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Dépôt de la pétition pour la modernisation de la notion de vie maritale pour les prestataires de l’aide sociale

Québec, le 19 mars 2024 – Des militantes et militants des groupes de défense des droits des personnes assistées sociales des régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches étaient présent·e·s à l'Assemblée nationale pour le dépôt d'une pétition pour la modernisation de la notion de vie maritale pour les prestataires de l'aide
sociale.
Cette pétition, qui est une initiative du comité femmes du Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ), est le fruit d'un travail de plusieurs groupes de défense des droits des personnes assistées sociales qui se sont mobilisés partout à travers le Québec afin de récolter plusieurs milliers de signatures. La notion de
vie maritale cause de grands préjudices aux prestataires de l'aide sociale notamment en
leur coupant leur prestation.
« Le chèque d'aide sociale d'un couple est plus petit que la somme de deux chèques attribués à une personne seule, dans le cas de personnes sans contraintes à l'emploi reconnues par le Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, on parle de presque 400 $ de différence entre ces deux situations, c'est une énorme différence dans le budget des
gens ! », s'exclame Esther Baillargeon, militante salariée à l'Association pour la défense des droits sociaux de la Rive-Sud.
Les groupes de défense des droits des personnes assistées sociales réclament l'individualisation des prestations d'aide sociale depuis plusieurs années. « Une personne = chèque », c'est ce que l'on pouvait lire sur une bannière déployée par les militantes et militants des groupes ce matin face à l'Assemblée nationale.
La situation est aussi terrible pour les personnes ayant un conjoint qui travaille, à part pour les prestataires au programme Revenu de base (contraintes sévères à l'emploi de longue durée), l'état s'attend à ce que ce soit le conjoint qui travaille qui fasse vivre son partenaire. Cette situation est inadmissible, autant pour les conjoints assistés sociales ou
les conjoints travailleurs. Cela impose un choix impossible : l'amour ou leur revenu.
« Le fait qu'une seule prestation d'aide sociale soit distribuée pour deux personnes met à mal l'autonomie des personnes et peut causer des situations de contrôle ou de violence au sein du couple, ces règles sont vétustes et n'ont plus leur place en 2024 » déplore Katherine Lortie, militante salariée à ROSE du Nord.
Les groupes dénoncent aussi la surveillance accrue qui est imposée aux personnes assistées sociales dans le cadre de la vie maritale. Dans certains cas, des agents de l'aide sociale enquêtent sur les prestataires pour déterminer s'ils ou elles sont en couple. Ces enquêtes peuvent aller jusqu'à se renseigner chez les voisins ou dans des commerces
causant un grand stress pour les personnes prestataires d'aide sociale. Des pénalités importantes sous forme de dettes remboursées à même les prestations déjà minces sont prévues lorsqu'une personne se voit imposer la vie maritale après une « fausse déclaration ». Ce régime punitif doit se terminer dès maintenant, permettons aux
personnes assistées sociales d'être en amour !
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Contre le comité de "sages" : appel à l’action

La CAQ a cédé honteusement aux mobilisations transphobes et a décidé de nommer un “comité de sages”, qui décidera du futur des communautés trans et non-binaires. Nous exigeons la dissolution immédiate de ce comité car :
Ce comité est composé exclusivement de personnes cis (non-trans), qui n'ont même aucune expertise académique ou d'intervention auprès des personnes trans. La majorité d'entre eux entretiennent par contre des affinités connues avec des groupes transphobes. Tout cela est fondé sur la présupposition selon laquelle les personnes trans et non binaires seraient incapables d'être “sages”, raisonnables et impartiales. Nous revendiquons la reconnaissance des savoirs expérientiels, universitaires et communautaires LGBTQ+ ; nous revendiquons notre auto-détermination !
L'existence de ce comité a pour but de légitimer les demandes de la droite et de l'extrême droite transphobe. Se pliant à leur agitation, le gouvernement a choisi de mettre sur pause toutes les avancées sociales pour les communautés trans. Il le fait au mépris de ses propres institutions, ignorant l'existence du Bureau de lutte contre l'homophobie et la transphobie et de son plan d'action. Ce n'est pas la première fois que la CAQ s'attaque aux communautés trans : on se rappelle le Projet de Loi 2. Nous continuerons de nous défendre face à ce gouvernement transphobe !
Ce comité vise à questionner la légitimité des personnes trans et en faire des objets de débat dans l'espace public. Ce type de mise en scène médiatique a toujours eu comme conséquence d'augmenter les violences et les crimes haineux contre les personnes trans et non conformes dans le genre. Le “problème trans” n'existe pas : nos existences ne sont pas à débattre. Nous continuerons de lutter pour la sécurité et la dignité des personnes trans et non-binaires !
La création de ce comité fait partie du backlash international contre les communautés LGBTQ+. Les agitateurs conservateurs mobilisent leurs bases en présentant les personnes trans comme un danger pour les enfants. Ni les homosexuel.les, ni les drag-queens, ni les personnes trans ne constituent un danger pour la jeunesse. Ce sont plutôt les adultes autoritaires et intolérants qui mettent en danger le bien-être des enfants. Nous continuerons de lutter pour un monde dans lequel tous les enfants se sentent libres de s'exprimer et de s'épanouir sans crainte ni jugement !
Ce comité est influencé par un mouvement réactionnaire qui se dit féministe, prétendant que les femmes trans représenteraient un danger pour les femmes cis. Au contraire, la libération des femmes trans contribue à la libération de toutes les femmes. Combattre pour l'autonomie des individus sur leurs corps, c'est se battre autant pour l'accès aux hormones que pour l'accès à l'avortement. Nous continuerons de lutter pour un monde libéré du patriarcat !
Le gouvernement derrière ce comité est le même qui détruit les milieux de la santé et de l'éducation. C'est le même gouvernement qui s'attaque aux droits des locataires. C'est le même gouvernement qui s'attaque à la liberté religieuse des minorités et qui s'oppose à tout effort de paix en Palestine. Nous souhaitons inscrire cette lutte dans une perspective de solidarité et créer un front commun face aux dérives autoritaires et réactionnaires du pouvoir !
Nous revendiquons la libération trans. En ce sens, nous voulons bâtir un monde qui accueille les individus dans leur diversité et défend leur droit de disposer de leurs corps. Nous voulons aussi créer une société qui accompagne les gens dans leur exploration et affirmation de genre. Nous considérons que se libérer de l'imposition d'une stricte binarité de genre est bénéfique pour l'ensemble de la population. Nous continuerons de lutter pour un monde qui ne sème pas le mal-être, l'inconfort et la haine, mais qui nourrit la joie et l'euphorie.
Nous appelons à un soulèvement contre la CAQ et son comité de soi-disant “sages”. Nous appelons à l'auto-organisation de toustes celleux qui veulent lutter contre la transphobie. Nous vous invitons à former des groupes affinitaires, à mobiliser vos organisations et à créer des comités. Par la diversité des tactiques, nous comptons faire reculer ce gouvernement et construire un futur pour toustes !
Face au comité de “sages”, NOUS NE SERONS PAS SAGES.
Signez l'appel. Pour endosser l'appel, personnellement ou au nom d'une organisation, ou pour nous signifier votre intérêt à vous impliquer et rester en contact avec nous, remplissez le formulaire.
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Tableau de bord et palmarès : faisons le point !

En début de semaine, le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, a lancé avec fierté son « Tableau de bord en éducation ». Bonne ou mauvaise initiative ? La réponse courte pourrait être : ça dépend de l'objectif poursuivi et de l'usage qui en sera fait. Attention de ne pas s'égarer en chemin !
Tiré de Ma CSQ cette semaine.
En début de semaine, le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, a lancé avec fierté son « Tableau de bord en éducation ». Bonne ou mauvaise initiative ? La réponse courte pourrait être : ça dépend de l'objectif poursuivi et de l'usage qui en sera fait. Attention de ne pas s'égarer en chemin !
Pour le moment, les données présentées dans le tableau de bord étaient pour la plupart déjà disponibles, mais éparpillées et difficiles à trouver. Le tableau de bord a donc au moins le mérite de les rassembler en un seul endroit. Ce n'est pas sans rappeler la belle époque où l'on pouvait recevoir chaque année le cahier des indicateurs de l'éducation de la part du ministère. Selon les dires du ministre Drainville, l'information disponible serait enrichie au fil du temps, ce qui pourrait s'avérer utile pour affiner nos perspectives sur le réseau.
Se baser sur les faits et non sur les perceptions
Le besoin d'informations pour mieux connaitre les défis auxquels fait face le système d'éducation est reconnu depuis longtemps. C'est essentiel pour orienter les décisions du ministre de l'Éducation, tout comme celles des centres de services scolaires (CSS) et des établissements d'enseignement.
L'accès aux données pour la recherche est tout aussi fondamental pour raffiner la compréhension des enjeux de l'éducation. Cet accès a été amélioré il y a quelques années grâce aux services d'accès aux données de recherche de l'Institut de la statistique du Québec, qui comprennent les données de l'éducation[1]. Ce meilleur accès pour les chercheurs, combiné au tableau de bord en éducation, contribue assurément à une plus grande transparence.
Cela étant dit, l'accès à des données est pertinent dans la mesure où il permet une plus grande connaissance et une meilleure compréhension des phénomènes.
Les dangers de comparer
D'aucuns diront que comparaison rime avec amélioration, mais cela rime aussi avec compétition et pression, avec tous les revers que cela peut avoir pour l'éducation, pour les gens qui y travaillent, pour les élèves et leurs parents. Si l'on ne fait pas attention, le nouveau tableau de bord du ministre de l'Éducation pourrait causer plus de tort que de bien.
Cette crainte est à mettre en relief avec l'adoption récente de nouvelles dispositions législatives qui font en sorte que les directions générales des centres de services scolaires seront dorénavant nommées sur recommandation du ministre, qui obligent les CSS à conclure des ententes annuelles de gestion et d'imputabilité et permettent au ministre de renverser une décision d'un CSS, s'il est d'avis que cette décision n'est pas conforme aux cibles, aux objectifs et aux orientations qu'il établit.
Le retour de la « gestion axée sur les résultats »
Tout est en place pour inciter fortement les gestionnaires du réseau de l'éducation à démontrer qu'ils « ont de bons résultats » dans le tableau de bord. Plus la pression pour atteindre des cibles de réussite est forte, plus on pousse à de mauvaises pratiques. Il n'y a alors qu'un pas à franchir pour orienter le travail des enseignantes et enseignants vers l'évaluation, plus que vers l'apprentissage, ou encore pour faire pression afin qu'ils modifient leurs notes de manière à avoir de « bons chiffres » pour le tableau de bord, entre autres exemples.
Finalement, pour reprendre les mots d'un chercheur qui a abondamment étudié ce type de gestion en éducation, Christian Maroy, « l'école n'est plus définie comme une institution qui est un milieu de vie, mais comme une organisation mobilisée sur des résultats[2] ».
Les « bonnes écoles » ou les « mauvaises écoles »
La crainte de voir primer la compétition et la pression par la lorgnette du tableau de bord est aussi soutenue par l'idée lancée par le ministre d'instaurer éventuellement un palmarès des écoles. Les limites de ce genre d'exercice ont maintes fois été démontrées. Cela ne permet pas de prendre en compte les défis fort différents auxquels font face les écoles et ne rend pas justice aux efforts et au travail effectué pour soutenir la réussite de toutes et tous, peu importe sa condition personnelle et sociale. Pour certaines équipes-écoles, cela peut avoir un effet profondément démobilisant.
Un palmarès ne ferait qu'encourager une compétition malsaine entre les écoles. Offrir quelques données quantitatives disparates aux parents, est-ce la meilleure façon de leur fournir l'information sur l'éducation de leurs enfants ? En quoi cela permet de vraiment connaitre le milieu scolaire ?
Inviter les parents à consulter le projet éducatif de l'école et à s'impliquer davantage au sein de celle-ci peut leur permettre d'obtenir une information beaucoup plus riche. Cela permet de s'approprier les valeurs mises de l'avant, de comprendre le contexte dans lequel l'école évolue, les grandes orientations en matière d'instruction, de socialisation et de qualification, ainsi que les objectifs qui guident le travail de l'équipe-école.
En résumé, des écoles plus transparentes et des décisions mieux éclairées par les faits, c'est oui. Une pression accrue sur les milieux et un détournement des données en vue de placer les écoles en compétition les unes avec les autres, c'est non. Espérons que le ministre n'ira pas de l'avant avec ce projet de palmarès. À ce dernier, qui s'étonne que cette idée soit dénoncée par les partenaires du réseau de l'éducation ce serait peut-être une bonne idée d'entamer un dialogue avec eux pour mieux comprendre leurs réticences.
Notes
[1] Les données de l'éducation maintenant disponibles pour les chercheurs (statistique.quebec.ca)
[2] JARRAUD, François (2021). « Christian Maroy : l'école à l'épreuve du pilotage par les résultats », Le Café pédagogique [En ligne] (1er mars). [cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/03/01032021Article637501796627464444.aspx].
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La CSQ célèbre cinq décennies de luttes féministes

Près de 300 personnes sont réunies, aujourd'hui, au Château Frontenac, à Québec, afin de souligner un moment historique : le 50e anniversaire du comité d'action féministe de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). En présence des membres actuelles du comité d'action féministe (CAF), d'anciennes responsables du comité, des quatre anciennes présidentes de la Centrale, Lorraine Pagé, Monique Richard, Louise Chabot et Sonia Ethier, et de centaines d'autres militantes et militants, la CSQ souligne cinquante ans d'engagement, de luttes et de progrès pour l'égalité entre les femmes et les hommes, et entre les femmes elles-mêmes.
Tiré de Ma CSQ cette semaine.
« Depuis sa création, le comité d'action féministe a été le fer de lance de luttes pour le droit des femmes au sein même de notre centrale, dans les milieux de travail, mais également au sein de la société. Il a été le phare guidant nos actions, illuminant le chemin vers un avenir plus juste et plus égalitaire. Aujourd'hui, nous nous réunissons pour rendre hommage à toutes ces femmes et ces hommes, aussi nos alliés, qui ont contribué à faire avancer cette noble cause », a dit la première vice-présidente de la CSQ, Line Camerlain, dès l'ouverture de l'évènement.
« En cinquante ans, notre comité d'action féministe a contribué à des avancées significatives dans de nombreux domaines. Grâce à nos efforts collectifs, nous avons obtenu des gains en matière d'équité salariale, de congés parentaux, de protection contre la discrimination, et bien plus encore », a-t-elle rappelé.
Une journée ancrée dans le présent et tournée vers l'avenir
Si le CAF et ses militantes « ont inspiré des générations entières de femmes et d'hommes à se lever et à se battre pour leurs droits », comme l'a dit Line Camerlain, la Centrale et son comité continuent d'être « une force motrice pour le changement, un catalyseur de progrès et un symbole d'espoir pour un avenir meilleur ».
Si cette journée de célébration est le moment de se rappeler les luttes féministes menées par des militantes engagées, c'est aussi l'occasion de se tourner vers l'avenir. Les personnes participantes à l'évènement ont d'ailleurs eu l'opportunité d'assister à des conférences et à des échanges sur différents enjeux, dont la valorisation des emplois à prédominance féminine, le mythe du mérite et de l'action positive et l'antiféminisme et son courant masculiniste.
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Comité de santé et de sécurité du travail dans les entreprises non syndiquées : réelle participation ou utopie ?

Le jeudi 21 mars, le Front de défense des non-syndiqué-e-s (FDNS) a animé un webinaire intitulé Comité de santé et de sécurité du travail dans les entreprises non syndiquées : réelle participation ou utopie ?
Nous reproduisons ci-dessous les audios des interventions des panélistes (Félix Lapan, Pierre Lefebvre, David Mandel et Geneviève Baril-Gingras). Nous annexons les différents diaporamas que nous avons reçus. Nous publions en introduction un texte que David Mandel a bien voulu nous faire parvenir qui présente les problématiques soulevées lors de cette rencontre.
En automne 2021 l'Assemblée nationale a adopté une « Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail » qui, entre autres, devait étendre à tous les travailleurs, toute les travailleuses le droit de participer à la prévention. L'ancienne loi accordait déjà des droits – en fait, beaucoup plus importants - mais ils n'ont jamais été mis en vigueur pour la grande majorité des travailleurs et travailleuses. Pas surprenant - on vit dans une démocratie, mais elle est capitaliste, et la participation des travailleurs et travailleuses à la prévention coûte au patrons de l'argent et du pouvoir.
La nouvelle loi « de modernisation » marque un net et sérieux recul en prévention (et en réparation aussi) par rapport à la législation précédente, et elle a été à très juste titre condamnée universellement par les syndicats et par les autres organisations qui défendent les travailleuses et les travailleurs.
Au début de février un comité paritaire (moitié patronale, moitié syndicale) de la CNÉEST a publié un projet de règlements pour concrétiser les droits des travailleurs et travailleuses en prévention. En ce qui concerne les non-syndiqué.e.s, le projet ne fait que répéter ce qui était déjà inscrit dans les règlements temporaires d'avril 2022, à savoir : « Lorsque les travailleurs d'un établissement ne sont pas représentés par aucune association accrédités (lire : syndicat), les représentants des travailleurs au sein du comité de santé et de sécurité sont désignés par scrutin, lors d'une assemblée convoquées à cette fin par un travailleurs de l'établissement. » Le caractère illusoire d'un tel règlement ne devrait pas demander d'explication. Le texte qui suit critique la stratégie, ou si l'on veut – l'idéologie – qui a contribué à l'adoption d'un projet de règlement si déficient du point de vue des travailleurs et des travailleuses.
Audio de la présentation des panélistes et interventions de Félix Lapan et Pierre Lefebvre de l'UTTAM (Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades
Audio de l'intervention de David Mandel
Audio de la présentation de Geneviève Baril-Gingras
Documents des présentations
Présentation de Félix Lafan et Pierre Lefebvre -
Présentation de Geneviève Baril Gingras -
Message du FDNS
: Pour toute question concernant la relance du FDNS, n'hésitez pas à nous écrire à ce courriel-ci. fdns.qc@outlook.com. Vous pouvez aussi rester informé.e.s de nos activités à venir en suivant la page Facebook du FDNS.
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Le Canada doit s’attaquer au racisme et à la discrimination systémiques sur le marché du travail

À l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale, le 21 mars, les syndicats canadiens demandent au gouvernement fédéral de prendre des mesures immédiates et concrètes pour lutter contre le racisme au sein de la population active. La première mesure à prendre consiste à actualiser la Loi sur l'équité en matière d'emploi en mettant en œuvre les réformes recommandées par le Groupe de travail sur l'examen de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.
La Loi sur l'équité en matière d'emploi est un outil essentiel dans nos efforts pour lutter contre le racisme en milieu de travail et remédier aux inégalités dont sont victimes les travailleuses et travailleurs noirs, autochtones et racialisés. Adoptée pour promouvoir l'égalité et éliminer les obstacles discriminatoires à l'emploi dans les lieux de travail régis par le gouvernement fédéral, la Loi fournit un cadre permettant aux employeurs de s'attaquer de manière proactive aux inégalités systémiques et d'assurer une représentation équitable de tous les groupes, y compris les peuples autochtones, les personnes ayant une incapacité, les femmes et les personnes racialisées – des groupes désignés en vertu de la Loi actuelle.
Si la Loi sur l'équité en matière d'emploi jette les bases du progrès, il reste encore beaucoup à faire pour réaliser pleinement son potentiel, qui peut être atteint par son actualisation. Le rapport du Groupe de travail sur l'examen de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, publié récemment à l'issue de consultations avec de nombreuses parties prenantes, dont les syndicats canadiens, contient un certain nombre de recommandations visant à renforcer et à améliorer l'efficacité de la Loi, y compris des mesures destinées à lutter contre le racisme et la discrimination systémiques dans les pratiques d'embauche, de promotion et de maintien dans l'emploi.
« Nous sommes fermement déterminés à lutter contre le racisme et la discrimination systémiques sur le marché du travail, afin d'assurer un avenir où chaque personne sera traitée avec dignité, respect et égalité, a déclaré Larry Rousseau, vice-président exécutif du Congrès du travail du Canada. Les recommandations formulées par le Groupe de travail offrent une occasion importante d'éradiquer les iniquités profondément ancrées et de prévenir les iniquités futures, ce qui est absolument essentiel pour s'attaquer au racisme systémique et s'assurer que les travailleuses et travailleurs noirs, autochtones et racialisés ne sont plus laissés pour compte. C'est ainsi que nous construirons une société exempte de discrimination, de racisme et de préjugés. »
Les recommandations du Groupe de travail comprennent l'investissement dans des initiatives ciblées pour soutenir le recrutement, la formation et l'avancement des groupes sous-représentés dans la main-d'œuvre, ainsi que la mise en place de mécanismes d'application robustes pour tenir les employeurs responsables du respect de la Loi.
La lutte contre le racisme et la discrimination sur le marché du travail est essentielle pour garantir l'équité pour tous les travailleurs et travailleuses. Les écarts de revenus en fonction de la race persistent, car les travailleuses et travailleurs autochtones, noirs et racialisés continuent d'être confrontés à des obstacles aux possibilités d'emploi, à des pratiques d'embauche discriminatoires, à des salaires inégaux et à des possibilités d'avancement limitées. Si l'on ne s'attaque pas à ces inégalités, on ne fera qu'exacerber les problèmes rencontrés par ces travailleuses et travailleurs et on perpétuera leur exclusion d'une participation pleine et équitable au marché du travail.
Les syndicats canadiens ont également un rôle à jouer en prenant des mesures proactives pour faire progresser l'équité en matière d'emploi au sein de leurs propres organisations. Il s'agit notamment de supprimer les obstacles à l'égalité des chances et à un traitement équitable, d'inscrire l'équité en matière d'emploi à l'ordre du jour des négociations et de veiller à ce que les personnes les plus concernées fassent partie des comités de négociation. D'autres mesures consistent à sensibiliser les membres à l'importance de l'équité en matière d'emploi, à former le personnel et les dirigeantes et dirigeants à cette question et à mettre en place des mécanismes de responsabilisation pour suivre les progrès de l'équité en matière d'emploi au sein de leur organisation. Enfin, il est essentiel que les syndicats défendent les politiques et les initiatives en faveur de l'équité en matière d'emploi, notamment en renforçant la Loi sur l'équité en matière d'emploi.
Le rapport complet du Groupe de travail sur l'examen de la Loi sur l'équité en matière d'emploi est disponible ici (en anglais seulement).
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Northvolt : exigeons un BAPE et de la transparence

La giga-usine de batteries de la compagnie Northvolt est en voie de s'implanter en Montérégie sans qu'il n'y ait d'évaluation environnementale par le Bureau d'audience publique sur l'environnement (BAPE). Comment se peut-il que le plus grand projet industriel privé de l'histoire du Québec ne soit pas évalué de manière indépendante ? Parce que, attention : scandale… le gouvernement Legault, qui est juge et parti car il injecte des milliards de dollars dans le projet, a délibérément aidé Northvolt à éviter un examen du BAPE ! C'est un grave déni de démocratie environnementale, un manque flagrant de respect pour l'environnement et la population et une manière de fonctionner digne des années 60.
Tiré du site de Greenpeace Canada.
On ne peut accepter ce grave précédent sans réagir. Si le plus grand projet industriel privé de l'histoire du Québec n'est pas assez “gros” pour qu'il y ait un BAPE, quel projet le sera ?
Exigeons de la transparence et une évaluation environnementale indépendante
👉 Envoyez un courriel à Benoit Charette
Le gouvernement Legault a déjà permis que Northvolt coupe près de 9000 arbres et remblaie 61 des 92 milieux humides présents sur son site, soit environ 60 000 mètres carrés de milieux humides détruits. Au total, ce sont plus de 950 000 m2 de milieux naturels qui seront détruits. Mais tout n'est pas joué, la compagnie a aussi demandé une autorisation pour la construction de l'usine et devra en demander une pour l'exploitation de l'usine.
Plusieurs groupes environnementaux et groupes citoyens ont demandé la tenue d'une évaluation environnementale indépendante depuis l'annonce de l'implantation de l'usine de Northvolt en octobre 2023. Au total, plus de 180 groupes environnementaux, de syndicats, de médecins, de groupes citoyens et d'universitaires ont demandé un BAPE au gouvernement. Une évaluation environnementale indépendante et des audiences publiques sont essentielles pour protéger les citoyens et l'environnement. Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de déclencher une telle évaluation.
L'implantation de cette usine aura de nombreux impacts sur la biodiversité du secteur qui abrite plusieurs espèces menacées. Elle aura aussi des impacts sur la qualité de l'air et de l'eau et potentiellement sur la santé de la population. Et elle aura des impacts sur tout le filet social – augmentation de trafic, défi pour le logement et les infrastructures de santé et scolaire pour faire face à l'augmentation du nombre de travailleur.euses, etc.
Demandez au ministre Charrette de déclencher une évaluation environnementale par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur l'ensemble de ce grand projet pour bien en saisir tous les enjeux. La transition écologique ne peut sans évaluation indépendante et sans audience publique !
Voici aussi ci-dessous quelques autres moyens d'agir :
👉 Envoyez un courriel à Benoit Charrette
✉️ Pour envoyer un courriel à Benoit Charette, ministre de l'Environnement, et mettre PierreFitzgibbon, ministre de l'Économie, utilisez le texte ci-dessous que vous pouvez copiez-collez.⬇️
Destinataires : ministre@environnement.gouv.qc.ca ; ministre@economie.gouv.qc.ca ;
Exemple de titre de courriel : Un BAPE pour Northvolt
Exemple de texte de courriel pour vous inspirer (vous pouvez copier-coller) :
Monsieur Charrette,
Plusieurs personnes sont préoccupées par la façon dont le projet Northvolt se développe, soit sans audience du Bureau d'audience publique sur l'environnement (BAPE) sur l'ensemble du projet. Je vous demande qu'un processus d'évaluation environnementale indépendante et des audiences publiques soient mis sur pied pour bien tenir compte des enjeux sanitaires, environnementaux et sociaux de grands projets. Je demande un BAPE pour Northvolt.
Cette giga-usine de batterie est « le plus gros projet industriel privé de toute l'histoire du Québec ». Comment se fait-il qu'un tel projet puisse se faire sans BAPE ? Nous savons que l'implantation d'une marina de 100 places, nécessite la tenue d'un BAPE et Northvolt, le plus grand projet industriel au Québec, y échappe ! C'est inacceptable !
Comme vous savez, ce projet évolue rapidement par l'obtention de permis par étape. Vous pouvez utiliser votre pouvoir discrétionnaire pour déclencher un BAPE à chacune des étapes. En aurez-vous le courage ?
Plusieurs aspects de ce projet sont préoccupants :
– les dommages causés présentement à la biodiversité sur le site
– la destruction des milieux humides – parmi les derniers de la Montérégie
– l'impact du déplacement de terres contaminées sur le site et le risque que les contaminants se retrouvent dans le Richelieu
– l'impact des contaminants qui seront rejetés dans l'air et dans l'eau pour la santé humaine
– l'impact de l'afflux de 3000 travailleurs sur les services de santé et dans les écoles
– l'augmentation de circulation aux environs du site
– la grande consommation d'hydroélectricité de cette usine et les lacunes créées pour d'autres projets
– le dézonage des terres agricoles pour soutenir la croissance démographique
– l'impact sur le territoire québécois en lien avec l'extraction des matières premières
– l'inconnu sur les impacts concrets que l'usine aura sur notre carboneutralité
– etc.
Par-dessus tout, le manque de transparence de votre gouvernement me préoccupe grandement. À chaque jour de nouvelles informations sont divulguées. Et à chaque jour des doutes se créent à cause de ce manque de transparence.
Vous avez le pouvoir discrétionnaire et mandater le BAPE. C'est ce que je vous demande, tout comme les plus de 180 groupes environnementaux, de syndicats, de médecins, de groupes citoyens et d'universitaires qui l'ont déjà fait.
Je vous demande, M.Charette, de déclencher un BAPE sur l'ensemble de ce grand projet pour bien en saisir les enjeux et bonifier ce projet s'il va de l'avant. La transition écologique ne peut plus se faire sur le dos de la Nature !
Insérer votre signature
***
👉 Autres moyens d'agir :
✏️ Signez la pétition du Comité d'action citoyenne sur le projet Northvolt qui demande au ministre de la tenue d'une enquête du BAPE.
✏️ Signez la pétition demandant au le ministre de l'Environnement fédéral d'initier des audiences publiques et entreprendre une évaluation environnementale approfondie pour le projet Northvolt.
***
👉 Quelques liens pour en savoir davantage sur Northvolt :
Dossier de presse (très complet) du COMITÉ ACTION CITOYENNE PROJET NORTHVOLT, mise à jour le 19 mars 2024
– Dès l'annonce du projet nous avons revendiqué un BAPE
– 180 groupes environnementaux, de syndicats, de médecins, de groupes citoyens et d'universitaires exigent un BAPE : lettre et article
– Un récent sondage nous a appris que 68% des gens sont d'accord à ce que le projet de Northvolt soit soumis à un BAPE (seulement 24% sont en désaccord) alors que la majorité des Québécois(es) rejettent l'approche du gouvernement qui a modifié la réglementation, ce qui a eu pour effet de soustraire le projet de Northvolt à la tenue d'un BAPE obligatoire.
– Des groupes environnementaux et des groupes citoyens locaux dénoncent les méthodes nuisibles du gouvernement du Québec en matière de développement industriel
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Manif-Action Bloquons Assomption - Mobilisation 6600 Parc-nature MHM

Montréal, 23 mars 2024** – Plus de 350 personnes ont bravé le froid pour manifester avecle mouvement citoyen Mobilisation 6600 Parc-nature MHM aujourd'hui en opposition auprojet de prolongement du boulevard de l'Assomption et de l'autoroute Souligny dansMercier-Hochelaga-Maisonneuve.
**Après une marche dans le quartier, les manifestant.e.s ont bloqué symboliquement le boulevard de l'Assomption afin d'affirmer leur détermination à empêcher la réalisation du projet de prolongement mené par la Ville de Montréal et le Ministère des transports et de la mobilité durable du Québec.
« Le prolongement de ces routes vise à faciliter le transport de marchandises par camionet à servir ainsi les intérêts privés du Port de Montréal et de Ray-Mont Logistiques », a affirmé Anaïs Houde, co-porte-parole de Mobilisation 6600. « La Ville nous dit que cesroutes permettront d'apaiser la circulation. Il est pourtant prouvé scientifiquement que lacréation de nouvelles routes provoque le phénomène de « trafic induit ». La populationest très inquiète des impacts sur la santé et la qualité de vie du passage prévu de 22 000véhicules de plus par jour à proximité des résidences. Que ce soit clair : il n'y a aucune acceptabilité sociale au projet de prolongement Assomption-Souligny, et nous sommes déterminé.e.s à le bloquer », a-t-elle poursuivi.
Bien qu'un tiers du Boisé Steinberg ait été protégé par la Ville de Montréal à l'automne2022, le prolongement Assomption-Souligny menace directement la section la plus à l'estdu Boisé. « C'est inacceptable, même absurde, dans le contexte du réchauffementclimatique, que nos gouvernements dépensent pour construire une route de plus en pleine ville » a commenté Cassandre Charbonneau-Jobin, co-porte-parole de la mobilisation.
De plus, le prolongement de l'autoroute Souligny impliquerait la construction d'unéchangeur à 3 niveaux passant par-dessus les rails de chemin de fer du CN et de RayMont Logistiques. « Le projet de plateforme intermodale de Ray-Mont Logistiques nous pollue la vie : en plus du bruit, de la pollution atmosphérique et visuelle et de la vermine qu'il attire, il implique de réhabiliter une gare de triage à moins de 50 mètres d'habitations,de détruire des milieux naturels fréquentés par les habitant.e.s et de construire ces routes anachroniques. L'aménagement de notre quartier doit-il être décidé par une entreprise privée ? » demande Anaïs Houde.
La ville présentera son projet d'aménagement pour le secteur le 26 mars prochain, à 19h,au Cégep de Maisonneuve. « Nous serons là pour exprimer notre vision axée sur le droità un environnement sain, l'accès à la nature et l'innovation en matière de décontamination naturelle des sols et d'autonomie alimentaire. Une vision à mettre en contraste avec la bétonnisation qu'implique une route et l'expansion des activités industrielles lourdes qui en résultent. Aux projets de béton, nous opposons la protection du vivant » a affirméCassandre Charbonneau-Jobin.
La manifestation, festive et familiale, était organisée en collaboration avec le Conseil Central du Montréal Métropolitain – CSN, avec la participation de Rage climatique, lecirque Hors piste, le musicien SOV, la chorégraphe Karine Cloutier, Mères au front et l'Organisation Révolutionnaire Anarchiste (ORA).
À propos de Mobilisation 6600 Parc-Nature MHMMobilisation 6600 Parc-Nature MHM est un mouvement citoyen qui lutte depuis 2016 pour la préservation des espaces verts, de la santé et de la qualité de vie de la population de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Il revendique la création d'un Parc nature dans le quadrilatère Viau-Dickson-Hochelaga-Notre-Dame et s'oppose à l'installation de RayMont Logistiques.
Source : Mobilisation 6600 Parc-Nature MHM
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Aéroport de Saint-Hubert (YHU) : Un de perdu, dix de retrouvés !

Longueuil, 22 mars 2024. - La décision de Transport Canada d'interdire à partir d'avril 24 les vols de nuit du Boeing 737-200 de Chrono Aviation à l'aéroport de Saint-Hubert constitue, selon la Coalition Halte-Air Saint-Hubert, la preuve indiscutable que le pouvoir politique a bien une emprise réelle sur le développement de cet aéroport, contrairement à ce
qu'ont laissé entendre plusieurs élu.e.s municipaux, provinciaux et fédéraux depuis plus d'un an.
En réaction à la mairesse Catherine Fournier qui, hier sur les ondes de Radio-Canada,saluait le courage dont le ministre [Pablo Rodriguez]avait fait preuve, la Coalition s'interroge : à quel courage fait référence la mairesse ? Est-ce celui d'interdire d'un trait de plume au Boeing 737-200 de réveiller des milliers de résidentes et résidents à 2h30 du matin ? Il a fallu des années pour obtenir cette décision pourtant pleine de bon sens, demandée par de
nombreuses associations de riverains et les mairies du secteur. Une décision d'interdiction bien tardive qui se justifie amplement par les conséquences sanitaires que provoque une telle pollution sonore.
La Coalition rappelle que Boeing 737-200 de Chrono est un avion totalement obsolète, ultra-polluant et ultra-bruyant, dont le décollage s'entend à plus de 10 kms à la ronde, et qu'il est interdit depuis des années dans de nombreux aéroports américains et européens pour cause de pollution sonore excessive. Arrivant en fin de vie, ces coucous volants sont condamnés à brève échéance aux dires mêmes de leur propriétaire Chrono Aviation.
Selon la Coalition, en mettant l'accent sur l'interdiction de vol d'un seul avion, la mairesse C. Fournier tente de camoufler la réalité du développement du Terminal Porter qu'elle défend depuis maintenant plus d'un an. 4 millions de passagers à terme, 11 000 par jour par rapport à 11 000 par année actuellement, ce qui représentera une centaine de vols chaque jour, 6 à 8 chaque heure, effectués par 5 compagnies aériennes, comme l'a assuré Michael Deluce, qui dirige Porter Airlines.
La Coalition fait également remarquer que si les élu.e.s municipaux de l'Agglomération voulaient vraiment avoir du courage, ils et elles demanderaient que les travaux de construction à l'aéroport de Saint-Hubert soient stoppés immédiatement, et que le projet de développement de l'aéroport soit déposé entièrement avec toutes les études d'impacts économiques, sanitaires, environnementaux et climatiques, afin d'être évalué publiquement sur tous ces aspects, comme on pouvait le lire dans les conclusions du rapport Trudel en
octobre 2022, ainsi que dans le rapport de l'Office de Participation publique de Longueuil
(OPPL) du 1er novembre suivant.
Pour la Coalition, en ne respectant pas les conclusions de ces deux rapports de consultation, la mairesse et tout son conseil trahissent la confiance de la population. La mairesse et tout son conseil ne peuvent en aucune façon clamer qu'il y a acceptabilité sociale du projet.
Pour information : coalition.halteair@gmail.com
https://www.facebook.com/coalitionhalteairSH
https://www.instagram.com/coalitionhalteairsh/
https://twitter.com/Coalition_YH
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« Zone d’intérêt » entre la Palestine, la Syrie et la condition humaine

« Zone d'intérêt » est un film glaçant par son réalisme, et par son extraordinaire capacité à incarner le sens de la « déshumanisation » et ce qu'elle peut engendrer en termes d'atrocités. Glazer a déclaré que la compréhension de son film ne se réduit pas seulement au traitement du passé ou des atrocités historiques, mais s'inscrit aussi dans le contexte de ce qui se passe à Gaza aujourd'hui.
Tiré du blogue de l'auteur.
Le film Zone d'intérêt du réalisateur britannique Jonathan Glazer, lauréat de l'Oscar de cette année, a suscité une vive controverse parmi les écrivains et les professionnels de la culture et du cinéma en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Non en raison de son contenu, de sa cinématographie ou de la construction de ses personnages, mais à cause des propos tenus par son réalisateur dans son discours à la cérémonie des Oscars.
Glazer a déclaré que la compréhension de son film ne se réduit pas seulement au traitement du passé ou des atrocités historiques, mais s'inscrit aussi dans le contexte de ce qui se passe à Gaza aujourd'hui. Il a exprimé son rejet de l'instrumentalisation de l' « Holocauste » pour justifier les guerres en cours, la déshumanisation et la perpétration de crimes.
En réponse à son discours, plus d'un millier de personnalités du cinéma s'identifiant comme juives ont rejeté l'analogie qu'il aurait – selon elles - faite entre l'Holocauste et la guerre en Palestine depuis le 7 octobre 2023.
Par ailleurs, des intellectuels et des organisations juives progressistes ont défendu Glazer, estimant que le refus de confronter le passé au présent et la confiscation de la mémoire de l'« Holocauste » ne sont rien d'autre que des tentatives de dissimulation des crimes et de la « guerre génocidaire » menée par Israël contre les Palestiniens.
Naomi Klein, journaliste et universitaire féministe canadienne, a écrit un article percutant dans The Guardian dans lequel elle évoque l'habituation des gens à vivre près du génocide dont ils savent qu'il est en train de se produire. Comme le montre le film, seul un mur les sépare de son horreur. Elle interpelle sur le fait qu'aujourd'hui, nous soyons à quelques murs de Gaza, où des actes de génocide se produisent depuis près de six mois, sans que personne n'intervienne pour les faire cesser.
Entre la banalité du mal et l'amour des roses
L'histoire de Zone d'intérêt décrit les détails quotidiens de la vie de la famille d'un officier nazi allemand qui dirigeait le camp d'Auschwitz, où, sur ses ordres, les nazis ont brûlé des milliers de prisonniers juifs, après les avoir réduits à l'esclavage, torturés et pillé leurs biens.
Elle renvoie d'emblée à l'idée de « la banalité du mal », ou sa normalité telle qu'évoquée par Hanna Arendt dans son livre sur Eichmann.
La famille vit dans une maison située à quelques mètres des usines de la mort, d'où s'élève parfois une fumée indiquant que l'incinération des cadavres est en cours. Ils dorment, se réveillent, font des fêtes aux buffets garnis, s'offrent des vêtements et cadeaux (ainsi que des biens volés), tandis que leurs enfants jouent dans une piscine au milieu des bruits, des cris, des coups et des tirs d'exécution provenant du camp voisin.
Le père - l'officier - semble doux et affectueux avec sa femme et ses enfants, en particulier ses filles, auxquelles il lit des histoires pour les border après une longue journée de travail routinier. Des journées à recevoir des instructions, à les exécuter avec diligence, à discuter avec ses supérieurs et ses subordonnés de l'« efficacité » des performances et de l'importance d'augmenter les chiffres (c'est-à-dire le nombre de personnes tuées), et de la meilleure stratégie d'organisation de la « solution finale » par l'usage des fours et leur refroidissement afin de les vider des cendres et les remplir de nouveau de cadavres dans un temps optimal.
Nous le voyons ensuite furieux, donner des ordres pour sanctionner les soldats allemands et les membres de la SS qui cueillent sans ménagement des fleurs dans les jardins, alors qu'ils sont sensés les entretenir pour embellir le camp [de la mort] et ses alentours.
Dans le même temps, nous apercevons l'épouse cultiver avec sérénité son jardin au pied du mur qui sépare leur maison d'Auschwitz, s'émerveiller de ses belles couleurs et initier son bébé à toucher et à sentir le parfum des fleurs.
Ainsi va la vie d'une famille allemande installée dans la Pologne occupée, vivant à côté du lieu de « travail » du père.
Son œuvre n'est rien d'autre que le « mal absolu », à savoir l'extermination de « l'autre », transformé en numéro ou en objet ou en matière dépourvue de tout attribut ou relation humaine. Les choses atteignent le paroxysme de la « banalité du mal » au moment où l'officier-père est sur le point de vomir, pour des raisons que le réalisateur nous laisse deviner, puis la caméra bascule soudainement dans l'instant présent.
On voit ce qu'est devenu Auschwitz aujourd'hui, l'on aperçoit des employées balayer des salles qui ont été témoins de massacres quotidiens il y a des décennies, et d'autres lustrer ce qui reste des fours crématoires, ou essuyer la vitre transparente qui sépare les visiteurs des milliers de chaussures appartenant à ceux qui sont morts dans l'une des tragédies les plus atroces de l'histoire contemporaine.
Les murs de Palmyre et le champ de bataille de Gaza
Mais la « banalité du mal », ou la complicité avec le mal pour ensuite en faire un sanctuaire ou un musée qui risque d'être coupé du monde contemporain et des crimes en cours, est ce contre quoi le brillant réalisateur Glazer s'élève.
Il a surtout insisté sur l'effet miroir entre l'horreur décrite dans son film et la guerre de Gaza d'aujourd'hui. Une guerre avec laquelle non seulement nous coexistons, mais qui conduit certains à évoquer le passé pour rendre acceptable l'extermination de l'humanité d'autrui.
Ce film, dans lequel le réalisateur a réussi à restituer l'intensité de la violence sans la moindre scène « sanglante », nous rappelle ce qu'écrivait Franz Fanon à propos d'un officier français chargé de torturer les prisonniers algériens pendant la guerre de libération, et de son quotidien bureaucratique dans les prisons, avant de rentrer chez lui pour retrouver normalement sa famille. Il sera plus tard hanté par des cauchemars.
On peut aussi imaginer comment les années ont passé et continuent de s'écouler dans la « Syrie d'Assad », où la vie se poursuit non loin des murs des prisons de Palmyre depuis les années 1980 ou de Saidnaya aujourd'hui-même. Ces usines de la mort où des dizaines de milliers de Syriens sont tués ou continuent d'y mourir sous la torture, transforment des êtres en chiffres ou en images insoutenables que l'on regarde parfois avec effroi sur Facebook, avant de poursuivre notre vie quotidienne et vaquer à nos occupations malgré l'horreur et la conscience des événements récurrents.
Bien sûr, nous pouvons comparer la roseraie du film, méticuleusement entretenue à côté du lieu de torture et d'extermination des prisonniers, avec tous nos jardins, ou les jardins des villes et villages où nous vivons, géographiquement proches du champ de bataille de Gaza, ou visuellement en contact avec ses événements, que nous suivons depuis des mois directement à travers les médias et les réseaux sociaux. Nous les suivons avec stupéfaction, colère, avec un excès de haine pour les auteurs et pour le monde qui leur permet de continuer. Nous les suivons avec tristesse et chagrin, tandis que notre impuissance nous demande d'essayer de d'oublier le matin ou le soir l'horreur, afin de pouvoir respirer et continuer à accomplir nos tâches quotidiennes.
En ce sens, on peut dire que Zone d'intérêt est un film qui échappe au cadrage, à la classification exclusive, à la géographie et au temps. Il s'agit sans aucun doute de l'Holocauste et d'Auschwitz, mais aussi, et dans la même mesure, des relations humaines quotidiennes et routinières qui se déroulent parallèlement au meurtre de masse et dans son ombre, de la trahison, du trouble, de l'ambition, de l'exploitation, de l'accoutumance au « mal » et de l'adaptation à ses scènes, comme s'il s'agissait d'un décor ou d'un bruit de fond toujours présent, dérangeant jusqu'à l'insomnie et pour autant domestiqué.
Zone d'intérêt est un film glaçant par son réalisme, par la froideur de ses personnages (à l'exception de la belle-mère de l'officier) et par son extraordinaire capacité à incarner le sens de la « déshumanisation » et ce qu'elle peut engendrer en termes d'atrocités et de cadavres brûlés.
Puis, une « jeune polonaise inconnue » s'invite et s'infiltre de nuit dans les événements du film. Le réalisateur la présente en « négatif », circulant secrètement et courageusement à bicyclette entre les champs autour d'Auschwitz, où les prisonniers sont contraints de travailler durement pendant la journée avant d'être tués. Elle y disperse des fruits et un brin de vie parmi les roses et les arbres, pour leur signifier que des gens ne consentent pas à les abandonner à leurs bourreaux sans rien faire et aux spectateurs silencieux qui assistent à la combustion de leurs os. Elle essaie de leur dire qu'à sa façon, elle refuse de les exclure de l'humanité commune.
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États-Unis : Les Oscars et la politique

Environ 19,5 millions de téléspectateurs ont regardé la 96e cérémonie des Oscars, dimanche 10 mars, pour connaître les lauréats des meilleurs films, des meilleurs acteurs, etc. Ce fut un véritable spectacle et un événement très politique.
Hebdo L'Anticapitaliste - 700 (21/03/2024)
Par Dan La Botz
Crédit Photo
Wikimedia commons / MichaelEArth
Les nominés pour les meilleurs films étaient eux-mêmes, dans de nombreux cas, particulièrement politiques. De manière très différente, Barbie et Poor Things étaient tous deux des films féministes, le premier ridiculisant et renforçant de manière contradictoire les stéréotypes féminins et le second – une combinaison merveilleusement étrange de Frankenstein et de Pygmalion (My Fair Lady) – dépeignant la lutte pour le droit des femmes à l'indépendance par rapport au contrôle des hommes et défendant leur droit à cette indépendance.
Oppenheimer nous a amenés une fois de plus à nous concentrer sur la menace de la bombe atomique avec laquelle nous vivons depuis plus de trois quarts de siècle. Maestro, le film sur Leonard Bernstein, traite de la difficulté – même pour les riches et les célèbres – d'être homosexuel au milieu du 20e siècle (tout comme Rustin, le film sur Bayard Rustin, le militant des droits civiques, qui n'a pas été nominé pour le meilleur film). Et American Fiction, qui explore le racisme dans la littérature et la vie d'un point de vue noir. Enfin, Killers of the Flower Moon dépeint les meurtres commis par des colons blancs pour acquérir frauduleusement des terres indiennes riches en pétrole en Oklahoma dans les années 1920.
Des luttes des acteurs et scénaristes d'Hollywood à l'Ukraine
Venons-en à la cérémonie des Oscars elle-même. Lors de l'ouverture de la cérémonie, Jimmy Kimmel, l'animateur de l'émission Jimmy Kimmel Live, qui présentait les Oscars pour la quatrième fois, a utilisé les dernières minutes de son monologue comique d'introduction pour parler de la grève des acteurs et des scénaristes, qui a duré 148 jours, et des problèmes qu'elle soulève. Il a déclaré : « Au fond, Hollywood est une ville de syndicats ».
Dans la section « in memoriam » des Oscars, l'Académie a rendu hommage au leader de l'opposition russe Alexeï Navalny, dont le portrait a été dressé dans le film Navalny (2022), qui a remporté l'Oscar du meilleur documentaire en 2023. Le meilleur documentaire de cette année a été Vingt jours à Marioupol, le récit de l'attaque russe sur cette ville ukrainienne. En acceptant son Oscar, Mstyslav Tchernov, le réalisateur, a déclaré : « Je serai probablement le premier réalisateur sur cette scène à dire : “J'aurais aimé ne jamais faire ce film” ». Il a poursuivi en disant qu'il souhaitait que la Russie n'ait jamais attaqué l'Ukraine et occupé ses villes, et il a appelé le gouvernement russe à libérer ses prisonniers militaires et civils.
Déshumanisation d'hier et d'aujourd'hui
Le réalisateur britannique Jonathan Glazer, dont le film en langue allemande La Zone d'intérêt a remporté le prix du meilleur long métrage international, un film sur un commandant nazi et sa femme vivant dans une « zone d'intérêt » confortable du camp de concentration d'Auschwitz où plus d'un million de Juifs sont morts, a profité de son temps de parole pour parler de la Palestine : « Notre film montre le pire de la déshumanisation. Nous sommes ici comme des hommes qui refusent que leur judéité et le souvenir de l'Holocauste soient détournés par une occupation qui a conduit tant de gens à s'affronter. Que ce soient les victimes du 7 octobre en Israël ou l'attaque en cours sur Gaza, tous sont des victimes de cette déshumanisation - comment résister ? » Il a dédié son film à la jeune fille qui figure dans son film et qui a résisté.
Un grand nombre de participants à la cérémonie portaient des pin's avec la phrase « Artists for Ceasefire » (artistes pour un cessez-le-feu).
Hollywood, connu pour ses personnalités progressistes, produit de nombreux films politiques de qualité et certainEs Américains ont apparemment un appétit pour de telles vues critiques de notre pays. Même s'il est également vrai qu'Hollywood produit et que les Américains consomment beaucoup de cinéma de merde. Voilà, c'est tout. Je vais au cinéma.
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
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Je marche sur les cadavres avec aisance

– Appelez-moi Puissance !
– Moi qui marche sur les cadavres avec aisance.
– Boursouflez mon P !
– Le galbe bien prononcé.
– Soyez généreux !
– Au nom des malheureux.
– Je marche sur les cadavres avec aisance.
– Des femmes et des enfants réduits en semence.
– Je m'abreuve du sang.
– Du peuple innocent.
– Je déroule l'horreur.
– La famine et les maelstroms funestes sur la Patrie en pleurs.
– Esgourdez la crépitation.
– De ma résolue progression !
– Oui ! Je marche sur les cadavres avec aisance.
– L'Injustice comme cocarde en évidence.
– Je suis la force étayée.
– Par l'ami dominant respecté.
– L'Institution obstrue ses oreilles.
– Quand l'atrocité se veut réelle.
– Elle a pour consolation.
– La condamnation.
– Je marche sur les cadavres avec aisance.
– Quand l'âme prie avec déférence.
– Rien ne sera comme avant !
– Le néant vous attend !
( Essoufflée, les mains entachées à torrents de sang, la Puissance s'écrie avec démence )
– Montrez-vous ! Où êtes-vous ? J'ai envie de marcher sur des cadavres avec aisance !
– Livrez-moi obus, chars et drones de haute surveillance !
– J'en ferai des cadeaux aux vieillards et la petite enfance.
– Montrez-vous, j'vous dis ! Je suis la Suprématie auréolée de Démocratie.
– ( … )
– Ne cherchez-pas Puissance ! Je suis nulle part et partout.
– Qui êtes- vous ?
– Je suis la Résistance, la Justice du Peuple, adoubée de la Volonté céleste qui aura raison de vous !
Texte et dessin : Omar HADDADOU Mars 2024
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Il faut sauver guignol du Champs de Mars

Après les bouquinistes des quais de Seine, préservés in extremis du désastre par une résistance opiniâtre et des indignations internationales, c'est au tour des activités culturelles, ludiques, séculaires, d'être sommés de disparaître corps et biens par le lobbying olympique. Toute la vie parisienne est priée de céder la place à la surveillance algorithmique.
Julien Sommer, trente-huit, ans anime le guignol du Champ-de-Mars. Il exerce cette activité depuis l'adolescence aux côtés de Luigi Tirelli, marionnettiste pendant soixante ans, disparu en 2018 à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Il doit impérativement fermer son castelet. Son contrat est autoritairement rompu. Sans aucune indemnisation. En tant que gérant de théâtre, il ne peut même pas prétendre au chômage. La tyrannie municipale sévit tous azimuts. Les balançoires, les voitures à pédales, les manèges sont soumis au nettoyage par le vide. Place aux boutiques commercialisant des gadgets olympiques.
Le théâtre du Champ-de-Mars, dédié aux marionnettes gaine, est construit en 1902 dans le style Second Empire. Guignol, créé au début du dix-neuvième siècle par Laurent Mourguet (1769-1844), ouvrier dans une fabrique de soie, un canut, parle lyonnais. Sa truculence retient l'attention. Il porte une jaquette couleur marron et un chapeau de cuir plat. Ses cheveux son coupés en catogan. La natte est réunie sur la nuque par un nœud. Il défend les petites gens. Il dénonce les injustices. Il est accompagné de son épouse Madelon, vêtue tantôt en robe camisole de lainage fleuri, tantôt en tablier avec un fichu blanc sur les épaules. Elle est surnommée Mère-la-grogne. Gnafron, joyeux buveur de Beaujolais est le contradicteur complice. Une vingtaine des pièces de Laurent Mourguet sont recueillies et publiées en 1865 sous le titre de Théâtre lyonnais de Guignol par un magistrat, Jean-Baptiste Onofrio (1814-1892). Ces compositions d'origine s'intitulent Les Couverts volés, le pot de confiture, Les Frères Coq, Le Portrait de l'Oncle, Le Duel, Le Marchand de veaux, Le Dentiste, Le Marchand de picarlats, Les Valets à la porte, Le Déménagement, Le Testament, Le Marchands d'aiguilles, Les Voleurs volés, Tu chanteras, tu ne chanteras pas, L'Enrôlement, La Racine merveilleuse, Le Château mystérieux, Les Conscrits de 1809, Ma Porte d'allée, Les Souterrains du vieux château. Théâtre lyonnais de Guignol, recueil Onofrio, réédition récente Jeanne Laffitte, 1999.
Chaque spectacle de Guignol auquel j'assiste depuis l'enfance est une cure de désintoxication, une purification des pollutions mentales. Le castelet est une boîte magique. Les personnages surgissent et disparaissent par enchantement. Ils sortent du vide. Ils rentrent dans le vide. Ils s'engloutissent dans les entrailles de la terre, insaisissables, insondables, irrécupérables. Ils ne laissent que leur empreinte indocile, transgressive, subversive. Toutes les espiègleries, les bouffonneries, les pitreries, les diableries, les démoneries sont permises au nez et à la barbe des ploutocrates. Guignol a beau être persécuté, censuré, prohibé sous différents régimes, il est immortel. Le Second Empire tente en vain de l'ensevelir. Des plumes alertes, Victor Vuillerme-Dunand (1810-1876), Joanny Durafour (1853-1938), Gaston Baty (1885-1952), Albert Chanay (1874-1942), Pierre Neichthauser (1873-1953), Ernest Neichthauser (1876-1969) le ressuscitent, l'éternisent.
Paris. Vendredi, 8 mars 2024. Un titre saute à mes yeux chez un bouquiniste, Guignol philosophe de F. Vérax, publié à Lons-le-Saunier par l'imprimerie Julien Payet & Co en 1877. Un opus conservateur de trente pages. Je le lis d'une traite. Dialogue entre Guignol et son ami Gnafron. Le procédé contestataire est récupère par la bourgeoisie. Les manipulations de la presse sont toujours d'actualité. Plus un journal est argutieux, licencieux, scandaleux, plus il fait de bonnes affaires. « A peine arrive un fait tant soit peu scabreux, aussitôt le journal de la localité donne un coup de tam-tam. A ce signal, tous les journaux proclament cet acte avec de grosses caisses. Et le fait brodé, commenté, exagéré fait le tour du pays. Il est difficile de ne pas se laisser attraper par les artifices d'une certaine presse. Elle sait si bien jeter de la poudre aux yeux. Elle sait si bien flatter les mauvais instincts qui germent dans les esprits. Le plus grand nombre des lecteurs ne retirent que le bénéfice du corbeau. Impossible de réformer l'opinion publique, égarée, obscurcie par tant de nuages, de mensonges, de sophismes qui s'élèvent de cet abîme qu'on appelle la presse ». Que dire des réseaux sociaux où les fake news façonnent effrontément les jugements ?
Beaucoup de bouquinistes proposent, avant tout, des reproductions de la Tour Eiffel, en affiches, en magnettes, en casquettes, en porte-clefs, en tasses de café. Les amoureux des livres se font rares ; Les boutiques de souvenirs made in China supplantent les enseignes historiques. La Tour Eiffel, ultime survivance de la mythologie parisienne, s'enferme dans une clôture de verre. Militaires de l'opération Sentinelle et vigiles armés aux portiques. Files d'attente interminables. Fouilles des sacs et des corps. Dans La Vie Errante, 1890, Guy Maupassant ouvre déjà son premier chapitre sur ce constat amer : « Je quitte Paris, et même la France, parce que la Tour Eiffel m'ennuie trop. Non seulement on la voit de partout, mais on la trouve partout, faite de toutes les matières, exposée dans toutes les vitrines, cauchemar inévitable. Peu importe la Tour Eiffel. Elle n'est que le phare d'une kermesse internationale. La puissante émotion de l'art est éteinte. S'éveillent des esprits d'un tout autre ordre, inventeurs de machines de toute sorte, des appareils surprenants, des combinaisons stupéfiantes de substances. Les conceptions idéales, les sciences pures, désintéressées, sont désormais interdites. L'imagination paraît de plus en plus excitable par l'envie de spéculation. Le génie d'un Isaac Newton capable d'un bond de la pensée d'aller de la chute d'une pomme à la grande loi régissant le monde, semble né d'un germe plus divin que l'inspiration pragmatique du fabricant américain de sonnettes, de porte-voix, de projecteurs ».
A Tour Eiffel claquemurée, encagée, cadenassée. La crise se banalise, se commercialise, se rentabilise. Les innombrables entreprises de sécurité laminent le service public. La pensée n'est plus un recours pour sortir de l'impasse.
La technocratie verrouille les issues. Les références se dévalorisent. Les repères se volatilisent. La municipalité gère les risques, l'improbable possible, l'invraisemblable admissible, l'absurde. Les décisions s'oxymorisent. La crise covidaire enracine définitivement la peur dans les cerveaux La peur de disparaître sans préavis. Peur de l'inconnaissable, de l'indéterminable, de l'indéchiffrable. Le viralisme ne laisse aucune alternative, aucune perspective. Les survivants se perçoivent comme des miraculés. La peur se met cyniquement, sournoisement en scène, s'orchestre politiquement. Les crédulités désespèrent. Les charlatanismes prospèrent. Les citadins fantomatiques, masqués, étourdis, hallucinés tâtonnent dans le brouillard. La mort, occultée de mille manières, met chacun devant son miroir. Le Champ-de-Mars, phagocyté par le Grand Palais Éphémère, n'est plus une promenade. Les artistes, les poètes, les philosophes, les lecteurs, les rêveurs le désertent. Les monuments inamovibles s'investissent pêle-mêle de commémoratisme, de festivisme, de donquichottisme. Tout et son contraire.
Le Champ-de-Mars n'est plus ce qu'il était. Jusqu'au dix-huitième siècle, le terrain est consacré aux cultures maraichères, avant de devenir un champ de manœuvre dépendant de l'Ecole militaire. Pendant la Révolution française, le parc rebaptisé Champ-de-la-Fédération puis Champ-de-la-Réunion, attire les fêtes populaires. Le massacre du 17 juillet 1991, ordonné par le Maire de Paris Jean Sylvain Bailly, lui-même guillotiné deux ans plus tard, assombrit l'histoire de la plaine paisible. Le 8 juin 1794, 20 prairial an II, Jacques-Louis David célèbre la fête de l'Être suprême. Il plante l'arbre de la liberté, symbole du consensus révolutionnaire. Maximilien de Robespierre préside la cérémonie. La première fête de l'Olympiade de la Révolution s'organise le 22 septembre 1796, avec des courses à pied, des luttes, des compétitions de chevaux, de chars. Le site accueille plusieurs expositions universelles en 1867, 1878, 1889, 1900, 1937. Le jeudi 8 avril 1971, l'artiste peintre marocain meurt, à l'âge de quarante-et-un-ans, dans l'anonymat total, sur un banc du Champ-de-Mars. Il laisse plusieurs dessins prémonitoires représentant une Tour Eiffel renversée. Peut-on encore parler de vie parisienne ?. La cancel culture s'officialise. L'ostracisation se généralise. La mémoire se lessive à coup de marketing ravageur.
Mustapha Saha
Sociologue
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Marx, le communisme et la décroissance

Kohei Saito remet le couvert
Dans « Marx's ecosocialism. An unfinished critique of the political economy », le marxologue japonais montrait comment le Marx de la maturité, conscientisé à l'impasse écologique capitaliste par les travaux de Liebig et de Frass, avait rompu avec le productivisme [1]. Son nouvel ouvrage, « Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth communism », prolonge la réflexion. [2] Ce livre est remarquable et utile en particulier sur quatre points : la nature de classe, foncièrement destructive, des forces productives capitalistes ; la supériorité sociale et écologique des sociétés (dites) « primitives », sans classes ; le débat sur nature et culture avec Bruno Latour et Jason Moore, notamment ; la grosse erreur, enfin, des « accélérationnistes » qui se réclament de Marx pour nier l'impérieuse nécessité d'une décroissance. Ces quatre points sont d'une importance politique majeure aujourd'hui, non seulement pour les marxistes soucieux d'être à la hauteur du défi écosocial lancé par la crise systémique du capitalisme, mais aussi pour les activistes écologiques. Le livre a les mêmes qualités que le précédent : il est érudit, bien construit, subtil et éclairant dans la présentation de l'évolution intellectuelle de Marx après 1868. Il a malheureusement aussi le même défaut : il présente pour acquis ce qui n'est qu'hypothèse. Une fois encore, Saito force le trait à vouloir trouver chez Marx la parfaite anticipation théorique des combats d'aujourd'hui. [3]
Au commencement était la « faille métabolique"
La première partie de « Marx in the Anthropocene » approfondit l'exploration du concept marxien de « faille métabolique » (« hiatus métabolique » dans la version française du Capital). [4] Saito se place ici dans le sillage de John B. Foster et de Paul Burkett, qui ont montré l'immense importance de cette notion. [5] Saito enrichit le propos en mettant en évidence trois manifestations du phénomène - perturbation des processus naturels, faille spatiale, hiatus entre les temporalités de la nature et du capital - auxquelles correspondent trois stratégies capitalistes d'évitement - les pseudo-solutions technologiques, la délocalisation des catastrophes dans les pays dominés, et le report de leurs conséquences sur les générations futures (p.29 et sq.).
Le chapitre 1 se penche plus particulièrement sur la contribution au débat du marxiste hongrois István Mészáros, que Saito estime décisive dans la réappropriation du concept de métabolisme à la fin du 20e siècle. Le chapitre 2 est focalisé sur la responsabilité d'Engels qui, en éditant les Livres II et III du Capital, aurait diffusé une définition du « hiatus métabolique » tronquée, sensiblement différente de celle de Marx. Pour Saito, ce glissement, loin d'être fortuit, traduirait une divergence entre la vision écologique d'Engels - limitée à la crainte des « revanches de la nature » - et celle de Marx - centrée sur la nécessaire « gestion rationnelle du métabolisme » par la réduction du temps de travail. Le chapitre 3, tout en rappelant les ambiguïtés de György Lukács, rend hommage à sa vision du développement historique du métabolisme humain-nature à la fois comme continuité et comme rupture. Pour Saito, cette dialectique, inspirée de Hegel (« identité entre l'identité et la non-identité ») est indispensable pour se différencier à la fois du dualisme cartésien - qui exagère la discontinuité entre nature et société - et du constructivisme social - qui exagère la continuité (l'identité) entre ces deux pôles et ne peut, du coup, « révéler le caractère unique de la manière capitaliste d'organiser le métabolisme humain avec l'environnement » (p. 91).
Dualisme, constructivisme et dialectique
La deuxième partie de l'ouvrage jette un regard très (trop ?) critique sur d'autres écologies d'inspiration marxiste. Saito se démarque de David Harvey dont il épingle la « réaction négative surprenante face au tournant écologique dans le marxisme ». De fait, « Marx in the Anthropocene » rapporte quelques citations « surprenantes » du géographe étasunien : Harvey semble convaincu de « la capacité du capital à transformer toute limite naturelle en barrière surmontable » ; il confesse que « l'invocation des limites et de la rareté écologique (…) (le) rend aussi nerveux politiquement que soupçonneux théoriquement » ; « les politiques socialistes basées sur l'idée qu'une catastrophe environnementale est imminente » seraient pour lui « un signe de faiblesse ». Géographe comme Harvey, Neil Smith « montrerait la même hésitation face à l'environnementalisme », qu'il qualifie de « apocalypsisme ». Smith est connu pour sa théorie de « la production sociale de nature ». Saito la récuse en estimant qu'elle incite à nier l'existence de la nature comme entité autonome, indépendante des humains : c'est ce qu'il déduit de l'affirmation de Smith que « la nature n'est rien si elle n'est pas sociale » (p. 111). D'une manière générale, Saito traque les conceptions constructivistes en posant que « la nature est une présupposition objective de la production ». Il ne fait aucun doute que cette vision était aussi celle de Marx. Le fait incontestable que l'humanité fait partie de la nature ne signifie ni que tout ce qu'elle fait serait dicté par sa « nature », ni que tout ce que la nature fait serait construit par « la société ».
Destruction écologique : les « actants » ou le profit ?
Dans le cadre de cette polémique, l'auteur consacre quelques pages très fortes à Jason Moore. Il admet que la notion de Capitalocène « marque une avancée par rapport au concept de ‘production sociale de nature' », car elle met l'accent sur les interactions humanité/environnement. Il reproche cependant à Moore d'épouser que les humains et les non-humains seraient des « actants » travaillant en réseau à produire un ensemble intriqué - « hybride » comme dit Bruno Latour. C'est un point important. En effet, Moore estime que distinguer une « faille métabolique » au sein de l'ensemble-réseau est un contresens, le produit d'une vision dualiste. Or, la notion de « métabolisme » désigne la manière dont les organes différents d'un même organisme contribuent spécifiquement au fonctionnement du tout. Elle est donc aux antipodes du dualisme (comme du monisme d'ailleurs) et on en revient à la formule de Hegel : il y a « identité de l'identité et de la non-identité ». « Marx in the Anthropocene » s'attaque aussi aux thèses de Moore par un autre biais - celui du travail. Pour Moore, en effet, le capitalisme est mû par l'obsession de la « Cheap Nature » (nature bon marché) qui englobe selon lui la force de travail, l'énergie, les biens alimentaires et les matières premières. Moore se réclame de Marx, mais il est clair que sa « Cheap nature » escamote le rôle exclusif du travail abstrait dans la création de (sur)valeur, ainsi que le rôle clé de la course à la survaleur dans la destruction écologique. Or, la valeur n'est pas un « actant hybride » parmi d'autres. Comme dit Saito, elle est « purement sociale » et c'est par son truchement que le capitalisme « domine les processus métaboliques de la nature » (pp. 121-122).
Il est clair en effet que c'est bien la course au profit qui creuse la faille métabolique, notamment en exigeant toujours plus d'énergie, de force de travail, de produits agricoles et de matières premières « bon marché ». De toutes les ressources naturelles que le capital transforme en marchandises, la force de travail « anthropique » est évidemment la seule capable de créer un indice aussi purement « anthropique » que la valeur abstraite. Comme le dit Saito : c'est « précisément parce que la nature existe indépendamment de et préalablement à toutes les catégories sociales, et continue à maintenir sa non-identité avec la logique de la valeur, (que) la maximisation du profit produit une série de disharmonies au sein du métabolisme naturel ». Par conséquent, la « faille n'est pas une métaphore, comme Moore le prétend. La faille existe bel et bien entre le métabolisme social des marchandises ainsi que de la monnaie, et le métabolisme universel de la nature » (ibid). « Ce n'est pas par dualisme cartésien que Marx a décrit d'une manière dualiste la faille entre le métabolisme social et le métabolisme naturel - de même que la faille entre le travail productif et le travail improductif. Il l'a fait consciemment, parce que les relations uniquement sociales du capitalisme exercent un pouvoir extranaturel (alien power) dans la réalité ; une analyse critique de cette puissance sociale requiert inévitablement de séparer le social et le naturel en tant que domaines d'investigation indépendants et d'analyser ensuite leur emboîtement. » (p. 123) Imparable. Il ne fait aucun doute, encore une fois, que cette vision de « l'emboîtement » du social dans l'environnemental était celle de Marx.
Accélérationnisme vs. anti-productivisme
Le chapitre 5 polémique avec une autre variété de marxistes : les « accélérationnistes de gauche ». Selon ces auteurs, les défis écologiques ne peuvent être relevés qu'en démultipliant le développement technologique, l'automation, etc. Cette stratégie, pour eux, est conforme au projet marxien : il faut abattre les entraves capitalistes à la croissance des forces productives pour possibiliser une société de l'abondance. Cette partie de l'ouvrage est particulièrement intéressante car elle éclaire la rupture avec le productivisme et le prométhéisme des années de jeunesse. La rupture n'est probablement pas aussi nette que Saito le prétend [6] , mais il y a incontestablement un tournant. Dans Le Manifeste communiste, Marx et Engels expliquent que le prolétariat doit « prendre le pouvoir pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, centraliser tous les moyens de production aux mains de l'Etat et augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». [7] Il est frappant que la perspective de ce texte est résolument étatiste et que les forces productives y sont considérées comme neutres socialement ; elles forment un ensemble de choses qui doit changer de mains (être « arraché petit à petit à la bourgeoisie ») pour grandir quantitativement.
Les accélérationistes sont-ils pour autant fondés à se réclamer de Marx ? Non, car Marx a abandonné la conception exposée dans le Manifeste. Kohei Saito attire l'attention sur le fait que son oeuvre majeure, Le Capital, ne traite plus des « forces productives » en général (anhistoriques), mais de forces productives historiquement déterminées - les forces productives capitalistes. Le long chapitre XV du Livre 1 (« Machinisme et grande industrie ») décortique les effets destructeurs de ces forces, à la fois sur le plan social et sur le plan environnemental. On pourrait ajouter ceci : il n'est pas fortuit que ce soit précisément ce chapitre qui s'achève sur la phrase suivante, digne d'un manifeste écosocialiste moderne : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ». [8] Il n'est plus question ici de neutralité des technologies. Le capital n'est plus saisi comme une chose mais comme un rapport social d'exploitation et de destruction, qui doit être détruit (« négation de la négation »). Notons que Marx, après la Commune de Paris, précisera que rompre avec le productivisme nécessite aussi de rompre avec l'étatisme.
Il est étonnant que Kohei Saito ne rappelle pas la phrase du Manifeste citée ci-dessus, où le prolétariat est exhorté à prendre le pouvoir pour « augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». Cela aurait donné plus de relief encore à sa mise en évidence du changement ultérieur. Mais peu importe : le fait est que le tournant est réel et débouche au Livre III du Capital sur une magnifique perspective de révolution en permanence, résolument anti-productiviste et anti-technocratique : « La seule liberté possible est que l'homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leur métabolisme avec la nature et qu'ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force, dans les conditions les plus dignes de la nature humaine. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. » [9] L'évolution est nette. Le paradigme de l'émancipation humaine a changé : il ne consiste plus en la croissance des forces productives mais en la gestion rationnelle des échanges avec la nature et entre les humains.
Subsomption formelle et subsomption réelle du travail
Les pages les plus riches de « Marx in the Anhropocene », à mon avis, sont celles où Saito montre que le nouveau paradigme marxien de l'émancipation résulte d'un ample effort de critique des formes successives que le capital a imposées au travail. Bien qu'elle fasse partie des travaux préparatoires au Capital, cette critique ne sera publiée que plus tard (« Manuscrits économiques de 1861-1863 »). Sa clé de voûte est l'importante notion de subsomption du travail au capital. Insistons-y en passant : la subsomption est plus que de la soumission : subsumer implique intégrer ce qui est soumis à ce qui soumet. Le capital subsume le salariat puisqu'il intègre la force de travail comme capital variable. Mais, pour Marx, il y a subsomption et subsomption : le passage de la manufacture au machinisme et à la grande industrie implique le passage de la « subsomption formelle » à la « subsomption réelle ». La première signifie simplement que le capital prend le contrôle du procès de travail qui existait auparavant, sans apporter de changement ni à son organisation ni à son caractère technologique. La seconde s'installe à partir du moment où le capital révolutionne complètement et sans arrêt le procès de production - non seulement sur le plan technologique mais aussi sur le plan de la coopération - c'est-à-dire des relations productives entre travailleurs.euses et entre travailleurs.euses et capitalistes. Se crée ainsi un mode de production spécifique, sans précédent, entièrement adapté aux impératifs de l'accumulation du capital. Un mode dans lequel, contrairement au précédent, « le commandement par le capitaliste devient indispensable à la réalisation du procès de travail lui-même » (p. 148).
Saito n'est pas le premier à pointer le caractère de classe des technologies. Daniel Bensaïd soulignait la nécessité que « les forces productives elles-mêmes soient soumises à un examen critique ». [10] Michaël Löwy défend qu'il ne suffit pas de détruire l'appareil d'Etat bourgeois - l'appareil productif capitaliste aussi doit être démantelé. [11] Cependant, on saura gré à Saito de coller au plus près du texte de Marx pour résumer les implications en cascade de la subsomption réelle du travail : celle-ci « augmente considérablement la dépendance des travailleurs vis-à-vis du capital » ; « les conditions objectives pour que les travailleurs réalisent leurs capacités leur apparaissent de plus en plus comme une puissance étrangère, indépendante » ; « du fait que le capital en tant que travail objectivé - moyens de production - emploie du travail vivant, la relation du sujet et de l'objet est inversée dans le processus de travail » ; « le travail étant incarné dans le capital, le rôle du travailleur est réduit à celui de simple porteur de la chose réifiée -les moyens de préserver et de valoriser le capital à côté des machines - tandis que la chose réifiée acquiert l'apparence de la subjectivité, puissance étrangère qui contrôle le comportement et la volonté de la personne » ; « l'augmentation des forces productives étant possible seulement à l'initiative du capital et sous sa responsabilité, les nouvelles forces productives du travail social n'apparaissent pas comme les forces productives des travailleurs eux-mêmes mais comme les forces productives du capital » ; « le travail vivant devient (ainsi) un pouvoir du capital, tout développement des forces productives du travail est un développement des forces productives du capital ». Deux conclusions non productivistes et non technocratiques s'imposent alors avec force : 1°) « le développement des forces productives sous le capitalisme ne fait qu'augmenter le pouvoir extérieur du capital en dépouillant les travailleurs de leurs compétences subjectives, de leur savoir et de leur vision, il n'ouvre donc pas automatiquement la possibilité d'un avenir radieux » ; 2°) le concept marxien de forces productives est plus large que celui de forces productives capitalistes - il inclut des capacités humaines telles que les compétences, l'autonomie, la liberté et l'indépendance et est donc à la fois quantitatif et qualitatif » (p. 149-150).
Quel matérialisme historique ? Quelle abondance ?
Ces développements amènent Kohei Saito à réinterroger le matérialisme historique. On sait que la Préface à la critique de l'économie politique contient le seul résumé que Marx ait fait de sa théorie. On y lit ceci : « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale ». [12] Il semble clair que Marx ne pouvait plus adhérer littéralement à cette formulation - et encore moins à celle du Manifeste sur l'augmentation quantitative des forces productives - dès lors que son analyse l'amenait à conclure que le développement des dites forces renforce l'emprise du capital et mutile l'agentivité de celleux qu'il exploite. Comme le dit Saito : « On ne peut plus assumer qu'une révolution socialiste pourrait simplement remplacer les relations de production par d'autres une fois atteint un certain niveau de forces productives. Puisque les forces productives du capital engendrées par la subsomption réelle sont matérialisées et cristallisées dans le mode capitaliste de production, elles disparaissent en même temps que le mode de production ». Transférer la propriété du capital à l'Etat ne changerait pas le problème : les forces productives restant inchangées, 1°) les tâches de conception devraient être assurées par une « classe bureaucratique », 2°) la destruction écologique continuerait. L'auteur en conclut que « la subsumption réelle pose un problème difficile de ‘gestion socialiste libre'. La vision traditionnelle du matérialisme historique, synthétisée dans la Préface, n'indique aucune piste de solution » et « Marx n'a pas été à même d'apporter une réponse définitive à ces questions, même dans Le Capital, de sorte que nous devons aller au-delà » (pp. 157-158).
« Aller au-delà » est ce qui est proposé dans la troisième partie de son ouvrage, et c'est elle qui soulève le plus de polémiques. La question de départ est simple : si l'émancipation ne passe pas par la libre croissance des forces productives, donc par ce que Daniel Bensaid appelait le « joker de l'abondance » [13] par où pourrait-elle passer ? Par « la réduction d'échelle et le ralentissement de la production », répond Saito (p. 166). Pour l'auteur, en substance, l'abondance doit s'entendre non comme pléthore de biens matériels privés - sur le modèle à la fois consumériste et excluant de l'accumulation de marchandises accessibles uniquement à la seule demande solvable - mais comme profusion de richesses sociales et naturelles communes. Sans cela, « l'option restante devient le contrôle bureaucratique de la production sociale, qui a causé l'échec de la voie soviétique » (p. 166).
Décroissance, économie stationnaire et transition
« Marx in the Anthropocene » entend donc plaider pour un « communisme de la décroissance », profondément égalitaire, axé sur la satisfaction des besoins réels. Selon Saito, ce communisme était celui des communautés dites « archaïques », dont certains traits ont subsisté longtemps sous des formes plus ou moins dégradées dans des systèmes agraires basés sur la propriété collective de la terre, en Russie notamment. Pour le Marx de la maturité, il s'agit de beaucoup plus que des survivances d'un passé révolu : ces communautés indiquent qu'après avoir « exproprié les expropriateurs », la société, pour abolir toute domination, devra progresser vers une forme plus élevée de la communauté « archaïque ». J'adhère pleinement à cette perspective, mais avec un bémol : Saito force gravement le trait en prétendant que « 14 années d'étude sérieuse des sciences naturelles et des sociétés précapitalistes » auraient amené Marx en 1881 à avancer « son idée du communisme décroissant » (p. 242) Cette affirmation est excessive. Prise littéralement, elle ne repose sur aucun document connu. Du coup, pour qu'elle ait malgré tout une once de plausibilité (et encore : à condition de la formuler comme une hypothèse, pas comme une certitude !) Saito est obligé de recourir à une succession d'amalgames : faire comme si la critique radicale de l'accumulation capitaliste par Marx était la même chose que l'économie stationnaire, comme si les communautés « archaïques » étaient stationnaires, et comme si l'économie stationnaire était la même chose que la décroissance. Cela fait beaucoup de « si », néglige des différences essentielles… et ne nous fait pas avancer dans le débat sur les enjeux de la décroissance au sens où elle se discute aujourd'hui entre anticapitalistes, c'est-à-dire au sens littéral de la réduction de la production imposée objectivement par la contrainte climatique. Voyons cela de plus près.
Laissons le PIB de côté et considérons uniquement la production matérielle : une société post-capitaliste dans un pays très pauvre romprait avec la croissance capitaliste mais devrait accroître la production pendant une certaine période pour répondre à l'énorme masse de besoins réels insatisfaits ; une économie stationnaire utiliserait chaque année la même quantité de ressources naturelles pour produire la même quantité de valeurs d'usage avec les mêmes forces productives ; quant à une économie décroissante, elle réduirait les prélèvements et la production. En mettant un signe d'égalité entre ces formes, Kohei Saito entretient une confusion regrettable. « Il devrait maintenant être clair, écrit-il, que le socialisme promeut une transition sociale vers une économie de décroissance » (p.242). C'est fort mal formulé, car la décroissance n'est pas un projet de société, juste une contrainte qui pèse sur la transition. Une « économie de décroissance », en tant que telle, cela ne veut rien dire. Certaines productions doivent croître et d'autres décroître au sein d‘une enveloppe globale décroissante. Pour coller au diagnostic scientifique sur le basculement climatique, il faut dire à peu près ceci : planifier démocratiquement une décroissance juste est le seul moyen de transiter rationnellement vers l'écosocialisme. En effet, étant donné qu'un nouveau système énergétique 100% renouvelables doit forcément être construit avec l'énergie du système actuel (qui est fossile à 80%, donc source de CO2), il n'y a en gros que deux stratégies possibles pour supprimer les émissions : soit on réduit radicalement la consommation finale d'énergie (ce qui implique de produire et transporter globalement moins) en prenant des mesures anticapitalistes fortes (contre les 10%, et surtout le 1% le plus riche) ; soit on mise sur la compensation carbone et sur le déploiement massif à l'avenir d'hypothétiques technologies de capture-séquestration du carbone, de capture-utilisation ou de géoingénierie, c'est-à-dire sur des solutions d'apprentis-sorciers entraînant encore plus de dépossessions, d'inégalités sociales et de destructions écologiques. Nous proposons l'expression « décroissance juste » comme axe stratégique des marxistes antiproductivistes d'aujourd'hui. Faire de la décroissance un synonyme de l'économie stationnaire n'est pas une option car cela équivaut à baisser le volume de l'alarme incendie.
La commune rurale russe, la révolution et l'écologie
La perspective d'une décroissance juste doit beaucoup à l'énorme travail pionnier de Marx, mais il n'y a pas de sens à affirmer qu'il en est le concepteur, car Marx n'a jamais plaidé explicitement pour une diminution nette de la production. Pour en faire le père du « communisme décroissant », Saito se base quasi exclusivement sur un texte célèbre et d'une importance exceptionnelle : la lettre à Vera Zasoulitch. [14] En 1881, la populiste russe avait demandé à Marx, par courrier, son avis sur la possibilité, en Russie, de s'appuyer sur la commune paysanne pour construire le socialisme directement - sans passer par le capitalisme. La traduction russe du Capital avait déclenché un débat sur cette question parmi les opposants au tsarisme. Marx rédigea trois brouillons de réponse. Ils attestent sa rupture profonde avec la vision linéaire du développement historique, donc aussi avec l'idée que les pays capitalistes les plus avancés seraient les plus proches du socialisme. A ce sujet, la dernière phrase est claire comme de l'eau de roche : « Si la révolution se fait en temps opportun, si elle concentre toutes ses forces pour assurer l'essor libre de la commune rurale, celle-ci se développera bientôt comme un élément régénérateur de la société russe et comme élément de supériorité sur les pays asservis par le régime capitaliste ».
Pour Saito, ce texte signifie que la dégradation capitaliste de l'environnement avait conduit Marx, après 1868, à « abandonner son schéma de matérialisme historique antérieur. Ce ne fut pas une tâche aisée pour lui, dit-il. Sa vision du monde était en crise. En ce sens, (ses) recherches intensives au cours de ses dernières années (sur les sciences naturelles et les sociétés précapitalistes, D.T.) étaient une tentative désespérée de reconsidérer et de reformuler sa conception matérialiste de l'histoire à partir d'une perspective entièrement nouvelle, découlant d'une conception radicalement nouvelle de la société alternative » (p. 173). « Quatorze années de recherches » avaient amené Marx « à conclure que la soutenabilité et l'égalité basées sur une économie stationnaire sont la source de la capacité (power) de résistance au capitalisme ». Il aurait donc saisi « l'opportunité de formuler une nouvelle forme de régulation rationnelle du métabolisme humain avec la nature en Europe occidentale et aux Etats-Unis » : « l'économie stationnaire et circulaire sans croissance économique, qu'il avait rejetée auparavant comme stabilité régressive des sociétés primitives sans histoire » (pp. 206-207).
Que penser de cette reconstruction du cheminement de la pensée marxienne à la sauce écolo ? Le narratif a beaucoup pour plaire dans certains milieux, c'est évident. Mais pourquoi Marx a-t-il attendu 1881 pour s'exprimer sur ce point clé ? Pourquoi l'a-t-il fait seulement à la faveur d'une lettre ? Pourquoi cette lettre a-t-elle demandé trois brouillons successifs ? Si vraiment Marx avait commencé à « réviser son schéma théorique en 1860 par suite de la dégradation écologique » (p.204), et si vraiment le concept de faille métabolique avait servi de « médiation » dans ses efforts de rupture avec l'eurocentrisme et le productivisme (p. 200), comment expliquer que la supériorité écologique de la commune rurale ne soit pas évoquée une seule fois dans la réponse à Zasoulitch ? Last but not least : si on peut ne pas exclure que la dernière phrase de cette réponse projette la vision d'une économie post-capitaliste stationnaire pour l'Europe occidentale et les Etats-Unis, ce n'est pas le cas pour la Russie ; Marx insiste fortement sur le fait que c'est seulement en bénéficiant du niveau de développement des pays capitalistes développés que le socialisme en Russie pourra « assurer le libre essor de la commune rurale ». Au final, l'intervention de Marx dans le débat russe semble découler bien plus de son admiration pour la supériorité des rapports sociaux dans les sociétés « archaïques » [15] et de son engagement militant pour l'internationalisation de la révolution que de la centralité de la crise écologique et de l'idée du « communisme décroissant ».
« Offrir quelque chose de positif »
L'affirmation catégorique que Marx aurait inventé ce « communisme décroissant » pour réparer la « faille métabolique » est à ce point excessive qu'on se demande pourquoi Kohei Saito la formule en conclusion d'un ouvrage qui comporte tant d'excellentes choses. La réponse est donnée dans les premières pages du chapitre 6. Face à l'urgence écologique, l'auteur pose la nécessité d'une réponse anticapitaliste, juge que les interprétations productivistes du marxisme sont « intenables », constate que le matérialisme historique est « impopulaire aujourd'hui » parmi les environnementalistes, et estime que c'est dommage (a pity) car ceux-ci ont « un intérêt commun à critiquer l'insatiable désir d'accumulation du capital, même si c'est à partir de points de vue différents » (p. 172). Pour Saito, les travaux qui montrent que Marx s'est détourné des conceptions linéaires du progrès historique, ou s'est intéressé à l'écologie, « ne suffisent pas à démontrer pourquoi des non-marxistes, aujourd'hui, doivent encore prêter attention à l'intérêt de Marx pour l'écologie. Il faut « prendre en compte à la fois les problèmes de l'eurocentrisme et du productivisme pour qu'une interprétation complètement nouvelle du Marx de la maturité devienne convaincante » (p. 199). « Les chercheurs doivent offrir ici quelque chose de positif », « élaborer sur sa vision positive de la société post-capitaliste » (p. 173). Est-ce donc pour donner de façon convaincante cette interprétation « complètement nouvelle » que Saito décrit un Marx fondant successivement et à quelques années de distance « l'écosocialisme » puis le « communisme de la décroissance » ? Il me semble plus proche de la vérité, et par conséquent plus convaincant, de considérer que Marx n'était ni écosocialiste ni décroissant au sens contemporain de ces termes. , Cela n'enlève rien au fait que sa critique pénétrante du productivisme capitaliste et son concept de « hiatus métabolique » sont décisifs pour saisir l'urgente nécessité actuelle d'une « décroissance juste ».
Vouloir à toute force faire entrer la décroissance dans la pensée de Marx est anachronique. Ce n'est d'ailleurs pas nécessaire. Certes, on ne peut pas défendre la décroissance juste et maintenir en parallèle la version productiviste quantitativiste du matérialisme historique. Par contre, la décroissance juste s'intègre sans difficulté à un matérialisme historique qui considère les forces productives dans leurs dimensions quantitatives et qualitatives. Quoiqu'il en soit, nous n'avons pas besoin de la caution de Marx, ni pour admettre la nécessité d'une décroissance juste, ni plus généralement pour élargir et approfondir sa « critique inachevée de l'économie politique ».
Le problème de l'apologie
On peut se demander l'utilité d'une critique des exagérations de Saito. On peut dire : l'essentiel est que « (ce) livre fournit une alimentation utile aux socialistes et aux activistes environnementaux, indépendamment des avis (ou de l'intérêt même d'avoir un avis) sur la question de savoir si Marx était vraiment un communiste décroissant ou pas » [16]. C'est l'essentiel, en effet, et il faut le répéter : « Marx in the Anthropocene » est un ouvrage excellent, notamment parce que ses développement sur les quatre points mentionnés en introduction de cet article sont d'une actualité et d'une importance majeure. Pour autant, le débat sur ce que Marx a dit ou pas n'est pas à sous-estimer car il porte sur la méthodologie à pratiquer dans l'élaboration des outils intellectuels nécessaires à la lutte écosocialiste. Or, cette question-là concerne aussi les activistes non-marxistes.
La méthode de Kohei Saito présente un défaut : elle est apologétique. Ce trait était déjà perceptible dans « Marx's ecosocialism » : alors que le sous-titre de l'ouvrage pointait la « critique inachevée de l'économie politique », l'auteur consacrait paradoxalement tout un chapitre à faire comme si Marx, après Le Capital, avait développé un projet écosocialiste complet. « Marx in the Anthropocene » suit le même chemin, mais de façon encore plus nette. Pris ensemble, les deux ouvrages donnent l'impression que Marx, dans les années 70, aurait fini par considérer la perturbation du métabolisme humanité-nature comme la contradiction centrale du capitalisme, qu'il en aurait d'abord déduit un projet de croissance écosocialiste des forces productives, puis qu'il aurait abandonné celui-ci vers 1880-81 pour tracer une nouvelle voie : le « communisme décroissant ». J'ai tenté de montré que ce narratif est fort contestable.
Un des problèmes de l'apologie est de surestimer fortement l'importance des textes. Par exemple, Saito donne une importance disproportionnée à la modification par Engels du passage du Capital, Livre III, où Marx parle de la « faille métabolique ». La domination des interprétations productivistes du matérialisme historique au cours du 20e siècle ne s'explique pas avant tout par cette modification : elle découle principalement du réformisme des grandes organisations et de la subsomption du prolétariat au capital. Lutter contre cette situation, articuler les résistances sociales pour mettre l'idéologie du progrès en crise au sein même du monde du travail est aujourd'hui la tâche stratégique majeure des écosocialistes. Les réponses sont à chercher dans les luttes et dans l'analyse des luttes beaucoup plus que dans les Notebooks de Marx.
Plus fondamentalement, l'apologie tend à flirter avec le dogmatisme. « Marx l'a dit » devient trop facilement le mantra qui empêche de voir et de penser en marxistes au sujet de ce que Marx n'a pas dit. Car il n'a évidemment pas tout dit. S'il est une leçon méthodologique à tirer de son oeuvre monumentale, c'est que la critique est fertile et que le dogme est stérile. La capacité de l'écosocialisme de relever les défis formidables de la catastrophe écologiques capitaliste dépendra non seulement de sa fidélité mais aussi de sa créativité et de sa capacité à rompre, y compris avec ses propres idées antérieures comme Marx le fit quand c'était nécessaire. Il ne s'agit pas seulement de polir soigneusement l'écologie de Marx mais aussi et surtout de la développer et de la radicaliser.`
Daniel Tanuro
Le 10 mars 2024
(à paraître dans « Actuel Marx »)
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[1] Marx's ecosocialism. An unfinished critique of the political economy. Trad. Française « La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital », Syllepse, 2021
[2] Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth Communism. Cambridge University Press, 2022.
[3] Voir mon article « Marx était-il écosocialiste ? Une réponse à Kohei Saito »,gaucheanticapitaliste.org
[4] Karl Marx, Le Capital, Livre III, Moscou, éditions du Progrès, 1984, Chapitre 47, p. 848
[5] Lire en particulier Paul Burkett, Marx and Nature. A Red and Green Perspective. Palgrave Macmillan, 1999. John Bellamy Foster, Marx's Ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, 2000
[6] On lit déjà dans L'Idéologie allemande (1845-46) : « il arrive un stade dans le développement où naissent des forces productives et des moyens de circulation [...] qui ne sont plus des forces productives mais des forces destructrices (le machinisme et l'argent) ». Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, Éditions sociales, 1971, p. 68.
[7] Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, in Oeuvres choisies, ed. De Moscou, tome 1, p.130.
[8] Le Capital, Livre I, Garnier-Flammarion, 1969, p. 363.
[9] Le Capital, Livre III, ed. De Moscou, chapitre 48, p. 855.
[10] Daniel Bensaïd, Introduction critique à ‘l'Introduction au marxisme' d'Ernest Mandel, 2e édition, ed. Formation Lesoil, en ligne sur contretemps.eu
[11] Michael Löwy, Ecosocialisme. L'alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Mille et une nuits, 2011, p. 39
[12] Marx-Engels, Oeuvres choisies, Tome 1, p.525.
[13] D. Bensaïd, op. cit
[14] Marx et Engels, Oeuvres choisies, op. cit. tome 3, p. 156.
[15] Une opinion partagée par Engels : cf. notamment son admiration pour les Zoulous face aux Anglais, dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat.
[16] Diana O'Dwyer, « Was Marx a Degrowth Communist », https://rupture.ie

Au cœur de l’envoûtement capitaliste : comprendre les crypto-monnaies

Les crypto-monnaies ont eu quinze ans. Depuis ce 31 octobre 2008 où le mystérieux Satoshi Nakamoto publie le white paper fondateur du Bitcoin (Nakamoto 2008), elles se sont démultipliées. Elles reposent sur une technologie appelée la blockchain, qui est essentiellement un « vaste registre numérique permettant d'enregistrer l'intégralité des transactions[1] pour en conserver l'historique et la traçabilité » (p.9).
Tiré du site de la revue Contretemps.
La nouveauté tient aux modalités de tenue de ce livre de compte : plutôt que de recourir aux « serveurs privés d'une banque commerciale » (p.9), centralisant les informations et garantissant l'intégrité du registre, « ce livre de compte […] est public, c'est-à-dire téléchargeable par tous et accessible en permanence » (p.9). Par ailleurs — et surtout — l'inscription de nouvelles transactions au registre se fait également de façon décentralisée, par le biais d'un mécanisme de consensus dont la version la plus connue est la « preuve de travail » du Bitcoin, renommée par les crypto-critiques « preuve de gaspillage » en raison de son coût écologique (p.92).
Leurs défenseurs présentent la blockchain, comme une promesse de liberté par la décentralisation. Il s'agirait de protéger les individus du Big Government et de la Big Finance, dont la collusion a éclaté aux yeux de tous lorsque le premier a renfloué sans condition ou presque la seconde lors de la crise de 2008, tout en en présentant la facture aux peuples. Leurs détracteurs, à l'inverse, soulignent combien il y a loin entre les idéaux des crypto-enthousiastes et la réalité d'une industrie — a minima — extrêmement concentrée, parasitique et dangereuse pour l'environnement.
Son titre ne laisse pas de place à l'équivoque : No crypto de Nastasia Hadjadji se range dans ce second groupe. En tout au plus cent quatre-vingt pages, il offre un tour d'horizon sans concession de ces formes monétaires plus si nouvelles que cela, qui fascinent (ou ont fasciné) également à gauche (Alizart 2019).
Pour rappeler quelques ordres de grandeurs, on comptabilise – selon les différentes estimations – entre 7000[2] et un peu plus de 20 000 crypto-monnaies[3]. La plupart sont des poussières à côté du Bitcoin, dont la capitalisation, c'est-à-dire le prix actuel multiplié par la quantité de bitcoins créés est de 500 milliards de dollars, soit la moitié de la capitalisation de l'ensemble des 7 000 crypto-monnaies dénombrées par la plateforme Coinmarketcap. Ainsi, les crypto-monnaies véritablement pertinentes sont tout au plus une quarantaine à se partager un marché de 1 000 milliards de dollars, qui, lui-même, est microscopique comparé aux produits dérivés, représentant actuellement 618 000 milliards de dollars[4], soit plus de six fois le PIB mondial[5].
Le point de départ du livre, cette fascination — positive ou négative — qu'elles inspirent, est donc sans commune mesure avec leur poids quantitatif au sein de la finance contemporaine. Il est tentant d'expliquer cet écart par la nature de l'objet : la monnaie est en effet une institution fondatrice de l'ordre marchand, qui engage le pouvoir et la souveraineté et dont la configuration précise est un enjeu de luttes sociales[6]. Les marxistes veulent dépasser la configuration actuelle du système monétaire, les réactionnaires souvent revenir à une « vraie » monnaie, idéalisant un passé mythique où la prévalence de l'étalon-or protégeait l'institution monétaire de toute manipulation[7].
C'est que changer la société, c'est (notamment) changer la monnaie et, de ce point de vue, il n'est pas fortuit que les monnaies sociales, autre type d'alternatives monétaires populaires parmi les partisans de l'économie sociale et solidaire, ont connu la même forte croissance au même moment que les crypto-monnaies. La crise de 2008 a en effet secoué le capitalisme jusque dans ses fondations et ouvert une période propice à toute sorte de remise en cause de l'état des choses (monétaire) existant[8].
Mais toutes les contestations ne se valent pas. Pour l'autrice, la « démocratisation des crypto-monnaies pose des questions éthiques, économiques, écologiques et politiques cruciales » (p.12). C'est à exposer méthodiquement « le péril de nature à la fois économique, écologique et politique » (p.13) qu'elle consacre les six chapitres de son livre, dont elle tire les matériaux d'une vaste enquête journalistique, alimentée par les analyses de la communauté crypto-critique, constituée notamment d'universitaires (Oliver Jutel, Tonantzin Carmona), de journalistes (Ben McKenzie, Jacob Silverman, Amy Castor), d'ingénieurs informatiques (David Gerard, Stephen Diehl, Molly White). On peut noter une relative absence de la recherche en sciences sociales utilisant des méthodes ethnographiques, dont la mobilisation aurait peut-être permis de rééquilibrer la discussion et de nuancer les conclusions. Après avoir passé en revue ces chapitres, trois pistes de discussion sont suggérées.
Du culte à sa politique
Le premier chapitre revient sur la plus fameuse des crypto-monnaies, le Bitcoin. Au sujet de son créateur, Satoshi Nakamoto[9], elle note comment son effacement volontaire en 2010 sanctionne la création de ce qui s'apparente à un véritable culte. Les maximalistes du Bitcoin sont fondamentalement « critiques de l'action des banques centrales » (p.16), présentées comme la source de tous les maux contemporains, de l'inflation à l'accroissement des inégalités. Si l'on peut retrouver également une « critique de l'action des marchés financiers » (p.16), elle se détache sur cet arrière-plan idéologique essentiellement libertarien. Ainsi, la décentralisation et la transparence, étendards des crypto-enthousiastes, sont connotées. Plutôt qu'à l'autogestion de la société, elles « s'articule[nt] à la croyance dans la fonction autorégulatrice du marché » (p.19). Le culte s'organise notamment dans les dédales d'internet, des réseaux sociaux, des forums, où reviennent les mêmes expressions : HODL, pour manifester sa ferme décision de ne pas vendre, de conserver les bitcoins le plus longtemps possible ; DYOR (« Do Your Own Research »), façon élitiste de renvoyer les sceptiques à leur manque de connaissance ; ou encore le rassembleur WAGMI (« We Are Going to Make It »), à travers lequel les maximalistes du bitcoin communient leur commun désir de richesse.
Après la description du culte, les membres de l'Église : les « opportunistes », ces poids lourds de la finance, qui s'avouent eux-mêmes plus « mercenaires » qu'idéologues, attirés par les promesses fabuleuses de gain ; les « défricheurs », souvent des hommes de catégories supérieures qui étaient là au début, ces crypto bros, qu'on retrouve aussi activement en train de faire la promotion de leur passion (et leur richesse) dans LREM ; les « idéologues », qui se considèrent les héritiers de l'école autrichienne, continuateurs de Friedrich von Hayek et d'Ayn Rand ; les « idéalistes », représentant la contrepartie (pour ne pas dire caution) de gauche des précédents, pour lesquels un Bitcoin du peuple est possible, qui permettrait d'éviter que le sauvetage sans condition des banques en 2008 puis le chantage odieux de la Troïka au peuple grec quelques années plus tard ne se reproduisent ; les « révoltés », ces « néoinvestisseurs en crypto » qu'anime le FOMO (« Fear Of Missing Out »), soit la crainte de laisser à d'autres ces fortunes gagnées en une nuit, qui leur permettraient de s'affranchir de leur condition ; les « mystiques », enfin, artisans d'un curieux syncrétisme à l'image de Maren Altman qui a « créée de toutes pièces une activité consistant à délivrer des prédictions astrales relatives au cours des cryptos sur la plateforme TikTok où elle est suivie par 14 millions d'abonnés » (p.35).
Le chapitre 2 est consacré aux origines idéologiques des cryptos. L'autrice retrace une généalogie précise, qui voit les Cypherpunks, héritiers de la contre-culture étatsunienne, se rapprocher progressivement, à partir de la fin des années 1980, des milieux politiques libertariens. Sur la liste mail pirate des Cypherpunk, créée en 1992, se côtoient Julien Assange, plus tard rendu célèbre par les Wikileaks, et Marc Andreessen, fondateur du fonds Andreessen Horowitz (a16z)[10], « grand argentier de la crypto-industrie » (p.48). Leur point commun initial : leur opposition à Big Brother et la nécessité de la protection de la vie privée (cypher signifie coder, chiffrer). Mais ce qu'il pouvait y avoir d'émancipateur dans la contre-culture étatsunienne disparait au contact des croisés libertariens contre la tyrannie des États et de leurs acolytes, les banques centrales : le cyberlibertarianisme naît de cette rencontre asymétrique.
Quelques grands tournants se dessinent. Le discours du cypherpunk Hammil en 1987, au cours d'un grand raout libertarien, la Future Freedom Conference. Le Reform Act de 1996, projet de loi sur les télécommunications porté par Bill Clinton, qui les électrise : « l'internet doit rester ingouvernable » (p.47). Les attentats du 11 septembre et le Patriot Act, qui inquiète le milieu cypherpunk, dont les innovations technologique sont désormais dans la ligne de mire des autorités, qui voient d'un mauvais œil ces premières tentatives de créer des systèmes de paiement autonomes et anonymes, depuis l'« e-cash » de David Lee Chaum en 1990 au « Bit Gold » de Nick Szabo entre 1998 et 2005 en passant par la « b-money » de Wei Dai. L'échec des « monnaies numériques convertibles en or », l'« e-gold », l'« e-bullion » ou « 1mdc » (p.54) à la fin des années 2000, moment où l'on peut dire que l'« utopie cyberlibertarienne a fait long feu », notamment en raison du caractère contradictoire du projet de créer une institution monétaire sans institution et des conceptions a- voire anti-démocratiques qui ont cours dans ce milieu, le condamnant à demeurer marginal (Narayanan 2013a ; 2013b).
Mais surtout, l'acte fondateur : la crise financière de 2008, le bail-out généralisé des responsables de la crise par les États, la crise subséquente des États férocement attaqués par ceux qu'ils avaient sauvés, et les réactions des populations qui refusent de payer la facture. 2013 est l'ouverture d'une nouvelle ère. Le bitcoin, véritable locomotive des cryptos, prend de la valeur, passant de 1 000 en 2013 à 20 000 dollars en 2017. Les cryptos se multiplient et, avec elles, les hacks et les fraudes aussi. Déjà présents au cours de la préhistoire des cryptos, de même que la méfiance suspicieuse des autorités vis-à-vis de systèmes de paiement qui leur échappent et qu'ils sont prompts à accuser de favoriser le blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme international, comme le montre bien l'autrice, hacks et fraudes prennent une toute autre ampleur. Les principaux acteurs des cryptos se rapprochent de l'élite financière pour négocier leur soutien à ce qui, sur les marchés financiers, se qualifie de manipulation des cours. « D'un projet alternatif et anti système, les cryptos sont devenus une industrie à part entière qui brasse des milliards de dollars […] L'équation de la décennie à venir s'écrit désormais en ces termes : Big Finance + Big Crypto = <3 » (p.62). Les représentants de la nouvelle crypto-oligarchie vantent leurs bonnes relations avec leurs ennemis théoriquement jurés, politiciens et fonctionnaires des banques centrales, dont ils espèrent une reconnaissance symbolique aux effets économiques conséquents. Le crony capitalism, ce « capitalisme de connivence » honni par les libertariens, est reconduit par ses propres critiques, que leur nouvelle fortune a rendu soudainement pragmatiques.
Le chapitre 3 retrace les turpitudes de ces nouveaux « barons voleurs » que sont ces crypto-oligarques. Mark Karpelès, patron de Mt. Gox, qui détourne les fonds de ses clients ; Ruja Ignatova, la « missing crypto queen » qui arnaque des milliers de petits porteurs en leur faisant miroiter la rentabilité fabuleuse de son OneCoin ; le français Vincent Roppiot, à la tête de RR Crypto, dans le collimateur des autorités. Ces dérives individuelles qui échappent aux régulations trop faibles trouvent leur pendant dans l'absence d'assurance collective permettant de limiter le risque systémique. Ainsi, 2022 est l'année des faillites en cascade, du stablecoin algorithmique UST/LUNA à la Silicon Valley Bank en passant par l'exchange FTX, dont la chute laisse son concurrent, Binance, en situation de quasi-monopole. C'est un vice de fabrication : parce que les cryptos se veulent systèmes monétaires sans institution, « la solidité de la structure ne repose que sur le bon vouloir des acteurs du marchés, certains acceptant de soutenir les entreprises en difficultés de manière à éviter ls conséquences d'une contagion délétère » (p.75). Signe de la fusion entre la Big Finance et la Big Crypto, la chute de ces dominos crypto entraine le rachat en urgence du Crédit Suisse par UBS. Apparues en prétendant protéger les individus du risque systémique qui avait contraint les États à venir au secours des responsables de la crise de 2008, les cryptos finissent par alimenter ce même risque.
Le modèle économique des crypto est d'ailleurs proche des Ponzinomics de la spéculation financière, qui seraient également « le programme par défaut de l'industrie des cryptos » (p.87), où, pour s'enrichir, « il faut trouer le ‘prochain idiot' qui vous achètera vos tokens à un prix plus élevé que celui que vous avez payé » (p.87). L'autrice fait ici référence à la Greater Fool Theory de l'informaticien et crypto-critique David Gerard. Si l'enrichissement en crypto est sans doute de nature essentiellement spéculative, il n'est pas possible de suivre Gerard et l'autrice dans leur opposition entre crypto, d'une part, et actions et obligations d'une entreprise et monnaies de cours légal, de l'autre. Les crypto seraient en effet de la pure « valeur d'échange associée à la croyance des investisseurs », tandis qu'actions, obligations et monnaies officielles auraient une « valeur économique intrinsèque », liées respectivement « aux richesses produites par une entreprise, à son patrimoine et à son capital » et à la « richesse produite par un pays, une zone économique ainsi que sa capacité d'influence » (p.87).
Cette opposition entre une vraie et une fausse valeur n'a pas de sens du point de vue de la théorie marxiste du capital fictif : les titres financiers qui s'échangent sur les marchés secondaires ne sont pas moins fictif et spéculatif que les cryptos. S'il faut faire une différence entre crypto-finance et finance traditionnelle, ce n'est pas celle que fait l'autrice, qui conclut en soulignant simplement à la « nécessité du durcissement de l'encadrement de l'industrie des cryptoactifs » (p. 90) : les cryptos ont aussi permis un accès simplifié aux plus-values financières, là où celles-ci, dans la finance traditionnelle, même avec la diminution du poids des banques et le renforcement corrélatif des investisseurs institutionnels, reste largement réservées à une élite financière. Bien sûr, ce mouvement est contradictoire, puisqu'il renforce la financiarisation de la vie quotidienne. Mais, à l'image des travaux de Sanchez et Luzzi (2023) sur la diffusion des crypto-monnaies dans le corps social argentin, les usages populaires des crypto-monnaies sont aussi synonymes de renforcement de l'autonomie de l'individu face aux régulations étatiques qui n'impliquent pas mécaniquement plus d'égalité, de liberté ou de justice.
Le chapitre 4 passe en revue les conséquences écologiques des cryptos, montrant comment les besoins de l'industrie rentrent déjà fortement en contradiction avec les besoins sociaux des populations. L'argument est à la fois social, économique et écologique. Dans l'État du Texas, les habitants paient le coût quatre fois des entreprises cryptos qui s'y installent : une première fois par les exonérations d'impôts dont ces dernières bénéficient ; une seconde fois par la hausse du prix de l'électricité que nécessitent les ASICS, ces super-ordinateurs devenus indispensables pour « miner » des cryptos ; une troisième fois par les dédommagements que verse l'État aux entreprises en échange de l'interruption de leur activité en cas de fortes chaleurs, par exemple, qui entraîne une tension importante sur le réseau électrique ; une quatrième fois, enfin, sous forme de coupures actuelles ou potentielles de courant parce que ces entreprises n'interrompent pas nécessairement leurs activités dans ce cas.
Le Bitcoin et la plupart des crypto-monnaies utilisent en effet un mécanisme de consensus appelé « preuve de travail » qui sécurise les transactions en imposant, pour leur validation de façon décentralisée, la résolution d'un problème cryptographique dont la difficulté augmente avec la quantité de bitcoins déjà en circulation : plus l'on se rapproche de la limite des 21 millions maximum de bitcoins minables, plus l'écosystème Bitcoin tend logiquement à se concentrer pour faire face à des investissements en équipements informatiques toujours plus lourds. 5 entreprises contrôlent ainsi 85 % de la puissance de calcul du réseau, loin des promesses de décentralisation égalitaire des débuts. L'absurdité des fermes de minage est patente, leur coût écologique et social flagrant et les quelques tentatives de donner une utilité propre à l'activité de minage n'ont pas prospéré[11]. Il existe bien d'autres mécanismes de consensus, guère en odeur de sainteté auprès des maximalistes du Bitcoin, comme la « preuve d'enjeu » (avec ou sans smart contract, à rebours de ce qu'écrit l'autrice) : un participant aux échanges a d'autant plus de chance d'être sélectionné pour « valider » le bloc des dernières transactions à date qu'il a d'enjeu, c'est-à-dire qu'il possède des token de la crypto-monnaie à preuve d'enjeu en question. La seconde crypto après le Bitcoin, l'Ethereum, a réduit sa consommation d'énergie de près de 100 % (De Vries 2023) après être passé à cet autre mécanisme de consensus.
Cette réduction impressionnante aurait pu amener l'autrice à admettre une zone de pertinence des cryptos à condition qu'elles opèrent cette transition, dénommée The Merge. Mais elle reste sans conséquence pour son son propos, qui conclut en soulignant que « cette industrie non productive et prédatrice ajoute une couche supplémentaire de consommation énergétique à la charge déjà trop importante de notre consommation mondiale » (p.103) et en rappelant cet effet-rebond identifié par les économistes : tout verdissement des équipements ne permet pas de réduire mécaniquement la consommation d'énergie, mais amène surtout à installer plus d'équipements, conformément à la logique du capital.
C'est que la facture des cryptos ne se mesure pas qu'en tonnes équivalent. Elle a des effets politiques inquiétants. D'abord sous la forme d'un crypto-colonialisme favorisant le développement de formes d'inclusion prédatrice (Carmona 2022), objet du chapitre 5. Le Salvador est devenu, sous la houlette de son président entrepreneur de 38 ans Nayib Bukele, le premier pays à faire du bitcoin une de ses monnaies officielles. Le bilan est salé : un système virtuellement inutilisé, de toute façon inefficace et propice à la fraude ; 425 millions de dollar réglés par un Etat déjà exsangue au bénéfice d'un assemblage hétéroclite de conseillers et prestataires en crypto ; et un dispositif idéal pour convertir en toute légalité des sommes en cryptos en dollars étatsuniens tout en vidant au passage les réserves de change limitées de la banque centrale du pays. La RDC, les Îles Fidji ou Porto Rico sont quelques autres de ces « cryptopies ». Les populations y protestent contre ces crypto-colons, pas dupes des promesses de « décolonisation de la monnaie » visant à libérer les pauvres de l'hégémonie du dollar (p.130).
Même lorsque les projets en crypto présentent le visage plus aimable d'innocents projets humanitaires, comme dans les îles du Vanuatu, ils restent « inefficaces bien que coûteux [et] sont en réalité des produits d'appel destinés à nourrir le marketing de la crypto-industrie en la présentant comme un outil d'émancipation pour les populations vulnérables » (p.130)[12]. Une forme de technosolutionnisme (Morozov 2013) est inhérente aux cryptos, dont les partisans vantent les vertus décentralisatrices comme s'il s'agissait d'une vertu en soi. Or, les sciences sociales ont bien montré que la technologie n'est pas neutre et que ses effets dépendent largement des caractéristiques de ses acteurs. A l'image du micro-crédit (Guérin 2015), avec lequel elles peuvent du reste d'articuler sous la forme de micro-crédit en crypto, les cryptos ont un caractère prédateur marqué qui provient des dynamiques à la Ponzi sur lesquelles reposent leur valeur. Ainsi, on vend le « bitcoin comme un outil d'égalisation permettant d'aplanir les inégalités en vertu de sa nature ‘décentralisée' et ‘ouverte' [tout en omettant] sciemment que la régulation des cryptoactifs est trop faible pour protéger efficacement les particuliers et que ce marché dérégulé possède une généalogie réactionnaire qui le situe aux antipodes de la préservation des intérêts des minorités » (p.134).
C'est aux effets présents de cette généalogique que l'autrice consacre son dernier chapitre. L'intérêt de représentants — hommes politiques ou entrepreneurs — d'extrême-droite comme Zemmour, Bannon ou Thiel pour les cryptos s'explique par le caractère fondamentalement réactionnaire de la matrice intellectuelle des cryptos. Comme le remarque à juste titre l'autrice, l'hypothèse implicite d'une des défenses courantes de la blockchain, à savoir qu'elle permet de faire société sans nécessité de confiance, est précisément une vision pessimiste des sociétés humaines, dans lesquelles la défiance serait généralisée et indépassable. Diabolisation des banques centrales et postulat d'une origine intégralement monétaire de l'inflation sont deux autres piliers intellectuelles des cryptos qui les positionnent à droite, voire à l'extrême-droite de l'échiquier politique. Dans ce contexte, la liberté et la décentralisation présentées comme des vertus indiscutables des cryptos ont un contenu tout à fait coloré : la liberté « fait ainsi écho à la capacité à se dérober de à toute forme de supervision de la part d'instances gouvernementales ou supraétatiques » tandis que la « ‘décentralisation'' promue par les promoteurs des cryptoactifs est une expression codée pour un monde où les marchés dérégulés orchestrent la vie collective » (p.152).
Rien à voir avec l'autonomie qui s'expérimente par exemple dans les Zones à Défendre (p.153) : les cryptos radicalisent cette « idéologie californienne » (Barbrook et Cameron 1995), « mariage entre la loi du marché et la pensée hippie » dont les épigones sont nombreux dans la Silicon Valley, et la radicalisent clairement sur la droite. L'autrice conclut sur une tonalité pessimiste en soulignant que l'hiver crypto qui fait suite à la vague de faillites en 2022 est susceptible d'alimenter une « colère qui ne manquera pas de naître des scandales et des pertes financières qui en découlent », colère peu susceptible de susciter « un agir politique ‘de gauche' tourné vers la remise en question des hiérarchies sociales et politiques » (p.144).
Ce livre conclut sur une interrogation. Peut-on penser une « appropriation non capitaliste et non libertarienne de technologies forgées en dehors du berceau de la gauche radicale » (p.161) ? Il n'y répond pas, esquissant seulement une réponse en soulignant que la question de la résistance à la surveillance et la censure est un enjeu crucial pour la politique de l'émancipation. C'est, selon l'autrice, qu'il n'y a pas, en l'état, de véritable réflexion de gauche sur ce qu'il faudrait repenser dans les blockchain pour en supprimer la trace des origines. Sans rapport direct avec cette question pourtant essentielle, le livre conclut sur les enjeux écologiques, dont l'urgence – indéniable – exclut par principe la blockchain des futurs possibles, puisqu'il s'agit de « ralentir, désinvestir et réaffecter » plutôt que d'« innover, accélérer ou spéculer » (p.166). Ce dernier mouvement interroge, dans la mesure où l'autrice avait souligné l'existence de blockchains à très faible consommation d'énergie, dès lors que les mécanismes de consensus ne sont pas des preuves de travail.
Au total, cet ouvrage offre un panorama intéressant des crypto-monnaies. Mais sa conclusion, générale, pose plus de questions qu'elle n'offre de réponses. On a parfois le sentiment d'une fatalité de l'origine qui surdétermine la nature des crypto-monnaies. Or, les usages sont autrement plus divers que ne le suggère le livre. Une façon de commencer à apporter des éléments de réponses à l'interrogation, cruciale, sur des usages « non capitalistes et non libertarienne » pourrait être de repartir non pas des travaux de la seule communauté crypto-critique, très présente dans ce livre, mais de ceux des chercheurs et chercheuses en sciences sociales qui s'attachent à décrire la diversité et la complexité d'un objet qu'on ne saurait réduire à une matrice indépassable. Ainsi, comment penser la possibilité, aux côtés des crypto-monnaies « libertariennes », de crypto-monnaies sociales (Tichit, Lafourcade, et Mazenod. 2017), à l'image de la MonedaPAR étudiée par Raphaël Porcherot (2023) ? Comment comprendre la coexistence de maximalistes du Bitcoin et d'individus désireux de préserver la valeur de leurs avoirs monétaires dans un pays où l'inflation est structurelle comme l'Argentine ? L'autrice a sans doute raison de souligner le manque de réflexion sur de potentiels usages non capitalistes des crypto-monnaies ; néanmoins et a minima, des usages non libertariens existent bel et bien déjà et sont absents du livre, qui s'attache plutôt à montrer les errances des maximalistes des cryptos.
Ainsi, la fin de non-recevoir opposée aux crypto peut être à notre sens triplement nuancés. D'abord, parce que, comme nous l'avons rappelé, la valeur des cryptos n'est pas d'une autre nature que le reste des « valeurs » d'une économie capitaliste, au sens où toutes sont tout autant fictives et fétichistes. Ensuite, parce qu'il existe bien des usages monétaires des cryptos, de sorte que les réduire à un simple actif financier hautement risqué revient à reprendre sans distance critique le discours des autorités monétaires, qui n'ont aucun intérêt à voir reconnaître la qualité de monnaie à des instruments sur lesquels elles n'ont pas de contrôle. Enfin, parce qu'au-delà de ces usages monétaires potentiellement non libertariens, des usages non monétaires de la blockchain, sont possibles. Notre thèse, que nous n'avons pas la place de développer mais que nous développons dans un autre article en cours d'écriture, est que c'est notamment de ces usages non monétaires de la blockchain qu'il faut repartir pour avancer en direction d'une « appropriation non capitaliste et non libertarienne » de cette technologie. Les technologies ne sont pas neutres, mais elles ne sont pas non plus figées.
*
Illustration : Wikimedia Commons.
Références
Alary, Pierre, Jérôme Blanc, Ludovic Desmedt, and Bruno Théret (eds.) 2016, Théories françaises de la monnaie : une anthologie, Presses Universitaires de France.
Alizart, Mark 2019, Cryptocommunisme, Presses Universitaires de France.
Barbrook, Richard and Andy Cameron 1995, The Californian Ideology, Mute.
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Guérin, Isabelle 2015, La microfinance et ses dérives : émanciper, discipliner ou exploiter, Paris : Demopolis.
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Tichit, Ariane, Pascal Lafourcade, and Vincent Mazenod 2017, ‘Les monnaies virtuelles décentralisées sont-elles des dispositifs d'avenir ?', Interventions économiques 59.
Notes
[1] En fait, non seulement les transactions mais l'ensemble des opérations qui ont lieu dans le système, y compris les opérations « structurelles » telle que les modifications du nombre d'opérations nécessaires pour constituer un bloc. Des usages non monétaires des blockchains sont aussi possibles, par exemple dans certaines filières alimentaires où cette technologie est censée permettre une meilleure traçabilité dans l'intérêt supposé des consommateurs mais tend surtout à concentrer et renforcer le pouvoir entre les mains de certains agents déjà puissants : la transparence « ne permet pas systématiquement de prévenir ou de réduire le pouvoir mais peut l'exacerber » (Commandré, Macombe, et Mignon 2021).
[2] https://coinmarketcap.com
[3] https://www.schwab.com/learn/story/cryptocurrencies-what-are-they
[4] https://www.bis.org/statistics/about_derivatives_stats.htm
[5] https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD
[6] On peut se rapporter à Alary et al. (2016), recueil de texte autour des institutionnalismes monétaires, ou à un livre collectif des Economistes Atterrés et al. (2018).
[7] Ainsi, les Gold Bugs, frange de l'extrême-droite étatsunienne, et l'Etat islamique ont ceci en commun qu'ils prônent tous le retour à une « vraie » monnaie au sens d'une monnaie métallique : ici un retour à la convertibilité du dollar en or ; là la frappe de dinars en or faisant explicitement référence au temps des califes du passé.
[8] On en compte aujourd'hui environ 2 000 dans le monde (Blanc, 2021). Des hybridations entre ces deux formes de contestations monétaires sont possibles. Par exemple : https://theconversation.com/les-cryptomonnaies-sociales-ou-la-convergence-des-contestations-monetaires-109278.
[9] De 2008 à 2010, nous dit l'autrice, « il a ‘miné' 22 000 blocs, ce qui représente à l'époque un peu plus de 50 milliards d'euros » (p.15). La formulation laisse la place à l'équivoque puisqu'on ne sait pas si l'autrice fait référence à la valeur des transactions enregistrées dans ces 22 000 blocs ou à la valeur des bitcoins que Nakamoto a reçu en rémunération de son activité de « minage », qui désigne en fait le travail algorithmique de vérification des nouvelles transactions et de leur rajout à la chaîne de bloc.
[10] a16z est nommé ainsi car il y a seize lettres entre le A et le Z de Andreessen Horowitz.
[11] Ainsi des cryptos qui confèrent une utilité supplémentaire au « minage », au-delà de la seule vérification des transactions : par exemple Primecoin « qui remplace la preuve de travail de Bitcoin par le calcul des chaînes de Cunningham sur les nombres premiers [permettant de faire] avancer la recherche en mathématiques » ; « Gridcoin, Curecoin ou encore Foldingcoin [proposant] de mettre les calculs de validation des transactions au service de la science ou de la médecine, en participant à l'analyse du fonctionnement des protéines par exemple dans le cas de Curecoin » (Tichit, Lafourcade, et Mazenod 2017). Primecoin, Gridcoin et Curecoin s'échangent pour quelques centimes sur Coinmarketcap, le marché pour Foldingcoin a quant à lui cessé d'exister tout à fait.
[12] Ce type de dynamique se retrouve également dans un cas d'hybridation entre crypto-monnaie et monnaie sociale, la MonedaPAR. Si les usagers de la MonedaPAR sont à l'abri des fraudes et arnaques par construction, puisque la blockchain n'y est utilisée que comme « système d'exploitation » sans qu'il n'existe de marché spéculatif pour la MonedaPAR, reste que les techniciens en charge de la conception et du maintien de l'infrastructure crypto de cette alternative monétaire la présentent explicitement comme un produit d'appel. Leurs intérêts sont temporairement alignés sur ceux des usagers de la MonedaPAR : si le projet fonctionne, ce dernier leur garantira une publicité efficace pour leurs solutions de système monétaire configurable et destiné à tout type d'acteurs. Par ailleurs, à plus court terme, cela leur permet d'améliorer leur positionnement au sein de la blockchain Bitshares : la MonedaPAR augmente leurs chances d'être choisis par l'algorithme pour valider des blocs de transactions et de bénéficier ainsi de crypto-revenus additionnels (Porcherot 2023 ; Orzi, Porcherot, et Valdecantos 2021).
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Jean François Lisée navigue en eaux troubles
Dans sa chronique hebdomadaire parue dans l'édition du Devoir des 23 et 24 mars, Jean-François Lisée commet un article polémique. En effet, il s'en prend à la caricature de Serge Chapleau parue dans l'édition de mercredi le 20 mars, laquelle vise assez cruellement l'actuel premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Lisée pointe l'utilisation par le caricaturiste d'un vampire inspiré d'une illustration du film "Nosferatu" (1922) en soulignant que "les nazis avaient utilisé la même imagerie dans leurs campagnes antisémites." Il continue en affirmant qu'"il existe un champ lexical et iconographique entourant la Shoah, qui est radioactif." Il termine sa chronique en admettant que "même si le peuple juif n'a pas le monopole de la souffrance, comme le disait Yves Michaud, la Shoah occupe une place à part dans l'échelle historique de la barbarie."
Il se déclare contre la censure et en faveur de la liberté d'expression qui "ne doit pas se heurter à un inexistant droit de ne pas être offensé." Il continue en affirmant que : "Parmi les gens sensés-et dans les grands quotidiens-, l'antisémitisme, comme toute expression de racisme, dépasse les bornes."
La position assez alambiquée de Lisée me semble résumer celle des bien-pensants occidentaux au sujet d'Israël. Il se déclare contre la censure mais avec des réserves, surtout en ce qui concerne les Juifs. Ils ont tellement souffert dans le passé, n'est-ce pas, que ce serait de la diffamation à leur endroit de la part d'un caricaturiste, par exemple, d'utiliser, pour stigmatiser la politique brutale et sanguinaire de Netanyahou et consorts à Gaza, l'illustration d'un film plus tard instrumentalisée par les nazis. Admettons que le choix de Chapleau n'était pas de très bon goût. Et pourtant... Même s'ils on atteint des sommets inégalés dans l'horreur, les nazis ne sont pas les premiers ni les derniers salauds à avoir existé. Ils ont disparu depuis 1945, à quelques nazillons près, peut-être. D'autres saligauds sont encore dangereusement vivants.
Réglons dès le départ une question centrale : les Juifs ne forment pas une "race", mais les adhérents et adhérentes à une religion. On compte même des juifs éthiopiens. On peut donc légitimement poser la question suivante : si les nazis, au lieu d'exterminer six millions de Juifs européens, avaient éliminé autant de Juifs noirs en Afrique, la réaction des Occidentaux aurait-elle été la même ? Gît là une dimension du problème toujours ignorée. Il vaudrait mieux parler d'antijudaïsme que d'antisémitisme.
Mais continuons tout de même sur la lancé e du racisme. Les Palestiniens et leurs combattants (ceux-ci toujours qualifiés de "terroristes") ont longtemps été dénigrés par les classes politiques occidentales. Lisée, à la suite des responsables israéliens, accuse les maquisards du Hamas de se servir des civils comme boucliers humains pour se mettre à l'abri des bombardements aériens israéliens. C'est la guérilla, l'arme du faible contre le fort. Durant la Seconde guerre mondiale, durant l'Occupation, est-ce que les maquisards français affrontaient la Wehrmacht en rase campagne ? Donner priorité à l'anéantissement du Hamas au détriment de la vie des civils Gazaouis constitue en soi un crime de guerre. Si les guérilleros du Hamas avaient massacré trente mille citoyens israéliens, on hurlerait à une nouvelle Shoah.
Au lieu de quoi, les classes politiques occidentales dans leur ensemble, et en particulier l'américaine, se contentent de réactions assez faibles, exhortant Netanyahou à la modération et d'exhortations à ne pas lancer un assaut final contre Gaza City ; elles essaient tout, sauf les seules mesures susceptibles de faire entendre raison au cabinet israélien : la menace de mesures de rétorsion économiques et militaires, ce qui serait considéré comme un sacrilège par les gouvernements alliés d'Israël. Et tant pis pour les multiples victimes gazaouies.
Pour résumer beaucoup, depuis le début formel du conflit israélo-palestinien, des dizaines de milliers de Palestiniens et de Palestiniennes ont été tués par l'armée de Tel-Aviv, sans que cela n'incite les responsables occidentaux à faire efficacement pression sur leur protégé afin qu'il négocie de bonne foi avec les représentants du peuple opprimé. Il y a une bonne raison à cela : le racisme anti-arabe en général et anti-palestinien en particulier de la part des "élites" politiques occidentales dans l'ensemble.
Il existe une forme de censure plus insidieuse et plus efficace que le dénigrement ouvert : celle du silence. Je fais référence ici au cinéma hollywoodien. Jamais un film sorti de "l'usine à rêves d'Hollywood" n'a dénoncé la tragédie subie par le peuple palestinien. Bien au contraire, quelques films ("Victoire à Entebbe", "Raid sur Entebbe", "Munich") présentaient les résistants palestiniens comme des "terroristes", autrement dit les criminalisaient. Aucun film hollywoodien n'a jamais été produit sur les massacres de Sabra et Chatila. Qu'en sera-t-il de l'actuel conflit israélo-gazaoui ? Si le passé est garant de l'avenir...
Qu'est-ce qui est le plus odieux ? Une caricature sortie dans un journal ou l'utilisation sans vergogne par les sionistes de la mémoire des innombrables victimes de l'Holocauste pour légitimer l'État hébreu et ses tueries de Palestiniens et de Palestiniennes au nom du droit à l'autodéfense ? Le vrai scandale est là, d'autant plus que le peuple palestinien n'a rien eu à voir avec l'antijudaïsme occidental, qui a connu l'aboutissement que l'on sait. Jean-François Lisée ne paraît non plus pas très choqué que des ministres israéliens souhaitent ouvertement la disparition des Palestiniens.
On ne peut être en même temps pour et contre la censure : en faveur (du moins dans une certaine mesure) au nom du respect du à la mémoire des victimes de l'Holocauste et contre au nom du libéralisme Lisée aurait-il dénoncé une caricature du défunt Yasser Arafat le dépeignant comme un odieux terroriste ?
Jean-François Delisle
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Paroles de délégué.e.s de la FGTB, combattantes et combattants du quotidien

2024 est une année d'élections politiques dont les médias vont parler beaucoup, et longtemps : élections législatives, européennes, régionales, provinciales, communales. Mais ils parleront sans doute beaucoup moins d'un autre scrutin, lui aussi prévu cette année, au mois de mai : les élections sociales.
18 mars 2024 | https://www.youtube.com/watch?v=vgQaxxWyBRg
Pourtant, ces élections sont aussi un rendez-vous démocratique très important, qui va concerner plus de 7.000 entreprises, plus de 2 millions de travailleuses et travailleurs, et des dizaines de milliers de déléguées syndicales et délégués syndicaux qui seront élu·e·s pour les représenter et les défendre. Ces délégué·e·s, élu·e·s pour un mandat de 4 ans renouvelable, s'engagent pour améliorer les conditions de travail, les salaires, le bien-être et la santé de leurs collègues, et aussi pour veiller sur la bonne santé économique et la viabilité de l'entreprise dans laquelle ils travaillent.
Cette nouvelle émission « REGARDS » vous emmène à la rencontre de Christelle, Bibiane, Mathilde et Karim, quatre syndicalistes FGTB qui luttent, au quotidien, pour la solidarité, l'égalité, la justice sociale, et pour que la démocratie ne s'arrête pas aux portes des entreprises.
Réalisation : Yannick Bovy – Mars 2024 – 26'
REGARDS // Une émission d'opinion produite par le CEPAG et proposée par la FGTB wallonne // En collaboration avec la Form'action André Renard (FAR) et le GSARA
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Karl Kautsky, L’origine du christianisme, Paris, Syllepse, 2024.

Traduit de l'allemand et préfacé par Richard Poulin
À l'occasion de la fête de Pâques, la fête la plus importante et la plus ancienne du christianisme, qui commémore la Résurrection de Jésus, il est approprié de publier un extrait du livre de Kautsky qui questionne la mythologie chrétienne (p. 390-396).
D. La résurrection du crucifié
Il ne manquait pas de Messies à l'époque de Jésus, surtout pas en Galilée, où surgissaient à tout instant des prophètes et des chefs de bandes qui se présentaient comme des rédempteurs et des oints du Seigneur. Or, à partir du moment où un tel homme avait succombé devant la puissance romaine, où il avait été arrêté, crucifié ou tué, alors son rôle de Messie était terminé, il était considéré comme un faux prophète et un faux Messie. Il fallait encore attendre la venue du vrai Messie.
Quant à elle, la communauté chrétienne s'est accrochée à son champion. Pour elle aussi, la venue du Messie dans toute sa gloire était encore à venir. Mais celui qui devait venir n'était personne d'autre que celui qui avait déjà été là, le crucifié, ressuscité trois jours après sa mort et remonté au ciel après s'être montré à ses partisans.
Cette conception n'était propre qu'à la communauté chrétienne. D'où provenait-elle ?
Selon la vision des premiers chrétiens, c'était le miracle de la résurrection de Jésus le troisième jour après la crucifixion qui prouvait sa divinité et fondait l'attente de son retour depuis les cieux. Les théologiens contemporains ne sont pas allés plus loin. Bien sûr, les « libres d'esprit » parmi eux ne prennent plus au pied de la lettre la résurrection. Jésus n'est pas vraiment ressuscité, ce sont ses disciples qui, dans des moments d'enthousiasme extatique, ont cru le voir après sa mort et en ont déduit sa nature céleste :
Exactement comme Paul sur le chemin de Damas dans une vision extatique momentanée de l'apparition céleste de la lumière après avoir vu le Christ. Nous devons également nous représenter l'apparition du Christ à Pierre, une vision d'extase momentanée, où la figure céleste du Christ apparaît en lumière – une expérience transcendantale qui n'est nullement un miracle incompréhensible, mais qu'on peut tout à fait saisir psychologiquement par analogie avec de nombreux exemples tirés de toute l'histoire. [...] Et d'autres analogies nous permettent de comprendre que cette vision enthousiaste n'ait pas été le fait du seul Pierre, mais se soit peu après reproduite chez d'autres disciples et même dans des assemblées entières de croyants. [...] La base historique de la croyance des disciples dans la résurrection se trouve donc dans des aorasies extatiques-visionnaires qui ont commencé avec des individus et bientôt tous ont été convaincus d'avoir vu vivant leur maître crucifié et élevé à la gloire céleste. L'imagination familière du merveilleux a tissé sa toile de ce qui remplissait et faisait vibrer l'âme. La force motrice de cette croyance dans la résurrection de Jésus n'était au fond rien d'autre que l'impression indélébile que leur avait laissée sa personne : l'amour et la confiance qu'ils mettaient en lui étaient plus forts que la mort. Ce miracle de l'amour – pas un miracle de l'omnipotence – était la raison de la croyance de la communauté primitive dans la résurrection. C'est la raison pour laquelle cela ne s'est pas arrêté à des émotions éphémères, mais la foi enthousiaste nouvellement ravivée a aussi poussé à l'action, les disciples ont alors reconnu que leur devoir était d'annoncer à leur peuple que ce Jésus de Nazareth, qu'ils avaient livré aux ennemis, était bien le Messie. Maintenant plus que jamais, par sa résurrection et sa montée au ciel, il avait été créé par Dieu. Il redescendrait sous peu pour inaugurer son règne messianique sur la terre1.
Si on suit l'auteur, nous devrions donc attribuer la propagation de la foi messianique de la communauté chrétienne primitive et, avec elle, tout le phénomène colossal du christianisme dans l'histoire mondiale, à l'hallucination fortuite d'un seul petit être humain.
Que l'un des apôtres ait eu une vision du crucifié n'est en aucun cas impossible. Il est également possible que cette vision ait trouvé des croyants, toute cette époque étant exceptionnellement crédule et le judaïsme profondément imprégné de la croyance en la résurrection. Ressusciter des morts ne passait absolument pas pour quelque chose d'impossible. Quelques exemples peuvent être ajoutés à ceux que nous avons déjà cités.
Chez Matthieu (10, v/8), Jésus prescrit aux apôtres leur ligne de conduite : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. » La résurrection des morts était présentée placidement comme une activité quotidienne des apôtres au même titre que guérir les malades. Un avertissement a été ajouté : ils ne devraient pas être payés pour cela. Alors Jésus, ou plutôt l'auteur de l'Évangile a estimé possible de ressusciter les morts contre rémunération, comme une transaction commerciale.
La façon dont la résurrection est décrite dans l'Évangile de Matthieu était également emblématique. Le tombeau de Jésus était gardé par des soldats pour empêcher les disciples de voler le cadavre et ensuite de répandre la nouvelle de sa résurrection. Mais éclairs et tremblements de terre ont fait rouler la roche qui s'est éloignée du tombeau, et Jésus s'est levé.
Tandis qu'ils étaient en chemin, quelques-uns des gardes allèrent en ville annoncer aux grands prêtres tout ce qui s'était passé. Ceux-ci, après s'être réunis avec les anciens et avoir tenu conseil, donnèrent aux soldats une forte somme en disant : « Voici ce que vous direz : “Ses disciples sont venus voler le corps, la nuit pendant que nous dormions.” Et si tout cela vient aux oreilles du gouverneur, nous lui expliquerons la chose, et nous vous éviterons tout ennui. » Les soldats prirent l'argent et suivirent les instructions. Et cette explication s'est propagée chez les juifs jusqu'à aujourd'hui. (28, v/11-15).
Alors, pour ces chrétiens, la résurrection d'un mort enseveli depuis trois jours faisait si peu impression sur les témoins oculaires qu'un pourboire généreux suffisait pour non seulement les obliger à se taire pour toujours, mais aussi les encourager de propager le contraire de la vérité.
Les auteurs de telles conceptions mises en avant ici par l'évangéliste pouvaient, bien sûr, être crédités pour avoir accepté sans hésitation le conte de fées de la résurrection. Mais cela n'épuise pas la question. Cette crédulité et cette conviction qu'il est possible de ressusciter n'étaient pas une particularité propre à la communauté chrétienne. Elle les partageait avec tout le judaïsme de leur temps puisqu'il attendait un Messie. Mais pourquoi les chrétiens sont-ils les seuls à avoir eu la vision de la résurrection de leur Messie ? Pourquoi cela n'a-t-il été le cas d'aucun des disciples des autres Messies martyrisés à cette époque ?
Nos théologiens répondront que la raison en est l'impression extraordinaire faite par le personnage de Jésus, une impression qu'aucun des autres Messies n'aurait produite. Par ailleurs, le fait que l'activité de Jésus qui, selon les témoignages, n'a duré que peu de temps, n'a laissé aucune trace dans les masses, si bien qu'aucun contemporain ne l'a mentionnée. D'autres Messies, en revanche, se sont battus longtemps contre les Romains en remportant parfois de grandes victoires contre eux dont le souvenir s'est perpétué dans l'histoire. Est-ce que ces derniers auraient fait une moins grande impression ? Mais admettons que Jésus, tout en n'ayant certes pas su captiver les masses, ait du moins laissé à ses quelques partisans, du fait de son ascendant personnel, des souvenirs indélébiles. Cela expliquerait tout au plus pourquoi la foi en Jésus s'est perpétuée chez ses amis proches, mais pas pourquoi elle aurait développé une capacité propagandiste parmi des gens qui ne l'avaient pas connu et sur lesquels sa personne ne pouvait exercer son influence. Si c'était seulement l'aura personnelle de Jésus qui produisait la croyance à sa résurrection et à sa mission divine, celle-ci aurait dû s'affaiblir au fur et à mesure que le souvenir personnel s'estompait et que diminuait le nombre de ceux qui l'avaient fréquenté personnellement.
Comme on le sait, la postérité ne tresse pas de couronnes au mime ; en cela également, le comédien et le pasteur ont beaucoup de points communs. Ce qui est vrai pour l'acteur, vaut aussi pour le prédicateur quand celui-ci se borne à prêcher, n'opère que par le rayonnement de sa personnalité et ne laisse après lui aucune œuvre qui survive à sa personne. Si profonde que soit l'émotion, si intense que soit l'exaltation provoquée par ses prêches, ils ne peuvent faire la même impression sur des gens qui n'y assistent pas, des gens auxquels ils ne parviennent que par ouï-dire. Et la personne du prédicateur laissera ces gens indifférents. Elle n'a aucune chance de frapper leur imagination.
Nul ne laisse un souvenir de sa personne au-delà du cercle de ceux qui l'ont connu personnellement, s'il n'a pas laissé une œuvre qui impressionne indépendamment de sa personne, que ce soit une création artistique, un édifice, un portrait, un morceau de musique, une œuvre poétique ; que ce soit un apport scientifique, une collection ordonnée de matériaux scientifiquement, une théorie, une invention ou une décou- verte ; ou, enfin, que ce soit une institution politique ou sociale ou une quelconque organisation qu'il a fondée ou à la création et au renforcement de laquelle il a eu une contribution particulière.
Tant que dure l'œuvre et qu'elle fonctionne, on continue à s'intéresser à la personne du créateur. En effet, si une telle création avait été ignorée de son vivant, mais prenait de l'importance après sa mort, comme c'est souvent le cas pour nombre de découvertes, d'inventions et d'organisations, il est possible que l'intérêt pour le créateur ne s'éveille qu'après sa mort et ne cesse ensuite d'augmenter. Moins on a fait attention à lui de son vivant, moins on en sait sur sa personne, plus l'imagination sera stimulée ; si son œuvre est puissante, plus elle sera auréolée d'une guirlande d'anecdotes et de légendes. Le besoin universel de trouver une cause à tout phénomène, ce besoin qui pousse à chercher originellement chaque processus social – et aussi aux débuts, originellement chaque processus naturel – de trouver à l'origine d'un phénomène un auteur, un initiateur est si fort que, lorsqu'il s'agit d'un phénomène d'une immense importance, on en vient à lui inventer un fondateur ou à lui accoler un nom transmis par la tradition quand le véritable fondateur a été oublié ou que – et c'est souvent le cas – l'œuvre est le produit du concours de tant de forces dont aucune ne dominait l'autre, qu'il aurait été impossible dès le départ de nommer un auteur précis.
Ce n'est pas dans sa personne, mais dans l'œuvre qui est attachée à son nom qu'il convient de chercher la raison pour laquelle le messianisme de Jésus ne s'est pas terminé comme celui des Judas, des Theudas et d'autres Messies de l'époque. Confiance enthousiaste dans la personne du prophète, soif de merveilleux, extase et croyance dans la résurrection, nous retrouvons tout cela chez les partisans des autres Messies autant que chez ceux de Jésus. Ce n'est pas ce qu'ils ont en commun qui peut expliquer leur destinée différente. Quand les théologiens, même les plus libres d'esprit, inclinent à penser que, même s'il faut ne plus compter sur tous les miracles qu'on rapporte de Jésus, Jésus lui-même reste un miracle, un surhomme qui n'a pas son pareil dans le monde entier, nous ne pouvons pas non plus le reconnaître. Alors, la seule chose qui fasse la différence entre Jésus et les autres Messies, c'est seulement que ceux-ci n'ont rien légué qui permette à leur personne de se perpétuer, alors que Jésus a laissé après lui une organisation dotée de règles se prêtant admirablement à maintenir la cohésion de ses disciples et à en attirer constamment de nouveaux.
Les autres Messies avaient seulement réuni des troupes pour un soulèvement, et elles s'étaient dispersées après leur déroute. Si Jésus n'avait rien fait de plus, son nom aurait disparu sans laisser de traces après avoir été crucifié. Or, Jésus n'était pas seulement un rebelle, il était aussi le représentant et l'icône, peut-être le fondateur d'une organisation qui lui a survécu, qui s'est de plus en plus renforcée et est devenue de plus en plus puissante.
À vrai dire, selon l'hypothèse traditionnelle, l'Église a été organisée par les apôtres seulement après sa mort, mais rien ne prouve cette hypothèse, laquelle est fort improbable. En fait, elle ne supposait rien de moins qu'immédiatement après la mort de Jésus, ses disciples aient introduit dans sa doctrine quelque chose de complètement nouveau qu'il n'avait pas considéré ou pas du tout voulu, et que ceux qui jusqu'alors n'avaient pas été organisés commençaient à penser à l'organisation juste au moment où ils avaient subi une défaite qui aurait pu détruire même une organisation solide. Par analogie avec des organisations similaires dont on connaît mieux les débuts, on serait plus porté à supposer que des groupes de soutien aux prolétaires de Jérusalem, gonflés d'attentes messianiques, existaient avant Jésus et qu'un agitateur rebelle et audacieux, originaire de Galilée et portant ce nom, n'était seulement que le porte-parole et l'insigne martyr de ces groupes.
Selon Jean, au temps de Jésus, les douze apôtres avaient déjà une caisse commune. Mais Jésus exigeait aussi de tous les autres disciples qu'ils abandonnent tout ce qu'ils possédaient.
Nulle part dans le livre des Actes des Apôtres, il n'a été dit que les apôtres ont organisé l'Église après la mort de Jésus. On la trouvait déjà organisée à ce moment-là, tenant ses réunions d'adhérents et remplissant ses fonctions. La première mention du communisme dans les Actes des Apôtres est ainsi rédigée : « Ils sont pourtant restés fidèles (ἦσαν δε προσκαρτεροῦντες) à l'enseignement des apôtres et à la propriété com- mune, au pain rompu et aux commandements. » Autrement dit, ils ont continué à prendre leurs repas en commun et à suivre d'autres principes communistes. Si ces derniers avaient été introduits seulement après la mort de Jésus, la formulation aurait dû être tout à fait différente.
L'organisation communautaire était le lien qui a maintenu ensemble les disciples de Jésus aussi après sa mort et gardé vivant le souvenir de leur champion crucifié qui, selon la tradition, s'était dit lui-même être le Messie. Plus l'organisation grandissait, plus elle se renforçait et plus leur martyr devait occuper l'imagination des membres, moins ils pouvaient admettre que leur Messie crucifié était un faux Messie, plus ils se sentaient poussés à voir en lui, malgré sa mort, le vrai Messie qui reviendrait dans toute sa gloire ; plus ils avaient de raisons de croire à sa résurrection, plus la croyance que le crucifié était le Messie et qu'il était ressuscité, devenait la marque de fabrique de l'organisation, ce qui les distinguait des autres croyants au Messie. Si la croyance à la résurrection n'avait été engendrée que par des impressions personnelles, elle se serait affaiblie avec le temps, elle aurait été de plus en plus brouillée par d'autres impressions et aurait fini par disparaître avec ceux qui avaient connu Jésus personnellement. Si la croyance en la résurrection du Christ résultait de l'effet qu'exerçait son organisation, alors elle devait immanquablement s'affermir et s'enfiévrer au fur et à mesure que l'organisation grandissait, et moins elle savait quelque chose de positif sur la personne de Jésus, moins l'imagination de ses adorateurs était captivée par certaines informations.
Ce n'est pas la croyance en la résurrection du crucifié qui a créé la communauté chrétienne et lui a donné sa force ; au contraire, la force vitale de la communauté a créé la croyance dans la survie de son Messie.
La doctrine du Messie crucifié et ressuscité ne contenait rien en soi d'incompatible avec le mode de pensée juif. Nous avons vu à quel point il adhérait à cette époque de la croyance à la résurrection ; l'idée que la gloire à venir devait être achetée par la souffrance et la mort du juste, parcourait également les textes messianiques juifs et était une conséquence naturelle de la situation affligeante du judaïsme.
La croyance au Messie crucifié aurait très bien pu ne constituer qu'une variante particulière des multiples attentes messianiques du judaïsme de cette époque, si la fondation sur laquelle elle s'était édifiée n'avait pas en même temps développé le contre-pied du judaïsme. Cette fondation, la vitalité de l'organisation communiste du prolétariat, était étroitement liée à la nature particulière des attentes messianiques des prolétaires communistes de Jérusalem.
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Sororité avec les femmes d’Iran – « Femme, Vie, Liberté »

Les femmes sont les premières victimes du régime patriarcal iranien. La discrimination contre les femmes est institutionnalisée et organisée, comme le soulignent les lois misogynes en majeure partie fondée sur la charia, qui les placent au rang de citoyennes de seconde zone.
Tiré de Entre les ignes et es mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/08/sororite-avec-les-femmes-diran-femme-vie-liberte/
Outre le fait que le voile est obligatoire dans les lieux publics, les inégalités entre les femmes et les hommes sont criantes notamment en matière de droit pénal et de droit de la famille. Par exemple, le témoignage d'une femme au tribunal vaut la moitié de celui d'un homme, elles ne peuvent pas voyager sans la permission de leur mari, et en cas de divorce, les hommes conservent la garde des enfants. La loi autorise la conclusion d'un « contrat de mariage temporaire », qui sert souvent de couverture légale à la prostitution et au tourisme sexuel. La législation permet par ailleurs le mariage des filles à partir de 13 ans.
Cet arsenal législatif entrave la place des femmes dans la société. Alors qu'elles représentent plus de la moitié des diplômé-es des universités, le taux de chômage des femmes est le double de celui des hommes.
Un rapport d'Amnesty International publié en décembre dernier souligne l'horreur que les femmes ont subi dans les prisons et les lieux publics, suite à leurs arrestations arbitraires lors du soulèvement « Femme Vie Liberté ».
L'ampleur des violences sexuelles et des viols perpétrés par les membres de l'appareil répressif témoigne que l'oppression de genre est un marqueur identitaire de ce système dictatorial.
Outre ces actes de torture, qui permettent au régime de recueillir des aveux forcés et de les condamner à mort, les femmes sont également victimes de conditions de détention inhumaines dans les prisons iraniennes. Très souvent, les forces de sécurité refusent que les victimes reçoivent les soins médicaux nécessaires.
Face à ces violences les réponses judiciaires apportées aux victimes sont biaisées. Et cela d'autant plus que les femmes sont sous-représentées au sein de l'appareil judiciaire : le métier de juge leur est par exemple interdit.
Les victimes subissent donc en silence une impunité institutionalisée.
Les violences exercées sur les femmes dans les prisons ont toujours été brutales. Outre la volonté de domination masculine, le viol des prisonnières est un outil stratégique utilisé pour faire taire la contestation contre des décennies d'oppression.
Malgré cette répression brutale, le mouvement de contestation perdure, amplifié par les réseaux, car les femmes sont à l'avant-garde des mouvement sociaux. Elles restent déterminées à se réapproprier leurs corps, à acquérir leurs droits fondamentaux et se débarrasser de l'ensemble des lois et règlements misogynes faisant partie de l'ADN de ce régime.
Nous soutenons notamment :
– Le droit essentiel des femmes à disposer de leurs corps ;
– l'abrogation de la loi rendant obligatoire le port du hijab dans les lieux publics, ainsi que toutes les lois phallocratiques en vigueur.
https://laboursolidarity.org/fr/n/3070/sororite-avec-les-femmes-d039iran—femme-vie-liberte
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Irak : Les mariages non enregistrés font du tort aux femmes et aux enfants

Des chefs religieux irakiens célèbrent chaque année des milliers de mariages, y compris des mariages d'enfants, qui bafouent les lois irakiennes et ne sont pas officiellement enregistrés.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/18/irak-les-mariages-non-enregistres-font-du-tort-aux-femmes-et-aux-enfants/
photo A wedding dress store in Duhok, Iraq, October 12, 2015. © 2015 Felix Kleymann/laif/Redux
Ces mariages contournent les restrictions juridiques sur les mariage d'enfants et ont des effets désastreux sur la capacité des femmes et des filles à accéder aux services gouvernementaux, à enregistrer la naissance de leurs enfants et à revendiquer leurs droits.
L'Irak devrait poursuivre les chefs religieux qui célèbrent des mariages en violation de la loi irakienne, faciliter la légalisation des mariages non enregistrés et garantir que tou-te-s les Irakien-ne-s puissent bénéficier de l'ensemble de leurs droits.
(Beyrouth, 3 mars 2024) –En Irak, des chefs religieux célèbrent chaque année des milliers de mariages, y compris des mariages d'enfants, qui bafouent les lois irakiennes et ne sont pas officiellement enregistrés, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Ces mariages violent les droits des femmes et des filles, qui risquent de se retrouver dans des situations précaires, sans soutien social ni financier.
Le rapport de 40 pages, intitulé « “My Marriage was Mistake after Mistake” : The Impact of Unregistered Marriages on Women's and Children's Rights in Iraq » (« Mon mariage était erreur après erreur : L'impact des mariages non enregistrés sur les droits des femmes et des enfants en Irak »), documente l'impact des mariages non enregistrés sur les femmes et les filles concernées, ainsi que sur leurs enfants. Ces mariages, qui éludent les restrictions légales sur le mariage des enfants en Irak, ont des effets désastreux sur la capacité de ces femmes et filles à bénéficier des services gouvernementaux et des services sociaux en fonction de leur état civil, à obtenir des actes de naissance pour leurs enfants, ou à revendiquer leurs droits à une dot, une pension alimentaire ou à un héritage.
« Les autorités irakiennes devraient reconnaître que les mariages non enregistrés ouvrent la voie aux mariages d'enfants à grande échelle », a déclaré Sarah Sanbar, chercheuse sur l'Irak à Human Rights Watch. « Elles devraient prendre des mesures pour mettre fin à cette pratique, et ne pas bloquer l'accès des femmes et des enfants à des services essentiels comme l'obtention de documents d'identité ou de soins de santé, pour un motif lié à leur état civil. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec huit femmes et deux hommes, tous mariés en dehors des tribunaux, un enfant dont les parents s'étaient mariés de cette manière, quatre organisations non gouvernementales locales et deux organisations internationales. Human Rights Watch a également mené un entretien avec un juge du tribunal d'Al Bayaa à Bagdad, ainsi qu'avec un juge du Conseil judiciaire suprême.
Au cours des 20 dernières années, le taux de mariage d'enfants n'a cessé d'augmenter en Irak. Selon le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), 28 pour cent des filles en Irak se marient avant l'âge de 18 ans. Selon la Mission d'assistance des Nations Unies en Irak, 22 pour cent des mariages non enregistrés concernent des filles âgées de moins de 14 ans. Les mariages précoces exposent les filles à un risque accru de violences sexuelles et physiques, de conséquences néfastes sur leur santé physique et mentale, et d'obstacles à l'accès à l'éducation ou à un emploi.
Bien que de nombreuses communautés irakiennes considèrent les mariages religieux comme légitimes selon leur culture, ils sont illégaux en vertu de la loi irakienne sur le statut personnel ; les mariages ne sont officiellement reconnus qu'en cas d'enregistrement auprès du Tribunal du statut personnel, ce qui permit la délivrance d'un certificat de mariage civil.
Sans acte de mariage civil, les femmes et les filles irakiennes enceintes et mariées de manière non officielle ne peuvent pas accoucher dans un hôpital public, et sont contraintes d'opter pour un accouchement à domicile avec un accès limité aux services obstétricaux d'urgence. Cela augmente le risque de complications médicales pouvant menacer la vie de la mère et de son bébé, en particulier lorsque la mère est elle-même une enfant.
Aucune disposition de la loi irakienne ne punit explicitement les chefs religieux qui célèbrent des mariages non enregistrés, y compris des mariages d'enfants. Cette lacune permet aux chefs religieux de contourner la loi irakienne en toute impunité, a observé Human Rights Watch.
Texte complet en anglais :en ligne ici.
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Les femmes, c’est la révolution ! — Rapport de conférence

À la veille du 17e anniversaire du référendum qui a établi l'avortement libre et sûr au Portugal et en cette année marquant le 50e anniversaire de la Révolution des œillets, des universitaires féministes, des syndicalistes, des militantes et des journalistes se sont réunis pour une conférence à laquelle ont participé des dizaines de personnes.
Tiré de :Transform Network
https://transform-network.net/blog/report/women-are-revolution-conference-report/
13 mars 2024
Pendant toute une journée, il a été possible de se souvenir et de discuter des luttes, des héritages, des réalisations et des reculs des droits des femmes au cours des cinquante dernières années.
Avec la confiance de ceux qui savent que « la liberté est une lutte constante » et que l'avenir nous appartient, la conférence a appelé à des changements à la loi sur l'avortement et à la création d'un service national de soins pour renforcer davantage les droits des femmes au Portugal.
Lire le compte-rendu détaillé de la conférence de Catarina Martins, ancienne coordinatrice du parti de gauche portugais Bloco de Esquerda (BE) :
À l'approche du 8 mars et à l'occasion du 50e anniversaire de la révolution des œillets, transformez-vous ! L'Europe et 'April is Now' (Abril é Agora) ont organisé la conférence 'April and Feminism : The Women are Revolution' en collaboration avec des activistes de plusieurs organisations féministes locales, avec le soutien du Mira Forum, une institution culturelle progressiste bien connue à Porto, et la participation de la militante féministe et eurodéputée suédoise Malin Björk.
Cette conférence avait été planifiée avant la crise politique portugaise qui a conduit à des élections nationales anticipées. À quelques semaines de la campagne électorale, cette rencontre a joué un nouveau rôle dans l'union des féministes de gauche dans la lutte contre l'extrême droite et dans l'articulation d'un programme féministe fort pour les élections. Elle s'est tenue le 10 février, un jour avant le 17e anniversaire du référendum qui a donné aux femmes portugaises le droit à un avortement légal et sûr, et un mois avant le jour du scrutin. La conférence a célébré la Révolution des Œillets, en mettant l'accent sur le rôle des femmes pendant la Révolution, mais aussi sur les obstacles persistants à la garantie des droits sexuels et reproductifs des femmes.
Les intervenantes étaient des femmes d'origines et de générations différentes. Il y avait des révolutionnaires des années 70, des universitaires et des journalistes avec un programme féministe, et des médecins qui sont des militants du droit à l'avortement. Il s'agissait d'une journée de célébration et de débat, organisée autour de trois panels dont les thèmes étaient : les jours de la révolution, la révolution qui n'a jamais eu lieu, et la lutte d'aujourd'hui pour les droits sexuels et reproductifs. Des lectures de textes du révolutionnaire ont donné le coup d'envoi de chaque débat.
Lors de l'inauguration, Manuela Monteiro, du Mira Forum, a rendu hommage au GAMP (Groupe des femmes de Porto, actif de la fin des années 70 au début des années 80 du siècle dernier) et a mis l'accent sur l'importance de la culture dans le mouvement féministe. April Is Now a souhaité la bienvenue à l'auditoire et aux conférenciers invités et a rendu hommage au mouvement révolutionnaire et à sa force populaire. Célébrer le 50e anniversaire de la Révolution n'a rien à voir avec le passé ; Il s'agit plutôt d'apprendre de cette transformation populaire afin de renforcer la démocratie et de répondre à la crise actuelle.
Table ronde 1. Intervenants, de gauche à droite : Luísa Marques, Sofia Branco (modératrice), Conceição Ramos et Esmeralda Mateus
La première table ronde, consacrée au rôle des femmes pendant la révolution, a été animée par la journaliste Sofia Branco (ancienne présidente du syndicat des journalistes). Luísa Marques, du syndicat du textile et de la Confédération portugaise des travailleurs (CGTP), a commencé par expliquer le rôle des femmes dans le mouvement syndical. Elle a été suivie par Conceição Ramos, fondatrice du premier syndicat de travailleurs domestiques, qui a parlé de la trajectoire de ces travailleurs, en tant qu'enfants qui ont quitté les zones rurales pour les villes pour servir de domestiques, et des terribles conditions de travail auxquelles ils ont été confrontés. Elle a souligné que le mouvement pour les droits des travailleurs domestiques avait commencé avant la révolution, qu'il avait été ignoré pendant la révolution, et a discuté de la façon dont les autres syndicats voyaient la lutte. Esmeralda Mateus a clôturé le panel en se remémorant la vie dans les bidonvilles de Porto avant et après la révolution, l'extrême pauvreté et la rébellion qu'elle a menée pour réclamer un logement pour tous. Enfin, il a été question de la pauvreté d'aujourd'hui et de la façon dont elle affecte principalement les femmes. Les femmes sont toujours confrontées à des salaires disproportionnellement bas, à de longues heures de travail et à un manque de soutien social.
Table ronde 2. Intervenants, de gauche à droite : Andrea Peniche, Mafalda Araújo (modératrice) et Marisa Matias
La deuxième table ronde, consacrée à la révolution qui n'a jamais eu lieu, a été modérée par Mafalda Araújo, chercheuse en sociologie, avec deux interventions d'ouverture. Andrea Peniche, rédactrice en chef et militante féministe, a expliqué comment le travail de reproduction et de soins a mis en avant l'idée d'une nouvelle branche de l'État social : un service national de soins qui combinerait différents services publics pour répondre aux besoins des tout-petits, des personnes âgées et des personnes handicapées. Marisa Matias, chercheuse à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'Université de Porto, a présenté les premières données d'une étude sur la prévalence et les conséquences du travail à distance. Avec la pandémie, le travail à distance est devenu plus courant, en particulier chez les femmes qui trouvent qu'il facilite la combinaison du travail, du ménage et de la garde des enfants. Les conséquences pour les femmes sont graves : plus d'heures de travail, moins de repos et le danger de l'isolement. Le débat qui a suivi la présentation s'est concentré sur la problématique du travail à distance comme nouveau moyen d'éloigner les femmes du travail et des espaces publics.
La troisième et dernière table ronde, animée par la journaliste Aline Frazão, a été présentée par deux gynécologues-obstétriciennes ayant une histoire d'activisme pour les droits sexuels et reproductifs des femmes : Maria José Alves et Ana Campos.
Dans le panel, un hommage a été rendu au MLM (Mouvement de libération des femmes, fondé immédiatement après la Révolution) et à son activisme pionnier pour le droit à l'avortement au Portugal. Il a également rendu hommage à Purificação Araújo, une autre obstétricienne-gynécologue qui a joué un rôle central dans l'organisation de l'assistance médicale pour le travail, l'avortement et d'autres services de santé sexuelle et reproductive pour les femmes.
Maria José Alves et Ana Campos ont animé une table ronde sur l'évolution des droits sexuels et reproductifs des femmes au cours des 50 dernières années au Portugal, la victoire du droit à l'avortement sûr et légal lors du référendum de 2007 et les obstacles actuels au sein du service national de santé.
Les interventions finales se sont concentrées sur le droit à l'avortement. Au Portugal, l'avortement est légal depuis le référendum de 2007, mais l'accès au service national de santé est de plus en plus difficile. Les problèmes du manque de médecins, de l'utilisation abusive institutionnelle du droit des médecins à l'objection de conscience, des obstacles juridiques et des pénuries doivent être résolus. Alda Sousa, militante féministe et ancienne députée européenne, et Ana Vasques, de la nouvelle génération d'organisations féministes, ont souligné l'urgence de faire évoluer la loi portugaise dans le sens d'un plus grand nombre de professionnels de la santé au sein du Service national de santé, en exigeant de chaque établissement de santé qu'il fournisse des soins d'avortement en même temps que les soins qui le précèdent, en mettant fin à la période de réflexion obligatoire. en insistant sur la nécessité de consulter deux médecins différents et en prolongeant l'avortement légal à la demande des femmes de 10 à 12 semaines. Ces propositions ont reçu un large soutien de la part du public. Enfin, Malin Björk a partagé une partie de l'expérience de la lutte pour le droit à l'avortement à travers l'Europe et le rôle du mouvement féministe dans la lutte contre l'extrême droite et pour l'établissement de démocraties plus fortes qui ne laissent personne de côté.
Les 100 sièges étaient occupés tout au long de la journée, et le public comprenait des personnalités de différentes institutions féministes et mouvements sociaux. La pause déjeuner est devenue un moment d'intervention politique. C'était dans un restaurant local pour les travailleurs, appartenant à une femme populaire de gauche qui a salué la conférence avec du fado. L'événement s'est clôturé par un autre moment musical de deux musiciens bien connus (João Loio et Regina Castro) qui ont interprété des chansons révolutionnaires et féministes.
La conférence a permis aux féministes de tous âges, des adolescentes aux quatre-vingt-vingt-dix et quatre-vingt-dix ans, de partager leurs expériences, leurs idées et leurs projets. Dans l'immédiat, il a contribué à approfondir la plate-forme politique commune pour les manifestations du 8 mars de cette année : le droit à l'avortement et la défaite de la droite.
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#mefirst : Pas de libération sans égoïsme

Corinne Maier est écrivaine et psychanalyste. Elle vient de publier « Me First ! Manifeste pour un égoïsme au féminin » aux éditions de l'Observatoire.
FS : L'égoïsme est encouragé chez les garçons – il est central à l'identité virile – tandis qu'il est découragé et stigmatisé chez les filles. Le patriarcat est décidément un système très bien organisé : cultiver l'égoïsme chez les garçons et l'interdire chez les filles, ça garantit que les uns seront conditionnés à prendre, à exploiter et les autres à donner, à être exploitées. Que pensez-vous de cette merveilleuse et « naturelle » complémentarité entre les sexes ?
CM : La complémentarité spontanée femme-homme dans l'amour est évidemment un mythe. Pourtant, l'un des deux partenaires s'adapte à l'autre, et c'est généralement la femme qui fait le travail. Le psychanalyste Jacques Lacan prétend qu'elle se prête au fantasme masculin, et pour entrer dans son cadre, elle fait bien des concessions. Ce serait l'homme et son désir qui commandent au couple, et la femme ferait preuve d'une grande souplesse pour se mettre en affinité avec l'inconscient de son homme. Sa complaisance serait même « sans limite », affirme Lacan. Une théorie un peu démodée aujourd'hui, mais qui décrit encore le fonctionnement de bien des couples hétéros.
FS : Vous citez le parfum pour hommes de Chanel baptisé « Egoïste » et vous notez que la séduction masculine s'exprime sur le mode de l'homme insaisissable, fascinant voire dangereux : le bad boy, l'aventurier, « l'homme aux semelles de vent ». Toutes personnalités avec qui avoir des relations ne peut qu'être désastreux pour les femmes, à qui vous suggérez par ailleurs de ne pas avoir peur d'agir sur leurs désirs et de prendre des amants plus jeunes. Vos commentaires ?

CM : Fuir les hommes égoïstes est salutaire ! Mieux vaut les choisir conciliants, fiables, disponibles. Je conseille en effet les hommes plus jeunes : moins lancés dans la vie, moins cristallisés dans des habitudes, moins sûrs d'eux. En plus en général ils ont moins de ventre : pourquoi seuls les hommes (certains hommes) s'arrogeraient-ils le droit d'exhiber des compagnes plus jeunes qu'eux ?
FS : Le couple, dites-vous, est « une mauvaise affaire pour les femmes ». Cela m'a toujours paru évident, mais en même temps, beaucoup de femmes sont toujours incapables de se penser en dehors d'une relation de couple, ne savent plus qui elles sont, n'ont littéralement plus d'identité si on leur propose de vivre enfin un peu pour elles-mêmes parce qu'elles ne sont plus capables que de vivre par procuration, à travers leur mari et leurs enfants. Vos commentaires sur ce laminage de l'ego des femmes par leur socialisation ?
CM : Ce sont des représentations toutes faites. Je connais pas mal de « femmes seules » – certaines en souffrent, d'autres pas du tout : au contraire, ces dernières sont très entourées, débordent d'enthousiasme et de projets. Au point de constituer de véritable forces motrices positives, qui inspirent leur entourage. J'ai une amie très proche qui appartient à cette catégorie, je l'ai surnommée « mon gourou ».
FS : Virginia Woolf a dit que les femmes ne pouvaient pas réaliser leur créativité, leur potentiel si elles ne tuaient pas l'ange du foyer en elle. De plus en plus de femmes refusent le couplage hétérosexuel et se « mettent en couple avec elles-mêmes ». Vos commentaires ?
CM : C'est un phénomène intéressant. Il est certainement à rapprocher de la tendance des « no sex », ces gens (femmes et hommes) qui revendiquent leur abstinence volontaire. Il s'agit de se soustraire aux diktats de la société. C'est ce qu'affirme Ovidie, auteure du livre La chair est triste, hélas : « Depuis le début de ces quatre années d'abstinence, je me suis libérée de cette surconsommation qui insécurise les femmes en leur faisant croire qu'elles ne sont jamais à la hauteur, qu'il leur manque quelque chose. Je n'ai presque pas acheté de vêtements, encore moins de culottes ». Les no sex refusent aussi la société de la performance, où il faut accumuler les conquêtes pour être viril et maîtriser l'art de la fellation pour être une femme libérée. Ils tournent le dos aux enjeux de pouvoir.
FS : L'amour, dites-vous, est une option pour les hommes, une obligation pour les femmes. Vous parlez du « piège de l'amour romantique car c'est en son nom que les femmes se mettent au service des autres ». Comme mode d'emploi pour leurs relations avec les hommes, les femmes ont l'amour romantique, les hommes ont le porno. Quelles sont les conséquences pour les femmes du fait qu'elles mettent l'amour au centre de leur vie, alors que ce n'est qu'une péripétie pour les hommes ?
CM : Ce sont des représentations anciennes, mais elles sont toujours vivaces. La société véhicule le fait qu'une fille, qu'une femme, doit être aimable, aimante, gentille, pour être aimée. Et si elle n'est pas aimée par un ou des hommes, sa vie sera imparfaite. Les clichés ont la vie dure, comme le montre le succès des livres de la catégorie « new romance », qui visent un lectorat féminin. Il est implicite que les femmes doivent mettre entre parenthèse ou sacrifier d'autres dimensions de leur vie (études, carrières, ambitions, etc) pour se plier aux diktats de l'amour.
FS : On a persuadé les femmes, dès les années 60, que « you can have it all », vous pouvez concilier un job rémunéré et un autre qui ne l'est pas, la maternité. Beaucoup de femmes (75%) abandonnent leur travail et passent à un mi-temps sans intérêt et sans possibilité de carrière quand elles ont un enfant, mais seulement 1% des pères le font. Qu'est-ce que ça dit sur le prix de la maternité pour les femmes ?
CM : Il est très élevé. Le fait d'être mère remanie tous les aspects de la vie d'une femme (travail, argent, temps libre, aspirations…) alors que la paternité s'ajoute à la vie d'un homme. Par exemple, il est rare qu'un homme change de travail pour s'occuper davantage de son enfant, rare qu'un homme demande un temps partiel pour prendre en charge l'enfant le mercredi.
FS : Vous parlez des hommes « workaholics » qui se plaignent hypocritement de ne pas voir assez leurs enfants et pour qui en fait « le boulot est une manière imparable de fuir les responsabilités du care ». Considérez-vous que la figure du papa-poule est un mythe ou une réalité ?
CM : Je pense que les papas-poules existent. Des hommes qui passent beaucoup de temps avec leur enfant, qui lui accordent beaucoup d'attention, il y en a. Mais ils sont une minorité.
FS : Vous définissez ainsi le fait d'élever un enfant : « enchaîner des corvées exténuantes dont l'essentiel incombe aux femmes » et « mener une vie de bête de somme » quand on cumule enfants et job. Et vous observez que le temps moyen consacré par les mères à leurs enfants a été multiplié par 2 depuis les années 70 et que la maternité change radicalement la vie des femmes, très peu celle des pères. La maternité reste-t-elle un piège pour les femmes ?
CM : Oui, absolument. Quelques chiffres : le temps moyen consacré aux enfants par les mères anglaises a été multiplié par 2,5 depuis les années 1970. Et les parents américains (surtout les mères) passent 5 fois plus de temps à aider les enfants à faire leurs devoirs scolaires. (Je peux donner les sources.) Tout cela s'explique entre autres par la société de compétition où nous vivons : il convient de s'occuper toujours plus de l'enfant pour qu'il s'intègre dans la société, qu'il réussisse… C'est trop, beaucoup trop ! Et beaucoup trop de boulot pour les mères !
FS : « Cessez de surprotéger vos enfants » suggérez-vous. Cette surprotection des enfants, vous le rappelez, est récente. Et de plus elle n'est bonne ni pour la mère ni pour l'enfant emprisonnés dans un huis-clos étouffant (j'ai donné l'exemple de « l'alloparentalité » des groupes de chasseurs-cueilleurs où les enfants sont soignés et surveillés par tout le groupe, ce qui allège considérablement le travail de la mère et développe la sociabilité de l'enfant). Vos commentaires ?
CM : Les injonctions de l'éducation dite positive sont très lourdes pour les parents, surtout évidemment pour les mères. Si on s'y plie, on doit s'occuper de l'enfant sans arrêt. Passer des heures à expliquer, convaincre, négocier. Ne jamais rien imposer. Se montrer toujours positif, bienveillant. Jouer avec lui. Il le faut au nom de l'« éveil » de l'enfant, de son « épanouissement ». Pas mal de mères ont un comportement littéralement sacrificiel : l'essentiel de leur énergie et de leur temps est canalisé vers et pour l'enfant. Tout ça pour quels résultats ? Beaucoup d'enfants et de jeunes souffrent de troubles psychologiques… Beaucoup plus que du temps où l'éducation positive n'existait pas !
FS : Vous dites que le point aveugle de nombreux livres féministes est leur non-prise en compte de la collaboration objective des femmes à leur propre oppression, dont en particulier l'obligation d'altruisme dans laquelle elles sont socialisées est un facteur essentiel. Vous dites que face à ça, #metoo ne suffit pas, que l'heure de #mefirst a sonné : il n'y a pas de liberté sans égoïsme, et c'est en s'occupant exclusivement des autres qu'on se fait voler son être et sa vie. Pourquoi aucune libération féminine n'est possible sans #mefirst ?
CM : Oui l'égoïsme est nécessaire aux femmes. Je parle d'égoïsme au sens de : vivre pour soi, à distinguer selon moi de l'égoïsme du repli sur soi (mon enfant, mon mari, ma maison) ou de l'égoïsme de compétition (pousse-toi de là que je m'y mette). Il nous faut arrêter de penser d'abord aux autres, de se mettre à leur place, d'anticiper les problèmes de l'entourage. C'est nous d'abord ! Et ne pas hésiter à répéter aux frères, maris, compagnons, enfants : « Débrouillez-vous ! Je suis très occupée » !
https://revolutionfeministe.wordpress.com/2024/02/11/mefirst-pas-de-liberation-sans-egoisme/
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« La crise haïtienne : violence des gangs et effondrement de l’Etat »

Extrême violence, gangstérisme, urgence humanitaire : Haïti est à nouveau sous les feux de la rampe.
Depuis la deuxième semaine de février, on assiste à une accélération de la crise et à son déploiement international. La presse s'est empressée de décrire la catastrophe haïtienne comme un cas sans issue, au-delà de tout espoir.
22 mars 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Des enfants font la queue pour recevoir de la nourriture dans un refuge pour les familles déplacées, Port-au-Prince, 14 mars 2024.
https://alencontre.org/ameriques/amelat/haiti/la-crise-haitienne-violence-des-gangs-et-effondrement-de-letat.html
Le président de facto Ariel Henry – qui a succédé à Jovenel Moïse, assassiné le 7 juillet 2021 – a finalement démissionné le lundi 11 mars et est resté à Porto Rico pour le moment. A court terme, les interventions extérieures – armées et humanitaires – semblent inévitables, alors que les discussions en Haïti se déroulent avec la facilitation de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et sous la pression des Etats-Unis.
Mais au-delà du sensationnalisme et de l'exotisme, pour saisir la situation dans ses justes dimensions, nous proposons une approche analytique en trois étapes : 1. la déconstruction des récits actuels ; 2. le rétablissement des faits et de leurs articulations ; et 3. l'analyse des enjeux présents. L'objectif est de mettre en lumière les enjeux et défis plus larges qui se cachent derrière l'image d'exceptionnalité de Haïti.
Déconstruire les récits
L'habitude de traiter Haïti sur le mode du folklore, sans rigueur, ni analyse, ni même information fiable, n'est pas nouvelle. Ces dernières semaines, le pays a fait les gros titres de la presse internationale comme un repaire chaotique de criminalité incontrôlée ayant entraîné environ 5000 morts violentes en un an.
Les médias rapportent en détail et avec des images choquantes les exactions des bandes criminelles qui « contrôlent 80% de la capitale ». La séquence et l'intensité des attaques ne semblent pas fortuites. Les gangs ont attaqué, selon un calendrier systématique, des bâtiments publics, des prisons, des hôpitaux, l'université et des institutions clés telles que les ports et les aéroports. En réaction, une partie du corps diplomatique – y compris des représentants de l'Union européenne et des Etats-Unis – a ostensiblement quitté le pays en tant qu'« évacués ».
Unifiés depuis trois semaines, les gangs ont déclaré le Premier ministre Ariel Henry persona non grata et se sont présentés comme les architectes de son éviction, tout en menaçant de « guerre civile » et de « génocide » si Henry ne démissionnait pas.
Le conflit est essentiellement présenté comme un affrontement entre ces bandes criminelles – responsables de plusieurs massacres, tolérées par le gouvernement de facto bénéficiaire de leurs exactions contre la population – qui contrôlent la capitale et d'autres régions et un gouvernement que tout le monde avait déclaré failli depuis le 7 février [1].Opportunément, des déclarations spectaculaires de l'un des leaders de gang, l'ex-policier Jimmy Cherisier, alias « Barbecue », ont laissé entendre que les objectifs de leurs groupes étaient désormais « révolutionnaires » et qu'ils entendaient défendre Haïti contre toute intervention étrangère. Ils se seraient substitués à l'Etat failli ! C'est là que réside la grande fable.
Il ne serait pas difficile de réfuter cette présentation déformée des faits, même si cela risquerait de minimiser l'ampleur du drame que vit le pays. Par exemple, aucune des attaques mentionnées ci-dessus n'a entraîné la destruction ou l'occupation durable de bâtiments ou d'institutions publiques ; certains diplomates et employés d'organisations internationales restent probablement en Haïti sans grande crainte.
De plus, Haïti ne se résume pas à Port-au-Prince. Les plus de sept millions d'habitants vivant hors de la capitale continuent de produire, de créer et de se réapproprier le pays malgré les problèmes liés à l'absence de communication avec le centre économique du pays. Mais surtout, il faut noter que, depuis leurs origines à l'aube du XXIe siècle, les bandes criminelles ont attaqué, massacré, appauvri et expulsé de leurs quartiers et de leurs maisons presque exclusivement les secteurs populaires et la population la plus démunie. Il n'y a pas et il ne peut y avoir de guerre civile dans un contexte où seules la violence et la spoliation motivent les bandes, totalement dépourvues d'idéologie autre que le crime.
De plus, c'est un secret de polichinelle que de puissants membres du secteur privé, de la classe politique et des mafias étrangères sont à l'origine du développement et de la fourniture d'armes à ces groupes criminels.
Seuls quelques-uns de ces financiers ont été « sanctionnés » par les autorités des pays où ils ont des intérêts ou des investissements (Etats-Unis, Canada, République dominicaine). Par conséquent, en aucun cas ces hordes, qui restent aux ordres de leurs maîtres – bien que relativement émancipées par l'affaiblissement relatif de leurs financiers – ne peuvent être considérées comme un élément de solution.
Plus grave peut-être, l'exigence nationale d'une solution haïtienne et endogène à la crise a été instrumentalisée et récupérée à des fins politiques. Cette publicité pour le discours des gangs n'est ni fortuite ni innocente. Elle ignore totalement l'histoire de ceux qui ont pris position en faveur d'une solution haïtienne à la crise et ce qui est aujourd'hui en jeu dans les négociations ayant trait à une intervention étrangère dans le pays.
Le revers de la médaille, ce sont les appels insistants à répondre aux besoins humanitaires croissants, qui ont atteint un niveau critique et que les Nations unies (ONU) estiment à près de 700 millions de dollars, une somme presque équivalente à celle dont aurait besoin une force multinationale de sécurité.
Parmi les urgences humanitaires répertoriées figurent la nourriture, l'eau potable et les médicaments, dont les pénuries accablent les populations urbaines pauvres, en particulier dans la zone métropolitaine.
Haïti semble être l'un des territoires prioritaires pour une offensive internationale de secours humanitaire et sécuritaire. L'ONU et son Conseil de sécurité, l'Organisation des Etats américains (OEA), le CARICOM et même le G20 ont analysé la crise haïtienne et exprimé leurs opinions de différentes manières, bien qu'aucun ne se soit pleinement engagé dans le dossier haïtien. Derrière le discours actuel sur la crise haïtienne se cache un processus complexe impliquant la plupart de ces acteurs internationaux.
La crise actuelle : un rappel et quelques rectifications
Pour comprendre la crise actuelle, il est nécessaire de rappeler les étapes de l'effondrement de l'Etat haïtien, car celui-ci est bel et bien défait. Aucune de ses institutions centrales ne fonctionne, même le gouvernement qui vient de démissionner n'avait aucune légalité ni légitimité. Mais cette réalité est le résultat d'une histoire. Il suffit de rappeler quelques faits marquants.
Il est devenu habituel de dater le début de la crise ouverte qui secoue Haïti au 7 juillet 2021, jour de l'assassinat brutal du président Jovenel Moïse. En réalité, le processus de destruction de l'édifice étatique a commencé en 2011 [2], avec un diktat international qui a porté le chanteur Michel Martelly à la présidence du pays : l'OEA, l'ambassade des Etats-Unis et la mission de l'ONU sont intervenues pour modifier les résultats des deux tours des élections en faveur de Martelly [son mandat a débuté le 14 mai 2011].
Les pratiques de mépris total des obligations, des calendriers et même des rituels liés à la gestion de l'Etat se sont généralisées, et bien sûr, avec elles, tout ce qui a trait à l'autorité publique. A la fin du mandat de Martelly [6 février 2016], les conditions de respect du calendrier électoral n'étaient pas réunies. Il s'en est suivi une deuxième crise qui a conduit à la répétition des élections de 2015-2016, qui ont intronisé Jovenel Moïse. Ce sont également les dernières élections organisées à ce jour : ni les élections législatives et locales prévues en 2019 et 2020, ni les élections présidentielles prévues fin 2020 n'ont eu lieu.
Cet assassinat [de Jovenel Moïse] inaugure une nouvelle étape dans l'effondrement de l'Etat. D'abord, la dernière personnalité élue (mais dont le mandat a expiré) encore au pouvoir disparaît. Ensuite, le crime déclenche une « lutte de succession » dans laquelle le rôle des tuteurs internationaux de Haïti – le Core Group autoproclamé – démontre son pouvoir en désignant le successeur de Moïse dans un tweet. Ce groupe est composé de l'Allemagne, du Brésil, du Canada, de l'Espagne, des Etats-Unis, de la France, de l'Union européenne, de l'OEA et de la mission de l'ONU en Haïti elle-même.
Enfin, au cours des 32 mois écoulés depuis juillet 2021, les éléments du scénario d'aujourd'hui ont pris forme : l'effacement de toute autorité de l'Etat haïtien avec le départ de son seul porte-parole formel, le Premier ministre de facto Ariel Henry ; la criminalité, déjà installée sous Martelly, déborde face à la passivité systématique de la police et de l'administration publique. La « classe politique » se délite dans des luttes internes ou entre partis, souvent pour des intérêts mesquins et personnels.
Parallèlement, à partir de 2020, un front d'associations de la société civile commence à se constituer pour tenter d'animer la scène politique et de se faire une place dans la recherche d'une solution nationale. Ainsi, en mars 2021, la Commission pour la recherche d'une solution haïtienne à la crise (CRSC) est créée, qui aboutira quelques mois plus tard à l'Accord du 30 août, dit Accord de Montana. Ce groupement est incontestablement une voix forte de la société et a élaboré des propositions pour la table des négociations. En effet, il y a une dizaine de jours, une tentative de facilitation politique entreprise par le CARICOM il y a plusieurs mois a repris de la vigueur. Une proposition de l'accord de Montana promeut une présidence collective pour remplacer le pouvoir exécutif vacant.
Il est clair que l'épuisement du modèle de gouvernance et de ses structures est au cœur de la crise actuelle. En effet, dans un environnement de décomposition sociétale et de faiblesse organisationnelle, seul le contrôle du pouvoir par le Core Group et surtout les Etats-Unis explique le maintien pendant plus de deux ans et demi d'un pseudo-exécutif illégal, ignoré et répudié au niveau national.
Ce qui est en jeu aujourd'hui
La situation actuelle a commencé avec la sollicitation du Premier ministre Ariel Henry à l'ONU le 2 octobre 2022, qui a débouché, un an plus tard, sur la résolution 2699 (2023) du Conseil de sécurité. L'organisation d'une mission multinationale de soutien à la sécurité de Haïti a alors été approuvée. Cette initiative a déclenché deux dynamiques qui ont fini par miner la base de soutien déjà faible du gouvernement de facto.
La première est le rejet majoritaire de l'intervention de forces étrangères, qui était déjà incluse dans l'accord de Montana, y compris par les alliés du gouvernement. La deuxième conséquence de l'appel à l'intervention est l'ingérence désormais directe de divers organismes extérieurs dans les décisions qui concernent le pays. Le problème de savoir qui sera chargé de mettre en œuvre la résolution de l'ONU se pose immédiatement.
Les Etats-Unis, véritables instigateurs de la résolution, ont pris contact avec le Canada avant de se tourner vers les Caraïbes, l'Amérique latine et enfin le Kenya. [Le Kenya a accepté en 2023 de mettre sur pied une force de police de 2500 hommes censés intervenir en Haïti lors du premier trimestre 2024. Cette force n'interviendra pas – pour autant que ce soit le cas – avant la mise en place d'une structure gouvernementale.] Au fur et à mesure des discussions internes sur l'implication de la police kenyane, la situation sécuritaire et la violence ont connu une accélération soudaine et apparemment irrépressible dans une atmosphère de dissolution de l'Etat.
Avec la multiplication des attentats et des kidnappings, les massacres dans les quartiers pauvres (Bel Air, Carrefour-Feuille, La Plaine, Torcel sont les cibles d'attaques particulièrement sanglantes, avec l'expulsion massive de centaines de familles réfugiées dans des bâtiments publics non équipés pour les accueillir) et la multiplication des groupes criminels et leur expansion autour de Port-au-Prince, la capitale connaît une paralysie partielle qui l'isole peu à peu du reste du pays. Les gangsters disposent d'énormes quantités d'armes et de munitions [venant des Etats-Unis]. Face à ce processus de décomposition, on remarque la paralysie totale et suspecte de l'oligarchie et du secteur privé, pourtant affectés par la situation.
Ce que l'on remarque surtout, ce sont les multiples faiblesses de la classe politique, qui se trouve aujourd'hui confrontée à une transition divisée après le départ du premier ministre du pays.
La « transition » est un thème récurrent depuis la fin de la dictature des Duvalier en 1986. Bien qu'appartenant à une région et à une culture politique de compromis et de compromission, Haïti, contrairement à d'autres sociétés confrontées à des problèmes similaires, n'a pas réussi à construire et à stabiliser un système politique de compétition et d'alternance des forces politiques au pouvoir. Ce problème est aujourd'hui au cœur des préoccupations des pays qui interviennent en Haïti : les puissances hégémoniques, mais aussi la République dominicaine, le Mexique, le Brésil et les pays de la Caraïbe.
La problématique de la transition soulève deux questions qui conditionnent la compréhension du cas haïtien. Tout d'abord, la coordination des forces en présence afin de parvenir à des accords minimaux devant conduire à la transition. Le contexte haïtien est celui d'une multitude de petites formations politiques, plus ou moins idéologisées, et surtout très faiblement organisées. Il en résulte une atomisation de la scène politique qui a favorisé la prédominance du statu quo en faveur de l'oligarchie traditionnelle et facilité le contrôle externe du système politique, et notamment du pouvoir électoral.
Depuis 2000, la désaffection de l'électorat est devenue évidente et, depuis 2011, il n'y a pas eu d'élection qui n'ait déclenché des vagues de protestation. Cela perpétue l'instabilité politique et la paralysie qui en résulte pour ce qui est de la mise en œuvre de projets, de continuité des politiques publiques et, par conséquent, de consolidation du système politique.
Ce qui est nouveau dans ce scénario, c'est la trajectoire politique de la société civile entre 2018 et 2024. Les organisations de défense des droits de l'homme, paysannes et professionnelles animent les débats et coordonnent les revendications sociales et politiques. Mais l'absence d'interlocuteurs politiques et étatiques légitimes, combinée à leurs propres limites – notamment leur faible ancrage organisationnel dans la population – a en partie réduit leur impact et exposé certaines de leurs organisations au risque d'instrumentalisation par les groupes politiques traditionnels. Cependant, bien qu'ignorées ou marginalisées par les politiciens et les tuteurs externes, leur poids politique s'est accru, comme en témoigne leur rôle prépondérant dans les discussions politiques actuelles.
Reconstruire les fondements du gouvernement
Le cycle de discussions initié le 11 mars sous les auspices de la CARICOM et la proposition de cette dernière rendue publique le 12 mars concernant la recherche d'une issue aux crises multiples qui accablent Haïti reflètent l'imbrication des intérêts et des points de vue en discussion parmi les « parrains » du pays – grands et petits.
Pour l'instant, elle n'apporte pas de solutions, mais vise à obtenir une trêve entre les responsables politiques, dans une situation où les priorités sont de rétablir la sécurité physique, sociale et économique d'une population terrorisée par des bandes criminelles et de remettre sur pied les institutions effondrées au cœur de l'Etat : municipalités, parlement, présidence et pouvoir judiciaire.
Cet exercice doit permettre de jeter les bases pour entreprendre, avec l'accompagnement plus ou moins étroit de partenaires extérieurs, la reconstruction de l'Etat. Il ne s'agit rien de moins que de rétablir la présidence (absente depuis près de trois ans), de remplacer un gouvernement et son premier ministre illégaux depuis leur nomination, et de renforcer les institutions de sécurité et de justice pour un retour rapide à la tranquillité et à la protection de la vie des gens.
La plupart des acteurs ont cependant critiqué ce qu'ils appellent la « formule CARICOM ». Cependant, les discussions se sont poursuivies entre les acteurs haïtiens et une formule a été convenue. Celle-ci consiste en la formation d'une présidence collective – un Conseil présidentiel – avec la participation inclusive de la société civile, des principaux courants politiques et du secteur privé [3]. Les noms définitifs devaient être connus le 19 mars [4]. Reste à connaître les accords qui devraient garantir leur mise en œuvre. Une fois de plus, les vieux démons des rivalités idéologiques et des intérêts personnels qui ont bloqué tous les accords depuis des décennies sont à l'œuvre. Mais d'un autre côté, il semble que nous ayons touché le fond de la crise politique et sociale. Le pays est en attente de perspectives et de progrès concrets et les acteurs politiques, y compris une certaine représentation du secteur privé, sont encore engagés dans une recherche commune.
Enfin, aujourd'hui l'urgence est criante, la criminalité cherche à garantir son impunité par ses menaces armées et la population est épuisée [5]. Même un accord médiocre, pour autant qu'il reflète des valeurs claires qui n'admettent pas la collusion avec le crime et la corruption, servira pour l'instant à essayer de trouver une solution. D'autre part, l'intervention militaro-humanitaire reste de mise. Mais reconstruire l'Etat, c'est aussi, d'une certaine manière, (re)définir le projet de nation. Un objectif sans doute hors de portée à court terme, mais dont les contours conditionnent l'avenir de Haïti. (Opinion publiée par Nueva Sociedad en mars 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Sabine Manigat est politologue et historienne. Elle travaille actuellement comme consultante indépendante à l'Université Quisqueya à Port-au-Prince. Elle est membre de la coordination de l'Accord de Montana.
[1] Le 7 février 2024 devait marquer l'entrée en fonction d'un gouvernement élu selon l'accord signé entre le Premier ministre Ariel Henry et des acteurs haïtiens. Cet « accord » est radicalement contesté. (Réd.)
[2] Pour rappel, le 12 janvier 2010, Haïti a été secoué par un tremblement de terre ayant fait 230'000 morts, 300'000 blessés et 1,2 million de sans-abri. Les élections prévues pour le 3 mars 2010 ont été reportées à mai 2011. Ce fut l'occasion d'affrontements quant aux résultats électoraux, l'OEA a dicté le retrait du candidat Jules Célestin, arrivé deuxième au premier tour. Le deuxième tour, le 20 mars 2011, aboutit à l'élection de Martelly dont le passé fut débattu comme les liens avec la famille Duvalier. (Réd.)
[3] Le Conseil présidentiel transitoire doit être formé de sept membres votants qui représenteront les principales forces politiques en Haïti et le secteur privé. Deux observateurs sans droit de vote doivent en outre porter la voix de la société civile et de la communauté religieuse. (Réd.)
[4] Maître Gédéon Jean, avocat et directeur du Centre d'analyse et de recherche sur les droits humains (CARDH), représentant de la société civile au sein du Conseil présidentiel de transition, déclare le 22 mars : « Toutes les grandes tendances politiques se trouvent au sein de ce Conseil, incluant la société civile que je représente. Ce n'est pas la solution idéale, mais cela répond à un besoin. Quand on vient avec cette solution, ça permet quand même de passer un cap, à savoir trouver une formule consensuelle, pour pouvoir mettre en place le nouveau gouvernement et le conseil électoral. » (FranceTVGuadeloupe, 22 mars)
[5] Plus de 30'000 personnes ont fui la capitale entre le 8 et le 20 mars. Le nombre de personnes en fuite qui ont rejoint les départements du Grand Sud sont estimées à quelque 120'000, alors que ces provinces ne disposent d'aucune ressource pour les recevoir. Cela a poussé le Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés à déclarer : « La vie, la sécurité et la liberté des Haïtiens sont menacées par une confluence de violences croissantes des gangs et de violations des Droits de l'Homme (…). Nous réitérons également notre appel à tous les Etats à ne pas renvoyer de force les personnes vers Haïti, y compris celles dont la demande d'asile a été rejetée. » Une demande qui s'adresse à la République dominicaine, aux Etats-Unis, au Canada, à la France (avec ses départements d'outre-mer), etc. (Réd.)
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Cents jours de Milei en Argentine : cruauté et transgression

Le 10 décembre dernier, à l'occasion du 40e anniversaire du retour de l'Argentine à la démocratie, l'économiste Javier Milei, un « anarcho-capitaliste » qui a exprimé son scepticisme à l'égard de la démocratie et qui continue à considérer l'État comme une « organisation criminelle », est arrivé à la Casa Rosada.
20 mars 2024 | tiré du site aplutsoc
https://aplutsoc.org/2024/03/20/cents-jours-de-milei-en-argentine-cruaute-et-transgression-par-pablo-stefanoni/
Milei s'attache à montrer que son arrivée au pouvoir non seulement ne le modère pas, contrairement à ce qui se passe habituellement, mais qu'elle attise encore plus sa rage refondatrice. Une sorte d' »Atlas Shrugged » du Rio de La Plata qui reprend les images du capitalisme héroïque du roman d'Ayn Rand, publié en 1957, ainsi que des visions messianiques de la politique qui l'amènent à se comparer à Moïse ; ou à comparer sa sœur Karina à Moïse et à se réserver le rôle du frère et « traducteur » de Moïse, Aaron.
Un président-troll
Pour Milei, la refondation nationale passe par la fin de « 100 ans de collectivisme » qui auraient détourné le pays du destin tracé par les libéraux du 19ème siècle, le conduisant à devenir une immense « villa miseria » (bidonville). Il veut aussi en finir avec la « caste » politique – il a même remis au goût du jour le slogan « Que se vayan todos »- « Qu'ils s'en aillent tous », scandé dans les rues lors de la rébellion sociale de 2001 – bien que son gouvernement soit truffé de politiciens de carrière, dont l'ancien candidat péroniste à la présidence Daniel Scioli, battu de justesse en 2015 par l'ancien président conservateur Mauricio Macri (2015-2019) et aujourd'hui secrétaire au Tourisme, à l'Environnement et aux Sports de Milei.
La détérioration économique de ces dernières années, avec une inflation de plus de 100 % par an et une augmentation de la pauvreté à plus de 40 %, a conduit les électeurs à revenus moyens et faibles à faire confiance à ce discours et à choisir « La Libertad Avanza », l'étiquette électorale de Milei, avec un mélange de lassitude et d'indigestion face à tout ce qui est connu et d'espoir face à l'inconnu. En même temps, il est difficile d'expliquer le résultat des élections argentines sans prendre en compte le climat mondial, avec la montée de nouvelles droites radicales et de politiciens prétendument « anti-establishment ».
Milei a assumé la présidence lors d'une cérémonie dos au Congrès – pour réaffirmer sa lutte contre « la casta » -la caste – ; et son récent message à la nation à l'occasion de l'ouverture de l'année législative a montré son mépris pour un Congrès où il est minoritaire et dépendant de la droite de « Propuesta republicana » -(Proposition républicaine (Pro), le parti de Mauricio Macri, et de l'opposition « dialoguiste » , qu'il ne cesse d'insulter.
« Il n'y a pas de place pour les tièdes », a déclaré le président de la Chambre des députés, Martín Menem, du parti de Milei et l'un des proches de l'ancien président néolibéral Carlos Menem (1989-1999) qui intègrent le nouveau parti au pouvoir
La fureur de Milei s'est accrue ce mois-ci lorsqu'une majorité du Sénat a rejeté son décret de nécessité et d'urgence (DNU) publié en décembre – qui abroge ou modifie quelque 300 lois pour déréglementer l'économie – bien que cette décision n'ait aucun effet juridique si la Chambre des députés ne vote pas également en faveur de son rejet.
Le président a posté à nouveau un message avec la liste des sénateurs qui ont voté contre la DNU et les lettres HDRMP (hijos de remil puta – fils de pute). Il avait également menacé de « pisser » [uriner] sur les gouverneurs après l'échec de sa « loi omnibus » – comprenant plus de 500 articles et des pouvoirs spéciaux pour le président – à la chambre basse, et avait qualifié le Congrès de « nid de rats ».
Accro aux réseaux sociaux, Milei agit comme un véritable président-troll, dans le sillage de Donald Trump, soutenu par des armées de followers – organisés et spontanés – qui lancent de violentes guérillas virtuelles et font circuler un lexique visant à disqualifier l'opposition, souvent sous forme de mèmes.
« Ils sont à la masse » (les opposants ne voient pas la réalité), « larmes de gauchistes » (les gauchistes pleurent la perte de leurs privilèges) ou « les forces du ciel » (sur lesquelles s'appuie le gouvernement), ainsi que divers autres mèmes dans lesquels Milei est présenté comme un lion rugissant ou un super-héros.
Milei, approfondissant son côté mystique, répète une citation du livre des Maccabées selon laquelle, dans une bataille, la victoire ne dépend pas du nombre de soldats, mais des forces du ciel. Proche de l'organisation hassidique Chabad Lubavitch, bien qu'il ne soit pas juif, il tweete souvent des messages bibliques en hébreu pour réaffirmer qu'il ne dirige pas un gouvernement ordinaire, mais une révolution qui va au-delà des frontières terrestres.
Guerre culturelle
Depuis son entrée en politique en 2021, après s'être fait connaître comme un panéliste excentrique de la télévision, obsédé par John M. Keynes – un nom qui le rend littéralement fou -, Milei a commencé à intégrer le langage de la « droite alternative ». Il a d'abord dénoncé l'omniprésence supposée du Forum de São Paulo – un réseau affaibli de partis de gauche latino-américains – à partir de points de vue complotistes, et est finalement devenu un croisé contre le « marxisme culturel ».
Dans ce cadre Il dénonce le réchauffement climatique comme une invention socialiste et associe le « féminisme radical » et l'environnementalisme à un plan de réduction de la population planétaire par l'avortement et la décroissance.
Milei présente ses politiques comme de véritables revanches anti-progressistes. Les fermetures de l'Institut National contre la Discrimination, la Xénophobie et le Racisme et de l'Agence de presse d'État Télam, ainsi que les réductions du financement du cinéma argentin et du Conseil National de la Recherche Scientifique et Technique sont célébrées comme des victoires contre le marxisme culturel, provoquant des « larmes de gauchistes ».
Même les licenciements de travailleurs sont célébrés par les militants libertariens [à ne pas confondre avec les libertaires, les anarchistes Ndr], souvent aux portes des Institutions « supprimées ». « La cruauté est à la mode », a déclaré l'écrivain Martín Kohan. Une cruauté mêlée à la transgression propre aux réseaux sociaux et aux nouvelles droites.
Le protocole « anti-piquet » (contre la lutte organisée des chômeurs organisés -les « piqueteros ») – qui criminalise les blocages de rue – adopté par la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, écartée du scrutin lors des dernières élections, est également vécu de cette manière. « Faucon » de la droite traditionnelle, qui occupait déjà le même poste dans le gouvernement Macri, Bullrich est un membre clé du gouvernement et a fait de la main de fer contre la criminalité et la contestation sociale sa marque de fabrique. Si le Milei anarcho-capitaliste parlait de façon critique des « forces répressives de l'État », le Milei président fait siennes les menaces de répression de sa ministre.
La dernière provocation en date a été de remplacer, le 8 mars, alors que des dizaines de milliers de femmes défilaient à Buenos Aires pour la Journée internationale de la femme, le Salon des Femmes Argentines du palais du gouvernement par le Salon des los Próceres -des Héros de la Nation. Le panthéon pluraliste, qui comprenait des femmes de biographies et d'idéologies différentes, a été remplacé par des portraits de Pròceres-de Héros Nationaux, tous masculins, y compris les traditionnels « pères fondateurs », avec des figures telles que l'ancien président controversé Menem, qui a imposé un programme de privatisation radical dans les années 1990 – pour Milei, un Héros national de plus.
La responsable de ce changement est Karina Milei, la sœur du président, qu'il surnomme « la patronne » et actuelle secrétaire générale de la présidence. « Une idée archaïque et excluante de la nation… qui sent la naphtaline », résume le célèbre historien Roy Hora.
Face aux critiques de misogynie, Milei répond en donnant raison aux femmes qui occupent des postes dans son cabinet : Bullrich, la ministre des affaires étrangères Diana Mondino, la ministre Sandra Pettovello, qui dirige le ministère du Capital humain qui a absorbé les portefeuilles de l'Education, du Travail, des Politiques sociales, de la Femme et des Droits de l'Homme, et sa sœur Karina, figure centrale de l'administration.
On peut également ajouter à la liste la vice-présidente Victoria Villarruel, une avocate qui défend, ou du moins justifie, les officiers militaires condamnés pour des crimes contre l'humanité commis pendant la dernière dictature (1976-1983), mais dont le style et les intérêts sont en conflit permanent avec Milei et son entourage.
Cette bataille culturelle fait entrer Milei dans la tribu mondiale des politiques ultras. Lui croit que l'Occident est en danger parce qu'il a abandonné les idées de la liberté, comme il l'a souligné devant le Forum économique mondial de Davos, qu'il considère comme un club de socialistes.
Devenu en 2013 adepte de la version la plus radicale de l'école autrichienne d'économie, celle de Murray Rothbard, le mandataire argentin est devenu une icône des droites libertariennes, mais son anti-progressisme le connecte aussi avec les secteurs les plus réactionnaires. C'est en tant que tel qu'il a été l'un des invités de la dernière Conservative Political Action Conference (CPAC) aux États-Unis, où il a rencontré Donald Trump sans pouvoir cacher son émotion. Milei a également rendu visite à la Première ministre italienne d'extrême droite Giorgia Meloni – lors du même voyage au cours duquel il a tenté de se réconcilier avec le pape François, qu'il avait qualifié de « représentant du mal sur Terre » – et entretient des liens étroits avec la famille Bolsonaro. Il a également reçu beaucoup d'éloges de la part d'Elon Musk, avec qui il partage une haine viscérale de la justice sociale.
Tronçonneuse et mixeur
Milei a fait campagne avec une tronçonneuse pour symboliser la réduction des dépenses publiques qui, a-t-il promis, ne toucherait que la « caste ».
Mais son programme de choc était d'une telle ampleur que le Fonds monétaire international (FMI) lui-même lui a recommandé de ne pas négliger les familles de travailleurs et les plus vulnérables, par crainte d'une explosion sociale. En janvier, la pauvreté touchait déjà plus de 57% de la population, selon l'Observatoire de la dette sociale argentine de l'Université catholique.
Plus que la tronçonneuse, Milei a utilisé le mixeur (liquéfaction des dépenses) : il a maintenu les postes budgétaires sans augmentation en 2023 avec une inflation de 20,6% en janvier et 13,2% en février (chiffre célébré par le gouvernement pour une supposée tendance à la baisse).
Les retraites ont vu leur pouvoir d'achat baisser de 30%. La réduction des prestations sociales, la paralysie des travaux publics, la réduction des transferts aux provinces et le report du paiement de la dette expliquent l'excédent financier que le gouvernement célèbre mais que plusieurs économistes considèrent avec scepticisme, notamment en termes de durabilité.
Ces 100 jours ont été marqués par des tensions avec les gouvernements provinciaux, compte tenu du refus de l'administration fédérale de leur transférer certains fonds fiscaux. Mais dans le cas de la province de Buenos Aires, la plus peuplée du pays et gouvernée par le péroniste Axel Kicillof, Milei a soutenu l'appel à la « rébellion fiscale » – c'est-à-dire au refus de payer les impôts – lancé par le député José Luis Espert, un allié du gouvernement.
Mais la stratégie de Milei, qui consiste à asphyxier financièrement les provinces pour qu'elles procèdent à des ajustements aussi radicaux que l'État fédéral, est à double tranchant, et il suffit de se rappeler les violentes explosions sociales provinciales des années 1990.
« Allez Toto [Caputo, ministre de l'économie]. Le déficit 0 n'est pas négociable », écrit Milei sur le réseau X. De son côté, Caputo a assuré qu' »il n'y a pas de précédent mondial d'une réduction de cinq points du déficit en un mois, et ce que cela démontre, c'est l'engagement du président ».
Bien que Milei considère que tous les impôts sont un vol et que s'y soustraire devrait être un droit de l'homme, il a l'intention d'en augmenter plusieurs, et même d'étendre le mal nommé impôt sur les « gains » ( sur les revenus salariaux) que l'ancien ministre de l'économie et candidat à la présidence, Sergio Massa, avait réduit l'année dernière, pendant la campagne électorale.
L'économie sera la clé
La bataille culturelle sert à unir et à occuper la base de Milei, mais le président a gagné les élections parce qu'il a convaincu 30 % des électeurs au premier tour et 55 % au second que sa recette sortirait le pays de la crise et le projetterait dans un avenir prometteur de liberté et d'abondance. C'est sur ce terrain que se jouera son avenir et sa capacité à construire un bloc de soutien politique et social qui lui fait défaut aujourd'hui.
La stabilité du gouvernement est pour l'instant assurée par un Parti Justicialiste encore éprouvé par sa défaite électorale – et par le fort rejet social du secteur péroniste dominant des 20 dernières années, celui de l'ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner -, par un système politique qui n'a pas encore réussi à décoder le « mileisme » et par la crainte de l'opposition que Milei ne capitalise sur le rejet législatif de ses mesures lors des élections législatives de 2025 pour en faire un levier populiste.
En attendant, tout le monde se demande combien de temps durera la confiance sociale – qui, selon les sondages, semble durer – dans le président le plus inclassable et le plus extravagant des quatre dernières décennies de démocratie en Argentine.
Source : https://www.opendemocracy.net/es/argentina-javier-milei-ajuste-crueldad-guerra-cultural-fmi/
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Amérique latine : poussées progressistes, réactions conservatrices

Plusieurs lames de fond économiques, sociopolitiques et culturelles traversent actuellement l'Amérique latine de part en part. Entre euphorie extractiviste et périodes de crise, virages à gauche ou à droite, velléités intégrationnistes et rivalités hégémoniques, le climat est à l'instabilité démocratique, à la violence, aux émigrations et même à la remilitarisation. Rébellions émancipatrices et mobilisations réactionnaires ajoutent aux tensions en cours.
Tiré de la revue Contretemps
20 mars 2024
Par Bernard Duterme
Le sociologue Bernard Duterme, Directeur du Centre tricontinental – CETRI (Belgique), revient de manière synthétique sur ces diverses tendances avec cet l'éditorial du dernier numéro de Alternatives Sud (publication trimestrielle composée d'articles d'auteur et autrices du « Sud global »).
Aborder l'Amérique latine comme un seul et même ensemble, au risque de négliger les singularités nationales, relève de la gageure. Comment confondre 7 millions de Nicaraguayen·nes sous l'emprise d'un révolutionnaire qui a tourné casaque et 220 millions de Brésilien·nes qui tanguent entre « bolsonarisme » et « lulisme » ? Comment amalgamer l'hypermodernité chilienne et l'effondrement haïtien, la « 4e transformation » mexicaine et les imbroglios de la gouvernance péruvienne, les conservatismes centro-américains et les progressismes du Cône Sud ? L'évocation de tel ou tel pays suffit à mesurer l'irréductibilité d'une situation particulière à une autre ou même, par relation métonymique, aux grands traits de la région à laquelle elle appartient.
Que l'on considère l'étendue territoriale (le Salvador est 425 fois plus petit que le Brésil), la géographie (plus ou moins riche en ressources), la densité de population (Haïti est 39 fois plus densément peuplé que la Bolivie), la composition ethnique (le Guatemala compte plus de 55% d'indigènes, l'Argentine moins de 2% ; le Mexique en dénombre entre 12 et 15 millions, l'Uruguay à peine 500), l'histoire politique (de l'exception cubaine à l'exception panaméenne), les structures économiques (du cuivre chilien au tourisme mexicain), les richesses produites (2000 dollars de PIB annuel par habitant à Managua, 18000 à Montevideo), les références culturelles, les niveaux d'intégration, d'éducation, d'urbanisation, d'émigration, de militarisation, etc., tout n'est que disproportions et dissemblances.
Pour autant – et c'est une autre évidence –, plusieurs grandes tendances communes, à l'œuvre depuis le début du 21esiècle, traversent le continent de part en part : du boom des matières premières et des euphories extractivistes et exportatrices aux crises économiques et politiques actuelles ; de la vague de pouvoirs de gauche à la tête des États aux alternances populistes ou plus classiques en cours. Aux quatre coins de l'Amérique latine, sur fond de bras de fer hégémonique Chine – États-Unis, d'instabilité démocratique et de remilitarisation rampante, des manifestations revendiquent de meilleurs emplois ou pensions, des mouvements indigènes s'essayent aux autonomies de droit ou de fait, des mobilisations féministes ou décoloniales tentent de gagner en reconnaissance et en égalité, des organisations écologistes ou paysannes défendent leurs territoires…, tandis que de puissantes dynamiques réactionnaires et populaires – l'autre face des réalités protestataires – s'opposent au changement et prônent l'ordre et la sécurité. Tout cela, aux pays des inégalités.
Poussée (néo-)extractiviste
Sur le plan économique, déterminant transversal s'il en est, la grande affaire de ce début de 21e siècle, commune à l'ensemble des pays du continent, aura été le « boom des matières premières », tant ses effets sur la relation au monde de l'Amérique latine, sur ses structures productives et ses choix politiques, sur les finances nationales, les taux de pauvreté et les nouvelles configurations du conflit social ont coïncidé, de la Terre de Feu à la Basse-Californie. En clair, l'enchérissement phénoménal, entre 2000 et 2015, des cours des principaux produits des sols et des sous-sols du continent latino-américain sur le marché mondial a changé la donne. Ou plutôt, a nettement renforcé l'extraversion des économies de la région vers le marché mondial, dans un rôle de fournisseuse de ressources non (ou à peine) transformées.
On le sait, la tendance a été tirée par l'expansion de la Chine, dans la foulée de son affiliation à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, et l'explosion concomitante de sa gourmandise en matières premières, qui s'est ajoutée à la forte demande occidentale. En quinze ans, les échanges de l'Amérique latine avec la puissance chinoise ont été multipliés par vingt-cinq. Seul le Paraguay échangeait plus avec elle qu'avec les États-Unis en 2000. En 2020, elle est le premier partenaire commercial de tous les pays d'Amérique du Sud, excepté la Colombie et l'Équateur. La dynamique a donc enflé profusément les prix du soja, de la canne à sucre, de l'éthanol, de la viande, du nickel, du cuivre, du plomb, de l'argent, de l'or, du lithium, du gaz, du pétrole… extraits et exportés à tour de bras par le continent latino, sur base d'une certaine « reprimarisation » de sa matrice économique.
Jamais dans l'histoire, les sols de la région n'auront été autant creusés. C'est l'envolée, voire la fuite en avant, de ce que l'on va appeler alors l'« extractivisme », ou le « néo-extractivisme ». Et l'avènement de ce que, plus loin dans cet Alternatives Sud, Maristella Svampa nomme le « consensus des commodities », qui s'est substitué ces deux dernières décennies au « consensus de Washington ». En dix ans à peine, le filon va, entre autres, tripler le Produit intérieur brut (PIB) du Brésil du président Lula, doubler ceux de l'Équateur de Correa et du Nicaragua d'Ortega. L'Amérique latine dans son ensemble se libère de ses ardoises auprès du Fonds monétaire international (FMI), s'enrichit copieusement, tout en consolidant son inscription subordonnée et dépendante dans la division internationale du travail.
« La pire crise depuis un siècle »
Mais le renversement de tendance survenu à partir de 2014-2015 – « cycle déflationniste » des matières premières, puis volatilité des cours… – va prendre au dépourvu la plupart des pays du continent et les plonger dans une crise que de nombreux économistes de gauche latino-américains annonçaient pourtant depuis les années 2000, au vu des engouements gouvernementaux généralisés et inconséquents pour la haute mais fragile profitabilité de l'aubaine extractivo-agroexportatrice. D'une période de croissance soutenue, la région bascule alors dans une période de récession, de définancement et de réendettement des États, de chute des investissements directs étrangers, d'inflation… « La pire période depuis 1950 » selon la Commission économique pour l'Amérique latine de l'ONU. Et ce, avant même que la pandémie du covid, puis les effets mondiaux de la guerre en Ukraine n'aggravent encore la situation.
Dépourvus, les pays latino-américains le sont d'autant plus qu'en dépit des promesses – telles celles consignées dans la nouvelle Constitution équatorienne de 2008 par exemple –, aucun n'a réussi à profiter de la période de vaches grasses pour diversifier son économie, pour la planifier démocratiquement et écologiquement, la réorienter prioritairement vers le marché interne, préférer l'industrialisation à l'extraction, déspécialiser les territoires en relocalisant l'activité, privilégier la valeur d'usage à la valeur d'échange, etc. Ni non plus, en prévision des mouvements à la baisse des sources externes de financement, pour doter les États de systèmes fiscaux dignes de ce nom, forts et progressifs, visant à mettre à contribution tant les vieilles oligarchies que les nouvelles élites (lire dans cet Alternatives Sud, Mariana Heredia). D'aucuns s'y sont essayés, ils s'y sont cassé les dents. Les fiscalités latino-américaines restent parmi les plus faibles et régressives au monde (Duterme, 2018).
Virage à gauche, puis à droite, puis à gauche…
Une autre tendance, politique cette fois, commune ou presque à l'ensemble de l'Amérique latine depuis le début de ce siècle renvoie aux étonnants « cycles » ou « vagues » de pouvoirs de gauche, puis de droite, puis de gauche… qui ont successivement pris la tête de la plupart des États du continent. Avec, comme arrêts sur image paroxysmique, trois dates clés.
– 2008 : des dix principaux pays d'Amérique du Sud, neuf sont gouvernés par des présidents « roses » ou « rouges », se réclamant de la gauche. Seule la Colombie est restée à droite. Ainsi que, plus au Nord, le Mexique et la moitié de l'Amérique centrale.
– 2019 : tableau quasi inversé. Seul le Mexique, en retard de dix ans sur le premier « virage progressiste », a un président de gauche élu démocratiquement à sa tête. Tous les autres pays de la région sont dominés par des régimes plus ou moins conservateurs (et/ou non élus démocratiquement, dans le cas du Nicaragua, de Cuba et du Venezuela).
– 2022 : nouvelle volte-face généralisée. La toute grande majorité des Latino-Américain·es sont de nouveau gouverné·es par des pouvoirs progressistes. Seuls l'Uruguay, le Paraguay, l'Équateur et la plupart des petits pays centro-américains et caribéens sont restés à droite.
Cela étant, l'ampleur du premier « virage à gauche » – sa durée (jusqu'à trois mandats présidentiels successifs dans plusieurs pays), sa force (des majorités absolues au premier tour, aux congrès, etc.), son caractère inédit (jamais le continent n'avait connu autant de partis de gauche avec autant de pouvoir dans autant d'endroits) – est sans commune mesure avec les alternances populistes ou plus classiques de ces dernières années. D'intensité variable selon les pays, ce virage historique fut d'abord le résultat de l'insatisfaction populaire – souvent portée par d'importants mouvements sociaux – face au bilan désastreux du double processus de libéralisation – politique et économique – qu'a connu l'Amérique latine à la fin du 20e siècle.
Certes les gauches qui le composèrent étalaient leur diversité (du Vénézuélien Chávez à la Chilienne Bachelet, en passant par le couple argentin Kirchner, le Paraguayen Lugo, les Uruguayens Vázquez et Mujica, le Bolivien Morales, etc.), mais elles partageaient aussi un même air de famille ou, pour le moins, une même aspiration « post-néolibérale » : des politiques plus souverainistes, étatistes, keynésiennes, redistributives, interculturelles, participatives… et, à l'échelle latino-américaine, intégrationnistes. Avec, à la clé, de significatives réductions des taux de pauvreté. Mais les effets conjugués de la crise économique à partir de 2015, de l'usure du pouvoir, du verdict des urnes, voire de l'un ou l'autre coup d'État parlementaire ou judiciaire, ouvrirent la porte à un raz-de-marée conservateur, à un « moment réactionnaire »… qui ne dura qu'un temps, faute de résultats sociaux.
Aujourd'hui, la nouvelle « vague » de président·es de gauche ou centre-gauche entamée dès fin 2018 au Mexique (López Obrador) et en 2019 en Argentine (Fernández), poursuivie en 2020 en Bolivie (Arce), en 2021 au Pérou (Pedro Castillo), au Honduras (Castro) et au Chili (Boric), et en 2022 en Colombie (Petro) et au Brésil (Lula) ne peut cacher son extrême fragilité. D'abord parce que les victoires électorales ont souvent été (très) courtes, sans majorité dans les parlements, corsetées par des rapports de force défavorables, voire désavouées par d'autres sondages ou scrutins postérieurs. Ensuite parce que les enquêtes en cours et les élections à venir sont particulièrement incertaines, révélant au passage la soif des opinions publiques pour des remèdes immédiats à leur insécurité physique, sociale et identitaire. Et confirmant, dans le même esprit, la force de nouvelles figures d'extrême droite sur presque toutes les scènes politiques latino-américaines (Dacil Lanza, 2023).
Insécurité, instabilité, violence, émigration, militarisation…
Au-delà, le climat qui prévaut aujourd'hui en Amérique latine, sur fond de longue et sévère crise socio-économique, s'apparente à une forte instabilité démocratique, assortie même d'une tendance à une remilitarisation multiforme (comme l'explique Alejandro Frenkel plus loin dans cet Alternatives Sud). Il faut rappeler d'abord le bilan social hautement problématique des dix dernières années. Après l'embellie des années 2000-2014 et ses taux de croissance soutenue (entre 4 et 6%, hormis en 2009), les périodes de récession et de stagnation – liées aux cours des matières premières, à la pandémie, aux poussées inflationnistes post-covid, aux vicissitudes du marché mondial et des investissements internationaux… – se sont succédé, situant le continent en dessous des résultats enregistrés lors des deux dernières décennies du 20e siècle, déjà qualifiées pourtant de « décennies perdues ».
Pauvreté, inégalités, informalité du travail et insécurité alimentaire sont dès lors reparties à la hausse, à cadence irrégulière selon les pays, après les baisses significatives de la phase précédente. Ainsi, selon les derniers calculs de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (cités par Ventura, 2023), 32% de la population de la région, soit 201 millions de personnes vivent aujourd'hui en situation de pauvreté ou d'extrême pauvreté, « la pire situation depuis vingt-cinq ans » ; le travail informel concerne désormais plus de 53% de la population active ; et l'insécurité alimentaire grave ou modérée frappe 40% des Latinos-Américain·es, un taux plus de 10% « plus élevé que la moyenne du reste du monde ».
L'instabilité des institutions et organisations politiques largement discréditées dans l'opinion, l'extension tous azimuts des violences, de la criminalité et du narcotrafic, ainsi que l'explosion des émigrations – particulièrement centro-américaine, caribéenne, vénézuélienne et équatorienne – ont certainement partie liée avec cette « chaîne de détérioration multidimensionnelle » (Ventura, 2023). La volatilité et la fragmentation des scènes électorales n'ont d'égal que les trajectoires idéologiques oscillatoires de la région et la haute fragilité des procédures démocratiques. Deux marqueurs, parmi beaucoup d'autres : au Guatemala, depuis le retour à un régime civil, les dix chefs d'État successifs ont été portés au pouvoir par autant de partis différents ; et au Pérou, fin 2022, le président élu seize mois plus tôt a été destitué et arrêté pour avoir tenté de dissoudre le parlement.
Si la violence « endémique » de l'Amérique latine, tout comme la corruption, « endémique » elle-aussi, des élites – et leurs collusions avec le crime organisé – sont devenues des lieux communs, leur actualité et leur vigueur n'en sont pas moins obsédantes. En taux d'homicides volontaires par habitant par exemple, le « Triangle Nord » de l'Amérique centrale reste toujours « la région la plus dangereuse au monde », selon l'ONUDC. La région d'où sort d'ailleurs le plus grand nombre d'émigrant·es vers les États-Unis. Environ 500 000 en moyenne annuelle depuis le début du siècle (CETRI, 2022). Tandis que, selon l'UNHCR, plus de 7 millions de Vénézuélien·nes auraient fui leur pays depuis 2015, d'abord en direction de l'Amérique du Sud – de la Colombie jusqu'au Chili –, créant de nouveaux problèmes en chaîne, d'accueil, de rejet et de trafics divers.
À ces différents phénomènes, plusieurs États ont répondu par la militarisation. Et les sociétés, par le militarisme. Pour Gilberto López y Rivas, qui en dénonce les progrès au Mexique en particulier, la militarisation, c'est d'abord « l'assignation aux forces armées de missions, de tâches, de prérogatives, de budgets et de compétences non prévus par la Constitution et ses lois » (2023). Le militarisme renvoie, quant à lui, à la propagation d'un système de représentations et de valeurs qui normalise le recours à la violence, naturalise l'ordre social, justifie les réflexes sécuritaires, etc. Les deux tendances, qui vulnérabilisent d'autant plus les cadres démocratiques nationaux, opèrent depuis une dizaine d'années à travers toute la région. Avec, comme le détaille Frenkel dans ce livre, des éclats de visibilité saccadée en Équateur, au Chili, au Venezuela, en Colombie, au Pérou, en Bolivie, au Salvador, en Uruguay, au Paraguay, au Brésil, etc.
Velléités intégrationnistes et rivalités hégémoniques
En matière de relations extérieures, au moins trois processus concomitants, qui concernent là aussi l'ensemble de l'Amérique latine, sont à l'œuvre : les tentatives d'intégration régionale, le retour du « continent de Lula » sur la scène internationale et, surdéterminant encore une fois, le bras de fer Chine – États-Unis qui s'y joue depuis le début du siècle. Le premier n'a plus la force qu'il a eue pendant le virage à gauche des années 2000 ; force déjà paralysée ou inversée par le retour de la droite entre 2014 et 2020. Aux ambitieuses organisations unificatrices, plus ou moins chargées idéologiquement, portées sur les fonts baptismaux en 2004 (l'Alliance bolivarienne pour les Amériques – ALBA, pour faire pièce au projet états-unien de Zone de libre-échange des Amériques), en 2008 (l'Union des nations sud-américaines – UNASUR) et en 2010 (la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes – CELAC), a succédé une « soupe cacophonique », faite de superpositions et de fractionnements.
À l'intégration progressiste, les gouvernements conservateurs ont préféré une intégration libérale sur le plan commercial (réactivation du Mercosur, lancement de l'Alliance du Pacifique, etc.) et réactionnaire sur le plan politique (PROSUR sur les cendres de l'UNASUR, Groupe de Lima, etc.). Aujourd'hui, les nouveaux pouvoirs de gauche tâtonnent ou divergent. Face à la prolifération des organisations régionales, marqueur des frictions et rivalités nationales, de l'hétérogénéité des orientations et poids de leurs membres, et de la dépendance concurrentielle à l'égard des grandes puissances, ils tendent à donner priorité à leur propre agenda domestique en crise. Et rechignent çà et là à s'aligner comme un seul homme (ou femme, mais cela reste exceptionnel) derrière le leadership assertif et volontariste du Brésil post-Bolsonaro (Dacil Lanza, 2023 ; Franco, 2023).
Le retour de Luiz Inácio Lula da Silva (troisième mandat présidentiel) sur la scène internationale est en effet le deuxième processus à l'œuvre. Avec lui, après les années Bolsonaro, reprend cours un « protagonisme » multilatéral tous azimuts, au nom de son pays (1/3 du PIB latino-américain) et du reste de la région, dont il se fait le porte-parole. Au sein du G20, du G77, des COP climatiques, des BRICS+ (CETRI, 2024), etc., les initiatives et objectifs réaffirmés de Lula et de ses ami·es consistent à peser dans les enceintes internationales, à réformer la gouvernance mondiale, à négocier la paix entre la Russie et l'Ukraine…, ainsi qu'à relancer l'intégration latino-américaine en impulsant « une action collective ‘non alignée' en faveur d'une réindustrialisation des pays de la région et d'une transition progressive vers des modèles plus diversifiés et à plus haute valeur ajoutée » (Ventura, 2023).
Pour autant, la compétition à laquelle continuent de se livrer en Amérique latine les États-Unis, même en déclin relatif, et une Chine toujours ascendante – sans négliger l'Union européenne, principal investisseur dans la région (693 milliards d'euros en 2022, www.ec.europa.eu) –, risque bien d'entraver cette volonté d'intégration et d'autonomisation stratégique chère à Lula. L'appétit des grandes puissances en ressources naturelles et agricoles nécessaires au verdissement de leurs économies (CETRI, 2023), ainsi que l'agressivité de leurs politiques commerciales, de crédit et d'investissement plus ou moins conditionnées ouvrent peu de possibilités à une redéfinition des relations politiques et des échanges marchands sur des bases moins asymétriques et plus souveraines pour l'ensemble des petits, moyens et grands pays latino-américains.
Anciennes et nouvelles conflictualités sociales
Sur le front de la conflictualité sociale et des contestations populaires, là aussi, une lame de fond processuelle et multidimensionnelle travaille l'Amérique latine de part en part. Certes le rythme et l'intensité des mobilisations connaissent des pics et des creux, des flux et des reflux en fonction à la fois de leurs dynamiques internes et des contraintes contextuelles, mais « la rue » latino-américaine n'en continue pas moins de s'affronter, autant que faire se peut, aux ordres établis. « La rue », c'est-à-dire le plus souvent des « minorités agissantes », parfois en porte-à-faux avec leur propre milieu social, avec ces « majorités silencieuses » plus ou moins indifférentes. Tendance renforcée, on le sait, par les effets anomiques des sociétés de consommation, les attraits atomisants des ambiances urbaines, la désagrégation des collectifs dans les mécanismes d'individuation, comme l'évoquent plusieurs des auteurs et autrices de ce livre collectif.
Cela étant, même si ce ne sont pas toutes les femmes du Chili qui s'insurgent contre la culture du viol, ni l'entièreté des indigènes du Guatemala qui dénoncent l'extraction minière, à l'automne 2019 par exemple, une dizaine de pays du continent ont bel et bien été secoués simultanément et profondément par une nouvelle et forte poussée rebelle. En cause et en vrac, la réduction des subsides publics dans les transports, l'éducation ou les retraites, la privatisation de l'eau, l'application des recommandations du FMI, les affaires de corruption, les réformes conservatrices, la flexibilisation du travail, la violence d'État, etc. Et cela, de l'Équateur au Honduras, du Panama au Chili, de la Bolivie à Haïti, de Puerto Rico à la Colombie…
Bien sûr, la répression ou la concertation, la criminalisation ou l'institutionnalisation, puis les crises, la pandémie et la fermeture des espaces de contestation ont eu leurs effets démobilisateurs, mais l'effervescence et l'ébullition sociales latino-américaines n'en demeurent pas moins, aujourd'hui, des réalités prégnantes. Prégnantes et à double visage. Elles peuvent être à visée émancipatrice, progressiste, égalitaire, antidiscriminatoire, féministe, écologiste, anti- ou décoloniale…, mais elles peuvent aussi, à l'inverse, appeler à la restauration de l'ordre, à la protection sécuritaire, à la fermeture des frontières, à la préservation identitaire… Et les premières ne sont pas forcément plus populaires que les secondes.
Du côté des luttes émancipatrices d'abord – par opposition donc aux mobilisations réactionnaires –, les plus nouvelles de ce siècle, sans doute les plus répandues sur l'ensemble du continent, renvoient à cette conflictualité socio-environnementale qui s'est ouverte ou, pour le moins, qui s'est fortement accrue à la faveur de la poussée (néo-)extractiviste. Elle oppose d'un côté, de grands investisseurs extérieurs, privés ou publics, et, de l'autre, des communautés locales, paysannes, souvent indigènes, flanquées d'organisations écologistes. Plusieurs des auteurs et autrices de cet Alternatives Sud en parlent en long et en large, tant ces conflits minent par dizaines la plupart des pays latino-américains (voir notamment l'Environmental Justice Atlas, qui les recense : www.ejatlas.org).
L'enjeu est le territoire. Sa souveraineté et son usage. Est-il le réceptacle naturel de « mégaprojets » – miniers, aéroportuaires, énergétiques, autoroutiers, agro-industriels, ferroviaires, touristiques, commerciaux… – de « modernisation » ou de « développement » des infrastructures nationales ou, plutôt, d'abord le milieu de vie et de production agricole vivrière des populations locales qui l'habitent ? Est-il une ressource appropriable et exploitable à souhait par de puissants opérateurs économiques poliment invités à minimiser les dommages collatéraux – environnementaux et sociaux – de leurs activités polluantes ou, avant tout, l'objet d'indispensables consultations démocratiques en vue d'obtenir (ou pas) « le consentement libre, préalable et informé » des autochtones qui le peuplent, sur son prochain destin ?
En attendant, les deux camps s'affrontent, dans des rapports de force souvent déséquilibrés. Parmi les centaines de défenseurs et défenseuses de l'environnement victimes de violence meurtrière en 2022 recensées par l'organisation internationale Global Witness (Le Monde, 13 septembre 2023), 90% l'ont été en Amérique latine. Pays les plus touchés : la Colombie en tête, puis viennent le Brésil, le Mexique, le Honduras, le Venezuela, le Paraguay, le Nicaragua, le Guatemala…
Les mouvements indigènes – mayas, aymaras, quechuas, mapuches, etc. – constituent une part importante des acteurs collectifs mobilisés dans ces luttes socio-environnementales. Ils ont émergé, dès les années 1990, dans les espaces créés par la libéralisation politique et économique du continent et la pénétration plus en profondeur du « capitalisme de dépossession ». Aujourd'hui, au sein des régimes d'« autonomies de droit » qui leur ont été accordés ou des « autonomies de fait » qu'ils ont arrachées, ils tentent de produire au quotidien les conditions d'une réconciliation des principes d'égalité et de diversité, dans un nouveau rapport « décolonial » et « plurinational » à la modernité. Le triple défi démocratique, écologiste et multiculturaliste est au cœur de leur démarche. Une démarche plurielle et fragile certes, mais dont les différents registres d'action ont pour objectif, comme l'expliquent Martínez et Stahler-Sholk dans cet Alternatives Sud, de faire corps face aux adversaires politiques et économiques qui les assaillent et aux cartels criminels qui les cernent.
Le mouvement féministe ou, plutôt, les mouvements féministes latino-américains défraient, eux aussi, régulièrement la chronique. Lors d'un récent colloque, Lissell Quiroz (2023), spécialiste de la tendance, en a souligné à la fois les antécédents historiques (du 16e au 20e siècle), le « remarquable dynamisme » actuel, « source d'inspiration pour l'Europe », et la « pluralité » des expressions, « représentatives de la multiplicité des situations des femmes » sur le continent. Elle distingue ainsi quatre courants contemporains, qu'elle appelle à converger. Le « féminisme majoritaire » d'abord, en tout cas le plus visible, le plus original et médiatisé, composé de femmes instruites (souvent d'ailleurs articulées avec les manifestations étudiantes), de culture occidentale, mobilisées pour les droits sexuels et reproductifs, et contre les violences de genre (telles les campagnes « Ni Una Menos », « Las Tesis », etc.).
Le « féminisme communautaire » ensuite, celui des femmes indigènes qui, comme membres d'une collectivité plus que comme individus, mettent l'accent sur leur place dans la communauté, le lien avec la terre et l'environnement. Les « afroféminismes » encore, qui, au Brésil, en Colombie, en Haïti, etc., dénoncent la « subalternisation » des Afrodescendantes, les emplois précaires, le manque de droits et invitent à « ennegrecer al feminismo ». Le « féminisme décolonial » enfin, qui insiste sur l'imbrication et le nécessaire dépassement de plusieurs systèmes de domination – de genre, de classe, de « race » – et mobilise en cela parmi les employées domestiques racisées… Plus loin dans cet ouvrage, Luciana Peker et Jessica Visotsky en détaillent les différentes manifestations et leurs façons de « faire vivre » la démocratie.
Pour compléter le tour des principales contestations sociales, progressistes ou émancipatrices, à l'œuvre sur le continent latino-américain, il faut bien sûr évoquer aussi le plus classique mouvement ouvrier ou celui, plus large, des travailleur·euses, de même que les organisations syndicales, porteuses de leur cause. L'ensemble peut être caractérisé à la fois, d'un côté, par sa centralité historique dans les mobilisations collectives ayant trait aux conditions de vie, aux salaires, au travail décent, aux pensions, etc., et, de l'autre, par son poids sociopolitique (très) relatif, pouvant varier sensiblement d'un pays à l'autre.
À l'évidence, plusieurs facteurs restent déterminants : les niveaux inégaux d'industrialisation et l'extension du secteur tertiaire, l'étendue du travail informel – au-delà des 75% de la population active dans plusieurs économies –, l'histoire politique des répressions subies, les réformes du marché du travail offrant plus ou moins d'espace aux négociations collectives… Et à ces facteurs « extérieurs », il convient d'ajouter la politisation ou la radicalité variables des syndicats, leur réelle fragmentation, leurs articulations aux autres luttes, ainsi que leurs rapports aux pouvoirs et aux partis de gauche ou de droite, rapports qui ont de facto oscillé ces dernières années entre autonomisation, instrumentalisation, cooptation, institutionnalisation et confrontation (Gaudichaud et Posado, 2017).
Clivages politiques et « guerre culturelle »
La dernière double tendance de fond qui, à nos yeux, traverse l'Amérique latine renvoie, d'une part, aux tensions croisées qui y divisent les gauches tant sociales que politiques et, d'autre part, à la « guerre culturelle » qui, à la mode états-unienne, oppose les idéaux progressistes et les réflexes conservateurs, en particulier dans les milieux populaires.
À gauche d'abord, les lignes de fracture sont multiples, mais tendent à se superposer. Une première a mis en conflit, durant la vague 2000 – 2015 des gouvernements socialistes, un pôle qualifié de « néodéveloppementaliste » à un autre estampillé « indianiste », « écosocialiste », voire « pachamamiste » (de Pachamama, la « Terre-Mère » dans la cosmogonie andine). Au nom de la souveraineté nationale, de la réappropriation des richesses naturelles (par nationalisation ou renégociation des contrats d'exploitation avec les multinationales), puis de la redistribution des bénéfices au travers de politiques sociales, la gauche néodéveloppementaliste s'est montrée favorable à l'essor des activités extractivistes et agroexportatrices. Au nom des souverainetés locales, de la préservation de l'environnement et d'un modèle autonomiste de « buen vivir », la gauche indianiste s'y est, elle, radicalement opposée.
Dans cet Alternatives Sud, Alexis Cortés plaide pertinemment pour une articulation de ces deux projets en apparence inconciliables, à savoir l'indispensable protection de la biodiversité et l'impératif d'un développement industriel redistributif. Il lui faudra alors tenter d'intermédier sur d'autres lignes de fracture politiques ou plus conceptuelles, nouvelles ou anciennes, qui, quand elles s'additionnent, ajoutent à la bipolarisation tant des mouvements que des partis de gauche latinos. Celles qui confrontent non seulement les « étatistes » aux « communalistes », les « jacobinistes » aux « libertaires », les « verticalistes » aux « horizontalistes », mais aussi les « égalitaristes » aux « différentialistes », les « matérialistes » aux « post-matérialistes », les « universalistes » aux « identitaires »… Ainsi, le projet de Constitution (très) progressiste rejeté en 2022 par 62% des Chilien·nes, n'a-t-il pas été taxé de « woke » et de « dangereux » par plusieurs figures socialistes à Santiago ?
D'aucuns y voient même, dans ce projet de Constitution chilienne comme dans d'autres « rigidités idéologiques », « exagérations décoloniales » ou outrances « pro-LGBTQ+ » à l'œuvre « au Brésil, en Colombie ou ailleurs », un tapis rouge déroulé sous les pieds des opinions réactionnaires et des forces d'extrême droite (Confidencial, 2022) qui, de fait, gagnent du terrain un peu partout en Amérique latine. « Le wokisme réussit à crisper les citoyens latino-américains et à ouvrir la voie aux populistes de la droite autoritaire », assène un ancien ministre de Bachelet, l'ex-présidente socialiste du Chili (Velasco, 2022). Ce qui, en tout cas, correspond à une réelle lame de fond, ce sont ces conservatismes populaires, caressés dans le sens du poil par des médias sensationnalistes et par des tribuns politiques ou religieux ultraconservateurs (l'audience des églises évangéliques a décuplé depuis le siècle dernier), qui manifestent dans la rue et dans les urnes leur phobie du différent et leur besoin de sécurité.
« L'ascension de l'extrême droite est un fait majeur de l'actualité du continent », confirment dans ce livre collectif, Katz, Tolcachier et León. Bien qu'elle traduise, à leurs yeux, la tentative des forces conservatrices de contrer les avancées sociales des gouvernements progressistes, elle a conquis une part significative des secteurs populaires, à travers un discours antisystémique contre la classe politique, les délinquants et les évolutions sociétales. Internationalisée, elle bénéficie de l'appui d'une certaine élite économique et s'inspire ouvertement du « modèle » trumpien. Pablo Stefanoni (2021) y distingue différents courants plus ou moins compatibles – de l'alt-right à la néoréaction (NRx), en passant par le paléo-libertarianisme, etc. –, constitutifs d'une « révolution antiprogressiste » menée par des « nationalistes anti-État, xénophobes, racistes et misogynes », aux méthodes de communication « novatrices et provocatrices ».
Conclusion
On en est là, au terme de ce trop rapide passage en revue des tendances qui dessinent l'Amérique latine actuelle. Il n'est pas impossible, au vu des multiples échéances électorales qui s'annoncent, que la fragile « vague rose » qui a culminé en 2022 fasse place à une « marée brune » ou, plus vraisemblablement, à de nouvelles alternances plus ou moins populistes, composées de clones du brésilien Bolsonaro ou de l'autoritaire et populaire président du Salvador, Bukele, autoproclamé « dictateur le plus cool du monde ». Rien à l'horizon, en tout cas, qui permette d'entrevoir la sortie du marasme économique en cours et la diminution significative de la pauvreté, des inégalités, des violences et du saccage de la biodiversité. Rien non plus qui laisse augurer une transformation en profondeur du modèle de développement, dans le sens – plus équitable, plus durable, moins dépendant… – revendiqué par les mouvements sociaux à visée émancipatrice. Sauf si ces derniers, bien sûr, parviennent à inverser les rapports de force et à engranger de nouvelles victoires.
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Illustration : Wikimedia Commons.
Bibliographie
CETRI (2022), Fuir l'Amérique centrale, collection Alternatives Sud, Paris, Syllepse.
CETRI (2023), Transition « verte » et métaux « critiques », Alternatives Sud, Paris, Syllepse.
CETRI (2024), BRICS+ Une alternative pour le Sud global ?, Alternatives Sud, Paris, Syllepse.
Confidencial (2022), « La política ‘woke' se traslada a Chile, Brasil y Colombia », 27 août.
Dacil Lanza A. (2023), Progresismos latinoamericanos : segundo tiempo – Los límites del cambio, Buenos Aires, Podcast Nueva Sociedad, www.nuso.org/podcast/.
Duterme B. (2018), « Des politiques fiscales qui nourrissent les inégalités latino-américaines », Le Monde diplomatique, avril.
Franco S. (dir.) (2023), L'Amérique latine dans tous ses États – L'intégration en débat, Bruxelles, Gresea (Gresea Échos, n°115).
Gaudichaud F. et Posado T. (2017), « Syndicats et gouvernements latino-américains : une réinstitutionnalisation ? », Cahiers des Amériques latines, n°86.
Quiroz L. (2023), « Les féminismes latino-américains du début du 21e siècle », Le rôle des femmes dans les transformations des sociétés latino-américaines, Paris, Colloque IRIS, 22 mars.
López y Rivas G. (2023), « Militarización y militarismo en México », www.rebelion.org, 29 septembre.
Stefanoni P. (2021), ¿La rebeldía se volvió de derechas ?, Buenos Aires, Clave Intelectual – Siglo XXI Editores.
Velasco A. (2022), « Woke Politics Goes South », Project Syndicate, 25 août.
Ventura C. (2022), Géopolitique de l'Amérique latine, Paris, Éditions Eyrolles.
Ventura C. (2023), « Amérique latine / Caraïbe – La grande incertitude », dans Boniface P. (dir.), L'Année stratégique 2024, Paris, Armand Colin.
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Nicaragua : « {Il n’y a plus d’organisations syndicales, plus de mouvement social autonome. Nous avons besoin de solidarité »}

Entretien. Mónica Baltodano était commandante guérillera pendant la révolution sandiniste et dirigeante de l'insurrection de Managua. Elle a eu des responsabilités dans le gouvernement révolutionnaire, s'occupant notamment des territoires et du travail municipal.
Tiré de NPA 29
photo :Mónica Baltodano Hebdo L'Anticapitaliste
En 2007, Daniel Ortega arrive au pouvoir en passant des accords avec la droite et des secteurs capitalistes sur un projet qui n'avait rien à voir avec la révolution sandiniste. Mónica Baltodano, avec beaucoup d'autres anciens militantEs et combattantEs du FSLN (Front sandiniste de libération nationale), s'est retrouvée dans l'opposition. Ensemble, iels ont créé des mouvements dissidents du Front sandiniste. En 2018, après la réponse répressive face au mouvement des paysanNEs et des étudiantEs qui a fait près de 400 morts, Mónica Baltodano s'est retrouvée en exil au Costa Rica, déchue de sa nationalité, tous ses biens et revenus confisqués. Elle est en Europe, invitée par la 4e Internationale, et a accepté de répondre à nos questions.
Quel était l'objectif de votre voyage ?
Nous sommes en Europe pour dénoncer le régime dictatorial et absolutiste de Daniel Ortega et Rosario Murillo qui, depuis 17 ans, contrôlent le gouvernement et toutes ses institutions. Leur objectif n'est pas de bâtir un projet de transformation ni de sortir de la pauvreté dans laquelle vivent la majorité des NicarguayenNEs, mais d'augmenter leur richesse personnelle, car eux sont devenus des capitalistes. Depuis leur retour au gouvernement en 2007, ils ont instauré un régime néolibéral avec les caractéristiques les plus brutales de l'extractivisme, notamment dans les mines d'or et d'argent. Cela a provoqué de profondes inégalités dans le pays. Plus de 700 000 NicaraguayenNEs ont dû partir. D'une certaine manière ce sont elles et eux qui soutiennent l'économie du Nicaragua, car les dollars qu'ils et elles envoient à leurs familles sont plus importants que l'ensemble des exportations du pays.
Nous rappelons qu'au Nicaragua, la répression est de plus en plus forte. Il n'y a pas de liberté de la presse, de l'information. Personne ne peut penser de façon différente de celle du régime car les gens risquent la prison ou l'exil, et la confiscation de tous les biens.
Plus de 4 000 organisations ont été interdites. Des associations qui travaillaient pour les droits des femmes, pour les droits de la nature, pour les droits des indigènes…
Il n'y a plus d'organisations syndicales, plus de mouvement social autonome. C'est pour cela que nous avons besoin de solidarité. Pas seulement d'une condamnation, pas seulement de communiqués de la communauté internationale, mais de solidarité.
Nous sommes venuEs échanger avec des personnes qui avaient travaillé dans la solidarité dans les années 1980. Certaines étaient même allées là-bas et avaient participé à la lutte contre Somoza, partageant notre rêve d'une société plus juste, d'une démocratie politique, économique et sociale. La possibilité de retrouver cette direction pour le Nicaragua existe. Pour ce faire, nous avons besoin de sortir de la dictature. Nous cherchons donc à l'affaiblir sur la scène internationale.
Nous sommes en Europe pour proposer des projets paysans, des projets de formation et d'organisation. Nous avions besoin de nous organiser, et je suis particulièrement attachée à l'organisation des secteurs de gauche qui viennent du sandinisme. Il faut rendre justice à celles et ceux qui ont été assasssinéEs ou inculpéEs, à toutes celles et ceux frappéEs par la dictature d'Ortega-Murillo. Voilà les sujets que nous avons abordés durant cette visite.
Une partie de la gauche en Europe, même si elle sait ce qui se passe au Nicaragua, pense encore qu'Ortega est sandiniste, que c'est le révolutionnaire des années 1980…
Nous avons constaté une avancée importante à gauche quant à la compréhension et aux informations sur ce qui se passe réellement au Nicaragua. D'après nos échanges, nous pouvons conclure que la majorité est consciente qu'au Nicaragua il n'y a pas un régime de gauche, que c'est un régime criminel qui a commis des violations évidentes des droits humains.
Mais il reste un secteur à gauche qui s'acharne à dire que c'est la poursuite de cette belle révolution qui l'avait enthousiasmé. Cette gauche-là ferme les yeux face à la réalité. Certains disent que c'est parce qu'Ortega est anti-impérialiste. Je veux leur dire qu'Ortega n'est pas anti-impérialiste. Il utilise cette rhétorique dans le but de garder un certain secteur de sa base sociale. Mais pour tromper cette partie de la gauche, il essaye de s'inscrire dans une nouvelle logique Ouest-Est. Voilà pourquoi il soutient la Russie ou s'aligne sur l'Iran ou la Corée du Nord.
En réalité, la majorité de la gauche a progressé, pas seulement en Europe mais aussi en Amérique latine. Il y a des voix fortes comme celle de Gabriel Boric au Chili ou du président Gustavo Petro en Colombie ou encore Andres López Obrador au Mexique, qui ont condamné la déchéance de nationalité de plus de 300 NicaraguayenNes. Des voix très importantes se font entendre comme celles de Pepe Mujica en Uruguay, de Cuauhtémoc Cárdenas au Mexique. Nous avons fait des progrès, mais il est très important que les gauches du monde s'expriment avec force contre Ortega.
Cela nous aide aussi dans notre travail en direction de la jeunesse. Ortega dit dans ses discours que ce qu'il fait c'est du socialisme. Même si nous avons la société la plus néolibérale depuis 1990, les jeunes du Nicaragua croient qu'Ortega est socialiste.
Que reste-t-il du mouvement social et syndical après la répression du gouvernement ?
Tout le mouvement social autonome a été écrasé et réprimé par des arrestations, par l'exil avec plus de 350 personnes assassinées lors de la répression de 2018.
Nous nous attachons à reconstruire ces réseaux. Depuis l'exil mais aussi à l'intérieur, avec des méthodes de travail silencieuses, dans tout le pays. Nous prônons la lutte civique, pacifique. Nous avons souffert de trop de guerres au Nicaragua. Nous nous efforçons de passer par la voie démocratique, la voie civique, la voie pacifique.
Mais cela ne signifie pas qu'il ne faille pas s'organiser de façon clandestine, car la répression est brutale. Au Nicaragua, on ne peut pas publier une quelconque opinion opposée dans la presse ni dans les médias en ligne. Des journalistes sont en prison, tout simplement pour avoir publié sur leur profil une manif ou une procession religieuse qui aurait été interdite. Face à cette réalité, il s'agit de reconstruire tout le tissu social que le régime a anéanti. Mais nous sommes sûrEs que nous y arriverons, il y a des avancées déjà dans ce sens.
Nous sommes optimistes, nous croyons que tôt ou tard ce régime va tomber. Des milliers de sandinistes, des travailleursE de l'État, des militaires et des policiers ne sont plus avec le régime même s'ils restent dans leurs emplois car ils ne peuvent pas vivre d'autre chose. Dans toutes les institutions des milliers de personnes ne soutiennent plus ce régime, voilà pourquoi nous sommes convaincuEs que sa fin est proche, plus proche que ce que les gens dans la rue pensent.
Propos recueillis par Mariana Sanchez
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Amadou Ba reconnaît sa défaite face à Bassirou Diomaye Faye

Dans le sillage des résultats préliminaires de l'élection présidentielle au Sénégal du 24 mars, un tournant majeur se profile dans le paysage politique sénégalais. L'ancien Premier ministre Amadou Ba a officiellement admis sa défaite face à l'opposant Bassirou Diomaye Faye, marquant ainsi une transition potentielle vers une nouvelle ère politique.
Tiré de MondAfrique.
Après des heures de suspense, Amadou Ba, candidat de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (BBY), a finalement reconnu sa défaite lors d'un appel téléphonique à Bassirou Diomaye Faye il y a moins d'un heure. Cette concession a été confirmée par le ministre porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana. Dans un geste de fair-play, Ba a également adressé des félicitations à Faye pour sa victoire dès le premier tour.

Attente des résultats officiels
Bien que la victoire de Faye ne fait plus aucun doute, les résultats officiels de l'élection n'ont pas encore été annoncés. L'annonce de Ba a été suivie d'une attente tendue pour connaître les prochaines étapes de cette transition politique.
rapellons que la nuit du 24 mars a été marquée par des célébrations chez les partisans de Faye, tandis que certains partisans de Ba refusaient de croire à sa défaite et espéraient un second tour. Cette situation a créé une atmosphère contrastée alors que le pays attendait avec impatience la confirmation des résultats officiels.
Les partisans de Faye ont exprimé leur joie au quartier général du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF), son parti politique, alors que plusieurs autres candidats, dont Déthié Fall, Khalifa Sall et Mamadou Lamine Diallo, ont déjà adressé leurs félicitations à Faye.
5eme président du Sénégal
Alors que le Sénégal se prépare à une nouvelle ère politique, l'admission de défaite par Amadou Ba marque un moment décisif dans le paysage politique du pays. Bassirou Diomaye Faye qui était encore en prison il y a quelques jours, devient le 5eme président de la république du Sénégal et le plus jeune (il fête aujourd'hui son 44eme anniversaire) à occuper cette fonction.
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Sénégal : Mars 2000 - mars 2024 : de la première alternance à la fin du système

Habituellement, l'élection présidentielle sénégalaise se tient le dernier dimanche du mois de février de la dernière année du mandat en cours. Cette année, elle va finalement se tenir avec quatre semaines de retard, après moult rebondissements liés à la volonté farouche du président sortant de différer la tenue du scrutin. Cela traduit-il une peur panique face au crépuscule du système d'oppression néocolonial déjà malmené dans les pays frères voisins ?
Tiré d'Afrique en lutte.
Si cette volonté de report injustifié a suscité un immense tollé au niveau international, elle a buté sur une désapprobation massive dans notre pays, même si elle n'a finalement été considérée que comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase des violations itératives des normes et principes démocratiques.
Pourtant, les Assises Nationales de 2008-2009, dans un remarquable exercice de prospective politique aux conclusions desquelles, le président Macky Sall avait fini par – ou fait semblant de - souscrire, avaient indiqué, entre autres pistes de solution, la refondation institutionnelle, l'émergence citoyenne et l'obtention / parachèvement de nos souverainetés politique, économique et monétaire.
Paradoxalement, depuis le début de la deuxième alternance, une lourde chape de plomb s'est abattue sur notre pays instaurant un autoritarisme pesant sur la vie publique en général et la scène politique, en particulier, tentant de faire tourner la roue de l'Histoire à l'envers et de nous ramener à l'ère de la glaciation senghorienne (voire à celle de la sujétion coloniale).
On en est ainsi arrivé à un stade où des mesures antidémocratiques extrêmes ont eu droit de cité. Il s'agit, notamment de l'interdiction pour les partis politiques de l'opposition d'accéder à leurs sièges pour y tenir leurs réunions ordinaires, de la dissuasion de manifestations par des rafles systématiques de passants dans la rue, d'arrestations arbitraires de supposés militants de l'Opposition dans leurs domiciles, de la dissolution du PASTEF, 60 ans après celle du PAI….
Si cette stratégie d'asservissement du citoyen a pu prospérer, c'est parce que le régime du Benno-APR a procédé à une instrumentalisation des institutions et à une criminalisation de l'activité politique, avec comme point culminant, la cabale contre le leader du PASTEF identifié comme un des principaux obstacles à la perpétuation du système néocolonial. Des lois ont été perverties, de telle manière que les infractions relatives au terrorisme ont été rendues vagues et floues, pour en élargir l'acception, notamment l'article 279-1, assimilant à des actes terroristes, les violences ou voies de fait commises contre les personnes et des destructions ou dégradations commises lors des rassemblements. Il y a aussi eu les infractions liées aux technologies de l'information et de la communication. Cette législation liberticide sera corsée, au lendemain des émeutes ayant trait à l'affaire Ousmane Sonko – Adji Sarr. Au vu de ces rappels, on appréhende mieux cette obsession du pouvoir apériste à susciter et à entretenir une atmosphère de tension avec une interdiction systématique des manifestations doublée d'un déploiement massif et irréfléchi des forces de l'ordre suivi d'usage abusif de la force. C'est par ces prétextes et provocations, qu'on a embastillé, sans aucune enquête digne de ce nom, des milliers de jeunes gens présumés innocents, sans désigner un quelconque coupable pour tous ces crimes apparentés à des actes terroristes.
Force est de reconnaître, que face à cette réduction sans précédent des espaces civiques, les capacités de revendication, de protestation et d'indignation ont également diminué, avec une propension de larges secteurs de la société civile et de la Presse à jouer à l'équilibrisme, se tenant à équidistance entre le bourreau et la victime. C'est donc dans une indifférence quasi-générale, que le régime du Benno-APR a reconduit, comme en 2019, le système inique du parrainage citoyen ainsi que l'éviction judiciaire de concurrents politiques et dénaturé notre processus électoral.
Adossé aux appareils sécuritaire et judiciaire et brandissant l'épouvantail d'un prétendu terrorisme salafiste, le président Macky Sall et les pontes du Benno-APR ont cru pouvoir prendre des raccourcis et s'exonérer de leurs tâches politiques dans un pays aux solides traditions démocratiques.
C'est ce qui explique cette monumentale bévue politique consistant à vouloir prolonger indûment un mandat arrivé à terme, sanctionnée par deux désaveux cinglants du juge électoral suprême qu'est le conseil constitutionnel. On assiste, depuis lors, à un repli désordonné de la coaltion Benno-APR, dont le patron s'est mué en « chantre de la réconciliation nationale », initiateur d'une « généreuse amnistie » votée le 6 mars 2024, avec une célérité, qui interroge sur l'unilatéralité du mode de prise de décision au plus haut sommet de l'Etat, qu'une certaine gauche fait semblant de ne découvrir que maintenant.
En réalité, le président actuel, écarté bien malgré lui, des prochaines joutes électorales par la limitation des mandats et échaudé par les exemples mauritanien et angolais, est en train d'assurer ses arrières. Mais il feint d'ignorer, qu'en garantissant l'impunité à ses collaborateurs zélés, surtout ceux coupables de graves et multiples violations des droits humains, il commet un affront à l'endroit des familles des victimes.
Électoralement et sociologiquement minoritaire, le Benno-APR, son candidat milliardaire et leurs affidés libéraux, socio-démocrates et ex-communistes ne sont plus en mesure de s'opposer à la profonde aspiration populaire au changement et à l'alternative politique tant attendue.
Nioxor Tine
Source : https://www.nioxor.com/
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Entretien : Dans l’est du Congo, « la guerre régionale est déjà là »

La tension n'a cessé de monter entre la République démocratique du Congo et le Rwanda ces derniers mois, et la situation humanitaire, à la frontière, est dramatique. Mais quelle est précisément la situation sur le terrain ? Qui fait quoi, et au nom de quels intérêts ? Au-delà des fantasmes et des exagérations, le chercheur Onesphore Sematumba explique les tenants et les aboutissants de ce conflit meurtrier.
Les président congolais, Félix Tshisekedi, et rwandais, Paul Kagame, se sont rendus tour à tour à Luanda début mars 2024. Ils ont échangé avec le président angolais João Lourenço, médiateur de l'Union africaine dans la guerre dans l'est du Congo. Ils pourraient bientôt se rencontrer directement pour trouver une solution à cette crise. Un accord est urgent : le Mouvement du 23-Mars (M23), une rébellion soutenue par Kigali, se trouve aux portes de Goma, la capitale du Nord-Kivu aux 2 millions d'habitants, et la situation humanitaire est catastrophique. La République démocratique du Congo (RDC) compte près de 7 millions de déplacés internes (1).
Pourtant, l'arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi en 2019 avait marqué une nette amélioration des relations entre la RDC et le Rwanda. Mais celles-ci se sont brusquement dégradées fin 2021, quand le M23 a resurgi après près de dix ans d'inactivité. En 2013, l'armée congolaise et la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) avaient repoussé le groupe armé, qui avait brièvement occupé Goma. Si Kagame persiste à nier tout soutien au M23, majoritairement composé de Tutsi congolais, il répète que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) – un groupe armé héritier des génocidaires hutu de 1994 – constituent une menace pour les Tutsi congolais et pour la sécurité du Rwanda.
Onesphore Sematumba, chercheur au think tank International Crisis Group (ICG), revient (depuis Goma, où il est basé) sur les causes de la résurgence du M23 et sur les voies de sortie de crise. Il rappelle la complexité d'un conflit qui fait l'objet de récits simplistes consistant à le résumer à une guerre pour les ressources ou à une guerre ethnique, et d'accusations graves, les belligérants des deux côtés étant accusés de commettre un « génocide ».
Le M23, « une force avec laquelle il faut compter »
Tangi Bihan : Comment expliquer la résurgence du M23 en 2021, après sa défaite en 2013 ?

Onesphore Sematumba : Il y a deux facteurs : un facteur interne au M23 et un facteur régional. La défaite de la rébellion en 2012-2013 a été accompagnée d'une série d'engagements du gouvernement congolais, notamment le fait que le M23 puisse se convertir en parti politique, ce qui a été fait. Mais il y a, selon le M23, une autre série d'exigences qui n'ont pas été respectées, comme l'intégration de leurs cadres politiques et de leurs militaires au sein des structures de l'État et dans l'armée. Il y a aussi la sempiternelle question des réfugiés tutsi éparpillés dans les pays voisins, surtout au Rwanda et en Ouganda, dont le M23 se fait le porte-parole et réclame le retour au Congo. Il y a en outre d'autres revendications, comme la lutte contre les FDLR dans le Nord-Kivu – c'est une revendication du gouvernement rwandais que le M23 s'est appropriée.
Depuis quelque temps, le M23 s'est allié – ou s'est converti, ce n'est pas clair – à l'Alliance du fleuve Congo de Corneille Nangaa [président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de 2015 à 2021], et ses revendications politiques se sont corsées : le M23 est devenu plus critique sur les questions de gouvernance, de corruption, etc. Nangaa et son alliance, dont le M23 constitue la branche armée, n'hésitent plus à mettre sur la table le départ de Félix Tshisekedi. C'est de la rhétorique, mais c'est inquiétant pour le pouvoir de Kinshasa.
Tangi Bihan : Et quid du facteur régional ?
Onesphore Sematumba : Il y a eu une coïncidence, en novembre 2021, entre la résurgence du M23 et deux développements parallèles. En novembre, l'Ouganda a signé un accord militaire avec la RDC pour le déploiement de ses troupes dans le nord de la province du Nord-Kivu et en Ituri, afin de combattre la rébellion des ADF [Forces démocratiques alliées], d'origine ougandaise. Parallèlement à cet accord militaire, il y a eu un accord économique portant sur les infrastructures, et notamment la construction d'une route reliant Beni à Goma – plus de 300 kilomètres, dont une bonne soixantaine entre Rutshuru et Goma ; or cette zone constitue une sorte de corridor pour le Rwanda.
À cette époque, les rapports entre le Rwanda et l'Ouganda n'étaient pas au beau fixe. Et les clauses de l'accord prévoyaient que la sécurisation des travaux devait être assurée par l'armée ougandaise, ce qui signifiait que celle-ci allait être déployée aux portes du Rwanda sans son accord. Cela a été perçu comme une menace par Kigali. De plus, Kigali, qui accuse l'armée congolaise de collaborer avec les FDLR, pensait que cela pourrait être une occasion de déployer les FDLR à la frontière du Rwanda. Subsidiairement, cette route était perçue comme une concurrence à la route parallèle rwandaise, qui est très bonne. Le trafic pourrait diminuer considérablement sur cette route Rwanda-Ouganda, au bénéfice de la nouvelle route congolaise, avec tous les manques à gagner que cela représente en termes de taxes.
Il faut noter que, depuis, il y a eu une sorte de renversement d'alliance. L'Ouganda s'est rapproché du Rwanda. À la même période, le Burundi a également obtenu un accord militaire pour envoyer son armée dans le Sud-Kivu afin de traquer le Red-Tabara [Résistance pour un État de droit au Burundi, un groupe de l'opposition armée, NDLR], en mutualisant ses forces avec l'armée congolaise. Le Rwanda, qui rêvait de signer le même type d'engagement pour traverser la frontière et traquer les FDLR, a, lui, reçu une fin de non-recevoir. Il a perçu cela comme non équitable. En janvier 2022, le président Kagame a dit que le Rwanda avait lui aussi ses ennemis au Congo, les FDLR, et que si c'était nécessaire, il n'aurait besoin de l'autorisation de personne pour traverser la frontière et aller les traquer. Il a précisé, et c'est important, que le Rwanda est un petit pays, qu'il ne peut donc pas servir de champ de bataille, et qu'il fallait poursuivre la menace là d'où elle vient. C'est à cette période que le M23 renaît de ses cendres. Lui qui était en stand-by dans les volcans des Virunga (2) a commencé à s'étendre, du jour au lendemain, avec beaucoup d'efficacité.
Deux ans plus tard, le M23 s'est imposé comme une force avec laquelle il faut compter. Les Nations unies ont documenté le soutien de l'armée rwandaise au M23, corroborant l'hypothèse selon laquelle ce n'était pas juste une coïncidence. Selon les rapports du groupe d'experts des Nations unies, le Rwanda appuie le M23 en hommes et en matériel militaire. Le dernier rapport de la Monusco évoque la présence d'un système de défense antimissile sol-air dans la zone sous contrôle du M23. Le Rwanda a jusqu'à présent nié toute présence militaire, mais ne nie pas son appui politique : il affirme que le M23 a raison sur un certain nombre de revendications.
« Tout a été rapidement détricoté »
Tangi Bihan : L'arrivée au pouvoir de Tshisekedi en 2019 avait marqué une amélioration des relations entre Kinshasa et Kigali. Pourquoi se sont-elles dégradées ?
Onesphore Sematumba : Lorsque Tshisekedi arrive au pouvoir, en 2019, il développe une politique d'ouverture volontariste. Jusqu'à présent, il se vante d'être le premier président congolais à avoir visité toutes les capitales des neuf voisins, y compris le Rwanda. On a vu Tshisekedi à Kigali, on a vu Kagame se faire applaudir à Kinshasa à l'occasion des funérailles de Tshisekedi père [Étienne Tshisekedi]. Ils se donnaient même du « frère ». Cette embellie s'est poursuivie avec l'adhésion, fortement appuyée et encouragée par le Rwanda, du Congo à l'EAC [Communauté d'Afrique de l'Est], et par des accords, notamment un accord de traitement des minerais de la Sakima [Société aurifère du Kivu et du Maniema] par une raffinerie rwandaise. C'était du concret sur le plan économique. On justifiait cela à Kinshasa en disant qu'il fallait sortir d'une logique de pillage des ressources vers le Rwanda par la normalisation des relations bilatérales, qu'il fallait faire du « business propre ». La compagnie rwandaise RwandAir a commencé à desservir la ville de Goma et effectuait des liaisons vers Lubumbashi et vers Kinshasa.
C'est la résurgence du M23 qui a mis fin à cette embellie. Tshisekedi a tout de suite dénoncé l'ingérence du Rwanda. Pour lui, il ne fait aucun doute que le Rwanda se cache derrière le M23, dans le but de piller les ressources minières. Les attaques sont allées crescendo jusqu'à la campagne électorale de 2023, qui a atteint des sommets de discours bellicistes – Tshisekedi a même comparé Kagame à Hitler (3). On menace en disant qu'à la première escarmouche, on va envahir le Rwanda… Côté rwandais, on fait comprendre qu'on est prêt.
Aujourd'hui, nous en sommes encore là. Et tous les accords ont été annulés. Tout a été rapidement détricoté, de sorte que la situation est pire qu'avant l'arrivée de Tshisekedi au pouvoir.
« Les politiques congolais cherchent des boucs émissaires faciles »
Tangi Bihan : On entend souvent dire que le M23 est un outil du Rwanda pour piller les ressources minières de l'est du Congo, notamment le coltan et l'or. Quelle est la réalité de cette thèse ?
Onesphore Sematumba : On ne peut pas nier que tous les groupes armés profitent des ressources disponibles pour s'entretenir et pour financer leur guerre. Mais il est trop simpliste de focaliser sur les ressources minières. Il existe un proverbe dans la zone qui dit : « La chèvre broute là où elle est attachée. » Depuis novembre 2021 et jusqu'à aujourd'hui, le M23 progresse sans contrôler des zones minières. Cela ne signifie pas qu'ils n'ont pas accès à des ressources : taxer la mobilité est beaucoup plus rentable que creuser le sol. De plus, tous les groupes armés, et il y en a plus de cent, ont développé une économie militaire de la violence, pas seulement le M23.
Il y a ce fantasme selon lequel le Congo serait une caisse pleine d'or, de diamant, de coltan, etc., assiégé par tous ceux qui le convoitent. Et on va même plus loin : on dit que ce n'est pas seulement le Rwanda, on dit que derrière il y a les Anglo-Saxons, et puis maintenant l'Union européenne et la Pologne (4). Il y a un déni de la responsabilité congolaise, et les politiques congolais cherchent des boucs émissaires faciles. « Nous sommes victimes de nos richesses » : c'est un discours qui passe facilement dans l'opinion.
Tangi Bihan : Aujourd'hui, les FDLR représentent-elles encore une menace pour le Rwanda ? Ou est-ce simplement un argument qui sert les intérêts de Kigali ?
Onesphore Sematumba : Un peu des deux. On ne peut pas être dans le déni, comme c'était le cas jusqu'à récemment à Kinshasa, en disant que les FDLR ne sont plus que des résidus qui ne représentent aucune menace. Les FDLR ont toujours été des formateurs dans la région. On sait qu'ils ont donné des formations militaires à beaucoup de groupes armés, par exemple les groupes Nyatura qui sont dans le parc, mais qu'ils ont aussi collaboré avec l'armée congolaise – c'est documenté dans le rapport du groupe d'experts des Nations unies. Pour la campagne de Rumangabo, tout le monde a vu que c'étaient les FDLR qui étaient le fer de lance (5). Récemment, le commandant de la 34e région militaire du Nord-Kivu a été limogé pour avoir collaboré avec les FDLR, ce qui signifie que les FDLR sont là. Et dernièrement, Tshisekedi a martelé qu'il serait impitoyable avec tout officier congolais qui entretiendrait des rapports avec les FDLR.
Maintenant, ce mouvement est-il suffisamment puissant pour compromettre la sécurité du Rwanda ? Ce n'est pas sûr. Certes, Tshisekedi et le président burundais, Évariste Ndayishimiye, laissent entendre que les deux pays n'hésiteraient pas à appuyer une opposition visant à renverser Kagame. Les Rwandais prennent ça au sérieux. Le Rwanda estime aussi que les FDLR travaillent avec l'armée congolaise et avec la SADC [Communauté de développement de l'Afrique australe] et se dit que les FDLR pourraient jouer le même coup qu'eux ont joué à Habyarimana. [Le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame avait été soutenu par l'Ouganda en 1990-1994, NDLR].
Un génocide ? « Une simplification outrancière »
Tangi Bihan : On entend des accusations de génocide de part et d'autre, surtout sur les réseaux sociaux : les Tutsi congolais seraient menacés de génocide, et le Rwanda commettrait un génocide au Congo. Quelle est la réalité de ces allégations ?
Onesphore Sematumba : Depuis 2021, on ne peut pas dire qu'il y ait eu une chasse systématique d'une communauté. Il y a une sorte de simplification outrancière. Par exemple, quand les Maï-Maï ou les Wazalendo attaquent un village et l'incendient, il se peut que ce village soit tutsi. Le lendemain, sur les réseaux sociaux, le M23 va dire que le génocide commis par Kinshasa se poursuit. Et quelques jours après, le M23 attaque un village, il y a des morts, on les étale et on dit que les victimes sont toutes nande ou hutu, et donc qu'un génocide est commis contre ces communautés. Il y a une sorte de surenchère émotionnelle du terme, qui est vidé de son sens.
En revanche, on peut constater la montée d'un discours de haine, notamment contre les Tutsi. Le paradoxe c'est qu'en voulant protéger une communauté, on l'expose à la vindicte des autres communautés. Tshisekedi affirme régulièrement que les Banyamulenge sont des Congolais, que tous les Tutsi ne sont pas du M23, qu'il ne faut pas faire d'amalgame. Mais le raisonnement de ceux qui vivent sous la menace du M23 est le suivant : en 1996, c'est l'AFDL [Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo] qui les a tués, donc les Tutsi ; en 1998, c'est le RCD [Rassemblement congolais pour la démocratie] qui les a tués, donc les Tutsi ; dans les années 2000, c'est le CNDP [Congrès national pour la défense du peuple] qui les a tués, donc les Tutsi ; en 2012, c'est le M23 qui les a tués, donc les Tutsi, et ainsi de suite… Ça donne, au sein de l'opinion, l'impression qu'il y a un groupe ethnique qui a son armée et que cette armée est meurtrière. Vous pouvez expliquer que dans le M23 il n'y a pas que des Tutsi, on vous répond que c'est un groupe de Tutsi…
Tangi Bihan : Y a-t-il un risque de guerre régionale ?
Onesphore Sematumba : Je pense que la guerre régionale est déjà là. Quelqu'un m'a demandé si on pouvait assister à un affrontement entre l'armée sud-africaine et l'armée rwandaise. C'est en train de se passer ! Le fait que l'armée sud-africaine soit du côté du gouvernement congolais pour défendre la ville de Goma, cela signifie qu'elle contrarie les plans de Kigali. Le mandat de la mission militaire de la SADC est offensif et cible en premier lieu le M23. C'est ainsi que, depuis février, les contingents de cette mission, dont les Tanzaniens et les Sud-Africains, sont déployés sur la ligne de front vers Sake aux côtés des forces congolaises et font donc face au M23. Mi-février, les Sud-Africains ont enregistré deux morts tués par un tir de mortier sur leur base de Mubambiro. Mais est-ce que cela peut déboucher sur une conflagration régionale ? Je ne le crois pas.
Prendre Goma, « c'est beaucoup de pression »
Tangi Bihan : Quel est l'intérêt de l'Afrique du Sud de se déployer au Congo, à travers la SADC ?
Onesphore Sematumba : L'Afrique du Sud ne s'est pas déployée pour faire la guerre au Rwanda. La SADC s'est déployée en remplacement de l'EAC, à l'invitation de Tshisekedi. Il faut savoir que tout appui militaire ou diplomatique est un investissement, et l'Afrique du Sud et son président ne voudraient pas qu'une solution soit trouvée sans eux. Pretoria est un acteur économique majeur qui ne voudrait pas rater cette opportunité. On parle de plus en plus de proches de Cyril Ramaphosa [le président sud-africain], sa famille ou sa belle-famille, qui seraient à la recherche de contrats miniers. Autant le Burundi n'a pas la force économique pour investir, autant l'Afrique du Sud est un mastodonte économique qui n'hésiterait pas à profiter du marché de la reconstruction.
Tangi Bihan : Le M23 pourrait-il aller jusqu'à l'occupation de Goma ?
Onesphore Sematumba : Le M23 a la capacité militaire et opérationnelle de prendre Goma, ils ne sont qu'à 20 kilomètres. Mais est-ce qu'ils ont intérêt à le faire ? Ils ont déjà occupé la ville en 2012 pendant dix jours, ça a été le début de leur effondrement. Prendre la ville de Goma, c'est braquer toutes les caméras internationales sur eux et sur leur mentor. C'est beaucoup de pression. Et surtout : qu'est-ce qu'une rébellion si impopulaire fait d'une ville de près de 2 millions d'habitants hostiles ? Comment gérer ça ? Je ne pense pas, vu la jurisprudence de 2012 et vu la complexité de l'affaire, qu'ils le feront. Ils vont probablement continuer à faire pression sur Goma parce que c'est important en vue d'éventuelles négociations.
Tangi Bihan : Quelles sont les voies de sortie de crise, notamment via la médiation angolaise ? Et quels seraient les objets d'une éventuelle négociation ?
Onesphore Sematumba : On ne peut pas prévoir quels seront les points de la négociation. Mais pour moi, il y a des étapes claires et urgentes, et des principes à définir. Le premier principe politique, c'est qu'on ne peut pas demander à Tshisekedi de négocier dans les conditions d'humiliation actuelle de son armée, ce serait politiquement suicidaire. Tshisekedi a besoin, même symboliquement, d'inverser légèrement le rapport de force. Il y a quelque chose de possible, de négociable et de préalable, c'est d'obtenir que le M23 arrête de faire pression sur la ville de Goma. Ce serait un bon début pour amorcer un dialogue.

Il n'est plus réaliste aujourd'hui de revenir aux clauses de l'accord de Luanda (6) qui demandaient au M23 de se retirer et de retourner au milieu des volcans, là d'où ils sont venus. Ni même de leur demander de passer par Kitshanga pour aller se cantonner à Kindu, sous la surveillance d'un contingent angolais. Le rapport de force a changé. L'autre urgence, c'est d'obtenir un cessez-le-feu. La situation humanitaire est dramatique. Les déplacés ne sont même pas dans des camps, ils sont dehors. Ceux de Sake, à 25 kilomètres de Goma, vivent entre leur village et la ville de Goma, sur la route, sous les intempéries. L'État ne les assiste pas, les ONG ont du mal.
La Monusco avait réussi à pousser le M23 hors du territoire national en 2013, c'était une victoire éclatante. Le Congo avait à l'époque réussi la guerre, mais il avait manqué la paix. Mais cette fois il n'y aura pas de victoire militaire, et surtout pas de victoire militaire d'importation avec la SADC. Tshisekedi continue à dire qu'il ne négociera pas avec le M23 et qu'il veut parler avec Kagame. L'une des faiblesses des accords précédents dans cette crise du M23, c'est qu'on a engagé le M23 sans parler avec le M23. C'est être naïf que de continuer à infantiliser un groupe comme celui-là et de croire que Kagame, à la dernière minute, va dire que ce sont ses « petits », qu'il va leur parler. Il ne va pas se dédire du jour au lendemain.
Tangi Bihan : Les États-Unis et l'Union européenne ont-ils des leviers pour faire pression sur Kigali ?
Onesphore Sematumba : Il faut reconnaître que la diplomatie congolaise a fini par porter ses fruits. Elle a obtenu la condamnation du M23, du Rwanda, l'appel au retrait des troupes rwandaises, l'appel au retrait de ce dispositif anti-aérien, etc. Mais ce sont des communiqués, et Kinshasa dit aujourd'hui que ça ne suffit pas, qu'il faut passer aux sanctions. Je doute fortement que ce qu'on appelle la « communauté internationale » ira plus loin que cela. Il ne faut pas oublier que le Rwanda va bientôt commémorer le trentième anniversaire du génocide des Tutsi de 1994. Je pense que cela pèse dans les relations internationales.
Les principaux acteurs de la guerre
Mouvement du 23 mars (M23). Rébellion composée majoritairement de Tutsi congolais et soutenue par Kigali, née en 2012, défaite en 2013 et réactivée en novembre 2021. Elle est issue de la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), active dans les Kivus dans les années 2000.
Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Rébellion rwandaise créée en 2000 par d'anciens militaires et miliciens extrémistes hutu, auteurs du génocide des Tutsi en 1994 et qui, après leur défaite dans la guerre civile rwandaise (1990-1994), se sont réfugiés dans l'est du Congo. Ils combattent aujourd'hui le M23 auprès de l'armée congolaise.
Forces démocratiques alliées (ADF). Rébellion islamiste d'origine ougandaise née en 1995, active dans l'est du Congo (Ituri et Nord-Kivu) et affiliée à l'État islamique depuis 2017. Kinshasa et Kampala ont trouvé un accord en novembre 2021 pour que l'armée ougandaise se déploie dans l'est du Congo afin de les combattre.
Résistance pour un État de droit au Burundi (Red-Tabara). Rébellion burundaise créée en 2011 mais véritablement active après 2015, quand ses membres ont contesté le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. Elle opère depuis l'est du Congo (Sud-Kivu). Elle a été soutenue un temps par Kigali, mais il n'y a pas de preuve que c'est toujours le cas, en dépit des accusations du Burundi. La RDC et le Burundi ont trouvé un accord en décembre 2021 pour que l'armée burundaise se déploie dans l'est du Congo afin de les combattre.
« Wazalendo ». Signifie les « patriotes » en kiswahili. Regroupement de milices (Maï-Maï et Nyatura entre autres) opérant avec l'armée congolaise contre le M23. Ces milices combattaient pourtant l'armée congolaise dans le passé.
Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco). Créée en 1999 lors de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), sa mission principale est de protéger les civils. Elle a joué un rôle important dans la reprise de Goma des mains du M23 en 2012. Très critiquée pour son coût, son inefficacité et les crimes sexuels commis par ses soldats, elle a commencé son retrait du Congo en janvier 2024.
Force de la Communauté de développement de l'Afrique australe en RDC (SAMI-RDC). Déployée dans l'est du Congo à partir de décembre 2023 à la demande de Kinshasa en remplacement de la force de l'EAC, sous commandement sud-africain, elle est composée de militaires sud-africains, malawites et tanzaniens.
Force régionale de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC-RF). Déployée dans l'est du Congo en novembre 2022, sous commandement kényan et composée de militaires kényans, sud-soudanais, ougandais et burundais, elle a été critiquée par le président congolais pour son inaction face au M23. Elle s'est retirée en décembre 2023.
Notes
1- Au 30 octobre 2023, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
2- Parc national classé au patrimoine mondial de l'Unesco, situé au nord de Goma, le long de la frontière avec le Rwanda et l'Ouganda, dans le Nord-Kivu.
3- Discours du 8 décembre 2023 à Bukavu.
4- Le président polonais Andrzej Duda a effectué une visite de trois jours au Rwanda en février 2024, durant laquelle a notamment été signé un accord de coopération militaire.
5- Les FDLR avaient combattu aux côtés de l'armée congolaise face à l'offensive du M23 sur Rumangabo en 2022, où se trouve un camp militaire important, à 40 kilomètres au nord de Goma.
6- Cet accord conclu le 6 juillet 2022, sous la médiation de l'Union africaine, par Paul Kagame et Félix Tshisekedi, mais en l'absence de représentants du M23, prévoyait une « désescalade », le retrait du M23 des zones qu'il a conquises, la normalisation des relations bilatérales RDC-Rwanda et la reprise du processus de paix de Nairobi. Ce dernier, lancé en avril 2022 lors de l'adhésion de la RDC à l'EAC, prévoyait un programme de démobilisation-désarmement-réintégration des combattants des groupes armés de l'est du Congo, mais Kinshasa s'est opposé à ce que le M23 y participe.
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Cessez-le- feu à Gaza ! État d’ « urgence attentat » à Paris !

L'accélération de l'Histoire met en relief des basculements géostratégiques, dévoilant le vrai visage des Démocraties occidentales. Les Etats-Unis s'abstiennent au Conseil de sécurité, la résolution est adoptée ! A Paris, Place de la Bastille, les manifestants ont donné de la voix, ce samedi 23 mars, en soutien à la Palestine et contre la Loi Darmanin.
Vous trouverez dans cet article 1 photos montages de la manifestation en solidarité avec la Palestine en France tenue le 23 mars 2024
De Paris, Omar HADDADOU
La brutalité des Démocraties crépusculaires emballe le destin de l'Humanité !
En Europe, un retour à la Guerre, au lendemain de l'attentat à Moscou, avec des alignements et un sursaut du fascisme, sonne comme un rituel religieux, une nostalgie à accomplir avec dévotion.
Après deux ans de conflit en Ukraine, la polarisation se précise sur fond de fragmentation de l'Unité européenne et l'émergence du Sud Global, attelé aux BRICS.
Dans ce contexte de raideur des relations internationales, le temps des Démocraties libérales semble compté, appelant à un nouvel ordre mondial. C'est sur cet échiquier périculeux que le Président Macron, tiraillé par des dossiers brûlants, tels que la dégradation des Finances publiques, l'augmentation de la dette de 61,0 Md d'Euros, l'insécurité, le chômage, les retraites et l'ancrage du racisme, s'échine à se hisser à la hauteur des Etats-Unis, prenant des décisions à l'emporte -pièce : « L'envoi des troupes sur le sol ukrainien faisait partie des scénarios auxquels il fallait se préparer » confie -t-il le 16 mars à la presse française.
Son deuxième quinquennat empreint d'allégeance est, hélas ! biaisé, à son grand dam par le repositionnement de Washington de, depuis hier, sur la tragédie à Gaza. Il est fort à parier que les Etats-Unis, de guerre lasse, lâcheront Zelensky et s'attèleront à balayer devant leur porte.
La reculade de Joe Biden aura à coup sûr des retombées violentes sur la France qui, prompte à rayonner, l'épine dans la plante du pied, a misé gros sur la victoire de sa diplomatie comme sur sa politique intérieure. Elle paye aujourd'hui le prix de ses audaces outrancières en prenant acte de sa naïveté.
L'hexagone est sous l'emprise de la hantise d'un acte terroriste à quelques semaines des JO, d'où l'alerte maximale de sécurité renforcée. Le pays vient de passer de « Vigipirate » à « Urgence-Attentat », avec la mobilisation de 7000 militaires. Deux attentats ont été déjoués sur le sol français depuis janvier. Le Premier ministre parle de 47 depuis 2017. C'est une atmosphère lourde et anxiogène qui règne ici. Un corollaire que l'exécutif n'a pas vu venir.
Sur la guerre israélo-palestinienne, après 5 mois de combats et 32.300 morts côté palestinien, faut-il se réjouir de l'adoption, ce lundi, de la première résolution du Conseil de sécurité exigeant un « Cessez-le feu » à Gaza et la libération sans condition de tous les otages ? Décision bloquée à maintes reprises par les Etats-Unis. Se disant prêt à un échange de prisonniers, le Hamas a salué la résolution adoptée par le Conseil de sécurité. Mais rien n'indique qu'une telle avancée ne se heurte, à postériori, à des aléas.
L'administration américaine déclarait, ce lundi, que l'Etat hébreu avait apporté des garanties sur l'usage des armes américaines, en dépit des contestations des élus du Congrès et qu'il n'enverrait pas de délégation comme convenu. Dans cette ébullition sociétale du XXI siècle, la lutte pour la cause palestinienne à laquelle se greffait celle contre le racisme, a donné lieu à une mobilisation massive, ce samedi 23 mars, place de la Bastille, symbole de la Révolution française. Des centaines de personnes sont venues protester contre la Loi Darmanin, et dans la foulée, apporter leur soutien à la Palestine scandant, le long du cortège une myriade de slogans accompagnés de la rythmique des Tam-Tam africains, de Vuvuzela, et de youyous : « La rue, elle est à qui ? » (Réponse à l'unisson du cortège) : « A nous, à nous, à nous ! ». « Première, deuxième, troisième génération ; on s'en fout ! On est chez nous ! ». « On est tous des Palestiniens ! Gaza, Gaza, Paris est avec toi ! »
Pétrie de cris viscéraux, cette marche augure d'un postulat, celui de la disqualification des dirigeants sur le destin des peuples. Oui, demain il pleuvra des OQTF.
Mais rien ne sera comme avant !
O.H
Photos d'Omar Haddadou




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