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Agression contre le Liban : La politique de la terre brûlée

Israël a redoublé les frappes aériennes sur le Sud-Liban, touchant des localités comme Aaitat et Wadi Jilo dans le gouvernorat du Mont-Liban.
Tiré d'El Watan.
Les frappes israéliennes contre le Liban ne connaissent aucune limite ni aucun répit. Pour les résidents des zones frontalières du Sud-Liban, l'escalade de l'armée d'occupation israélienne a des conséquences dramatiques. Les populations civiles sont confrontées à la peur des bombardements et à la possibilité de perdre leurs foyers et leurs moyens de subsistance. De nombreux Libanais se retrouvent dans un dilemme : suivre les ordres d'évacuation ou rester malgré le danger, sans garantie que la situation s'améliore rapidement.
Les services de la Défense civile ont retiré hier trente corps et restes humains des décombres d'un immeuble de la ville de Barja, au sud de Beyrouth, frappé la nuit d'avant par les forces israéliennes. Les recherches se poursuivent, en ignorant combien de survivants et de corps sont encore coincés sous les décombres. « Nous espérons qu'il n'y a personne d'autre, mais les voisins ont dit qu'il y avait encore des gens disparus », a déclaré un responsable de la Protection civile, cité par l'AFP.
Israël a, par ailleurs, redoublé les frappes aériennes sur le Sud-Liban, touchant des localités comme Aaitat et Wadi Jilo dans le gouvernorat du Mont-Liban. La force de l'aviation israélienne, renforcée par des drones et des appareils de reconnaissance, a également ciblé Jebchit et Kfar Sir, ainsi que des zones résidentielles autour de Deir Qanoun El Nahr. Selon l'Agence nationale de l'information libanaise (NNA), ces frappes ont causé des dégâts considérables aux propriétés privées et commerciales.
Des villages dans le district de Nabatieh, comme Yohmor El Chaqif et Arnoun, ont eux aussi été frappés, tandis que des tirs d'artillerie ont visé les abords d'Alma Chaab, village situé dans le district de Tyr. Depuis le début de la guerre, Israël a tué au moins 3013 personnes et en a blessé plus de 13 500 sur le sol libanais, tandis que le bilan des destructions matérielles s'alourdit de jour en jour. Plus d'un mois après le début de la guerre, Israël pilonne le Liban sans interruption aucune.
Le porte-parole militaire israélien, Avichay Adraee, a encore exhorté hier les résidents du district de Nabatieh à quitter les bâtiments dans un rayon de 500 mètres de ces sites, prévoyant des « opérations imminentes » contre ces cibles présumées. Du côté libanais, le mouvement armé Hezbollah a lancé plusieurs tirs de roquettes du Hezbollah vers les colonies israéliennes de KiryatShmona et de Sasa.
Durcir la position du Hezbollah
Dans un communiqué, l'organisation libanaise shiite a revendiqué des tirs contre KfarSzold, dans la haute Galilée, ainsi qu'une attaque de missiles visant une base militaire israélienne située dans le Golan occupé. Le groupe libanais a également affirmé avoir pris pour cible un char Merkava dans la colonie de Metula à l'aide d'un missile guidé, provoquant un incendie du véhicule et des blessures parmi l'équipage. Dans cette même localité, un autre tir a touché une maison où se trouvaient des soldats israéliens, causant des morts et des blessés, bien que leur nombre exact reste incertain.
Le Hezbollah doit s'exprimer notamment au sujet de l'élection américaine, par la voix de son secrétaire général Naim Qassem, dont le discours attendu pourrait durcir la position du mouvement, tout en appelant à une résistance accrue contre ce qu'il considère comme une agression israélienne soutenue par Washington. L'organisation a d'ores et déjà prévenu qu'elle ne reconnaît pas les États-Unis comme médiateurs dans le conflit, les accusant de fournir à Israël les moyens de poursuivre la guerre envers les populations libanaises et palestiniennes.
En tout et pour tout, plus d'un demi-million de personnes ont fui le Liban pour la Syrie et l'Irak depuis le 23 septembre, début de l'agression israélienne contre le pays du Cèdre. Outre les 28 000 Libanais qui se sont réfugiés en Irak, environ 473 000 personnes en provenance du Liban ont également traversé la frontière syrienne au cours des dernières semaines.
La majorité des personnes arrivées en Syrie avaient fui le sud du Liban, où les forces sionistes mènent quotidiennement des attaques intenses. Parmi ces personnes qui ont franchi les frontières syriennes, se trouvent plus de 136.000 réfugiés libanais et ressortissants de pays tiers ainsi que plus de 330.000 réfugiés syriens qui s'étaient rendus au Liban il y a plusieurs années, lorsque leur pays était en proie à un conflit armé. Selon le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), ces Syriens retournent aujourd'hui dans leur pays car la situation au Liban est devenue très instable.
Les attaques contre le Liban ont également déplacé des centaines de milliers de personnes à l'intérieur du pays. Le gouvernement libanais a déclaré que 1,2 million de personnes étaient concernées.A la frontière syrienne, le flux d'arrivées aux postes frontières de Dabbousieh et de JesrKamar à Homs s'est poursuivi régulièrement, avec environ 500 personnes par jour.
A Genève, la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a lancé un appel de fonds de 100 millions de francs suisses (106 millions d'euros) pour soutenir environ 600.000 personnes touchées par la guerre au Liban.Les besoins humanitaires au Liban « sont immenses », a déclaré le secrétaire général de la FICR, JaganChapagain. Il est à déplorer aujourd'hui qu'environ en30 villages dans le sud du Liban ont été rasés, près de 10 000 bâtiments ont été endommagés ou détruits à travers le pays, et le bilan humain ne cesse de s'alourdir. -
Lazzarini : l'Unrwa, qui vit « son heure la plus sombre »
L'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) que l'entité sioniste a décidé d'interdire vit « son heure la plus sombre », a alerté son chef devant l'Assemblée générale de l'ONU, appelant les Etats membres à la sauver. « Sans intervention des Etats membres, l'Unrwa va s'effondrer, plongeant des millions de Palestiniens dans le chaos », a déclaré Philippe Lazzarini, demandant aux Etats membres de l'Assemblée, qui a créé l'Unrwa en 1949, à « empêcher la mise en oeuvre de la loi contre l'Unrwa » votée par l'entité sioniste.
Une semaine après l'adoption de la décision d'interdiction des activités de l'Unrwa dans les territoires palestiniens occupés, l'entité sioniste a notifié lundi à l'ONU « l'annulation » de son accord avec l'agence datant de 1967, année du début de l'occupation par l'entité sioniste des territoires palestiniens de Cisjordanie et de Ghaza, ainsi qu'El Qods-Est, où l'Unrwa a fourni pendant des décennies une aide essentielle aux réfugiés palestiniens (éducation, santé, services sociaux, aide alimentaire).
« Aujourd'hui, je demande aux Etats membres d'agir pour défendre les réfugiés palestiniens et l'Unrwa », a insisté Philippe Lazzarini. Alors que l'agence a été créée par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU en 1949, « les changements du mandat de l'Unrwa sont du ressort de l'Assemblée générale », a-t-il estimé. Depuis le début de l'agression sioniste, « les responsables (sionistes) ont décrit le démantèlement de l'Unrwa comme un but de la guerre », a-t-il rappelé.
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Entre une chenille et un F16, reportage au cœur de l’offensive d’Israël au Liban

Notre reporter, résidant à Beyrouth, après de nombreux reportages en Palestine, a pris de plein fouet la violence de l'attaque israélienne sur le Liban. Avec douleur, colère, poésie, et ce qu'il faut d'espoir et d'amour, il nous narre le feu et le sang. Les bombes, les massacres. Attention, des récits peuvent heurter.
Tiré du blogue de l'auteur.
« Elle sort d'une touffe d'herbes, se glisse,
Lève le nez de droite à gauche puis elle repart.
Quelle belle chenille grasse !
Guidée par l'odeur, elle s'arrête au bord
D'un jasmin »
Ces mots sont les derniers écrits par une écolière libanaise avant qu'un drone ne vienne déchiqueter l'immeuble dans lequel elle avait trouvé refuge avec sa famille. Un deuxième drone, puis une frappe aérienne d'un F16 israélien, ont achevé le travail de mort. Sans doute ses membres ensanglantés ont été projetés d'un coin à l'autre des décombre, son cadavre brûlé retiré par la Défense Civile avant mon arrivée. Maintenant, les vers de cette poésie pour enfants sont tout ce qu'il reste pour attester de son existence pulvérisée. Je tiens le cahier entre mes mains, alors que l'odeur âcre de la poussière et du feu s'infiltrent à travers mon masque chirurgical. Plus loin, un livre de Sciences de la Vie est visible entre les ruines. Quelle ironie, dans un tel massacre.

Six autres enfants ont été assassinés dans cette frappe israélienne, aux côtés de cinq de leurs proches. Ils avaient fui les bombes du Liban-Sud et pensaient certainement être en sécurité ici, dans le centre de la vallée de la Bekaa. Mais les desseins des stratèges et pilotes israéliens sont difficiles à cerner, dans cette guerre dystopique où la mort tombe du ciel aléatoirement. Tu existes, puis d'un coup il y a le bruit sourd de l'avion de chasse qui pique et le sifflement du missile et tes membres et organes sont pulvérisés partout, ton existence réduite en miettes. L'odeur de la chair brûlée est presque sucrée et écœurante. C'est étrange, non ?
Une autre famille a eu de la chance, son appartement dans un immeuble voisin a seulement été soufflé par la déflagration, tout le monde a survécu. Ils sont là, les deux parents et leurs enfants, trois jeunes adultes, certainement étudiants, en train de sortir quelques biens des décombres. Des ouds*, des guitares, une cage avec deux canaris jaunes. Une famille d'artistes. La fille fait de la photo, les autres sont musiciens. Ils me laissent entrer dans leur appartement, les lits sont au-dessus des canapés, la cuvette des toilettes dans la douche, les ustensiles de cuisine dans le salon, cela en devient absurde et presque cubiste. Guernica. Une chaussure traîne dans les escaliers : quelqu'un a fini sa course effrénée avec un pied nu ? Je dissocie.

Bribes de mort
Plus loin, une pépinière a été bombardée. Des courgettes continuent de pousser entre les décombres, pas loin d'un gant de jardinier projeté là au hasard du souffle de l'explosion. La peau d'une courge musquée est abîmée, trouée : les légumes aussi ont des cicatrices de guerre, on dirait. Comme les chevaux rescapés des bombardements dans le Sud-Liban, recueillis par un éleveur équin dans la Bekaa. Une plaie encore rouge sur la robe alezane de ce pur-sang arabe. Les yeux tristes de cette jument grise qui a fait une fausse couche à cause du traumatisme. J'aurais chialé si je n'avais pas eu un pneu crevé à réparer. Encore une ironie de la guerre.

L'autre fois que j'aurais pu pleurer, c'était quand une psy qui m'a dit en interview que l'attaque sur les bipeurs du Hezbollah, c'était comme une sorte de viol collectif, une attaque narcissique contre l'intimité des Libanais. Et quand un ami, un jeune médecin anesthésiste dans un hôpital de Beyrouth, m'a raconté ce qu'il a vécu quand il soignait les blessés de cette attaque : « On opérait dans les couloirs, il y avait du sang partout, tellement qu'on glissait dessus. J'ai failli devenir fou quand un mec s'est mis à halluciner et à dire que l'ange de la mort marchait parmi nous, ainsi que le prophète Mohammed ».

J'écris, je couvre le bourdonnement incessant du drone israélien avec du death metal. Je ne sais plus ce que j'entends. Est-ce une voiture qui passe ou bien un F16 qui va larguer une bombe ? Je compte les secondes : soit il ne se passe rien et c'était bien une voiture, soit une explosion sourde se fera entendre, il y aura des morts, des blessés, des vies pulvérisées, des live à la TV, des photos… Et ce son terrifiant, c'était un avion de chasse franchissant le mur du son pour nous terroriser, ou bien un bombardement réel ? La réalité est absurde, tout ne tient qu'à un fil. J'essaie de ne pas trop penser, ne pas trop ressentir.
Aimer en temps de guerre
Mais finalement, je le sais, il faut rester connecté à soi et aux autres. L'amour doit triompher de cette guerre qui exige chaque seconde de notre attention et chaque millimètre de notre système nerveux. L'amour des siens qui ont peur, l'amour des inconnus qui risquent de mourir, l'amour de la terre qui se fait bulldozer, l'amour du ciel ensoleillé qui sent la fumée toxique, l'amour de ces olives que l'ennemi essaie de brûler sous le phosphore blanc.

Aimer, c'est prendre le risque de perdre pied. C'est laisser une peur abyssale t'envahir, cette peur de perdre ceux que tu aimes, peur que ceux qui t'aiment vont te perdre. Mais au final, c'est cet amour qui nous fera triompher. Chaque instant que notre cœur ressent cette peur, chaque fois que nous ressentons des papillons dans notre ventre, chaque moment infini où nous regardons dans les yeux de nos proches, nous avons déjà un peu gagné.
Certains désignent le sionisme actuel de culte de la mort. Il sacrifie des enfants et s'en réjouit. Il tue des ambulanciers, ceux-là même qui sauvent la vie. Il pulvérise des femmes enceintes et leurs fœtus. Il brûle la chair des déplacés de Jabalia. Avec le feu et le sang, il créée un no-man's-land dans le nord de Gaza, dans le Sud du Liban, et même à l'ouest de la Cisjordanie occupée – tout ça pour « nettoyer » ou « sécuriser » ses frontières. Mais avec « culte de la mort », je pense qu'on ne comprend pas clairement la réalité.
L'horizon
La réalité, telle que me l'ont dépeinte les Palestiniens et les Libanais du Sud, est extrêmement politique. Un culte de la mort, cela sonne invincible, quasi-mystique. Mais l'ennemi, dans notre cas, est matériel, logistique – et donc faillible. Des États coloniaux ont déjà été vaincus à multiples reprises dans l'Histoire. Des régimes génocidaires ont été déchus. Des systèmes d'apartheid démantelés. Ils sont faits de décideurs en chair et en os, de soldats au moral changeant, de civils qui renversent leurs gouvernements corrompus. Ils sont faits d'idées que l'on peut mettre au ban de la mémoire de l'Humanité. Ils peuvent être vaincus. La libération est possible. Peut-être même est-elle proche ?
Il y a 70 ans, Israël n'existait pas. Dans 70 ans, il aura peut-être disparu. L'horizon, ce n'est pas un pays colonial, isolé, divisé, qui a besoin de 660 milliards de dollars en un an pour « se défendre » de l'agression qu'il a commise, de commettre des écocides et des nettoyages ethniques pour survivre. L'horizon, c'est une contrée faite d'hommes et de femmes et d'enfants et d'animaux et de plantes qui vivent ensemble avec leurs désaccords. C'est une polis dans laquelle il y a aura des Juifs, des musulmans chiites et sunnites et soufis, des chrétiens de toutes confessions et des athées ; des gens de toutes opinions politiques, certainement aussi des sionistes et des islamistes et des anarchistes, des nassériens et des sociaux-démocrates, qui prendront des décisions ensemble sur comment construire telle route ou comment répartir le budget municipal.
L'horizon, c'est une contrée où l'olivier n'a pas de nationalité ni de confession, et n'est entouré ni de barbelés ni d'un nuage de phosphore blanc. Où la chenille grasse s'approche du jasmin et respire sa senteur sans être déchiquetée par un F16.
Textes et photographie par Pluto
Un reportage tiré de notre numéro novembre-décembre, à paraître bientôt, soutenez-nous, abonnez-vous (par pitié on en a bien besoin) https://mouais.org/abonnements2024/
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Des soldats nord-coréens en Ukraine à la décrispation Inde-Chine : vents contraires en Indo-Pacifique

Si Pékin et New Delhi ont posé les armes à leur frontière, si l'Inde et le Pakistan ont cessé les invectives pour un instant diplomatique, une dynamique infiniment plus préoccupante, porteuse d'une infinité de craintes, est aussi à l'œuvre en Indo-Pacifique : de la mer de Chine du Sud à la péninsule coréenne, en passant par la Russie et l'Ukraine, et le détroit de Taïwan.
Tiré de Asialyst
2 novembre 2024
Par Olivier Guillard
Kim Jong-un aurait envoyé plus de 8 000 soldats nord-coréens en Russie pour participer à la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. (Source : Guardian)
Bien sûr, comme toujours, les images fortes. Poignées de mains scénarisées à défaut d'être chaleureuses. Sourires de circonstance figés devant une batterie de drapeaux soigneusement disposés. Belles déclarations et autres communiqués conjoints joliment tournés à l'issue de réunions bilatérales ou collégiales « historiques » .Effet garanti. Encore et toujours. En Asie-Pacifique pas moins qu'ailleurs en cet automne 2024 aux tonalités exceptionnellement dissonantes, pour le meilleur, espère-t-on naïvement, ou pour le pire – quand bien même ce dernier ne serait jamais certain, dit-on.
Naturellement, il ne saurait être question de tourner le dos aux si rares bonnes nouvelles (parlons plus prudemment peut-être de développements positifs impromptus et bienvenus) émaillant le quotidien tortueux de cette région du monde davantage exposée aux tempêtes politiques, sécuritaires et diplomatiques, et autres maux encore, qu'aux plus apaisantes conditions anticycloniques.
Quand le dragon et l'éléphant desserrent quelque peu les dents
*3379 km de frontière terrestre. **Dans la région du Ladakh (indien) et de l'Aksai Chin.
Parmi les dernières surprises en date et non des moindres, les prémices d'une bien improbable détente sino-indienne. Confirmation in vivo le 23 octobre devant les flashs des photographes et autres caméras des médias : le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre indien Narendra Modi prennent la pause protocolaire face aux objectifs en marge du sommet des BRICS organisé dans la ville russe de Kazan. Deux jours plus tôt, New Delhi et Pékin le faisaient savoir : d'un commun accord – une authentique rareté plaisante à signaler -, le principe d'une désescalade des tensions aux frontières a été décidé*, par le biais d'un retour sur le terrain à la situation avant les hostilités de 2020**, avec notamment une réduction parallèle des troupes respectives postées de part et d'autre de la frontière.
Cette rare dynamique sino-indienne aux tonalités positives n'était pas même trop durement remise en cause du côté de Pékin par l'ouverture à Mumbai d'un nouveau bureau de représentation taiwanais, le 17 octobre.
Inde-Pakistan : le chef de la diplomatie indienne au « pays des purs », une première depuis 2009
*Sans surprise, les autorités militaires de ce pays fébrile où l'influence des généraux reste déterminante se sont montrés moins volubiles dans les médias sur le sujet. **Avant la désintégration du British Raj colonial et l'indépendance de l'Inde et du Pakistan à l'été 1947. ***7 victimes, des ouvriers travaillant sur un chantier près de Sonamarg (80 km au nord-est de Srinagar).
De même, l'Inde s'illustrait une semaine plus tôt là encore au niveau diplomatique sur un autre théâtre hautement sensible : le chef de la diplomatie indienne était présent au 23ème sommet annuel de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), les 15 et 16 octobre à Islamabad, la capitale du voisin pakistanais avec lequel la patrie de Gandhi et Nehru partage depuis trois générations d'homme une noria de différends, contentieux, conflits et autres désaccords en tous genres. La rencontre en marge du sommet entre le ministre indien des Affaires étrangères et le chef de gouvernement pakistanais, les propos étonnamment apaisants, encourageants de certaines personnalités politiques* de premier plan du « pays des purs » – dont l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif, frère ainé du titulaire actuel du poste, et Bilawal Bhutto Zardari – relayés dans la presse de ces deux voisins autrefois d'un seul bloc**, auront pu agréablement surprendre l'observateur, déjà légitimement étonné par cette première visite d'un émissaire indien d'importance au Pakistan depuis neuf ans. Le même observateur des tortueuses affaires d'Asie méridionale aura hélas moins été pris de court par l'attentat meurtrier*** frappant peu après, le 21 octobre, la partie indienne du Cachemire administrée par New Delhi, attribué à une structure terroriste pakistanaise. Trois jours plus tard, le fléau terroriste s'abattait encore sur la région, près de Baramulla (50 km au nord-ouest de Srinagar), faisant quatre nouvelles victimes. Cette recrudescence du chaos aveugle ne devait certainement rien au hasard : elle sanctionnait encore et encore, comme observé tant de fois, la moindre esquisse de décrispation potentielle entre New Delhi et Islamabad.
Japon–Corée du Sud : à la recherche d'une détente durable ?
*Colonisation nipponne de la péninsule coréenne entre 1910 et 1945).
En Asie orientale, du côté du « pays du matin calme » et de l'ancien « Empire du soleil levant », l'appel ou la nécessité d'une décrispation face aux incertitudes régionales – défiance sans fin de la Corée du Nord, rapprochement Pyongyang-Moscou, a également trouvé dernièrement quelque écho favorable au plus haut niveau de l'État, à Séoul comme à Tokyo. Des augures plaisants n'allant pourtant pas si aisément de soi dans les deux pays, ont été applaudis des deux mains par Washington, l'allié stratégique commun à ces deux voisins aux relations souvent ombrageuses, lestées par un douloureux chapitre colonial difficile à oublier au sud du 38ème parallèle*.
Ainsi, un mois après l'ultime réunion entre le Premier ministre japonais sortant Fumio Kishida et le président sud-coréen Yoon Seok-youl début septembre, le nouveau chef de gouvernement nippon Shigeru Ishiba rencontrait Yoon le 10 octobre en marge du sommet de l'ASEAN au Laos, confirmant la bonne autant qu'inédite dynamique de dialogue du moment entre Séoul et Tokyo.
Chine–Japon : la dynamique nippo-sud-coréenne créé-t-elle une émulation entre similaire entre Pékin et Tokyo ?
*China Daily, 24 octobre 2024.
On ne pourrait bien sûr que se féliciter d'une telle bonne inspiration, participant alors, à sa mesure, à un élan régional plus porteur d'espoir que de craintes. Alors certes, le 23 octobre, dans la capitale japonaise, lors d'une 17ème session du mécanisme de consultation de haut niveau sur les affaires maritimes, les délégations chinoise et nippone se sont accordées « à gérer correctement »* leurs différences, à maintenir une « communication étroite » sur les affaires maritimes, à « déployer des efforts positifs pour faire de la mer de Chine orientale une mer de paix, de coopération et d'amitié ». De nobles intentions naturellement à saluer, et surtout à traduire sur le terrain après l'avoir si aisément rédigé sur le papier. Le doute est cependant permis.
Il suffit de se remonter à peine une semaine plus tôt, le 16 octobre. Le ministère chinois de la Défense critiquait alors en des termes univoques l'évocation par le nouveau Premier ministre japonais Shigeru Ishiba du projet de création d'une « version asiatique de l'OTAN », une initiative selon lui « essentielle pour dissuader la Chine ». Et du reste, le lendemain, troublante coïncidence, Tokyo déplorait en mer de Chine de l'Est un nouvel accrochage avec Pékin près des îles disputées Senkaku/Diaoyu.
Voilà une dynamique infiniment plus préoccupante, porteuse d'une infinité de craintes : de la mer de Chine du Sud à la péninsule coréenne, en passant par la Russie et l'Ukraine, et le détroit de Taïwan.
Nuages sur l'Asie-Pacifique
L'Asie conserve une série de zones fébriles dont chaque soubresaut, chaque secousse, se prolonge aujourd'hui, d'une manière ou d'une autre, au reste du concert des nations.
Corée du Nord-Corée du Sud. En procédant le 15 octobre à la neutralisation symbolique, la destruction par explosions d'axes routiers et ferroviaires reliant techniquement le Nord au Sud, puis en multipliant depuis lors les messages belliqueux ces derniers jours, la dictature kimiste maintient sa posture hostile et résolue à l'endroit du voisin du Sud. Séoul s'émeut légitimement, comme une majorité de nations occidentales du reste, des informations confirmant l'envoi de troupes nord-coréennes vers la Russie pour, à terme, être déployées aux côtés des forces russes combattant en Ukraine.
Japon-Russie. Le 17 octobre, le ministre japonais de la Défense faisait part sa double inquiétude au sujet de la coopération militaire sino-russe, ces manœuvres conjointes début septembre à proximité de l'archipel, et face au renforcement des liens russo-nord-coréens. Il a également confirmé le soutien de Tokyo à Kiev dans sa guerre contre les forces de Moscou.
Chine-Taïwan. Les 13 heures de manœuvres militaires chinoises aussi massives – 153 appareils chinois, une vingtaine de navires – que suggestives menées le 14 octobre tout autour de Taïwan ont « sanctionné » selon Pékin le discours « provocateur » du président taïwanais formulé plus tôt, le 10 octobre. Elles illustrent à elles seules l'état on ne peut plus sinistré des rapports entre Pékin et Taipei.
Mer de Chine du Sud. Le 13 octobre, la visite à Hanoï du Premier ministre chinois a marqué un renforcement tous azimuts de la coopération bilatérale sino-vietnamienne décidé, en matière de défense et de sécurité notamment. Mais ce déplacement ne saurait naturellement occulter l'ensemble des tensions électrisant les multiples contentieux territoriaux en mer de Chine du Sud, tant s'en faut. Ce ne sont pas les témoignages récents qui font défaut, hélas : deux jours plus tôt, le 11 octobre, un navire de la milice maritime chinoise heurtait délibérément un navire civil philippin du Bureau de la pêche et des ressources aquatiques patrouillant à proximité de Thitu Island. Fin septembre, le Vietnam accusait les forces chinoises d'avoir battu violemment des pêcheurs vietnamiens opérant près des îles Paracels. Au même moment ou presque, le 27 septembre, près d'un autre atoll contesté, Half Moon Shoal, un navire des garde-côtes chinois et deux lance-missiles entravaient deux bâtiments civils philippins en route pour ravitailler des navires de pêche. Et on en passe. Le monde, observateur impuissant, quasi inaudible, s'inquiète. Chaque jour un peu plus, redoutant le pire. Non sans raison ?
Par Olivier Guillard
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La victoire de Donald Trump : une bonne nouvelle pour la Chine ?

La victoire de Donald Trump, réélu triomphalement à la Maison Blanche pour quatre ans, est une excellente nouvelle pour les régimes autoritaires à travers le monde. Y compris pour le pouvoir en Chine qui, même si l'économie du pays souffrira des mesures protectionnistes qui s'annoncent, estiment nombre d'experts de l'Asie, ne manquera pas d'en tirer parti.
Tiré de Asialyst
9 novembre 2024
Par Pierre-Antoine Donnet
Donald Trump, lors de son discours de victoire après sa réélection à la présidence des États-Unis, le 5 novembre 2024. (Source : CBS)
Pour Zhang Junhua, chercheur associé à l'Institut européen pour les études asiatiques, « sur le plan politique, cette régression constitue un précieux cadeau pour le camp autoritaire à travers le globe. Xi Jinping et Vladimir Poutine vont certainement, au fond de leur cœur, se réjouir des résultats de cette élection ».
*Le Quad est un forum de dialogue quadrilatéral informel sur les sujets militaires et de sécurité regroupant les États-Unis, l'Inde, le Japon et l'Australie.
« Car, poursuit le chercheur cité par la Deusche Welle, ils savent que les quatre prochaines années ne vont pas seulement plonger la démocratie américaine dans une période paroxystique mais elles donneront plus de place à ceux qui, aux États-Unis, sont partisans de réduire au maximum le champ d'action de l'État de droit, de la démocratie et de la justice. Les alliances démocratiques en Asie pour lesquelles le président Joe Bien a travaillé si dur pour les construire, telles que celle avec le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, et le Quad* seront affectées directement et de façon désastreuse. »
« En d'autres termes, cela va donner à la Chine, en conjonction avec la Russie, une opportunité pour imposer sa volonté en Asie de l'Est, dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du Sud », explique Zhang Junhua pour qui le mandat de Donald Trump aura pour autre conséquence d'éloigner l'Europe de l'Asie-Pacifique du fait de la montée des périls attendus à ses frontières avec le spectre d'une victoire de la Russie en Ukraine. « En résumé, remarque Zhang Junhua, à la surface il s'agit d'une grande victoire pour le conservatisme en Amérique mais, en réalité, c'est une victoire encore plus grande pour l'autoritarisme mondial. Tout ceci est très néfaste pour la situation sécuritaire en Asie-Pacifique. »
Pour Mathieu Duchâtel, expert de la Chine à l'Institut Montaigne, si Donald Trump « a laissé un excellent souvenir à Taïwan » lorsqu'il était à la Maison Blanche « en décidant de contrer enfin le mercantilisme chinois, […] plusieurs raisons invitent à une prudence extrême quant à la continuité de sa politique taïwanaise avec les approches économiques, diplomatiques et militaires qui ont marqué son premier mandat. » Outre l'avenir de l'Ukraine plus incertain que jamais, « pour Taïwan, il semble clair que son statut de démocratie libérale aura peu de valeur stratégique aux yeux de l'exécutif américain, et qu'il sera nécessaire de verser des « frais de protection », sous une forme ou une autre ».
Mais, précise Mathieu Duchâtel, « ces dernières années, Taïwan a donné une belle leçon de lucidité aux démocraties européennes, en détectant avant tout le monde la gravité de la pandémie de Covid. […] Il est tout à fait possible que l'île parvienne, par des manœuvres tactiques qui épouseront les priorités de « l'America First » en matière d'emploi industriel, de rééquilibrage des relations économiques avec la Chine, de recherche de suprématie technologique et de crédibilité accrue de sa posture de défense, à assurer non seulement sa survie, mais aussi sa prospérité continue. »
« Nouvel épisode de montagnes russes »
On se rappelle les propos menaçants tenus en pleine campagne électorale par Donald Trump envers l'ancienne Formose : « Taïwan. Je connais très bien les Taïwanais, je les respecte beaucoup. Ils ont pris environ 100 % de notre industrie des puces. Je pense que Taïwan devrait nous payer pour sa défense. Vous savez, nous ne sommes pas différents d'une compagnie d'assurance. Taïwan ne nous donne rien en échange. » Évoquant Taïwan dans une autre déclaration, il avait en octobre déclaré qu'avec lui à la Maison Blanche, il n'aurait pas à faire usage de la force pour empêcher la Chine d'imposer un blocus autour de l'île rebelle, car Xi Jinping sait qu'il est « cinglé » et que dans une telle situation, il imposerait de tels tarifs douaniers que ceux-ci auraient pour effet de paralyser la Chine.
Le 47ème Président des États-Unis avait dans un passé récent exprimé des exigences de contributions financières comparables à l'égard de la Corée du Sud, estimant que ces deux pays, bien que des alliés précieux pour l'Amérique et son influence dans la région, devraient payer plus cher la protection militaire apportée par Washington.
Sa victoire n'est pas non plus pour réjouir les dirigeants de l'OTAN. Ces derniers n'ont pas oublié sa politique étrangère passée lorsqu'il était à la Maison Blanche : à savoir, reléguer au second plan de ses priorités les engagements des États-Unis au sein du Traité de l'Atlantique Nord qui rassemble 32 pays et les obligent à intervenir militairement pour défendre tout État membre qui serait attaqué. Peu de responsables politiques occidentaux envisagent une décision de sa part de retrait des États-Unis de l'Alliance. Mais tous se souviennent des menaces récentes de Donald Trump d'exiger de autres membres de participer davantage au financement du fonctionnement de l'OTAN, les accusant de profiter à bon compte de la protection américaine.
« La réalité est que les dirigeants de l'OTAN sont sérieusement inquiets de ce que va signifier sa victoire pour l'avenir de l'Alliance et de comment sa force de dissuasion sera perçue par les dirigeants qui lui sont hostiles », commentait la BBC au lendemain des résultats du scrutin américain. Le média britannique le rappelle : l'approche de Donald Trump à l'égard la Chine « est le domaine stratégiquement le plus important de sa politique étrangère et qui a les plus grandes implications pour la sécurité mondiale et le commerce ».
Le président-élu a plusieurs fois loué ses relations qu'il dit « étroites » avec Xi Jinping qu'il a qualifié tour à tour de « brillant » ou « dangereux », saluant néanmoins un dirigeant qui parvient à contrôler 1,4 milliard de Chinois d'une « main de fer ». Des qualificatifs qui ont fait dire à ses détracteurs qu'ils y voient là son admiration pour les dictateurs.
Aux yeux de la plupart des analystes, Donald Trump, comme durant son premier mandat, fera des enjeux et des gains commerciaux une priorité de sa politique étrangère avec la Chine. En cela, il restera fidèle à son approche transactionnelle d'homme d'affaires dans sa gestion des relations internationales, les questions d'ordre humanitaire, idéologique ou géopolitique étant à ses yeux de peu d'importance.
Mais c'est sans doute la nature imprévisible de Donald Trump qui inquiète le plus tout autant la Chine que les alliés des États-Unis, y compris en Asie de l'Est. La nature même du fonctionnement du Parti communiste chinois est fondée sur la stabilité, le régime de Pékin ayant horreur de tout imprévu non anticipé.
La victoire de Trump « marque le début d'un nouvel épisode de montagnes russes dans la politique étrangère américaine, souligne le magazine américain Foreign Policy. Le président-élu va probablement revenir aux points saillants de son premier mandat : une guerre commerciale avec la Chine, un profond scepticisme et même de l'hostilité envers le multilatéralisme, un attrait pour les hommes forts et son style iconoclaste de conduire la diplomatie basé sur son approche fondamentale qui est la paix par la force. »
« Être prévisible est quelque chose de terrible »
Pour le Financial Times, le doute n'est pas permis : « Les alliés traditionnels de l'Amérique en Europe et en Asie de l'Est – sans même mentionner ses ennemis – sont tous bien placés pour savoir que Donald Trump veut les laisser dans le brouillard sur ses plans. Pourtant, pour certains dossiers, ses assistants disent que tout est parfaitement clair. Ils insistent [et affirment] qu'il est prêt à agir avec une vitesse vertigineuse pour mettre fin aux guerres en Ukraine et au Moyen-Orient. »
« Mais en même temps, ajoute le quotidien britannique, il a l'intention de brandir la menace de taxes douanières toujours plus élevées pour pousser les alliés de l'Amérique à dépenser plus pour la défense et équilibrer leurs relations commerciales avec les États-Unis tout en maintenant la pression sur la Chine. Il est un sujet à propos duquel la plupart des alliés de l'Amérique n'ont guère de doute : ils vont entretenir une relation turbulente avec le second Trump à la Maison Blanche », en raison surtout du fait de son caractère imprévisible.
Sur ce sujet-là, ses confidents estiment que leur inquiétude est fondée. « Être prévisible est quelque chose de terrible, explique Ric Grenell, l'un des proches du nouveau président qui, selon le Financial Times, pourrait être appelé à jouer un rôle proéminent dans la future administration Trump. Bien sûr, l'autre côté [les ennemis des États-Unis] demandent de la prévisibilité. Trump n'est pas prévisible et nous les Américains nous aimons cela. »
D'après Ric Grenell, un accord global avec la Chine ne conduirait pas nécessairement Trump à devenir plus arrogant. « Ils n'attendent pas patiemment qu'on leur fasse des leçons de morale sur ce qui se passe à des milliers de kilomètres. Ils vont regarder de près l'équilibre des forces en Asie et notre engagement là-bas. Le plus important [pour les Chinois] est plutôt leur intérêt à maintenir une Russie affaiblie par une longue guerre pour qu'elle devienne ainsi plus dépendante de la Chine. » Raison pour laquelle l'Amérique doit utiliser ses forces de dissuasion pour éviter une guerre avec la Chine.
Cité par le Financial Times, Mike Waltz, l'une des voix qui compte dans les rangs conservateurs de la chambre des Représentants du Congrès américain, réaffirme que la Chine constitue « une menace existentielle pour les États-Unis du fait du renforcement de ses capacités militaires. La flotte chinoise est plus grande que la nôtre. Nous devons nous efforcer de consolider notre [niveau de] préparation. » Mais pour aussitôt souligner qu'aux yeux de Donald Trump, la Chine a plus besoin des États-Unis que l'inverse : « Il parle beaucoup plus d'accord commerciaux, de taxes douanières et de monnaies que ce que nous ferons en cas de conflit dans le détroit de Taïwan. Il croit que nous faisons usage de la force économique qui, appuyée par une présence militaire, peut éviter ces guerres. »
Un autre politicien Républicain, le sénateur William Francis Hagerty souligne que Donald Trump demeure résolu à agir en cas de guerre à Taïwan et qu'il continuera une politique de dissuasion forte pour éviter une tentative d'invasion chinoise. « Xi Jinping sait que s'il décide d'une action agressive, Donald Trump infligera des conséquences réelles », affirme-t-il.
Officiellement et pour des raisons purement diplomatiques, les autorités taïwanaises n'ont guère le choix sinon de se montrer positives et de dissimuler leur angoisse à propos d'un possible changement de camp de l'administration américaine à leur égard. « Le partenariat qui existe depuis longtemps entre Taïwan et les États-Unis, bâti sur des valeurs et des intérêts communs, continuera à servir de pierre angulaire à la stabilité régionale », a ainsi prudemment réagi le nouveau président de Taïwan Lai Ching-te dans un tweet mercredi.
Mais pour certains analystes, Donald Trump pourrait bien un jour céder aux pressions de Pékin et juger obsolète la position américaine observée par ses prédécesseurs sur la question de Taïwan en fonction des contreparties que pourrait lui offrir la Chine. « Il pourrait accepter de négocier le retour [de Taïwan] à la Chine si [les Chinois] lui donnent quelque chose qui aurait de l'importance pour lui », estime Stephen Young, un diplomate de carrière américain et ancien directeur de la représentation américaine à Taipei, cité par Politico le 7 novembre. « S'il leur fait une faveur [à propos de Taïwan], il leur demandera quelque chose de plus important en retour, juge Jason Hsu, un ancien élu du Kuomintang, le principal parti d'opposition de Taïwan, lui aussi cité par Politico. Nous avions des lignes directrices pour traiter avec [Kamala] Harris mais nous n'avons rien s'agissant de Trump. »
Certains élus républicains au Congrès américain ont déjà sonné l'alarme. Faillir dans la politique menée par les États-Unis pour dissuader la Chine de se lancer dans une opération militaire « serait une erreur catastrophique que nous ne pouvons pas répéter en ce qui concerne Taïwan », a ainsi déclaré le président de la Commission chargée de la Chine à la Chambre des Représentants, le républicain John Moolenaar.
Mauvais timing pour la Corée du Sud et le Japon
Ces inquiétudes sont aussi de mise en Corée du Sud où, sans le dire ouvertement, le gouvernement craint une réduction sinon même un départ des forces américaines stationnées sur le sol sud-coréen au moment où la Corée du Nord voisine est plus turbulente que jamais. « Il semble que la crainte d'un retrait [américain] s'amplifie », estime Chun In-bum, un ancien commandant des forces spéciales sud-coréennes cité mercredi 7 novembre par le média japonais Nikkei Asia. Un tel retrait, s'il devait se concrétiser, ne manquerait pas d'encourager la Corée du Nord à tenter d'envahir le voisin du Sud, insiste Chin In-bum : « Si les troupes américaines se retirent, nous pourrions assister à un monde complètement nouveau. » Les États-Unis stationnent quelque 28 500 soldats et entretiennent un dispositif militaire très conséquent en Corée du Sud dans le cadre d'un traité d'alliance entre les deux pays qui existe depuis la fin de la guerre de Corée en 1953.
À Séoul, personne n'a oublié les poignées de main amicales échangées entre Donald Trump et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un. Le 1er juillet 2019, il avait même franchi la ligne de démarcation et posé le pied en territoire nord-coréen pour venir à sa rencontre, donnant à son interlocuteur une accolade aussi spectaculaire qu'incongrue tant elle mettait en lumière la méconnaissance du président américain de la situation régionale. Cheong Seong-Chang, directeur du Center for Korean Peninsula Strategy de l'Institut Sejong, avait ouvertement déclaré devant la presse en octobre qu'un retour de Trump à la Maison Blanche associé aux menaces militaires croissantes posées par la Chine et la Corée du Nord, « des armes nucléaires pour la Corée du Sud seraient une nécessité, pas un choix ». Avec sa réélection, la Corée du Sud ne pourrait plus faire confiance aux États-Unis pour assurer sa défense, avait-il ajouté car Donald Trump allait « opter pour mettre sur pied une administration qui donnera la priorité aux intérêts américains plutôt qu'à ceux de ses alliances ».
Au Japon, cela fait des mois que l'administration nippone se prépare à une victoire de Donald Trump. Dans les allées du pouvoir, on utilisait le terme « moshi-tora » (« si Trump devient président ») depuis l'an dernier déjà. Ces dernières semaines, cette expression avait été remplacée par « hobo-tora » (« le probable président Trump »). L'inquiétude est, là aussi, surtout liée au caractère imprévisible du milliardaire new-yorkais et de son habitude d'user de méthodes transactionnelles de type commercial, exigeant des réponses immédiates plutôt que d'agir dans le cadre des liens bilatéraux sur la base des traités existants propres à répondre aux enjeux géostratégiques actuels.
De plus, la victoire de Donald Trump s'inscrit dans une période qui vient de s'ouvrir de grande instabilité politique au Japon, la coalition au pouvoir du nouveau Premier ministre japonais Shigeru Ishiba ayant perdu le mois dernier sa majorité lors des dernières élections législatives. Le risque est donc double : un nouveau président américain donnant la priorité à ses exigences commerciales au détriment du politique, du militaire et des alliances, et un gouvernement japonais contraint de prioriser les questions domestiques pour satisfaire les exigences de l'opinion publique et rétablir le soutien populaire qui lui fait défaut.
« Howdy Modi ? »
Pour l'Inde, un pays traditionnellement jaloux de son indépendance et hostile à toute alliance, la perspective du deuxième mandat de Donald Trump est la fois simple et complexe. Simple car le Premier ministre Narendra Modi avait entretenu des relations ouvertement amicales avec l'ancien magnat de l'immobilier, qu'il a d'ailleurs appelé « mon ami » lorsqu'il lui a envoyé ses félicitations. Récemment, celui qui va retrouver le Bureau ovale avait quant à lui déclaré que le chef du gouvernement indien était « le plus bel être vivant ».
Les deux hommes avaient multiplié les gestes réciproques de bonne volonté pour faire de leurs visites officielles de grands événements : en septembre 2019, Donald Trump avait utilisé l'expression « Howdy Modi ? » (« Comment ça va Modi ? ») à Houston devant son hôte et 50 000 Américains d'origine indienne enthousiastes. Ce qui fut un véritable événement médiatique aux États-Unis fut suivi par le « Namaste Trump » (« Bienvenue Trump ») en février 2020 lors de la visite du président américain dans l'État du Gujarat où celui-ci avait promis de renforcer les relations entre les deux pays.
Ces dernières années, l'Inde comptait sur les États-Unis pour contre-carrer l'influence croissante de la Chine en Asie. Mais lors de leur dernière rencontre le 24 octobre à Kazan en Russie, dans le cadre du sommet des BRICS, Narendra Modi et Xi Jinping ont, à la surprise générale, tous deux annoncé leur volonté de régler le contentieux frontalier en l'Inde et la Chine. Ce geste, en toute logique mûrement préparé de part et d'autre, n'est pas passé inaperçu dans les chancelleries occidentales : il pourrait traduire l'amorce d'un réel réchauffement entre les deux voisins rivaux qui, du même coup, réduirait d'autant l'importance pour New Delhi de cet aspect des relations entre l'Inde et les États-Unis.
« Trump devrait approfondir l'engagement géopolitique avec l'Inde et le Quad tout en intensifiant son opposition à la Chine », juge Ajay Bisaria, un ancien diplomate indien cité par la Deutsche Welle. Un optimisme que ne partage pas Raja Mohan, expert indien des relations internationales pour qui la doctrine de Donald Trump « America First » pourrait entraîner des hausses de droits de douane sur les exportations indiennes dont souffriraient les secteurs des hautes technologies, de la pharmacie et du textile.
« Trump avait un jour qualifié l'Inde de « roi des taxes douanières » et fait connaître son intention de mettre en œuvre un système de réciprocité s'il était réélu, ce qui pourrait compliquer la dynamique entre les deux nations », explique cet expert, aujourd'hui professeur au Institute of South Asian Studies de Singapour. « La deuxième présidence Trump met en lumière un équilibre complexe pour l'Inde marqué par des risques conséquents s'agissant du commerce et de l'immigration », ajoute Raja Mohan.
Certes, la volonté annoncée pendant sa campagne électorale par Donald Trump d'augmenter uniformément de 60 % les droits de douane pour les importations en provenance de Chine, si elles sont décidées, porteraient un nouveau coup très dur à l'économie chinoise déjà en grande difficulté. Elles pourraient même coûter à la Chine entre 1 et 2 % de PIB, selon certains analystes. Mais l'essentiel n'est pas là. Car, de fait, si Donald Trump, aujourd'hui conforté par une large majorité au Congrès, s'engage à nouveau dans une logique purement commerciale au détriment de la géopolitique comme il l'avait déjà fait lors de son premier mandat, le résultat pourrait bien être à nouveau une politique isolationniste avec un recul de l'influence globale des États-Unis dans le monde.
Or ce déclin américain, autrefois le « gendarme du monde », intervient au moment où l'équilibre mondial est fortement menacé, avec d'une part, la défiance toujours grandissante à l'égard des démocraties libérales et de l'autre, la guerre menée par la Russie en Ukraine depuis février 2022 ainsi que celle d'Israël contre le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban. Or cette glissade d'une Amérique en retrait voire en panne, déjà perceptible depuis plus d'une décennie, serait éminemment favorable à la poursuite de l'émergence politico-militaire de la Chine en Asie et sur la scène mondiale.
In fine, elle pourrait bien, à terme, donner raison à Xi Jinping pour qui, comme il l'a souvent répété à son « meilleur ami » Vladimir Poutine : « Le monde subit des changements sans précédent depuis un siècle. » Sous-entendu l'autre slogan auquel il se réfère sans jamais le dire : « L'Orient [la Chine] se lève et l'Occident [l'Amérique] est en déclin. »
Par Pierre-Antoine Donnet
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Le blackout médiatique toujours plus intense d’Israël sur Gaza

La liberté d'informer et d'être informé·es continue d'être bafouée par Israël à Gaza, en Palestine et au sud Liban. Point sur la situation des journalistes à Gaza, à un an et un mois du début de l'offensive génocidaire d'Israël.
Tiré d'Agence médias Palestine.
CHIFFRES CLÉS à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :
– 174 journalistes assassiné·es par Israël
– 360 journalistes blessé·es
– 134 journalistes détenu·es
– 88 locaux de médias détruits
Le 2 novembre 2024, à l'occasion de la journée internationale pour la fin de l'impunité des crimes commis à l'encontre des journalistes, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres déclarait dans un communiqué que les journalistes à Gaza étaient tués « dans une proportion jamais observée dans aucun conflit des temps modernes », ajoutant que l'interdiction actuelle empêchant les journalistes internationaux de se rendre à Gaza « étouffe encore plus la vérité ».
La directrice générale de l'UNESCO, Audrey Azoulay, déclarait pour sa part que 900 journalistes ont été tués dans le monde depuis 2013, soit une moyenne de 82 journalistes par an : cela représente moins de la moitié du nombre de journalistes palestinien·nes tués depuis un an par Israël à Gaza.
Interrogée par l'Agence Média Palestine, la porte parole du Syndicat des journalistes palestinien·nes nous confirme que 174 journalistes ont été assassiné·es par Israël depuis le 7 octobre 2024, et que 134 autres sont actuellement emprisonné·es. Dans cette guerre génocidaire d'Israël à l'encontre des Palestinien·nes, la presse est délibérément étouffée.
Cheikh Niang, président du Comité des Nations unies sur les droits inaliénables du peuple palestinien, confirmait que « l'accès à l'information a été sévèrement entravé. Des journalistes ont été tués, des salles de rédaction détruites, la presse étrangère bloquée et les communications coupées. Les forces israéliennes, en tant que puissance occupante, ont systématiquement démantelé l'infrastructure des médias palestiniens, réduisant les voix au silence par des restrictions, des menaces, des assassinats ciblés et la censure. »
Déferlement de violence dans le siège du nord de Gaza
Depuis le début du mois d'octobre 2024 et le siège brutal imposé au nord de Gaza, la presse est entravée par tous les moyens. Quand les journalistes ne sont pas directement ciblé·es, tué·es, blessé·es ou emprisoné·es, elles et ils sont empêché·es de faire leur métier en raison des interdictions de circulation, des coupures des réseaux de communication, d'électricité, des pénuries de carburant qui les empêchent de se déplacer.
La plupart des journalistes ont quitté le nord et sont contraint·es de couvrir l'actualité depuis la ville de Gaza, au sud de la ligne de démarcation tracée par Israël. Comme l'expliquait Imen Habib, coordinatrice de l'Agence Média Palestine dans une interview avec le média en ligne Regards, l'horreur de la situation à Gaza est sous-documentée du fait des attaques répétées et délibérées d'Israël à l'encontre des médias.
“J'ai peur dès que je commence à filmer”, à confié sous anonymat un journaliste piégé au nord de la bande de Gaza, interrogé par Reporter Sans Frontières (RSF).
Dans la bande de Gaza, la présence de journalistes étrangers est interdite par Israël, sauf si ces derniers sont « embarqués » aux côtés de l'armée israélienne. Armée qui contrôle par la suite chaque image et chaque son et qui donne, ou pas, l'autorisation de diffusion. Ainsi depuis plus d'un an, seuls les journalistes palestinien·nes qui étaient présent·es lors du déclenchement du génocide, et qui sont bloqué·es sur le territoire, peuvent documenter ce qu'il s'y passe. Elles et ils sont présent·es sur la quasi-totalité de l'enclave pour témoigner du drame qui s'y déroule et qui a fait plus de 43 000 mort·es et plus de 100 000 blessé·es depuis le 7 octobre 2023.
Pour Israël, un accès aux journalistes internationaux sur le territoire « met en péril les forces en action sur le terrain et la sécurité des soldats », en dévoilant par exemple leur localisation. C'est donc un black-out médiatique international.
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Gaza, jour 399 : « Ils veulent détruire le nord »

Israël poursuit sa guerre génocidaire à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Point sur la situation cette semaine à Gaza, alors que l'armée israélienne a déclaré qu'elle ne permettrait pas aux Palestinien·nes déplacé·es du nord de Gaza de retourner chez elles et eux.
Tiré d'Agence médias Palestine.
CHIFFRES CLÉS à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :
43 204 morts
101 641 blessés
1,9 millions déplacés
La violente offensive israélienne sur le nord de Gaza, qui dure depuis plus d'un mois, se poursuit, malgré de nombreux appels de la communauté internationale qui ont qualifié la situation d'« apocalyptique ». Outre ce siège brutal, l'armée israélienne poursuit sa guerre génocidaire sur l'ensemble de la bande de Gaza. Al Jazeera rapporte que depuis ce matin, Israël a tué plus de 17 Palestinien·nes, dont 13 dans le nord de Gaza, 4 à Gaza et 2 dans le camp de réfugié·es de Nuseirat.
Le siège du nord de Gaza
Le 4 novembre, les Nations unies et leurs partenaires estimaient qu'environ 100 000 personnes avaient été déplacées en quatre semaines depuis le nord vers la ville de Gaza, et qu'il restait entre 75 000 et 95 000 personnes dans la zone assiégée. La défense civile palestinienne (PCD) estime qu'au moins 1 300 Palestinien·nes ont été assassiné·e au cours de cette offensive.
En outre, l'OCHA rapporte que de nombreux·ses civil·es ont été tué·es alors qu'ile et elles tentaient d'évacuer le nord d'An Nuseirat, à Deir al Balah, vers le sud, dans un contexte d'intensification des hostilités, y compris des frappes aériennes et des bombardements.
Décrivant la situation au nord de Gaza comme « apocalyptique », les directeurs de 15 organisations et consortiums humanitaires et des Nations Unies ont renouvelé leur appel à toutes les parties qui se battent à Gaza pour protéger les civils, ont demandé à l'État d'Israël de « cesser son assaut sur Gaza et sur les humanitaires qui tentent de l'aider ». Constatant que l'aide de base et les fournitures vitales ont été refusées alors que les bombardements et autres attaques se poursuivent, les chefs d'État et de gouvernement ont souligné que « le mépris flagrant de l'humanité fondamentale et des lois de la guerre doit cesser », que les attaques contre les civils et les infrastructures civiles restantes doivent cesser, que l'aide humanitaire doit être facilitée et que les biens commerciaux doivent être autorisés à entrer dans la bande de Gaza.
Les réfugié·es du nord affluent dans la ville de Gaza
Les civil·es qui se résignent à quitter le nord de Gaza arrivent dans la ville de Gaza et s'installent dans des camps de réfugiés nouvellement créés. Ces camps débordent cependant déjà, et il n'y a plus de tentes pour les nouveaux·lles arrivant·es.

« Plus de 350 familles sont arrivées du nord et il n'y a pas assez de tentes pour les accueillir. » explique Muhammad Saada, directeur adjoint du centre de déplacement. Le camp a été établi par plusieurs initiatives caritatives mais n'est pas suffisamment approvisionné, et devient rapidement invivable alors que des familles cherchant un abri continuent d'affluer.
Les réfugié·es du nord de Gaza décrivent les scènes d'horreur qu'ils et elles ont vécu, et de nombreux témoignages dénoncent des traitements inhumains de la part de l'armée israélienne sur les routes pourtant désignées par celle-ci comme « sûres » pour évacuer.
« Une femme atteinte d'un cancer se tenait sur le bord de la route, accompagnée de quatre enfants », raconte Jinan Suleiman, 18 an, qui vient d'arriver dans la ville de Gaza. « Elle en portait deux dans ses bras, et les deux autres étaient à terre, pleurant et criant de faim. Elle demandait de l'aide à tous ceux qui passaient près d'elle. Elle criait et disait : ‘J'ai un cancer, je ne peux pas porter mes enfants et mes sacs'. Elle voulait que quelqu'un·e prenne ses enfants, qui étaient couché·es sur le sol, mais moi, comme tous les autres, je suis passée à côté d'elle et je n'ai pas pu l'aider. (…) Les soldats nous guettaient, elles et ils tiraient sous nos pieds et nous empêchaient d'aider les autres ou de nous arrêter pour quelque raison que ce soit. »
« Sur le chemin, les blessé·es marchaient ensemble et saignaient ; ils tombaient au milieu de la route et personne ne les aidait », raconte une autre réfugiée. « Il y avait des enfants qui avaient perdu leur famille et d'autres qui s'étaient débarrassés de leur sac pour pouvoir continuer à marcher et survivre. L'armée nous a délibérément fait marcher sur une route accidentée afin de nous épuiser et de nous tuer en chemin ».
Les craintes de saisies de terres se concrétisent
Mardi 5 novembre, un porte-parole de l'armée israélienne, Yitzhak Cohen, a déclaré lors d'un point de presse que l'armée était sur le point de procéder à l'« évacuation » complète de la population du nord de Gaza, et a affirmé que les résidents palestiniens du nord ne seront pas autorisés à retourner chez eux. Cette déclaration marque la première admission officielle par Israël de son intention d'expulser définitivement les Palestiniens du nord de la bande de Gaza.
La semaine dernière, l'armée israélienne avait pourtant déclaré qu'elle avait mis fin à la plupart de ses « opérations » dans le nord de Gaza et qu'elle mettrait bientôt fin à son offensive dans cette région. La dernière annonce de Yitzhak Cohen vient donc renforcer les craintes qu'Israël ambitionne de se saisir des terres du nord de Gaza en appliquant le « Plan des Généraux », une proposition d'un groupe de généraux israéliens de haut rang qui vise à vider Gaza de sa population par une campagne systématique de famine, de massacres et de déplacements forcés.
« Ils veulent détruire le nord », explique Umm Omar Salman, une enseignante qui a fui sa maison pour se réfugier à Gaza. « Surtout la zone frontalière, Beit Lahia. C'est de là que nous venons. Nous avons tenu bon jusqu'au dernier moment, lorsque nous avons découvert des dizaines de chars entourant les abris de l'école. Les soldats nous ont fait sortir de force. »
Gaza invivable
Dans un rapport, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) alerte des dangers que constitue l'environnement même de Gaza suite aux bombardements continus d'Israël depuis plus d'un an. La dernière analyse du Centre satellitaire de l'ONU (UNOSAT), réalisée au début du mois de septembre, a montré que plus de 65 % de toutes les structures de Gaza avaient été soit endommagées, soit détruites.
Des milliers de civil·es continuent d'être contraint·es de se déplacer à plusieurs reprises, de survivre au milieu des décombres et de s'abriter dans des endroits peu sûrs, y compris dans des bâtiments endommagés ou détruits. Outre les risques liés aux bombardements israéliens incessants, à la famine et aux épidémies, les Palestinien·nes évoluent dans des zones dangereuses et instables, où de nombreux restes explosifs sont enfouis dans les sols et les décombres.
Le service d'action contre les mines de l'ONU (UNMAS) rappelle que la contamination par les restes explosifs de guerre est susceptible de se produire à la fois en surface et sous la surface, impliquant non seulement des munitions de service terrestres (projectiles, mortiers, roquettes, missiles, grenades et mines terrestres), mais aussi des bombes profondément enfouies. L'UNMAS alerte aussi que les difficulté d'accès ne permettent pas à leurs équipes d'évaluer pleinement l'étendue des risques et de les prévenir.
Le PNUD alerte aussi que l'amiante hautement cancérigène libérée dans l'air en raison de la destruction généralisée des infrastructures, ainsi que d'autres contaminants, continueront d'affecter les communautés de Gaza pendant longtemps.
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Palestine. Des multinationales contre le droit international

En ignorant les cadres juridiques contraignants, les entreprises impliquées à Gaza et dans les colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont pas seulement complices de violations des droits humains. Elles soutiennent activement les mécanismes qui rendent ces exactions possibles.
Tiré d'Orient XXI.
Dans les collines bibliques du sud-ouest de Naplouse, par-delà les monts qui ondulent au travers de la Cisjordanie occupée par Israël, des hôtes Airbnb proposent d'apaisants séjours à leurs visiteurs. La ferme écologique de Dalit Ohana, située à Yakir, dispose d'un atelier de céramique situé à quelques pas d'une piscine chauffée. Mais sous le vernis tranquille, cette colonie de 2 600 personnes cache une réalité plus sombre faite de violations du droit international et des droits humains.
Selon la Cour internationale de justice (CIJ), des multinationales comme Airbnb, Caterpillar, et des institutions financières européennes telles que BNP Paribas et HSBC sont activement complices dans le soutien apporté par Israël à l'implantation illégale de colonies dans les territoires palestiniens occupés (TPO). Des entreprises comme Volvo et Hyundai jouent aussi un rôle non négligeable dans la perpétuation de ces violations en fournissant les engins utilisés pour déplacer des communautés et des familles entières. En plus de bafouer le droit international et de contribuer directement à la violation systémique des droits des Palestiniens, ces entreprises ne respectent pas non plus la législation sur les droits sociaux, économiques et du travail (voir encadré).
Airbnb, la petite maison dans la colonie
Retour à Yakir. C'est dans cette colonie située à une heure de route de Tel-Aviv que Dalit Ohana, hôtesse Airbnb, propose sa maison par l'intermédiaire de la plateforme de l'entreprise. Son annonce invite à profiter d'une escapade tranquille, d'une « unité écologique verte » au milieu de la nature et d'un « chariot à café ». Le rôle d'intermédiaire joué par Airbnb dans cette colonie vieille de 43 ans peut sembler anodin à première vue. Mais en proposant des maisons dans des colonies israéliennes illégales, l'entreprise états-unienne contribue à normaliser une occupation condamnée par la communauté internationale depuis des décennies. Car Yakir a été établie sur des terres confisquées au village palestinien voisin de Deir Istiya.
Selon l'Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ), 659 dunams (environ 65 hectares) des terres de Deir Istiya ont été confisqués pour construire la colonie. Au fil des ans, Yakir s'est agrandie pour faire face à une population croissante. Son développement a nécessité la confiscation de nouvelles terres. Le 5 juin 2024, les colons de Yakir ont détruit au bulldozer des terres palestiniennes près de la ville de Salfit pour créer une zone tampon complètement fermée, ce que confirme le militant palestinien anti-colonisation Nazmi Al-Salman, le but étant d'isoler davantage les communautés palestiniennes de leurs terres agricoles.
L'expansion de la colonie fait en effet partie de la politique d'Israël d'occupation en Cisjordanie occupée. En mars 2024, Israël a procédé à la plus importante saisie de terres depuis les accords d'Oslo de 1993, soit 800 hectares de terres près de la frontière entre la Cisjordanie et la Jordanie, qui font partie des 1 500 hectares de terres saisies depuis le début de l'année, un record pour les 30 dernières années.
Cette réalité brutale contraste fortement avec le ton apaisé des annonces d'Airbnb à Yakir. Des offres similaires sont publiées pour des habitations situées dans d'autres colonies illégales, comme Givat Harel (« dans une belle région entre vignes et champs, notre maison est située dans un endroit calme avec une vue à couper le souffle »), Giv'at Janoah (« depuis la fenêtre de la maison [profitez] d'un contact direct avec la nature »), Ariel (« un appartement moderne et spacieux »), Shilo (« un jacuzzi écologique et une douche bienfaisante ») et Kdumim (« l'île de la tranquillité », appartement de vacances) pour n'en citer que quelques-unes. En 2018, sous la pression des groupes de défense des droits humains, Airbnb s'est engagé à supprimer les annonces dans ces colonies, avant de revenir sur sa décision en 2019.
Lors de nos échanges en ligne avec Dalit, l'hôtesse de la colonie de Yakir a défendu avec ferveur le droit d'Israël à cette terre, formulée dans une rhétorique religieuse et messianique. Elle a rejeté les accusations concernant les violences commises à l'encontre des civils palestiniens, et présenté l'occupation comme un droit divin, argument idéologique qui revient souvent pour justifier ces colonies illégales. « Vous faites partie de mon peuple, nous sommes ensemble avec Israël, et je prie chaque jour pour que le Messie vienne et que nous recevions tous la grande lumière de Dieu ! », a-t-elle écrit.
Contacté sur la signification de tels messages, Airbnb a répondu de la manière suivante :
- Le respect des politiques et des normes qui protègent notre communauté est très important pour nous. Nous avons examiné attentivement votre cas, et nous vous remercions de nous avoir informés des actions de l'hôte. Notre examen est maintenant terminé et nous ne sommes pas en mesure de vous offrir une aide supplémentaire pour le moment. Nous comprenons que ce n'est peut-être pas ce que vous espériez.
Cet échange atteste de l'incapacité d'Airbnb de répondre à de tels griefs. Booking.com (1), un autre site de réservation d'hébergement dans l'industrie du tourisme, fait lui aussi l'objet d'une campagne judiciaire actuellement pour son rôle dans la normalisation des colonies illégales. En mai 2024, des groupes de défense des droits humains aux Pays-Bas ont engagé une procédure pénale contre la plateforme (2). Ils accusent la société néerlandaise de blanchiment d'argent provenant de ses activités commerciales en Cisjordanie. La plainte a été déposée par le Centre européen d'aide juridique (ELSC), aux côtés d'une coalition menée par l'ONG palestinienne Al Haq et les deux organisations néerlandaises Centre for Research on Multinational Corporations (Somo) et The Rights Forum. Tous allèguent que Booking.com a blanchi de l'argent lié aux crimes de guerre, et tiré profit de ses violations des droits humains. Le site a nié leurs allégations, déclarant qu'aucune loi n'interdisait d'intervenir dans les colonies israéliennes, et que plusieurs lois prohibaient même le désinvestissement dans la région.
Les banques, moteur économique des colonies de peuplement
Le commerce des armes entre Israël et l'Europe est peut-être la forme la plus visible de l'implication des multinationales dans l'occupation. Des entreprises comme Elbit Systems, Israel Aerospace Industries et Rafael Advanced Defense Systems fournissent les armes et les technologies qui permettent à Israël d'exercer son contrôle militaire sur les TPO.
Mais ces entreprises d'armement n'opèrent pas de manière isolée. Les institutions financières européennes sont largement impliquées dans le financement et la facilitation du commerce des armes, fournissant les capitaux nécessaires à Israël pour maintenir sa domination militaire. Un rapport publié en 2024 par Pax for Peace (3) révèle que les banques européennes, les fonds de pension et d'autres institutions financières continuent d'investir massivement dans l'industrie israélienne de l'armement. À eux seuls, les 20 principaux créanciers européens ont accordé plus de 36,1 milliards d'euros de prêts et de garanties à ces entreprises. Le soutien financier de banques européennes telles que BNP Paribas, HSBC et la Société Générale est devenu crucial pour que l'armée israélienne reste approvisionnée et opérationnelle. Leur soutien facilite également la protection militaire qu'Israël offre à son entreprise de colonisation. À ce jour, ils ont aidé 700 000 colons à vivre dans les 279 colonies établies en Cisjordanie et à Jérusalem.
Sans le soutien financier des banques européennes, les colonies israéliennes ne pourraient pas survivre. Un rapport publié en décembre 2023 par la coalition Don't Buy Into Occupation (DBIO) révèle que plus de 700 institutions financières européennes ont investi dans des entreprises impliquées dans des activités illégales de colonisation. Ces banques détiennent des actions et des obligations d'une valeur de 115 milliards de dollars (106 milliards d'euros) dans 50 entreprises qui sont directement complices de la construction, de la surveillance et de la viabilité économique de ces colonies. Les institutions et les entreprises financières européennes sont donc des acteurs clés dans les secteurs de la construction, de l'agriculture et de la technologie qui soutiennent les colonies. Des chiffres récents révèlent que plus de 171 milliards de dollars (158 milliards d'euros) de prêts et de garanties ont été accordés par des institutions financières européennes à des entreprises impliquées dans des activités illégales de colonisation. Sans ce soutien financier, l'infrastructure et la viabilité économique des colonies israéliennes seraient durement affaiblies, depuis les projets de logement jusqu'aux opérations de surveillance qui contrôlent les déplacements des Palestiniens.
Au-delà des violations évidentes du droit humanitaire commises par les entreprises mentionnées ci-dessus, ces sociétés violent également les droits sociaux et du travail protégés par l'Organisation internationale du travail (OIT). Les travailleurs palestiniens des colonies sont confrontés à des conditions difficiles, à des disparités salariales et à des restrictions en matière de syndicalisation, ce qui constitue une violation des conventions de l'OIT sur les pratiques de travail équitables. Les entreprises européennes qui soutiennent ces colonies pourraient subir de nouvelles pressions, car l'OIT a déposé une plainte le 27 septembre 2024 contre les autorités israéliennes pour « violations flagrantes de la convention de l'OIT sur la protection des salaires ». Les abus documentés (4) vont des salaires impayés aux prestations refusées à plus de 200 000 travailleurs palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.
Les entreprises ignorent également le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) qui garantit le droit à un niveau de vie suffisant, y compris le logement et le droit au travail. Elles méconnaissent les lignes directrices de l'OCDE sur les principes de conduite responsable, y compris la gestion responsable de la chaîne d'approvisionnement. Enfin, elles bafouent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui garantit le droit à la liberté de circulation, assure le droit à la liberté et protège les individus contre les intrusions arbitraires dans leur foyer.
Les limites de l'impunité
Toutefois, alors que de nombreuses entreprises européennes restent profondément investies dans l'occupation israélienne, des signes de changement se font jour. En juin 2024, le fonds de pension norvégien KLP a désinvesti 728 millions de couronnes norvégiennes (64 millions d'euros) de Caterpillar. Dans un communiqué, il pointe du doigt l'implication de l'entreprise dans « la démolition des maisons et des infrastructures palestiniennes » en Cisjordanie et à Gaza.
Cette décision crée un précédent important que d'autres institutions financières pourront suivre. Elle démontre que le désinvestissement peut être un outil puissant pour responsabiliser les entreprises. Parallèlement, une initiative du groupe Starbucks Workers United, exprimant sa solidarité avec les Palestiniens, a conduit à un boycott généralisé de l'entreprise et a fait perdre à Starbucks près de 11 milliards de dollars d'actions (10 milliards d'euros) (5). De manière plus anecdotique, l'entreprise Puma a annoncé mettre un terme à son parrainage de la Fédération israélienne de football en 2024, après plusieurs appels au boycott des consommateurs concernant les colonies illégales de Cisjordanie (6).
Face à l'escalade meurtrière de la violence israélienne dans la bande de Gaza et au Liban, la recrudescence des morts, des agressions et des violations des droits humains en Cisjordanie suscite un intérêt médiatique moindre. Toutefois, le mouvement croissant dans l'Ouest global en faveur du respect du principe de responsabilité, des boycotts de consommateurs et des campagnes de désinvestissement, offre une voie à suivre.
Le récent arrêt de la CIJ sur l'illégalité de l'occupation par Israël des TPO fournit un cadre juridique clair pour faire respecter l'obligation de rendre des comptes. Les pays et les entreprises qui continuent d'investir dans la colonisation ne se contentent pas d'ignorer les résolutions de l'ONU : ils violent aussi la quatrième convention de Genève relative à la protection des droits des civils dans les zones de conflit et les territoires occupés.
Si les multinationales et les institutions financières continuent de tirer profit de l'occupation, elles doivent se préparer à faire face à des poursuites judiciaires, à la réaction des consommateurs et à de nouvelles campagnes de désinvestissement. Il est temps que l'Europe assume la responsabilité de son rôle dans le maintien de l'occupation israélienne, et que les entreprises soient tenues responsables de leur complicité dans ces violations.
Notes
1- Tjitske Lingsma, « Booking.com profite-t-il des crimes de guerre commis en Palestine ? », JusticeInfo.net, 23 mai 2024.
2- Kit Klarenberg, « How western tourism giants illegally enrich Israeli settlements on stolen land », The Cradle, 12 juin 2024.
3- « The companies arming Israel and their financiers », Pax for Peace, juin 2024.
4- « Rapport à la 112e session : La situation des travailleurs des territoires arabes occupés », Organisation internationale du travail (OIT), 21 mai 2024.
5- « USA : Starbucks loses $11 billion in market value amid ongoing boycott calls after lawsuit against union over tweet expressing solidarity with Palestine », Business and human rights resource centre, 7 décembre 2023.
6- « Palestine/Israel : PUMA announces end of sponsorship of Israel Football Association after years of boycott pressure over complicity in illegal settlements in Palestine », Business and human rights resource centre, 12 décembre 2023.
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Lettre du Commissaire général de l’UNRWA Philippe Lazzarini au Président de l’Assemblée générale des Nations Unies M. Philémon Yang

Je pense que l'UNRWA s'est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l'on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants de Gaza disent que l'UNRWA est le seul pilier de leur vie encore debout. L'UNRWA a contribué à assurer la survie de Gaza jusqu'à présent, entretenant l'espoir d'une solution politique. Mon personnel a donné bien plus que ce que nous sommes en droit de lui demander.
Tiré de France Palestine Solidarité.
Son Excellence
Monsieur Philémon Yang
Président de l'Assemblée généraleNew York, le 29 octobre 2024
Monsieur le Président
Le 7 décembre 2023 et le 22 février 2024, j'ai écrit au Président de l'Assemblée générale que la capacité de l'UNRWA à mettre en œuvre son mandat était menacée. Aujourd'hui, je dois vous informer que l'Agence fait l'objet d'une telle attaque physique, politique et opérationnelle - sans précédent dans l'histoire des Nations Unies - que la mise en œuvre de son mandat pourrait devenir impossible sans une intervention décisive de l'Assemblée générale. Les conséquences pour les Palestiniens, pour Israël et pour la région seront graves.
L'adoption aujourd'hui par la Knesset de deux lois sur l'UNRWA prive en effet l'UNRWA des protections et des moyens essentiels à son fonctionnement, en interdisant aux fonctionnaires de l'État israélien tout contact avec l'UNRWA ou ses représentants, et en interdisant les opérations de l'UNRWA sur ce qui est appelé le territoire souverain de l'État d'Israël.
Cette législation intervient après une année de mépris flagrant pour la vie du personnel de l'UNRWA, ses locaux et ses opérations humanitaires à Gaza, et après d'intenses campagnes diplomatiques du gouvernement israélien visant les donateurs de l'UNRWA par la désinformation afin de saper son financement. Les autorités locales israéliennes menacent également d'expulser l'UNRWA de son siège à Jérusalem-Est occupée et de le remplacer par des colonies.
Cette évolution risque d'entraîner l'effondrement des opérations de l'UNRWA en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et à Gaza, et de compromettre gravement l'ensemble de l'opération humanitaire des Nations unies à Gaza, qui repose sur la plate-forme de l'UNRWA. En l'absence de toute alternative viable à l'Agence, ces mesures aggraveront les souffrances des Palestiniens.
Monsieur le Président,
La situation à Gaza dépasse le vocabulaire diplomatique de l'Assemblée générale. Après plus d'un an du bombardement le plus intense d'une population civile depuis la Seconde Guerre mondiale, et la restriction de l'aide humanitaire bien en deçà des besoins minimaux, la vie des Palestiniens est brisée. Plus de 43 000 personnes auraient été tuées, en majorité des femmes et des enfants. La quasi-totalité de la population est déplacée. Les écoles, les universités, les hôpitaux, les lieux de culte, les boulangeries, les réseaux d'eau, d'égouts et d'électricité, les routes et les terres agricoles ont tous été détruits. La population survivante vit dans la plus grande indignité. Dans le nord, la population est prise au piège, attendant d'être tuée par des frappes aériennes ou de mourir de faim.
Les otages pris en Israël continuent de souffrir en captivité, leurs familles étant laissées dans une terrible détresse. La violence s'intensifie en Cisjordanie, où la destruction des infrastructures publiques inflige une punition collective à la population civile. La guerre a débordé et s'est intensifiée au Liban.
Le démantèlement de l'UNRWA aura un impact catastrophique sur la réponse internationale à la crise humanitaire à Gaza. Il sabotera également toute chance de redressement. En l'absence d'une administration publique ou d'un État à part entière, aucune entité autre que l'UNRWA ne peut assurer l'éducation de 660 000 garçons et filles. Une génération entière d'enfants sera sacrifiée, avec des risques à long terme de marginalisation et d'extrémisme. En Cisjordanie, l'effondrement de l'UNRWA priverait les réfugiés palestiniens d'accès à l'éducation et aux soins de santé primaires, ce qui aggraverait considérablement une situation déjà instable.
Les ramifications politiques de l'effondrement de l'UNRWA sont désastreuses et ont des conséquences désastreuses pour la paix et la sécurité internationales. Les attaques menées contre l'Agence entraînent des modifications unilatérales des paramètres de toute solution politique future au conflit israélo-palestinien et portent atteinte au droit des Palestiniens à l'autodétermination et à leurs aspirations à une solution politique.
Ces attaques ne mettront pas fin au statut de réfugié des Palestiniens, qui existe indépendamment des services fournis par l'UNRWA, mais nuiront gravement à leur vie et à leur avenir.
Monsieur le Président,
Des allégations concernant des violations de la neutralité, telles que l'utilisation abusive de l'V par des groupes militants palestiniens, y compris le Hamas, ont été utilisées pour justifier les mesures prises à l'encontre de l'UNRWA. Le rapport indépendant d'avril 2024 sur la neutralité de l'UNRWA (le rapport Colonna) a noté l'environnement opérationnel exceptionnellement difficile de l'Office et a constaté que l'UNRWA dispose d'un cadre de neutralité plus solide que n'importe quelle organisation comparable. L'Agence continue de déployer tous les efforts possibles pour mettre en œuvre les recommandations du rapport, notamment par l'intermédiaire d'une équipe de mise en œuvre spécialisée.
Malgré ces efforts, l'UNRWA - comme les entités comparables des Nations unies - ne dispose pas de capacités policières, militaires ou de renseignement et doit compter sur les États membres pour assurer sa protection et sa neutralité, en particulier dans les zones contrôlées par des groupes militants puissants. À cette fin, depuis plus de 15 ans, l'UNRWA partage chaque année les noms de son personnel avec le gouvernement israélien. Cela inclut les noms des membres du personnel au sujet desquels le gouvernement n'avait jamais exprimé d'inquiétudes auparavant, mais qui ont été inclus dans les listes gouvernementales alléguant un militantisme armé. L'Agence prend chaque allégation très au sérieux. Elle a envoyé des demandes répétées au gouvernement - en mars, avril, mai et juillet - pour obtenir des preuves lui permettant d'agir. Aucune réponse n'a été reçue. L'UNRWA se trouve donc dans la position délicate d'être incapable de répondre à des allégations pour lesquelles il n'a pas de preuves, alors que ces allégations continuent d'être utilisées pour miner l'Agence.
À l'avenir, j'espère que le gouvernement israélien s'engagera auprès de la direction de l'UNRWA pour répondre à chaque allégation, afin qu'elle ne soit plus une préoccupation pour le gouvernement ou un obstacle pour l'UNRWA.
L'Agence fait également l'objet d'attaques physiques intenses à Gaza. Au moins 237 membres du personnel de l'UNRWA ont été tués. Plus de 200 locaux ont été endommagés ou détruits, tuant plus de 560 personnes cherchant la protection de l'ONU. Des dizaines de membres du personnel de l'UNRWA ont été arrêtés et disent avoir été torturés. L'Office a reçu des allégations concernant l'utilisation militaire de ses locaux par des groupes armés palestiniens, dont le Hamas, et par les forces israéliennes. Étant donné que toute la bande de Gaza est une zone de combat active, la plupart du temps soumise à des ordres d'évacuation, l'Office n'est pas en mesure de vérifier ces allégations. L'Agence doit rendre des comptes par le biais d'une enquête indépendante.
Monsieur le Président,
Aujourd'hui, alors même que nous regardons les visages des enfants de Gaza, dont nous savons que certains mourront demain, l'ordre international fondé sur des règles s'effondre dans une répétition des horreurs qui ont conduit à la création des Nations unies, et en violation des engagements pris pour éviter qu'elles ne se reproduisent. Les attaques contre l'UNRWA font partie intégrante de cette désintégration.
Je pense que l'UNRWA s'est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l'on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants de Gaza disent que l'UNRWA est le seul pilier de leur vie encore debout. Mon personnel a travaillé pendant 13 mois sans relâche, en grand danger, au milieu de tragédies personnelles et de déplacements de familles. Les enseignants gèrent des abris pour des dizaines de milliers de personnes. Le personnel des soins de santé primaires effectue des opérations chirurgicales. Des chauffeurs risquent leur vie chaque jour pour sauver des gens de la famine. Les cadres prennent des décisions de vie ou de mort impossibles à prendre. L'UNRWA a contribué à assurer la survie de Gaza jusqu'à présent, entretenant l'espoir d'une solution politique. Mon personnel a donné bien plus que ce que nous sommes en droit de lui demander.
Dans ces conditions intenables, je sollicite le soutien des États membres, à la mesure de la gravité de la situation et des risques, afin de garantir la capacité de l'Agence à remplir pleinement le mandat qui lui a été confié par l'Assemblée générale (Rés. 302 (IV), 1949).Dans l'attente de votre décision urgente, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.
Sincèrement,
Philippe Lazzarini
Traduction : AFPS
Photo : L'UNRWA fournit une réponse humanitaire à 2,2 millions de personnes © UNRWA
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« Sans l’UNRWA et le droit au retour, il n’y a plus de Palestine »

Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de la ville de Gaza avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, deux ans et demi, sous la pression de l'armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et les siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Il a reçu, pour ce journal de bord, deux récompenses au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre, dans la catégorie presse écrite et prix Ouest-France. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.
Tiré d'Orient XXI.
La Knesset a adopté une loi qui interdit à L'UNRWA de travailler à Gaza en particulier, et en Palestine en général. Je peux dire que ce vote marque le passage du génocide humanitaire au génocide politique. L'objectif est d'en finir avec le Palestinien en tant qu'être humain.
Les Israéliens massacrent les Palestiniens dans le but de tous les transformer en réfugiés. La deuxième Nakba est en cours. Aujourd'hui, ils veulent nous effacer sur le plan politique et juridique. L'UNRWA, c'est le droit au retour, c'est la reconnaissance par les Nations unies de l'injustice subie par les Palestiniens en 1948, quand ils ont été massacrés et expulsés de leurs villes natales — à Haïfa, à Jaffa, dans le nord de la Palestine — vers le Liban, la Jordanie, la Syrie, la Cisjordanie et vers Gaza aussi.
L'UNRWA est la seule agence de l'ONU créée spécialement pour les Palestiniens, et pour eux seuls. Les Israéliens sont en train de faire la guerre à cette institution parce qu'ils savent très bien ce qu'elle signifie politiquement. C'est le volet politique du génocide. Ils veulent effacer toute trace du crime et de l'injustice, minimiser la question palestinienne pour en faire un problème uniquement humanitaire. Ils parlent de remplacer l'UNRWA par un autre organisme, qui serait plus complaisant.
L'UNRWA incarne la reconnaissance politique du droit au retour. Avant la guerre, elle assistait à Gaza 1,7 million de personnes, les réfugiés et leurs descendants, qui constituent 75 % de la population de Gaza. Aujourd'hui, elle porte secours à la totalité des Gazaouis. Nous sommes tous des réfugiés. L'UNRWA, c'est l'éducation, les écoles, des services de santé, des cliniques, des services d'embauche. Elle emploie environ 13 000 personnes à Gaza. L'UNRWA c'est l'eau, c'est la nourriture, les infrastructures, la propreté, le nettoyage, c'est tout. C'est la vie pour les Palestiniens, et surtout ceux qui ont un statut de réfugié.
Ils font la guerre au droit depuis longtemps
Les Israéliens ne commettent pas seulement des massacres, ils détruisent aussi l'histoire des Palestiniens de Gaza. Ils ont bombardé et rasé à l'explosif les musées, les sites archéologiques, les universités. Même l'ancien hammam, vieux de plus de mille ans. Ils ne veulent plus aucune trace historique du lien entre cette terre et les Palestiniens. Maintenant, ils veulent effacer leur existence politique. L'UNRWA, c'est le symbole de la présence politique des Palestiniens, et l'affirmation que l'occupant est en train de tout voler, non seulement la terre, mais notre patrimoine, notre histoire, notre culture, et jusqu'à notre art de la broderie et notre gastronomie, en présentant les falafels ou le houmous comme des « plats israéliens ».
Nétanyahou et son gouvernement d'extrême droite savent très bien ce que le droit veut dire, et ils lui font la guerre depuis longtemps. Plusieurs fois, ils ont essayé de mettre fin à l'UNRWA, en vain jusque-là. Cette fois, ils ont voté une loi, à la quasi-unanimité.
Mais pas seulement. Ils sont en train de préparer une autre loi pour interdire les représentations diplomatiques installées à Jérusalem. On sait bien que ces délégations, officiellement nommées « consulats » font depuis 1948 fonction d'ambassades auprès des Palestiniens, même pour les pays qui ne reconnaissent pas officiellement l'État de Palestine. Si je veux obtenir un visa pour la France, je dois passer par le consulat de Jérusalem, pas par l'ambassade de Tel-Aviv. Les ambassades en Israël se trouvent toutes à Tel-Aviv, car Jérusalem n'est pas reconnue par la communauté internationale comme capitale de l'État d'Israël. À l'exception notable des États-Unis, Trump ayant déplacé son ambassade à Jérusalem.
Mais les Israéliens ont commencé un travail de sape contre ces délégations, et contre les liens diplomatiques avec la Palestine en général. Le consulat espagnol s'est vu interdire tout service aux Palestiniens depuis la reconnaissance de l'État palestinien par Madrid. La Norvège ayant fait de même, et n'ayant pas de consulat à Jérusalem, Israël a retiré leur statut diplomatique aux huit diplomates de son ambassade de Tel-Aviv chargés des relations avec les Palestiniens. Et désormais, il ne sera plus possible de créer un nouveau consulat à Jérusalem, loi adoptée le 30 octobre 2024 par la Knesset.
Ce sentiment de ne pas être humain
Toujours l'arme de la punition collective. On punit l'UNRWA parce qu'on prétend que 12 de ses employés ont participé au 7 octobre, accusations par ailleurs non prouvées par Israël. Douze personnes sur treize mille employés. On est en train de chercher n'importe quel prétexte pour éliminer jusqu'au mot « droit ». Pour mettre en œuvre le génocide politique des Palestiniens. Le génocide humanitaire est toujours en cours. Tout le monde le voit, tout le monde voit ces massacres, ces « israéleries », ces boucheries. Et personne ne réagit. On n'ose même pas utiliser le mot « génocide ». Alors qu'en ex-Yougoslavie et en Birmanie, l'ONU a reconnu des génocides. Mais en Palestine, on ne parle pas de génocide parce que les auteurs sont les Israéliens. Pourquoi la communauté internationale bougerait-elle, alors qu'elle ne dit pas un mot devant les images d'enfants décapités, déchiquetés, ensevelis sous les ruines de leurs maisons frappées par des bombes de deux tonnes ? Ce qui se passe aujourd'hui à Jabaliya, au nord de la bande de Gaza, c'est l'équivalent du siège de Massada pour les juifs. Ce blocus imposé aux Juifs par des Romains, c'est exactement ce que les Israéliens sont en train de faire au Nord. Jabaliya, c'est le Massada des Palestiniens. Un siège hermétique. Plus de nourriture, même pas un verre d'eau. Pas de soins, pas de secouristes. Rien du tout.
C'est la non-vie. Des familles entières sont massacrées dans le bombardement de leur immeuble. Vingt personnes, trente personnes. Ceux qui ne meurent pas sous les bombes meurent de faim. Je n'arrive pas à supporter cette oppression, cette humiliation. Nous sommes exterminés par une machine de guerre sans pitié. Et ce sentiment que tout le monde nous regarde, et que personne ne bouge… Ce sentiment de ne pas être humain. Pourquoi subissons-nous tout cela sous les yeux de ce monde qui prétend représenter la démocratie, la liberté, les droits humains ? Ce monde qui n'a que ces mots à la bouche, les droits de l'homme, les droits des femmes, les droits des enfants et même les droits des animaux.
Ce sentiment qu'on ne vaut pas grand-chose, qu'on est cheap, comme disent les Anglais. Qu'on mérite seulement de mourir sous les yeux du monde. Pourtant le monde est devenu tout petit. Avec les réseaux sociaux, où avec tout ce qui se passe est partagé 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, rien ne peut être caché. Tout le monde peut voir un petit garçon dire adieu à son père. Un père porter son enfant sans tête, ou dans un sac, parce qu'il n'a trouvé que des restes éparpillés.
C'est pour cela que je crois que les Israéliens vont réussir ce génocide politique en même temps que le génocide humanitaire. Interdire la seule organisation internationale qui incarne le droit au retour, personne n'est dupe : cela veut dire l'extinction du droit au retour. Ainsi il n'y aura plus aucune relation entre les Palestiniens et leur territoire, plus de relation entre les Palestiniens et la Palestine. Il n'y aura rien qui s'appelle la Palestine.
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Comptes rendus de lecture du mardi 12 novembre 2024


Rue Duplessis
Jean-Philippe Pleau
Ce roman a davantage l'allure d'une courte biographie ou d'un essai que d'un roman. L'auteur y décrit son passage de la classe sociale de ses parents – son père étant pratiquement analphabète et sa mère peu scolarisée – à une classe sociale supérieure après des études en sociologie. Ces récits de transfuge de classe sont devenus récurrents en littérature depuis quelques années, mis en valeur en particulier par les romans autobiographiques d'Annie Ernaux, récipiendaire, il y a deux ans, du Prix Nobel de littérature. Je ne peux m'empêcher de trouver très durs, ici encore, les propos rendus publics d'un auteur sur l'état d'aliénation de ses parents. Les tentatives d'en transférer en partie le poids sur l'inégalité des chances dans nos sociétés n'y changent rien. Je ne peux quand même éprouver que des regrets et de l'empathie pour les parents et la famille de l'auteur dont les travers ont été ainsi mis à nu par ce bouquin vite devenu fort populaire.
Extrait :
Je me souviens que quand je demandais à mes parents d'où ils tenaient cette information sur les restos chinois, ils répondaient toujours : « C'est ce qu'ils disent ». Ce fameux « ils », instrument de légitimation de leur discours et de leurs petites aliénations.

L'économie esthétique
Alain Deneault
Ce troisième feuilleton théorique d'Alain Deneault sur l'économie, qui porte sur l'économie esthétique, traite de la réorientation du terme à des fins exclusivement mercantiles, à l'aide de nombreuses métaphores et récupérations artistiques, en vue de détourner les consciences des effets pervers et destructeurs du capitalisme. C'est une œuvre éclairante, mais plutôt théorique.
Extrait :
L'économie n'a pas tant de référent propre qu'elle se révèle elle-même le nom d'une puissance de créer et d'imager à l'œuvre dans l'expression. C'est pourquoi la rhétorique s'en remet à elle pour traiter d'« économie du discours », la littérature et le cinéma d'« économie du récit » et les arts en général d'« économie d'une œuvre ». L'économie tient ici à nouveau d'un principe d'organisation : dans tout exercice rhétorique ou littéraire, un propos s'expose avec précision et justesse, le choix des éléments ainsi que leur orchestration se faisant avec mesure et parcimonie pour ménager les efforts d'un lecteur, tout en provoquant chez lui un effet esthétique. Par une figure de style telle que l'ellipse, on réunit en un minimum de moyens l'essentiel d'une intrigue pour épargner tout développement superflu et servir une unité d'action. Mais d'autres recours, comme la métaphore dans sa puissance d'imagerie, et le récit lui-même dans sa fonction allégorique, ne font pas que fournir à l'esprit des propositions obéissant à la loi du moindre effort ; ils créent des sèmes, des figures, de la signification et du sens là où la lexis et l'entendement faillissent. Ils sont en cela productifs.

Le feu
Henri Barbusse
Mon grand-père Marquis a participé à la Première Guerre mondiale et en est revenu blessé d'un éclat d'obus dans la jambe. Il n'a jamais voulu en parler. Il suffit de lire ce roman, carnets de guerre écrits par un soldat de l'époque, pour facilement comprendre pourquoi. L'auteur nous y décrit, dans les mots des poilus, comme on les appelait, en argot bien souvent, toute l'horreur et l'absurdité de cette longue guerre dans les tranchées, avec tous ses cadavres, sa saleté et sa misère, au contact quotidien de la souffrance et de la mort des proches. Ce roman se méritera en 1916 le prix Goncourt. Un des meilleurs romans, certainement, sur cette terrible guerre trop vite oubliée.
Extrait :
Quand on apprend ou qu'on voit la mort d'un de ceux qui faisait la guerre à côté de vous et qui vivaient exactement de la même vie, on reçoit un choc direct dans la chair avant même de comprendre. C'est vraiment presque un peu son propre anéantissement qu'on apprend tout d'un coup.

La force de l'âge
Simone de Beauvoir
Comme je l'ai déjà mentionné, il émane des recueils autobiographiques de Simone de Beauvoir une telle atmosphère de liberté et d'accomplissement qu'on ne peut prendre que beaucoup de plaisir à les lire. Le second, « La force de l'âge », couvre les années décisives de Simone de Beauvoir, de sa rencontre avec Jean-Paul Sartre à l'accomplissement de sa vocation d'écrivaine. Ce sont dix ans passés à écrire, à voyager, à nouer des amitiés et à se passionner pour des idées nouvelles. Un superbe deuxième recueil qui se termine en 1939, lorsque éclate la guerre.
Extrait :
Avec Nizan, on ne discutait jamais ; les sujets sérieux, il ne les abordait pas de front ; il racontait des anecdotes choisies dont il évitait avec soin de tirer les conclusions ; il proférait en se rongeant les ongles des prophéties et des menaces sibyllines. Nos divergences étaient donc passées sous silence. D'autre part, comme beaucoup d'intellectuels communistes de cette époque, Nizan était un révolté plutôt qu'un révolutionnaire, aussi y avait-il entre lui et nous un tas de complicités : certaines reposaient d'ailleurs sur des malentendus que nous laissions dans l'ombre.
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Les causes amères d’une défaite annoncée
Pour les Démocrates qui se réfugient dans le déni, il faudra chercher absolument les causes de la défaite dans les problèmes internes des États-Unis et non dans la folie furieuse de l'empire américain sans cesse belligérant, car cette histoire d'une Amérique cherchant à dominer le monde avec des plans machiavéliques ne serait rien de plus qu'une autre théorie complotiste.
Géopolitique 101
Et pourtant, Joe Biden a bel et bien dit que les États-Unis étaient les seuls à pouvoir diriger le monde. Les ambitions américaines ne sont donc pas un secret bien gardé, un projet occulte ourdi par la CIA. Le complot contre Vladimir Poutine est dessiné en toutes lettres dans « Extending Russia », un document de la Rand corporation publié en 2019 que les États-Unis ont appliqué à la lettre.
Bien entendu, les citoyens américains n'ont pas eu accès à ces informations qui leur auraient permis de constater qu'en Ukraine, les dirigeants américains ont allumé la mèche, mis le feu aux poudres et jeté ensuite de l'huile sur le feu. Il en va cependant tout autrement du génocide à Gaza. Tout le monde a pu assister en direct à ce génocide via les médias sociaux. Le parti démocrate, principal responsable de ce génocide, a alors perdu l'appui de la jeunesse démocrate et celui de plusieurs citoyens musulmans qui ne savaient dès lors plus à quel saint se vouer.
D'autres causes expliquant la défaite ?
En plus de la guerre dans laquelle les Américains ont englouti des centaines de milliards de dollars, les autres irritants que sont pour certains l'inflation et l'immigration proviennent eux aussi d'une seule et même cause : l'impérialisme américain.
Considérons tout d'abord l'inflation qui affecte le portefeuille des contribuables américains. L'objectif ultime des nombreuses provocations forçant la Russie à intervenir en Ukraine était de les affaiblir économiquement. Devant cette « agression non provoquée », l'État américain avait le feu vert pour imposer des sanctions qui allaient, espérait-on, détruire l'économie du pays. Les sanctions les plus importantes imposées à la Russie furent de mettre fin partout en Europe à l'achat de leur gaz et de leur pétrole. Privées d'un approvisionnement en gaz et en pétrole russe à bon marché, les entreprises européennes firent face à des hausses dans leurs coûts de production, ce qui entraîna la hausse des prix des marchandises exportées aux États-Unis.
S'agissant de l'immigration, la doctrine Monroe a, depuis de nombreuses années, déstabilisé les États latino-américains. Cette doctrine visait à faire de l'Amérique latine leur « précarré », c'est-à-dire une zône d'influence favorisant des régimes politiques favorables à Washington. Imposant leur volonté par des interventions militaires directes, par des coups d'État (Chili), par l'appui à des groupes rebelles (les Contras au Nicaragua), mais aussi et surtout par des sanctions (Cuba, Nicaragua et Venezuela), cela ouvra la voie à des régimes dictatoriaux, à des narco-trafiquants et à la corruption. Cela finit par rendre la vie difficile à des millions de citoyens latinos, les forçant ainsi à fuir leur pays pour trouver refuge aux États-Unis.
Deux sources de méfiance
Vu sous l'angle de la politique interne des États-Unis, il fallait bien entendu se méfier du misogyne et machiste Donald Trump. Il n'y a pas d'espoir possible d'un monde meilleur empathique et compatissant pour autrui sans le respect des femmes, des LGBTQ, des Afro-américains, des Latinos et des autochtones. Et donc pas d'espoir d'un monde meilleur sans intersectionalité et ouverture éveillée à une multitude d'enjeux identitaires vécus dans leur chair par ces personnes.
Mais vu sous l'angle de la géopolitique, il fallait aussi se méfier de Kamala Harris, car elle a entériné, appuyé et financé le génocide des Gazaouïs. Elle avait du sang sur les mains et elle est directement responsable de la mort d'au moins 15 000 enfants.
La conclusion logique aurait dû être de voter pour Jill Stein et les Verts. C'était une candidate progressiste qui ne reçoit pas d'argent en provenance de l'American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). À la racine du mal qui force les Américains à choisir, il y a cette mentalité satisfaite du bipartisme dans laquelle les partisans des deux camps sont enferrés, mais il y a aussi cette incapacité chronique de la gauche progressiste à intégrer les deux dimensions essentielles de la politique américaine : ce qu'ils sont sur le plan domestique et ce qu'ils sont sur la scène internationale. Si tous les démocrates progressistes avaient davantage intégré la dimension internationale dans leur analyse, ils auraient migré du côté d'un tiers parti au lieu de devoir rester pris avec une candidature génocidaire souriante.
Une utopie réaliste
Sans la manipulation du Democratic National Committee (DNC) en faveur de Hilary Clinton en 2016 et en faveur de Joe Biden en 2020, Bernie Sanders aurait pu faire une percée. Un tiers parti serait né sous la vieille carapace du parti démocrate. Les Américains ont une tradition progressiste présente au moins en partie depuis Frank D. Roosevelt. Sanders avait un véritable vent dans les voiles, porté par des millions d'appuis issus des classes populaires.
Une majorité d'Américains étaient favorables au Medicare for all, mais aussi au cessez-le-feu ainsi qu'à l'interruption de la vente d'équipement militaire à Israël et à l'Ukraine.
Sanders et le « Squad » (un groupe restreint de Démocrates de gauche) ont échoué, mais d'autres Sanders et d'autres Squads finiront peut-être par suivre leur pas sans capituler.
Les problèmes vont perdurer aussi longtemps que les progressistes américains refuseront de s'attaquer au monstre impérialiste belligérant que sont devenus les États-Unis.
Éditorial
Chères lectrices, chers lecteurs,
Ce numéro de Caminando est bien particulier. Il marque la fin d’un chapitre important dans l’histoire de la solidarité internationale québécoise, avec la fermeture du Projet Accompagnement Québec-Guatemala (PAQG), après plus de 30 ans de lutte aux côtés des défenseurs et défenseuses des droits humains au Guatemala. Née d’une volonté partagée d’appuyer les communautés confrontées à la violence, à la répression et aux injustices, cette organisation a été bien plus qu’un simple projet : elle a incarné un engagement, une mission de solidarité et de défense des droits qui s’est ancrée dans le cœur de celles et ceux qui y ont contribué.
L’histoire du PAQG est intimement liée à celle de notre revue et du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL). Depuis les années 1970, le CDHAL s’est engagé dans la défense des droits des peuples face à la répression, en réponse aux dictatures et aux conflits armés dans la région. En 1992, le PAQG voit le jour et rejoint les rangs des comités de solidarité d’Amérique latine. Le PAQG a d’abord soutenu le retour des réfugié·e·s guatémaltèques. Depuis 1998, il répond à la demande d’accompagnement international formulée par les organisations et les défenseur·e·s des droits humains qui reçoivent menaces et intimidations du fait du travail qu’ils et elles effectuent. La collaboration entre le CDHAL et le PAQG s’est manifestée au fil des décennies à travers des projets d’éducation à la citoyenneté mondiale et à travers des actions de plaidoyer, s’adaptant aux évolutions des contextes locaux et aux enjeux contemporains tels que le néocolonialisme et les violations des droits liés à l’extractivisme.
Ensemble, nous avons contribué à créer des espaces d’échange et de sensibilisation, renforçant les liens entre les mouvements sociaux des Amériques et plaçant la solidarité internationale au cœur de nos missions. Le CDHAL et le PAQG ont collaboré et se sont alliés fréquemment sur le suivi de dossiers au Guatemala combinant leurs réseaux et savoir-faire pour mettre en lumière le travail de défenseur·e·s guatémaltèques. Partageant une base militante forte, nombreux·ses membres du PAQG ont rédigé pour la revue Caminando notamment sur leur expérience d’accompagnement international. Pour ce numéro, le CDHAL souhaite souligner l’engagement et la trajectoire du PAQG et de ses membres pour la justice au Guatemala. Au-delà du travail du PAQG, ce numéro fait rayonner le travail des défenseur·e·s guatémaltèques, qui malgré de nombreux obstacles, dont la démobilisation de la coopération internationale, continuent à demander justice.
En effet, alors que le Guatemala traverse une période charnière, marquée par l’élection de Bernardo Arévalo et par une mobilisation sociale sans précédent, nous devons garder à l’esprit que le chemin vers une démocratie véritable reste difficile. L’élection d’un candidat issu des mouvements populaires a réveillé les espoirs de changement, mais elle a aussi été suivie d’une répression accrue de la part des élites en place, désireuses de conserver leur pouvoir. C’est un moment critique où les acquis démocratiques sont plus vulnérables que jamais, et où la solidarité internationale reste cruciale.
Ce numéro s’ouvre avec un récit fictif qui contextualise les luttes sociales et politiques des années 1940, en montrant les tensions entre les promesses démocratiques faites par le gouvernement guatémaltèque et la domination économique exercée par des multinationales étrangères. Le texte aborde les défis rencontrés par le Guatemala dans ses efforts de modernisation et de redistribution des richesses.
Les articles suivants traitent du processus de réconciliation nationale et des obstacles à la justice transitionnelle qui persistent encore aujourd’hui. Ils s’inscrivent dans une réflexion plus générale sur les entraves structurelles qui freinent la consolidation d’un véritable État de droit.
Le dossier se poursuit avec une rétrospective sur le rôle du PAQG dans l’accompagnement international et sur les impacts de sa fermeture, dans un contexte de démobilisation de la coopération internationale. Ces contributions montrent comment cet accompagnement a constitué une stratégie essentielle pour protéger et promouvoir les droits humains.
Les derniers articles abordent les dynamiques politiques actuelles, marquées par l’élection de Bernardo Arévalo et par une mobilisation sociale sans précédent. Les analyses exposent les défis d’un gouvernement qui tente de réformer un système corrompu enraciné dans l’impunité, tout en répondant aux demandes de justice des mouvements populaires.
Le numéro se poursuit avec des articles sur les luttes actuelles pour la justice au Guatemala et les efforts pour mettre fin à l’impunité. Enfin, un texte explore les dynamiques migratoires en Amérique centrale. Le numéro se clôt avec un poème qui célèbre la résilience et la solidarité des femmes.
Ce numéro, en plus d’honorer le travail du PAQG, est aussi un appel et un engagement à poursuivre l’esprit de solidarité et de résistance. Les luttes ne s’arrêtent pas, et les liens tissés continueront d’inspirer et de renforcer les mouvements sociaux au Guatemala et au-delà. Nous savons que les militant·e·s et les organisations avec lesquelles le PAQG a travaillé poursuivront ce combat pour la dignité et la justice. De notre côté, au CDHAL, nous restons déterminé·e·s à soutenir ces luttes et à maintenir cet engagement qui nous unit depuis tant d’années.
Nous remercions toutes les personnes ayant participé à la revue pour leur précieuse collaboration : auteurs·trices, poètes, illustrateurs·trices, traducteurs·trices, réviseur·e·s, membres du comité éditorial et du comité de développement, ainsi que nos partenaires financiers et de diffusion. Nous remercions également l’artiste Mateo Pablo pour l’illustration de la couverture de ce numéro.
Bonne lecture!
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FRONT COMMUN – Négociation dans les secteurs public et parapublic (2022-2024) : notes et remarques critiques
Dans cet article, Yvan Perrier propose de revisiter les événements du Front commun de 2023-2024 mené par la fonction publique québécoise. Décrite par ses organisateurs comme la « plus grande grève de l’histoire du Québec et du Canada », cette lutte syndicale a rassemblé, au sommet de la mobilisation, près de 570 000 des 610 000 employé·e·s de la fonction publique, qui ont participé aux journées de débrayage des 21 et 23 novembre 2023. Menant à la signature d’une convention collective qui contient un certain nombre d’avantages – à commencer par une augmentation salariale de 17,4% – le Front commun a détonné dans le désert néolibéral des 40 dernières années, où les luttes rampantes ont vogué de reculs en défaites. Toutefois, Perrier avance qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’ampleur des gains obtenus. L’auteur met aussi en lumière la stratégie gouvernementale qui a misé sur une division des forces syndicales et leur manque de coordination. Ce défaut d’harmonisation dans les journées de grève aurait empêché une paralysie maximale des services publics, limitant ainsi l’impact de cette mobilisation d’envergure.

Négociation dans les secteurs public et parapublic (SPP) 2022-2024 : notes et remarques critiques…
Yvan Perrier (3 novembre 2024)
Avec la proposition d’entente du conciliateur adoptée à 66 % par les membres votants[1] de la FIQ, il est maintenant permis de dire que la ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic (SPP) qui s’est amorcée en automne 2022 et qui s’est étirée, pour certain·e·s syndiqué·e·s, jusqu’au mois d’octobre 2024, est maintenant complétée. On nous a annoncé, cinquante ans après le premier Front commun de 1971-1972, que cette vingtième ronde de négociation entre l’État et les salarié·e·s syndiqué·e·s des SPP serait « historique ». En raison de la nature du règlement salarial, il est toujours trop tôt, selon nous, pour dresser le bilan final de la négociation et nous expliquerons plus loin pourquoi il en est ainsi.
Dans les lignes qui suivent, nous ne nous attarderons pas sur les concessions ou les compromis qu’ont eus à faire chacune des parties. Nous n’examinerons pas non plus les propositions du conciliateur qui est intervenu dans la négociation entre le Conseil du trésor et la FIQ. Nous laissons ce genre d’exercice aux parties directement concernées. Nous passerons également sous silence, faute de place, plusieurs aspects que nous avons l’habitude de traiter à la fin d’une ronde de négociation (voir à ce sujet l’annexe I au présent texte). Nous entendons plutôt nous limiter à un certain nombre de remarques critiques autour de l’entente de principe, de la FAE, du néolibéralisme et sur d’autres sujets à la portée d’un observateur extérieur… Mais avant, quelques remarques sur le contenu de ce règlement.
Le règlement dans ses grandes lignes
Les grandes lignes du règlement sont maintenant connues. La convention collective sera d’une durée de cinq ans et les augmentations salariales minimales obtenues par les salarié·e·s syndiqué·e·s seront de l’ordre de 17,4 % pour la période allant du 1er avril 2023 au 30 mars 2028. Une protection partielle contre l’inflation (comme cela a été le cas en 1986)[2], à la hauteur de 1 % par année, pourra s’appliquer à certaines conditions pour chacune des trois dernières années du contrat de travail. Diverses primes salariales ou avancement accéléré dans les échelons ont été accordés par le gouvernement du Québec à certaines catégories de salarié·e·s syndiqué·e·s. Des ressources additionnelles auxquelles le gouvernement tenait tant (comme l’aide à la classe) et des mesures dites de « flexibilité » (comme la mobilité de certain·e·s salarié·e·s en santé) s’appliqueront.
Outre l’aspect salarial, certains gains ont été obtenus au niveau monétaire comme : l’acquisition du droit à la cinquième semaine de vacances après 15 ans d’ancienneté (plutôt que 17 ans) et l’atteinte de la pleine cinquième semaine de vacances à compter de 19 ans d’ancienneté (plutôt que 25 ans) ; des améliorations au régime de retraite permettant la participation au régime jusqu’à 71 ans (au lieu de 69 ans comme c’est le cas actuellement) et la possibilité de prolonger l’entente sur la retraite progressive de cinq ans à sept ans (dispositions qui n’entreront pas en vigueur avant 2025 [pourquoi un tel délai?]) ; des contributions de l’employeur au régime d’assurance maladie sont maintenant un peu plus généreuses tandis que du côté des ouvriers spécialisés, la prime d’attraction et de rétention sera bonifiée et les psychologues profiteront d’une majoration salariale à la hauteur de 10 % ; enfin, pour ce qui est du régime des droits parentaux, il y a dans cette entente l’ajout d’une journée à la banque de congés spéciaux pour suivi de grossesse. Aussi, les disparités régionales restent inchangées, à une exception près (en faveur de la localité d’Oujé-Bougoumou en santé et services sociaux)[3].
Est-il nécessaire de rappeler que cette augmentation salariale de 17,4 % sur cinq ans (accompagnée d’une protection partielle contre l’inflation) est à mille lieues des revendications des huit organisations syndicales (APTS-CSN-CSQ-FAE-FIQ-FTQ-SFPQ et SPGQ) qui, soulignons-le, demandaient un contrat de travail d’une durée de trois ans[4] et une plus forte protection contre l’inflation. Il ne saurait faire de doute qu’une négociation portant sur les conditions de travail et de rémunération donne lieu, en règle générale, à des compromis. À vrai dire, il s’agit ici d’une augmentation salariale qui contraste avec les augmentations rachitiques et maigrichonnes qui se situaient entre 0 % et 2,5 % par année et qui ont eu pour effet d’appauvrir les salarié·e·s syndiqué·e·s du début des années quatre-vingt jusqu’à tout récemment. Ce ne sera par contre qu’en 2028 qu’il sera possible de constater si la rémunération de la prestation de travail a été supérieure ou inférieure à l’Indice des prix à la consommation (IPC). Tant et aussi longtemps que cette donnée demeure inconnue, il nous semble plus prudent de contenir les manifestations débordantes d’enthousiasme face à ce règlement.
Or, il est vrai d’affirmer que le compromis négocié au sommet entre les porte-paroles du Front commun intersyndical APTS-CSN-CSQ-FTQ et la présidente du Conseil du trésor est supérieur aux pourcentages accordés aux salarié·e·s syndiqué·e·s depuis 1979. Mais ce pourcentage est très en deçà de ce qui a été donné aux député·e·s de l’Assemblée nationale (30 % à la première année plus les paramètres applicables dans les secteurs public et parapublic) ainsi qu’aux policières et aux policiers de la Sûreté du Québec (entre 26 % et 32,9 % sur six ans). Il l’est également inférieur de 10 % à ce qui vient d’être attribué aux cadres de Santé-Québec qui occupaient jadis des postes syndiqués.
Ce résultat de 17,4 % minimum sur cinq ans doit être évalué, selon nous, en comparant ce qui est ou ce qui sera accordé à l’ensemble des personnes qui sont rémunérées par le gouvernement du Québec (environ 800 000 personnes). Il faut également mentionner que ce pourcentage de 17,4 % sur cinq ans est inférieur à ce qui a été conclu dans certaines entreprises privées (voir à ce sujet certains règlements convenus dans les secteurs de l’hôtellerie, de l’aviation, etc.). De sorte qu’il est exagéré de poser l’entente conclue dans les SPP comme pouvant être une bougie d’allumage ou une source d’inspiration pour les salarié·e·s syndiqué·e·s dans d’autres secteurs. Les négociations syndicales autour du renouvellement des conventions collectives reposent, pour l’essentiel, sur le rapport des forces en présence lors d’une négociation. Il n’y a aucun déterminisme automatique à l’effet que les gains obtenus par certain·e·s salarié·e·s syndiqué·e·s d’un secteur donné seront automatiquement obtenus par d’autres. De plus, il y a belle lurette que les augmentations salariales négociées dans les SPP ne servent plus d’objectif à atteindre pour d’autres salarié·e·s syndiqué·e·s. Le rapport de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) est là pour nous rappeler amèrement et annuellement cette quasi-vérité d’évidence. L’époque de la locomotive des salarié·e·s syndiqué·e·s des SPP est derrière nous depuis le début des années quatre-vingt du siècle dernier. Plus précisément, de triste mémoire, depuis la ronde des décrets de 1982-1983.
Front commun et organisations solitaires
On retiendra de cette ronde de négociation qui s’est échelonnée sur deux années, soit de 2022 à 2024, que nous étions en présence d’un Front commun intersyndical regroupant quatre organisations (CSN-CSQ-FTQ-APTS) et de quatre autres qui négociaient en solo (FAE, FIQ, SFPQ et SPGQ). Sur le côté syndical, il y avait par conséquent cinq stratégies, alors que du côté de l’employeur, à savoir le gouvernement du Québec, il n’y en avait qu’une seule pouvant donner lieu à des ajustements ponctuels. Le gouvernement était donc encore une fois en position pour régner et régler en divisant les troupes syndicales. Et c’est ce qu’il a fait.
Le gouvernement Legault a laissé la FAE conduire sa grève générale illimitée seule et sans fonds de défense pour ses membres. Il savait fort bien qu’il viendrait, tôt ou tard, à bout de cette résistance. Pour sa part, le Front commun intersyndical y est allé d’un certain nombre de journées de grève, sans véritablement paralyser d’une manière ininterrompue les services, tandis que la FIQ a choisi des arrêts de travail, mais dans le respect des services essentiels et quand est venu le temps d’un affrontement qui aurait pu être décisif, cette organisation s’est retrouvée seule, isolée et ses membres se sont vus interdire, par le Tribunal administratif du travail (TAT)[5], le droit de refuser le temps supplémentaire. Dès lors, les carottes étaient cuites pour cette organisation qui regroupe 80 000 membres dans le secteur de la santé, membres impatientes et impatients de mettre un terme à cet exercice long de plus de deux ans. Le temps était venu de passer à autre chose. L’attente d’une rétroactivité salariale, le versement de nouvelles primes et les nouvelles échéances en lien avec la réforme découlant du projet de loi 15 ont possiblement contribué à l’acceptation, par une faible majorité, de la proposition du conciliateur.
Un haut fait d’armes incontestable et un mystère persistant sur l’origine du compromis négocié…
Il y a un haut fait d’armes qui mérite d’être signalé ici. L’arrêt de travail des membres des six organisations syndicales suivantes : CSN-CSQ-FTQ-APTS, FAE et FIQ. À un certain moment en novembre 2023 (le 23 novembre plus précisément), plus d’un demi-million de syndiqué·e·s étaient en grève (570 000 environ). D’un point de vue quantitatif, il s’agissait d’une mobilisation sans précédent dans l’histoire syndicale au Québec. Ce moyen de pression a probablement forcé l’équipe de négociation du gouvernement caquiste d’y aller d’un effort supplémentaire en vue de conclure un règlement négocié. Nous disons « probablement », car nous ne savons pas comment ce compromis négocié en face à face a été ultimement ficelé entre les parties. Il y a eu « probablement » une divergence de vues entre Sonia Lebel (Présidente du Conseil du trésor) et Éric Girard (ministre des Finances) sur la hauteur du prix à payer. Divergence de vues qui a pu être arbitrée par le premier ministre François Legault. Mais tout ceci n’est que pure conjecture et spéculation. Seulement les porte-paroles du Front commun et les membres du triumvirat gouvernemental peuvent lever le voile sur ce qui s’est réellement passé entre la mise à jour économique de novembre et le règlement de la fin décembre 2023. Qui est la personne (ou les personnes) qui est (ou sont) l’autrice ou l’auteur de ce règlement ? Nous ne le savons toujours pas.
Quoi qu’il en soit, la grève n’aura pas été vaine pour les salarié·e·s syndiqué·e·s des SPP. Le Front commun intersyndical CSN-CSQ-FTQ-APTS est parvenu à faire quasiment doubler l’offre initiale du gouvernement caquiste. Dans les faits, certain·e·s salarié·e·s syndiqué·e·s ont maintenant franchi la barre symbolique des 100 000$ par année, et ce depuis avril 2024, comme les enseignant·e·s et les infirmier·e·s bachelières au sommet de l’échelle. Par contre, d’autres salarié·e·s syndiqué·e·s se retrouvent toujours sous la barre des 50 000$ par année. Il y a du « monde ordinaire »[6] qui a été négligé ou oublié ici.
De « (l’)Entente de principe » à la signature de la « Convention collective » au versement de la rétroactivité salariale
De « (l’)Entente de principe » à la signature de la « Convention collective »… jusqu’au versement de la rétroactivité salariale, les délais d’attente peuvent être longs. La mise en application de nouvelles dispositions de la convention collective peut alors se faire attendre durant plusieurs mois. Ici, la partie patronale — lire le gouvernement — est tristement en position de force pour disposer de ses obligations contractuelles. C’est ce qu’ont appris à leurs dépends les 600 000 salarié·e·s syndiqué·e·s dont environ 75 % sont des femmes. C’est au gouvernement, en tant qu’« État-patron », que revient le pouvoir de définir et d’imposer le calendrier pour le versement de la rétroactivité, des augmentations salariales, des primes, ainsi que le recrutement de nouveaux effectifs, alouette… tout cela devant s’intégrer dans une machine bureaucratique toujours archaïque et à la cadence irrégulière.

Du règlement au déficit… en passant par le retour à l’ère de l’austérité
L’entente aussitôt adoptée par certains groupes de salarié·e·s syndiqué·e·s, le premier ministre a imputé à l’entente négociée entre son gouvernement et les salarié·e·s syndiqué·e·s des SPP l’explosion du déficit de la province, maintenant établi à 11 milliards de dollars. C’est un peu court comme raisonnement, mais c’est ainsi que François Legault réfléchit. Il oublie volontairement que c’est lui, son ministre des Finances et les membres de son Conseil des ministres qui ont décidé en haut lieu de priver l’État de sources de revenus en accordant, entre autres choses, de généreuses baisses d’impôt à certains particuliers pas vraiment dans le besoin (pour être poli).
Au Québec, qui dit déficit dans les finances publiques dit également compressions budgétaires, gel des effectifs, dégradation des services, mesures d’austérité, rigueur budgétaire, etc. Et c’est ce qui semble bel et bien en cours au moment où nous écrivons ces lignes dans l’administration publique, en éducation, en santé et dans certains organismes publics. De fait, des directives rigoureuses et rigides se mettent en place depuis quelques mois en santé et en éducation, le tout en vue de réduire dès la présente année le déficit. Plusieurs investissements dans les fournitures, les équipements sont reportés ; un mot d’ordre de gel du recrutement externe est unilatéralement imposé dans certains établissements publics et parapublics par nul autre que la présidente du Conseil du trésor. Jusqu’à nouvel ordre, travailler pour la fonction publique, œuvrer dans les secteurs de la santé et de l’éducation, continuera à rimer pour un grand nombre de salarié·e·s syndiqué·e·s avec conditions de travail pénible. Et encore, cela correspond pour plusieurs à toucher une rémunération qui est inférieure à ce qui est versé pour les mêmes titres d’emploi dans les autres secteurs publics (gouvernement fédéral, municipalité, université) ou certaines entreprises privées. Les personnes qui s’imaginaient que le déficit annoncé serait absorbé par la marge de manœuvre annuelle du gouvernement se retrouvent aujourd’hui confondues, voire en perte d’équilibre. L’ère du néolibéralisme est toujours bien présente parmi nous. Ce même néolibéralisme qui a donné lieu à de fortes manifestations d’indignation parmi les salarié·e·s syndiqué·e·s des SPP inspire plus que jamais certains choix politiques au sommet de l’État. Où sont les surplus de l’inflation post-pandémie ? Est-ce dans la venue des Kings de Los Angeles à Québec, dans les études sur le troisième lien, dans Northvolt ?
Réflexions critiques en marge de cette négociation
De cette ronde de négociation 2022-2024, il est permis de mentionner que le néolibéralisme, dans sa forme la plus primaire, ne passe plus maintenant aussi facilement au sein d’une frange importante de la population. Comprenons-nous bien : cette idéologie a suscité – des années quatre-vingt jusqu’à aujourd’hui – de grandes manifestations d’opposition, hélas pas trop souvent victorieuses pour le plus grand nombre. Nous constatons que la possibilité pour la classe dirigeante d’imposer les solutions qui relèvent de cette idéologie antisociale s’est érodée jusqu’à un certain point qui reste à préciser. Il y a une limite aux écarts de richesse qui ne cessent d’aller en s’accroissant. Des individus de la classe économique dominante s’arrogent en moins de deux jours l’équivalent du salaire industriel moyen, ce qui laisse aux autres, la majorité, une part de revenus qui n’est pas à la hauteur de leur prestation de travail ou de la valeur de leurs qualifications. Les personnes qui participent directement ou indirectement à la création de cette richesse collective ont droit à un revenu décent et à une stabilité à l’emploi. Il est trop, beaucoup trop élevé, le nombre de personnes qui ont un statut précaire dans les SPP et plus particulièrement dans le monde de l’enseignement (tous niveaux confondus). Et qui dit statut précaire dit également difficultés économiques. C’est principalement – sinon uniquement – lors du renouvellement des conventions collectives qu’il est possible pour les salarié·e·s syndiqué·e·s d’améliorer leurs conditions de travail et de rémunération. Qu’un groupe d’enseignant·e·s soit resté dans la rue plus de cinq semaines, cela dépasse l’entendement des personnes de bonne volonté. Comment en sommes-nous arrivés là ? Probablement à cause de blocages découlant d’un aveuglement idéologique de la part du gouvernement. Il y a cinquante ans les 210 000 salarié·e·s syndiqué·e·s du Front commun intersyndical CEQ-CSN-FTQ étaient dans la rue. Il s’agissait d’un combat du type « les travailleurs (sic) contre l’État ». Cette fois-ci, ce à quoi nous avons assisté relève plutôt d’une logique en vertu de laquelle c’est l’État-patron qui voulait poursuivre sur sa lancée contre ses salarié·e·s syndiqué·e·s. Cette fois-ci, il a heurté un mur de résistance qui s’est solidifié avec le temps, mais ce mur de résistance n’a pas conduit les troupes syndicales à une victoire historique.
La FAE
Il y a des syndiqué·e·s affilié·e·s à la FAE qui ont réalisé à l’occasion de la ronde de négociation 2022-2023 que le syndicalisme professionnel auquel elles et ils adhèrent doit lui aussi recourir, à l’occasion, à des moyens d’action un peu plus bruyants et un peu plus dérangeants pour faire entendre leur voix. Ce n’est pas en effectuant principalement du piquetage devant les seuls lieux de travail que les grévistes ont obtenu dans l’histoire de grands changements sociétaux. La lutte en appui aux revendications pour l’amélioration des conditions de travail et de rémunération d’une main-d’œuvre hautement qualifiée suppose, elle aussi (et surtout en raison du gouvernement caquiste qui fait de l’économie un dogme inébranlable et incontournable), un plan d’action. Cette stratégie doit s’appuyer sur des manifestations qui ont pour effet de perturber la circulation des marchandises et de ralentir la circulation routière. Éventuellement, qui sait, on pourrait viser la réalisation d’autres coups d’éclat, des gestes plus spectaculaires encore.
Jadis, le métier d’enseignante et d’enseignant était faiblement rémunéré. L’État-patron comptait sur le discours de la « vocation » pour imposer cet état des choses. Au fil du temps et des luttes, ce métier s’est cependant professionnalisé. C’est surtout depuis les années soixante et surtout durant la décennie des années soixante-dix que les enseignant·e·s ont vu leurs émoluments croître et gagner en importance. La crise du début des années quatre-vingt a eu un effet dévastateur pour l’ensemble des salarié·e·s syndiqué·e·s des SPP, particulièrement celles et ceux de l’éducation. C’est à partir de ce moment que l’école publique va se voir mise à mal par les gouvernements qui se sont succédés à Québec. La masse salariale sera surveillée de près et mise sous pression. En règle générale, de la fin des années soixante-dix à aujourd’hui, les augmentations salariales ne dépasseront pas le taux d’inflation. De plus, d’une ronde de négociation à l’autre, l’État-patron va exiger d’inclure dans les conventions collectives (négociées ou décrétées) des mesures de flexibilité et de souplesse. C’est d’ailleurs exactement ce que le premier ministre François Legault a réclamé de la part des enseignant·e·s : toujours plus de « souplesse », toujours plus de « flexibilité ». Comme si ces deux mots avaient, par magie, le pouvoir de tout redresser ce qui s’est dégradé par négligence délibérée ou par choix politiques de la part du gouvernement.
Mentionnons que ces mesures dites de « souplesse » et de « flexibilité » ont parfois été imposées unilatéralement. Pensons ici aux décrets-lois de 1982-1983 ou de 2005. Celles-ci ont été négociées dans une conjoncture où l’État-patron s’est lui-même octroyé un cadre législatif avantageux (réforme du régime de négociation en 1985, projet de loi 102 en 1993, réduction des coûts de main-d’œuvre en 1996-1997, projet de loi 100 en 2010, cadre budgétaire qualifié « (d’)immuable » par certains politiciens ou de « rigide » ou « d’austère » par les syndicalistes, etc.). Ces nouvelles dispositions de « souplesse » et de « flexibilité » apparaissaient en fin de négociation et étaient posées comme des mesures à inclure dans une soi-disant « Entente de principe » négociée par les parties, alors qu’il s’agissait de mesures imposées par l’État à un moment où la partie syndicale se retrouvait en fin de parcours, souvent le dos au mur.
La profession enseignante a été largement dévalorisée au cours des 40 dernières années et ce milieu professionnel a été, au fil du temps, déserté. La pénurie de main-d’œuvre qu’on y retrouve s’explique en partie par le fait qu’il s’agit d’une profession où les conditions d’exercice du métier sont particulièrement difficiles et où la permanence vient après de trop nombreuses années d’attente impatiente. Voilà pourquoi il existe des difficultés réelles de recrutement dans ce milieu spécialisé dans l’instruction des connaissances de base, la transmission du savoir et la formation professionnelle. Pas étonnant que la rétention du personnel soit en chute libre dans ce secteur de l’activité sociale et culturelle qui doit apparaître en tout temps comme prioritaire pour un gouvernement[7]. Nous devons nous dire que ce n’est pas avec des mots creux, hérités du néolibéralisme (« flexibilité », « souplesse »), qu’il sera possible de juguler l’hémorragie qu’on observe dans le système scolaire. La charge de travail des enseignant·e·s doit être revue à la baisse. La composition de la classe doit faciliter les conditions d’exercice du métier de pédagogue et la précarité dans les statuts d’emploi doit être éradiquée. Il y a une limite à vouloir disposer d’une main-d’œuvre flexible, mobile, qui de surcroît n’a aucune véritable sécurité d’emploi et garantie de revenu. A-t-on oublié en haut lieu que les personnes qui veulent devenir enseignant·e·s s’endettent parfois énormément durant leur formation collégiale et universitaire ?
Sur la manière de négocier du premier ministre Legault
Nous avons été en mesure de constater qu’il existe une manière de négocier à la François Legault. Il prétend que la solution aux problèmes passe par quelques mots valises, empruntés au vocabulaire néolibéral. Au long du processus de négociation, il a accusé les syndicats d’être à l’origine de tous les maux du système public, en plus de manquer d’ouverture. Il ajoute que les choses sont difficiles parce que les services sont administrés par les syndicats plutôt que par les administrateurs et les administratrices. En cours de négociation, il s’est même risqué, à l’improviste, à promettre de nouveaux dépôts – dépôts qui, vérification faite, n’en sont pas vraiment par rapport au précédent. Bref, le premier ministre s’organise pour gagner du temps. En cas d’arrêt de travail, il laisse pourrir la situation. Il fait des déclarations, durant le processus de négociation, qui lui sont dictées par ses conseillères et ses conseillers en communication, que cela soit vrai ou non. Tout au long du processus de négociation, il crée des illusions. Cette fois-ci, par contre, il a proposé un contrat de travail accompagné d’une hausse salariale qui dépassait le cadre du 2 % par année fortement recommandé par la Banque du Canada depuis le début des années quatre-vingt-dix. Ce qui a eu pour effet d’en appâter plusieurs du côté syndical. Mais n’oublions pas qu’à terme, inévitablement, la voie privilégiée par le chef caquiste est celle du désenchantement. Dans la joute politique, François Legault fait beaucoup dans la théâtralité non pas comique, mais plutôt sombre et dramatique.
Les clauses remorques
Nous maintenons que les salarié·e·s syndiqué·e·s des SPP ne sont plus à l’avant-garde de la lutte syndicale depuis la fin des années soixante-dix. Indépendamment de ce fait, il y a néanmoins certaines conventions collectives, dans les universités en particulier, qui sont accompagnées d’une clause remorque à ce qui sera conclu sur le plan salarial entre l’État employeur et les organisations syndicales des SPP (la « Politique salariale du gouvernement » [PSG pour les intimes]). Il serait de bon ton que les syndicats qui jouissent d’une telle clause, sans avoir à livrer bataille, versent une partie de leurs cotisations syndicales en don de solidarité à celles et ceux qui se mettent en grève sans avoir les moyens de se constituer un Fonds local de défense professionnelle digne de ce nom. Nous pensons plus particulièrement aux employé·e·s de soutien syndiqué·e·s dont les revenus sont encore inférieurs à 50 000$ par année. Ces syndiqué·e·s méritent d’être concrètement soutenu·e·s financièrement par-delà les appels creux à la solidarité, surtout quand elles et ils se mettent en grève… et par ricochet, pour d’autres.

Un mot sur la grève en tant que moyen de pression et sur la durée des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic
Lors de cette ronde de négociation, le droit de grève, qui jouit pourtant d’une reconnaissance constitutionnelle au Canada depuis 2015, a été remis en question, surtout en éducation. D’un côté, des voix se sont élevées en vue de restreindre l’exercice de ce moyen de pression dans « l’intérêt des enfants » et de l’autre côté, un ex-porte-parole syndical y est allé d’une prédiction délirante à l’effet que ce moyen de pression était « brûlé pour les trente prochaines années ». De deux choses, l’une, nous vivons dans une société libre au sein de laquelle le travail est libre. Qui dit liberté ici, dit également le droit de refuser d’effectuer sa prestation de travail, surtout lors du renouvellement de la convention collective dont la durée s’étend maintenant sur une période de cinq ans. Ensuite, à l’opposé, le travail est obligatoire et doit être effectué d’une manière continue et ininterrompue ; ce qui correspond à une forme nouvelle d’assujettissement ou de captivité. À une époque, pas trop lointaine, le gouvernement du Québec soutenait que ce qui nous distinguait des régimes totalitaires résidait dans la reconnaissance et l’exercice du droit de grève. Autre temps, autres mœurs.
Lors de l’imposition en 2005 des décrets dans les secteurs public et parapublic, le premier ministre de l’époque, Jean Charest, se vantait d’avoir modifié la durée des conventions collectives les faisant passer de trois à cinq ans. Depuis, les organisations syndicales réclament toujours en début de négociation un contrat de travail de trois ans. Avec l’entrée en vigueur de cette norme quinquennale, il n’y a eu qu’un seul contrat de travail de trois ans, soit celui de 2019 à 2022. Il faut croire que les deux parties ici, gouvernement et syndicats, trouvent leur compte dans une convention collective de cinq ans. Cela peut permettre autant du côté gouvernemental que syndical de la prévisibilité sur le plan budgétaire. Mais pour les salarié·e·s syndiqué·e·s, cela peut correspondre à un étirement dans le temps d’un mauvais traitement salarial.
Au sujet du RREGOP
Avec le temps des modifications qui ciblent des groupes particuliers ont été apportées au RREGOP. Ce régime comporte des dispositions de plus en plus spécifiques pour des personnes retraitées qui effectuent un retour au travail dans les SPP et des salarié·e·s sur la liste de rappel (à temps partiel), de plus de 69 ans. De plus, les personnes qui restent au travail après 69 ans ou 71 ans ne voient pas leur rente bonifiée, comme c’est le cas avec le Régime des rentes du Québec (8 % par année, jusqu’à un maximum de 40 %) ou le régime de la Sécurité de la vieillesse du Canada (6 % par année, jusqu’à un maximum de 30 %). Il s’agit là d’une situation qui s’apparente à un fromage emmenthal. Les trous ici s’avèrent par contre complètement indigestes, donc insoutenables et indéfendables.
Sur l’avenir du Front commun
Nous n’avons pas la possibilité de prédire l’avenir. Y aura-t-il d’autres fronts communs dans les SPP ? Front commun partiel ou unitaire ? Nul ne le sait. Une chose semble exclue toutefois : un Front commun à la base. Ce projet nous semble lointain en raison du fait que le syndicalisme qui se pratique aujourd’hui pèche par son centralisme et sa bureaucratisation. Les appareils des organisations syndicales ne sont disponibles que pour une certaine unité d’action et de revendications communes ; ils ne sont pas trop intéressés à céder le contrôle de la négociation et de l’action à leurs membres à la base. Phénomène qui a pour nom la « Loi d’airain de l’oligarchie ». N’oublions pas que c’est une élite – opportuniste et immobiliste – qui a pris la tête des organisations syndicales.
Pour conclure…
Nous maintenons qu’il est toujours trop tôt pour effectuer un bilan final de la ronde de négociation 2022-2024 dans les SPP. Ce n’est qu’au terme de la nouvelle convention collective qu’il sera possible d’effectuer un tel exercice et de constater si le pouvoir d’achat a été pleinement protégé et si les écarts avec les salarié·e·s syndiqué·e·s des secteurs privés et autres secteurs publics ont été réduits, éliminés ou accrus.
Les « promesses » ministérielles de l’époque de la réforme du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic de 1984-1985 se sont avérées correspondre à un miroir aux alouettes. Il n’y a jamais eu de « nouvel équilibre » entre les parties assis à la table. Les dés sont pipés à l’avantage de l’État-patron qui préfère ajouter, année après année, aux effectifs plutôt que de rémunérer adéquatement la totalité de ses salarié·e·s syndiqué·e·s.
Il s’agit probablement ici d’un de nos derniers écrits sur les négociations dans ces secteurs de notre conflictualité sociale. Secteurs où la négociation collective est d’apparition récente (les années soixante du siècle dernier). Ce qui nous amène à un certain nombre d’observations à portée un peu plus abstraite.
Sur l’histoire…
L’histoire est une discipline tiraillée par différents courants d’analyses diamétralement opposés allant du déterminisme le plus rigide à la contingence la plus floue. L’histoire a donné lieu jusqu’à maintenant à de solides mouvements progressistes d’opposition victorieux, comme au triomphe de la réaction. Les réformes en faveur du plus grand nombre sont parfois suivies de retournements et de contre-réformes où les privilèges de la minorité possédante, dominante et dirigeante, se retrouvent rétablis. Bref, l’histoire se fait à travers des mouvements contradictoires et surtout de convulsions inévitables. Il arrive souvent que la personne qui se pose en historienne ou historien des événements ne soit qu’une observatrice ou un observateur externe de ces endroits où se dénouent les tensions. Dans ces circonstances, les possibilités d’errance et de divagation sont nombreuses pour l’analyste. Les personnes qui proposent des interprétations des négociations dans les SPP (et nous en sommes) ne maîtrisent pas toujours, hélas, la totalité des éléments qui font cette histoire. Il est donc possible ici d’en échapper plusieurs faits ou événements importants. Voilà un peu pourquoi il n’est possible que de dessiner un tableau partiel et partial de ces négociations, sans vraiment atteindre une vue d’ensemble des résultats significatifs. Qui, à partir de l’extérieur, peut prétendre être assuré d’un contact adéquat avec la réalité ? Pas l’auteur des présentes lignes en tout cas.
Sur le triangle dramatique…
Dans l’histoire des négociations des SPP, il est souvent arrivé qu’on observe deux moments complètement opposés : celui de la présentation aux membres d’une « Entente de principe » et celui de l’élaboration du « Cahier des demandes ». Voilà deux moments qui contrastent entre un moment quasi jubilatoire et un moment déprimant à souhait ; un moment qui s’accompagne d’une invitation à adopter un contrat de travail supposément alléchant et un autre qui donne lieu à une dénonciation en règle de l’entente négociée par les porte-paroles syndicaux et adoptée par les membres, car elle aurait contribué à l’appauvrissement des salarié·e·s syndiqué·e·s. Un phénomène qui a été conceptualisé en psychologie sous la notion de « Triangle dramatique » (victime, bourreau et sauveur). L’histoire des négociations dans les SPP nous illustre à merveille, jusqu’à maintenant, qu’il n’y a pas eu de « Sauveur suprême » ou de « Victoire finale » dans le camp syndical. Comment en effet supposer une telle tournure quand la solidarité n’y est plus, à part quelques slogans et l’action des personnes les plus impliquées, quand la mobilisation repose sur une poussée émotive éphémère et non sur des convictions ou des principes, quand l’autre est vu comme une compétitrice ou un compétiteur du monde du travail et non une alliée ou un allié, quand le monde syndical lui-même est divisé et non uni ?
L’histoire est possiblement un inépuisable mouvement de convulsions interminables, dont la finalité et la totalité de ce qui la compose nous échappent encore… Nous laissons maintenant à d’autres le soin de suivre, de commenter et de vaticiner, sur une base régulière ou périodique, cet aspect majeur de notre vie collective.

Annexe I
Certaines questions à prendre en considération en vue de la production d’un bilan critique des négociations dans les secteurs public et parapublic[8]
Nous laissons dorénavant à d’autres le soin de couvrir les grands aspects des négociations dans les secteurs public et parapublic. Nous entendons ici tout ce qui s’est produit durant la période allant de « La Reine ne négocie pas avec ses sujets » à aujourd’hui et qui est en lien avec ce qui est énuméré ou mentionné dans les prochains paragraphes.
Le secteur public et parapublic au Québec est un lieu au sein duquel se pratique un syndicalisme incontestablement féministe, mais également corporatiste puisque ce syndicalisme porte des revendications en lien avec le salaire et le monétaire. Il s’agit donc d’un lieu où se posera nécessairement la question de l’équité salariale et également de la relativité salariale. Il y est également question d’enjeux en lien avec la Question des femmes.
Dans cette histoire des négociations dans les secteurs public et parapublic il y a eu, au départ, la réforme du régime de négociation en 1964-1965 et les six premières rondes de négociation (époque qui a vu surgir la notion de « Psychodrame social triennal »). Ensuite, l’adhésion des membres de la classe dirigeante au néolibéralisme, puis la ronde dramatique de la non-négociation de 1982-1983. La réforme du régime de négociation en 1984-1985 et les 14 rondes qui ont suivi ont été fortement marquées par la lutte prioritaire du gouvernement à l’inflation, la crise des finances publiques et la lutte au déficit budgétaire. Il y a eu, depuis les années quatre-vingt-dix, l’imposition d’un maximum d’accroissement de 2 % par année de la masse salariale (alignement fortement suggéré par la Banque du Canada en vue de contenir l’inflation dans une fourchette cible [entre 1 et 3 % par année]).
Qu’en est-il de la question des alliances intersyndicales (Front commun ou non) lors des négociations? Des moyens d’action du côté syndical? Des déclarations ministérielles qui ont pour effet de discréditer les revendications syndicales (« les Gras durs », « nos Anges gardiens », « les Bons à rien ») ?
Qu’en est-il de la position des acteurs suivants : les partis d’opposition durant ces négociations ; les éditorialistes ; la couverture médiatique des années 1970 à aujourd’hui (une couverture de plus en plus diluée et superficielle spécialement à l’ère des médias sociaux et des plates-formes de diffusion électronique ; les liens entre les organisations syndicales et les organisations de la société civile ; les sondages d’opinion publique) ?
Qu’en est-il des aspects suivants lors de ces rondes de négociation : les dossiers syndicaux de préparation de la négociation et des demandes ? Les moyens de pression (la grève / la menace au recours à une loi spéciale) ? L’Entente de principe ? La présentation du résultat de la négociation en lien avec les gains / les pertes ; comment apprécier les gains de la présente ronde de négociation ? L’adhésion ou non des membres aux ententes de principe ? La poursuite de la négociation avec les syndicats qui ont rejeté l’Entente de principe ? Les résultats : la valeur de la force de travail ; la protection du pouvoir d’achat ; la durée du contrat de travail (3 ans, 5 ans ou plus ?) ; la précarité (en croissance ou en régression ?) ; la privatisation ou non des services? Qui a gagné (l’État-patron ou la partie syndicale ?) ; qu’en sera-t-il de la qualité et de la quantité des services à la population? Qu’en sera-t-il des conditions d’exercice et de pratique dans les secteurs public et parapublic ? Qu’adviendra-t-il des problèmes de pénurie ? D’attraction, de recrutement et de rétention du personnel? Qu’en sera-t-il également de la concurrence en provenance des agences de placement dans le réseau de la santé ?
Que dire au sujet de la lenteur des négociations avec les syndicats du Nord-du-Québec ? Une fois la négociation terminée, comment l’État-patron applique-t-il les dispositions du contrat de travail ? Avec diligence et célérité ou en se traînant les pieds et en prenant tout son temps ?
Manifestement, tout se meut, rien n’est jamais acquis une bonne fois pour toutes surtout dans le champ des relations de travail et des rapports collectifs de travail…
Annexe II
Sur deux citations à méditer dans le cadre d’une démarche critique
La première :
« […] Beaucoup de nos citoyens qui n’acceptent pas de voir le gouvernement négocier des conventions collectives puisqu’il devrait, au nom de l’intérêt public, décréter quelles devraient être les conditions de travail de ses employés. Mais nous ne souscrivons pas à cette opinion, d’abord parce que, en s’astreignant à négocier des conventions collectives, le gouvernement a ainsi permis à ses employés de faire entendre leurs voix, car il est toujours tentant pour un gouvernement d’annoncer de nouveaux programmes, d’annoncer de nouvelles activités et de nouvelles subventions et même d’en arriver peut-être à oublier de rémunérer correctement ses employés, et c’est ce qu’on a connu pendant des années où les employés du secteur public étaient les plus mal payés de la société. Ils devaient consacrer leur vie à l’éducation, à soigner la population et, néanmoins, nos gouvernements, dans le passé, ne respectaient pas leur dévouement à notre service et ne les payaient pas un salaire décent. »
Yves Bérubé
Québec (province). Assemblée nationale : Journal des débats. Troisième session – 32e Législature, Vol. 26 No 68. 7 juin 1982.
La deuxième :
« Dans Re British Columbia Railway Co. and General Truck Drivers and Helpers Union, Local No. 31 (non publiée, le 1er juin 1976), le président Owen Shime a exposé ce que l’on considère maintenant comme les six critères pour évaluer l’équité des règlements salariaux des employés du secteur public régis par des conventions collectives. La liste des considérations qu’il a dressée, résumée dans Workplace Health, Safety and Compensation Commission (Re), [2005] N.B.L.E.B.D. No. 60 (QL), comprenait les critères suivants qui sont particulièrement pertinents en l’espèce :
[traduction] Les employés du secteur public ne devraient pas être tenus de subventionner la collectivité ou le secteur d’activité dans lequel ils travaillent en acceptant des salaires et des conditions de travail médiocres. […] Tout compte fait, si la collectivité a besoin d’un service public et l’exige, ses membres doivent assumer ce qu’il en coûte nécessairement pour offrir des salaires justes et équitables et ne pas s’attendre à ce que les employés subventionnent le service en acceptant des salaires médiocres. S’il est nécessaire d’économiser pour atténuer le fardeau fiscal, il faudrait le faire en réduisant certains éléments du service offert, plutôt qu’en réduisant les salaires et les conditions de travail.
[…] Il faut prendre en compte les taux de rémunération des travailleurs qui accomplissent les tâches similaires dans d’autres domaines d’activité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Quelles comparaisons peuvent être faites avec ce qui existe dans d’autres secteurs de l’économie ? […] [q]uelles tendances peut‑on observer dans des emplois semblables dans les entreprises du secteur privé ? [par. 26]
[…] La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT) peut également nous éclairer sur cette question. Selon la Commission, même en pleine crise financière, il y a des limites aux restrictions que les gouvernements peuvent imposer aux salaires du secteur public qui font l’objet de conventions collectives (Bureau international du Travail, La négociation collective dans la fonction publique : Un chemin à suivre (Conférence internationale du Travail, 102e session, 2013), p. 132‑133). Fait important également, l’OIT a reconnu un principe général selon lequel « les limitations à la négociation collective de la part des autorités publiques devraient être précédées de consultations avec les organisations de travailleurs et d’employeurs en vue de rechercher l’accord des parties » (La liberté syndicale : Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT (5e éd. (rév.) 2006, par. 999).
La juge Abella
Robert Meredith et Brian Roach c. Procureur général du Canada. [2015] 1 R.C.S., p. 65 et 67.
Notes
[1] Le taux de participation à ce vote s’élevait à environ 75%.
[2]https://www.pressegauche.org/La-7e-ronde-de-negociation-de-1985-1986-Texte-11?var_mode=calcul ; https://www.pressegauche.org/Regime-de-negociation-factice-et-services-essentiels-de-1985-1986-a-1999. Consulté le 2 novembre 2024.
[3] https://secteurpublic.quebec/version-complete-des-details-sur-lentente-de-principe/. Consulté le 2 novembre 2024.
[4] Les demandes syndicales peuvent être consultées sur les sites suivants : https://www.frontcommun.org/communique-font-commun-depose-revendications/ ; https://www.lafae.qc.ca/public/file/communique-FAE-depot-demandes-syndicales.pdf ; http://affilies.fiqsante.qc.ca/cantons-de-lest/dossier/negociation-nationale/ ;https://www.sfpq.qc.ca/nouvelles/2023-03-28-les-fonctionnaires-deposent-leurs-demandes-syndicales/ et https://spgq.qc.ca/wp-content/uploads/2024/04/ARQ_Nego2024_Cahier-de-demandes_2024-02-21.pdf.
[5] https://www.tat.gouv.qc.ca/uploads/tat_registres/1382156.pdf. Consulté le 2 novembre 2024.
[6] Allusion au slogan « Nous le monde ordinaire » du premier Front commun de la ronde de négociation de 1971-1972.
[7] Remarque en marge ici : que vaut l’éducation aux yeux de nos gouvernements actuels ? Si l’intention est de créer seulement des travailleur·euse·s, pourquoi ne pas modifier en conséquence l’orientation même de l’enseignement de façon à fournir en série la main-d’œuvre désirée par les entreprises. Pourquoi ne pas compartimenter dès le primaire les groupes d’élèves en les orientant vers leur travail de demain, ce qui éliminerait les décrochages et les mèneraient plus rapidement sur le marché du travail, au grand plaisir de certaines personnes incapables d’avoir une vision pertinente de l’instruction et de l’éducation. Mais est-ce vraiment cette vision réductrice et utilitariste qui doit être privilégiée pour l’avenir ? Est-ce que l’État s’est détourné de sa voie d’être, étant à ce point obnubilé par l’économie ? Ne veut-il plus de citoyen.ne.s instruit·e·s et complet·ète·s ? En tuant la vocation d’enseignant·e, il n’est plus question d’intégrer les jeunes dans la vie sociale, collective et politique, mais simplement de les faire entrer dans le marché, dans le monde du travail. Si cela est véritablement l’intention désirée, alors faisons seulement de la population des travailleur·euse·s ignares du monde et de sa complexité ! Des êtres qui se foutent de la politique (c’est déjà bien commencé), qui ne voient aucun intérêt à leur rôle d’électeur.trice.s ! Mais, pour notre part, ce n’est surtout pas ce que nous souhaitons ou voulons.
[8] Voir également les deux textes suivants : https://www.pressegauche.org/Vingt-questions-aux-porte-parole-du-Front-commun-intersyndical-CSN-CSQ-FTQ-APTS. ; https://www.pressegauche.org/Premiers-elements-en-vue-d-un-bilan-sous-la-forme-d-une-entrevue-avec-L-Etoile. Consulté le 3 novembre 2024.
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Comptes rendus de lecture du mardi 5 novembre 2024


Noir Canada
Alain Deneault
Vous souvenez-vous de ce fameux bouquin qui a fait les manchettes parce qu'il faisait l'objet de poursuites abusives de la part de Barrick Gold et Banro il y plusieurs années ? « Noir Canada » rendait compte des abus commis par les sociétés minières canadiennes en Afrique et démontrait avec force détails que le calcul du profit des sociétés minières ne tient pas compte des coûts sociaux et environnementaux ; que des sociétés minières canadiennes soutiennent parfois des dictateurs pour avoir accès à des gisements ; que des sociétés minières canadiennes financent des guerres civiles pour accéder à des gisements ; que la Bourse de Toronto ne garde aucune trace des causes concrètes de la croissance de la valeur des titres des sociétés minières ; que l'Agence canadienne de développement international finance des projets dévastateurs pour l'environnement et les populations en Afrique ; et que le Canada n'est un « ami » de l'Afrique qu'en apparence. Un livre toujours d'actualité, que j'ai dévoré et que je vous recommande fortement.
Extrait :
Les effets du Canada, le monde y goûte déjà amplement : ingérence politique et contrats léonins dans la fragile République démocratique du Congo, partenariats avec les seigneurs de guerre, vendeurs d'armes et mercenaires de la région à feu et à sang des Grands Lacs, collusions mafieuses dans l'Ouganda voisin, accentuation des tensions armées autour du pétrole d'Ituri, mineurs enterrés vifs en Tanzanie, corruption au Lesotho, empoisonnement massif et génocide involontaire » au Mali, expropriations brutales au Ghana, transformation des Ivoiriens en cobayes pharmaceutiques, barrages hydroélectriques dévastateurs au Sénégal, privatisation sauvage du transport ferroviaire en Afrique de l'Ouest...

Les enfants des jours
Eduardo Galeano
Traduit de l'espagnol
Ce très beau livre raconte pour chaque jour de l'année une histoire tirée de la longue histoire de l'humanité. Comme plusieurs autres des bouquins de ce grand intellectuel uruguayen, il nous raconte le geste des héros que le pouvoir a voulu effacer, ceux qui sont restés debout face à la violence et à la domination. Il en déboulonne aussi d'autres, plus connus, qui ne méritent en rien le respect qu'on leur accorde. Un très bon livre qui nous en apprend beaucoup sur l'histoire et l'espoir des femmes et des hommes.
Extrait :
En 1965 mourut Winston Churchill. En 1919, alors qu'il présidait le British Air Council, il avait donné l'une de ses fréquentes leçons sur l'art de la guerre : « Je n'arrive pas à comprendre toutes ces simagrées à propos de l'usage du gaz. Je suis très favorable à l'emploi du gaz toxique contre les tribus non civilisées. Cela aurait un bon effet moral et répandrait une terreur durable. » Et en 1936, en parlant devant la Palestine Royal Commission, il avait donné l'une de ses fréquentes leçons sur l'histoire de l'humanité : « Je ne reconnais pas qu'on ait fait quoi que ce soit de mal aux Peaux rouges d'Amérique, ni aux nègres d'Australie, quand une race plus forte, une race de meilleure qualité, est arrivée pour prendre leur place. »

Le Journal d'Anne Frank
Anne Frank
Traduit du hollandais
J'aimerais que tous les adolescents et tous les jeunes adultes lisent Le Journal d'Anne Frank. Il a été écrit en Hollande, par une jeune fille juive de treize ans, pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa famille et elle et d'autres encore, ils étaient huit, y avaient trouvé refuge dans un pavillon d'arrière court pour échapper aux Allemands. Ce journal est le journal émouvant d'une enfant qui se découvre dans ses relations avec les autres et qui réussit à préserver sa liberté et sa fantaisie malgré le danger qui les guette, elle et ses proches. Le journal s'arrête abruptement le 1er août 1944. Le 4 août 1944, le Feld-Polizei fit une descente dans leur pavillon. Tous les habitants furent arrêtés et envoyés dans des camps de concentration. Anne Frank mourut en mars 1945, dans le camp de concentration de Bergen-Belsen, deux mois avant la libération de la Hollande. Elle a écrit quelque part, dans ce journal d'enfant, quelque chose de très touchant : « Je crois, je continue de croire, malgré tout, que dans le fond de leur coeur, les hommes sont réellement bons. » On sort de cette lecture profondément ému. Et peut-être avec une autre vision du monde.
Extrait :
Une nouvelle formidable - nous allons accueillir une personne supplémentaire dans notre cachette ! Oui, vraiment, nous avons d'ailleurs toujours été d'avis de pouvoir caser et nourrir une huitième personne. Seulement, nous avons craint d'abuser de la responsabilité de Koophuis et Kraler. A la suite de la Terreur grandissante, Père s'est décidé à tâter le terrain ; nos deux protecteurs étaient immédiatement d'accord : « Le danger pour huit est le même que pour sept », dirent-ils avec beaucoup de logique.

Fille de la colère - Le roman de Louise Michel
Michel Peyramaure
J'ai dévoré ce superbe roman qui ressemble à maints égards à une biographie. Louise Michel fut une femme remarquable. Née en 1830 d'une mère occupant un poste de servante, devenue institutrice, cette grande figure de l'anarchisme et de la Commune de Paris aux idées féministes se battra toute sa vie pour une société juste et égalitaire. Sa colère, nous raconte l'auteur, surgit dès qu'elle met les pieds à Paris, au spectacle de la misère et de l'injustice qui minent le quartier où elle a ouvert une école. Tous les progrès sociaux que nous avons faits jusqu'ici, nous les devons en très grande partie à des hommes et des femmes comme Louise Michel. Michel Peyramaure a aussi écrit dans la même veine le roman de deux autres grandes figures féminines du XIXe siècle : Sarah Bernhardt et Suzanne Valadon.
Extrait :
On a couché Louise Michel dans le corbillard de dernière classe, le même que celui qui a fait effectuer à Victor Hugo sa dernière promenade dans Paris. Il y avait, sur le parvis de la gare de Lyon, des dizaines de milliers de personnes. Une trentaine de couronnes et de gerbes dissimulaient le cercueil drapé de rouge et de noir.
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