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L’urgence d’un monde nouveau : Programme de la Gauche anticapitaliste pour les élections européennes de 2024

9 avril 2024, par Gauche anticapitaliste — ,
Nous publions ci-dessous le programme de la Gauche anticapitaliste pour les élections européennes de juin 2024. Tiré de Gauche anticapitaliste 3 avril 2024 Par Gauche (…)

Nous publions ci-dessous le programme de la Gauche anticapitaliste pour les élections européennes de juin 2024.

Tiré de Gauche anticapitaliste
3 avril 2024

Par Gauche anticapitaliste

Cliquez ici pour le consulter et le télécharger au format PDF

Sommaire

Introduction : l'Urgence d'un monde nouveau

Écologie : en finir avec la destruction du vivant

Internationalisme : vers une Europe solidaire des peuples

Démocratie : pour des institutions sous contrôle de la population

Féminisme, antiracisme, lutte LGBT+ : en finir avec les oppressions

Finances publiques : prendre l'argent là où il est

Services publics et biens communs : investir l'argent là où il est nécessaire

Travail et emploi : le pouvoir aux travailleur·ses

INTRODUCTION. L'URGENCE D'UN MONDE NOUVEAU

Inutile de nous voiler la face : nous vivons dans un monde ravagé. Les sols, l'eau et l'air se font chaque jour un peu plus toxiques. Les violences racistes, sexistes et LGBTIphobes fracturent l'humanité. L'extrême droite gagne du terrain et tue, parfois en masse, comme en Ukraine ou en Palestine. Et pour l'immense majorité de la population mondiale, la souffrance au travail reste la norme, pour produire des richesses immenses qui finissent concentrées dans quelques mains.

Tous ces maux ont une même origine, qu'il faut savoir nommer sans trembler : le capitalisme. Devenu, en quelques siècles seulement, ultra-dominant à l'échelle de la planète, ce système mortifère a réuni les 99% de l'humanité au sein d'une communauté de destin : exploité·es par les mêmes ultra-riches, opprimé·es par les mêmes puissances impérialistes, menacé·es par un même cataclysme écologique, nous n'avons pas d'autre choix que de lutter main dans la main.

Et nous avons appris à le faire : l'immense mouvement de solidarité avec le peuple palestinien, qui a mis des millions de personnes dans la rue sur tous les continents, en est la preuve. Mais ce n'est là qu'une esquisse de ce qui sera nécessaire, pour arracher le pouvoir aux classes dominantes, et construire une société radicalement différente.

Section belge de la Quatrième internationale, vaste réseau de collectifs et partis révolutionnaires à travers le monde, la Gauche anticapitaliste n'est que l'une des nombreuses organisations qui travaillent à cet objectif. Années après années, nous avons appuyé tous les mouvements d'émancipation qui ont agité la Belgique : grèves féministes, actions écologistes, mobilisations contre les violences policières, grève des Delhaize… et bien entendu le mouvement de soutien à la Palestine. Et de chacune de ces luttes, nous avons tiré une expérience nouvelle, que nous mettrons au service des luttes futures.

Notre candidature aux élections européennes s'inscrit dans cette démarche : nous voulons porter la voix de ces combats là où l'on refuse de l'entendre. C'est ce que cherche à faire ce programme.

Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'un programme électoral, que nous prétendrions appliquer tel quel. Aucun parti, d'ailleurs, ne peut affirmer cela sans mentir : les institutions belges et européennes étant ce qu'elles sont, toutes les promesses, quelles qu'elles soient, ne sont qu'une vitrine, qui sera in fine marchandée dans le grand jeu des coalitions. Mais au-delà de cela, même dans le scénario improbable où nous deviendrions majoritaires à tous les niveaux de pouvoir, reprendre le contrôle, partager les richesses et stopper le ravage écologique nécessitera un bras de fer impitoyable avec le pouvoir économique ; et dans ce bras de fer, l'État n'est pas de notre côté. Seuls les mouvements de masses, organisés en toute indépendance du capital et de ses institutions, peuvent relever ce défi : il n'y a aucune recette magique pour contourner cette nécessité, encore moins une recette électorale.

Ce programme a donc à la fois beaucoup moins et beaucoup plus de prétention que cela : c'est le programme pour lequel nous vous proposons de lutter, pendant la période électorale et après. C'est l'esquisse, le premier pas vers la société que nous proposons de construire.

Le cœur de sa logique, c'est la prise du pouvoir : si la classe dirigeante dirige, c'est parce qu'elle domine les institutions « politiques », mais aussi et surtout parce qu'elle est propriétaire de ce qui détermine vraiment nos vies – les entreprises, et les grands moyens de production. C'est la raison pour laquelle nous proposons la socialisation, c'est-à-dire la réquisition sous contrôle direct des travailleur·ses et des usager·es, de plusieurs secteurs clefs de l'économie : l'énergie, les banques et assurances, la grande distribution, l'industrie alimentaire, le logement, la santé, l'éducation, les transports. Une telle réquisition rend possible la redistribution des profits, la planification des transitions nécessaires (vers une production d'énergie décarbonée, vers une alimentation sans pesticides…), mais surtout la réorganisation du secteur autour des besoins réels, qui peuvent enfin être garantis, tandis que les productions inutiles et nuisibles mais rentables peuvent être abandonnées.

Cette économie des besoins est donc aussi une économie du prendre-soin, centrée sur ce qui est réellement nécessaire et dont il n'est plus acceptable que quiconque soit privé : un toit, une alimentation de qualité, un bon service de santé, un enseignement émancipateur, un accès à la culture, un air respirable… et du temps pour en profiter. Car une économie centrée sur les besoins réels, où l'on cesse de produire pour produire, c'est aussi une société où l'on travaille moins, et on l'on peut enfin libérer du temps pour notre vie familiale, sociale, politique, artistique, intellectuelle, sportive, ludique, érotique, spirituelle…

L'autre face de la médaille, la seconde clef de voûte de ce programme, c'est que ce pouvoir doit être arraché à ceux qui l'ont aujourd'hui. Ce qui suppose une lutte sans relâche, et une solidarité sans faille, contre toutes les structures de domination.
Beaucoup de nos revendications vont donc dans ce sens : désarmer, au sens propre comme au sens figuré, l'État, la police, les puissances impérialistes, les institutions internationales du capital, le néocolonialisme, le patriarcat.

Reste la méthode. Pour satisfaire ces revendications, il faut des luttes, mais les luttes sont toujours plus que cela : elles sont aussi la parenthèse dans laquelle germent de nouvelles façons de s'organiser, de vivre ensemble, de penser la société future. D'où notre approche du mouvement social : combatif jusqu'au bout, mais aussi pluriel, respectueux des sensibilités diverses, et radicalement démocratique.

Le monde est beau. Il vaut la peine qu'on se batte pour lui. Mais cela ne se fera pas par des raccourcis, par des tours de passe-passe électoraux ou par quelques actions astucieuses menées par des activistes talentueux·ses. Il faudra s'organiser et se battre tou·tes ensemble, et mieux vaut commencer dès maintenant. Rejoignez-nous !

1. ÉCOLOGIE : EN FINIR AVEC LA DESTRUCTION DU VIVANT

. Travailler moins, produire moins, partager plus : 30h/semaine, 6 semaines de congé payé, retraite à 60 ans, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire

. Arrêter tous les nouveaux projets polluants, inutiles et nuisibles : nouvelles infrastructures fossiles, nouveaux aéroports, nouvelles autoroutes, nouvelles prisons et centres fermés

. Réquisitionner toutes les entreprises ultra-polluantes, sans indemnité ni rachat

. Planifier la décroissance ou la suppression des industries inutiles et nocives : publicité, armes, luxe… L'emploi sera garanti par la réduction drastique du temps de travail, et par des plans de conversion collectifs dans des activités socialement et écologiquement utiles, dirigés par les travailleur·ses, sans perte de revenu.

. Socialisation de la grande distribution

. Abolition de la pêche et de l'élevage industriels

. Interdiction planifiée de la production, l'utilisation, l'importation et l'exportation des substances de synthèse nocives pour la santé ou l'environnement (PFAS, PFOS, glyphosate, à long terme tous les pesticides de synthèse et les perturbateurs endocriniens, etc.). Les propriétaires des entreprises productrices devront payer la facture de la dépollution.

. Moratoire sur toutes les nouvelles substances de synthèse, tant qu'il n'y a pas une transparence et un contrôle de celles-ci par les pouvoirs publics, les habitant·es, les scientifiques et les travailleur·ses

. Plan massif d'investissement dans un grand service public européen du transport de personnes et de marchandises par train et des transports en commun locaux, gratuit, de qualité et de proximité ; suppression des trajets en avion de moins de 1000 km, des jets privés et de la logistique “just in time”

. Plan public de dé-bétonisation, de végétalisation des espaces urbains, de restauration des écosystèmes et de protection de la biodiversité

. Socialisation du secteur de l'énergie, ainsi que des banques et assurances, sans indemnité ni rachat sauf pour les petit·es porteur·ses, pour une sortie planifiée des énergies fossiles et nucléaire, sous contrôle direct des travailleur·ses et des usager·es

. Création de coopératives locales pour promouvoir la production décentralisée d'énergie renouvelable dans les quartiers

. Construction d'un service public de rénovation et d'isolation de toutes les habitations, sous contrôle démocratique direct

. Remplacer la Politique Agricole Commune (PAC), qui soutient l'agrobusiness, par un plan massif d'aide à l'agro-écologie paysanne locale, libérée des pressions du marché ; mettre en place une sécurité sociale de l'alimentation, pour permettre à tout·es l'accès aux produits issus de cette agriculture paysanne

2. INTERNATIONALISME : VERS UNE EUROPE SOLIDAIRE DES PEUPLES

. Rompre avec le FMI, la Banque mondiale, l'OMC et toutes les institutions du capital international

. Désobéissance immédiate au pacte budgétaire européen et aux dispositions néolibérales des traités européens actuels, et rétablissement du contrôle démocratique de la politique monétaire de la Belgique, afin de financer les nécessaires investissements publics notamment dans la transition écologique, la santé, l'éducation et le logement

. L'OTAN hors de la Belgique, la Belgique hors de l'OTAN : mettre fin au stockage des armes nucléaires à Kleine Brogel et fermer le siège de l'OTAN, s'engager dans un désarmement mondial en entamant une baisse immédiate des dépenses et budgets militaires

. Désarmer et isoler Israël, stopper les relations commerciales et diplomatiques avec le régime colonial et d'apartheid, imposer un cessez-le-feu immédiat et la fin du blocus de Gaza, la fin de l'occupation en Cisjordanie et à Jérusalem-est, le droit au retour des Palestinien·nes, la libération des prisonnier·es palestinien·nes, et des droits égaux pour tou·tes les habitant·es de la Palestine historique

. Annuler la dette de l'Ukraine, prendre des sanctions effectives et ciblées contre le régime impérialiste de Poutine, et sa politique coloniale d'épuration ethnique et de répression brutale du peuple ukrainien, imposer le retrait des troupes russes et la réparation des crimes commis

. Interdiction de la production et du commerce d'armes à des fins d'occupation, de répression et de domination impérialiste

. Traduction devant les tribunaux internationaux de tous les criminels de guerre

. Annulation de la dette de tous les pays sous domination impérialiste

. Abrogation des traités néocoloniaux (« accords de partenariat économique » ou « de libre-échange ») qui organisent le pillage perpétuel des pays dominés. Refus des nouveaux accords de libre-échange, notamment avec le Mercosur.

. Régularisation de toutes les personnes sans-papiers, garantie effective du droit d'asile et du droit à l'accueil

. Ouverture des frontières, liberté de circulation et d'installation pour tou·tes, abrogation de Dublin III, révision de la Convention de Genève pour qu'elle puisse enfin s'appliquer aux femmes et aux personnes LGTBTQI+, abolition de Frontex et des systèmes de chasse aux migrant.es, abolition des « hot spots », démantèlement des centres fermés et fin des expulsions

. Réparation des crimes coloniaux de la Belgique et des autres ex-puissances coloniales : restitution des biens spoliés, indemnisation financière, décolonisation des livres scolaires, des statues, des musées et du folklore

. Refus des mécanismes de compensation (carbone et biodiversité) et abolition des brevets sur la recherche pour les technologies d'utilité publique (énergie, médical, etc.) pour permettre aux peuples du Sud d'accéder librement aux technologies dont ils ont besoin

. Démantèlement des arsenaux nucléaires, bactériologiques et chimiques

. Pour un internationalisme par en bas : soutien aux luttes populaires, démocratiques et d'émancipation à travers le monde, quels que soient les dirigeants des États. Cela passe par la construction de coordinations internationales, pour mener des campagnes communes telles que la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions menée aujourd'hui contre le régime d'apartheid israélien.

3. DÉMOCRATIE : POUR DES INSTITUTIONS SOUS CONTRÔLE DE LA POPULATION

. Mandats des élu·es révocables à tout moment à tous les niveaux de pouvoir, interdiction du cumul des mandats rémunérés, et limitation du nombre de mandats consécutifs à deux

. Empêcher l'enrichissement des parlementaires et des responsables exécutifs : salaire aligné sur celui des travailleur·ses qualifié·es, soit 3800€ brut

. Droit de vote et d'éligibilité à tous les niveaux de pouvoir pour toutes les personnes de plus de 16 ans habitant depuis un an en Belgique, quelle que soit leur nationalité.

. Droit de grève intégral : abolition des lois de service minimum, fin du délit d'« entrave méchante à la circulation », interdiction du recours à l'usage d'huissiers dans le cadre des mouvements sociaux et fin des lois répressives (loi Van Quickenborne et ses avatars)

. Fin de toutes les poursuites contre les militant·es, syndicalistes, activistes et lanceur·ses d'alerte attaqué·es pour des actions défendant les droits des personnes ou de l'environnement

. Non à la justice de classe : fin immédiate de la transaction pénale pour les riches, gratuité de toutes les procédures judiciaires, mise en œuvre d'une justice transformatrice et réparatrice, en vue de l'abolition du système carcéral

. Fermeture immédiate des annexes psychiatriques de prison et transfert de tous les interné·es vers des structures de soin appropriées

. Fin de la diplomatie secrète

. Interdiction de la concentration privée des médias et réorientation des aides à la presse vers un service mutualisé de production, administration et distribution

. Pour une politique qui favorise l'auto-organisation populaire, le contrôle et la participation des classes populaires : droit de veto des collectifs d'habitant·es sur les projets d'aménagement du territoire, des travailleur·ses et des syndicats sur les décisions d'investissement des entreprises…

. Pour une Europe écosocialiste et radicalement démocratique : convoquer une assemblée constituante pour redéfinir le projet et les institutions européennes

4. FÉMINISME, ANTIRACISME, LUTTE LGBTI+ : EN FINIR AVEC TOUTES LES OPPRESSIONS

. Accès 100% sûr, libre et gratuit à l'avortement dans la loi et dans les faits, par le refinancement des centres de planning familial, leur développement sur tout le territoire, l'accès au matériel nécessaire, la formation des médecins et la libéralisation des conditions d'accès : sortie du code pénal, suppression du délai de réflexion et accès jusqu'à 24 semaines de grossesse

. Accès gratuit à tous les types de contraception, indépendamment de l'âge et du genre

. Mettre en commun les tâches domestiques, notamment par l'extension et le renforcement des services publics de proximité (enseignement, santé, petite enfance, nettoyage…) ; crèches gratuites pour tous les enfants avec embauche du personnel nécessaire ; faire des titres-services un véritable service public avec des conditions de travail, du matériel et des horaires adaptés aux besoins des travailleur·ses et des usager·es

. Plan d'action élaboré démocratiquement, appuyé sur un financement massif, contre les violences faites aux femmes et aux personnes LGBTI+ ; lutte contre les violences fondée sur la prévention et la prise en charge plutôt que sur la répression

. Remboursement du processus de transition de genre par la Sécurité sociale

. Interdiction des mutilations sur les enfants intersexes

. Réduction collective du temps de travail pour permettre une répartition égalitaire du travail domestique, des temps de loisir et de la participation à la vie sociale et politique

. Revalorisation salariale et aménagement de carrière dans les travaux féminisés pénibles : nettoyage, santé, grande distribution, aide à la personne…

. Individualisation des droits sociaux et suppression du statut de cohabitant·e sans perte de revenu

. Suppression de toutes les restrictions aux crédits-temps et pauses carrières, avec assimilation complète pour les autres droits

. Plan d'action élaboré démocratiquement, appuyé sur un financement massif, contre le racisme et les violences faites aux racisé·es ; utilisation d'une définition claire du racisme, qui en englobe toutes les formes (antisémitisme, islamophobie, négrophobie, romaphobie, migrantophobie, …)

. Ratifier toutes les conventions internationales allant dans le sens d'une lutte contre le racisme, et que la Belgique n'a pas encore signées : Convention des Nations Unies de 1990, protocole n°12 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme… Examiner et intégrer les recommandations issues de la Commission du Dialogue interculturel (2004) et des Assises de l'interculturalité (2010).

. Réintroduire le droit du sol (de résidence) et permettre l'acquisition de la nationalité par une simple procédure administrative gratuite à partir de 3 ans de séjour effectif

. Abrogation des lois sur la déchéance de nationalité et des lois « antiterroristes »

. Fin des discriminations aux études, à l'emploi, au logement et aux loisirs. Tenir compte de critères de nationalité et d'ascendance, à travers de statistiques anonymes, mesurant le taux de discriminations, ainsi que la mise en place des arrêtés royaux permettant des tests de situation proactifs, prouvant également ces discriminations, assortis de sanctions.

. Liberté pour les femmes de s'habiller comme elles le souhaitent, sans discriminations à l'emploi, aux études ou au logement. Interdiction des règlements et des pratiques d'exclusion envers les filles et les femmes portant le foulard.

. Désarmement et définancement de la police, dans la perspective de son abolition future, en faveur d'une protection et sécurité organisées par la collectivité. Les fonds récupérés seront réorientés vers les besoins sociaux, notamment dans les quartiers populaires.

. Formation de comités de contrôle démocratique de la police, indépendants, élus et révocables

. Front uni des travailleur·ses, des gauches et des mouvements sociaux contre l'extrême-droite, dans tous les pays et sur tous les continents : maintien strict du cordon sanitaire, interdiction de tous les événements publics faisant la promotion des idées de l'extrême-droite

5. FINANCES PUBLIQUES : PRENDRE L'ARGENT LÀ OÙ IL EST

. Impôt substantiel, progressif et exceptionnel sur la fortune des 10% les plus riches, (de 1,5% du patrimoine à l'entrée de la tranche, à 18% pour le 1% le plus riche, avec une exonération des premiers 700 000 euros sur le logement principal), ce qui permettrait de rapporter 20% du PIB en une fois. Création d'un cadastre des patrimoines.

. Globaliser les revenus et rétablir une vraie progressivité de l'impôt des personnes physiques : soumettre les revenus du capital et de l'immobilier au même impôt progressif que les salaires, accorder une exonération fiscale plus élevée aux revenus les plus bas, ajouter des tranches d'imposition et augmenter les taux d'imposition des hauts revenus ; s'attaquer à tout ce qui permet l'optimisation fiscale (avantages en nature, chèques-repas, voitures de société, stock-options, etc..)

. Diminuer la dégressivité des taxes à la consommation : réduction des taux de TVA sur les produits de base, augmentation des taux de TVA sur les produits de luxe

. Socialisation des banques et assurances, sans indemnité ni rachat (seuls les petits actionnaires seront indemnisés), création d'un service public de l'épargne, du crédit et de l'investissement, doublement structuré, avec d'une part un réseau de petites implantations proches des citoyens, et d'autre part, des organismes spécialisés en charge des activités de gestion de fonds et de financement d'investissements

. Suppression du secret bancaire, du secret des affaires et des dispositions fiscales et financières qui font de la Belgique un paradis fiscal pour les grosses fortunes et sociétés

. Contrôle public et démocratique des flux de capitaux pour éviter les fuites de capitaux et lutter contre le blanchiment de l'argent. Instauration d'une taxe sur les transactions financières, ou Taxe « Robin des bois » qui permettrait de lever des fonds substantiels (à l'échelle mondiale, un taux d'à peine 0,05% suffirait à dégager 500 milliards d'euros) et de freiner les spéculations plus dangereuses.

. Hausse du taux d'imposition des bénéfices des sociétés à 50% et suppression des niches fiscales et possibilités de montages fiscaux

. Retour à un taux de cotisations patronales structurel de 33% et annulation de toutes les dispositions permettant des réductions, qui coûtent près de 18 milliards d'euros par an à la Sécurité sociale.

. Mettre en place une caisse de solidarité permettant aux petites entreprises, au cas par cas, de maintenir leurs emplois ; moratoire sur les dettes de crise des petit·es indépendant·es

. Imposer les firmes multinationales comme une seule entité, pour empêcher les montages fiscaux

. Non-paiement de la dette publique : moratoire puis audit citoyen de toutes les dettes publiques en Europe, pour annuler définitivement les dettes illégitimes, et suspendre les dettes non-viables

. De vrais moyens pour lutter contre la fraude (30 milliards d'euros par an) et l'évasion fiscales (plus de 380 milliards d'euros se trouvent dans les paradis fiscaux) : embauches massives dans l'inspection sociale et fiscale

6. SERVICES PUBLICS ET BIEN COMMUNS : INVESTIR L'ARGENT LÀ OÙ IL EST NÉCESSAIRE

. Création d'une sécurité sociale de l'alimentation, garantissant l'accès à une alimentation saine, accessible, respectueuse de l'environnement et des paysan·nes

. Droit inconditionnel au logement, par la création d'une sécurité sociale du logement : baisse immédiate et encadrement des loyers, fin des expulsions, réquisition des bâtiments et immeubles vides, rénovation du parc social vétuste, et construction complémentaire de logements sociaux en fonction des besoins

. Contrôle démocratique des prix sur les biens et services de première nécessité, extension de la gratuité pour la consommation de base en eau et en énergie

. Sécurité sociale inconditionnelle à l'échelle de l'Europe, pour en finir avec la chasse aux chômeur·ses et aux malades et renforcer les solidarités à l'échelle européenne : annulation de toutes les mesures de dégressivité, de sanctions et d'exclusion des allocations sociales

. Pension à 60 ans et pré-retraite à 55 ans pour tou·tes en Europe. Relever toutes les allocations (pensions, chômages ou autre) à 75 % du plus haut salaire (plafonné à 50% au-dessus du salaire médian) et pour les allocations sociales minimales, les relever à 10 % au-dessus du seuil de pauvreté

. Arrêt de la libéralisation et retour au 100% public des télécommunications, de la Poste, des transports publics, de l'énergie, de l'eau, de la gestion des déchets

. Refinancement massif et socialisation des soins, de l'enseignement, avec une prise en main par les travailleur·ses et les usager·es (patient·es, familles, élèves). Gratuité et démarchandisation des soins (incluant les médicaments) et de l'enseignement supérieur.

. Transformation du secteur de la santé, recentré autour de la première ligne : réseau de médecins de famille, de maisons médicales, de plannings familiaux et de centres de santé mentale, ainsi que les maisons de repos et les soins à domicile

. Instaurer au moins une maison médicale (avec tarification au forfait) dans chaque quartier ou village

. Socialisation du secteur pharmaceutique : propriété publique et contrôle démocratique par la communauté scientifique, les soignant·es, les travailleur·ses de la production, et les usager·es des médicaments

. Faire des grandes entreprises du numérique (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Uber etc.) un bien public mondial sous contrôle démocratique des citoyen·nes et travailleur·ses

7. TRAVAIL ET EMPLOI : LE POUVOIR AUX TRAVAILLEUR·SES

. Réduction du temps de travail : 30h/semaine en quatre jours, 6 semaines de congé payé, retraite à 60 ans, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire

. Mettre un terme au chantage du chômage : faire de l'État l' « employeur de dernier ressort », offrant à toute personne le désirant un emploi public, rémunéré au salaire médian, dans les secteurs démocratiquement définis comme utiles

. Interdiction des licenciements dans les entreprises et groupes qui font des bénéfices, y compris les bénéfices dissimulés par l'ingénierie financière

. Réquisition des machines et locaux des entreprises qui ferment afin de décider démocratiquement de leur utilisation et de maintenir l'emploi

. Salaire minimum européen à 75% de chaque revenu médian national, soit 2625€ bruts par mois pour la Belgique

. La suppression des “lois de sauvegarde de la compétitivité” de 1996 et 2017 qui empêchent de négocier et d'obtenir collectivement des augmentations salariales brutes suffisantes ; retour à l'indexation intégrale mensuelle (avec suppression de l'indice santé-lissé)

. Fin du travail détaché : les travailleur·ses qui vont dans un autre pays ont droit au même salaire et conditions de travail que les résident·es.

. Suppression de tous les contrats précaires : travail étudiant, stages non rémunérés, flexi-jobs, interim, travail uberisé… Le CDI doit redevenir la norme.

. Mise en place d'un salaire étudiant fixé à 75% du revenu médian, soit 2625€ bruts, permettant aux étudiant·es de se consacrer à leurs études sans y ajouter un travail

. Relocalisation de la production planifiée démocratiquement par des investissements publics, la réquisition des entreprises qui délocalisent, la reconversion et la formation des travailleur·ses et des critères sociaux et écologiques pour les produits importés et exportés

. Abolir les avantages en nature tels que les voitures de fonction, avantages liés au résultat, chèques, etc., et les remplacer par des vraies hausses de salaire brut (y compris donc une contribution à la sécurité sociale)

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Alexandra Kollontaï, une femme libre

9 avril 2024, par fabula.org —
SOURCE : https://www.fabula.org/actualites/questions-societe/ Personnage clé de la révolution de 1917, figure pionnière du féminisme socialiste, première femme (…)

SOURCE : https://www.fabula.org/actualites/questions-societe/

Personnage clé de la révolution de 1917, figure pionnière du féminisme socialiste, première femme ambassadrice au monde : la trajectoire d'Alexandra Kollontaï a de quoi fasciner.

Promptement refoulée par la contre-révolution sexuelle qui s'est abattue sur l'Union soviétique dès les années 1920, brièvement redécouverte au lendemain de Mai 68 avant de retomber dans l'oubli, l'œuvre de Kollontaï fait l'objet depuis quelques années d'un puissant regain d'intérêt dans le sillage du renouveau féministe.

Sous le titre/Kollontaï. Défaire la famille, refaire l'amour/(La Fabrique), Olga Bronnikova et Matthieu Renault donnent une biographie intellectuelle qui montre combien, pour Kollontaï, l'émancipation des femmes a pour condition fondamentale l'abolition de la famille et des rapports de propriété (physiques et psychiques) sur lesquels elle se fonde <https://www.fabula.org/actualites/1...> .
Ce programme se décline en une réinvention radicale de l'amour et des sexualités et avec la communalisation des tâches reproductives, à commencer par la maternité. Dans l'un et l'autre cas c'est la/camaraderie/, comme affect communiste par excellence, qui doit prévaloir. Fabula vous invite àlire un extrait de l'ouvrage…
<https://lafabrique.fr/wp-content/up...>

Les éditions Fayard redonnent à lire de leur côtél'/Autobiographie d'une femme sexuellement émancipée/d'Alexandra Kollontaï, présentée par Hélène Carrère d'Encausse <https://www.fabula.org/actualites/1...> ;
Fabula vous propose de feuilleter également ce livre…
<https://www.liseuse-hachette.fr/?ea...> Rappelons latraduction en 2022 aux éditions Les Prouesses de/L'Amour libre/, recueil de nouvelles conçues comme sont autant de portraits de ces "femmes nouvelles", que l'écrivaine révolutionnaire et féministe appelait de ses vœux
<https://www.fabula.org/actualites/1...> .


*Une suggestion de lectures de André Cloutier, Montréal, le 1er avril 2024. *

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Jardiner dans les ruines - Quels potagers dans un monde toxique ? | Livre à paraître le 17 avril

9 avril 2024, par Bertille Darragon, Éditions Écosociété — ,
Médicaments, plastiques, hydrocarbures, pesticides : comment jardiner dans les ruines toxiques du monde industriel ? À la fois guide pratique et essai sur les pollutions, ce (…)

Médicaments, plastiques, hydrocarbures, pesticides : comment jardiner dans les ruines toxiques du monde industriel ? À la fois guide pratique et essai sur les pollutions, ce livre invite à défendre le vivant... en commençant
par son jardin.

L'essai *Jardiner dans les ruines - Quels potagers dans un monde toxique ?*, de la jardinière et essayiste française Bertille Darragon, va paraître *en librairie le 17 avril prochain*.

*En bref : *Quelles pollutions se retrouvent dans nos jardins ? Quelles pratiques de jardinage adopter dans les ruines délétères du monde industriel ? Quels aménagements, quelles plantations privilégier pour tenir
compte de la dégradation des écosystèmes et en limiter l'aggravation ? S'il existe une abondance de guides de jardinage, voici un des très rares ouvrages à porter sur les dangers des polluants.

*À propos du livre*

Lorsqu'il est question des changements climatiques, l'enjeu de la pollution semble parfois évoqué à la va-vite, au singulier, sans plus d'information. Or il importe de s'y attarder. Poussière due à l'usure des pneus en ville,
microplastiques dans le cycle de l'eau, pesticides dans les champs : nous vivons littéralement dans une soupe de contaminants. Nos jardins, qui nous offrent bien souvent une sorte de refuge, ne sont malheureusement pas des
oasis coupées du monde. Que ce soit par les airs, les eaux ou le sol, ils subissent les assauts toxiques de nos modes de vie industriels, qui ont introduit dans l'environnement plus de 350 000 « entités nouvelles » issues
de la chimie, du « génie » génétique ou de l'extraction.

Utilisant le jardin comme baromètre de la toxicité du monde industriel et ancrage pour renouer avec le vivant et la communauté, *Jardiner dans les ruines* est à la fois un essai sur les principaux contaminants de nos
potagers et un manuel pour composer avec cet héritage toxique. Il expose les enjeux écologiques posés par chaque grande famille de contaminants (ozone, dépôts acides, métaux lourds, HAP, pesticides, OGM, plastiques,
nanomatériaux, médicaments, radionucléides) et nous indique comment limiter les dégâts sur nos plantes légumières.

Quelles pratiques de jardinage adopter dans les ruines délétères du monde industriel ? Quels aménagements, quelles plantations privilégier pour tenir compte de la dégradation des écosystèmes et en limiter l'aggravation ?
Comment considérer l'ensemble des êtres vivants qui élisent domicile dans nos jardins ? Telle une voisine de parcelle puisant dans son expérience de terrain, Bertille Darragon fournit une mine d'informations qui nous invite
ultimement à l'action collective et politique. Plus qu'un simple traité de jardinage, *Jardiner dans les ruines* offre un remède à la résignation que peut provoquer l'angoisse de l'effondrement écologique et fait écho au
travail de la philosophe Isabelle Stengers, pour qui il importe de chercher des lieux où la vie, obstinée, repousse.

S'il existe une abondance de guides de jardinage, voici un des très rares ouvrages à porter sur les dangers des polluants. Un livre appelé à devenir une référence pour composer avec les assauts du monde industriel.

*À propos de l'autrice*

Bertille Darragon pratique le jardinage et le maraîchage en moyenne montagne (Trièves, en Isère). Animatrice en botanique, elle est impliquée dans son quotidien et sa communauté contre les politiques et les pratiques
qui accélèrent la catastrophe climatique. *Jardiner dans les ruines* est son premier essai.

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Un jeu d’évasion (fiscale)

9 avril 2024, par Ma CSQ cette semaine — , ,
L'Alerte, premier roman de Brigitte Alepin, risque d'intéresser beaucoup de gens à la question de l'évasion et de l'évitement fiscal. La prémisse de cette histoire ? En 2035, (…)

L'Alerte, premier roman de Brigitte Alepin, risque d'intéresser beaucoup de gens à la question de l'évasion et de l'évitement fiscal. La prémisse de cette histoire ? En 2035, un gouvernement nationaliste a réalisé l'indépendance du Québec en établissant un régime de paradis fiscal au passage.

Tiré de Ma CSQ cette semaine.

Qui dit paradis fiscal dit nécessairement manque à gagner pour l'État et, inévitablement, dit compressions budgétaires. Dans cette fiction, l'austérité se répercute en des choix moralement douteux qui ébranleront notre personnage principal, architecte de l'ombre du plan d'indépendance, qui deviendra lanceuse d'alerte.

À travers ce récit original qui n'étourdira pas trop le lectorat attentif à l'actualité, l'autrice nous emmène dans les dédales des stratagèmes obscurs d'évasion fiscale des riches et puissants.

En entrevue avec Ma CSQ cette semaine, Brigitte Alepin confiera que, « contrairement à mes autres ouvrages où la rigueur était de mise, L'Alerte m'a permis d'enfin raconter toutes sortes de situations dont j'avais connaissance, mais qui ne trouvaient pas de place dans une analyse plus scientifique ».

Sortir de la bulle de filtre

« Les convaincus sont déjà au courant de cette réalité, je n'ai pas besoin de leur en faire la démonstration. Par contre, si je peux intéresser des gens à la question de l'évasion fiscale et les sensibiliser à l'enjeu à travers la fiction, ce sera mission accomplie », explique l'autrice.

Se défaisant des codes propres à l'essai, celle que l'on connait plus comme comptable souhaite montrer de façon plus claire les ramifications et les impacts bien réels de l'injustice fiscale.

Le défi de la fiction

« J'ai déjà beaucoup écrit, mais la fiction, c'est une autre paire de manches !, explique Brigitte Alepin. J'ai énormément de faits, mais il faut construire une histoire autour, il faut que ça contribue à la trame narrative sans alourdir le récit. »

« Ce que j'ai appris de cette expérience, c'est comment structurer ma pensée pour bien parler de sujets complexes à une grande variété de gens pour les pousser à l'action. »

Une indignation qui tarde

Interrogée à savoir si elle avait encore l'espoir d'une société où règnerait une plus grande justice fiscale, l'autrice de Ces riches qui ne paient pas d'impôts répond par l'affirmative.

« Entre le moment où j'ai commencé à parler d'injustice fiscale et aujourd'hui, le progrès est incroyable ! On a quand même une législation autour du secret bancaire, et l'idée d'un impôt minimum mondial fait du chemin. Ça aurait été impensable il y a quelques années ! »

Il reste tout de même plusieurs chantiers à mener à terme : l'impôt des milliardaires, les écarts de richesse, l'enrichissement des grandes fortunes par rapport au reste de la population et les « fausses charités ».

« Je ne comprends pas pourquoi les gens ne sont pas plus fâchés, se désole Brigitte Alepin. Au Canada, les avoirs des fondations représentent quand même 150 milliards de dollars. Là-dedans, il y a beaucoup de fondations privées non charitables qui ne remettent pas d'argent dans la société », explique-t-elle.

L'État dans l'État

Ces fondations sont devenues le nouveau cheval de bataille de Brigitte Alepin. « C'est incroyable comment ces fondations sont devenues un outil d'épargne pour les plus nantis. Et avec les congés d'impôts que cela permet, les travailleuses et les travailleurs financent ce système à même leurs impôts. »

« Ces fondations ont un pouvoir d'influence énorme sur les politiques publiques, explique la fiscaliste. Elles sont devenues un État dans l'État. »

Pour une véritable justice fiscale

Contrer les écarts de richesse, lutter contre les paradis fiscaux, surveiller les fondations, ce sont là de gros chantiers, mais nous devons nous y attaquer, nous dit Brigitte Alepin.

« Les travailleuses et les travailleurs ont beaucoup plus de pouvoir qu'ils ne le pensent. Quand on informe les gens et qu'on demande du changement collectivement, par la mobilisation ou à travers les syndicats, c'est possible de faire de grandes choses. »

Pour ne pas que le scénario de L'Alerte ne devienne réalité, il ne nous reste qu'à demeurer éveillés et mobilisés !

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Israël/Palestine, les répliques en France : un e-book gratuit

9 avril 2024, par Sabrina Kassa — , ,
Six mois après les attaques meurtrières du 7 octobre, le Club propose ce livre numérique avec une sélection de billets marquants publiés dans notre agora. Témoignages, (…)

Six mois après les attaques meurtrières du 7 octobre, le Club propose ce livre numérique avec une sélection de billets marquants publiés dans notre agora. Témoignages, analyses, tribunes, ce florilège propose des textes singuliers pour « que d'une façon ou d'une autre soit entendue la voix de l'autre ».

Tiré du blogue de l'autrice.

Depuis le 7 octobre 2023, un non-débat domine la scène médiatique française. De l'autocensure flotte dans l'air, quand ce ne sont pas des menaces bien plus réelles et violentes. Très vite, chacun·e a été renvoyé·e dans son « camp », sa « communauté », sa religion, sa couleur de peau... La peur, l'incompréhension, la colère, la haine aussi, sans aucun doute, sont les émotions qui nous ont cloué·es sur place (cloué le bec aussi !), et souvent nous ont fait préférer le familier, quand ce n'est pas l'entre-soi. Alors que les massacres s'enchaînent à Gaza depuis les attaques meurtrières du Hamas en Israël, ici, en France, c'est l'autre qui disparaît peu à peu.

Le Club, l'espace de contributions extérieures de Mediapart, n'a pas échappé à cette glaciation mentale. Alors que les grandes crises provoquent en général une envie de témoigner, d'exprimer son désarroi, de comprendre, après le 7 octobre, les contributions se sont faites rares. Puis timidement, telle une pluie fine, elles ont commencé à arriver, quelque peu essoufflées et graves, mais toujours singulières et éclairantes. Et une fois mises à la une, elles ont lancé le signal à d'autres, et les textes, écrits par une personne seule ou en collectif, sont arrivés en nombre.

Rien de ce qui est humain ne nous est étranger
Avec l'équipe du Club, Livia Garrigue, Guillaume Chaudet Foglia et, plus tard, Sarah Bosquet, nous avons alors pris plusieurs décisions pour filtrer et chercher des contributions :

a) Tout d'abord, nous assurer de donner une place à toutes et à tous, le plus possible, quelle que soit l'identité affirmée ou seulement induite par les noms. Et puis, multiplier les lieux d'ancrage, les âges et les couleurs politiques. Une attention particulière a été donnée aux voix palestiniennes, si peu entendues dans les médias français ;

b) « … Rien de ce qui est humain ne m'est étranger », disait Térence, l'ancien esclave carthaginois devenu poète à Rome. Notre filtre avait aussi un maître mot : l'humanisme. Des témoignages, des analyses, des tribunes… tout pouvait bénéficier de visibilité, si cela permettait de comprendre – un peu ! – ce qui nous arrivait. Tout ? oui, sauf la haine, le mensonge et la propagande.

Le florilège que nous proposons dans cet e-book n'est qu'une partie de ce qui a été publié dans le Club et mis en avant à la une de Mediapart. Outre la qualité de l'écriture et des propos tenus, c'est la marque du souci de l'autre qui a présidé à notre sélection. Ces textes sont adressés. Ils tentent de se faire entendre par l'autre rivage. Et parfois y parviennent ! Car même si certains débats ont créé remous et crispations dans notre agora – comment y échapper ? –, nous n'avons jamais perdu l'espoir de les faire exister. Que d'une façon ou d'une autre soit entendue la voix de l'autre.

Plusieurs thèmes, plusieurs tons...
Dans ce recueil comprenant 21 textes déjà publiés dans le Club, entre le 14 octobre 2023 et le 18 mars 2024, une grande variété de thèmes sont abordés. Certains textes ont suscité des débats bien au-delà du Club, à l'instar de la « déclaration » de Judith Butler, la philosophe et professeure à l'université Berkeley, après son intervention à Pantin.

« Anti-israélien ? », par l'historien Thomas Vescovi, « antisémitisme ? », par le collectif juif décolonial Tsedek, invisibilisation des voix palestiniennes par l'écrivain Karim Kattan, interpellations féministes, biais médiatiques, plusieurs textes traitent frontalement des sujets polémiques qui ont scandé l'actualité depuis six mois.

Ces textes essentiels ne sont pas pour autant la seule tonalité de ce livre numérique. Tout aussi remarquable, ce florilège comporte trois témoignages en direct de Gaza : celui d'un père de famille, du metteur en scène Hossam al-Madhoun, et d'Ahmed Q, un étudiant francophone. Ils décrivent avec des mots aussi puissants que déchirants la monstruosité de cette guerre qui s'abat sur eux.

Tout aussi sensibles, deux contributions écrites à la première personne s'interrogent sur leur judéité. Naruna Kaplan de Macedo s'interroge sur ce qu'elle va transmettre à ses fils, Valentine Fell se demande ce que son grand-père, « un rescapé de la Shoah » aurait dit de Gaza.

Enfin, nous avons aussi sélectionné deux analyses géopolitiques, une de Hassina Mechaï, l'autre de Ziad Majed, qui permettent de mettre en lumière les impensés de cette guerre : le rôle du « monde occidental ». Et un texte sur les pièges annoncés d'une « fausse paix », par Muzna Shihabi, ancienne conseillère de l'OLP.

Last, but not least, deux textes proposent de faire un pas de côté (Jewish Currents aux EU et une tribune sur le maccarthysme à l'université de Jérusalem). Et deux autres pointent spécifiquement les répliques politiques en France, entre « retour du bâton » antiféministe et régression de la liberté d'expression.

Car la guerre là-bas, on le sait bien, ne nous laissera pas indemnes « ici ».

... Et quelques coulisses :
Pour certains textes, nous vous proposons des coulisses qui racontent comment ils sont arrivés dans le Club, car si la plupart de nos abonné·es publient sans connaître aucune personne de l'équipe de Mediapart, il arrive que les contributions transitent par l'un·e ou l'autre d'entre nous. Après une interview, une enquête, un reportage…

Le Club est l'espace de nos abonné·es, il est aussi fait de nos liens avec elles et eux.

Pour lire l'e-book en version PDF cliquez ici.

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Soyez réalistes, demandez un loyer au mètre carré !

9 avril 2024, par Louis Horvath — ,
Louis Horvath est poète, artiste fractal, informaticien, socialiste et anar de salon. Je me suis scandalisé à plus d'une reprise à propos des loyers, accompagné de ma tendre (…)

Louis Horvath est poète, artiste fractal, informaticien, socialiste et anar de salon.

Je me suis scandalisé à plus d'une reprise à propos des loyers, accompagné de ma tendre moitié ou de mes amis proches. Mais vient un temps où il n'est plus possible de garder tout ça en privé. Il faut oser quelque chose, quitte à se faire rabrouer par ceux et celles qui profitent de la situation ou ne peuvent pas s'imaginer un monde meilleur. Je m'apprête donc à confronter avec vous ceux et celles pour qui, à les entendre, louer des appartements est un geste « désintéressé et noble » ou un des mécanismes intouchables de notre économie.

Pour l'historique, j'ai vécu en appartement une partie de mon enfance. Mes parents étant de moyens très modestes, j'ai vu plus d'un bloc appartement où la pauvreté était au menu, quand il y en avait un. Pendant longtemps, cette pauvreté m'a semblé tout à fait normale, mais ce ne l'était pas. Être pauvre, c'est une taxe en soi. J'ai aussi rencontré de nombreuses personnes prêtes à embarquer dans la valse de la propriété privée. Elles ont vite trébuché dans le filet du marché locatif à cause du prix démesuré des maisons ; le problème ne date pas d'hier, c'est clair ! J'en ai d'ailleurs conclu que la contrainte du prix des loyers et des maisons est artificielle et mercantile. Se loger est une obligation et une occasion en or de forcer la population à très littéralement payer sa vie. Il y a de quoi laisser songeur. Sommes-nous la seule espèce dans l'univers qui doive payer pour crécher quelque part ?

Cette vie en appartement m'a permis de prendre conscience de la nature résignée du peuple québécois. Colonisé puis endoctriné, ce peuple, mon peuple, accepte volontiers l'injustice du fameux « petit pain ». C'est donc sans surprise qu'il reste passif devant l'augmentation des loyers et du sermon gouvernemental ; le ministre, dernière autorité avant Dieu, est une preuve vivante qu'il est impossible de changer quoi que ce soit au système ! Si môssieur le ministre ne peine pas à payer SON loyer, la crise n'existe pas ! Quelques braves anars tentent bien de se soustraire au onzième commandement, « tu payeras ton loyer ! » mais finissent par fléchir et capituler. Quoiqu'il en soit, la crise du loyer est bien réelle et s'aggrave vite. En 2024 la majorité des Québécois.es paye le proprio en premier et planifie le reste de sa vie par la suite ! Vive le Moyen-Âge ! La bonne nouvelle c'est que nous atteignons lentement le nombre critique de personnes qui se battent contre les moulins déments du commerce locatif. Si hier Don Quichotte passait pour un cinglé, aujourd'hui il n'est plus le seul à se tenir debout ! Pourquoi a-t-il fallu que de nombreux Québécois et Québécoises vivent sous la tente ou dans leur automobile pour qu'on s'en rende compte ? Tant de loyers abusifs … comme si nous n'avions pas assez de raisons de s'indigner !

Je vous donne ma bénédiction. Remettez en question les raisons de payer pour vivre quelque part. Comment un besoin essentiel nous est-il vendu comme un commerce légitime ? Comment se fait-il qu'une population entière n'arrive plus à se faire un bas de laine malgré le fait qu'elle travaille à temps plein ? Dans le cercle des possédants et du pouvoir, le droit au profit des propriétaires prend le pas sur le droit d'une personne de ne pas dormir à la belle étoile. Avec des familles payant souvent plus du tiers de leurs revenus pour leur loyer, il ne faut pas se surprendre si les gens sont aux prises avec des dettes considérables. Avoir une maison, devenu un rêve de bourgeois, a laissé sa place à la vie en appartement. Or, il arrive aux appartements la même chose qu'aux maisons : ils deviennent inabordables et même en s'exilant loin de la ville on s'arrache les cheveux ! Les histoires d'horreur abondent. Ensemble, remettons tout en question : si ces loyers nous siphonnent le compte en banque, expliquez-moi pourquoi nous continuons comme ça ?

Cette crise du logement, frôlant la débâcle sanitaire, appelle une intervention de l'État. Après tout, on ne vit pas en société pour enrichir le commerce ! Quelle idée ! Or, autant à Québec qu'à Ottawa, on choisit soit d'ignorer cette crise ou de la décorer de belles paroles, qui n'auront aucun lendemain, tout en bouchant les trous de promesses électorales. Ces élus qui patinent sur place font bien l'affaire des proprios, avouons-le ! Personne ne les inquiète ! Dans les faits, nous vivons une sorte de rénoviction sociale dans laquelle les personnes sont expulsées de leur « logis social » au bénéfice de celles et ceux qui en tirent profit. C'est la grande dépossession locative. Et le tout s'opère comme si cette situation était à la fois inévitable et tout-à-fait socialement acceptable ! Quand je regarde les gens qui se résignent et paient, je me demande s'il n'existe pas une ligne invisible qui limite notre capacité de rêver à un monde meilleur. Notre petit pain est dur et sec comme le cœur des corporations immobilières.

Maintenant, remettons en question les notions de discrimination sur le loyer. Le refus de louer à cause de la couleur de la peau, de l'orientation sexuelle, des croyances religieuses et de la présence d'enfants sont certes des discrimination à dénoncer mais n'y a-t-il pas de discrimination plus grande que d'exclure un.e locataire à cause de ses moyens financiers ? L'idée même de repousser une personne ou une famille dans la rue car elle est pauvre n'est-elle pas répugnante ? Le fait que de nombreux appartement jadis accessibles sont maintenant considérés comme étant « de luxe » ou « privilège » ne rappelle-t-il pas les moments forts de la discrimination raciale où on intimait aux Noirs de s'asseoir à l'arrière de l'autobus ? Toute personne a le droit de vivre quelque part, dignement et sans se faire étrangler financièrement, par la main invisible du marché !

En bref, nous avons besoin d'un grand coup de barre mais ceux et celles qui sont aux commandes sont, d'un côté, peu préoccupés par la problématique locative et de l'autre, conseillés par une ministre qui est à la fois élue et lobbyiste. Payant de louer des condos !

Alors me voici donc devant les grands moulins du commerce locatif et vous voilà avec moi en train de tout remettre en question. Comment diable allons-nous nous défaire de ce petit pain ?

Que ces mesures soient temporaires ou permanentes, une révision de ce commerce locatif est devenue nécessaire puisque, de toute évidence, laissé à lui-même, le marché se fout de sa responsabilité sociale. Louer un appartement devrait être une contribution sociale, pas une combine financière. C'est donc dire qu'au-delà du tribunal administratif du logement, le gouvernement a besoin de redresser les fondements de cette industrie avant que des sans-logis par centaines de milliers se ramassent à camper sur le terrain de l'Assemblée nationale ! Ils campent déjà en grand nombre et un peu partout, alors qu'il ne manque pas d'endroits où vivre, hormis le fait que peu ont les moyens d'y emménager.

Soyons également conscients que nous n'en sommes plus à proposer des méthodes incitatives par la bande ; la construction de loyers modiques ne va nulle part et l'assistance au loyer devient, essentiellement, une subvention aux propriétaires lorsque ceux-ci augmentent le loyer du même montant. Les banquiers ne sont pas en reste et demandent aux propriétaires d'augmenter leurs ponctions mensuelles pour « rentabiliser leur investissement ». Tout cela indique que rien ne changera si nous ne formulons pas une demande majeure qui décoiffe.

Voici donc quelques idées révolutionnaires parce que, sincèrement, on en a assez de mes mauvaises nouvelles.

Pour commencer, nous avons besoin d'un point de repère, identique pour toutes les personnes vivant à loyer. Le marché locatif donne des allures de casino et de gratteux avec sa chasse au loyer « chanceux » et ses prix influencés par n'importe quelle arnaque de marketing. La proximité d'un hôpital ou d'une école ; d'une bouche de métro ; d'un arrêt d'autobus et même d'un centre d'achats peut en faire exploser le prix. C'est de la spéculation sous un autre nom. La seule manière d'en venir à bout est de fixer le prix du loyer au mètre carré. Une telle mesure protège le consommateur des propriétaires convaincus qu'ils et elles offrent des appartements dignes d'un premier ministre et met KO la pratique de faire éclater le loyer quand le locataire quitte le logement. Cela règle, du même coup, toute la bisbille autour d'un registre des loyers : seule la taille de l'appartement importe. Mètre carré fois tarif. Fin.

Bien qu'il revienne au gouvernement de fixer le prix au mètre carré, cette détermination doit se faire non pas derrière portes closes, mais à l'aide d'un comité de locataires, de propriétaires et de personnes expertes, de manière à prendre des décisions justes et éclairées. Ce prix serait fixé au salaire minimum et ajusté à intervalles réguliers. À la hausse, si le salaire minimum augmente et à la baisse quand nécessaire. Cet ajustement aurait été vachement utile pendant la pandémie ! Pour garder tout ça bien droit, il faudrait, bien sûr, élire les membres de ce comité.

Le passage au prix selon le mètre carré serait aussi appuyé par une série de « modificateurs » qui tiendraient compte des conditions individuelles de chaque famille ou personne. Les gens vivant avec un handicap, avec une famille, les gens vivant dans l'extrême pauvreté et d'autres circonstances atténuantes, paieraient moins que les locataires ou les familles plus fortunées. Cela va de soi. Ces modificateurs seraient cumulatifs et toute discrimination à cet égard serait vue de la même manière que la discrimination sur l'orientation sexuelle, la pratique religieuse, la condition financière, etc. On peut même dire qu'un loyer fixé par l'État est une bonne manière de parer contre la discrimination et les propriétaires véreux.

Bien sûr, lors de cette transition, le gouvernement serait appelé à assister les propriétaires, de manière limitée ; les sommes consenties seraient par ailleurs pleinement taxables. La somme de cette assistance peut sembler colossale mais considérez qu'en ce moment cette somme est entièrement supportée par les locataires ! C'est tout, sauf de la justice sociale.

De plus, puisque les propriétaires sont des gens d'affaires, leur tâche est de garder leur entreprise en vie. S'ils et elles ne peuvent plus fixer le loyer comme bon leur semble, rien ne les empêche d'offrir des services aux locataires, notamment des services d'entretien et de peinture ou des services fiscaux de toutes sortes, même un service d'entretien de véhicule ! Avouons-le, les propriétaires semblent avoir pris la collecte des loyers comme un acquis. N'est-il pas temps de les inviter à user de leur esprit d'entrepreneurship ?

L'objectif de ce paiement du loyer au mètre carré est aussi de sortir de nombreuses familles de la pauvreté et de permettre aux locataires d'économiser un peu, considérant que nombre d'entre eux n'ont pas eu de bonnes réserves depuis des lunes. Un grand nombre est également à quelques chèques de paye d'une faillite. Cette crise contribue à créer chez nous une société financièrement instable. Un non sens, puisque le Québec est fondamentalement riche.

Le paiement des loyers au mètre carré est une entreprise colossale, comme le fut jadis le système de santé canadien, parrainé par un certain Claude Castonguay. Cette réforme aurait un impact monstre sur ce domaine d'activité et un tel virage s'accompagnerait de pressions politiques et fiscales d'autres pays et provinces, sans oublier le lobby des banques et des propriétaires. Un gouvernement prêt à prendre ce virage échangerait toutefois ces pressions pour une popularité sans pareil au niveau de l'électorat. Tout parti politique rêve de gagner par raz-de-marée. Une réforme de fond en comble du marché locatif serait l'occasion rêvée de se faire un énorme capital politique qui durerait des générations. Franklin Delano Roosevelt a bien sorti les États-Unis du crash de 1929 en proposant le New Deal. Nous avons VRAIMENT besoin d'un New Deal du logement. Qui est prêt à donner son nom à une telle réforme ?

Pour conclure, cette « réforme au mètre carré » n'a pas à être permanente. Elle peut et devrait être présentée comme une mesure d'urgence face à une détresse humaine importante, même si certains ministres sont plus myopes encore que monsieur Magoo. Bien qu'une économie en santé soit un passage obligé, elle doit être assortie de personnes qui ont, elles aussi, les réserves nécessaires pour vivre heureuses. Un petit pain au fond d'un océan de dettes, ce n'est pas un projet de société. Même en 1968 on savait que pour être réaliste, il fallait demander l'impossible. L'impossible se calcule au mètre carré et donne aux Québécoises et Québécois un peu d'indépendance face aux propriétaires. Vive le locataire libre !

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Vivement le bioplastique !

9 avril 2024, par Bruno Marquis — , ,
Bruno Marquis Il est facile de se sentir démunis devant l'ampleur des changements à apporter pour réduire notre empreinte sur l'environnement et lutter contre les changements (…)

Bruno Marquis

Il est facile de se sentir démunis devant l'ampleur des changements à apporter pour réduire notre empreinte sur l'environnement et lutter contre les changements climatiques. Il importe à mon avis d'en cibler certaines causes et de s'y attaquer à fond, collectivement, de nombreuses façons.

Les plastiques à base de pétrole que nous utilisons à profusion dans la composition d'une multitude de biens de toutes sortes sont certainement une de ces très importante cause de pollution. Ils sont toxiques, persistants dans l'environnement et néfastes autant pour la santé humaine que pour la faune en général. Nous les retrouvons partout dans l'environnement, sur terre, dans les océans et jusque dans notre organisme. Leur production est aussi une grande génératrice de gaz à effet de serre.

Le recyclage de ces plastiques à base de pétrole, auxquels on a parfois ajouté des additifs toxiques, ne fonctionne quant à lui carrément pas – et cela malgré notre acharnement. Environ 9 % des plastiques à base de pétrole sont recyclés, dont seulement un faible pourcentage entre dans la composition de nouveaux plastiques - qui sont en fait composés en grande partie de plastique neufs à base de pétrole… On n'en sort pas !

Le bioplastique, qui existe sous diverses formes, est lui facilement biodégradable. On peut le produire à partir de déchets organiques, d'algues, de résidus de l'agriculture ou de la pêche, etc. Son utilisation en lieu et place du plastique à base de pétrole contribuerait énormément à assainir notre environnement et faciliterait du coup le recyclage des autres matériaux, comme le papier, le verre, le fer et l'aluminium.

L'Italie, qui est passée à l'utilisation de sacs exclusivement en bioplastique et qui veut élargir la transition vers les autres produits en plastique doit nous servir de modèle dans cette nécessaire transition vers le bioplastique.

La tâche ne sera pas facile, mais nous devons tous ensemble pousser en ce sens, en parler dans les médias sociaux, dans les journaux, convaincre ces derniers d'en parler aussi, de prendre position pour le bioplastique, et amener des députés et des partis progressistes à le faire aussi. Il est urgent de régler ce grave problème environnemental !

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L’héroisme des combattants du Hamas

9 avril 2024, par Jean-François Delisle — , , ,
Le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007 est considéré officiellement par les États-Unis et l'Union européenne comme une "entité terroriste" en raison de son (…)

Le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007 est considéré officiellement par les États-Unis et l'Union européenne comme une "entité terroriste" en raison de son refus de reconnaître formellement l'État hébreu et de l'option qu'il privilégie : la résistance armée, comme c'était le cas autrefois, du temps de Yasser Arafat et de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).

On confond sous le terme de "terroristes" des groupes qui n'ont souvent rien à voir entre eux. Cela va de groupes plus ou moins marginaux opposés au régime politique en place et qui mènent des "opérations coup de poing" d'envergure limitée à d'authentiques organisations populaires qui disposent au sein d'une nation donnée de réseaux étendus d'appuis. Il en résulte des initiatives militaires et clandestines contre la puissance dominante qui ne peuvent pas toujours être "propres", c'est-à-dire sans faire aucune victime civile. C'est triste, mais inévitable dans les circonstances.
Par exemple, les partisans de l'État d'Israël soulignent la barbarie de l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023 en sol israélien et les 1200 victimes qu'elle a provoquées. Le "terrorisme" s'en prendrait donc avec sadisme aux civils avant tout. L'offensive du Hamas du 7 octobre est en effet critiquable et il ne peut être question d'approuver le massacre-surprise de civils commis à cette occasion.

Pourtant, la foudroyante riposte d'Israël par mesure de représailles a tué plus de 30,000 Gazaouis et Gazaouies, en grande majorité des civils, comme on sait. Les partisans de l'État hébreu invoquent toujours en pareilles circonstances son "droit à l'autodéfense" même s'ils déplorent (souvent du bout des lèvres) le grand nombre de victimes palestiniennes. Ils passent toujours sous silence cependant le droit à la résistance des Palestiniens et Palestiniennes.
Rappelons qu'à trois reprises, les États-Unis ont opposé leur véto au Conseil de sécurité de l'Onu à une résolution exigeant un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza, permettant ainsi la poursuite de l'offensive israélienne et la multiplication des pertes gazaouies.

Ce qui frappe dans toute l'histoire de la résistance armée palestinienne autant à l'époque de l'OLP que de celle du Hamas actuellement, c'est le courage des maquisards palestiniens. Leurs actions ne se sont pas limitées à des raids-éclairs contre des cibles israéliennes limitées, mais ont compris des affrontements étendus contre des offensives israéliennes de grande envergure, comme l'invasion du Liban-Sud en 1982. Ils ont affronté des forces israéliennes supérieures en nombre et équipées de matériel militaire dernier cri, notamment d'une aviation puissante qui a infligé des pertes immenses chez les Palestiniens et Palestiniennes au fil des ans.

Ce fait se vérifie amplement dans la présente guerre Israël-Hamas. Le gouvernement Netanyahou se sert sans vergogne de son aviation pour effectuer des coupes sombres dans les rangs du Hamas et démoraliser la population gazaouie.
Comme on l'a fait fréquemment remarquer, il existe une disproportion choquante entre le nombre de victimes civiles israéliennes le 7 octobre dernier et celui, beaucoup plus élevé des Gazaouis depuis.

Non seulement l'aviation permet-elle au gouvernement israélien de maîtriser l'espace aérien de Gaza, mais elle contribue beaucoup à limiter les pertes militaires au sol parmi l'infanterie. Les pertes des combattants des deux camps sont révélatrices à cet égard : on ne possède pas de chiffres officiels sur celles du Hamas, mais on peut les évaluer aisément à plusieurs milliers de guérilleros, alors que dans le camp israélien les rangs de l'infanterie ne se sont "éclaircis" que de 251 soldats (au moment où ces lignes sont rédigées). L'utilisation sans vergogne par la direction israélienne de l'aviation vise à limiter les pertes parmi l'infanterie et en bout de ligne, à éviter une pression trop forte de son opinion publique sur le gouvernement.

Plusieurs maquisards gazaouis se sont sacrifiés pour défendre la cause de leur peuple. La stratégie de l'état-major du Hamas adoptée pour surprendre et déjouer l'ennemi grâce à tout un ingénieux réseau de tunnels creusés de longue date ne change rien à la bravoure des combattants gazaouis.

Beaucoup de parents israéliens sont inquiets pour leurs grands garçons et grandes filles en uniforme, ils ne veulent surtout pas le voir revenir à l'état de cadavres ou encore de grands blessés, ce qui les traumatiserait. Le cabinet Netanyahou (infiltré par l'extrême-droite) mise donc largement sur son aviation pour écraser les Gazaouis à moindres frais humains. Cette stratégie n'a toutefois donné qu'un succès très relatif jusqu'à maintenant sur le plan stratégique, vu l'habileté tactique que déploie l'état-major du Hamas. La résistance tient le coup.

Une vie israélienne n'a pas de prix, voici une donnée de base pour comprendre les demi-mesures et les simples exhortations des classes politiques américaine et canadienne à l'endroit du gouvernement de Tel-Aviv....

Jean-François Delisle

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Les femmes à la conquête des cimes

9 avril 2024, par Yveline Baratta — ,
Longtemps restées sous domination masculine, les femmes alpinistes vont peu à peu s'émanciper. A la fin du XIXe siècle, elles participent à des cordées, certes commandées par (…)

Longtemps restées sous domination masculine, les femmes alpinistes vont peu à peu s'émanciper. A la fin du XIXe siècle, elles participent à des cordées, certes commandées par des hommes, mais qui leur procurent l'expérience nécessaire pour organiser puis mener des expéditions en toute indépendance dès les années 1920-1930.

tiré de BNF Gallica blog
https://gallica.bnf.fr/blog/07032024/les-femmes-la-conquete-des-cimes?mode=desktop

HISTOIRE DU SPORT EN 52 ÉPISODES0 7 MARS 2024YVELINE BARATTA
photo Montagnes / Marcel Rouff. Gallimard (Paris), 1931

Si les débuts de l'alpinisme sportif reviennent aux gentlemen anglais, les premières cordées exclusivement féminines voient le jour dans les années 1930.

Les difficultés rencontrées Préjugés

La femme se cantonnera dans des escalades faciles et agréables, suivant sa force.

Autour des années 1860, l'activité physique est considérée inappropriée pour les femmes. Les pratiques sportives doivent être non compétitives, bonnes pour la santé et respecter le modèle de féminité.

Le Club alpin français (CAF) conseille aux femmes alpinistes un accompagnement masculin, une pratique modérée et sécurisée sur des sentiers aménagés.

Les avis divergent cependant :

[…] c'est surtout dans les coups durs […] que la femme se révèle, très supérieure.

Quelques écrits insistent sur la féminité de certaines alpinistes :

Pour le monde en général qui dit alpinisme, dit : femme grande, forte, le teint brûlé, sans charme […] Détrompez-vous...

Certains exploits comme ceux de Miriam O'Brien Underhill et d'Alice Damesme, qui atteignent le Grépon puis le Cervin, provoquent d'aigres remarques :

Le Grépon a disparu. Maintenant qu'il a été fait par deux femmes seules...
(Etienne Bruhl dans National Geographic, août 1934)

Les grimpeuses continuent néanmoins à parcourir les arêtes de la Meije, gravissent le mont Blanc, le Mönch, l'aiguille Verte…

Tenue vestimentaire

Si les vêtements des hommes doivent être résistants au froid, confortables, la qualité première des tenues féminines vantées est la décence. Marie Paillon préconise pourtant la chemise en flanelle et la jupe courte qui doit se relever.

Henriette d'Angeville est vêtue d'un curieux et disgracieux costume : pantalon de zouave, longue redingote, bas chauds...

Le rôle ambigu des clubs alpins

A leur création, les clubs d'alpinisme sont masculins, tels les clubs britannique et suisse. Le Club alpin français, créé en 1874, s'ouvre « sans distinction d'âge, de sexe ». Peu représentées dans ce club, les femmes au fil du XXe siècle gagnent en assurance, technicité et autonomie. En 1907, le Ladies' Alpine Club voit le jour à Londres, fondé par Elizabeth Hawkins-Whitshed. Le Club suisse des femmes alpinistes nait en 1918.

Des exploits peu relayés

Les publications sur les femmes alpinistes sont longtemps restées rares, voire inexistantes et les récits sont parfois très orientés : Marie Paradis, première femme à atteindre le Mont-Blanc, est décrite, traînée au sommet.

Gabrielle Vallot, qui conquit le mont Blanc avec son mari en 1887, relatera ses ascensions, rompant ainsi un long silence.

S'affranchir

Les femmes accompagnent avant tout leur mari jusqu'au Belvédère afin de suivre aux jumelles l'ascension périlleuse. Gabrielle Vallot se demande même s'il est vrai, comme le prétendent de nombreux alpinistes, que les femmes ne doivent pas entreprendre de grandes courses.

Marie Paillon, alpiniste engagée pour l'émancipation des femmes à travers le sport, milite en faveur de l'organisation de caravanes scolaires pour filles comme celles qui existent pour les jeunes gens. Ces caravanes féminines validées en 1883 participeront à l'émancipation des femmes et constitueront un appel d'air pour les jeunes filles.

L'himalayiste Christine de Colombel pense que les femmes ont sans doute mieux à faire qu'à toujours se situer par rapport aux hommes : exprimer leur spécificité, — ce qui exige de nouvelles analyses et pratiques.

Progressivement, la pratique des femmes s'intensifie et les ascensions gagnent en visibilité.

Quelques femmes de légende

La première ascension féminine enregistrée dans le monde remonte à 1786. Le mont Buet (3096 m) est vaincu par trois membres féminins de la famille Parminter, accompagnés par deux hommes.

Marie Paradis est la première femme à atteindre le mont Blanc, le 14 juillet 1808. Travaillant comme servante dans une auberge de Chamonix. Elle raconte son aventure :

tu es une bonne fille qui a besoin de gagner de l'argent ; viens avec nous, nous te mènerons à la cîme […] Et puis j'y fus et voilà.

Elle atteint le sommet avec trois guides dont Jacques Balmat. Le déroulement de l'ascension reste un mystère.

Il faut l'empêcher de faire une pareille folie.

Ces propos s'adressent à Henriette d'Angeville, qui gravit ce même sommet le 4 septembre 1838.

Toute la vallée est en émoi : depuis l'ascension de M. de Saussure, aucun événement n'a produit autant d'effet que celui dont nous venons d'être témoins. Une femme a eu le courage de monter sur le Mont-Blanc...

Son exploit marque les débuts de l'alpinisme féminin. De nombreuses successeures sont issues de la Grande-Bretagne victorienne.

Isabella Charlet-Straton, militante britannique pour le droit des femmes, hérite de ses parents à 20 ans. Ses ascensions sont remarquables, comme le mont Blanc l'hiver. Elle découvre Chamonix vers 1860 avec son amie Emmeline Lewis Lloyd. Ce seront les premières à gravir le mont Viso.

L'alpiniste Lucy Walker atteint le Cervin en 1871. Elle réalisera de nombreuses expéditions à plus de 4000 mètres.

Elizabeth Hawkins-Whitshed, ou Lizzie Le Blond, irlandaise, sera présidente du Ladies‘ Alpine Club dès 1907. Très active, elle s'installe dans les Alpes et multiplie les ascensions.

En 1883, elle participe à la première hivernale de l'aiguille du Midi. Chose rarissime, Elizabeth, cinéaste et photographe, publie ses expériences : Les hautes Alpes en hiver ou l'alpinisme à la recherche de la santé. Son teint halé et ses tenues scandalisent. Dès 1900, on doit à E. Leblond et E. McDonnell les premières cordées féminines.

Américaine, riche, intrépide, Margaret Claudie Brevoort est à l'origine de plusieurs premières : l'ascension de la Grande Ruine, dans les Ecrins, celle du « Doigt de Dieu » de la Meije, la traversée du Cervin. Elle conquiert le Weisshorn (4506 m), la Dent Blanche (4357 m).

Mary Petherick, épouse d'Alfred Frederick Mummery, précurseur de l'alpinisme sportif, s'initie à la pratique. En 1887, tous deux arrivent au sommet du Teufelsgrat, expédition considérée comme l'un des exploits les plus épiques de l'histoire de l'alpinisme. Dans son livre Mes escalades dans les Alpes et le Caucase, Mary relate l'expédition, entre chutes de pierres et perte de piolet.

Emily Bristow, peintre et alpiniste, conduit en 1893 au Petit Dru une corde composée d'hommes. En 1895, l'ascension du Grépon sans guide couronne sa carrière.

Marie Paillon s'initie à la montagne grâce à sa mère.

Elle ne dort pas, elle ne mange pas et elle marche comme le diable !

En 1888, elle rencontre l'Anglaise Kathleen Richardson, avec qui elle effectue des premières féminines sans tutelle familiale telles les ascensions de la Méridionale d'Arves, de la Meije Orientale. Elles formeront l'une des premières cordées exclusivement féminines de l'histoire de l'alpinisme. Au cours de ses conférences, Marie communique sur la nécessité du sport pour l'émancipation des femmes.

Dès 1913, au sein du Groupe des Rochassiers, Alice Damesme réalise ses courses d'abord en autonomie - sans guide - puis en tête de cordée. Après l'ascension en 1919 du Trident du Tacul (3639m), Jacques de Lépiney décrira Alice Damesme comme une « rochassière remarquablement adroite, intrépide et endurante ». Elle participe à la création du Groupe de Haute Montagne en 1919.

Claude Kogan gravit en tête de cordée presque tous les sommets prestigieux des Alpes.

Citant Giono :

On t'a dit qu'il fallait réussir dans la vie, moi, je te dis qu'il faut vivre.

Elle conquiert le Quitaraju :

En 1959, elle dirige une expédition exclusivement féminine à la conquête d'un 8000, le Cho Oyo. Certains ironisent. Lucien Devies, président de la Fédération française de la montagne, déclare :

J'ai toujours dit que le Cho Oyu était à vaches, le jour où un groupe de femmes y sera monté, cela prouvera que j'avais raison.

L'aventure se terminera le 2 octobre 1959 par le décès de Claude Kogan et de Claudine Van der Straten, ensevelies par une avalanche.

En 1968, le Rendez-vous Haute Montagne est créé regroupant les meilleures alpinistes du monde. Les cordées féminines gagnent en visibilité et trouvent progressivement des soutiens financiers.

Aujourd'hui

Martine Rolland sera la première guide de haute montagne en Europe. Les femmes ne représentent que 2,5% des effectifs dans cette profession.

En 2020, Catherine Destivelle, notamment reconnue pour sa trilogie hivernale en solitaire, reçoit le 12e Piolet d'or. C'est inédit.

Marion Poitevin, première femme au sein du Groupe militaire de haute montagne (GMHM), raconte dans une autobiographie les difficultés auxquelles elle a été confrontée au cours de son parcours professionnel.

Alors, prêt.e.s pour l'aventure des sommets ?

Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, 6 avril 2024*

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Le Congo au cœur de l’entourloupe au crédit-carbone

Accaparement de terres, introduction d'espèces potentiellement invasives, émissions de carbone mal évaluées : le nouveau business des plantations industrielles d'arbres pour (…)

Accaparement de terres, introduction d'espèces potentiellement invasives, émissions de carbone mal évaluées : le nouveau business des plantations industrielles d'arbres pour des crédits-carbone, porté notamment par des multinationales françaises, se développe dans le bassin du Congo avec son cortège de problèmes et de menaces.

Tiré d'Afrique XXI. Cet article est le 3e d'une série de 3. Vous pouvez retrouver les précédents sur la page de l'autrice. Cette enquête a été réalisée en partenariat avec le Rainforest Investigations Network du Pulitzer Center.

Un nouveau business, porté notamment par des multinationales françaises, est en train de voir le jour dans le bassin du Congo, et en particulier au Congo-Brazzaville : de gigantesques plantations forestières sont créées pour générer des crédits-carbone valorisables sur le marché volontaire du carbone ou destinés à compenser des émissions de CO2. Le pétrolier TotalEnergies et le bureau d'études Forêt Ressources Management (FRM) sont engagés dans cette voie : ces deux groupes tricolores ont lancé en 2021 le projet « Batéké Carbon Sink » (BaCaSi), qui prévoit de planter des acacias sur 40 000 hectares pour, prétendent-ils, séquestrer sur vingt ans plus de 10 millions de tonnes de CO2.

Cette opération s'inscrit dans un mouvement mondial : les projets de plantations d'arbres destinées au marché du carbone sont en train d'augmenter rapidement en nombre et en taille, constatait fin 2023 le Mouvement mondial pour les forêts tropicales (World Rainforest Movement – WRM), une organisation basée en Uruguay qui défend les forêts tropicales et les communautés locales. Et près de 90 % d'entre eux se situent dans des pays du Sud global.

En Afrique centrale, le Congo-Brazzaville semble faire figure de pays-pilote. Son gouvernement voudrait que 1 milliard d'hectares soient recouverts de plantations forestières industrielles afin de produire des crédits-carbone, ainsi que du bois d'œuvre et de chauffe. Pour y parvenir, il accueille à bras ouverts les investisseurs étrangers et leur fournit des terres. L'un des derniers exemples en date : Brazzaville a attribué en novembre 2023 plus de 20 000 hectares à la société chinoise Xian He pour y faire pousser des eucalyptus et des pins. Au même moment, le groupe italien Renco, qui s'est vu octroyer 40 000 hectares pour une période de trente ans, organisait une cérémonie pour le lancement d'une plantation d'acacias en présence notamment de la ministre de l'Économie forestière, Rosalie Matondo.

Des dizaines de milliers d'hectares impactés

Avec TotalEnergies et FRM, les contacts ont été vraisemblablement facilités par leur présence ancienne dans le pays : la première y exploite du pétrole et y exerce une influence considérable depuis plus de cinquante ans, la seconde travaille dans le secteur forestier depuis une trentaine d'années.

Le groupe FRM est sans doute celui qui est actuellement le plus actif : outre la plantation qu'il développe avec TotalEnergies, il a lancé plusieurs autres initiatives, dont certaines sont menées avec le groupe financier franco-allemand Oddo-BHF et une autre avec la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC). « La France dispose d'un opérateur expérimenté dans les projets d'afforestation en zone tropicale : FRM […] qui est l'opérateur de plusieurs des projets carbone au Congo », fait valoir le site Internet de la direction générale du Trésor français. La multinationale est aussi en train de créer « un puits de carbone » en République démocratique du Congo (RDC).

La plupart des projets en cours visent à planter des espèces à croissance rapide et sont situés dans les savanes des plateaux Batéké, qui couvrent plusieurs millions d'hectares répartis entre le Congo, le Gabon, la République démocratique du Congo et l'Angola. Mais ils inquiètent des organisations de la société civile. « Aidez à stopper l'avancée des plantations industrielles d'arbres dans les pays du Sud, en particulier dans les pays africains ! », lançait en 2020 WRM, qui étudie depuis plusieurs décennies leurs conséquences en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Les problèmes potentiels sont nombreux et de plusieurs ordres.

« Jamais une bonne nouvelle »

Lorsqu'un nouveau projet de plantation voit le jour, « ce n'est jamais une bonne nouvelle pour les populations », estime Brice Mackosso, secrétaire permanent de la Commission diocésaine Justice et Paix de Pointe-Noire (CDJP), un service de l'Église catholique chargé de promouvoir les droits humains. Car les terres concédées pour ces cultures d'arbres ne sont jamais « vides » : elles sont habitées et utilisées par des populations autochtones et locales. C'est le cas pour BaCaSi : le projet est déployé sur des zones de savane exploitées pour des cultures vivrières, et son terrain englobe des forêts où des communautés pratiquent chasse et cueillette. BaCaSi est ainsi venu bouleverser l'existence de centaines de personnes.

Bien souvent, les populations locales sont mal ou pas informées et encore moins consultées pour ce type d'opération. C'est ce qui s'est passé pour le projet financé par TotalEnergies et mis en œuvre par FRM. Interrogé par courrier électronique par Afrique XXI, le pétrolier certifie que des « analyses préliminaires » et des « consultations » ont été menées quand et comme il le fallait, et que la loi congolaise, ainsi que les standards internationaux et les procédures prévues pour de telles opérations, dont celle du Consentement libre informé préalable (Clip), ont été respectés. Cependant, aucune consultation n'a été menée sur le terrain avant le début des activités, comme le prévoient pourtant les « Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme », d'après une enquête de la CDJP, du Secours catholique-Caritas France (SCCF) et du CCFD-Terre solidaire.

« Réaliser une étude d'impact environnemental et social est obligatoire avant le démarrage de tout projet, selon un décret du 20 novembre 2009. Or cette étude n'est pas disponible à ma connaissance, précise Brice Mackosso. Selon la déclaration des Nations unies, le Clip doit être mené avant le démarrage de tout projet dans une zone habitée par des autochtones. Celui de BaCaSi a été réalisé entre juin et septembre 2023. » Soit trois ans après le début des opérations. « Certaines personnes […] affirment avoir eu connaissance du projet et de l'interdiction de cultiver les parcelles alors qu'elles travaillaient leurs champs », ont rapporté les trois organisations catholiques. Les habitants de la zone ont donc appris après coup que le bail signé par le gouvernement et Forest Neutral Congo (FNC), filiale de FRM, garantissait « l'éviction » de « tous prétendus propriétaires terriens, détenteurs de droits traditionnels et coutumiers qui revendiqueraient des terres ».

« Les populations veulent des actes et non des discours »

Pour ceux qui perdent ainsi leurs droits d'usage ou même leurs titres fonciers, les indemnisations sont souvent faibles ou inexistantes, contrairement aux mesures et promesses formulées par les investisseurs. « Un plan de restauration des moyens de subsistance organise le retour des personnes économiquement affectées sur le domaine du projet BaCaSi et leur compensation pour les impacts subis », indique par exemple TotalEnergies. La multinationale évoque aussi des accords passés fin 2023 avec des représentants de communautés locales, stipulant que « les terres mises à disposition représenteront une surface équivalente à celle occupée avant la date de démarrage du projet, multipliée par sept pour permettre un système de rotation tenant compte des jachères ». Elle affirme que les personnes économiquement affectées « bénéficieront d'un accès sécurisé et gratuit aux terres ».

Mais les populations et les organisations de la société civile n'ont encore rien vu de concret : « Le projet a démarré en 2021. Toutes les mesures [dont parle TotalEnergies] ne sont toujours pas mises en œuvre. Les populations veulent des actes et non des discours. Depuis 2022, elles n'ont plus cultivé et TotalEnergies passe son temps à construire des procédures complexes et longues », déplore Brice Mackosso.

Les paysans qui cultivaient des parcelles, parfois sur plusieurs centaines d'hectares, dans l'espace occupé désormais par BaCaSi, se sont vu proposer seulement un hectare chacun en guise de compensation, souligne le rapport cité plus haut. « Cette alternative n'étant pas proportionnée aux dommages causés par la perte de leurs terres agricoles ou aux revenus antérieurement générés, les agriculteurs et agricultrices interrogés se sont sentis lésés ».

Le sort des habitants des plateaux Batéké ressemble à celui de beaucoup d'autres. Le site d'informations Carbon Brief a examiné 61 projets de compensation carbone mis en œuvre entre 2018 et 2023 dans le monde. Il conclut que 72 % d'entre eux ont porté préjudice à des communautés autochtones ou locales.

Partout, un « impact négatif »

Quant aux promesses d'embauche faites par leurs promoteurs, elles s'avèrent la plupart du temps décevantes. Les plantations industrielles d'arbres à croissance rapide ne nécessitent que peu d'emplois (un à trois salariés pour 100 hectares plantés), d'après une étude du WWF. En outre, ils sont souvent dangereux, temporaires et mal payés. « Partout où les plantations d'arbres se développent, elles ont un impact négatif sur les économies locales et appauvrissent davantage les habitants. Les plantations industrielles ne créent pas d'emplois et n'approvisionnent pas les marchés locaux comme le font les cultures vivrières », affirme WRM.

L'autre problème posé par ces projets est environnemental. Les terres choisies par les industriels sont généralement des écosystèmes fertiles, riches en biodiversité et en eau, mais aussi fragiles. Comment vont-elles réagir ? Quelles seront les conséquences pour les sols, les sources d'eau, alors que les plantations nécessitent l'utilisation de pesticides et d'engrais chimiques et que certaines, comme celles composées de pins et d'eucalyptus, augmentent considérablement les risques d'incendie ?

Ces questions sont d'autant plus cruciales que les projets mis en œuvre visent à introduire des espèces qui sont bien souvent non autochtones, comme l'Acacia mangium, sur lequel misent TotalEnergie, FRM et Renco. Cet arbre, qui présente l'avantage d'avoir une croissance rapide et de s'adapter facilement, est originaire d'Australie. Il va enrichir « les sols en apportant la matière organique de ses feuilles et en fixant l'azote atmosphérique grâce à des symbiotes vivant dans ses racines », assure FRM. « Le projet vise à favoriser la régénération d'essences naturelles une fois l'atmosphère forestière rétablie (ombrage, fertilité des sols…) », ajoute TotalEnergies.

Sauf que les Acacias mangium ou les Acacias auriculiformis ainsi que la plupart des eucalyptus sont allélopathiques : « Leurs feuilles ont tendance à libérer des produits chimiques qui sont fondamentalement toxiques pour de nombreuses autres plantes », rappelle le chercheur indépendant Simon Counsell, ancien directeur exécutif de la Rainforest Foundation UK qui conseille actuellement l'ONG Survival International. « Le sol pourrait devenir plus “fertile” dans le sens où il pourrait contenir plus de carbone et d'azote, par exemple, mais il ne sera probablement pas très utile pour cultiver autre chose que l'acacia à l'avenir. » Au Brésil et à Mayotte, « la compétition spatiale provoquée par l'arrivée d'Acacia mangium et son effet allélopathique empêchent la germination de semences d'espèces indigènes », note le Groupe Espèces invasives de La Réunion (GEIR).

La convention sur la biodiversité biologique violée

Des chercheurs disent par ailleurs n'avoir trouvé dans la littérature scientifique consacrée à ce sujet « aucune preuve » permettant d'étayer « l'affirmation selon laquelle la plantation d'acacias australiens contribue à restaurer les niveaux de biodiversité ou la valeur de conservation des écosystèmes dégradés » (1).

L'acacia australien pourrait bien devenir invasif. Il est connu pour cela. Il l'est déjà, selon le GEIR, aux Comores, à Madagascar, au Bangladesh, aux Antilles, en République dominicaine, au Brésil, en Asie du Sud-Est, dans les îles du Pacifique et au nord de l'Australie. Or ce caractère invasif peut avoir de graves répercussions sur la biodiversité. Selon la Convention sur la diversité biologique (CDB), un traité international juridiquement contraignant, « les espèces exotiques qui deviennent envahissantes sont considérées comme les principaux facteurs directs de perte de biodiversité à travers le monde ». Conscientes de ce danger, les autorités françaises ont décidé en 2019 d'interdire son introduction sur l'île de La Réunion, « y compris en transit sous surveillance douanière ».

Elles voulaient aussi sans doute être en conformité avec la Convention sur la diversité biologique, que la France a ratifiée en 1994, et qui stipule que « chaque partie contractante doit, dans la mesure du possible et selon qu'il convient, empêcher d'introduire, contrôler ou éradiquer les espèces exotiques qui menacent des écosystèmes, des habitats ou des espèces ». Puisque la même Convention a été ratifiée par tous les pays du bassin du Congo, cela signifie que les projets de plantations d'acacias exotiques qui y sont menés constituent « une violation flagrante » de ce texte, souligne Simon Counsell.

Un « non-sens total »

Les acacias que plantent TotalEnergies et FRM sont « présents dans le pays et dans la région des plateaux Batéké depuis les années 1970. Les observations et constatations depuis lors n'indiquent pas de caractère invasif […] à notre connaissance », fait savoir la compagnie pétrolière. Pourtant, il y a déjà au moins un cas où l'introduction d'espèces d'acacia d'origine australienne commence à poser des problèmes en Afrique centrale. En étudiant une plantation établie depuis une trentaine d'années dans la région de Kinshasa, l'écologue états-unienne Amarina Wuenschel a constaté que des arbres s'étaient établis hors du périmètre initial. Elle a aussi observé « un déclin de la productivité des sols », explique-t-elle dans un rapport publié en 2019. Ces deux phénomènes « sont à prendre très au sérieux », note-t-elle. Elle recommande de gérer ce type de plantations arboricoles avec vigilance et précaution et surtout de prévoir leur élimination progressive.

Dans ces conditions, quand TotalEnergies dit qu'il va développer des puits naturels de carbone « tout en contribuant à la préservation de leur biodiversité », c'est un « non-sens total », insiste Simon Counsell. Au contraire, « cela va détruire la biodiversité locale », cette dernière étant en plus « pas bien étudiée ou comprise ». La zone des plateaux Batéké, qui abrite des savanes, des forêts et des espèces endémiques, est en effet « l'une des dernières frontières de l'écologie » : sa flore et sa physionomie ont fait jusqu'ici l'objet de très peu de recherches, d'après une étude scientifique publiée en 2018 (2).

Quant au mécanisme des compensations carbone sur lequel reposent ces plantations, il est lui aussi controversé. Le dispositif est le suivant : une entreprise finance une plantation d'arbres (TotalEnergies va ainsi dépenser environ 200 millions d'euros pour BaCaSi), qui va séquestrer du carbone pendant quelques années pour ensuite être en partie coupée et transformée en bois de chauffe ou en contreplaqué, par exemple. En échange, elle obtiendra des crédits-carbone qui lui permettront de déclarer une réduction de ses émissions « nettes », tout en continuant à produire ses propres émissions.

L'escroquerie des crédits-carbone

Alors que le marché carbone a stagné pendant longtemps, le nombre de crédits-carbone vendus à des entreprises qui cherchent à compenser leurs émissions a explosé entre 2018 et 2023, d'après Carbon Brief. Mais de plus en plus d'études et d'enquêtes montrent que les projets de compensation carbone ne sont ni fiables ni efficaces – certains parlent même de « crédits fantômes ». Ainsi, environ 43 % des 61 projets examinés par Carbon Brief surestiment leur capacité à réduire les émissions.

De plus, les entreprises impliquées ne comptabilisent pas correctement toutes les émissions qu'elles génèrent elles-mêmes à travers les plantations qu'elles financent. C'est ce que constate Simon Counsell : ces projets « reposent sur le principe selon lequel ils entraînent une augmentation nette du carbone stocké dans leur zone d'implantation, bien qu'ils prévoient une récolte régulière d'arbres sur de courtes périodes de rotation. Cependant, ils ne semblent pas prendre en compte les émissions causées par l'utilisation ou l'élimination éventuelle du produit de ces cultures, comme le bois utilisé pour la fabrication de panneaux de contreplaqué ou pour le chauffage. Dans ces deux cas, le CO2 stocké dans le produit en question sera finalement (et peut-être rapidement) relâché dans l'atmosphère ».

Autre point pour le moins problématique : la capacité de stockage annoncée. « L'un des principaux critères de la compensation carbone est que le stockage du carbone doit être plus ou moins permanent. Or aucun stockage de carbone dans les arbres ne peut garantir cela. Comme l'indiquent les documents du projet BaCaSi eux-mêmes, le plateau de Batéké est un écosystème dépendant des incendies, et il brûle souvent. Qu'est-ce qui empêchera les incendies de détruire les plantations et de libérer leur carbone dans l'atmosphère ? » demande Simon Counsell.

Fausse solution

« Aussi vaste soit-elle, aucune plantation d'arbres ou toute autre “solution fondée sur la nature” ne sera jamais en mesure d'absorber le carbone continuellement transféré depuis le sous-sol vers l'atmosphère », fait remarquer WRM. Avec d'autres ONG, ce mouvement a signé une déclaration en décembre 2023 affirmant que les crédits-carbone et les compensations carbone sont une fausse solution au dérèglement climatique, et empêchent de s'attaquer aux racines du problème, à savoir l'extraction des énergies fossiles, en pleine expansion.

Tout en dépensant deux centaines de millions d'euros dans BaCaSi, TotalEnergies continue ainsi de produire toujours plus d'émissions de CO2, à travers notamment la construction d'un oléoduc géant en Ouganda et en Tanzanie. C'est ce qui a fait dire à Devlin Kuyek, de l'ONG Grain, que la compensation carbone sous toutes ses formes « est une escroquerie à laquelle nous devons mettre un terme immédiatement ». « L'action de compensation telle que prévue » par TotalEnergies avec BaCaSi « ne la détourne pas de ses actions de réduction des émissions de CO2 liées à ses activités », répond la multinationale.

L'Alliance pour le changement et la transformation (Pact), une coalition de peuples autochtones, d'institutions de recherche et d'organisations de la société civile, a de son côté demandé en septembre 2023 un « moratoire sur le commerce du carbone ». Elle soutient que l'urgence est de reconnaître la « nature multifonctionnelle et l'importance socioculturelle des forêts », ainsi que les droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales, les plus à même de gérer ces écosystèmes et leur carbone. Ne pas le faire, ce serait « persister dans un passé paternaliste, d'exclusion et colonial ».

Notes

1- Lydie-Stella Koutika, David Richardson, « Acacia mangium Willd : benefits and threats associated with its increasing use around the world », Forest Ecosystems 6, 2 (2019).

2- Paula Nieto-Quintano, Edward T. A. Mitchard, Roland Odende, Marcelle A. Batsa Mouwembe, Tim Rayden, Casey M. Ryan, « The mesic savannas of the Bateke Plateau : carbon stocks and floristic compositio »n, Bio Tropica, octobre 2018

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La Conférence de Porto Alegre et le défi d’affronter l’extrême droite

9 avril 2024, par Israel Dutra, Roberto Robaina — , , ,
La Conférence internationale antifasciste se tiendra du 17 au 19 mai dans le cadre d'une initiative unitaire associant le PSOL, le PT, le MST de la capitale de l'Etat du Rio (…)

La Conférence internationale antifasciste se tiendra du 17 au 19 mai dans le cadre d'une initiative unitaire associant le PSOL, le PT, le MST de la capitale de l'Etat du Rio Grande do Sul et plusieurs autres organisations et mouvements sociaux.

Tiré de CADTM, le Comité pour l'annulation des dettes illégitimes
2 avril 2024

Par Israel Dutra, Roberto Robaina

La convocation de la 1re Conférence internationale antifasciste contre l'extrême droite fait suite à une initiative internationale PSOL et du PT de Porto Alegre. Plusieurs organisations internationales ont déjà adhéré á l'initiative et le Mouvement des sans-terre (MST) a pris place dans l'organisation de l'événement. Nous suivons avec enthousiasme les confirmations qui nous parviennent et l'avancée des préparatifs.
La conférence qui aura lieu du 17 au 19 mai, sera organisées autour de panels thématiques, d'activités autonomes et une grande marche d'ouverture.

Les raisons de s'opposer à l'extrême droite ne manquent pas au Brésil et dans le monde. En cette semaine qui marque le 60e anniversaire du coup d'État contre-révolutionnaire [Brésil, 1964] qui a donné naissance à la dictature, la polarisation avec le bolsonarisme reste un point central de la situation : qu'il s'agisse de l'affaire Marielle Franco, dont les mandataires de l'assassinat en 2018 viennent d'être arrêtés, de la lutte des auteurs de la tentative de putsch de décembre/Janvier pour l'amnistie et contre l'arrestation de Bolsonaro ou de la nécessaire réponse venue de la rue et du mouvement de masse.

Sur la scène internationale, Netanyahou est en première ligne pour promouvoir la barbarie à Gaza et l'extrême droite cherche à se renforcer dans différents pays. Nous devons arrêter la main de l'extrême droite et discuter des différentes tactiques pour l'affronter à la fois sur le terrain institutionnel et (surtout) sur le terrain de la mobilisation populaire. L'action des masses, dans la rue, est le principal levier pour mettre le fascisme sur la défensive dans différentes régions.

Visitez le siteantifas.org et participez à la 1re Conférence Internationale Antifasciste : du 17 au 19 mai 2024, à Porto Alegre

L'extrême droite, c'est la dictature, le génocide et la torture

En cette date qui nous renvoie au début de la dictature militaire, qui a duré 21 ans, la société débat des crimes commis par les militaires, avec des assassinats, des arrestations et des tortures. Les militaires cherchent à nier ce qui s'est passé, en s'appuyant sur l'absence de Justice transitionnelle, afin de préparer de nouvelles tentatives pour mettre fin à la démocratie libérale dans le pays. Le complot du 8 janvier et le rôle joué par les milices en tant que bandes paramilitaires démontrent à l'évidence la capacité d'action de ce secteur.

Dans l'Argentine voisine, Milei a publié une vidéo institutionnelle niant la disparition de 30 000 Argentins, pourtant reconnue par les tribunaux et l'État argentin après des années de lutte des mères et des grands-mères de la Plaza de Mayo, ainsi que de diverses organisations de défense des droits de l'homme.

Il n'y a pas de coïncidence dans l'articulation et la rhétorique des deux secteurs de l'ultra-droite dans nos pays : ils défendent le même projet : la dictature, le génocide et la torture. Que ce soit dans les années de la dictature brésilienne, sous le Chili de Pinochet ou dans l'Argentine de la « junte militaire ». Ou ce à quoi nous assistons en direct, la dévastation et le génocide de plus de 32 000 personnes - principalement des femmes et des enfants - dans la bande de Gaza.

L'esprit de Porto Alegre

L'extrême droite s'organise dans le cadre d'événements et de réunions internationales. La récente réunion du CPAC aux États-Unis, qui a rassemblé des figures telles que Milei et le président salvadorien Bukele, a montré que ce secteur prépare une nouvelle offensive internationale, et que la principale menace est une victoire de Trump aux prochaines élections. En juillet, une réunion de la CPAC est prévue au Brésil, confirmant le rôle du pays comme centre de cette articulation réactionnaire.

Et pourtant, clairement, il n'y a pas d'articulation internationale, même embryonnaire, des forces qui s'opposent à cette escalade de l'extrême droite. L'appel de Porto Alegre est un premier pas, encore initial, pour rassembler les forces qui veulent amorcer une articulation. Et pour développer les conditions permettant d'envisager des réunions plus importantes et plus larges à l'avenir.

Au début du siècle, Porto Alegre a été un point de rencontre pour les mouvements anti-globalisation ou, comme on les appelait à l'époque, les « altermondialistes ». Les Forums sociaux mondiaux ont été un succès, combinant différentes expériences après le reflux général des années 1990. Ils ont rassemblé les processus de lutte les plus radicalisés - qui ont eu lieu lors des manifestations de Seattle et de Gênes, par exemple - et les expériences latino-américaines, comme l'événement organisé par le mandat de Luciana Genro avec Hugo Chávez ou la manifestation de soutien à l'Argentinazo, qui s'est terminée par l'installation d'une plaque à la mémoire des personnes tuées lors de la rébellion populaire de décembre 2001.

Les limites de la stratégie et la cooptation par les gouvernements ont fait que les Forums n'ont pas maintenu leur caractère du début. Aujourd'hui, il existe des articulations et des forums régionaux, mais ils n'ont pas la force, cependant, qui s'était exprimée au début du 21e siècle. Notre défi aujourd'hui est de revenir à « l'esprit de Porto Alegre » pour faire face au fascisme qui surgit.

Combattre l'extrême droite

Notre politique consiste à affronter l'extrême droite, en premier lieu dans la rue. Pour cela, il faut lier les questions concrètes comme la lutte anti-milice, qui pourrait faire un bond en avant après l'arrestation des auteurs de l'assassinat de Marielle Franco, et la lutte contre l'amnistie des putschistes d'hier et d'aujourd'hui.

En termes d'agitation, il s'agit de consolider et d'élargir l'appel lancé par le PT (Parti des Travailleurs du Brésil), le PSOL (Parti Socialisme et Liberté au Brésil) et maintenant le MST (Mouvement des sans terres) à Porto Alegre, pour faire de la 1re Conférence antifasciste un espace d'articulation pour affronter dans l'unité, l'extrême droite.

Sur le plan de la propagande, signalons la nouvelle édition de la revue Movimento, qui consacre un dossier spécial au 60e anniversaire du coup d'État militaire, avec une série d'interviews et d'articles qui reflètent la nécessité de lutter, aujourd'hui encore, pour la justice et les réparations contre les criminels du régime de 64.

Notre tâche principale est d'unir nos forces dans cette lutte unitaire autour de la Conférence - qui doit être la plus large possible - comme un pas en avant dans la lutte antifasciste, la plus importante de notre génération.

Source Revista Movimento.

Auteur.e
Israel Dutra

Israel Dutra é sociólogo, Secretário de Movimentos Sociais do PSOL, membro da Direção Nacional do partido e do Movimento Esquerda Socialista (MES/PSOL)
Auteur.e
Roberto Robaina

é dirigente do PSOL e do Movimento Esquerda Socialista (MES), editor da Revista Movimento e vereador de Porto Alegre

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Haïti : La vie au temps du Bwa Kale – un an de résistance populaire

Il y a un an, le 24 avril 2023 à Port-au-Prince dans le quartier Canapé-Vert, la population se présente devant le poste de police local et demande qu'on leur remette les 14 (…)

Il y a un an, le 24 avril 2023 à Port-au-Prince dans le quartier Canapé-Vert, la population se présente devant le poste de police local et demande qu'on leur remette les 14 membres de gang arrêtés pour possession d'armes. Ils seront lynchés, tués puis brûlés. C'est ainsi qu'a pris forme le mouvement Bwa Kale de vindicte populaire. Notre partenaire du Magazine Haïti constate le retour de ce mouvement avec les derniers événements. Nous présentons ici les informations qu'il a publié à cet effet, notamment dans le dernier numéro de Dèyè Mòn Enfo du 1er avril. Nous vous invitons à soutenir la publication en vous abonnant. (NDLR)

3 avril 2024 | tiré du Journal des Alternatives | Photo : À Canapé-Vert, des barricades d'autodéfense bloquent partiellement la rue. La nuit, les rues sont entièrement fermées. - Etienne Côté-Paluck/Dèyè Mòn Enfo
https://alter.quebec/la-vie-au-temps-du-bwa-kale-un-an-de-resistance-populaire/

La recrudescence des attaques armées à Port-Prince depuis le 29 février a ravivé le mouvement Bwa Kale au sein de plusieurs quartiers encore libres. Dans des zones telles Canapé-Vert, Turgeau, Nazon, et d'autres encore, des collectifs de voisins ont formé des brigades pour empêcher un potentiel assaut de groupes criminels armés. Souvent menées avec l'assentiment tacite de policiers, ces actions représentent une forme de justice populaire impitoyable.

Une vindicte populaire

À Delmas 95, plusieurs agresseurs présumés ont ainsi été exécutés il y a dix jours, ces « bandits » étant habituellement tués et parfois même brûlés sur le champ. Cette réaction radicale reflète l'effacement presque total de l'institution judiciaire du pays, au point où certains policiers se muent parfois en exécuteurs de leurs détenus (…).

À la suite de l'abandon du pénitencier national début mars, ces bandes se sont concentrées sur le pillage des commerces du centre-ville, l'attaque d'institutions étatiques ou de commissariats toujours actifs, ainsi que sur la destruction de certaines écoles et universités. La situation déjà fragile a atteint un point critique avec l'occupation complète du centre-ville, dès les premiers jours de mars, par ces groupes armés, à l'exception notable du bâtiment de la Banque de la République d'Haïti (BRH, banque centrale), protégé par des forces paramilitaires fortement armées.

Mirebalais reste un haut lieu de la mobilisation des groupes d'autodéfense, encouragée d'ailleurs par la mairie à la suite des récentes incursions de groupes armés en provenance de Port-au-Prince. Porte d'entrée du département du Plateau central, la ville est située sur la route qui mène à la frontière dominicaine. C'est sur cette route, à Belladère, où, samedi dernier, un homme accusé de s'être évadé de la prison de la capitale, a été lynché par une foule en colère, confirme notre partenaire Centre à la UNE.

Le centre-ville de Port-au-Prince : en rouge, certains lieux tombés sous le contrôle de bandes armées dans le dernier mois ; en vert, les lieux toujours sous le contrôle des autorités. Les ‘X' noirs sont des zones déjà sous contrôle de groupes armés depuis plusieurs mois. Source : Dèyè Mòn Enfo

Au cours de la dernière semaine, déjà accablé par les pillages, le centre-ville de Port-au-Prince, n'a pas été le seul à souffrir de la violence. Les quartiers de l'arrondissement de Clercine, à l'est de l'aéroport, ont aussi été le théâtre d'échanges de tirs intenses pendant plusieurs jours. Cette période d'insécurité s'est finalement apaisée suite à une intervention musclée de la police, qui s'est conclue hier.

Que signifie bwa kale ? (extrait du numéro 4 du 1er mai 2023)

En raison de la nouvelle crise sécuritaire et économique, les gens disent se sentir comme un bwa kale, une branche sans écorce. La majorité des routes du pays sont bloquées. L'économie est à sec. Les gens n'ont parfois que la peau sur les os et presque plus aucune possession dans de nombreux cas. Devant les problèmes liés aux violences armées, ils n'ont ainsi presque plus rien à perdre. La majeure partie de Port-au-Prince est sous contrôle de groupes criminels armés.

Plus globalement, elle exprime le ras-le-bol devant une situation sécuritaire et économique qui empire d'année en année. (…) Dans un autre sens, bwa kale exprime aussi un appel à l'action. (…) C'est un appel à prendre les choses en main et à l'autodéfense par tous les moyens. Prêts à tout perdre, certains résidents ont pris les armes, souvent avec l'aval ou en coopération avec la police, pour créer des milices de quartier. Si plusieurs ont des fusils, la machette et la force du nombre semblent être les armes les plus redoutables.

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Etats-Unis. Quand l’UAW organise la syndicalisation de Volkswagen et Mercedes dans le Sud

Les travailleurs et travailleuses de Mercedes-Benz à Vance, en Alabama, voteront sur leur adhésion à l'United Auto Workers (UAW). Vendredi 5 avril, l'UAW a déposé une demande (…)

Les travailleurs et travailleuses de Mercedes-Benz à Vance, en Alabama, voteront sur leur adhésion à l'United Auto Workers (UAW). Vendredi 5 avril, l'UAW a déposé une demande de consultation pour représenter l'ensemble des 5200 employés payés à l'heure) de l'usine, après que le syndicat a déclaré qu'une supermajorité des travailleurs et travailleuses de l'usine géante de la société ont signé des bulletins d'adhésion au syndicat, en trois mois [voir sur ce site l'article du 9 février 2024 sur l'effort d'implantation de l'UAW dans les firmes automobiles situées au Sud].

Tiré d'À l'encontre.

Jeremy Kimbrell, opérateur de machines de contrôle à l'usine, a déclaré dans le cadre de l'annonce faite par l'UAW : « Chez Mercedes, Hyundai et des centaines d'autres entreprises, les travailleurs et travailleuses de l'Alabama ont rapporté des milliards de dollars aux dirigeants et aux actionnaires, mais nous n'avons pas obtenu notre juste part. Nous allons changer les choses avec ce vote. Nous allons mettre fin à la politique de dumping régnant dans l'Alabama. »

Le dépôt de la demande d'adhésion au syndicat intervient alors que 4300 travailleurs de l'usine Volkswagen de Chattanooga (Tennessee), d'une superficie de 35 hectares, se préparent à voter pour rejoindre l'UAW entre le 17 et le 19 avril lors d'une élection organisée par le National Labor Relations Board (NLRB-Conseil national des relations du travail).

Les résultats chez Volkswagen et Mercedes constitueront un test clé pour l'UAW, qui tente de traduire l'élan de sa grève historique chez les trois grands constructeurs automobiles [Stellantis, Ford, General Motors] par de nouveaux recrutements. L'UAW fait le pari que si les travailleurs des entreprises du Sud se syndiquent, le reste des citadelles non syndiquées de main-d'œuvre bon marché pour l'assemblage automobile disparaîtront également à travers les Etats-Unis.

Plus de 10 000 travailleurs de 13 constructeurs automobiles sans présence syndicale, répartis sur deux douzaines de sites à travers le pays, ont signé leur bulletin d'adhésion syndicale depuis novembre dernier, date à laquelle l'UAW a annoncé son objectif ambitieux de syndiquer 150 000 travailleurs et travailleuses dans les principales usines non syndiquées d'automobiles et de batteries.

Les travailleurs d'une usine Toyota dans le Missouri sont en passe d'obtenir 50% d'appui, ce qui laisse présager une troisième votation dans les mois à venir.

L'UAW a engagé 40 millions de dollars jusqu'en 2026 pour soutenir la syndicalisation dans les usines d'automobiles et de batteries non syndiquées. Sous une présidence précédente [celle de Ron Gettelfinger], le l'UAW s'était engagé à engager 60 millions de dollars sur quatre ans pour une campagne de syndicalisation, mais la somme n'a jamais été effectivement dépensée.

Les efforts de syndicalisation déployés chez Mercedes et Volkswagen au cours de la dernière décennie ont échoué de justesse ou se sont évanouis avant d'aboutir à un vote, à l'exception d'un groupe de travailleurs qualifiés de Chattanooga qui a obtenu une présence syndicale sectorielle chez VW. Mais depuis, les griefs se sont multipliés et les travailleurs en ont assez.

L'un des rares points d'appui pour les travailleurs syndiqués de l'automobile dans le Sud se trouve chez Daimler Truck North America, qui est lié au groupe Mercedes. Mercedes est le principal actionnaire de Daimler Truck. La société a été détachée du groupe Mercedes-Benz, anciennement Daimler AG, en 2021.

Sept mille travailleurs de Daimler Truck ont voté à 96% en mars 2024 pour autoriser une grève si nécessaire après l'expiration de leurs contrats, le 26 avril, sur six sites en Caroline du Nord, en Géorgie et au Tennessee. Le président de l'UAW, Shawn Fain, s'est réuni avec les travailleurs, ce mardi 2 avril, en Caroline du Nord.

« Depuis des siècles, l'économie du Sud relève d'un régime truqué, un système conçu pour enrichir quelques privilégiés aux dépens du plus grand nombre », a déclaré Shawn Fain. « C'est un système dans lequel les riches et les puissants ont accaparé les richesses et monopolisé le pouvoir… Alors, vous les patrons et les dirigeants politiques : allez-y, versez vos larmes de crocodile et hurlez votre rage contre l'inévitable. Mais sachez ceci : les travailleurs et travailleuses du Sud se soulèvent, et nous ne nous relâcherons pas tant que justice n'aura pas été rendue. »

Construit en 1997 dans une forêt de pins proche de Tuscaloosa [ville de l'Alabama], le complexe de l'usine Mercedes, recouvert de panneaux métalliques étincelants, comprend un atelier de carrosserie et un atelier de peinture qui alimentent deux usines d'assemblage. L'entreprise a récemment ajouté une usine de batteries électriques à proximité, où les contremaîtres de l'entreprise se sont livrés à certains des pires actes de démantèlement de syndicats, selon les salarié·e·s de l'usine.

Les deux usines états-uniennes non syndiquées de Mercedes, celle de l'Alabama et celle de Caroline du Sud, sont les seules usines non syndiquées de l'entreprise dans le monde entier.

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Les ouvriers de l'usine Mercedes-Benz d'Alabama fabriquent des SUV de luxe GLE très rentables et la Maybach GLS à 170 000 dollars. Ces produits de luxe ont attiré les travailleurs parce que Mercedes était considérée comme un employeur de référence en raison de ses prestations sociales et de ses salaires élevés.

Mais aujourd'hui, les travailleurs se sentent trahis. « En 17 ans, nous avons obtenu une augmentation [horaire] d'environ 4,50 dollars », a déclaré Jacob Ryan, un carrossier qui a commencé comme intérimaire. « Nous fabriquons des véhicules de luxe. L'entreprise réalise des bénéfices records année après année, tout en nous ponctionnant de plus en plus d'argent. » Mercedes a engrangé 156 milliards de dollars de bénéfices au cours de la dernière décennie, souligne le syndicat.

Selon les travailleurs et travailleuses, Mercedes a commencé à supprimer des prestations sociales à mesure que la main-d'œuvre se diversifiait. Mercedes a réduit les indemnités pour les bleus de travail de la marque, par exemple, et a augmenté les primes de l'assurance maladie.

Les conditions de travail dans les usines se sont détériorées. Moesha Chandler a commencé à travailler dans l'usine de batteries, à quelque 4 km de là, à Woodstock. « La durée de travail était très longue et nous travaillions six jours par semaine, mais je n'avais pas à me plaindre car il ne s'agissait pas d'un travail manuel pénible », explique-t-elle. Mais plus tard, elle est passée à la chaîne de montage, où le travail est plus éreintant et plus dur. Des travailleurs ont uriné sur eux-mêmes de peur de quitter la ligne, a déclaré Moesha Chandler, parce que les contremaîtres les réprimandaient et les forçaient à rester jusqu'à ce qu'ils atteignent l'objectif de production de l'équipe.

« C'est une chose de travailler de longues heures », a déclaré Sammie Ellis, un autre ouvrier de la chaîne de montage. « C'en est une autre d'imposer des pénalités pour aller aux toilettes. Ils nous privent de nos droits humains. »

Mercredi 3 avril, l'UAW a porté plainte contre Mercedes-Benz Group AG, société mère de la filiale américaine (Mercedes-Benz U.S. International, ou MBUSI) qui gère l'usine d'Alabama. L'UAW accuse Mercedes d'avoir violé la loi allemande sur les obligations de diligence des entreprises dans les chaînes d'approvisionnement [Gesetz über die unternehmerischen Sorgfaltspflichten in Lieferketten, entrée en vigueur le 1er janvier 2023] et les droits de l'homme des travailleurs en sept occasions distinctes. Si l'entreprise est reconnue coupable, Mercedes pourrait se voir infliger des milliards de dollars de pénalités et se voir interdire l'accès aux marchés publics.

Les travailleurs et travailleuses ont déclaré que la stratégie consistait à ligoter l'entreprise sur le plan juridique aux Etats-Unis et en Allemagne avant la réalisation de la votation fin avril. La semaine dernière, les travailleurs ont déposé plusieurs plaintes pour pratiques déloyales de travail auprès du National Labor Relations Board, demandant une décision contre MBUSI pour mettre fin aux représailles illégales de l'entreprise.

Sur la ligne de finition, les travailleurs manipulent 430 véhicules au cours de leurs dix heures de travail. « A chaque minute d'arrêt de la ligne, nous risquons de perdre des voitures », a déclaré Sammie Ellis. « Lorsque vous montez une voiture et qu'elle est prête à être envoyée dans une autre zone, il y a une zone tampon. Cette zone tampon peut contenir dix voitures. Dans les deux ou trois minutes qui suivent le moment où une personne va aux toilettes, nous devons faire la course pour rattraper le retard, car nous risquerions de ne pas atteindre le nombre de voitures que nous devons terminer dans les dix heures. »

En outre, l'entreprise est régulièrement en sous-effectif, ce qui empêche les travailleurs de prendre des vacances.

Entre-temps, les salaires ont stagné. Ryan a fait le calcul : « Le salaire le plus élevé était de 27,77 dollars horaire en 2007. Cela représenterait 41 dollars aujourd'hui [étant donné l'inflation]. Au moment de la campagne de syndicalisation, nous étions à 32 dollars de l'heure. Nous étions en retard sur l'inflation ! »

Les travailleurs sont particulièrement mécontents du système de « tiered pay » [système de salaire qui différencie le salaire horaire de ceux qui viennent d'être engagés, qui détermine une durée avant un rééchelonnement de ce salaire, qui peut intégrer aussi des critères de performance de production], qui a été instauré en 2020. « Le fait que des collègues qui travaillent là depuis deux ans de plus que moi, et qui font exactement le même travail que moi, gagnent cinq dollars et demi de plus par heure pour faire exactement le même travail à un niveau de qualifications relativement identique, me choquait », a déclaré David Johnston, un travailleur de l'usine de batteries.

Mercedes n'a jamais réembauché les travailleurs qui avaient été licenciés en 2008 [lors de la crise dite financière] et a enfermé les intérimaires dans un système à deux vitesses [two-tier system]. L'entreprise a proposé des indemnités à certains travailleurs, mais beaucoup ont eu l'impression d'avoir été forcés de partir. « Certains ont été récemment réembauchés dans le cadre du two-tier system, ce qui a abouti à ce qu'ils touchent un salaire moins élevé que celui qu'ils touchaient lorsqu'ils ont quitté l'entreprise, près de 15 ans auparavant, en 2008 », a déclaré Jeremy Kimbrell, qui travaille dans l'entreprise depuis plus de 20 ans.

Mais même les nouveaux embauchés connaissent la manière dont l'entreprise traitait les travailleurs. « J'ai appris que Mercedes avait traîné les pieds lorsque l'entreprise a changé d'agence de recrutement », a déclaré David Johnston. « Les intérimaires ont été embauchés après janvier 2020, de sorte qu'ils n'ont plus bénéficié du même taux de rémunération, alors que ces personnes travaillaient depuis trois jusqu'à six ans dans l'attente d'être embauchées par l'entreprise. Ils ont été relégués dans un “tiered system” qui ne tenait pas compte des droits liés à l'ancienneté. »

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En février, un mois après que les travailleurs et travailleuses eurent signé des bulletins d'adhésion au syndicat avec 30% de leurs collègues, Mercedes a annoncé qu'elle augmenterait le salaire le plus élevé de 2 dollars et qu'elle supprimerait le système salarial (« wage tiers »). Selon Jeremy Kimbrell, la rémunération de l'échelon supérieur passerait ainsi de 32 à 34 dollars de l'heure, tandis que celle de l'échelon inférieur s'élèverait à 34 dollars seulement au bout de quatre ans.

Les travailleurs ont interprété cette mesure comme une tentative d'enrayer la dynamique syndicale. Cela n'a pas fonctionné. Outre la carotte, Mercedes a essayé le bâton. Selon un communiqué de presse de l'UAW, le travailleur actif syndicalement Al Ezell a été licencié parce qu'il avait son téléphone sur la chaîne de montage au cas où son médecin l'appellerait pour renouveler une ordonnance destinée à traiter un cancer du poumon de stade 4. Les problèmes de la chaîne d'approvisionnement médical avaient empêché Al Ezell de renouveler son ordonnance.

Al Ezell a déclaré : « La direction m'a convoqué dans son bureau pour me punir d'avoir laissé mon téléphone sur le sol. Ma responsable m'a regardé en face et m'a dit qu'elle se fichait que j'aie un cancer ou que j'aie une autorisation, qu'elle allait appliquer la politique de tolérance zéro de l'entreprise. Nous n'avons jamais eu de politique de tolérance zéro concernant la présence d'un téléphone sur le sol. La direction essaie simplement de nous faire peur, mais nous ne reculerons pas. » L'UAW a porté plainte au niveau fédéral pour cette affaire et d'autres pratiques déloyales.

En février, le Department of Labor a obtenu 438 625 dollars d'arriérés de salaires, de primes non payées et de dommages et intérêts pour deux travailleurs de Mercedes-Benz, qui accusaient l'entreprise d'avoir violé leurs droits à des congés protégés en vertu de la loi sur les congés familiaux et médicaux (Family and Medical Leave Act-FMLA).

Lakeisha Carter, une autre travailleuse favorable au syndicat, affirme qu'elle s'est également vu refuser une demande de congé pour raisons familiales et médicales, et qu'elle attribue ce refus à son travail syndical. « Je suis une partisane déclarée du syndicat et Mercedes m'a illégalement sanctionnée pour des absences médicales qui étaient clairement couvertes par mes demandes de FMLA », a-t-elle déclaré dans un communiqué de presse du syndicat. « Il s'agit tout simplement de représailles de la part de Mercedes, mais je ne me laisserai pas intimider. »

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Les travailleurs ont des raisons d'être déterminés. Ils ne s'attaquent pas seulement à l'entreprise, mais aussi à des hommes politiques de l'Alabama et à des représentants de l'industrie automobile.

Le PDG [depuis 2019] de Mercedes-Benz U.S. International, Michael Göbel, a déclaré aux travailleurs que la création d'un syndicat signifierait des grèves, des cotisations coûteuses et des obstacles à la résolution des conflits, rapporte Josh Eidelson pour Bloomberg, après avoir écouté un enregistrement audio qu'un travailleur lui a fourni. « Je ne crois pas que l'UAW puisse nous aider à nous améliorer », a déclaré Michael Göbel.

A l'instar de Walmart et de Tyson en Arkansas, Mercedes et Volkswagen exercent une formidable influence sur les Etats où ils sont implantés. Volkswagen exploite un parc à côté de son usine de Chattanooga. Mercedes sponsorise la principale salle de concert de Tuscaloosa et a participé aux efforts de reconstruction après les tornades dévastatrices de 2011. L'un des griefs des travailleurs et travailleuses de la région est que le « rôle civique » de l'entreprise a diminué au fil du temps, y compris les journées familiales parrainées par l'entreprise et les concerts à l'amphithéâtre de Tuscaloosa.

La gouverneure de l'Alabama [depuis avril 2017], Kay Ivey [Parti républicain depuis 2002, avant, démocrate !], a écrit une tribune dans laquelle elle s'engage à s'opposer aux campagnes syndicales dans l'Etat, non seulement chez Mercedes, mais aussi chez Hyundai. Kay Ivey est allée plus loin en déclarant que la campagne syndicale de l'UAW signifiait que le « modèle de réussite économique de l'Alabama était attaqué ».

Shawn Fain a réagi à ce commentaire mardi 2 avril. « Elle a tout à fait raison ! Il est attaqué parce que les travailleurs en ont assez de se faire avoir », a déclaré le président de l'UAW.

La secrétaire au Commerce de l'Alabama, Ellen McNair, a repris le même discours, déclarant que la campagne de syndicalisation « met en danger le principal moteur économique de notre Etat ».

Les travailleurs et travailleuses ont balayé ces commentaires antisyndicaux et veulent que les politiciens ne se mêlent pas de leur décision syndicale. Faisant référence à la gouverneure Ivey, Moesha Chandler a déclaré : « Elle n'est pas là pour marcher dans et avec nos souliers. » (Article publié le 5 avril 2024 dans The American Prospect ; traduction rédaction A l'Encontre)

Luis Feliz Leon est un syndicaliste, un journaliste et un spécialiste indépendant de l'histoire des mouvements sociaux

S’il est minuit dans le siècle

9 avril 2024, par Carole Yerochewski — ,
ÉDITORIAL[1] — Malgré les nombreuses protestations à travers le monde et dans leur propre pays, émanant de divers groupes, y compris d'organisations rassemblant des Juifs[3], (…)

ÉDITORIAL[1] — Malgré les nombreuses protestations à travers le monde et dans leur propre pays, émanant de divers groupes, y compris d'organisations rassemblant des Juifs[3], plusieurs gouvernements occidentaux continuent de soutenir le gouvernement israélien. Pourtant, ils ont, et les États-Unis en particulier, les moyens de faire pression afin de faire cesser immédiatement le génocide en cours du peuple palestinien. Ce génocide accompagne les volontés de recolonisation de la bande de Gaza par l'extrême droite israélienne[4] qui a pris le prétexte des représailles des crimes inhumains commis par le Hamas le 7 octobre dernier pour la mettre en œuvre à grande échelle.

30 mars 2024 | tiré des Nouveaux Cahiers du Socialisme
https://www.cahiersdusocialisme.org/sil-est-minuit-dans-le-siecle/

Ce constat sur l'attitude de puissances occidentales en dit long sur l'époque que nous vivons, alors que les classes dirigeantes gagnées par le néolibéralisme ont perdu le sens de l'intérêt collectif et qu'elles préfèrent continuer leurs calculs stratégiques en défense de leurs intérêts à court terme. Car qui peut ignorer que la haine et la violence alimentent le désespoir et la haine et la violence ? D'une certaine façon, Israël en est l'illustration, avec sa population prise en tenaille par un gouvernement sioniste d'extrême droite, qui instrumentalise la Shoah et prétend parler au nom des Juifs de la planète.

Les élites néolibérales, y compris lorsqu'elles flirtent avec l'extrême droite et mettent en œuvre des politiques autoritaristes, n'ignorent pas qu'une part de consentement de certaines couches de la société est nécessaire pour gouverner. Comme disait Talleyrand à Napoléon : « On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s'asseoir dessus[5] ». Les refus de certains pays, dont le Canada et le Québec, de voter une résolution appelant au cessez-le-feu à l'Assemblée des Nations unies est un non-sens criminel. Mais le soutien inconditionnel à Israël est sans doute une façon d'alléger la culpabilité de l'Europe et des États-Unis. Car, dès 1942, Roosevelt, Churchill et d'autres savaient ce qui se passait dans les camps d'extermination, mais n'ont rien fait pour arrêter la Shoah. Depuis, on laisse le sionisme développer son récit de l'histoire sur le thème : « Seul Israël peut assurer la sécurité des Juifs ». Ce qui ressemble à une gigantesque tartufferie quand on regarde la montée de l'antisémitisme un peu partout dans le monde depuis le début des représailles génocidaires[6].

Mais les classes dirigeantes n'ont-elles jamais eu une vision du bien commun quand les populations du Sud global sont en jeu ? Plus de cinq cents ans d'histoire faite de génocides des Autochtones, de traite des Noirs africains et de l'esclavage, de colonialisme, de racisme et d'antisémitisme nous ont démontré le contraire.

Aujourd'hui, lorsque l'on compare les réponses occidentales à l'invasion de l'Ukraine par la Russie et celles suivant la destruction en cours de Gaza et de ses habitants par Israël, on constate qu'il n'y a aucun support gouvernemental digne de ce nom des Palestiniens et Palestiniennes. Pire, plusieurs pays occidentaux, dont le Canada, les États-Unis, l'Italie et la Grande-Bretagne ont immédiatement coupé le financement de l'UNRWA[7], un organisme des Nations unies, sur les seules allégations d'Israël au sujet d'une participation d'employés de cet organisme aux attaques du Hamas le 7 octobre. Pourtant, dans d'autres situations où des employés d'organismes de l'ONU ou des Casques bleus étaient accusés de viols et d'autres atrocités lors d'interventions, les sanctions n'ont pas été dirigées contre les organismes[8], car on arguait, avec raison, qu'il ne fallait pas confondre leur raison d'être avec le personnel employé ou mobilisé. En outre, ces allégations sont intervenues juste après qu'ait été confirmé, le 26 janvier dernier, le risque de génocide des Palestiniens par la Cour internationale de justice, qui avait été saisie par des avocats de l'Afrique du Sud, ce pays où la population noire a mis fin à l'apartheid. Or, l'arrêt du financement de l'UNRWA va transformer le risque de génocide des Palestiniens en réalité.

L'UNRWA joue en effet un rôle essentiel dans la survie du peuple gazaoui qui, en plus des bombardements, subit la soif, la famine et les épidémies en raison du blocus en eau, nourriture, électricité et essence imposé par Israël. Car Israël contrôle tout dans la bande de Gaza. C'est son gouvernement et son administration, ses services secrets, son armée qui décident de tout ce qui se passe à Gaza, et même de qui peut travailler pour l'UNRWA ou bénéficier d'une autorisation pour rejoindre sa famille en France ou au Canada !

Pour les gouvernements occidentaux qui ont choisi de refuser de réclamer un cessez-le-feu immédiat, toutes les vies n'ont pas la même valeur. C'est ce qu'on retiendra au-delà des calculs stratégiques de Biden et de ses conseillers qui ne veulent pas donner l'impression qu'ils ne soutiennent plus Israël – ce qui risque par ailleurs de saper les chances que le Parti démocrate l'emporte sur Trump. Les États-Unis ont, il est vrai, durci leur discours, puis annoncé des sanctions contre les colons israéliens qui, profitant du chaos régnant, sévissent brutalement et souvent mortellement en Cisjordanie. Mais selon cette stratégie des petits pas diplomatiques, qui demande du temps, les Palestiniens font figure de « dommages collatéraux ». Cela est inadmissible, même si Biden et son administration prennent soin de ne pas confondre la population israélienne avec son gouvernement, et préfèrent attendre que Netanyahou soit obligé de partir pour mettre en œuvre un cessez-le-feu et la solution à deux États prévue par l'ONU depuis 1947 et prémisse des accords d'Oslo en 1993. Si tant est que cette solution soit encore viable, alors que c'est Netanyahou lui-même et sa clique d'extrême droite qui ont aidé le développement du Hamas – dont on ne peut ignorer les méthodes de gestion par la terreur sur la bande de Gaza[9] – parce qu'ils misaient sur le fait que le Hamas, qui était comme eux opposé à ces accords, les fasse échouer. Ces accords représentaient pourtant d'importants reculs par rapport aux aspirations des Palestiniens à reconquérir leur territoire de 1967[10]. Ils résultaient notamment du soutien inconditionnel des États-Unis et d'autres puissances occidentales pour Israël, mais aussi du manque de vision politique de Yasser Arafat, dirigeant de l'Organisation de libération de la Palestine, majoritaire à l'époque parmi les Palestiniens, et de l'absence d'un réel appui des gouvernements des pays arabes. Malgré de grandes déclarations, ces derniers ont plus souvent laissé les Palestiniens à leur sort, quand ils ne les ont pas réprimés, préférant normaliser leurs relations avec Israël et l'Occident.

Combien de temps encore avant que les Israéliennes et les Israéliens ne mettent Netanyahou à la porte ? Car la majorité enrage contre leur premier ministre depuis leur mobilisation massive contre un projet de réforme judiciaire antidémocratique, bien avant le 7 octobre. Mais critiquer les politiques n'était plus dans les priorités depuis le 7 octobre, hormis pour celles et ceux qui risquent leur propre vie pour documenter et défendre les Palestiniennes et les Palestiniens de Cisjordanie contre les crimes qui se multiplient de la part des colons israéliens. En partie sous l'emprise d'un Netanyahou qui gouverne « par la peur[11] », la population est surtout focalisée sur les otages encore détenus par le Hamas et ses satellites, et sur les crimes commis le 7 octobre dernier, que certains vont jusqu'à qualifier de nouvelle Shoah, pratiquant aussi du coup une « autre forme de révisionnisme », comme le remarque Laurel Leff dans Haaretz[12], le seul journal israélien qui maintient une volonté critique d'information. Mais dans leur majorité, les Israéliens semblent indifférents au sort des Palestiniens. Quelques centaines ont toutefois manifesté le 18 janvier dernier à Tel-Aviv, pour réclamer un cessez-le-feu, expliquant notamment que « la guerre est mauvaise pour les Israéliens et pour les Palestiniens », mais « bonne pour le Hamas et pour Bibi[13] ». On est loin cependant des dizaines de milliers de manifestantes et manifestants qui défilaient au cours d'époques précédentes pour la paix avec les Palestiniens[14]. Selon un manifestant, le 18 janvier, la plupart des Israéliens « soit ne veulent pas comprendre ce qui se passe à Gaza, soit préfèrent détourner les yeux[15] ». Cela changera-t-il avec la reprise, début février, de manifestations contre le gouvernement Netanyahou, dont les prises de position reposent sur les mêmes soubassements racistes, xénophobes et colonialistes que les discours ou des lois anti-immigrants portés par une partie de l'extrême droite européenne ?

Dans un message (post) qui circulait sur Facebook en ce début d'année, il était écrit : « Ce qui est mort à Gaza, c'est l'idée que l'Occident incarnait l'humanité et la démocratie[16] ». Historiquement parlant, cette idée est morte avant, en 1942, et encore avant, pendant les siècles de domination coloniale qui ont précédé. La différence aujourd'hui, c'est que le génocide se déroule en direct, documenté par des journalistes palestiniens qui perdent la vie[17], les uns après les autres, dans ce combat destiné à informer et à restituer un nom, une voix et une histoire à ces dizaines de milliers d'êtres humains, femmes et enfants en premier lieu, qui sont morts ou mutilés.

La différence tient aussi dans le fait que les populations, qu'elles soient au Sud ou au Nord, sont plus sensibles aux enjeux. Les aspirations à l'égalité et à la démocratie se sont élargies pour intégrer une vision intersectionnelle des dominations et une conscience des rapports de pouvoir Nord-Sud – en témoigne l'ampleur des manifestations pour le cessez-le-feu, notamment dans ces pays occidentaux conduits par un néolibéralisme ravageur pour les pauvres, les minorités ou groupes minorés et les femmes. Dès lors, on peut croire en la capacité des êtres humains à se saisir de cette relativisation de l'héritage occidental pour poursuivre et mettre en pratique d'autres visions du monde.

En attendant, nous sommes dans ce moment dont parlait Gramsci lorsque l'Italie était dirigée par Mussolini et que le fascisme faisait des émules : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaitre et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Cela, avec des conséquences désastreuses en termes de vies humaines.

Par Carole Yerochewski, pour le comité de rédaction[2]

NOTES

1. Ce titre est celui d'un livre écrit en 1939 par Victor Serge, anarchiste gagné au trotskysme pendant la Révolution russe, qui a été emprisonné par Staline et qui dénonce cette machine à broyer les êtres humains, en redonnant un visage et un nom à ces opposantes et opposants qui mourraient dans l'anonymat, comme meurent aujourd'hui tant de Palestiniennes et de Palestiniens broyés par les bombes de l'armée israélienne. ↑
2. Carole Yerochewski et le comité de rédaction remercient Rabih Jamil pour sa participation à la réflexion qui a conduit à l'écriture de cet éditorial. ↑
3. Comme Voix juives indépendantes Canada, et d'organisations ou représentants et représentantes de Juifs sionistes, selon les pays, notamment aux États-Unis. ↑
4. Rania Massoud, « En Israël, l'extrême droite rêve tout haut à la recolonisation de Gaza », Radio-Canada, 22 décembre 2023. ↑
5. « Sauf s'asseoir dessus » exprimait le fait qu'on ne peut se reposer sur la force, c'est-à-dire gouverner sans craindre ou risquer des protestations et des contre-réactions à cette violence. ↑
6. L'antisémitisme et le racisme anti-arabe ont décuplé ces derniers mois un peu partout. Voir à ce sujet :Tamara Alteresco, « Montée de l'antisémitisme en France », reportage de Radio-Canada, 6 novembre 2023 ; Oona Barrett, « Comprendre la montée de l'antisémitisme », Pivot, 17 novembre 7. 2023 ; « Deux expertes de l'ONU dénoncent la montée de l'antisémitisme et de l'islamophobie dans le monde », ONU info, 22 décembre 2023. ↑
7. UNRWA : United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East ; en français, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. ↑
8. Human Rights Watch, « République centrafricaine : Des viols commis par des Casques bleus », 4 février 2016, <https://www.hrw.org/fr/news/2016/02...> . ↑
9. Voir un état des lieux par Amnistie internationale ; Voir aussi : AFP et Le Figaro, « Gaza : un émissaire de l'ONU condamne la répression par le Hamas de manifestations », 17 mars 2019. ↑
10. Voir l'analyse d'Edward Saïd, « Au lendemain d'Oslo », 1993, dans lequel il rappelle les conditions pour mettre en œuvre une autodétermination palestinienne, un objectif oublié dans les discours actuels : <https://blogs.mediapart.fr/t-allal/...> . ↑
11. Netanyahou a été désigné comme « le plus grand marchand de peur de l'histoire d'Israël » par le journal Haaretz, qui sous-titre « Comment les tactiques de peur de Netanyahou manipulent les Israéliens », 27 janvier 2024. ↑
12. Laurel Leff, « Comment la Nakba a éclipsé l'Holocauste dans les médias américains depuis le 7 octobre », Haaretz, 10 décembre 2023. ↑
13. Surnom du premier ministre Benjamin Netanyahou. ↑
14. Voir La Paix maintenant, un mouvement extra-parlementaire israélien : <https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Pa...> . ↑
15. Voir Aya Batrawy, « Israeli protesters demand Gaza cease-fire in rare anti-war march through Tel-Aviv », Wamu 88.5, 19 janvier 2024, < https://wamu.org/story/24/01/19/israeli-protesters-demand-gaza-cease-fire-in-rare-anti-war-march-through-tel-aviv/>. ↑
16. Notre traduction. ↑
17. Plus de 80 journalistes sont morts depuis le début des représailles. Voir Yunnes Abzouz et Rachida El Azzouzi, « Journalistes tués en Palestine : comment et pourquoi Mediapart a enquêté », 11 février 2024, <https://www.mediapart.fr/journal/in...> . Une veillée en leur honneur a été organisée le 11 janvier dernier à Montréal par Palestinian Youth Movement avec la participation de plusieurs organisations dont Voix juives indépendantes. ↑

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Ire Conférence Internationale Antifasciste

9 avril 2024, par Laura Sito, Roberto Robaina — , ,
Du 17 au 19 mai 2024 | Porto Alegre/RS, Brésil | Pour une démocratie véritable et contre l'extrême droite Une intense polémique est en cours autour des projets de société. Le (…)

Du 17 au 19 mai 2024 | Porto Alegre/RS, Brésil |

Pour une démocratie véritable et contre l'extrême droite Une intense polémique est en cours autour des projets de société. Le peuple brésilien a vécu la tragédie du gouvernement Bolsonaro, tirant des conclusions sur la nature génocidaire et autoritaire de son projet.Après beaucoup de lutte sociale et politique, nous sommes parvenus à le battre électoralement, bien que ce que nous qualifions de “bolsonarisme” garde, au jour le jour, une force considérable dans la société, au niveau des institutions et de l'État.

2 avril 2024 | tiré du site du CADTM | Site internet : Antifas.org
https://www.cadtm.org/Iere-Conference-Internationale-Antifasciste

De cette expérience traumatisante mais aussi révélatrice, nous avons appris la dimension de la résilience et de la coordination des forces de l'extrême droite dans leur rôle de sauvetage du capitalisme. Une dimension qui entre en résonance avec la coordination internationale des courants néo-fascistes et de l'extrême droite en général, qui s'organisent dans le cadre d'un projet global. Trump sera candidat à la présidence des États-Unis avec des chances réelles d'être élu ; Netanyahou conduit un génocide, dénoncé par la communauté internationale, contre le peuple palestinien. Dans l'Argentine voisine, Milei monte un véritable “laboratoire” pour conduire un plan de guerre contre la classe ouvrière, les secteurs populaires et la jeunesse, et s'emploie à détruire les droits acquis et les conquêtes historiques, tant sociales que démocratiques. A Porto Alegre, une capitale aux fortes traditions et aspirations démocratiques, nous avons voulu créer une expérience d'unité, entre des forces ayant une présence militante et une influence sur la société, sur le terrain électoral et dans le domaine politique et idéologique au sens large, en élisant comme priorité la lutte contre l'extrême droite sur plusieurs fronts, sur la base d'accords importants, dans le respect, bien sûr, des différences,

A l'initiative du PSOL et du PT du Rio Grande do Sul, nous appelons les forces antifascistes internationales à ouvrir un dialogue qui puisse faire face à la destruction promue par les hérauts du conservatisme ultra-libéral, en privilégiant l'unité dans la rue contre toute l'extrême-droite. Porto Alegre a été le cœur de la résistance populaire qui a fait échouer le coup d'État de 1961 et, au début de ce siècle, elle a accueilli le Forum Social Mondial, qui a rassemblé différents espaces de la gauche et des organisations sociales. Des dizaines de milliers de personnes ont participé à ce processus de construction unitaire d'un autre monde.

Au-delà des différents regards portés sur cette expérience, nous voulons faire un pas en avant, un pas nécessaire. Les mobilisations et les grandes luttes sociales contre l'extrême droite et ses projets sont l'autre face de la médaille de la situation internationale. Des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue en Allemagne contre le parti néo-nazi, sur les cinq continents contre le génocide du peuple palestinien et, en Argentine, avec la résistance massive des travailleurs et des secteurs populaires contre Milei. La première grève générale de l'année, en janvier, a donné lieu à une mobilisation nationale massive bien au-delà des centrales syndicales qui l'organisaient, rassemblant différents secteurs de travailleurs, issus des quartiers, des assemblées, de la culture, des médias, de la jeunesse et des travailleurs. Tous, et la gauche dans son large spectre, s'unissant dans la mobilisation, dans un véritable front uni pour vaincre Milei. Cette mobilisation a changé la situation et au bout du compte toutes les lois réactionnaires que Milei voulait imposer sont tombées au Congrès.

C'est sur la base de ces luttes que nous voulons nous coordonner et nous réunir en mai à Porto Alegre, pour organiser et débattre de la manière de mener, dans les rues et dans différents espaces, une lutte capable de vaincre les expressions de l'extrême droite et du fascisme, d'ouvrir la voie à la solidarité entre les peuples en lutte, la défense des droits sociaux et économiques, des libertés démocratiques, de l'environnement, de la science et des arts et contre toutes les formes d'exploitation, de xénophobie et de racisme ou de toute autre forme d'oppression.

Nous appelons toutes les organisations, personnalités, mouvements et acteurs politiques qui le souhaitent à rejoindre, à faire partie de cet espace et de cette initiative !

Laura Sito
Présidente du PT de Porto Alegre

Roberto Robaina
Président du PSOL de Porto Alegre

Économie mondiale, guerres et perspectives des socialistes

9 avril 2024, par David McNally, Tempest Mag — ,
Guerres en Ukraine et en Palestine, hausse des taux d'intérêt, déplacement de la crise économique vers les pays du Sud, stratégie de la Chine et combat entre Trump et Biden, (…)

Guerres en Ukraine et en Palestine, hausse des taux d'intérêt, déplacement de la crise économique vers les pays du Sud, stratégie de la Chine et combat entre Trump et Biden, cet article lie des éléments très variés et interroge l'état du capitalisme et des politiques des classes dominantes.

Tiré de Inprecor 719 - avril 2024
3 avril 2024

Entretien de Tempest avec David McNally

Vladimir Poutine et Xi Jinping en 2019. © Kremlin.ru, CC BY 4.0

Nous aimerions connaître votre point de vue sur la situation économique mondiale actuelle, en particulier sur le cycle économique, la réponse à la crise de 2007-2009, la période post-Covid et le passage à l'ère de « l'argent facile ». Quel est votre point de vue sur la situation actuelle ? À quel point sommes-nous proches d'une récession mondiale ?

Ceux et celles d'entre nous qui pensaient que la crise mondiale de 2007-2009 était un tournant dans l'évolution de l'économie mondiale ont eu raison. Mais je pense que la plupart d'entre nous (et certainement moi-même) avons sous-estimé à quel point les classes dirigeantes allaient opérer un virage incroyablement radical vers des mesures de relance de type keynésien et à quel point tous leurs préceptes néolibéraux contre les dépenses déficitaires allaient s'envoler face au risque d'effondrement du système financier mondial.

Rappelons que les sept principales banques de Wall Street ont été menacées d'effondrement en 2008-09 et que la question de savoir si elles pourraient être sauvées a suscité un véritable traumatisme dans les rangs de la classe dirigeante. Une fois que cela s'est produit, je pense que les meilleurs commentateurs ont compris qu'en réalité le néolibéralisme était fondamentalement lié à une réorganisation du pouvoir de la classe dominante et beaucoup moins à un engagement idéologique ferme de ne jamais générer de déficits et de ne jamais s'endetter.

En d'autres termes, pour préserver la configuration existante du pouvoir de classe qui caractérise le néolibéralisme (basé sur des syndicats affaiblis, des mouvements sociaux décimés et une rentabilité restaurée), ils peuvent injecter des quantités sans précédent de liquidités dans le système, creusant ainsi d'énormes déficits.

Tout en stabilisant le système, les politiques de relance annulent essentiellement les mécanismes de régénération inhérents au capitalisme. Classiquement, le système a utilisé les récessions profondes pour éliminer les capitaux les moins efficaces de l'économie et ouvrir ainsi la voie à une nouvelle vague de restructurations, d'innovations technologiques, de réorganisations managériales et de concentrations de capitaux beaucoup plus importantes qui permettent une nouvelle phase d'expansion.

Nous n'avons pas assisté à un nouveau boom. Ce que nous avons vu, en revanche, c'est un effort concerté de la part des banques centrales du monde entier pour bloquer le passage à une dépression généralisée. Il faut le reconnaître, elles l'ont évitée. Mais l'une des questions qui se posent alors est la contradiction entre l'arrêt d'une récession (et d'une récession très profonde) et le blocage du mécanisme de restructuration du capitalisme. Parce que de cette manière, ils n'ont pas éliminé du système les capitaux les moins productifs.

La plupart des commentateurs s'accordent à dire qu'un nombre important d'entreprises du Nord sont devenues « zombies », c'est-à-dire ne sont pas rentables. Mais lorsque l'argent était effectivement disponible auprès des banques centrales, elles pouvaient emprunter pour rester en vie. Elles pouvaient contracter des crédits à 1,5 % et les revendre à 3,5 %, donc afficher des bénéfices financiers même si leurs activités principales ne rapportaient pas d'argent.

Nous n'avons donc pas connu la restructuration profonde et prolongée que les États-Unis ont connue au début des années 1980, lorsque des aciéries, des usines automobiles, des usines de matériel électrique, de caoutchouc et de pièces détachées ont fait faillite à grande échelle. Cette période a été marquée par une restructuration technologique très importante qui a permis l'expansion néolibérale pendant les 20 ou 25 années suivantes.

Nous n'avons pas vu ce type de restructuration au lendemain de la crise de 2008-09. Au lieu de cela, nous avons maintenant un capitalisme qui a évité une énorme catastrophe, mais qui l'a fait au détriment de son propre dynamisme. Mais maintenant, les banques centrales ont augmenté les taux d'intérêt afin de réduire l'inflation, et c'est ce que nous avons vu au cours des 18 à 24 derniers mois.

Nous devons nous demander quels ont été les résultats de ces mesures. Ce n'est pas la peur de l'inflation en général qui a justifié l'augmentation des taux d'intérêt. Ce que les capitalistes craignaient, c'était plutôt une hausse des salaires. Ils craignaient une vague de grèves et d'efforts de syndicalisation pour rattraper ce que les travailleurs avaient perdu à cause de la hausse des prix.

Si l'inflation atteint 6 %, 8 % ou 10 % par an (en particulier pour les denrées alimentaires, le prix de l'essence et les loyers), et si les travailleurs sentent que leur pouvoir de négociation s'est renforcé, ils font pression pour combler cet écart. C'est ce qui s'est passé à la fin des années 1960 et dans la première moitié des années 1970, lorsque les grèves se sont multipliées, en particulier dans les pays occidentaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et dans les pays du Nord, mais aussi dans des régions importantes du Sud.

Les classes dirigeantes étaient donc très préoccupées par les soi-disant faibles chiffres du chômage et par le problème du « taux de démission » – quand les travailleurs se sentent suffisamment confiants pour quitter un emploi faiblement rémunéré à la recherche d'un autre travail. Elles craignaient que cela donne à la classe ouvrière, même aux États-Unis, le sentiment qu'elle pouvait négocier individuellement avec les employeurs, en quittant un emploi faiblement rémunéré pour un autre légèrement meilleur. Mais ce qui les préoccupait le plus, c'était que les travailleurs pouvaient négocier et agir collectivement.

Ils savaient qu'il y avait une nouvelle vague de syndicalisation chez Apple, Amazon, Starbucks et ailleurs, en particulier chez les jeunes travailleurs. Ils savaient également qu'ils risquaient d'être confrontés à une grève du syndicat des travailleurs unis de l'automobile (UAW) aux États-Unis, comme ce fut le cas.

La Réserve fédérale américaine (FED) s'était préparée à cette éventualité. Les rapports de la FED sont incroyablement honnêtes sur le fait que ce qui les préoccupait le plus était le taux d'emploi « figé ». Ils voulaient faire baisser le taux d'emploi – en d'autres termes, faire monter le taux de chômage pour créer un plus grand sentiment d'insécurité et contenir la vague de campagnes syndicales et de grèves en cours.

La soi-disant guerre contre l'inflation était une attaque préventive contre une explosion des salaires qui aurait été provoquée par la syndicalisation et une vague de grèves bien plus importante que celle que nous avons connue, même si elle n'est pas négligeable, en Grande-Bretagne, en France, en Inde, en Argentine, aux États-Unis, etc.

Mais en augmentant les taux d'intérêt, ils ont créé une situation difficile : de plus en plus d'entreprises zombies sont aujourd'hui dans une situation très précaire. Le taux de faillite des entreprises a commencé à croitre, mais on n'a pas encore assisté à une purge massive du système, car on a évité une récession profonde. Si la demande chute, les entreprises les plus vulnérables seront en grande difficulté. Le système financier sera confronté à des défis croissants en raison des créances douteuses.

De plus, la hausse des taux d'intérêt a déplacé la crise vers le Sud. Nous nous trouvons à nouveau dans une situation où une cinquantaine de pays du Sud risquent de se retrouver en défaut de paiement, du fait de leur simple incapacité à payer : pour rembourser les emprunts contractés à 2 %, ils ont dû emprunter à 5 % ou 6 %. En dehors de la répudiation de la dette, leur seule option est de s'engager plus avant dans la voie de coupes sombres dans les budgets des soins de santé, de l'éducation, des subventions aux carburants, etc.

Au cours de l'année prochaine, nous pourrions assister à diverses révoltes dans certaines régions du Sud – du Nigeria au Pakistan – où le fardeau de la dette devient tellement insoutenable. Soit la lutte contre l'austérité y entraînera des bouleversements sociaux, soit ces pays devront se mettre en défaut de paiement et probablement négocier des accords draconiens avec le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et d'autres bailleurs de fonds mondiaux.

Il s'agit d'une guerre des classes menée par les banques centrales et déguisée en lutte anti-inflationniste. Elle a placé les secteurs les plus vulnérables de l'économie mondiale sous la menace d'une crise de la dette. Ce scénario se déroulera de manière très spectaculaire au cours des douze prochains mois.

Bien entendu, tout cela signifie également que les puissances impériales dominantes intensifieront leur lutte pour la suprématie. On oublie souvent que l'impérialisme consiste en partie à détourner les effets de la crise mondiale d'un bloc à l'autre. Une bonne partie de la stratégie américaine consiste précisément à détourner la crise vers la Chine, la Russie et ceux qui se trouvent dans leur orbite.

Aujourd'hui, les conflits entre impérialistes s'intensifient. La longue et pénible guerre en Ukraine en est l'expression. Bien qu'elle soit fondée sur une résistance légitime du peuple ukrainien à l'occupation étrangère, la guerre est également imprégnée d'un conflit entre impérialismes.

Les marxistes comprennent classiquement qu'il peut y avoir une guerre à plusieurs niveaux, dans laquelle coexistent différents antagonismes. Ce à quoi nous assistons en Ukraine, c'est une rivalité inter-impérialiste qui se superpose à une guerre de type colonial menée par la Russie contre le peuple ukrainien.

Cette situation est révélatrice des fractures croissantes du système mondial. On pourrait facilement oublier que le plan de jeu néolibéral était l'intégration de la Chine dans l'ordre capitaliste mondial. Les classes dirigeantes occidentales ont poursuivi cet objectif avec vigueur pendant un quart de siècle. Ce processus s'est maintenant considérablement ralenti en raison des effets de la crise de 2007-2009.

Nous sommes passés de l'intégration à la désintégration. Nous sommes passés de la coopération à la rivalité.

Pensez-vous que la classe dirigeante américaine, représentée par la Banque centrale, a réussi, étant donné qu'elle a été guidée par la question de l'inflation des salaires et du marché du travail ? Le marché du travail se développe toujours très rapidement. Il n'est pas certain qu'ils aient réussi à faire baisser les salaires. Les germes du militantisme ouvrier persistent. Et en ce qui concerne la question de la rivalité entre impérialismes en général, la crise en Chine a entraîné un recul de l'initiative de la « route de la soie », un recul de ses efforts pour proposer d'autres offres de crédit. Comme nous l'avons vu au Sri Lanka, cela peut aggraver la dynamique de la dette.

Il est intéressant de noter que les États-Unis ont fait baisser les chiffres de l'inflation de base. Mais je ne pense pas qu'ils aient entamé de manière significative l'esprit de combativité des classes populaires, en particulier des jeunes travailleurs/ses dans les grandes villes multiraciales.

L'une des ironies de ce moment est que la prolifération des conflits politiques, en particulier en Palestine, se répercute sur les lieux de travail, en particulier chez les jeunes travailleurs/ses. Je parlais récemment avec Kim Moody de la façon dont les jeunes militant·es et organisateurs de la fin des années 1960 et des années 1970 ont ramené le Vietnam sur le lieu de travail. L'humeur de défi envers la classe dirigeante à propos de la guerre du Vietnam a fait partie de la radicalisation d'une couche de jeunes travailleurs/ses sur le lieu de travail.

Je pense que le mouvement mondial pour la justice en Palestine va se dérouler de la même manière. Des millions de jeunes travailleurs/ses sont complètement déconnectés de la classe dirigeante au sujet de la Palestine. Cela les met dans un esprit d'opposition et crée un schéma similaire à celui décrit par Rosa Luxemburg à propos de l'interaction des dynamiques politiques et économiques. Dans ce scénario, même si un niveau de lutte commence à s'atténuer légèrement, l'autre dimension (dans ce cas, la politique) aura un effet de rétroaction et alimentera de nouveaux types de conflits économiques, de confrontations, de campagnes d'organisation, etc. Nous ne sommes pas dans une vague de grèves de masse, bien sûr, mais il y a une combativité revigorée.

Les capitalistes ont singulièrement échoué à stopper le sentiment général d'opposition parmi les jeunes travailleurs/ses, en particulier sur les lieux de travail. Bien que je mette l'accent sur les jeunes, parce qu'il y a là un foyer de défiance, l'agitation ouvrière peut très rapidement prendre de l'ampleur parmi une couche plus âgée de travailleurs/ses, comme nous l'avons vu lors de la grève de l'UAW, malgré toutes ses fluctuations.

Je vis et travaille actuellement au Texas. Des usines General Motors et des usines de pièces détachées y ont fait grève, avec des piquets de grève très solides. Cela nous dit quelque chose. La défiance des travailleurs se poursuit même en dehors des centres d'organisation des jeunes travailleurs dont je parlais. Je ne pense donc pas que la classe dirigeante ait réussi à atténuer les attitudes d'opposition parmi les travailleurs.

En ce qui concerne la Chine, on assiste à ce que l'on pourrait appeler une reconsolidation de la stratégie du bloc impérial. Outre les mesures qui visent à renforcer la protection des États nord-américain et chinois, on assiste également à un recul de certains efforts visant à intégrer d'autres États. Lorsque les taux de croissance étaient élevés, lorsque la Chine était au premier rang mondial en termes de taux d'investissement et de croissance de la production, ses dirigeants pouvaient se permettre d'expérimenter un certain nombre d'initiatives pour voir ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas.

Maintenant que son taux de croissance baisse, il n'est pas certain que la Chine puisse éviter une crise majeure dans le secteur de l'immobilier. Il y a une énorme suraccumulation dans le secteur du logement en Chine, qui ne s'est pas encore résorbée, et il n'est pas certain qu'elle puisse la contenir. Cela ne signifie pas que la classe dirigeante chinoise va se replier sur une sorte d'isolationnisme autarcique. Mais elle consolide, retranche et redéfinit les priorités de ses politiques d'investissement en dehors de la Chine. Il ne s'agit pas d'une démarche purement économique. Elle décide également quels sont les investissements géopolitiques et militaires qui valent la peine d'être réalisés et quels sont ceux qui peuvent être suspendus.

L'initiative de la « route de la soie », par exemple, est en train d'être ralentie. Une façon de comprendre la classe dirigeante chinoise est de réfléchir au conflit qui oppose les Démocrates de Biden, d'une part, et les Républicains, d'autre part, en ce qui concerne le niveau approprié de dépenses militaires, diplomatiques et de politique étrangère à l'échelle mondiale. Biden continue de faire pression pour que les États-Unis dépensent beaucoup d'argent afin d'assurer leur hégémonie mondiale, mais une grande partie des Républicains, influencée par le semi-isolationnisme de Trump, souhaite un repli sur soi.

Aux États-Unis, cette situation s'est jouée en grande partie entre les deux partis au Congrès. Mais en Chine, elle s'est jouée à l'intérieur du seul parti au pouvoir. En d'autres termes, il existe différents courants et factions qui tentent actuellement de résoudre leurs différends. Je pense qu'ils sont en train de se retrancher, mais ils ne vont pas reculer sur l'augmentation des dépenses militaires. Je ne pense pas qu'ils reviendront sur leur soutien tacite à Poutine en Ukraine. Ils ne reculeront pas non plus sur Taïwan.

Ils discutent au sein de leurs cercles dirigeants des positions qu'ils considèrent comme des initiatives extravagantes chez leurs concurrents étrangers. Cela correspond également à la tendance générale aux États-Unis. Lorsqu'il y a un seul parti au pouvoir, comme en Chine, les changements se produisent sans qu'il y ait de débat ouvert du type de celui que nous observons au sein de la classe dirigeante étatsunienne.

Je pense que l'axe de la rivalité entre les États-Unis et la Chine va non seulement se poursuivre tout au long de cette période, mais qu'il va rester très marqué. Nous avons vu les prémices du passage de l'intégration à la rivalité après la crise de 2007-2009, mais il s'est fortement accentué depuis 2016.

Jusqu'à quel point pensez-vous que les blocs impériaux sont consolidés ? Pensez-vous que la Russie est plus engagée, peut-être par nécessité, dans un modèle autarcique parce qu'elle est soumise à une telle pression ? Dans quelle mesure la Russie est-elle un acteur indépendant, compte tenu de sa tentative d'affirmer son pouvoir régional dans le cas de l'Ukraine, de ses menaces à l'égard de la Finlande, etc. Dans quelle mesure considérez-vous que la Russie devrait rendre des comptes aux Chinois ?

Je pense que nous avons besoin d'une analyse beaucoup plus approfondie du dynamisme interne des blocs impériaux. Nous avons tendance à penser qu'un seul État dicte sa loi, mais je pense que c'est beaucoup plus complexe que cela. Les partenaires juniors au sein d'un bloc impérial peuvent parfois exercer un degré d'autonomie plus important que nous ne l'imaginons souvent. Ils n'écrivent pas le scénario, ce n'est pas ainsi que fonctionne le pouvoir mondial. Mais la puissance dominante au sein du bloc doit s'accommoder des autres puissances.

Un bloc impérial comprend des puissances régionales qui ont leurs propres aspirations. La puissance dominante a besoin de son influence régionale et doit souvent accepter des actions qui ne sont pas entièrement dans son intérêt. Par exemple, la Chine n'envoie pas de troupes en Europe de l'Est, pas plus que l'armée étatsunienne ne va envoyer 100 000 soldats à Gaza et en Palestine occupée. Mais ils permettent à des puissances sous-impérialistes de le faire.

Les puissances régionales qui ont besoin du parapluie de la plus grande puissance impérialiste agissent elles-mêmes avec une grande autonomie, et particulièrement en ce moment. À l'heure actuelle, Poutine ne peut pas se permettre de faire marche arrière sur l'Ukraine. C'est une simple réalité. Une défaite en Ukraine est une sortie de route pour Poutine et sa section de la classe dirigeante. Ils se souviennent de ce qui s'est passé lorsque la Russie a perdu une guerre contre le Japon en 1905 et de la façon dont cela a fait éclater le tsarisme et ouvert les vannes de la révolution de 1905. Ils se souviennent des leçons de la Première Guerre mondiale : tous les belligérants perdants ont été secoués par des soulèvements de la classe ouvrière impliquant des soldats et des marins à très grande échelle.

Poutine a besoin de persévérer en Ukraine. La Chine a besoin de l'alliance avec la Russie de Poutine parce que Poutine correspond à une stratégie pour contenir l'OTAN. Sans Poutine, les dirigeants chinois craignent que l'OTAN déferle sur l'Europe de l'Est. L'État chinois laisse donc beaucoup de latitude à Poutine pour poursuivre une guerre contre l'Ukraine qui n'offre pas grand-chose à la Chine elle-même.

Je dirais que des éléments de cette dynamique sont en jeu au Moyen-Orient. Il ne fait aucun doute qu'Israël est totalement dépendant de l'aide étrangère et en particulier de l'aide militaire des États-Unis. Il a besoin de l'autorité mondiale des États-Unis auprès de l'Égypte, de l'Arabie saoudite et d'autres États du Golfe pour ses projets à long terme. Il dépend donc du gouvernement étatsunien. Mais les États-Unis veulent exercer une influence territoriale et empêcher les soulèvements anti-impérialistes dans la région. En même temps, ils préfèrent limiter leurs propres interventions directes. Il vaut mieux laisser les mandataires régionaux faire le sale boulot. Ainsi, l'Arabie saoudite et Israël – surtout Israël – ont toute latitude pour faire ce qu'ils jugent nécessaire. Les États-Unis peuvent essayer de contraindre les États alliés de la région, de les influencer et de faire pression sur eux. Mais comme ils ont besoin de ces puissances en tant que forces de police régionales pour l'empire, ils leur laissent une grande marge de manœuvre. C'est la doctrine Kissinger, en vigueur depuis longtemps, après la défaite des États-Unis au Vietnam.

Nous devons reconnaître que les blocs impérialistes sont dynamiques et que les pays secondaires au sein d'un bloc peuvent exercer une autonomie régionale très importante tout en menant des stratégies qui, souvent, ne sont pas identiques à celles du grand patron qui domine le bloc.

Je pense qu'il y a eu une période où la Chine espérait un règlement négocié en Ukraine. Elle pensait qu'il était dans son intérêt d'être perçue comme une puissance capable de parvenir à un règlement. N'y parvenant pas, elle a décidé de s'accommoder d'une guerre permanente.

Je pense que les États-Unis souhaitent sincèrement une pulvérisation moins destructrice de la population de Gaza à l'heure actuelle. Je ne pense pas qu'ils l'obtiendront. Ils le savent probablement et vont s'en accommoder. Ces tensions vont perdurer.

Ce qui est intéressant, c'est qu'il n'y a pas de puissances hégémoniques qui ont le même type d'influence au sein de leur bloc que celle que la Russie et les États-Unis avaient en 1948. Ils ne dominent pas de la même manière. Nous allons donc assister à des tensions parfois beaucoup plus manifestes à l'intérieur des blocs, même si cela ne signifie pas que les blocs vont voler en éclats.

Les tensions dont vous parlez, au Moyen-Orient, se manifestent certainement entre l'Iran et l'Arabie saoudite. Les États du Golfe affirment leur pouvoir de manière indépendante. Les administrations étatsuniennes successives, et peut-être encore maintenant, ont œuvré à renforcer la stabilité régionale et à normaliser les relations avec Israël, et surtout avec l'Arabie saoudite. Il semble que cela ait été en partie à l'origine de l'attaque du 7 octobre et que cela ait eu un impact, au moins momentané, sur ce processus. Quelle est votre évaluation de ce que le 7 octobre a signifié pour cette dynamique – ou est-il trop tôt pour le dire ?

Il est trop tôt pour le dire. Nous sommes en plein dedans. De très nombreux facteurs peuvent encore entrer en jeu. Nous ne devons pas sous-estimer ce que cela signifierait d'avoir un mouvement mondial de solidarité avec la Palestine capable d'une mobilisation du même type et du même niveau que le mouvement contre la guerre du Vietnam pendant des années.

Nous n'en sommes pas encore là. Mais si nous y parvenons, ce mouvement deviendra un facteur indépendant dans l'établissement d'une sorte de bilan. Un tel mouvement de masse pourrait devenir un facteur très important.

Je ne pense pas que tout ce qui s'est passé autour du 7 octobre ait été dicté par la dynamique régionale et mondiale. Il s'agit d'un facteur, sans aucun doute important, mais nous devons comprendre comment le Hamas a fait face à un dilemme auquel l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait été confrontée auparavant.

De nombreuses personnes ont récemment lu, à juste titre, le livre de Tareq Baconi sur le Hamas, son titre est significatif : l'enfermement du Hamas (1) . Baconi a esquissé un scénario dans lequel le Hamas risquait de devenir un pouvoir administratif croupion à Gaza, enfermé, restreint, par l'occupation et administrant essentiellement l'austérité locale. Il n'était pas encore dans la situation dans laquelle Yasser Arafat, de l'OLP, s'était retrouvé, littéralement enfermé et encerclé par les Forces de défense israéliennes (FDI). Mais le Hamas a compris ce risque.

Si vous ne pouvez pas vous présenter comme une force de résistance à l'occupation des terres palestiniennes, vous devenez avec le temps un administrateur de l'occupation. Je pense que c'est en grande partie la motivation du 7 octobre, une tentative de restaurer l'idée de résistance.

Je tiens pour acquis que le Hamas ne représente pas la politique de libération palestinienne à laquelle nous aspirons. La politique, les stratégies politiques et la formation idéologique du Hamas sont étrangères à celles de la gauche socialiste révolutionnaire. Il ne représente pas une résistance authentique, mais c'est une force réelle et elle devait faire quelque chose.

En ce qui concerne le contexte régional, l'Arabie saoudite en particulier s'est réconciliée avec le statu quo. L'Arabie saoudite s'oriente vers un accommodement avec Israël, sous l'impulsion des États-Unis, à cause de l'Iran. Elle craint que l'Iran ne soit une force déstabilisatrice hostile à la puissance des États du Golfe dans la région.

Mais en fin de compte, nous devons comprendre que l'État israélien a démontré qu'il n'avait aucun intérêt à négocier avec les représentants du peuple palestinien. Récemment, Netanyahou a déclaré ouvertement et sans ambages qu'il était totalement opposé à toute forme d'État palestinien parcellaire et fractionné. Suggérer que les objectifs du processus de paix d'Oslo représentent un risque énorme pour le projet sioniste est à la limite de la folie. Les accords d'Oslo ont été une victoire pour les États-Unis et Israël. Néanmoins, l'idéologie dominante de la droite israélienne y voit des concessions excessives aux Palestiniens.

Même si la dynamique régionale a joué un rôle important dans les événements du 7 octobre, nous ne devons pas perdre de vue que tant qu'il n'y aura pas de mouvement en faveur d'une souveraineté palestinienne, même semi-raisonnable, il y aura de la résistance. Malheureusement, cette résistance ne prendra pas toujours la forme que la gauche socialiste souhaiterait. Mais elle se produira d'une manière ou d'une autre.

Quel est votre point de vue sur l'état de la résistance et du mouvement au niveau international ? C'était extraordinaire de voir le mouvement palestinien aux États-Unis réapparaître en ce moment. Lorsque l'on voyage à travers le monde, on a l'impression que les gens regardent le mouvement aux États-Unis et voient son importance, notamment en raison du rôle du gouvernement étatsunien vis-à-vis d'Israël. Depuis le lancement du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) en 2005, le mouvement palestinien a toujours été confronté à une hostilité flagrante. Aujourd'hui, il est confronté à la répression et à une forme plus extrême de maccarthysme que ce que nous avons vu dans ce pays depuis des décennies. Quelle est votre évaluation de l'évolution du mouvement palestinien, de ses contours politiques et des défis auxquels il est confronté ?

La vague d'attaques maccarthystes que nous avons observée sur les campus, à Hollywood et ailleurs est de mauvais augure, mais elle ne durera pas. Cela ne veut pas dire que ces attaques ne sont pas dangereuses. Mais je crois que la répression surcompense la faiblesse idéologique. Israël et les États-Unis sont confrontés à une crise de légitimité à propos de la Palestine. Il y a là les ingrédients d'un mouvement comme pour le Vietnam, une série d'éléments qui pourraient créer une énorme rupture sociale aux États-Unis et au-delà.

D'un point de vue symptomatique, ils se manifestent de manière très simple. Commençons par l'ampleur de la mobilisation. Je participe à des manifestations depuis plus de 50 ans. En novembre dernier, j'ai participé à la plus grande de ma vie. J'ai marché avec au moins 600 000 personnes à Londres lors de la marche de solidarité avec la Palestine. Certains organisateurs disent qu'ils étaient 800 000. Rien que cela nous dit quelque chose.

Des dizaines de collaborateurs du président Biden ont tenu un piquet de grève à la Maison Blanche, portant des masques et protestant contre le soutien des États-Unis à la guerre contre Gaza. Des employés du Programme alimentaire mondial ont écrit à leur patron, un important politicien américain, pour protester contre la guerre à Gaza. Des journalistes de la BBC ont écrit une lettre ouverte dénonçant la partialité de la BBC envers les Palestinien·nes.

La guerre n'a commencé que depuis quatre mois. Des syndicats importants, comme ceux des travailleurs de l'automobile et des postiers aux États-Unis, se sont prononcés en faveur d'un cessez-le-feu. Il avait fallu cinq ou six ans pour qu'un grand syndicat se prononce contre la guerre au Vietnam. Tout cela témoigne d'une énorme fracture dans l'hégémonie du sionisme.

C'est l'une des raisons pour lesquelles les forces pro-israéliennes sont si furieuses en ce moment. Elles savent notamment qu'elles perdent le soutien de la jeunesse juive. Et le rôle d'organisations comme Jewish Voice for Peace (JVP) a été énorme à cet égard. Nous assistons à une rupture générationnelle du type de celle que nous avons connue avec le Vietnam.

Il y a littéralement des millions de jeunes qui sont complètement opposés à la position de leur propre gouvernement. Comme indiqué précédemment, cette rupture se reflète même à des niveaux institutionnels assez élevés : la Maison Blanche avec les collaborateurs de Biden, le Département d'État et le Programme alimentaire mondial. Il s'agit de ruptures importantes qui se produisent beaucoup plus tôt en comparaison avec la guerre du Vietnam. Cela s'explique en partie par les campagnes que les militant·es de la solidarité avec la Palestine mènent depuis des années pour mettre en place la campagne BDS, les organisations étudiantes pour la justice en Palestine sur les campus et d'autres encore.

Nous avons assisté à une sorte de changement progressif qui s'accélère maintenant dans le contexte d'un génocide. C'est un énorme problème pour la classe dirigeante. Biden utilise aujourd'hui un mot que le New York Times a tenté d'interdire il y a 30 ans, lorsque Thomas Friedman (entre autres) a inséré le terme « sans discernement » dans un article du New York Times sur le bombardement du Liban. Les rédacteurs en chef ont alors biffé ce terme. Ils n'ont pas voulu le laisser paraître dans le journal. Aujourd'hui, Biden utilise ce terme.

C'est parce qu'ils lisent les sondages et qu'ils savent qu'ils perdent les jeunes et les Arabes-Américains en particulier. Je pense que si quelque chose doit compromettre la réélection de Biden, ce sera la Palestine. La perte des jeunes et des Arabes-Américains va vraiment les frapper de plein fouet.

Rappelons que les manifestations de Chicago en 1968 ont eu lieu lors de la convention nationale du Parti démocrate. Les mouvements sociaux se mobilisaient contre un président du Parti démocrate qui menait une guerre impériale au Vietnam. Au moins dans un premier temps et sans le savoir, les Démocrates de Biden ont réactivé cette dynamique en soutenant le génocide à Gaza. Aujourd'hui, ils commencent à avoir une idée de ce qu'ils ont déclenché. Le problème auquel ils sont confrontés est que lorsque les deux principaux partis politiques sont en complet décalage avec la position de millions de jeunes sur la guerre, cela crée un énorme espace social et politique. Les mouvements sociaux ont essentiellement comblé ce vide dans les années 1960 et au début des années 1970.

Mais les mouvements sociaux dont nous disposons actuellement ne sont pas encore à la hauteur de la tâche. Nous aurons besoin de beaucoup plus d'organisations de masse. Et si ce mouvement se poursuit – nous ne savons pas s'il le fera – je pense qu'il est possible que nous soyons en présence d'une mobilisation sociale pluriannuelle autour de la Palestine. Des documents internes indiquent que le cabinet de guerre israélien veut encore un an de conflit à Gaza. Ils ne l'obtiendront peut-être pas, mais ils discutent ouvertement de l'expulsion de plus de deux millions de personnes vers la péninsule du Sinaï ou même vers le Sud-Liban. Quoi qu'il arrive, une vague d'épidémies frappera Gaza dans les mois à venir. Lorsque vous détruisez le système d'approvisionnement en eau et les infrastructures de santé, c'est ce qui se produit.

Il se pourrait donc que nous soyons confrontés à une période beaucoup plus longue de mobilisation mondiale de solidarité avec la Palestine. Si cela est vrai, nous devons alors réfléchir à ce à quoi ressemble l'organisation d'un mouvement social sur une période de plusieurs années, comme c'est le cas pour le mouvement des droits civiques, par exemple. S'il est vrai que Martin Luther King occupait encore une position très importante sur la scène nationale au sein de la Southern Christian Leadership Conference (SCLC), King et la SCLC ne menaient pas la danse sur le terrain au milieu des années 1960. C'est le Comité de coordination des étudiants non violents (Student Nonviolent Coordinating Committee) qui a commencé à stimuler l'activisme des jeunes : le Freedom Summer (l'été de la liberté), les campagnes d'inscription sur les listes électorales, etc. Le SDS (Étudiants pour une société démocratique) a connu une croissance fulgurante. Tous deux ont été les pivots de l'organisation de la lutte pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam. L'initiative s'est ensuite déplacée pendant un certain temps vers le Congrès pour l'égalité raciale, qui est devenu un élément central de l'organisation.

En d'autres termes, le mouvement doit réinventer les formes d'organisation au fur et à mesure qu'il avance. Nous ne devrions pas supposer que les structures d'organisation actuelles sont gravées dans le marbre. À un moment donné, si le mouvement prend de l'ampleur, il sera possible – et nécessaire – de mettre en place un cadre général réunissant les syndicats, les organisations religieuses, les groupes d'étudiants, les universitaires dissidents et les organisateurs de mouvements sociaux dans le cadre de nouvelles modalités d'organisation.

Je l'ai déjà remarqué à Toronto. Au début, une grande partie de l'organisation du travail de solidarité avec la Palestine était essentiellement menée par une organisation de jeunes. Mais rapidement, une coalition de syndicats, d'organisations de défense de la justice pour les migrants, d'organisations universitaires, d'organisations religieuses et de groupes d'artistes a vu le jour. En conséquence, les manifestations à Toronto sont passées de 5 000 à 50 000 personnes parce que ce nouveau cadre d'organisation s'est mis en place. Il y a toutefois des problèmes, notamment parce que les dirigeants syndicaux aiment souvent contrôler les choses dans les coulisses.

Tel sera le défi à relever. Pouvons-nous, au cours des prochains mois, commencer à envisager, à élaborer des stratégies et à contribuer à la mise en place de structures et de cadres d'organisation nouveaux et plus larges pour les campagnes ? Si nous y parvenons, il y a potentiellement un mouvement de millions de personnes à construire dans un pays comme les États-Unis.

Les ingrédients clés sont déjà présents dans un pays comme la Grande-Bretagne. Comme je l'ai dit, j'ai défilé avec 600 000 personnes ou plus à Londres. D'énormes marches ont eu lieu à Manchester, à Glasgow et ailleurs dans le pays le même jour. Nous sommes potentiellement revenus à ce niveau d'organisation anti-guerre.

Même si je pense qu'il y a d'énormes défis à relever en raison de l'épuisement de nos infrastructures de dissidence après des décennies de néolibéralisme, nous devons également nous rappeler que les mouvements qui ont reconstruit une gauche dans les années 1960 aux États-Unis sortaient du maccarthysme. Ils sortaient de l'écrasement de la gauche précédente. Il est donc possible de reconstruire et de réinventer, mais c'est là tout le défi.

Je ne veux pas donner l'impression de minimiser les difficultés. Elles sont réelles. Mais je ne veux pas non plus que l'on sous-estime les possibilités d'une organisation de masse à l'instar de ce qui s'est passé avec Black Lives Matter (BLM) lors du soulèvement pour George Floyd. Bien sûr, cela a été trop bref pour que de nouvelles organisations de masse se développent à grande échelle.

La lutte en Palestine ne sera peut-être pas déviée comme l'a été le soulèvement de BLM, en partie parce que le Parti démocrate a mis fin au soulèvement de BLM. Barack Obama a parlé à LeBron James et a encouragé les basketteurs à mettre fin aux grèves des athlètes. Ils ne voulaient plus d'arrêts de travail, de peur que cela ne nuise à la campagne présidentielle de Joe Biden. Ils ont obtenu la fin des grèves en échange de la promesse que les stades de basket seraient utilisés comme sites d'inscription sur les listes électorales.

Les Démocrates ne peuvent pas faire cela maintenant sur la question de la Palestine. Ils ne peuvent pas envoyer Obama ou Biden ou n'importe quel Démocrate pour tuer le mouvement maintenant. Les enjeux d'un génocide sont trop importants. L'une des discussions stratégiques dont nous aurons besoin au cours des prochains mois au sein de la gauche américaine portera sur la manière dont nous pouvons commencer à créer des cadres plus larges pour la solidarité et la mobilisation en faveur de la Palestine. Les opportunités sont là.

Le Parti démocrate est discrédité au moment même où l'extrême droite connaît une résurgence au niveau international et national. Le discrédit et l'affaiblissement du soutien à Biden sont en fait antérieurs au 7 octobre et au soutien manifeste des Démocrates au génocide. Mais l'extrême droite a pu, à bien des égards, se présenter comme un contre-pouvoir hégémonique pour répondre au problème du « marécage » de l'establishment. Il ne s'agit pas seulement de Trump, mais aussi de Javier Milei en Argentine. Partout, l'extrême droite se présente de cette manière, ce qui n'est pas le cas de la gauche à bien des égards.

Vous avez tout à fait raison de le souligner. L'initiative politique, en particulier dans l'arène électorale, a été le fait de la droite et, dans certains cas, de l'extrême droite, ce qui est effrayant. Il serait désastreux pour chacun d'entre nous, au sein de la gauche socialiste, de sous-estimer cet état de fait. Car ce qu'ils essaient de faire, et dans certains cas ils y parviennent avec un certain succès, c'est de déplacer la colère de la classe ouvrière, de la classe des patrons vers les couches socialement opprimées de la classe ouvrière.

Cette dynamique nous est familière. Nous pouvons remonter aux grands écrits des années 1970, comme Policing the Crisis de Stuart Hall avec un certain nombre de coauteurs, qui nous dit en substance : « Écoutez, ils présentent la crise économique du capitalisme comme une crise de la sécurité personnelle et du maintien de l'ordre. Ils ciblent les personnes de couleur comme cause de la crise sociale. Et si nous n'avons pas de parade à cela, nous sommes en mauvaise posture » (2) .

Une partie du problème réside dans l'érosion des anciennes formes de solidarité de classe. Dans certains cas, elles ont été détruites par les institutions. Et nous devons toujours nous rappeler que le néolibéralisme dépend d'une série de défaites infligées aux organisations de la classe ouvrière.

En Grande-Bretagne, Margaret Thatcher savait que le National Union of Mine Workers devait être vaincu dans l'intérêt du néolibéralisme. Pour briser la politique de solidarité de la classe ouvrière, il fallait écraser les mineurs. En Bolivie, les néolibéraux savaient qu'il s'agissait des mineurs d'étain, peut-être le syndicat le plus militant d'Amérique du Sud. En 1985, des milliers d'entre eux qui participaient à une marche ont été confrontés à l'armée et vaincus.

À un niveau moins dramatique, mais tout aussi significatif sur le plan social, la grève des contrôleurs aériens a été brisée par Ronald Reagan aux États-Unis. Une fois que les organisations et les syndicats qui constituent le fondement institutionnel de la solidarité de la classe ouvrière sont détruits ou gravement affaiblis, les gens ont tendance à se rabattre sur des stratégies de survie individuelles, à moins qu'une autre forme d'organisation de gauche ne vienne combler le vide. Et cela induit la concurrence et la rivalité, plutôt que la coopération et la solidarité.

L'extrême droite continue de tirer parti de ce fait. Son message est le suivant : si vous voulez une stratégie de survie individuelle, nous allons vous élever au-dessus de ces « inférieurs », qui ont bénéficié de l'aide des élites libérales sous la forme de discrimination positive, de diversité, d'équité et d'inclusion, de programmes d'aide sociale, de laxisme en matière de criminalité, etc. Ce problème persistera jusqu'à ce que la reconstruction des organisations de la classe ouvrière à une échelle significative ramène un grand nombre de personnes de la classe ouvrière dans des projets collectifs et des formes d'organisation collective.

La lutte de solidarité avec la Palestine peut se répercuter sur les lieux de travail, comme je l'ai dit. Les grands mouvements sociaux peuvent jouer un rôle extrêmement important. Même s'ils n'ont pas le même ancrage que les syndicats sur le lieu de travail, ils créent de nouvelles solidarités collectives. Ils deviennent le terreau de nouvelles identités politiques. L'idée qu'une action de masse peut donner des résultats se répercute sur d'autres formes d'organisation, telles que l'organisation communautaire et l'organisation sur le lieu de travail.

En tant que militants de la cause socialiste, nous devons essayer de travailler avec toutes ces petites pousses vertes qui ont émergé en termes d'organisation syndicale et sur le lieu de travail. Il est extrêmement important de les cultiver, mais nous devons également être conscients des possibilités de mobilisations sociales à plus grande échelle, car elles attireront les jeunes travailleurs et les travailleurs de couleur en particulier.

Si nous parvenons à mettre sur pied une véritable campagne populaire de solidarité avec la Palestine contre la guerre à Gaza dès à présent, elle se propagera. Cela ne signifie pas que la droite disparaîtra électoralement, mais l'une des choses essentielles que nous devons comprendre stratégiquement pour la gauche est que l'arène électorale est moins propice pour nous qu'elle ne l'est pour la droite. L'arène électorale convient mieux à la droite parce qu'elle n'essaie pas de briser les institutions du pouvoir capitaliste. Elle nous convient moins parce que la gauche est, dans sa grande majorité, obligée de s'adapter lorsqu'elle pénètre dans les rouages de l'État, même dans ses structures élues.

Bien sûr, on peut créer d'énormes contrepoids si l'on dispose de mouvements sociaux de masse, et je ne dis donc pas qu'il ne faut jamais contester le pouvoir dans l'arène électorale. Mais l'une des choses que nous avons constatées, c'est qu'à moins que les représentant·es élu·es de la gauche ne soient ancré·es dans les mouvements sociaux de masse, qui exercent une attraction sur l'électoralisme, ils s'accommodent de l'électoralisme – et c'est très grave.

À l'heure actuelle, les avancées électorales de la droite doivent être contrées par tous les moyens possibles. Mais si nous voulons mettre fin à l'attaque contre les droits reproductifs aux États-Unis, par exemple, nous ne devons pas nous concentrer sur l'élection de Démocrates. Nous devons au contraire reconstruire un mouvement de masse en faveur du choix en matière de procréation. C'est ce que nous avons vu ailleurs, et ce sera le cas aux États-Unis, tout comme dans les années 1970, en termes de victoire sur les droits fondamentaux.

Les mouvements sociaux de masse créent un autre type de politique. Ils enseignent aux gens que la politique n'a pas à se soumettre aux dirigeants du monde entier. Nous ne gagnerons jamais la confiance des classes populaires si c'est ce que nous leur proposons comme alternative c'est une élite technocratique, comme Biden et compagnie, qui ont été toute leur vie des valets politiques dans les rouages du Parti démocrate.

De cette façon, nous n'avançons pas et nous sommes en fin de compte perdants sur le plan politique. La vraie question pour nous est de créer un contrepoids de masse et une vie politique qui préfigure un autre type de politique, un autre type d'organisation et un autre type de lutte.

Cela produira inévitablement des retombées électorales. Pensez par exemple au Parti démocratique de la liberté du Mississippi ou au Parti de la paix et de la liberté associé au Black Panther Party en Californie. Il y aura des retombées électorales, mais à l'heure actuelle, la priorité absolue est de créer une force de gauche en politique pour contrer la droite. Pour ce faire, nous avons besoin de mouvements de masse de gauche. Nous devons revenir à la mobilisation dans la rue, au sein des communautés et sur les lieux de travail. Il y a une ouverture en ce moment autour de la justice pour la Palestine. J'espère que nous ne la gaspillerons pas.

Le 4 mars 2024

Le Tempest Collective est une organisation marxiste révolutionnaire aux États-Unis. Elle édite la revue en ligne Tempest Mag. Cet entretien a été d'abord publié en deux parties par Tempest le 11 février et le 4 mars 2024. Traduit de l'anglais par JM.

1. une mise en perspective historique », publié par le site web Contretemps.
2. Mugging, the State, and Law and Order, Macmillan, London 1978.

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Antisocial et islamophobe : combattons ce gouvernement !

9 avril 2024, par NPA — , ,
Les annonces de Gabriel Attal sont brutales en matière sociale, et s'accompagnent d'un racisme dirigé spécialement contre les personnes musulmanes ou consideré.es comme telles. (…)

Les annonces de Gabriel Attal sont brutales en matière sociale, et s'accompagnent d'un racisme dirigé spécialement contre les personnes musulmanes ou consideré.es comme telles. Ces attaques violentes contre notre camp social disent bien de quel côté se situe le gouvernement : celui des patrons qui tendent la main à l'extrême droite.

photo et article tirés de NPA 29
Crédit Photo Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas

Attaque contre l'assurance chômage

La précédente réforme à peine en place, une nouvelle est déjà annoncée pour encore diminuer les droits des personnes sans-emploi. En stigmatisant les chômeurs.euses, le gouvernement cherche à monter celles et ceux qui travaillent contre de soi-disant profiteurs.euses. Et cela pour réduire la durée d'indemnisation de plusieurs mois, augmenter la durée de travail nécessaire pour bénéficier des allocations et baisser le montant perçu. Le gouvernement a également avancé que l'assurance chômage devrait être gérée par l'Etat et non plus par la Sécurité sociale.

Rappelons que l'assurance chômage, comme l'assurance maladie ou les retraites, ce sont nos cotisations qui permettent d'assurer une sécurité de revenus aux travailleurs.euses. Baisser les droits au chômage comme le prévoit Attal, c'est plonger de nouveaux foyers dans la misère en plus des millions de personnes qui vivent déjà sous le seuil de pauvreté. Nous devons construire une riposte à la hauteur.

Cadeaux au patronat et austérité pour l'Etat

En parallèle, Attal envisage des allègements de cotisations patronales au prétexte d'inciter à augmenter les bas salaires. Aucune des mesures de ce type n'a eu d'efficacité sur les embauches ou l'augmentation des salaires.

Et pourtant, c'est déjà plus de 200 milliards d'aides publiques que les entreprises perçoivent, tandis que plus de 80 milliards s'échappent dans l'évasion fiscale. De l'argent il y en a – et beaucoup – dans les caisses du patronat. Mais ce n'est pas là que le gouvernement a prévu de le prendre : quand Attal annonce vouloir réduire le déficit public de 5,5% du PIB à moins de 3% d'ici 2027, il veut prendre dans les budgets des ministères et s'approprier nos cotisations sociales.

Par ailleurs, le gouvernement nous prend vraiment pour des imbéciles lorsqu'il prétend vouloir « mieux prévenir les accidents au travail » : aujourd'hui c'est au moins deux personnes qui meurent par jour à cause du travail, et ce ne sont pas des spots publicitaires gouvernementaux qui vont changer quelque chose. Il faut comptabiliser vraiment les accidents et les maladies professionnelles et sanctionner lourdement les entreprises pour les obliger à prendre des mesures.

Et pour finir dans les mesures absurdes, ce n'est pas en faisant le même travail en 4 jours au lieu de 5, comme le propose Attal, qu'on va réduire le chômage et améliorer les conditions de travail. C'est juste l'intensification encore et toujours du travail pour le plus grand bénéfice des actionnaires et des patrons.

Attaques islamophobe et tapis-rouge pour l'extreme droite

Cette violence de classe, qui s'articule avec une violence islamophobe exacerbée, donne toujours plus de gages à l'extrême droite.

Les interventions d'Attal suite à l'agression d'une élève portant le voile par un proviseur sont écoeurantes. Alors que la jeune femme est victime d'un comportement violent et raciste, l'Etat a porté plainte contre l'élève ! C'est une incitation à la violence contre toute les personnes racisées, et de telles déclarations ne font que préparer le terrain à l'extrême droite dont les scores annoncés aux européennes atteignent déjà les 40%.

L'ensemble de notre camp social doit réaffirmer sa solidarité et combattre ces idées nauséabondes, notamment en manifestant le dimanche 21 avril lors de la marche contre les racismes et l'islamophobie.

Mardi 2 avril 2024

https://nouveaupartianticapitaliste.org/

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Les 3 et 4 avril 2024, les journées intersyndicales : le féminisme sur tous les fronts

Depuis 1998, les journées Intersyndicales Femmes réunissent au mois de mars-avril entre 300 et 400 militant·es de la CGT, de la FSU et de l'Union Syndicale Solidaires. Ces deux (…)

Depuis 1998, les journées Intersyndicales Femmes réunissent au mois de mars-avril entre 300 et 400 militant·es de la CGT, de la FSU et de l'Union Syndicale Solidaires. Ces deux journées de formation intersyndicale donnent la parole à des chercheuses, des associations, et des femmes concernées sur quatre thèmes relatifs aux droits des femmes.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Elles permettent à l'ensemble des participantes de réfléchir, échanger et s'armer pour porter ces questions dans nos organisations syndicales respectives et au-delà. Elles mettent aussi en lumière la manière dont la domination patriarcale s'exerce sur nos vies entières et démontrent que les luttes pour l'égalité professionnelle comme celles contre les violences sexistes et sexuelles sont des enjeux profondément sociaux et syndicaux. Les journées Intersyndicales Femmes nous rappellent chaque année que rien n'est totalement acquis et que de nouveaux droits sont à conquérir.

Cette année l'intersyndicale poursuit ses réflexions les mercredi 3 et jeudi 4 avril 2024 à la salle Olympe de Gouges, 15 rue Merlin dans le 11e arrondissement de Paris.

La matinée du mercredi sera consacrée à la question du refus des normes esthétiques et des injonctions du paraitre, pour nous rappeler que l'intime est politique.

Après une journée de mobilisation du 8 mars qui a rassemblé des milliers de personnes et la nécessité de militer encore et toujours pour l'égalité et nos droits, nous poursuivrons la journée sur le thème de la construction de nos luttes féministes.

La journée se conclura avec un concert de la chanteuse Mathilde.

La matinée du jeudi sera consacrée aux métiers du soin et du lien, essentiels, et pourtant sous-évalués, sous-payés, et en nombre insuffisant. Ces métiers à prédominances féminines sont un enjeu pour l'égalité.

Enfin, nous conclurons les journées intersyndicales par une table ronde sur le thème « nouvelles technologies et l'intelligence artificielle : nouvelles, mais toujours sexistes ! ».

L'énergie et l'intelligence collective qui se dégagent de nos rencontres sont des leviers incontestables pour nos organisations syndicales et renforcent notre détermination pour mener les luttes féministes sur nos lieux de travail comme dans l'ensemble de la société.

Ci-dessous et en PJ, les actes des Journées Intersyndicales Femmes de 2023
Actes des Intersyndicales Femmes 2023

https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/communiques/les-3-et-4-avril-2024-les-journees-intersyndicales-le-feminisme-sur-tous-les-fronts/

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Réformes de l’assurance chômage : une dégradation de la condition des femmes

Les femmes luttent depuis plusieurs décennies pour obtenir leur indépendance financière grâce à l'accès à des emplois de qualité, une autonomie dans leur action politique face (…)

Les femmes luttent depuis plusieurs décennies pour obtenir leur indépendance financière grâce à l'accès à des emplois de qualité, une autonomie dans leur action politique face au patriarcat. Dans la période actuelle, d'ubérisation et de précarisation massive de l'emploi, la lutte contre les régressions au niveau de l'assurance chômage, de la protection sociale et des services publics est devenue pour elles décisive.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Les récentes réformes de l'assurance chômage (comme je l'ai montré dans mon ouvrage, Femmes, chômage et autonomie) ont ciblé particulièrement les femmes, notamment celles qui travaillent dans l'emploi précaire, discontinu, et le multi-emploi. Car les femmes représentent 60% des travailleurs précaires, et cela se conjugue souvent avec du temps partiel et des bas salaires. Dans toutes les situations de successions de contrats courts, de périodes de chômage, de formation, de congés de maternité ou de maladie, une partie des femmes se retrouve avec des ressources très faibles, voire inexistantes. Il existe des vides juridiques, des interruptions de droits lors du passage d'une situation sociale ou professionnelle à une autre…

A présent, avec la loi Plein emploi, la suppression de l'ASS, l'obligation de faire 15 heures de travail pour les bénéficiaires du RSA sous peine de sanctions, vont avoir de graves conséquences pour de nombreuses femmes – à commencer par celles qui élèvent seules des enfants. Le RSA étant attribué au foyer, celles qui vivent en couple pourraient être contraintes de faire ces 15 heures hebdomadaires, sans pour autant disposer de droits à un revenu personnel, ni de moyens de garde d'enfant(s).

Beaucoup comprennent qu'il ne leur sert à rien de courir en tout sens après des miettes d'emplois, qu'il vaut mieux se rassembler pour revendiquer de vrais emplois et des droits sociaux garantis collectivement. Pour cela, alors que les organisations syndicales et politiques de la Gauche semblent avoir démissionné face à la montée des inégalités, un système de sécurité sociale couvrant le risque du chômage et réellement solidaire apparaît indispensable, et devrait être un élément essentiel d'un programme pour construire une société d'avenir.

Dans de nombreux domaines, comme la santé, l'éducation, les services à la personne, il existe des besoins sociaux énormes, liés notamment à la montée d'activité des femmes et au vieillissement de la population. La reconnaissance de la valeur du travail domestique et sa socialisation partielle passent par la création d'un large secteur non marchand de l'économie, pour prendre en charge ces activités de reproduction sociale. Sans de véritables statuts d'emploi pour les personnes qui y travaillent, la revalorisation des métiers féminisés, « l'éthique du care » et le souci des autres resteront de vains mots.

En même temps, il ne devrait plus exister de situations qui obligent une femme à choisir entre sa vie privée et sa vie professionnelle. Il est nécessaire de pouvoir passer librement d'une situation sociale à une autre, de mieux pouvoir articuler les différents temps de vie, ce qui exige notamment des congés familiaux, parentaux, et de formation correctement rémunérés.

Ce qui est en jeu, au travers de cette question de la Sécurité sociale chômage, ce sont les rapports de force dans les entreprises comme au sein de la famille. Les salarié.es qui travaillent dans les entreprises ne doivent plus être soumis.es à des pressions incessantes, à la souffrance au travail, au stress et au chantage à l'emploi… Les femmes devraient pouvoir rechercher une configuration familiale qui leur permette un partage des tâches plus équilibré, et des rapports plus égalitaires avec le conjoint.

La question du chômage est en réalité étroitement liée aux problèmes d'organisation du travail, à la façon bureaucratique et autoritaire dont ces questions sont traitées dans les entreprises. Dé-marchandiser les activités reproductives et limiter les activités productives ou « hétéronomes » en réduisant massivement le temps de travail, tout cela est d'autant plus urgent aujourd'hui que les dernières tendent à envahir toute la vie, du fait de la dématérialisation et de l'économie numérique.

Le partage du travail et la déségrégation des emplois entre les femmes et les hommes seront certes difficiles à obtenir ; car cela nécessite une réflexion approfondie sur ce qu'est la valeur économique et sur les raisons de la division du travail sexuée. On ne peut pas se contenter de dire aux femmes « Vous n'avez qu'à faire les mêmes formations techniques, les mêmes métiers que les hommes (ingénierie…) » Car ces activités du secteur marchand reposent sur une hyper-compétitivité et une spécialisation, sur l'adhésion inconditionnelle aux valeurs du profit et de la rentabilité ; or, ce système est destructeur et énergivore, il mène toute la société dans une impasse.

Odile Merckling, Paris, le 27 mars 2024
Auteure de : Femmes, chômage et autonomie. Des droits sociaux pour abolir la précarité et le patriarcat, Ed Syllepse, 2023.
https://blogs.mediapart.fr/omerckling/blog/270324/reformes-de-lassurance-chomage-une-degradation-de-la-condition-des-femmes

Introduction au livre d'Odile Merckling : Femmes, chômage et autonomie
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/03/28/introduction-au-livre-dodile-merckling-femmes-chomage-et-autonomie/
Droits propres et continuité des droits dans la discontinuité de l'emploi
Note de lecture du livre d'Odile Merckling : Femmes, chômage et autonomie. Des droits sociaux pour abolir la précarité et le patriarcat
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/07/24/droits-propres-et-continuite-des-droits-dans-la-discontinuite-de-lemploi/

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En Gambie, l’interdiction des mutilations génitales menacée

9 avril 2024, par Musu Bakoto Sawo, Satang Nabaneh — , ,
Tribune · En Gambie, les parlementaires envisagent, au nom de la culture et de la tradition, de revenir sur l'interdiction de pratiquer des mutilations génitales féminines. (…)

Tribune · En Gambie, les parlementaires envisagent, au nom de la culture et de la tradition, de revenir sur l'interdiction de pratiquer des mutilations génitales féminines. Alors que cette loi régressive n'a pas encore été votée, deux juristes gambiennes appellent à se mobiliser afin de protéger les filles et les femmes de ce pays.

Tiré de Afrique XX1

Photo :L'outil servant à exciser les jeunes filles.
Traduit de l'anglais par Marame Gueye (East Carolina University)

En 2015, la Gambie a introduit une législation interdisant les mutilations génitales féminines (MGF) par le biais d'un amendement à la loi sur les femmes de 2010, après des décennies d'efforts de plaidoyer et de sensibilisation menés par des organisations de la société civile (OSC) et des groupes communautaires. L'article 32A de la loi sur les femmes de 2015 érige en infraction le fait pour toute personne de pratiquer l'excision. Quiconque y contrevient est passible, sur déclaration de culpabilité, d'une peine d'emprisonnement de trois ans ou d'une amende, ou des deux.

La loi prévoit également une peine d'emprisonnement à perpétuité lorsque la circoncision entraîne la mort. La section 32B (1) s'adresse aux commanditaires de la procédure et stipule que « toute personne qui demande, incite ou promeut l'excision en fournissant des outils ou par tout autre moyen commet une infraction et est passible d'une peine d'emprisonnement de trois ans ou d'une amende de cinquante mille dalasis [environ 682 euros], ou des deux ». En outre, une amende de 10 000 dalasis, conformément à la section 32B (2) de la loi, est imposée à toute personne qui a connaissance de la pratique et qui ne la signale pas sans raison valable.

La législation interdisant les MGF en Gambie a été adoptée à la suite d'une directive de l'ancien président Yahya Jammeh. Elle a été adoptée alors que les survivantes étaient de plus en plus visibles et que l'on s'efforçait de mettre fin à cette pratique dans le pays. Malgré ce prétendu engagement, le gouvernement a harcelé les militants et les militantes anti-MGF et a restreint l'espace des OSC et des médias souhaitant engager les communautés pratiquantes et la population dans son ensemble, faciliter l'accès à l'information sur les dangers des MGF et influencer la fin de la pratique dans l'intérêt des filles et des femmes.

DEUX CAS SIGNALÉS DEPUIS 2015

La reconnaissance des MGF comme une violation flagrante des droits des filles et des femmes est établie dans de nombreux instruments juridiques internationaux et déclarations politiques. Depuis la promulgation de la loi sur les femmes en décembre 2015, seuls deux cas de mutilations ont été signalés, dont celui sur un bébé de 5 mois décédé des suites d'une mutilation dans le village de Sankandi. Les accusés ont nié les faits et ont demandé à être libérés sous caution, ce à quoi l'État s'est opposé. L'affaire a ensuite été ajournée pour statuer sur la mise en liberté sous caution, mais avant que la Cour ne se prononce l'État a abandonné les poursuites. La position officielle de l'État était que le rapport médical n'établissait pas de lien entre la cause du décès et la mutilation.

En 2023, trois femmes de Niani Bakadaji, dans la région du fleuve central, ont été reconnues coupables d'avoir pratiqué et encouragé des mutilations génitales féminines. Huit enfants âgés de 4 mois à 1 an ont été mutilés, en violation directe de la loi sur les femmes de 2015. Elles n'ont été condamnées qu'à une amende de 15 000 dalasis gambiens ou, par défaut, à un an d'emprisonnement, une peine qui n'est pas conforme à celle prévue par la loi.

Le week-end suivant leur condamnation, l'imam Abdoulie Fatty, un érudit religieux connu pour ses opinions fondamentalistes et associé à l'ancien dictateur Yahya Jammeh, s'est rendu avec d'autres érudits dans le village des femmes condamnées pour payer l'amende, une action qu'il considère comme un devoir sacré de tout musulman et comme un soutien à l'excision en tant que partie intégrante de la culture de la population. Il a ajouté que si tout le monde soutenait ouvertement l'excision, le gouvernement ne serait pas en mesure d'emprisonner une ville entière, sans parler d'un pays tout entier.

DES DÉBATS RÉGRESSIFS

L'assaut de l'imam Fatty contre la loi anti-MGF a finalement conduit à des débats intenses et régressifs à l'Assemblée nationale, débouchant finalement sur un soutien massif en faveur de l'abrogation de l'interdiction des MGF. Le 4 mars 2024, Almameh Gibba a présenté un projet de loi à l'Assemblée nationale, le Women's (Amendment) Bill 2024, qui vise à supprimer les articles 32A et 32B du Women's (Amendment) Act 2015. […] L'objet et le but de la loi stipulent que :

Ce projet de loi vise à lever l'interdiction de l'excision en Gambie, une pratique profondément ancrée dans les croyances ethniques, traditionnelles, culturelles et religieuses de la majorité du peuple gambien. Il vise à préserver la pureté religieuse et à sauvegarder les normes et valeurs culturelles. L'interdiction actuelle de l'excision constitue une violation directe du droit des citoyens à pratiquer leur culture et leur religion, tel qu'il est garanti par la Constitution. Compte tenu de la population majoritairement musulmane de la Gambie, toute loi incompatible avec les aspirations de la majorité de la population devrait être réexaminée. L'excision est une pratique culturelle importante soutenue par l'Islam, qui prouve clairement les enseignements de notre Prophète (S.A.W). Il convient de noter que l'utilisation de lois pour restreindre les pratiques religieuses ou culturelles, que ce soit intentionnel ou non, peut entraîner des conflits et des frictions. Il est intéressant de noter que le maintien de l'interdiction de l'excision et la pénalisation des personnes qui la pratiquent sont en contradiction directe avec les principes généraux des Nations unies, qui encouragent, par l'intermédiaire de leurs agences, la préservation et la pratique des patrimoines culturels et historiques...

Si le projet de loi affirme que l'excision est profondément ancrée dans les croyances culturelles et religieuses de la majorité du peuple gambien, en particulier dans le contexte de l'islam, cette position ne peut justifier des pratiques qui violent les droits humains. De nombreux pays dont la population est majoritairement musulmane ont promulgué des lois interdisant les mutilations génitales féminines. Les MGF ont également été condamnées par de nombreux érudits et organisations islamiques dans le monde entier, soulignant l'importance de protéger les individus contre les pratiques néfastes.

Le projet de loi affirme également que l'interdiction de l'excision est en contradiction avec les principes généraux des Nations unies, qui encouragent la préservation et la pratique des héritages culturels et historiques. Si les Nations unies encouragent la préservation culturelle, elles mettent également l'accent sur la protection des droits humains, y compris le droit d'être à l'abri de toutes les formes de discrimination et de violence, telles que les mutilations génitales féminines. Les organes de surveillance des traités des Nations unies condamnent les pratiques sociales et culturelles néfastes qui portent atteinte à la santé, à la sécurité, à l'intégrité corporelle et au bien-être général des individus, quelles que soient les justifications culturelles ou religieuses.

Bien que le droit international reconnaisse le droit des personnes à pratiquer leur culture et leur religion, ces droits peuvent être restreints par un gouvernement qui a l'obligation de protéger les droits humains fondamentaux. Ainsi, la justification fournie dans le Women's (Amendment) Bill 2024 n'est pas conforme à l'esprit et à l'intention de l'interprétation de la préservation du patrimoine culturel des Nations unies. C'est un fait établi que les gens ne peuvent pas invoquer la culture ou la religion pour justifier les violations des droits des femmes et des enfants.

PROFONDE INQUIÉTUDE

La Gambie est signataire du protocole de Maputo, qui impose aux États l'obligation d'interdire les MGF par des sanctions pénales (article 5(b)). Le protocole garantit également le droit de vivre dans « un contexte culturel positif ». S'il est adopté, le projet de loi constituera une violation directe de ces dispositions. Le pays est également partie à la Cour africaine qui a statué dans l'affaire APDF & IHRDA c. Mali que les États africains ne peuvent pas utiliser la culture et la religion comme base pour justifier la violation des droits humains. Bien que l'article 17 de la Charte africaine et l'article 17 du Protocole de Maputo reconnaissent le droit à la culture, et que l'article 18 de la Charte fait référence aux valeurs « traditionnelles », cela n'exonère pas les États de leur responsabilité d'éliminer les pratiques traditionnelles néfastes qui violent les droits humains.

Après la deuxième lecture du projet de loi le 18 mars 2024, et le débat qui a suivi, les législateurs ont voté par 42 voix contre 4 pour renvoyer le projet de loi à la commission des affaires de l'Assemblée afin qu'il soit soumis aux commissions appropriées de l'Assemblée pour un examen plus approfondi et une consultation publique.

Les articles 68 à 76 du Règlement de l'Assemblée nationale (tel qu'amendé en 2020) s'appliquent aux prochaines étapes du processus. En commission, les membres examinent la proposition de loi, engagent des consultations avec les parties prenantes, entendent des avis d'experts et font rapport à l'Assemblée. Cette commission dispose de seize semaines pour examiner le projet de loi, consulter les parties intéressées et entendre les avis d'experts. Elle peut demander plus de temps si nécessaire. Cette procédure garantit un examen approfondi du projet de loi avant qu'il ne passe en troisième lecture. Cette phase en commission permet à l'Assemblée elle-même d'apporter des modifications au projet de loi, mais ces modifications doivent respecter des règles spécifiques. Les amendements doivent être directement liés au sujet du projet de loi et éviter de contredire des parties déjà approuvées. En outre, il existe des lignes directrices pour proposer des amendements de manière claire et organisée, afin de garantir un processus sans heurts. Un rapport sera ensuite présenté à l'Assemblée par la commission.

Après la présentation d'un rapport à l'Assemblée, le projet de loi est transmis à la commission des affaires de l'Assemblée pour l'organisation de la phase d'examen. Le projet de loi passe ensuite à la troisième étape, au cours de laquelle il est lu une troisième fois et adopté. Dès que possible, le projet de loi est soumis à l'approbation du président.

La Commission africaine et le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant (ACERWC) ont récemment publié une déclaration commune exprimant leur profonde inquiétude. Ils demandent instamment à la Gambie de protéger les filles et les femmes en maintenant l'interdiction. Il ne s'agit là que d'un exemple parmi d'autres de la levée de boucliers internationale contre l'abrogation potentielle. Il est essentiel que les OSC nationales et transnationales participent rigoureusement au processus de consultation en faisant pression sur le président pour qu'il rejette le projet de loi s'il est adopté.

Rejoignez le combat ! Soutenez les organisations qui œuvrent à la protection des filles en Gambie et exhortez le gouvernement gambien à donner la priorité aux droits et au bien-être des femmes et des filles.

SATANG NABANEH
Satang Nabaneh est une juriste et une praticienne des droits de l'homme spécialisée dans le genre et les droits sexuels et reproductifs… (suite)

MUSU BAKOTO SAWO
Musu Bakoto Sawo est une avocate féministe et défenseure des droits de l'homme qui a plus de 18 ans d'expérience dans la défense des…(suite)

Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, 5 avril 2024*/*

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Harcèlement : le silence profite à l’agresseur

9 avril 2024, par Catherine Le Magueresse, Francine Sporenda — , ,
Interview de Catherine Le Magueresse par Francine Sporenda Catherine Le Magueresse est docteure en droit, chercheuse associée à l'Institut des sciences juridiques et (…)

Interview de Catherine Le Magueresse par Francine Sporenda

Catherine Le Magueresse est docteure en droit, chercheuse associée à l'Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne et a été présidente de l'AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) de 1998 à 2008. Elle élabore au fil de ses publications une critique féministe du droit pénal et a notamment publié « Les pièges du consentement, pour une redéfinition pénale du consentement sexuel » (éditions iXe, 2021) et « Harcèlement, ça commence quand ? » (Alt).

tiré de Entre les lignes et les mots

FS : Etre réputée « fille facile » qui « ne se respecte pas » a des conséquences pour celles à qui on colle cette étiquette au lycée. Pouvez-vous en parler ?

CL : Déjà cette étiquette – et ça me parait important – elle est collée par les garçons et par les filles, c'est un collectif qui va considérer qu'une jeune femme ne se comporte pas bien, selon des normes qui sont propres à ce collectif-là. En gros, ce ne sont pas des normes juridiques, cette fille exerce juste sa liberté sexuelle, voire elle ne l'exerce pas mais elle a seulement un comportement ou un habillement qui ne correspondent pas à la norme collective et va se voir affubler de cette étiquette. Ca veut dire que c'est très variable, ça dépend même de l'établissement scolaire, et les conséquences sont que ça peut se transformer en une sorte de harcèlement scolaire dans le cadre du collège ou du lycée, qui peut même s'étendre à toutes les sphères de la vie, y compris dans la vie privée, car ça ne s'arrête pas à l'établissement scolaire, ça continue sous forme de cyberharcèlement sur tous les réseaux sociaux que les jeunes utilisent. Si bien que, pour la jeune fille, ça devient tout simplement invivable : on est attaquée parce qu'on n'est pas dans la norme, on est jugée pour tout ce qu'on peut dire ou faire, alors que quand on est jeune, on est encore en construction, et c'est très difficile d'être exclu du collectif sur des fondements qu'on ne maîtrise pas. Et c'est très injuste évidemment.

FS : Le harcèlement sexuel au travail, bien qu'il soit théoriquement puni par une loi, n'est toujours pas considéré comme un délit par de nombreuses personnes et minimisé comme « blagues de potaches », « gauloiseries » etc. et ceux qui s'y livrent simplement qualifiés de « mecs lourds ». Vos commentaires sur cette minimisation sociale du harcèlement sexuel et cette tolérance pour ceux qui s'y livrent ?

CL : Il n'est pas théoriquement puni, il est puni. C'est ça qui est intéressant…

FS : Par théoriquement, je voulais dire que c'est puni sur le papier, dans la loi, mais que les conséquences concrètes de ces dispositions légales ne sont pas énormes…

CL : C'est important de rappeler que, depuis 1992, depuis environ 30 ans, le harcèlement sexuel est répréhensible et réprimé. Et pour la condamnation sociale, il y quand même du changement : oui, il y a toujours des personnes qui considèrent que ce n'est pas si grave par méconnaissance de la loi. Comment on fait pour que cette loi soit prise au sérieux ? Il faut que les entreprises affichent beaucoup plus clairement et fréquemment leur détermination à lutter contre le harcèlement sexuel, et pour ça, il faut que les instances de pouvoir, par exemple les syndicats, disent : « on n'a pas mené de campagne de prévention, on va le faire, on va lancer des alertes ». Il y a un manque d'actions proactives je dirais, pour bien faire passer le message auprès de tous les salariés et des femmes que ce comportement-là ne sera pas accepté au sein de notre entreprise ou de notre administration. Et ensuite, quand il y a des dévoilements de violence au sein d'un collectif de travail, il faut que ça soit suivi d'enquête et de sanctions. A partir du moment où le coût d'exercer un harcèlement est identifié comme assez élevé, qu'on sait qu'il va y avoir des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement, je pense que ce type de considération « c'est pas grave, c'est juste des blagues… » cesseront. C'est une lutte à mener bien sûr, dans ce sens qu'on connait les réactions que cela suscite : « on va vers une société à l'américaine, on peut plus rien faire, on peut plus rien dire, etc. ».

Faudra bien – parce que c'est la loi. Effectivement, vous ne pouvez pas faire ce que vous appelez des blagues, parce qu'en droit, ça ne s'appelle plus des blagues, c'est du harcèlement. Il y a une affiche suisse qui dit « pour vous, ce sont juste des paroles, pour la loi, c'est juste un délit ». Je trouve ça assez fort. Parce ce qu'à chaque fois, il faut remettre le repère, et le repère, c'est la loi.

Que dit la loi ? En droit, c'est un délit et ça peut être éventuellement un outrage sexiste, donc une contravention ou un délit. Il faut revenir au droit tout le temps, et je le vois dans les animations que je fais dans les amphis, dans les débats qui ont lieu, quand on me dit « mais ça madame, c'est pas grave », je dis « prenons le repère de la loi, que dit la loi ? » Et je remets le texte et je dis, « voyez, vous, vous pensez que c'est une blague mais en droit, c'est interdit ». En gros, ce que vous pensez, peu importe, là on est dans l'ordre de l'opinion, et l'opinion ne fait pas le droit, l'opinion, c'est du registre des affaires privées. Dans le collectif, on est en droit, c'est ce que la société a décidé à travers le législateur et vous pouvez être poursuivi. Alors évidemment, ça ne leur plait pas, mais on a tout de même ce repère et ce rempart contre ceux qui pensent que ce n'est pas grave.

FS : Les pratiques sociales sont vraiment très longues à s'aligner sur le droit…

CL : Ce qui est intéressant, c'est que, quand on outille sur le droit, on outille les victimes, puisqu'elles-mêmes ne sont pas nécessairement au courant sur le droit. C'est pour ça qu'on a un travail très important d'éducation au droit pour que les victimes sachent qu'elles peuvent s'appuyer sur cet outil-là. Je ne dis pas que c'est simple : quand elles s'outillent, quand elles s'appuient sur cet outil-là, elles font face à des répercussions de diffamation, de dénonciation calomnieuse etc. – on le voit très bien avec les procédures en cours. Et par ailleurs, on voit aussi qu'un certain nombre de magistrats ou magistrates ont du mal à appliquer ce droit-là correctement, et ça rejoint ce qu'on avait déjà évoqué dans un autre entretien : il faut aussi que, derrière, les cours de justice, quel que soit le niveau – première instance, cours d'appel ou cour de cassation – sanctionnent très précisément ces violations. Il y a aussi le défenseur des Droits qui rend des décisions très intéressantes où il va justement rappeler que ça, c'est du sexisme. On peut aussi s'appuyer sur la Cour européenne des Droits de l'homme…

FS : Oui, j'ai vu ça, il y a eu un arrêt récemment…

CL : Absolument, c'est très intéressant, et la France est condamnée. On a 8 affaires en cours devant la Cour européenne des Droits de l'homme, et il y en a plusieurs qui vont être jugées en 2024 [1]. On peut espérer que ça va être ce qu'on appelle un arrêt-pilote, c'est-à-dire qu'il y a 8 affaires qui portent plus ou moins sur le viol ou sur des affaires qui relèvent de la culture du viol que les magistrats français n'ont pas retenues et on espère que la Cour européenne des Droits de l'homme va rassembler ces affaires, prendre tous leurs points communs et dire à la France : « vous n'appliquez pas le droit lié à la Convention des Droits de l'homme et à la Convention d'Istanbul (puisque le DH s'appuie sur la Convention d'Istanbul). Et va produire une belle condamnation de la France. Pour le moment, on est dans les allers-retours entre le gouvernement français et les plaignantes mais ces recours convergents à la Cour européenne des Droits de l'homme sont très intéressants.

FS : On aurait un peu un effet jurisprudence, avec un tel arrêt ?

CL : Absolument. Si l'on arrive à avoir cet arrêt-pilote, il y aura forcément des condamnations. Dans ces affaires, il y a l'affaire du Quai d'Orsay, il y a l'affaire de Julie, et il y en a d'autres qui n'ont pas été médiatisées, il y a deux affaires qui sont suivies par l'AVFT, qui sont graves, qui sont importantes. Je ne peux pas imaginer que la France ne soit pas condamnée sur au moins la moitié de ces affaires. Et si la France et condamnée, le ministère pourra faire quelque chose derrière.

Pour revenir plus précisément à votre question sur ces représentations sociales qui ne bougent pas, on a eu récemment le rapport du HCE sur le sexisme en France qui note une régression, et c'est normal qu'il y ait une régression quand on ne se donne pas les moyens – et quand je dis on, c'est l'Etat – de lutter contre ça. Et si on ne se donne pas les moyens de lutter, alors qu'on sait que le mouvement masculiniste s'est organisé, que les jeunes ont de plus en plus accès à la pornographie, de plus en plus jeune, ce qui a un effet absolument dramatique sur les représentations sociales, sur les relations filles-garçons – on le voit avec l'affaire French bukake, avec l'affaire Jackie et Michel et avec les deux rapports qu'il y a eu sur la pornographie. On sait que ça a un impact dramatique, délétère sur les représentations sociales, et on continue de faire comme s'il n'y avait pas une urgence, comme si le bateau n'était pas en train de couler. Et là, il y a une responsabilité de l'Etat français qui ne fait rien et qui je l'espère va être pointée aussi au niveau national, par le GREVIO ou le comité CEDEF par exemple.

FS : Les situations de harcèlement sexuel prolongées, outre le stress chronique qu'elles produisent, et les maladies psychosomatiques qu'elles entraînent, sont aussi préjudiciables à l'emploi et à la carrière des femmes harcelées : soit elles démissionnent, soit elles sont mutées ou placardisées si elles dénoncent. Vos commentaires ?

CL : D'abord il faut souligner que les conséquences sur la santé existent indépendamment des réactions de l'entreprise. Ces conséquences sont les mêmes que celles des autres violences masculines sur les femmes, des violences sexuelles en particulier. Il y a aussi les conséquences sociales qui sont aussi similaires à celles des violences sexuelles, et il y a les conséquences plus spécifiques dans le domaine du travail. Pour l'instant – c'est quand même un peu en train de changer, ça s'améliore – parce que là, les entreprises ont été sanctionnées. Et elles savent que si elles mettent au placard, licencient ou contraignent à la démission avec des procédures de rupture conventionnelle, elles vont être condamnées par le Conseil des prud'hommes, par la Cour d'appel, et puis ensuite par la chambre sociale de la Cour de cassation. La chambre sociale de la Cour de cassation rend des décisions meilleures que la chambre criminelle de la Cour de cassation, c'est le volet droit du travail versus le volet droit pénal.

Le droit du travail, c'est celui qui condamne l'entreprise qui n'a pas fait ce qui fallait. Il y a encore des entreprises qui continuent à faire porter le coût du dévoilement des violences par la victime, et non pas sur l'auteur des violences, c'est-à-dire que ce n'est pas l'auteur qui va être licencié parce que, comme c'est souvent l'agresseur qui est en position de supériorité hiérarchique, ça coûte plus cher de licencier l'agresseur, le harceleur, que la salariée qui est dans une position hiérarchiquement inférieure. C'est une question de coût économique : on va regarder ce qui coûte le plus cher, et évidemment c'est celui qui a le plus d'ancienneté et un poste plus élevé parce que les indemnités coûtent plus cher. Donc l'entreprise va faire un calcul très cynique de coût du licenciement mais derrière, l'entreprise peut être condamnée en raison du choix qu'elle a fait. Le problème c'est que Monsieur Macron a limité le montant des indemnités, normalement pas pour le harcèlement ou la discrimination liée au harcèlement mais on est quand même dans une culture de « c'est une affaire d'honneur, la salariée ne peut pas demander de l'argent pour ça ». On a ces limites sur la reconnaissance des conséquences qu'elle a subies. Or ces conséquences sont très élevées, et quand on met bout à bout tout ce que le harcèlement sexuel lui coûte – pour ne rester qu'au niveau du harcèlement, parce que souvent il y a agression sexuelle – si l'on considère tout ce que ça coûte–parce que souvent, après une agression, il y a le coût d'un suivi psychologique, et c'est très cher si l'on a recours à des professionnels qui sont formés sur ces questions-là : c'est au minimum 50 Euros la séance à raison d'une séance par semaine. Et pour des professionnels vraiment compétents formés spécifiquement – et à juste titre, ce n'est pas une critique –, le coût des séances est beaucoup plus élevé, et ce n'est pas pris en charge par la Sécurité sociale sauf si c'est un psychiatre.

Ce qui serait normal – c'est une revendication à envisager – c'est que les séances psys soient prises en charge par la Sécu et soient remboursées par l'entreprise quand elle est déclarée responsable. Normalement, c'est la réparation intégrale du préjudice subi. Si c'est la Sécu qui prend en charge, derrière on sait que l'entreprise peut prendre en charge le coût Sécu. On le fait déjà pour les accidents du travail, donc ça devrait être pris en compte aussi en la matière. Le problème, c'est qu'on ne s'est pas encore donné les moyens de le faire parce que ça serait un coût énorme pour les entreprises, et que les intérêts des entreprises sont encore assez protégés par le gouvernement. Donc ces coûts, c'est comme pour la prévention ; si ils étaient véritablement portés par les personnes, par les institutions qui sont censées les porter – les entreprises et les administrations – celles-ci se diraient : « ça coûte si cher que ça de n'avoir rien fait, ou d'avoir soutenu l'agresseur, ou de ne pas avoir permis à la victime d'être prise en charge tout de suite », et elles mèneraient des politiques différentes, les salarié.es victimes seraient mieux pris.es en charge, et le coût serait moindre. A chaque fois, il faut se demander : « comment est-ce qu'on pourrait faire différemment, pour que le coût ne soit pas porté par la victime mais par l'agresseur et les institutions ? » Quand on pose la question comme ça, quand on change de regard, on se rend compte qu'on ne s'est pas du tout donné les moyens pour que le coût ne soit pas porté par les femmes.

FS : Le contrôle coercitif des femmes dans le couple (espionner les mouvements de la femme, son téléphone, la suivre, sélectionner et restreindre ses contacts, etc.) est encore souvent interprété comme une preuve d'amour. Vos commentaires ?

CL : Le contrôle coercitif est une notion nouvelle qui n'était pas utilisée jusqu'à ces trois dernières années, qui vient des Etats-Unis et d'Angleterre, et qui est très intéressante pour montrer la diversité des formes du contrôle des hommes violents sur leur compagne, mariées ou pas mariées, quelle que soit la forme de conjugalité. Dans le violentomètre, qui est un outil très intéressant pour intervenir auprès des jeunes (je crois que c'est un outil qui a été créé par le Planning familial, en rapport avec la brochure « Les relations amoureuses, parlons-en », vieille brochure que je continue d'utiliser dans mes interventions avec les jeunes), il y a une question : « il regarde dans ton téléphone pour voir qui t'appelle ». Et on invite les jeunes à discuter : « est-ce que c'est normal, etc. » Et c'est vrai qu'il y a beaucoup de jeunes qui disent : « mais c'est parce qu'il m/t'aime ! » C'est aussi une question d'éducation – normalement, il y a trois séances par an, du primaire à la terminale, d'éducation à la vie affective et sexuelle et à la prévention des violences, selon la loi de 2001, et il y avait eu un rapport du HCE qui montrait bien qu'il n'y avait qu'une minorité d'établissements scolaires qui respectaient la loi. Quand je demande à un amphi de 200 élèves post-bac : « parmi vous, qui a reçu trois heures par an de cette éducation ? », j'ai une main qui se lève… On ne le fait pas, or ce sont ces séances-là qui vont permettre de déconstruire, de distinguer ce qui relève d'une relation amoureuse équilibrée, égalitaire respectueuse de l'autre, de ce qui relève des violences. Tout notre environnement social est dans la confusion et dans le mélange de ce qui relève d'une relation amoureuse ou sexuelle équilibrée, égalitaire de ce qui relève d'une situation de contrôle inacceptable. On est dans la confusion permanente, on regarde la télé-réalité, c'est l'horreur, on y fait passer pour de l'amour des relations qui relèvent en fait de la violence, les jeunes femmes y arrivent parce qu'elles sont vénales, parce que c'est une situation de compétition où il n'y a que de la trahison, aucune sororité, aucune solidarité. Sur les réseaux sociaux, c'est du même acabit, les rapports y sont effrayants.

Je reviens à la pornographie, « c'est normal que les femmes subissent ça, c'est une vraie femme », tous ces stéréotypes sur la féminité. Il y a très peu d'endroits où les jeunes, les jeunes filles, dès le plus jeune âge sont alerté.es sur le fait que ça, ce n'est pas de l'amour, c'est du contrôle. Et donc forcément, ils les véhiculent, parce que ce n'est pas à la maison qu'on en parle, parce que à la maison, iels peuvent témoins de situations de contrôle qui sont banalisées, et là encore ça rejoint ce que je disais plus haut : si on ne se donne pas les moyens, si l'on ne donne pas les moyens aux professionnels de déconstruire tout ça, on a une société où c'est normal pour les filles et c'est normal pour les garçons. Les garçons se conduisent comme des coqs, des petits rois, et ils n'entendent jamais « non ». Et c'est non seulement interdit par la loi mais ça ne permet pas une société d'égalité pour les filles et les garçons.

Et ça a un coût aussi pour les garçons qui voudraient ne pas se comporter comme ça : ils vont faire aussi l'objet de harcèlement scolaire parce qu'ils ne collent pas aux stéréotypes de la virilité dominante. Ils vont être des canards, ils vont être qualifiés dans les cours de récré, ils vont être accusés d'être des homosexuels, pas des vrais mecs, etc. Et certains le disent : j'ai fait une intervention devant des référents harcèlement entre la 6ème et la terminale, j'avais tous les âges, entre 11 ans et 17 ans, et je leur demandais : « pourquoi vous avez choisi d'être référent ? » Et c'était très touchant, il y avait à peu près la même proportion de filles et de garçons, et la moitié avait été victime de harcèlement. Les plus petits garçons n'arrivaient pas à dire exactement pourquoi ils avaient été victimes mais les grands le disaient très clairement : « moi j'étais de ces jeunes hommes qui refusaient de se battre, refusaient d'être violents avec les filles, et du coup j'étais identifié comme n'étant pas un mec normal » : la normalité est identifiée à la masculinité violente. Il y a une urgence à déconstruire tout ça, c'est au-delà d'une urgence en fait, c'est irresponsable, c'est criminel, délinquant de la part de l'Etat de ne pas le faire. On se prépare une génération qui va être extrêmement dangereuse pour les femmes, car biberonnés à la pornographie, c'est-à-dire à l'apprentissage de la normalité d'une sexualité violente. Et donc les jeunes femmes sont en danger.

Par ailleurs, les jeunes femmes aussi regardent la pornographie. Le plus souvent contraintes, et elles ne vont rencontrer que des jeunes hommes qui vont leur faire des demandes pornographiques, auxquelles elles ne savent pas qu'elles peuvent dire non puisque « tout le monde le fait ». Une majorité de jeunes considèrent que c'est normal et ils le disent aux jeunes filles. Je le vois dans les demandes que me font les jeunes filles : « madame, est-ce que c'est normal qu'on me demande ça ? » dans les interventions que je fais en milieu scolaire. Et je leur dis : « quand quelque chose te gêne, tu n'es jamais obligée de dire oui ». Et elles me disent « oui mais il va partir ». Et je leur dis « mais peut-être qu'il ne te mérite pas, peut-être que c'est toi qui peux le quitter parce que ce qu'il te demande là est tellement peu respectueux de qui tu es, donc ça n'est pas mal que tu le quittes ». Là, on est déjà dans une situation extrêmement inquiétante, et évidemment que ce n'est pas une preuve d'amour.

C'est à l'Etat de donner les moyens et d'outiller tous les professeurs pour traiter ce sujet-là, quotidiennement et à travers toutes les matières et de reprendre tous les propos sexistes entendus dans les cours de récré, en classe, en permanence. Qu'il y ait une circulaire qui soit envoyée à tous les professionnels de l'Education nationale, disant d'observer tous les comportements et d'alerter, avec des formations obligatoires pour tous les professionnels de l'Education nationale, avec des modules en ligne. Je suis en général peu favorable aux modules en ligne, je pense que ça devrait être une formation obligatoire en début d'année mais c'est bien d'être aussi être outillée avec des modules en ligne pour que, si jamais je suis confrontée à ces situations-là, je puisse me former en ligne. Sur le harcèlement, l'Education nationale a fait plutôt pas mal, avec le programme FAR, ils ont mis les moyens. Mais la loi date de 2022, c'est quand même dingue qu'on ait attendu jusque-là. Ca date d'un an et demi, alors que le harcèlement scolaire, on le connait depuis quinze ans au moins. Il faut que toute l'Education nationale se mette en ordre de bataille pour lutter contre ces réalités-là.

FS : Le caractère destructeur des violences conjugales physiques commence à être reconnu, mais l'impact destructeur des violences psychologiques est souvent ignoré ou minimisé. Quelles sont les différentes formes de ces violences psychologiques, et quel est leur impact sur les victimes ? Vous venez de parler du contrôle coercitif, mais est-ce qu'il y en a d'autres ?

CL : Le contrôle coercitif, ça regroupe toutes les formes de violence, pour moi c'est une infraction-chapeau des violences psychologiques dans toute leur diversité. Et pas seulement psychologiques…

FS : Les violences financières par exemple, est-ce que ça fait partie du contrôle coercitif ?

CL : Oui absolument. Pour moi l'éventail des violences psychologiques, il est infini parce que ça dépend de l'agresseur. Il y a celles qui sont bien identifiées dans la stratégie des agresseurs : il isole sa victime, il la nie, il la dénigre, etc., ça c'est connu depuis longtemps. On sait qu'il peut y avoir malheureusement une forme de raffinement, par exemple l'usage de la pornographie dans les relations, c'est aussi une forme de violence psychologique, c'est dénier l'intégrité de la personne. Je dis que l'éventail est infini parce qu'il peut y avoir des demandes ou des comportements qui dérivent de l'infini de l'imagination de l'agresseur. Et pour ce qui est de l'impact sur la victime, il s'agit d'une opération de destruction massive, qu'il s'agisse de violences psychologiques ou physiques. Les violences physiques, ça détruit mais ça laisse des traces, donc sur le plan de la preuve, c'est davantage reconnu quand les gendarmeries traitent ces violences, c'est clair pour elles : « oui, là il y a vraiment quelque chose ».

Alors que les violences psychologiques, ça demande une méthodologie un peu différente pour les caractériser, même si on sait les caractériser sur la base du faisceau de preuves. Mais c'est une méthodologie différente, et ça prend du temps parce qu'il faut laisser la femme parler parce que parfois les femmes elles-mêmes ne les ont pas forcément identifiées comme relevant de violences psychologiques. Parce que ça fait tellement longtemps qu'elles le vivent, ça prend du temps car il faut aller dans le détail de la vie intime : c'est « concrètement, décrivez-moi votre quotidien ». Et il faut accompagner les femmes dans le repérage et l'identification de ces violences, être capable de leur signaler que tel comportement n'est pas normal, que ça relève aussi d'une forme de violence.

Et derrière, il faut un accompagnement psychologique parce que, au fur et à mesure, les femmes vont découvrir que ça se passe partout, tout le temps… Certaines en sont parfaitement conscientes, mais parfois c'est une prise de conscience. Et parfois ça prend du temps d'accompagner cette prise de conscience. Et c'est pour ça que c'est important que la femme ne soit pas seule, qu'il y ait un suivi, un cercle de soutien et de solidarité autour d'elle. Où chacun a un rôle à jouer—la police et la gendarmerie ont un rôle à jouer. Les associations – c'est super-important qu'elles soient accompagnées par des associations solidaires, par des bons psys, par un bon médecin traitant, par un entourage familial et amical soutenant, et c'est quand la victime a tout ça qu'elle va pouvoir se reconstruire plus rapidement. Parce là, c'est la société qui dit : « tu as bien fait de dénoncer » et qui va rompre la solitude organisée par l'agresseur. Et ce cercle de soutien, malheureusement, on a encore du mal à le mettre en place. Parce que la victime a été tellement bien isolée qu'elle n'a plus de cercle de soutien, en général la famille lui a tourné le dos – là je parle plus particulièrement des violences conjugales.

En général, elle n'a plus de boulot parce que son mari lui as dit « ma chérie, occupe-toi des enfants, je serais ravi de m'occuper de toi blablabla ». Et donc elle a perdu un cercle de soutien précieux, celui des collègues de travail. Tout ça est à reconstruire, et c'est tellement difficile de demander de l'aide quand on pense qu'on ne vaut rien – c'est ce que lui a mis en tête son mari. Et c'est humiliant aussi. Le discours de l'agresseur étant très bien intégré, l'impact de ces paroles est destructeur pour les victimes. Cet impact est omniprésent, il touche tous les aspects de la vie de la femme, et il est difficile à déconstruire. Ca peut se faire mais ça demande une bonne méthodologie et une bonne organisation sociale. Ca demande aussi — et j'y reviens dans toutes mes formations — que nous réalisions que, en tant que citoyens et citoyennes, on a le pouvoir d'être à l'écoute et de soutenir les personnes qui sont victimes. A la fin de ces formations, je demande souvent : « de quel côté vous êtes ? Est-ce que vous êtes du côté des agresseurs et du côté des institutions qui n'entendent pas ? Ou est-ce que vous allez être du côté de la solidarité avec la victime ? » Maintenant, vous avez les outils, maintenant vous avez les lunettes qui permettent de repérer les personnes qui sont victimes, pour pouvoir être en soutien, en solidarité avec ces personnes-là.

FS : L'impact du cyberharcèlement est aussi souvent minimisé. Quelle est la définition légale du harcèlement, quelles sont ses principales formes, comment réagissent les victimes et quel est son impact sur elles ? Et aussi qui sont les personnes qui cyberharcèlent – qui sont majoritairement des hommes–et quelles sont leurs motivations ?

CL : Le harcèlement, c'est partout, c'est sur les réseaux sociaux…

FS : Mais spécifiquement, le cyberharcèlement…

CL : Sur les réseaux sociaux, c'est une forme essentielle de cyberharcèlement. Ce qui est intéressant, c'est que le droit s'est adapté pour le prendre en compte, par exemple pour le harcèlement de meute qui a fait l'objet d'un changement de la législation (je crois en 2018). Comme la définition légale du harcèlement implique la répétition, dans le cas du harcèlement en ligne, il y avait des harceleurs qui disaient : « ah mais pour qu'il y ait harcèlement, il faut qu'il y ait répétition, mais moi je ne l'ai fait qu'une seule fois, j'ai mis un seul message sur un site donc je ne peux pas être poursuivi ». Le législateur a pris en compte cette forme de délinquance, donc maintenant peu importe, il y a deux éléments qui ont été rajoutés, et si cette personne a déjà été fait l'objet de harcèlement, ça suffira a constituer le délit de harcèlement. Donc à partir du moment où il y a concertation, et même si on ne l'a fait qu'une seule fois mais que plusieurs l'ont fait, ça sera aussi du cyberharcèlement. Ca veut dire que, en fait, le harcèlement est constitué assez rapidement en droit. Simplement, il faut qu'il y ait une plainte et puis derrière une enquête—et ça on l'a vu avec des affaires en cours où il y a eu une condamnation, mais pour une condamnation, il y a des milliers d'autres affaires qui n'aboutissent pas parce que la police ne fait pas les recherches, ne remonte pas sur les sites.

Le cyberharcèlement, c'est tellement massif qu'il faudrait multiplier par 100 le nombre des policiers qui s'en occupent. Quant à l'impact sur les victimes… Dans mon livre, à la fin, je mets un lien vers des streameuses qui ont poursuivi [2]. On voit l'impact que ça a sur elles, et on voit à quel point c'est difficile de dénoncer. Ca peut prendre des formes extrêmement graves, ce sont des menaces de mort, des menaces de viol. Pour certaines victimes, même en s'étant coupées de tous les réseaux sociaux, en arrêtant complètement d'y intervenir, ça continue quand même ; pour l'une d'elle, c'est l'adresse de l'école de son fils qui a été outée en ligne. Là aussi, ce sont des méthodes terroristes, on livre des informations privées à la vindicte sur les réseaux sociaux, et on peut tomber sur des gens qui, avec ces informations, peuvent passer à l'acte, sur des déséquilibrés, c'est une irresponsabilité incroyable de laisser faire ça. Qu'est-ce qu'on attend ? Qu'un déséquilibré passe à l'acte ? On a vu des incels qui sont passés à l'acte, notamment au Canada et ça a conduit à des morts. Si l'on prend la mesure de la gravité de ces agissements, est-ce que l'Etat s'est donné les moyens pour agir face à ça ? L'impact sur les victimes est énorme. On sait qu'on n'est pas à l'abri d'un homme extrêmement dangereux. Et ce n'est pas forcément un déséquilibré, ça peut être un masculiniste très convaincu qui considère qu'il faut remettre les femmes à leur place…

FS : C'est dangereux en particulier dans la mesure où il y a outing, c'est à dire que toutes sortes de détails personnels sont divulgués en ligne : votre adresse, votre lieu de travail etc.

CL : Absolument. Quand cela se produit, j'estime que l'Etat devrait se donner les moyens de façon à ce qu'il y ait poursuite immédiate. Quand on pense à Marc Lépine, l'auteur du massacre de l'Ecole polytechnique à Montréal, on considère qu'il était fou. Non, il n'était pas fou du tout. Il était juste politiquement très dangereux, et malheureusement, ça s'est vérifié. On devrait prendre au sérieux ces menaces-là. C'est comme pour les féminicides et les violences conjugales, souvent les auteurs ont dit qu'ils allaient la tuer…

FS : Généralement, oui…

CL : Et ça se vérifie. Le nombre de féminicides où il y a eu des menaces de mort qui ont été proférées et où ça n'a pas été pris au sérieux, ou insuffisamment. Si ça avait été pris en compte, ces femmes seraient encore vivantes.

FS : Bien sûr.

CL : Donc là, ce sont des actions pour responsabiliser l'Etat qu'il faut mener, et évidemment, on ne va pas le demander aux femmes concernées, elles ont déjà leur sécurité à assurer mais ça pourrait être mené par des collectifs féministes, par des associations. Quand on voit des procédures qui durent 5 ans, 6 ans, 7 ans, alors qu'on a toutes les preuves, ce n'est pas acceptable. Pendant tout ce temps-là, c'est la femme qui doit vivre avec cette procédure en permanence, dans un coin de sa tête, donc qui ne vit pas en fait, qui ne vit pas bien.

FS : La loi sur le harcèlement stipule qu'il faut qu'il y ait « répétition » pour que le fait de harcèlement soit établi. Qu'est-ce que ça implique concrètement pour la victime ?

CL : Sur la répétition, la circulaire d'application de la loi de 2012 dit bien qu'il suffit de deux fois, même espacées d'une seconde, donc le magistrat a été instruit par l'Etat avec cette circulaire, sur le fait qu'il faut la reconnaître très rapidement. Par exemple, un propos sexiste qui est répété deux fois dans la journée, ça suffit. En fait, cette exigence de répétition est constituée très rapidement, contrairement à ce que pourraient penser un certain nombre de harceleurs.

FS : Ok, c'est intéressant à savoir, je pensais que c'était plus difficile à constituer.

CL : Oui, c'est important. Par exemple, le gars qui va faire un premier commentaire, il va prendre un « non » de la part de la victime, et il va insister : « hein, tu veux bien, hein tu veux bien ». Ca y est, la répétition est constituée. Il a refait son commentaire une deuxième fois. Là où il y a un vrai problème, c'est que c'est toujours le discours des agresseurs et de leurs avocats qui prédomine. Et ils disent évidemment « mais non, là, ce n'est pas répété ». En fait, quand on regarde du côté des victimes et de leurs avocats, c'est évident que c'est répété mais ce n'est pas ça qui est entendu. Il y a toute une culture à avoir, il faut qu'on se passe des trucs entre nous. Parce qu'on a obtenu quand même des bonnes décisions mais ce n'est pas ça qui est connu, c'est le discours de l'agresseur qui continue d'être véhiculé. Il faudrait peut-être faire des vignettes pour que les victimes sachent et pour outiller les avocat.es des victimes.

FS : Que répondez-vous à celleux qui disent aux personnes harcelées : « moi à ta place, j'aurais fait… » et quel comportement les victimes de harcèlement devraient-elles adopter pour s'en sortir le mieux possible ?

CL : Le « moi à ta place… », c'est souvent véhiculé par des femmes. Les hommes ne se mettent pas à la place, et ils se doutent bien que c'est plus compliqué que ça. Souvent, ils sont dans l'expectative, ils restent cois. Pourquoi est-ce que les femmes disent ça ? Je pense que c'est un mécanisme de protection, elles se rassurent en disant que si ça leur arrivait, en fait ça ne leur arriverait pas parce qu'elles sauraient réagir. Comment on éduque les femmes à la solidarité plutôt qu'à la désolidarisation des femmes victimes ? On sait – il y a eu des études scientifiques sur ce sujet – que dans l'immense majorité des cas, les personnes victimes de violences sexuelles sont plongées dans un état de sidération qui les rend incapables de réagir. Donc comment on rend ces études accessibles au grand public ? C'est intéressant de voir l'évolution des campagnes publiques. Il y a eu une campagne publique sur les violences conjugales qui disait : « réagissez, parlez, brisez le silence ! » C'est facile à faire, les injonctions mais elles sont très difficilement audibles pour les victimes.

Et si on faisait une campagne : « vous avez été victime, vous n'avez pas pu réagir, c'est normal ». Tout d'un coup, on casserait ce stéréotype de « c'est à la victime de réagir ». Sauf que, si on cassait ce stéréotype, on casserait aussi toutes les questions des policiers, des gendarmes et des magistrats : « mais pourquoi vous n'avez pas crié ? » On a encore ces questions-là dans les procédures. La question de la réaction, il faudrait la poser très différemment : « comment est-ce que vous avez pu réagir à ce moment-là ? » « Je n'ai pas pu madame, je n'ai pas pu crier, j'étais tétanisée ». Et à ce moment-là, on peut dire : « mais madame, c'est normal ». Et on peut déconstruire ce stéréotype des victimes qui n'ont pas réagi. Par ailleurs, quand on entend ça et qu'on pose la question : « comment est-ce que vous avez pu réagir ? », il y en a beaucoup qui n'ont pas pu réagir mais il y a aussi toutes les stratégies d'évitement qui vont être valorisées : « j'ai changé mes horaires de travail, etc. » En fait, elles font plein de choses. Dans mon livre, je commence par dire que les femmes disent non et qu'en fait, elles réagissent. Simplement, l'agresseur, il n'en a strictement rien à faire. Face au « moi à ta place… », je dirais qu'on n'est jamais à la place des victimes, on ne sait jamais comment on va réagir. Quel comportement la victime devrait adopter pour s'en sortir le mieux possible ? Ce qu'elles font, c'est déjà énorme et elles le font très bien.

FS : Ne pas rester seules, chercher de l'aide autant que possible ? C'est aussi une injonction, j'en suis consciente…

CL : Etre convaincue que le silence profite à l'agresseur, et ensuite s'adresser aux associations, tout de suite, ne pas attendre. Et faire confiance à leur intuition. C'est particulièrement vrai dans le milieu du travail, où il y a une dégradation, où ça devient de plus en plus violent. Et les femmes ne font pas confiance à leur intuition. Parce que d'emblée, elles ne sont pas à l'aise, parce qu'il y a toute une injonction sociale qui va leur dire « mais ce n'est pas si grave, c'est une blague, allez, c'est juste quelqu'un de fruste etc. » Et c'est quand ça s'aggrave qu'elles vont se dire, « là, ça ne va pas ». Alors que si on fait confiance à ses intuitions et si d'emblée on dit que ce n'est pas normal et que d'emblée on ne reste pas seule face à ça : tout de suite il faut en parler en interne à des collègues de travail, en parler aux syndicats et aux représentants du personnel, en parler au médecin du travail, en parler en externe à l'Inspection du travail, en parler aux associations. Déjà, on va dé-serrer l'étau que l'agresseur commence à installer. On va prendre de la force pour aller voir l'agresseur et lui dire : « tu m'as dit ça, je ne suis pas d'accord avec ça, et je te préviens, je te demande de ne pas en reparler, et je te dis tout de suite que j'en ai parlé à l'extérieur donc sache je suis maintenant sous le radar ». Et là l'agresseur, je mets ma main au feu qu'il va s'arrêter de harceler. Ca peut prendre une autre forme – harcèlement moral, mise au placard etc. – s'il a le pouvoir mais à ce moment-là, on pourra faire le lien, il y aura un lien de causalité, on pourra voir que jusqu'à présent tout allait très bien, et comme par hasard, quelques jours après le jour où on a dénoncé les faits, ça va se transformer en harcèlement, ou la femme n'aura pas sa formation, ou elle aura un changement de ses horaires de travail etc. Et ça ne pourra pas passer.

Le conseil, c'est de ne pas rester seule, faire confiance à ses intuitions. Et d'emblée, tout de suite, dire au harceleur ou à l'agresseur : « attention, je t'ai à l'œil » et puis après en parler à son entourage le plus possible. Et tenir un cahier, un récit écrit de ce qui se passe. Tout de suite. Et éventuellement déposer plainte tout de suite.

FS : Parce qu'il y a évidemment la question de la prescription qui est un gros problème.

CL : Oui, c'est un gros problème. Je milite pour l'imprescribilité des infractions contre les personnes, contre les biens je m'en fiche un peu mais pour les personnes majeures ou mineures, pour moi, la prescription, c'est un non-sens. Il faut continuer la lutte pour abolir cette prescription. Le fait qu'elle ait été rallongée à 6 ans pour les délits, ça permet quand même de couvrir davantage de plaintes, on a quand même doublé la prescription mais avant, 3 ans, c'était lamentable : on le voyait dans les affaires sur le lieu de travail : tant qu'elle était au travail, elle ne pouvait pas dénoncer de peur de perdre son travail – il y a peu de personnes qui peuvent se permettre de perdre leur travail. Après, elles dénonçaient quand elles avaient quitté leur travail et en avaient retrouvé un autre, mais le temps qu'elles se reconstruisent dans un autre travail, c'était 2 ans ou 3 ans, ça passait très rapidement, et il y avait prescription. Au bout de 6 ans, c'est tout de même un peu mieux, mais quand bien même ça va un peu mieux, c'est une question de principe, et c'est inacceptable.

[1] https://www.mediapart.fr/journal/international/030324/traitement-judiciaire-du-viol-huit-femmes-veulent-voir-la-france-condamnee-par-la-cedh#:~:text=En%202022%20et%202023%2C%20la,est%20d'une%20ampleur%20in%C3%A9dite.
[2] https://www.radiofrance.fr/franceinter/cyber-harcelement-des-streameuses-comment-les-joueuses-contre-attaquent-2391568

https://revolutionfeministe.wordpress.com/2024/03/31/harcelement-le-silence-profite-a-lagresseur/

De l'autrice
VIOL ET JUSTICE : des victimes présumées consentantes. Interview de Catherine Le Magueresse par Francine Sporenda
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/02/05/viol-et-justice-des-victimes-presumees-consentantes/
Note de lecture : Les pièges du consentement : Briser l'infamant carcan de la présomption de consentement qui pèse sur les victimes
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/11/24/briser-linfamant-carcan-de-la-presomption-de-consentement-qui-pese-sur-les-victimes/

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Soudan : Par-delà la guerre, l’épuration ethnique

9 avril 2024, par Luiza Toscane — , ,
Le conflit entre les Forces Armées Soudanaises (FAS) dirigées par Abdelfattah Al Burhane et les Forces de Soutien Rapide (FSR) de Mohammad Dagolo, dit Hemedti, entre dans sa (…)

Le conflit entre les Forces Armées Soudanaises (FAS) dirigées par Abdelfattah Al Burhane et les Forces de Soutien Rapide (FSR) de Mohammad Dagolo, dit Hemedti, entre dans sa deuxième année, sans que la situation ne soit tranchée en faveur de l'un ou de l'autre des belligérants.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

L'avancée des FSR était toutefois inattendue, compte tenu de leur absence d'aviation. Mais entretemps, les soutiens internationaux se sont multipliés pour les deux camps [1]. Et les FSR se sont notoirement enrichis matériellement en même temps que leurs soutiens ou contacts internationaux se diversifiaient [2]. Le conflit a sabordé la plus prodigieuse expérience révolutionnaire de la région et a entraîné une catastrophe humanitaire.

Plus de neuf millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur et à l'extérieur du Soudan depuis le 15 avril 2023, dont quatre millions d'enfants. Il s'agit de l'une des plus grandes crises de déplacement interne au monde. Quelque dix-huit millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, le pays étant en passe de devenir le théâtre de la plus grande crise alimentaire au monde.

En parallèle du conflit, se mène la guerre des FSR contre les Massalit, au Darfour Ouest. La chronologie des attaques menées par les RSF, leur finalité, leurs moyens, révèle que ces dernières n'ont rien à voir avec le conflit inter généraux, mais relèvent de considérants ethniques et économiques. Il semblerait qu'en cas de partition du pays, pendant ou à la suite du conflit, les forces de Hemedti se prépareraient à prendre le pouvoir sur une zone à hégémonie arabe. Les RSF ne sont plus exactement les miliciens janjaweed, – même si au niveau des populations, l'appellation de janjaweed s'est maintenue –, chameliers, mais viennent à bord de pickup et sont armés mitraillettes et de drones, à défaut d'aviation. Ils disposent des richesses aurifères via la société El Gunaid et de sociétés, ainsi que de leurs alliés : Wagner, Émirats Arabes Unis, entre autres.

Les populations non arabes de cette zone avaient déjà été massacrées par les milices janjaweed (ancêtre des FSR) entre 2003 et 2020, à savoir les Fours, les Massalit et les Zaghawa. Cela avait conduit la Cour Pénale Internationale (CPI) à inculper plusieurs personnes, dont l'ex-président Omar El Béchir pour crimes contre l'humanité, transferts forcés et tortures. Ces crimes s'étaient soldés par la mort de 300 000 personnes. En 2010, la CPI a émis un acte d'accusation contre Omar El Béchir et six autres suspects pour génocide. Aucun d'eux n'a été arrêté à ce jour, Khartoum n'ayant jamais remis à la CPI les personnes recherchées. Pire, certains d'entre eux, emprisonnés au Soudan, se sont évadés, un autre est décédé. Or la CPI ne juge pas les personnes en leur absence. Un seul, Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, dit Ali Kushayb, s'est rendu à la Cour en République Centre Africaine en 2020 et est détenu à La Haye. Son procès s'est ouvert en 2022.

Environ 360 000 réfugiés du Darfour se trouvaient dans des camps au Tchad quand le conflit de 2023 a éclaté. Les forces des FSR ont continué leurs attaques contre les Massalit. Car au Darfour occidental, le conflit ne se mène pas entre les FAS et les FSR, mais il s'agit d'une attaque des FSR contre les Massalit, entre autres peuples non arabes.

Le 30 décembre 2019 et le 16 janvier 2021, soit avant la guerre des généraux, des miliciens arabes et des éléments des FSR attaquent le camp de Kirinding, majoritairement peuplé de déplacés Massalit, faisant respectivement 45 et 150 morts, alors que la mission de l'ONU était encore présente. En 2021, le camp est rasé. Les rescapés s'enfuient vers de nouveaux camps à El Geneïna, capitale du Darfour occidental.

Le 24 avril 2022, un an avant la guerre opposant les FAS et les FSR, Kreineik, ou vivent nombre de Massalit, est attaqué par les FSR, lors d'un raid qui a tué plus de 200 personnes, dont des enfants et des personnes âgées. Presque toutes les maisons de la ville (à 80 km à l'ouest de El Geneïna) ont été brûlées, le bétail est décimé. Plus de 20 000 personnes s'enfuient. [3]

Ainsi, l'épuration ethnique des Massalits avait commencé avant la guerre et elle va se poursuivre à l'ombre de cette dernière, l'objectif restant pour les FSR et les milices arabes qui leur sont alliées, essentiellement nomades de prendre possession des terres des Massalits, majoritairement agriculteurs. Les meurtres et viols se doublent d'une pratique de la terre brûlée, destinée à empêcher tout retour.

Fin avril 2023, les FSR et des milices arabes alliées fondent sur El Geneïna où entre 10 000 et 15 000 Massalit auraient été tués, y compris des notables et des responsables. [4]

28 mai 2023, les FSR exécutent 28 massalit dans la ville de Misterei, pillent et brûlent la majeure partie de la ville et six autres villages au Darfour dont Molle, Murnei et Gokor ont été incendiés. 17 000 réfugiés de Misterei sont au Tchad.

Vers le 1er novembre 2023, les FSR attaquent la base de l'armée à Ardamata (banlieue de Geneina) et les massacres s'intensifient après la prise de cette dernière. Femmes et hommes et enfants massalit sont pris pour cibles ainsi que d'autres membres de tribus non arabes. Des civils sont exécutés sommairement chez eux ou dans les rues lorsqu'ils tentaient de fuir. Se concentrant sur les camps de déplacés d'Ardamata et de Dorti, et sur le quartier d'Al-Kabri habité par les Massalit, les FSR et ses milices alliées auraient pillé des maisons, torturé des personnes et exécuté nombre d'entre elles puis abandonné leurs corps dans la rue. Plus de 800 personnes auraient été tuées à Ardamata [5], 1300 si l'on compte ceux qui ont été tués alors qu'ils s'enfuyaient et 8000 ont fui au Tchad.

Ces données chiffrées sont fournies à titre indicatif, et sont évolutives. Elles ne prennent pas en compte toutes les personnes entassées dans les fosses communes, qui n'ont pas encore toutes été découvertes, et, surtout, ne prennent pas en compte les nombres de femmes violées en masse, évidemment impossibles à décompter.

La CPI enquête sur les crimes commis au Darfour à partir des années 2002 sans qu'aucune date de fin n'ait été arrêtée et le procureur de la Cour, Karim Khan, l'a réaffirmé le juillet 2023, après avoir été saisi de nouvelles allégations de crimes contre l'humanité dans cette région.

Notes

[1] Soudan, le nœud coulant | L'Anticapitaliste.

[2] Un chef janjawid visite le mémorial du génocide rwandais (sudanwarmonitor.com)

[3] Kreinik town today is a burned-out spectre after the attack that happened last year | MEDECINS SANS FRONTIERES - MIDDLE EAST (msf-me.org)

[4] Ethnic killings in one Sudan city left up to 15,000 dead, UN report says | Reuters

[5] UNHCR warns of increasing violence and human rights violations against civilians in Darfur | UNHCR

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Comment les défenseurs des droits soudanais risquent leur vie pour documenter la guerre

9 avril 2024, par Ela Yokes — , ,
Les groupes de la société civile soudanaise jouent un rôle central dans la documentation des violations des droits humains commises pendant 10 mois de conflit, alors même que (…)

Les groupes de la société civile soudanaise jouent un rôle central dans la documentation des violations des droits humains commises pendant 10 mois de conflit, alors même que les volontaires risquent d'être arrêtés par les parties belligérantes et sont aux prises avec une coupure d'Internet qui dure un mois.

Tiré d'Afrique en lutte.

Des groupes de jeunes, des associations juridiques et des civils agissant à titre personnel ont tous été impliqués dans l'inventaire des impacts sur les droits humains du conflit qui a débuté en avril 2023 et oppose l'armée aux forces paramilitaires de soutien rapide (RSF).

« La documentation est une voie vers la justice », a déclaré à The New Humanitarian Noon Kashkoush, d'Emergency Lawyers, un groupe juridique qui surveille les abus. Elle a déclaré qu'elle espérait que les preuves rassemblées par son groupe seraient un jour utilisées par le système judiciaire soudanais.

Le conflit au Soudan a été déclenché par un désaccord sur le projet de fusion des RSF dans l'armée. Cependant, la guerre fait écho à une lutte plus longue entre les élites militaires et politiques issues de groupes basés au centre et les challengers des périphéries marginalisées.

La lutte pour le pouvoir a provoqué la plus grande crise de déplacement au monde, déracinant plus de huit millions de personnes, et menace également de déclencher la plus grande crise alimentaire . Les appels lancés la semaine dernière par le Conseil de sécurité de l'ONU en faveur d'une trêve pendant le Ramadan ont été rejetés par l'armée.

Les difficultés d'accès pour les agences d'aide internationale signifient que les groupes locaux d'entraide ont assumé la majeure partie des efforts de secours dans les endroits les plus touchés par le conflit. De même, les initiatives de la société civile ont porté la charge de la documentation sur les droits de l'homme.

Malgré la situation sécuritaire volatile, des groupes locaux ont mené des efforts pour documenter les violences sexuelles et les meurtres, surveiller les violations du cessez-le-feu, retrouver les personnes disparues et rendre compte des sites de détention de fortune gérés à la fois par l'armée et les RSF.

Les conclusions de ces groupes de la société civile ont alimenté de nombreux rapports sur les droits de l'homme, notamment un rapport détaillé publié le mois dernier par l'ONU, qui accuse les deux parties au conflit d'avoir commis des abus généralisés, dont certains pourraient constituer des crimes de guerre.

Le rapport accuse les combattants de RSF d'occuper des immeubles résidentiels pour se protéger des attaques de l'armée, d'avoir massacré des milliers de personnes dans la région du Darfour et de commettre de nombreux abus sexuels, notamment des cas de viols et de viols collectifs.

De son côté, l'armée est accusée d'avoir tué plus de 100 civils dans des frappes aériennes qui visaient ostensiblement les positions de RSF mais menées dans des zones urbaines densément peuplées ou contre des bâtiments publics, notamment des églises et des hôpitaux.

Le rapport documente également les attaques contre les défenseurs des droits humains. Il indique que des militants ont été kidnappés et ont fait l'objet de menaces de mort et de campagnes de diffamation organisées par des partisans de l'armée, tandis que plusieurs observateurs des droits de l'homme au Darfour ont été tués par les RSF.

Avocats bénévoles et groupes de jeunes

De nombreux groupes documentant les violations des droits ont été actifs lors de la révolution soudanaise de 2018-2019 qui a renversé le dictateur Omar al-Bashir, et lors des manifestations qui ont suivi le coup d'État de 2021 entre l'armée et les RSF qui a mis fin à la transition démocratique post-Bashir.

Avant la guerre, le groupe Emergency Lawyers fournissait une assistance juridique aux familles de manifestants et militants pro-démocratie qui avaient été arbitrairement arrêtés, torturés ou tués par les forces de sécurité.

Kashkoush a déclaré que le groupe se concentre désormais sur les abus liés à la guerre, notamment le bombardement de zones civiles et de centres de détention mis en place par l'armée et RSF dans la capitale, Khartoum, et dans les villes voisines d'Omdurman et de Bahri.

Kashkoush a déclaré que la publication des rapports et des annonces du groupe avait contribué à obtenir la libération de centaines de détenus – dont certains appartenant au réseau des avocats d'urgence lui-même – même si elle a décrit de nombreuses difficultés.

  • « Toutes ces violations documentées se heurtent au problème selon lequel les déplacements sur le terrain sont très difficiles », a-t-elle déclaré. « Nous dépendons beaucoup des [informations] open source, telles que les séquences vidéo, et nous nous efforçons de les vérifier à l'aide de déclarations de témoins. »

Un autre groupe impliqué dans la documentation des abus est le Youth Citizens Observers Network (YCON). Elle a été créée fin 2021 par des bénévoles souhaitant faire la lumière sur les violations commises contre des manifestants pro-démocratie et des militants de la société civile.

Après le déclenchement du conflit actuel, le réseau a relancé sa plateforme dans une position anti-guerre, selon l'un des bénévoles du groupe, qui a demandé à rester anonyme pour assurer sa sécurité.

Le volontaire a déclaré que YCON dispose d'observateurs à travers le Soudan et publie des rapports mensuels sur l'impact de la guerre et la situation des droits de l'homme. Il a également surveillé plusieurs trêves entre l'armée et les RSF qui ont été violées l'année dernière.

  • « Dans n'importe quelle région, des observateurs civils formés aux méthodes de documentation et de vérification sont présents sur le terrain et disposent d'un réseau de connexions très étendu », a expliqué le volontaire. "Tout événement se produisant dans une zone spécifique, ils en seraient informés."

L'émission d'un homme d'affaires

Dans les cas où l'accès aux lieux touchés par les combats s'avère trop difficile pour les groupes de la société civile, les civils déjà sur le terrain ont pris l'initiative de documenter ce dont ils sont témoins et de publier des preuves sur les réseaux sociaux.

Lorsque les premiers affrontements entre les RSF et l'armée ont éclaté à Khartoum, Hassan Abd al-Rauf, un commerçant local qui dirigeait une agence de voyages et un magasin de vêtements pour hommes, s'est retrouvé pris dans l'épicentre.

Au lieu de s'enfuir ou de se conformer à un ordre des RSF ordonnant aux civils de quitter son quartier, al-Rauf a décidé de rester, de garder ses propriétés et d'offrir son aide à ceux qui avaient du mal à fuir.

En parcourant les rues désertes, al-Rauf a commencé à enregistrer des émissions en direct sur sa page Facebook. Ses images révélaient l'étendue des destructions et montraient des civils non armés qui avaient été tués dans des tirs croisés ou pris pour cible par des tireurs embusqués.

  • « Lorsque j'ai commencé à diffuser des émissions, l'objectif était de connecter les gens avec ce qui se passait sur le terrain et d'envoyer des photos [des dégâts] aux propriétaires de la région », a déclaré al-Rauf dans une interview après avoir fui le Soudan pour y fuir le Soudan.

Deux semaines après le début des diffusions – qui ont enregistré des centaines de milliers de vues – les mises en ligne d'al-Rauf se sont soudainement arrêtées. Il a déclaré avoir été capturé par des combattants de RSF dans la capitale et détenu dans un centre de détention pendant 25 jours.

« [Les RSF] en étaient certainement au courant et c'est la raison de mon arrestation », a déclaré al-Rauf. « [Une de mes vidéos montrait] un certain nombre de véhicules des RSF après avoir dévalisé la banque de Khartoum et été touchés par des avions militaires. »

Menaces de sécurité et panne de communication

Le bénévole de YCON a déclaré que les membres de leur groupe ont été victimes de harcèlement et de menaces d'arrestation de la part des forces de sécurité alors qu'ils tentaient de se déplacer d'un endroit à l'autre pour documenter les violations.

Des menaces similaires ont également été décrites par Thouiba Hashim Galad, membre de Missing Initiative, un groupe local doté d'une plateforme permettant aux gens de publier des informations sur les personnes disparues. Le groupe possède une page Facebook avec des centaines de milliers de followers.

"Sur le plan personnel, je reçois des messages privés contenant des menaces et des propos très grossiers", a déclaré Galad. « Avant la guerre, [les autorités militaires] essayaient à plusieurs reprises de pirater notre page », a-t-elle ajouté.

En plus des risques sécuritaires, les volontaires ont déclaré à The New Humanitarian qu'ils étaient également aux prises avec une panne de communication à l'échelle nationale qui a commencé début février et qui a été imputée à RSF.

Kashkoush, du groupe Emergency Lawyers, a déclaré que son organisation n'est pas en mesure de recevoir des mises à jour quotidiennes sur les violations des droits humains, et qu'elle reçoit à la place une multitude de rapports pendant les brefs instants où elle dispose d'une connexion Internet.

Kashkoush a appelé à une enquête internationale sur cette panne, qu'elle a qualifiée de « violation constitutionnelle » et de « tentative délibérée de l'une ou des deux parties » de restreindre l'accès à l'information et de contrecarrer les efforts de documentation.

  • « Une coupure prolongée d'Internet est synonyme de catastrophe humanitaire sur le terrain, car la majorité des civils présents dans les zones de combat dépendent entièrement des transferts bancaires mobiles pour survivre », a ajouté Kashkoush.

Le fardeau psychologique

Documenter les violations des droits a également eu un impact psychologique sur les volontaires, selon Galad de Missing Initiative, fondée en 2019 peu après que RSF a tué plus de 120 manifestants pro-démocratie lors d'un sit-in à Khartoum.

Galad, qui est actuellement bénévole pour l'initiative depuis l'extérieur du Soudan, a déclaré que l'aspect le plus difficile de son travail consiste à annoncer de mauvaises nouvelles aux familles lorsqu'elle apprend qu'une personne disparue a été retrouvée morte.

Au cours des premières semaines du conflit, la page Facebook de Missing Initiative a été inondée de demandes d'informations sur les personnes qui étaient sorties faire des courses ou du carburant et n'étaient pas revenues.

Entre avril et août 2023, Galad a déclaré que le groupe avait reçu plus de 600 signalements de personnes disparues. Elle a ajouté qu'ils ont arrêté de publier des statistiques lorsqu'ils ont réalisé que le nombre réel de cas était probablement bien supérieur à ceux qui leur étaient signalés.

Malgré les défis auxquels le groupe est confronté, Galad a déclaré au New Humanitarian qu'elle était déterminée à maintenir l'initiative en vie, d'autant plus que le conflit échappe à l'attention internationale.

"La principale raison pour laquelle je fais cela est parce que je suis un défenseur des droits de l'homme", a déclaré Galad. « Il s'agit d'une continuation du travail que nous avons commencé après le massacre [du sit-in de Khartoum en 2019], sur la base qu'à l'avenir, les deux parties seront tenues pour responsables. »

Le volontaire de YCON partage un point de vue similaire : « La motivation fondamentale qui nous permet de continuer à surveiller la situation… est que cela fournira des informations précises et enregistrées pour les institutions qui travailleront plus tard sur [la justice] ».

Ela Yokes, Photographe et journaliste basé entre Istanbul et Khartoum

Source

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Le monde ignore la famine au Soudan ; 230 000 enfants et leurs mères pourraient mourir dans les mois qui viennent

9 avril 2024, par Democracy now ! — , ,
Le Soudan est en passe de devenir la pire crise alimentaire au monde, selon les Nations Unies. Depuis plus d'un an, les combats entre l'armée soudanaise et les Forces de (…)

Le Soudan est en passe de devenir la pire crise alimentaire au monde, selon les Nations Unies. Depuis plus d'un an, les combats entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (VLU) ont perturbé le pays, déplaçant plus de 8 millions de personnes souffrant de la faim extrême dans les zones où les combats sont les plus intenses. L'augmentation de la demande intervient alors que l'appel de fonds de l'ONU de 2,7 milliards de dollars pour le Soudan est financé à moins de 5 %. Les financements se tarissent également au Tchad, où quelque 1,2 million de Soudanais ont trouvé refuge. « Il s'agit de la plus grande crise de mortalité de masse à laquelle nous sommes confrontés dans le monde et la plus importante à laquelle nous ayons probablement été confrontés depuis de nombreuses décennies », a déclaré Alex de Waal, auteur de Mass Starvation : The History and Future of Famine, qui déplore les coupes « choquantes » dans le Programme alimentaire mondial qui est essentiel au système mondial d'intervention d'urgence. « Si cela ne fonctionne pas, nous allons nous retrouver confrontés à des crises de mortalité de masse que nous n'avons tout simplement pas vues depuis un demi-siècle ou plus. »

25 mars 2024 | democracy now ! | Invité : Alex de Waal, directeur exécutif de la World Peace Foundation à l'Université Tufts.
https://www.democracynow.org/2024/3/25/sudan

AMY GOODMAN : Tournons-nous maintenant vers le Soudan, où environ la moitié de la population est devenue dépendante de l'aide alimentaire, alors que les Nations Unies avertissent que le pays déchiré par la guerre est en passe de devenir la pire crise alimentaire au monde.

EDEM WOSORNU : La malnutrition atteint des niveaux alarmants et fait déjà des victimes parmi les enfants. Un récent rapport de MSF a révélé qu'un enfant meurt toutes les deux heures dans le camp de Zamzam à El Fasher, au Darfour-Nord. Nos partenaires humanitaires estiment que dans les semaines et les mois à venir, environ 222 000 enfants pourraient mourir de malnutrition. L'OMS estime que plus de 70 % des établissements de santé ne sont pas fonctionnels.

AMY GOODMAN : Le conflit entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (RSF) rivales a éclaté il y a près d'un an, le 15 avril 2023. Elle a déplacé plus de 8 millions de personnes. Environ 90 % de la population confrontée à des niveaux d'insécurité alimentaire d'urgence au Soudan se trouve à Khartoum, au Darfour et au Kordofan, des régions qui ont connu certains des combats les plus intenses. Mais l'appel de fonds de l'ONU de 2,7 milliards de dollars pour le Soudan est financé à moins de 5%. L'aide se tarit également au Tchad, où quelque 1,2 million de Soudanais ont trouvé refuge. La guerre a également donné lieu à de nombreux rapports selon lesquels les forces armées auraient utilisé le viol et la violence sexuelle comme armes. Et quelque 19 millions d'enfants ont été privés d'école.

Alex de Waal, la famine est votre domaine d'expertise. Vous êtes directeur exécutif de la World Peace Foundation à l'Université Tufts et auteur du livre Mass Starvation : The History and Future of Famine. Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus dans ce qui se passe au Soudan en ce moment ?

ALEX DE WAAL : Le Soudan connaît une crise alimentaire et une famine d'un autre genre que Gaza. Il s'agit d'une situationt d'une ampleur énorme. Il est difficile d'aider le grand nombre de personnes qui sont touchées. Le Soudan est un pays de près de 50 millions d'habitants. La moitié d'entre eux sont aujourd'hui en situation d'urgence. Vous avez dit tout à l'heure que cette population dépend de l'aide alimentaire. Franchement, malheureusement, l'aide alimentaire n'est pas là. Au moment même où nous parlons, le Programme alimentaire mondial, qui est le plus grand pourvoyeur d'aide alimentaire, réduit son budget, réduit son personnel de 30 %, parce qu'il ne reçoit pas l'argent dont il a besoin. Ce n'est pas un système parfait, loin de là, mais c'est le seul système que nous ayons.

Et ce qui m'inquiète particulièrement au Soudan, ce sont en réalité trois choses. Premièrement, contrairement aux crises alimentaires précédentes au Soudan, le cœur de l'économie est en train d'être détruit. Le grenier à blé du Soudan ne fonctionne pas ; on ne cultive pas de nourriture. Deuxièmement, il ne s'agit pas seulement d'une crise au Soudan. La plupart des voisins sont touchés. Vous avez mentionné le Tchad. Le Soudan du Sud, qui faisait autrefois partie du Soudan, est également confronté à une crise alimentaire majeure, tout comme l'Éthiopie voisine. Et nous n'avons jamais vu autant de pays voisins de cette région sombrer dans l'urgence alimentaire en même temps. Et tout cela se produit alors que le système d'urgence international est mis à rude épreuve. Il fait face à d'importantes compressions. Nous ne répondons tout simplement pas comme il le faut. C'est tout à fait calamiteux.

AMY GOODMAN : Une vidéo de l'UNICEF avertit que des centaines de milliers d'enfants soudanais souffrent de malnutrition sévère, ont peut écouter Jill Lawler, chef des opérations sur le terrain et des urgences pour l'UNICEF au Soudan.

JILL LAWLER : Le nombre d'enfants souffrant de malnutrition aiguë augmente et la période la plus difficile n'a même pas commencé. Selon les prévisions, près de 3,7 millions d'enfants souffriront de malnutrition aiguë cette année au Soudan, dont 730 000 auront besoin d'un traitement vital. Rien qu'à Khartoum, les besoins en enfants sont énormes. Mais c'est aussi vrai au Darfour, où j'étais le mois dernier en mission transfrontalière à travers le Tchad. L'ampleur des besoins des enfants partout au pays est tout simplement stupéfiante. Le Soudan est aujourd'hui la plus grande crise de déplacement au monde. Et certains des enfants les plus vulnérables se trouvent dans les endroits les plus difficiles d'accès.

AMY GOODMAN : Alors, comment y remédier, Alex de Waal ? Encore une fois, près de 230 000 enfants, femmes enceintes et nouvelles mères pourraient mourir de faim dans les prochains mois ?

ALEX DE WAAL : En effet, il s'agit de la plus grande crise de mortalité de masse à laquelle nous sommes confrontés dans le monde, et la plus grande à laquelle nous ayons probablement été confrontés depuis de nombreuses décennies, certainement la plus importante depuis que j'ai commencé à travailler sur ce sujet il y a 40 ans, à l'époque des famines éthiopienne et soudanaise, beaucoup se souviendront des concerts du Live Aid.

Comment peut-on l'arrêter ? Je veux dire, les deux choses les plus immédiates sont un cessez-le-feu et la fin de la destruction de ce qui est nécessaire pour maintenir la vie et produire de la nourriture au Soudan. Et il ne semble pas y avoir beaucoup de signes pointant dans cette directon. Il n'y a pas vraiment de pression sur les parties belligérantes pour parvenir à un accord, même de base. Ils semblent vouloir continuer à se battre. Et plusieurs pays déversent des armes dans le pays pour intensifier le conflit. Mais l'autre est aussi de financer cette opération humanitaire, qui est, comme vous l'avez mentionné, totalement sous-financée à l'heure actuelle. Il n'y a presque pas de ressources disponibles pour fournir les produits de première nécessité aux gens.

AMY GOODMAN : Et, en fait, le Programme alimentaire mondial — vous savez, nous parlions de Gaza. Nous parlions des coupes massives dans l'UNRWA. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a également procédé à des coupes massives.

ALEX DE WAAL : En effet, c'est choquant. Il y a quelques jours, j'essayais de parler à d'anciens collègues qui travaillent sur ces questions, et j'ai constaté qu'ils ont été réaffectés ou qu'ils ont perdu leur emploi. À l'heure actuelle, nous n'avons qu'un seul système mondial d'intervention d'urgence, qui est centré sur le Programme alimentaire mondial. Et donc nous devons faire en sorte que cela fonctionne, parce que si cela ne fonctionne pas, nous allons nous retrouver confrontés à des crises de mortalité de masse que nous n'avons tout simplement pas vues depuis un demi-siècle ou plus.

AMY GOODMAN : Eh bien, Alex de Waal, nous vous remercions beaucoup d'être avec nous, directeur exécutif de la Fondation pour la paix mondiale à l'Université Tufts, auteur du livre Mass Starvation : The History and Future of Famine. Nous mettrons un lien vers vos articles sur le Soudan et Gaza et plus encore. https://www.theguardian.com/profile/alex-de-waal

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Le Sénégal, la démocratie et les grandes puissances

9 avril 2024, par Cherif Lahdiri — , ,
Certaines grandes puissances aiment souvent donner des leçons de démocratie à des pays en développement, notamment africains. Or, cette formidable alternance démocratique, qui (…)

Certaines grandes puissances aiment souvent donner des leçons de démocratie à des pays en développement, notamment africains. Or, cette formidable alternance démocratique, qui vient d'avoir lieu au Sénégal pour la troisième fois dans l'histoire de ce pays, tombe à point nommé pour bien montrer que ces puissances sont mal placées pour faire la leçon aux pays africains.

Tiré d'El Watan.

Il y a quatre ans, aux Etats-Unis, Donald Trump a contesté sa défaite usant de moyens loin d'être démocratiques. Au Sénégal, qui vient de connaître une nouvelle séquence républicaine, le candidat qui vient de perdre l'élection présidentielle a félicité le vainqueur. Le président sénégalais sortant Macky Sall et le candidat de la coalition au pouvoir à la présidentielle, Amadou Ba, ont félicité la victoire de Bassirou Diomaye Faye.

La démocratie est ainsi profondément enracinée au Sénégal qui vient de vivre sa troisième alternance démocratique de son histoire. Bassirou Diomaye Faye a remporté, dès le premier tour, le scrutin présidentiel sénégalais avec près de 55% des suffrages exprimés, en battant le candidat du pouvoir Amadou Ba. Bassirou Diomay Faye, 44 ans, est un jeune président du pays ouest-africain de 18 millions d'habitants. Ses adversaires ont reconnu sa victoire. L'événement est aussi un exemple sur un continent dont l'image est parfois ternie par des putschs. Ce pays confirme ainsi son profond attachement au processus démocratique.

Pourtant, rien n'a été facile. Ce scrutin a été précédé de trois ans de turbulences. L'opposant qui était en prison, une dizaine de jours avant le scrutin, Bassirou Diomay Faye et son mentor Ousmane Sonko ont été codétenus pendant des mois, avant leur libération en pleine campagne électorale à la mi-mars.

Des violences ont émaillé la vie politique depuis deux ans avec leur lot de morts, le tout ponctué par un report du scrutin qui a fait craindre le spectre du chaos. La victoire sans appel de Bassirou Diomaye Faye et la reconnaissance par l'ex-Premier ministre Amadou Ba de sa défaite confirment que le Sénégal est l'un des pays résolument démocratiques d'Afrique. L'élection s'est déroulée dans un climat empreint de sérénité.

L'Union africaine a salué ce qu'elle reconnaît être comme « une maturité démocratique du peuple sénégalais ». En 2000, le Sénégal a vécu sa première alternance démocratique qui a mis fin au règne sans partage du Parti socialiste depuis l'indépendance du pays, en 1960. Battu, le président sortant Abdou Diouf a félicité le vainqueur Abdoulaye Wade.

Ce dernier sera, à son tour, battu 12 ans plus tard par Macky Sall dont l'accession à la magistrature suprême a mis fin à douze années de pouvoir de Wade. Ce dernier a reconnu sa défaite et a appelé le vainqueur pour le féliciter. Ainsi, c'est la troisième passation de pouvoir qui se déroule dans la convivialité entre un président sortant vaincu et un nouvel élu à la magistrature suprême de ce pays.

Le nouveau président Bassirou Diomay Faye se présente comme un « panafricaniste de gauche » qui veut rétablir une « souveraineté » nationale parasitée, selon lui, à l'étranger. Le Sénégal « demeurera un Etat ami et l'allié sûr et fiable de tout partenaire qui aspire à une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement bénéfique », a-t-il assuré.

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Les peuples autochtones, ces fins connaisseurs du changement climatique

9 avril 2024, par Chris Baraniuk — ,
Les climatologues recourent de plus en plus aux observations des populations autochtones pour analyser le dérèglement climatique. Et ils ont tout à fait raison de le faire, (…)

Les climatologues recourent de plus en plus aux observations des populations autochtones pour analyser le dérèglement climatique. Et ils ont tout à fait raison de le faire, explique ce magazine scientifique en ligne.

Tiré de Courrier international. Illustration de Ramsès, Cuba.

Autrefois, pendant l'été, Frank Ettawageshik passait l'essentiel de son temps dehors, dormant souvent à même le sol. Il évite aujourd'hui de le faire, à moins de prendre des précautions. “J'avais à peu près 35 ans quand j'ai vu une tique pour la première fois”, précise le directeur exécutif d'United Tribes of Michigan, un groupe de défense des droits des Amérindiens. Dans le nord du Michigan, de nos jours, “les tiques sont partout”.

Frank Ettawageshik appartient à la culture anichinabée, dont les membres viennent de la région des Grands Lacs. Il fait partie des Outaouais de Little Traverse Bay, installés depuis des siècles sur les rives nord-ouest de la péninsule inférieure du Michigan. Outre l'invasion des tiques, phénomène exacerbé par la hausse des températures, ils ont observé le déclin du grand corégone, un poisson du lac Michigan, et des changements dans les récoltes de l'érable à sucre, appelé niinatig, “notre arbre” en langue des Outaouais. D'après des travaux de recherche, la hausse des températures pourrait évincer cette essence du Michigan, ce qui vient s'ajouter aux inquiétudes de Frank Ettawageshik. “Notre arbre va s'éloigner de nous”, dit-il.

Les Outaouais de Little Traverse Bay ont observé de nombreuses évolutions sur leurs terres ancestrales au fil des siècles, mais selon Frank Ettawageshik, le changement climatique anthropique s'en distingue. “Il se produit à un rythme inhabituel.”

Recensement de petits changements

Pour beaucoup, les sciences du climat évoquent des observations satellite, des relevés de températures ou encore l'analyse de carottes de glace, mais il existe beaucoup d'autres données. Les populations autochtones, qui vivent proches de la nature depuis longtemps – et dont la survie dépendait d'une connaissance profonde de leur environnement –, ont souvent leurs propres archives et souvenirs. Ce sont parfois des détails remarquables concernant l'évolution de phénomènes météorologiques, des changements de la végétation ou des comportements inhabituels chez les animaux qui sont apparus devant leurs yeux.

Aujourd'hui, les anthropologues et les chercheurs en climatologie au sein d'institutions occidentales interrogent de plus en plus ces populations sur ce qu'elles ont observé du monde qui les entoure. Ils découvrent qu'elles cataloguent à leur manière des données sur les changements à un niveau ultralocal – qui pourrait échapper aux sciences climatiques occidentalisées – ainsi que les répercussions de ces changements sur les habitants.

“Je crois en la science amérindienne, je suis convaincu qu'il s'agit de science à proprement parler”, affirme Richard Stoffle, anthropologue à l'université de l'Arizona et auteur principal d'un article paru [dans Frontiers in Climate] en 2023 qui liste les observations de trois tribus d'Anichinabés du nord de la région des Grands Lacs.

Les entretiens réalisés en 1998 et en 2014 rendent compte d'un vaste éventail de changements environnementaux observés par les Anichinabés au fil des décennies : des étés plus chauds, des printemps plus secs, des champignons émergeant à de curieuses périodes de l'année ou des plantes qui ne donnent plus autant de fruits ou de sève qu'autrefois. Ces souvenirs, poursuit Richard Stoffle, attestent que les Anichinabés surveillaient les changements anthropiques du climat bien avant que le sujet soit au cœur du débat public.

Savoir où porter notre attention

Interroger les populations autochtones sur ce dont elles sont les témoins nous aide à comprendre ce qui est important à leurs yeux, à voir quels sujets méritent notre attention, souligne Victoria Reyes-García, anthropologue à l'université autonome de Barcelone et à l'Institut catalan de la recherche et des hautes études, et coautrice d'un article paru en 2021 dans la revue Annual Review of Environment and Resources sur la mobilisation des savoirs et des valeurs autochtones pour remédier aux problèmes environnementaux.

Sergio Jarillo, anthropologue à l'université de Melbourne [en Australie], ajoute :

  • “Consulter les populations locales nous donne une vision plus complète et holistique que ne le permettent des mesures.”

Au nord du littoral australien se trouvent les îles Tiwi, où le chercheur interroge les populations aborigènes sur les changements qu'elles observent dans leur environnement. Dans un article publié en mars 2023 [dans la revue Earth's Future], lui et ses collègues présentent les observations de participants ainsi que des images du littoral prises par drone révélant l'érosion côtière qui inquiète ces communautés. L'érosion est un phénomène naturel, mais elle est probablement exacerbée par la montée des eaux due au changement climatique anthropique, précise Sergio Jarillo.

Des données fines

Pour les géomorphologues [spécialistes des paysages et des reliefs], il n'y a là rien de surprenant. Alors pourquoi prendre la peine d'en parler avec les populations autochtones ? Parce que cela permet d'obtenir des données fines qu'aucune image satellite ne pourrait fournir. Les habitants des Tiwi sont présents depuis assez longtemps pour remarquer toutes sortes de changements et ils passent beaucoup de temps en contact direct avec leur habitat, ajoute le chercheur.

  • “Ils savent où se produit l'érosion, ils savent si un cours d'eau s'assèche.”

C'est aussi une question de justice, car ces changements environnementaux peuvent avoir des répercussions considérables sur la santé et le bien-être des habitants de ces îles. De nombreux participants à l'étude ont dit leur crainte de voir les terres englouties par l'érosion à proximité d'un centre de dialyse à Wurrumiyanga : ce centre de soins est essentiel pour une population où l'insuffisance rénale est la première cause de mortalité.

Mettre en lumière les connaissances locales sur de tels dangers peut déclencher des mesures. Et le fait même de recenser ces informations pourrait avoir son importance car, comme l'indiquent les auteurs, “dans le cas des îles Tiwi, il n'y a pas d'initiatives, que ce soit à l'échelle locale, du Territoire du Nord [dont elles relèvent] ou du Commonwealth, pour favoriser l'adaptation au changement climatique”.

Nelson Chanza, spécialiste de l'adaptation climatique à l'université de Johannesburg [en Afrique du Sud], a aussi obtenu des détails plus précis après s'être entretenu au Zimbabwe avec des témoins directs de changements environnementaux. Dans une étude parue en 2022 [dans Journal of Environmental Studies and Sciences], il a regroupé, avec un collègue, les observations formulées par 37 anciens dans le district de Mbire, dans le nord du Zimbabwe. Nelson Chanza souligne que c'est une région du monde où la collecte de données météorologiques est relativement pauvre : la zone étudiée se trouve à environ 80 kilomètres de la station météo la plus proche.

Les anciens, dont l'âge moyen était de 63 ans, ont comblé des lacunes en racontant les changements qu'avait connus l'environnement au fil des années. Beaucoup ont remarqué que la saison des pluies commençait plus tard et finissait plus tôt qu'autrefois. Mais certaines variations portent à croire que les régions ne s'assèchent pas toutes au même rythme. “On tend à passer à côté de ces détails si on se fie uniquement aux données météorologiques”, précise Nelson Chanza. De plus, les anciens racontaient que plusieurs fruits, notamment les prunes sauvages Uapaca kirkiana (mazhanje, en langue shona), devenaient moins abondants, plus petits et de moindre qualité.

Protocole d'étude universel

Les témoignages de ce type sont riches en informations et risquent pourtant d'“être considérés comme des anecdotes”, explique Victoria Reyes-García. Avec l'objectif d'encourager les chercheurs qui ne sont pas anthropologues à prendre au sérieux ces informations et à normaliser la collecte de données auprès de populations autochtones, la scientifique catalane et ses collègues ont mis au point un protocole d'étude qui peut être transposé n'importe où dans le monde.

Il s'agit notamment de collecter des données météorologiques et de mener de nombreux entretiens avec des personnes autochtones qui ont vécu longtemps dans un lieu en particulier. Les observations faisant consensus seraient ensuite classées dans une base de données. Cette méthode normalisée pourrait rendre ces informations intéressantes aux yeux des climatologues et des organes internationaux tels que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), estime Victoria Reyes-García.

Une écoute attentive peut aussi révéler l'ampleur des défis qui attendent les populations autochtones, c'est pourquoi enregistrer leurs observations est aussi une occasion d'œuvrer à la justice climatique. Lors d'une étude parue en 2022, pour décrire la gravité des changements, un participant autochtone résumait :

  • “Je vois que ma culture commence à disparaître.”

C'est la Première Nation des Magnetawan, qui, en premier, a eu l'idée de collecter des informations. “Ils nous ont simplement parlé de leur inquiétude et nous ont demandé si on pouvait organiser quelque chose”, se souvient l'autrice principale, Allyson Menzies, écologiste de la faune à l'université de Guelph [au Canada]. Comme l'ont publié la chercheuse et ses coauteurs, les 37 participants ont abordé un ensemble d'effets qu'ils avaient remarqués, comme l'apparition plus tardive des fraises, en juillet plutôt qu'en juin.

Des liens étroits avec le monde vivant

Il devenait difficile de transmettre des techniques traditionnelles de récolte et de chasse, car elles dépendent de phénomènes climatiques qui sont en train de changer, ont-ils aussi expliqué. La notion d'une culture qui se dissipe est familière aux peuples autochtones. Les Inuits de l'île de Baffin, au Canada, signalent fréquemment qu'avec les pics de température ils ont plus de mal à prévoir le temps, à circuler sur la glace et à enseigner la chasse aux plus jeunes.

En ce sens, nous risquons de passer à côté de quelque chose d'essentiel si la participation des populations autochtones à la recherche est réduite au simple remplissage de cases dans un tableur géant, souligne Ben Orlove, anthropologue à l'université Columbia [aux États-Unis] et coauteur d'un article sur l'anthropologie climatique dans l'édition 2020 de l'Annual Review of Anthropology. “Je pense que le propos des peuples autochtones est de souligner que le problème du changement climatique n'est pas le manque de données mais les limites de notre système.”

Frank Ettawageshik est du même avis : le savoir traditionnel n'est pas une liste encyclopédique de faits. Ce qui compte, c'est la relation qu'entretiennent les Outaouais avec les êtres – végétaux, animaux et espaces naturels. “Nous ne sommes qu'un maillon sur cette trame du vivant. Nous savions que nous ne pouvions survivre sans les autres êtres et que ces autres êtres acceptaient de veiller sur nous. Et nous acceptions de veiller sur eux.”

Chris Baraniuk

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« Les propositions du ministre de l’Économie sont totalement irrationnelles d’un point de vue… économique »

9 avril 2024, par Loïc Le Clerc — , , ,
Mettre un terme à « la gratuité de tout, pour tous », remplacer l'État providence par l'État protecteur… Mais de quoi parle Bruno Le Maire ? On a causé avec Lucie Castets du (…)

Mettre un terme à « la gratuité de tout, pour tous », remplacer l'État providence par l'État protecteur… Mais de quoi parle Bruno Le Maire ? On a causé avec Lucie Castets du collectif Nos Services Publics.

21 mars 2024 | tiré de Regards.fr | Photo : le ministre de l'Économie Bruno Lemaire
https://regards.fr/les-propositions-du-ministre-de-leconomie-sont-totalement-irrationnelles-dun-point-de-vue-economique/

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Lucie Castets est co-porte-parole du collectif Nos Services Publics.
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Regards. Dans un entretien au JDD, à l'occasion de la sortie d'un énième livre, Bruno Le Maire explique vouloir lutter contre le « mirage de la gratuité universelle », mettre un terme à « la gratuité de tout, pour tous » – sans préciser les domaines auxquels il réfère – ainsi que son désir de remplacer l'État providence par l'État protecteur. Disant cela, le ministre de l'Économie se déclare tout de même opposé au « libre-échange sans règle et sans limite ». Qu'est-ce que ça vous inspire ?

Lucie Castets. Avant toute chose, il faut constater que les déclarations de Bruno Le Maire restent très floues. On ne voit pas bien de quoi il parle exactement quand il évoque le sujet de la gratuité. Si on parle de la gratuité du système de soins français, on constate qu'elle est déjà largement remise en cause. On peut notamment évoquer le fait que les remboursements par l'assurance maladie sont de moins en moins importants, ce qui oblige les ménages à recourir de plus en plus aux mutuelles et aux assurances privées, qui ont un coût croissant. Globalement, il y a une érosion du principe de protection sociale universelle. On l'observe aussi dans le secteur de l'éducation, où la situation du service public se dégrade, avec le développement de stratégies d'évitement (recours à l'école privée) et/ou de compensation (cours particuliers) qui restent financées par la puissance publique mais pas accessibles à tous. Mais est-ce de cela dont parle Bruno Le Maire ? Il semblerait plutôt qu'il s'agit d'habiller par un discours théorique et politique ce que le gouvernement a entrepris depuis longtemps : réduire le niveau des services publics et les rendre de moins en moins « gratuits et universels ». La nouveauté, c'est donc que le ministre auréole ceci d'une forme de rationalisation ex post.

« On peut se demander pourquoi, proportionnellement, les classes moyennes financent davantage les services publics que les ménages les plus riches de France ? »

N'est-il pas étonnant, de la part d'un ministre de l'Économie, de qualifier les services publics de « gratuits » ?

C'est extrêmement intéressant que Bruno Le Maire attaque les services publics par le biais de la « gratuité », faisant comme si l'argent public tombait du ciel et qu'il n'était en quelque sorte « l'argent de personne ». Il faudrait ici s'intéresser à la façon dont les services publics sont financés. On constate notamment que les 0,1% des ménages les plus riches bénéficient d'un impôt dégressif. Cela fait bien longtemps qu'en France on a adopté le principe de l'impôt progressif – votre taux d'imposition augmente à mesure que votre revenu augmente. Or, on constate que cela est remis en cause. On peut dès lors se demander pourquoi, proportionnellement, les classes moyennes financent davantage les services publics que les ménages les plus riches de France ?

Pensez-vous le gouvernement capable de s'attaquer aux bases de notre pacte républicain que sont l'école gratuite ou l'accès à la santé ?

S'agissant de la santé, on est en plein dedans. Le nombre d'établissements publics diminue plus vite que celui des établissements privés – et la part des établissements privés à but lucratif augmente. Concernant l'école, je ne crois pas qu'il soit possible, en France, d'entendre un ministre dire un jour qu'il va rendre payant l'accès à l'école publique. En revanche, sa dégradation, de façon tout à fait consciente, est clairement à l'œuvre. Cela conduit à une forme de privatisation de l'accès à l'éducation. Car pendant que ceux-ci se dégradent, se développent des services accessibles en fonction des revenus des personnes : chaque brèche dans le service public fait place à des prestations privées et donc payantes. Je faisais référence aux cours du soir : ceux qui peuvent en bénéficier, ce ne sont pas les enfants qui vivent dans un HLM, mais ceux dont les parents peuvent le payer – avec des crédits d'impôts à la clé. La puissance publique finance donc un dispositif pour une population privilégiée. Comme elle le fait avec l'école privée, qui coûte chaque année environ 8 milliards d'euros d'argent public, où l'on constate une homogénéisation sociale. Une remise en question de la gratuité équivaut à une remise en question de l'universalité des services publics. Les bénéficiaires de l'AME vont majoritairement à l'hôpital public et non dans les cliniques privées.

Au moment-même où Gabriel Attal entame une croisade à l'université contre une « idéologie nord-américaine », le modèle états-unien n'est-il pas en train de devenir notre référence en matière de politiques publiques ?

Il est en tout cas assez ironique de constater, dans le débat public, un rejet de l'idéologie nord-américaine à géométrie variable. Ce qui est inquiétant lorsqu'on s'approprie les raisonnements nord-américains sur cet État-providence qui coûterait un « pognon de dingue », on adopte une posture qui est en réalité souvent irrationnelle sur le plan économique (en plus de conduire à des situations inacceptables sur le plan de la justice sociale). Par exemple, quand on regarde précisément le système de santé des États-Unis, force est de constater qu'il est totalement défaillant et qu'il coûte excessivement cher. Quand on enlève une dépense publique, cela n'enlève pas le besoin social et la nécessité de le financer. Privatiser, c'est substituer à la dépense publique socialisée, rationalisée, financée de manière solidaire, une multitude de dépenses privées. Un Américain moyen dépense beaucoup plus pour sa santé qu'un Français moyen quand bien même on prend en compte les impôts – et la performance du système de soins américain est largement inférieur à celle du système de soins français. Il en va de même avec l'éducation : de nombreuses études, notamment de l'OCDE, montrent que des investissements massifs dans l'éducation publique sont déterminants pour renforcer le potentiel de croissance d'une économie. Les propositions du ministre de l'Économie sont donc irrationnelles d'un point de vue… économique.

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Appel à soutenir le journalisme engagé du collectif Dèyè Mòn Enfo

9 avril 2024, par collectif de Dèyè Mòn Enfo — , ,
Haïti Magazine est une publication électronique éditée sur une base régulière par le collectif de Dèyè Mòn Enfo depuis Cité Soleil à Port-au-Prince en Haïti. Le magazine (…)

Haïti Magazine est une publication électronique éditée sur une base régulière par le collectif de Dèyè Mòn Enfo depuis Cité Soleil à Port-au-Prince en Haïti. Le magazine présente l'actualité politique, sociale et culturelle d'Haïti qu'on ne retrouve pas dans les grands médias. Il survit grâce aux abonnements qui constituent tout autant à un geste de soidarité.

4 avril 2024 |tiré du Journal des alternatives
https://alter.quebec/appel-a-soutenir-le-journalisme-engage-du-collectif-deye-mon-enfo/

Le collectif a des correspondant.es dans tout le territoire haïtien et présente un contenu inédit, en plus de faire écho aux médias haïtiens par sa revue de la presse locale. Il s'agit d'un outil alternatif et engagé d'information en ligne, qui fait écho à l'actualité en présentant un point de vue terrain. Pour le collectif, il est tout aussi important de diffuser les manifestations récréatives et culturelles et de témoigner de la créativité et des initiatives artistiques du peuple haïtien dans toute sa beauté.

La publication s'adresse à la population d'Haïti, mais aussi à celle du Québec, de France et d'ailleurs en francophonie. Haïti Magazine fonctionne grâce aux abonnements. On peut s'abonner pour une somme de 60 $ CAN ou 40 euros pour année, payable en un seul versement ou en mensualité.

Un tel geste de solidarité avec le travail de Dèyè Mòn Enfo permet de financer la production et de rétribuer les collaborateur. trices du collectif dans les communes de Cité-Soleil de Port-au-Prince et de Cayes-Jacmel. De plus, des dons sont régulièrement distribués pour frais médicaux, frais scolaires et autres urgences auprès de ces communautés.

Pour prendre contact et soutenir le journalisme indépendant en Haïti : https://deyemon.substack.com/about

Crédit illustration Dèyè Mòn EnfoPhoto-journalistes : Francillon Laguerre, Sonson Thelusma, Andoo Lafond, Milot Andris, Patrick Payin
Comité éditorial : Etienne Côté-Paluck, Jean Elie Fortiné, Jean-Paul Saint-Fleur
Stagiaires : Wilky Andris, Donley Jean Simon
Collaboration spéciale : Stéphanie Tourillon-Gingras, Mateo Fortin Lubin, Siffroy Clarens, Jéthro-Claudel Pierre Jeanty, Sadrax Ulysse
Partenaires médiatiques : Centre à la Une, J-COM, Nord-Est Info
Partenaire institutionnel : Kay Fanm, Mouka.ht

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États-Unis : Les contradictions du parti démocrate en pleine lumière

9 avril 2024, par Dan La Botz — , ,
Les tensions et les contradictions au sein du Parti démocrate ont été pleinement mises en évidence le 28 mars à New York à l'occasion d'un évènement organisé pour financer la (…)

Les tensions et les contradictions au sein du Parti démocrate ont été pleinement mises en évidence le 28 mars à New York à l'occasion d'un évènement organisé pour financer la campagne présidentielle.

Hebdo L'Anticapitaliste - 702 (04/04/2024)

Par Dan La Botz

Crédit Photo
DSA

Joe Biden a récolté 25 millions de dollars, soit plus que lors de n'importe quel autre événement de collecte de fonds dans l'histoire politique des États-Unis. D'autre part, il a été interrompu à plusieurs reprises par des manifestants scandant « du sang sur vos mains ! », en référence au soutien des États-Unis à la guerre menée par Israël contre les PalestinienNEs. Biden est apparu aux côtés des anciens présidents Bill Clinton et Barack Obama, démontrant ainsi l'unité du parti au sommet. Mais cela n'a pas empêché des manifestants de la base du parti de s'élever contre ce qu'ils appellent le soutien de Biden au « génocide » à Gaza.

128,7 millions de dollars collectés par Biden, 96,1 millions par Trump

Quelque 5 000 personnes ont assisté en personne à cette réunion, où les billets les moins chers se vendaient 250 dollars et où l'accès aux réceptions privées coûtait entre 250 000 et 500 000 dollars. Une photo avec les trois présidents coûtait 100 000 dollars. Jusqu'à présent, la campagne de Joe Biden et le Comité national démocrate ont recueilli 128,7 millions de dollars, tandis que Trump et le Parti républicain ont récolté 96,1 millions de dollars.

Donald Trump doit collecter des fonds non seulement pour sa campagne électorale, mais aussi pour couvrir les frais de justice liés aux différents procès pénaux auxquels il est confronté et les pénalités liées aux procès civils qu'il a perdus, qui s'élèvent à des centaines de millions de dollars. La semaine dernière, Truth Social, la société de médias sociaux de Trump (Truth signifie la vérité…), a été cotée pour la première fois à la bourse Nasdaq à une valeur de 50 dollars par action et évaluée globalement à 6,8 milliards de dollars. Soudain, la fortune nette de Trump est estimée à 7,5 milliards de dollars. Cependant, nombreux sont ceux qui pensent que la valeur de l'action va s'effondrer, car Truth Social est un petit média social qui perd des abonnés et de l'argent. Ainsi, aussi riche qu'il soit actuellement, Donald Trump n'est pas financièrement à l'abri. Néanmoins, il a remporté l'investiture républicaine, domine absolument le parti et dispose d'une base fanatiquement loyale.

Le soutien des États-Unis à Israël en question

La position financière solide de Joe Biden ne résout pas le problème de l'érosion du soutien qu'il reçoit de certains démocrates parce qu'il n'a pas appelé à un cessez-le-feu immédiat et à la fin du soutien des États-Unis à la guerre génocidaire d'Israël contre les PalestinienNEs à Gaza, où 32 000 personnes ont été tuées, dont 13 000 enfants, des milliers d'autres étant sans doute mortes sous les décombres, plus de 75 000 blessés, 1,7 million de personnes déplacées et des centaines de milliers de personnes souffrant de la faim. En Cisjordanie, Israël a tué des centaines de PalestinienNEs, a procédé à des arrestations massives et a établi de nouvelles routes et avant-postes illégaux pour les colons, tandis que des colons israéliens armés et en uniforme se livrent à des attaques violentes contre les PalestinienNEs.

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a demandé à plusieurs reprises à Israël de protéger les civilEs palestiniens et de mettre à disposition l'aide humanitaire. Les États-Unis se sont abstenus lors du récent vote du Conseil de sécurité en faveur d'un cessez-le-feu immédiat mais temporaire pour le reste de la fête du Ramadan et la libération par le Hamas des derniers otages de l'attaque du 7 octobre. Bien que l'administration de Joe Biden s'oppose au plan israélien d'attaque de Rafah et ait apparemment rompu avec Netanyahou, Joe Biden continue de soutenir le gouvernement israélien, en autorisant la fourniture de davantage d'avions à réaction et de bombes.

Forte baisse chez les 18-34 ans des opinions positives envers Israël

Les manifestations pro-palestiniennes se poursuivent à travers les États-Unis, exigeant un cessez-le-feu et la fin du soutien à Israël. Les citoyens américains sont désormais largement opposés aux actions d'Israël : c'est surtout le cas des démocrates tandis que les républicains affirment encore, quoiqu'avec une majorité réduite, soutenir Israël. L'extrême gauche apparaît divisée. Certaines manifestations sont menées par Jewish Voice for Peace (Voix juive pour la paix) et Democratic Socialist of America (DSA), tandis que d'autres sont organisées par des groupes staliniens ou campistes tels que le Party for Socialism and Liberation (Parti pour le socialisme et la libération), avec des groupes palestiniens dans tous les cas. Quoi qu'il en soit, selon un sondage Gallup, ce sont les jeunes adultes de 18 à 34 ans qui affichent la plus forte baisse d'opinions positives à l'égard d'Israël, passant de 64 % d'opinions favorables en 2023 à 38 % aujourd'hui. C'est le problème de Biden, quelle que soit la quantité d'argent qu'il recueille.

Dan La Botz, traduction Henri Wilno

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Etats-Unis. Elections de novembre : suivre l’argent et comprendre les choix bipartisans des grandes firmes

9 avril 2024, par Lance Selfa — , ,
Lorsque Donald Trump se met à vendre des bibles pour Pâques [1], on sait qu'il a besoin d'argent. Tiré de A l'Encontre 3 avril 2024 Par Lance Selfa Et ce, malgré la (…)

Lorsque Donald Trump se met à vendre des bibles pour Pâques [1], on sait qu'il a besoin d'argent.

Tiré de A l'Encontre
3 avril 2024

Par Lance Selfa

Et ce, malgré la manne de plus de 4 milliards de dollars qu'il a engrangée (et qui continue de grimper : 7,85 milliards le 26 mars) lorsque son réseau social Truth a fait son entrée sur le marché boursier NASDAQ [bourse de valeurs qui met l'accent sur les firmes spécialisées dans le domaine de la technologie], dans ce qui finira probablement par être une action « mème » ratée, surtout si Trump perd l'élection de 2024.

Mais les deux projets de Trump pour gagner de l'argent sont arrivés à un moment crucial pour lui. Confronté à une échéance de mars pour déposer une caution de près d'un demi-milliard de dollars pendant qu'il fait appel du jugement rendu à son encontre dans le cadre de l'affaire civile de New York pour ses pratiques commerciales frauduleuses, il cherche désespérément à éviter la prison et à rester dans les rangs des personnes les plus riches des Etats-Unis. Alors qu'il semblait que Donald Trump devrait subir les conséquences de son incapacité à obtenir une caution de la part d'une firme financière réputée, une cour d'appel new-yorkaise lui a accordé un bref sursis. Elle a repoussé la date limite de dépôt de la caution, tout en réduisant son montant à 175 millions de dollars. Une fois de plus, le système judiciaire a renfloué les caisses de Trump.

Dans la mesure où les démêlés juridiques de Trump constituent la toile de fond inévitable de sa campagne, l'impact réel qu'ils ont sur ses perspectives d'avenir n'est pas toujours clair. Mais derrière les gros titres, ils font des ravages.

Prenons les éléments suivants :

. L'année dernière, le Comité national républicain (RNC-Republican National Committee) a connu sa pire année de collecte de fonds, corrigée de l'inflation, depuis 1993.

. La campagne de Joe Biden devance actuellement celle de Donald Trump de près de 50% (155 millions de dollars contre 109 millions de dollars) en termes d'argent collecté et d'argent en caisse, et dispose de plus de deux fois plus d'argent en banque que les Républicains.

. Trump continue de perdre des millions en frais juridiques.

. La récente fusion entre la campagne Trump et le RNC – dans laquelle la belle-fille de Trump [Lara Trump, qui a épousé Eric Trump] est devenue, le 8 mars 2024, coprésidente du RNC – est assortie de conditions. Le comité d'action politique de Trump, Save America PAC, qui paie ses factures d'avocat, sera en mesure d'empocher des fonds avant que la RNC ou les partis républicains au niveau des Etats ne reçoivent de l'argent.

Les partis républicains d'Etats clés (swing states) sont en proie à des luttes de factions entre les partisans de Trump et les politiciens qui ne le sont pas (par exemple, dans l'Etat du Michigan). Ils font face à des inculpations criminelles pour leur implication dans le système de faux électeurs de Trump pour 2020 (par exemple, dans le Nevada, le Michigan et la Géorgie) ou à des scandales qui ont contraint les dirigeants de ces GOP (Parti républicain) à démissionner (par exemple, en Arizona et en Floride).

Les principaux membres républicains de la Chambre des représentants des Etats-Unis ont démissionné en nombre sans précédent, ce qui laisse supposer que le Parti républicain pourrait perdre sa faible majorité à la Chambre avant les élections de 2024.

***

Ce sont là autant de signes d'un parti sous pression, voire en plein désarroi. Pourtant, deux grands groupes ont intérêt à minimiser ces faits : le premier, évidemment, est le Parti républicain en tant que tel. Il ne veut pas que ses partisans pensent qu'il s'agit d'une vraie poubelle alors qu'il essaie de les organiser pour gagner une élection présidentielle. Le second est le « front populaire » autour de Biden et des démocrates, qui considère qu'une victoire de Trump serait synonyme de fin de la démocratie et de l'ordre constitutionnel. Il est en effet difficile d'affirmer que votre opposition est un mastodonte fasciste lorsqu'elle n'est même pas capable d'assurer ses missions les plus élémentaires.

L'escroc qu'est Trump mise sur les pigeons – ceux qui pensent qu'il a lu la Bible ou suit les spéculateurs du marché à court terme qui vont faire monter ses actions sans valeur – pour payer ses factures d'avocat et financer sa course à la présidence. Trump et le GOP se sont-ils tournés vers ces moyens « non conventionnels » parce que les moyens conventionnels – la collecte d'argent auprès des entreprises et des riches – leur sont fermés ? Les grandes firmes sont-elles vraiment en train d'abandonner leur précieuse équipe de choc à Washington ? N'y comptez pas.

Rappelez-vous tout le battage médiatique autour des grandes firmes états-uniennes qui ont juré de ne plus accorder des fonds aux politiciens du GOP qui ont soutenu l'émeute du 6 janvier 2021 et le « gros mensonge » de l'élection présidentielle de 2020 « truquée » et « volée » qui l'accompagnait. Même si les grandes firmes ont publié des déclarations condamnant le 6 janvier et ont travaillé avec les grands médias et les organisations non gouvernementales pour assurer une « transition pacifique » entre Trump et Biden, c'était toujours une farce de croire qu'elles étaient les championnes de la démocratie. Comme toujours dans la politique états-unienne, suivre l'argent est le meilleur moyen de comprendre ce qui s'est passé.

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En effet, quelques mois après le 6 janvier, la plupart des grandes firmes ont recommencé à faire des dons aux politiciens du GOP. Les journalistes d'investigation libéraux Rebecca Crosby et Judd Legum ont montré qu'au moins 50 grandes entreprises, dont Microsoft, Walmart, AT&T et General Motors, ont versé au GOP, depuis 2021, un total de 23 millions de dollars à ceux qui niaient le résultat des élections (Popular Information, 28 mars 2024).

La configuration précédente, telle qu'établie en 2016 et 2020, lorsque la plupart des fonds des firmes sont allés aux candidats démocrates à la présidence, se répétera probablement en 2024. Pour les grandes firmes, le style chaotique de Trump, son opposition au libre-échange et à l'immigration, et son incapacité à endiguer la pandémie étaient des raisons plus que suffisantes pour préférer Hillary Clinton en 2016 et Joe Biden en 2020. Néanmoins, une fois que Trump a pris ses fonctions et qu'il s'est comporté – rhétorique et tweets mis à part – comme un conservateur traditionnel en matière de fiscalité, de déréglementation et de juges favorables aux entreprises, les milieux d'affaires ont été plus qu'heureux de suivre le mouvement. Personne ne devrait donc penser que le monde des affaires envisage sérieusement de simplement abandonner le GOP.

Dans le monde plus restreint des milliardaires républicains conservateurs, le rapprochement avec Trump est déjà en cours. Le fonds spéculatif de Wall Street, Paulson&Co. (John Alfred Paulson qui a fait sa fortune avec les subprimes), prévoit une collecte de fonds en avril 2024, avec un grand nombre de ces ploutocrates. Son objectif est de récolter 33 millions de dollars en une seule fois, soit suffisamment pour battre le record de 26 millions de dollars atteint par les démocrates le 28 mars lors de leur collecte de fonds à New York, à laquelle ont participé trois des quatre présidents du Parti démocrate encore en vie.

Il est important de noter que la plupart de ces ploutocrates idéologiques ont fait fortune dans la finance, la technologie, le commerce de détail et les casinos. Ils utilisent leur fortune personnelle pour se positionner en tant qu'acteurs dans l'éventualité d'une victoire de Trump en novembre. Pour eux, « l'Etat de droit », « la Constitution » et d'autres éléments dont les conservateurs de principe sont censés se préoccuper ne les motivent pas vraiment quand ils pourraient risquer de devoir payer des impôts plus élevés sur leur fortune. La promesse de Joe Biden d'augmenter l'impôt sur les sociétés à 25% (un taux inférieur à celui qu'il avait promis en 2020) et d'ajouter une surtaxe sur les milliardaires a incité ces derniers à se préparer à soutenir à nouveau Trump.

« L'augmentation de l'impôt de Biden est vraiment perçue avec hostilité par les gens de Wall Street à qui je parle, même par certains des républicains les plus modérés de Wall Street qui n'ont généralement pas une orientation conservatrice », a déclaré Stephen Moore, un conseiller économique extérieur à l'équipe de Trump, au Washington Post (29 mars) « Le taux plus élevé sur les plus-values, le taux plus élevé sur les sociétés – tout cela est un anathème pour ces gens. »

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Cette coterie de milliardaires est suffisamment riche pour aider Trump à combler son déficit vis-à-vis de Biden. Mais Trump pourrait néanmoins se retrouver avec un déficit substantiel vis-à-vis de Biden. Rappelons qu'en 2020, la campagne de Biden a recueilli et dépensé plus de 1,6 milliard de dollars, contre 1 milliard de dollars pour Trump. Ces sommes faramineuses continuent de faire de la course à la présidence un concours entre différents groupements de riches et de grands du monde des affaires. Mais ces sommes représentent – ensemble – à peu près ce que Trump a gagné en une journée avec son opération de « pump and dump » (P&D) d'actions [2]. Toutefois elles ne représentent que la moitié de la subvention de 8,5 milliards de dollars accordée à une usine de fabrication de puces d'Intel Corp. que Joe Biden a annoncée lors d'un récent voyage de campagne en Arizona (New York Times, 20 mars 2024).

En d'autres termes, les élections états-uniennes sont trop chères pour que les citoyens ordinaires aient leur mot à dire, mais elles sont une aubaine pour les firmes et les riches qui cherchent à obtenir des faveurs du gouvernement. L'Amérique des affaires peut prospérer avec l'un ou l'autre parti à la Maison Blanche. Ces considérations ne sont peut-être pas aussi émouvantes qu'une « lutte pour l'âme de la nation » ou la « défense de la démocratie », mais elles sont beaucoup plus proches de ce que les dirigeants de l'establishment bipartisan pensent être l'enjeu du mois de novembre. (Article publié par International Socialism le 2 avril 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Lance Selfa est l'auteur de The Democrats : A Critical History (Haymarket, 2012) et editeur de U.S. Politics in an Age of Uncertainty : Essays on a New Reality (Haymarket, 2017).


[1] Selon Evangeliques.info du 2 avril : « La seule Bible approuvée par le président Trump ! » L'ex-président américain et candidat à la présidentielle en novembre prochain avait déjà sa marque de chaussures et de parfums et aujourd'hui, il vend des bibles. Le 26 mars, il a en effet publié une vidéo sur son média social Truth Social invitant ses partisans à acheter la « God Bless the USA Bible » (Bible « Dieu bénisse l'Amérique »), avec un message qui renvoie vers un nouveau site du même nom. » Outre le texte biblique elle contient des textes des fondateurs de l'histoire des Etats-Unis. Selon la même source, outre la Déclaration d'indépendance et du serment d'allégeance au drapeau des Etats-Unis, on y trouve « le refrain manuscrit d'une célèbre chanson du chanteur country Lee Greenwood, « God Bless the USA », souvent entonnée depuis 1984 lors des rassemblements politiques républicains.

APnews souligne que cette mise sur le marché a lieu alors que les frais de justice de Donald Trump s'accumulent. (Réd.)

[2] Le « pump and dump » (P&D) est une forme de fraude sur les valeurs mobilières qui consiste à gonfler artificiellement le prix d'une action détenue par le biais de déclarations positives fausses et trompeuses (pump), afin de vendre l'action achetée à bas prix à un prix plus élevé (dump). (Réd.)

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