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En marche : l’amour et la résistance queers

Lancement national du long métrage documentaire de l'ONF En marche : l'amour et la résistance queers. Début des projections ce mois-ci dans les villes canadiennes et diffusion (…)

Lancement national du long métrage documentaire de l'ONF En marche : l'amour et la résistance queers. Début des projections ce mois-ci dans les villes canadiennes et diffusion sur les plateformes ONF et TVO durant le Mois de la Fierté

Le 20 mai 2025 – Toronto – Office national du film du Canada (ONF)

Le long métrage documentaire En marche : l'amour et la résistance queers, qu'ont créé le réalisateur winnipegois Noam Gonick et la productrice torontoise Justine Pimlott pour l'Office national du film du Canada, braque les projecteurs sur le militantisme ayant donné son impulsion au mouvement 2ELGBTQI+ au Canada. Des projections évènements auront lieu dès le mois de mai dans les villes du pays avant la mise en ligne sur ONF.ca le 27 juin.

La version française du film sera présentée en première sur les plateformes de l'ONF durant le Mois de la Fierté, et s'accompagnera d'événements en présentiel qui se tiendront à la salle Alanis-Obomsawin de l'ONF, dans le Quartier des spectacles. Plusieurs projections en anglais d'En marche sont également confirmées, ainsi que des diffusions ponctuelles et en continu en juin sur TVO.

Récemment présentée à l'ouverture deHot Docs, la production figure parmi les 10 films favoris du public du festival.

À propos d'En marche

Sans compromis, audacieux, exaspérant, porteur d'espoir, ce chapitre capital de l'histoire queer retrace les moments décisifs qui ont mené à l'émergence du mouvement 2ELGBTQI+, et rend hommage aux militantes et militants dont les actes de résistance nous ont valu nos droits actuels.

À l'aide d'images d'archives rarement vues et de témoignages, le film entraîne le public en première ligne du combat. Des descentes de police jusqu'aux premiers spectacles de drag queens, et des communautés qui s'organisent jusqu'à la Chambre des communes, l'histoire complexe de la diversité canadienne se dessine sous nos yeux.

Le récit de ces jalons déterminants illustre la puissance de l'action collective, mais nous rappelle également que des droits acquis de haute lutte peuvent aisément nous être retirés. C'est dire qu'il s'agit là d'un documentaire essentiel pour l'ensemble des Canadiennes et Canadiens.

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Aires de jeux, aires de guerre

27 mai, par Omar Haddadou — ,
– Aire de jeux. - Enfants heureux. - Aire de guerres. - Enfants sous terre. - Aire de jeux. - Des cris de joie. - Aire de guerres. - Horreur et effroi. - Aire (…)

Aire de jeux.
- Enfants heureux.
- Aire de guerres.
- Enfants sous terre.
- Aire de jeux.
- Des cris de joie.

- Aire de guerres.
- Horreur et effroi.
- Aire de jeux.
- Bac à sable et balançoires.
- Aire de guerres.
- Décombres et cadavres le soir.
- Aire de jeux.
- Cheveux dans l'vent et belles mines.

- Aire de guerres.
- Exode et grande famine.
- Aire de jeux.
- Ciel plein de couleurs.
- Aire de guerres.
- Snippers et drones tueurs.
- Aire de jeux.
- Je te dessine un Koala.
- Aire de guerres.

Tu n'es plus là !

Omar HADDADOU En hommage aux enfants de Gaza Mai 2025

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« Le livre noir de Gaza », un acte de résistance contre l’indifférence

27 mai, par MondAfrique — , ,
Un an après l'attaque terroriste du Hamas contre Israël et la riposte implacable de Tsahal, un ouvrage collectif, coordonné par Agnès Levallois – vice-présidente de l'Institut (…)

Un an après l'attaque terroriste du Hamas contre Israël et la riposte implacable de Tsahal, un ouvrage collectif, coordonné par Agnès Levallois – vice-présidente de l'Institut de Recherche et Études Méditerranée Moyen-Orient –, se dresse comme un monument de papier contre l'oubli. Le Livre noir de Gaza – titre évocateur d'un genre littéraire né des cendres de la Shoah, et utilisé ensuite pour documenter les génocides au Cambodge et au Rwanda – se veut le gardien d'une mémoire fragile : celle du peuple palestinien dont les dirigeants de l'État d'Israël souhaitent effacer, non seulement les souffrances, mais l'existence même.

21 mai 2025 | tiré du site Monafrique
https://mondafrique.com/loisirs-culture/un-acte-de-resistance-contre-le-blocus-mediatique-qui-entoure-gaza/

La chronique de Jean-Jacques Bedu sur Le Livre noir de Gaza, signé Agnès Levallois et préfacé par Rony Brauman, Le Seuil, 04/10/2024, 304 pages, 21,50 €

Ce Livre noir est un ouvrage exigeant, dur, parfois accablant. En nous mettant face à notre propre responsabilité, à notre humanité devant l'inacceptable et à l'injustice, il doit être pas seulement lu, mais aussi entendu et compris. Cet ouvrage nous lance ce défi : et si l'indifférence était le pire des génocides ; l'oubli la plus grande victoire de l'oppresseur ? Les génocidaires ont déjà perdu la bataille contre l'oubli. Notre résistance mémorielle sera la plus forte.

Documenter l'indicible

Face à l'immonde barbarie subie le 7 octobre 2023, crime abominable qui ne peut être ni excusé, ni oublié, l'État d'Israël avait le devoir de se défendre face aux attaques du Hamas : « Pourtant comme l'a sobrement résumé Jean‑Louis Bourlanges, président de la commission des Affaires étrangères du Parlement français, « la violence du Hamas est sans excuse, mais pas sans cause ». Remarque de bon sens, bien souvent ignorée, voire criminalisée en tant que justification du terrorisme. » Nonobstant, ce droit est en principe encadré par le droit international, qui impose des limites à l'usage de la force. Les crimes de guerre commis à Gaza, et désormais au Liban (bien que les conflits soient très différents), ne sont pas seulement une tragédie humaine : ils constituent une violation flagrante de ce droit international, dont les dirigeants de l'État israélien devront rendre compte selon l'ordonnance rendue le 26 janvier 2024. Mais c'est déjà peine perdue : les États-Unis, la Chine, l'Arabie saoudite n'ont jamais ratifié le Statut de Rome ; la Russie a retiré sa signature en 2016. Tous ces pays ont violé – ou violent encore – de manière manifeste ce droit international, sans être le moins du monde inquiétés par la Cour pénale. Et nous ne parlerons même pas de la trentaine de résolutions de l'ONU qu'Israël a violé ! La vengeance aveugle et la destruction massive n'ont jamais été légitimes. Elles ne font qu'alimenter la spirale de la violence et de la haine, rendant la paix encore plus inaccessible. Mais qu'importe ! Machiavel avait déjà fixé les règles : « Dès l'instant que le salut de l'État est en jeu, aucune considération de justice ou d'injustice, d'humanité ou de cruauté, de gloire ou d'ignominie, ne doit plus intervenir. Tout moyen est bon qui sauve l'État et maintient sa liberté. » Ou, mieux encore, comme le disait Henry Kissinger : « l'illégal, nous le faisons immédiatement ; l'inconstitutionnel, nous y réfléchissons. »

Le brouillard de la guerre

Dès les premières pages, nous sommes frappés par l'ampleur du projet de d'Agnès Levallois : rendre compte d'un événement d'une telle brutalité, survenu dans un territoire étroitement contrôlé et hermétiquement fermé à la presse internationale, relève d'un véritable tour de force. En organisant cet ouvrage, la spécialiste du Moyen-Orient se positionne en archiviste d'un massacre, en gardienne d'une mémoire collective qu'elle refuse de laisser sombrer dans l'oubli, ou d'être déformée par les récits simplificateurs d'une géopolitique manichéenne. Et c'est là toute la force de ce livre collectif : il nous contraint à regarder la réalité de Gaza en face, à la fois dans sa quotidienneté insupportable, et dans l'immensité de ses souffrances.

Au cœur d'un conflit marqué par une propagande intense et la manipulation de l'information, Le Livre noir de Gaza s'impose donc comme un contrepoint nécessaire, une quête de vérité au milieu du brouillard de la guerre. L'ouvrage se propose de documenter méthodiquement les violences infligées à la population civile palestinienne, en s'appuyant sur des sources incontestables : rapports d'ONG telles qu'Amnesty International, Human Rights Watch, Médecins Sans Frontières et Reporters Sans Frontières, enquêtes d'experts indépendants et témoignages de journalistes qui risquent leur vie pour rendre compte de l'horreur quotidienne. L'ouvrage se démarque donc des récits manichéens, des simplifications médiatiques et du sentimentalisme facile. Le choix est fait d'une objectivité chirurgicale : la violence est exposée sans fard ni complaisance, à travers la froideur des chiffres, la précision des rapports et la puissance brute des témoignages, laissant au lecteur la liberté de juger et de se forger sa propre opinion.

Le Livre noir souligne également l'importance de documenter les crimes commis dans l'ombre du silence, non seulement pour rendre justice aux victimes, mais aussi pour empêcher que l'impunité ne devienne la norme, et que l'oubli ne s'abatte sur la conscience collective. Il s'agit d'un acte de résistance contre l'effacement, celui des victimes, celui de la mémoire, et celui de la légitime identité palestinienne.

La polyphonie des voix

Le Livre noir de Gaza se nourrit de la richesse et de la complexité des points de vue recueillis. Ce n'est pas seulement le récit des ONG occidentales qui nourrissent ces pages, mais aussi les voix des ONG palestiniennes et israéliennes, des analystes et des experts issus de divers horizons géopolitiques, offrant une palette de perspectives aussi instructives que nécessaires. Dans Le Livre noir de Gaza, chaque contributeur apporte une perspective unique et essentielle à la compréhension du conflit, enrichissant l'ouvrage par la diversité de ses angles d'analyse.

Par exemple, les contributions sur les droits des enfants mettent en lumière l'impact dévastateur du blocus et des bombardements sur les plus vulnérables, détaillant la souffrance psychologique et physique des jeunes Gazaouis. D'autres textes se concentrent sur l'impact humanitaire, soulignant la difficulté pour les ONG d'accéder à une population coupée du monde et documentant les violations flagrantes du droit international humanitaire. Enfin, l'analyse géopolitique replace la situation de Gaza dans un cadre plus large, expliquant comment ce conflit s'articule avec les dynamiques de pouvoir au Moyen-Orient, les intérêts stratégiques internationaux, et les jeux d'alliances qui perpétuent ce cycle de violence. Ces voix plurielles permettent de dresser un tableau complet et nuancé de la réalité sur le terrain, et leur juxtaposition crée un récit polyphonique qui refuse toute simplification réductrice. Mais ne nous méprenons pas : ce n'est pas le Hamas qui parle ici, ni les dirigeants politiques ou les militants armés, mais les civils ordinaires : des mères de famille, des enseignants, des étudiants qui décrivent comment, jour après jour, ils tentent de préserver un semblant de normalité au milieu de l'horreur. Ils parlent de la difficulté d'envoyer les enfants à l'école lorsque chaque bâtiment peut s'effondrer à tout instant, de l'impossibilité de trouver un emploi lorsque le blocus asphyxie l'économie, de la douleur d'enterrer ses proches sans espoir de justice.

« Gaza, une prison à ciel ouvert. » Cette expression, tant de fois répétée, semble avoir perdu de son sens tant elle est devenue un cliché ; au-dessus de Gaza s'étend le regard impitoyable des drones israéliens, les frappes soudaines et meurtrières de l'aviation, et cette chape de terreur ne laisse aucun répit aux habitants de ce territoire minuscule, compressé entre la mer et la barrière de sécurité. Le livre ne se contente pas de présenter une accumulation de faits. Il s'interroge sur les causes profondes de la violence, et ouvre la réflexion sur les obstacles à une paix juste et durable : le manque de confiance mutuelle, la radicalisation croissante des deux côtés, et l'inaction complice de la communauté internationale, notamment des pays occidentaux, soutiens inconditionnels d'Israël. Le texte se veut également une réflexion sur les modalités de l'information en temps de guerre. L'usage des réseaux sociaux est analysé : ils jouent un rôle ambigu dans ce conflit en permettant à la fois la diffusion d'informations censurées, et la propagation rapide de la propagande et des fausses nouvelles.

L'œil de celui qui a vu, Rony Brauman

La préface d'un ouvrage est comme un seuil ; elle nous invite à franchir une porte, à nous engager sur un chemin parfois ardu, et nous prépare à ce que nous allons découvrir. Dans Le Livre noir de Gaza, c'est Rony Brauman, ancien Président de Médecins Sans Frontières et figure incontournable de l'humanitaire, qui se charge de cet accueil du lecteur. Son regard, forgé par des années d'engagement auprès des victimes de conflits et de crises humanitaires partout dans le monde, est empreint d'une lucidité acérée et d'une profonde humanité. Rony Brauman n'est pas un observateur distant et froid ; c'est un homme qui a vu de ses propres yeux l'horreur, la souffrance, la violence. Et cette expérience l'autorise à parler avec une autorité morale qui ne souffre aucune contestation.

Dès les premières lignes, Rony Brauman déconstruit le récit dominant sur la guerre à Gaza. Il pointe du doigt la tendance médiatique à occulter la réalité quotidienne de l'occupation israélienne et à passer sous silence les violences et les crimes commis contre les Palestiniens « en temps de paix ».

Ce qui est souvent décrit comme une « période calme » en Israël-Palestine – caractérisée par l'absence de morts israéliens – est en réalité une période de violences insidieuses et quotidiennes, que subit la population palestinienne sans pouvoir se défendre : harcèlement des paysans par les colons, destructions de récoltes et d'habitations, expulsions, assassinats arbitraires et arrestations sans procès.

Rony Brauman nous interpelle : comment le monde peut accepter de fermer les yeux sur cette injustice, au nom d'une « stabilité » illusoire et précaire ?

Face à la déshumanisation des Palestiniens, Rony Brauman plaide pour une approche basée sur l'empathie et la reconnaissance de leur souffrance. Il nous rappelle que la victime, avant d'être Palestinienne ou Israélienne, est d'abord humaine. Il dénonce la tendance à juger les Gazaouis à travers le prisme du terrorisme et de l'islam, à oublier que l'histoire et la géopolitique jouent un rôle déterminant dans le cycle de la violence. Il invite à replacer l'attaque du 7 octobre 2023 dans le contexte de l'occupation, du déni des droits des Palestiniens et de l'humiliation qu'ils subissent au quotidien, soulignant ainsi les frustrations et les désespoirs qui conduisent à la radicalisation et à la violence. Cette préface de Rony Brauman n'est pas seulement un plaidoyer pour les victimes, c'est aussi un appel à la conscience. Il interpelle directement le lecteur et le met face à ses propres responsabilités. Sommes-nous prêts à accepter que notre silence et notre inaction nourrissent l'impunité et la barbarie ? Il dénonce l'hypocrisie des gouvernements occidentaux qui se contentent de déplorer les victimes, tout en continuant de livrer des armes à Israël, et en fermant les yeux sur les violations du droit international.

Rony Brauman souligne l'urgence d'un changement radical de l'approche internationale face au conflit. Le soutien aveugle à l'un des belligérants et la minimisation systématique de la souffrance de l'autre sont contre productifs et contribuent à enkyster le conflit dans un cycle sans fin de vengeance et de haine.

Répartition de la population de la bande de Gaza selon le niveau d'insécurité alimentaire actuel et projeté, d'après les données de l'IPC publiées le 21 décembre 2023 – AFP / AFP / NALINI LEPETIT-CHELLA

L'architecture d'un réquisitoire

Le Livre noir de Gaza ne se veut pas seulement un ouvrage d'information, mais aussi un outil de compréhension, une invitation à la réflexion critique et un appel à la mobilisation contre l'injustice. Sa structure est donc délibérément conçue pour créer un impact sur le lecteur et l'inciter à agir. N'imaginons pas que nous sommes impuissants : La responsabilité cosmopolite, concept philosophique puissant, affirme que chaque individu, en tant que citoyen du monde, possède le devoir moral et la capacité d'agir concrètement contre les injustices internationales, transcendant ainsi les frontières et l'impuissance apparente face aux défis globaux.

Le recueil est donc divisé en sept chapitres thématiques qui détaillent les différentes facettes du drame vécu par les Gazaouis : l'asphyxie progressive d'un territoire en état de siège ; l'effondrement du système de santé et la mort programmée des civils ; la manipulation de l'information et l'éradication du journalisme (ce que la municipalité RN de Perpignan ne s'est pas gênée de faire en refusant de remettre un Prix à un photoreporter palestinien sous un motif fallacieux) ; le ciblage délibéré de la population civile ; la violence démesurée des armes employées et l'invisibilisation calculée des victimes ; la destruction systématique de l'environnement et les perspectives, hélas, sombres pour l'avenir.

Cette architecture savante permet de confronter les analyses, de donner la parole à des voix diverses et de montrer la complexité de la réalité. Le livre se déroule comme une partition musicale, où les notes graves des chiffres et des rapports s'entrelacent avec la mélodie plaintive des témoignages individuels et la puissance percutante de certaines analyses géopolitiques, créant ainsi un réquisitoire implacable contre la violence étatique et l'indifférence du monde. L'ouvrage ne cherche surtout pas à minimiser les violences commises par le Hamas — elle les documente au contraire avec une rigueur impitoyable, mettant en lumière les exactions du mouvement islamiste, ses attaques aveugles et souvent suicidaires contre Israël. Mais ce qui transparaît ici, c'est avant tout l'immense disproportion entre les forces en présence. D'un côté, une milice armée, certes puissante localement, mais dépourvue de moyens militaires sophistiqués ; de l'autre, une armée régulière suréquipée, bénéficiant d'un soutien logistique et diplomatique massif de la part des États-Unis et de l'Europe.

Cette asymétrie, l'ouvrage la décortique en s'appuyant sur des chiffres édifiants : le nombre de victimes civiles, les infrastructures détruites, les écoles et les hôpitaux réduits en cendres sous le prétexte de « frappes ciblées ». La lecture de ces chapitres est accablante : elle dévoile une machine de guerre implacable, guidée par une stratégie qui ne laisse aucune place à la modération ou à la proportionnalité. On s'interroge face à cette logique du « moindre mal » revendiquée par l'armée israélienne, qui prétend minimiser les pertes civiles, tout en infligeant des destructions massives.

Le Livre noir de Gaza s'intéresse aussi à la dimension psychologique de cette guerre. Elle cite les propos glaçants de Yoav Gallant, ministre de la Défense israélien, qui qualifie les Gazaouis d'« animaux humains ». Ce type de déshumanisation n'est pas nouveau, mais dans le contexte actuel, et au regard de l'histoire du peuple juif, il résonne avec une intensité particulière. Le discours officiel israélien, loin de simplement viser le Hamas, s'attaque à l'existence même de Gaza en tant que communauté humaine. La population civile devient un dommage collatéral acceptable dans la « guerre contre la terreur ». Et cette rhétorique trouve un écho dans certaines déclarations de responsables occidentaux, prêts à justifier l'injustifiable au nom de la lutte contre l'extrémisme. Combien Gilles Kepel a été inspiré d'écrire par ailleurs que : « les génocidés sont devenus les génocidaires »…

No pasarán de la mémoire

Le Livre noir de Gaza dépasse le cadre strict du conflit israélo-palestinien pour nous interroger sur des questions d'une portée universelle, telles que : le respect des droits humains dans les zones de conflit ; la légitimité de la force dans les relations internationales ; le rôle et la responsabilité de la communauté internationale face aux crimes de guerre et aux violations du droit international humanitaire ; et enfin les fondements mêmes d'une éthique de la guerre dans un monde gouverné par la loi du plus fort et les intérêts géostratégiques. Car vivre à Gaza, c'est ne pas vivre. C'est survivre dans une condition de vulnérabilité extrême, où la mort est omniprésente, où chaque espace, chaque recoin, peut devenir une cible potentielle. Le Livre noir de Gaza est un cri de résistance qui, face aux forces implacables de l'oubli et de la déshumanisation, résonne comme le « No pasarán » de La Pasionaria : une barrière de mots dressée contre l'avancée inexorable du silence, affirmant haut et fort que, malgré le siège de la mémoire, ceux qui tentent d'effacer l'histoire ne passeront pas.

Comptes rendus de lecture du mardi 27 mai 2025

27 mai, par Bruno Marquis — , ,
À qui appartient l'eau ? Maude Barlow Traduit de l'anglais J'avais déjà lu « Vers un pacte de l'eau » de Maude Barlow il y a une quinzaine d'années. Beaucoup de chemin a (…)

À qui appartient l'eau ?
Maude Barlow
Traduit de l'anglais

J'avais déjà lu « Vers un pacte de l'eau » de Maude Barlow il y a une quinzaine d'années. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis pour l'accès à l'eau potable et sa protection, même s'il en reste encore beaucoup à parcourir, et c'est ce dont l'auteure rend compte dans ce récent essai. Maude Barlow nous y appelle à contrer la privatisation de cette ressource vitale par de grandes entreprises comme Veolia, Suez, Coca-Cola et Nestlé, en incitant nous-mêmes nos municipalités, nos écoles, nos collèges, nos universités et nos autres institutions à devenir des communautés bleues. Ce mouvement citoyen, né au Canada, vise à faire reconnaître le droit à l'eau et à s'assurer que la gestion des services d'eau demeure exclusivement sous la gouverne publique. Un bel effort de conscientisation pour changer notre monde et un ouvrage très intéressant pour faire le tour de cette importante question… et agir.

Extrait :

Ce livre traite d'espoir. Il raconte l'histoire de gens ordinaires qui défendent les ressources en eau de leurs communautés et protègent au sens plus large le droit à l'eau en s'assurant que cette précieuse ressource demeure à jamais un bien commun, qui ne doit pas tomber aux mains d'entreprises à but lucratif.

PoéVie
Gilbert Langevin

C'est Normand Baillargeon qui m'a amené à lire cet important poète dont il ne tarissait pas d'éloges. Gilbert Langevin est un peu oublié de nos jours et cette anthologie nous permet de mieux le connaître et l'apprécier. Sa poésie exprime beaucoup de chaleur, d'ouverture au monde, de tendresse fraternelle aussi. Vous en trouverez probablement la lecture un peu difficile, mais vous en sortirez sans doute aussi un peu… transformé.

Extrait :

Quand on fait de la peine
à son meilleur ami
quand on bafoue son frère
qu'on est jaloux de lui
on ne sait plus quoi faire
on devrait fuir d'ici
jusqu'au bout de la terre
jusqu'au bout de la nuit

chaque homme a sa misère
qui partout le poursuit
chaque homme a sa manière
de faire parler de lui
chaque homme a sa lumière
de sagesse ou de folie
chaque homme est notre frère
même s'il nous injurie

un amour millénaire
nous a donné la vie
mais pourquoi cette guerre
qui n'est jamais finie
on ne vient pas sur terre
pour se détruire ainsi
le monde est un mystère
l'homme un mystère aussi

là n'est pas mon affaire
on me l'a souvent dit
parle-nous de rivière
de neige ou de la pluie
parle-nous de ton père
ou de l'astrologie
mais laisse aux militaires
les histoires de fusil

que peuvent les colères
de notre poésie
contre les mercenaires
des forces de la nuit
nous sommes la poussière
de leur démocratie
nous les bénéficiaires
du royaume infini

Une école sans murs
Rabindranath Tagore
Versions originales en bengali

Rabindranath Tagore est le premier non-Européen à s'être mérité - en 1913 - le prix Nobel de littérature. Cette sélection de ses principaux textes sur l'éducation m'a beaucoup plu. Sa vision de ce que devrait être l'éducation, qui laisse une très grande place aux arts, à la nature et surtout à la découverte de l'autre et à la liberté, demeure dans une large mesure une excellente critique du modèle d'éducation que nous avons encore en place de nos jours. Comme il s'agit d'une sélection, les mêmes idées sont parfois exprimées dans plus d'un texte, mais ça n'enlève rien à la valeur de cette précieuse anthologie.

Extrait :

Tant que j'ai été contraint de fréquenter l'école, je l'ai vécu comme une torture intolérable. J'ai souvent compté le nombre d'années qui me séparaient du jour où je serais libre. Mes frères plus âgés avaient déjà terminé leurs études et débuté leur vie active, chacun à sa façon. Comme je les enviais lorsque, après un repas pris en hâte le matin, je trouvais, m'attendant à la porte, l'inévitable chariot qui nous emmenait à l'école. Comme j'aurais souhaité, par un quelconque sortilège, pouvoir traverser en un instant les quinze ou vingt ans me séparant de l'âge adulte. J'ai compris plus tard que ce qui pesait sur mon esprit était la pression du système d'éducation contre nature qui prévalait partout.

La Curée
Émile Zola

C'est ce roman qui a donné au mot curée son sens figuré de ruée avide pour s'emparer des biens, des places et des honneurs laissés vacants. Ayant comme trame l'enrichissement spéculatif et la dépravation des mœurs sous le Second Empire, c'est assurément l'un des romans les plus critiques de la série des Rongon-Macquart de Zola. À la suite de son mariage arrangé avec une toute jeune femme, Renée Béraud du Chatel, Aristide Rougon, devenu Saccard, commence à spéculer et à s'enrichir frauduleusement. De grands travaux transforment alors des parties entières de Paris.

Extrait :

Celui-ci ne broncha pas. La société en question venait de crouler avec un effroyable scandale. Des actionnaires trop curieux avaient voulu savoir où en était l'établissement des fameuses stations commerciales sur le littoral de la Méditerranée, et une enquête judiciaire avait démontré que les ports du Maroc n'existaient que sur les plans des ingénieurs, de fort beaux plans, pendus aux murs des bureaux de la Société. Depuis ce moment, M. Toutin-Laroche criait plus fort que les actionnaires, s'indignant, voulant qu'on lui rendît son nom pur de toute tache. Et il fit tant de bruit que le gouvernement, pour calmer et réhabiliter devant l'opinion cet homme utile, se décida à l'envoyer au Sénat. Ce fut ainsi qu'il pêcha le siège tant ambitionné, dans une affaire qui avait failli le conduire en police correctionnelle.

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Le monde regarde Gaza périr !

27 mai, par Omar Haddadou — , ,
L'hécatombe à Gaza a atteint inconcevablement l'apogée de l'horreur, avec plus de 54 000 victimes. Hier lundi, 55 Gazaouis ont péri sous les bombardements. Les promesses de (…)

L'hécatombe à Gaza a atteint inconcevablement l'apogée de l'horreur, avec plus de 54 000 victimes. Hier lundi, 55 Gazaouis ont péri sous les bombardements. Les promesses de Netanyahou de ramener les otages font la « Une ». A Paris, des milliers de manifestants (es) ont appelé à l'arrêt du génocide.

De Paris, Omar HADDADO

Le Politique décide, le militaire trucide, la Résistance impavide !

A Paris, les plaisirs de la vie, l'hédonisme, l'apparat et les « éternuements des Peoples », prennent le pas sur le génocide du peuple palestinien, devenu une espèce d'indisposition itérative gâchant impromptuement les délices inassouvis du quotidien. Qu'importe si le nettoyage ethnique et ses 54 000 victimes, femmes, enfants, personnes âgées et même handicapées, se poursuit avec une complicité dégoutamment validée par une Europe vassalisée et une Amérique plus que jamais prédatrice et orgueilleusement « westernisée ».

Les bonnes causes ont encore du chemin à faire pour éveiller les cerveaux embrumés de nombre de Français (es), déviés de la réalité par le semi (bio) du racisme ambiant, les réseaux sociaux et la vie des célébrités, tel le scoop sur la torgnole, d'avant-hier, de Brigitte Macron à son époux Emmanuel.

Ou, plus pernicieux, les cavalcades xénophobes d'un Retailleau ayant fait de sa haine envers les Immigrés et les Musulmans un fonds de commerce au sein d'une majorité citoyenne dénuée de tout discernement ! Bonne prise !
L'innommable n'intéresse point la Droite ni l'Extrême Droite. Elles n'ont d'yeux que pour la Présidentielle. Les 15 613 enfants retrouvés sous les décombres, les 34 173 blessés et les 11 200 portées disparus, ne les interpellent pas.
La France aseptisée, n'a cure du constat du Centre satellitaire des Nation Unies (Unosat) qui fait état de 70% des bâtiments de l'enclave détruits ou endommagés. Elle s'en moque comme de l'an quarante des relevés de l'OMS, rappelant la réduction de la capacité d'accueil des hôpitaux à 1 800 lits. Comme elle se bat l'œil quand l'Unicef affirme que depuis le 7 octobre 2023, des centaines d'écoles ont été directement frappés et 19 universités endommagées.

Hier, dans la soirée, le Premier ministre Netanyahou avait promis de ramener tous les otages, « les vivants et les morts ». « Si nous n'y arrivons pas aujourd'hui, on arrivera demain, et si ce n'est pas demain, alors après-demain. On n'abandonne pas ! » déclare -t- il en clôturant les festivités de la Journée de Jérusalem.
Dix-neuf mois de conflit. Des milliers de vies détruites, la famine, l'exode et le trauma endémique.

Gaza n'est plus qu'un champ de ruines ! Une honte du genre humain !

Le refus, ce lundi, du Hamas d'accepter l'offre du cessez-le-feu proposée par les Etats-Unis, par la voix de son émissaire Steve Witkoff, n'a fait qu'exacerber le drame des Palestiniens.

Drame dont la Gauche française, réconciliée in extrémis, dénonce avec force : « Heureux, de voir toutes les tendances du PS rallier notre position contre le génocide à Gaza, appeler à pavoiser aux couleurs de l'Etat palestiniens sans craindre d'être traitées d'agent du Hamas ou du Hezbollah, ou d'antisémite, comme ils faisaient naguère contre nous ! » S'exclamait hier Jean Luc Mélenchon (LFI) sur son compte X.

Socialistes, Ecologistes et Communistes ont, à l'issue d'une réunion dénoncé « Un génocide caractérisé. Une politique hélas pensée, planifiée et même revendiquée », selon Olivier Faure.

Reste la voix de la rue qui ne cesse de relèver les défis.

Paris, 15 heures tapantes Place de la République, ce dimanche. Après une minute de silence en hommage aux victimes de Gaza, le 11 ème arrondissement a vibré toute l'après-midi au rythme des clameurs de milliers de manifestants réclamant un cessez-le feu immédiat. Une Jeunesse tantôt courroucée, tantôt enthousiaste plaidait avec ferveur la cause palestinienne. Le rassemblement avait fédéré citoyens (es), étudiants, travailleurs, syndicats et autres collectifs mobilisés pour la circonstance. Des représentants et leaders de chaque mouvement se sont relayés derrière le micro pour lire leurs communiqués, condamnant avec force la politique « génocidaire » de Netanyahou.

A l'unisson, la foule scandait avec rage : « Une seule solution, arrêter l'occupation ! »

Puis la voix d'une déléguée du corps médical de fuser : « Nous devons continuer jusqu'à la Libération de la Palestine ! ». Et la foule de s'égosiller d'une seule voix en guise de réponse : « Free, free Palestine ! », « Résistance, résistance, c'est la loi de l'existence ! » « Netanyahou casse-toi ! La Palestine n'est pas à toi ! » « Embargo militaire pour l'Etat génocidaire ! » Un militant de Révolution Permanente se saisit du micro et tonitrue : « Ça va Paris ? » et toute la masse humaine de rétorquer : « Ouais ! » « Est-ce qu'on va lâcher ? » et la place de s'époumoner : « Non ! ».

Les poignets brandis en l'air, tout le monde bat la mesure :

« Palestine, vivra, Palestine vaincra ! »

O.H

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L’opinion de Mgr William Barber est sans appel : « Une énorme et horrible proposition de loi, destructive et mortifère »

27 mai, par Amy Goodman, Juan Gonzalez, Mgr William Barber — ,
Amy Goodman : Le Président Trump a rendu une rare visite au Capitol pour faire pression sur les élus.es républicains.es afin que la proposition de budget mis au débat soit (…)

Amy Goodman : Le Président Trump a rendu une rare visite au Capitol pour faire pression sur les élus.es républicains.es afin que la proposition de budget mis au débat soit adoptée. Elle comprend d'énormes déductions d'impôts pour les riches, déduit brutalement le dépenses de Medicaid, le programme d'aide à l'alimentation (food stamps), y est aussi largement amputé de même que les subventions pour l'énergie propre. Un estimé avance que presque 14 millions de personnes pourraient perdre leur assurance maladie. Une nouvelle analyse du Congressional Budget Office (CBO) montre que ce projet de loi implique aussi 535 milliards de dollars de coupes dans le budget de Medicare.

Democracy Now 21 mai 2025 - https://www.democracynow.org/2025/5/21/budget_bill_medicaid_taxes
Traduction, Alexandra Cyr

Les négociations se sont poursuivies toute la nuit car un groupe de républicains.es voulaient encore plus de réductions dans les dépenses et certains.es d'entre eux demandaient un élargissement des diminutions d'impôts en augmentant les déductions des impôts et taxes locales.

Mardi, accompagné par le speaker de la Chambre, M. Mike Johnson, le Président, devant les journalistes, a louangé ce projet de loi, le plus important par son étendue selon lui dans le pays et l'a qualifié de grand, énorme et magnifique, qui offre les plus grandes baisses d'impôts de toute l'histoire américaine. Il a ajouté que c'était tout aussi incroyable pour Medicare et Medicaid.

Durant ce débat, Mme Brendan Boyle, représentante démocrate, a souligné la manière par laquelle cette proposition de loi allait déduire plus d'un demi-milliard de dollars du budget de Medicare : « C'est toute un nouvelle. Quand le Comité du budget a déclenché ce processus il y a environ trois mois, le Président Trump s'était engagé à ce qu'il n'y ait pas de coupes dans le budget de Medicare dans cette proposition de loi. Depuis que le début des discussions nous n'avons jamais parlé de Medicare. On a parlé de Medicaid mais pas de Medicare. Nous voici ici ce soir, parce que comme vous l'avez expliqué à cause de l'ampleur des déficits, de la loi Pay-As-You-Go, les appropriations budgétaires pour Medicare seraient affectées pour un total de 500 mille milliards de dollars. Les prévisions du CBO confirment 535 mille milliards de dollars dans le budget de Medicare.

Mgr William Barber nous rejoint. Il est le président de Repairers of the Breach, le fondateur et directeur du Center for Public Theology and Public Policy à Yale Divinity School. Il est aussi président associé de la Poor People's Campaign et co-auteur de White Poverty : How Exposing Myths About Race and Class Can Reconstruct American Democracy. Il a été arrêté deux fois récemment durant les manifestations dites Moral Mondays contre la proposition de loi budgétaire, devant le Capitol. Dites-nous pourquoi.

Mgr. W. Barber : Merci beaucoup Amy.

L'autre jour je parlais de cela avec Joan Baez, de comment notre époque est affreuse mais aussi comment nous sommes obligés.es de nous tenir debout. Nous avons dû affiner nos propos. Avec d'autres, j'ai été arrêté dans la rotonde (du Capitol) simplement pour avoir prié devant l'horreur de cette proposition de loi. Des personnes qui représentent des milliers, des centaines de milliers de religieux de toutes sortes ont aussi été arrêtées. Nous allons y retourner le 2 juin pour un autre Mass Moral Monday, organisé par Repairers of the Breach et 20 autres partenaires parce qu'il faut se tenir debout en ce moment. C'est une énorme et horrible proposition de loi destructive et mortifère. Il faut commencer à en parler de cette façon. Ce ne sont pas que des baisses d'impôts pour les riches, même si c'est ça aussi. Mais c'est une marche vers la mort et la destruction pour les pauvres, les personnes âgées et le jeunes de notre pays, indépendamment de leur couleur. Une des choses que nous devons faire, c'est de démêler ce qui va arriver dans les États, que vous soyez dans les Appalaches ou en Alabama. Ils mentent, disent que c'est pour lutter contre la fraude, mais ce n'est absolument pas ça. Ce sont des coupes dans des programmes qui sauvent des vies légitimement, qui sont nécessaires et pour lesquels nous nous sommes battus pendant des années.

Amy, rapidement, je veux faire comprendre aux auditeurs.rices ce dont nous parlons quand nous parlons de coupes dans le budget de Medicaid. Nous parlons d'abord de personnes à faible revenu, peu importe la race, la croyance ou la couleur. Ce sont des familles, des enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées ou des handicapés.es. On nous parle de 500 milliards de coupes pour Medicare. Ce programme s'adresse aux personnes de 65 ans et plus. Nous parlons d'enfants atteints.es de maladies rénales et de personnes souffrant de la maladie de Lou Gehrig. Des recherches nous montrent que pour chaque million de personnes, 2,500 mourront par défaut de soins. Et nous sommes dans un temps ou déjà, 800 personnes meurent tous les jours des effets de la pauvreté et des bas salaires.

C'est une proposition de loi énorme, horrible mortifère et destructive. On doit y résister partout, dans les lieux de pouvoir, du haut de la chaire, dans les rues. Nous devons prier, nous exposer physiquement parce qu'environ 13 millions 700 mille personnes risquent de perdre leurs droits à Medicare et leur assurance maladie. Et nous savons déjà que ce genre de coupes touchera éventuellement Social Security. Car les montants ne seront pas à la hauteur. Dans une vidéo, Steve Bannon a déclaré que leur objectif est de prendre le contrôle de cinq mille milliards de dollars du budget de telle sorte qu'ils puissent contrôler en fin de course environ 70 mille milliards des actifs du gouvernement. C'est une prise énorme, une proposition de loi énorme, mauvaise, horrible, destructive et mortifère. Environ 11 millions de personnes vont perdre leur aide à l'alimentation, dont 4 millions d'enfants. Il y aura 6 mille milliards 500 millions d'investissements retirés des programmes pour une énergie verte.

Et ils disent que ces réductions d'impôts sont faites pour aider la société. Mais, l'école dont le Président se vente avec enthousiasme avoir fréquentée, la Wharton School, a déclaré que ces changements que la proposition de loi apporte au système fiscal fera que les pauvres et les personnes à faibles revenus dans le pays, subiront une baisse de revenu annuel. Elles perdront environ 1,035$ annuellement. Mais pour les biens nantis.es ce rapport démontre qu'ils et elles recevront 389,000$ de plus chaque année.

Cette énorme, mauvaise, horrible, destructive et mortifère proposition de loi, va frapper les pauvres, les personnes à faibles revenus, et finalement le pays lui-même. S'ils le font ; ils disent vouloir le faire sur dix ans. Il va y avoir une destruction massive des services de santé dans les zones rurales. Nous allons vivre les effets de ces restrictions budgétaires immorales qui font que les riches gagnent alors que les pauvres et les familles ouvrières perdent. En plus ils ne veulent pas seulement faire ces coupes pour avoir plus d'argent, mais ils veulent ajouter un autre 350 milliards de dollars pour payer les contracteurs de la défense et plus d'argent aussi pour les expulsions. Donc, avec cette proposition de budget qui porte la marque d'E. Musk et du DOGE ils en adoptent les buts. Finalement, Amy, avec un processus de réconciliation qui n'exige que 50 votes et non 60 …..

Donald Trump a dit une chose qui est vraie : C'est une énorme proposition de loi. Mais elle n'est pas grande qui signifierait bonne. C'est une grande, très grande mauvaise, horrible, destructive, mortifère et démoralisante proposition de loi qui va heurter les pauvres et les personnes à bas salaire pendant des années et des années. Et cela pourrait aussi affaiblir notre démocratie si nous laissons faire.

Juan Gonzalez : Mgr Barber, on rapporte que dans les zones rurales, beaucoup d'hôpitaux sont forcés de fermer à cause du retrait des subventions du gouvernement fédéral. Pouvez-vous en parler ? Qu'en est-il dans votre région, la Caroline du nord et dans d'autres zones rurales ? Quel impact direct résultera de tout cela ?

W.B. : Il faut se rappeler l'épisode du COVID qui a mis au jour beaucoup de problèmes dans notre système de santé. Dans de nombreux États, qui n'avaient pas étendu les bénéfices de Medicaid, beaucoup, vraiment beaucoup de personnes sont mortes qui ne l'auraient pas dû. Le taux de mortalité chez les pauvres et les personnes à faible revenu, peu importe la race, a été le même : une solide augmentation. C'était immoral, affreux.

Nous savons que quand les États n'acceptent pas d'étendre les bénéfices de Medicaid, et cette proposition de loi ferait en sorte de restreindre encore plus cette expansion, les hôpitaux ruraux ont beaucoup de mal à se maintenir. Laissez-moi vous raconter une histoire qui va vous donner une idée de ce que nous attend. Par exemple, en Caroline du nord, quand l'expansion des bénéfices de Medicaid a été refusée, j'avais rencontré une jeune femme du nom de Portia. Elle est la première personne de Belhaven en Caroline du nord, une communauté rurale, à mourir parce que l'hôpital était fermé ; l'État avait refusé d'étendre les bénéfices de Medicaire. Elle n'a pas pu survivre ; elle est morte dans le terrain de stationnement d'une école en attente qu'un hélicoptère vienne la chercher. Le médecin a déclaré que si l'hôpital avait été fonctionnel, elle aurait probablement survécu parce qu'elle aurait eu les soins à l'intérieur de ce que nous appelons « l'heure dorée ». Cette proposition de loi va encore plus loin et nous allons entendre parler de plus en plus de coupes budgétaires dans les hôpitaux, de plus en plus d'hôpitaux incapables de poursuivre leur mission et de prendre soin des gens.

Amy et Juan, je veux retourner chez-moi et trouver des gens qui vont observer comment les vies des populations seront affectées. Nous devons commencer à parler de cette proposition de loi comme d'une forme de meurtre social et politique, d'un projet social et politique de caractère mortel ; ils savent ce qu'ils font. Et si j'utilise le terme « meurtre » c'est parce qu'ils savent qu'il y aura des morts. Les études démontrent ce qui se passe quand l'accès aux soins de santé diminuent, mais ils vont de l'avant. Même en plein milieu de la nuit. Ils ne veulent pas de débats durant le jour quand les gens sont éveillés et peuvent voir ce qui se passe. Ils le font la nuit parce que c'est une énorme, grande, mauvaise, horrible, mortifère proposition de loi destructive.

J.G. : Mgr Barber, il y a des Républicains.es qui ont tardé à voter pour cette proposition parce qu'ils et elles veulent encore augmenter les coupes budgétaires. Comment pensez-vous que les gens devraient résister à ces manœuvres durant les jours à venir au Congrès ?

W.B. : Les budgets sont des documents moraux. C'est pour cela que nous convoquons les gens à nous rejoindre le lundi 2 juin, pour une messe qui sera célébrée devant la Cour suprême et le Capitol. Ce sera la messe du lundi moral. Le clergé sera en vêtements cléricaux. Il a de l'impact sur les gens et sur d'autres avocats.es de la cause. Nous devons apparaître partout et déclarer qu'il ne s'agit pas de soutient aux Démocrates ou aux Républicains.es, ou de la gauche ou de la droite ; c'est vraiment au sujet du bien et du mal.

Et cela devrait être notre préoccupation principale, car si vous acceptez qu'un tel budget passe, vous démantelez le gouvernement. Et c'est ce qu'ils cherchent : démanteler l'État, l'administration de l'État. C'est mortel et destructeur. Nous devons l'identifier comme un enjeu moral. Et nous devons mettre des visages sur ceux et celles qui seront heurtés.es, sur ce qui va se passer. J'en appelle à tous les médias, pour qu'ils mettent sur la carte des États-Unis où les diminutions de budget vont frapper, vont affecter des personnes en dehors de votre communauté et la vôtre aussi bien sûr.

Tous les élus.es démocrates et ceux et celle des républicains qui sont contre cette proposition de budget, devraient inviter des personnes touchées à occuper les galeries (de la Chambre des représentants). Elles devraient défiler dans les couloirs du Capitol pour rendre visible qui sera touché, quelles vies sont mises en jeu.

C'est un moment crucial pour les États-Unis, pour les voix morales du pays. Nous ne pouvons pas nous défiler. Si cela devient effectif, disons pendant 10 ans, ce sont 10 années où ce pays sera handicapé et blessé. C'est ce qui va se passer avec ce budget. Et il ne s'agit pas de ce qu'ils coupent il s'agit aussi de ce qu'ils financent. Ils financent des programmes qui vont apporter encore plu de mort, d'expulsion et de destruction.

Par quelque côté que vous examiniez cela, c'est une énorme, grande, horrible, mortifère, mauvaise, destructive, et handicapante proposition de loi contre laquelle nous devons nous élever de toutes les façons possibles. Personne ne doit se défiler, spécialement les leaders moraux, les pasteurs, le clergé, les imams et les rabbins qui s'occupent des gens et s'en soucient. Parce que c'est nous, particulièrement les dirigeants.es des congrégations, qui vont enterrer les morts.es, qui devront être avec les familles qui seront affaiblies par cette grande, énorme, horrible, mortifère, destructive et handicapante proposition de loi avec laquelle on veut nous assommer.
(…)

Je ne connais pas l'état d'esprit des gens quand ils se lèvent le matin, quelle mythologie est installée dans leur tête mais ce qu'on peut imaginer, c'est que la moindre des choses est d'imaginer combien de personnes vous allez heurter, combien de vies vous mettez à risque, combien vous allez en détruire, avec combien de mauvaises politiques. C'est fou. Et pour ceux et celles d'entre nous qui ne sont pas frappés.es par cette maladie il est temps de se tenir debout.

A.G. : Mgr Barber, (…) merci beaucoup d'avoir été avec nous.

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Donald Trump et l’Internationale brune

27 mai, par Michael Löwy — ,
La spectaculaire victoire de Donald Trump à l'élection américaine de 2025 est un tournant historique pour les peuples du monde entier. Tiré de Inprecor 20 mai 2025 Par (…)

La spectaculaire victoire de Donald Trump à l'élection américaine de 2025 est un tournant historique pour les peuples du monde entier.

Tiré de Inprecor
20 mai 2025

Par Michael Löwy

Netanyahou et Trump le 7 avril 2025 à la Maison Blanche. The White House - Public Domain

On peut longuement débattre de si cette victoire est le résultat des défaillances des Démocrates – de leur absence de programme, de leur adhésion au néolibéralisme – ou d'une réaction raciste et misogyne contre Kamala Harris. Grâce à un discours associant agressivité et vulgarité verbale, utilisation systématique de mensonges et fake news, ainsi que des arguments prétendument anti-élites et anti-establishment, il a réussi à obtenir une majorité absolue du vote populaire (1). Le résultat est en tout cas désastreux pour les peuples.

Son gouvernement est la représentation directe de la haute bourgeoisie, de l'oligarchie fossile (pétrole, charbon, etc.) et du grand capital financier : jamais autant de milliardaires – dont Elon Musk est l'exemple le plus frappant – n'ont été présents au sommet de l'État américain (2).

L'élection de Trump n'est que la dernière manifestation d'une vague d'extrême droite réactionnaire, autoritaire ou néofasciste sur toute la planète : elle gouverne déjà beaucoup de pays de plusieurs continents. Parmi les exemples plus connus : Modi (Inde), Orban (Hongrie), Erdogan (Turquie), Meloni (Italie), Milei (Argentine), Netanyahou (Israël). Poutine (Russie) n'est pas très loin de ce modèle. Dans d'autres pays de l'Europe et de l'Amérique latine, ce courant n'est pas encore au pouvoir, mais n'est pas loin de la victoire. C'est bien entendu le cas de la France, où le Rassemblement national de Le Pen est un sérieux candidat au pouvoir.

Trump est sans doute le plus dangereux de ces personnages, parce qu'il se trouve à la tête de l'empire capitaliste le plus puissant, du point de vue économique et militaire. Sa victoire est aussi un formidable encouragement à cette Internationale brune en formation, que des personnages comme Steve Bannon essayent d'organiser.

Dans le cas français – mais cela vaut pour la plupart des pays européens – l'essor du néofascisme est étroitement lié au racisme d'origine coloniale, comme le montrent Ugo Palheta et les autres auteurices de l'excellent ouvrage Extrême droite : la résistible ascension (3). Mais cette analyse ne s'applique pas, ou en tout cas, pas dans les mêmes termes, pour les mouvements néofascistes de pays du Sud global (Argentine, Brésil, Inde, etc.).

Les caractéristiques des néo-fascistes

Malgré leur diversité, certains traits sont communs à la majorité, sinon à tous ces dirigeants et/ou mouvements : l'autoritarisme, le nationalisme intégral – « Deutschand über alles » et ses variantes locales : « America First », « O Brasil acima de tudo », etc. –, le racisme et la violence policière/militaire comme seule réponse aux problèmes sociaux. La caractérisation comme fasciste ou semi-fasciste peut s'appliquer à certains, mais pas à tous.

Enzo Traverso utilise le terme de « post-fascisme », en désignant à la fois une continuité et une différence. Alberto Toscano propose quant à lui, le terme de « fascisme tardif », pour mettre en évidence le changement résultant du contexte socio-économique. Miguel Urban, dans un brillant livre récent qui embrasse l'ensemble de ces mouvements (4), parle de « Trumpisme », en référence au poids du modèle américain. J'utilise plutôt le concept de « néofascisme » pour désigner à la fois la nouveauté et la ressemblance. Mais tous ces termes sont utiles pour rendre compte de ces nouvelles formations.

Fascistes ou populistes ?

Par contre, le concept de « populisme », employée par certains politologues, par les médias et même par une partie de la gauche, est parfaitement incapable de rendre compte du phénomène en question, et ne sert qu'à semer la confusion. Si dans l'Amérique latine des années 1930 jusqu'à 1960 le terme correspondait à quelque chose de relativement précis – le varguisme, le péronisme, etc. – son usage en Europe à partir des années 1990 est de plus en plus vague et imprécis.

On définit le populisme comme « une position politique qui prend le parti du peuple contre les élites », ce qui est valable pour presque n'importe quel mouvement ou parti politique ! Ce pseudo-concept, appliqué aux partis d'extrême droite, conduit – volontairement ou involontairement – à les légitimer, à les rendre plus acceptables, sinon sympathiques – qui n'est pas pour le peuple contre les élites ? – en évitant soigneusement les termes qui fâchent : racisme, xénophobie, fascisme, extrême droite. « Populisme » est aussi utilisé de façon délibérément mystificatrice par des idéologues néolibéraux pour opérer un amalgame entre l'extrême droite et la gauche radicale, caractérisées comme « populisme de droite » et « populisme de gauche », puisque opposées aux politiques libérales, à l'« Europe », etc.

Aujourd'hui et les années 30

S'agirait-il d'un retour aux années 1930 ? L'histoire ne se répète pas : on peut trouver des ressemblances ou des analogies, mais les phénomènes actuels sont assez différents des modèles du passé. Surtout, nous n'avons pas – encore – des États totalitaires comparables à ceux d'avant-guerre. L'analyse marxiste classique du fascisme le définissait comme une réaction du grand capital, avec le soutien de la petite-bourgeoise, face à une menace révolutionnaire du mouvement ouvrier. On peut s'interroger si cette interprétation rend vraiment compte de l'essor du fascisme en Italie, Allemagne et Espagne, dans les années 20 et 30. En tout cas, elle n'est pas valable dans le monde actuel, où l'on ne voit, nulle part, de « menace révolutionnaire ». Mais il y a un aspect de l'analyse marxiste du fascisme classique qui est pertinent pour notre époque : le désir de la grande bourgeoisie industrielle, financière et rurale de se débarrasser, une fois pour toutes, de l'ensemble des forces du mouvement ouvrier, politiques ou syndicales, qui imposaient certaines limites à l'exploitation. C'est ainsi qu'on a vu, par exemple en Allemagne, les partis bourgeois, de la droite ou du « centre », porter à la chancellerie du Reich, en janvier 1933, un certain Adolf Hitler qui n'avait pas réussi à obtenir une majorité dans les élections (voir à ce sujet les remarquables travaux de l'historien Johann Chapoutot) (5).

Les gouvernements ou partis de type néofasciste actuels se distinguent radicalement de ceux des années 1930, qui étaient « étatistes » et national-corporatistes du point de vue économique, par leur néolibéralisme extrême. Ils n'ont pas, comme dans le passé, des puissants partis de masse et des sections d'assaut uniformisées. Et ils n'ont pas la possibilité, au moins jusqu'à maintenant, de supprimer totalement la démocratie et créer un État totalitaire.

Si le fascisme des années 30 avait une base surtout petite-bourgeoise ou rurale, ce n'est pas le cas du néofascisme du 21e siècle, qui est implanté dans toutes les couches de la société, depuis la bourgeoisie jusqu'à la classe ouvrière. Certes, dans chaque pays la configuration sociologique du phénomène est spécifique. En France, les sondages semblent indiquer que le soutien au Lepenisme est plus fort chez les couches qui ont peur du déclassement et dans certaines franges de la grande bourgeoisie.

Les politiques d'extrême droite aujourd'hui

Comment expliquer cet essor de l'extrême droite ? On peut donner des explications propres à chaque pays, en fonction de son histoire, des forces politiques en présence, ou du rôle de la religion. Mais le phénomène est planétaire ! Il nous faut donc une explication à l'échelle mondiale. Les hypothèses proposées par la gauche – la chute de l'URSS, la crise économique de 2008, les politiques néolibérales, la mondialisation – sont pertinentes, mais insuffisantes.

Aux États-Unis, Donald Trump est en train de démanteler l'État de droit et la démocratie. On ne peut pas encore prévoir s'il réussira, et jusqu'où ira sa dérive autoritaire, raciste et xénophobe. On ne peut pas prévoir non plus si la résistance – des femmes, des immigré·es, des Afro-Américain·es, des ouvrier·es, de la jeunesse – qui a déjà commencé aux États-Unis sera capable de bloquer son offensive. Mais sa victoire signifie un changement important du rapport de forces à l'échelle internationale.

En Europe, l'extrême droite est déjà au pouvoir en Italie et en Hongrie, et participe au gouvernement en Hollande, Belgique, Suède et d'autres pays. De plus en plus influente, elle est une candidate sérieuse au pouvoir en France et (dans une moindre mesure) en Allemagne. Mais le phénomène ne se limite pas aux pays capitalistes avancées : en Inde, Modi, héritier du mouvement fasciste hindouiste des années 1930, persécute les musulmans, tandis que les États musulmans autocratiques (Iran, Afghanistan), attaquent les minorités religieuses et les femmes.

En Amérique latine aussi on trouve différentes sortes de régimes ou mouvements autoritaires. Un des plus répressifs est la dictature de la famille Ortega au Nicaragua, suivi du gouvernement de Bukele au Salvador. Mais le principal axe de l'extrême droite néofasciste se trouve dans le cône Sud. Les trois principaux exemples sont Javier Millei, déjà au pouvoir en Argentine, Bolsonaro, pour le moment neutralisé, au Brésil, et José Antonio Kast, candidat au pouvoir au Chili. Millei est le plus fanatiquement néolibéral, Bolsonaro (ou ses partisans) le plus attaché à l'héritage de la dictature, et Kast celui qui a les racines nazies (sa famille allemande). Ce que Anibal Quijano désignait comme « la colonialité du pouvoir » en Amérique latine est une piste intéressante pour comprendre ce phénomène dans les pays du continent, ainsi que, dans le cas du Brésil, les quatre siècles d'esclavage. Il faut ajouter, bien entendu, l'héritage des sanglantes dictatures militaires dans ces trois pays, entre 1964 et 1976.

Plus difficile est de comprendre l'adhésion de vastes couches populaires à ces représentants du néofascisme latino-américain : est-ce la déception par rapport aux gouvernements de centre-gauche ? Est-ce la peur du déclassement, ou la panique suscitée par l'inflation ? Est-ce une situation de crise économique et/ou politique ? Encore une fois, chaque pays à des causes spécifiques, mais le phénomène s'étend à diverses nations du continent, et n'est pas sans avoir des affinités avec Trump, qui sert d'inspiration et de modèle.

Sept caractéristiques

Malgré leurs différences, toutes ces figures de l'Internationale brune de l'extrême droite, autoritaire et/ou néofasciste, du Nord au Sud global, ont beaucoup en commun :

1) L'autoritarisme, l'adhésion à un homme fort, un chef, un Duce capable de « restaurer l'ordre »,

2) L'idéologie répressive, le culte de la violence policière, l'appel au rétablissement de la peine de mort, et à distribuer des armes à la population pour sa « défense contre les criminels »,

3) Au nom d'une prétendue « défense de la famille », le refus de l'avortement et l'intolérance envers les sexualités dissidentes (LGBTI). C'est un thème agité, avec un certain succès, par des secteurs religieux réactionnaires, souvent néo-pentecôtistes, mais parfois aussi catholiques. C'est l'aspect proprement conservateur de leur idéologie,

4) Le néo-libéralisme le plus débridé, le démantèlement des services publics, la privatisation et la marchandisation générales,

5) La haine de la gauche, des syndicats, des mouvements sociaux, notamment le féminisme, l'antiracisme et l'écologie (dénoncés comme « woke »),

6) La négationnisme de la crise climatique, le refus de mesures écologiques minimales.

7) Le racisme et/ou l'intolérance religieuse, la persécution des minorités, des immigrés, souvent aussi des femmes.

Comment lutter ?

Léon Trotsky avait proposé, au début des années 1930, une stratégie de Front unique ouvrier – incluant toutes les forces du mouvement ouvrier, révolutionnaires ou réformistes – pour résister à la montée du nazisme. L'unité de la gauche reste, encore aujourd'hui, le point de départ indispensable pour confronter l'offensive néo-fasciste.

Mais il faut aussi prendre en compte que le système capitaliste, surtout en périodes de crise, produit et reproduit constamment des phénomènes comme le fascisme, les coups d'État et les régimes autoritaires. La racine de ces tendances est systémique, et l'alternative doit être radicale, c'est-à-dire anti-systémique.

L'enjeu pour les révolutionnaires est de garder le cap sur la rupture avec le système, tout en évitant l'isolement sectaire ; de promouvoir et participer à l'unité de toute la gauche, sans tomber dans les ornières du réformisme. Dans certains pays comme le Brésil, soutenir (critiquement) des gouvernements de centre-gauche contre la menace fasciste, tout en gardant son indépendance et œuvrant à la constitution d'une force anticapitaliste. Il n'y a pas pour cela de recette magique. Dans chaque pays la configuration est différente, et c'est la tâche des révolutionnaires de trouver les modalités concrètes pour associer l'unité et la radicalité. Avec toutes ses limites, le Nouveau Front populaire français est – ou a été ? – une tentative importante de constituer une alliance antifasciste, sur un programme de rupture avec le néolibéralisme.

En 1938, Max Horkheimer, un des principaux penseurs de l'École de Francfort de la Théorie critique, écrivait « si vous ne voulez pas parler du capitalisme, vous n'avez rien à dire sur le fascisme ». En d'autres termes, l'antifasciste conséquent est un anticapitaliste.

Le 28 avril 2025

Notes

1. Voir l'entretien de Laura Camargo dans Inprecor, avril 2025, « Le discours trumpiste a entraîné un changement radical dans la façon de comuniquer des droites mondiales ».

2. Voir le brillant article de John Bellamy Foster, “The US ruling class & the Trump Regime", Monthly Review, vol 78, n° 11, April 2025. Foster décrit Trump comme un néofasciste.

3. Préface de Johann Chapoutot, Postface de Clémence Guetté, coordonné par Ugo Palheta, Paris, Éditions d'Amsterdam, 2024.

4. Trumpismos, neoliberales y utoritarios, Verso Libors, 2024.

5. Johann Chapoutot, Irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? Paris, Gallimard, 2025.

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La guerre où le corps des femmes a perdu ses droits

La guerre à Gaza n'est pas seulement une histoire de décombres et de frappes aériennes. C'est l'histoire d'une fillette qui a ses règles sous les bombardements, de la mère qui (…)

La guerre à Gaza n'est pas seulement une histoire de décombres et de frappes aériennes. C'est l'histoire d'une fillette qui a ses règles sous les bombardements, de la mère qui saigne en silence et fait une fausse couche sur des sols froids ou qui accouche sous des drones.

Tiré de Mondoweiss

Par Mariam Khateeb 19 mai 2025 0
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Beit Lahia, au nord de Gaza, le 20 février 2025. (Photo : Omar Ashtawy/APA Images)

En octobre, j'ai saigné pendant dix jours sans avoir accès à une vraie salle de bain.

La maison où nous nous sommes enfuis – comme la plupart des abris à Gaza – n'avait aucune intimité. Quarante personnes dormaient dans deux pièces. La salle de bain n'avait pas de porte, seulement un rideau déchiré. Je me souviens d'avoir attendu que tout le monde dorme pour pouvoir me nettoyer avec une bouteille d'eau et des bouts de tissu. Je me souviens d'avoir prié pour ne pas tacher le matelas que je partageais avec trois cousins. Je me souviens de la honte – non pas de mon corps, mais de ne pas pouvoir en prendre soin.

En temps de guerre, le corps perd ses droits, surtout le corps féminin.

Les gros titres parlent rarement de cela, de ce que cela signifie pour une fille d'avoir ses règles sous les bombardements, des mères forcées de saigner en silence et de faire une fausse couche sur des sols froids ou d'accoucher sous des drones. La guerre à Gaza n'est pas seulement une histoire de décombres et de frappes aériennes. C'est l'histoire de corps interrompus, envahis et privés de repos. Et pourtant, d'une manière ou d'une autre, ces corps continuent.

En tant que femme palestinienne et étudiante déplacée vivant maintenant en Égypte, je porte ce souvenir corporel avec moi. Non pas comme une métaphore, mais comme un fait. Mon corps tressaille encore aux bruits forts. Ma digestion vacille. Mon sommeil se présente par fragments. Je connais beaucoup de femmes – des amies, des parentes, des voisines – qui ont développé des maladies chroniques pendant la guerre, qui ont perdu leurs règles pendant des mois, dont les seins se sont desséchés en essayant d'allaiter dans des refuges. La guerre entre dans le corps comme une maladie et y reste.

Le corps de Gaza est une carte d'interruption. Il apprend tôt à se contracter – à prendre moins de place, à rester en alerte, à réprimer le désir, la faim, le saignement. La nature publique du déplacement détruit la vie privée, tandis que la peur constante ronge le système nerveux. Les femmes qui gardaient autrefois leur pudeur changent maintenant de vêtements devant des inconnus. Les filles arrêtent de parler de leurs cycles. La dignité devient un fardeau que personne ne peut se permettre.

C'est le paradoxe de la survie : le même corps à qui l'on refuse la sécurité devient l'instrument de la résistance. Les femmes font bouillir des lentilles à la lueur des bougies, elles calment les enfants dans les sous-sols, elles bercent les mourants. Ces actes ne sont pas passifs ; Ils sont radicaux. Avoir ses règles, porter, nourrir, apaiser – au milieu de la destruction – c'est insister sur la vie.

Je reviens encore et encore à l'image de ma mère pendant la guerre. Le dos penché sur une casserole, les mains tremblantes, les yeux scrutant le plafond à chaque bruit. Elle n'a pas mangé avant que tout le monde ne le fasse. Elle n'a pas dormi avant que les enfants ne le fassent. Son corps portait à la fois l'architecture de la guerre et de la maternité. Je me rends compte maintenant à quel point son épuisement était politique – comment son travail, comme celui de tant de femmes palestiniennes, a défié la logique de l'anéantissement.

Il n'y a pas de tente pour le corps à Gaza. Pas d'espace sûr où le corps féminin peut se déployer sans crainte. La guerre nous dépouille – non seulement de nos maisons et de nos biens, mais aussi des rituels qui nous rendent humains : le bain, les règles, le deuil en privé. Mais même sans abri, notre corps perdure. Ils se souviennent. Ils résistent.

Et peut-être, dans leur persévérance tremblante, écrivent-ils l'histoire la plus vraie de toutes.

Mariam Khateeb
Mariam Mohammed El Khatib est une écrivaine, poète et militante palestinienne de Gaza. Elle étudie la dentisterie en Égypte, où elle poursuit également son travail littéraire. Ses écrits – publiés sur des plateformes telles que This Week in Palestine, We Are Not Numbers et Avery Review – explorent les thèmes de la mémoire, de la guerre et de la résistance, en particulier d'un point de vue féministe et existentiel. Elle utilise la narration comme une forme de résistance culturelle, documentant l'expérience palestinienne et amplifiant les voix de son peuple.

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Les invisibles

Depuis le 7 octobre, on trouve en Israël des dizaines de milliers de photographies affichées sur les murs. Il est impossible d'échapper à ces visages : ceux des victimes du (…)

Depuis le 7 octobre, on trouve en Israël des dizaines de milliers de photographies affichées sur les murs. Il est impossible d'échapper à ces visages : ceux des victimes du massacre. Les mêmes images sont diffusées de manière répétitive dans les médias. Pourtant, ces médias semblent souffrir d'un angle mort : celui des victimes civiles de l'autre camp, qui restent invisibles.

Tiré du blogue de l'auteur.

Depuis le 7 octobre, on trouve en Israël des dizaines, voire des centaines de milliers de photographies — souvent de petite taille — affichées sur les murs des abribus, les kiosques, dans les stations de train… En somme, elles envahissent l'ensemble de l'espace public. Il est impossible d'échapper à ces visages : ceux des victimes du massacre, des disparus et des otages, accompagnés d'une phrase qui leur est attribuée à titre posthume.

Rien de plus naturel que cette volonté de rendre hommage aux êtres chers ou de partager la douleur de leur perte. Traumatisée, la population israélienne cherche ainsi à faire face à ce qui fut sans doute l'un des événements les plus dramatiques de l'histoire du pays. Rapidement, les portraits des otages prennent une place prépondérante, souvent réunis sur un seul panneau, tels une iconostase tragique.

Ces panneaux, accompagnés de l'inscription « Ramenez-les à la maison maintenant », sont devenus le cri de ralliement d'une société pour laquelle il est impensable d'abandonner un soldat ou un civil entre les mains de l'ennemi.

C'est sur une place située en face du musée d'art contemporain de Tel-Aviv — jouxtant également la bibliothèque principale de la ville —, rebaptisée pour l'occasion « la Place des Otages » et devenue le principal lieu de contestation contre la poursuite de la guerre, que la densité de ces portraits d'absents prend toute son importance.

La proximité du musée — ce lieu consacré à d'autres types d'images, resté fermé pendant une longue période après le 7 octobre — crée un contraste étrange avec la rupture brutale introduite par ces nouveaux visages, qui captent désormais toute l'attention des passants.De plus, pendant de longs mois, « la Place des Otages » est occupée par des monuments improvisés, touchants dans leur maladresse. Leurs auteurs, souvent anonymes, évitent toute forme de sophistication et s'adressent directement aux nombreux visiteurs qui parcourent ce lieu de mémoire.

Les mêmes images sont diffusées de manière répétitive dans les médias — télévision, journaux, réseaux sociaux — afin d'éviter que le sort des victimes ne sombre dans l'oubli. Pourtant, ces médias semblent souffrir d'un angle mort : celui des victimes civiles de l'autre camp, qui restent invisibles — sauf, parfois, dans le journal Haaretz ou sur la chaîne 13.

Les quelques tentatives de briser cette cécité ont été empêchées, les journalistes étrangers n'ayant pas le droit d'exercer leur métier. Plus grave encore, les journalistes israéliens admis à Gaza n'ont accès qu'aux activités liées au Hamas, essentiellement aux tunnels et aux dépôts d'armes. Volontairement ou non, ces reportages contribuent à justifier la prolongation d'un conflit d'une violence inouïe.

Les rares apparitions des Palestiniens à l'écran se limitent à des foules en mouvement, sans jamais s'arrêter sur la souffrance d'un individu particulier. Tout porte à croire que ces images pourraient ébranler la certitude selon laquelle le conflit armé doit se poursuivre malgré les « dégâts collatéraux ».

Ce filtrage s'explique sans doute par un réflexe de solidarité nationale et par la nécessité de refouler une réalité insupportable.

Il suffit d'écouter Eli Bar-Navi, ancien ambassadeur d'Israël en France et fervent défenseur d'une paix durable au Moyen-Orient, qui affirme comprendre que les Israéliens pleurent d'abord leurs compatriotes. Néanmoins, il est difficile d'accepter une telle invisibilisation, un tel déni, dans une société qui se revendique fièrement humaniste.

Cette situation n'est pas nouvelle. Depuis longtemps, l'image du Palestinien est pratiquement absente du regard du public juif en Israël. Devenu une menace, il n'est plus représenté comme un individu réel. Presque jamais nommé, doté d'un caractère collectif, il incarne la terreur existentielle qui étreint le protagoniste juif et l'empêche de vivre sa vie comme il l'aurait souhaité.

Des exceptions existent néanmoins, notamment lorsque des artistes cherchent à confronter le public à cette histoire en recourant à des documents dits « objectifs » : photographies, cartes, journaux… Ainsi, en novembre 2003, une exposition présentée au Musée national d'Israël à Jérusalem montra les œuvres de David Reeb, réalisées à partir de photographies prises dans les territoires par Michael Kratzman et Alex Levac. À partir de ces images, Reeb exécuta des toiles de grand format, de facture réaliste, véritables constats grandeur nature d'une réalité tragique et de ses personnages. Isolées par des parois, ces œuvres formaient parfois un story-board éclaté, une mosaïque juxtaposant deux réalités qui se côtoient sans vraiment se voir.

Sans détails, sans précision, sans virtuosité illusionniste, ces toiles semblent, malgré leur taille, peintes à la hâte, dans une urgence palpable — comme des croquis réalisés, si l'on ose dire, sur le motif. Ce sont des images d'une réalité prosaïque que le public israélien ne voit pas. Isolées, agrandies, extraites de leur contexte médiatique et projetées dans l'espace artistique, retouchées par l'artiste qui laisse visibles les traces de la matière picturale, elles acquièrent une qualité improvisée, presque maladroite.

Le travail de Reeb rappelle que, dans une société en conflit, même si tout peut être visible, tout n'est pas montrable — et encore moins regardé. Il souligne aussi que cette cécité partielle, cette forme d'autisme développée par la société israélienne, n'est plus tenable lorsqu'il s'agit de la société palestinienne.

La différence est simple mais cruciale : quand l'occupé voit sans cesse l'occupation — car elle détermine et enferme son espace vital sans alternative — l'occupant, lui, s'efforce d'oblitérer tout signe visible de cette occupation, adoptant une attitude qui lui permet de prétendre qu'elle n'existe pas, ou du moins, de n'en tenir aucun compte. L'expression camera obscura prend ici tout son sens, et ce n'est pas un hasard si une autre exposition de Reeb organisée à Tel-Aviv portait ce titre. Pour dire les choses sans détour : ce sont des œuvres créées sous occupation.

Soyons justes : ce déséquilibre visuel n'est pas l'apanage des médias israéliens. La représentation de l'Israélien, voire du Juif, dans les médias arabes n'est guère meilleure. Peut-être, un jour, un historien de l'art palestinien posera-t-il, à son tour, un regard critique sur la manière dont son peuple se représente l'« autre ». Peut-être, un jour aussi, les Palestiniens accepteront-ils l'idée que, parmi les Israéliens, certains tournent leur regard vers eux sans haine.

Itzhak Goldberg


Professeur émérite en Histoire de l'art à l'Université Jean
Monnet à Saint- Etienne`

Critique à Journal des Arts

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Une presse « objective » ne vous alertera pas sur les menaces qui pèsent sur la démocratie

27 mai, par Jim Naureckas — , ,
Intercept : Trump poursuit une démocrate du Congrès pour avoir fait son travail. La réponse des médias : Pas grave. Natasha Lennard (Intercept (20/05/25) : « Les organes de (…)

Intercept : Trump poursuit une démocrate du Congrès pour avoir fait son travail. La réponse des médias : Pas grave.
Natasha Lennard (Intercept (20/05/25) : « Les organes de presse devraient... ont depuis longtemps cessé d'accorder à l'administration Trump une couverture aussi crédule ».

Tiré de la page web de FAIR
https://fair.org/home/an-objective-press-wont-alert-you-to-threats-to-democracy/
Jim Naureckas

Un article de FAIR (22/05/25) sur la défense sélective de la liberté de la presse par l'éditeur du New York Times A.G. Sulzberger (New York Times, 13/05/25) l'a décrit comme quelqu'un qui « s'accroche au faux dieu de la neutralité journalistique à tout prix ». L'article de Natasha Lennard dans The Intercept (20/05/25) sur la couverture médiatique de l'arrestation par l'administration Trump de la représentante LaMonica McIver (D-N.J.) illustre ce que nous entendons par là.

McIver, a écrit Lennard, a été accusée d'avoir « agressé » un agent de l'ICE lorsqu'elle « a tenté d'effectuer une visite de surveillance plus tôt ce mois-ci dans un nouveau centre de détention de l'ICE dans sa ville natale de Newark, dans le New Jersey ». Une telle surveillance fait partie du devoir constitutionnel des représentants et est spécifiquementautorisée par la loi dans le cas des installations de l'ICE. Lennard a noté que si cela s'était produit dans un autre pays – un pays qui n'a pas la faveur de Washington – cela aurait été rapporté, assez précisément, comme quelque chose comme : « Le régime cible les politiciens de l'opposition avec des accusations fabriquées de toutes pièces pour avoir exercé une surveillance ».

Mais comme cela s'est produit aux États-Unis, ce n'est pas ainsi que les principaux organes de presse américains, y compris le New York Times (19/05/25), l'ont rapporté. « Le représentant McIver accusé d'agression à la suite d'un affrontement à l'extérieur du Newark ICE Center » était le titre du Times à propos d'un article qui suivait le livre de style du Times. "Les deux parties ont montré du doigt des vidéos de la bagarre chaotique... pour s'accuser mutuellement d'être à l'origine de l'altercation.

Comme l'a fait remarquer le sous-titre de The Intercept, « Vous ne sauriez jamais en lisant le New York Times que les accusations contre la représentante LaMonica McIver ne sont rien d'autre qu'une attaque autoritaire. » L'article du Times n'a pas fourni le contexte selon lequel l'ICE a saisi des immigrants sans procédure régulière et les a expédiés dans des prisons étrangères enviolation des ordonnances du tribunal – un contexte essentiel pour juger si la poursuite d'un législateur qui a tenté d'enquêter sur l'agence est de bonne foi.

NYT : Le représentant McIver accusé d'agression lors d'un affrontement à l'extérieur du Newark ICE Center
« Clash » est un mot utile si vous voulez faire passer un législateur non armé pour un adversaire égal pour les commandos de la Sécurité intérieure (New York Times, 19/05/25).

Dans son essai, Sulzberger a averti que sans la liberté de la presse, les gens pourraient ne pas savoir quand leurs droits sont retirés ou que les structures démocratiques sont sapées :

Sans une presse libre, comment les gens sauront-ils si leur gouvernement agit légalement et dans leur intérêt ? Comment les gens sauront-ils si leurs dirigeants disent la vérité ? Comment les gens sauront-ils si leurs institutions agissent dans l'intérêt de la société ? Comment les gens sauront-ils si leurs libertés sont soutenues, défendues et défendues – ou érodées par des forces qui cherchent à remplacer la vérité et la réalité par la propagande et la désinformation ?

Mais si vous suivez l'approche du Times en matière de journalisme, dans laquelle vous ne devez jamais dire que quelque chose se passe si quelqu'un au pouvoir prétend que ce n'est pas le cas, alors votre public ne saura pas quand son gouvernement agit illégalement ou nie la vérité et la réalité. (« Vous ne pouvez pas simplement dire que le président ment », a déclaré la journaliste du Times Elisabeth Bumiller à un panel de DC – Extra !,1-2/05 – exprimant une règle réelle qui a été appliquéemême aux chroniqueurs d'opinion du journal.)

Les journalistes ont inévitablement, inéluctablement, des valeurs, et ces valeurs influencent nécessairement ce qu'ils communiquent à leurs publics. S'ils valorisent la démocratie, ils communiquent à leur auditoire que les arrestations de législateurs de l'opposition sont dangereuses. Si, d'un autre côté, ils accordent plus d'importance à l'apparence de neutralité qu'à toute autre chose, alors le message que les lecteurs recevront est : Qui peut le dire ?

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Sensibiliser à l’industrie de la mode rapide

27 mai, par Comité de solidarité internationale de la Coordination du Québec de la marche mondiale des femmes (CQMMF) — ,
La CQMMF a produit une série de vignettes visant à sensibiliser à l'industrie de la mode rapide. On y observe les mêmes mécanismes employés par les entreprises transnationales (…)

La CQMMF a produit une série de vignettes visant à sensibiliser à l'industrie de la mode rapide. On y observe les mêmes mécanismes employés par les entreprises transnationales pour maximiser leur profits que dans d'autres domaines, tel que l'énergie, l'alimentation ou les mines.

Tiré de l'Infolettre de la Coalition Québécoise de la Marche Mondiale des femmes CQMMF

Seulement dans l'industrie de la mode ?

Si l'industrie de la mode rapide (fast fashion) est ici citée en exemple, nous souhaitons rappeler que les entreprises transnationales utilisent des mécanismes similaires pour maximiser leurs profits. Voici quelques exemples : décolalisation pour bénéficier des normes plus laxistes, rémunération à bas salaire, pollution de l'environnement voir destruction de l'écosystème, barrière à la syndicalisation, contexte de travail dangereux, etc.

Pour toutes les visionner cliquer sur ce lien : ici

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Leadership féminin

Renforcement du leadership féminin : 20 femmes formées dans le cadre du projet "Chanjman Bèl, Nap Fèl" Port-au-Prince, 17 mai 2025-Du 12 au 16 mai 2025, l'organisation (…)

Renforcement du leadership féminin : 20 femmes formées dans le cadre du projet "Chanjman Bèl, Nap Fèl"

Port-au-Prince, 17 mai 2025-Du 12 au 16 mai 2025, l'organisation Refuge des Femmes d'Haïti (Ref-Haïti) a tenu une formation intensive à Port-au-Prince, dans les locaux de Housing Works Haiti, à destination de vingt femmes issues de milieux divers. Cette initiative s'inscrit dans le cadre du projet "Chanjman Bèl, Nap Fèl", appuyé par l'Organisation des États Américains (OEA) et l'Ambassade du Canada en Haïti.

L'objectif de cette formation était clair : renforcer les capacités de leadership féminin en mettant l'accent sur des enjeux majeurs tels que les violences basées sur le genre (VBG), les droits en santé sexuelle et reproductive (DSSR), la prévention du VIH, mais également l'éducation civique, le marketing social et l'entrepreneuriat féminin.

Les participantes ont bénéficié d'un cadre interactif favorisant la participation active, les échanges d'expériences, la réflexion critique et la mise en réseau. Pour les organisateurs, cette dynamique constitue une étape cruciale vers l'autonomisation des femmes à l'échelle communautaire.

Avec ce projet, Ref-Haïti et ses partenaires entendent non seulement renforcer les compétences individuelles des participantes, mais aussi favoriser l'émergence de nouvelles voix féminines engagées dans les dynamiques sociales, économiques et politiques du pays.

À travers "Chanjman Bèl, Nap Fèl", c'est une vision inclusive du changement qui prend forme : celle d'une Haïti où les femmes ne sont pas seulement bénéficiaires, mais véritables actrices du progrès.

Smith PRINVIL

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À Malen, des femmes qui luttent pour les terres et les moyens de subsistance

Dans lachefferie de Malen , au sud de la Sierra Leone, le palmier à huile est plus qu'une simple culture commerciale. Depuis des générations, les femmes de cette région (…)

Dans lachefferie de Malen , au sud de la Sierra Leone, le palmier à huile est plus qu'une simple culture commerciale. Depuis des générations, les femmes de cette région dépendent de cette ressource pour se nourrir, générer des revenus et avoir une stabilité économique. Cependant, l'arrivée des plantations industrielles de palmiers à huile a bouleversé leurs moyens de subsistance traditionnels, car des multinationales comme SOCFIN Agricultural Company (SAC) accaparent les terres, souvent sans le consentement des communautés locales.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup

Depuis 2011, la SAC, une filiale de la multinationale SOCFIN basée au Luxembourg, a acquis plus de 18 000 hectares de terres pour la production industrielle d'huile de palme dans la chefferie de Malen. Il s'en est suivi un conflit foncier acharné entre l'entreprise, les autorités locales et les communautés, qui s'est intensifié, donnant lieu à des violences, des déplacements forcés et une lutte incessante pour la justice. Au cœur de la tourmente, les femmes de la chefferie de Malen se sont organisées et luttent pour protéger leurs terres et leur mode de vie.

Jeneba Samuel : une histoire de résilience

Jeneba Samuel, veuve et agricultrice de la section Panina dans la chefferie de Malen, incarne la résilience de sa communauté. Pendant des années, elle a cultivé du riz et des palmiers à huile sur des terres héritées de feu son père, faisant vivre sa famille grâce à l'agriculture. Cependant, en 2011, sa vie a basculé lorsque le chef suprême et d'autres dirigeant·es communautaires ont vendu les terres familiales à la SAC sans son consentement.

« Ils ont pris nos terres sans nous demander notre avis », se souvient Jeneba. « Quand j'ai essayé de me battre pour les récupérer, j'ai été battue et agressée sexuellement par cinq hommes. Cela a été une expérience douloureuse, et ça l'est encore aujourd'hui. »

Jeneba a porté son affaire devant la police et la Commission nationale des droits humains, mais aucune mesure n'a été prise. En quête de soutien, elle a rejoint l'Association des propriétaires et usagers de terres de Malen (MALOA), une association créée en 2011 pour lutter contre les accaparements de terres dans la chefferie. Malgré leurs efforts, Jeneba et les autres femmes concernées n'ont pas pu récupérer leurs terres.

« Je n'ai plus rien », dit-elle. « Pas de terre à cultiver, aucune indemnité reçue de l'entreprise, aucun emploi pour ma famille ou moi-même. Nous luttons pour survivre. »

L'histoire de Jeneba est révélatrice d'un problème plus large dans la chefferie de Malen. Les femmes qui dépendaient autrefois du palmier à huile et de leurs autres cultures pour nourrir leurs familles et générer des revenus sont aujourd'hui confrontées au déplacement forcé et à la précarité économique. Les plantations de la SAC n'ont pas seulement pris leurs terres, elles ont également perturbé le tissu social et économique de la communauté.

« Les dirigeants partagent les bénéfices avec ceux qu'ils connaissent », explique Jeneba. « Les autres comme nous se retrouvent sans rien. »

Unrapport publié en 2017 par FIANBelgique fait écho aux affirmations de Jeneba. Il a révélé de graves allégations de corruption et un manque de transparence dans les opérations de SOCFIN. Les fonds destinés au paiement des loyers fonciers ont été détournés au profit des élites locales, sans qu'aucun compte ne soit rendu. Le rapport a également mis en évidence un fossé entre les promesses de SOCFIN en matière de responsabilité sociale des entreprises et la réalité. Entre 2011 et 2017, la société a annoncé qu'elle consacrerait 16,4 millions d'euros à des projets communautaires, notamment des écoles, des hôpitaux et des routes. Cependant, seuls 2,5 millions d'euros ont été effectivement déboursés.

Les femmes à la tête de la résistance

Malgré les adversités, les femmes de Malen ont fait preuve d'un courage et d'une détermination immenses. Le 21 septembre 2017, environ 150 à 200 femmes ont été bloquées par la police alors qu'elles se rendaient à Pujehun pour exiger que des mesures soient prises contre SOCFIN suites aux accaparements de terres et violations des droits humains. Les femmes, qui brandissaient des banderoles et des pancartes dénonçant les injustices, l'accaparement des terres et les arrestations généralisées, ont refusé de reculer.

« Nous avons tenu bon », raconte une participante. « Nous avons dit aux journalistes qui arrivaient sur les lieux que la paix était la voie à suivre, mais nous avons aussi clairement fait savoir que nous ne serions pas réduites au silence. »

Après plusieurs heures de confrontation, la plupart des femmes sont rentrées chez elles à contrecœur, mais six d'entre elles ont poursuivi la route jusqu'à Pujehun pour assister à une réunion de district des principales parties prenantes, qu'elles ont décrite comme une petite mais importante victoire.

Le conflit a atteint un point culminant tragique le 21 janvier 2019, lorsqu'un accrochage entre des membres de la communauté et la police et l'armée qui protégeaient les biens de la SOCFIN a tourné au drame. Deux personnes ont été tuées par balle. Dans les heures qui ont suivi, des descentes de police et de l'armée ont été menées dans les villages environnants. Des habitant·es ont été battu·es, des maisons vandalisées et des biens pillés. Des centaines de personnes ont fui leur domicile et 15 personnes ont été arrêtées, s'ajoutant ainsi à une longue liste de détentions arbitraires ciblant les militant·es de MALOA.

Dans ce contexte, une coalition d'organisations de la société civile sierra-léonaise et internationale a appelé à une action urgente.

Un appel à la solidarité et à l'action

L'appel de Jeneba est à la fois un appel à la résilience et à l'espoir. Elle exhorte ses camarades à rester fortes et à continuer à se battre pour leurs droits. « Nous ne devons pas abandonner », dit-elle. « L'avenir de nos enfants en dépend. »

Mais la lutte à Malen ne se limite pas à la terre : il s'agit de garantir un avenir durable à la communauté. Des femmes comme Jeneba Samuel sont en première ligne de cet effort et leur résilience témoigne de la force de celles qui refusent d'être réduites au silence.
Télécharger le livret ici

[1] Un Ejido est un terme utilisé au Mexique pour désigner une zone de terres communales utilisées pour l'agriculture dans laquelle les membres de la communauté ont des droits d'usufruit plutôt que des droits de propriété sur la terre – voir la fiche Ejido sur Wikipedia.

https://grain.org/fr/article/7263-la-voix-des-femmes-semons-la-resistance-a-l-agriculture-industrielle

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La baisse des financements humanitaires menace les droits des femmes 

La moitié des organisations dirigées par des femmes ou œuvrant pour les droits des femmes dans les zones de crise humanitaire pourraient cesser leurs activités d'ici six mois, (…)

La moitié des organisations dirigées par des femmes ou œuvrant pour les droits des femmes dans les zones de crise humanitaire pourraient cesser leurs activités d'ici six mois, faute de financement. Un scénario alarmant, qui priverait des millions de femmes et de familles de services essentiels, avertit un nouveau rapport mondial d'ONU Femmes publié mardi.

Tiré de Entre les lignes et lesm ots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/23/la-baisse-des-financements-humanitaires-menace-les-droits-des-femmes/

Selon l'enquête menée par ONU Femmes, 90% des 411 organisations de femmes actives dans 44 pays touchés par des crises ont déclaré souffrir de la baisse de l'aide étrangère.

« La situation est critique. Les femmes et les filles ne peuvent tout simplement pas se permettre de perdre les bouées de sauvetage que constituent les organisations de femmes », explique Sofia Calltorp, responsable de l'action humanitaire chez ONU Femmes, signalant que « malgré leur rôle essentiel » les organisations de femmes étaient déjà gravement sous-financées avant même la récente vague de réductions budgétaires.

Un impératif stratégique

À l'échelle mondiale, 308 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire dans 73 pays, un chiffre qui ne cesse d'augmenter avec l'escalade des conflits, le changement climatique, l'insécurité alimentaire et les épidémies.

Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par la crise. Outre les morts évitables liées à la grossesse, elles souffrent de malnutrition et de taux élevés de violence sexuelle.

Malgré l'augmentation de ses besoins, le système humanitaire est confronté à une grave crise de financement et les coupes budgétaires menacent des services essentiels, vitaux pour les femmes et les filles.

Suspension de programmes

La réduction drastique du financement pousse de nombreuses organisations à un point de rupture, signale le rapport intitulé At a Breaking Point : The Impact of Foreign Aid Cuts on Women's Organizations in Humanitarian Crises Worldwide (À un point de rupture : l'impact des coupes budgétaires sur les organisations de femmes dans les crises humanitaires mondiales).

Si près de la moitié d'entre elles s'attendent à fermer dans les six mois si les niveaux de financement actuels se maintiennent, plus de 60% ont déjà réduit leurs interventions, perturbant l'apport d'un soutien vital allant des soins de santé d'urgence et des services de lutte contre la violence fondée sur le genre, à l'aide économique et aux solutions d'hébergement.

Près des trois quarts déclarent avoir été contraintes de licencier du personnel, souvent de manière significative.

Pression intense

En 2024, seuls 7% des 44,79 milliards de nécessaires pour répondre à l'escalade des conflits et aux catastrophes ont été atteints. Alors que les principaux pays donateurs ont annoncé des réductions importantes de leur aide étrangère.

Si le système humanitaire dans son ensemble est contraint de réduire la voilure, les organisations locales et nationales dirigées par des femmes sont parmi les plus durement touchées, alors qu'elles jouent un rôle de premier plan dans la distribution de l'aide et l'accès aux communautés marginalisées.

DuMyanmar à laPalestine, en passant par le Soudanet l'Afghanistan, ces organisations de femmes fournissent des services vitaux et jouent un rôle essentiel dans l'action humanitaire.

Les données montrent que les programmes humanitaires tenant compte de la dimension de genre génèrent un retour sur investissement de 8 dollars pour chaque dollar investi.

Néanmoins, en 2024, seulement 1,3% des fonds humanitaires étaient consacrés à la lutte contre la violence fondée sur le genre.

Plus que des prestataires de service
ONU Femmes souligne que les organisations de femmes ne sont pas seulement des prestataires de services, ce sont des cheffes de file et des défenseures fiables qui atteignent les communautés défavorisées grâce à un soutien adapté à leur culture.

Elles fournissent des espaces sûrs, des services psychosociaux et une assistance juridique aux survivantes de la violence fondée sur le genre.

Elles veillent à ce que la voix des femmes soit prise en compte dans la planification humanitaire et les décisions politiques.

Elles renforcent la résilience à long terme en autonomisant les femmes sur le plan économique et social.

Lorsque ces organisations sont sous-financées ou contraintes de fermer, c'est l'ensemble de l'action humanitaire qui perd en efficacité, en inclusivité et en responsabilité à l'égard des personnes qui en ont le plus besoin.

Face aux défis croissants, ces organisations restent inébranlables. Elles montrent courageusement la voie, défendent leurs communautés et reconstruisent des vies avec résilience et détermination, selon ONU Femmes.

L'agence onusienne affirme se tenir aux côtés des organisations de femmes du monde entier et se fait l'écho de leur appel urgent à un financement durable.

https://news.un.org/fr/story/2025/05/1155506

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Géorgie. Les manifestantes de plus en plus ciblées par des violences et des représailles liées au genre

27 mai, par Amnistie internationale — , ,
En Géorgie, la police a de plus en plus souvent recours à des violences liées au genre, telles que des insultes sexistes, des menaces de violence sexuelle et des fouilles au (…)

En Géorgie, la police a de plus en plus souvent recours à des violences liées au genre, telles que des insultes sexistes, des menaces de violence sexuelle et des fouilles au corps illégales et dégradantes, contre les femmes qui participent à des manifestations, dans un contexte de campagne plus générale visant à intimider et punir les manifestant·e·s pacifiques, indique Amnesty International dans unenouvelle synthèserendue publique vendredi 23 mai.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/25/georgie-les-manifestantes-de-plus-en-plus-ciblees-par-des-violences-et-des-represailles-liees-au-genre/

Les scènes de brutalité policière et de violentes agressions physiques par des personnes non identifiées contre des manifestant·e·s pacifiques se sont multipliées de façon inquiétante depuis le début d'un puissant mouvement de protestation pro-européen et anti-gouvernemental qui a éclaté dans le pays l'an dernier. Défiant la répression des autorités, les manifestantes sont devenues des symboles de courage – mais aussi les cibles des humiliations et des violences physiques et psychologiques infligées par des membres des forces de l'ordre et leurs assistants non identifiés.

« Les autorités ont peut-être espéré qu'en ciblant les femmes avec des menaces de violence sexuelle, des descentes à leur domicile, des fouilles au corps illégales et des détentions arbitraires, elles écraseraient l'esprit de résistance, dissuaderaient les manifestant·e·s de se rassembler à nouveau et les réduiraient au silence. Cependant, les femmes de Géorgie se sont révoltées encore plus vigoureusement, en dénonçant ces violences, en demandant justice et en affichant leur résistance et leur défiance face à la répression », a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint pour l'Europe de l'Est et l'Asie centrale à Amnesty International.

Une violence d'État et des fouilles au corps déshumanisantes

Au cours des derniers mois, Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages de manifestant·e·s ayant subi des insultes sexistes et des menaces de violence sexuelle, ainsi que des fouilles au corps humiliantes. Ce traitement semble cibler de plus en plus les femmes, qui en sont les principales victimes. Ces violences sont non seulement contraires au droit géorgien, qui interdit le déshabillage complet lors des fouilles, mais également au droit international relatif aux droits humains et aux normes connexes visant à préserver la dignité humaine et à protéger les personnes des violences fondées sur le genre.

Elene Khoshtaria, une dirigeante de l'opposition, a raconté avoir été maîtrisée avec brutalité par des policières, déshabillée et forcée à s'allonger nue par terre lors de son arrestation le 28 mars 2025. Malgré ses problèmes de santé, les agentes ont refusé de la laisser accéder à des médicaments et à des toilettes après qu'elle a eu une crise d'hypertension et a été prise de vomissements.

Kristina Botkoveli, cofondatrice d'un groupe Facebook de protestation, a été forcée à se déshabiller entièrement devant sa mère âgée, en plus de subir des menaces lors d'une descente de police à son domicile le 1er février 2025. Elle a fait une crise d'angoisse qui a nécessité une prise en charge médicale urgente.

La militante Nino Makharadze a été arrêtée lors d'une manifestation pacifique le 13 janvier 2025 et soumise à une fouille corporelle invasive dans un centre de détention provisoire. Elle n'a pas été autorisée à informer ses proches du lieu où elle se trouvait et n'a pu contacter son avocat qu'après cette fouille au corps. Le 5 mai, elle a signalé avoir été prise dans une embuscade avec deux amies alors qu'elles rentraient d'une manifestation. Un agresseur non identifié les a aspergées de gaz poivre et de peinture verte en les insultant. Les trois femmes ont subi des blessures, notamment des brûlures chimiques qui ont nécessité une hospitalisation.

Des violences verbales et des intimidations sexistes

Les insultes sexistes et les menaces de violence sexuelle contre des manifestant·e·s pacifiques constituent une autre tactique communément employée par les forces de l'ordre pour intimider et harceler. Lors de la manifestation du 2 février 2025 près d'un centre de commercial à Tbilissi, une personne représentant Amnesty International a vu des policiers traiter des manifestantes de « putes » et les menacer ainsi que leurs familles. Plusieurs femmes ont également déclaré avoir été menacées de viol par des fonctionnaires masqués.

Après son arrestation au cours d'une manifestation le 19 novembre 2024, Natia Dzidziguri a été forcée à s'agenouiller dans un fourgon de police, entourée d'hommes tandis que des policiers lui jetaient des insultes sexistes et faisaient des gestes à caractère sexuel.

Mzia Amaghlobeli, journaliste de renom, a été arrêtée à deux reprises le 11 janvier 2025 lors de manifestations pacifiques. À chaque fois, elle a subi des insultes sexistes de la part de policiers, et le chef de la police de Batumi lui aurait craché dessus et l'aurait menacée de violence. Les autorités ont utilisé la vidéo dans laquelle Mzia Amaghlobeli gifle ce dernier, à la suite de leur altercation, pour la poursuivre. Elles n'ont en revanche pas tenu compte de la vidéo où le chef de la police la couvre d'insultes sexistes et d'autres propos violents.Mzia Amaghlobeli a été placée en détention à l'issue d'une audience expéditive lors de laquelle elle a subi une injustice supplémentaire quand le juge a refusé d'examiner le moindre élément présenté par la défense. Jusqu'à présent, les autorités n'ont pas enquêté sur les policiers accusés de mauvais traitements et d'insultes contre elle ou d'autres manifestant·e·s. Aucun agent ayant fait l'objet de graves allégations, de la part de Mzia Amaghlobeli ou d'autres personnes, n'a été suspendu de ses fonctions pendant l'enquête.

Des violations systématiques, et non des cas isolés

Les cas signalés ne sont pas isolés et semblent relever d'une pratique plus large des violences et de l'impunité au sein des organes chargés de l'application des lois en Géorgie. Les humiliations, les propos sexistes et les violences physiques visant des manifestantes dans le pays s'inscrivent dans une politique généralisée d'intimidation des personnes qui participent aux manifestations actuelles. Selon des défenseur·e·s des droits humains vivant sur place, de nombreuses victimes de traitements humiliants de la part de policiers, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, se taisent par crainte ou par honte.

Ces agissements, qui peuvent constituer des formes de torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont non seulement contraires à la Constitution et à la législation de la Géorgie, mais aussi à ses obligations découlant du droit international, notamment de la Convention des Nations unies contre la torture, et des normes connexes.

« Des fouilles au corps illégales, invasives et dégradantes semblent être utilisées en Géorgie pour humilier et intimider les manifestant·e·s, en particulier les femmes. Il s'agit d'une violation manifeste du droit national et international. Les autorités géorgiennes doivent immédiatement mettre fin à toute forme de représailles fondées sur le genre et à tout recours illégal à la force par les responsables de l'application des lois, enquêter sur toutes les allégations de violence pendant les manifestations et veiller au respect de l'obligation de rendre des comptes à tous les niveaux », a déclaré Denis Krivosheev.

https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2025/05/georgia-women-protesters-are-targeted-with-escalating-violence-and-gender-based-reprisals/

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Iran – le mouvement « Femme, Vie, Liberté » continue !

Entrevue réalisée par Tina Mostel, correspondante en stage, avec Mina Fahkavar, doctorante d'origine iranienne. Tiré du Journal des ALternatives (…)

Entrevue réalisée par Tina Mostel, correspondante en stage, avec Mina Fahkavar, doctorante d'origine iranienne.

Tiré du Journal des ALternatives
https://alter.quebec/iran-le-mouvement-femme-vie-liberte-continue/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=JdA-PA-2025-05-22
Par Tina Mostel -19 mai 2025

Photo Manifestation en Iran, 6 Mars 2025 / via Wikimédia

Depuis 1979, la République islamique d'Iran impose le port obligatoire du hijab, fondé sur la charia. Les années 1980 renforcent cette politique : ségrégation hommes-femmes dans l'espace public, licenciements massifs de femmes dans la fonction publique, et durcissement du code vestimentaire. En 2022, le slogan « Femme, Vie, Liberté » devient l'emblème de la résistance. Le décès de Jina Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée pour un voile jugé mal porté, déclenche une vague de protestations internationales. Elle incarne une lutte collective, bien qu'elle ne soit pas un cas isolé.

Le président Massoud Pezeshkian, élu en juillet 2024, promet des réformes en faveur des femmes, suscitant une attente prudente. Madame Mina Fahkavar, doctorante vivant au Canada, née à Téhéran et formée en France, consacre sa thèse à la condition féminine en Iran. Son expérience personnelle offre un éclairage essentiel sur cette lutte pour les droits et les libertés.

Tina Mostel – D'après vous, aujourd'hui, est-ce que la situation politique du pays joue un rôle dans l'accentuation des répressions envers les femmes ?

Mina Fahkavar – Absolument. En réalité, la situation politique actuelle en Iran joue un rôle majeur dans l'accentuation des répressions envers les femmes, devenues la cible principale et prioritaire d'un système politique aux abois, un régime fragilisé qui cherche désespérément à restaurer son autorité en reprenant le contrôle des corps féminins, là où il l'a le plus spectaculairement perdu.

Depuis la révolte historique de 2022, portée par le slogan subversif « Femme, Vie, Liberté », les femmes iraniennes n'ont cessé de défier l'ordre patriarcal d'État.

En réponse, le gouvernement iranien a enclenché une politique de revanche autoritaire, que l'on pourrait qualifier de contre-insurrection patriarcale, où le corps des femmes est à nouveau érigé en champ de bataille. Le projet « Noor », présenté cyniquement comme un projet de moralisation et de sécurité à partir du mois d'avril 2024, constitue en réalité un projet de surveillance numérique généralisée et de contrôle algorithmique des femmes dans l'espace public.

Mais cette répression d'État s'accompagne d'un phénomène parallèle tout aussi alarmant : l'augmentation vertigineuse des féminicides. En 2024, selon les données du Center for Human Rights in Iran, l'Iran a triplé le nombre d'exécutions de femmes par rapport à la moyenne des deux décennies précédentes. La situation est si alarmante qu'on peut désormais parler d'un féminicide judiciaire d'État. Des femmes sont condamnées à mort dans des procès iniques, souvent fondés sur des aveux extorqués sous la torture, sans défense adéquate ni respect des normes internationales de justice.

TM – Dans un second temps, le président Massoud Pezeshkian, élu en juillet 2024, avait fait des promesses à son peuple avant son élection. Quelles répercussions les actions qu'il a mises en place depuis ont-elles eues sur la situation des femmes ?

MF – Le système politique iranien est théocratique, vertical, patriarcal et profondément autoritaire.

Dès lors, les promesses de Massoud Pezeshkian, qui, durant sa campagne, avait déclaré vouloir « apaiser les tensions sociales » et « réduire les discriminations », n'étaient que des manœuvres discursives visant à recréer une illusion de réforme sans toucher à l'architecture du pouvoir.

Plus encore, le régime, avec Pezeshkian comme façade modérée, tente aujourd'hui de rétablir des canaux de négociation diplomatique avec les États-Unis, les mêmes qu'il a qualifiés de « Grand Satan » pendant des décennies. Cette inflexion stratégique est perçue comme une trahison idéologique, et elle affaiblit encore davantage la légitimité du pouvoir aux yeux de la population.

TM – Enfin, comment se dessine l'avenir du combat des femmes iraniennes ? Quelles seraient les actions à mener localement et à l'international pour envisager une amélioration de leur situation actuelle ?

MF – L'avenir du combat des femmes iraniennes n'est pas une question spéculative : il s'inscrit déjà dans le présent. Il s'écrit, chaque jour, dans l'acte de marcher tête nue dans une rue de Téhéran, de danser dans une voiture, de parler à visage découvert sur les réseaux sociaux. Ce sont des gestes simples, mais extraordinairement politiques.

Elles désobéissent. Et ce refus massif, quotidien, est devenu le front principal de la contestation contre le régime. Il faut comprendre que la République islamique n'a jamais été aussi proche de l'effondrement symbolique que depuis que les femmes iraniennes ont cessé d'avoir peur.

Mais l'histoire iranienne, et plus largement celle de la région, est traversée par l'imprévisible : rapports de force géopolitiques, ingérences, récupérations. Rien ne garantit que la chute du régime mène à une société plus juste. C'est pourquoi il est crucial de renforcer les actions à plusieurs niveaux : localement, transnationalement, juridiquement, politiquement.

Au niveau local :

• Continuer à créer des espaces de désobéissance collective et de soutien mutuel (cafés, salons, cercles de lecture, réseaux numériques féministes).

• Développer une éducation critique, mais aussi diffuser du courage, des outils de résistance et des stratégies de désobéissance sur les réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes filles, des femmes des provinces, et des minorités ethniques et religieuses.

C'est précisément grâce à ces actes de parole courageux que des organisations comme Amnesty International ou la mission d'enquête de l'ONU ont pu établir des rapports détaillés sur l'ampleur systémique des violences sexuelles et genrées utilisées par le régime contre les militantes, les dissidentes, les manifestantes.

Témoigner, c'est résister à l'effacement. C'est refuser l'impunité.

À l'international :

• Reconnaître le régime iranien comme un régime d'apartheid de genre, selon les normes du droit international.

• Rompre avec la complaisance diplomatique : arrêter de considérer les violations des droits des femmes comme des « affaires internes », ou comme des expressions culturelles qu'il faudrait tolérer au nom du relativisme.

• Soutenir les exilées, les chercheuses, les artistes, les journalistes iraniennes qui continuent le combat depuis l'extérieur, souvent dans l'isolement et la précarité.

• Exiger que les technologies de surveillance ne soient plus exportées vers des régimes autoritaires, et que les entreprises complices soient poursuivies.

Ce combat est à la fois profondément iranien et universel. Il s'enracine dans l'histoire de l'Iran, dans ses douleurs, ses révoltes, ses espoirs trahis, mais il parle à toutes les femmes qui vivent sous des régimes de contrôle patriarcal. C'est pourquoi la solidarité féministe transnationale ne doit pas être un slogan : elle doit devenir une stratégie.

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« La crise de l’hégémonie libérale est la raison pour laquelle tant de gens se tournent vers l’extrême droite. »

27 mai, par Ilya Budraitskis, Philipp Schmid — , ,
Dans cette interview, Ilya Budraitskis, politologue et militant russe en exil, explique les causes de la montée de l'extrême droite, les objectifs poursuivis par les nouveaux (…)

Dans cette interview, Ilya Budraitskis, politologue et militant russe en exil, explique les causes de la montée de l'extrême droite, les objectifs poursuivis par les nouveaux fascistes et les leçons que la gauche radicale devrait tirer du 20e siècle dans la lutte contre le fascisme. Enfin, il formule des suggestions sur les pistes à explorer aujourd'hui pour une politique antifasciste. Entretien avec Ilya Budraitskis ; par Philipp Schmid (BFS Zurich)

À18 mai 2025 | tiré du site d'inprecor.fr
https://inprecor.fr/node/4748

L'évolution politique en Europe est extrêmement préoccupante. Le parti fasciste Alternative pour l'Allemagne (AfD) a obtenu 20,8 % des voix aux élections fédérales de 2025. Lors des manifestations en Allemagne, les gens disent qu'il n'est pas minuit moins cinq, mais 17h33. Cette panique est-elle justifiée ?

Oui, je pense que ces craintes sont justifiées. Nous pouvons observer comment l'influence des différents partis d'extrême droite en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine, etc. ne cesse de croître. Bien sûr, cette tendance mondiale se manifeste différemment selon les contextes nationaux, mais le danger est réel. En effet, elle est liée à la volonté de certaines fractions des élites de changer radicalement les configurations politiques du pouvoir bourgeois et d'instaurer un régime politique différent. Cela s'est déjà produit en Russie et le processus est en cours aux États-Unis. En Europe occidentale, l'extrême droite a remporté des succès électoraux majeurs, mais la transformation du pouvoir politique ne s'est pas encore concrétisée. Compte tenu de sa force croissante, cela reste toutefois un scénario possible pour l'avenir.

Quel ordre politique visent-ils ?

C'est aux États-Unis que cela se voit le mieux. Avec Trump, l'extrême droite est de retour au pouvoir. Elle contrôle les rouages les plus importants de l'appareil d'État, tels que le Sénat, la Chambre des représentants et la Cour suprême. Et maintenant, elle tente de restructurer le système politique par le haut pour le faire évoluer vers un régime autoritaire. Celui-ci doit être organisé comme une entreprise capitaliste. C'est l'objectif de Trump et de Musk. Cela implique la suppression de la démocratie libérale et son remplacement par une sorte de monarchie moderne. Ils aspirent à un régime dans lequel l'autorité ne repose pas sur la légitimité démocratique, mais sur le principe du pouvoir personnalisé et d'un dirigeant autoritaire.

Quel est le programme idéologique de l'extrême droite, outre la restructuration autoritaire de la société ?

Le cœur de leur programme idéologique est que la démocratie libérale est arrivée à son terme. Elle serait factice et ne serait qu'un gouvernement fantoche derrière lequel se cacherait une élite mondiale secrète, guidée par de faux principes tels que le droit international et la tolérance. L'extrême droite critique la morale et les valeurs supposées de l'élite libérale parce qu'elles protègeraient les faibles et non les forts.

Selon l'extrême droite, le seul principe de la politique internationale devrait être la loi du plus fort. C'est la manière « naturelle » de gouverner la société. C'est la logique qui sous-tend la manière dont Trump et Poutine gouvernent. On le voit dans l'exemple de la critique de Poutine à l'égard du soutien à l'Ukraine : dans son esprit, les petites nations qui ne peuvent pas se défendre n'ont pas le droit d'exister. Et donc, leur souveraineté, c'est-à-dire leur existence en tant que pays indépendants, est artificielle aux yeux de l'extrême droite.

Comment expliquez-vous la montée des forces d'extrême droite et fascistes en Europe au cours des dix dernières années ?

Il y a de nombreuses raisons qui expliquent le succès électoral croissant des partis d'extrême droite en Europe. L'une des plus importantes est la transformation des sociétés européennes à la suite des réformes néolibérales de ces dernières décennies. L'atomisation sociale progressive des populations, le démantèlement des syndicats et d'autres formes d'auto-organisation des travailleurs vont de pair avec le déclin des traditions démocratiques, qui doivent être comprises non seulement comme un système d'institutions libérales, mais aussi comme la capacité de la société à se défendre collectivement et de manière organisée.

C'est là le fondement matériel de la crise idéologique des élites libérales, car les citoyens sont de plus en plus désabusés par la démocratie libérale bourgeoise et ses institutions. Ils se sentent non représentés et non entendus. L'extrême droite exploite habilement ces sentiments largement répandus.

L'analyse marxiste classique du fascisme a toujours considéré le fascisme comme une réaction à la crise du capitalisme et comme la réponse de la bourgeoisie au renforcement du mouvement ouvrier. Cette analyse est-elle toujours valable ?

Malgré les différences historiques, il existe certainement des similitudes entre les années 1920/1930 et la situation actuelle. La crise des institutions politiques de la République de Weimar, la Grande Dépression à partir de 1929 et les bouleversements sociaux considérables qui l'ont accompagnée ont constitué le terreau fertile de la montée et de la prise du pouvoir par le fascisme allemand. Même s'il n'y avait pas de danger immédiat de révolution prolétarienne, le mouvement ouvrier allemand était l'un des plus puissants au monde. Le SPD social-démocrate et le KPD communiste étaient des partis de masse avec lesquels les fascistes se disputaient l'influence. En raison de la crise sociale générale, la population était massivement désabusée par le système de la démocratie libérale bourgeoise. Nous pouvons également observer cela dans la situation actuelle, qui se caractérise également par une crise multiple de l'ordre capitaliste. Il existe toutefois une différence fondamentale.

Laquelle ?

Dans les années 1920 et 1930, les fascistes rivalisaient avec le mouvement ouvrier pour proposer des visions alternatives à l'avenir du système capitaliste. Ils propageaient une vision d'un avenir sans conflits de classe, où la gloire nationale unirait la population. Et ils avaient l'ambition de créer un homme nouveau, lié à la société dans un esprit de solidarité nationale et une sorte de collectivisme fasciste. C'est pourquoi cette utopie fasciste réactionnaire était si attrayante pour beaucoup de gens en Europe dans les années 1920 et 1930. Et c'est pourquoi elle était en concurrence avec l'utopie socialiste et la vision socialiste d'un autre type de relations humaines. Aujourd'hui, je ne vois aucune concurrence entre des visions alternatives de l'avenir.

Mais les fascistes ne propagent-ils pas toujours une société différente, avec des frontières nationales, un peuple homogène et des genres clairement définis ?

Oui, mais le sens et la compréhension du temps sont très différents de ce qu'ils étaient il y a cent ans en Europe. À l'époque, la question d'un avenir meilleur et du progrès social était au cœur des aspirations sociales. Sous le règne du capitalisme tardif depuis les années 1980, l'idée d'avenir a disparu. Les gens sont principalement préoccupés par le présent et les interprétations du passé qui ont conduit à la situation actuelle. Nous vivons dans le présent, où un avenir alternatif est inimaginable. C'est précisément le résultat de la réorganisation néolibérale de la société. La célèbre phrase de Margaret Thatcher « il n'y a pas d'alternative » (TINA) est plus ou moins devenue le consensus social. Le programme politique de Trump le montre clairement. Il ne fait aucune proposition concrète et ne propage pas de vision claire de l'avenir. Il se contente de nier le « présent libéral » au nom d'une « vérité » qu'il définit lui-même.

Revenons à la caractérisation de la nouvelle extrême droite. Dans son livre publié en 2017, Les nouveaux visages du fascisme, le célèbre chercheur marxiste spécialiste du fascisme Enzo Traverso propose le terme « post-fascisme » pour caractériser les nouveaux fascistes. Qu'entend-il par là ?

Enzo Traverso estime que les partis post-fascistes d'aujourd'hui, contrairement à leurs modèles historiques, ne cherchent pas à rompre avec les mécanismes de la démocratie libérale bourgeoise. Au contraire, ils utilisent avec succès les mécanismes de la démocratie pour étendre leur influence. Ils veulent seulement utiliser le système pour arriver au pouvoir. L'exemple de l'Italie en est une illustration. La post-fasciste Giorgia Meloni n'a pas renversé le système politique pour le remplacer par un régime fasciste. Un tel scénario est également peu probable en cas de participation de Marine Le Pen au gouvernement français ou de l'AfD en Allemagne. Ils tenteront plutôt de changer progressivement la mentalité des sociétés et des élites. Il n'existe toujours pas de consensus dans les cercles dirigeants pour transformer le système politique en une nouvelle forme de fascisme autoritaire. Cependant, cela pourrait changer sous la pression soutenue de l'extrême droite.

Aujourd'hui déjà, les gouvernements libéraux et conservateurs adoptent les revendications de l'extrême droite. Nous devons comprendre que l'utilisation des institutions bourgeoises libérales et des élections par l'extrême droite pourrait représenter un point de transition pour tous ces mouvements sur la voie de la réalisation de leur projet politique final. Pour ces raisons, je pense que le terme « post-fascisme » est utile pour décrire les similitudes et les différences entre l'extrême droite contemporaine et les fascistes historiques.

Cette analyse peut-elle également s'appliquer à la Russie et au régime de Poutine ?

Oui, la Russie a traversé exactement ce processus et est aujourd'hui un régime ultra-autoritaire. Au cours des 25 dernières années du gouvernement Poutine, le régime russe a fondamentalement changé. Au cours de la première décennie, dans les années 2000, la Russie était plutôt un régime autoritaire, technocratique et néolibéral. La crise économique mondiale de 2007/2008 a entraîné une crise politique générale non seulement dans le monde arabe, mais aussi en Russie. Des manifestations massives contre la réélection de Poutine ont eu lieu à Moscou et dans d'autres villes russes en 2011/2012. Ces manifestations de la société civile ont été perçues comme une menace politique et idéologique et ont conduit les élites russes à croire qu'une transformation autoritaire de leur régime était nécessaire.

Quel a été l'impact de cette transformation ?

L'idée que des mouvements sociaux issus de la base puissent renverser un gouvernement constitue une menace existentielle pour les régimes autocratiques. C'est pourquoi le retour de Poutine à la présidence en 2012 s'est accompagné d'un glissement idéologique vers des valeurs dites traditionnelles et antidémocratiques. Ces éléments antidémocratiques reposaient sur l'idée que l'État russe n'était pas le résultat d'un contrat social, mais le fruit de l'histoire. La Fédération de Russie est la continuation directe de l'Empire russe et de l'Union soviétique. Cela signifie que Poutine n'a pas besoin d'être élu par le peuple, mais qu'il est conduit par le destin à diriger le pays. Poutine se considère comme le successeur direct de Pierre le Grand et de Staline. Ces idées ont finalement été inscrites dans la Constitution russe en 2020. Au fond, ces convictions sont également responsables de la réaction violente aux événements en Ukraine lors des manifestations du Maïdan en 2013/2014.

Pourquoi ?

Les Ukrainiens du Maïdan protestaient contre l'influence de la Russie et en faveur de la souveraineté nationale de l'Ukraine. Les manifestations ont non seulement été qualifiées par le régime russe de « mises en scène depuis l'extérieur », mais elles ont également été perçues comme une menace interne pour la « Russie historique ». Au cours de cette deuxième décennie du règne de Poutine, l'intervention militaire en Ukraine a commencé, avec notamment l'annexion de la Crimée. Elle s'est accompagnée d'une croissance de l'autoritarisme du régime de Poutine et de son installation à la tête du pays à vie.

Comment la population civile russe, attachée à la démocratie, a-t-elle réagi à ces développements ?

Poutine a été une nouvelle fois confronté à un mouvement de protestation démocratique croissant et au mécontentement d'une grande partie de la société russe. Il a également vu dans cette vague de protestation une combinaison de menaces externes et internes. Toutes les révolutions, y compris la révolution russe de 1917, auraient été secrètement contrôlées par les ennemis extérieurs de la Russie. L'Occident aurait empoisonné la société russe avec des idées fausses, libérales ou socialistes. La réponse de Poutine aux nouvelles manifestations a été d'envahir l'Ukraine en février 2022. Pour Poutine, la question ukrainienne n'est pas seulement une question d'intérêts géostratégiques de l'État russe sur la scène mondiale. Il n'était pas seulement préoccupé par la concurrence avec l'OTAN, mais aussi par l'existence de son propre régime. C'est pourquoi l'invasion de l'Ukraine a marqué un tournant. Poutine a utilisé la guerre pour transformer le régime en une dictature répressive.

Alors, décrivez-vous le régime de Poutine aujourd'hui comme fasciste ?

Oui, pourquoi pas ? Bien sûr, le fascisme d'aujourd'hui diffère du fascisme historique à bien des égards. En Russie, contrairement à l'Allemagne et à l'Italie, le fascisme n'a pas de modèle historique. Il existe plutôt diverses autres traditions autoritaires dont le régime de Poutine peut s'inspirer. Par exemple, Poutine utilise la tradition extrêmement conservatrice et cléricale de l'Empire russe pour justifier son autocratie. Des pratiques répressives issues du passé stalinien ont également été reprises, comme le montre le rôle des services secrets du FSB (successeur du KGB). Aujourd'hui, le FSB est l'élément le plus influent du régime russe.

Une partie de la gauche radicale occidentale ignore – ou pire, nie – le danger que représente le régime fasciste en Russie.

Exactement, et ce qui est encore plus tragique, c'est qu'elle n'est absolument pas préparée à la montée du fascisme dans ses propres pays. La montée du nouveau fascisme est un défi majeur pour la gauche. Aux États-Unis, par exemple, avant la réélection de Trump, la gauche radicale concentrait ses critiques principalement sur Biden et le Parti démocrate, oubliant le danger réel que représente le trumpisme. Aujourd'hui, elle est complètement perdue. Cela peut également se produire dans d'autres pays. L'histoire nous enseigne que la gauche n'était pas préparée à la montée du fascisme au 20esiècle. L'Internationale communiste stalinienne a trop longtemps banalisé la menace fasciste. La différence avec aujourd'hui est que la gauche radicale est beaucoup plus faible qu'il y a cent ans.

Quelles autres leçons peut-on tirer de la résistance antifasciste au 20e siècle ?

La leçon la plus importante de l'histoire est que le fascisme conduit toujours à la militarisation et à la guerre. Les antifascistes européens ne s'en sont pas rendu compte au début de la montée au pouvoir des fascistes dans les années 1920 et 1930. Aujourd'hui, cela est beaucoup plus évident et nous devons donc combiner notre propagande antimilitariste et anti-impérialiste avec une propagande antifasciste. La gauche ne doit pas se limiter à critiquer l'augmentation des dépenses militaires. Un régime comme celui de Poutine rejette toute forme de coexistence pacifique et glorifie la guerre comme moyen de diriger le pays et d'étendre son influence. C'est la logique qui sous-tend le concept de « monde multipolaire », un monde dans lequel il n'y a plus de droits ni de règles universels, mais où la nation la plus forte prévaut.

Sur quoi devrait se fonder un antifascisme du 21e siècle pour lutter plus efficacement contre le (post-)fascisme ?

Nous devons former de larges coalitions contre la montée de l'extrême droite. Cependant, celles-ci ne doivent pas invoquer la défense des institutions bourgeoises libérales. Ce n'est pas notre tâche et cela serait vain. Après tout, la crise de l'hégémonie libérale est l'une des raisons pour lesquelles tant de personnes perdent confiance dans les structures existantes et se tournent vers l'extrême droite.

À mon avis, la gauche radicale devrait poursuivre deux lignes d'attaque : Premièrement, nous devons répondre au mécontentement social, mais proposer d'autres solutions. L'extrême droite veut faire croire aux gens que l'immigration est la cause de tous leurs problèmes. Le fait que cela ne soit pas objectivement vrai est démontré par le fait que l'AfD a remporté le plus grand nombre de voix lors des élections fédérales de 2025 dans les circonscriptions où la proportion d'immigrés était la plus faible. Cela ouvre un vide politique potentiel que la gauche doit combler en mettant en évidence les véritables causes des problèmes réels des gens.

Et deuxièmement ?

Deuxièmement, nous devons nous concentrer sur la défense de la « démocratie », et non d'une « démocratie » limitée aux institutions démocratiques bourgeoises et à leur fonctionnement. Nous devons combiner la défense de la « démocratie » avec la revendication de l'égalité et de la participation, car c'est là tout le sens de son émergence aux 18e et 19e siècles : la lutte des classes populaires pour l'influence politique et la représentation. Une telle conception de gauche ou socialiste de la démocratie comme « pouvoir d'en bas » peut servir de base commune à une large coalition antifasciste qui rassemble les partis de gauche, les syndicats et les diverses formes d'auto-organisation féministe, antiraciste, écologique et de quartier. Ce sont précisément ces projets que les post-fascistes et les néo-fascistes veulent détruire, car ils contredisent leur idée d'un ordre étatique hiérarchique structuré comme une entreprise capitaliste.

Publié le 15 mai par Socialismus

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En Égypte, les Palestiniens de Gaza sous haute surveillance

Critiquée pour son absence de mobilisation en soutien aux Palestiniens de Gaza, l'Égypte du président Abdel Fattah Al-Sissi rend également la vie dure à ceux qui ont réussi à (…)

Critiquée pour son absence de mobilisation en soutien aux Palestiniens de Gaza, l'Égypte du président Abdel Fattah Al-Sissi rend également la vie dure à ceux qui ont réussi à quitter l'enclave depuis le 7 octobre 2023. Tout est fait pour les garder dans un état de précarité pour couper court à toute velléité d'installation, par un régime qui ne regarde la situation que par le prisme sécuritaire.

Tiré d'Orient XXI.

À l'est du Caire, près de l'aéroport, Roula (1) et sa famille habitent un appartement dans un compound (2) décrépit. Ils ont quitté Gaza en mars 2024, juste avant l'occupation par l'armée israélienne du corridor de Philadelphie et la fermeture du point de passage de Rafah deux mois plus tard. Ils font partie de celles et ceux qui avaient les moyens de fuir, en payant les « frais de coordination » à la compagnie égyptienne Hala (3) — c'est-à-dire plusieurs milliers de dollars. Arrivée au Caire, la famille obtient un permis de séjour d'une durée de 45 jours, non renouvelable. Ils vivent depuis sans papiers.

  1. En un an, on a dû changer trois fois de logement. Les propriétaires nous font des contrats courts. Arrivés à échéance, ils augmentent le loyer. Ils savent qu'on a du mal à trouver un logement dans notre situation, donc soit on paye soit on trouve autre chose.

On estime à un peu plus de 110 000 le nombre de Palestinien.ne.s ayant fui Gaza vers l'Égypte depuis le 7 octobre. La plupart des personnes rencontrées ne souhaitent toutefois pas y rester, comme l'assure Roula :

  1. Toutes nos économies ont servi à payer le tansiq [frais de coordination]. Si on avait pu, on serait partis vers un autre pays ensuite. Ici, on n'arrive pas à se projeter. Depuis qu'on est sortis, on n'a eu aucun moment de répit. Notre quotidien c'est toujours la guerre, mais à distance maintenant.

Des familles séparées par la guerre

Tous les membres de la famille de Roula ont pu sortir à l'exception d'un de ses neveux, âgé de 25 ans, que les autorités israéliennes ont refusé d'inscrire sur la liste de la coordination. Il ne n'est pas le seul dans ce cas. Zeinab, une autre Palestinienne de Gaza que nous avons rencontrée, s'est rendue au Caire le 4 octobre 2023 avec son mari et deux de ses enfants pour une semaine. Deux de ses filles se sont retrouvées coincées à Gaza pendant plusieurs mois avant de pouvoir sortir. Des milliers d'étudiant·e·s palestinien·ne·s inscrits dans des établissements d'enseignement supérieur égyptiens se sont également retrouvés séparés de leurs familles à Gaza, lesquelles subvenaient à leurs besoins.

Certain·e·s étudiant·e·s ont bénéficié d'aides de la part d'associations ou de partis politiques, qui ont pris le relais et payé leurs frais de scolarité, à l'instar du Parti social-démocrate ou encore du Courant de la réforme démocratique palestinien. Branche dissidente du Fatah, ce dernier est implanté au Caire depuis plusieurs années. Son leader étant proche du régime égyptien, les activités du parti sont tolérées. Déjà avant le 7 octobre 2023, celles-ci reposaient sur des actions caritatives, le financement de bourses d'études pour des étudiant·e·s palestinien·ne·s dans des universités égyptiennes, la prise en charge de frais médicaux, la distribution de colis alimentaires, etc. Depuis plusieurs mois, le Courant a intensifié ses activités, recréant un réseau de solidarité en exil.

Une présence illégale mais tolérée

Avec l'impossibilité pour les exilés gazaouis de scolariser leurs enfants à l'école ou de travailler, que ce soit dans le secteur public ou dans le privé — où la procédure pour obtenir un permis de travail est complexe et décourage souvent les employeurs —, ils deviennent tributaires des réseaux de solidarité, créés pour la plupart par des binationaux résidant en Égypte depuis des années. À titre d'exemple, certaines écoles accueillent, après les heures d'ouverture, des élèves palestinien·ne·s qui peuvent y suivre des cours gratuitement. Même la souscription à un contrat de ligne téléphonique est impossible sans statut légal. Cette organisation informelle est néanmoins tolérée par les autorités égyptiennes « tant que ce n'est pas trop institutionnel ni trop visible », selon une militante égyptienne de droits humains. Elle affirme que le ministère de l'intérieur a décidé de ne pas arrêter les Palestinien·ne·s sans papiers s'ils venaient à se faire contrôler. « Ils travaillent aussi sans problème, même si officiellement ils n'en ont pas le droit », confirme un conseiller de l'ambassadeur de Palestine en Égypte.

L'ambassade, qui a d'ailleurs été déplacée, après le 7 octobre, de Doqqi, au centre du Caire, vers une zone périphérique à l'est de la capitale, n'a pas non plus fourni l'assistance attendue par ses ressortissant·e·s. En collaboration avec le ministère de l'éducation à Ramallah, elle a simplement essayé d'assurer une continuité de l'enseignement en proposant des cours en ligne et en accueillant dans ses bureaux les épreuves du bac. Interrogé sur la question du permis de résidence, le conseiller de l'ambassadeur explique que ce dernier a essayé de négocier avec les autorités égyptiennes un permis de résidence temporaire, jusqu'à la fin de la guerre, pour les Palestinien·ne·s arrivé·e·s après le 7 octobre. En vain.

Les craintes du régime

À la fin du mois d'avril 2025, 110 Palestinien·ne·s de Gaza — personnels de l'Institut français, lauréat·e·s de bourses d'études en France, du programme pause (4) ou encore bénéficiaires du rapatriement familial — ont été évacués via le point de passage de Kerem Abou Salem. Les papiers des Palestinien·ne·s ont été contrôlés par l'armée israélienne, et la fouille assurée par des membres d'une famille de Gaza. Cette sous-traitance sécuritaire d'Israël contribue davantage à créer le chaos dans le tissu social palestinien.

Depuis Kerem Abou Salem, et en l'espace de 24 heures, les personnes évacuées ont été acheminées par bus vers Amman, la capitale de la Jordanie, et logées dans un hôtel en attendant d'embarquer pour Paris, selon un témoignage que nous avons recueilli. Malgré l'exigence de discrétion formulée par les consulats français de Jérusalem et d'Amman, en charge de l'évacuation, l'interview d'une rescapée filmée à Amman a fait le tour des réseaux sociaux (5). Les autorités françaises, accusées de prendre part au déplacement forcé des Palestinien.ne.s de Gaza ou au contraire submergées de demandes pour procéder à de nouvelles évacuations, a publié un communiqué justifiant cette opération (6).

L'évacuation récente de ces Palestinien·ne·s via Kerem Abou Salem s'explique par le maintien par les autorités égyptiennes de la fermeture du point de passage de Rafah, depuis le mois de mai 2024. Une décision renforcée par l'annonce du président étatsunien Donald Trump d'un plan consistant à vider la bande de Gaza de ses habitant·e·s. L'arrivée massive de « réfugiés » palestinien·ne·s en Égypte menacerait la stabilité du régime d'Abdel Fattah Al-Sissi, dans la mesure où des cadres influents de l'armée ainsi que la population civile y sont opposés.

La crainte du régime d'un débordement du conflit sur son territoire n'est pas nouvelle. Les évènements récents rappellent que, particulièrement depuis l'arrivée au pouvoir du président Al-Sissi, les Palestinien·ne·s de Gaza sont perçus et traités par le régime comme un enjeu pour la sécurité nationale égyptienne. La progressive sécurisation de la frontière égypto-palestinienne traduit bien ce phénomène. La privatisation croissante du point de passage de Rafah repose sur des partenariats publics-privés et a généré une industrie migratoire à travers le système de « coordination ». Les régimes de restriction dans l'espace frontalier s'étendent au Nord du Sinaï, zone militarisée, mais aussi aux Palestinien·ne·s de la diaspora en Égypte.

« Criminalisation de la solidarité »

La période post-révolutionnaire en Égypte est à ce titre révélatrice de la transformation progressive des Palestinien.ne.s en menace sécuritaire. Et les médias se font les relais de la propagande du régime. Le « lynchage médiatique » des Frères musulmans, depuis le printemps 2013, ainsi que du Hamas — que le régime associe à la confrérie — a contribué à construire les Palestinien·ne·s en général, mais surtout les Palestinien·ne·s de Gaza, en menace pour la sécurité intérieure.

Depuis le 7 octobre 2023, les blessés et malades évacués de Gaza vers l'Égypte pour y être soignés ont été transférés dans plusieurs hôpitaux, à El-Arish, Ismaïliya, Port-Saïd, ou encore au Caire, ainsi que dans des bâtiments mis à disposition par le ministère égyptien de la solidarité sociale. Ils doivent souvent payer pour leurs médicaments et traitements, alors que les autorités égyptiennes s'étaient engagées à les prendre en charge. De plus, ces hôpitaux s'apparentent à des lieux d'incarcération, très surveillés et dont ils n'ont pas le droit de sortir.

De même, quelque 130 prisonniers politiques palestiniens, la plupart du Hamas et du Djihad islamique, libérés lors des périodes de cessez-le-feu en échange d'otages israéliens, ont été expulsés vers l'Égypte. Ils ont été placés provisoirement dans un hôtel près de l'aéroport du Caire, qu'ils ne peuvent pas, là non plus, quitter librement. Les négociations de cessez-le-feu en cours doivent déterminer quels pays les accueilleraient — probablement la Turquie et le Qatar —, et dans quelles conditions.

Ce traitement sécuritaire affecte aussi toute personne qui les soutient ouvertement. Un rapport de l'ONG Refugee Platform in Egypt accuse le régime de « criminalisation de la solidarité avec le peuple palestinien » (7). Le rapport fait état d'arrestations de citoyens égyptiens ayant pris part à des manifestations, à l'instar des mobilisations autour de la mosquée d'Al-Azhar le 20 octobre 2023, ou à des initiatives de solidarité envers les Palestinien.ne.s.

« Réfugiés » en Égypte. Ni statut légal ni droits

Les Palestinien·ne·s en Égypte ne sont pas considérés comme réfugiés et ne bénéficient donc pas de l'assistance et des services de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Le régime refuse que l'agence onusienne opère sur son sol, pour ne pas donner, selon lui, un blanc-seing au projet américano-israélien d'expulsions forcées des Palestinien.ne.s de Gaza vers l'Égypte et la Jordanie.

Signataires notamment du Protocole de Casablanca de 1965 octroyant aux Palestinien·ne·s des droits de résidence, des permis de travail ou de voyage, les autorités égyptiennes n'appliquent pas complètement, dans les faits, les articles ratifiés (8). Refusant, comme tous les pays arabes, la naturalisation des ressortissant·e·s palestinien·ne·s, selon la résolution de la Ligue arabe de 1952 consacrant la préservation de l'identité palestinienne, Le Caire leur octroie des visas de résidence pour lesquels la législation a évolué de façon restrictive au fil du temps. Entre 1978 et 1982, soit après la signature des accords de Camp David entre Le Caire et Tel-Aviv, les Palestiniens, sauf cadres de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), deviennent des « étrangers » en Égypte. Ils se voient en outre retirer leurs droits de résidence, excepté pour les ressortissant·e·s marié·e·s à des Égyptien·ne·s, les étudiant·e·s, les personnes travaillant dans le secteur privé, propriétaires d'une entreprise ou investissant dans le pays. En 2004, la loi de nationalité 1975 autorise une Égyptienne mariée à un Palestinien à transmettre sa nationalité à ses enfants. Un effet rétroactif a été appliqué pendant la période du Conseil suprême des forces armées (2011-2012) (9)

Les Palestinien·ne·s, arrivé·e·s légalement en Égypte depuis le 7 octobre, pourraient demander l'asile. En décembre 2024, une loi sur le droit d'asile en Égypte a été présentée au Parlement puis adoptée par décret présidentiel. Elle vise à terme à remplacer l'agence du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) par un organe gouvernemental, le Comité permanent aux affaires pour les réfugiés. De nombreuses organisations humanitaires y sont opposées et estiment que cette loi laissera à la discrétion des autorités le pouvoir de révocation de l'asile et d'expulsion. La loi stipule entre autres l'interdiction pour les demandeurs d'asile ou les bénéficiaires du statut de réfugié d'exercer toute activité politique et partisane. Elle criminalise également l'aide informelle fournie aux demandeurs d'asile.

Notes

1- Toutes les personnes interviewées apparaissent sous pseudonyme.

2- NDLR. Un quartier résidentiel sécurisé.

3- Lire « The Argany Peninsula », Mada Masr, 13 février 2024.

4- NDLR. Le programme PAUSE soutient des scientifiques et des artistes en exil en favorisant leur accueil dans des établissements d'enseignement supérieur et de recherche ou des institutions culturelles.

5- La vidéo, postée à l'insu de la personne interviewée, a depuis été effacée.

6- « Israël/Territoires palestiniens — Sorties de la bande de Gaza (25 avril 2025) », France Diplomatie.

7- « “Where do they go ?” A full year of siege, the denial of rights and the criminalization of solidarity », Refugee Platform in Egypt, 5 novembre 2024.

8- Oroub El-Abed, « The forgotten Palestinians : how Palestinian refugees survive in Egypt », Forced Migration Review, mai 2004.

9- Oroub El-Abed, « Unprotected Palestinians in Egypt since 1948 », Institute for Palestine studies, 2009.

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« Le problème foncier est le cancer de l’Afrique du Sud »

27 mai, par Marianne Séverin, Nathalie Prévost — , ,
Entretien · La loi foncière adoptée le 24 janvier dernier par l'Afrique du Sud s'est attiré les foudres de Donald Trump, qui accuse le pays de « discrimination raciale » à (…)

Entretien · La loi foncière adoptée le 24 janvier dernier par l'Afrique du Sud s'est attiré les foudres de Donald Trump, qui accuse le pays de « discrimination raciale » à l'encontre de la minorité blanche. Or, pour comprendre les enjeux autour du texte, il faut retourner à l'Histoire, marquée par une spoliation continue de la terre par les colons blancs. La politiste Marianne Séverin dessine les grands chapitres d'un très long combat.

Tiré d'Afrique XXI.

Remise en cause d'accords commerciaux, arrêt de l'aide états-unienne, boycott de la présidence sud-africaine du G20, proposition d'accueil des fermiers afrikaners souhaitant émigrer aux États-Unis : Donald Trump s'est beaucoup démené, ces dernières semaines, pour fustiger l'Afrique du Sud après l'adoption d'une nouvelle loi foncière (1) « pour promouvoir l'inclusivité et l'accès aux ressources naturelles » qui permet, au nom de l'intérêt général, des expropriations sans compensations financières de terres à l'abandon.

Peut-être faut-il voir dans cette colère, réelle ou feinte, l'influence d'Elon Musk et de Peter Thiel, deux grands patrons illibéraux très proches du président états-unien, qui ont grandi dans les régimes d'apartheid d'Afrique du Sud et de Namibie. Ou bien le fruit d'un lobbying intense mené par une mouvance afrikaner revancharde, très active en Europe et aux États-Unis, qui invoque un prétendu « apartheid à l'envers ». Ou encore, un prétexte pour sanctionner des choix politiques internationaux.

Mais au-delà des outrances états-uniennes, traduction d'une « campagne de désinformation et de propagande » dénoncée le 8 février par un communiqué du ministère sud-africain des Affaires étrangères, la nouvelle loi foncière en vigueur se voit plutôt reprocher, en Afrique du Sud, sa timidité et son incapacité à redessiner en profondeur la géographie héritée de l'apartheid. La réparation des injustices foncières, qui a toujours été au cœur du combat contre le régime de ségrégation raciale, est, en effet, très difficile.

Chercheuse associée au laboratoire scientifique « Les Afriques dans le monde » (LAM), à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, Marianne Séverin est spécialiste du contexte politique sud-africain. Elle est l'autrice d'une thèse (2) sur les réseaux du Congrès national africain (African National Congress, ANC).

« Les Afrikaners ont éliminé la concurrence des fermiers noirs »

Nathalie Prévost : Pouvez-vous nous parler de l'histoire de la politique agraire de l'Afrique du Sud, notamment des lois sur les terres indigènes de 1913 et 1936 qui ont limité à 8 % puis 13 % seulement du territoire sud-africain les terres des Africains non blancs ?

Marianne Séverin : Il faut remonter au-delà de l'apartheid, à la fin de la période coloniale et à la rivalité entre les descendants des premiers colons néerlandais et les Britanniques. La deuxième guerre anglo-boer, de 1899 à 1902, s'achève à l'avantage des Britanniques, avec un traité de paix qui exprime la volonté de réconcilier la population blanche et de renforcer son contrôle politique et économique sur le pays, naturellement au détriment de la majorité africaine de la population. C'était une façon de protéger les acquis sociaux des Afrikaners et, en même temps, de disposer d'une main-d'œuvre bon marché au service de l'expansion minière et industrielle du pays après la découverte, entre le milieu et la fin du XIXe siècle, des mines d'or et de diamants.

L'Union sud-africaine est formée le 31 mai 1910. Elle scelle l'union des deux communautés blanches, auxquelles elle attribue plus de 90 % des terres, grâce aux premières lois discriminatoires qu'elle vote presque immédiatement, parmi lesquelles la loi sur les terres indigènes de 1913.

Nathalie Prévost : Chassés de leurs terres et cantonnés dans des réserves, les fermiers africains deviennent alors une main-d'œuvre forcée pour les fermiers blancs ?

Marianne Séverin : Oui. Ils deviennent la main-d'œuvre des fermes, la main-d'œuvre des mines, puis les femmes de ménage, les maids. En fait, une main-d'œuvre au service de la population blanche. Privés de terre, ils n'ont plus d'autre choix ! Par ailleurs, l'accaparement des terres par les Afrikaners permet d'éliminer la concurrence des fermiers noirs.

L'objectif, à la création de l'Afrique du Sud moderne, est de développer les intérêts agricoles et commerciaux des Blancs, particulièrement des Afrikaners. La loi de 1913 interdit aux Africains d'acheter ou de vendre des terres hors des réserves (3) où ils sont désormais confinés. Évidemment, cela pose beaucoup de problèmes aux Africains dans leur vie quotidienne. Certains, par exemple, se voient privés de l'accès aux sépultures de membres de leur famille enterrés sur des terres désormais dévolues aux Blancs.

L'ANC est né à la même époque, en 1912. On l'appelle « l'ANC des pères fondateurs ». Alors que les royaumes bantous avaient été vaincus par les colons, les Noirs éduqués avaient compris la nécessité de s'organiser pour réclamer une grande nation africaine en Afrique du Sud et dénoncer les lois raciales. La terre a été leur première bataille. On peut reprocher beaucoup de choses à l'ANC, mais la redistribution des terres a toujours été son combat.

« La loi foncière gère tout l'espace, rural et urbain »

Nathalie Prévost : Quelle évolution l'apartheid a-t-il imprimée ensuite ?

Marianne Séverin : En 1949, le régime d'apartheid arrive au pouvoir et, en 1950, il adopte une batterie de lois pour garantir la pureté de la race, la séparation physique des populations, la domination politique et le contrôle de la population. La même année, une loi détermine les zones géographiques dans lesquelles doivent vivre les Sud-Africains en fonction de leur couleur de peau. Avec cette loi, on exproprie les Africains, les métis et les Indiens au profit des Blancs. À partir de 1950, si vous êtes Africain et que vous vivez dans ce que les autorités considèrent être une zone blanche, on vous force à déménager.

Trois lois importantes sont adoptées dans ces années-là : en 1950, celle sur la délimitation des zones géographiques ; en 1951, celle sur la législation discriminante dans les campagnes, qui limite la capacité et la volonté des Africains à maintenir une existence agricole indépendante hors des réserves ; et en 1954, la loi sur les indigènes, qui restreint le nombre d'Africains dans les zones urbaines : les Africains ne peuvent plus vivre dans les centres-villes considérés comme des zones blanches.

La loi sur le foncier ne s'intéresse pas qu'aux terres agricoles. Elle gère tout l'espace, rural et urbain. Et chaque groupe se voit attribuer un ratio en fonction de sa couleur de peau et de son ethnie. À la suite de la création des Bantoustans, dans les années 1960 et 1970, des Sud-Africains noirs perdent leur nationalité parce que certains Bantoustans deviennent indépendants. Dès lors, on ne pense plus l'Afrique du Sud que blanche. Pour les non-Blancs, il n'y a plus de libre circulation : il faut un pass pour se déplacer.

Nathalie Prévost : Après la chute de l'apartheid, en 1994, une loi sur la restitution des droits fonciers aux personnes dépossédées de leur propriété après le 19 juin 1913 est adoptée. Cette loi prévoit également la réforme de la tenue foncière dans les ex-Bantoustans et une redistribution permettant l'acquisition foncière avec le soutien de subventions publiques. Qu'est-ce que cette loi a changé ?

Marianne Séverin : Cette loi de 1994 n'a pas été très bien ficelée. Il y a eu des débats à l'intérieur de l'ANC. Ce dernier n'est pas un parti politique homogène. Différents courants s'y affrontent, certains plus populistes, et d'autres plus raisonnables qui estiment que l'Afrique du Sud doit appartenir à tout le monde. L'exemple du Zimbabwe (4), qu'on leur ressasse à longueur de temps, a aussi conduit l'ANC à rester très prudent.

La redistribution des terres n'a pas été effective. Les Blancs n'ont pas forcément voulu vendre et, quand ils vendaient, les prix étaient élevés. Et lorsque les fermiers noirs pouvaient acquérir ces terres, parfois, par manque d'expérience, ils n'ont pas fait du bon travail. C'était aussi très difficile de rapporter la preuve de leur dépossession en 1913 pour ceux qui prétendaient bénéficier des dispositions de la loi de restitution des terres. Et puis il y a eu de la corruption au niveau des subventions publiques prévues pour acquérir les terres. Actuellement, 72 % des terres agricoles sont toujours entre les mains des fermiers blancs (contre 87 % après la loi de 1936). Vous comprenez le malaise quand on entend Donald Trump dire qu'on exproprie les Afrikaners ! Bref, cette loi n'a pas produit de grands effets. On a beaucoup parlé mais peu agi. Et certaines des terres mises en vente n'étaient même pas cultivables.

« La terre doit être partagée entre ceux qui la travaillent »

Nathalie Prévost : Quelle était la vision de l'ANC sur cette question ?

Marianne Séverin : La Freedom Charter (Charte de la Liberté), écrite en 1955 par l'ANC, est le cœur même de la Constitution sud-africaine. Voici ce qu'elle proclame : « La terre doit être partagée entre ceux qui la travaillent ! Les restrictions à la propriété foncière sur une base raciale doivent être supprimées et toutes les terres doivent être redistribuées entre ceux qui les travaillent afin de bannir la famine et le manque de terres. L'État doit aider les paysans en leur fournissant des outils, des semences, des tracteurs et des barrages afin de préserver le sol et d'aider les cultivateurs ; la liberté de mouvement est garantie à tous ceux qui travaillent la terre ; chacun a le droit d'occuper la terre où il le choisit ; les gens ne seront pas dépouillés de leur bétail ; le travail forcé et les prisons agricoles seront abolis. »

La Constitution sud-africaine de 1996 parle dans son préambule de la nécessité de reconnaître les injustices du passé (« recognize the injustices of our past »). Cet aspect est très important. Parfois, je suis étonnée de lire ce qu'écrivent certains Sud-Africains blancs. Il y a une Constitution en Afrique du Sud. Elle a été écrite, négociée et gravée dans le marbre. Et la première chose qu'on y lit, c'est : « Reconnaître les injustices de notre passé. » Certains dénoncent des expropriations à venir.

En réalité, il s'agit d'une tentative de réparation de l'Histoire.

Quand vous voyez des organisations de la société civile liées à l'extrême droite qui racontent je ne sais quoi, ces personnes semblent ignorer leur propre Constitution. Elles le font parce que, dans leur inconscient, l'Afrique du Sud appartient toujours à la minorité blanche. On ne peut pas demander aux Sud-Africains d'oublier cette histoire sous prétexte que l'apartheid est terminé. Oui, l'apartheid est terminé, mais le cancer même de ce pays c'est le problème foncier, qui remonte à plus de cent ans. L'enjeu, c'est de parvenir à redistribuer des terres tout en préservant celles des Afrikaners, qui sont des citoyens de ce pays depuis des générations et qui assurent la sécurité alimentaire du pays. Personne n'a demandé aux Afrikaners d'abandonner leurs terres. D'ailleurs, les Africains n'ont pas tous envie de travailler dans l'agriculture.

Nathalie Prévost : Alors, qu'est-ce qui a présidé à l'élaboration de la nouvelle loi, et quels sont ses objectifs ?

Marianne Séverin : L'objectif de la loi de 2025 est d'aligner les lois sud-africaines sur l'expropriation sur la Constitution du pays, en particulier l'article 25. L'article 25 autorise l'expropriation dans l'intérêt public. C'est l'intérêt public qui a été ajouté à la loi foncière de 1994. Cette loi élargit la définition de la propriété pour inclure les biens mobiliers et immobiliers. Cela signifie que si vous avez une terre qui est abandonnée et qui n'est plus valorisée, l'État peut la préempter pour s'en servir. On a le même système en France ! Et on dit bien que la loi est stricte, prévoit des obligations claires en matière de consultations et de notifications aux propriétaires de terres concernés, qui ont le droit de faire des observations. Il faut suivre les règles, et il y a des mécanismes pour résoudre les litiges.

Nathalie Prévost : Quelle était la nécessité de cette loi ?

Marianne Séverin : En fait, lorsque vous avez des terres qui ne sont pas vendues et qui n'ont plus d'autre intérêt que spéculatif, l'État considère que ces terres peuvent être utilisées pour des projets utiles pour le bien de tous. C'est une façon aussi de réparer les injustices. Le débat sur la terre est un débat qui pourrit l'Afrique du Sud et empêche la réconciliation. Il n'y a pas de partage des richesses, ni des terres. Et ce sont toujours les mêmes qui ont le pouvoir économique au détriment de la majorité.

« Si l'Afrique du Sud ne s'aligne pas derrière les États-Unis, elle est punie »

Nathalie Prévost : Comment interprétez-vous la charge impromptue de Donald Trump ?

Marianne Séverin : Le problème de la terre est un prétexte pour Donald Trump. Il parle d'un génocide, de violations des droits humains. Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas de meurtres de fermiers blancs, mais il y en a aussi de fermiers noirs. L'Afrique du Sud est l'un des pays les plus violents du monde. Certains Blancs, en particulier afrikaners, considèrent que l'Afrique du Sud n'a pas lieu d'être noire, multiraciale ni inclusive. Il faut faire un parallèle entre ce qui se passe aux États-Unis actuellement et cette attaque contre l'Afrique du Sud.

Aux États-Unis, ils sont en train d'essayer d'éliminer tout cet aspect de solidarité, d'inclusion. Vous avez, en face, un pays qui fait tout le contraire, ce qui ne correspond pas à la vision de Trump. Je ne parle même pas d'Elon Musk, qui a grandi dans le contexte de l'apartheid avec un père raciste notoire. On voit aussi des liens avec l'extrême droite états-unienne et la diffusion de fausses informations. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà parlé de génocide des Blancs. Ce monsieur n'a jamais mis les pieds dans ce pays ni ailleurs en Afrique, ça ne l'intéresse pas, et il se permet d'insulter tout le monde !

Autre source de mécontentement des États-Unis, l'Afrique du Sud fait partie des pays qui n'ont pas condamné la Russie pour la guerre en Ukraine. Les liens avec la Russie datent de la lutte contre l'apartheid.

Le fait que l'Afrique du Sud fasse partie des Brics déplaît également. Et, comble de l'horreur, Pretoria a porté plainte devant la Cour internationale de justice contre Israël. Les États-Unis lui ont demandé de faire marche arrière et elle a refusé de céder. Même sous Biden, il y a eu un incident diplomatique entre les deux pays. Peu de gens le savent, mais la Palestine a contribué à la lutte anti-apartheid. En 1994, à l'investiture de Nelson Mandela, Yasser Arafat avait été invité. Ça avait fait du bruit, mais Nelson Mandela avait dit : « Les Palestiniens nous ont aidés. »

Pour résumer, si l'Afrique du Sud ne s'aligne pas derrière les États-Unis ou derrière les Occidentaux en ce qui concerne Israël et ses actions dans la bande de Gaza, elle est punie.

Nathalie Prévost : Ils ne sont pas les seuls à avoir un pied dans chaque camp !

Marianne Séverin : Non, mais c'est tellement plus facile de s'attaquer à ce pays ! Tout cela est aussi le fruit de l'agitation menée par deux organisations de la société civile afrikaner ()5 proches des milieux trumpistes. Puis rétropédalage lorsque Trump a proposé de donner le statut de réfugiés aux Afrikaners. Tout ça, c'est basé sur des fake news ! Le ministre de l'Agriculture, John Henry Steenhuisen, a dit : « Pour l'instant, je ne vois pas de fermier [blanc] qui veut quitter l'Afrique du Sud. » Certains ont pensé : « Il y a des problèmes dans notre pays, mais on y vit confortablement. Qu'est-ce qu'on va aller faire aux États-Unis alors que les fermiers états-uniens se plaignent ? »

Rappelez-vous les paroles de l'ex-président Thabo Mbeki au sujet des États-Unis : « Ils n'ont pas à nous donner de leçons parce qu'ils ne nous ont pas soutenus durant l'apartheid. » La Constitution est écrite. La loi est votée. C'est une vraie démocratie, ce pays, même s'il y a des problèmes sociaux et économiques. Les États-Unis n'ont pas à s'ingérer dans la politique intérieure de l'Afrique du Sud pour lui dicter ce qu'elle doit faire ou pas et la punir. En suspendant, par exemple, l'accord économique entre les États-Unis et l'Afrique du Sud [l'African Growth and Opportunity Act, promulgué en 2000 par Washington, NDLR]. L'ironie de l'histoire, c'est que l'Europe, face aux attaques de Trump, soutient désormais Pretoria. L'avenir s'annonce mouvementé !

Notes

1- Loi numéro 13 sur l'expropriation 2024. Le PDF est disponible ici.

2- Marianne Séverin, « Les réseaux ANC (1910-2004) – Histoire de la constitution du leadership de la nouvelle Afrique », 2006.

3- Créées à partir de 1850 à l'époque des guerres cafres (ou xhosas), les réserves deviennent des Bantoustans, ou Homelands, dans les années 1960 et 1970.

4- En mai 2002, Robert Mugabe ordonne l'expulsion de 2 900 des 4 500 propriétaires blancs du pays, dans le cadre d'une réforme agraire ayant pour but de redistribuer une partie des 40 % des terres arables de l'ex-Rhodésie appartenant aux Blancs. Une grande crise politique et agricole s'ensuit.

5- L'AfriForum, qui a pour ambition de protéger les droits et les intérêts de la communauté afrikaner, et le mouvement Solidarity, qui affirme que les Afrikaners sont traités comme des citoyens de seconde zone.

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Guerre au Soudan : la bataille des discours

27 mai, par Sudfa — , ,
Comment les acteurs de la guerre au Soudan justifient-ils toute cette violence ? Dans ce texte, la militante Muzan Alneel analyse les discours mobilisés par les deux camps pour (…)

Comment les acteurs de la guerre au Soudan justifient-ils toute cette violence ? Dans ce texte, la militante Muzan Alneel analyse les discours mobilisés par les deux camps pour s'attirer le soutien de la population. Elle défend la nécessité de mettre en avant un contre-discours révolutionnaire, fondé sur des analyses de gauche, pour proposer une alternative politique crédible.

Tiré du blogue de l'auteur.

On trouve dans le débat public soudanais des définitions divergentes de la guerre, à travers des expressions telles que « guerre existentielle », « guerre pour la dignité », « guerre pour la démocratie », « guerre absurde », « guerre contre l'État de 1956 » ou « guerre contre le néocolonialisme ». Ce phénomène n'est ni rare, ni inattendu au Soudan. Il reflète une dynamique globale en temps de guerre dans laquelle des récits concurrents prolifèrent. Ces récits découlent de la nécessité pour les forces combattantes de justifier leurs stratégies politiques et de mobiliser le soutien populaire en faveur de leurs opérations militaires.

A travers des discours qui cherchent à légitimer leurs positions, les parties impliquées dans le conflit au Soudan s'affrontent non seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans l'arène de l'opinion publique. Tous les groupes affectés par le conflit, qu'ils soient affiliés à l'un des camps ou extérieurs à ceux-ci, s'emploient à créer leurs propres récits, qui reflètent les enjeux idéologiques, les intérêts matériels et les stratégies de survie propres à chacun. (…)

Le discours des Forces de Soutien Rapide (RSF) : une guerre pour la démocratie et la défense des « marginalisés »
Les Forces de Soutien Rapides (RSF, milice autrefois alliée à l'armée) tentent de faire croire qu'elles mènent guerre pour la démocratie contre le gouvernement putschiste [issu du coup d'Etat du général Al-Burhan en 2021], mené par les forces politiques islamistes [de l'ancien régime d'Omar El-Béshir].

Ce discours a été accueilli avec sarcasme par l'opinion publique soudanaise dès les premiers jours de la guerre. (…) La population soudanaise, témoin des meurtres, des pillages et des tortures qu'elle subit de la part des Forces de Soutien Rapide, a alerté sur la contradiction entre ces actes et la rhétorique « démocratique » mise en avant par les RSF. Pourtant, malgré leur échec évident à obtenir le moindre soutien populaire, les RSF n'ont pas cessé d'utiliser ce discours. (…) Ce discours ne s'adresse pas au peuple soudanais, mais vise plutôt d'autres acteurs, probablement la communauté internationale, [ce qui a permis aux RSF d'obtenir le soutien diplomatique direct ou indirect de plusieurs pays étrangers]. Cette interprétation est renforcée par le fait que les Forces de Soutien Rapide mobilisent le vocabulaire typique des organisations internationales, par exemple en décrivant l'armée et leurs alliés comme des « organisations terroristes ».

Le deuxième discours sur la guerre défendu par les Forces de Soutien Rapide consiste à dépeindre celle-ci comme un conflit entre la « périphérie » et le « centre », une lutte des marginalisés et les laissés-pour-compte contre les oppresseurs. Ce discours [qui connaît un succès important depuis plusieurs années dans le champ politique et intellectuel soudanais] est de plus en plus repris dans les déclarations officielles des RSF, reflétant leur tentative de rallier le soutien de groupes sociaux et ethniques historiquement marginalisés.

Mais la crédibilité de ce récit a été elle aussi mise à mal face aux atrocités commises par les RSF, ciblant les villageois pauvres, les femmes, les personnes âgées, et par la richesse et le pouvoir dont jouissent les dirigeants de la milice. En se basant sur ces arguments, les RSF ont une vision des « défavorisés » qui ne prend pas en compte le statut socio-économique des personnes, mais qui s'intéresse uniquement à l'appartenance ethnique.

C'est là que, dans cette bataille des définitions, une voix socialiste critique et organisée aurait pu offrir un cadre d'analyse révolutionnaire pour répondre à cette question [de la domination entre le « centre » et les « marges » du pays], très importante pour le peuple soudanais. Cette position critique pourrait souligner les intérêts [qui poussent les RSF à se réapproprier la rhétorique de la lutte contre les dominations] et appeler à la création d'une alliance entre tous les démunis contre ceux qui monopolisent le pouvoir et la richesse, quelle que soit leur appartenance ethnique.

L'absence d'une telle voix a permis à l'argument fallacieux des RSF de se transformer en un outil pour attiser la division raciale (…). Malgré tout ça, leur récit est resté faible et incapable de mobiliser suffisamment le soutien de la population pour légitimer leur revendication du pouvoir.

Le discours de l'armée (SAF) : une guerre pour défendre l'État soudanais et assurer la sécurité de la population

En revanche, le narratif des forces armées soudanaises (SAF) a rencontré plus de succès (…). Très tôt, l'armée a défini la guerre comme une guerre contre une milice rebelle. Le caractère institutionnel de l'armée nationale (…) est utilisé comme une preuve que sa position est forcément juste. Ce récit efface les crimes qui ont été commis durant les années précédant la guerre par Forces de Soutien Rapide sous la supervision de l'armée soudanaise [quand elles étaient alliées], ainsi que les crimes commis par l'armée soudanaise elle-même.

Ainsi, dans ce discours qui cherche à légitimer institutionnellement la violence, la légitimité des acteurs politiques est évaluée en fonction de leur position dans l'appareil d'État et de leur structure bureaucratique, plutôt qu'en fonction de leur impact réel sur la vie des gens. Ce discours est aussi vieux que le concept d'État lui-même, et c'est un outil que les élites ont historiquement utilisé pour justifier la violence qu'elles infligent aux sociétés qu'elles exploitent, en utilisant les armes violentes de l'État autorisées par la loi, qu'il s'agisse de la police, de l'armée ou autres. Cet argument a été popularisé par des décennies de propagande, qui ont façonné la conscience des citoyens et normalisé la violence d'État.

La promesse de sécurité et de retour à la stabilité est également mise en avant dans les déclarations des commandants des forces armées, qui répètent depuis le début que la guerre se terminera bientôt, « dans une semaine ou deux », comme ils l'avaient déjà dit il y a deux ans. Dès les premiers jours de la guerre, cet argument a trouvé du soutien dans l'opinion publique. Mais il a aussi été utilisé pour justifier la destruction d'habitations civiles et alimenter les appels à des attaques meurtrières contre les RSF [et des civils soupçonnés de les avoir aidés]. (…)

Les forces armées soudanaises ont redéfini la guerre comme une guerre pour la dignité et la souveraineté. Dans ce contexte, l'armée est devenue synonyme de l'État, et l'État, synonyme de dignité personnelle. Ce cadrage [très problématique] a permis d'exploiter la colère populaire contre les atrocités commises par les RSF comme une arme pour légitimer les actions de l'armée, alors même que celle-ci ne garantit pas la sécurité des citoyens. La légitimité de l'armée s'est ainsi ancrée dans des notions abstraites comme la "fierté nationale", allant même jusqu'à stigmatiser de façon subtile les tribus qui composent les rangs des RSF et à remettre implicitement en question leur "soudanité".

Ces récits libèrent l'armée de ses obligations de protection ou d'aide aux civils et justifient la banalisation de ses crimes. Par ailleurs, en pointant du doigt l'illégitimité et la criminalité des relations entre les RSF et des acteurs internationaux, en particulier les Émirats Arabes Unis, l'armée fait mine d'ignorer que toute relation internationale avec le gouvernement putschiste qui la dirige est elle aussi illégitime. De plus, de nombreux rapports font état de liens économiques étroits, et de l'exportation continue d'or, entre l'armée et le même État exploiteur, les Émirats arabes unis. Il s'agit donc d'un récit fondé principalement sur des demi-vérités.

Une réponse révolutionnaire à ce narratif aurait été de refuser de définir la légitimité sur la base de revendications abstraites, et de la fonder plutôt sur la manière dont chaque partie affecte la vie des gens. Cela commence par affirmer que la sécurité est un droit fondamental, et non une monnaie d'échange utilisée pour justifier un régime militaire. Nous devons aussi rappeler que la prétendue « stabilité » antérieure mise en avant par les militaires était un régime fondé sur la violence et l'exploitation systémique, que nous devons vaincre, et non raviver.

Comment les civils se positionnent-ils par rapport à ces discours ?

Parmi les civils non armés soutenant l'une ou l'autre des parties au conflit, les définitions de la guerre et les indicateurs de victoire varient en fonction des classes sociales. Pour les groupes aisés, disposant de richesses matérielles ou de privilèges hérités, la priorité est de prendre le contrôle des lieux emblématiques du pouvoir souverain et des monuments historiques, ce qui montre leur désir de restaurer les structures sociales qui sous-tendent leur statut. A l'inverse, les communautés marginalisées mettent l'accent sur le besoin de sécurité et de services de base. (…) Ces priorités divergentes révèlent un net clivage social.

Les discours de la société civile évoluent également dans le temps. Certains groupes, qui avaient initialement rejeté les exigences de loyauté inconditionnelle de l'armée soudanaise, les ont ensuite acceptées face à la fatigue de la guerre et au désespoir de trouver une solution. D'autres, qui s'étaient moqués des revendications absurdes des RSF prétendant mener une « guerre pour la démocratie », ont fini par les approuver tacitement face à la montée d'un discours nationaliste pro-armée qui renoue avec la tendance centralisatrice de l'État soudanais et risquerait de perpétuer leur marginalisation. (…)

Cette approche survivaliste de la guerre existe aussi bien chez les civils non organisés que chez les groupes de résistance organisés. Les comités de résistance, par exemple, qui constituaient la force la plus influente du mouvement révolutionnaire, ont d'abord condamné les deux parties du conflit. (…) Au début de la guerre, de nombreux comités ont donné la priorité à « l'arrêt de la guerre et à la sauvegarde de la vie des civils », s'engageant à défendre les revendications révolutionnaires malgré la violence du conflit. Cependant, au fil du temps, il leur est devenu difficile de concilier les principes révolutionnaires avec un soutien tactique (bien que temporaire) aux forces armées. Pour les comités, il s'agit d'une étape intermédiaire permettant de rétablir le statu quo à un niveau « gérable » de répression aux mains de l'État, plutôt que de faire face à la violence brutale des RSF.

Cette contradiction a aliéné les militants et délégitimé leur rôle dans le discours public. De nombreuses organisations révolutionnaires sont devenues les bras armés de la guerre. De nombreux intellectuels de la résistance ont fourni des armes théoriques pour soutenir la légitimité des forces armées soudanaises (SAF), leur soi-disant partenaire temporaire. Ils ont donné la priorité à la protection de l'appareil d'État, sans tenir compte de l'équilibre des pouvoirs au sein de cet appareil, de son impact sur la vie des exploités, et même de ses échecs structurels évidents et de ses injustices systémiques.

La nécessité d'un contre-discours révolutionnaire de gauche

(…) Depuis le début de la guerre, des réseaux d'entraide populaires, en particulier les « salles d'intervention d'urgence », se sont organisées en autogestion pour fournir des services de base aux personnes affectées par la guerre et défendre les droits des citoyens, tels que l'accès aux soins et à une éducation gratuite. Ces initiatives ont soutenu les communautés assiégées et déplacées, abandonnées par les forces combattantes, mais elles ont fonctionné sans une vision politique révolutionnaire qui aurait fait de l'entraide la base d'un modèle de gouvernance durable et anti-guerre, dirigé par et pour les populations elles-mêmes. Au lieu de cela, les efforts sont restés confinés à l'aide d'urgence, limités par un discours d'espoir de « retour à la normale » qui ignore l'oppression structurelle dans l'histoire du Soudan. Ce vide a laissé la place aux récits des forces armées, plus lucratifs sur le plan politique, pour consolider leur pouvoir et gagner le soutien de la population.

Cette spirale ne peut être brisée que par la construction d'un parti de gauche organisé, capable de construire des institutions idéologiques et culturelles révolutionnaires pour contrer l'hégémonie de la classe dirigeante, les compromis bourgeois et les trahisons du système existant.

L'expérience récente a constamment souligné la nécessité d'un parti révolutionnaire. Une telle organisation - basée sur les principes socialistes et la délibération démocratique - analyserait systématiquement les stratégies et contrerait la propagande de la classe dirigeante, fournirait aux exploités une analyse et un projet politique alternatif qui placerait leurs priorités et leurs besoins en tête de son programme, et mobiliserait collectivement les leçons tirées des luttes passées. Elle lutterait également en interne contre les tendances bourgeoises des intellectuels, qui sont souvent déformées par des préjugés résultant de leurs privilèges matériels, façonnés par l'accès aux ressources, à l'éducation et à la formation institutionnelle, ce qui les conduit à s'écarter des intérêts de la majorité de la population.

Même si les récits révolutionnaires se sont estompés, il existe encore des aperçus occasionnels d'un projet alternatif, incarné par des demandes populaires pour une paix juste ; des aperçus qui sont fugaces, mais réels.

Cette mission, loin des projecteurs, est urgente et inévitable.


Par : Muzan Alneel

Publication originale en arabe : Atar

Traduction en français et édition : Sudfa Media

Article original en arabe : « A travers leur regard. Qui définit la guerre au Soudan ? », publié le 26/04/2025 par Atar.

Note de traduction : l'article a été légèrement raccourci, les inter-titres et les parties entre crochet ont été rajoutées par l'équipe de Sudfa pour donner des éléments de contexte.

Cet article reflète l'opinion de l'autrice et n'engage pas la rédaction de Sudfa Media.


Muzan Alneel est une militante socialiste, journaliste et chercheuse soudanaise. Elle a dirigé un think-tank “Innovation, Science and Technology Think-tank for people-centered Development (ISTinaD)” au Soudan. Elle a publié de nombreux articles dans des revues internationales sur les comités de résistance et la stratégie révolutionnaire au Soudan.


Atar est un magazine créé à l'initiative de l'ONG Sudan Facts Center for Journalism Services, qui a commencé à paraître six mois après le début de la guerre contre les civils au Soudan. Ses publications sont principalement en arabe mais aussi en anglais. Il est distribué sur différents réseaux sociaux. Atar offre un lieu d'accueil pour les informations basées sur les faits dans un paysage médiatique fortement réprimé, accueillant les contributions de journalistes, écrivains et chercheurs.

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Sud Soudan : La paix mise à mal

27 mai, par Paul Martial — , ,
Il existe un risque important que le Sud Soudan plonge de nouveau dans un conflit généralisé qui s'ajouterait à une crise financière majeure. En se séparant du Soudan pour (…)

Il existe un risque important que le Sud Soudan plonge de nouveau dans un conflit généralisé qui s'ajouterait à une crise financière majeure.

En se séparant du Soudan pour devenir un Etat indépendant en 2011, le Sud soudan n'aura connu qu'une succession de conflits. Le plus meurtrier est la guerre civile de 2013 qui aura causé la mort de 400 000 personnes le déplacement de quatre millions de réfugiés. Un accord de paix fut signé en 2018 entre le président de la république Salva Kiir appartenant à la communauté dinka, et son vice-président Riek Machar à celle des Nuer.

La fin de l'accord de paix

Cet accord de paix prévoyait notamment l'unification des différentes milices dans une armée nationale, la mise en place d'une élection présidentielle et la collégialité dans la gouvernance du pays. Aucun de ces engagements n'ont été honorés. Les conflits entre la présidence et la vice-présidence n'ont eu de cesse d'augmenter jusqu'à l'épisode sanglant dans l'Etat du Haut Nil.

Le mois dernier l'Armée Blanche, une milice nuer, a envahi la base militaire de Nasir de peur que la garnison militaire présente soit remplacée par des membres de communautés leur étant hostiles. La présidence a réagi en envoyant l'aviation bombarder la ville provoquant de nombreuses victimes civiles. La violence s'est étendue dans le pays entre les forces du Sudan People's Liberation Movement (SPLM) favorable au Président Kiir et le SPLM-IO (In Opposition) dirigé par Machar. Ce dernier ainsi que plusieurs de ses compagnons ont été arrêtés, accusés d'avoir fomenté l'attaque de Nasir.

Une crise aux multiples facettes

Les deux dirigeants cultivent le conflit entre les Dinka et Nuer, ces deux populations sont essentiellement pastorales et sont souvent en compétition pour l'accès à l'eau et aux pâturages. Les Dinka se sentent dépositaires de l'indépendance du pays de par leur lutte, contrairement aux Nuer qui dans certaines périodes ont tissé des alliances avec les forces soudanaises. Pour Kiir et Machar l'enjeu principal reste la lutte pour le pouvoir et la captation des richesses de l'Etat.

Salva Kiir a développé une politique clientéliste largement financée par la production du pétrole. Avec la guerre au Soudan, l'oléoduc convoyant l'or noir a été détruit tarissant du même coup la principale source du budget du pays, entrainant une crise politique à l'intérieur du camp présidentiel. Une crise favorisée par la santé défaillante du Président encourageant les velléités pour sa succession bien que Salva Kiir ait choisi son conseiller financier en la personne de l'homme d'affaires Benjamin Bol Mel.

Si le SPLM IO s'est affaiblit, cela n'exclut nullement une reprise d'un conflit généralisé dans le pays où de nombreuses milices se sont créées, avec un risque de connexion avec un autre conflit, celui qui déchire le Soudan.
Cette situation accroît la pauvreté multidimensionnelle. En 2024, 92,6 % de la population était privée d'éducation, d'accès aux services de base, de logement décent contre 84 % en 2023. Avec les risques de guerre cette détérioration ne pourra que s'amplifier.

Paul Martial

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Plus destructeur et plus profitable : l’injonction de Trump au système militaro-industriel des Etats-Unis

27 mai, par Claude Serfati — , ,
Portées par des vents d'Ouest, de folles rumeurs ont parcouru les grands médias français au cours des derniers mois : Trump n'est pas intéressé par les guerres. Le désir répété (…)

Portées par des vents d'Ouest, de folles rumeurs ont parcouru les grands médias français au cours des derniers mois : Trump n'est pas intéressé par les guerres. Le désir répété de partager les ressources minérales de l'Ukraine avec la Russie, qui s'en est déjà approprié environ un tiers ? Le soutien militaire accru à Israël dans sa guerre à Gaza et la discussion d'un plan B (ou A) avec Netanyahou pour l'aider à réaliser son rêve de détruire le régime iranien ? La menace de ne pas défendre l'Europe, sauf si elle dépense plus pour sa défense contre la Russie ? Tout cela ne relèverait pas du militarisme, mais d'une conception pragmatique et « transactionnelle » [1] du Président Trump.

« 20 » mai 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/plus-destructeur-et-plus-profitable-linjonction-de-trump-au-systeme-militaro-industriel-des-etats-unis.html

Faut-il dès lors s'étonner qu'à la question qui leur est ainsi posée par Le Parisien : « après l'accord Israël-Hamas, et si Trump briguait… le prix Nobel de la paix ? », des chercheur(e)s qui appartiennent à deux groupes de réflexion (think tanks) français influents se pensent obligés de répondre positivement ? L'une déclare que « Donald Trump regarde son héritage. Il aimerait obtenir le prix Nobel de la paix » et l'autre affirme qu'« il le vise, c'est certain, et cela passait par un accord » [2] (sur l'Ukraine, C.S.).

Par respect pour les lecteurs et les lectrices, cet article ne répondra pas à cette question obscène posée par ce journaliste. Il analyse la politique de D. Trump vis-à-vis du « Complexe militaro-industriel » états-unien qu'on peut résumer sous cette injonction : plus destructeur (grâce à l'intelligence artificielle) et plus profitable (grâce à la symbiose du système militaro-industriel et des marchés financiers). Cet impératif est accompagné d'un chèque de 1000 milliards de dollars pour financer le budget militaire. L'annonce en a été faite par Trump lui-même, lors de sa rencontre avec Netanyahou. Il a déclaré « 1000 milliards. Personne n'a jamais vu quelque chose comme cela. Nous allons avoir une très, très puissante armée » [3]. Pour une fois, ce n'est pas de la vantardise : cela correspond à une augmentation en 2025- 2026 de 12% par rapport au budget militaire de 2024.

Afin de comprendre le comportement du Président autrement qu'en constatant qu'il « parle comme Hitler, Staline et Mussolini » [4], il est nécessaire dans une première partie de poser le personnage, y compris ses traits de caractère, dans le contexte historique contemporain, celui du « moment 2008 » [voir sur alencontre.org l'article de Claude Serfati publié le 22 juillet 2024]. L'article aborde ensuite les transformations induites par l'intelligence artificielle (IA). L'IA constitue une triple menace contre les êtres humains dans tous les domaines de leur vie en société en tant qu'ils sont salariés, citoyens et civils menacés par les guerres. L'essor de l'IA dans le domaine militaire offre au système militaro- industriel un tremplin pour sa régénération. Celle-ci est stimulée par la concurrence entre, d'une part, les entreprises du numérique (GAFAM et start-up) et, d'autre part, les grands groupes contractants traditionnels du Département de la défense (Department of Defense, DoD) qui, comme c'est toujours le cas dans la défense, intègre également un degré élevé de collusion. Enfin, l'article souligne que l'évolution autoritaire de l'État menée par Trump, qui évoque par plusieurs aspect une aventure bonapartiste, est liée au double objectif de « sécurité nationale » fixé au système militaro-industriel : répression liberticide à l'intérieur et préparation d'un conflit d'envergure avec la Chine.

Le chaos pour perspective

Le président Donald Trump lance les États-Unis dans une fuite en avant vers un précipice dans lequel l'économie mondiale et l'humanité risquent d'être englouties. Trump sème le chaos mais il n'a aucune certitude qu'il en récoltera les bénéfices. Le PDG de JP Morgan, la forteresse historique du capital financier états-unien (4000 milliards de dollars d'actifs financiers dans le monde et 6 milliards de bénéfices en 2024) considère que « le risque est extraordinaire. La troisième guerre mondiale a déjà commencé » [5].

C'est ici que les personnages rencontrent les lois de l'histoire : le court-termisme de Trump – qui se traduit déjà par des errements dans ses décisions – est à l'image du court-termisme de l'horizon du capital états-unien. En effet, le déclin de l'hégémonie des États-Unis a accéléré depuis la fin des années 2000. Ce que j'appelle le « moment 2008 » est caractérisé par une concordance unique de temporalités entre une crise financière qui se transforme en une longue dépression, une exacerbation des rivalités militaro-économiques entre les grandes puissances et une dégradation écologique accélérée qui désagrège désormais les conditions physico-environnementales de reproduction de la vie.

Les penseurs dominants, soucieux d'en finir avec une impossible défense de la « mondialisation inclusive », parlent désormais de « polycrises ». Cette expression traduit un certain désarroi mais évite de jeter une lumière trop vive sur le fait que ces crises multiples confrontent le capitalisme mondialisé, hiérarchisé, militarisé mais également diversifié (des États-Unis à la Chine en passant par la France et l'Allemagne) à ses limites historiques.

Dans un article consacré à Steve Bannon, un conseiller apprécié par Trump pour la désinformation sur les réseaux sociaux et les « vérités alternatives » qu'il a systématisées, il est noté que « l'ensemble de la classe politique états-unienne réalise de plus en plus que le contrôle du système géopolitique fonctionne désormais jusqu'à un certain point en pilotage automatique » [6].

Cette vision est pourtant bien partielle car elle réduit le « moment 2008 » à une crise géopolitique sans pilote. Le constat révèle néanmoins l'échec des administrations Obama, Trump 1 et Biden à enrayer le recul économique des États-Unis. L'administration Obama avait lancé le « pivot vers la Chine » au début des années 2010 avec l'objectif de contenir l'économie et le militarisme de la Chine. L'administration Biden (2020-2024) a notablement amplifié les mesures protectionnistes qui avaient été prises par Trump I (2016-2020). La secrétaire d'État au Trésor avait alors préconisé le découplage des économies des États-Unis et de la Chine, et souhaité que, désormais, les grands groupes occidentaux « relocalisent dans les pays amis » [7]. Pour la première fois en 2021, à la demande de l'administration Biden, l'OTAN, une « Alliance atlantique », a mentionné la Chine dans un communiqué et caractérisé ce pays de « rival systémique », un terme proche de celui utilisé par les États-Unis depuis 2017 [8]. C'est également à la demande pressante de l'administration Biden que pour la première fois en 2019, l'Allemagne a accepté qu'un document de l'UE caractérise la Chine comme a « un rival systémique qui développe des modèles de gouvernance alternatifs » [9] (sic).

Oui mais… Le durcissement progressif et continu de la politique états-unienne, d'Obama à Trump 1, puis à Biden, n'a pas suffi à enrayer l'ascension chinoise. Et les déficits commerciaux et budgétaires des États-Unis ont continué à grimper dans un mouvement notable et inverse à leur influence géopolitique, en dépit du fait qu'ils réalisent 40% des dépenses militaires mondiales.

Dans ces conditions, les citoyens des États-Unis pouvaient-ils réélire en novembre 2024 un président qui s'était momentanément assoupi lors d'un débat télévisé avec son concurrent D. Trump ?

C'est pourquoi le comportement « erratique » de Trump, qu'il reflète ou non un trait de caractère, traduit plus profondément le fait que les États-Unis n'ont plus d'autre vision stratégique que d'empêcher la Chine de poursuivre son ascension économique et géopolitique. Rien ne garantit que la diplomatie appelée dans le monde anglophone du « bord du gouffre » (brinkmanship diplomacy) qui est menée par Trump atteindra ses objectifs affichés de reconquête du marché intérieur des États-Unis et de l'arrêt de l'ascension chinoise. Au bout de quelques mois, un premier bilan de la situation des États-Unis indique plutôt des résultats contraires. En réalité, le degré d'interdépendance aujourd'hui atteint par le marché mondial transforme le découplage espéré par l'Administration Trump en une fragmentation géopolitique accélérée au point même d'ébranler le bloc transatlantique.

Devant le chaos qu'il amplifie, Trump sait pouvoir compter sur le système militaro-industriel pour mettre de l'ordre à l'intérieur du pays et préparer l'affrontement militaire avec la Chine.

L'intelligence artificielle dans l'ordre militaro-sécuritaire

En 2023, les cabinets de consultants estiment le marché mondial de l'IA à des fins militaires entre 8 et 10 milliards de dollars et le marché mondial tourné vers le civil à environ 800 milliards de dollars. Ces ordres de grandeur indiquent où se situent les dynamiques économiques, mais ces chiffres de l'IA ne doivent pas conduire à conclure au rôle mineur de l'IA dans les transformations des nouvelles formes de conflit, d'autant plus que le marché de l'IA de défense devrait doubler d'ici 2030 et dépasser les 18 milliards de dollars. En 2024, ce sont plus de 80 projets militaires qui font appel à l'IA qui ont été financés à hauteur de 1,8 milliard de dollars par le Pentagone.

Dès la fin des années 2010 et le durcissement de la concurrence économique et une amplification des rivalités géopolitiques, les militaires des grandes puissances mondiales (en Chine en 2017, aux Etats-Unis en 2018 et en France en 2019) ont sérieusement pris en compte l'IA.

Son rôle comme vecteur du nouvel ordre militaro-sécuritaire s'explique par la nature singulière de l'IA. Pour les économistes de l'innovation, l'IA constitue une technologie de portée générale (TGP) qui, comme le moteur à vapeur au début de la révolution industrielle, l'électricité à la fin du dix-neuvième siècle et l'informatique après la seconde guerre mondiale, se diffuse dans tous les secteurs de l'économie et de la société. D'où l'espoir que l'IA déclenche un nouveau cycle d'expansion longue du capitalisme qui mettrait fin à la longue dépression consécutive à la crise financière de 2008, comme si les contradictions qui forment le « moment 2008 » se réduisaient à une question d'innovations technologiques. Cela n'empêche pas les plus techno-optimistes de prétendre qu'un taux de croissance de 30% par an est envisageable (quoique pour certains pas avant 2100), ce qui signifierait un doublement du PIB tous les deux ans et demi [10]…

On peut ignorer ces rêveries d'hypercroissance – ou plutôt ce cauchemar effrayant par la destruction des ressources naturelles et des conditions de reproduction de la vie qu'elle provoquerait – et plutôt observer que l'évolution des sociétés ne procède pas par répétition cyclique du passé. Cela est également vrai des technologies. L'IA se distingue radicalement de toutes les autres TPG sur deux points majeurs. D'abord, ses développements se situent d'emblée à l'échelle internationale et sont donc un enjeu de rivalités économiques et géopolitiques entre quelques grandes puissances. Ainsi que le montre le tableau 1 [voir ci-dessous], fondé sur le nombre de publications et citations en intelligence artificielle en 2024, la domination du duopole Chine-États-Unis est écrasante – ils totalisent à eux deux plus de 40% des publications et citations mondiales. Le fait que la Chine domine à ce point ce domaine de recherche est évidemment une des sources d'angoisse des dirigeants états-uniens. C'est une situation totalement différente de la précédente vague technologique. Après la seconde guerre mondiale, l'essor de l'électronique et de l'informatique a été porté par une domination des États- Unis qui n'avait aucun précédent dans l'histoire. On mesure à quel point l'environnement géopolitique et économique profile les trajectoires technologiques et interdit toute répétition à l'identique de celles-ci.

L'enjeu de rivalités économiques et géopolitiques lié à l'essor de l'IA dépasse ce duopole. En effet, une autre indication fournie dans le tableau 1 est la formation d'un monde multipolaire de la recherche, au sein duquel de nombreux pays émergents concurrencent les pays développés. Cette accumulation croissante des connaissances et leur diffusion internationale décrivent un processus qualifié d'économie de la connaissance par l'OCDE ou de « capitalisme cognitif » par ses critiques. Indice de cette situation, la France occupe une médiocre position (11e place) et publie à peine plus que l'Iran, l'Arabie saoudite et la Turquie. En dépit de l'excellence mondiale de son école de mathématiciens, c'est la conséquence du sous-financement structurel de la recherche publique et les conséquences d'un modèle d'innovation publique principalement fondé sur le nucléaire, la défense et l'aéronautique. Ainsi, le plan France 2030 prévoit d'accorder 2,2 milliards d'euros à l'investissement dans l'IA afin de soutenir la formation, favoriser la diffusion des technologies de l'IA et cibler quelques domaines prioritaires. Or, ce montant injecté par un plan qui couvre toute l'économie française est à peine supérieur à celui affecté par la loi de programmation militaire 2024-2030 à la seule IA de défense (2 milliards d'euros).

La seconde caractéristique singulière de l'IA est le caractère généralisé de ses effets sur l'humanité. En fait, à rebours de ce que permettrait leur usage socialement maitrisé afin de satisfaire les besoins de l'humanité, les technologies qui reposent sur l'IA nous menacent sous trois aspects. D'abord, elles transforment les données en une source d'accumulation de profits pour les grands groupes du numérique mais également pour les institutions financières, très investies dans l'IA, et plus généralement elles exercent des effets négatifs sur l'emploi, y compris le travail qualifié. Ensuite, elles renforcent le pouvoir sécuritaire des États sur leurs citoyens, une fonction fondatrice des États modernes. Historiquement, la France a joué un rôle pionnier parmi les pays occidentaux en matière de contrôle étatique. Plus récemment, elle a même exigé des autres pays européens que « tous les aspects du maintien de l'ordre soient exclus du règlement européen sur l'intelligence artificielle [11].

Enfin, l'IA ouvre la voie à de nouvelles formes de guerre grâce à leur utilisation par les militaires.

En somme, l'IA offre des potentialités d'utilisation contre des êtres humains dans tous les domaines de leur vie en société en tant qu'ils sont salariés, citoyens et menacés par les guerres. Cette simultanéité des effets de l'IA s'explique par la nature même de cette technologie qui porte directement sur les connaissances mais également parce que l'IA constitue un ensemble hétérogène de différents systèmes, méthodes et applications, chacun doté de sa propre trajectoire de développement [12].

Toutefois, cette ubiquité des technologies fondées sur l'IA résulte avant tout de l'étroite connexion qui s'est établie entre les objectifs économiques portés par les grands groupes du numérique et la détermination des États à utiliser l'IA à des fins de contrôle des populations. En somme, l'IA conforterait ce que certains auteurs appellent « le technonationalisme, cette manière de lier les capacités technologiques d'un pays à sa sécurité nationale et ses intérêts géopolitiques ».

L'indispensable régénération du système militaro-industriel des États-Unis

L'intégration de l'IA dans les doctrines et les équipements militaires marque une étape supplémentaire dans la longue histoire de l'utilisation des technologies à des fins de destruction. L'émergence de systèmes d'armes autonomes est ainsi souvent décrite comme une troisième révolution militaire, après l'invention de la poudre et les armes nucléaires [13].

Il est donc inévitable que les formidables potentialités militaires de l'IA conduisent à des transformations radicales du complexe militaro-industriel des Etats-Unis [14]. Du point de vue industriel, celui-ci est structuré depuis la seconde guerre mondiale autour de quelques grands groupes qui, au terme de trois décennies de fusions-acquisitions, sont principalement bénéficiaires des contrats du Pentagone. En 2024, Lockheed Martin a reçu 47 milliards de dollars de commandes du Pentagone et avec 15% du total figure très largement en tête. Les 10 premiers groupes ont reçu plus de 40% des commandes militaires.

Les grands groupes de la défense produisent des systèmes d'armes complexes. Les liens solides établis avec le Pentagone et les relations collusives avec les parlementaires, soucieux d'accueillir des implantations industrielles créatrices d'emplois, leur garantissent une accumulation de rentes confortables mais freinent sérieusement leur dynamisme innovant. Contrairement à une histoire en partie mythique des transferts de technologies du militaire vers le civil (appelées « retombées » ou spinoffs), la plupart des innovations technologiques réalisées après la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis (le transistor en 1948, le circuit intégré en 1954 et le microprocesseur en 1971) ont été mises au point par des entreprises, certes financées par l'argent public (celui du Pentagone), mais qui étaient extérieures au « Complexe ». C'est donc au vaste écosystème d'entreprises innovatrices présentes sur les marchés commerciaux que le Pentagone s'est généralement adressé lorsqu'il a voulu financer des innovations ‘radicales' (ou de ruptures). C'est une des singularités du système national d'innovation états-unien, non reproductible ailleurs. Elle permet de comprendre pourquoi, en France, un pays qui est dominé par une classe de « capitalo-fonctionnaires », la focalisation de la politique technologique sur les militaires bénéficie aux grands groupes sans que la diffusion des crédits de R&D militaire s'étende aux autres entreprises, à l'exception de celles présentes dans le secteur aéronautique et spatial.

Les grands groupes de la défense états-uniens ont été très lents à comprendre les enjeux de l'IA pour la défense à la fois pour des raisons d'inertie bureaucratique et en raison de la crainte de perdre une partie de leurs marchés au profit des entreprises civiles du numérique. Une partie de l'état-major a été également longtemps réticente à intégrer l'IA dans les systèmes d'armes, craignant d'en perdre le contrôle, au point que certains aviateurs ont été taxés de luddistes [15]. Le caractère incontrôlé des effets de l'IA, en particulier dans son couplage avec les armes nucléaires, explique également la prudence des militaires. Il est vrai qu'il y a une bonne dose de futurisme dans les promesses faites par les entreprises du numérique.

Au cours des dernières années, les géants du numérique ont fait valoir leurs intérêts afin de figurer parmi les grands fournisseurs du Pentagone. Un réseau politique solide et des innovations qui intéressaient le Pentagone ont dynamisé de nombreuses start-up de la Silicon Valley. En 2022, Anduril, une start-up créée par le libertarien Peter Thiel, un des soutiens les plus anciens de D. Trump, a publié un document qui dénonçait la faible capacité d'innovation technologique du « Complexe », notant par exemple que jusqu'en 2019, les données concernant l'arsenal nucléaire du pays étaient stockées sur des disques externes. Le document notait également que l'industrie d'armement consacrait entre 1% et 4% de son chiffre d'affaires au financement sur fonds propres de sa recherche-développement, contre 10 à 20% pour les grands groupes du numérique et 40% pour les start-up technologiques [16]. Le message essentiel qui concluait le rapport était qu'« il n'y a pas de recette magique pour diminuer les coûts, mais une bonne dose de capitalisme de marché (a healthy dose of free capitalism) nous aiderait sacrément à atteindre cet objectif » [17]. En 2024, le PDG de Palentir, une autre start-up proche d'Anduril, a publié un rapport plus sévère encore sur le comportement et les pratiques du Département de la défense et des grands groupes contractants. Sa tonalité est résumée dans cette phrase : « Tout le monde, y compris les Russes et les Chinois, ont abandonné le communisme, excepté Cuba et le Département de la défense. Le seul problème, c'est que nous sommes de piètres cocos (sic) » [18].

Les autres entreprises du numérique ont progressivement abandonné leurs réticences pour entrer dans le cercle fermé des fournisseurs du Pentagone. Sam Altman, le co-fondateur d'OpenAI avait tweeté le lendemain de l'élection de Trump en 2016 : « C'est la pire chose qui puisse se passer dans ma vie ». Huit années plus tard, il figure parmi les donateurs importants du candidat républicain. Son entreprise, de même que Google ont officiellement révoqué les clauses éthiques qui limitaient leur implication dans les programmes de recherche militaire. Ils sont tous fascinés par la façon dont Elon Musk a remporté des contrats pour le déploiement de systèmes satellitaires du Pentagone, montrant que même Lockheed Martin (15% des commandes totales du Département de la défense en 2024) peut être battu.

Les trois objectifs du DOGE

À la date de rédaction de cet article, Musk était encore en charge du DOGE, le département de l'efficacité gouvernementale (Department of government efficiency, DOGE) créé à sa demande par Donald Trump. Dans un pays traditionnellement méfiant vis-à-vis du « Big government » et où règne une coûteuse gabegie des programmes d'armement périodiquement recensée par la Cour des Comptes (United States Government Accountability Office) [19], l'initiative du DOGE ne peut que susciter un intérêt, voire une attente. Il a toutefois fallu peu de temps pour comprendre les enjeux. Musk lui a en effet fixé trois objectifs. D'abord, il a décidé de privatiser le plus possible les opérations de mise en orbite des satellites afin d'améliorer la position de ses sociétés sur le marché de l'espace évalué à 2000 milliards de dollars pour les dix prochaines années. Le montant des contrats passés par ses deux filiales Space X (production et mise en orbite de satellites) et de Starlink (réseau de plus de 7000 satellites en orbite basse et moyenne) [20] n'est pas officiellement connu, mais il est estimé à 15 milliards de dollars. Ensuite, il compte procéder à des privatisations massives et des suppressions d'emplois dans les agences fédérales. Son projet de privatisation – assortie de licenciements – de l'agence scientifique dédiée aux questions atmosphérique et océanique (la National Oceanic and Atmospheric Administration, Noaa) permettrait, selon des employés de la NOAA, de prendre le contrôle d'infrastructures de communications dédiées aux téléphones mobiles, aux informations météo sur internet, etc. [21].

Enfin, le DOGE s'attaque au DoD, ce dernier « bastion du communisme » selon le PDG de Palentir. Derrière ce slogan, comme l'a expliqué le secrétaire d'État à la défense, l'objectif « est de tailler dans le gras dans les bureaux mais de muscler l'armée, ceux qui font la guerre » [22]. Le sous-secrétaire d'État du DoD et responsable de l'emploi fixe l'objectif d'une réduction des personnels civils de 5% à 8% des 700 000 employés civils qui travaillent au Pentagone [23]. D'autres ministères (éducation, santé) ainsi que le service des impôts sont également concernés. Le secrétaire d'État au Trésor a fourni une explication inspirée par les manuels d'économie orthodoxe consacrés au marché du travail et à sa loi de l'offre et de la demande : les salariés fédéraux licenciés « nous fourniront la main-d'œuvre dont nous avons besoin pour mener à bien la réindustrialisation » [24].

Plus généralement, l'objectif de Musk est de restructurer les agences du secrétariat à la Défense de façon à laisser plus de place aux entreprises du numérique, dont la sienne. Les grands groupes du numérique ont d'ailleurs décidé d'unir leurs forces au sein d'un Consortium dont l'objectif explicite est de « constituer une nouvelle génération de maître d'œuvre dans la défense » et ainsi ébranler la position des grands groupes qui occupent la place depuis des décennies. On comprend l'inquiétude des groupes déjà en place qui devront désormais partager la rente financière issue des contrats avec le ministère de la Défense. Toutefois, sur un marché à 1000 milliards de dollars et en expansion de 12% en 2025, cela devrait leur permettre de continuer à satisfaire leurs actionnaires, comme ils le font depuis des décennies (encadré).


Les marchés financiers sont séduits

Comment les penseurs dominants de la « mondialisation heureuse » ont-ils pu infuser depuis trois décennies dans les esprits que les « marchés n'aiment pas la guerre » ? [26] En vérité, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les valeurs boursières des groupes de la défense des États-Unis ont surperformé par rapport aux indices boursiers de Wall Street, par exemple le S&P500. Ces surper-performances se sont même renforcées depuis les années 1990, lorsque le changement de gouvernance des entreprises a donné la priorité à la « création de valeur pour l'actionnaire », un slogan qui témoignait de la domination du capital financier. Les grands groupes de la défense ont également adopté cette règle, et les investisseurs financiers (les « marchés ») ont donc transformé les dépenses militaires et les conflits mondiaux en opportunités pour valoriser leur capital. Après l'éclatement de la bulle spéculative sur Internet (en 2000), les marchés boursiers ont alors adopté une convention « guerre sans limites » [26], une convention étant comme Keynes l'a montré, une opinion commune établie à un moment donné par les investisseurs et qui détermine donc l'humeur du marché boursier.

Les marchés financiers ont vu juste. La convention « guerres sans limites » s'est traduite par une évolution des valeurs boursières de l'armement qui est passée de l'indice 100 en 2004 à 1050 en 2024, soit une valeur multipliée par 10. De quoi faire pâlir l'indice S&P (qui recense les 500 plus grandes entreprises cotées à Wall Street) qui est passé au cours de la même période de 100 en 2003 à seulement 600 en 2024…

Au fait ! Keynes et les keynésiens ont également expliqué que les conventions établies par les investisseurs financiers sont autoréalisatrices. Ce qui signifie, dans le cas présent, que ceux-ci n'ont pas seulement anticipé les guerres sans limites, mais qu'ils ont également fourni les munitions financières pour permettre aux groupes de l'armement de les préparer.


Le devenir du régime bonapartiste de Trump

Le 2025 Project dont le sous-titre est Mandate for Leadership : the Conservative Promise [27] est un document de plus de 900 pages. Il a été élaboré en 2023 par des dizaines de think tanks conservateurs afin de servir de boussole politique pour la campagne présidentielle de D. Trump. Le chapitre rédigé par Christopher Miller, ancien secrétaire d'État à la Défense de la première administration Trump, fixe deux objectifs principaux au Département de la Défense. D'une part, il doit faire face à la Chine qui constitue de loin le principal danger pour « la sécurité, les libertés et la prospérité des Etats-Unis » (p.92) et qui, précise un autre chapitre, « ne peut être arrêtée que par une pression extérieure ». Car derrière les enjeux liés à l'IA, la captation des ressources minérales et énergétiques gigantesques nécessaires pour faire marcher les banques de données des GAFAM est au centre des ambitions des États-Unis. La frénésie de conquête de territoires richement dotés en ressources confirme, pour ceux qui en avaient douté pendant les décennies 1990 et 2000, l'actualité des rivalités inter-impérialistes. Pour Trump, le Groënland, le Canada, l'Ukraine et d'autres pays encore sont à conquérir.

D'autre part, Christopher Miller affirme qu'il faut « éliminer l'endoctrinement marxiste et les programmes incluant les théories critiques sur la race qui ne sont pas consensuelles et de plus supprimer les centres récemment créés consacrés à la diversité, l'équité et l'inclusion » (p. 103 et 104).

Ces deux objectifs fixent les missions qui sont assignées au complexe militaro-industriel (CMI). En effet, les transformations du CMI analysées dans cet article s'inscrivent dans cette double perspective : préparer la guerre contre la Chine et celle contre les ennemis de l'intérieur qu'ils soient immigrants, militants pour la diversité ou bien encore salariés de l'État fédéral dépouillés de leur droit de faire grève par un décret présidentiel du 27 mars 2025 parce que, déclare la Maison-Blanche, « ces syndicats de l'État fédéral ont déclaré la guerre au programme du Président Trump » [28]. Un autre décret présidentiel en date du 11 avril 2025 porte le titre suivant : « Missions militaires pour fermer la frontière Sud des États-Unis et repousser les invasions ».

Le programme politique de Trump 2 nécessite le soutien d'une base sociale qui soit à la fois électorale mais aussi agissante. Son ferment idéologique est fourni par les dirigeants de la Big Tech, par exemple le racisme de Musk et les visions millénaristes de P. Thiel, actionnaire d'Anduril et de Palentir. On ne confondra toutefois pas les milliardaires de la Silicon Valley avec les dizaines de milliers de leurs salariés qui ont manifesté au côté de dizaines de millions de citoyens le 5 avril 2025 pour protester contre les mesures prises par Trump depuis son élection [29].

L'alliance des dirigeants des groupes du numérique et de l'idéologie à pulsions dictatoriales est soutenue par les groupes de chrétiens évangélistes [30]. Ensemble, ils forment le cœur des élites qui occupent l'appareil de l'État fédéral depuis l'élection de Trump. Ces courants sont qualifiés par certains de « techno-fascistes », une expression forgée par l'historienne Janis Mimura pour désigner ces technocrates japonais qui rejetaient à la fois « le communisme et le capitalisme libéral » et formèrent la base de l'appareil d'Etat au cours de la guerre [31]. D'autres parlent d'un « fascisme de la fin du monde » [32].

Comment qualifier le régime politique qui prend forme aux États-Unis ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord observer les dynamiques d'évolution plutôt que d'adopter des formules figées. En effet, les transformations de l'État fédéral entre la première administration de Trump (2016-2020) et Trump 2 (2024-2028) sont considérables. L'idéologie était déjà réactionnaire, et Bannon en était déjà un des architectes. Il était foncièrement opposé aux dirigeants des grands groupes du numérique, qu'il qualifiait de seigneurs de « l'État apartheid de la Silicon Valley et de technoféodalistes » [33]. Depuis son élection en novembre 2024, ces seigneurs du prétendu « État apartheid » ont pris possession de l'appareil d'État, et plus précisément, du Pentagone, qui en constitue le cœur. L'idéologie n'a pas changé, elle demeure nativiste, raciste et suprémaciste. Ce qui a changé, en relation évidente avec le recul économique et géopolitique des États-Unis, c'est la nécessité pour y faire face, d'investir totalement l'appareil d'État fédéral et de vaincre les résistances à l'État fort qui s'y trouvent encore. En effet, ni Trump, ni Musk n'ont oublié l'opposition exprimée par une partie de l'Etat-major à l'utilisation de l'armée dans les rues de Washington lors des manifestations organisées après l'assassinat de George Floyd par la police en juin 2020.

L'ascension politique de Trump évoque une aventure bonapartiste, au sens forgé par la sociologie politique d'un homme fort qui centralise les pouvoirs politiques à son profit dans une démarche autoritaire, développe une approche plébiscitaire (aujourd'hui grâce aux réseaux sociaux) et mobilise l'armée dans des guerres à l'étranger et dans le pays contre les oppositions populaires. Marx, qui fut le premier à rendre compte dans sa profondeur du processus bonapartiste (celui de Napoléon III) [34], ne le définissait pas seulement comme un régime autoritaire, mais en relation avec les rapports de force entre les classes et en leur sein.

L'évolution d'un régime bonapartiste n'est donc pas fixée au départ. Celle du régime Trumpiste dépend de plusieurs facteurs dont la force de la résistance populaire et l'existence d'alternatives politiques, ainsi que de l'ampleur des tensions au sein de l'ordre économique et géopolitique mondial, deux paramètres qui testeront à leur tour la cohésion des classes dominantes des États-Unis. (Article publié par Les Possibles, printemps 2025)

Claude Serfati est économiste, chercheur associé à l'IRES ; il a récemment publié Un monde en guerres, Textuel, avril 2024.

Notes

1. Selon les experts en gestion d'entreprises, cette méthode de direction consiste à expliquer aux salariés “ce qu'on exige d'eux et les contreparties qu'ils recevront s'ils respectent ces exigences ». C'est clair, Bernard M. Bass, “From Transactional to Transformational Leadership : Learning to Share the Vision”, Organizational Dynamics 18, no. 3, 1990, p.19-20.
2. Robin Khorda, Le Parisien, 16 janvier 2025
3. Leo Shane III, “Trump promises $1 trillion in defense spending for next year”, Defense News, 8 avril 2025. https://www.defensenews.com/author/leo-shane-iii/
4. Ann Applebaum, “Trump Is Speaking Like Hitler, Stalin, and Mussolini”, The Atlantic, 18 octobre 2024.
5. Morningstar Investor, « Jamie Dimon worries “World War III has already begun », 24 octobre 2024. https://www.morningstar.com/news/marketwatch/20241024374/jamie-dimon-worries-world-war-iii-has-already-begun
6. Ann Applebaum, op.cité.
7. Claude Serfati, « L'ère des impérialismes continue : la preuve par Poutine », 22 avril 2022. https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/lere-des-imperialismes-continue-la-preuve-par-poutine.html
8. The White House, “National Security Strategy of the United States of America” December 2017. https://trumpwhitehouse.archives.gov/wp-content/uploads/2017/12/NSS-Final-12-18-2017-0905.pdf
9. European Commission, EU-China – A Strategic Outlook, Joint Communication to the European Parliament, the European Council and the Council, 12 March 2019.
10. Dylan Matthews, “How AI could explode the economy And how it could fizzle”, 26 mars 2024. https://www.vox.com/future-perfect/24108787/ai-economic-growth-explosive-automation
11. Maria Maggiore, Leïla Miñano et Harald Schumann, « Intelligence artificielle : la France ouvre la voie à la surveillance de masse en Europe », 22 janvier 2025. https://www.investigate-europe.eu/fr/posts/france-spearheads-member-state-campaign-dilute-european-artificial-intelligence-regulation
12. Rand Europe, “Strategic competition in the age of AI”, 6 septembre 2024.
13. Voir un monde en guerre, le chapitre 4 consacré aux dimensions militaro-sécuritaires de l'IA et pour une presentation plus courte, Claude Serfati, « L'alliance périlleuse de l'IA et du militaire », Vie de la recherche scientifique, n.437, juin 2024. https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71584
14. Pour une mise en perspective historique, voir Claude Serfati, « Mes chers compatriotes, méfiez-vous du complexe militaro-industriel ! » dans Petitjean Olivier et Du Roy Ivan, Multinationales. Une histoire du monde contemporain, La Découverte, 2025.
15. Voir Claude Serfati, Un monde en guerres, chapitre 4.
16. Anduril, “Rebooting The Arsenal of Democracy”, 2022. https://www.rebootingthearsenal.com/
17. Id., p. 43.
18. Shyam Sankar / Palantir CTO, “The defense Reformation”, 31 October 2024, p. 8.
19. Dans sa plus récente édition, la Cour des Comptes trouve très peu d'améliorations dans la gestion des programmes (dépassement des coûts et des délais) malgré les réformes engagées, GAO, « Weapon Systems Annual Assessment », juin 2024. https://www.gao.gov/assets/gao-24-106831.pdf
20. Sur les effets de cette constellation de satellites sur l'environnement terrestre et dans l'espace , voir Justin Carrette « Avec Starlink, Elon Musk innove dans la pollution », Reporterre, 2 mars 2021. https://reporterre.net/spip.php?page=memeauteur&auteur=Justin+Carrette+
21. Tom Perekins, “Doge cuts allow Musk to cash in with SpaceX and Starlink contracts, ex-workers warn” (de ex-salairés s'inquiètent que les reductions de budget décidées par DOGE permettront à Musk d'engranger des contrats pour Spacex et Starlink), The Guardian 25 mars 2025.
22. NPR, 20 février 2025. https://www.npr.org/2025/02/20/nx-s1-5303947/hegseth-trump-defense-spending-cuts
23. Meg Kinnard, “A comprehensive look at DOGE's firings and layoffs so far”, 22 février 2025. https://apnews.com/author/meg-kinnard
24. Hugh Cameron “Fired Federal Workers Could Work Factory Jobs Created by Tariffs : Bessent”, Newsweek, 8 avril 2025.
25. Voir Claude Serfati, « Finance et Défense : de nouvelles interrelations », Innovations, 2008,28.
26. Luc Mampaey et Claude Serfati, « Les groupes de l'armement et les marchés financiers : vers une convention « guerre sans limites ? » dans (Chesnais François, s/d), La finance mondialisée. Racines sociales et politiques, configurations et conséquences, La Découverte, Paris, 2004.
27. Communiqué de la Maison blanche, 27 mars 2025. https://www.whitehouse.gov/fact-sheets/2025/03/fact-sheet-president-donald-j-trump-exempts-agencies-with-national-security-missions-from-federal-collective-bargaining-requirements/
28. https://www.aclu.org/news/national-security/trumps-expanded-domestic-military-use-should-worry-us-all
29. Le mouvement s'intitulait 50501 pour “50 protestations, 50 États, 1 mouvement”.
30. Parmi ceux qui sont influents dans l'Administration Trump, on trouve le secrétaire d'État à la défense et l'ambassadeur en Israël
31. Janis Mimura, Planning for Empire : Reform Bureaucrats and the Japanese Wartime State Ithaca, NY : Cornell University Press, 2011
32. Naomi Klein et Astra Taylor, “”The rise of end times fascism, The Guardian, 13 avril 2025.
33. « Steve Bannon says MAGA populism will win — as Trump is surrounded by billionaires » https://www.wunc.org/2025-01-19/steve-bannon-says-maga-populism-will-win-as-trump-is-surrounded-by-billionaires
34. Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1851, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.pdf

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Les manoeuvres financières du Président Trump et sa famille : du jamais vu dans l’histoire américaine

27 mai, par Amy Goodman, Éric Lipton — , ,
Amy Goodman : (…) Le New York Times a titré récemment un article : « Trump part pour le Moyen Orient avec un seul but : deals, deals, deals ». Notre prochain invité, Eric (…)

Amy Goodman : (…) Le New York Times a titré récemment un article : « Trump part pour le Moyen Orient avec un seul but : deals, deals, deals ». Notre prochain invité, Eric Lipton, y à contribué parce qu'il suit de près les ententes et contrats que réalise l'administration Trump. Il est récipiendaire d'un prix Pulitzer, journaliste d'investigation au New York Times ces derniers articles s'intitulent : « Auction to Dine With Trump Creates Foreing Influence Opportunity » et « TRump Sons' Deals on Three Continents Directly Benefit the President ».

Tiré de Democracy Now, 13 mai 2025
Unprecedented” in U.S. History : Trump & Family Rake In Money from Gulf States, Crypto & Real Estate
Democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/5/13/qatar_air_force_one
Traduction, Alexandra Cyr

Soyez le bienvenu sur Democracy Now, Eric Lipton. Pourquoi ne pas commencer ici. Nous nous arrêtons sur ce premier voyage international important du Président Trump avec un premier arrêt a Riad. Nous voyons le défilé de PDGs américains et autres qui serrent la main de Mohammed ben Salman et bien sûr l'allié bien en vue du Président, l'homme le plus riche au monde, Elon Musk. Pourriez-vous nous dire qui est derrière ce voyage comme son beau-fils Jared Kushner qui donne ses avis et ceux que nous ne voyons pas encore, ses fils Eric et Donald jr. Qu'ont-ils à gagner ?

Eric Lipton : Actuellement c'est au Moyen Orient que l'Organisation Trump a ses liens les plus importants pour ses opérations d'affaire. C'est clairement là qu'elle réalise ses plus importants profits et de beaucoup. Il y a les revenus du gaz et du pétrole qui depuis des décennies ont été placés dans des fonds souverains. Il se trouve que, actuellement, les administrateurs.trices de ces fonds cherchent à investir globalement, à devenir des acteurs économiques importants dans le monde. C'est pour cela que tant de ces représentants.es d'entreprises capitalistes et aussi d'intelligence artificielle et de technologie se dirigent vers le Moyen Orient. Et c'est aussi cela qui fait que les Trump et Jared Kushner sont si liés à cette région, ils ont des centaines de milliards de dollars à placer. Et de même pour les représentants.es d'entreprises américaines qui accompagnent le Président Trump dans ce voyage.

Au cours des dernières semaines, le gouvernement d'Abu Dhabi a annoncé qu'il investirait une valeur de 2 milliards de dollars dans World Liberty Financial, la compagnie de crypto monnaie des Trump qui va s'en servir pour financer la plus importante entreprise d'échange de cette monnaie dans le monde. Mais, pendant que cette somme est déposée dans World Liberty Financial, la famille Trump et ses partenaires vont toucher deux milliards de dollars en intérêts. Nous parlons donc de millions de dollars par année.

Pas très loin de là, au Qatar, le gouvernement est propriétaire d'un terrain où la famille Trump va créer un terrain de golf et construire des villas. C'est la compagnie DarGlobal, qui coordonne la plupart de ces projets au Moyen Orient. C'est une filiale de Dr Al Arkan, une compagnie immobilière basée en Arabie Saoudite étroitement alignée avec le gouvernement du royaume. DarGlobal a six projet différents qui comporteront le nom de Trump comme Rober Weissman l'a indiqué. La famille Trump fait des millions de dollars en vendant son nom et elle encaisse aussi souvent des frais de licences et de gestion. Les Trump ont donc des projets en Arabie Saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis avec DarGlobal. C'est là que se trouve le plus productif des opérations immobilières de la famille Trump à travers DarGlobal et ces projets marquage.

J'ai examiné de près la liste des personnes présentes aux rencontres saoudiennes et je n'ai vu personne de DarGlobal. Même s'ils devaient être là … et je n'ai pas vu non plus de noms de leurs partenaires sur cette liste assurant qu'ils étaient présents. Mais de simplement être dans cet espace est positif. Pour Jared Kushner, que le Président soit là c'est productif. Il a reçu plus de deux milliards de dollars de Public Invesment d'Arabie saoudite pour son propre fonds d'investissement. Et ce Public Investment Fund est le plus grand investisseur dans le LIV Golf où se sont tenus quatre tournois de suite sur le golfe Doral de la famille Trump en Floride.

Donc, l'argent du Moyen Orient avec la crypto monnaie, les golfs et les hôtels et l'action de Jared Kushner, inonde les opérations de la famille Trump. Il n'est donc pas surprenant que ce voyage soit si important. Le Président visite les Émirats arabes unis, le Qatar et l'Arabie saoudite les trois partenaires d'affaire de sa famille.

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États-Unis : Trump au pied des monarchies du Golfe

27 mai, par Dan La Botz — , ,
Le président Donald Trump s'est rendu dans la semaine du 12 mai dans trois monarchies du golfe Persique, où il a été adulé, a fait l'éloge des régimes féodaux, a conclu des (…)

Le président Donald Trump s'est rendu dans la semaine du 12 mai dans trois monarchies du golfe Persique, où il a été adulé, a fait l'éloge des régimes féodaux, a conclu des accords et a accepté des pots-de-vin, tout en opérant un changement important dans la politique américaine au Moyen-Orient. Au milieu de magnifiques palais et mosquées, entourés de chevaux arabes et sous l'effet des danses à l'épée, M. Trump et les monarques se sont mutuellement fait des éloges.

Tiré de Inprecor
21 mai 2025

Par Dan La Botz

La responsabilité du prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane (MBS) dans le meurtre horrible du journaliste Jamal Khashoggi, lors d'une visite au consulat saoudien à Istanbul, comme l'avait précédemment signalé la CIA, n'a jamais été mentionnée. Les gouvernements autoritaires et les violations des droits humains de l'Arabie saoudite, du Qatar ou des Émirats arabes unis n'ont pas non plus été mentionnés. Au contraire, Trump a fait l'éloge de MBS pour avoir fait entrer l'Arabie saoudite dans l'ère moderne. Il a rejeté les critiques précédentes du gouvernement américain à l'encontre des monarchies en déclarant : « C'est à Dieu de juger, mon travail consiste à défendre l'Amérique et à promouvoir les intérêts fondamentaux de la civilité, de la prospérité et de la paix ».

Le voyage de Trump était axé sur les accords conclus avec les entreprises américaines. Il a affirmé avoir conclu des contrats d'une valeur de 2 000 milliards de dollars, notamment pour la vente d'avions Boeing et de moteurs General Electrics. Il a signé un accord visant à faire des Émirats arabes unis la plus grande installation d'IA en dehors des États-Unis. Il a également affirmé que les monarchies du Golfe allaient investir des milliers de milliards de dollars en Amérique. Une alliance entre puissances pétrolières semble scellée. L'émir du Qatar a adopté le slogan de Trump, « Drill baby, drill ». Les monarchies accueillent depuis des décennies des bases militaires américaines, et des milliers de soldats américains font des États-Unis la puissance militaire dominante de la région.

Affaires de la famille Trump

La corruption de Trump et sa propension à accepter des pots-de-vin ont été mises en évidence. Le Qatar a offert à Trump un avion de luxe Boeing 747-8 d'une valeur de 400 millions de dollars, destiné à remplacer l'actuel Air Force One. Ou peut-être s'agissait-il d'un cadeau au département de la défense des États-Unis ? Quoi qu'il en soit, Trump a déclaré qu'il accepterait l'avion et qu'il le placerait dans sa bibliothèque présidentielle à la fin de son mandat. Ses détracteurs estiment qu'il s'agit d'un pot-de-vin qui viole la clause d'émoluments de la Constitution, laquelle interdit au président d'accepter des cadeaux de la part de gouvernements étrangers. Les Émirats arabes unis ont conclu un accord sur les cryptomonnaies d'une valeur de 2 milliards de dollars avec World Liberty Financial, qui appartient… aux fils de Trump, Donald Jr. et Eric.

Bien que le sujet ait été évité, la visite de Trump a également renforcé les nombreux autres investissements de sa famille dans la région : une tour résidentielle à Riyad, une Trump Tower de 47 étages à Jeddah. Trump International Hotel and Tower à Dubaï, Trump International Golf Course à Doha et Trump International Hotel & Golf Club à Oman.

Politique étrangère

Le voyage ne s'est toutefois pas résumé à des pots-de-vin et à des transactions commerciales. Le président des États-Unis a profité de l'occasion pour opérer un sérieux changement dans la politique étrangère du pays. Tout d'abord, il convient de noter qu'il ne s'est pas rendu en Israël et n'a pas rencontré le Premier ministre Benjamin Netanyahou, pas plus qu'il n'a adapté ses décisions pour lui plaire. Trump a annoncé qu'il levait les sanctions contre la Syrie et a rencontré le président intérimaire de la Syrie, Ahmed al-Charaa, qui était autrefois affilié à Al-Qaïda et dont la tête était mise à prix pour 10 millions de dollars jusqu'en décembre dernier. Netanyahou, cependant, craint que la Syrie ne devienne un agresseur et l'a attaquée plus de 600 fois depuis qu'Assad a été évincé en décembre 2024.

Trump a également annoncé que les États-Unis et l'Iran s'étaient « en quelque sorte » mis d'accord sur un accord nucléaire, ce qui pourrait conduire à une normalisation des relations. Ici aussi, Netanyahou ne sera pas satisfait de cette évolution, car il souhaite que les États-Unis se joignent à Israël pour bombarder l'Iran.

Et tandis qu'Israël poursuivait ses bombardements sur Gaza et avançait dans ses projets de nouvelle invasion et d'occupation, Trump a mentionné en passant à ses hôtes et aux médias la famine qui sévit à Gaza et qu'Israël nie.

Trump est versatile, il est donc difficile de savoir ce qui se passera en fin de compte. Pour l'instant, il semble que le président américain place sa confiance dans les monarchies du Golfe, et non en Israël.

Dan La Botz, traduit par la rédaction de l'Anticapitaliste et publié le 22 mai 2025

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Haïti, notre dette : Une étincelle du feu qui nous embrase

Dans sa belle introduction, Haïti, notre dette, Frédéric Thomas parle du passé « On vous a arrachés à vos terres et à vos familles. Enlevés de la Côte d'Or, du Dahomey, du pays (…)

Dans sa belle introduction, Haïti, notre dette, Frédéric Thomas parle du passé « On vous a arrachés à vos terres et à vos familles. Enlevés de la Côte d'Or, du Dahomey, du pays des Aradas. Parqués à fond de cale, vous n'aviez rien, vous n'étiez rien. On vous a jetés, couverts de chaînes, à des milliers de kilomètres de là sur un territoire qui vous était étranger » et jette un pont vers le présent et le futur : « Le temps est passé, mais votre promesse demeure. Je vous dois une part de mon confort, de mes droits et de mes armes. Et moi, contrairement à la France, je paie mes dettes ».

Avril 2025 | tiré du site d'Inprecor

Un petit livre, mais contrairement à d'autres Frédéric Thomas ne caricature pas, n'oublie pas, n'efface ni les un·es et ni les autres, ne gomme pas des contradictions. Un coup pour coup magnifiquement écrit…

Des personnes esclavisées et d'ancien·nes esclaves, des afro-caraïbien·nes se sont libéré·es, seul·es. Un événement inouï, « L'onde de choc se poursuit jusqu'à nous et continue de faire vaciller les pouvoirs », impardonnable pour les maitres du monde. « L'exemple toxique de ce premier État noir, issu d'une révolte d'esclaves, a de quoi hanter le présent, entretenir les rêves, les révoltes et les peurs ».

L'auteur parle des politiques de la France, des réécritures de l'histoire, de l'inégalité entre États, du regard colonial d'un temps bloqué, de l'Ordonnance de Charles X (17 avril 1825), « une victoire acquise par la lutte se mue en une indépendance concédée par le pouvoir vaincu ». Il revient sur la révolution, les plantations de cannes à sucre, les administrateurs et les propriétaires, les petits blancs, les noirs libres, les esclaves des plantations, « et toutes les relations sociales sont saturées, structurées et surdéterminées par la violence esclavagiste », Les Jacobins noirs de C.R.L. James, le racisme et la peur panique des colons, François-Dominique Toussaint Louverture.

« La révolution s'inscrit dans la voie ouverte par les révolutions américaine et française ». Le décret de la liberté générale, l'abolition de l'esclavage, le rôle de Léger-Félicité Sonthonax, « l'écho de l'insurrection est désormais mondial ». Il ne faut pas se tromper, « l'initiative réelle revient aux esclaves qui se sont soulevés et exercent une pression prodigieuse sur toutes les forces en présence ». Ce geste libérateur ne peut être accepté, il sera nié, transformé en concession du pouvoir (une habitude des dominants, hier comme aujourd'hui !). Et pourtant, l'auteur a raison de le souligner, « la révolution haïtienne dessine d'autres “nous”, qui se rient de ces autorités »…

Dans le chapitre suivant, Frédéric Thomas analyse le pacte néocolonial, « L'enjeu est pourtant de penser ensemble la domination internationale et celle de la classe dominante haïtienne », la situation néocoloniale de dépendance, l'architecture de la société coloniale et le nouveau pouvoir qui émerge de la révolution haïtienne, le modèle d'agriculture intensive, « La plantation est une plateforme d'import-export dont le centre de décision est délocalisé », le travail libre qui rappelle le temps de l'esclavage, « la résistance têtue des anciens esclaves, refusant de retourner dans les plantations », le maintien du marqueur de l'esclavage et du colonialisme, et aussi « un projet d'agriculture et de société alternative », les clivages internes à la société haïtienne, l'oligarchie, le mythe fondateur et l'échec économique. L'auteur conclut ce chapitre sur les comptes à rendre de l'État français et sur la mise en place d'une politique de réparation...

Des soulèvements, le moment 1825, « Haïti est la nation la plus inégalitaire du continent le plus inégalitaire du monde », la répétition des chocs « sur fond de catastrophes naturelles, d'instabilité politique et de pauvreté », l'humanitaire et « les manières de passer à côté d'Haïti », celles et ceux qui parlent d'urgence mais pas d'histoire et qui oublient les droits et les résistances, les mobilisations de 2008, les colères contre la corruption et la vie chère, la confusion internationale entre « la pire des politiques [et] la politique du pire », les regards partagés par les ONG et les diplomates internationaux, les gravats du silence, « les peurs enfouies depuis cette fameuse nuit d'août 1791 », le pouvoir d'occulter le pouvoir, les responsabilités invisibilisées, l'humanitaire comme justification de « ce que l'on fait, ce qu'on ne fait pas et ce qu'on laisse faire », le refus d'une « transition de rupture », l'accord de Montana, le gouvernement d'Ariel Henry, les bandes armées et le refus « de mettre en place un réel embargo sur les armes en provenance des États-Unis », l'oligarchie et les élites, les fonctionnements mafieux. Contre la construction de réalités falsifiées et mensongères, contre l'occultation des pouvoirs et des responsabilités, il nous faut réhabiliter l'histoire et les paroles des populations haïtiennes pour rompre avec les stratégies du pacte néocolonial…

Frédéric Thomas termine par un chapitre « réparation ». Contre l'idée qu'il ne s'est rien passé, il faut regarder les Haïtiens et les Haïtiennes en face, reconnaître les faits, les responsabilités, fixer une politique de réparations, « La France a une dette envers Haïti qu'elle doit rembourser ».

Donnons à voir l'extraordinaire du soulèvement de 1791, démystifions les lectures monochromes de la modernité, analysons le « double mécanisme d'extraversion et de dépossession » et la superposition des scènes internationale et nationale, refusons le nationalisme étroit sans dimension anticoloniale et internationaliste, défaisons ce qui se fait en notre nom...

Nous avons besoin de tels livres pour que nos luttes quotidiennes se confondent avec l'embrasement du monde… « La révolution haïtienne est une promesse qui doit être tenue ».

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222 ans après : un drapeau à 400 millions pour couvrir l’échec d’un État

« Yon sèl Drapo, Yon sèl Pèp, Yon sèl Nasyon ». Le slogan est beau. Il évoque l'unité, la souveraineté, le patriotisme. Mais à l'heure où le Pouvoir exécutif prévoit de (…)

« Yon sèl Drapo, Yon sèl Pèp, Yon sèl Nasyon ». Le slogan est beau. Il évoque l'unité, la souveraineté, le patriotisme. Mais à l'heure où le Pouvoir exécutif prévoit de débourser environ 400 millions de gourdes pour les festivités du 18 mai 2025, ce message résonne comme une gifle donnée au visage d'un peuple affamé, traqué, trahi.

Par Smith PRINVIL

À Cap-Haïtien, ville-héroïne de notre histoire révolutionnaire, se prépare un événement de prestige : décorations, vols charters pour les officiels, sécurité renforcée, spectacles culturels — tout, sauf la sincérité. Le paradoxe saute aux yeux : pendant que les autorités fuient la Plaine du Cul-de-Sac devenue zone rouge, elles s'envolent pour célébrer le drapeau dans une ville à l'abri, comme pour maquiller l'effondrement de la République par un folklore national.

Mais quelle nation célèbre-t-on à 400 millions de gourdes quand des enfants meurent de faim à La Saline, quand les hôpitaux publics ferment faute de moyens, quand des enseignants attendent des mois de salaires impayés, quand des milliers de familles vivent dans des camps sous des tentes depuis des années ? Quel peuple honore-t-on quand on ignore les cris des déplacés internes, fuyant les gangs armés qui ont annexé des communes entières avec la complicité tacite de l'État ?
Les critiques fusent et elles sont légitimes. Car il ne s'agit pas ici d'un acte patriotique, mais d'une manœuvre de diversion, voire de détournement de fonds publics. Un gouvernement sans légitimité, incapable de garantir la sécurité ou de redresser l'économie, choisit de noyer le désespoir national dans des paillettes commémoratives. C'est une stratégie vieille comme le monde : quand on ne peut gouverner, on parade.

Ce 18 mai, les uniformes seront repassés, les discours seront écrits à la hâte, les caméras seront braquées sur les estrades. Mais ce qu'on ne verra pas, c'est la blessure profonde du peuple haïtien, trahi une fois de plus par ceux qui parlent en son nom. Car derrière chaque gourde dépensée, il y a un choix. Et ce gouvernement a choisi le spectacle plutôt que la justice, l'image plutôt que l'action, l'oubli plutôt que la mémoire.

Haïti ne se libérera pas à coups de fanfares, ni de slogans vides. Le drapeau n'est pas un décor, c'est un symbole de lutte, né dans le sang des esclaves insurgés, levé par Dessalines et Catherine Flon comme promesse de liberté et de dignité. Ce drapeau ne saurait être réduit à un alibi budgétaire pour un pouvoir discrédité.

Le véritable hommage au bicolore, c'est le respect de la vie humaine, la reddition de comptes, la justice sociale. C'est de permettre aux enfants d'apprendre sans peur, aux agriculteurs de cultiver sans être rançonnés, aux citoyens de marcher dans les rues sans tomber sous les balles.

Le peuple haïtien ne demande pas une fête, il demande un futur.

Et ce futur ne viendra pas des podiums officiels, mais du réveil de la conscience collective.

Smith PRINVIL

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L’Appel de Paris pour la protection du peuple palestinien

La protection du peuple palestinien est devenue une urgence absolue. À Gaza, après quelques semaines de suspension, les massacres de masse ont repris, accompagnés d'un siège (…)

La protection du peuple palestinien est devenue une urgence absolue. À Gaza, après quelques semaines de suspension, les massacres de masse ont repris, accompagnés d'un siège total et d'une famine généralisée ainsi que des déplacements forcés de populations ; au moins 53 000 Palestinien·es ont été tué·es suite aux opérations militaires israéliennes ; la bande de Gaza est dévastée et devenue inhabitable.

Tiré d'Orient XXI.

En Cisjordanie — y compris Jérusalem-Est — en dix-neuf mois, plus de 1 500 attaques de l'armée et des colons ont fait près de 962 morts et plus de 7030 blessé·es palestinien·es ; plus de 40 000 Palestinien·es y ont été déplacé·es de force.

Cependant, alors que le peuple palestinien vit la pire période de son histoire, la légitimité de son combat pour la justice et l'autodétermination face à la volonté d'effacement dont il fait l'objet, est réaffirmée par le droit international. Dans le prolongement de l'avis de la Cour internationale de justice (CIJ), l'Assemblée générale des Nations unies a exigé par son vote du 18 septembre 2024 la fin de l'occupation israélienne du territoire palestinien et le démantèlement des colonies avant le 18 septembre 2025.

Dès lors, la France et l'Europe doivent s'acquitter de leurs obligations. Elles doivent, comme le précise la résolution de l'ONU, « favoriser, conjointement avec d'autres États ou séparément, la réalisation des droits du peuple palestinien à l'autodétermination et s'abstenir d'entretenir des relations conventionnelles avec Israël dans toutes les situations où celui-ci prétend agir au nom des Palestiniens ou pour des questions les concernant ».

Il y a 80 ans se construisaient les bases d'une justice internationale avec la création de l'ONU, dont la Charte fondait les conditions de la paix. Les États membres adoptaient trois ans plus tard la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Marquons cet anniversaire par notre refus solennel que la loi du plus fort l'emporte sur le droit international en Palestine.

L'Assemblée générale de l'ONU a décidé le 3 décembre 2024 de la tenue d'une conférence internationale. Elle se tiendra du 17 au 20 juin 2025 à New York. Elle aura pour mission « d'examiner l'application des résolutions de l'Organisation des Nations Unies relatives à la question de Palestine ».

En préalable de cette conférence internationale sous l'égide de l'ONU, nous lançons solennellement un appel pour la protection du peuple palestinien et la mise en œuvre du droit international.

Nous, signataires de cet appel, sommes convaincu·es que c'est l'application du droit international qui garantira la protection du peuple palestinien en lui permettant de vivre enfin en paix et en sécurité. Pour cette raison, nous demandons à la France de reconnaître l'État de Palestine dans le cadre du droit à l'autodétermination du peuple palestinien.

De la même façon, nous sommes convaincu·es que seuls la fin de l'occupation et l'arrêt de l'oppression du peuple palestinien permettront à Israël de connaître également la paix et la sécurité. En conséquence nous demandons à la France et aux États membres de l'Union européenne d'appliquer sans tarder les mesures énoncées par la résolution votée par l'Assemblée générale des Nations unies le 18 septembre 2024.

Liste des 55 premiers signataires

Xavier Dolan, cinéaste réalisateur

Ken Loach, cinéaste réalisateur

Adèle Haenel, actrice

Reda Kateb, acteur

Roger Waters, auteur-compositeur-interprète

Blanche Gardin, actrice

Swann Arlaud, acteur

Yvan Le Bolloc'h, acteur

Annie Ernaux, romancière

Corinne Masiero, actrice

Robert Guédiguian, cinéaste

Ernest Pignon-Ernest, plasticien

Elias Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l'UNESCO

Edwy Plenel, journaliste

Fabien Gay, journaliste rédacteur en chef de l'Humanité, Sénateur de Seine Saint-Denis

Denis Sieffert, journaliste, directeur de Politis

Denis Robert, réalisateur

Alain Gresh, journaliste, fondateur et directeur d'Orient XXI

Catherine Tricot, directrice de la revue Regards

Thomas Vescovi, cofondateur de Yaani

Daniel Mermet, journaliste

Rony Brauman, ex-directeur de Médecins sans frontières

Raphaël Pitti, médecin urgentiste

Yanis Varoufakis, économiste grec

Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes

Olivier Faure, député de Seine et Marne, 1er secrétaire du Parti socialiste

Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste

Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, coordinateur de La France insoumise

Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français

Aymeric Caron, député de Paris, président de Révolution écologique pour le vivant

Gisèle Jourda, sénatrice, présidente du groupe d'amitié France Palestine au Sénat

Richard Ramos, député du Loiret, président du groupe d'amitié France-Palestine à l'Assemblée nationale

Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis

Thomas Portes, député de Seine-Saint-Denis

Raymonde Poncet-Monge, sénatrice du Rhône

Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine

Johann Soufi, avocat et procureur, spécialisé en droit international

Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public

Ziad Majed, politologue, professeur universitaire et chercheur

François Dubuisson, professeur de droit international à l'Université libre de Bruxelles

Agnès Levallois, vice-présidente de l'iReMMO

Anne-Marie Eddé, professeure émérite à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Bertrand Badie, professeur émérite à l'IEP de Paris, chercheur au CERI

Didier Fassin, professeur au Collège de France

Sylvain Cypel, journaliste

Pascal Boniface, géopolitologue

Sophie Bessis, historienne et journaliste, secrétaire générale adjointe de la FIDH

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT

Caroline Chevé, secrétaire générale de la FSU

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT

Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des Droits de l'Homme-LDH

Pierre Stambul, porte-parole de l'Union juive française pour la paix

Youlie Yamamoto, porte-parole d'ATTAC

Anne Tuaillon, présidente de l'Association France Palestine Solidarité-AFPS

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Pour les dirigeants de l’Inde et du Pakistan, la fièvre de la guerre est une aubaine

27 mai, par Farooq Sulehria, Sushovan Dhar — , , ,
Les gouvernements de l'Inde et du Pakistan se sont éloignés du bord du gouffre à propos du Cachemire parce qu'aucun des deux ne peut se permettre une guerre à grande échelle. (…)

Les gouvernements de l'Inde et du Pakistan se sont éloignés du bord du gouffre à propos du Cachemire parce qu'aucun des deux ne peut se permettre une guerre à grande échelle. Une rhétorique belliqueuse et un climat de nationalisme strident ont aidé les deux gouvernements à faire face à des problèmes sur le front intérieur.

Tiré du site du CADTM.

Le conflit armé entre l'Inde et le Pakistan représentait une menace considérable pour le sous-continent. Cela aurait été une guerre qu'aucun pays ne peut se permettre. Le 10 mai, le président américain Donald Trump aurait négocié un premier cessez-le-feu entre les deux parties.

Cette annonce a été suivie d'une réunion des directeurs généraux des opérations militaires (DGMO) le 12 mai, lors de laquelle les deux parties ont accepté de respecter leur engagement de ne pas s'engager dans des actions agressives ou hostiles. En outre, l'Inde et le Pakistan « envisageront des mesures immédiates pour assurer la réduction des troupes ».

L'accord de paix actuel semble fragile, notamment en raison des nouvelles prises de position du premier ministre indien Narendra Modi et de son homologue pakistanais Shehbaz Sharif. Néanmoins, toute désescalade des tensions doit être saluée dans l'intérêt de la stabilité et de la paix régionales. Il semble improbable que l'une ou l'autre des parties puisse remporter une victoire décisive, qui entraînerait probablement la région dans une période de crise et d'incertitude prolongée.

Battre le tambour

Tout a commencé le 7 mai, lorsque l'armée de l'air indienne a mené une série de frappes aériennes visant des sites au Pakistan et au Cachemire administré par le Pakistan. Cette offensive avait pour nom de code « Opération Sindoor ». L'agression militaire a été déclenchée par une attaque meurtrière contre des touristes à Pahalgam, au Cachemire, le 22 avril, qui a entraîné la mort de vingt-six civils.

Les autorités indiennes ont affirmé que les opérations visaient neuf sites identifiés comme des « infrastructures terroristes ». En réponse, l'armée pakistanaise a affirmé que les frappes n'avaient visé que six sites, entraînant la mort de trente et un civils. Du côté indien, des rapports indiquent qu'au moins quarante civils ont été tués et de nombreux blessés, principalement dans le secteur de Poonch à Jammu, lorsque les troupes pakistanaises ont procédé à des tirs d'artillerie lourde le long de la ligne de contrôle (LoC) en représailles à l'attaque indienne.

L'incident de Pahalgam s'est avéré avantageux pour Modi, dont l'administration était déjà aux prises avec divers problèmes. Le gouvernement indien a dû faire face à une forte contestation publique, notamment pour la loi controversée sur le Waqf (amendement), ainsi qu'à des arrêts de la Cour suprême qui ont mis en évidence des violations constitutionnelles de la part de l'administration. En outre, les défis économiques et la hausse du chômage ont contribué au mécontentement croissant. En outre, la décision de l'administration Trump d'imposer des droits de douane à l'Inde a introduit des incertitudes supplémentaires.

Modi et ses alliés n'ont pas assumé la responsabilité des graves lacunes en matière de sécurité qui ont contribué à l'incident tragique de Pahalgam. Au lieu de cela, ils ont exploité la situation pour susciter la panique, la frénésie, l'hystérie guerrière, le chauvinisme et une nouvelle vague d'islamophobie. Ils ont réussi à galvaniser une nation entière autour d'une menace sécuritaire perçue comme étant posée par des terroristes soutenus par le Pakistan. La quasi-totalité de la nation s'est ralliée à eux dans leur quête de vengeance à la suite de l'attaque.

Les principales chaînes de médias ont facilité cette situation en propageant quotidiennement des fake news sur le Pakistan. Ces médias se sont transformés en champs de bataille, enflammant des millions de citoyens à travers le pays à coup d'informations erronées. Le gouvernement a même dû intervenir le 9 mai pour empêcher les médias de continuer à diffuser de fausses informations et d'attiser l'animosité.

Le gouvernement Modi a intentionnellement orchestré ce climat pour renforcer sa popularité, en particulier à l'approche des élections législatives dans l'État du Bihar. Il sert également à détourner l'attention des masses laborieuses de l'Inde des problèmes matériels auxquels le pays est confronté, tels que la hausse du chômage, les inégalités, la pauvreté et diverses formes de privation. Des rapports indiquent que le taux de chômage des jeunes a atteint 16,1 % lors du premier trimestre 2025.

Le compte de médias sociaux de l'unité d'information publique de l'armée indienne a salué les frappes transfrontalières comme un cas de « justice rendue ». Pourtant, il n'y a aucun signe d'arrestation des militants qui étaient réellement responsables des attaques terroristes à Pahalgam, tandis que la « justice » dont parle l'armée a impliqué des actions meurtrières dirigées contre des civils non armés, y compris des enfants.

La réponse du Pakistan

Les actions de l'Inde sont arrivées à point nommé pour les dirigeants pakistanais. Le pays est aux prises avec de graves crises économiques et d'endettement, des troubles politiques au Baloutchistan et une détérioration des relations avec l'Afghanistan. Autant de facteurs qui ont rendu le gouvernement actuel, dirigé par Sharif et les militaires, impopulaire auprès de la population du pays.

La réponse pakistanaise à l'attentat terroriste de Pahalgam, en même temps officieuse et semi-officielle, a été de prétendre qu'il s'agissait d'une « opération sous fausse bannière ». L'incident a été suivi d'une éruption de manie guerrière chauvine.

Les présentateurs télévisés, comme leurs homologues indiens, ont joué un rôle important dans le développement de l'hystérie guerrière. Les ministres, les hommes politiques de l'opposition et les chefs militaires ont fait des déclarations belliqueuses à l'unisson. Dans les jours qui ont précédé les premières frappes indiennes, le sentiment dominant au Pakistan était que l'Inde reculait par peur.

Deux points méritent d'être soulignés pour replacer l'attitude du Pakistan dans son contexte. Tout d'abord, l'establishment a encouragé et protégé les groupes djihadistes, du moins dans le Cachemire administré par le Pakistan. Ensuite, une réponse impétueuse de l'Inde a objectivement aidé le régime hybride pakistanais assiégé de l'intérieur, qui est au pouvoir depuis l'éviction d'Imran Khan.

Dans ce régime hybride, ce sont les militaires qui mènent la danse. Les représentants du gouvernement civil, le Premier ministre Sharif et le président Asif Ali Zardari, tiennent le rôle de serviteurs obéissants pour assurer leur maintien au pouvoir. Ayesha Siddiqa, spécialiste reconnue de l'armée pakistanaise, a rapporté en février dernier qu'« une source bien informée à Islamabad » estimait que les dirigeants militaires « se préparaient à relancer le militantisme – à une échelle comparativement plus faible mais perceptible » après l'hiver, afin de faire pression sur l'Inde pour qu'elle négocie sur la question du Baloutchistan.

Le Pakistan est confronté à un mouvement séparatiste armé au Baloutchistan, qui est géographiquement la plus grande de ses quatre provinces, limitrophe de l'Iran et de l'Afghanistan. La Chine a construit un énorme port à Gwadar sur la côte du Baloutchistan, et le Baloutchistan est un maillon crucial de l'initiative « la Ceinture et la Route ». Le Pakistan a accusé à plusieurs reprises l'Inde d'armer et d'entraîner l'Armée de libération du Baloutchistan, une organisation militante responsable d'attaques de guérilla contre des installations de sécurité et des travailleurs chinois au Baloutchistan.

Guerre de basse intensité

Malgré la fanfare qui entoure cette prétendue guerre et l'hystérie généralisée qui règne de part et d'autre de la frontière, bien sûr, aucune des deux armées n'a réellement pénétré en territoire ennemi. Des missiles et des drones ont été lancés en sus des tirs d'artillerie et des attaques transfrontalières. Les gouvernements et les médias des deux pays ont célébré avec beaucoup d'enthousiasme chaque fois que leurs forces ont intercepté un drone ou un missile « ennemi » à l'intérieur de leurs frontières respectives.

Selon Pravin Sawhney, éminent spécialiste militaire indien, le pays n'était même pas dans une situation de pré-guerre, qui implique généralement une mobilisation considérable des forces terrestres à travers les frontières. Nous avons assisté à une crise militaire – une version intensifiée des incidents habituels le long de la ligne de contrôle, en particulier au Jammu-et-Cachemire.

L'Inde et le Pakistan se sont livrés à trois guerres de vaste ampleur au sujet du Cachemire dans le passé, et les deux pays sont dotés de l'arme nucléaire. Aucun des deux pays ne peut supporter le coût d'un nouveau conflit à part entière. L'économie pakistanaise est actuellement confrontée à de graves difficultés ; elle est très endettée et doit rembourser de nombreux prêts. Avec un taux de croissance économique faible d'un peu plus de 2 %, il ne peut se permettre de s'engager dans une nouvelle guerre majeure.

Bien que l'économie indienne soit considérablement plus forte et plus grande, Modi a fait miroiter à l'Inde la perspective de devenir une économie de 5 000 milliards de dollars et d'émerger comme puissance économique et géopolitique majeure. Toute chance d'atteindre ces objectifs repose sur la stabilité de l'Inde, et une guerre avec un voisin doté de l'arme nucléaire a peu de chances d'attirer les investisseurs, sans parler des dommages qui en résulteraient pour le tourisme. Nous avons déjà assisté à des annulations de vols dans les deux pays, et il n'est dans l'intérêt stratégique ou économique d'aucune des deux nations que les récentes tensions dégénèrent en quelque chose de plus grave.

En outre, l'Inde comprend qu'il est peu probable que les Chinois restent passifs en cas d'attaque contre le Pakistan. Cela n'est et dû aux hostilités traditionnelles entre l'Inde et la Chine, mais également au fait que la Chine a investi environ 62 milliards de dollars dans le corridor économique Chine-Pakistan. Cet investissement englobe un large éventail de projets d'infrastructure et d'énergie destinés à relier la région occidentale de la Chine au port de Gwadar, au Pakistan.

Le golfe du Bengale et la mer d'Oman sont indispensables pour l'initiative « la Ceinture et la Route ». La Chine serait profondément préoccupée si les actions belliqueuses de ce qu'elle perçoit comme des gouvernements irresponsables dans ces deux nations finissaient par mettre en péril ses investissements. Impliquer les Chinois dans un conflit pourrait s'avérer désastreux pour l'Inde, car la guerre moderne repose largement sur des technologies de pointe, pour lesquelles la Chine possède un avantage considérable.

Il est donc dans l'intérêt de l'Inde et du Pakistan de maintenir des actions militaires de faible intensité, car cette stratégie leur procure des avantages politiques significatifs à un coût minime. Toutefois, cette approche impose un lourd fardeau à leurs populations civiles. Après l'euphorie initiale qui a suivi les attentats, l'atmosphère en Inde – en particulier dans les régions du nord et de l'ouest – est passée de la célébration à la panique et à l'appréhension quant aux victimes potentielles. Cela est survenu lorsque le Pakistan a indiqué qu'il riposterait.

Si les capitalistes indiens ont d'abord soutenu la ferveur guerrière, la fermeture des aéroports et le détournement des vols qui s'en est suivi les ont considérablement inquiétés. Le secteur industriel indien a depuis lors publié des déclarations appelant à la retenue. Le 9 mai, les marchés boursiers indiens et la roupie ont subi une baisse notable avant de regagner le terrain perdu le 12 mai avec l'accord de cessez-le-feu.

Nouvelle normalité

Les deux parties cherchaient à désamorcer l'escalade après les premières manifestations d'agression, en attendant le moment propice pour apaiser leur public national. Une méthode viable pour y parvenir consistait à pouvoir invoquer la pression internationale.

Si la Chine entretient des relations étroites avec le Pakistan, son influence sur l'Inde est limitée. Les États du Golfe ont une certaine influence sur les deux pays, mais pas autant que les États-Unis. Des pays comme la Russie et l'Iran pourraient éventuellement jouer un rôle de médiateur et contribuer à empêcher la situation de dégénérer en une crise plus grave ; toutefois, leur influence ne serait pas suffisante pour éviter de nouvelles tensions.

Dans l'état actuel des choses, la seule puissance à laquelle l'Inde et le Pakistan se sentent obligés de prêter attention est celle des États-Unis. Historiquement, les États-Unis ont joué un rôle dans la facilitation de la paix entre les deux États. Après le début des actions militaires indiennes, des signes ont montré que Washington façonnait indirectement les actions et les communications de l'Inde, en soulignant la nature « ciblée, mesurée et non escalatoire » des frappes, conçues pour répondre aux attentes de Donald Trump.

M. Trump a affirmé que les États-Unis avaient facilité une série de discussions qui ont abouti à un accord ; le gouvernement indien n'a ni confirmé ni infirmé cette affirmation. Pour soutenir ses partisans et entretenir un sentiment de ferveur guerrière, Modi a adopté un ton défiant et triomphant lors d'un discours à la nation le 12 mai.

Il a proclamé que l'Inde avait établi une « nouvelle normalité » en matière de réponse aux attaques terroristes et a présenté le cessez-le-feu comme une suspension temporaire des opérations du côté indien, les actions du Pakistan devant être surveillées de près dans les jours à venir. La réaction de l'establishment pakistanais a été tout aussi belliqueuse.

Si le cessez-le-feu a mis fin aux opérations armées, les agressions verbales et diplomatiques se sont poursuivies. À ce jour, la suspension du traité sur les eaux de l'Indus n'a pas été annulée. Ces mesures concernent aussi bien l'arrêt des visas que l'expulsion des diplomates, la fermeture des frontières, la restriction de l'espace aérien et la suspension des échanges commerciaux. En fin de compte, ce sont les citoyens des deux pays, ainsi que les Cachemiris de part et d'autre de la frontière, qui ont été les plus touchés et qui restent les otages de cette crise persistante.

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Chhattisgarh (Inde) : Arrêt immédiat de la guerre contre les citoyens

27 mai, par Alternative Viewpoint — , ,
Lors d'une opération « anti-Naxal » mercredi (21 mai 2025), les forces de sécurité ont tué vingt-sept maoïstes, dont Nambala Keshav Rao, également connu sous le nom de (…)

Lors d'une opération « anti-Naxal » mercredi (21 mai 2025), les forces de sécurité ont tué vingt-sept maoïstes, dont Nambala Keshav Rao, également connu sous le nom de Basavaraju, le secrétaire général du Parti communiste indien (maoïste) interdit, dans le district de Narayanpur au Chhattisgarh. Le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur ont exprimé leur jubilation et leur fierté concernant le succès de l'opération Kagaar.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Alternative Viewpoint dénonce fortement cet assassinat ciblé. Le motif sous-jacent semble être une campagne de longue date visant à s'emparer des terres, des eaux et des forêts des communautés [indigène] adivasi du Chhattisgarh, présentée sous le couvert d'opérations anti-maoïstes qui profitent réellement aux intérêts des puissances économique. Le mouvement maoïste indien a initialement émergé en réponse à l'aliénation des terres. Cependant, il a depuis évolué en un mouvement plus large s'opposant à l'aliénation des ressources naturelles, en particulier des forêts. L'État a été responsable de l'orchestration de massacres pour réprimer la résistance, la région de Bastar au Chhattisgarh étant un exemple notable.

Le gouvernement porte la responsabilité des décès de ses citoyens, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur semblant prendre plaisir aux exécutions ciblées se produisant sous leur surveillance. Depuis le début de l'« opération Kagaar », la simple suspicion d'affiliations maoïstes a conduit à la mort de 31 personnes, dont 15 femmes, en seulement 21 jours. De plus, il y a eu de nombreux rapports de violations des droits de l'homme à travers le Chhattisgarh.

Il est essentiel de comprendre que le maoïsme est associé à des régions souffrant de pauvreté endémique, d'exploitation, de corporations envahissantes et de perte de terres et de moyens de subsistance. Il l'est également à des questions liées à la dignité et à l'autonomie tribales. Cette question va au-delà d'un problème élémentaire de maintien de l'ordre ; elle englobe des thèmes plus larges de privation et d'aliénation. Le ministre de l'Intérieur a fixé une date limite pour l'éradication des Naxalites au 31 mars 2026. Cette perspective réductionniste et intéressée, qui suppose que l'aliénation peut être résolue uniquement en éliminant ceux qui sont aliénés, soulève des préoccupations cruciales.

Malgré la proposition d'accord de paix du CPI (maoïste), le gouvernement a intensifié sa répression. Le meurtre indiscriminé des peuples autochtones pour s'approprier les ressources naturelles est un phénomène troublant aux racines historiques profondes. Le gouvernement Modi-Shah a poursuivi cette approche répressive avec un nouvel élan depuis l'« opération Green Hunt » du Parti du Congrès. « L'opération Kagaar » se présente comme la manifestation la plus flagrante de cette violence persistante.

Bien que nous ne soutenions pas nécessairement les politiques maoïstes, Alternative Viewpoint condamne les meurtres ciblés et inhumains des membres du CPI (Maoïste) et des peuples tribaux, ainsi que l'autoritarisme antidémocratique qui a permis ces actions. Nous nous opposons à la guerre menée par l'État contre les citoyens afin de priver les communautés indigènes de leurs droits. Nous appelons tous les démocrates à résister à chaque instance de répression et de meurtre de l'État.

Alternative Viewpoint

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L’extermination comme moyen de négociation : comprendre la stratégie d’Israël à Gaza

Depuis le dévoilement de l'« opération Chars de Gédéon », la nouvelle offensive israélienne visant à « conquérir » définitivement toute la bande de Gaza, il est devenu de plus (…)

Depuis le dévoilement de l'« opération Chars de Gédéon », la nouvelle offensive israélienne visant à « conquérir » définitivement toute la bande de Gaza, il est devenu de plus en plus évident que les décisions prises au sein du gouvernement israélien ne visent pas un objectif stratégique unique, mais plutôt une logique récurrente d'épuisement.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Israël ne choisit pas entre la conquête totale et le confinement technocratique via un plan de cessez-le-feu négocié par les pays arabes. Il utilise ces options comme des moyens de prolonger la guerre et d'instrumentaliser sa durée plutôt que d'y mettre fin. Aucune n'est une véritable alternative à l'autre.

Ce n'est pas un paradoxe, mais une méthode. L'opération « Gideon's Chariots », qui vise à concentrer plus de deux millions de Palestiniens à Rafah et à « nettoyer » le reste de Gaza, n'est pas seulement un plan de conquête. C'est un fantasme de stérilisation déguisé en rationalité logistique. Sa brutalité ne réside pas seulement dans ses intentions – militaires et démographiques – mais aussi dans son caractère illimité, car il s'agira d'une occupation sans gouvernance ni responsabilité.

Elle imagine Gaza comme un champ chirurgical : vide de densité sociale et de politique, un terrain aplati où l'armée israélienne peut opérer sans entrave et où les civils sont transformés en captifs ou en débris. Là où l'extermination peut se poursuivre derrière le voile de la logistique humanitaire. Mais voilà : si Israël annonce son planen divulguant une grande partie de ses contours, s'assurant que l'issue finale de l'extermination est connue de tous, il en retarde également la réalisation.

Le rejet de la proposition égyptienne pour la gouvernance d'après-guerre à Gaza, quant à lui, relève moins d'une réfutation stratégique que d'une manœuvre temporaire : il reporte la stabilisation de Gaza, suspend la possibilité d'une architecture d'après-guerre et garantit à Israël son rôle d'arbitre unique en matière de circulation, d'aide, de reconstruction et de survie. La proposition, qui avait obtenu le soutien de la Ligue arabe, prévoyait un cessez-le-feu, la libération des prisonniers et la création d'une administration technocratique palestinienne à Gaza sous l'égide régionale et internationale. L'autorité gouvernementale serait civile, non affiliée au Hamas et éventuellement liée à l'Autorité palestinienne. Les forces de sécurité arabes, principalement égyptiennes et émiraties, auraient maintenu l'ordre public. Israël aurait, en théorie, conservé la possibilité de frapper si le Hamas se réarmait, mais la logique fondamentale était celle d'une gouvernance pacifiée et d'une reconstruction supervisée de l'extérieur.

Mais cette alternative, présentée comme un endiguement pragmatique, révèle sa propre structure de contrôle. Elle n'offre ni libération ni souveraineté aux Palestiniens. Elle ne rétablit pas la vie politique palestinienne. Au contraire, elle imagine une Gaza dépolitisée, administrée par des technocrates étrangers, où la gouvernance est réduite à la gestion et où la résistance est métabolisée en menaces pour la sécurité.

Oui, cela met fin aux massacres, mais cela poursuit le processus de destruction par d'autres moyens. Oui, il met fin au nettoyage ethnique et au génocide, mais il n'offre qu'un répit minimal.

Dans ce scénario, le Palestinien devient administrable mais non représentable — visible dans les tableurs et les systèmes de surveillance, mais invisible en tant que sujet de l'histoire. Là où « Gideon's Chariots » propose l'élimination de l'interlocuteur, le plan égyptien offre sa neutralisation. Là où le premier vise l'effacement, le second garantit le confinement.

De cette manière, Israël ne se contente pas de combattre le Hamas. Il gère le temps de l'effondrement des infrastructures de Gaza, de la diplomatie régionale et de ses propres contradictions internes. Les soi-disant « plans » qu'il fait circuler ne sont pas des plans d'action, mais des instruments de désorientation. En alternant escalade militaire et non-engagement diplomatique, Israël piège ses adversaires comme ses alliés dans un théâtre d'attente sans fin.

Ces plans ne deviennent pas des résolutions, mais des pièges littéraux : ils enhardissent certains, humilient d'autres et érodent la cohérence de toute vision alternative. Mais Israël reste dans le terrain suspendu des deux plans. D'un côté, il cherche à récupérer ses prisonniers avant d'anéantir complètement Gaza. D'autre part, il vise à apaiser les gouvernements arabes qui sont restés silencieux, n'ont pas rompu leurs liens avec Israël et ont progressivement – mais sûrement – proposé une alternative au génocide par une politique de stérilisation. Sans oublier que la perspective de détruire complètement la population de Gaza reste d'actualité, ce qui sert la gestion de la coalition par Netanyahou et son désir d'émerger comme un leader historique ayant mis fin de manière décisive à la question palestinienne.

Cela n'est nulle part plus évident que dans les relations d'Israël avec les États du Golfe. En signalant son ouverture à la normalisation et à des accords de sécurité régionale – tout en aggravant la catastrophe humanitaire –, Israël évite de se voir imposer des ultimatums clairs. La perspective d'une Gaza reconfigurée sous contrôle arabe est présentée comme une hypothèse, une possibilité lointaine, tandis que des faits irréversibles sont fabriqués sur le terrain : des quartiers entiers sont rayés de la carte, des populations déplacées, des infrastructures réduites en poussière.

Derrière le langage de la planification se cache une campagne de stérilisation et de concentration, une vision de Gaza non pas comme un foyer, mais comme un lieu de détention. Des rapports divulgués font état de transferts forcés, de Palestiniens envoyés en Libye ou ailleurs en Afrique, esquissant un avenir marqué par l'expulsion sous le couvert du pragmatisme. En d'autres termes, Israël manœuvre, cajole, accepte, revient sur sa parole, recommence à verser le sang et, en fin de compte, hésite à mettre en œuvre ses propres plans.

Mais même cette stratégie montre des signes de fatigue. L'armée est à bout. Les réservistes sont épuisés. Le soutien public, autrefois monolithique, est désormais fracturé, en particulier autour de l'incapacité du gouvernement à récupérer les prisonniers israéliens et de son mépris pour leur vie. L'élite politique peut afficher son unité, mais la cohésion sociale s'effrite. La confiance même qui liait autrefois la nécessité militaire à la légitimité civile s'érode.

Ces signes d'érosion ne sont pas seulement internes. Plus la guerre se prolonge, plus Israël perd sa légitimité internationale. Les mandats de la CPI, les décisions de la CIJ, les accusations de génocide qui s'intensifient ne sont pas seulement des condamnations morales, mais les signes d'un début d'isolement institutionnel.

Et pourtant, plutôt que de changer de cap, Israël redouble d'efforts, s'appuyant sur l'ambiguïté et l'usure, espérant épuiser l'indignation mondiale comme il espère épuiser la résistance palestinienne : par le retard, la confusion, la normalisation de l'effondrement et, bien sûr, par la coercition via l'instrumentalisation de l'antisémitisme.

À l'heure actuelle, ce qu'Israël recherche, c'est une « instabilité stable » dans laquelle Gaza est rendue inhabitable mais gouvernée, massacrée mais silencieuse, présente mais politiquement annulée. Les deux plans – celui qu'il met en œuvre et celui qu'il rejette – servent cette logique. Que ce soit par une guerre totale ou un confinement contrôlé, l'objectif reste le même : effacer la Palestine en tant que sujet de l'histoire et la remplacer par une population qui peut être contrôlée, administrée ou éliminée. La réussite de cette entreprise reste incertaine. Mais les fissures sont visibles dans la désillusion des soldats et dans la rage des familles des prisonniers israéliens.

Les négociations de cessez-le-feu comme forme d'interrogatoire

La manière dont Israël a mené les négociations de cessez-le-feu, pris dans un cycle perpétuel de propositions, de rejets, de reprise des hostilités et d'insistance sur des positions inacceptables, ressemble beaucoup à la dynamique entre les interrogateurs israéliens du Shin Bet et les prisonniers palestiniens soumis à leurs tactiques de pression.

Dans les salles du Shin Bet, la manipulation du temps devient une arme et le langage un outil de désorientation. La vérité n'est pas révélée par la clarté ou le dialogue, mais extraite par l'épuisement : torture physique, jeux psychologiques, faux-semblants d'amitié et promesses facilement trahies. Le but n'est pas de comprendre le sujet, mais de le détruire – pas seulement d'obtenir des aveux, mais de le faire s'effondrer.

« Si tu parles, je te donnerai une cigarette. Si tu donnes un nom, tu pourras te reposer. Si tu nous donnes une personne, une seule, nous t'apporterons peut-être de la nourriture, une couverture ou quelque chose pour te réchauffer. » Chaque geste se fait passer pour de la miséricorde, chaque acte est lié à la logique de l'accord. C'est une gouvernance par l'épuisement.

Mais il ne s'agit pas seulement d'une scène d'interrogatoire. C'est une relation dans laquelle le massacre, la négociation et la mesure s'alimentent mutuellement : le massacre produit la crise qui rend la négociation lisible ; et la négociation devient l'espace où l'impact de la violence est mesuré. Chaque bombardement israélien n'est pas suivi d'un silence, mais d'une évaluation : la résistance s'est-elle adoucie ? La communauté s'est-elle brisée ? Sont-ils prêts à céder ?

La négociation n'est pas une déviation de la violence ; c'est l'une de ses modalités — stratégique, affective, diagnostique. Parler de négociation ici, c'est parler d'un calibrage de la ruine et d'un test de l'esprit et de la fatigue. Tout comme l'interrogateur teste les limites de l'endurance du prisonnier.

Et pourtant, dans son cachot, le prisonnier palestinien aspire parfois à revoir son interrogateur, car dans un monde aux portes closes et à la famine lente, celui-ci devient le seul à confirmer son existence, la seule socialité possible.

L'ironie est que plus vous montrez de faiblesse, plus ils vous privent. Plus vous vous soumettez, plus ils serrent la vis. C'est pourquoi il ne s'agit pas d'une négociation de besoins, mais d'une architecture de l'humiliation calibrée pour que même votre volonté de parler devienne une marque supplémentaire de dépossession, ou un moment pour soutirer tout ce que vous pouvez à votre interlocuteur et vous assurer qu'il ne cache rien.

Lorsque les analystes, les diplomates et les commentateurs invoquent le terme « négociations », il s'agit en réalité d'un interrogatoire, car sa structure est conçue pour épuiser l'autre jusqu'à ce qu'il s'effondre. Et lorsque l'effondrement ne suffit pas, l'élimination suit. Dans ce paradigme, Israël ne recherche pas d'interlocuteurs, mais cherche à démanteler ceux qu'il convoque à la table des négociations.

Au-delà du binaire

Si les négociations israéliennes fonctionnent comme une forme d'interrogatoire, il est tout aussi important de rappeler que les Palestiniens ont non seulement reconnu cette structure, mais qu'ils ont également saboté à plusieurs reprises son fonctionnement. En effet, l'histoire de la lutte palestinienne est celle du refus des conditions imposées par l'occupant : celle de parler sans permission, de refuser de s'exprimer lorsqu'on y est contraint, de survivre sans chercher à être reconnu. Il ne s'agit pas d'une rébellion romantique, mais d'une lucidité forgée sous la pression. Une ruse politique forgée dans les cellules de prison, les salles d'interrogatoire, les maisons en ruines et les tables de négociation.

On demande depuis longtemps aux Palestiniens de jouer leur défaite, d'incarner la retenue tout en faisant preuve de modération et en dénonçant la violence de manière sélective. Mais à chaque fois, ils refusent ce rôle. Le prisonnier qui choisit le silence plutôt que les aveux ; le gréviste de la faim qui déplace la temporalité de la domination en soumettant son corps au temps lui-même ; la mère qui insiste pour nommer son enfant mort non pas victime, mais martyr ; le camp qui refuse de se dissoudre dans la poussière de l'humanitarisme — ce ne sont pas seulement des actes de résistance, mais des refus de capture.

C'est précisément ce refus qui brise le faux dilemme que l'Israël offre aujourd'hui au monde : extermination ou confinement, « chars de Gédéon » ou plan égyptien.

Il ne s'agit pas d'alternatives, mais plutôt de complicités structurelles. L'une éliminerait les Palestiniens en tant que sujets par la stérilisation militaire, l'autre les désarmerait et les contrôlerait par le biais d'une bureaucratie internationale. L'une est un génocide déclaré, l'autre une disparition contrôlée.

Cette dichotomie elle-même devient instable, car les fractures traversent désormais l'architecture morale de l'ordre international, dont la complicité et le deuil sélectif sont quotidiennement démasqués. Elles traversent les fondements mêmes d'Israël : une armée à bout de souffle, un leadership politique incohérent et une société qui se fracture sous le poids d'une guerre sans fin et de l'attente du retour du messie. Ces fractures traversent tous les lieux où le choix entre extermination et confinement est refusé, et où une troisième possibilité, fugitive, commence à poindre.

Cette troisième voie, bien que difficile à nommer, est déjà en train de se concrétiser. Elle bat au cœur des réseaux de solidarité mondiale qui ne demandent plus la permission, mais exigent des comptes. Elle grandit dans toutes les salles d'audience où le mot « génocide » est prononcé, non pas comme une métaphore, mais comme une accusation juridique. Elle vit dans la reconnaissance que la Palestine n'est pas une crise humanitaire à gérer, mais une cause politique à revendiquer.

Elle vit dans la conscience que la Palestine a vidé de leur sens les revendications de l'ordre libéral, mis à nu ses fondements et saturé son vocabulaire, tout en continuant d'affirmer sa présence.


Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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