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Le dernier repas, chef d’œuvre de Maryse Legagneur

8 octobre 2024, par Pierre Jasmin — , ,
Dimanche soir 29 septembre, en direct à la Maison du cinéma de Sherbrooke, le sourire de Maryse Legagneur, musicothérapeute et réalisatrice de cinéma, s'illumina par la (…)

Dimanche soir 29 septembre, en direct à la Maison du cinéma de Sherbrooke, le sourire de Maryse Legagneur, musicothérapeute et réalisatrice de cinéma, s'illumina par la nouvelle de son portable que Le dernier repas venait de remporter Le Grand Prix du Jury du Festival montréalais des Films Black, comme il avait remporté deux semaines plus tôt la compétition du Festival de cinéma de la ville de Québec (Quebecor) : à prévoir, donc, de nombreuses autres récompenses, puisque ce chef d'œuvre québécois entreprend tout juste sa carrière.

Il raconte la fin de vie de Célestin, héros déchu joué et par Fabrice Yvanoff Sénat dans les nombreux flashbacks de sa jeunesse haïtienne, et par Gilbert Laumord à l'intense présence agonisante dans un hôpital de Montréal ; il se meurt sous nos yeux, non sans avoir goûté plusieurs plats haïtiens préparés par sa fille Vanessa qui s'était pourtant séparée de lui très jeune, victime en ricochet d'une partie de la violence subie en Haïti. Rassurez-vous : ces plats ne contenaient ni chien ni chat, tel que colporté honteusement et frauduleusement par le sinistre duo Trump-Vance, afin de gagner des votes américains anti-immigrants.

Préparés sous nos yeux par la tante qui en veut au vieil homme d'avoir détruit sa sœur (la mère de Vanessa), les plats alléchants - pour lesquels on distribue au cinéma des recettes en fiches colorées -, forment un lien filial miraculeusement restitué au père, sommé d'enfin délier sa langue sur son passé ; or on sait, depuis la madeleine de Proust, combien les saveurs déterrent des souvenirs enfouis.

Musicien mis en prison et condamné à mort parce qu'il avait omis de faire jouer à la radio l'hymne au père Duvalier de la nation, le jeune dessine à la craie sur un mur de sa prison des touches de piano sur lesquelles il s'exerce, vulnérable. La musicienne Maryse Legagneur sait utiliser l'imaginative bande sonore de Jenny Salgado, qui amalgame les images fabuleuses de Mathieu Laverdière en un tout qui reste cohérent et tendu, malgré les nombreux allers-retours dans le passé.

Le calvaire des prisonniers est suggéré par le Libera du Requiem de Gabriel Fauré dans un arrangement feutré qui convient parfaitement à l'atmosphère voulue, par le pianiste Émile Naumoff. Heureusement, ce musicien est bulgare et non pas russe, puisqu'on a vu dans le film italien L'Enlèvement de Marco Bellochio, sur le rapt d'un enfant juif ignoblement enlevé à sa famille par le pape Pie IX, la symphonie expressionniste principale carrément censurée dans les critiques, entrevues et même crédits du film, parce qu'elle est du russe Dimitri Shostakovitch et sans doute interprétée par Valery Gergiev, du Mariinsky de St-Pétersbourg.

Violent par l'authenticité qui dicte à la réalisatrice de respecter des témoignages recueillis pendant des années, le dernier repas s'adoucit grâce à la présence de deux femmes, dont l'héroïne principale, interprétée avec beaucoup de nuances par Marie-Évelyne Lessard et sa tati personnifiée par la non moins excellente Mireille Métellus. Tous les visages éprouvés des acteurs, cadrés de très près, certains recrutés dans la diaspora haïtienne persécutée en République dominicaine, nécessitent une interprétation de rare qualité par ces comédiens plongés dans des huis-clos angoissants de chambre d'hôpital, de cuisine intime ou de geôle surpeuplée au sinistre Fort-Dimanche reconstitué.

On reste néanmoins frappés par l'aspect documentaire de l'œuvre, aidé par plusieurs dialogues en créole, sans paysage de mer ni végétations tropicales, à part un immense quennetier inquiétant dans sa solennité, car on enterre des prisonniers parmi ses racines. Mon fils et moi fûmes aussi impressionnés que la salle, réservant un silence respectueux au générique puis éclatant en ovation debout.

L'extraordinaire pauvreté haïtienne, une punition raciste mondiale

Il y a des parallèles à faire avec les fiables informations de l'exemplaire journaliste Marie-Ève Bédard, déformées en direct par Radio-Canada résumant ses récits d'horreur en « conflits d'Israël contre Hamas et le Hezbollah », niant la volonté de génocide palestinien (i) par Nétanyahou qui bombarde Gaza, la Cisjordanie et les réfugiés palestiniens au Liban. Non, je ne pleurerai pas la mort de l'islamiste Hassan Nasrallah (ii), chef du Parti de Dieu (quelle prétention : est-il allé le rejoindre avec les cent vierges promises ?). De même, le chef d'œuvre cinématographique décrit rappelle le sort des Haïtiens, avec l'indifférence occidentale envers les communautés bombardées ou affamées (Libye, Soudan, Yémen, Kurdistan etc.) et celle condamnée à la misère dictatoriale pour s'être affranchie du racisme et du colonialisme français dès le début du 19e siècle, avec le grand Toussaint Louverture.

Certains observateurs préfèrent voir en Haïti un drame auto-infligé, puisque ses près de 4000 morts depuis le début de l'année 2024 sont le résultat de bandes armées incontrôlées, tout comme l'étaient aussi aux mains des tontons-macoutes les milliers de martyres dont ce film restitue la stature humaine héroïque. Mais la communauté internationale n'est-elle pas la plus grande responsable, celle d'aujourd'hui ignorant les admonestations d'Antonio Guterres, secrétaire général des Nations-Unies, qu'on soupçonne de vouloir reproduire l'intervention malheureuse des Casques Bleus appelés en renfort après le tremblement de terre de 2010 ? Sans préparation, ces troupes importées du Népal auraient répandu le choléra ? Parce que le Premier ministre Harper avait refusé d'envoyer des Casques bleus canadiens bien préparés qu'il était occupé à démanteler, comme M. Trudeau poursuivrait cette démolition par opposition à l'ONU : doit-on comprendre que nos politiciens approuvent les vitupérations anti-ONU de leur allié génocidaire Nétanyahou ?

Haïti est aidée par les UNESCO, UNICEF et UNHCR que le Canada devrait financer, plutôt que de dépenser plus de trente milliards de $ annuels pour l'OTAN guerrière. On lira de Jonathan Katz The Big Truck That Went By : How the World Came to Save Haiti and Left Behind a Disaster, qui calcule que des $657 millions déboursés par le Canada en aide post tremblement de terre jusqu'en septembre 2012, environ 2% parvinrent au gouvernement haïtien. De même, de l'aide de $500 millions de la Croix-Rouge américaine, six maisons permanentes seulement seraient encore debout. Préjugeant le gouvernement Préval trop peu fiable parce que démocratique et opposé à l'extrême-droite haïtienne, le Canada (via le ministre Lawrence Cannon), la France et les États-Unis manœuvrèrent (infos de Wikileaks rapportées par Yves Engler) pour installer au pouvoir Michel Martelly, adolescent d'abord impliqué dans les Tontons Macoutes de Bébé Jean-Claude Duvalier, qui aurait ensuite gagné ses galons dans les coups d'état anti-Aristide 1991 et 2004. Le film « Haïti trahie » d'Elaine Brière le raconte en détails, comme le dénonce aussi un appel récent APLP co-signé par plus d'une centaine de personnes contactées en grande partie par Bianca Mugyenyi et son conjoint Yves (iii).

Enfin, les merveilleux discours solidaires de Haïti, prononcés à l'ONU (encore avant-hier) par la Première ministre des Barbades (iv) qui a libéré son pays de la Reine d'Angleterre, sont à lire, de même que la référence dans cet article à ma collègue uqamienne Martine Delveaux.

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Des personnalités du monde de l’art condamnent la censure anti-trans et anti-palestinienne au Royal Exchange Theatre de Manchester

Kingsley Ben-Adir, Khalid Abdalla, Pooja Ghai et April De Angelis font partie des plus de 200 personnalités du monde des arts et du théâtre qui ont signé une lettre ouverte au (…)

Kingsley Ben-Adir, Khalid Abdalla, Pooja Ghai et April De Angelis font partie des plus de 200 personnalités du monde des arts et du théâtre qui ont signé une lettre ouverte au Royal Exchange Theatre de Manchester condamnant le théâtre pour avoir censuré des références à la libération du peuple palestinien et aux personnes trans dans une œuvre récemment commandée.

Tiré d'Agence médias Palestine.

La lettre critique l'annulation de la nouvelle production du Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare, mise en scène par Stef O'Driscoll, qui selon les signataires interprète la pièce à travers « le prisme de la culture « rave » contemporaine (…) et (reflète) la diversité et la richesse culturelle qui font la renommée de Manchester ».

Les signataires, qui comprennent des dramaturges, des metteurs et metteuses en scène, des interprètes et des artistes dont près de la moitié vivent ou travaillent à Manchester, y expriment aussi leur consternation devant le constat que cette institution financée par des fonds publics « a censuré un appel à la libération de la Palestine près d'un an après le début du génocide israélien contre la population palestinienne de Gaza »

Les artistes affirment que les efforts visant à supprimer les références aux droits des transgenres sont « injustifiables à une époque où la violence anti-trans ne cesse de s'accroître et où les provocations politiques de la part des politicien·nes britanniques et de certains médias sont nombreuses ».

Le théâtre Royal Exchange a censuré les expressions « Palestine libre », et a aussi tenté de censurer l'expression « droits des trans », selon une déclaration de la metteuse en scène Stef O'Driscoll.

Les artistes demandent au théâtre de s'excuser et de « prendre des mesures significatives et visibles pour remédier à ses graves manquements ».

La lettre ouverte dans son intégralité

Nous, artistes, travailleurs et travailleuses dans le domaine de la culture, condamnons la censure exercée par le Royal Exchange Theatre sur les expressions de solidarité avec le peuple palestinien et avec la communauté trans, une censure qui a conduit à l'annulation de la production du Songe d'une nuit d'été mise en scène par Stef O'Driscoll.

Metteuse en scène de théâtre très respectée, O'Driscoll est connue pour son engagement en faveur de la politique décoloniale et de la libération collective. O'Driscoll a expliqué que cette production du Songe d'une nuit d'été explorait la pièce à travers le prisme de la culture « rave » contemporaine, la mise en scène devant refléter la tradition d'activisme politique de cette sous-culture, ainsi que la diversité et la richesse culturelle qui font la renommée de la ville de Manchester.

La récente déclaration du Royal Exchange contient des affirmations trompeuses sur le manque de « récit cohérent » de la production pour justifier ses actions, ce que la metteuse en scène Stef O'Driscoll a clairement réfuté dans une précédente déclaration. The Exchange n'inclut à aucun moment dans sa déclaration les expressions « Palestine libre » ou « droits des trans » et fait plutôt de vagues références à des « questions complexes ». Les expressions « Palestine libre » et « droits des trans » sont de simples déclarations de droits humains fondamentaux. Leur caractérisation par Royal Exchange de « questions complexes » est une tentative d'obstruction visant à échapper à toute responsabilité.

Nous condamnons cet acte de censure raciste et transphobe commis par le Royal Exchange Theatre.

Qu'une institution publique censure un appel à la liberté palestinienne près d'un an après le début du génocide perpétré contre la population palestinienne de Gaza par Israël – armé et soutenu par le Royaume-Uni et d'autres États occidentaux, réduisant au silence les artistes palestinien·nes en les tuant et en détruisant leurs infrastructures culturelles – montre un niveau choquant de complicité dans l'impunité accordée à Israël. La tentative de censure des références aux droits des trans est également injustifiable à une époque où la violence anti-trans s'accroît et où les provocations politiques de la part des politicien·s britanniques et de certains médias sont nombreuses.

Le Royal Exchange Theatre est un bâtiment historiquement lié à la traite négrière situé dans une ville qui s'est enrichie grâce à l'industrie du coton, construite grâce au travail des Africains et Africaines réduit.es en esclavage. Le Royal Exchange ne peut donc point prétendre être un espace apolitique à l'écart des violences coloniales passées et actuelles. La seule façon pour les institutions artistiques britanniques de s'opposer à l'exploitation systémique, à la déshumanisation politique des communautés marginalisées et à la complicité du Royaume-Uni dans la violence coloniale et le génocide en cours, est de soutenir activement l'égalité, la dignité et la libération de toutes les personnes opprimées.

Nous savons qu'un nombre considérable d'employé.es du Royal Exchange partagent notre dégoût face aux actions de sa direction. Cette lettre a pour but de demander à la direction du théâtre d'offrir des excuses sincères pour avoir silencié ces appels à l'égalité des droits et à la libération, et de s'engager à prendre des mesures significatives, quantifiables et transparentes pour remédier à ses graves manquements.

En tant qu'artistes, travailleurs et travailleuses dans le domaine de la culture, nous soutenons l'égalité fondamentale et le droit à la dignité du peuple palestinien et de la communauté trans. Nous soutenons la lutte pour la libération collective et pour une fin de l'occupation, de l'apartheid et de l'oppression violente. Nous soutenons le droit des artistes britanniques à exprimer leur solidarité avec les communautés marginalisées, et le droit des artistes issu.e.s de communautés marginalisées à participer à la création artistique et à l'offre public de celle-ci, ainsi qu'à faire valoir leurs droits intrinsèques.

Si les institutions culturelles ne permettent pas aux artistes d'exprimer librement leur désir de liberté, d'égalité et de libération collective, ces institutions n'ont jamais été véritablement les nôtres. Un théâtre qui refuse d'accueillir les Palestiniens et Palestiniennes, les personnes transgenres et celles et ceux qui les soutiennent, n'est pas digne de représenter nos communautés.

Nous exigeons que :

- le Royal Exchange s'excuse d'avoir tenté de faire taire les expressions de libération palestinienne et trans.

Dans sa propre déclaration de vision et de mission, le Royal Exchange affirme : « Nous présenterons des excuses lorsque nous aurons fait quelque chose de mal. » Dans la section Politiques de son site Web, le Royal Exchange déclare : « La transparence avec tous nos publics, clients, visiteurs, collaborateurs, artistes, pigistes et bénévoles, est une valeur que nous tenons à cœur. »

- le Royal Exchange reconnaisse que ses tentatives visant à faire taire les expressions de libération collective étaient racistes et transphobes.

Au moins 41 000 Palestinien.ne.s ont été tué.e.s par le génocide israélien à Gaza, et une lettre parue dans le journal scientifique, Lancet, estime que le bilan pourrait atteindre 186 000. Les personnes transgenres au Royaume-Uni sont victimes d'un nombre record de crimes haineux alimentés par les politiques et discours de déshumanisation proférés par les politicien·nes , le système de santé et par certains médias.

- le Royal Exchange clarifie sa propre position sur le racisme, la transphobie et la libération collective.

Comment le Royal Exchange peut-il prétendre soutenir les artistes transgenres et tous·tes les artistes alors qu'il ne défend pas leur droit à vivre librement et à en exprimer l'exigence ? Comment le Royal Exchange peut-il valoriser « l'égalité, la diversité et l'inclusion » tout en réduisant au silence tout soutien à celles et ceux qui sont confronté.es à l'exclusion violente, à l'oppression et au meurtre en raison de leur nationalité, de leur race, de leur origine ethnique et/ou de leur identité de genre.

- le Royal Exchange prenne des mesures significatives, visibles, et quantifiables pour remédier à ses graves manquements.

Le Royal Exchange doit s'engager publiquement à ce que les expressions de libération des Palestinien.ne.s et des transgenres (ainsi que celles de toutes les autres luttes pour l'égalité des droits et la libération collective) ne soient plus jamais étouffées dans ses productions. Cet engagement public doit être pris en consultation avec les Palestiniens et les Palestiniennes, les personnes transgenres, les autres communautés marginalisées et les membres de la communauté artistique, afin de fixer des objectifs, des délais et des résultats susceptibles d'être évalués. La direction du Royal Exchange doit organiser des réunions régulières tout au long de ce processus avec les dits groupes afin de garantir que les appels à la libération et à la liberté contre l'oppression ne soient plus jamais étouffés dans ses murs.

Ce texte est signé en solidarité avec le peuple palestinien, les personnes transgenres et toutes celles et tous ceux qui luttent pour leurs droits et leur libération.

Les travailleur-euses de l'art sont invité-es à le signer ici

Signataires

Khalid Abdalla Actor

Kingsley Ben-Adir Actor

April De Angelis Playwright

Bill Bankes-Jones Director

Naomi Evans Author : Everyday Racism

Pooja Ghai Artistic Director : Tamasha

Enyi Okoronkwo Actor

Valerie Synmoie Theatre Executive Director : Tamasha

Adele Thomas Opera Director

Daniel York Loh Writer / Actor

Sînziana Cojocărescu Artistic Director : BÉZNĂ Theatre

Ruth Daniel CEO : In Place Of War

Yara Rodrigues Fowler Novelist

Emma Reynolds Illustrator and Author

Lucy Sheen Actor / Writer / Director and Filmmaker : BEATS.org

Dani Abulhawa Director / Performer / Academic

Faiza Abdulkadir Fundraiser : HighRise Theatre

Elina Akhmetova Dance / Theatre / Film / Performance & Choreography

Alia Alzougbi Artists & Cultural Producer

Ravina Al-Zarifa Supporting Artist

Alan Jones Photographer

Audrey Albert Visual Artist

Heather Alderson Visual artist

Aisha Allinson Writer

Cindya Angel Dancer

Divya Avula Visual artist – Manchester

Stella Barnes Theatre and Participatory Arts Practitioner

Morgan Bassichis Performer

Sarah Bedi Director / Writer

Marcus Berdaut Creative Producer

Dylan Best Visual Artist

Giovanni Bienne Actor : Equity LGBT+ Councilor

Irene Bindi Artist and Editor

Adelheid Bjornlie Writer

Luz Blanco Santos DJ / Creative Producer / Facilitator

Roo Bramley Musician and stage performer

Jamie Brown Musician

John-Paul Brown Visual Artist

Tam Dean Burn Actor / Theatremaker

Nafeesah Butt Theatremaker : TEAM

Yasmin Butt Theatre Booking Coordinator

Jen Calleja Writer

Elena Cantu Front of House Staff

Anthony Capildeo Writer and Editor

Cathy Chapman Writer, Lit Fest Volunteer

Julie Cheung-Inhin Actor

Taghrid Choucair-Vizoso Cultural Worker / Curator /Artist

Dominic Cisalowicz Visitor Fundraiser

Dæmon Clelland Artist / Performer / Curator

Anna Cole Associate

Paule Constable Lighting designer

Joseph Conway Producer / Writer : Manchester Theatre for Palestine

Algernon Cornelius Musician

Alastair Curtis Director : The AIDS Plays Project

Mohamed-Zain Dada Playwright

Helen Davies Visual artist

Marion Dawson Theatre Captioner

Guido Di Bari Dancer

Emma Dibb Designer and academic

Meray Diner Filmmaker

Campbell Edinborough Associate Professor in Creative Practice

Jessica El Mal Artist and curator

Heidi El-Kholy Designer

Lizzie Eldridge Writer

Leonor Estrada Francke Theatre Director/ Performer

Sorcha Fhionntain Playwright

Jude FireSong Performance Poet / Speculative Fiction Writer / Artist

Elaine Fisher Visual Artist

Joey Frances Poet

Jasmine Gardner Visual artist

Tommy Garside Actor

Ruth Geye Playwright

Becks Gio Joe Artist-Curator

Nathan Godfrey Engagement Coordinator

Lisa Goldman Writer / Dramaturg / Director

Pauline Goldsmith Actor / Writer

Jacob Gower Writer

Gráinne Gráinne O'Mahony Theatremaker / Arts Comms Worker

Leila Greci Programme and partnerships manager

Jade Grogan Editor

Alexander Guedeney Visual Artist

Noor Hadid Actress / Front of House Staff

Daisy Hale Producer

Kit Hall Dancer / Choreographer / Producer

Rida Hamidou Playwright

Annie Hanauer Choreographer

Bonnie Hancell Poet

James Harker Playwright

Tessa Harris Writer

Jan-Sarah Harrison-Shakarchy Visual artist

Zainab Hasan Actress

Sabrin Hasbun Writer

Jo Hauge Live Artist

Alex Haydn-Williams Editor

Leila Herandi Actor

Azhar Herezata-Ala Poet

Jay Hermann Director

Hazel Holder Voice Coach

Lewys Holt Artist

Kirsty Housley Director / Dramaturg / Writer

Laura Howard Lighting Designer

Tuheen Huda Performance Artist / Writer / Poet.

Sonia Hughes Artist

Sameena Hussain Director

Sarah Impey Artist : Equity REC

Irvine Iqbal Actor

Deeqa Ismail Fine artist

Leveret Jaques Sound designer

Jayce Jayce Salloum Visual Artist

Tom Jeffreys Writer

Joe Clark Actor

Jessie Jones Communications Manager

Nick Jones Producer / Story Teller

Adele Jordan Artist

Jamil Keating Artist / Theatremaker : Co-Director of Northern Light Film CIC, Associate Artist of CNOA, Member of Divergency

Susan Kempster Choreographer

Rahela Khan Visual Artist

Michael Kitchin Producer

Karol Kochanowski Visual artist

Lora Krasteva Performance artist

Jo Lane Writer / Director

Jo Lansley Artist

Ruth Lass Actress

Em Laxton Sound designer

Ciara Leeming Photographer / Writer

Jazmine Linklater Editor / Writer : Corridor8

Alexandra Lort Phillips Producer

Caroline Magee Actor / Playwright

Tanushka Muna Director

Emily Marsden Cultural Worker

Sara Masry Actor

Chloe Massey Actor

axmed maxamed Writer

MJ McCarthy Composer / Sound Designer

Elizabeth McLoughlin Artist (Painter)

Prema Mehta Lighting Designer

Leila Mimmack Actor

Hussein Mitha Artist

Nicola Moore Visual Artist / Art Therapist

Ishana Moores Events staff

Sam Murray Painter

Chris Myers Actor : Theatre Workers for a Ceasefire

Sînziana Myers Writer

Martha Nabila Writer

Emma Nafz Stage Manager

Rehab Nazzal Visual Artist / Filmmaker / Educator

Kate Neilan Marketer of Books : Unbound

Sinéad Nunes Marketing Manager : Heart of Glass

Fionn Ó Loingsigh Actor

Ioana-Melania Pahome Artist-Curator

Polly Palmerini Visual arts

J.C. Pankratz Playwright

Emma Jayne Park Dancer / Theatre Maker

Kim Pearce Theatre Director

Miranda Pennell Filmmaker

Joshua Pharo Lighting Designer

Ergo Phizmiz Composer / Writer / Director : Avanthardcollective

Aniela Piasecka Dance Artist and Choreographer

Jamie Potter Theatremaker

Cara Powell Producer

Em Pren Deaf Theatremaker

Candice Purwin Illustrator and Graphic Novelist

Sara Ramirez Actor / Producer

Jake Rayner Blair Actor / Theatremaker

Khadija Raza Set and Costume Designer

Devan Reid Artist

Mais Robinson Facilitator

ML Roberts Writer / Performer

Danusia Samal Actor / Playwright

Kareem Samara Musician / Composer

Lenni Sanders Writer

Michal Sapir Musician / Writer

Aran Savory Artist

Iona Schwalowsky-Monks Visual Artist

Davina Shah Agent : TEAM

Rajha Shakiry Designer

Sabine Sharp Scholar

Evie Siddal Visual and Performance Artist

Eleanor Sikorski Choreographer / Filmmaker / lecturer

Greg Simmons Screenwriter

Christine Singer Writer

Beth Sitek Producer

Eyal Sivan Filmmaker

James Skull Writer, assistant director, actor

Ceallach Spellman Actor

Abena Louisa D B St Bartholomew-Brown Morgan Actor

Amanda Stoodley Designer

Sam Swann Actor

Laura Swift Editor

Humera Syed Actor

Karl Taylor Producer : BUZZCUT

Giles Thomas Composer / Sound Designer

Abir Tobji Producer

Jo Tyabji Director

Jamie Tyson Musician

Josie Underwood Theatremaker : Silent Faces

Paula Varjack Theatremaker

Borja Velez Playwright

Jai Vethamony Actor

Clara Vulliamy Author and Illustrator

Darcy Wallace Choreographer

Sylvia Waltering Visual artist

Stephanie Webber Visual artist

Hilary White Writer

Don Wilkie Record Label Owner : Constellation Jack Young Writer

Traduction : BM pour l'Agence Média Palestine

Source : Artists for Palestine

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Andreas Malm et "Avis de tempête" : Nature et culture dans un monde qui se réchauffe

8 octobre 2024, par Éditions La Fabrique — , ,
Dans un monde qui se dirige vers le chaos climatique, la nature est morte. Elle ne peut plus être séparée de la société. Tout n'est plus qu'un amalgame d'hybrides, où l'homme (…)

Dans un monde qui se dirige vers le chaos climatique, la nature est morte. Elle ne peut plus être séparée de la société. Tout n'est plus qu'un amalgame d'hybrides, où l'homme ne possède aucune puissance d'agir particulière qui le différencie de la matière morte. Mais est-ce vraiment le cas ?

Dans cette polémique cinglante avec les philosophies néomatérialistes et celles du « tournant culturel » – dont Bruno Latour est la figure centrale –, Andreas Malm développe un contre-argument : dans un monde qui se réchauffe, la nature revient en force, et il est plus important que jamais de distinguer le naturel du social. C'est en attribuant aux humains une capacité d'action spécifique que la résistance devient concevable.

Ce livre pose des questions urgentes à l'heure où l'inaction climatique à l'échelle mondiale inquiète de plus en plus de gens : quel rôle doivent jouer la pensée théorique et la science dans la lutte contre le réchauffement mondial ? Ce qui s'écrit aujourd'hui est-il à la hauteur du défi ? Comment enfin réarmer conceptuellement un militantisme écologique à même de le relever ?

« Andreas Malm s'attaque à la pensée de Latour et Descola », Reporterre, 3 novembre 2023.

« Les violentes conséquences naturelles du réchauffement climatique, pour le marxiste Andreas Malm, exigent de repenser la distinction entre rapports sociaux et causes naturelles, pour mieux comprendre leur combinaison et lutter efficacement pour le climat. » La vie des idées, 7 décembre 2023.

« Avis de tempête : Lénine contre Latour », Socialter, 8 janvier 2024.

Andreas Malm

Andreas Malm est maître de conférences en géographie humaine en Suède et militant pour le climat. Il est l'auteur de L'anthropocène contre l'histoire (2017), Comment saboter un pipeline (2020), La chauve-souris et le capital (2020) et Fascisme fossile (avec le Zetkin Collective, 2021).

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Un poème peut transformer le monde

8 octobre 2024, par Mustapha Saha — , ,
Paris. Vendredi, 4 octobre 2024. Les éditions de Minuit republient Liberté de Paul Eluard, de son vrai nom Eugène Grindel (1895-1952), également connu sous les pseudonymes (…)

Paris. Vendredi, 4 octobre 2024. Les éditions de Minuit republient Liberté de Paul Eluard, de son vrai nom Eugène Grindel (1895-1952), également connu sous les pseudonymes Didier Desroches, Jean du Haut, Maurice Hervent.

PHOTO : Portrait de Paul Eluard par Pablo Picasso

Il fallait bien brouiller les pistes pendant la résistance. Eté 1941. Paris sous occupation allemande. La destinataire initiale du poème est Nusch Eluard (1906-1946), de son nom de naissance Maria Benz, alsacienne, muse incomparable des surréalistes. Paul Eluard lui dédie, après sa mort, ces vers terribles, gravés sur la stèle de sa tombe au cimetière du Père Lachaise : « Vingt-huit novembre mille neuf cent quarante six. Nous ne vieillirons pas ensemble. Voici le jour en trop. Le temps déborde. Mon amour si léger prend le poids d'un supplice ». L'auteur explique la genèse de Liberté : « En composant les premières strophes, je pense révéler, pour conclure, la femme que j'aime. Mais, je m'aperçois rapidement que le seul mot qui se présente à mon esprit est liberté. Ainsi la femme que j'aime incarne un désir plus grand qu'elle ». Le poème, entamé en 1941, est achevé en mai 1942. Le manuscrit est confié à Max-Pol Fouchet, directeur de la revue littéraire et poétique Fontaine à Alger, foyer de l résistance intellectuelle. Le poème est publié, pour la première fois, en juin 1942 sous le titre Une seule pensée pour éviter l'interdiction. Max-Pol Foucher reçoit néanmoins un avertissement des autorités pétainistes : « La Censure centrale remarque depuis longtemps que votre revue, de caractère strictement littéraire, publie des poèmes, des contes, des analyses critiques où l'on trouve des allusions transparentes aux événements politiques, allusions nettement hostiles ».

Liberté est également publiée à Paris, en septembre 1942, par le groupe La Main à plume, dans une plaquette de vingt-huit pages, tirée en cinq mille exemplaires, clandestinement distribuée dans les universités, les lycées, les usines. Le poète, menacé d'arrestation, quitte son domicile. De novembre 1943 à mars 1944, Nusch et Paul Eluard se réfugient dans l'hôpital psychiatrique de Saint Alban en Lozère. Ils rentrent à Paris au printemps 1944. Paul Eluard fonde, avec Louis Parrot, L'Eternelle Revue avec l'exergue : « Une fois de plus, la poésie mise au défi se regroupe, crie, accuse, espère ». De santé fragile, le poète est foudroyé par une crise cardiaque à l'âge de cinquante-six ans. Le gouvernement français, engoncé dans les guerres coloniales, refuse de lui accorder des funérailles nationales.

Dès décembre 1942, Liberté est reproduit, en France et à l'étranger, dans de nombreuses publication, dans la revue France Libre à Londres notamment. Le poème est souvent repris sans nom d'auteur. Il gagne d'emblée le domaine public. Il est illustré par des artistes de renom, mis en musique par Francis Poulenc. Pendant l'été 1943, le compositeur crée Figure humaine, cantate pour double chœur mixte a capella. Jean Lurçat réalise une tapisserie aujourd'hui conservé au Centre Beaubourg Paris. Le service britannique Political Warfare Executive publie Liberté dans la Revue du Monde Libre et le largue par avion sur la France dans le cadre des opérations Nickel Raid. Deux aviateurs y laissent la vie.

Cinq dessins Liberté, j'écris ton nom, encre, gouache et graphite sur papier, commandés en 1953 par l'éditeur Pierre Seghers à Fernand Léger (1881-1955), un an après le décès du poète, donation de Louise et Michel Leiris en 1984, sont visibles au Centre Beaubourg Paris. Paul Eluard est représenté pensif, coloré de vert, de bleu, de jaune et de rouge. Fernand Léger réalise un livre accordéon, imprimé au pochoir, en tirage limité de 212 exemplaires. En novembre 2016, l'ouvrage reparaît à l‘identique. Au cinquième étage du siège du Parti communiste français, construit par Oscar Niemeyer place du colonel Fabien à Paris, trône le poème Liberté illustré par Fernand Léger, une tapisserie tissée en avril 1963 dans les Atelier Tabard Frères à Aubusson.

Paul Eluard s'engage tout au long de sa vie contre le colonialisme. Il soutient les marocains pendant la guerre du Rif (1921-1927). Il s'oppose, à l'exposition coloniale de 1931, dirigée par le maréchal Hubert Lyautey, honorée de la présence du sultan du Maroc, Mohammed Ben Youssef. Le pavillon marocain est un palais avec une porte monumentale, entouré de patios. L'orientalisme dans son expression la plus caricaturale. J'ai visité récemment le château d'Hubert Lyautey dans le petit village lorrain de Thorey, à une trentaine de kilomètres de Nancy, grande demeure surchargée de tableaux pittoresques, d'objets artisanaux, de photographies avec les deux sultans de l'entre-deux-guerres. Au dernier étage, une peinture géante représentant Moulay Youssef, un salon marocain archaïque, désuet. Des personnages pathétiques veillent sur l'héritage.

Tract Ne visitez pas L'Exposition Coloniale. « Brigandage colonial. On a envoyé en Afrique, en Asie, des navires, des pelles, des pioches pour créer du travail contre un salaire misérable, comme un don fait aux indigènes. Il est donc naturel, prétend-on, que le labeur de ces millions d'esclaves nous rapporte des montagnes d'or. Nous tenons les zélateurs de cette entreprise pour des rapaces. Les Hubert Lyautey, les Jacques-Louis Dumesnil, les Paul Doumer, qui tiennent le haut du pavé dans la France du Moulin Rouge, ne sont que des figurants du carnaval des squelettes. Les promesses de l'affiche de recrutement des troupes coloniales sont éloquentes : une vie facile, des négresses alléchantes, des pousse-pousse tirés par les indigènes. Rien n'est épargné pour la promotion. Un sultan chérifien en personne bat la grosse caisse à la porte de son palais en carton-pâte. Les conquérants des paradis coloniaux s'enorgueillissent du Luna-park de Vincennes. Contre les discours patriotiques, les exécutions capitales, exigez l'évacuation immédiate des colonies et la mise en accusation des généraux, des fonctionnaires responsables des massacres du Maroc, d'Annam, du Liban » (André Breton, Paul Eluard, Benjamin Péret, Georges Sadoul, Pierre Unik, André Thirion, René Crevel, Louis Aragon, René Char, Maxime Alexandre, Yves Tanguy, Georges Malkine).

Une contre-exposition s'intitule La Vérité sur les colonies. L'artiste allemand John Heartfield, de son nom d'état civil Helmut Herzfeld (1891-1968), ami de Louis Aragon, réalise un photomontage de deux poings levés, noir et blanc, couverture de la revue Social Kunst, n° 8, 1932, préfiguration des luttes pour l'indépendance. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. Une photographie de Man Ray est publiée dans le magazine Vogue de mai 1926 sous le titre Visage de nacre, Masque d'ébène. L'égérie Kiki de Montparnasse pose avec un masque africain. Le négatif décline des spectres. Aux lendemains de l'exposition coloniale, des œuvres déshabillent l'imaginaire occidental. Se tournent en dérision les fantasmes esclavagistes. Le magazine Vu publie, en 1934, un hors série sur la colonisation. Sur une d'Alexandre Liberman. un colosse noir porte la civilisation occidentale sur la tête. Projection délirante. Force physique, mollesse cérébrale. Victor Hugo lui –même, concepteur de la colonisation africaine, anti-esclavagiste convaincu, raciste avéré, n'appelle-t-il pas les noirs les pieds plats. Années trente, les génies du jazz se révèlent. Se célèbrent les métissages, au nez et à la barbe du suprématisme. En 1934, Nancy Cunard publie à Londres Negro Anthology, avec 250 textes d'auteurs de 155 autrices et auteurs africains, caraïbéens, américains. L'ouvrage de neuf cents pages n'est traduit en français aux éditions du Sandre qu'en 2023.

Je reçois, aujourd'hui même, un opus d'une vingtaine de pages signé Raoul Vaneigem, titré Abolir la prédation, redevenir humain, Appel à la création mondiale de collectivités en lutte pour une vie humaine libre et authentique, éditions Grevis. L'incipit, d'une formule percutante dont le philosophe a le secret, résume l'enfer actuel. « Nous avons fait de l'homme la honte de l'humanité. Du plus lointain des temps à nos jours, aucune société n'atteint le degré d'indignité et d'abjection attesté par une société agro-marchande qui passe, depuis dix-mille ans, pour la civilisation par excellence. Ce qui s'impose ainsi, en fait, c'est la dénaturation de l'être humain. On chercherait en vain parmi les carnassiers les plus impitoyables, une cruauté aussi délibérée, une férocité aussi inventive. L'opinion publique préformée prend parti pour l'un ou l'autre belligérant, comme s'il s'agissait d'un match de football. Les paris sont ouverts. Les hourras des spectateurs couvrent les hurlements des foules massacrées. Les rapacités financières orchestrent la dénaturation humaine, rythment les apathies, ponctuent les frustrations, déchaînent la haine meurtrière ».

Manque, pour comprendre cette traversée des ténèbres, la pensée percutante, turbulente, du philosophe Gilles Deleuze. « Nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens, mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. Les affects tristes diminuent notre capacité d'agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Les tyrans, les preneurs d'âmes, ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser, d'administrer nos petites terreurs intimes, de neutraliser les surgissements de la vie. Leur arme de dissuasion est la mort. Les vampires ne nous lâcheront pas tant qu'ils ne nous auront pas communiqué leur névrose, leur angoisse, leur castration, leur ressentiment, leur immonde contamination » (Gilles Deleuze).

Les humains perdent leur créativité. Ils ne pilotent plus leur destinée. Les ethnocides, les liberticides engouffrent l'insoutenable, l'invivable dans des régions entières. Le génocide le plus atroce, le plus brutal, le plus sanglant se justifie par des raisons sécuritaires. Qui vole aujourd'hui au secours des palestiniens en dehors des indignations de la rue ? Des voix juives intelligentes, courageuses, s'élèvent, au sein de l'impérialisme américain, contre l'ignominie sioniste. Légitime défense du pot de fer contre le pot de terre. Les discours fascistes, les actes monstrueux, les arguments fallacieux trouvent échos favorables dans les grands médias. Les consciences dévoyées s'abreuvent au spectacle des civils abattus à bout portant, des villes rasées par les bombes au phosphore blanc. Le profit prospère dans la destruction. La vie est un crime aux yeux des exterminateurs, des sociopathes détenteurs de pouvoir étatique. Contrairement aux psychopathes qui se défoulent sur des souffre-douleurs particuliers, les sociopathes ciblent des collectivités entières. Le massacre se digitalise. La boucherie se rentabilise. Les gouvernances décrédibilisées, noyées dans leur emphatique ignorantisme, aspirées par le vide, se militarisent faute d'autres moyens de s'imposer. Le pire se professe comme une fatalité. C'est la mort qui se démocratise. Je me dis : l'humanité touche le fond, elle ne peut que remonter. Je constate que le fond se creuse encore plus. Les incultes deviennent les maîtres, les charlatans les gourous, les intellectuels médiatiques les marionnettes. Les jeunes sous tutelle. Les vieux sous curatelle. La peur, une drogue populaire. Que revoit-on aujourd'hui dans plusieurs capitales européennes ? Des défilés de chemises noires, des revenants phalangistes, des spectres fascistes.

Dans ce monde à la dérive, déshumanisé, technocratisé, déconscientisé, robotisé, le salut ne peut venir que de l'art et de la poésie. Comme en Mai 68. Nous avons chanté, le temps d'une fête révolutionnaire, pacifique, le désir de liberté et la liberté des désirs. Les graines semées tardent à refleurir. Les monstruosités déculpabilisées, des dévastations décriminalisées sont de retour. Le poème est plus vital, plus salutaire que jamais. Réciter Liberté de Paul Eluard. Regarder Guernica de Pablo Picasso. Combiner leurs variations allégoriques. Leurs correspondances métaphoriques. Et l'âme étincelle de mille espérances.
Mustapha Saha

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Manifestation parisienne pour un cessez-le feu au Moyen-Orient

8 octobre 2024, par Omar Haddadou — , ,
Un an après le 7 octobre, le Moyen-Orient est au bord de l'embrasement. Comptable d'une victoire envers ses partisans pour sa réélection, le Premier ministre Netanyahou, fort (…)

Un an après le 7 octobre, le Moyen-Orient est au bord de l'embrasement. Comptable d'une victoire envers ses partisans pour sa réélection, le Premier ministre Netanyahou, fort du soutien américain, fait face à plusieurs fronts. A Paris, des voix s'élèvent pour un cessez-le feu.

De Paris, Omar HADDADOU

Mépris et vol en éclats du Droit international !

L'escalade au Moyen-Orient a pour point d'orgue un refus du cessez-le feu par Benyamin Netanyahou qui, les mains libres, profiterait, selon des spécialistes du Moyen - Orient, du calendrier électoral américain pour mener à terme sa stratégie d'éradication du Mouvement de Résistance Islamique HAMAS. A ce propos, il sentencie : « Israël changera la réalité sur le terrain ».
Et le Président turc de rétorquer le même jour (hier 7 octobre ) : « Israël paiera tôt ou tard le prix de ce génocide ».

Outre Atlantique, l'administration Biden, soucieuse de l'échéance présidentielle du 5 novembre, remue ciel et terre pour l'apaisement entre l'état hébreu et l'Iran. Mais le Premier ministre, faisant fi des « recommandations » de son mentor américain, a déjà esquissé sa feuille de route pour venir à bout de toute résistance au Moyen-Orient et détruire les infrastructures nucléaires iraniennes (Natanz). Pari risqué ! font observer des Analystes.
D'où les débats nourris sur les rapports de force dissymétriques, articulés, d'une part, par une puissance militaire soutenue par la première armée au Monde, recourant aux bombes pénétrantes au phosphore et à l'intelligence artificielle, et de l'autre, une résistance régénérante à travers l'élan de solidarité régionale, biaisant toute prédiction quant à l'issue du conflit.

L'assassinat du chef du Hizbollah, Hassan NasrAllah, n'a fait qu'intensifier les hostilités, ponctuées par le lancement de 200 missiles sur le territoire israélien.
Sommes-nous à un point de bascule vers une guerre à grande ampleur ?
L'opinion internationale, ou du moins les esprits dotés de discernement cartésien, retiendront qu'un an après les événements du 7 octobre et leur bilan tragique de 41. 000 morts et 96 000 blessés, dont 60 % des femmes et des enfants, dans la bande de Gaza, et 1 205 côté israélien, la Paix revendiquée à cor et à cri et la libération des otages, semblent compromises.

Intraitable, le Premier ministre de l'Etat hébreu a défendu bec et ongle son entreprise, n'hésitant pas à tancer Emmanuel Macron : « Un embargo sur les armes à destination d'Israël. Quelle honte ! » et d'ajouter « Soyez assurés, que Israël gagnerait même sans leur soutien ». « Nous continuerons à combattre ».

Hier sur les chaines françaises, le grand Rabbin de France, Haïm Horsia, se voulait le chantre de l'engagement pacifique : « Il faut parler de Paix ! Israël doit vivre dans l'espérance et non pas dans la haine ».
Ironie du déroulé belliqueux, l'aviation israélienne a mené, ce lundi, des frappes sur la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. Le Ministère de la Santé a fait état de 2 083 morts, 9 869 blessés et 1,5 millions de déplacé-e-s.
Dans l'agenda de Tsahal pour les heures à venir, serait inscrit un bombardement « de la zone côtière du sud du Liban ».
La guerre et son cortège de victimes, épandue tel un torrent quittant son lit, échappe aux Instances internationales, à savoir l'ONU, la Cour Pénale Internationale (CPI) et la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), réduites à des organes de Constat ! Les Peuples, témoins du dictat de l'Occident qui s'approprie la Démocratie et référencie la barbarie, prennent acte de la domination et ses alliances concertées.

Netanyahou a les mains libres. Hier, il a encore promis de « continuer le combat pour l'anéantissement du Hamas et le retour des otages ».
En France, le chef de l'Etat et son Premier ministre Michel Barnier ont opéré un braqué de 360°, témoignant leur soutien à Netanyahou.
Une position qui a sorti de ses gonds ce samedi 5 novembre, Place de la République, le Nouveau Front Populaire et son satellite La France Insoumise, menée par un Mélenchon furibond et indigné de la situation au Moyen-Orient . Marquant leur solidarité avec les peuples libanais et palestinien, des dizaines de milliers de manifestants (es) ont défilé dans Paris, appelant au cessez-le feu, dénonçant « la connivence des Etats-Unis et de l'Europe, la lâcheté de certaines monarchies arabes et la passivité des Instances internationales, face au génocide ».
Dans le cortège couroucé, nous avons pu, par chance, échanger (en arabe) avec Soumaya Kriki, une rescapée de la guerre au Liban. Elle parlait posément, puis évoquant la tragédie au sein de sa famille et au village, elle s'est mise à tonitruer : « Je viens du sud du Liban, terre des Combattants ! J'ai assisté à des guerres atroces dans mon pays, mais celle-ci est la plus ignominieuse, la plus féroce (charissa). Le crime n'en finit pas. Tout est « boucherie ! ». « Ils bombardent les centres de santé, les crèches. Ils appellent cela se défendre. Tout le monde dit, on est vivants ! mais on ne sait pas de quoi sera fait demain ... »

Les larmes roulant sur ses joues émaciées, elle balbutie, anéantie : « Le Monde nous a abandonnés ! »
O.H

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Il ne revenait pas à Netanyahou d’exécuter Nasrallah.

8 octobre 2024, par Vincent Presumey — ,
Samedi 28 septembre 2024 : le Hezbollah vient de confirmer que son chef, Hassan Nasrallah, a été tué par le bombardement israélien du quartier de Beyrouth où il se trouvait. Il (…)

Samedi 28 septembre 2024 : le Hezbollah vient de confirmer que son chef, Hassan Nasrallah, a été tué par le bombardement israélien du quartier de Beyrouth où il se trouvait. Il n'est pas le seul : le bombardement a fait officiellement « au moins 6 morts et 90 blessés », s'ajoutant aux centaines de civils tués ces derniers jours au Liban. Un million de personnes ont fui le Sud du Liban, certains passant en Syrie – faut-il être terrorisé pour se réfugier en Syrie …

28 septembre 2024 | tiré du site d'Author
https://aplutsoc.org/2024/09/28/il-ne-revenait-pas-a-netanyahou-dexecuter-nasrallah/

Hors de question de pleurer Nasrallah. Sa mort a été célébrée à Idlib, où n'existe pas la moindre sympathie pro-israélienne. Les dizaines de milliers de victimes syriennes, libanaises et palestiniennes des nervis, des tueurs et des tortionnaires du Hezbollah sont en droit d'acter cette élimination avec satisfaction, mais ils le font avec une double amertume.

D'abord, c'est à elles et à eux qu'elle appartenait, pas à Netanyhaou et pas à l'Etat israélien.

Netanyahou est dans une impasse à Gaza. 45 000 morts et sans doute plus, des centaines de milliers de personnes acculées dans les décombres à la famine, au trauma et à la maladie, mais impossible de « détruire le Hamas » : possible seulement de massacrer les Gazaouis.

Et c'est bien – on y reviendra – parce qu'il y a risque réel de génocide comme sortie barbare de cette situation du point de vue de Netanyahou et de l'extrême-droite israélienne, que la proclamation obsessionnelle du « génocide », souvent antérieure, d'ailleurs, à octobre 2023, occulte la situation réelle de massacre et de destruction qui conduirait à un génocide effectif, lequel doit être interdit maintenant en imposant un cessez-le-feu et la libération conjointe des otages du Hamas et des prisonniers politiques palestiniens en Israël.

Cessez-le-feu et libérations conjointes doivent être imposés par une campagne internationaliste globale, impliquant les syndicats portuaires, pour stopper les livraisons d'armes, principalement nord-américaines, à Tsahal. Ce que n'est pas le mouvement « pour la Palestine » dans les universités occidentales, toujours hurlant au « génocide » mais inefficace pour empêcher son arrivée effective.

Ce sont les contradictions internes à l'impérialisme nord-américain et la pression de l'opinion publique qui, en cas de défaite de Trump et donc de victoire de K. Harris aux présidentielles US, risquent de faire de l'impasse dans laquelle Netanyahou s'est mis à Gaza, le commencement de la fin pour lui.

C'est pourquoi l'appareil sécuritaire et militaire israélien s'est lancé dans ce qui n'est pas une opération « pour la défense d'Israël », mais une opération de diversion visant à ressouder la population judéo-israélienne de plus en plus divisée à propos de Gaza, des otages et de Netanyahou, et à entretenir la peur mondiale d'une guerre régionale avec l'Iran.

C'est en effet l'Iran, avec la bénédiction russe, qui a poussé le Hamas à la provocation et au pogrom du 7 octobre 2023, tout en n'ayant jamais eu l'intention de transformer la prétendue « tempête d'Al-Aqsa » en guerre totale : le Hezbollah et les Houthis n'ont jamais tenté d'aider sérieusement ni le Hamas, ni, encore moins, la population de Gaza dont ils n'ont cure.

Les habitants judéo-israéliens, palestiniens et druzes du Nord d'Israël sont effectivement victimes des missiles et des menaces du Hezbollah qui n'ont cependant jamais affaibli, bien au contraire, l'Etat israélien lui-même. De même que la fin des menaces du Hamas pourrait venir du cessez-le-feu, de la libération des prisonniers politiques et de la reconnaissance du droit palestinien à un Etat, de même le commencement de la fin du Hezbollah, dont la domination est vomie par la société libanaise, pourrait venir rapidement d'une telle politique. Les gens déplacés et menacés au Nord d'Israël ne sont qu'un prétexte.

Depuis trois semaines, par les méthodes du terrorisme d'Etat, Israël a porté de très grands coups au Hezbollah, organisation totalement réactionnaire par ailleurs. Le fait que ces coups soient portés par Israël et avec ces méthodes écarte toute portée ou finalité « progressiste » à cette opération.

Il s'agit pour Netanyahou, bloqué à Gaza au seuil d'un génocide effectif qui n'a pas eu lieu mais qu'il faut empêcher, de faire diversion, de retrouver une assise élargie dans la société israélienne, et de faire planer le danger d'une guerre régionale totale avant les élections nord-américaines, en espérant du coup peser en faveur de son candidat qui est aussi celui de Poutine : Donald Trump.

Surtout, et c'est là le point le moins abordé, qui est justement occulté par ces opérations, celles-ci servent aussi à couvrir les actes pogromistes et la colonisation renforcée contre les Palestiniens de Cisjordanie, évoluant vers une « purification ethnique » de fait, que Netanyahou et les siens veulent rendre irréversible, alors que l'élimination de cette colonisation est une condition pour le respect des droits nationaux palestiniens et donc pour toute paix.

L'amertume avec laquelle les centaines de milliers d'arabes victimes du Hezbollah peuvent acter l'élimination de Nasrallah et compagnie, est donc causée par le fait que le droit moral de les juger et de les punir leur revenait à eux, et à nuls autres, et certainement pas aux « organes » israéliens.

Mais elle est double, car il s'y ajoute le fait que ces organes ne tuent pas seulement, et ne tuent pas principalement, des cadres du Hezbollah. De même qu'ils s'acharnent de fait sur la population de Gaza en disant affronter les soldats du Hamas (qui se réservent les souterrains, interdits aux Gazaouis), de même au Liban, ce sont des centaines et des centaines de victimes civiles et, d'ores et déjà, un million de réfugiés, qui sont les principales cibles de fait. Et, parmi ces cibles, des dizaines et des dizaines de réfugiés syriens qui avaient fui Bachar el Assad et le Hezbollah, et, parmi ces réfugiés, des milliers et des milliers de ces réfugiés syriens qui ne veulent pas et ne peuvent pas retourner en Syrie.

Il est d'ailleurs permis de se demander si les organes israéliens n'ont pas eu une aide discrète de … Bachar el Assad, dont le régime est silencieux sur les attaques aux bippers et opérations menées ces dernières semaines. Bachar n'est pas gêné par les massacres de grande ampleur : en cas de « purification ethnique » en Cisjordanie et de génocide réel à Gaza, lui, l' « antisioniste » et « anti-impérialiste », compte bien survivre encore et encore …

Les objurgations des grands de ce monde à la « retenue » par peur d'une « guerre régionale » s'adressent théoriquement à Israël, mais ne l'inhibent pas, et s'adressent donc en réalité plutôt à l'Iran. Techniquement et militairement, il est difficile à l'Etat iranien de riposter. De plus, il connait une crise interne et, surtout, la population iranienne lui est hostile et le risque existe aujourd'hui pour ce régime qu'une guerre, au lieu de mâter les résistances populaires, soient saisie par elles pour en finir. « Femme, Vie, Liberté » : réprimé, ce mouvement est vivant, très fort, dans la conscience du plus grand nombre. Par ailleurs, l'Iran est en train de se doter de l'arme nucléaire mais ne l'a probablement pas encore. Pour l'ensemble de ces raisons, une intervention iranienne directe demanderait une aide russe, alors que la Russie est « occupée » en Ukraine. Le passage à une guerre régionale, ce que les dirigeants savent à Téhéran comme à Tel-Aviv, est donc très difficile. Contraints, théoriquement et par leurs propres discours belliqueux, à une vengeance « terrible », les dignitaires iraniens et ceux du Hezbollah risquent de n'avoir, pour tout de suite du moins, à leur disposition qu'une guerre terrestre de position dans le Sud du Liban, tentant peut-être d'avancer au Nord d'Israël voire au Golan, alors même que les chars israéliens se massent à la frontière en position d'attaque.

Pour conclure ces remarques écrites à chaud, il faut bien comprendre que la rapide description donnée dans cet article s'inscrit dans un cadre général, qui est celui de la lutte des classes à l'échelle mondiale à l'époque de la multipolarité impérialiste. Le pogrom du 7 octobre 2023 a été une provocation visant à déclencher la guerre israélienne de destruction de Gaza, faisant ainsi le jeu de Poutine et attisant toutes les tendances les plus réactionnaires à l'échelle mondiale : campisme « de gauche », trumpisme « de droite », etc. Le spectre d'une guerre régionale entre un prétendu « axe de la résistance » « antisioniste et anti-impérialiste », et Israël étayé par les Etats-Unis, joue ici un rôle clef – en tant que spectre, en tant que cette guerre n'éclate pas complétement. Les grands bénéficiaires de cette défense objective de l'ordre mondial par le désordre et par la guerre ont été Poutine et Trump. Mais rien n'est gagné pour eux. La situation mondiale, assombrie, n'a pas totalement reflué dans un sens réactionnaire, ce qui se serait produit en cas de défaite ukrainienne écrasante. Trump pourrait ne pas gagner et donc perdre, et Poutine n'a pas non plus gagné ; Netanyahou se sent donc, à juste titre, menacé. Il a donc ouvert un second front en jouant au bord du gouffre avec le spectre de la guerre régionale.

VP, le 28/09/24.

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Lutte hégémonique et classes populaires rurales. Le combat antifasciste à la lumière de Gramsci

8 octobre 2024, par Yohann Douet — ,
La faiblesse de la gauche et la force de l'extrême droite dans un certain nombre de territoires ruraux et semi-ruraux, mais aussi de petites villes, est une composante (…)

La faiblesse de la gauche et la force de l'extrême droite dans un certain nombre de territoires ruraux et semi-ruraux, mais aussi de petites villes, est une composante essentielle du débat stratégique actuel, que doit affronter la gauche de rupture. En s'appuyant sur une lecture de Gramsci et sur un effort d'actualisation de l'élaboration gramscienne au regard des coordonnées sociales et politiques de notre temps, Yohann Douet propose une contribution importante à ce débat.

Tiré de la revue Contretemps
2 octobre 2024

Par Yohann Douet

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Les apports potentiels de la pensée de Gramsci au combat contre l'extrême droite sont innombrables, ne serait-ce que parce que son parcours politique et intellectuel est indissociable de la lutte contre le fascisme [1]. Dans cet article, je m'appuierai sur les résultats de mon ouvrage L'Hégémonie et la révolution – Gramsci penseur politique mais je développerai des réflexions qui n'y sont pas traitées directement [2]. Je discuterai de la manière dont les réflexions gramsciennes peuvent éclairer un problème politique décisif pour nous : la division des classes populaires, et le fait qu'une partie importante d'entre elles vote pour l'extrême-droite [3].

On le sait, l'espace politique français est aujourd'hui structuré selon une tripartition entre – pour utiliser les termes de Julia Cagé et Thomas Piketty [4] – un « bloc libéral-progressiste » (le macronisme au sens large), un « bloc national-populiste » (l'extrême-droite) et un « bloc social-écologiste (la gauche). Le premier bloc, qui attire largement les voix des classes dominantes, correspond à ce que Bruno Amable et Stefano Palombarini appellent le « bloc bourgeois [5] ». C'est entre les deux autres blocs politiques que se répartissent la plus grande part des votes des classes populaires.

La gauche (le bloc « social-écologiste ») réunit un vote beaucoup plus urbain tandis que l'extrême droite (le bloc « national-patriote [6] ») attire massivement les voix des classes populaires des « villages et des bourgs [7] ». Or il se trouve que, malgré des différences majeures, cette configuration historique présente des analogies frappantes avec celle qu'a connue Gramsci.

De l'Italie des années 1920…

De son temps, les classes populaires (ou « subalternes ») étaient séparées en deux groupes : d'un côté, une classe ouvrière urbaine et concentrée dans le Nord, politiquement organisée et massivement socialiste et communiste ; de l'autre, et ce second groupe est largement majoritaire en Italie, une paysannerie pauvre peu organisée (« désagrégée »), notamment dans le Sud (le Mezzogiorno) dominé économiquement et politiquement par le Nord. La paysannerie du Sud pouvait se mobiliser et agir collectivement, parfois d'une manière très radicale (occupation de terres, émeutes, voire insurrections, etc.) mais ses mobilisations étaient peu organisées, n'étaient pas organiquement liées au mouvement ouvrier et n'étaient pas nourries par une critique élaborée de l'ordre social [8].

Précisons que ni la classe ouvrière ni la paysannerie méridionale n'étaient massivement fascistes. Le fascisme italien avait sa base sociale dans la petite-bourgeoisie (urbaine et rurale). Mais, notamment à cause de la division entre classe ouvrière et paysannerie et entre Nord et Sud, les puissants mouvements sociaux de 1919-1920 (le biennio rosso) ne sont pas parvenus à l'emporter jusqu'au bout dans une révolution, et cet échec historique a rendu possible l'arrivée au pouvoir du fascisme deux ans plus tard (octobre 1922).

Dans cette situation, Gramsci affirme que la classe ouvrière urbaine doit construire son hégémonie sur la paysannerie – le terme d'hégémonie signifiant ici l'alliance entre ces deux classes, sous la direction de la première. La classe ouvrière doit donc parvenir à entraîner la paysannerie dans la lutte contre le capitalisme et la domination bourgeoise, et cela en renforçant l'activité politique de la paysannerie. Cela ne peut passer à ses yeux que par l'intermédiaire d'organisations sociales et politiques (en premier lieu le parti communiste), qui doivent donc lutter non seulement pour les intérêts ouvriers mais aussi pour les intérêts paysans (l'amélioration de leur niveau de vie, la possession des terres qu'ils travaillent, leur participation à la vie politique, etc.) [9].

Pour Gramsci, les politiques hégémoniques s'opposent aux politiques « économico-corporatives ». Peut ainsi être qualifiée d'« économico-corporative » une politique du mouvement ouvrier qui ne défend que les intérêts économiques particuliers (corporatistes, donc) de la classe ouvrière, en négligeant ceux de la paysannerie. En Italie, au moins depuis le début des années 1900, plutôt que de lutter radicalement avec la paysannerie contre la domination bourgeoise, une partie importante du mouvement ouvrier (les socialistes réformistes) accepte des compromis avec la bourgeoisie aux dépens de la paysannerie, notamment en prélevant des impôts sur le Sud de l'Italie à l'avantage du Nord industriel [10].

Cette politique corporatiste s'accompagne de préjugés et même d'un racisme des habitants du Nord envers ceux du Sud :

« On sait quelle idéologie les propagandistes de la bourgeoisie ont répandue par capillarité dans les masses du Nord : le Midi est le boulet de plomb qui empêche l'Italie de faire de plus rapides progrès dans son développement matériel, les méridionaux sont biologiquement des êtres inférieurs, des semi-barbares, voire des barbares complets, c'est leur nature [11] ».

Réciproquement, il souligne que les paysans du Sud ont aussi des préjugés envers les ouvriers du Nord qu'ils estiment être privilégiés, et ils ont par exemple participé à différentes occasions, en tant que soldats, à la répression de grèves ouvrières.

En somme, avant et encore plus après l'arrivée du fascisme au pouvoir, les subalternes étaient séparés par des clivages sociaux, territoriaux, politiques et idéologiques et la conscience de classe restait cantonnée à un niveau économico-corporatif.

… à la France des années 2020

L'une des tâches politiques cruciales aujourd'hui est, comme à l'époque de Gramsci, d'unifier les classes populaires qui sont clivées entre classes populaires urbaines et classes populaires rurales et péri-urbaines. Étant donné que le bloc urbain est plus organisé et plus progressiste politiquement, c'est en partant de lui que l'unité des classes populaires doit et peut être reconstruite. Le bloc de gauche urbain est donc le candidat naturel au rôle de « pôle hégémonique » principal. Il s'agit donc de construire son hégémonie sur les classes populaires rurales [12], c'est-à-dire de les entraîner dans une lutte politique émancipatrice.

(Re)conquérir politiquement les campagnes et les bourgs n'est certes pas le seul problème actuel. Il reste crucial de consolider, mobiliser et organiser les secteurs sociaux votant largement pour la gauche, qu'il s'agisse des classes moyennes progressistes des métropoles (a fortiori les jeunes et précaires), des classes populaires stables du public et/ou proches d'un syndicat, ou encore des habitant-e-s des quartiers populaires (en particulier les racisé-e-s). La convergence des votes de catégories sociales aussi diverses – notamment pour Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles de 2022 – demande à être pérennisée et le bloc électoral qui s'est dessiné doit être transformée en un véritable « bloc social » (dans le sens d'Amable et Palombarini), qui correspondrait à un ensemble cohérent et relativement stable de demandes et d'intérêts socio-économiques. Dans le cas des quartiers populaires, la mobilisation durable des abstentionnistes jouera incontestablement un rôle décisif, ce qui impliquera de mettre en avant des représentant-e-s issus de ces quartiers et de travailler localement à renforcer l'activité politique des habitant-e-s. Dans l'ensemble, il s'agit, pour le dire schématiquement, d'accroître l'unité, l'ampleur et l'activité du bloc déjà acquis à la gauche de gauche et à prédominance urbaine.

Mais il est également décisif, sur le plus long terme, d'exercer une activité hégémonique en direction des classes populaires rurales et de promouvoir également dans « les villages et les bourgs » une activité politique progressiste.

Les zones rurales ne sont évidemment plus peuplées majoritairement de paysan-nes comme à l'époque de Gramsci. S'il existe des ruralités plus prospères (régions touristiques, zones résidentielles à proximité des villes, etc.) marquées également par un vote FN/RN important, on se concentrera ici sur une configuration spécifique : celle des « campagnes en déclin », dans le Nord et l'Est notamment [13]. Il s'agit de régions désindustrialisées (contrairement au Mezzogiorno non encore industrialisé des années 1920), peuplées largement d'« “ouvriers conservateurs” encadrés par une petite et moyenne bourgeoisie dont la domination locale repose plus sur le capital économique que sur le capital culturel [14] ». Ces territoires se caractérisent par une gauche faible et par une politisation tendancielle à droite et surtout à l'extrême droite.

La « conscience du monde social » n'y est pas dichotomique (« nous » contre « ceux d'en haut ») mais, comme l'a formulé le sociologue Olivier Schwarz, « triangulaire [15] ». Le « nous » (classes populaires rurales) s'oppose en effet, d'un côté, à « ceux d'en haut » (les décideurs, les privilégiés urbains, notamment parisiens) et, de l'autre, à « ceux d'en bas » (les précaires, vus comme « cassos », et les assisté-e-s suspectés profiter de système, fréquemment assimilés aux racisé-e-s). Dans une telle vision du monde, il importe donc de se distinguer de ceux d'en bas, d'être reconnu-e comme respectable et méritant-e, tout en étant par ailleurs protégé-e dans la mesure du possible de la désindustrialisation et de la concurrence internationale. Or le FN/RN promet précisément de protéger les classes populaires blanches, en particulier rurales, de leur garantir une certaine respectabilité et de leur conserver les maigres acquis qu'elles peuvent avoir, comme par exemple la propriété de leur logement [16].

Chez ces classes populaires rurales, le sentiment de solidarité est loin d'avoir disparu, mais il est limité à des cercles restreints. Dans la vie quotidienne, il est ainsi limité à la famille ou au groupe amical (sur le mode du « déjà, nous » ou « nous d'abord [17] »). En politique, il est fréquemment limité aux français-e-s blanc-he-s (et méritant-e-s). Une telle solidarité s'apparente d'une certaine manière à la vision « économico-corporative » dont parlait Gramsci, qui désignait par là la défense des intérêts économiques de groupes sociaux particuliers en faisant abstraction des autres groupes.

En proposant la « préférence nationale », le FN/RN peut jouer de cette solidarité limitée et économico-corporative, mais il va plus loin en la retournant contre d'autres groupes sociaux populaires, puisqu'il promet la satisfaction d'intérêts économiques minimaux aux dépens des étrangèr-e-s et racisé-e-s. Tout en approfondissant ainsi les clivages existant au sein des classes populaires, le FN/RN vise à détacher les classes populaires blanches (et méritantes) pour les inclure dans un bloc social transclasse incluant les classes exploiteuses, bloc ayant pour ciment une conception racialisée de l'appartenance nationale.

Toujours est-il qu'au sein des classes populaires, l'idée selon laquelle on ne peut se protéger du système capitaliste néolibéral, et s'y ménager une place vivable et digne, qu'aux dépens d'autres secteurs populaires acquiert une très grande force lorsqu'il est impossible d'envisager un horizon au-delà de ce système et que l'on se résigne à l'accepter passivement. Cette logique est certes loin d'expliquer à elles seules le racisme, qui relève également d'autres causes structurelles, mais elles le renforcent, le cristallisent et contribuent à le politiser.

Un autre élément décisif doit être relevé : ce que Benoît Coquard appelle les « affinités transclasses [18] » entre les classes populaires rurales et la petite bourgeoisie locale. Il existe une certaine proximité, dans les modes de vie, les sociabilités mais aussi les visions du monde social entre d'une part les petits patrons, les commerçants et les artisans, et d'autre part les salariés de l'artisanat et des petites entreprises. Le salarié peut être ami avec et prendre pour modèle de réussite l'artisan à son compte, le président du club de chasse, le cafetier, le petit patron du coin – et éventuellement son petit patron [19].

Ce faisant, c'est la vision du monde très droitière de la petite bourgeoisie locale qui va influencer la vision du monde des classes populaires rurales, et devenir la norme dans ces territoires, l'adhésion à une telle vision politique de droite ou d'extrême-droite devenant même un gage de respectabilité et un moyen d'intégration (pour obtenir un emploi par exemple). Les membres de la petite bourgeoisie sont ainsi des « leaders d'opinion [20] » à l'échelle locale, des gens que l'on écoute.

En ce sens, ils peuvent jouent le rôle « d'intellectuels organiques » de l'extrême droite, sans que ce soit délibéré et sans qu'ils soient le plus souvent militants du FN/RN. Il faut préciser que lorsque Gramsci parle d'intellectuels, et d'intellectuels organiques en particulier, il ne pense pas forcément à des gens spécialisés dans une activité intellectuelle (lire, écrire, discourir, etc.). Il définit en effet les intellectuels par leur « fonction de connexion et d'organisation [21] » de la vie sociale, et par le fait de diffuser certaines visions du monde.

Gramsci peut écrire, à propos du sud de l'Italie, que « le paysan méridional est lié au grand propriétaire terrien par l'intermédiaire de l'intellectuel » petit-bourgeois [22], les intellectuels étant ici les prêtres, les petits fonctionnaires ou les professions libérales (notaires, médecins, etc.), qui incitent la paysannerie à la résignation et renforcent en son sein le sentiment d'impuissance. Il parle à ce propos d'un « monstrueux bloc agraire » formé par « la grande masse paysanne amorphe et inorganisée, les intellectuels de la petite et de la moyenne bourgeoisie rurale et les grands propriétaires fonciers [23] ».

Dans la mesure où, sans abolir complètement « l'effervescence » paysanne, ce bloc agraire assure une certaine stabilité aux rapports sociaux méridionaux et reconduit par conséquent la position subordonnée du Sud agricole et quasi-féodal par rapport au Nord capitaliste, Gramsci estime qu'il remplit une « fonction d'intermédiaire et de contrôleur au service du capitalisme septentrional et des grandes banques. Son unique but est de maintenir le statu quo [24] ».

Dans la France des années 2020, on l'a vu, les classes populaires rurales sont liées à l'extrême-droite par l'intermédiaire de la petite-bourgeoisie locale, qui joue objectivement un rôle d'intellectuel organique. Pour désigner cet ensemble de rapports socio-politiques on pourrait parler, par analogie avec le « bloc agraire » de Gramsci, de « bloc rural » [25]. Et, tout comme le bloc agraire méridional gramscien servait en définitive le capitalisme italien (au sein duquel le Nord était dominant), le bloc rural français contemporain sert les intérêts du capitalisme néolibéral (dominé par les métropoles) dans la mesure où le vote d'extrême-droite fait obstacle à toute alternative véritable, passant nécessairement par une gauche de rupture.

L'analyse du bloc social rural est seulement esquissée ici, et demanderait à être développée[26]. Elle peut néanmoins permettre de mieux comprendre comment l'extrême-droite peut obtenir des scores électoraux importants dans des zones où elle n'a qu'une faible présence militante, si bien que des candidat-e-s fantasques glaçants, comme des personnes se photographiant sur les réseaux sociaux avec une casquette nazie, ayant fait une prise d'otage ou étant sous curatelle, ont pu dépasser 20% ou 30%, et se qualifier au second des législatives [27]. Si le FN/RN n'a pas nécessairement besoin de militantisme local pour atteindre de tels résultats, c'est en effet pour plusieurs raisons qui se renforcent réciproquement :

1) Il se nourrit de la logique du système néolibéral et des demandes de protection économico-corporatives que celui-ci produit. D'un côté, le FN/RN tire une certaine rente électorale de son image de parti anti-système, ce que renforce le fait qu'il n'a jamais exercé le pouvoir au niveau national ; de l'autre, l'alternative qu'il prétend incarner ne remet pas en cause les fondements du néolibéralisme. Une telle alternative, illusoire dans la mesure où elle reste intérieure au système néolibéral, apparaît pourtant plus réaliste que celle incarnée par la gauche de rupture aux yeux de celles et ceux qui se résignent à ce système.

2) Ses idées sont périodiquement reprises par les partis de gouvernement et perpétuellement diffusées dans les grands médias, les classes populaires rurales formant le secteur social où l'on regarde le plus la télévision [28]. On pourrait ici pousser l'analogie et comparer le rôle de la télévision dans la France rurale contemporaine au rôle de l'Église dans l'Italie des années 1920. Les médias de masse constituent un appareil idéologique agissant au cœur même des foyers, et ne demandent pas la même présence dans l'espace social que l'appareil idéologique clérical, avec son clocher et son prêtre dans chaque village. Il faut certes relativiser l'influence directe et immédiate de la télévision, dont le message est toujours interprété et décodé par les auditeurs-rices en fonction, notamment, de l'influence des « leaders » ou « relais d'opinion » de leur entourage. Cela étant, dans le cas qui nous intéresse, ces intermédiaires semblent bien renforcer le caractère réactionnaire du message des grands médias.

3) Le FN/RN est favorisé par les rapports sociaux qui rattachent les classes populaires à la petite bourgeoisie dans le cadre du « bloc rural ».

Briser le bloc rural

Gramsci affirmait en son temps la nécessité de construire l'hégémonie du mouvement ouvrier sur la paysannerie du Sud et de briser le « monstrueux bloc agraire » méridional entre la paysannerie, les intellectuels petits-bourgeois et les grands propriétaires. Comment espérer aujourd'hui mener avec succès une politique hégémonique en direction des classes populaires rurales et notamment briser le « bloc rural » ?

1) Pour parvenir à rendre les projets de gauche audibles et potentiellement hégémoniques, il est bien entendu nécessaire de s'adresser d'une manière concrète aux classes populaires rurales et de se confronter à ce qui les préoccupe comme la question du transport (et surtout de la voiture individuelle, étincelle du mouvement des Gilets jaunes) dans les zones rurales et péri-urbaines et la question de la propriété du logement – cela sans abandonner bien sûr les objectifs de décarbonation de l'économie et la défense du logement social.

Dans leur ouvrage, Julia Cagé et Thomas Piketty voient une analogie entre, d'une part, l'importance pour les classes populaires rurales de la propriété de leur logement aujourd'hui et, d'autre part, l'attachement à la propriété de la terre pour la paysannerie française autrefois. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, cette question aurait contribué à détourner la paysannerie de la gauche (marxiste), perçue comme trop collectiviste, et à renforcer la tripartition de l'espace politique (qui aurait prédominé de 1848 à 1910). Même s'il est indispensable de rappeler la différence entre un moyen de production (la terre) et un moyen d'habitation, l'analogie reste éclairante et on peut l'étendre jusqu'à la situation italienne des années 1920. En ce sens, une politique hégémonique concrète de la gauche envers les classes populaires rurales devrait donner une réponse aux problèmes de la voiture individuelle et de la propriété du logement comme – toute proportion gardée – elle devait au temps de Gramsci proposer une solution à la question méridionale et à la question de la terre.

Sur la question du logement, Cagé et Piketty relèvent dans le programme du RN aux présidentielles de 2022 la promesse d'une extension du prêt à taux zéro pour l'accession à la propriété, chaque famille pouvant de plus selon cette mesure bénéficier de la part de l'État d'un prêt de 100 000 euros sans intérêt, qui n'aurait plus à être remboursé après la naissance d'un troisième enfant. Si cet élément relativement secondaire du programme n'est vraisemblablement pas la cause principale de la tendance des propriétaires de milieux populaires à voter pour l'extrême-droite, qui peut s'expliquer par d'autres raisons plus fondamentales [29], elle témoigne indéniablement de la capacité du FN/RN à saisir les préoccupations des classes populaires rurales.

2) Même le discours le plus adapté et le programme le plus pertinent ont besoin de relais d'opinions au niveau local, jouant le rôle d'intellectuels organiques diffus présents dans les territoires. Pour le dire simplement, il s'agit d'éviter que seuls les petits patrons de la région se fasse entendre. Dans la mesure où « les groupes sociaux qui portent typiquement le vote à gauche sont soit absents de ces villages et bourgs populaires, du fait notamment du départ des jeunes diplômés ne trouvant pas de débouchés sur le marché de l'emploi local, soit dans un entre-soi ignoré des classes populaires locales », la solution serait, dans l'idéal, que des catégories sociales plus marquées à gauche viennent ou reviennent s'installer dans des campagnes populaires [30]. La relocalisation d'emplois diplômés (dans la santé et l'éducation par exemple) pourrait permettre qu'émergent de nouveaux modèles de réussite plus progressistes que le petit entreprenariat local. Ce type de solution pourrait passer par une reconstruction des services publics atrophiés dans ces territoires [31].

3) La défense des services publics constitue du reste une revendication non économico-corporative et au contraire potentiellement hégémonique. Dans leur principe, ils sont censés être universels et en tant que tels ils répondent aux intérêts des classes populaires urbaines comme rurales, racisées ou non. C'est autour de telles revendications hégémoniques que l'on peut espérer reconstruire l'unité des classes populaires. Le problème est bien sûr qu'une telle reconstruction des services publics ne pourra être mise en œuvre qu'une fois la gauche de rupture déjà au pouvoir, et que les classes populaires rurales ne pourront en éprouver les effets positifs qu'à plus longue échéance encore.

4) Gramsci écrit en 1926 que « le prolétariat détruira [le] bloc agraire méridional dans la mesure où il réussira, à travers son Parti [le parti communiste], à organiser en formations autonomes et indépendantes des masses toujours plus importantes de paysans pauvres [32] ». Si l'on essaie d'adapter cette formule à notre situation, on peut dire que briser le bloc rural suppose de construire une organisation politique radicale de masse, présente physiquement sur tout le territoire. Dans la mesure où, sans relais d'opinion locaux, les discours progressistes risquent de rester hors sol, il s'avère nécessaire de s'implanter localement, sur le long terme, dans les bourgs et si possible dans les villages : le slogan « Une cellule du parti pour chaque clocher », lancé par le dirigeant communiste italien Pietro Secchia en 1945 et adopté par le PCI, indique toujours la direction à prendre, quand bien même serait-il impossible de réaliser intégralement cet objectif. La croissance et l'implantation d'une telle organisation demandera une lutte politique de longue haleine, âpre et acharnée : une « guerre de position », aurait dit Gramsci. Or si la France insoumise, sous sa forme actuelle, excelle dans l'action rapide, lorsqu'il s'agit de se mobiliser d'une manière ponctuelle pour une échéance électorale importante, l'intervention durable et l'implantation territoriale présentent bien plus de problèmes (comme en témoignent par exemple ses scores généralement plus faibles aux élections locales). Pour mener la guerre de position et la lutte hégémonique en direction des classes populaires rurales, il faut un véritable parti, de masse, structuré, ramifié, présent localement, sensible à la particularité des différentes zones d'intervention et s'appuyant sur des militant-e-s, des représentant-e-s et même des élu-e-s issu-e-s des classes populaires [33]. Bref, cette lutte hégémonique ne pourra être menée avec succès que si elle passe, non par un mouvement gazeux, mais par un processus d'organisation moléculaire [34].

5) Même si l'on en avait la volonté, la construction d'une telle organisation politique de masse serait difficile ne serait-ce que parce qu'il existe peu de points d'appui dans les campagnes et les bourgs. Il serait donc indispensable de s'appuyer sur les structures existantes, comme les associations locales et surtout les syndicats, qui restent les organisations populaires progressistes les plus massives et présentes localement. En effet, « dans les petites villes rurales, où le RN accumule un nombre de voix assez important, les militant-e-s de gauche sont de plus en plus rares. Souvent, seuls les réseaux syndicaux restent actifs pour défendre les valeurs progressistes contre les idées d'extrême droite, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les quartiers [35] ». En ce sens, il serait indispensable de renforcer, à un niveau local comme national, les liens organiques entre partis de gauche radicale et syndicats de lutte, qui sont parfois trop relâchés, ou marqués par une certaine tension. Le soutien explicite apporté par la CGT au NFP est sur ce plan un signe encourageant.

6) Les luttes et mouvements sociaux, qu'il s'agisse de grèves locales ou de mouvements d'ampleur nationale, restent des occasions particulièrement favorables au recul de l'extrême-droite et à formation de nouvelles solidarités de classe, par-delà les clivages des classes populaires. Cela s'est en particulier constaté dans le cas du mouvement des Gilets jaunes. Celui-ci a dans certains cas permis la transformation d'une conscience « triangulaire » du monde social en une conscience « dichotomique » où le « nous » est principalement opposé à « ceux d'en haut » [36]. Comme l'écrit Benoît Coquard, « l'irruption des Gilets jaunes à l'automne 2018 a ouvert une brèche inattendue, dans des coins de France profondément rétifs aux engagements collectifs et à la rébellion politique [37] ». De plus, leurs revendications et surtout les formes d'action radicales qu'ils ont adoptées se sont avérées inconciliables avec le culte de l'autorité et la défense unilatérale de la police portés par le FN/RN. Dans l'ensemble, le mouvement des Gilets jaunes a montré le potentiel politique des classes populaires rurales et péri-urbaines, et a ainsi constitué une « fissure [38] » importante dans le bloc rural. Il peut ainsi être vu comme une phase de « guerre de mouvement » populaire, mais qui a malheureusement trop peu nourri la guerre de position de la gauche.

À cet égard, l'attitude réticente voire hostile d'une grande partie des directions syndicales envers ce mouvement a été une faute sociale et politique majeure, l'inverse même de ce que devrait être une politique hégémonique visant à unifier l'ensemble des classes populaires. Les occasions de rapprochement entre organisations progressistes et classes populaires rurales sont rares et précieuses, il faut donc savoir les saisir et cela n'a pas été fait au niveau national, même si de nombreux-ses militant-e-s syndicaux-les ont participé localement au mouvement des Gilets jaunes. Comme l'a écrit Gramsci, « négliger et, pis, mépriser les mouvements dits spontanés, c'est-à-dire renoncer à leur donner une direction “consciente”, à les élever à un plan supérieur en les insérant dans la politique, […] peut avoir souvent de très graves et très sérieuses conséquences [39] ».

Conclusion

Les concepts gramsciens d'hégémonie, de corporatisme, d'intellectuels organiques, de guerre de position et de mouvement restent particulièrement pertinents pour analyser et éclairer la lutte contre l'extrême-droite. Il est certes nécessaire, sous peine de tomber dans une application dogmatique et mécanique de conceptions formulées il y a près d'un siècle, de spécifier ce que notre situation a d'unique et de différent de celle de l'Italie des années 1920, raison pour laquelle il est indispensable de s'appuyer sur les résultats des travaux de sciences sociales contemporains.

Toujours est-il que, s'il reste quelque chose de parfaitement actuel dans ce que nous a légué Gramsci, c'est bien sa célèbre devise : « pessimisme de l'intelligence, optimisme de la volonté ». Pessimisme face aux ravages du capitalisme, mais optimisme en ce qui concerne la capacité des subalternes organisé-e-s à le renverser. Les classes populaires gagnées par l'extrême-droite ne parviennent pas à dépasser le pessimisme, ne voient pas d'horizon au-delà de la concurrence généralisée et ne conçoivent la satisfaction de leurs demandes qu'au détriment d'autres groupes subalternes.

Le FN/RN est bien, comme le disait Trotsky du fascisme, « le parti du désespoir contre-révolutionnaire [40] ». Pour le vaincre, la meilleure arme reste donc de faire naître, et de faire éprouver concrètement, un espoir révolutionnaire.

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Illustration : Marche des gilets jaunes à Gannat 8 Décembre 2018 © Sylvain Néron

Notes

[1] L'un des objectifs principaux des textes de Gramsci, avant comme après son emprisonnement (novembre 1926), est de penser et de lutter contre le fascisme. Voir Yohann Douet et Ugo Palheta, « Comprendre et combattre le fascisme avec Gramsci » [Podcast], Spectre.

[2] Yohann Douet, L'Hégémonie et la révolution – Gramsci penseur politique, Paris, Éditions Amsterdam, 2023. Un extraitde l'ouvrage et une recension par Hendrik Davi ont été publiées dans Contretemps.

[3] Le présent article reprend et complète l'intervention que j'ai donnée aux AMFIS 2024 dans le cadre du panel « Penser nos luttes avec Antonio Gramsci » organisé par Contretemps, aux côtés de Galatée de Larminat et Stathis Kouvélakis, que je remercie pour leurs discussions enrichissantes que nous avons eues sur ces questions et leurs précieuses remarques.

[4] Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022, Paris, Seuil, 2023.

[5] Bruno Amable et Stefano Palombarini, L'illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Paris, Raisons d'agir, 2017. Alors que Cagé et Piketty parlent de « blocs politiques », Amable et Palombarini étudient plutôt des « blocs sociaux », c'est-à-dire des « alliances sociales » entre différents groupes, qui excèdent la seule dimension électorale. Un bloc social est pour eux « constitué par les groupes protégés par une stratégie » politico-économique (ibid., p. 22), comme la stratégie néolibérale dans le cas du bloc bourgeois, lequel reste toutefois trop étroit pour former un bloc social dominant d'une manière stable.

[6] Cagé et Piketty incluent LR dans ce bloc, ce qui pourrait être discuté, mais faire un choix différent ne modifierait pas fondamentalement les tendances générales.

[7] Cagé et Piketty (ibid., p. 95) répartissent la population française entre 12 millions de personnes habitant dans des villages (agglomérations de moins de 2000 habitants), 21 millions dans des bourgs (agglomérations entre 2000 et 100 000), 22 millions dans des banlieues (communes secondaires des agglomérations de plus de 100 000 habitants) et 11 millions dans des métropoles (agglomérations de plus de 100 000 habitants). À mesure que l'on passe des villages aux bourgs, aux banlieues et aux métropoles, on constate que le vote national-populaire décroît et qu'à l'inverse le vote pour le bloc social-écologiste croît (pour la présidentielle 2022, voir ibid., p. 718). Remarquons que, si Cagé et Piketty n'avaient pas fait le choix discutable d'inclure les bourgs jusqu'à 100 000 habitant-e-s mais, disons, jusqu'à 10 000, le survote pour l'extrême-droite aurait vraisemblablement été encore plus marqué.

[8] Il en allait différemment de la paysannerie du Nord (notamment dans la plaine du Pô, caractérisée par une agriculture moderne), qui était beaucoup plus organisée, notamment dans des « ligues paysannes » d'obédience socialiste. Ce fut d'abord pour briser par la violence de telles organisations paysannes (avec le squadrisme), après deux années de mobilisation sociale en 1919-1920, que le mouvement fasciste a été soutenu par les grands propriétaires terriens et a pris toute son ampleur.

[9] Si la bourgeoisie française a pu construire une forte hégémonie sur la paysannerie au cours de la Révolution française c'est précisément parce que, d'après Gramsci, certains intérêts de ce type ont été satisfaits.

[10] Je m'appuie ici par la suite sur « Quelques thèmes sur la question méridionale », texte dont Gramsci avait commencé la rédaction quelques semaines avant son emprisonnement (novembre 1926), et qui est par conséquent resté inachevé. Ce texte se trouve dans Antonio Gramsci, Écrits politiques, Paris, Gallimard, 1975-1980, tome 3, p. 329-356 (noté ci-dessous EP III).

[11] EP III, p. 333.

[12] Le terme « rural » est pris ici en un sens large et renvoie également à des villes moyennes, en particulier les « bourgs » en déclin. Chez Cagé et Piketty, les « bourgs » rassemblent les communes jusqu'à 100 000 habitants (tant qu'il ne s'agit pas de communes secondaires de communes plus grandes).

[13] Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La Découverte, 2019. Les ressorts du vote FN/RN dans la région plus attractive qu'est le Sud-Est (région PACA en l'occurrence) ont été étudiés par Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l'extrême droite, Paris, Seuil, 2024. Pour une réflexion sur les logiques présidant au vote FN/RN (en partie – mais en partie seulement – différentes selon les zones), voir l'entretien avec Benoît Coquard et Félicien Faury mené par Fabien Escalona : « Hégémonie sur le terrain, normalisation, racisme : les ressorts du vote RN », Médiapart, 27 juin 2024.

[14] Ibid., p. 173.

[15] Olivier Schwarz, « Vivons-nous encore dans une société de classe ? Trois remarques sur la société contemporaine française », La Vie des idées, 22 septembre 2009.

[16] L'un des résultats frappants du travail de Cagé et Piketty est la corrélation forte, chez les classes populaires, entre le fait d'être propriétaire de son logement et le fait de voter pour le « bloc national-patriote ». Ils caractérisent ainsi le vote FN/RN comme un vote de « petits-moyens accédant à la propriété ».

[17] Benoît Coquard, Ceux qui restent, op. cit., chapitre 7, p. 173-190.

[18] Ibid., p. 35.

[19] Ces logiques d'affinités transclasses jouent plus nettement dans le cas de sociabilités masculines (les sociabilités des femmes dépendant plus fréquemment des sociabilités de leurs conjoints), raison pour laquelle on ne féminise pas ici.

[20] La notion de « leaders d'opinion (opinion leadership) ou « relais d'opinion » a été développée par les sociologues Paul Lazarsfeld et Elihu Katz dans le cadre de la théorie de la « communication à deux étages (two-step flow of communication) » soutenant que les discours politiques ou médiatiques ne prennent toute leur force de conviction que s'ils sont relayés à un niveau local par des figures relativement influentes.

[21] Cahier 12, §1, in Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Paris, Gallimard, 1978-1996, tome 3, p. 314. Gramsci ne définit pas les intellectuels par le contenu intrinsèque de leur activité mais par leur place dans les rapports sociaux, et la catégorie des intellectuels acquiert ainsi une extension bien plus vaste que dans les usages courants du terme. À ses yeux, peuvent donc faire partie des intellectuels des figures apparemment éloignées telles que le philosophe professionnel, le prêtre, l'entraîneur sportif, le journaliste, le policier, l'ingénieur, l'économiste, l'instituteur, le médecin, etc. » (Fabio Frosini, « De la mobilisation au contrôle : les formes de l'hégémonie dans les « Cahiers de prison » de Gramsci », Mélanges de l'École française de Rome – Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, n° 128-2, 2016), ou encore le chef d'entreprise capitaliste et le militant d'un parti politique. Que dans les « campagnes en déclin » le rôle d'intellectuels organiques soit joué par les membres d'une petite-bourgeoisie « dont la domination locale repose plus sur le capital économique que sur le capital culturel » (selon la formulation de Benoît Coquard) n'est que relativement paradoxal si l'on poursuit l'élargissement de la notion d'« intellectuels » initié par Gramsci.

[22] EP III, p. 348.

[23] Ibid., p. 345.

[24] Ibid., p. 348.

[25] Cette analogie – comme toute analogie historique – est évidemment imparfaite. En particulier, l'extrême-droite qui attire les votes populaires ruraux n'est pas assimilable aux propriétaires terriens dominants dans le bloc agraire méridional de Gramsci, qui exploitaient économiquement la paysannerie. Alors que, dans l'Italie des années 1920, le capitalisme développé dans le Nord s'articulait à des rapports sociaux quasi-féodaux dans le Sud, le capitalisme (sous sa forme néolibérale) subsume directement tout le territoire français, même s'il avantage certaines zones aux dépens d'autres.

[26] La notion de « bloc social » renvoie ici, comme chez Amable et Palombarini, à une alliance entre groupes sociaux rassemblés derrière une stratégie politico-économique, avec la promesse d'une satisfaction – quand bien même serait-elle illusoire – de certains intérêts économico-corporatifs des classes populaires rurales blanches par une stratégie de préférence nationale. Mais elle renvoie également, comme chez Gramsci, aux rapports sociaux concrets qui rattachent les différents groupes constituant le bloc en question (classes populaires rurales, petite bourgeoisie rurale, représentants de l'extrême-droite, etc.).

[27] « Casquette nazie, propos racistes et antisémites, prise d'otage : ces candidats RN aux législatives qui font polémique », France bleu, 3 juillet 2024.

[28] Sur l'analyse gramscienne des médias, voir Yohann Douet (entretien avec Frédéric Lemaire), « Gramsci, critique des médias ? », Acrimed, décembre 2020.

[29] En effet, la proportion de propriétaires est bien plus forte en milieu rural, lequel est tendanciellement lié au vote d'extrême-droite pour de nombreuses raisons, comme on l'a vu. De plus, la propriété de son logement signifie que l'on a quelque chose à perdre (économiquement et symboliquement) et peut vraisemblablement être propice à une conscience sociale « triangulaire ».

[30] Benoît Coquard, « Les obstacles à “la reconquête du vote populaire rural” : discussion sur l'ouvrage de Cagé et Piketty », The Conversation, 20 septembre 2023.

[31] Ibid.

[32] EP III, p. 356.

[33] Xavier Vigna (entretien avec Mathieu Dejean), « La gauche n'a pas de stratégie nationale pour reconquérir ses territoires perdus », Médiapart, 28 juillet 2024.

[34] Gramsci emploie le terme de « moléculaire » comme synonyme de capillaire ou diffus, notamment pour qualifier la politique qui se fait au niveau le plus fin, local et particulier.

[35] Julian Mischi, « Comment l'extrême droite française prospère au détriment de la gauche », Revue l'Anticapitaliste, n° 158, juillet 2024. Julian Mischi le montre à partir du cas d'une petite ville de 3000 habitants, localité rurale et ouvrière du centre-est de la France, où le vote RN est important et en progression constante mais où le syndicalisme CGT des cheminot-e-s reste un pôle de politisation progressiste actif.

[36] Voir Zakaria Bendali, Raphaël Challier, Magali Della Sudda, Olivier Fillieule, « Le mouvement des Gilets jaunes : un apprentissage en pratique(s) de la politique », Politix, 2019/4, n° 128, p. 143-177.

[37] Benoît Coquard, Ceux qui restent, op. cit., p. 173.

[38] Gramsci parle lui aussi des « fissures du bloc agraire » méridional (EP III, p. 351).

[39] Cahier 3, §48, in Antonio Gramsci, Cahiers de prison, op. cit., tome 1, p. 296

[40] Léon Trotsky, « Le tournant de l'Internationale Communiste et la situation en Allemagne », 26 septembre 1930.

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Penser les transformations des systèmes militaro-sécuritaires

8 octobre 2024, par Claude Serfati — ,
L'économiste marxiste Claude Serfati a publié il y a quelques mois un livre intitulé Un monde en guerres, aux éditions Textuel. Nous en avions publié un compte-rendu, de (…)

L'économiste marxiste Claude Serfati a publié il y a quelques mois un livre intitulé Un monde en guerres, aux éditions Textuel. Nous en avions publié un compte-rendu, de Nicolas Pinsard, auquel Claude Serfati répond ici. Il revient notamment sur sa conception de l'impérialisme contemporain, le rôle des hauts fonctionnaires conçus comme « capitalo-fonctionnaires », mais aussi les transformations des systèmes militaro-sécuritaires liées à l'intelligence artificielle.

Tiré de la revue Contretemps
3 octobre 2024

Par Claude Serfati

L'objectif d'Un monde en guerres est de fournir aux lecteurs – chercheurs et citoyens engagés – quelques clés de compréhension sur les interactions des dynamiques contemporaines qui sont à l'œuvre sur le plan économique, environnemental et géopolitique [1]. La note de Nicolas Pinsard, qui a été publiée dans Contretemps, propose non seulement une recension de cet ouvrage, mais elle formule quelques pistes de recherche inspirées par sa lecture. Sa note était initialement destinée à commenter la présentation de mon ouvrage dans un séminaire académique [2], et Nicolas Pinsard inscrit son interpellation dans le cadre de l'école de la régulation dont il signale la quasi-absence d'intérêt pour le militarisme et les conflits armés.

Je le remercie pour l'effort de lecture et l'intérêt de ses commentaires. Ma réponse sera plus brève que sa note puisqu'elle ne portera que sur les points qui relèvent de cette 'interpellation'. J'aborde la multipolarité capitaliste hiérarchisée qui caractérise l'impérialisme contemporain puis la place des « capitalo-fonctionnaires » dans le capitalisme français. Je précise ensuite la contribution de l'intelligence artificielle à la consolidation des systèmes militaro-sécuritaires, une hypothèse qui conteste fortement celle d'une « autonomisation de la technique vis-à-vis de l'État » défendue par Nicolas Pinsard dans sa note. Je suis enfin moins optimiste que lui sur le rôle important que la Haute Administration française pourrait jouer dans la « bifurcation écologique » qu'il propose car mes analyses m'éloignent de l'hypothèse d'une neutralité instrumentale des institutions étatiques.

Une multipolarité capitaliste hiérarchisée

La première réserve formulée par Nicolas Pinsard (remplacé dans la suite de ce texte par NP) concerne la focalisation de l'ouvrage sur les rivalités entre les grandes puissances impérialistes et l'absence d'analyse de « la relation de ces États avec les zones périphériques ». Cette critique est factuellement discutable.

D'une part, l'ouvrage décrit, comme NP le mentionne, la « reprimarisation des économies latino-américaines » – c'est-à-dire les politiques industrielles fondées sur l'exportation de ressources naturelles. D'autre part, il décrit les mécanismes d'asservissement des pays du Sud par la dette, un processus qui prolonge et amplifie ce qui se passa à l'ère de l'impérialisme d'avant la première guerre mondiale. Surtout, l'ouvrage propose un présentation détaillée des processus de dépendance produits par les chaines de production mondiales (CPM) qui sont mises en place par les grands groupes. Les CPM systématisent la captation de valeur des pays dépendants au profit des pays développés et en ce sens, elles donnent une nouvelle physionomie à la domination des pays impérialistes.

De plus, une large partie du chapitre consacré à l'antagonisme entre les États-Unis et la Chine s'intéresse à la ‘route de la soie', qui constitue un modalité de domination différente des mécanismes mis en place par les impérialismes occidentaux il y a plus d'un siècle.

Plutôt que la lacune regrettée par NP, la question non traitée dans l'ouvrage par manque de place pour en aborder ses enjeux théoriques est celle des pays de second rang qui sont à la fois des pays dominés par les grands impérialismes mais aussi en position d'exploiter des pays de rang inférieur. Je résume donc ici brièvement ma position.

Je définis l'impérialisme à la fois comme une configuration du capitalisme dominée par le capital monopoliste et financier et comme une structure de l'espace mondial dominée par quelques pays. Selon moi, la réflexion sur ces pays intermédiaires doit partir du constat d'une hiérarchisation de l'espace mondial bien plus complexe que celle d'avant 1914, même si les théoriciens marxistes de l'impérialisme établissaient déjà une hiérarchie au sein des puissances impérialistes. L'exemple le plus spectaculaire qu'ils donnaient était alors celui de la Russie [3]. Dans la lignée des travaux du sociologue brésilien Ruy Mauro Marini, Alex Callinicos, Patrick Bond et d'autres marxistes emploient aujourd'hui le terme de ‘sous-impérialisme' pour qualifier une liste plus ou moins longue de pays (Afrique du Sud, Brésil, Inde, Iran, Israël, Pakistan, Turquie, etc.) qui se trouvent dans cette position intermédiaire.

Plutôt que l'objectif d'une classification individuelle des pays, j'inscris le débat sur la hiérarchisation de l'espace mondial dans le le cadre d'analyse de l'impérialisme contemporain. Il est indéniable que la contestation de l'ordre mondial dominé par le « bloc transatlantique » et en particulier des États-Unis qui en sont le pilier, redessine les alliances interétatiques, avec la Chine et la Russie comme pôles impérialistes majeurs de cette contestation.

Dans ce nouveau contexte, quelques pays, qualifiés de sous-impérialismes, tentent d'émerger comme puissances régionales. En résumé, l'espace mondial contemporain est structuré par une multipolarité capitaliste hiérarchisée. Cette hypothèse est donc très éloignée de celle qui parle d'un « Sud global » qui serait homogène dans sa contestation de la domination occidentale et qui est parfois à tort qualifié d'anti-impérialiste (au motif qu'anti-occidental = anti-impérialiste) [4].

D'autre part, l'interdépendance provoquée par le marché mondial s'est considérablement renforcée. Ses effets sont ambivalents : la multipolarité capitaliste crée des rivalités entre les grandes puissances mais elle incite également à leur coopération contre les exploités et dominés [5]. J'aborde cette ambivalence dans Un monde en guerres à propos de l'antagonisme entre la Chine et les États-Unis. A partir des années 1990, leur interdépendance économique a créé un jeu ‘gagnant-gagnant' pour les classes dominantes des deux pays à la suite de l'intégration de la Chine dans le marché mondial. Depuis la fin des années 2000, elle met au contraire le monde au bord de l'abîme conflictuel.

Nier les mutations de l'impérialisme depuis un siècle serait donc absurde, mais celles-ci n'ébranlent pas les fondements des analyses marxistes formulées au début du vingtième siècle. Elles ne les rendent pas plus obsolètes en raison de la domination étatsunienne ou sous prétexte que l'interdépendance créerait une classe capitaliste transnationale qui marginaliserait les Etats dominants.

Le capitalisme, une structure fondée sur des forces sociales

Dans mes travaux, je qualifie les systèmes militaro-industriels (SMI) de prolongement des fonctions de défense de l'Etat sur le terrain économique. Cette définition semble convenir à NP qui me reproche néanmoins une « hésitation sur la façon de concevoir l'articulation entre SMI et État et les capitalo-fonctionnaires ».

J'utilise le terme capitalo-fonctionnaires pour souligner dans le cas de la France à quel point le mode de formation et de reproduction des classes dominantes mélange les genres. Les études empiriques sur la trajectoire des élites françaises sont d'ailleurs nombreuses qui documentent ce que de façon trop partielle, on nomme le « pantouflage ».

Au départ (le dix-neuvième siècle), ce terme désignait la trajectoire des hauts fonctionnaires qui poursuivaient ou achevaient leur carrière dans les grandes entreprises. Cependant, comme je l'ai analysé [6], le régime bonapartiste de la cinquième République a considérablement augmenté les passerelles entre le monde de la Haute Administration, l'appareil gouvernemental et les grandes entreprises [7], dont une grande partie est depuis six décennies successivement nationalisée et privatisée, généralement pour confirmer l'adage : socialisation des pertes, privatisation des profits.

Cette osmose des élites publiques et privées est facilitée par leur formation dans les mêmes grands corps des grandes écoles, en premier lieu l'Inspection générale des finances à l'ENA et les corps des Ingénieurs des Mines et des Ponts et Chaussées et de l'armement à Polytechnique. Contrairement aux craintes de NP, constater ce mode singulier de reproduction des classes dominantes de la France ne supprime en aucun cas les différences fonctionnelles qui existent en France comme ailleurs entre le capital et les institutions étatiques (et la différenciation en leur sein). Il est effet communément admis par l'analyse marxiste [8] qu'une des singularités du capitalisme par rapport aux modes de production antérieurs est la séparation entre le rapport d'exploitation directe (la relation capital-travail) et la domination politique de l'État, garant de la reproduction des rapports sociaux et à ce titre doté d'une existence propre.

Or, NP conclut de l'expression « classe de capitalo-fonctionnaires » que j'utilise que « l'État n'aurait pas d'espace propre et par conséquent qu'il n'y aurait pas d'autonomie relative de cette institution vis-à-vis du capital et en particulier du secteur de l'armement ». Ce faisant, il confond le niveau de la reproduction des agents sociaux– au sens de l'agency anglophone – et celui des structures sous-jacentes du capitalisme. Ce débat est récurrent en sciences sociales [9].

Cette confusion des niveaux, c'est par exemple celle que font les analyses qui observent une internationalisation des Conseils d'administration des grands groupes mondiaux et en concluent à la domination d'une classe capitaliste transnationale et même pour certains, à l'emprise d'un État capitaliste transnational sur la planète [10]. Ces analyses négligent le fait que les rapports sociaux capitalistes demeurent territorialement circonscrits par des frontières et politiquement construits autour d'États.

La France est un pays capitaliste dans lequel la proximité ‘physique' des classes dominantes avec les institutions étatiques a toujours été une composante vitale de leur reproduction face à des exploités insoumis (1830,1848,1870,1936, 1968, etc.). Cette réalité n'est pas démentie par le fait que, selon les études des cabinets conseils, la France est un des pays occidentaux dont les grands groupes – concrètement le CAC 40 – comptent le plus d'administrateurs étrangers [11].

L'intelligence artificielle ne provoquerait pas de changement majeur dans les processus de travail…

L'hypothèse centrale du chapitre « L'intelligence artificielle au cœur de l'ordre militaro-sécuritaire » d'Un monde en guerres est la suivante. A rebours de ce que permettrait leur usage socialement maitrisé afin de satisfaire les besoins de l'humanité, les technologies qui reposent sur l'IA transforment simultanément les données en source d'accumulation de profits, elles renforcent le pouvoir sécuritaire des États et elles introduisent de nouvelles formes de guerre grâce à leur utilisation par les militaires. En somme, l'IA offre des potentialités d'utilisation contre les êtres humains dans tous les domaines de leur vie en société en tant qu'ils sont à la fois salariés, citoyens et ‘civils' menacés par les guerres.

NP conteste cette rupture. En effet, sur le plan des processus de production (de travail), il se demande si « Les ressorts de cette technologie ne sont […] pas in fine relativement classiques ? ». Cet « éternel retour » des technologies me semble une description inappropriée de la réalité. Elle néglige en particulier les effets cumulatifs produits par les innovations technologiques car celles-ci s'intègrent à des systèmes techniques déjà existants dans des conditions qui dépendent de l'environnement socio-économique.

L'IA est certes une technologie à portée générale, comme le furent la machine à vapeur, l'électricité et l'électronique, dont elle est d'ailleurs un développement. Mais ce qui lui confère cette ubiquité qui nous atteint en tant que « salariés, citoyens et civils » tient au fait que ses développements prennent place d'emblée à l'échelle internationale et sont donc un enjeu de rivalités militaro-économiques.

Or, depuis la fin des années 2000, l'espace mondial est marqué par une combinaison explosive : la « longue dépression » économique des grandes économies occidentales initiée par la crise financière de 2008 se produit dans un contexte de dégradation environnementale qui provoque à son tour le durcissement de la concurrence économique accélérée et exacerbe les rivalités militaires. Ne pas prendre en compte ce contexte a pour conséquence d'analyser les dynamiques technologiques ‘en soi'.

En réalité, en dépit des espoirs placés par certains, les technologies digitales dont l'IA est un prolongement, n'ont pas redonné de la vigueur à l'expansion économique. Elles n'ont pas non plus déclenché un nouveau cycle Kondratiev qui est censé naitre, selon les Schumpetériens, des « grappes d'innovation » (clusters) qui arriveraient à maturité.

Dans ce contexte, la combinaison d'une baisse de la rentabilité du capital et d'un régime d'accumulation à dominante financière, pour reprendre l'expression introduite par François Chesnais dès le milieu des années 1990, transforme la « quatrième révolution industrielle » fondée sur le digitalisation en une menace sur des dizaines de millions d'emplois hautement et moyennement qualifiés, alors que la vague précédente avait frappé en premier lieu les emplois non-qualifiés.

La substitution du capital au travail est certes inscrite dans l'évolution longue du capitalisme, mais un fait nouveau est que les grands groupes disposent désormais d'un réservoir mondial de main-d'œuvre– ce que Marx nomme une« armée industrielle de réserve » est désormais planétaire . Elle est composée de centaines de millions d'êtres humains dont la mise en concurrence par les grands groupes mondiaux est facilitée par la digitalisation de leurs chaines de production grâce à l'IA.

… mais au sein de l'État

NP conteste la radicalité des changements opérés par l'IA dans les processus de travail mais il observe en revanche une rupture majeure introduite par l'IA dans les relations entre l'État et la technique. Il écrit « Il me semble que la rupture se produit dans le rapport même État-technique ».

NP propose alors la notion de ‘Machinisme d'État' pour décrire l'inversion qu'il détecte dans le rapport Etat-technique et conclut son analyse du rôle de l'IA avec cette question : « La technique, via l'IA, ne s'est-elle pas autonomisée au point de ne plus être simplement un outil dans les mains de l'État ? ». Ailleurs, l'interrogation devient plus affirmative : « L'État semble entrer dans un nouveau régime de domination sociale qui se caractérise donc par une autonomisation de la technique vis-à-vis de l'État ». Cette formulation est malheureuse – même si dans une note de bas de page, NP note qu'« il ne s'agit pas ici d'avoir une lecture techniciste du régime de domination sociale dans lequel l'État joue un rôle central ».

Pour argumenter son hypothèse de la perte de contrôle de l'IA par l'Etat, NP établit une analogie avec l'analyse du machinisme faite par Marx, mais il en donne selon moi une interprétation erronée. Il est vrai que lorsque Marx insiste sur la rupture dans les rapports de travail introduite par la machine, il souligne son autonomie conquérante. Dans le chapitre 15 du Capital intitulé ‘Machinisme et grande industrie' mais aussi dans les fragments sur les machines présents dans les Grundrisse [12], Marx montre à quel point ce qu'il nomme le « système automatique des machines » s'impose comme une force qui subjugue la force de travail.

Cependant, cette autonomie de la machine s'exerce contre le producteur, elle ne se réalise nullement vis-à-vis du capitaliste. En effet, la machine, en tant qu'objet technique, s'intègre dans des rapports de production dominés par le capital. C'est pourquoi, la machine qui « est le moyen le plus puissant d'accroître la productivité du travail, c'est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la production des marchandises, […] devient comme support du capital […] le moyen le plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite naturelle ».

L'asservissement du salarié à la machine est un moyen d'augmenter le contrôle des rythmes et de l'intensité de son activité en plus d'exproprier le travailleur de ses connaissances comme cela est longuement discuté parmi les lecteurs de Marx. La machine est donc autonome vis-à-vis des ouvriers, mais Marx conteste vigoureusement l'idée que la technique deviendrait une force autonome vis-à-vis des capitalistes : « Le capital emploie les machines […] dans la seule mesure où celles-ci permettent au travailleur d'augmenter la part de son travail pour le capital » [13].

Le procès de travail (rythme, procédures, etc.) demeure donc soumis à la discipline du capital . Celle-ci est imposée grâce à l'usage des machines et elle est confortée par l'ensemble des dispositifs de surveillance managériaux. Décider d'un autre usage du ‘système automatique des machines' est certes possible, mais ceci exige une prise en main de leur avenir par celles et ceux qui produisent les richesses. Tel est le sens de la section du même chapitre 15 du Capital consacrée aux lois sur la protection des travailleurs des deux sexes [14]. En sorte que les luttes sociales peuvent contribuer à améliorer le sort des salariés, mais « qu'au-delà d'un certain point, le système capitaliste est incompatible avec toute amélioration rationnelle ».

Le même raisonnement qui est proposé par Marx sur l'usage des machines dans les relations de production capitalistes doit s'appliquer à l'analyse de la relation de l'IA aux institutions étatiques puisque celles-ci constituent le socle politique de la reproduction des rapports sociaux. Les technologies de contrôle sont mises au service d'une politique sécuritaire car l'utilisation de l'IA à des fins militaires resserre également le filet du contrôle social intérieur au nom de la sécurité nationale.

Or, NP minimise ces changements lorsqu'il écrit que « le fait que l'IA facilite le fichage de la population ne représente pas en soi une rupture, car comme indiqué par Serfati, le fichage s'inscrit plus généralement dans la pratique courante des États vis-à-vis de leur population ». Cette remarque me parait inexacte. Des fiches anthropométriques du début du vingtième siècle introduites de façon pionnière par l'Etat français pour surveiller et punir les roms à la vidéosurveillance et les autres instruments de contrôle et de répression sociale systématisés en Chine et désormais en France grâce aux Jeux Olympiques, « le fichage » a acquis une efficacité périlleuse en l'espace d'un siècle. Ici, une fois encore, cela n'est pas dû à l'autonomisation de la technique qui submergerait les Etats, mais au contraire à sa pleine utilisation par leurs dirigeants. Se borner à constater que « le fichage est une pratique courante » minimise donc les bouleversements que l'IA provoque dans le contrôle exercé par l'Etat sur ses citoyens (en plus de ses effets dans le domaine militaire).

Le seul argument avancé par NP pour défendre l'hypothèse d'une autonomisation de la technique vis-à-vis de l'État est tiré des analyses d'experts mentionnées dans Un monde en guerres sur le degré d'imprévisibilité produit par l'incorporation de l'IA dans les équipements militaires : risque de déclenchement intempestif d'armes nucléaires, ‘surréaction' à une attaque ennemie, etc. Or, même si ces risques existent, cela ne signifie pas que la technique dicte sa conduite aux Etats ! L'imprévisibilité et la contingence ont toujours été des leviers puissants de l'évolution historique, y compris du cataclysme planétaire produit par les deux guerres mondiales.

De même, l'équilibre de la terreur qui s'est instauré entre les grandes puissances après 1945 et qui a jusqu'à maintenant évité une nouvelle utilisation des armes nucléaires ne vaut pas garantie qu'un gouvernement – voire certains agents ‘non-étatiques' qui bénéficient de la prolifération nucléaire – ne les utiliseront pas. L'idée qu'il aurait existé dans le passé des Etats rationnels et souverains qui maitrisaient leurs actions – dont la guerre fait partie – n'existe que dans la théorie ‘réaliste' des relations internationales qui est adoptée par une partie des dirigeants états-uniens.

L'IA consolide les systèmes militaro-sécuritaires

L'affirmation de l'autonomisation de la technique qui échapperait aux acteurs (pour NP à l'Etat) fait partie d'une longue tradition de recherche. Max Weber utilisait l'image de la « cage de fer » qui risquait d'enfermer la société si le procès de rationalisation qui témoigne de la supériorité du capitalisme – et auquel la technique apporte une contribution essentielle-, allait trop loin.

Un monde en guerres en donne également une illustration en résumant la vision de Jacques Ellul, ce penseur original de la technique. On peut également citer Lewis Mumford, pionnier de l'analyse des effets désastreux du « capitalisme carbonifère » qui parle de « la « passive dépendance à la machine » qui a caractérisé une large partie du monde occidental [15].

En réalité, loin de l'hypothèse d'un processus technique qui leur échapperait, les détenteurs du pouvoir étatique ont toujours suscité les innovations technologiques afin de maintenir l'ordre intérieur mais surtout de préparer la guerre à l'extérieur. L'attraction des Etats européens pour la technique fut décuplée à partir du dix-neuvième siècle lorsque l'expansion capitaliste s'est préoccupée de l'innovation technologique à des fins de profit. Cette convergence des objectifs capitalistes et de ceux des Etats a assuré un fondement solide aux systèmes militaro-industriels (SMI) qui se sont créés après la seconde guerre mondiale. Les SMI constituent depuis déjà huit décennies la forme la plus aboutie de l'incorporation des technologies sophistiquées dans les institutions étatiques. Leur dimension structurelle rend un peu terne l'hypothèse d'un machinisme d'Etat » dont NP affirme l'apparition récente grâce à l'IA.

Comment expliquer l'enracinement des systèmes militaro-industriels après la seconde guerre mondiale dans les grands pays impérialistes ? Quels sont les mécanismes qui ont facilité leur auto-reproduction et selon quelles modalités nationales ? La réponse à ces questions exige de combiner d'une part les transformations de l'espace économique mondial depuis la Seconde guerre mondiale et la course technologique sans fin entre « l'épée et le bouclier » et d'autre part les stratégies du « bloc social » qui, dans les grands pays, est aux commandes des systèmes militaro-industriels. à ces transformations « objectives ».

En bref, il est nécessaire d'associer dans l'analyse les facteurs ‘objectifs' et l'action transformatrice des forces sociales. Ainsi que Marx et Engels le rappellent, « L'histoire ne fait rien, […] elle ‘ne livre pas de combats'. C'est au contraire l'homme, l'homme réel et vivant qui fait tout cela, possède tout cela et livre tous ces combats » [16].

Cette méthode d'analyse ne se contente pas d'explorer le passé, elle permet également de répondre à la question : Comment expliquer la prospérité contemporaine des SMI ? Dans ce cadre théorique, Un monde en guerres consacre une place importante à la régénération du SMI étatsunien qui est produite par les géants du numérique (les GAFAM) qui contrôlent les trajectoires de l'IA. L'insertion de grands groupes civils au sein du « complexe militaro-industriel » augmente la porosité entre les fonctions militaires extérieures et sécuritaires intérieures de l'Etat. En résumé, ces transformations du SMI et sa métamorphose en système militaro-sécuritaire reflètent et confortent au plan organisationnel l'agenda de sécurité nationale qui, depuis trois décennies, rapproche la lutte contre les ennemis extérieurs et intérieurs.

Ce n'est donc pas l'IA qui s'autonomise vis-à-vis de l'Etat, ce sont au contraire les potentialités de l'IA qui sont accaparées et améliorées par les institutions étatiques afin de servir leurs objectifs. Ceci se traduit par une reconfiguration du SMI états-unien et de nouvelles relations entre institutions publiques et groupes privés. L'IA décuple les capacités des technologies biométriques [17] et renforce les fonctions « autoritaristes » de l'Etat, pour reprendre le terme utilisé par Poulantzas.

Pour conclure

En conclusion de sa note, NP, écrit que « le machinisme d'État pourrait néanmoins représenter une brèche sur laquelle le mouvement social pourrait s'appuyer pour rendre techniquement possible la bifurcation écologique par le biais de la planification ». Pour cela, il est « nécessaire de répondre à cette question [l'imprévisibilité intrinsèque produite par le machinisme d'Etat, C.S.] pour rendre politiquement possible la bifurcation écologique ».

J'ai expliqué dans cette note que l'hypothèse d'« imprévisibilité intrinsèque » faite par les experts militaires a peu à voir avec un dessaisissement des Etats de leur pouvoir de décision. Elle s'inscrit au contraire dans des processus d'utilisation de l'IA à des fins militaires et sécuritaires dont les décideurs acceptent – et en partie créent – une imprévisibilité des résultats.

Un dirigeant de l'armée d'un pays qui se nomme lui-même « start-up nation » (Israël) a bien résumé l'état d'esprit des gouvernements lorsqu'il a mentionné l'utilisation de l'IA à Gaza en déclarant que les objectifs des bombardements, « ne sont pas leur précision, mais l'ampleur du dommage créé ». En somme, l'objectif est une « intensification algorithmique des destructions » [18] qui accepte une dose d' « imprévisibilité », c'est-à-dire des « dommages collatéraux » dans le jargon des militaires.

Je suis favorable à la « bifurcation écologique » envisagée par NP mais je ne suis donc pas convaincu par le fait qu'elle viendra d'une récupération du « machinisme d'Etat ». Selon NP, cette récupération pourrait en effet être réalisée grâce au « rôle important [de] l'administration étatique comme partie exécutive des décisions politiques prises en amont », une idée qu'il déclare emprunter à l'ouvrage récent de Cédric Durand et Razmig Kecheuyan [19].

Or, mes recherches sur les systèmes militaro-industriels ont mis en évidence l'épaisseur institutionnelle de l'Etat – en termes moins convenables : elles cernent une des dimensions de l'hypertrophie bureaucratique des Etats – , elles s'opposent donc aux conceptions instrumentales de l'Etat. De plus, mes travaux sur le rôle de l'Etat dans les politiques économiques menées en France depuis la seconde guerre mondiale – en particulier depuis l'élection de Mitterrand en 1981 – m'ont tout autant éloigné de l'hypothèse illusoire d'une « neutralité instrumentale » de la Haute Administration (Conseil d'Etat, Cour des Comptes, cabinets ministériels, etc.) qui serait suffisamment flexible pour mettre les institutions de la Ve République au service des politiques d'alternance post-capitaliste.

Notes

[1] Je remercie Stathis Kouvelakis pour ses remarques formulées lors de l'édition de ce texte.

[2] Séminaire « Appropriation étatique et développement », MSH Paris-Nord, 26 avril 2024.

[3] Voir par exemple les différentes classifications faites par Lénine dans son ouvrage L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (et dans ses notes préparatoires appelées ‘Cahiers sur l'impérialisme') ainsi que par Trotski qui écrit dans son Histoire de la révolution russeque « La Russie payait ainsi (par sa participation à la guerre du côté franco-anglais, C.S.) le droit d'être l'alliée de pays avancés, d'importer des capitaux et d'en verser les intérêts, c'est-à-dire, en somme, le droit d'être une colonie privilégiée de ses alliées ; mais, en même temps, elle acquérait le droit d'opprimer et de spolier la Turquie, la Perse, la Galicie, et en général des pays plus faibles, plus arriérés qu'elle-même » (souligné par moi) .

[4] Je développe ce point dans la conclusion d'Un monde en guerres.

[5] La coopération des pays dominants dans la mise en œuvre des mesures antiouvrières est un des rôles assigné aux institutions internationales, financières (FMI, Banque mondiale) et commerciales (OMC).

[6] Claude Serfati (2022), L'Etat radicalisé. La France à l'ère de la mondialisation armée, La fabrique, Paris.

[7] Voir par exemple le rapport de Pierre-Yves Collombat, « Commission d'enquête sur les mutations de la Haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République », Sénat, 4 octobre 2018.

[8] Ellen Meiksins-Wood (1995), Democracy Against Capitalism, Verso, Londres et New York.

[9] Chez les marxistes, ce débat fut relancé dans les années 1960 par les hypothèses d'Althusser. Celui-ci, selon Jean-Marie Vincent conçoit « un procès de production sans sujets, ni fins, c'est-à-dire un ensemble de structures en interaction » alors qu'au contraire pour Marx, « la structure sans les rapports sociaux et sans les supports (humains et matériels) de ces rapports n'a pas de sens », voir Jean-Marie Vincent « Le théoricisme et sa rectification » dans Contre Althusser, 10/18, 1974, disponible en ligne. http://jeanmarievincent.free.fr/spi...

[10] J'ai critiqué ces points de vue dans Claude Serfati, « The new configuration of the capitalist class », in Leo Panitch, Gregory Albo et Vivek Chibber (dir.), Registering Class, Socialist Register 2013.

[11] Voir par exemple « 2022 France Spencer Stuart Board Index ».

[12] Pour un accès en ligne, voir la version anglaise.

[13] Dans le même texte, Marx réfute avec la même vigueur l'hypothèse faite par certains économistes que la machine serait devenue « une source de valeur indépendante du temps de travail ».

[14] Marx y décrit en particulier la situation des femmes et des enfants et les effets provoqués par la législation du travail.

[15] Lewis Mumford (1934) , Technics and Civilisation, New York, Harcourt, p.426.

[16] Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte-famille, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/09/kmfe18440900r.htm

[17] Défenseure des droits, « Technologies biométriques : l'impératif respect des droits fondamentaux », 2021

[18] Voir mon article « L'alliance périlleuse de l'IA et du militaire » La vie de la recherche scientifique, (revue du Syndicat national des chercheurs scientifiques et du SNEsup), 2024, 437 (juin-juillet-août).

[19] Cédric Durand et Razmig Keucheyan (2024), Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique, La Découverte, Zones.

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En Amazonie bolivienne, les autorités dépassées par des feux incontrôlables

8 octobre 2024, par Marion Esnault — , ,
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La Bolivie a décrété l'état de catastrophe nationale le 30 septembre face aux incendies qui ravagent l'Amazonie. Dépassées, les autorités locales attendent l'aide internationale, qui peine à arriver.

3 octobre 2024 | tiré du site de reporterre.net | Photo : Un pompier volontaire combattant les incendies de forêt dans les environs de Santa Cruz, en Bolivie, le 11 septembre 2024. - © Handout / Bolivian Civil Defense / AFP
https://reporterre.net/En-Amazonie-bolivienne-rien-ne-peut-arreter-les-megafeux

Chili, correspondance

Maux de tête, difficultés respiratoires, démangeaisons des yeux... Les symptômes s'accumulent pour les habitants de l'est de la Bolivie, qui vivent depuis trois mois sous un épais nuage de fumée, provoqué par les incendies de forêt incontrôlables. Selon les autorités locales de la région de Santa Cruz, la plus peuplée et la plus dévastée par les flammes, plus de 7 millions d'hectares de l'Amazonie ont brûlé, soit la surface de l'Irlande. C'est huit fois plus que les grands incendies de 2022 en Europe.

« Santa Cruz est passée d'un paradis à l'enfer », a déclaré Jhonny Rojas, coordinateur des opérations d'urgence de cette région bolivienne. Les fumées ont atteint plusieurs villes du pays, comme Cochabamba ou La Paz, où la qualité de l'air a été qualifiée de « très mauvaise », obligeant les écoles à fermer pour protéger la santé des élèves. Les pompiers, qui manquent de moyens, luttent quotidiennement pour éloigner les flammes des maisons, et sont rejoints par des habitants qui prêtent main-forte, souvent sans équipement ni protection.

« Depuis trois mois, nous luttons contre les feux avec nos propres forces, en mettant nos vies en danger avec des moyens limités. Ça n'a pas été suffisant, nous sommes débordés », indique la communauté autochtone Monte Verde, l'un des territoires assiégés par les feux. La moitié de leurs terres ancestrales a brûlé et plusieurs familles ont perdu leur maison, leur bétail, leur potager et ont dû être évacuées. C'est cette communauté qui, le 25 septembre dernier, a exigé du président Luis Arce qu'il déclare l'état de catastrophe nationale, un décret qui facilite le transfert de ressources économiques du gouvernement vers les régions, et l'appui de l'aide internationale.

Des spécialistes sont venus du Brésil, du Chili ou encore de France pour aider à définir la stratégie de combat des feux, mais les autorités restent dépassées par l'ampleur des incendies. Le gouverneur régional de Santa Cruz, Mario Aguilera, appelle à « une action plus puissante », car la Bolivie, pays le plus pauvre d'Amérique du Sud, manque de « spécialistes et d'équipements pour endiguer ces incendies ».

Début septembre, à La Paz, capitale bolivienne perchée à 3 600 mètres d'altitude dans les Andes, des communautés indigènes et organisations environnementales se sont réunies pour manifester contre la pratique des brûlis, qui serait à l'origine des incendies. Ces brûlages (supposément) contrôlés sont utilisés sur les propriétés agricoles et forestières pour brûler la terre avant les semences.

« Si la sécheresse aggrave la propagation des incendies, la plupart des feux sont d'origine criminelle », a affirmé une manifestante. En réponse à cette crise, le gouvernement de Luis Arce a suspendu pour une durée indéterminée la loi qui autorise les brûlis, en déclarant une « pause écologique ».

D'autres pays de la Région, comme le Brésil et le Pérou, font face à des incendies de grande ampleur, provoqués par de mauvaises pratiques agricoles et les effets du dérèglement climatique. Selon l'Observatoire régional de l'Amazonie, au cours des cinq dernières années, le feu a détruit près d'un demi-million d'hectares de la plus grande forêt tropicale de la planète.

Les organisations environnementales sud-américaines considèrent que les dommages sur la faune et la flore sont irréversibles. Selon l'observatoire européen Copernicus, ces incendies ont entraîné une forte augmentation des émissions de gaz à effet de serre depuis l'Amazonie, la plus importante depuis vingt ans.

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Comment les multinationales organisent un « hold-up sur les semences » en Afrique

8 octobre 2024, par Fanny Pigeaud — , ,
Les paysans de Zambie s'opposent à un projet de loi qui menace leur liberté de disposer de leurs semences. Derrière ce texte : des multinationales, la Fondation Gates et des (…)

Les paysans de Zambie s'opposent à un projet de loi qui menace leur liberté de disposer de leurs semences. Derrière ce texte : des multinationales, la Fondation Gates et des États occidentaux, en pleine offensive sur l'Afrique.

3 octobre 2024 | tiré de reporterre.net | Photo : Ce travailleur d'une ferme à Kaumba, en Zambie, regarde vers le ciel nuageux, en janvier 2020, après une sécheresse sévère. - © GUILLEM SARTORIO / AFP

« Nous sommes collectivement indignés. » La Zambia Alliance for Agroecology and Biodiversity (Zaab), un réseau zambien d'organisations de paysans, d'activistes et de citoyens, est en campagne pour dénoncer la « vague de pressions » qui pousse les pays africains à limiter les droits de propriété des paysans sur les semences, un enjeu crucial.

Elle s'oppose dans son propre pays, la Zambie, à l'adoption d'un projet de modification de la loi en vigueur, qui va, selon elle, essentiellement bénéficier à l'industrie semencière et mettre en péril les petits producteurs. Et ce, alors que ces derniers produisent la majeure partie de la nourriture de la Zambie.

Ce projet de législation sur les droits des obtenteurs de végétaux (« Plant Breeders Rights » en anglais) a été rendu public en avril 2024 par l'autorité de certification des semences du pays, le Seed Control and Certification Institute. Une annonce réalisée dans un contexte dramatique, le pays étant confronté à l'une des pires sécheresses de son histoire.

Le texte vise à aligner le cadre légal zambien sur une convention réglementant les droits de propriété sur les variétés végétales adoptée en 1991 par l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (Upov). In fine, il s'agit de faire en sorte que la Zambie devienne membre de cette organisation intergouvernementale, fondée en 1961 par des pays européens et basée à Genève.

Jusqu'ici, sept des cinquante-quatre États du continent africain sont directement membres de l'Upov (Afrique du Sud, Egypte, Ghana, Kenya, Maroc, Tanzanie, Tunisie), et dix-sept autres le sont à travers leur appartenance à l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) — soit tous les pays de la zone franc, les Comores, la Guinée et la Mauritanie.

Privatisation des semences

Le gouvernement zambien défend l'idée que la nouvelle loi permettra de moderniser l'agriculture du pays, car elle donnera la possibilité d'utiliser de « nouvelles variétés végétales améliorées », qui serait le gage de meilleurs rendements.

Du point de vue des paysans et de leurs soutiens, l'Upov constitue un grand danger car elle œuvre à la privatisation des semences, à l'encontre des pratiques actuelles. En Zambie et dans de nombreux autres pays africains, 80 à 90 % des semences sont produites par les paysans qui les sélectionnent, les multiplient dans leurs champs et les échangent ou se les vendent entre eux.

Privatiser aura pour effet d'ouvrir la voie aux semences produites par l'industrie, de restreindre le droit des agriculteurs à réutiliser les semences, tout en rendant ces derniers dépendants de fournisseurs industriels d'intrants — les semences « améliorées » (OGM et hybrides) des industriels nécessitant l'utilisation accrue de pesticides et devant être rachetées chaque année.

Un « hold-up sur les semences »

La convention de l'Upov interdit ainsi aux paysans « de conserver, de multiplier, de planter, d'échanger ou de vendre librement les semences protégées par des certificats d'obtention végétale », déplorait en 2021 un collectif de 300 organisations et réseaux dans le monde.

« L'Upov est la plus claire expression de la guerre menée contre les paysans », ont résumé les ONG Alianza Biodiversidad et Grain, parlant de « hold-up sur les semences ». Pour preuve, « au fur et à mesure de l'expansion de l'Upov, le marché mondial des semences a été récupéré par un cartel de sociétés agrochimiques », dont Bayer, Corteva, Syngenta et BASF, expliquait Grain en 2022.

Sans surprise, le projet de loi en Zambie a justement été initié « par des multinationales semencières soutenues par leurs gouvernements dont la seule motivation est l'argent à gagner en contrôlant et en possédant les diverses semences de Zambie (et d'Afrique) », dénonçait la Zaab dès avril.

Pressions occidentales

Le scénario est toujours le même : afin de les pousser à appliquer les règles de l'Upov, les pays africains, dont plus des deux tiers des habitants vivent de l'agriculture, sont soumis à des pressions « principalement exercées par les États-Unis, l'Union européenne, les pays de l'Association européenne de libre-échange (Aele), et par le Japon pour ce qui est de l'Asie, autrement dit par les pays qui ont une forte industrie semencière », détaille auprès de Reporterre Karine Peschard, chercheuse associée à l'académie de Genève.

Ces grandes puissances passent notamment par les accords de coopération, comme ceux conclus par l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), les accords économiques et commerciaux, pour imposer leur volonté, précise-t-elle.

Une femme à vélo devant un champ de blé en Zambie, non loin de la capitale Lusaka. JohannekeKroesbergen /CC BY-SA 4.0 / Wikimedia Commons

L'Upov fait elle-même un « lobbying intense » auprès des gouvernements des pays du Sud global, souligne Karine Peschard, qui est également coautrice d'un rapport sur le droit aux semences en Afrique publié en 2023.

Dans le cas zambien, cela apparaît flagrant : le projet de loi a été transmis par le gouvernement zambien aux parties prenantes sous la forme d'un document Word dont l'auteur était ni plus ni moins que le secrétariat de l'Upov à Genève — et qui contenait encore des commentaires et des recommandations de l'Upov — selon l'Association for Plant Breeding for the Benefit of Society, basée en Suisse. Reporterre a sollicité une réaction du secrétariat de l'Upov qui n'a pas donné suite.

L'industrie semencière utilise quant à elle ses organisations nationales pour faire pression : « La Semae [l'interprofession des semences et plants], en France, fait par exemple activement la promotion de l'Upov en Afrique de l'Ouest », indique Karine Peschard. Les multinationales réussissent aussi à s'immiscer dans les organes de décision des pays visés, comme l'a exposé la chercheuse Clare O'Grady Walshe à propos du Kenya.

Dans ce pays, elles ont ainsi siégé dans les instances chargées d'élaborer une loi adoptée en 2012, qui s'est avérée calquée sur l'Upov et hyper répressive — elle condamne le fait de partager, d'échanger, de vendre, produire ou multiplier des semences non certifiées à une peine allant jusqu'à deux ans de prison et/ou 7 000 euros d'amende.

Banque mondiale et fondations privées à la manœuvre

Interrogée par Reporterre sur le rôle qu'elle a pu jouer dans l'élaboration du projet de loi zambien et son appréciation du texte actuel, la société Syngenta, qui a des bureaux à Lusaka, la capitale de la Zambie, a répondu avoir décidé, « après mûre réflexion », « de ne pas faire de déclaration ni de commentaire sur cette question à ce stade », tout en disant « apprécier » l'intérêt de Reporterre pour ce nouveau Plant Breeders Rights, un « sujet important ». D'autres multinationales (Bayer, BASF et Corteva) contactées par Reporterre n'ont pas répondu.

Autres acteurs importants s'activant en faveur de l'Upov en Afrique : « Les fondations philanthro-capitalistes, comme la Fondation Gates », rappelle Karine Peschard. Une enquête récente de l'Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) révèle comment la controversée Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra), financée par la Fondation Gates et très active en Zambie, influence les politiques agricoles des États, en plaçant par exemple des consultants dans des organes publics stratégiques. Jointe par Reporterre au sujet de sa présumée action en faveur du projet de loi zambien, l'Agra n'a pas réagi.

Les institutions financières internationales jouent aussi un rôle de premier plan : la Banque mondiale a accordé à la Zambie un prêt de 300 millions de dollars en demandant, entre autres conditions, que le pays adhère à l'Upov.

« La nouvelle loi pourrait criminaliser la conservation et le partage de semences »

Résultat, « la nouvelle loi pourrait potentiellement criminaliser la conservation et le partage de semences pour toutes les cultures, à l'exception d'une courte liste. Cela signifie que, si elle est adoptée, les agriculteurs zambiens seront surveillés et traduits en justice pour avoir fait ce qu'ils ont toujours fait », s'insurge la Zaab. Pourtant, la Zambie respecte déjà les principaux traités internationaux sur les droits des obtenteurs de variétés végétales, fait-elle valoir.

Les paysans zambiens et leurs soutiens sont d'autant plus révoltés par ce coup de force que la privatisation et l'uniformisation des semences sont en incohérence avec la nécessité de protéger la biodiversité, de lutter contre l'insécurité alimentaire et de s'adapter au changement climatique — les semences paysannes sont réputées plus résistantes aux aléas climatiques que celles des industriels.

« Ce n'est pas le type d'agriculture qui bénéficiera à la Zambie ou à l'Afrique »

« L'Upov est conçue pour les monocultures extractives à grande échelle qui nécessitent des intrants chimiques coûteux et constituent une catastrophe climatique. Ce n'est pas le type d'agriculture qui nourrira ou bénéficiera à la Zambie, ou à l'Afrique en général », objecte la Zaab, faisant aussi remarquer que l'Upov est incompatible avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.

La coalition peut compter sur la solidarité d'autres communautés paysannes qui ont bataillé ou bataillent encore contre l'Upov. Au Kenya, par exemple, une quinzaine de paysans, appuyés par Greenpeace Africa, contestent depuis deux ans, devant la justice, la constitutionnalité de la loi de 2012.

La Zaab espère encore arriver à convaincre les autorités de renoncer à leur projet. Elle a engagé des discussions avec des commissions et groupes parlementaire et eu des réactions positives, indique à Reporterre Mutinta Nketani, sa coordinatrice nationale. « À notre connaissance, aucune date n'a été fixée pour le dépôt du projet de loi au Parlement. Initialement, le Seed Control and Certification Institute avait prévu d'accélérer le processus et de le déposer en 2024, mais il a depuis mis ces plans en veilleuse et autorisé une consultation plus approfondie des parties prenantes. Nous nous réjouissons de cette décision qui donne plus de temps aux différents acteurs concernés pour comprendre le projet de loi et ses implications », précise-t-elle.

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Déclaration : La junte du Myanmar exécute des civils, et notamment des militant.e.s pro-démocratie et des femmes qui défendent les droits humains

8 octobre 2024, par Réseau des femmes pour la paix — , ,
Le Réseau des femmes pour la paix (Women's Peace Network, WPN) condamne résolument les exécutions arbitraires de Maung Kaung Htet et Chan Myae Thupar l'armée birmane , (…)

Le Réseau des femmes pour la paix (Women's Peace Network, WPN) condamne résolument les exécutions arbitraires de Maung Kaung Htet et Chan Myae Thupar l'armée birmane , aujourd'hui, le 23 septembre, à 4 heures du matin (heure du Myanmar).

tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/26/declaration-la-junte-du-myanmar-execute-des-civils-et-notamment-des-militant-e-s-pro-democratie-et-des-femmes-qui-defendent-les-droits-humains/

Les militaires les ont arbitrairement arrêtés et inculpés pour leur implication présumée dans l'attentat à la bombe perpétré le 19 octobre 2022 à la prison d'Insein à Yangon, sans respecter les procédures légales et leur droit à un procès équitable. Chan Myae Thu, qui était l'épouse de Maung Kaung Htet, est maintenant la première femme à avoir été exécutée par l'armée depuis sa tentative de coup d'État du 1er février 2021.

Il est particulièrement inquiétant de constater que ces exécutions arbitraires ont eu lieu trois semaines après la visite au Myanmar du président du Comité international de la Croix-Rouge, organisme reconnu pour le soutien qu 'il apporte aux détenu.e.s et à leurs familles. En juillet 2022, la junte a pendu quatre militants pro-démocratie – Ko Jimmy, Phyo Zeya Thaw, Aung Thura Saw et Hla Myo Aung – après les avoir traduits devant un tribunal militaire.

WPN appelle maintenant à une action urgente pour arrêter les prochaines exécutions arbitraires prévues par la junte de cinq activistes engagé.e.s en faveur de la démocratie – Kaung Pyae Sone Oo, Zeyar Phyo, Hsann Min Aung, Kyaw Win Soe, parmi lesquels se trouve une femme, Myat Phyo Myint – demain, le 24 septembre. Les militaires birmans les ont arrêté.e.s arbitrairement le 3 septembre 2021 à Yangon, pour leur participation présumée à une fusillade dans un train un mois plus tôt. Le 18 mai 2023, le juge de district du canton d'Ahlone les a condamné.e.s à de multiples peines, dont la peine de mort, au cours d'une audience à huis clos et sans respect des procédures légales. Depuis maintenant plus de trois ans, les militant.e.s arrêté.e.s sont détenu.e.s dans des conditions épouvantables et sont soumis.e. s à la torture, incluant les violences sexuelles, sans avoir accès à une assistance juridique fiable.

Plus la junte assassine de personnes, plus elle se sentira encouragée à exécuter les plus de 120 autres détenu.e.s, également condamné.e.s arbitrairement à la peine de mort. La plupart d'entre eux sont des activistes et des défenseurs des droits de l'homme, et on compte au moins 15 femmes engagées dan la défense des droits de l'homme (DDH). Au cours des deux dernières semaines, on a appris que les geôliers du régime avaient déjà relevé le poids et le tour de cou d'un grand nombre de ces détenus dans les prisons d'Insein, de Tharyarwaddy et de Pathein, sans doute en vue de leur pendaison à court terme.

Pour mettre fin aux exécutions arbitraires de civils commises par la junte – y compris d'activistes pro-démocratie et de défenseuses des droits humains – le WPN exhorte la communauté internationale à demander des comptes à l'armée birmane pour l'arrestation et la détention arbitraires de plus de 27 000 personnes, ainsi que pour la perpétration de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide, un pas en avant décisif vers la fin de l'impunité au Myanmar.

23 septembre 2024

Traduction pour ESSF de Pierre Vandevoorde.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72030
Statement : Myanmar junta's sham executions of civilians, including pro-democracy activists and woman human rights defenders
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72028

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Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Pour une véritable sécurité sociale de la menstruation

« La précarité menstruelle ne naît pas seulement du manque d'argent, c'est un problème global : une société dans laquelle l'hôpital est attaqué, où s'étendent les déserts (…)

« La précarité menstruelle ne naît pas seulement du manque d'argent, c'est un problème global : une société dans laquelle l'hôpital est attaqué, où s'étendent les déserts médicaux, où les soins sont de plus en plus chers ».

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/30/pour-une-veritable-securite-sociale-de-la-menstruation/

Un collectif d'autrices et militantes appelle à la création d'une sécurité sociale de la menstruation : « Il faut resocialiser la santé hormonale et menstruelle, en faire une affaire de santé publique, relevant du droit et non du marché »

Une des mesures fortes attendues pour cette rentrée 2024 est le remboursement des protections périodiques réutilisables pour les moins de 26 ans, sur présentation de la carte vitale en pharmacie, sans ordonnance. Annoncée en mars 2023, cette mesure était censée entrer en vigueur en septembre 2024 [1]. Nous l'attendons toujours. Et nous nous questionnons sur sa portée.

En effet, cette mesure est très limitée car elle ne concerne que les moins de 26 ans – comme si on cessait d'avoir des menstruations, ou d'être précaire au-delà de cet âge. En réalité, les besoins liés au cycle menstruel et à la santé gynécologique deviennent de plus en plus importants avec le temps : ils augmentent, par exemple, suite à un accouchement ou à l'occasion de la ménopause. En outre, il n'y a pas que les jeunes qui subissent la précarité menstruelle : l'étude utilisée par le gouvernement pour soutenir sa mesure [2] montre que les catégories les plus touchées sont les étudiant·es, mais aussi les mères célibataires.

De plus, cette mesure ne propose rien aux personnes n'ayant pas de carte vitale – celles qui viennent d'arriver en France, celles qui sont en situation d'exclusion administrative, celles qui sont au régime de l'AME et non de la sécurité sociale. Ni non plus, aux personnes qui, du fait de leurs conditions de travail ou de vie, ne peuvent utiliser d'absorbants réutilisables.

Enfin, au-delà des absorbants, qu'en est-il des consultations médicales – la gynécologie médicale étant la spécialité pratiquant le plus fort taux de dépassement d'honoraires ? Des antalgiques ou autres médications prescrites contre les effets des cycles hormonaux au quotidien ? Des informations et savoir-faire nécessaires pour utiliser ces produits, et comprendre ce que sont le cycle menstruel, la santé gynécologique, la ménopause ?

Qu'en est-il du temps de repos ? C'est aussi une ressource nécessaire pour certaines personnes, car les cycles hormonaux ont, tout au long de la vie, des conséquences considérables sur le travail et sa pénibilité. Une partie de cette pénibilité a été brièvement débattue en début d'année 2024, suite à deux propositions de loi pour un « congé menstruel » (déposées, l'une par le PS au Sénat et l'autre par les écologistes à l'Assemblée Nationale). Sans surprise, ces propositions de loi ont été rejetées par le gouvernement, arguant de différents prétextes : du coût de la mesure pour les finances publiques (sans se préoccuper du coût individuel pour les personnes concernées) à sa redondance (les modalités actuelles de prise de congé suffiraient [3]), en passant par la présomption d'abus qu'en feraient les femmes (on sait pourtant que le présentéisme touche particulièrement les femmes).

Ces propositions auraient pu être de petites avancées pour le bien-être d'une minorité de personnes menstruées – celles qui ont des règles « incapacitantes ». Or, les cycles hormonaux et la procréation peuvent avoir d'autres effets, souvent difficiles à concilier avec l'école, le travail, le quotidien : syndrome pré-menstruel, effets des traitements hormonaux, démarches d'aide médicale à la procréation dont les effets sont incomparables entre hommes et femmes, prises de pilule du lendemain, retours de couches, allaitements, premiers mois de grossesse sous silence, pré à post-ménopause… Les propositions de loi nécessitaient un voire plusieurs justificatifs médicaux dans l'année, frein administratif majeur et obligation d'évaluation par un corps médical qui fait preuve de défiance vis-à-vis de la parole des femmes. Enfin, la pénibilité de la vie hormonale est toujours considérée indépendamment de toute autre pénibilité genrée (violences sexistes et sexuelles, souffrance au travail particulière des femmes [5], inégalités de revenus, de pouvoir, etc). Celles-ci participent pourtant à l'épuisement de la moitié de la population qui s'efforce tant bien que mal, dans le silence des tabous, de concilier la vie hormonale et procréative avec la vie active.

Face à ces manquements, nous défendons une véritable sécurité sociale de la menstruation inconditionnelle [6] et démocratique : garantissant l'accès à un congé hormonal et menstruel sans justificatif médical et à des produits menstruels conventionnés, pour toute personne qui en fait la demande, par le biais des cotisations sociales. Ce sujet relève du droit et du service public, car c'est de santé qu'il s'agit, et la santé ne peut être laissée aux lois du marché, ni aux politiques discriminatoires et anti-migrant·es dont les récents gouvernements se sont rendus coupables. Nous demandons des absorbants, mais aussi de bonnes informations, des espaces et des temps de repos, des infrastructures sanitaires (eau, WC, gestion des déchets), des soins gratuits et plus généralement des conseils et échanges autour des cycles hormonaux et de leur évolution au cours de la vie, loin des représentations hygiénistes, sexistes et âgistes sur lesquelles les industries menstruelles ont fondé leur communication. La « précarité menstruelle » ne naît pas seulement du manque d'argent, c'est un problème global : une société dans laquelle l'hôpital est attaqué, où s'étendent les déserts médicaux, où les soins sont de plus en plus chers, où la recherche publique et le travail social sont sous-financés, où l'information non publicitaire est rare, produit aussi de la précarité menstruelle.

Il faut resocialiser la santé hormonale et menstruelle, en faire une affaire de santé publique, relevant du droit et non du marché. On pourra alors parler de justice menstruelle.

Premières signataires :

Annabel Brochier, ergonome et psychologue, spécialisée en santé des femmes au travail
Jeanne Guien, chercheuse indépendante, autrice d'Une histoire des produits menstruels
Lanja Andriantsehenoharinala, médecin généraliste, impliquée en santé gynécologique et sexuelle
Élise Thiébaut, autrice de Ceci est mon sang. Histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font
Cécile Thomé, chercheuse, spécialisée en sociologie de la contraception, Sciences po, Centre de sociologie des organisations
Aurore Koechlin, chercheuse, spécialisée en sociologie de la gynécologie
Marion Coville, co-organisatrice du festival Les Menstrueuses
Héloïse Morel, co-organisatrice du festival Les Menstrueuses
Stéphanie Tabois, co-organisatrice du festival Les Menstrueuses
Laetitia Della Bianca, sociologue, Université de Lausanne
Camille Frémont, experte CSE – Santé au travail
L'association Pour une M.E.U.F. (Pour une Médecine Engagée, Unie et Féministe)

Cette tribune pour une Sécurité Sociale de la Menstruation est ouverte. Si vous souhaitez la signer, merci d'écrire à l'adresse :
tribunessm@proton.me

[1] En mars 2023, E. Borne avait annoncé cette mesure pour « l'année prochaine ». Par la suite, des publications gouvernementales ont annoncé une entrée en vigueur « courant 2024 », tandis que des publications de professionnels du secteur (mutuelles, forum AMELI) annonçaient septembre.
[2] Règles Élémentaires et Opinion Way, Les protections périodiques, un luxe pour 44 millions de femmes en France. Enquête exclusive sur la précarité menstruelle, février 2023.
[3] « Aucun chiffrage fiable du coût d'une telle mesure n'a été réalisé. Cependant, la simple suppression du jour de carence pour les arrêts de travail menstruels liés à l'endométriose coûterait environ 100 millions d'euros par an à la Sécurité sociale. Un congé menstruel de deux jours par mois, accordé à toutes les femmes souffrant de dysménorrhées, se chiffrerait donc en milliards d'euros. C'est malheureusement inenvisageable, au vu de l'état actuel de nos finances sociales. » Débats sénatoriaux du 15 février 2024 – Santé et bien-être des femmes au travail.
[4] « Notre réflexion médicale est sexiste et raciste : une étude sur les urgences montre des discriminations dans la prise en charge des malades », France 3 Région, janvier 2024. ; « La douleur des femmes est sous-estimée par le corps médical, et ce n'est pas sans conséquence », Sciences et avenir, septembre 2024.
[5] « Le travail est plus souvent un milieu défavorable à la santé physique et psychique pour les femmes. » Des inégalités de santé persistantes entre les femmes et les hommes, Santé publique France, mars 2024.
[6] L'expression, ainsi qu'un certain nombre de principes économiques, sont empruntés au mouvement pour la Sécurité sociale de l'alimentation. À ce sujet voir « Encore des patates ? », brochure publiée par le Collectif pour une sécurité sociale de l'alimentation, ou L'Atelier paysan, Reprendre la terre aux machines. Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire, Seuil, coll. « Anthropocène », Paris, 2021.

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/260924/pour-une-veritable-securite-sociale-de-la-menstruation

Bonjour

Merci de nous avoir fait parvenir vos textes.

Voici le lien de la publication

https://www.pressegauche.org/La-marche-mondiale-des-femmes-une-force-feministe-pour-transformer-le-monde

https://www.pressegauche.org/Reaction-des-associations-feministes-a-la-nomination-du-gouvernement

N'hésitez pas à nous en faire parvenir d'autres

Merci de collaborer avec Presse toi à gauche

Ginette
rédaction Presse toi à gauche

Le nombre de cas de violences liées au genre a doublé au Soudan en raison de la crise humanitaire

Le conflit au Soudan a un impact disproportionné sur les femmes et les filles soudanaises, dont 5,8 millions ont été déplacées en raison des affrontements en cours, selon un (…)

Le conflit au Soudan a un impact disproportionné sur les femmes et les filles soudanaises, dont 5,8 millions ont été déplacées en raison des affrontements en cours, selon un nouveau rapport de l'agence ONU Femmes publié vendredi.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le nombre de personnes nécessitant des services liés à la violence sexiste a doublé depuis le début de la crise, atteignant 6,7 millions en décembre 2023, assure ONU Femmes, ajoutant que ce chiffre, selon ses estimations, est plus élevé encore aujourd'hui.

Si les hommes et les garçons sont aussi victimes de violences basées sur le genre, la plupart de ces cas concernent des femmes et des filles. La violence en cours, en particulier à Khartoum, au Darfour et au Kordofan, a exacerbé les risques pour les femmes et les filles, et l'on signale des cas de plus en plus nombreux de violences sexuelles, d'exploitation et d'abus sexuels liés aux conflits.

Les quelque 5,8 millions de femmes et de filles déplacées à l'intérieur du pays sont particulièrement vulnérables, et de nombreux abus ne sont pas signalés en raison d'un manque de soutien adéquat et des craintes de stigmatisation et de représailles.

Insécurité alimentaire, manque d'eau potable et d'accès à l'éducation

Le Soudan est en outre confronté au pire niveaux d'insécurité alimentaire aiguë jamais enregistré dans le pays. Dans dix États, 64% des ménages dirigés par des femmes se trouvent en situation d'insécurité alimentaire, contre 48% des ménages dirigés par des hommes. Dans les foyers, les femmes et les filles mangent le moins et s'alimentent en dernier.

L'accès aux services de santé représente aussi un défi : 1,63 million de femmes en âge de procréer ne bénéficient pas de services adéquats. Parmi elles, plus de 160 000 sont enceintes et 54 000 devraient accoucher au cours des trois prochains mois.

Selon la même alerte d'ONU Femmes, les femmes et les filles continuent également d'être touchées de manière disproportionnée par le manque d'eau, d'assainissement et d'hygiène sûrs, facilement accessibles et abordables.

Au moins 80% des femmes déplacées à l'intérieur du pays ne sont pas en mesure d'obtenir de l'eau potable pour des raisons de coût, de sécurité et de distance.

La crise de l'éducation au Soudan est une autre conséquence dévastatrice du conflit. Plus de 2,5 millions de filles, soit 74% des filles en âge d'être scolarisées, ne vont pas à l'école, ce qui augmente leur risque d'être soumises à des pratiques néfastes telles que le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines.

Appel au soutien international

« Les femmes et les filles au Soudan sont confrontées à des défis inimaginables, mais leur force et leur résilience continuent de nous inspirer. Nous ne pouvons pas laisser la crise du Soudan tomber dans l'oubli. Aujourd'hui plus que jamais, la communauté internationale doit s'unir pour soutenir ces femmes, en veillant à ce qu'elles disposent des ressources et de la protection dont elles ont besoin pour survivre et reconstruire leur vie », a déclaré Hodan Addou, Directrice régionale par intérim du bureau d'ONU Femmes pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe.

ONU Femmes préconise des mesures urgentes pour assurer la protection physique des femmes et des filles ainsi qu'un accès sûr à la nourriture, à l'eau potable et aux services de santé sexuelle et reproductive. L'agence soutient des initiatives communautaires, en partenariat avec des organisations dirigées par des femmes, pour renforcer la résilience et garantir l'accès aux services humanitaires essentiels pour les femmes, les hommes, les filles et les garçons touchés par la crise.

L'agence onusienne exhorte la communauté internationale, les donateurs et les partenaires humanitaires à accorder la priorité à la protection et à l'autonomisation des femmes et des filles soudanaises, notamment en augmentant le financement des organisations locales dirigées par des femmes, qui n'ont reçu que 1,63% des ressources financières du Fonds humanitaire pour le Soudan en 2023.

« ONU Femmes se tient aux côtés du peuple soudanais pendant cette crise humanitaire qui s'aggrave et appelle à l'arrêt immédiat de la guerre et à un retour à la table des négociations pour les dialogues de paix », concluent les dirigeants de l'agence.

https://news.un.org/fr/story/2024/09/1149246

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CFWIJ dénonce la répression judiciaire ciblant les femmes journalistes en Turquie

8 octobre 2024, par Coalition pour les femmes dans le journalisme (Coalition For Women In Journalism – CFWIJ) — , ,
LIBERTE DE LA PRESSE. La Coalition pour les femmes dans le journalisme (Coalition For Women In Journalism – CFWIJ) dénonce la percussion des femmes journalistes en Turquie où (…)

LIBERTE DE LA PRESSE. La Coalition pour les femmes dans le journalisme (Coalition For Women In Journalism – CFWIJ) dénonce la percussion des femmes journalistes en Turquie où celles travaillant pour les médias kurdes sont les plus visées.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Women Press Freedom a un rapport récent mettent en lumière la répression judiciaire de la presse indépendante en générale et des journalistes kurdes en particulier en Turquie. CFWIJ signale que « Parmi toutes les femmes journalistes harcelées et détenues par la justice turque, celles qui travaillent dans la presse kurde sont celles qui subissent le traitement le plus dur. Les journalistes qui traitent des questions kurdes sont régulièrement arrêtées et accusées de délits de terrorisme de haut niveau. Le journalisme n'est pas du terrorisme, et cette tentative délibérée des autorités turques de réprimer la presse kurde constitue une violation flagrante de la liberté de la presse », ajoutant que cette répression « doit cesser ».

Voici quelques extraits du rapport publié sous le titre de « L'instrumentalisation des tribunaux : Erdoğan intensifie la répression judiciaire contre les femmes journalistes »

Les journalistes sont souvent empêtrés dans des batailles juridiques qui durent des années , soumis à des détentions provisoires prolongées et à des interdictions de voyager lorsqu'ils deviennent la cible de harcèlement judiciaire. Nos données sur les procès et les enquêtes contre les femmes journalistes mettent en évidence les stratégies délibérées utilisées pour étouffer la presse dans le pays.

Les lois antiterroristes sont les outils les plus fréquemment utilisés contre les femmes journalistes, plus de la moitié des cas de harcèlement judiciaire impliquant des accusations liées au terrorisme. Les poursuites pénales pour « insulte à la nation » ou au président sont également couramment utilisées par les procureurs pour intimider les femmes dans les médias. En plus des poursuites pénales, des poursuites en diffamation, en particulier des SLAPP (Strategic Lawsuits Against Public Participation), sont régulièrement intentées par des personnalités publiques et des personnes faisant l'objet d'enquêtes par des journalistes.

Il ressort de notre analyse que le gouvernement turc a pour habitude de qualifier d' extrémiste et de criminel tout journalisme auquel il s'oppose. Les journalistes inculpés sont souvent contraints de subir de multiples audiences qui s'éternisent pendant des années, et les dossiers sont rouverts même après l'acquittement. Ce processus épuisant non seulement frustre les journalistes, mais porte également atteinte à la crédibilité du système judiciaire turc.

Les procureurs turcs semblent très politisés, ouvrant rapidement des affaires pénales contre les journalistes qui enquêtent sur la corruption et les abus, mais ne montrant que peu d'intérêt à poursuivre les conclusions de ces enquêtes. Les changements constitutionnels de 2017 ont encore renforcé le contrôle de l'exécutif sur le pouvoir judiciaire, après la révocation d'un quart des juges et des procureurs après la tentative de coup d'État manquée. Depuis lors, les autorités turques ont adopté des pratiques de plus en plus autoritaires, réduisant au silence ceux qui critiquent les politiques de l'État. Cette tendance révèle que la priorité du gouvernement n'est pas la justice, mais plutôt l'intimidation et la répression de ceux qui dénoncent les méfaits.

Parmi toutes les femmes journalistes harcelées et détenues par la justice turque, celles qui travaillent dans la presse kurde sont celles qui subissent le traitement le plus dur. Les journalistes qui traitent des questions kurdes sont régulièrement arrêtées et accusées de délits de terrorisme de haut niveau . Le journalisme n'est pas du terrorisme, et cette tentative délibérée des autorités turques de réprimer la presse kurde constitue une violation flagrante de la liberté de la presse. Elle doit cesser.
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Assimiler le journalisme au terrorisme

Depuis 2016, la Turquie est de facto sous le régime de l'état d'urgence, même après son abolition officielle en 2018. Le gouvernement a rendu ce régime permanent par une série de réglementations, l'utilisant pour intensifier la répression contre les journalistes. Au cœur de cette stratégie se trouve la loi antiterroriste n°3713, qui est définie de manière large et vague, permettant au gouvernement de qualifier les journalistes de « délinquants terroristes » en raison de leurs reportages critiques.

Cette situation a conduit à une augmentation du nombre d'enquêtes et de poursuites visant les journalistes. Les données de Women Press Freedom sur les violations commises contre les femmes journalistes dans le pays montrent que 54% de toutes les affaires judiciaires concernent des accusations de terrorisme.

Les chefs d'accusation les plus fréquemment retenus sont « l'appartenance à des organisations terroristes » et « la diffusion de propagande terroriste ». Ces deux chefs d'accusation sont passibles de plusieurs années de prison. Des journalistes ont été jugés et condamnés pour avoir partagé des messages sur les réseaux sociaux concernant des sujets d'actualité, notamment liés aux questions kurdes ou aux critiques de l' armée turque, et pour avoir publié des enquêtes sur des actes répréhensibles commis par des représentants de l'État. La presse kurde est de loin le groupe le plus visé, mais les médias et les journalistes de gauche sont également persécutés de manière disproportionnée.
(…)

Accusations d'« insulte »

Les données de Women Press Freedom révèlent que les accusations d'« insulte » sont fréquemment utilisées pour cibler les journalistes critiques, ce qui représente 16% de tous les cas de harcèlement judiciaire recensés en Turquie. Ces accusations donnent souvent lieu à des amendes ou à des peines avec sursis, ce qui s'appuie sur des lois vagues et vagues pour réprimer les voix dissidentes et promouvoir l'autocensure.

Les journalistes peuvent être empêtrés dans ces affaires pendant des années, et subir de nombreuses audiences. Le cas de Nurcan Baysal illustre ce combat. Après près de huit ans de bataille juridique, Baysal a été acquittée le 25 janvier 2024. Initialement accusée d'avoir « insulté publiquement la nation turque » pour son reportage de 2016 sur des graffitis sexistes à Cizre, sa condamnation a été annulée après son recours fructueux devant la Cour constitutionnelle. Son calvaire montre le chemin long et difficile que doivent parcourir les personnes accusées d'« insulte ».

L'article 301 du Code pénal turc vise les insultes contre la « turquicité », la République turque et ses institutions. Il prévoit une peine d'emprisonnement de six mois à deux ans pour quiconque dégrade publiquement la nation turque, l'État, la Grande Assemblée nationale, le gouvernement ou le système judiciaire.

Depuis son adoption en 2005, l'article 301 cible les journalistes, les intellectuels et les universitaires qui critiquent des questions sensibles, comme les droits des Kurdes . Malgré un amendement de 2008 exigeant l'approbation du ministre de la Justice pour engager des poursuites – ce qui a conduit à une diminution du nombre de cas – les femmes journalistes continuent d'être visées par des accusations d'insultes, et il existe un risque que les poursuites augmentent si les futurs ministres changent de position.
(…)

Persécution de la presse kurde

Les journalistes kurdes et ceux qui couvrent les questions kurdes sont la cible disproportionnée de harcèlement judiciaire de la part des autorités turques. Depuis 2019, 54% de tous les cas de harcèlement juridique contre des femmes journalistes recensés par Women Press Freedom concernaient des reporters kurdes ou des personnes couvrant les questions kurdes. Sur les 87 femmes journalistes accusées d'infractions liées au terrorisme, 78% travaillaient pour des médias kurdes ou couvraient les questions et la politique kurdes. Cela révèle une réalité inquiétante : les autorités ont assimilé le journalisme sur les questions kurdes au terrorisme , utilisant ces accusations comme une arme pour les réduire au silence.

Depuis l'échec des négociations de paix entre le gouvernement turc et la minorité kurde en 2015 et le conflit en cours dans le sud-est de la Turquie, de nombreux journalistes kurdes sont poursuivis pour « propagande terroriste ». Ces accusations sont souvent contraires aux normes internationales en matière de liberté d'expression.

Les journalistes qui couvrent les questions kurdes, les partis d'opposition ou les opérations militaires sont souvent confrontés à ces fausses accusations liées au terrorisme , la loi étant appliquée de manière large et souvent arbitraire. Même les journalistes qui protestaient contre la persécution de leurs collègues kurdes ont été poursuivis, comme en 2023, lorsque six femmes journalistes ont été inculpées pour avoir protesté contre l'arrestation de reporters kurdes.

Les journalistes kurdes, ceux qui travaillent dans les médias kurdes et même ceux qui les soutiennent sont régulièrement criminalisés simplement pour avoir fait leur travail.
(…)

Rapport (en anglais) à lire ici :
Weaponizing the Courts : Erdoğan's Escalating Legal Repression of Women Journalists

https://kurdistan-au-feminin.fr/2024/09/20/cfwij-denonce-la-repression-judiciaire-ciblant-les-femmes-journalistes-en-turquie/

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Volkswagen/Sommet de l’automobile

8 octobre 2024, par Thorsten Donnermeier — , ,
Volkswagen/Sommet de l'automobile – Des productions tournées vers l'avenir : Les intérêts du capital se prononcent contre. La raison plaide pour. C'est pourquoi la solidarité (…)

Volkswagen/Sommet de l'automobile – Des productions tournées vers l'avenir : Les intérêts du capital se prononcent contre. La raison plaide pour. C'est pourquoi la solidarité internationale est plus importante qu'elle ne l'a jamais été

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/04/volkswagen-sommet-de-lautomobile-des-productions-tournees-vers-lavenir-les-interets-du-capital-se-prononcent-contre-la-raison-plaide-pour-cest-pourquoi-la-so/

Je m'appelle Thorsten Donnermeier, délégué syndical d'IG Metall, j'ai commencé à travailler chez Volkswagen à Kassel en 1984. Mon père y a également passé la moitié de sa vie, il était aussi délégué. Trouver un boulot dans l'automobile, c'était avoir beaucoup de chance. En 1984 et pendant de nombreuses années, encore par la suite, Volkswagen, cela voulait dire des perspectives d'avenir pour les jeunes et de sécurité pour les vieux jours.

Aujourd'hui, l'industrie automobile n'est plus synonyme ni de sécurité ni d'avenir. Tout le monde est touché, de Bosch à ZF, de BMW à Volkswagen, et cela tout autour du globe. Par conséquent, plus personne ne trouvera de boulot dans l'industrie automobile. La direction de Volkswagen a dénoncé l'accord de sécurisation de l'emploi. Maintenant, juste au moment où nous en avons le plus besoin.

Un collègue explique la situation comme suit : tu assures ta maison contre l'incendie jusqu'en 2029. En 2024, la baraque brûle comme un feu de camp et voilà que l'assurance te dit que le contrat n'est pas valide.

En Allemagne, il est possible de résilier tous les contrats collectifs relatifs à l'emploi. En passant à la pratique, la direction de VW vient de nous montrer que ce n'est pas qu'une possibilité. Désormais, aucun accord de garantie d'emploi ne garantira plus la sécurité pour l'avenir. Même si un nouvel accord est signé jusqu'en 2035, il n'y a aucune garantie qu'il ne sera pas dénoncé si les constructeurs chinois s'imposent sur un marché de plus en plus concurrentiel. Les conditions d'une relation de confiance ont donc été détruites.

Chez Volkswagen, la peur est palpable chez les jeunes comme chez les moins jeunes. Avec ces suppressions d'emplois dans l'automobile, il est impossible d'espérer retrouver un bon boulot dans une boîte avec des conventions collectives correctes. Les perspectives, les plus jeunes les formulent ainsi : rouler des boulettes de viande chez MC Donalds ou s'épuiser à courir de porte en porte pour Amazon. Nous aussi, les plus âgés, nous sentons insécurisés, avec l'ouverture de la chasse aux congés maladie trop longs. Ce qui est terrible avec ça, c'est que ces gens sont vraiment malades. Des personnes en bonne santé qui restent chez elles, personne n'en connaît. Les malades qui se traînent à l'usine le sont encore plus.

Le sentiment d'insécurité face à la perte de pouvoir d'achat en raison de l'augmentation des prix est également très présent. Certains ont acheté une maison il y a quelques années seulement et craignent de ne bientôt plus en avoir les moyens. La peur plane sur le nord de la Hesse. Peur de la désindustrialisation. Nous avons vu à quoi cela ressemblait dans l'ex-RDA, là où des arbres sortent des ruines des maisons. Des villages fantômes avec plus que des vieux.

Cela nous concerne tous. La colère est grande. On ne fait rien de plus que ce qui est indispensable, hors de question de faire un pas de plus qu'il ne faut. Pour beaucoup de collègues, il est incompréhensible que le comité d'entreprise ne se soit pas opposé aux heures supplémentaires obligatoires. Je n'ai pas connaissance d'explosions de colère ouverte. Cependant, c'est avec une grande sympathie que l'on a lu dans les journaux que nos collègues de travail à Bruxelles ont égaré 200 clés de voiture. C'est qu'il nous est tombé dessus pas mal de choses, à nous, ouvriers de Volkswagen et d'Audi. Il est donc bien compréhensible qu'on puisse égarer des affaires. Tout le monde a certainement déjà égaré ses clés à un moment où on est débordé. Qui sait ce qui va encore arriver ? Ce qui est en jeu, c'est Il s'agit de l'existence de dizaines de milliers de personnes.

J'attends de mon syndicat qu'il soit beaucoup plus actif sur le plan de la solidarité internationale. Supposons que les fabrications de Volkswagen à Kassel soient transférées à Mlada Botislav (Skoda) et à Volkswagen Posnan, les salarié.e.s de ces deux sites se réjouiront alors de l'arrivée de nouveaux emplois et ne se montreront pas solidaires envers nous. Nous ne l'avons pas été non plus, ou alors trop peu, avec le site de Bruxelles, penseront-ils.

Aucun contrat ne nous garantit l'emploi. La solidarité est notre force, en tant que syndicalistes, nous devons le réapprendre. Nous pouvons produire des voitures encore moins chères pour laisser la concurrence derrière nous. Si nous parvenons à créer des synergies et que nous augmentons la productivité, il y aura de quoi se moquer gentiment de nous, car c'est exactement ce que nous avons toujours fait depuis des dizaines d'années. La possibilité de gagner encore en rapidité ou en productivité est vue comme irréaliste. Une limite naturelle est atteinte, où plus rien n'est plus rapide ni plus efficace, c'est ce que disent la plupart des ouvriers de Volkswagen. C'est l'étonnement qui domine, lorsque de telles propositions sortent de la bouche de permanents importants du CE ou du syndicat.

L'e-mobilité se traduit par moins de composants et donc, même si le nombre de voitures électriques vendues est identique, par des suppressions d'emplois, voitures seront vendues, il y aura des suppressions d'emplois. Une déclaration récente de notre président du conseil d'entreprise à Kassel, C. Büchling, à la « Frankfurter Rundschau », a suscité de nombreuses discussions intéressantes dans l'entreprise. Il a dit en gros : un jour, il faudra bien que les travailleurs décident de ce qui doit être produit. Certains ont alors ont compris qu'on pouvait fabriquer des chars comme des petits pains. Mais on en arrive assez vite au fait qu'ils rapidement : ils n'apportent pas non plus d'emplois sûrs, car la plupart des gens veulent la paix. On en vient à parler de moyens de transports publics, et même de véhicules ferroviaires comme des possibilités pour préserver les sites et tous les emplois. Cette discussion n'était pas possible il y a encore quelques mois.

Les gens veulent des emplois sûrs pour pouvoir continuer à faire vivre leur petit monde à la maison. Si la production de pâtes pouvait apporter cette sécurité, alors la plupart seraient d'accord pour en fabriquer. C'est là une proposition juste et importante de la part de C. Büchling. Dommage que l'IGMetall de Wolfsburg et tout le monde autour n'aient pas pris en considération les propositions du mouvement « Verkehrswende » et de l'association « Amsel 44 » et qu'ils n'aient pas soutenu la proposition de fabriquer des véhicules de transport public.

Près de Florence, une entreprise, GKN, a été occupée par les travailleurs. Cette usine fabriquait à l'origine des pièces pour les moteurs à combustion. Les travailleurs et travailleuses y mènent un combat, avec des scientifiques et le mouvement pour le climat, pour créer des productions d'avenir et durables. Ils et elles ont décidé de fabriquer des panneaux solaires et des des vélos-cargos.

Certes, leur situation n'est pas comparable à celle de Volkswagen. Cependant, ce combat des travailleurs aux côtés de scientifiques et du mouvement climatique est au sens le plus profond riche de perspectives d'avenir si nous voulons avoir un avenir en tant qu'êtres vivants et en tant que travailleurs. Il n'y a d'emplois assurés pour l'avenir qu'avec des productions porteuses d'avenir. Nous, syndicalistes et salarié.e.s de Volkswagen, c'est cela que nous devons avoir en tête. C'est la seule façon d'assurer que Volkswagen soit à nouveau synonyme d'emploi pour l'avenir des jeunes et de sécurité pour les vieux jours.

Les intérêts du capital se prononcent malheureusement contre. La raison plaide pour. C'est pourquoi un tel choix entraînerait un affrontement brutal avec les propriétaires de l'entreprise. C'est pourquoi avoir un syndicat tourné vers l'avenir qui adopte les méthodes de lutte de la solidarité internationale est pour nous, travailleurs et travailleuses, plus important que cela ne l'a jamais été auparavant.

Thorsten Donnermeier
Source – LabourNet Germany. 19 septembre 2024 :
https://www.labournet.de/wp-content/uploads/2024/09/vw-zukunft-Donnermeier.pdf
Traduction Pierre Vandevoorde pour ESSF
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72042

Voir le dossier de LabourNet Germany sur Volkswagen
https://www.labournet.de/branchen/auto/auto-vw/vw-d/kahlschlag-bei-vw-ab-2024-autobauer-plant-kuerzungen-in-milliardenhoehe-um-effizienz-zu-steigern/

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La Francophonie, un projet au service de l’ambition impérialiste française

8 octobre 2024, par Aminata Dramane Traore, Boubacar Boris Diop, Khadim Ndiaye, Odile Tobner, Thomas Borrel — , ,
Le 19e sommet de la Francophonie se déroule ces 4 et 5 octobre 2024 à Villers-Cotterêts, en France. Dans cette tribune, Thomas Borrel, Boubacar Boris Diop, Khadim Ndiaye, Odile (…)

Le 19e sommet de la Francophonie se déroule ces 4 et 5 octobre 2024 à Villers-Cotterêts, en France. Dans cette tribune, Thomas Borrel, Boubacar Boris Diop, Khadim Ndiaye, Odile Tobner et Aminata Dramane Traoré dénoncent l'ADN colonial de l'Organisation internationale de la francophonie et le double discours de l'institution sur les droits humains.

Tiré d'Afrique XXI.

« L'unité du langage entraîne peu à peu l'union des volontés », écrivait en 1904 le géographe Onésime Reclus, ajoutant : « Nous avons tout simplement à imiter Rome qui sut latiniser, méditerranéiser nos ancêtres, après les avoir domptés par le fer. » C'est bien en ces termes que fut théorisée la « Francophonie » par celui qui forgea ce néologisme. Celle-ci serait « tout à la fois un espace de résistance et de reconquête », expliquait pour sa part le président Emmanuel Macron au sommet de Djerba, en 2022 (1). Plus d'un siècle sépare ces deux citations, dont la juxtaposition illustre l'ambiguïté coloniale qui persiste chez celles et ceux qui vont célébrer la Francophonie lors du sommet de Villers-Cotterêts.

Loin de nous l'idée de contester l'intérêt d'avoir au moins une langue en commun pour échanger en étant dans différents pays, sur différents continents. D'ailleurs, nous ne nous en privons pas. Mais la Francophonie représente bien plus que cela : c'est un projet politique mu par la vieille ambition impérialiste française.

Façonner l'imaginaire politique

Dans nombre de pays, la Francophonie, c'est avant tout la promotion d'une langue coloniale, qui continue de façonner la manière de penser, de s'exprimer et de vivre le monde. C'est aussi l'affirmation d'un élitisme forcené puisque, face aux langues locales, l'usage familial du français concerne souvent une frange limitée de la population, avant tout urbaine et généralement plus aisée. Lorsque cette langue est celle de l'administration, des bourses d'études et des crédits de recherche, les élites politiques et économiques proviennent donc le plus souvent de ces milieux restreints où le français est très tôt devenu une seconde langue maternelle, voire la langue privilégiée. La reproduction des élites y prend ainsi une dimension linguistique qui façonne l'imaginaire culturel et politique... en cultivant un fort arrimage culturel à la France.

C'est d'ailleurs l'intention, même pas cachée, des promoteurs et promotrices de la Francophonie à Paris. « Maintenant que nous avons décolonisé, notre rang dans le monde repose sur notre force de rayonnement, c'est-à-dire avant tout sur notre puissance culturelle », reconnaissait le général de Gaulle en 1966. « La Francophonie prendra un jour le relais de la colonisation ; mais les choses ne sont pas encore mûres », précisait-il (2). Elles le sont devenues

De nos jours, chaque rapport parlementaire français sur les relations franco-africaines est l'occasion de rappeler l'importance de la diffusion de la langue et de la culture française qui permet, comme l'écrivent en 2018 les députés Michel Herbillon et Sira Sylla, de « créer les conditions d'un rapprochement profond et sur le temps long, de liens quasi émotionnels, d'une intimité qui peut s'avérer décisive en matière diplomatique ». Car, rappellent-ils, « si le travail de chancellerie permet d'avoir des “alliés”, la diplomatie culturelle permet de se faire des “amis” » (3).

Instrument de puissance culturelle

Et l'amitié peut – et doit – payer. C'est Jacques Attali qui l'explique le mieux, dans son rapport remis il y a dix ans au président Hollande, sur la « Francophonie économique ». Il y insiste sur la « corrélation entre la proportion de francophones dans un pays et la part de marché des entreprises françaises dans ce pays » et propose de créer à terme une « Union économique francophone aussi intégrée que l'Union européenne » (4). Un grand marché commun au centre duquel rayonnerait la France.

La mise en œuvre d'un projet politique nécessitait bien une institution multilatérale derrière laquelle dissimuler les ambitions françaises. « La Francophonie est une grande idée », expliquait le général de Gaulle en Conseil des ministres en 1963, ajoutant toutefois une précaution stratégique : « Il ne faut pas que nous soyons demandeurs. » Une mythologie savamment entretenue voudrait que la création, en 1970, de l'Agence de coopération culturelle et technique, ancêtre de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), ait été initiée par le président sénégalais Léopold Sédar Senghor et quelques autres. C'est oublier opportunément l'impulsion donnée par de Gaulle et par son Premier ministre Georges Pompidou, qui créa dès 1966 un « Haut Comité pour la défense et l'expansion de la langue française » en mobilisant justement son ami de jeunesse Senghor.

L'OIF est devenue l'outil dont la France avait besoin pour essayer de continuer de peser sur la scène internationale : un instrument de puissance culturelle, dont Paris assure la plus grosse part du budget et organise l'agenda politique, tout en prenant soin de ne jamais placer un Français à sa tête – toujours ce soin de ne pas être « demandeurs ».

Air de déjà vu

Outre les objectifs de diffusion culturelle et linguistique et de développement économique, l'OIF vise officiellement à « promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l'Homme ». Car le rayonnement français entend se faire aussi sur le plan des « valeurs » que Paris brandit régulièrement, comme pour mieux faire oublier les terribles compromissions de sa politique étrangère, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. L'OIF reprend ainsi à son compte l'hypocrisie de la France, et son discrédit croissant sur le continent africain. Ses opérations « d'observation » de scrutins sont réputées pour le blanc-seing qu'elles offrent aux plus sinistres farces électorales. Le vernis « pro-démocratie » de l'institution ne sert qu'à légitimer certains des pires régimes de la planète, pourvu qu'ils torturent en français.

Toute cette mascarade du sommet de Villers-Cotterêts est d'autant plus pénible qu'on nous fait déjà, comme lors du « nouveau » sommet Afrique-France de Montpellier il y a trois ans, la promesse d'un format « innovant », avec de « jeunes entrepreneurs » et « créateurs ». Comme à Montpellier, le sens du spectacle nécessitera sans doute quelque interpellation intrépide, pour montrer que l'OIF n'a pas peur de se moderniser.

Mais cette fois il ne sera même pas question des autres piliers de l'impérialisme français, tels que l'armée ou la monnaie, et on entend déjà clamer la nécessité de réformes destinées à donner encore plus de poids politique à la Francophonie, en feignant de croire qu'elle peut être une piste de solution au problème qu'elle symbolise depuis toujours.

Notes

1- Le 18e sommet de la Francophonie s'est tenu à Djerba, en Tunisie, les 19 et 20 novembre 2022.

2- Alain Peyrefitte, C'était De Gaulle, Fayard, vol. 3., 2000.

3- Michel Herbillon, Sira Sylla, « La diplomatie culturelle et d'influence de la France : quelle stratégie à dix ans ? », rapport d'information déposé par la commission des Affaires étrangères, Assemblée nationale, 2018.

4- Jacques Attali, « La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable », rapport remis au président de la République française, août 2014.

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Résolution pour protéger la liberté de la presse*

8 octobre 2024, par Vadim Kamenka — , ,
Au Conseil de l'Europe, la résolution a été majoritairement adoptée avec 88 votes favorables, ce mercredi. Elle confirme le statut de prisonnier politique du journaliste (…)

Au Conseil de l'Europe, la résolution a été majoritairement adoptée avec 88 votes favorables, ce mercredi. Elle confirme le statut de prisonnier politique du journaliste australien, sa persécution et la nécessité de protéger la liberté d'expression face au secret d'État.

Par Vadim Kamenka <https://www.humanite.fr/auteur/vadi...> ,
Tiré de L'Humanité, France, le mercredi 2 octobre 2024

Strasbourg (Bas-Rhin), envoyé spécial

Une ovation retentit. À 11 heures passées, l'hémicycle marron aux sièges bleus du Conseil de l'Europe connaît un moment rare. Sous le regard et les applaudissements de Julian Assange et de ses proches Stella Assange, Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de WikiLeaks, et Joseph Farrell, ambassadeur de WikiLeaks, la résolution a été adoptée avec 88 votes favorables, 13 contre et 20 abstentions.

« C'est une première étape. La résolution est complète avec un ensemble d'éléments qui doivent permettre une transcription judiciaire et législative. Nous devons prendre le relais de Julian Assange désormais. Sa lutte doit nous servir à lancer une grande bataille pour protéger nos nations d'attaques contre la liberté de la presse et nos institutions sont dans l'obligation de prendre le relais », commente Christophe Marchand, avocat qui a représenté le journaliste australien devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

*Un bouclier nécessaire face aux États-Unis*

L'ensemble des membres de la commission des Questions juridiques et des Droits de l'homme du Conseil de l'Europe – qui réunit des parlementaires des 46 États – ont clairement alerté sur la jurisprudence de l'affaire Assange. « Nous devons être attentifs à ce que l'information soit accessible au public. Parce que l'information, c'est la première ressource de la démocratie. Un public informé est le seul à même de prendre des décisions éclairées », rappelle Christophe Brico ( PPE, Monaco ).

D'autres ont pointé le besoin d'une réponse collective face à une loi américaine qui peut poursuivre un journaliste australien en Europe. « Nous avons besoin d'un bouclier pour nous protéger de la loi sur l'espionnage dans les États membres du Conseil de l'Europe, pour protéger les organisations de la société civile, pour la protection de la liberté de la presse, pour ceux qui éditent et les publient et pour les lanceurs d'alerte », a réclamé le parlementaire allemand Julian Pahlke ( groupe des socialistes, démocrates et Verts, SOC ).

Plusieurs élus ont rappelé que l'activité du Conseil repose sur la convention européenne des droits de l'homme. Le droit à la liberté d'expression y est consacré par l'article 10 « sans ingérence et sans considération de frontière ». L'ensemble de l'Assemblée a félicité Thórhildur Sunna Aevarsdóttir, qui a soutenu le rapport. « Cette affaire signifie pour ceux qui risquent leur vie en dénonçant la corruption, les crimes de guerre et les violations des droits humains (…) que dans la lutte entre le pouvoir et la vérité, le pouvoir l'emportera. C'est un message que l'Assemblée doit rejeter avec force », prévient l'élue islandaise du Parti pirate ( SOC ).

Dans l'Hémicycle, un autre amendement a été particulièrement disputé, la reconnaissance du statut de « prisonnier politique » de Julian Assange durant quatorze ans. L'opposition d'une partie de la droite et des libéraux a été forte et illustrée par le lord britannique Richard Keen, affirmant que « de nombreux aspects de l'affaire restaient profondément troublants » et que « qualifier Assange de prisonnier politique est factuellement erroné et juridiquement incorrect ».

Il est vrai que « la Grande-Bretagne a malheureusement une longue histoire de refus du statut de prisonnier politique », a relevé l'élu irlandais Paul Gavan (GUE). Avec 65 pour et 31 contre, « c'est une victoire totale », a salué un membre de la commission.

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« Notre ami Kaïs Saïed. Essai sur la démocrature tunisienne » - Hatem Nafti

8 octobre 2024, par Pascal Boniface — , ,
Essayiste franco-tunisien, Hatem Nafti répond à mes questions à l'occasion de la parution de son ouvrage « Notre ami Kaïs Saïed. Essai sur la démocrature tunisienne », préfacé (…)

Essayiste franco-tunisien, Hatem Nafti répond à mes questions à l'occasion de la parution de son ouvrage « Notre ami Kaïs Saïed. Essai sur la démocrature tunisienne », préfacé par Gallagher Fenwick, aux éditions Riveneuve.

Tiré du blogue de l'auteur.

Vous parlez d'un populisme sans le peuple…

Si nous considérons la définition classique du populisme telle que formulée par le politologue néerlandais Cas Mudde, nous voyons que celle-ci s'applique parfaitement à Kaïs Saïed. En effet, Mudde définit le populisme comme « une idéologie peu substantielle (« thin ideology ») qui considère que la société se divise en deux camps homogènes et antagonistes, le peuple pur et l'élite corrompue, et qui affirme que la politique devrait être l'expression de la volonté générale du peuple ». Cette vision se retrouve jusque dans le slogan de campagne de 2019 du maître de Carthage : « le peuple veut » ( الشعب يريد).

Le problème, c'est que ce populisme n'est pas populaire si l'on considère les taux de participation aux scrutins organisés par le régime depuis le coup d'Etat du 25 juillet 2021. Le referendum constitutionnel de 2022 n'a attiré que 30% d'électeurs quand les élections législatives et locales ont été marquées par un taux d'abstention record, autour de 11%.

Il est toutefois important de souligner que cette abstention ne signifie nullement que 9 Tunisiens sur 10 rejettent Kaïs Saïed. Le président tunisien arrive à proposer un narratif qui sied à une partie significative de la population. Tous les problèmes de la Tunisie seraient le fruit d'un complot généralisé. Chaque complot désigne à la vindicte populaire un bouc-émissaire (anciennes élites, Etat profond, migrants, puissances étrangères, spéculateurs…). Ce narratif est angoissant dans la mesure où il maintient une tension permanente mais également rassurant car il permet de faire corps autour de ce président qui s'en prend à tous ces boucs-émissaires. Pour résumer, on peut dire que Saïed ne rassemble pas tant sur un projet qu'il n'agrège une série de rejets.

La question migratoire est devenue centrale ?

Les enjeux migratoires ont toujours revêtu une importance en Tunisie mais il est vrai que les bouleversements géopolitiques dans la région ont accru la question ces dernières années.

D'une part la déstabilisation de la Libye et l'instabilité au Sahel ont augmenté les déplacements de populations, d'autre part, des accords migratoires avec le Maroc, l'Égypte et la Turquie, ont fait de la Méditerranée centrale (Tunisie et Libye), le point de passage privilégié vers l'Europe. Rappelons que l'Italie est à moins de 150 kilomètres des côtes tunisiennes.

Ce qui a changé avec Kaïs Saïed, c'est l'approche raciste et complotiste du sujet. Le président tunisien explique tous les dysfonctionnements par un complot. En faisant sienne la théorie du « Grand remplacement », le président a exacerbé les tensions raciales et provoqué des drames. Le 21 février 2023, un communiqué du Conseil national de sécurité dénonce : « la horde de migrants clandestins d'origine subsaharienne » qui sont source « de violences, de crimes et de comportements inacceptables ». Le chef de l'État estime que ces flux feraient partie d'une « entreprise criminelle » remontant, dont l'objectif serait « la modification de la composition démographique tunisienne » dont « le but inavoué est de considérer la Tunisie comme exclusivement africaine au détriment de ses composantes arabes et musulmanes ». Le président accuse des « parties » d'avoir reçu « de grosses sommes d'argent depuis » dans le but d'aider au « peuplement des populations subsahariennes ». Après des scènes de « chasse à l'homme noir » qui ont duré une semaine, la situation s'est calmée. Depuis, des périodes d'accalmie succèdent à des épisodes de répression. Depuis le début de l'année 2024, ce sont les associations d'aide aux migrants qui sont dans le collimateur des autorités. Plusieurs dirigeants d'ONG sont incarcérés, accusés de blanchiment d'argent et d'aide à l'installation des migrants. L'État préfère se défausser sur ces maillons faibles que de tenir tête aux voisins algérien et libyen qui laissent passer les migrants et les Européens qui paient pour que la Tunisie les garde sur son territoire.

Régime autoritaire, comme sous Ben Ali, mais sans la croissance économique ?

Sous Ben Ali, il y avait une sorte de pacte tacite entre la population et les gouvernants qui peut se résumer dans « la liberté contre la stabilité économique ». Aujourd'hui, le pays fait face à une grave crise économique tout en ayant abandonné la liberté. Les pénuries alimentaires sont légion et Saïed attribue cela à des complots oudris par les ennemis du pays. Début 2023, le président a refusé un prêt du FMI au motif qu'il était conditionné à des réformes antisociales : baisse de la subvention des matières premières, restructuration des entreprises publiques et réduction de la masse salariale du secteur public. Pourtant, le pays continue à s'endetter et la baisse des compensations se fait par un moyen détourné : pour préserver sa réserve en devises, l'État rogne sur l'importation de certains produits de première nécessité, obligeant ainsi les citoyens à acheter des produits au prix du marché.

Kaïs Saïed entend également changer le système de production en introduisant le concept d'entreprises communautaires, sorte de coopératives territorialisées, chapeautées par l'État. Mais ce projet, censé résorber le chômage des jeunes, n'attire pas grand monde. Malgré de nombreuses incitations, seules 70 entreprises ont vu le jour en deux ans.

La France et l'Europe semblent accepter paisiblement la situation politique en Tunisie…

Mon livre est un clin d'œil aux ouvrages « Notre ami le roi » (G. Perrault, Gallimard, 1992) et « Notre ami Ben Ali » (N. Beau, et JP. Tuquoi, La Découverte, 2011), mais il fait également référence à une phrase d'Emmanuel Macron, tenue fin 2022 en marge du sommet de la Francophonie. Interrogé sur la répression croissante, le président français a indiqué son attachement au « mouvement » que connaît la Tunisie (en référence au coup d'֧État) et a qualifié d'ami son « homologue ». La position de la France et plus généralement de l'Europe s'explique d'abord par la question migratoire. En pleine répression des migrants subsahariens, en juillet 2023, Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte se sont déplacés à Tunis pour signer un mémorandum d'entente. Contre une meilleure coopération en matière migratoire, Bruxelles s'engage à verser des aides financières. Par ailleurs, les Occidentaux en général ne souhaitent pas voir Tunis, qui est arrimée à l'Ouest depuis Bourguiba, se tourner vers ses adversaires russes, chinois et iraniens. Cela explique la timidité de leur réaction face au tournant autoritaire.

Cet article est également disponible sur mon site et sur le site de l'IRIS.

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Soudan : L’obstination criminelle des généraux

8 octobre 2024, par Paul Martial — , ,
La guerre des deux généraux s'intensifie, laissant le pays et les populations exsangues alors que la diplomatie internationale se gargarise de phrases creuses. Tiré (…)

La guerre des deux généraux s'intensifie, laissant le pays et les populations exsangues alors que la diplomatie internationale se gargarise de phrases creuses.

Tiré d'Afrique en lutte.

Les fortes précipitations pendant la saison des pluies, renforcées par le dérèglement climatique, ont provoqué de nombreuses inondations qui ont aggravé la situation déjà très précaire des populations. Autre conséquence : les routes et pistes impraticables ont figéles lignes de front de la guerre entre les Rapid Support Forces (RSF) de Hemedti et les Sudanese Armed Forces (SAF) dirigées par Al-Burhan.

Reprise des offensives

Depuis 17 mois de guerre, la quasi-totalité du pays a été touchée. Les RSF contrôlent la zone ouest et les SAF les parties sud et est. Avec le début de la saison sèche, les grandes offensives reprennent. Les FAS tentent de reconquérir la capitale Khartoum qui est en presque totalité aux mains des partisans d'Hemedti. Quant à ces derniers, ils ont lancé une attaque massive sur la ville d'El Fasher, capitale historique du Darfour. Au vu des massacres et des pillages dont ils se sont rendus coupables, une partie des civilEs a fait le choix de prendre les armes aux côtés des FAS pour défendre leur ville. D'autres groupes armés ont aussi joint leurs forces comme le SLM-Minawi (Sudan Liberation Army-Minawi), le JEM, des éléments du SLM-TC (Sudan Liberation Movement-Transitional Council), et des milices locales. Une alliance hétéroclite unie seulement par leur opposition aux RSF.

Ces manœuvres sont importantes pour chaque camp. La conquête de la capitale ne pourra que conforter Al-Burhan dans sa stature d'autorité légitime du Soudan, pour Hemedti, gagner El Fasher revient à contrôler l'ensemble du Darfour. Ces offensives signifient aussi que les deux généraux ont adopté une stratégie de guerre totale impliquant la destruction des infrastructures du pays, les hôpitaux, les écoles, les ponts, les aéroports, etc.

Discours hypocrites

Ainsi les deux camps utilisent l'artillerie lourde sur des zones densément peuplées. On compte désormais au bas mot 150 000 victimes. Près de 12 millions de déplacéEs et 25 millions de SoudanaisEs sont confrontéEs à une crise alimentaire aiguë.

Les efforts diplomatiques entrepris par les USA tournent au grotesque. Après le flop de sa conférence de Genève, Biden a signé avec Ben Zayed Al Nahyane président des Émirats arabes unis (EAU), une déclaration soulignant que « les deux dirigeants se sont déclarés alarmés par les millions de personnes déplacées par la guerre, les centaines de milliers de personnes souffrant de famine et les atrocités commises par les belligérants contre la population civile. Ils ont souligné qu'il ne peut y avoir de solution militaire au conflit au Soudan ». Alors que les EAU sont les principaux soutiens et pourvoyeurs d'armes des RSF.

S'il y a peu d'empressement de la part des pays voisins du Soudan tout comme du reste de la communauté internationale à mettre fin au conflit, c'est que cette guerre a au moins un avantage pour eux, celui d'avoir écrasé une révolution dont la dynamique émancipatrice remettait en cause l'ordre établi.

Paul Martial

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La presse algérienne dénonce le score « soviétique » du Président Tebboune

8 octobre 2024, par Yacine K. — , ,
Le miracle s'est produit en ce jour de pluie et d'inondations sur la terre d'Algérie. Le président algérien sortant, Abdelmadjid Tebboune, a été réélu pour un deuxième mandat (…)

Le miracle s'est produit en ce jour de pluie et d'inondations sur la terre d'Algérie. Le président algérien sortant, Abdelmadjid Tebboune, a été réélu pour un deuxième mandat avec près de 95% des voix, a annoncé dimanche le président de l'Autorité nationale indépendante des élections (Anie). Sur un total de 5.630 millions de « votes enregistrés, 5.320 millions ont voté pour le candidat indépendant » Tebboune, « soit 94,65% des voix », a déclaré Mohamed Charfi. Le président de l'Anie n'a pas fourni de nouveaux chiffres sur le taux de participation, après avoir annoncé dans la nuit « un taux moyen de 48% à la fermeture des bureaux », samedi à 20h00 (19h00 GMT).

Tiiré de MondAfrique.

Ce score du Président sortant est contesté par de nombreux observateurs. Abdelmadjid Tebboune aurait été gratifié d'une « réélection » avec un taux à la soviétique, d'après un éditorial de Yacine K. dans Le Matin d'Algérie

N'en jetez pas plus. Tebboune (79 ans) voulait être réélu avec un score qui ferait pâlir Kim Jong-un, le voilà bien servi ! Donc, l'Algérie est repartie pour 5 ans avec un chef d'Etat jamais avare de grandes déclarations… sans lendemains.

En revanche, ses faiseurs de roi n'ont eu aucune pitié pour ses deux lièvres,Youcef Aouchiche (2,16%) et Abdelaali Hassani Cherif (3,17 %). Ils les ont pourvus de taux particulièrement ridicules. Ils auraient pu leur renvoyer l'ascenseur pour services rendus. Même pas… Comme quoi, il n'y a absolument rien à attendre de ce régime.

Tout indiquait que cette élection n'en serait jamais une. Avec un ministre de l'Intérieur, comme directeur de campagne du chef de l'Etat, fallait-il attendre autre chose ? Le régime a tout balisé depuis des mois. Répression tous azimuts, musellement des voix dissidentes, association des médias lourds et journaux dans une entreprise de manipulation à grande échelle pour faire avaler les potions les plus imbuvables que pouvaient imaginer les crânes d'oeuf de Tebboune.

Ensuite, il y a eu l'épisode des annonces des taux de participation hier par Mohamed Charfi. Le taux de participation a commencé modestement le matin avant de bondir dans l'après midi. Puis à 17h, les chiffres s'affolent dans la bouche de l'auguste président de l'ANIE. Ils passent sans coup férir de 26,45% à 48,03%. Et 19,57% pour la communauté nationale établie à l'étranger. Ces taux restent provisoires ce soir.

Et comme les réjouissances ne sont pas finies, demain, le taux de participation au niveau national franchira allègrement les 50%. Voilà qui confortera l'oncle Tebboune qui s'estimait mal élu en décembre 2019. Ainsi, il pourra poursuivra, sans retenue, son oeuvre d'immobilisme mortifère du pays.

Quant à ses deux lièvres, finis les plateaux télé, les sorties publiques… ils se feront oubliés dès demain pour leur formidable participation à cette parodie.

*Source : Le Matin d'Algérie

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Arrêts de la CJUE sur le Sahara occidental : Le gouvernement Sanchez remis en question

8 octobre 2024, par APS — , , ,
La question du Sahara occidental, occupé par le Maroc depuis 1975, « n'a jamais été un ‘'différend régional'', comme le prétend le Maroc mais plutôt une question en suspens (…)

La question du Sahara occidental, occupé par le Maroc depuis 1975, « n'a jamais été un ‘'différend régional'', comme le prétend le Maroc mais plutôt une question en suspens d'un processus de décolonisation que l'Espagne avait l'obligation d'administrer, sans céder à un autre intérêt que celui des Sahraouis eux-mêmes ».

Tiré d'El Watan.

En invalidant les deux accords commerciaux conclus entre le Maroc et l'Union européenne (UE), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a statué sur une chose « évidente », a indiqué le Docteur et professeur en relations internationales à l'université de Madrid, Sebastian Ruiz-Cabrera. « La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a statué sur une chose évidente. Les accords de pêche et agricoles UE-Maroc ont violé les principes d'autodétermination du peuple sahraoui », a écrit Sebastian Ruiz-Cabrera dans un post sur les réseaux sociaux. « Les entreprises espagnoles qui en ont bénéficié, en paieront-elles le prix ? », s'est-il notamment interrogé.

Evoquant, par ailleurs, l'ampleur du pillage des ressources sahraouies, le Docteur et professeur en relations internationales à l'Université de Madrid a fait savoir qu'en 2019, « les captures dans les eaux du Sahara occidental se sont élevées à 1 067 000 tonnes pour une valeur totale de 496 408 millions d'euros (tandis que) les exportations vers l'UE au cours de la même année se sont élevées à 124 900 tonnes, pour une valeur de 434 437 millions d'euros ». « C'est la Cosa Nostra. Un banquet organisé par Bruxelles », s'est-il indigné, soulignant que, le 12 février 2019, le Parlement européen a approuvé le nouvel accord de collaboration sur la « pêche durable » entre l'UE et le Maroc avec une compensation économique de 153,6 millions d'euros pour quatre ans.

Dans ce contexte, Sebastian Ruiz-Cabrera a dit espérer que les arrêts rendus vendredi par la CJUE confirmant l'illégalité des accords commerciaux conclus entre l'Union et le Maroc puissent permettre à la population sahraouie d'exercer son droit à l'autodétermination. « Après la belle sentence de justice d'aujourd'hui (vendredi, ndlr), nous espérons un retour économique pour la population sahraouie afin qu'elle puisse gérer correctement son droit à l'autodétermination », a-t-il indiqué.

En septembre 2021, le Tribunal de l'Union européenne avait prononcé l'annulation des deux accords de pêche et d'agriculture liant le Maroc à l'Union européenne et étendus illégalement au Sahara occidental occupé, affirmant qu'ils ont été conclus en violation de la décision de la CJUE de 2016 et sans le consentement du peuple du Sahara occidental. Les Conseil et Commission européens avaient introduit un recours en appel devant la CJUE en décembre de la même année. Vendredi, la CJUE a rejeté ces recours, synonyme d'annulation des accords signés entre le Maroc et UE et étendus illégalement au Sahara occidental occupé.

Un pur processus de décolonisation

Dans le même sillage, le média espagnol ABC a écrit sur son site internet que la décision de la Cour de justice de l'Union européenne invalidant les deux accords commerciaux conclus entre le Maroc et l'Union européenne (UE) représentent non seulement un revers pour la Commission et le Conseil de l'UE mais aussi pour le gouvernement espagnol qui soutient le prétendu « plan d'autonomie » de Rabat.

Rendus vendredi, les arrêts de la Cour de l'UE « représentent non seulement un revers pour la Commission et le Conseil de l'UE, mais aussi un nouveau revers pour la flotte andalouse, bénéficiaire de la plupart des licences accordées par le Maroc pour pêcher dans les eaux sahraouies, mais remettent également en question le gouvernement de Pedro Sanchez, implicitement désavoué pour avoir soutenu il y a deux ans le (prétendu) plan d'autonomie conçu par Rabat pour assurer le contrôle du Sahara occidental », écrit ABC dans son éditorial.

La question du Sahara occidental, occupé par le Maroc depuis 1975, « n'a jamais été un ''différend régional'', comme le prétend le Maroc mais plutôt une question en suspens d'un processus de décolonisation que l'Espagne avait l'obligation d'administrer, sans céder à un autre intérêt que celui des Sahraouis eux-mêmes », souligne le média espagnol.

Le quotidien espagnol a rappelé que les arrêts de la CJUE annulent les accords commerciaux agricoles et de pêche signés entre l'UE et le Royaume du Maroc au motif que les deux traités ont été conclus sans le consentement du peuple sahraoui. Ainsi, poursuit la même source, « Rabat ne peut pas profiter économiquement, du moins sur le marché européen, des ressources d'un territoire qui ne lui appartient pas et qui, occupé depuis 1975, n'a pas encore organisé le référendum d'autodétermination auquel il a droit en vertu du droit international ». Et d'ajouter dans ce contexte que la « solide amitié » avec le Maroc que la Commission européenne insiste à proclamer « doit être compatible avec le respect du droit international et la reconnaissance du Sahara occidental comme territoire souverain, libre de décider de son avenir... »

Outre l'invalidation des deux accords commerciaux entre le Maroc et l'UE, la CJUE, dans un autre arrêt, s'est également prononcée sur l'identification et l'étiquetage des melons et des tomates du Sahara occidental. Elle y souligne, en substance, que cet étiquetage doit indiquer le seul Sahara occidental comme étant le pays d'origine de ces produits, à l'exclusion de toute référence au Maroc, afin d'éviter d'induire le consommateur en erreur quant à leur véritable origine.

Dans ses arrêts de vendredi, la CJUE rappelle d'abord l'ensemble des acquis de 2016 et de 2018 comme une base intangible, à savoir que le Sahara occidental dispose d'un statut séparé et distinct par rapport au territoire marocain et que le peuple sahraoui constitue un sujet de droit international tiers aux relations UE-Maroc, dont le consentement est incontournable.

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La dernière réforme d’AMLO, un cadeau empoisonné ?

8 octobre 2024, par Commission Amérique latine du Nouveau Parti Anticapitaliste — , ,
Le 15 septembre dernier, fête nationale mexicaine, Andres Manuel Lopez Obrador a fait un discours « d'adieu » devant 300 0000 personnes enthousiastes rassemblées sur le Zocalo, (…)

Le 15 septembre dernier, fête nationale mexicaine, Andres Manuel Lopez Obrador a fait un discours « d'adieu » devant 300 0000 personnes enthousiastes rassemblées sur le Zocalo, la grande place de Mexico. Il quittera en effet ses fonctions le 1er octobre prochain et laissera sa place à la nouvelle présidente triomphalement élue en juin dernier, Claudia Sheinbaum.

30 septembre 2024 | Commission Amérique latine du NPA-A
https://inprecor.fr/node/4321

Il s'est félicité de ses six années au pouvoir. L'économie en termes généraux affiche des chiffres largement positifs : les mesures d'augmentation des salaires minimaux, des pensions, des bourses pour les jeunes n'ont pas été effacées par l'inflation qui reste très en dessous de celle de la plupart des pays d'Amérique latine.

Pour les travailleurEs, les communautés indigènes et la population pauvre du Mexique, on reste bien en dessous des promesses de la « Cinquième Transformation » du début du sexennat mais la différence est telle avec tous les gouvernements précédents depuis des dizaines d'années qu'Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) se « retire » dans sa propriété du Chiapas avec une cote de popularité à un niveau jamais atteint au Mexique (plus de 70 %).

La justice : bastion de la droite

Il laisse à celle qu'il a adoubée et aux parlementaires de son parti, MORENA, qui ont la majorité absolue au Parlement, le soin de faire appliquer la dernière grande loi constitutionnelle qu'il a fait passer au grand dam de l'opposition et de larges secteurs de la bourgeoisie. Il s'agit de la réforme du pouvoir judiciaire.

Au Mexique, jusqu'à cette loi, les juges, du haut en bas de la hiérarchie, étaient sélectionnés par des procédures complexes et souvent opaques. Ce qui laissait la place aux trafics d'influence, au népotisme et à une corruption très largement répandue. Le sommet du pouvoir judiciaire, la Cour suprême de Justice fonctionnait en outre comme une machine à couvrir les intérêts des classes privilégiées et avait plusieurs fois fait barrage à des lois sociales ou antilibérales qu'AMLO avait voulu promulguer. Bien qu'en tant que président il ait eu le pouvoir de désigner certains de ses membres, sur les 11 membres actuels de cette cour, seuls trois lui étaient favorables. D'une façon générale, le pouvoir judiciaire au Mexique représente clairement un bastion de la droite et des possédants. Et AMLO ou même la nouvelle présidente pouvaient craindre des « coups d'État institutionnels » comme ceux opérés au Brésil contre Lula ou Dilma Rousseff.

La population soutient la loi constitutionnelle

La loi qui vient d'être votée prévoit l'élection par la population de tous les juges au Mexique. Elle a été approuvée par des majorités qualifiées à la Chambre des députéEs et au Sénat (après quelques manœuvres tout sauf démocratiques). Mais elle s'est heurtée à l'opposition frontale non seulement de la coalition des partis de droite (PAN, PRI, PRD…) mais aussi de l'immense majorité des fonctionnaires et travailleurEs de la justice. Les 55 000 travailleurEs de la justice ont fait grève pendant plus d'un mois et manifesté par dizaines de milliers dans les rues contre cette loi. Bien sûr, ils ont été soutenus à grands cris par les partis de l'ancien régime et par les grands médias. Par contre, la grande majorité de la population soutient cette loi, parce qu'elle n'a aucune confiance dans le pouvoir judiciaire actuel et parce que c'est AMLO qui la propose et la droite qui s'y oppose.
Une loi imposée sans concertation

Cette loi pose cependant de nombreux problèmes sociaux, politiques et démocratiques. Si une bonne partie des travailleurEs de la justice, bien qu'étant pour beaucoup électeurs d'AMLO, s'y opposent c'est parce qu'elle leur a été imposée sans aucune concertation et qu'elle va mettre fin à de nombreuses possibilités de promotions internes. Il est évident que le parti de Lopez Obrador, va dans la conjoncture actuelle disposer du contrôle des trois pouvoirs — exécutif, législatif et judiciaire — notamment grâce à la procédure de sélection des candidatEs aux postes de juge qui reste très opaque et risque de n'empêcher ni les manœuvres ni la corruption à de nombreux échelons.

Au bout du compte cette réforme est caractéristique de la nature du gouvernement sous AMLO : une part de volonté transformatrice réelle, une application d'en haut et largement imparfaite s'appuyant sur le seul prestige du guide suprême et en aucun cas sur la mobilisation et le contrôle populaire.

Publié par L'Anticapitaliste le 26 septembre 2024

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Au Brésil, la difficile équation des mairies bolsonaristes

8 octobre 2024, par Paula Goselin — ,
Malgré le volontarisme du président Lula pour améliorer les conditions de logement, le manque d'investissement de certaines mairies, toujours tenues par l'extrême droite, dans (…)

Malgré le volontarisme du président Lula pour améliorer les conditions de logement, le manque d'investissement de certaines mairies, toujours tenues par l'extrême droite, dans les transports complique l'accès à l'emploi. Les municipales du 6 octobre pourraient changer la donne.

Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/monde/bolsonaristes/au-bresil-la-difficile-equation-des-mairies-bolsonaristes
Publié le 3 octobre 2024
Paula Goselin

Malgré les politiques de logement social mises en place par Lula, le manque d'investissement dans les transports de certaines municipalités bolsonaristes prive les plus pauvres d'emploi.

Après avoir gravi trois étages de son immeuble sous la chaleur accablante de Rio de Janeiro, Roberta Fernandes s'affale sur le canapé en cuir beige de son salon. « Que c'est bien d'être chez soi ! » s'exclame la mère de famille de 47 ans, profitant du courant d'air qui pénètre par une petite fenêtre qui illumine son carrelage blanc.

Son appartement, situé à Magé, une municipalité en périphérie nord-est de la Ville merveilleuse, est pourtant modeste : un 45 mètres carrés avec deux chambres étroites. Mais pour cette mère divorcée avec deux enfants, il s'agit d'un rêve : elle n'avait jamais imaginé qu'elle aurait à nouveau son chez-soi, un jour.

« Maintenant, mes enfants peuvent inviter leurs amis !

Après son licenciement pendant la pandémie de Covid, de fortes précipitations s'étaient abattues sur la région, en 2022, détruisant la maison qu'elle avait construite sur le terrain de sa mère à Raiz da Serra, un quartier rural à 28 kilomètres à l'ouest de sa nouvelle résidence.

« J'ai tout perdu dans l'inondation », se souvient-elle. Sa mère l'ayant alors recueillie avec ses enfants, elle avait dû dormir dans le salon avec son fils sur un matelas donné par des assistants sociaux publics.

Roberta Fernandes s'était résignée à élever ses enfants dans ces conditions précaires. Cependant, grâce au programme public de logements populaires « Minha Casa, Minha Vida », elle a pu, en avril 2024, bénéficier d'un appartement gratuit, qu'elle a aménagé avec des meubles qui lui ont été donnés. « Maintenant, mes enfants peuvent inviter leurs amis ! » s'enthousiasme-t-elle en observant Theo, son fils de 15 ans, dévorer une énorme part de gâteau.


Le retour de Lula a réduit la pauvreté

Comme elle, 8,5 millions de personnes sont sorties de la pauvreté après le retour du président Luiz Inácio Lula da Silva, au pouvoir depuis 1er janvier 2023, permettant une baisse du taux de pauvretéde 27,5 % entre 2022 et 2023, selon un communiqué du ministère du Développement.

Dès son investiture, l'ancien métallurgiste a relancé les programmes emblématiques du Parti des Travailleurs (PT) abandonnés par sonprédécesseur d'extrême droite, Jair Bolsonaro : l'allocation de revenus « Bolsa Familia » (bourse famille), les logements populaires « Minha Casa, Minha Vida » ou encore le plan de santé « Pharmacie populaire ».

Le président Lula a aussi encouragé l'installation de cuisines populaires à travers le pays, inspirées d'une initiative du Mouvement des travailleurs sans toit, pour distribuer des repas gratuits aux plus démunis.

Les 5 millions d'habitants de la « Baixada Fluminense », comme on appelle les villes en périphérie de Rio de Janeiro, figurent parmi les principaux bénéficiaires de ces programmes – dans cette région gangrenée par le narcotrafic, la moitié de la population vit avec moins de la moitié du salaire minimum (234,78 euros).

Malgré les efforts, les défis restent conséquents

« Je suis de retour et je vais vous dire que nous allons investir à Rio de Janeiro plus que ce qu'a fait n'importe quel autre président ! » a promis Lula lors de l'inauguration des 832 appartements du complexe de deux résidences « Minha Casa, Minha Vida » à Magé, où vit maintenant Roberta Fernandes, le 6 février 2024. À l'occasion, il a aussi annoncé la construction d'un campus de l'Instituto Federal Fluminense à quelques minutes des résidences.

Cependant, malgré les efforts du gouvernement, les défis restent conséquents. Comme de nombreuses villes de la périphérie de Rio de Janeiro, Magé est connue pour être une ville-dortoir.

Roberta Fernandes a beau envoyer des candidatures dans des villes plus dynamiques, comme Niteroi, à 47 kilomètres de là, son dossier se voit toujours refusé. « Les entreprises craignent que je ne sois trop fatiguée pour être productive car je devrais me réveiller très tôt », se lamente-t-elle.

Les logements populaires mal desservis par les transports

En raison du manque flagrant de transports publics, les habitants peuvent mettre jusqu'à quatre heures pour se rendre à leur travail.

Ana Paula Barbosa, une grand-mère de 55 ans résidant au rez-de-chaussée de la résidence « Minha Casa, Minha Vida », y a aménagé un atelier de poupées pour des rituels umbandas, une religion afro-brésilienne proche du candomblé. D'après elle, ici, seul un microbus passe toutes les deux heures et un jour sur deux pour rejoindre le centre-ville, largement insuffisant pour 3 328 résidents.

Un isolement qui a même découragé certaines personnes précaires d'accepter de bénéficier du programme « Minha Casa, Minha Vida ». Dans la municipalité de Mauá, à une vingtaine de kilomètres des résidences populaires, la maison de Suely Soares, 54 ans, qui a été construite irrégulièrement, va être démolie par la préfecture pour rétablir d'anciennes voies ferrées historiques à proximité d'un ancien port abandonné de la baie de Guanabara.

Le problème des mairies bolsonaristes et du transport public

Au Brésil, les mairies sont les principales responsables des transports. Mais elles ne se sont pas toujours alignées sur les politiques du président Lula. Les 13 villes de la Baixada Fluminense sont de véritables bastions bolsonaristes : lors du scrutin présidentiel d'octobre 2022, Jair Bolsonaro a largement remporté l'élection dans toutes les municipalités.

À Magé, un autre complexe résidentiel de 420 résidences inauguré en 2014 a ainsi sombré dans le quasi-abandon. « Les partenariats avec les États et les municipalités sont d'une importance fondamentale si nous voulons remédier à la pénurie de logements », rappelle Hamilton Madureira, secrétaire national de l'Habitation, du ministère des Villes, dans un courriel.

La condamnation de l'ancien président pourrait changer la done

À l'approche des municipales du 6 octobre, la conjoncture pourrait évoluer. Face à la perte de popularité de Jair Bolsonaro, déclaré inéligible pour huit ans à la suite d'une condamnation pour « abus de pouvoir », certains élus changent d'allégeance.

À Magé, le maire Renato Cozzolino, descendant d'une dynastie qui a gouverné la ville pendant des décennies, a été élu en 2021 sous l'étiquette du Parti de la République de Jair Bolsonaro. Aujourd'hui, il a décidé de se présenter sous la bannière du parti progressiste, de droite, et a fait alliance avec le PT. Parmi ses propositions, « l'achat de 30 bus électriques, avec la création d'une société de transports publics ».

« Je n'ai jamais demandé à quel parti vous appartenez », suggérait le président Lula, sous-entendant que l'essentiel est de s'« occuper de ceux qui ont besoin du gouvernement ». Sa demande sera-t-elle entendue ?

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France. « Contre Barnier et le RN, la riposte en suspens »

8 octobre 2024, par Léon Crémieux — , ,
Le 1er octobre, en France, avaient lieu à la fois la déclaration de politique générale de Michel Barnier, le Premier ministre déniché par Macron pour présenter un simulacre de (…)

Le 1er octobre, en France, avaient lieu à la fois la déclaration de politique générale de Michel Barnier, le Premier ministre déniché par Macron pour présenter un simulacre de changement, et la première journée de mobilisation syndicale suite à cette nomination. Elle était présentée par CGT, Solidaires, FSU (Fédération Syndicale Unitaire) comme le « début du match retour contre la réforme des retraites » (la réforme imposée en 2023, repoussant à 64 ans l'âge de départ à taux plein).

Tiré de A l'Encontre
5 octobre 2024

Par Léon Crémieux

Michel Barnier lors de sa déclaration de politique générale, le 1er octobre.

La déclaration de Michel Barnier a bien confirmé que ce gouvernement sera, en pire, la continuation des choix de classe de Macron. Du côté du mouvement social et de la gauche, le bilan du 1er octobre éclaire les difficultés à trouver un second souffle après les élections législatives et la mobilisation populaire de juin/juillet qui ont fait émerger le Nouveau front populaire (NFP) et ont opposé un barrage à l'extrême droite.

Le problème tant politique que social posé au mouvement ouvrier depuis les élections législatives, l'éviction de Julie Castet du poste de Première ministre et la mise en place du gouvernement Barnier (ou plutôt Barnier-Macron-Le Pen) est le suivant : comment continuer la bataille engagée dans l'unité dès le lendemain de l'élection européenne de juin. Les forces capitalistes et réactionnaires ont été déstabilisées un temps par la déroute de Macron aux élections européennes et législatives, la mise sur pied imprévue du Nouveau front populaire et le barrage populaire mis à l'accession du Rassemblement Nationale (RN) au gouvernement. Successivement, en quelques semaines, ce furent les projets de Macron et de Le Pen qui furent battus en brèche. Le spectre d'un gouvernement du NFP, rompant avec l'austérité, a hanté quelques semaines les couloirs de l'Elysée, les bureaux des dirigeants de droite et d'extrême droite. Dès lors, chacun à sa place, les forces de Macron, des Républicains et du Rassemblement national se sont disposées pour éviter ce scénario catastrophe. S'il était impossible (avant un an, d'après la Constitution) de procéder à de nouvelles élections législatives, il fallait au moins juguler toute possibilité d'un gouvernement de gauche. Cela imposait une double coalition : la coalition gouvernementale des deux formations sèchement battues dans les urnes aux législatives de juin/juillet 2024, le groupe macroniste (20% des voix et 150 député·e·s) et les Républicains (6.57% des voix et 39 député·e·s), et la coalition plus que tacite de ce gouvernement avec le RN sans l'assentiment duquel ce gouvernement tomberait dès la semaine prochaine avec le vote de la motion de censure présentée par le NFP. Marine Le Pen a clairement annoncé que son parti ne voterait pas pour faire tomber ce gouvernement, alors qu'évidemment elle l'aurait fait si un gouvernement du NFP avait été aux commandes.

Il y a donc aujourd'hui au gouvernement une coalition chaotique, sans programme commun de gouvernement et sans même le soutien explicite des macronistes (cela se fera « selon ses décisions » a déclaré Gabriel Attal, président du groupe parlementaire Ensemble). Cela importe peu, Barnier restera dans les ornières creusées par les gouvernements précédents de Macron. Le soutien passif du Rassemblement national permet à ce gouvernement de survivre tant que les député·e·s du RN ne voteront pas les motions de censure déposées par le NFP (une motion de censure qui recueille la majorité absolue des voix des député·e·s, soit 289 voix, provoque la chute du gouvernement).

***

C'est donc explicitement une alliance sui generis entre Macron, les Républicains et le Rassemblement national. Un barrage anti-RN avait empêché en juillet l'accession du RN au gouvernement. Par ses manœuvres, Macron le remet au centre du jeu en faisant de Barnier l'otage politique de l'extrême droite. Cela est d'autant moins gênant pour Barnier et ses ministres qu'existent de nombreuses passerelles entre ce gouvernement et l'extrême droite, à commencer par celles tendues par Bruno Retailleau, sénateur LR, qui a le portefeuille de l'Intérieur et n'a rien à envier à Jordan Bardella et à Marine Le Pen en termes de politique sécuritaire, anti-immigration et de remises en cause des droits démocratiques. Cela est aussi le cas de nombreux ministres catholiques traditionalistes, anti-IVG, anti-LGBTQ…

La feuille de route annoncée par Barnier, le 1er octobre dans son discours de politique générale, ne laisse d'ailleurs guère de doutes.

Pour donner des impressions de changement, il a confirmé des choix faits dès les dernières semaines du gouvernement Attal [9 janvier au 5 septembre 2024], en juin :

. le report des élections provinciales en Kanaky et stopper le projet de loi dégelant le corps électoral visant à minoriser les Kanaks au profit des colons. Depuis mai dernier, la mobilisation des Kanaks contre ces projets colonialistes n'a pas cessé, 11 Kanaks ont été tués, victimes de l'Etat français.

. une ouverture de négociations sur « des aménagements » à la « réforme » de retraites rejetée en 2023 par 80% de la population, aménagements à la marge sans aucune remise en cause de l'âge de départ à 64 ans.

. l'élimination du projet de loi Attal sur l'assurance chômage qui réduisait davantage les droits à indemnisation des chômeurs… pour revenir à un accord MEDEF-CFDT/CFTC/FO [le patronat et ces trois centrales syndicales] de 2023 qui imposait déjà, sur ordre du gouvernement, des baisses de cotisations patronales et 2,3 milliards de réduction de droits pour les salarié·e·s âgées. Gabriel Attal, l'ex-premier ministre, avait lui-même suspendu son projet scélérat, le 30 juin, au lendemain de la débâcle électorale des législatives.

Dans le domaine fiscal, a été annoncé, comme s'il s'agissait d'une mesure d'extrême gauche, une contribution des 0,3% des foyers fiscaux les plus riches. Cette contribution très marginale existe déjà depuis 2011 (CEHR- Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus), rapportant 1,5 milliard. Là le gouvernement l'augmenterait pour en obtenir 3 milliards supplémentaires. D'un autre côté, l'annonce d'avancer de deux mois l'augmentation du SMIC de 2%, soit 28 euros net pour passer à 1426 euros net. Ces mesurettes maquillées en décisions de justice fiscale ne masquent pas l'orientation de classe, réactionnaire, de ce nouveau gouvernement provisoire.

Par ailleurs, rien n'a été dit concernant la lutte contre le changement climatique qui frappe là aussi en priorité les classes populaires.

Ce gouvernement sera, en pire, la continuation des choix de classe des gouvernements précédents de Macron. Concernant la question des violences faites aux femmes, des viols et des féminicides, cette réalité tristement éclairée par le procès des violeurs de Mazan (petite commune du Vaucluse, où un criminel a fait subir à sa femme, après l'avoir anesthésiée, des viols pendant des années, de la part de dizaines « d'hommes ordinaires », contactés dans son voisinage ou par internet). Cette affaire sordide révèle à la fois la présence profonde de cette violence machiste, sa banalisation dans la société et surtout le silence et l'inaction totale des partis gouvernementaux devant la question des violences sexuelles dans la famille qui, avec l'inceste, restent en France un tabou très lourd.

***

Barnier prévoit une attaque budgétaire sans précédent avec 40 milliards de coupes dans les dépenses publiques (Bruno Lemaire, ministre des Finances des gouvernements précédents, avait déjà procédé à 20 milliards de coupes en 2024). Il en découlera : suppressions de postes dans la Fonction publique, 13 milliards amputés dans les dépenses de santé, recul de six mois de l'indexation des retraites de base sur l'inflation 2024, prévue initialement au 1er janvier 2025… d'où 3,7 milliards d'euros pris dans la poche des retraité·e·s. Pour les collectivités territoriales, l'objectif serait la suppression de 100 000 postes.

Ces choix budgétaires sont censés faire sortir les finances publiques de la France de son placement par la Commission européenne en « procédure de déficit excessif ». L'objectif est de se conformer à la règle des 3% de déficit en 2029 (6% du PIB prévus en 2024).

Tous ces choix confirment la politique de Macron depuis 7 ans consistant à financer avec le budget de l'Etat les grandes entreprises, alléger fortement leurs contributions fiscales et compenser ces diverses aides par une réduction constante des dépenses publiques correspondant aux besoins sociaux dans la santé, l'éducation et le logement.

Depuis 2017 et l'élection de Macron, ces choix au bénéfice des classes possédantes se sont multipliés : exonération de droits de succession, crédit impôt recherche (CIR) qui est une manne pour les grandes entreprises sans aucune contrainte en termes de « recherche », exonération des cotisations sociales jusqu'à 1,6 SMIC, soit quelque 157 milliards d'aides publiques annuelles aux entreprises privées sans contreparties selon une étude établie par un groupe de chercheurs du Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) et de l'IRES (Institut de recherches économiques et sociales), publiée par l'IRES.

La conséquence de ces choix est un creusement constant des inégalités sociales : de 2010 à 202, selon l'INSEE, les 10% les plus fortunés ont accru de 41 à 47% leur part du patrimoine net des ménages. En 20 ans, de 2002 à 2023, les 500 plus grosses fortunes du pays ont multiplié leur richesse par 10 : de 124 à 1170 milliards d'euros.

Parallèlement, le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté (1158 euros par mois, soit 1090 CHF) ne cesse de croître, 14% de la population, plus de 9 millions en 2023. Les baromètres du Secours populaire de septembre 2024 viennent encore de témoigner de la précarité grandissante dans laquelle vivent les classes populaires, aggravée ces dernières années par les prix de l'énergie et de l'alimentation, avec les privations de soins, les restrictions sur l'alimentation et le chauffage. Les prestations familiales et de solidarité ont perdu plus de 4% de pouvoir d'achat entre 2021 et 2023 (Rapport du Haut Conseil de la famille, décembre 2023) à cause d'une faible revalorisation.

Cette aggravation des conditions de vie, ces injustices sociales sont les causes fondamentales du rejet des partis qui ont géré le pays depuis des décennies. Les partis comme les LR ou Ensemble ont été une nouvelle fois désavoués il y a quelques mois à cause de ces politiques qui frappent les classes populaires. Même si d'après plusieurs études 45% des couches les plus pauvres ne se sont pas déplacés pour aller voter, les votes des classes populaires ont tous été déterminés essentiellement par la question du pouvoir d'achat. L'immense mobilisation contre la réforme des retraites en 2023 traduisait la même préoccupation.

La place électorale prise par le NFP, comme malheureusement par le RN, est bien l'expression de cette situation sociale. Mais alors qu'elle est bel et bien le résultat de choix de classes, une partie importante des classes populaires adhérent au discours raciste et xénophobe faisant porter aux classes racisées et à l'immigration la responsabilité de la situation sociale dans laquelle vivent les salarié·e·s, notamment dans les régions rurales et périurbaines. Ce discours raciste, distillé chaque jour dans les médias a été aussi celui du gouvernement Attal, avec notamment le ministre de l'Intérieur Gerald Darmanin. Bruno Retailleau qui le remplace promet évidemment d'appliquer une politique similaire à celle du RN.

***

Cette situation sociale et politique impose au mouvement ouvrier de garder la place prise au début de l'été et d'avoir la conscience collective que tout sera fait pour empêcher dans les mois qui viennent que se construise une perspective politique anti-austérité.

Après les manifestations des 7 et 21 septembre contre le hold-up institutionnel de Macron, le 1er octobre était la première journée de mobilisation syndicale, avec des appels à la grève dans la Fonction publique et à la SNCF. 190 lieux de manifestations, 170'000 personnes dans la rue selon la CGT qui organisait cette journée avec la FSU et Solidaires (donc sans la CFDT et FO, les deux autres centrales importantes). Les exigences mises en avant étaient essentiellement les retraites, le pouvoir d'achat, mais derrière tout cela et dans les discussions, la question essentielle était celle des possibilités de contrer à la fois la dérive autoritaire et raciste annoncée par ce gouvernement ainsi que la menace d'une victoire de l'extrême droite dans les mois ou années à venir. D'autant plus que les forces réactionnaires comptent certes sur la démoralisation qui a plané après la mise à l'écart du NFP pour former le gouvernement. Le succès limité de cette mobilisation du 1er octobre, l'absence d'annonce pour l'instant de nouvelles échéances traduisent un peu l'incertitude sur les réponses à apporter.

Les problèmes existants avant juin dernier risquent de reprendre le dessus. Le mouvement syndical, unitairement, a annoncé le lancement d'une campagne contre l'extrême droite dans les entreprises pour contrer les idées racistes et les fausses solutions du RN à la crise sociale. De plus, l'axe est mis sur la question des retraites et certains vont vouloir se saisir des « négociations » proposées par le gouvernement comme point d'appui sur cette question et sur le dossier des allocations chômage. Cela traduit évidemment la volonté d'occuper le terrain syndical, et Solidaires comme la CGT mettent l'accent sur le retrait de la réforme des retraites qui a été le point commun d'exigence dans toutes les classes populaires. Sur cette question, dans les jours à venir, la question se posera aussi à l'Assemblée nationale avec un texte de retrait de cette réforme proposé par le NFP (alors que le RN a aussi déposé un autre projet). Par ailleurs, LFI continue une bataille parlementaire pour exiger la destitution de Macron (destitution qui imposerait un vote majoritaire à l'Assemblée et au Sénat).

Le problème est que le calendrier devrait exiger dès maintenant un plan d'action commun – syndicats, partis, mouvement démocratique et social – pour maintenir, reconstruire et élargir le front qui s'était construit en juin dernier, autour à la fois du rejet du RN et de l'exigence d'une politique de justice sociale illustrée par le programme du NFP. Les deux batailles se complètent car il n'y aura pas de remise en cause de la place prise par le RN sans construire une mobilisation populaire autour des exigences sociales et démocratiques, sans donner une crédibilité de masse à ces choix alternatifs, capable de balayer les solutions racistes et sécuritaires. Le mouvement syndical, les partis de gauche et le mouvement social étaient très largement unis en juin autour de ces deux préoccupations, occupant ainsi une place offensive dans la société et battant en brèche l'hégémonie réactionnaire. C'est cela qu'il faut essayer de reconstruire autour d'initiatives concrètes.

Répondre à ces enjeux impose que chacun ne reste pas dans son couloir, syndical et politique, cela suppose aussi de mettre en œuvre des mobilisations communes, réellement construites dans des cadres unitaires et non pas concurrentielles l'une à l'autre, comme ont pu apparaître les 7 et 21 septembre. Non seulement, ces cadres n'existent pas pour l'instant, mais pire, le débat dans la gauche politique semble plus être la préparation des élections présidentielles de 2027 et les batailles parlementaires que la construction d'un front commun de mobilisation avec des initiatives et des structures unitaires nationales et locales. Pourtant, seule la force conjuguée des énergies militantes existant dans les villes et les quartiers pourra créer cette mobilisation et redonner la main au mouvement populaire. (5 octobre 2023)

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France - Dix mesures de rupture pour un autre monde

8 octobre 2024, par Antoine Larrache, Fabienne Dolet — , ,
Le Nouveau Front populaire a mis en avant des mesures d'urgence. Ce programme minimum, nous le soutenons. Mais il reste limité. Il le restera d'autant plus qu'il ne peut (…)

Le Nouveau Front populaire a mis en avant des mesures d'urgence. Ce programme minimum, nous le soutenons. Mais il reste limité. Il le restera d'autant plus qu'il ne peut s'appliquer sans un grand mouvement social et l'auto-organisation de ceux qui produisent les richesses, les travailleurs·ses.

Revue L'Anticapitaliste n°159 (septembre 2024)

Par Antoine Larrache et Fabienne Dolet

Crédit Photo
Photothèque Rouge / Copyright : Martin Noda / Hans Lucas.

Parmi les mesures avancées par le NFP, il y a l'augmentation du Smic de 1 400 à 1 600 euros net, l'abrogation des décrets d'application de la réforme des retraites de 2023 (mais pas de la loi…) et «  l'objectif commun du droit à la retraite à 60 ans  ». Il indique la nécessité d'indexer les salaires sur l'inflation mais renvoie leur augmentation à une « grande conférence sociale sur les salaires, l'emploi et l'inflation », entre organisations des salarié·es et du patronat.

On trouve la fin de Parcoursup, la fin du service national universel (SNU)… mais on n'aborde ni l'augmentation des bourses et du nombre de boursiers, ni une allocation d'autonomie pour la jeunesse.

La neutralité carbone est visée pour 2050, les rénovations énergétiques sont encouragées mais le nucléaire est maintenu et on ne trouve aucune mesure contre les grandes entreprises de l'énergie, y compris les énergies fossiles… Des mesures d'accueil facilitées pour les migrant·es sont avancées, ainsi que le retour au droit du sol, mais on ne trouve ni mesure de régularisations massives des sans-papiers ni mesure pour l'égalité (ni au travail ni devant les urnes…).

On trouve enfin la convocation d'une assemblée constituante pour rompre avec la 5e République.

Un programme unifiant pour la classe

Ce programme est un outil pour défendre les droits des classes populaires remis en cause depuis 15 ans, et de façon accélérée et violente, face à Macron et à l'extrême droite… mais il n'apporte pas vraiment de solution à la crise du capitalisme et à ses conséquences désastreuses.

On voit mal comment sortir de la crise écologique sans réquisitionner les entreprises de l'énergie – car le fonctionnement marchand pousse nécessairement à réduire les coûts, donc polluer, et augmenter les tarifs – et sans un plan radical de développement des transports collectifs. Il semble difficile de résoudre la crise sociale sans augmenter les salaires de 300 ou 400 euros, sans garantir un revenu minimum (pas seulement les salaires) autour de 1 800 voire 2 000 euros net. Pour ne prendre que quelques exemples. Le niveau d'affrontement avec le capital indiqué par le programme du NFP est trop faible pour résoudre les inégalités majeures qui se creusent, la crise écologique, sociale et démocratique.

Cependant, ce programme peut donner confiance à l'ensemble des classes populaires pour un affrontement avec le capital, avec toutes les conséquences positives que cela comporte : cela mettrait un coup d'arrêt aux attaques de la bourgeoisie, cela homogénéiserait le prolétariat en défense de ses intérêts face à l'extrême droite.

En cela, ce programme est utile, malgré les énormités sur la «  police de proximité », l'ambiguïté sur la recherche de « la paix » en Kanaky ou l'action pour « la libération des otages détenus depuis les massacres terroristes du Hamas », qui vient avant la libération des «  prisonniers politiques palestiniens », reprenant ces terminologies et cet ordre de priorités…

Un programme doit être combiné à des objectifs de mobilisation

La grande faiblesse du programme du NFP est l'absence totale de travail à la mobilisation des classes populaires pour mettre en œuvre ce programme. Avec deux grandes illusions.

La première est qu'il serait possible d'appliquer ce programme, même minimal, sans affrontement avec les classes dominantes, et donc sans rapport de forces. On a vu avec les « Manifs pour tous » contre le mariage pour tous que, quand leurs positions sont menacées, les réactionnaires et les classes possédantes sont capables de se mobiliser, sans parler du Chili de 1973 ou des capacités de l'Union européenne, du FMI et des marchés de sanctionner la France si elle mettait en place le programme du NFP. Toute une série de transformations sociales ne passent pas par la seule voie législative ou juridique mais nécessitent une action par en bas, comme la lutte contre le racisme, le sexisme et les autres discriminations, qui sont profondément ancrées dans le système.

La seconde illusion tient au fait que le NFP n'a pas la majorité à l'Assemblée, ni dans la société, et que la mise en œuvre de ses mesures nécessite donc la construction de rapports de forces sociaux qui permettent de changer les rapports de forces politiques et d'imposer ces mesures à la classe dominante et aux couches réactionnaires. Mais ce n'est pas l'objet de cet article.

Les mesures de rupture avec le capitalisme que nous portons sont à la fois accessibles immédiatement mais posent le problème du rapport à la propriété privée – par des incursions dans les affaires de la bourgeoisie, au bénéfice de l'autogestion par les masses – et du rapport à l'État, au bénéfice d'une participation des masses qui remette en cause ce corps séparé de la société. La question du contrôle par en bas de toutes les dimensions de la société est une question décisive.

L'annulation de la dette publique, la saisie des banques privées

Une série de mesures nécessitent des investissements conséquents. Ceux-ci ne sont possibles qu'en empruntant, ce qui nécessite d'annuler la dette publique pour tous les pays qui le demandent, dont les banques se gavent depuis des décennies, et de réquisitionner les banques privées, qui rackettent les pauvres et les États du Sud global en empruntant à des taux bien plus bas qu'elle ne prêtent.


Dix mesures de rupture

1- Augmentation de tous les revenus de 300 euros net, SMIC à 2 000 euro nets et leur indexation sur l'inflation.

Nous voulons que les salaires, mais aussi les retraites, les allocations permettent de vivre correctement. En temps d'inflation, il faut protéger des augmentations des prix immédiatement. Cela sans effacer la nécessité de mesures de gratuité, dont les fonctions sont multiples, par exemple des transports, des premiers mètres cubes d'eau et des premiers kWh d'électricité.

2- Partage du temps de travail pour supprimer le chômage pour l'interdiction des licenciements

De plus en plus, le travail est partagé inéquitablement : certains, et surtout certaines, enchaînent les emplois précaires et les périodes de chômage, pendant que d'autres se tuent à la tâche. Nous voulons donc que le temps de travail soit réparti, sans baisse des salaires, pour permettre à toustes de vivre correctement. Les gains de productivité le permettent. Nous voulons des emplois utiles à toute la société.

3- Pour l'abrogation de la réforme des retraites de 2023, la retraite à 60 ans à 60 ans et la défense de la Sécu

Il faut imposer le retour à la retraite à 60 ans (55 pour les métiers pénibles) après 37,5 annuités de cotisation. Nous voulons également abroger la réforme de l'assurance chômage. Les éventuels besoins de financement de la Sécurité sociale doivent être compensés par des augmentations des cotisations patronales et il faut supprimer les exonérations de cotisations des entreprises. Contrairement à ce qui est prétendu, elles ne créent pas d'emplois mais contribuent à vider les caisses de la Sécu et de l'État (qui compense auprès de la Sécu une partie des exonérations). Les grands groupes pharmaceutiques doivent être réquisitionnés. Pour le 100 % Sécu pour la santé, les retraites et le chômage.

4- Pour la liberté de circulation et d'installation pour les migrant·es

Nous récusons l'idée que la France serait aux Français·es, la planète est à nous tou·tes. Ce pays est fait par tou·tes ceux et celles qui y vivent, s'y réfugient, y travaillent, y étudient. D'ailleurs, l'argument d'un soi-disant coût économique de l'immigration ne tient pas, les échanges, coopérations et immigrations apportent bien plus qu'elles ne coûtent, toutes les études le prouvent ! Nous voulons donc la liberté de circulation et d'installation pour tou·tes les migrant·es, le droit de vote pour les étranger·es, qui paient des impôts, cotisent et donc doivent pouvoir décider de l'avenir de ce qui est aussi leur pays.

5- Pour l'arrêt du colonialisme, notamment le droit à l'autodétermination pour les Kanak

La France n'a pas à s'imposer dans des régions qui veulent conquérir leur autonomie démocratique et économique. Il faut donc respecter le droit à l'autodétermination des peuples colonisés, que ce soit en Kanaky, en Guyane ou ailleurs. Nous voulons donc le maintien du gel du corps électoral en Kanaky, car c'est aux autochtones de décider de l'avenir de leur pays colonisé par les Européen·es.

6- La rupture de toute relation avec Israël pour défendre les droits du peuple palestinien

L'État, les entreprises, les universités et les institutions françaises maintiennent des relations diplomatiques, économiques, culturelles avec un État qui pratique un génocide à Gaza et en Cisjordanie. Nous voulons que toutes ces relations soient prohibées immédiatement, afin d'exercer une pression maximale sur Israël. Les entreprises qui collaborent avec Israël doivent être réquisitionnées. Une aide matérielle, financière et politique à la Palestine et au peuple doit être mise en place, ainsi qu'aux réfugié·es.

7- Pour le désarmement de la police

Les violences policières et racistes se multiplient ces dernières années. La police n'a pas besoin d'être armée au quotidien, mais seulement face au grand banditisme ou au terrorisme, qui sont des opérations très particulières. La police doit être sous le contrôle de la population et, dans l'immédiat, des instances indépendantes doivent remplacer l'IGPN et l'IGGN, la justice doit être faite pour les victimes des violences policières et racistes.

8- Pour Une planification écologique radicale

Nous voulons supprimer les productions inutiles et socialiser le secteur de l'énergie pour une réduction massive de la consommation, la sortie des énergies fossiles et l'arrêt du nucléaire. Nous voulons l'expropriation des usines les plus polluantes pour les mettre sous contrôle des salarié·es et des populations locales, et mettre en place un moratoire sur les projets écocides (infrastructures autoroutières, entrepôts logistiques…)

9- Un plan d'embauche d'un million de personnes dans les services publics et la réquisition des logements vides

Les besoins sont criants dans l'éducation, la santé, les services de proximité qui doivent redevenir des services publics (poste et télécommunications, transports…).

Contre la marchandisation, imposons que les biens communs soient financés par toutes et tous par un impôt juste et progressif, sur les revenus et le patrimoine.

Le logement est un droit, pas une marchandise. Gel des loyers ! Plafonnement des prix ! Plan de construction massive de HLM.

Le budget de la santé dépend de la défense et du renforcement de la Sécurité sociale, de l'augmentation des cotisations qui doivent découler mécaniquement des augmentations de salaires, du recul du chômage, et de l'augmentation des cotisations patronales.

10- L'annulation de la dette publique, la saisie des banques privées

Une série de mesures nécessitent des investissements conséquents. Ceux-ci ne sont possibles qu'en empruntant, ce qui nécessite d'annuler la dette publique pour tous les pays qui le demandent, dont les banques se gavent depuis des décennies, et de réquisitionner les banques privées, qui rackettent les pauvres et les États du Sud global en empruntant à des taux bien plus bas qu'elle ne prêtent.

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Grande-Bretagne - Dossier. Jeremy Corbyn : « l’austérité est le choix des travaillistes »

8 octobre 2024, par Jeremy Corbyn — , ,
Après 14 ans de multiplication par deux de la richesse des milliardaires, le choix des élites politiques d'affamer les retraité·e·s [1] et les enfants montre que l'austérité (…)

Après 14 ans de multiplication par deux de la richesse des milliardaires, le choix des élites politiques d'affamer les retraité·e·s [1] et les enfants montre que l'austérité est une véritable escroquerie.

Tiré de A l'Encontre
28 septembre 2024

Par Jeremy Corbyn

Keir Starmer lors du congrès du Labour Party à Liverpool, du 22 au 25 septembre 2024.

Chaque jour, mes électeurs et électrices font des choix difficiles. Des choix difficiles comme celui de savoir s'ils doivent chauffer leur maison ou mettre de la nourriture sur la table. Des choix difficiles comme contracter un prêt pour payer le loyer de ce mois-ci. Des choix difficiles comme vendre leur maison pour payer les charges sociales de leur famille.

Les gens doivent faire des choix difficiles parce que les gouvernements ont fait les mauvais choix. Nous avions averti que l'austérité des conservateurs affaiblirait notre économie et décimerait nos services publics. Nous avons été ignorés et ce sont les plus pauvres de la société qui en ont payé le prix. L'austérité n'est pas un simple mot à la mode. C'est la réalité actuelle et brutale pour des millions de personnes qui ont été poussées dans le dénuement. C'est le visage du désespoir et de l'anxiété de ceux et celles qui sont contraints à la spirale de l'endettement. C'est une nuit glaciale pour le nombre record de personnes qui dorment dans la rue. C'est le cimetière des personnes privées d'un soutien vital : plus de 300'000 décès en surnombre ont été attribués aux politiques d'austérité.

Nous parlons souvent de l'austérité en termes de « réduction des dépenses publiques », mais ce n'est qu'un aspect de la question. En privant les services publics de ressources, le gouvernement a créé une excuse commode pour leur privatisation. Nous l'avons vu de manière particulièrement aiguë avec le NHS (National Health Service) : un service public sous-financé n'entraîne pas seulement une dégradation des soins de santé publics, mais aussi une perte de confiance dans le principe même des soins de santé publics. L'austérité n'a jamais eu pour but d'économiser de l'argent (la dette du Royaume-Uni a augmenté chaque année sous les conservateurs). Il s'agissait de transférer de l'argent des plus pauvres vers les plus riches. Entre 2010 et 2018, la richesse agrégée du Royaume-Uni a augmenté de 5,68 billions de livres sterling : 94% sont allés aux 50% de ménages les plus riches ; 6% sont allés aux 50% les plus pauvres. Alors que la pauvreté infantile atteignait son niveau le plus élevé depuis 2007 (The Guardian,14 juillet 2022), déjà en 2025 les milliardaires britanniques ont plus que doublé leur richesse depuis la récession de 2009.

Cela relevait d'une décision politique de réduire, de démanteler et de vendre aux enchères nos services publics. Et ce sera une décision politique de répéter cette expérience économique ratée. Le 27 août 2024 [à propos du budget qui sera présenté en automne], le Premier ministre (Keir Starmer) a déclaré à la nation : « Cela va être douloureux », préparant le peuple à des « choix difficiles ». Les conservateurs l'ont-ils autorisé à réutiliser leurs slogans ? D'autres ministres sont allés plus loin, indiquant qu'ils n'avaient pas d'autre choix que d'appauvrir les enfants et les retraité·e·s. Maintenir les enfants dans la pauvreté est apparemment inévitable si l'on veut « rétablir » les finances publiques. La suppression de l'allocation de chauffage pour l'hiver [1] est une nécessité, nous a-t-on dit de manière, si nous voulons mettre un terme à l'effondrement de la livre sterling.

Il est stupéfiant d'entendre les ministres du gouvernement essayer de tromper la population. Le gouvernement sait que plusieurs choix s'offrent à lui. Il pourrait instaurer un impôt sur la fortune qui rapporterait plus de 10 milliards de livres sterling. Il pourrait cesser de gaspiller l'argent public dans des partenariats avec le privé. Il pourrait procéder à une redistribution fondamentale du pouvoir en faisant en sorte que l'eau et l'énergie deviennent des biens publics à part entière. Au lieu de cela, ils ont choisi de retirer des ressources aux personnes à qui l'on avait promis que les choses allaient changer. Il y a beaucoup d'argent, mais il est entre de mauvaises mains – et nous ne nous laisserons pas berner par les tentatives des ministres de feindre le regret face à des décisions cruelles qu'ils savent ne pas devoir prendre.

D'autant que, pour certains ministres, il n'y a pas lieu de regretter quoi que ce soit. Non, la suppression de l'allocation de chauffage en hiver est prétendument un choix progressiste, puisqu'elle retire l'aide à ceux et celles qui n'en ont pas besoin pour la diriger vers ceux qui en ont le plus besoin. La réalité est tout autre. La mise sous condition de l'allocation ne permet pas de s'assurer que l'aide va là où elle est le plus nécessaire. Seuls 63% des retraité·e·s qui remplissent les conditions pour bénéficier du « Pension Credit » [allocation en plus de la Pension d'Etat ] en font la demande. Si cela devient une règle pour les allocations de chauffage en hiver (Winter Fuel Payment], près d'un million de retraité·e·s les plus pauvres n'en bénéficieront pas. L'IFS (Institute for Fiscal Studies) a calculé qu'il en coûterait au gouvernement plus de 2 milliards de livres sterling pour garantir un taux d'utilisation de 100%, soit plus que le 1,4 milliard de livres sterling qu'il prétend économiser en procédant à cette réduction.

En outre, le prix à payer est bien plus élevé. Il s'agit de la destruction d'un principe fondamental : l'universalisme. Un système universel d'aide sociale réduit la stigmatisation des personnes qui en dépendent et supprime les obstacles pour ceux qui trouvent difficile de faire une demande (ces deux raisons expliquent pourquoi le taux d'utilisation des aides sous condition de ressources est si faible). Quelle sera la prochaine étape de la mise sous condition de revenus ? La pension d'Etat ? Le NHS ?

Si le gouvernement se préoccupe vraiment de l'inégalité des richesses, il ne s'attaquera pas au principe de l'universalisme. Il augmenterait les impôts sur les plus riches de notre société. De cette manière, nous nous assurons que tout le monde bénéficie du soutien dont il a besoin et que ceux qui ont les épaules les plus larges paient leur juste part.

La politique est une question de choix. Le Parti travailliste a été créé pour améliorer les conditions de vie des plus démuni·e·s ; ceux qui choisissent d'enfoncer les enfants et les retraités dans la pauvreté devraient se poser la question suivante : est-ce pour cela que mes électeurs et électrices m'ont élu ? Je suis fière de travailler avec d'autres députés au Parlement qui ont été élus pour défendre un monde plus égalitaire. Nous pensons que l'austérité est le mauvais choix – et notre porte est toujours ouverte à ceux qui veulent faire un choix différent.

Le principe de l'universalisme est le principe d'une société qui prend soin de chacun et chacune. C'est un principe qui vaut la peine d'être défendu. (Article publié dans le magazine Tribune le 10 septembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Jeremy Corbyn est député d'Islington North et membre du groupe des députés de l'Independent Alliance (créé le 2 septembre 2024 et composé de 5 députés).


[1] Lors du Congrès du Parti travailliste à Liverpool, l'option à ce sujet, entre autres, de la Chancelière de l'Echiquier est décrite de la manière suivante par Hugo Gye et Chloe Chaplain dans Inews le 23 septembre 2024) : « Rachel Reeves envisage de réduire le budget de l'aide sociale afin de consacrer plus d'argent aux investissements à long terme, alors qu'elle s'apprête à élaborer un budget visant à économiser de l'argent. Une source proche de la chancelière a déclaré : “S'il y a des économies à réaliser dans le budget de la protection sociale, elle souhaite les trouver” […] La chancelière a fait l'objet d'intenses pressions de la part de députés, des organisations caritatives et des syndicats pour qu'elle revienne sur sa décision de supprimer les aides aux dépenses de chauffage en hiver pour la plupart des retraité·e·s. Elle a toutefois défendu cette politique controversée en déclarant aux militant·e·s : “J'ai fait le choix d'évaluer les ressources de mes concitoyens. J'ai fait le choix de mettre sous condition de ressources la contribution de chauffage pour l'hiver, afin qu'elle ne soit versée qu'aux personnes qui en ont le plus besoin. Je sais que tout le monde ­– dans cette salle [lors du Congrès] ou dans le pays – ne sera pas d'accord avec chacune de mes décisions. Mais je ne me déroberai pas à ces décisions.” Rachel Reeves, qui a été mise en garde contre le retour de l'austérité, a cherché à modifier sa réputation de rhétorique négative en évoquant les avantages à long terme d'une approche stricte des finances publiques. » (Inews, 23 septembre 2024). Voir ci-après l'article de Andrew Fisher. (Réd.)

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Il existe une contradiction fondamentale au cœur de la stratégie économique du Labour

Par Andrew Fisher

La chancelière de l'Echiquier Rachel Reeves, lors du congrès du Labour.

L'austérité est-elle terminée ? C'est la question qui a dominé le discours de la Chancelière de l'Echiquier [responsable des finances et du trésor], Rachel Reeves [1], lors de la conférence du Parti travailliste [elle s'est tenue du 22 septembre au 25 septembre 2024, à Liverpool]. Le discours pessimiste sur un « budget douloureux » et le sempiternel refrain des « choix difficiles » ont été réduits au minimum. Au lieu de cela, Rachel Reeves a déclaré lors de la conférence du Parti travailliste : « Mon ambition pour la Grande-Bretagne ne connaît pas de limites parce que je vois le bénéfice que nous pouvons en tirer si nous faisons les bons choix, maintenant. »

Mais s'agit-il de la même matière enrobée d'un langage plus optimiste ? Du vieux vin dans de nouvelles bouteilles ? L'austérité avec un visage souriant ? Les « bons choix » sont-ils la nouvelle appellation des « choix difficiles » ?

Lors de sa tournée des médias ce matin [du 23 septembre], Rachel Reeves a promis de « ne pas revenir à l'austérité ». Interrogée sur ce qu'elle entendait par là, Rachel Reeves a déclaré à l'émission Today de la BBC Radio 4 qu'il n'y aurait pas de réduction des dépenses publiques en termes réels, mais qu'il s'agissait d'une décision prise au cours de la session du Parlement et non dans le cadre de l'élaboration du budget. Son porte-parole l'a confirmé après son discours.

Le professeur Simon Wren-Lewis [University of Oxford], qui fait partie des nombreux économistes [entre autres Mariana Mazzucato, University College London, Jonathan Portes, King's College London,Mohamed El-Erian, ancien CEO de Pimco !] de haut vol ayant écrit une lettre ouverte [Financial Times, 15 septembre] à la Chancelière de l'Echiquier pour lui faire part de leurs inquiétudes quant à la stratégie économique du Parti travailliste. Ils estiment que le point de référence (benchmark) devrait être plus élevé : « L'austérité concerne les niveaux des prestations publiques, pas les changements. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une austérité aiguë. La tâche des travaillistes est maintenant de commencer à y mettre fin, ce qui signifie que la part des dépenses publiques dans le PIB doit augmenter de manière significative au fil du temps. »

Nous ne saurons pas avec certitude quelles seront les augmentations de financement pour les services publics avant le budget, lorsque les « intellos » comme moi pourront se plonger dans le Livre Rouge du Budget-Budget Red Book [2] et l'analyse de l'OBR [Office for Budget Responsability], mais l'équipe de Rachel Reeves refuse d'exclure, cette année, des coupes dans les dépenses des ministères.

Sans le dire clairement, le message semble être que l'austérité est de retour, mais seulement temporairement, et que, contrairement à l'austérité des conservateurs, elle permettra en quelque sorte de « réparer les fondations ».

Rachel Reeves a déclaré ce matin à Sky News : « Nous équilibrerons les comptes », soulignant qu'une croissance économique soutenue doit être construite sur la base de la stabilité. Mais la stabilité pour qui ? Il n'y a rien de stable pour les millions de ménages qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts en raison des bas salaires, des prestations sociales de misère et, ne l'oublions pas, des retraites publiques les plus faibles d'Europe.

La réduction des allocations de chauffage pour l'hiver sera ressentie comme une mesure d'austérité par les ménages retraités alors que les prix de l'énergie augmenteront de 10% à partir du mois prochain [octobre]. Les fonctionnaires du Trésor annoncent également de manière inquiétante qu'il y a « des économies à réaliser dans le budget de la protection sociale ».

L'austérité que subissent les services publics depuis une quinzaine d'années freine la croissance économique. Les longues listes d'attente du NHS [National Health Services] empêchent des personnes en âge de travailler de le faire, et l'absence de services sociaux adéquats oblige de nombreuses personnes en âge de travailler à abandonner leur travail ou à réduire leur temps de travail pour s'occuper de leurs proches. Il en va de même dans de nombreux autres domaines du secteur public. L'investissement pourrait contribuer à stimuler la croissance.

Si l'accent a été mis sur la « confiture » de demain, la douleur d'aujourd'hui est sans aucun doute toujours présente. C'est cette même mentalité malavisée qui a conduit le Parti travailliste, avant les élections, à revoir à la baisse son plan vert pour la prospérité – les 28 milliards de livres sterling d'investissements supplémentaires que Rachel Reeves avait annoncés dans la même salle [à Liverpool] il y a trois ans. Lorsqu'il a été lancé à l'occasion de la conférence du parti en 2021, il a été présenté comme un moteur essentiel de la croissance. En 2023, Keir Starmer avait présenté sa « mission » pour que le Royaume-Uni atteigne la croissance soutenue la plus élevée du G7. La pierre angulaire de ce projet était, alors, « un plan de prospérité verte qui fournira l'investissement catalytique nécessaire pour devenir une superpuissance de l'énergie propre ».

Mais ensuite, après des mois de briefing et de contre-briefing, il a été expliqué que parce que l'économie allait mal, les propositions devaient être édulcorées – même si le plan était censé être la solution au fait que l'économie allait mal.

L'argument de Rachel Reeves semble être que « nous ne pouvons pas faire de bonnes choses tant que nous n'avons pas de croissance », mais ce sont les bonnes choses qui stimulent la croissance – en les retardant, on retarde la croissance.

Cette même inertie a entaché les premiers mois de gouvernement du Labour. Malgré toute la rhétorique sur l'investissement et la stratégie industrielle, les travaillistes sont restés les bras croisés face à l'effondrement des aciéries de Port Talbot [situées dans le Pays de Galles, le propriétaire Tat Steel supprime quelque 2800 emplois, comme conséquence du démantèlement deux hauts-fourneaux, avec délocalisation en Inde, pour l'émission de CO2] et de Scunthorpe [British Steel « ferme » deux hauts-fourneaux, avec réduction de 2200 emplois, suite une reconversion vers des fours électriques], à l'annonce de la fermeture [en 2025, 400 emplois en jeu] de la raffinerie de Grangemouth (Ecosse] et au fait que les chantiers navals Harland&Wolff (Belfast) sont sous le coup d'une ouverture de procédure de faillite.

Rachel Reeves a parlé de « choses fabriquées ici en Grande-Bretagne et exportées dans le monde entier ». Les métallurgistes et les travailleurs de la construction navale ne sont pas concernés. S'il existe une stratégie industrielle, sa nature n'est pas encore claire. Rachel Reeves a déclaré qu'elle publierait une stratégie industrielle le mois prochain, mais cela ne sera pas d'un grand réconfort pour les travailleurs de l'industrie qui perdent leur emploi aujourd'hui.

En n'inversant pas l'austérité maintenant (qu'il s'agisse de « choix difficiles » ou de « bons choix »), le parti travailliste risque de poursuivre sur la voie de la spirale descendante, au lieu de nous en sortir.

Le langage plus optimiste ne peut masquer cette contradiction fondamentale au cœur de la stratégie économique du Labour – et les mots plus rassurants de Reeves ne peuvent cacher cette contradiction. (Opinion publiée par I News le 23 septembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Andrew Fisher est un ancien directeur exécutif de la politique du Parti travailliste.


[1] Rachel Reeves est une économiste, membre du Parti travailliste, députée de la circonscription de Leeds West depuis 2010. Elle fut, dès 2013, Secrétaire d'Etat au Travail et aux Retraites du cabinet fantôme, jusqu'en 2015. Elle ne revient pas dans le cabinet fantôme, après un congé maternité, suite à l'élection de Jeremy Corbyn à la tête de Labour. Elle retrouve la position – de mai 2021 à juillet 2024 – de Chancelière de l'Echiquier du cabinet fantôme, une fois Keir Starmer à la direction du parti après qu'il eut écarté les partisans de Corbyn. Le 5 juillet 2024 Keir Starmer la nomme Chancelière de l'Echiquier de son gouvernement. (Réd)

[2] La mallette budgétaire est la mallette rouge recouverte de cuir qui contient le discours du budget. Traditionnellement, le jour du budget, le chancelier est photographié sur les marches du 11 Downing Street, brandissant la boîte budgétaire. (Red.)

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N’y a-t-il pas de genre dans l’armée ukrainienne ?

8 octobre 2024, par Oleksandra Sakharuk — , ,
« Il n'y a pas de sexe/genre dans l'armée. » Si vous êtes une femme militaire, c'est une phrase que vous entendrez probablement beaucoup. Ceux qui la prononcent croient (…)

« Il n'y a pas de sexe/genre dans l'armée. » Si vous êtes une femme militaire, c'est une phrase que vous entendrez probablement beaucoup. Ceux qui la prononcent croient probablement que c'est là le but de l'égalité des sexes : rendre tout le monde pareil. Mais peut-être ne s'agit-il pas d'égalité, mais d'assimilation des femmes aux hommes ?

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/01/ny-a-t-il-pas-de-genre-dans-larmee-ukrainienne/

Le plus souvent, j'ai entendu « il n'y a pas de sexe/genre dans l'armée » lorsque j'ai fait remarquer que je ne suis pas un soldat, un militaire ou un frère, mais une soldate, une militaire et une demi-sœur. Souvent les hommes, indignés qu'une femme veuille être traitée comme une femme, ont déclaré sous le choc : « Il n'y a pas de genre dans l'armée ».

Cependant, dans la langue ukrainienne, les mots « militaire » ou « soldat » ne sont pas neutres en matière de genre : ils indiquent exactement le sexe masculin. Lorsque vous appelez une princesse, un prince, une professeure, un professeur ou une chanteuse, un chanteur, montrez-vous du respect à ces femmes ? Vous préférez les ignorer, rendant leur féminité plus invisible dans diverses sphères d'activité.

À propos, les mêmes hommes qui crient qu'ils vous traiteront de soldat et qu'il n'y a pas de sexe dans l'armée entament souvent un dialogue complémentaire avec vous par une cour indécente. Je me demande pourquoi le genre apparaît soudainement dans de tels cas ?

« Il n'y a pas de sexe/genre dans l'armée » = « Je pense comprendre ce que signifie l'égalité des sexes, mais en réalité mes connaissances sont primitives et superficielles, je ris timidement quand j'entends les mots « sexisme » ou « féminisme », je vis dans mon monde masculin confortable et laissons aussi les femmes y vivre, pourquoi même prendre en compte le fait que leurs besoins peuvent différer des miens ? »

Femmes invisibles

Le problème de l'assimilation des femmes aux hommes n'est pas nouveau et n'existe pas seulement dans l'armée. L'un des livres les plus célèbres sur ce sujet est Invisible Women : Exposing Data Bias in a World Designed for Men de Caroline Criado Perez. Il décrit des exemples de la façon dont le monde est conçu principalement pour les hommes et comment cela affecte les femmes dans divers domaines de la vie : de la médecine, des infrastructures urbaines, de la conception de produits à la politique et à l'économie. Je n'en citerai que quelques-uns.

Médecine

La plupart des recherches médicales ont été menées sur des hommes, ce qui conduit à un manque de compréhension de la physiologie féminine. Par exemple, les symptômes d'une crise cardiaque chez les femmes diffèrent souvent de ceux des hommes, ce qui peut retarder les secours. Les femmes sont 50% plus susceptibles de recevoir un diagnostic erroné après une crise cardiaque et 7% plus susceptibles de mourir dans l'année suivant une crise cardiaque. Tout cela est dû à un traitement inapproprié. De plus, les médicaments sont souvent testés sur des hommes, ce qui peut conduire à de mauvaise dose pour les femmes.

Sécurité automobile

Jusqu'en 2011, aux États-Unis, les crash tests étaient effectués uniquement sur des mannequins masculins. Par la suite, des mannequins « féminins » ont commencé à être utilisés, mais leur anatomie ne prend pas en compte toutes les différences physiologiques. Selon une étude, les femmes ont 17% plus de risques de mourir dans un accident et 73% plus de risques d'être gravement blessées, même lorsqu'elles portent la ceinture de sécurité. Les principales raisons : négligence des caractéristiques physiologiques des femmes dans la conception des voitures et les tests de sécurité.

Quel est le problème avec l'armée ukrainienne ?

Voici quelques-uns des principaux défis auxquels les femmes militaires peuvent être confrontées en raison de l'invisibilité, de la misogynie et des stéréotypes de genre.

Inadéquation des équipements militaires

Nous commençons à voir des uniformes féminins dans certains endroits (pas partout) : j'ai reçu un uniforme et des sous-vêtements féminins mais il n'y avait pas de hauts pour femmes. En outre, toutes les tailles ne sont pas disponibles et mon amie de petite taille n'a pas reçu les vêtements adaptés.

Ce qui me fait le plus mal (à la fois mentalement et physiquement), c'est le manque de protection féminine. Le gilet pare-balles est conçu pour une anatomie masculine, il peut exercer une pression sur la poitrine des femmes, il peut ne pas convenir en taille (peu importe la façon dont je le serre, il est toujours trop grand et les plaques renforcées ne couvrent pas la partie du corps qu'ils devraient). Et il ne s'agit pas seulement d'inconfort physique, il s'agit, encore une fois, d'un plus grand risque d'être tuée ou blessée à cause d'un design masculin du gilet. C'est la même chose avec les bottes : elles sont conçues pour le pied d'un homme. Pour la plupart des femmes, même si c'est leur pointure, la chaussure est trop large.

Reconnaissance insuffisante du rôle des femmes au combat
Bien que les femmes participent activement aux opérations militaires de première ligne, elles ne sont souvent pas reconnues dans leurs rôles au combat, ce qui affecte leur avancement professionnel et leur accès aux ressources. Il existe encore des cas où les femmes peuvent effectuer les mêmes tâches de combat que les hommes, mais formellement, leurs postes peuvent être classés comme « infirmière », « cuisinière », etc.

Assistance médicale et hygiène
Les femmes dans l'armée ne reçoivent pas de serviettes ni de tampons hygiéniques, les hôpitaux militaires et les hôpitaux n'ont souvent pas de gynécologues ni de mammologues.

Infrastructures inadéquates
Dans de nombreuses bases militaires et sur le terrain les besoins des femmes ne sont pas pris en compte : souvent, il n'y a pas de toilettes ou de douches séparées pour les femmes, ni de tentes et d'abris pour elles.

Stéréotypes de genre

Un jour, un officier est venu me voir pour me donner des « conseils ». Il a dit que je manquais de sagesse et de ruse féminines, que je devrais parler moins et argumenter, qu'une femme ne devrait pas être si bruyante et a fait d'autres illusions sexistes. Dans la limite de ses « conseils », il a même noté que je pouvais être tué par les miens.

Souvent, l'initiative et le souhait de participer activement aux discussions et aux processus de travail ne sont pas acceptés de la part des femmes. Souvent, les hommes veulent seulement diriger les femmes, mais ne sont pas prêts à les considérer comme des égales ou des dirigeantes. L'un des chefs de notre unité m'a dit qu'une femme dans l'armée n'était « pas naturelle ». Tous ces hommes misogynes développent des stéréotypes selon lesquels une femme est moins efficace dans les postes de combat, qu'elle ne peut pas bien planifier les tâches, assumer la responsabilité d'une unité, etc.

Harcèlement

Récemment, lors d'un transfert vers un nouvel endroit, l'homme qui m'a installé dans la tente des femmes a déclaré : « C'est bien que les femmes aient été évacuées, car il y a eu des cas où des hommes les ont attaquées. Et de tels cas ne sont malheureusement pas rares. Quand ma belle-sœur dormait dans un abri pendant un raid aérien, elle s'est réveillée avec un mec qui lui caressait les lèvres avec ses mains. Dans le même temps, les femmes ont souvent peur de raconter de telles histoires, car la société leur en impute la responsabilité. »

Récemment, la médecin militaire Oksana a parlé de harcèlement sexuel à son encontre et a fourni des preuves. La femme a révélé cette histoire dans l'espace médiatique. Ensuite, au lieu de punir l'agresseur, on a ignoré la situation et refusé de la transférer afin qu'elle n'ait pas à continuer à travailler avec l'auteur des violences. Imaginez combien de force et de courage il faut pour aller à l'encontre d'un commandement et commencer à en parler publiquement, et imaginez maintenant combien d'histoires de ce genre n'ont pas été racontées.


Que faire de tout ça ?

Surtout, ne sous-estimez pas l'importance de la lutte pour l'égalité des sexes. Cela est nécessaire à toute société civilisée, et à notre armée en particulier. Lorsqu'on me répète que ce n'est pas le moment de faire du féminisme, quand on dit qu'il y a une guerre dans le pays et qu'il faut s'occuper non pas des droits des femmes, mais d'un ennemi extérieur… je réponds avec confiance que le développement de l'égalité des sexes et du féminisme dans l'armée ukrainienne est nécessaire au développement des capacités des forces de défense.

Et ici, je veux avant tout m'adresser aux femmes. Les hommes peuvent rejoindre des mouvements féministes, être proféministes, mettre en œuvre des mécanismes pour lutter contre la misogynie et le sexisme, influencer d'autres hommes et essayer de rendre leur environnement masculin propice à l'égalité des sexes. Les hommes peuvent faire tout cela, mais ils ne seront jamais la force motrice de cette lutte. Nous sommes responsables de nos droits.

Nous devons développer un véritable sens de la solidarité, nous devons apprendre à nous soutenir sincèrement les unes les autres. Car, très probablement, les hommes n'auront pas le même état d'esprit sur ce chemin. Dans la plupart des cas, ils ne seront pas ceux avec qui nous pouvons lutter côte à côte, mais ceux qui seront une source d'humiliation et de dévalorisation des femmes. C'est pourquoi la lutte pour les droits des femmes dans l'armée est particulièrement difficile. Pour réussir, il faut que les femmes militaires, mais aussi les femmes civiles, s'unissent autour de cette question. Je crois qu'il est du devoir de chaque féministe ukrainienne d'aujourd'hui de prêter attention et de s'impliquer dans l'aide aux femmes dans l'armée. Nous devrions entamer des discussions à ce sujet dans nos cercles et dans l'espace public. Nous devrons soutenir des organisations impliquées dans l'aide aux femmes militaires (Veteranka, Arm Women Now, « Zemlyachki »). Si nous en avons la force et les connaissances, nous devrions créer nos propres mécanismes pour faciliter le parcours des femmes dans l'armée, être attentives à leurs sœurs et à leurs amies militaires, briser les rivalités entre femmes et développer l'entraide. Nous devons développer le courage de ne pas tolérer la misogynie, le sexisme et autres manifestations d'inégalité entre les sexes, nous devons être capables de les identifier et de les combattre.

Pour que la prochaine fois que quelqu'un vous dise qu'il n'y a pas de genre dans l'armée, vous puissiez répondre qu'il y a un genre dans l'armée. Et la femme n'est pas la même que l'homme, mais elle mérite le même respect et les mêmes droits, même si elle est différente et a besoin de solutions adaptées à son anatomie. Elle a besoin de mécanismes qui la protégeront des actions sexistes des hommes, elle a besoin de conditions dans lesquelles une femme peut suivre la voie militaire dans la dignité, sans humiliation ni dépréciation.

Oleksandra Sakharuk, militaire ukrainienne, 25 septembre 2024

Publié par https://hromadske.ua
Traduction Patrick Le Tréhondat

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Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Entretien avec Carola Racketa sur la solidarité avec le peuple ukrainien

8 octobre 2024, par Christian Zeller , Carola Racketa, Marco Bresolini — , , ,
« Être de gauche signifie être du côté des opprimés, que ce soit en Palestine, au Kurdistan ou en Ukraine : c'est pourquoi l'UE doit continuer à livrer des armes à Kiev et (…)

« Être de gauche signifie être du côté des opprimés, que ce soit en Palestine, au Kurdistan ou en Ukraine : c'est pourquoi l'UE doit continuer à livrer des armes à Kiev et autoriser des attaques sur le territoire russe ». C'est ainsi que l'ancienne capitaine de Sea Watch Carola Rackete, élue sans étiquette au Parlement européen sur la liste du parti DIE LINKE, explique pourquoi elle a voté en faveur de la dernière résolution du Parlement européen sur le soutien militaire à l'Ukraine.
L'interview de Marco Bresolini a été publiée le 28 septembre 2024 dans le quotidien italien
La Stampa. Carola Rackete mérite un large soutien pour sa position cohérente.

L'avez-vous fait[en votant oui] pour marquer sa dissidence au sein du groupe « The Left » ?

« Il y a différentes positions dans notre groupe, et la mienne s'oriente vers celle des partis de gauche scandinaves : Finlande, Suède et Danemark. Être de gauche, c'est être solidaire des peuples opprimés et s'opposer aux dictatures, que ce soit en Russie, au Venezuela ou en Syrie. Il faut se placer du côté de ces gens et écouter leurs besoins. C'est ce que j'ai fait avec les ukrainiens:nes, avec les mouvements progressistes du pays : ce sont eux qui nous disent combien il est important d'obtenir des armes pour nous défendre. C'est pour cette raison que j'ai voté en faveur de la résolution ».

Ceux qui disent que la livraison d'armes ne fait qu'attiser la guerre et éloigner la paix ont-ils donc tort ?

« Mais il n'y a pas de paix sans justice. Si nous cessons de fournir des armes, l'Ukraine finira par ne plus être en mesure de se défendre et sera occupée par la Russie. Des millions de personnes seront contraintes de fuir et des millions devront vivre sous une dictature. Ceux qui disent qu'il faut déposer les armes pour obtenir la paix ne cherchent pas la justice. Moi aussi je veux la paix, les Ukrainiens aussi veulent la paix : ils n'ont pas demandé à être envahis ! Mais nous avons besoin d'une paix juste. Et la condition préalable à la paix est que Poutine retire ses troupes du territoire ukrainien. C'est pourquoi nous devons soutenir l'appel à l'autodéfense qui vient de Kiev ».

L'Ukraine demande également à pouvoir utiliser des armes occidentales pour frapper des cibles militaires en Russie : Presque tous vos collègues italiens ont voté contre ce point de la résolution, ce qui correspond à la position du gouvernement, alors que vous étiez pour. Et pourquoi ?

« Depuis deux ans et demi, la Russie bombarde les infrastructures civiles en Ukraine, faisant des victimes innocentes. Si nous voulons aider les Ukrainiens à se défendre efficacement, nous ne pouvons pas leur dire : attendez que les missiles passent la frontière et vous tombent sur la tête. Nous devons permettre aux Ukrainiens de détruire les cibles militaires à l'origine des attaques. C'était l'objet de la résolution, je n'aurais jamais voté pour un texte appelant à bombarder des civils....

« .Les gouvernements européens devraient-ils donc, selon vous, lever les restrictions ?

« Beaucoup de pays et de personnes en Europe disent qu'ils soutiennent l'Ukraine, mais ils le font en serrant le frein à main. Si nous sommes d'accord sur qui a raison et qui a tort, nous ne pouvons agir que de cette manière. J'ai toujours été critique envers l'OTAN, mais dans ce cas, la situation est claire comme de l'eau de roche : c'est la Russie qui a envahi l'Ukraine, pour la deuxième fois, après avoir également envahi la Géorgie. Poutine ne reconnaît pas la souveraineté de l'Ukraine et veut la détruire. Il y a un peuple clairement opprimé et il est de notre devoir de l'aider à se défendre ».

Vous n'avez toutefois pas voté pour l'envoi de missiles Taurus : Avez-vous également tiré le frein à main ?

« C'est un sujet très controversé, surtout en Allemagne, sur lequel je ne suis pas totalement convaincue. Mais sur ce point particulier, je n'ai pas voté contre, je me suis abstenue ».
La guerre en Russie a-t-elle changé votre attitude envers le pacifisme ?

« Cette guerre n'a pas commencé en 2022, mais en 2014. Je vivais alors en Russie et j'ai visité l'Ukraine à plusieurs reprises au cours des années suivantes, avant 2022. J'ai vu de mes propres yeux à quel point les Ukrainiens étaient en colère contre l'UE pour son manque de soutien et son désintérêt pour un conflit qui se poursuivait à l'est du pays. J'ai eu suffisamment de temps pour réfléchir à ce conflit ».

« Je continue à critiquer l'OTAN pour les erreurs qu'elle a commises, notamment en Afrique du Nord ou dans l'ex-Yougoslavie. Mais être de gauche, c'est être du côté des opprimés, que ce soit en Palestine, au Kurdistan ou en Ukraine. Je suis aux côtés des habitants de Hong Kong et de Taiwan, pour le droit à l'autodétermination et pour la démocratie. Ce n'est pas une question d'Est ou d'Ouest, de Russie ou d'OTAN. C'est une question d'impérialisme. Il faut aider les plus faibles à se défendre contre les abus des plus forts, et la Russie est clairement plus forte que l'Ukraine ».

Les menaces nucléaires de Poutine ne vous font-elles pas peur ?

« Je pense que c'est du bluff. Nous oublions souvent que les seuls à avoir lancé une bombe atomique sont les Etats-Unis, la Russie ne l'a jamais fait ».

Selon vous, l'UE n'est pas assez active pour soutenir Kiev ?

« Les sanctions décidées sont décevantes parce qu'elles sont insuffisantes et ridicules. Nous continuons à importer des combustibles fossiles comme le gaz et à financer ainsi la guerre de la Russie. Les sanctions devraient être plus sévères et mieux ciblées. La société civile devrait également en faire plus pour mieux comprendre la situation et les difficultés économiques des Ukrainiens : Il y a beaucoup de spéculation capitaliste dans la reconstruction de l'Ukraine ».

Informations sur le vote du PE (Parlement européen) auquel pareticipait Carola Rakete et commentaire de Christian Zeller (Emanzipation - Autriche)

Christan Zeller, Où va la gauche européenne ? Avec Carola Rackete !

Le 19 septembre, le Parlement européen a voté à une large majorité (425 pour, 131 contre, 63 abstentions) la résolution « Soutien financier et militaire continu des États membres de l'UE à l'Ukraine »[1] [ 2].

Les membres du groupe « The Left » ont voté en ordre dispersé : 20 députés ont rejeté la résolution, 9 l'ont approuvée et 12 se sont abstenus. Carola Rackete, élue en juin dernier au Parlement européen sans étiquette sur la liste du parti LA GAUCHE, a voté pour, avec les députés de gauche des pays nordiques. Carola Rackete s'est fait connaître internationalement en 2019 en tant que capitaine du navire de sauvetage Seawatch 3, lorsqu'elle a sauvé de nombreux réfugiés et tenu tête au ministre italien de l'Intérieur de l'époque.

Cette résolution demande :

1. que l'UE et ses États membres s'emploient à « maintenir et à susciter le soutien international le plus large possible en faveur de l'Ukraine et à trouver une solution pacifique à la guerre, qui doit être fondée sur le plein respect de l'indépendance, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, sur les principes du droit international, sur l'obligation de rendre des comptes pour les crimes de guerre et le crime d'agression, et sur les réparations et autres paiements de la Russie pour les dommages massifs causés en Ukraine » ; demande que l'UE s'engage activement dans la mise en œuvre de la formule de paix de l'Ukraine et dans la mise en place des bases pour la tenue du deuxième sommet de paix. "
2. La livraison de suffisamment de munitions à l'Ukraine et l'autorisation d'attaques ukrainiennes contre des infrastructures militaires en Russie ;
3. l'application et l'extension des sanctions militaires contre la Russie et ceux qui la soutiennent ;
4. la confiscation des avoirs de l'État russe afin de compenser l'Ukraine pour les destructions ;
5. l'application d'un embargo total sur le gaz naturel liquéfié en provenance de Russie et des sanctions contre Gazprom et les compagnies pétrolières russes ;
6. que tous les États membres de l'UE et les alliés de l'OTAN s'engagent collectivement et individuellement à consacrer au moins 0,25 % de leur PIB par an à l'aide militaire à l'Ukraine.
7. La deuxième demande vise à ce que l'Ukraine puisse également attaquer des lanceurs de missiles en Russie avec des armes des pays de l'OTAN. Cela lui est jusqu'à présent interdit et signifie que la population ne peut pas être protégée efficacement contre les bombardements russes. Toutefois, la résolution s'inscrit dans la politique générale hautement problématique de l'UE et de l'OTAN[3].

Néanmoins, dans une perspective solidaire, écologique et émancipatrice, il est justifié de voter en faveur de cette résolution et Carola Rackete justifie son vote de manière claire et compréhensible dans une interview avec le journal italien La Stampa.

Les députés Andersson, Kyllönen et Saramo du Vasemmistoliitto (parti de gauche) finlandais, Clausen du Enhedslisten (parti rouge-vert) danois, Gedin et Sjöstedt du Vänsterpartiet (parti de gauche) suédois, Hazekamp du Partij voor de Dieren (parti pour les animaux) néerlandais, Omarjee de la France Insoumise et Rackete, sans étiquette, d'Allemagne, ont voté oui.

Les huit députés Antoci, Della Valle, Furore, Morace, Palmisano, Pedullà, Tamburrano et Tridico du Movimento 5 Stelle italien et Salis de la Sinistra Italiana (Gauche italienne), Arvanitis de la Syrzia grecque, Barrena Arza de la El Bildu basque ont voté contre, Botenga et Kennes du Partij van der Arbeid (Belgique), Montero et Serra Sánchez de Podemos et Galán de Sumar (Espagne), Martins du Bloco de Esquerda et Oliveira du Partido Comunista Português (Portugal), Everding du Tierschutzpartei (Allemagne) et Demirel de DIE LINKE.

Les députés Aubry, Carême, Chaibi, Fourreau, Hassan, Mesure, Saeidi, Smith (tous de la France Insoumise), Boylan et Funchion du Sinn Fein et Flanagan (indépendant) d'Irlande ainsi que Schirdewan de DIE LINKE se sont abstenus.

Il est frappant de constater le poids important du Mouvement 5 étoiles, un mouvement populiste difficile à cerner politiquement, qui défend parfois des positions de droite. Ainsi, 2019 a soutenu la politique raciste de Salvini, alors ministre de l'Intérieur, et ses attaques contre le sauvetage en mer de Carola Rackete.

Le journal Junge Welt, qui se fait depuis des années le porte-parole de l'impérialisme russe, a lancé après le vote une campagne malveillante contre Carola Rackete, à laquelle se sont joints sur les médias sociaux des membres du parti DIE LINKE et des collaborateurs/trices de la fondation Rosa Luxemburg.

Ceux qui attaquent Carola Rackete de manière calomnieuse et falsifiée et l'accusent même, de manière absurde et hors du contexte, de favoriser une guerre mondiale par sa position, refusent systématiquement de donner une réponse sur la manière dont les salariés ukrainiens peuvent se défendre contre l'attaque russe contre leur société.

Ces attaques calomnieuses contre Carola Rackete ne servent pas la paix, mais font finalement le jeu des tentatives de chantage du régime de Poutine et apportent de l'eau au moulin des racistes, des nationaux-conservateurs et des fascistes de toute l'Europe. L'arrivée des députés du Mouvement populiste italien 5 étoiles au sein du groupe de la gauche au Parlement européen déplace l'orientation de ce dernier nettement vers la droite et indique que certaines forces ne veulent délibérément pas établir de démarcation claire avec les positions souverainistes nationales.

Ces dernières années, Carola Rackete a suffisamment prouvé qu'elle s'opposait avec détermination et efficacité aux forces fascistes, racistes et nationales-conservatrices. Face aux pires menaces, elle a sauvé de nombreuses personnes. Qui, parmi les écrivains malveillants, a déjà réussi à s'opposer à un ministre de l'Intérieur raciste et à ses forces de répression ? Carola Rackete représente une résistance conséquente au racisme et se bat résolument pour le démantèlement et la socialisation des industries fossiles.

Il est juste de s'opposer à la vague de réarmement de l'OTAN et des pays de l'UE. On le fait de manière crédible si l'on se solidarise en même temps avec la résistance ukrainienne contre la menace existentielle de l'impérialisme russe. C'est ce que nous avons également affirmé dans notre déclaration internationale « Ukraine : A People's Peace not an Imperial Peace »[4].
C'est pourquoi il est juste de soutenir l'Ukraine, c'est pourquoi il faut s'opposer aux exportations d'armes vers d'autres États qui attaquent leurs propres populations et celles des pays voisins (par exemple Israël, la Turquie, l'Arabie saoudite). C'est pourquoi il faut socialiser l'industrie de l'armement afin de la contrôler démocratiquement et de déterminer ses produits ; enfin, la déconstruire de manière coordonnée au niveau transnational ou la transformer en une industrie utile sur le plan social et écologique.

J'ai présenté quelques réflexions plus approfondies dans l'article « Paix en Ukraine et perspectives écosocialistes en Europe » dans emanzipation. Il est évident qu'il est urgent d'entamer une discussion transnationale et européenne sur ces défis[5].

Références

L'interview a été publiée le 28 septembre 2024 dans le quotidien italien La Stampa et a été traduite en allemand par Christian Zeller.

[1] Parlement européen, 19 septembre 2024 : P10_TA(2024)0012. Soutien financier et militaire continu des États membres de l'UE à l'Ukraine https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-10-2024-0012_DE.pdf

[2] MPE : L'Ukraine doit être en mesure d'attaquer des cibles militaires légitimes en Russie. Press Release 19 septembre 2024 MPEs : Ukraine must be able to strike legitimate military targets in Russia | News | European Parliament (europa.eu)

[3] Minutes - Résultats des votes par appel nominal. Thursday, 19 September 2024 - Strasbourg Poursuite du soutien financier et militaire à l'Ukraine par les États membres de l'UE https://www.europarl.e uropa.eu/doceo/document/PV-10-2024-09-19-RCV_EN.html ?fbclid=IwY2xjawFmg39leHRuA2FlbQIxMAABHUVXoHMr0rVWuR-bvF8vTNNM3CT8BS6AaqhJqe2bO_YxGOhPG5jVW3xVYg_aem_XUPNEi44pJXWU5AfY0KtuQ#169676#959974

[4] Déclaration internationale en allemand et 14 autres langues : Ukraine : A People's Peace not an Imperial Peace. https://emanzipation.org/2024/06/a-peoples-peace-not-an-imperial-peace/ Version en anglais avec liste des signataires, 6 juillet 2024 : https://emanzipation.org/wp-content/uploads/2024/07/2024_07_09_Ukraine_peace_conference_declaration_endorsements.pdf

[5] Christian Zeller, 25 juillet 2024 : Paix en Ukraine et perspectives écosocialistes en Europe. https://emanzipation.org/2024/07/frieden-in-der-ukraine-und-oekosozialistische-perspektiven-in-europa/

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Etats-Unis. Les dockers organisés dans l’ILA suspendent leur grève

En date du 2 octobre, nous avons publié un article présentant l'entrée en grève le mardi 1er octobre des dockers de la côte Est des Etats-Unis. Tiré d'À l'encontre. Cette (…)

En date du 2 octobre, nous avons publié un article présentant l'entrée en grève le mardi 1er octobre des dockers de la côte Est des Etats-Unis.

Tiré d'À l'encontre.

Cette grève allait mettre à l'arrêt 36 ports de la côte Est et du golfe du Mexique, dont 10 des ports les plus utilisés d'Amérique du Nord. Le conflit portait sur l'augmentation des salaires et sur les montants des primes pour les soins de santé comme sur le plan de retraite, ainsi que sur l'automatisation des terminaux de déchargement des conteneurs. Il mettait « face à face » l'International Longshoreman's Association (ILA) et l'U.S. Maritime Alliance (USMX, organisation des employeurs). Dès le 1er, la grève a touché 14 ports, soit 24 000 travailleurs.

Le débat politico-économique a porté de suite sur « le coût de la grève » pour l'économie des Etats-Unis, estimé par la presse économique jusqu'à 4,5 milliards de dollars par jour (selon la banque JPMorgan), ainsi que sur les potentielles pénuries découlant d'une possible paralysie complète des ports de la côte Est. De plus, les estimations étaient déjà faites du temps qui s'écoulerait pour résorber le volume des immobilisations de marchandises chargées sur les navires. Une journée de grève entraînerait un encombrement prenant de 4 à 6 jours pour être résorbé. A cela s'est de suite ajoutée une campagne des employeurs demandant à l'administration Biden d'utiliser la loi Taft-Harley (datant de 1947) pour contraindre, au nom de « l'urgence nationale », le syndicat ILA et ses 45 000 adhérents de se rendre sur leur poste de travail jusqu'à ce qu'un accord soit établi. Biden, à la veille des élections, se refusa à utiliser la loi Taft-Harley.

Le 3 octobre, un accord provisoire est intervenu entre la direction d'ILA et l'USMX, mettant fin à l'arrêt de travail qui a duré deux jours. Le contrat-cadre actuel est prolongé jusqu'au 15 janvier, puis des négociations reprendront sur « toutes les questions en suspens ». Biden, le jeudi 3 octobre, a déclaré : « L'accord de principe conclu aujourd'hui sur des salaires records et une extension du processus de négociation collective représente un progrès décisif vers la conclusion d'un contrat solide. Je félicite les dockers de l'ILA, qui méritent un contrat solide après avoir fait tant de sacrifices pour maintenir nos ports ouverts pendant la pandémie. Je félicite également les opérateurs portuaires et les transporteurs membres de l'Alliance maritime américaine pour leur travail acharné et leur offre solide. » Après avoir donné un premier appui à la direction de l'ILA – syndicat des plus modérés comparé à l'organisation syndicale de la côte Ouest, l'ILWU (International Longshoremen and Warehouse Union) – Biden et Kamala Harris ne pouvaient que se féliciter d'un tel « accord provisoire » intervenant un mois avant les élections du 5 novembre. Ce d'autant plus que les plus grandes compagnies maritimes du monde – AP Møller-Maersk (société danoise) et Hapag-Lloyd (dont le siège est à Hambourg) – ont vu leur action chuter respectivement de 5,34% et de 14% (4 octobre). Donald Trump n'a évidemment pas manqué de souligner, dès le début de la semaine, que « j'avais été à la Maison Blanche, cet arrêt de travail n'aurait jamais eu lieu » (Financial Times, 4 octobre).

La direction de l'ILA – qui initialement revendiquait une augmentation de salaire de 77% – a indiqué que l'accord provisoire avait été conclu sur la base de l'obtention d'une augmentation salariale de 61,5% pour le contrat collectif d'une durée de six ans. Sur cette revendication, l'USMX n'a pris aucun engagement public. Sur le thème de l'automatisation des terminaux (avec réduction du nombre d'emplois), l'introduction d'une « robotique portuaire », aux Pays-Bas et en Australie, fonctionne comme un élément concurrentiel utilisé par les grandes compagnies portuaires et de transporteurs et place les organisations syndicales face à un défi dont la dimension internationale est immédiate. (4 octobre 2024)

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Jill Stein, candidate à la présidence

8 octobre 2024, par Amy Goodman, Butch Ware, Jill Stein, Juan Gonzalez — , ,
Jill Stein, candidate à la présidence et Butch Ware, candidat à la vice-présidence pour le Parti vert font le point sur Gaza et la bataille contre « deux partis politiques (…)

Jill Stein, candidate à la présidence et Butch Ware, candidat à la vice-présidence pour le Parti vert font le point sur Gaza et la bataille contre « deux partis politiques zombies »

Tiré de Democrcy Now
https://www.democracynow.org/2024/9/25/green_party_jill_stein_butch_ware
Traduction Johan Wallengren
LE 25 SEPTEMBRE 2024

Democracy Now ! s'entretient avec Jill Stein et Butch Ware, qui se présentent respectivement comme présidente et vice-président pour le Parti vert à l'élection présidentielle. Un développement récent est le revers qu'a subi le Parti vert vendredi quand la Cour suprême des États-Unis a rejeté une demande de faire figurer Jill Stein sur les bulletins de vote dans le Nevada. Le Parti démocrate avait intenté une action en justice pour empêcher Jill Stein d'y figurer au motif qu'elle n'aurait pas soumis les formulaires appropriés. Au cours du présent cycle de campagne, les démocrates se sont battus pour empêcher le Parti vert d'être représenté à l'élection présidentielle, tandis que certains partisans de Trump, y compris un de ses anciens avocats, ont aidé le Parti vert avec l'accès aux bulletins. « Ils sont terrifiés à l'idée de nous affronter vraiment devant le tribunal de l'opinion publique et d'avoir un vrai débat sur les crises auxquelles le peuple américain est confronté et sur les vraies solutions que nous sommes les seuls à avoir mis sur la table, déclare Jill Stein. Le peuple américain est en crise dans pratiquement toutes les sphères de la vie citoyenne ». Cette troisième candidature de Jill Stein à la présidence reçoit le soutien de certains milieux en raison du refus de la vice-présidente Kamala Harris d'appeler à un embargo sur les armes à destination d'Israël. Le Conseil des relations américano-islamiques (Council on American-Islamic Relations ou CAIR) a récemment publié les résultats d'un sondage qui place Jill Stein devant Kamala Harris chez les électeurs musulmans dans trois États clés : Arizona, Michigan et Wisconsin. « Les efforts déployés pour tenter d'imputer la défaite inévitable des démocrates à des partis tiers ou à des musulmans est fallacieux, pour dire le moins, déclare M. Ware, historien et professeur musulman. Tous les efforts visant à protéger le camp bleu, à permettre aux démocrates de se dédouaner des forfaits dont ils sont les auteurs, sont les incarnations d'un même mal. »

Transcription
Ceci est une traduction de la version la plus immédiate de la transcription, qui pourrait ne pas être finale.

AMY GOODMAN : Bienvenue à Democracy Now !, democracynow.org, volet « Guerre, paix et présidence ». Mon nom est Amy Goodman et j'ai à mes côtés Juan González.
À moins de six semaines du jour du scrutin, nous recevons la candidate du Parti vert à l'élection présidentielle, Jill Stein, et son colistier, Butch Ware, professeur à l'Université de Californie à Santa Barbara (University of California Santa Barbara ou UCSB). Vendredi, le Parti vert a essuyé un revers quand la Cour suprême des États-Unis a rejeté la demande de faire figurer Jill Stein sur les bulletins de vote du Nevada dans le cadre de l'élection présidentielle. Le Parti démocrate avait intenté une action en justice pour empêcher Jill Stein de figurer sur ces bulletins de vote, au motif qu'elle n'avait pas soumis les formulaires appropriés.

Cette décision intervient alors que le soutien à Jill Stein s'est accru dans certains milieux en raison du refus de la vice-présidente Kamala Harris d'appeler à un embargo sur les armes à destination d'Israël. Le mois dernier, le CAIR a publié les résultats d'un sondage plaçant Jill Stein devant Kamala Harris parmi les électeurs musulmans dans trois États clés : Arizona, Michigan et Wisconsin. Le Conseil des affaires publiques musulmanes (Muslim Public Affairs Council ou MPAC) a par ailleurs récemment déclaré soutenir la candidate Stein.
C'est la troisième fois que Jill Stein se présente à une élection présidentielle. De nombreux démocrates la considèrent comme une candidate trouble-fête, pointant l'élection de 2016 où Hillary Clinton avait perdu de justesse face à Donald Trump – les voix qui lui manquaient face à Donald Trump en Pennsylvanie, dans le Michigan et dans le Wisconsin représentaient moins que celles obtenues par Jill Stein. Au cours du présent cycle de campagne, les démocrates se sont battus pour empêcher le Parti vert d'être représenté électoralement, tandis que certains partisans de Trump ont aidé le Parti vert avec l'accès aux bulletins. L'ancien avocat de Trump Jay Sekulow a récemment représenté le Parti vert dans le cadre de sa plaidoirie devant la Cour suprême des États-Unis pour être représenté sur les bulletins de vote du Nevada. Cependant, Jill Stein, comme Ralph Nader avant elle, a décrit sa campagne comme une lutte contre le duopole bipartite aux États-Unis.
Jill Stein se joint à nous depuis Boston, et Butch Ware, depuis Santa Barbara, où il enseigne l'histoire de l'Afrique et de l'islam, à l'UCSB).

Nous vous souhaitons à tous les deux la bienvenue à Democracy Now ! Pour commencer, Jill Stein, pouvez-vous nous dire pourquoi vous vous présentez à l'élection présidentielle ? Qu'est-ce qui est le plus important à vos yeux en ce moment ?

JILL STEIN : Eh bien, je vais vous le dire. Le peuple américain est en crise dans pratiquement toutes les sphères de la vie citoyenne, qu'il s'agisse de la crise des soins de santé ou de celle des produits pharmaceutiques inabordables. Quelque huit millions d'Américains n'ont pas les moyens d'acheter leurs médicaments. Dix-huit millions d'Américains sont tombés sous le seuil de pauvreté à cause du coût des soins de santé durant la dernière année pour laquelle des données sont disponibles. La moitié des Américains luttent pour garder un toit au-dessus de leur tête, subissant de lourdes pressions économiques et se débattant pour payer leur loyer. Et nous dépensons la moitié de l'argent du Congrès dans une machine de guerre insatiable, dont… la guerre génocidaire contre Gaza est un exemple de ce à quoi le peuple américain s'oppose avec véhémence.

Le peuple américain réclame d'autres options. Vous savez, personne n'est en droit de leur refuser ça et de prétendre que les deux partis politiques zombies, qui ont si mal servi le public américain, sont les seules options ! Vous savez, la démocratie repose sur la concurrence. Le peuple américain ne demande pas mieux que d'avoir d'autres options. Les américains ont le droit de savoir en quoi consistent ces options.

C'est révélateur au possible que les démocrates fassent feu de tout bois pour discréditer le Parti vert, notamment en se faisant trompeusement passer pour ses représentants, en louant les services d'infiltrateurs et d'espions – recrutés sur la place publique – et en engageant une armée d'avocats, selon leurs propres termes, pour littéralement empêcher leurs concurrents de figurer parmi les candidats à l'élection, tout simplement parce qu'ils sont terrifiés à l'idée de nous affronter vraiment devant le tribunal de l'opinion publique et d'avoir un vrai débat sur les crises auxquelles le peuple américain est confronté et les vraies solutions que nous avons été les seuls à mettre sur la table. Ces solutions comprennent un programme de soins de santé universel, des études supérieures gratuites dans le système public, un contrôle des loyers à l'échelle du pays et 15 millions de logements dits sociaux susceptibles de répondre à nos besoins en matière de logement, la réduction du budget militaire et, par-dessus tout, la fin de la guerre génocidaire contre Gaza – une écrasante majorité du peuple américain veut qu'on y mette fin – on n'est pas loin d'une super-majorité qui soutient un embargo sur les armes en ce moment même.
Et avec l'expansion de la guerre opérée par Israël, non seulement en Cisjordanie, mais aussi maintenant au Liban, la situation est extrêmement, extraordinairement dangereuse. Et quand nous entendons l'administration Biden-Harris dire que, oh, elle ne peut rien faire, elle a les mains liées, c'est absolument faux. Il suffirait de faire comme Ronald Reagan et de passer un simple coup de fil pour dire à Israël que c'en est fini de cette offensive génocidaire.

JUAN GONZÁLEZ : Jill Stein, je voulais vous demander… l'immigration et la protection des frontières sont devenues une question clé dans cette élection. Un débat fait rage au pays à ce sujet. En quoi vos propositions diffèrent-elles de celles de Donald Trump ou de Kamala Harris ? Comment vous démarquez-vous ?

JILL STEIN : Oui. Et en effet, nous avons vu Kamala Harris et le Parti démocrate virer à droite et continuer de marcher dans les pas de Donald Trump, en adoptant essentiellement les mêmes politiques. Nous avons une approche très différente. Selon nous, la chose la plus importante que nous puissions faire pour résoudre la crise migratoire est de cesser de la provoquer en premier lieu par des opérations de changement de régime, par le néocolonialisme et la domination économique, par la crise climatique et par la guerre contre les drogues.

Il y a des choses que nous pouvons faire dès maintenant pour obtenir un relâchement des pressions qui poussent les gens à chercher refuge à nos frontières. Parmi ces choses, dès le premier jour de notre administration, nous légaliserions la marijuana et nous agirions pour affaiblir le pouvoir des cartels de la drogue, qui sont à l'origine de violences et de ravages dans de nombreux pays, particulièrement dans ceux au sud de notre territoire. Nous ne renverserions pas d'autres gouvernements démocratiquement élus, comme ça a été fait, par exemple, avec la présidence d'Aristide en Haïti, que nous avons renversée à deux reprises – et par la suite, les États-Unis, sous l'administration de la secrétaire d'État Hillary Clinton, sont intervenus et ont annulé une loi sur le salaire minimum qui avait fait passer le salaire minimum d'un maigre 30 cents de l'heure à 60 cents de l'heure, mesure qui a été annulée par le pouvoir américain après que nous avons renversé le gouvernement démocratiquement élu d'Haïti.

Alors, vous savez, ce n'est pas une surprise, avec toutes les crises que les États-Unis ont provoquées par leur domination économique, leur néocolonialisme, leurs opérations de changement de régime, leur guerre contre la drogue – qui ont particulièrement touché les pays au sud de notre territoire – et leur incapacité à prendre des mesures réelles et concrètes pour lutter contre la crise climatique qui a poussé tant de millions d'agriculteurs à fuir parce qu'ils n'ont aucun moyen de subvenir à leurs besoins à cause de l'aggravation des sécheresses et d'autres manifestations de l'instabilité du climat. Il y a tant de choses que nous pouvons faire, non seulement pour réduire notre propre production de combustibles fossiles, qui a grimpé en flèche en fait, sous les administrations démocrates, bien plus que sous les administrations républicaines, et qui n'est pas traitée de manière adéquate par la Loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act ou IRA), qui donne plutôt la priorité aux combustibles fossiles – si nous avons le temps d'en parler – mais nous n'appliquons pas, savez-vous, les nombreuses solutions que nous pourrions apporter dès maintenant et qui permettraient de réduire la pression venant de la crise à la frontière.

Et la dernière chose à ajouter ici, c'est qu'au lieu de dépenser des milliards de dollars pour un mur, qui ne fait que tuer des gens, tuer la faune et la flore, détruire des écosystèmes, nous pourrions plutôt investir ces dollars de manière à veiller à ce que les procédures aux frontières – contrôle de l'identité et vérification des antécédents et puis délivrance des documents de travail – soient effectuées dans des délais serrés. En effet, une fois que les migrants sont entrés au pays avec des papiers qui leur permettent de travailler – où qu'ils décident de s'installer – ils représentent un formidable apport économique, qui se chiffre bel et bien en billions de dollars, pour ce qui est du développement économique. Si les migrants pouvaient obtenir du travail, nos communautés se feraient concurrence pour les attirer au lieu de les laisser sur la touche. Non seulement ceux-ci injectent de l'argent dans l'économie, mais c'est un fait qu'ils contribuent énormément au développement économique et aux revenus fiscaux de toute communauté qui les accueille.

JUAN GONZÁLEZ : Et, Dre Stein, je voudrais revenir à ce que vous avez dit tout à l'heure au sujet de Gaza. Ce mois-ci, le CAIR a publié un sondage qui vous place devant Kamala Harris parmi les électeurs musulmans dans des États clés, comme le Michigan, l'Arizona et le Wisconsin. Or, le National Uncommitted Movement, qui est un mouvement national qui choisit de ne soutenir aucun des candidats des deux grands partis, a également décidé de ne soutenir aucun candidat d'un parti tiers. Je me demande ce que vous en pensez.

JILL STEIN : [inaudible] et la communauté musulmane américaine n'est pas simplement homogène. Mais les sondages du CAIR étaient très complets. Il se trouve que ces personnes réfractaires ne représentent qu'un petit sous-ensemble de cette communauté plus large. Et ce que ressent cette communauté élargie est très clair. Les gens sont furieux parce que tant de membres de leur famille ont été tués, vous savez, des gens qui ont perdu des dizaines de membres de leur famille, voire bien plus, même des centaines.
Il serait facile pour les démocrates de récupérer ces votes s'ils le voulaient. Mais il est plus important pour eux de poursuivre le génocide à Gaza que de gagner cette élection. Et sans le soutien du vote musulman, ils ne gagneront pas cette élection, ils ne le peuvent tout simplement pas. C'est donc entre leurs mains. Ils ont le pouvoir de faire ce qu'il faut pour reconquérir ce vote très aliéné et désemparé, qui n'ira pas vers les démocrates tant qu'ils continueront de perpétrer ce génocide. Ça dépend donc d'eux. Ils ne peuvent pas rejeter la faute sur autrui. Ils ont perdu ce soutien. Et le peuple américain et les peuples du monde, vous savez, méritent… méritent une option qui est véritablement en accord avec la majorité de l'opinion américaine, pas seulement l'opinion des musulmans, mais la majorité de l'opinion américaine et du monde entier.

AMY GOODMAN : Dre Stein, avant que vous ne choisissiez Butch Ware comme colistier, plusieurs militants palestiniens et arabes de premier plan ont déclaré avoir été approchés par votre équipe, notamment Abed Ayoub, directeur du Comité américano-arabe contre la discrimination (American-Arab Anti-Discrimination Committee), et l'avocate et professeure palestino-américaine Noura Erakat. Professeure Erakat a tweeté : « J'ai proposé d'accepter d'être colistière s'ils étaient disposés à reporter leurs voix advenant que les démocrates remplissent leur promesse de cessez-le-feu permanent et d'embargo sur les armes. L'idée était d'utiliser la marge de Jill Stein dans trois États clés pour obtenir de telles concessions. Si nous sommes convaincus que les démocrates n'accepteront jamais de telles concessions, alors il n'y a rien à perdre. Ce serait aussi un signal clair à lancer à ceux qui n'hésiteraient pas à mettre une croix sur les Palestiniens, les Arabes américains et les musulmans américains : si vous perdez face à Trump, vous aurez été l'artisan de votre propre malheur. Le Parti vert a rejeté cette proposition parce qu'il doit tenir compte de sa base élargie et de la viabilité du parti. Je comprends ça, mais ma priorité à ce moment-ci est de faire tout ce que nous pouvons pour mettre fin au génocide en utilisant tout le potentiel d'influence que nous avons », a écrit Pre Noura Erakat. Quels sont vos commentaires, Dre Stein ?

JILL STEIN : Oui. Permettez-moi de dire que mettre fin au génocide à Gaza ne se fait pas en criant ciseau. Frederick Douglass l'a exprimé ainsi : « Le pouvoir ne concède rien si on ne lui demande rien. Il ne l'a jamais fait et ne le fera jamais ». Le Parti vert est là pour continuer à exercer cette pression. Juste arracher une promesse avant une élection est une manœuvre précaire. Les démocrates pourraient être d'accord pendant une semaine, puis se dire : « Oh, les circonstances ont fait que nous sommes revenus à la poursuite de la guerre. » Il ne faut donc surtout pas désarmer unilatéralement dans ce genre de situation. Ce serait extrêmement inefficace.

Plus de pouvoir à Noura Erakat, dont la voix puissante porte loin ! Certains d'entre nous sont, disons, dans l'arène politique depuis un bon bout de temps et ont eu le temps d'observer comment ces diverses stratégies fonctionnent ou ne fonctionnent pas. Et arracher une simple concession sans… vous savez, sans garantie permanente est une proposition très risquée, en particulier parce que, en tant que parti tiers indépendant, les obstacles à l'obtention du statut de candidat inscrit sont si énormes que si vous déposez simplement les armes et abandonnez la course, vous perdez votre statut de candidat inscrit, et vous perdez sur tous les tableaux, sans retour en arrière possible. En continuant à nous présenter aux élections présidentielles, nous conservons notre accès à ces élections et sommes en mesure de continuer à faire pression sur cet empire très imprudent et dangereux – ce qui est un problème non seulement à Gaza, vous savez, mais dans tout le Moyen-Orient et dans le monde entier. Nous sommes en ce moment même engagés dans deux guerres chaudes proches de devenir nucléaires et dans une troisième guerre froide proche de devenir chaude. Alors...

AMY GOODMAN : Laissez-moi...

JILL STEIN : … vous savez, ça n'a pas de sens -

AMY GOODMAN : … permettez-moi de vous poser une autre question.

DR. JILL STEIN : … de laisser aller tout ça. Oui ?

AMY GOODMAN : Je me dépêche juste parce que nous n'avons pas beaucoup de temps. Mais la députée démocrate de New York Alexandria Ocasio-Cortez a été interrogée lors d'une récente session Instagram Live sur le vote pour le tandem du Parti vert en novembre. Voici ce qu'elle a répondu.

ALEXANDRIA OCASIO-CORTEZ : Ce qui me pose problème, c'est que si vous vous présentez à l'élection présidentielle, vous êtes de facto le chef de votre parti. Et tout d'abord, vous pouvez me faire confiance, je me présente comme candidate d'un parti tiers à New York. Je me présente également en tant que candidate du Parti des familles travailleuses (Working Families Party ou WFP), en plus de ma candidature en tant que démocrate, parce que, croyez-moi, j'ai exprimé publiquement mes critiques à l'égard du système bipartite. Ce n'est donc pas de ça qu'il s'agit. Mais vous êtes chef de votre parti. Et si vous vous présentez pendant des années et des années et des années et des années de suite et que votre parti ne se renforce pas et que vous n'ajoutez pas de sièges à des conseils municipaux, ni de candidats aux scrutins inférieurs, ni non plus d'élus au niveau de l'État, c'est une mauvaise façon de diriger. Et ça, pour moi, c'est ce qu'il y a de dérangeant. ... Et tout ce que vous faites, c'est vous présenter une fois tous les quatre ans pour parler devant des gens qui sont à juste titre en colère, mais si vous ne faites que vous présenter une fois tous les quatre ans pour faire ça, c'est que vous manquez de sérieux. Vous n'êtes pas… pour moi, ce n'est pas perçu comme authentique. C'est perçu comme de la prédation.

AMY GOODMAN : Voilà donc les propos d'Alexandria Ocasio-Cortez, élue au Congrès et représentant une circonscription de New York. Dr. Jill Stein, pouvez-vous commenter ?

JILL STEIN : Eh bien, tout d'abord, nous ne disparaissons pas entre les élections présidentielles. Ce qui disparaît, c'est la couverture médiatique. Vous savez, je suis désolée si vous êtes seulement à l'écoute des médias grand public et que vous croyez à la propagande selon laquelle nous disparaissons... Non, nous sommes là. Nous travaillons. Nous faisons le travail.

Nous avons dans les faits élu quelque 1 500 fonctionnaires locaux au cours des deux dernières décennies environ. Nous avons actuellement 150 élus locaux. Nous devons nous présenter au niveau national, malheureusement, en raison des règles établies par les démocrates et les républicains. Ces règles nous obligent… pour conserver notre accès aux bulletins présidentiels et nous présenter en tant que Verts à des niveaux inférieurs, nous devons en fait nous présenter, dans de nombreux États, au niveau présidentiel. Alors nous n'avons pas le choix.

Par ailleurs, on ne peut pas comparer les Verts, qui sont un parti par et pour le peuple, ciblé par des attaques venant en bonne partie des démocrates, au WFP, qui n'est pas vraiment un parti tiers. C'est une échappatoire pour les démocrates qui veulent figurer sur un bulletin, soit pour des démocrates actuels, soit pour des indépendants en passe de devenir démocrates. Du fait de ce statut, il n'est pas attaqué par le Parti démocrate. Et ce qui détruit les partis tiers… et, soit dit en passant, les Verts sont le géant des partis tiers… alors c'est à tous les autres partis tiers authentiques, qui existent par et pour le peuple, que nous devrions être comparés.

Nous sommes les seuls à réussir à nous battre encore et, vous savez, à survivre jour après jour pour continuer la lutte. Et quand on se bat contre des vents contraires aussi puissants, il faut tirer fort sur les voiles pour développer ses soutiens. Et au cours des trois courses présidentielles auxquelles j'ai participé… et Alexandria Ocasio-Cortez a tort sur ce point : je ne me suis pas présentée tous les quatre ans, puisque je ne me suis pas présenté à la dernière élection… Mais il est très important que le parti continue sur sa lancée pour être reconnu comme la solution de rechange aux partis de la guerre et de Wall Street.
Ce n'est donc pas comme si nous ne bougions pas. Nous sommes en fait soumis à une pression énorme, qui a essentiellement tué les autres petits partis, parmi lesquels on peut citer : le Parti des travailleurs (Labor Party), qui a été lancé à peu près en même temps que les Verts ; le Parti paix et liberté (Peace and Freedom Party), qui n'a réussi à être représenté électoralement que dans 14 États (et il leur est arrivé, avec les vents contraires, de n'être représentés que dans deux États seulement) ; les partis socialistes, qui traditionnellement étaient représentés électoralement partout au pays… et qui ont été marginalisés au point de n'être représentés qu'à un conseil municipal ici ou là : ils ne sont représentés nulle part aux présidentielles, à l'exception du Parti du socialisme et du travail, euh non, de la libération (Party of Socialism and Liberation ou PSL), qui est représenté seulement en Californie. Ainsi, les vrais partis tiers qui existent par et pour le peuple, qui ne reçoivent pas leurs ordres de la machine de guerre, du Comité des affaires publiques Amérique-Israël (American Israel Public Affairs Committee ou AIPAC), des grandes pharmaceutiques, nous avons… nous sommes dans un tout autre bateau, que ne connaît pas Alexandria Ocasio-Cortez.

Et je vais juste, vous savez, faire un commentaire final. Le surnom que mon colistier a donné à Alexandria Ocasio-Cortez est « AOC Pelosi ». Que fait-elle exactement des batailles qu'elle a gagnées ? C'est ce qui nous incite à faire partie de la course ; notre objectif est de vraiment répondre aux besoins critiques et urgents du peuple américain.

JUAN GONZÁLEZ : Oui, j'aimerais faire intervenir le professeur Butch Ware dans la conversation. Professeur, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez décidé de rejoindre le Parti vert et de vous présenter comme candidat à la vice-présidence ?

BUTCH WARE : Oui. Quand ma sœur d'armes, Dre Jill Stein, m'a invité à me jeter dans la mêlée, la décision a été facile à prendre. J'avais réalisé une session Instagram Live avec elle sur ma plateforme de médias sociaux. J'ai interrogé Dre Jill sur les réparations, après avoir récemment posté une vidéo de Kamala Harris dans laquelle elle a hésité, tergiversé et tourné autour du pot pendant deux minutes entières avant de se prononcer exactement en ces mots : « Je ne ferai jamais rien qui n'aide que les Noirs ». Quand j'ai interrogé Dre Jill Stein sur la question des réparations, elle a répondu : « Ils se comportent comme si c'était incalculable, mais ça a été calculé quantité de fois. C'est entre 10 et 13 billions de dollars américains. Et je suis en faveur de paiements en espèces ».

Quand j'ai interrogé Dre Jill sur sa résistance au génocide de Gaza, j'ai dit que tous mes collègues, ainsi que les activistes et les gens de la communauté universitaire, qui sont non seulement des défenseurs de la cause de la libération de la Palestine, mais aussi des gens qui vivent en eux les événements, qui sont corps et âme dans la situation, votaient tous pour Dre Jill Stein. Ce qui fait que je n'ai pas interrogé Dre Jill sur son soutien à la Palestine. Je l'avais vue se faire arrêter lors d'un rassemblement pro-Palestine, un rassemblement pour une Palestine libre. Je l'ai plutôt interrogée sur sa politique étrangère globale.

Et quand je l'ai interrogée sur sa politique étrangère globale, elle m'a répondu que l'approche du Parti vert consistait à vouloir démanteler l'empire américain. Et j'ai poursuivi l'entrevue, en tant qu'étudiant engagé pour la vie, représentant et enseignant de la tradition radicale noire, en déclarant : « Oui, et vous feriez mieux de vous dépêcher de le faire avant que quelqu'un d'autre ne le fasse à votre place », car il y a deux processus bien différents à distinguer. Retirer 700 bases militaires sur les 800 que nous avons autour du monde et qui ne servent en fait à rien d'autre qu'à contrarier les populations locales, et ensuite, vous savez, se retirer lentement des autres positions non stratégiques en veillant toujours à assurer la sécurité des Américains : cela donnerait les moyens de réinvestir les mille milliards de dollars ou, en réalité, 1,3 billions de dollars si on compte tous les coûts afférents, qui sont actuellement dépensés pour faire tourner sans fin la machine de guerre, ces fonds pouvant être réinvestis dans le logement social, dans les soins de santé, dans la réparation des routes et dans toutes les choses que le gouvernement américain pourrait faire pour la population américaine.

Ainsi, quand j'ai répondu à l'appel… quand j'ai été invité à participer à la lutte contre l'impérialisme, à la lutte contre la suprématie blanche, à la lutte contre l'exploitation capitaliste de mon époque, après avoir passé ma vie à enseigner cette tradition, à écrire sur cette tradition, à m'engager dans cette tradition à un niveau militant et en tant qu'organisateur communautaire, la décision a été facile à prendre.

Et avant de poursuivre, je dois absolument observer un moment de silence pour l'imam Marcellus « Khalifa » Williams, qui a été mis à mort hier par cet État impérialiste corrompu. Et nous n'avons pas entendu un bruit de la part de la femme noire qui cherche à mener ce pays et à le faire entrer dans une nouvelle phase, n'est-ce pas ? Nous n'avons pas entendu un son de la part du régime Biden-Harris, des gens qui pourraient au moins réagir, même s'il n'existe pas de mécanisme fédéral immédiat de clémence. Ce pays souffre d'un manque sidérant de leadership moral.

Et la dernière chose que je dirai, pour me présenter au peuple américain dans cette émission en particulier, c'est que tous les efforts visant à protéger le camp bleu, à permettre aux démocrates de se dédouaner des forfaits dont ils sont les auteurs, sont les incarnations d'un même mal. Si vous essayez de les protéger des conséquences électorales de plus de 200 000 morts à Gaza, des conséquences électorales de 11 mois de génocide, de l'augmentation des meurtres commis par des policiers chaque année depuis qu'ils sont au pouvoir, de l'envoi de troupes en tenue anti-émeute dans des villes et des États contrôlés par les démocrates pour enfoncer le crâne d'enfants, comme ils l'ont fait à l'Université de Californie à Los Angeles (University of California Los Angeles ou UCLA), de la même manière qu'ils ont envoyé des troupes en tenue anti-émeute sur mon propre campus, à l'UCSB, alors vous faites partie du problème. Réveillez-vous et débranchez la machine à propagande. Tout le monde est en train d'alimenter un climat de peur autour de Trump, comme si le fascisme n'était pas déjà là. C'est pourquoi je me suis engagé dans ce combat aux côtés d'une humanitaire, d'une militante pour la paix, d'une écologiste et d'une leader morale, Jill Stein, pour secouer l'Amérique et la sortir de sa stupeur. Vous avez d'autres choix que ceux du fascisme militarisé bleu ou du fascisme militarisé rouge. Vous pouvez en fait voter selon votre conscience, voter Vert.

Et la dernière chose que je dirai, c'est que, comme l'a mentionné Dre Jill, le Parti démocrate a déjà perdu les États clés du Michigan, de la Géorgie et de la Pennsylvanie. L'Institut pour la politique et la compréhension sociale (Institute for Social Policy and Understanding ou ISPU) dispose de données accessibles au public, que les démocrates ont certainement vues avant moi, qui indiquent que dans les États clés du Michigan, de la Pennsylvanie et de la Géorgie, Joe Biden a obtenu 65 % des voix en 2020 et que les démocrates obtiennent actuellement moins de 15 % des voix dans ces États. Ils n'auraient pas pu gagner l'élection sans ces États clés, et ils n'auraient pas pu remporter ces États clés sans les électeurs musulmans. Ces électeurs ont quitté le bateau. Ils ne reviendront pas. Le bateau est à la dérive. Les démocrates ne peuvent pas gagner.

Et Dre Jill et notre hôte, Amy, ont déjà cité l'enquête du CAIR. Mais l'Institut Yaqeen publiera cette semaine – et j'en ai eu connaissance grâce à mes relations de longue date au sein de la communauté musulmane en tant que musulman noir – des chiffres qui révèlent que plus de 53 % des musulmans interrogés à l'échelle nationale soutiennent désormais des candidats tiers, dont une proportion d'environ 80 % va au Parti vert, et que les appuis de la communauté musulmane se chiffrent à 15 % pour les démocrates et à 4 % pour Trump. Alors les efforts déployés pour tenter d'imputer la défaite inévitable des démocrates aux candidats de partis tiers ou aux musulmans est fallacieux, pour dire le moins – et pour peu qu'on ait un sens clair de ce qu'est l'intégrité morale, c'est de toute évidence une manipulation perverse (gaslighting, en anglais).

AMY GOODMAN : Dernière question à Dre Stein, sachant que nous n'avons que 30 secondes. Vous avez grandi dans un foyer sioniste. Comment répondez-vous à ceux qui disent que l'antisionisme est de l'antisémitisme, en tant que candidate juive à la présidence ? En 30 secondes seulement.

JILL STEIN : Oui. Donc, en bref, quand j'entends des gens assimiler l'anti-génocide, la résistance au génocide… en disant que c'est de l'antisémitisme, de mon point de vue, c'est la chose la plus antisémite qui puisse être dite, de laisser entendre que c'est antijuif de s'opposer au génocide. Le sionisme et le judaïsme, ce n'est pas du tout la même chose. Le sionisme a été controversé au sein du judaïsme pendant la majeure partie de son existence. Le sionisme est une idéologie politique. Ce n'est pas le judaïsme. Et Gaza, ce n'est pas une guerre entre juifs et musulmans. C'est une guerre menée par les sionistes contre les juifs, les musulmans et les chrétiens.

AMY GOODMAN : Jill Stein, candidate du Parti vert à l'élection présidentielle, et Butch Ware, candidat du Parti vert à la vice-présidence, professeur à l'UCSB, nous vous sommes très reconnaissants pour votre participation à l'émission.

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