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Ukraine : Bilkis, un féminisme de terrain

2 avril 2024, par Bilkis, groupe féministe — , ,
Bilkis a été fondée il y a 4 ans à Kharkiv, puis avec la guerre, a déménagé à Lviv. Depuis le 24 février 2022, « Bilkis a modifié son registre d'activités pour répondre aux (…)

Bilkis a été fondée il y a 4 ans à Kharkiv, puis avec la guerre, a déménagé à Lviv. Depuis le 24 février 2022, « Bilkis a modifié son registre d'activités pour répondre aux besoins de la population ukrainienne. L'essentiel pour les Ukrainiens qui ont tout perdu était de leur fournir un abri, de la nourriture et des médicaments », expliquent les féministes.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/04/01/ukraine-bilkis-un-feminisme-de-terrain/

Durant les quatre premiers mois de la guerre, « nous avons envoyé des colis vers l'est et le centre de l'Ukraine. Le plus souvent, c'était vers Dnipro et Kropyvnytsky, car c'est là que de nombreuses personnes des régions de Donetsk et de Louhansk ont été évacuées » précisent ses membres. Aujourd'hui, à Lviv, elles ont ouvert un « Espace des choses », « un espace où l'on peut laisser les objets et où on peut certainement les emporter ». Mais Bilkis n'oublie pas son identité féministe. Parmi de nombreuses campagnes qu'elles organisent, il y a eu en décembre 2022, celle contre une marque d'alcool, qui affichait une femme nue sur ses bouteilles. Les militantes se sont postées devant la boutique de la marque à Lviv, pendant 3 samedis après-midi, brandissant des pancartes dénonçant « Arrêtez de sexualiser les femmes », « Le corps féminin n'est pas une publicité ». Le groupe fasciste ukrainien Katarsis, venu sur les lieux, les a alors menacés physiquement. Depuis plusieurs mois les féministes de Lviv organisent également des distributions de repas chauds, « Hodivnichka », une cantine populaire tous les dimanches matin. Aujourd'hui, elles répondent à nos questions pour dresser un premier bilan de deux années d'activités sur le terrain.
Patrick Le Tréhondat

*-*

En mai et juin 2022, j'ai vu que vous organisiez les randonnées cyclistes de votre groupe autour de Lviv. Pourquoi était-ce important pour vous de faire ces randonnées ? Est-ce que vous continuez à en faire ?

Dans notre équipe, il y a Ivanka qui est une cycliste expérimentée et qui fait du vélo tout le temps, en toutes saisons. Ivanka a lancé des randonnées de courte distance pour les femmes de l'équipe Bilkis. Notre club de cyclisme féminin était ouvert à toutes les filles, quel que soit leur niveau d'expérience. Ce soutien de la communauté cycliste était une bonne occasion de commencer à explorer le monde du cyclisme. Nos randonnées avaient pour but de gagner en confiance sur la route, de surmonter les peurs, telles que la peur de la chaussée, de partir à l'aventure et d'avoir un sentiment de sororité. Les randonnées ont été l'occasion de rencontrer des personnes partageant les mêmes idées, de trouver une compagne de route et même des amies. Le Femvelloclub n'est pas une compétition ou une course de performance. Il s'agit de réunir des cyclistes de tous niveaux : des professionnelles aux débutantes. Pour certaines, il s'agissait de leurs premiers 20 kilomètres, et pour d'autres, c'était loin d'être leurs premiers. L'important, c'est que nous avons tous parcouru nos distances ensemble !

Nous avons aussi fait une fois de la randonnée en montagne avec des tentes.

Aujourd'hui, Ivanka n'a pas assez de ressources pour animer le Femveloclub de manière permanente, car la coordination d'un tel projet nécessite beaucoup d'attention et une préparation minutieuse, mais de temps en temps, dans un format spontané, il y a toujours un désir de rouler ensemble.

6 millions d'Ukrainiens ont dû quitter l'Ukraine, 6 millions sont des personnes déplacées à l'intérieur du pays. De nombreux membres de Bilkis appartiennent à cette deuxième catégorie. Après deux ans de guerre à grande échelle, pensez-vous que vous rentrerez un jour chez vous ? Comment le vivez-vous ?

Ivanka : Je suis originaire du Donbass, d'une petite ville appelée Roubijne, dans la région de Louhansk. Cela fait deux ans que je vis ici et, pour être tout à fait honnête, je suis encore en train de m'adapter : à un nouvel environnement, à une nouvelle routine, à une nouvelle vie, à la recherche constante de nouveaux liens et de nouveaux endroits préférés. Le déménagement et l'adaptation se sont imposés dans ma vie à cause de l'attaque russe, et je ne peux pas considérer cela comme une aventure ou un voyage. Je ne sais pas si je retournerai à Roubijne ou si je resterai à Lviv. La guerre totale dans mon pays dure depuis deux ans, alors comment puis-je faire des rêves dans cette situation ? Bien sûr, j'ai un rêve : la victoire et le retour à la maison. Ma région est maintenant occupée et j'ai vu des photos de mon appartement détruit. J'envisage la possibilité de rester à Lviv pendant longtemps, et je continuerai donc à me développer ici. Où que la vie me jette, je veux juste avoir la force de faire ce que je veux, de vivre et d'aider notre armée. Aujourd'hui, je suis incroyablement heureuse d'avoir la possibilité d'être sur mon propre territoire. Oui, je ne suis pas chez moi, mais je suis en Ukraine. Cela me donne beaucoup de force, même si je suis toujours déprimée et que je vis le traumatisme de la perte de ma maison, mais je construis des piliers intérieurs solides qui me soutiennent en ces temps de prédation.

Vous avez ouvert l'Espace des choses août 2022 où l'on peut donner des choses (vêtements, livres, etc.) et en prendre selon ses besoins. Tout est gratuit. Avec le succès de l'Espace des choses, vous ouvrez un jour pour déposer des objets et un jour pour les récupérer. Pouvez-vous nous dire qui dépose et qui récupère ? Que disent les gens de l'Espace des choses ?

Notre projet l'Espace des choses fonctionne avec succès depuis un an et demi. Il s'est avéré que de nombreuses personnes peuvent et veulent donner leurs objets à d'autres. Cependant, nous ne pouvons pas gérer la quantité de choses que les gens nous donnent (ou veulent nous donner). C'est pourquoi nous avons mis en place un calendrier d'acceptation des objets. Nous accueillons généralement des objets toutes les deux semaines, mais parfois moins souvent. En avril, nous ne prendrons plus d'objets, mais nous les donnerons, car nous en avons beaucoup maintenant.

Plus de 90% de nos visiteur·seuses sont des femmes. Il y a aussi des hommes, mais beaucoup moins souvent. Bien que nous destinions ce lieu exclusivement aux femmes, nous accueillons tout le monde. Nous pensons que c'est parce que, premièrement, notre public cible en tant qu'organisation féministe est constitué de femmes. Deuxièmement, les femmes sont plus souvent engagées dans le travail reproductif et, par conséquent, elles recherchent ici les affaires de leurs enfants, font le ménage chez elles et trouvent ainsi des choses utiles.

Comme nous pouvons l'estimer, le noyau principal de nos visiteurs est constitué de jeunes filles et de femmes qui prennent et apportent souvent des objets, ainsi que de femmes plus âgées qui font partie de groupes vulnérables (personnes déplacées, personnes à faible revenu, sans-abri).

Jusqu'à présent, nous n'avons reçu que des commentaires positifs sur notre lieu, car nous essayons de fournir un service de qualité et de maintenir un environnement agréable. Les gens disent que ce projet est utile, qu'il les aide. En outre, ils nous demandent souvent d'ouvrir d'autres lieux à Lviv et dans d'autres villes d'Ukraine. Mais nous ne pouvons nous contenter que d'un seul centre. Il y a également des commentaires selon lesquels les gens utiliseraient nos services de manière malhonnête – revendre des choses, nous avons nous-mêmes eu de tels soupçons à plusieurs reprises concernant des personnes spécifiques. Cependant, nous ne pouvons pas empêcher ces personnes de se comporter de manière inappropriée. Et malgré ces cas très rares, la plupart des gens comprennent la signification et les règles de notre Espace et les respectent (c'est-à-dire qu'ils utilisent les choses sans but commercial).

Pouvez-vous nous parler de la pauvreté à Lviv ?

La pauvreté a déjà été un problème aigu en Ukraine par le passé. Cependant, en raison de la guerre et de la détérioration de la situation économique dans le pays, le problème de la pauvreté est devenu encore plus aigu à Lviv, ainsi que dans d'autres villes. La pauvreté après des événements tels que la guerre augmente en raison de divers facteurs tels que la destruction de l'infrastructure, la perte d'emplois, la réduction de l'activité économique, et d'autres. Les gens perdent leurs maisons, leurs moyens de subsistance et l'accès aux services de base, ce qui exacerbe le problème de la pauvreté dans tout le pays. En outre, depuis 2022, la population de Lviv a augmenté car les gens fuient vers l'ouest, loin de l'horreur de la guerre. Notre initiative apporte régulièrement de l'aide aux personnes en situation difficile en leur donnant de la nourriture. Ce n'est qu'un moyen parmi d'autres de lutter contre la pauvreté dans notre ville, mais c'est un moyen important, car la nourriture est un besoin fondamental pour tout le monde.

Pourriez-vous également nous dire qui vient à ces distributions ?

Différentes personnes s'adressent à nous pour la distribution de nourriture. Bien sûr, il s'agit toujours de personnes qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, mais leur apparence est très différente. Certaines personnes ont l'air d'être des sans-abri, d'autres sont habillées « correctement » et nous n'aurions jamais pensé qu'elles avaient un problème d'accès à la nourriture si nous les avions vues dans un parc ou dans un bus. Nous parlons souvent aux personnes qui viennent nous voir, et leurs histoires ne laissent aucun doute sur leur honnêteté. Cela nous fait toujours penser que la pauvreté est un problème bien plus important qu'il n'y paraît à première vue. Nous nourrissons tout le monde, sans distinction d'âge, de sexe, de genre, etc., mais nos bénéficiaires sont le plus souvent des personnes âgées de 28 à 30 ans, originaires de tout le pays. Les femmes et les hommes viennent à la distribution dans des proportions à peu près égales.

Comment les gens réagissent-ils à cette initiative ?

Si vous interrogez les personnes qui viennent à la distribution, elles sont submergées de gratitude. Il semble parfois que nos distributions constituent une sorte de mini-vacances dans la vie de nos nécessiteux de chaque dimanche. Nous aimons recevoir leurs commentaires et nous entendons souvent un « merci » de chaque personne qui vient chercher de la nourriture, mais le plus souvent, nous recevons beaucoup plus de reconnaissance et de bénédictions. Souvent, les personnes dans le besoin sont surprises de constater qu'il ne s'agit pas seulement de nourriture, mais d'une nourriture délicieuse sans produits d'origine animale. La plupart des personnes qui viennent aux distributions connaissent une vie et une situation difficiles. Nous connaissons déjà un peu mieux certaines d'entre elles, et nous sommes même devenus amies avec certaines d'entre elles. Nous ne voulons pas être techniques dans notre approche de la distribution alimentaire, nous continuons à communiquer avec elles, nos repas sont justes un instrument d'attention, de soutien et de solidarité. C'est une approche très importante pour créer un projet social.

Quant à la question des personnes qui nous voient de l'extérieur lorsque nous distribuons de la nourriture, pour être honnête, nous n'y prêtons même pas attention parce que nous sommes occupés par le processus. Lorsque nous livrons de la nourriture en taxi, les chauffeurs nous demandent parfois ce que nous transportons dans de si grands conteneurs, et lorsqu'ils le découvrent, ils nous félicitent. En général, tous ceux qui connaissent notre « mangeoire », nous font des commentaires positifs. C'est agréable à entendre et cela nous encourage à continuer.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Aujourd'hui, nous n'avons pratiquement plus de difficultés. Il s'agit d'une petite initiative dans laquelle tous les participant·es sont interchangeables et si quelqu'un·e tombe malade ou quitte la ville, ce n'est pas la fin du monde. Il y a un an, lorsque nous avons commencé, le processus de cuisson était nouveau et peu maîtrisée. Nous nous sommes trompés dans le calcul de la quantité à cuire. Nous ne savions pas comment apporter la nourriture chaude et la distribuer pour que tout le monde en ait assez. Il nous a fallu beaucoup de temps et d'efforts pour comprendre comment cuisiner plusieurs dizaines de portions à la fois. Avec l'expérience, nous avons amélioré tous les processus et élaboré un menu. Aujourd'hui, il s'agit simplement d'un certain « algorithme ».

L'été dernier, nous avons eu des difficultés avec le public. L'ancien lieu de distribution se trouvait dans un quartier résidentiel, où nous avions apporté une table pliante. Après avoir mangé, les gens allaient aux toilettes dans les buissons, faisaient la queue tôt et faisaient du bruit sous les fenêtres. Cela gênait les habitants de l'immeuble, et nous entendions constamment des plaintes et des menaces. Maintenant, nous faisions la distribution à côté de l'église, où il y a un accès aux toilettes, et les gens se comportent un peu plus poliment à côté d'un bâtiment religieux. Bien que nous n'ayons rien à voir avec l'église. Nous sommes simplement situés à proximité. La seule difficulté est maintenant de trouver un financement pour ce projet.

29 mars 2024

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Contre la politique impérialiste de Poutine, soutien au peuple ukrainien

2 avril 2024, par Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) — , , ,
À l'issue d'un scrutin fantoche étalé sur trois jours, Vladimir Poutine vient d'être réélu pour un 5e mandat de six ans à la tête de la Russie. Au fil d'un quart de siècle (…)

À l'issue d'un scrutin fantoche étalé sur trois jours, Vladimir Poutine vient d'être réélu pour un 5e mandat de six ans à la tête de la Russie. Au fil d'un quart de siècle d'une dégénérescence allant crescendo, le poutinisme a installé un État autoritaire. Le capitalisme s'est imposé sous une forme oligarchique, le nationalisme grand-russe et ultra réactionnaire s'est redéployé. La Russie cherche désormais à étendre son territoire et son influence par la guerre, comme c'est actuellement le cas en Ukraine.

20 mars 2024 | tiré du site du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)
https://nouveaupartianticapitaliste.org/actualite/international/contre-la-politique-imperialiste-de-poutine-soutien-au-peuple-ukrainien

Macron, dangereux bouffon

Il n'en reste pas moins que les rodomontades de Macron sur l'envoi de troupes au sol en Ukraine ne peuvent apparaître que pour ce qu'elles sont : sérieuses et dangereuses. Macron, discrédité et en perdition dans les sondages, a inversé le cap après avoir mené initialement une politique de conciliation avec la Russie. Incontrôlable sur la scène internationale avec ses déclarations intempestives, ignorant à cette occasion le Quai d'Orsay et même sa propre cellule diplomatique à l'Élysée, il n'aide en rien la résistance ukrainienne. Alors que la perte des derniers points d'appui de l'impérialisme français en Afrique est inévitable et que le président français est plus que jamais isolé et illégitime, il persiste et répète que l'envoi de troupes au sol en Ukraine est une hypothèse crédible à laquelle il faut se préparer.

Ce n'est en rien ce que les UkrainienNEs demandent : ils veulent des armes, un soutien technique, logistique et financier pour se défendre de manière autonome. La tendance va-t-en guerre et caporaliste de la macronie – engagée dans un cours autoritaire dont les effets domestiques sont d'ores et déjà profonds (SNU, uniforme à l'école, usage répété du mot « réarmement »…) – se renforce sans aucune utilité pour la résistance.

Soutenir vraiment le peuple ukrainien, sans asservissement

Après deux ans de guerre, le rapport de forces général se dégrade au profit de la Russie. Le soutien à la résistance ukrainienne doit s'amplifier, mais ne doit pas passer par un asservissement économique et politique à l'OTAN ou à l'Union européenne. Les armes doivent être données (et non vendues !), et aucune dette ne doit venir vampiriser l'Ukraine pour les décennies à venir. Plus encore, il faut vaincre la corruption et les nuisances des oligarques, en finir avec les politiques ultra-libérales du gouvernement ukrainien qui s'opposent aux conditions d'une lutte de résistance nationale qui, pour être plus forte et efficace, doit être socialement juste.

Un enjeu majeur est que notre soutien s'inscrive dans un engagement global internationaliste en soutien aux peuples en résistance et contre le militarisme et la course aux armements. La nécessaire socialisation des industries d'armement en est la condition. Elle accompagne notre solidarité concrète à tous les peuples qui, dans des contextes divers, de l'Ukraine à la Palestine, luttent contre l'oppression néocoloniale et l'impérialisme, sans oublier toutes celles et ceux qui en Russie cherchent contre Poutine les voies de l'émancipation.

Le mercredi 20 mars 2024

Turquie : Après sa victoire aux élections locales, l’opposition turque retrouve des couleurs face au président Erdogan

2 avril 2024, par Courrier international — , ,
Dans une position précaire moins d'un an après sa défaite à l'élection présidentielle, l'opposition turque a conservé toutes les grandes villes du pays, tout en conquérant de (…)

Dans une position précaire moins d'un an après sa défaite à l'élection présidentielle, l'opposition turque a conservé toutes les grandes villes du pays, tout en conquérant de nouvelles municipalités, dimanche 31 mars. “La chaîne du désespoir est rompue”, se félicite la presse de gauche.

Tiré de Courrier international.

“Une victoire historique” clame la une du quotidien nationaliste et laïc Cumhuriyet. Le journal, crée par Mustafa Kemal Atatürk est un soutien historique du CHP, le Parti républicain du peuple, également fondé par le fondateur de la République turque. Totalisant 37,74 % des voix à l'échelle nationale contre 35,49 % pour l'AKP du président Recep Tayyip Erdogan, le parti kémaliste est, pour la première fois depuis 1977, le parti qui récolte le plus de suffrages a l'échelle nationale souligne le quotidien.

Après la surprise et le désespoir occasionnés par la victoire du président turc lors de l'élection présidentielle de mai 2023, cette victoire arrive à point nommé pour l'opposition qui se trouvait tiraillée en interne et au bord de l'explosion.

“L'on craignait comme dans un cauchemar que le pouvoir, sur la lancée de sa victoire, n'emporte les grandes villes, Istanbul, Ankara et même Izmir, que l'opposition soit définitivement réduite au silence, mais cette chaîne du désespoir est rompue”, se félicite un éditorialiste du quotidien de gauche Birgün. En définitive, l'opposition kémaliste a non seulement gardé les plus grandes villes du pays, conquises en 2019, mais elle a aussi emporté des arrondissements et des villes traditionnellement acquis à l'AKP, qui recule même dans ses bastions historiques.

Les limites de la polarisation pour faire oublier la crise économique

“Séisme dans les urnes”, titre de son côté en une le quotidien de l'opposition conservatrice Karar, alors que le parti du président turc et de ses alliés d'extrême-droite du MHP ont vu les suffrages en leur faveur fortement diminuer dans les zones du pays touchées par le tremblement de terre de février 2023.

Dans ces régions, l'aide et la reconstruction promises par le pouvoir tardent à se manifester. Dans le sud du pays, la très conservatrice ville d'Adiyaman, durement affectée par le séisme, est ainsi tombée dans l'escarcelle de l'opposition.

La stratégie du président turc, visant à jouer sur les cordes du nationalisme et du conservatisme en polarisant le débat face à une opposition décrite comme suppôt du “terrorisme” ou du “LGBTisme” n'a pas fait recette cette fois.

Pour autant, pour le quotidien pro-gouvernemental Sabah, il ne s'agit pas d'un camouflet adressé au président de la République. “Lors des élections de l'année dernière, les Turcs ont bien montré leur soutien à Erdogan, il s'agissait pour eux, cette fois, d'adresser un message de mécontentement face aux faibles pensions de retraite, à l'inflation et à certains candidats locaux au profil discutable”, estime une éditorialiste proche du leader turc qu'elle interviewe régulièrement.

Victoires du parti pro kurde dans le sud-est du pays

Dans l'est du pays, le parti prokurde, qui avait vu ses municipalités confisquées par l'État et ses élus démis de leurs fonctions, emprisonnés pour certains et remplacés par des tuteurs nommés par les préfets, a triomphé dans toutes ces villes confisquées et en a même remporté de nouvelles, souligne le média en ligne proche de la cause kurde Arti Gerçek.

Le parti prokurde a néanmoins dénoncé de nombreuses manipulations électorales dans les régions kurdes du pays, des cas de votes hors de l'isoloir ou de bulletins prétamponnés ont été remarqués. Surtout, des milliers de militaires et membres des forces de sécurité en garnison dans la région ont investi certains bureaux de vote stratégiques, risquant de faire basculer certains scrutins en faveur du pouvoir.

De nombreuses vidéos sur les réseaux sociaux montrent des cohortes de jeunes gens, la tête baissée et tentant de dissimuler leur identité, patienter pour voter sous une pluie de questions et parfois de quolibets des élus et électeurs locaux, dont certains ont été arrêtés. Dans un village proche de la ville de Diyarbakir, une bagarre entre électeurs a dégénéré en affrontement violent, occasionnant de nombreux blessés et la mort d'un assesseur du parti prokurde, touché par balles, rapporte le quotidien Habertürk.

Cette défaite majeure va-t-elle entraîner un durcissement du pouvoir, déjà en proie depuis plusieurs années à une grave dérive autoritaire, ou le pousser vers une “normalisation” démocratique, s'interroge le média en ligne Diken ? “Face à la crise économique, impuissant à reprendre Istanbul et Ankara et à en finir avec leurs maires, populaires figures de l'opposition, le pouvoir peut faire le choix d'un retour à la normale pour tenter de se concilier une partie des Kurdes et des électeurs fatigués par la crise”, espère une éditorialiste du média, tout en gardant à l'esprit que l'inverse est aussi possible.

Courrier international

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L’attaque contre TikTok ou la compétition des Tartuffe

2 avril 2024, par Martine Bulard — , , ,
Les conflits armés sont aussi des guerres de récits. Les réseaux sociaux y prennent une part active, tous contrôlés par des groupes américains à l'exception d'un : le chinois (…)

Les conflits armés sont aussi des guerres de récits. Les réseaux sociaux y prennent une part active, tous contrôlés par des groupes américains à l'exception d'un : le chinois TikTok. Depuis des années, élus démocrates et républicains veulent le ramener dans le giron états-unien ou l'interdire. Dernier prétexte avancé : il est « pro palestinien », voire antisémite.

Tiré d'Orient XXI.

Alors qu'Israël interdit tout accès à la bande Gaza aux reporters étrangers et tire sur les journalistes palestiniens comme sur des lapins — avec une centaine de morts dans la profession depuis le 7 octobre 2023 — que deviendraient les (déjà trop rares) informations sur Gaza si un réseau social comme TikTok venait à disparaître ? Si un seul propriétaire, à savoir Meta, obtenait le monopole de la diffusion des plateformes en ligne ? Ces questions ne relèvent pas totalement du fantasme.

Le 13 mars 2024, élus républicains et démocrates de la Chambre des représentants américaine ont arrêté un projet de loi exigeant la vente de la célèbre application à une entreprise « sûre » — c'est-à-dire états-unienne. Faute de quoi, elle serait interdite. Ce projet doit encore être voté par le Sénat. Il n'est donc pas pour demain. Cependant, républicains et démocrates savent en général dépasser leurs divergences quand il s'agit de la Chine. Et TikTok appartient au groupe chinois ByteDance.

Reconnaissons aux faucons américains une certaine constance. Ils se battent depuis 2020 pour s'accaparer la plateforme qui a séduit adolescents et jeunes adultes — la « génération Z » née avec Internet et le numérique. Celle-ci est friande de TikTok qui totalise 170 millions d'utilisateurs aux États-Unis, soit davantage qu'Instagram (157 millions) et presqu'autant que Facebook (175 millions) qui recrute dans les couches un peu plus âgées. Jusqu'alors, les dirigeants américains avançaient avec une très grande prudence : priver la jeunesse de son mode de communication favori n'est pas une chose aisée, et on ne sait jamais ce qu'il peut arriver si l'on y touche.

Parti pris idéologique et tiroir-caisse

Visiblement, le concepteur du projet de loi, Mike Gallagher, l'un des plus farouches sinophobes des États-Unis, a trouvé l'argument massue pour accélérer le processus en panne depuis quatre ans : TikTok est pro palestinien voire antisémite… Comme Pékin réclame un cessez-le-feu d'urgence à Gaza, l'ouverture des négociations, la fin de la colonisation israélienne, et que l'application est chinoise, ses utilisateurs sont forcément « manipulés par le gouvernement chinois ». Se combinent ainsi parti pris idéologique et opération économique, espoir d'imposer un récit plus favorable à la guerre israélienne et volonté de stopper l'avance chinoise dans le numérique, en faisant tomber dans l'escarcelle nationale l'un des réseaux sociaux les plus inventifs du moment.

Du point de vue des massacres commis par Israël, le spécialiste Anthony Goldbloom, qui a étudié les données TikTok pour les acheteurs de publicité, a effectivement trouvé beaucoup plus de vues de vidéos avec des hashtags pro palestiniens que pro israéliens. Selon lui, le ratio peut aller jusqu'à 69 contre un (1). Faut-il voir ici la preuve que Pékin est entré dans la tête des Américains ? Ou la preuve qu'une majorité de jeunes est contre la guerre ? Pour avoir la réponse, il suffit de lire les reportages dans les journaux américains, ou simplement les sondages attestant que les moins de 35 ans (environ la moitié des utilisateurs de l'application chinoise) sont majoritairement antiguerre. C'est d'ailleurs l'une des raisons des faibles performances du président-candidat Joe Biden.

Car l'application a choisi de ne pas censurer les contenus, en Occident du moins. En Chine, TikTok est introuvable. Seul Douyin, sa version exclusivement réservée au pays, très étroitement surveillée, a droit de cité. Au royaume de l'hypocrisie, Pékin qui crie au scandale peut prétendre au poste suprême. Néanmoins, Joe Biden rivalise dans la tartufferie : en février dernier, le président américain ouvre un compte TikTok le dimanche du très populaire Super Bowl pour poster une vidéo sur sa passion du football et en mars, il fait savoir qu'il signera avec enthousiasme la loi Gallagher interdisant l'application.

Des images inédites en provenance de Gaza

En attendant, TikTok n'inflige pas de censure. C'est bien là que réside son succès. Y sont postées des vidéos commentant la guerre de Benyamin Nétanyahou, apportant des images en provenance de Gaza (quand les Palestiniens ont de l'électricité et Internet), mais aussi d'Israël, comme le raconte ce professeur d'une université dans un reportage du Washington Post : « Quand la guerre a éclaté, mes étudiants ont navigué en divers endroits sur TikTok pour voir quel genre de vidéos étaient populaires en Israël par rapport à Gaza, en Cisjordanie ou en d'autres endroits. Je n'avais jamais pensé à faire ça » (2).

Cette liberté met en fureur Nétanyahou et ses acolytes. Elle dérange tout autant les républicains américains ouvertement pro israéliens et anti palestiniens, que les démocrates de Joe Biden qui déplorent la situation humanitaire des Gazaouis, et finissent par réclamer un cessez-le-feu lors de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 25 mars 2024, mais continuent de livrer des armes qui tuent les civils palestiniens. Le conflit se mène aussi sur le plan de l'information et de l'image (3).

Censure sur X, Facebook et Instagram

Sur les autres réseaux populaires, la censure plus ou moins directe sévit massivement depuis le 7 octobre. Quelques post d'Orient XXI en ont fait l'expérience, ne pouvant être partagés sur X ou sur Facebook, comme c'est le cas de certains récits de Rami Abou Jamous, notre correspondant à Gaza qui tient régulièrement son journal de bord.

D'une façon plus globale, Human Rights Watch (HRW) pointe « la censure systémique des contenus pro palestiniens sur Instagram et Facebook » (4). Ces contenus issus de comptes palestiniens ou de personnes défendant leurs droits ne sont tout simplement pas diffusés : ce que l'on appelle le « bannissement furtif » (shadow banning). Ils ne sont pas retirés, toutefois les algorithmes sont conçus pour qu'ils restent invisibles ou presque. Pour contourner l'obstacle, les utilisateurs mettent une pastèque pour désigner la Palestine (dont le drapeau possède les mêmes couleurs rouge, vert, noir et blanc), changent une lettre en astérisque ou en point pour parler de Gaza, ce qui empêche d'être repéré par les algorithmes. Il ne s'agit là que d'une faible parade.

Amnesty International constate également ce phénomène. « Les politiques et systèmes de modération de contenus de Meta réduisent de plus en plus au silence les voix en faveur de la Palestine sur Instagram et Facebook », note la directrice d'Amnesty Tech qui s'inquiète, car cette « censure contribue à l'effacement des souffrances des Palestiniens » (5).

Ce qui vaut, de façon si dramatique, pour la guerre israélienne contre les Palestiniens, vaut dans tous les domaines. On oublie trop souvent que le monopole des trois géants américains — Méta, Google et Elon Musk (X) — sur la communication numérique planétaire constitue une menace pour les démocraties. Cela ne blanchit pas pour autant TikTok. Mais le forcer à se vendre à l'un des trois ne ferait que renforcer leur mainmise. Il en est de même pour son interdiction. C'est d'une régulation publique dont les internautes ont besoin.

Logiciels espions chinois ?

Certes, comme les autres, TikTok véhicule de fausses informations et des propos plus ou moins haineux. Cependant, cela n'a rien à voir avec la nature autoritaire du régime chinois. Les dirigeants américains craignent que le président Xi Jinping aspire les données des utilisateurs occidentaux pour nourrir de sombres projets, pas uniquement commerciaux. Son patron, le Singapourien Shou Zi Chew, sous le feu des questions des élus du Congrès pendant plus de cinq heures l'an dernier, a essayé de rassurer : son groupe est détenu à 60 % par des investisseurs institutionnels tels les richissimes fonds de gestion d'actifs BlackRock et Susquehanna International Group, spécialisé dans la Tech, à 20 % par les fondateurs chinois et le reste par le personnel. Trois des cinq membres du conseil d'administration de l'application sont des Américains. Enfin, les serveurs stockant les données sont installés aux États-Unis, sur le cloud Oracle, et non plus sur le sol chinois ou singapourien.

Pourtant, selon les partisans de l'interdiction de TikTok, cela ne suffit pas. Le pouvoir chinois est soupçonné d'avoir déployé des logiciels espions pour s'accaparer les cerveaux, mais aussi influencer les choix américains, et fausser le jeu des élections. L'a-t-il fait ? Nul ne le sait. Rien dans ce que produisent les autorités et services de renseignement américain ne dit que son « algorithme a fait la promotion de la République populaire de Chine – et je suppose que si le directeur du bureau du renseignement national en avait la preuve, il l'aurait fournie », écrit Julia Angwin dans le New York Times (14 mars 2024). Ce que confirme la représentante démocrate de Californie, Sara Jacobs, après la rencontre entre les élus du Congrès et les services de sécurité nationale : « Pas un seul élément de ce que nous avons entendu dans ce briefing classifié n'est propre à TikTok. Ce sont des choses qui se produisent sur toutes les plateformes des médias sociaux » (6).

Comme l'ont fait remarquer quelques élus de bon sens à la Chambre, il n'est pas besoin de détenir le capital d'une application en ligne pour créer des faux comptes, envahir les réseaux de fausses révélations voire tenter de manipuler les votes. Les démocrates ont d'ailleurs accusé Vladimir Poutine de tels desseins et, à ma connaissance, le président russe ne possède aucune application.

Faux comptes américains en Chine communiste

Au moment où les médias et les dirigeants politiques occidentaux se déchaînaient unanimement ou presque contre TikTok, on a appris de la CIA que l'agence américaine avait « créé des faux comptes sur les réseaux sociaux chinois pour propager des rumeurs et diffuser des récits négatifs contre les dirigeants » dans l'espoir de « retourner l'opinion publique » et d'influencer l'extérieur. Le tout sous l'autorité du président de la République d'alors, Donald Trump (7). Autre exemple de la tartufferie ambiante à propos de TikTok.

En fait, républicains et démocrates sont moins inquiets pour les cerveaux américains que pour les coffres forts des multinationales qu'ils défendent. Pour l'heure, une partie des données des utilisateurs occidentaux leur échappe alors que TikTok est sur le point de dépasser le chiffre d'affaires de Meta. Le dépouiller de ses précieuses data offrirait de juteuses perspectives. Mais cela permettrait surtout de s'approprier le logiciel et l'algorithme qui ont forgé le succès de l'application et qui témoignent d'une certaine avance de la Chine dans ce domaine. Le pouvoir chinois a déjà dit qu'il s'opposerait à une vente au nom du libre-échange et de la liberté d'expression défendue par le premier amendement de la Constitution américaine. Une autre tartufferie.

Notes

1- « How TikTok Was Blindsided by U.S. Bill That Could Ban It », Stu Woo, Georgia Wells, Raffaelle Huang, Wall Street Journal, 12 mars 2024.

2- « Young Americans are more pro-Palestinian than their elders. Why ? », Frances Vinall, Washington Post, 21 décembre 2023.

3- « Gen Z and Palestine : how social media activists are changing journalism forever », Laura Cugusi, UntoldMag, 12 janvier 2024.

4- « Meta : censure systémique de contenus pro palestiniens », Human Rights Watch, 21 décembre 2023.

5- « Israël/Gaza : les réseaux sociaux entre censure des voix palestiniennes et démultiplicateur de haine », Amnesty International, 2 novembre 2023.

6- « Why Are Lawmakers Trying to Ban TikTok Instead of Doing What Voters Actually Want ? », Julia Angwin, New York Times, 14 mars 2024.

7- « Exclusive : Trump launched CIA convert influence operation against China », Joel Schectman et Christopher Bing, Reuters, 14 mars 2024.

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La tyrannie du productivisme d’État – À propos Congrès national du peuple de Chine de 2024

2 avril 2024, par Au Loong-Yu — , ,
Le Congrès national du peuple est actuellement en session à Pékin, au beau milieu d'une forte récession économique qui affecte les conditions de vie de millions de personnes : (…)

Le Congrès national du peuple est actuellement en session à Pékin, au beau milieu d'une forte récession économique qui affecte les conditions de vie de millions de personnes : resserrement du crédit sur le marché immobilier qui s'étend maintenant à d'autres secteurs financiers (voir mon article ici), déflation, ralentissement de l'industrie manufacturière, fuite massive des investissements étrangers, augmentation du chômage, etc.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/21/la-tyrannie-du-productivisme-detat-a-propos-congres-national-du-peuple-de-chine-de-2024/

En réponse à ces problèmes, le Premier ministre Li Qiang [1] a présenté un rapport qui n'est rien d'autre qu'une longue liste de mesures définit par ses 26 ministères et qui fait penser à l'inventaire d'une épicerie. Il y a en fait quelque chose de plus : des slogans creux. Le mystère plane toujours sur ce que Li Qiang a dans la tête quant à la stratégie globale à appliquer pour résoudre la crise qui se dessine. Il a reconnu qu'il y avait eu des « difficultés et problèmes entremêlés », mais il a rassuré son auditoire sur le brillant avenir de la Chine : « sous la ferme direction du Comité central du PCC, avec le camarade Xi Jinping à sa tête, le peuple chinois a le courage, l'ambition et la force de relever n'importe quel défi et de surmonter n'importe quel obstacle ». De fait, il a mentionné Xi à 19 reprises, le couvrant d'éloges en tous genres. S'il y a un thème principal qui revient dans l'inventaire de l'épicerie dressé par le Premier ministre, c'est bien le culte du dirigeant suprême.

Le Premier ministre et son inventaire d'épicier

Mais c'est précisément la raison pour laquelle ce rapport doit nous inquiéter. Non pas que le ralentissement économique actuel soit entièrement imputable à Xi. Bien avant son arrivée au pouvoir, les déséquilibres économiques entre l'investissement, la production et la consommation avaient déjà atteint des proportions gigantesques et le jour du bilan approche. Mais le problème de Xi, c'est que ses orientations ont encore aggravé les déséquilibres et que, dans certains domaines, il s'est tout simplement tiré une balle dans le pied, comme l'a montré sa politique du « zéro covid ». Sa politique de répression disproportionnée à Hong Kong a non seulement anéanti l'opposition et les organisations syndicales, mais a aussi largement contribué à tuer la poule aux œufs d'or de l'État-parti – le marché financier de la ville a toujours été la planche à billets de Pékin, mais aujourd'hui Hong Kong c'est « fini », comme l'a annoncé Stephen Roach, ancien président de Morgan Stanley Asia, qui avait commencé à travailler dans cette ville à la fin des années 1980. Certains grands médias occidentaux ont expliqué à Pékin qu'il devrait faire ce que Wen Jiabao, son prédécesseur, avait fait en 2008 et 2009, en lançant un plan de sauvetage de 634 millions de dollars US pour stimuler l'économie stagnante ou, du moins, faire quelque chose pour renforcer la confiance des consommateurs. Même si leurs conseils sont très discutables, le cœur du problème à l'heure actuelle est que Pékin n'a aucune stratégie crédible pour faire face à l'affaissement de l'économie.

Pour mieux comprendre le problème structurel de l'économie chinoise, il nous faut sans doute revenir à l'époque de Mao et, au terme de ce voyage, nos lecteurs comprendront que, malgré toutes les ruptures entre la Chine de Mao et celle de Deng, il y a aussi une grande continuité – l'empressement à « dépasser la Grande-Bretagne et à rattraper les États-Unis » a traversé les deux époques, d'où cette stratégie de croissance fondée sur un taux d'investissement anormalement élevé qui est resté remarquablement le même. C'est tellement évident pour Li Qiang qu'il n'a pas pris la peine de développer ce point. Il lui suffisait de perpétuer la tradition du PCC. Nos lecteurs se doivent cependant de réexaminer cette question dont on ne parle pas assez, mais qui est d'une importance capitale, car cela permettra non seulement de mettre en lumière l'absurdité de la stratégie, mais aussi de mieux cerner le degré de réussite de la politique économique de Pékin.

« La production doit avoir la priorité sur le niveau de vie »

À l'époque de Mao, le programme d'industrialisation rapide du parti a été mis en œuvre par le biais de l'« économie planifiée ». Mais la tension entre le gouvernement central et les bureaucraties provinciales a toujours été l'un des principaux obstacles à une croissance moins déséquilibrée de l'économie. L'« économie à planification centralisée » était tristement connue pour son manque d'efficacité, et les gouvernements provinciaux manquaient toujours de matériel, de main-d'œuvre qualifiée ou simplement de mesures incitatives, ce qui ne tardait pas à contraindre le gouvernement central à recourir périodiquement à l'allocation de ressources et de moyens – non pas aux populations locales, mais à la bureaucratie des provinces. Ces dernières, poussées par leurs propres intérêts, ont toujours été prêtes à saisir toute occasion d'obtenir plus de pouvoir (et donc plus d'intérêts matériels), avant de réaliser que l'heure des comptes n'allait pas tarder à arriver, car la décentralisation provoquait un surinvestissement et un chaos suffisant pour convaincre le gouvernement central de reprendre le pouvoir aux provinces. Ce « cycle » de shou, si, fang et luan [2], ou répétition de la centralisation, de la décentralisation et de la recentralisation, a affecté l'économie dès le départ.

Par l'exploitation impitoyable des surplus de main-d'œuvre, le régime a permis à l'État de financer un taux d'investissement absurdement élevé entre 1958 et 1980, qui a toujours été de près de 30% (sauf au lendemain de la famine du début des années 1960). Cela s'est traduit non seulement par de nombreux gaspillages, mais aussi et surtout par une baisse du niveau de vie des gens ordinaires. Les salaires ont été gelés pendant toute la période, malgré une croissance économique annuelle moyenne de plus de 4%. En réponse aux travailleurs mécontents, la propagande du parti a mis en avant le slogan « la production doit avoir la priorité sur les conditions de vie du peuple » [3].

Les quatre décennies de « réforme et d'ouverture » ont été une période où le capitalisme d'État (en partenariat avec le secteur privé) allait remplacer « l'économie planifiée », mais le taux d'investissement absurdement élevé promu par l'État s'est perpétué jusqu'à aujourd'hui. Aujourd'hui, il est même beaucoup plus élevé, dépassant les 30% et se maintenant à plus de 40% au cours des 20 dernières années, au prix d'une chute brutale de la part relative de la consommation des ménages dans le PIB, qui est passée de plus de 50% au début des années 1980 à moins de 35% en 2010. Même si elle a commencé à augmenter depuis lors, elle n'a jamais atteint 40% au cours des dernières années. La raison principale de cette baisse de la consommation des ménages est la diminution de la part des revenus du travail dans le revenu national.

Deux universitaires chinois ont mis en garde contre cette situation il y a déjà quelques années dans un article dont voici un extrait :

« Le taux d'investissement de la Chine est supérieur de 30% à la moyenne mondiale, tandis que son taux de consommation est inférieur de 30% à la moyenne mondiale … et il en a résulté des capacités de production en excédent qui deviennent de plus en plus sérieuses. »

Exporter les excédents de capacité

Pékin n'avait pas l'intention d'abandonner son obsession productiviste tant qu'elle pouvait continuer à exporter ses capacités excédentaires. L'annonce récente selon laquelle, les ventes de voitures électriques BYD ayant dépassé celles de Telsla, les États-Unis et l'Europe envisagent désormais des mesures de rétorsion, n'est qu'un exemple parmi d'autres de la manière dont l'atelier du monde, qui exporte ses problèmes dans le monde entier, suscite de plus en plus de ressentiment et de mesures de rétorsion de la part des autres pays.

En ce qui concerne le marché intérieur, le PCC n'a pas tenu compte de la contrainte que représente le niveau relativement faible du revenu disponible des ménages parmi la population active, et a continué à encourager les gens à acheter leurs propres maisons, puis leurs résidences secondaires, tout en permettant aux gouvernements locaux d'accumuler des dettes dans le seul but de promouvoir le marché immobilier et leurs projets d'urbanisation. Maintenant, le jour du bilan est arrivé, et le cycle d'expansion a tourné à la débâcle. Xi est bien intervenu pour faire face à la méga-bulle à la fin de 2020 (la politique des trois lignes rouges), mais il était trop tard.

Il a assisté à la croissance rapide de la bulle depuis son arrivée au pouvoir en 2012, mais pendant dix ans, il n'a rien fait de substantiel pour refroidir la spéculation folle, sans même parler de rectifier le tir par rapport aux problèmes structurels que pose le productivisme. « Accumuler, accumuler ! C'est Moïse et les prophètes ! ». Mais le capitalisme victorien de libre marché tel que Marx le décrivait faisait pâle figure face au capitalisme d'État chinois d'aujourd'hui. La vérité dérangeante est cependant qu'il y a toujours une limite à tout, notamment pour ce qui est de la pulsion d'accumulation et de la pulsion d'abus de pouvoir. Dans le cas de la Chine, nous sommes aujourd'hui en grande difficulté parce que ces deux pulsions sont enchevêtrées, comme nous l'a révélé le Congrès national du peuple en cours.

Que faire si le pilote n'a jamais piloté d'avion ?

Cette session du Congrès était très différente des précédentes, car il a été mis fin à la tradition qui voulait que le Premier ministre tienne une conférence de presse à la fin de la session, comme cela avait été le cas chaque année depuis 1993. Cela avait toujours été un moment très important pour permettre aux observateurs extérieurs d'avoir un aperçu de l'équilibre des pouvoirs entre les différentes factions au sommet de l'État. Donner la vedette au Premier ministre est un héritage politique de Deng Xiaoping : « Nous ne permettrons jamais que l'emprise du parti sur le gouvernement se relâche, pas même d'un seul millimètre, mais nous ne permettrons pas non plus le retour à l'autocratie de l'époque de Mao ». Cependant, c'est précisément ce que Xi fait en ce moment, à savoir non seulement en revenir à l'autocratie, mais aussi faire de son abus de pouvoir la nouvelle normalité. Il ne se contente pas de concentrer toutes les instances de pouvoir entre ses mains, il continue également à se placer à la tête d'une douzaine de groupes de travail de haut niveau pour acquérir encore plus de pouvoir. En pleine crise du crédit, Xi a créé en octobre dernier une nouvelle organisation, la Commission financière centrale, en apparence sous les auspices du Comité central du PPC. Bien que le chef de la CFC soit Li Qiang, la présente session du Congrès du peuple a déjà montré clairement qui est le véritable patron de cette CFC. L'intention de Xi semble être d'affaiblir davantage les institutions financières de l'État, telles que les différentes instances de régulation.

Le problème, cependant, est de savoir si Xi sait quoi que ce soit du fonctionnement du capitalisme ou de son marché financier. En janvier dernier, nous avons vu les régulateurs du marché, dans la hâte de prévenir une chute brutale, ordonner aux investisseurs institutionnels de ne pas procéder à des ventes nettes d'actions certains jours. Cela revient à fermer le couvercle d'une marmite en ébullition pour l'empêcher de déborder. Cette mesure ne fait qu'éroder davantage la confiance du marché. Pour être honnête, Li Qiang a annoncé qu'il allait émettre des obligations d'État d'une valeur de mille milliards de RMB (ou 139 milliards de dollars US) afin de lever des fonds pour soutenir une économie en manque de liquidités. Ce montant est minuscule par rapport au risque de défaillance des gouvernements locaux, qui ont une dette de 94 000 milliards de RMB, dont 3 200 milliards arriveront à échéance à la fin de l'année (source). Sans oublier que les promoteurs immobiliers ont également besoin de 2 000 milliards de dollars américains rien que pour liquider leurs stocks(source).

Le professeur Li a quelque chose à vous dire

Ou Xi a-t-il un plan plus radical en tête ? La seule chose dont nous pouvons être sûrs, c'est que Xi dispose de nombreux leviers pour résoudre la crise émergente. En cas de nouvelles désagréables sur les marchés, il peut tout simplement les faire disparaître en fumée. Après la publication en mai dernier de statistiques montrant que le taux de chômage des jeunes dépassait les 20%, le gouvernement a tout simplement cessé de publier ces chiffres. Très vite, d'autres statistiques sont venues s'ajouter à la liste des informations censurées : baisse du taux de natalité, chute de la confiance des consommateurs et des marchés financiers, etc. Notre dirigeant avait résolu tous ces problèmes en les balayant simplement sous le tapis.

Le Congrès du peuple a donc fait un excellent travail, une fois de plus, en rappelant à la population qu'avec Xi Jinping à sa tête, personne ne devrait s'inquiéter de quoi que ce soit – il est tellement doué pour éliminer les problèmes en éliminant ceux qui les ont signalés, comme le dit le proverbe chinois. Les lecteurs étrangers se rendent rarement compte du fait que, tout au long des sessions du congrès, des pétitionnaires tentent d'adresser au gouvernement toutes sortes de doléances, parce que leur apparition en public n'est pas autorisée. Les « délégués du peuple » présents dans la grande salle se moquent éperdument de ces pétitionnaires. Il en va de même pour les médias officiels. Parfois, la détresse de ces pétitionnaires est rapportée par un compte privé sur les médias sociaux. Le commentaire suivant sur ce message à propos des pétitionnaires mérite d'être cité :

« Qu'ils ont de la chance d'avoir pu quitter leur province et se rendre à Pékin ! ». (Note de l'auteur : il est courant que les autorités locales empêchent, par la force, les pétitionnaires de se rendre à Pékin pour adresser une pétition au gouvernement central).
« La conséquence désastreuse du lavage de cerveau est que les pétitionnaires ne savent pas que l'Administration nationale des plaintes et des propositions publiques (vers laquelle les pétitionnaires se tournent) n'est pas autre chose que la collaboratrice de ceux qui leur ont causé des torts ».
« Il n'y a pas d'autre solution que de renverser le Parti communiste »
.

Les gens sont privés du droit d'être entendus, tout au plus peuvent-ils exprimer leur mécontentement en privé par l'intermédiaire des médias sociaux, mais même cette possibilité est régulièrement supprimée.

Aujourd'hui, c'est le très connu « Professeur Li » qui « est devenu un organe d'information à lui tout seul et une source essentielle d'informations sur les manifestations en Chine tant pour les personnes qui se trouvent à l'intérieur que pour celles qui se trouvent à l'extérieur du grand pare-feu informatique », comme l'a rapportéThe Nation. Le professeur Li est un immigré chinois de 32 ans qui vit en Italie, mais il a suffisamment de contacts chinois pour publier toutes sortes d'informations sur son compte Twitter. Il est devenu célèbre lors du mouvement du Livre blanc à la fin de l'année 2022. Selon des informations récentes, les autorités ont décidé de s'en prendre à lui en harcelant ses abonnés en ligne, dont le nombre s'élève à un million. Les lecteurs étrangers qui souhaitent écouter les voix d'en bas sont invités à suivre « Teacher Li » – mais si vous le faites, surveillez vos arrières.

Au Loong-yu

Traduction de Pierre Vandevorde pour ESSF avec l'aide de DeepL pro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70188

[1] Ne pas confondre Li Qiang avec le précédent Premier ministre Li Keqiang, qui a été mis de côté sans cérémonie en mars 2023.
[2] “一收(權)就死,一死就放(權),一放就亂,一亂就收(權)“
[3] “先生產,後生活“

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Des dizaines de milliers de personnes dans les rues de Jérusalem pour dénoncer l’“échec de Nétanyahou”

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche 31 mars contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, rapporte la presse internationale. Un mouvement inédit (…)

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche 31 mars contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, rapporte la presse internationale. Un mouvement inédit depuis les attaques du 7 octobre, qui fragilise un peu plus la coalition ultra-conservatrice du Premier ministre israélien.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : À Jérusalem, le 31 mars 2024. Les manifestants qui protestent contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou, ont prévu de rester quatre jours dans la ville sainte. Ils réclament des élections anticipées. Photo Ronen Zvulun/Reuters.

La guerre entre Israël et le Hamas continue, mais l'unité nationale israélienne semble se craqueler. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont marché dans la soirée du 31 mars à Jérusalem contre la coalition menée par Benyamin Nétanyahou.

“Il s'agit de la plus grosse manifestation depuis le 7 octobre, lorsque la guerre [contre le Hamas] a mis fin à plusieurs mois de protestations contre le gouvernement israélien et contre ses efforts pour réformer le système judiciaire”, précise The Times of Israel. Les protestataires entendent occuper la ville sainte pendant quatre jours.

“Nous avons besoin d'élections anticipées, explique l'un d'entre eux dans les pages du journal israélien. Le gouvernement n'a plus le soutien du peuple.” Un autre participant ajoute :

  • “Ce pays, autrefois si prospère, est maintenant dirigé par ce politicien et ses hommes de main, ce n'est pas croyable… ”

Les manifestants demandent aussi la conclusion d'un accord avec le Hamas pour obtenir la libération des otages israéliens toujours détenus à Gaza. “La lenteur des négociations, les nombreux retards engendrés par les décisions de Nétanyahou et, surtout, son manque constant d'empathie à l'égard des souffrances des otages ont fini par avoir raison des espoirs de nombreuses familles d'otages”, analyse Ha'Aretz. Einav Zangauker, la mère de l'un de l'un d'entre eux, a notamment accusé le dirigeant israélien d'être un “obstacle” à la libération de son fils.

Convergence des luttes

Des critiques auxquelles Benyamin Nétanyahou a répondu dimanche soir. D'après The Times of Israel, il a assuré “comprendre le désespoir des familles et leur besoin de tout faire pour faire revenir leurs proches”, mais estimé que des élections anticipées iraient à l'encontre d'un tel objectif et donnerait l'avantage au Hamas. “En tant que Premier ministre israélien, je fais et ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour ramener nos compatriotes au bercail”, a-t-il déclaré. Ses partisans ont quant à eux dénoncé des manifestations qui fragilisent Israël à un moment critique.

Pour le correspondant à Jérusalem du Financial Times, les négociations avec le Hamas ne sont pourtant pas les seules épines au pied du gouvernement. Dimanche, un autre groupe de manifestants s'est rendu dans le quartier ultraorthodoxe de Mea She'arim pour demander la fin de la très controversée exemption militaire des hommes ultraorthodoxes, en vigueur depuis la création de l'État hébreu, en 1948. “Des agents de police sont intervenus pour séparer les manifestants de résidents ultraorthodoxes, mais les organisateurs de la manifestation ont accusé ces derniers de leur avoir jeté des œufs.”

Les divisions politiques occultées par la guerre contre le Hamas refont surface dans l'État hébreu. The Jerusalem Post note que c'est la première fois que des familles d'otages appellent clairement à des élections anticipées. “Jusqu'à présent, il y avait deux mouvements différents : ceux qui demandaient la libération des otages et s'attiraient ainsi la sympathie de presque tout le pays, et ceux qui demandaient de nouvelles élections, des militants politiques avec un objectif clair et un soutien populaire moins large, bien que conséquent, explique le titre conservateur. Ils se sont rassemblés en un seul mouvement.”

Isolé sur la scène internationale

Dans un article d'opinion, Ha'Aretz rappelle quant à lui que ces protestations interviennent alors que l'État hébreu est de plus en plus isolé sur la scène internationale. Même les États-Unis, “le pays qui a été à nos côtés depuis le début de la guerre”, n'ont pas mis leur véto lors du vote d'une résolution de l'ONU appelant à un cessez-le-feu à Gaza. Une preuve, s'il en faut, que “Nétanyahou a échoué” et qu'il faut “retourner dans la rue” pour protester contre sa politique.

Un nouveau cycle de négociations doit reprendre à Doha, au Qatar, entre Israël et le Hamas. Mais en ce début de semaine, le gouvernement israélien a aussi approuvé une nouvelle offensive sur la ville de Rafah, au sud de l'enclave de Gaza, affirme la correspondante en Israël du Times. Nétanyahou “a assuré que rien n'empêcherait l'armée israélienne d'entrer dans la ville, où se trouvent 1,5 million de déplacés, ajoutant qu'il ne céderait ‘ni aux pressions américaines, ni à aucune pression'.”

De son côté, le Hamas s'est pour la première fois excusé dimanche auprès des Gazaouis pour les difficultés causées par la guerre sur sa chaîne Telegram, sans pour autant abandonner son ambition de poursuivre la guerre.

Marie Daoudal

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Ces privilèges indus des ultraorthodoxes qui sapent Israël

2 avril 2024, par Eva Illouz, Tamar Hostovsky Brandes — , , , ,
L'État hébreu accorde de nombreux avantages à la communauté haredi, comme l'exemption du service militaire, de plus en plus contestée et qui pourrait partiellement prendre fin (…)

L'État hébreu accorde de nombreux avantages à la communauté haredi, comme l'exemption du service militaire, de plus en plus contestée et qui pourrait partiellement prendre fin lundi 1er avril. Paradoxalement, cette rupture d'égalité institutionnalisée a jusqu'ici perduré par crainte de mettre à mal la sacro-sainte unité du pays, écrivent deux chercheuses dans le quotidien israélien “Ha'Aretz”.

Tiré de Courrier international.

La notion de contrat social est au cœur de la démocratie moderne. Elle exprime les quelques idées fondamentales suivantes : l'être humain seul est faible et sans défense ; c'est en se regroupant qu'il peut acquérir plus de force pour lutter contre les menaces.

Avec le temps, les hommes ont fini par inventer l'État, qui est devenu le représentant de l'ensemble des intérêts des individus nécessaire à leur survie. L'État ne leur apporte pas seulement la sécurité, il est aussi le garant de leur liberté contre l'oppression extérieure et assure le respect de l'intérêt commun.

En contrepartie de la sécurité, de la liberté et de la jouissance de biens publics, les citoyens acceptent d'assumer des obligations qui serviront ce même intérêt commun. C'est ainsi qu'ils concluent un “contrat” avec les autres citoyens et avec l'État.

On considérerait comme féodal un État dans lequel seul un pan de la population paierait des impôts et remplirait ses devoirs (l'obligation de faire un service militaire), tandis que l'autre jouirait du privilège de pouvoir se détendre et vivre en toute sécurité. Et pourtant, c'est exactement le type de régime ubuesque sous lequel vivent actuellement les citoyens de l'État d'Israël.

Une communauté privilégiée

Selon les données fournies par le Bureau central des statistiques, un ménage juif non ultraorthodoxe paie neuf fois plus d'impôts sur le revenu par membre du foyer fiscal qu'un ménage ultraorthodoxe, lequel perçoit par ailleurs une aide financière de l'État 52 % plus élevée que celle attribuée à un ménage non ultraorthodoxe.

En outre, les écoles ultraorthodoxes privées (“reconnues, mais non officielles”) bénéficient de meilleures subventions que les autres établissements d'enseignement de statut équivalent : elles reçoivent plus de 15 000 shekels (environ 3 780 euros) par élève et par an, contre 11 000 shekels pour les écoles laïques et 8 000 pour le secteur arabe.

Il convient naturellement de mentionner aussi l'ahurissante exemption de service militaire. Selon les chiffres publiés par les forces de défense israéliennes pour l'année 2022, environ 69 % des hommes juifs de la tranche d'âge concernée étaient sous les drapeaux.

Sur les 31 % exemptés de service militaire, plus de la moitié étaient des étudiants ultraorthodoxes de yeshiva [centres d'étude de la Torah et du Talmud]. Toujours selon ces données, environ seulement 10 % des hommes ultraorthodoxes effectuent leur service militaire ; le plus souvent, il s'agit de personnes éloignées de la religion.

Une telle situation a des conséquences évidentes : les ultraorthodoxes ne connaissent pas les difficultés et les risques du service militaire et de la guerre. [Le sujet fait depuis plusieurs semaines l'objet de tiraillements au sein du gouvernement israélien, qui n'a pas réussi à trouver un accord. La Cour suprême s'est donc saisie de la question en imposant une fin de facto de l'exemption militaire pour une partie des haredim, qui doit être effective lundi 1er avril].

Ils n'ont jamais eu à vivre des deuils douloureux et ne savent pas ce que c'est que de vivre dans l'angoisse permanente de voir un proche mourir ou être mutilé à la guerre.

Sans parler du fait que les citoyens israéliens ordinaires doivent mettre entre parenthèses leur carrière et leur vie de famille pendant les trois années de service obligatoire ; après quoi, ils doivent se débrouiller pendant quarante-cinq à cinquante ans en moyenne pour gagner leur vie, en composant tant bien que mal avec les perturbations dans leur vie personnelle et les pertes financières qui vont avec le statut de réserviste. Tous ces éléments sont des caractéristiques ordinaires de la vie des non-orthodoxes.

Injustice structurelle

On observe donc trois formes d'injustice, qui se superposent et sont toutes plus scandaleuses les unes que les autres. La première, la plus évidente, c'est que les ultraorthodoxes se la coulent douce, sans avoir à se préoccuper de leur sécurité, aux dépens des citoyens qui travaillent dur tout en se battant pour assurer la défense du pays. La deuxième, c'est que les ultraorthodoxes ont droit à une plus grande part du gâteau qu'ont préparé péniblement les autres. La troisième injustice, enfin, c'est qu'ils jouissent tranquillement, grâce à ce gâteau qu'ils n'ont pas fait eux-mêmes, d'un grand bien-être émotionnel dans des conditions de sécurité parfaite.

Or, cette situation d'asymétrie et d'injustice est sur le point de s'aggraver. En effet, si le projet de loi actuellement devant la Knesset est adopté, les futures recrues auront à faire un service militaire plus long, et leur période de réserviste sera également prolongée de plusieurs années. D'autre part, l'accroissement des effectifs militaires devrait se traduire par une augmentation des impôts, et l'on sait bien qui va devoir supporter cette nouvelle charge…

Certes, il existe des inégalités dans toutes les sociétés, car elles découlent, qu'on le veuille ou non, des structures économiques. Mais en Israël, elles proviennent de décisions délibérées issues d'accords de coalitions politiques. Elles sont inscrites dans le système social lui-même. Israël est le seul pays au monde où les privilèges d'un groupe et les inégalités sont déclarés et inscrits dans la loi comme partie intégrante d'un contrat social indécent.

Par ailleurs, il est à noter qu'en Israël, ces inégalités sont fondées sur la naissance. Dernier point : alors que dans la plupart des sociétés en butte à de graves inégalités, l'État tente de les combattre et de rectifier le tir, en Israël, l'injustice est non seulement imposée par l'État à ses citoyens, mais elle s'accroît au fil du temps, en raison de la croissance démographique de la population ultraorthodoxe.

Quel est le rôle de l'État ?

L'accroissement des inégalités s'explique également par l'augmentation du poids politique des partis ultraorthodoxes. De ce fait, ceux-ci peuvent mieux négocier des avantages pour leur propre camp et s'exonérer des charges croissantes qui pèsent sur les autres citoyens israéliens (ils ne sont notamment pas concernés par les réductions budgétaires imposées par les amendements proposés au budget 2024).

Le cas des ultraorthodoxes en Israël n'a pas d'équivalent dans le monde. L'exemple sans doute le plus choquant de la partialité de ce contrat social est le projet de loi visant à inscrire l'étude de la Torah dans une loi fondamentale. Proposé par les membres ultraorthodoxes de la Knesset en juillet 2023, le projet de loi met l'étude du Talmud sur le même plan que le service militaire, en décidant que “ceux qui auront consacré une longue période de leur vie à l'apprentissage de la Torah” pourraient être considérés comme ayant rendu un “service conséquent” à l'État d'Israël “dans le cadre de leurs droits et devoirs”.

La distorsion des relations entre les ultraorthodoxes, les autres citoyens d'Israël et l'État a des effets encore plus profonds : elle porte atteinte au contrat social israélien dans son ensemble. En effet, dès lors qu'un groupe établit une relation unilatérale avec l'État qui lui sert à promouvoir ses petits intérêts sectoriels, d'autres groupes, comme celui des colons, peuvent se sentir en droit de demander à bénéficier d'un régime préférentiel. L'État est réduit au rang de simple réservoir de ressources que différents groupes tentent de s'approprier.

C'est parce que l'État sert de plus en plus les intérêts des ultraorthodoxes et de leurs alliés, les colons, qu'il a lamentablement laissé tomber les plus de 100 000 personnes qui ont été évacuées du nord du pays dans des conditions traumatisantes, en réaction directe aux massacres et aux attaques.

Comme nous l'avons vu le 7 octobre, l'État n'a pas été en mesure de garantir une sécurité minimale ; il n'a pas pu offrir un soutien immédiat et correct, à la fois sur le plan moral et matériel, aux agriculteurs ou aux entreprises, et il a fallu faire appel au bénévolat pour combler ses lacunes. Plus étonnant encore, ceux qui travaillent, servent dans l'armée et meurent au combat sont précisément ceux qui ont envoyé des vêtements, cueilli des fruits et des légumes dans des champs déserts, informé les familles désemparées du sort de leurs proches et apporté du réconfort aux personnes en deuil.

Si l'État a brillé par son absence, c'est tout simplement parce qu'il n'est plus à leur service. Le contrat n'existe que dans un sens : les citoyens non orthodoxes sont au service de l'État, lequel est au service des ultraorthodoxes. N'importe quel autre peuple aurait depuis longtemps fomenté une insurrection contre un tel ordre social qui défie toute rationalité et menace l'avenir de l'État. Pourquoi cela n'a-t-il pas été le cas ?

Le piège de l'unité nationale

Dans la célèbre parabole du jugement de Salomon, la véritable mère de l'enfant dont une autre lui dispute la maternité préfère renoncer à sa revendication plutôt que de voir souffrir son enfant. Le fait qu'elle soit prête à se séparer de ce qui fait sa plus grande joie pour le bien du bébé met en évidence ses liens de filiation avec lui. À l'image de cette mère, le camp démocratique est prêt à tout perdre pour garder entier le bébé qu'il nomme “l'unité de la population”.

Selon la Guemara [un commentaire de la Mishna, le premier recueil de la loi juive], le Second Temple a été détruit à cause de la sinat hinam (la “haine gratuite”). On voit donc que l'idée qu'une division au sein du peuple juif peut avoir des répercussions graves, voire catastrophiques, est profondément ancrée dans la pensée juive et, depuis le 7 octobre, la notion de sinat hinam ne cesse d'être évoquée.

Pour cette raison, ceux qui se sentent responsables de l'État hésitent à provoquer des divisions au sein de la population. Mais il s'agit là d'une position à la fois erronée et dangereuse, car le pays est dirigé par des personnes qui ont prouvé, à maintes reprises, qu'elles ne se soucient pas du bien commun ni d'un avenir durable pour Israël.

De plus, la population est déjà profondément divisée entre ceux qui veulent détruire la démocratie et ceux qui veulent la préserver, entre ceux qui veulent construire une théocratie et ceux qui veulent asseoir la légitimité internationale d'Israël. Le bébé a déjà été coupé en deux, et le sage dirigeant a été remplacé depuis longtemps par de détestables hommes politiques uniquement soucieux de leurs propres intérêts.

En temps normal, nous devrions tous tendre vers l'unité et la fraternité. Mais dans le contexte israélien, ce serait une grave erreur, car ces appels à l'unité sont exploités sans vergogne par ceux qui ont semé la discorde et la haine au sein de la population, à commencer par le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou.

Le 7 octobre a révélé et mis à nu tout le délabrement des infrastructures de l'État, qui menace la nation même. C'est pourquoi, le véritable peuple d'Israël – celui sans lequel l'État ne pourrait exister – doit reprendre possession de son pays. Il doit retrouver sa souveraineté en tant que peuple israélien et réécrire un contrat social juste. Il n'y a pas, tout simplement, d'autre moyen de sauver Israël !

Les autrices

Eva Illouz est une sociologue et universitaire franco-israélienne, autrice d'une vingtaine d'ouvrages à succès explorant les liens entre les émotions intimes et les systèmes politiques. Mais depuis le 7 octobre, cette opposante au Premier ministre Benyamin Nétanyahou est très régulièrement interrogée sur la guerre qui fait rage entre Israël et le Hamas.

Tamar Hostovsky Brandes est une juriste israélienne, notamment spécialiste en droit constitutionnel, et maître de conférences à l'Ono Academic College et chercheuse associée au centre de recherches de l'Institute for Israeli Thought, tous deux situés à Tel-Aviv.

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L’autorité palestinienne dénonce le plan israélien d’une zone tampon : Gaza risque de perdre 16% de son territoire

L'occupant sioniste est en train de mettre en place un plan machiavélique d'une annexion partielle qui ne dit pas son nom. « Israël perpétue son occupation militaire de la (…)

L'occupant sioniste est en train de mettre en place un plan machiavélique d'une annexion partielle qui ne dit pas son nom. « Israël perpétue son occupation militaire de la bande de Ghaza en délimitant la soi-disant zone tampon qui dévore une grande partie de la bande et la démembre », a dénoncé hier le département des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne.

Tiré d'El Watan.

Au nom de la préservation de sa sécurité, l'Etat hébreu a mis en œuvre un plan consistant à créer une zone tampon dans la bande de Ghaza assortie de l'annexion de larges pans d'un territoire déjà étriqué et d'un morcellement poussé de l'enclave assiégée.

Selon plusieurs médias dont le journal israélien Haaretz, l'opération que mène l'armée israélienne pour établir cette zone tampon va conduire à l'amputation de 16% du territoire de la bande de Ghaza.

Un plan qu'a dénoncé vigoureusement le département des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne hier à travers un communiqué relayé par l'agence Wafa. « Israël perpétue son occupation militaire de la bande de Ghaza en délimitant la soi-disant zone tampon qui dévore une grande partie de la bande et la démembre en érigeant des constructions transversales et des routes longitudinales », a fustigé hier le ministère palestinien des Affaires étrangères.

En exécutant ce plan, Israël a « transformé le territoire en zones isolées », comme le montre « la séparation du nord de la bande de Ghaza de son centre et de son sud », et « l'encerclement et l'isolement de Rafah », constate la même autorité.

On assiste en outre à une « fermeture complète de toutes les frontières de la bande de Ghaza » et à la « poursuite de sa destruction zone après zone, la transformant en un lieu impropre à la vie humaine » relève le département palestinien des Affaires étrangères avec effroi.

Contrôle militaire de Ghaza

Alors que l'armée israélienne s'est formellement retirée de la bande de Ghaza en 2005, le ministère palestinien des Affaires étrangères et des Expatriés considère qu'Israël vise en réalité à « consolider son contrôle militaire et sécuritaire sur la bande de Ghaza en la séparant complètement de la Cisjordanie occupée, sapant ainsi les efforts internationaux déployés pour unifier la géographie de l'Etat de Palestine sous une légitimité palestinienne reconnue ».

Le communiqué prévient que « tout arrangement qui ne s'appuie pas sur une pleine coordination avec les dirigeants palestiniens, et qui n'est pas pensé dans le cadre d'une solution politique claire garantissant l'incarnation de l'Etat palestinien sur les frontières du 4 juin 1967 soutenue par une résolution contraignante du Conseil de sécurité de l'ONU, est une perte de temps et prolonge le conflit et le cycle des guerres et des violences ».

Le département palestinien des AE préconise de « traduire rapidement le consensus international sur la solution à deux Etats en mesures pratiques pour résoudre le conflit conformément aux dispositions de la légitimité internationale ».

Jeudi dernier, le journal israélien Haaretz rapportait : « Israël poursuit actuellement un projet massif dans la bande de Ghaza : l'établissement d'une zone tampon adjacente à la barrière frontalière. La zone prévue aura une largeur d'environ un kilomètre et, une fois achevée, englobera environ 16% de la superficie de la bande de Ghaza ».

Le journal ajoute que le plan en question prévoit également un « couloir de contrôle est-ouest pour surveiller les Palestiniens se déplaçant vers le Nord ». Dans son édition en ligne du 4 février 2024, le magazine Géo titrait : « Israël a-t-il déjà commencé, à coups de bulldozers, l'annexion d'une partie de Ghaza ? » Le magazine évoquait dans cet article une « zone tampon mordant sur de nombreuses terres palestiniennes ».

Citant une enquête du journal britannique The Telegraph, le magazine note : « Cette zone de sécurité encerclerait la bande et serait d'un kilomètre de largeur. 1072 bâtiments dans son périmètre ont été détruits, selon le Telegraph, sur les 2824 en place (…). Selon Israël, ces constructions ont été démolies pour des raisons de sécurité, entraînant la disparition de maisons, champs, écoles ou encore mosquées ».

Des vergers entiers détruits par les bulldozers

Dans son édition du 2 février 2024, The Telegraph publiait, en effet, une enquête fouillée sous le titre : « La nouvelle frontière israélienne avec Ghaza ». Une équipe du quotidien britannique a mené des investigations sur une base cartographique, à partir d'images satellite, sur la transformation du territoire de Ghaza depuis l'invasion israélienne le 27 octobre 2023. « Les images satellite analysées par The Telegraph montrent plus de 1000 bâtiments détruits autour du périmètre terrestre de Ghaza », révèle le journal.

Et de préciser : « Le Telegraph a été témoin direct des destructions généralisées lors d'un récent voyage à travers la prétendue zone tampon. Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont déclaré qu'elles faisaient exploser des bâtiments en montrant des preuves d'infiltration du Hamas.

Une analyse plus approfondie utilisant des images satellite prises le long de la frontière a révélé des centaines de maisons rasées, des champs et des vergers détruits, des services publics explosés et des écoles et des mosquées rasées. »

Le journal poursuit : « La zone autour de la ville de Beit Hanoun était autrefois célèbre pour ses vergers et son agriculture, avec ses plantations d'agrumes, ses arbres fruitiers et ses cultures de figues de Barbarie. Mais une grande partie de ces vergers a été détruite par les bulldozers de Tsahal envoyés pour tracer de nouvelles routes et ouvrir la voie aux véhicules militaires utilisés lors de l'invasion terrestre.

Les arbres fruitiers, les champs et les serres semblent avoir été enfouis dans le sol (…). Presque toute trace de verdure a disparu. La limite nord-est de Beit Hanoun montre environ 150 bâtiments proches de la ‘‘zone tampon'' complètement détruits, tandis que les maisons autour de la zone sont parsemées de dégâts causés par l'invasion. »

Le journal en ligne The Times of Israël a publié de son côté, le 25 mars dernier, un long papier sur le même sujet. « D'une zone tampon à des drones d'attaque en passant par des troupes supplémentaires, l'armée prévoit d'assurer la sécurité d'Israël en adoptant une approche de tolérance zéro », résume l'article en exergue.

« Le processus consistera pour Tsahal à passer de mesures défensives plus passives à l'adoption d'une doctrine de sécurité qui verra les habitants de Ghaza repoussés loin de la frontière et une force renforcée le long de la clôture activement engagée dans le maintien de la sécurité des villes israéliennes en renforçant la capacité de dissuasion », explique le site israélien.

Et de faire remarquer que « les responsables prennent soin d'utiliser le terme ‘‘zone tampon'' et non ‘‘zone de sécurité'', de peur qu'il ne rappelle la zone de sécurité du Sud-Liban maintenue par l'armée israélienne de 1985 à 2000 et considérée internationalement comme une ‘‘occupation militaire'' ».

Violences géographiques

The Times of Israël précise que « la décision de créer une zone tampon a été prise au début de la guerre, après que les massacres du 7 octobre ont amené Tsahal à conclure qu'un dispositif d'alerte précoce reposant sur le renseignement et la surveillance était insuffisant pour protéger les villes israéliennes proches de la frontière de Ghaza ».

Le site d'information indique par ailleurs : « Outre la destruction de dizaines de kilomètres de tunnels, la création de la zone tampon implique de déblayer toute végétation, y compris les champs agricoles, et de raser les maisons et autres bâtiments. » L'auteur de l'article s'est déplacé dans une localité frontalière, en l'occurrence le village palestinien de Khuzaa.

Il établit ce constat : « La destruction est évidente à Khuzaa, dont l'extrémité orientale longe pratiquement la frontière. Les maisons qui se trouvaient à quelques centaines de mètres de la clôture avant la guerre sont aujourd'hui réduites à l'état de ruines. »

Le média israélien précise que l'Etat hébreu s'est même préparé à mener une bataille juridique pour aménager cette zone tampon en violation du droit international. « L'armée travaille toujours sur le plan administratif de la zone tampon : son aspect, les capacités qu'elle comprendra, les règles d'ouverture du feu sur ceux qui y pénètrent et la possibilité d'une démarcation visible de l'endroit où elle commence.

Ce travail est effectué en collaboration avec la division juridique de Tsahal, qui pourrait un jour avoir à défendre la décision d'exproprier une parcelle de terre de la bande de Ghaza », affirme l'auteur du papier.

Plusieurs pays avaient mis en garde Israël contre toute velléité d'altération géographique de la bande de Ghaza. Même l'administration américaine s'est opposée à la création de cette zone tampon.

Le 24 janvier dernier, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale à la Maison-Blanche, John Kirby, avait clairement fait savoir dans une conférence de presse : « Notre point de vue sur cette question n'a pas changé. Nous ne voulons pas voir le territoire de Ghaza réduit d'aucune façon, et nous ne soutenons pas cela. »

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Benyamin Nétanyahou, le pire ennemi d’Israël ?

Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux et les débats qu'ils suscitent au sein de la rédaction. Dans ce numéro, nous revenons sur les lourdes (…)

Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux et les débats qu'ils suscitent au sein de la rédaction. Dans ce numéro, nous revenons sur les lourdes conséquences du jusqu'au-boutisme du Premier ministre israélien. Pour la presse étrangère, Nétanyahou est en train de faire de son pays un état paria, isolé du reste du monde et mis en cause par la justice internationale. Face à la catastrophe humanitaire à Gaza, les opinions se sont retournées et les alliés traditionnels d'Israël, dont les Américains, prennent leurs distances. Décryptages.

Tiré de Courrier international.

“Benyamin Nétanyahou est devenu un fardeau pour Israël. Il l'expose à des risques stratégiques qui pourraient lui coûter très cher” : voilà ce qu'écrit Ha'Aretz dans son éditorial daté du mardi 26 mars, jour de notre bouclage. Trop tard pour que l'article soit intégré à notre dossier, mais le ton est donné. Pour le grand quotidien de gauche israélien, le Premier ministre “mène Israël à sa perte” et nuit délibérément aux citoyens israéliens. Il doit donc démissionner.

La veille, et pour la première fois, le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté un texte appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, et ce grâce à la position des Américains, qui n'y ont pas mis leur veto. Une autre première, et non des moindres au vu du soutien jusque-là indéfectible à l'État hébreu affiché par l'administration Biden. Mais le vent tourne.

Mi-mars déjà, le chef de file de la majorité au Sénat américain, Chuck Schumer, avait sonné la charge et “accusé Nétanyahou de faire passer sa survie politique avant l'intérêt supérieur de son pays”, rappelle David Hearst dans Middle East Eye. Chuck Schumer est le plus haut responsable juif aux États-Unis, explique le journaliste, et sa voix compte particulièrement. “Israël ne peut pas survivre s'il devient un paria”, avait encore asséné le démocrate. Il n'est pas le seul à employer la formule.

Près de six mois après les attaques terroristes du Hamas, le 7 octobre, le jusqu'au-boutisme de Benyamin Nétanyahou, au prétexte de vouloir éradiquer à n'importe quel prix le Hamas, a fini par retourner l'opinion mondiale contre son pays. Un aveuglement qui pourrait menacer à terme la sécurité même d'Israël, constate la presse étrangère. Dans ces conditions, et alors que les négociations pour un cessez-le-feu piétinent, il nous paraissait plus qu'urgent de monter ce dossier.

Alors que la guerre aveugle menée par Israël a déjà fait plus de de 32 000 morts, dont 13 600 enfants, selon l'Unicef – “la bande de Gaza est aujourd'hui l'endroit le plus dangereux du monde pour un enfant”, dénonçait récemment l'organisation –, plus de 1 million de personnes sont menacées de famine à court terme dans la bande de Gaza. “Dans le nord de Gaza, il n'y a pratiquement aucune nourriture disponible. Les gens ont recours à la nourriture pour animaux, aux graines pour oiseaux pour rester en vie. Certains n'ont plus que de l'herbe à manger”, écrivait récemment le responsable d'une organisation caritative dans The Guardian.

Des bilans désormais insupportables aux yeux d'une très large partie du monde. Plus rien ne peut excuser ce qui se passe à Gaza ni l'acharnement de Nétanyahou. “La perte du soutien de l'opinion publique en Occident, les accusations de génocide portées devant la Cour internationale de justice, l'érosion du consensus au sein du peuple juif et la nervosité des partenaires financiers de l'État hébreu sont autant d'éléments qui laissent présager une défaite stratégique pour Israël”, avance Middle east eye.

Dans Ha'Aretz encore, le journaliste Alon Pinkas explique pourquoi cette guerre en fait est un aller simple vers l'“isolement d'Israël”. Dans The Jerusalem Post, Douglas Bloomfield se demande, lui, si Gaza n'est pas “le Vietnam d'Israël”. Le 12 mars, l'organisation Commanders for Israel's Security, qui rassemble plus de 500 anciens responsables sécuritaires israéliens, s'est fendu d'une lettre encore plus explicite, relayée par The Times of Israel, accusant Nétanyahou et ses alliés extrémistes de saper la sécurité de l'État hébreu.

Aujourd'hui, c'est une autre menace qui pèse sur Nétanyahou : le débat autour du statut particulier des ultraorthodoxes dans la société israélienne, explique quant à lui Yair Rosenberg dans The Atlantic. Les haredim sont en effet exemptés du service militaire depuis 1948. Une exception de plus en plus contestée en Israël, y compris au sein de l'extrême droite, qui pourrait faire imploser la coalition au pouvoir.

“À l'heure actuelle, je crains qu'Israël ne soit davantage synonyme de forteresse que de douceur du foyer. Ce pays n'offre ni sécurité ni bien-être, et mes voisins expriment souvent des doutes et des exigences à l'égard des pièces et des murs du foyer en question, voire de son existence même”, écrivait récemment l'écrivain David Grossman dans une tribune publiée par The New York Times et que nous avons traduite en français. Un texte à relire absolument.

Claire Carrard

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Alors que la CIJ et des juristes évoquent des génocides plausibles à Ghaza : Les alliés d’Israël poursuivent leurs envois d’armes

2 avril 2024, par Salima Tlemçani — , , , ,
Pendant que la famine s'installe à Ghaza où la population continue d'être la cible des bombardements sionistes incessants, faisant près d'une centaine de morts chaque jour, (…)

Pendant que la famine s'installe à Ghaza où la population continue d'être la cible des bombardements sionistes incessants, faisant près d'une centaine de morts chaque jour, Washington vient d'autoriser le transfert de près de 2,3 milliards de dollars d'armement militaire vers l'Etat hébreu. A Londres, un groupe d'avocats et de juristes a « averti » le gouvernement britannique sur le fait qu'Israël viole le droit international et conseillé de « cesser immédiatement » toute vente d'armes à Tel-Aviv.

Tiré d'El Watan.

Tout en se déclarant publiquement contre une offensive terrestre contre Rafah, Washington vient d'autoriser le transfert de près de 2,3 milliards USD d'armement vers l'entité sioniste. Dans le lot, figurent des avions de combat ainsi que plus de 1 800 bombes MK84, des engins de près de 900 kg chacun et 500 bombes MK82 de 500 livres.

Il est important de rappeler que les bombes de 900 kg sont extrêmement redoutables et peuvent raser des quartiers entiers. Raison pour laquelle beaucoup les qualifient de bombes à destruction massive et ne sont plus utilisées par de nombreuses armées dans les zones densément peuplées, en raison des pertes humaines extrêmement élevées qu'elles occasionnent.

L'armée israélienne en a fait usage dans plusieurs quartiers de réfugiés à Ghaza, tuant des centaines de Palestiniens. Ce qui a suscité des réactions de condamnation mais aussi de mise en garde de l'ONU, contre d'éventuels crimes de génocide.

Dans sa livraison de vendredi dernier, le Washington Post a expliqué que « la décision de Biden de poursuivre l'acheminement d'armes vers Israël a été fortement soutenue par de puissants groupes d'intérêt pro-israéliens à Washington, y compris AIPAC (American Israël Public Affairs Committee), qui dépense des dizaines de millions de dollars, au cours de ce cycle électoral pour renverser les démocrates qu'il considère comme insuffisamment pro-Israël ».

Ce transfert intervient au moment où Israël est pointé du doigt pour les crimes de génocide qu'elle commet à Ghaza et pour graves autres violations du droit international, malgré les injonctions qui lui ont été imposées par la CIJ (Cour internationale de justice), la plus haute juridiction de l'ONU et surtout une opinion de plus en plus hostile à la guerre.

En effet, mercredi dernier, un sondage (de Gallup) a montré que 55% des Américains désapprouvent les actions militaires israéliennes à Ghaza, soit une augmentation de 10% par rapport au même sondage effectué au mois de novembre 2023.

Il est constaté aussi que 36% des Américains sont d'accord avec l'offensive militaire israélienne à Ghaza, alors qu'ils constituaient la moitié de la population au mois de novembre 2023.

Hier, la presse britannique a fait état d'un document fuité, rédigé par un groupe d'avocats et de juristes, dont le conseiller juridique du gouvernement britannique dans lequel ils affirment qu'Israël « a enfreint le droit international ». Par conséquent, ils appellent le gouvernement à « cesser, sans délai, toutes les ventes d'armes à Israël, pour éviter d'être poursuivi pour complicité » dans le génocide en cours à Ghaza.

Alliés indéfectibles d'Israël, les USA constituent le premier fournisseur d'armement de l'Etat hébreu auquel ils octroient annuellement 3,8 milliards de dollars d'aide militaire, suivis de l'Allemagne, mais aussi de l'Italie et l'Espagne, les Pays-Bas et le Canada qui ont suspendu leurs livraisons, en raison de la guerre à Ghaza, ainsi que la France et le Royaume-Uni.

Cesser immédiatement la vente d'armes à Israël

Selon le journal israélien Times of Israël, 250 avions-cargos et une vingtaine de navires avaient été livrés, fin janvier, ainsi qu'une dizaine de milliers de tonnes d'armement et d'équipements militaires, alors que le New York Times a avancé le chiffre de 5000 bombes MK-84 livrées au mois de décembre 2023. Deuxième fournisseur, les livraisons de l'Allemagne ont connu une hausse considérable, notamment après le 7 octobre 2023.

Officiellement, elles ont atteint 326 millions d'euros, mais le gouvernement a déclaré que ces cargaisons ne concernaient que les « biens militaires », tels que des véhicules blindés ou de transport de troupes et de matériel de protection. La semaine écoulée, c'était au tour de l'Australie d'être au centre des critiques et de manifestations populaires persistantes (depuis des mois) devant les entreprises de fabrication militaires, exigeant l'arrêt des exportations d'armes vers Israël.

Chaque semaine, des piquets de grève sont organisés dans des usines à Melbourne, perturbant les activités de l'industrie d'armement qui fabrique principalement les pièces de rechange des avions F-35 utilisés par l'entité sioniste dans ses raids aériens contre la population de Ghaza.

La France, qui fait également partie du club des exportateurs d'armes vers Israël, est elle aussi, depuis quelques jours, au centre de violentes critiques, poussant le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à admettre « l'envoi de composants de munitions à Israël », tout en insistant sur leur destination de réexportation. Le gouvernement français avait affirmé n'exporter que des équipements défensifs.

La déclaration du ministre des Armées est intervenue à la suite d'une enquête, publiée le 28 mars dernier par l'ONG Disclose, qui prouve que « la société IMI Systems en Israël, réputée fournisseuse de l'armée, a acheté des maillons de munitions fabriqués en France (…). Ces maillons sont conçus pour assembler des cartouches de 5,56 mm en bande, ce qui pose la question de leur utilisation finale.

Malgré les assurances de Sébastien Lecornu et du PDG d'Eurolinks, fabricant des maillons, sur les restrictions d'usage, le manque de surveillance et de contrôle soulève des inquiétudes quant à l'usage réel de ces composants en situation de conflit », a écrit l'ONG.

Lors d'une conférence de presse, le ministre, Sébastien Lecornu, a affirmé que « la France n'exporte aucune arme, aucune munition vers Israël susceptible d'être utilisée dans l'offensive à Ghaza, pas plus que dans les autres territoires palestiniens (..).

On a un dispositif de contrôle des exportations en matière de matériel de guerre et de biens à double usage, parmi les plus approfondis et les plus stricts qui existent (...). L'essentiel du matériel exporté vers Israël consiste en des composants élémentaires, car Israël est une puissance industrielle qui intègre des composants destinés à la réexportation (…).

Notre vigilance sur cette question est toujours pleine ». Même si plusieurs pays ont déjà quitté le club des exportateurs d'armement vers Israël, beaucoup continuent à soutenir l'entité sioniste dans sa guerre contre la population civile.

De nombreux Etats mais aussi des ONG et des avocats se préparent à mener une grande bataille judiciaire devant la CPI (Cour pénale internationale) et la CIJ, pour complicité de génocide. Le Nicaragua a déjà fait le premier pas en attaquant l'Allemagne devant la CIJ, alors que des avocats ont engagé une plainte contre le gouvernement britannique pour les mêmes accusations.

Attaque contre des journalistes

L'armée d'occupation israélienne a délibérément bombardé les tentes abritant des journalistes dans la cour de l'hôpital Martyrs d'Al Aqsa à Deir Al Balah et tiré, encore une fois, sur des Palestiniens qui attendaient l'arrivée de l'aide humanitaire, faisant des martyrs et blessés, hier, au 177e jour de son agression génocidaire contre Ghaza.

Les attaques sionistes se poursuivent dans le territoire palestinien assiégé et dévasté, notamment autour de plusieurs hôpitaux. Au moins 75 personnes sont tombées en martyrs dans la nuit dans de nouveaux bombardements et attaques terrestres, pour la plupart des femmes et des enfants, selon le ministère palestinien de la Santé à Ghaza.

Dans un communiqué, le bureau des médias à Ghaza a déclaré que l'entité sioniste avait commis « un nouveau massacre en bombardant les tentes abritant des journalistes et des personnes déplacées à l'hôpital Martyrs d'Al Aqsa ». « Nous tenons l'occupation et la communauté internationale entièrement responsable de ce crime », ajoute le communiqué.

Le bureau des médias a également déclaré que plus de 400 personnes, dont du personnel médical, des patients et des personnes déplacées, étaient tombées en martyrs lors du siège de 13 jours du complexe médical Al Shifa dans la ville de Ghaza. Il a ajouté que les forces sionistes détenaient 107 personnes, dont 30 patients et 61 agents de santé, dans des conditions « inhumaines » à l'hôpital.

A Khan Younès, au sud de Ghaza, au moins 13 Palestiniens sont tombés en martyrs hier matin dans une série de frappes aériennes et d'artillerie de l'armée d'occupation israélienne, a rapporté l'agence de presse palestinienne (WAFA). Onze personnes sont tombées en martyrs et des dizaines ont été blessées lorsque les forces sionistes ont pris pour cible des civils à Bani Suheila, à l'est de Khan Younès.

Dans la région d'Al Masawi, à l'ouest de Khan Younès, une femme et sa fille sont tombées en martyrs dans un bombardement d'artillerie, selon WAFA. Les frappes aériennes sionistes ont également visé une tour résidentielle dans le quartier d'Al Asra, dans la ville de Ghaza.

Ces attaques incessantes et le siège sioniste ont aggravé la crise humanitaire et l'acheminement de l'aide à l'intérieur de Ghaza. Le Croissant-Rouge palestinien a déclaré que cinq personnes sont tombées en martyrs et des dizaines d'autres blessées par des tirs, lors d'une rare distribution d'aide dans le nord de Ghaza.

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Le pont Francis Scott Key à Baltimore s’effondre, tuant six travailleurs immigrés qui n’ont pas eu accès aux avertissements d’urgence

2 avril 2024, par Democracy now ! — , ,
Six personnes sont portées disparues et présumées mortes après qu'un cargo de 984 pieds a heurté le pont Francis Scott Key à Baltimore, provoquant l'effondrement du pont tôt (…)

Six personnes sont portées disparues et présumées mortes après qu'un cargo de 984 pieds a heurté le pont Francis Scott Key à Baltimore, provoquant l'effondrement du pont tôt mardi matin. Tous les six ont été identifiés comme des travailleurs de la construction immigrants originaires du Mexique, du Guatemala, du Salvador et du Honduras. Le gouverneur du Maryland, Wes Moore, a déclaré que l'équipage du navire avait pu lancer un appel de détresse d'urgence avant d'entrer en collision avec le pont, ce qui a permis aux autorités d'arrêter le trafic entrant et d'éviter d'autres victimes. Cependant, les rapports indiquent que les travailleurs déjà sur le pont n'ont pas reçu d'avertissements similaires. « La question que nous devrions nous poser est de savoir pourquoi les gens sur ce pont... n'avaient pas de ligne directe avec le service de répartition des urgences alors qu'ils travaillaient clairement dans un environnement potentiellement dangereux », explique le journaliste Maximillian Alvarez, rédacteur en chef de l'organisation The Real News Network, basée à Baltimore, qui a suivi de près l'histoire et la façon dont elle a affecté les communautés d'immigrants et de la classe ouvrière. « Qu'est-ce que cette histoire nous montre réellement ? Que les immigrants remplissent nos nids-de-poule la nuit pour que nous puissions nous rendre au travail en douceur le matin », explique M. Alvarez. « J'espère que les gens pourront voir cela et voir l'humanité en nous. »

27 mars 2024 | tiré de démocracy now !
https://www.democracynow.org/2024/3/27/francis_scott_key_bridge_collapse_baltimore

Invité : Maximillian Alvarez, rédacteur en chef de The Real News Network, basé à Baltimore, dans le Maryland.

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AMY GOODMAN : Pour en savoir plus, nous sommes rejoints par Maximillian Alvarez, rédacteur en chef de The Real News, basé à Baltimore. Bienvenue à Democracy Now ! Condoléances à votre ville. Et si vous pouviez commencer par parler de ce que vous avez appris sur ces travailleurs ? Je veux dire, l'avertissement a été émis, bien qu'il n'y ait eu que quelques minutes, assez de temps pour empêcher tout le trafic de traverser le pont. Parlez-nous de ce que vous comprenez de plus sur ces hommes, huit – deux ont été sauvés, un dans un état critique et six sont présumés morts.

MAXIMILLIAN ALVAREZ : Eh bien, merci beaucoup de m'avoir invité. C'est un honneur d'être ici. Mais, comme vous l'avez dit à juste titre, vous savez, nos cœurs sont brisés aujourd'hui ici à Baltimore. Il y a un trou dans nos cœurs aussi grand que l'espace où se trouvait le pont. Et il y a un vide dans ces familles qui ne sera plus jamais comblé. Et c'est vraiment ce qui nous préoccupe le plus aujourd'hui.

Et il y a encore beaucoup de choses à apprendre et à étudier sur cette histoire, mais, comme vous l'avez mentionné, ce que nous savons et ce que Jesus Campos m'a dit hier et ce que j'ai vu dans d'autres rapports, c'est que ces travailleurs, qui travaillaient pour Brawner Builders, vous savez, un entrepreneur qui est en activité depuis des décennies et qui a des contrats avec l'État du Maryland sur de nombreux autres projets, que ces travailleurs travaillaient avec Brawner au milieu de la nuit pour réparer les nids-de-poule sur le pont Key. Les hommes que nous croyons maintenant morts, dont six, vous savez, étaient sur ce pont, étaient, selon Jésus, en pause déjeuner de 30 minutes, assis dans leurs voitures ou près de leurs voitures, lorsque le pont s'est effondré.

Quand j'ai demandé à Jésus s'il savait si l'équipage avait été averti de l'appel de détresse, il m'a dit très explicitement : « Non. Non, ils ne l'ont pas fait. Et je crois que c'est ce que nous entendons chez le répartiteur de la police, n'est-ce pas ? La police savait qu'il n'y avait pas de ligne directe avec le contremaître et les gens qui se trouvaient sur ce pont. Ainsi, la police s'est précipitée pour bloquer la circulation de chaque côté du pont et attendait des renforts pour que l'un des agents puisse se rendre sur le pont et avertir l'équipe. Mais chaque seconde qui passait était une seconde perdue, et ils n'ont pas eu le temps de rejoindre l'équipe sur la passerelle. Mais je pense que le problème le plus flagrant et la question que nous devrions nous poser est de savoir pourquoi les gens qui se trouvaient sur ce pont et qui effectuaient ce travail dangereux au milieu de la nuit n'avaient pas de ligne directe avec le service de répartition des urgences, alors qu'ils travaillent clairement dans un environnement potentiellement dangereux et alors que ces énormes méganavires passent sous leurs pieds. Et jusqu'à présent, c'est ce que nous savons.

Je veux dire, il y a, encore une fois, comme, des détails qui doivent être confirmés, mais, vous savez, il y a beaucoup de choses dans cette histoire qui sembleront différentes si vous ne connaissez pas les travailleurs de la construction, si vous ne connaissez pas beaucoup d'immigrants, si vous ne connaissez pas beaucoup d'immigrants sans papiers. Juste un exemple, et je ne dis pas que c'est exactement ce qui s'est passé, mais je dis que j'ai regardé beaucoup de nouvelles locales au cours des dernières 24 heures, et il y aurait eu deux travailleurs qui ont été sortis vivants de l'eau hier, dont l'un est allé à l'hôpital, l'autre aurait refusé les soins d'urgence. Il a refusé d'être transporté à l'hôpital. Et donc, les présentateurs ont dit : « Eh bien, je suppose que cette personne allait bien, et elle est simplement rentrée chez elle. » C'est peut-être le cas. Mais encore une fois, si vous connaissez des travailleurs de la construction et que vous connaissez des immigrants et des sans-papiers, votre esprit pense immédiatement : « C'était un travailleur qui avait une peur mortelle d'aller à l'hôpital, parce qu'il était peut-être sans papiers. » Et c'est une situation dans laquelle se trouvent tant de travailleurs dans ce pays en ce moment. Et je ne peux qu'imaginer, après avoir vécu cela, si c'était le cas, ce qui doit se passer dans la tête d'une personne pour refuser les services d'urgence à ce moment-là.

Il y a donc encore beaucoup à découvrir. Mais en ce moment, les familles sont en deuil. Les collègues de travail sont en deuil. Jésus était en grande partie sous le choc quand je lui ai parlé. Et, vous savez, j'étais très ému par la suite, après lui avoir parlé aussi. Vous savez, ma fille adoptive vient du Honduras. Elle n'a pas de papiers. Elle partage avec moi des messages toute la journée depuis le Honduras de personnes essayant de savoir s'il s'agissait de membres de leur famille. C'est dévastateur, Amy.

JUAN GONZÁLEZ : Maximillian, je voulais vous poser une question : cette question des travailleurs latinos et des travailleurs immigrés tués ou blessés au travail est un problème national, presque épidémique, depuis des années, et on lui accordé peu d'attention. Dix-huit pour cent de tous les travailleurs aux États-Unis sont latinos, mais 23 % des décès sur les lieux de travail concernent les Latinos et de manière disproportionnée les travailleurs immigrés. Que répondez-vous à ces faits par rapport à ce que nous entendons constamment dans les médias à propos des migrants qui sont des criminels et un danger pour la société ?

MAXIMILLIAN ALVAREZ : Je vous remercie de votre question, Juan. Et je pense que c'est vraiment important. C'est quelque chose que je veux vraiment souligner pour les gens. Je veux dire, d'abord et avant tout, comme vous l'avez dit, vous savez, la raison pour laquelle tant de gens tendent la main, c'est parce qu'ils se sentent connectés à cette histoire. Même s'il s'agissait d'un accident unique et horrible, il y a tellement d'éléments dans cette histoire auxquels les gens, les travailleurs, à travers le pays se sentent connectés. J'étais justement à East Palestine, dans l'Ohio, ce week-end. Des résidents qui m'ont envoyé des textos toute la journée parce qu'ils se sentent liés à cela d'une certaine manière.

Des travailleurs de la construction et des gens de métier qui ont fait la même chose. Pourquoi ? Parce que la construction est toujours l'un des emplois les plus meurtriers de ce pays, bien plus meurtrier que la police, n'est-ce pas ? Je veux dire, pas plus tard que l'année dernière, six membres d'une équipe de construction ont été tués lorsqu'une voiture – dans le comté de Baltimore, lorsqu'une voiture les a percutés. C'est tout autant de personnes qui sont mortes hier. Et chacune de ces vies est précieuse, et nous devrions nous soucier tout autant de ces vies qui sont perdues. Chaque année, plus de 10 fois plus de travailleurs se tuent sur les chantiers de construction que dans des accidents de la route dans tout le pays. Ces vies comptent aussi.

Mais comme vous l'avez mentionné, Juan, je veux dire, il ne s'agit pas seulement, vous savez, des travailleurs de la construction. Il ne s'agit pas seulement d'entrepreneurs et de tout le reste. Je veux dire, le problème est tellement plus grand ici, et il va vraiment au cœur du discours que nous avons dans ce pays, où Donald Trump et les gens qui ont été empoisonnés par sa rhétorique injuste et maléfique et ses positions anti-immigrés, vous savez, vilipende des gens qui me ressemblent, des gens qui ressemblent à Jésus. Des gens comme les hommes sur ce pont, des gens comme ma fille adoptive, ses amis et son petit ami qui travaille dans la construction. C'est ça ? Cela aurait pu être nous. Cela aurait pu être n'importe lequel d'entre nous. Et Jésus et moi le savions quand nous nous parlions.

Et, vous savez, je pense que ce qu'il est vraiment important de souligner aux gens, c'est que nous ne venons pas dans ce pays pour le ruiner. Nous ne sommes pas les méchants. Nous ne sommes pas les ennemis. Nous sommes des travailleurs comme vous. Nous sommes vos voisins. Right ? Alors qu'on parle de nous comme d'une horde d'envahisseurs qui vient détruire le pays, qu'est-ce que cette histoire nous montre réellement ? Que les immigrants comblent nos nids-de-poule la nuit pour que nous puissions nous rendre au travail en douceur le matin. Les travailleurs immigrés et les entrepreneurs qui les emploient et exploitent la relation contractuelle, qui se produit partout au pays, c'est pourquoi vous trouvez des enfants qui travaillent dans des usines de conditionnement de la viande en nettoyant des scies à os au milieu de la nuit. C'est pourquoi vous trouvez des enfants, principalement des enfants migrants bruns, qui devraient être à l'école, travaillant dans des distributeurs de pièces Hyundai en Alabama. Et pourtant, Hyundai peut dire qu'il n'est pas responsable de cela parce que c'est un entrepreneur, un sous-traitant, et puis, et puis et puis... . Cela va beaucoup plus loin. Il y a des travailleurs comme celui-ci qui travaillent dans des conditions proches de l'esclavage dans notre pays en ce moment, cueillant les tomates qui vont sur votre hamburger Wendy's. Et pourtant, nous contribuons à ce pays. Nous voulons améliorer notre vie et celle de nos familles, tout comme les familles qui sont en deuil en ce moment parce que ces six hommes ne rentreront jamais à la maison. Par exemple, nous ne sommes pas vos ennemis. Nous sommes vos compagnons de travail. Nous sommes vos voisins. Nos enfants sont les amis de vos enfants à l'école. Et j'espère, plus que tout, que les gens pourront voir cela et voir l'humanité en nous et voir que cette idée que les immigrants détruisent d'une manière ou d'une autre notre pays, alors que, vous savez, comme, la cupidité des entreprises et toute la corruption causent des catastrophes de la Palestine orientale à Boeing et que sais-je encore. Par exemple, nous ne sommes pas des ennemis.

Nous sommes juste ici pour essayer de faire vivre une vie pour nos familles, de travailler et de vivre une vie confortable et digne. Et je ne sais pas pourquoi que c'est une chose si difficile à comprendre pour une si grande partie de ce pays.

USA : offensive réactionnaire contre le contrôle des naissances

2 avril 2024, par Dan La Botz — , ,
Après avoir réussi il y a deux ans à renverser l'arrêt Roe vs. Wade qui assurait la protection fédérale du droit à l'avortement, par la décision de la Cour suprême et après (…)

Après avoir réussi il y a deux ans à renverser l'arrêt Roe vs. Wade qui assurait la protection fédérale du droit à l'avortement, par la décision de la Cour suprême et après avoir adopté des restrictions à l'avortement dans plusieurs États qui ont pratiquement éliminé l'avortement, la droite préconise aujourd'hui l'élimination des pilules contraceptives.

Hebdo L'Anticapitaliste - 701 (28/03/2024)

Dan La Botz

Crédit Photo
Wikimedia Commons / Fibonacci Blue from Minnesota, USA - CC BY 2.0 Deed

Prétendant défendre les femmes qui pourraient être lésées par la contraception hormonale, et arguant qu'ils protègent également la dignité des femmes et la famille, les médias sociaux de droite ont lancé une campagne visant à mette fin à la « sexualité récréative ». Selon eux, l'élimination de la pilule contraceptive est une question féministe, bonne pour le corps et l'âme des femmes.

Offensive contre la « sexualité récréative »

Les arguments idéologiques de la droite contre la pilule, comme ceux contre l'avortement, sont formulés en termes de défense de la famille et des femmes elles-mêmes. La fondation conservatrice Heritage Foundation déclare que « ...les conservateurs doivent montrer la voie en redonnant à la sexualité sa véritable raison d'être et en mettant fin à la sexualité récréative et à l'utilisation insensée de la pilule contraceptive ».

Charles Rufo, militant de droite, affirme que « la pilule cause des problèmes de santé à de nombreuses femmes. Le “sexe récréatif” explique en grande partie pourquoi nous avons tant de familles monoparentales, ce qui favorise la pauvreté, la criminalité et les dysfonctionnements. Le but du sexe est de créer des enfants — c'est naturel, normal et bon ».

Une commentatrice de droite, s'exprimant sur X, suggère que la pilule contraceptive a souvent causé aux femmes de graves problèmes psychologiques et conduit à des relations sexuelles récréatives souvent « sans amour et dégradantes ». Elle affirme qu'il devrait y avoir « un mouvement féministe pour réapprivoiser le sexe et lui rendre son danger, son intimité et ses conséquences ». De cette façon, dit-elle, les femmes peuvent « renouer avec la plénitude de notre nature incarnée ». Les politiciens républicains ont repris ces arguments et certains proposent de restreindre ou d'interdire la pilule.

80 % des électeurEs jugent « très importante » la protection de la contraception

Il est peu probable que la plupart des femmes adhèrent à cet argument. La pilule contraceptive a été largement utilisée depuis 1960 par des dizaines de millions de femmes au cours des 60 dernières années, et bien qu'elle ne soit pas la meilleure forme de contraception pour toutes les femmes, et qu'un pourcentage relativement faible de femmes souffrent d'effets indésirables, la pilule a permis aux femmes de prendre le contrôle de leur propre vie. On parle souvent de la pilule en termes de « révolution sexuelle », mais elle a fait partie intégrante du mouvement de libération des femmes.

La pilule, largement utilisée par les femmes célibataires ou mariées, a permis aux femmes de planifier leur carrière et leur famille et, oui, d'avoir des relations sexuelles pour le plaisir quand elles le souhaitaient. Les femmes de la classe ouvrière et les femmes pauvres n'ont plus eu à avoir des enfants qu'elles ne pouvaient pas se permettre de prendre en charge, ou des enfants si nombreux qu'elles étaient submergées par le travail domestique et émotionnellement épuisées. La plupart des adolescentes ont leur premier rapport sexuel à l'âge de 16 ou 17 ans, mais certaines plus tôt, et c'est pourquoi les parents essaient souvent de les protéger contre les grossesses non désirées en prenant des dispositions avec un médecin pour qu'elles prennent la pilule contraceptive.

Un récent sondage national réalisé par Americans for Contraception, dont le New York Times s'est fait l'écho, a révélé que 80 % des électeurEs ont déclaré que la protection de l'accès à la contraception était « très importante » pour eux, et que même parmi les Républicains, 72 % considéraient le contrôle des naissances d'un œil favorable. Pourtant, les politiciens républicains tenteront probablement de restreindre l'accès aux pilules contraceptives. Ce mois-ci, dans l'État de l'Arizona, les Démocrates ont présenté un projet de loi visant à protéger l'accès à toutes les formes de contrôle des naissances, mais les Républicains l'ont rejeté. Les femmes et leurs alliés devront rester sur leurs gardes face à une nouvelle atteinte à leur liberté.

Traduction Henri Wilno

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La suspension des activités du Centre Justice et Foi, une mauvaise décision

1er avril 2024, par Ronald Cameron
Ronald Cameron Le conseil d’administration du Centre justice et foi (CJF) a mis en veille les activités du centre et ceux de la revue Relations. Toute l’équipe de travail a été (…)

Ronald Cameron Le conseil d’administration du Centre justice et foi (CJF) a mis en veille les activités du centre et ceux de la revue Relations. Toute l’équipe de travail a été mise à pied dans un délai inacceptable. Selon le communiqué officiel émis par le conseil d’administration du CJF, (...)

Kollontaï. Défaire la famille, refaire l’amour

31 mars 2024, par nathanbrullemans
Archives Révolutionnaires : À l’occasion de leur tournée des bonnes librairies de France dans le cadre du lancement de leur livre Kollontaï. Défaire la famille, refaire l’amour (…)

Archives Révolutionnaires : À l’occasion de leur tournée des bonnes librairies de France dans le cadre du lancement de leur livre Kollontaï. Défaire la famille, refaire l’amour (Éd. La Fabrique, 2024), Matthieu Renault et Olga Bronnikova nous ont fait parvenir un texte d’introduction à leur ouvrage. Tirées de leurs notes de présentation, l’autrice et l’auteur reviennent sur la contribution de la pensée d’Alexandra Kollontaï au féminisme révolutionnaire. Leur démarche se propose de situer Kollontaï dans son contexte historique, marqué par les Révolutions russes. Il et elle identifient les forces de son travail pionnier, notamment le thème de l’abolition de la forme-famille, sans manquer de pointer ce qui leur semble être des écueils aux yeux de la pensée féministe contemporaine, dont celui du « bioproductivisme ». Renault et Bronnikova font le pari d’un retour critique à Kollontaï, faisant valoir l’actualité de son œuvre, autant sur un plan intellectuel que stratégique.

Matthieu Renault et Olga Bronnikova

Pourquoi lire ou relire aujourd’hui une féministe du début du XXe siècle, russe, marxiste, bolchevique, comme Alexandra Kollontaï ? On peut pour commencer donner une double réponse. Premièrement, et tout simplement, parce qu’elle est une figure largement oubliée, et néanmoins nodale dans la longue généalogie mondiale du féminisme, et parce qu’au-delà de toute préoccupation d’antiquaire, l’immense tâche, en cours, de reconstitution des archives du féminisme est partie intégrante d’une lutte, à laquelle nous voulions modestement apporter notre contribution avec les connaissances dont nous disposions. Deuxièmement, parce qu’il suffit de feuilleter un livre de Kollontaï (disons par exemple le recueil Marxisme et révolution sexuelle, publié il y a déjà un demi-siècle aux éditions Maspero dans la foulée de Mai 68), pour se rendre compte qu’y est déjà formulé tout un ensemble d’idées, de mots d’ordre et de perspectives de lutte que les féminismes matérialistes et marxistes – des décennies 1960-1970 et suivantes, jusqu’aujourd’hui – reprendront, réactualiseront et approfondiront. Ne cachons cependant pas, et il convient de le reconnaître d’emblée, que si l’on s’en tient au seul point de vue d’une Kollontaï vue comme précurseure, au féminin, ou pionnière de la théorie féministe contemporaine, on sera peut-être déçu tant les développements de ladite théorie au cours du dernier siècle ont été prodigieux. Si on endosse de telles lunettes « progressistes », les thèses de Kollontaï pourront sembler lacunaires, parfois problématiques, du fait par exemple de leur hétéronormativité jamais remise en question, bref en partie datées, dépassées.

Cependant, et telle était notre hypothèse directrice, ce qui fait l’intérêt et toute l’originalité, aujourd’hui encore, de la pensée et de la trajectoire de Kollontaï se situe ailleurs. Ils résident d’abord dans le fait qu’on est, avec Kollontaï, en présence d’une contribution majeure à ce qu’on peut appeler la tradition des féminismes en révolution. Toutes choses égales par ailleurs, et pour prendre un exemple mieux connu, cela avait été le cas avec les écrits d’Olympe de Gouges au cours de la Révolution française. Le féminisme de Kollontaï émerge au lendemain de la révolution inachevée de 1905 et atteint son point culminant au cours de la Révolution de 1917 dont elle est une actrice de premier plan, occupant notamment la fonction de Commissaire du peuple à l’Assistance publique (ministre de la Santé) dans le premier gouvernement soviétique. On est plus précisément en présence d’une tentative, semée d’embûches, pour articuler étroitement révolution sociale – prolétarienne en l’occurrence – et lutte pour l’émancipation des femmes. Or, ce que nous avons trouvé chez Kollontaï, c’est une volonté indéfectible de faire du combat féministe une partie intégrante du processus révolutionnaire général, mais aussi, et non moins essentiellement une partie douée d’autonomie à la fois pratique et théorique ; perspective qui remettait fondamentalement en cause les rapports de subordination entre les luttes, la hiérarchie des priorités révolutionnaires, et l’idée aussi fruste que répandue que l’émancipation des femmes, conçue comme secondaire, découlerait mécaniquement de celle de la classe ouvrière.

Le Département des femmes du Parti bolchevique, le Jenotdel, fondé en 1919, fut l’incarnation même de cette volonté tenace. Mais cette dernière ne s’était pas moins continuellement heurtée aux résistances d’une majorité des hommes et d’une partie des femmes du Parti (social-démocrate d’abord, bolchevique ensuite) qui ne voyaient là que dangereuses concessions faites au féminisme en tant qu’idéologie bourgeoise. Notons que Kollontaï elle-même a toujours rejeté le terme de « féminisme », et ce qu’elle considérait être son principal mot d’ordre « femmes de toutes les classes de la population, unissez-vous ! ». Ce qui n’empêche pas a posteriori de lui appliquer le terme dans son acception contemporaine, autrement plus large, pour voir en elle, une instigatrice, aux côtés de Clara Zetkin, du féminisme socialiste. De ce point de vue, la trajectoire révolutionnaire de Kollontaï nous semblait potentiellement porteuse d’enseignements pour les débats qui animent aujourd’hui encore la gauche radicale, et ainsi dotée d’une puissante actualité sur le plan stratégique.

Mais, au-delà de cette dimension, un principe directeur de la conception et de la rédaction de notre livre a émané de la conviction qu’on ne pourrait pleinement saisir l’actualité de la pensée de Kollontaï qu’à condition d’en ressaisir l’inactualité, non bien sûr pour collectionner les fragments d’un passé dépassé, mais pour mettre au jour des idées et des projets que l’histoire a effacés, qui se sont érodés ou ont été refoulés avant même d’avoir pu se concrétiser, comme autant de « futurs passés » dans les termes de Reinhart Koselleck ; à condition autrement dit d’en révéler et d’en mettre en valeur l’intempestivité. Or, cela supposait d’en revenir à ce qui est le noyau autour duquel gravitent les thèses et les combats de Kollontaï dans leur hétérogénéité, à savoir l’impératif de l’abolition de la forme-famille, corollaire indispensable du processus de dépérissement de l’État – question qui a récemment fait l’objet d’un regain d’intérêt significatif dans la pensée féministe, en témoigne une série de publications comme l’ouvrage de Sophie Lewis, Abolish the Family. A Manifesto for Care and Liberation (2022) ou celui de M.E. O’Brien, récemment traduit en français aux Éditions de la Tempête, Abolir la famille. Capitalisme et communisation du soin (2023).

Comme cherche à le démontrer Kollontaï dans un souci permanent d’historiciser les structures familiales pour dénaturaliser leur forme bourgeoise, monogamique et patriarcale, le processus de dissolution de la famille avait été entamé au sein même du monde capitaliste avec la « mise au travail » massive des femmes, des classes populaires d’abord, qui minait de l’intérieur la division sexuelle du travail productif et du travail reproductif. La société bourgeoise ne pouvait toutefois consentir à abandonner cette division qui lui fournissait ses assises. La femme épouse-mère, d’un côté, travailleuse de l’autre, se voyait imposer un double fardeau, raison pour laquelle ledit processus de dépérissement ne pourrait s’achever qu’avec l’avènement, par la révolution, de la société communiste. C’est la problématisation par Kollontaï de ce processus, et ses inlassables efforts pour y intervenir qui constitue le fil rouge de notre livre, lequel suit chronologiquement son itinéraire révolutionnaire. Le livre se donne comme premiers matériaux de travail les textes que nous a légués Kollontaï. Il repose essentiellement, pour les aspects plus strictement biographiques, sur des fragments autobiographiques de l’autrice et sur une littérature de seconde main de langue anglaise, d’une grande richesse quoique datant déjà de plusieurs décennies (Cathy Porter, Barbara Clements, Beatrice Farnsworth[1]). Ce que nous voulions faire, c’est la biographie d’une pensée, plutôt qu’une biographie intellectuelle en un sens plus classique.

Sans reprendre un par un le contenu des différents chapitres du livre, et en tâchant de le restituer de manière plus transversale, on pourrait synthétiser le programme théorique et politique d’abolition de la famille portée par Kollontaï, en disant qu’il se développe dans deux directions principales qui correspondent aux deux types de liens constitutifs de la famille. Il s’agit d’une part de révolutionner les rapports parents-enfants, et plus spécifiquement le rapport mère-fils/fille en transformant radicalement la maternité. L’objectif est d’apporter aux femmes-mères la plus grande aide dans le soin des nourrissons et des jeunes enfants et de déléguer la responsabilité de l’ensemble des tâches d’éducation et d’instruction au collectif ouvrier tout entier. Cet impératif s’inscrit dans celui plus général d’une socialisation intégrale de la reproduction, corollaire du processus de socialisation de la production et qui implique non le partage des tâches domestiques entre hommes et femmes, que Kollontaï et les Bolcheviks considèrent au mieux comme un pis-aller, que leur entière prise en charge par la société communiste en tant que telle : « Dans l’histoire de la femme, la “séparation de la cuisine et du mariage” est une réforme non moins importante que la séparation de l’Église et de l’État[2]». Il s’agit, d’autre part, de révolutionner les rapports homme-femme, en œuvrant à la destruction des relations de dépendance, non seulement matérielle-économique, mais aussi et indissociablement spirituelle-psychique qui enchaînent un sexe à l’autre. Esquissant de manière précoce une théorie du point de vue ou du positionnement, Kollontaï défend l’idée que, du fait de leur expérience intime des ressorts de l’oppression masculine et dans une situation où les hommes, aussi révolutionnaires soient-ils en politique, demeurent pour l’extrême majorité, des bourgeois en amour, les femmes sont destinées à être les fers de lance d’une révolution sexuelle en l’absence de laquelle le communisme restera un vain mot. C’est dans cette perspective qu’elle en appelle à substituer à l’amour-un du couple monogamique, ce qu’elle appelle un amour-camaraderie, fondé sur la pluralité des liens érotiques, non moins psychiques que physiques, et dont Michael Hardt a parfaitement résumé la formule : « un amour défini par la multiplicité selon deux axes : aimer beaucoup de monde de beaucoup de manières[3]».

Cette « camaraderie », Kollontaï n’en mobilise pas le nom comme élément d’une vulgate marxiste. Elle la thématise scrupuleusement jusqu’à en faire le fondement de la « morale communiste » ou de ce qu’elle appelle encore l’« éthique prolétarienne » en tant que celle-ci ne s’impose pas verticalement, mais se construit, se tisse horizontalement, de proche en proche. Selon Kollontaï, le principe de camaraderie se teste, s’éprouve d’abord dans le domaine des rapports intimes, amoureux, lesquels forment en quelque sorte le laboratoire de la société communiste toute entière. Ce que dit Kollontaï, en substance, c’est que la camaraderie, c’est d’abord de l’affect. Or, c’est également, et de manière non moins importante, sur ce plan affectif-sensible que la logique de la propriété privée qui gouverne la société capitaliste doit être combattue. En effet, cette logique régule les structures familiales bourgeoises au même titre que la sphère économique et sociale : les rapports conjugaux y sont fondés sur l’idée de la possession exclusive, en corps mais aussi en esprit, du partenaire amoureux et sexuel. À cette structure monogamique, doit se substituer selon Kollontaï un vaste réseau amoureux s’étendant tendanciellement à tout le collectif ouvrier. Similairement, il faut transformer radicalement les rapports parentaux qui, en contexte capitaliste, réservent la sollicitude et l’intérêt des parents à leur seule progéniture, et qui sont en ce sens encore des rapports de propriété : « Désormais, la travailleuse mère […] doit s’élever à ne point faire de différence entre les tiens et les miens, elle doit se rappeler qu’il n’y a que nos enfants, ceux de la cité communiste, commune à tous les travailleurs[4]». C’est par conséquent en un sens littéral qu’il faut entendre une notion qu’affectionne particulièrement Kollontaï, et dans laquelle elle voit le terme de la révolution socialiste comme révolution psychique, affective, celle de « grande famille prolétarienne ». Or, il apparaît à l’examen que, pour Kollontaï, cette famille d’un tout autre type fait retour, rejoue à une tout autre échelle l’organisation qui prévalait au sein du supposé « communisme primitif » dans laquelle la famille élargie, clanique, s’identifiait à la société tout entière. En empruntant l’hypothèse matriarcale ou gynocratique – tirée de Bachofen et Engels et en vogue à l’époque dans les mouvements féministes et au-delà –, elle soutient que les femmes occupaient dans tous les domaines (économie, politique, savoirs) une position égale, voire supérieure à celle des hommes.

Mais dès le début des années 1920, les idées de Kollontaï sont ardemment combattues après avoir été réduites à une prétendue « théorie du verre d’eau » selon laquelle, dixit Lénine brandissant le spectre d’un communisme sexuel grossier, la « satisfaction des besoins sexuels sera, dans la société communiste, aussi simple et sans plus d’importance que le fait de boire un verre d’eau[5]». Pour contrer cette pseudo-théorie du verre d’eau, des cadres du Parti et du gouvernement, comme Anatoli Lounachartski, prônent les vertus de l’abstinence sexuelle tandis qu’un psychiatre comme Aron Zalkind énonce, caricaturalement certes, « les douze commandements sexuels du prolétariat révolutionnaire » en recommandant d’œuvrer à une planification de la vie sexuelle de la population soviétique. La contre-révolution sexuelle est en cours et elle triomphera définitivement avec le Thermidor stalinien. Cette morale puritaine, antisexe, est nourri par un discours hygiéniste qui prolifère pendant et au lendemain guerre civile (1917-1921), à une période où la « santé de la population » et la lutte contre la propagation des maladies vénériennes, est considéré comme un enjeu révolutionnaire à part entière. Allant toutefois à contre-courant d’interprétations à notre sens trop binaires, nous avons cherché à montrer que les positions révolutionnaires de Kollontaï trouvaient aussi, ponctuellement, à se traduire en un néo-moralisme prônant la soumission des intérêts individuels à ceux du collectif et revendiquant les impératifs de l’« hygiène de la race ». Si c’est au nom de celle-ci que Kollontaï, renversant la rhétorique bourgeoise, défend subversivement la pratique d’une sexualité libre et épanouie, car bonne pour la santé, elle lui sert également à dénoncer ses « excès » et les formes de sexualité qu’elle qualifie de « contre-nature », sans qu’on ne sache précisément à quoi elle se réfère. De manière plus problématique encore, Kollontaï, sur la base de thèses anti-malthusiennes, assigne aux femmes un devoir de maternité, de procréation, une obligation de répondre à leur prétendue vocation naturelle, qui est aussi une tâche sociale : donner des enfants à la patrie du communisme. La reproduction de l’espèce est ainsi conçue par elle comme partie intégrante du processus de production, selon ce que nous avons appelé un bioproductivisme dont témoignent les formules suivantes, particulièrement inquiétantes :

La femme doit observer […] toutes les règles d’hygiène prescrites pendant la grossesse et se rappeler que, pendant neuf mois elle cesse d’une certaine manière de s’appartenir. Elle est en somme au service de la collectivité, et son corps “produit” un nouveau membre pour la république ouvrière. [6]

Si nous citons ici ces mots, c’est pour bien signifier que nous n’avons pas cherché dans notre livre à dissimuler les « zones d’ombre » de la pensée de Kollontaï, très rarement mises en avant dans la littérature qui lui est consacrée. Et il y en a d’autres. On ne saurait certes reprocher qu’anachroniquement à Kollontaï ne pas avoir su concevoir la prostitution comme un travail du sexe, et on peut lui reconnaître le mérite d’avoir identifié dans sa condamnation morale un pur symptôme de la duplicité hypocrite d’une bourgeoisie qui en a besoin comme d’un « paratonnerre contre la débauche ». Il n’en reste pas moins perturbant de voir Kollontaï concevoir la prostitution comme une forme, parmi d’autres il est vrai, de « désertion du travail », et partant de parasitisme, même si c’est pour déclarer que cette désertion n’est pas différente, et pas plus ni moins répréhensible que celle pratiquée par les « femmes entretenues par leur mari ou leur amant »[7]. De même, on ne peut qu’être rétrospectivement critique vis-à-vis de la stratégie-femme élaborée par Kollontaï et le Jenotdel dans les périphéries « orientales » de l’ex-empire russe : une stratégie qui consistait à éveiller la conscience soi-disant assoupie depuis des siècles des femmes musulmanes pour la retourner contre leurs oppresseurs de l’intérieur : affermir les femmes pour affaiblir les hommes. Cette stratégie faisait des femmes musulmanes un « prolétariat de substitution » ; elle réduisait symboliquement leur libération à l’acte cérémoniel du dévoilement et faisait dépendre cette émancipation, à venir, de l’émancipation, déjà actée, des féministes blanches du centre. Une hétéro-émancipation en somme qui s’oppose terme à terme à l’impératif d’auto-émancipation des femmes que n’avait pourtant cessé de prôner Kollontaï selon laquelle il ne pourrait y avoir d’émancipation effective des femmes qu’à condition que celles-ci prennent une part active, dirigent même les organisations œuvrant à cette émancipation. 

En tant que membre de l’Opposition ouvrière, Kollontaï avait courageusement étendu, contre les leaders du Parti, cette position « autonomiste » à l’ensemble de la classe ouvrière lors du débat de 1921 sur les syndicats. Celui-ci allait entériner sa marginalisation au sein des instances du pouvoir soviétique et la contraindre à quitter la Russie deux ans plus tard pour endosser des fonctions diplomatiques à l’étranger, où elle deviendra, en Norvège, la première femme ambassadrice du monde. Destin exceptionnel, sur lequel les biographes de Kollontaï aiment mettre l’accent, mais dont il ne faut pas oublier qu’il fut la conséquence d’un « exil » douloureuxqui l’avait presque entièrement privée du pouvoir d’influer sur les politiques internes du régime soviétique et l’avait forcé à mettre entre parenthèses ses aspirations les plus authentiquement révolutionnaires.

Force est cependant de reconnaître que – suivant une tension caractéristique du bolchevisme, mais nulle part plus exacerbée que chez Kollontaï, nous a-t-il paru – cet impératif d’auto-émancipation « par le bas » avait été contrebalancé par la conviction que l’État soviétique, incarné par le Parti communiste et ses idéologues, était appelé à accompagner et diriger, au sens d’abord d’orienter, « par le haut », le processus révolutionnaire, et cela en matière de transformation des rapports entre les sexes et de morale sexuelle comme ailleurs. Si une telle contradiction, encore dialectiqueau tournant des années 1920, allait bientôt se résoudre au profit du second terme, étatique, de l’opposition, il est légitime de penser que Kollontaï, quant à elle, entrevoyait et espérait une issue inverse. C’est ce que suggère un court récit utopique de 1922, le seul du genre émanant de sa plume à notre connaissance, intitulé « Bientôt (dans 48 ans) ». La scène se déroule en 1970, dans un monde qui est dépeint comme une fédération de communes autogérées, où l’État s’est évanoui au même titre que le foyer familial ; des communes où les enfants et les jeunes ont leurs propres habitations dédiées, et où les adultes « vivent de manière communale des différentes façons qui leur conviennent [8]», c’est-à-dire selon la multiplicité des combinaisons affectives et érotiques possibles, sans imposition d’un modèle unique. Ce schème communaliste, puisant des racines profondes dans l’œuvre et la vie de Kollontaï, cette dernière aura en définitive voulu l’appliquer à la nature humaine elle-même, pour qu’il régule jusqu’à la vie la plus intime, corporelle, sexuelle, psychique, des individus, et libère cette même nature, et ses « instincts » des pesantes chaînes que lui avait imposées le capitalisme ; perspective authentiquement révolutionnaire de renaturalisation de la société qui n’en était pas moins sans porter la menace d’un renversement en son contraire, une biologisation de la communauté aux conséquences potentiellement dévastatrices, ainsi que les décennies suivantes le démontreraient.


[1] Barbara E. Clements, Bolshevik Feminist. The Life of Aleksandra Kollontai, Bloomington et Londres, Indiana University Press, 1979 ; Beatrice Farnsworth, Aleksandra Kollontai. Socialism, Feminism, and the Bolshevik Revolution, Stanford, Stanford University Press, 1980 ; Cathy Porter, Alexandra Kollontai. A Biography, Londres, Virago, 1980 .

[2] Alexandra Kollontaï, Conférences sur la libération des femmes, trad. B. Spielman, Paris, La Brèche, 2022 (1921), p. 251.

[3] Michael Hardt, « Red Love », in Maria Lind, Michele Masucci et Joanna Warsza (dir.), Red Love. A Reader on Alexandra Kollontai, Stockholm et Berlin, Konstfack Collection et Sternberg Press, p. 81.

[4] Alexandra Kollontaï, « Communism and the Family » (1920), in Selected Writings, éd. et trad. A. Holt, New York et Londres, W. W. Norton & Company, 1977, p. 210.

[5] Clara Zetkin, « Souvenirs sur Lénine (suite) », Cahiers du bolchevisme, n° 29, 15 octobre 1925, p. 1995.

[6] Alexandra Kollontaï, Conférences sur la libération des femmes, op. cit., p. 258-261.

[7] Ibid., p. 219.

[8] Alexandra Kollontaï, Soon (in 48 Years’ Time), in Selected Writings, op. cit., p. 232-233.

12 à 15 ans d’attente pour des assurances à la SAQ

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/03/IMG_2336-1024x576.jpg30 mars 2024, par Comité de Montreal
Les employés des succursales de la Société des Alcools du Québec (SAQ) à travers le Québec sont en négociations depuis janvier 2023 pour une nouvelle convention collective. (…)

Les employés des succursales de la Société des Alcools du Québec (SAQ) à travers le Québec sont en négociations depuis janvier 2023 pour une nouvelle convention collective. Suite à l'augmentation des moyens de pression en mai, qui n'ont pas abouti au résultat escompté, un mandat de grève a été (…)
PHOTO : André Querry -Manifestation pour GAZA - 23 mars 2024

S’il est minuit dans le siècle

30 mars 2024, par Rédaction
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PHOTO : André Querry -Manifestation pour GAZA - 23 mars 2024

ÉDITORIAL[1]  — Malgré les nombreuses protestations à travers le monde et dans leur propre pays, émanant de divers groupes, y compris d’organisations rassemblant des Juifs[3], plusieurs gouvernements occidentaux continuent de soutenir le gouvernement israélien. Pourtant, ils ont, et les États-Unis en particulier, les moyens de faire pression afin de faire cesser immédiatement le génocide en cours du peuple palestinien. Ce génocide accompagne les volontés de recolonisation de la bande de Gaza par l’extrême droite israélienne[4] qui a pris le prétexte des représailles des crimes inhumains commis par le Hamas le 7 octobre dernier pour la mettre en œuvre à grande échelle.

Ce constat sur l’attitude de puissances occidentales en dit long sur l’époque que nous vivons, alors que les classes dirigeantes gagnées par le néolibéralisme ont perdu le sens de l’intérêt collectif et qu’elles préfèrent continuer leurs calculs stratégiques en défense de leurs intérêts à court terme. Car qui peut ignorer que la haine et la violence alimentent le désespoir et la haine et la violence ? D’une certaine façon, Israël en est l’illustration, avec sa population prise en tenaille par un gouvernement sioniste d’extrême droite, qui instrumentalise la Shoah et prétend parler au nom des Juifs de la planète.

Les élites néolibérales, y compris lorsqu’elles flirtent avec l’extrême droite et mettent en œuvre des politiques autoritaristes, n’ignorent pas qu’une part de consentement de certaines couches de la société est nécessaire pour gouverner. Comme disait Talleyrand à Napoléon : « On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus[5] ». Les refus de certains pays, dont le Canada et le Québec, de voter une résolution appelant au cessez-le-feu à l’Assemblée des Nations unies est un non-sens criminel. Mais le soutien inconditionnel à Israël est sans doute une façon d’alléger la culpabilité de l’Europe et des États-Unis. Car, dès 1942, Roosevelt, Churchill et d’autres savaient ce qui se passait dans les camps d’extermination, mais n’ont rien fait pour arrêter la Shoah. Depuis, on laisse le sionisme développer son récit de l’histoire sur le thème : « Seul Israël peut assurer la sécurité des Juifs ». Ce qui ressemble à une gigantesque tartufferie quand on regarde la montée de l’antisémitisme un peu partout dans le monde depuis le début des représailles génocidaires[6].

Mais les classes dirigeantes n’ont-elles jamais eu une vision du bien commun quand les populations du Sud global sont en jeu ? Plus de cinq cents ans d’histoire faite de génocides des Autochtones, de traite des Noirs africains et de l’esclavage, de colonialisme, de racisme et d’antisémitisme nous ont démontré le contraire.

Aujourd’hui, lorsque l’on compare les réponses occidentales à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et celles suivant la destruction en cours de Gaza et de ses habitants par Israël, on constate qu’il n’y a aucun support gouvernemental digne de ce nom des Palestiniens et Palestiniennes. Pire, plusieurs pays occidentaux, dont le Canada, les États-Unis, l’Italie et la Grande-Bretagne ont immédiatement coupé le financement de l’UNRWA[7], un organisme des Nations unies, sur les seules allégations d’Israël au sujet d’une participation d’employés de cet organisme aux attaques du Hamas le 7 octobre. Pourtant, dans d’autres situations où des employés d’organismes de l’ONU ou des Casques bleus étaient accusés de viols et d’autres atrocités lors d’interventions, les sanctions n’ont pas été dirigées contre les organismes[8], car on arguait, avec raison, qu’il ne fallait pas confondre leur raison d’être avec le personnel employé ou mobilisé. En outre, ces allégations sont intervenues juste après qu’ait été confirmé, le 26 janvier dernier, le risque de génocide des Palestiniens par la Cour internationale de justice, qui avait été saisie par des avocats de l’Afrique du Sud, ce pays où la population noire a mis fin à l’apartheid. Or, l’arrêt du financement de l’UNRWA va transformer le risque de génocide des Palestiniens en réalité.

L’UNRWA joue en effet un rôle essentiel dans la survie du peuple gazaoui qui, en plus des bombardements, subit la soif, la famine et les épidémies en raison du blocus en eau, nourriture, électricité et essence imposé par Israël. Car Israël contrôle tout dans la bande de Gaza. C’est son gouvernement et son administration, ses services secrets, son armée qui décident de tout ce qui se passe à Gaza, et même de qui peut travailler pour l’UNRWA ou bénéficier d’une autorisation pour rejoindre sa famille en France ou au Canada !

Pour les gouvernements occidentaux qui ont choisi de refuser de réclamer un cessez-le-feu immédiat, toutes les vies n’ont pas la même valeur. C’est ce qu’on retiendra au-delà des calculs stratégiques de Biden et de ses conseillers qui ne veulent pas donner l’impression qu’ils ne soutiennent plus Israël – ce qui risque par ailleurs de saper les chances que le Parti démocrate l’emporte sur Trump. Les États-Unis ont, il est vrai, durci leur discours, puis annoncé des sanctions contre les colons israéliens qui, profitant du chaos régnant, sévissent brutalement et souvent mortellement en Cisjordanie. Mais selon cette stratégie des petits pas diplomatiques, qui demande du temps, les Palestiniens font figure de « dommages collatéraux ». Cela est inadmissible, même si Biden et son administration prennent soin de ne pas confondre la population israélienne avec son gouvernement, et préfèrent attendre que Netanyahou soit obligé de partir pour mettre en œuvre un cessez-le-feu et la solution à deux États prévue par l’ONU depuis 1947 et prémisse des accords d’Oslo en 1993. Si tant est que cette solution soit encore viable, alors que c’est Netanyahou lui-même et sa clique d’extrême droite qui ont aidé le développement du Hamas – dont on ne peut ignorer les méthodes de gestion par la terreur sur la bande de Gaza[9] – parce qu’ils misaient sur le fait que le Hamas, qui était comme eux opposé à ces accords, les fasse échouer. Ces accords représentaient pourtant d’importants reculs par rapport aux aspirations des Palestiniens à reconquérir leur territoire de 1967[10]. Ils résultaient notamment du soutien inconditionnel des États-Unis et d’autres puissances occidentales pour Israël, mais aussi du manque de vision politique de Yasser Arafat, dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine, majoritaire à l’époque parmi les Palestiniens, et de l’absence d’un réel appui des gouvernements des pays arabes. Malgré de grandes déclarations, ces derniers ont plus souvent laissé les Palestiniens à leur sort, quand ils ne les ont pas réprimés, préférant normaliser leurs relations avec Israël et l’Occident.

Combien de temps encore avant que les Israéliennes et les Israéliens ne mettent Netanyahou à la porte ? Car la majorité enrage contre leur premier ministre depuis leur mobilisation massive contre un projet de réforme judiciaire antidémocratique, bien avant le 7 octobre. Mais critiquer les politiques n’était plus dans les priorités depuis le 7 octobre, hormis pour celles et ceux qui risquent leur propre vie pour documenter et défendre les Palestiniennes et les Palestiniens de Cisjordanie contre les crimes qui se multiplient de la part des colons israéliens. En partie sous l’emprise d’un Netanyahou qui gouverne « par la peur[11] », la population est surtout focalisée sur les otages encore détenus par le Hamas et ses satellites, et sur les crimes commis le 7 octobre dernier, que certains vont jusqu’à qualifier de nouvelle Shoah, pratiquant aussi du coup une « autre forme de révisionnisme », comme le remarque Laurel Leff dans Haaretz[12], le seul journal israélien qui maintient une volonté critique d’information. Mais dans leur majorité, les Israéliens semblent indifférents au sort des Palestiniens. Quelques centaines ont toutefois manifesté le 18 janvier dernier à Tel-Aviv, pour réclamer un cessez-le-feu, expliquant notamment que « la guerre est mauvaise pour les Israéliens et pour les Palestiniens », mais « bonne pour le Hamas et pour Bibi[13] ». On est loin cependant des dizaines de milliers de manifestantes et manifestants qui défilaient au cours d’époques précédentes pour la paix avec les Palestiniens[14]. Selon un manifestant, le 18 janvier, la plupart des Israéliens « soit ne veulent pas comprendre ce qui se passe à Gaza, soit préfèrent détourner les yeux[15] ». Cela changera-t-il avec la reprise, début février, de manifestations contre le gouvernement Netanyahou, dont les prises de position reposent sur les mêmes soubassements racistes, xénophobes et colonialistes que les discours ou des lois anti-immigrants portés par une partie de l’extrême droite européenne ?

Dans un message (post) qui circulait sur Facebook en ce début d’année, il était écrit : « Ce qui est mort à Gaza, c’est l’idée que l’Occident incarnait l’humanité et la démocratie[16] ». Historiquement parlant, cette idée est morte avant, en 1942, et encore avant, pendant les siècles de domination coloniale qui ont précédé. La différence aujourd’hui, c’est que le génocide se déroule en direct, documenté par des journalistes palestiniens qui perdent la vie[17], les uns après les autres, dans ce combat destiné à informer et à restituer un nom, une voix et une histoire à ces dizaines de milliers d’êtres humains, femmes et enfants en premier lieu, qui sont morts ou mutilés.

La différence tient aussi dans le fait que les populations, qu’elles soient au Sud ou au Nord, sont plus sensibles aux enjeux. Les aspirations à l’égalité et à la démocratie se sont élargies pour intégrer une vision intersectionnelle des dominations et une conscience des rapports de pouvoir Nord-Sud – en témoigne l’ampleur des manifestations pour le cessez-le-feu, notamment dans ces pays occidentaux conduits par un néolibéralisme ravageur pour les pauvres, les minorités ou groupes minorés et les femmes. Dès lors, on peut croire en la capacité des êtres humains à se saisir de cette relativisation de l’héritage occidental pour poursuivre et mettre en pratique d’autres visions du monde.

En attendant, nous sommes dans ce moment dont parlait Gramsci lorsque l’Italie était dirigée par Mussolini et que le fascisme faisait des émules : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaitre et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Cela, avec des conséquences désastreuses en termes de vies humaines.

Par Carole Yerochewski, pour le comité de rédaction[2]


NOTES

  1. Ce titre est celui d’un livre écrit en 1939 par Victor Serge, anarchiste gagné au trotskysme pendant la Révolution russe, qui a été emprisonné par Staline et qui dénonce cette machine à broyer les êtres humains, en redonnant un visage et un nom à ces opposantes et opposants qui mourraient dans l’anonymat, comme meurent aujourd’hui tant de Palestiniennes et de Palestiniens broyés par les bombes de l’armée israélienne.
  2. Carole Yerochewski et le comité de rédaction remercient Rabih Jamil pour sa participation à la réflexion qui a conduit à l’écriture de cet éditorial.
  3. Comme Voix juives indépendantes Canada, et d’organisations ou représentants et représentantes de Juifs sionistes, selon les pays, notamment aux États-Unis.
  4. Rania Massoud, « En Israël, l’extrême droite rêve tout haut à la recolonisation de Gaza », Radio-Canada, 22 décembre 2023.
  5. « Sauf s’asseoir dessus » exprimait le fait qu’on ne peut se reposer sur la force, c’est-à-dire gouverner sans craindre ou risquer des protestations et des contre-réactions à cette violence.
  6. L’antisémitisme et le racisme anti-arabe ont décuplé ces derniers mois un peu partout. Voir à ce sujet :Tamara Alteresco, « Montée de l’antisémitisme en France », reportage de Radio-Canada, 6 novembre 2023 ; Oona Barrett, « Comprendre la montée de l’antisémitisme », Pivot, 17 novembre 2023 ; « Deux expertes de l’ONU dénoncent la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie dans le monde », ONU info, 22 décembre 2023.
  7. UNRWA : United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East; en français, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
  8. Human Rights Watch, « République centrafricaine : Des viols commis par des Casques bleus », 4 février 2016, <https://www.hrw.org/fr/news/2016/02/04/republique-centrafricaine-des-viols-commis-par-des-casques-bleus>.
  9. Voir un état des lieux par Amnistie internationale ; Voir aussi : AFP et Le Figaro, « Gaza : un émissaire de l’ONU condamne la répression par le Hamas de manifestations », 17 mars 2019.
  10. Voir l’analyse d’Edward Saïd, « Au lendemain d’Oslo », 1993, dans lequel il rappelle les conditions pour mettre en œuvre une autodétermination palestinienne, un objectif oublié dans les discours actuels : <https://blogs.mediapart.fr/t-allal/blog/260124/pour-memoire-au-lendemain-doslo-dedward-said>.
  11. Netanyahou a été désigné comme « le plus grand marchand de peur de l’histoire d’Israël » par le journal Haaretz, qui sous-titre « Comment les tactiques de peur de Netanyahou manipulent les Israéliens », 27 janvier 2024.
  12. Laurel Leff, « Comment la Nakba a éclipsé l’Holocauste dans les médias américains depuis le 7 octobre », Haaretz, 10 décembre 2023.
  13. Surnom du premier ministre Benjamin Netanyahou.
  14. Voir La Paix maintenant, un mouvement extra-parlementaire israélien : <https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Paix_maintenant>.
  15. Voir Aya Batrawy, « Israeli protesters demand Gaza cease-fire in rare anti-war march through Tel-Aviv », Wamu 88.5, 19 janvier 2024, < https://wamu.org/story/24/01/19/israeli-protesters-demand-gaza-cease-fire-in-rare-anti-war-march-through-tel-aviv/>.
  16. Notre traduction.
  17. Plus de 80 journalistes sont morts depuis le début des représailles. Voir Yunnes Abzouz et Rachida El Azzouzi, « Journalistes tués en Palestine : comment et pourquoi Mediapart a enquêté », 11 février 2024, <https://www.mediapart.fr/journal/international/110224/journalistes-tues-en-palestine-comment-et-pourquoi-mediapart-enquete>. Une veillée en leur honneur a été organisée le 11 janvier dernier à Montréal par Palestinian Youth Movement avec la participation de plusieurs organisations dont Voix juives indépendantes.

 

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KOLLONTAÏ. Défaire la famille, refaire l’amour

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Archives Révolutionnaires : À l’occasion de leur tournée des bonnes librairies de France dans le cadre du lancement de leur livre Kollontaï. Défaire la famille, refaire l’amour (…)

Archives Révolutionnaires : À l’occasion de leur tournée des bonnes librairies de France dans le cadre du lancement de leur livre Kollontaï. Défaire la famille, refaire l’amour (Éd. La Fabrique, 2024), Matthieu Renault et Olga Bronnikova nous ont fait parvenir un texte d’introduction à leur ouvrage. Tirées de leurs notes de présentation, l’autrice et l’auteur reviennent sur la contribution de la pensée d’Alexandra Kollontaï au féminisme révolutionnaire. Leur démarche se propose de situer Kollontaï dans son contexte historique, marqué par les Révolutions russes. Il et elle identifient les forces de son travail pionnier, notamment le thème de l’abolition de la forme-famille, sans manquer de pointer ce qui leur semble des écueils en regard de la pensée féministe contemporaine, dont celui du « bioproductivisme ». Renault et Bronnikova font le pari d’un retour critique à Kollontaï, faisant valoir l’actualité de son œuvre, autant sur un plan intellectuel que stratégique.

Matthieu Renault et Olga Bronnikova

Pourquoi lire ou relire aujourd’hui une féministe du début du XXe siècle, russe, marxiste, bolchevique, comme Alexandra Kollontaï ? On peut pour commencer donner une double réponse. Premièrement, et tout simplement, parce qu’elle est une figure largement oubliée, et néanmoins nodale dans la longue généalogie mondiale du féminisme, et parce qu’au-delà de toute préoccupation d’antiquaire, l’immense tâche, en cours, de reconstitution des archives du féminisme est partie intégrante d’une lutte, à laquelle nous voulions modestement apporter notre contribution avec les connaissances dont nous disposions. Deuxièmement, parce qu’il suffit de feuilleter un livre de Kollontaï (disons par exemple le recueil Marxisme et révolution sexuelle, publié il y a déjà un demi-siècle aux éditions Maspero dans la foulée de Mai 68), pour se rendre compte qu’y est déjà formulé tout un ensemble d’idées, de mots d’ordre et de perspectives de lutte que les féminismes matérialistes et marxistes – des décennies 1960-1970 et suivantes, jusqu’aujourd’hui – reprendront, réactualiseront et approfondiront. Ne cachons cependant pas, et il convient de le reconnaître d’emblée, que si l’on s’en tient au seul point de vue d’une Kollontaï vue comme précurseure, au féminin, ou pionnière de la théorie féministe contemporaine, on sera peut-être déçu tant les développements de ladite théorie au cours du dernier siècle ont été prodigieux. Si on endosse de telles lunettes « progressistes », les thèses de Kollontaï pourront sembler lacunaires, parfois problématiques, du fait par exemple de leur hétéronormativité jamais remise en question, bref en partie datées, dépassées.

Cependant, et telle était notre hypothèse directrice, ce qui fait l’intérêt et toute l’originalité, aujourd’hui encore, de la pensée et de la trajectoire de Kollontaï se situe ailleurs. Ils résident d’abord dans le fait qu’on est, avec Kollontaï, en présence d’une contribution majeure à ce qu’on peut appeler la tradition des féminismes en révolution. Toutes choses égales par ailleurs, et pour prendre un exemple mieux connu, cela avait été le cas avec les écrits d’Olympe de Gouges au cours de la Révolution française. Le féminisme de Kollontaï émerge au lendemain de la révolution inachevée de 1905 et atteint son point culminant au cours de la Révolution de 1917 dont elle est une actrice de premier plan, occupant notamment la fonction de Commissaire du peuple à l’Assistance publique (ministre de la Santé) dans le premier gouvernement soviétique. On est plus précisément en présence d’une tentative, semée d’embûches, pour articuler étroitement révolution sociale – prolétarienne en l’occurrence – et lutte pour l’émancipation des femmes. Or, ce que nous avons trouvé chez Kollontaï, c’est une volonté indéfectible de faire du combat féministe une partie intégrante du processus révolutionnaire général, mais aussi, et non moins essentiellement une partie douée d’autonomie à la fois pratique et théorique ; perspective qui remettait fondamentalement en cause les rapports de subordination entre les luttes, la hiérarchie des priorités révolutionnaires, et l’idée aussi fruste que répandue que l’émancipation des femmes, conçue comme secondaire, découlerait mécaniquement de celle de la classe ouvrière.

Le Département des femmes du Parti bolchevique, le Jenotdel, fondé en 1919, fut l’incarnation même de cette volonté tenace. Mais cette dernière ne s’était pas moins continuellement heurtée aux résistances d’une majorité des hommes et d’une partie des femmes du Parti (social-démocrate d’abord, bolchevique ensuite) qui ne voyaient là que dangereuses concessions faites au féminisme en tant qu’idéologie bourgeoise. Notons que Kollontaï elle-même a toujours rejeté le terme de « féminisme », et ce qu’elle considérait être son principal mot d’ordre « femmes de toutes les classes de la population, unissez-vous ! ». Ce qui n’empêche pas a posteriori de lui appliquer le terme dans son acception contemporaine, autrement plus large, pour voir en elle, une instigatrice, aux côtés de Clara Zetkin, du féminisme socialiste. De ce point de vue, la trajectoire révolutionnaire de Kollontaï nous semblait potentiellement porteuse d’enseignements pour les débats qui animent aujourd’hui encore la gauche radicale, et ainsi dotée d’une puissante actualité sur le plan stratégique.

Mais, au-delà de cette dimension, un principe directeur de la conception et de la rédaction de notre livre a émané de la conviction qu’on ne pourrait pleinement saisir l’actualité de la pensée de Kollontaï qu’à condition d’en ressaisir l’inactualité, non bien sûr pour collectionner les fragments d’un passé dépassé, mais pour mettre au jour des idées et des projets que l’histoire a effacés, qui se sont érodés ou ont été refoulés avant même d’avoir pu se concrétiser, comme autant de « futurs passés » dans les termes de Reinhart Koselleck ; à condition autrement dit d’en révéler et d’en mettre en valeur l’intempestivité. Or, cela supposait d’en revenir à ce qui est le noyau autour duquel gravitent les thèses et les combats de Kollontaï dans leur hétérogénéité, à savoir l’impératif de l’abolition de la forme-famille, corollaire indispensable du processus de dépérissement de l’État – question qui a récemment fait l’objet d’un regain d’intérêt significatif dans la pensée féministe, en témoigne une série de publications comme l’ouvrage de Sophie Lewis, Abolish the Family. A Manifesto for Care and Liberation (2022) ou celui de M.E. O’Brien, récemment traduit en français aux Éditions de la Tempête, Abolir la famille. Capitalisme et communisation du soin (2023).

Comme cherche à le démontrer Kollontaï dans un souci permanent d’historiciser les structures familiales pour dénaturaliser leur forme bourgeoise, monogamique et patriarcale, le processus de dissolution de la famille avait été entamé au sein même du monde capitaliste avec la « mise au travail » massive des femmes, des classes populaires d’abord, qui minait de l’intérieur la division sexuelle du travail productif et du travail reproductif. La société bourgeoise ne pouvait toutefois consentir à abandonner cette division qui lui fournissait ses assises. La femme épouse-mère, d’un côté, travailleuse de l’autre, se voyait imposer un double fardeau, raison pour laquelle ledit processus de dépérissement ne pourrait s’achever qu’avec l’avènement, par la révolution, de la société communiste. C’est la problématisation par Kollontaï de ce processus, et ses inlassables efforts pour y intervenir qui constitue le fil rouge de notre livre, lequel suit chronologiquement son itinéraire révolutionnaire. Le livre se donne comme premiers matériaux de travail les textes que nous a légués Kollontaï. Il repose essentiellement, pour les aspects plus strictement biographiques, sur des fragments autobiographiques de l’autrice et sur une littérature de seconde main de langue anglaise, d’une grande richesse quoique datant déjà de plusieurs décennies (Cathy Porter, Barbara Clements, Beatrice Farnsworth[1]). Ce que nous voulions faire, c’est la biographie d’une pensée, plutôt qu’une biographie intellectuelle en un sens plus classique.

Sans reprendre un par un le contenu des différents chapitres du livre, et en tâchant de le restituer de manière plus transversale, on pourrait synthétiser le programme théorique et politique d’abolition de la famille portée par Kollontaï, en disant qu’il se développe dans deux directions principales qui correspondent aux deux types de liens constitutifs de la famille. Il s’agit d’une part de révolutionner les rapports parents-enfants, et plus spécifiquement le rapport mère-fils/fille en transformant radicalement la maternité. L’objectif est d’apporter aux femmes-mères la plus grande aide dans le soin des nourrissons et des jeunes enfants et de déléguer la responsabilité de l’ensemble des tâches d’éducation et d’instruction au collectif ouvrier tout entier. Cet impératif s’inscrit dans celui plus général d’une socialisation intégrale de la reproduction, corollaire du processus de socialisation de la production et qui implique non le partage des tâches domestiques entre hommes et femmes, que Kollontaï et les Bolcheviks considèrent au mieux comme un pis-aller, que leur entière prise en charge par la société communiste en tant que telle : « Dans l’histoire de la femme, la “séparation de la cuisine et du mariage” est une réforme non moins importante que la séparation de l’Église et de l’État[2]». Il s’agit, d’autre part, de révolutionner les rapports homme-femme, en œuvrant à la destruction des relations de dépendance, non seulement matérielle-économique, mais aussi et indissociablement spirituelle-psychique qui enchaînent un sexe à l’autre. Esquissant de manière précoce une théorie du point de vue ou du positionnement, Kollontaï défend l’idée que, du fait de leur expérience intime des ressorts de l’oppression masculine et dans une situation où les hommes, aussi révolutionnaires soient-ils en politique, demeurent pour l’extrême majorité, des bourgeois en amour, les femmes sont destinées à être les fers de lance d’une révolution sexuelle en l’absence de laquelle le communisme restera un vain mot. C’est dans cette perspective qu’elle en appelle à substituer à l’amour-un du couple monogamique, ce qu’elle appelle un amour-camaraderie, fondé sur la pluralité des liens érotiques, non moins psychiques que physiques, et dont Michael Hardt a parfaitement résumé la formule : « un amour défini par la multiplicité selon deux axes : aimer beaucoup de monde de beaucoup de manières[3]».

Cette « camaraderie », Kollontaï n’en mobilise pas le nom comme élément d’une vulgate marxiste. Elle la thématise scrupuleusement jusqu’à en faire le fondement de la « morale communiste » ou de ce qu’elle appelle encore l’« éthique prolétarienne » en tant que celle-ci ne s’impose pas verticalement, mais se construit, se tisse horizontalement, de proche en proche. Selon Kollontaï, le principe de camaraderie se teste, s’éprouve d’abord dans le domaine des rapports intimes, amoureux, lesquels forment en quelque sorte le laboratoire de la société communiste toute entière. Ce que dit Kollontaï, en substance, c’est que la camaraderie, c’est d’abord de l’affect. Or, c’est également, et de manière non moins importante, sur ce plan affectif-sensible que la logique de la propriété privée qui gouverne la société capitaliste doit être combattue. En effet, cette logique régule les structures familiales bourgeoises au même titre que la sphère économique et sociale : les rapports conjugaux y sont fondés sur l’idée de la possession exclusive, en corps mais aussi en esprit, du partenaire amoureux et sexuel. À cette structure monogamique, doit se substituer selon Kollontaï un vaste réseau amoureux s’étendant tendanciellement à tout le collectif ouvrier. Similairement, il faut transformer radicalement les rapports parentaux qui, en contexte capitaliste, réservent la sollicitude et l’intérêt des parents à leur seule progéniture, et qui sont en ce sens encore des rapports de propriété : « Désormais, la travailleuse mère […] doit s’élever à ne point faire de différence entre les tiens et les miens, elle doit se rappeler qu’il n’y a que nos enfants, ceux de la cité communiste, commune à tous les travailleurs[4]». C’est par conséquent en un sens littéral qu’il faut entendre une notion qu’affectionne particulièrement Kollontaï, et dans laquelle elle voit le terme de la révolution socialiste comme révolution psychique, affective, celle de « grande famille prolétarienne ». Or, il apparaît à l’examen que, pour Kollontaï, cette famille d’un tout autre type fait retour, rejoue à une tout autre échelle l’organisation qui prévalait au sein du supposé « communisme primitif » dans laquelle la famille élargie, clanique, s’identifiait à la société tout entière. En empruntant l’hypothèse matriarcale ou gynocratique – tirée de Bachofen et Engels et en vogue à l’époque dans les mouvements féministes et au-delà –, elle soutient que les femmes occupaient dans tous les domaines (économie, politique, savoirs) une position égale, voire supérieure à celle des hommes.

Mais dès le début des années 1920, les idées de Kollontaï sont ardemment combattues après avoir été réduites à une prétendue « théorie du verre d’eau » selon laquelle, dixit Lénine brandissant le spectre d’un communisme sexuel grossier, la « satisfaction des besoins sexuels sera, dans la société communiste, aussi simple et sans plus d’importance que le fait de boire un verre d’eau[5]». Pour contrer cette pseudo-théorie du verre d’eau, des cadres du Parti et du gouvernement, comme Anatoli Lounachartski, prônent les vertus de l’abstinence sexuelle tandis qu’un psychiatre comme Aron Zalkind énonce, caricaturalement certes, « les douze commandements sexuels du prolétariat révolutionnaire » en recommandant d’œuvrer à une planification de la vie sexuelle de la population soviétique. La contre-révolution sexuelle est en cours et elle triomphera définitivement avec le Thermidor stalinien. Cette morale puritaine, antisexe, est nourri par un discours hygiéniste qui prolifère pendant et au lendemain guerre civile (1917-1921), à une période où la « santé de la population » et la lutte contre la propagation des maladies vénériennes, est considéré comme un enjeu révolutionnaire à part entière. Allant toutefois à contre-courant d’interprétations à notre sens trop binaires, nous avons cherché à montrer que les positions révolutionnaires de Kollontaï trouvaient aussi, ponctuellement, à se traduire en un néo-moralisme prônant la soumission des intérêts individuels à ceux du collectif et revendiquant les impératifs de l’« hygiène de la race ». Si c’est au nom de celle-ci que Kollontaï, renversant la rhétorique bourgeoise, défend subversivement la pratique d’une sexualité libre et épanouie, car bonne pour la santé, elle lui sert également à dénoncer ses « excès » et les formes de sexualité qu’elle qualifie de « contre-nature », sans qu’on ne sache précisément à quoi elle se réfère. De manière plus problématique encore, Kollontaï, sur la base de thèses anti-malthusiennes, assigne aux femmes un devoir de maternité, de procréation, une obligation de répondre à leur prétendue vocation naturelle, qui est aussi une tâche sociale : donner des enfants à la patrie du communisme. La reproduction de l’espèce est ainsi conçue par elle comme partie intégrante du processus de production, selon ce que nous avons appelé un bioproductivisme dont témoignent les formules suivantes, particulièrement inquiétantes :

La femme doit observer […] toutes les règles d’hygiène prescrites pendant la grossesse et se rappeler que, pendant neuf mois elle cesse d’une certaine manière de s’appartenir. Elle est en somme au service de la collectivité, et son corps “produit” un nouveau membre pour la république ouvrière. [6]

Si nous citons ici ces mots, c’est pour bien signifier que nous n’avons pas cherché dans notre livre à dissimuler les « zones d’ombre » de la pensée de Kollontaï, très rarement mises en avant dans la littérature qui lui est consacrée. Et il y en a d’autres. On ne saurait certes reprocher qu’anachroniquement à Kollontaï ne pas avoir su concevoir la prostitution comme un travail du sexe, et on peut lui reconnaître le mérite d’avoir identifié dans sa condamnation morale un pur symptôme de la duplicité hypocrite d’une bourgeoisie qui en a besoin comme d’un « paratonnerre contre la débauche ». Il n’en reste pas moins perturbant de voir Kollontaï concevoir la prostitution comme une forme, parmi d’autres il est vrai, de « désertion du travail », et partant de parasitisme, même si c’est pour déclarer que cette désertion n’est pas différente, et pas plus ni moins répréhensible que celle pratiquée par les « femmes entretenues par leur mari ou leur amant »[7]. De même, on ne peut qu’être rétrospectivement critique vis-à-vis de la stratégie-femme élaborée par Kollontaï et le Jenotdel dans les périphéries « orientales » de l’ex-empire russe : une stratégie qui consistait à éveiller la conscience soi-disant assoupie depuis des siècles des femmes musulmanes pour la retourner contre leurs oppresseurs de l’intérieur : affermir les femmes pour affaiblir les hommes. Cette stratégie faisait des femmes musulmanes un « prolétariat de substitution » ; elle réduisait symboliquement leur libération à l’acte cérémoniel du dévoilement et faisait dépendre cette émancipation, à venir, de l’émancipation, déjà actée, des féministes blanches du centre. Une hétéro-émancipation en somme qui s’oppose terme à terme à l’impératif d’auto-émancipation des femmes que n’avait pourtant cessé de prôner Kollontaï selon laquelle il ne pourrait y avoir d’émancipation effective des femmes qu’à condition que celles-ci prennent une part active, dirigent même les organisations œuvrant à cette émancipation. 

En tant que membre de l’Opposition ouvrière, Kollontaï avait courageusement étendu, contre les leaders du Parti, cette position « autonomiste » à l’ensemble de la classe ouvrière lors du débat de 1921 sur les syndicats. Celui-ci allait entériner sa marginalisation au sein des instances du pouvoir soviétique et la contraindre à quitter la Russie deux ans plus tard pour endosser des fonctions diplomatiques à l’étranger, où elle deviendra, en Norvège, la première femme ambassadrice du monde. Destin exceptionnel, sur lequel les biographes de Kollontaï aiment mettre l’accent, mais dont il ne faut pas oublier qu’il fut la conséquence d’un « exil » douloureux qui l’avait presque entièrement privée du pouvoir d’influer sur les politiques internes du régime soviétique et l’avait forcé à mettre entre parenthèses ses aspirations les plus authentiquement révolutionnaires.

Force est cependant de reconnaître que – suivant une tension caractéristique du bolchevisme, mais nulle part plus exacerbée que chez Kollontaï, nous a-t-il paru – cet impératif d’auto-émancipation « par le bas » avait été contrebalancé par la conviction que l’État soviétique, incarné par le Parti communiste et ses idéologues, était appelé à accompagner et diriger, au sens d’abord d’orienter, « par le haut », le processus révolutionnaire, et cela en matière de transformation des rapports entre les sexes et de morale sexuelle comme ailleurs. Si une telle contradiction, encore dialectique au tournant des années 1920, allait bientôt se résoudre au profit du second terme, étatique, de l’opposition, il est légitime de penser que Kollontaï, quant à elle, entrevoyait et espérait une issue inverse. C’est ce que suggère un court récit utopique de 1922, le seul du genre émanant de sa plume à notre connaissance, intitulé « Bientôt (dans 48 ans) ». La scène se déroule en 1970, dans un monde qui est dépeint comme une fédération de communes autogérées, où l’État s’est évanoui au même titre que le foyer familial ; des communes où les enfants et les jeunes ont leurs propres habitations dédiées, et où les adultes « vivent de manière communale des différentes façons qui leur conviennent[8]», c’est-à-dire selon la multiplicité des combinaisons affectives et érotiques possibles, sans imposition d’un modèle unique. Ce schème communaliste, puisant des racines profondes dans l’œuvre et la vie de Kollontaï, cette dernière aura en définitive voulu l’appliquer à la nature humaine elle-même, pour qu’il régule jusqu’à la vie la plus intime, corporelle, sexuelle, psychique, des individus, et libère cette même nature, et ses « instincts » des pesantes chaînes que lui avait imposées le capitalisme ; perspective authentiquement révolutionnaire de renaturalisation de la société qui n’en était pas moins sans porter la menace d’un renversement en son contraire, une biologisation de la communauté aux conséquences potentiellement dévastatrices, ainsi que les décennies suivantes le démontreraient.


[1] Barbara E. Clements, Bolshevik Feminist. The Life of Aleksandra Kollontai, Bloomington et Londres, Indiana University Press, 1979 ; Beatrice Farnsworth, Aleksandra Kollontai. Socialism, Feminism, and the Bolshevik Revolution, Stanford, Stanford University Press, 1980 ; Cathy Porter, Alexandra Kollontai. A Biography, Londres, Virago, 1980 .

[2] Alexandra Kollontaï, Conférences sur la libération des femmes, trad. B. Spielman, Paris, La Brèche, 2022 (1921), p. 251.

[3] Michael Hardt, « Red Love », in Maria Lind, Michele Masucci et Joanna Warsza (dir.), Red Love. A Reader on Alexandra Kollontai, Stockholm et Berlin, Konstfack Collection et Sternberg Press, p. 81.

[4] Alexandra Kollontaï, « Communism and the Family » (1920), in Selected Writings, éd. et trad. A. Holt, New York et Londres, W. W. Norton & Company, 1977, p. 210.

[5] Clara Zetkin, « Souvenirs sur Lénine (suite) », Cahiers du bolchevisme, n° 29, 15 octobre 1925, p. 1995.

[6] Alexandra Kollontaï, Conférences sur la libération des femmes, op. cit., p. 258-261.

[7] Ibid., p. 219.

[8] Alexandra Kollontaï, Soon (in 48 Years’ Time), in Selected Writings, op. cit., p. 232-233.

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Rompre avec la croissance capitaliste, pour une alternative écosocialiste

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Introduction INTR.1.1. Ce Manifeste est un document de la Quatrième Internationale, fondée en 1938 par Léon Trotsky et ses camarades pour sauver l'héritage de la Révolution (…)

Introduction

INTR.1.1. Ce Manifeste est un document de la Quatrième Internationale, fondée en 1938 par Léon Trotsky et ses camarades pour sauver l'héritage de la Révolution d'Octobre du désastre stalinien. Refusant un dogmatisme stérile, la IVe Internationale a intégré dans sa réflexion et sa pratique les défis des mouvements sociaux et de la crise écologique. Ses forces sont limitées, mais elles sont présentes sur tous les continents et ont activement contribué à la résistance au nazisme, à Mai 68 en France, à la solidarité avec les luttes anticoloniales (Algérie, Vietnam), à l'essor du mouvement altermondialiste et au développement de l'écosocialisme.
La IVe Internationale ne se considère pas comme la seule avant-garde ; elle participe, dans la mesure de ses forces, à de larges formations anticapitalistes. Son objectif est de contribuer à la formation d'une nouvelle Internationale, à caractère de masse, dont elle serait l'une des composantes.

INTR.1.2. Notre époque est celle d'une double crise historique : la crise de l'alternative socialiste face à la crise multiforme de la "civilisation" capitaliste.

INTR.1.3 Si la IVe Internationale publie ce Manifeste en 2025, c'est parce que nous sommes convaincu·es que le processus de révolution écosocialiste à différentes échelles territoriales, mais à dimension planétaire, est plus que jamais nécessaire : il s'agit désormais non seulement de mettre fin aux régressions sociales et démocratiques qui accompagnent l'expansion capitaliste mondiale, mais aussi de sauver l'humanité d'une catastrophe écologique sans précédent dans l'histoire humaine. Ces deux objectifs sont inextricablement liés.

INTR.1.4. Cependant, le projet socialiste qui est à la base de nos propositions nécessite une large refondation nourrie par l'évaluation pluraliste des expériences et par les grands mouvements de lutte contre toutes les formes de domination et d'oppression (classe, genre, communautés nationales dominées, etc.). Le socialisme que nous proposons est radicalement différent des modèles qui ont dominé le siècle dernier ou de tout régime étatiste ou dictatorial : c'est un projet révolutionnaire, radicalement démocratique, nourri par l'apport des luttes féministes, écologiques, antiracistes, anticolonialistes, antimilitaristes et LGBTQI.

INTR. 1.5. Nous utilisons le terme d'écosocialisme depuis quelques décennies, car nous sommes convaincus que les menaces et les défis globaux posés par la crise écologique doivent imprégner toutes les luttes au sein de/ contre l'ordre globalisé existant et nécessitent une reformulation du projet socialiste. La relation avec notre planète, le dépassement de la "fracture métabolique" (Marx) entre les sociétés humaines et leur milieu de vie, le respect des équilibres écologiques de la planète ne sont pas seulement des chapitres de notre programme et de notre stratégie, mais leur fil conducteur.

INTR.1.6. La nécessité d'actualiser les analyses du marxisme révolutionnaire a toujours inspiré l'action et la pensée de la Quatrième Internationale. Nous poursuivons cette démarche dans notre travail de rédaction de ce Manifeste écosocialiste : nous voulons contribuer à la formulation d'une perspective révolutionnaire capable d'affronter les défis du XXIe siècle. Une perspective qui s'inspire des luttes sociales et écologiques, et des réflexions critiques authentiquement anticapitalistes qui se développent dans le monde.

1. La nécessité objective d'une révolution écosocialiste, antiraciste, antimilitariste, anticolonialiste et féministe

1.1. Le capital triomphe, mais son triomphe le plonge dans les contradictions insurmontables mises en évidence par Marx. Face à celles-ci, Rosa Luxembourg lance son avertissement en 1915 : "Socialisme ou barbarie". L'actualité de cet avertissement est plus brûlante que jamais, car la catastrophe qui se développe autour de nous est sans précédent. Aux fléaux de la guerre, du colonialisme, de l'exploitation, du racisme, de l'autoritarisme, des oppressions de toutes sortes, s'ajoute en effet un nouveau fléau, qui exacerbe tous les autres : la destruction accélérée par le capital de l'environnement naturel dont dépend la survie de l'humanité.

1.2. Les scientifiques identifient huit indicateurs mondiaux de durabilité écologique. Les limites du danger sont estimées pour sept d'entre eux. En raison de la logique capitaliste d'accumulation, sept d'entre elles au moins sont déjà franchis : (climat, intégrité fonctionnelle des écosystèmes, cycle de l'azote, cycle du phosphore, eaux douces souterraines, eaux douces de surface et superficie des écosystèmes naturels, dont six dépassent même le "plafond" (seul le climat ne le dépasse pas)). Les pauvres sont les principales victimes, surtout dans les pays pauvres.

1.3. Sous le fouet de la concurrence, la grande industrie et la finance renforcent leur emprise despotique sur les humains et la Terre. La destruction se poursuit, malgré les cris d'alarme de la science. La soif de profit, tel un automate, exige toujours plus de marchés et toujours plus de marchandises, donc plus d'exploitation de la force de travail et de pillage des ressources naturelles.Le capital légal, le capital dit criminel et la politique bourgeoise sont étroitement liés. La Terre est achetée à crédit par les banques, les multinationales et les riches. Les gouvernements étranglent de plus en plus les droits humains et démocratiques par la répression brutale et le contrôle technologique. Un nouveau fascisme offre ses services pour sauver le système par le mensonge, le racisme, le sexisme et la démagogie sociale.

1.5. C'est peu dire que les limites de la soutenabilité sont également franchies au niveau social.

1.6. Avec leurs yachts, leurs jets, leurs piscines, leurs immenses terrains de golf particuliers, leurs nombreux SUV, leur tourisme spatial, leurs bijoux, leur haute couture et leurs résidences luxueuses aux quatre coins du monde, les 1 % les plus riches possèdent autant que 50 % de la population mondiale. La "théorie du ruissellement" est un mythe. C'est vers les riches que la richesse "ruisselle", et non l'inverse. La pauvreté augmente même dans les pays "développés". Les revenus du travail sont comprimés sans pitié, les protections sociales - quand elles existent - sont démantelées. L'économie capitaliste mondiale flotte sur un océan de dettes, d'exploitation et d'inégalités.

1.7. La répartition inéquitable des ressources engendre des catastrophes environnementales parmi les différents groupes ethniques et raciaux. Par exemple, dans les sociétés capitalistes développées ou en développement, les pauvres et les personnes racisées habitent généralement les territoires les plus touchés par la pollution, avec une plus grande concentration de déchets, ainsi que les zones à risque dépourvues de planification urbaine, telles que les pentes et les collines. Le racisme environnemental est un autre visage de l'exclusion que le capitalisme impose aux personnes racisées et pauvres.

1.8. Les inégalités et les discriminations touchent particulièrement les femmes, qui continuent d'assurer la majeure partie du travail domestique et de soins, qu'il soit gratuit ou rémunéré. Elles ne perçoivent que 35 % des revenus du travail. Dans certaines régions du monde (Chine, Russie, Asie centrale), leur part diminue, parfois de manière significative. Au-delà du travail, les femmes sont attaquées sur tous les fronts en tant que femmes, par la violence sexiste et sexuelle, dans leurs droits à l'alimentation, à l'éducation, leurs droits d'être respectées et de disposer de leur propre corps.

1.9. Si les personnes âgées des classes populaires (et aussi d'une partie de la "classe moyenne") sont mises au rebut, la vie des générations futures est généralement mutilée à l'avance. La plupart des parents des classes populaires ne croient plus que leurs enfants vivront mieux qu'elle et eux. Un nombre croissant de jeunes observent avec effroi, rage, tristesse et chagrin, la destruction organisée de leur monde, violé, éventré, noyé dans le béton, englouti dans les eaux froides du calcul égoïste ; la destruction programmée de leur avenir.

1.10. Les fléaux de la famine, de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition avaient reculé à la fin du XXe siècle ; ils resurgissent aujourd'hui en raison de la convergence catastrophique du néolibéralisme, du militarisme et du changement climatique : près d'une personne sur dix a faim, près d'une sur trois souffre d'insécurité alimentaire, plus de trois milliards n'ont pas les moyens de se nourrir sainement. Cent cinquante millions d'enfants de moins de cinq ans souffrent d'un retard de croissance dû à la faim.

1.11. L'espoir d'un monde pacifique à court terme s'évanouit. Plus de 30 pays du monde sont ou ont été récemment en proie à des guerres de grande ampleur, notamment le Soudan, l'Irak, le Yémen, la Palestine, la Syrie, l'Ukraine, la Libye, la République Démocratique du Congo et le Myanmar. La crise climatique elle-même, les phénomènes météorologiques et les flux migratoires intenses qui en résultent alimentent de nombreux conflits dans le monde. Les souffrances, les déplacements et la mort de populations sont immenses.

1.12.. Alors que les impérialismes se chamaillent, les mesures urgentes pour la transition climatique et un avenir durable sont remises en question. Les guerres, outre le fait qu'elles sont calamiteuses en termes de vies humaines, qu'elles s'attaquent au corps des femmes, qu'elles utilisent le viol comme instrument de terreur et qu'elles déshumanisent la vie collective, sont néfastes pour la planète sur laquelle nous vivons. Elles détruisent les habitats, provoquent la déforestation, empoisonnent les sols, les eaux et l'air, et sont des sources majeures d'émissions de carbone.

1.13. La guerre brutale de la Russie contre l'Ukraine en 2022 et le nouveau degré de nettoyage ethnique perpétré dans la guerre de Gaza en 2023/24 contre le peuple palestinien sont des crimes majeurs contre l'humanité. Ces deux cas confirment la nature barbare du capitalisme actuel. L'agression impérialiste russe contre l'Ukraine en 2022 a favorisé les tensions géopolitiques à l'échelle mondiale. Elle confirme l'entrée dans une nouvelle ère de compétition inter-impérialiste pour l'hégémonie mondiale, avec les États-Unis et leurs alliés d'un côté, la Chine et ses alliés de l'autre. Les ressources foncières, énergétiques et minérales sont au centre de cette compétition inter-impérialiste.

1.14. Tout le monde pourrait avoir une bonne vie sur la Terre, mais le capitalisme est un mode de prédation exploiteur, machiste, raciste, guerrier, autoritaire et mortifère. Le productivisme est un destructivisme. En deux siècles, il a conduit l'humanité dans une profonde impasse écosociale.

1.15. Le changement climatique est l'aspect le plus dangereux de la destruction écologique, c'est une menace pour la vie humaine sans précédent dans l'histoire. La Terre risque de devenir un désert biologique inhabitable pour des milliards de pauvres qui ne sont pas responsables de ce désastre. Pour arrêter cette catastrophe, nous devons réduire de moitié les émissions mondiales de dioxyde de carbone et de méthane avant 2030, et les éliminer avant 2050. Il faut donc en priorité bannir les énergies fossiles, l'agro-industrie, l'industrie de la viande et l'hyper-mobilité... c'est-à-dire produire moins globalement.

1.16. D'une part, la folie de l'accumulation capitaliste confronte l'humanité au besoin urgent d'une décroissance globale de la consommation d'énergie finale et, par conséquent, de la production matérielle et du transport. D'autre part, trois milliards de personnes, principalement dans les pays du Sud Global , vivent dans des conditions épouvantables, du fait du capitalisme et de l'impérialisme. La justice sociale exige de développer certaines productions pour répondre à leurs immenses besoins insatisfaits : de bons systèmes de santé, des logements décents, une bonne alimentation, une bonne éducation, des transports publics, de l'eau propre, une sécurité sociale pour tou·tes…

1.17. Existe-t-il un moyen de sortir de cette contradiction ? Oui. Il est désormais possible pour les humains de vivre bien tout en consommant beaucoup moins qu'auparavant grâce aux progrès technologiques dans les domaines de la médecine, de la construction, de l'efficacité énergétique, entre autres. L'impact sur le climat des productions destinées à satisfaire les besoins humains - surtout lorsqu'elles sont planifiées démocratiquement et assumées par le secteur public dans un contexte d'égalité sociale - est bien moindre que celui des productions destinées à satisfaire les besoins des riches par la croissance du PIB et la concurrence aveugle du marché pour le profit. Le 1% le plus riche émet près de deux fois plus de CO2 que les 50% les plus pauvres. Les 10 % les plus riches sont responsables de plus de 50 % des émissions de CO2. Les pauvres émettent beaucoup moins que 2-2,3 tonnes de CO2 par personne et par an (le volume moyen à atteindre en 2030 si nous voulons parvenir à des émissions nettes nulles en 2050 avec une probabilité de 50 %). Répondre à leurs besoins aurait un impact écologique limité. En fait, pour arrêter la catastrophe, il faut une société qui assure le bien-être et garantisse l'égalité comme jamais auparavant. Une perspective souhaitable, mais les 1% de riches devraient diviser leurs émissions par trente dans quelques années. Mais ils refusent de faire le moindre effort ! Au contraire : ils veulent toujours plus de privilèges !

1.18. Les gouvernements se sont engagés à rester en dessous de +1,5°C, à préserver la biodiversité, à atteindre un soi-disant "développement durable" et à respecter le principe des "responsabilités et capacités communes mais différenciées" dans la crise écologique,... tout en produisant toujours plus de marchandises et en utilisant toujours plus d'énergie. Il est exclu que ces promesses conjuguées soient tenues par le capital. Les faits le montrent :

1.18.1. - Trente-trois ans après le Sommet de la Terre de Rio (1992), le bouquet énergétique mondial est encore entièrement dominé par les combustibles fossiles (84 % en 2020). La production totale de combustibles fossiles a augmenté de 62 %, passant de 83 térawattheures (TWh) en 1992 à 136 TWh en 2021. Les énergies renouvelables viennent s'ajouter au système énergétique principalement fossile, offrant davantage de capacités et de nouveaux marchés aux capitalistes.
1.18.2. - Avec la crise énergétique déclenchée par la pandémie et aggravée par la guerre impérialiste russe contre l'Ukraine, toutes les puissances capitalistes ont relancé le charbon, le pétrole, le gaz naturel (y compris le gaz de schiste) et l'énergie nucléaire.
1.18.3. - Principal responsable historique du dérèglement climatique, l'impérialisme américain dispose d'énormes moyens pour lutter contre la catastrophe, mais ses représentants politiques subordonnent criminellement cette lutte à la protection de leur hégémonie mondiale, quand ils ne la refusent pas tout simplement.
1.18.4. - Les mesures que les grands pollueurs mettent en œuvre sous le label "décarbonisation" non seulement ne répondent pas à l'ampleur de la crise climatique mais accélèrent l'extractivisme, principalement dans les pays dominés, mais aussi au Nord et dans les océans, au détriment des populations et des écosystèmes.
1.18.5. - Cette soi-disant "décarbonisation" exacerbe l'accaparement impérialiste des terres et l'exploitation de la main-d'œuvre dans le Sud, avec la complicité des bourgeoisies locales (comme l'illustrent différents projets d'investissement basés sur l'utilisation de l'énergie solaire et éolienne, en particulier dans les "zones franches" des pays pauvres, afin de produire de "l'hydrogène vert" destiné à approvisionner les industries des pays développés).
1.18.6. - Les "marchés du carbone", les "compensations carbone", les "compensations biodiversité" et les "mécanismes de marché", fondés sur la compréhension de la nature comme un capital, pèsent sur les moins responsables, les pauvres, en particulier les populations autochtones, les populations racisées et les populations du Sud en général.

1.19. Valables en théorie, les concepts abstraits tels que " économie circulaire ", " résilience ", " transition énergétique ", " biomimétisme " deviennent en pratique des formules creuses dès lors qu'ils sont mis au service du productivisme capitaliste. S'il n'y a pas de plan de reconversion de la production mis en œuvre par l'ensemble de la société, les améliorations techniques (par exemple pour rendre la production d'énergie moins chère) ont souvent un effet rebond : une réduction du prix de l'énergie entraîne généralement une augmentation de la consommation d'énergie et de matières.

1.20. Face à la crise climatique, le fétichisme capitaliste de l'accumulation ne laissera finalement que deux options : déployer des technologies d'apprentis sorciers (nucléaire, capture-séquestration du carbone, géo-ingénierie...)... ou laisser la "nature" éliminer quelques milliards de pauvres dans les pays pauvres.

1.21. Politiquement, l'impuissance et l'injustice du capitalisme vert font le jeu d'un néo-fascisme fossile, complotiste, colonialiste, raciste, violemment machiste et LGBTQIphobe, que cette seconde possibilité ne rebute pas. Une fraction des riches marche vers un immense crime contre l'humanité, pariant cyniquement que sa richesse la protégera, laissant mourir les pauvres.

1.22. Le capitalisme vert néolibéral et le néofascisme fossile ne sont pas la même chose, le second étant bien pire, mais aucun de ces régimes ne pourra empêcher le réchauffement climatique de se poursuivre, avec des conséquences désastreuses, et le premier nourrit le second. Si les victimes sont plus nombreuses dans les pays pauvres, les pays riches subiront également des pertes dramatiques. Le capitalisme mondial ne progresse pas graduellement vers la paix et le développement durable, il régresse à grands pas vers la guerre, le désastre écologique, le génocide et la barbarie néo-fasciste.

1.23. Face à ce défi, il ne suffit pas de remettre en cause le régime néolibéral et de revaloriser le rôle de l'État. Il ne suffirait même pas d'arrêter la dynamique d'accumulation (un objectif impossible sous le capitalisme !) La consommation finale mondiale d'énergie doit diminuer radicalement, ce qui signifie produire moins et transporter moins à l'échelle mondiale.

1.24. Pour respecter cette contrainte éco-climatique, l'orientation même de l'économie doit changer de fond en comble : la science et les avancées technologiques doivent être utilisées pour satisfaire les besoins sociaux de l'humanité et régénérer l'écosystème global, au lieu de satisfaire la course au profit des capitalistes. C'est la seule solution qui permette de concilier le besoin légitime de bien-être pour tou·tes et la régénération de l'écosystème mondial. La juste suffisance et la juste décroissance - la décroissance écosocialiste - est une condition sine qua non du sauvetage.

1.25. Sortir de l'impasse productiviste n'est possible qu'aux conditions suivantes :

1.25.1. - abandonner le "technosolutionnisme", c'est-à-dire l'idée que la solution viendra des nouvelles technologies (consommatrices d'énergie et de ressources). Dans un souci de sagesse écologique, décider d'utiliser les moyens dont nous disposons, ils suffisent à répondre aux besoins de tou·tes
1.25.2. - réduire radicalement l'empreinte écologique des riches pour permettre une bonne vie à tou·tes
1.25.3. - remplacer la production de marchandises par la production de valeurs d'usage ;
1.25.4. - déterminer démocratiquement quels besoins ces valeurs d'usage doivent satisfaire et comment ;
1.25.5. - placer au centre de cette délibération démocratique la prise en charge des humains et des écosystèmes, le respect attentif du vivant et des limites écologiques ;
1.25.6. - supprimer en conséquence les productions et les transports inutiles, refonder toute l'activité productive, sa circulation et sa consommation.

1.26. Ces conditions sont nécessaires mais pas suffisantes. La crise sociale et la crise écologique ne font qu'une. Il faut reconstruire un projet émancipateur pour les exploité·es et les opprimé·es. Un projet de classe qui, au-delà des besoins fondamentaux, privilégie l'être au lieu de l'avoir. Un projet qui modifie en profondeur les comportements, la consommation, le rapport au reste de la nature, la conception du bonheur et la vision que les humains ont du monde. Un projet anti-productiviste pour vivre mieux en prenant soin du vivant sur la seule planète habitable du système solaire.

1.27. Le capitalisme a déjà plongé l'humanité dans une situation aussi sombre, notamment à la veille du premier conflit mondial. L'hystérie nationaliste s'est emparée des masses et la social-démocratie, trahissant sa promesse de répondre à la guerre par la révolution, a donné le feu vert aux pires tueries de l'histoire de l'humanité. Néanmoins, Lénine définissait la situation comme "objectivement révolutionnaire" : ”seule la révolution peut arrêter le massacre”, dit-il. L'histoire lui a donné raison : la révolution en Russie et la crainte de son extension ont contraint les bourgeoisies à mettre fin au massacre. La comparaison a évidemment ses limites. Les médiations vers l'action révolutionnaire sont aujourd'hui infiniment plus complexes. Mais le même sursaut des consciences est nécessaire. Or, face à la crise écologique, une révolution anticapitaliste est encore plus objectivement nécessaire. C'est ce jugement fondamental qui doit servir de base à l'élaboration d'un programme, d'une stratégie et d'une tactique, parce qu'il n'y a pas d'autre moyen d'éviter la catastrophe.

1.28. Tout dépend des résultats des luttes. Quelle que soit l'ampleur du désastre, à chaque étape, les luttes feront la différence. Au sein des luttes, tout dépend de la capacité des militant·es écosocialistes à s'organiser pour s'orienter dans la pratique selon la boussole de la nécessité historique objective.

2. Le monde pour lequel nous nous battons

2.1. Notre projet de société future articule l'émancipation sociale et politique avec l'impératif d'arrêter la destruction de la vie et de réparer autant que possible les dégâts déjà causés.

2.2. Nous voulons (tenter d') imaginer ce que serait une vie bonne pour tou·tes et partout en réduisant la consommation de matière et d'énergie, et donc en réduisant la production matérielle. Il ne s'agit pas de donner un modèle tout fait, mais d'oser penser un autre monde, un monde qui donne envie de se battre pour le construire en se débarrassant du capitalisme et du productivisme.
« Oui, c'est pour le pain que nous nous battons, mais nous nous battons aussi pour les roses. »

2.3. Une vie bonne pour tou·tes exige que les besoins humains fondamentaux - alimentation saine, santé, logement, air pur et eau propre - soient satisfaits.

2.4. Une bonne vie est aussi une vie choisie, épanouissante et créative, engagée dans des relations humaines riches et égalitaires, entourée de la beauté du monde et des réalisations humaines.

2.5. Notre planète dispose (encore) de suffisamment de terres arables, d'eau potable, de soleil et de vent, de biodiversité et de ressources de toutes sortes pour répondre aux besoins humains légitimes en renonçant aux combustibles fossiles nuisibles au climat et à l'énergie nucléaire. Cependant, certaines de ces ressources sont limitées et donc épuisables, tandis que d'autres, bien qu'inépuisables, nécessitent pour leur consommation humaine des matières épuisables voire rares et dont l'extraction est écologiquement dommageable. En tout état de cause, leur utilisation ne pouvant être illimitée, nous les utilisons avec prudence et parcimonie, dans le respect de l'environnement.

2.6. Indispensables à notre vie, ils sont exclus de l'appropriation privée, considérés comme des biens communs car ils doivent bénéficier à l'ensemble de l'humanité aujourd'hui et à long terme. Afin de garantir ces biens communs dans le temps, des règles collectives définissant les usages mais aussi les limites de ces usages, les obligations d'entretien ou de réparation, sont élaborées.

2.7. Parce qu'on ne soigne pas une mangrove comme une calotte glaciaire, une zone humide comme une plage de sable, une forêt tropicale comme une rivière, parce que l'énergie solaire n'obéit pas aux mêmes règles, n'impose pas les mêmes contraintes matérielles que l'éolien ou l'hydraulique, l'élaboration de règles ne peut être que le fruit d'un processus démocratique impliquant les premier·es concerné·es, travailleur·ses et habitant·es.

2.8. Notre commun, c'est aussi l'ensemble des services qui permettent de répondre de manière égalitaire, et donc gratuite, aux besoins d'éducation, de santé, de culture, d'accès à l'eau, à l'énergie, à la communication, aux transports, etc. Ils sont eux aussi gérés et organisés démocratiquement par l'ensemble de la société.

2.9. Les services consacrés aux personnes et aux soins dont elles ont besoin aux différentes étapes de leur vie, brisent la séparation entre le public et le privé, l'assignation des femmes à ces tâches en les socialisant, c'est-à-dire en faisant en sorte qu'elles soient l'affaire de l'ensemble de la société. Ces services de reproduction sociale sont des outils essentiels, parmi d'autres, pour lutter contre l'oppression patriarcale.

2.10. Tous ces "services publics" décentralisés, participatifs et communautaires constituent la base d'une organisation sociale non autoritaire.

2.11. À l'échelle de la société dans son ensemble, la planification écologique démocratique permet aux populations de se réapproprier les grands choix sociaux relatifs à la production, de décider, en tant que citoyen·nes et usager·es, de ce qu'il faut produire et comment le produire, des services qui doivent être fournis, mais aussi des limites acceptables pour l'utilisation des ressources matérielles telles que l'eau, l'énergie, les transports, le foncier, etc. Ces choix sont préparés et éclairés par des processus de délibération collective qui s'appuient sur l'appropriation des connaissances, qu'elles soient scientifiques ou issues de l'expérience des populations, sur l'auto-organisation des opprimé·es (mouvements de libération des femmes, peuples racisés, personnes handicapées, etc).

2.12. Cette démocratie économique et politique globale s'articule avec de multiples collectifs/commissions décentralisés : ceux qui permettent de décider au niveau local, dans la commune ou le quartier, de l'organisation de la vie publique et ceux qui permettent aux travailleur·ses et aux producteur·rices de contrôler la gestion et l'organisation de leur unité de travail, de décider de la manière de produire et donc de travailler. C'est la combinaison de ces différents niveaux de démocratie qui permet la coopération et non la concurrence, une gestion juste d'un point de vue écologique et social, épanouissante d'un point de vue humain, au niveau de l'atelier, de l'entreprise, de la branche... mais aussi du quartier, de la commune, de la région, du pays et même de la planète !

2.13. Toutes les décisions relatives à la production et à la distribution, à la manière dont nous voulons vivre, sont guidées par le principe suivant : décentraliser autant que possible, coordonner autant que nécessaire.

2.14. Prendre sa vie en main et participer à des collectifs sociaux demande du temps, de l'énergie et de l'intelligence collective. Heureusement, le travail de production et de reproduction sociale n'occupe que quelques heures par jour.

2.15. La production est exclusivement consacrée à la satisfaction des besoins démocratiquement déterminés. La production et la distribution sont organisées de manière à minimiser la consommation de ressources et à éliminer les déchets, les pollutions et les émissions de gaz à effet de serre, elle vise en permanence la sobriété et la "durabilité programmée" (par opposition à l'obsolescence programmée du capitalisme, qu'elle soit planifiée ou simplement due à la logique de la course au profit). Produire au plus près des besoins à satisfaire permet de réduire les transports et de mieux appréhender le travail, les matériaux et l'énergie nécessaires.

2.16. Ainsi, l'agriculture est écologique, paysanne et locale afin d'assurer la souveraineté alimentaire et la protection de la biodiversité. Des ateliers de transformation et des circuits de distribution permettent de produire la plupart des aliments en circuit court.

2.17. Le secteur de l'énergie basé sur les sources renouvelables est aussi décentralisé que possible afin de réduire les pertes et d'optimiser les sources. Les activités liées à la reproduction sociale (santé, éducation, soins aux personnes âgées ou dépendantes, garde d'enfants, etc.) sont développées et renforcées, en veillant à ne pas reproduire les stéréotypes de genre.

2.18. Bien que le travail occupe moins de temps, il occupe une place essentielle car, avec la nature et en prenant soin d'elle, il produit ce qui est nécessaire à la vie.

2.19. L'autogestion des unités de production combinée à la planification démocratique permet aux travailleur·ses de contrôler leur activité, de décider de l'organisation du travail et de remettre en cause la division entre travail manuel et travail intellectuel. La délibération s'étend au choix des technologies selon qu'elles permettent ou non au collectif de travail de maîtriser le processus de production. En privilégiant la connaissance concrète, pratique et réelle du processus de travail, les savoir-faire collectifs et individuels, la créativité, elle permet de concevoir et de produire des objets robustes, démontables et réparables, réutilisables et, le cas échéant, recyclables, et de réduire les consommations de matières et d'énergie de la fabrication à l'utilisation.

2.20. Dans tous les domaines, la conviction de faire quelque chose d'utile et la satisfaction de le faire bien se conjuguent. En ce qui concerne les tâches fastidieuses comme le ramassage des ordures, chacun veille à en réduire la lourdeur et la pénibilité. Il reste cependant une part incontournable que chacun·e accomplit à tour de rôle.

2.21. Une grande partie de la production matérielle, parce que le volume en est fortement réduit, peut être désindustrialisée (tout ou partie de l'habillement ou de l'alimentation) et les savoir-faire artisanaux, auxquels tout le monde pourrait être formé, devraient être valorisés.

2.22. Libérer le travail de l'aliénation permet d'abolir la frontière entre l'art et la vie dans une sorte de "communisme du luxe". Nous pouvons garder ou partager des outils, des meubles, un vélo, des vêtements... toute notre vie parce qu'ils sont ingénieusement conçus et beaux.
Être plutôt qu'avoir

"Seul ce qui est bon pour tous est digne de vous. Seul mérite d'être produit ce qui ne privilégie ni n'abaisse personne. » (A. Gorz).

2.23. La liberté ne réside pas dans une consommation illimitée, mais dans une autolimitation choisie et comprise, conquise contre l'aliénation consumériste. La délibération collective permet de déconstruire les besoins artificiels, de définir des besoins "universalisables", c'est-à-dire non réservés à certaines personnes ou à certaines parties du monde, qui doivent être satisfaits.

2.24. La véritable richesse ne réside pas dans l'augmentation infinie des biens - avoir - mais dans l'augmentation du temps libre - être. Le temps libre ouvre la possibilité de s'épanouir dans le jeu, l'étude, l'activité civique, la création artistique, les relations interpersonnelles et avec le reste de la nature.

2.25. Nous ouvrons donc la voie à de nombreux travaux parce que nous avons le temps d'y réfléchir et parce que nous pouvons le faire en mettant au centre l'attention portée aux personnes et au reste de la nature.

2.26. Les lieux où nous vivons, chaque espace dans lequel nous nous socialisons, nous appartiennent pour construire d'autres relations sociales interpersonnelles. Libérés de la spéculation foncière et de la voiture, nous pouvons repenser l'usage des espaces publics, combler la séparation entre le centre et la périphérie, multiplier les espaces récréatifs, de rencontre et de partage, désartificialiser les villes avec l'agriculture urbaine et le maraîchage de proximité, restaurer les biotopes insérés dans le tissu urbain... Et au-delà, mettre en œuvre une politique à long terme visant à rééquilibrer les populations urbaines et rurales et à dépasser l'opposition entre ville et campagne afin de reconstituer des communautés humaines vivables et durables à une échelle permettant une réelle démocratie.

2.27. Nos désirs et nos émotions ne sont plus des choses qui s'achètent et se vendent, l'éventail des choix est considérablement élargi pour chacun·e. Chacun·e peut développer de nouvelles façons d'avoir des relations sexuelles, de vivre, de travailler et d'élever des enfants ensemble, de construire des projets de vie de manière libre et diverse, dans le respect des décisions personnelles et de l'humanité de chacun·e, avec l'idée qu'il n'y a pas une seule option possible, ou une option meilleure que les autres. La famille peut cesser d'être l'espace de reproduction de la domination, et cesser d'être la seule forme possible de vie collective. Nous pouvons ainsi repenser la forme de la parentalité de manière plus collective, politiser nos décisions personnelles en matière de maternité et de parentalité, réfléchir à la manière dont nous considérons l'enfance et le rôle des personnes âgées ou handicapées, aux relations sociales que nous établissons avec elles, et à la manière dont nous sommes capables de briser les logiques de domination que nous avons intériorisées, héritées des sociétés antérieures.

2.28. Nous construisons une nouvelle culture, à l'opposé de la culture du viol, une culture qui reconnaît les corps de toutes les femmes cis et trans, ainsi que leurs désirs, qui reconnaît chacun·e comme un sujet capable de décider de son corps, de sa vie et de sa sexualité, qui rend visible le fait qu'il y a mille façons d'être une personne, de vivre et d'exprimer son genre et sa sexualité.

2.29. Une activité sexuelle librement consentie et agréable pour toutes celles et tous ceux qui y prennent part est en soi une justification suffisante.

2.30. Nous devons apprendre à penser l'interdépendance des êtres vivants et développer une conception des rapports de la relation entre l'humanité et la nature qui ressemblera probablement à certains égards à celle des peuples indigènes, mais qui sera néanmoins différente. Une conception selon laquelle les notions éthiques de précaution, de respect et de responsabilité, ainsi que l'émerveillement devant la beauté du monde, interféreront constamment avec une compréhension scientifique à la fois de plus en plus fine et de plus en plus consciente de son incomplétude.

3. Notre méthode transitoire

3.1. Notre analyse du capitalisme, et plus particulièrement des politiques de la classe dirigeante en relation avec les dangers écologiques et le changement climatique, nous conduit à affirmer ce qui suit :

3.2. Premièrement, la nécessité d'une alternative globale et d'un projet de société basé sur la production de valeur d'usage plutôt que sur la valeur d'échange. Tourner telle ou telle vis à l'intérieur du système et sans changer le mode de production ne permettra pas d'éviter ni même d'atténuer de manière significative les crises actuelles et les catastrophes auxquelles nous sommes confrontés et qui surviendront en raison de la persistance du système capitaliste. L'une des tâches importantes de la politique révolutionnaire est de transmettre cette idée.

3.3. La compréhension de la nécessité d'un changement révolutionnaire global est une tâche qui ne peut être résolue directement et sans difficulté dans la pratique. C'est pourquoi, deuxièmement, il est important de combiner la présentation de la perspective globale avec la diffusion de revendications immédiates pour lesquelles des mobilisations peuvent effectivement être développées ou promues.

3.4. Troisièmement, il faut le souligner : Convaincre les gens ne peut se faire uniquement par l'argumentation. Pour convaincre les gens de se détourner du système capitaliste et les encourager à résister, il faut des luttes réussies qui donnent du courage et démontrent que des victoires partielles sont possibles.

3.5. Quatrièmement, pour que les luttes soient couronnées de succès, il faut une meilleure organisation. C'est toujours vrai en principe, mais aujourd'hui - à une époque où les syndicats ont (dans de nombreuses parties du monde) largement disparu politiquement et où la gauche est fragmentée - il est important de promouvoir la coopération pratique de manière non sectaire, en particulier au sein de la gauche anticapitaliste, et en même temps de soutenir les travailleur·ses dans leur auto-organisation.

3.6. D'une part, le temps presse si nous ne voulons pas voir des points de basculement cruciaux franchis et le réchauffement climatique s'accélérer de manière incontrôlable. D'autre part, la grande majorité des gens ne sont pas prêts à se battre pour un autre système, c'est-à-dire pour renverser le capitalisme. Cela est dû en partie à un manque de connaissance de la situation générale, mais plus encore à un manque de vision de ce à quoi l'alternative pourrait ou devrait ressembler. En outre, le rapport de forces social et politique entre les classes n'encourage pas vraiment la confrontation avec les dirigeants et les profiteurs de l'ordre social capitaliste.

3.7. Par ailleurs, un programme qui veut réformer le capitalisme ou le dépasser au coup par coup (de surcroît avec une politique venant d'en haut) n'a pas non plus de chance de réussir. Les réformes qui respectent les règles du système capitaliste ne sont pas en mesure de relever les défis de la crise écologique. Et les changements progressifs dans l'économie et l'État n'ont jamais conduit à un changement de système. Les propriétaires et les profiteurs du capitalisme n'assisteront pas tranquillement à la confiscation de leurs richesses et à la privation de leur mode d'enrichissement, morceau par morceau.

3.8. Le temps presse et des mesures urgentes s'imposent. Certains opposants à l'écosocialisme plaident pour des réformes légères "parce que nous ne pouvons pas attendre la révolution mondiale". Les partisan·es de l'écosocialisme n'ont pas l'intention d'attendre ! Notre stratégie est de commencer MAINTENANT, avec des revendications transitoires concrètes. C'est le début d'un processus de changement global. Il ne s'agit pas d'étapes historiques distinctes, mais de moments dialectiques dans un même processus. Chaque victoire partielle ou locale est une étape dans ce mouvement, qui renforce l'auto-organisation et encourage la lutte pour de nouvelles victoires.

3.9. Dans les luttes de classes à venir - qui constituent la base de la bataille pour l'hégémonie impliquant des couches plus larges de la classe ouvrière, les jeunes, les femmes, les indigènes, etc. - il doit être clair qu'en fin de compte, il n'y a aucun moyen d'échapper à un véritable changement de système et à la question du pouvoir. La classe dirigeante doit être expropriée et son pouvoir politique renversé. Pour un programme de transition anticapitaliste

3.10. La méthode transitoire était déjà suggérée par Marx et Engels dans la dernière section du Manifeste communiste (1848). Mais c'est la Quatrième Internationale qui lui a donné sa signification moderne, dans le Programme de transition de 1938. L'hypothèse de base est la nécessité pour les révolutionnaires d'aider les masses, dans le processus de la lutte quotidienne, à trouver le pont entre les revendications actuelles et le programme socialiste de la révolution. Ce pont devrait inclure un système de revendications transitoires, découlant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière, l'objectif est de conduire les luttes sociales vers la conquête du pouvoir par le prolétariat.

3.11. Bien entendu, les révolutionnaires n'écartent pas le programme des vieilles revendications "minimales" traditionnelles : ils défendent évidemment les droits démocratiques et les conquêtes sociales des travailleur·ses. Cependant, ils proposent un système de revendications transitoires, qui peut être compris de manière appropriée par les exploité·es et les opprimé·es, mais qui est en même temps dirigé contre les bases mêmes du régime bourgeois.

3.12. La plupart des revendications transitoires mentionnées dans le Programme de 1938 sont toujours d'actualité : échelle mobile des salaires et échelle mobile des heures de travail ; contrôle ouvrier des usines, ouverture des comptes "secrets" des entreprises ; expropriation des banques privées ; expropriations de certains secteurs capitalistes… L'intérêt de telles propositions est d'unir dans la lutte les masses populaires les plus larges possibles, autour de revendications concrètes qui sont en contradiction objective avec les règles du système capitaliste.

3.13. Mais nous devons mettre à jour notre programme de revendications transitoires, afin de prendre en compte les nouvelles conditions du XXIe siècle, et en particulier la nouvelle situation créée par la crise écologique et le danger imminent d'un changement climatique catastrophique. Aujourd'hui, ces revendications doivent avoir une nature socio-écologique et, potentiellement, écosocialiste.

3.14. L'objectif des revendications écosocialistes transitoires est stratégique : pouvoir mobiliser de larges couches de travailleur·ses urbains et ruraux, de femmes, de jeunes, de victimes du racisme ou de l'oppression nationale, ainsi que les syndicats, les mouvements sociaux et les partis de gauche dans une lutte qui remette en cause le système capitaliste et la domination bourgeoise. Ces revendications, qui combinent des intérêts sociaux et écologiques, doivent être considérées comme nécessaires, légitimes et pertinentes par les exploité·es et les opprimé·es, en fonction de leur niveau de conscience sociale et politique. Dans la lutte, les gens prennent conscience de la nécessité de s'organiser, de s'unir et de se battre. Iels commencent également à comprendre qui est l'ennemi : non seulement les forces locales, mais le système lui-même. L'objectif des revendications écosociales transitoires est de renforcer, grâce à la lutte, la conscience sociale et politique des exploité·es et des opprimé·es, leur compréhension anticapitaliste et, espérons-le, une perspective révolutionnaire écosocialiste.

3.15. Certaines de ces demandes ont un caractère universel : par exemple, la gratuité des transports publics. C'est une revendication à la fois écologique et sociale, qui porte en elle les germes de l'avenir écosocialiste : services publics contre marché, gratuité contre profit capitaliste. Cependant, leur signification stratégique n'est pas la même selon les sociétés et les économies. Les revendications écosocialistes de transition doivent prendre en compte les besoins et les aspirations des masses, en fonction de leur expression locale, dans les différentes parties du système capitaliste mondial.

4. Les grandes lignes d'une alternative écosocialiste à la croissance capitaliste

INTR.4.1. Satisfaire les besoins sociaux réels tout en respectant les contraintes écologiques n'est possible qu'en rompant avec la logique productiviste et consumériste du capitalisme, qui creuse les inégalités, nuit au vivant et « ruine les deux seules sources de toute richesse : la Terre et les travailleurs » (Marx). La référence ne doit pas être le PIB, mais la consommation de matières et d'énergie et l'émission de gaz à effet de serre. Pour parvenir à un renversement global, il faut mettre en œuvre un mode de vie différent - basé sur une structure sociale modifiée - afin de permettre à tous les membres de la société de jouir d'une bonne vie.

INTR.4.2. Au niveau mondial, briser cette logique implique de lutter en priorité pour les lignes de force suivantes. Elles forment un ensemble cohérent, à compléter et à décliner selon les spécificités nationales et régionales. Bien sûr, dans chaque continent, dans chaque pays, il y a des mesures spécifiques à proposer dans une perspective de transition.

4.1. Contre les catastrophes, des plans publics de prévention adaptés aux besoins sociaux, sous contrôle populaire
Certains effets de la catastrophe climatique sont irréversibles (élévation du niveau de la mer) ou dureront longtemps (canicules, sécheresses, précipitations exceptionnelles, tornades plus violentes, etc.) Les compagnies d'assurance capitalistes ne protègent pas les classes populaires, ou (au mieux) les protègent mal. Face à ces fléaux, les riches n'ont que le mot "adaptation" à la bouche. "L'adaptation au réchauffement, pour eux, sert 1°) à détourner l'attention des causes structurelles, dont leur système est responsable ; 2°) à poursuivre leurs pratiques néfastes axées sur le profit maximum, sans se soucier du long terme ; 3°) à offrir de nouveaux marchés aux capitalistes (infrastructures, climatisation, transports, compensation carbone, etc.) Cette "adaptation" capitaliste technocratique et autoritaire est en fait ce que le GIEC appelle une "maladaptation". Elle accroît les inégalités, les discriminations et les dépossessions. Elle accroît également la vulnérabilité au réchauffement, au risque de compromettre gravement la possibilité même de s'adapter à l'avenir, en particulier dans les pays pauvres. A la "maladaptation" capitaliste, nous opposons l'exigence immédiate de plans publics de prévention adaptés à la situation des classes populaires. Elles sont les principales victimes des phénomènes météorologiques extrêmes, surtout dans les pays dominés. Les plans publics de prévention doivent être conçus en fonction de leurs besoins et de leur situation, en dialogue avec les scientifiques. Ils doivent concerner tous les secteurs, notamment l'agriculture, la sylviculture, le logement, la gestion de l'eau, l'énergie, l'industrie, le droit du travail, la santé et l'éducation. Ils doivent faire l'objet d'une large consultation démocratique, avec un droit de veto des communautés locales et des collectifs de travail concernés.

4.2. Partager les richesses pour prendre soin des humains et de notre environnement de vie, gratuitement

4.2.1. Des soins de santé de qualité, une bonne éducation, une bonne prise en charge des jeunes enfants, une retraite digne et une prise en charge respectueuse de la dépendance, un logement accessible, permanent et confortable, des transports publics efficaces, des énergies renouvelables, une alimentation saine, une eau propre, un accès à internet et un environnement naturel en bon état : tels sont les besoins réels qu'une civilisation digne de ce nom devrait satisfaire suffisamment pour tous les humains, indépendamment de leur couleur de peau, de leur sexe, de leur appartenance ethnique, de leurs convictions. Ceci est possible tout en diminuant de manière significative la pression globale sur notre environnement. Pourquoi ne l'avons-nous pas ? Parce que l'économie est réglée sur la consommation induite créée en tant que sous-produit industriel par les capitalistes. Ils consomment et investissent toujours plus pour le profit, s'approprient toutes les ressources et transforment tout en marchandises. Leur logique égoïste sème le malheur et la mort.

4.2.2. Un virage à 180° s'impose. Les ressources naturelles et les connaissances constituent un bien commun à gérer prudemment et collectivement. La satisfaction des besoins réels et la revitalisation des écosystèmes doivent être planifiées démocratiquement et soutenues par le secteur public, sous le contrôle actif des classes populaires, et en étendant le plus possible le libre accès. Ce projet collectif doit mettre l'expertise scientifique à son service. La première étape nécessaire est la lutte contre les inégalités et les oppressions. La justice sociale et le bien vivre pour tous sont des exigences écologiques !

4.3. Développer les biens communs et les services publics contre la privatisation et la marchandisation

4.3.1. C'est l'un des aspects clés d'une transition sociale et écologique, dans de nombreux domaines de la vie. Par exemple :

4.3.2. - L'eau : la privatisation, le gaspillage et la pollution actuels de l'eau - rivières, lacs et nappes phréatiques - constituent un désastre social et écologique. La pénurie d'eau et les inondations dues au changement climatique sont des menaces majeures pour des milliards de personnes. L'eau est un bien commun et devrait être gérée et distribuée par des services publics, sous le contrôle des consommateurs. Les paysages et les villes devraient être désimperméabilisées, capables de stocker l'eau afin d'éviter les inondations massives.

4.3.3. - Le logement : Le droit fondamental de toutes les personnes à un logement décent, permanent et écologiquement durable ne peut être garanti sous le capitalisme. La loi du profit implique des expulsions, des démolitions et la criminalisation de celleux qui résistent. Elle implique également des factures d'énergie élevées pour les pauvres et des énergies renouvelables subventionnées pour les riches. Le contrôle public du marché immobilier, l'abaissement et le gel des intérêts et des profits des banques, l'augmentation radicale du nombre de logements sociaux et coopératifs, un processus public d'isolation climatique des habitations et un programme massif de construction de bâtiments énergétiquement autonomes sont les premières étapes d'une politique alternative.

4.3.4. - La santé : le bilan de la pandémie de COVID-19 est limpide : les privatisations et les coupes dans le secteur des soins fragilisent les classes populaires - en particulier les enfants, les femmes et les personnes âgées - et font peser de lourdes menaces sur la santé publique en général. Ce secteur doit être refinancé massivement et remis intégralement entre les mains de la collectivité. Les investissements doivent aller en priorité à la médecine de première ligne. L'industrie pharmaceutique doit être socialisée.

4.3.5. - Les transports : Le transport individuel dans le capitalisme privilégie les voitures individuelles, ce qui a des conséquences désastreuses sur la santé et l'écologie. L'alternative est un système large et efficace de transports publics gratuits, ainsi qu'une grande extension des zones piétonnes et cyclables. Les marchandises sont transportées sur de grandes distances par des camions ou des porte-conteneurs, avec d'énormes émissions de gaz ; la réduction du gaspillage, la relocalisation de la production et le transport des marchandises par le train sont des mesures immédiates et nécessaires. Le transport aérien devrait être réduit de manière significative et supprimé pour les distances qui peuvent être couvertes par le train.

4.4. Prendre l'argent là où il est : les capitalistes et les riches doivent payer
Une stratégie globale de transition digne de ce nom doit articuler le remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables, la protection contre les effets déjà perceptibles du changement climatique, la compensation des pertes et préjudices, l'aide à la reconversion (notamment la garantie de revenu des travailleur·ses concerné·es) et la réparation des écosystèmes. Les besoins financiers nécessaires d'ici 2050 s'élèvent à plusieurs milliers de milliards de dollars. Qui doit payer ? les responsables du désastre : les multinationales, les banques, les fonds de pension, les États impérialistes et les riches du Nord et du Sud. L'alternative écosocialiste passe par un vaste programme de réforme fiscale et de réduction radicale des inégalités pour aller chercher l'argent là où il se trouve : imposition progressive, levée du secret bancaire, cadastre des actifs, taxation du patrimoine, impôt unique exceptionnel à taux élevé sur le patrimoine foncier, élimination des paradis fiscaux, abolition des privilèges fiscaux des entreprises et des riches, ouverture des livres de comptes des entreprises, plafonnement des hauts revenus, abolition des dettes extérieures reconnues comme "illégitimes", abolition de la dette publique détenue par l'oligarchie financière (sans compensation, sauf pour les petits investisseurs), compensation par les pays riches du coût de la renonciation à l'exploitation de leurs ressources fossiles par les pays dominés (projet de parc Yasuni).

4.5. Liberté de circulation et de séjour sur Terre ! Personne n'est illégal !
La catastrophe écologique est un facteur de migration de plus en plus important. Entre 2008 et 2016, une moyenne annuelle de 21,5 millions de personnes ont été déplacées de force en raison d'événements météorologiques. La plupart d'entre elles sont des personnes pauvres venant de pays pauvres. Les migrations climatiques devraient s'intensifier au cours des prochaines décennies : 1,2 milliard de personnes pourraient être déplacées dans le monde d'ici à 2050. Contrairement aux demandeur·ses d'asile, les "réfugié·es climatiques" n'ont même pas de statut. Ils ne portent aucune responsabilité dans la catastrophe écologique mais le vrai responsable, le système capitaliste, les condamne à venir grossir les rangs des 108,4 millions de personnes dans le monde qui ont été déplacées de force en 2020 en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits de l'homme. Les droits fondamentaux de ces personnes sont constamment attaqués : le droit d'être protégé contre la violence, d'avoir suffisamment d'eau et de nourriture, de vivre dans un logement sûr, de garder sa famille unie, de trouver un emploi décent. Un nombre croissant d'entre elles (10 millions) sont même considérées comme apatrides par l'UNHDR. Tout cela est contraire à la justice la plus élémentaire. Il nourrit les fascistes qui font des migrant·es des boucs émissaires et les déshumanisent. C'est une menace énorme pour les droits démocratiques et sociaux de tou·tes. En tant qu'internationalistes, nous nous battons pour des politiques restrictives contre le capital, pas contre les migrant·es. Nous nous opposons à la construction de murs, à l'enfermement dans des centres, à la construction de camps, aux expulsions, aux déportations et à la rhétorique raciste. Personne n'est illégal sur Terre, tout le monde doit avoir le droit de se déplacer et de partir partout. Les frontières doivent être ouvertes à tou·tes celleux qui fuient leur pays, que ce soit pour des raisons sociales, politiques, économiques ou environnementales.

4.6. Éliminer les activités économiques inutiles ou nuisibles
L'arrêt de la catastrophe climatique et du déclin de la biodiversité passe impérativement par une réduction très rapide et significative de la consommation d'énergie finale au niveau mondial. Cette contrainte est incontournable. Les premières étapes consistent à réduire drastiquement le pouvoir d'achat des riches, à abandonner la fast fashion, la publicité et la production/consommation de luxe (croisières, yachts et jets ou hélicoptères privés, tourisme spatial, etc.), à réduire la production de masse de viande et de produits laitiers et à mettre fin à l'obsolescence accélérée des produits, en allongeant leur durée de vie et en facilitant leur réparation. Le transport aérien et maritime des marchandises devrait être réduit drastiquement par la relocalisation de la production, et remplacé par le transport ferroviaire chaque fois que cela est possible. Plus structurellement, la contrainte énergétique ne peut être respectée qu'en réduisant le plus rapidement possible les activités économiques inutiles ou nuisibles. Les principaux secteurs productifs à considérer sont : la production d'armes, l'énergie fossile et la pétrochimie, l'industrie extractive, la fabrication non durable, l'industrie du bois et de la pâte à papier, la construction de voitures personnelles, les avions et la construction navale.

4.7. Souveraineté alimentaire ! Sortir de l'agro-industrie, de la pêche industrielle et de l'industrie de la viande
Ces trois secteurs font peser de graves menaces sur le climat, la santé humaine et la biodiversité. Leur démantèlement nécessite des mesures au niveau de la production mais aussi des changements importants au niveau de la consommation (dans les pays développés et chez les riches de tous les pays) et de la relation avec le vivant. Des politiques volontaristes sont nécessaires pour stopper la déforestation et remplacer l'agro-industrie, les plantations industrielles et la pêche à grande échelle respectivement par l'agroécologie paysanne, l'écoforesterie et la pêche artisanale. Ces alternatives consomment moins d'énergie, emploient plus de main-d'œuvre et sont beaucoup plus respectueuses de la biodiversité. Les agriculteur·ices et les pêcheur·ses doivent être correctement indemnisé·es par la communauté, non seulement pour leur contribution à l'alimentation humaine, mais aussi pour leur contribution écologique. Les droits des peuples premiers sur la forêt et les autres écosystèmes doivent être protégés. La consommation mondiale de viande doit être réduite de manière drastique. L'industrie de la viande et des produits laitiers doit être démantelée et il faut promouvoir une alimentation basée principalement sur la production locale de légumes. Ce faisant, nous mettons fin au traitement abject des animaux dans l'industrie de la viande et la pêche industrielle. La souveraineté alimentaire, conformément aux propositions de la Via Campesina, est un objectif clé. Elle passe par une réforme agraire radicale : la terre à celleux qui la travaillent, en particulier les femmes. Expropriation des grands propriétaires terriens et de l'agro-industrie capitaliste qui produisent des biens pour le marché mondial. Distribution de la terre aux paysan·nes et aux paysan·nes sans terre (familles ou coopératives) pour la production agrobiologique. Abolition des anciennes et des nouvelles cultures OGM en plein champ et élimination des pesticides toxiques (à commencer par ceux dont les pays impérialistes interdisent l'usage mais dont ils autorisent l'exportation dans les pays dominés !)

4.8. Réforme urbaine populaire

Plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd'hui dans des villes de plus en plus grandes. Dans le même temps, les régions rurales se dépeuplent, sont ruinées par l'agro-industrie et l'exploitation minière et sont de plus en plus privées de services essentiels. Les pays dominés possèdent certaines des plus grandes mégapoles de la planète (Jakarta, Manille, Mexico DF, New Delhi, Bombay, Sao Paulo, et d'autres), un nombre croissant de sans-abri et des bidonvilles où des millions d'êtres humains (autour de Karachi, Nairobi, Bagdad,...) survivent et travaillent de manière informelle dans des conditions indignes. C'est l'une des plaies les plus hideuses laissées par le développement capitaliste et la domination impérialiste. Outre la violence, les vagues de chaleur rendent la survie de plus en plus difficile dans les bidonvilles et les quartiers pauvres, surtout dans les climats humides. L'alternative écosocialiste revendique le lancement d'un vaste programme de construction de logements sociaux accompagné d'une réforme urbaine populaire qui modifie l'organisation des grandes villes, conçue en coopération avec les associations de sans-abri. Elle doit s'articuler sur une législation du travail qui protège les travailleur·ses, d'une part, et sur l'attractivité de la réforme agraire, afin d'initier un mouvement de contre-émigration rurale, d'autre part.

4.9. Socialiser l'énergie et la finance sans compensation ni rachat pour sortir au plus vite des énergies fossiles et du nucléaire
Les multinationales de l'énergie et les banques qui les financent veulent exploiter jusqu'à la dernière tonne de charbon, jusqu'au dernier litre de pétrole, jusqu'au dernier mètre cube de gaz. Elles ont d'abord caché et nié l'impact du CO2 sur le changement climatique. Aujourd'hui, pour continuer à exploiter ces ressources malgré tout, et alors que la flambée des prix leur assure de gigantesques surprofits, elles promettent toutes sortes de techniques bidon (greenwashing, échange de "droits à polluer", "compensation des émissions", "capture, séquestration et utilisation du carbone") et promeuvent l'énergie nucléaire comme étant "à faible teneur en carbone". Aucun doute n'est possible : ces groupes avides de profits mènent la planète de catastrophe climatique en cataclysme. En même temps, ils sont à la pointe des attaques capitalistes contre les classes laborieuses. Ils doivent être socialisés par l'expropriation, sans compensation ni rachat. Pour stopper la destruction sociale et écologique, pour déterminer collectivement notre avenir, rien n'est plus urgent que de constituer des services publics de l'énergie et du crédit, décentralisés et interconnectés, sous le contrôle démocratique des populations.

4.10. Pour la libération et l'autodétermination des peuples ; contre la guerre, l'impérialisme et le colonialisme
Nous défendons un programme internationaliste basé sur la justice sociale, pour une transition écosocialiste menée par des forces collectives et libératrices, et pour la paix entre les peuples, en affrontant les politiques oppressives. Nous nous opposons à l'OTAN et aux autres alliances militaires qui conduisent le monde vers de nouveaux conflits inter-impérialistes, nous luttons contre l'augmentation des budgets militaires, pour le démantèlement de la fabrication et des stocks de tous les armements nucléaires, chimiques et bactériologiques et des cyber-armes ; pour le démantèlement de toutes les entreprises militaires privées.
La seule voie vers la paix passe par les luttes victorieuses pour le droit à l'autodétermination, la fin de l'occupation des terres et le nettoyage ethnique. En tant qu'internationalistes, nous sommes solidaires des peuples opprimés qui luttent pour leurs droits, notamment en Palestine et en Ukraine.

4.11. Garantir l'emploi pour tou·tes, assurer la reconversion nécessaire dans des activités écologiquement durables et socialement utiles
Les travailleur·ses engagé·es dans les activités gaspilleuses et nocives des combustibles fossiles, dans l'agro-industrie, la grande pêche et l'industrie de la viande n'ont pas à payer le prix de la gestion capitaliste. Une garantie d'emplois verts doit

« Le FSM reste le seul espace de rencontre au niveau mondial »

26 mars 2024, par Éric Toussaint, Sergio Ferrari — ,
Au terme d'une nouvelle édition du Forum social mondial (FSM) qui s'est déroulée à Katmandou, au Népal, du 15 au 19 février, l'heure est au bilan. Entretien avec Eric (…)

Au terme d'une nouvelle édition du Forum social mondial (FSM) qui s'est déroulée à Katmandou, au Népal, du 15 au 19 février, l'heure est au bilan. Entretien avec Eric Toussaint, historien et économiste belge qui a participé au forum.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
8 mars 2024

Par Sergio Ferrari et Éric Toussaint

Marche d'ouverture du FSM, Katmandou, 15 février 2024 Ofxam Asia

Sergio Ferrari - Quel bilan tirez-vous de cette nouvelle édition du Forum social mondial ?

Eric Toussaint - Il a été très positif, principalement en raison de la participation de secteurs populaires très divers et parmi les plus opprimés. Je pense notamment aux Dalits, la caste des intouchables, aux peuples natifs et indigènes, historiquement marginalisés mais très organisés, aux forces syndicales, à de nombreuses féministes issues des classes populaires.

La majorité était originaire du Népal et d'Inde. Les organisateur·ices ont compté 18 000 inscriptions (de plus de 90 pays, ndlr) et lors de la manifestation d'ouverture du jeudi 15, entre 12 et 15 000 participant·es se sont mobilisé·es.

Cependant, le FSM en tant que tel n'a pas atteint la même représentation qu'au cours de sa première décennie d'existence, depuis sa fondation à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. Il y avait très peu de participant·e·s venant d'Europe, d'Amérique latine ou d'Afrique. Bref, un bon niveau de participation régionale mais une faible présence des autres continents. Cela montre les difficultés du FSM à prendre des initiatives globales ayant un impact réel.

Où en est le FSM aujourd'hui ?

Nous percevons une réalité contradictoire. D'une part, le Forum social mondial ne constitue plus une véritable force d'attraction et de propulsion. D'autre part, c'est le seul espace de rencontres altermondialistes qui perdure au niveau mondial. C'est pourquoi il est encore important pour des réseaux internationaux comme le CADTM (Comité pour l'abolition des dettes illégitimes, ndlr) d'y participer.

Je suis convaincu que, si le FSM avait une force réelle – telle que nous l'avons obtenue en février 2003, lorsque nous avons appelé à de grandes mobilisations pour la paix et contre la guerre en Irak – son pouvoir serait aujourd'hui significatif : à la fois pour faire face au génocide en Palestine et pour aider à construire un large frein à la croissance de l'extrême droite que l'on peut observer dans de nombreuses régions du monde.

Si le FSM ne parvient pas à être une telle force, que devraient faire les secteurs progressistes ?

Je pense que la formule d'un FSM avec seulement des mouvements sociaux et des ONG mais sans partis politiques progressistes (comme défini dans la Charte de principe de 2001) ne permet pas une organisation adéquate de la lutte contre l'extrême droite.

Face à la montée de l'extrême droite et des projets fascistes, il faut chercher un autre type de convergence internationale. Dans ce sens, le CADTM, avec d'autres acteurs sociaux, a contacté le PSOL (Parti Socialisme et Liberté) et le PT (Parti des Travailleurs) de Porto Alegre, berceau du Forum Social Mondial depuis 2001, pour proposer la création d'un Comité d'organisation qui convoquerait une réunion internationale en mai pour discuter de la marche à suivre, en vue d'une grande réunion dans un an.

Des acteurs importants, tels que le mouvement brésilien des travailleurs sans terre (MST), pourraient y participer activement. S'ils ont réussi à se libérer de Jair Bolsonaro au Brésil, avec une large alliance politique et sociale, il est essentiel d'en tirer des leçons politiques concrètes. Le Forum social mondial pourrait continuer, mais nous sommes convaincu·es qu'un nouveau cadre unifiant toutes les forces capables de se mobiliser est nécessaire.

Il y a des initiatives comme l'Assemblée mondiale des peuples qui réfléchissent déjà dans ce sens…

Bien sûr, elle devrait être impliquée et jouerait un rôle. Mais nous avons besoin d'une nouvelle initiative de front uni plus large. Sa construction serait large et diverse, incorporant des courants allant de la 4e Internationale à la social-démocratie, en passant par l'Internationale progressiste, à travers toute la gamme des sensibilités de gauche. Ainsi que des organisations et personnalités progressistes aux États-Unis (par exemple Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez, le syndicat automobile UAW qui a remporté une victoire importante en 2023). Et des partis et mouvements de gauche d'Europe, d'Afrique, d'Asie et de la région arabe.

Il est nécessaire de convaincre le plus grand nombre de forces possible, y compris celles qui doivent surmonter les différences et les divisions historiques, et qui comprennent et acceptent le grand défi prioritaire du moment, à savoir la lutte contre l'extrême droite.

Nous savons qu'un tel appel ne sera ni simple ni facile à concrétiser : il exige une grande générosité et une forte volonté politique. La complexité du moment historique et les dangers qui pèsent sur l'humanité et la planète nous imposent d'essayer d'y arriver.

Sergio Ferrari

P.-S.

• Paru dans le n° 432 de solidaritéS 8 mars 2024 :
https://solidarites.ch/journal/432-2/le-forum-social-mondial-reste-le-seul-espace-de-rencontre-au-niveau-mondial/

• Titres et coupes par la rédaction.

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« Québec solidaire pourrait dépasser la CAQ »

26 mars 2024, par Élisabeth Germain — ,
C'est le titre du dernier courriel envoyé aux membres par QS ce 21 mars. Et puis après… ? Est-ce réellement un objectif mobilisateur pour QS ? Sommes-nous renduꞏes à ce point (…)

C'est le titre du dernier courriel envoyé aux membres par QS ce 21 mars. Et puis après… ? Est-ce réellement un objectif mobilisateur pour QS ? Sommes-nous renduꞏes à ce point électoralistes que la perspective de peut-être dépasser la CAQ dans les sondages nous émoustille, à presque trois ans des élections ?

Élisbeth Germain, 2024-03-21

« Québec solidaire pourrait dépasser la CAQ. »

Est-ce sérieux de nous bercer de l'illusion que nous pouvons « prendre le pouvoir » à Québec et de subordonner nos communications (et nos actions ?) à ce but trompeur ?

Comme beaucoup de militantꞏes que je côtoie, je rêve plutôt de constituer une opposition forte, bien argumentée, bien connectée à la population québécoise dans sa diversité humaine et territoriale, en mesure d'infléchir les politiques en gestation dans ce gouvernement de droite et d'en proposer de plus aptes à promouvoir notre projet de société.

C'est à l'opposé d'une perspective électoraliste, c'est une perspective proprement politique.

On dirait qu'il y a un choix de plus en plus évident chez QS de chercher à conquérir de la popularité en séduisant la population par un discours qui montre qu'on est de son côté, qu'on est les bons gardiens de ses intérêts face aux méchants exploiteurs, qu'un gouvernement de QS ferait ceci et cela – tandis que les trois-quarts des gens nous regardent d'un œil narquois ou indifférent, persuadés qu'on va rester un parti marginal, revendicateur et stérile.

Est-ce que notre aspiration au pouvoir est actuellement réaliste ? À mon avis, elle l'est tellement peu que nous perdons de la crédibilité à la cultiver ou à faire semblant d'y croire. Un parti politique comme QS est un parti de conviction, pas un parti d'élection. C'est un parti d'influence et de transformation sociale en profondeur, pas un parti de victoire électorale qui, propulsant à la tête un groupe qui n'est pas équipé pour gouverner, est forcé à l'improvisation, aux compromis et à l'inefficacité.

Sommes-nous prêtꞏes à gouverner ? L'exercice du gouvernement est-il une stratégie gagnante pour notre projet de société ?

Je ne crois pas. Nos forces comme parti sont bien plus dans la critique du système actuel et dans l'expression des intérêts de la population urbaine du Québec (il nous en manque un bout avec la rurale) que dans la prise en charge et la direction de trente ministères qui administrent les multiples aspects de la vie des Québécoisꞏes.
Nos forces sont dans notre capacité de vision et d'éducation populaire plutôt que dans notre outillage (publicitaire et affairiste) pour gagner le pouvoir. Pire, si nous arrivons au pouvoir de cette façon, nous risquons de stériliser ces forces vives pour nous retrouver absorbés par des nécessités de gouvernance et de compromis qui vont désagréger notre cohérence et notre cohésion.

Heureusement, nous n'avons pas fait une montée de popularité dans la population comme la défunte ADQ (1994-2012) et la peut-être future défunte CAQ. L'ADQ a connu son pic en 2007-2008 avec 41 députés élus. Elle s'est ensuite enterrée dans la CAQ (2011-xxxx) qui a rapidement monté pour prendre le pouvoir sept ans plus tard avec 74 sièges ; elle a ensuite grimpé à 89 sièges en 2022 grâce à de multiples promesses et contorsions qui, aujourd'hui, président à sa dégringolade dans les sondages.

Ce n'est pas ce genre de naissance et déclin rapides que nous voulons pour QS. Nous voulons un travail en profondeur, qui change réellement les choses plutôt que d'alimenter les modes politiques accentuant les avancées ruineuses du néo-libéralisme. Nous en sommes capables, et l'intérêt grandissant des Québécoisꞏes pour l'écologie et la nécessaire transition vers un autre monde en est à mon avis un effet et un signe important.

Cet État est capitaliste, patriarcal et raciste. QS se veut féministe et intersectionnel ? Alors apprenons du féminisme à viser collectivement le pouvoir de changer les choses plutôt que de viser le pouvoir tout court, qui perpétue les dominations.

Continuons dans notre genre de travail, accentuons-le, plutôt que de laisser l'électoralisme coopter et breveter notre ADN.

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Écoeuré·e·s d’être méprisé·e·s : Ensemble vers la grève sociale (collectif)

26 mars 2024, par Collectif — , ,
En riposte à des politiques concertées de saccage du bien commun, plusieurs groupes, organismes et associations se concertent en vue de l'organisation d'une semaine de grève (…)

En riposte à des politiques concertées de saccage du bien commun, plusieurs groupes, organismes et associations se concertent en vue de l'organisation d'une semaine de grève sociale et d'actions du 29 avril au 3 mai.

Pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale dans une perspective féministe intersectionnelle, nous réclamons :

✊🏿 La reconnaissance et l'élimination des violences systémiques vécues par les femmes et les personnes marginalisées !

✊🏼 Un statut pour toutes et tous !

✊🏽 L'accès à un revenu qui permet de sortir de la pauvreté !

✊🏻 Le droit au logement pour toutes et tous !

✊🏾 Le renforcement du filet social et des services publics bien financés, accessibles et gratuits pour toutes et tous !

L'appel initial

Nous lançons , au nom de plusieurs groupes, d'organismes et d'associations qui se concertent un appel en vue de l'organisation d'une semaine de grève sociale et d'actions sur le thème de la lutte à la pauvreté, entre le 29 avril et le 3 mai 2024.

Plus précisément, cette grève prendra la forme « d'un arrêt ou d'un réaménagement des activités/ services réguliers en vue de libérer du temps pour l'organisation et la participation à des activités/mobilisations/perturbations en lien avec nos objectifs communs. »

Nous croyons fortement qu'en riposte à des politiques concertées de saccage du bien commun, nous devons nous organiser avec le plus grand nombre possible et des groupes divers (organismes communautaires, syndicats, comités logement, associations étudiantes, collectifs autonomes, groupes féministes, groupes de personnes migrantes, groupes LGBTQ2+, etc.)

Nous avons déjà tenu plusieurs rencontres larges avec des groupes de différents secteurs. Les procès-verbaux de ces rencontres sont disponibles sur demande. Ensemble, nous avons déterminé des revendications qui visent la lutte à la pauvreté et à l'exclusion sociale, dans une perspective féministe intersectionnelle, et qui répondent à des besoins criants et à des droits sociaux allègrement mis de côté par les gouvernements.

Lors de notre dernière rencontre, nous avons décidé qu'une journée d'action sera dédiée à chaque revendication, chacune des journées étant prise en charge par un ensemble de groupes volontaires. Nous avons aussi une proposition préliminaire (rien n'est fixé dans le béton !) de calendrier avec des journées thématiques pour la semaine :

Lundi 29 avril 2024 : La reconnaissance et l'élimination des violences systémiques, notamment économiques, faites aux femmes et aux personnes marginalisées

Mardi 30 avril 2024 : Un statut pour toutes et tous

Mercredi 1er mai 2024 : L'accès à un revenu qui permet de sortir de la pauvreté

Jeudi 2 mai 2024 : Le droit au logement pour toutes et tous

Vendredi 3 mai 2024 : Le renforcement du filet social et des services publics bien financés, accessibles et gratuits pour toutes et tous

Plusieurs groupes ont déjà fait part de leur volonté de co-organiser certaines des journées thématiques. Nous vous invitons donc à adopter un mandat d'appui à ce projet revendicateur ! Nous vous invitons également, si vous le pouvez, à donner un coup de main dans l'organisation des journées thématiques selon les enjeux qui vous interpellent le plus.

Notre comité de mobilisation et d'élargissement peut venir dans une de vos instances pour expliquer le projet et répondre à vos questions. Invitez-nous !

Cette semaine est l'occasion d'organiser des événements (ensemble ou en toute autonomie au sein de vos groupes) et d'obtenir une solide visibilité vue la quantité de groupes qui vont se coordonner pour brasser la cage et faire valoir leurs revendications. On espère vous voir lutter à nos côtés, de la manière qui vous conviendra !

SOLIDARITÉ !

Infos

Pour vous tenir au courant, mobiliser vos groupes (calendrier provincial des actions, matériel de mobilisation papier et réseaux sociaux, etc.), ajouter le nom de votre organisme à la liste des groupes appuyant la semaine de grève et d'action et/ou pour vous impliquer activement dans un des comités d'organisation des journées thématiques, allez sur : www.grevesociale.com ou écrivez-nous à info@grevesociale.com. Vous pouvez également nous appeler au 514-527-0700 (bureau de l'OPDS).

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« L’humanitarisme de salon » : le problème du corridor d’aide maritime de Gaza

Bien que l'aide soit désespérément nécessaire, les experts mettent en garde contre le fait que le plan dirigé par les États-Unis ne tient pas compte de la cause fondamentale de (…)

Bien que l'aide soit désespérément nécessaire, les experts mettent en garde contre le fait que le plan dirigé par les États-Unis ne tient pas compte de la cause fondamentale de la famine dans la bande de Gaza : le contrôle total d'Israël sur la bande de Gaza.

Tiré d'Agence médias Palestine. Source : +972. Photo : Des Palestiniens vus au port de la ville de Gaza, le 13 juin 2019. (Hassan Jedi/Flash90) Traduction ED pour l'Agence Média Palestine.

Lorsque Huwaida Arraf a participé à l'organisation du premier voyage maritime « Free Gaza » au départ de Chypre en 2008, elle savait que cet effort était essentiellement symbolique. Cela faisait deux ans qu'Israël avait commencé à imposer des restrictions qui allaient finalement se transformer en un siège quasi total de la bande de Gaza, interdisant tout trafic maritime entrant et interdisant la pêche au-delà d'un maximum de six miles nautiques. Le blocus a sévèrement limité une source essentielle de nourriture et de moyens de subsistance pour de nombreux résidents palestiniens, mais l'objectif du voyage Free Gaza – qui ne transportait qu'une seule boîte d'appareils auditifs pour une organisation caritative travaillant avec des enfants sourds – n'était pas d'apporter de l'aide.

« Nous avions deux bateaux de pêche qui nous ont à peine permis de traverser la Méditerranée », explique Arraf, avocat et militant des droits de l'homme, à +972. « Le véritable objectif était d'affronter et de contester le blocus illégal d'Israël. »

Aujourd'hui, cinq mois après le début de la guerre dévastatrice d'Israël contre Gaza, M. Arraf travaille avec la Coalition de la flottille de la liberté pour organiser un nouveau voyage. La nouvelle flottille, qui n'a pas encore annoncé de date de départ, transportera certainement de l'aide, mais sa mission à long terme, a expliqué M. Arraf, consiste à « remettre en question les politiques de contrôle ».

Ces politiques, selon les critiques, sont au cœur d'un nouveau « corridor maritime » pour Gaza, comprenant un port offshore, annoncé par les États-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni. Bien que ce projet soit présenté comme un moyen d'acheminer rapidement l'aide humanitaire dans la bande de Gaza assiégée, il laisse essentiellement les Palestiniens de Gaza à la merci des mêmes gouvernements qui soutiennent et encouragent l'assaut d'Israël contre l'enclave.

Elle révèle également l'impuissance des bailleurs de fonds d'Israël. Après tout, le bain de sang qu'ils continuent de financer ne se mesure pas seulement en corps palestiniens mutilés et en paysages ravagés, mais aussi par une campagne de famine délibérée qui se déroule sous leur surveillance – une campagne qui, de l'aveu même des responsables américains, ne peut être annulée par des mesures palliatives. Dans le même temps, alors que des centaines de milliers de Palestiniens sont aux prises avec la faim, le corridor maritime proposé pourrait être leur seule chance de survie à court terme.

« Les enfants qui sont déjà morts de faim à Gaza avaient survécu à d'innombrables bombardements et déplacements avant de mourir dans l'angoisse », a déclaré Yara M. Asi, professeur adjoint de santé mondiale à l'université de Floride centrale et auteur de « How War Kills » (Comment la guerre tue). « Personne ne veut voir un autre enfant mourir de faim. »

En même temps, Mme Asi prévient que le niveau de désespoir à Gaza signifie que les Palestiniens devront faire des choix déchirants pour déterminer qui recevra l'aide en premier. « Comment établir un ordre de priorité entre les mères âgées, les enfants et les adultes en bonne santé ? » a-t-elle déclaré à +972. « C'est un choix impossible pour les familles. »

C'est aussi un choix qui a été « annoncé depuis des mois », ajoute Asi. En décembre, l'Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) a averti que l'insuffisance de l'aide mettait 40 % de la population de Gaza « en danger de famine ». Trois mois plus tard, le Programme alimentaire mondial estime que l'ensemble de la population de Gaza, soit 2,2 millions de personnes, se trouve « en situation de crise » ou à un niveau pire d'insécurité alimentaire aiguë.

Malgré l'urgence, des sources impliquées dans la planification du corridor maritime, qui ont requis l'anonymat, ont déclaré à +972 que des détails clés de son exécution restent en suspens – y compris, de manière cruciale, la manière dont l'aide sera distribuée une fois qu'elle sera arrivée dans la bande de Gaza. En particulier, le manque de coordination avec l'UNRWA, qui a été la cible d'une campagne de diffamation et de financement menée par Israël au cours des deux derniers mois, est presque sûr d'entraver l'effort international, ce qui soulève de sérieuses questions quant à son intention.

Distraction flagrante

Une grande partie de l'incertitude entourant le corridor maritime tourne autour de la dernière partie de ce qu'une source a appelé une « approche en trois phases ».

La première phase est menée par l'organisation caritative espagnole Open Arms et son partenaire World Central Kitchen (WCK), qui gère des dizaines de sites de préparation de nourriture à Gaza. Vendredi, un navire lié à Open Arms est arrivé de Chypre au large de la côte de Gaza, transportant quelque 200 tonnes de dons alimentaires sécurisés par l'organisation caritative et WCK.

Les organisateurs, selon la source, avaient engagé des travailleurs palestiniens pour construire une « jetée flottante » afin de recevoir les cargaisons, un effort « étroitement coordonné avec le gouvernement d'Israël ». WCK a publié une vidéo sur X montrant le déchargement de l'aide – bien qu'à l'heure où nous écrivons ces lignes, la manière dont l'aide est distribuée n'est pas claire. Entre-temps, l'organisation caritative indique qu'un deuxième navire est en train d'être préparé pour partir de Chypre.

Au cours des deuxième et troisième phases, l'armée américaine construirait une jetée au large de la côte de Gaza et superviserait le transfert d'une quantité d'aide suffisante pour préparer deux millions de repas par jour, selon la Maison-Blanche. Mais même si les expéditions maritimes devaient arriver à terre comme prévu, le Pentagone estime qu'il faudra deux mois pour les acheminer – une attente trop longue pour la population affamée de Gaza, avertissent les experts de l'aide humanitaire. On estime que 300 000 personnes sont confrontées à une famine imminente dans le nord de Gaza et, selon les Nations Unies, la faim a atteint des « niveaux catastrophiques » dans l'ensemble de la bande.

Entre-temps, les organisations humanitaires critiquent déjà le plan maritime qui ne s'attaque pas à la cause fondamentale de la crise de la faim à Gaza. Médecins sans frontières (MSF) a averti que les projets américains concernant la jetée constituaient une « distraction flagrante » face au refus persistant d'Israël de faciliter l'acheminement de l'aide dans l'enclave, en particulier dans le cadre d'un assaut qui a déjà tué plus de 31 000 personnes.

Des critiques similaires ont été formulées à l'encontre des largages de vivres effectués par les États-Unis, qui ne fournissent qu'une petite partie de l'aide nécessaire au nord de Gaza et qui, en tout état de cause, ne peuvent garantir une distribution sûre. Le 8 mars, par exemple, cinq personnes ont été tuées et dix autres blessées par la chute de colis d'aide humanitaire lorsque les parachutes auxquels ils étaient attachés ne se sont pas ouverts.

Selon les Nations Unies, au cours des cinq derniers mois, les livraisons d'aide à Gaza ont été bloquées à un maximum de 150 camions par jour en moyenne, soit plus de trois fois le nombre de camions qui entraient chaque jour avant le 7 octobre. Les pénuries alimentaires croissantes ont eu pour conséquence que le flux de camions est devenu une fraction de plus en plus petite de ce qui est nécessaire – un fait reconnu par nulle autre que Samantha Power, directrice de l'Agence américaine pour le développement international (USAID). Même lorsque l'aide alimentaire parvient à atteindre les zones les plus durement touchées, les forces israéliennes ouvrent parfois le feu sur les affamés, comme ce fut le cas lors du « massacre de la farine » du 29 février, au cours duquel au moins 110 Palestiniens ont été tués.

Saper l'UNRWA

Cette spirale de l'urgence est étroitement liée aux efforts agressifs déployés pour affaiblir l'UNRWA, une agence depuis longtemps prise pour cible par les responsables israéliens. Selon l'ancien porte-parole de l'UNRWA, Chris Gunness, le convoi qui a conduit au massacre de la farine « a été réalisé par des mercenaires, des chauffeurs de camion coordonnés par les autorités israéliennes », qui ont cherché à contourner l'agence des Nations Unies. Selon lui, ces chauffeurs ne connaissaient pas la région ni la logistique de l'acheminement de l'aide dans la bande de Gaza.

La tentative désastreuse du 29 février, selon Gunness, a montré que l'UNRWA est « la seule organisation ayant l'expérience, le personnel et l'infrastructure nécessaires pour distribuer l'aide en toute sécurité » dans l'enclave – en particulier dans les quantités annoncées par le président Joe Biden la semaine dernière.

« Il est impensable de reconstituer une nouvelle organisation d'aide comme l'UNRWA pour superviser la distribution de nourriture à cette échelle », a déclaré M. Gunness à +972. « C'est de l'humanitarisme de salon, de la part de personnes qui ne sont jamais allées à Gaza ou qui ne comprennent pas les complexités de l'acheminement de l'aide dans cette situation hautement volatile. »

Reconnaissant le rôle vital de l'UNRWA, le Canada, l'Union européenne, la Suède et l'Australie ont récemment repris le financement de l'agence après l'avoir brièvement suspendu à la suite d'allégations israéliennes non vérifiées selon lesquelles une douzaine des 13 000 employés de l'UNRWA basés à Gaza étaient impliqués dans l'attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre le sud d'Israël. Malgré une évaluation des services de renseignement exprimant une « faible confiance » dans les affirmations d'Israël, les États-Unis n'ont pas encore rétabli leur financement, ce qui obscurcit encore les projets de l'administration Biden concernant les expéditions d'aide par voie maritime.

Et bien que les experts s'accordent à dire que l'UNRWA est la seule organisation disposant des entrepôts, des véhicules et du personnel nécessaires pour stocker et livrer en toute sécurité des denrées alimentaires à cette échelle, Juliette Touma, directrice de la communication de l'UNRWA, a déclaré à +972 que l'agence « n'est pas impliquée et n'a pas été approchée » au sujet de cet effort. Pendant ce temps, les attaques israéliennes, qui ont jusqu'à présent détruit ou endommagé 157 installations de l'UNRWA à Gaza et coûté la vie à 165 membres du personnel de l'agence, se poursuivent sans relâche.

Malgré les projets de corridor maritime, la situation humanitaire à Gaza continue de se détériorer rapidement. L'UNRWA a annoncé cette semaine qu'en moyenne, seuls 168 camions d'aide étaient entrés chaque jour ce mois-ci. Le 11 mars, le commissaire général de l'UNRWA, Philippe Lazzarini, a déclaré dans une publication sur X que les restrictions israéliennes sur les produits dits « à double usage » s'étaient renforcées, les « produits vitaux » tels que les anesthésiques, les ventilateurs et les médicaments contre le cancer étant interdits d'entrée. Le 2 mars, une enquête de CNN a révélé que l'armée israélienne avait interdit l'accès à des camions entiers d'aide essentielle si l'un de ces articles interdits se trouvait à bord.

Et avec une telle impunité, pourquoi ne le feraient-ils pas ? Les responsables israéliens continuent d'affirmer qu' »il n'y a pas de pénurie alimentaire à Gaza », même si la majorité des Israéliens souhaitent qu'il y en ait une : un récent sondage réalisé par la chaîne israélienne Channel 12 a révélé que 72 % des Israéliens étaient favorables à la poursuite de la suspension de l'aide alors que le Hamas et d'autres groupes détenaient toujours des otages à Gaza. Le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, a ordonné aux entrepreneurs du port d'Ashdod de ne pas livrer à l'UNRWA les cargaisons de farine dont elle a tant besoin. Un jour plus tard, la Knesset a adopté un projet de loi interdisant à l'agence d'opérer sur le « territoire souverain » d'Israël.

« Les Palestiniens ne veulent pas vivre que de l'aide humanitaire »

Il est difficile d'imaginer une tragédie plus emblématique de l'échec de la politique des États-Unis au cours des cinq derniers mois que la proposition de corridor maritime. Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, s'est à maintes reprises opposé aux demandes timides de la Maison Blanche pour qu'il mette un frein à ce que M. Biden a qualifié avec désinvolture de massacre d'innocents « à outrance ». La protection des enfants palestiniens – dont plus de 13 000 ont péri à ce jour – n'a manifestement jamais figuré parmi les priorités de l'administration américaine ; cela aurait signifié l'annulation d'une partie au moins de la centaine de ventes de matériel militaire approuvées par Washington depuis le 7 octobre. Se prémunir contre la famine ne semble pas moins être une réflexion après coup.

« Les Palestiniens de Gaza ont souffert de l'insécurité alimentaire bien avant le 7 octobre », a déclaré M. Asi. « Mais cette fois-ci, le traumatisme est différent. Les Palestiniens savent très bien que le fait de mourir de faim ou non est une décision prise selon les caprices de puissances qui échappent totalement à leur contrôle. »

Alors pourquoi un pays qui a l'intention d'affamer les Palestiniens de Gaza fait-il soudain volte-face lorsque l'aide alimentaire arrive par bateau et non par camion ? À entendre les responsables israéliens, le corridor maritime a pour but d'obtenir une « légitimité internationale » afin de poursuivre la guerre contre Gaza, dont Israël continue d'affirmer qu'elle vise à mettre le Hamas en déroute.

Cela pourrait expliquer pourquoi les autorités israéliennes ont mis en place des installations d'inspection dans la ville portuaire chypriote de Larnaca, et pourquoi le porte-parole militaire israélien Daniel Hagari a annoncé un « afflux d'aide » à Gaza. Mais ces points de discussion n'ont aucun sens tant qu'Israël continue de bloquer l'accès par voie terrestre, en particulier au nord de Gaza.

« Cette initiative maritime n'enlève rien à l'obligation d'Israël, en tant que puissance occupante, d'ouvrir totalement les points de passage terrestres et de permettre un accès humanitaire sans entrave », a averti M. Gunness, qui a souligné que la Cour internationale de justice avait réaffirmé ces obligations contraignantes dans ses mesures provisoires du 26 janvier. Et rien de tout cela ne sera possible, a-t-il ajouté, sans un « cessez-le-feu stable et crédible ».

Cependant, même avec un cessez-le-feu, le corridor maritime tant vanté par les États-Unis souffre d'un problème structurel, enraciné dans le long siège israélien de Gaza. Dov Weisglass, ancien conseiller principal du Premier ministre de l'époque, Ehud Olmert, a décrit de manière infâme le blocus comme une « mise au régime » des Palestiniens. Le fait que les politiques qui en ont découlé, accompagnées de calculs caloriques pour chaque Palestinien, aient été mises en place il y a près de vingt ans devrait être une raison suffisante pour douter des intentions d'Israël aujourd'hui.

« Il est absurde que l'aide humanitaire soit coordonnée avec l'entité qui a publiquement annoncé son intention d'affamer les Palestiniens de Gaza », a déclaré M. Arraf. « En fin de compte, les Palestiniens ne veulent pas vivre de l'aide. Ils veulent, ont besoin et méritent la liberté ».

Samer Badawi, le 16 mars 2024

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