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Les femmes, c’est la révolution ! — Rapport de conférence

26 mars 2024, par Transform Network — , ,
À la veille du 17e anniversaire du référendum qui a établi l'avortement libre et sûr au Portugal et en cette année marquant le 50e anniversaire de la Révolution des œillets, (…)

À la veille du 17e anniversaire du référendum qui a établi l'avortement libre et sûr au Portugal et en cette année marquant le 50e anniversaire de la Révolution des œillets, des universitaires féministes, des syndicalistes, des militantes et des journalistes se sont réunis pour une conférence à laquelle ont participé des dizaines de personnes.

Tiré de :Transform Network
https://transform-network.net/blog/report/women-are-revolution-conference-report/
13 mars 2024

Pendant toute une journée, il a été possible de se souvenir et de discuter des luttes, des héritages, des réalisations et des reculs des droits des femmes au cours des cinquante dernières années.

Avec la confiance de ceux qui savent que « la liberté est une lutte constante » et que l'avenir nous appartient, la conférence a appelé à des changements à la loi sur l'avortement et à la création d'un service national de soins pour renforcer davantage les droits des femmes au Portugal.

Lire le compte-rendu détaillé de la conférence de Catarina Martins, ancienne coordinatrice du parti de gauche portugais Bloco de Esquerda (BE) :

À l'approche du 8 mars et à l'occasion du 50e anniversaire de la révolution des œillets, transformez-vous ! L'Europe et 'April is Now' (Abril é Agora) ont organisé la conférence 'April and Feminism : The Women are Revolution' en collaboration avec des activistes de plusieurs organisations féministes locales, avec le soutien du Mira Forum, une institution culturelle progressiste bien connue à Porto, et la participation de la militante féministe et eurodéputée suédoise Malin Björk.

Cette conférence avait été planifiée avant la crise politique portugaise qui a conduit à des élections nationales anticipées. À quelques semaines de la campagne électorale, cette rencontre a joué un nouveau rôle dans l'union des féministes de gauche dans la lutte contre l'extrême droite et dans l'articulation d'un programme féministe fort pour les élections. Elle s'est tenue le 10 février, un jour avant le 17e anniversaire du référendum qui a donné aux femmes portugaises le droit à un avortement légal et sûr, et un mois avant le jour du scrutin. La conférence a célébré la Révolution des Œillets, en mettant l'accent sur le rôle des femmes pendant la Révolution, mais aussi sur les obstacles persistants à la garantie des droits sexuels et reproductifs des femmes.

Les intervenantes étaient des femmes d'origines et de générations différentes. Il y avait des révolutionnaires des années 70, des universitaires et des journalistes avec un programme féministe, et des médecins qui sont des militants du droit à l'avortement. Il s'agissait d'une journée de célébration et de débat, organisée autour de trois panels dont les thèmes étaient : les jours de la révolution, la révolution qui n'a jamais eu lieu, et la lutte d'aujourd'hui pour les droits sexuels et reproductifs. Des lectures de textes du révolutionnaire ont donné le coup d'envoi de chaque débat.

Lors de l'inauguration, Manuela Monteiro, du Mira Forum, a rendu hommage au GAMP (Groupe des femmes de Porto, actif de la fin des années 70 au début des années 80 du siècle dernier) et a mis l'accent sur l'importance de la culture dans le mouvement féministe. April Is Now a souhaité la bienvenue à l'auditoire et aux conférenciers invités et a rendu hommage au mouvement révolutionnaire et à sa force populaire. Célébrer le 50e anniversaire de la Révolution n'a rien à voir avec le passé ; Il s'agit plutôt d'apprendre de cette transformation populaire afin de renforcer la démocratie et de répondre à la crise actuelle.

Table ronde 1. Intervenants, de gauche à droite : Luísa Marques, Sofia Branco (modératrice), Conceição Ramos et Esmeralda Mateus

La première table ronde, consacrée au rôle des femmes pendant la révolution, a été animée par la journaliste Sofia Branco (ancienne présidente du syndicat des journalistes). Luísa Marques, du syndicat du textile et de la Confédération portugaise des travailleurs (CGTP), a commencé par expliquer le rôle des femmes dans le mouvement syndical. Elle a été suivie par Conceição Ramos, fondatrice du premier syndicat de travailleurs domestiques, qui a parlé de la trajectoire de ces travailleurs, en tant qu'enfants qui ont quitté les zones rurales pour les villes pour servir de domestiques, et des terribles conditions de travail auxquelles ils ont été confrontés. Elle a souligné que le mouvement pour les droits des travailleurs domestiques avait commencé avant la révolution, qu'il avait été ignoré pendant la révolution, et a discuté de la façon dont les autres syndicats voyaient la lutte. Esmeralda Mateus a clôturé le panel en se remémorant la vie dans les bidonvilles de Porto avant et après la révolution, l'extrême pauvreté et la rébellion qu'elle a menée pour réclamer un logement pour tous. Enfin, il a été question de la pauvreté d'aujourd'hui et de la façon dont elle affecte principalement les femmes. Les femmes sont toujours confrontées à des salaires disproportionnellement bas, à de longues heures de travail et à un manque de soutien social.

Table ronde 2. Intervenants, de gauche à droite : Andrea Peniche, Mafalda Araújo (modératrice) et Marisa Matias

La deuxième table ronde, consacrée à la révolution qui n'a jamais eu lieu, a été modérée par Mafalda Araújo, chercheuse en sociologie, avec deux interventions d'ouverture. Andrea Peniche, rédactrice en chef et militante féministe, a expliqué comment le travail de reproduction et de soins a mis en avant l'idée d'une nouvelle branche de l'État social : un service national de soins qui combinerait différents services publics pour répondre aux besoins des tout-petits, des personnes âgées et des personnes handicapées. Marisa Matias, chercheuse à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'Université de Porto, a présenté les premières données d'une étude sur la prévalence et les conséquences du travail à distance. Avec la pandémie, le travail à distance est devenu plus courant, en particulier chez les femmes qui trouvent qu'il facilite la combinaison du travail, du ménage et de la garde des enfants. Les conséquences pour les femmes sont graves : plus d'heures de travail, moins de repos et le danger de l'isolement. Le débat qui a suivi la présentation s'est concentré sur la problématique du travail à distance comme nouveau moyen d'éloigner les femmes du travail et des espaces publics.

La troisième et dernière table ronde, animée par la journaliste Aline Frazão, a été présentée par deux gynécologues-obstétriciennes ayant une histoire d'activisme pour les droits sexuels et reproductifs des femmes : Maria José Alves et Ana Campos.

Dans le panel, un hommage a été rendu au MLM (Mouvement de libération des femmes, fondé immédiatement après la Révolution) et à son activisme pionnier pour le droit à l'avortement au Portugal. Il a également rendu hommage à Purificação Araújo, une autre obstétricienne-gynécologue qui a joué un rôle central dans l'organisation de l'assistance médicale pour le travail, l'avortement et d'autres services de santé sexuelle et reproductive pour les femmes.

Maria José Alves et Ana Campos ont animé une table ronde sur l'évolution des droits sexuels et reproductifs des femmes au cours des 50 dernières années au Portugal, la victoire du droit à l'avortement sûr et légal lors du référendum de 2007 et les obstacles actuels au sein du service national de santé.

Les interventions finales se sont concentrées sur le droit à l'avortement. Au Portugal, l'avortement est légal depuis le référendum de 2007, mais l'accès au service national de santé est de plus en plus difficile. Les problèmes du manque de médecins, de l'utilisation abusive institutionnelle du droit des médecins à l'objection de conscience, des obstacles juridiques et des pénuries doivent être résolus. Alda Sousa, militante féministe et ancienne députée européenne, et Ana Vasques, de la nouvelle génération d'organisations féministes, ont souligné l'urgence de faire évoluer la loi portugaise dans le sens d'un plus grand nombre de professionnels de la santé au sein du Service national de santé, en exigeant de chaque établissement de santé qu'il fournisse des soins d'avortement en même temps que les soins qui le précèdent, en mettant fin à la période de réflexion obligatoire. en insistant sur la nécessité de consulter deux médecins différents et en prolongeant l'avortement légal à la demande des femmes de 10 à 12 semaines. Ces propositions ont reçu un large soutien de la part du public. Enfin, Malin Björk a partagé une partie de l'expérience de la lutte pour le droit à l'avortement à travers l'Europe et le rôle du mouvement féministe dans la lutte contre l'extrême droite et pour l'établissement de démocraties plus fortes qui ne laissent personne de côté.

Les 100 sièges étaient occupés tout au long de la journée, et le public comprenait des personnalités de différentes institutions féministes et mouvements sociaux. La pause déjeuner est devenue un moment d'intervention politique. C'était dans un restaurant local pour les travailleurs, appartenant à une femme populaire de gauche qui a salué la conférence avec du fado. L'événement s'est clôturé par un autre moment musical de deux musiciens bien connus (João Loio et Regina Castro) qui ont interprété des chansons révolutionnaires et féministes.

La conférence a permis aux féministes de tous âges, des adolescentes aux quatre-vingt-vingt-dix et quatre-vingt-dix ans, de partager leurs expériences, leurs idées et leurs projets. Dans l'immédiat, il a contribué à approfondir la plate-forme politique commune pour les manifestations du 8 mars de cette année : le droit à l'avortement et la défaite de la droite.

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#mefirst : Pas de libération sans égoïsme

26 mars 2024, par Corinne Maier, Francine Sporenda — ,
Corinne Maier est écrivaine et psychanalyste. Elle vient de publier « Me First ! Manifeste pour un égoïsme au féminin » aux éditions de l'Observatoire. FS : L'égoïsme est (…)

Corinne Maier est écrivaine et psychanalyste. Elle vient de publier « Me First ! Manifeste pour un égoïsme au féminin » aux éditions de l'Observatoire.

FS : L'égoïsme est encouragé chez les garçons – il est central à l'identité virile – tandis qu'il est découragé et stigmatisé chez les filles. Le patriarcat est décidément un système très bien organisé : cultiver l'égoïsme chez les garçons et l'interdire chez les filles, ça garantit que les uns seront conditionnés à prendre, à exploiter et les autres à donner, à être exploitées. Que pensez-vous de cette merveilleuse et « naturelle » complémentarité entre les sexes ?

CM : La complémentarité spontanée femme-homme dans l'amour est évidemment un mythe. Pourtant, l'un des deux partenaires s'adapte à l'autre, et c'est généralement la femme qui fait le travail. Le psychanalyste Jacques Lacan prétend qu'elle se prête au fantasme masculin, et pour entrer dans son cadre, elle fait bien des concessions. Ce serait l'homme et son désir qui commandent au couple, et la femme ferait preuve d'une grande souplesse pour se mettre en affinité avec l'inconscient de son homme. Sa complaisance serait même « sans limite », affirme Lacan. Une théorie un peu démodée aujourd'hui, mais qui décrit encore le fonctionnement de bien des couples hétéros.

FS : Vous citez le parfum pour hommes de Chanel baptisé « Egoïste » et vous notez que la séduction masculine s'exprime sur le mode de l'homme insaisissable, fascinant voire dangereux : le bad boy, l'aventurier, « l'homme aux semelles de vent ». Toutes personnalités avec qui avoir des relations ne peut qu'être désastreux pour les femmes, à qui vous suggérez par ailleurs de ne pas avoir peur d'agir sur leurs désirs et de prendre des amants plus jeunes. Vos commentaires ?

CM : Fuir les hommes égoïstes est salutaire ! Mieux vaut les choisir conciliants, fiables, disponibles. Je conseille en effet les hommes plus jeunes : moins lancés dans la vie, moins cristallisés dans des habitudes, moins sûrs d'eux. En plus en général ils ont moins de ventre : pourquoi seuls les hommes (certains hommes) s'arrogeraient-ils le droit d'exhiber des compagnes plus jeunes qu'eux ?

FS : Le couple, dites-vous, est « une mauvaise affaire pour les femmes ». Cela m'a toujours paru évident, mais en même temps, beaucoup de femmes sont toujours incapables de se penser en dehors d'une relation de couple, ne savent plus qui elles sont, n'ont littéralement plus d'identité si on leur propose de vivre enfin un peu pour elles-mêmes parce qu'elles ne sont plus capables que de vivre par procuration, à travers leur mari et leurs enfants. Vos commentaires sur ce laminage de l'ego des femmes par leur socialisation ?

CM : Ce sont des représentations toutes faites. Je connais pas mal de « femmes seules » – certaines en souffrent, d'autres pas du tout : au contraire, ces dernières sont très entourées, débordent d'enthousiasme et de projets. Au point de constituer de véritable forces motrices positives, qui inspirent leur entourage. J'ai une amie très proche qui appartient à cette catégorie, je l'ai surnommée « mon gourou ».

FS : Virginia Woolf a dit que les femmes ne pouvaient pas réaliser leur créativité, leur potentiel si elles ne tuaient pas l'ange du foyer en elle. De plus en plus de femmes refusent le couplage hétérosexuel et se « mettent en couple avec elles-mêmes ». Vos commentaires ?

CM : C'est un phénomène intéressant. Il est certainement à rapprocher de la tendance des « no sex », ces gens (femmes et hommes) qui revendiquent leur abstinence volontaire. Il s'agit de se soustraire aux diktats de la société. C'est ce qu'affirme Ovidie, auteure du livre La chair est triste, hélas : « Depuis le début de ces quatre années d'abstinence, je me suis libérée de cette surconsommation qui insécurise les femmes en leur faisant croire qu'elles ne sont jamais à la hauteur, qu'il leur manque quelque chose. Je n'ai presque pas acheté de vêtements, encore moins de culottes ». Les no sex refusent aussi la société de la performance, où il faut accumuler les conquêtes pour être viril et maîtriser l'art de la fellation pour être une femme libérée. Ils tournent le dos aux enjeux de pouvoir.

FS : L'amour, dites-vous, est une option pour les hommes, une obligation pour les femmes. Vous parlez du « piège de l'amour romantique car c'est en son nom que les femmes se mettent au service des autres ». Comme mode d'emploi pour leurs relations avec les hommes, les femmes ont l'amour romantique, les hommes ont le porno. Quelles sont les conséquences pour les femmes du fait qu'elles mettent l'amour au centre de leur vie, alors que ce n'est qu'une péripétie pour les hommes ?

CM : Ce sont des représentations anciennes, mais elles sont toujours vivaces. La société véhicule le fait qu'une fille, qu'une femme, doit être aimable, aimante, gentille, pour être aimée. Et si elle n'est pas aimée par un ou des hommes, sa vie sera imparfaite. Les clichés ont la vie dure, comme le montre le succès des livres de la catégorie « new romance », qui visent un lectorat féminin. Il est implicite que les femmes doivent mettre entre parenthèse ou sacrifier d'autres dimensions de leur vie (études, carrières, ambitions, etc) pour se plier aux diktats de l'amour.

FS : On a persuadé les femmes, dès les années 60, que « you can have it all », vous pouvez concilier un job rémunéré et un autre qui ne l'est pas, la maternité. Beaucoup de femmes (75%) abandonnent leur travail et passent à un mi-temps sans intérêt et sans possibilité de carrière quand elles ont un enfant, mais seulement 1% des pères le font. Qu'est-ce que ça dit sur le prix de la maternité pour les femmes ?

CM : Il est très élevé. Le fait d'être mère remanie tous les aspects de la vie d'une femme (travail, argent, temps libre, aspirations…) alors que la paternité s'ajoute à la vie d'un homme. Par exemple, il est rare qu'un homme change de travail pour s'occuper davantage de son enfant, rare qu'un homme demande un temps partiel pour prendre en charge l'enfant le mercredi.

FS : Vous parlez des hommes « workaholics » qui se plaignent hypocritement de ne pas voir assez leurs enfants et pour qui en fait « le boulot est une manière imparable de fuir les responsabilités du care ». Considérez-vous que la figure du papa-poule est un mythe ou une réalité ?

CM : Je pense que les papas-poules existent. Des hommes qui passent beaucoup de temps avec leur enfant, qui lui accordent beaucoup d'attention, il y en a. Mais ils sont une minorité.

FS : Vous définissez ainsi le fait d'élever un enfant : « enchaîner des corvées exténuantes dont l'essentiel incombe aux femmes » et « mener une vie de bête de somme » quand on cumule enfants et job. Et vous observez que le temps moyen consacré par les mères à leurs enfants a été multiplié par 2 depuis les années 70 et que la maternité change radicalement la vie des femmes, très peu celle des pères. La maternité reste-t-elle un piège pour les femmes ?

CM : Oui, absolument. Quelques chiffres : le temps moyen consacré aux enfants par les mères anglaises a été multiplié par 2,5 depuis les années 1970. Et les parents américains (surtout les mères) passent 5 fois plus de temps à aider les enfants à faire leurs devoirs scolaires. (Je peux donner les sources.) Tout cela s'explique entre autres par la société de compétition où nous vivons : il convient de s'occuper toujours plus de l'enfant pour qu'il s'intègre dans la société, qu'il réussisse… C'est trop, beaucoup trop ! Et beaucoup trop de boulot pour les mères !

FS : « Cessez de surprotéger vos enfants » suggérez-vous. Cette surprotection des enfants, vous le rappelez, est récente. Et de plus elle n'est bonne ni pour la mère ni pour l'enfant emprisonnés dans un huis-clos étouffant (j'ai donné l'exemple de « l'alloparentalité » des groupes de chasseurs-cueilleurs où les enfants sont soignés et surveillés par tout le groupe, ce qui allège considérablement le travail de la mère et développe la sociabilité de l'enfant). Vos commentaires ?

CM : Les injonctions de l'éducation dite positive sont très lourdes pour les parents, surtout évidemment pour les mères. Si on s'y plie, on doit s'occuper de l'enfant sans arrêt. Passer des heures à expliquer, convaincre, négocier. Ne jamais rien imposer. Se montrer toujours positif, bienveillant. Jouer avec lui. Il le faut au nom de l'« éveil » de l'enfant, de son « épanouissement ». Pas mal de mères ont un comportement littéralement sacrificiel : l'essentiel de leur énergie et de leur temps est canalisé vers et pour l'enfant. Tout ça pour quels résultats ? Beaucoup d'enfants et de jeunes souffrent de troubles psychologiques… Beaucoup plus que du temps où l'éducation positive n'existait pas !

FS : Vous dites que le point aveugle de nombreux livres féministes est leur non-prise en compte de la collaboration objective des femmes à leur propre oppression, dont en particulier l'obligation d'altruisme dans laquelle elles sont socialisées est un facteur essentiel. Vous dites que face à ça, #metoo ne suffit pas, que l'heure de #mefirst a sonné : il n'y a pas de liberté sans égoïsme, et c'est en s'occupant exclusivement des autres qu'on se fait voler son être et sa vie. Pourquoi aucune libération féminine n'est possible sans #mefirst ?

CM : Oui l'égoïsme est nécessaire aux femmes. Je parle d'égoïsme au sens de : vivre pour soi, à distinguer selon moi de l'égoïsme du repli sur soi (mon enfant, mon mari, ma maison) ou de l'égoïsme de compétition (pousse-toi de là que je m'y mette). Il nous faut arrêter de penser d'abord aux autres, de se mettre à leur place, d'anticiper les problèmes de l'entourage. C'est nous d'abord ! Et ne pas hésiter à répéter aux frères, maris, compagnons, enfants : « Débrouillez-vous ! Je suis très occupée » !

https://revolutionfeministe.wordpress.com/2024/02/11/mefirst-pas-de-liberation-sans-egoisme/

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« La crise haïtienne : violence des gangs et effondrement de l’Etat »

Extrême violence, gangstérisme, urgence humanitaire : Haïti est à nouveau sous les feux de la rampe. Depuis la deuxième semaine de février, on assiste à une accélération de la (…)

Extrême violence, gangstérisme, urgence humanitaire : Haïti est à nouveau sous les feux de la rampe.
Depuis la deuxième semaine de février, on assiste à une accélération de la crise et à son déploiement international. La presse s'est empressée de décrire la catastrophe haïtienne comme un cas sans issue, au-delà de tout espoir.

22 mars 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Des enfants font la queue pour recevoir de la nourriture dans un refuge pour les familles déplacées, Port-au-Prince, 14 mars 2024.
https://alencontre.org/ameriques/amelat/haiti/la-crise-haitienne-violence-des-gangs-et-effondrement-de-letat.html

Le président de facto Ariel Henry – qui a succédé à Jovenel Moïse, assassiné le 7 juillet 2021 – a finalement démissionné le lundi 11 mars et est resté à Porto Rico pour le moment. A court terme, les interventions extérieures – armées et humanitaires – semblent inévitables, alors que les discussions en Haïti se déroulent avec la facilitation de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et sous la pression des Etats-Unis.

Mais au-delà du sensationnalisme et de l'exotisme, pour saisir la situation dans ses justes dimensions, nous proposons une approche analytique en trois étapes : 1. la déconstruction des récits actuels ; 2. le rétablissement des faits et de leurs articulations ; et 3. l'analyse des enjeux présents. L'objectif est de mettre en lumière les enjeux et défis plus larges qui se cachent derrière l'image d'exceptionnalité de Haïti.

Déconstruire les récits

L'habitude de traiter Haïti sur le mode du folklore, sans rigueur, ni analyse, ni même information fiable, n'est pas nouvelle. Ces dernières semaines, le pays a fait les gros titres de la presse internationale comme un repaire chaotique de criminalité incontrôlée ayant entraîné environ 5000 morts violentes en un an.

Les médias rapportent en détail et avec des images choquantes les exactions des bandes criminelles qui « contrôlent 80% de la capitale ». La séquence et l'intensité des attaques ne semblent pas fortuites. Les gangs ont attaqué, selon un calendrier systématique, des bâtiments publics, des prisons, des hôpitaux, l'université et des institutions clés telles que les ports et les aéroports. En réaction, une partie du corps diplomatique – y compris des représentants de l'Union européenne et des Etats-Unis – a ostensiblement quitté le pays en tant qu'« évacués ».
Unifiés depuis trois semaines, les gangs ont déclaré le Premier ministre Ariel Henry persona non grata et se sont présentés comme les architectes de son éviction, tout en menaçant de « guerre civile » et de « génocide » si Henry ne démissionnait pas.

Le conflit est essentiellement présenté comme un affrontement entre ces bandes criminelles – responsables de plusieurs massacres, tolérées par le gouvernement de facto bénéficiaire de leurs exactions contre la population – qui contrôlent la capitale et d'autres régions et un gouvernement que tout le monde avait déclaré failli depuis le 7 février [1].Opportunément, des déclarations spectaculaires de l'un des leaders de gang, l'ex-policier Jimmy Cherisier, alias « Barbecue », ont laissé entendre que les objectifs de leurs groupes étaient désormais « révolutionnaires » et qu'ils entendaient défendre Haïti contre toute intervention étrangère. Ils se seraient substitués à l'Etat failli ! C'est là que réside la grande fable.

Il ne serait pas difficile de réfuter cette présentation déformée des faits, même si cela risquerait de minimiser l'ampleur du drame que vit le pays. Par exemple, aucune des attaques mentionnées ci-dessus n'a entraîné la destruction ou l'occupation durable de bâtiments ou d'institutions publiques ; certains diplomates et employés d'organisations internationales restent probablement en Haïti sans grande crainte.

De plus, Haïti ne se résume pas à Port-au-Prince. Les plus de sept millions d'habitants vivant hors de la capitale continuent de produire, de créer et de se réapproprier le pays malgré les problèmes liés à l'absence de communication avec le centre économique du pays. Mais surtout, il faut noter que, depuis leurs origines à l'aube du XXIe siècle, les bandes criminelles ont attaqué, massacré, appauvri et expulsé de leurs quartiers et de leurs maisons presque exclusivement les secteurs populaires et la population la plus démunie. Il n'y a pas et il ne peut y avoir de guerre civile dans un contexte où seules la violence et la spoliation motivent les bandes, totalement dépourvues d'idéologie autre que le crime.

De plus, c'est un secret de polichinelle que de puissants membres du secteur privé, de la classe politique et des mafias étrangères sont à l'origine du développement et de la fourniture d'armes à ces groupes criminels.

Seuls quelques-uns de ces financiers ont été « sanctionnés » par les autorités des pays où ils ont des intérêts ou des investissements (Etats-Unis, Canada, République dominicaine). Par conséquent, en aucun cas ces hordes, qui restent aux ordres de leurs maîtres – bien que relativement émancipées par l'affaiblissement relatif de leurs financiers – ne peuvent être considérées comme un élément de solution.

Plus grave peut-être, l'exigence nationale d'une solution haïtienne et endogène à la crise a été instrumentalisée et récupérée à des fins politiques. Cette publicité pour le discours des gangs n'est ni fortuite ni innocente. Elle ignore totalement l'histoire de ceux qui ont pris position en faveur d'une solution haïtienne à la crise et ce qui est aujourd'hui en jeu dans les négociations ayant trait à une intervention étrangère dans le pays.

Le revers de la médaille, ce sont les appels insistants à répondre aux besoins humanitaires croissants, qui ont atteint un niveau critique et que les Nations unies (ONU) estiment à près de 700 millions de dollars, une somme presque équivalente à celle dont aurait besoin une force multinationale de sécurité.

Parmi les urgences humanitaires répertoriées figurent la nourriture, l'eau potable et les médicaments, dont les pénuries accablent les populations urbaines pauvres, en particulier dans la zone métropolitaine.

Haïti semble être l'un des territoires prioritaires pour une offensive internationale de secours humanitaire et sécuritaire. L'ONU et son Conseil de sécurité, l'Organisation des Etats américains (OEA), le CARICOM et même le G20 ont analysé la crise haïtienne et exprimé leurs opinions de différentes manières, bien qu'aucun ne se soit pleinement engagé dans le dossier haïtien. Derrière le discours actuel sur la crise haïtienne se cache un processus complexe impliquant la plupart de ces acteurs internationaux.

La crise actuelle : un rappel et quelques rectifications

Pour comprendre la crise actuelle, il est nécessaire de rappeler les étapes de l'effondrement de l'Etat haïtien, car celui-ci est bel et bien défait. Aucune de ses institutions centrales ne fonctionne, même le gouvernement qui vient de démissionner n'avait aucune légalité ni légitimité. Mais cette réalité est le résultat d'une histoire. Il suffit de rappeler quelques faits marquants.

Il est devenu habituel de dater le début de la crise ouverte qui secoue Haïti au 7 juillet 2021, jour de l'assassinat brutal du président Jovenel Moïse. En réalité, le processus de destruction de l'édifice étatique a commencé en 2011 [2], avec un diktat international qui a porté le chanteur Michel Martelly à la présidence du pays : l'OEA, l'ambassade des Etats-Unis et la mission de l'ONU sont intervenues pour modifier les résultats des deux tours des élections en faveur de Martelly [son mandat a débuté le 14 mai 2011].

Les pratiques de mépris total des obligations, des calendriers et même des rituels liés à la gestion de l'Etat se sont généralisées, et bien sûr, avec elles, tout ce qui a trait à l'autorité publique. A la fin du mandat de Martelly [6 février 2016], les conditions de respect du calendrier électoral n'étaient pas réunies. Il s'en est suivi une deuxième crise qui a conduit à la répétition des élections de 2015-2016, qui ont intronisé Jovenel Moïse. Ce sont également les dernières élections organisées à ce jour : ni les élections législatives et locales prévues en 2019 et 2020, ni les élections présidentielles prévues fin 2020 n'ont eu lieu.

Cet assassinat [de Jovenel Moïse] inaugure une nouvelle étape dans l'effondrement de l'Etat. D'abord, la dernière personnalité élue (mais dont le mandat a expiré) encore au pouvoir disparaît. Ensuite, le crime déclenche une « lutte de succession » dans laquelle le rôle des tuteurs internationaux de Haïti – le Core Group autoproclamé – démontre son pouvoir en désignant le successeur de Moïse dans un tweet. Ce groupe est composé de l'Allemagne, du Brésil, du Canada, de l'Espagne, des Etats-Unis, de la France, de l'Union européenne, de l'OEA et de la mission de l'ONU en Haïti elle-même.

Enfin, au cours des 32 mois écoulés depuis juillet 2021, les éléments du scénario d'aujourd'hui ont pris forme : l'effacement de toute autorité de l'Etat haïtien avec le départ de son seul porte-parole formel, le Premier ministre de facto Ariel Henry ; la criminalité, déjà installée sous Martelly, déborde face à la passivité systématique de la police et de l'administration publique. La « classe politique » se délite dans des luttes internes ou entre partis, souvent pour des intérêts mesquins et personnels.

Parallèlement, à partir de 2020, un front d'associations de la société civile commence à se constituer pour tenter d'animer la scène politique et de se faire une place dans la recherche d'une solution nationale. Ainsi, en mars 2021, la Commission pour la recherche d'une solution haïtienne à la crise (CRSC) est créée, qui aboutira quelques mois plus tard à l'Accord du 30 août, dit Accord de Montana. Ce groupement est incontestablement une voix forte de la société et a élaboré des propositions pour la table des négociations. En effet, il y a une dizaine de jours, une tentative de facilitation politique entreprise par le CARICOM il y a plusieurs mois a repris de la vigueur. Une proposition de l'accord de Montana promeut une présidence collective pour remplacer le pouvoir exécutif vacant.

Il est clair que l'épuisement du modèle de gouvernance et de ses structures est au cœur de la crise actuelle. En effet, dans un environnement de décomposition sociétale et de faiblesse organisationnelle, seul le contrôle du pouvoir par le Core Group et surtout les Etats-Unis explique le maintien pendant plus de deux ans et demi d'un pseudo-exécutif illégal, ignoré et répudié au niveau national.

Ce qui est en jeu aujourd'hui

La situation actuelle a commencé avec la sollicitation du Premier ministre Ariel Henry à l'ONU le 2 octobre 2022, qui a débouché, un an plus tard, sur la résolution 2699 (2023) du Conseil de sécurité. L'organisation d'une mission multinationale de soutien à la sécurité de Haïti a alors été approuvée. Cette initiative a déclenché deux dynamiques qui ont fini par miner la base de soutien déjà faible du gouvernement de facto.

La première est le rejet majoritaire de l'intervention de forces étrangères, qui était déjà incluse dans l'accord de Montana, y compris par les alliés du gouvernement. La deuxième conséquence de l'appel à l'intervention est l'ingérence désormais directe de divers organismes extérieurs dans les décisions qui concernent le pays. Le problème de savoir qui sera chargé de mettre en œuvre la résolution de l'ONU se pose immédiatement.

Les Etats-Unis, véritables instigateurs de la résolution, ont pris contact avec le Canada avant de se tourner vers les Caraïbes, l'Amérique latine et enfin le Kenya. [Le Kenya a accepté en 2023 de mettre sur pied une force de police de 2500 hommes censés intervenir en Haïti lors du premier trimestre 2024. Cette force n'interviendra pas – pour autant que ce soit le cas – avant la mise en place d'une structure gouvernementale.] Au fur et à mesure des discussions internes sur l'implication de la police kenyane, la situation sécuritaire et la violence ont connu une accélération soudaine et apparemment irrépressible dans une atmosphère de dissolution de l'Etat.

Avec la multiplication des attentats et des kidnappings, les massacres dans les quartiers pauvres (Bel Air, Carrefour-Feuille, La Plaine, Torcel sont les cibles d'attaques particulièrement sanglantes, avec l'expulsion massive de centaines de familles réfugiées dans des bâtiments publics non équipés pour les accueillir) et la multiplication des groupes criminels et leur expansion autour de Port-au-Prince, la capitale connaît une paralysie partielle qui l'isole peu à peu du reste du pays. Les gangsters disposent d'énormes quantités d'armes et de munitions [venant des Etats-Unis]. Face à ce processus de décomposition, on remarque la paralysie totale et suspecte de l'oligarchie et du secteur privé, pourtant affectés par la situation.

Ce que l'on remarque surtout, ce sont les multiples faiblesses de la classe politique, qui se trouve aujourd'hui confrontée à une transition divisée après le départ du premier ministre du pays.
La « transition » est un thème récurrent depuis la fin de la dictature des Duvalier en 1986. Bien qu'appartenant à une région et à une culture politique de compromis et de compromission, Haïti, contrairement à d'autres sociétés confrontées à des problèmes similaires, n'a pas réussi à construire et à stabiliser un système politique de compétition et d'alternance des forces politiques au pouvoir. Ce problème est aujourd'hui au cœur des préoccupations des pays qui interviennent en Haïti : les puissances hégémoniques, mais aussi la République dominicaine, le Mexique, le Brésil et les pays de la Caraïbe.

La problématique de la transition soulève deux questions qui conditionnent la compréhension du cas haïtien. Tout d'abord, la coordination des forces en présence afin de parvenir à des accords minimaux devant conduire à la transition. Le contexte haïtien est celui d'une multitude de petites formations politiques, plus ou moins idéologisées, et surtout très faiblement organisées. Il en résulte une atomisation de la scène politique qui a favorisé la prédominance du statu quo en faveur de l'oligarchie traditionnelle et facilité le contrôle externe du système politique, et notamment du pouvoir électoral.
Depuis 2000, la désaffection de l'électorat est devenue évidente et, depuis 2011, il n'y a pas eu d'élection qui n'ait déclenché des vagues de protestation. Cela perpétue l'instabilité politique et la paralysie qui en résulte pour ce qui est de la mise en œuvre de projets, de continuité des politiques publiques et, par conséquent, de consolidation du système politique.

Ce qui est nouveau dans ce scénario, c'est la trajectoire politique de la société civile entre 2018 et 2024. Les organisations de défense des droits de l'homme, paysannes et professionnelles animent les débats et coordonnent les revendications sociales et politiques. Mais l'absence d'interlocuteurs politiques et étatiques légitimes, combinée à leurs propres limites – notamment leur faible ancrage organisationnel dans la population – a en partie réduit leur impact et exposé certaines de leurs organisations au risque d'instrumentalisation par les groupes politiques traditionnels. Cependant, bien qu'ignorées ou marginalisées par les politiciens et les tuteurs externes, leur poids politique s'est accru, comme en témoigne leur rôle prépondérant dans les discussions politiques actuelles.

Reconstruire les fondements du gouvernement

Le cycle de discussions initié le 11 mars sous les auspices de la CARICOM et la proposition de cette dernière rendue publique le 12 mars concernant la recherche d'une issue aux crises multiples qui accablent Haïti reflètent l'imbrication des intérêts et des points de vue en discussion parmi les « parrains » du pays – grands et petits.

Pour l'instant, elle n'apporte pas de solutions, mais vise à obtenir une trêve entre les responsables politiques, dans une situation où les priorités sont de rétablir la sécurité physique, sociale et économique d'une population terrorisée par des bandes criminelles et de remettre sur pied les institutions effondrées au cœur de l'Etat : municipalités, parlement, présidence et pouvoir judiciaire.
Cet exercice doit permettre de jeter les bases pour entreprendre, avec l'accompagnement plus ou moins étroit de partenaires extérieurs, la reconstruction de l'Etat. Il ne s'agit rien de moins que de rétablir la présidence (absente depuis près de trois ans), de remplacer un gouvernement et son premier ministre illégaux depuis leur nomination, et de renforcer les institutions de sécurité et de justice pour un retour rapide à la tranquillité et à la protection de la vie des gens.

La plupart des acteurs ont cependant critiqué ce qu'ils appellent la « formule CARICOM ». Cependant, les discussions se sont poursuivies entre les acteurs haïtiens et une formule a été convenue. Celle-ci consiste en la formation d'une présidence collective – un Conseil présidentiel – avec la participation inclusive de la société civile, des principaux courants politiques et du secteur privé [3]. Les noms définitifs devaient être connus le 19 mars [4]. Reste à connaître les accords qui devraient garantir leur mise en œuvre. Une fois de plus, les vieux démons des rivalités idéologiques et des intérêts personnels qui ont bloqué tous les accords depuis des décennies sont à l'œuvre. Mais d'un autre côté, il semble que nous ayons touché le fond de la crise politique et sociale. Le pays est en attente de perspectives et de progrès concrets et les acteurs politiques, y compris une certaine représentation du secteur privé, sont encore engagés dans une recherche commune.

Enfin, aujourd'hui l'urgence est criante, la criminalité cherche à garantir son impunité par ses menaces armées et la population est épuisée [5]. Même un accord médiocre, pour autant qu'il reflète des valeurs claires qui n'admettent pas la collusion avec le crime et la corruption, servira pour l'instant à essayer de trouver une solution. D'autre part, l'intervention militaro-humanitaire reste de mise. Mais reconstruire l'Etat, c'est aussi, d'une certaine manière, (re)définir le projet de nation. Un objectif sans doute hors de portée à court terme, mais dont les contours conditionnent l'avenir de Haïti. (Opinion publiée par Nueva Sociedad en mars 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Sabine Manigat est politologue et historienne. Elle travaille actuellement comme consultante indépendante à l'Université Quisqueya à Port-au-Prince. Elle est membre de la coordination de l'Accord de Montana.


[1] Le 7 février 2024 devait marquer l'entrée en fonction d'un gouvernement élu selon l'accord signé entre le Premier ministre Ariel Henry et des acteurs haïtiens. Cet « accord » est radicalement contesté. (Réd.)
[2] Pour rappel, le 12 janvier 2010, Haïti a été secoué par un tremblement de terre ayant fait 230'000 morts, 300'000 blessés et 1,2 million de sans-abri. Les élections prévues pour le 3 mars 2010 ont été reportées à mai 2011. Ce fut l'occasion d'affrontements quant aux résultats électoraux, l'OEA a dicté le retrait du candidat Jules Célestin, arrivé deuxième au premier tour. Le deuxième tour, le 20 mars 2011, aboutit à l'élection de Martelly dont le passé fut débattu comme les liens avec la famille Duvalier. (Réd.)
[3] Le Conseil présidentiel transitoire doit être formé de sept membres votants qui représenteront les principales forces politiques en Haïti et le secteur privé. Deux observateurs sans droit de vote doivent en outre porter la voix de la société civile et de la communauté religieuse. (Réd.)
[4] Maître Gédéon Jean, avocat et directeur du Centre d'analyse et de recherche sur les droits humains (CARDH), représentant de la société civile au sein du Conseil présidentiel de transition, déclare le 22 mars : « Toutes les grandes tendances politiques se trouvent au sein de ce Conseil, incluant la société civile que je représente. Ce n'est pas la solution idéale, mais cela répond à un besoin. Quand on vient avec cette solution, ça permet quand même de passer un cap, à savoir trouver une formule consensuelle, pour pouvoir mettre en place le nouveau gouvernement et le conseil électoral. » (FranceTVGuadeloupe, 22 mars)
[5] Plus de 30'000 personnes ont fui la capitale entre le 8 et le 20 mars. Le nombre de personnes en fuite qui ont rejoint les départements du Grand Sud sont estimées à quelque 120'000, alors que ces provinces ne disposent d'aucune ressource pour les recevoir. Cela a poussé le Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés à déclarer : « La vie, la sécurité et la liberté des Haïtiens sont menacées par une confluence de violences croissantes des gangs et de violations des Droits de l'Homme (…). Nous réitérons également notre appel à tous les Etats à ne pas renvoyer de force les personnes vers Haïti, y compris celles dont la demande d'asile a été rejetée. » Une demande qui s'adresse à la République dominicaine, aux Etats-Unis, au Canada, à la France (avec ses départements d'outre-mer), etc. (Réd.)

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Cents jours de Milei en Argentine : cruauté et transgression

26 mars 2024, par Pablo Stefanoni — , ,
Le 10 décembre dernier, à l'occasion du 40e anniversaire du retour de l'Argentine à la démocratie, l'économiste Javier Milei, un « anarcho-capitaliste » qui a exprimé son (…)

Le 10 décembre dernier, à l'occasion du 40e anniversaire du retour de l'Argentine à la démocratie, l'économiste Javier Milei, un « anarcho-capitaliste » qui a exprimé son scepticisme à l'égard de la démocratie et qui continue à considérer l'État comme une « organisation criminelle », est arrivé à la Casa Rosada.

20 mars 2024 | tiré du site aplutsoc
https://aplutsoc.org/2024/03/20/cents-jours-de-milei-en-argentine-cruaute-et-transgression-par-pablo-stefanoni/

Milei s'attache à montrer que son arrivée au pouvoir non seulement ne le modère pas, contrairement à ce qui se passe habituellement, mais qu'elle attise encore plus sa rage refondatrice. Une sorte d' »Atlas Shrugged » du Rio de La Plata qui reprend les images du capitalisme héroïque du roman d'Ayn Rand, publié en 1957, ainsi que des visions messianiques de la politique qui l'amènent à se comparer à Moïse ; ou à comparer sa sœur Karina à Moïse et à se réserver le rôle du frère et « traducteur » de Moïse, Aaron.

Un président-troll

Pour Milei, la refondation nationale passe par la fin de « 100 ans de collectivisme » qui auraient détourné le pays du destin tracé par les libéraux du 19ème siècle, le conduisant à devenir une immense « villa miseria » (bidonville). Il veut aussi en finir avec la « caste » politique – il a même remis au goût du jour le slogan « Que se vayan todos »- « Qu'ils s'en aillent tous », scandé dans les rues lors de la rébellion sociale de 2001 – bien que son gouvernement soit truffé de politiciens de carrière, dont l'ancien candidat péroniste à la présidence Daniel Scioli, battu de justesse en 2015 par l'ancien président conservateur Mauricio Macri (2015-2019) et aujourd'hui secrétaire au Tourisme, à l'Environnement et aux Sports de Milei.

La détérioration économique de ces dernières années, avec une inflation de plus de 100 % par an et une augmentation de la pauvreté à plus de 40 %, a conduit les électeurs à revenus moyens et faibles à faire confiance à ce discours et à choisir « La Libertad Avanza », l'étiquette électorale de Milei, avec un mélange de lassitude et d'indigestion face à tout ce qui est connu et d'espoir face à l'inconnu. En même temps, il est difficile d'expliquer le résultat des élections argentines sans prendre en compte le climat mondial, avec la montée de nouvelles droites radicales et de politiciens prétendument « anti-establishment ».

Milei a assumé la présidence lors d'une cérémonie dos au Congrès – pour réaffirmer sa lutte contre « la casta » -la caste – ; et son récent message à la nation à l'occasion de l'ouverture de l'année législative a montré son mépris pour un Congrès où il est minoritaire et dépendant de la droite de « Propuesta republicana » -(Proposition républicaine (Pro), le parti de Mauricio Macri, et de l'opposition « dialoguiste » , qu'il ne cesse d'insulter.

« Il n'y a pas de place pour les tièdes », a déclaré le président de la Chambre des députés, Martín Menem, du parti de Milei et l'un des proches de l'ancien président néolibéral Carlos Menem (1989-1999) qui intègrent le nouveau parti au pouvoir

La fureur de Milei s'est accrue ce mois-ci lorsqu'une majorité du Sénat a rejeté son décret de nécessité et d'urgence (DNU) publié en décembre – qui abroge ou modifie quelque 300 lois pour déréglementer l'économie – bien que cette décision n'ait aucun effet juridique si la Chambre des députés ne vote pas également en faveur de son rejet.

Le président a posté à nouveau un message avec la liste des sénateurs qui ont voté contre la DNU et les lettres HDRMP (hijos de remil puta – fils de pute). Il avait également menacé de « pisser » [uriner] sur les gouverneurs après l'échec de sa « loi omnibus » – comprenant plus de 500 articles et des pouvoirs spéciaux pour le président – à la chambre basse, et avait qualifié le Congrès de « nid de rats ».

Accro aux réseaux sociaux, Milei agit comme un véritable président-troll, dans le sillage de Donald Trump, soutenu par des armées de followers – organisés et spontanés – qui lancent de violentes guérillas virtuelles et font circuler un lexique visant à disqualifier l'opposition, souvent sous forme de mèmes.

« Ils sont à la masse » (les opposants ne voient pas la réalité), « larmes de gauchistes » (les gauchistes pleurent la perte de leurs privilèges) ou « les forces du ciel » (sur lesquelles s'appuie le gouvernement), ainsi que divers autres mèmes dans lesquels Milei est présenté comme un lion rugissant ou un super-héros.

Milei, approfondissant son côté mystique, répète une citation du livre des Maccabées selon laquelle, dans une bataille, la victoire ne dépend pas du nombre de soldats, mais des forces du ciel. Proche de l'organisation hassidique Chabad Lubavitch, bien qu'il ne soit pas juif, il tweete souvent des messages bibliques en hébreu pour réaffirmer qu'il ne dirige pas un gouvernement ordinaire, mais une révolution qui va au-delà des frontières terrestres.

Guerre culturelle

Depuis son entrée en politique en 2021, après s'être fait connaître comme un panéliste excentrique de la télévision, obsédé par John M. Keynes – un nom qui le rend littéralement fou -, Milei a commencé à intégrer le langage de la « droite alternative ». Il a d'abord dénoncé l'omniprésence supposée du Forum de São Paulo – un réseau affaibli de partis de gauche latino-américains – à partir de points de vue complotistes, et est finalement devenu un croisé contre le « marxisme culturel ».

Dans ce cadre Il dénonce le réchauffement climatique comme une invention socialiste et associe le « féminisme radical » et l'environnementalisme à un plan de réduction de la population planétaire par l'avortement et la décroissance.

Milei présente ses politiques comme de véritables revanches anti-progressistes. Les fermetures de l'Institut National contre la Discrimination, la Xénophobie et le Racisme et de l'Agence de presse d'État Télam, ainsi que les réductions du financement du cinéma argentin et du Conseil National de la Recherche Scientifique et Technique sont célébrées comme des victoires contre le marxisme culturel, provoquant des « larmes de gauchistes ».

Même les licenciements de travailleurs sont célébrés par les militants libertariens [à ne pas confondre avec les libertaires, les anarchistes Ndr], souvent aux portes des Institutions « supprimées ». « La cruauté est à la mode », a déclaré l'écrivain Martín Kohan. Une cruauté mêlée à la transgression propre aux réseaux sociaux et aux nouvelles droites.

Le protocole « anti-piquet » (contre la lutte organisée des chômeurs organisés -les « piqueteros ») – qui criminalise les blocages de rue – adopté par la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, écartée du scrutin lors des dernières élections, est également vécu de cette manière. « Faucon » de la droite traditionnelle, qui occupait déjà le même poste dans le gouvernement Macri, Bullrich est un membre clé du gouvernement et a fait de la main de fer contre la criminalité et la contestation sociale sa marque de fabrique. Si le Milei anarcho-capitaliste parlait de façon critique des « forces répressives de l'État », le Milei président fait siennes les menaces de répression de sa ministre.

La dernière provocation en date a été de remplacer, le 8 mars, alors que des dizaines de milliers de femmes défilaient à Buenos Aires pour la Journée internationale de la femme, le Salon des Femmes Argentines du palais du gouvernement par le Salon des los Próceres -des Héros de la Nation. Le panthéon pluraliste, qui comprenait des femmes de biographies et d'idéologies différentes, a été remplacé par des portraits de Pròceres-de Héros Nationaux, tous masculins, y compris les traditionnels « pères fondateurs », avec des figures telles que l'ancien président controversé Menem, qui a imposé un programme de privatisation radical dans les années 1990 – pour Milei, un Héros national de plus.

La responsable de ce changement est Karina Milei, la sœur du président, qu'il surnomme « la patronne » et actuelle secrétaire générale de la présidence. « Une idée archaïque et excluante de la nation… qui sent la naphtaline », résume le célèbre historien Roy Hora.

Face aux critiques de misogynie, Milei répond en donnant raison aux femmes qui occupent des postes dans son cabinet : Bullrich, la ministre des affaires étrangères Diana Mondino, la ministre Sandra Pettovello, qui dirige le ministère du Capital humain qui a absorbé les portefeuilles de l'Education, du Travail, des Politiques sociales, de la Femme et des Droits de l'Homme, et sa sœur Karina, figure centrale de l'administration.

On peut également ajouter à la liste la vice-présidente Victoria Villarruel, une avocate qui défend, ou du moins justifie, les officiers militaires condamnés pour des crimes contre l'humanité commis pendant la dernière dictature (1976-1983), mais dont le style et les intérêts sont en conflit permanent avec Milei et son entourage.

Cette bataille culturelle fait entrer Milei dans la tribu mondiale des politiques ultras. Lui croit que l'Occident est en danger parce qu'il a abandonné les idées de la liberté, comme il l'a souligné devant le Forum économique mondial de Davos, qu'il considère comme un club de socialistes.

Devenu en 2013 adepte de la version la plus radicale de l'école autrichienne d'économie, celle de Murray Rothbard, le mandataire argentin est devenu une icône des droites libertariennes, mais son anti-progressisme le connecte aussi avec les secteurs les plus réactionnaires. C'est en tant que tel qu'il a été l'un des invités de la dernière Conservative Political Action Conference (CPAC) aux États-Unis, où il a rencontré Donald Trump sans pouvoir cacher son émotion. Milei a également rendu visite à la Première ministre italienne d'extrême droite Giorgia Meloni – lors du même voyage au cours duquel il a tenté de se réconcilier avec le pape François, qu'il avait qualifié de « représentant du mal sur Terre » – et entretient des liens étroits avec la famille Bolsonaro. Il a également reçu beaucoup d'éloges de la part d'Elon Musk, avec qui il partage une haine viscérale de la justice sociale.

Tronçonneuse et mixeur

Milei a fait campagne avec une tronçonneuse pour symboliser la réduction des dépenses publiques qui, a-t-il promis, ne toucherait que la « caste ».

Mais son programme de choc était d'une telle ampleur que le Fonds monétaire international (FMI) lui-même lui a recommandé de ne pas négliger les familles de travailleurs et les plus vulnérables, par crainte d'une explosion sociale. En janvier, la pauvreté touchait déjà plus de 57% de la population, selon l'Observatoire de la dette sociale argentine de l'Université catholique.

Plus que la tronçonneuse, Milei a utilisé le mixeur (liquéfaction des dépenses) : il a maintenu les postes budgétaires sans augmentation en 2023 avec une inflation de 20,6% en janvier et 13,2% en février (chiffre célébré par le gouvernement pour une supposée tendance à la baisse).

Les retraites ont vu leur pouvoir d'achat baisser de 30%. La réduction des prestations sociales, la paralysie des travaux publics, la réduction des transferts aux provinces et le report du paiement de la dette expliquent l'excédent financier que le gouvernement célèbre mais que plusieurs économistes considèrent avec scepticisme, notamment en termes de durabilité.

Ces 100 jours ont été marqués par des tensions avec les gouvernements provinciaux, compte tenu du refus de l'administration fédérale de leur transférer certains fonds fiscaux. Mais dans le cas de la province de Buenos Aires, la plus peuplée du pays et gouvernée par le péroniste Axel Kicillof, Milei a soutenu l'appel à la « rébellion fiscale » – c'est-à-dire au refus de payer les impôts – lancé par le député José Luis Espert, un allié du gouvernement.

Mais la stratégie de Milei, qui consiste à asphyxier financièrement les provinces pour qu'elles procèdent à des ajustements aussi radicaux que l'État fédéral, est à double tranchant, et il suffit de se rappeler les violentes explosions sociales provinciales des années 1990.

« Allez Toto [Caputo, ministre de l'économie]. Le déficit 0 n'est pas négociable », écrit Milei sur le réseau X. De son côté, Caputo a assuré qu' »il n'y a pas de précédent mondial d'une réduction de cinq points du déficit en un mois, et ce que cela démontre, c'est l'engagement du président ».

Bien que Milei considère que tous les impôts sont un vol et que s'y soustraire devrait être un droit de l'homme, il a l'intention d'en augmenter plusieurs, et même d'étendre le mal nommé impôt sur les « gains » ( sur les revenus salariaux) que l'ancien ministre de l'économie et candidat à la présidence, Sergio Massa, avait réduit l'année dernière, pendant la campagne électorale.

L'économie sera la clé

La bataille culturelle sert à unir et à occuper la base de Milei, mais le président a gagné les élections parce qu'il a convaincu 30 % des électeurs au premier tour et 55 % au second que sa recette sortirait le pays de la crise et le projetterait dans un avenir prometteur de liberté et d'abondance. C'est sur ce terrain que se jouera son avenir et sa capacité à construire un bloc de soutien politique et social qui lui fait défaut aujourd'hui.

La stabilité du gouvernement est pour l'instant assurée par un Parti Justicialiste encore éprouvé par sa défaite électorale – et par le fort rejet social du secteur péroniste dominant des 20 dernières années, celui de l'ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner -, par un système politique qui n'a pas encore réussi à décoder le « mileisme » et par la crainte de l'opposition que Milei ne capitalise sur le rejet législatif de ses mesures lors des élections législatives de 2025 pour en faire un levier populiste.

En attendant, tout le monde se demande combien de temps durera la confiance sociale – qui, selon les sondages, semble durer – dans le président le plus inclassable et le plus extravagant des quatre dernières décennies de démocratie en Argentine.

Source : https://www.opendemocracy.net/es/argentina-javier-milei-ajuste-crueldad-guerra-cultural-fmi/

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Amérique latine : poussées progressistes, réactions conservatrices

26 mars 2024, par Bernard Duterme — ,
Plusieurs lames de fond économiques, sociopolitiques et culturelles traversent actuellement l'Amérique latine de part en part. Entre euphorie extractiviste et périodes de (…)

Plusieurs lames de fond économiques, sociopolitiques et culturelles traversent actuellement l'Amérique latine de part en part. Entre euphorie extractiviste et périodes de crise, virages à gauche ou à droite, velléités intégrationnistes et rivalités hégémoniques, le climat est à l'instabilité démocratique, à la violence, aux émigrations et même à la remilitarisation. Rébellions émancipatrices et mobilisations réactionnaires ajoutent aux tensions en cours.

Tiré de la revue Contretemps
20 mars 2024

Par Bernard Duterme

Le sociologue Bernard Duterme, Directeur du Centre tricontinental – CETRI (Belgique), revient de manière synthétique sur ces diverses tendances avec cet l'éditorial du dernier numéro de Alternatives Sud (publication trimestrielle composée d'articles d'auteur et autrices du « Sud global »).

Aborder l'Amérique latine comme un seul et même ensemble, au risque de négliger les singularités nationales, relève de la gageure. Comment confondre 7 millions de Nicaraguayen·nes sous l'emprise d'un révolutionnaire qui a tourné casaque et 220 millions de Brésilien·nes qui tanguent entre « bolsonarisme » et « lulisme » ? Comment amalgamer l'hypermodernité chilienne et l'effondrement haïtien, la « 4e transformation » mexicaine et les imbroglios de la gouvernance péruvienne, les conservatismes centro-américains et les progressismes du Cône Sud ? L'évocation de tel ou tel pays suffit à mesurer l'irréductibilité d'une situation particulière à une autre ou même, par relation métonymique, aux grands traits de la région à laquelle elle appartient.

Que l'on considère l'étendue territoriale (le Salvador est 425 fois plus petit que le Brésil), la géographie (plus ou moins riche en ressources), la densité de population (Haïti est 39 fois plus densément peuplé que la Bolivie), la composition ethnique (le Guatemala compte plus de 55% d'indigènes, l'Argentine moins de 2% ; le Mexique en dénombre entre 12 et 15 millions, l'Uruguay à peine 500), l'histoire politique (de l'exception cubaine à l'exception panaméenne), les structures économiques (du cuivre chilien au tourisme mexicain), les richesses produites (2000 dollars de PIB annuel par habitant à Managua, 18000 à Montevideo), les références culturelles, les niveaux d'intégration, d'éducation, d'urbanisation, d'émigration, de militarisation, etc., tout n'est que disproportions et dissemblances.

Pour autant – et c'est une autre évidence –, plusieurs grandes tendances communes, à l'œuvre depuis le début du 21esiècle, traversent le continent de part en part : du boom des matières premières et des euphories extractivistes et exportatrices aux crises économiques et politiques actuelles ; de la vague de pouvoirs de gauche à la tête des États aux alternances populistes ou plus classiques en cours. Aux quatre coins de l'Amérique latine, sur fond de bras de fer hégémonique Chine – États-Unis, d'instabilité démocratique et de remilitarisation rampante, des manifestations revendiquent de meilleurs emplois ou pensions, des mouvements indigènes s'essayent aux autonomies de droit ou de fait, des mobilisations féministes ou décoloniales tentent de gagner en reconnaissance et en égalité, des organisations écologistes ou paysannes défendent leurs territoires…, tandis que de puissantes dynamiques réactionnaires et populaires – l'autre face des réalités protestataires – s'opposent au changement et prônent l'ordre et la sécurité. Tout cela, aux pays des inégalités.

Poussée (néo-)extractiviste

Sur le plan économique, déterminant transversal s'il en est, la grande affaire de ce début de 21e siècle, commune à l'ensemble des pays du continent, aura été le « boom des matières premières », tant ses effets sur la relation au monde de l'Amérique latine, sur ses structures productives et ses choix politiques, sur les finances nationales, les taux de pauvreté et les nouvelles configurations du conflit social ont coïncidé, de la Terre de Feu à la Basse-Californie. En clair, l'enchérissement phénoménal, entre 2000 et 2015, des cours des principaux produits des sols et des sous-sols du continent latino-américain sur le marché mondial a changé la donne. Ou plutôt, a nettement renforcé l'extraversion des économies de la région vers le marché mondial, dans un rôle de fournisseuse de ressources non (ou à peine) transformées.

On le sait, la tendance a été tirée par l'expansion de la Chine, dans la foulée de son affiliation à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, et l'explosion concomitante de sa gourmandise en matières premières, qui s'est ajoutée à la forte demande occidentale. En quinze ans, les échanges de l'Amérique latine avec la puissance chinoise ont été multipliés par vingt-cinq. Seul le Paraguay échangeait plus avec elle qu'avec les États-Unis en 2000. En 2020, elle est le premier partenaire commercial de tous les pays d'Amérique du Sud, excepté la Colombie et l'Équateur. La dynamique a donc enflé profusément les prix du soja, de la canne à sucre, de l'éthanol, de la viande, du nickel, du cuivre, du plomb, de l'argent, de l'or, du lithium, du gaz, du pétrole… extraits et exportés à tour de bras par le continent latino, sur base d'une certaine « reprimarisation » de sa matrice économique.

Jamais dans l'histoire, les sols de la région n'auront été autant creusés. C'est l'envolée, voire la fuite en avant, de ce que l'on va appeler alors l'« extractivisme », ou le « néo-extractivisme ». Et l'avènement de ce que, plus loin dans cet Alternatives Sud, Maristella Svampa nomme le « consensus des commodities », qui s'est substitué ces deux dernières décennies au « consensus de Washington ». En dix ans à peine, le filon va, entre autres, tripler le Produit intérieur brut (PIB) du Brésil du président Lula, doubler ceux de l'Équateur de Correa et du Nicaragua d'Ortega. L'Amérique latine dans son ensemble se libère de ses ardoises auprès du Fonds monétaire international (FMI), s'enrichit copieusement, tout en consolidant son inscription subordonnée et dépendante dans la division internationale du travail.

« La pire crise depuis un siècle »

Mais le renversement de tendance survenu à partir de 2014-2015 – « cycle déflationniste » des matières premières, puis volatilité des cours… – va prendre au dépourvu la plupart des pays du continent et les plonger dans une crise que de nombreux économistes de gauche latino-américains annonçaient pourtant depuis les années 2000, au vu des engouements gouvernementaux généralisés et inconséquents pour la haute mais fragile profitabilité de l'aubaine extractivo-agroexportatrice. D'une période de croissance soutenue, la région bascule alors dans une période de récession, de définancement et de réendettement des États, de chute des investissements directs étrangers, d'inflation… « La pire période depuis 1950 » selon la Commission économique pour l'Amérique latine de l'ONU. Et ce, avant même que la pandémie du covid, puis les effets mondiaux de la guerre en Ukraine n'aggravent encore la situation.

Dépourvus, les pays latino-américains le sont d'autant plus qu'en dépit des promesses – telles celles consignées dans la nouvelle Constitution équatorienne de 2008 par exemple –, aucun n'a réussi à profiter de la période de vaches grasses pour diversifier son économie, pour la planifier démocratiquement et écologiquement, la réorienter prioritairement vers le marché interne, préférer l'industrialisation à l'extraction, déspécialiser les territoires en relocalisant l'activité, privilégier la valeur d'usage à la valeur d'échange, etc. Ni non plus, en prévision des mouvements à la baisse des sources externes de financement, pour doter les États de systèmes fiscaux dignes de ce nom, forts et progressifs, visant à mettre à contribution tant les vieilles oligarchies que les nouvelles élites (lire dans cet Alternatives Sud, Mariana Heredia). D'aucuns s'y sont essayés, ils s'y sont cassé les dents. Les fiscalités latino-américaines restent parmi les plus faibles et régressives au monde (Duterme, 2018).

Virage à gauche, puis à droite, puis à gauche…

Une autre tendance, politique cette fois, commune ou presque à l'ensemble de l'Amérique latine depuis le début de ce siècle renvoie aux étonnants « cycles » ou « vagues » de pouvoirs de gauche, puis de droite, puis de gauche… qui ont successivement pris la tête de la plupart des États du continent. Avec, comme arrêts sur image paroxysmique, trois dates clés.

– 2008 : des dix principaux pays d'Amérique du Sud, neuf sont gouvernés par des présidents « roses » ou « rouges », se réclamant de la gauche. Seule la Colombie est restée à droite. Ainsi que, plus au Nord, le Mexique et la moitié de l'Amérique centrale.

– 2019 : tableau quasi inversé. Seul le Mexique, en retard de dix ans sur le premier « virage progressiste », a un président de gauche élu démocratiquement à sa tête. Tous les autres pays de la région sont dominés par des régimes plus ou moins conservateurs (et/ou non élus démocratiquement, dans le cas du Nicaragua, de Cuba et du Venezuela).

– 2022 : nouvelle volte-face généralisée. La toute grande majorité des Latino-Américain·es sont de nouveau gouverné·es par des pouvoirs progressistes. Seuls l'Uruguay, le Paraguay, l'Équateur et la plupart des petits pays centro-américains et caribéens sont restés à droite.

Cela étant, l'ampleur du premier « virage à gauche » – sa durée (jusqu'à trois mandats présidentiels successifs dans plusieurs pays), sa force (des majorités absolues au premier tour, aux congrès, etc.), son caractère inédit (jamais le continent n'avait connu autant de partis de gauche avec autant de pouvoir dans autant d'endroits) – est sans commune mesure avec les alternances populistes ou plus classiques de ces dernières années. D'intensité variable selon les pays, ce virage historique fut d'abord le résultat de l'insatisfaction populaire – souvent portée par d'importants mouvements sociaux – face au bilan désastreux du double processus de libéralisation – politique et économique – qu'a connu l'Amérique latine à la fin du 20e siècle.

Certes les gauches qui le composèrent étalaient leur diversité (du Vénézuélien Chávez à la Chilienne Bachelet, en passant par le couple argentin Kirchner, le Paraguayen Lugo, les Uruguayens Vázquez et Mujica, le Bolivien Morales, etc.), mais elles partageaient aussi un même air de famille ou, pour le moins, une même aspiration « post-néolibérale » : des politiques plus souverainistes, étatistes, keynésiennes, redistributives, interculturelles, participatives… et, à l'échelle latino-américaine, intégrationnistes. Avec, à la clé, de significatives réductions des taux de pauvreté. Mais les effets conjugués de la crise économique à partir de 2015, de l'usure du pouvoir, du verdict des urnes, voire de l'un ou l'autre coup d'État parlementaire ou judiciaire, ouvrirent la porte à un raz-de-marée conservateur, à un « moment réactionnaire »… qui ne dura qu'un temps, faute de résultats sociaux.

Aujourd'hui, la nouvelle « vague » de président·es de gauche ou centre-gauche entamée dès fin 2018 au Mexique (López Obrador) et en 2019 en Argentine (Fernández), poursuivie en 2020 en Bolivie (Arce), en 2021 au Pérou (Pedro Castillo), au Honduras (Castro) et au Chili (Boric), et en 2022 en Colombie (Petro) et au Brésil (Lula) ne peut cacher son extrême fragilité. D'abord parce que les victoires électorales ont souvent été (très) courtes, sans majorité dans les parlements, corsetées par des rapports de force défavorables, voire désavouées par d'autres sondages ou scrutins postérieurs. Ensuite parce que les enquêtes en cours et les élections à venir sont particulièrement incertaines, révélant au passage la soif des opinions publiques pour des remèdes immédiats à leur insécurité physique, sociale et identitaire. Et confirmant, dans le même esprit, la force de nouvelles figures d'extrême droite sur presque toutes les scènes politiques latino-américaines (Dacil Lanza, 2023).

Insécurité, instabilité, violence, émigration, militarisation…

Au-delà, le climat qui prévaut aujourd'hui en Amérique latine, sur fond de longue et sévère crise socio-économique, s'apparente à une forte instabilité démocratique, assortie même d'une tendance à une remilitarisation multiforme (comme l'explique Alejandro Frenkel plus loin dans cet Alternatives Sud). Il faut rappeler d'abord le bilan social hautement problématique des dix dernières années. Après l'embellie des années 2000-2014 et ses taux de croissance soutenue (entre 4 et 6%, hormis en 2009), les périodes de récession et de stagnation – liées aux cours des matières premières, à la pandémie, aux poussées inflationnistes post-covid, aux vicissitudes du marché mondial et des investissements internationaux… – se sont succédé, situant le continent en dessous des résultats enregistrés lors des deux dernières décennies du 20e siècle, déjà qualifiées pourtant de « décennies perdues ».

Pauvreté, inégalités, informalité du travail et insécurité alimentaire sont dès lors reparties à la hausse, à cadence irrégulière selon les pays, après les baisses significatives de la phase précédente. Ainsi, selon les derniers calculs de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (cités par Ventura, 2023), 32% de la population de la région, soit 201 millions de personnes vivent aujourd'hui en situation de pauvreté ou d'extrême pauvreté, « la pire situation depuis vingt-cinq ans » ; le travail informel concerne désormais plus de 53% de la population active ; et l'insécurité alimentaire grave ou modérée frappe 40% des Latinos-Américain·es, un taux plus de 10% « plus élevé que la moyenne du reste du monde ».

L'instabilité des institutions et organisations politiques largement discréditées dans l'opinion, l'extension tous azimuts des violences, de la criminalité et du narcotrafic, ainsi que l'explosion des émigrations – particulièrement centro-américaine, caribéenne, vénézuélienne et équatorienne – ont certainement partie liée avec cette « chaîne de détérioration multidimensionnelle » (Ventura, 2023). La volatilité et la fragmentation des scènes électorales n'ont d'égal que les trajectoires idéologiques oscillatoires de la région et la haute fragilité des procédures démocratiques. Deux marqueurs, parmi beaucoup d'autres : au Guatemala, depuis le retour à un régime civil, les dix chefs d'État successifs ont été portés au pouvoir par autant de partis différents ; et au Pérou, fin 2022, le président élu seize mois plus tôt a été destitué et arrêté pour avoir tenté de dissoudre le parlement.

Si la violence « endémique » de l'Amérique latine, tout comme la corruption, « endémique » elle-aussi, des élites – et leurs collusions avec le crime organisé – sont devenues des lieux communs, leur actualité et leur vigueur n'en sont pas moins obsédantes. En taux d'homicides volontaires par habitant par exemple, le « Triangle Nord » de l'Amérique centrale reste toujours « la région la plus dangereuse au monde », selon l'ONUDC. La région d'où sort d'ailleurs le plus grand nombre d'émigrant·es vers les États-Unis. Environ 500 000 en moyenne annuelle depuis le début du siècle (CETRI, 2022). Tandis que, selon l'UNHCR, plus de 7 millions de Vénézuélien·nes auraient fui leur pays depuis 2015, d'abord en direction de l'Amérique du Sud – de la Colombie jusqu'au Chili –, créant de nouveaux problèmes en chaîne, d'accueil, de rejet et de trafics divers.

À ces différents phénomènes, plusieurs États ont répondu par la militarisation. Et les sociétés, par le militarisme. Pour Gilberto López y Rivas, qui en dénonce les progrès au Mexique en particulier, la militarisation, c'est d'abord « l'assignation aux forces armées de missions, de tâches, de prérogatives, de budgets et de compétences non prévus par la Constitution et ses lois » (2023). Le militarisme renvoie, quant à lui, à la propagation d'un système de représentations et de valeurs qui normalise le recours à la violence, naturalise l'ordre social, justifie les réflexes sécuritaires, etc. Les deux tendances, qui vulnérabilisent d'autant plus les cadres démocratiques nationaux, opèrent depuis une dizaine d'années à travers toute la région. Avec, comme le détaille Frenkel dans ce livre, des éclats de visibilité saccadée en Équateur, au Chili, au Venezuela, en Colombie, au Pérou, en Bolivie, au Salvador, en Uruguay, au Paraguay, au Brésil, etc.

Velléités intégrationnistes et rivalités hégémoniques

En matière de relations extérieures, au moins trois processus concomitants, qui concernent là aussi l'ensemble de l'Amérique latine, sont à l'œuvre : les tentatives d'intégration régionale, le retour du « continent de Lula » sur la scène internationale et, surdéterminant encore une fois, le bras de fer Chine – États-Unis qui s'y joue depuis le début du siècle. Le premier n'a plus la force qu'il a eue pendant le virage à gauche des années 2000 ; force déjà paralysée ou inversée par le retour de la droite entre 2014 et 2020. Aux ambitieuses organisations unificatrices, plus ou moins chargées idéologiquement, portées sur les fonts baptismaux en 2004 (l'Alliance bolivarienne pour les Amériques – ALBA, pour faire pièce au projet états-unien de Zone de libre-échange des Amériques), en 2008 (l'Union des nations sud-américaines – UNASUR) et en 2010 (la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes – CELAC), a succédé une « soupe cacophonique », faite de superpositions et de fractionnements.

À l'intégration progressiste, les gouvernements conservateurs ont préféré une intégration libérale sur le plan commercial (réactivation du Mercosur, lancement de l'Alliance du Pacifique, etc.) et réactionnaire sur le plan politique (PROSUR sur les cendres de l'UNASUR, Groupe de Lima, etc.). Aujourd'hui, les nouveaux pouvoirs de gauche tâtonnent ou divergent. Face à la prolifération des organisations régionales, marqueur des frictions et rivalités nationales, de l'hétérogénéité des orientations et poids de leurs membres, et de la dépendance concurrentielle à l'égard des grandes puissances, ils tendent à donner priorité à leur propre agenda domestique en crise. Et rechignent çà et là à s'aligner comme un seul homme (ou femme, mais cela reste exceptionnel) derrière le leadership assertif et volontariste du Brésil post-Bolsonaro (Dacil Lanza, 2023 ; Franco, 2023).

Le retour de Luiz Inácio Lula da Silva (troisième mandat présidentiel) sur la scène internationale est en effet le deuxième processus à l'œuvre. Avec lui, après les années Bolsonaro, reprend cours un « protagonisme » multilatéral tous azimuts, au nom de son pays (1/3 du PIB latino-américain) et du reste de la région, dont il se fait le porte-parole. Au sein du G20, du G77, des COP climatiques, des BRICS+ (CETRI, 2024), etc., les initiatives et objectifs réaffirmés de Lula et de ses ami·es consistent à peser dans les enceintes internationales, à réformer la gouvernance mondiale, à négocier la paix entre la Russie et l'Ukraine…, ainsi qu'à relancer l'intégration latino-américaine en impulsant « une action collective ‘non alignée' en faveur d'une réindustrialisation des pays de la région et d'une transition progressive vers des modèles plus diversifiés et à plus haute valeur ajoutée » (Ventura, 2023).

Pour autant, la compétition à laquelle continuent de se livrer en Amérique latine les États-Unis, même en déclin relatif, et une Chine toujours ascendante – sans négliger l'Union européenne, principal investisseur dans la région (693 milliards d'euros en 2022, www.ec.europa.eu) –, risque bien d'entraver cette volonté d'intégration et d'autonomisation stratégique chère à Lula. L'appétit des grandes puissances en ressources naturelles et agricoles nécessaires au verdissement de leurs économies (CETRI, 2023), ainsi que l'agressivité de leurs politiques commerciales, de crédit et d'investissement plus ou moins conditionnées ouvrent peu de possibilités à une redéfinition des relations politiques et des échanges marchands sur des bases moins asymétriques et plus souveraines pour l'ensemble des petits, moyens et grands pays latino-américains.

Anciennes et nouvelles conflictualités sociales

Sur le front de la conflictualité sociale et des contestations populaires, là aussi, une lame de fond processuelle et multidimensionnelle travaille l'Amérique latine de part en part. Certes le rythme et l'intensité des mobilisations connaissent des pics et des creux, des flux et des reflux en fonction à la fois de leurs dynamiques internes et des contraintes contextuelles, mais « la rue » latino-américaine n'en continue pas moins de s'affronter, autant que faire se peut, aux ordres établis. « La rue », c'est-à-dire le plus souvent des « minorités agissantes », parfois en porte-à-faux avec leur propre milieu social, avec ces « majorités silencieuses » plus ou moins indifférentes. Tendance renforcée, on le sait, par les effets anomiques des sociétés de consommation, les attraits atomisants des ambiances urbaines, la désagrégation des collectifs dans les mécanismes d'individuation, comme l'évoquent plusieurs des auteurs et autrices de ce livre collectif.

Cela étant, même si ce ne sont pas toutes les femmes du Chili qui s'insurgent contre la culture du viol, ni l'entièreté des indigènes du Guatemala qui dénoncent l'extraction minière, à l'automne 2019 par exemple, une dizaine de pays du continent ont bel et bien été secoués simultanément et profondément par une nouvelle et forte poussée rebelle. En cause et en vrac, la réduction des subsides publics dans les transports, l'éducation ou les retraites, la privatisation de l'eau, l'application des recommandations du FMI, les affaires de corruption, les réformes conservatrices, la flexibilisation du travail, la violence d'État, etc. Et cela, de l'Équateur au Honduras, du Panama au Chili, de la Bolivie à Haïti, de Puerto Rico à la Colombie…

Bien sûr, la répression ou la concertation, la criminalisation ou l'institutionnalisation, puis les crises, la pandémie et la fermeture des espaces de contestation ont eu leurs effets démobilisateurs, mais l'effervescence et l'ébullition sociales latino-américaines n'en demeurent pas moins, aujourd'hui, des réalités prégnantes. Prégnantes et à double visage. Elles peuvent être à visée émancipatrice, progressiste, égalitaire, antidiscriminatoire, féministe, écologiste, anti- ou décoloniale…, mais elles peuvent aussi, à l'inverse, appeler à la restauration de l'ordre, à la protection sécuritaire, à la fermeture des frontières, à la préservation identitaire… Et les premières ne sont pas forcément plus populaires que les secondes.

Du côté des luttes émancipatrices d'abord – par opposition donc aux mobilisations réactionnaires –, les plus nouvelles de ce siècle, sans doute les plus répandues sur l'ensemble du continent, renvoient à cette conflictualité socio-environnementale qui s'est ouverte ou, pour le moins, qui s'est fortement accrue à la faveur de la poussée (néo-)extractiviste. Elle oppose d'un côté, de grands investisseurs extérieurs, privés ou publics, et, de l'autre, des communautés locales, paysannes, souvent indigènes, flanquées d'organisations écologistes. Plusieurs des auteurs et autrices de cet Alternatives Sud en parlent en long et en large, tant ces conflits minent par dizaines la plupart des pays latino-américains (voir notamment l'Environmental Justice Atlas, qui les recense : www.ejatlas.org).

L'enjeu est le territoire. Sa souveraineté et son usage. Est-il le réceptacle naturel de « mégaprojets » – miniers, aéroportuaires, énergétiques, autoroutiers, agro-industriels, ferroviaires, touristiques, commerciaux… – de « modernisation » ou de « développement » des infrastructures nationales ou, plutôt, d'abord le milieu de vie et de production agricole vivrière des populations locales qui l'habitent ? Est-il une ressource appropriable et exploitable à souhait par de puissants opérateurs économiques poliment invités à minimiser les dommages collatéraux – environnementaux et sociaux – de leurs activités polluantes ou, avant tout, l'objet d'indispensables consultations démocratiques en vue d'obtenir (ou pas) « le consentement libre, préalable et informé » des autochtones qui le peuplent, sur son prochain destin ?

En attendant, les deux camps s'affrontent, dans des rapports de force souvent déséquilibrés. Parmi les centaines de défenseurs et défenseuses de l'environnement victimes de violence meurtrière en 2022 recensées par l'organisation internationale Global Witness (Le Monde, 13 septembre 2023), 90% l'ont été en Amérique latine. Pays les plus touchés : la Colombie en tête, puis viennent le Brésil, le Mexique, le Honduras, le Venezuela, le Paraguay, le Nicaragua, le Guatemala…

Les mouvements indigènes – mayas, aymaras, quechuas, mapuches, etc. – constituent une part importante des acteurs collectifs mobilisés dans ces luttes socio-environnementales. Ils ont émergé, dès les années 1990, dans les espaces créés par la libéralisation politique et économique du continent et la pénétration plus en profondeur du « capitalisme de dépossession ». Aujourd'hui, au sein des régimes d'« autonomies de droit » qui leur ont été accordés ou des « autonomies de fait » qu'ils ont arrachées, ils tentent de produire au quotidien les conditions d'une réconciliation des principes d'égalité et de diversité, dans un nouveau rapport « décolonial » et « plurinational » à la modernité. Le triple défi démocratique, écologiste et multiculturaliste est au cœur de leur démarche. Une démarche plurielle et fragile certes, mais dont les différents registres d'action ont pour objectif, comme l'expliquent Martínez et Stahler-Sholk dans cet Alternatives Sud, de faire corps face aux adversaires politiques et économiques qui les assaillent et aux cartels criminels qui les cernent.

Le mouvement féministe ou, plutôt, les mouvements féministes latino-américains défraient, eux aussi, régulièrement la chronique. Lors d'un récent colloque, Lissell Quiroz (2023), spécialiste de la tendance, en a souligné à la fois les antécédents historiques (du 16e au 20e siècle), le « remarquable dynamisme » actuel, « source d'inspiration pour l'Europe », et la « pluralité » des expressions, « représentatives de la multiplicité des situations des femmes » sur le continent. Elle distingue ainsi quatre courants contemporains, qu'elle appelle à converger. Le « féminisme majoritaire » d'abord, en tout cas le plus visible, le plus original et médiatisé, composé de femmes instruites (souvent d'ailleurs articulées avec les manifestations étudiantes), de culture occidentale, mobilisées pour les droits sexuels et reproductifs, et contre les violences de genre (telles les campagnes « Ni Una Menos », « Las Tesis », etc.).

Le « féminisme communautaire » ensuite, celui des femmes indigènes qui, comme membres d'une collectivité plus que comme individus, mettent l'accent sur leur place dans la communauté, le lien avec la terre et l'environnement. Les « afroféminismes » encore, qui, au Brésil, en Colombie, en Haïti, etc., dénoncent la « subalternisation » des Afrodescendantes, les emplois précaires, le manque de droits et invitent à « ennegrecer al feminismo ». Le « féminisme décolonial » enfin, qui insiste sur l'imbrication et le nécessaire dépassement de plusieurs systèmes de domination – de genre, de classe, de « race » – et mobilise en cela parmi les employées domestiques racisées… Plus loin dans cet ouvrage, Luciana Peker et Jessica Visotsky en détaillent les différentes manifestations et leurs façons de « faire vivre » la démocratie.

Pour compléter le tour des principales contestations sociales, progressistes ou émancipatrices, à l'œuvre sur le continent latino-américain, il faut bien sûr évoquer aussi le plus classique mouvement ouvrier ou celui, plus large, des travailleur·euses, de même que les organisations syndicales, porteuses de leur cause. L'ensemble peut être caractérisé à la fois, d'un côté, par sa centralité historique dans les mobilisations collectives ayant trait aux conditions de vie, aux salaires, au travail décent, aux pensions, etc., et, de l'autre, par son poids sociopolitique (très) relatif, pouvant varier sensiblement d'un pays à l'autre.

À l'évidence, plusieurs facteurs restent déterminants : les niveaux inégaux d'industrialisation et l'extension du secteur tertiaire, l'étendue du travail informel – au-delà des 75% de la population active dans plusieurs économies –, l'histoire politique des répressions subies, les réformes du marché du travail offrant plus ou moins d'espace aux négociations collectives… Et à ces facteurs « extérieurs », il convient d'ajouter la politisation ou la radicalité variables des syndicats, leur réelle fragmentation, leurs articulations aux autres luttes, ainsi que leurs rapports aux pouvoirs et aux partis de gauche ou de droite, rapports qui ont de facto oscillé ces dernières années entre autonomisation, instrumentalisation, cooptation, institutionnalisation et confrontation (Gaudichaud et Posado, 2017).

Clivages politiques et « guerre culturelle »

La dernière double tendance de fond qui, à nos yeux, traverse l'Amérique latine renvoie, d'une part, aux tensions croisées qui y divisent les gauches tant sociales que politiques et, d'autre part, à la « guerre culturelle » qui, à la mode états-unienne, oppose les idéaux progressistes et les réflexes conservateurs, en particulier dans les milieux populaires.

À gauche d'abord, les lignes de fracture sont multiples, mais tendent à se superposer. Une première a mis en conflit, durant la vague 2000 – 2015 des gouvernements socialistes, un pôle qualifié de « néodéveloppementaliste » à un autre estampillé « indianiste », « écosocialiste », voire « pachamamiste » (de Pachamama, la « Terre-Mère » dans la cosmogonie andine). Au nom de la souveraineté nationale, de la réappropriation des richesses naturelles (par nationalisation ou renégociation des contrats d'exploitation avec les multinationales), puis de la redistribution des bénéfices au travers de politiques sociales, la gauche néodéveloppementaliste s'est montrée favorable à l'essor des activités extractivistes et agroexportatrices. Au nom des souverainetés locales, de la préservation de l'environnement et d'un modèle autonomiste de « buen vivir », la gauche indianiste s'y est, elle, radicalement opposée.

Dans cet Alternatives Sud, Alexis Cortés plaide pertinemment pour une articulation de ces deux projets en apparence inconciliables, à savoir l'indispensable protection de la biodiversité et l'impératif d'un développement industriel redistributif. Il lui faudra alors tenter d'intermédier sur d'autres lignes de fracture politiques ou plus conceptuelles, nouvelles ou anciennes, qui, quand elles s'additionnent, ajoutent à la bipolarisation tant des mouvements que des partis de gauche latinos. Celles qui confrontent non seulement les « étatistes » aux « communalistes », les « jacobinistes » aux « libertaires », les « verticalistes » aux « horizontalistes », mais aussi les « égalitaristes » aux « différentialistes », les « matérialistes » aux « post-matérialistes », les « universalistes » aux « identitaires »… Ainsi, le projet de Constitution (très) progressiste rejeté en 2022 par 62% des Chilien·nes, n'a-t-il pas été taxé de « woke » et de « dangereux » par plusieurs figures socialistes à Santiago ?

D'aucuns y voient même, dans ce projet de Constitution chilienne comme dans d'autres « rigidités idéologiques », « exagérations décoloniales » ou outrances « pro-LGBTQ+ » à l'œuvre « au Brésil, en Colombie ou ailleurs », un tapis rouge déroulé sous les pieds des opinions réactionnaires et des forces d'extrême droite (Confidencial, 2022) qui, de fait, gagnent du terrain un peu partout en Amérique latine. « Le wokisme réussit à crisper les citoyens latino-américains et à ouvrir la voie aux populistes de la droite autoritaire », assène un ancien ministre de Bachelet, l'ex-présidente socialiste du Chili (Velasco, 2022). Ce qui, en tout cas, correspond à une réelle lame de fond, ce sont ces conservatismes populaires, caressés dans le sens du poil par des médias sensationnalistes et par des tribuns politiques ou religieux ultraconservateurs (l'audience des églises évangéliques a décuplé depuis le siècle dernier), qui manifestent dans la rue et dans les urnes leur phobie du différent et leur besoin de sécurité.

« L'ascension de l'extrême droite est un fait majeur de l'actualité du continent », confirment dans ce livre collectif, Katz, Tolcachier et León. Bien qu'elle traduise, à leurs yeux, la tentative des forces conservatrices de contrer les avancées sociales des gouvernements progressistes, elle a conquis une part significative des secteurs populaires, à travers un discours antisystémique contre la classe politique, les délinquants et les évolutions sociétales. Internationalisée, elle bénéficie de l'appui d'une certaine élite économique et s'inspire ouvertement du « modèle » trumpien. Pablo Stefanoni (2021) y distingue différents courants plus ou moins compatibles – de l'alt-right à la néoréaction (NRx), en passant par le paléo-libertarianisme, etc. –, constitutifs d'une « révolution antiprogressiste » menée par des « nationalistes anti-État, xénophobes, racistes et misogynes », aux méthodes de communication « novatrices et provocatrices ».
Conclusion

On en est là, au terme de ce trop rapide passage en revue des tendances qui dessinent l'Amérique latine actuelle. Il n'est pas impossible, au vu des multiples échéances électorales qui s'annoncent, que la fragile « vague rose » qui a culminé en 2022 fasse place à une « marée brune » ou, plus vraisemblablement, à de nouvelles alternances plus ou moins populistes, composées de clones du brésilien Bolsonaro ou de l'autoritaire et populaire président du Salvador, Bukele, autoproclamé « dictateur le plus cool du monde ». Rien à l'horizon, en tout cas, qui permette d'entrevoir la sortie du marasme économique en cours et la diminution significative de la pauvreté, des inégalités, des violences et du saccage de la biodiversité. Rien non plus qui laisse augurer une transformation en profondeur du modèle de développement, dans le sens – plus équitable, plus durable, moins dépendant… – revendiqué par les mouvements sociaux à visée émancipatrice. Sauf si ces derniers, bien sûr, parviennent à inverser les rapports de force et à engranger de nouvelles victoires.

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Illustration : Wikimedia Commons.

Bibliographie

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Nicaragua : « {Il n’y a plus d’organisations syndicales, plus de mouvement social autonome. Nous avons besoin de solidarité »}

26 mars 2024, par Mariana Sanchez, Mónica Baltodano — , ,
Entretien. Mónica Baltodano était commandante guérillera pendant la révolution sandiniste et dirigeante de l'insurrection de Managua. Elle a eu des responsabilités dans le (…)

Entretien. Mónica Baltodano était commandante guérillera pendant la révolution sandiniste et dirigeante de l'insurrection de Managua. Elle a eu des responsabilités dans le gouvernement révolutionnaire, s'occupant notamment des territoires et du travail municipal.

Tiré de NPA 29

photo :Mónica Baltodano Hebdo L'Anticapitaliste

En 2007, Daniel Ortega arrive au pouvoir en passant des accords avec la droite et des secteurs capitalistes sur un projet qui n'avait rien à voir avec la révolution sandiniste. Mónica Baltodano, avec beaucoup d'autres anciens militantEs et combattantEs du FSLN (Front sandiniste de libération nationale), s'est retrouvée dans l'opposition. Ensemble, iels ont créé des mouvements dissidents du Front sandiniste. En 2018, après la réponse répressive face au mouvement des paysanNEs et des étudiantEs qui a fait près de 400 morts, Mónica Baltodano s'est retrouvée en exil au Costa Rica, déchue de sa nationalité, tous ses biens et revenus confisqués. Elle est en Europe, invitée par la 4e Internationale, et a accepté de répondre à nos questions.

Quel était l'objectif de votre voyage ?

Nous sommes en Europe pour dénoncer le régime dictatorial et absolutiste de Daniel Ortega et Rosario Murillo qui, depuis 17 ans, contrôlent le gouvernement et toutes ses institutions. Leur objectif n'est pas de bâtir un projet de transformation ni de sortir de la pauvreté dans laquelle vivent la majorité des NicarguayenNEs, mais d'augmenter leur richesse personnelle, car eux sont devenus des capitalistes. Depuis leur retour au gouvernement en 2007, ils ont instauré un régime néo­libéral avec les caractéristiques les plus brutales de l'extractivisme, notamment dans les mines d'or et d'argent. Cela a provoqué de profondes inégalités dans le pays. Plus de 700 000 NicaraguayenNEs ont dû partir. D'une certaine manière ce sont elles et eux qui soutiennent l'économie du Nicaragua, car les dollars qu'ils et elles envoient à leurs familles sont plus importants que l'ensemble des­ ­exportations du pays.

Nous rappelons qu'au Nicaragua, la répression est de plus en plus forte. Il n'y a pas de liberté de la presse, de l'information. Personne ne peut penser de façon différente de celle du régime car les gens risquent la prison ou l'exil, et la confiscation de tous les biens.

Plus de 4 000 organisations ont été interdites. Des associations qui travaillaient pour les droits des femmes, pour les droits de la nature, pour les droits des indigènes…

Il n'y a plus d'organisations syndicales, plus de mouvement social autonome. C'est pour cela que nous avons besoin de solidarité. Pas seulement d'une condamnation, pas seulement de communiqués de la communauté internationale, mais de solidarité.

Nous sommes venuEs échanger avec des personnes qui avaient travaillé dans la solidarité dans les années 1980. Certaines étaient même allées là-bas et avaient participé à la lutte contre Somoza, partageant notre rêve d'une société plus juste, d'une démocratie politique, économique et sociale. La possibilité de retrouver cette direction pour le Nicaragua existe. Pour ce faire, nous avons besoin de sortir de la dictature. Nous cherchons donc à l'affaiblir sur la scène internationale.

Nous sommes en Europe pour proposer des projets paysans, des projets de formation et d'organisation. Nous avions besoin de nous organiser, et je suis particulièrement attachée à l'organisation des secteurs de gauche qui viennent du sandinisme. Il faut rendre justice à celles et ceux qui ont été assasssinéEs ou inculpéEs, à toutes celles et ceux frappéEs par la dictature d'Ortega-Murillo. Voilà les sujets que nous avons abordés durant cette visite.
Une partie de la gauche en Europe, même si elle sait ce qui se passe au Nicaragua, pense encore qu'Ortega est sandiniste, que c'est le révolutionnaire des années 1980…

Nous avons constaté une avancée importante à gauche quant à la compréhension et aux informations sur ce qui se passe réellement au Nicaragua. D'après nos échanges, nous pouvons conclure que la majorité est consciente qu'au Nicaragua il n'y a pas un régime de gauche, que c'est un régime criminel qui a commis des violations évidentes des droits humains.

Mais il reste un secteur à gauche qui s'acharne à dire que c'est la poursuite de cette belle révolution qui l'avait enthousiasmé. Cette gauche-là ferme les yeux face à la réalité. Certains disent que c'est parce qu'Ortega est anti-impérialiste. Je veux leur dire qu'Ortega n'est pas anti-impérialiste. Il utilise cette rhétorique dans le but de garder un certain secteur de sa base sociale. Mais pour tromper cette partie de la gauche, il essaye de s'inscrire dans une nouvelle logique Ouest-Est. Voilà pourquoi il soutient la Russie ou s'aligne sur l'Iran ou la Corée du Nord.

En réalité, la majorité de la gauche a progressé, pas seulement en Europe mais aussi en Amérique latine. Il y a des voix fortes comme celle de Gabriel Boric au Chili ou du président Gustavo Petro en Colombie ou encore Andres López Obrador au Mexique, qui ont condamné la déchéance de nationalité de plus de 300 NicaraguayenNes. Des voix très importantes se font entendre comme celles de Pepe Mujica en Uruguay, de Cuauhtémoc Cárdenas au Mexique. Nous avons fait des progrès, mais il est très important que les gauches du monde s'expriment avec force contre Ortega.

Cela nous aide aussi dans notre travail en direction de la jeunesse. Ortega dit dans ses discours que ce qu'il fait c'est du socialisme. Même si nous avons la société la plus néolibérale depuis 1990, les jeunes du Nicaragua croient qu'Ortega est socialiste.

Que reste-t-il du mouvement social et syndical après la répression du gouvernement ?

Tout le mouvement social autonome a été écrasé et réprimé par des arrestations, par l'exil avec plus de 350 personnes assassinées lors de la répression de 2018.

Nous nous attachons à reconstruire ces réseaux. Depuis l'exil mais aussi à l'intérieur, avec des méthodes de travail silencieuses, dans tout le pays. Nous prônons la lutte civique, pacifique. Nous avons souffert de trop de guerres au Nicaragua. Nous nous efforçons de passer par la voie démocratique, la voie civique, la voie pacifique.

Mais cela ne signifie pas qu'il ne faille pas s'organiser de façon clandestine, car la répression est brutale. Au Nicaragua, on ne peut pas publier une quelconque opinion opposée dans la presse ni dans les médias en ligne. Des journalistes sont en prison, tout simplement pour avoir publié sur leur profil une manif ou une procession religieuse qui aurait été interdite. Face à cette réalité, il s'agit de reconstruire tout le tissu social que le régime a anéanti. Mais nous sommes sûrEs que nous y arriverons, il y a des avancées déjà dans ce sens.

Nous sommes optimistes, nous croyons que tôt ou tard ce régime va tomber. Des milliers de sandinistes, des travailleursE de l'État, des militaires et des policiers ne sont plus avec le régime même s'ils restent dans leurs emplois car ils ne peuvent pas vivre d'autre chose. Dans toutes les institutions des milliers de personnes ne soutiennent plus ce régime, voilà pourquoi nous sommes convaincuEs que sa fin est proche, plus proche que ce que les gens dans la rue pensent.

Propos recueillis par Mariana Sanchez

https://lanticapitaliste.org/

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Amadou Ba reconnaît sa défaite face à Bassirou Diomaye Faye

26 mars 2024, par Jocksy Andrew Ondo-Louemba — , ,
Dans le sillage des résultats préliminaires de l'élection présidentielle au Sénégal du 24 mars, un tournant majeur se profile dans le paysage politique sénégalais. L'ancien (…)

Dans le sillage des résultats préliminaires de l'élection présidentielle au Sénégal du 24 mars, un tournant majeur se profile dans le paysage politique sénégalais. L'ancien Premier ministre Amadou Ba a officiellement admis sa défaite face à l'opposant Bassirou Diomaye Faye, marquant ainsi une transition potentielle vers une nouvelle ère politique.

Tiré de MondAfrique.

Après des heures de suspense, Amadou Ba, candidat de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (BBY), a finalement reconnu sa défaite lors d'un appel téléphonique à Bassirou Diomaye Faye il y a moins d'un heure. Cette concession a été confirmée par le ministre porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana. Dans un geste de fair-play, Ba a également adressé des félicitations à Faye pour sa victoire dès le premier tour.

Attente des résultats officiels

Bien que la victoire de Faye ne fait plus aucun doute, les résultats officiels de l'élection n'ont pas encore été annoncés. L'annonce de Ba a été suivie d'une attente tendue pour connaître les prochaines étapes de cette transition politique.

rapellons que la nuit du 24 mars a été marquée par des célébrations chez les partisans de Faye, tandis que certains partisans de Ba refusaient de croire à sa défaite et espéraient un second tour. Cette situation a créé une atmosphère contrastée alors que le pays attendait avec impatience la confirmation des résultats officiels.

Les partisans de Faye ont exprimé leur joie au quartier général du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF), son parti politique, alors que plusieurs autres candidats, dont Déthié Fall, Khalifa Sall et Mamadou Lamine Diallo, ont déjà adressé leurs félicitations à Faye.

5eme président du Sénégal

Alors que le Sénégal se prépare à une nouvelle ère politique, l'admission de défaite par Amadou Ba marque un moment décisif dans le paysage politique du pays. Bassirou Diomaye Faye qui était encore en prison il y a quelques jours, devient le 5eme président de la république du Sénégal et le plus jeune (il fête aujourd'hui son 44eme anniversaire) à occuper cette fonction.

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Sénégal : Mars 2000 - mars 2024 : de la première alternance à la fin du système

26 mars 2024, par Nioxor Tine — , ,
Habituellement, l'élection présidentielle sénégalaise se tient le dernier dimanche du mois de février de la dernière année du mandat en cours. Cette année, elle va finalement (…)

Habituellement, l'élection présidentielle sénégalaise se tient le dernier dimanche du mois de février de la dernière année du mandat en cours. Cette année, elle va finalement se tenir avec quatre semaines de retard, après moult rebondissements liés à la volonté farouche du président sortant de différer la tenue du scrutin. Cela traduit-il une peur panique face au crépuscule du système d'oppression néocolonial déjà malmené dans les pays frères voisins ?

Tiré d'Afrique en lutte.

Si cette volonté de report injustifié a suscité un immense tollé au niveau international, elle a buté sur une désapprobation massive dans notre pays, même si elle n'a finalement été considérée que comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase des violations itératives des normes et principes démocratiques.

Pourtant, les Assises Nationales de 2008-2009, dans un remarquable exercice de prospective politique aux conclusions desquelles, le président Macky Sall avait fini par – ou fait semblant de - souscrire, avaient indiqué, entre autres pistes de solution, la refondation institutionnelle, l'émergence citoyenne et l'obtention / parachèvement de nos souverainetés politique, économique et monétaire.

Paradoxalement, depuis le début de la deuxième alternance, une lourde chape de plomb s'est abattue sur notre pays instaurant un autoritarisme pesant sur la vie publique en général et la scène politique, en particulier, tentant de faire tourner la roue de l'Histoire à l'envers et de nous ramener à l'ère de la glaciation senghorienne (voire à celle de la sujétion coloniale).

On en est ainsi arrivé à un stade où des mesures antidémocratiques extrêmes ont eu droit de cité. Il s'agit, notamment de l'interdiction pour les partis politiques de l'opposition d'accéder à leurs sièges pour y tenir leurs réunions ordinaires, de la dissuasion de manifestations par des rafles systématiques de passants dans la rue, d'arrestations arbitraires de supposés militants de l'Opposition dans leurs domiciles, de la dissolution du PASTEF, 60 ans après celle du PAI….

Si cette stratégie d'asservissement du citoyen a pu prospérer, c'est parce que le régime du Benno-APR a procédé à une instrumentalisation des institutions et à une criminalisation de l'activité politique, avec comme point culminant, la cabale contre le leader du PASTEF identifié comme un des principaux obstacles à la perpétuation du système néocolonial. Des lois ont été perverties, de telle manière que les infractions relatives au terrorisme ont été rendues vagues et floues, pour en élargir l'acception, notamment l'article 279-1, assimilant à des actes terroristes, les violences ou voies de fait commises contre les personnes et des destructions ou dégradations commises lors des rassemblements. Il y a aussi eu les infractions liées aux technologies de l'information et de la communication. Cette législation liberticide sera corsée, au lendemain des émeutes ayant trait à l'affaire Ousmane Sonko – Adji Sarr. Au vu de ces rappels, on appréhende mieux cette obsession du pouvoir apériste à susciter et à entretenir une atmosphère de tension avec une interdiction systématique des manifestations doublée d'un déploiement massif et irréfléchi des forces de l'ordre suivi d'usage abusif de la force. C'est par ces prétextes et provocations, qu'on a embastillé, sans aucune enquête digne de ce nom, des milliers de jeunes gens présumés innocents, sans désigner un quelconque coupable pour tous ces crimes apparentés à des actes terroristes.

Force est de reconnaître, que face à cette réduction sans précédent des espaces civiques, les capacités de revendication, de protestation et d'indignation ont également diminué, avec une propension de larges secteurs de la société civile et de la Presse à jouer à l'équilibrisme, se tenant à équidistance entre le bourreau et la victime. C'est donc dans une indifférence quasi-générale, que le régime du Benno-APR a reconduit, comme en 2019, le système inique du parrainage citoyen ainsi que l'éviction judiciaire de concurrents politiques et dénaturé notre processus électoral.

Adossé aux appareils sécuritaire et judiciaire et brandissant l'épouvantail d'un prétendu terrorisme salafiste, le président Macky Sall et les pontes du Benno-APR ont cru pouvoir prendre des raccourcis et s'exonérer de leurs tâches politiques dans un pays aux solides traditions démocratiques.

C'est ce qui explique cette monumentale bévue politique consistant à vouloir prolonger indûment un mandat arrivé à terme, sanctionnée par deux désaveux cinglants du juge électoral suprême qu'est le conseil constitutionnel. On assiste, depuis lors, à un repli désordonné de la coaltion Benno-APR, dont le patron s'est mué en « chantre de la réconciliation nationale », initiateur d'une « généreuse amnistie » votée le 6 mars 2024, avec une célérité, qui interroge sur l'unilatéralité du mode de prise de décision au plus haut sommet de l'Etat, qu'une certaine gauche fait semblant de ne découvrir que maintenant.

En réalité, le président actuel, écarté bien malgré lui, des prochaines joutes électorales par la limitation des mandats et échaudé par les exemples mauritanien et angolais, est en train d'assurer ses arrières. Mais il feint d'ignorer, qu'en garantissant l'impunité à ses collaborateurs zélés, surtout ceux coupables de graves et multiples violations des droits humains, il commet un affront à l'endroit des familles des victimes.

Électoralement et sociologiquement minoritaire, le Benno-APR, son candidat milliardaire et leurs affidés libéraux, socio-démocrates et ex-communistes ne sont plus en mesure de s'opposer à la profonde aspiration populaire au changement et à l'alternative politique tant attendue.

Nioxor Tine

Source : https://www.nioxor.com/

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Entretien : Dans l’est du Congo, « la guerre régionale est déjà là »

La tension n'a cessé de monter entre la République démocratique du Congo et le Rwanda ces derniers mois, et la situation humanitaire, à la frontière, est dramatique. Mais (…)

La tension n'a cessé de monter entre la République démocratique du Congo et le Rwanda ces derniers mois, et la situation humanitaire, à la frontière, est dramatique. Mais quelle est précisément la situation sur le terrain ? Qui fait quoi, et au nom de quels intérêts ? Au-delà des fantasmes et des exagérations, le chercheur Onesphore Sematumba explique les tenants et les aboutissants de ce conflit meurtrier.

Les président congolais, Félix Tshisekedi, et rwandais, Paul Kagame, se sont rendus tour à tour à Luanda début mars 2024. Ils ont échangé avec le président angolais João Lourenço, médiateur de l'Union africaine dans la guerre dans l'est du Congo. Ils pourraient bientôt se rencontrer directement pour trouver une solution à cette crise. Un accord est urgent : le Mouvement du 23-Mars (M23), une rébellion soutenue par Kigali, se trouve aux portes de Goma, la capitale du Nord-Kivu aux 2 millions d'habitants, et la situation humanitaire est catastrophique. La République démocratique du Congo (RDC) compte près de 7 millions de déplacés internes (1).

Pourtant, l'arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi en 2019 avait marqué une nette amélioration des relations entre la RDC et le Rwanda. Mais celles-ci se sont brusquement dégradées fin 2021, quand le M23 a resurgi après près de dix ans d'inactivité. En 2013, l'armée congolaise et la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) avaient repoussé le groupe armé, qui avait brièvement occupé Goma. Si Kagame persiste à nier tout soutien au M23, majoritairement composé de Tutsi congolais, il répète que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) – un groupe armé héritier des génocidaires hutu de 1994 – constituent une menace pour les Tutsi congolais et pour la sécurité du Rwanda.

Onesphore Sematumba, chercheur au think tank International Crisis Group (ICG), revient (depuis Goma, où il est basé) sur les causes de la résurgence du M23 et sur les voies de sortie de crise. Il rappelle la complexité d'un conflit qui fait l'objet de récits simplistes consistant à le résumer à une guerre pour les ressources ou à une guerre ethnique, et d'accusations graves, les belligérants des deux côtés étant accusés de commettre un « génocide ».

Le M23, « une force avec laquelle il faut compter »

Tangi Bihan : Comment expliquer la résurgence du M23 en 2021, après sa défaite en 2013 ?

Onesphore Sematumba : Il y a deux facteurs : un facteur interne au M23 et un facteur régional. La défaite de la rébellion en 2012-2013 a été accompagnée d'une série d'engagements du gouvernement congolais, notamment le fait que le M23 puisse se convertir en parti politique, ce qui a été fait. Mais il y a, selon le M23, une autre série d'exigences qui n'ont pas été respectées, comme l'intégration de leurs cadres politiques et de leurs militaires au sein des structures de l'État et dans l'armée. Il y a aussi la sempiternelle question des réfugiés tutsi éparpillés dans les pays voisins, surtout au Rwanda et en Ouganda, dont le M23 se fait le porte-parole et réclame le retour au Congo. Il y a en outre d'autres revendications, comme la lutte contre les FDLR dans le Nord-Kivu – c'est une revendication du gouvernement rwandais que le M23 s'est appropriée.

Depuis quelque temps, le M23 s'est allié – ou s'est converti, ce n'est pas clair – à l'Alliance du fleuve Congo de Corneille Nangaa [président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de 2015 à 2021], et ses revendications politiques se sont corsées : le M23 est devenu plus critique sur les questions de gouvernance, de corruption, etc. Nangaa et son alliance, dont le M23 constitue la branche armée, n'hésitent plus à mettre sur la table le départ de Félix Tshisekedi. C'est de la rhétorique, mais c'est inquiétant pour le pouvoir de Kinshasa.

Tangi Bihan : Et quid du facteur régional ?

Onesphore Sematumba : Il y a eu une coïncidence, en novembre 2021, entre la résurgence du M23 et deux développements parallèles. En novembre, l'Ouganda a signé un accord militaire avec la RDC pour le déploiement de ses troupes dans le nord de la province du Nord-Kivu et en Ituri, afin de combattre la rébellion des ADF [Forces démocratiques alliées], d'origine ougandaise. Parallèlement à cet accord militaire, il y a eu un accord économique portant sur les infrastructures, et notamment la construction d'une route reliant Beni à Goma – plus de 300 kilomètres, dont une bonne soixantaine entre Rutshuru et Goma ; or cette zone constitue une sorte de corridor pour le Rwanda.

À cette époque, les rapports entre le Rwanda et l'Ouganda n'étaient pas au beau fixe. Et les clauses de l'accord prévoyaient que la sécurisation des travaux devait être assurée par l'armée ougandaise, ce qui signifiait que celle-ci allait être déployée aux portes du Rwanda sans son accord. Cela a été perçu comme une menace par Kigali. De plus, Kigali, qui accuse l'armée congolaise de collaborer avec les FDLR, pensait que cela pourrait être une occasion de déployer les FDLR à la frontière du Rwanda. Subsidiairement, cette route était perçue comme une concurrence à la route parallèle rwandaise, qui est très bonne. Le trafic pourrait diminuer considérablement sur cette route Rwanda-Ouganda, au bénéfice de la nouvelle route congolaise, avec tous les manques à gagner que cela représente en termes de taxes.

Il faut noter que, depuis, il y a eu une sorte de renversement d'alliance. L'Ouganda s'est rapproché du Rwanda. À la même période, le Burundi a également obtenu un accord militaire pour envoyer son armée dans le Sud-Kivu afin de traquer le Red-Tabara [Résistance pour un État de droit au Burundi, un groupe de l'opposition armée, NDLR], en mutualisant ses forces avec l'armée congolaise. Le Rwanda, qui rêvait de signer le même type d'engagement pour traverser la frontière et traquer les FDLR, a, lui, reçu une fin de non-recevoir. Il a perçu cela comme non équitable. En janvier 2022, le président Kagame a dit que le Rwanda avait lui aussi ses ennemis au Congo, les FDLR, et que si c'était nécessaire, il n'aurait besoin de l'autorisation de personne pour traverser la frontière et aller les traquer. Il a précisé, et c'est important, que le Rwanda est un petit pays, qu'il ne peut donc pas servir de champ de bataille, et qu'il fallait poursuivre la menace là d'où elle vient. C'est à cette période que le M23 renaît de ses cendres. Lui qui était en stand-by dans les volcans des Virunga (2) a commencé à s'étendre, du jour au lendemain, avec beaucoup d'efficacité.

Deux ans plus tard, le M23 s'est imposé comme une force avec laquelle il faut compter. Les Nations unies ont documenté le soutien de l'armée rwandaise au M23, corroborant l'hypothèse selon laquelle ce n'était pas juste une coïncidence. Selon les rapports du groupe d'experts des Nations unies, le Rwanda appuie le M23 en hommes et en matériel militaire. Le dernier rapport de la Monusco évoque la présence d'un système de défense antimissile sol-air dans la zone sous contrôle du M23. Le Rwanda a jusqu'à présent nié toute présence militaire, mais ne nie pas son appui politique : il affirme que le M23 a raison sur un certain nombre de revendications.

« Tout a été rapidement détricoté »

Tangi Bihan : L'arrivée au pouvoir de Tshisekedi en 2019 avait marqué une amélioration des relations entre Kinshasa et Kigali. Pourquoi se sont-elles dégradées ?

Onesphore Sematumba : Lorsque Tshisekedi arrive au pouvoir, en 2019, il développe une politique d'ouverture volontariste. Jusqu'à présent, il se vante d'être le premier président congolais à avoir visité toutes les capitales des neuf voisins, y compris le Rwanda. On a vu Tshisekedi à Kigali, on a vu Kagame se faire applaudir à Kinshasa à l'occasion des funérailles de Tshisekedi père [Étienne Tshisekedi]. Ils se donnaient même du « frère ». Cette embellie s'est poursuivie avec l'adhésion, fortement appuyée et encouragée par le Rwanda, du Congo à l'EAC [Communauté d'Afrique de l'Est], et par des accords, notamment un accord de traitement des minerais de la Sakima [Société aurifère du Kivu et du Maniema] par une raffinerie rwandaise. C'était du concret sur le plan économique. On justifiait cela à Kinshasa en disant qu'il fallait sortir d'une logique de pillage des ressources vers le Rwanda par la normalisation des relations bilatérales, qu'il fallait faire du « business propre ». La compagnie rwandaise RwandAir a commencé à desservir la ville de Goma et effectuait des liaisons vers Lubumbashi et vers Kinshasa.

C'est la résurgence du M23 qui a mis fin à cette embellie. Tshisekedi a tout de suite dénoncé l'ingérence du Rwanda. Pour lui, il ne fait aucun doute que le Rwanda se cache derrière le M23, dans le but de piller les ressources minières. Les attaques sont allées crescendo jusqu'à la campagne électorale de 2023, qui a atteint des sommets de discours bellicistes – Tshisekedi a même comparé Kagame à Hitler (3). On menace en disant qu'à la première escarmouche, on va envahir le Rwanda… Côté rwandais, on fait comprendre qu'on est prêt.

Aujourd'hui, nous en sommes encore là. Et tous les accords ont été annulés. Tout a été rapidement détricoté, de sorte que la situation est pire qu'avant l'arrivée de Tshisekedi au pouvoir.

« Les politiques congolais cherchent des boucs émissaires faciles »

Tangi Bihan : On entend souvent dire que le M23 est un outil du Rwanda pour piller les ressources minières de l'est du Congo, notamment le coltan et l'or. Quelle est la réalité de cette thèse ?

Onesphore Sematumba : On ne peut pas nier que tous les groupes armés profitent des ressources disponibles pour s'entretenir et pour financer leur guerre. Mais il est trop simpliste de focaliser sur les ressources minières. Il existe un proverbe dans la zone qui dit : « La chèvre broute là où elle est attachée. » Depuis novembre 2021 et jusqu'à aujourd'hui, le M23 progresse sans contrôler des zones minières. Cela ne signifie pas qu'ils n'ont pas accès à des ressources : taxer la mobilité est beaucoup plus rentable que creuser le sol. De plus, tous les groupes armés, et il y en a plus de cent, ont développé une économie militaire de la violence, pas seulement le M23.

Il y a ce fantasme selon lequel le Congo serait une caisse pleine d'or, de diamant, de coltan, etc., assiégé par tous ceux qui le convoitent. Et on va même plus loin : on dit que ce n'est pas seulement le Rwanda, on dit que derrière il y a les Anglo-Saxons, et puis maintenant l'Union européenne et la Pologne (4). Il y a un déni de la responsabilité congolaise, et les politiques congolais cherchent des boucs émissaires faciles. « Nous sommes victimes de nos richesses » : c'est un discours qui passe facilement dans l'opinion.

Tangi Bihan : Aujourd'hui, les FDLR représentent-elles encore une menace pour le Rwanda ? Ou est-ce simplement un argument qui sert les intérêts de Kigali ?

Onesphore Sematumba : Un peu des deux. On ne peut pas être dans le déni, comme c'était le cas jusqu'à récemment à Kinshasa, en disant que les FDLR ne sont plus que des résidus qui ne représentent aucune menace. Les FDLR ont toujours été des formateurs dans la région. On sait qu'ils ont donné des formations militaires à beaucoup de groupes armés, par exemple les groupes Nyatura qui sont dans le parc, mais qu'ils ont aussi collaboré avec l'armée congolaise – c'est documenté dans le rapport du groupe d'experts des Nations unies. Pour la campagne de Rumangabo, tout le monde a vu que c'étaient les FDLR qui étaient le fer de lance (5). Récemment, le commandant de la 34e région militaire du Nord-Kivu a été limogé pour avoir collaboré avec les FDLR, ce qui signifie que les FDLR sont là. Et dernièrement, Tshisekedi a martelé qu'il serait impitoyable avec tout officier congolais qui entretiendrait des rapports avec les FDLR.

Maintenant, ce mouvement est-il suffisamment puissant pour compromettre la sécurité du Rwanda ? Ce n'est pas sûr. Certes, Tshisekedi et le président burundais, Évariste Ndayishimiye, laissent entendre que les deux pays n'hésiteraient pas à appuyer une opposition visant à renverser Kagame. Les Rwandais prennent ça au sérieux. Le Rwanda estime aussi que les FDLR travaillent avec l'armée congolaise et avec la SADC [Communauté de développement de l'Afrique australe] et se dit que les FDLR pourraient jouer le même coup qu'eux ont joué à Habyarimana. [Le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame avait été soutenu par l'Ouganda en 1990-1994, NDLR].

Un génocide ? « Une simplification outrancière »

Tangi Bihan : On entend des accusations de génocide de part et d'autre, surtout sur les réseaux sociaux : les Tutsi congolais seraient menacés de génocide, et le Rwanda commettrait un génocide au Congo. Quelle est la réalité de ces allégations ?

Onesphore Sematumba : Depuis 2021, on ne peut pas dire qu'il y ait eu une chasse systématique d'une communauté. Il y a une sorte de simplification outrancière. Par exemple, quand les Maï-Maï ou les Wazalendo attaquent un village et l'incendient, il se peut que ce village soit tutsi. Le lendemain, sur les réseaux sociaux, le M23 va dire que le génocide commis par Kinshasa se poursuit. Et quelques jours après, le M23 attaque un village, il y a des morts, on les étale et on dit que les victimes sont toutes nande ou hutu, et donc qu'un génocide est commis contre ces communautés. Il y a une sorte de surenchère émotionnelle du terme, qui est vidé de son sens.

En revanche, on peut constater la montée d'un discours de haine, notamment contre les Tutsi. Le paradoxe c'est qu'en voulant protéger une communauté, on l'expose à la vindicte des autres communautés. Tshisekedi affirme régulièrement que les Banyamulenge sont des Congolais, que tous les Tutsi ne sont pas du M23, qu'il ne faut pas faire d'amalgame. Mais le raisonnement de ceux qui vivent sous la menace du M23 est le suivant : en 1996, c'est l'AFDL [Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo] qui les a tués, donc les Tutsi ; en 1998, c'est le RCD [Rassemblement congolais pour la démocratie] qui les a tués, donc les Tutsi ; dans les années 2000, c'est le CNDP [Congrès national pour la défense du peuple] qui les a tués, donc les Tutsi ; en 2012, c'est le M23 qui les a tués, donc les Tutsi, et ainsi de suite… Ça donne, au sein de l'opinion, l'impression qu'il y a un groupe ethnique qui a son armée et que cette armée est meurtrière. Vous pouvez expliquer que dans le M23 il n'y a pas que des Tutsi, on vous répond que c'est un groupe de Tutsi…

Tangi Bihan : Y a-t-il un risque de guerre régionale ?

Onesphore Sematumba : Je pense que la guerre régionale est déjà là. Quelqu'un m'a demandé si on pouvait assister à un affrontement entre l'armée sud-africaine et l'armée rwandaise. C'est en train de se passer ! Le fait que l'armée sud-africaine soit du côté du gouvernement congolais pour défendre la ville de Goma, cela signifie qu'elle contrarie les plans de Kigali. Le mandat de la mission militaire de la SADC est offensif et cible en premier lieu le M23. C'est ainsi que, depuis février, les contingents de cette mission, dont les Tanzaniens et les Sud-Africains, sont déployés sur la ligne de front vers Sake aux côtés des forces congolaises et font donc face au M23. Mi-février, les Sud-Africains ont enregistré deux morts tués par un tir de mortier sur leur base de Mubambiro. Mais est-ce que cela peut déboucher sur une conflagration régionale ? Je ne le crois pas.

Prendre Goma, « c'est beaucoup de pression »

Tangi Bihan : Quel est l'intérêt de l'Afrique du Sud de se déployer au Congo, à travers la SADC ?

Onesphore Sematumba : L'Afrique du Sud ne s'est pas déployée pour faire la guerre au Rwanda. La SADC s'est déployée en remplacement de l'EAC, à l'invitation de Tshisekedi. Il faut savoir que tout appui militaire ou diplomatique est un investissement, et l'Afrique du Sud et son président ne voudraient pas qu'une solution soit trouvée sans eux. Pretoria est un acteur économique majeur qui ne voudrait pas rater cette opportunité. On parle de plus en plus de proches de Cyril Ramaphosa [le président sud-africain], sa famille ou sa belle-famille, qui seraient à la recherche de contrats miniers. Autant le Burundi n'a pas la force économique pour investir, autant l'Afrique du Sud est un mastodonte économique qui n'hésiterait pas à profiter du marché de la reconstruction.

Tangi Bihan : Le M23 pourrait-il aller jusqu'à l'occupation de Goma ?

Onesphore Sematumba : Le M23 a la capacité militaire et opérationnelle de prendre Goma, ils ne sont qu'à 20 kilomètres. Mais est-ce qu'ils ont intérêt à le faire ? Ils ont déjà occupé la ville en 2012 pendant dix jours, ça a été le début de leur effondrement. Prendre la ville de Goma, c'est braquer toutes les caméras internationales sur eux et sur leur mentor. C'est beaucoup de pression. Et surtout : qu'est-ce qu'une rébellion si impopulaire fait d'une ville de près de 2 millions d'habitants hostiles ? Comment gérer ça ? Je ne pense pas, vu la jurisprudence de 2012 et vu la complexité de l'affaire, qu'ils le feront. Ils vont probablement continuer à faire pression sur Goma parce que c'est important en vue d'éventuelles négociations.

Tangi Bihan : Quelles sont les voies de sortie de crise, notamment via la médiation angolaise ? Et quels seraient les objets d'une éventuelle négociation ?

Onesphore Sematumba : On ne peut pas prévoir quels seront les points de la négociation. Mais pour moi, il y a des étapes claires et urgentes, et des principes à définir. Le premier principe politique, c'est qu'on ne peut pas demander à Tshisekedi de négocier dans les conditions d'humiliation actuelle de son armée, ce serait politiquement suicidaire. Tshisekedi a besoin, même symboliquement, d'inverser légèrement le rapport de force. Il y a quelque chose de possible, de négociable et de préalable, c'est d'obtenir que le M23 arrête de faire pression sur la ville de Goma. Ce serait un bon début pour amorcer un dialogue.

Il n'est plus réaliste aujourd'hui de revenir aux clauses de l'accord de Luanda (6) qui demandaient au M23 de se retirer et de retourner au milieu des volcans, là d'où ils sont venus. Ni même de leur demander de passer par Kitshanga pour aller se cantonner à Kindu, sous la surveillance d'un contingent angolais. Le rapport de force a changé. L'autre urgence, c'est d'obtenir un cessez-le-feu. La situation humanitaire est dramatique. Les déplacés ne sont même pas dans des camps, ils sont dehors. Ceux de Sake, à 25 kilomètres de Goma, vivent entre leur village et la ville de Goma, sur la route, sous les intempéries. L'État ne les assiste pas, les ONG ont du mal.

La Monusco avait réussi à pousser le M23 hors du territoire national en 2013, c'était une victoire éclatante. Le Congo avait à l'époque réussi la guerre, mais il avait manqué la paix. Mais cette fois il n'y aura pas de victoire militaire, et surtout pas de victoire militaire d'importation avec la SADC. Tshisekedi continue à dire qu'il ne négociera pas avec le M23 et qu'il veut parler avec Kagame. L'une des faiblesses des accords précédents dans cette crise du M23, c'est qu'on a engagé le M23 sans parler avec le M23. C'est être naïf que de continuer à infantiliser un groupe comme celui-là et de croire que Kagame, à la dernière minute, va dire que ce sont ses « petits », qu'il va leur parler. Il ne va pas se dédire du jour au lendemain.

Tangi Bihan : Les États-Unis et l'Union européenne ont-ils des leviers pour faire pression sur Kigali ?

Onesphore Sematumba : Il faut reconnaître que la diplomatie congolaise a fini par porter ses fruits. Elle a obtenu la condamnation du M23, du Rwanda, l'appel au retrait des troupes rwandaises, l'appel au retrait de ce dispositif anti-aérien, etc. Mais ce sont des communiqués, et Kinshasa dit aujourd'hui que ça ne suffit pas, qu'il faut passer aux sanctions. Je doute fortement que ce qu'on appelle la « communauté internationale » ira plus loin que cela. Il ne faut pas oublier que le Rwanda va bientôt commémorer le trentième anniversaire du génocide des Tutsi de 1994. Je pense que cela pèse dans les relations internationales.

Les principaux acteurs de la guerre

Mouvement du 23 mars (M23). Rébellion composée majoritairement de Tutsi congolais et soutenue par Kigali, née en 2012, défaite en 2013 et réactivée en novembre 2021. Elle est issue de la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), active dans les Kivus dans les années 2000.

Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Rébellion rwandaise créée en 2000 par d'anciens militaires et miliciens extrémistes hutu, auteurs du génocide des Tutsi en 1994 et qui, après leur défaite dans la guerre civile rwandaise (1990-1994), se sont réfugiés dans l'est du Congo. Ils combattent aujourd'hui le M23 auprès de l'armée congolaise.

Forces démocratiques alliées (ADF). Rébellion islamiste d'origine ougandaise née en 1995, active dans l'est du Congo (Ituri et Nord-Kivu) et affiliée à l'État islamique depuis 2017. Kinshasa et Kampala ont trouvé un accord en novembre 2021 pour que l'armée ougandaise se déploie dans l'est du Congo afin de les combattre.

Résistance pour un État de droit au Burundi (Red-Tabara). Rébellion burundaise créée en 2011 mais véritablement active après 2015, quand ses membres ont contesté le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. Elle opère depuis l'est du Congo (Sud-Kivu). Elle a été soutenue un temps par Kigali, mais il n'y a pas de preuve que c'est toujours le cas, en dépit des accusations du Burundi. La RDC et le Burundi ont trouvé un accord en décembre 2021 pour que l'armée burundaise se déploie dans l'est du Congo afin de les combattre.

« Wazalendo ». Signifie les « patriotes » en kiswahili. Regroupement de milices (Maï-Maï et Nyatura entre autres) opérant avec l'armée congolaise contre le M23. Ces milices combattaient pourtant l'armée congolaise dans le passé.

Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco). Créée en 1999 lors de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), sa mission principale est de protéger les civils. Elle a joué un rôle important dans la reprise de Goma des mains du M23 en 2012. Très critiquée pour son coût, son inefficacité et les crimes sexuels commis par ses soldats, elle a commencé son retrait du Congo en janvier 2024.

Force de la Communauté de développement de l'Afrique australe en RDC (SAMI-RDC). Déployée dans l'est du Congo à partir de décembre 2023 à la demande de Kinshasa en remplacement de la force de l'EAC, sous commandement sud-africain, elle est composée de militaires sud-africains, malawites et tanzaniens.

Force régionale de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC-RF). Déployée dans l'est du Congo en novembre 2022, sous commandement kényan et composée de militaires kényans, sud-soudanais, ougandais et burundais, elle a été critiquée par le président congolais pour son inaction face au M23. Elle s'est retirée en décembre 2023.

Notes

1- Au 30 octobre 2023, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

2- Parc national classé au patrimoine mondial de l'Unesco, situé au nord de Goma, le long de la frontière avec le Rwanda et l'Ouganda, dans le Nord-Kivu.

3- Discours du 8 décembre 2023 à Bukavu.

4- Le président polonais Andrzej Duda a effectué une visite de trois jours au Rwanda en février 2024, durant laquelle a notamment été signé un accord de coopération militaire.

5- Les FDLR avaient combattu aux côtés de l'armée congolaise face à l'offensive du M23 sur Rumangabo en 2022, où se trouve un camp militaire important, à 40 kilomètres au nord de Goma.

6- Cet accord conclu le 6 juillet 2022, sous la médiation de l'Union africaine, par Paul Kagame et Félix Tshisekedi, mais en l'absence de représentants du M23, prévoyait une « désescalade », le retrait du M23 des zones qu'il a conquises, la normalisation des relations bilatérales RDC-Rwanda et la reprise du processus de paix de Nairobi. Ce dernier, lancé en avril 2022 lors de l'adhésion de la RDC à l'EAC, prévoyait un programme de démobilisation-désarmement-réintégration des combattants des groupes armés de l'est du Congo, mais Kinshasa s'est opposé à ce que le M23 y participe.

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Cessez-le- feu à Gaza ! État d’ « urgence attentat » à Paris !

26 mars 2024, par Omar Haddadou — , ,
L'accélération de l'Histoire met en relief des basculements géostratégiques, dévoilant le vrai visage des Démocraties occidentales. Les Etats-Unis s'abstiennent au Conseil de (…)

L'accélération de l'Histoire met en relief des basculements géostratégiques, dévoilant le vrai visage des Démocraties occidentales. Les Etats-Unis s'abstiennent au Conseil de sécurité, la résolution est adoptée ! A Paris, Place de la Bastille, les manifestants ont donné de la voix, ce samedi 23 mars, en soutien à la Palestine et contre la Loi Darmanin.

Vous trouverez dans cet article 1 photos montages de la manifestation en solidarité avec la Palestine en France tenue le 23 mars 2024

De Paris, Omar HADDADOU

La brutalité des Démocraties crépusculaires emballe le destin de l'Humanité !

En Europe, un retour à la Guerre, au lendemain de l'attentat à Moscou, avec des alignements et un sursaut du fascisme, sonne comme un rituel religieux, une nostalgie à accomplir avec dévotion.

Après deux ans de conflit en Ukraine, la polarisation se précise sur fond de fragmentation de l'Unité européenne et l'émergence du Sud Global, attelé aux BRICS.

Dans ce contexte de raideur des relations internationales, le temps des Démocraties libérales semble compté, appelant à un nouvel ordre mondial. C'est sur cet échiquier périculeux que le Président Macron, tiraillé par des dossiers brûlants, tels que la dégradation des Finances publiques, l'augmentation de la dette de 61,0 Md d'Euros, l'insécurité, le chômage, les retraites et l'ancrage du racisme, s'échine à se hisser à la hauteur des Etats-Unis, prenant des décisions à l'emporte -pièce : « L'envoi des troupes sur le sol ukrainien faisait partie des scénarios auxquels il fallait se préparer » confie -t-il le 16 mars à la presse française.

Son deuxième quinquennat empreint d'allégeance est, hélas ! biaisé, à son grand dam par le repositionnement de Washington de, depuis hier, sur la tragédie à Gaza. Il est fort à parier que les Etats-Unis, de guerre lasse, lâcheront Zelensky et s'attèleront à balayer devant leur porte.

La reculade de Joe Biden aura à coup sûr des retombées violentes sur la France qui, prompte à rayonner, l'épine dans la plante du pied, a misé gros sur la victoire de sa diplomatie comme sur sa politique intérieure. Elle paye aujourd'hui le prix de ses audaces outrancières en prenant acte de sa naïveté.

L'hexagone est sous l'emprise de la hantise d'un acte terroriste à quelques semaines des JO, d'où l'alerte maximale de sécurité renforcée. Le pays vient de passer de « Vigipirate » à « Urgence-Attentat », avec la mobilisation de 7000 militaires. Deux attentats ont été déjoués sur le sol français depuis janvier. Le Premier ministre parle de 47 depuis 2017. C'est une atmosphère lourde et anxiogène qui règne ici. Un corollaire que l'exécutif n'a pas vu venir.

Sur la guerre israélo-palestinienne, après 5 mois de combats et 32.300 morts côté palestinien, faut-il se réjouir de l'adoption, ce lundi, de la première résolution du Conseil de sécurité exigeant un « Cessez-le feu » à Gaza et la libération sans condition de tous les otages ? Décision bloquée à maintes reprises par les Etats-Unis. Se disant prêt à un échange de prisonniers, le Hamas a salué la résolution adoptée par le Conseil de sécurité. Mais rien n'indique qu'une telle avancée ne se heurte, à postériori, à des aléas.
L'administration américaine déclarait, ce lundi, que l'Etat hébreu avait apporté des garanties sur l'usage des armes américaines, en dépit des contestations des élus du Congrès et qu'il n'enverrait pas de délégation comme convenu. Dans cette ébullition sociétale du XXI siècle, la lutte pour la cause palestinienne à laquelle se greffait celle contre le racisme, a donné lieu à une mobilisation massive, ce samedi 23 mars, place de la Bastille, symbole de la Révolution française. Des centaines de personnes sont venues protester contre la Loi Darmanin, et dans la foulée, apporter leur soutien à la Palestine scandant, le long du cortège une myriade de slogans accompagnés de la rythmique des Tam-Tam africains, de Vuvuzela, et de youyous : « La rue, elle est à qui ? » (Réponse à l'unisson du cortège) : « A nous, à nous, à nous ! ». « Première, deuxième, troisième génération ; on s'en fout ! On est chez nous ! ». « On est tous des Palestiniens ! Gaza, Gaza, Paris est avec toi ! »

Pétrie de cris viscéraux, cette marche augure d'un postulat, celui de la disqualification des dirigeants sur le destin des peuples. Oui, demain il pleuvra des OQTF.

Mais rien ne sera comme avant !
O.H

Photos d'Omar Haddadou

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L’Union Européenne et la question migratoire : l’ascension politique des extrêmes droites

26 mars 2024, par Camille Boulègue — ,
À moins de 4 mois d'un scrutin pour renouveler le Parlement européen, les extrêmes droites abordent l'élection en position de force : elles gouvernent déjà dans 6 pays de (…)

À moins de 4 mois d'un scrutin pour renouveler le Parlement européen, les extrêmes droites abordent l'élection en position de force : elles gouvernent déjà dans 6 pays de l'Union – seules ou en coalition – et les sondages les annoncent comme première ou deuxième force dans 9 autres1. Au cœur de leurs discours, et par-delà des divergences entre les diverses formations, l'idéologie anti-immigration les rassemble.

18 mars 2024 | tiré du site de la Gauche écosocialiste | Photo : Sandor Csudai
https://gauche-ecosocialiste.org/lu-e-et-la-question-migratoire-lascension-politique-des-extremes-droites/

Si on dépasse le cadre des partis d'extrêmes droites pour comptabiliser les formations prônant une idéologie anti-immigration, le constat est encore bien plus alarmant. Comme l'a sinistrement démontré la loi Darmanin en France, en matière d'immigration, la divergence entre droite conservatrice, partis centristes et extrême droite ne semble plus qu'être une différence de degré, et toutes les outrances semblent possibles. On retrouve même des positions frontalement anti-immigration assumées jusque dans des formations social-démocrates comme au Danemark, voire de gauche radicale comme en Allemagne, avec la scission de Die Linke orchestrée par Sarah Wagenknecht.

Ainsi, les discours les plus paranoïaques et répressifs vis-à-vis des étranger.es résonnent aux quatre coins de l'Union européenne, tranchant avec les proclamations de l'institution sur les « valeurs au cœur du projet européen 2 ». Un paradoxe doublé d'un autre : l'Europe est déjà un espace particulièrement restrictif en matière migratoire, ses frontières extérieures étant devenu en 40 années les plus meurtrières au monde, et de loin3.

Pour tenter de résoudre ce double paradoxe, revenons rapidement sur les étapes de la politique migratoire européenne.

Une Europe libérale aux frontières fermées

Démarrons cette chronologie en 1985 4lorsque les États membres de la CEE ratifient les accords de Schengen5, qui doublent l'objectif de libre-circulation entre pays membres de l'exigence de visa pour y entrer (art.7). Pour le reste, la question migratoire n'apparaît que sous le prisme de la « lutte contre l'entrée et le séjour irrégulier » (art.9) associé à une problématique de « sécurité » (art.17). Le reste des dispositifs liés au droit des étrangers est évoqué sans détail à l'article 20 comme devant être harmonisé.

C'est donc un parti-pris de fermeture des frontières extérieures qui est entériné : aux trafics, à la fraude et à l'immigration sans visa donc « illégale » des « ressortissants d'États non-membres des Communautés européennes ». Tous ? Non : les ressortissants des pays développés attachés au bloc occidental circuleront sans visa. Les accords de Schengen posent d'emblée une vision de l'immigration très restrictive : celle issue des pays développés, celle issue des autres pays hors CEE avec visa, et les « illégaux ». On n'y mentionne directement ni les travailleurs immigrés, ni les réfugiés pour qui ce seront les législations nationales qui seront appliquées – sous l'égide de la convention de 1951.

Pour poser le contexte idéologique, rappelons que dix ans plus tôt, à partir de 1973, les chocs pétroliers et la crise du modèle économique d'après-guerre avaient alimenté, en parallèle de la montée de la doctrine économique néo-libérale, une volonté de restreindre la migration de travail. Jusque-là, c'était une certaine liberté de circulation qui prévalait pour les travailleurs étrangers, rapidement régularisés, et un accueil assez évident des étrangers en demande d'asile.

Cette trajectoire idéologique parallèle n'a rien d'une coïncidence. En France, par exemple, l'élection de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 marque à la fois l'introduction de la doctrine néo-libérale et les premières mesures visant à restreindre drastiquement l'immigration. On y trouve la dénonciation du regroupement familial, la mise en place des incitations (plus ou moins) volontaires au retour, le durcissement des conditions d'entrée sur le sol français.

Ainsi, contrairement à l'histoire racontée par l'extrême droite, l'emprise croissante de la doctrine néo-libérale allait s'accompagner de la montée d'une volonté elle-aussi croissante de fermer les frontières, posée dès l'accord de Schengen.

On notera d'ailleurs que c'est en 1978 que le Front National entérine une nouvelle orientation moins ouvertement raciste, mettant en parallèle le taux de chômage et l'immigration : « 1 million de chômeurs, c'est 1 million d'immigrés en trop / La France et les Français d'abord ». Une époque où Jean-Marie Le Pen se décrit comme « le Reagan français ».

De la CEE à l'UE : le dogmatisme migratoire confronté à la réalité

Années 90, la chute du rideau de fer lève soudainement les restrictions à la sortie du territoire des peuples de l'ex-bloc de l'Est, qui viennent chercher la prospérité et la liberté tant vantée dans le camp des « vainqueurs » de la Guerre Froide : les États de l'Europe des 12 enregistrent jusqu'à 500 000 demandes d'asiles par an, faute déjà de possibilités de « simple » migration de travail.

Cette première « crise » migratoire révèle déjà en germe la dérive à venir : comment pratiquer la distinction très théorique entre réfugiés et « migrants économiques » lorsqu'ils sont issus d'États aux contextes nationaux troubles ? Peut-on considérer comme réfugiés des ressortissants de pays avec lesquels on souhaite cultiver des bonnes relations, notamment économiques ? Pourtant, ces questions qui se posent alors qu'entrent en application des accords de Schengen en 1992 n'aboutissent pas à une remise en cause du parti-pris de fermeture des frontières extérieures.

Guerres des Balkans, guerre du Golfe, conflits sur le continent africain et chambardements géopolitiques en cascade à la suite de l'implosion de l'URSS, des flux d'exilés se font et se défont, rendant de plus en plus palpables les contradictions européennes. Elles se révèlent au grand public à travers des luttes, celle de l'église St-Bernard et son évacuation brutale notamment, ou des états de fait, comme celui qui aboutit au centre d'hébergement de Sangatte, puis à sa fermeture qui fera naître la « jungle de Calais ».

Rétrospectivement, on a donc à ce moment-là une mécanique à l'œuvre : une problématique -l'immigration et le transit de travailleurs sur le territoire européen – rendue impossible à résoudre par une contradiction profonde entre des valeurs humanistes proclamées à la face du monde, et la réalité d'un espace économique ouvert entouré de murs juridiques de plus en plus élevés visant à restreindre l'accès aux titres de séjour : l'Europe forteresse.

Europe Forteresse et choc des civilisation : une bascule idéologique

Un évènement géopolitique majeur va percuter idéologiquement cette mécanique, déjà injuste et inefficace vis-à-vis de ses objectifs, et précipiter la fuite en avant : le 11 septembre, et la réponse que va lui donner l'administration Bush, la guerre contre le terrorisme.

Soutenue par la théorie du choc des civilisations, la guerre contre le terrorisme va promouvoir à une échelle internationale un discours essentialisant et xénophobe à l'encontre de l'Islam en général et donc des Musulmans, qui deviennent l'incarnation de l'étranger inassimilable culturellement, voire dangereux. Ce discours islamophobe va s'amalgamer peu à peu avec la logique de l'Europe forteresse pour dépasser idéologiquement l'enjeu économique prôné comme une réaction à « la crise économique », et lui adjoindre un volet sécuritaire qui va prendre de plus en plus de place : les frontières extérieures de l'Europe vont être de plus en plus assimilée à un rempart contre une immigration associée à la menace terroriste, dite « civilisationnelle ».

En 2004, un palier est franchi avec la création de Frontex, agence européenne pour gérer la coopération opérationnelle aux frontières extérieures. En 2006, son budget est de 19 millions d'euros. L'année d'après, son mandat est élargi pour mobiliser des troupes d'intervention rapides, son budget multiplié par 2. En 2011, il est de nouveau multiplié par 3, pour atteindre 118 millions d'euros.

2008 : la bascule économique

Entre temps, la crise économique de 2008 a profondément ébranlé l'économie mondiale, l'austérité budgétaire vantée par les doctrines néo-libérales s'approfondit drastiquement, et « faire des économies sur le train de vie de l'État », notamment les services publics, devient un dogme. La mise en concurrence des travailleurs, des systèmes sociaux et fiscaux va devenir débridée sous l'influence des multinationales.

La mécanique répressive se voit doublée d'une lecture paranoïaque des rapports entre cultures relayée par les partis de gouvernement, et alimentée par une angoisse structurelle devant le déclassement économique et la perte en efficience des services publics.

À ce stade sont donc réunis les ingrédients d'une spirale idéologique, ceux-là même qui matricent historiquement l'idéologie d'extrême-droite, mais boostée au dogmatisme ultra-libéral. La suite, c'est l'opportunisme politique qui va l'écrire, en soufflant sur les braises xénophobes pour mieux dissimuler la violence sociale des choix économiques impopulaires, en suscitant l'accoutumance à la répression face aux contestations sociales, et l'insensibilité face au sort tragique faits à cette masse indistincte de « migrants ».

Nul ne semble prendre garde qu'en singeant les éléments de langage de l'extrême droite, on ne lui prend pas indéfiniment des électeurs : on finit par normaliser sa vision du monde.

2015 : l'emballement répressif

Quand 2015 arrive – et ce qui va devenir dans le vocable médiatique et politique « la crise migratoire » – la fuite en avant est plus débridée que jamais, sans parvenir à l'absurde résultat escompté : l'original d'extrême-droite va pouvoir concurrencer, puis dépasser les copies.

Quand en quelques mois de 2011, sous une pression économique accrue les Printemps Arabes viennent bousculer l'ordre régional établi, des États s'effondrent, d'autres portent aux pouvoirs des tenants de l'Islam politique, rapidement démis de leur fonction. La Syrie s'enfonce dans une effroyable guerre civile, et jette des milliers de personnes sur les routes.

Paniquée, toute à sa logique de forteresse, l'Europe n'accueille pas à bras ouverts : elle s'accroche à sa distinction entre « réfugié » et « migrant économique », ce qui a d'autant moins de sens que dans les pays de transit, dont la Libye en guerre civile, les candidats à l'exil sont la proie d'un trafic inhumain qui justifierait à lui seul l'accueil, voire la protection. Des frontières se referment à l'intérieur de l'espace Schengen. Malgré tout, les exilés passent, les drames se multiplient.

Sont créés des hotspots, des camps de tri rapidement saturés. L'Union européenne signe des « accords de réadmission » avec les pays de transit pour qu'ils « bloquent » le flux : ils deviennent des lieux d'accueil. L'Europe dépense des milliards d'euros, sa politique migratoire dogmatique la place en position de faiblesse. Les exilés retenus hors d'Europe deviennent un levier de pression diplomatique.

Plus dures, plus dangereuses, plus soumises à la logistique des passeurs et donc plus chères, les voies d'accès à l'Europe sont impossibles à fermer, aucune frontière ne l'est. À la fermeté prônée, aux mesures prises de plus en plus éloignées du droit international ne répondent que peu de résultat : les mêmes drames effroyables. Et bien que le pic des entrées dans l'espace Schengen de 2015 passe rapidement, les mesures répressives continuent de se renforcer, et les entrées sur le territoire européen continuent.

En 2016, Frontex devient « l'agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes ». Son budget annuel passe à 233 millions d'euros, puis à 330 millions en 2019.

Elle peut désormais recruter jusqu'à 10 000 hommes pour garder les frontières maritimes et terrestres de l'Union européenne d'ici 2027, avec une enveloppe de 5,6 milliards d'euros pour y parvenir. Elle devient l'agence la plus importante de l'UE. En 13 ans, son budget a été multiplié par 49.

En avril 2022, son directeur Fabrice Leggeri démissionne suite au rapport de l'Office européen de lutte anti-fraude, qui accuse l'agence de violation des droits humains. En 2024, il rejoint la liste Rassemblement National pour les élections européennes. Le haut-fonctionnaire européen en charge de la répression aux frontières poursuit sa carrière en « prise de guerre » politique du Rassemblement National, comme une boucle qui finirait par se boucler.

Depuis, le Royaume-Uni, dorénavant aux portes de l'Union Européenne, cherche à envoyer ses immigrés au Rwanda, la France revient sur le droit du sol à Mayotte jette des mineurs étrangers à la rue, pendant que l'Italie de Giorgia Meloni établit des centres de rétention en Albanie. Un Pacte sur la Migration et l'Asile signé fin 2023 promet de nouveau financements aux murs de l'Europe forteresse.

Sans une remise en cause des présupposés de la politique migratoire européenne, la fuite en avant pourrait ne pas s'arrêter là. Car les extrêmes droites pourraient voir leur nombre de députés européens augmenter de près de 50 % et constituer, si elles s'unissaient, la première force du Parlement européen.

Éléments pour la lutte à mener

On peut donc percevoir dans cette brève relation des politiques migratoires européennes les dynamiques favorables aux extrêmes droites. Tâchons d'en tirer de quoi alimenter la lutte pour faire refluer cette prise d'ascendant.

1- Une partition biaisée du champ politique

Tout d'abord, on peut constater que contrairement au récit de l'extrême droite qui partitionne l'espace politique entre « mondialistes » pro-immigration et « nationalistes », la césure est toute autre : la volonté de restreindre drastiquement l'immigration n'est pas contradictoire avec l'apologie de la mondialisation néo-libérale, bien au contraire. Avec des présupposés certes différents – un économisme démagogique d'un côté, un racisme de moins en moins dissimulé de l'autre – l'association chômage-immigration est bien présente dans les deux discours. Dans l'entre-deux, la droite se voulant « populaire » hésite, puis bascule peu à peu comme cela a parfaitement été illustré en France par sa trajectoire « décomplexée » depuis Nicolas Sarkozy.

Prenons soin de signaler qu'il ne s'agit pas d'en déduire une égalité entre partis d'obédiences libérales ou de droite conservatrice, et extrême-droite : l'histoire et les liens de cette dernière avec des organisations ou groupuscules prônant la violence politique et des références royalistes, fascistes ou nazies en font un tout autre danger pour l'État de droit et les contre-pouvoirs issus de la société civile.

Pour autant, en matière d'immigration, force est de constater que la constance dans l'extrémisme du discours d'extrême droite a fini par trouver un écho. Mais pas par rupture avec l'appareil idéologique libéral dominant, mais plutôt par le fait que ce dernier, mis au défi de l'inefficacité de son prérequis dogmatique en matière d'immigration se soit pris dans une fuite en avant qui a fini par légitimer les postures ultra-répressives des partis d'extrême droite. Ces derniers ont alors beau jeu de leur attribuer un laxisme qui justifieraient leur échec.

Mais comme là encore l'a si bien illustré la conclusion du feuilleton de la loi Darmanin, avec la censure partielle par le Conseil Constitutionnel : la prochaine – et dernière ? – digue sera celle des textes fondamentaux posant le cadre républicain et l'État de droit.

Toujours est-il qu'en matière migratoire, le récit de la partition du champ politique doit être clarifiée pour pouvoir contrer le discours véhiculé par les extrêmes droites. En affirmant qu'elles ne sont pas le contraire des droites néo-libérales, mais plutôt leur évolution par temps de crise ?

2- De l'hypocrisie économique au dogmatisme idéologique

Outre son parti-pris idéologique de départ, comment comprendre que l'Union européenne se soit fourvoyée de la sorte dans une politique aussi répressive, à l'encontre des valeurs qu'elle s'attribue ? Il faut alors poser que cette politique répressive a su trouver de puissants soutiens parmi les lobbies économiques.

Le premier, le plus évident, c'est le lobby des industries de la surveillance, qui profite a plein de la manne d'argent public destiné à surveiller les frontières. Les barbelés sensés bloquer l'immigration se sont hérissé de dispositifs de détection, puis d'identification des candidats à l'immigration en Europe. On y ajoutera les banques de données comme Eurosur6 (224 millions €), Entry-Exit (1 milliard €), 1,4 milliard de budget pour la recherche dans les dispositifs de sécurité dont le contrôle aux frontières, sans oublier ni les lignes de crédit pour les radars spécialisés, les drones, les systèmes de contrôles biométriques, ni les fonds débloqués par les États-membres en murs barbelés et tours d'observation. Un pactole, doublé d'un espace d'expérimentation grandeur nature, tout cela dans une logique sécuritaire qui trouve un écho dans l'opinion… du moins tant qu'elle ne concerne « que » des étrangers.

Le second, c'est celui de secteurs entiers des économies nationales qui ont réussi à tirer parti de la logique répressive. Comme on l'a vu, les conditions de séjour sur le territoire des États membres sont fixées nationalement, et la régression progressive des droits nationaux a peu à peu fait émerger toute une cohorte de « sans-papiers », déboutés du droit d'asile, travailleurs en exil, étudiants non-renouvelés et familles en attentes de recours… toute une main d'œuvre privée de droits, notamment du droit de travailler légalement, qui pourtant doit bien survivre, sans pouvoir prétendre aux protections dues aux travailleurs légaux.

Mis sur le devant de la scène pendant le Covid parmi les « premiers de corvées », on les retrouve sans surprise dans les métiers du lien, dans la restauration, l'agriculture, le bâtiment, etc. Autant de filières « non-délocalisables » où la régression sociale et la concurrence entre travailleurs n'a pu s'exercer sous la menace d'une fermeture d'usine. D'aucuns les considèrent comme des travailleurs « délocalisés » à l'intérieur-même de nos frontières, devenant une main d'œuvre à bas coût, hors de toute législation du travail.

C'est donc à une véritable hypocrisie économique que l'on a pu assister : alors qu'on a argué que priver les étrangers de droit lutterait contre le chômage, c'est en fait en les privant de droit qu'on a fait d'elles et eux des agents de dumping social sur des filières entières, accentuant la précarisation des travailleurs de ces secteurs pourtant essentiels. Une hypocrisie aux intérêts bien compris qui craque aujourd'hui de toute part, entre la réalité d'un pays vieillissant en quête de main d'œuvre pour créer de la richesse, des filières en défaut de main d'œuvres tant les conditions d'emplois sont dégradées et la surenchère d'une extrême droite portée à l'exaltation d'une immigration zéro, aussi irréaliste pratiquement qu'irresponsable économiquement (sans même parler des considérants xénophobes qui la sous-tendent).

La conclusion s'impose d'elle-même : sur le plan des droits et libertés comme sur celui des salaires et des droits sociaux, la répression des travailleuses et travailleurs exilés n'est aucunement dans l'intérêt des travailleuses et travailleurs français, bien au contraire.

Autant d'éléments trop rarement confrontés aux déclarations des anti-immigration : combien coûtent la surveillance, la traque, les expulsions, sans oublier les accords bilatéraux pour « bloquer les flux » dans les pays de transits ? Pour quel résultat ?

Et a contrario quels seraient les bénéfices pour la population française d'une immigration légalisée, reconnue, qui pourrait sortir de la clandestinité subie et travailler légalement ?

Autant d'angles permettant d'asseoir une idée-force : à travers les droits reconnus aux immigrés, c'est des droits de toutes et tous qu'il est question.

3- Et la gauche dans tout ça ?

Après avoir exposé une partie du processus idéologique qui a permis la prise d'ascendant des extrêmes droites sur le continent européen et les forces qui l'ont accompagnée, attardons-nous sur les moyens de la riposte mis en œuvre face à cette offensive idéologique.

Car comme on a pu le constater, ce ne sont pas la solidité des arguments ni les résultats obtenus qui ont étayé la submersion politique des idéologies anti-immigration : « Appel d'air », « Grand Remplacement » et autres amalgames entre délinquance et immigration sont toutes des théories fumeuses démenties par les sciences sociales. La réalité est plutôt inverse : la fuite en avant politique s'est nourrie de la confrontation d'un parti-pris dogmatique avec une réalité qui le met en échec – tout parallèle avec le dogme économique néo- puis ultra-libéral n'étant pas fortuit.

De là, on pourrait déduire que c'est la faiblesse globale des forces de gauche radicale qui a rendu inopérante toute stratégie d'endiguement de ces spirales idéologiques, tant en terme économique qu'en matière d'immigration. Mais essayons de pousser plus loin.

On pourrait distinguer au moins deux éléments. Le premier coule presque de source : quand une certaine gauche a pris le virage social-libéral, elle a aussi adopté les partis-pris de la doctrine sur les questions migratoires. Elle a donc été toute autant prise dans la fuite en avant répressive, et on pourrait rapidement illustrer le processus en France jusqu'au mandat de François Hollande et – comme une épure – son premier ministre Manuel Valls, ou la trajectoire du Printemps Républicain.

Le second élément concerne les gauches radicales, et est d'ordre stratégique. S'il a fallu un processus assez long pour que soit identifié de manière claire le danger que constitue l'islamophobie, elles ont globalement privilégié une stratégie visant à inscrire à l'agenda politique des thèmes différents à ceux de l'extrême droite, plutôt que de s'atteler à mener une bataille offensive directement contre l'idéologie de celle-ci et la spirale sécuritaire qui saisissait des franges de plus en plus larges du paysage politique.

Ainsi, il n'y a pas eu de bataille idéologique de fond sur les thématiques de prédilection des extrêmes droites comme il y en a eu sur les thématiques directement économiques, sociales, écologiques et démocratiques.

Cette bataille pour l'agenda politique, si elle a connu des succès indéniables – on pourrait citer les campagnes présidentielles 2017 et 2022 menées par la France Insoumise – présente des failles : lorsqu'aucune brèche ne se présente dans l'agenda politique et que les thématiques liées aux questions migratoires ou à la sécurité sont mises en avant, nous sommes en difficulté, peu rompus à l'exercice de porter une alternative qui ne soit pas basée sur des arguments d'ordre moral. Les extrêmes droites, elles, ont pris soin pendant de nombreuses années de maquiller leur idéologie xénophobe derrière de fallacieux arguments d'ordres matériels, économiques et sociaux (avant de surfer sur la « panique civilisationnelle » au gré des évènements.

D'une certaine manière, la quête du « fâché pas facho » a oblitéré la nécessaire offensive contre le socle idéologique des « fachos bien fachos ». Et c'est à partir de ce socle, conforté et élargi au fil des évènements comme nous avons pu le voir, que les extrêmes droites ont pu diversifier leur offre politique en appliquant leur vision du monde à de vastes champs de la vie sociale, porté par leur opportunisme sans scrupule.

Qu'en conclure ?

Déjà que sur les questions migratoires, la concentration des forces portant un projet radicalement alternatif à la fuite en avant répressive et sécuritaire reste à construire. Car s'il existe bien des foyers de résistances, ils sont épars, agissent au plus pressé, sans percevoir de débouchés politiques à mettre en pratique. C'est plus sur des bases morales qu'en cherchant un rapport de force idéologique et politique qu'ils et elles portent secours et assistances aux exilé.es.

Qu'ensuite les enjeux politiques soulevés par les questions migratoires dépassent – sans évidemment les effacer – les enjeux de l'accès aux droits des personnes en situation d'exil. Derrière les droits des travailleurs exilés, c'est la question des travailleurs sur le territoire national qui est posée. Derrière la question de la surveillance des frontières, c'est la question des libertés fondamentales qui est en jeu. Enfin, derrière la question des droits individuels des étrangers, c'est de la défense de l'État de droit et des contre-pouvoirs de la société civile qu'il s'agit.

Qu'enfin, notre paradoxe n'est pas moindre que celui de l'Union Européenne posé en introduction : alors que les sciences sociales battent en brèche les considérant des politiques anti-immigrations, nous sommes (pour l'heure) battus. C'est donc qu'une approche alternative, armée des sciences sociales et basée sur le commun intérêt des populations à renforcer les droits de chacun pour renforcer les droits de toutes et tous reste à construire, et à infuser dans la société. Une approche qui ne saurait être réduite à son pendant moral : il devra s'agir de rendre sensible comment les politiques anti-immigration empêchent de changer matériellement la vie de tout un chacun.

Et de donner force à cette assertion : non, les extrêmes droites ne sont jamais du côté de celles et ceux qui travaillent.


Notes

1. https://www.lesechos.fr/monde/europe/a-six-mois-des-europeennes-lue-face-a-une-poussee-de-lextreme-droite-2031138

2. https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/principles-and-values/aims-and-values_fr

3. https://missingmigrants.iom.int/fr

4. Chronologie tirée de À qui profite l'exil, T. Tervonen, J. Pourquié, La Revue dessinée, Delcourt, 2023

5. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A42000A0922%2801%29&qid=1710153426538

6. Chiffres tirés de À qui profite l'exil, T. Tervonen, J. Pourquié, La Revue dessinée, Delcourt, 2023

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Pour une Europe des peuples contre l’UE forteresse du capitalisme

26 mars 2024, par Éric Toussaint — , ,
L'Union européenne trouve son origine dans la CECA, la Communauté économique du charbon et de l'acier, le « marché commun ». La construction européenne a été basée sur l'idée (…)

L'Union européenne trouve son origine dans la CECA, la Communauté économique du charbon et de l'acier, le « marché commun ». La construction européenne a été basée sur l'idée de la primauté du marché capitaliste, de la production industrielle dans l'intérêt du grand patronat, et pas dans celui des travailleur·euses, ni des peuples qui constituent l'Europe.

20 mars 2024 | tiré du site du CADTM par Eric Toussaint
https://www.cadtm.org/Pour-une-Europe-des-peuples-contre-l-UE-forteresse-du-capitalisme

La logique de l'UE c'est d'être compétitive sur le marché mondial, par rapport à la Chine par exemple, avec ses bas salaires, ce qui implique de pousser vers le bas les salaires européens et les droits sociaux conquis de haute lutte

L'UE est une structure avant tout économique visant à élargir le plus possible le marché commun sur lequel les entreprises peuvent vendre leurs produits… ainsi qu'à exploiter et mettre en concurrence les travailleur·euses en profitant des différences salariales (le salaire minimum légal brut bulgare représente un peu plus de 330 euros soit six fois moins qu'en Belgique et aux Pays-Bas où il atteint environ 2000 euros et en France où il correspond à 1767 euros) et de statuts sociaux, de conquêtes sociales. La logique de l'UE c'est d'être compétitive sur le marché mondial, par rapport à la Chine par exemple, avec ses bas salaires, ce qui implique de pousser vers le bas les salaires européens et les droits sociaux conquis de haute lutte.

De plus, des entreprises peuvent employer en Italie des travailleur·euses qui sont sous contrat bulgare ou polonais, au salaire minimum de leur pays respectif. Les différences de salaires, les différences de systèmes de protection sociale et les différences de fiscalités (impôts et taxes), permettent aux patrons de mettre la pression sur les travailleur·euses en menaçant de délocalisation et en important des produits qui font de la concurrence et du dumping (NDLR : une course au moins-disant social) aux produits locaux.

L'UE impose des contraintes en termes de « libre concurrence » mais aussi à travers les règles sur la dette publique. On peut ici mentionner la fameuse règle de limiter à 3 % le déficit public et à 60 % le rapport entre la dette publique d'un État et son PIB. Ces règles contraignantes donnent des instruments aux gouvernements des différents pays pour imposer l'austérité et la dérèglementation, notamment la privatisation des services publics et des atteintes aux droits et conquêtes sociales.

Lire aussi :Le retour à la normale de l'austérité en Europe

Des élections se tiendront dans l'UE entre le 6 et 9 Juin 2024 dans les 27 États-Membres de l'UE pour élire le Parlement européen. C'est important de participer aux élections européennes et d'étudier les programmes proposés par les différents partis. En même temps, c'est clair que le parlement européen n'est pas l'équivalent d'un parlement national : il a beaucoup moins de pouvoir, c'est la Commission et le Conseil européens qui élaborent les traités et les règles de fonctionnement.

Le poids des lobbies est fort important sur la Commission européenne, sur les commissaires, mais aussi sur les parlementaires européen·nes

Un autre facteur politique important à ajouter, c'est le poids des lobbies représentant les grandes sociétés transnationales, pas simplement européennes. Le poids de ces lobbies est fort important sur la Commission européenne, sur les commissaires, mais aussi sur les parlementaires européen·nes comme l'a démontré le scandale du « Qatargate » dans lequel des parlementaires belges, grecs et italiens ont été impliqué·es. Ici, on a vu à quel point des États et des entreprises privées essayent d'acheter, de corrompre et d'influencer les décisions pour qu'elles leur soient favorables.

Sur le Big Pharma, voir :Crise globale - Épisode 1 - Les vautours du Big Pharma

On peut citer les « Big Pharmas » qui ont pesé sur les décisions prises par l'UE sur le vaccin contre le Covid-19. On voit la même chose aussi sur les décisions prises par rapport aux pesticides et herbicides dangereux pour la santé publique : dans ce cadre, Ursula von der Leyen a décidé de ne pas appliquer les mesures envisagées, déjà insuffisantes en la matière. C'est une victoire pour les grandes firmes comme Monsanto, Syngenta, etc. Elle a pris comme prétexte les revendications des paysan·nes alors qu'en réalité, c'est largement l'intérêt des multinationales privées qui a été pris en compte.

Lire aussi : Bilan d'étape des réponses économiques à la crise liée à la pandémie du coronavirus en Europe

En ce qui concerne l'UE comme « puissance », l'UE est incapable ou refuse d'agir de manière positive dans la politique internationale sur des conflits extrêmement graves, soit sur le territoire européen soit à proximité de l'Europe. Le poids de l'UE par rapport au conflit extrêmement grave en Ukraine, suite à l'invasion par la Fédération de Russie, est très faible car tout est déterminé par la situation subordonnée de l'Europe au sein de l'OTAN. Dans cette alliance, ce sont les États-Unis qui décident largement du cours de la guerre ou de l'existence ou non de négociations pour y mettre fin. Ce qui est sûr, c'est que les dirigeant·es européen·es profitent de la guerre pour encourager l'augmentation des dépenses militaires et pour renforcer le complexe militaro-industriel européen. En Palestine, ce sont aussi les USA qui appuient directement Israël et, dans leur sillage, l'UE fait de même. Elle laisse Israël se livrer à une politique génocidaire contre le peuple gazaoui, à un renforcement des colonisations illégales et des mesures brutales contre l'ensemble du peuple palestinien. L'UE refuse de suspendre les accords commerciaux et culturel avec ce pays qui pratique l'apartheid et l'écrasement du peuple palestinien.

En Palestine, les USA appuient directement Israël et, dans leur sillage, l'UE fait de même

L'UE exerce un pouvoir fort quand il s'agit de se comporter comme Europe Forteresse : là, elle emploie de grands moyens et elle a un budget très élevé pour Frontex, avec des hélicoptères, des avions, des bateaux, du personnel nombreux pour empêcher les candidat·es réfugié·es et les migrant·es en général d'arriver sur le territoire européen.

Lire aussi : Mettre fin aux politiques migratoires inhumaines de l'Europe forteresse

L'UE signe aussi des accords de partenariat économique avec des pays ou souvent des ensembles régionaux : la communauté d'Afrique occidentale (CEDEAO), la communauté andine, ou le MERCOSUR (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), actuellement en négociations. Ces accords imposent, généralement, aux pays ou aux ensembles de pays, l'ouverture maximale aux intérêts économiques des entreprises européennes. En échange, l'UE ouvre son économie à des pays où les règles phytosanitaires ne sont pas du tout les mêmes qu'en Europe, tels que le Brésil et l'Argentine, principaux producteurs de soja transgénique pour nourrir le bétail. Cette réalité est dénoncé à juste titre, par exemple par les paysan·nes actuellement en lutte et dont les produits sont « en concurrence » avec les produits des gros exportateurs de l'agrobusiness très puissant, argentins ou brésiliens dans le cas de l'accord avec le MERCOSUR. Ces accords sont favorables aux intérêts des gros importateurs européens mais défavorables aux petits producteurs locaux tant des pays du Sud Global que d'Europe.

Lire aussi : ReCommons Europe : L'impact sur le Sud des politiques européennes et les alternatives possibles

Au début de la crise du COVID, Mario Draghi, qui avait achevé son mandat à la tête de la BCE fin 2019, avait déclaré, avec Christine Lagarde qui venait de lui succéder, qu'il fallait augmenter la dette publique pour faire face à la pandémie. Il s'est bien gardé de proposer de faire payer le coût de la lutte contre la pandémie et ses effets multiples aux grandes entreprises privées qui profitaient de la crise : le Big Pharma, les GAFAM, les chaînes de distribution. Pour convaincre l'opinion publique de ne pas se poser de questions sur la manière de financer la lutte nécessaire contre la pandémie, les dirigeant·es européen·nes ont assoupli temporairement les règles budgétaires. Maintenant que la dette publique a fortement augmenté et que le coût de son refinancement a explosé en raison de l'augmentation des taux d'intérêt, les mêmes dirigeant·es annoncent l'approfondissement des mesures d'austérité en affirmant que la dette publique a atteint un niveau insoutenable. Il faut encore et toujours dénoncer avec force ces politiques austéritaires, lutter pour l'annulation des dettes publiques illégitimes.

Lire aussi : ReCommonsEurope : Manifeste pour un nouvel internationalisme des peuples en Europe

Il faut aussi réfléchir en termes de refondation de l'Europe. On a évidemment besoin d'une structure européenne mais pas celle prise par l'UE, la zone euro, etc. Il faut désintégrer cette Europe du Grand Capital et la remplacer par une autre Europe aux services des peuples. Il faudrait un processus constituant authentiquement démocratique et partant d'en bas. Cela passerait aussi par des élections démocratiques au suffrage universel pour élire des délégué·es à une Constituante européenne. Ces parlementaires auraient donc le pouvoir d'élaborer une nouvelle constitution de l'UE et la doter de structures réellement démocratiques, avec un vrai Parlement doté de pouvoirs législatifs. La proposition de nouveau traité constituant devrait être soumis à un grand débat et ensuite un référendum au suffrage universel dans chaque pays avant d'être considéré comme approuvé. La nouvelle Europe des peuples devrait être véritablement solidaire à l'égard des peuples du Sud Global et verser des réparations pour le pillage économique, pour les violations des droits humains provoquées par les gouvernants et les grandes entreprises européennes depuis des siècles jusqu'à aujourd'hui, pour les dégâts écologiques catastrophiques causés par les politiques encouragées par l'UE… Il faudrait une Europe féministe, écologique, socialiste, internationaliste et pacifique.

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Élections européennes : les candidats s’écharpent sur la « décroissance »

26 mars 2024, par Emmanuel Clévenot — , ,
Lors du débat sur l'écologie des candidats aux élections européennes, les échanges ont largement porté sur l'agriculture. Les arguments des candidats de gauche se sont heurtés (…)

Lors du débat sur l'écologie des candidats aux élections européennes, les échanges ont largement porté sur l'agriculture. Les arguments des candidats de gauche se sont heurtés aux dénigrements de la droite et l'extrême droite.

15 mars 2024 | tiré du site reporterre.info
https://reporterre.net/Elections-europeennes-les-candidats-s-echarpent-sur-la-decroissance

Coup d'envoi de la campagne des élections européennes. Le 14 mars, en fin de journée, huit représentants des principales listes ont débattu devant les caméras de Public Sénat. Dans moins de trois mois, le dimanche 9 juin, les Françaises et les Français devront élire 81 des 720 députés du Parlement européen. Pour décrocher ces mandats de cinq ans dans l'hémicycle tant convoité, les listes en lice devront obtenir au minimum 5 % des suffrages exprimés.

Dès les propos liminaires, l'écologiste Marie Toussaint a averti : « Nous allons débattre, et vous allez entendre que l'écologie est la cause de tous les maux. » Un pronostic aussitôt confirmé par François-Xavier Bellamy, chef de file des Républicains. Pour lui, les politiques environnementales menées par « une majorité allant de l'extrême-gauche aux macronistes » ont bel et bien fragilisé les Français. À la tête de Reconquête !, Marion Maréchal dénonce même une « Europe du fanatisme écologique et de la décroissance. »

À peine entrée en jeu, l'eurodéputée Renaissance Valérie Hayer, a apostrophé Thierry Mariani, venu remplacer Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national, ayant lui rejeté l'invitation. En 2019, leurs deux partis avaient fini en tête, au coude-à-coude, avec 23,34 % pour celui d'extrême-droite et 22,42 % pour la majorité présidentielle. Une conjoncture à laquelle l'insoumise Manon Aubry refuse d'assister à nouveau : « On n'est pas condamné à nous voir imposer le duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ou Jordan Bardella qui manifestement même au bout de cinq ans n'a pas trouvé le chemin du Parlement. »

Différentes thématiques ont été discutées au cours des 150 minutes de débat. Disposant chacun de 17 minutes de temps de parole, les candidats ont été appelés à s'exprimer sur l'immigration en Europe, la guerre en Ukraine, l'indépendance énergétique et le pouvoir d'achat. L'écologie et l'agriculture ont, elles, été abordées notamment à travers la question suivante : le Pacte vert, aussi appelé « Green deal », est-il trop contraignant ?

Pacte vert et produits phytosanitaires

Adoptée au lendemain des précédentes européennes en 2019, cette feuille de route doit guider les 27 pays de l'Union vers la neutralité carbone d'ici 2050. Plusieurs des lois qu'elle abrite sont déjà en cours d'application : la fin de la vente des véhicules thermiques en 2035, l'application du principe pollueur-payeur à l'aviation, l'industrie et le maritime, ou encore le doublement de la part des renouvelables dans le mix énergétique.

Toutefois, les élections de juin détermineront l'avenir d'un grand pan de ce Pacte : l'agriculture. Aucune des mesures prévues dans ce domaine n'est réellement entrée en vigueur pour l'instant, que déjà de nombreux agriculteurs les rejettent en bloc. À commencer par le projet de baisse de 50 % de l'usage des produits phytosanitaires d'ici 2030. Celui-ci a finalement été rejeté le 22 novembre 2023, ce qu'assure regretter Valérie Hayer, qui pointe la responsabilité de la droite et de l'extrême droite. Au début de l'année 2024, sa majorité a pourtant suivi la même logique au niveau français en optant pour la « mise en pause » du plan Écophyto.

Plus récemment encore, le 27 février, un autre pilier du Green deal a bien failli tomber aux oubliettes. La loi européenne sur la restauration de la nature a été adoptée de justesse par le Parlement, avec 329 pour, 275 contre et 24 abstentions. Ce texte impose aux pays de l'Union de restaurer au moins 30 % des habitats en mauvais état, que sont les forêts, les prairies, les zones humides, les rivières, les lacs et les fonds coralliens, d'ici à 2030. Et 90 % d'ici à 2050.

La droite, comme l'extrême droite, a durement bataillé pour faire capoter cette loi. Aux yeux de François-Xavier Bellamy, elle comporte « des mesures de décroissance » ayant plongé les agriculteurs « dans une grande détresse ». « Comment ce texte peut-il déranger les agriculteurs alors qu'il n'est même pas en vigueur ? » lui rétorque aussitôt Marie Toussaint. « Peut-être parce que M. Bellamy ne veut pas parler des multinationales comme Lactalis », renchérit Manon Aubry. Une référence au géant laitier, envahi en février par des paysans épuisés d'avoir « à travailler à perte ».

Encore une nouvelle PAC ?

Au cœur des discussions, la colère des paysans débouche sans surprise sur un autre dossier bouillant : la Politique agricole commune (PAC), premier poste de dépense de l'Union, avec 33 % du budget en 2022. La France est le premier pays bénéficiaire de ces subventions, avec 9,45 milliards d'euros cette année-là. Toutefois, « 80 % des subventions sont réservées à 20 % des exploitations les plus grandes », précise Raphaël Glucksmann, tête de liste du Parti socialiste et de Place publique.

« Cette politique est totalement injuste, poursuit l'eurodéputé. Les subventions sont censées corriger les inégalités du marché. Là, elles font l'exact inverse. » Lui plaide pour une PAC rémunérant, non pas à l'hectare et à la production, mais à l'emploi et à l'utilité écologique. Une idée partagée par Marie Toussaint, qui prône en outre un meilleur accompagnement des paysans dans leur transition : celui-ci passerait par l'instauration de revenus garantis sur au moins trois ans, un grand plan d'investissement et une réflexion sur la répartition du foncier, pour combattre « les grandes exploitations et les fermes usines ».

« Bloquer [...] la prédation de l'agro-industrie »

Discrètes divergences entre l'écologiste et l'insoumise ? Là où Marie Toussaint propose de « contenir les marges de l'agro-industrie », Manon Aubry choisit d'employer le vocabulaire « bloquer » : « Dans les magasins, le prix des denrées alimentaires a augmenté de plus de 20 %. Et dans le même temps, les agriculteurs voient leur rémunération baisser, s'indigne-t-elle. Puisqu'entre les deux, il y a la prédation de l'agro-industrie, dont les profits ont bondi de 70 %. » La tête de liste de la France insoumise promet ainsi de défendre des prix planchers rémunérateurs.

Les deux femmes politiques ont enfin assuré vouloir en finir avec les accords de libre-échange, source de concurrence déloyale : « Pourquoi continuer à importer du lait, de la viande ovine, des fruits et des légumes venant de l'autre bout du monde, alors qu'on en produit déjà ici ? » interroge Manon Aubry. Elle accuse d'ailleurs le groupe de Marie Toussaint, et non son parti national, d'avoir signé certains de ces textes. Quant à Raphaël Glucksmann, il ne s'est tout simplement pas exprimé sur le sujet.

Dans ce tout premier débat, écologie rimait spécifiquement avec agriculture. Les candidats n'ont donc pas eu l'opportunité d'explorer tous leurs désaccords, d'autant que certains programmes ne sont pas encore achevés. Toutefois, d'ici quelques semaines, Reporterre invitera quelques-unes des têtes de liste à s'exprimer dans nos colonnes. Et ce, avant le grand rendez-vous des urnes, le 9 juin prochain.

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Guerre ou paix ? Un faux dilemme dans la polémique autour de la question ukrainienne

26 mars 2024, par Daria Saburova — , ,
En l'absence des conditions pour des négociations, parler d'un cessez-le-feu immédiat comme l'alternative au soutien militaire, ce ne sont que des mots vides destinés au public (…)

En l'absence des conditions pour des négociations, parler d'un cessez-le-feu immédiat comme l'alternative au soutien militaire, ce ne sont que des mots vides destinés au public français dans le cadre de la campagne électorale. Faute d'autres options réalistes, la solidarité concrète exige la poursuite de l'aide militaire à l'Ukraine.

Tiré de Inprecor 718 - mars 2024
20 mars 2024

Par Daria Saburova

Daria Saburova à l'Université d'été du NPA à Port Leucate, août 2023. Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas

Ce texte est issu d'une intervention lors du meeting de L'assemblée féministe – Paris banlieue, le 12 mars 2024 à la Belleviloise. Publié comme blog Mediapart Guerre ou paix ? Un faux dilemme dans la polémique autour de la question ukrainienne ].

J'aimerais profiter de cette invitation pour apporter des clarifications concernant les polémiques dont l'Ukraine fait l'objet depuis plusieurs semaines. La première polémique est celle, suscitée par le mouvement européen des agriculteurs, sur l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne. La seconde a été déclenchée par la sortie de Macron sur la possibilité de l'envoi des troupes en Ukraine. Dans les deux cas, la question ukrainienne est utilisée cyniquement par toutes les forces politiques dans un jeu de distinction électorale. Elle se déploie à coup d'arguments déconnectés de la réalité locale, et n'a d'autre conséquence que de saper le soutien de l'opinion publique à la résistance ukrainienne. Je vais me concentrer sur la deuxième polémique, parce que le soutien militaire reste au centre des revendications que les Ukrainiens et les Ukrainiennes adressent aux européens.

Critiqués par d'autres dirigeants européens et par le secrétaire général de l'OTAN, c'est également par le gouvernement ukrainien que les propos de Macron ont été immédiatement démentis. En fait, l'Ukraine n'a jamais demandé l'envoi des troupes. Elle demande des armes, et surtout des munitions. Sur ce plan, quoi que l'on dise, la contribution de la France est jusqu'ici restée relativement modeste : selon les chiffres du gouvernement français, elle s'élève à 3,8 milliards d'euros en 2 ans, sur un budget militaire qui dépasse 40 milliards par an, soit environ 4% de ses dépenses militaires totales. En réalité, comme le montre uneenquête récente de Mediapart, ces chiffres sont largement gonflés, la valeur réelle de l'aide étant de plusieurs fois inférieure.

Avec sa fanfaronnade sur l'envoi des troupes en Ukraine, Macron a non seulement échoué à atteindre son propre objectif dans la concurrence pour le leadership européen. Ces propos ont donné du grain à moudre à toutes les forces politiques qui, d'une manière plus ou moins ouverte, quand la situation politique le permet, s'opposent dès le début au soutien militaire à l'Ukraine : le Rassemblement national, bien sûr, mais aussi les partis de la gauche institutionnelle, comme le Parti communiste et la France insoumise. Force est de constater que c'est main dans la main qu'ils se lancent dans une nouvelle campagne anti-ukrainienne, concernant à la fois l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne et l'accord de sécurité bilatéralsignéAccord de coopération en matière de sécurité entre la France et l'Ukraine. Publié le 16 février 2024 ] entre la France et l'Ukraine le 16 février. Pire, comme on l'a appris mardi, alors que l'extrême-droite a opté pour l'abstention, le Parti communiste et la France insoumise ont décidé de voter contre cet accord de sécurité. Quelques mots sur son contenu et sur ce que la France insoumise propose à la place.

Ce qui gêne la France insoumise, ce sont les affirmations de principe que ce document contient : « La France réaffirme l'objectif de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne » et « confirme que la future adhésion de l'Ukraine à l'OTAN constituerait une contribution utile à la paix et à la stabilité en Europe. » Mais si on regarde ce texte concrètement dans le détail, non seulement il n'y a rien sur l'envoi des troupes au sol dans le cadre de la phase actuelle de la guerre, mais rien de tel n'est prévu dans le cas où l'Ukraine serait à nouveau envahie après un cessez-le-feu ou la signature d'un accord de paix. Concrètement, je cite : « En cas de future agression armée russe contre l'Ukraine, […] le Participant français fournira à l'Ukraine une assistance rapide et soutenue en matière de sécurité, des équipements militaires modernes dans tous les domaines, selon les besoins, et une assistance économique. » Le reste du document détaille le contenu de cette assistance, qui inclut la formation, la cyberdéfense, l'armement, etc. Concrètement, au lieu de proposer des amendements, c'est à ces garanties de sécurité minimales, qui ne se distinguent pas en substance de celles dont l'Ukraine bénéficie actuellement, que s'oppose la France insoumise.

Qu'est-ce qu'elle propose à la place ? Dans une vidéo publiéele 7 mars, Mélenchon propose sa vision de ce qu'il appelle « le conflit Ukraine-Russie ». Selon lui, « la seule stratégie qui a un sens », c'est la mise en avant d'un « plan de paix ». Pour cela, il s'agirait de comprendre la nature de ce « conflit Ukraine-Russie ». Je cite Mélenchon : « Le sujet de la guerre entre Russes et Ukrainiens, c'est deux choses : un, les frontières […] et deux, la sécurité mutuelle. Les Ukrainiens ne veulent plus vivre dans l'angoisse d'être envahis par les Russes. Et les Russes ne veulent plus vivre dans des conditions où, d'après ce qu'ils disent, ils ne veulent plus être sous la menace d'une intervention militaire de l'OTAN premièrement, et deuxièmement de voir des populations qui leur ont demandé d'être assimilées à l'ensemble russe, d'être menacés. » Pour aboutir à un accord, il s'agit d'organiser une « conférence sur les frontières » où, je cite, l'on « demande aux populations concernées à quoi, à qui elles veulent être rattachées. La voix du peuple est la solution, pas le problème. […] Si ces questions sont réglées par un referendum, alors nous avons tous les éléments d'une paix. »

Je ne vais pas m'attarder sur cette argumentation. Je vais simplement rappeler qu'il ne s'agit pas d'un conflit Ukraine-Russie sur les frontières et la sécurité mutuelle, mais d'une invasion brutale, absolument injustifiée, et d'une occupation des territoires ukrainiens par l'armée russe. Que la menace de l'OTAN et la prétendue demande des populations russophones d'intervenir militairement pour les protéger du gouvernement ukrainien est un pur élément de propagande russe. Que parler des referendums sur les territoires occupés est une proposition ignoble, monsieur Mélenchon sachant très bien que leur organisation démocratique est impossible. La Russie a déjà organisé un semblant de referendums sur les territoires occupés qui ont donné plus de 90% de votes pour le rattachement à la Russie. Comment ferait-on pour imposer à la Russie le retour en toute sécurité des réfugiés pour qu'ils puissent voter, le départ des colons russes pour qu'ils ne puissent pas voter, et la supervision de ces referendums par les instances internationales indépendantes ? C'est tout à fait irresponsable de nous faire croire que cela soit possible dans les conditions actuelles.

Regardons la situation de façon réaliste. Vu la situation dans laquelle l'Ukraine se trouve actuellement, il est raisonnable de penser qu'un cessez-le-feu selon la ligne de front soit la moins pire des options. Les troupes ukrainiennes sont démoralisées par le grand nombre de tués et de blessés, par le manque de munitions et de matériel adéquat, etc. Les civils ukrainiens, à leur tour, manifestent peu d'envie de remplacer celles et ceux qui sont déjà au front : après l'échec de la contre-offensive de l'été, la ligne de démarcation ne bouge plus en faveur de l'Ukraine, et elle ne recule pas assez pour que celles et ceux qui sont à l'arrière sentent à nouveau une menace existentielle qui les motiverait à se porter volontaires, comme c'était le cas au début. Les tensions au sein de la société ukrainiennes sont bien réelles. Tout le monde voudrait que la guerre s'arrête.

Encore faut-il que les conditions pour un tel cessez-le-feu soient réunies, et en premier lieu que Poutine ait intérêt à arrêter la guerre et à respecter l'engagement de non-agression future. Or, justement, cela n'est pas le cas : l'armée russe a repris l'initiative. La guerre permet au régime de se renforcer à l'intérieur du pays, passé en mode « économie de guerre ». L'assassinat récent de l'opposant Alexey Navalny marque une nouvelle étape dans la répression politique. Le monde entier s'est ému à juste titre de voir des milliers de russes anti-guerre défiler et poser des fleurs devant la tombe de l'opposant à Moscou. Malheureusement, malgré l'émotion et l'espoir que ce geste fait naître, rien ne permet de présager dans l'immédiat un soulèvement populaire capable de changer quelque chose de l'intérieur. Le régime poutinien se nourrit désormais de la guerre, sur le plan à la fois interne et international, où son objectif ouvert est d'utiliser l'agression de l'Ukraine pour remanier les rapports de force géopolitiques. Pour le moment, il est difficile d'imaginer que quelque chose de moins qu'une capitulation de l'Ukraine puisse le satisfaire.

De leur côté, les Ukrainiens, dans leur écrasante majorité, ne sont pas prêts à accepter la capitulation. On peut parler autant qu'on veut d'un cessez-le-feu immédiat comme l'alternative au soutien militaire, mais il faut être conscient que ce ne sont que des mots vides destinés au public français dans le cadre de la campagne électorale. Certes, les combats devront s'arrêter un jour, et il y a aura un cessez-le-feu sous une forme ou une autre. La question est de savoir dans quelles conditions pour l'Ukraine cela aura lieu : est-ce qu'elle sera à l'offensive ? Est-ce qu'elle sera suffisamment armée et soutenue pour être dans la situation la plus avantageuse ? Quelles sont les garanties de sécurité qu'on est à prêt à accorder dans le cas hautement probable d'une nouvelle invasion ? Nous sommes dans un moment de grande incertitude quant à l'évolution de la situation, qui dépendra de beaucoup de facteurs. Et dans l'incertitude, le plus raisonnable et le plus juste, c'est de continuer à soutenir l'aide militaire à l'Ukraine.

J'ai conscience qu'il soit difficile en tant que féministe d'assumer une telle position. Cela touche à la question de l'identité du mouvement, de son antimilitarisme et de l'opposition à l'État. La résistance ukrainienne est devenue l'épine dans le pied de l'ensemble des organisations anticapitalistes, féministes et anti-impérialistes. Certains ont préféré préserver la pureté de leurs principes au détriment de l'analyse de la situation et de la solidarité concrète. Je pense toutefois, et c'est ce que le manifeste féministe ukrainien affirmait déjà en 2022, que la pensée et la pratique féministes sont les mieux à même à se placer systématiquement du côté de l'expérience, en fonction des intérêts immédiats des femmes victimes de l'oppression, mais aussi des femmes résistantes, où qu'elles soient. En Ukraine, des dizaines de milliers de femmes résistent à l'invasion avec les armes ; des centaines de milliers travaillent dans les services publics cruciaux, des millions sont impliquées dans le bénévolat. En tant que féministes, on doit pouvoir comprendre que notre action s'ajuste au point de vue à partir duquel on milite.

Concernant le soutien à la Palestine, nous agissons à l'intérieur du camp qui soutient l'agresseur. Le plus efficace est donc que nous luttions contre l'armement et pour l'arrêt inconditionnel des combats par Israël. C'est le même type d'action qu'essaient de mener, dans la mesure de leurs forces, les féministes russes et biélorusses à l'égard de leurs gouvernements. Mais concernant l'Ukraine, nous nous trouvons dans un pays qui fournit un soutien à l'agressé. Tant qu'il n'y a pas d'autres options réalistes, la solidarité exige qu'on assume à soutenir l'envoi d'armes à l'Ukraine. Et que, contre les campistes de tous les bords, on proclame : « De l'Ukraine à la Palestine, l'occupation est un crime ! ».

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Donald Trump avertit qu’il y aura un bain de sang s’il est à nouveau battu par J. Biden

26 mars 2024, par Democracy now ! — , ,
Le candidat républicain, Donald Trump a fait campagne en Ohio cette fin de semaine. Il a averti que s'il était battu par l'actuel Président Biden, il y aurait un bain de sang (…)

Le candidat républicain, Donald Trump a fait campagne en Ohio cette fin de semaine. Il a averti que s'il était battu par l'actuel Président Biden, il y aurait un bain de sang dans la foulée :

D.Trump : Voilà, si je ne suis pas élu il y aura un bain de sang partout, ça ne sera que le moindre mal. Il y aura un bain de sang dans tout le pays. Ça ne sera que le moindre mal.

Democracy Now, 18 mars 2024, bulletin de nouvelles
Traduction, Alexandra Cyr

Durant ce même discours, il a encore augmenté ses attaques déshumanisantes contre les immigrants.es :

D.T. : Si vous leur donné le nom de « personnes », je ne les appelle pas ainsi. Certains.es ne sont pas des personnes selon moi. Mais on ne me permet pas de le dire parce que la gauche radicale dit que c'est terrible de parler ainsi. Ils disent « Il faut voter contre lui parce que vous avez entendu ce qu'il dit à propos de l'humanité » ? J'ai vu l'humanité, et cette humanité, … ils et elles sont mauvais.es. Ce sont des animaux, d'accord ?

Il a aussi demandé la prison pour les élus.es qui ont pris part au Comité spécial de la Chambre qui a enquêté sur l'insurrection du 6 janvier (2021).

Une nouvelle reliée à cette affaire rapporte que l'ancien vice-président de D. Trump, M. Mike Pence, a déclaré qu'en toute bonne conscience, il ne pouvait pas soutenir la candidature de D. Trump pour sa réélection.

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Le discours de Chuck Shumer soulève la rage de la droite qui soutient Israël

26 mars 2024, par Murtaza Hussain — , ,
Les néoconservateurs.trices ne détestent les interférences en Israël que quand elles s'attaquent à leur soutient inébranlable en faveur de l'apartheid et du massacre des (…)

Les néoconservateurs.trices ne détestent les interférences en Israël que quand elles s'attaquent à leur soutient inébranlable en faveur de l'apartheid et du massacre des Palestiniens.nes

Murtaza Hussain, The Intercept, 15 mars 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, représentant de New-York, a livré un discours qui a provoqué la rage de la droite qui soutient Israël. Plusieurs l'ont décrit comme un appel à un changement de régime en Israël en visant son Premier ministre, Benjamin Nétanyahou. En quarante minutes environ, il a attaqué le Hamas et critiqué Israël tout en assurant que les États-Unis le défendraient et le soutiendraient durant toutes les crises auxquelles il pourrait faire face. Mais il a ciblé directement le Premier ministre Nétanyahou en décrivant son gouvernement « d'obstacle à la paix » et en disant que sa coalition gouvernementale « ne répondait plus aux besoins d'Israël ».

Il est même allé plus loin en souhaitant des élections en Israël qui apporteraient un nouveau gouvernement. Et il a ajouté que B. Nétanyahou : « s'est égaré en permettant à sa survie politique de prendre le dessus sur les meilleurs intérêts du pays ».

Malgré le ton qui soutient Israël, son discours a soulevé la rage chez les plus ardents défenseurs de ce pays y compris plusieurs néoconservateurs.trices. Écrivant pour le Conseil sur les relations étrangères, Elliott Abrams (impliqué dans l'affaire Iran-Contra), accuse M. Schumer sur un ton hystérique de vouloir faire d'Israël une « colonie américaine » en intervenant dans ses politiques : « C'est une manière honteuse et sans précédent de traiter un allié et une interférence inadmissible dans les politiques internes d'une autre démocratie ». Sa critique a été reprise par des élus.es israéliens.nes comme l'ancien Premier ministre, M. Naftali Bennett qui a dénoncé (le discours) comme « une intervention politique externe » dans les affaires israéliennes.

Ces arguments pourraient peut-être être respectables pour la plupart, si pour l'essentiel, la masse des interventions politiques américaines habituelles et institutionnelles à l'égard d'Israël et de son gouvernement, n'avaient été retournée avec succès par ses supporters ; les affaires d'un petit pays au bord de la Méditerranée sont devenues un enjeu problématique de politique intérieure aux États-Unis. B. Nétanyahou lui-même n'a affiché aucun embarras à propos de ses interventions dans la politique américaine alors qu'il livrait des discours frénétiques devant le Congrès des États-Unis lui demandant de légiférer en faveur d'Israël et endossant visiblement le candidat qu'il préférait pour la Présidence américaine durant les élections.

Sans contre dit, la politique étrangère américaine est actuellement fortement contrainte par le lobby de groupes d'intérêts spéciaux puissants comme le « American Israel Public Affairs Committee » (AIPAC). Ces organisations s'attachent à assurer que les États-Unis fournissent à Israël une aide militaire, économique et diplomatique sans faille, même quand son gouvernement rejette continuellement les demandes américaines pour la création d'un État palestinien en accord avec la loi internationale.

Que des gens comme Messieurs Abrams et Bennett expriment des doléances quant aux interventions américaines dans les affaires israéliennes semble plutôt à très courte vue car, elles ne sont pas que bienvenues mais exigées par Israël et ses soutiens aussi longtemps qu'elles sont en concordance avec la sécurité et les besoins politiques du gouvernement israélien.

Plus que jamais

Le discours de C. Schumer arrive au moment où Israël n'a jamais été aussi isolé et dépendant de l'aide américaine. Contrairement à ses propres désirs, le gouvernement américain est revenu au Proche Orient en luttant contre les Houtis au nom d'Israël, lui fournissant des armes pour sa campagne à Gaza et en décourageant le Hezbollah au Liban avec ses porte-avions stationnés en Méditerranée. Les trois militaires américains qui ont été tués en Jordanie plus tôt cette année, l'ont été dans un attaque clairement motivée par le rejet de l'aide américaine à Israël.

Les États-Unis ont utilisé leur droit de véto au Conseil de sécurité de l'ONU pour protéger Israël du flot de contestation mondiale devant la vue de tuerie de masse et la famine à Gaza. Quand Israël a reçu les réponses diplomatiques négatives de la part du Brésil, de l'Afrique du sud, de la Chine et de la plupart des pays musulmans, les États-Unis sont restés à ses côtés sans faiblir comme son plus important et parfois son unique défenseur sur la scène internationale.

Malgré tout ce soutien, Israël n'a pas joué la réciproque. Aux remarques du Président Biden en faveur d'une éventuelle solution à deux États toutes rhétoriques qu'elles aient été, B. Nétanyahou a répondu en humiliant publiquement son plus important défenseur. Il a déclaré sans vergogne, qu'il n'y aurait jamais d'État palestinien. Ce Premier ministre de droite s'est même vanté d'en avoir empêché un de voir le jour.

L'engagement inébranlable de B. Nétanyahou à défier la loi internationale et la majorité de l'opinion mondiale pour poursuivre le projet de colonisation de la Cisjordanie ne peut tenir que parce que ses supporters réussissent à fléchir les politiques américaines en faveur d'Israël, aucun autre pays n'en a autant bénéficié. Et aucun autre pays n'a aussi peu redonné pour les énormes chèques fait au porteur que les États-Unis ont libellés jusqu'à maintenant.

Malgré ses critiques envers B. Nétanyahou et sa coalition extrémiste devant le Sénat, C. Schumer était résolument en soutien à Israël et hostile à ses ennemis. Mais en souhaitant une solution à deux États, il a est entré en contradiction avec M. Nétanyahou et une majorité du public israélien qui s'y oppose. Ils préfèrent le statut quo ce qui entraîne le retrait systématique du droit de vote aux Palestiniens.nes ce que les groupes de défense des droits humains ont qualifié « d'apartheid ».

Dans ce contexte il ne faut pas comprendre les commentaires du leader de la majorité démocrate au Sénat comme un appel à organiser une révolution colorée à Tel Aviv. Il s'agit plutôt d'une tentative de prévenir Israël contre son arrivée à un niveau d'ostracisme d'où, même les États-Unis ne pourraient les sortir. Et M. Schumer d'ajouter : « Israël ne peut espérer réussir en tant que paria en opposition au reste du monde ».

Les supporters d'Israël qui ont été choqués.es par son discours ferait mieux d'entendre ce conseil avisé.

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Conseil de sécurité de l’ONU : les véritables raisons de la résolution états-unienne pour un cessez-le-feu à Gaza

Pour la première fois, Washington parle de cessez-le-feu immédiat dans un projet de résolution, qui doit être examiné vendredi 22 mars par le Conseil de sécurité de l'ONU. Joe (…)

Pour la première fois, Washington parle de cessez-le-feu immédiat dans un projet de résolution, qui doit être examiné vendredi 22 mars par le Conseil de sécurité de l'ONU. Joe Biden, en difficulté en cette année électorale, espère faire illusion.

Tiré de l'Humanité

Pierre Barbancey <https://www.humanite.fr/auteurs/pie...> , L'Humanité, France. Mise à jour le vendredi 22 mars 2024 à 11h57

www.humanite.fr/monde/guerre-israel-hamas/conseil-de-securite-de-lonu-les-veritables-raisons-de-la-resolution-etats-unienne-pour-un-cessez-le-feu-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/guerre...>

Pour son sixième déplacement au Proche-Orient depuis le 7 octobre, Antony Blinken, le secrétaire d'État américain (1), n'est pas venu les mains vides et sa façon de procéder montre quelles sont les préoccupations de Washington. Mercredi soir, en marge d'une visite en Arabie saoudite consacrée à la guerre menée par Israël contre la bande de Gaza, il a accordé un entretien au média saoudien Al Hadath dans lequel il annonce : « Nous avons en fait soumis une résolution qui est, à présent, devant le Conseil de sécurité (de l'ONU – NDLR), qui appelle à un cessez-le-feu immédiat lié à la libération des otages, et nous espérons vivement que les pays la soutiendront. » Il a ajouté espérer que cette initiative envoie un « signal fort ». Il est vrai que, jusqu'à présent, Washington a toujours refusé le mot « immédiat ».

*Un soutien trop inconditionnel ?*

Selon la chaîne qatarienne Al Jazeera, qui a obtenu une copie, ce projet de résolution, qui doit être examiné ce vendredi 22 mars, est ainsi rédigé : « Le Conseil de sécurité détermine l'impératif d'un cessez-le-feu immédiat et soutenu pour protéger les civils de toutes les parties, permettre la fourniture d'une aide humanitaire essentielle, et atténuer les souffrances humanitaires (2) et, à cette fin, appuie sans équivoque les efforts diplomatiques internationaux en cours pour obtenir un tel cessez-le-feu dans le cadre de la libération de tous les otages restants. »

À l'évidence, il s'agit d'un changement d'attitude de la part des États-Unis. Antony Blinken continue à marteler « nous nous tenons aux côtés d'Israël et son droit à se défendre », mais précise : « Il est impératif pour les civils, qui sont en danger et qui souffrent si terriblement, que nous nous focalisions sur eux, que nous faisions d'eux une priorité, en les protégeant et en leur procurant une aide humanitaire. »

Un changement de ton perceptible qui ne doit rien au hasard. Comme le relève le Washington Post, ce soutien inconditionnel à Israël (le porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby, avait même expliqué qu'il n'y avait pas de « lignes rouges », c'est-à-dire pas de limites) devient un boulet pour Joe Biden. « Ses alliés reconnaissent en privé que cela lui a causé des dommages importants aux niveaux national et mondial et pourrait facilement devenir son plus grand cataclysme en matière de politique étrangère. »

La stratégie de Biden reposait en fait sur un postulat central : un soutien inconditionnel permettrait d'influencer l'attitude israélienne et donc le cours de la guerre. Las, c'est exactement l'inverse qui s'est produit (3). Biden a dit son inquiétude face à une offensive israélienne sur Rafah (4) si aucun plan ne permettait de protéger les civils. Dimanche, Netanyahou a rétorqué que les « pressions internationales exercées par ceux qui veulent la fin de la guerre sans que les buts ne soient atteints » n'aboutiront pas, que ses troupes entreront dans Rafah et que la guerre se poursuivra « jusqu'à la victoire totale ».

*Des ambitions électorales compromises*

Ce qui revient à défier la puissance américaine au vu et au su du monde entier avec des conséquences géopolitiques certaines, mais également internes, alors que Joe Biden postule pour un nouveau mandat présidentiel en novembre. Dans l'État du Michigan, lors de la primaire démocrate, il a ainsi dû faire face à une fronde de plus d'une centaine de milliers de sympathisants qui se sont abstenus ou ont voté blanc pour protester contre le soutien de la Maison-Blanche à Israël (5).

Par ailleurs, plus du tiers des membres démocrates du Sénat américain ont demandé « à l'administration Biden de rapidement mettre en place et rendre public un plan solide détaillant les mesures nécessaires » à la création d'un État palestinien en Cisjordanie. Cette initiative intervient quelques jours après le discours surprise du chef des sénateurs démocrates au Sénat, Chuck Schumer, appelant à de nouvelles élections en Israël et critiquant ouvertement le gouvernement de Benyamin Netanyahou.

Si Netanyahou s'en prend à Rafah de manière inconséquente, a déclaré le sénateur démocrate Van Hollen, les États-Unis auront l'air « imbécile », rapporte le Washington Post. Le sénateur du Maryland a ajouté : « C'est bien d'entendre des commentaires plus durs de la part du président. Mais la question sera de savoir s'il utilise les leviers dont il dispose pour exiger des comptes et faire respecter ses demandes. »

La proposition de résolution se situe en réalité à mi-chemin. Elle permet à Joe Biden de prétendre agir (6) (y compris vis-à-vis de ses alliés arabes, notamment l'Arabie saoudite indispensable dans le montage régional de normalisation avec Tel- Aviv), tout en laissant les mains libres à Israël, qui bombarde sans discontinuer la bande de Gaza.

Le texte, jugé insuffisant par certains pays notamment parce qu'il n'utilise pas les mots « appelle » ou « demande » à propos du cessez-le-feu, fait l'objet de critiques notamment de la Russie qui pourrait utiliser son véto. Si tel était le cas, la France pourrait déposer sa propre résolution, selon France Info. Une réunion en Égypte serait d'ores et déjà « pré-organisée » pour s'assurer d'obtenir des soutiens.

(...)

(1) www.humanite.fr/monde/anthony-blinken/gaza-blinken-a-tel-aviv-une-treve-est-elle-enfin-possible <http://www.humanite.fr/monde/anthon...>

(2) www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/a-gaza-nous-atteignons-un-niveau-dinsecurite-alimentaire-inedit-alerte-jean-pierre-delomier-de-handicap-international <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>

(3) www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/gaza-lonu-denonce-les-entraves-israeliennes-a-laide-humanitaire <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>

(4) www.humanite.fr/politique/bande-de-gaza/emmanuel-macron-a-mes-yeux-rafah-est-un-point-de-rupture <http://www.humanite.fr/politique/ba...>

(5) www.humanite.fr/monde/etats-unis/les-enseignants-americains-pour-un-cessez-le-feu-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/etats-...>

(6) www.humanite.fr/monde/guerre-israel-hamas/gaza-joe-biden-critique-netanyahou-mais-maintient-son-soutien-a-israel <http://www.humanite.fr/monde/guerre...>

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Risques de normalisation du fascisme à la Trump et les dangers du bannissement de TikTok

26 mars 2024, par Amy Goodman, Mehdi Hasan, Nermeen Shaikh — , ,
D'accord j'ai un problème avec la propriété chinoise de TikTok. Bien sûr que j'aime n'importe qui d'autre. Je ne suis pas fan de la Chine. Mais l'idée que les autres réseaux (…)

D'accord j'ai un problème avec la propriété chinoise de TikTok. Bien sûr que j'aime n'importe qui d'autre. Je ne suis pas fan de la Chine. Mais l'idée que les autres réseaux sociaux sont transparents ou encore, qu'ils font un meilleur travail que lui quant à la modération, allons donc ! Il y a tout juste une semaine, Elon Musk, a annulé le nouveau programme de Don Lemon de sa plateforme, sur Twitter-X parce qu'il lui avait posé quelques questions difficiles.

Mehdi Hasan, Democracy Now, 14 mars 2024,
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : Nous allons commencer notre émission (…) avec le très reconnu et acclamé journaliste de la télévision, Mehdi Hasan. En janvier, il a annoncé sa démission de MSNBC après le retrait de son émission de la programmation. Il était une des voix musulmanes les plus marquantes de la télévision américaine. En octobre, Semafor rapportait que MSNBC avait réduit le rôle de M. Hasan et de deux autres musulmans, Ayman Mohyeldin et Ali Velshi après l'attaque du 7 octobre contre Israël. En novembre le diffuseur annonçait la fin de l'émission de Hasan peu après qu'il ait interviewé Mark Regev, un conseiller du Premier ministre israélien B. Nétanyahou.

Introduction : Le journaliste Mehdi Hasan prévient : la couverture des élections américaine de 2024 ne sera pas capable de rendre compte objectivement du danger que pose Donald Trump et la version moderne du Parti républicain, à la démocratie : « nous devons parler très clairement de cette menace fasciste ». Et il prévient qu'il ne croit pas que l'industrie médiatique soit capable d'empêcher la « normalisation de son extrémisme, son racisme et son fanatisme », parce que, en soi, le droit à une presse libre pourrait être en danger s'il regagne le pouvoir : « un de nos deux grands partis a été complètement radicalisé et fait maintenant le lit des suprémacistes de droite…soyons précis à ce propos ».

Nermeen Shaikh : Mehdi, passons à un autre enjeu qui s'impose cette année soit, les élections américaines. Vous avez déclaré que les médias sont particulièrement incapables de rendre compte correctement (de la campagne) de D. Trump et que c'est un problème majeur. Bien sûr, il est maintenant le candidat désigné. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire exactement par cela et quels sont les effets que cela aura cette année ?

Mehdi Hasan : Ouais ! Bon, voilà une bonne question Nermeen. Je dirais rapidement trois choses. 1- Comme je l'ai dit au point de départ, une des raisons pour lesquelles j'ai créé Zeteo c'est parce que je crois que les États-Unis font face à une menace fasciste. Elle émane du Parti républicain qui avec ses soutiens habituels a maintenant désigné D. Trump son candidat officiel. Nous devons absolument parler très clairement de cette menace fasciste. Nous devons en dire le nom, ne pas tourner autour du pot. Ne pas prétendre qu'il est un candidat « normal », ne pas normaliser son extrémisme, son racisme, son fanatisme et son autoritarisme. Nermeen, ce dont nous sommes témoins en ce moment, après 2020, quand nous avions pu observer une certaine amélioration dans la couverture de D. Trump, j'ai l'impression d'un recul vers 2016 de bien des façons : nous traitions D. Trump donnant un spectacle, bénéficiant des améliorations des cotes supplémentaires (d'audience et de lectorat) qu'il pouvait apporter à l'industrie et en le ménageant dans les entrevues. Récemment il a donné une entrevue ( de ce genre) à CNBC. C'était désagréable à voir. C'est un énorme problème. Donc, c'était le no. 1.

2- Il y a maintenant un enjeu d'accès au journalisme. Beaucoup de journalistes doivent encore avoir des invités.es des deux Partis en onde. L'obligation d'avoir les deux côtés politiques est devenu très frustrant. Les médias doivent vraiment réfléchir avec le plus grand sérieux à la manière de pratiquer le journalisme. Les vielles conventions et normes ne sont plus applicables. Il n'y a pas deux côtés à chaque sujet. Il n'y a pas deux côtés à la négation de l'Holocauste, des changements climatiques et des élections. Il n'y a pas deux aspects à la victoire ou non de J. Biden. Il faut que nous ouvrions les yeux sur ce à quoi nous faisons face et, encore une fois, que nous respections les téléspectateurs.trices et le lectorat et leur dire ce qui se passe ; leur dire que l'un de nos grands Partis est complètement radicalisé, fait le lit des suprémacistes blancs et répands certaines des pires théories conspirationnistes de QAnon. Soyons clairs.es à ce propos.

3- Les dangers, nous sommes déjà dedans selon moi. L'idée que les médias devraient être impartiaux (ne tient pas). Nous devons avoir un parti-pris en faveur de la vérité. Nous devons avoir un parti-pris en faveur de la presse libre parce que la survie des médias est en jeu chez-nous. Si D. Trump gagne les élections, que pensez-vous qui va arriver à la presse libre ? Il ne s'en cache pas ; il a parlé ouvertement de s'en prendre à NBC et MSNBC les accusant de trahison. Ses alliés., comme Kash Patel, ont parlé de poursuivre les médias pour devant les tribunaux criminels et civils. Un autre, Mike Davis, dit que si D. Trump le nomme Attorney General, il va m'enfermer à Guantanamo Bay. C'est ce genre de propos autoritaires que nous sert le Parti républicain. Les médias ne peuvent prétendre que c'est normal ou que ça ne menace pas nos libertés.

Amy Goodman : Pour finir, je voulais vous demander (ce que vous pensez) du projet de loi qui bannirait TikTok ? Adopté à la Chambre, il doit maintenant être voté au Sénat. Mais je voulais vous interroger sur un de ses aspects particuliers. Les militants.es en faveur des droits des Palestiniens.nes disent que la guerre d'Israël contre Gaza a enflammé les sentiments des conservateurs.trices et des élus.es centristes contre TikTok. Dans un enregistrement audio, dévoilé par une fuite après le 7 octobre, on peut entendre Jonathan Greenblatt qui dirige la Anti-Defamation League, dire : « Nous avons un problème avec TikTok ». Il fait référence à la baisse du soutien à Israël par la jeune population. Le groupe progressiste RootsAction a aussi noté que l'American Israel Public Afffairs Commitee (AIPAC) est le principal donateur du membre de la Chambre, Mike Gallagher, qui a parrainé le projet de loi pour le bannissement de TikTok. Et cela survient après que D. Trump se soit démentit. Il a changé de position la semaine dernière en s'opposant au projet de loi après avoir rencontré récemment le multimillionnaire très grand donateur au Parti républicain, Jeff Yass. Sa compagnie détient 15% des actions de ByteDance (la maison mère de TikTok. N.d.t.). Il est aussi intéressant de mentionner qu'il est un donateur important à des groupes de réflexion israéliens. Mehdi, que pensez-vous de tout cela ?

M.H. : Premièrement, Donald Trump ne croit à rien d'autre qu'à lui-même. Donc, il devrait vraiment soutenir ce projet de loi. Il va dans le sens de ses positions contre la Chine. Mais il ne le fait pas parce qu'il se peut qu'il fasse de l'argent de cette manière. Donc, ce n'est qu'un rappel de ce que D. Trump ne croit qu'en lui seul.

Quant à TikTok, c'est un vrai problème. D'une part, nous l'avons dit, il y a les reportages édulcorés des grands médias (sur la guerre à Gaza) mais en même temps il y TikTok qui montre à la jeunesse exactement ce qui se passe, la barbarie, la brutalité, les tueries de masse, la faim, les crimes de guerre et bien sûr, c'est un réel problème pour la machine de relations publiques israélienne et pour les factions pro israéliennes aux États-Unis.

Et c'est assez ironique d'entendre dire : « Oh ! Ça n'a rien à voir avec Israël, ça a à voir avec la Chine. Ça concerne nos connaissances à propos de cette compagnie ». Voyons ! D'accord j'ai un problème avec la propriété chinoise de TikTok. Bien sûr que j'aime n'importe qui d'autre. Je ne suis pas fan de la Chine. Mais l'idée que les autres réseaux sociaux sont transparents ou encore, qu'ils font un meilleur travail que lui quant à la modération, allons donc ! Il y a tout juste une semaine, Elon Musk, a annulé le nouveau programme de Don Lemon de sa plateforme, sur Twitter-X parce qu'il lui avait posé quelques questions difficiles. (…) C'est le genre de pouvoir qu'exercent les grandes entreprises de technologie américaines et leurs multimillionnaires qui sont capables de contrôler le discours public. C'est mentir complètement que de dire qu'avoir à faire avec TikTok va nous aider à mettre à mal la désinformation ou l'extrémisme.

A.G : Mehdi Hasan, merci d'avoir été avec nous.

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La Chine et l’Occident : vers une confrontation dure

26 mars 2024, par Pierre-Antoine Donnet — , ,
Les deux assemblées parlementaires chinoises ont conclu leurs travaux le 11 mars à Pékin sur une note martiale, qui semble bien confirmer le fait que la Chine et l'Occident se (…)

Les deux assemblées parlementaires chinoises ont conclu leurs travaux le 11 mars à Pékin sur une note martiale, qui semble bien confirmer le fait que la Chine et l'Occident se dirigent à grands pas vers une confrontation idéologique dure. Son principal danger : qu'elle dégénère en conflit militaire, comme l'estiment nombre d'analystes.

Tiré de Asialyst
17 mars 2024

Pierre-Antoine Donnet

Le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Joe Biden, lors d'une rencontre en marge du G20 à Bali, le 14 novembre 2022. (Source : Euronews)

Les motifs de querelles entre le régime communiste chinois et ses partenaires occidentaux n'ont cessé de s'amplifier et de se multiplier ces deux dernières années. Les griefs nourris à Pékin prennent l'allure de menaces de moins en moins voilées. Dans le contexte de l'agression russe contre l'Ukraine, Pékin prend aujourd'hui sans se cacher le parti de Moscou.

Les autorités chinoises avaient un temps préféré afficher une neutralité active dans le conflit en Ukraine. Elles n'avaient certes jamais condamné les « opérations spéciales » entamées par le dictateur russe Vladimir Poutine mais elles avaient pris soin de certifier que Pékin ne livrerait jamais d'armes létales à l'armée russe. Aujourd'hui, cette prudence n'est plus de mise. Si aucune preuve irréfutable n'existe pour identifier des livraisons d'armes chinoises à la Russie en guerre contre l'Ukraine depuis le 24 février 2022, plus personne ne doute que de grandes quantités d'armes sont livrées à l'armée russe par la Corée du Nord et l'Iran, deux proches alliés de Pékin.

Clairement, la Chine de Xi Jinping a donc choisi son camp : celui de la Russie. Elle espère qu'au bout du compte, Moscou gagnera cette guerre d'usure sanglante et brutale contre l'Ukraine car elle est aussi livrée contre l'Occident tout entier. Nombreux sont les signes de préparatifs menés au sein de l'Armée populaire de libération en vue d'une guerre dont le maître de la Chine avertit qu'elle est peut-être déjà inéluctable. « Le Parti communiste chinois accélère les préparatifs pour la grande confrontation à venir avec l'Amérique », écrit le 13 mars Luc de Barochez, éditorialiste au magazine Le Point. Or une confrontation avec l'Amérique ne manquerait pas de concerner, à des degrés divers certes, l'ensemble de l'Occident, y compris bien sûr le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et l'Inde.

L'ère de l'ouverture de la Chine sur le monde initiée en 1978 par Deng Xiaoping est désormais reléguée aux oubliettes et, avec elle, les réformes économiques. Car la priorité des priorités est la stabilité politique, l'obsession de Xi Jinping. Conséquence, le régime se durcit et ferme progressivement le pays aux influences étrangères. Alors que la Chine traverse une crise économique inédite depuis quarante ans, l'appareil communiste sait pertinemment que les investisseurs étrangers fuient le pays et ne sont pas prêts de revenir, douchés qu'ils sont par l'espionnite généralisée introduite sous la férule de Xi Jinping. Il sait aussi combien sont élevés les risques de troubles sociaux, conséquence là aussi d'un fort ralentissement de la croissance économique, elle-même due à la gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19 et de la priorité donnée aujourd'hui à la politique et à l'idéologie.

Preuve s'il en est de ce durcissement : cette année, pour la première fois depuis des décennies, le Premier ministre, en l'occurrence Li Qiang, a été privé du droit de donner la traditionnelle conférence de presse à la fin de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire, le simulacre de parlement aux ordres du pouvoir. Or ce rendez-vous était depuis plus de trente ans la seule occasion pour un dirigeant chinois premier plan de se prêter au jeu des questions-réponses avec les journalistes sur la situation de l'économie. Certes, celle-ci est en si piètre état que les questions de la presse étrangères auraient forcément été gênantes. Mais les réponses auraient peut-être permis de rassurer tant bien que mal les marchés étrangers.

La vraie raison est à trouver dans le règne monarchique exercé par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2012. Non seulement il s'est arrogé tous les pouvoirs, mais il ne tolère plus aucune critique au sein d'un régime ultra-autoritaire qui, de ce fait, est devenu depuis des années une dictature. Il prend désormais l'allure d'un régime sur la pente glissante du fascisme.

« Xi Jinping est un homme profondément affaibli. »

Rappelons-le : l'état de l'économie chinoise est catastrophique sinon même chaotique avec une croissance en berne qui, selon les projections officielles, ne dépassera pas les 5 % en 2024, un plancher lui-même inédit que les experts estiment largement surestimé. Les investissements directs étrangers sont en chute libre : -80 % en 2023, une dégringolade sans précédent depuis 1978. La démographie, elle aussi, dévisse de façon vertigineuse. La Chine n'est plus depuis avril 2023 le pays le plus peuplé du monde, coiffée au poteau par l'Inde. La crise immobilière, quant à elle, n'en finit pas de se creuser, laissant derrière elle une ardoise colossale qui n'est que la partie émergée de l'iceberg puisque l'endettement de l'État et des provinces atteint des sommets sans précédents dans l'histoire de la Chine contemporaine. Ajoutons à ce tableau déjà bien sombre un appareil politico-administratif sclérosé où bien rares sont ceux qui osent encore prendre des initiatives, de peur d'un retour de bâton d'une hiérarchie plus que jamais tatillonne et arc-boutée sur les directives du Parti.

La situation générale fait penser à celle de la fin de la Révolution culturelle, à la mort de Mao Zedong en 1976 : celle d'une Chine isolée du monde extérieur dont la population a perdu ses repères et surtout sa confiance dans le régime, et se met donc à douter de son avenir. « Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation de grandes tensions géopolitiques, remarquait un ancien ambassadeur en Chine, à l'occasion d'une réunion récente de journalistes français spécialisés sur la Chine. Nous sommes à un moment difficile, délicat car Xi Jinping ne représente pas toute la Chine. »

« Le dialogue est nécessaire puisque la Chine n'a visiblement aucun intérêt à ce que les conflits [en Ukraine et entre Israël et le Hamas à Gaza] cessent », souligne de son côté Emmanuel Lincot, historien et expert de la Chine contemporaine. En raison des défis auxquels le pays est confronté, le risque est donc la surenchère et la fuite en avant. L'ambition de Xi Jinping demeure la même depuis longtemps : faire en sorte que la Chine devienne le leader dans le monde pour remplacer les États-Unis. « Ceci passe implacablement par l'annihilation de la pax americana », ajoute l'ancien ambassadeur. Or cet objectif a pour contexte « qu'en Chine même, il y a un tas de gens qui ne sont pas d'accord avec la vision [de Xi Jinping] uniquement tournée vers une domination suprême », explique encore ce sinologue averti. « Xi Jinping est un homme profondément affaibli » comme en témoigne les purges à répétition au sein de l'appareil du Parti ainsi que dans les rangs de l'armée, insiste encore Emmanuel Lincot, l'ancien ambassadeur comparant Xi Jinping « au grand empereur Qianlong » (1735-1796) de la dynastie Qing, dans la mesure où comme lui, le président chinois n'a cure de ce que pensent ou veulent de la Chine les Occidentaux.

L'obsession du régime communiste chinois est, depuis son arrivée au pouvoir en 1949 et même depuis sa fondation en 1921, la survie du Parti coûte que coûte. C'est une des raisons pour lesquelles Xi Jinping a trouvé en Vladimir Poutine un allié précieux. Lors d'une visite à Pékin en avril 2022, à quelques semaines de l'entrée en guerre de la Russie en Ukraine, le dictateur russe et son homologue chinois avaient déclaré que la coopération entre leurs deux pays était désormais « sans limites ». « Ce que veux la Chine c'est un nouveau Yalta ainsi qu'un nouveau système de sécurité européen », relève l'ancien ambassadeur pour qui la Russie est dès lors devenue d'autant plus nécessaire à la propre survie du régime chinois.

Vidéos devant Zhongnanhai

Plusieurs « incidents », évidemment passés sous silence dans la presse officielle et rapidement censurés sur les réseaux sociaux chinois étroitement surveillés, témoignent de la grogne sinon même de la colère qui semble grimper au sein de la population chinoise. Ainsi, une vidéo a montré une voiture de couleur noire qui a enfoncé la porte principale de Zhongnanhai, le cœur du pouvoir à Pékin. Ce qui a provoqué une explosion et un début d'incendie rapidement maîtrisé aux premières heures du 10 mars, à quelques centaines de mètres seulement du Palais du peuple où se déroulaient les travaux des deux assemblées parlementaires, l'Assemblée Nationale Populaire (ANP) et la Conférence consultative politique du Peuple chinois (CCPPC). Son conducteur a ensuite été extrait sans ménagement de la voiture par de nombreux agents de sécurité et emmené loin de la scène. Les images de cette vidéo ont été diffusées par l'Agence centrale de presse taïwanaise (CNA). La vidéo montre ce véhicule roulant à vive allure dans la nuit vers l'Ouest sur l'immense avenue Changan qui traverse Pékin d'Est en Ouest, passant devant la place Tiananmen pendant la nuit, avant de percuter violemment la porte de Zhongnanhai. Selon CNA, la voiture portait une plaque d'immatriculation de Pékin.

De nombreuses questions se posent. Comment ce véhicule a-t-il pu emprunter la rue puis le trottoir de l'avenue Changan, qui était alors barricadée du fait des travaux parlementaires en cours, et se diriger directement vers la porte Xinhua ? De plus, pendant les « deux Assemblées », Pékin est placé sous très haute sécurité, tout particulièrement autour de Zhongnanhai. Zhongnanhai est sans doute le site le plus surveillé et protégé de Chine, avec d'importantes forces de sécurité présentes à l'intérieur et à l'extérieur de cet ensemble de bâtiments en bordure de l'immense place Tiananmen. En effet, il abrite les bureaux du Comité central du Parti et du Conseil d'État qui chapeaute le gouvernement, ainsi que les résidences de dirigeants de haut rang.

Selon l'Agence de presse taïwanaise, le même jour, dans la province du Jiangsu, le bâtiment du gouvernement de la ville de Zhangjiagang a été le théâtre d'une explosion le matin. L'entrée a été sérieusement endommagée. Dans l'après-midi du même jour, une autre vidéo a montré des images du dernier étage du bâtiment du Bureau de la sécurité publique de la province du Jiangsu à Nankin qui a pris feu et dégagé beaucoup de fumée noire.

On se souvient peut-être de « l'incident de Sitongqiao » à la veille du XXème Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2022, à Pékin. Le 13 octobre 2022, un manifestant avait calmement déroulé deux immenses bannières sur le pont Sitong dans le district très fréquenté de Haidian à Pékin pour protester contre « la dictature de Xi Jinping ». Ces deux bannières, vues par des dizaines de milliers de passants, protestaient contre le culte de la personnalité extravagant dont s'entoure Xi, les violations répétées des droits humains en Chine, la censure et les contraintes insupportables imposées par la politique du « zéro-Covid ». Ce manifestant, Peng Lifa (彭立发), avait rapidement été arrêté. Il a depuis disparu et n'a plus jamais donné signe de vie. Selon des médias d'opposition chinois à l'étranger, les manifestations contre le régime communiste sont nombreuses, surtout depuis le début des années 2000. Pas moins de 180 000 manifestations auraient eu lieu pendant la seule année 2019, selon le professeur de sociologue de l'université Qinghua, Sun Liping.

Xi Jinping en train de « tuer » le capitalisme à la chinoise

Dans son ouvrage The Crisis of Democratic Capitalism (Penguin Press), Martin Wolf dresse un état des lieux particulièrement alarmant de la Chine de Xi Jinping. Selon lui, elle est en train de basculer vers l'inconnu. Vétéran du journalisme et pendant plusieurs décennies commentateur au Financial Times, Martin Wolf expliquait mardi 12 mars dans les colonnes du quotidien britannique que Xi Jinping était en train de « tuer » le capitalisme à la mode chinoise que Deng Xiaoping avait instauré et qui avait remis la Chine sur les rails d'un développement accéléré.

« La tendance qui est celle de Xi de centraliser la prise de décision n'a évidemment pas arrangé les choses. Elle risque de susciter la paralysie et des réactions extrêmes, écrit-il. En effet, « gérer une économie menée par la politique au buts multiples est simplement plus difficile que celle d'une économie dont le seul objectif est la croissance. Les politiques de Xi ont également [eu pour résultat] de compliquer davantage les relations avec les dirigeants politiques occidentaux. Prendre le chemin inverse d'un système indépendant et légal qui était le garant des droits à la propriété et d'un système politique plus démocratique était beaucoup trop risqué. Dans un pays de la taille de la Chine […] cela aurait mené au chaos. L'alternative conservatrice de Xi est donc de chercher la sécurité, quand bien même cela pourrait tuer la poule aux œufs d'or économique. »
« La question plus importante est [de savoir] si, en centralisant, le règne de prudence et de conservatisme de Xi, le changement de Deng [Xiaoping] de la stagnation à une croissance explosive n'est pas condamné à un retour à la stagnation », souligne encore Martin Wolf. Si les gens en arrivent à croire que la dynamique de l'histoire récente est perdue pour de bon, le risque sera alors d'une spirale vers le bas et d'espoirs déçus. Mais la seule force d'1,4 milliard de personnes qui veulent une vie meilleure est extrêmement puissante. Sera-t-il possible de stopper cela ? La réponse, je pense, est non. »

Dans ce monde géopolitique de dangers croissants, la zone de fracture principale est Taïwan. Sur ce sujet, Alec Russell décrit « la voie périlleuse dans un monde distrait » de l'ancienne Formose dans un article publié le 11 mars par le même Financial Times. « Le scénario longtemps redouté est une invasion par l'armée chinoise à travers ce détroit large de 180 kilomètres qui sépare la Chine de Taïwan », souligne-t-il. Une menace qui s'accroit puisque Xi Jinping a demandé à ses forces armées de se tenir prêtes pour attaquer d'ici 2027.

Mais cette échéance risque fort de ne plus être la bonne car les mesures d'intimidation militaire ne cessent de se multiplier, Pékin se livrant à des activités dans une « zone grise » qui sont désormais toutes proches d'une agression en bonne et due forme. « Pékin paraît certainement plus belliqueux. Il a récemment aiguisé sa rhétorique en parlant de son devoir de « combattre » l'indépendance de Taïwan, plus que de s'y « opposer », formule qu'il préférait employer jusqu'à présent, analyse Alec Russel. Les experts les plus pessimistes spéculent sur le fait que la Chine pourrait mettre l'île à genoux en quelques jours en imposant un blocus, y compris en coupant les câbles électriques sous-marins. »

À cela s'ajoute Donald Trump qui, s'il est réélu en novembre prochain, a déjà clairement annoncé que Taïwan ne pourrait plus compter sur l'Amérique. « Il était depuis longtemps tentant de considérer Taïwan comme un modèle de société si le PCC devait s'effondrer. Mais comme l'Ukraine le sait, dans un voisinage encombrant, un voisin surpuissant qui nourrit des revendications territoriales anciennes peut supprimer les libertés en une nuit, remarque Alec Russel. Une différence entre l'Ukraine et Taïwan est celle de la dissuasion stratégique. L'Amérique avait clairement fait savoir qu'elle n'interviendrait pas si la Russie envahissait son voisin. Une autre guerre serait celle de Taïwan qui serait une catastrophe pour tout le monde. Voilà pourquoi certains s'interrogent sur le fait de savoir si la Chine n'est pas en train de miser sur le fait que l'île va finir par tomber dans son orbite. »

« En politique en Chine, ce qui n'est pas dit mène souvent à une vérité crue. »

Katsuji Nakazawa, éditorialiste chevronné et ancien correspondant en Chine pour le Nikkei Asia, explique pour sa part le fait que dans le narratif de la Chine communiste, ce qui n'est pas dit a souvent plus d'importance que ce qui est dit. « En politique en Chine, ce qui n'est pas dit mène souvent à une vérité crue, écrit-il le 14 mars dans les colonnes du média japonais. Cela a été plus que clair pendant la session de l'Assemblée nationale populaire […] qui a laissé quantité de questions sans réponse. Tout en haut des tabous que les dirigeants au sommet du pouvoir n'ont pas osé aborder […] sont les mystères qui ont entouré le limogeage soudain de l'ancien ministre des Affaires étrangères Qin Gang l'an dernier et les changements de personnels diplomatiques qui ont suivi. »

« Le scandale est d'autant plus grand que Qin était considéré comme un proche de Xi Jinping », souligne le journaliste pour qui cette affaire témoigne de la lutte pour le pouvoir qui se poursuit au sein des élites politiques chinoises. Mais surtout, ajoute Katsuji Nakazawa, le fait même que personne, y compris le ministre en exercice des Affaires étrangères Wang Yi, n'ait abordé cette question pendant les travaux de l'ANP, « l'affaire illustre le fait que Xi Jinping entend éliminer un à un tous ses rivaux déclarés ou potentiels » afin de rester seul maître à bord. Les membres de la Commission des affaires politiques de la CCPPC ont abondé dans des formules rhétoriques sur le fait que la Chine se dirigeait vers « un avenir brillant » sous la direction du Parti.

Une formule en résonance avec l'atmosphère politique actuelle en Chine dans laquelle les Chinois sont invités à ne dire que de bonnes choses sur le pays, sans jamais parler des problèmes graves qui secouent la Chine telles que le chômage des jeunes dont beaucoup fuient vers les États-Unis, l'Europe ou le Japon pour y trouver un avenir meilleur, explique l'auteur. Or la réalité est toute autre. En témoigne la chute impressionnante du nombre d'étudiants étrangers venant en Chine. Ainsi, souligne-t-il encore, le nombre d'étudiants américains en Chine est tombé autour de 350 en 2023 contre environ 15 000 il y a dix ans, selon des statistiques officielles. Cette situation, rendue plus grave encore avec les nouvelles directives et lois sur l'espionnage dont les cibles sont notamment les milieux universitaires, est pire que celle issue du massacre de la place Tiananmen en 1989, qui avait entrainé des départs en masse d'étudiants étrangers.

Conséquence du durcissement du régime chinois et de l'atmosphère délétère qui préside aux relations entre les deux géants économiques de la planète, les États-Unis envisagent l'interdiction totale de TikTok sur le sol américain. Un projet de loi dans ce sens a été adopté par la Chambre des représentants le 13 mars. Le texte de loi qui doit encore être voté par le Sénat, donne 165 jours à ByteDance, la société mère de TikTok, pour rompre ses liens avec le réseau social et, plus largement, avec la Chine. Certaines propositions vont jusqu'à envisager une interdiction totale de l'application sur le sol américain.

Le président Joe Biden a déjà exprimé son soutien, affirmant qu'il signerait la loi si elle était adoptée. Des parlementaires américains s'inquiètent des liens entre TikTok et les autorités chinoises. Ces courtes vidéos sont suspectées d'espionner et de manipuler les 170 millions d'utilisateurs aux États-Unis et d'envoyer leurs données personnelles vers la Chine.

« Les États-Unis n'ont jamais trouvé de preuves que TikTok menace leur sécurité nationale », a déclaré un porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin, interrogé sur le sujet. Interdire TikTok « sapera la confiance des investisseurs internationaux […] ce qui reviendrait pour les États-Unis à se tirer une balle dans le pied. »

Par Pierre-Antoine Donnet

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Inde : la future troisième économie mondiale bientôt aux urnes

26 mars 2024, par Olivier Guillard — , ,
À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents (…)

À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents de l'économie indienne, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.

Tiré de The asialyst.

Voilà deux mois que le troisième millénaire est entré dans sa 25ème année. Un millésime 2024 particulier à maints égards à cause de ses graves crises, conflits et zones de tension, mais aussi en ce qu'il marquera du sceau de la démocratie et des scrutins délicats rien de moins que sept des 10 pays les plus peuplés du globe. 2024 – « l'année électorale ultime » selon Time Magazine, « la mère de toutes les années électorales » selon l'expression du Council on Foreign Relations. Au total, quatre milliards d'individus ventilés sur une soixantaine d'États convieront leurs électeurs à déposer leur bulletin dans l'urne. L'Asie-Pacifique a entamé tambour battant cette longue procession électorale en organisant depuis janvier quatre scrutins au Bangladesh, à Taïwan, au Pakistan et en Indonésie. D'ici deux mois, un autre acteur asiatique et non des moindres mobilisera à son tour logistique, esprit civique et appétences démocratiques pour renouveler son parlement national : l'Inde.

En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru (1) pourrait se prévaloir.

Fort d'une légitimité politique et d'une autorité que bien peu de monde lui dispute dans son pays, le dernier invité d'honneur des cérémonies du 14 juillet à Paris se présente devant l'électorat indien en s'appuyant sur un argument de poids : en 2024, la cinquième économie mondiale – et troisième économie d'Asie – se porte bien. Elle traverse au mieux une conjoncture internationale agitée par des ondes de choc géopolitiques allant des marges orientales de l'Europe au détroit de Taïwan, en passant par un Moyen-Orient en ébullition.

Les médias asiatiques se sont penché sur ce contexte économique opportun, jalousé par nombre d'acteurs étatiques (2) infiniment moins bien lotis en matière de croissance économique. Les chiffres et les prévisions de croissance pour 2023 et 2024 sont parfois insolents, au regard par exemple de l'atonie générale inquiétante de la zone euro (+0,2 % de croissance du PIB en Allemagne). « Les perspectives de l'économie indienne semblent prometteuses, avec une croissance du PIB de 7 % pour l'exercice 2025, annonce fièrement The Indian Express, en s'appuyant sur les données détaillées du dernier rapport du ministère indien des Finances. Pour l'exercice en cours, l'économie indienne devrait connaître une croissance de + 7,3 %. Ce serait la troisième année consécutive que la croissance du PIB dépasserait les +7 %. » Et pour expliquer ce dynamisme économique indien, l'auteur de l'article met en avant les bénéfices d'une « bonne récolte agricole, la rentabilité soutenue de l'industrie manufacturière, la bonne résistance des services ainsi que l'amélioration attendue de la consommation des ménages et du cycle d'investissement privé ».

Cette incontestable montée en régime du géant d'Asie méridionale n'a pas uniquement profité aux comptes publics ou aux grands trusts industriels du pays. Les 1,4 milliard d'Indiens en ont également perçu des dividendes concrets dans leur vie quotidienne : l'extrême pauvreté a significativement reculé en l'espace de quelques années (3), consécutivement aux transferts sociaux vers la population la plus exposée. La santé publique et l'hygiène sont davantage pris en compte par les autorités (projet « Clean India » ou mission « Swachh Bharat Abhiyan » : campagne nationale pour la construction de toilettes publiques lancée en 2014), faisant notamment reculer la mortalité infantile.

La construction annuelle depuis 2018 de plus de 10 000 km de routes supplémentaires offre certes à l'économie des gains de productivité importants mais également à la population des possibilités de déplacement nouvelles (trajets plus nombreux, moins heurtés et plus courts). La part du budget dévolue au financement des grands projets d'infrastructures est passée de 0,4 % du PIB en 2014 à 1,7 % aujourd'hui.

La croissance la plus rapide parmi les plus grandes économies du monde

Cet enthousiasme « comptable » ne se limite pas uniquement aux frontières du pays. Quelque 6 000 km vers l'Est et quatre fuseaux horaires plus loin, dans la capitale de la désormais quatrième économie mondiale, le Japon, l'analyse panoramique des récentes performances économiques et financières indiennes est pareillement allègre. « Cette fois, la croissance économique rapide de l'Inde « a des jambes ». Les facteurs qui avaient précédemment freiné l'élan ont enfin été pris en compte », décrit le Nikkei Asia. Un constat flatteur sans appel : « La qualité des performances récentes de l'économie indienne est incontestable. Le pays a été l'économie majeure à la croissance la plus rapide en 2022 et 2023 et devrait l'être à nouveau en 2024. »

Notons que les titans industriels et autres tout puissants conglomérats indiens se portent pour certains d'entre eux à merveille. C'est notamment le cas de l'incontournable Tata Group (4) dont le magazine India Today nous apprend que la capitalisation boursière atteint désormais les 365 milliards de dollars – soit 24 milliards de dollars de plus que la totalité du PIB pakistanais (341 milliards de dollars selon le FMI) (5).

Du reste, le regard européen sur l'insolente bonne santé de l'économie (6) du pays de Nehru et Gandhi lors de la décennie écoulée, sous le management énergique et pro-business de Narendra Modi, est à l'aune des lectures indienne et nipponne esquissées plus haut. Depuis Davos et son incontournable World Economic Forum (WEF) (7), les éloges et satisfécits pleuvent également sur les artisans de la réussite indienne. Pour son président Borge Brende, le PIB indien atteindra d'ici 5 ans le seuil symbolique des 10 000 milliards de dollars, garantissant ainsi à l'Inde le troisième rang mondial derrière les États-Unis et la Chine. « L'économie indienne est celle qui connaît la croissance la plus rapide parmi toutes les grandes économies du monde. Nous avons vu à Davos cette année que l'Inde suscitait un grand intérêt et je pense que cela va continuer […]. Quand on vient en Inde, on ressent un certain optimisme, ce qui n'est pas le cas partout dans le monde », s'enthousiasme l'ancien ministre norvégien des Affaires étrangères (8), confiant au passage : « Le Premier ministre indien Narendra Modi est toujours le bienvenu à Davos ». Un témoignage nécessairement apprécié du côté du Panchavati, la résidence officielle du chef de gouvernement indien.
Que de chemin parcouru depuis 2014. Qui se souvient aujourd'hui qu'une douzaine d'années plus tôt – en 2013 précisément, un an avant l'arrivée aux affaires de Narendra Modi -, la très respectée banque américaine Morgan Stanley intégrait l'Inde dans le cercle peu flatteur des économies de marché émergentes vulnérables, surnommées les « cinq fragiles » du fait notamment de leur dépendance aux capitaux étrangers pour alimenter leur économie ou de l'importance du déficit de leur balance courante. Un club comprenant à cette époque le Brésil, la Turquie, l'Afrique du Sud, l'Indonésie, et donc l'Inde.

En août dernier, depuis l'emblématique Fort Rouge de New Delhi où l'on célébrait le Jour de l'Indépendance, le Premier ministre Narendra Modi promettait à ses concitoyens que leur économie intégrerait le club huppé des économies développées d'ici 2047, année qui honorerait le centenaire de l'indépendance nationale, obtenue à l'été 1947. 23 ans avant cette échéance historique autant que symbolique, les augures semblent favorables à pareille prophétie.

Propos recueillis par Olivier Guillard

Notes

1- Après des victoires électorales obtenues en 1951, 1957 et 1962

2- En 2022, seulement 3 % de croissance du PIB chinois, +2,6 % En Corée du Sud et en Thaïlande et +2,4 % à Taïwan, selon la Banque asiatique de Développement

3- Laquelle concernait environ un Indien sur six en 2015 contre désormais moins d'un sur huit

4- Compagnies aériennes, aérospatiale, conseil, production d'électricité, énergie électrique, finance, hôtellerie, technologies de l'information, commerce de détail, commerce électronique, immobilier, télécommunications, etc. Plus d'un million de salariés

5- En comparaison, pour l'exercice fiscal 2022-2023, l'économie pakistanaise

6- Pourtant, on reproche à ce dynamisme économique indiscutable de ne pas créer suffisamment d'emplois pour accueillir chaque année les millions de jeunes gens arrivant sur le marché du travail.

7- L'édition 2024 (54ème du nom) de cette grand-messe mondiale s'est tenue du 15 au 19 janvier 2024

8- Borge Brende préside le WEF depuis 2017

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La triple illégalité de l’occupation israélienne du territoire palestinien

26 mars 2024, par Monique Chemillier-Gendreau — , , , ,
La plaidoirie magistrale de la Professeure Monique Chemillier-Gendreau au nom de l'Organisation de la coopération islamique devant la Cour Internationale de Justice concernant (…)

La plaidoirie magistrale de la Professeure Monique Chemillier-Gendreau au nom de l'Organisation de la coopération islamique devant la Cour Internationale de Justice concernant les « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est »

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Texte intégral de la plaidoirie de Madame Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public et de sciences politiques à l'Université Paris Diderot, donnée le lundi 26 février 2024 devant la Cour Internationale de Justice au nom de l'Organisation de la coopération islamique concernant les « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » (source Compte rendu de la CIJ).

Mme CHEMILLIER-GENDREAU : Merci, Monsieur le président.

1. C'est au nom de l'Organisation de la coopération islamique que j'ai l'honneur de me présenter devant vous ce matin. Et je reviendrai ici sur trois éléments de la situation sur laquelle vous aurez à rendre votre avis.

LES NÉGOCIATIONS EN COURS COMME OBSTACLE SUPPOSÉ À LA COMPÉTENCE DE LA COUR

2. Quelques-uns des États participant à la présente procédure ont demandé à votre juridiction de décliner sa compétence. Ils estiment que l'avis demandé perturberait des négociations prétendument en cours entre les protagonistes, alors que ces négociations seraient le seul chemin vers la paix 1.

3. Mais il faut préalablement établir les faits. Les établir dans toute leur vérité est une condition indispensable à l'établissement de la justice. Y a-t-il des négociations en cours entre Israël et la Palestine ? La vérité sur cette question, c'est qu'il n'y en a plus. Il s'agit d'un mythe qui a été entretenu artificiellement longtemps, mais qui, à la lumière des événements, s'est effondré de l'aveu même des intéressés.

4. La Cour est-elle en mesure d'établir la vérité sur ce point ? Certains participants à cette procédure ont soutenu que vous devriez décliner votre compétence en raison d'une supposée difficulté à accéder aux faits. Mais le dossier qui vous a été fourni par les services des Nations Unies eux-mêmes comporte tous les éléments sur lesquels vous pouvez fonder l'avis qui vous est demandé.

5. Il est ainsi avéré que les accords d'Oslo remontent à 1993 et 1995, que leurs objectifs devaient être atteints au plus tard en 1999, que cette échéance n'a pas été tenue, que par la suite des réunions ont eu lieu à Charm el-Cheikh en 1999, à Camp David en 2000, et sont restées infructueuses. À partir de là, ni le redéploiement d'Israël ni le renforcement de l'autonomie de l'Autorité palestinienne ne se sont concrétisés.

6. L'horizon des accords d'Oslo était lié au respect des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité qui y sont explicitement mentionnées. Ce respect impliquait le retrait par Israël du Territoire palestinien occupé en 1967. L'article 18 de la convention de Vienne sur le droit des traités dispose que les États parties à un accord doivent s'abstenir d'actes qui priveraient ce traité de son objet et de son but. Or Israël, en implantant à marche forcée des colonies juives sur le territoire palestinien, a privé les accords d'Oslo de leur objet et de leur but.

7. Et les responsables politiques d'Israël ont confirmé la mort des négociations en dénonçant les accords d'Oslo dès les années 2000, c'est-à-dire il y a plus de vingt ans. Ariel Sharon avait alors déclaré au journal Haaretz : « On ne continue pas Oslo. Il n'y aura plus d'Oslo. Oslo, c'est fini. » 2

Plus récemment, le 12 décembre 2023, le premier ministre Benjamin Nétanyahou affirmait : « Je ne permettrai pas à Israël de répéter l'erreur des accords d'Oslo. » 3

8. Votre Cour reconnaîtra que nous sommes ici devant un cas particulièrement remarquable de manquement à la bonne foi. Israël, membre des Nations Unies, est lié par les résolutions de cette Organisation ainsi que par les engagements particuliers qu'il a pris. Au mépris de tout ce corpus, cet État s'approprie le territoire de la Palestine, expulse son peuple et lui refuse par tous les moyens le droit à l'autodétermination. Vous avez eu l'occasion de rappeler dans votre arrêt de 2018 que, dès lors que des États s'engagent dans une négociation, « [i]ls sont alors tenus … de les mener de bonne foi » 4. Or il apparaît que, dès son engagement dans les négociations d'Oslo, Israël a manqué à la bonne foi.

9. Aussi n'y a-t-il aucun horizon de négociation qu'il faudrait protéger, mais seulement une guerre en cours et le refus des autorités israéliennes d'ouvrir toute perspective politique fondée sur le droit international. Voilà pourquoi l'argument selon lequel votre compétence pour rendre l'avis demandé ferait obstacle à une paix négociée est un argument sans fondement.

DES VIOLATIONS MASSIVES DU DROIT INTERNATIONAL NE PEUVENT PAS ÊTRE UN OBJET DE NÉGOCIATIONS

10. Je voudrais maintenant, et ce sera mon second point, rester encore un moment sur la question des négociations pour faire à ce propos une remarque de fond. Les Palestiniens ne recouvreront pas leurs droits légitimes à travers une négociation bilatérale directe avec Israël. Il y a à cela deux écueils. Le premier tient à l'inégalité écrasante entre les deux parties. La Palestine est sous la domination militaire d'Israël et ses représentants sont dans une position de faiblesse structurelle. Dès lors, toute négociation est biaisée et le traité qui en résultera sera nécessairement un traité inégal.

11. Le second écueil tient au fait que, dans les négociations qui ont eu lieu jusqu'ici, Israël a tenté de faire admettre par les Palestiniens des entailles aux droits fondamentaux qu'ils détiennent du droit international. La violation principale, source elle-même des autres violations, consiste dans le refus persistant qu'oppose Israël au droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. À aucun moment depuis la fin du mandat britannique en 1947, les dirigeants d'Israël n'ont sincèrement admis qu'un État palestinien pouvait coexister auprès d'eux sur la terre de Palestine. Le premier ministre d'Israël a confirmé le 20 janvier dernier son opposition à une souveraineté palestinienne 5

12. Lorsque Israël a feint de négocier le droit des Palestiniens à devenir un État, c'était pour n'en concéder qu'une caricature : un pouvoir démilitarisé, enclavé, éclaté sur un territoire morcelé, avec un accès réduit à ses ressources naturelles. Et pourtant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a la valeur d'une norme de jus cogens. Il n'est pas un droit constitutif qui ne pourrait naître que de sa reconnaissance par Israël. Il est un droit déclaratif inhérent à la situation de peuple colonisé des Palestiniens. Il existe dès le moment où ce peuple a décidé de le revendiquer. De ce fait, et dans toute sa plénitude, ce n'est pas un droit négociable.

13. Israël a occupé à partir de 1967 le territoire palestinien suite à une action militaire qui a été menée en violation de la règle centrale d'interdiction du recours à la force. Il occupe donc un territoire sur lequel il n'a aucun droit. Il doit s'en retirer. Cela non plus n'est pas négociable.

14. En colonisant ce territoire, Israël viole l'interdiction du transfert de la population de la puissance occupante dans le territoire occupé 6. Et le projet israélien est officiellement de persister dans cette illégalité. De 700 000 qu'ils sont actuellement en Cisjordanie et à Jérusalem, les colons doivent dépasser le million aussi rapidement que possible, annonçait le ministre Smotrich le 12 juillet 2023 7. Israël a officialisé cette violation en inscrivant dans sa loi fondamentale de 2018 le développement des colonies juives comme une valeur de base de la société israélienne. Pourtant, le droit international exige le démantèlement de toutes ces colonies. Nous sommes là encore devant une obligation qui n'est pas négociable.

15. La sécurité des Palestiniens est gravement menacée. C'est par milliers qu'ils meurent sous les bombes israéliennes à Gaza depuis le 7 octobre. Et en Cisjordanie, selon les sources israéliennes, 367 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre, dont 94 enfants. Et 2 960 Palestiniens ont été arrêtés. Les sources palestiniennes estiment que ces chiffres sont fortement sous-évalués 8.

16. Les colons implantés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est exercent librement leur violence contre les Palestiniens. Ils y sont encouragés et des armes leur sont distribuées par l'État d'Israël lui-même 9. La dépossession de leurs terres et la répression dont sont l'objet les Palestiniens se sont ainsi intensifiées depuis quelques mois. Et se développe une politique de discrimination constitutive d'apartheid. Toutes ces violations de droits fondamentaux doivent cesser. Une fois de plus, cela n'est pas négociable.

17. Pour rendre l'avis attendu, votre Cour aura à se pencher sur la question de Jérusalem. Cette ville n'a pas été incluse dans le territoire destiné à Israël par la résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations Unies proposant un plan de partage de la Palestine. Lors de son admission aux Nations Unies en 1949, Israël a solennellement accepté les principes de la Charte des Nations Unies et des résolutions votées par ses organes. Il y avait donc là reconnaissance du fait que Jérusalem ne lui était pas attribuée.

18. Cependant, s'emparant de la ville par la force en 1948 pour la partie ouest et en 1967 pour la partie est, Israël en a fait sa capitale réunifiée en 1980. Depuis, Jérusalem-Est est soumise à une israélisation forcée par une intense colonisation. Celle-ci est considérée comme irréversible par les responsables israéliens.

19. Toutefois, Jérusalem-Est n'a pas d'autre statut que celui d'être un territoire occupé militairement par une puissance étrangère, comme l'ensemble du Territoire palestinien occupé depuis 1967. Israël doit s'en retirer au profit du peuple palestinien comme l'ont exigé constamment les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale 10. Et les Lieux saints doivent être préservés et ouverts à la liberté de tous ceux qui souhaitent s'y rendre. Cela non plus n'est pas négociable.

20. Ignorant ces impératifs du droit commun, Israël voudrait légaliser les actions illicites que je viens de mentionner en les inscrivant dans un accord. Or ce qui apparaît de l'analyse juridique de la situation, c'est que, sur la Palestine, Israël n'a aucun droit. Il n'a que des devoirs. Et de leur respect dépend la préservation de l'ordre public international fondé sur des normes communes et non dérogeables. La responsabilité de leur respect incombe aux Nations Unies, en charge du maintien de la paix. Elles ont été investies du dossier de la décolonisation de la Palestine par l'échec du mandat confié au Royaume-Uni. Elles sont la seule autorité à même de résoudre sur des bases conformes au droit la situation créée par cet échec depuis des décennies. Et s'il faudra bien que la paix découle d'un accord entre les parties, celui-ci devra être conclu sous les auspices des Nations Unies, garantes du respect du droit, et non sous le parrainage arbitraire d'États tiers manquant d'objectivité.

21. Ainsi la manière dont les choses seront menées à partir des conclusions de votre avis devra permettre que l'accord par lequel les Palestiniens seront rétablis dans l'intégralité de leurs droits respecte les normes fondamentales jusqu'ici objet de tentatives de contournement. Et si ce n'était pas le cas, le futur traité de paix tomberait sous le coup de la convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. » 11.

LA QUESTION DU STATUT DE L'OCCUPATION PAR ISRAËL DU TERRITOIRE PALESTINIEN

22. J'en viens maintenant, et c'est mon dernier point, à la seconde question qui est posée à votre Cour par l'Assemblée générale des Nations Unies. Vous êtes interrogés sur le statut juridique de l'occupation et sur les conséquences juridiques qui en découlent. Vous aurez ainsi à examiner l'occupation par Israël du territoire palestinien à la lumière de tous les champs du droit international.

23. Il s'agit d'abord du jus ad bellum, ce droit qui régit l'usage de la force par les États. Il comporte la norme majeure d'interdiction de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État 12.

24. Or c'est bien par l'usage de la force qu'Israël a occupé la Palestine en 1967, comme l'ont rappelé sans relâche le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale. Cet emploi de la force est dirigé contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la Palestine, aujourd'hui reconnue dans sa qualité d'État par les Nations Unies. L'occupation est donc illégale à sa source même.

25. Cette illégalité se manifeste aussi depuis 1967 par la manière dont a été conduite cette occupation. Elle enfreint en effet toutes les conditions posées par le droit de La Haye et de Genève à l'occupation militaire d'un territoire étranger. Ces conditions sont recensées par le Manuel du Comité international de la Croix-Rouge :

⎯ La puissance occupante ne peut pas modifier la structure et les caractéristiques intrinsèques du territoire occupé sur lequel elle n'acquiert aucune souveraineté. Israël n'a cessé de modifier à son profit ces caractéristiques.

⎯ L'occupation est et doit rester une situation temporaire. Israël occupe la Palestine depuis 66 ans et ses dirigeants affichent ouvertement leur intention de poursuivre indéfiniment cette occupation.

⎯ Israël doit administrer le territoire dans l'intérêt de la population locale et en tenant compte de ses besoins. Les besoins des Palestiniens sont cruellement méconnus.

⎯ Israël ne doit pas exercer son autorité pour servir ses propres intérêts et ceux de sa propre population. Toutes les politiques et pratiques d'Israël sont orientées au service des colons israéliens et au mépris des droits et intérêts des Palestiniens.

26. Ainsi les conditions dans lesquelles Israël a développé l'occupation du territoire palestinien, conditions dont toutes les preuves se trouvent dans les rapports des Nations Unies, vous amèneront à conclure que cette occupation, par sa durée et les pratiques déployées par l'occupant, est un prétexte à un projet d'annexion. Celui-ci, officialisé pour ce qui est de Jérusalem, est mis en œuvre de facto pour la Cisjordanie. Quant à Gaza, la guerre totale qui y est menée et les projets annoncés par le Gouvernement d'Israël confirment la volonté de cet État de garder la maîtrise de ce territoire.

27. Il résulte de ces constats, comme votre Cour ne manquera pas de le confirmer, que l'occupation par Israël du territoire palestinien est frappée d'une triple illégalité. Elle est illégale à sa source pour être en infraction à l'interdiction de l'emploi de la force. Elle est illégale par les moyens déployés, lesquels sont constitutifs de violations systématiques du droit humanitaire et des droits de l'homme. Elle est illégale enfin par son objectif, celui-ci étant de procéder à l'annexion des territoires palestiniens, privant ainsi le peuple de Palestine de son droit fondamental à disposer de lui-même.

CONCLUSION

28. Je donnerai quelques réflexions pour finir cette plaidoirie. La violence infondée et impunie qu'Israël exerce sur les Palestiniens entraîne en réponse une autre violence dans un cycle infernal, celui de la vengeance, qui est toujours à l'avantage du plus fort. C'est l'enchaînement meurtrier qui se déroule tragiquement sous nos yeux. Pour le rompre, il faut un tiers impartial affirmant avec autorité ce que doit être l'application de la norme commune. Il revient à votre Cour, à l'occasion de l'avis que vous allez rendre, de ramener l'ensemble de ce conflit sous la lumière du droit.

29. Ce droit permet de dire quelles règles doivent être appliquées à une situation critique, mais aussi quelles mesures peuvent être prises lorsque ces règles sont violées avec persistance. Je rappellerai ici que les conclusions de l'Organisation de la coopération islamique demeurent inchangées par rapport à celles de nos observations écrites et je me permets d'y renvoyer. Je rappellerai seulement que l'organisation que je représente demande à la Cour d'enjoindre à Israël de cesser toutes les violations qui ont été relevées ici et d'exiger des Nations Unies et de leurs États Membres qu'ils utilisent toute la gamme des mesures permettant de faire cesser la situation, ce y compris des sanctions contre l'État responsable.

30. Et pour finir, je voudrais, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, vous citer les propos du contre-amiral israélien Ami Ayalon, qui a dirigé pendant plusieurs années le service du renseignement intérieur israélien. Son chemin personnel l'a amené à s'interroger sur la notion d'ennemi et à mesurer l'impasse où se trouve Israël en ayant choisi la répression violente pour accompagner son refus de la solution politique. Et il conclut une interview donnée il y a quelques semaines à un quotidien français en disant : « La communauté internationale devrait jouer un rôle bénéfique. Nous avons besoin que quelqu'un de l'extérieur nous éclaire sur nos erreurs. » 13.

Sauver les Israéliens contre eux-mêmes, voilà à quoi la communauté internationale contribuera à travers l'avis consultatif que vous allez rendre. Je vous remercie de votre attention.

Note

1.Voir les observations écrites des Fidji, p. 3-5 ; de la Hongrie, par. 2, 11-30, 39, 41 ; d'Israël, p. 3-5 ; du Togo, par. 7-9 ; de la Zambie, p. 2
2. Haaretz, 18 octobre 2000.
3. Le Monde diplomatique, janvier 2024.
4.Obligation de négocier un accès à l'océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 538, par. 86
5. Le Monde, 24 janvier 2024.
6. Quatrième convention de Genève du 12 août 1949, art. 49, dernier alinéa.
7. Magazine, 12 juillet 2023 (accessible à l'adresse suivante : https://tinyurl.com/26b24uz6).
8. « Cisjordanie : l'autre guerre menée par Israël », Le Monde, 31 janvier 2023.
9.« Ben-Gvir annonce la distribution prochaine de 10 000 armes aux volontaires israéliens dans les villes frontalières », Nouvelle Aube, https://www.yenisafak.com/fr/international/ben-gvir-annonce-la-distribution-prochaine-de-10-000-armes-aux-volontaires-israeliens-dans-les-villes-frontalieres-14005.
10. Voir celles qui sont citées dans les observations écrites de l'Organisation de la coopération islamique, par. 357-404.
11. Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, art. 53.
12. Charte, art. 2, par. 4.
13. Le Monde, 25 janvier 2024.

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Israël effectue la plus importante saisie de terres en Cisjordanie depuis trente ans

Le ministre israélien d'extrême droite Bezalel Smotrich a annoncé l'appropriation par l'État de 800 hectares de terres dans la vallée du Jourdain. Il s'agit de la plus (…)

Le ministre israélien d'extrême droite Bezalel Smotrich a annoncé l'appropriation par l'État de 800 hectares de terres dans la vallée du Jourdain. Il s'agit de la plus importante confiscation foncière depuis les accords d'Oslo, et d'un pied de nez à Washington.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : La colonie israélienne d'Efrat, près de Bethléem, en Cisjordanie occupée, le 6 mars 2024. Photo Hazem Bader/AFP.

“Au moment où certains en Israël et dans le monde cherchent à saper notre droit à la Judée-Samarie [la Cisjordanie], nous promouvons l'installation d'implantations par un travail acharné et de manière stratégique dans tout le pays.”

C'est avec ces mots que le ministre des Finances israélien, Bezalel Smotrich, considéré comme l'une des figures de proue du mouvement de colonisation de la Cisjordanie, a présenté vendredi 22 mars la décision de déclarer environ 800 hectares – soit 8 kilomètres carrés – de terres autour de la colonie de Yafit, dans l'est de la Cisjordanie, à 30 kilomètres au nord de la mer Morte, dans la vallée du Jourdain, comme terres domaniales au profit d'Israël.

Cela “va permettre la construction de centaines de logements” sur ce terrain, qui pourra également servir pour des “projets de développement” industriels ou commerciaux, explique le Times of Israel.

Le projet de Smotrich

Selon l'organisation israélienne anticolonisation La Paix maintenant, il s'agit de la plus importante saisie de terres en territoire palestinien depuis les accords de paix d'Oslo, signés en 1993.

Au regard du droit international, la colonisation israélienne en Cisjordanie est illégale. Pourtant, écrit The Washington Post, “Israël a utilisé des ordonnances foncières comme celle émise vendredi [22 mars] pour prendre le contrôle de 16 % des terres sous contrôle palestinien en Cisjordanie”.

À ce titre, 2024 constitue déjà une année record pour les déclarations de terres domaniales, selon l'ONG La Paix maintenant.

Trois semaines plus tôt, rappelle le Times of Israel, le ministère de la Défense israélien avait autorisé la construction de plusieurs centaines de nouveaux logements dans les colonies de Ma'ale Adumim et de Kedar, tout près de Jérusalem, ainsi que celle d'Efrat, plus au sud.

Un défi à Washington

Plus largement, souligne le site Middle East Eye, l'ONG et les Nations unies “ont indiqué qu'Israël étendait ses implantations illégales à un niveau record”, notamment depuis le 7 octobre.

C'est notamment une victoire pour Bezalel Smotrich, leader du Parti sioniste religieux, “qui a continuellement cherché à étendre les colonies illégales et à faire avancer un projet d'annexion israélienne de la Cisjordanie occupée”, écrit le site The Cradle.

Comme le rappelle le site, Smotrich a obtenu, au moment de la formation du gouvernement fin 2022, le transfert d'une grande partie du pouvoir en Cisjordanie occupée du ministère de la Défense à celui des Finances.

L'annonce du vendredi 22 mars a été faite au moment même où le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, arrivait en Israël, alors que les relations entre les deux pays se sont refroidies sur fond de guerre à Gaza.

Un pied de nez de Smotrich, explique l'analyste israélienne Dahlia Scheindlin au Washington Post :

  • “Il est entré au gouvernement avec un objectif primordial : annexer toutes les terres conquises en 1967 et étendre partout la souveraineté juive, peu importe comment et quand cela doit se produire. […] Le timing et la provocation avant la visite de Blinken sont un bonus.”

Ces dernières semaines, les États-Unis ont annoncé plusieurs trains de sanctions contre des colons israéliens.

Courrier international

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Les complexes médicaux de Ghaza assiégés : Israël s’acharne de nouveau contre les hôpitaux

Ces derniers jours, les forces d'occupation sionistes mènent une nouvelle série d'assauts contre les principaux hôpitaux de la bande de Ghaza au motif d'y traquer les (…)

Ces derniers jours, les forces d'occupation sionistes mènent une nouvelle série d'assauts contre les principaux hôpitaux de la bande de Ghaza au motif d'y traquer les combattants palestiniens. L'armée israélienne poursuit pour le septième jour consécutif son siège du complexe médical Al Shifa, au quartier Al Rimal, à l'ouest de la ville de Ghaza.

Tiré d'El Watan.

« L'armée d'occupation continue de prendre d'assaut l'hôpital Al Shifa, qui abrite environ 7000 personnes, entre déplacés et patients, et mène une campagne massive d'arrestations et d'assassinats et bombarde les maisons entourant l'hôpital », relève l'agence Wafa. « Les patients et les personnes déplacées réfugiées à l'hôpital Al Shifa souffrent de l'absence de soins et du manque de nourriture et d'eau en raison du siège imposé à l'hôpital », poursuit la même source.

Cinq blessés hospitalisés dans ce même établissement « sont décédés samedi faute de nourriture et de prise en charge médicale et en raison aussi d'une panne de courant dans les salles de soins intensifs ».

En outre, trois blessés ont été évacués à l'hôpital baptiste « après avoir été exposés à des tirs de snipers embusqués à proximité du complexe médical Al Shifa », affirme l'agence de presse palestinienne. Cette opération d'envergure contre l'hôpital Al Shifa a été lancée le 18 mars.

L'armée israélienne a déclaré que « 170 combattants palestiniens y avaient déjà été tués et 480 autres arrêtés ». Le ministère de la Santé dans la bande de Ghaza a précisé de son côté que trois bâtiments du même complexe hospitalier abritant des centaines de déplacés, de malades et de blessés, ont été bombardés et incendiés hier.

Deux autres hôpitaux sont de nouveaux assiégés et attaqués par l'armée israélienne, cette fois au sud de la bande de Ghaza : il s'agit des établissements Al Amal et Al Nasser à Khan Younès. « Les forces d'occupation ont pris d'assaut l'hôpital Al Amal et l'hôpital Nasser au milieu de violents bombardements et de tirs nourris », a alerté hier la Société du Croissant-Rouge palestinien dans un communiqué.

La même source a averti que plusieurs véhicules militaires de tous types « entourent actuellement l'hôpital Al Amal et mènent de vastes opérations de rasage au bulldozer dans ses environs ».

364 travailleurs médicaux tués depuis octobre

Le Croissant-Rouge palestinien qui, faut-il le signaler, s'occupe de la gestion de l'hôpital Al Amal, a annoncé par ailleurs qu'un de ses cadres, Amir Sobhi Abou Aisha, est tombé en martyr hier à l'aube sous les balles de soldats israéliens alors qu'il était de service dans ce même hôpital.

Le chahid Amir Abou Aisha était « membre du personnel de la salle des opérations d'urgence du Croissant-Rouge », précise Wafa. Le Croissant-Rouge palestinien estime, à juste titre, que ses équipes sont en grave danger et dénonce le fait qu'elles ont été empêchées d'enterrer Amir dans la cour de l'hôpital Al Amal en raison du climat d'insécurité qui y règne et de la répression infernale subie par le personnel médical.

« 364 travailleurs médicaux, dont des médecins, des infirmières et des ambulanciers, sont tombés en martyrs depuis le début de l'agression contre la bande de Ghaza », souligne le Croissant-Rouge palestinien.

La même source a fait savoir dans un autre communiqué diffusé hier que les forces d'occupation ont condamné l'accès à l'hôpital Al Amal et obligé le personnel médical, les patients et les déplacés à quitter les lieux en tirant des grenades fumigènes. Le même organisme soutient qu'un drone demandait aux personnes se trouvant à l'intérieur des blocs hospitaliers de « sortir nus », comprendre en sous-vêtements.

La situation est extrêmement tendue également à l'hôpital Nasser. « Des témoins oculaires ont affirmé que les bombardements aériens étaient concentrés au sud et à l'est du complexe Nasser et du secteur de Batn al Sameen, en plus des tirs d'artillerie continus ciblant les mêmes zones ainsi que des frappes d'hélicoptères et de drones qui ont entraîné la mort d'un certain nombre de personnes et en ont blessé d'autres », rapporte l'agence Wafa.

Il convient de rappeler qu'en février dernier, le même hôpital avait été assiégé durant plusieurs jours. Le 15 février, l'armée a donné l'assaut sur le complexe médical Nasser, faisant plusieurs morts et causant d'importantes destructions à la structure sanitaire.

A Rafah, plusieurs morts ainsi que des blessés ont été évacués à l'hôpital koweïtien suite au bombardement hier d'une habitation appartenant à la famille Al Satari, dans le quartier Al Barahima, à l'ouest de la ville frontalière avec l'Egypte, informe l'agence Wafa. D'un autre côté, deux citoyens ont trouvé la mort dans un bombardement qui a ciblé une maison derrière l'école Rabéa, à Rafah.

En outre, 5 personnes ont été blessées, parmi lesquelles des enfants, suite à un raid sur une maison de la famille Barakat à Haï Essalam, toujours dans la même agglomération.

L'on apprend par ailleurs que des équipes de secours ont « récupéré les corps de huit martyrs sous les décombres d'une maison bombardée par l'occupation israélienne, à l'est de la ville de Rafah », écrit Wafa. Les victimes étaient des membres de la famille Farwana, résidant au quartier d'Al Jeneina.

L'occupant sioniste a commis pas moins de huit massacres en vingt-quatre heures, qui ont fait 84 morts et 106 blessés dans la nuit de samedi à dimanche, a indiqué hier le ministère de la Santé du gouvernement Hamas à Ghaza. Ces nouvelles victimes portent à 32 226 morts et 74 518 blessés le bilan total provisoire des tueries israéliennes dans la bande de Ghaza depuis octobre.

Nouveau carnage à un point de distribution d'aide

Samedi, un nouveau carnage a été perpétré à un point de distribution de l'aide humanitaire. Cela s'est passé au rond-point dit Koweït, aux abords de la ville de Ghaza. Selon le ministère de la Santé de Ghaza, 21 personnes ont été tuées au cours de cette attaque.

Les victimes ont été ciblées par des « tirs de chars et d'obus de l'armée d'occupation sioniste », accuse la même autorité. Belal Hazilah, un Ghazaoui qui a perdu son neveu dans cette tuerie, témoigne à l'AFP : « Il voulait emporter de la farine et de la nourriture. Il a un fils de deux mois et onze personnes dépendent de lui. Ils n'ont rien à manger (...)

Il a perdu la vie pour rien. » Décidément, les raids aux points de distribution de l'aide humanitaire tendent à se multiplier à Ghaza. Le 29 février, une attaque exécutée dans des conditions similaires à la rue Al Rashid, dans la ville de Ghaza, a fait 117 morts et 800 blessés.

Le 14 mars, la population civile qui attendait les convois d'aide au rond-point Koweït a été visée par des tirs sauvages qui ont fait 20 morts et 155 blessés. Les Brigades Azzeddine Al Qassam ont prévenu que le déluge de feu qui s'abat sur Ghaza couplé au blocus infernal qui empêche l'entrée de l'aide humanitaire et qui a provoqué une famine à grande échelle, ont été responsables de la mort de plusieurs des otages qu'elles détiennent.

Dans un nouvel enregistrement diffusé ce samedi, Abou Obeida, le porte-parole militaire des Brigades Al Qassam, a ainsi fait savoir qu'un otage israélien de 34 ans est mort faute de médicaments et d'alimentation. « Nous avions averti précédemment que les otages de l'ennemi souffraient des mêmes conditions que notre peuple, à savoir la faim, les privations et le manque de nourriture », a-t-il fustigé.

Abou Obeida avait affirmé dans une déclaration antérieure que « le nombre d'otages tués à la suite des opérations militaires de l'armée ennemie dans la bande de Ghaza pourrait dépasser 70 personnes ». Sur le terrain des négociations, les chefs de la CIA et du Mossad ont quitté Doha samedi, en fin de journée, après un nouveau round de discussions.

Les pourparlers « se sont concentrés sur les détails et un ratio pour l'échange d'otages et de prisonniers », a assuré une source à l'AFP en précisant que « les équipes techniques restaient à Doha ».

Les négociations semblent toujours buter sur de profonds désaccords. Un responsable du Hamas a fait état avant-hier de « profondes divergences » selon l'AFP. « Israël refuse d'accepter un cessez-le feu complet, il refuse un retrait total de ses forces de Ghaza et veut garder la gestion du secours et de l'aide humanitaire sous son contrôle », ce que le Hamas conteste.

Guterres appelle Israël à « lever les derniers obstacles à l'aide » pour Ghaza

Le patron de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé hier au Caire « Israël à lever les derniers obstacles à l'aide » pour la bande de Ghaza, menacée de famine, exhortant une nouvelle fois Israël et le Hamas palestinien à un « cessez-le-feu immédiat ».

« Quand on regarde Ghaza, on dirait presque que les quatre cavaliers de l'Apocalypse galopent au-dessus, semant la guerre, la famine, la conquête et la mort », a dit M. Guterres lors d'une conférence de presse conjointe avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri.

« Le monde entier pense qu'il est plus que temps de faire taire les armes et de mettre en place un cessez-le-feu immédiat », a-t-il ajouté. Plus tôt hier, il a rencontré le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi, accompagné du patron de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini. Cinq mois et demi d'une guerre dévastatrice ont plongé la bande de Ghaza dans une situation humanitaire catastrophique.

M. Guterres avait déjà dénoncé, samedi en Egypte, la « douleur » des Ghazaouis, prisonniers d'« un cauchemar sans fin », à l'occasion d'un déplacement au point de passage avec la ville de Rafah, située dans le sud du territoire palestinien. Israël impose un siège complet à Ghaza depuis le 9 octobre et contrôle strictement l'aide qui arrive principalement depuis l'Egypte via Rafah. Ces contrôles réduisent, selon l'ONU, le nombre de camions entrant dans le territoire palestinien.

« D'un côté de la frontière, on voit des camions humanitaires à perte de vue, de l'autre une catastrophe humanitaire qui empire chaque jour », a constaté M. Guterres. Il a également souligné le « rôle politique et humanitaire vital de l'Egypte avec l'aéroport d'Al Arich et le point de passage de Rafah, artères essentielles pour l'entrée de l'aide vitale à Ghaza ».

Premier Etat arabe à avoir reconnu Israël, l'Egypte est un médiateur traditionnel entre Israéliens et Palestiniens. Avec le Qatar, elle a contribué à l'instauration d'une trêve ayant permis fin novembre la libération d'otages et de prisonniers palestiniens.

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Gaza : nous sommes sur le point d’assister à la famine la plus grave [intense] depuis la seconde guerre mondiale

La crise sanitaire de Gaza a son propre rythme effrayant. Même si les tirs cessent aujourd'hui et que les camions d'aide commencent à circuler, les morts se poursuivront (…)

La crise sanitaire de Gaza a son propre rythme effrayant. Même si les tirs cessent aujourd'hui et que les camions d'aide commencent à circuler, les morts se poursuivront pendant un certain temps.

Tiré d'Agence médias Palestine. Source : The Guardian. Traduction ED pour l'Agence Média Palestine. Photo : Reuters Mohammed Salem.

Gaza est déjà la famine la plus importante de ces dernières décennies. Le nombre de victimes de la faim et de la maladie pourrait bientôt dépasser celui des victimes des bombes et des balles.

Le comité d'examen de la famine a signalé cette semaine que Gaza était confrontée à une « famine imminente ».

Le système de classification intégrée des phases de la famine (IPC), mis en place il y a 20 ans, fournit les évaluations les plus fiables des crises humanitaires. Les chiffres concernant Gaza sont les pires jamais enregistrés, quel que soit le critère utilisé. Il estime que 677 000 personnes, soit 32 % de l'ensemble des habitants de Gaza, se trouvent aujourd'hui dans des conditions « catastrophiques » et que 41 % d'entre eux se trouvent dans des conditions « d'urgence ». Elle s'attend à ce que la moitié des habitants de Gaza, soit plus d'un million de personnes, soient en situation de « catastrophe » ou de « famine » d'ici quelques semaines.

Un autre rapport du réseau du système d'alerte contre la famine de l'Agence américaine pour le développement international tire la même sonnette d'alarme. Il s'agit de l'avertissement le plus clair que le réseau ait jamais donné au cours de ses 40 années d'existence.

En règle générale, on entend par « catastrophe » ou « famine » un taux de mortalité quotidien dû à la faim ou à la maladie de deux personnes sur 10 000. Environ la moitié sont des enfants de moins de cinq ans. L'arithmétique est simple. Pour une population d'un million d'habitants, cela représente 200 décès par jour, soit 6 000 par mois.

À titre de comparaison, la pire famine répertoriée par le CIP a frappé la Somalie en 2011, sous l'effet conjugué de la guerre, de la sécheresse et de l'arrêt de l'aide. À son point le plus bas, 490 000 personnes se trouvaient dans une situation de « catastrophe » et un plus grand nombre dans une situation d' »urgence ». On estime que 258 000 personnes ont péri en 18 mois.

La seule autre occasion où les données de l'IPC ont fait état d'une famine a été le Soudan du Sud en 2017. La guerre civile a plongé la moitié des 10 millions d'habitants du pays dans une situation d'urgence alimentaire, 90 000 d'entre eux souffrant de famine. Environ 1 500 personnes sont mortes de faim dans les deux districts dévastés par la famine, mais quatre années d'urgence alimentaire plus large ont coûté la vie à environ 190 000 personnes.

Le seuil de « famine » est arbitraire. Au stade suivant, celui de l' »urgence », les enfants meurent déjà de faim. Lorsque les experts ont élaboré un prototype d' »échelle de la famine », ils ont placé la barre plus bas pour déclarer la famine, ce qui correspond à peu près à l' »urgence » du CIP, et ont inclus des catégories de famine « grave » et « extrême » qui correspondent aux conditions de « famine » du CIP. Ils ont également pris en compte l'ampleur – le nombre total de personnes touchées et décédées – et, plus tard, ont commencé à prendre en compte la durée. Certaines situations d'urgence alimentaire durent des années, le nombre de morts s'accumulant lentement, sans jamais franchir le seuil de la « famine » fixé par le CIP.

« Même lorsque le nombre de personnes mourant inutilement diminuera, les cicatrices de la famine »

La famine n'a jamais été déclarée au Yémen. Mais l'urgence alimentaire qui a touché des millions de personnes pendant des années de guerre a causé jusqu'à 250 000 décès dus à la famine. Dans la région du Tigré, en Éthiopie, la situation est similaire.

Nous sommes sur le point d'assister à la famine la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Bien que ça ne sera pas la plus massive en termes de nombre de personnes, car la famine se limite aux 2,2 millions d'habitants de la bande de Gaza.

L'image que nous nous faisons de la famine est celle d'un enfant maigre qui dépérit, dont les yeux semblent gonflés alors que sa peau se rétrécit jusqu'à ses os. Certains enfants souffrent de kwashiorkor, une malnutrition aiguë caractérisée par un ventre gonflé.

Au fur et à mesure que le corps meurt de faim, le système immunitaire commence à s'affaiblir. Les personnes souffrant de malnutrition sont la proie d'infections d'origine hydrique et souffrent de diarrhées, qui provoquent une déshydratation dévastatrice. D'autres maladies transmissibles – qui aujourd'hui pourraient inclure le Covid – ravagent également les communautés. La cause la plus fréquente de décès lors d'une famine est la maladie, et non la famine en tant que telle.

Le droit pénal international définit la « famine » comme le fait de priver des personnes de ressources indispensables à leur survie. Cela comprend non seulement la nourriture, mais aussi les médicaments, l'eau potable, l'accès à des sanitaires, le logement, le nécessaire de cuisson des aliments et les soins maternels pour les enfants.

Des enfants palestiniens attendent de la nourriture le 16 février à Rafah, Gaza. Photo : Fatima Shbair/AP : Fatima Shbair/AP

Lorsque les gens sont chassés de chez eux pour se retrouver dans des camps surpeuplés, où l'eau y est rare ou insalubre, que les toilettes sont inexistantes ou insalubres, que les blessures ne sont pas soignées, les épidémies deviennent plus fréquentes et plus mortelles.

Sans abri et exposés au froid et à la pluie en hiver, à la chaleur et à la poussière en été, les gens succombent plus rapidement à la faim et à la maladie. Sans électricité ni combustible de cuisson, les mères ne peuvent pas préparer des repas que les jeunes enfants peuvent facilement digérer.

Des épidémiologistes de Londres et de Baltimore ont établi des prédictions concernant le nombre probable de décès à Gaza, toutes causes confondues, au cours des mois précédant le mois d'août. Si l'on tient compte des épidémies, leur scénario si la situations reste « telle quelle » prévoit une fourchette de 48 210 à 193 180 décès, tandis que dans le scénario « avec escalade », ces chiffres sont encore plus élevés.

La crise sanitaire de Gaza s'inscrit dans une dynamique effroyable. Même si les tirs cessent aujourd'hui et que les camions d'aide commencent à circuler, les décès se poursuivront pendant un certain temps.

Et même lorsque le nombre de personnes mourant inutilement diminuera, les cicatrices de la famine perdureront.

Les enfants en bas-âge qui survivent à la famine en subissent les conséquences tout au long de leur vie. Ils ont tendance à être plus petits que leurs camarades et à souffrir d'une réduction de leurs capacités intellectuelles. L'Organisation mondiale de la santé met en garde contre un « cycle intergénérationnel de la malnutrition » dans lequel les nourrissons ayant un faible poids à la naissance ou les filles sous-alimentées deviennent des mères plus petites et en moins bonne santé. Les dégâts causés par l'hiver hollandais de 1944 sont encore visibles de génération en génération.

La famine est également un traumatisme social. Elle déchire les communautés et détruit les moyens de subsistance. Les gens sont contraints aux pires indignités, brisant les tabous sur ce qu'ils peuvent manger et sur la manière dont ils peuvent se procurer les nécessités de la vie. Les mères doivent rationner la nourriture qu'elles donnent à leurs enfants. Elles refusent d'accueillir des voisins affamés à leur porte. Les familles vendent leurs objets de famille les plus précieux pour une bouchée de pain afin d'acheter un repas.

« Israël a été largement prévenu de ce qui arriverait s'il poursuivait sa campagne de destruction de toute ressource fondamentale à la vie »

Quel réconfort y a-t-il à dire aux parents qui ont enterré leur enfant que ce n'était pas de leur faute ? L'angoisse des survivants dure toute la vie.

Le sentiment de honte qui persiste est tel que les gens ne peuvent pas parler ouvertement de la famine, parfois pendant des générations. Il a fallu attendre près de 150 ans pour que l'Irlande commence à commémorer publiquement la grande famine des années 1840.

Tout cela est connu. Et à Gaza, il n'y a aucune marge de doute.

Dans la plupart des famines, il existe une marge d'incertitude dans les prévisions, car les gens peuvent trouver des sources inattendues de nourriture ou d'argent. Dans certaines régions rurales d'Afrique, les grands-mères peuvent reconnaître des racines et des baies sauvages comestibles, ou les travailleurs migrants peuvent trouver des moyens créatifs d'envoyer de l'argent à leurs familles. À Gaza, Israël comptabilise toutes les calories disponibles. En 2008, le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires a calculé chaque aspect de la production et de la consommation alimentaires de Gaza, dans les moindres détails, et en a extrait les « lignes rouges » nécessaires pour maintenir les Palestiniens dans ce qu'il a appelé un « régime », frôlant la famine.

Jusqu'au 7 octobre 2023, Israël était, selon sa propre analyse, juste du bon côté des lois internationales interdisant la famine. Environ 500 camions de produits de première nécessité entraient chaque jour pour pourvoir aux besoins des fermes, des zones de pêche et du bétail local. Ces derniers mois, moins d'un tiers de ce nombre a été autorisé à entrer, alors que la production alimentaire locale a été réduite à presque rien.

Israël a été largement prévenu de ce qui arriverait s'il poursuivait sa campagne de destruction de tout ce qui est nécessaire à la vie. Le rapport du comité d'examen de la famine du CIP du 21 décembre a mis en garde contre la famine si Israël ne cessait pas ses destructions et n'autorisait pas l'entrée de l'aide humanitaire à grande échelle. Le juge israélien désigné pour siéger à la Cour internationale de justice, Aharon Barak, a voté avec la majorité de la Cour en faveur de « mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire dont le besoin se fait sentir d'urgence ».

Israël n'a pas changé de cap. Les fournitures qui entrent dans la bande de Gaza sont très inférieures aux calories minimales qu'Israël avait spécifiées avant la guerre. Les largages aériens de fournitures par les Américains et l'ouverture d'un port d'urgence ne sont qu'un piteux simulacre de solution de remplacement.

La famine sévit aujourd'hui à Gaza. Nous ne devrions pas avoir à attendre de compter les tombes d'enfants pour prononcer son nom.

Alex de Waal, le 21 mars 2024

• Alex de Waal est un écrivain spécialisé dans les questions humanitaires, les conflits et la paix, et un expert de la Corne de l'Afrique. Il est directeur exécutif de la World Peace Foundation et professeur de recherche à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'université Tufts, dans le Massachusetts.

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L’Occident fournit des armes à Israël tout en discutant de l’acheminement de l’aide à Gaza

L'Occident risque-t-il d'être accusé de complicité en fournissant des armes à Israël, compte tenu de son génocide plausible à Gaza ? Alors que les législateurs d'une grande (…)

L'Occident risque-t-il d'être accusé de complicité en fournissant des armes à Israël, compte tenu de son génocide plausible à Gaza ? Alors que les législateurs d'une grande partie de l'Occident débattent de la mesure dans laquelle Israël pourrait entraver le passage de l'aide vitale à Gaza, les exportations d'armes qui sous-tendent en grande partie la guerre d'Israël contre l'enclave assiégée continuent d'affluer.

Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l'origine par Al Jazeera. Photo : Les opérations se poursuivent à Gaza @ Armée israélienne.

Depuis le début de la guerre, le volume d'armes entrant en Israël a augmenté, car d'énormes quantités de munitions sont utilisées pour raser des zones de Gaza, tuer, mutiler et déplacer la population civile.

"D'un côté, nous avons ce besoin humanitaire urgent, de l'autre, nous avons cette fourniture continue d'armes au pays d'Israël, [qui] crée ce besoin", a déclaré Akshaya Kumar, directeur de la défense des droits en cas de crise à Human Rights Watch (HRW).

Le droit international

Lorsqu'il s'agit d'armer un autre pays, le droit international prévoit des règles et des conventions pour contrôler qui arme qui et à quoi servent les armes.

En vertu de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide - dont la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé en janvier qu'elle pourrait être en cours à Gaza - les États sont légalement tenus de prévenir les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

Les États-Unis ont refusé de signer la convention jusqu'en 1988.

En vertu du traité international sur le commerce des armes, dont les États-Unis ne sont pas signataires, il est interdit à un pays d'exporter des armes vers un État qu'il soupçonne de les utiliser à des fins "de génocide, de crimes contre l'humanité ou d'attaques dirigées contre des biens civils ou des personnes civiles protégées en tant que telles. "

Selon le ministère palestinien de la santé à Gaza, plus de 31 000 Palestiniens, principalement des femmes et des enfants, sont morts à ce jour à cause de la guerre d'Israël contre Gaza, et quelque 73 000 ont été blessés. Les établissements de santé, également attaqués et assiégés, ne sont plus en mesure de prendre en charge les blessés et les mourants depuis des mois.

L'enclave est au bord de la catastrophe humanitaire. Le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, a déclaré mercredi au Conseil de sécurité des Nations unies qu'Israël utilisait la faim comme arme de guerre et provoquait une catastrophe en empêchant l'aide d'entrer.

Israël a également tiré sur les personnes qui se rassemblaient pour obtenir le peu d'aide autorisée.

Alors que "les États occidentaux se sont récemment donné beaucoup de mal pour qu'Israël reconnaisse son rôle dans la création des souffrances que nous voyons à Gaza", a déclaré M. Kumar de HRW, "nous ne constatons pas de réduction correspondante du flux d'armes en provenance d'États tels que les États-Unis, l'Allemagne et d'autres pays".

Les principaux fournisseurs d'armes d'Israël se sont concentrés sur l'acheminement de l'aide dans la bande de Gaza, afin d'atteindre les Palestiniens attaqués avec un grand nombre des armes qu'ils ont vendues à Israël.

Le président américain Joe Biden a profité de son discours sur l'état de l'Union cette année pour annoncer la création d'un corridor maritime qui, selon lui, permettrait de contourner Israël et d'acheminer de l'aide à Gaza.

La réalité sur le terrain

Si certains pays ont suspendu leurs exportations d'armes vers Israël à la suite de la guerre contre Gaza, d'importants fournisseurs subsistent.

La contribution annuelle des États-Unis au budget militaire israélien, qui s'élève à environ 3,8 milliards de dollars, s'est poursuivie. En outre, les États-Unis ont approuvé en février une enveloppe supplémentaire de 14 milliards de dollars pour Israël, dans le but, semble-t-il, de préparer Israël à une "guerre sur plusieurs fronts", ce que beaucoup interprètent comme l'ouverture d'un autre front contre le groupe armé du Hezbollah au Liban.

Selon l'Institut de Stockholm pour la paix, les États-Unis fournissent 69 % des importations d'armes d'Israël, mais de récentes informations confidentielles au Congrès américain, rapportées par le Washington Post, suggèrent que ce n'est pas tout à fait le cas.

Un vide juridique dans la loi américaine sur le contrôle des exportations d'armes - qui régit l'exportation et l'utilisation finale des armes expédiées des États-Unis - signifie que seuls les paquets d'une certaine valeur doivent être contrôlés par le Congrès, ce qui signifie que des "paquets groupés" d'une valeur inférieure à ce seuil passent régulièrement inaperçus.

Jusqu'à présent, une centaine de livraisons d'armes ont été effectuées sans aucun rapport public, ce qui a provoqué un tollé parmi les groupes de la société civile. "Avec les ventes et les transferts d'armes inférieurs aux seuils, nous n'avons que peu d'informations sur les munitions expédiées - c'est un trou noir", a déclaré Ari Tolany, directeur du Security Assistance Monitor au Center for International Policy, basé aux États-Unis."

De même, alors que le gouvernement israélien prétend pouvoir assurer à M. Biden que ces armes sont utilisées dans le respect du droit international humanitaire, les preuves recueillies à Gaza montrent que ce n'est pas le cas.

Les États-Unis maintiennent qu'ils agissent dans le respect des dispositions de la loi.

Les exportations d'armes de l'Allemagne vers Israël ont également augmenté : Berlin a expédié pour 350 millions de dollars d'armements, soit dix fois plus qu'en 2022, la plupart de ces exportations ayant été approuvées après l'attaque du Hamas contre Israël.

D'autres pays, tels que l'Australie, le Canada, la France et le Royaume-Uni, ont tous été cités dans un rapport des Nations unies publié en février comme pays maintenant leurs approvisionnements.

En réponse à une question d'Al Jazeera sur la responsabilité liée à l'armement d'Israël alors qu'il dévaste Gaza, un porte-parole du département d'État américain a écrit qu'il "n'y a pas eu de détermination qu'Israël a commis un génocide, y compris devant la CIJ".

Ces dernières semaines, le Royaume-Uni et d'autres pays ont adopté une position similaire face à la crise humanitaire de plus en plus grave qui sévit à Gaza et qui a fait l'objet d'un grand nombre de reportages. Ils ont maintenu leurs activités habituelles tout en exprimant leur crainte que les armes qu'ils continuent de fournir ne soient utilisées lors d'un assaut imminent sur Rafah, où 1,4 million de civils se réfugient.

Opposition

Cependant, alors que de nombreux pays occidentaux continuent de fournir des armes à Israël, d'autres anciens exportateurs semblent conscients des risques juridiques liés à l'octroi d'une licence d'armement à un État dont la CIJ a estimé qu'il était plausible qu'il commette un génocide.

Outre la condamnation de la police d'Anvers par le parti travailliste belge pour sa décision d'importer des armes antiémeutes d'Israël, il existe des interdictions plus larges et plus anciennes sur les ventes d'armes à Israël.

Peu après le début de l'assaut sur Gaza en octobre, l'Italie et l'Espagne ont interrompu leurs livraisons d'armes à Israël, bien que ce dernier continue de fournir des munitions pour "l'affichage". Le gouvernement régional wallon de Belgique, ainsi que la société japonaise Itochu Corporation, ont également annoncé qu'ils mettaient fin à leurs exportations d'armes.

En février, un juge néerlandais a confirmé une décision bloquant l'exportation de pièces de F-35 vers Israël, en déclarant : "Il est indéniable qu'il existe un risque évident que les pièces de F-35 exportées soient utilisées pour commettre de graves violations du droit humanitaire international".

Les Nations unies ont déjà mis en garde contre les risques juridiques liés à l'exportation d'armes vers Israël dans leur rapport d'experts, dont le titre est sans équivoque : "Les exportations d'armes vers Israël doivent cesser immédiatement".

Le Royaume-Uni est soumis à des pressions juridiques pour qu'il revienne sur sa position concernant les exportations d'armes vers Israël, tandis qu'aux États-Unis, l'ONG Center for Constitutional Rights (CCR) fait appel de son action contre le président, le secrétaire d'État et le secrétaire à la défense pour la poursuite des exportations d'armes vers un État potentiellement engagé dans un génocide.

Le tribunal initial (à Oakland, en Californie) a statué que la fourniture d'armes à Israël était en fin de compte une "question politique"", a déclaré à Al Jazeera Astha Sharma Pokharel, une avocate du CCR.

Toutefois, bien que le juge ait admis que la région ne relevait pas de sa compétence, il a demandé à l'exécutif de reconsidérer son "soutien indéfectible" aux attaques d'Israël contre les Palestiniens, ce qui est tout à fait inhabituel.

Abus documentés

Le fait qu'Israël ait pu utiliser des armes fournies par l'Occident pour tuer et mutiler plus de 100 000 personnes, ainsi que pour contribuer à la détresse d'un nombre incalculable d'autres personnes, est une conclusion de plus en plus fréquente dans les rapports des observateurs, des organisations d'aide et des analystes.

Au cours des premières semaines de janvier, les locaux de l'International Rescue Committee et de l'ONG Medical Aid for Palestine, situés dans l'une des "zones de sécurité" désignées par l'armée israélienne à Gaza, ont été frappés par un avion israélien.

Des enquêtes ultérieures ont révélé qu'il s'agissait d'une "bombe intelligente" tirée par un chasseur F-16, tous deux fabriqués aux États-Unis et dont les pièces détachées provenaient du Royaume-Uni.

Dans une déclaration faite cette semaine, les deux organisations ont indiqué que leurs tentatives pour comprendre ce qui s'est passé en janvier ont donné lieu à six versions différentes des événements de la part de l'armée israélienne et à aucun engagement de la part des États-Unis et du Royaume-Uni de demander des comptes à Israël pour l'utilisation de leurs armes en violation du traité sur le commerce des armes, ratifié par le Royaume-Uni en 2014.

Les rapports précédents ont documenté l'abus par Israël du langage de la protection humanitaire pour entasser les gens dans des zones de plus en plus petites censées être "sûres" et ensuite lancer des attaques sur ces mêmes personnes.

La guerre contre Gaza ne montre aucun signe d'apaisement.

Actuellement, Israël parle de créer des "îles humanitaires" au centre de Gaza avant de lancer un assaut terrestre sur Rafah, qu'il menace depuis des semaines.

Pendant ce temps, des millions de personnes attendent, réfugiées dans la ville et dans toute la bande de Gaza.

Traduction : AFPS

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Guerre à Gaza : Netanyahou « suggère que le nouveau port construit par les États-Unis pourrait aider à expulser les Palestiniens »

Cette suggestion a provoqué la colère des Palestiniens, qui suggèrent depuis longtemps que le but ultime des opérations israéliennes à Gaza est leur expulsion de la région. (…)

Cette suggestion a provoqué la colère des Palestiniens, qui suggèrent depuis longtemps que le but ultime des opérations israéliennes à Gaza est leur expulsion de la région.

Tiré de France Palestine Solidarité. Paru dans Middle East Eye. Photo : 10 janvier 2024, des Palestiniens marchent au milieu des destructions dans les zones d'Al Matahin et d'Al Qarara dans le nord de Khan Younis © UNRWA/Ashraf Amra

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou aurait suggéré que le nouveau port temporaire construit par les États-Unis au large de Gaza, installé pour faciliter l'acheminement de l'aide jusqu'à l'enclave assiégée, pourrait être utilisé pour expulser les Palestiniens.

Washington a annoncé plus tôt ce mois-ci son intention de construire un quai flottant « temporaire » sur la côte de Gaza en vue de faciliter l'acheminement de l'aide.

« Une jetée temporaire augmentera considérablement la quantité d'aide humanitaire qui arrive chaque jour à Gaza », a déclaré le président américain Joe Biden.

Cependant, lors d'une réunion privée de la commission des Affaires étrangères et de la Sécurité de la Knesset, Netanyahou a suggéré que le port pourrait également faciliter l'expulsion des Palestiniens de Gaza.

Netanyahou a affirmé qu'il n'y avait « aucun obstacle » à ce que les Palestiniens quittent la bande de Gaza, hormis le refus d'autres pays de les accepter, selon un journaliste de Kan News.

Cette suggestion a provoqué la colère des Palestiniens, qui suggèrent depuis longtemps que le but ultime des opérations israéliennes à Gaza est leur expulsion de la région.

« Il n'a jamais abandonné son rêve d'un nettoyage ethnique complet des Palestiniens à Gaza », a réagi sur X (anciennement Twitter) Mustafa Barghouti, leader de l'Initiative nationale palestinienne.

Alors que Gaza est totalement assiégée depuis près de six mois, le ministère palestinien de la Santé a déclaré qu'environ un enfant sur trois souffrait désormais de malnutrition aiguë et que 2 sur 10 000 mouraient de faim.

Plus de la moitié de la population est désormais au bord de la famine, la majeure partie dans les gouvernorats du nord, où l'accès humanitaire est extrêmement limité.

L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture a indiqué lundi que le nord de Gaza souffrirait de la famine d'ici mai.

Israël a nié avoir restreint l'entrée de l'aide à Gaza, affirmant que l'ONU était responsable du blocage des livraisons d'aide.

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Campagne de solidarité internationale avec Boris Kagarlitsky

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Tunisie : Un an de racisme envers les migrant·es subsaharien·nes

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Pour une éducation émancipatrice, équitable et de qualité

25 mars 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024

Pour une éducation émancipatrice, équitable et de qualité

Suzanne-G. Chartrand, retraitée de l’enseignement secondaire et universitaire, et porte-parole de Debout pour l’école Jean Trudelle, retraité de l’enseignement collégial et président de Debout pour l’école 1948, une année qui connaît deux évènements majeurs de l’après­-guerre : c’est l’année où le peuple de Palestine se voit dépossédé de sa terre par la création de l’État d’Israël sur son territoire. C’est également l’année de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article 26 stipule : « Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire… L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».

L’obligation de la fréquentation scolaire au Québec

C’est en 1943 que l’Assemblée législative de la province de Québec adopte l’obligation de fréquentation scolaire pour les enfants de 6 à 14 ans, une question débattue par les parlementaires depuis 1901. La loi abolit alors les frais de scolarité à l’élémentaire et instaure la gratuité des manuels. Malgré l’instauration de l’école obligatoire et la multiplication d’établissements scolaires à travers la province, cette mesure reste insuffisante pour assurer l’égalité de l’accès à l’école à tous et à toutes. Les années 1960 annoncent une époque de bouleversements sur le plan éducatif au Québec avec le rapport Parent, issu de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, qui propose une vision de l’égalité des chances, entendue comme la possibilité pour toutes et tous d’acquérir les outils nécessaires pour s’émanciper, peu importe leur origine culturelle, sociale et économique.
Dans les forums, on a donc exprimé la nécessité de se mobiliser pour obtenir à court et à moyen terme des changements substantiels du système d’éducation afin qu’advienne une école émancipatrice, inclusive, équitable et de qualité pour tous et toutes.
Depuis le rapport Parent, l’éducation scolaire est non seulement un droit, mais elle est une obligation jusqu’à 16 ans1. Le rapport Parent avait bien saisi la portée du droit à l’éducation. L’éducation dans l’institution scolaire implique l’instruction qui se réfère à l’acquisition de connaissan­ces et de compétences comme la lecture, l’écriture, la numératie et la capacité à débattre. Elle implique la socialisation des enfants qui doivent apprendre à ap­prendre et à vivre ensemble. Ce rapport favoriserait ce qu’il nommait l’égalité des chances entendue comme la possibilité pour toutes et tous d’acquérir les outils nécessaires pour s’émanciper, peu im­porte leur origine culturelle, sociale et économique.

Une ségrégation scolaire inacceptable

Force est de constater que soixante plus tard, ce souhait n’est pas devenu réalité. Le système scolaire québécois est fortement ségrégé. Il marginalise les élèves des milieux modestes ou pauvres et les condamne souvent à l’échec et au décrochage. Que l’on pense aux élèves des Premières Nations et inuits, dont 50 % sont scolarisés dans le système québécois et dont les cultures ne sont prises en compte ni dans le programme d’études ni dans la vie scolaire ; aux élèves récemment arrivés qui ne reçoivent pas toujours l’accueil et le soutien nécessaire à leur intégration et scolarisation ; aux élèves vivant avec un handicap ou en difficulté dont les besoins ne sont pas comblés et, enfin, à trop de jeunes qui se retrouvent par défaut à la formation générale des adultes. L’école québécoise n’est ni inclusive ni équitable. Selon notre collectif, l’éducation scolaire doit viser l’émancipation, à savoir la capacité des élèves à s’affranchir de la dépendance intellectuelle et morale aux idées toutes faites et aux préjugés, grâce aux connaissances acquises et aux valeurs partagées dans l’institution scolaire. L’instruction vue ainsi implique la socialisation des élèves qui, ensemble, apprennent et se développent à travers les échanges avec leurs condisciples. L’école privée subventionnée et les projets particuliers sélectifs offerts dans les écoles publiques sont réservés aux élèves performants et, sauf quelques rares exceptions, aux élèves dont les parents ont la capacité de payer les frais ou acceptent de s’endetter : tout concourt à segmenter les effectifs scolaires. Les élèves qui présentent de meilleures chances de réussite se retrouvent dans les mêmes écoles, ce qui concentre dans les mêmes classes celles et ceux qui éprouvent davantage de difficulté et qui sont privés du même coup de toute forme d’émulation, plus encore du soutien péda­gogique et psychologique nécessaire. Fréquenter l’école publique ordinaire est devenu une étiquette négative. L’iniquité du système scolaire est donc bien réelle, feu l’égalité des chances ! L’institution scolaire est de plus en plus pervertie, depuis les années 1990, par la gestion axée sur les résultats dans le cadre de la Nouvelle gestion publique (NGP) où domine l’objectif d’efficience (l’efficacité à moindre cout) qui se traduit par les critères de réussite chiffrée et de diplomation, quelle qu’en soit la qualité de l’éducation2. Les indices de performance des systèmes scolaires, par exemple les résultats de PISA, études réalisées par l’OCDE, ne sont pas sans faille et trop de facteurs entrent en compte pour qu’on puisse les considérer comme une valeur absolue3.

Libérer la parole citoyenne : du jamais vu depuis les États généraux de 1995 !

Rappelons que la démarche de la Commission des États généraux sur l’éducation (ÉGÉ) a connu deux périodes. Des consultations populaires ont été menées pour faire état de la situation de l’éducation au Québec et en analyser les principaux éléments. Aussi, il y a-­t-­il eu des audiences citoyennes dans toutes les régions du Québec qui ont été marquées par une mobilisation exemplaire. La deuxième phase est celle des assises nationales, tenues en septembre 1996. Elles ont porté sur un nombre limité de questions soit pour tenter de mieux éclairer des zones d’ombre, soit pour tenter de dénouer des impasses qui subsistaient. Pour beaucoup des participants à la première phase, le Rapport final de la Commission des ÉG a édulcoré plusieurs revendications débattues dans les audiences citoyennes. Debout pour l’école a retenu des ÉGÉ qu’il est essentiel de donner la parole aux citoyennes et aux citoyennes et non seulement aux représentants des institutions lorsqu’il s’agit d’éducation, assise d’une société. Debout pour l’école a été, avec d’autres, à l’origine de Parlons éducation qui a tenu 20 forums dans 19 villes du Québec au printemps 2023 et une cinquantaine d’ateliers réunissant près de 650 jeunes d’écoles secondaires, de cégeps, de centres d’éducation aux adultes, de centres de formation professionnelle, de maisons des jeunes, de centres commu­nautaires, d’équipes sportives et de maisons d’hébergement. Cette démarche était soutenue par une cinquantaine d’organisations communautaires, syndi­cales ou citoyennes. Les forums de Parlons éducation (PÉ) ont libéré la parole de plus 1 500 citoyens, jeunes et moins jeunes pour s’exprimer sur plusieurs thèmes, dont la mission de l’école, son iniquité, les conditions de travail des personnels et le piètre état de la démocratie scolaire. Partout, la qualité de l’accueil  reçu et l’intérêt profond pour l’éducation montré par les participants ont confirmé la pertinence de ces rencontres. Les interventions ont confirmé le piètre état de l’école québécoise, colorant par de nombreux exemples le portrait proposé dans le Document de participation4 et avançant plusieurs pistes de solutions. Tout en exprimant un vif désir que leur parole soit entendue par les pouvoirs publics, bien que les participants aient bien peu d’espoir dans le niveau d’écoute de ces derniers. Le Document de participation brossait un état des lieux alarmants du système scolaire actuel. Du flou entourant la mission de l’école jusqu’aux effets délétères d’une ségrégation des effectifs que le ministère s’obstine à nier, en passant par le constat d’une démocratie scolaire étiolée, tous les constats présentés ont été avérés par le regard engagé des personnes venues contribuer à l’exercice. Faute de temps, certains sujets n’ont pas pu être approfondis, bien que soulevant un vif intérêt. Ainsi en est-­il des pratiques actuelles d’intégration des élèves handicapés ou des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, de la tendance actuelle   au   surdiagnostic   et à la médication ou du rôle des projets particuliers dans les écoles. Ces derniers se développent actuellement sans balises et sans moyens, ce qui crée un véritable marché scolaire axé sur la performance individuelle. Est­-ce bien là ce que l’on veut comme système d’éducation ? Dans les forums, on a donc exprimé la nécessité de se mobiliser pour obtenir à court et à moyen terme des changements substantiels du système d’éducation afin qu’advienne une école émancipatrice, inclusive, équitable et de qualité pour tous et toutes. En filigrane des milliers de prises de paroles qu’ont permis les forums, il y a un vibrant appel pour une école, disposant de plus de moyens pour offrir aux élèves un milieu de vie serein, convivial et un parcours éducatif de qualité pour tous. Dans une société où s’effritent les repères, n’est­-ce pas une nécessité ? Pour ce que cela se réalise, il est primordial que les compétences professionnelles de tous les personnels scolaires soient respectées, que leurs conditions de travail s’améliorent grandement et, enfin, que l’institution scolaire soit réellement démocratique, c’est-­à­-dire, d’une part, qu’elle permette que tous les acteurs, des élèves au personnel de direction, de débattre et de prendre des décisions sur ce qui les concerne et, d’autre part, que la communauté environnante de l’école et la société en général puissent faire partie des délibérations, car l’éducation scolaire est un bien collectif qui joue un rôle déterminant dans une société.

Vers un Rendez-vous national sur l’éducation, début 2025

C’est pour toutes ces raisons que Debout pour l’école travaillera dans les prochains mois à coaliser le plus grand nombre d’organisations de la société civile orga­nisée et des milliers de citoyennes et citoyens afin qu’ensemble ils dégagent des revendications prioritaires à adresser aux pouvoirs publics qui, s’ils ont un tant soit peu le respect de la démocratie, devront les mettre en œuvre. Un Rendez-vous national sur l’éducation est prévu au début 2025 pour obtenir des transformations structu­rantes en éducation. Ensemble, mettons-­nous debout pour l’école !
  1. Pour un aperçu historique, voir https://www.journaldemontreal.com/2023/08/27/vous-savez-au-quebec-lecole-na-pas-toujours-ete-obligatoire
  2. Voir les chapitres 1 et 2 de l’ouvrage du collectif Debout pour l’école : Une autre école est possible et nécessaire, Del Busso, éditeur, 2022.
  3. Lire Daniel Bart, Bertrand Daunay, Les problèmes de traduction dans le PISA : les limites de la standardisation des tests de compréhension. En ligne : https://liseo.france-education-international.fr/index.php?lvl=bulletin_display&id=9889
  4. Voir l’onglet Parlons éducation sur le site de Debout pour l’école. En ligne : https://deboutpourlecole.org

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