditionnelles, appelées ‘fanous'', sont emblématiques du mois de jeûne.

Cette année, dans le territoire palestinien assiégé et dévasté par la guerre, elles sont sans doute les seuls signes de la préparation du Ramadhan » note le reporter de l'AFP. « Au lieu de manger comme chaque année de l'agneau et des pâtisseries traditionnelles dans leur maison du nord de Ghaza, Nivine Al Siksik et sa famille rompront le jeûne dans la tente partagée avec d'autres déplacés. S'ils trouvent quelque chose à manger », ajoute-t-il.

« Tout manque. Nous n'avons aucune nourriture à préparer », soupire la jeune maman. « Avant, le Ramadhan, c'était la vie, la joie, la spiritualité, les décorations et une merveilleuse atmosphère », se remémore son mari de 26 ans, Yasser Rihane. « Aujourd'hui, le Ramadhan arrive et nous avons la guerre, l'oppression et la famine », se désole-t-il.

« Nous n'avons que nos prières »

L'édition en ligne de BBC News Arabic a consacré il y a quelques jours, elle aussi, un reportage à l'atmosphère qui règne à Ghaza à l'approche du Ramadhan. Une journaliste du site a rencontré à cet effet plusieurs Ghazaouis. Parmi eux, Siham Hussein, une mère de six enfants, dont deux filles handicapées.

Elle a fui le nord de l'enclave pour chercher refuge près de la frontière avec l'Egypte, dans le gouvernorat de Rafah, où elle végète sous une tente. A la journaliste qui l'interroge sur les conditions de vie de la famille la veille du mois sacré, elle rétorque : « Comment apprécier le Ramadhan quand nous nous retrouvons dans cet état ?

Nous ne pouvons même pas manger ni boire ? » s'indigne-t-elle. Siham est profondément peinée en songent à ses deux filles handicapées : « Elles ne sont pas responsables de ce qui se passe. Tout ce qu'elles savent faire, c'est manger et boire. » Mme Hussein confie qu'elle ne dispose même pas de quoi « acheter une tomate ».

La journaliste s'entretient ensuite avec un homme de 53 ans qui a dix personnes à sa charge : Abou Shadi Al Ashqar. « Nous manquons de tout pour le Ramadhan et nous n'avons que notre patience et notre endurance pour accueillir le mois sacré », résume l'homme. « Nous avions pour habitude de décorer la maison à l'approche du Ramdhan et de faire la fête, mais pas cette année.

Il n'y a rien qui indique qu'on est aux portes du Ramadhan. Même les étals des commerçants sont vides. Ils n'ont que quelques conserves à proposer, et nous n'avons pas d'argent pour les acheter », témoigne-t-il. Ayad Bakr, un autre déplacé sexagénaire, père de sept filles, déclare que son vœu le plus cher est de se réveiller un matin sur le mot « trêve ».

L'homme est à bout. Le Ramadhan pour lui ne vaut que par la force spirituelle qu'il insuffle aux survivants du génocide. « Nous n'avons rien pour accueillir le Ramadhan hormis notre foi et nos prières », souffle-t-il, selon le reportage du site de BBC Arabic.

« Les boîtes de conserves sont les seules denrées disponibles dans la bande de Ghaza et elles sont à des prix exorbitants. » Et de s'emporter : « Comment jeûner ou s'autoriser un s'hour ? Les conserves seront-elles nos repas éternels ?

Je ne sais pas comment nous allons faire pour nous accommoder de cette calamité ! » Youcef Shaaban, un déplacé originaire de Cheikh Radwan, dans la ville de Ghaza, et qui s'est établi à Tall Al Soltane, dans la ville de Rafah, fait remarquer pour sa part : « C'est un Ramadhan difficile à un niveau inédit », en pointant notamment la pénurie généralisée qui a frappé les bazars habituellement animés de Ghaza.

Il dénonce les spéculateurs et autres profiteurs de guerre : « Ici, nous sommes en guerre à la fois contre les Israéliens et contre les commerçants. Quand je vais au marché, je me contente de reluquer les produits sans pouvoir en acquérir aucun. Il n'y aura aucune provision pour le Ramadhan cette année. Nous confions notre sort à Dieu. »

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

L’ultimatum israélien sur le Liban expire le 14 mars

12 mars 2024, par Rédaction de Mondafrique — , , , ,
L'ultimatum fixé par Tel-Aviv pour un règlement diplomatique de l'embrasement sur le front libanais expirerait le 14 mars, date à laquelle Israël serait prêt, dit-on, à imposer (…)

L'ultimatum fixé par Tel-Aviv pour un règlement diplomatique de l'embrasement sur le front libanais expirerait le 14 mars, date à laquelle Israël serait prêt, dit-on, à imposer sa propre solution qui consiste notamment à repousser le Hezbollah loin de sa frontière nord. Benny Gantz, membre du cabinet de guerre israélien, avait déjà mentionné cette échéance, il y a deux semaines.

Tiré de MondAfrique.

Associées aux récentes menaces israéliennes contre le Liban, notamment celles du ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, qui avait précisé, le 3 février 2024, qu'une trêve à Gaza ne s'étendra pas forcément à la frontière au Liban, les informations sur l'ultimatum israélien font craindre un élargissement du conflit entre le Hezbollah et le Liban.

Par la voix de Gallant, Tel-Aviv demeure déterminé à poursuivre ses opérations militaires contre le Hezbollah « jusqu'au rétablissement de la sécurité pour les résidents des kibboutz du nord » israélien.

Dans le même temps, il répète à l'envi qu'il ne veut pas d'une guerre avec le Liban et qu'il reste favorable à une solution diplomatique qui assurera la sécurité des habitants du nord d'Israël. Yoav Gallant a ainsi réitéré, mardi, à l'émissaire américain, Amos Hochstein, l'engagement de l'État hébreu en faveur des « efforts politiques » pour une solution à la frontière sud, sans toutefois écarter l'option militaire pour sécuriser sa frontière nord.

Quelle option finira par l'emporter, surtout qu'Israël alterne le chaud et le froid à l'encontre du Liban ? Le risque d'une potentielle opération israélienne d'envergure contre le Hezbollah est-il réel ? Ou, au contraire, Israël fait-il monter les enchères pour accélérer une solution diplomatique ? Autant de questions qui se posent.

Dans les milieux diplomatiques à Beyrouth, on se veut plus ou moins rassurant. Selon une source diplomatique occidentale contactée par Ici Beyrouth, l'échéance de la mi-mars ferait partie de « la guerre psychologique » israélienne qui va de pair avec un volet militaire qui reste envisageable. Ce genre de « déclarations agressives » faites par Israël « n'est pas nouveau », rappelle-t-on de même source.

Le problème est que les contours d'une solution diplomatique ne sont toujours pas clairs. Il semble d'ailleurs qu'il y ait actuellement deux initiatives distinctes, l'une française et l'autre, américaine, qui vont dans le sens d'un règlement politique, mais qui suivent deux trajectoires différentes. Celle de la France avait été présentée aux autorités libanaises en février dernier et prévoit, entre autres, un retrait des combattants du Hezbollah à une distance de 10 kilomètres de la frontière sud, ainsi que le déploiement de 15.000 soldats de l'armée libanaise dans les régions frontalières.

Il s'agit d'un plan en trois étapes, la première étant une accalmie de 10 jours, suivie d'un retrait des combattants du Hezbollah, puis de négociations au sujet de la frontière libano-israélienne.

Les propositions de règlement américaines restent cependant entourées du plus grand secret. Elles avaient été soumises par Amos Hochstein au président de la Chambre, Nabih Berry, qui est censé les soumettre à son tour au Hezbollah.

La feuille de route française a pour but de « montrer aux belligérants qu'une solution politique est possible », affirme-t-on de même source, en relevant que l'initiative américaine ne comprend, en revanche, « aucun papier concret ». Elle demeure « très secrète, aucune information n'ayant fuité », au sujet de sa teneur, d'après la même source. Ce qui laisse, pour le moment, les perspectives de résolution politique dans le flou.

Comme l'échéance de la mi-mars coïncide avec le début du Ramadan, dont on dit qu'il marquerait aussi le début d'une accalmie à Gaza, elle indiquerait ainsi « une imbrication entre la trêve discutée à Gaza et le front au Liban-Sud ». Or, les pourparlers engagés au Caire autour de cette trêve n'ont toujours pas débouché, même si on parle d'avancées. Celles-ci restent cependant hypothétiques.

Une logique du 50/50

Tous ces points d'ombre font dire à la source précitée, que « nous sommes toujours dans la logique du 50/50, dans le sens où le risque d'embrasement généralisé est égal aux chances d'une issue diplomatique, d'autant que les derniers développements montrent une volonté israélienne de dépasser toutes les restrictions géographiques, visant ses cibles partout sur le territoire libanais ».

Sollicité par Ici Beyrouth, un politologue libanais, qui a voulu garder l'anonymat, a également situé l'ultimatum israélien dans le cadre du « jeu des négociations ». « Cela permet à Israël d'avoir plus de crédibilité tout en accentuant la pression » sur le Hezbollah, afin d'atteindre ses objectifs, poursuit-il. Cela s'inscrit, selon lui, dans le cadre de la stratégie d' »escalade calculée », adoptée par Tel-Aviv dès le début des affrontements avec le Hezb, « même si l'armée israélienne a quelquefois enfreint les règles d'engagement » du conflit frontalier entre les deux parties.

Toujours selon la logique de cet analyste, qui laisse quand même entendre que toutes les options restent ouvertes, Israël n'a pas intérêt à s'engager dans une guerre de grande envergure avec le Liban, car celle-ci « ne lui apportera que davantage de problèmes ». « Il sera pris à son propre piège », commente-t-il.

L'État hébreu voudrait une solution radicale à sa frontière nord, « pour ne pas retourner à la situation d'avant le 7 octobre », explique-t-on de même source. Il tenterait donc, par tous les moyens, « d'exercer une pression sur le Hezbollah pour obtenir le retrait de ce dernier au sud du Litani », garantissant ainsi le retour des colons israéliens aux zones frontalières désertées dans le nord israélien.

Pour Tel-Aviv, les deux fronts, celui de Gaza et du Liban, sont clairement séparés. Il n'en reste pas moins que la situation est tellement critique et volatile qu'elle demeure exposée à n'importe quel retournement.

Toujours de même source, on évoque ainsi la Cisjordanie « où la situation chauffe, notamment à l'approche du mois du Ramadan, pendant lequel les Palestiniens se dirigeront pour la prière à la mosquée d'Al-Aqsa ». Dans ce contexte, le risque d'une « réaction agressive de la part de la droite radicale israélienne » pourrait, à n'importe quel moment, réveiller le volcan, avec les conséquences qu'on peut deviner.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Turquie-Israël. La persistance d’une relation ambiguë

Alors que la guerre contre Gaza a débouché sur une escalade verbale entre Ankara et Tel-Aviv, les relations entre Israël et la Turquie ont tout de même survécu, tant les liens (…)

Alors que la guerre contre Gaza a débouché sur une escalade verbale entre Ankara et Tel-Aviv, les relations entre Israël et la Turquie ont tout de même survécu, tant les liens et les convergences entre les deux pays restent fortes.

Tiré d'Orient XXI.

La première réaction de la Turquie au déclenchement de la guerre de Gaza a surpris par sa prudence, comme d'ailleurs celle qu'elle avait eue après l'invasion de l'Ukraine avait étonné par son légalisme, insistant sur le respect de la souveraineté de Kiev. Dans les deux cas, Ankara, qui entretient des relations fortes et suivies avec les deux belligérants, a ostensiblement offert sa médiation, déjà antérieurement proposée. Dans les deux cas aussi, l'ambivalence qu'on décèle dans cette attitude initiale n'est pas le seul résultat de la conjoncture. Elle renvoie à la nature profonde de la diplomatie de ce pays souvent contraint à de grands écarts périlleux au cours de son histoire.

Le 7 octobre 2023, lorsque le Hamas lance son attaque inattendue, la Turquie et Israël sont en pleine réconciliation après plus d'une décennie de relations inégales ayant parfois frisé la rupture, avant d'entrer dans de laborieuses périodes de restauration. La capacité à gérer cette inconstance est le premier phénomène qui surprend. Elle découle de multiples convergences politiques, stratégiques et surtout économiques. Quel est l'avenir de cette relation complexe dans la nouvelle donne établie par le retour de la centralité du conflit israélo-palestinien au Proche-Orient ?

La Turquie ayant été le premier pays musulman à reconnaître Israël en 1949, peu après la création de celui-ci, ces deux États sont de vieux partenaires qui se connaissent bien. En dépit de quelques accrochages feutrés provoqués par les conflits israélo-arabes pendant la guerre froide, leurs relations mutuelles sont au beau fixe après la fin du monde bipolaire, et l'arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) au début du millénaire ne paraît pas devoir remettre en cause cette entente cordiale. En 2008, Ankara accueille même des négociations officieuses visant à permettre à Israël et au régime syrien de normaliser leurs relations, négociations qui n'aboutiront pas.

Rapprochement avec le Hamas

Ce n'est pas tant la question palestinienne que la situation nouvelle, nouée avec l'arrivée au pouvoir du Hamas dans la bande Gaza après les élections de 2006, qui est à l'origine de la brouille turco-israélienne qui commence à partir de 2009. Lorsqu'Israël lance sa première campagne de bombardements massifs sur l'enclave palestinienne avec l'opération « Plomb durci », Ankara ne tarde pas à réagir. Lors d'un mémorable panel au Forum de Davos de janvier 2009, Recep Tayyip Erdoğan apostrophe sans ménagement le président israélien Shimon Pérès.

Dès cette époque, on voit le nouveau gouvernement turc se rapprocher du Hamas qu'il tente de faire admettre comme un partenaire officiel des négociations. Un an plus tard, les relations turco-israéliennes frisent la rupture, lorsque le Mavi Marmara, le navire amiral d'une flottille humanitaire affrétée par une organisation islamique turque tente de forcer le blocus de Gaza. Lors de son arraisonnement, neuf humanitaires turcs sont tués et les liens entre les deux pays paraissent durablement dégradés.

Cependant, en 2013, de façon totalement inédite, Benyamin Nétanyahou accepte de présenter à Erdoğan les excuses que celui-ci exige pour restaurer les relations. Mais l'initiative est compromise en 2014 par une nouvelle campagne de frappes sur Gaza, « Bordures protectrices », que le leader de l'AKP dénonce, en accusant Israël d'avoir « surpassé Hitler dans la barbarie » (1). Si bien que ce n'est qu'en 2016, après l'indemnisation des familles des victimes de la flottille, que les relations diplomatiques sont restaurées au plus haut niveau par un échange d'ambassadeurs. L'accalmie sera de courte durée.

En 2019, la grande marche du retour des Gazaouis, qui se traduit par une répression sévère et un très grand nombre victimes palestiniennes, provoque à nouveau un affrontement verbal entre le président turc et le chef du gouvernement israélien. Une nouvelle dégradation du niveau des relations diplomatiques s'ensuit, et il faudra attendre 2022 et la visite en Turquie du président israélien Isaac Herzog, pour les voir échanger à nouveau des ambassadeurs, dans un contexte où Ankara tente d'aplanir ses différends avec le monde arabe (Égypte, Émirats arabes unis, Arabie saoudite…), et où celui-ci semble être entré dans une phase de convergence globale avec Israël, après les accords d'Abraham.

Plus que l'inconstance, ce qui frappe au-delà de cette brouille durable est finalement la résilience qui a sauvegardé la relation entre les deux protagonistes. Car, ni l'arraisonnement d'un navire humanitaire, ni les frappes de plus en plus intensives sur Gaza, ni les tensions verbales très dures de dirigeant à dirigeant, ni les répressions sanglantes de manifestations palestiniennes n'ont eu raison des liens fragiles entre les deux puissances régionales.

La place de la communauté juive

Pour comprendre comment les relations turco-israéliennes ont pu survivre et régulièrement renaitre, il est important d'identifier ce qui contribue à les structurer durablement. La solidité des liens économiques constitue le premier axe de cette continuité. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler qu'au cours des années conflictuelles que nous venons d'évoquer, la Turquie a triplé ses exportations en direction d'Israël, ces dernières passant de 2,3 milliards de dollars en 2011 à 7,03 milliards de dollars en 2022. Assurant 5,2 % de ses importations, la Turquie est ainsi le cinquième fournisseur d'Israël, et son septième client pour 2,2 % de ses exportations, représentant un montant de 2,5 milliards de dollars annuellement. Ces flux commerciaux concernent des domaines essentiels. Au premier rang des importations israéliennes en provenance de Turquie on trouve l'acier, le fer, le textile, les véhicules automobiles, le ciment, sans oublier le pétrole azerbaïdjanais qui transite via le Caucase et l'Anatolie orientale par l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et le port de Ceyhan, couvrant 40 % des approvisionnements annuels en brut d'Israël. Le groupe turc Zorlu fournit en outre 7 % de l'électricité consommée par Israël. Pour sa part, ce dernier exporte surtout vers la Turquie des produits chimiques et des articles de haute technologie. Ces exportations ont joué un rôle non négligeable dans la modernisation de la production industrielle turque au cours des dernières années, notamment dans le domaine de la défense.

La mémoire constitue un autre élément des relations entre les deux pays qui aide à surmonter les caprices du cours de leurs relations mutuelles. Les juifs ont été l'un des « millet » (2) de l'Empire ottoman qui a accueilli, notamment dans ses villes portuaires emblématiques (Salonique, Istanbul, Izmir…), les sépharades chassés d'Espagne au XVe siècle. En dépit de la situation inégale qui a été la leur depuis les débuts de la République, ce dont témoignent différents épisodes d'antisémitisme avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, ils restent l'une des dernières communautés juives du monde musulman, dans un pays qui ne les renie pas, comme l'a montré encore récemment le succès de la série turque Kulüp, basée sur une observation fidèle de leurs spécificités linguistiques et culturelles. Ce passé et cette atmosphère a contribué à l'afflux de touristes israéliens en Turquie qui, en dépit des crises successives, sont finalement venus et revenus dans ce pays où ils étaient l'une des premières populations de visiteurs étrangers avant octobre 2023.

Intérêts stratégiques

Enfin, quelle que soit la conflictualité ambiante de leurs liens, il ne faut pas sous-estimer l'importance des intérêts stratégiques communs aux deux pays. La Turquie, qui reste un allié des Occidentaux du fait de son appartenance à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), abrite des bases importantes : commandement des forces terrestres alliées du flanc sud de l'Alliance à Izmir, radar de défense antimissile balistique de Kürecik principalement tourné contre l'Iran, aéroport d'Incirlik qui accueille le cas échéant des avions livrant du matériel militaire à Israël. En février 2024, Ankara a rejoint le bouclier antimissile européen European Sky Shield Initiative (ESSI), qui repose sur une initiative lancée par l'Allemagne en 2023, et qui est soutenu par 17 pays. Or, ce projet boudé par la France, utilisera entre autres le missile israélien à longue portée Arrow 3.

Par ailleurs, les deux États entretiennent une conflictualité durable avec la Syrie. À la suite d'une série d'interventions militaires conduites depuis 2016, Ankara a pris le contrôle de bandes transfrontalières du territoire syrien qu'elle administre et équipe depuis, même si elle dit n'avoir pas de prétentions irrédentistes et vouloir surtout y prévenir la présence des milices kurdes Unités de protection du peuple (YPG), liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Quant à Israël, dans le contexte des conflits en cours, son armée frappe régulièrement les positions du régime syrien et de ses alliés (le Hezbollah libanais) dans la région le cas échéant, avec l'aval de la Russie.

Bien que des désaccords notables aient été exprimés par les responsables des deux pays à propos de leur engagement respectif dans le Caucase, une convergence stratégique a pu aussi s'observer en 2020, lors de la seconde guerre du Haut-Karabakh, où l'un et l'autre ont apporté un soutien militaire précieux à l'Azerbaïdjan, et lui ont finalement permis de reprendre le contrôle de l'enclave arménienne.

L'ombre de la Palestine

En dépit de ces flux de convergence, il est vrai que les rapports entre les deux pays ont été régulièrement affectés depuis une quinzaine d'années par leurs désaccords permanents à propos de la question palestinienne, et plus particulièrement de la situation prévalant à Gaza. À l'issue de l'arraisonnement du Mavi Marmara en juin 2010, Ankara a gelé 16 accords d'armement avec Israël. Une décision qui doit également être perçue comme la consécration de la puissance militaire turque découlant de cette coopération, illustrée par la mise sur pied d'un système de structuration des industries de défense turques, nourrie par l'exemple israélien, ou par la production d'armements sophistiqués comme les drones, fournis à l'origine par Israël.

Plus récemment, en janvier 2024, la Turquie a exclu Israël de la liste des pays cibles pour ses exportations. Cette décision empêchera les entreprises turques de bénéficier d'aides publiques pour exporter vers ce pays. Elle montre la marge de manœuvre dont dispose désormais la Turquie au sein d'un foisonnant marché à l'exportation, mais ne remet pas profondément en cause les rapports commerciaux bilatéraux. Fin janvier 2024, les statistiques du ministère turc des transports montraient que plus de 700 navires turcs avaient rallié des ports israéliens depuis le 7 octobre 2023, soit une moyenne de 8 navires par jour. Les cargaisons transportées concernent des produits essentiels (acier, pétrole, textile…) pour la machine de guerre israélienne, et impliquent des entreprises souvent proches des cercles du pouvoir en Turquie, « mettant en évidence, selon le journaliste turc indépendant Metin Cihan (3), l'hypocrisie et le double discours des dirigeants ».

Le durcissement de la position turque après le début de l'attaque israélienne contre Gaza et les nombreuses victimes civiles palestiniennes qui l'ont accompagnée, a permis au régime de rester en phase avec l'émotion ressentie par la population turque. Cela est d'autant plus important pour l'AKP que doivent se tenir, le 31 mars 2024, des élections municipales, à l'occasion desquelles Erdoğan espère reconquérir les villes symboliques d'Ankara et d'Istanbul, perdues en 2019. Il est pourtant peu probable que cette rigidification se traduise par une remise en cause des liens économiques existant entre les deux pays, voire par une rupture officielle des relations diplomatiques. S'appuyant sur cette expérience de gestion de crise, acquise au cours des deux dernières décennies, Ankara tentera plutôt de contenir le développement de ses rapports commerciaux avec Israël, en cherchant à le compenser par la relance amorcée de ses relations avec les pays du Golfe (Arabie saoudite et Émirats notamment), ainsi qu'avec l'Égypte.

Le dépassement de l'échéance électorale du printemps devrait permettre à Erdoğan de renouer avec une posture plus diplomatique, usant de l'argument de servir la cause palestinienne aux côtés d'autres puissances régionales très investies depuis le début de la crise (Qatar, Égypte, Émirats arabes unis…). Une telle attitude ne serait finalement pas si éloignée du ressenti de l'opinion publique, elle aussi ambivalente, qui restait initialement prudente face à un engagement trop franc de la Turquie et ne souscrivait pas majoritairement à l'idée d'une rupture des relations commerciales. Il est ainsi probable que le régime s'appuiera sur une somme d'intérêts et de sentiments contradictoires pour sauvegarder la relation ambiguë entretenue avec Israël depuis longtemps.

Notes

1- Le Monde, le 19 juillet 2014.

2- NDLR. Communauté religieuse protégée légalement.

3- Cité par Nicolas Bourcier dans « Face à Israël, le double visage de la Turquie », Le Monde, 27 décembre 2023.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

« Accuser d’antisémite quiconque s’oppose à Israël empêche le dialogue et nourrit la haine »

[Présentation de la journée « l'antisémitisme instrumentalisé » le 2 mars 2024 à l'Université libre de Bruxelles (ULB)] En vous accueillant à cette journée, je voudrais lever (…)

[Présentation de la journée « l'antisémitisme instrumentalisé » le 2 mars 2024 à l'Université libre de Bruxelles (ULB)] En vous accueillant à cette journée, je voudrais lever toute équivoque. La persistance et l'augmentation de l'antisémitisme sont un fléau qui gangrène la société. C'est précisément parce qu'il est nécessaire de combattre l'antisémitisme que nous avons décidé d'organiser un colloque sur son instrumentalisation par l'Etat d'Israël et par les organisations mainstream de la communauté juive. Démêler son instrumentalisation de la réalité de l'antisémitisme est une condition nécessaire pour lutter contre l'antisémitisme et toutes les formes de racisme.

Tiré d'À l'encontre.

Nous nous heurtons en effet pour ce faire à deux obstacles. D'abord, l'amalgame entre Israël et Juif, faisant de chaque Juif un potentiel responsable du drame palestinien, est redoutable. Ensuite, le procédé particulièrement apprécié par la droite et l'extrême droite, qui vise à flatter les Juifs pour mieux dénoncer les Arabes, les musulmans et se lâcher sur le racisme, s'avère chaque jour plus délétère.

Notre journée était initialement prévue le 14 octobre 2023. Nous l'avions reportée suite aux atrocités et au massacre de civils lors de l'attaque du Hamas le 7 octobre. Il faut bien prendre à présent la mesure, d'une part, de l'horreur de la tragédie, mais aussi, d'autre part, de la victoire politique du Hamas puisque la question palestinienne, que l'on avait crue enterrée, est revenue en tête de l'agenda politique.

Il fallait bien reconnaître que le 7 octobre n'était pas un événement isolable et hors de tout contexte. On peut considérer les atrocités inexcusables mais on ne peut pas dire qu'elles n'ont pas de cause. On doit de même convenir que le 7 octobre a été aussi le résultat de l'aveuglement d'une majorité d'Israéliens, entretenu par les Etats-Unis et les gouvernements arabes, qui ont accepté comme définitifs les faits accomplis depuis plus de 70 ans par l'Etat d'Israël. « Les Israéliens ont cru dans leur majorité, écrit à ce sujet la romancière libanaise Dominique Eddé, qu'ils pouvaient vivre, commercer et danser normalement, pendant qu'à leur porte un peuple nié par eux, écrasé, spolié de tous ses droits, n'y trouverait rien à dire » (L'Obs, 21 février 2024).

La guerre génocidaire menée ensuite par Israël à Gaza confortait encore notre décision de reporter la journée à une date ultérieure. Face à l'immensité du désastre subi par la population palestinienne pouvait-on s'attarder encore à la question de l'antisémitisme ? La fin de la colonisation et la perspective d'un Etat palestinien (un Etat binational ou deux Etats ?) où tous les citoyens bénéficieraient de droits égaux devient plus que jamais la seule solution possible. Pour le gouvernement israélien par contre il s'agit d'empêcher à tout prix cette solution, voire de tirer profit de la guerre pour faire disparaître, d'une manière ou d'une autre, les Palestiniens de toute la Palestine historique et réaliser ainsi leur rêve du Grand Israël.

Pour faire prévaloir sa politique et restaurer son image, Israël riposte cependant à nouveau par l'accusation d'antisémitisme. Critiquer Israël, soutenir les Palestiniens, appeler au cessez-le-feu sont présentés comme sa forme contemporaine. Mettre en évidence l'instrumentalisation de l'antisémitisme ne permet pas seulement de dénoncer la guerre menée par Israël mais est, aujourd'hui, indispensable pour lutter contre l'antisémitisme. Accuser d'antisémite quiconque s'oppose à Israël empêche le dialogue et nourrit la haine.

En 1967, au lendemain de la victoire éclatante d'Israël contre l'Egypte, la Jordanie et la Syrie, célébrée unanimement comme la victoire de David contre Goliath, Marcel Liebman avait rédigé un texte, signé par quelques rares intellectuels juifs qui voyaient en cette victoire d'Israël une défaite car elle portait les germes d'un nouvel antisémitisme. Dans son livre autobiographique Né Juif, Une famille juive pendant la guerre (1977, Paris-Gembloux, Duculot, réédité en 2011 par Ed. Aden), Liebman 1 soutenait qu'être juif ce n'est pas faire du souvenir de la Shoah une cuirasse pour se mettre à l'abri, mais puiser les forces nécessaires pour lutter contre toutes les formes de racisme. Mais, ajoutait Marcel Liebman, nous avons un devoir particulier envers un peuple spolié par les Juifs.

Avoir été victime d'un génocide, comme nous le voyons aussi, à présent, avec les exactions commises par le Rwanda à l'Est du Congo, ne protège pas à en commettre un à son tour. (Bruxelles, le 2 mars 2024)

Voir aussi Marcel Liebman, Figures de l'antisémitisme. Textes choisis et présentés par Jean Vogel, Ed. Aden, 2009.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Gaza : Journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine

12 mars 2024, par Collectif — , ,
Stop au génocide. Stop à la colonisation. La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine appelle à une journée de mobilisation universitaire européenne (…)

Stop au génocide. Stop à la colonisation. La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine appelle à une journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine le 12 mars 2024. Orient XXI publie son appel.

Tiré d'Orient XXI

La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP) est un réseau constitué de chercheur.es, enseignant.es chercheur.es, biatss1, docteur.es et doctorant.es, étudiant.es engagées dans l'enseignement supérieur et la recherche pour mettre fin à la guerre génocidaire et à la colonisation en Palestine. La CUCCP s'insère dans un mouvement transnational de chercheur.es contre la guerre en Palestine (SAWP). Son positionnement est défini dans l'Appel du monde académique français pour la Palestine : arrêt immédiat de la guerre génocidaire !2

Depuis le 7 octobre 2023, plus de 30 000 Palestinien.nes ont été tué.es par l'armée israélienne et plus de 80 % de la population de 2,2 millions de Gazaoui.es est assiégée dans 360 km2. L'armée israélienne a tué 94 professeurs d'université, 231 enseignants et plus de 4 300 étudiants et étudiantes, en plus de détruire l'ensemble des universités gazaouies et 346 écoles. La Cour internationale de justice (CIJ) a alerté contre le risque de génocide menaçant le peuple palestinien à Gaza. La Cisjordanie est soumise à un régime de blocage plus intense que jamais. Le silence n'est pas possible et il est inacceptable.

Face à la complicité active du gouvernement français dans cette guerre génocidaire menée par Israël contre le peuple palestinien et la répression de la liberté d'expression autour de la Palestine, la CUCCP invite le monde académique français à rejoindre l'appel européen pour une journée de solidarité universitaire avec le peuple palestinien le 12 mars 2024. Elle exige :

Un cessez-le feu immédiat, inconditionnel et permanent,
La levée permanente du blocus de Gaza,
La défense du droit palestinien à l'éducation.
Pour cela, nous proposons les moyens d'actions suivant :

Pousser nos universités à agir activement contre le régime d'apartheid israélien,

Établir des liens académiques avec des universités et des universitaires palestiniens,

Soutenir et participer au boycott universitaire visant les institutions académiques israéliennes complices de la violation des droits des Palestinien.nes,

Défendre la liberté d'expression et la liberté académique autour de la Palestine, ici et hors de France.

Il est possible d'agir quel que soit notre nombre, tant les moyens d'actions sont multiples : rassemblements, occupation de l'espace universitaire par un « die-in »3, projection de films, lecture de poésie palestinienne, port d'un keffieh, lister les universités détruites, les noms des collègues et étudiants tués, parler de la Palestine dans vos cours, etc. Nous comptons sur votre créativité !

Nous vous invitons à donner de la force à notre mobilisation en partageant massivement sur les réseaux sociaux, en taguant (@cuccp sur Instagram, Facebook, Twitter/X) et en utilisant :

#EndIsraelsGenocide #FreePalestine #EndIsraelScholasticide #March12forPalestine #FrenchscholarsforPalestine #EuropeansholarsStandwithPalestine#Scholarsgainstwar

Faites-nous part des actions réalisées en écrivant à palestinecoordination@gmail.com .

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le calvaire étouffé des Palestiniennes

Le 4 mars, l'ONU a publié un rapport sur les viols et agressions sexuelles commises le 7 octobre contre des Israéliennes. Si ce texte a rencontré un vaste écho médiatique, il (…)

Le 4 mars, l'ONU a publié un rapport sur les viols et agressions sexuelles commises le 7 octobre contre des Israéliennes. Si ce texte a rencontré un vaste écho médiatique, il n'en va pas de même pour un autre rapport des Nations unies qui concerne cette fois le traitement des Palestiniennes, en particulier les viols et les agressions sexuelles subies depuis le début de la guerre contre Gaza.

Tiré d'Orient XXI.

Huit expertes de l'ONU (1) ont sonné l'alarme le 19 février. Dans un communiqué, elles expriment leurs « plus vives inquiétudes » à propos des informations obtenues de « différentes sources ». Elles dénoncent des exécutions sommaires, des viols, des agressions sexuelles, des passages à tabac et des humiliations sur les femmes et les jeunes filles palestiniennes de Gaza, comme de Cisjordanie. Elles évoquent « des allégations crédibles de violations flagrantes des droits humains », dont les femmes et les filles palestiniennes « sont et continuent d'être victimes » (2).

Selon les témoignages, les informations et les images qu'elles ont pu recouper, des femmes et des filles « auraient été exécutées arbitrairement à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants ». « Nous sommes choquées par les informations faisant état du ciblage délibéré et de l'exécution extrajudiciaire de femmes et d'enfants palestiniens dans des lieux où ils ont cherché refuge ou alors qu'ils fuyaient » (3), parfois en tenant, bien en évidence, des tissus blancs, en signe de paix. Une vidéo diffusée par Middle East Eye (4) et ayant beaucoup circulé montre notamment une grand-mère palestinienne abattue par les forces israéliennes dans les rues du centre de la ville de Gaza, le 12 novembre, alors qu'elle et d'autres personnes tentaient d'évacuer la zone. Au moment de son exécution, cette femme, nommée Hala Khreis, tenait par la main son petit-fils qui brandissait un drapeau blanc.

Des centaines de femmes seraient également détenues arbitrairement depuis le 7 octobre, selon les expertes onusiennes. Parmi elles, on compte des militantes des droits humains, des journalistes et des travailleuses humanitaires. En tout, « 200 femmes et jeunes filles de Gaza, 147 femmes et 245 enfants de Cisjordanie », sont actuellement détenus par Israël, selon Reem Alsalem, rapporteuse spéciale sur les violences faites aux femmes auprès de l'ONU. Elle évoque des personnes « littéralement enlevées » de leurs maisons et qui vivent des circonstances de détention « atroces ». Nombre d'entre elles auraient été soumises à des « traitements inhumains et dégradants, privées de serviettes hygiéniques, de nourriture et de médicaments », détaille encore le communiqué de l'ONU. Des témoignages rapportent notamment que des femmes détenues à Gaza auraient été enfermées dans une cage sous la pluie et dans le froid, sans nourriture.

Viols et agressions sexuelles

Viennent ensuite les violences sexuelles. « Nous sommes particulièrement bouleversées par les informations selon lesquelles les femmes et les filles palestiniennes détenues ont également été soumises à de multiples formes d'agression sexuelle, comme le fait d'être déshabillées et fouillées par des officiers masculins de l'armée israélienne. Au moins deux détenues palestiniennes auraient été violées et d'autres auraient été menacées de viol et de violence sexuelle », alertent les expertes. Ces Palestiniennes seraient « sévèrement battues, humiliées, privées d'assistance médicale, dénudées puis prises en photos dans des situations dégradantes. Ces images sont ensuite partagées par les soldats », selon Reem Alsalem. « Des rapports inquiétants font état d'au moins un bébé de sexe féminin transféré de force par l'armée israélienne en Israël, et d'enfants séparés de leurs parents, dont on ne sait pas où ils se trouvent », dénonce le communiqué.

Tous ces faits présumés ayant été perpétrés « par l'armée israélienne ou des forces affiliées » (police, personnel de prison, etc.). Le groupe d'expertes exige une enquête israélienne ainsi qu'une enquête indépendante, impartiale, rapide, approfondie et efficace sur ces allégations dans laquelle Israël coopère. « Pris dans leur ensemble, ces actes présumés peuvent constituer de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, et équivalent à des crimes graves au regard du droit pénal international qui pourraient être poursuivis en vertu du Statut de Rome », préviennent-elles. « Les responsables de ces crimes présumés doivent répondre de leurs actes et les victimes et leurs familles ont droit à une réparation et à une justice complètes », ajoutent-elles.

Dans une interview à UN News (5), Reem Alsalem déplore le mépris des autorités israéliennes face aux alertes.

  • Nous n'avons reçu aucune réponse, ce qui est malheureusement la norme de la part du gouvernement israélien qui ne s'engage pas de manière constructive avec les procédures spéciales ou les experts indépendants.

Elle précise ensuite que « la détention arbitraire de femmes et de filles palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza n'est pas nouvelle ».

Ces allégations ont été fermement rejetées par la mission israélienne de l'ONU qui affirme qu'aucune plainte n'a été reçue par les autorités israéliennes et dénigre sur X un « groupe de soi-disant expertes de l'ONU ». « Il est clair que les cosignataires ne sont pas motivées par la vérité mais par leur haine envers Israël et son peuple », peut-on lire.

Pourtant un rapport de 41 pages de l'ONG israélienne Physicians for Human Rights Israel (PHRI), daté de février et intitulé « Violation systématique des droits de l'homme : les conditions d'incarcération des Palestiniens depuis le 7 octobre » (6) corrobore les dénonciations de l'ONU. On peut y lire de nombreux témoignages décrivant des « traitements dégradants et des abus graves », y compris des cas non isolés de harcèlements et d'agressions sexuelles, de violence, de torture et d'humiliation. Selon PHRI, le nombre de Palestiniens détenus par le service pénitentiaire israélien (Israel Prison Service) est passé d'environ 5 500 avant le 7 octobre à près de 9 000 en janvier 2024, dont des dizaines de mineurs et de femmes. Près d'un tiers des personnes détenues sont placées en détention administrative sans inculpation ni procès : une prise d'otage, en somme. Le rapport de l'ONG confirme que l'armée israélienne a arrêté des centaines d'habitants de Gaza sans fournir aucune information, même quatre mois plus tard, sur leur bien-être, leur lieu de détention et leurs conditions d'incarcération.

Embrasser le drapeau israélien

Dans le rapport de l'ONG israélienne PHRI, des témoignages de Palestiniens attestent notamment que des gardes de l'Israel Prison Service (IPS) les ont forcés à embrasser le drapeau israélien et que ceux qui ont refusé ont été violemment agressés. C'est le cas de Nabila, dont le témoignage a été diffusé par Al-Jazeera (7). Cette femme qui a passé 47 jours en détention arbitraire qualifie son expérience d'« effroyable ». Elle a été enlevée le 24 décembre 2023 dans une école de l'UNRWA de la ville de Gaza où elle avait trouvé refuge. Les femmes ont été emmenées dans une mosquée pour être fouillées à plusieurs reprises et interrogées sous la menace d'armes, si violemment qu'elle affirme avoir pensé qu'elles allaient être exécutées. Elles ont ensuite été détenues dans le froid dans des conditions équivalentes à de la torture.

  • Nous avons gelé, nous avions les pieds et les mains attachés, les yeux bandés et nous devions rester agenouillées […] Les soldats israéliens nous hurlaient dessus et nous frappaient à chaque fois que nous levions la tête ou prononcions un mot.

Nabila a ensuite été conduite au nord d'Israël, dans la prison de Damon, avec une centaine de Palestiniennes parmi lesquelles des femmes de Cisjordanie. Battue à plusieurs reprises, elle est arrivée à la prison le visage plein d'hématomes. Une fois au centre de détention, les choses ne se sont pas arrangées pour les otages palestiniennes. Lors de l'examen médical, il a été ordonné à Nabila d'embrasser le drapeau israélien. « Quand j'ai refusé, un soldat m'a attrapée par les cheveux et m'a cognée la tête contre le mur », raconte-t-elle.

L'ONG israélienne affirme que des avocats ont présenté des plaintes de violence aux tribunaux militaires. Les juges ont pu voir les signes d'abus sur les corps des détenus mais « à part prendre note des préoccupations et informer l'IPS, les juges n'ont pas ordonné de mesures pour prévenir la violence et protéger les droits des personnes détenues », précise l'ONG israélienne. Pourtant, « des preuves poignantes de violence et d'abus assimilables à de la torture ont été portées à l'attention de la Cour suprême par PHRI et d'autres [...] Cependant, cela n'a pas suscité de réaction substantielle de la part de la Cour », regrette encore l'organisation.

L'un des témoignages rapporté par PHRI fait état d'agressions sexuelles qui se sont produites le 15 octobre, lorsque des forces spéciales sont entrées dans les cellules de la prison de Ktzi'ot (au sud-ouest de Bersabée), et ont tout saccagé tout en insultant les détenus par des injures sexuelles explicites comme « vous êtes des putes », « nous allons tous vous baiser », « nous allons baiser vos sœurs et vos femmes », « nous allons pisser sur votre matelas ». « Les gardiens ont aligné les individus nus les uns contre les autres et ont inséré un dispositif de fouille en aluminium dans leurs fesses. Dans un cas, le garde a introduit une carte dans les fesses d'une personne. Cela s'est déroulé devant les autres détenus et devant les autres gardes qui ont exprimé leur joie », est-il rapporté. Il n'est toutefois pas précisé si ce témoignage concerne des hommes ou des femmes.

Sous-vêtements féminins et inconscient colonial

Les soldats israéliens se sont illustrés sur les réseaux sociaux posant avec des objets et des sous-vêtements féminins appartenant aux femmes palestiniennes dont ils ont pillé les maisons. Des images qui ont fait le tour du monde et provoqué l'indignation générale. Violation de l'intimité, dévoilement du corps, viol des femmes colonisées : la domination sexuelle a toujours été une arme majeure caractéristique des empires coloniaux. « Prendre le contrôle d'un territoire, la violence politique et militaire ne suffit pas. Il faut aussi s'approprier les corps, en particulier ceux des femmes, la colonisation étant par définition une entreprise masculine », explique l'historienne Christelle Taraud, codirectrice de l'ouvrage collectif Sexualités, identités & corps colonisés (CNRS éditions, 2019).

Les Palestiniennes payent un très lourd tribut au génocide en cours à Gaza. L'ONU évalue à 9 000 le nombre de femmes tuées depuis le 7 octobre 2023. Celles qui survivent ont souvent perdu leurs enfants, leur mari et des dizaines de membres de leur famille. Il faut évoquer la condition des femmes enceintes qui étaient plus de 50 000 au moment du déclenchement des hostilités et qui accouchent, depuis, sans anesthésie et, le plus souvent, sans assistance médicale. De nombreux nouveau-nés sont morts d'hypothermie au bout de quelques jours. Les femmes dénutries ont du mal à allaiter et le lait infantile est une denrée rare. Les chiffres évoluent chaque jour cependant au 5 mars, au moins 16 enfants et bébés sont morts de malnutrition et déshydratation (8) à Gaza en raison du siège total et du blocage de l'aide humanitaire par Israël.

Notes

1- Le groupe des huit expertes est composé de la rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences, Reem Alsalem, de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, de la présidente du groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles, Dorothy Estrada-Tanck et de ses membres, Claudia Flores, Ivana Krstić, Haina Lu, et Laura Nyirinkindi. Les expert.e.s des procédures spéciales travaillent sur une base de volontariat. Ils/elles ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils/elles sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et travaillent à titre individuel.

2- « UN experts appalled by reported human rights violations against Palestinian women and girls », Nations unies, 19 février 2024.

3- Ibid.

4- Voir ici

5- « Rights experts alarmed by reported violations against Palestinian women and girls », 1er mars 2024.

6- « Systematic Violations of Human Rights, The incarceration conditions of Palestinians in Israel since October 7 », PHRI, février 2024.

7- Voir ici

8- « La malnutrition est « particulièrement extrême » dans le nord de Gaza, selon l'OMS », Nations unies, 5 mars 2024.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Comment les féminismes transforment la contestation sociale. Extrait du livre de Fanny Gallot

Alors que se prépare la mobilisation féministe du 8 mars, nous publions un extrait de la conclusion du dernier livre de l'historienne Fanny Gallot – Mobilisées ! Une histoire (…)

Alors que se prépare la mobilisation féministe du 8 mars, nous publions un extrait de la conclusion du dernier livre de l'historienne Fanny Gallot – Mobilisées ! Une histoire féministe des contestations populaires, qui vient de paraître aux éditions du Seuil. Elle y restitue non seulement l'implication des femmes dans les mobilisations sociales depuis 1945, la manière dont les mouvements féministes ont transformé les formes de la conflictualité sociale, et l'enjeu politique crucial – singulier mais transversal – que constitue le travail reproductif.

Tiré de la revue Contretemps
6 mars 2024

Par Fanny Gallot

Conclusion – Désandrocentrer la contestation ?

La ménagère a en fait de grands pouvoirs, à condition de ne pas les apprécier au niveau formel qui est celui des pouvoirs masculins, y compris dans le déclenchement des mouvements : rôle direct lorsque le pain vient à enchérir, dans ces troubles de subsistance qui, au début du xxe siècle, font place aux troubles de cherté ; rôle indirect dans la décision de faire grève lorsqu'il devient impossible de joindre les deux bouts. « Tison du faubourg » (Henry Leyret), la ménagère est aussi sa gardienne, le sang d'une culture largement fondée sur la parole et le voisinage, pivot de toute une sociabilité horizontale qui s'oppose et bien souvent résiste aux formes modernes de relations verticales, aux hiérarchies de la domination.

Michelle Perrot, « De la nourrice à l'employée. Travaux de femmes dans la France du XIXe siècle », Le Mouvement social, n°105, octobre-décembre 1978, p. 4.

Comment les mouvements sociaux ont-ils contribué à redéfinir la partition du travail reproductif depuis 1945 sous l'influence des féminismes ? Dans quelle mesure cette dynamique met-elle en question la dichotomie hiérarchisée entre ce qui est considéré comme productif et ce qui n'est pas considéré comme tel ? Dans l'ensemble de la période, le travail reproductif – dans ses dimensions gratuite et rémunérée – s'est trouvé profondément reconfiguré et les mouvements sociaux dans leur diversité y ont contribué. Ces mouvements en sont eux-mêmes impactés en interne.

De 1945 aux années 1960, les organisations familiales, communistes, catholiques et professionnelles, dans des espaces ruraux ou urbains, encadrent les femmes des classes populaires en tant que « ménagères », salariées ou contributrices à la production agricole, dans une perspective de « modernisation », en favorisant l'entraide locale et/ou en revendiquant des prestations sociales dont l'attribution est débattue, la norme de la femme au foyer tendant à perdurer. Dans les années 1960, une inflexion s'opère avec l'accroissement du salariat féminin et l'exode rural, dans un contexte de « radicalisation des mouvements féminins » [1] : les organisations professionnelles élaborent progressivement des revendications permettant d'envisager la dimension domestique et, finalement, de faciliter la « conciliation » entre l'activité professionnelle et l'activité domestique des femmes des classes populaires.

Dans les années 1968, l'effervescence des mouvements sociaux conduit les différents cadres militants à reprendre les trois perspectives de justice sociale portées par les féministes : la redistribution, la reconnaissance et la représentation [2]. Il s'agit de mettre en oeuvre une autre répartition du revenu national, en construisant des équipements collectifs par exemple, ou en envisageant l'augmentation des prestations familiales, faute de rémunérer le travail ménager reconnu comme tel ; et, dans le même temps, il s'agit de reconnaître la professionnalité de certains métiers, jusque-là déqualifiés par une naturalisation du travail domestique, elle-même désormais contestée. En termes de représentation, le travail domestique est rendu visible dans les contestations de différentes façons, bien que la plupart des femmes mobilisées dans ces contestations populaires continuent de mettre à distance le féminisme.

Dans les années 1980, le reflux des mouvements sociaux interrompt la dynamique portée dans les années 1968 : la question redistributive tend à être supplantée par des enjeux de reconnaissance, et le travail domestique tend à disparaître derrière la « conciliation ». Cela dit, l'invisibilisation du travail reproductif est relative : s'il apparaît bien davantage à l'occasion de l'avancée de la place des femmes et de leur représentation dans les structures, à l'instar de la « mixité des structures » mise en place à la CFDT, il est le sous-texte de nombre de contestations renouvelées à l'heure du néolibéralisme, notamment dans sa dimension professionnelle, après le mouvement de novembre-décembre 1995.

À partir de 2010, si les politiques néolibérales favorisent une précarité croissante, la réduction des services publics et des politiques redistributives, les mouvements sociaux se multiplient pour les contester. Dans cette dernière période, la nouvelle dynamique féministe produit une reconfiguration des mouvements sociaux : le climat sexiste qui perdure dans les organisations est remis en cause ; les rapports de pouvoir liés au sexisme et au racisme articulés sont questionnés ; une perspective explicitement écologique est élaborée [3].

Au-delà de la redéfinition de la partition du travail reproductif, ce qui est revendiqué, n'est-ce pas la remise en cause d'un ethos militant se rapportant à ce que l'on considère comme productif ? Derrière cette périodisation marquée par des ruptures et des continuités, une tension émerge en filigrane entre la construction d'alternatives en pratique et l'élaboration de revendications à destination du pouvoir, une tension qui est liée à la mise en cause de la dichotomie hiérarchisée entre productif et reproductif.

Les « grands pouvoirs » de la ménagère du XIXe siècle dans les mouvements sociaux, « à condition de ne pas les apprécier au niveau formel qui est celui des pouvoirs masculins », évoqués par l'historienne Michelle Perrot en exergue, font écho à l'appel militant de Mariarosa Dalla Costa en 1972 au « pouvoir des femmes » et à la « subversion sociale » : « Si la famille est un centre de production, essentiel au capitalisme et à la vie même, il peut être aussi un centre de subversion [4]. »

Elle insiste d'ailleurs sur le « fait que le soutien des femmes ainsi que leur organisation formelle ou informelle ont toujours été décisifs dans les luttes à l'intérieur du cycle de la production directe [5] ». Dans les revendications portées par les organisations et les mobilisations, le travail reproductif constitue finalement un moteur essentiel pour une autre répartition des richesses dans la mesure où il s'agit souvent de redistribuer les profits avec des allocations, des moyens pour les services publics ou des augmentations de salaire, entre autres.

Dans les pratiques quotidiennes qu'il induit, il pose la question d'une alternative, par le bas, émancipée des cadres de l'économie capitaliste. En 1980, dans Adieux au prolétariat, le philosophe André Gorz s'oppose à la « mercantilisation » du travail domestique, fondamentalement parce que l'émancipation implique de limiter la sphère marchande qui se traduit par calcul, contrainte et exploitation, afin de favoriser la sphère non marchande [6]. En d'autres termes, revendiquer une reconnaissance monétaire du travail reproductif pouvant passer par la rémunération du travail domestique – et l'on pourrait ajouter par la revalorisation des métiers dévalués du fait de la naturalisation des qualifications féminines – revient à rentrer dans le moule de l'économie capitaliste et patriarcale. Pour le philosophe, il est donc nécessaire de s'émanciper de cette logique pour construire une alternative, par le bas.

Cette approche est reprise dans le « quotidien politique [7] » envisagé par la sociologue Geneviève Pruvost, qui s'inspire de théoriciennes écoféministes, à l'image de Maria Mies ou Veronika Bennhold, pour poser la question de la subsistance [8]. Cependant, le travail reproductif n'est-il pas le fil permettant de sortir de ces options stratégiques apparemment opposées ? En fonction des contextes, cette recherche a permis de souligner les tensions et les articulations permanentes entre les mises en oeuvre concrètes, locales, ancrées dans un espace particulier de pratiques alternatives, d'un côté, et les revendications, les orientations portées par les mouvements et les organisations, à destination du pouvoir, de l'autre. Le travail reproductif dans le cadre de l'économie capitaliste, patriarcale et fondée sur l'ethnoracialisation permet d'appréhender une forme d'exploitation, dénoncée par les thèmes de la gratuité ou de l'invisibilisation, et d'entrevoir, en même temps, les fondements d'une société alternative, contestant cette logique. C'est en ce sens un concept critique, une analyse des contradictions de la société contemporaine qui laisse entrevoir une autre organisation sociale possible, largement déjà là.

Si cette approche, qui consiste à envisager la centralité du travail reproductif, est adoptée par certains groupes engagés dans la « grève féministe », elle reste minoritaire dans l'ensemble des mouvements sociaux, organisations syndicales comprises, comme l'a encore révélé la puissante mobilisation contre la réforme des retraites de 2023. Pourtant, dès le départ de ce mouvement social, les revendications féministes saturent les médias : le discours syndical parle du différentiel de 40 % entre les retraites des hommes et celles des femmes, les Rosies occupent l'espace et, dans les manifestations, des « pink blocs » rassemblent des collectifs et des associations qui dénoncent les effets néfastes de la contre-réforme des retraites sur les personnes LGBTQI+, en région parisienne notamment. La lutte contre la casse des retraites constitue désormais une lutte féministe qui se fonde sur une approche désandrocentrée du travail, selon les termes de la sociologue Maud Simonet [9] : il est question de la revalorisation des métiers qui entrent dans le champ du travail reproductif – ces activités essentielles, comme l'a révélé la pandémie de Covid-19 –, ou encore de l'absence de reconnaissance du travail domestique et parental [10].

Pourtant, l'intersyndicale n'en fait pas une perspective stratégique. Si, dès le 11 février 2023, elle appelle à « mettre le pays à l'arrêt » le 7 mars, c'est sans faire de lien avec la grève féministe du lendemain, le 8 mars. Certes, l'intersyndicale invite à « se saisir du 8 mars » , mais il n'est pas question de grève dans l'appel, alors même que les syndicats de transformation sociale tels que la CGT, Solidaires et la Fédération syndicale unitaire (FSU) appellent à la grève féministe depuis plusieurs années. Cela signifie que cette modalité de lutte n'est pas considérée par l'intersyndicale comme un levier possible d'élargissement des grèves en cours contre la réforme des retraites. Et cela s'explique au fond par l'idée que seuls certains secteurs d'activité, comme les raffineries ou les transports – majoritairement masculins –, peuvent bloquer le pays et permettre à tous et toutes de gagner. Or, si l'ensemble du travail reproductif – majoritairement féminin – s'arrête, qu'advient-il ? Si le travail domestique n'est plus effectué et si le travail reproductif s'interrompt dans les services publics – crèches, éducation –, et dans les services publics plus ou moins privatisés – hôpitaux, EHPAD –, et enfin dans les secteurs totalement marchandisés – services à la personne –, la société ne sera-t-elle pas totalement paralysée ?

Notes

[1] Sylvie Chaperon, « La radicalisation des mouvements féminins français de 1960 à 1970 » , art. cité, p. 61‑74.

[2] Nancy Fraser, Le Féminisme en mouvements. Des années 1960 à l'ère néolibérale, op. cit.

[3] Fatima Ouassak, Pour une écologie pirate. Et nous serons libres, Paris, La Découverte, 2023.

[4] Louise Toupin, Le Salaire au travail ménager. Chronique d'une lutte féministe internationale (1972‑1977), op. cit., p. 67.

[5] Mariarosa Dalla Costa et Selma James, Le Pouvoir des femmes et la subversion sociale, op. cit., p. 59. Voir la réédition récente des textes de Mariarosa Dalla Costa, Femmes et subversion sociale. Anthologie 1972‑2008, Genève, Entremonde, 2023.

[6] André Gorz, Adieux au prolétariat, Paris, Éditions Galilée, 1980, p. 119‑120.

[7] Geneviève Pruvost, Quotidien politique. Féminisme, écologie, subsistance, Paris, La Découverte, 2021.

[8] Id., « Penser l'écoféminisme. Féminisme de la subsistance et écoféminisme vernaculaire », Travail, genre et sociétés, n°42, 2019, p. 29‑47.

[9] Maud Simonet, L'imposture du travail. Désandrocentrer le travail pour l'émanciper, Paris, 10/18, 2024.

[10] Céline Bessière et Sibylle Gollac, « Retraites : la réforme macroniste renforce une conception masculine du travail », Libération, 30 janvier 2023.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Selon Katrina Vanden Heuvel, les politiques internes de Joe Biden sont minées par les politiques étrangères

12 mars 2024, par Amy Goodman, Eman Abdelhadi, Katrina Venden Heuvel, Neta Heiman Mina — , ,
Première partie Democracy Now, 8 mars 2024 Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr Amy Goodaman : (…) Le Président Biden a présenté son adresse sur l'état de (…)

Première partie

Democracy Now, 8 mars 2024
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

Amy Goodaman : (…) Le Président Biden a présenté son adresse sur l'état de l'Union, jeudi soir. Il a plaidé pour un deuxième mandat à la fin de cette année. Il a parlé face aux deux Chambres réunies, celle des représentants et le Sénat et devant des invités.es. Il a critiqué le candidat en tête du Parti républicain, Donald Trump, sans jamais le nommer. Il a soulevé et mis en lumière les différences dans leurs politiques sur un grands nombre d'enjeux dont l'imposition, l'immigration, les droits de reproduction et la politique étrangère.

Il a traité de Gaza qui est devenu un enjeu déterminant dans cette élection, une partie de l'électorat dans certains États ayant voté « neutre, non engagé » pour protester contre le soutien du Président à Israël après cinq mois de guerre contre Gaza. Avant le discours, des centaines de protestataires ont bloqué des rues près de la Maison blanche et du Capitole retardant ainsi le discours du Président, dans lequel il a annoncé que les États-Unis construiraient un port temporaire à Gaza pour y apporter de l'aide humanitaire.

Pendant l'énoncé, des élus.es progressistes, Cori Bush, Summer Lee, Ilhan Omar et Rashida Tlaib, la seule membre du Congrès d'origine palestinienne, ont brandit des affiches où on pouvait lire : « Un cessez-le-feu permanent maintenant » et « Cessez d'envoyer des bombes ». R. Tlaib, S. Lee, et C. Bush portaient le kéfié palestinien. En plus, plusieurs femmes démocrates étaient habillées de blanc en honneur des suffragettes. C'est aujourd'hui la journée internationale des femmes.

Le Président Biden a commencé son adresse par un enjeu de politique étrangère, la guerre en Ukraine. Il a refait un appel à la Chambre pour que les fonds additionnels prévus pour l'Ukraine en réponse à l'invasion russe, soient adoptés. Voici quelques extraits de ses remarques d'ouverture :

Président Biden : Jamais depuis le Président Lincoln et la guerre civile, la liberté et la démocratie n'ont été attaquées comme elles le sont en ce moment. Et ce qui rend ce moment si particulier c'est que les attaques se produisent à la fois ici et à l'étranger en même temps. À l'étranger, la Russie de V. Poutine est en marche ; elle a envahi l'Ukraine et sème le chaos dans toute l'Europe et au-delà. Si quelqu'un.e dans cette salle pense que V. Poutine va s'arrêter en Ukraine, je vous assure que ça ne sera pas le cas.

Mais l'Ukraine, peut arrêter Poutine si nous nous tenons à ses côtés en lui fournissant les armes dont elle a besoin pour se défendre. Elle ne demande rien de plus. Elle ne demande pas de soldats.es américains.es. De fait il n'y en a pas dans cette guerre et je suis déterminé à ce que ça reste ainsi.

Mais, en ce moment, notre assistance à l'Ukraine est bloquée par ceux-là même qui veulent se retirer de notre rôle de leader du monde. Ce qui était le cas il y a longtemps quand un Président républicain nommé Ronald Reagan a ordonné : « M. Gorbachev, abattez ce mur ».

Aujourd'hui, mon prédécesseur, un ancien Président républicain dit à V. Poutine, et je cite, : « Faites ce que vous voulez ». C'est une citation. Un ancien Président, a dit cela en faisant des courbettes à un leader russe. Je pense que c'est enrageant, dangereux et inacceptable.

A.G. : Pour aller plus loin à propos de cette adresse, nous serons avec trois femmes en cette journée internationale des femmes : la militante pour la paix en Israël, Neta Heiman Mina dont la mère a été otage à Gaza. Il y avait plusieurs familles d'otages parmi les invités.es à la soirée d'hier, la professeure égyptienne palestinienne à l'Université de Chicago, Eman Abdelhadi ; elle a présenté une adresse alternative hier soir intitulée, « State of Genocide ». Mais nous commençons avec Katrina Vanden Heuvel, éditrice du magazine, The Nation.

Soyez la bienvenue Katrina. Commençons par un des premiers sujets abordés par le Président Biden, soit l'Ukraine. Bien sûr il a parlé de V. Poutine et de la Russie. Quelle est votre réaction ?

Katrina Vanden Heuvel : Amy, si je peux, je voudrais élargir le cadre (d'analyse). D'abord je pense que la partie qui traite des questions intérieures dans ce discours était importante. Elle marquait la fin de l'époque du ruissellement en économie, le commencement de sa fin. Mais je ne pense pas que nous puissions avoir une politique intérieure transformative sans un changement de politique étrangère. Elle captive l'attention, capte le financement et le débat de savoir si nous allons être la police mondiale. C'était au cœur du discours du Président Biden comme un réduit de la guerre froide. Il y avait une coupure : quelque chose à la Roosevelt, puis de Truman et une référence incorrecte à Reagan.

Je pense que la meilleure situation pour l'Ukraine est un règlement négocié qui préserverait sa sécurité et qui apporterait plus de paix et de stabilité en Europe. Cela a été envisagé mais éliminé. L'Allemagne se désindustrialise à cause de la guerre. Je pense qu'un tel règlement soutiendrait une plus large stabilité. Pour le Président, c'est facile de pointer la personne de V. Poutine. (…) La leçon à tirer de R. Reagan n'est pas tellement celle du « abattez ce mur » que « mettons fin à la guerre froide, ne soyons pas triomphalistes en le faisant et trouvons les moyens de coopérer ». Bien sûr M. Gorbachev était un différant leader mais une Russie assiégée, isolée en sera une d'insécurité et de militarisation.

Je pense que nous devons réfléchir très sérieusement. Peut-être que nous n'y arriverons pas avant les élections. Et le départ de Mme Victoria Nuland du Département d'État est peut-être le signe qu'une approche plus souple envers l'Ukraine se dessine. Kurt Campbell qui vient d'y arriver est plus intéressé par la Chine. Amy, je reviens à ce que je disais : il est difficile d'avoir une politique intérieure transformative sans changements majeurs dans la politique étrangère. Cela veut dire cesser d'agir comme la police mondiale comme les États-Unis ou son establishment semblent le croire correct.

A.G. : Parlez-nous un peu plus de Victoria Nuland, de son départ. Qu'est-ce que cela veut dire au juste ? Comment pensez-vous que J.Biden devrait changer d'approche envers l'Ukraine et la Russie dès maintenant ?

K.V.H. : Il n'y a pas de solution militaire. Il devra y avoir une solution politique négociée. Victoria Nuland croit qu'il faut de plus en plus d'armes comme plusieurs autres. C'est le 75ième anniversaire de l'OTAN le mois prochain. Cette organisation n'est pas anodine, c'est une institution du complexe militaro-industriel. Je pense qu'il y a eu plusieurs occasions de négociations au cours des deux dernières années, nous l'apprenons via les fuites en Allemagne. Elles ont été repoussées ou ont échoué parce qu'il n'y avait pas de réelle volonté politique (qu'elles avancent). Je ne vois pas ce genre de volonté surgir avant les élections mais j'espère qu'il y a des discussions en marche en arrière-plan comme il y en a eues durant la guerre froide parce qu'en ce moment nous avons un réduit de cette guerre et c'en est un qui nous mets en danger plutôt que de renforcer la sécurité américaine.

En passant, Amy, je ne pense pas parler pour les autres, mais on ne peut nier la peur de la guerre qui se répand autour du globe. Je pense que l'Ukraine est un projet d'une certaine élite ; beaucoup de gens ont été attrapés par le nationalisme et la xénophobie qui sont souvent le produit des guerres. Ce sont des gens qui vont avoir besoin d'aide, le coût de la reconstruction de l'Ukraine est estimé à 1 millier de millions de dollars. Nous ne serons pas fiers.es de dire après : « nous avons tout raté ». Il se peut que les avoirs de la Russie puissent être saisis, je veux dire ceux des oligarques. Mais il faut une solution négociée. Rien ne sert de nous crier des noms quand on avance cette idée en disant que c'est laid, ça ne fait que restreindre le débat alors qu'il faut l'ouvrir, l'agrandir en cherchant dans quel monde nous voulons vivre. Ce n'est pas de l'isolationnisme. C'est une façon différente d'engagement du monde, qui n'est pas militaire. Tant de groupes de réflexion se sont arrêtés sur cette position militariste et si peu sur l'alternative que nous pouvons développer.

A.G. : Et où voyez-vous V. Poutine en ce moment ? Pensez-vous qu'il peut changer de cap un tant soit peu ? On dit que J. Biden avait invité Yulia Navannaya (…) la veuve d'Alexei Navalny. Ils ont aussi invité la première dame ukrainienne. Aucune n'est venu.

K.V.H. : C'est intéressant. Le Président a rencontré Yulia Navalnaya et sa fille il y a une semaine ou deux je pense, peu après la mort de Alexei Navany.

V. Poutine sera en élection le 17 mars, sans adversaire significatif. Il y a, dans certaines villes russes, un mouvement un peu comparable à celui de « uncommitted » ici. C'était la stratégie élaborée par A. Navalnei : se présenter en groupes ensemble le jour du vote à midi (pour inscrire un vote Navalny). Je pense que c'est un dimanche. Et je crois que c'est important. Nous pouvons voir une vague de répression en Russie à la veille de cette élection. Un de mes bons amis, Boris Kagarlitsky, un sociologue marxiste, militant ouvrier a été arrêté de nouveau l'autre jour. Je pense que cela se passe dans différentes villes. Cela fait partie de la guerre avec le nationalisme. Washigton D.C. est différent parce que la mise à l'écart se fait par la séduction, pas par la force, mais dans d'autres villes, d'autres capitales …

Je pense que V. Poutine est isolé. La guerre n'est pas populaire là comme en Ukraine. La nouvelle mobilisation n'a pas fait d'heureux au contraire il y a eu des protestations en Ukraine et en Russie. Donc le problème de recrutement de plus d'hommes y est le même parce que c'est devenu une guerre d'attrition où des milliers meurent sur le champ de bataille comme durant la Première guerre mondiale mais avec des armes du 21ième siècle.

A.G. : L'économie a occupé une grande place dans le discours du Président. Il a plaidé pour une augmentation des taxes et impôts des plus riches leur demandant de payer leur juste part. Voici une partie de ce qu'il a dit :

Président Biden : Voici la situation : l'administration précédente a procédé à une coupure d'impôts de 2 mille milliards de dollars qui a surtout profité au 1% des plus riches et aux grandes entreprises. Cela a fait exploser le déficit. Elle a plus ajouté à la dette nationale qu'aucun autre Président ne l'a fait dans toute l'histoire américaine. Vérifiez les chiffres. Vous à la maison, pensez-vous vraiment que les tableaux d'imposition sont juste ? Pensez-vous vraiment que les riches et les grandes entreprises ont besoin d'une autre coupure d'impôt semblable ? Vous pouvez être sûrs.es que je ne le pense pas. Je vais continuer à me battre comme un diable dans l'eau bénite pour rendre tout ça juste. Avec mon plan, qui que ce soit qui gagnera moins de 400.000$ par année ne paiera pas un sou de plus en impôts fédéraux. Personne. Pas un sou de plus. (…)

De fait, le crédit pour les enfants que j'ai fait adopter durant la pandémie a diminué les impôts de millions de familles ouvrières et a diminué la pauvreté de moitié chez les enfants. Il faut rétablir ce crédit d'impôt. Aucun enfant ne devrait avoir faim dans notre pays.

Pour rendre les tables d'impôts juste il faut faire payer leur juste part aux riches et aux grandes entreprises. Souvenez-vous, en 2020, 55 des plus grandes compagnies américaines ont encaissé 40 milliards de dollars et ont payé zéro impôt fédéral. Zéro. Ça ne sera plus le cas. Grâce à la loi que j'ai écrite et signée, ils vont payer un minimum de 15% d'impôt. Mais c'est encore moins que ce que payent les travailleurs.euses. Il est temps que ce soit augmenté à 21% pour que finalement, chacune des grandes entreprises paye sa juste part.

Je veux aussi mettre fin à la baisse d'impôt des grandes pharmaceutiques, des pétrolières, des jets privés et des salaires exorbitants des dirigeants.es d'entreprises. On suppose que ça ne représenterait qu'un million de dollars mais qu'ils payent 20 millions s'ils le veulent, ont en prélèvera un. (…)

Vous savez, il y a 1,000 multimillionnaires aux États-Unis. Savez-vous quel est le taux moyen s'imposition pour ces multimillionnaires ? Non ? Ils font de grands sacrifices à hauteur de 8,2%. C'est beaucoup moins que ce que paye la vaste majorité des Américains.es. Aucun multimillionnaire ne devrait payer moins qu'un.e enseignant.e, un.e employé.e au nettoyage ou un.e infirmier.ère, en impôt fédéral. Je propose que le taux minimum soit de 25% pour ces ultras riches. Que 25%. Vous savez ce que cela devrait rapporter ? 500 mille milliards de dollars en dix ans.

A.G. : (…) Que répondez-vous Katrina Vanden Heuvel ?

K.V.H. : C'était Joe Biden à son meilleur. Et ce n'était pas que lui. C'est le travail des militants.es depuis des décennies. Quand l'ALÉNA a été adoptée, ils et elles ont dit : « Ça n'annonce rien de bon pour les travailleurs.euses ». Cela a produit des villes désindustrialisées partout dans le pays.

Et encore une fois, (ce qui est avancé par le Président dans ce discours), c'est une mesure de l'ampleur vers la fin de la politique du ruissellement, vers la fin de l'économie néolibérale. C'était un danger mais c'est énorme. C'était comme défier l'Institut Roosevelt et Sarah Anderson et Chuck Collins sur l'inégalité. C'est le travail de gens arpentant les rues qui a poussé le Parti démocrate à passer de l'économie néolibérale vers comprendre que penser autrement l'économie est une nécessité.

Encore une fois, il y a danger : si vous n'avez pas de transformation de la politique étrangère vous pouvez vous retrouver avec un kinésianisme militaire. Cela se produira quand, à la fin de la politique de ruissellement, néolibérale, l'idée surgira d'activer l'économie en vendant des armes. Il y aura un débat car cela repose sur les décisions prises à propos du rôle des États-Unis dans le monde. Et je pense que Shawn Fain du Syndicat des travailleurs de l'automobile comprendra l'importance du travail et de l'histoire et que le changement sera historique. Il faut que le travail de militants.es et du mouvement syndical se poursuive pour y arriver.

D'une certaine façon, tout est lié depuis « uncommitted » parce que ces groupes forment maintenant un mouvement et c'était vraiment excitant d'entendre que c'est à Hawaï qu'il y a eu le plus (de ces votes). Je pense que s'il y avait eu plus de temps au Michigan, il y aurait eu plus de ces votes pour de simples raisons, le Michigan joue un rôle important dans ce mouvement.

Donc, il y a lieu d'être optimiste : le vieil ordre est en train de disparaître mais le nouveau n'est pas encore né. Il va y avoir du mouvement selon la fin des guerres, les vues pour une nouvelle politique intérieure et étrangère plus restreinte.

A.G. : Dans notre prochain segment, nous allons parler de Gaza. Mais je veux poursuivre sur l'économie et les soins de santé. Le Président Biden a parlé d'une proposition qu'il signerait : « Aucun.e d'entre vous, républicains.es n'a voté pour cela. Finalement, nous avons battu les grandes pharmaceutiques. Au lieu que les diabétiques payent 400$ par mois ou aux environs de 400$ pour leur insuline alors qu'il n'en coûte qu'une dizaine de dollars pour la produire, elle ne coûtera maintenant que 35$ et elles vont encore faire un bon profit ». Et il a ajouté qu'il voulait que ce prix s'applique à tous et toutes qui ont besoin de ce médicament. Et il a ensuite parlé de donner le pouvoir à Medicare de négocier les prix plus bas pour les médicaments sous ordonnance comme le service aux vétérans le fait.

K.V.H. : Amy c'est au programme depuis des années. C'est une insulte que de ramener cela encore une fois. Bernie Sanders a présenté cela pendant des années ; il semblait extrêmement heureux quand il a serré la main de J. Biden à la fin du discours. Cette proposition contient des éléments qui sont maintenant inscrits dans le programme démocrate. Ils avaient été repoussés dans le contexte de la politique économique néolibérale.

Donc, je crois que J. Biden est en train de reprendre un lot d'idées progressistes importantes qu'il peut activer. Mais on peut voir à quel point, encore une fois, les enjeux de politique étrangère sont abordés avec rigidité ; je crois que le mot rigidité est celui qui s'impose. Ils accaparent les priorités et les financements. Le budget de la défense est une honte, il est 10 fois plus important que celui de 10 autres pays réunis et ça continue. Il devrait y avoir un programme similaire à celui des grandes pharmaceutiques pour l'industrie de la défense et le complexe militaro-industriel. Surveillez ce qu'en dira Bill Hartung pour avoir une idée du gaspillage. Le Pentagone n'a été soumis à aucune évaluation depuis des décennies, si jamais, ça a eu lieu. Donc, je pense qu'il y a encore des enjeux (pour la politique de défense) qui sont comparables à ceux du programme interne et le renforce au lieu qu'il accapare les priorités.

A.G. : En parlant des soins de santé, dans son adresse, J. Biden a mis l'accent sur les droits de reproduction qui sont devenus un enjeu galvanisant pour le Parti démocratique.

Président Biden : « Il y a des lois dans des États qui mettent fin au droit de choisir, criminalisent les médecins, forcent les survivantes du viol et de l'inceste à quitter leurs États pour avoir les soins dont elles ont besoin. Plusieurs d'entre vous dans cette salle et mon prédécesseur promettent d'adopter une loi nationale de bannissement de la liberté de reproduction. Mon Dieu quelle autre liberté pourriez-vous encore retirer ? Dans sa décision de renverser Roe c. Wade, la majorité de la Cour suprême, en tout respect, a déclaré « Les femmes ne sont pas sans pouvoir politique ». Excusez-moi : pouvoir électoral ou politique ? Vous êtes en train de vous rendre compte à quel point vous aviez raison. (Le Président s'adresse ici aux juges de la Cour suprême présents.es dans la salle. N.d.t.). Clairement, ce marchandage associé au renversement de Roe c. Wade n'a rien à voir avec le pouvoir des femmes. Mais ils s'en sont rendu compte quand la liberté de reproduction s'est inscrite dans les élections de 2022, 2023 que nous avons gagnées et elle le sera encore en 2024.

Si vous, vous le peuple américain, élisez un Congrès qui comme moi est en faveur du droit de choisir, je vous promets que je vais rétablir Roe c. Wade dans la loi nationale encore une fois ».

A.G. : C'était le Président Biden liant l'enjeu des droits reproductifs, devant les juges de la Cour suprême et le renversement de Roe à ce qui se passe à la Cour de l'Alabama. Après le renversement et en le citant pour tenter de rendre les embryons congelés à des enfants, a permis au parlement de l'État d'adopter une loi en ce sens et forcé les cliniques de fécondation in vitro de l'Alabama à fermer dans tout l'État. Mais une autre loi vient juste d'être adoptée pour la réouverture de ces cliniques. Katrina ?

K.V.H. : Amy, j'allais vous dire que si vos téléspectateurs.trices ou auditeurs.trices ne l'ont pas encore vu, d'aller consulter ce qui s'appelle 2025. C'est un document de la Fondation héritage et de quelques autres groupes de réflexion. On y trouve des sections sur les droits de reproduction. Mais comme on peut l'imaginer, pas pour les étendre mais bien pour les restreindre. Je pense qu'il est important de ne pas regarder que D. Trump mais bien regarder le trumpisme. Il va garnir son cabinet et son administration de personnes nommées pour des raisons politiques. Essentiellement, leur plan est d'ultra limiter les services publics. C'est une sorte de programme comme celui de Steve Bannon pour restreindre au maximum l'administration d'État. Donc, je pense que c'est dans ce document que vous verrez encore plus clairement la différence entre les deux administrations possibles. Bien sûr, les droits reproductifs sont devenus un emblème de la liberté.

En ouvrant son discours hier soir, le Président Biden a parlé de 1941. Il l'a situé dans le contexte de guerre, la guerre entre la liberté et l'autoritarisme celle entre la démocratie et l'autoritarisme. En fait, ce discours portait sur quatre libertés : celle de la volonté, de la parole, de culte et de la peur. Je pense que cela anime et impulse ce qui guide le pays.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Agriculture et féminisme, une alliance heureuse

Des gros tracteurs et des gros bras : c'est la méthode qu'a – encore une fois – choisi le monde agricole pour se faire entendre ces dernières semaines. Mais à l'ombre de ces (…)

Des gros tracteurs et des gros bras : c'est la méthode qu'a – encore une fois – choisi le monde agricole pour se faire entendre ces dernières semaines. Mais à l'ombre de ces actions médiatiques bruisse une autre révolte agricole, qui propose un avenir plus collectif et plus joyeux. Portée par des paysannes qui revendiquent la non-mixité comme un espace de choix pour s'émanciper, cette révolte s'appuie sur une longue tradition de groupes « femmes », nés dans le secteur au sortir de la guerre.

Photo et article tirés de NPA 29

Publié dans Plus invisibles que les paysans : les paysannes

Être libres d'apprendre

Larencontre des Travailleuses de la terre, qui s'est tenue en septembre 2022 dans une ferme près de Rennes (Ille-et-Vilaine), est l'héritière d'une histoire de non-mixité vieille de plus de 50 ans dans le monde agricole. Parmi les objectifs de cette rencontre de deux jours : la réappropriation des savoirs techniques. « Il y avait des ateliers câblage de prises, moteurs deux et quatre temps, abattage de poules… » raconte Manon Lemeux, qui prévoit de s'installer prochainement comme agricultrice. En Isère, où ont eu lieu au même moment les Rencontres paysannes féministes, on pouvait apprendre à se servir d'une tronçonneuse et d'un poste à souder. Quel est l'intérêt de ces échanges de savoirs en non-mixité ?

« On peut poser toutes les questions qu'on veut, répond Manon Lemeux. Et on est libres d'apprendre sans le regard masculin qui, même sans être malveillant, nous place toujours dans un rapport de séduction et une recherche de validation. » Faire part de ses doutes ou de son ignorance à des collègues masculins, c'est plus difficile, rapportent les femmes qui ont pu bénéficier de ces espaces d'apprentissage en non-mixité. Elles s'exposent à des moqueries inconfortables qui s'ajoutent à un présupposé de moindre compétence, lassant à force d'être répété.

« Avoir une formatrice facilite l'identification des participantes », remarque Agathe Demathieu, ingénieure en mécanique et membre de l'Atelier paysan [1]. « L'exemple, c'est fondamental. Cela montre qu'on est capable. De conduire un tracteur, de faucher, de mener une exploitation… » pense la sénatrice Marie-Pierre Monier. Ces ateliers sont aussi l'occasion de concevoir des ergonomies de machines agricoles plus adaptées, comme les postes de conduite des tracteurs, généralement peu confortables pour les femmes, qui n'arrivent pas toujours à atteindre les pédales.

« Une femme qui avait de grandes surfaces nous a fait part de ses difficultés avec son enrouleur d'irrigation [sur lequel on rembobine les tuyaux d'arrosage, ndlr], très difficile à manier, rapporte Marie-Pierre Monier. La mise au point d'outils plus petits est vraiment nécessaire pour les femmes. Cela permet aussi à de nombreux hommes d'éviter des troubles musculo-squelettiques. »

Concilier travail agricole et travail domestique

Moins initiées que les hommes au maniement des machines lors de leurs formations initiales, les femmes disposent d'un temps de formation continue assez restreint. Agathe Demathieu a ainsi calculé que plus les formations proposées par l'Atelier paysan étaient longues, moins les femmes y participaient. Elles représentaient 57 % des participants aux formats d'initiation sur deux jours, mais seulement 20 % des participants aux formations avancées qui durent cinq jours. « Pour les paysannes installées, se libérer cinq jours d'affilée pour assister à une formation semble compliqué – d'autant plus pour les femmes qui ont des enfants en bas âge », note l'ingénieure. Ce problème d'organisation ne semble pas toucher les jeunes pères.

La conciliation entre le travail domestique et le travail agricole faisait partie des thèmes de discussion des Travailleuses de la terre. Il faut dire qu'il y a là de quoi faire, tant la confusion entre les deux sphères est importante dans les fermes, au détriment des femmes le plus souvent. « Les normes de rendement des fermes se basent sur le travail domestique gratuit des femmes qui n'est jamais comptabilisé, avance Gwenen Montagnon, installée en polyculture élevage et en Gaec [Groupement agricole d'exploitation en commun, ndlr] avec son compagnon. On paye une personne alors qu'elles sont deux à travailler. C'est cela qui a permis de rendre l'alimentation pas chère. »

Avec les Elles de l'Adage, un collectif d'une dizaine de femmes dont elle fait partie, Gwenen Montagnon réfléchit à cette invisibilité du travail des femmes. Parmi les solutions à l'étude de leur petit groupe [2] figurent les banques de travail, qui permettraient par exemple d'échanger une demi-journée de maraîchage ou une demi-journée de baby-sitting contre un panier de légumes.

« Casser le schéma capitaliste »

Sa collègue Lucie Rigal estime que « les installations collectives peuvent permettre de casser le schéma capitaliste qui s'appuie sur la famille nucléaire, où la femme est exploitée à la maison et l'homme, en dehors ». Installée en Gaec avec son frère, elle explique qu'ils ont tous les deux eu à cœur de se « déspécialiser » : « On ne voulait pas que mon frère s'occupe que des machines, et jamais de ses enfants, et inversement pour moi. J'avais moins de compétences que lui en électricité et en plomberie, par exemple. Mais on a décidé ensemble qu'il fallait me laisser le temps de réapprendre. J'ai mené des chantiers dans lesquels il n'est pas intervenu. » De son côté, son frère a choisi de passer beaucoup de temps auprès de ses enfants, de ne pas laisser ce travail à sa seule compagne. « Ce sont des choix qui font qu'on a eu moins de temps pour le travail de production de la ferme, prévient Lucie Rigal. Du coup on n'a pas décollé tout de suite économiquement. »

Toutes ces réflexions, Lucie et Gwenen les élaborent en lien étroit avec leurs collègues féminines, prolongeant des pratiques déjà anciennes. « Dans le monde agricole perdure une longue tradition d'engagement des femmes en non-mixité, avec des commissions féminines dans tous les syndicats et organisations agricoles, précise la sociologue Rose-Marie Lagrave. Dans les commissions « agricultrice », s'élaborait un travail syndical entre femmes qui était ensuite reversé dans les structures mixtes. Ces commissions femmes étaient des espaces nécessaires pour s'enhardir à prendre la parole en séance plénière devant les hommes. C'était des lieux de formation et de réassurance pour elles. »
« On ne voulait pas que mon frère s'occupe que des machines, et jamais de ses enfants, et inversement pour moi »

« Dès les années 1960 en Aveyron, des agricultrices se sont réunies pour améliorer leurs conditions de travail et de vie, situe Alexandre Guérillot, sociologue. À l'époque, elles réclamaient de ne plus cohabiter avec leurs belles-familles qui les exploitaient volontiers. Et elles voulaient pouvoir mettre en place leurs propres ateliers de production. » En Ille-et-Vilaine, à la même époque, elles questionnent la pertinence du surinvestissement matériel dans les fermes. « Combien de fermes sont encombrées de matériel qui traîne dans la cour ? » demandent-elles lors de l'AG du Centre national des jeunes agriculteurs de juillet 1957. « Le matériel ménager utilisé tous les jours n'est-il pas plus rentable, plus nécessaire ? » interrogent celles qui doivent alors cumuler deux journées et s'entendre dire qu'elles ne travaillent pas…

Moteurs de la transition

« Ces femmes ont été pionnières, mais pour des raisons presque opposées à celles des groupes féministes qui décident de se retrouver en non-mixité pour faire sécession, reprend Rose-Marie Lagrave. Au sein des commissions femmes de la FNSEA ou de la Jac, il s'agissait de se former pour pouvoir mieux coopérer avec les hommes. Il y avait toujours cette idée d'être complémentaires des hommes. Toutes les femmes ont souligné l'importance dans leur vie professionnelle et personnelle de ces groupes non mixtes. »

Cette idée de complémentarité avec les hommes semble toujours d'actualité, si l'on en croit untexte de la Coordination rurale (syndicat minoritaire classé à droite [3]) qui s'intéresse au rôle « central » des femmes : « Nous ne faisons pas du militantisme féministe, nous faisons du militantisme égalitaire qui accepte les différences, mais dans leurs complémentarités. »

Les groupes non mixtes sont des moteurs dans la transition des fermes vers des modèles plus résilients

On assiste donc aujourd'hui à un renouveau des dynamiques de non-mixité, plutôt portées par les organisations relevant de l'agriculture paysanne : Confédération paysanne, Associations pour le développement de l'emploi agricole et rural (Adear), et Centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (Civam). Il existe une douzaine de groupes non mixtes dans le réseau Civam. Plutôt mal vus au début, ces groupes ont fini par gagner en légitimité. Mais Sixtine le Prioux, coordinatrice femmes et milieu rural au sein de cette organisation, regrette de « devoir sans arrêt justifier la non-mixité ». Elle rappelle que « c'est un outil transitoire de transition agroécologique, qui permet aux femmes de mettre en place des changements de pratiques sur leurs fermes. Il ne s'agit pas simplement de bien-être intello. »

Plusieurs études ont en effet démontré que les groupes non mixtes sont des moteurs dans la transition des fermes vers des modèles plus résilients. « Beaucoup de conversions à l'agriculture biologique se font sous leur impulsion, dit Émilie Serpossian, animatrice au sein d'un Civam. L'enjeu de l'agroécologie, c'est d'être en collaboration avec le vivant. Or, du fait de leur expérience de travail de care (soin), qui impose de prendre en compte des besoins multiples, les femmes ont acquis des compétences sur cette collaboration. C'est pourquoi il est plus facile pour elles de se mettre à l'agroécologie [4]. »

Agriculture paysanne et écoféminisme

« Dans les discussions que j'entends au sein des groupes non mixtes, il y a une remise en cause perpétuelle, quelque chose d'infini dans le souci de s'améliorer en termes de préoccupations environnementales et de qualité du travail », relève Manon Lemeux. « Pour nous, c'est important de poser qu'avec nos expériences de femmes paysannes travaillant avec le vivant, nous avons une expertise sur le sujet, ajoute Gwenen Montagnon. Nous revendiquons d'avoir des choses à dire sur des questions telles que la mort animale par exemple. »

Le sujet a été longuement abordé lors des rencontres des Travailleuses de la terre. « La mort dans les abattoirs ne nous convient pas, complète Lucie Rigal. Comment fait-on pour se la réapproprier ? Nous avons mis en place des ateliers d'abattage et j'ai pu accompagner des femmes à tuer leur premier animal, en prenant en compte les affects, le besoin de soins, de douceur, leurs pleurs… » Lucie et Gwenen revendiquent un féminisme « incarné ». « Il s'agit de partir de nos savoir-faire, vécus et expériences afin de créer du savoir qui émerge du terrain et ne plus laisser aux seuls intellectuels l'apanage d'écrire notre histoire, précise Lucie Rigal. Nous voulons creuser le lien ténu entre agriculture paysanne et écoféminisme et voir comment les articuler pour donner une nouvelle dimension à nos luttes et pratiques paysannes ! »

« Les agricultrices qui se revendiquent de l'écoféminisme sont de plus en plus nombreuses, remarque Rose-Marie Lagrave. On assiste à une rencontre entre des agricultrices qui pensent à partir de leurs expériences quotidiennes et des chercheuses qui analysent à partir d' enquêtes pour proposer des théories. Les théoriciennes sont reliées à celles qui travaillent la terre, telle Geneviève Pruvost [chercheuse au CNRS, sociologue du travail et du genre, diplômée de permaculture, ndlr], pour ne citer qu'elle. » Toutes les paysannes évoluant au sein de groupes non mixtes racontent l'apaisement que ces moments de rencontres leur procurent. Et la joie aussi d'évoluer dans des espaces libres de domination.

Nolwenn Weiler 6 mars 2024

https://basta.media/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

L’écoféminisme socialiste et la lutte pour défaire l’Anthropocène

12 mars 2024, par Stefania Barca — ,
La crise écologique planétaire est liée à une réorganisation radicale des interactions entre la société et la biosphère, générée par la modernité capitaliste/industrielle. (…)

La crise écologique planétaire est liée à une réorganisation radicale des interactions entre la société et la biosphère, générée par la modernité capitaliste/industrielle. Celle-ci considère les « forces productives » (science et technologie industrielle) comme le principal facteur du progrès et du bien-être, alors qu'elle envisage la reproduction (aussi bien humaine que non humaine) comme un instrument passif pour la production et l'expansion infinie du produit intérieur brut (PIB).

Tiré de la revue Contretemps
4 mars 2024

Par Stefania Barca

Stefania Barca, dont les travaux portent notamment sur l'écologie politique, le monde du travail et le syndicalisme, oppose à cela une politique écosocialiste qui nécessite de reconnaître l'importance des « forces reproductives », comprises comme travail de subsistance, de reproduction, de régénération, de restauration et de soin. Cet article s'appuie sur une approche du matérialisme historique nourrie de la pensée écoféministe, et il offre des outils théoriques pour défaire l'Anthropocène et construire une alternative écosocialiste.

***

Introduction

Cet article part du présupposé que la crise écologique planétaire (Rockström et al.) est le chapitre le plus récent de l'histoire globale du capitalisme. Cette crise est liée à une réorganisation radicale des interactions entre la société et la biosphère – ou métabolisme social – générée par la modernité capitaliste/industrielle. Par cette expression, je me réfère à un type spécifique de modernité : celle qui voit dans les forces productives (science et technologie industrielle) le principal facteur de progrès et de bien-être, alors qu'elle considère la reproduction (humaine et non-humaine) comme un instrument passif pour la production et l'expansion infinie du produit intérieur brut (PIB). Ce paradigme considère aussi bien la Terre que le travail comme des ressources nécessaires qu'il faut s'approprier et maintenir au coût le plus bas et le plus efficient possible (Barca, 2020 ; Federici, 2009 ; Moore, 2015).

Surgie au sein de l'histoire du capitalisme, la modernité industrielle a été postérieurement assumée comme modèle universel et maintenue par les régimes socialistes d'État dans différents contextes géographiques et historiques. Les variantes capitaliste et socialiste/étatique de la modernité industrielle partagent une vision de la richesse centrée sur le PIB et basée sur la prémisse de la nécessaire accélération du métabolisme social. Elles partagent aussi la tendance à considérer la crise écologique comme un problème associé à l'efficience des ressources, qui doit se résoudre par une écologisation des forces productives, c'est-à-dire une modernisation écologique.

Pour présenter une alternative réelle aux formes capitalistes et socialistes du métabolisme social, je soutiens que le mouvement écosocialiste ne peut se limiter à défendre une modernisation écologique planifiée de manière centralisée (à la place des marchés), orientée autour d'une complémentarité entre l'efficience écologique et la redistribution de la richesse ; elle doit placer la reproduction au centre de l'économie politique, en la libérant de sa position subordonnée et instrumentalisée vis-à-vis de la production. En d'autres termes, l'écosocialisme nécessite de se libérer du paradigme de la modernisation écologique, en s'embarquant dans une révolution écologique basée sur une drastique réorganisation des rapports entre production, reproduction et écologie (Barca, 2019 ; Merchant, 2010).

Ma proposition théorique est une intersection critique entre le matérialisme historique et l'écoféminisme (Salleh, 2017), avec l'objectif de rendre visible les « forces reproductives » (Mellor, 1996), leur aspect matériel et leur potentialité politique. Selon cette perspective, la crise écologique est considérée comme une conséquence des profondes inégalités créées par la modernité capitaliste/industrielle en assignant une valeur différenciée, de sorte que certains types de travail, de vie, de lieux et y compris d'espèces peuvent être sacrifiés sur les autels du bénéfice ou de la croissance du PIB. Depuis le milieu des années 1980, l'écoféminisme matérialiste [1] (ou socialiste) a théorisé le fait que la dégradation de la nature est la conséquence de la sous-estimation du travail de subsistance, de reproduction, de régénération, de restauration et de soins. Cette tradition de pensée et de praxis est fondamentale pour envisager la possibilité d'un véritable « bien vivre », alternative à la promesse de la modernité capitaliste/industrielle.

Pour développer cet argument, l'article est divisé en deux parties : la première déconstruira le récit hégémonique de la modernité capitaliste/industrielle à partir d'une perspective écoféministe ; la seconde fournira une analyse détaillée de la pensée socialiste écoféministe, en argumentant que celle-ci offre de puissants outils pour construire un horizon écosocialiste.

L'Anthropocène : un récit hégémonique

Depuis le début du XXIe siècle, le concept d'Anthropocène, proposé pour indiquer l'époque du changement climatique anthropogénique (Crutzen et Stoermer, 2000), a généré un méta-récit sur la crise écologique et les solutions techno-économiques devenu dominant dans le discours de la gouvernance globale. Cela ne représente pas un récit fondamentalement nouveau, mais un nouveau chapitre dans le discours hégémonique de la croissance économique moderne, c'est-à-dire un récit prométhéen célébrant la croissance de l'économie au-delà des limites biophysiques grâce à l'usage des combustibles fossiles (Barca, 2011). Considérée comme un succès indiscutable de l'humanité, la croissance économique est attribuée au génie blanc, masculin, européen, qui s'est traduit ainsi en suprématie planétaire. Dans cette vision de l'Anthropocène, le récit de la croissance économique moderne reconnaît la nécessité de se limiter au sein des dénommées limites de la planète ; néanmoins, il argumente aussi sur le fait que les mécanismes et les technologies marchandes, combinées de manière adéquate, peuvent garantir une croissance économique continue au sein des limites écologiques. Ceci constitue – dans son essence propre – le paradigme de la croissance verte. Centrée sur les pouvoirs aussi destructeurs que salvateurs des « forces productives », ce récit est cohérent avec la très discutée (mais pourtant dominante) théorie de la modernisation écologique (Spaargaren et Mol, 1992).

Je soutiens que, dans les trois dernières décennies, cette vision a été présentée comme une opportunité aussi pour les organisations de travailleur.euse.s et pour la gauche en général, afin de rêver d'une « transition juste » au-delà de l'économie fossile et des emplois sales, sans sacrifier les niveaux d'emplois (Barca, 2019). Ce cadre pose deux problèmes fondamentaux : d'une part – comme l'ont démontré clairement le Groupe intergouvernemental d'experts sur le changement climatique (IPCC, 2019) et la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services des écosystèmes (IPBES, 2019) -, malgré l'application de ce cadre dans les accords internationaux de gouvernance écologique durant les trois dernières décennies, la « modernisation écologique » n'a pas tenu ses promesses. D'autre part – et c'est aussi important -, pour garantir une croissance constante du PIB, on a implanté à grande échelle des infrastructures d'énergie propre comme l'énergie solaire et l'énergie éolienne – sans parler de l'énergie hydro-électrique – en ignorant les droits des communautés locales, des autres espèces et des travailleur.euse.s (Temper et Gilbertson, 2015). Cela a généré un grand nombre de conflits environnementaux dans le monde entier, aussi bien dans les régimes néo-libéraux que dans les régimes socialistes, comme le documente amplement l'atlas de la justice environnementale [2]. En résumé : dans la modalité orientée vers la croissance du PIB, les technologies vertes ne se sont pas avérées finalement aussi vertes qu'attendu. De plus, elles ne remplacent pas les travaux sales : les mines de charbon et les centrales électriques au charbon ont resurgi dans le monde entier et on exploite à une grande échelle toutes sortes de nouvelles sources d'énergie fossiles (sables bitumeux, gaz naturel, pétrole en haute mer).

Les études sur la justice environnementale ont montré que le changement climatique affecte de manière disproportionnée les individus et les régions qui ont le moins contribué historiquement en termes d'émissions de CO2 (Warlenius, 2015) ; les inégalités se reflètent aussi dans les niveaux différents d'exposition environnementale dans les pays riches, où les populations racisées et à bas revenus et les groupes les plus vulnérables au sein de ces populations (les femmes et les enfants en particulier) supportent les conséquences les plus importantes de la dégradation de l'environnement (Martínez-Alier, 2002). Ainsi, les inégalités quant à l'exposition au changement climatique et à la dégradation des écosystèmes nécessitent de revisiter les représentations dominantes de l'Anthropocène qui envisagent une ère de subjectivité humaine indifférenciée, ayant la même responsabilité et souffrant des mêmes conséquences du changement global de l'environnement (Malm y Hornborg, 2014 ; Moore, 2016 ; Pulido, 2018 ; Swyngedouw y Ernstson, 2018).

Partageant avec l'écomarxisme une vision historico-matérialiste du changement environnemental, l'écologie politique féministe introduit une vision claire sur la manière dont l'Anthropocène surgit des lignes d'oppression entrelacées (classe, race/coloniale, sexe/genre et espèces) trouvant leur origine dans la convergence historique entre le patriarcat et la modernité capitaliste/industrielle (Barca, 2020 ; Giacomini, 2018). Selon cette perspective, le récit hégémonique du changement climatique a été rebaptisé de manière provocatrice le White (M)Anthropocene (Di Chiro, 2017), reproduisant l'ethos colonial du génie masculin blanc destiné à dominer et à refaire le monde à sa propre image. En d'autres termes, la suprématie patriarcale/coloniale se réinvente maintenant en tant que suprématie des « forces productives » sur les forces géologiques, comme réponse à la nécessité indéniable de domination des systèmes terrestres mise en oeuvre par l'industrialisation (Gaard, 2015 ; Salleh, 2016). La conséquence, c'est que les solutions écomodernistes présentées aujourd'hui par la gouvernance globale du climat et de l'environnement « se basent sur les nombreuses solutions masculinistes et androcentriques ayant créé ces mêmes problèmes » (Grusin, 2017 : IX, traduction de l'autrice ; cf aussi Gaard, 2015).

Les critiques féministes au discours de l'Anthropocène se sont développées en grande mesure grâce au travail de la philosophe écologiste australienne Val Plumwood. Dans son œuvre fondatrice Feminism and the Mastery of Nature (Plumwood, 1993), Plumwood affirme que la racine de l'actuelle crise écologique se trouve dans ce qu'elle appelle le « modèle dominant » de la rationalité occidentale, défini par ses hiérarchies dualistes. Dans la pensée occidentale, explique Plumwood, les concepts de l'humain se sont développés par leur similitude avec les concepts définissant l'identité masculine ; néanmoins, le problème ne réside pas dans le genre masculin comme tel, ni dans la condition d'être humain, mais dans la manière dont la culture occidentale a défini l'identité humaine par rapport au genre et à la nature.

La critique de Plumwood du dualisme offre un point de connexion clé entre les pensées féministe et écologique. Elle définit le dualisme comme un système hiérarchique de signification, polarisant les différences existantes comme si celles-ci étaient naturelles, et les séparations – homme/femme, corps/esprit, civilisé/sauvage, humain/nature, qui « correspondent directement aux oppressions de genre, de classe, de race et d'espèce, respectivement, et qui les naturalisent – irréconciliables (ibid : 43). Un côté de chaque pôle est considéré comme naturellement dominant, et l'autre se définit vis-à-vis de lui, en termes d'absence de qualité. La domination d'une partie sur l'autre est vue ainsi comme quelque chose d'inhérent à l'ordre des choses.

Selon Plumwood, dans cette approche dualiste, le pouvoir forme l'identité en séparant et en distordant les deux parties. Par conséquent, la réponse adéquate au dualisme n'est pas l'inversion ou la fusion, ou l'anihilation de la différence, mais de défier la polarisation des identités en reconstruisant la différence tout au long de lignes non hiérarchiques. Par exemple, rejeter le dualisme humain/nature ne signifie pas inverser la relation en une soumission totale de l'humanité à la nature, ce que soutient Plumwood : « Nous ne devons pas accepter un choix entre traiter la « nature » comme notre esclave ou la traiter comme notre maître » (Plumwood, 1993 : 37).

De la même manière, la reconstruction de la différence féminine doit se réconcilier avec « l'identité combinée dans laquelle s'entremêlent les identités du colonisateur et du colonisé » (ibid : 67). Ainsi, tout comme les femmes occidentales ne sont pas seulement colonisées par rapport au genre, mais elles sont aussi colonisatrices par rapport à d'autres identités raciales, culturelles et/ou d'espèce, la reconstruction critique de l'identité féminine doit impliquer une critique du modèle hégémonique de l'humain. C'est pourquoi Plumwood estime que le programme écoféministe est hautement « intégrateur », dans le sens où il combine les féminismes culturel, socialiste, noir, anticolonial, en questionnant la structure des dualismes reliés entre eux correspondant à diverses formes de répression, d'aliénation et de domination.

Bien qu'écrit au début des années 1990, Feminism and the Mastery of Nature continue d'offrir des outils fondamentaux pour analyser la crise écologique planétaire. Il nous permet de considérer le concept hégémonique de l'Anthropocène comme une tentative d'élargir le modèle hégémonique de la modernité à la totalité de l'espèce humaine. Et ce qui est plus important, la critique de Plumwood de la modernité hégémonique est un préalable fondamental vers la recherche d'histoires alternatives inscrites, mais invisibles et cachées, dans l'époque actuelle de la présence humaine sur la terre. Comme l'a écrit l'autrice :

« le pouvoir de réaliser, mettre en pratique et tracer cette trame dominante a été aux mains d'une petite minorité de l'espèce humaine et de ses cultures. Nous pouvons nous inspirer beaucoup de récits nouveaux et moins destructeurs, au-delà du récit hégémonique, en recourant à des dimensions subordonnées et ignorées de la culture occidentale, comme les histoires des soins des femmes » (Plumwood, 1993 : 196).

Dévoiler ces récits alternatifs – conclut Plumwood – est une manière importante de rendre visible et de contribuer à renforcer ces rationalités alternatives qui constrastent avec le modèle hégémonique, ou qui simplement lui ont survécu, avec l'objectif de « réaligner la raison » bien au-delà du dualisme et du contrôle des élites et autour de « formations sociales basées sur la démocratie radicale, la coopération et le mutualisme » (ibid. : 196).

Dans le sillage de l'œuvre fondatrice de Plumwood, ainsi que de la pensée écoféministe en général, le récit hégémonique de l'Anthropocène paraît incarner le modèle hégémonique de l'humanité, y compris ses rapports enracinés entre les oppressions de sexe/genre, raciales/coloniales, de classe et d'espèce. Le personnage central, l'Anthropos, est une abstraction basée sur un sujet historique blanc, masculin et hétérosexuel possédant la raison (équivalente à la science, à la technologie et au droit) et les moyens de production, dont il mobilise les outils pour extraire le travail et la valeur de tout ce qu'il définit comme l'Autre. De fait, sa mission civilisatrice légitime toutes ses actions, y compris les pires atrocités.

En d'autres termes, le sujet de ce récit dominant est le patron (que Plumwood appelle le maître). En opposition au discours officiel de l'Anthropocène, cette humanité hégémonique n'est pas une espèce (c'est-à-dire un sujet naturel et ahistorique), mais un système de pouvoir combinant relations matérielles et symboliques ; de plus, il s'est traduit par diverses configurations tout au long du temps et de l'espace, comme réponse à la résistance qu'il a rencontre de la part de l'Autre. Raison pour laquelle son objectif est la totalisation : dévorer l'Autre – tant humain que non humain – pour qu'il n'y ait pas de résistance qui s'oppose à sa domination.

Je soutiens que le récit de l'Anthropocène doit être rejeté : pour la raison qu'en l'acceptant nous souscrivons à l'idée que la fin de l'histoire est arrivée et que nous ne devons plus attendre de résistance. Que le monde est celui fait par le patron. Que les Autres ne sont pas des sujets historiques avec un potentiel révolutionnaire, qu'ils/elles n'ont ni force, ni pouvoir pour affronter le patron, parce qu'en réalité ils/elles sont des organes de son corps universel qui obéit à son esprit universel. Si nous acceptons que toute l'humanité est unie au patron, alors, d'où pouvons-nous espérer que surgisse le changement ?

L'idéal de l'Anthropocène veut nous faire croire que le patron a la capacité de résoudre la crise écologique. Il suggère que la nature non humaine – ou bien une version réduite de celle-ci, représentée par la géologie et le climat – exerce maintenant un agenda historique, en opposant sa force à celle du patron. Et que le patron répondra à cette force en changeant son rapport avec l'environnement ou qu'il succombera. Cette idée est erronée : nous ne devons pas déposer nos espoirs en elle. Durant des décennies, le patron a su qu'il courait un grave danger, mais il n'a pas été capable d'y donner une réponse efficace. Il avance simplement par le seul chemin qu'il connaît, en se défendant avec une férocité toujours plus grande contre ceux et celles qui résistent. Par conséquent, notre unique espoir, c'est la résistance.

Dans mon livre Forces of Reproduction. Notes for a counter-hegemonic Anthropocene (Barca, 2020), je développe l'hypothèse que l'histoire consiste en une lutte des sujets pour produire la vie de façon autonome vis-à-vis du capital, une lutte qui s'oppose à l'expansion illimitée de la loi du patron. Ces sujets sont les « forces reproductives », un concept inspiré par la pensée socialiste écoféministe (Mellor, 1996). De manière non systémique, le concept croise de manière critique deux traditions théoriques : la pensée écoféministe et le matérialisme historique.

Ce cadre nous permet de voir que le principal point commun des dépossédé.e.s et des subalternes est une notion de travail définie génériquement, et pour autant pertinente : d'après certaines positions, et de manières différentes, les femmes, les esclaves, les prolétaires, les animaux et les êtres non humains sont mobilisé.e.s afin de travailler pour le patron. Ces sujets doivent satisfaire les besoins vitaux pour pouvoir se vouer à des occupations plus importantes. Le patron dépend d'eux pour sa survie et sa santé, mais cette dépendance est constamment niée et les forces reproductives sont perçues comme de simples ombres dans la toile de fond de leur agenda historique.

Dans la pensée occidentale, le concept de travail a une forte connotation genrée, comme l'a argumenté Plumwood (1993 : 25). L'identité humaine a été associée aux concepts de travail productif, de sociabilité et de culture, c'est-à-dire aux activités développées dans l'espace public, traditionnellement restreintes aux hommes. En ce sens, nous pouvons argumenter que « l'humanité » s'est identifiée par la séparation vis-à-vis de formes supposées inférieures de travail (comme la reproduction et le soin) et de propriété (les biens communs).

L'économie politique capitaliste a défini le travail reproductif comme un non-travail, c'est-à-dire une activité sans valeur, bien que socialement nécessaire pour maintenir les intérêts du patron, et les biens communs comme gaspillage, c'est-à-dire des éléments ne pouvant être valorisés au profit du patron. Dans cette perspective, la véritable richesse et l'émancipation humaine pouvaient venir seulement de la « casa grande »[3] et de là, « s'écouler ». La forme de production nouvelle qui en a résulté, supposée supérieure, s'est fondée sur les inégalités coloniales/raciales, de genre, de classe et d'espèce, et est restée au centre de la modernité capitaliste ; en se distinguant des modes de production non capitalistes, elle s'est universalisée rapidement pour devenir un modèle hégémonique.

Le travail de Plumwood est réellement fondamental pour une critique féministe du discours de l'Anthropocène. Néanmoins, il doit se comprendre comme faisant partie d'une tradition plus large de pensée écoféministe, qui a lié systématique la critique écologique à celle du patriarcat.

Travail et écologie dans l'écoféminisme socialiste

L'écoféminisme socialiste s'est développé à partir du féminisme marxiste : depuis les années 1970, celui-ci a montré comme le capitalisme est profondément relié à l'appropriation du travail reproductif non rémunéré (Bhattacharya, 2017). A partir de ce corpus théorique, quelques chercheuses et intellectuelles ont introduit la nature et l'écologie dans l'équation. En réfléchissant aux profondes interconnections qui se sont formées entre le patriarcat, le capitalisme et la vision mécaniste de la nature dans l'Europe moderne (Merchant, 1980), ces autrices/activistes ont commencé à lier la dévaluation politico-économique de la reproduction à la dégradation environnementale, en produisant un récit radicalement nouveau de la modernité capitaliste industrielle

Une référence fondamentale pour l'écoféminisme matérialiste est l'œuvre de la sociologue allemande Maria Mies, particulièrement son livre Patriarcado y acumulación a escala mundial (Mies, 1986). Intervenant dans le débat sur le rapport entre le patriarcat, le capitalisme et le colonialisme en se basant sur l'œuvre de Rosa Luxemburg, Mies argumenta que le féminisme devait dépasser l'analyse du travail reproductif dans les pays occcidentaux pour la lier aux conditions matérielles spécifiques des femmes dans les périphéries du Système-monde capitaliste, afin d'identifier « les politiques contradictoires envers les femmes qui furent et continuent d'être promues par les militaristes, les capitalistes, les politiciens et les scientifiques dans leurs efforts pour maintenir le modèle de croissance » (ibid. : 3). Rapidement, Mies jeta les bases d'un écosocialisme féministe postcolonial, basé sur le rejet de la croissance du PIB comme mesure universelle de progrès (Barca, 2019 ; Gregoratti y Raphael, 2019).

Le développement de cette perspective exige de repenser « les concepts de nature, de travail, de division sexuelle du travail, de famille et de productivité » (Mies, 1986 : 45). Mies soutient que l'économie politique conceptualise le travail en opposition tant à la nature qu'à la femme, c'est-à-dire à partir d'un agenda transcendant codifié par l'homme, qui configure activement le monde en lui assignant une valeur. Par conséquent :

« Tout le travail lié à la production de la vie, y compris le travail de procréation, n'est pas considéré comme l'interaction consciente d'un être humain avec la nature, mais comme une activité de la nature, qui produit des plantes et des animaux inconsciemment et qui n'a aucun contrôle sur ce processus » (ibid.).

La séparation et la superposition du travail qui génère la valeur sur le travail qui génère la vie est une abstraction qui débouche sur le fait que les femmes et leur travail sont « définies comme la nature » (Mies, 1986 : 46). Au contraire, argumente l'autrice, tout travail qui conduit à la production de la vie doit être désigné comme productif « dans le sens le plus large de produire des valeurs d'usage pour satisfaire les besoins humains » (ibid : 47).

L'argument général de Mies, c'est que la production de vie, ou bien plus la production de subsistance – développée principalement sans rémunération par les femmes, les esclaves, les paysan.ne.s et autres sujets colonisés – « constitue la base pérenne sur laquelle on peut construire et exploiter le ‘travail productif capitaliste' » (ibíd. : 48). N'étant pas compensée par un salaire, son appropriation capitaliste (ou « super-exploitation », comme le conceptualise l'autrice) peut seulement être obtenue – en dernière instance – par la violence ou par les institutions coercitives.

De fait, selon Mies, la division sexuelle du travail ne se basait pas sur des conditionnements purement biologiques et économiques mais sur le monopole masculin de la violence (armée), qui « constitue le pouvoir politique nécessaire pour établir des relations durables d'exploitation entre les hommes et les femmes, ainsi qu'entre différentes classes et peuples » (ibid. : 4). A partir du XVIe siècle, la base de l'accumulation du capital en Europe s'est développée grâce à un processus de conquête et d'exploitation parallèle des colonies et des corps féminins (concrètement avec la chasse aux sorcières) et de leurs capacités productives. C'est seulement après l'établissement de ce régime d'accumulation par la violence que l'industrialisation put commencer. Avec cela,

« la science et la technologie deviennent les principales ‘forces productives', par lesquelles les hommes peuvent ‘s'émanciper' de la nature, ainsi que des femmes » (ibid. : 75).

En même temps, argumentait Mies, les femmes européennes des différentes classes sociales (y compris celles qui participaient aux établissements coloniaux) furent soumises à un processus de domestication [4], c'est-à-dire qu'elles furent exclues graduellement de l'économie politique considérée comme l'espace public du progrès et de la construction de la modernité, et confinées à « l'idéal de la femme domestique privatisée, préoccupée par ‘l'amour' et la consommation et dépendante d'un homme chargé de ‘l'entretien' » (ibid. : 103).

Le travail de Mies doit être considéré comme partie prenante d'une démarche académique plus vaste visant à jeter les bases d'un récit écoféministe de la modernité capitaliste. Néanmoins, il faut mentionner deux autres œuvres fondatrices et inspiratrices de l'écoféminisme socialiste. En premier lieu, le livre de Carolyn Merchant (2010) Ecological Revolutions, qui propose un cadre d'après la matrice marxiste, écologique et féministe pour interpréter l'histoire environnementale de la Nouvelle Angleterre (États-Unis) depuis la conquête coloniale, en situant l'écologie (comprise comme nature non humaine active et autonome) au centre de trois sphères d'interaction dynamique : la production, la reproduction et la conscience.

Le second, plus connu au sein de l'écoféminisme socialiste, est le livre de Silvia Federici (2004) Calibán y la bruja [Caliban et la sorcière]. Activiste et intellectuelle féministe marxiste, mondialement connue pour sa participation au débat et à l'organisation politique sur le travail domestique dans les années 1970, Federici a offert une étude en profondeur sur la manière dont, dans l'Europe du XVIIe siècle, le corps féminin fut transformé « en un instrument […] pour l'expansion de la force de travail, traité comme une machine naturelle de reproduction, qui fonctionnait selon des rythmes échappant au contrôle des femmes » (Federici, 2009). Cette nouvelle division sexuelle du travail, argumente Federici, a redéfini les corps féminins prolétaires comme des ressources naturelles, une sorte de biens communs ouverts à l'appropriation, afin d'améliorer la productivité.

Ainsi naquit le patriarcat capitaliste : vu leur expulsion de la terre (clôtures agraires) et leur exclusion de la main-d'œuvre marchandisée, qui se produisit en même temps, les femmes perdirent l'accès aux moyens de subsistance et finirent par dépendre économiquement des hommes. Dans une mesure similaire à celle appliquée aux natifs des colonies, les femmes furent sous-humanisées dans la loi, esclavagisées dans l'économie et soumises à la terreur génocidaire avec la chasse aux sorcières. Avec la colonisation et l'esclavagisme globalisé, la guerre contre les femmes fut par conséquent un pas substantiel dans l'apparition de l'Anthropocène, vu qu'il conduisit à supprimer des formes autonomes de connaissance de la nature et de rapport avec le non humain ; il permit la fourniture régulière de main-d'œuvre à bon marché pour soutenir l'industrialisation.

Étant donné qu'il s'agit d'un processus généralisé affectant toutes les femmes (bien qu'évidemment de manière différente), les féministes marxistes le considèrent comme une redéfinition de facto du sexe féminin comme classe : celle des travailleuses de la reproduction.

Contribuant à ce corps de pensée, l'écoféministe marxiste Mary Mellor a formulé le concept de « forces reproductives », c'est-à-dire

« le travail dévalorisé des femmes, incorporé au monde matériel des hommes, interprété au travers du cadre théorique analytique du matérialisme historique » (Mellor, 1996 : 257).

Selon l'autrice, il doit se libérer des barrières artificielles du productivisme, par lesquelles « la vie des femmes se convertit théoriquement en une catégorie secondaire dans la ‘sphère de la reproduction' » (ibíd. : 260), ce qui provoque des impacts écologiques dévastateurs, constatés tant dans les économies capitalistes que dans les expériences de socialisme d'État. Au lieu d'être ignorés ou niés, les corps des femmes doivent être compris comme la base matérielle sur laquelle se sont imposés des rapports sociaux spécifiques : les différences biologiques de sexe – écrit Mellor – « ne déterminent pas le comportement humain ; de fait, les forces de la reproduction doivent s'accommoder des rapports de reproduction » (ibid. : 261).

Le féminisme permet aux femmes d'utiliser « leur position biologique/sociale dans la société […] comme une place spécifique leur permettant de produire une vision du monde alternative, en transcendant les fausses limites entre le naturel et le social » (ibid. : 262). Cela permet de voir la croissance économique moderne comme un processus par lequel des humains se libèrent de la rareté aux dépens d'autres humains et du monde non humain. A travers les luttes collectives, argumente Mellor, « nous pouvons reconstruire notre monde social sur des principes égalitaires » (ibid. : 263 ; en italique dans le texte original) en respectant la démarche autonome de la nature et notre interdépendance envers elle.

A partir de ce positionnement théorique, les écoféministes matérialistes ont défendu la nécessité de reconsidérer en profondeur la valeur économique. Dans Globalization and Its Terrors, par exemple, Teresa Brennan (2003) a révisé la théorie de la valeur de Marx, en suggérant qu' « ajouter de la valeur à l'argent requiert l'apport de la nature vivante (humaine et non humaine) qui se transforme en produits et en services » (Brennan apud Charkiewicz, 2009 : 66) ; non seulement le travail, mais aussi la nature offrent plus que ce qu'ils coûtent ; le capital transfère le coût de reproduction du travail et de la nature à des tiers : les femmes et les sujets colonisés et racisés.

Cela produit, par exemple des corps (et des territoires) malades où s'accumulent les résidus toxiques, ainsi que le travail additionnel requis pour les soigner. Des îles Marshall (De Ishtar, 2009) au delta du Niger (Turner et Brownhill, 2004) et à travers d'autres histoires sans nombre, les activistes et les chercheuses écoféministes ont mis en lumière comment la maladie et la mort dans l'Anthropocène ont été les conséquences d'un modèle de progrès hautement industrialisé/militarisé, dont les coûts ont été supportés en grande mesure par « les femmes, la nature et les colonies » (Mies, 1986 : 77).

Comme le signale Ewa Charkiewicz, ces histoires montrent qu'exclues de la production de valeur, les femmes sont inclues dans les sphères économique et politique à condition d'accomplir leurs fonctions de soins. Parce que le pouvoir souverain ne se base pas seulement sur la patria potestas, le droit paternel à tuer, mais aussi sur la cura materna, la tâche maternelle de soigner. Cette tâche se concrétise par la responsabilité des femmes dans l'économie des soins, en absorbant les coûts sociaux de la guerre globale contre la nature vivante (Charkiewicz, 2009 : 83).

Partageant cette perspective, Ariel Salleh (2009 : 4-5) a proposé le concept de « dette incarnée », à savoir :

« tant le Nord que le Sud ont une dette avec les sujets qui effectuent le travail reproductif non rémunéré, qui nous fournit la valeur et régénère les conditions de production, y compris la future force de travail du capitalisme ».

Cette dette, soutient Salleh, doit s'entremêler avec deux autres : la « dette sociale » des capitalistes envers les travailleur.euse.s (rémunéré.e.s ou non) par la plus-value extraite de leurs corps ; et la « dette écologique » des pays colonisateurs envers les pays colonisés « par l'extraction directe des moyens naturels de production ou de vie des peuples non industriels » (ibid.). Ce cadre, dénommé matérialisme incarné par Salleh, permet de développer un récit matérialiste écoféministe de l'Anthropocène : il considère que la crise écologique surgit de l'interconnexion entre les trois formes de vol opérées par le système global d'exploitation.

La dette incarnée signale que l'agriculture de subsistance, ainsi que le soin de l'entourage urbain et rural, sont des formes de travail reproductif non rémunérées qui complètent le travail domestique en fournissant les conditions de la production. Nous pourrions appeler ce travail reproduction environnementale, c'est-à-dire le travail d'ajuster la nature non humaine à la reproduction humaine, en la protégeant de l'exploitation et en assurant les conditions de reproduction de la nature pour les besoins des générations présentes et futures.

L'écoféminisme matérialiste revendique ce travail comme non capitaliste, c'est-à-dire non orienté vers la valeur (d'échange), mais régi par des principes de communauté et de justice. La distinction fondamentale de ce cadre par rapport à la modernisation écologique, c'est qu'elle se base sur un principe dénommé par Salleh (2009) éco-suffisance (au lieu de éco-efficience), c'est-à-dire un rapport non extractiviste avec la nature non humaine qui satisfasse les besoins humains au lieu du profit. L'éco-suffisance, suggère l'autrice, est la véritable réponse à la dette climatique et écologique. Accompagnée de l'annulation de la dette financière et adoptée à l'échelle mondiale, elle permettra d'arrêter l'extractivisme dans les pays les plus pauvres et possiblement de remédier à la dégradation écologique, en permettent le maintien du « pétrole dans le sol » (comme le demandait par exemple l'initiative Yasuni-ITT) [5], ainsi que le développement de l'autonomie locale, de la souveraineté alimentaire et de l'usage des ressources.

Manquant de légitimation académique, signale Salleh, ce cadre de l'autosuffisance écologique est pratiquement ignoré par les consultants et par la politique environnementale. Bien sûr, la raison n'en est pas simplement culturelle, mais profondément structurelle : son adoption demanderait « un engagement de réduction annuelle de l'utilisation des ressources de la part des nations industrialisées » (ibid. : 18), similaire à ce que certains appellent maintenant la décroissance, menaçant ainsi la gouvernance économique néo-libérale. Selon une perspective féministe, Salleh soutient que la décroissance pourrait signifier une libération y compris des classes travailleuses industrielles à l'échelle mondiale, c'est-à-dire de la main-d'œuvre racisée et sexualisée, coincée dans la trappe du système productif et consumériste perçu comme l'unique chemin possible de la réalisation humaine.

En suivant cette perspective, les écoféministes matérialistes ont argumenté que, comme travailleuses reproductives, les femmes dans la modernité capitaliste n'incorporent pas seulement, mais qu'elles résistent aux contradictions économiques à partir de leur situation sociale (Fakier et Cock, 2018 ; Merchant, 1996, 2005). Comme le dit un dicton féministe connu, elles organisent la résistance depuis la table de la cuisine. Cela nous permet de conceptualiser les démarches alternatives qui s'inscrivent au sein et contre la modernité capitaliste, et particulièrement autour d'une politique des biens communs.

Les écoféministes matérialistes ont considéré les femmes comme les principales défenseuses des biens communs, parce qu'elles constituent la base matérielle du travail reproductif : d'après leur point de vue, la défense de l'accès aux biens communs et à la préservation des environnements naturels et construits (le sol, l'eau, les forêts, la pêche, mais aussi l'air, les paysages et les espaces urbains) a été une forme de résistance contre la dépossession et la dégradation des conditions du travail reproductif.

En résistant ainsi, de nombreuses femmes urbaines et rurales ont été la principale force d'opposition à une complète marchandisation de la nature, en appuyant l'usage non capitaliste de la terre et de l'agriculture de subsistance (Federici, 2009) ; cela explique pourquoi les femmes du monde entier ont été à l'avant-garde de l'agriculture urbaine, d'actions comme la plantation d'arbres, de mobilisations contre l'énergie nucléaire et les mines, de l'opposition aux mégaprojets destructeurs, à la privatisation de l'eau, aux dépotoirs de résidus toxiques et d'actions similaires (Gaard, 2011 ; Rocheleau et Nirmal, 2015). Carolyn Merchant (1996) a dénommé ce phénomène – et cette forme de démarche – soins de la terre (earthcare).

L'écoféminisme matérialiste insiste sur le fait que les femmes doivent être reconnues comme la grande majorité de la classe reproductrice et de soin mondiale, tant aujourd'hui qu'historiquement. Bien que les femmes soient notoirement différenciées par la classe et d'autres distinctions sociales, un niveau basique de généralisation descriptive (mais pas normative) est nécessaire pour considérer les femmes comme la grande majorité du prolétariat global et comme une classe de travailleur.se.s dont les corps et les capacités productives ont été appropriées par le capital et par les institutions capitalistes.

Je soutiens que, dans cette perspective, la démarche environnementale des femmes se convertit en celle de sujets politiques réclamant le contrôle sur les moyens (et les conditions) de (re)production : leurs corps et l'entourage non-humain. En d'autres termes, si le rapport entre les femmes et la nature non humaine comme co-productrices de force de travail s'est construit socialement à travers les rapports capitalistes de reproduction, alors les luttes environnementales et reproductives des femmes doivent être considérées comme partie d'une lutte de classes plus large.

Pour les écoféministes socialistes, cela requiert de rejeter le paradigme de la croissance économique moderne, parce qu'il a subordonné tant la reproduction que l'écologie à la production, toutes deux considérées comme moyens de l'accumulation capitaliste. Cela peut être considéré comme une dimension très basique du matérialisme écoféministe : comme l'a argumenté Mellor, « en séparant la production aussi bien de la reproduction que de la nature, le capitalisme patriarcal a créé une sphère de ‘fausse' liberté ignorant les paramètres biologiques et écologiques » (1995 : 256) ; un socialisme vraiment écologique, affirment alors les écoféministes socialistes, doit inverser cet ordre, en subordonnant la production à la reproduction et à l'écologie (Merchant, 2005).

Face à la dimension catastrophique de l'actuelle crise écologique, les récents développements de la Théorie de la reproduction sociale et le mouvement féministe global indiquent des possibilités concrètes pour adopter cette perspective (Arruzza et al., 2019 ; Bhattacharya, 2017 ; Fraser, 2014). Par exemple, le mouvement de la Grève mondiale des femmes (Global Women Strike) se considère aujourd'hui comme une lutte non seulement pour le travail domestique, mais aussi pour le travail de soin de la terre que la modernité industrielle capitaliste a externalisé chez les femmes et chez d'autres sujets subalternes/féminisés, en défiant la violence capitaliste/industrielle et en militant pour transformer radicalement les rapports productifs et reproductifs [6].

L'écoféminisme socialiste est un outil important pour la subjectivation politique ; néanmoins, il ne doit pas se voir comme une perspective généralisée sur les femmes, mais comme une analyse critique des rapports matériels de (re)production ayant généré des réponses politiques spécifiques et créant présentement de nouvelles possibilités politiques. La division sexuelle du travail coloniale/capitaliste, avec sa normalité hétérosexuelle de fer, a opprimé et continue d'opprimer trop de générations de femmes dans le monde entier pour être ignorée comme un puissant enjeu de libération.

Évidemment, de nombreuses femmes ont adhéré au modèle hégémonique de modernité et de progrès, en acceptant une vision acritique du féminisme et des schémas de consommation et d'aspirations sociales, ou en acceptant leur domestication et leur dépendance vis-à-vis du salaire masculin. Comme tous les sujets historiques, les femmes prennent des décisions, bien que celles-ci dépendent de conditions qu'elles n'ont pas choisies. La même chose se produit avec les travailleurs mâles que le matérialisme historique a considérés traditionnellement comme les fossoyeurs du capitalisme.

Comme l'a signalé Mellor (1996), parler du travail reproductif et de son potentiel écologique n'est pas plus essentialiste que parler du travail industriel et de son potentiel révolutionnaire : il signifie bien davantage reconnaître les conditions historiques déterminées où la majorité des femmes sont placées dans la division générale du travail, en admettant les formes spécifiques où le travail et le genre se sont entremêlés dans la modernité capitaliste, et en refusant les pensées profondément enracinées du travail domestique et de subsistance comme non productif ou passif.

De plus, les écoféministes matérialistes ont reconnu que, bien que le travail de subsistance soit effectué majoritairement par les femmes, cela est dû davantage à des raisons historiques et sociales et non biologiques, et que les hommes dans les communautés paysannes et indigènes et y compris dans les économies industrielles effectuent aussi des travaux de reproduction, de soin et de subsistance. Comme l'a signalé Salleh (2009 : 9), la division sexuelle du travail se reproduit idéologiquement par des « attitudes de sexe/genre distribuées inconsciemment » reléguant la reproduction à la sphère sous-évaluée des femmes, empêchant les politiques, les universitaires et même les activistes de voir la matrice de genre inscrites dans les rapports socio-écologiques [7]. Par conséquent, écrit-elle, « ni la philosophie, ni le socialisme n'ont identifié ce travail anti-anthropique et ils ont encore moins conceptualisé sa valeur et son contexte social » (ibid. ; 17).

Cette perspective est partagée par la majorité des écoféministes matérialistes : par exemple, derrière le soulèvement zapatiste au début des années 1990, Mariarosa Dalla Costa (2003) – autre figure notoire de la théorie de la reproduction sociale et du mouvement féministe des années 1970 – a défendu une conception plus large du soin de la Terre, qui ne se limite pas à l'agenda environnemental des femmes, mais qui inclut aussi les mouvements paysans et indigènes et leurs luttes pour la souveraineté alimentaires et les biens communs.

En résumé, combiner le matérialisme historique avec l'écoféminisme nous mène à regarder l'Anthropocène depuis une perspective de travail reproductif, c'est-à-dire le travail qui soutient la vie et ses besoins matériels et immatériels. L'agriculture de subsistance, la pêche et la recherche d'aliments, le travail domestique, l'agriculture urbaine, l'enseignement, les soins infirmiers, l'assistance sanitaire, le recueil des déchets et le recyclage sont des formes de travail reproductif au sens où elles sont essentielles pour le développement de l'humanité dans son interdépendance avec le monde non-humain.

Par sa propre logique, le travail reproductif s'oppose au travail social abstrait et à tout ce qui instrumentalise la vie à d'autres fins. La vie elle-même est le produit du travail reproductif (humain et non-humain). En même temps, le capitalisme soumet ce travail à une marchandisation croissance et à une chosification : cela génère une contradiction au sens où le travail reproductif reste directement ou indirectement incrusté dans le circuit de la valeur argent-marchandise-argent. Ainsi, le capitalisme diminue ou annihile le potentiel de maximisation de la vie des « forces reproductives » en les transformant en un instrument d'accumulation. Ce processus épuise aussi bien le/la travailleur.euse que l'environnement, en extrayant des deux davantage de travail et d'énergie que nécessaire, en les laissant épuisé.e.s

Élaboré dans ses apports essentiels durant les années 1980 et 1990, la pensée écoféministe matérialiste fut conditionnée par une vision binaire des identités de genre, ce qui fut critiqué – y compris au sein du mouvement féministe – comme essentialiste, et générant un débat, comme l'écrit Christine Bauhardt (2019 : 27), « autour du rapport incommode entre la nature, le soin des autres et l'environnement, et le rapport entre sexe et genre ». Bien qu'il soit important de rappeler que « ce qui est en question, c'est la pratique du travail des soins, ce n'est pas une essentialisation du corps fémininin » (ibid), il est certain que l'écoféminisme matérialiste ne questionne pas suffisamment l'hétéro-normativité du système patriarcal capitaliste et laisse invisible l'expérience des personnes LGBTQI+ et transgenre.

Dans la dernière décennie, plusieurs théoriciennes et activistes se sont occupées de ces aspects, spécialement dans les études d'écologie queer (Greta Gaard, Catriona Sandilands, Donna Haraway) et du féminisme décolonial (Maia Lugones, Lorena Cabnal). Centrées sur la critique de l'hétéro-normativité comme legs de la modernité coloniale et capitaliste, ces perspectives ont démontré leur capacité à être un outil très puissant pour analyser le rapport entre la violence de genre et la violence environnementale. En même temps, elles montrent que défaire les rapports et les identités de genre est un pas essentiel pour défaire l'Anthropocène.

Conclusions

La déconstruction du récit hégémonique de l'Anthropocène requiert une analyse critique de la façon dont il invisibilise quatre éléments :

1/ les rapports coloniaux : l'unique civilisation qui importe est la civilisation occidentale ;

2/ les rapports de genre : l'unique agenda historique est celui des « forces de production » (science et technologie industrielle) ;

3/ les rapports de classe : les inégalités sociales et l'exploitation n'importent pas ;

4/ les rapports entre les espèces : le monde vivant non-humain n'importe pas.

Dans leur ensemble, ces différents aspects du récit hégémonique de l'Anthropocène dérivent de l'invisibilisation des « forces de reproduction », c'est-à-dire de leurs aspects – racialisés, féminisés, salariés et non salariés, humains et non humains – qui maintiennent le monde vivant.

Bien que le modèle hégémonique de modernité soit constitutif de la modernité capitaliste/industrielle, il ne coïncide pas totalement avec celle-ci. D'une part, le capitalisme a adopté ce modèle de rationalité en reconfigurant la notion de modernité comme la capacité d'extraire la valeur du travail humain et non humain ; d'autre part, ses dimensions clé (ou une partie de celles-ci) peuvent aussi se trouver dans dans des systèmes sociaux non-capitalistes, c'est-à-dire non orientés par la valeur.

Le socialisme d'État – tel qu'il fut vécu dans le bloc soviétique, ou en Chine, ou dans quelques-unes de ses versions post-coloniales en Afrique, en Amérique latine et dans le Sud-Est asiatique – a maintenu diverses combinaisons historiques de colonialisme/racisme, d'hétéropatriarcat/sexisme et/ou de suprématie humaine/spécisme. Les structures politico-économiques profondément enracinées, de l'échelle locale à l'échelle globale, bloquent les tentatives de démanteler le modèle hégémonique de la modernité, de sorte que l'on n'a pas trouvé un modèle contre-hégémonique dans les formations étatiques. Néanmoins, nos espoirs de justice climatique résident précisément dans le fait que nous devons exercer une narration contre-hégémonique de toutes les manières possibles pour cultiver des formes de modernité alternatives, multiples et soutenables.

Comme je l'ai argumenté dans cet article, le dilemme écomoderniste du socialisme peut être dépassé seulement si nous adoptons une vision de l'économie politique où toutes les formes de travail ont la même valeur dans la mesure où elles soutiennent la vie. Pour cela, il faudra dépasser la vision binaire du rapport entre production (= masculine) et reproduction (= féminine) de l'écoféminisme du XXe siècle, pour comprendre les « forces de reproduction » comme un ensemble de subjectivités et de mouvements opposés à la modernité coloniale, capitaliste et hétéronormative. C'est seulement de cette manière que l'écosocialisme du XXIe siècle peut voir la transition écologique comme une intersection de différentes luttes pour le « changement de système ».

*

Stefania Barca est chercheure au Centre d'études sociales de l'Université de Coimbra (Portugal), auteure de nombreux travaux sur l'écologie ouvrière et le syndicalisme.

Cet article a été traduit initialement en espagnol dans la revue Viento Sur, à partir de la publication en portugais de « Forças de reprodução. O ecofeminismo socialista e a luta para desfazer o Antropoceno », 9 juillet 2021.

Traduction du castillan : Hans-Peter Renk (Groupe écosocialiste de solidaritéS).

Une première version beaucoup plus courte de cet article a été publiée en français par la revue Ecorev.

Bibliographie

Arruzza, Cinzia ; Bhattacharya, Tithi ; Fraser, Nancy (2019), Feminism for the 99 Percent : A Manifesto. London : Verso.

Barca, Stefania (2011), « Energy, Property and the Industrial Revolution Narrative », Ecological Economics, 70(7), 1309-1315. DOI : 10.1016/j.ecolecon.2010.03.012

Barca, Stefania (2019), « Labour and the Ecological Crisis : The Eco-Modernist Dilemma in Western Marxism(s) (1970s-2000s) », Geoforum, 98, 226-235. DOI : 10.1016/j.geoforum.2017.07.011

Barca, Stefania (2020), Forces of Reproduction. Notes for a Counter-Hegemonic Anthropocene. Cambridge, UK : Cambridge University Press.

Bauhardt, Christine (2019), « Nature, Care and Gender : Feminist Dilemmas », in Christine Bauhardt ; Wendy Harcourt (orgs.), Feminist Political Ecology and the Economics of Care : In Search of Economic Alternatives. London : Routledge, 16-35.

Bhattacharya, Tithi (2017), Social Reproduction Theory : Remapping Class, Recentering Oppression. London : Pluto Press. DOI : 10.2307/j.ctt1vz494j

Brennan, Teresa (2003), Globalization and Its Terrors : Daily Life in the West. London : Routledge. DOI : 10.4324/9780203216712

Charkiewicz, Ewa (2009), « Who is the “He” of He Who Decides in Economic Discourse ? », in Ariel Salleh (org.), Eco-Sufficiency & Global Justice : Women Write Political Ecology. London : Pluto Press, 66-86.

Crutzen, Paul J. ; Stoermer, Eugene F. (2000), « The ‘Anthropocene' », Global Change Newsletter, 41, 17-18. DOI : 10.1051/jp4:20020447

Dalla Costa, Mariarosa (2003), « The Native in Us, the Earth We Belong to », The Commoner, 6, 1-34. Consulté le 01.07.2021, in : https://thecommoner.org/wp-content/uploads/2020/06/Mariarosa-Dalla-Costa-The-Native-In-Us-The-Earth-We-Belong-To.pdf.

De Ishtar, Zohl (2009), « Nuclearised Bodies and Militarised Space », in Ariel Salleh (org.), Eco-Sufficiency & Global Justice : Women Write Political Ecology. London : Pluto Press, 121-139.

Di Chiro, Giovanna (2017), « Welcome to the White (M)anthropocene ? ». in Sherilyn MacGregor (org.), Routledge Handbook of Gender and Environment. London : Routledge, 487-505.

Fakier, Khayaat ; Cock, Jacklyn (2018), « Eco-Feminist Organizing in South Africa : Reflections on the Feminist Table », Capitalism Nature Socialism, 29(1), 40-57. DOI : 10.1080/10455752.2017.1421980 DOI : 10.1080/10455752.2017.1421980

Federici, Silvia (2004), Caliban and the Witch. Brooklyn, NY : Autonomedia.

Traduction en castillan : Federici, Silvia (2010), Calibán y la bruja. Mujeres, cuerpo y acumulación originaria. Madrid : Traficantes de sueños

Federici, Silvia (2009), « The Devaluation of Women's Labour », in Ariel Salleh (org.), Eco-Sufficiency & Global Justice : Women Write Political Ecology. London : Pluto Press, 43-65.

Fraser, Nancy (2014), « Behind Marx's Hidden Abode », New Left Review, 86, 55-72.

Gaard, Greta (2011), « Ecofeminism Revisited : Rejecting Essentialism and Re-Placing Species in a Material Feminist Environmentalism », Feminist Formations, 23(2), 26-53. DOI : 10.1353/ff.2011.0017

Gaard, Greta (2015), « Ecofeminism and Climate Change », Women's Studies International Forum, 49, 20-33. DOI : 10.1016/j.wsif.2015.02.004 DOI : 10.1016/j.wsif.2015.02.004

Giacomini, Terran (2018), « The 2017 United Nations Climate Summit : Women Fighting for System Change and Building the Commons at COP23 in Bonn, Germany », Capitalism Nature Socialism, 29(1), 89-105. DOI : 10.1080/10455752.2018.1434217 DOI : 10.1080/10455752.2018.1434217

Gregoratti, Catia ; Raphael, Riya (2019), « The Historical Roots of a Feminist ‘Degrowth' : Maria Mies and Marilyn Waring's Critiques of Growth », in Ekaterina Chertkovskaya ; Alexander Paulsson ; Stefania Barca (orgs.), Towards a Political Economy of Degrowth. London : Rowman & Littlefield International, 83-98.

Grusin, Richard (2017), « Introduction. Anthropocene feminism : an experiment in collaborative theorizing », in Richard Grusin (org.), Anthropocene Feminism. Minneapolis, MN : University of Minnesota Press, vii-xix.

IPBES – Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (2019), « Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services ». Bonn : IPBES secretariat. Consulté le 01.07.2021, in : https://ipbes.net/global-assessment-report-biodiversity-ecosystem-services.

IPCC – Intergovernmental Panel on Climate Change (2019), Climate Change and Land : An IPCC Special Report on Climate Change, Desertification, « Land Degradation, Sustainable Land Management, Food Security, and Greenhouse Gas Fluxes in Terrestrial Ecosystems ». Consulté le 01.07.2021, in : https://www.ipcc.ch/srccl-report-download-page/.

Malm, Andreas ; Hornborg, Alf (2014), « The Geology of Mankind ? A Critique of the Anthropocene Narrative », The Anthropocene Review, 1(1), 62-69. DOI : 10.1177/2053019613516291 DOI : 10.1177/2053019613516291

Martínez-Alier, Joan (2002), The Environmentalism of the Poor : A Study of Ecological Conflicts DOI : 10.1016/j.soscij.2005.03.017

Mellor, Mary (1996), « Ecofeminism and Ecosocialism : Dilemmas of Essentialism and Materialism », in Ted Benton (org.), The Greening of Marxism. New York, NY : Guilford Publications, 251-267.

Merchant, Carolyn (1980), The Death of Nature : Women, Ecology, and the Scientific Revolution. London : Wildwood House. DOI : 10.1177/0921810698112008

Traduction en castillan : Merchant, Carolyn (2020), Muerte de la naturaleza. Mujeres, ecología y revolución científica. Albolote : Comares

Merchant, Carolyn (1996), Earthcare : Women and the Environment. London : Routledge. DOI : 10.1080/00139157.1981.9933143

Merchant, Carolyn (2005), Radical Ecology : The Search for a Livable World. London : Routledge. DOI : 10.4324/9780203084212

Merchant, Carolyn (2010), Ecological Revolutions : Nature, Gender, and Science in New England. Chapel Hill, NC : University of North Carolina Press.

Mies, Maria (1986), Patriarchy and Accumulation on a World Scale : Women in the International Division of Labour. London : Zed Books. DOI : 10.5040/9781350221703

Traduction en castillan : Mies, María (2019), Patriarcado y acumulación a escala mundial. Madrid : Traficantes de sueños

Moore, Jason W. (2015), Capitalism in the Web of Life : Ecology and the Accumulation of Capital. London : Verso.

Traduction en castillan : Moore, Jason W. (2020), El capitalismo en la trama de la vida. Ecología y acumulación de capital. Madrid : Traficantes de sueños.

Moore, Jason W. (2016), « Anthropocene or Capitalocene ? Nature, History, and the Crisis of Capitalism », in Jason W. Moore (org.), Anthropocene or Capitalocene ? Nature, History, and the Crisis of Capitalism. Oakland, CA : PM Press, 1-13.

Plumwood, Val (1993), Feminism and the Mastery of Nature. London : Routledge.

Pulido, Laura (2018), « Racism and the Anthropocene », in Gregg Mitman ; Marco Armiero ; Robert S. Emmett (orgs.), Future Remains : A Cabinet of Curiosities for the Anthropocene. Chicago, IL : The University of Chicago Press, 116-128.

Rocheleau, Diane ; Nirmal, Padini (2015), « Feminist Political Ecologies : Grounded, Networked and Rooted on Earth », in Rawwida Baksh ; Wendy Harcourt (orgs.), The Oxford Handbook of Transnational Feminist Movements. Oxford : Oxford University Press, 793-814.

Rockström, Johan ; Steffen, Will ; Noone, Kevin ; Persson, Åsa ; Chapin III, F. Stuart ; Lambin, Eric F. ; Lenton, Timothy M. ; Scheffer, Marten ; Folke, Carl ; Schellnhuber, Hans Joachim ; Nykvist, Björn ; de Wit, Cynthia A. ; Hughes, Terry ; van der Leeuw, Sander ; Rodhe, Henning ; Sörlin, Sverker ; Snyder, Peter K. ; Costanza, Robert ; Svedin, Uno ; Falkenmark, Malin ; Karlberg, Louise ; Corell, Robert W. ; Fabry, Victoria J. ; Hansen, James ; Walker, Brian ; Liverman, Diana ; Richardson, Katherine ; Crutzen, Paul ; Foley, Jonathan A. (2009), « A Safe Operating Space for Humanity », Nature, 461, 472-475. DOI : 10.1038/461472a DOI : 10.1038/461472a

Salleh, Ariel (2009), « Ecological Debt : Embodied Debt », in Ariel Salleh (org.), Eco-Sufficiency & Global Justice : Women Write Political Ecology. London : Pluto Press, 1-41.

Salleh, Ariel (2016), « The Anthropocene : Thinking in ‘Deep Geological Time' or Deep Libidinal Time ? », International Critical Thought, 6(3), 422-433. DOI : 10.1080/21598282.2016.1197784 DOI : 10.1080/21598282.2016.1197784

Salleh, Ariel (2017), Ecofeminism as Politics : Nature, Marx and the Postmodern. London : Zed Books [2.ª ed. ; ed. orig. 1997]. DOI : 10.5040/9781350219793

Spaargaren, Gert ; Mol, Arthur P. J. (1992), « Sociology, Environment, and Modernity : Ecological Modernization as a Theory of Social Change », Society & Natural Resources, 5(4), 323-344. DOI : 10.1080/08941929209380797 DOI : 10.1080/08941929209380797

Swyngedouw, Erik ; Ernstson, Henrik (2018), « Interrupting the Anthropo-obScene : Immuno-biopolitics and Depoliticizing Ontologies in the Anthropocene », Theory, Culture & Society, 35(6), 3-30. DOI : 10.1177/0263276418757314 DOI : 10.1177/0263276418757314

Temper, Leah ; Gilbertson, Tamra (orgs.) (2015), EJOLT report, 23. Consulté le 01.07.2021, in : http://www.ejolt.org/2015/09/refocusing-resistance-climate-justice-coping-coping-beyond-paris/.

Turner, Terisa E. ; Brownhill, Leigh S. (2004), « Why Women Are at War with Chevron : Nigerian Subsistence Struggles against the International Oil Industry », Journal of Asian and African Studies, 39(1-2), 63-93. DOI : 10.1177/0021909604048251 DOI : 10.1177/0021909604048251

Warlenius, Rikard (coord.) (2015), EJOLT report, 18. Consulté le 01.07.2021, in : http://www.ejolt.org/2015/01/concept-ecological-debt-value-environmental-justice/.

Notes

[1] Ce terme est utilisé ici dans son sens classique – appartenant à la sphère économique et du travail et aux rapports sociaux de (re)production – et non dans le sens qui lui est attribué par la littérature la plus récente du féminisme matérialiste – appartenant à la sphère ontologique.

[2] Cf. www.ejatlas.org. Consulté le 30 juin 2021.

[3] Nous avons choisi de traduire « master's house »(dans le texte original) par « casa-grande, en référence à la maison de maître rurale construite au Brésil par les colonisateurs portugais [NdT].

[4] Ama de casa, dans le texte original [NdT].

[5] Cf. par exemple le site web duMovimiento Mesoamericano contra el Modelo extractivista Minero : https://movimientom4.org/2016/01/la-vida-en-el-centro-y-el-crudo-bajo-tierra-el-yasuni-en-clave-feminista/. Consulté le 1er juillet 2021.

[6] C'est la vision adoptée en 2019 par le

Une compagnie canadienne de minage s’en prend à l’État colombien

11 mars 2024, par Mikaël Demers
Le collectif Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC), et plusieurs allié·es, dénonce l’immoralité et l’injustice de Aris Mining qui a entamé une poursuite de 700 (…)

Le collectif Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC), et plusieurs allié·es, dénonce l’immoralité et l’injustice de Aris Mining qui a entamé une poursuite de 700 millions $ US en 2016 contre l’État colombien. La raison de cette poursuite est que la compagnie canadienne accuse les (...)

Des livreurs et chauffeurs lancent le combat contre la « gig economy »

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/03/Uber-strike-USA-3029993408-1024x682.jpg11 mars 2024, par West Coast Committee
Le 14 février 2024, les travailleurs de la « gig economy » dans la livraison et le transport ont coordonné une grève globale à Vancouver, Winnipeg, Toronto, dans des dizaines (…)

Le 14 février 2024, les travailleurs de la « gig economy » dans la livraison et le transport ont coordonné une grève globale à Vancouver, Winnipeg, Toronto, dans des dizaines de grandes villes américaines, au Royaume-Uni et au Mexique, appelant les utilisateurs de services tels qu'Uber, Lyft (...)

Manifestation Ensemble pour Gaza et la Palestine ! le 23 mars à Montréal !

11 mars 2024, par Coalition du Québec Urgence Palestine — ,
Une rencontre d'organisations québécoises a eu lieu hier pour mettre en place une Coalition du Québec URGENCE Palestine. Ce sont à ce moment-ci 14 organisations qui ont décidé (…)

Une rencontre d'organisations québécoises a eu lieu hier pour mettre en place une Coalition du Québec URGENCE Palestine. Ce sont à ce moment-ci 14 organisations qui ont décidé de s'unir pour notamment appeler à une manifestation le samedi 23 mars, à compter de 13 h 30 à Montréal. Nous étions présents et avons participé à l'adoption d'un texte d'appel que vous retrouvez ci-dessous. Un comité de coordination fut mis en place qui se réunira dès cette semaine. La Coalition invite toutes les organisations intéressées et les personnalités publiques qui souscrivent à l'appel ci-dessous et à s'associer à la coalition et à la manifestation à écrire à urgencepalestine.qc@gmail.com
La rédaction

Ensemble pour la justice et la paix !

Depuis cinq mois, ce qu'Israël inflige à la population palestinienne de Gaza nous révolte et révolte une grande partie de la population québécoise : bombardements incessants ; 29 782 personnes tuées, 7 000 disparues sous les décombres, 70 043 blessées (en date du 26 février 2024) ; infrastructures civiles massivement détruites ; ambulances, personnels de santé et journalistes ciblés ; déplacements forcés de plus de 75 % de la population ; blocus plongeant toute la population dans des conditions d'insécurité alimentaire aigüe, voire de famine, et les privant d'eau potable, de médicaments et de carburant. En seulement trois mois, 10 000 enfants avaient déjà été tués à Gaza, soit 20 fois plus qu'en Ukraine en 18 mois (500). Et, selon des experts de l'ONU, il est « sans précédent qu'une population civile entière souffre de la faim aussi complètement et aussi rapidement ».

Le 26 janvier, la Cour internationale de Justice (CIJ) a statué qu'il était plausible qu'Israël commette des actes de génocide à Gaza. La CIJ a ordonné à Israël de prévenir de tels actes et de « permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire requis de toute urgence ». Mais depuis, la situation a empiré, et Israël s'apprête maintenant à assiéger la ville de Rafah, à l'extrême sud de la bande de Gaza et à forcer l'expulsion de 1,5 million de personnes qui y ont cherché un refuge ultime.

La position du Canada est honteuse Face à ces crimes, le Canada a exprimé des « préoccupations » pour le sort de la population civile, mais il continue d'invoquer le droit d'Israël de « se défendre » sans aucune condamnation d'Israël pour ses innombrables violations du droit international. Depuis octobre dernier, il a autorisé un montant record d'exportations militaires vers Israël. Au lendemain de la décision de la CIJ, il a annoncé qu'il suspend son financement à l'agence de l'ONU pour les réfugié·e·s palestiniens (UNRWA) dont dépendent deux millions de personnes pour leur survie. Les actions du Canada révèlent sa complicité dans l'assaut criminel d'Israël contre Gaza et l'hypocrisie de son discours.

Pour la vie, la justice et la paix Nous appelons la population québécoise à soutenir le droit à la vie du peuple palestinien en exigeant : • un cessez-le-feu immédiat et la libre circulation de l'aide humanitaire dans toute la bande de Gaza • l'arrêt des exportations militaires canadiennes, directes et indirectes, vers Israël • le rétablissement du financement canadien à l'UNRWA • la levée du blocus de la bande de Gaza par Israël Nous appelons aussi la population québécoise à exiger la fin de l'occupation militaire et de la colonisation israéliennes en Palestine qui durent depuis des décennies et qui sont le fondement de la crise actuelle.

Depuis 30 ans, les « processus de paix » bidon n'ont abouti qu'à plus de dépossession, de violence et d'humiliation à l'égard du peuple palestinien. Une solution juste et durable doit venir maintenant. Comme société civile québécoise, nous pouvons y contribuer en nous inscrivant, entre autres, dans le mouvement international de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Il n'est pas antisémite de défendre les droits du peuple palestinien !

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Luttes économiques. Incarner une meilleure solidarité

En quoi les enjeux LGBTQ+ rejoignent-ils ceux de la lutte des classes ? À bâbord ! a rencontré Élyse Bourbeau, syndicaliste et femme trans, pour en parler. Propos recueillis (…)

En quoi les enjeux LGBTQ+ rejoignent-ils ceux de la lutte des classes ? À bâbord ! a rencontré Élyse Bourbeau, syndicaliste et femme trans, pour en parler. Propos recueillis par Isabelle Bouchard et Alexis Ross

À bâbord ! : À quels enjeux économiques particuliers la communauté LGBTQ+ doit-elle faire face ?

Élyse Bourbeau : Les statistiques démontrent qu'il y a une précarité accrue dans la communauté. Des chiffres états-uniens (du Human Rights Campaign) font par exemple voir un écart de revenus entre la population générale et la communauté LGBTQ+. Cette différence négative de revenus n'est pas uniforme au sein de la communauté. Ainsi, les personnes LGBTQ+ prises globalement gagnent 10 % de moins que le revenus médian de la population générale, mais les hommes trans gagnent 30 % de moins, alors que le revenu des femmes trans est de 40 %. Donc encore aujourd'hui, malgré la prétendue égalité, la communauté LGBTQ+ vit encore de telles disparités.

Par ailleurs, l'organisme canadien Trans PULSE montrait qu'en 2011, 71 % des personnes trans avaient un diplôme collégial ou universitaire, mais que 50 % de ces diplomé·es gagnaient moins de 15 000 $ par année. Même si les personnes de la communauté sont souvent très éduquées, cela ne se reflète pas dans leurs conditions de vie.

La discrimination au travail a aussi des impacts matériels énormes. Par exemple, 28 % des personnes trans disaient avoir perdu (ou suspectaient d'avoir perdu) leur emploi parce qu'iels étaient trans.

La discrimination commence à l'embauche, et c'est majeur. Pas nécessairement une discrimination quant à l'orientation sexuelle, mais plutôt liée aux attentes de genre. Consciemment ou pas, il y a des attentes de présentation de genre : un homme parle comme ceci, une femme s'habille comme cela. Le moindrement qu'une personne n'a pas une présentation de genre « classique », ça peut nuire à son embauche.

Ensuite, la discrimination continue sur le milieu de travail après l'embauche : ces personnes peuvent être victimes de toutes sortes de remarques homophobes ou transphobes, de micro-agressions à tous les jours. C'est invivable, ça nuit à la santé mentale et ça peut forcer des démissions.

Enfin, il faut souligner que la communauté LGBTQ+ n'échappe pas à la reproduction des inégalités sociales en son sein même. Il y a des inégalités salariales entre hommes et femmes, comme il y a du racisme aussi dans la communauté. Je parle de la communauté, mais elle n'est pas uniforme. Les hommes gais blancs sont moins affectés par la discrimination qu'une femme trans noire ou non binaire. Ils ont ainsi plus de moyens et d'opportunités pour faire valoir leurs revendications. Cette situation nous nuit en nous divisant comme communauté !

ÀB ! : Comment les enjeux de santé s'entrecroisent-ils avec ceux de l'inégalité socio-économique ?

É. B. : La marginalisation crée des problèmes de santé. C'est clairement démontré que les gens de la communauté sont plus susceptibles d'avoir des troubles de santé mentale. Pas parce qu'être gai, lesbienne ou trans, c'est un problème de santé mentale, mais parce que ça entraine toutes sortes de discriminations, de conflits familiaux, ce qui cause de la dépression, de l'anxiété, etc. Ces problèmes, qui découlent des violences sociales, nuisent aussi économiquement.

À cela s'ajoutent les difficultés dans l'accès aux services de santé. Dans notre communauté, on appelle ça le « syndrome du bras cassé ». Une personne trans, par exemple, se casse le bras, va chez le médecin, mais le médecin panique et ne sait plus comment soigner une personne trans… alors qu'on lui demande juste de soigner un bras cassé !

Certains soins ont aussi des coûts élevés, notamment pour les personnes trans. Quand on entame une transition, certaines choses sont couvertes par la RAMQ, mais d'autres, non. Le poids financier étant énorme, certaines personnes trans doivent parfois cumuler deux, trois emplois, ou encore se tournent vers le travail du sexe pour couvrir ces frais.

ÀB ! : Comment, donc, penser la rencontre des luttes LGBTQ+ et économiques ?

É. B. : Dans un cas comme dans l'autre, on s'oppose aux mêmes forces qui misent sur les mêmes inégalités et les mêmes dominations pour leur profit. On est plongé·es dans le même système de pouvoir. Ce ne sont pas nécessairement les mêmes personnes qui profitent des inégalités économiques et de genre, évidemment. Mais les mécanismes et les leviers de pouvoir sont similaires.

Et tous ces discours sont portés par les mêmes personnes, par la droite. Je réfère à des discours homophobes, notamment, mais aussi à des discours mensongers qui favorisent la croissance économique à tout prix. Globalement, ces discours dominants, mis ensemble, vont avantager le statu quo, l'immobilisme et favoriser la classe dominante.

Il faut se demander pourquoi ces forces réussissent à perpétuer de tels systèmes de domination et de privilège. Mon hypothèse, c'est que la plupart des gens ont une vision partielle de ce que sont les leviers de pouvoir sur lesquels on peut agir. Cette vision partielle conduit les groupes de défense des droits à développer des actions très segmentées : chaque groupe s'occupe des droits des personnes visées par son organisation ; ce sont des petites cases. Cette façon de faire est nuisible, parce que la segmentation des luttes divise les forces de gauche et nous empêche de nous opposer au système de domination lui-même.

Les syndicats n'échappent pas à cette habitude. Les enjeux sociopolitiques peuvent tendre à être loin dans la liste de priorité derrière les relations de travail et les questions salariales. Il n'est pas rare d'entendre des membres des syndicats se demander pourquoi leur syndicat s'occuperait d'environnement ou de défense des droits LGBTQ+.

C'est ce qui arrive quand on manque de connaissance sur les leviers de pouvoir. Si on montrait que les sources de nos problèmes sont communes et que les solutions peuvent être communes aussi, on arriverait peut-être à mieux vaincre les inégalités et à incarner une meilleure solidarité.

ÀB ! : Est-ce que les enjeux LGBTQ+ sont suffisamment intégrés par les mouvements pour la justice sociale, par exemple les groupes communautaires et les syndicats ?

É. B. : Je ne sais pas si tous les organismes de défense de droits intègrent tous les enjeux LBGTQ+, mais il me semble que c'est important que ces organismes développent des liens avec la communauté LGBTQ+ pour être au courant de ses problématiques propres et éviter les angles morts. C'est important que les gens de différents milieux se parlent pour mieux comprendre la situation de chacun·e. Il faut mettre beaucoup d'efforts sur l'éducation, je ne le répéterai jamais assez. À ce titre, les syndicats peuvent jouer un rôle très important comme vecteur d'éducation auprès de la population.

On ne réalise pas assez le rôle qu'ont eu les syndicats dans la défense des droits LGBTQ+. Les mentalités n'ont pas évolué toutes seules depuis 50 ans, il y a eu des luttes ! Par exemple, dans les années 1970-80, quand les organismes communautaires étaient pris avec des urgences épouvantables comme la crise du sida et la violence, les syndicats, eux, ont beaucoup combattu pour l'accès au mariage pour les personnes de même sexe. Et ce n'était pas simplement une question de faire reconnaître l'amour ! Les syndicats voulaient que les conjoint·es puissent être couvert·es par les assurances collectives notamment.

Avec leur argent, leur expertise juridique, leur pouvoir de mobilisation, leur visibilité, leur poids politique, les syndicats étaient et sont toujours bien placés pour mener ce genre de luttes. C'est ça le rôle d'un syndicat. Si le réseau syndical se désengage de ces enjeux socio-politiques, le mouvement va reculer, j'en suis convaincue.

La contribution des syndicats à la défense des droits de la communauté LGBTQ+ ne doit pas s'arrêter. Ils doivent être à l'avant-garde des enjeux LGBTQ+, par exemple pour s'assurer que les milieux de travail soient aptes à accueillir et soutenir les personnes de la communauté, notamment trans et non binaires. Ça peut être de lutter contre la discrimination et le harcèlement, d'obtenir des toilettes non genrées, d'offrir des congés et des assurances pour les personnes qui font une transition, etc.

On arrive à un point tournant où on va voir de plus en plus de gens rompre avec les normes de genre, ça dérange des gens et ça va continuer à déranger. On assiste à une remontée des valeurs conservatrices. Les syndicats doivent utiliser leur pouvoir pour faire un contrepoids à ça, parce que les organismes LGBTQ+ n'y arriveront pas tous seuls. Il faut être des allié·es.

Élyse Bourbeau est enseignante de mathématiques au secondaire. Elle est troisième vice-présidente à l'Alliance des professeurs de Montréal, où elle s'occupe notamment du dossier LGBTQ+.

Photo : Marine CC

Les mondes de l’esclavage

11 mars 2024, par Ollivier Hubert — , , ,
Paulin Ismard, Les mondes de l'esclavage. Une histoire comparée, Seuil, 2021, 1168 pages. Ce livre pèse : il fait près de 2 kg et procure un poids de connaissances (…)

Paulin Ismard, Les mondes de l'esclavage. Une histoire comparée, Seuil, 2021, 1168 pages.

Ce livre pèse : il fait près de 2 kg et procure un poids de connaissances considérable dans un domaine où le·la lecteur·rice francophone était mal pourvu·e. Les mondes de l'esclavage relève avec brio le pari fou de proposer une synthèse accessible de la somme importante des recherches universitaires sur l'histoire de l'esclavage depuis le paléolithique. Il se présente sous la forme d'une encyclopédie composée d'une centaine d'entrées ayant été confiées à une équipe internationale de 72 autrices et auteurs.

La première partie présente la grande diversité géohistorique des sociétés ayant connu un mode ou un autre d'exploitation extrême : esclavages antiques ou contemporains, esclavages sur toutes les mers et tous les océans. La preuve de l'universalité historique du phénomène est massive. Une entrée est consacrée aux « esclavages canadiens », confiée au spécialiste Brett Rushforth. Celui-ci décrit comment les procédés d'asservissement autochtones, français et britanniques s'entrelaceront chez nous pour former un modèle singulier. La seconde partie alimente des réflexions fondamentales. Elle adopte une approche thématique qui permet de comprendre ce qu'est l'esclavage dans la très grande diversité de ses manifestations comme dans la régularité de certains de ses traits. Les entrées rédigées par l'historienne Cécile Vidal (« culture », « justice », « maîtres », « mort », « résistance », « révoltes », « traites », « ville » et « violence » ) sont des bijoux d'érudition et d'acuité. La troisième et dernière partie de cette somme réintroduit l'esclavage dans l'histoire des systèmes esclavagistes. On y comprend par exemple pourquoi il est spécieux d'écrire une histoire du capitalisme qui ne pose pas l'esclavage au cœur de l'interprétation.

Quelques grands problèmes traversent l'ouvrage. Le premier concerne la définition de la notion d'« esclavagisme » . L'équipe éditoriale a privilégié une acception souple autour de critères juridiques (un humain détient sur un autre un droit de propriété), économique (le travail forcé), anthropologique (le contrôle du corps), politique (la violence) et social (la dénégation de dignité et l'exclusion de la parenté). Autre problème, soulevé par l'historien sud-africain Joel Quirk dans un texte consacré aux formes contemporaines d'esclavage (trafic d'êtres humains, travail forcé, esclavage sexuel, reproduction extralégale d'exploitations traditionnelles, etc.) : le danger politique de faire de l'esclavage transatlantique l'archétype de l'esclavage. En effet, par ce procédé, certains abus insoutenables sont donnés pour acceptables dès lors qu'ils ne correspondent pas au modèle des plantations.

L'épilogue signé par l'intellectuelle franco-camerounaise Léonora Miano est puissant. Elle s'y emploie à désamorcer l'usage abject qui pourrait être fait du caractère planétaire et immémorial de l'esclavagisme. L'argument qui consiste à en tirer une raison pour se dédouaner de toute forme de responsabilité vient en effet très vite à l'esprit des nationalistes européen·nes et eurodescendant·es. Pourtant, le livre permet de dégager très nettement la spécificité essentielle de l'esclavage colonial perpétré par les Européens. Il a été fondé à travers la construction d'un imaginaire racialiste et raciste qui s'est mondialisé à travers l'impérialisme. Pour sortir du racisme, il est donc urgent de comprendre qu'il est le produit d'une forme particulière d'esclavagisme à l'intérieur de la triste histoire de la domination humaine. Nous sommes les héritier·ères de cette idéologie. C'est la raison pour laquelle la lecture de ce travail monumental sera particulièrement utile dans une société au passé esclavagiste dont le premier ministre a pu déclarer benoîtement, dans la foulée de l'assassinat de George Floyd, que sa province n'avait « pas vécu l'esclavage ». Un négationnisme coupable qui est à lui seul la preuve d'un racisme systémique québécois.

La parole sorcière

Eve Martin Jalbert, La parole sorcière, Éditions de la rue Dorion, 2022, 251 pages. Eve Martin Jalbert signe une rafraîchissante proposition sur la sorcellerie en (…)

Eve Martin Jalbert, La parole sorcière, Éditions de la rue Dorion, 2022, 251 pages.

Eve Martin Jalbert signe une rafraîchissante proposition sur la sorcellerie en littérature. Plus que de la figure de la sorcière, c'est de la parole sorcière dont il est ici question, dans une perspective foncièrement holistique. Jalbert s'aventure plus loin que ses contemporaines essayistes en accordant, au final, peu d'importance à la sorcière comme personne, et encore moins à la version féminine essentialiste de celle-ci. L'auteurice préfère se pencher sur l'éthos, les discours et les gestes derrière cette populaire icône féministe. Iel dépeint très simplement la parole sorcière comme ce qui libère, ce qui émancipe, ce qui crée barrage à la domination et, intimement, à la honte. Jalbert clame que nous gagnerions collectivement à rendre nos vies beaucoup plus réceptives à la parole sorcière et, pour nous y persuader, iel y va d'une démonstration littéraire.

À travers moult exemples puisés dans une variété d'œuvres - surtout de fiction - dans lesquelles les personnages ont repris leur « pouvoir en-dedans » pour faire preuve de « pouvoir-avec » et de « pouvoir-sur », on saisit à quel point la parole sorcière est synonyme de résistance. Autant la fresque littéraire qu'iel brosse est pertinente, autant elle déborde. Il y a beaucoup d'œuvres mentionnées, trop, selon moi, peut-être parce que la littérature mondiale regorge justement de situations de reprise de pouvoir par les opprimé·es. Si certaines œuvres sont récurrentes (je me suis d'ailleurs délectée des références à L'Euguélionne de Louky Bersianik, qui demeure un roman sous-étudié pour l'importance symbolique qu'il revêt), d'autres ne sont mentionnées qu'une seule fois. Je me demande quelle est la fonction de ce cumul ou plutôt, en sous-texte, qui est le public cible ? J'avais parfois l'impression qu'iel s'adressait seulement aux littéraires et/ou prêchait pour des convaincu·es.

Cela dit, la déclaration d'amour que ce livre contient me porte encore après sa lecture. Ode à la vie, ode à la joie, ode au temps passé ensemble, ode à la profondeur des choses. Devant l'échec des actions entreprises pour contrer la crise climatique en cours, je me dis que la clé est sans doute du côté des déclinaisons non monnayables de la parole sorcière. Et ce n'est pas tout. En donnant autant d'importance à des œuvres fictionnelles, Jalbert fait aussi une ode à l'imagination, à ce que nous possédons en nous pour imaginer du mieux encore. Il faut aimer les gens et les choses et ce n'est pas – du moins strictement – à coup de publications de rapports scientifiques que nous parviendrons à changer nos modes de vie pour une plus grande viabilité écologique.

Ce qui nous lie

Sol Zanetti (dir.), Ce qui nous lie, Écosociété, 2021, 136 pages. L'écologie politique n'occupe pas encore une place clairement définie à l'intérieur du champ politique (…)

Sol Zanetti (dir.), Ce qui nous lie, Écosociété, 2021, 136 pages.

L'écologie politique n'occupe pas encore une place clairement définie à l'intérieur du champ politique québécois. Voilà donc un essai-manifeste bienvenu, dirigé par Sol Zanetti, qui offre des arguments polyvalents au discours souverainiste de gauche : l'indépendance pour lutter contre la crise climatique, pour défaire l'État pétrolier et ce, dans un langage près de l'écosocialisme. Le titre Ce qui nous lie a donc de prime abord un double sens : celui du rapport des auteur·rices au territoire, à sa biodiversité et à ses mythologies d'un côté, et puis leur engagement commun à l'intérieur d'un parti politique – Québec solidaire – pour la défense de ces causes politiques.

Accompagné d'un avant-propos de Natasha Kanapé Fontaine, l'ouvrage est divisé en onze chapitres, tous rédigés par les dix député·es de Québec Solidaire à l'exception d'un seul – celui de Michaël Ottereyes. On peut donc y voir le produit de « l'aile parlementaire » du parti. Chaque chapitre offre une perspective complémentaire sur le projet de souveraineté, dénué de son nationalisme habituel. Ici, la souveraineté populaire prend le pas sur celle de la nation, et pour cause : un pays n'adviendra que sur la base d'une alliance avec les Premiers Peuples, dans une perspective écologique. Natasha Kanapé Fontaine donne à ce projet le nom d'innu tipenitamun, être maître de soi en relation avec le territoire. Pourtant, le réflexe nationaliste n'est jamais bien loin, et certaines sections laissent présager, au contraire, le ressac du fameux « maître chez nous » . En effet, à force de marteler que l'architecture canadienne est un frein à toute écologie politique et que la souveraineté en est le seul remède, le texte occulte ce qu'il y a de colonial à l'intérieur même du Québec, et qui subsisterait après la sécession. Les politicien·nes camouflent cette critique derrière l'argument phare du livre : la tenue d'une assemblée constituante (pp. 25, 48, 76, 88, 109, 121). Un chapitre consacré à ce sujet aurait été un atout, plutôt que le choix de l'évoquer de manière incantatoire. Quelle forme prendrait cette Constituante ? Serait-elle révolutionnaire, c'est-à-dire menée par le peuple uniquement, ou avant-gardiste, et donc orientée par un parti pour accoucher d'un certain régime ? Certains chapitres, notamment ceux d'Émilise Lessard-Therrien ou de Vincent Marissal, pointent vers cette seconde voie.

Un troisième sens peut se dégager du titre : ce qui nous lie aux peuples autochtones. Il convient maintenant de se demander qui seront les parlementaires de Québec solidaire après les élections de 2022 : les mêmes qui ont voté pour le projet de loi 96 de la CAQ – et donc contre les droits culturels des Premiers Peuples, ou ceux et celles que l'on retrouve dans cet ouvrage collectif ? Autrement dit – et c'est là tout l'enjeu du manifeste –, comment passer du champ intellectuel au champ politique en ce qui concerne l'écologie au Québec ?

Traitements-chocs et tartelettes

Josiane Cossette et Julien Simard (dir.), Traitements-chocs et tartelettes. Bilan critique de la gestion de la Covid-19 au Québec, Somme toute, 2022, 296 pages. L'ouvrage (…)

Josiane Cossette et Julien Simard (dir.), Traitements-chocs et tartelettes. Bilan critique de la gestion de la Covid-19 au Québec, Somme toute, 2022, 296 pages.

L'ouvrage collectif Traitements-chocs et tartelettes est un incontournable si on souhaite prendre la pleine mesure du merdier politique covidien dans lequel nous stagnons depuis plus de deux ans.

L'ouvrage va à l'encontre des publicités triomphalistes de la CAQ – qui nous martèlent que le gouvernement caquiste a l'une des meilleures feuilles de route au monde en ce qui a trait à la gestion de la pandémie – en dressant un bilan sans complaisance de la gestion politique de cette crise sanitaire sans précédent. Un tour d'horizon exhaustif des décisions gouvernementales est réalisé.

On y analyse les impacts du virus et de sa gestion sur les groupes marginalisés, qui ont souvent été ignorés et négligés, parfois de façon volontaire, par Legault et sa bande. On nous rappelle l'entêtement de la santé publique à ne pas prendre en compte les données scientifiques dans ses avis, entre autres sur l'importance de la qualité de l'air, la transmission par aérosols et l'utilité du masque. L'opacité de l'information transmise par le gouvernement lors des différentes vagues est décortiquée. Le chapitre de Violaine Cousineau sur la COVID longue et l'invisibilité des personnes qui en sont atteintes m'a particulièrement marquée, faisant état d'un grave angle mort. Est-ce que cet angle mort existerait si plus d'hommes en étaient atteints, car ce sont majoritairement des femmes qui subissent la COVID longue ? Poser la question, c'est y répondre…

Bien sûr, Traitements-chocs et tartelettes ne pouvait omettre de parler du manque d'indépendance de la Santé publique, particulièrement de son ancien directeur, Horacio Arruda. Avec le nouvel épisode qui s'ajoute à la feuille de route de ce dernier (le dossier de l'arsenic à Rouyn-Noranda et le fait qu'il est personnellement intervenu afin que des données soient omises dans un rapport de la Santé publique régionale à ce sujet en 2019), on réalise que le personnage est louche depuis un certain temps déjà. On est encore plus navré de voir qu'il a été aux commandes aussi longtemps, dans le cadre d'une crise de santé publique jamais vue.

Au fil du temps, les autrices et auteurs nous rappellent tristement que la gestion caquiste en était une populiste : un « contrat moral » pour se réunir en famille à Noël, et autoritaire, non basé sur la situation épidémiologique. Ce gouvernement a refusé d'impliquer des spécialistes reconnu·es dans sa cellule de crise, les directeur·rices régionaux·ales de santé publique sont bien souvent tenu·es à l'écart et apprennent les décisions politiques par les médias, il a fallu que les organisations syndicales se tournent vers la Commission des normes de l'équité de la santé et de la sécurité au travail pour que les masques N-95 soient fournis dans le milieu de la santé. Les journalistes et les citoyen·nes qui montrent les failles dans la gestion de la crise sont traité·es comme des empêcheur·euses de tourner en rond.

Concernant les décisions populistes et non basées sur la science, il est trop facile de se rabattre sur « un présumé manque de connaissances scientifiques, sur le caractère “imprévisible” de la pandémie, sur des ressources “inadéquates” [ou] sur les gouvernements précédents », comme l'écrit Julien Simard, codirecteur de l'ouvrage. Au contraire, Simard et al. montrent qu'à plusieurs moments charnières, l'information et les ressources étaient bel et bien disponibles, mais que Legault et sa bande ont plutôt choisi la voie de la gestion paternaliste avec les confinements, déconfinements, couvre-feux inutiles et approche répressive payante pour les services de police municipaux.

Cet ouvrage nous permet de sortir de la fiction racontée par la CAQ sur sa gestion de la pandémie. Mais lire le démantèlement de cette fiction page après page donne froid dans le dos. De quoi seront faites les prochaines années avec de telles personnes au pouvoir ?

Gaza : stop aux livraisons d’armes ! Stop au génocide !

10 mars 2024, par Jean-Luc Mélenchon — , , ,
9 mars 2024 Jean-Luc Mélenchon est intervenu lors de la manifestation pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza à Paris le 9 mars 2024. Il exprime sa profonde solidarité pour (…)

9 mars 2024
Jean-Luc Mélenchon est intervenu lors de la manifestation pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza à Paris le 9 mars 2024.

Il exprime sa profonde solidarité pour les victimes du massacre à Gaza. Les manifestants présents à Paris représentent non seulement le peuple français, mais aussi l'Humanité toute entière. Ce peuple se tient aux côtés de ses soeur et frères victimes de barbarie.

Il exprime sa gratitude envers les associations et les personnalités qui appellent à la mobilisation contre ces atrocités, malgré les tentatives d'intimidation par des accusations infondées, notamment d'antisémitisme. Il salue également le courage de Rima Hassan de s'engager politiquement et publiquement pour poursuivre son combat.

Face au risque imminent d'un massacre total à Gaza, après les annonces de Netanyahu, il appelle à l'action immédiate pour empêcher cette tragédie. Les États-Unis et l'Union européenne ont le pouvoir de stopper ces violences en cessant d'envoyer des armes à Israël et en imposant des sanctions économiques.

Il en appelle aux travailleurs et aux syndicats pour qu'ils refusent de participer à l'armement, appelant à un boycott de l'armement destiné à Israël. Il demande également aux intellectuels de tous bords politiques de protester contre ces atrocités.

Enfin, il rend hommage à tous ceux qui luttent pour la justice et la dignité humaine. Il affirme sa fierté d'être aux côtés de ceux qui engagent le combat pour la reconnaissance des droits fondamentaux de tous les êtres humains.

La Journée internationale des femmes 2024 célébrée dans le monde entier par des rassemblements

10 mars 2024, par Global News — ,
« Aujourd'hui, c'est la Journée internationale des femmes et c'est une célébration pour les femmes qui prennent leurs droits. Mais nous sommes ici aujourd'hui pour soutenir les (…)

« Aujourd'hui, c'est la Journée internationale des femmes et c'est une célébration pour les femmes qui prennent leurs droits. Mais nous sommes ici aujourd'hui pour soutenir les femmes palestiniennes, car elles sont maintenant en guerre, vivant la guerre, la violence et la douleur. Nous insistons sur le fait que nous ne célébrerons pas si les femmes palestiniennes ne prennent pas leurs droits », a déclaré une manifestante au Liban, faisant référence aux femmes de Gaza dans le contexte du conflit entre Israël et le Hamas.

Les manifestants du monde entier ont protesté pour l'égalité et les droits des femmes, et ont célébré les libertés dont elles jouissent.

Pour plus d'informations, rendez-vous sur https://globalnews.ca

Haïti : les femmes toujours les premières victimes du pouvoir politique

9 mars 2024, par Rébecca Decejour
Appeler les femmes « le sexe faible » est une diffamation, c’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux (…)

Appeler les femmes « le sexe faible » est une diffamation, c’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes. Mohandas Gandhi, 1969. Dans la crise haïtienne actuelle, les femmes sont les premières victimes. Selon la (...)

Gagner le monde Sur quelques héritages féministes

9 mars 2024, par Éditions du Remue-Ménage, Zahra Ali — ,
Des luttes passées aux luttes actuelles, comment faire du féminisme une onde de choc mondiale ? À rebours d'une histoire du mouvement pensé en « vagues », qui laisse dans (…)

Des luttes passées aux luttes actuelles, comment faire du féminisme une onde de choc mondiale ? À rebours d'une histoire du mouvement pensé en « vagues », qui laisse dans l'ombre les féminismes non occidentaux, les militantes et penseuses de renom rassemblées ici proposent des pistes de résistance radicale aux oppressions. En écrivant depuis, ou en dialogue avec les féminismes du Sud global, elles créent des outils tant conceptuels que matériels pour penser et expérimenter la solidarité internationale, attentives aux contextes locaux et aux vécus singuliers.

Il devient alors possible de bâtir un langage commun et des formes d'organisation qui traversent le temps et les frontières. Elles nous rappellent que le féminisme contemporain ne s'adresse pas qu'aux femmes, mais vise, selon les mots de Silvia Federici, « une lutte plus globale pour la libération humaine et la régénération de la nature ».

Avec des textes originaux de

Zahra Ali, Rama Salla Dieng, Silvia Federici, Verónica Gago, Lola Olufemi, Djamila Ribeiro, Sayak Valencia et Françoise Vergès.

« J'appelle donc à une intifada féministe qui réimagine le temps et l'espace de nos luttes en cessant de prendre la modernité capitaliste comme cadre de référence et en développant une géographie militante qui refuse les frontières nationales et réinvente le proche et le lointain. »Zahra Ali

GAGNER LE MONDE | Zahra Ali

En librairie le 5 mars 2024

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Guerre-paix : perspective en clair-obscur

9 mars 2024, par Revue Relations — ,
Au-devant de l'actualité ou reléguées dans l'ombre, les guerres semblent se réinventer constamment, nous imposant de réfléchir tant à leur nature qu'aux voies d'émergence de la (…)

Au-devant de l'actualité ou reléguées dans l'ombre, les guerres semblent se réinventer constamment, nous imposant de réfléchir tant à leur nature qu'aux voies d'émergence de la paix. Guerre et paix se présentent d'ailleurs souvent de manière dichotomique : d'un côté, la paix en tant qu'absence totale de violence ; de l'autre, la guerre en tant que déchaînement de violences extrêmes. Pourtant, la réalité est plus complexe ; la guerre se prépare toujours, ne serait-ce que par ses représentations, et la paix dissimule souvent les effets persistants de la violence guerrière. Comment peut-on, à l'aune notamment des expériences militantes et d'éducation à la paix, creuser le sens de la guerre, tout en s'interrogeant sur les conditions d'une paix véritable ?

Guerre-paix : perspective en clair-obscur 📖
Myriam Cloutier

La guerre au-delà du portrait formel-institutionnel
Martin Hébert

Regard féministe sur la guerre et la sécurité
Anne-Marie D'Aoust

De l'urgence de nous
reconnecter à notre humanité
Table ronde avec Martine Eloy et André Jacob

Une guerre qui ne dit pas son nom
Filippo Furri

Peut-on encore rêver de paix ?
Carl Bouchard

Raviver le mouvement antiguerre québécois
Martin Forgues

Cultiver la paix dans un monde bouleversé
Nancy Labonté

Artiste invité : Jean-Marc Nahas 📖

À découvrir aussi

Édito
Classes à part 📖
Julie Perreault

Débat
ChatGPT : s'indigne-t-on pour les bonnes raisons ? 📖
Eric Martin, Sébastien Mussi, Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau

Ailleurs
Grèce : la fin d'un cycle
Panagiotis Sotiris

Grand entretien avec Raymond Lemieux
Du périphérique au fondamental : comment faire face à l'incertitude

La Série sur les domaines émergents du droit
Une approche holistique de la justice migrante
Harrold Babon, Mylène Barrière et Emin Youssef

Religion et société
Le feu prophétique de Cornel West
Mathieu Burelle

Et retrouvez : le Carnet de Nathalie Plaat, la chronique poétique de Emné Nasereddine, ainsi que la rubrique Aux frontières par Jean-Lou David

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Journée internationale des femmes

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/03/march8fr-1.jpg8 mars 2024, par L'Étoile du Nord
L’article Journée internationale des femmes est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

L’article Journée internationale des femmes est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

Élections aux États-Unis : l’impossible choix des mouvements sociaux

8 mars 2024, par Nina Morin
Nina Morin Un vent de protestation soulève les primaires démocrates, alors que plus de 350 000 personnes ont voté « uncommitted », à travers les États où l’option existe. Cette (…)

Nina Morin Un vent de protestation soulève les primaires démocrates, alors que plus de 350 000 personnes ont voté « uncommitted », à travers les États où l’option existe. Cette manifestation illustre le mécontentement contre Joe Biden qui prend de l’ampleur au sein des mouvements sociaux, à (...)

La Jineologîe : repenser la rupture entre les sexes pour construire la liberté humaine

8 mars 2024, par Célia Sales
Celia Sales La Jineologîe est un mouvement de pensée qui s’inspire des mouvements de libération kurdes. Leur détermination a provoqué une dynamique unique parmi les mouvements (…)

Celia Sales La Jineologîe est un mouvement de pensée qui s’inspire des mouvements de libération kurdes. Leur détermination a provoqué une dynamique unique parmi les mouvements féministes. En adoptant un point de vue anticolonial et anticapitaliste, cette théorie met en avant la liberté des (...)

« Rien ne s’améliore pour les élèves »

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/02/411507762_10168925112310724_7210583015516676634_n-1-1024x576.png7 mars 2024, par Comité de Montreal
Il y a maintenant un mois que les syndicats affiliés à la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) se sont prononcés sur leur entente de principe. Les votes ont été très (…)

Il y a maintenant un mois que les syndicats affiliés à la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) se sont prononcés sur leur entente de principe. Les votes ont été très serrés, mais l'entente a été adoptée à majorité par les membres de la FAE. Les enseignants, de retour à l'école, sont (...)

Québec solidaire doit s’opposer à la filière batteries défendue par le gouvernement Legault

6 mars 2024, par Bernard Rioux — ,
Le 29 septembre 2022, le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau Dubois, prenait la parole devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Il identifiait deux (…)

Le 29 septembre 2022, le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau Dubois, prenait la parole devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Il identifiait deux secteurs clés de la transition écologique : la biomasse forestière résiduelle et la filière batterie. Pour ce qui est de ce dernier secteur, il promettait un investissement de 1,5 milliard $ dans un premier mandat d'un gouvernement de Québec solidaire. « Dans le contexte de l'électrification des transports, la production de batteries est au cœur de la solution ». [1]

Ce ralliement à la filière batterie était bien rapide et fort léger. Produire des batteries pour tenir compte du caractère intermittent des énergies éoliennes ou solaires est une chose. . Mais lorsque cette dernière a été présentée par les gouvernements du Canada et du Québec, comme un moyen essentiel pour replacer le Canada et le Québec dans la relance du secteur automobile, c'en est une autre. Donner la priorité à l'électrification des transports en commun et compter pour ce faire sur la production de trains, de tramways ou autres trolleybus, c'est comprendre, que l'électrification des transports publics ne passe pas d'abord par la production de batteries, mais par de tout autres technologies. Le transport de marchandises pourrait se faire par la généralisation du ferroutage qui ne repose en rien sur la filière batteries. L'électrification des transports (et même le développement d'une filière batteries) peut être confié à des entreprises publiques pour satisfaire les besoins identifiés démocratiquement sans que cela débouche sur la mainmise de grandes multinationales sur l'économie du Québec.

La filière batteries du gouvernement Legault, un projet extractiviste, productiviste, et antiécologique

L'électrification des transports mis de l'avant par le gouvernement Legault passe essentiellement par la transformation du parc automobile caractérisé par les voitures thermiques à un parc automobile de voitures dont la motorisation serait électrifiée.

Cette politique accompagne le tournant des grands de l'automobile (américains, européens ou japonais) vers la production de voitures électriques et s'inscrit dans le cadre d'une compétition avec les entreprises chinoises en ce qui concerne tant l'exploitation et le contrôle des minerais stratégiques que la production de voitures électriques. La production chinoise de voitures électriques, petites et peu coûteuses, représente pour les entreprises de l'automobile un danger important. Ce tournant va d'ailleurs signifier qu'une partie importante du parc des voitures thermiques risque d'être exportée vers les pays du Sud et nous faire entrer dans une période où le parc automobile sera encore plus gigantesque au niveau planétaire.

Cela est d'autant plus catastrophique, que la voiture électrique n'est pas écologique. [2] Sa production est plus polluante. Elle mobilise plus de minéraux (acier, cuivre, lithium…) et va créer les conditions d'un extractivisme exacerbé qui va causer d'énormes pollutions minières.

Et la nature de ce parc automobile est laissée aux choix des grandes entreprises de ce secteur. C'est ainsi qu'on voit une électrification de grosses voitures, lourdes, gourmandes en énergie, qui nécessitera la production de batteries imposantes. Ces grosses voitures électriques mobilisent encore plus de métaux que les voitures thermiques. Ces voitures embarquent une technologie numérique imposante non seulement pour une conduite assistée, mais pour faire de ces voitures des lieux d'utilisation de toutes les technologies offertes par les GAFAM. Ces entreprises du numérique sont d'ailleurs en train de mettre au point un nouveau champ de voitures électriques, celle des voitures sans conducteur.

Sans compter qu'une mobilité qui continue de reposer sur l'autoélectrique est antiécologique surtout si on considère tous les investissements que ce type de mobilité implique dans les infrastructures routières, dans l'augmentation de l'exploitation des richesses minières, et en termes de notre dépendance face aux choix des multinationales de l'automobile,

Un projet de classe favorisant l'accumulation du capital et qui repose sur un aveuglement face aux limites planétaires

La production de ces batteries est confiée à de grandes entreprises multinationales que les gouvernements Legault (et Trudeau) subventionnent grassement, pour les attirer au pays. [3] Le gouvernement Legault ne se contente pas seulement de les arroser de milliards de dollars, mais on leur promet de leur fournir de l'énergie à très faible coût pour leur permettre de rentabiliser leurs investissements. Legault soutient le développement des énergies éoliennes et prévoit la construction de grands barrages hydroélectriques. Plus grave encore, le ministre Fitzgibbon s'attaque au monopole d'Hydro-Québec sur la production d'énergie. Il prépare une loi qui permettrait la production privée de l'énergie pour répondre aux besoins de ces entreprises. Plus, déjà, Michael Sabia, le président d'Hydro-Québec, est en train de préparer le terrain pour une relance de la production de l'énergie nucléaire…

Pour répondre aux besoins des entreprises de la filière batteries, nous avons vu une course des entreprises minières et des spéculateurs pour se donner des droits d'exploration minière (les claims)s dans nombre de régions du Québec. [4] Cela s'est fait sans respect des terres agricoles, des régions touristiques et sans respecter les normes environnementales. La loi des Mines accorde la préséance aux volontés d'exploration des minières sur les plans d'aménagement des villes et des MRC. C'est un pillage des ressources minières du Québec avec toutes les conséquences environnementales désastreuses qui en découleront qui se prépare. Et cela avec l'aveuglement volontaire du gouvernement du Québec et de son ministère de l'Environnement qui se donne mission d'accompagner les entreprises dans la construction de l'acceptabilité sociale de leur prédation. C'est ainsi que ce ministère accorde des passe-droits à des dizaines d'entreprises et leur permet de ne pas se soumettre aux normes environnementales au détriment de la santé de la population.

La façon dont le gouvernement de la CAQ a voulu tout bousculer pour imposer le projet de Northvolt est exemplaire à cet égard. Cette entreprise, l'investissement privé le plus important dans l'histoire du Québec selon le premier ministre, a été d'emblée exemptée d'une analyse du BAPE. Les informations au sujet des impacts environnementaux de cette entreprise sont livrées au compte-gouttes dans des textes caviardés. Les journalistes qui posent des questions essentielles sur le sujet sont attaqués par le ministre Fitzgibbon. [5]

Dans le modèle de croissance verte du gouvernement Legault, il n'y a aucune mesure visant la diminution de l'exploitation des ressources minières et une réduction des dépenses en énergie. Il n'y pas de politique de réelle protection de l'environnement. Au contraire, c'est la course à la croissance, à la production de toujours plus d'énergie, à l'exploitation de toujours plus de minerais stratégiques. Il s'agit de faire du Québec une zone d'investissement profitable pour les entreprises multinationales. Le message du ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie est clair : venez au Québec, vous allez pouvoir gagner de l'argent, beaucoup d'argent. Nous allons créer, pour vous, les conditions d'un taux de profit inespéré. Les mesures environnementales ne vous gêneront pas, on s'en occupe. Voilà le modèle de développement que veut nous imposer le gouvernement de la CAQ.

Québec solidaire doit rejeter le modèle extractiviste et productiviste que veut nous imposer la CAQ.

Jusqu'ici, Québec solidaire n'a pas voulu s'attaquer frontalement au modèle économique que veut nous imposer le gouvernement Legault. Québec solidaire s'est contenté d'exiger plus de transparence. Il exige une évaluation environnementale sur le projet Northvolt. Ce sont là des exigences essentielles. Demander un BAPE sur les grands projets de toute la filière batterie par le biais de pétitions , c'est poser l'importance pour le Québec de faire un choix éclairé à cette époque d'urgence climatique. [6] Le gouvernement Legault qui s'entête à refuser la tenue d'un BAPE sur Northvolt, a choisi également d'ignorer la proposition de Québec solidaire.

Mais, comme parti politique écologiste, Québec solidaire doit élargir ses horizons et dénoncer le gaspillage des ressources et de l'énergie à la base du projet de filière batteries du gouvernement Legault.

Au tournant vers la production de masse de voitures électriques coûteuses et massives, il faut opposer le développement du transport public électrifié et gratuit et la diminution de la production et de l'utilisation des voitures individuelles. Il faut opposer au transport lourd de marchandises par camions, à essence ou électrique, le transport des marchandises par trains. Il faut diminuer les investissements des infrastructures routières et l'expansion des villes faites aux mépris de la protection des terres agricoles. Il faut pour favoriser le transport actif, élargir les zones piétonnes et développer les pistes cyclables. La sobriété et la décroissance dans l'utilisation de l'énergie et des ressources, doit être au centre des politiques de Québec solidaire.

Il ne faut pas confier aux multinationales nos choix économiques et environnementaux. Seule une véritable démocratie où la majorité populaire peut faire les choix économiques et écologiques nécessaires à la satisfaction des besoins sociaux peut assurer la protection de la nature. Cette démocratie passe par une rupture radicale avec le pouvoir d'une minorité possédante. La nationalisation des ressources naturelles, minières et forestières, et la défense du contrôle public de la production de l'énergie sont les conditions de la planification démocratique d'une nécessaire bifurcation écologique. Ce sont là des orientations incontournables qu'un parti de gauche comme Québec solidaire doit défendre dans cette période de crise climatique et environnementale.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre


[1] Communiqué de Québec solidaire, 29 septembre 2022

[6] Voir le projet de loi déposée par Alejandra Zaga Mendez « qui ferait en sorte de déclencher un processus d'études du BAPE dès le dépôt d'une pétition d'au moins 15 000 signatures pour un projet « d'envergure régionale » et de 40 000 signatures pour un projet d'« envergure nationale ».- François Carabin, Des pétitions pour enclencher des évaluations environnementales ? Le Devoir, 2 février 2024

Des élections vraiment légitimes ?

6 mars 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Le maire actuel de Rimouski a évoqué son souhait de se représenter aux prochaines élections municipales pour continuer (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Le maire actuel de Rimouski a évoqué son souhait de se représenter aux prochaines élections municipales pour continuer les projets de son mandat actuel. Par exemple, le projet de résidence situé à Pointe-au-Père, le boulevard reliant la (...)
6553 résultat(s).
Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

gauche.media

Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

En savoir plus

Membres