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Incongruités et aberrations

7 juin 2024, par Par Michel Rioux
En ces temps plutôt surprenants

En ces temps plutôt surprenants

Ensemble pour Gaza et la Palestine

6 juin 2024, par Coalition du Québec Urgence Palestine — ,
Alors que des mandats d'arrêt sont en discussion à la Cour pénale internationale. la coalition du Québec Urgence Palestine appelle à signer une nouvelle déclaration pour exiger (…)

Alors que des mandats d'arrêt sont en discussion à la Cour pénale internationale. la coalition du Québec Urgence Palestine appelle à signer une nouvelle déclaration pour exiger des sanctions contre Israël. Elle invite aussi à une nouvelle manifestation à Montréal, le samedi 8 juin, à 14 h. On peut retrouver le texte de la déclaration ici, que nous publions ci-dessous. Pour l'appuyer, il suffit d'envoyer un courriel à urgencepalestine.qc@gmail.com

Ensemble pour Gaza et la Palestine : exigeons des sanctions contre Israël !

Depuis octobre 2023, les bombardements incessants, les ordres d'évacuation répétés et le blocus impitoyable d'Israël ont réduit en ruines la bande de Gaza et plongé sa population entière dans des conditions d'errance, de famine, d'insalubrité, d'épuisement, de traumatismes et de deuils. 70 % des infrastructures civiles ont été détruites, 35 562 personnes (civiles) tuées, 10 000 ensevelies sous les décombres, 79 652 blessées. (en date du 20 mai 2024)

Le secrétaire à la Défense Lloyd J. Austin III rencontre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant à Tel Aviv, Israël, le 13 octobre 2023.
Le 6 mai, Israël a refusé un accord de trêve négocié, que le Hamas venait d'accepter. Défiant toutes les mises en garde, Israël a amorcé son offensive annoncée contre la ville de Rafah, refuge ultime de 1,5 million de Palestinien.nes. Déjà 800 000 personnes ont été forcées de fuir Rafah vers des secteurs déjà ravagés, plus difficiles à rejoindre pour l'aide humanitaire et sans infrastructure pour les accueillir.

Jusqu'où ira l'odieuse complicité du Canada ?

Pendant des mois, le Canada s'est contenté de soutenir le droit d'Israël de se défendre, droit qui n'existe pas en droit international pour une puissance occupante. D'octobre à décembre 2023, il a autorisé un montant record d'exportations militaires vers Israël. Il a prétendu qu'il ne s'agissait que d'équipements militaires « non létaux », mais n'a fourni aux médias que des documents lourdement caviardés. Puis il a annoncé qu'il n'en autoriserait plus, mais qu'il allait respecter les ententes déjà signées… alors que la Cour internationale de Justice (CIJ) a statué, le 26 janvier, qu'il était plausible qu'Israël commette des actes de génocide à Gaza !

Avec l'accumulation des horreurs commises par Israël, le Canada a exprimé des « préoccupations » et finalement demandé un cessez-le-feu. Le 12 février, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a dit qu'une invasion militaire de Rafah serait « totalement inacceptable ». Mais pendant près de trois mois, le Canada n'a rien fait pour l'empêcher. Au contraire, il a continué de soutenir Israël. Le 10 mai, l'Assemblée générale des Nations Unies votait à une écrasante majorité en faveur de l'admission de l'État de Palestine à l'ONU. Le Canada, lui, s'est abstenu. Un « changement fondamental » de politique, selon Justin Trudeau !

Des sanctions contre Israël sont urgentes

Toutes les vies humaines sont sacrées. Toutes les violations des droits humains doivent être dénoncées, et les responsables répondre de leurs actes. L'inaction du Canada est odieuse et contraire à ses obligations internationales. Nous exigeons des sanctions sévères envers Israël, à commencer par un embargo sur tout matériel militaire. Les relations bilatérales privilégiées avec Israël, dont l'accord de libre-échange, doivent aussi être remises en question : continuer, comme si de rien n'était, n'est pas une option. Poursuivre la mise en place d'un bureau du Québec à Tel-Aviv, sous prétexte que la décision avait été prise avant octobre 2023, est une honte ! Les sanctions doivent être maintenues tant qu'une solution juste et durable n'aura pas été mise en place, concrétisant le droit du peuple palestinien à l'autodétermination et l'égalité des droits en terre de Palestine. Nous appelons la population québécoise à se méfier des tentatives occidentales — États-Unis en tête et le Canada derrière ! — d'imposer une solution « à deux États », dont l'un, palestinien, n'aurait aucune viabilité.

IL N'EST PAS ANTISÉMITE DE DÉFENDRE LES DROITS DU PEUPLE PALESTINIEN !

Maintenir le cap !

6 juin 2024, par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond, Claude Vaillancourt — , , , , , ,
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

Depuis 20 ans, la revue À bâbord ! s'est obstinée à exister et à exprimer son esprit rebelle et ses idées résolument progressistes. À travers 100 numéros, nous avons voulu donner la parole à celles et ceux qu'on n'entend pas. Ces groupes et personnes se heurtent trop souvent au mur médiatique, car leurs paroles et actions sont couramment perçues comme trop radicales ou mal formatées pour convenir aux grandes tribunes.

Pour ce dossier, nous avons parcouru tous nos numéros afin de vous présenter une synthèse et quelques textes particulièrement significatifs de quatre périodes de cinq ans. Inutile de dire à quel point l'exercice a été difficile, douloureux, voire hasardeux. Comment nous limiter à quelques écrits, alors qu'abondent dans la revue les points de vue riches, signifiants et d'une grande diversité ?

Relire 20 ans d'À bâbord ! a été pour nous un captivant voyage dans le temps qui nous a permis de replonger dans les luttes les plus marquantes, mais aussi, dans leur multiplicité. Cela nous a aussi permis de constater à quel point, et sur de nombreux sujets, notre revue a été d'une grande pertinence, à l'avant-garde de plusieurs tendances et toujours très représentative des nombreux mouvements de la gauche.

Dans ce dossier, nous avons aussi voulu remonter à l'origine même de la revue, à sa naissance dans un contexte où la gauche cherchait à se réorganiser. Nous nous partagions entre une tendance prête à jouer le jeu de la politique partisane, associée à la création de Québec solidaire, et une autre, qui sera celle finalement adoptée, assurant à la revue son entière indépendance et cherchant à donner la parole aux divers courants présents dans les mouvements sociaux, sans pour autant ignorer les urnes.

Pour rappeler cette période, nous avons donné la parole à deux des fondateurs de la revue, Claude Rioux et Amir Khadir. Ricardo Peñafiel, également membre fondateur de la revue, signe le texte d'introduction de la période 2003-2008. Nous avons aussi invité Alexis Lafleur-Paiement, d'Archives Révolutionnaires, à nous proposer un regard critique sur les années fondatrices de la revue.

L'enracinement féministe de la revue fait l'objet d'un texte spécifique dans le dossier. Nous avons finalement tenu à expliquer, par celle qui en est maintenant la coordonnatrice, Isabelle Bouchard, le fonctionnement particulier de la revue, sans rédacteur·rice en chef, sans hiérarchie. Nous sommes la preuve que ce type d'autogestion permet de livrer une revue de qualité, et ce, pendant des années.

Ce retour sur nos 20 années d'existence a été un beau parcours de l'histoire récente du Québec, mais aussi celle élargie du monde où nous vivons. En étant profondément ancrée dans les mouvements sociaux et politiques du territoire, la revue À bâbord ! documente l'histoire de mouvements sociaux et politiques qui ne connaissent pas de frontières, et d'autres luttes marginalisées, dont nous sommes fièr·es de rendre compte.

Dossier coordonné par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond et Claude Vaillancourt

Avec des contributions de Jade Almeida, Normand Baillargeon, Valérie Beauchamp, Isabelle Bouchard, Philippe de Grosbois, Yannick Delbecque, Martine Delvaux, Amir Khadir, Alexis Lafleur-Paiement, Nadine Lambert, Diane Lamoureux, Jean-Pierre Larche, Barbara Legault, Frédéric Legault, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond, Claude Rioux et Claude Vaillancourt

Infographie : Anne-Laure Jean

Coup d’oeil sur la justice alternative à Kahnawà:ke

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024

Coup d'oeil sur la justice alternative à Kahnawà:ke

Entrevue avec Dale Dione, fondatrice et ex-coordonnatrice du programme de justice alternative Sken:nen A'Onsonton à Kahnawà:ke Propos recueillis par Nelly Marcoux, membre du comité Droits des peuples autochtones de la Ligue des droits et libertés

Comment le programme Sken:nen A’Onsonton a-t-il été créé?

Le projet est né d’un effort populaire. Les membres de notre communauté estiment que le système judiciaire n’est pas représentatif de la justice au sein de notre culture. Des recherches ont donc été menées sur les méthodes et philosophies Haudenosaunee1 pour aborder les conflits. Une vaste consultation communautaire a également eu lieu, au cours de laquelle on a demandé aux gens ce qui serait le plus utile à la communauté en matière de justice. Le programme a débuté en 2000. À l’époque, des membres de la communauté ont suivi des formations en justice réparatrice et ont endossé cette approche comme moyen de développer un programme de justice alternative à Kahnawà:ke. La justice réparatrice est une méthode autochtone de gestion des conflits, très proche de nos méthodes traditionnelles. Nous ne l’avions simplement pas utilisée pendant de nombreuses années, étant bombardés par le système judiciaire occidental.

Que signifie le nom Sken:nen A’Onsonton?

En anglais, Sken:nen A’Onsonton se traduit par to become peaceful again (redevenir paisibles). Dans notre langue2, ce terme a une signification très profonde. Supposons qu’un conflit survienne entre deux personnes qui avaient une relation proche, une amitié, ou qui étaient de simples connaissances. Le conflit brise la sken:nen (la paix). Comment pouvons-nous revenir à la situation antérieure ? Il faut que les gens se réunissent et, le mieux possible, essaient d’arranger les choses. Nous avons toujours vécu dans de petites communautés. Si un problème survenait, nous devions nous réunir et apporter des changements pour pouvoir avancer en tant que communauté ou en tant que nation. C’était une question de survie.

Comment le programme fonctionne-t-il? Quels en sont les principes fondamentaux?

La guérison collective est la pierre angulaire de la justice réparatrice. Cette approche encourage les gens à se parler, à assumer la responsabilité de leurs actes et à résoudre les problèmes ensemble. Le programme vise donc à rassembler les gens, à leur donner les moyens de prendre des décisions ensemble et à atteindre la paix et la guérison. Nous proposons des services non contradictoires, notamment la médiation et les cercles de justice. Le processus de médiation commence par une rencontre individuelle entre chacune des parties et les personnes facilitatrices. Les parties racontent leur histoire et expriment leurs attentes par rapport au processus. Les personnes facilitatrices analysent le conflit et identifient les points d’entente. Au cours de ces rencontres, vous entendrez souvent la douleur des parties. Lorsqu’elles se réunissent dans le cadre de la médiation, une grande partie de cette douleur s’est estompée. C’est une première étape très utile. Dans les cercles de justice, chaque partie est accompagnée d’une personne qui la soutient. Il peut s’agir d’un-e membre de la famille, d’un-e ami-e ou d’une personne affectée par la situation. Dans un premier temps, le processus est expliqué à chaque personne individuellement et des questions lui sont posées avant la tenue du cercle afin qu’elle puisse se préparer. Par exemple, on lui demande ce qui s’est passé, ou ce qu’elle pensait à ce moment-là. Chaque personne peut alors réfléchir à ce qu’elle veut communiquer au moment du cercle de justice. Pendant le déroulement des cercles, les personnes facilitatrices posent des questions et aident les participant-e-s à trouver une entente. Toutes les personnes présentes entendent ce qui s’est passé et ont leur mot à dire, ce qui est très important. Une personne n’aurait peut-être jamais imaginé l’impact de ses actions sur les autres, mais le fait d’entendre une autre personne exprimer à quel point elle a été profondément affectée peut aider à reconnaître cela. Tout est dit et entendu. À la fin, les participant-e-s sont invité-e-s à partager les suggestions qui, selon elles et eux, pourraient améliorer les choses. Tout le monde est inclus. Les deux parties reçoivent une copie de l’accord. En général, les parties elles-mêmes et les personnes accompagnatrices veillent à ce que l’accord soit respecté. En s’engageant dans ce processus, les gens assument la responsabilité de leurs actes, ce qui est une condition pour avoir accès au programme; à partir de là, l’emphase est sur la guérison collective. Il s’agit en outre d’un processus volontaire : toutes les parties doivent accepter d’y participer. Nous recevons des dossiers de notre propre cour et de la cour de Longueuil. Les gens peuvent également demander de l’aide pour vivre les situations. Le service est offert gratuitement par la communauté.

Pourquoi est-ce important d’avoir un programme de justice par la communauté, pour la communauté?

J’ai toujours considéré que la justice et l’éducation sont étroitement liées. Je crois qu’un système judiciaire doit refléter la culture et les valeurs d’une société. Nos valeurs ne sont pas reconnues ou soutenues dans le système occidental, un système qui crée des gagnant-e-s (généralement celles et ceux qui ont de l’argent et du pouvoir) et des perdant-e-s. Le système dont je parle est basé sur l’égalité de toutes et tous, sur le fait que chacun-e a son mot à dire et sur la recherche de solutions sur lesquelles il est possible de s’entendre.
La guérison collective est la pierre angulaire de la justice réparatrice. Cette approche encourage les gens à se parler, à assumer la responsabilité de leurs actes et à résoudre les problèmes ensemble.
Dans le système judiciaire occidental, on conseille souvent aux accusé-e-s de plaider non coupable, même si elles ou ils ont en réalité participé à l’évènement. C’est un principe qui va à l’encontre des façons d’être et des valeurs autochtones, notamment le principe de dire la vérité et d’être responsable de ses actes. Cela va à l’encontre de qui nous sommes. C’est très dommageable. Dans notre processus, c’est la victime qui est la plus importante. Dans le système occidental, si un événement violent se produit, on lui demande de porter plainte, souvent au pire moment possible, alors qu’elle peut être traumatisée. Ses déclarations écrites peuvent ensuite être utilisées pour mettre en doute sa crédibilité. Je n’ai jamais pu comprendre cela. Pour donner un autre exemple : les tribunaux traditionnels ne tiennent pas compte des possibles conséquences d’une décision sur la famille d’une personne. Un juge peut imposer une amende qui pourrait nuire à la capacité d’une famille à se nourrir et à payer son loyer. Dans notre processus, nous demandons : « Cette solution est-elle acceptable pour vous? » « Pouvez-vous faire cela? », car il ne sert à rien de donner des ordres si la personne ne peut pas les appliquer! Les parties respectent généralement leur entente parce qu’elles se sont réellement engagées. Finalement, les tribunaux extérieurs ne sont pas conscients de notre culture, de l’endroit où nous vivons, de la manière dont nous vivons. Les juges sont formés sur la base des réalités caractéristiques de populations plus nombreuses. Les Autochtones vivent dans leurs communautés, dans les réserves ; elles et ils se voient tous les jours dans la rue, dans les magasins. C’est une grande différence. Dans ce contexte, le processus accusatoire favorise la division au sein des communautés.

Quels sont les plus grands défis vécus par votre équipe dans l’accomplissement de votre travail ?

Renoncer à la punition pour aller vers la guérison et revenir aux anciennes façons de faire a été un véritable changement de paradigme. Au début, c’était très nouveau et très difficile car tout le monde est formé aux processus accusatoires, autant au sein de la police, que des Peacekeepers et des tribunaux, et même dans les écoles et les lieux de travail. Les gens avaient l’impression que ce processus était une solution facile, elles et ils étaient réticent-e-s à l’idée d’avoir à parler de leurs sentiments, ce genre de choses. Il était difficile de changer les façons de penser. Mais au fil des ans, les conséquences des problèmes multigénérationnels que nous avons vécus ont été de plus en plus reconnues. La colonisation. La perte de notre langue. La perte du territoire. La perte de notre eau, de notre rivière3. Nous avons subi tant de pertes au cours de notre histoire. Aujourd’hui, les gens se rendent compte que nous devons pouvoir parler de ces choses et que nous avons le droit de trouver des solutions entre nous. Grâce à l’éducation, les gens pensent différemment et la plupart d’entre eux sont désormais disposé-e-s à parler de ces choses. Les personnes qui participent aux processus de médiation ou aux cercles de justice sont étonnées de constater à quel point les choses ont changé pour elles. Elles voient les choses différemment. Elles laissent aller l’anxiété, la colère et tout ce

Quels sont vos espoirs pour l’avenir de la justice dans votre communauté ?

Lorsque j’ai commencé ce travail, je ne m’attendais pas à ce que les choses changent automatiquement. Je me suis dit que cela se produirait peut-être à la prochaine génération ou à la suivante, peut-être quand je ne serais plus là. Au moins, les semences de la paix seront plantées, il y a un processus qui peut être développé pour l’avenir. Il faut beaucoup de temps pour que les gens changent, surtout après des siècles d’imposition de ces systèmes accusatoires et punitifs dans nos communautés. Il faudra beaucoup de temps pour démanteler ces systèmes. J’espère que le programme Sken:nen A’Onsonton ramènera notre peuple à ses valeurs originelles, en travaillant ensemble pour éradiquer les divisions qui nous sont imposées. À l’heure actuelle, tout arrive du sommet de la pyramide. Nos valeurs originelles, elles, parlent d’un cercle où tout le monde est égal et où nous travaillons ensemble pour maintenir qui nous sommes pour les générations à venir. Mais aussi, pour retrouver tout ce que nous avons perdu — notre langue, notre territoire, notre culture. Je sais que c’est un grand souhait. Mais comme je l’ai dit, nous plantons des semences. J’ai des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. Je me préoccupe du monde dans lequel elles et ils vivront lorsque je ne serai plus là.
  1. Le peuple Haudenosaunee, peuple des maisons longues communément appelé Iroquois ou Six Nations, forme une confédération de six Nations dont est membre la Nation Kanien’kehá:ka (communément appelée Mohawk), dont fait partie la communauté de Kahnawà:ke.
  2. Langue Kanien’kéha
  3. Pour en apprendre plus sur les impacts de la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent sur la communauté de Kahnawà:ke, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=aTRIqCgSxYQ
 

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Sommaire du numéro 100

6 juin 2024 —
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

Sortie des cales

Solidarités noires face aux génocides / Jade Almeida

Négociations de 2023

22 jours de grève / Marion Miller

Bilan et avenir du Front commun / Thomas Collombat

Luttes

Palestine. Haro sur la censure / Isabelle Larrivée

Queer

Une sagesse qui se perd / Judith Lefebvre

Analyse du discours

La figure québécoise dite colonisée et l'invisibilisation autochtone / Mathieu Paradis

Travail

Secteur culturel. Formes, limites et possibilités de l'organisation collective / Laurence D. Dubuc et Maxim Baru

Féminisme

Précarité genrée, violences ignorées / Sylvie St-Amand et Mathilde Lafortune

Qui a droit à la romance ? / Kharoll-Ann Souffrant

Économie

Imposition accrue du gain en capital : critique de la critique réactionnaire de l'élite économique et de ses sbires / Colin Pratte

Coup d'œil

RÉCONCILIATION™

Médias

Un réseau de médias de gauche / Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

Dossier : Maintenir le cap !

Coordonné par Valérie Beauchamp, Ricardo Peñafiel, Samuel Raymond et Claude Vaillancourt

2003-2008. Retour vers le futur / Ricardo Peñafiel

N°16 Automne 2006 : Des hommes contre le féminisme / Barbara Legault

N°25 Été 2008 : Andy Srougi perd son procès contre À bâbord ! / Barbara Legault et Claude Rioux

N°12 Hiver 2006 : Fétichisme et marchandisation de la culture / Ricardo Peñafiel

2008-2013. À la défense des services publics ! / Claude Vaillancourt

N°36 Automne 2010 : Vous avez dit éducation ? / Normand Baillargeon

N°46 Automne 2012 : Désobéissance et démocratie / Diane Lamoureux

N°25 Été 2008 : Facebook, un ami qui vous veut du bien / Philippe de Grosbois

2013-2018. Austérité et crise démocratique / Valérie Beauchamp

N°58 Printemps 2015 : Une réforme en santé et services sociaux. Portes ouvertes pour le secteur privé / Nadine Lambert et Jean-Pierre Larche, FSSS-CSN

N°52 Hiver 2014 : Une fille, des loups / Martine Delvaux

2018-2024. De nouveaux horizons / Samuel Raymond

N°96 Été 2023 : L'illibéralisme, le nouvel encerclement / Claude Vaillancourt

N°86 Hiver 2020 : Racisme systémique. Pirouettes et bistouri / Jade Almeida

N°80 Été 2019 : Pourquoi faire la grève climatique ? / Frédéric Legault

Rétrospective

Une revue pour transformer notre société / Alexis Lafleur-Paiement

Merci d'exister ! / Amir Khadir et Claude Rioux

Sensibilités féministes / Valérie Beauchamp

Publier une revue sans rédaction en chef ! / Isabelle Bouchard et Yannick Delbecque

International

Les cibles culturelles du mouvement antiavortement / Laurent Trépanier Capistran et Véronique Pronovost

Le soulèvement de 2006. Un héritage révolutionnaire à Oaxaca / Alexy Kalam

Culture

À tout prendre ! / Ramon Vitesse

Recensions

Couverture : Anne-Laure Jean

La prison, l’antichambre de la déportation

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024

La prison, l’antichambre de la déportation

Propos recueillis par Laurence Lallier-Roussin, anthropologue et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés La double peine est un concept utilisé pour désigner le fait de subir deux fois la conséquence d’un acte criminel : purger une peine à la suite à une condamnation criminelle, puis être expulsé du Canada après avoir purgé sa peine. Seules les personnes non citoyennes subissent cette double peine, puisqu’après avoir été déjà punies par le système judiciaire criminel, elles sont interdites de territoire et déportées. Comme en témoigne l’organisation Personne n’est illégal, les personnes qui sont renvoyées peuvent être des résident-e-s permanents depuis leur enfance, avoir une vie établie au Canada, un emploi et une famille et n’avoir peu ou pas de lien avec le pays vers lequel elles sont déportées1. Il s’agit en quelque sorte d’un système de justice à deux vitesses : en fonction de leur statut, les personnes vivant au Canada subissent des conséquences bien différentes pour un même acte criminel. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) stipule que les résident-e-s temporaires peuvent être interdits de territoire pour criminalité, et les résident-e-s permanents pour grande criminalité. Cela dit, Mᵉ Coline Bellefleur, avocate en immigration et criminaliste, souligne :

« La grande criminalité n’est pas toujours celle à laquelle on pourrait penser… Par exemple [...], conduire avec les facultés affaiblies par l’alcool ou le cannabis constitue de la grande criminalité, même si vous êtes juste condamné à payer une amende. Pourquoi? Parce qu’en théorie, il est possible d’être condamné à 10 ans de prison pour cela. La même règle s’applique pour toutes les infractions qui pourraient mener jusqu’à ce fameux 10 ans d’emprisonnement (ou plus), même si la personne concernée a dans les faits été poursuivie par procédure sommaire et n’a pas mis un seul orteil en prison2. »

Témoignage : dénoncer un système injuste

Le texte qui suit présente le témoignage d’Alexe, partenaire de Théo, un résident permanent qui a été déporté à cause de sa condamnation pour un acte criminel. Toutes les citations sont d’Alexe.

« Ils ont déporté le père de mes enfants. »

Alexe est en couple avec Théo depuis 14 ans et ils élèvent ensemble trois enfants quand il est accusé au criminel. S’il est reconnu coupable, sa peine sera double : la prison, puis la déportation. Théo est arrivé au Canada à 16 ans pour rejoindre son père qui avait obtenu le statut de réfugié. À la mi-trentaine, il avait toujours le statut de résident permanent. Il aurait pu demander la citoyenneté, ce qui lui aurait permis d’éviter la déportation.

« Son seul tort là-dedans, ça a été d’être procrastineux ou négligent. Si j’avais su la situation depuis day one, moi, j’aurais agi en conséquence, pour faire ses papiers pour devenir citoyen. »

Théo plaide coupable et est condamné à une sentence de deux ans moins un jour.

« Il a fait sa peine au grand complet, puis la journée de la libération, ils l’ont échangé de mains, puis il est reparti pour être détenu par l’immigration. »

Séparation de la famille et intérêt des enfants

La double détention de Théo (au provincial, puis par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) au Centre de surveillance de l’immigration à Laval) suivie de sa déportation, le séparent de sa famille et de ses enfants. Cette séparation démontre le peu d’égards du système d’immigration canadien envers les droits des enfants, alors même que l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe inscrit dans la LIPR.

« C’est quoi le plan après ? On déporte les gens, mais ils ont des enfants.

« L’UNICEF, c’est juste pour ramasser des cennes noires à l’Halloween ? Qu’est qui est prévu pour nous ? Pour mes enfants ?

« Ça faisait 14 ans qu’on était en couple et qu’on habitait ensemble. On a deux filles ensemble et mon fils, il l’appelle papa et il le considère comme tel. On travaillait ensemble.

« Comment je fais pour prouver qu’il n’est pas juste un nom sur un certificat, que c’était une partie prenante de la famille ? C’est lui qui était à la première journée de prématernelle de mon fils. Tout le temps... on était toujours ensemble. »

Théo a d’ailleurs continué à soutenir sa famille durant sa détention en prison provinciale, en leur envoyant l’argent qu’il faisait en travaillant.

« Il a fallu qu’ils inventent une procédure à la prison, parce que lui, quand il travaillait, il faisait sortir de l’argent. Les gars, d’habitude, demandent de l’argent, en reçoivent, mais lui, il dit, : ‘’Moi, j’ai une famille, je travaille, bien j’envoie de l’argent.’’ »

Alexe était enceinte durant la détention de Théo au provincial.

« Je me souviens, c’était le jour de mon premier rendez-vous de grossesse pour notre dernière fille. Il est parti en taxi pour rentrer en prison, puis moi, je suis partie de l’autre bord à mon rendez-vous. »

Leur fille naît alors que son père est toujours détenu.

« J’ai accouché toute seule. Ils sont venus avec lui quand elle est née. Il avait les menottes aux pieds, aux mains, avec un masque dans la face. Ils ne l’ont même pas démenotté. Je lui ai mis ma fille dans les bras, mais il n’a même pas pu la toucher. Elle était juste posée. J’ai demandé si je pouvais prendre une photo. Ils m’ont dit non. Il devait avoir une sortie de plusieurs heures, mais il est resté 45 minutes. Ils l’ont fait marcher entre la maternité avec les deux agents, les menottes, les entraves. J’entendais dans le corridor : Cling, cling, cling. »

Quand Théo a pu revoir sa fille, elle avait un an. Alexe nous parle des conséquences sur ses enfants de la séparation d’avec leur père.

« C’est mes enfants qui réclament leur père ; ils ne comprennent pas pourquoi il n’est pas là... Tu sais, ma petite, elle dit : ’’Papa, il est plus loin, il est plus loin comme les dinosaures.’’ C’est lui qui était très joueur avec les enfants et il est très calme. On s’équilibrait. Toute seule, je trouve ça vraiment dur de donner du temps à trois enfants. Il n’y a personne d’autre pour les garder, je les ai tout le temps. Pendant la COVID, c’était infernal.

« Je suis pas du genre à faire des promesses, mais pendant ses détentions, je croyais tellement qu’il allait revenir, on a tellement tout essayé pour qu’il ne soit pas déporté que je leur disais qu’il allait revenir. Et là, il n’est pas là ; je me sens mal.

« Toutes les procédures, les avocats, les appels, ça a pris beaucoup de temps, je les ai presque comme négligés, tu sais... Je dormais pas la nuit pour faire les papiers, pour travailler sur ses dossiers. Ça a donné un coup à la famille en général. Puis là, bien, c’est les enfants qui me voient fatiguée, c’est moi qui est plus irritable... »

Expulsé hors du pays, Théo continue de jouer son rôle parental à distance, comme il peut. « Les enfants, ils s’ennuient. Même si on est plus down ou stressé, dès qu’il sait que les enfants sont là ou que je tourne le téléphone vers un kid, il sourit, il joue avec eux. Ils jouent à la cachette au téléphone. Moi, je tiens le téléphone, les enfants se cachent et lui il me dit : ’’droite-gauche’’. Nous, on est les quatre ensembles, puis on s’ennuie, mais lui il est tout seul depuis tellement longtemps. »

Connaître les conséquences

Lors de son procès, l’avocat criminaliste n’était pas certain des conséquences qu’aurait sa condamnation sur son statut au Canada.

« Théo, il savait pas que s’il plaidait coupable, ça allait à l’immigration. C’est pas tous les avocats qui sont sensibles à ça, puis qui sont intéressés par ça.

« On n’était pas certains si ça allait affecter son statut d’immigration. C’est quand on a passé en cour, l’avocat m’a appelée parce que le juge lui a demandé : ‘’Est-ce que votre client préfère 2 ans moins 1 jour ou 2 ans?‘’ L’avocat, il n’y avait jamais personne qui lui avait demandé ça. On a pensé qu’au provincial ce serait mieux, que ça toucherait pas à l’immigration. Mais en fait, ça change rien. Parce que, pendant sa détention, il a reçu une lettre disant qu’ils allaient devoir l’arrêter après, puis procéder aux mesures de renvoi. »

Alexe croit que les personnes non citoyennes et les avocat-e-s devraient être mieux informés des conséquences de certaines condamnations sur le statut d’immigration. C’est aussi ce qu’écrit l’avocate en immigration et criminaliste Coline Bellefleur3. Alexe souligne également l’injustice de ce double standard.

« Théo n’a eu aucun avis pendant toute sa détention en prison, ni pendant la détention par l’immigration, y compris les cinq tentatives de renvoi. Il n’a aucun truc de violence, aucun mémo, aucune note à son dossier. C’est comme, tu vois, il a fait toutes les thérapies qui étaient en son pouvoir.

« Tu sais, je comprends, t’as fait une erreur, c’est correct. Tu fais de la prison. Mais quand tu fais les thérapies, quand tu fais ton temps plein, quand t’as aucun manquement, quand t’as une famille, quand t’as une stabilité... c’est de l’acharnement.

« Les gens disent : s’ils l’ont déporté, c’est parce qu’il le méritait. Mais tu sais, les autres criminels, eux ? C’est comme si le statut surpasse la personne, ses actions, sa valeur.

« Pourquoi on te fait passer par le système carcéral si on n’a pas l’intention de toute façon de continuer ton séjour au pays ou quoi que ce soit ? »

Violations de droits en détention

Le conjoint d’Alexe est détenu par l’ASFC « mais ils n’arrivent pas à le renvoyer dans son pays d’origine, parce qu’il n’a pas de document de voyage ; l’immigration a perdu son dossier d’arrivée ». Une fois qu’il est clair que l’ASFC cherche à expulser Théo, la famille multiplie les démarches pour trouver un moyen légal de le faire rester au Canada. Ils contactent de nombreux avocat-e-s et des associations de soutien. Ils reçoivent notamment une aide précieuse de l’adjoint de circonscription de leur député fédéral, qui s’efforce de les soutenir. Durant sa détention par l’immigration, Théo collabore avec l’ASFC pour fournir son certificat de naissance et il est alors remis en liberté en attendant sa date de renvoi. À ce moment, il prend la décision désespérée de devenir sans statut afin de rester avec sa famille. Il ne se présente pas à l’aéroport pour son renvoi. Mais l’ASFC harcèle sa famille et il finit par retourner au centre de détention. « Ce n’était pas une vie, de se cacher tout le temps. » En détention, il est tellement désespéré qu’il fait une tentative de suicide.

« C’est là qu’ils m’ont appelée puis qu’ils m’ont juste dit : ‘’Votre conjoint est transporté dans un centre hospitalier, je peux pas vous dire où, je peux pas vous dire son état de santé.’’ J’ai dit : ‘’Mais il est encore en vie?’’ – ‘’Je peux pas vous le dire’’, qu’ils m’ont répondu. »

Il aura fallu cinq tentatives de renvoi avant que Théo soit finalement renvoyé dans son pays d’origine. Pendant sa détention par l’immigration, Alexe raconte comment Théo est victime de violations de droits, tant pour les soins de santé que pour l’accès à son avocat et à sa famille. Il subit notamment de la violence physique de la part des agent-e-s de l’ASFC lors de ses tentatives de renvoi, pour le forcer à collaborer.

« Mais ils auraient fini par le tuer ! Je suis convaincue qu’il y en a déjà, mais qu’on ne le sait pas parce qu’ils n’ont pas de personne comme moi qui est ici. Ce sont des gens qui viennent d’arriver ou qui n’ont pas de famille ou qui ne parlent pas la langue puis qui se font... Imagines-tu ceux qui n’ont même pas personne pour parler, ce qu’ils vivent? »

 
Cette séparation démontre le peu d’égards du système d’immigration canadien envers les droits des enfants, alors même que l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe inscrit dans la LIPR.
 

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Prison et déficience intellectuelle, ça ne va pas !

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Prison et déficience intellectuelle, ça ne va pas!

Samuel Ragot, analyste aux politiques publiques, Société québécoise de la déficience intellectuelle et candidat au doctorat en travail social à l’Université McGill Guillaume Ouellet, professeur associé, École de travail social, UQAM et chercheur au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS) Jean-François Rancourt, analyste aux politiques publiques, Société québécoise de la déficience intellectuelle Dans les dernières décennies, les personnes ayant une déficience intellectuelle occupent de plus en plus leur place en société et y sont davantage incluses à part entière, que ce soit au travail, dans les activités de loisirs, ou dans leur rôle de citoyen. S’il est vrai que la déficience intellectuelle compte désormais ses ambassadrices et ses ambassadeurs en matière d’inclusion sociale, sur le terrain la situation est souvent moins rose. En effet, nos recherches et les échos qui nous parviennent des intervenant-e-s témoignent du fait qu’un nombre croissant de personnes ayant une déficience intellectuelle vivent dans des conditions d’extrême précarité (résidentielle, financière, relationnelle, judiciaire, etc.). Un profond fossé existe entre l’idéal projeté par les politiques sociales et les conditions objectives de vie dans lesquelles ces personnes évoluent.

Une société inclusive, vraiment?

Ce fossé est notamment lié à la tension entre, d’une part, la promotion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI) dans toutes les sphères du monde social, et, d’autre part, les appels à être plus indépendant-e, plus productif, plus self-made, qui marquent nos imaginaires collectifs en lien avec ce qu’est la réussite dans une société capitaliste. En somme, l’aspiration à bâtir une société plus inclusive se heurte à un système de normes sociales qui demeure profondément capacitaire. Le capacitisme, comme le racisme, le sexisme ou l’âgisme, est un système d’oppression qui fait en sorte que bien des personnes en situation de handicap demeurent socialement stigmatisées et structurellement discriminées.  Conséquemment,  malgré  un apparent progrès sur le plan des droits, nous vivons encore et toujours dans une société capacitiste, pensée par et pour les personnes qui ne se trouvent pas en situation de handicap. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’une part croissante de personnes ayant une déficience intellectuelle peinent à satisfaire les marqueurs de la réussite sociale. En fait, les personnes ayant une déficience intellectuelle se trouvent de plus en plus à l’intersection de systèmes d’oppression multiples qui les rendent plus susceptibles de vivre de la violence1, du sous-emploi2, de la pauvreté3 et de l’exclusion sociale4. Combinés, ces facteurs peuvent entraîner des conséquences graves pour les personnes ayant une déficience intellectuelle.
La déficience intellectuelle est un état, non une maladie, qui se manifeste avant l’âge de 18 ans. Elle se caractérise par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif, notamment dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques. Ces limitations peuvent, par exemple, se traduire par des difficultés à comprendre des concepts abstraits, à établir des interactions sociales ou à accomplir certaines activités quotidiennes. Ces difficultés varient d’une personne à l’autre en fonction du niveau de la déficience intellectuelle.
L’effet de ces systèmes est également décuplé par le désengagement de l’État dans la réalisation des droits sociaux et économiques pour tou-te-s, et l’inefficacité des programmes gouvernementaux visant à assurer une vie décente aux personnes les plus aux marges des marges, incluant les personnes ayant une déficience intellectuelle. Ces dynamiques affectent particulièrement les communautés les plus susceptibles d’être vulnérables. Rappelons que la vulnérabilité n’est pas un état permanent, mais plutôt une conjoncture qui évolue au fil du temps. Pour des raisons sociopolitiques, certaines communautés sont plus susceptibles de se retrouver en situation de vulnérabilité sans que la vulnérabilité devienne pour autant un trait qui les caractérise. Par exemple, malgré des décennies de mobilisation sur ces questions, les programmes d’assistance sociale sont encore de véritables trappes à pauvreté5 et les services sociaux sont en lambeaux. Quant à eux, les services d’adaptation et réadaptation permettant aux personnes de participer en société, de comprendre les codes sociaux, de différencier ce qui considéré acceptable de ce qui ne l’est pas ont fondu comme neige au soleil depuis les politiques d’austérité des années 2010. Signe des temps, la crise du logement frappe également de plein fouet les personnes ayant une déficience intellectuelle. Tant les ressources étatiques que privées sont insuffisantes, les listes d’attente sont infinies, les milieux de vie inadéquats, et la discrimination dans l’accès au logement bien présente. La crise frappe durement, fragilisant les personnes et leur entourage souvent vieillissant. Conjugués, ces facteurs font en sorte que certaines personnes ayant une déficience intellectuelle se trouvent dans des situations difficiles, parfois d’itinérance, parfois de dépendance. Ces situations peuvent mener à des dérèglements face à la norme sociale, à de la criminalité de subsistance, et ultimement à une judiciarisation et à la prison. Dans un tel contexte, l’emprisonnement des personnes ayant une déficience intellectuelle n’est finalement que le reflet le plus tragique et violent de l’échec des mécanismes d’inclusion sociale.
  Capacitisme : Attitude ou comportement discriminatoire fondé sur la croyance que les personnes ayant une déficience, un trouble ou un trouble mental ont moins de valeur que les autres (Office québécois de la langue française). Voir aussi le texte de Laurence Parent sur le capacitisme publié dans Droits et libertés au printemps 2021. Le capacitisme permet d’aller au‑delà de ce qui est légalement reconnu comme de la discrimination fondée sur le handicap et d’approcher le handicap d’une perspective critique pour ainsi mieux s’attaquer aux sources des injustices et des inégalités vécues par les personnes handicapées.  

La double peine

Bien entendu, la prison n’est pas la solution aux échecs sociétaux. Elle ne fait souvent qu’empirer le sort des personnes. Les personnes ayant une déficience intellectuelle se trouvent de plus en plus à l’intersection de systèmes d’oppression multiples qui les rendent plus susceptibles de vivre de la violence, du sous-emploi, de la pauvreté et de l’exclusion sociale. D’abord, dans les établissements provinciaux au Québec, les personnes n’ont pas davantage accès aux services dont elles ont besoin, tant à l’intérieur des murs de la prison qu’à l’extérieur. Non seulement le personnel n’est pas formé pour intervenir auprès des personnes ayant une déficience intellectuelle, mais le fonctionnement même de la prison exacerbe la vulnérabilité des personnes concernées. Pensons ici aux requêtes que doivent rédiger à la main les détenu-e-s pour avoir accès à des soins de santé ou encore aux nombreux codes sociaux implicites qui régissent les interactions entre les détenu-e-s. De plus, contrairement au système fédéral, où les informations d’un diagnostic sont intégrées sur le plan correctionnel, qui comprend des interventions et des programmes adaptés aux besoins du détenu, il n’existe aucun programme spécialisé pour la déficience intellectuelle au Québec. L’ensemble des normes capacitaires de la société continuent également de sévir au sein même de la prison, rendant difficile, voire impossible, la réadaptation et la réinsertion sociale.
[…] une meilleure prise en compte de la déficience intellectuelle au sein du système pénal […] ne viendrait toutefois pas remplacer la nécessité d’un filet social fort situé bien en amont de la filière pénale.
Par ailleurs, l’incarcération mène automatiquement à la perte des prestations d’assistance sociale et à la fin des services quand il y en a. Privées de tout soutien financier et psychosocial à leur sortie de prison, les personnes retombent souvent dans la criminalité de subsistance et dans des dynamiques menant à leur exclusion sociale. Le cycle se répète donc inlassablement : pauvreté, exclusion sociale, judiciarisation, prison, pauvreté, etc.

Quelles alternatives à la prison ?

Au Québec, au cours des trois dernières décennies, les dispositifs dédiés aux personnes composant avec des enjeux de santé mentale se sont multipliés. Successivement des équipes spécialisées en intervention de crise, des patrouilles composées de policières, de policiers, et d’infirmières et d’infirmiers, des tribunaux spécialisés en santé mentale sont apparus6. Ces initiatives, associées à ce qui se présente comme un tournant thérapeutique de la justice, témoignent d’une volonté d’offrir à ces personnes un traitement judiciaire plus juste et équitable. S’il est vrai qu’à travers ces nouveaux dispositifs, la justice tend à présenter un visage plus humain, peu d’indices laissent à penser que les conditions de vie dans lesquelles évoluent les personnes concernées s’en trouvent pour autant nettement améliorées. Ainsi, bien qu’une meilleure prise en compte de la déficience intellectuelle au sein du système pénal soit souhaitable et pourrait probablement rendre certains parcours moins désastreux pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, cela ne viendrait toutefois pas remplacer la nécessité d’un filet social fort situé bien en amont de la filière pénale. Il semble clair que de simplement injecter plus d’argent dans le système pénal et carcéral n’est pas une solution pour régler les manques de services. Si les mesures d’adaptation du système de justice peuvent être utiles, elles doivent être accompagnées d’une intervention étatique cohérente et soutenue pour restaurer un vrai filet de sécurité. Ce dont bien des personnes ont besoin, ce sont des services sociaux universels et de qualité, des mesures visant à rendre réellement inclusive notre société, et des programmes d’assistance sociale qui permettent de mener une vie réellement digne. Pas de plus de répression, de judiciarisation et de prison. En somme, ce dont ces personnes ont besoin, c’est que l’on reconnaisse leur humanité et qu’on leur permette de faire partie elles aussi de la collectivité d’égal à égal. La prison n’est certainement pas la solution pour y arriver.
  1. Codina, N. Pereda, G. Guilera. Lifetime Victimization and Poly-Victimization in a Sample of Adults With Intellectual Disabilities. Journal of Interpersonal Violence 37, no 5-6, 2022. En ligne : https://doi.org/10.1177/0886260520936372.
  2. Statistique Canada, Caractéristiques de l’activité sur le marché du travail des personnes ayant une incapacité et sans incapacité en 2022 : résultats de l’Enquête sur la population active, En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230830/dq230830a-fra.htm.
  3. Eric Emerson, Poverty and People with Intellectual Disabilties, Mental Retardation and Developmental Disabilities Research Reviews 13, 2007. En ligne : https://doi.org/10.1002/mrdd.20144.
  4. Nathan J. Wilson et al., From Social Exclusion to Supported Inclusion: Adults with Intellectual Disability Discuss Their Lived Experiences of a Structured Social Group, Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities 30, no 5, 2017. En ligne : https://doi.org/10.1111/jar.12275.
  5. En ligne : https://theconversation.com/au-quebec-comme-ailleurs-au-canada-les-programmes-dassistance-sociale-sont-des-trappes-a-pauvrete-211968
  6. G. Ouellet, E. Bernheim, D. Morin, “VU” pour vulnérable : la police thérapeutique à l’assaut des problèmes sociaux, Champ pénal, 2021. En ligne : http://dx.doi.org/https://doi. org/10.4000/champpenal.12988

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Pour la pérennité des revues indépendantes !

6 juin 2024, par Le Collectif de la revue À bâbord ! — , , ,
Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord ! Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre. Détails (…)

Venez célébrer avec nous les 20 ans et le 100ème numéro de la revue À bâbord !

Mercredi 19 juin 2024, 19h, à La Cabane (1695 Bélanger Est, Montréal). Entrée libre.

Détails ici !

La revue À bâbord ! a eu 20 ans au mois d'octobre 2023. Après cent numéros, la réussite de ce projet collectif est le résultat du travail acharné de ses membres pour offrir une plateforme qui fait écho aux actions collectives ainsi que pour organiser une riposte au capitalisme et aux multiples formes d'oppression qui l'accompagnent. Dans un contexte toujours difficile pour les revues indépendantes et autogérées, nous sommes fièr·es – et un peu surpris·es nous-mêmes – de tenir le fort depuis si longtemps.

L'importance des médias critiques alternatifs pour la santé de notre démocratie n'est cependant plus à démontrer. Devant les monopoles médiatiques qui tendent à uniformiser les discours politiques dans l'espace public, il est primordial d'avoir accès collectivement à une information offrant d'autres formes d'analyses et permettant d'alimenter la critique du système actuel et des inégalités qu'il génère.

Non seulement À bâbord ! propose des contenus différents, mais aussi un mode de fonctionnement unique : sans hiérarchie, sans rédacteur ou rédactrice en chef, toutes les grandes décisions, y compris le choix des articles et des sujets d'éditorial (et sa rédaction), sont soumises au collectif de rédaction. Cette façon de fonctionner permet à la revue d'appliquer dans son quotidien les valeurs qu'elle prône.

Si les médias indépendants et progressistes ont longtemps su profiter d'internet et du numérique pour élargir leur auditoire, ils sont aujourd'hui mis à mal, surtout dans leur forme papier, par des médias sociaux régis par le seul profit maximal. Le bannissement récent par les plateformes Facebook et Instagram de l'ensemble des médias canadiens rend encore plus difficile la circulation d'idées de gauche et de regard critique. À bâbord ! n'a pu échapper à cet effacement et il ne nous est plus possible d'être actifs sur les réseaux sociaux appartenant à Meta. Cela limite significativement notre capacité à rejoindre notre lectorat et à promouvoir nos actions. D'un autre côté, cela pose la question de notre dépendance à ces espaces numériques pour faire circuler l'information. En ce sens, défendre une version papier au sein de la production médiatique permet de conserver un espace journalistique à l'extérieur de l'univers numérique.

Peu d'aide de l'État est à attendre pour défendre une information libre et critique. Il est de plus en plus difficile d'obtenir des subventions assurant le fonctionnement de la revue alors que de grosses productions médiatiques peuvent compter sur l'aide étatique. Ainsi, une subvention de Patrimoine Canada qui nous a grandement aidés ces dernières années nous a été enlevée parce que l'on considère que la revue ne satisfait plus un critère d'admissibilité basée sur le nombre de numéros vendus. À notre grand désarroi, les copies vendues en lot à des membres d'organisations comme les syndicats ne sont plus comptabilisées, alors même que ces ventes constituent un moyen de financement pour une revue politique comme la nôtre.

Due à cette coupe, À bâbord ! doit faire face à des difficultés financières et est forcée de faire une demande de subvention à un nouveau programme, avec la part d'incertitudes et de craintes que cette opération implique. La mise à pied brutale de l'équipe de la revue Relations montre aussi une tendance à vouloir faire taire les voix critiques proches des mouvements sociaux. Comment justifier le désintéressement de l'État pour le maintien d'une diversité dans l'univers médiatique québécois ?

Les temps sont difficiles, mais les vingt ans d'implication des membres de la revue d'À bâbord ! démontre que des groupes sont prêts à se battre pour maintenir un espace médiatique consacré aux mouvements sociaux et aux analyses politiques critiques ! Ainsi, bien qu'il soit difficile de fonctionner dans cet horizon, l'enthousiasme qui règne dans la revue pour ce projet est porteur d'espoir.

Si À bâbord ! a réussi à se maintenir pendant toutes ces années, c'est grâce à votre soutien. Nous vous en remercions chaleureusement. Nous espérons pouvoir compter encore davantage sur ce soutien, dans une campagne de sociofinancement que nous lancerons à la suite de la parution de ce présent numéro, dans le but de nous donner les assises financières qui nous permettront de continuer pendant des années encore.

Un portrait de la population carcérale

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Dérouler le fil des logiques carcérales

Aurélie Lanctôt, doctorante en droit, membre du comité de rédaction et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés

Établissements de détention au Québec

Au Québec, en 2021-2022, 19 976 personnes ont été prises en charge par les services correctionnels provinciaux, ce qui représentait une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. Plus de deux tiers (68 %) des personnes admises en détention avaient entre 25 et 49 ans, une tranche d’âge qui regroupe 33 % de la population1, et seules 10 % de ces personnes étaient des femmes2. Une proportion de 11 % des personnes incarcérées avaient un problème de santé physique ou mentale, et 12 % vivaient avec un trouble de santé mentale seulement; 4 % des personnes étaient en situation d’itinérance déclarée; 4,5 % étaient des personnes autochtones et 3 % étaient Inuit, ce qui constitue une surreprésentation par rapport à leur poids dans la population totale (selon les données du recensement de 2021, les personnes autochtones représentaient 2,5 % de la population québécoise et les Inuit, 0,2%). Plus du tiers (38 %) des personnes avaient des antécédents judiciaires, et plus de la moitié (53 %) purgeaient des courtes peines (en moyenne 47 jours). Les Inuit et les personnes ayant un niveau secondaire d’études présentent les taux d’incarcération les plus élevés par rapport à leur population totale respective. Les causes d’incarcération les plus fréquentes étaient les infractions commises en contexte conjugal (16 %) – une catégorie qui a connu une augmentation de 5 % depuis 2020 –, le défaut de se conformer à une ordonnance de probation ou une omission de se conformer à un engagement, représentant 19 % des causes d’incarcération. Pour l’année 2022-2023, les peines discontinues (c’est-à-dire les peines purgées par périodes plutôt que de manière continue, parfois appelées peines de fin de semaine) constituaient la réalité d’une importante proportion des personnes incarcérées au Québec. Ces peines étaient purgées par des hommes dans 89 % des cas, et 15,75 % des personnes purgeant une peine discontinue déclaraient être en situation d’itinérance.

Surreprésentation des Autochtones et Inuit

Partout au Canada, Autochtones et Inuit sont surreprésentés au sein de la population carcérale, tant dans les prisons provinciales que dans les pénitenciers fédéraux. En 2020-2021, selon les données compilées par Statistique Canada, les adultes autochtones représentaient 33 % des admissions en détention, tant dans les établissements provinciaux que fédéraux, alors qu’elles et ils représentent environ 5 % de la population canadienne. On note aussi que les mineur-e-s autochtones représentaient 50 % des placements sous garde (alors qu’elles et ils ne sont que 8 % de la population totale des jeunes)3. Les données disponibles les plus récentes sur les Autochtones des Premières Nations incarcérées dans un établissement de détention provincial au Québec remontent à 2018-20194. Cette année-là, 629 Autochtones des Premières Nations purgeaient une peine en établissement de détention (hausse de 5 % par rapport à l’année précédente), 406 purgeaient une peine dans la communauté (augmentation de 40 %) et 322 purgeaient une peine discontinue. La grande majorité (81 %) purgeaient des courtes peines, et les infractions les plus fréquentes étaient le défaut de se conformer à une ordonnance de probation ou à un engagement. Au Québec, en 2018-2019, 5,1 % des femmes incarcérées étaient Inuit et 4,5 % étaient membres d’une Première Nation5. Si cela constitue une surreprésentation par rapport à leur poids au sein de la population québécoise, c’est au sein du système correctionnel fédéral que leur surreprésentation est la plus marquée. En effet, en 2019, alors que les femmes représentaient 6 % des personnes détenues dans les établissements du Service correctionnel Canada (SCC) à travers le Canada, les femmes autochtones constituaient 42 % de la population carcérale féminine, et 27 % des femmes placées sous surveillance dans la collectivité6. En 2023, le rapport de l’Enquêteur correctionnel (Enquêteur) soulignait que la situation s’était encore aggravée, alors que les femmes autochtones constituaient désormais près de 50 % de la population pénitentiaire féminine. On remarque par ailleurs que les femmes autochtones sont largement plus susceptibles de se voir attribuer une cote de sécurité plus élevée que les autres femmes.

Surreprésentation des personnes noires

Le ministère de la Sécurité publique du Québec ne transmet pas d’information quant à l’appartenance raciale des personnes détenues, outre les personnes autochtones. Les données compilées par Statistique Canada à partir des données transmises par certaines provinces esquissent cependant une tendance au sein de la population carcérale canadienne. En 2020-2021, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique compilaient des renseignements sur les adultes appartenant à une minorité visible admis en détention. Les personnes appartenant à une minorité visible représentaient 17 % des admissions, et, de manière saillante, parmi ce groupe, 61 % étaient des personnes noires. Au total, 10 % des admissions d’adultes en détention dans ces provinces concernaient des personnes noires, alors qu’elles ne représentent que 4 % de la population adulte dans ces provinces7. À noter que la représentation des personnes racisées était beaucoup plus importante chez les hommes admis en détention (18 %) que chez les femmes (9 %). En 2013, l’Enquêteur a indiqué que le nombre de personnes noires incarcérées avait bondi de 80 % en une décennie, (et de 46 % chez les personnes autochtones). Les personnes noires représentaient alors 9,5 % des personnes détenues dans un pénitencier fédéral, alors qu’elles ne formaient que 2,9% de la population. Les personnes noires étaient également plus susceptibles d’être placées en établissement à sécurité maximale, réduisant ainsi leur accès à différents programmes durant leur détention, et plus nombreuses à être placées en isolement. En 2022, l’Enquêteur soulignait que la tendance s’était maintenue : la représentation des personnes noires en détention dans un établissement fédéral a peu varié (9,2 %), tout comme leur poids au sein de la population totale. De plus, les incidents de racisme et de discrimination subis par des personnes noires détenues signalés au Bureau de l’enquêteur correctionnel ont augmenté dans les dernières années. Quant aux femmes noires, si elles étaient, en 2022, moins nombreuses que dans la décennie précédente à purger une peine dans un établissement fédéral, l’Enquêteur rapportait néanmoins qu’elles subissaient de nombreuses discriminations en détention (par exemple, une suspicion et une surveillance accrues, ou encore un accès défaillant à des articles d’hygiène corporelle appropriés).
  1. En ligne :https://statistique.quebec.ca/fr/document/population-et-structure-par-age-et-sexe-le-quebec/tableau/estimations-de-la-population-selon-lage-et-le-sexe-quebec#tri_pop=30
  2. Données issues du Profil de la clientèle carcérale 2021-2022, ministère de la Sécurité publique, Québec.
  3. Statistique Canada, Statistiques sur les services correctionnels pour les adultes et les jeunes, 2020-2021. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220420/dq220420c-fra.htm
  4. Profil des Autochtones des Premières Nations confiées aux services correctionnels en 2018-2019, ministère de la Sécurité publique, Québec.
  5. Profil des femmes confiées aux services correctionnels en 2018-2019, ministère de la Sécurité publique, Québec.
  6. Service correctionnel Canada, Statistiques et recherches sur les délinquantes. En ligne : https://www.canada.ca/fr/service-correctionnel/programmes/delinquants/femmes/statistiques-recherches-delinquantes.html
  7. Statistique Canada, Statistiques sur les services correctionnels pour les adultes et les jeunes 2020-2021. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220420/dq220420c-fra.htm

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Dérouler le fil des logiques carcérales

6 juin 2024, par Ligue des droits et libertés

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Dérouler le fil des logiques carcérales

Delphine Gauthier-Boiteau et Aurélie Lanctôt, doctorantes en droit, membre du comité de rédaction et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés À l’automne 2022 se tenait le colloque De l’Office des droits des détenu-e-s (1972- 1990) à aujourd’hui : perspectives critiques sur l’incarcération au Québec, organisé par la Ligue des droits et libertés et son comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention. Cet évènement a donné lieu à des discussions autour d’enjeux passés et présents en lien avec l’incarcération et les luttes anticarcérales au Québec. L’évènement, marquant à plu- sieurs égards, embrassait une définition large des systèmes et institutions que les luttes anticarcérales prennent pour objet. Il s’agissait alors de stimuler une réflexion vaste sur les transformations sociales visant à dépasser et à défaire les logiques qui produisent et reproduisent l’enfermement au sein de notre société. Ce dossier s’inscrit dans le sillon des réflexions qui ont émergé lors de cette journée. [caption id="attachment_19978" align="alignright" width="438"] Mes droits, ma charte des libertés par RVL | Projet Société Elizabeth Fry 2024.[/caption] Ce dossier se veut une invitation. D’abord, une invitation à reconnaître les violences inhérentes à la prison et aux institutions carcérales ainsi que ce que leur existence empêche, c’est-à-dire une prise en charge des problèmes sociaux à leur racine. La proposition qui en découle est de réfléchir à partir de l’idée que la prison, tout comme le système de justice pénale, ne peuvent constituer une réponse appropriée aux problèmes sociaux parce que ces institutions sont, avant toute chose et de manière inévitable, un lieu de reproduction des systèmes qui en sont l’assise. Du point de vue des personnes victimisées, cette réponse n’est pas, non plus, appropriée, car elle individualise les torts causés, la transgression sociale ainsi que la violence, et n’a pas pour fonction d’apporter une réparation. Ensuite, ce dossier est une invitation à poser un regard critique sur les logiques carcérales à l’œuvre au sein des institutions qui assurent une prise en charge de différents problèmes sociaux par l’État et dont le champ d’intervention repose sur des cadres juridiques distincts. Il s’agira donc de se pencher, certes, sur la prison, mais aussi les institutions psychiatriques, les systèmes d’immigration, de protection de la jeunesse ou encore d’éducation. Plutôt que de penser ces institutions en vase clos, il convient de dévoiler le fil de la carcéralité qui les traverse. Cela permet d’élargir notre compréhension des phénomènes de détention, de contrôle des corps et de surveillance des individus, au-delà des murs de la prison et de sa matérialité immédiate. Autrement dit, l’enfermement n’a pas lieu uniquement dans les prisons et les pénitenciers. Les contributions mises de l’avant dans ce dossier tentent d’esquisser une compréhension transversale des systèmes qui produisent l’enfermement, la déshumanisation et la mise à l’écart sous des prétextes multiples, mais dont le sous-texte commun est l’idée que la vie de tous et toutes n’aurait pas la même valeur. Par exemple, il sera question de la manière dont le statut d’immigration que l’État accorde à une personne lui permet d’infliger une double peine, c’est-à-dire de procéder à l’expulsion territoriale de personnes auxquelles on a déjà infligé une peine en vertu du système de justice pénale. Plus généralement, il s’agira de mettre en évidence la notion, souvent occultée, de gestion différentielle des illégalismes en fonction de la place qu’occupe un individu dans l’espace social, et de dévoiler ainsi la teneur politique des infractions prévues au Code criminel. Il s’agira de rendre visible, par la négative, les effets de courtoisie organisés par l’État à l’égard de certains groupes ; ou ce que le juriste Dean Spade appelle la distribution inégale des chances de vivre1. Cette notion renvoie notamment aux tensions entre, d’une part, le défaut de mise en œuvre des droits économiques et sociaux par l’État et, d’autre part, les interventions étatiques découlant de logiques carcérales : cela alimente la détérioration des conditions de vie des personnes, intensifie la surveillance et les profilages (racial, social et politique) puis, en dernière instance, la criminalisation ainsi que l’incarcération disproportionnées de certains groupes. L’expansion des logiques carcérales doit bien sûr être mise en lien avec des décennies de gouvernance néolibérale ayant laissé les services publics et communautaires dans un état de délabrement alarmant. En revanche, le présent dossier invite à ne pas voir les
[à] reconnaître les violences inhérentes à la prison et aux institutions carcérales ainsi que ce que leur existence empêche, c’est-à-dire une prise en charge des problèmes sociaux à leur racine.
atteintes graves aux droits humains relatées comme les effets délétères d’un système brisé. Les contributions démontrent plutôt que ces atteintes font partie intégrante de ce système ; en d’autres mots que la prison est un lieu de violations de droits et que l’on peut et doit juger ce système avant tout à partir de ses effets. Plutôt que comme des exceptions, nous devons les concevoir comme le résultat du croisement des systèmes d’oppression sur lesquels les logiques carcérales s’érigent. Enfin, ce dossier se veut une invitation à imaginer ce que pourrait être un autre monde, un ailleurs politique qui dépasse l’horizon de la carcéralité. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de répétitions pour vivre2. Le dossier adopte deux temporalités : l’ici et maintenant — pour réagir aux violences infligées au présent par les logiques carcérales — et l’avenir souhaité — pour repenser notre rapport à la carcéralité et à tout ce qui la permet.

Dérouler le fil

Afin de refléter une pluralité de réflexions au sujet des tensions qui traversent la critique radicale du recours à l’enferme- ment et des logiques qui rendent cette pratique possible, nous mettons de l’avant les voix et les savoirs des personnes touchées directement par les phénomènes carcéraux, leurs proches et les personnes œuvrant à leurs côtés pour la défense des droits humains. Le premier volet a pour objectif de dévoiler les violences dont la prison est le nom, en mettant en lumière le caractère mortifère de cette institution ainsi que l’indifférence des autorités à l’égard des dénonciations pourtant continuelles des atteintes aux droits et des violences qui surviennent derrière les murs. Il sera question du caractère cyclique et de la nature carcérale de la prise en charge des personnes qui vivent avec des problèmes de santé mentale ou avec une condition de déficience intellectuelle, ainsi que des enjeux soulevés par le paradigme de l’isolement en milieu carcéral. Il sera aussi question des conditions d’incarcération des femmes dans les prisons provinciales, des expériences des proches de personnes incarcérées ainsi que des limites de l’action du Protecteur du citoyen pour assurer le respect des droits des personnes incarcérées et intervenir sur le plan systémique au Québec. Le second volet pose un regard critique sur d’autres réalités d’enfermement : de la détention administrative des personnes migrantes au système dit de protection de la jeunesse, en passant par les formes de détention en lien avec la psychiatrie. Celui-ci montre bien comment la position de certaines personnes dans l’espace social favorise, à leur encontre, l’exercice de formes de contrôle qui découlent de plusieurs systèmes, parfois de façon simultanée. Le troisième volet tente finalement d’articuler une critique plus fondamentale du recours à l’incarcération et à l’enfermement, en explorant notamment l’apport des théories et pratiques abolitionnistes carcérales et pénales. Il sera question, notamment, du rôle du capitalisme racial et de l’organisation patriarcale et coloniale de la société dans la production du caractère jetable (disposable) de certaines personnes. Le dossier se conclut par des contributions sur le thème de la justice transformatrice, pour penser une saisie non pénale et non carcérale des violences patriarcales. Ces contributions, s’appuyant sur des expériences collectives et individuelles, montrent comment le système pénal et carcéral fait défaut de réparer les torts vécus par les personnes victimisées et d’ébranler les racines structurelles des violences commises. Elles traduisent qu'il perpétue les logiques des systèmes mortifères sur lesquels il repose, et confine les personnes victimisées, ainsi que leurs besoins, à la marge.
C'est là tout le paradoxe et de l'État pénal : l'architecture juridique pénale et constitutionnelle confère nécessairement aux personnes victimisées un statut de considération secondaire.
Mariame Kaba, militante féministe et abolitionniste, écrit que les structures pénale et carcérale s’opposent à la responsabilisation (accountability) individuelle et collective. D’un côté, la structure de ce système décourage la reconnaissance de torts causés, puisque reconnaître sa culpabilité emporte son lot de discriminations pour les personnes accusées et leurs proches. De l’autre, l’individualisation qui prévaut contredit une compréhension systémique et une réponse commune, à portée transformatrice. Pour finir, il va sans dire que ce numéro n’a aucune prétention à l’exhaustivité. Ce dossier se veut une contribution humble, ouverte, et forcément imparfaite, aux luttes collectives pour la défense des droits des personnes incarcérées et enfermées, ainsi qu’aux luttes anticarcérales. Nous avons pensé l’ensemble de ces contributions comme une parenthèse ouverte, qui traduit une nécessité et un désir de poursuivre le travail de réflexion critique sur la carcéralité, pour mieux contribuer aux luttes collectives toujours plus nécessaires. Bonne lecture !

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Journée d’étude : l’antisémitisme instrumentalisé - Conclusions par Gilbert Achcar

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Conclusions par Gilbert Achcar [University of London] introduit par Mateo Alaluf [Institut Marcel Liebman] Samedi 2 mars 2024 (9h30-18h, Université libre de Bruxelles) – (…)

Conclusions par Gilbert Achcar [University of London] introduit par Mateo Alaluf [Institut Marcel Liebman]

Samedi 2 mars 2024 (9h30-18h, Université libre de Bruxelles) – Journée d'étude L'antisémitisme, instrumentalisé, ou comment une lutte essentielle est détournée pour une mauvaise cause.

En ce moment, la noria des crimes contre l'humanité commis par Israël contre le peuple palestinien dépasse l'imaginable. Le capital de sympathie dont pouvait encore bénéficier l'État hébreu est en train de s'éroder, y compris dans l'opinion européenne qui lui était particulièrement favorable.

Pour restaurer son image, la riposte est particulièrement perverse : critiquer vigoureusement Israël serait la forme contemporaine de l'antisémitisme. Et l'Europe se prête à la manœuvre ! Des actions et des manifestations pacifiques sont interdites. De grandes associations de défense des droits humains, comme Amnesty International, Human Rights Watch ou la FIDH, se voient qualifiées d'antisémites, hier pour avoir documenté l'apartheid infligé au peuple palestinien, aujourd'hui pour avoir dénoncé un risque de génocide. Aux yeux des relais de la propagande israélienne, même le gouvernement belge n'échappe pas à l'opprobre tandis que l'extrême droite se frotte les mains.

Programme détaillé

9h30 | Accueil et présentation générale : Pourquoi cette journée ? – Mateo Alaluf [Institut Marcel Liebman], Simone Susskind [Actions in the Mediterranean] et Inès Taraft [Cercle du Libre Examen]

10h00 | Panel 1 : Antisémitisme et sionisme : adversaires ou complices ? – Nitzan Perelman [Université de Paris Cité] et Esther Benbassa [EPHE, Sorbonne]. Animation : Cécile Piret [ULB]

11h30 | Panel 2 : IHRA et déclaration de Jérusalem : la querelle des définitions – Patrick Charlier [UNIA] et François Dubuisson [ULB]. Animation : Florence Delmotte [FUSL]

13h30 | Panel 3 : Qui donne le ton en Europe : Allemagne, France…Belgique ? – Sonia Combe [Centre Marc Bloch, Deutsch-Französisches Forschungszentrum für Sozialwissenschaften], Henri Goldman [UPJB], Dominique Vidal [journaliste et essayiste]. Animation : Gregory Mauzé [ABP]

15h30 | Panel 4 : Géopolitique, antisémitisme, islamophobie – Sadia Agsous Bienstein [ULB et Sorbonne Nouvelle Paris 3], Sylvain Cypel [journaliste, Orient XXI] et Reza Zia-Ebrahimi [King's College London]. Animation : Julien Truddaïu [Bruxelles Laïque]

17h | Synthèse et conclusions – Gilbert Achcar [University of London]

17h30 | Visite commentée de l'exposition de photographies – « Palestine, de la Nakba 1948 à la Naksa 1967 à aujourd'hui »

Journée d'étude co-organisée par l'Institut Marcel Liebman, l'Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB), l'Association belgo-palestinienne (ABP), Bruxelles-Laïque, le Cercle du Libre Examen et Actions in the Mediterranean.

Ukraine-Russie : Quand la paix était à portée de main

5 juin 2024, par Par Pierre Dubuc
Quand nos médias gardent sous le boisseau un texte important

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Mine de graphite : Transition énergétique ou militaire ?

5 juin 2024, par Par Québec meilleure mine
La subvention par l’armée américaine d’un projet près de Montréal provoque la colère de la société civile

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Élections en Catalogne : une analyse des résultats

4 juin 2024, par André Frappier — , ,
Selon Carles Riera de la CUP [1], il s'agit sans aucun doute de mauvais résultats en termes d'agenda indépendantiste et social. Une réflexion collective est nécessaire pour (…)

Selon Carles Riera de la CUP [1], il s'agit sans aucun doute de mauvais résultats en termes d'agenda indépendantiste et social. Une réflexion collective est nécessaire pour faire face aux temps à venir et promouvoir un agenda social et national propre au pays.

"Le soutien explicite à l'indépendance est en déclin depuis des années. Nous pensons que cela est dû principalement au fait que le Parlement de Catalogne a été complètement déchu de sa souveraineté. C'est devenu une branche à Madrid, bien loin de l'époque où l'ordre du jour était fixé par le Parlement.

En bref, nous devons miser sur notre propre agenda, qui circule à la fois dans la rue et dans notre Parlement. Pour obtenir des droits, améliorer les conditions de vie des travailleurs et travailleuses, pour un changement radical du modèle de lutte contre le changement climatique et pour une solution démocratique au conflit par l'exercice de l'autodétermination. Parce que lorsque l'indépendance a été la plus forte, c'est dans la rue, menée de manière transversale.

Que fera la CUP ?

Nous prenons bonne note de ces résultats et pensons par conséquent qu'un exercice de réflexion est nécessaire au niveau des pays. En interne, nous avons déjà commencé il y a quelques mois le processus Garbí qui concerne notre processus de débat stratégique et organisationnel pour le nouveau cycle politique, avec la participation de nos militants et ouvert aux personnes et aux groupes qui sympathisent ou souhaitent contribuer à ce débat.

C'est un processus de débat ouvert sur l'avenir stratégique de l'organisation et de la lutte anticapitaliste et qui, maintenant, atteint la dernière phase : « une phase de réflexion et d'autocritique pour parvenir à un consensus et définir une ligne claire de stratégie politique ». Le Processus Garbí a débuté en octobre dernier, avec un Congrès national, cinq débats nationaux thématiques et une vingtaine de réunions ouvertes territoriales et locales et culminera avec une Assemblée nationale le 21 septembre de cette année. "

Des élections anticipées

La convocation des élections a été anticipée par rapport au terme naturel de la législature, après que le Parlement ait rejeté le projet de loi de finances pour 2024 proposé par le gouvernement minoritaire de Pere Aragonès (ERC), indépendantiste de gauche arrivé au pouvoir en 2021 avec le soutien d'une coalition de partis favorables à l'indépendance.

Cela concernait l'autorisation de construction d'un complexe hôtel-casino Hard Rock Cafe Le 13 mars, le Parlement repousse le projet de loi de finances en adoptant une motion de rejet par 68 voix pour et 67 voix contre. Pere Aragonès réunit aussitôt une séance extraordinaire du Conseil exécutif du gouvernement catalan. À l'issue de cette réunion, il annonce la dissolution du Parlement et la convocation d'élections anticipées pour le 12 mai suivant.

La CUP s'est positionnée contre le projet Hard Rock, une macro complexe de loisirs que Hard Rock Entertainment World projetait de construire entre Vila-seca et Salou (Tarragone) qui aurais inclus de nouvelles extensions du port, de l'aéroport, des circuits de F1 au prix de 2.000 millions d'euros, montant qui selon la CUP devrait être investi dans la défense de la santé et de l'éducation publique.

Les résultats électoraux

Les socialistes ont obtenu 42 sièges au Parlement de Barcelone - qui en compte 135 au total -, avec 27,9 % des voix. Ils sont loin devant Junts, le parti indépendantiste de droite de Carles Puigdemont (35 sièges et 21,62 % des voix), et la gauche républicaine ERC (20 sièges et 13,68 %). A la gauche du PSC, les Comuns auront six députés et les anticapitalistes indépendantistes de la CUP quatre, Laia Estrada, Laure Vega, Pilar Castillejo et Dani Cornellà.

A droite, le Parti populaire obtient 15 élus en récupérant l'espace électoral de Ciutadans (version catalane du Ciudadanos espagnol) qui disparaît du Parlement. Vox se maintient à 11 sièges et la nouvelle force xénophobe d'extrême droite indépendantiste Aliança catalana fait son entrée avec deux élus.

L'analyse de la CUP

La CUP s'inquiète du paysage politique auquel le pays est confronté après les élections des 12 derniers mois : "ce sont des résultats négatifs pour l'agenda indépendantiste et social". Les anticapitalistes considèrent que les politiques développées ces dernières années ont contrecarré les attentes du peuple générées par les assauts générés par le mouvement Indignada et le tsunami démocratique : "Nous avons essayé d'arbitrer dans une lutte permanente entre "ERC et Junts qui s'est révélée sans issue, mais nous sommes désolés et assumons la responsabilité de cette frustration".

C'est ce qu'a expliqué la députée Laia Estrada, laquelle a annoncé que dans ce contexte la CUP entamera une phase de rencontres avec diverses entités, mouvements sociaux et populaires, afin d'analyser conjointement la situation dans laquelle se trouve le pays : « Nous voulons analyser comment nous y sommes arrivés et partager avec ces entités et mouvements des propositions et des défis qui passent par la récupération de notre propre agenda national, faire de la politique à partir d'ici et légiférer en faveur du peuple et reconstruire un large mouvement indépendantiste ".

En Catalogne, il y a un reflux de la mobilisation, et un affaiblissement du mouvement indépendantiste en raison de la capitulation d'ERC et de Junts, qui ont mis le cap sur l'autonomisme et les pactes pour l'investiture de Sánchez. Ils négocient avec le PSOE, qui ne diffère du PP que par la tactique de la répression, puisqu'ils coïncident avec la stratégie de maintien de l'unité de l'Espagne et de liquidation de l'autodétermination.

Le problème ne réside pas dans la mobilisation populaire, mais dans la politique des directions majoritaires qui la freine et/ou la détournent. En ce sens, l'alignement sur les politiques bourgeoises, qu'elles soient espagnoles ou catalanes, affaiblit le courant politique de la classe ouvrière. Il est fondamental de construire une nouvelle direction révolutionnaire et cohérente qui pourra avoir une influence décisive parmi les masses laborieuses.

Référence :

CUP Candidatura d'Unitat Popular, https://cup.cat/

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[1] Candidature d'unité populaire (CUP) (en catalan : Candidatura d'Unitat Popular), est un parti politique indépendantiste catalan anticapitaliste.

M. Poilievre ne dira pas où il en est concernant la hausse de l’impôt sur les gains en capital

4 juin 2024, par Karl Nerenberg — , ,
Les conservateurs adorent leur slogan vide de sens « Ax the taxe », mais quelle est la position de Pierre Poilievre sur une taxe potentiellement populaire sur les super-riches (…)

Les conservateurs adorent leur slogan vide de sens « Ax the taxe », mais quelle est la position de Pierre Poilievre sur une taxe potentiellement populaire sur les super-riches ?

30 mai 2024 | tiré de Rabble.ca | Photo : Pierre Poilievre au congrès du Parti conservateur de 2023 avec un grand drapeau canadien en arrière-plan.

par Karl Nerenberg

Le chef conservateur Pierre Poilievre est peut-être en tête des sondages et fait des gains avec des promesses simplistes de « supprimer la taxe » et de « se débarrasser des gardiens de la réglementation », mais il déçoit certains qui pourraient autrement favoriser les Conservateurs.

Qui sont ces malheureux ? Ils représentent un segment important de la communauté d'affaires canadienne – et leurs acolytes bruyants, les médias grand public.

Et pourquoi sont-ils malheureux ?

C'est parce que si Poilievre est farouchement opposé aux taxes, en principe, et surtout à la taxe carbone, il y a une hausse de taxes sur laquelle le chef conservateur a maintenu une position résolument évasive.

Il s'agit de l'augmentation de l'impôt sur les gains en capital que les Libéraux ont incluse dans leur dernier budget.

En avril dernier, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a annoncé une hausse d'impôt sur les gains en capital de plus de 250 000 $ pour les particuliers et sur tous les gains en capital pour les sociétés. Ces augmentations entreront en vigueur le 24 juin.

Les gains en capital sont des bénéfices tirés de la vente d'actifs. Il peut s'agir de biens (à l'exception d'une résidence principale, dont la vente n'est pas imposée) et d'actions des sociétés.

À l'heure actuelle, les particuliers et les sociétés canadiennes ne paient de l'impôt que sur 50 p. 100, soit la moitié, de ces gains.

Les nouvelles règles signifient que les sociétés paieront de l'impôt sur les deux tiers de leurs gains en capital.

Les particuliers paieront de l'impôt sur les deux tiers des gains en capital supérieurs à 250 000 $. Jusqu'à 250 000 $, le taux d'inclusion des gains en capital, pour les particuliers, restera de 50 %.

De nombreux Canadiens, même modestes, réalisent des gains en capital au cours d'une année donnée, le plus souvent par la vente d'actifs dans leur portefeuille de placements de retraite ou par la vente d'une maison de vacances ou d'une autre propriété.

Cependant, seule une infime proportion réalise plus d'un quart de million de dollars de gains en capital en une seule année.

Le gouvernement Trudeau estime que moins d'un pour cent des Canadien-ne-s seront touchés par l'augmentation du taux sur le gain en capital. Mais les recettes pour le gouvernement seront importantes, de l'ordre de 7 milliards de dollars.

C'est un changement important. Pour ne citer qu'un exemple de ce que 7 milliards de dollars signifieraient en termes de dépenses gouvernementales : cette somme représente environ cinq fois l'allocation fédérale annuelle pour Radio-Canada.

Forte résistance des grandes entreprises

La communauté d'affaires et autres critiques de l'augmentation de l'impôt sur les gains en capital contestent les chiffres du gouvernement Trudeau.

Une équipe de six groupes d'affairistes, allant de la Chambre de commerce du Canada à l'Association canadienne des producteurs de canola, a envoyé une lettre ouverte à la ministre des Finances. Ils affirment qu'un-e Canadien-ne sur cinq sera « directement touché » par les nouvelles règles sur les gains en capital au cours de la prochaine décennie.

Ces groupes ne disent pas comment ils sont arrivés à ce chiffre, mais mentionnent que les nouvelles mesures fiscales « menacent les plans de retraite de millions de Canadiens qui ont basé leurs plans sur le produit de la vente d'un chalet familial ou d'une petite entreprise ».

En lisant cet argument, on pourrait imaginer que le gouvernement prévoyait confisquer 100 % des revenus de ces ventes.

La vérité, bien sûr, c'est qu'après le 24 juin, les Canadien-ne-s qui vendent leur chalet ne paieront encore de la taxe que sur la moitié du premier quart de million qu'ils réaliseront en sus du prix d'achat initial. Je le répète, ils devront payer des impôts sur les deux tiers de leurs bénéfices uniquement sur la partie excédant 250 000 $.

Pas si mal.

Si vous avez un chalet à vendre, vous pouvez toujours faire un bon profit, dont une bonne partie sera à l'abri de l'impôt. En revanche, si vous subvenez à vos besoins et à ceux de votre famille en travaillant pour gagner votre vie, plutôt que de vendre des actifs, vous devez payer des impôts sur 100 % de vos revenus.

La lettre des entreprises commerciales à la ministre des Finances semble exagérer considérablement le risque financier pour les propriétaires de chalets de la classe moyenne. Mais c'est de bonne guerre.

Il est plus facile de se peindre comme des gens ordinaires qui ont des maisons de campagne à vendre que comme membres de la classe des investisseurs, pour qui 250 000 $ de gains en capital serait un montant dérisoire.

Les auteurs de la lettre utilisent un argument différent pour convaincre le gouvernement d'épargner ces investisseurs aux poches profondes.

Ils disent que la question centrale n'est pas les profits de certaines personnes (très riches). Ce qui est en jeu, disent-ils, est beaucoup plus grand et plus important.

La question centrale est – et on le comprend – l'économie.

Le Canada ne peut pas se permettre ces taxes supplémentaires, écrivent les gens d'affaires dans leur lettre, parce qu'elles rendront ce pays « moins compétitif et moins innovant ».

Puis la lettre va plus loin et devient dramatique, voire mélodramatique.

Elle prévient qu'« à un moment où nous luttons déjà de toute urgence pour relancer la productivité à la traîne de notre pays, l'augmentation des impôts sur les investissements productifs et l'étranglement du potentiel canadien auront des répercussions profondes, durables et potentiellement irréversibles ».

Comprenez cela, vous qui taxez et dépensez, les Libéraux et les Néo-démocrates.

Vous pensez que vous introduisez une modeste mesure fiscale qui fera pencher la balance un tout petit peu plus loin des riches et des ayants droit vers les gens qui travaillent pour gagner leur vie.

Eh bien, pas si vite.

Cette modeste augmentation d'impôt causera des dommages irréversibles et permanents à l'économie canadienne – c'est du moins ce que nous disent les lobbyistes des milieux d'affaires, bien qu'ils ne nous fournissent ni faits ni chiffres pour étayer leur affirmation.

Où est Pierre ?

Certains commentateurs, comme John Ivison du National Post, ont exhorté Pierre Poilievre à rester fidèle à son identité anti-fiscale. Le chef conservateur devrait sortir de son silence et critiquer sans ambiguïté l'augmentation de l'impôt sur les gains en capital.

Et si, par hasard, Poilievre craignait que la nouvelle mesure fiscale visant les plus riches des riches soit populaire auprès de la plupart des Canadien-ne-s, Ivison souligne que certains sondages « indiquent que les électeurs n'ont pas été dupés par l'argument sur l'équité du gouvernement » – un argument qu'Ivison décrit comme « un flagrant vol d'argent destiné à financer des dépenses effrénées ».

Poilievre pourrait voir d'autres données des sondages qui racontent une histoire différente – ou il ne veut pas diluer son image populiste soigneusement conçue de défenseur du petit peuple.

Tôt ou tard, Poilievre devra montrer ses couleurs sur la question des gains en capital. Les Libéraux ont habilement retiré cette mesure du budget de 2024. Il y aura un vote autonome sur l'impôt sur les gains en capital, peut-être avant l'ajournement de la Chambre pour l'été.

Mais même si les Conservateurs se bouchent le nez et votent pour l'augmentation d'impôt – comme ils l'ont fait pour l'initiative du NPD visant à interdire les briseurs de grève dans les lieux de travail sous réglementation fédérale – beaucoup craignent ce que l'équipe de Poilievre fera si elle prend le pouvoir après les prochaines élections.

Parmi ceux-ci se trouvent les Conservateurs de l'Ontario de Doug Ford.

Selon certaines informations, le premier ministre Ford et ses collègues envisagent sérieusement la tenue d'élections anticipées, qui auraient lieu avant les élections fédérales, maintenant prévues pour l'automne 2025. La dernière élection ontarienne a eu lieu en 2022, et la prochaine n'est pas officiellement prévue avant 2026.

Il semble que les Conservateurs de l'Ontario soient tentés de déclencher un vote dans les mois à venir parce qu'ils craignent qu'un gouvernement Poilievre n'amorce des coupes profondes et impopulaires dans les transferts fédéraux pour la santé, les services sociaux et l'éducation.

Ford et son équipe craignent également qu'un gouvernement conservateur fédéral n'annule des milliards de dollars de subventions que le gouvernement fédéral et celui de l'Ontario ont promis pour de grands projets d'énergie verte, comme une usine de batteries pour véhicules électriques à Windsor.

Il semble qu'un bon nombre de Canadien-ne-s – même certain-e-s qui, aujourd'hui, disent aux sondeurs qu'ils voteront Conservateur – partagent les appréhensions de Ford quant aux véritables intentions de Poilievre.

La société de sondage Abacus montre une grande avance l'avance de l'équipe Poilievre dans les intentions mais, paradoxalement, également qu'il y a beaucoup d'inquiétude, voire de crainte, sur ce que les Conservateurs pourraient réellement faire une fois élus.

Les électeurs, malheureusement, semblent être d'accord avec l'élimination de la taxe sur le carbone. Et ils ont une vague impression que les Conservateurs feront quelque chose pour augmenter l'offre de logements. (Les Conservateurs n'ont pas encore dit avec précision comment ils feront construire plus de maisons.)

Mais d'autres initiatives politiques potentielles – qui pourraient motiver la base conservatrice – ne sont généralement pas populaires auprès de l'ensemble des Canadiens.

Il s'agit notamment de la réduction des budgets de la partie canadienne-anglaise de Radio-Canada, de la fin des régimes d'assurance-médicaments et de soins dentaires, de la réduction du programme national de garde d'enfants et de la restriction de l'accès à l'avortement et aux services de santé reproductive.

De plus, même si les Canadien-ne-s n'aiment pas la taxe sur le carbone, ils disent aux sondeurs qu'ils veulent que leurs gouvernements prennent des mesures concrètes et efficaces pour lutter contre les changements climatiques. Les Conservateurs n'ont pas encore présenté quoi que ce soit qui ressemble à un plan de lutte aux changements climatiques.

Poilievre s'en tire avec des slogans simplistes et des promesses sans substance depuis plusieurs mois maintenant.

Le vote à venir sur les gains en capital sera une occasion où il ne pourra pas s'appuyer sur la rhétorique et devra dire définitivement où il se situe.

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Sur la capitulation des médias de CBC face à HonestReporting Canada (HRC)

4 juin 2024, par Jonah Corne, Shiri Pasternak — , ,
Il y a un peu plus d'un mois, le Jewish Faculty Network (JFN) et l'Institut canadien de politique étrangère (ICFC) ont soulevé des préoccupations concernant la censure de (…)

Il y a un peu plus d'un mois, le Jewish Faculty Network (JFN) et l'Institut canadien de politique étrangère (ICFC) ont soulevé des préoccupations concernant la censure de l'émission de musique autochtone Reclaimed de Jarrett Martineau de CBC. Martineau a fait jouer une chanson intitulée « River 2 the Sea » et a exprimé sa « solidarité sonore » avec le peuple de Palestine. Sous la pression, l'épisode a disparu du site Web de la série.

27 mai 2024 | tiré de Canadian Dimension | Photo : Lorna Taylor/Flickr
https://canadiandimension.com/articles/view/on-cbc-media-capitulation-and-honest-reporting-canada

Nous savons que CBC était sous pression en raison de la campagne d'HonestReporting Canada (HRC), un organisme de surveillance des médias pro-israélien, qui a émis une « alerte action » à ses 60 000 abonné-e-s à l'infolettre lors de la diffusion de l'émission, et a revendiqué la victoire lorsque l'émission a été supprimée.

L'émission est discrètement revenue sur le site Web, mais l'expression de Martineau, « solidarité sonore », a été supprimée avec le titre de la chanson. Malgré le fait que près de 20 000 lettres aient été envoyées par des Canadien-ne-s préoccupés par la censure – une réponse déclenchée par les efforts de résistance de la PNJ et de la FCPI – CBC n'a publié aucune explication ou excuse pour le retrait de l'émission, et n'a inclus aucune déclaration de clarification concernant les modifications apportées à la version rétablie. Ils n'ont pas non plus reconnu l'indignation qui a découlé de leur censure.

Pourquoi la campagne de pression du HRC a-t-elle fonctionné, alors que celles du JFN et de CFPI n'ont pas fonctionné ?

Il y a deux points importants à retenir de cette situation, qui s'est répétée contre différentes cibles du CDH depuis le 7 octobre 2023. La première est que les plaintes et les campagnes de pression de HRC visant CBC ne concernent pas l'intégrité journalistique, mais portent plutôt des accusations d'antisémitisme si les médias s'écartent des points de vue de l'État israélien.

Deuxièmement, ces attaques du HRC sont des attaques collatérales qui sont basées sur une poussée plus large et conservatrice afin de privatiser les infrastructures sociales comme la CBC. Par conséquent, nous devons défendre la nécessité d'institutions médiatiques publiques tout en exigeant une réforme radicale, sinon nous tomberons dans le populisme régressif de la droite.

Responsabilisation vs campagnes de pression

Les plaintes du HRC concernant l'épisode de Reclaimed illustrent une pratique de campagne et d'appels à la censure que le HRC a intensifiée depuis le 7 octobre 2023. Il réfute toute donnée sur le nombre de morts ou les dégâts des bombardements israéliens à moins qu'elle ne soit publiée par Israël. Il réfute tout reportage axé sur les bombardements israéliens de Gaza, à moins qu'il ne soit encadré par le nombre de morts israéliens le 7 octobre. Il qualifie toute critique d'Israël d'antisémite et toutes les manifestations contre le bombardement israélien de Gaza d'affiliées au Hamas et approuvant donc l'attaque du 7 octobre. L'analyse de l'occupation militaire et du statut colonial d'Israël, ou les questions sur la légitimité d'Israël en tant qu'État ethno-nationaliste, se heurtent à un déni fondé sur l'affirmation selon laquelle le peuple juif est indigène à Israël, donc irréprochable.

Le CDH suit ouvertement cette direction d'Israël lui-même, s'engageant à agir comme « l'épée et le bouclier » du pays dans le paysage médiatique du Canada, tout en prétendant fonctionner avec autonomie et objectivité. Comment le HRC peut-il plaider avec véhémence pour Israël, alors qu'il prétend également être une « organisation populaire indépendante promouvant l'équité et l'exactitude dans la couverture médiatique canadienne d'Israël et du Moyen-Orient » ? Sa mission n'est pas seulement de défendre Israël ; son personnel est intégré à l'État israélien. Par exemple, l'un des membres est un ancien directeur exécutif de Hasbara Fellowships Canada, une organisation coparrainée par le ministère israélien des Affaires étrangères, dont la mission déclarée est de former et de soutenir les militant-e-s sionistes sur les campus universitaires en les envoyant en voyage en Israël.

La raison d'être de HRC, alignée sur l'État, ne devrait pas être considérée comme l'objectif des organisations médiatiques et des radiodiffuseurs canadiens. L'expression « River 2 the Sea » sur Reclaimed a été qualifiée d'antisémite par HRC, dépeignant ainsi Martineau avec le même pinceau. Mais le CDH est loin d'être la seule et ultime autorité détentrice du sens à donner à cet appel à la libération largement mobilisé, et s'en remettre à sa définition a de graves implications et conséquences pour les journalistes et la façon dont les informations sont rapportées.

Récemment, The Breach a publié un article d'un dénonciateur de CBC, écrit sous un pseudonyme comme rempart contre les menaces omniprésentes à l'emploi et à la recherche d'emploi qui ont été lancées contre les personnes qui critiquent Israël. L'auteur raconte qu'il y a eu 19 incidents distincts de HRC ciblant des journalistes de CBC au cours d'une période de six semaines dans la foulée du 7 octobre. En outre, elle note que HRC a revendiqué la responsabilité du licenciement de deux journalistes palestiniens dans d'autres médias, et fait des remarques sur « l'effet dissuasif » de ce pouvoir.

Elle écrit : « Les animateurs et les collègues seniors citent fréquemment la menace de plaintes comme raison de ne pas couvrir Israël-Palestine », et note que les journalistes seraient appelés à rendre des comptes pour leurs reportages sur la base des allégations de partialité du HRC, y compris au moins un cas dans lequel un travailleur précaire a vu son contrat résilié prématurément.

Bien que les campagnes du HRC contre CBC aient considérablement augmenté depuis le 7 octobre, ces efforts sont bien antérieurs à la guerre actuelle à Gaza. En juin 2022, une étudiante journaliste palestinienne, Rahaf Farawi, a publié un article sur les expériences des journalistes de CBC avec « l'exception palestinienne » et a trouvé une tendance qui fait fortement écho à celle décrite dans le récit du lanceur d'alerte de The Breach.

Farawi a rapporté que CBC s'attend à une réaction négative pour avoir présenté des voix palestiniennes dans sa couverture. Un journaliste de CBC lui a dit : « Cela dégénère immédiatement aux plus hauts niveaux, et ils doivent s'en occuper. Il y a beaucoup de crainte de réactions négatives de la part du lobby pro-israélien, [en particulier] des gens d'HonestReporting ». En conséquence, comme l'indique l'article, si les plaintes n'étaient pas traitées de manière satisfaisante, le HRC soumettait la situation à un examen public du bureau du médiateur.

Le HRC n'intervient pas seulement dans la nature de la couverture, mais détermine ce qui sera couvert lorsqu'il s'agit d'Israël-Palestine par un mécanisme d'autocensure qu'il infiltre dans ses cibles. Un autre journaliste a déclaré à Farawi : « Il est dit de manière assez flagrante : « Oh, si nous faisons cela, les gens d'HonestReporting vont s'en prendre à nous »... Cela ne veut pas dire qu'ils voient toujours cela comme un obstacle. Mais c'est clairement dans leur esprit. Cette notion de savoir si nous avons la capacité et les ressources nécessaires pour faire face à ce contrecoup dès maintenant. Ou peut-être que nous ajoutons une autre voix pour citer, entre guillemets, et équilibrer le tout ?

Intégrité dans les rapports

CBC n'a pas tardé à répondre à l'article du dénonciateur dans The Breach. Le lendemain, Brodie Fenlon, directeur général et rédacteur en chef de CBC News, a publié un billet de blogue affirmant que les « conclusions générales de l'article ne sont pas vraies ». Pourtant, la réponse de Fenlon donne l'impression d'un exercice de contrôle des dommages en matière de relations publiques, ne répondant pas aux principales préoccupations du lanceur d'alerte, y compris l'impact substantiel du HRC sur les opérations de la salle de rédaction.

Au lieu de cela, il a recours à une version de l'argument douteux des « deux côtés » qui ignore toute asymétrie entre ceux qui donnent et subissent de la domination coloniale et de l'occupation militaire, associée à des remarques sur la complexité et le caractère litigieux des questions censées les mettre à l'abri de la couverture critique.

Il écrit : « Notre couverture de cette histoire ne pourra jamais satisfaire les attentes de tout le monde parce que l'histoire elle-même est si personnelle et divisive. » Pourtant, satisfaire les attentes du public ne devrait pas être le mandat du journalisme. L'objectif devrait être la recherche de la vérité, aussi inconfortable que cela puisse mettre certains mal à l'aise, et même en dépit de ce que ressent la majorité des gens.

Les changements qui doivent être apportés à CBC/Radio-Canada pourraient donc l'être d'une manière qui ne contribue pas à la réaction de la droite contre les institutions publiques qui demandent de cesser de financer CBC/Radio-Canada, mais de l'obliger à respecter des normes plus élevées d'intégrité journalistique.

La capitulation répétée de CBC à un groupe de défense pro-israélien très biaisé comme HRC prend place dans le contexte plus large du populisme de droite en hausse au Canada aujourd'hui. Selon un marché implicite perçu, la décision de CBC d'apaiser les défenseurs d'Israël est un compromis pour une désescalade des menaces existentielles contre le radiodiffuseur public. Pourtant, CBC fait une grave erreur de calcul.

Malgré ses nombreuses capitulations devant HRC, mises en évidence par l'affaire Martineau, les révélations du lanceur d'alerte et l'enquête de Farawi avant le 7 octobre, CBC est toujours accusée par la plupart des politiciens conservateurs d'être désespérément injuste dans sa couverture d'Israël. La conclusion à tirer est qu'aucun apaisement ne sera jamais suffisant. L'apaisement est une illusion. Le cri de ralliement répété à l'infini pour « arrêter de gaspiller l'argent des contribuables » sur une institution de presse prétendument de gauche et intraitable fonctionne pour la droite comme un instrument beaucoup trop précieux pour galvaniser sa base.

Cela devrait fournir une raison suffisante pour que CBC mette fin à sa politique efficace du pire des deux mondes et cesse de s'incliner devant les forces de censure pro-israéliennes. Mais ce combat ne concerne pas seulement Israël et la Palestine. Dans l'attaque du HRC contre Martineau, ils n'ont pas seulement attaqué sa solidarité avec les Palestiniens, mais sa critique du Canada en tant qu'État colonial. La garantie plus large de la perte de cette bataille avec le CDH est la somme des luttes pour la justice dans toute la société. La droite ne s'arrêtera pas à la Palestine. Mais c'est le test décisif actuel contre le racisme au Canada aujourd'hui.

Jonah Corne est professeur agrégé au Département d'anglais, de théâtre, de cinéma et de médias de l'Université du Manitoba, où il est coordonnateur du programme d'études cinématographiques.

Shiri Pasternak est professeure au département de criminologie de l'Université métropolitaine de Toronto.

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Le Festival de la décroissance conviviale dans la forêt Steinberg

4 juin 2024, par Marc Bonhomme — ,
On connaît l'organisation citoyenne Mobilisation 6600 du quartier Hochelaga Maisonneuve à Montréal pour sa lutte acharnée pour la transformation en parc nature de l'immense (…)

On connaît l'organisation citoyenne Mobilisation 6600 du quartier Hochelaga Maisonneuve à Montréal pour sa lutte acharnée pour la transformation en parc nature de l'immense friche L'Assomption, assemblage contigu de plusieurs composantes (l'ancienne cour de triage du CN devenue une mini-forêt poussant à travers les rails, l'ancienne usine Canadian Steel Foundries achetée par Raymond Logistique qui a rasé la forêt naissante pour une plateforme de containers, la « forêt Steinberg » devenu emboisée depuis longtemps avec ses milieux humides vestiges du ruisseau Molson et le petit boisé Vimont devenu la forêt enchantée des enfants).

Depuis des années de lutte sans relâche, Mob6600 a créé des liens avec d'autres groupes menant des combats semblables et avec le mouvement écologique dans son ensemble. Son noyau militant s'est intéressé à la théorie écologique, à l'analyse des luttes écologiques et à leur stratégie. Telle était la raison d'être du Festival de la décroissance conviviale organisé dans la forêt Steinberg sur toute la journée du samedi 1er juin. La cinquantaine de gens y participant ont écouté et discuté avec des militants et militantes du groupe de recherche Polémos, de l'IRIS, de Rage climatique, de Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) et de Mob6600. Ont clos la journée des conférences de Yves-Marie Abraham de Polémos à propos de « l'esquisse géographique d'un monde post-croissance » et de Dalie Giroux sur les « figures de gratuité » que j'ai ratées pour cause d'un vieux corps qui demandait son dû.

Incompatible avec le capitalisme, la décroissance exige quel mode démocratique ?

Louis Marion de Polémos a théorisé la décroissance comme signifiant produire moins, partager plus et décider ensemble. La décroissance implique une sortie du capitalisme du simple fait du partage et de la décision collective. Plus fondamentalement, aurait-t-il pu préciser, la croissance est inhérente au capitalisme. La compétitivité entre capitaux, aujourd'hui titanesque, conduit inéluctablement à leur accumulation par leur nécessaire réalisation en argent sonnant afin de recommencer à une plus grande échelle un cycle sans fin faute de périr par la banqueroute. Tel est le fondement de la consommation de masse, de la course aux armements et de plus en plus de la gargantuesque ingénierie de la résorption des GES. Dans une société de décroissance, la relation entre les gens primera sur celle vis-à-vis les choses dont la propriété combinera des droits conjoints tout en éliminant le droit de nuire implicite à l'exclusive propriété capitaliste.

Les choix politiques du décider ensemble s'élargiront à l'économie et à la technique. C'est là la planification démocratique. Reste en suspens les formes de la démocratie. Le conférencier récuse l'anarchie car même l'organisation confédérative ne règle pas la question clef de l'arbitrage entre base et sommet. L'État demeurerait nécessaire car il faudra que les experts éclairent les assemblées délibératives. Il me semble qu'il y a ici un danger d'un platonicien « gouvernement des sages » manipulateur. Ne serait-ce pas la dynamique de l'affrontement des partis qui aurait la capacité de corriger les erreurs des décisions collectives en autant que la dictature de quelque sage ne vienne la contrer ? Faire l'hypothèse que les assemblées populaires ne puissent adéquatement prendre en compte les intérêts des générations futures et de la nature ne révèle-t-il pas un préjugé de « sage » ? On peut penser que la sagesse collective sans cesse réajustée résultera en davantage de services publics et d'agriculture biologique et beaucoup moins d'énergivore production matérielle assise sur la sobriété, la consommation collective, la durabilité et la réparabilité.

Les mythiques croissance verte et économie circulaire contournent la difficulté

Ambre Fourrier aussi de Polémos a tâché de déboulonner les mythes de la croissance verte et de l'économie circulaire. Toutes les études démontrent que le découplage absolu entre croissance du PIB et croissance des GES sur le long terme et pour une proportion significative de la population mondiale est inexistant, y compris pour le « modèle » norvégien, malgré la croissance du rapport services versus produits tangibles, la prétention à l'intégration des externalités dans les coûts de production et surtout la légende urbaine de l'innovation technologique substituant l'immatériel au matériel. En plus, il faudrait mesurer le découplage non seulement par rapport aux réducteurs GES mais à l'incommensurable biodiversité. Il n'y a là rien de surprenant puisque le capitalisme prédateur ne se distingue pas par la rareté des produits mais par un trop-plein consumériste accaparé par certains, le 1%, le 10% et même jusqu'à un certain point le 40% de la dite classe moyenne, aux dépens de la majorité d'où l'apparence de rareté.

Si l'économie circulaire demeure une solution en dernière instance, elle est une fausse solution de prime abord. La production de masse et celle d'armements, circulaire ou non, reste un problème à résoudre. La minimisation des coûts pour fabriquer un produit technologiquement complexe (plastique, batterie) n'en fait pas un produit inhéremment ni facilement recyclable ni sans production minimum de déchets au cours de son processus de production, et ni durable. Tant le recyclage du produit final que celui des déchets, en autant qu'ils sont possibles, en deviennent énergivores et polluants. Le conte de fées de l'économie circulaire tricote une liaison fantaisiste avec le mode de production autochtone tout en permettant de dépolitiser l'économie c'est-à-dire de justifier le statu quo du tout marché et la prééminence des entreprises maîtresses du processus. Le recyclage n'est-il pas une invention de l'industrie du plastique ? Il ignore le principe scientifique de l'entropie qui prouve l'inéluctabilité de la dégradation de la production matérielle. Il reste silencieux sur la rigidité des filières du recyclage face au continuel changement des produits finaux, conséquence réellement existante de l'innovation technologique compétitive du capitalisme.

La coalition décroissanciste a besoin de la lutte des classes pour vaincre

Colin Pratte de l'IRIS a été frappé par l'absence de la référence à la lutte des classes de la part des penseurs de la décroissance tout en constatant la grande méfiance du monde du travail vis-à-vis cette idée. Il y voit deux explications. Le point d'entrée de la compréhension de la réalité des penseurs de la lutte des classes est le monde du travail où traditionnellement a été confinée la lutte des classes. Les tenants de la décroissance appréhendent plutôt la réalité par le biais des conditions d'existence, de la reproduction sociale, de l'écosphère. En résultent deux imaginaires opposés conduisant les uns vers le monde prométhéen du productivisme et les autres vers l'idéalisation du bucolisme. L'écosocialisme a beau tenter une réconciliation des deux imaginaires, il n'en découle pas la disparition de la méfiance ouvrière vis-à-vis le décroissancisme.

Cette contradiction a engendré une alliance de classe particulière, celle des intellectuels organiques de l'écologie avec la catégorie sociale des personnes exclues du système, en particulier les autochtones et les paysans surtout dans les pays dépendants, mais aussi le peuple travailleur en tant que villageois et résident de quartiers. Toutefois, sans l'apport de la classe ouvrière organisée sur les lieux de travail, cette alliance ne saurait remporter de victoires stratégiques pour lesquelles il faut un mouvement gréviste touchant l'appareil productif d'où origine le profit. Après tout, les millionnaires du monde, soit le 1%, grèveront au rythme actuel 75% du budget carbone restant pour ne pas hausser de façon pérenne de 1.5°C la température terrestre par rapport à l'époque préindustrielle. La lutte climatique est donc une lutte de classe. Ce sont ces millionnaires et milliardaires qui imposent cette consommation de masse qui, même réduite au seuil de pauvreté, ferait que l'ensemble de la population québécoise consommerait quand même deux fois plus de ressources naturelles que le minimum requis.

Comment convaincre le prolétariat organisé d'entreprendre cette lutte pour la survie de l'humanité mais qui paraît dans l'immédiat menacer son niveau de vie et même son emploi ? C'est la question que le conférencier a posé aux petits ateliers de quinze minutes après sa conférence. On a proposé des nationalisations, en particulier de Northvolt, le recyclage des emplois, le revenu de base garanti, le revenu maximum, même le rationnement comme lors de la Deuxième guerre mondiale. A aussi été proposée la baisse du temps de travail tout en expliquant que baisse du niveau de vie n'équivaut pas à baisse du niveau de bien-être si, par exemple, le prolétariat habite des logements collectifs de qualité dans des « quartiers 15 minutes » desservis par une infrastructure adéquate de transport actif et de transport en commun gratuit et fréquents jusqu'au moindre village.

Mobiliser tous les niveaux politiques et entreprendre la conquête des syndiqué-e-s

Cette deuxième conférence s'est terminée par un panel de militantes et militants de Rage climatique, des TJC et de Mob6600. On a constaté des modes d'organisation fort différents allant du mode anarchiste sans adhésion formelle ni mécanisme de fonctionnement collectif, sans même de direction élue, de Mob6600 jusqu'à celui démocratique traditionnelles des TJC en passant par celui en comités de travail, particulièrement sur Northvolt, de Rage climatique avec décision consensuelle en assemblées générales. Mob6600 pratique la diversité des tactiques pour s'adapter aux divers niveaux politiques allant de pétitions à des blocages en passant par des manifestations et une abondance d'activités culturelles qui sont presque sa marque de commerce. Rage climatique, constatant l'insuffisance du BAPE pour arrêter Northvolt, participe et pousse au blocage.

TJC, pour gagner les syndicalistes de l'éducation, secteur plus favorable aux luttes climatiques, mise sur la discussion lors des assemblées syndicales pour soit inclure une clause climatique dans les conventions ou initier une campagne « Sortir du gaz » des lieux de travail. Dans les milieux syndicaux plus difficiles à pénétrer, il faut miser sur le respect mutuel entre collègues et sur la rigueur démocratique des assemblées. Une travailleuse de Bombardier, membre des TJC à cause de l'avenir de son enfant, sera plus écoutée par ses collègues comme elle impliqués dans la fabrication de jets privés, peut-être le pire produit anti-climat qui soit. Le projet TJC d'états généraux sur l'éducation vise à poser la question cruciale de la formation de la jeunesse pour s'adapter au monde tel qu'il est ou pour le transformer de fond en comble. Plus fondamentalement se pose la question de la possibilité de transformer une organisation syndicale fort bureaucratisée ou la contourner.

Il y a loin de la coupe aux lèvres surtout quand dérape le soutien politique

Comment Mob6600 peut-il vaincre la grande coalition étatique-patronale du Port de Montréal sous juridiction fédérale et avec un conseil d'administration à majorité patronale, de Raymond Logistique, du gouvernement québécois et de la Ville de Montréal sans l'appui proactif jusqu'à la grève du syndicat des débardeurs et de la gent étudiante du Cégep Maisonneuve ? Comment Rage climatique peut-il arrêter la transnationale Northvolt ou changer sa vocation, celle-ci étant appuyée par les transnationales de l'automobile avides de batteries et étant soutenue par de les subventions milliardaires d'Ottawa et de Québec ?

Un peu au bout du rouleau lors de ce panel final, je n'ai pas été assez prompt pour souligner le grand oublié de la discussion soit la promotion de la décroissance sur la scène proprement politique ce qui devrait être la responsabilité de Québec solidaire. Bien que le comité de coordination élargi de la circonscription d'Hochelaga-Maisonneuve de Québec solidaire, où se situe la forêt Steinberg, ait proposé l'amendement d'ajouter au nouveau simili-programme Solidaire, dite Déclaration de Saguenay, la promotion de « la décroissance de la surproduction », celui-ci fut battu. De même fut défait l'amendement que l'usine Northvolt donne la priorité à la production de batteries pour le transport en commun alors que l'on sait que selon l'IRIS « [l]'Agence internationale de l'énergie prévoit qu'en 2030, 90 % des batteries produites dans le monde alimenteront des automobiles individuelles et seulement 3,5 % propulseront des autobus. »

Jusqu'où ira le recentrage centregauche à la NPD du grand parti de la gauche québécoise ?

Marc Bonhomme, 3 juin 2024
https://www.marcbonhomme.com

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Transition énergétique ou militaire ? La subvention par l’armée américaine d’un projet de mine de graphite près de Montréal provoque la colère de la société civile

4 juin 2024, par Alliance Municipalités de Petite-Nation Nord, Artistes pour la paix, Coalition pour que le Québec ait meilleure mine !, Eau Secours, MiningWatch Canada, Regroupement de Protection des Lacs de la Petite-Nation — ,
Du jamais vu au Québec. Le financement de la minière Lomiko Metals par le Département de la Défense des États-Unis provoque la consternation au sein de la population locale (…)

Du jamais vu au Québec. Le financement de la minière Lomiko Metals par le Département de la Défense des États-Unis provoque la consternation au sein de la population locale opposée au projet La Loutre.

Le 16 mai dernier, le Département de la Défense des États-Unis (DoD) a annoncé qu'il finançait la minière Lomiko Metals Inc. (Lomiko) à la hauteur de 8,35 M $US pour développer son projet de mine à ciel ouvert de graphite au Québec dans la Petite-Nation, au cœur de la zone récréotouristique du triangle Montréal/Ottawa/Mont-Tremblant. Le ministère fédéral canadien de l'Énergie et des Ressources naturelles ajoute également une subvention de 4,9 M $CAD. Ce projet ne bénéficie d'aucun appui des populations et organisations locales. Celles-ci, soutenues par plusieurs groupes environnementaux nationaux, dénoncent vivement cette ingérence américaine dans l'appropriation du territoire québécois à des fins militaires. Le 6 août 2023, 450 personnes ont manifesté dans les rues de Lac-des-Plages contre ce projet minier. Des dizaines de pancartes contre l'activité minière sont affichées partout dans la région.

Depuis des années, sans en faire la démonstration, Lomiko Metals fait la promotion de ce projet minier comme étant essentiel à la transition énergétique et à l'électrification des transports. L'investissement massif d'intérêts militaires étrangers avant même la réalisation des évaluations environnementales constitue aujourd'hui un retournement majeur pour la vocation du projet et un choc pour la population.

Vers une militarisation généralisée du sous-sol du Sud du Québec ?

Le projet de mine à ciel ouvert La Loutre de Lomiko n'est pas le seul à provoquer des levées de boucliers dans le Sud du Québec où un boom minier fait rage depuis 2020. Que ce soit en Outaouais, dans les Laurentides, dans Lanaudière ou en Mauricie, des municipalités et des communautés locales considèrent l'industrie minière comme une menace environnementale et sociale et non comme une solution.

La subvention par ce même DoD des États-Unis d'un projet de mine de cobalt de la minière Fortune Minerals dans les Territoires du Nord-Ouest fait craindre que des projets équivalents en phase exploratoire reçoivent le même traitement de faveur au détriment du consentement des gens de la Mauricie et de Lanaudière, notamment.

Québec complice ?

Dans un monde de plus en plus en conflits, il est établi depuis longtemps qu'une part importante des minéraux supposément critiques et stratégiques du Québec est convoitée pour alimenter la course aux armements. Durant l'étude des crédits du Ministère québécois des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) le 25 avril dernier, la ministre Maïté Blanchette Vézina a clairement indiqué son objectif de « développer une filière et une chaîne d'approvisionnement en énergie pour la transition du gouvernement américain ».

Nous sommes étonnés de constater que l'entente de mentionne aucunement la participation du gouvernement du Québec. Il y a lieu de se demander si le gouvernement du Québec a été consulté et s'il a donné son accord. Dans tous les cas, il est clair que les gouvernements impliqués n'ont aucunement considéré la volonté de la population locale.

Citations

« Avec cette annonce combinée du gouvernement canadien et du Département de la Défense des États-Unis, comme élus, ce qu'on perçoit, c'est que ce qui était déjà un refus social de ce projet minier est en train de se transformer en colère sociale. Plus que jamais nos citoyens ressentent qu'on ne tient absolument pas compte d'eux », David Pharand, Maire de Duhamel, co-porte-parole de l'Alliance Municipalités de Petite-Nation Nord en matière de relations auprès du gouvernement et des médias

« Il importe peu à l'armée américaine que le territoire choisi pour approvisionner ses activités militaires soit un lieu habité et un joyau de nature en périphérie de Montréal et Ottawa. On assiste ici au sacrifice d'une région entière et de sa population. D'autres suivront », Louis St-Hilaire, président du Regroupement de Protection des Lacs de la Petite-Nation et porte-parole de la Coalition QLAIM

« Ottawa et Washington, avec la complicité de Québec, sont prêts à sacrifier la Petite-Nation pour faire la guerre. Sacrifice et guerre sont des mots qui vont bien ensemble. Mais ça ne change rien, les gens d'ici vont continuer de se défendre et de tout faire pour empêcher ce projet », Claude Bouffard, coordonnateur du Comité citoyen d'opposition au projet minier La Loutre

« Mentir aux amis écologiques des zones récréotouristiques que le sacrifice de leurs terres servira la transition vers les énergies renouvelables pour sauver la planète, est honteux, alors qu'on fait le contraire, en soutenant le militarisme qui en accélère la destruction », Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la paix

« Militariser un projet minier nocif et rejeté par la population avant même de procéder à une évaluation environnementale est un acte de violence inouï du système envers les gens et la nature que nos gouvernements sont censés défendre et non attaquer », Rodrigue Turgeon, avocat, co-porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine

« L'ingérence frontale de l'armée américaine confirme ouvertement le détournement de la propagande de ‘‘transition énergétique'' de la politique canadienne de mise en valeur des minéraux au profit d'une vocation essentiellement militaire », Jamie Kneen, coresponsable du programme national, MiningWatch Canada

« Dans le sillon de tous ces projets miniers se trouvent systématiquement des lacs, des rivières et des sources d'eau souterraines sacrifiées. Cette réalité est déjà très préoccupante, mais de constater que ces sacrifices seront faits pour le compte de la militarisation américaine, c'est tout simplement inadmissible. Nos gouvernements doivent comprendre la gravité des enjeux et agir en conséquence », Rébecca Pétrin, directrice générale, Eau Secours.

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Une manif festive et militante pro-choix en riposte à la manif pro-vie organisée devant l’Assemblée nationale

4 juin 2024, par PTAG — ,
Le Comité riposte (coalition initiée par la Fédération du Québec pour le planning des naissances et ralliant des groupes communautaires, des organisations populaires et des (…)

Le Comité riposte (coalition initiée par la Fédération du Québec pour le planning des naissances et ralliant des groupes communautaires, des organisations populaires et des syndicats) a réussi son pari : organiser une importante manif nationale pro-choix en riposte à la manif pro-vie organisée devant l'Assemblée nationale le premier juin 2024.

Les médias se sont attardés sur l'action dérangeante tenue avant le départ de la manif et visant à perturber le rassemblement pro-vie sur le site du Parlement. Les policiers ont imposé leur ordre et distribué des contraventions.

Mais la manif a débuté à 13h30, après de nombreuses prises de parole, et a regroupé plus de 1000 femmes venues de partout au Québec.

Il y avait du soleil, de la chaleur, beaucoup de slogans et des batucadas pour marquer le tempo. C'était une belle manif militante et festive.

PTAG présente dans la vidéo ci-dessous les interventions des militantes féministes faites avant le départ de la manifestation. Elles expliquent l'importance et les enjeux de cette manifestation pour la défense du droit à l'avortement au Québec.

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Révélations du journal britannique "The Guardian" : La guerre secrète d’Israël contre la CPI

Israël a mené une véritable guerre de l'ombre pour éviter que ses dirigeants ne soient poursuivis par la CPI, incluant des écoutes téléphoniques et des menaces physiques. (…)

Israël a mené une véritable guerre de l'ombre pour éviter que ses dirigeants ne soient poursuivis par la CPI, incluant des écoutes téléphoniques et des menaces physiques.

Tiré de El Watan-dz
30 mai 2024

Par Amel Blidi

Photo : D. R.

Lorsque le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu'il visait à obtenir des mandats d'arrêt contre des dirigeants israéliens et du Hamas, il a émis un avertissement clair : « J'insiste pour que cessent immédiatement toutes les tentatives d'entraver, d'intimider ou d'influencer indûment les responsables de cette Cour. »

Dans une enquête conjointe publiée mardi 28 mai par le quotidien britannique The Guardian et le site d'information israélien +972, il est révélé qu'Israël a mené une véritable guerre de l'ombre pour éviter que ses dirigeants ne soient poursuivis par la CPI, incluant des écoutes téléphoniques et des menaces physiques. Le pays a mobilisé ses agences de renseignement pour surveiller, pirater, faire pression, diffamer et, selon certaines allégations, menacer des hauts responsables de la CPI, afin de freiner les enquêtes de la Cour.

Les services de renseignement israéliens ont intercepté les communications de nombreux responsables de la CPI, y compris celles de Karim Khan et de son prédécesseur, Fatou Bensouda. Ces interceptions incluaient des appels téléphoniques, des messages, des courriels et des documents.

Les renseignements obtenus permettaient au Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, de connaître à l'avance les intentions du procureur. Une communication interceptée récemment suggérait que Khan souhaitait émettre des mandats d'arrêt contre des Israéliens, mais subissait une « pression énorme des Etats-Unis », selon une source informée.

Netanyahu aurait, selon l'article du Guardian, suivi de près les opérations de renseignement contre la CPI, étant décrit par une source de renseignement comme « obsédé » par les interceptions liées à l'affaire. Ces efforts, supervisés par ses conseillers en sécurité nationale, impliquaient l'agence de renseignement intérieure Shin Bet, la direction du renseignement militaire Aman et la division de cyber-renseignement, l'unité 8200. Les renseignements collectés étaient ensuite partagés avec les ministères de la Justice, des Affaires étrangères et des Affaires stratégiques.

L'inquiétude des responsables politiques et militaires israéliens face à d'éventuelles poursuites remonte, selon l'enquête du Guardian, aux premières visites de l'Autorité palestinienne à la Cour en 2009. Lorsque la Palestine a adhéré à la CPI en avril 2015, Israël a immédiatement mis en place une stratégie nationale pour neutraliser toute menace de poursuites contre ses dirigeants et soldats.

Le site d'investigation israélien +972 explique notamment que « les échanges privés avec des responsables palestiniens étaient régulièrement surveillés et largement partagés entre les communautés du renseignement ». D'après The Guardian, Yossi Cohen, ancien chef du Mossad de 2016 à 2021 et proche de Benyamin Netanyahu, aurait personnellement dirigé cette opération. Il aurait, entre autres, montré à la procureure de la CPI une photo d'elle prise lors d'un voyage privé à Londres avec son mari. « Vous devriez nous aider et nous laisser prendre soin de vous. Vous ne voulez pas vous engager dans des choses qui pourraient compromettre votre sécurité ou celle de votre famille », lui aurait dit le maître espion israélien.

« Terrorisme diplomatique »

L'enquête conjointe s'appuie sur des entretiens avec plus de deux douzaines d'officiers de renseignement israéliens et de responsables gouvernementaux, de hauts responsables de la CPI, de diplomates et d'avocats familiers de l'affaire.

La perspective de poursuites à La Haye a conduit l'ensemble de l'establishment militaire et politique israélien à considérer la contre-offensive contre la CPI comme une guerre à mener, selon un ancien responsable du renseignement israélien. Cette « guerre » a commencé en janvier 2015, lorsque la Palestine a rejoint la cour, après avoir été reconnue comme Etat par l'Assemblée générale de l'ONU, un acte condamné par les responsables israéliens comme une forme de « terrorisme diplomatique ».

Le 16 janvier 2015, quelques semaines après l'adhésion de la Palestine, Fatou Bensouda, avocate gambienne respectée élue procureure en chef de la CPI en 2012, a ouvert un examen préliminaire sur ce que la Cour appelait en termes juridiques « la situation en Palestine ». Le mois suivant, deux hommes qui avaient réussi à obtenir l'adresse privée de la procureure se sont présentés à son domicile à La Haye.

Selon l'article du journal britannique, les hommes ont refusé de s'identifier à leur arrivée, affirmant qu'ils voulaient remettre une lettre à Bensouda de la part d'une femme allemande inconnue qui souhaitait la remercier. L'enveloppe contenait des centaines de dollars en espèces et un mot avec un numéro de téléphone israélien.

Cette tentative de livraison inhabituelle et suspecte a été perçue comme une tentative d'intimidation directe envers Bensouda, visant à la dissuader de poursuivre les enquêtes sur les crimes de guerre présumés dans les territoires palestiniens occupés. Cet incident s'inscrit dans une série de pressions et d'interférences que les responsables israéliens ont exercées pour empêcher la CPI de mener ses enquêtes impartiales.

Quelques années plus tard, lorsqu'il a pris les rênes du bureau du procureur de la CPI en juin 2021, Karim Khan a aussi hérité d'une enquête qu'il décrivait plus tard comme étant « sur la faille de San Andreas de la politique internationale et des intérêts stratégiques ». L'enquête de la CPI a néanmoins traîné en longueur. Selon The Guardian, l'entité sioniste a tenté d'empêcher la Cour d'ouvrir une enquête criminelle exhaustive. Après que celle-ci a été lancée en 2021, elle « a cherché à s'assurer qu'elle n'aboutirait à rien ».

Il a fallu attendre l'affreuse guerre menée contre Ghaza pour voir le procureur britannique élever le ton contre Israël. En février 2024, Khan a publié une déclaration très ferme que les conseillers juridiques de Netanyahu ont interprétée comme un signe inquiétant.

Dans un message sur X, il a, en effet, averti Israël de ne pas lancer d'assaut sur Rafah, la ville la plus au sud de Ghaza où plus d'un million de personnes déplacées étaient réfugiées à l'époque. « Ce tweet nous a beaucoup surpris », a déclaré un haut responsable israélien cité par The Guardian.

Les services de renseignement israéliens avaient intercepté des courriels, des pièces jointes et des messages texte de Khan et d'autres responsables de son bureau. « Le sujet de la CPI a grimpé dans la liste des priorités du renseignement israélien », a déclaré une source du renseignement.

A Washington, un groupe de sénateurs républicains américains avait déjà envoyé une lettre menaçante à Khan avec un avertissement clair : « Cibler Israël et nous vous ciblerons. » La CPI, quant à elle, a renforcé sa sécurité avec des contrôles réguliers des bureaux du procureur, des vérifications de sécurité sur les appareils, des zones sans téléphone, des évaluations hebdomadaires des menaces et l'introduction d'équipements spécialisés.

Un porte-parole de la CPI a déclaré que le bureau de Khan avait été soumis à « plusieurs formes de menaces et de communications pouvant être considérées comme des tentatives d'influencer indûment ses activités ».

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L’impérialisme et l’anti-impérialisme aujourd’hui

4 juin 2024, par Ashley Smith — ,
Les États-Unis restent l'État le plus puissant du monde, avec la plus forte économie, le dollar comme monnaie de réserve mondiale, l'armée la plus puissante, le plus grand (…)

Les États-Unis restent l'État le plus puissant du monde, avec la plus forte économie, le dollar comme monnaie de réserve mondiale, l'armée la plus puissante, le plus grand réseau d'alliances et, par conséquent, la plus grande puissance géopolitique. Mais il doit faire face à des concurrents de nature impériale, comme la Chine et la Russie, et à des rivaux de nature sub-impériale dans toutes les régions du globe.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
24 mai 2024

Par Ashley Smith

Le capitalisme engendre l'impérialisme, c'est-à-dire la concurrence entre les grandes puissances et leurs grands groupes pour le partage et le redécoupage du marché mondial. Cette concurrence génère une dynamique de hiérarchisation des États, avec les plus puissants au sommet, les puissances moyennes ou sous-impériales en dessous, et les nations opprimées en bas de l'échelle.

Aucune hiérarchie n'est permanente. La loi du développement inégal et combiné du capitalisme, ses périodes d'expansion et de ralentissement, la concurrence entre les grands groupes, les conflits entre États et les soulèvements des exploité.e.s et des opprimé.e.s déstabilisent et restructurent le système étatique.

En conséquence, l'histoire de l'impérialisme a connu une succession de phases. Un ordre multipolaire a caractérisé la période allant de la fin du XIXe siècle à 1945. Il a produit les grands empires coloniaux et deux guerres mondiales. Il a été supplanté par un ordre bipolaire entre 1945 et 1991, les États-Unis et l'Union soviétique luttant pour l'hégémonie sur les nouveaux États indépendants libérés de la domination coloniale.

Avec l'effondrement de l'empire soviétique, les États-Unis ont présidé à un ordre unipolaire de mondialisation néolibérale, sans aucune superpuissance rivale, et ont mené une série de guerres pour imposer leur soi-disant ordre fondé sur des règles du capitalisme mondial, de 1991 au début des années 2000. Cet ordre a trouvé sa fin avec le déclin relatif des États-Unis, la montée en puissance de la Chine et la renaissance de la Russie, ouvrant la voie à l'ordre multipolaire asymétrique tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Les États-Unis restent la puissance dominante, mais ils sont désormais engagés dans une compétition avec la Chine et la Russie, surplombant des États sub-impériaux qui s'affirment de plus en plus, tels qu'Israël, l'Iran, l'Arabie Saoudite, l'Inde et le Brésil, ainsi que des nations assujetties qui souffrent d'une oppression à la fois politique et économique. Face à la menace d'une nouvelle époque de crises, de guerres et de révoltes, la gauche mondiale se doit de construire la solidarité internationale par en bas entre les travailleurs et les opprimés dans une lutte contre l'impérialisme et pour le socialisme dans le monde entier.

Les multiples crises du capitalisme mondial

Le capitalisme mondial a engendré de multiples crises qui se recoupent et qui intensifient les conflits entre les États et à l'intérieur de ceux-ci. Ces crises sont : l'effondrement de l'économie mondiale, l'exacerbation de la rivalité entre les États-Unis, la Chine et la Russie, le changement climatique, les migrations mondiales sans précédent et les pandémies, dont le COVID-19 n'est que l'exemple le plus récent. Ces crises ont ébranlé le système en place, provoqué une polarisation politique dans la plupart des pays du monde, ouvert la porte à la fois à la droite et à la gauche, et déclenché des vagues de luttes explosives, mais ponctuelles, depuis la base. Nous n'avons pas connu une telle période de crise, de conflit, de guerre, d'instabilité politique et de révolte depuis des décennies.

Tout cela constitue un défi et une chance pour une gauche internationale et un mouvement ouvrier qui souffrent encore des conséquences de plusieurs décennies de défaite et de recul. C'est aussi une ouverture pour une nouvelle extrême droite qui présente des solutions autoritaires autour de la promesse de restaurer l'ordre social en désignant des boucs émissaires parmi les opprimé.e.s à l'intérieur du pays et en attisant des formes réactionnaires de nationalisme contre les ennemis de l'étranger.

Une fois au pouvoir, cette nouvelle extrême droite a échoué à surmonter les crises et les inégalités du capitalisme mondial. Au contraire, elle les a exacerbées. En conséquence, ni les dirigeants en place ni leurs opposants d'extrême droite ne proposent d'issue pour sortir de cette époque de catastrophes.

Nous n'avons pas connu une telle période de crise, de conflits, de guerres, d'instabilité politique et de révoltes depuis des décennies. Tout cela constitue un défi et une chance pour une gauche internationale et un mouvement ouvrier qui souffrent encore des conséquences de plusieurs décennies de défaite et de recul.

L'ordre mondial multipolaire asymétrique

Dans ce contexte de crises qui se multiplient comme des métastases, les États-Unis ne sont plus au sommet d'un ordre mondial unipolaire. Ils ont subi un déclin relatif à la suite du long cycle de prospérité néolibéral, de l'échec de leurs guerres en Irak et en Afghanistan et de la grande récession. Ces évolutions ont permis la progression de la Chine en tant que nouvelle puissance impériale et la résurgence de la Russie en tant que pétro-puissance dotée de l'arme nucléaire. Dans le même temps, une multitude de puissances sub-impériales se sont affirmées plus que par le passé, mettant en concurrence les grandes puissances et cherchant à prendre l'avantage dans leur région.

Tout cela a donné naissance à l'ordre mondial multipolaire asymétrique d'aujourd'hui. Les États-Unis restent l'État le plus puissant du monde, avec la plus importante économie, le dollar comme monnaie de réserve mondiale, l'armée la plus puissante, le plus grand réseau d'alliances et, par conséquent, la plus grande puissance géopolitique. Mais il doit faire face à des concurrents impériaux en Chine et en Russie et à des rivaux sous-impérialistes dans toutes les régions du globe.

Ces antagonismes n'ont pas donné naissance à des blocs géopolitiques et économiques cohérents. La mondialisation a fortement imbriqué la plupart des économies du monde, empêchant le retour de blocs tels qu'ils existaient à l'époque de la guerre froide.

Ainsi, les deux plus grands rivaux, les États-Unis et la Chine, sont aussi deux des plus intégrés au monde. Pensez à l'iPhone d'Apple, conçu en Californie, fabriqué en Chine dans des usines sous propriété taïwanaise et exporté vers des vendeurs situés aux États-Unis et dans le reste du monde.

Les nouvelles puissances sous-impériales ne se montrent loyales ni envers la Chine ni envers les États-Unis, mais concluent de manière opportuniste des pactes avec l'une ou l'autre puissance pour servir leurs propres intérêts capitalistes. Par exemple, tout en concluant des accords avec la Chine dans le cadre de l'alliance BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) contre les États-Unis, l'Inde est partie prenante de l'alliance QUAD (États-Unis, Australie, Inde, Japon) de Washington contre la Chine.

Cela dit, le marasme économique mondial, l'intensification de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, et surtout la guerre impérialiste que mène la Russie en Ukraine et les sanctions des États-Unis et de l'OTAN contre Moscou commencent à ébranler la mondialisation telle que nous l'avons connue. En effet, la mondialisation a atteint un plateau et a commencé à décliner.

Par exemple, dans le cadre de ce qu'on appelle la guerre des puces, les États-Unis et la Chine sont en train de mettre à part la partie supérieure de leurs économies de haute technologie. Par ailleurs, les sanctions occidentales imposées à la Russie en raison de la guerre impérialiste qu'elle mene contre l'Ukraine l'ont exclue des échanges commerciaux et des investissements des États-Unis et de l'Union européenne (UE), l'obligeant à se tourner vers les marchés chinois et iranien.

Il en résulte que nous sommes sur une trajectoire de division économique croissante, de rivalité géopolitique et même de conflit militaire entre les États-Unis, la Chine et la Russie, ainsi qu'entre eux et les puissances sub-impériales. Dans le même temps, la profonde intégration économique des États-Unis et de la Chine en particulier, ainsi que le fait que chacun possède des armes nucléaires, contrecarrent la tendance à la guerre ouverte, qui risquerait d'entraîner une destruction mutuelle certaine et l'effondrement de l'économie mondiale.

Washington réarme pour se préparer à la rivalité des grandes puissances

Depuis l'administration Obama, l'État américain tente de mettre en place une nouvelle stratégie afin de contrer la montée en puissance de la Chine et la résurgence de la Russie. Obama avait lancé son fameux « pivot vers l'Asie » et Trump avait ouvertement mis la compétition entre grandes puissances avec Pékin et Moscou au centre de sa stratégie de sécurité nationale, mais ni l'un ni l'autre n'a défini une approche globale de ces conflits ou d'autres dans le cadre du nouvel ordre mondial asymétrique et multipolaire.

Nous sommes sur la voie d'une division économique croissante, d'une rivalité géopolitique et même d'un conflit militaire entre les États-Unis, la Chine et la Russie, ainsi qu'entre eux et les puissances sub-impériales.

Le président Barack Obama était resté concentré sur le Moyen-Orient, où il a mis fin aux occupations de l'Irak et de l'Afghanistan, avant de consolider l'ordre existant dans la région après le printemps arabe et la montée en puissance de Daech. Trump a affiché haut et fort sa stratégie de confrontation entre grandes puissances, mais celle-ci s'est révélée incohérente dans la pratique. Elle consistait en un amalgame de nationalisme d'extrême droite, de protectionnisme, de menaces d'abandon d'alliances historiques telles que l'OTAN et d'accords bilatéraux négociés à la fois avec des adversaires déclarés et avec des alliés traditionnels. Ses années erratiques de mauvaise conduite des affaires ont entraîné la poursuite du déclin relatif des États-Unis.

Le président Joe Biden a adopté la stratégie la plus cohérente à ce jour. Son idée était de récupérer les luttes sociales et de classes par des réformes mineures, de mettre en œuvre une nouvelle politique industrielle pour garantir la compétitivité des États-Unis dans la fabrication de produits de haute technologie, de restaurer les alliances de Washington, comme l'OTAN, et de les élargir en lançant une « Ligue des démocraties » contre les rivaux autocratiques de Washington.

En fin de compte, les Démocrates du centre, les Républicains et les Cours de justice ont bloqué bon nombre de ses réformes destinées à atténuer l'inégalité sociale. Mais il a réussi à mettre en œuvre sa politique industrielle au moyen de plusieurs textes de loi. Biden a également commencé à remettre en état et à élargir les alliances des États-Unis par le biais de nouveaux pactes et d'initiatives économiques. L'objectif est de contenir la Chine, de contrer l'expansionnisme russe en Europe de l'Est et de ramener le plus grand nombre possible de puissances sous-impérialistes, d'États subordonnés et de nations opprimées sous l'hégémonie américaine et l'ordre international qui lui est attaché.

M. Biden a poursuivi sur la lancée de ses prédécesseurs dans leurs efforts pour sortir les États-Unis du bourbier des opérations d'occupation. Il a finalement mis fin à vingt années d'occupation de l'Afghanistan de façon chaotique, sur fond de crimes de guerre et en abandonnant le pays aux Talibans. Il a ensuite tenté de stabiliser le Moyen-Orient en maintenant les accords d'Abraham conclus sous Trump et en intensifiant les efforts de normalisation des relations avec Israël par l'établissement de relations officielles entre les régimes arabes et Tel-Aviv. Bien entendu, cela a donné le feu vert au Premier ministre Benjamin Netanyahou pour poursuivre le siège de Gaza, l'expansion des colons en Cisjordanie occupée et l'approfondissement de l'apartheid en Israël, qui trouve aujourd'hui son horrible expression dans la guerre génocidaire d'Israël contre Gaza. En Europe, Biden a réengagé les États-Unis dans l'OTAN, envoyant ainsi le signal à la Russie que Washington, et non Moscou, resterait la puissance hégémonique prédominante dans la région.

Mais la principale cible de la stratégie de Biden en matière de rivalité entre grandes puissances est la Chine. Sur le plan économique, sa politique industrielle est conçue pour restaurer, protéger et étendre la suprématie économique des États-Unis face à Pékin, en particulier dans le domaine de la haute technologie. Elle a pour objectif de relocaliser la fabrication de produits de haute technologie sur le territoire américain ou dans des pays amis, d'imposer une barrière protectionniste élevée autour de la conception et de l'ingénierie des puces informatiques produites aux États-Unis et de soutenir financièrement les entreprises et les universités américaines de haute technologie dans les domaines des STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) afin d'asseoir leur domination dans le domaine de l'IA (intelligence artificielle) et d'autres technologies de pointe, en particulier en raison de leurs éventuelles applications militaires.

Sur le plan géopolitique, Biden a consolidé les accords existants avec le Japon et les a élargis pour inclure en particulier les pays que la Chine cherche à déstabiliser, notamment le Viêt Nam et les Philippines. Il a également réaffirmé la politique dite de la « Chine unique », qui ne reconnaît que Pékin, et l'ambiguïté stratégique à l'égard de Taïwan, qui conduit les États-Unis à armer la nation insulaire comme un « porc-épic » pour dissuader l'agression chinoise, tout en restant vagues sur la question de savoir s'ils s'engageraient dans la défense de l'île en cas d'agression ou d'invasion.

Sur le plan militaire, Biden a renforcé les alliances militaires américaines telles que le QUAD et le Five Eyes (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et États-Unis), et en a créé de nouvelles, notamment celle entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS) pour le déploiement de sous-marins nucléaires en Australie. Washington est en plein processus de déclenchement d'une course à l'armement et à la construction de bases avec la Chine dans toute l'Asie-Pacifique.

Les rivaux impérialistes de Washington : La Chine et la Russie

La Chine et la Russie ont mis en œuvre leur propre stratégie pour faire valoir leurs ambitions impériales. Ces trois puissances forment ce que Gilbert Achcar a appelé la « triade stratégique » de l'impérialisme mondial.

Sous la direction de Xi Jinping, la Chine a cherché à restaurer son statut de grande puissance dans le cadre du capitalisme mondial. Elle a mis en œuvre une stratégie économique qui consiste à s'élever dans la chaîne de valeur pour être compétitive au plus haut niveau de la conception, de l'ingénierie et de la fabrication. Elle a investi des capitaux publics et privés dans le cadre de programmes tels que « Chine 2025 », qui vise à faire de certaines entreprises des champions nationaux dans le domaine des hautes technologies.

Ce programme a été couronné de succès, Huawei et BYD, entre autres, s'étant imposés comme des acteurs de premier plan au niveau mondial. La Chine est désormais un leader industriel dans des domaines tels que l'énergie solaire et les véhicules électriques, défiant ainsi le capital américain, européen et japonais.

Avec son expansion économique massive, la Chine a tenté d'exporter ses excédents de capitaux et de capacités à l'étranger par le biais de son programme « Les Nouvelles Routes de la Soie » (Belt and Road Initiative,BRI), d'une valeur de 1 000 milliards de dollars, un vaste plan de développement d'infrastructures dans le monde entier, en particulier dans les pays du Sud. Rien de tout cela n'est altruiste. La plupart de ces investissements sont destinés à construire des infrastructures, des voies ferrées, des routes et des ports pour exporter des matières premières vers la Chine. La Chine exporte ensuite ses produits finis vers ces pays, selon un schéma impérialiste classique. Mais le ralentissement de son économie, les problèmes bancaires et les crises de la dette dans les pays auxquels elle avait accordé des prêts, ont conduit la Chine à renoncer à ses plus grandes ambitions en matière d'investissement direct à l'étranger.

Néanmoins, la Chine tente de transformer ces efforts en influence géopolitique au travers de regroupements économiques tels que les BRICS, ainsi que de pactes politiques et de sécurité tels que l'Organisation de coopération de Shanghai (qui regroupe la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan, l'Iran et une série d'États d'Asie centrale). Elle a également affirmé son influence au Moyen-Orient en soutenant la normalisation des relations diplomatiques entre son allié l'Iran et l'Arabie saoudite, dont elle dépend pour l'essentiel de son pétrole.

Pour étayer son importance économique nouvelle au moyen d'une puissance militaire, la Chine modernise ses forces armées, en particulier sa marine, dans le but bien précis de contester l'hégémonie navale des États-Unis dans le Pacifique. C'est dans cette optique qu'elle s'est emparée d'îles revendiquées par d'autres États, ce qui a engendré des conflits avec le Japon, le Viêt Nam, les Philippines et de nombreux autres pays. Elle a procédé à la militarisation de certaines d'entre elles, notamment en mer de Chine méridionale, afin de mettre en avant sa puissance, de protéger les routes maritimes et de revendiquer des droits sur les réserves sous-marines de pétrole et de gaz naturel.

Enfin, Pékin fait valoir ses revendications historiques sur ce qu'il considère comme son territoire national dans le cadre d'un projet de régénération de la nation. Elle a ainsi imposé sa domination sur Hong Kong par la force brutale, conduit une véritable guerre contre des menées terroristes ainsi qu'un génocide culturel à l'encontre des Ouïghours du Xinjiang, et a accentué ses menaces d'invasion de Taïwan, qu'elle considère comme une province dissidente.

Sous le règne de Vladimir Poutine, la classe dirigeante russe a cherché à restaurer son pouvoir impérial, si durement ébranlé par l'effondrement de l'empire soviétique en Europe de l'Est et par la mise en œuvre désastreuse de la thérapie de choc néolibérale. Elle a vu les États-Unis et l'impérialisme européen absorber son ancienne sphère d'influence par le biais de l'expansion de l'OTAN et de l'UE.

Poutine a reconstruit la Russie en tant que puissance pétrolière dotée d'armes nucléaires avec pour objectif de reconquérir son ancien empire en Europe de l'Est et en Asie centrale, tout en imposant l'ordre à l'intérieur du pays contre toute dissidence populaire et en particulier contre ses républiques parfois récalcitrantes. Elle a tenté de consolider son emprise sur son ancienne sphère d'influence en collaborant avec la Chine au sein de l'Organisation de coopération de Shanghai.

Ce projet impérialiste l'a conduite à engager une série de guerres en Tchétchénie (1996, 1999), en Géorgie (2008), en Ukraine (2014, 2022-) ainsi que des interventions en Syrie et dans plusieurs pays d'Afrique. L'affirmation impériale de la Russie a suscité la résistance des États et des peuples qu'elle a pris pour cible, ainsi que des contre-offensives impérialistes de la part des États-Unis, de l'OTAN et de l'UE.

La guerre impérialiste russe contre l'Ukraine

Trois nœuds stratégiques ont porté ces rivalités interimpériales à leur paroxysme : l'Ukraine, Gaza et Taïwan.

L'Ukraine est devenue le théâtre d'une guerre majeure en Europe pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. La Russie a envahi le pays en 2014, puis à nouveau en 2022, dans un acte d'agression impérialiste évident, tentant de s'emparer de l'ensemble du pays et d'y imposer un régime semi-colonial. Poutine a justifié son geste par des mensonges sur la dénazification (à peine croyable de la part d'un des États les plus réactionnaires au monde et allié de l'extrême droite à l'échelle internationale).

Bien sûr, cette agression était en partie une réponse à l'expansion des États-Unis, de l'OTAN et de l'UE, mais cela n'enlève rien à la nature impérialiste de cette guerre. L'objectif était d'utiliser la conquête de l'Ukraine comme un tremplin pour récupérer son ancienne sphère d'influence dans le reste de l'Europe de l'Est.

L'État, l'armée et le peuple ukrainiens se sont soulevés contre l'invasion dans une lutte pour l'autodétermination nationale.

Biden a fourni à l'Ukraine une aide économique et militaire au nom des intérêts impériaux de Washington. Washington n'est pas un allié des luttes de libération nationale, comme l'atteste sa longue histoire de guerres impérialistes, des Philippines au Viêt Nam et à l'Irak. Washington a pour objectif d'affaiblir la Russie, de l'empêcher d'empiéter sur sa sphère d'influence élargie en Europe de l'Est et de dresser ses alliés de l'OTAN non seulement contre Moscou, mais aussi contre la Chine, que l'OTAN a désignée comme un point stratégique pour la première fois de son histoire.

Les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN ont imposé à la Russie les sanctions les plus sévères de l'histoire et ont fait pression sur l'Europe occidentale pour qu'elle se désengage de l'approvisionnement énergétique russe et fasse plutôt appel aux exportations de gaz naturel en provenance des États-Unis. Par réaction, la Russie est devenue de plus en plus dépendante de la Chine pour le commerce et la technologie, ainsi que de la Corée du Nord et de l'Iran pour les missiles, les drones et d'autres matériels militaires.

Washington a également tenté d'utiliser l'agression de la Russie pour rallier les pays du Sud à sa position. Mais il n'a pas eu beaucoup de chance avec les gouvernements de ces États, malgré l'identification populaire de la plupart de ces pays anciennement colonisés avec la lutte de l'Ukraine pour l'autodétermination. Néanmoins, Biden a utilisé l'Ukraine pour consolider ses alliances mondiales et le pouvoir de séduction de Washington, qui s'est posé en défenseur de l'autodétermination et de son pseudo ordre fondé sur des règles de droit, face à l'impérialisme russe.

La guerre génocidaire d'Israël à Gaza, soutenue par les États-Unis

La guerre génocidaire d'Israël à Gaza a bouleversé les plans impériaux de Washington pour l'ensemble du Moyen-Orient et l'a précipité dans sa plus grande crise géopolitique depuis le Viêtnam. Confronté à un lent étranglement dû au siège total de Gaza, le Hamas a entrepris une tentative désespérée d'évasion le 7 octobre, capturant des otages et tuant un grand nombre de soldats et de civils.

Son attaque a mis en lumière les faiblesses des services de renseignement israéliens et du contrôle des frontières le long de son mur d'apartheid. En réaction, Israël a engagé la plus importante incursion militaire jamais réalisée dans la bande de Gaza, dans le but déclaré de récupérer les otages et de détruire le Hamas. Il n'a réussi ni l'un ni l'autre. Au lieu de cela, il a détruit Gaza dans une guerre en forme de punition collective, de nettoyage ethnique et de génocide. L'administration Biden l'a soutenue à chaque étape, en la finançant, en lui fournissant une couverture politique avec des vetos aux Nations unies et en l'armant jusqu'aux dents.

Mais il existe un fossé entre Israël et les États-Unis. Si Washington soutient l'objectif d'Israël de détruire la résistance palestinienne, il a tenté de le persuader de modifier sa stratégie en passant des bombardements de Gaza et des meurtres de civils à des opérations spéciales visant le Hamas. Le désaccord stratégique de l'administration Biden avec Israël a atteint son paroxysme lors de l'assaut de Rafah, les États-Unis interrompant les livraisons de certaines de leurs bombes les plus destructrices.

Le gouvernement des États-Unis n'approuve pas non plus les offensives de plus en plus nombreuses d'Israël dans la région, notamment les bombardements en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen. Washington ne s'est pas ouvertement opposé à ces frappes, mais a plutôt tenté de faire pression sur les régimes visés pour qu'ils ne réagissent pas.

Les États-Unis n'ont pas été en mesure de freiner Netanyahou, prisonnier des fascistes de son gouvernement de coalition qui appellent au génocide et à la guerre régionale, en particulier contre l'Iran. Netanyahou leur a emboîté le pas pour préserver son gouvernement de coalition, car s'il tombe, il sera probablement emprisonné sur la base d'accusations de corruption.

Ainsi, la guerre génocidaire et l'agression régionale d'Israël pourraient déclencher une guerre plus large. Déjà, elle a incité les Houthis au Yémen à mener des opérations contre des navires pétroliers et commerciaux, menaçant ainsi l'économie mondiale et conduisant les États-Unis à mettre sur pied une coalition pour protéger leurs navires et menacer les Houthis.

Mais le conflit le plus aigu et le plus dangereux de tous ceux qu'Israël a orchestrés est celui qui l'oppose à l'Iran. Il a bombardé l'ambassade de Téhéran à Damas, tuant l'un des dirigeants des Gardiens de la révolution islamique. Washington s'est empressé de faire pression sur l'Iran pour qu'il ne frappe pas Israël et ne déclenche pas une guerre à grande échelle.

Finalement, l'Iran a mené une attaque largement symbolique contre Israël. Il a télégraphié ses plans aux États-Unis et aux pays arabes, ce qui a permis à Israël et à ses alliés d'abattre la quasi-totalité des drones et des missiles. Les États-Unis ont ensuite fait pression sur Israël pour qu'il limite sa contre-attaque. Tel-Aviv a néanmoins envoyé un message inquiétant en frappant, certes de manière limitée, les installations nucléaires iraniennes. En retour, Téhéran poursuivra ses efforts de développement d'armes nucléaires et Israël répondra par des frappes militaires afin de protéger son monopole nucléaire régional, menaçant ainsi la région d'un Armageddon.

Au milieu de ce tourbillon, la barbarie d'Israël a déclenché des protestations de masse dans tout le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord et dans le monde entier, faisant apparaître et isolant à la fois Israël et les États-Unis comme les architectes et les auteurs d'un génocide. L'Afrique du Sud a porté plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice, l'accusant de génocide, une affaire que la Cour a déclarée recevable.

La Chine et la Russie ont profité de la crise pour se poser en alliés de la Palestine, malgré leurs étroites relations économiques et diplomatiques avec Israël et leur soutien à la stabilisation du statu quo dans la région. Les oppresseurs du Xinjiang et de l'Ukraine n'ont aucune raison de se dire favorables à l'autodétermination nationale.

Néanmoins, les États-Unis ont subi un énorme revers. Leur capacité de s'imposer en douceur a été profondément ébranlée. Personne ne peut plus guère croire que les États-Unis soutiennent « un ordre fondé sur des règles de droit », « l'autodétermination » ou même « la démocratie ».

Les projets de normalisation des relations avec Israël par le biais des accords d'Abraham ont été pour le moment interrompus. Alors que leurs populations sont descendues dans la rue et expriment à tout le moins de la sympathie pour les Palestiniens, aucun régime arabe ne conclura publiquement un accord avec Israël, malgré leur intégration économique croissante avec l'État d'apartheid, bien qu'un certain nombre d'entre eux continuent de faire avancer ces projets à huis clos.

Aucun de ces régimes, ni l'Iran, ne peut être considéré comme un allié de la lutte palestinienne. À l'exception des Houthis, tous ont limité les ripostes militaires à Israël. Aucun n'a interrompu ses livraisons de pétrole aux grandes puissances.

Il n'y a pas véritablement d'« axe de la résistance ». Tous ces États prennent des postures pour empêcher la solidarité populaire avec la Palestine de basculer dans l'opposition à leur propre régime despotique. Et lorsqu'ils ont été confrontés à une quelconque résistance intérieure, tous, de l'Égypte à l'Iran, l'ont réprimée avec une force brutale. Ce sont tous des régimes capitalistes contre-révolutionnaires.

La guerre génocidaire d'Israël a toutefois fondamentalement sapé la tentative de Washington de courtiser les États et les impérialismes secondaires de la région et de l'ensemble du Sud. Les souvenirs que ces États et leurs peuples ont de leur propre lutte de libération les amènent à s'identifier à la Palestine et à s'opposer à la fois aux États-Unis et à Israël. Cela a suscité une vague mondiale sans précédent de protestations populaires en solidarité avec la Palestine. Parallèlement, le soutien sans faille de l'administration Biden à Israël a déclenché des protestations ininterrompues au cours des six derniers mois, qui ont culminé avec une rébellion étudiante sur les campus de tout le pays. Mettant encore plus à mal les prétentions de Washington à être un modèle de démocratie, les deux grands partis politiques, en collaboration avec les administrations libérales et conservatrices des universités, ont réprimé cette rébellion étudiante avec la plus grande brutalité.

Israël a ainsi réduit à néant toutes les avancées géopolitiques réalisées par les États-Unis grâce à ses prises de position autour de l'Ukraine, a plongé l'impérialisme américain dans une crise et a mis en péril la réélection de Biden. Il a également ouvert un large espace aux adversaires mondiaux et régionaux de Washington pour qu'ils affirment de plus en plus leurs propres intérêts, ce qui a entraîné une escalade des conflits dans le monde entier.

Taïwan : épicentre de la rivalité entre les États-Unis et la Chine

Taïwan est devenu l'épicentre de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. La Chine a fait de la réunification, c'est-à-dire de la prise de Taïwan, l'un de ses principaux objectifs impérialistes. Si Joe Biden a promis de maintenir la politique d'une seule Chine et l'ambiguïté stratégique, il a promis à plusieurs reprises de prendre la défense de Taïwan en cas de guerre.

Pour se préparer à une telle conflagration, il tente de surmonter l'antagonisme historique entre les alliés régionaux que sont le Japon, les Philippines, la Corée du Sud, le Viêt Nam et d'autres, afin de les unir autour de divers pactes multilatéraux et bilatéraux dirigés contre la Chine. Tout cela ne fait qu'attiser le conflit sur Taïwan.

Dans le même temps, l'intégration économique des États-Unis, de la Chine et de Taïwan atténue la dérive vers la guerre. Foxconn, l'une des multinationales taïwanaises, fabrique l'iPhone d'Apple dans des usines géantes en Chine pour l'exporter dans le monde entier, y compris aux États-Unis. La société taïwanaise TSMC fabrique également 90 % des microprocesseurs les plus sophistiqués au monde, qui sont utilisés dans tous les domaines, des grille-pain aux armes de haute technologie, en passant par les chasseurs bombardiers tels que le F-35.

En dépit de cette intégration, le conflit entre les États-Unis et la Chine autour de Taïwan s'est intensifié tout au long du mandat de Biden, et les dirigeants américains l'ont encore aggravé par des visites provocatrices. Par exemple, Nancy Pelosi a organisé un voyage diplomatique au cours duquel elle a promis le soutien des États-Unis à Taïwan, ce qui a incité la Chine à répondre par des manœuvres militaires menaçantes. De son côté, la Chine s'est également livrée à des provocations pour influer sur la politique taïwanaise et envoyer un message à Washington.

En réalité, aucune des deux grandes puissances ne respecte le droit à l'autodétermination de Taïwan. La Chine veut l'annexer et Washington n'utilise Taipei que dans le cadre de son offensive impériale contre Pékin.

Bien que la guerre soit peu probable, parce qu'elle pourrait déclencher une conflagration nucléaire et anéantir l'économie mondiale en interrompant la production et le commerce des puces électroniques, de matières premières aussi essentielles que le pétrole au fonctionnement du capitalisme mondial contemporain, elle ne peut être exclue étant donné que les conflits impérialistes s'exacerbent.

Le marasme intensifie la rivalité interimpérialiste

Le marasme mondial du capitalisme intensifie la rivalité entre les États-Unis, la Chine et la Russie sur tous les terrains, du commerce à la géopolitique, en passant par ces points stratégiques névralgiques. Le marasme mondial exacerbe également les inégalités au sein des nations et entre elles à travers le monde.

En tant que puissance impérialiste dominante qui contrôle la monnaie de réserve mondiale (le dollar), les États-Unis se sont remis de la récession due à la pandémie avec plus de succès que leurs rivaux. C'est l'exception, et non la norme, dans le monde capitaliste avancé. Malgré cela, l'inflation a frappé de plein fouet la classe ouvrière et intensifié les divisions sociales et de classe.

L'Europe et le Japon oscillent entre récession et croissance lente, avec une aggravation des inégalités entre les classes. La Chine poursuit sa croissance, mais à un rythme très réduit. La Russie a mis en place une économie de guerre pour échapper aux pires conséquences des sanctions et maintenir ses taux de croissance, mais cette situation n'est pas viable. Dans ces deux pays, les inégalités se creusent.

Le marasme mondial a des effets du même ordre sur les puissances sub-impériales, dont beaucoup dépendent de la diminution des marchés d'exportation dans le monde capitaliste avancé. Par ailleurs, une grave crise de la dette souveraine a éclaté dans les pays opprimés et endettés du Sud. La combinaison d'une croissance lente, de marchés d'exportation affaiblis, de l'inflation et de taux d'intérêt élevés les a rendus incapables de rembourser leurs emprunts. Bien que les prêteurs capitalistes privés, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les banques d'État ou contrôlées par la Chine aient accepté de procéder à des accords de réajustement partiel avec les pays endettés, ils veulent toujours que leurs prêts soient remboursés et ont imposé diverses conditions pour le garantir. Tout cela exacerbe les divisions sociales et de classe, provoquant dans certains cas la hausse de l'extrême pauvreté, qui avait reculé au cours de la phase d'expansion néolibérale.

Polarisation, révolte et révolution

Le fait que les institutions du capitalisme, qu'il s'agisse de démocraties libérales ou d'autocraties, soient incapables de surmonter ce marasme, entraînera une polarisation politique de plus en plus forte, ouvrant la voie à la fois à la gauche et à la droite.

Compte tenu des faiblesses de l'extrême gauche et des organisations de classe et de lutte sociale, diverses formes de réformisme ont été la principale expression d'une alternative à gauche. Mais, comme on pouvait s'y attendre, les réformistes au gouvernement ont été entravés par la bureaucratie d'État capitaliste et par la faiblesse de leurs économies secouées par la crise, ce qui les a conduits soit à ne pas tenir leurs promesses, soit à les trahir et à opter pour des politiques capitalistes traditionnelles.

Les échecs de la classe dirigeante capitaliste et de ses opposants réformistes ouvrent partout la porte à l'extrême droite électorale et aux forces fascistes naissantes.

L'exemple type est celui de Syriza en Grèce. Il a trahi son engagement à s'opposer à l'UE et aux créanciers internationaux et a capitulé devant leur programme d'austérité, ce qui lui a valu d'être rejeté par les électeurs au profit d'un gouvernement néolibéral de droite.

Les échecs de la classe dirigeante capitaliste et de ses opposants réformistes ouvrent partout la porte à l'extrême droite électorale et aux forces fascistes naissantes. Même si elle est ethnonationaliste, autoritaire et réactionnaire, la majeure partie de cette nouvelle droite n'est pas fasciste. Elle ne construit pas de mouvements de masse pour renverser la démocratie bourgeoise, imposer la dictature et écraser les luttes des travailleurs et des opprimés. Ils tentent plutôt de gagner les élections dans le cadre de la démocratie bourgeoise et d'utiliser l'État pour réimposer un certain ordre social par le biais de politiques sécuritaires tournées vers divers boucs émissaires, en particulier les migrant.e.s fuyant la pauvreté, les crises politiques et le changement climatique.

Aux États-Unis, en Europe, en Inde, en Chine, en Russie et dans d'autres pays, l'extrême droite se montre particulièrement encline à s'en prendre aux musulmans. Presque sans exception, la droite promet de restaurer l'ordre social en imposant les « valeurs familiales » au détriment des féministes, des transgenres et des militants LGBTQ.

La droite a déjà réalisé des avancées historiques en Europe, en Asie et en Amérique latine. Et en 2024, avec des élections dans 50 pays impliquant 2 milliards de personnes, les partis de droite sont bien placés pour réaliser de nouvelles avancées.

C'est peut-être aux États-Unis que ces changements auront le plus d'impact sur la politique mondiale : Biden se présente en consolidant les alliances et les projets de l'impérialisme américain à l'étranger et en défendant prétendument la démocratie à l'intérieur du pays. Trump menace d'abandonner le grand projet de l'impérialisme américain, le contrôle du capitalisme mondial, de se retirer de ses alliances multilatérales, d'imposer davantage de mesures économiques nationalistes et de faire des opprimé.e.s des boucs émissaires à l'intérieur et à l'extérieur du pays pour y réussir. Ce faisant, il accélérerait le déclin relatif de Washington, accentuerait les inégalités intérieures et exacerberait les antagonismes inter-impériaux et inter-étatiques.

Ni Trump ni l'extrême droite où que ce soit dans le monde n'ont de solutions à proposer aux exploité.e.s et aux opprimé.e.s face aux crises qu'ils.elles subissent. De ce fait, leurs victoires ne déboucheront pas sur des régimes stables, mais ouvriront la porte à la réélection des partis traditionnellement établis.

Depuis la Grande Récession, la combinaison des crises et de l'incapacité des gouvernements, quels qu'ils soient, à les résoudre a régulièrement entraîné les travailleurs et les opprimés dans des vagues de lutte . En effet, les 15 dernières années ont été marquées par certaines des plus grandes révoltes depuis les années 1960.

Presque tous les pays du monde ont connu une forme ou une autre de lutte de masse par en bas, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Toutes ces luttes ont été entravées par les défaites et les reculs des dernières décennies, qui ont affaibli l'organisation sociale et de classe et brisé la gauche révolutionnaire.

En conséquence, même les révoltes les plus puissantes n'ont pas été en mesure de mener à bien des révolutions politiques ou sociales. Cela a laissé une ouverture à la classe dirigeante et à ses représentants politiques qui ont pu maintenir leur hégémonie, souvent avec le soutien de telle ou telle puissance impérialiste ou sous-impérialiste.

Par exemple, la Russie, l'Iran et le Hezbollah ont sauvé le régime barbare de Bachar el-Assad en le protégeant de la révolution. De même, la stratégie américaine de préservation du régime a aidé la classe dirigeante égyptienne à réimposer une dictature féroce dirigée par Abdel Fattah el-Sisi. Mais ces régimes n'ont en aucun cas stabilisé leurs sociétés. Les crises persistantes et le niveau scandaleux d'inégalité et d'oppression continuent d'alimenter la résistance par en bas dans le monde entier.

Les trois pièges de l'anti-impérialisme

Le nouvel ordre mondial multipolaire asymétrique, avec ses rivalités interimpériales croissantes, ses conflits interétatiques et ses vagues de révolte à l'intérieur des sociétés, a posé à la gauche internationale des questions auxquelles elle est mal préparée à répondre. Dans le ventre de la bête, les États-Unis, la gauche a majoritairement adopté trois positions erronées, qui nuisent toutes à la construction d'une solidarité internationale par en bas contre l'impérialisme et le capitalisme mondial.

Premièrement, les partisans du parti démocrate sont tombés dans le piège du soutien social-patriote aux États-Unis contre leurs rivaux. Ils ont soutenu l'appel de Joe Biden à former une « ligue des démocraties » contre la Chine et la Russie. C'est particulièrement le cas des partisans de Bernie Sanders qui, même s'ils critiquent telle ou telle politique américaine « erronée », considèrent Washington comme une force du bien au plan mondial.

En réalité, comme le prouve le soutien de Biden à la guerre génocidaire d'Israël, les États-Unis sont l'un des principaux ennemis de la libération nationale et de la révolution sociale dans le monde. C'est la principale puissance hégémonique qui vise à imposer un misérable statu quo et qui est donc un adversaire, et non un allié, de la libération collective à l'échelle internationale.

Deuxièmement, d'autres secteurs de la gauche ont commis l'erreur inverse en traitant « l'ennemi de mon ennemi comme mon ami ». Qu'on la qualifie d'anti-impérialisme vulgaire, de faux anti-impérialisme ou de campisme, cette position soutient les rivaux impérialistes de Washington en qualité de prétendu axe de résistance. Certains de ses adeptes vont même jusqu'à prétendre que des États manifestement capitalistes comme la Chine représentent une sorte d'alternative socialiste (alors même que, par exemple, Xi Jinping fait l'éloge du premier ministre hongrois d'extrême droite Viktor Orbán et vante le « partenariat stratégique global pour la nouvelle ère » conclu entre la Chine et la Hongrie). Ainsi, ils soutiennent les grandes puissances émergentes, les États semi-impériaux et les diverses dictatures dans les pays dominés.

Ce faisant, ils ignorent la nature impérialiste d'États comme la Chine et la Russie et la nature contre-révolutionnaire de régimes comme ceux de l'Iran et de la Syrie, et peu importe la répression qu'ils exercent sur les travailleurs et les opprimés. Enfin, ils s'opposent à la solidarité avec les luttes populaires d'en bas au sein de ces pays, les qualifiant de pseudo « révolutions des couleurs » orchestrées par l'impérialisme américain.

Ils ont également trouvé des justifications à la guerre de la Russie contre l'Ukraine et à l'écrasement par la Chine du soulèvement démocratique à Hong Kong, et dans certains cas, ils les ont ouvertement soutenus. En fin de compte, ils se placent du côté d'autres États impérialistes et capitalistes, en recourant à des contorsions mentales pour nier leur caractère capitaliste, exploiteur et oppressif.

Enfin, certain.nes membres de la gauche ont adopté une position simpliste sur le plan géopolitique. Iles reconnaissent la nature prédatrice des différents États impérialistes et ne soutiennent aucun d'entre eux. Mais lorsque ces puissances entrent en conflit avec des nations opprimées, au lieu de défendre le droit de ces nations à l'autodétermination, y compris leur droit à se procurer des armes pour obtenir leur libération, ils ramènent ces situations sur l'axe unique de la rivalité interimpériale. Ce faisant, ils privent les nations opprimées de leur droit d'agir en fonction de leurs intérêts.

Des secteurs de la gauche ont commis l'erreur de traiter « l'ennemi de mon ennemi comme mon ami ». Cette position, qu'on la qualifie d'anti-impérialisme vulgaire, de faux anti-impérialisme ou de campisme, soutient les adversaires impériaux de Washington en tant que prétendu axe de la résistance.

Bien sûr, les puissances impérialistes peuvent manipuler les luttes de libération nationale à un point tel qu'elles ne deviennent rien de plus que des guerres par procuration. Mais les réductionnistes géopolitiques utilisent cette possibilité pour refuser de soutenir les luttes légitimes de libération aujourd'hui.

Telle a été la position de nombreuses et nombreux partisan.nes de la gauche concernant la guerre impérialiste que mène la Russie contre l'Ukraine, la réduisant à une simple guerre par procuration entre Moscou et Washington. Mais comme le démontrent les sondages en Ukraine et la résistance nationale, les Ukrainiens se battent pour leur propre libération, et non pas pour servir de marionnette à l'impérialisme américain.

Sur la base de leur analyse erronée de la guerre, les réductionnistes géopolitiques se sont opposés au droit de l'Ukraine à se procurer des armes pour se libérer de l'impérialisme russe et se sont opposés aux livraisons, certains allant même jusqu'à organiser des actions visant à les empêcher. Un éventuel blocage de ces livraisons conduirait à une victoire de l'impérialisme russe, ce qui serait un désastre pour le peuple ukrainien et le condamnerait au même sort que ceux qui ont été massacrés à Bucha et à Mariupol.

Aucune de ces trois positions ne fournit à la gauche internationale un guide pour aborder les questions posées par le nouvel ordre mondial multipolaire asymétrique.

L'anti-impérialisme internationaliste

L'anti-impérialisme internationaliste est une bien meilleure approche. Au lieu de prendre le parti de tel ou tel État impérialiste ou capitaliste, les partisans de cette position s'opposent à tous les impérialismes ainsi qu'aux régimes capitalistes moins puissants, et ce tout en nous opposant aux interventions impérialistes dirigées contre eux. Nous sommes solidaires de toutes les luttes populaires de libération, de réforme et de révolution, partout dans le monde et sans exception.

En ce qui concerne la libération nationale, nous nous rangeons inconditionnellement mais de manière critique aux côtés des opprimé.e.s dans leur lutte pour la liberté. Dans ces luttes, cependant, nous ne faisons pas l'amalgame entre libération nationale et socialisme, rejetant la tentation de peindre ces combats au pinceau rouge.

Au lieu de cela, nous adoptons une approche indépendante consistant à construire des liens de solidarité avec les travailleur.es et les opprimé.es dans ces luttes et à cultiver des relations politiques avec leurs forces progressistes et révolutionnaires afin de transformer les luttes pour la libération nationale en luttes pour le socialisme.

Cela nous amène à adopter des positions distinctes de celles d'une grande partie de la gauche sur les trois points stratégiques dans l'ordre impérialiste d'aujourd'hui.

Premièrement, dans le cas de l'Ukraine, nous soutenons sa lutte de libération et défendons son droit à obtenir des armes, même de la part des États-Unis et de l'OTAN, mais nous ne soutenons pas le gouvernement néolibéral de Volodymyr Zelensky. Nous nous opposons également à ce que l'impérialisme occidental utilise l'Ukraine pour promouvoir ses propres ambitions prédatrices et ouvrir le pays et la région à ses banques et à ses entreprises.

En revanche, nous entretenons des relations avec la gauche ukrainienne et le mouvement syndical du pays. Nous soutenons leurs revendications contre le néolibéralisme, contre la reconstruction par l'endettement et contre l'ouverture de l'économie ukrainienne au capital multinational. Nous soutenons leur appel en faveur d'une reconstruction populaire du pays basée sur des investissements du secteur public, avec un salaire décent pour tous les travailleurs, et réalisée par des travailleurs syndiqués.

Dans le cas de la Palestine, nous nous opposons au soutien de l'impérialisme américain à la guerre génocidaire d'Israël à Gaza et nous soutenons inconditionnellement la résistance palestinienne. Mais cela ne signifie pas que nous soutenons sa direction politique actuelle ou sa stratégie et ses tactiques. Nous adoptons une position critique à l'égard de ses partis bourgeois et petit-bourgeois, qu'il s'agisse de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) ou de son pendant fondamentaliste islamique, le Hamas.

La principale direction de l'OLP, le Fatah, a abandonné la lutte armée au profit de l'illusion d'une solution diplomatique à deux États. Trois décennies de diplomatie ont échoué, laissant la Cisjordanie occupée, Gaza assiégée et Israël soumettant les Palestiniens à un régime d'apartheid à l'intérieur des frontières de 1948.

Le Hamas a comblé le vide laissé dans la résistance par la capitulation du Fatah. Il n'a cependant pas développé de stratégie alternative, poursuivant au contraire l'ancienne stratégie du Fatah consistant à s'appuyer sur des alliés arabes et iraniens supposés amicaux pour l'aider dans sa lutte militaire contre Israël. Il n'y a aucune raison de penser que cette stratégie, qui a échoué quand elle était pratiquée par l'OLP, sera couronnée de succès aujourd'hui.

Soutenu par l'impérialisme américain et renforcé par des alliances avec la plupart des régimes arabes, Israël ne peut être vaincu uniquement sur le plan militaire. Seule une stratégie combinant la résistance palestinienne contre Israël, la lutte révolutionnaire contre tous les régimes de la région et les mouvements anti-impérialistes au sein de toutes les grandes puissances peut libérer les Palestiniens de l'apartheid israélien et établir un État laïque et démocratique du fleuve à la mer, avec des droits égaux pour tous et toutes, y compris le droit des Palestiniens à retourner dans les maisons et sur les terres qui leur ont été volées.

Enfin, dans le cas de Taïwan, nous nous opposons à la menace chinoise d'annexer l'île et défendons le droit de Taïwan à l'autodétermination, y compris par l'autodéfense armée, tout en nous opposant à la volonté de Washington d'armer le pays dans le cadre de sa rivalité impériale avec la Chine.

L'anti-impérialisme internationaliste constitue une stratégie pour construire la solidarité par en bas entre les travailleurs et les opprimés contre toutes les grandes puissances et tous les États capitalistes du monde. Nous avons une occasion et une responsabilité énormes de promouvoir cette démarche auprès d'une nouvelle génération d'activistes.

Nous ne soutenons aucun des partis bourgeois en lice pour la présidence de Taïwan, mais nous sommes solidaires de la gauche émergente, des organisations populaires et des syndicats du pays. Eux seuls ont un intérêt et les moyens de défier les puissances impérialistes et la classe capitaliste taïwanaise et de construire une solidarité avec les travailleurs et les opprimés en Chine, dans la région et aux Etats-Unis.

Ainsi, l'anti-impérialisme internationaliste constitue une stratégie pour construire la solidarité par en bas entre les travailleurs et les opprimés contre toutes les grandes puissances et tous les États capitalistes du monde. Nous avons une occasion et une responsabilité énormes de promouvoir cette démarche auprès d'une nouvelle génération de militant.e.s qui sont instinctivement opposés à l'impérialisme américain et méfiants à l'égard des autres grandes puissances et des États oppresseurs.

C'est seulement dans la pratique, dans les luttes vivantes, que nous pourrons prouver la supériorité de ces idées, qu'il s'agisse des luttes de classe et des luttes sociales nationales ou des luttes de solidarité avec la Palestine, l'Ukraine et d'autres nations opprimées. Ce faisant, nous pouvons contribuer à forger une nouvelle gauche internationale engagée dans la construction de la solidarité par en bas dans la lutte contre le capitalisme mondial et pour le socialisme international.

Ashley Smith

P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.

Source : TEMPEST. PUBLIÉ LE 24 MAI 2024 :
https://tempestmag.org/2024/05/imperialism-and-anti-imperialism-today/

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L’avenir de l’Inde si Modi est réélu – une entrevue avec Christophe Jaffrelot

4 juin 2024, par Christophe Jaffrelot, Corinne Deloy — ,
Alors que l'Inde s'apprête à réélire son parlement, Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'Inde, répond aux questions de Corinne Deloydu (…)

Alors que l'Inde s'apprête à réélire son parlement, Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'Inde, répond aux questions de Corinne Deloydu Centre d'étude et de recherches internationales sur l'avenir de l'Inde et sur les élections qui se déroulent depuis le 19 avril et qui se terminent le 1er juin prochain.

Tiré du Journal des alternatives.

CERI : Les élections générales se déroulent en Inde du 19 avril au 1er juin. Pouvez-vous nous dire comment se dérouleront ces élections inhabituelles ?

Christophe Jaffrelot (CJ) – Les élections se déroulent sur six semaines cette année, un record ! C'est évidemment pour permettre à Narendra Modi de sillonner le pays, puisqu'il reste l'atout du BJP, le parti au pouvoir étant bien moins populaire que son leader : c'est lui qui peut faire élire suffisamment de députés pour remporter les élections.

En outre, des machines électroniques seront à nouveau utilisées pour enregistrer les votes des citoyens, mais elles font l'objet de critiques croissantes car les ingénieurs informatiques ont prouvé qu'elles pouvaient être facilement falsifiées. L'opposition réclame depuis des années la mise en place d'un système de vérification des votes, au moins dans les circonscriptions où la différence de voix est faible.

La Commission électorale qui chargée d'organiser le scrutin et de veiller à son bon déroulement, refuse catégoriquement d'appliquer cette simple mesure, ce qui accroît les soupçons de fraude, d'autant plus que, cette année, le gouvernement a refusé d'inclure le président de la Cour suprême dans le collège chargé de nommer les membres de cette commission (ce qui permet au gouvernement d'avoir les mains libres pour procéder aux nominations), et que deux de ses trois membres viennent d'être nouvellement nommés à la suite d'une démission surprise et de vacances programmées…

Le fait que ces élections ne seront pas aussi libres et équitables que les précédentes a déjà été démontré par l'arrestation du ministre en chef de Delhi, Arvind Kejriwal, une figure de l'opposition assez populaire, et par le gel des comptes bancaires appartenant au Parti du Congrès, ce qui limite donc leurs moyens de campagne.

Les élections de 2024 sont également moins équitables que les précédentes en raison du déséquilibre en termes de couverture médiatique : depuis le rachat de New Delhi Tele Vision (NDTV) par Gautam Adani, l'étoile montante des oligarques qui dominent désormais le monde des affaires indien, il n'y a pas une seule chaîne de télévision qui soit un tant soit peu critique à l'égard du gouvernement.

Le BJP bénéficie également de ressources financières abondantes grâce au système des obligations électorales qui, depuis 2017, permet aux partis politiques de recevoir des dons anonymes, les donateurs pouvant bénéficier de faveurs en retour. La Cour suprême a déclaré ce dispositif inconstitutionnel le mois dernier, mais les caisses du parti au pouvoir sont déjà pleines ! En 2019, le BJP a dépensé 3,5 milliards de dollars…

CERI – Quels sont les principaux thèmes de campagne ?

CJ – En Inde, les élections ne reposent pas seulement sur des questions, mais aussi sur des émotions. Et Narendra Modi profite du sentiment ethnonationaliste d'au moins deux façons. Tout d'abord, il fait appel à la fibre religieuse de la communauté hindoue (qui représente environ 80% des Indiens). Le 22 janvier, il a joué le rôle de grand prêtre hindou en présidant la cérémonie d'inauguration du temple d'Ayodhya, construit sur les décombres d'une mosquée du XVIe siècle détruite par des militants nationalistes hindous en 1992. Cette cérémonie, diffusée en boucle sur toutes les chaînes, marque le lancement de la campagne électorale du BJP. En même temps, il polarise les électeurs sur des lignes religieuses en stigmatisant les musulmans, consolidant ainsi sa base électorale majoritairement hindoue. Il a récemment qualifié les musulmans d'« infiltrés » (terme faisant allusion aux migrants bangladais) et de ceux qui ont « plus d'enfants » (faisant appel aux craintes démographiques des hindous, qui représentent encore 80% de la population).

D'autre part, Modi joue sur la fierté que les Indiens tirent de la reconnaissance internationale suscitée par les rencontres de leur leader avec les grands de ce monde, qui sont d'ailleurs retransmises en boucle à la télévision. Le sommet du G20 qui s'est tenu à Delhi il y a quelques mois a été l'occasion d'exploiter ce sentiment, avec de nombreuses images de Narendra Modi aux côtés des logos du G20. Ce n'était pas le tour de l'Inde d'accueillir cette réunion, mais New Delhi a réussi à échanger sa place avec le Brésil pour montrer à quel point Modi avait « rendu l'Inde grande à nouveau » avant les élections.

L'opposition s'évertue à pointer du doigt la hausse du chômage, la crise environnementale (qui se traduit par des pénuries d'eau, une pollution atmosphérique record et de nouvelles formes de déforestation) et le capitalisme de connivence à l'origine de l'ascension fulgurante de personnalités telles que Gautam Adani. Mais Modi semble intouchable. L'opinion publique blâme plus volontiers les fonctionnaires et même les ministres, et surtout les anciens dirigeants, dont Nehru que Modi accuse de tous les maux.

CERI – Quel rôle jouent les médias dans la campagne actuelle ? Certaines parties des médias sont-elles indépendantes du contrôle du gouvernement ?

CJ – Pendant longtemps, la scène médiatique indienne a été l'une des plus riches au monde ! Aujourd'hui, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Dans le domaine de la radiodiffusion, des chaînes de télévision indépendantes ont été rachetées par des amis du gouvernement (comme l'acquisition de NDTV par Gautam Adani) et de nouvelles chaînes ont été créées pour relayer la ligne du gouvernement, comme Republic TV, une sorte de Fox News à l'indienne.

Dans la presse écrite, la situation est un peu plus variée, mais en règle générale, les propriétaires de journaux, qui possèdent généralement plusieurs autres entreprises, préfèrent que leurs journaux n'apparaissent pas trop critiques à l'égard du gouvernement afin d'éviter des contrôles fiscaux ou d'autres enquêtes qui mettraient en péril leur activité.

Pour savoir ce qui se passe, il faut suivre les quelques journaux en ligne comme The Wire ou Scroll.in, ou des publications mensuelles comme The Caravan, qui sont animées par des journalistes d'un courage remarquable et qui font un travail exceptionnel.

CERI – Quel est le bilan économique de Narendra Modi, à la tête de l'Inde depuis maintenant dix ans ?

CJ – Le bilan économique et social est très mitigé : le taux de chômage n'a jamais été aussi élevé depuis les années 1970, surtout chez les jeunes citadins, où il s'élève à environ 25%. De nombreuses jeunes femmes ne cherchent même plus de travail, et le taux de participation des femmes au marché du travail s'élève à 16%. Dans le même temps, l'inflation reste élevée, en particulier pour les denrées alimentaires, ce qui pénalise les plus pauvres. La décision de doubler le nombre de personnes éligibles à l'aide alimentaire pendant la pandémie de Covid-19 a également été prolongée : 800 millions de personnes sont désormais éligibles à l'aide alimentaire, ce qui contraste fortement avec l'affirmation du gouvernement selon laquelle seulement 5% de la population indienne est pauvre. Alors que les Indiens ont dû puiser massivement dans leurs réserves, le taux d'épargne est en baisse depuis des années, ce qui explique en partie pourquoi le taux d'investissement privé est également très faible. Une autre raison est la faiblesse de la demande. Dans ce contexte, de nombreux économistes expriment des doutes sur la fiabilité du taux de croissance officiel d'environ 8%.

En effet, l'économie indienne ne s'est jamais vraiment remise de la « démonétisation » de 2016, année où Modi a fait retirer 85% de la masse monétaire de la circulation, sous prétexte de lutter contre l'argent sale, mais plus vraisemblablement dans le but de vider les caisses des partis d'opposition.

Cela dit, la classe moyenne supérieure et, plus encore, les super-riches, bénéficient du système économique mis en place par Modi : non seulement son gouvernement développe une politique de l'offre basée notamment sur des réductions d'impôts pour de nombreuses entreprises, mais la charge fiscale est déplacée de l'imposition directe des individus (dont l'impôt sur le revenu et l'impôt sur la fortune) vers les impôts indirects, qui frappent le plus durement les pauvres.

CERI – Existe-t-il encore une opposition en Inde après la mise à l'écart de Rahul Gandhi ? Quelles sont les principales forces d'opposition ? Sont-elles unies dans un front anti-Modi ? Y a-t-il un leader émergent ?

CJ – C'est la grande inconnue de cette élection. Pour la première fois, plus de vingt partis d'opposition ont formé une alliance appelée INDIA. Mais cette alliance a subi d'importantes défections : certains partis l'ont quittée et le BJP a débauché un certain nombre de députés sortants du Parti du Congrès ou d'autres partis d'opposition (environ un quart des candidats du BJP viennent d'un autre parti, une situation sans précédent). Toutefois, si, dans le cadre du système électoral uninominal à un tour, l'unité de l'opposition permet de limiter le nombre de « votes gaspillés », le BJP pourrait ne pas remporter autant de sièges qu'en 2019.

CERI – À quoi ressemblerait un troisième mandat pour Narendra Modi ?

CJ – Tout dépend de la taille de sa majorité. Si le BJP remporte 400 sièges, il sera en mesure de réviser la Constitution. Il supprimerait alors probablement les références à la laïcité (mot désignant ici la reconnaissance égale de toutes les religions) et les articles soutenant ce principe, comme ceux qui permettent aux minorités de demander des subventions publiques pour leurs écoles. Les révisions constitutionnelles affaibliraient également le fédéralisme en Inde. Non seulement le gouvernement central accumulerait plus de pouvoir, mais l'utilisation de l'hindi se développerait probablement au détriment des langues régionales. Si le BJP n'obtient pas la majorité des deux tiers nécessaire pour réformer la Constitution, Modi se contentera probablement de réformes telles que l'introduction d'un code civil uniforme qui, parmi les grands objectifs que le BJP s'est fixés dans les années 1990, est le dernier à rester inachevé. Cela permettrait de réduire le rôle des lois personnelles en vigueur pour certaines minorités, comme la charia, qui régissent des aspects de la vie religieuse, politique, sociale et individuelle.

CERI – Narendra Modi est souvent comparé à Vladimir Poutine ou à Xi Jinping. Diriez-vous que, dans son cas, il y a néanmoins quelque chose d'exclusivement indien ? Et si oui, comment le décririez-vous ?

CJ – Modi n'appartient pas à cette catégorie, mais plutôt à celle des Erdoğan, Orban, Netanyahu, Bolsonaro, Dutertre… des nationaux-populistes qui risquent de perdre une élection — ce qui ne concerne pas Poutine ou Xi. Contrairement aux dictateurs, les nationaux-populistes ont besoin d'un mandat populaire qui leur donne une légitimité suffisante pour imposer leur volonté aux institutions de leur État, à commencer par le pouvoir judiciaire, qui est toujours leur première cible. Ces points communs n'empêchent pas d'identifier une spécificité indienne, mais celle-ci ne peut être que relative.

Par exemple, Modi joue certainement plus sur l'élément religieux que la plupart des nationaux-populistes, au point d'être devenu le grand prêtre de la nation hindoue. Mais sa religiosité s'inscrit dans une veine ethnonationaliste comparable à celle de tous ceux que j'ai cités plus haut… Modi a peut-être aussi réussi à « rendre l'Inde grande à nouveau », aux yeux de nombreux Indiens, en faisant de la réunion du G20 à Delhi et de toutes ses visites à Washington, Paris, etc. des événements grandioses, retransmis en boucle à la télévision. Mais le nationalisme est monnaie courante chez les populistes, et j'ai d'ailleurs fait allusion au slogan de Trump pour décrire ce comportement.

L'exploit le plus singulier de Modi est sa capacité à être exactement ce que tout le monde veut voir en lui : il est à la fois le grand prêtre de l'hindouisme (et même le sage méditant dans sa grotte ou priant immergé jusqu'au cou dans le Gange), l'homme fort protégeant l'Inde contre le Pakistan et les islamistes, l'homme du développement qui promet de doubler le revenu des paysans (alors qu'il stagne en réalité…), le conseiller des pauvres qui s'exprime à la radio tous les mois depuis 2014, dans l'émission Mann ki Baat (Talking from the Heart), en prétendant être la voix des masses… Modi est un véritable caméléon, comme en témoigne sa capacité à adapter son langage corporel (et même ses vêtements) en fonction du public. Mais s'il y a quelque chose de typiquement indien en lui, c'est peut-être la tradition de la relation entre maître et disciples (le guru-shishya parampara), qui conduit ces derniers à suivre aveuglément le premier.

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Entretien mené par Corinne Deloy pour le Centre de recherches internationales (CERI) et traduit en anglais par Sam Ferguson. Article disponible en anglais sur le site d'Alternatives International. La présente version en français peut ne pas correspondre avec la version originale publiée sur le site du CERI.

En savoir plus

Une présentation du récent ouvrage de Christophe Jaffrelot, Gujarat Under Modi. Laboratoire de l'Inde d'aujourd'hui (Hurst, 2024) Lien :

Ressources du CERI sur l'Inde, disponibles en ligne (français et anglais)

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Victoire historique pour toute la communauté universitaire de l’UQAM !

4 juin 2024, par Université populaire Al-Aqsa — , ,
L'Université populaire Al-Aqsa de l'UQAM (UPA-UQAM) se félicite que le Conseil d'Administration (CA) de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) adopte une résolution (…)

L'Université populaire Al-Aqsa de l'UQAM (UPA-UQAM) se félicite que le Conseil d'Administration (CA) de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) adopte une résolution instituant un boycott académique à l'égard des universités israéliennes. Ainsi, l'UPA-UQAM considère que le contenu de la résolution et ses dispositions répondent favorablement aux conditions minimales de réalisation de ses demandes face à l'UQAM.

Le 30 mai 2024

À Tiohtia ;ke, Montréal,

*En l'honneur de tous les sacrifices du peuple palestinien *

Il s'agit d'une avancée hautement symbolique à l'UQAM et dans la lutte internationale de solidarité avec la Palestine. Nous rappelons que c'est la mobilisation étudiante, communautaire et populaire qui a permis cette victoire politique.

« *Par notre occupation et notre courage, on a prouvé que c'est possible d'établir un rapport de force et d'obtenir des gains significatifs. Par cette mobilisation historique, nous envoyons un message clair aux administrations des autres universités. Si vous souhaitez voir la fin des campements, vous devez poser des actes courageux pour cesser toute
complicité avec l'État sioniste et les actes génocidaires contre le peuple palestinien : désinvestir, boycotter les universités israéliennes ou couper tout lien avec l'État israélien
* », affirme Leila Khaled, étudiante à l'UQAM et porte-parole de l'UPA-UQAM.

Pour l'UPA-UQAM, bien que le rectorat refuse d'utiliser le terme « boycott académique », le résultat reste significatif pour nous. En effet, la résolution ne mentionne pas spécifiquement un boycott académique à l'égard d'Israël. Néanmoins, elle reconnait, d'une part, « la violation du droit à l'autodétermination du peuple palestinien », d'autre part les décisions de la Cour internationale de justice du 26 janvier, du 28 mars et du 24 mai
2024 qui font état de risques plausibles de génocide commis par Israël à
l'encontre des Palestinien-ne-s de Gaza.

D'autre part, la résolution adoptée au Conseil d'Administration demande à l'Université de veiller à ce qu'aucune de ses ententes académiques actuelles et futures, dont celles avec des universités israéliennes, n'entre en conflit avec le respect du droit international. L'UPA-UQAM rappelle que le droit international reconnait le droit au retour des réfugié-es palestinien-nes, la fin de la colonisation, l'illégalité de l'occupation et de l'apartheid, de même que le droit à la résistance du peuple palestinien. Affaires Mondiales Canada a par ailleurs reconnu par voie d'un communiqué le 16 mai 2024 que les colonies israéliennes dans les territoires occupés sont en violation des résolutions 446 (1979) et 465
(1980) du Conseil de sécurité des Nations Unies et de la Quatrième Convention de Genève. Les liens de l'UQAM avec des universités israéliennes devront également être évalués à partir de leurs liens avec la colonisation sur les territoires palestiniens.

Ainsi, en constatant les violations du droit international par Israël et en exigeant qu'il n'y ait aucun accord académique qui entre en conflit avec le droit international humanitaire, l'UQAM vient implicitement à boycotter les universités israéliennes et établit de bonnes conditions allant vers un réel boycott académique.

« *Nous aurions certes aimé avoir une résolution plus explicite sur le boycott académique à l'égard de l'entité sioniste, ainsi que sur la reconnaissance du génocide sans établir de rapport de symétrie entre "colonisateur" et "colonisé"* » explique Leila Khaled. Malgré tout, l'UPA-UQAM considère que cette résolution va en partie dans le sens de ses
demandes minimales politiques. « *Cette victoire politique doit servir de tremplin pour aller plus loin dans les revendications de l'UPA * », ajoute-t-elle.

*Ce n'est qu'un début, le combat continue*

L'UPA-UQAM est déterminée à continuer la lutte pour la libération du peuple palestinien et rappelle pourquoi elle se mobilise : « *Le génocide qui prend place à Gaza ne fait que s'accentuer et les États occidentaux, dont ceux des soi-disant Canada et Québec, sont complices. L'heure est grave, la situation est urgente. Il faut se soulever maintenant* », scande Kalida Jarrar, étudiante à l'UQAM.

Dans les derniers jours, la communauté internationale a été témoin du massacre de centaines de personnes et d'encore plus de blessé-es à Rafah et en Palestine. On recense désormais un minimum de 36 000 personnes martyrisées et 10 000 personnes encore coincées sous les décombres. À cela s'ajoute entre autres un nombre indéfini de blessé-es, de malades, d'orphelin-es, de personnes en situation de famine. Il est déjà présumé que le désastre est d'une ampleur considérable.

« *Notre position est simple, elle est du côté de la justice, des opprimé-es et de la résistance* » continue Khalida.

Le campement de l'UPA-UQAM prouve qu'avec le courage, la force collective et la détermination, les gains sont possibles.

« *Nous espérons que cette résolution établisse un précédent pour l'ensemble des universités canadiennes et nous les empressons d'emboîter le pas* », déclare Leila Khaled.

L'UPA-UQAM appelle maintenant la population qui regarde avec horreur depuis maintenant plus de 8 mois les exactions de l'entité sioniste en Palestine, à exiger du gouvernement du Québec qu'il prenne acte du génocide en cours et coupe ses liens avec l'État israélien, en commençant par abolir urgemment le bureau du Québec à Tel-Aviv.

L'UPA-UQAM exprime également sa reconnaissance envers les personnes ayant
initié le mouvement au campement de McGill, à Tiohtia:ke, Montréal. En solidarité avec nos camarades qui font toujours face au refus de l'administration de répondre à leurs demandes, nous resterons constamment à leurs côtés pour les soutenir.

*La lutte pour la libération de la Palestine continue !*

L'UPA continuera à offrir à la communauté universitaire et à la population ses activités culturelles et ses ateliers d'éducation populaire au cours de la prochaine semaine. Elle entend lever son campement au plus tard le 6 juin 2024, suite à l'adoption des balises concrètes de mise en œuvre du boycott académique par la Commission des études du 4 juin. Notre départ ne signifie pas la fin de notre mobilisation. Nous invitons la population à
poursuivre la lutte en participant à une grande manifestation réclamant l'abolition du bureau du Québec à Tel-Aviv, le 6 juin à 19h. Elle partira du Cœur des sciences de l'UQAM (175 avenue Président-Kennedy).

La lutte palestinienne a été et demeura toujours une source d'inspiration pour nos propres luttes, nous guidant ainsi vers notre libération collective »*

*النضال الفلسطيني كان وسيبقى النضال الذي نقتدي به، وسيحررنا جميعا*

Solidarité pour les droits Humains des Palestiniennes et Palestiniens
(SDHPP) basée à l'UQAM

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Projet de loi 57 : Une menace pour l’action politique des groupes communautaires

4 juin 2024, par Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MÉPACQ) — , ,
La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a déposé le 10 avril dernier, le projet de loi 57 « visant à protéger les élus et favoriser l'exercice sans entraves de (…)

La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a déposé le 10 avril dernier, le projet de loi 57 « visant à protéger les élus et favoriser l'exercice sans entraves de leurs fonctions. »

Tiré du site du Mepacq

Un objectif louable

Nous reconnaissons qu'il est fort important de préserver le droit à un environnement de travail sans harcèlement ou violence. Toutefois, le projet semble mélanger autant des individus violents à l'égard des personnes élues que des groupes communautaires qui font des actions collectives pour influencer des décisions politiques.

Des entraves aux actions démocratiques

Le projet de loi permettrait de donner des amendes à des individus qui « entravent indûment l'exercice [des] fonctions ou portent atteinte [au] droit à la vie privée » des élus⁠. Cette définition floue englobe autant une personne menaçant une personne élue, mais également un individu qui tente de faire entendre son opinion politique, bien qu'elle puisse déranger l'élu concerné. Ce sont deux choses complètement différentes !

Quel est l'objectif ?

Est-ce qu'on veut réellement lutter contre les violences vécues par les personnes élues ou limiter la parole de la population et des mouvements sociaux lorsqu'ils ne sont pas d'accord ? Nous sommes en droit de nous poser la question dans le climat actuel où les réactions à la contestation sociale sont plutôt négatives. Récemment, un groupe communautaire s'est même vu menacé de poursuite pour avoir fait une campagne de lettres à un élu.

L'action politique des groupes communautaires est essentielle

Les personnes élues sont en situation de pouvoir. Elles prennent part aux décisions et leur voix est largement entendue dans les médias. Ce n'est que très peu le cas des gens qui fréquentent les groupes communautaires : pensons aux personnes bénéficiaires de l'aide sociale, celles en situation d'itinérance ou aux personnes âgées évincées par centaines. C'est pourquoi l'action politique, notamment dirigée à l'endroit des personnes élues, est essentielle. L'action politique permet de s'exprimer, possiblement être entendu et respecté, de faire malgré les obstacles à la participation au système politique.

L'action politique moteur de notre démocratie

Le projet de loi 57 soulève de vives inquiétudes et des questionnements importants quant à la place de la population dans nos institutions démocratiques lorsqu'elle souhaite faire valoir une position politique. L'action politique constitue un contrepoids au pouvoir de l'État et permet de mettre en lumière les angles morts des décisions politiques. Les voix des personnes principalement concernées doivent être entendues pour que notre démocratie soit saine et représentative.

Des consultations bidons en mode express

À peine 2 semaines après le dépôt du projet, nous avons appris que les consultations sur le projet de loi auraient lieu du 30 avril au 2 mai 2024. Ce délai est trop court pour faire une analyse en profondeur du projet et pour laisser le temps aux organismes de manifester leur souhait de participer. Les enjeux qui se retrouvent dans le projet de loi mérite pourtant un réel débat public et non pas une consultation à la va vite.

Repenser le projet de loi 57 !

Le projet de loi de la ministre Andrée Laforest soulève des questions importantes quant à la place de la population dans nos institutions démocratiques. Il semble vouloir écarter la population des débats publics, surtout lorsqu'elle exprime son désaccord avec les décisions prise par la classe politique. Le projet de loi 57 doit être repensé pour cibler les individus qui menacent des personnes élues et de vraies consultations doivent être menées pour entendre la société civile.

Écrivez à la Ministre pour faire entendre votre voix !

Le projet de loi 57 aura des impacts pour nos organismes, faisons-le savoir à la Ministre !

Aux courriels suivant :
Andree.Laforest.CHIC@assnat.qc.ca, Andree.Laforest@assnat.qc.ca et ministre@mam.gouv.qc.ca

Ainsi que l'opposition :Etienne Grandmont (QS)
Etienne.Grandmont.TASC@assnat.qc.ca
Etienne.Grandmont@assnat.qc.ca

Michelle Setlakwe (PLQ)
Michelle.Setlakwe.MROU@assnat.qc.ca
Michelle.Setlakwe@assnat.qc.ca

Paul St-Pierre Plamondon (PQ)
chef.pspp@assnat.qc.ca

Joël Arseneau

Joel.Arseneau.IDLM@assnat.qc.ca

Avec le MÉPACQ en CC
communication@mepacq.qc.ca

On vous invite si vous le souhaitez à mettre en CC vos députés locaux.

Vous pouvez modifier ou adapter le message suivant :

Bonjour Madame Laforest,

Nous sommes grandement préoccupées par le dépôt et par la rapidité des consultations sur le projet de loi 57 « visant à protéger les élus et favoriser l'exercice sans entraves de leurs fonctions ». Nous reconnaissons qu'il est fort important de préserver le droit à un environnement de travail sans harcèlement ou violence. Toutefois le projet de loi créera des entraves potentielles à l'expression politique des citoyennes et citoyens ainsi qu'à l'action politique des groupes communautaires.

Les définitions présentes dans le projet de loi englobent autant une personne menaçant un élu, qu'un individu qui tente de faire entendre son opinion politique, bien qu'elle puisse déranger l'élu concerné. Ce sont deux choses complètement différentes. L'action politique n'est pas à confondre avec la violence, le harcèlement ou l'intimidation pouvant être perpétrés à l'égard d'une personne élue.

Le projet de loi 57 soulève de vives inquiétudes et des questionnements importants quant à la place de la population dans nos institutions démocratiques. Il semble vouloir écarter la population des débats publics, surtout lorsqu'elle exprime son désaccord avec les décisions prise par la classe politique.

En effet, les personnes élues sont en situation de pouvoir. Elles prennent part aux décisions et leur voix est largement entendue dans les médias. Ce n'est que très peu le cas des gens qui fréquentent les groupes communautaire ; pensons aux personnes bénéficiaires de l'aide sociale, celles en situation d'itinérance ou aux personnes âgées évincées par centaines. (VOUS POUVEZ ICI PARLER DES GENS QUI FRÉQUENTENT VOTRE GROUPE). L'action politique permet de s'exprimer, possiblement être entendu et respecté, malgré les obstacles à la participation au système politique. C'est pourquoi nos campagnes de cartes postales, nos envois de courriel, nos rassemblements à des bureaux de circonscriptions ou nos actions de perturbation sont essentielles.

Les consultations sur le projet de loi ont lieu du 30 avril au 2 mai 2024. Ce délai est trop court pour que les acteurs de la société civile puissent en faire une analyse en profondeur et manifester leur souhait d'y participer. Les enjeux qui se retrouvent dans le projet de loi mérite pourtant un réel débat public et non pas une consultation à la va-vite.

Ainsi, nous demandons que le projet de loi 57 soit repensé pour cibler les individus et les élus qui menacent d'autres élus et que de vraies consultations doivent être menées pour entendre la société civile.

Merci de l'attention que vous porterez à cette demande.

Bien à vous,


Nos vignettes s'inspirent librement d'une lettre ouverte de la chercheuse Joëlle Dussault que nous avons co-signée, pour la consulter c'est par ici

Consulter le projet de loi

La liste des intervenants invités lors des consultations

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Confiance brisée : le MSSS a caché qu’il ne rehausserait pas les subventions pour la mission globale en 2024

4 juin 2024, par Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB) — , ,
Montréal, le 29 mai 2024._ La Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles [1] est outrée de découvrir que le MSSS a caché qu'il ne rehaussera (…)

Montréal, le 29 mai 2024._ La Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles [1] est outrée de découvrir que le MSSS a caché qu'il ne rehaussera pas les subventions pour la mission globale de 3000 organismes communautaires autonomes du domaine de la santé et des services sociaux (OCASSS). Globalement, tout ce que ces derniers recevront c'est l'indexation de la subvention de l'année précédente, de surcroît au taux insuffisant de 2,7 %. [2]

Rappelons que lors du dépôt du Budget 2024 du Québec, le 12 mars dernier, une somme de 10 M$ a été présentée comme étant destinée au rehaussement des subventions à la mission globale des 3000 OCASSS [3], par le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) [4]. Cette somme s'ajoutait à l'indexation automatique des subventions et nous n'avions aucune raison d'en douter. « Or, nous apprenons
aujourd'hui non seulement que le 10 M$ ne sera pas versé pour la mission
globale, mais que le gouvernement n'en aurait jamais eu l'intention. Cette nouvelle équivaut à dire que, dès le budget, le choix était fait de ne pas bonifier l'enveloppe pour le financement à la mission globale des OCASSS
», s'insurge Stéphanie Vallée, présidente de la Table.

Que ce soit par le communiqué de presse émis par la Table le 12 mars [5], ou par les nombreux échanges avec le personnel politique et administratif du MSSS, autour et depuis le budget, à aucun moment cette information n'a été divulguée. « Même le 26 avril dernier, alors que nous rencontrions le ministre Lionel Carmant, responsable des Services sociaux [6], celui-ci n'a pas rectifié l'information qui circulait depuis presque trois mois. Ne serait-ce que par nos notes prises durant la rencontre, le ministre a eu au moins six occasions de donner l'heure juste, mais il ne l'a pas fait. Nous ne nous expliquons pas ce
procédé
», poursuit Stéphanie Vallée.

Soulignons qu'aucune communication officielle n'a encore été transmise ni à la Table ni aux 3000 OCASSS ; la correspondance de la Table, adressée d'urgence au ministre Carmant, ayant été répondue par ses attachées politiques.

La Table a de plus appris que les modalités de distribution du 10 M$ n'étaient pas encore définies, et qu'il faudrait plusieurs semaines pour les déterminer, tant au niveau des destinataires visées que de la forme du financement. « Cela veut dire que le 10 M$ pourrait même être attribué par des ententes de services, alors que celles-ci sont beaucoup plus contraignantes qu'une subvention pour la mission globale et ne
favorisent pas l'autonomie des groupes. Il est quand même aberrant que le ministère affirme ne pas savoir comment les sommes seront attribuées, tout en affirmant que cela exclue le financement pour la mission globale. Combien de semaines ou de mois les OCASSS devront-ils attendre pour avoir l'heure juste ?
» questionne Mercédez Roberge, coordonnatrice de la
Table.

Rappelons que les 10 M$ annoncés laissaient déjà les OCASSS sur leur faim, puisque la revendication portée par la campagne _CA$$$H _(_Communautaire autonome en santé et services sociaux — Haussez le financement)_ [7] vise l'ajout de 1,7 G$ pour permettre à la population d'accéder aux organismes qu'elle s'est donnés [8]. « En mars,
nous disions que ce 10 M$ était vraiment insuffisant, considérant que l'enveloppe pour la mission globale était de 788 M$. La découverte d'aujourd'hui fait vivre une situation inédite et est très inquiétante pour la suite. Les OCASSS n'ont pas à faire les frais
d'un tel cafouillage. Le gouvernement doit destiner le 10 M$, comme il l'a laissé entendre, au fonctionnement des 3000 OCASSS. Sans attendre, il doit démontrer son appréciation de leurs missions en leur obtenant un financement à la hauteur des besoins
», de conclure Stéphanie Vallée, présidente de la Table.

SOURCE :

Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et
bénévoles (TRPOCB), [9]

* Stéphanie Vallée est présidente de la Table des regroupements
provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles. Elle est
également co-coordonnatrice de L'R des centres de femmes du Québec
[10].
* Mercédez Roberge est coordonnatrice de la Table des regroupements
provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles [11].

À propos

Fondée en 1995, la Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles [12] (TRPOCB) est formée de 44 regroupements nationaux [13], rejoignant plus de 3 000 groupes communautaires autonomes à travers le Québec. Ce sont, par exemple, des maisons de jeunes, des centres de femmes, des cuisines collectives, des maisons d'hébergement, des groupes d'entraide, des centres communautaires, des groupes qui luttent contre des injustices ayant des répercussions sur la santé.
Ceux-ci représentent les ¾ des organismes communautaires autonomes du
Québec. Ceux-ci abordent la santé et les services sociaux sous différentes perspectives (femmes, jeunes, hébergement, famille, personnes handicapées, communautés ethnoculturelles, sécurité alimentaire, santé mentale, violence, périnatalité, toxicomanie, etc.).

La Table coordonne la campagne [14]_CA$$$H_ [15] (Communautaire autonome en
santé et services sociaux – Haussez le financement [16]). Lancée le 17 octobre 2017, cette campagne vise l'amélioration substantielle du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), au bénéfice de plus de 3 000 organismes communautaires autonomes subventionnés par le MSSS. À compter de 2024, les revendications de la campagne CA$$$H sont : L'ajout de 1,7 G$ à l'enveloppe annuelle du PSOC [17] (mission globale), l'indexation
annuelle des subventions en fonction de l'Indice des coûts de fonctionnement du communautaire (ICFC [18]) et l'atteinte de l'équité de financement et de traitement partout au Québec [19].

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