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La SAAQ fonctionne comme une assurance privée, et le coût humain est énorme

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Depuis les années 2000, la SAAQ surveille les victimes d'accidents pour limiter les coûts, créant une bureaucratie hostile et des retours au travail forcés. L’article La SAAQ fonctionne comme une assurance privée, et le coût humain est énorme est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

Jour 393 de la guerre – Brûlée par une frappe israélienne et hantée à vie par l’horreur de la guerre

3 novembre 2024, par Amélie David
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Amélie David, collaboration spéciale et correspondante basée à Beyrouth Ivana va beaucoup mieux. Je n’ai pas encore eu l’occasion de vous parler de cette petite-fille de près de deux ans. Mais je souhaite tout de même vous dire qu’elle va mieux. Beaucoup mieux. J’ai rencontré Ivana il y a (…)

Environnement, mobilité internationale et mobilisation locale dans les FSM

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Ronald Cameron. article publié dans le bulletin d’ATTAC-Québec. L’Aiguillon La chute de l’intérêt pour les Forums sociaux mondiaux (FSM) est bien connue et ce désintéressement va aussi de pair avec le retour à des préoccupations plus locales et sectorielles des mouvements, un peu partout sur la (…)

Santé Canada et fabricants silencieux, tous les tampons pourraient être contaminés

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À la fin du mois de juin, une équipe de scientifiques dirigée par des chercheurs de l'université de Californie-Berkeley a publié une étude révélant des niveaux dangereux de métaux lourds, tels que le plomb et l'arsenic, dans les produits des principales marques de tampon. Depuis lors, Santé (…)

La guerre des fossiles – Tome 2 : Un combat écologique sans compromis

1er novembre 2024, par Marc Simard
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L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local André Bélisle et Philippe Bélisle, dans leur ouvrage La guerre des fossiles, plongent le lectorat au cœur de deux décennies de luttes environnementales intenses, racontant l’histoire de l’Association québécoise de lutte contre la (…)

L’agriculture québécoise menacée

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Français : Encore un bilan vaseux

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34 000 enfants en attente d’une place en CPE

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Entrevue avec Anne-Marie Bellerose, présidente de la FIPEQ-CSQ

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Enseignement tronqué de la laïcité

1er novembre 2024, par Par Marie-Claude Girard
L’étude des manuels approuvés à ce jour est fort décevante

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Les petits contes voilés

1er novembre 2024, par Par Leila Lesbet
L’affiche de la bibliothèque de Mercier

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L’enfermement en centre jeunesse

31 octobre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024

L'enfermement en centre jeunesse

Ursy Ledrich, membre du Collectif Ex-Placé DPJ Lorsqu’un jeune est placé pour sa protection dans une famille d’accueil ou en foyer de groupe et qu’il se met à déconner, très vite, il peut être amené en centre jeunesse. Ces lieux d’enfermement sont vécus comme des prisons pour nous puisque la manière de fonctionner de ces endroits ressemble beaucoup aux prisons pour adultes, par son architecture et ses pratiques. Pour nous, le fait d’enfermer quelqu’un, de l’isoler et de réduire sa capacité de bouger, c’est comme se faire amputer d’un pied ou d’une main. Nous disons cela parce que d’après nous, être enfermé, ça fait mal, ça laisse des traces et des conséquences. Il est clair aussi pour nous que la prison n’est pas une solution, surtout pour de jeunes mineurs. Dans son livre sur les traumas complexes, la docteure Delphine Collin-Vézina affirme que les traumas complexes surviennent lorsqu’un enfant subit, à des périodes vulnérables de son développement, des expériences interpersonnelles qui impliquent souvent la trahison ainsi qu’un tort direct au moyen de différentes formes d’abus, de négligence ou d’abandon et qui se répètent dans le temps. Cela engendre de la méfiance envers les individus qui sont censés assurer sécurité et protection. Par exemple, une institution, telle que le centre jeunesse, peut être la cause d’un trauma complexe. Lorsqu’un jeune subit de l’enfermement de la part de l’institution qui est censée le protéger, il ressent un sentiment d’injustice et de trahison, favorable au traumatisme institutionnel et au développement du sentiment d’impuissance ou de résignation acquise. Le fait de vivre dans un corps nécessite d’apprendre son fonctionnement et ses limites. Vous n’êtes pas sans savoir qu’être enfermé entrave et perturbe le développement et le fonctionnement dit normal. C’est comme si un écart s’installe entre l’esprit, le corps, et l’âme qui sont affectés par ces expériences carcérales.
« Je crois que lorsqu’on enferme un jeune pour avoir pris une mauvaise décision, on le prive de vivre ses émotions pleinement. On choisit d’enfermer les enfants avec leurs émotions, au lieu de chercher à comprendre pourquoi le jeune vit ces émotions. »

Témoignage de Yami

Nous sommes conscients que la recon- naissance du vécu passe par la prise de parole et l’expression libre des person- nes concernées. Voilà pourquoi nous partageons le témoignage de Yami, cofondateur et membre du Collectif.

« J’ai connu la prison et l’enfermement dans différents contextes et milieux. Ma première expérience d’enfermement a débuté avec la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) à l’âge de 12-13 ans quand j’ai été placé dans les centres jeunesse.

« Chaque fois que tu te fais mettre en chambre d’isolement ou en prison, tu restes avec des séquelles de ce passage en isolement ou en prison. Tu peux aussi à la longue développer des symptômes de claustrophobie, surtout si tu passes plusieurs jours enfermés.

« Selon moi, la prison pour les jeunes ou les adultes, c’est pratiquement similaire. Je suis passé par les deux et d’après mon expérience, il n’y a pas vraiment de différence entre les deux. »

Témoignage d’Esteban

« Je me souviens lorsque j’étais placé au centre jeunesse, on m’avait mis dans une cellule d’isolement parce que j’avais mangé un biscuit au mauvais moment. Je crois que lorsqu’on enferme un jeune pour avoir pris une mauvaise décision, on le prive de vivre ses émotions pleinement. On choisit d’enfermer les enfants avec leurs émotions, au lieu de chercher à comprendre pourquoi le jeune vit ces émotions. Ça manque de chaleur !

« L’enfermement force mentalement à ne plus faire confiance aux gens qui t’entourent, encore moins au système mis en place pour te protéger. D’ailleurs, te protéger contre quoi ?

« Lorsque l’on sort des centres jeunesse, nous sommes traumatisés et nous vivons constamment dans la peur et la méfiance. Est-ce qu’on cherche à nous protéger du manque d’amour que nos géniteurs n’ont pas su donner correctement ? Ou c’est simplement parce que nous n’avons pas eu de parents ?

« Que signifie l’intérêt supérieur d’un enfant lorsqu’on l’oblige à vivre en centre jeunesse afin de le protéger de ses parents, mais qu’on lui fait vivre des violences institutionnelles ?

« On enferme des enfants dans des conditions de vie qu’on peut qualifier de négligences institutionnelles et d’abus de pouvoir. Entre nous les jeunes, on appelait cela la prison pour enfant. À la moindre occasion, nous étions menacés qu’un agent de sécurité soit appelé pour nous amener dans la cellule d’isolement. Entre nous les jeunes, on appelait ça le trou. À de nombreuses reprises, j’ai été envoyé au trou.

« J’ai déjà vu des jeunes ensanglantés là-bas, malmenés par les agents de sécurité. Nos plaintes n’aboutissent jamais puisque c’est la protection de la jeunesse qui enquête sur la protection de la jeunesse. C’est comme lorsque la police enquête sur la police. Tout ce que nous faisions là-bas, c’était de perdre notre temps et notre énergie à nous battre contre les murs. J’ai souvent frappé ces murs de béton, jusqu’à m’en écorcher les jointures.

« Je me sentais comme un animal dans une cage, à faire et refaire des réflexions jusqu’à ce que les intervenants soient satisfaits de mes réponses. Cela pouvait durer jusqu’à une semaine. Une semaine de torture mentale à essayer de flatter l’intervenant dans le sens du poil afin de pouvoir rejoindre mon unité pour vivre un semblant de socialisation, tout en étant surveillé en permanence.

« J’en fais encore des cauchemars aujourd’hui à cause du froid et du vide que je ressentais à chaque fois que je rentrais dans une salle d’isolement. J’en pleurais de tout mon corps chaque fois que j’y étais envoyé. »

  Pour en savoir davantage Consulter l’article de Nicolas Sallée, Discipline et droits dans les unités d’enfermement pour jeunes contrevenants publié dans Droits et libertés, 2021.

L’article L’enfermement en centre jeunesse est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

COP 16 en Colombie : le défi d’une COP du peuple

31 octobre 2024, par Rédaction-coordination JdA-PA
Esther Altamirano Cueto, Raphaël Canet, Alexandre Fabien Gagné, Carolina Iacovino, Héloise Labarre, Basile Papillon-Christin et Camille Perrault Il s’agit de la délégation du (…)

Esther Altamirano Cueto, Raphaël Canet, Alexandre Fabien Gagné, Carolina Iacovino, Héloise Labarre, Basile Papillon-Christin et Camille Perrault Il s’agit de la délégation du cégep du Vieux Montréal à la COP16, composée de cinq étudiant.es et de deux enseignant.es. Nous publions l’article paru (…)

Les travailleurs de la santé du Manitoba obtiennent une nouvelle convention collective

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/10/1000005811-1-scaled-e1730381735360-1024x546.jpg31 octobre 2024, par Manitoba Committee
Le 9 octobre, plus de 25 000 travailleurs de la santé syndiqués au SCFP et au MGEU à Winnipeg et dans les régions avoisinantes du sud ont obtenu une entente de principe (…)

Le 9 octobre, plus de 25 000 travailleurs de la santé syndiqués au SCFP et au MGEU à Winnipeg et dans les régions avoisinantes du sud ont obtenu une entente de principe quelques heures avant que les travailleurs ne se rendent sur la ligne de piquetage. L'entente, que les membres ont ratifiée le (…)

Salvador : l’État va en appel et refuse de reconnaître le verdict du tribunal qui a innocenté les cinq défenseurs de l’eau

31 octobre 2024, par Massi Belaid
Massi Belaïd, correspondant en stage Bien que le tribunal ayant présidé le procès des cinq «défenseurs de l’eau» du Salvador ait rejeté les fausses accusations portées contre (…)

Massi Belaïd, correspondant en stage Bien que le tribunal ayant présidé le procès des cinq «défenseurs de l’eau» du Salvador ait rejeté les fausses accusations portées contre eux, le procureur de l’État fait appel et refuse de reconnaître le verdict. Cela relève d’une décision purement politique (…)

Une première au Québec : deux militants écologistes emprisonnés pour promouvoir la lutte mondiale contre les énergies fossiles

30 octobre 2024, par Nina Morin
Nina Morin, correspondante Deux ans après la signature du Traité international de non-prolifération des énergies fossiles par la ville de Montréal, deux activistes climatiques (…)

Nina Morin, correspondante Deux ans après la signature du Traité international de non-prolifération des énergies fossiles par la ville de Montréal, deux activistes climatiques québécois ont été emprisonnés le 23 octobre, après avoir escaladé le pont Jacques-Cartier à Montréal la veille. Olivier (…)

L’attaque d’Israël qui vient contre l’Iran

30 octobre 2024, par Gilbert Achcar — , , , ,
La nature de l'attaque menée par l'armée de l'air israélienne contre l'Iran samedi dernier est hautement significative pour l'avenir proche. Elle a clairement constitué un (…)

La nature de l'attaque menée par l'armée de l'air israélienne contre l'Iran samedi dernier est hautement significative pour l'avenir proche. Elle a clairement constitué un prélude à une attaque ultérieure contre ce pays en affaiblissant ses capacités défensives et sa capacité à fabriquer davantage de missiles sol-air et de missiles balistiques.

30 octobre 2024
Tiré de Médiapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/301024/l-attaque-d-israel-qui-vient-contre-l-iran

Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres

Dans mon commentaire sur la frappe de représailles de l'État sioniste contre l'Iran le 19 avril, j'ai considéré le caractère restreint, presque symbolique, de cette frappe, qui s'est limitée à cibler un système de défense aérienne consacré à la protection du réacteur d'enrichissement d'uranium iranien de Natanz. J'ai expliqué alors que le gouvernement Netanyahu avait « choisi de reporter la date d'une frappe à grande échelle […], conformément au souhait de Washington et pour des considérations économiques et militaires connexes », y compris la nécessité de compenser ce qu'il avait fallu utiliser pour contrer l'attaque iranienne qui avait précédé de six jours la riposte israélienne. J'ai ensuite ajouté : « De plus, selon les médias américains et israéliens, le président américain Biden a donné le feu vert à Netanyahu pour l'offensive sur Rafah en échange du renoncement d'Israël à lancer une frappe majeure contre l'Iran pour le moment. Cela indique que l'État sioniste achèvera la guerre génocidaire qu'il mène contre Gaza depuis six mois et demi, avant de diriger inexorablement ses efforts militaires contre l'Iran et son auxiliaire libanais, le Hezbollah. » (« L'attaque israélienne reportée contre l'Iran », 23 avril 2024).

C'est ce qui s'est passé en effet. Les forces d'occupation israéliennes ont envahi Rafah le 6 mai, puis achevé leur contrôle de la bande de Gaza. Elles ont ensuite attendu la fin de la saison estivale avant de lancer leur attaque à grande échelle contre le Hezbollah. Auparavant, Israël avait intensifié ses provocations contre l'Iran en assassinant Ismaël Haniyeh en plein cœur de Téhéran le 31 juillet. L'Iran hésita à réagir à l'assassinat de l'un de ses alliés sur son propre territoire jusqu'à ce qu'Israël assassine Hassan Nasrallah à Beyrouth, en compagnie du général de brigade Abbas Nilforoushan du Corps des gardiens de la révolution iranienne. C'est le deuxième officier de haut rang de ce corps à être assassiné par Israël après le major-général Mohammad Reza Zahedi, tué dans l'attaque contre le consulat iranien à Damas, le 1er avril, qui incita Téhéran à lancer sa première attaque de représailles contre Israël le 13 avril.

Téhéran a décidé d'intensifier qualitativement sa deuxième attaque de représailles contre Israël lancée le premier de ce mois, en faisant un plus grand usage de missiles balistiques que les forces sionistes ne peuvent pas intercepter dans leur totalité : 200 de ces missiles environ ont été lancés (en avril, 9 des 55 missiles balistiques entrés dans l'espace aérien protégé par le système d'interception d'Israël étaient passés par les trous du filet – voir l'article cité ci-dessus). L'escalade était inévitable, Téhéran ayant commencé à perdre sa crédibilité, notamment parmi ses partisans chiites arabes, libanais en particulier. Il tenait toutefois à restreindre son attaque, cette fois encore, dans des limites qui n'entraînent pas une attaque israélienne à grande échelle avec participation directe des États-Unis. Téhéran sait que l'administration du président américain Joe Biden n'est pas disposée à participer à une telle attaque avant les élections américaines, de peur qu'elle ne se retourne contre la campagne présidentielle de la vice-présidente Kamala Harris.

Biden a donc exigé de Netanyahu que l'attaque israélienne reste également restreinte d'une manière qui ne nuirait pas à la campagne de Harris. Il lui a demandé d'éviter les installations pétrolières iraniennes de peur que Téhéran ne réponde en perturbant la totalité des exportations de pétrole du Golfe, provoquant ainsi une grave crise sur le marché mondial du pétrole, avec une forte hausse des prix qui pourrait avoir un effet désastreux sur la campagne de la vice-présidente. Biden a également demandé à Netanyahu de ne pas lancer de frappe directe sur les installations nucléaires iraniennes, sachant qu'Israël seul n'a de toute façon pas la capacité de les détruire. Le seul effet d'attaquer ces installations sans les détruire pourrait bien être d'accélérer le développement d'armes nucléaires par l'Iran.

Quant à ce que Biden a promis à Netanyahu en échange de sa retenue cette fois-ci, cela n'a pas encore été divulgué. Cependant, la décision de l'administration américaine d'envoyer un système de défense antimissile balistique THAAD à Israël, avec une centaine de soldats pour le mettre en œuvre, a constitué une étape qualitative dans la transformation de la participation américaine à l'assaut sioniste en cours d'indirecte à directe, à travers le déploiement de soldats américains aux côtés des forces israéliennes – sans parler du renforcement de la présence de l'armée de l'air américaine dans la région avec des escadrons supplémentaires de F-16, F-15E et A-10.

La nature de l'attaque menée par l'armée de l'air israélienne samedi dernier est très significative pour l'avenir proche. Cette attaque, la première contre l'Iran officiellement revendiquée par l'État sioniste, s'est concentrée sur la destruction des défenses anti-aériennes entourant la capitale, Téhéran, et les installations nucléaires de l'Iran, ainsi que sur la destruction des mélangeurs de carburant géants que Téhéran utilise pour fabriquer le carburant nécessaire à ses missiles (l'attaque a également tué quatre soldats iraniens). L'attaque israélienne a donc clairement constitué un prélude à une attaque ultérieure contre l'Iran en affaiblissant ses capacités défensives et sa capacité à fabriquer davantage de missiles sol-air et de missiles balistiques.

Netanyahu attend maintenant les élections de mardi pour décider de sa prochaine action : si Trump l'emporte, il le consultera pour voir s'il est prêt à mener une attaque conjointe américano-israélienne de grande envergure, dans le but principal de détruire les installations nucléaires de l'Iran. Pour atteindre cet objectif, il faudrait les bombardiers stratégiques B-2 que l'US Air Force possède à elle seule, qui peuvent transporter les bombes brise-bunker GBU-57, pesant chacune environ 15 tonnes, qu'Israël ne possède pas non plus. Si Harris l'emporte, Netanyahu s'efforcera probablement d'entraîner Biden à mener l'attaque avec lui. Il pourrait alors s'agir du dernier et plus grand cadeau de Biden à l'État sioniste après avoir servi ses intérêts pendant un demi-siècle, dans un dévouement unique pour lequel Netanyahu l'a publiquement remercié lors de sa dernière visite à la Maison Blanche fin juillet.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 29 octobre en ligne et dans le numéro imprimé du 30 octobre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Une lutte pour la consultation des peuples autochtones

30 octobre 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Une vague de mobilisation citoyenne prend de l’ampleur dans la Baie-des-Chaleurs contre le projet controversé de mine (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Une vague de mobilisation citoyenne prend de l’ampleur dans la Baie-des-Chaleurs contre le projet controversé de mine à ciel ouvert dirigé par la société EcoRock Dalhousie. Le collectif Non Merci, Pozzolan Dalhousie ! dénonce le manque de (…)

Le nouveau logo du Journal des Alternatives : s’appuyer sur le passé pour aller de l’avant !

30 octobre 2024, par Ronald Cameron
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Ronald Cameron, responsable de la rédaction Le journal des Alternatives, une plateforme altermondialiste, a changé de logo. Il a repris le graphisme qu’il avait dans le passé, mais lui a ajouté une représentation graphique de son union avec la Plateforme altermondialiste, pour créer un nouvel (…)

Élections aux États Unis : les réseaux sociaux et la radicalisation politique

29 octobre 2024, par Rana Bouazer
Rana Bouazer, correspondante La polarisation politique occupe une place de plus en plus centrale dans le paysage médiatique américain, exacerbée par les élections (…)

Rana Bouazer, correspondante La polarisation politique occupe une place de plus en plus centrale dans le paysage médiatique américain, exacerbée par les élections présidentielles. Les médias, loin d’être de simples observateurs, sont devenus des acteurs influents dans ce climat de division. Leur (…)

Blocage du Pont Jacques Cartier – une capsule citoyenne

29 octobre 2024, par Santiago Bertolino
Santiago Bertolino – collaboration spéciale Les deux grimpeurs de l’action climatique du pont Jacques Cartier, le 22 octobre dernier, ont été arrêtés, ainsi que leur liaison (…)

Santiago Bertolino – collaboration spéciale Les deux grimpeurs de l’action climatique du pont Jacques Cartier, le 22 octobre dernier, ont été arrêtés, ainsi que leur liaison média. Leur comparution est prévue ce jeudi 31 octobre au Palais de Justice de Montréal à 9 h. Jacob Pirro a été relâché, (…)

Une contestation « farfelue » d’Amazon rejetée par le Tribunal

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/10/20241021_100243-scaled-e1730226158709-1024x530.jpg29 octobre 2024, par Comité de Montreal
La semaine dernière, le Tribunal administratif du travail (TAT) du Québec a rejeté une contestation constitutionnelle d'Amazon contre le Code du travail du Québec. En mai 2024, (…)

La semaine dernière, le Tribunal administratif du travail (TAT) du Québec a rejeté une contestation constitutionnelle d'Amazon contre le Code du travail du Québec. En mai 2024, le monopoliste du commerce de détail avait prétendu que la syndicalisation des travailleurs de son entrepôt DXT4 à (…)

Retour en vidéo sur l’action des Mères au front à Rouyn-Noranda pour un air et un environnement sains

29 octobre 2024, par Mères au front de Rouyn-Noranda — , ,
Le 13 octobre dernier, plus de 500 personnes se sont rassemblées aux côtés des Mères au front à Rouyn-Noranda pour revendiquer un droit fondamental : respirer un air qui ne (…)

Le 13 octobre dernier, plus de 500 personnes se sont rassemblées aux côtés des Mères au front à Rouyn-Noranda pour revendiquer un droit fondamental : respirer un air qui ne menace pas leur santé.

Des mères et des allié·es venu·es de partout au Québec ont marché pour dénoncer une réalité alarmante que vivent les familles de Rouyn-Noranda depuis des décennies : l'air de leur ville est empoisonné par la Fonderie Horne, qui dépasse largement les normes d'émission de contaminants – une situation tolérée par l'État québécois.

La vidéo raconte en images et avec les mots de Véronique Côté la détermination d'une communauté qui refuse d'être sacrifiée. Chaque jour, 98 % de l'arsenic, 89 % du plomb, 43 % du cadmium et 60 % du nickel émis dans l'air au Québec se retrouvent ici. Les effets sur la santé sont dévastateurs : des taux accrus d'asthme, de maladies pulmonaires chroniques et de retards de croissance chez les nourrissons, ainsi qu'une espérance de vie réduite jusqu'à six ans. L'arsenic, agent cancérigène, et le plomb affectent même les grossesses, exposant les enfants dès leur naissance à des taux de contamination alarmants. Face à ces constats, les Mères au front exigent que le gouvernement du Québec applique les normes actuelles d'émissions de contaminants à Rouyn-Noranda comme partout ailleurs, sans exception ni privilège pour l'industrie.

Crédit vidéo : Frédéric Bérubé

À propos de mères au front

Avec plus de 30 groupes locaux dans les différentes villes et villages du Québec et au-delà, Mères au front est un mouvement décentralisé qui regroupe des milliers de mères, grand-mères et allié.es de tous les horizons politiques, économiques, professionnels et culturels. À travers leurs actions, elles demandent aux élu.es de mettre en place les mesures qui s'imposent pour protéger l'environnement dont dépend la santé et la sécurité de tous les enfants.

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Comptes rendus de lecture 29 octobre 2024

29 octobre 2024, par Bruno Marquis — , ,
Raison, déraison et religion Michel Seymour Je voulais lire cet essai depuis sa publication en 2021. L'auteur y défend une laïcité ouverte inspirée du libéralisme (…)

Raison, déraison et religion
Michel Seymour

Je voulais lire cet essai depuis sa publication en 2021. L'auteur y défend une laïcité ouverte inspirée du libéralisme politique du philosophe John Rawls. Il y explique, dans un esprit de tolérance et de respect, l'importance d'accorder aux droits collectifs la même légitimité qu'aux droits individuels. Et donc de concevoir, dans le respect des institutions de l'État et des valeurs de la société d'accueil, que des personnes puissent s'identifier étroitement à leur religion sans que cela ne porte préjudice à cette société d'accueil. Une bouffée d'air frais en somme devant l'intolérance et l'islamophobie de certains chroniqueurs du Journal de Montréal et des médias d'extrême droite.

Extrait :

Dans cet ouvrage, j'ai voulu débusquer les différents présupposés qui ne sont presque jamais remis en cause par les auteurs occidentaux et qui se trouvent dans l'angle mort de leurs considérations. L'individualisme moderne est vite apparu comme un obstacle à une véritable ouverture à l'égard des sociétés communautariennes ou de certains groupes minoritaires religieux. Sans fournir des réponses à toutes les questions et sans prétendre résoudre tous les problèmes, la pensée de Rawls nous a fourni des clés pour prévenir l'escalade des tensions. Elle permet de déconstruire des raisonnements qui s'appuient sur des prémisses non fondées. Elle permet de réfléchir à une ouverture d'esprit possible qui est à la disposition des personnes et des peuples raisonnables.

L'économie de la foi
Alain Deneault

Ce second feuilleton théorique d'Alain Deneault sur l'économie n'est pas toujours d'une lecture facile, mais il est remarquablement intéressant sur les origines du christianisme et le passage de l'économie de la foi, qui lui sert de fondement, à l'économie telle que nous la connaissons aujourd'hui dans son sens le plus étroit. C'est un véritable traité, s'il en est, sur la manipulation et la tromperie.

Extrait :

Le concept d'« économie » que nous a légué le champ théologique nous instruit sur la façon que nous avons encore de subordonner ainsi, à des projections supérieures, les institutions et les discours. Au tournant du IIIe siècle de notre ère, cette question amène un des premiers théologiens de l'Église, Tertullien, à dénoncer tous les modes de représentation hormis l'office chrétien : le cirque, le théâtre, la mythologie et les rites païens. Que tous ces « spectacles » procèdent de manière analogue aux mises en scène religieuses, que tous allient une scène avec un principe, lui paraît insupportable. Ces dispositifs de croyance ressemblent trop à celui du christianisme. Il fallait trier le bon grain de l'ivraie, les bons autels des pervers, en distinguant, malgré leur apparence commune, ceux qui sont requis pour médiatiser la Voie à suivre de ceux qui font errer. En quoi se ressemblent-ils ? En ce qu'ils renvoient tous à un principe, que ce principe ne saurait exister sans eux, mais qu'ils ne signifieraient rien en eux-mêmes si un tel principe ne venait pas leur conférer du sens. Il ne saurait y avoir de spectacle sans profession de foi ni de profession de foi sans spectacle. Qu'est-ce qu'une manifestation, une scène, une déclamation, si elle ne s'arrime pas à une idéalité rayonnant sur elle pour qu'elle acquière sens et légitimité ? Inversement, comment un tel principe peut-il peser sur une communauté dans son histoire s'il est relégué à sa pure abstraction, sans une incarnation esthétique qui lui donne corps et voix hic et nunc ?

Mémoires d'une jeune fille rangée
Simone de Beauvoir

Il émane des recueils autobiographiques de Simone de Beauvoir une telle atmosphère de liberté et d'accomplissement qu'on ne peut prendre que beaucoup de plaisir à les lire. Le premier, « Mémoires d'une jeune fille rangée », couvre les vingt et une premières années de la vie de l'auteure. Simone de Beauvoir y décrit son éducation dans un univers bourgeois désargenté et son engagement — contraire aux souhaits de sa famille — vers la littérature et la philosophie. Ces mémoires de jeune fille, ce sont aussi les premières rencontres, celles plus formatrices de l'adolescence, puis celles plus définitives du monde de la littérature.

Extrait :

Je suis née à quatre heures du matin, le neuf janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur le boulevard Raspail. Sur les photos de famille prises l'été suivant, on voit de jeunes dames en robes longues, aux chapeaux empanachés de plumes d'autruche, des messieurs coiffés de canotiers et de panamas qui sourient à un bébé : ce sont mes parents, mon grand-père, des oncles, des tantes, et c'est moi. Mon père avait trente ans, ma mère vingt et un, et j'étais leur premier enfant. Je tourne une page de l'album ; maman tient dans ses bras un bébé qui n'est pas moi ; je porte une jupe plissée, un béret, j'ai deux ans et demi, et ma sœur vient de naître. J'en fus, paraît-il, jalouse, mais pendant peu de temps. Aussi loin que je me souvienne, j'étais fière d'être l'aînée : la première. Déguisée en chaperon rouge, portant dans mon panier galette et pot de beurre, je me sentais plus intéressante qu'un nourrisson cloué dans son berceau. J'avais une petite sœur : ce poupon ne m'avait pas.

Mégantic
Anne-Marie Saint-Cerny

« Mégantic » a été publié cinq ans après la terrible tragédie qui a frappé la petite ville de Lac-Mégantic en 2013. C'est le fruit d'une enquête fouillée qui fait admirablement le tour de la question avant, pendant et après l'événement. Il nous offre un portrait d'un monde où presque tout est subordonné au capital, au profit et à la richesse. C'est un bel exemple du vrai monde de l'économie et un ouvrage que l'on devrait étudier dans les écoles, pour en mieux connaître le fonctionnement, comme on le fait avec le fameux « Petit cours d'autodéfense intellectuelle » de Normand Baillargeon. Rappelons l'événement. Nous sommes à Lac-Mégantic, aux environs d'une heure du matin, le 6 juillet 2013. en une chaude nuit d'été. Un train fou sans conducteur tirant des bombes de pétrole explosif dévale la pente qui mène au cœur de la localité et en pulvérise le centre-ville, carbonisant 47 victimes prises au piège et laissant dans son sillage une insouciance à jamais perdue...

Extrait :

Dans les années précédant la tragédie de Mégantic, il s'est publié une pléthore de rapports sur la sécurité ferroviaire. Une longue liste d'examens, d'enquêtes, de dénonciations et de mises en garde, qui remontent à plus d'une décennie. Dans chacun de ces rapports, on prévient les élus et leurs hauts fonctionnaires des dangers des trains, du pétrole, du CP, de MMA et ainsi de suite.

Lorsqu'ils portent sur la tragédie elle-même, les rapports produits mettent en lumière des manquements relatifs aux freins, aux rails, aux locomotives, aux wagons, aux politiques publiques, au Système de gestion de la sécurité (SGS), aux lois en vigueur, à la réglementation. Le Bureau de la sécurité des transports (BST), dont le rapport final a été altéré par des autorités encore non identifiées, a énuméré 18 causes de l'accident.

Malgré tout, l'impression de ne pas savoir demeure. Parce que chacun d'entre nous sait pertinemment que les rails, les freins, les règlements n'existent pas par eux-mêmes. Des êtres de chair et d'os, derrière, élaborent les lois et les mesures de sécurité, les promulguent, les appliquent. D'autres détiennent et gèrent ces mastodontes d'acier, ces bombes sur rail.

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Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Dans les heures suivant le drame, tous les politiciens possibles sont passés – et repassent encore – par Mégantic. Tous ont promis à tour de rôle des « séries de mesures »… face aux « causes identifiées »… pour « accroître la sécurité ferroviaire, une priorité ». Pourtant, en 2018, un train sans dérailleur a encore le droit de stationner dans une pente, sur la voie principale d'un chemin de fer. Deux facteurs pourtant reconnus comme causes de la tragédie dans le rapport du BST sur Mégantic.

États-Unis - Le débat électoral tourne désormais autour du fascisme

29 octobre 2024, par Dan La Botz — , ,
Le fascisme est devenu un thème central de l'élection présidentielle américaine, en grande partie à cause des récentes déclarations de Donald Trump selon lesquelles il (…)

Le fascisme est devenu un thème central de l'élection présidentielle américaine, en grande partie à cause des récentes déclarations de Donald Trump selon lesquelles il utiliserait l'armée pour supprimer « l'ennemi intérieur » composé de « fous radicaux de gauche ».

Hebdo L'Anticapitaliste - 726 (24/10/2024)

Par Dan La Botz

Il fait ici référence à sa rivale Kamala Harris, qu'il a qualifiée à plusieurs reprises de « folle de gauche radicale ». Il a également qualifié d'« ennemi intérieur » le député démocrate Adam Schiff, qui a mené le premier procès en destitution de Trump et qui est aujourd'hui candidat au Sénat.

Trump et l'usage de l'armée

Interrogé lors d'une interview télévisée sur la possibilité que le processus électoral soit perturbé par des agitateurs extérieurs, Trump a répondu : « Je pense que le plus gros problème est l'ennemi de l'intérieur. Nous avons de très mauvaises personnes. Nous avons des malades, des fous de la gauche radicale ». Mais, a-t-il ajouté, « cela devrait être très facilement géré, si nécessaire, par la Garde nationale ou, si c'est vraiment nécessaire, par l'armée, parce qu'ils ne peuvent pas laisser cela se produire ».

Plusieurs commentateurs ont souligné que l'utilisation de l'armée pour réprimer les opposantEs politiques ressemble à ce que nous appelons le fascisme. Et pour beaucoup, il ne fait aucun doute que l'utilisation de ce pouvoir contre les citoyenNEs américainEs semble aller au-delà des déclarations antérieures de Trump selon lesquelles il utiliserait la police et la Garde nationale pour rassembler les immigrantEs et les placer dans des camps de concentration, puis les expulser.

La remarque du général Mark A. Milley, ancien président de l'état-major interarmées sous Trump, selon laquelle l'ancien président était « fasciste jusqu'au bout des ongles », comme le raconte le célèbre journaliste américain Bob Woodward dans son nouveau livre, a également contribué à cette discussion. Harris a elle-même cité la déclaration de Milley et, à d'autres occasions, convenu que Trump pouvait être qualifié de fasciste. Le président Joe Biden avait déjà qualifié le mouvement de Trump de « semi-fasciste » en 2022.

Confusion pour les électeurEs

L'affirmation selon laquelle Trump est un fasciste pourrait toutefois ne pas émouvoir de nombreux électeurEs américainNEs. La lutte des États-Unis contre les fascistes de Benito Mussolini et les nazis d'Adolf Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale est désormais de l'histoire ancienne. SeulEs les 1 % à 2 % d'AméricainEs âgés de plus de 85 ans ont un souvenir direct de ces événements. De plus, le peuple américain a une connaissance notoirement vague de l'histoire et la plupart n'ont jamais réfléchi à la question du fascisme et à sa signification. Pendant des années, les politiciens et la presse ont considéré que qualifier quelqu'un de fasciste était de mauvais goût, alors que, pour la population en général, qualifier quelqu'un de fasciste signifiait simplement qu'il était mauvais.

La situation est également compliquée par le fait que Trump a régulièrement traité Kamala Harris de « marxiste, communiste, fasciste, socialiste ». Le colistier de Trump, le sénateur J.D. Vance, a déclaré que les affirmations de la démocrate selon lesquelles Trump est un autoritaire ou un fasciste sont à l'origine des deux tentatives d'assassinat dont il a fait l'objet.

Le fascisme : un mot qui ne clarifie rien

La gauche n'a pas toujours aidé à clarifier le fascisme. Dans les années 1960 et 1970, les ­gauchistes ont eu tendance à utiliser le mot sans discernement : les racistes du Sud étaient fascistes, la guerre du Vietnam était fasciste, le maire de Chicago de 1989 à 2011, Richard Daley, était fasciste, et pour certainEs, le système politique américain tout entier était fasciste. Pendant quarante ans, le parti communiste et les groupes maoïstes ont déclaré à chaque élection présidentielle que le candidat républicain était un fasciste et qu'il fallait voter démocrate.

Aujourd'hui, dans des groupes comme les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), dont de nombreux membres ont été à l'université, il y a des débats sur le fascisme. Le magazine Jacobin, par exemple, a publié en 2019 une interview d'Enzo Traverso sur son livre Les Nouveaux Visages du fascisme et sa théorie du « post-fascisme » pour expliquer des gens comme Trump. Dans les petites organisations socialistes et anarchistes d'extrême gauche, il y a des discussions sérieuses et pratiques. Et des journaux électroniques populaires comme Truthout ont publié de nombreux articles. Pourtant, pour la plupart des AméricainEs, le mot fascisme ne clarifie rien.

Si Trump est élu, ce qui est tout à fait possible, et qu'il s'avère être le fasciste que nous croyons qu'il est, nous serons à la fois théoriquement et pratiquement non préparéEs.

Dan La Botz, traduction par la rédaction

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Déclaration du collectif marxiste Socialistas en Lucha face à la panne générale à Cuba

29 octobre 2024, par Collectif marxiste Socialistas en Lucha — , ,
Le système national d'énergie électrique (SEN) de Cuba a connu des records historiques de déficit de production d'électricité. Le premier effondrement national a eu lieu (…)

Le système national d'énergie électrique (SEN) de Cuba a connu des records historiques de déficit de production d'électricité. Le premier effondrement national a eu lieu vendredi 18, au matin, avec des épisodes répétés tout au long du week-end. À partir d'aujourd'hui (21 octobre à 20h06, heure de Cuba), le service a été rétabli dans une grande partie de La Havane, mais pas dans tout le pays. Un panorama qui s'est aggravé dans la zone orientale avec l'arrivée de l'ouragan Óscar.

21 octobre 2024, La Havane, Cuba

Le système national d'énergie électrique (SEN) de Cuba a connu des records historiques de déficit de production d'électricité. Le premier effondrement national a eu lieu vendredi 18, au matin, avec des épisodes répétés tout au long du week-end. À partir d'aujourd'hui (21 octobre à 20h06, heure de Cuba), le service a été rétabli dans une grande partie de La Havane, mais pas dans tout le pays. Un panorama qui s'est aggravé dans la zone orientale avec l'arrivée de l'ouragan Óscar.

Jusqu'à présent, six décès ont été signalés à San Antonio del Sur, province de Guantanamo, à la suite de l'ouragan. Des communautés entières sont plongées dans la panne d'électricité et demeurent sans communication, ce qui pourrait faire en sorte que certains de leurs membres ignorent l'existence de ce phénomène météorologique et ne prennent donc pas les mesures nécessaires pour faire face à son arrivée.

La nouvelle crise énergétique s'est accompagnée d'une occupation de l'espace public par les citoyens, qui exigent une réponse rapide de la part de la direction du Parti communiste cubain (PCC). Depuis samedi 19 octobre, des « cacerolazos » ont été signalés dans différents quartiers de la capitale ; parmi eux Centro Habana, Cerro, 20 de Mayo et Guanabacoa. Certains de ces rassemblements ont été réprimés par les soi-disant « bérets noirs » ou Brigades spéciales nationales (BEN), du ministère de l'Intérieur.

Alors que la situation alimentaire sur l'île est gravement menacée, l'appareil oligarchique du PCC, ainsi que les médias officiels, ont choisi de nier l'existence d'un problème de carburant. Ils parlent d' »efforts maximaux » pour l'approvisionnement en pétrole brut, ce qui n'est pas tangible.

À son tour, le gouvernement de Miguel Díaz-Canel Bermúdez a opté pour la suspension des « services non vitaux » ; parmi eux, les activités éducatives et culturelles. Et, comme cela s'était produit lors des manifestations massives du 11 juillet 2021 (J11), le président a une fois de plus discrédité les revendications populaires, qualifiant ceux qui ont exercé leur droit constitutionnel de manifester d'ivrognes ou de personnes en état d'ébriété.

Le gouvernement stalinien cubain a une fois de plus ignoré les revendications d'un peuple en situation d'impuissance, de répression et de précarité. Une population vieillissante avec plus de 20% du nombre total d'habitants ; avec des pensions qui ne suffisent pas à couvrir le panier de base ; avec un système de santé publique appauvri, qui contraint la population à se tourner vers un marché informel dollarisé ; et avec un système éducatif en état d'alerte. Une population qui manque de services de distribution d'eau, de transports, d'hygiène et bien plus encore.

Un ensemble de variables qui, par effet domino, ont fini par conduire à d'autres problèmes graves tels que la pauvreté, le racisme, les féminicides, la malnutrition, le travail des enfants, la criminalité et la corruption. L'effondrement auquel nous assistons aujourd'hui ne se limite donc pas au système énergétique national.

Le collectif Socialistas en Lucha dénonce toutes ces vicissitudes et exige la démission immédiate du gouvernement de Miguel Díaz-Canel. Nous comprenons le contexte cubain actuel comme un effondrement systémique et structurel non réformable. Nous sommes solidaires des victimes de l'ouragan Oscar et tenons le parti au pouvoir pour responsable. Nous dénonçons les sanctions économiques imposées par les États-Unis, qui finissent par nuire aux travailleurs et non à la haute bourgeoisie militaire cubaine. Mais nous dénonçons également l'utilisation aveugle de ces sanctions par le PCC pour justifier la trahison de la classe ouvrière, l'autoritarisme et la répression.

Et enfin, nous nions l'existence d'un État de nature socialiste à Cuba. Une bourgeoisie militaire stalinienne à Cuba ne tracera jamais une voie viable vers le socialisme et l'autonomisation populaire. Cuba est une révolution trahie.

Signé :

Socialistes en lutte, collectif marxiste, anticapitaliste, anti-autoritaire et internationaliste.

Source : https://uit-ci.org/index.php/2024/10/22/declaracion-del-colectivo-marxista-socialistas-en-lucha-ante-el-apagon-en-cuba/

Mis en ligne et traduit par Aplutsoc : https://aplutsoc.org/2024/10/24/declaration-du-collectif-marxiste-socialistas-en-lucha-face-a-la-panne-generale-a-cuba/

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Dossier-écologie. Marx, le communisme et la décroissance — A propos du nouveau livre de Kohei Saito : « Marx in the Anthropocene »

29 octobre 2024, par Daniel Tanuro — ,
Kohei Saito remet le couvert. Dans La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital (Ed. Syllepse, Page2, et M, 2021), le marxologue (…)

Kohei Saito remet le couvert. Dans La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital (Ed. Syllepse, Page2, et M, 2021), le marxologue japonais montrait comment le Marx de la maturité, conscientisé à l'impasse écologique capitaliste par les travaux de Liebig et de Frass, avait rompu avec le productivisme [1]. Son ouvrage qui suit,Marx in the Anthropocene, Towards the Idea of Degrowth Communism (Cambridge University Press, 2023), prolonge la réflexion [2].

Tiré de A l'Encontre
20 octobre 2024

Par Daniel Tanuro

Ce livre est remarquable et utile en particulier sur quatre points : la nature de classe, foncièrement destructive, des forces productives capitalistes ; la supériorité sociale et écologique des sociétés (dites) « primitives », sans classes ; le débat sur nature et culture avec Bruno Latour et Jason Moore, notamment ; la grosse erreur, enfin, des « accélérationnistes » qui se réclament de Marx pour nier l'impérieuse nécessité d'une décroissance. Ces quatre points sont d'une importance politique majeure aujourd'hui, non seulement pour les marxistes soucieux d'être à la hauteur du défi écosocial lancé par la crise systémique du capitalisme, mais aussi pour les activistes écologiques. Le livre a les mêmes qualités que le précédent : il est érudit, bien construit, subtil et éclairant dans la présentation de l'évolution intellectuelle de Marx après 1868. Il a malheureusement aussi le même défaut : il présente pour acquis ce qui n'est qu'hypothèse. Une fois encore, Saito force le trait à vouloir trouver chez Marx la parfaite anticipation théorique des combats d'aujourd'hui. [3]

Au commencement était la « faille métabolique »

La première partie de Marx in the Anthropocene approfondit l'exploration du concept marxien de « faille métabolique » (« hiatus métabolique » dans la version française du Capital). [4] Saito se place ici dans le sillage de John B. Foster et de Paul Burkett, qui ont montré l'immense importance de cette notion. [5] Saito enrichit le propos en mettant en évidence trois manifestations du phénomène – perturbation des processus naturels, faille spatiale, hiatus entre les temporalités de la nature et du capital – auxquelles correspondent trois stratégies capitalistes d'évitement – les pseudo-solutions technologiques, la délocalisation des catastrophes dans les pays dominés, et le report de leurs conséquences sur les générations futures (p.29 et sq.).

Le chapitre 1 se penche plus particulièrement sur la contribution au débat du marxiste hongrois István Mészáros, que Saito estime décisive dans la réappropriation du concept de métabolisme à la fin du 20e siècle. Le chapitre 2 est focalisé sur la responsabilité d'Engels qui, en éditant les Livres II et III du Capital, aurait diffusé une définition du « hiatus métabolique » tronquée, sensiblement différente de celle de Marx. Pour Saito, ce glissement, loin d'être fortuit, traduirait une divergence entre la vision écologique d'Engels – limitée à la crainte des « revanches de la nature » – et celle de Marx – centrée sur la nécessaire « gestion rationnelle du métabolisme » par la réduction du temps de travail. Le chapitre 3, tout en rappelant les ambiguïtés de György Lukács, rend hommage à sa vision du développement historique du métabolisme humain-nature à la fois comme continuité et comme rupture. Pour Saito, cette dialectique, inspirée de Hegel (« identité entre l'identité et la non-identité ») est indispensable pour se différencier à la fois du dualisme cartésien – qui exagère la discontinuité entre nature et société – et du constructivisme social – qui exagère la continuité (l'identité) entre ces deux pôles et ne peut, du coup, « révéler le caractère unique de la manière capitaliste d'organiser le métabolisme humain avec l'environnement » (p. 91).

Dualisme, constructivisme et dialectique

La deuxième partie de l'ouvrage jette un regard très (trop ?) critique sur d'autres écologies d'inspiration marxiste. Saito se démarque de David Harvey dont il épingle la « réaction négative surprenante face au tournant écologique dans le marxisme ». De fait, Marx in the Anthropocene rapporte quelques citations « surprenantes » du géographe étasunien : Harvey semble convaincu de « la capacité du capital à transformer toute limite naturelle en barrière surmontable » ; il confesse que « l'invocation des limites et de la rareté écologique (…) (le) rend aussi nerveux politiquement que soupçonneux théoriquement » ; « les politiques socialistes basées sur l'idée qu'une catastrophe environnementale est imminente » seraient pour lui « un signe de faiblesse ». Géographe comme Harvey, Neil Smith « montrerait la même hésitation face à l'environnementalisme », qu'il qualifie de « apocalypsisme ». Smith est connu pour sa théorie de « la production sociale de nature ». Saito la récuse en estimant qu'elle incite à nier l'existence de la nature comme entité autonome, indépendante des humains : c'est ce qu'il déduit de l'affirmation de Smith que « la nature n'est rien si elle n'est pas sociale » (p. 111). D'une manière générale, Saito traque les conceptions constructivistes en posant que « la nature est une présupposition objective de la production ». Il ne fait aucun doute que cette vision était aussi celle de Marx. Le fait incontestable que l'humanité fait partie de la nature ne signifie ni que tout ce qu'elle fait serait dicté par sa « nature », ni que tout ce que la nature fait serait construit par « la société ».

Destruction écologique : les « actants » ou le profit ?

Dans le cadre de cette polémique, l'auteur consacre quelques pages très fortes à Jason Moore. Il admet que la notion de Capitalocène « marque une avancée par rapport au concept de ‘production sociale de nature' », car elle met l'accent sur les interactions humanité/environnement. Il reproche cependant à Moore d'épouser que les humains et les non-humains seraient des « actants » travaillant en réseau à produire un ensemble intriqué – « hybride » comme dit Bruno Latour. C'est un point important. En effet, Moore estime que distinguer une « faille métabolique » au sein de l'ensemble-réseau est un contresens, le produit d'une vision dualiste. Or, la notion de « métabolisme » désigne la manière dont les organes différents d'un même organisme contribuent spécifiquement au fonctionnement du tout. Elle est donc aux antipodes du dualisme (comme du monisme d'ailleurs) et on en revient à la formule de Hegel : il y a « identité de l'identité et de la non-identité ». Marx in the Anthropocene s'attaque aussi aux thèses de Moore par un autre biais – celui du travail. Pour Moore, en effet, le capitalisme est mû par l'obsession de la « Cheap Nature » (nature bon marché) qui englobe selon lui la force de travail, l'énergie, les biens alimentaires et les matières premières. Moore se réclame de Marx, mais il est clair que sa « Cheap nature » escamote le rôle exclusif du travail abstrait dans la création de (sur)valeur, ainsi que le rôle clé de la course à la survaleur dans la destruction écologique. Or, la valeur n'est pas un « actant hybride » parmi d'autres. Comme dit Saito, elle est « purement sociale » et c'est par son truchement que le capitalisme « domine les processus métaboliques de la nature » (pp. 121-122).

Il est clair en effet que c'est bien la course au profit qui creuse la faille métabolique, notamment en exigeant toujours plus d'énergie, de force de travail, de produits agricoles et de matières premières « bon marché ». De toutes les ressources naturelles que le capital transforme en marchandises, la force de travail « anthropique » est évidemment la seule capable de créer un indice aussi purement « anthropique » que la valeur abstraite. Comme le dit Saito : c'est « précisément parce que la nature existe indépendamment de et préalablement à toutes les catégories sociales, et continue à maintenir sa non-identité avec la logique de la valeur, (que) la maximisation du profit produit une série de disharmonies au sein du métabolisme naturel ». Par conséquent, la « faille n'est pas une métaphore, comme Moore le prétend. La faille existe bel et bien entre le métabolisme social des marchandises ainsi que de la monnaie, et le métabolisme universel de la nature » (ibid). « Ce n'est pas par dualisme cartésien que Marx a décrit d'une manière dualiste la faille entre le métabolisme social et le métabolisme naturel – de même que la faille entre le travail productif et le travail improductif. Il l'a fait consciemment, parce que les relations uniquement sociales du capitalisme exercent un pouvoir extranaturel (alien power) dans la réalité ; une analyse critique de cette puissance sociale requiert inévitablement de séparer le social et le naturel en tant que domaines d'investigation indépendants et d'analyser ensuite leur emboîtement. » (p. 123) Imparable. Il ne fait aucun doute, encore une fois, que cette vision de « l'emboîtement » du social dans l'environnemental était celle de Marx.

Accélérationnisme vs. anti-productivisme

Le chapitre 5 polémique avec une autre variété de marxistes : les « accélérationnistes de gauche ». Selon ces auteurs, les défis écologiques ne peuvent être relevés qu'en démultipliant le développement technologique, l'automation, etc. Cette stratégie, pour eux, est conforme au projet marxien : il faut abattre les entraves capitalistes à la croissance des forces productives pour possibiliser une société de l'abondance. Cette partie de l'ouvrage est particulièrement intéressante car elle éclaire la rupture avec le productivisme et le prométhéisme des années de jeunesse. La rupture n'est probablement pas aussi nette que Saito le prétend [6], mais il y a incontestablement un tournant. Dans Le Manifeste communiste, Marx et Engels expliquent que le prolétariat doit « prendre le pouvoir pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, centraliser tous les moyens de production aux mains de l'Etat et augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». [7] Il est frappant que la perspective de ce texte est résolument étatiste et que les forces productives y sont considérées comme neutres socialement ; elles forment un ensemble de choses qui doit changer de mains (être « arraché petit à petit à la bourgeoisie ») pour grandir quantitativement.

Les accélérationistes sont-ils pour autant fondés à se réclamer de Marx ? Non, car Marx a abandonné la conception exposée dans le Manifeste. Kohei Saito attire l'attention sur le fait que son œuvre majeure, Le Capital, ne traite plus des « forces productives » en général (anhistoriques), mais de forces productives historiquement déterminées – les forces productives capitalistes. Le long chapitre XV du Livre 1 (« Machinisme et grande industrie ») décortique les effets destructeurs de ces forces, à la fois sur le plan social et sur le plan environnemental. On pourrait ajouter ceci : il n'est pas fortuit que ce soit précisément ce chapitre qui s'achève sur la phrase suivante, digne d'un manifeste écosocialiste moderne : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ». [8] Il n'est plus question ici de neutralité des technologies. Le capital n'est plus saisi comme une chose mais comme un rapport social d'exploitation et de destruction, qui doit être détruit (« négation de la négation »). Notons que Marx, après la Commune de Paris, précisera que rompre avec le productivisme nécessite aussi de rompre avec l'étatisme.

Il est étonnant que Kohei Saito ne rappelle pas la phrase du Manifeste citée ci-dessus, où le prolétariat est exhorté à prendre le pouvoir pour « augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». Cela aurait donné plus de relief encore à sa mise en évidence du changement ultérieur. Mais peu importe : le fait est que le tournant est réel et débouche au Livre III du Capital sur une magnifique perspective de révolution en permanence, résolument anti-productiviste et anti-technocratique : « La seule liberté possible est que l'homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leur métabolisme avec la nature et qu'ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force, dans les conditions les plus dignes de la nature humaine. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. » [9] L'évolution est nette. Le paradigme de l'émancipation humaine a changé : il ne consiste plus en la croissance des forces productives mais en la gestion rationnelle des échanges avec la nature et entre les humains.

Subsomption formelle et subsomption réelle du travail

Les pages les plus riches de « Marx in the Anhropocene », à mon avis, sont celles où Saito montre que le nouveau paradigme marxien de l'émancipation résulte d'un ample effort de critique des formes successives que le capital a imposées au travail. Bien qu'elle fasse partie des travaux préparatoires au Capital, cette critique ne sera publiée que plus tard (« Manuscrits économiques de 1861-1863 »). Sa clé de voûte est l'importante notion de subsomption du travail au capital. Insistons-y en passant : la subsomption est plus que de la soumission : subsumer implique intégrer ce qui est soumis à ce qui soumet. Le capital subsume le salariat puisqu'il intègre la force de travail comme capital variable. Mais, pour Marx, il y a subsomption et subsomption : le passage de la manufacture au machinisme et à la grande industrie implique le passage de la « subsomption formelle » à la « subsomption réelle ». La première signifie simplement que le capital prend le contrôle du procès de travail qui existait auparavant, sans apporter de changement ni à son organisation ni à son caractère technologique. La seconde s'installe à partir du moment où le capital révolutionne complètement et sans arrêt le procès de production – non seulement sur le plan technologique mais aussi sur le plan de la coopération – c'est-à-dire des relations productives entre travailleurs.euses et entre travailleurs.euses et capitalistes. Se crée ainsi un mode de production spécifique, sans précédent, entièrement adapté aux impératifs de l'accumulation du capital. Un mode dans lequel, contrairement au précédent, « le commandement par le capitaliste devient indispensable à la réalisation du procès de travail lui-même » (p. 148).

Saito n'est pas le premier à pointer le caractère de classe des technologies. Daniel Bensaïd soulignait la nécessité que « les forces productives elles-mêmes soient soumises à un examen critique ». [10] Michaël Löwy défend qu'il ne suffit pas de détruire l'appareil d'Etat bourgeois – l'appareil productif capitaliste aussi doit être démantelé. [11] Cependant, on saura gré à Saito de coller au plus près du texte de Marx pour résumer les implications en cascade de la subsomption réelle du travail : celle-ci « augmente considérablement la dépendance des travailleurs vis-à-vis du capital » ; « les conditions objectives pour que les travailleurs réalisent leurs capacités leur apparaissent de plus en plus comme une puissance étrangère, indépendante » ; « du fait que le capital en tant que travail objectivé – moyens de production – emploie du travail vivant, la relation du sujet et de l'objet est inversée dans le processus de travail » ; « le travail étant incarné dans le capital, le rôle du travailleur est réduit à celui de simple porteur de la chose réifiée – les moyens de préserver et de valoriser le capital à côté des machines – tandis que la chose réifiée acquiert l'apparence de la subjectivité, puissance étrangère qui contrôle le comportement et la volonté de la personne » ; « l'augmentation des forces productives étant possible seulement à l'initiative du capital et sous sa responsabilité, les nouvelles forces productives du travail social n'apparaissent pas comme les forces productives des travailleurs eux-mêmes mais comme les forces productives du capital » ; « le travail vivant devient (ainsi) un pouvoir du capital, tout développement des forces productives du travail est un développement des forces productives du capital ». Deux conclusions non productivistes et non technocratiques s'imposent alors avec force : 1°) « le développement des forces productives sous le capitalisme ne fait qu'augmenter le pouvoir extérieur du capital en dépouillant les travailleurs de leurs compétences subjectives, de leur savoir et de leur vision, il n'ouvre donc pas automatiquement la possibilité d'un avenir radieux » ; 2°) le concept marxien de forces productives est plus large que celui de forces productives capitalistes – il inclut des capacités humaines telles que les compétences, l'autonomie, la liberté et l'indépendance et est donc à la fois quantitatif et qualitatif » (p. 149-150).

Quel matérialisme historique ? Quelle abondance ?

Ces développements amènent Kohei Saito à réinterroger le matérialisme historique. On sait que la Préface à la critique de l'économie politique contient le seul résumé que Marx ait fait de sa théorie. On y lit ceci : « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale ». [12] Il semble clair que Marx ne pouvait plus adhérer littéralement à cette formulation – et encore moins à celle du Manifeste sur l'augmentation quantitative des forces productives – dès lors que son analyse l'amenait à conclure que le développement des dites forces renforce l'emprise du capital et mutile l'agentivité de celleux qu'il exploite. Comme le dit Saito : « On ne peut plus assumer qu'une révolution socialiste pourrait simplement remplacer les relations de production par d'autres une fois atteint un certain niveau de forces productives. Puisque les forces productives du capital engendrées par la subsomption réelle sont matérialisées et cristallisées dans le mode capitaliste de production, elles disparaissent en même temps que le mode de production ». Transférer la propriété du capital à l'Etat ne changerait pas le problème : les forces productives restant inchangées, 1°) les tâches de conception devraient être assurées par une « classe bureaucratique », 2°) la destruction écologique continuerait. L'auteur en conclut que « la subsumption réelle pose un problème difficile de ‘gestion socialiste libre'. La vision traditionnelle du matérialisme historique, synthétisée dans la Préface, n'indique aucune piste de solution » et « Marx n'a pas été à même d'apporter une réponse définitive à ces questions, même dans Le Capital, de sorte que nous devons aller au-delà » (pp. 157-158).

« Aller au-delà » est ce qui est proposé dans la troisième partie de son ouvrage, et c'est elle qui soulève le plus de polémiques. La question de départ est simple : si l'émancipation ne passe pas par la libre croissance des forces productives, donc par ce que Daniel Bensaid appelait le « joker de l'abondance » [13] par où pourrait-elle passer ? Par « la réduction d'échelle et le ralentissement de la production », répond Saito (p. 166). Pour l'auteur, en substance, l'abondance doit s'entendre non comme pléthore de biens matériels privés – sur le modèle à la fois consumériste et excluant de l'accumulation de marchandises accessibles uniquement à la seule demande solvable – mais comme profusion de richesses sociales et naturelles communes. Sans cela, « l'option restante devient le contrôle bureaucratique de la production sociale, qui a causé l'échec de la voie soviétique » (p. 166).

Décroissance, économie stationnaire et transition

Marx in the Anthropocene entend donc plaider pour un « communisme de la décroissance », profondément égalitaire, axé sur la satisfaction des besoins réels. Selon Saito, ce communisme était celui des communautés dites « archaïques », dont certains traits ont subsisté longtemps sous des formes plus ou moins dégradées dans des systèmes agraires basés sur la propriété collective de la terre, en Russie notamment. Pour le Marx de la maturité, il s'agit de beaucoup plus que des survivances d'un passé révolu : ces communautés indiquent qu'après avoir « exproprié les expropriateurs », la société, pour abolir toute domination, devra progresser vers une forme plus élevée de la communauté « archaïque ». J'adhère pleinement à cette perspective, mais avec un bémol : Saito force gravement le trait en prétendant que « 14 années d'étude sérieuse des sciences naturelles et des sociétés précapitalistes » auraient amené Marx en 1881 à avancer « son idée du communisme décroissant » (p. 242) Cette affirmation est excessive. Prise littéralement, elle ne repose sur aucun document connu. Du coup, pour qu'elle ait malgré tout une once de plausibilité (et encore : à condition de la formuler comme une hypothèse, pas comme une certitude !) Saito est obligé de recourir à une succession d'amalgames : faire comme si la critique radicale de l'accumulation capitaliste par Marx était la même chose que l'économie stationnaire, comme si les communautés « archaïques » étaient stationnaires, et comme si l'économie stationnaire était la même chose que la décroissance. Cela fait beaucoup de « si », néglige des différences essentielles… et ne nous fait pas avancer dans le débat sur les enjeux de la décroissance au sens où elle se discute aujourd'hui entre anticapitalistes, c'est-à-dire au sens littéral de la réduction de la production imposée objectivement par la contrainte climatique. Voyons cela de plus près.

Laissons le PIB de côté et considérons uniquement la production matérielle : une société post-capitaliste dans un pays très pauvre romprait avec la croissance capitaliste mais devrait accroître la production pendant une certaine période pour répondre à l'énorme masse de besoins réels insatisfaits ; une économie stationnaire utiliserait chaque année la même quantité de ressources naturelles pour produire la même quantité de valeurs d'usage avec les mêmes forces productives ; quant à une économie décroissante, elle réduirait les prélèvements et la production. En mettant un signe d'égalité entre ces formes, Kohei Saito entretient une confusion regrettable. « Il devrait maintenant être clair, écrit-il, que le socialisme promeut une transition sociale vers une économie de décroissance » (p.242). C'est fort mal formulé, car la décroissance n'est pas un projet de société, juste une contrainte qui pèse sur la transition. Une « économie de décroissance », en tant que telle, cela ne veut rien dire. Certaines productions doivent croître et d'autres décroître au sein d‘une enveloppe globale décroissante. Pour coller au diagnostic scientifique sur le basculement climatique, il faut dire à peu près ceci : planifier démocratiquement une décroissance juste est le seul moyen de transiter rationnellement vers l'écosocialisme. En effet, étant donné qu'un nouveau système énergétique 100% renouvelables doit forcément être construit avec l'énergie du système actuel (qui est fossile à 80%, donc source de CO2), il n'y a en gros que deux stratégies possibles pour supprimer les émissions : soit on réduit radicalement la consommation finale d'énergie (ce qui implique de produire et transporter globalement moins) en prenant des mesures anticapitalistes fortes (contre les 10%, et surtout le 1% le plus riche) ; soit on mise sur la compensation carbone et sur le déploiement massif à l'avenir d'hypothétiques technologies de capture-séquestration du carbone, de capture-utilisation ou de géoingénierie, c'est-à-dire sur des solutions d'apprentis-sorciers entraînant encore plus de dépossessions, d'inégalités sociales et de destructions écologiques. Nous proposons l'expression « décroissance juste » comme axe stratégique des marxistes antiproductivistes d'aujourd'hui. Faire de la décroissance un synonyme de l'économie stationnaire n'est pas une option car cela équivaut à baisser le volume de l'alarme incendie.

La commune rurale russe, la révolution et l'écologie

La perspective d'une décroissance juste doit beaucoup à l'énorme travail pionnier de Marx, mais il n'y a pas de sens à affirmer qu'il en est le concepteur, car Marx n'a jamais plaidé explicitement pour une diminution nette de la production. Pour en faire le père du « communisme décroissant », Saito se base quasi exclusivement sur un texte célèbre et d'une importance exceptionnelle : la lettre à Vera Zasoulitch. [14] En 1881, la populiste russe avait demandé à Marx, par courrier, son avis sur la possibilité, en Russie, de s'appuyer sur la commune paysanne pour construire le socialisme directement – sans passer par le capitalisme. La traduction russe du Capital avait déclenché un débat sur cette question parmi les opposants au tsarisme. Marx rédigea trois brouillons de réponse. Ils attestent sa rupture profonde avec la vision linéaire du développement historique, donc aussi avec l'idée que les pays capitalistes les plus avancés seraient les plus proches du socialisme. A ce sujet, la dernière phrase est claire comme de l'eau de roche : « Si la révolution se fait en temps opportun, si elle concentre toutes ses forces pour assurer l'essor libre de la commune rurale, celle-ci se développera bientôt comme un élément régénérateur de la société russe et comme élément de supériorité sur les pays asservis par le régime capitaliste ».

Pour Saito, ce texte signifie que la dégradation capitaliste de l'environnement avait conduit Marx, après 1868, à « abandonner son schéma de matérialisme historique antérieur. Ce ne fut pas une tâche aisée pour lui, dit-il. Sa vision du monde était en crise. En ce sens, (ses) recherches intensives au cours de ses dernières années (sur les sciences naturelles et les sociétés précapitalistes, D.T.) étaient une tentative désespérée de reconsidérer et de reformuler sa conception matérialiste de l'histoire à partir d'une perspective entièrement nouvelle, découlant d'une conception radicalement nouvelle de la société alternative » (p. 173). « Quatorze années de recherches » avaient amené Marx « à conclure que la soutenabilité et l'égalité basées sur une économie stationnaire sont la source de la capacité (power) de résistance au capitalisme ». Il aurait donc saisi « l'opportunité de formuler une nouvelle forme de régulation rationnelle du métabolisme humain avec la nature en Europe occidentale et aux Etats-Unis » : « l'économie stationnaire et circulaire sans croissance économique, qu'il avait rejetée auparavant comme stabilité régressive des sociétés primitives sans histoire » (pp. 206-207).

Que penser de cette reconstruction du cheminement de la pensée marxienne à la sauce écolo ? Le narratif a beaucoup pour plaire dans certains milieux, c'est évident. Mais pourquoi Marx a-t-il attendu 1881 pour s'exprimer sur ce point clé ? Pourquoi l'a-t-il fait seulement à la faveur d'une lettre ? Pourquoi cette lettre a-t-elle demandé trois brouillons successifs ? Si vraiment Marx avait commencé à « réviser son schéma théorique en 1860 par suite de la dégradation écologique » (p.204), et si vraiment le concept de faille métabolique avait servi de « médiation » dans ses efforts de rupture avec l'eurocentrisme et le productivisme (p. 200), comment expliquer que la supériorité écologique de la commune rurale ne soit pas évoquée une seule fois dans la réponse à Zasoulitch ? Last but not least : si on peut ne pas exclure que la dernière phrase de cette réponse projette la vision d'une économie post-capitaliste stationnaire pour l'Europe occidentale et les Etats-Unis, ce n'est pas le cas pour la Russie ; Marx insiste fortement sur le fait que c'est seulement en bénéficiant du niveau de développement des pays capitalistes développés que le socialisme en Russie pourra « assurer le libre essor de la commune rurale ». Au final, l'intervention de Marx dans le débat russe semble découler bien plus de son admiration pour la supériorité des rapports sociaux dans les sociétés « archaïques » [15] et de son engagement militant pour l'internationalisation de la révolution que de la centralité de la crise écologique et de l'idée du « communisme décroissant ».

« Offrir quelque chose de positif »

L'affirmation catégorique que Marx aurait inventé ce « communisme décroissant » pour réparer la « faille métabolique » est à ce point excessive qu'on se demande pourquoi Kohei Saito la formule en conclusion d'un ouvrage qui comporte tant d'excellentes choses. La réponse est donnée dans les premières pages du chapitre 6. Face à l'urgence écologique, l'auteur pose la nécessité d'une réponse anticapitaliste, juge que les interprétations productivistes du marxisme sont « intenables », constate que le matérialisme historique est « impopulaire aujourd'hui » parmi les environnementalistes, et estime que c'est dommage (a pity) car ceux-ci ont « un intérêt commun à critiquer l'insatiable désir d'accumulation du capital, même si c'est à partir de points de vue différents » (p. 172). Pour Saito, les travaux qui montrent que Marx s'est détourné des conceptions linéaires du progrès historique, ou s'est intéressé à l'écologie, « ne suffisent pas à démontrer pourquoi des non-marxistes, aujourd'hui, doivent encore prêter attention à l'intérêt de Marx pour l'écologie. Il faut « prendre en compte à la fois les problèmes de l'eurocentrisme et du productivisme pour qu'une interprétation complètement nouvelle du Marx de la maturité devienne convaincante » (p. 199). « Les chercheurs doivent offrir ici quelque chose de positif », « élaborer sur sa vision positive de la société post-capitaliste » (p. 173). Est-ce donc pour donner de façon convaincante cette interprétation « complètement nouvelle » que Saito décrit un Marx fondant successivement et à quelques années de distance « l'écosocialisme » puis le « communisme de la décroissance » ? Il me semble plus proche de la vérité, et par conséquent plus convaincant, de considérer que Marx n'était ni écosocialiste ni décroissant au sens contemporain de ces termes. , Cela n'enlève rien au fait que sa critique pénétrante du productivisme capitaliste et son concept de « hiatus métabolique » sont décisifs pour saisir l'urgente nécessité actuelle d'une « décroissance juste ».

Vouloir à toute force faire entrer la décroissance dans la pensée de Marx est anachronique. Ce n'est d'ailleurs pas nécessaire. Certes, on ne peut pas défendre la décroissance juste et maintenir en parallèle la version productiviste quantitativiste du matérialisme historique. Par contre, la décroissance juste s'intègre sans difficulté à un matérialisme historique qui considère les forces productives dans leurs dimensions quantitatives et qualitatives. Quoiqu'il en soit, nous n'avons pas besoin de la caution de Marx, ni pour admettre la nécessité d'une décroissance juste, ni plus généralement pour élargir et approfondir sa « critique inachevée de l'économie politique ».

Le problème de l'apologie

On peut se demander l'utilité d'une critique des exagérations de Saito. On peut dire : l'essentiel est que « (ce) livre fournit une alimentation utile aux socialistes et aux activistes environnementaux, indépendamment des avis (ou de l'intérêt même d'avoir un avis) sur la question de savoir si Marx était vraiment un communiste décroissant ou pas » [16]. C'est l'essentiel, en effet, et il faut le répéter : Marx in the Anthropocene est un ouvrage excellent, notamment parce que ses développements sur les quatre points mentionnés en introduction de cet article sont d'une actualité et d'une importance majeure. Pour autant, le débat sur ce que Marx a dit ou pas n'est pas à sous-estimer car il porte sur la méthodologie à pratiquer dans l'élaboration des outils intellectuels nécessaires à la lutte écosocialiste. Or, cette question-là concerne aussi les activistes non-marxistes.

La méthode de Kohei Saito présente un défaut : elle est apologétique. Ce trait était déjà perceptible dans « Marx's ecosocialism » : alors que le sous-titre de l'ouvrage pointait la « critique inachevée de l'économie politique », l'auteur consacrait paradoxalement tout un chapitre à faire comme si Marx, après Le Capital, avait développé un projet écosocialiste complet. Marx in the Anthropocene suit le même chemin, mais de façon encore plus nette. Pris ensemble, les deux ouvrages donnent l'impression que Marx, dans les années 70, aurait fini par considérer la perturbation du métabolisme humanité-nature comme la contradiction centrale du capitalisme, qu'il en aurait d'abord déduit un projet de croissance écosocialiste des forces productives, puis qu'il aurait abandonné celui-ci vers 1880-81 pour tracer une nouvelle voie : le « communisme décroissant ». J'ai tenté de montrer que ce narratif est fort contestable.

Un des problèmes de l'apologie est de surestimer fortement l'importance des textes. Par exemple, Saito donne une importance disproportionnée à la modification par Engels du passage du Capital, Livre III, où Marx parle de la « faille métabolique ». La domination des interprétations productivistes du matérialisme historique au cours du 20e siècle ne s'explique pas avant tout par cette modification : elle découle principalement du réformisme des grandes organisations et de la subsomption du prolétariat au capital. Lutter contre cette situation, articuler les résistances sociales pour mettre l'idéologie du progrès en crise au sein même du monde du travail est aujourd'hui la tâche stratégique majeure des écosocialistes. Les réponses sont à chercher dans les luttes et dans l'analyse des luttes beaucoup plus que dans les Notebooks de Marx.

Plus fondamentalement, l'apologie tend à flirter avec le dogmatisme. « Marx l'a dit » devient trop facilement le mantra qui empêche de voir et de penser en marxistes au sujet de ce que Marx n'a pas dit. Car il n'a évidemment pas tout dit. S'il est une leçon méthodologique à tirer de son œuvre monumentale, c'est que la critique est fertile et que le dogme est stérile. La capacité de l'écosocialisme de relever les défis formidables de la catastrophe écologiques capitaliste dépendra non seulement de sa fidélité mais aussi de sa créativité et de sa capacité à rompre, y compris avec ses propres idées antérieures comme Marx le fit quand c'était nécessaire. Il ne s'agit pas seulement de polir soigneusement l'écologie de Marx mais aussi et surtout de la développer et de la radicaliser. (Publié dans Actuel Marx, 2024 numéro 76. Reproduit avec autorisation de l'auteur)

Voir de même à propos de l'ouvrage de Kohei Saïto, La Nature contre le capital, l'article, édité en deux parties, d'Alain Bihr « L'écologie de Marx à la lumière de la MEGA 2 », publié sur le site alencontre.org en date du 23 novembre 2021.

Notes

[1] Marx's ecosocialism. An unfinished critique of the political economy. Trad. française La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital, Syllepse, 2021.

[2] Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth Communism. Cambridge University Press, 2023.

[3] Voir mon article « Marx était-il écosocialiste ? Une réponse à Kohei Saito »,gaucheanticapitaliste.org

[4] Karl Marx, Le Capital, Livre III, Moscou, éditions du Progrès, 1984, Chapitre 47, p. 848

[5] Lire en particulier Paul Burkett, Marx and Nature. A Red and Green Perspective. Palgrave Macmillan, 1999. John Bellamy Foster, Marx's Ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, 2000

[6] On lit déjà dans L'Idéologie allemande (1845-46) : « il arrive un stade dans le développement où naissent des forces productives et des moyens de circulation […] qui ne sont plus des forces productives mais des forces destructrices (le machinisme et l'argent) ». Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, Éditions sociales, 1971, p. 68.

[7] Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, in Œuvres choisies, ed. De Moscou, tome 1, p.130.

[8] Le Capital, Livre I, Garnier-Flammarion, 1969, p. 363.

[9] Le Capital, Livre III, ed. De Moscou, chapitre 48, p. 855.

[10] Daniel Bensaïd, Introduction critique à ‘l'Introduction au marxisme' d'Ernest Mandel, 2e édition, ed. Formation Lesoil, en ligne sur contretemps.eu

[11] Michael Löwy, Ecosocialisme. L'alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Mille et une nuits, 2011, p. 39

[12] Marx-Engels, Œuvres choisies, Tome 1, p.525.

[13] D. Bensaïd, op. cit

[14] Marx et Engels, Œuvres choisies, op. cit. tome 3, p. 156.

[15] Une opinion partagée par Engels : cf. notamment son admiration pour les Zoulous face aux Anglais, dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat.

[16] Diana O'Dwyer, « Was Marx a Degrowth Communist »,https://rupture.ie

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DE L'ÉCOLOGIE AUX LUTTES SOCIALES ET À LA RÉVOLUTION : SUR LE LIVRE DE DANIEL TANURO

Par Jean-Marie Harribey

L'ingénieur agronome Daniel Tanuro, militant écosocialiste et membre de la IVe Internationale, a publié cette année Écologie, luttes sociales et révolution (Paris, La Dispute, 2024). C'est un livre d'entretiens menés par Alexis Cukier et Marine Garrisi, et préfacé par Timothée Parrique. Déjà auteur de livres remarqués [1], Daniel Tanuro propose ici une synthèse bienvenue d'une part sur l'état des connaissances en matière de dégradation écologique, notamment par rapport au dérèglement climatique, et d'autre part sur l'action à mener pour dépasser le modèle de croissance capitaliste à l'origine des crises multiples, comme l'auteur l'indique : ce que l'on sait, ce que l'on peut faire.

Ce que l'on sait et que rapporte Daniel Tanuro

Tant les rapports du GIEC sur le climat que ceux de l'IPBES sur la biodiversité et les services écosystémiques n'hésitent plus : nous marchons vers la catastrophe ou selon Daniel Tanuro le « cataclysme » (p. 25). Le diagnostic est indiscutable si « l'on prend en compte simultanément neuf éléments interdépendants : la biodiversité, l'acidité des océans, la concentration atmosphérique en particules, l'apparition de nouvelles entités chimiques, les changements d'occupation des sols, l'état de la couche d'ozone stratosphérique, les cycles du carbone, de l'azote et du phosphore ainsi que celui de l'eau » (p. 26) [2]. Ainsi on peut définir les « zones frontières » (p. 27) à ne pas franchir.

Dans la discussion qui oppose certains experts, écomarxistes ou non, sur l'origine du changement d'ère qu'auraient provoqué les activités humaines, Daniel Tanuro est tranchant : pour désigner un changement d'ère géologique, « il faut appliquer les critères des géologues […] qui fournissent une base solide pour situer le début de l'Anthropocène après la Seconde guerre mondiale » (p. 30) : niveau des océans, déclin brutal de la biodiversité, nouvelles entités chimiques dans les roches. Même s'il y a bien des prémisses avant 1950, il s'agit pour l'auteur de désigner la « grande accélération » (p. 31) qui se produit après cette date. De ce fait, Daniel Tanuro s'écarte des autres théoriciens marxistes qui ont plutôt tendance à préférer le concept de capitalocène à celui d'anthropocène. Mais la distance n'est pas très grande car Daniel Tanuro précise : « le changement intervient dans les années 1950, comme résultat d'un siècle et demi d'accumulation capitaliste » (p. 32, je souligne JMH) ; « Il faut en effet s'opposer aux tentatives d'utiliser “l'Anthropocène contre l'histoire”, comme dit fort justement Andreas Malm. Ces tentatives escamotent les déterminants sociaux, les dissolvent dans les lois de la nature. On efface ainsi l'histoire, en particulier le capitalisme, le colonialisme et le patriarcat. » (p. 33)

En revanche, Daniel Tanuro s'écarte nettement de Jason Moore qui s'inscrit dans le courant emmené par Bruno Latour récusant toute spécificité à l'humanité par rapport à la nature et enlevant toute signification au capitalisme (p. 34) [3].

Suivent plusieurs pages très intéressantes sur la méthodologie utilisée pour élaborer les rapports au sein du GIEC dont le contenu est toujours médiatisé par la synthèse à l'intention des décideurs. Or celle-ci est toujours le fruit d'un compromis : par exemple, dans le 6e rapport de 2023, sont mises sur le même plan les énergies renouvelables, les fossiles avec capture-séquestration du carbone et les technologies pour retirer du carbone de l'atmosphère (p. 40). Où est le problème ? Daniel Tanuro explique que le « zéro émissions nettes » pour répondre aux objectifs de l'Accord de Paris serait compatible, dans l'esprit des tenants des fossiles, avec la poursuite de leur utilisation grâce aux progrès techniques. (p. 41)

Ainsi se dessine le projet de l'auteur : « Le consensus pro-croissance et pro-capitalisme vert n'est plus ce qu'il était. » (p. 44) La croissance capitaliste n'est plus possible parce que « cette production demande plus d'énergies fossiles, donc plus d'émissions, qu'il faut donc décroître en satisfaisant les besoins de base, dans la justice sociale. » (p. 45) L'auteur donne corps à la convergence entre marxistes et décroissants, en faveur de laquelle argumente aussi son préfacier Timothée Parrique [4].

Cette première partie consacrée aux connaissances sur la situation écologique est l'occasion pour Daniel Tanuro de faire état de l'importance des savoirs populaires car les savoirs scientifiques peuvent être imprégnés d'idéologie. Par exemple, le destin de l'Île de Pâques est aujourd'hui tout à fait reconsidéré. La thèse de l'écocide de Diamond, qui serait « le résultat combiné de la surpopulation et de la folie des grandeurs de chefs tyranniques et cruels » (p. 48) est très certainement fausse : la disparition de la forêt est plutôt due aux rats arrivés avec les Polynésiens. Daniel Tanuro en déduit que le mode de production capitaliste empêche que « le travail social constitue une médiation simple, transparente entre la collectivité humaine et le reste de la nature. […] En s'appropriant le travail, en l'émiettant et en le soumettant à sa logique absurde, le capitalisme déconnecte cette intelligence de son objet principal. » (p. 54)

Ce que l'on peut faire et que propose Daniel Tanuro

Progressivement, Daniel Tanuro se place sur le terrain de l'épistémologie qui va le conduire à une stratégie anticapitaliste : « La critique marxienne de l'économie politique est absolument indispensable à la compréhension de la catastrophe. Tous les courants de l'écologie politique s'accordent à dire que cette catastrophe est le résultat de la croissance, de l'accumulation. C'est exact. Mais d'où vient la croissance ? That's the question. Pour Bruno Latour et ses partisans, la croissance découle de ce que les “Modernes”, à partir des Lumières, ont créé un dualisme entre nature et culture. Sur cette base, disent-ils, la société a cru pouvoir grandir hors-sol et remplacer ce monde par une autre, comme si le paradis sur terre était possible. Selon Latour, nous devons abandonner cette illusion, renoncer qu'il y a un capitalisme à combattre, comprendre que nous sommes tous des “Terrestres”. L'axe du conflit politique, pour lui, sépare les Non-Terrestres des Terrestres […] À l'opposé de cette vision idéaliste – au sens philosophique comme au sens commun du terme – Marx, dès la première section du Capital, fournit une explication matérialiste de la nature “croissanciste” du système. Le capital n'est pas une chose mais un rapport social d'exploitation du travail par le salariat. » (p. 63-64).

Daniel Tanuro est prudent : « Marx n'était pas un écosocialiste avant la lettre […], mais son analyse du capital permet d'appréhender la destruction de l'environnement comme un problème social, d'origine sociale et qui appelle une réponse sociale » (p. 65). Il est plus mesuré que Kohei Saito [5], tout en disant comme ce dernier que « la logique doublement destructrice ne peut être brisée qu'en remplaçant la production de valeur abstraite par la production de valeurs d'usage pour satisfaire les besoins réels et démocratiquement déterminés. […] La critique scientifique que Marx a faite du mode de production capitaliste préserve de certains dérapages réactionnaires parce qu'elle articule deux niveaux emboîtés : d'une part, Homo sapiens participe du métabolisme de la nature ; d'autre part, ce métabolisme prend des formes historiques qui ne sont pas naturelles mais sociales. » (p. 65-67). Un peu plus loin, Daniel Tanuro précise : « Marx n'était pas plus “décroissant” qu'il n'était “écosocialiste”. Il dénonçait l'accumulation capitaliste, évidemment, mais ne défendait pas la nécessité de produire moins pour gérer rationnellement le métabolisme humanité/nature. Or, tel est bien, aujourd'hui, le sens de la décroissance : il faut impérativement réduire la production matérielle globale pour arrêter la catastrophe. C'est une contrainte écologique relativement récente. Le concept marxien de « hiatus métabolique » aide à l'appréhender, mais il est anachronique de vouloir à toute force faire entrer la décroissance dans la pensée de Marx. » (p. 73)

Daniel Tanuro explique pourquoi le capitalisme vert, la croissance verte, le « greenwashing systémique » (p. 86), la géoingénierie sont des impasses. Sont en cause l'effet rebond, le pillage néocolonial des ressources et les rivalités interimpérialistes, dans un contexte où un scénario écofasciste, bien qu'improbable à court terme, n'est pas à exclure.

L'auteur accorde une place déterminante aux luttes sociales ancrées sur l'écologie pour bâtir des alternatives. À nouveau, il condamne la prétention latourienne à dépasser le clivage gauche-droite, ce qui revient à nier la lutte des classes. Mais il prend soin aussi de dire que le monde du travail doit « rompre la stratégie syndicale traditionnelle du partage des “fruits de la croissance” qui enferme les revendications des travailleurs et des travailleuses dans un cadre productiviste et bouche toute perspective politique » (p. 109).

Pour armer un bonne stratégie afin de « détacher le mouvement ouvrier du productivisme » (p. 115), Daniel Tanuro observe « trois points faibles de la domination capitaliste ». « Le premier est l'incapacité du capital à résoudre, ou même à atténuer, la crise qu'il a lui-même créée. Pour le dire simplement, le capital va bien, mais le capitalisme va mal. » (p. 113). Le deuxième est l'ampleur de la régression causée par les politiques néolibérales » (p. 113) dont le signe est la faiblesses des gains de productivité du travail malgré la révolution technique. Le troisième point faible est « une crise de légitimité extrêmement profonde des régimes politiques et du système socio-économique » (p. 114). Il dégage alors ce qu'il appelle un « fil rouge d'une rupture ouvrière avec le productivisme » : appliquer à tous les secteurs de la reproduction sociale le « prendre soin » (p. 117) des féministes. « Du point de vue anthropologique, transhistorique, qu'est-ce que le travail, si ce n'est une manière de prendre soin de la vie ? En dernière instance, le capitalisme est contraire à la nature humaine parce qu'il ne prend soin que du profit, démembre le travail pour arriver à ses fins, et détraque notre métabolisme avec le reste de la nature. » (p. 130)

Concrètement, « quelle est la clé de voûte de la situation objective ? L'impossibilité d'arrêter la catastrophe climatique sans diminuer radicalement la consommation finale d'énergie au niveau global, donc la transformation et le transport des matières. Les conditions d'existence de plus de trois milliards d'êtres humains dépendent d'une décroissance juste, c'est-à-dire d'une décroissance capitaliste qui frappe essentiellement les 1% les plus riches au niveau planétaire » (p. 140-141). Si je suis entièrement d'accord avec le mot d'ordre de « ralentir » (p. 141) – que j'ai longtemps opposé à certains théoriciens de la décroissance pour penser la phase de transition – et avec « la question n'est pas “oui ou non à la décroissance ?” mais plutôt : “La décroissance de quoi, où, pourquoi, pour qui, comment … et qui décide ?” » (p. 141), ce que j'ai résumé par la notion de décroissance sélective, je doute fortement que limiter seulement les 1% les plus riches suffise. En effet, le mode de vie ostentatoire, gaspilleur et prédateur est le fait d'une couche plus large que ce seul 1%. Sans doute faudra-t-il mettre en débat le mode de vie d'au moins la fraction des 10% les plus riches [6].

Il n'empêche, le livre de Daniel Tanuro offre un panorama complet des enjeux principaux pour penser l'au-delà du capitalisme et de son corollaire la croissance économique. Écrit dans un langage simple mais précis, il permet de clarifier les concepts qui font débat au sein de l'écologie politique et au sein de l'écomarxisme, dès lors qu'on envisage une convergence de l'une et de l'autre. Comme il l'écrit en terminant son livre : « Face à la menace d'une nouvelle plongée dans la barbarie, nous n'avons tout simplement pas d'autre choix que l'espérance. Nous n'avons pas d'autre choix que de lutter pour un programme rouge et vert, un programme qui réponde aux besoins fondamentaux des classes populaires en jetant un pont vers la transformation révolutionnaire de la société. La difficulté est énorme, mais il n'y a pas d'autre voie. Il n'y a pas de fatalité à voir la catastrophe devenir cataclysme. » (p. 154) Le message n'a donc rien de pessimiste ; il est réaliste. (Article publié sur le blog de Jean-Marie Harribey, « L'économie par terre ou sur terre ? », en date du 13 octobre 2024)

Notes

[1] Notamment L'impossible capitalisme vert, Paris, La Découverte, Les empêcheurs de penser en rond, 2010, 2e éd., La Découverte, 2012 ; Trop tard pour être pessimistes, Écosocialisme ou effondrement, Paris, Textuel, 2020.

[2] Ces neuf domaines ont été définis par Johan Rockström and Mathias Klum, Big World, Small Planet, Abundance within Planetary Boundaries, Yale University Press, 2015. Ils ont été repris par Kate Raworth, La théorie du donut, L'économie de demain en 7 principes, 2017, Paris, J'ai lu, 2021 ; et « La théorie du donut : une nouvelle économie est possible », Oxfam, 7 décembre 2020. Le schéma du donut définit l'espace de soutenabilité entre le « plafond écologique » et le « plancher social ».

[3] Voir ma recension du livre L'écologie-monde du capitalisme de Jason Moore : « Le capitalocène de Jason W. Moore : un concept (trop) global ? », Contretemps, 4 octobre 2024l.

[4] Ce qui était moins le cas dans le livre que Timothée Parrique a publié Ralentir ou périr, L'économie de la décroissance, Paris, Seuil, 2022. Ici, dans sa préface à Daniel Tanuro « La décroissance comme transition, l'écosocialisme comme destination », il cite en note (p. 15) la réponse à ma recension que j'avais faite de son livre. Seulement, le lecteur ne saura pas quel était le contenu des remarques à la fois positives (je commençais par dire que c'était un livre à lire) et critiques que j'émettais, en particulier sur ce que sont le capitalisme et la recherche du profit, remplacés par le prétendu « baromètre » que serait le PIB, à la place du taux de profit. À la fin de mon texte, on trouvera le lien vers la réponse de T. Parrique. Référencer convenablement les phases d'une discussion fait partie de l'authenticité de celle-ci et aussi de son élégance…

[5] Voir mon commentaire sur le livre de Kohei Saito, Moins, La décroissance est une philosophie, « Nouveau regard sur la décroissance », 9 octobre 2024.

[6] Voir un essai de formalisation d'une réduction drastique des inégalités de revenus dans une perspective sociale et écologique : « Réduction des inégalités pour que les retraites soient soutenables socialement et écologiquement », 28 janvier 2023.

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Assez c’est assez ! La lutte se poursuit pour les Mères au front de Rouyn-Noranda

29 octobre 2024, par Maude Desbois — ,
Alors qu'en ce moment même sont détenu·es par la Sûreté du Québec, pour une durée indéterminée, deux activistes environnementalistes ainsi qu'une citoyenne qui se trouvait sur (…)

Alors qu'en ce moment même sont détenu·es par la Sûreté du Québec, pour une durée indéterminée, deux activistes environnementalistes ainsi qu'une citoyenne qui se trouvait sur les lieux de l'action de désobéissance civile entreprise sur le pont Jacques-Cartier à Montréal le 22 octobre par Last génération Canada et le collectif Antigone, la lutte se poursuit et nous demeurons plus solidaires que jamais. Nous ne pouvons accepter la criminalisation des militant·es non violent·es qui agissent dans le but de protéger l'environnement et de faire bouger nos gouvernements. Il s'agit d'une répression sans précédent au Québec qui est totalement inacceptable.

Tiré de l'Esprit libre.

Combien de trains manqués cela prendra-t-il à nos dirigeant·es avant qu'ils ne se décident à embarquer ? Combien de communautés abandonnées au nom de l'économie ? Combien de zones sacrifiées au nom de la croissance et de notre dépendance à la consommation ?

Plus de dix jours déjà depuis que des artistes, des mères au front et des militantes ont immobilisé un train sur le site de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda de manière totalement pacifique, en se couchant à l'endroit qui est fort probablement l'un des plus contaminés du site, mettant ainsi leur santé à risque.

Le dimanche 13 octobre 2024, ces femmes sont montées au front afin de manifester pour l'accès à un droit fondamental : celui d'exister sans craindre pour leur vie et celle de leurs enfants. Celui de vivre dans un environnement sain qui ne respire pas l'auto-destruction provoquée par une multinationale multimilliardaire, soutenue par notre propre gouvernement. Pour cela, elles se sont étendues sous l'un des wagons par lesquels arrivent les intrants toxiques en provenance de différents pays pour être transformés à la Fonderie Horne ; des photos de leurs enfants et de leurs petits-enfants posées sur leur cœur, silencieuses, afin de rappeler pour qui elles luttent et la raison de leur présence à Rouyn-Noranda ce jour-là.

Encore aujourd'hui en 2024, alors que nous vivons une crise socio-environnementale sans précédent, le gouvernement accepte de sacrifier des populations à proximité d'usines, de mines, d'industries, en mettant sur le dos de l'économie du Québec la nécessité d'octroyer à ces multinationales des permis de polluer, de détruire le territoire, mettant à risque la survie des écosystèmes en plus de la santé des communautés. Bon nombre de ces usines sont situées dans des milieux où vivent des gens avec leurs familles. C'est le cas notamment à Montréal, Québec, Saguenay, Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau et, bien entendu, Rouyn-Noranda.(Voir le texte accompagnant cette vidéo, dans notre section vidéos)

Comment se fait-il que la population, malgré les dangers qui ne sont plus à prouver, se retrouve à devoir lutter afin d'être protégée d'un géant nommé Glencore ? Cela fait des années que les Mères au front et plusieurs autres groupes se mobilisent afin d'exiger le respect des normes. Le mouvement a financé ses propres analyses de neige et manifesté à de multiples reprises, sans compter les rencontres avec nos dirigeants qui ont gentiment souri et pris des notes. Rappelons aussi qu'il n'y a actuellement aucun échéancier imposé à la Fonderie Horne pour l'atteinte de la norme provinciale de 3 ng d'arsenic par mètre cube d'air.

On se retrouve à payer de la santé de la population, de notre système de santé qui doit soigner les personnes atteintes de cancers du poumon et des voies urinaires, de maladies pulmonaires chroniques, de maladies du système nerveux, et tant d'autres graves problématiques liées à la présence des contaminants tout droit sortis des cheminées de l'usine. Notre gouvernement utilise l'argent des contribuables pour financer le rehaussement technologique de la Fonderie Horne, car l'entreprise elle-même refuse de payer pour effectuer les travaux d'améliorations nécessaires à la diminution des contaminants rejetés dans l'air de Rouyn-Noranda. Le Québec paie pour les caprices d'une multinationale qui a engrangé un revenu net de 17,3 milliards en 2022, sans compter tout ce qui est caché dans des paradis fiscaux.

Vous comprendrez donc que les personnes qui vivent à Rouyn-Noranda en ont assez de se faire violenter et négliger, coincées sur un territoire pour lequel ils et elles ont un attachement et un amour profond, mêlé à beaucoup de colère et un goût amer dans la bouche, qui lui, ne provient pas uniquement des rejets d'anhydride sulfureux (SO2) de la Fonderie horne.

D'ailleurs, petite anecdote à ce sujet, alors que nous marchions vers l'usine pendant la manifestation, un goût étrange et inhabituel s'invite sur notre langue. Isabelle Fortin-Rondeau, membre du groupe Mères au front Rouyn-Noranda, attrape le micro et nous lance : « Ce goût dans votre bouche, c'est du dioxyde de soufre. Cadeau de la fonderie ! ». Au lendemain de la marche, un graphique partagé par REVIMAT, un organisme local qui milite pour améliorer la Loi sur les mines et pour la protection de l'environnement, indique que l'indice de SO2 pendant la marche montrait un pic grimpant à toute allure d'un niveau « acceptable » à « mauvais ». Selon l'American Lung Association, « le dioxyde de soufre provoque une série d'effets nocifs sur les poumons. Il peut également se transformer chimiquement en particules de sulfate dans l'atmosphère, qui constituent une part importante de la pollution par les particules fines, qui peuvent être emportées à des centaines de kilomètres. » Les personnes qui vivent et travaillent à proximité de ces grandes sources sont évidemment les plus exposées au SO2 et à ses impacts. Apparemment, la Fonderie aime bien gratifier les militant·es d'une bonne bouffée d'air frais lors des manifestations.

Chaque étape de la marche, ponctuée de prises de paroles, de performances artistiques, de témoignages, a ramené l'indignation et la colère au fond de nos ventres. L'envie de scander « Assez, c'est assez ! » nous venait tout naturellement.

Les artistes venu·es en solidarité, à la demande des Mères au front de Rouyn-Noranda qui n'en peuvent plus d'appeler à l'aide, se sont plongé·es dans une grande vulnérabilité par leur performance. Arrachant bout par bout les vêtements qui recouvraient leurs corps, Ève Landry, Anaïs Barbeau-Lavalette, Steve Gagnon, Véronique Côté et Laure Waridel, ont dévoilé tour à tour les parties peintes en noir, symboliquement « malades » avec, en trame de fond, les mots de Véronique Côté. « Ta ville est une zone sacrifiée. Ton corps est une zone sacrifiée. Tes enfants sont une zone sacrifiée. » Une vulnérabilité et un courage qu'il faut savoir porter pour revendiquer et tenter d'attirer l'attention sur le nœud du problème.

Alors je me permettrai de répéter ici, en fin de récit, ces mêmes questions.

Combien de trains manqués cela prendra-t-il à nos dirigeant·es avant qu'ils ne se décident à embarquer ? Combien de communautés abandonnées au nom de l'économie ? Combien de zones sacrifiées au nom de la croissance et de notre dépendance à la consommation ?

Le respect des normes québécoises sur les contaminants, c'est tout ce qu'on vous demande.

Nous sommes près de 9000 Mères au front au Québec qui luttons chaque jour pour faire entendre les voix éteintes, les voix inaudibles, tues et ignorées. Soyez avisé·es, « Il ne sera pas question de se fermer la gueule. »*

* Phrase tirée du livre « Arsenic mon amour », co-écrit par Gabrielle Izaguirré Falardeau et Jean-Lou David, aux éditions du Quartz.

Rappelons que l'autorisation ministérielle entérinée en 2023 demeure largement insatisfaisante, permettant toujours à la Fonderie Horne de rejeter dans l'air de Rouyn-Noranda des quantités allant jusqu'à 15 fois la norme nationale sur l'arsenic, celle-ci étant établie à 3 ng/m3. Selon ladite entente, la Fonderie Horne est seulement tenue à graduellement diminuer les émissions à 15 ng/m3 (soit 5 fois la norme), avant de présenter un éventuel plan. Pour permettre l'obtention de métaux critiques, le gouvernement québécois accepte d'exposer la population à des taux d'arsenic qu'il sait lui-même être dangereux.

Depuis des années, la population de Rouyn-Noranda est exposée à de l'arsenic, du plomb, du cadmium, du nickel, du cuivre et du dioxyde de soufre à des taux beaucoup plus élevés que partout ailleurs au Québec. Au moins 25 contaminants sont mesurés dans l'air, l'eau, la neige ou les sols des environs. Plusieurs de ces contaminants sont des cancérigènes et des neurotoxiques sans seuil, ce qui signifie qu'ils entraînent des risques quelle que soit la dose. Les normes sont déjà un compromis.

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Grève dans l’hôtellerie à l’automne 2024. Entretien avec trois préposées aux chambres

29 octobre 2024, par Martin Gallié, Elsa Galerand — ,
Depuis plusieurs années, la CSN mène des négociations dites « coordonnées » dans le secteur de l'hôtellerie. Il s'agit de négociations conjointes qui concernent cette année (…)

Depuis plusieurs années, la CSN mène des négociations dites « coordonnées » dans le secteur de l'hôtellerie. Il s'agit de négociations conjointes qui concernent cette année plus de 3500 travailleuses et travailleurs organisés dans 30 syndicats des régions de la Capitale-Nationale, de l'Estrie, du Saguenay–Lac-Saint-Jean et du Grand Montréal.

Dans ce cadre, les 30 syndicats portent une plateforme de revendications communes qu'ils ont le mandat de négocier avec leurs employeurs respectifs. Chaque syndicat peut ajouter ses propres revendications à cette plateforme commune, décide de ses propres moyens d'action, négocie sa propre entente de principe et la soumet au vote de ses membres.

Sans convention collective, depuis le 30 juin 2024, après plusieurs journées de grève ponctuelles tenues entre juillet et août 2024, les travailleuses et travailleurs de l'hôtel Bonaventure déclenchent une grève illimitée le 12 septembre. Les employé·es de l'hôtel PUR à Québec font la même chose le lendemain tandis que celleux de l'hôtel Delta à Sherbrooke ont adopté une banque de 120 heures de grève, qui sera en partie utilisée le 12 septembre .

Les revendications communes des négociations coordonnées étaient alors les suivantes :
• Obtenir des augmentations salariales de 36 % sur quatre ans pour combler la perte du pouvoir d'achat liée à l'inflation.
• Augmenter la contribution de l'employeur au régime d'assurance collective.
• Encadrer la formation pour la relève et mieux appuyer les formateurs et les formatrices.
• Revoir l'accès et la rémunération pour les vacances annuelles pour attirer la relève et reconnaître l'expérience du personnel en place.
• Éliminer le recours aux agences de placement.
• Freiner la surcharge de travail pour mieux protéger le personnel.
• S'assurer que les personnes salariées décident entre elles du partage des pourboires.

Au moment où nous écrivons ces lignes, le 18 octobre 2024 , seule la grève générale illimitée des travailleuses et travailleurs de l'hôtel PUR de Québec se poursuit. Le 1er octobre 2024, les travailleurs et travailleuses de l'hôtel Delta à Sherbrooke ont adopté une entente de principe à 92% ; tandis qu'à l'hôtel Bonaventure, la grève qui a duré près d'un mois a pris fin le vendredi 11 octobre 2024, avec l'adoption d'une entente de principe à 80,4%.

Le jour même, nous avons rencontré sur zoom, Annette, Irène et Alice, trois préposées aux chambres qui ont participé à l'une ou l'autre de ces grèves. Toutes les trois travaillent à temps plein en tant que préposées aux chambres depuis plus de 15 ans, 17 ans et 40 ans. Mères de famille, elles vivent avec leurs conjoints : « avec le prix des loyers montréalais, même en travaillant à temps plein, on ne pourrait pas s'en sortir seules » nous disent-elles.

Leur travail consiste à « faire les chambres » : changer les draps, refaire les lits, passer l'aspirateur, nettoyer la salle de bain, changer les serviettes et les peignoirs, vérifier et au besoin préparer de nouveau le service à café et à thé, ranger et laver les tables, vider les poubelles, etc.

Nous restituons ici nos échanges sur 1) leurs revendications et conditions de travail d'abord, 2) le déroulement de la grève et le premier bilan qu'elles en font, ensuite.

1) Au sujet des revendications et conditions de travail

Si les travailleurs et travailleuses de tous les départements des hôtels dans lesquels elles travaillent ont fait grève (réception, cuisines, équipiers, entretien technique, restauration, etc.), c'est néanmoins la surcharge de travail des préposées aux chambres qui a été un moteur pour la mobilisation et une revendication centrale lors des négociations : « l'enjeu de la surcharge dans les chambres est tellement énorme qu'on ne peut pas laisser passer ».

Elles nous expliquent d'abord que le nombre de chambres à faire par jour est conventionné. Dans l'un des hôtels par exemple, et avant la grève, les préposées devaient « faire » 14 chambres par jour en automne et hiver et 12 en été. Cette variation selon la saison tient au fait qu'en été, les chambres sont plus souvent occupées par des familles si bien que la charge de travail est plus lourde. Celle-ci augmente aussi quand les chambres à faire correspondent à des départs (check out). Et dans certains hôtels, les travailleuses doivent compléter un minimum de 11 check out par jour.

Irène nous décrit ainsi une journée habituelle :

« On travaille 7h30 de temps car il faut enlever les 30 minutes de pause. Ça fait 7h30, soit 450 minutes pour 14 chambres. Donc sans compter une seule minute de pause, on doit faire la chambre en 32 minutes. Dans ces 32 minutes, il faut que tu comptes le temps d'aller chercher le linge en bas, les produits à l'étage, préparer ton chariot. Rien que pour tout ramasser, il faut souvent 10 minutes ; mais compte au moins 10 minutes pour la salle de bain ; plus de 10 minutes pour les draps et après, préparer les cafetiers, aller chercher les robes de chambre… On court dans les chambres ».

Et depuis plusieurs années, cette cadence imposée par la charge de travail ne cesse d'augmenter. Elles prennent l'exemple du ménage des salles de bain pour illustrer le surcroit du travail exigé des préposées aux chambres, un surcroit qui n'a jamais été ni comptabilisé, ni rétribué par les employeurs. Dans de nombreux hôtels, les salles de bain ont été rénovées et « modernisées », au cours des dernières années. Les rideaux de douche ont été remplacés par des portes vitrées à la mode. Or ces portes « ça prend beaucoup de temps à nettoyer ! » dit Annette :

« La cabine des douches, avant c'était un rideau, qu'il suffisait de changer quand il était sale. Maintenant, ce sont des portes vitrées coulissantes. Chaque fois il faut nettoyer pour que ce soit « impeccable ! » on nous dit. On doit donc tout laver et ça prend plus de temps. Ça fait 4 surfaces à nettoyer, à passer avec ton bras, dans 14 chambres, 4 ou 5 jours par semaine. Et puis, il y a beaucoup de clients qui restent plus d'une nuit et qui refusent le service de nettoyage mais avec l'accumulation de shampoing et de produits qui ont séché, ça double le temps, ça fatigue car il faut frotter encore plus fort en tendant le bras en l'air ».

Tout en faisant de la propreté des chambres une de leur priorité, les gérants et propriétaires d'hôtels sont soucieux d'offrir toujours plus de services à la clientèle sans pourtant augmenter le budget consacré aux salaires. Non seulement exigent-ils toujours davantage de travail de la part des préposées chaque fois qu'ils offrent un nouveau service mais ils coupent dans d'autres services, explique Alice. Par exemple, l'employeur a décidé de supprimer le « grand ménage ».

« Avant, il y avait le grand ménage : dans les chambres, on démontait tout (radiateur, rideaux, etc) et on nettoyait tout. Mais il y avait une équipe qui venait nous aider. Plus maintenant. Ça coute cher à l'employeur de faire un grand ménage, ils ont arrêté ».

Les employeurs ont aussi coupé le service de mini-bars, dit Irène, celui qui était chargé de le remplir et de s'occuper de la station de café, tout en offrant de nouveau « services », comme les robes de chambres ou le service aux chambres :

« l'employeur a décidé de couper le service de mini-bar, les chocolats, les cafetiers etc. Avant c'était cette équipe qui s'occupait de la station de café. Là c'est nous qui faisons ça. Il nous demande aussi de mettre les robes de chambres partout, ça veut dire aller à la lingerie, il a coupé le service au chambre donc on a des plateaux roulants, avant c'était le service aux chambres qui passait. Moi, je refuse de faire le service en chambre. Moi, je laisse tout dans le couloir, ce n'est pas moi qui ramène tout. Mais moi je peux m'y opposer car ça fait longtemps que je suis là. Les robes de chambre, c'est mon département, c'est ok. Mais pas le service aux chambres. Il nous rajoute toujours un petit temps d'action supplémentaire ».

Enfin, les employeurs exigent maintenant des préposées qu'elles déplacent elles-mêmes les chariots de linge, qui sont lourds, jusqu'à la buanderie :

« Auparavant, c'était les hommes d'entretien qui venaient vider les chariots du linge sale. Maintenant c'est nous qui devons les mettre dans les sacs et les porter à nettoyer ; les déchets maintenant c'est nous… On rajoute des surcharges aux employés. À la fin on accumule des minutes par chambre ».

Cette augmentation du rythme, du nombre de tâches et des exigences physiques du travail, ont d'importantes répercussions sur la santé des travailleuses. Irène raconte ainsi :

« Beaucoup de préposées partent en congé maladie car elles ont mal au dos, au bras (…) ; il y a beaucoup plus d'accident au travail, on travaille de plus en plus vite, on se fait mal. Il y a plein de situations problématiques pour nos bras avec des mouvements répétitifs. Beaucoup de filles ont mal au tunnel carpien. Surtout dans les bras, le haut du corps ; avec le chariot qu'on pousse d'une chambre à l'autre, c'est pas mal pesant… je l'ai pesé une fois, je peux vous dire combien ça fait [elle sort son téléphone] : 293 livres. C'est pour ça qu'on a tout le temps mal aux mains ».

Annette décrit un épuisement collectif au travail devenu si frappant qu'il fallait faire quelque chose :

« Aujourd'hui il n'y a pas un sourire qui nous accueille au travail. Tout le monde est fatigué, écœuré, la mine basse. Tout ce qu'on entend c'est des critiques, dans tous les départements. C'est triste de voir ça, de rentrer au travail de voir des employés qui pleurent à tout bout de champ (…) La charge de travail, ça touche notre santé, notre physique, notre vie, tout. Quand tu es trop fatiguée tu n'as pas envie de revenir au travail le lendemain. Ça fait des années qu'on la dénonce mais ça continue. Alors, il fallait dire d'arrêter, arrêter de nous surcharger ; il fallait faire réfléchir l'employeur qu'on est des êtres humains, qu'on n'est pas des machines et qu'on doit pouvoir prendre nos pauses. Ce qui arrive c'est qu'on prend même pas nos pauses ».

2) Le déroulement de la grève et le premier bilan qu'elles en font.

Au sujet du déroulement des évènements, des négociations et de la grève, Irène explique d'abord que dès le début, l'employeur a fait savoir qu'il comptait augmenter le nombre de chambres à faire, de 14 à 15. Il argumentait que le département des préposé·es aux chambres était celui qui lui coûte le plus cher et que c'était donc à ce département de faire des efforts.C'était tout simplement inacceptable, un recul, « une insulte », pour Annette qui travaille depuis des dizaines d'années dans l'hôtel :

« Quand j'ai commencé on était à 15 chambres. On s'est battues et on a réussi à réduire le nombre à 14. Quand ce charmant monsieur arrive et qu'il propose des reculs, c'était une insulte. Quel imbécile ! Quel imbécile de mettre en doute le nombre de chambre qu'on peut faire ».

Alice ajoute : « l'employeur, il arrive avec un nombre de demandes incalculable, plus de 100 demandes, toutes des reculs. Tout ça pour nous niaiser, puisqu'à chaque fois après, il les enlève à 95% à la fin ». Non seulement soumettait-il des propositions totalement inacceptables mais il faisait trainer les négociations : « il disait, « on renégociera la prochaine fois ». Il nous a fait attendre tellement longtemps, il ne nous écoutait pas alors c'est pour ça que j'étais partante pour partir en grève ».

Avant le vote, les travailleuses les plus anciennes comme Annette craignaient que les plus jeunes ne suivent pas le mouvement de mobilisation et s'opposent à la grève :

« Moi je vais bientôt partir mais j'ai continué à me battre car on avait confiance en moi. Mais ma peur était qu'étant donné qu'il y avait beaucoup de nouvelles employées et que c'était leur première négociation, j'avais peur qu'elles ne soient pas impliquées. Alors je leur disais ‘‘n'oubliez pas que vous allez sûrement rester comme beaucoup d'entre nous pendant 10 ou 15 ans. Ce que vous n'allez pas gagner, ce que vous allez perdre, vous allez le subir. Vous devez comprendre que c'est un enjeu important. Vous êtes jeunes mais dans quelques années ce ne sera pas pareil de faire les chambres'' »

Finalement, le vote de grève a été adopté par la quasi-totalité des employé·es des différents départements des hôtels. Et, au moins pour parti, ce vote en est un de solidarité de tou.te.s les employé.e.s avec les préposées aux chambre :

« Avoir des votes de 97 ou 98 % de votes, je n'ai pas vu ça souvent. J'étais fière du vote. Ils ont vu que c'était important. Le point majeur, c'était les préposées et ma crainte c'est que les autres départements ne suivent pas. Mais ils ont été solidaires des préposées aux chambres et ça c'était vraiment très apprécié ».

La grève illimitée a donc débuté le 16 septembre et les grévistes ont immédiatement organisé des lignes de piquetage :

« On a demandé à tout le monde de participer aux lignes de piquetage 20h par semaine. On voulait toujours le même nombre de personnes sur la ligne de 8h à 18h. On vient le matin, on a de la musique, on a des drapeaux, on manifeste, on danse, on a mis de la musique forte, il y avait toujours minium 20 personnes parfois, 30 personnes (…) À la fin, les gens amenaient des repas pour aider. En général, il y avait de la bonne humeur. Pendant les trois semaines et demi ».

Alice précise « on a eu de la chance car on a pu avoir des tentes pour nous protéger du froid alors que dans certains hôtels en grève, il n'y a pas de place pour mettre des tentes ». Les travailleuses ont également organisé d'autres actions, comme des visites de solidarité dans les autres hôtels en grève avec lignes de piquetage.

Elles dressent un bilan positif des lignes de piquetage, des clients et des passants plutôt sympathiques se sont arrêtés pour les soutenir et elles ont su « que ça dérangeait la direction de l'hôtel ». Et comme le souligne Annette, « faut se le dire, le fond de grève est meilleur que dans mon temps : 320$ alors qu'avant on avait peut être 150$ par semaine », ajoute-t-elle, difficile de tenir. Mais même avec un meilleur fonds de grève, « quand ça commence à durer, c'est plus dur, le piquetage fonctionne bien mais ça ne veut pas dire que ça peut continuer longtemps ».

Toujours en guise de premier bilan, les travailleuses évoquent deux problèmes majeurs : la présence de scabs et l'absence de soutien médiatique. Si l'hôtel a pu fonctionner pendant la grève, c'est que les superviseurs et les gens de la comptabilité ont été sollicités notamment pour faire les chambres, mais il y a également eu des scabs :

« Ils étaient quoi, une trentaine de scabs. On a eu deux fois la visite d'un inspecteur. On ne les voyait pas rentrer car il y a plusieurs entrées. Donc ils ne passent pas devant le piquetage. On sait aussi qu'ils ont embauché des cuisiniers d'une compagnie extérieure jusqu'au début octobre ».

Concernant les médias, Annette rapporte :

« C'est vrai qu'on ne parle pas de nous dans les médias. On voit parfois des journalistes. Mais nous, on n'a pas d'impact comme dans la santé ou dans le système d'autobus. Nous c'est une clientèle internationale, temporaire. C'est complètement passé sous silence. Le public il se fout complètement de ce qui se passe dans l'hôtellerie car ça n'a aucun impact sur eux. Et puis l'employeur il n'a aucun compte à rendre à personne ».

Elsa Galerand et Martin Gallié, 25 octobre 2024

Les auteur·es remercient les travailleuses qui ont accepté de prendre du temps pour répondre à leurs questions et Alice Lepetit de la CSN .

Photo : Dominic Morissette.

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Grève dans l’hôtellerie à l’automne 2024. Entretien avec trois préposées aux chambres

29 octobre 2024, par Martin Gallié, Elsa Galerand — ,
Depuis plusieurs années, la CSN mène des négociations dites « coordonnées » dans le secteur de l'hôtellerie. Il s'agit de négociations conjointes qui concernent cette année (…)

Depuis plusieurs années, la CSN mène des négociations dites « coordonnées » dans le secteur de l'hôtellerie. Il s'agit de négociations conjointes qui concernent cette année plus de 3500 travailleuses et travailleurs organisés dans 30 syndicats des régions de la Capitale-Nationale, de l'Estrie, du Saguenay–Lac-Saint-Jean et du Grand Montréal.

Dans ce cadre, les 30 syndicats portent une plateforme de revendications communes qu'ils ont le mandat de négocier avec leurs employeurs respectifs. Chaque syndicat peut ajouter ses propres revendications à cette plateforme commune, décide de ses propres moyens d'action, négocie sa propre entente de principe et la soumet au vote de ses membres.

Sans convention collective, depuis le 30 juin 2024, après plusieurs journées de grève ponctuelles tenues entre juillet et août 2024, les travailleuses et travailleurs de l'hôtel Bonaventure déclenchent une grève illimitée le 12 septembre. Les employé·es de l'hôtel PUR à Québec font la même chose le lendemain tandis que celleux de l'hôtel Delta à Sherbrooke ont adopté une banque de 120 heures de grève, qui sera en partie utilisée le 12 septembre .

Les revendications communes des négociations coordonnées étaient alors les suivantes :
• Obtenir des augmentations salariales de 36 % sur quatre ans pour combler la perte du pouvoir d'achat liée à l'inflation.
• Augmenter la contribution de l'employeur au régime d'assurance collective.
• Encadrer la formation pour la relève et mieux appuyer les formateurs et les formatrices.
• Revoir l'accès et la rémunération pour les vacances annuelles pour attirer la relève et reconnaître l'expérience du personnel en place.
• Éliminer le recours aux agences de placement.
• Freiner la surcharge de travail pour mieux protéger le personnel.
• S'assurer que les personnes salariées décident entre elles du partage des pourboires.

Au moment où nous écrivons ces lignes, le 18 octobre 2024 , seule la grève générale illimitée des travailleuses et travailleurs de l'hôtel PUR de Québec se poursuit. Le 1er octobre 2024, les travailleurs et travailleuses de l'hôtel Delta à Sherbrooke ont adopté une entente de principe à 92% ; tandis qu'à l'hôtel Bonaventure, la grève qui a duré près d'un mois a pris fin le vendredi 11 octobre 2024, avec l'adoption d'une entente de principe à 80,4%.

Le jour même, nous avons rencontré sur zoom, Annette, Irène et Alice, trois préposées aux chambres qui ont participé à l'une ou l'autre de ces grèves. Toutes les trois travaillent à temps plein en tant que préposées aux chambres depuis plus de 15 ans, 17 ans et 40 ans. Mères de famille, elles vivent avec leurs conjoints : « avec le prix des loyers montréalais, même en travaillant à temps plein, on ne pourrait pas s'en sortir seules » nous disent-elles.

Leur travail consiste à « faire les chambres » : changer les draps, refaire les lits, passer l'aspirateur, nettoyer la salle de bain, changer les serviettes et les peignoirs, vérifier et au besoin préparer de nouveau le service à café et à thé, ranger et laver les tables, vider les poubelles, etc.

Nous restituons ici nos échanges sur 1) leurs revendications et conditions de travail d'abord, 2) le déroulement de la grève et le premier bilan qu'elles en font, ensuite.

1) Au sujet des revendications et conditions de travail

Si les travailleurs et travailleuses de tous les départements des hôtels dans lesquels elles travaillent ont fait grève (réception, cuisines, équipiers, entretien technique, restauration, etc.), c'est néanmoins la surcharge de travail des préposées aux chambres qui a été un moteur pour la mobilisation et une revendication centrale lors des négociations : « l'enjeu de la surcharge dans les chambres est tellement énorme qu'on ne peut pas laisser passer ».

Elles nous expliquent d'abord que le nombre de chambres à faire par jour est conventionné. Dans l'un des hôtels par exemple, et avant la grève, les préposées devaient « faire » 14 chambres par jour en automne et hiver et 12 en été. Cette variation selon la saison tient au fait qu'en été, les chambres sont plus souvent occupées par des familles si bien que la charge de travail est plus lourde. Celle-ci augmente aussi quand les chambres à faire correspondent à des départs (check out). Et dans certains hôtels, les travailleuses doivent compléter un minimum de 11 check out par jour.

Irène nous décrit ainsi une journée habituelle :

« On travaille 7h30 de temps car il faut enlever les 30 minutes de pause. Ça fait 7h30, soit 450 minutes pour 14 chambres. Donc sans compter une seule minute de pause, on doit faire la chambre en 32 minutes. Dans ces 32 minutes, il faut que tu comptes le temps d'aller chercher le linge en bas, les produits à l'étage, préparer ton chariot. Rien que pour tout ramasser, il faut souvent 10 minutes ; mais compte au moins 10 minutes pour la salle de bain ; plus de 10 minutes pour les draps et après, préparer les cafetiers, aller chercher les robes de chambre… On court dans les chambres ».

Et depuis plusieurs années, cette cadence imposée par la charge de travail ne cesse d'augmenter. Elles prennent l'exemple du ménage des salles de bain pour illustrer le surcroit du travail exigé des préposées aux chambres, un surcroit qui n'a jamais été ni comptabilisé, ni rétribué par les employeurs. Dans de nombreux hôtels, les salles de bain ont été rénovées et « modernisées », au cours des dernières années. Les rideaux de douche ont été remplacés par des portes vitrées à la mode. Or ces portes « ça prend beaucoup de temps à nettoyer ! » dit Annette :

« La cabine des douches, avant c'était un rideau, qu'il suffisait de changer quand il était sale. Maintenant, ce sont des portes vitrées coulissantes. Chaque fois il faut nettoyer pour que ce soit « impeccable ! » on nous dit. On doit donc tout laver et ça prend plus de temps. Ça fait 4 surfaces à nettoyer, à passer avec ton bras, dans 14 chambres, 4 ou 5 jours par semaine. Et puis, il y a beaucoup de clients qui restent plus d'une nuit et qui refusent le service de nettoyage mais avec l'accumulation de shampoing et de produits qui ont séché, ça double le temps, ça fatigue car il faut frotter encore plus fort en tendant le bras en l'air ».

Tout en faisant de la propreté des chambres une de leur priorité, les gérants et propriétaires d'hôtels sont soucieux d'offrir toujours plus de services à la clientèle sans pourtant augmenter le budget consacré aux salaires. Non seulement exigent-ils toujours davantage de travail de la part des préposées chaque fois qu'ils offrent un nouveau service mais ils coupent dans d'autres services, explique Alice. Par exemple, l'employeur a décidé de supprimer le « grand ménage ».

« Avant, il y avait le grand ménage : dans les chambres, on démontait tout (radiateur, rideaux, etc) et on nettoyait tout. Mais il y avait une équipe qui venait nous aider. Plus maintenant. Ça coute cher à l'employeur de faire un grand ménage, ils ont arrêté ».

Les employeurs ont aussi coupé le service de mini-bars, dit Irène, celui qui était chargé de le remplir et de s'occuper de la station de café, tout en offrant de nouveau « services », comme les robes de chambres ou le service aux chambres :

« l'employeur a décidé de couper le service de mini-bar, les chocolats, les cafetiers etc. Avant c'était cette équipe qui s'occupait de la station de café. Là c'est nous qui faisons ça. Il nous demande aussi de mettre les robes de chambres partout, ça veut dire aller à la lingerie, il a coupé le service au chambre donc on a des plateaux roulants, avant c'était le service aux chambres qui passait. Moi, je refuse de faire le service en chambre. Moi, je laisse tout dans le couloir, ce n'est pas moi qui ramène tout. Mais moi je peux m'y opposer car ça fait longtemps que je suis là. Les robes de chambre, c'est mon département, c'est ok. Mais pas le service aux chambres. Il nous rajoute toujours un petit temps d'action supplémentaire ».

Enfin, les employeurs exigent maintenant des préposées qu'elles déplacent elles-mêmes les chariots de linge, qui sont lourds, jusqu'à la buanderie :

« Auparavant, c'était les hommes d'entretien qui venaient vider les chariots du linge sale. Maintenant c'est nous qui devons les mettre dans les sacs et les porter à nettoyer ; les déchets maintenant c'est nous… On rajoute des surcharges aux employés. À la fin on accumule des minutes par chambre ».

Cette augmentation du rythme, du nombre de tâches et des exigences physiques du travail, ont d'importantes répercussions sur la santé des travailleuses. Irène raconte ainsi :

« Beaucoup de préposées partent en congé maladie car elles ont mal au dos, au bras (…) ; il y a beaucoup plus d'accident au travail, on travaille de plus en plus vite, on se fait mal. Il y a plein de situations problématiques pour nos bras avec des mouvements répétitifs. Beaucoup de filles ont mal au tunnel carpien. Surtout dans les bras, le haut du corps ; avec le chariot qu'on pousse d'une chambre à l'autre, c'est pas mal pesant… je l'ai pesé une fois, je peux vous dire combien ça fait [elle sort son téléphone] : 293 livres. C'est pour ça qu'on a tout le temps mal aux mains ».

Annette décrit un épuisement collectif au travail devenu si frappant qu'il fallait faire quelque chose :

« Aujourd'hui il n'y a pas un sourire qui nous accueille au travail. Tout le monde est fatigué, écœuré, la mine basse. Tout ce qu'on entend c'est des critiques, dans tous les départements. C'est triste de voir ça, de rentrer au travail de voir des employés qui pleurent à tout bout de champ (…) La charge de travail, ça touche notre santé, notre physique, notre vie, tout. Quand tu es trop fatiguée tu n'as pas envie de revenir au travail le lendemain. Ça fait des années qu'on la dénonce mais ça continue. Alors, il fallait dire d'arrêter, arrêter de nous surcharger ; il fallait faire réfléchir l'employeur qu'on est des êtres humains, qu'on n'est pas des machines et qu'on doit pouvoir prendre nos pauses. Ce qui arrive c'est qu'on prend même pas nos pauses ».

2) Le déroulement de la grève et le premier bilan qu'elles en font.

Au sujet du déroulement des évènements, des négociations et de la grève, Irène explique d'abord que dès le début, l'employeur a fait savoir qu'il comptait augmenter le nombre de chambres à faire, de 14 à 15. Il argumentait que le département des préposé·es aux chambres était celui qui lui coûte le plus cher et que c'était donc à ce département de faire des efforts.C'était tout simplement inacceptable, un recul, « une insulte », pour Annette qui travaille depuis des dizaines d'années dans l'hôtel :

« Quand j'ai commencé on était à 15 chambres. On s'est battues et on a réussi à réduire le nombre à 14. Quand ce charmant monsieur arrive et qu'il propose des reculs, c'était une insulte. Quel imbécile ! Quel imbécile de mettre en doute le nombre de chambre qu'on peut faire ».

Alice ajoute : « l'employeur, il arrive avec un nombre de demandes incalculable, plus de 100 demandes, toutes des reculs. Tout ça pour nous niaiser, puisqu'à chaque fois après, il les enlève à 95% à la fin ». Non seulement soumettait-il des propositions totalement inacceptables mais il faisait trainer les négociations : « il disait, « on renégociera la prochaine fois ». Il nous a fait attendre tellement longtemps, il ne nous écoutait pas alors c'est pour ça que j'étais partante pour partir en grève ».

Avant le vote, les travailleuses les plus anciennes comme Annette craignaient que les plus jeunes ne suivent pas le mouvement de mobilisation et s'opposent à la grève :

« Moi je vais bientôt partir mais j'ai continué à me battre car on avait confiance en moi. Mais ma peur était qu'étant donné qu'il y avait beaucoup de nouvelles employées et que c'était leur première négociation, j'avais peur qu'elles ne soient pas impliquées. Alors je leur disais ‘‘n'oubliez pas que vous allez sûrement rester comme beaucoup d'entre nous pendant 10 ou 15 ans. Ce que vous n'allez pas gagner, ce que vous allez perdre, vous allez le subir. Vous devez comprendre que c'est un enjeu important. Vous êtes jeunes mais dans quelques années ce ne sera pas pareil de faire les chambres'' »

Finalement, le vote de grève a été adopté par la quasi-totalité des employé·es des différents départements des hôtels. Et, au moins pour parti, ce vote en est un de solidarité de tou.te.s les employé.e.s avec les préposées aux chambre :

« Avoir des votes de 97 ou 98 % de votes, je n'ai pas vu ça souvent. J'étais fière du vote. Ils ont vu que c'était important. Le point majeur, c'était les préposées et ma crainte c'est que les autres départements ne suivent pas. Mais ils ont été solidaires des préposées aux chambres et ça c'était vraiment très apprécié ».

La grève illimitée a donc débuté le 16 septembre et les grévistes ont immédiatement organisé des lignes de piquetage :

« On a demandé à tout le monde de participer aux lignes de piquetage 20h par semaine. On voulait toujours le même nombre de personnes sur la ligne de 8h à 18h. On vient le matin, on a de la musique, on a des drapeaux, on manifeste, on danse, on a mis de la musique forte, il y avait toujours minium 20 personnes parfois, 30 personnes (…) À la fin, les gens amenaient des repas pour aider. En général, il y avait de la bonne humeur. Pendant les trois semaines et demi ».

Alice précise « on a eu de la chance car on a pu avoir des tentes pour nous protéger du froid alors que dans certains hôtels en grève, il n'y a pas de place pour mettre des tentes ». Les travailleuses ont également organisé d'autres actions, comme des visites de solidarité dans les autres hôtels en grève avec lignes de piquetage.

Elles dressent un bilan positif des lignes de piquetage, des clients et des passants plutôt sympathiques se sont arrêtés pour les soutenir et elles ont su « que ça dérangeait la direction de l'hôtel ». Et comme le souligne Annette, « faut se le dire, le fond de grève est meilleur que dans mon temps : 320$ alors qu'avant on avait peut être 150$ par semaine », ajoute-t-elle, difficile de tenir. Mais même avec un meilleur fonds de grève, « quand ça commence à durer, c'est plus dur, le piquetage fonctionne bien mais ça ne veut pas dire que ça peut continuer longtemps ».

Toujours en guise de premier bilan, les travailleuses évoquent deux problèmes majeurs : la présence de scabs et l'absence de soutien médiatique. Si l'hôtel a pu fonctionner pendant la grève, c'est que les superviseurs et les gens de la comptabilité ont été sollicités notamment pour faire les chambres, mais il y a également eu des scabs :

« Ils étaient quoi, une trentaine de scabs. On a eu deux fois la visite d'un inspecteur. On ne les voyait pas rentrer car il y a plusieurs entrées. Donc ils ne passent pas devant le piquetage. On sait aussi qu'ils ont embauché des cuisiniers d'une compagnie extérieure jusqu'au début octobre ».

Concernant les médias, Annette rapporte :

« C'est vrai qu'on ne parle pas de nous dans les médias. On voit parfois des journalistes. Mais nous, on n'a pas d'impact comme dans la santé ou dans le système d'autobus. Nous c'est une clientèle internationale, temporaire. C'est complètement passé sous silence. Le public il se fout complètement de ce qui se passe dans l'hôtellerie car ça n'a aucun impact sur eux. Et puis l'employeur il n'a aucun compte à rendre à personne ».

Elsa Galerand et Martin Gallié, 25 octobre 2024

Les auteur·es remercient les travailleuses qui ont accepté de prendre du temps pour répondre à leurs questions et Alice Lepetit de la CSN .

Photo : Dominic Morissette.

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Les COPs, biodiversité et climatique, et le parc nature l’Assomption

29 octobre 2024, par Marc Bonhomme — ,
Pendant que la COP16 sur la biodiversité de Cali, en Colombie, est censée donner corps aux beaux principes votés à la COP15 de 2022, la ville-hôtesse, Montréal, envoie au (…)

Pendant que la COP16 sur la biodiversité de Cali, en Colombie, est censée donner corps aux beaux principes votés à la COP15 de 2022, la ville-hôtesse, Montréal, envoie au diable le parc nature L'Assomption en avouant candidement que « [c]e dossier [l'affaire Ray-Mont Logistiques] ne contribue pas à l'atteinte des résultats de Montréal 2030, des engagements en changements climatiques et des engagements en inclusion, équité et accessibilité universelle ».

La nature et la justice sociale prennent une débarque face à la dictature de la marchandise. La plateforme logistique de transbordement train-camion vers le limitrophe Port de Montréal, en plus de devenir une source de pollution par son bruit assourdissant et sa poussière émanant en particulier des grains de céréale ensachés, sera un îlot de chaleur. Ce qui annonce à sa façon le flop que sera la COP29 sur le climat qui se tiendra, encore une fois, dans un État pétrolier dictatorial, l'Azerbaïdjan, qui « compte augmenter sa production de gaz de 35 % dans les dix prochaines années, à rebours des efforts requis pour contenir le réchauffement de la planète. »

Suite à la fermeture au début de ce siècle de la grande usine Canadian Steel Foundries, ce qui rendit désuète la gare de triage voisine du Canadien National, la Ville de Montréal négligea de modifier le zonage de ces grandes surfaces en diapason avec la transformation résidentielle du quartier populaire Hochelaga-Maisonneuve immédiatement à l'ouest de ces importantes structures industrielles et de transport. S'étaient établis tout près, en plus de maisons en rangée, une coopérative d'habitation. Signalons aussi un très ancien CHSLD à but non lucratif qui avait auparavant enduré ce tintamarre industriel et qui avait été heureux de s'en être débarrassé.

Les trompeuses acrobaties politiciennes de la Ville de Montréal

On peut méchamment penser que cette négligence de la Ville témoignait d'une aspiration à un retour de la vocation industrielle de ces sites étant donné leurs lucratifs rendements fiscaux par leurs actifs immobiliers. D'autant plus que c'était certainement là un souhait du conseil d'administration du Port de Montréal, juste au sud de ces sites, sous juridiction du gouvernement fédéral et dont le conseil est composé de personnes représentant l'élite affairiste du Grand Montréal nommées par le gouvernement fédéral. Ne manquait plus dans le portrait que le gouvernement québécois qui souhaite industrialiser la Vallée du St-Laurent, en particulier le Premier ministre avec son Projet Saint-Laurent qui a relancé sa carrière politique avec la CAQ.

Restait à la Ville de Montréal, pour ne pas être blâmée politiquement, à effacer ses traces en donnant l'impression par des moyens administratifs et juridiques de s'opposer au projet de plateforme de transbordement de l'entreprise Ray-Mont Logistiques qui avait acheté en 2016 le terrain de la Canadian Steel Foundries sur la base du zonage existant permettant cet usage. Évidemment, la Ville a été déboutée ce qui a donné le prétexte à Ray-Mont de la poursuivre pour quelques centaines de millions de dollars de profits soi-disant perdus pendant les quelques années qu'a duré le procès. En a résulté une entente hors cours qui coûte à la Ville 17 millions de dollars en plus de dizaines de millions en mesures d'atténuation du bruit à ses frais, dont un mur, et pour l'achat d'une partie du terrain du CN, très partiellement payé par Ottawa.

Tactique exemplaire mais stratégie déficiente contre la marchandise

N'est pas terminée la longue lutte acharnée de l'organisation Mob6600, combinant une intense tactique d'occupation culturelle, éducative et récréative de la friche avec une tactique de mobilisation politique dont d'importantes manifestations de quartier et d'interactions avec la Ville de Montréal. Mob6600 doit non seulement s'assurer que l'entente hors cours soit réalisée à temps et dans les normes mais aussi qu'elle soit bonifiée. Même si le noyau dur de la lutte est perdu, le prix de consolation, soit la sauvegarde de la « Forêt Steinberg » jointe au petit « Boisé Vimont » par une bande de la friche rachetée au CN, n'est pas banal. Mob6600 a déployé et déploie encore, alors que tout est cuit, beaucoup d'énergie pour participer aux consultations bidon de la Ville de Montréal. S'en tirent finalement à bon compte Québec et surtout Ottawa et son Port, qui en collaboration avec Québec a construit un super viaduc reliant, entre autres, Ray-Mont au port.

Peut-être que si Mob6600 eût réclamé un coin de la vaste friche pour un projet de logements sociaux écoénergétiques avec jardins communautaires, le quartier et son voisinage populaire se seraient davantage mobilisé étant donné que la crise du logement y est la grande et angoissante préoccupation. La gent étudiante du Collège Maisonneuve a été contactée mais non mobilisée. Le syndicat des débardeurs du Port aura donné et donne encore plus de fil à retordre à l'administration du Port de même qu'à Ottawa davantage branché sur la libre circulation des marchandises que sur la sauvegarde de la nature. Peut-être ce syndicat aurait-il pu être un allié s'il avait été sollicité ?

Vaincre une telle panoplie d'ennemis, de la flagorneuse et trompeuse Ville de Montréal jusqu'au jupitérien gouvernement fédéral embusqué derrière les gens d'affaires du Port en passant par la ratoureuse CAQ tous imbus de la quasi-religion du sacro-saint droit de propriété en vue du profit, et de son corollaire la circulation de la marchandise, nécessite une grande coalition combinant des intérêts variés face à l'ennemi commun. La main tendue au mouvement environnemental, dont l'intrépide Mères au front, ne suffit pas étant donné sa modeste capacité mobilisatrice. Si les tactiques de Mob6600 ont été exemplaires — on pourrait invoquer une inspiration féministe étant donné une direction effective, non élue cependant, quasi exclusivement de femmes — sa stratégie a été déficiente.

Marc Bonhomme, 26 octobre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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