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Lancement du no. 31 des Nouveaux Cahiers du Socialisme sur l’intelligence artificielle (IA)

Librairie Zone Libre
mercredi 3 avril à 18 h
à la librairie Zone libre, près de l'UQAM.
Les NCS vous invitent au lancement de leur dernier numéro (dossier principal sur l'intelligence artificielle)
Quatre personnes prendront la parole pour discuter des différentes mythes et dangers de l'intelligence artificielle : Jonathan Martineau (« Le capital algorithmique »), Eric Martin (« Bienvenue dans la machine »), Dominique Perschard (de la Ligue des droits et libertés) et Pierre Mouterde (du comité du dossier des NCS).
L'IA est dotée d'une aura si séduisante qu'on fait l'impasse sur les dangers qu'elle véhicule.
Aux mains des tout puissants monopoles que sont les GAFAM, au sein d'un marché capitaliste néolibéralisé, elle est en train de faire son chemin dans nos vies au travers d'une surveillance généralisée et d'une utilisation dérégulée de nos données numériques. Elle risque de parachever le mouvement de « désappropriation » que le mode de production capitaliste faisait déjà peser sur la vie des travailleurs et des travailleuses.
L'IA constitue l'expression d'un saut qualitatif effectué dans le nouvel ordonnancement d'un monde globalisé. Avec une nuance de taille cependant : cet ordonnancement tend, par la course aux profits et aux logiques concurrentielles qui l'animent, par l'opacité et le peu de régulation dont il est l'objet, à court-circuiter les démarches démocratiques et citoyennes pensées par le bas et toute perspective émancipatrice.
Événement Facebook : https://www.facebook.com/events/438367492082430?ref=newsfeed
La qualité des projets de construction mise en danger par la « flexibilité » caquiste
Crise agricole au Bas-Saint-Laurent
Le 30 mars – mobilisation internationale de solidarité féministe de 24 heures pour la Palestine

La Conférence syndicale internationale de solidarité avec l’Ukraine et ses syndicats du 22 février 2024 : un bilan

Bilan et conclusions politiques de la Conférence syndicale internationale de solidarité avec l'Ukraine et ses syndicats qui s'est tenue le 22 février à Kiev (online). Par Alfons Bech, membre du Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine (ENSU/RESU)
1- La conférence syndicale internationale a été un succès. Organisée par la Fédération des syndicats d'Ukraine (FPU), la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU) et avec le soutien de la Confédération syndicale internationale (CSI), de la Confédération européenne des syndicats (CES), d'ACTRAV et de la Fondation Friedrich Ebert, la conférence internationale de solidarité "Syndicats ukrainiens : Deux ans de guerre totale : défis, priorités et soutien supplémentaire", avec la participation de 191 personnes.
2- Comme publié sur leurs sites web, les syndicats ukrainiens présents à la conférence sont intervenus : "Luc Triangle, secrétaire général de la CSI ; Esther Lynch, secrétaire générale de la CES ; Ludovic Voet, secrétaire confédéral de la CES ; Maria Helena Andre, directrice du Bureau des activités pour les travailleurs de l'OIT (ACTRAV) ; Cathy Feingold, vice-présidente de la CSI, directrice du département international de l'AFL-CIO ; Kemal Özkan, secrétaire général adjoint de GU IndustriAll ; Britta Lejon, présidente de l'Union suédoise des fonctionnaires (ST) ; Jan Willem Goudriaan, président de l'Internationale des services publics ; Bea Bruske, secrétaire générale de la FSESP, présidente du Congrès du travail du Canada ; Lone Ilum Christiansen, directrice du syndicat danois ; Hélène Debore, secrétaire internationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; Pierre Coutaz, du comité international de la CGT, qui a conclu son discours en ukrainien, promettant, comme tous les orateurs précédents, une aide et un soutien complets pour remporter la victoire sur l'ennemi, a été particulièrement bien accueilli par les syndicalistes ukrainiens. Les Ukrainiens ont également accueilli avec gratitude l'intervention de la coordinatrice internationale de l'UGT Catalunya, Catalina Llibre".
3- Le moment choisi pour la conférence était particulièrement difficile pour l'Ukraine sur le plan militaire. Avec beaucoup moins d'armes et de munitions que ne l'avaient promis les gouvernements qui la soutenaient, l'armée a dû se retirer des grandes villes. Les interventions de syndicalistes, hommes et femmes, devenus soldats, ont souligné l'émotion et le drame du moment, tout comme les interventions des dirigeants de la FPU et de la KVPU. Le message véhiculé est que la défense des droits du travail, des droits démocratiques et des droits humains est indissociable de la victoire dans la guerre contre la Russie. Honnêtement, nous ne pouvons pas isoler l'amélioration des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière ukrainienne de l'aspect militaire. Nous devons "gagner la guerre et la révolution" en même temps.
4- C'est précisément parce que le moment est clé pour l'existence souveraine de l'Ukraine que cette conférence a été obligée de se confronter à cette question, l'une des plus difficiles dont l'ensemble du syndicalisme international a débattu depuis le début de la guerre à grande échelle. Le temps du changement est venu de passer à une position de soutien plus actif à l'Ukraine et donc plus exigeante vis-à-vis des gouvernements respectifs afin qu'elle puisse gagner la guerre et pas seulement "se défendre". Ce débat n'a pas encore été abordé, mais il a été soulevé lorsque la FPU et la KVPU ont adopté une déclaration commune disant : "À ce stade critique de la guerre, nous appelons nos amis internationaux à intensifier leur soutien global et indispensable à l'Ukraine afin d'accélérer la paix après la défaite de l'agresseur. Ce n'est qu'en vainquant l'agresseur russe que nous pourrons garantir une paix juste et durable en Ukraine et en Europe, et empêcher une telle agression à l'avenir. L'Ukraine continuera à progresser vers la victoire sur l'agression russe, ainsi que sur la voie de sa pleine intégration dans l'UE et l'OTAN".
5- L'intervention du représentant de l'UGT de Catalogne a commencé à entrer dans ce débat nécessaire, en déclarant : "Nous sommes convaincus que le droit des peuples à se défendre contre les agressions extérieures est un droit naturel inaliénable et que nous tous ici présents devons travailler pour aider nos camarades syndicalistes qui souffrent. Nous devons discuter de la manière dont nous pouvons les aider et travailler ensemble pour lever les barrières qui limitent cette aide et nous lient les mains. Même s'il faut pour cela revoir des positions des syndicats internationaux qui ont pu sembler valables en temps de paix, mais que les événements de ces dernières années ont obligé à revoir. Si les agresseurs ne respectent pas les traités internationaux et que, dans le même temps, nous imposons des limites à l'aide que nous pouvons apporter, nous laissons le champ libre à l'impérialisme, à la barbarie et au fascisme pour se répandre dans le monde entier".
6- Le rôle de l'ENSU dans cette conférence a été limité mais essentiel. Dès le début, nous avons encouragé les syndicats ukrainiens FPU et KVPU à approcher conjointement la CES et la CEI afin que ces deux organismes internationaux appellent à la participation de tous les syndicats européens. Nous avons été en contact avec les dirigeants internationaux de la FPU et de la KVPU, écoutant et faisant des propositions qui pourraient être utiles pour une large participation internationale. Nous avons adapté notre rythme et nos propositions à ceux acceptés par les syndicats, même si nous savions que les retards dans la prise de la décision finale de tenir la conférence ne facilitaient pas la participation en personne. Nous avons toujours, et à tout moment, essayé de suivre l'idée de "tout avec les syndicats ukrainiens, rien sans eux" et de consultation transparente et permanente sur tous les problèmes et difficultés. Le résultat montre que cette méthode de travail porte ses fruits et aide réellement les syndicats ukrainiens. Elle a également contribué à l'incorporation de l'UGT, syndicat historique de l'Etat espagnol. Savoir prendre notre place d'aide, d'auxiliaire des syndicats, sans chercher à les remplacer, est donc la clé de la poursuite de notre travail. Cela a ouvert une voie de solidarité et de confiance mutuelle entre les responsables syndicaux et l'ENSU, ce qui est un grand atout pour l'avenir.
7- Sur les débats politiques de fond qui doivent être discutés dans chaque syndicat et dans l'ensemble du syndicalisme international, l'ENSU défendra sa position contre les blocs militaires et l'escalade des armes, dans le cadre d'une politique indépendante des différents impérialismes.
Mais cela implique d'exiger des gouvernements qu'ils soutiennent l'envoi gratuit d'armes et de munitions à l'Ukraine, qu'elles soient suffisantes et les plus utiles. L'ENSU doit favoriser la compréhension et l'accord entre les syndicats ukrainiens qui demandent l'adhésion à l'OTAN comme "parapluie de sécurité" et les syndicats d'Europe occidentale qui sont contre l'OTAN, dans le cadre de réalités différentes et contradictoires. En tout état de cause, l'accord commun doit être de soutenir tout ce qui est utile à la victoire de la résistance ukrainienne dans cette guerre de libération nationale et à la défaite de l'impérialisme russe.
8- Une des prochaines étapes du travail syndical international peut être de soutenir les syndicats FPU et KVPU lors de la conférence de reconstruction à Berlin en juin prochain.
A notre avis, une des clés de la victoire et du soutien international est de lutter pour que l'Ukraine devienne dans un avenir proche une république des droits sociaux et humains, loin des politiques oligarchiques et corrompues.
Cela dépend également de la cohésion sociale interne et du retour de la majorité de la population déplacée ou réfugiée dans d'autres pays.Les syndicats ont une place de choix pour faire entendre leur voix lors de cette conférence. Nous leur avons déjà parlé à Kiv après la conférence et ils ont accepté d'en discuter en interne.Comme pour la conférence internationale, tout dépend si les syndicats ukrainiens jugent utile de participer, s'ils le font d'un commun accord et s'ils formulent leurs revendications.S'ils le font, l'ENSU est prête à les aider et à collaborer sur les questions qu'ils souhaitent.En fonction de leur réponse, nous réunirons à nouveau le groupe de travail syndical.
Alfons Bech, 19 mars 2024 (version originale en anglais)
Traduction Deepl.
Illustration : Logo CSI.
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L’intelligence artificielle – Mythes, dangers, désappropriation et résistances
INTRODUCTION AU DOSSIER – Ce n’est pas d’hier que le capitalisme mondialisé développe et s’approprie les techniques et les technologies les plus avancées et productives pour générer plus de capital privé par l’exploitation du travail et par la consommation étendue à l’échelle de l’humanité. Le capitalisme a aussi mis en place des mécanismes de discrimination qui surexploitent les plus dominé·e·s afin de maximiser les profits.
L’intelligence artificielle (IA) fait partie de ce monde capitaliste. Elle est présente dans nos vies depuis quelques décennies sous différentes formes, on n’a ici qu’à penser à la reconnaissance vocale en téléphonie déployée en 1995 par Bell Canada, pionnier mondial dans ce domaine, en éliminant au passage quelques milliers d’emplois occupés principalement par des femmes. Dans cette joyeuse marre aux algorithmes, les enjeux sont de l’ordre de centaines de milliards de dollars.
Jusqu’ici le développement et le déploiement de l’IA se faisaient plutôt discrets dans des centres de recherche enfouis dans les universités, en « partenariat » avec quelques géants de l’univers numérique. On nous en laissait parfois entrevoir quelques applications « innovantes », dans le domaine de la médecine, de l’automobile autonome, de la reconnaissance faciale, etc. Mais cela restait sous la bonne garde des géants de ce monde.
Mais voilà qu’à la fin de 2023 retentit un coup de tonnerre médiatique dans ce merveilleux univers numérique. L’IA générative, qui depuis une bonne décennie était réservée aux entreprises qui pouvaient se la payer, devient accessible à monsieur et madame Tout-le-Monde sous la forme du robot conversationnel ChatGPT.
La nouvelle a fait fureur et elle n’a pas tardé à déclencher de par le monde un déluge de commentaires et de jugements à l’emporte-pièce. Voilà que l’on pouvait, par le biais d’une simple application, disposer des services d’un robot conversationnel apparemment prodigieux capable de générer instantanément une dissertation de qualité sur n’importe quel sujet de son choix dans la langue de sa convenance.
Bien que l’IA générative sous forme de robot conversationnel ne soit qu’une sous-branche des applications de l’IA basée sur l’apprentissage profond – l’IA couvre beaucoup plus large – il n’en fallut pas plus cependant pour que sur les médias sociaux et dans les grands médias institutionnels finisse par s’imposer un nouveau discours hégémonique en la matière, un discours passe-partout et tout puissant, globalement favorable à l’intelligence artificielle de dernière génération ainsi qu’à ses multiples déclinaisons possibles. Cela est présenté comme quelque chose d’inéluctable et d’indispensable à notre vie future, mettant en sourdine ou à la marge, ou encore passant sous silence bien des dimensions problématiques de l’intelligence artificielle[1].
En guise d’introduction à ce dossier sur l’IA, nous voulons déchiffrer cet emballement pour l’IA et montrer ce qu’il y a derrière ce discours devenu si prégnant, en mettant en évidence comment il reste difficile dans nos sociétés contemporaines de faire la part des choses en matière de découvertes ou de progrès scientifiques et techniques, au point de jouer à l’autruche devant une multitude de dangers pourtant des plus inquiétants.
Sur l’idée de progrès
Il faut dire que pendant longtemps, modernité oblige, nous avons été portés – y compris à gauche – à doter le progrès économique et technique d’un indice hautement positif.
Après l’imprimerie en 1450, la machine à vapeur en 1770, le moteur à explosion en 1854, l’électricité en 1870, les technologies de l’information et de la communication dans les années 1970 et aujourd’hui l’intelligence artificielle, nous pourrions facilement imaginer être partie prenante d’une vaste trajectoire historique pleine de promesses, nous délivrant pas à pas de lourdes tutelles pesant sur notre humanité. Comme si, en nous laissant emporter par l’inéluctable passage du temps, le futur allait nécessairement nous offrir un avenir meilleur que le présent ou le passé.
On a tous en tête des images fortes – par exemple dans le dernier film de Sébastien Pilote, Maria Chapdelaine – de l’existence que menaient nos ancêtres à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe dans ce pays de froid et de neige qu’était le Québec. Ils n’avaient ni eau courante ni électricité ni médecin assuré. Pour survivre et pour faire face aux défis d’une nature hostile, il ne leur restait qu’une vie faite de bûchage acharné et de durs travaux agricoles, d’économies et de privations. Au regard de notre vie d’aujourd’hui, qui souhaiterait revenir à de tels temps ?
Bien sûr, il y avait dans ces images trop simplistes quelques signaux contraires, mais nous avons mis longtemps à en tirer les véritables conséquences. Le progrès, en même temps qu’il délivrait l’être humain de bien des fardeaux, apportait son lot d’inquiétudes et de destruction. À preuve cette ombre de la menace nucléaire qui, à partir de 1945, s’est mise à grignoter, comme un sombre présage, les lumières philosophiques de toutes nos humaines interrogations.
Il y avait aussi ceux et celles qui, à gauche, avaient compris que ce progrès était porté par un mode de production particulier – le mode de production et d’échange capitaliste – qui en sapait une grande partie des potentialités positives. Ils voyaient donc dans un système socialiste, où les richesses privées seraient socialisées, le moyen de redonner au progrès humain ses vertus émancipatrices et libératrices.
Pourtant la plupart d’entre eux, en installant cette socialisation dans un futur indéterminé ou en fermant les yeux sur les difficultés de son actualisation, passée comme présente, et en se croyant portés par le vent de l’histoire, tendaient malgré eux à reprendre à leur compte le mythe d’un progrès inéluctable. D’ailleurs, ils étaient devenus si nombreux, si influents, si assurés de l’avenir – quelle que soit la manière dont ils le pensaient – qu’on avait même fini par tous les regrouper sous un même chapeau : le progressisme. Ils étaient, disait-on, des « progressistes » pariant, plein d’optimisme, sur les valeurs de la modernité, sur les avancées assurées et positives de l’histoire[2].
Le « progressisme », que nous le voulions ou non, nous en sommes, à gauche, les héritiers, et l’idée d’un progrès inéluctable se déployant positivement au fil du temps, continue de nous habiter. Et cela, même si l’histoire parait avoir depuis des décennies infirmé une bonne partie de ces prophéties.
En ne débouchant jusqu’à présent sur aucun changement sociétal de fond, sur aucun saut qualitatif, sur aucun « bond de tigre » comme disait Walter Benjamin, les indéniables avancées scientifiques et techniques qui continuent de fleurir à notre époque s’accompagnent de désordres économiques criants, de guerres nouvelles, de malaises sociaux grandissants, de blocages politiques et de contradictions culturelles. D’autant plus qu’aux maux traditionnels de l’exploitation ou de l’inégalité, fruits connus du capitalisme, sont venus se rajouter ceux, passablement inquiétants et longtemps ignorés, d’un productivisme échevelé : des prédations environnementales généralisées et de brutaux changements climatiques posant cette fois-ci, dans un proche avenir, la question même de notre survie comme humanité.
Voir les choses depuis la perspective de l’histoire
En fait, tout – en particulier ce qui touche aux effets des récentes découvertes scientifiques et techniques sur les sociétés humaines – devrait pouvoir être discuté aujourd’hui, se retrouver sur la grande table des débats collectifs, sans peur et en toute liberté.
Les crises multiples et combinées (crises économiques, sociales, politiques, sanitaires, écologiques, géopolitiques) que collectivement nous affrontons aujourd’hui nous le montrent comme jamais : cette trajectoire ascendante du progrès est en train de se déliter, voire de se transformer peu à peu en son contraire. Elle nous oblige brutalement à nous questionner sur le type de vie auquel nous aspirons comme humains, et sur le devenir de l’humanité. S’épanouira-t-elle sous le signe de la liberté ou de l’émancipation, ou au contraire se distordra-t-elle au gré des impasses d’un « désordre établi » maintenu d’une main de fer par les puissants d’aujourd’hui ? Tout des drames grandissants d’aujourd’hui ne nous oblige-t-il pas à voir les choses de loin, à les scruter depuis la perspective de l’histoire ? Il y a plus de 150 ans de cela, un certain Karl Marx rappelait que :
la seule liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature […] et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant un minimum de force et dans les conditions les plus dignes et les plus conformes à la nature humaine. Mais, rappelait-il […] cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté[3].
Cette vision large et prospective de la liberté, envisagée pour l’humanité universelle comme une libération vis-à-vis du temps de travail obligé, c’est là tout un programme dont on est loin de voir l’aboutissement aujourd’hui. Elle reste néanmoins d’une brûlante actualité quand on songe au surgissement dans nos sociétés de l’intelligence artificielle de dernière génération, si on ose s’arrêter à tout ce qu’elle bouscule sur le plan des conditions structurelles, économiques et techniques, favorisant ou non le déploiement possible d’une liberté humaine. Car on touche là, avec ce nouveau type de technologies, à quelque chose de résolument nouveau dont on peine à mesurer les conséquences sur les multiples dimensions de nos vies, travail et loisirs compris.
Il faut dire que les prouesses, dont cette intelligence artificielle est à l’origine, ont de quoi impressionner. La puissance et la rapidité de ses calculs comme les prodigieux résultats que ses algorithmes atteignent en matière de production quasi instantanée de textes conversationnels, d’images et de sons utilisables par tout un chacun, paraissent lui assurer un avenir à tout coup prometteur. Il faut dire aussi que cette capacité à recourir à des masses gigantesques de données numériques et à les trier à la vitesse de l’éclair recèle de potentiels côtés positifs, notamment en termes d’avancées scientifiques, et plus particulièrement ces derniers temps en termes de diagnostics médicaux. À condition cependant que ces machines apprenantes restent étroitement encadrées par des humains, selon des principes et des exigences éthiques et politiques réfléchies et connues de tous et toutes, de manière à pouvoir de part en part contrôler, dans la transparence, tous leurs tenants et aboutissants, leurs effets problématiques ou inattendus et leurs toujours possibles biais et bévues.
Derrière les prouesses des machines apprenantes, une désappropriation généralisée ?
Tel est le problème décisif : l’indéniable attractivité de l’IA l’a dotée d’une aura si séduisante qu’on tend, dans le grand public, à faire l’impasse sur les formidables dangers dont elle est en même temps le véhicule. Car telle qu’elle se présente aujourd’hui (aux mains des tout puissants monopoles que sont les GAFAM), telle qu’elle se déploie dans nos sociétés contemporaines (au sein d’un marché capitaliste néolibéralisé) et telle qu’elle est en train de faire son chemin dans nos vies (au travers d’une surveillance généralisée et d’une utilisation dérégulée de nos données numériques), l’IA risque bien de participer à un vaste mouvement de « désappropriation[4] » de nos vies. Oui, c’est bien cela : nous désapproprier d’une série d’habiletés collectives, de manières de faire, de façons d’être et de penser, de nous organiser socialement et politiquement, de nous éduquer; toutes choses qui étaient jusqu’à présent le propre de notre humanité commune, avec certes les indéniables limitations qu’elles portaient en elles, mais aussi toutes les libertés en germe qu’elles ne cessaient de nous offrir.
L’IA tend à participer à ce mouvement de désappropriation, en remplaçant ces manières de faire et d’être par des machines et des modèles automatisés et interconnectés, au fonctionnement et aux finalités à priori particulièrement opaques. Les voilà en effet aux mains de grands monopoles privés, eux-mêmes fouettés par le jeu d’une concurrence impitoyable et mus par le jeu cruel et impersonnel de l’accumulation infinie du capital. Le tout, en sachant qu’il s’agit de grands monopoles sur lesquels nous n’avons, dans l’état actuel des choses, pratiquement aucun contrôle démocratique, aucun pouvoir de décision citoyen, aucune prise sociale ou individuelle digne de ce nom.
L’IA risque ainsi d’accentuer, d’élargir et de parachever le mouvement de désappropriation que le mode de production capitaliste faisait déjà peser sur la vie des travailleurs et des travailleuses, en touchant cette fois-ci non pas seulement à l’organisation de leur travail ou à l’extorsion d’une survaleur économique, mais en s’immisçant dans, et en bouleversant de part en part les mécanismes d’information, d’organisation, de « gouvernementalité » de la société entière, tout comme d’ailleurs en se donnant les moyens de contrôler plus étroitement la subjectivité de chacun des individus qui la composent. Le tout, en tendant à pousser les sociétés humaines vers la surveillance généralisée, le contrôle bureaucratique systématisé, la fragmentation définitive des liens sociaux et communautaires; à rebrousse-poil de tous les idéaux démocratiques, d’égalité, de liberté, de fraternité et de diversité que tant d’entre nous continuent à poursuivre par le biais de la lutte sociale et politique.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de commencer cette présentation par une mise en perspective autour de la notion de progrès, et surtout, nous avons voulu placer ce dossier sur l’intelligence artificielle de dernière génération sous la forme d’une insistante interrogation dont nous chercherons à éclairer les enjeux sous-jacents : dernière les prouesses des machines apprenantes, ne se cache-t-il pas une désappropriation généralisée ?
Avec l’IA, en effet, l’affaire est plus que sérieuse, mais peut-être pas où on l’imaginerait de prime abord. Ici, il ne faut pas craindre de s’en prendre aux mythes qui circulent à son propos et qui, par exemple, verraient une sorte de grand ordinateur, super-intelligent et doté de conscience, prendre le dessus sur des sociétés humaines entières, un peu comme dans le célèbre film de Stanley Kubrick, 2001 : L’odyssée de l’espace, où l’ordinateur de bord HAL 9000 a pris le contrôle d’un vaisseau spatial malgré tous les efforts contraires de son équipage. Le problème n’est pas là, loin de là. Pourtant, si les peurs qu’une telle dystopie peut faire naitre sont actuellement dénuées de fondement, il reste qu’on a quand même bien des motifs d’être inquiets au regard des développements contemporains de l’IA de dernière génération.
Les véritables dangers de l’IA
Si aujourd’hui, ainsi que le rappelle Chomsky[5], l’IA dans sa forme actuelle est loin encore de pouvoir rivaliser sérieusement avec la versatilité et l’inventivité de l’intelligence humaine, ce qui fait néanmoins problème, c’est la manière dont ces nouvelles machines apprenantes – avec les impressionnants pouvoirs de mise en corrélation qu’elles recèlent – s’insèrent et se déploient dans les pores de nos sociétés déterminées par les logiques de l’accumulation capitaliste; elles-mêmes déjà profondément transformées par le déploiement récent des nouvelles technologies de la communication et de l’information (ordinateur, Internet, téléphones intelligents, réseaux sociaux, etc.).
En ce sens, l’IA n’est qu’un pas de plus, une nouvelle étape qu’on serait en train de franchir, l’expression d’un saut qualitatif effectué dans le nouvel ordonnancement d’un monde globalisé, connecté de part en part et mis systématiquement en réseau grâce aux puissances de l’informatique couplées maintenant à celles de l’intelligence artificielle de dernière génération. Avec une nuance de taille cependant : cet ordonnancement tend, par la course aux profits et aux logiques concurrentielles qui l’animent, par l’opacité et le peu de régulation dont elle est l’objet, à court-circuiter les interventions sociales et collectives pensées depuis le bas, ainsi que les démarches démocratiques et citoyennes et toute perspective émancipatrice touchant aux fins poursuivies par l’implantation de ces nouvelles technologies. Tout au moins si nous ne faisons rien pour empêcher son déploiement actuel, si nous ne faisons rien pour tenter d’en encadrer mieux et plus rigoureusement la mise en place, et plus encore pour imaginer les contours d’un autre monde possible et lutter collectivement pour son avènement : un monde dans lequel les nouvelles technologies seraient au service de l’humanité universelle et non son triste contraire.
C’est la raison pour laquelle nous avons voulu penser ce dossier comme une invitation à l’échange et à la discussion, au débat, mais aussi comme un appel à la résistance et à l’action. L’importance et la nouveauté des dangers encourus, tout comme le contexte sociopolitique difficile dans lequel nous nous trouvons, appellent à combiner des forces, à trouver des alliés, à élaborer des fronts amples pour faire connaître l’ampleur des dangers qui sont devant nous, pour faire de l’intelligence artificielle une question politique cruciale auprès d’un large public.
Le côté inédit de ces dangers nous demande en particulier de réfléchir et de travailler sur la nécessité d’une réglementation immédiate et beaucoup plus stricte que celle, balbutiante, que nous connaissons aujourd’hui. Non pas en imaginant qu’on pourra ainsi facilement et définitivement « civiliser » une technologie aux logiques pernicieuses, mais en nous donnant les moyens de gagner déjà de premières batailles sur ce front, aussi minimes soient-elles au départ, pour pouvoir par la suite aller plus loin et s’interroger en profondeur sur le mode de vie qu’on veut imposer de la sorte ainsi que sur la conception du progrès sous-jacente qui en voile toutes les dimensions problématiques.
Car avec l’intelligence artificielle de dernière génération, voilà soudainement les plus intimes des potentialités intellectuelles et artistiques de l’humanité, ses fondements démocratiques, ses outils professionnels d’information, etc., qui risquent d’être profondément chambardées par les dynamiques d’un technocapitalisme dérégulé auquel nous faisons face aujourd’hui.
Un dossier pour débattre et résister
La nouveauté comme la complexité des dangers et les problèmes entrevus obligent à l’humilité et à la prudence, mais il faut s’y arrêter, prendre connaissance de la situation et voir les possibilités de résistance.
Nous allons d’abord tenter avec André Vincent (Intelligence artificielle 101) d’explorer les constituantes technologiques sur lesquelles repose ce qu’on appelle l’IA. On y explique les apports de chacune des quatre constituantes de ce « réseau de neurones apprenant profondément et générant quelque chose » : les machines, les logiciels, les données et l’argent. Et comment tout cela s’imbrique dans diverses applications dans une foule de domaines d’activités. On y examine aussi les diverses formes d’encadrement de l’IA proposées à ce jour ainsi que leur portée. Un glossaire des principaux termes utilisés en IA complète cet article.
Après ce texte d’introduction à l’IA, la partie du dossier, De quelques bouleversements structurels, veut exposer quelques-uns des dangers et des problèmes les plus évidents qui semblent aujourd’hui sauter aux yeux des spécialistes. Et comme en ce domaine, on est loin de l’unanimité, on verra la richesse et la diversité des points de vue, y compris d’importantes oppositions. En particulier quand il s’agit de nommer et de conceptualiser les bouleversements d’ordre systémique qui s’annoncent à travers le développement de l’économie numérique.
Ainsi Maxime Ouellet (Penser politiquement les mutations du capitalisme à l’ère de l’intelligence artificielle) critique ceux qui ont tendance à amplifier le caractère inédit d’une nouvelle forme de capitalisme induite par l’exploitation des données numériques, et qui oublient d’expliquer comment ces transformations s’inscrivent dans la continuité de dynamiques structurelles plus larges du capitalisme de l’après-guerre. Il insiste sur le fait que le développement capitaliste contemporain s’appuie moins sur la forme marchandise prédictive des algorithmes que sur la valorisation financière d’une nouvelle classe d’actifs intangibles (brevets, droits de propriété intellectuelle, fusions et acquisitions, alliances stratégiques, etc.). Il s’oppose ainsi aux thèses de Jonathan Durand Folco et de Jonathan Martineau (Vers une théorie globale du capitalisme algorithmique) qui cherchent au contraire à montrer que l’on assiste à une mutation importante du capitalisme rendue possible par l’utilisation des algorithmes, une mutation du même type que celle apportée par la révolution industrielle du XIXe siècle. Ils veulent mettre en lumière comment l’algorithme est devenu le nouveau principe structurant qui, tout en prenant appui sur lui, réarticule et dépasse le néolibéralisme financiarisé.
C’est aussi cette thèse que tentent de confirmer Giuliana Facciolli et Jonathan Martineau (Au cœur d’une reconfiguration des relations internationales capitalistes), en critiquant l’approche de Cédric Durand[6] sur le « techno-féodalisme ». Sur la base de cette critique, l’autrice et l’auteur veulent démontrer comment les dynamiques du capitalisme algorithmique permettent de mieux comprendre les phénomènes de la périphérisation de certains espaces du capitalisme mondial et de renouveler la compréhension des rapports de dépendance coloniale entre le Nord (États-Unis et désormais Chine) et le Sud global, se traduisant par de nouvelles formes de dépendance de gouvernementalité algorithmique.
On trouvera aussi dans cette première partie un autre axe révélateur de débat entre, d’une part, les thèses défendues par Philippe de Grosbois (L’intelligence artificielle, une puissance médiocre) et, d’autre part, celles promues par Eric Martin (La privation du monde face à l’accélération technocapitaliste). Alors que le premier insiste sur le fait qu’un travail critique sur l’IA doit éviter de lui attribuer des capacités qu’elle n’a pas (« Il n’y a pas d’intelligence dans l’IA »), le second va à l’inverse montrer comment, sous l’emprise du capitalisme et du machinisme formaté à l’IA, on est en train de passer d’une société aux aspirations « autonomes » à des sociétés « hétéronomes » au sein desquelles le sujet se trouve alors « privé de monde » par un processus de déshumanisation et de « démondanéisation ». Deux approches apparemment aux antipodes l’une de l’autre, mais qui toutes deux cherchent à mieux mesurer – véritable défi – l’impact exact de l’IA sur nos vies : avec d’un côté, de Grosbois minimisant la portée d’une telle technologie et rappelant l’importance de poursuivre les tâches non achevées de déconstruction des systèmes d’oppression patriarcale et raciale, pendant que de l’autre côté, Martin insiste sur la nouveauté et le danger majeur que représente cet « oubli de la société » induit par le déploiement de l’IA.
Dans une tout autre perspective, Myriam Lavoie-Moore (Quelques leçons féministes marxistes pour penser une l’intelligence artificielle autrement) explore certains éléments des théories féministes de la reproduction sociale afin de voir si, à travers elles, on peut envisager une production et un usage de l’IA qui serviraient les activités reproductives sans les asservir aux impératifs de la valorisation. En refusant de rejeter en bloc l’adoption de telles technologies, elle fait cependant apercevoir, au fil de son analyse, certaines des limitations qu’elles comportent, notamment en ce qui concerne le rapport entre le temps de travail obligé et les tâches du « care », d’ordre relationnel.
Dans un deuxième temps cependant, De quelques effets bien concrets, certains auteurs ne manqueront pas de nous ramener à la vie ordinaire en montrant les effets immédiats et bien concrets de l’IA.
Ainsi Dominique Peschard de la Ligue des droits et libertés (Capitalisme de surveillance, intelligence artificielle et droits humains) traite des effets pervers associés d’ores et déjà à l’IA. Il insiste autant sur les activités toxiques qu’elle tend à promouvoir (le discours haineux, le partage non consensuel d’images intimes, etc.) que sur les problèmes de santé (la dépendance aux écrans) qui en résultent, les impacts environnementaux qu’elle induit ou encore la surveillance policière qu’elle renforce.
Le texte de Caroline Quesnel et Benoit Lacoursière de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (L’intelligence artificielle comme lieu de lutte du syndicalisme enseignant) va dans le même sens, mais en insistant, pour le domaine de l’éducation, sur les vertus d’une perspective technocritique permettant de résister au risque de la discrimination algorithmique comme à celui du non-respect des droits d’auteur ou encore aux fraudes grandissantes. Elle et il mettent en lumière la nécessité d’un encadrement plus strict de l’IA et l’importance d’appliquer le principe de précaution à celle-ci.
On retrouve la même approche avec Jérémi Léveillé (L’intelligence artificielle et la fonction publique : clarification et enjeux), cette fois-ci à propos de la fonction publique, en montrant comment l’IA « perpétue plutôt le statu quo, c’est-à-dire la marginalisation et la discrimination de certaines populations selon des critères de genre, de religion, d’ethnicité ou de classe socioéconomique », le tout permettant à l’État d’accroitre la productivité et de diminuer les coûts.
De son côté, Jonathan Martineau (Les temporalités sociales et l’expérience du temps à l’ère du capitalisme algorithmique) fait ressortir les effets très concrets que risque de faire naitre l’IA à propos d’une dimension de notre vie d’humain à laquelle on ne prête pas nécessairement toute l’attention requise : notre façon d’expérimenter le temps. Il montre que le déploiement de l’IA brouille la distinction traditionnelle entre temps de travail et temps de loisirs, mais aussi tend à accélérer tous les rythmes de vie ainsi qu’à nous enfermer dans une vision « présentiste » du temps, c’est-à-dire qui privilégie indûment le moment du présent sur ceux du passé et de l’avenir.
Enfin, dans un troisième temps, De quelques considérations sur l’avenir, Jonathan Durand Folco (Dépasser le capitalisme algorithmique par les communs ? Vers un communisme décroissant technosobre) décrit comment l’IA – dans une société post-capitaliste où la prise en charge des communs serait assumée collectivement et démocratiquement – pourrait être utilisée dans une perspective de technosobriété et de décroissance. Faisant cependant ressortir les multiples inconnues comme les nombreux débats qui sont nés à ce propos, son texte se présente comme un exercice prospectif nous permettant de saisir toute l’ampleur des questions en jeu.
On ne sera donc pas étonné de réaliser que si ne manquent pas les dénonciations et points de vue critiques théoriques comme pratiques, notre dossier ne s’est cependant guère attardé aux formes de lutte à mener. C’est que, nouveauté de la thématique de l’IA, bien peu a encore été élaboré, bien peu a été pensé et mis en pratique de manière systématique à propos des luttes globales à entreprendre à l’encontre des dangers et des dérives de l’IA et de ses multiples applications. Tout reste à faire !
Pourtant les défis que la conjoncture contemporaine a placés devant nous obligent à lier étroitement réflexion et action, et par conséquent à réfléchir en situation, en fonction du contexte où l’on se trouve et qui ouvre ou non à la possibilité d’agir collectivement. On ne peut en effet ne pas tenir compte de la réalité des rapports de force sociopolitiques existants. Mais on ne peut en même temps, ainsi que nous le montre ce dossier sur l’IA, ne pas radicaliser nos interrogations sur le cours du monde, c’est-à-dire oser prendre les choses à la racine et par conséquent pousser la réflexion aussi loin que possible, en toute liberté, en n’hésitant pas à aller à rebrousse-poil de toutes les confortables indifférences de l’heure, pour agir ensemble. Puisse ce dossier nous aider à aller dans cette direction !
Par Flavie Achard, Édouard Lavallière, Pierre Mouterde, André Vincent
NOTES
- Voir à titre d’exemple l’émission spéciale de deux heures de Radio-Canada le 7 décembre 2023, L’intelligence artificielle décodée, <www.youtube.com/watch?v=QFKHd2k_RNE>. ↑
- Sur le plan culturel, la modernité est née quand, dans le cadre d’une conception générale du monde, ont commencé à s’imposer au XVIIIe siècle, à l’encontre des traditionnelles idées d’immuabilité du monde, de divinité, de foi et de fidélité, les idées nouvelles d’histoire, d’humanité, de raison (les sciences) et de liberté. Et au sein du paradigme culturel de la modernité, les progressistes apparaissaient comme ceux qui avaient repris à leur compte l’idée d’une histoire nous conduisant nécessairement vers le progrès. On pourrait avancer qu’il y avait en fait deux grands courants de progressistes : ceux qui imaginaient, notamment aux États-Unis, « la révolution par le progrès » et ceux qui imaginaient, notamment dans l’ex-URSS, « le progrès par la révolution ». ↑
- Karl Marx, Le capital, Livre 3, Paris, Éditions sociales, 1976, chap. 48, p. 742. ↑
- Le terme de « désappropriation » nous semble, dans le cas de l’IA, plus juste que celui de « dépossession » dans le sens où cette désappropriation va bien au-delà du phénomène de l’exploitation par exemple d’un salarié, quand on le dépossède – par l’extorsion d’une plus-value – de la part de valeur qui lui revient à travers son travail. En fait, avec l’IA et ses effets en chaîne, se poursuit et s’accomplit ce mouvement de dépossession en l’élargissant à la société entière et en bousculant les processus cognitifs et émotionnels à partir desquels l’être humain pouvait collectivement et à travers la culture faire preuve d’intelligence – user donc de cette capacité d’unifier le divers – en ayant ainsi les moyens de développer à travers l’histoire un sens de l’innovation inédit. ↑
- « Contrairement à ChatGPT et ses semblables, l’esprit humain n’est pas un volumineux moteur de recherches statistiques en quête de modèles, avalant des centaines de téraoctets de données et extrapolant la réponse la plus probable à une question ou la solution la plus vraisemblable à un problème scientifique. Bien au contraire, l’esprit humain est un système étonnamment efficace et même raffiné qui fonctionne avec de petites quantités d’informations ; il ne cherche pas à déduire des corrélations sommaires à partir de données, mais à élaborer des explications. […] ChatGPT fait preuve de quelque chose de très similaire à la banalité du mal : plagiat, apathie et évitement. Elle reprend les arguments habituels de la littérature dans une sorte de superbe automaticité, refuse de prendre position sur quoi que ce soit, plaide non seulement l’ignorance mais aussi le manque d’intelligence et, en fin de compte, offre une défense du type « je ne fais que suivre les ordres », en rejetant toute responsabilité sur ses créateurs. » Noam Chomsky, New York Times, 8 mars 2023, traduction du site Les Crises, <https://www.les-crises.fr/la-promesse-trompeuse-de-chatgpt-noam-chomsky/>.Voir aussi Hubert Krivine, L’IA peut-elle penser ? Miracle ou mirage de l’intelligence artificielle, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2021, p. 79 : « Comme l’écrit Yan Le Cun, « le fait que le monde soit tridimensionnel, qu’il y ait des objets animés, inanimés, mous, durs, le fait qu’un objet tombe quand on le lâche… les humains apprennent ça par interaction. Et ça, c’est ce qu’on ne sait pas faire avec les ordinateurs. Tant qu’on y arrivera pas, on n’aura pas de machines vraiment intelligentes. » […] Pour Descartes, c’est bien connu, « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; il ne l’est pas pour la machine. Bien des bévues de l’IA résultant de calculs très sophistiqués, doivent être corrigées en y faisant tout simplement appel ». ↑
- Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique, Paris, Zones, 2020. Ce dernier rejoint en partie les thèses de Maxime Ouellet sur l’importance des biens intangibles (brevets, droits de propriété intellectuelle, etc.) au sein du capitalisme contemporain. ↑

Féminicides en Algérie. Rapport sur les meurtres de femmes et de filles 2019-2022

Féminicides en Algérie. Rapport sur les meurtres de femmes et de filles 2019-2022
Par Wiame Awres, Narimene Mouaci Bahi et Lila Bouchenaf
Au moins une femme est assassinée chaque semaine en Algérie.
Elles sont 228, depuis 2019, à avoir succombé à des mauvais traitements récurrents infligés, parfois depuis des décennies, par leur compagnon, ou à une agression du fait d'un inconnu. Leur point commun est d'être ciblées parce que femmes, ou filles. C'est ce mécanisme, et le contexte dans lequel il s'inscrit, que Féminicides Algérie s'est donné pour mission de comprendre, pour mieux le déconstruire. Données statistiques montées en tableaux et graphiques, analyses de cas, pour savoir et inventorier ; propositions et recommandations pour défaire les mailles de ce qui a tout l'air d'un système.
Rapport édité aux Editions Motifs
Liste des féminicides 2023
https://feminicides-dz.com/feminicides/liste-des-feminicides-2023/
Liste des féminicides 2024
https://feminicides-dz.com/feminicides/liste-des-feminicides-2024/
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Problèmes du « capital algorithmique » dans la théorie de la périodisation
Une critique du livre de Durand Folco et Martineau
Cet article est une recension critique du livre Le capital algorithmique de Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco (Écosociété, 2023). Il cherche à mettre en lumière les lacunes du diagnostic proposé par les auteurs concernant une hypothétique fin du néolibéralisme. Durand Folco et Martineau avancent que le régime d’accumulation néolibéral aurait été dépassé par une nouvelle phase désignée comme « le capitalisme algorithmique » à la suite de la crise financière de 2007-2008. Cet article défend plutôt l’idée que les algorithmes s’ajoutent et s’intègrent à la dynamique d’accumulation et aux formes institutionnelles du capitalisme néolibéral. La question de la focale sur la technique, la réification du concept d’algorithme, le manque de consistance avec l’analyse des anciens régimes d’accumulation, une amplification des logiques de pouvoir algorithmiques, le portrait inexact des classes et la thèse de la soi-disant supplantation de la finance par l’accumulation de données sont au nombre des arguments qui militent en faveur du rejet de la thèse du capitalisme algorithmique comme nouvelle phase du capitalisme.
Un article de Nathan Brullemans, candidat à la maîtrise en sociologie (UQAM) et membre du collectif Archives Révolutionnaires

On doit d’abord accueillir avec enthousiasme la parution du livre Le capital algorithmique, co-écrit par Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau. Les auteurs, déjà connus pour leur contribution à la théorie critique québécoise après leurs ouvrages À nous la ville[1] et L’ère du temps[2], nous surprennent maintenant avec une thèse audacieuse portant sur l’affinité élective entre le capitalisme et l’intelligence artificielle (IA). La publication des « deux Jonathan » frappe par son caractère programmatique[3] et ses allures de grand theory. Ils cherchent en effet à établir un programme de recherche qui se réfléchit explicitement comme une « théorie critique des algorithmes[4] ». Ce projet serait l’occasion de construire, comme le précisent les auteurs, « une démarche interdisciplinaire qui vise à comprendre les multiples ramifications de la logique algorithmique, ses dispositifs et sa dimension idéologique[5] ». Dans le sillage de cette bonne vieille dialectique entre théorie et pratique que l’on peut faire remonter à la 11e thèse sur Feuerbach, le but assumé de leur théorie des algorithmes est la transformation sociale dans un horizon émancipateur. En faisant le pari de réfléchir les phénomènes sociaux particuliers à partir du point de vue de la totalité, Martineau et Durand Folco nous invitent à saisir l’explosion inédite de l’intelligence artificielle depuis la dernière décennie comme une partie constitutive des rapports sociaux capitalistes, et du rôle que jouent la science et la technique dans l’élargissement de l’accumulation.
Pour ce faire, ils se proposent de poursuivre le chantier entamé par la théorie critique du capitalisme de surveillance. De ce point de vue, Le capital algorithmique se veut une tentative plus ou moins ouverte de « marxiser » le classique instantané L’âge du capitalisme de surveillance (2018), écrit par Shoshana Zuboff[6]. Reprenant les prémisses de l’autrice sur une base matérialiste, Durand Folco et Martineau évitent les dérives potentiellement complotistes de certains discours sur la « société de surveillance », où le concept de pouvoir devient évanescent, insaisissable, avant d’être renvoyé à une soif irrationnelle du contrôle de la part d’une élite technocratique anonyme. Loin de ce virage conspi que l’on peut déjà faire remonter à certaines thèses de Michel Foucault[7], les chercheurs insistent au contraire sur les impératifs sociaux du développement des technologies algorithmiques, à savoir : le principe de concurrence entre les capitalistes et la quête effrénée de profit qui s’en dégage.
En plus, la méthode matérialiste des auteurs se tient à distance du réductionnisme et ouvre la voie à l’analyse de l’articulation du « capital algorithmique » avec le pouvoir d’État, les différents systèmes de domination (racisme, sexisme, colonialisme) et la crise écologique. À partir de leur position méthodologique et normative qu’ils qualifient de « techno-sobre », Durand Folco et Martineau passent au crible l’avalanche de buzzwords et d’idéologies creuses qui émanent des meilleurs cerveaux de la Silicon Valley. Ces discours apologétiques de l’intelligence artificielle semblent animés d’une même logique : le techno-solutionnisme, soit l’idée selon laquelle tous les problèmes sociaux connaîtraient en fait des réponses techniques. D’après ce corps de doctrines, la crise écologique pourrait par exemple être réglée par la soi-disant bienfaisance de la « dématérialisation de l’économie ». Le marché mondial, nous affirment les disciples de l’IA, se développerait désormais dans l’univers parallèle des clouds et des réseaux de données. Durand Folco et Martineau relèvent que, bien au contraire, l’industrie extractive est au cœur du projet économique des capitalistes de la Big Tech, en sécurisant les minéraux critiques par l’impérialisme et en repoussant éternellement les limites biophysiques de l’extraction. Cela ne va pas sans rappeler que, loin d’un espace propre et éthéré, les centres de données sont des infrastructures colossales, énergivores et polluantes. Toujours très matérielle, l’accumulation ne nous a pas amenés aux portes d’une société pleinement robotisée, annonçant la « fin du travail » ; la génération d’algorithmes commande encore l’exploitation du prolétariat, quand elle ne vampirise pas le temps d’attention de sujets bien réels[8]. La technique n’est pas neutre : elle est mobilisée pour stimuler et reconduire l’accumulation de valeur[9].
Ce parti pris des auteurs est d’autant plus crucial à l’heure où ce ne sont pas que les idéologues de la « quatrième révolution industrielle » du Forum économique mondial qui sont charmés par les promesses de l’IA, mais aussi une certaine gauche qui, sous des figures comme celle d’Aaron Bastani, défend le mirage d’un « fully automated luxury communism », soit l’utopie candide d’une société post-rareté où les forces productives seraient enfin libérées du capitalisme[10]. En ce sens, le duo de théoriciens s’efforce de dénoncer ce qu’ils appellent le « caractère fétiche de l’algorithme ». En calquant le concept de « fétichisme de la marchandise » conçu par Marx dans le premier livre du Capital, Durand Folco et Martineau nous invitent à ne pas confondre le caractère social, qui traverse et constitue les différents gadgets algorithmiques, avec ces objets eux-mêmes[11]. Il faudrait ainsi toujours débusquer les rapports sociaux qui se cachent derrière les algorithmes, plutôt que de leur faire revêtir le manteau anthropomorphique de « l’autonomie ». En tombant dans ce faux-semblant, ce serait la pratique humaine que l’on viendrait ici réifier. Après tout, un algorithme n’est pas « intelligent » comme l’est un esprit humain (ou animal). Dans sa version simplifiée, un algorithme n’est rien d’autre qu’une suite de règles formelles, comme une recette de cuisine[12]. Dans sa version complexe, cet ensemble de fonctions opératoires s’ajuste rétroactivement face aux données qu’il est capable de recueillir.
Problèmes de la périodisation à partir du concept de « capital algorithmique »
Toutefois, Martineau et Durand Folco s’avancent sur une thèse qui semble entrer en tension avec cette prudente critique du fétichisme de l’algorithme. Les auteurs affirment en effet que le « capitalisme algorithmique » formerait ni plus ni moins qu’une nouvelle phase historique du capitalisme. Comme ils le disent eux-mêmes :
Notre hypothèse, loin de la simple poursuite du capitalisme numérique ou du néolibéralisme, encore moins d’un retour vers le futur « néoféodal » [un capitalisme numérique-rentier], est plutôt que nous amorçons la plus récente phase du mode de production capitaliste, le capitalisme algorithmique, qui s’appuie sur, et dépasse, le capitalisme néolibéral.[13]
En parlant en termes de phases, d’étapes ou de régimes d’accumulation, les auteurs s’inscrivent dans une théorie de la périodisation du capitalisme qui — partant de Hilferding, Lénine, Luxemburg et Boukharine — a connu une longue tradition jusqu’à la théorie de la dépendance latino-américaine et les théories marxistes de l’impérialisme des années 1960 et 1970[14]. Si les premières générations de théoriciens et de théoriciennes se focalisaient principalement sur la dynamique endogène de l’accumulation, des contributions plus récentes comme celles de l’École de la régulation et certaines nouvelles approches marxistes ont aussi insisté sur les formes sociales et institutionnelles qui s’y combinent (division du travail, paradigme technologique, formes de l’État et des régulations sociales, etc.)[15]. En se positionnant face à ces différents systèmes, Durand Folco et Martineau avancent une thèse provocatrice : le régime d’accumulation néolibéral (ou « post-fordiste », selon le langage régulationniste) serait maintenant chose du passé. Qu’est-il arrivé de son modèle de travail flexible et précaire, de la puissance des compagnies transnationales, de la soumission des États aux forces du marché, de la financiarisation de l’économie et de sa forme spécifique de division internationale du travail ? Tous ces éléments constitutifs de l’accumulation néolibérale depuis les chocs pétroliers des années 1970 et 1980 seraient tombés en crise après 2007-2008. En empruntant le langage hégélien du Aufhebung, les auteurs nous disent que le néolibéralisme aurait été à la fois supprimé et conservé, dans un « dépassement » qui annonce une logique d’accumulation et de régulation sociale dominée par les algorithmes[16]. Selon eux, l’accumulation du « capital algorithmique » formerait « une réponse à la crise du néolibéralisme, tout en représentant le nouveau cœur du système capitaliste[17] ».
Tableau 1 : Principales différences entre néolibéralisme et capitalisme algorithmique selon Durand Folco et Martineau[18]
Stade du capitalisme | Capitalisme régulé par l’État (fordisme) | Capitalisme néolibéral financiarisé | Capitalisme algorithmique |
Période | ~ 1945-1980 | ~ 1980-2007 | ~ 2007– … |
Forme d’entreprise | Corporation | Entreprise multinationale | Plateforme |
Forme de travail | Travail de masse | Travail flexible | Travail algorithmique |
Moteur(s) d’accumulation | Pétrole, secteur des services | Spéculation financière et immobilière | Données algorithmiques |
Type de capital dominant | Capital industriel | Capital financier | Capital algorithmique |
Marchés prédominants | Biens de masse | Marchés financiers | Marchés prédictifs |
Relations de classes | Managers / cols bleus et cols blancs | Actionnaires / classes moyennes endettées | Overclass ou cloudalist / précariat, travail digital |
Dynamique sociétale dominante | Consumérisme / protection sociale | Mondialisation / privatisation | Datafication / automation |
Logique globale | Logique technocratique | Logique néolibérale | Logique algorithmique |
Forme d’État | État-providence | État néolibéral | État algorithmique |
Notre argument est que cette idée de la fin du néolibéralisme et du début d’un nouveau régime d’accumulation dit « algorithmique » est fortement exagérée : l’importance du secteur des nouvelles technologies n’apporte pour l’instant aucune remise en cause des règles qui forment la dynamique fondamentale de l’accumulation néolibérale. On lui a simplement surajouté l’intelligence artificielle, les algorithmes et les données massives. Mais ici, Martineau et Durand Folco semblent précisément tomber dans ce qu’ils critiquent et se concentrent d’abord sur la dimension technique du procès de travail pour caractériser le régime d’accumulation actuel, plutôt que de se focaliser sur ses aspects sociaux. En commençant par refuser le déterminisme technologique et la réification de l’algorithme, la technologie revient après coup dans leur théorie pour fonder le critère principal d’une nouvelle phase du capitalisme.
De plus, ce portrait d’un capitalisme dirigé par et pour les algorithmes est inadéquat : la structure de classe du néolibéralisme, dominée par le travail informel et précaire, n’apparaît pas ébranlée par l’intervention d’une nouvelle dynamique d’accumulation. En termes de classes sociales, Durand Folco et Martineau nous tracent les contours d’une division du travail dominée par le « travail digital », une « armée de travailleurs du clic » et un prolétariat de plateforme. Sur ce terrain, le duo offre trop peu de statistiques pour appuyer leur démonstration. En attendant cette preuve, c’est encore la force de travail de 2 milliards de personnes qui est captée par l’économie informelle, loin devant l’emploi industriel chiffré à 758 millions (et dont le continent asiatique absorbe à lui seul les deux tiers)[19]. Le travail informel, majoritairement contenu dans le Sud global, accueille une hétérogénéité de situation d’emplois autour d’un trait distinctif : il échappe à la médiation du contrat de travail[20]. Si la littérature montre bien que l’économie informelle n’est pas un parfait synonyme de pauvreté[21], elle avale la majorité des travailleurs pauvres du monde entier. Il s’agit d’un modèle de travail irrégulier, semi-intégré, tâcheronnisé et précaire (parfois subsumé sous du capital, parfois assigné à la subsistance)[22]. Ce dernier ne date pas d’hier, avec la fondation d’Uber en 2009. L’informalité, si elle est inscrite dans l’ADN de l’armée de réserve du capital, a été décuplée avec les grandes thérapies de choc des programmes d’ajustement structurel du FMI dans les années 1980, notamment en Amérique latine[23]. Parallèlement, l’explosion du secteur des services, souvent modelé sur un contrat de travail court et à temps partiel (le fameux « précariat »), a aussi créé dans les pays du Nord une main-d’œuvre corvéable[24].
Pour nous, s’il est possible d’établir une périodisation du capitalisme, ce projet doit prendre comme critère principal les formes sociales dominantes par lesquelles l’accumulation se poursuit. Évidemment, cela ne peut pas se faire sans considérer les éléments matériels (nature, corps humains, technologie, etc.) qui forment les conditions de possibilité de l’accumulation en général. Cependant, régler une périodisation principalement à partir de ces éléments matériels risque de chosifier les rapports sociaux qui les médiatisent. Bien sûr, nous ne pouvons pas nier que l’IA représente une importante source d’investissements et que l’incorporation de ces technologies au procès de production pourrait potentiellement constituer la base d’un modèle original d’exploitation du travail. En revanche, il ne semble pas qu’à l’heure actuelle l’IA soit mobilisée de manière à ce qu’elle augmente significativement le taux d’exploitation ni qu’elle relance systématiquement le modèle d’exploitation sous de nouvelles formes (par exemple : par une modification de la division internationale du travail, l’érection d’un modèle industriel inusité, etc.).
Les équivoques du concept de « capital algorithmique »
De plus, il faut soulever l’équivoque quant aux concepts de capital versus capitalisme algorithmique. Les auteurs n’emploient pas ces notions comme des synonymes. D’un côté, le capital algorithmique renvoie à « une nouvelle façon de produire, d’échanger et d’accumuler de la valeur via l’extraction massive de données, l’exploitation du travail digital et le développement accéléré de machines algorithmiques[25] ». De l’autre, le capitalisme algorithmique réfère à une totalité sociale concrète, un « ordre social institutionnalisé », selon l’expression empruntée à Nancy Fraser, qui ne peut qu’exister en interaction constante avec la nature et le travail de reproduction sociale[26]. Autrement dit, le capital algorithmique serait l’une des composantes — sans doute la principale — d’une structure historique, le capitalisme algorithmique, tout comme le capital financier serait la variable économique centrale de la société néolibérale. Ce diagnostic de la fin du néolibéralisme implique que nos auteurs pourraient prouver :
dans quelle mesure le capital algorithmique devient prédominant à notre époque (par contraste avec le capital financier, industriel ou commercial), et fournir d’autres arguments pour justifier la transition vers un nouveau stade du capitalisme, en précisant le moment et les causes exactes de ce basculement[27].
Dans cette citation, nos auteurs se trompent néanmoins de plan d’analyse. Le concept de « capital algorithmique » ne peut pas être considéré sur le même niveau d’abstraction que celui du capital industriel, commercial ou financier. En fait, la notion de capital algorithmique possède un statut analogue à celle de « capital fossile » forgée par Andreas Malm, où l’expression est surtout heuristique et insiste sur la rencontre entre les éléments matériels du procès de travail avec ses éléments sociaux. Dans d’autres contextes, l’expression de Malm réfère plus simplement aux fractions de la classe capitaliste dont les intérêts matériels sont liés à l’exploitation de combustibles fossiles et à la chaîne de dépendance de l’accumulation face à ce type d’énergie[28]. Selon sa conception plus directement matérielle, le concept de capital fossile désigne justement « l’appropriation de la nature comme substrat matériel de la valeur d’échange[29] ». L’expression de capital algorithmique doit se poser sur ce même niveau de discours (le plan matériel), car il réfère à la combinaison entre le savoir technique et le procès de travail. Il en va de même pour le « capital numérique » que les auteurs associent au couplement de l’ordinateur et de l’accumulation. Cela dit, même avec cet exemple, le capital numérique ne saurait avoir « remplacé » le capital industriel ou financier après l’intégration systématique des ordinateurs aux chaînes de production dans les années 1990. Le capital numérique n’existe qu’à travers les moments de transformations du capital que sont l’industrie, le commerce et la finance.
C’est ainsi que le capital algorithmique (tout comme le capital fossile ou numérique) revêtira en alternance les différentes formes du capital (productif, commercial, financier). Dans la formule générale du capital A–M… P… M’–A’ que l’on peut tirer du livre 2 du Capital[30], l’argent (A) doit se transformer en marchandise (M) qui doit être consommée productivement (P), ce qui veut dire qu’elle doit être couplée à un procès de travail qui exploite le travail vivant, afin de produire une nouvelle marchandise qui possède un incrément de valeur (M’). La vente de cette dernière sur le marché réalisera la plus-value qu’elle contient (A’) et, enfin, une partie de la plus-value devra être réinvestie productivement dans le procès de production[31]. Si telle ou telle entreprise peut se spécialiser dans la sphère de la production, de l’échange ou de la finance (de l’usine, à la banque, en passant par le transport), le capital comme rapport social n’existe que comme totalité, par sa métamorphose entre ces différents moments. Ce principe concerne autant le capital fossile de Shell que le capital algorithmique de Facebook ou d’Apple. La marchandise algorithmique devra tôt ou tard passer par la sphère de la production, puis sous la forme de l’argent, etc.
Donc, si l’expression de « capital algorithmique » a un sens — ce qui est certainement le cas — c’est uniquement quand on la mobilise pour référer à l’aspect technique du procès de travail. Les auteurs négligent précisément ce contrôle des niveaux d’abstraction : le capital algorithmique nous est présenté à la fois comme une composante technique du procès de travail et à la fois comme une « nouvelle forme de capital ». Si l’on reprend l’analogie du capital fossile, on se rend bien compte qu’on ne peut pas dire que le pétrole incarne une « nouvelle forme de production de valeur ». Les forces productives demeurent le support et la voie de conduction de la valeur d’échange.
Il est néanmoins clair que l’usage de données massives (Big data), vendues à des entreprises à des fins de publicités ciblées, décrit un événement inédit dans l’histoire du capitalisme. La question est pourtant de savoir si ce modèle économique correspond à plus qu’une nouvelle source de débouchés. La marchandisation d’aspects de la vie sociale autrefois épargnés ne témoigne pas ipso facto d’une transition de stade. Autrement dit, est-ce que la structure du procès de travail est transformée par la présence de l’algorithme ? Nous reviendrons plus loin sur le cas du travail digital qui ne représente pas selon nous une nouveauté, mais bien la continuité du capitalisme numérique néolibéral.
Une théorie de la périodisation ancrée dans les « conditions générales de production »
Au début de leur chapitre 8, Durand Folco et Martineau affichent déjà leur couleur théorique en précisant qu’ils s’inspirent de la théorie du « capitalisme IA » et du livre Inhuman Power de Nick Dyer-Whiteford, Mikkola Kjøsen et James Steinhoff. Ce groupe d’auteurs insisterait en effet sur :
le rôle déterminant des conditions générales de production dans l’évolution du capitalisme, c’est-à-dire les technologies, institutions et pratiques qui constituent l’environnement dans lequel prend forme la production capitaliste dans un lieu et une époque déterminée, en devenant progressivement les facteurs essentiels communs à toute production. L’énergie, les moyens de transport et de communication, comme les chemins de fer, le téléphone, l’électricité ou l’automobile, sont quelques exemples de conditions générales de production qui ont eu une incidence importante sur les formes de production, de distribution et de consommation au sein du capitalisme.[32]
Les rapports sociaux capitalistes ne se manifestent certainement pas in abstracto. Pour exister concrètement, ils ont besoin d’un ensemble de conditions de possibilités historiques : l’accès à une nature bon marché (cheap nature, selon l’expression de Jason Moore), à des sources de travail gratuit (le travail ménager des femmes, pour commencer), le recours à la violence d’État, la dépossession des producteurs et productrices directes, et à un certain nombre de connaissances techniques que permet la science à un moment déterminé de l’histoire. À la rigueur, les marxistes peu charitables dans leur orthodoxie nous diront que le concept classique de « forces productives » — qui, chez Marx, dépasse largement la simple question des outils et des machines, et englobe autant la nature que le savoir technique[33] — implique déjà analytiquement celui de « conditions de production ». Donc, s’il s’agit de dire que les algorithmes et de nouvelles technologies analogues sont des forces productives ou des conditions de production, il n’y a évidemment aucun problème à les recenser au nombre des facteurs qui sont incorporés dans le procès d’accumulation.
Mais Dyer-Whiteford et consorts ne s’arrêtent pas là : ils caractérisent, tout comme Durand Folco et Martineau, le stade actuel du capitalisme comme étant celui du « AI capitalism ». Ce choix conceptuel frappe néanmoins par son caractère arbitraire. En regardant de près le texte, on s’aperçoit que les régimes d’accumulation précédents décrits par Dyer-Whiteford et ses collègues — 1) la grande industrie, 2) le fordisme, 3) le post-fordisme — ne reçoivent aucune surdétermination conceptuelle en termes technologiques. En effet, seul l’IA fait l’objet d’un traitement analytique différentié où c’est l’aspect technologique qui devient le critère principal de la périodisation. Suivant ce critère, pourquoi le capitalisme de la grande industrie du début du XIXe siècle ne s’appellerait-il pas plutôt « capitalisme vapeur » ou « capitalisme chemin de fer » si les conditions de production sont si déterminantes ? L’invention du train représente assurément une révolution technologique tout à fait inédite aux yeux d’une paysannerie qui avait jusqu’alors parcouru les campagnes des empires européens à pied et en charrette[34].
De la même manière, on pourrait très bien faire l’analyse du fordisme en le décrivant comme le « capitalisme automobile », puisque la marchandise-voiture formait l’un des piliers centraux de l’accumulation du capitalisme de l’entre-deux-guerres. Or, ce qui fait la spécificité historique du fordisme, ce n’est pas tant la forme matérielle des marchandises qu’il produisait, mais sa dynamique sociale d’accumulation (basée sur les fameux « partages de gains de productivité » et l’accès de la classe ouvrière des pays du Nord à la consommation de masse), son rapport à l’intervention de l’État (sous une forme keynésienne) et le capitalisme de monopole qui lie la grande firme à une accumulation nationale, etc.[35] Le fordisme constituait une nouveauté importante par rapport au capitalisme concurrentiel qui était encore au XIXe siècle fortement ancré dans le modèle de la manufacture (basé sur la plus-value absolue), opérant dans des économies avec de forts bassins de population rurale en processus de migration et avec un pouvoir d’État bourgeois non démocratique qui réprimait férocement les organisations ouvrières (interdiction du droit de vote universel, du syndicalisme, etc.). Le prétendu « capitalisme algorithmique » produirait-il une transformation sociale et historique d’une ampleur aussi considérable ? Une révolution nous est-elle discrètement passée sous le nez au tournant de 2007-2008 ? Si l’unique indice est celui de la technologie, on a de sérieuses raisons d’en douter.
En somme, les critères employés par Dyer-Whiteford et consorts pour définir les trois premières étapes du capitalisme sont différents de ceux mobilisés pour décrire la nature de la phase actuelle. Or, si une méthode scientifique se veut cohérente, elle doit utiliser les mêmes critères épistémologiques pour approcher les mêmes phénomènes, ce qui oblige ou bien à reformuler une périodisation du capitalisme à partir de ses éléments techniques (l’une de ses fameuses « conditions générales de production »), ou bien à penser la possible transition du post-fordisme ou du néolibéralisme selon des variables relatives à l’organisation des composantes structurantes du mode de production capitaliste.
La régulation algorithmique : une voie de sortie de la périodisation techniciste ?
Du reste, on peut dire que Durand Folco et Martineau se dissocient de la thèse techniciste de Dyer-Whiteford et consorts, car ils jugent explicitement — et avec raison — que cette dernière ne s’intéresse pas assez aux « dimensions sociales et institutionnelles pour expliquer le passage entre les différents stades du capitalisme[36] ». C’est à ce moment de leur exposé que Durand Folco et Martineau recourent explicitement au concept de régime d’accumulation théorisé par l’École de la régulation (initiée par Michel Aglietta, Robert Boyer et Gérard Destanne de Bernis), concept qui recoupe partiellement celui déjà évoqué d’ordre social institutionnalisé de Nancy Fraser[37]. Le duo d’auteurs précise que la réalité de l’accumulation du capital dépasse largement la technologie, dans la mesure où le fonctionnement d’une économie de marché nécessite des institutions spécifiques, un rapport salarial particulier, des formes de régime monétaire, des systèmes d’innovation, etc.[38] L’argument de Durand Folco et Martineau stipule que les algorithmes seraient incorporés de manière spécifique à ces différentes institutions, formant ce que les chercheurs appellent une « gouvernementalité algorithmique », établissant une discipline par la prédiction du risque[39].
Mais en soulignant la dimension institutionnelle des régimes d’accumulation (ce qui est souhaitable dans un projet de périodisation du capitalisme), les auteurs sont-ils pour autant libérés d’une conception techniciste de la périodisation ? Tout comme avec l’exemple précédent de Dyer-Whiteford, le même problème épistémique persiste : les modes de disciplines attachés aux précédents régimes d’accumulation ne sont jamais décrits à partir de la technologie. Les anciennes logiques de pouvoir sont dites « coloniale, technocratique, néolibérale »… alors que la logique de pouvoir actuel possède ce curieux privilège d’avoir des critères de périodisation ad hoc : elle est une forme de pouvoir social décrit comme un « mode de régulation algorithmique[40] ». Il est clair que la militarisation de la police — en pleine expansion depuis le 11 septembre et les contre-sommets des années 2000 — a reposé sur une intégration de la technologie militaire pour parfaire l’exercice de sa discipline sociale. De manière plus récente, nous voyons aussi l’incorporation d’un certain nombre de gadgets à vocation de contrôle et de surveillance qui fonctionnent à partir d’algorithmes. Par contre, aux yeux de nos auteurs, la technologie militaire pré-IA ne paraît pas digne d’intérêt pour agir comme critère de la périodisation (gaz lacrymogènes, armes d’assauts, bombes nucléaires, etc.)… contrairement à la technologie de répression « intelligente ».
Autrement, il est évident que l’application de la logique algorithmique représente une transformation des relations de pouvoir fondées jadis sur la domination directe. Le modèle classique de l’hégémonie gramscienne, comprise comme la combinaison de la force et du consentement, semble quelque peu inadéquat pour rendre compte de la domination impersonnelle et autorégulée de l’algorithme. Celui-ci se passe bien du moment de la légitimation morale et idéologique. Il procède par conditionnement béhavioral et prédiction des comportements. Toutefois, on peut se questionner sur l’originalité de cette forme de pouvoir que les auteurs voient comme généralisée depuis 2007-2008. Le sociologue Michel Freitag écrivait déjà en 1986 dans son premier volume de Dialectique et société, que le « mode de régulation décisionnel-opérationnel » tend à saper la médiation symbolique et normative dans l’exercice du pouvoir. La discipline sociale serait réduite à un contrôle opéré par des mécanismes automatiques[41]. Freitag associe cette forme de régulation à l’époque « postmoderne », c’est-à-dire grosso modo au capitalisme néolibéral[42]. Les auteurs ne disent pas autre chose quand ils voient en Gilles Deleuze le théoricien précoce de la « société de contrôle ». L’algorithme semble donc le parachèvement des tendances et des formes de pouvoir du néolibéralisme, plutôt qu’une rupture stadiale. Les chercheurs le confessent eux-mêmes lorsqu’ils concèdent du bout des lèvres que la logique d’administration publique algorithmique s’appuie sur les « visées d’efficacité du précédent modèle [néolibéral][43] ».
Finalement, il paraît prématuré, voire téméraire, de dire que les logiques de pouvoir actuelles seraient majoritairement algorithmiques. Le fait que l’État et la police aient de plus en plus recours aux nouvelles technologies ne constitue pas une preuve que la régulation sociale fonctionne principalement à partir d’une logique algorithmique[44]. On ne retrouve pas non plus de démonstrations comme quoi cette forme de régulation sociale serait sui generis ou qu’elle sortirait des sentiers battus du contrôle néolibéral. L’exemple du populisme, présenté comme une expression de la restructuration algorithmique en cours, ne semble pas non plus aller dans le sens de l’argument des auteurs[45]. Le récemment élu Javier Milei ira de l’avant avec un agenda néolibéral sur stéroïdes, dans la grande tradition des Tatcher et Reagan de ce monde. En brandissant sa tronçonneuse en plein bain de foule, l’obsession du nouveau président argentin n’est pas la lubrification de l’accumulation algorithmique, mais l’angoisse néolibérale classique : la taille du budget de l’État. Si l’on scrute à la loupe le programme de casse sociale du Rassemblement national en France ou le copinage de Bolsonaro avec les capitalistes du Brésil, on y voit sans doute plus une logique d’État néolibéral vieux jeu qu’une manifestation du pouvoir algorithmique.

Du mirage du capitalisme cognitif au mirage du capitalisme algorithmique : une conception défaillante des classes
Après, Durand Folco et Martineau savent que les usages de l’appareil conceptuel de l’École de la régulation peuvent être très inégaux. C’est le cas du prétendu « capitalisme cognitif », une théorie qui affirme que les mécanismes d’extraction de la survaleur se fonderaient dorénavant sur le monopole du savoir et la captation de connaissance à partir des stratégies de copyrights et de brevetages en tout genre. Promue par des figures comme celle d’Antonio Negri, cette école insiste sur l’existence d’un soi-disant « cognitariat » et même de « communs numériques » (comme quoi le jargon des capitalistes du Big Tech vaut parfois celui de la gauche académique). Cette théorie porte, en plus de son charabia, un regard techno-enthousiaste sur le capitalisme numérique, sans égard aux dispositifs de domination et d’exploitation qui le traversent, comme le notent justement Durand Folco et Martineau[46].
Avec ses communs numériques et son capitalisme « Calinours », Antonio Negri n’en était pas à sa première caricature sociologique. Au début des années 2000, dans son livre Empire, co-écrit avec Michael Hardt, il brossait un portrait lourdement exagéré de la mondialisation, dépeinte comme un phénomène complet d’aplatissement de la compétition entre capitalistes. Les classes dominantes auraient fusionné en une giga-classe capitaliste globale et apatride. La distinction entre centres et périphéries serait rendue caduque dans un monde unipolaire, gouverné par la logique de coopération de l’ultra-impérialisme présagée par Kautsky. Martineau et Durand-Folco ne vont certainement pas aussi loin qu’Hardt et Negri dans la caricature. Leur tableau est plus nuancé, mais ils nous laissent néanmoins miroiter l’image d’une structure de classe dominée par le « travail digital » ou une « armée de travailleurs du clic ». Pour l’instant du moins, il est loin d’être clair que les emplois prolétarisés soient en majorité absorbés par le secteur des plateformes, ou plus largement du numérique. Avec cela, il ne faut pas oublier de préciser qu’une grande partie du secteur numérique a recours à une main-d’œuvre qualifiée, effectuant bien souvent un travail intellectuel grassement rémunéré. Les digital nomads de classe moyenne qui peuplent les auberges de jeunesse de la périphérie ne forment pas exactement une nouvelle classe dangereuse. Comme l’a souligné John Smith dans son livre Imperialism in the 21st century avec l’exemple du iPod 30 GB en 2006, sur les 13 920 employé·e·s d’Apple aux États-Unis, un peu moins de la moitié (6 101 personnes) avaient le statut de « professionnels ». Les fiches de paie de ces derniers comptaient un salaire annuel moyen de 85 000 $, supérieur de plus du deux tiers de la masse salariale moyenne des emplois américains. On ne peut évidemment pas dire une chose pareille des quelque 12 250 prolétaires en Chine qui étaient attaché·e·s à la chaîne de montage pour un salaire moyen de 30 $ par semaine[47].
En forçant le trait, Martineau et Durand Folco citent même, non sans audace, La formation de la classe ouvrière anglaise d’Edward P. Thompson, ouvrage bien connu pour sa conception historiciste des classes. Selon Thompson, les classes sont d’abord des entités vivantes et subjectives, construites à partir des expériences de luttes communes effectuées contre les groupes dominants. Suivant cette idée, nos auteurs déclarent que les « travailleurs du travail digital développent une subjectivité collective dans l’adversité de leurs conditions et dans des luttes visant à améliorer leur sort[48] ». La fable du cognitariat, pourtant critiquée par les auteurs quelques pages auparavant, semble revenir par infraction dans leur théorie du capitalisme algorithmique. Moins historiens que Thompson sur cette question (qui nous livre quand même sa conception de la subjectivité du prolétariat anglais au bout de 900 pages), Durand Folco et Martineau nous doivent encore la démonstration de l’émergence de la conscience de classe des digital workers. En effet, à partir de quelle expérience de lutte concrète les travailleurs et les travailleuses du digital se sont-ils construit une identité de classe participant à une forme plus large de subjectivité collective ? Faire une bonne sociologie marxiste ne peut pas consister à plaquer mécaniquement les concepts classiques sur la réalité contemporaine, qui plus est sans examens de cas.
Les deux auteurs pourraient rétorquer que nous les avons mal lus, car, nuance de taille, ils ne considèrent pas les travailleurs et travailleuses du digital comme le centre du travail algorithmique, mais uniquement l’un de ces quatre « moments », aux côtés du travail industriel, extractif et domestique[49]. On pourrait s’attarder longuement sur la valeur analytique de ce tableau quadriptyque du travail algorithmique. Premier problème, du point de vue de la sociologie des classes, on voit mal où y ranger tous les prolétaires du secteur des services. Sont-ils extérieurs au « capital algorithmique » (alors même que les services offrent à ce jour la majorité des emplois prolétarisés dans les pays impérialistes) ? De plus, rien ne garantit que le travail de reproduction sociale soit un maillon automatiquement inscrit dans la chaîne du travail algorithmique ; les prolétaires élevé·e·s aux petits soins de leur mère peuvent très bien aller se vendre à une entreprise du secteur de la construction. Tout travail domestique ne peut donc pas être compté comme un organe du « travail algorithmique ». Ensuite, cette division n’est pas propre à l’intelligence artificielle. Elle existe au moins depuis l’intégration de l’ordinateur à la production. On ne comprend pas alors ce que fait vraiment le capital algorithmique comme type de restructuration des classes, si ce n’est d’augmenter le nombre de travailleuses et de travailleurs du clic. Et encore là, il nous manque les statistiques pour apprécier pleinement l’étendue de cette révolution.
De manière générale, c’est toute l’entreprise de description des classes qui fait fausse route dans Le capital algorithmique. En revenant au tableau 1 (ci-dessus), on peut constater que, selon Durand Folco et Martineau, le conflit de classe du néolibéralisme serait formé de l’opposition entre les « actionnaires » et… « les classes moyennes endettées ». La profonde ambiguïté d’une telle proposition est tributaire de la conception qu’ont nos auteurs des classes moyennes endettées. La notion de classe moyenne au sens de « salarié·e·s ayant accès à la consommation de masse » ne concerne qu’une minorité de personnes à l’international (dans les pays impérialistes essentiellement). L’accumulation néolibérale se nourrit très largement de l’accroissement des inégalités sociales (à l’échelle Nord-Sud, mais aussi à l’intérieur des économies nationales)[50]. Il est utile de rappeler que l’un des traits caractéristiques des délocalisations dans les années 1980 dans les pays du Nord a été l’intégration des classes populaires au travail manuel, souvent pénible, du secteur des services. Qui sait, peut-être qu’un travailleur ou une travailleuse chez McDonald’s ou Tim Hortons constitue une forme de « classe moyenne » aux yeux de Durand Folco et Martineau ? Après, il est évident que les classes moyennes sont endettées sous le néolibéralisme, mais comme le sont les ménages des classes populaires. Certes, la catégorisation n’a que des prétentions schématiques et idéals typiques, ce que ne manquent pas de rappeler explicitement les auteurs[51]. N’empêche qu’un idéal-type, comme instrument de connaissance, doit être capable de livrer le portrait le plus fidèle possible de la réalité étudiée. Sans quoi, plutôt que de jeter de la clarté sur le réel, il aura la fâcheuse conséquence de l’embrouiller davantage.
Un autre exemple de l’incapacité de l’ouvrage à traduire de manière réaliste le conflit de classe se présente lorsque Martineau et Durand Folco nous disent que le régime d’accumulation algorithmique se structure autour de l’opposition entre les prétendus « cloudalist » — les capitalistes du cloud, soit Elon Musk et sa bande de technophiles — et le précariat / le travail digital. Les deux Jonathan suggèrent-ils donc, à l’instar de Guy Standing (ancien président de l’Organisation internationale du travail), que le précariat serait une invention de la crise de 2007-2008[52] ? Les classes moyennes auraient croulé sous le poids de l’endettement, avant de tomber dans les rangs du précariat après la crise des subprimes[53]? Cette idée est irrecevable lorsqu’on se penche sur le fait que le néolibéralisme s’est, dès son origine, structuré autour de la fluidification du contrat de travail[54], cette « médiation formelle » entre le capital et le travail selon l’expression de Marx[55]. Le diktat du néolibéralisme est celui du « hire and fire » (« engager et renvoyer »). Ce phénomène de la précarité a été d’autant plus aggravé avec le phénomène des délocalisations qui permet de coupler des capitaux hautement productifs à une armée de réserve abondante[56]. Rappelons qu’avec un réservoir rural de prolétaires en puissance de près d’un demi-milliard de personnes en Chine et d’un milliard en Inde, la hausse des salaires fait face à d’importantes contre-tendances[57]. L’armée de réserve des pays du Sud — composée du travail informel, flexible et précaire — est une camisole de force qui maintient à la baisse le coût de reproduction de la force de travail. L’intégration des formations sociales précapitalistes dans le bassin global des forces de travail depuis la chute de l’URSS, l’entrée de la Chine sur le marché mondial et la soumission de la production agricole de la périphérie aux traités de libre-échange sont des facteurs qui viennent saper la tendance à l’augmentation des salaires que connaissait le fordisme (et sa forte intégration salariale des populations européennes)[58].
Tout compte fait, en l’absence de concepts opératoires et d’éléments empiriques suffisants pour démontrer la transformation de la structure de classe, on doit considérer que le fardeau de la preuve concernant l’existence d’un nouveau stade du capitalisme, algorithmique, demeure dans le camp du tandem Martineau / Durand Folco.

Finance, industrie et algorithmes… quels sont les moteurs de la relance ?
Comme nous l’avons mentionné, pour Durand Folco et Martineau, la crise financière des années 2000 aurait constitué le détonateur de la restructuration algorithmique. Les luttes post-2008 — Occupy, les Indignados et les luttes de la classe ouvrière chinoise et indienne — auraient enfoncé le dernier clou dans le cercueil du néolibéralisme[59]. Très « orthodoxes » sur cette question (ce qui n’est pas forcément une insulte), nos camarades se rapprochent d’Ernest Mandel dans Les ondes longues du développement capitaliste. Ce dernier y avance que les restructurations n’interviennent qu’après une période de crise économique majeure, ce qu’il appelle le « retournement d’une onde longue ». Les causes de la crise sont selon lui internes aux paramètres d’accumulation d’un ordre productif donné, mais la reprise de l’économie n’est quant à elle jamais garantie. Pour ça, tout un ensemble de stratégies doit être déployé afin que la machine économique redémarre. Comme le précise Michel Husson :
L’un des points importants de la théorie des ondes longues est de rompre la symétrie des retournements : le passage de la phase expansive à la phase dépressive est « endogène », en ce sens qu’il résulte du jeu des mécanismes internes du système. Le passage de la phase dépressive à la phase expansive est au contraire exogène, non automatique, et suppose une reconfiguration de l’environnement social et institutionnel. L’idée clé est ici que le passage à la phase expansive n’est pas donné d’avance et qu’il faut reconstituer un nouvel « ordre productif »[60].
Autrement dit, les changements d’ordre productif sont toujours des potentialités offertes par les crises, jamais leurs conséquences mécaniques. Le fait que 2007-2008 soit bel et bien une crise économique ne pourrait donc pas ipso facto former une preuve de l’émergence d’un nouvel ordre productif. Ensuite, comme nos théoriciens, Mandel avance que les changements de paradigme d’accumulation sont mobilisés par les capitalistes pour contourner l’insubordination ouvrière[61]. Diverses stratégies peuvent être déployées pour casser les conditions de cette conscience commune. Mandel relève par exemple la question des révolutions technologiques qui naîtraient de l’effort conscient de briser la résistance politique du prolétariat à la hausse du taux d’exploitation[62]. La transformation du procès de travail aurait par exemple permis de défaire la solidarité ouvrière internationale après la Deuxième Guerre mondiale, puis pendant la grande période d’insubordination de Mai 68 et des années 1970. Maintenant, on en conviendra, comparer Occupy Wall Street à de tels mouvements est assez fort de café. Jamais l’occupation des places publiques — somme toute très peinardes — n’aura fait trembler les profits des capitalistes (pour ça, il faudra faire plus que des menaces de taxation envers le 1 % le plus fortuné de la population). Mais nos auteurs persistent et signent : « Les machines algorithmiques peuvent à la fois discipliner et déplacer une classe ouvrière trop revendicatrice, et ouvrir des canaux pour l’investissement, et même mener à une réindustrialisation du Nord autour de la production intelligente. »[63]
Les capitalistes rêvent certainement d’une réindustrialisation du Nord, mais Durand Folco et Martineau ont l’air de prendre ces rêves pour des réalités, car ils n’avancent pas de statistiques pour illustrer la réindustrialisation en cours. À en croire les chiffres des pays de l’OCDE, la valeur ajoutée de l’industrie sur le PIB est passée de 26,8 % à 24,6 % entre 1997 et 2007. Cette descente ne s’est pas renversée suivant la crise de 2007-2008, au contraire. En 2021, ce taux était tombé à 21,9 %. Dans la même période, les États-Unis, première puissance impérialiste et grand champion de l’accumulation algorithmique, sont passés de 21,6 % à 17,9 % en termes de valeur ajoutée par l’industrie[64]. La réindustrialisation se fait encore attendre. En cette matière, le « fix » technologique du capital algorithmique est encore bien loin de quelque miracle. Sur l’aspect industriel, Amazon fait cavalier seul, en employant une importante main-d’œuvre dans ses entrepôts du Nord global (et d’ailleurs) – mais la manutention n’est pas non plus une industrie productive de marchandises au sens propre.
S’il semble ainsi exagéré de dire que le capital algorithmique relance « la logique industrielle et de l’automation[65] » à une échelle globale, Durand Folco et Martineau cherchent à nous livrer un ultime indice de la supplantation du néolibéralisme par le capital algorithmique : les plus grandes compagnies cotées en bourse sont les GAFAM[66]. Toutefois, cet indicateur pourrait très bien servir l’argument inverse : puisque la financiarisation de l’économie est un des traits caractéristiques du néolibéralisme, le fait que les Big Techs doivent absolument passer par la finance pour opérer semble plutôt approfondir le modèle néolibéral. Les auteurs tombent ni plus ni moins dans l’hyperbole lorsqu’ils avancent que le capital algorithmique « remplace progressivement la logique d’accumulation financiarisée par une logique algorithmique basée en grande partie sur l’extraction et l’analyse des données[67] ». Faisons abstraction un instant des indications données dans la première section de cette critique à propos de la distinction des niveaux d’analyse entre « capital algorithmique » et les autres formes du capital (industriel, commercial, financier), puisqu’il est clair que les auteurs opèrent ici une fausse opposition entre la finance et les données. Maintenant, posons-nous concrètement la question dans les mêmes termes que ceux des auteurs : les données rapportent-elles plus de profit que la finance ? Une source rapporte que les profits du marché du Big data en 2023 étaient de 77 milliards $ US[68]. Ce chiffre n’est clairement pas insignifiant et témoigne du fait qu’il s’agit sans doute d’un secteur profitable à plusieurs égards. Il demeure néanmoins inférieur au budget de l’État québécois qui gravite quant à lui autour des 115 milliards. À comparer des profits des pétrolières, cela semble être de l’argent de poche.
On ne peut pas non plus considérer que le capital algorithmique soit par nature industriel ou même simplement productif. La finance avait déjà cette réputation d’avoir un fonctionnement improductif, alimentant les spéculations d’un « capitalisme drogué[69] ». Le capital algorithmique s’impose-t-il donc comme un champion de la production ? Les auteurs nous donnent quelques chiffr
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La DUDH : genèse de l’édifice universel des droits humains
La DUDH : genèse de l'édifice universel des droits humains
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
Edouard De Guise, Étudiant à l’Institut d’études politiques de Paris et militant à la LDL La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), adoptée le 10 décembre 1948, constituait à la fois une avancée remarquable dans l’internationalisation de la protection des droits humains et une déception pour celles et ceux qui espéraient y voir un outil juridiquement contraignant pour les États. La DUDH, à son adoption, innovait quant à sa portée et à son envergure. D’abord, sur la forme, aucun texte n’avait prétendu à l’universalité sur la scène internationale avant la DUDH. Il existait alors déjà, dans quelques pays, des déclarations des droits rédigées à la suite des grandes révolutions des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces déclarations avaient une prétention à l’universalité mais ne concernaient que les rapports de l’État à l’individu en droit interne. Elles n’étaient souvent pas respectées pour toutes et tous, comme ce fut le cas des personnes autochtones, des femmes, des personnes noires, et de plusieurs autres minorités; elles n’avaient qu’une portée circonscrite à la nation. Il existait également, du côté des organisations civiles, des documents privés qui tentaient de codifier le droit international des droits humains. Ce fut le cas notamment des codifications de l’Institut de droit international en 1929 et de la Ligue des droits de l’Homme en 1936. Ces documents n’étaient cependant pas reconnus par la communauté internationale et ils n’ont pas progressé vers un ordre international de protection des droits humains. Par ailleurs, il y avait des documents qui avaient la forme de la Déclaration sans en avoir l’envergure sur le fond. C’est le cas de la Déclaration du 8 février 1815 du Concert de l’Europe sur l’abolition de la traite esclavagiste. C’est également le cas du Traité de Berlin de 1878, qui contenait une disposition pour protéger les minorités chrétiennes dans l’Empire ottoman. Ces traités, bien qu’ayant une forme juridique ou déclaratoire, étaient bien loin de déclarer des droits pour toutes et tous, ne s’en tenant qu’à un seul enjeu.La genèse
L’idée d’une charte mondiale de protection des droits humains était promue et revendiquée depuis la Crise des années 1930 par des figures intellectuelles de différents milieux, comme les groupes syndicaux, pacifistes, féministes, juifs, chrétiens et libéraux. Dans son discours au Congrès des États-Unis du 6 janvier 1941, le président Franklin Delano Roosevelt lançait le débat sur la protection des droits dans le nouveau régime international qui serait établi à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il espérait alors pousser les États-Unis hors de leur isolationnisme pour soutenir les alliés qui vivaient alors, pour la plupart, sous l’occupation nazie. Il formulait dans ce discours son souhait que soient protégées quatre libertés : la liberté d’expression, la liberté de religion, la liberté de vivre à l’abri du besoin et de la tyrannie. Ces libertés préfigurent l’esprit de la DUDH dans son inclusion au sein d’un même texte de droits civils, politiques, sociaux et économiques.L’échec de la Société des Nations
Un deuxième fait historique a inspiré la forme et le fond de la DUDH : l’échec de la Société des Nations. Malgré sa structure et ses objectifs d’abord politiques et diplomatiques, l’action de la Société des Nations couvrait quatre orientations qui relevaient du droit international des droits humains : le respect des droits des minorités, la protection des réfugiées, l’amélioration des conditions des travailleuses et travailleurs et une justice pénale internationale. Outre ces grandes orientations, on y affirme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, toile de fond de l’organisation pensée par le président Woodrow Wilson. L’action de la Société n’a pas été vaine, puisqu’elle a, notamment, créé le poste de haut commissaire aux réfugiés, qui avait instauré le passeport Nansen, un docu ment de voyage destiné aux apatrides. Il a d’abord servi, en 1922, aux réfugié-e-s du bolchévisme, « contre-révolutionnaires » qui avaient été déclarés apatrides. En 1924, il a ensuite permis aux Arménien-ne-s de fuir le génocide. La Société des Nations a donc joué un rôle important dans la protection de certains groupes et classes de la société.La création de l’Organisation internationale du travail
En matière de protection des travailleuses et travailleurs, la Société avait entre autres présidé à la création de l’Organisation internationale du travail (OIT), plus tard intégrée à l’Organisation des Nations unies (ONU). L’OIT a adopté une série de conventions portant sur les droits des travailleuses et travailleurs, des femmes, des enfants, des migrant-e-s et plus encore. La Déclaration de Philadelphie de 1944, document concernant les buts et objectifs de l’OIT, a même été décrite par plusieurs comme la première déclaration de droits à vocation universelle. Cependant, la Société n’avait pas de régime unique de protection des droits humains, ce que tenteront d’accomplir les architectes du système des Nations unies à l’aune des conséquences des tragédies humaines de la Seconde Guerre mondiale.La rédaction
L’ONU a été créée en 1945 par l’adoption de la Charte des Nations unies à la clôture de la conférence de San Francisco. La Charte faisait suite à la Déclaration des Nations unies, un texte signé par 26 pays alliés en 1942. Cette déclaration constituait alors le premier document international faisant explicitement appel à la protection des droits humains dans leur intégralité à l’échelle internationale. Un comité de rédaction de la DUDH, présidé par Eleanor Roosevelt, a été formé en 1947. Des juristes d’origines diverses avaient été appelés à former ce comité pour poser la première brique dans l’édification d’un nouveau système de protection des droits de la personne. Le comité était épaulé par John Peters Humphrey, professeur de droit à l’Université McGill et premier directeur de la Division des droits de l’homme du Secrétariat général des Nations unies.Un travail collectif
Contrairement aux croyances populaires alimentées par la littérature nationaliste et patriotique, en vogue surtout en France, aux États-Unis et au Canada, la rédaction de la DUDH n’était pas le fruit du travail d’une seule femme ou d’un seul homme extraordinaire. Humphrey avait rédigé la première ébauche du document dans le cadre de ses fonctions au Secrétariat général. Son travail a été repris par René Cassin, juriste français et membre du gouvernement de la France libre pendant l’occupation allemande, qui a notamment milité pour remplacer le terme « international » par le terme « universel » pour que la DUDH ne relève pas exclusivement du champ de compétence étatique. Il a également donné un style déclaratif « à la française » au document. Peng-Chun Chang, universitaire et militant des droits humains en Chine, a insisté pour que la DUDH soit exempte de références religieuses au « Créateur » ou à la « nature », pour qu’elle soit plus inclusive. Les autres membres du Comité de rédaction ont également apporté des précisions et des améliorations au projet de DUDH pour en faire un document qui soit de portée réellement internationale, avec la participation consultative des gouvernements et des ONG. Grâce, entre autres, au soutien des Soviétiques, la DUDH signifiait également, dès son adoption, un élargissement considérable du domaine traditionnel des droits humains aux droits économiques et sociaux, revendication portée principalement par les groupes syndicaux. Ces droits faisaient alors leur toute première apparition dans les textes juridiques internationaux sur un pied d’égalité avec les droits civils et politiques. Toutefois, la balance du pouvoir à l’Assemblée générale de l’ONU était alors favorable aux pays occidentaux, dont certains avaient encore des colonies. On ne retrouve donc pas dans la DUDH le plus important des droits collectifs ; il figure pourtant au premier article des deux Pactes de 19661 mettant en œuvre le projet de la DUDH : le droit des peuples à l’autodétermination.La différence entre le texte de la DUDH et celui des Pactes de 1966 témoigne certainement d’un déplacement du poids diplomatique aux Nations unies depuis l’Occident vers ses anciennes colonies, fruit du mouvement de décolonisation entre la fin des années 1940 et les années 1960.
Vers les Pactes
La forme juridique du texte a créé un litige dès le début de la rédaction de la DUDH, et ce n’était pas leur statut colonial qui alignait les pays. Finalement, certains pays ont préféré que la DUDH ne soit pas contraignante. Au Canada par exemple, le gouvernement a hésité à voter l’adoption de la DUDH, craignant devoir respecter la liberté d’expression ou de religion de certains groupes comme les communistes ou les Témoins de Jéhovah. Humphrey n’aurait convaincu le Cabinet de voter en faveur de l’adoption qu’au dernier vote. Certains pays souhaitaient que la DUDH soit juridiquement contraignante, craignant qu’elle soit adoptée facilement, mais que les Pactes, contraignants, ne le soient pas. Bien que l’histoire n’ait pas matérialisé leurs craintes, le contexte de guerre froide ainsi que les tensions liées à la décolonisation leur ont presque donné raison. Il a donc fallu attendre 18 ans — 28 ans si l’on considère la date de l’entrée en vigueur — pour que soient adoptés des instruments juridiques qui pouvaient assurer la mise en œuvre des objectifs de la DUDH.Les Pactes
Entre la DUDH et les Pactes, plusieurs vagues de décolonisation se sont succédé, marquant un élargissement considérable du nombre de pays à l’Assemblée générale de l’ONU. Cet élargissement a entraîné un changement dans la balance du pouvoir au sein de cette assemblée : les pays en développement avaient maintenant la majorité. L’époque était également marquée par la guerre froide, polarisant la politique mondiale. Ces deux grandes divisions : décolonisation et guerre froide étaient la toile de fond de la création et de la rédaction de l’instrument juridique contraignant qui manquait à la DUDH. C’est dans ces conditions qu’a été déterminée la forme de ce nouvel outil, composé de deux pactes : l’un concernerait les droits civils et politiques, favorisés par l’Occident ; l’autre concernerait les droits sociaux et économiques, promus par le bloc soviétique et les pays en développement. En 1966, la rédaction des Pactes était terminée et la période de ratification pouvait débuter. Les Pactes ne sont entrés en vigueur qu’en 1976. Ils ont par la suite été complétés de protocoles facultatifs d’application ou de précision. Le plus célèbre d’entre eux était celui portant sur l’abolition de la peine de mort, en 1989. Il résultait de plusieurs années de travail militant sur les scènes nationale et internationale. La Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que les deux Pactes constituent ensemble la fondation du régime international de protection des droits humains. On appelle ce corpus de textes la Charte internationale des droits de l’homme. Si les Pactes identifient les obligations des États de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits humains, les dernières décennies nous démontrent que les gouvernements prennent rarement les devants pour les assumer, et quand ils le font, il s’avère que ce sont bien souvent les crises ou les urgences qui dictent leurs actions.- Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
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La participation des parents, un incontournable pour la création d’écoles inclusives
La participation des parents, un incontournable pour la création d’écoles inclusives
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
Jacinthe Jacques Safa Chebbi Coordonnatrices générales à La Troisième Avenue L’école est avant tout le premier palier de la démocratie, où les jeunes acquièrent leurs premières connaissances, compétences et valeurs essentielles pour devenir des citoyens informés et actifs. Elle offre l’occasion de mettre en pratique les principes fondamentaux de la démocratie. Participer activement à la vie démocratique de l’école, étant parent ou jeune élève, peut être un puissant moteur de changement social positif. En s’engageant ainsi, les personnes ont davantage la capacité d’influencer les pratiques contribuant ainsi à façonner une société plus équitable et respectueuse des droits humains. Selon le Code civil du Québec et la Loi sur l’instruction publique1, l’école a le devoir d’instruire, de socialiser et de qualifier les enfants, tout en les rendant aptes à entreprendre et à réussir leurs parcours scolaires. L’école est tenue aussi de réaliser son projet éducatif, en collaboration avec divers acteurs, dont les parents, en siégeant dans des instances décisionnelles comme les conseils d’établissements pour exprimer leurs besoins et participer activement à la vie scolaire. Cette coopération entre l’école et les parents est cruciale pour garantir l’épanouissement éducatif des enfants. Néanmoins, la réalité sur le terrain s’avère souvent plus complexe. Les lieux d’implication et de participation des parents ne sont pas toujours clairement compris pour être accessibles, que ce soit du côté de l’école ou des familles. Pourtant, il est toujours bénéfique pour l’enfant lorsque l’école tient compte de l’expérience des parents dans ses démarches d’intervention. Cette approche favorise un mode de fonctionnement démocratique qui conduit au développement d’une citoyenneté allant au-delà du simple droit à des services de qualité.Les obstacles à la participation des parents à l’école
Selon nos différentes consultations auprès de nos membres parents, les obstacles sont nombreux à la participation au sein de l’école. D’une part, ceux-ci ont souvent l’impression qu’ils ont de la difficulté à entrer en contact avec l’école que ce soit concernant l’accès à l’information ou encore aux personnels scolaires. Dans certains cas, ils ne peuvent même pas accéder physiquement au bâtiment. Pour un parent, la transition de l’espace de la petite enfance (0-5 ans) à l’école primaire représente un changement radical en termes d’accessibilité physique et de relation avec l’institution et son personnel. Souvent, les parents éprouvent des difficultés pour aller au-delà du secrétariat ou de la porte du service de garde, transformant ainsi l’espace-école en un simple comptoir de services qui limite au maximum toute interaction externe. D’autre part, les parents sont souvent confrontés à de nombreux préjugés provenant de l’école, particulièrement lorsqu’il est question d’un parent immigrant. À titre d’exemple, on entend souvent les idées préconçues selon lesquelles les parents seraient peu intéressés par l’éducation de leurs enfants, trop occupés pour s’engager dans la démocratie scolaire de leur école, ou que leur culture les empêcherait de mieux comprendre les valeurs de l’école d’ici, renforçant ainsi une vision biaisée de leurs enfants. Ces préjugés remettent indirectement en question leur capacité à être de bons parents ou simplement de potentiels alliés pour l’école. Bien trop souvent, les interventions des parents à l’école prennent diverses formes, certaines pouvant même revêtir un caractère confrontant. On observe maintes fois des négociations pour définir la répartition des territoires symboliques liés à l’exercice du pouvoir. Les parents se sentent privés d’un sentiment d’appartenance envers l’institution qu’est l’école.« Je suis tout à fait disposée à m’impliquer à l’école, mais il est difficile d’y pénétrer. Les seules invitations semblent limitées à des tâches spécifiques telles que ranger les livres de la bibliothèque ou contribuer à la logistique d’événements ponctuels. Notre implication se réduit alors à des tâches mécaniques simples qui ne demandent pas beaucoup de réflexion, et notre pouvoir est limité à une simple exécution de ces tâches. Dès que nous tentons de nous impliquer dans des rôles où notre champ d’action est plus étendu, les choses deviennent rapidement compliquées, et notre contribution semble soudainement être perçue comme une menace. Je suis convaincue que mes compétences peuvent être mises à contribution de manière plus significative pour aider l’école, audelà de ces tâches ». Diana (nom fictif), parent et membre de nos programmes dans le quartier Montréal-Nord |
Pour des écoles inclusives
La pleine participation des parents à l’école devient d’autant plus importante pour les familles immigrantes, qui représente la plus grande proportion de notre public et une part significative de la population montréalaise ces dernières années. Notons par ailleurs un nombre record d’inscriptions d’élèves issus de l’immigration à Montréal en 20232. Le succès du projet migratoire de ces parents est souvent mesuré par la bonne intégration de leurs enfants et leur réussite scolaire. Toutefois, l’école a de la difficulté à accueillir ces familles et elle a souvent tendance à les garder encore plus à l’écart que celles issues de la société d’accueil. Pourtant, la pleine participation des parents et des jeunes issus des groupes racisés au sein des structures démocratiques de l’école permettrait de construire des ponts entre les différentes cultures et par le fait même contribuer à créer un climat plus inclusif, harmonieux et bienveillant.« Je me souviens d’une occasion où j’ai participé à un événement de chocolat chaud à l’école. Notre mission était de remplir les tasses pour les enfants pendant la pause. Lorsque mes propres enfants m’ont vue là, leurs yeux brillaient d’admiration, et ils étaient ravis de me présenter aux autres enfants. Même les enfants qui se reconnaissaient en moi, voyant en moi une figure de leurs familles, étaient également heureux de voir une personne qui leur ressemblait à l’intérieur de l’école. Ils venaient me parler et me demandaient si j’étais la maman de X ou de quel pays je venais. » Najat (nom fictif), parent et membre de nos programmes dans le quartier Saint-Léonard |
Ouvrir des espaces de dialogue
Dans ce contexte, une intervention spécifique et structurée est nécessaire pour favoriser les liens entre les parents et l’école, deux groupes indispensables. C’est d’ailleurs à la lumière de ces enjeux que notre organisation, La Troisième Avenue, a été fondée en 1974 à l’initiative de parents, devenant ainsi un centre d’expertise en participation citoyenne à l’école au Québec. Notre programme Parents en action pour l’éducation, l’un de nos principaux axes d’action, a été lancé en 1999 dans trois secteurs montréalais à forte population immigrante, soit Cartierville, Petite-Bourgogne et Villeray. Ce programme a été conçu pour renforcer la capacité des mères issues de groupes marginalisés sur le plan économique et social à jouer un rôle actif dans les écoles. Il vise notamment à les aider à exprimer leurs préoccupations face aux réformes majeures du système scolaire des années 19981999 et aux réductions budgétaires qui ont un impact sur les chances de réussite égales pour leurs enfants. À ses débuts, ce projet proposait des visites guidées en autobus scolaire en partenariat avec l’organisme l’Autre Montréal. Ces visites, d’une durée de plusieurs heures, permettaient au groupe de parcourir la ville en se focalisant sur des institutions, des thèmes et des événements de l’histoire de l’éducation à Montréal, avec une perspective critique visant à éclairer le présent en examinant le passé. À travers ces visites et les ateliers qui ont suivi, il est apparu que des discriminations systémiques existaient en termes d’accès à l’éducation et de réussite scolaire, malgré les efforts déployés pour rendre l’enseignement plus démocratique et garantir une plus grande égalité des chances en milieu scolaire. Avec le groupe de 25 mères participantes, une prise de conscience collective s’est développée, conduisant à une volonté de participer activement au sein de ces institutions pour améliorer des situations sociales inégalitaires. Ces femmes ont créé leurs propres espaces pour transformer leur sentiment d’impuissance en une force d’action visant à améliorer les écoles publiques en fonction de leurs préoccupations spécifiques. Au fil des années, elles ont organisé des discussions sur ces enjeux et ont progressivement développé des ressources plus adaptées à leurs besoins en collaboration avec notre organisation pour relever ces défis. Le projet s’est poursuivi ensuite pendant 2 à 3 ans en collaboration avec des organismes communautaires locaux pour promouvoir les visites et les ateliers. Bien que l’activité ait initialement ciblé les parents, elle a également été ouverte au personnel scolaire, aux travailleurs et travailleuses communautaires, ainsi qu’aux résidents et résidentes des quartiers. Au total, environ 400 personnes ont participé dans les quartiers suivants : Cartierville, Côte-des-Neiges, Parc-Extension, Pointe Saint-Charles, Saint-Henri, Saint-Michel, Villeray et Saint-Laurent. Les résultats de ces divers ateliers et conversations ont été analysés en collaboration avec l’Université McGill pour créer, avec la participation des parents, un guide d’éducation populaire intitulé À qui appartient l’école ? Vers un sentiment d’appartenance des parents à l’école3. Cette série d’ateliers se poursuit encore aujourd’hui, avec la participation continue de milliers de parents, soulignant la persistance de la demande et du besoin pour ces activités.En conclusion
Nous sommes convaincues qu’il est précieux, vital et avantageux d’établir la participation des parents à l’école pour avoir une vision intégrée de celle-ci. Cela implique de considérer l’école comme une communauté éducative où tous les acteurs sont des partenaires engagés pour la réussite et l’épanouissement des enfants, nos futurs citoyens, qui leur sont confiés. Cette finalité nécessite une alliance harmonieuse entre les parents et l’école. Cependant, pour permettre cette cohabitation, l’école a également un rôle majeur à jouer. Il est important que l’école informe les parents de leurs droits et responsabilités tout en favorisant un dialogue ouvert avec eux. L’école doit être résolument inclusive et fière de sa diversité pour garantir une éducation inclusive pour l’ensemble des enfants qui la fréquentent. C’est seulement de cette manière que nous pouvons aspirer à une plus grande justice sociale à l’école.- Chapitre III, section 1, article En ligne : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/I-13.3/20010701?langCont=fr#se:36
- En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2005534/record-inscriptions-eleves-immigration-montreal
- En ligne : https://troisiemeavenue.org/appuyer-les-parents/
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Mettre en œuvre des droits : complexification et marginalisation
Mettre en œuvre des droits : complexification et marginalisation
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Sylvie Paquerot, Professeure retraitée, École d’études politiques, Université d’Ottawa, membre du CA de la Fondation Danielle Mitterrand Si la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), en 1948, établit un catalogue des droits humains que la communauté des États est prête à reconnaitre, ce sont les deux Pactes1 entrés en vigueur en 1976 qui introduiront des obligations claires pour les États : respecter, protéger et mettre en œuvre ces droits. Le développement du cadre juridique international des droits humains s’est toutefois fortement complexifié depuis, comme leur mise en œuvre à travers des politiques publiques effectives…Un édifice juridique complexe
D’abord, on s’apercevra très tôt que les obligations générales prévues aux Pactes ne peuvent suffire à la mise en œuvre concrète de l’égalité de personnes appartenant à des groupes ou des catégories historiquement exclues, discriminées ou marginalisées. Parallèlement à l’adoption et à la ratification des deux Pactes, le système onusien amorcera donc un processus de définition et de codification d’obligations plus précises, répondant aux situations spécifiques de ces groupes, qu’il s’agisse de s’attaquer à la discrimination en emploi vécue par les femmes, aux droits des personnes handicapées ou aux conditions particulières des travailleurs migrants, etc. Ces conventions, traités ou mécanismes (rapporteurs spéciaux par exemple) se sont multipliés depuis l’adoption de la DUDH, non seulement à l’échelle internationale mais également au sein des différents systèmes régionaux de protection des droits. Or, cette multiplication des instruments, essentielle à la précision des obligations des États, aura aussi pour effet de rendre plus complexe la compréhension même de la logique des droits humains, universels, inhérents et interdépendants, comme l’a rappelé la conférence de Vienne en 1993. On peut illustrer les conséquences de cette complexité avec le traitement de la question de la violence faite aux femmes, particulièrement la violence conjugale, dont les États ont mis du temps à se sentir responsables, dans la mesure où cette violence n’était pas de leur fait. Il aura fallu la mise en place d’un mécanisme de Rapporteuse spéciale sur la violence faite aux femmes, ses causes et ses conséquences pour que cet enjeu soit considéré comme relevant des droits humains et donc de la responsabilité de l’État de protéger les femmes contre la violence de tiers. Encore aujourd’hui, beaucoup interprètent les instruments visant des groupes ciblés comme donnant des droits spécifiques à ces groupes. Pourtant, il s’agit chaque fois essentiellement, de créer des obligations précises pour les États responsables de la mise en œuvre effective des mêmes droits, ceux du catalogue que constitue la DUDH, auprès des groupes plus vulnérables qui nécessitent des mesures particulières pour atteindre l’égalité. L’exemple le plus récent d’une telle confusion est sans doute le référendum australien, en octobre 2023, visant à inscrire dans la constitution les droits des peuples autochtones dans ce pays, qui a été rejeté. Un argument central des opposants était précisément que cela donnerait « plus de droits » aux Autochtones qu’aux autres citoyen-ne-s. Malheureusement, devant la complexité plus grande d’un système de protection plus développé et mieux précisé, les États ont en quelque sorte « oublié » leur obligation de promotion et négligé l’importance de l’éducation aux droits. En effet, combien, parmi les personnes qui liront ce texte, peuvent dire qu’elles ont bénéficié d’une formation aux droits humains dans leur parcours scolaire obligatoire ? Comment peut-on sérieusement penser « promouvoir le respect universel des droits » tel que le stipule la Charte des Nations unies, sans savoir et comprendre vraiment ce qu’ils sont ?De la société de droit à la société de marché
Mais si l’édifice juridique des droits humains s’est complexifié, leur mise en œuvre, elle, est devenue de plus en plus aléatoire sur le plan politique avec l’évolution des fondements et des valeurs de nos sociétés. C’est ici une contradiction fondamentale à laquelle nous faisons face : pour être revendiqués et mis en œuvre, les droits ont besoin d’une société de droit où le droit régule les rapports sociaux, et non la force ou la violence… et nos sociétés, à bien des égards, n’en ont plus que le nom. La société de marché, mise de l’avant dans les années 1980 par Ronald Reagan (États Unis) et Margaret Thatcher (Grande Bretagne), s’est déployée largement, jusqu’à imprimer dans nos têtes l’idée que le marché, et non le droit, allait assurer des rapports sociaux apaisés. Dans cette logique, l’objectif principal de l’État néolibéral n’est plus d’assurer l’égalité et les droits de ses citoyen-ne-s, mais de garantir les conditions de bon fonctionnement du marché et de pallier occasionnellement ses déficiences. L’État n’intervient plus alors qu’en situation de crise ou d’urgence. Pourtant, la mise en œuvre des droits humains exige plutôt des politiques ancrées dans une perspective globale et de long terme. La crise actuelle du logement nous offre une caricature de cette logique. On sait depuis plusieurs années que la situation se dégrade en matière de logement, que nos lois et nos règles ne suffisent plus à assurer l’accès de toutes les personnes à un logement convenable. Cette situation touche une part de plus en plus importante de la population. Elle revêt plusieurs dimensions imbriquées qui ne sont pas apparues du jour au lendemain : entretien du parc locatif, écart coût/revenus, répartition territoriale, accès à la propriété, contenu de l’offre, etc. Pour assurer le droit au logement, l’État devrait donc adopter des politiques structurantes et revoir ses règles en prenant en compte ces différentes facettes du problème, mais sa réponse, pour l’heure, demeure celle d’une société de marché : il manque de logement, augmentons l’offre. Il ne s’agit en aucun cas d’assurer le droit au logement mais bien d’assurer l’équilibre du marché de l’habitation. Les conséquences sur les droits de cette gouvernance par les crises et l’urgence vouée à la protection de la société de marché se donne à voir avec le plus de brutalité dans le domaine des libertés publiques. On assiste en effet à un retour en force de la violence politique et des restrictions aux libertés, y compris dans les pays que l’on considérait jusqu’ici démocratiques : un ministre de l’Intérieur français qui se vante de contrevenir à la Convention européenne de sauvegarde, des manifestations faisant face à une violence policière disproportionnée, ou carrément interdites, etc. ; de plus en plus d’atteintes à ces libertés publiques se voient normalisées et légitimées dans les discours de nos dirigeants. Si la faillite du droit humanitaire est de plus en plus évidente dans les conflits en cours, il faut aussi constater que les États prennent de moins en moins au sérieux leurs obligations en matière de droits humains en temps de paix. Le respect des droits humains n’est plus ni le critère, ni l’objectif de leur action. Ils ont oublié que la DUDH, en son article 28, leur faisait obligation de maintenir « un ordre tel que les droits et libertés puissent y trouver plein effet ». En terminant, il apparait essentiel de relever un troisième aspect à ces deux dimensions, complexité juridique et contradictions politiques, même si l’espace ne permet pas d’élaborer beaucoup ici : l’enjeu des nouveaux droits. Le droit à l’eau ou le droit à un environnement sain par exemple, dont le statut juridique demeure incertain sur le plan du droit international, obligent à poser la question de l’incomplétude du catalogue originel de la DUDH. Il fut beaucoup question, dans les années 1970, d’une troisième génération de droits et une conférence internationale a même eu lieu au Mexique, à l’initiative de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), pour réfléchir sur le sujet. Le droit à la paix, le droit au développement, le droit au patrimoine de l’humanité, le droit à l’environnement, entre autres, y ont été abondamment discutés. Ces enjeux, fondamentaux, doivent-ils être considérés au titre des droits humains, ou en tant que conditions nécessaires à la réalisation des droits ? Tout en reconnaissant l'importance de ces enjeux pour la réalisation des droits humains, plusieurs considèrent que les reconnaitre en tant que droits entrainerait une complexité encore plus grande puisqu’on ne peut leur appliquer la logique à la base de tout droit qui exige en miroir l’identification d’un détenteur de l’obligation : right holder/duty holder. Or en matière de droit au développement, de droit à un environnement sain, de paix, etc., qui est le détenteur du droit ? Qui est le détenteur de l’obligation ? C’est peut être encore ici dans l’article 28 de la DUDH que nous pourrions trouver l’amorce d’un raisonnement propre à intégrer ces enjeux dans l’agenda des droits humains : un ordre tel que les droits et libertés puissent trouver plein effet exige un environnement sain, le développement, la paix, etc. Les droits de l’homme ne sont pas une politique écrivait en son temps Marcel Gauchet. Mais les droits humains doivent impérativement servir de boussole et d’horizon politique puisque seule la communauté politique est à même de garantir des droits.1) Les deux Pactes sont : le Pacte international des droits civils et politiques (PIDCP) avec le Comité des droits de l’homme chargé de son application et le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) avec le Comité des droits économiques, sociaux et culturels.
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« Les conditions dans lesquelles nous travaillons sont celles des patients »

L’écoféminisme et ses rapport avec l’écosocialisme

Dans le cadre de la rencontre organisée par Révolution écosocialiste sur le thème "L'ÉCOFÉMINISME NÉCESSAIRE À L'ÉCOSOCIALISME, Élisabeth Germain et Lucie Mayer nous entretiennent de la réalité de l'écoféminisme et de ses rapports avec l'écosocialisme.
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Pour l’arrêt des rejets et émissions toxiques de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda

Dans le cadre de la rencontre organisée par Révolution écosocialiste le 16 mars dernier sous le thème "L'ÉCOFÉMINSIME NÉCESSAIRE À L'ÉCOSOCIALISME, Nicole Desgagnés nous a exposé-e-s les luttes que des femmes mènent contre les rejets toxiques de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda.
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Achat local…continuons le combat !

Ça aurait été si simple

La fin de semaine dernière, veille de la Saint-Patrick, je me suis permis, avec la « bénédiction » de quelques amies grévistes, de franchir la porte de la nouvelle bibliothèque Gabrielle-Roy, à Québec, histoire de saisir l'ambiance, prendre quelques photos et l'occasion faisant le larron, emprunter quelques bd, pourquoi pas !
Ainsi donc, j'ai fait quelques étages et oui, c'est joli, ça sent bon, ça brille à pleins feux et l'œuvre magistrale la « Pluie d'or » de Micheline Beauchemin sur fond d'atrium en spirale géante est plus étincelante que jamais. Mais était-ce le fait de revenir après plusieurs longues années d'absence, de devoir gober et digérer un tout nouveau design architectural ou encore de croiser autant de visages inconnus sur les étages, toujours est-il que j'étais plutôt mal à l'aise dans cette atmosphère du samedi un peu surréaliste et fébrile, surtout avec la chorale des commis en grève qui chantaient et dansaient sur un tempo endiablé au dehors.
En réalité, j'étais comme dans un état second et j'errais ici et là avec l'étrange sentiment d'être un étranger dans une bâtisse que je connaissais pourtant depuis sa toute première inauguration en 1983. Et le décor avait beau s'avérer clinquant et ultra moderne, je trouvais que ça manquait de chaleur et d'humanité. Il manquait, notamment derrière les comptoirs, cet accueil si chaleureux des Cléo, Robert et Stéphanie alors que dans les autres secteurs, c'était la présence à la fois rassurante et constante des Marie-Josée, Joanne et Nathalie qui faisait défaut. Des employées celles-là, très professionnelles et toujours prêtes à se déplacer pour dépanner un itinérant à l'ordi, une immigrante perdue, un habitué en mal de jaser ou une maman dépassée.
Qui plus est, il manquait cruellement aussi de cette connexion si spéciale usagers-ères/personnel qui fait que c'est si bon, « normalement », de fréquenter Gabrielle-Roy et les autres succursales de la ville de Québec. Un aspect « grande famille élargie » d'ailleurs qui faisait dire à l'humoriste Michel Mpambara, au temps de ses premières années à Québec, que la bibliothèque Gabrielle-Roy avait été et de de loin son lieu d'apprentissage préféré comme immigrant nouvellement arrivé du Rwanda dans les années 90.
Plus tard, en regardant des gamines évoluer devant les rayonnages pour enfants avec l'aisance et la gravité qui leur est propre, je me suis dit qu'il y avait finalement quelque chose de profondément absurde dans cette situation de grève forcée. Ainsi, après avoir dépensé autant d'argent pour la réfection de l'établissement (quelque 45 M $), comment avait-on pu oublier d'offrir l'argent nécessaire pour renouveler de façon décente une convention collective échue depuis 2022 ? Ça aurait été si simple, me semble, de prévoir l'argent nécessaire pour offrir un taux horaire d'entrée plus convenable, des conditions de travail moins précaires, un rattrapage salarial décent. Si simple, oui.
Cela dit, l'argent ne pousse pas dans les arbres, on le sait, mais j'espère seulement qu'on va allumer à temps du côté de l'Institut Canadien de Québec (organisme gérant) parce que ce serait tellement dommage de perdre à jamais l'inestimable capital humain représenté par les 240 employés-es des bibliothèques en grève.
Tellement dommage … et inutile.
Gilles Simard, bédéphile et usager depuis 1983.
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Libérez Boris Kagarlitsky et les autres prisonniers politiques russes opposés à la guerre

Pourquoi cette pétition est importante
Lancée par Boris Kagarlitsky International Solidarity Campaign
Nous, soussignés, avons été profondément choqués d' apprendre que le 13 février, Boris Kagarlitsky (65 ans), intellectuel socialiste russe de premier plan et militant anti-guerre, a été condamné à cinq ans de prison.
Kagarlitsky a été arrêté en juillet de l'année dernière sous l'accusation absurde de « justifier le terrorisme ». Après une campagne mondiale reflétant sa réputation internationale d'écrivain et de critique du capitalisme et de l'impérialisme, son procès s'est achevé le 12 décembre par un verdict de culpabilité et une amende de 609 000 roubles ($EU 6550.
L'accusation a alors fait appel de l'amende, la jugeant « injuste en raison de sa clémence excessive » et affirmant faussement que Kagarlitsky n'était pas en mesure de payer l'amende et qu'il n'avait pas coopéré avec le tribunal. En réalité, il avait payé l'intégralité de l'amende et fourni au tribunal tout ce qu'il demandait. Le 13 février, une cour d'appel militaire l'a condamné à cinq ans de prison et lui a interdit de gérer un site web pendant les deux années suivant sa libération.
L'annulation de la décision initiale du tribunal est une insulte délibérée aux milliers de militants, d'universitaires et d'artistes du monde entier qui respectent Boris Kagarlitsky et ont participé à la campagne mondiale pour sa libération. L'article de la loi russe utilisé contre Kagarlitsky interdit effectivement la liberté d'expression. La décision de remplacer l'amende par une peine d'emprisonnement a été prise sous un prétexte tout à fait fallacieux. Il ne fait aucun doute que l'action du tribunal représente une tentative de faire taire les critiques dans la Fédération de Russie concernant la guerre menée par le gouvernement en Ukraine, qui transforme le pays en prison.
Le simulacre de procès de Kagarlitsky est le dernier acte d'une vague de répression brutale contre les mouvements de gauche en Russie. Les organisations qui ont toujours critiqué l'impérialisme, occidental ou autre, sont désormais directement attaquées et nombre d'entre elles sont interdites. Des dizaines de militant.es purgent déjà de longues peines simplement parce qu'ils ou elles sont en désaccord avec les politiques du gouvernement russe et ont le courage de s'exprimer.
Beaucoup sont torturés et soumis à des conditions mettant leur vie en danger dans les colonies pénitentiaires russes, privés de soins médicaux de base. Des personnes politiques de gauche sont contraints de fuir la Russie, en étant l'objet d'accusations criminelles. Les syndicats internationaux tels que IndustriALL et la Fédération internationale des transports sont interdits et tout contact avec eux est passible de longues peines de prison.
Il y a une raison claire à cette répression contre la gauche russe. Le lourd tribut payé à cause de la guerre suscite un mécontentement croissant parmi les masses laborieuses. Les pauvres paient ce massacre de leur vie et de leur bien-être, et l'opposition à la guerre est toujours la plus forte parmi les plus pauvres. La gauche a porté le message et la volonté de dénoncer le lien entre la guerre impérialiste et la souffrance humaine.
Boris Kagarlitsky a réagi à la décision scandaleuse du tribunal avec calme et dignité : "Nous devons juste vivre un peu plus longtemps et survivre à cette période sombre pour notre pays", a-t-il déclaré. La Russie s'approche d'une période de changements et de bouleversements radicaux, et la liberté de Kagarlitsky et d'autres militant.es est une condition pour que ces changements prennent une tournure progressiste.
Nous demandons que Boris Kagarlitsky et l'ensemble des autres prisonnier.es anti- guerre soient libérés immédiatement et sans condition.
Nous appelons également les autorités de la Fédération de Russie à mettre fin à leur répression croissante de la dissidence et à respecter la liberté d'expression et le droit de manifester de leurs citoyen.nes.
Pétition · Change.org Également publié sur https://freeboris.info/ Les signataires qui souhaitent être contactés par la campagne doivent s'inscrire sur ce site.
Principaux signataires (liste restreinte - liste complète disponible ici)
Naomi Klein, writer (Canada)
Jeremy Corbyn MP (UK)
Jean-Luc Mélenchon, political leader (France)
Slavoj Žižek, Birkbeck and Ljubljana Universities (Slovenia)
Tariq Ali, writer (UK)
Yanis Varoufakis, writer and political leader (Greece)
Judy Rebick, feminist writer and activist (Canada)
Mikhail Lobanov, Politician and trade union activist (Russia)
Myriam Bregman, National Deputy (Argentina)
Nicolás del Caño, National Deputy (Argentina)
Christian Castillo, National Deputy (Argentina)
Alejandro Vilca, National Deputy (Argentina)
Fernanda Melchionna, Federal Deputy (Brazil)
Sâmia Bomfim, Federal Deputy (Brazil)
Walden Bello, Focus on the Global South (The Philippines)
Luciana Genro, State Deputy, Rio Grande do Sul (Brazil)
Kavita Krishnan, women's rights activist (India)
Piotr Ostrowski, President of All-Poland Alliance of Trade Unions (Poland)
Bernd Riexinger, Member of the Bundestag (Germany).
Janine Wissler, Member of the Bundestag (Germany).
Gregor Gysi, Member of the Bundestag (Germany).
Dietmar Bartsch, Member of the Bundestag (Germany).
Martin Schirdewan, Member of the European Parliament (Germany).
Richard Boyd-Barrett, TD (Ireland).
Gabriel Nadeau-Dubois, parliamentary leader, Québec Solidaire (Canada)
John McDonnell MP (UK)
Fredric Jameson, Duke University (USA)
Étienne Balibar, Université Paris-Nanterre (France)
Lin Chun, London School of Economics (UK/China)
Kohei Saito, University of Tokyo (Japan)
Claudio Katz, University of Buenos Aires (Argentina)
Luis Bonilla-Molina, Otras Voces en Educación (Venezuela)
Reinaldo Iturriza López, sociologist (Venezuela)
Patrick Bond (University of Johannesburg)
Lindsey German, Stop the War Coalition (UK)
Alex Callinicos, King's College London (UK)
Andrej Hunko, Member of the Bundestag (Germany)
Jodi Dean, Hobart-William Smith (USA)
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Manif à McGill : Solidarité avec Gaza

Plus d'un millier d'ancien.ne.s étudiant.e.s, de professeur.e.s, de membres du personnel et d'autres personnes de McGill signent une lettre ouverte de solidarité avec les étudiant.e.s en grève de la faim et exigent que l'Université coupe ses liens avec les institutions complices du génocide en cours à Gaza et retire ses investissements en soutien à l'apartheid israélien.
*Des ancien.ne.s étudiant.e.s, des professeur.e.s et des membres du personnel exigent que McGill se désengage de l'apartheid israélienne.
*Montréal, 11 mars 2024 -* Alors qu'Israël poursuit ses attaques incessantes contre la population de Gaza, un groupe d'étudiant.e.s de l'Université McGill en est au 22ème jour d'une grève de la faim pour exiger que l'Université coupe ses liens avec les institutions académiques israéliennes et se départisse de ses avoirs auprès des entreprises complices du génocide à Gaza et de l'apartheid israélienne. Jusqu'à présent, les membres de l'administration de l'Université McGill ont refusé de rencontrer les grévistes de la faim ou de prendre au sérieux leurs demandes. Aujourd'hui, plus d'un millier <http://docs.google.com/forms/d/1Hjx...> d'ancien.e.s étudiant.e.s, de professeur.e.s, de membres du personnel et de personnes affiliées à l'Université McGill se sont uni.e.s pour exprimer leur soutien aux grévistes de la faim et à leurs revendications.
« Nous sommes profondément déçu.e.s et dénonçons la réponse dédaigneuse de McGill aux demandes sincères des grévistes de la faim et de l'ensemble de la communauté universitaire », a déclaré Arnold Aberman, un ancien étudiant
en médecine de 1974 qui a signé la lettre.
« McGill doit maintenant faire preuve de la même force morale que celle dont elle a fait preuve contre l'apartheid en Afrique du Sud. Nous exhortons notre université à défendre la justice, à soutenir le mouvement BDS et à couper les liens avec les institutions israéliennes impliquées dans des violations des droits de l'homme. McGill doit faire preuve d'intégrité et agir immédiatement en fonction des valeurs qu'elle professe. »
En 1985, McGill a été la première université canadienne à se désengager de l'apartheid sud-africain, sous la pression des étudiant.e.s.
Le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (« BDS ») est un mouvement non violent mené par la société civile palestinienne, qui appelle à la fin du régime d'apartheid oppressif d'Israël. Le mouvement BDS est guidé par le principe selon lequel les Palestinien.ne.s ont les mêmes droits que tous les autres peuples. Trois universités, en Norvège et au Brésil, ont déjà rompu leurs liens avec des établissements universitaires israéliens complices de violations des droits de l'homme à l'encontre des Palestiniens.
La lettre et les demandes des grévistes de la faim s'inscrivent dans un contexte pénible d'escalade de la violence et de violations des droits de l'homme à Gaza, qui a atteint une ampleur sans précédent au cours des cinq derniers mois. « Chaque jour, nous voyons les horreurs infligées à Gaza par Israël », ajoute une autre signataire, Amelia Philpott, diplômée de la Faculté de droit en 2018. « 250 Palestinien.n.es sont tué.e.s chaque jour. Il y a plus de 30 000 personnes mortes et 13 000 d'entre elles sont des enfants. Soyons clair.e.s : c'est un génocide et l'Université McGill en est complice. »
« Nous voyons des hôpitaux, des universités, des travailleurs et travailleuses de la santé et des universitaires décimé.e.s à Gaza", se désole Amy Darwish, un autre signataire diplômée en Counselling Psychology à McGill en 2005. « Tout cela est aggravé par un siège qui affame la population et que la Cour internationale de justice a jugé illégal. Si McGill se soucie de l'éducation, de la santé mondiale et de l'humanité, il est temps d'agir. Répondez aux demandes des grévistes de la faim. »
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Nos choix énergétiques seront déterminants

Il en coûtera en moyenne au minimum 13,39$ à chaque ménage québécois (qu'il soit riche ou pauvre), année après année, pour subventionner l'électricité que consommera Northvolt. Si on prend en compte les coûts associés à la puissance, ce sera beaucoup plus. Et ce, tous les ans. À perpétuité. Cette subvention récurrente de Monsieur Madame tout le monde s'ajoute aux subventions gouvernementales qui pourraient dépasser 7 milliards de dollars.
Émilie Laurin-Dansereau, conseillère budgétaire à l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) du Nord de Montréal
Jean-Pierre Finet, analyste et porte-parole, Regroupement des organismes environnementaux en énergie
À elle seule, Northvolt occasionnera un effet à la hausse de près de 1% (0.96%) sur la facture de la clientèle d'Hydro-Québec selon les données provisoires de la société d'État recueillies et colligées par l'analyste indépendant en énergie Jean-François Blain. En effet, l'usine de batteries devra s'alimenter à partir d'énergie post patrimoniale. En présumant un coût d'approvisionnement à 10 cents par kilowattheure (kWh) et un prix de vente à 5 cents par kWh au tarif L pour la grande industrie, il en résulte un déficit de 5 cents par kWh qui devra être épongé par l'ensemble de la clientèle, incluant les clients à faible revenus. Considérant une consommation annuelle de près de 3 milliards de kWh à elle seule, Northvolt nous coûtera donc très cher. Les 127 premiers millions de dollars de profits annuels de Northvolt proviendront donc de la clientèle d'Hydro-Québec. C'est d'ailleurs le genre d'information qui serait publique s'il y avait une évaluation environnementale indépendante et des audiences publiques par le BAPE telle que l'ont demandé plus de 180 groupes et signataires.
Qui doit payer pour la transition énergétique et le développement de l'économie ?
La question se pose. Pour le ministre Fitzgibbon, l'usine de batteries Northvolt est un projet phare pour la transition énergétique et pour le développement de l'économie. Pour lui, investir dans Northvolt et la filière batterie équivaut à créer de la richesse collective et à assurer la décarbonation de l'économie. Pourtant, rien n'est moins sûr. Nous n'avons aucune idée de la mesure dans laquelle cette usine de batteries réduira la consommation de pétrole au Québec. De même, nous ne savons toujours pas comment les retombées économiques hypothétiques futures de cette industrie compenseront les subventions initiales du gouvernement et les subventions tarifaires perpétuelles que nous lui accorderons collectivement. Pour l'instant, en l'absence d'études et de comparatifs, la seule chose que l'on puisse conclure, c'est que ce sont, en bonne partie, les ménages qui financent et créent la richesse pour l'industrie.
Décarboner l'économie et promouvoir le développement économique, ce n'est pas la responsabilité des clients d'Hydro-Québec. Le gouvernement s'est déjà trop souvent servi des tarifs d'électricité pour financer ses programmes de développement économique et ses projets environnementaux. Pensons à l'installation de bornes électriques, à l'achat d'électricité provenant d'éoliennes privées ou à l'entente sur la biénergie électricité-gaz signée avec Énergir. Il ne faudrait pas ajouter les coûts de la filière batterie en plus. La réduction des émissions de gaz à effet de serre bénéficie à la société en général et pas seulement aux clients d'Hydro-Québec. La transition énergétique doit donc être financée par l'ensemble de la société et par les grands pollueurs en raison desquels la décarbonation est aujourd'hui nécessaire.
Le premier ministre demande aux Québécois de « changer d'attitude » envers des projets comme Northvolt. Alors qu'un nombre effarant de ménages québécois (1 personne sur 7) peine déjà à payer leurs factures, financer des projets politiques à partir des factures d'électricité est sans contredit régressif. Il serait donc plus judicieux d'effectuer une planification intégrée des ressources énergétiques avant d'octroyer une quantité aussi importante de capacité électrique à l'industrie, de sorte à s'assurer que leur consommation ne se répercute pas sur la facture des consommateurs résidentiels d'électricité. L'utilisation des tarifs d'électricité pour financer la transition fait porter une proportion injuste des coûts de la transition sur les ménages les plus pauvres.
Les choix que nous allons faire dans le domaine de l'énergie seront déterminants pour notre avenir commun. C'est pourquoi ils doivent impliquer toute la population. C'est ensemble que nous devons déterminer ce qu'il convient de faire de nos ressources énergétiques. La justice sociale et climatique doit être au cœur de la lutte contre les changements climatiques. Le moment est maintenant venu de mettre l'économie au service de l'amélioration des conditions de vie de tous et toutes.
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Le budget menteur de la CAQ préparant des lendemains qui déchantent

Au fond du désespoir luitle phare du projet de société tissé de sobriété La lutte du secteur public s'est invitée pour le budget de la CAQ en sorcière maléfique au cœur d'un déficit monté en épingle qui n'a pourtant rien ni de terrible, dixit avec raison le Premier ministre. Celui-ci ne veut pas passer à l'histoire comme le cancre des comptables mais surtout il veut justifier une nouvelle baisse d'impôt avant les prochaines élections comme promis.
Ce déficit n'a non plus rien d'« historique » comme l'a montré un commentateur de droite mais futé de La Presse. Il faudrait en déduire la provision de 1,5 milliard pour les imprévus et ensuite le versement au Fonds des générations de 2,2 milliards. Ce déficit réel de 1.5 % du PIB est bien banal par rapport à ceux de la zone euro et des ÉU. Si ceux canadien et provinciaux sont moindres aujourd'hui, ils ne l'ont pas toujours été depuis le début de ce siècle.
Notre commentateur de La Presse pense que la CAQ a fait une erreur en sousestimant le règlement salarial du secteur public. Je dirais plutôt que telle était sa réelle intention de régler à bon marché pour ne pas dire de briser les reins syndicaux afin de dérouler le tapis rouge aux privatisations sur la base d'une crise incurable de démissions sans recrutement. Le rapport de forces tellement favorable économiquement et politiquement aux mouvement syndical, qui n'a pas su en profiter, a quand même empêché la CAQ de dévaster le secteur public. La CAQ se dit que le match revanche sera préparé par la nouvelle Agence de la santé lentement mise en place et par la continuelle désaffectation de l'école publique par les parents suite à son délitement sans fin mis en évidence par la lutte syndicale du secteur éducation.
Oh ! Philippe Couillard, sors de ce pingre budget au déficit gonflé à bloc
En attendant, la CAQ n'a pas l'intention de perdre son temps. Comme maints mouvements sociaux l'ont souligné, à commencer par l'IRIS et la FTQ, et n'en déplaise à notre commentateur de La Presse qui confond le saupoudrage de bonbons avec « [s]outien additionnel aux personnes démunies, aux logements sociaux, aux services de garde, aux aînés souffrant d'invalidité, aux soins à domicile, aux DPJ », il n'y a rien de significatif pour atténuer les graves crises des services publics, du logement populaire et du transport collectif. Comme le dit l'IRIS, « [é]tant donné l'état actuel des services publics, autant dire que le gouvernement ne fait qu'assurer le minimum requis pour maintenir les services qui sont déjà en très mauvais état. »
Tout suggère que le coup de massue viendra l'an prochain quand la CAQ préparera la prochaine baisse d'impôt. Les agences de cotation y verront qui attendront un plan rigoureux de retour à l'équilibre tel que prescrit par la loi… qui gonfle artificiellement le déficit. De prédire avec justesse l'analyste politique de RadioCanada qui y voit le retour de la rigueur des Libéraux de Philippe Couillard :
Pour résorber le déficit, Eric Girard a entre autres annoncé une hausse de la taxe sur le tabac et une réduction des crédits d'impôt dans le secteur des technologies de l'information. Ces mesures ne représentent toutefois que quelques centaines de millions de dollars, alors qu'on estime la portion structurelle du déficit à 4 milliards. Le plus dur reste donc à faire. Le gouvernement requerra pour 1 milliard de dollars d'"efforts d'optimisation" aux grandes sociétés d'État, mais les modalités de ces efforts restent encore à définir. Hydro-Québec fait partie des entités ciblées, même si l'entreprise est déjà engagée dans un vaste plan de croissance.
On s'en remet pour le reste à un classique de la politique, soit un « examen des dépenses gouvernementales ». L'exercice s'attardera à la fois aux dépenses fiscales pour les particuliers et les entreprises, mais aussi à l'ensemble des dépenses des ministères et des organismes. Aucune cible précise n'a toutefois été annoncée. Pour un gouvernement normalement féru d'indicateurs et de tableaux de bord, cela a de quoi étonner.
C'est précisément au même genre d'exercice que le gouvernement de Philippe Couillard avait convié les Québécois peu après être arrivé au pouvoir en 2014.
Ce retour de l'austérité — pardon de « l'optimisation » — est annoncé noir sur blanc quand est affirmé dans le discours du budget, selon le chroniqueur du Devoir, que « [p]our l'ensemble des dépenses gouvernementales, la hausse moyenne au cours des cinq prochaines années sera de 2,9 %. » ce qui est en-deçà de la hausse nécessaire pour maintenir le niveau actuel de services publics. Y contribuera la baisse des « transferts fédéraux [qui] chuteront de 6 %, soit près de 2 milliards, notamment en raison des changements qu'Ottawa a apportés l'an dernier à la péréquation » en plus d'un refus du fédéral de garantir une pleine compensation pour ses nouveaux programmes de soins dentaires et de médicaments sans compter de ne pas vouloir hausser sa contribution pour la santé. Finalement, l'attrape-mouche médiatique du déficit « record » de 11 milliard $ ne sert que d'« écran de fumée » pour annoncer des lendemains qui déchantent afin que la CAQ, avant même les prochaines élections, puisse renouer avec son populisme distributif, mais non redistributif, mêlant baisse des impôts et chèque-cadeau.
Un déficit mué en surplus à l'ombre du spectre ontarien illusionnant la foule
N'eut été de des baisses passées d'impôt, ce « super-déficit » super boosté se serait mué en super surplus réel dès 2026-2027. Selon une étude de la CSQ, les baisses de taux d'imposition du gouvernement du Québec, depuis 2018, soustraient chaque année plus de 6 milliards $ au revenu fiscal québécois. Or d'analyser l'expert économique de Radio-Canada, le « …déficit structurel [sera] de 4 milliards de dollars à compter de 2026. Une fois de plus, avant le versement au Fonds des générations, le déficit, à partir de 2026-2027, se situe entre 1 et 2 milliards. Et si on exclut la provision pour éventualités, on est à l'équilibre budgétaire. » Que dire de l'évitement fiscal et encore plus de l'évasion fiscale vers les paradis fiscaux. Même la CAQ les prend au sérieux en investissant 76 millions $ pour récupérer 405 M$ sur cinq ans. Ça me semble peu mais mieux que rien pour faire cracher le 1%.
La rengaine caquiste justifiant une telle baisse d'impôt est que le contribuable québécois est plus imposé que celui ontarien. Cette même étude de la CSQ a clairement démontré qu'au net c'est faux une fois pris en compte « les transferts et les aides financières offertes par les gouvernements (soutien et allocations aux enfants, prime au travail, crédit de solidarité et allocations pour travailleurs, etc.) » et plusieurs tarifs moins élevés (transport en commun, électricité, frais de scolarité universitaire, frais de garde). En plus, ces baisses avantagent d'abord les contribuables les plus fortunés par effet inverse de la progressivité.
Par rapport aux provinces canadiennes, en est ainsi amoindrie la « charge fiscale nette » de la fiscalité québécoise en faveur de la contribuable moins fortunée et ayant des enfants à charge. En 2022, la distribution des revenus après impôt et transferts faisait du Québec la moins inégalitaire parmi les provinces canadiennes à l'exception de l'Île-du-Prince-Édouard. Par contre, toujours selon le « Bilan de la fiscalité 2024 » de la Chaire en fiscalité de l'Université de Sherbrooke, au niveau de la structure fiscale par rapport à l'ensemble des provinces canadiennes, le gouvernement du Québec ménage les entreprises et le patrimoine et taxent relativement davantage les particuliers tant pour le revenu, mais avec une échelle plus progressiste comme on l'a constaté, la masse salariale, les cotisations sociales et la consommation, ces trois dernières étant des taxes indirectes régressives. Malgré un poids fiscal québécois global plus lourd que la moyenne canadienne, ce poids est légèrement moindre pour les bénéfices des entreprises et sensiblement moindre pour le patrimoine (la richesse).
Il y a un espace si l'on voit au bout de l'impasse la rupture indépendantiste
Il y a donc un espace pour hausser les deux types d'imposition au Québec. L'éléphant dans la pièce est les ÉU dont les poids fiscaux pour ces deux types d'impôt sont plus bas, surtout pour les bénéfices des entreprises. En est posé le dilemme de l'appartenance canadienne à l'ACEUM (ex-ALÉNA) imposant la fluidité des mouvements de capitaux dans cette zone. La crise de la productivité canadienne, en étonnante baisse depuis 5 ans ce qui angoisse la gent affairiste, provoque et entretient une fuite très marquée de capitaux directs depuis 2014 (voir graphique ci-bas). C'est particulièrement dans la zone ACEUM où il y a eu une inversion des courbes. En résulte que l'enjeu clef est moins une réforme fiscale, pourtant indispensable, dans le cadre d'un libre-échange qui vide le Canada de sa substantifique moelle capitaliste qu'un dégagement de la matrice extractiviste gazière-pétrolière canadienne désertée par les capitaux d'ici et d'ailleurs. Le défi est de le faire sans tomber dans le piège du nouvel extractivisme tout-électrique perpétuant à la moderne la tradition scieur de bois et charrieur d'eau.

Cette rupture indépendantiste libérerait en même temps le peuple québécois du carcan du libre-échange lui permettant de reprendre le contrôle de son épargne nationale en socialisant banques, quasi-banques et banques de l'ombre sous contrôle du 1%. Comme l'histoire du Québec des années 60-70 l'a démontré, la montée indépendantiste rime avec fierté nationale contre l'humiliation nationale, tant fédéraliste qu'autonomiste, ce qui donne au peuple québécois la confiance en soi et l'élan pour accomplir de grandes réformes véhiculées par sa langue nationale. Tel serait le grand chantier de la sobriété énergétique révolutionnant transport, habitat, agriculture, urbanisme, industrie, envers du Projet de la Baie James d'il y a un demi-siècle, rendu possible par la délivrance du carcan financierpétrolier fédéraliste et par le contrôle national et social des flux de capitaux générés par l'économie québécoise lesquels en ce moment prennent le large.
Dans le fouillis de contradictions, la sobriété énergétique fournit le fil d'Ariane
Au lieu de cette perspective, exigeante mais emballante, revivifiant l'espoir vacillant du peuple québécois dans un projet de société, la pingrerie populiste de la CAQ l'enlise dans des contradictions incompréhensibles où une chatte ne saurait retrouver ses petits. Nos infrastructures de toutes sortes tombant en ruines, la CAQ donne la priorité, pour le Programme québécois des infrastructures (PQI), à la rénovation (et prolongement-élargissement) du réseau routier aux dépens du transport en commun. Beau croc-en-jambe aux gouvernements régionaux et aux écologistes. Mais en même temps qu'elle donne la priorité au réseau routier, la CAQ annonce la disparition par étapes des subventions aux véhicules électriques tout en se faisant le chantre de la filière batterie grassement subventionnée comme socle du développement économique du Québec.
Comprenne qui pourra jusqu'à ce qu'on réalise que la baisse continuelle de prix des véhicules électriques et la réglementation gouvernementale des ÉU comme du Canada, sans oublier le bon marché de l'hydro-électricité québécoise comparé à l'essence, feront le travail de la mue électrique de la flotte routière au rythme de la CAQ sans qu'elle se ruine pour un soutien certes populaire mais dont l'efficacité est contestable. Dans une perspective de sobriété, les véhicules à batteries, que ne sont pas ou peu les équipements de transport en commun électrifiés, n'ont une place que marginale comme parc communautaire d'appoint mais nullement comme véhicules privés individuels ou familiaux.
Marc Bonhomme, 17 mars 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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Par crainte des procès pour complicité de génocide : Le Canada, la Suède, l’Australie et l’UE rétablissent l’aide à l’Unrwa

Le procès intenté par le Nicaragua à l'Allemagne devant la Cour internationale de justice (CIJ), pour complicité de « génocide » à Ghaza et dont les audiences auront lieu les 8 et 9 avril prochain à La Haye, fait tache d'huile. Certains pays alliés d'Israël ont suspendu leurs livraisons d'armes alors que d'autres ont annoncé la reprise du financement de l'Unrwa – dont la suspension a aggravé la situation humanitaire chaotique à Ghaza – de peur de se retrouver au banc des accusés pour leur soutien à la guerre génocidaire menée par l'entité sioniste.
Tiré d'El Watan.
Depuis l'annonce par le Nicaragua de la procédure engagée devant la Cour internationale de justice (CIJ), contre Berlin, pour « complicité de génocide », en raison de son soutien politico-militaire à Israël et la suspension du financement de l'Unrwa, la peur de se retrouver sous le coup d'une poursuite pour les mêmes accusations qui pèsent sur Berlin a poussé des pays alliés de l'entité sioniste à revoir leur position.
Dans sa requête introductive d'instance contre l'Allemagne, déposée le 1er mars devant la CIJI, le Nicaragua a accusé l'Allemagne d'avoir « manqué à ses obligations » qui découlent de « la convention sur le génocide, des Conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels, des principes intransgressibles du droit international humanitaire et d'autres normes de droit international général », en territoire occupé de la Palestine, notamment à Ghaza.
Dans son argumentation, le Nicaragua explique qu'en « fournissant un appui politique, financier et militaire à Israël et en cessant de financer l'Unrwa, l'Allemagne facilite la commission de ce génocide et, en tout état de cause, a manqué à son obligation de faire tout son possible pour en prévenir la commission », et termine sa requête en demandant à la CIJ « d'indiquer de toute urgence », dans l'attente de sa décision au fond en l'affaire, des mesures conservatoires en ce qui concerne « la participation de l'Allemagne au génocide plausible en cours et aux violations graves du droit international humanitaire et d'autres normes impératives du droit international général commises dans la bande de Ghaza ».
L'Afrique du Sud lui emboîte le pas, en déposant, six jours après, sa requête devant la même juridiction, demandant « des mesures conservatoires additionnelles » et « une modification » de l'ordonnance du 26 janvier 2024 et de sa décision du 16 février 2024 en l'affaire relative à l'application de la convention sur le génocide.
Pretoria affirme être « contrainte de solliciter de nouveau la Cour à la lumière de faits nouveaux et de l'évolution de la situation à Ghaza, en particulier de la famine généralisée, qui découlent des violations flagrantes de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et des violations manifestes des mesures conservatoires indiquées par la Cour le 26 janvier 2024 que continue de commettre l'Etat d'Israël ».
« Désobéir à la décision de la CIJ »
De nombreux experts du droit international ont sévèrement critiqué la décision de plusieurs pays de suspendre l'aide financière accordée à l'Unrwa, qui continue en dépit de la violente campagne dirigée contre elle par Israël, à aider les rescapés des bombardements sans discernement, à survivre à la situation humanitaire désastreuse grâce aux aides qu'elle apporte.
Privés d'eau, de nourritures, de soins, d'électricité, de carburant etc., la population qui échappe miraculeusement aux bombardements, est résignée à choisir entre la déportation forcée ou la mort par la famine, la malnutrition ou les maladies.
Suspendre l'aide à l'Unrwa dans un tel contexte constitue, au vu de nombreux spécialistes du droit international, une complicité dans le génocide que commet Israël. Cette décision a été prise, juste après la sentence de la CIJ contre Israël, liée au procès qui lui a été intenté par l'Afrique du Sud, pour génocide.
Les Etats-Unis, puissant allié de l'entité sioniste, ont tout de suite annoncé avoir cessé de financer l'Unrwa, en raison des accusations d'Israël (sans preuves à ce jour), contre 12 fonctionnaires de l'Unrwa, (sur les 13 000 qui travaillent) relatives à leur prétendue participation aux attaques du 7 octobre.
Sept pays lui ont emboîté le pas : le Canada, le Royaume-Uni, l'Australie, la Finlande, la France, l'Italie, l'Allemagne. Un coup dur pour l'Unrwa, à travers elle, aux Palestiniens de Ghaza, livrés à la guerre exterminatrice, à la famine et aux maladies.
Rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanes déclare, dans un post sur son compte X (anciennement Twitter) : « Le lendemain de la décision de la CIJ statuant qu'Israël commet plausiblement un génocide à Ghaza, certains Etats ont décidé de suspendre les financements de l'Unrwa, punissant collectivement des millions de Palestiniens à un moment des plus critiques, et violant ainsi très probablement les obligations qui leur incombent en vertu de la convention sur le génocide », et ajoute : « Cette décision revient donc à désobéir ouvertement à l'ordre de la CIJ. »
Pour elle, « la suspension du financement de l'agence la plus vitale à Ghaza, où la CIJ a constaté un risque plausible de génocide non seulement en raison des opérations militaires d'Israël, mais aussi de la situation humanitaire catastrophique qu'il a créée, ne fait qu'aggraver la détérioration des conditions de vie de la population palestinienne ».
« Cette décision ainsi que le soutien continu apporté à Israël, notamment en matière d'assistance militaire, favorisent le génocide à Ghaza, sans rien faire pour l'empêcher », souligne-telle.
Albanes rappelle que la Cour a ordonné de « permettre une aide humanitaire efficace pour les habitants de Ghaza », de ce fait, poursuit-elle, « suspendre le financement de l'Unrwa revient donc à désobéir ouvertement à l'ordre de la CIJ ». La rapporteuse onusienne va plus loin, en mettant en garde les pays concernés.
« C'est une décision qui entraînera des responsabilités légales, ou bien qui verra la fin du système international de justice », écrit-elle avant de lancer : « Les gouvernements occidentaux doivent immédiatement cesser leur soutien génocidaire à Israël. »
De nombreuses organisation de défense des droits de l'homme lui emboîtent le pas et dénoncent la décision de suspension de l'aide financière à l'Unrwa. Pour la FIDH (Fédération internationale pour les droits de l'homme), « la suspension des fonds à l'Unrwa équivaut potentiellement à condamner des millions de réfugiés palestiniens à mourir de faim et de maladie. Il s'agit là d'une complicité manifeste dans le génocide en cours, et d'une violation totalement déconcertante de la décision de la CIJ ».
« Réponse humanitaire »
Commissaire général de l'Unrwa, Philippe Lazzarini rappelle, lui aussi, les décisions de la CIJ qui, selon lui, a ordonné « des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire dont il y a un besoin urgent pour remédier aux conditions de vie défavorables auxquelles sont confrontés les Palestiniens dans la bande de Ghaza (…)
Il serait extrêmement irresponsable de sanctionner une agence et une communauté entière qu'elle sert en raison d'allégations d'actes criminels contre certaines personnes, en particulier en période de guerre, de déplacements et de crises politiques dans la région ».
Il exhorte les pays qui ont suspendu leur financement à « reconsidérer » leur décision avant que l'Unrwa ne soit contrainte de « suspendre sa réponse humanitaire ».
Toute cette campagne n'a pas pour autant fait basculer la situation. Bien au contraire, la liste des pays qui ont suspendu leur aide financière à l'Unrwa est passée de 8 à 16 Etats.
Il a fallu que le Nicaragua et le Venezuela, ainsi que l'Afrique du Sud, annoncent leurs décisions de poursuivre les Etats qui soutiennent la guerre financièrement, militairement devant la CIJ, pour que la situation bascule.
Le 1er mars, le porte-parole du secrétaire général de l'Onu affirmait que la Commission européenne avait décidé de débloquer de manière imminente 50 millions d'euros, soit près de 54 millions de dollars, en faveur de l'Unrwa, qui fait partie de l'aide de 82 millions d'euros de la Commission européenne qui sera mise en œuvre cette année par l'Unrwa.
Le 9 mars, le Canada a affirmé avoir repris son aide à l'Unrwa en évoquant la situation humanitaire à Ghaza et les vives critiques dont il a fait l'objet en raison du gel du soutien financier. Il y a quelques jours, le ministre norvégien des Affaires étrangères, Espen Barth Eide, exhortait la communauté internationale à soutenir l'agence onusienne en expliquant « qu'il s'agit du mauvais moment pour suspendre le financement de l'Unrwa (…)
Si ces décisions ne sont pas annulées, nous courons un risque sérieux d'aggraver la crise humanitaire à Ghaza ».
Le 15 mars, l'Australie a annoncé le rétablissement du financement de l'agence onusienne de 6 millions de dollars australiens, près de 3,9 millions de dollars en précisant que son gouvernement « fournirait un soutien supplémentaire à Ghaza ».
Cette décision est expliquée par le fait que « le meilleur avis actuel disponible des agences et des avocats du gouvernement australien est que l'Unrwa n'est pas une organisation terroriste et que les garanties supplémentaires existantes protègent suffisamment le financement des contribuables australiens ».
L'Australie s'est engagée à verser 2,6 millions de dollars à l'Unicef, afin qu'il fournisse des services d'urgence, ainsi que 1,3 million de dollars, à un nouveau mécanisme des Nations unies visant à faciliter l'accès de l'aide humanitaire à Ghaza.
Le lendemain, la Suède, qui avait annoncé le 9 mars son intention de rétablir les financements de l'Unrwa avec un montant de 3 millions de dollars, a réitéré le 16 du mois en cours, son engagement, en affirmant que cette somme fait partie des 20 millions de dollars prévus. « Nous avons alloué environ 38,7 millions de dollars à l'Unrwa, pour l'année 2024.
Une première tranche d'environ 19,4 millions de dollars a été approuvée » précise le gouvernement suédois. Ce revirement de la situation, intervient alors que Catherine Colonna, ancienne ministre des Affaires étrangères françaises, qui dirige le groupe d'experts indépendants des Nations unies, chargé d'auditer les actions de l'Unrwa, se trouvait à Tel-Aviv, pour obtenir les preuves sur la présumée participation des 12 agents de l'agence onusienne à l'attaque du 7 octobre dernier.
De nombreux autres pays, la France, le Japon, l'Italie, le Royaume-Uni, la Finlande, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, l'Autriche, la Nouvelle-Zélande, l'Islande, la Roumanie, l'Estonie, et surtout les Etats-Unis, des alliés indéfectibles d'Israël, n'ont pas encore changé leur décision.
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Budget 2024-2025 – Discours M. Haroun Bouazzi (député de Québec solidaire - Maurice-Richard)

Budget 2024-2025 – Discours de M. Haroun Bouazzi (député de Québec solidaire - Maurice-Richard). Discours prononcé le 14 mars 2024. Vidéo produit par le service d'information de l'Assemblée nationale.
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Transition énergétique : au gouvernement de « changer d’attitude »

Des groupes environnementaux et des groupes citoyens locaux dénoncent les méthodes nuisibles du gouvernement du Québec en matière de développement industriel et s'inquiètent de ce qu'elles impliquent pour le respect de la réglementation environnementale et des mécanismes de consultation publique. Le projet Northvolt n'en est que le plus récent exemple.
Les groupes réitèrent leur demande d'assujettir le projet au processus d'évaluation environnementale, qui comprend la tenue d'un BAPE pour l'ensemble du projet de méga-usine de batteries, afin de rétablir la confiance du public et de répondre à ses nombreuses et légitimes questions.
Dans le contexte des récentes révélations, ils s'inquiètent aussi de l'intention du gouvernement, telle que récemment communiquée par le ministre de l'Environnement, de revoir les modalités du BAPE.
D'ailleurs, selon un récent sondage Pallas, la méthode du gouvernement afin de développer la filière batterie inquiète aussi la population. 62% se dit « préoccupé » ou « très préoccupé » par les conséquences du développement de la filière batterie sur les arbres, les milieux humides, les terres agricoles et les cours d'eau québécois.
Une tendance lourde et nuisible
Au-delà de Northvolt, les groupes s'inquiètent particulièrement du fait que cette tendance du gouvernement à affaiblir la réglementation environnementale et limiter les occasions de consulter le public ne date pas d'hier et semble au contraire prendre de la vitesse. De plus, les groupes réitèrent l'importance de respecter les droits des peuples autochtones et notamment leur droit au consentement libre, préalable et éclairé.
« On s'attarde récemment à Northvolt, mais nos différentes organisations ont dénoncé de nombreux autres projets partout au Québec dans les dernières années. Des projets qui ont profité de raccourcis et assouplissements permis par ce gouvernement », affirment les groupes environnementaux, dont Équiterre, la Fondation David Suzuki, Greenpeace, Nature Québec et la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), citant entre autres la Loi concernant l'accélération de certains projets d'infrastructure adoptée en 2020 pour la relance post-pandémique et qui est toujours en vigueur.
Danger pour la transition et le dialogue social
Nos organisations soutiennent et œuvrent toutes à accélérer la transition énergétique, mais rappellent que celle-ci doit s'opérer de manière cohérente et dans le respect des lois.
« Les moyens choisis pour la transition énergétique ne doivent pas contribuer à empirer la crise en détruisant les milieux naturels ou agricoles à grande valeur économique, sociale et écologique : des milieux stratégiques qui se font de plus en plus rares et qui sont d'une grande valeur pour la santé et la sécurité de la population », estiment les groupes.
« Il faut cesser de faire du clientélisme et prendre des décisions à la pièce. Il faut cesser d'employer une approche non concertée et axée sur les gains à courte vue. À terme, cette façon de faire a le potentiel de nuire plus qu'aider la transition en polarisant et limitant le dialogue social », concluent-ils.
Respecter des processus démocratiques et prendre le temps de bien faire les choses contribuera à rétablir la confiance du public. Il offrira aussi une meilleure prévisibilité, tant pour la population que pour les promoteurs dont les projets, s'ils sont environnementalement, socialement et économiquement acceptables, se verront ultimement améliorés par le respect de ces processus.
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Budget du Québec 2024 : un prélude à l’austérité

Eric Girard déposait aujourd'hui son 6e plan budgétaire, un budget « exigeant et responsable » selon le ministre des Finances. Après les baisses d'impôt de 2023-2024 et dans un contexte de ralentissement économique, le déficit qui accompagne le budget de 2024-2025 ouvre la voie à des coupes budgétaires qui pourraient venir aussi tôt que l'an prochain.
12 mars 2024 | tiré du site de l'IRIS
https://iris-recherche.qc.ca/blogue/etat-finances-publiques-et-secteur-public/budget-quebec-2024/
Cadre budgétaire
Les revenus s'élèveront à 150,3 G$ en 2024-2025 et les dépenses à 157,6 G$, dont 9,7 G$ iront au service de la dette. Toutefois, comme le gouvernement prévoit aussi une « provision pour éventualités » de 1,5 G$ et versera 2,2 G$ au Fonds des générations, le déficit s'élèvera à 11,0 G$, soit 7,0% des dépenses.
Ce résultat n'étonne pas étant donné le ralentissement économique qu'a connu l'économie québécoise. Le PIB n'a augmenté que de 0,2% en 2023 et de 0,6% en 2024, et la croissance prévue en 2025 est de 1,6%. Une partie de ce déficit est par ailleurs creusé par les intérêts que le gouvernement paie sur sa dette, lesquels ont augmenté à la faveur des hausses du taux directeur pratiquées par la Banque du Canada entre mars 2022 et juillet 2023.
Dans ce contexte, le gouvernement reporte le retour à l'équilibre budgétaire en 2029-2030 (un plan précis sera déposé dans le cadre du budget 2025-2026). Pour y parvenir, la CAQ mise, pour hausser ses revenus, sur la croissance de l'économie et réitère son proverbial objectif de réduire l'écart avec l'Ontario à moins de 10% d'ici 2026, et de l'éliminer à l'horizon 2036.
Pour diminuer ses dépenses, le gouvernement propose d'« optimiser l'action de l'État » à travers différentes mesures qui ne rapporteront que 86,2M$ en 2024-2025, mais 2,9G$ sur 5 ans, dont une révision des aides fiscales aux entreprises de 1G$ durant cette période. Le gouvernement amorcera par ailleurs au printemps 2024 un « examen des dépenses gouvernementales », qui portera tant sur les dépenses fiscales que sur les dépenses des ministères et organismes gouvernementaux.
S'il apparaît opportun de faire le ménage dans les aides fiscales offertes aux entreprises et aux particuliers, l'ambition du gouvernement de réduire son déficit en coupant dans les dépenses des ministères et des organismes gouvernementaux n'augure rien de bon pour les services à la population, qui se remettent à peine du choc de la pandémie, et ce même si le gouvernement insiste sur le fait que les services à la population ne seront pas touchés. Un tel exercice – que le gouvernement a qualifié lors de sa présentation du plan budgétaire de « beaucoup plus large » et « non négociable » – s'apparente d'ailleurs à celui qu'avait fait les libéraux de Philippe Couillard et qui avait donné lieu à des mesures austéritaires dont les effets se font encore sentir.
De plus, cette fixation sur les dépenses permet au ministre des Finances de faire oublier les allègements fiscaux consentis depuis l'arrivée au pouvoir de la CAQ et qui privent le gouvernement d'importants revenus. En effet, la réduction du taux d'imposition des contribuables en 2023-2024 (1,85G$ en 2024) combinée avec l'uniformisation de la taxe scolaire en 2020-2021 (720M$ en 2024) et le congé fiscal pour les grands investissements (158M$ en 2024) représentent une somme annuelle manquante équivalant à 2,7G$ en 2024.
Éducation et santé
Le gouvernement se félicite des nouvelles dépenses prévues pour l'éducation, l'enseignement supérieur, la santé et les services sociaux, qui s'élèvent à 1,1G$ en 2024 2025. 222,5M$ sont entre autres prévus pour assurer le maintien et la qualité des soins et des services aux aînés, dont 116,2M$ pour les services de soutien à domicile ; 180,9M$ pour soutenir la réussite des élèves, dont 150,5M$ vont au soutien des élèves en difficulté pour le retour en classe ; 79,5M$ pour assurer l'attraction et la rétention du personnel scolaire ; et 34,5M$ pour promouvoir la réussite aux études supérieures.
Étant donné l'état actuel des services publics, autant dire que le gouvernement ne fait qu'assurer le minimum requis pour maintenir les services qui sont déjà en très mauvais état. Par exemple, nous avons calculé que les dépenses dans le système d'éducation doivent augmenter d'au moins 7 % pour suivre la croissance des coûts et le budget 2024-2025 prévoit une hausse de 7,6%.
Du côté de la santé et des services sociaux, la croissance des dépenses est de 5,3%, soit une augmentation de 2,7G$. Cela reflète le résultat des négociations avec le secteur public, mais également quelques nouveaux programmes. Parmi les 360,0 M$ que le gouvernement ajoute afin « d'améliorer l'accès aux soins et aux services et à accroître la fluidité hospitalière », la moitié sera consacré à accélérer le virage numérique du réseau de la santé, ce qui inclut l'utilisation accrue d'intelligence artificielle (IA). Cela s'accorde bien avec le rapport que présentait récemment la firme de consultation McKinsey. Au contraire, une étude de l'IRIS de novembre dernier permettait de voir l'immaturité du secteur de l'IA en santé, et les dangers de dérives associés aux conflits d'intérêts et au manque de transparence.
De plus, bien qu'aucune somme ne soit associée à la mesure, le budget mentionne également que le financement axé sur le patient sera étendu à la médecine, à l'urgence, à la néonatalogie et à la dialyse. En d'autres mots, le gouvernement ouvre la porte à un financement public pour des services de santé privés, comme il l'a fait en 2016 pour les chirurgies avec les cliniques Chirurgie Dix30 inc., et Centre de chirurgie Rockland MD et Groupe Opmédic. Ce choix est problématique. D'un côté, le gouvernement souhaite abolir le recours aux agences privées (car il reconnaît que les déficits actuels des établissements publics de santé sont en bonne partie causés par l'explosion des coûts du personnel de ces agences). De l'autre, il persiste sur la voie de la privatisation des services (chirurgies, mini-hôpitaux privés). Pourtant, les données disponibles pour la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec montrent que le coût des chirurgies réalisées en cliniques privées tend à être plus élevé que dans les établissements publics.
Environnement
Tandis que le Plan québécois des infrastructures (PQI) bonifie de 10% les sommes allouées au réseau routier pour la période 2024-2034, les investissements en infrastructure de transport collectif ne sont augmentés que de 0,29%. Ce faisant, le gouvernement approfondit le déséquilibre des investissements en transport, la part attribuée au transport collectif représentant 28 % contre 72% pour le réseau routier.
Le gouvernement annonce par ailleurs la fin graduelle des subventions à l'achat d'un véhicule électrique. Une stratégie réfléchie de transfert modal de la voiture vers le transport en commun se serait assurée d'investissements conséquents en transport collectif à titre de nouvel incitatif à une mobilité plus durable.
Lors de son point de presse, le ministre des Infrastructures Jonatan Julien concluait : « les choix en matière d'infrastructures sont alignés avec les priorités du gouvernement ». Le seul mérite de la stratégie de la CAQ en matière de financement du transport est ainsi sa clarté : le gouvernement ne cache pas son désintérêt envers le transport collectif alors qu'aucune nouvelle source de financement n'est prévue pour combler les déficits des sociétés de transport en commun du Québec. En dégageant de nouvelles sources de revenus telles qu'une contribution des entreprises – par exemple, en région parisienne, les entreprises de plus de 10 salariés financent 48% de l'exploitation réseau –, le gouvernement pourrait s'éloigner du principe d'utilisateur-payeur et favoriser le recours au transport collectif.
Par ailleurs, les mesures pour remédier à la crise écologique brillent par leur absence. Les annonces en environnement se limitent à un maigre 20,8 M$ et sont toutes affectées à l'adaptation aux changements climatiques : SOPFEU, soutien aux sinistres, parcs naturels et gestion de la faune.
Le plan pour une économie verte (PEV) est pour sa part bonifié de 3%, pour s'établir à 9,3 G$ pour la période 2024-2029. Le PEV renferme la stratégie de la CAQ en matière de transition écologique. La mise en œuvre de cette transition devra donc se contenter de 1,86 G$ par année, ce qui représente environ 1% des dépenses totales de l'État québécois.
Pour le gouvernement de la CAQ, la crise écologique se réduit à une conjoncture économique favorable que le Québec doit saisir pour rattraper l'Ontario sur le plan de la richesse. Le fonds Capital ressources naturelles et énergie, destiné à la filière batterie à l'exploitation minière, est en ce sens bonifié de 500 M$ et atteint désormais 1,5 G$. Dans la mesure où l'Agence internationale de l'énergie prévoit que 90% des batteries produites dans le monde en 2030 propulseront des voitures individuelles, et moins de 3,5% des autobus, ces investissements ne vont que permettre le retour en force de l'industrie automobile au Québec et alimenter une politique industrielle de courte vue.
Dans les 4 dernières années, le Québec a diminué en moyenne ses émissions de GES de 0,75 mégatonne par année. Or, pour parvenir aux objectifs de réduction de GES fixés pour 2030, le rythme moyen de réduction annuel devra augmenter d'un facteur de 4 et atteindre 3,25 tonnes par année. Avec seulement 1,86 G$ par année affecté au PEV, ce scénario de réduction de GES est tout simplement irréaliste. Tout indique que la CAQ rejoindra les gouvernements précédents qui ont failli à remplir les objectifs climatiques du Québec.
Économie et revenus
L'obsession du gouvernement Legault à « rattraper le niveau de richesse » de l'Ontario teinte à nouveau ce budget. Des dizaines de petites mesures totalisant 441,4M$ en 2024-2025 (1,9G$ sur 5 ans) sont prévues afin d'appuyer la croissance de l'économie. Les secteurs de la construction et de la foresterie sont les plus grands bénéficiaires cette année, tout comme le gouvernement lui-même qui investit pour « poursuivre l'accélération de la transformation numérique gouvernementale ». Si l'on peut mettre en doute la pertinence de certaines mesures (par exemple celle visant le secteur aérospatial en contexte de lutte aux changements climatiques ou la faiblesse du soutien au secteur agricole), c'est surtout l'idée même de rattrapage qui doit être remise en perspective.
Dans une récente publication, nous avons montré que lorsqu'on compare le pouvoir d'achat (plutôt que le PIB par habitant), les Québécois·es ont des revenus équivalents à ceux des Ontarien·ne·s. Nos calculs permettent aussi de conclure qu'à structure industrielle égale, la productivité du travail est plus élevée au Québec qu'en Ontario. Or, une des particularités du tissu industriel québécois est l'importance du secteur public, où travaillent une majorité de femmes. Les dépenses dans ce secteur contribuent à la vigueur de l'économie, ce que le gouvernement néglige toujours de dire.
Par ailleurs, le ministre Girard était particulièrement fier d'annoncer la fin de la disparité de traitement pour les personnes invalides de plus de 65 ans qui voyaient leurs revenus diminuer considérablement lorsque leurs prestations d'invalidité s'arrêtaient. À partir de janvier 2025, ils pourront bénéficier d'une pleine rente de retraite grâce à la marge de manœuvre financière du Régime des rentes du Québec (RRQ). Cela se fera donc à coût nul pour le gouvernement. Bien que les personnes touchées aient de quoi se réjouir, après des années de mobilisation, elles devront attendre encore plusieurs mois avant de voir leurs revenus s'améliorer et devront donc continuer de vivre dans la précarité.
Logement
Les mesures visant à « favoriser l'accès au logement » s'élèvent à 196,7M$ en 2024-2025. De cette somme, 60,3M$ servent à poursuivre l'aide offerte dans le cadre du programme Allocation-logement et 85,5M$ sont consacrés à maintenir le parc de logements sociaux. Le gouvernement continue autrement dit d'asphyxier le secteur du logement social à un moment où les ménages à faible revenu sont aux prises avec des hausses importantes de loyer qui en poussent plusieurs à la rue. Notons qu'un montant de 1,5M$ est censé servir à accroître le parc de logements étudiants.
Ce déficit d'investissements dans les logements dits hors marché privé est conséquent avec l'approche du gouvernement Legault depuis son arrivée au pouvoir. En effet, le nombre de logements sociaux, communautaires et abordables a augmenté beaucoup moins rapidement depuis que la CAQ est en poste, passant d'une hausse annuelle moyenne de 2130 entre 2006 et 2018, à 1394 entre 2018 et 2022 selon les données de la Société d'habitation du Québec.
Petite enfance
Pour les services de garde, aucune somme supplémentaire n'est prévue cette année, tandis que 18M$ sont prévus en 2025-2026. On peut ainsi déduire que le gouvernement maintient sa stratégie axée sur les subventions aux garderies privées plutôt que la création de CPE. Or, en ne créant pas de réelles nouvelles places, les conversions n'ont pas eu d'effet sur le nombre d'enfants en attente. La liste s'est allongée en 2023 pour atteindre 35 549 enfants en attente en décembre, selon les données rendues disponibles par le ministère de la Famille.
…
En somme, alors que plusieurs s'inquiètent face à l'ampleur du déficit que prévoit le budget de 2024, c'est surtout les mesures à venir, qui risquent de priver durablement le Québec des moyens de surmonter la crise écologique et d'améliorer la qualité de vie de la population, dont il faut se méfier.
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