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Va chez Papi !

– Va chez Papi !
- Papi a besoin de répit.
- Alors Mamie.
- Mamie n'a pas bien dormi.
– Oh ! Vous, pas gentils !
- C'est la vie ma fille.
– Tant pis… !
- Tant pis, tant pis, t'as pas subi c'qu'on a subi.
– Voyons ! C'est votre bout d‘choux, Camille.
( Mamie n'a pas sa langue dans sa poche. Elle sentencie : )
- A mon âge, je ne vais pas gâter le « dernier solde » qui m'est imparti.
– Allons Mamie, juste aujourd'hui.
- Chaque week-end, tu nous fais l'coup, toi et ton mari ! s'écrie Papi.
– Regardez cette frimousse, ces yeux de biche qui réclament, « Mamie ! » « Papi ! » jour et nuit.
– Et toi, regarde ces vieilles épaves qui ont élevé 3 générations ! Alors, ça suffit !
- Ouh là, conflit générationnel bien nourri.
( Papi, s'interpose pour calmer le jeu )
- Admettons que l'on vous dise oui ! Vous allez faire quoi, cette après-midi ?
– Voir un film avec des amis (es).
– C'est bien le cinoche, ça change les idées et chasse l'ennui. (Ironise, Mamie)
- Même les Psychologues le conseillent à tout prix !
– A tout prix ? (fait Papi, brocardeur)
- Si, si !
- T'as entendu, Mamie ?
- J'ai entendu et bien compris.
– Alors, c'est bon pour cette après-midi ?
- Vas-y ! Tu embrasses Dany ! consent Papi.
– Aah, Papiii, Mamiiie ! Ici-bas, vous êtes notre Paradis !
( Le jeune couple se paie du bon temps, abuse de la gentillesse des retraités, et remet ça 3 week-ends d'affilée. Excédés, Papi et Mamie décident de mettre un terme définitif à cette outrance, quand leur fille décrétait : )
- Camille, tu restes sage, avec Papi et Mamie !
- Objection ! Il y a un mouvement de grève, aujourd'hui ! (dit Mamie).
– Où ça ? A Paris ?
- Non, non ! Ici !
- Tu plaisantes, Mamie ?
- C'est toi qui l'dis ! On est de sortie.
– C'est vrai, Papi ?
– Oui, ma fille.
- Ah, non ! On a réservé au Resto « Le Bon appétit ! ».
- Et nous, on a nos billets, tarif réduits.
- Et c'est quoi le titre du film qui vous a séduits ?
- « Profite de l'instant présent, demain tu ne seras plus là, l'Ami (e) ! »
Texte et dessin : O. HADDADOU (Paris, 2024)
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Guerre d’Israël contre le Liban : de l’importance des récits médiatiques

Depuis octobre 2023, les frappes israéliennes sur le Liban ont tué plus de 2.700 personnes – dont 1.600 au cours des cinq dernières semaines –, blessé 13.000 et déplacé 1.3 million, soit le cinquième d'une population dont 82% vit sous le seuil de pauvreté : pour décrire l'ampleur de cette violence et ces atrocités, les mots comptent.
Tiré du blogue de l'autrice.
Les mots servent à désigner, et ultimement, à délégitimer la violence, alors il est important de les dire : nous assistons à des crimes de guerre (et non à une escalade), des bombardements indiscriminés (et non ciblés), une guerre contre le Liban (et non uniquement contre le Hezbollah). Or, au sein des récits médiatiques, les mots ont été galvaudés, employés de façon trompeuse ou réductrice.
Le Liban bénéficie d'une importante couverture médiatique en France, à la faveur de liens politiques et culturels très forts entre les deux pays, et de nombreux journalistes et observateurs libanais, mais aussi syriens et palestiniens sont à même de témoigner dans les médias de l'Hexagone, de livrer des analyses pertinentes et variées.
Pourtant, le débat a été dominé par une grille de lecture : celle de la lutte opposant Israël au Hezbollah, du fleuve de la rhétorique de la défense d'Israël face à une organisation terroriste. Comme on l'a observé avec Gaza, le traitement médiatique a péché par un défaut de contextualisation, par l'emploi de poncifs qui tendent à invisibiliser et à déshumaniser les populations civiles.
Cette grille de lecture s'est imposée comme un narratif hégémonique dès l'explosion des bipeurs et des talkies-walkies les 17 et 18 septembre. Des journaux français ont adopté une rhétorique similaire à celle de leurs homologues anglo-saxons qui ont loué une « prouesse technologique » : « Liban, 15h30 : l'opération bipeurs est déclenchée » titre un quotidien national, tandis qu'un autre reprend les paroles d'un ancien cadre de la DGSE qui admire un « coup de maître ». Alors même que, ces engins étant utilisés par des employés des institutions et structures d'aide du Hezbollah, des civils ont perdu la vie et des milliers d'autres ont été mutilés, notamment des aides-soignants et les proches des personnes ciblées dont leurs enfants. Alors même que ces explosions sont venues semer la terreur au plus profond de l'intimité des foyers, ravivant le traumatisme de l'explosion du port et insinuant une paranoïa à l'égard de tout objet électronique (dont les équipements médicaux et humanitaires importés de l'étranger). Alors même que Leon Panetta, ancien directeur de la CIA, a lui-même concédé qu'il s'agissait d'une « forme de terrorisme ».
Depuis, l'armée israélienne a pilonné une grande partie du pays, avec des frappes dans le Sud, la Beqaa, Dahieh, le quartier mixte de Basta et Cola dans la capitale, Jounieh, Baalbeck, Tyre, le Chouf, des villages chrétiens du Nord… Elle a ciblé les services de la ville de Nabatiyé, les abords d'hôpitaux et la mission des Casques bleus. Malgré le caractère indiscriminé des attaques – assumé par les autorités, le ministre israélien de l'Éducation affirmant que « le Liban sera annihilé » –, le récit médiatique s'est focalisé sur le carcan du conflit opposant Israël au Hezbollah, et également sur l'allégeance ou le rejet par la population libanaise du « parti de Dieu ». Il est bien légitime d'informer le public sur la nature complexe de ce dernier, à la fois parti politique, organisation militaire, pourvoyeuse d'institutions sociales et caritatives, ainsi que sur son ancrage social. Mais prioriser cet angle au détriment d'autres tend à valider le narratif israélien : on parle d' « opérations ciblées contre le Hezbollah » alors qu'on assiste à une guerre menée contre le Liban et en premier lieu sa communauté chiite. Il est problématique de parler de « fiefs du Hezbollah » sans commencer par dire qu'il s'agit de quartiers densément peuplés. De se focaliser sur les assassinats de cadres du parti ou du Hamas sans mettre les victimes civiles au cœur du récit, considérées comme des « conséquences collatérales ». « ‘Guerre contre le Hezbollah' : une expression qui engloutit les civils », écrit la journaliste Soulayma Mardam Bey dans l'Orient-Le Jour.
Les réseaux sociaux se sont montrés redoutablement efficaces pour déconstruire les narratifs hégémoniques des médias traditionnels, et notamment ce qu'ils peuvent révéler de « deux poids, deux mesures ». Sur la toile, les images déferlent, la bataille des récits fait s'affronter des visions du monde : on dénonce une guerre coloniale, impérialiste. Dans la mesure où le caractère vertical de l'information est remis en cause, où les médias dominants ne sont plus la seule instance de légitimation du monde, il est d'autant plus crucial de recadrer le débat, de ne pas occulter les enjeux essentiels de ce qui se joue au Liban.
Le cœur du débat devrait porter sur la désignation des crimes de guerre d'Israël, sur le fait que Tsahal a franchi toutes les lignes rouges du droit international humanitaire : violation des principes de proportionnalité, de distinction et de précaution, usage avéré de phosphore blanc, déplacements forcés... Des crimes à resituer dans l'historicité des deux décennies d'occupation et des offensives israéliennes au pays du cèdre, en 1978, 1982 (avant la fondation du Hezbollah) et 2006.
Le débat devrait porter sur l'impunité incommensurable dont bénéficie l'État israélien, sur la faillite du droit pénal international. Ne pas faire de cette impunité le thème central, c'est délégitimer le droit international, c'est acter notre renoncement à un ordre mondial fondé sur la justice.
Le glissement ultranationaliste de l'État d'Israël devrait aussi être mis en exergue, évolution portée par l'extrême-droitisation d'une mouvance suprémaciste et messianique, qui essaime dans les plus hautes sphères du pouvoir. L'absence de mobilisation de la société israélienne, qui soutient en grande partie les bombardements au Liban comme à Gaza, doit nous interroger. Il s'agit de comprendre la nature même du projet colonial et expansionniste, auquel s'arrime une culture politique qui cautionne le meurtre de masse de populations arabes, et qui nous renvoie par bien des aspects à notre propre histoire.
Ce qui devrait surtout être documenté et débattu, c'est le soutien continu de nos gouvernements, leur inaction complice qui se contente de condamnations du bout des lèvres tout en donnant un blanc-seing à Israël, lui fournissant des armes – États-Unis et Allemagne en tête, tandis que la France vend des composants. Les dirigeants politiques et économiques disposent pourtant de leviers similaires à ceux mobilisés dans la lutte contre l'apartheid de l'Afrique du Sud : rappeler les ambassadeurs, mettre fin à la coopération militaire et aux relations économiques privilégiées (BNP Paribas continue d'investir des milliards d'euros dans les fournisseurs d'armes à Israël), sanctions... Mais ils choisissent de ne pas en faire usage.
Et c'est là l'écueil d'un narratif exclusivement centré sur le conflit entre Israël et le Hezbollah : il élude la question de notre responsabilité collective, celle des acteurs politiques, mais aussi de l'opinion publique. À l'heure où des images de quartiers dévastés circulent sur nos écrans, où la France comme la plupart des pays occidentaux se contente d'une réponse humanitaire, cette question de la mobilisation et de la pression morale que nous pourrions exercer sur nos dirigeants n'a jamais été aussi brûlante.
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Les plans états-uniens pour remodeler le Liban

Alors que l'invasion terrestre du Liban par Israël s'enlise, malgré la poursuite de bombardements meurtriers, une guerre par d'autres moyens se déroule derrière les lignes de front. Les acteurs diplomatiques, politiques et médiatiques se mobilisent pour remodeler les équilibres politiques du Liban dans le but d'affaiblir le soutien à la résistance palestinienne et ramener le pays dans l'orbite occidentale et israélienne.
Tiré de la revue Contretemps
31 octobre 2024
Hicham Safieddine
Selon des informations publiés par le quotidien beyrouthin Al Akhbar, l'ambassadrice américaine au Liban, Lisa Johnson, aurait tenu, le 11 octobre une série de réunions avec des hommes politiques libanais, y compris des membres « indépendants » du parlement. Elle leur aurait demandé de se préparer à une nouvelle « ère post-Hezbollah », dans laquelle le contrôle présumé du parti sur l'État et les postes-frontières ne tiendrait plus.
L'envoyé spécial de Washington, Amos Hochstein, ancien militaire et lobbyiste israélien, apparait publiquement sur les principales chaînes libanaises et diffuse la même version, mais dans un langage diplomatique. Le Premier ministre libanais Najib Mikati et le Conseil des ministres ont également affirmé leur attachement à la résolution 1701du Conseil de sécurité des Nations unies, qui vise officiellement à mettre fin aux hostilités entre le Hezbollah et Israël. De son côté, Israël n'a pas encore annoncé son approbation.
Les responsables américains, enhardis par les attentatsisraéliens sur les bipeurs et l'assassinat de hauts responsables du Hezbollah, dont son secrétaire général Hassan Nasrallah, misent sur deux chevaux de Troie pour renverser la situation du Hezbollah de l'intérieur.
Le premier est de précipiter l'élection d'un nouveau président dont le programme serait conforme aux politiques américaines et israéliennes. Le chef de l'armée libanaise, Joseph Aoun, est un candidat probable. Le choix d'Aoun est lié au deuxième cheval de Troie de la campagne américaine contre la résistance : une version remaniée de la résolution 1701.
L'intégrité territoriale du Liban
La version actuelle de la résolution a été publiée au lendemain de la guerre israélienne de 2006 contre le Liban. Elle a servi de point de référence pour le désengagement du conflit. Elle affirmait « l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance politique du Liban » comme moyen de saper la résistance armée menée par le Hezbollah en trois étapes.
La première consiste à interdire toute présence armée du Hezbollah au sud du fleuve Litani et soutient l'appel au désarmement du groupe conformément à la résolution 1559des Nations unies, adoptée deux ans plus tôt. En revanche, aucune restriction de ce type n'a été imposée à Israël. La deuxième consiste à déployer l'armée libanaise dans tout le sud et la troisième à augmenter la présence des troupes de l'ONU à 15 000 hommes, tout en cherchant à les utiliser comme les yeux et les oreilles des puissances occidentales plutôt que comme des protecteurs de la population du sud.
Le Hezbollah a réussi à contourner ces nouvelles restrictions en adoptant une double approche : éviter toute présence armée visible au sud du Litani et se coordonner avec les factions loyales de l'armée libanaise afin d'être rapidement alerté des tentatives des troupes de l'ONU de mettre au jour toute cachette ou activité.
À en juger par la guerre actuelle, la stratégie du Hezbollah a été relativement efficace. C'est pourquoi Washington mise actuellement sur une version remaniée de la loi 1701 et sur des mécanismes d'application plus stricts qui évitent les échecs du passé. Les plans états-uniens sont favorisés par plusieurs développements survenus depuis 2004.
Une armée faible et des Nations unies impuissantes
Sur le plan militaire, les États-Unis ont conclu un partenariat stratégique avec l'armée libanaise à la suite de la guerre de 2006. Ce partenariat comprend une aide financière d'un montant de 3 milliards de dollars. Les ambassadeurs américains rencontrent régulièrement le chef de l'armée, Joseph Aoun, et organisent des formations conjointes ou des cérémonies avec des officiers de haut rang.
Cette politique visait à créer une armée idéologiquement docile. Mais du fait de l'engagement inébranlable de Washington en faveur de la supériorité militaire d'Israël, aucune partie de cette aide n'a été consacrée à l'achat d'armes offensives ou à la formation à la défense contre les agressions étrangères plutôt que contre la répression interne.
La stratégie de Washington consistant à aider Israël en priorité signifie que l'armée libanaise est incapable de défendre le Sud-Liban contre des menaces israéliennes crédibles. Au cours de cette guerre, Israël a attaqué et tué des soldats de l'armée libanaise sans susciter de réaction. Le déploiement des forces armées libanaises dans le sud contribuera à sécuriser Israël, et non le Liban. Une conséquence inattendue est l'incapacité de l'armée à maîtriser le Hezbollah, contrairement aux attentes de Washington.
Les troupes de l'ONU au Liban, connues sous le nom de Finul, sont tout aussi impuissantes face à l'agression israélienne. Depuis leur déploiement après l‘invasion israélienne de 1978, ces troupes n'ont pas réussi à arrêter une seule attaque israélienne. En 1996, Israël a bombardé un complexe de l'ONUdans le sud du Liban abritant des Libanais déplacés, tuant plus de 100 personnes et en blessant des centaines d'autres.
Depuis 2006, la neutralité relative de la Finul semble avoir été remplacée par un parti pris manifeste en faveur d'Israël, malgré le comportement agressif de ce dernier. Au début du mois d'octobre, Israël a attaqué les troupes de l'ONU sous prétexte qu'elles n'appliquaient pas la résolution 1701 et a demandé leur redéploiement à quelques kilomètres au nord de la frontière.
Le 17 octobre, un navire de guerre allemand opérant sous le drapeau de la Finul a abattu un dronequi se dirigeait du Liban vers la Palestine occupée. Cela préfigure la demande de l'envoyé étatsunien Hochstein d'autoriser les troupes de l'ONU à agir en tant que mandataires d'Israël pour traquer et attaquer les forces de la résistance.
Siège économique et social
Sur le plan économique, Washington et ses alliés du Golfe ont renforcé les sanctions financières et économiques à l'encontre du Liban, lui ont refusé toute aide après l'effondrement financier de 2019et ont fait la chasse aux ressources des communautés chiites expatriées en Afrique de l'Ouest et en Amérique latine afin de tarir tout financement communautaire présumé du Hezbollah. Ces mesures avaient pour but d'alimenter les conflits sectaires et d'inciter la base sociale à s'opposer au Hezbollah.
Parallèlement, Washington a favorisé le renforcement des liens avec les ONG émergentes et les députés nouvellement élus afin de créer une élite politique apparemment indépendante, dissociée de la réputation endommagée des forces traditionnelles tout en soutenant des positions opposées à celles de la résistance. Les machinations états-uniennes ont eu un certain impact, notamment sur l'opinion publique. La domination des médias pro-occidentaux au Liban y a certainement contribué. Mais le Hezbollah et son principal allié, le mouvement Amal, ont renforcé leur base sociale lors des dernières élections législatives, qui se sont tenues en 2022.
Malgré la médiocrité des résultats obtenus par les États-Unis, Washington espère maintenant que le désastre social qui résulte du fait qu'Israël a tué, blessé et déplacé des centaines de milliers de personnes créera des conditions suffisantes pour paralyser le Hezbollah. Mais il est clair que sans une victoire militaire décisive – et jusqu'à présent hors de portée – contre le Hezbollah, tous ces efforts ont peu de chances de porter leurs fruits. Essayer d'éliminer brutalement la base sociale du Hezbollah en massacrant des civils ne fonctionnera pas non plus. La multiplication des attaques contre l'ensemble de la communauté ne fera que renforcer sa détermination à soutenir les forces de résistance qui la défendent.
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Hicham Safieddine est professeur d'histoire à l'université de la Colombie Britannique (Canada). Il est l'auteur de Banking on the State : The Financial Foundations of Lebanon (2019) et l'éditeur d'une sélection d'écrits du marxiste libanais Mahdi Amel : Arab Marxism and National Liberation : Selected Writings of Mahdi Amel (2021).
Cet article a été publié le 23 octobre 2024 dans Middle East Eye. Traduction Contretemps.
Illustration : patrouille de la Finul le long de la ligne bleue au Liban, Foto EMAD.
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Prix Ivoire 2024

Le romancier Gary Victor finaliste du Prix Ivoire 2024 pour la Littérature Africaine d'Expression Francophone
L'écrivain haïtien Gary Victor avec son roman « Le violon d'Adrien », est l'un des 5 finalistes en lice pour le Prix Ivoire pour la Littérature Africaine d'Expression Francophone.
L'association Akwaba Culture a l'honneur de porter à la connaissance des professionnels du livre et du public que le jury chargé de la sélection des ouvrages finalistes du Prix Ivoire pour la Littérature Africaine d'Expression Francophone 2024 a achevé ses travaux.
Après une sélection sur mesure par un jury d'experts, cinq romans se démarquent : Les Femmes de Bidibidi de Charline Effah ; Malentendues d'Azza Filali ; Zakoa de Hary Rabary ; Âmes tembée de Marie-George Thébia et Le Violon d'Adrien de Gary Victor.
Soixante-seize ouvrages provenant de seize pays ont été soumis. Le lauréat sera dévoilé le 18 octobre 2024, et la cérémonie de remise du Prix, doté de 3.000 euros, se déroulera à Abidjan le 23 novembre 2024.
Né à Port au Prince en 1958, Gary Victor est aujourd'hui l'un des romanciers les plus lus en Haïti. Il est scénariste pour la radio, le cinéma et la télévision. Il a reçu en 2001 la médaille de l'Ordre de chevalier du mérite de la République française pour la valeur de son oeuvre publiée en français en Haïti.
Créé en 2008 par Akwaba Culture, association de droit ivoirien, le Prix Ivoire pour la Littérature Africaine d'Expression Francophone est placé sous le parrainage du Ministère de la Culture et de la Francophonie de Côte d'Ivoire, de l'ambassade de France à Abidjan, de la Fondation Orange Côte d'Ivoire.
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Guerre au Liban : silence sur les violations israéliennes du droit international

« Le Moyen-Orient est le tombeau du droit international », écrivait le juriste Serge Sur. Ce billet identifie dans le récit médiatique français les omissions et les manoeuvres de contournement permettant de parler de la guerre au Liban sans évoquer les violations israéliennes du droit international, à l'heure où la guerre a tué plus de 2900 personnes au Liban.
Tiré du blogue de l'autrice.
En France le Hezbollah est discrédité d'office, à juste titre, comme une organisation qui enfreint le droit international, commet des actes terroristes, tire des roquettes sur le territoire israélien qui ont tué 39 civils et 61 soldats et entraîné le déplacement de plus de 63 000 personnes depuis le 8 octobre 2023. Il faut ajouter que le Hezbollah a soutenu militairement un régime sanguinaire en Syrie à la suite du mouvement de protestation populaire en 2011. Au Liban, il paralyse le fonctionnement des institutions, contribuant de tout son pouvoir à empêcher l'instauration d'un Etat de droit et à ruiner l'économie libanaise. Il a assassiné des résistants communistes à l'occupation israélienne dans les années 1980 dans le but de diriger sans partage le mouvement de la résistance, puis il a organisé des attentats contre le premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005, contre l'ancien ministre Mohammed Chattah, assassiné en 2013, contre l'intellectuel Lokman Slim - assassiné en 2021 pour avoir dénoncé l'emprise du parti de Dieu sur le pays.
Israël, qui enfreint le droit international depuis des décennies, et qui depuis le 8 octobre 2023 a tué plus de 43 000 Palestiniens - en majorité des civils -, qui affame les rescapés, empêche l'aide humanitaire de leur parvenir, tue le personnel médical, décime les élites culturelles gazaouies, assassine les journalistes, détruit le patrimoine historique palestinien, et soumet Gaza, selon l'expression de la Cour internationale de justice, à "un risque plausible de génocide", Israël qui refuse de reconnaître le droit au retour des réfugiés palestiniens, s'oppose à l'existence d'un Etat palestinien, conduit une politique coloniale et instaure un régime d'apartheid - toujours selon la CIJ -, Israël qui a occupé le sud du Liban pendant 22 ans, annexé Jérusalem-Est et le Golan syrien, mené plusieurs guerres meurtrières, et qui a tué au Liban au cours de l'année écoulée plus de 2900 personnes - en majorité des civils -, Israël est un partenaire économique, politique et militaire de la France.
Omissions
L'ONU publie en ligne le 4 octobre 2024 un texte au titre explicite : « Liban : des experts de l'ONU déplorent le mépris croissant d'Israël pour le droit international ». Israël a un long passé de violations du droit international au Liban analysées dans des études académiques (1). Mais depuis le début de la guerre menée par Israël au Liban en 2023, on cherche souvent en vain dans les médias français des références aux violations actuelles du droit international perpétrées par l'Etat hébreu.
Un tel évitement est manifeste dans le traitement des frappes israéliennes visant le secteur médical. Human Rights Watch parle de crimes de guerre pour le ciblage des professionnels de santé au Liban. Aucun média français ne relaie cette qualification gênante pour Israël ni n'apporte quelque éclairage juridique que ce soit. 163 secouristes ont été tués, 20% des hôpitaux du Liban ont été endommagés dans des frappes. Des centres médicaux ont été bombardés au motif qu'il appartiennent à des organisations affiliées au Hezbollah, et leur personnel tué, alors qu'ils sont protégés par le droit international au même titre que n'importe quels autres établissements de santé.
Même indifférence au droit dans le compte rendu de l'assassinat prétendument ciblé de Hassan Nasrallah, dans une frappe qui devait tuer, selon une estimation préalable israélienne, 300 personnes - estimation basse par conséquent. Israël largue dans une zone densément peuplée des bombes de 900 kg de fabrication américaine qui détruisent six immeubles ; personne ne s'interroge sur le sacrifice de centaines de civils qu'implique cette exécution extra-judiciaire. Il faut attendre le 19 octobre, soit deux semaines après l'événement, pour que le site d'information irlandais The Journal invite une juriste, Heidi Matthews, à livrer une analyse du massacre. H. Matthews note que depuis le début des années 2000 le nombre acceptable de victimes civiles dans des attaques contre un commandant ennemi a été multiplié par dix - évolution attribuable selon elle aux Etats-Unis et à leur allié israélien qui allèguent les nécessités de la "guerre contre le terrorisme".
Même black out concernant la qualification des bombardements indiscriminés d'infrastructures civiles, à l'heure où un quart des bâtiments dans le sud du Liban ont été détruits par Israël. Un expert de l'ONU, Ben Saul, de même que Amnesty international, Human Rights Watch, des médias anglophones (Washington Post, The Canary). rappellent que même les bâtiments d'une banque qui finance les activités militaires du Hezbollah, comme Qard al-Hassan, visés par des bombardements massifs le 21 octobre 2024, sont protégés au même titre que les autres bâtiments civils. Exception faite de France 24, les autres médias français se bornent à exposer les activités de Qard al-Hassan sans plus de commentaires.
Des quartiers entiers ont fait l'objet d'ordres d'évacuation avant d'être intégralement rasés par l'armée israélienne au sud du Liban. Les soldats israéliens ont posé des tonnes d'explosifs dans le village de Mhaibib et déclenché à distance, le 16 octobre 2024, leur explosion simultanée, transformant le village entier en champ de ruines. Seul Le Monde relaie dans une vidéo ces informations, sans un mot concernant la possible illégalité de ces destructions généralisées. Le New York Times apporte l'éclairage le 30 octobre 2024 d'un juriste selon lequel le droit international n'autorise pas à détruire des zones entières sans distinguer les structures civiles et militaires ; la question n'éveille pas l'intérêt des médias français.
Les experts de l'ONU écrivent : « Israël ne peut pas utiliser les crimes des groupes armés non étatiques pour justifier ses propres atrocités au Liban, notamment les actes de violence destinés à répandre la terreur parmi les civils et la guerre sans discrimination. Agir ainsi équivaudrait à une punition collective, une autre grave violation du droit international ». Propos demeuré sans écho dans la presse française.
Discours dominant
Voici quelques types de discours sur la guerre au Liban diffusés dans les journaux français réputés sérieux - si l'on évite ceux, à droite et à l'extrême droite, dont le parti pris pro-israélien est considéré comme notoire :
1.Les médias déroulent un récit compassionnel montrant des victimes libanaises plongées dans le malheur. Les médias savent bien, pourtant, que la compassion humanitaire fait partie du service après-vente des massacres occidentaux : on voit les Etats-Unis vendre à Israël les armes qui tuent les Gazaouis et former simultanément un pont humanitaire pour venir en aide aux survivants. La compassion n'a jamais fait vaciller un tant soit peu la suprématie occidentale. On pourrait dire que tout au contraire, elle la conforte : elle est intégrée dans le marketing militaire. Les guerres en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Palestine ont eu droit à des traitements médiatiques similaires qui ont fait leurs preuves : les journaux ont augmenté leurs ventes sans rien changer à l'ordre mondial établi.
2.Les médias adoptent une approche pragmatique calée sur les conséquences supposées des agressions israéliennes. Ils mettent en garde, par exemple, contre les risques d'une "escalade". Ce discours froid contredit frontalement le récit compassionnel : il suppose qu'une agression militaire est acceptable si elle ne provoque pas d'escalade. L'invasion israélienne du Liban, nous a-t-on répété, "risque de provoquer en embrasement régional". Mais si l'embrasement régional n'a pas lieu, l'ennemi étant trop affaibli pour riposter - ou pour le dire autrement, si Israël réussit son coup -, alors, il n'y a plus d'objection à la violation de l'intégrité territoriale d'un pays, quand même des victimes civiles au Liban ont perdu la vie et leurs habitations ont été rasées.
3.Les médias relaient sans commentaire les déclarations d'hommes politiques israéliens et libanais. Un ministre libanais accuse Israël de crimes de guerre, apprend-on en lisant le journal ; le ministre libanais étant juge et partie, ses propos n'éclairent en rien les violations israéliennes du droit, à la différence de sources indépendantes que les journaux français se gardent de relayer, tant que le scandale n'a pas pris une ampleur "suffisante", tant qu'il est possible de le laisser sous le boisseau. Les Israéliens affirment viser les infrastructures militaires du Hezbollah ; même chose ; on n'a jamais vu un pays en guerre déclarer qu'il vise délibérément les civils. Relayer de tels propos sans fournir le moindre travail d'analyse critique et de vérification relève du degré zéro du journalisme.
Le droit international est très imparfait, il a été conçu pour protéger les intérêts des Etats les plus puissants. Les sanctions de violations du droit international sont bloquées par les Etats les plus puissants siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais les médias français évacuent même le droit international et même les Nations unies.
Ah oui, une exception : les attaques israéliennes contre les soldats de la FINUL, qui ont blessé 13 Casques bleus ; les médias ont bien parlé, alors, de droit international ; la France fournit à la FINUL un contingent de 700 soldats.
Non application du droit international au Moyen-Orient
"Le Moyen-Orient est le tombeau du droit international", écrivait le juriste Serge Sur, interrogé sur la guerre à Gaza, alors que l'ONU alertait depuis plusieurs semaines sur un risque de génocide.
La question se pose de savoir qui participe à l'enterrement du droit international.
Une autre question est de savoir à qui profite cet effacement du droit. Qui a le plus à y gagner ? Le Hezbollah est déjà déshonoré aux yeux de l'opinion publique française, dire qu'il commet des crimes de guerre est peut-être plus exact que de parler d'"organisation terroriste", mais n'aggrave pas les charges qui pèsent contre lui - ce serait plutôt le contraire, dans la mesure où l'on utilise pour lui la même terminologie juridique que pour des Etats reconnus. En l'absence de droit prévaut le triomphe de la force, et il n'est pas difficile de déterminer qui a intérêt à imposer une loi unique, celle du plus fort.
Note
(1) Voir par exemple Rafael Bustos (2007) "Les violations du droit international humanitaire dans le conflit de l'été 2006", dans Franck Mermier et Elisabeth Picard (dir.), Liban, une guerre de 33 jours. ( p. 219 -226 ). La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.picar.2007.01.0219.
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Guerre contre le Liban : Evacuations forcées, frappes aériennes et crise humanitaire sans précédent

Dans un contexte de chaos et de frappes brutales et intenses, l'armée d'occupation israélienne a lancé hier un nouvel appel à la population libanaise pour évacuer certaines zones de Baalbeck, région à l'est du Liban.
Tiré d'El Watan.
Ce territoire devient à nouveau le théâtre d'une violence accrue, rappelant les pires jours de la guerre de 2006, mais à une échelle bien plus sévère et avec des conséquences dramatiques pour les libanais.
Le porte-parole de l'armée d'occupation israélienne, Avichay Adraee, a fait mine d'avertir hier les résidants de la région de Douris, dans la vallée de la Bekaa, par des messages diffusés sur les réseaux sociaux. « Vous êtes situés près d'installations et d'intérêts du Hezbollah contre lesquels l'armée israélienne opérera prochainement », a déclaré Adraee, en ajoutant que les familles devaient évacuer d'urgence, s'éloignant de leurs habitations d'au moins 500 mètres dans les quatre heures. Des menaces lourdes pour des habitants déjà épuisés par les attaques israéliennes discontinues au cours des derniers jours.
Dans la ville de Baalbeck elle-même, la situation vire à la catastrophe. Des bâtiments résidentiels, des zones publiques et même des lieux proches des aires de jeux pour enfants ont été la cible d'attaques aériennes. Les monuments romains, inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO, risquent de subir des dommages irréversibles, menaçant l'héritage millénaire de la région. La cité antique est désormais en grande partie abandonnée, les habitants ayant fui dans des conditions précaires pour échapper aux bombes.
Les autorités libanaises ont appelé l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) à protéger Baalbeck, ville millénaire contre les menaces de l'entité sioniste de la bombarder. Le ministre libanais de la Culture, Mohammed Wissam El Murtada, a annoncé sa demande officielle à la mission permanente du Liban auprès de l'Unesco à Paris pour « accélérer les actions de suivi » avec le directeur général de l'Unesco et les organismes internationaux concernés. « Toute trace de conscience dans le monde doit empêcher Israël de mettre à exécution ses menaces de bombarder la citadelle de Baalbek », a déclaré El Murtada, considérant que « ce patrimoine n'appartient pas seulement au Liban, mais à toute l'humanité ».
Dans les dernières 48 heures, plus de deux douzaines de villages dans la région nord-est du Liban ont été frappés par des raids israéliens. Les pertes humaines sont déjà élevées, avec des dizaines de morts et de blessés, et le bilan continue de s'alourdir. Bien que l'armée d'occupation israélienne prétende cibler ce qu'elle nomme des « sites militaires du Hezbollah », les habitants contestent ces allégations, affirmant que leurs maisons ont été réduites en ruines sans qu'aucune présence d'armement ne soit visible.
Les ordres d'évacuation et les frappes intensives ont provoqué un exode massif, déplaçant plus de 1,2 million de Libanais, selon les autorités libanaises, tandis que l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) dénombre au moins 842 648 déplacés internes. Cette crise se double d'un enjeu humanitaire majeur : les civils déplacés se retrouvent sans abri, sans accès à des soins de santé suffisants et dans des conditions de vie précaires, tandis que les écoles et autres centres d'accueil sont saturés.
Dans la vallée de la Bekaa, les nuits sont désormais synonymes d'angoisse. Farah Saifan, de l'ONG Islamic Relief, décrit des situations « littéralement cauchemardesques ». Les habitants, relate-t-elle, « ne savent pas ce qui se passe la nuit, ne sachant pas qui est attaqué ni où ». L'aide humanitaire peine à atteindre les zones les plus affectées, les routes étant soit détruites, soit rendues impraticables par l'intensité des bombardements israéliens.
Plus de 900 000 libanais déplacés
La crise touche également les travailleurs étrangers présents au Liban, parmi lesquels une grande majorité de Bangladais employés comme ouvriers ou travailleurs domestiques. Un travailleur bengalais est d'ailleurs mort hier sous les frappes israéliennes.
Les tensions entre Israël et le Liban ont, par ailleurs, été exacerbées par l'enlèvement d'un civil libanais. Identifié comme Imad Amhaz, un officier de la marine libanaise, il a été capturé par les forces d'occupation israéliennes à Batroun, selon l'agence nationale de presse libanaise (NNA).
D'après l'armée d'occupation israélienne, Amhaz serait un « responsable du Hezbollah », mais le gouvernement libanais conteste cette version et dénonce un acte de violation de souveraineté. Le Premier ministre libanais par intérim, Najib Mikati, a exigé que cette affaire soit portée devant le Conseil de sécurité des Nations unies.
Les observateurs internationaux notent que la situation actuelle dépasse en gravité celle de la guerre de la guerre de 2006, qui avait coûté la vie à 1191 Libanais et déplacé plus de 900 000 personnes. Cette fois, l'ONU estime que « la situation humanitaire au Liban a atteint des niveaux dépassant la gravité » de 2006. Le bilan des attaques israéliennes s'élève désormais à 2867 morts et plus de 13 000 blessés, des chiffres qui continuent de grimper.
« Les structures humanitaires sont également touchées », a déclaré Filippo Grandi, chef de l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dans un message publié sur les réseaux sociaux. « Même fuir (et prendre soin de ceux qui fuient) devient difficile et dangereux à mesure que la guerre continue de se propager », a-t-il déclaré.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) indique que les frappes israéliennes ont entraîné la destruction de plusieurs infrastructures vitales, à commencer par les établissements sanitaires.
Depuis septembre, 36 attaques ont visé des établissements de santé, faisant au moins 85 morts parmi les personnels médicaux et des dizaines de blessés. Dans le sud du Liban, six premiers secours ont été tués lors de frappes sur Khiam, soulignant les risques élevés auxquels les travailleurs humanitaires sont confrontés.
Les femmes enceintes ont été gravement touchées par l'escalade de la violence, selon l'agence des Nations unies pour la santé sexuelle et reproductive (UNFPA). « L'intensification du conflit dans tout le pays a eu un impact sur plus de 11 000 femmes enceintes, et 1 300 d'entre elles devraient accoucher sous peu malgré des pertes massives en infrastructures et un système de santé à la limite de la vulnérabilité », selon l'UNFPA.
Amel Blidi
La Turquie demande un embargo sur les armes contre Israël
Signée par 52 pays et deux organisations, demandant l'arrêt de la fourniture et de la livraison d'armes à Israël, a annoncé hier le ministre turc des Affaires étrangères. « Nous avons écrit une lettre conjointe appelant tous les pays à cesser la vente d'armes et de munitions à Israël. Nous avons remis cette lettre, qui compte 54 signataires, à l'ONU le 1er novembre », a affirmé Hakan Fidan lors d'une conférence de presse à Djibouti, où il s'est rendu pour une réunion du Partenariat Turquie-Afrique. « Nous devons répéter à chaque occasion que vendre des armes à Israël signifie participer à son génocide », a ajouté M. Fidan, qui a précisé que la lettre est « une initiative lancée par la Turquie ».
La lettre a été signée par 52 pays, dont l'Arabie Saoudite, le Brésil, l'Algérie, la Chine, l'Iran et la Russie, et deux organisations, la Ligue arabe et l'Organisation de la coopération islamique. Mi-octobre, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait appelé les Nations unies à décréter un embargo sur les armes destinées à Israël, qui serait, selon lui, une « solution efficace » pour mettre fin au conflit dans la bande de Ghaza."
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Israël rêve d’un « nouveau Moyen-Orient », mais à quelle réalité se heurtera-t-il ?

En septembre dernier, l'engagement du premier ministre israélien dans un conflit militaire de haute intensité sur le terrain libanais prenait pour prétexte la volonté d'« isoler Gaza du Liban ». Or la poursuite de la guerre, de l'aveu même de Benyamin Nétanyahou, vise aujourd'hui à changer l'équilibre des forces régionales pour transformer la réalité stratégique du Moyen-Orient.
Tiré de The conversation. Légende de la photo : Benyamin Nétanyahou s'exprime devant une carte du Moyen-Orient lors d'une conférence de presse à Jérusalem le 4 septembre 2024. Abir Sultan/Pool/AFP
Depuis le 23 septembre, la confrontation entre le Hezbollah et l'armée israélienne s'exacerbe. Le conflit a pris un tournant avec l'intensification des frappes dans le sud du Liban et la banlieue sud de Beyrouth après que Nétanyahou ait fermement rejeté l'option d'un cessez-le-feu. Les récents développements et la rhétorique officielle israélienne accréditent l'idée que Tel-Aviv ne cherche plus uniquement à mettre en œuvre une politique d'élimination du Hezbollah, mais bien à changer le statu quo régional.
Reprenant à son compte la rhétorique des néoconservateurs américains, le premier ministre israélien a dévoilé son ambitieux projet de « nouveau Moyen-Orient ». Comme le constate avec lucidité l'ancien ministre libanais et ex-diplomate de l'ONU Ghassan Salamé :
- « L'appétit vient en mangeant. […] L'objectif peut avoir été au départ uniquement de dégrader autant que possible le stock d'armes du Hezbollah – notamment les 600 à 700 missiles de longue portée que les Israéliens pensaient en sa possession – et de pouvoir ramener chez eux les habitants de Haute Galilée. [Mais forts de leurs succès tactiques et de l'inexistence d'une pression internationale ou arabe], les Israéliens s'enhardissent ».
Volonté de reconfiguration des alliances stratégiques
En effet, il ne s'agit plus pour Israël de réduire drastiquement les capacités du Hezbollah avant de l'expulser du Sud-Liban, mais de démanteler le réseau d'alliances tissé par l'Iran pour bâtir un nouveau Moyen-Orient débarrassé de l'influence de Téhéran.
Dans cette perspective, Israël cherche également à imposer des conditions politiques qui compromettent tout projet d'État palestinien. Plusieurs ministres ont appelé à une recolonisation de Gaza, certains réclamant même l'expulsion des Palestiniens en dehors des frontières israéliennes.

Cette nouvelle configuration régionale, où Israël apparaîtrait comme une puissance dominante, requiert également la construction d'alliances régionales avec les pays arabes, en particulier les États du Golfe, y compris l'Arabie saoudite, dans une sorte de prolongement des accords d'Abraham (traités de reconnaissance mutuelle et de normalisation des relations signés en 2020 entre Israël et plusieurs États arabes notamment les Émirats arabes unis et le Bahreïn).
Enfin, comme le soulignent certains commentateurs, pour renforcer significativement sa posture de dissuasion, Israël pourrait envisager « le redécoupage des frontières ou leur sécurisation de manière à empêcher les menaces directes, qu'elles proviennent de Gaza, du Liban ou de la Syrie ».
Une ambition qui remettrait en cause le soutien des États-Unis ?
Pour concrétiser ce projet de « Nouveau Moyen-Orient », Tel-Aviv compte sur le soutien des États-Unis, qui ont jusqu'à présent maintenu un engagement significatif à ses côtés. En effet, durant des années, Washington a limité les moyens de défense de l'armée libanaise, obérant la capacité du pays du Cèdre à dissuader les atteintes directes à son intégrité territoriale.
De surcroît, les États-Unis ont apporté un appui militaire sans faille à Israël depuis le début de la guerre à Gaza, puis au Liban. La récente décision américaine de livrer un système antimissile avancé qui endiguerait la menace balistique iranienne – et d'envoyer sur le terrain une centaine de militaires chargés de le faire fonctionner – est un nouvel exemple probant de cet engagement. Pour autant, si à l'heure actuelle il n'existe pas de découplage stratégique entre les intérêts de Washington au Moyen-Orient et ceux d'Israël, soutenir Benyamin Nétanyahou dans sa volonté de remodeler la région peut être un pari hasardeux. Pour plusieurs raisons.
Éradiquer le Hezbollah : un objectif voué à l'échec ?
Premièrement, si certains observateurs, comme Olivier Roy, soulignent « un effondrement des capacités militaires de la coalition anti-Israël », notamment celles du Hezbollah, en raison des succès tactiques israéliens qui auraient « brisé la chaîne de commandement du haut en bas, obérant la capacité de faire la guerre », l'âpreté des combats terrestres dans le sud indique qu'une telle analyse doit être largement nuancée.
Pour entamer les capacités militaires du Hezbollah, la campagne de frappes en profondeur s'est doublée d'actions terrestres. Or, à cet égard, il convient d'observer que, jusqu'à présent, l'armée israélienne n'a pas été en mesure de réaliser une véritable percée dans le sud du Liban. Les incursions visant à déloger des combattants préparés aux contraintes d'une guerre d'attrition prolongée restent limitées et sont souvent suivies d'un repli. Par ailleurs, le Hezbollah a récemment démontré que l'élimination d'une partie de sa direction n'a pas entamé sa capacité à tirer des missiles vers le nord d'Israël.
Pour Olivier Dujardin, chercheur associé au Centre français de Recherche sur le Renseignement et expert militaire :
« Si la direction unifiée du Hezbollah est affaiblie, la capacité tactique des cellules, elle, reste entière. »
Il souligne par ailleurs que les Israéliens sont confrontés à un problème majeur :
« Leurs troupes ne sont pas en nombre infini. Ils ont des forces mobilisées à Gaza et en Cisjordanie et avec les troupes restantes, ils mènent leur offensive au Liban : ils ont donc un problème de volume. Plus vous étendez le territoire conquis, plus vous diluez vos forces jusqu'au moment où la balance bascule. C'est-à-dire que la densité de forces devient insuffisante par rapport à l'adversaire. »
En outre, il rappelle que tout objectif d'éradication du Hezbollah est irréaliste.
« On ne détruit pas une organisation comme le Hezbollah. Même l'élimination de tous ses membres n'engendrerait pas sa disparition parce que la raison et les conditions qui président à son existence sont toujours d'actualité. Lorsque vous affrontez une organisation comme le Hezbollah, qui peut compter 50 000 ou 100 000 combattants selon les sources, et que vous décapitez des têtes, subitement vous avez affaire à une myriade de cellules qui vont mettre un certain temps à se réunifier, mais cela se produira en fin de compte […]. Les Israéliens achètent du temps pour quelques semaines ou quelques mois uniquement. »
Les risques d'un conflit ouvert avec l'Iran
Deuxièmement, l'hypothèse défendue par Olivier Roy selon laquelle le régime iranien est actuellement dans l'impasse car « il peut lancer une campagne terroriste à l'extérieur, mais cela ne fera que renforcer le soutien occidental à Israël [et que sa bombe nucléaire] heureusement, n'est pas opérationnelle » est remise en cause par d'autres, comme Arash Reisinezhad, qui estiment au contraire que les frappes de représailles lancées par l'Iran le 1ᵉʳ octobre inaugurent une nouvelle ère, dans la mesure où elles illustrent à la fois le développement et la modernisation des capacités balistiques iraniennes, et introduisent une équation de puissance aux conséquences stratégiques majeures.
Téhéran, en frappant directement le territoire israélien et en prenant pour cible un État doté de l'arme nucléaire, a affiché au grand jour sa politique de dissuasion. La riposte israélienne du 26 octobre a d'ailleurs été relativement modérée, sous la pression de Washington, ce qui pourrait indiquer que Tel-Aviv ne souhaite pas aller, au moins dans l'immédiat, jusqu'à une confrontation de grande envergure avec la République islamique.
En septembre dernier, l'engagement du premier ministre israélien dans un conflit militaire de haute intensité sur le terrain libanais prenait pour prétexte la volonté d'« isoler Gaza du Liban ». Or la poursuite de la guerre, de l'aveu même de Benyamin Nétanyahou, vise aujourd'hui à changer l'équilibre des forces régionales pour transformer la réalité stratégique du Moyen-Orient.
Reconfigurer le Moyen-Orient n'entre pas dans les intérêts directs de Washington
Ainsi en reprenant à son compte une rhétorique datant des années George W. Bush sur la reconfiguration du Moyen-Orient, Benyamin Nétanyahou s'inscrit dans l'approche des néoconservateurs américains qui avaient, un temps, caressé l'espoir de remodeler la région.
Le premier ministre israélien oublie que les États-Unis se trouvaient alors à l'apogée de leur puissance… et ont tout de même échoué dans cette entreprise. En outre, appuyer cette approche maximaliste ne ferait que détourner Washington de sa préoccupation stratégique majeure, à savoir la Chine.
Pour le colonel Olivier Passot, chercheur associé à l'Institut de Recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), les États-Unis seraient plutôt frileux à l'idée de s'engager dans un tel projet :
« Donald Trump est certes un grand soutien de Nétanyahou mais, par principe, il n'est pas favorable aux interventions américaines à l'extérieur. Même Kamala Harris ne me semble pas adhérer à l'idée d'une réhabilitation du rôle des États-Unis comme gendarme du monde. Aujourd'hui, il y a certes une majorité américaine sensible à la cause israélienne qui souhaite que les États-Unis participent à cette défense. Mais je ne crois pas que pour eux, l'idée de remodeler le Moyen-Orient soit un leitmotiv. Après leur expérience désastreuse dans la région, ils ont bien compris que c'est une mauvaise idée d'essayer de changer les régimes. »
Pour résumer, le débordement de la guerre contre Gaza sur le terrain libanais, qui a débuté par une longue campagne de frappes aériennes, prend désormais une dimension régionale. En dépit d'une asymétrie conventionnelle et nucléaire, l'Iran a démontré, lors de l'attaque du 1ᵉʳ octobre, sa capacité à saturer la défense antiaérienne en n'utilisant qu'une partie minime de ses missiles. Et une éventuelle riposte israélienne plus intense que celle du 26 octobre pourrait, par ailleurs, accélérer le projet iranien de se doter d'une force de dissuasion nucléaire.
Ainsi, le risque d'exacerbation de la confrontation est bien réel. Les États-Unis, s'ils appuient le projet de remodelage de la région voulu par Benyamin Nétanyahou, s'engageraient dans un engrenage irréversible.
Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de Lorraine
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France Manifestation urgence Palestine-Liban article

Le drame au Proche-Orient est entré dans sa phase apocalyptique. Le temps joue-t-il en faveur de l'extermination, menée tambour battant, par Netanyahou, l'assentiment de Biden et des Occidentaux ? A Paris, ce dimanche 3 novembre, Palestiniens et Libanais (es) prenaient part au cortège de la mobilisation.
De Paris, Omar HADDADOU
Un slogan à marquer les esprits !
A Paris, retour en force des manifestants (es) ce dimanche pour la marche entre République et Place Clichy. Le premier fait marquant à retenir notre attention, est cette clameur de la foule :
« Et l'Algérie a vaincu, la Palestine vaincra ! » « Et le Vietnam a vaincu, le Liban vaincra ! » « Et l'Afrique du Sud a vaincu, l'Irak vaincra ! ». Sur les murs, des affichettes collées, dénoncent les génocides perpétrés dans les territoires occupés en Palestine, au Liban et autres pays du Proche-Orient. Mais aussi le mutisme et la complicité des Occidentaux, condamnés par un slogan frappant « Mort aux complices ! »
Puisant dans sa force vocale, la Représentante d'URGENCE Liban-Palestine, brosse un tableau funeste de la situation. Elle s'en prend virulemment à l'occupant : « L'entité ennemie ne se contente plus du génocide en cours à Gaza, au Liban en détruisant des maisons, des hôpitaux, incendiant des champs, tuant des enfants, déplaçant des familles, elle s'oriente désormais vers la destruction de la mémoire de nos peuples. Les peuples palestinien et libanais n'ont pas beaucoup d'options devant eux. C'est la reddition ou la Victoire ! Nous n'avons le choix que de résister ! Et nous allons certainement gagner ! »
Un activiste distribue des rapports chiffrés dont un fait état de « 120 000 tonnes d'armes européennes et américaines livrées ». De vive voix, il interpelle la foule : « Les études montrent que les Américains sont les architectes de ce génocide et tentent de nous mentir sur la volonté d'un cessez-le feu ».
Billal est palestinien. Lui parler en arabe, c'est le transposer dans son élément. Il répond aimablement à notre question : « Je suis de Gaza, mais vis en Belgique dans un foyer depuis quelques semaines, moi et mes deux frères dont le benjamin a 14 ans. Je suis écœuré par les Européens. On est entassés dans une pièce exiguë. On pensait obtenir une réponse favorable pour le statut de réfugiés ; il n'en est rien ! Ma famille est à Khan Younes et vit le cauchemar des bombardements. J'étais en contact avec elle par téléphone. C'est moi qui la prenais en charge financièrement. Mais je n'ai plus d'argent. J'ai peur des mauvaises nouvelles. Vous avez d'autres questions ? »
Le Gazaoui nous salue chaleureusement, arrange son keffieh et rejoint, d'un pas hardi, le cortège qui lutte pour la souveraineté de son pays la Palestine.
Karim et son épouse, un jeune couple libanais, vivent à Paris mais leur cœur est à Beyrouth où vit toute la famille. Le syndrome de la guerre a affecté des proches. Ils ne cachent pas leur hantise et leur souffrance. La femme décrit le calvaire en termes concis : « Nous vivons l'enfer. Pas de toit, pas de nourriture, pas d'eau. La mort ! La mort partout ! Incha Allah, nous vaincrons ! ».
Même éplorement chez Karim : « Une vie ténébreuse ! Des milliers de victimes, femmes, enfants, personnes âgées. La situation sanitaire catastrophique. Hôpitaux rasés…Le silence de la France est décevant ! »
Plus de 41 000 morts à Gaza depuis le 7 octobre 2023 et 3000 au Liban dont 127 enfants. L'élection américaine nous réserve-t-elle un monde désarticulé avec des belligérances dramatiques ?
Pour Macron, le ticket gagnant serait déjà acquis !
Pas pour les BRICS + qui le prennent en étau !
O.H







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Sur fond génocidaire, l’enjeu de la fascisation de l’hégémonie mondiale

Dans une semaine le jour des élections étatsuniennes sera passé… et nous ne serons vraisemblablement pas qui sera le prochain président des ÉU à moins d'une heureuse surprise à la Nouveau Brunswick où l'unilingue Premier ministre réactionnaire a été inespérément battu à plate couture. Ce sera plutôt au centuple une situation à la Colombie britannique où il a fallu attendre plus d'une semaine, et ce n'est pas encore tout à fait clair, pour savoir que le réactionnaire parti Conservateur à la Poilièvre avait raté de peu la majorité. Et encore là, ce parti a respecté les règles du jeu de la démocratie parlementaire.
30 octobre 2024
Ce ne sera pas le cas des Républicains de Trump qui promet de balancer pardessus bord cette démocratie bourgeoise qu'il a déjà tenté de renverser le 6 janvier 2021 heureusement en amateur… ce qu'il n'est plus ou du moins beaucoup moins. Comme l'affirme le militant et analyste marxiste Dan La Botz au sujet du « Projet 2025 », programme préparé par ses acolytes :
L'Union américaine pour les libertés civiles [ACLU], qui défend depuis longtemps nos droits, l'a qualifié [Projet 2025] de « feuille de route pour le remplacement de l'État de droit par des idéaux de droite ». La démocratie américaine n'est pas parfaite, loin s'en faut, mais s'il y a des abus, nous disposons toujours, dans l'ensemble, de droits démocratiques fondamentaux et de libertés civiles. Comme l'explique l'ACLU, le Projet 2025 propose de réorganiser le pouvoir exécutif et de l'utiliser pour limiter davantage l'avortement ; de cibler « les communautés d'immigrants par des déportations massives et des raids, en mettant fin à la citoyenneté de naissance, en séparant les familles et en démantelant le système d'asile de notre nation » ; d'accroître le pouvoir de la police et de réprimer les manifestations sociales ; de limiter l'accès au vote ; de censurer les discussions sur la race, le genre et l'oppression systématique dans les écoles et les universités, et de faire reculer les droits des personnes transgenres, entre autres choses. Le Projet 2025 éliminerait également des dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux et les remplacerait par des personnes nommées pour des raisons politiques et fidèles au président. Il constitue la première étape du démantèlement de la démocratie américaine et de la création d'un gouvernement autoritaire. Il débutera avec l'élection de Trump ou sa prise de pouvoir par un coup d'État. (Dan La Botz, The Dangerous American Election, ESSF, 7/10/24)
Le journal « Liberal » étatsunien par excellence, le New York Times, va dans la même direction :
Donald Trump a fait preuve de plus d'hostilité envers la démocratie américaine que n'importe quel autre président dans l'histoire du pays. Il a tenté de renverser le résultat d'une élection. Il célèbre la violence politique. La liste est longue, et elle est désormais familière. Une question centrale concernant un second mandat de Trump est de savoir comment cette hostilité pourrait se manifester. Le système politique du pays a survécu à son premier mandat, après tout, et de nombreux Américains se demandent, à juste titre, dans quelle mesure un second mandat serait différent. Cela pourrait vraiment être différent. […] M. Trump est aujourd'hui bien mieux placé pour atteindre ses objectifs. Ses collaborateurs passent au crible la loyauté des candidats à un poste, en essayant d'exclure les républicains de l'establishment qui pourraient s'opposer à ses souhaits. Le Congrès et le pouvoir judiciaire lui seront probablement plus favorables qu'ils ne l'étaient il y a huit ans.
[Voici] les principaux moyens par lesquels Trump pourrait saper les traditions démocratiques : Il existe au moins six moyens majeurs par lesquels Trump pourrait affaiblir la démocratie américaine :
1. Poursuivre ses détracteurs. M. Trump a promis d'utiliser le ministère de la justice pour punir ses opposants politiques s'il redevient président, y compris avec des « peines de prison de longue durée », comme il l'a écrit en ligne. Traditionnellement, les présidents ne s'immiscent pas dans les affaires pénales. Mais c'est un choix ; un président a le pouvoir de donner des ordres au ministère de la justice. Au cours de son premier mandat, M. Trump a demandé l'ouverture d'enquêtes sur au moins dix personnes, parfois au détriment de leur vie, comme l'a montré mon collègue Michael Schmidt. M. Trump pourrait ordonner davantage d'enquêtes au cours de son second mandat, compte tenu de ses plans de recrutement. […]
2. Faire taire les critiques par d'autres moyens. Donald Trump pourrait également tenter d'utiliser ses pouvoirs réglementaires pour influencer le discours public. Il a suggéré que NBC, MSNBC et CBS méritent de perdre leur licence de diffusion en raison de leur couverture critique de sa personne. Il a parlé de punir Amazon parce que son fondateur, Jeff Bezos, est propriétaire du Washington Post. Ces commentaires font écho aux campagnes de réduction au silence menées par des dirigeants étrangers tels que Viktor Orban en Hongrie et Narendra Modi en Inde […].
3. Récompenser les alliés et les donateurs de la campagne. Trump, comme l'a rapporté le Times, « fait parfois des promesses explicites sur ce qu'il fera une fois qu'il sera au pouvoir, un niveau d'explicitation à l'égard des industries individuelles et d'une poignée de milliardaires qui a rarement été
vu dans la politique présidentielle moderne ». Les industries du pétrole et du vapotage - et peut-être Elon Musk - semblent susceptibles d'en bénéficier.4. Remplacer les employés fédéraux par des loyalistes. À la fin de son premier mandat, M. Trump a publié un décret qui lui donnait le pouvoir de licencier et de remplacer des dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux, notamment des économistes, des scientifiques et des experts en sécurité nationale. Ce décret aurait considérablement augmenté le nombre de personnes nommées pour des raisons politiques, qui s'élève aujourd'hui à environ 4 000. Le président Biden a annulé ce décret. Il est vrai que l'on peut faire valoir qu'un tel décret favorise la démocratie en faisant en sorte que la main-d'œuvre fédérale soit le reflet du président élu. Mais ces mesures risquent également de priver le gouvernement de l'expertise non partisane qui permet de relier la politique à la réalité. Si l'on ajoute à cela les nombreuses promesses antidémocratiques de M. Trump, le licenciement en bloc d'employés fédéraux pourrait lui permettre d'utiliser le gouvernement pour satisfaire ses caprices personnels.
5. Saper les politiques précédemment adoptées. Plutôt que d'essayer d'abroger les lois auxquelles il s'oppose, Donald Trump et ses alliés ont suggéré qu'il pourrait simplement « saisir » des fonds, c'est-à-dire ignorer les lois que le Congrès a précédemment adoptées. Un exemple : Il pourrait essayer de bloquer les fonds destinés aux énergies propres.
6. Refuser de transférer le pouvoir pacifiquement. Trump et son colistier, JD Vance, ne reconnaissent toujours pas que Biden a battu Trump en 2020. Trump promet même de gracier certains des émeutiers qui ont attaqué le Congrès lorsqu'il s'est réuni pour certifier les résultats le 6 janvier 2021. Cette combinaison suggère qu'un transfert de pouvoir a eu lieu en 2021 uniquement parce que suffisamment de Républicains ont tenu tête à Trump. Et il est possible qu'ils ne le fassent plus à l'avenir. […]
Je sais aussi que certains démocrates diront que la liste est trop courte et qu'elle devrait inclure les politiques potentielles de M. Trump en matière d'avortement, d'immigration, de changement climatique, etc. Mais il convient de faire la distinction entre les différends politiques et la démocratie elle-même. Il n'y a rien d'intrinsèquement anti-démocratique à réduire les réglementations environnementales, à autoriser les États à restreindre l'accès à l'avortement ou à expulser les personnes entrées illégalement dans le pays. Les Démocrates peuvent faire valoir que ces politiques sont mauvaises, et les électeurs peuvent décider qui a raison. Les électeurs peuvent également changer d'avis si ces politiques échouent. Les attaques contre la démocratie sont différentes. Si la démocratie s'effondre, le système politique peut perdre sa capacité d'autocorrection.
En savoir plus sur Trump –
• Une deuxième administration Trump élargirait probablement le pouvoir présidentiel et réduirait l'indépendance des agences fédérales, y compris la Réserve fédérale.
• Trump affirme qu'il utilisera l'armée pour faire respecter la loi au niveau national, notamment pour lutter contre la criminalité dans les villes dirigées par les Démocrates.
• Ses liens avec des gouvernements étrangers et des entreprises réglementées feraient probablement de lui le président le plus conflictuel de l'histoire des États-Unis.
• Trump a tenté de prendre ses distances avec le projet 2025, mais il a de nombreux liens avec lui. Ce projet pourrait donner un aperçu de la manière dont il gouvernerait.
• Selon une analyse du Times, M. Trump a fait la promotion de fausses conspirations concernant des complots contre lui ou le peuple américain à plus de 300 reprises.
(David Leonhardt. The Morning, New York Times, 30/10/24)
On pourrait s'en rendre compte dès le moment du dépouillement des bulletins électoraux soit le 5 novembre ou peu après. Les occasions ne manqueront pas, comme l'explique une journaliste du Globe and Mail, pour créer le chaos nécessaire d'autant plus que la Cour suprême biaisée saura ramasser les morceaux en faveur de Trump à moins qu'auparavant il n'y est un coup :
Mardi soir [prochain], la possibilité de connaître le vainqueur est pratiquement nulle. En 2020, l'Associated Press a désigné 26 États dès la fermeture des bureaux de vote, et 19 autres dans les 24 heures. Dans plusieurs étapes clés, cependant, des marges très faibles et des règles de dépouillement compliquées ont retardé les résultats de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines (souvenons-nous de la Géorgie). Joe Biden a été déclaré président le samedi suivant l'élection, ce qui a laissé le champ libre aux théories du complot, aux protestations et à la violence. […] La course à la présidence de 2024 s'annonçant tout aussi laborieuse, examinons quelques-uns de ces "swing states" pour voir ce qui pourrait retarder les appels.
Caroline du Nord (16 voix au collège électoral) Les habitants de la Caroline du Nord votent toujours tôt : Lors des élections de 2016 et de 2020, le vote par anticipation a été le moyen le plus populaire pour voter. L'intérêt est encore plus grand dans cette course - l'État a connu une participation record depuis l'ouverture des bureaux de vote il y a 12 jours. Jusqu'à présent, près de 2,7 millions de votes ont été exprimés en personne, soit plus d'un tiers des électeurs inscrits en Caroline du Nord, et les sites de vote anticipé resteront ouverts jusqu'à samedi prochain. Le hic, c'est que les bureaux de vote anticipé resteront ouverts jusqu'à samedi prochain : Les commissions électorales de Caroline du Nord pouvaient auparavant compter ces votes anticipés avant la fermeture des bureaux de vote le soir de l'élection, ce qui signifiait qu'elles pouvaient communiquer les résultats à 19 h 30. Mais une nouvelle loi oblige désormais les commissions électorales à attendre la fermeture des bureaux de vote pour commencer à dépouiller les bulletins. Dans le cadre d'une autre élection serrée - M. Trump a remporté la Caroline du Nord avec à peine 75 000 voix d'avance, soit sa plus petite marge de victoire dans un État - le résultat pourrait rester incertain pendant au moins une semaine.
Wisconsin (10 voix au collège électoral) Si les mots « vote dumps » vous évoquent quelque chose d'étrange, c'est parce que Trump a passé les quatre dernières années à s'insurger contre une vague de votes démocrates à Milwaukee - qui, selon lui, a permis à Biden de « voler » l'État. La vérité est moins ténébreuse : le Wisconsin est l'un des rares États à ne pas pouvoir traiter les bulletins de vote par correspondance avant le matin de l'élection. En 2020, la pandémie a provoqué une augmentation du nombre de ces bulletins, ce qui a retardé le dépouillement. Cette année, environ 450 000 bulletins ont déjà été renvoyés par la poste dans le Wisconsin. Un autre problème est que de nombreuses grandes villes de l'État, dont Milwaukee, bastion démocrate, doivent transporter leurs bulletins de vote par correspondance vers un lieu centralisé afin qu'ils soient dépouillés. Cela peut conduire à ce que des lots importants de votes soient rapportés d'un seul coup dans les premières heures qui suivent la fermeture des bureaux de vote, ce qui est précisément ce qui s'est passé en 2020. À la suite de ces théories du complot sur le « vote dump », l'assemblée législative du Wisconsin a envisagé un projet de loi autorisant les responsables locaux à traiter les bulletins de vote par correspondance la veille de l'élection, mais ce projet est mort au Sénat au début de l'année.
Pennsylvanie (19 voix au collège électoral) Comme le Wisconsin, la Pennsylvanie doit attendre le jour de l'élection pour commencer à compter ses bulletins de vote par correspondance. Ce n'était pas un problème majeur avant 2020, puisque seuls 4 % des votes de l'État avaient été envoyés par la poste. Mais en 2020, en raison des nouvelles règles et des craintes liées au COVID, ce chiffre est passé à 39 %. Il a fallu quatre jours entiers aux responsables pour passer au crible l'énorme arriéré de votes par correspondance avant de pouvoir déclarer M. Biden vainqueur de l'État (et, par conséquent, de l'élection). Cela n'a pas empêché les électeurs de Pennsylvanie de voter par correspondance : Jusqu'à présent, près de 1,3 million d'entre eux ont été envoyés pour la course de cette année. Mais combien d'entre eux compteront réellement le 5 novembre ? Cela dépend des décisions de 67 commissions électorales distinctes. Chaque conseil partisan établit ses propres règles concernant la notification aux électeurs des erreurs commises sur leurs bulletins de vote par correspondance - comme l'erreur de date ou le fait de ne pas l'avoir scellé dans une deuxième enveloppe - et la possibilité pour eux de bénéficier d'une seconde chance de voter. En 2020, les fonctionnaires électoraux de Pennsylvanie ont rejeté plus de 34 000 bulletins de vote par correspondance dans un État qui ne s'est démarqué que par 80 000 voix. La semaine prochaine, les experts prévoient encore plus de bulletins rejetés dans une course encore plus serrée, ce qui signifie que nous devrions tous nous préparer à une longue série de nuits d'angoisse.
Danielle Groen, Morning Update, Globe and Mail, 29/10/24
Cette semaine, la cavalcade Trump s'est payé un Madison Square Garden plein (20 000 personnes), en imitation d'une semblable assemblée nazie en 1939, où les vociférations anti-immigrants ont atteint un paroxysme jamais vu. Heureusement cette assemblée nauséabonde a été plus que neutralisée par un immense rassemblement (75 000 personnes) Démocrate à l'endroit même où Trump avait tenu son discours précédant l'assaut du Capitole. Ce succès est-il le reflet d'un retournement qu'annoncerait le sondage synthétique de ce jour, aux méthodes particulièrement sophistiquées, de The Economist. D'affirmer celui-ci : « La probabilité de victoire de Kamala Harris a augmenté de six points de pourcentage dans la mise à jour d'aujourd'hui, ce qui fait de la course une lutte acharnée » (The Economist, New polls reset the presidential race to a dead heat, 30/10/24).
Quelques anticapitaliste purs et durs auront quand même le réflexe orthodoxe de renvoyer dos à dos ces partis bourgeois, qui tous deux appuient la guerre génocidaire de l'État sioniste, au nom du rejet de la tactique du « moins pire » et en faveur du vote pour un parti de gauche afin de rester fidèle au principe de l'indépendance de classe. Dans le cas étatsunien, ces partis de gauche sont marginaux, sans compter qu'ils s'opposent au soutien armé de la lutte antiimpérialiste de libération nationale de l'Ukraine. Ce refus revient à faire le lit de l'impérialisme russe qui aussi se livre à une guerre génocidaire qui n'a pas l'ampleur de celle sioniste pour la simple raison que le peuple ukrainien et son gouvernement sont mieux en mesure de se défendre que le peuple palestinien. Paradoxalement, le parti Démocrate au moins demi-consent au soutien armé de l'Ukraine les deux pieds sur le frein. Alors, trêve de dogmatisme.
Marc Bonhomme, 30 octobre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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Élections américaines : qui finance les campagnes Trump et Harris ?

Alors que l'élection américaine s'annonce extrêmement serrée, les Américains sont plongés dans une attente angoissante. Les grandes entreprises ont quant à elles déjà voté à coup de dizaines de millions de dollars, en soutenant Donald Trump ou Kamala Harris, voire parfois les deux. Un coup d'œil aux principaux soutiens financiers des deux candidats donne un aperçu des secteurs qui seraient les plus favorisés par les Démocrates et les Républicains. Les travailleurs américains restent eux toujours aussi mal représentés… [1]
tiré de NPA 29
D'un certain point de vue, le dicton « on en a pour son argent » ne s'applique pas aux élections américaines. Si, dans ce pays, les sommes investies dans les élections sont énormes, leur montant exorbitant est rarement un gage de qualité. Le coût global des élections fédérales a certes augmenté entre chaque cycle électoral, mais les élections de 2020 ont marqué un bond particulièrement prodigieux dans les investissements politiques. Cette année-là, le total des sommes réunies pour les élections fédérales (à la fois les campagnes présidentielles et législatives) a atteint le montant stupéfiant de 14,4 milliards de dollars, soit plus du double des élections de 2016, qui étaient déjà les plus coûteuses.
Toutefois, si l'on se met à la place d'un milliardaire – et non pas d'un électeur moyen ou d'un petit donateur –, le vieil adage a encore un sens. Au début de l'été, certains médias ont rapporté que le milliardaire du secteur technologique Elon Musk, dont la fortune est estimée à plus de 250 milliards de dollars, prévoyait de verser 45 millions par mois à une nouvelle organisation pro-Trump nommée America PAC (Musk et Trump ont tous deux démenti cette information). À la mi-juillet, ce comité de soutien avait déjà récolté plus de 8 milliards de dollars, en grande partie auprès de titans de la Silicon Valley. Son principal bailleur de fonds est Joe Lonsdale, cofondateur avec Peter Thiel de la société d'analyse de données Palantir, qui produit des logiciels d'espionnage utilisés notamment par le Pentagone.
Thiel – qui finance une grande partie de l'appareil politique et intellectuel de la galaxie MAGA (Make America Great Again, ndlr) – doit quant à lui être assez satisfait de ses retours sur investissements politiques. En 2015, il a recruté J. D. Vance – fraîchement diplômé de la faculté de droit de Yale et bientôt auteur de best-sellers – dans sa société d'investissement de la Silicon Valley, Mithril Capital. Après le succès de son roman Hillbilly Elegy, Vance est retourné dans son Ohio natal pour commencer à préparer le terrain en vue de sa carrière politique. Il a alors pu compter sur pas moins de quinze millions de dollars mis à disposition par Thiel, ce qui lui a permis de remporter un siège au Sénat en 2022. Moins de deux ans plus tard, Donald Trump choisit Vance pour être son colistier en vue des élections de 2024, couronnant l'ascension fulgurante de ce prétendu populiste représentant une Amérique délaissée jusqu'aux sommets du Parti républicain. En cas de victoire de Trump aux élections de cet automne, il deviendrait le troisième plus jeune vice-président de l'histoire des États-Unis, à seulement quarante ans.
Opposée aux régulations, une part de Silicon Valley bascule en faveur de Trump
L'un des principaux enjeux de cette édition de la course aux soutiens financiers est le passage d'acteurs incontournables du secteur des technologies dans le camp républicain. Certes, Thiel en a toujours fait partie. Plusieurs personnalités de la Silicon Valley, qui avaient vigoureusement déploré l'élection de Trump en 2016 le soutiennent désormais. Dans leur rang figurent plusieurs investisseurs de premier plan, tels que Marc Andreessen et Ben Horowitz, mais aussi Chamath Palihapitiya et David Sacks, fidèles à leur poste d'animateur du podcast All-In tech et devenus d'importants chroniqueurs de droite.
Toutefois, le portefeuille de l'industrie technologique reste largement acquis au parti démocrate. Selon l'association pro-transparence Open Secrets, environ 80 % des dons provenant de cette filière depuis le début de la campagne électorale vont vers des candidats démocrates. Ce chiffre est néanmoins en baisse par rapport aux 90 % de 2020, et si le vote Trump-Vance prévaut en novembre, il est possible que le glissement – pour l'instant en pente douce – de la Silicon Valley vers la droite, s'accélère.
Cette dynamique s'explique à la fois par l'idéologie et l'intérêt individuel, bien que la frontière entre ces deux champs ne soit pas toujours facile à distinguer. La rhétorique haineuse envers le mouvement « woke » remplit la part idéologique : Musk a récemment annoncé la migration, de la Californie vers le Texas, des sièges de X et de SpaceX en signe de protestation contre les lois fédérées qui assurent une protection aux élèves transgenres. On soupçonne néanmoins que cette délocalisation ait autant à voir avec des intérêts fiscaux qu'avec une véritable conviction.
Un récent article du Financial Times a relaté les propos du cadre de Palentir Alex Karp, un gros bonnet de la Silicon Valley qui soutien encore le camp démocrate, mais dont la loyauté vacille : « Le politiquement correct est, au sein du parti, un énorme problème. Les démocrates ne peuvent pas encore en prendre la mesure ». De même, Karp regrette que « les gens qui innovent désertent » l'industrie à cause de la réglementation en vigueur, qui étoufferait selon lui les start-ups avant même qu'elles ne puissent décoller. Gary Gensler, président de la Securities and Exchange Commission (SEC), a en effet été une épine dans le pied pour les investisseurs en crypto-monnaies. D'après un fin connaisseur de la sphère des crypto-monnaies cité par le Financial Times, les grands investisseurs dans ces produits spéculatifs « ont pour priorité de le virer. Ils dépenseront tout ce qu'il faut pour y parvenir. »
Si le soutien d'une part de la Silicon Valley à Donald Trump fait les gros titres, ses principaux soutiens appartiennent surtout aux secteurs de la finance, des assurances et de l'immobilier. Selon Open Secrets, « le secteur financier est de loin le plus grand contributeur des campagnes des candidats et des partis à l'échelle fédérale », républicains et démocrates confondus, et il est de loin le plus grand contributeur de la campagne 2024 de Trump. Les dons à sa campagne en provenance du secteur des valeurs mobilières et de l'investissement dépassent ainsi les 200 millions de dollars. Un donateur, l'investisseur héritier de la fortune bancaire de sa famille, Timothy Mellon, représente à lui-seule la somme ahurissante de 125 millions de dollars (il a aussi offert 25 millions de dollars pour la campagne indépendante de Robert F. Kennedy Jr). Le secteur du pétrole et du gaz est le suivant sur la liste, avec 20,4 millions de dollars.
Si le soutien d'une part de la Silicon Valley à Donald Trump fait les gros titres, ses principaux soutiens appartiennent surtout aux secteurs de la finance, des assurances et de l'immobilier.
Les autres plus gros soutiens de Donald Trump, d'après les catégories d'Open Secrets sont le secteur de la santé privée (101 millions de dollars), le transport aérien (91,3 millions de dollars), le secteur manufacturier et de la distribution (14,1 millions de dollars). Trump attire également d'énormes dons de la part de particuliers qui se présentent sur le plan professionnel comme « retraités » (129,5 millions de dollars) ou appartenant à toutes sortes d'organisations d'obédience idéologique républicaine ou conservatrice (82 millions de dollars). Ces chiffres coïncident avec ce que nous savons du parti républicain d'aujourd'hui : ses principaux soutiens sont les tenants de l'idéologie conservatrice, les électeurs âgés, les industries extractives et manufacturières et la tranche la plus haute des 1 % les plus riches. Près de la moitié, en dollars, des dons destinés à Donald Trump proviennent seulement de quatre États : le Texas (15,6%), le Nevada (14,8%), le Wyoming (14,6 %) et la Floride (11,9%).
De Biden à Harris, une continuité chez les grands donateurs démocrates
Concernant la campagne de la vice-présidente Kamala Harris, celle-ci a d'abord hérité de la base de donateurs de Joe Biden, lorsque celui-ci s'est retiré de la course à la Maison Blanche. Comme pour les républicains, les dons aux démocrates reflètent les intérêts des filières économiques majeures – dont ceux du secteur des valeurs mobilières et de l'investissement, qui ont historiquement tendance à soutenir les deux camps pour s'assurer de conserver des soutiens dans tout le champ politique. En revanche, contrairement à Trump et à d'autres candidats du parti républicain, les candidats démocrates reçoivent d'importantes contributions de la part des syndicats. Sean O'Brien, le président du syndicat des camionneurs américains (les Teamsters), s'est certes vu accorder un temps de parole au pic d'audience lors de la Convention Nationale Républicaine, mais les syndicats restent fermement ancrés dans le camp démocrate.
Contrairement à Trump et à d'autres candidats républicains, les candidats démocrates reçoivent d'importantes contributions de la part des syndicats.
Les sempiternels débats au sujet du retrait de Biden cet été ont mis en lumière le réseau des grands donateurs démocrates. Bon nombre des méga-donateurs qui ont fait le plus de tapage pour pousser Biden vers la sortie étaient issus d'Hollywood, du monde du spectacle et des médias. George Clooney a été la personnalité la plus en vue de l'industrie cinématographique à exiger un changement de tête de liste, mais beaucoup de personnalités riches et puissantes dont le nom n'est pas connu de tous ont aussi participé au mouvement de protestation des donateurs. Selon un article du New York Times, un célèbre agent d'Hollywood a déclaré à Martin Heinrich, sénateur du Nouveau-Mexique : “Si vous n'appelez pas publiquement Biden à se retirer, je ne vous donnerai pas un centime”.
A ce jour, le secteur des communications et de l'électronique, qui rassemble les firmes de la télévision, du cinéma, de la musique et des télécommunications, représente 31,9 millions de dollars de dons à la campagne démocrate. Le secteur financier et assurantiel reste en tête avec 88,2 millions de dollars, devant le monde de l'éducation (40,5 millions de dollars), les avocats et cabinets juridiques (36,5 millions de dollars) et les professionnels de la santé (24,2 millions de dollars). Les deux plus importantes sources de dons à la campagne de Biden en juillet étaient les organisations d'idéologie démocrate ou libérale (217 millions de dollars), puis les retraités (102 millions de dollars). Les syndicats ont quant à eux donné environ 18,5 millions de dollars, ce qui représente plus que certains secteurs d'activité mais reste bien en-dessous les principaux soutiens sectoriels et idéologiques.
En dépit des gros titres, le capital de la Silicon Valley reste largement en faveur des démocrates. Deux des trois plus généreux donateurs de la campagne Biden-Harris, Greylock Partners et Sequoia Capital, sont des sociétés d'investissement de la Silicon Valley. Reid Hoffman, associé chez Greylock et important donateur démocrate, n'a jamais caché son mépris pour la présidente de la Commission Fédérale du Commerce (FTC), Lina Khan, qui a commis l'erreur d'appliquer la législation antitrust. Hoffman a récemment déclaré sur CNN : “L'antitrust, c'est bien. Déclarer la guerre ne l'est pas”. Le sort de Khan sous une potentielle administration Harris reste encore incertain, étant donné qu'elle bénéficie d'un fort soutien de la part des démocrates qui saluent sa ligne anti-monopole très stricte.
Les querelles intra-démocrates pour influencer Harris dans le choix de son entourage, ainsi que le large éventail de secteurs et d'intérêts qui compose sa base de donateurs, coïncident avec ce que nous savons du parti démocrate d'aujourd'hui et de ses principaux soutiens : les tenant de l'idéologie libérale, le secteur des médias et de la tech, les professionnels du droit, de l'éducation et de la santé, et les syndicats. À l'instar de Trump et des Républicains, la base des donateurs démocrates est fortement concentrée dans quelques États qui reflètent la répartition géographique de leur coalition. Près de la moitié (en dollars) des dons adressés à Joe Biden, puis à Harris proviennent de seulement quatre États des deux côtes : la Californie (21,6 %), le district de Columbia (12,8 %), New York (10,2 %) et le Massachussets (4,2%).
Le règne de l'argent
Bien sûr, il faut également étudier où va tout cet argent dans les faits et quelle est son influence sur l'issue des élections. Le lecteur ne sera pas surpris d'apprendre que la part du lion revient aux médias et à la publicité. La campagne Biden-Harris a beaucoup investi dans la guerre de la publicité. En juillet, 60 % de ses dépenses totales, soit près de 65 millions de dollars, étaient consacrées aux médias et à la publicité. Malgré un raz-de-marée publicitaire, la position du président Biden dans les sondages s'est détériorée au point qu'il a été écarté de la course. De plus, ces dépenses ont temporairement gâché l'avantage qu'avait la campagne de Biden en matière de collecte de fonds par rapport à celle de Trump. L'enthousiasme suscité par le retrait de Biden et la nomination de Harris dans le camp démocrate a cependant délié les portefeuilles : en juillet, la campagne d‘Harris a récolté la somme faramineuse de 310 millions de dollars dépassant amplement les 138,7 millions de dollars récoltés par Trump.
Le coût total des quatre derniers cycles d'élections fédérales a dépassé les 40 milliards de dollars.
Jusqu'à présent, le budget de la campagne de Trump a été plus équilibré. Si, pour lui aussi, les médias représentent le principal axe d'investissement, ils ne comptent que pour un quart du coût total de la campagne. Un montant presque équivalent a été dépensé en frais administratifs, ce qui inclut les coûts liés à l'organisation des grands rassemblements de Trump. Une agence événementielle, Event Strategies, a ainsi reçu soixante-quatre paiements de la part de la campagne du candidat républicain, pour un montant total de 8,1 millions de dollars.
Les dépenses de campagnes politiques constituent une économie à part entière. Les entreprises partisanes fournissent toute une série de services très lucratifs aux candidats, en amont et en aval des élections. Le coût total des quatre derniers cycles d'élections fédérales a dépassé les 40 milliards de dollars. Et encore, ce chiffre n'inclut pas les milliers de campagnes qui ont lieu à l'échelle des États fédérés et des municipalités, ni des référendums. Comme les résultats des élections sont connus d'avance dans la plupart des États, une grande partie de l'investissement est concentré dans un nombre restreint de territoires indécis, afin de les faire basculer, même de manière minime. La victoire de Trump en 2016 s'est ainsi jouée à 80.000 votes dans le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, tandis que celle de Biden en 2020 reposait sur une marge de 44.000 votes en Géorgie, en Arizona et dans le Wisconsin…
40 % de l'ensemble des dons politiques émanent d'un groupe extrêmement restreint : le top 1 pour cent du top 1 pour cent.
Dans son ouvrage devenu incontournable, The Semisovereign People, paru en 1960, le politologue Elmer Eric Schattschneider a mis le doigt sur une réalité fondamentale de la politique américaine : « Le défaut du paradis pluraliste est que le chœur céleste y chante avec l'accent prononcé des classes supérieures ». Nous avons tous le droit de soutenir des candidats et des campagnes électorales, mais seuls quelques-uns sont en capacité de le faire à un degré qui garantisse la représentation de leurs intérêts dans le système politique.
40 % de l'ensemble des dons politiques émanent d'un groupe extrêmement restreint : le top 1 pour cent du top 1 pour cent. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a aucune différence significative entre les deux partis. Il y en a évidemment, notamment sur l'avortement et le respect des institutions. Pour les travailleurs américains cherchant à être représentés dans leurs intérêts de classe, les dons des syndicats en faveur des démocrates indiquent que cette option reste la moins pire. Mais à en juger par l'état de la société américaine, il est clair que le système politique des Etats-Unis met en œuvre sa propre version de la règle d'or : qui possède l'or dicte les règles.
[1] Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Manuel Trimaille et mis à jour par William Bouchardon.
Chris Maisano 28 octobre 2024
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Monique Chemillier-Gendreau : L’échec du droit international à devenir universel et ses raisons.

Union des fédéralistes européens. Colloque du 12 octobre 2024
Le monde d'aujourd'hui, devenu un village par la puissance des communications et du commerce, ne dispose pourtant pas d'un droit commun à l'application effective. Le droit international élaboré au XXème siècle et les institutions alors mises en place, doivent aujourd'hui être considérées comme un échec.
28 octobre 2024 | tire du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/28/monique-chemillier-gendreau-lechec-du-droit-international-a-devenir-universel-et-ses-raisons/
Ni le droit de la paix découlant de la Charte des Nations Unies, ni le droit humanitaire en cas de conflit armé résultant des Conventions de Genève de 1949 et de bien d'autres textes complémentaires réglementant les moyens de la guerre, ne sont respectés. De même la Déclaration universelle, les Pactes internationaux et les conventions contre le génocide, contre la torture ou contre l'apartheid, sont bafouées dans une contestation de plus en plus ouverte de l'universalisme.
Je vais ici analyser cette désaffection pour le droit international en distinguant les différentes formes qu'elle prend, puis je montrerai comment cette désaffection a son origine dans une contradiction interne au système international. Enfin, nous nous interrogerons sur les possibilités d'en sortir et je rejoindrai alors la pensée fédéraliste, objet de cette rencontre.
1- La désaffection pour le droit international est aujourd'hui générale.
Mais il y a la désaffection revendiquée et celle qui s'opère clandestinement.
La désaffection revendiquée vient de cette partie du monde qui n'a pas contribué à l'élaboration des normes aujourd'hui contestées. Je renvoie à ce propos aux travaux de Laurence Burgorgue-Larsen, notamment à sa conférence de 2023 à Aix-en-Provence où elle analyse comment l'universalisme des droits de l'homme est aujourd'hui rejeté dans un nombre grandissant de sociétés.
Il s'agit principalement des sociétés asiatiques qui développent des valeurs communautaires autour d'une profonde déférence à l'autorité, et cela au mépris de la liberté individuelle. Dans d'autres sociétés, notamment les sociétés musulmanes, les droits et libertés sont dictés par les préceptes de la religion. Enfin, l'Église orthodoxe a fait adopter en 2006, une Déclaration des droits et de la dignité de l'homme qui se pose en alternative à la Déclaration universelle.
Mais il y a aussi une contestation de l'universalisme du droit international de la part de groupes ou de mouvements situés en Occident. C'est le cas notamment des populations d'origine musulmane venues par les flux migratoires post coloniaux. Profondément religieuses, ces populations rejettent la sécularisation des sociétés où elles se trouvent. Il y a aussi des régimes européens, notamment d'Europe de l'Est qui contestent les systèmes démocratiques et les contrôles judiciaires constitutifs de l'État de droit. Ils agitent leur appartenance à la chrétienté pour justifier leurs dérives autoritaires et revendiquent une identité de chrétiens blancs.
Et puis il y a la désaffection clandestine, celle des gouvernements occidentaux eux-mêmes qui sont pourtant à l'origine de ce droit et se targuent de le promouvoir. Le discours officiel prétend à un strict respect de ce droit ce que les pratiques démentent. Donnons quelques exemples.
Les textes fondateurs du droit international, la Charte des Nations unies en 1945 et la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948 ont été créés par ls États occidentaux. L'Afrique sous domination coloniale n'avait alors pas de voix, ainsi qu'une grande partie de l'Asie et de l'Océanie. Les rédacteurs de ces textes avaient alors une volonté d'universalisme et de liberté au profit de tous, mais c'était à partir d'une certaine conception de la liberté, la leur.
Ils avaient proclamé le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, mais restèrent des colonisateurs s'opposant par des guerres sanglantes à la volonté des peuples de bénéficier de ce droit. La France mena ainsi la guerre d'Indochine, celle d'Algérie, la répression sanglante à Madagascar avec des violations massives des normes du droit humanitaire, comme l'usage du napalm ou de la torture. Les Pays-Bas, le Portugal ou le Royaume Uni pratiquèrent aussi des exactions contraires aux principes auxquels ils avaient solennellement souscrit par ailleurs. Les États-Unis se livrèrent de 1955 à 1975 contre le Vietnam à une guerre d'agression avec l'usage de l'agent orange, dont les effets meurtriers se font encore sentir cinq décennies plus tard. Les deux guerres menées contre l'Irak le furent en violation flagrante du droit international, y compris de l'interdiction de la torture, laquelle fut pratiquée notamment dans la tristement célèbre prison d'Abou Graïb.
Quant à Israël, ce pays, adossé étroitement au groupe des pays occidentaux, bafoue le droit international par son refus de reconnaître le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même, par le mépris de l'interdiction du recours à la force, des traités sur les droits de l'homme et sur la non-discrimination, de l'interdiction de l'apartheid et de tout le droit humanitaire en cas de conflit armé. Ses alliés, notamment les États-Unis, sont complices par leur coopération militaire et financière. La paralysie du Conseil de sécurité est due à cette complicité. L'Union européenne pourrait activer l'article 2 de l'accord passé avec Israël et considérer que les violations des droits de l'homme commises par cet État justifient la suspension de l'accord de coopération, mais elle n'en fait rien. Les deux avis consultatifs rendus par la Cour internationale de justice en 2004 et récemment en février 2024, condamnent en termes clairs les politiques d'Israël, sont restés lettre morte.
Ajoutons encore que les États-Unis et la France ne reconnaissent pas la juridiction de la Cour internationale de justice et se dérobent ainsi à l'application du droit international et que la France n'a pas adhéré à la Convention des Nations unies sur le droit des traités. Son argument est qu'elle n'accepte pas la catégorie dite du jus cogens ou droit impératif général. Pourtant considérer qu'il y a des principes intangibles, ceux précisément de droit impératif général, auxquels on ne peut déroger même par traités, va dans le sens d'une consolidation du droit international.
Et les États-Unis n'ont adhéré ni à la Convention sur le droit de la mer (1982), ni à celle sur les droits de l'enfant (1989), ni au Traité d'interdiction des mines anti-personnels (1997), ni au Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale (1998) et ce ne sont là que quelques exemples. Les mêmes États-Unis ont refusé de s'incliner devant la décision de la Cour internationale de justice les condamnant contre le Nicaragua en 1986, ou devant celle par laquelle en 2004 la Cour Internationale de Justice (CIJ) leur imposait de ne plus exécuter les ressortissants étrangers n'ayant pas bénéficié de leurs droits consulaires. Malgré cette injonction, les exécutions ont continué au mépris du droit international.
Les États qui ont été des colonisateurs et ont été obligés par les peuples sous leur domination à leur rendre la liberté dans le grand mouvement déclenché dans les années 60, ont cependant tenté piteusement de maintenir une domination coloniale sur certains territoires. C'est ainsi que le Royaume Uni a, lors de la décolonisation de l'Ile Maurice en 1968, détaché de ce territoire certaines îles, les Chagos, qui en étaient la dépendance. Il a fallu un avis consultatif de la Cour internationale de justice en 2019 pour que cela soit dénoncé. Et aujourd'hui, cinq ans après que cet avis ait été rendu, le Royaume Uni accepte enfin d'en appliquer les dispositions, pas entièrement cependant, puisque l'un des îlots, Diego Garcia, reste soumis à un bail au profit des États Unis qui en ont fait leur principale base militaire dans l'Océan Indien. Et aujourd'hui, la France est engagée dans une répression très dure contre le peuple Kanak de Nouvelle-Calédonie et elle refuse à celui-ci des conditions de réalisation de son droit à disposer de lui-même conformes au droit international.
2 – Ces violations du droit international sont rendues possibles par une contradiction inhérente à ce droit lui-même.
La situation que je viens de décrire rapidement, est extrêmement inquiétante. En effet, une société dans laquelle le droit peut être manipulé ou contesté et où sa réalisation n'est pas contrôlée par un juge, est une société livrée au rapport de forces ce qui encourage la domination des plus forts. Mais il est vain de dénoncer cette situation, si on ne pousse pas plus loin l'analyse. En effet, elle n'a pu se développer que parce qu'il y avait un élément destructeur du droit international qui a permis aux États d'échapper aux normes qu'ils promouvaient en apparence. Aujourd'hui, cette situation se retourne contre eux, mais aux dépens de tout le système qui est ébranlé dans ses fondements.
De quoi s'agit-il ? Du fait que la Charte des Nations Unies affichait une volonté très inédite d'imposer aux États des règles de vie commune, notamment l'interdiction du recours à la force, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et tout le droit international dont la Charte encourage le développement. Mais parallèlement, la même Charte garantissait aux États le respect de leur souveraineté. Or, la souveraineté est un pouvoir originaire, au-dessus duquel il n'y a rien. Le souverain ne reconnaît de règles que celles auxquelles il accepte de souscrire et non pas celles qui lui seraient imposées malgré lui. Garantir les souverainetés, c'était admettre que les États souverains puissent se soustraire à l'application du droit international.
Le projet d'un droit international efficace, appliqué, et éventuellement sanctionné, n'est pas réalisable sans une mise en cause des souverainetés. Dès la création de la Société des Nations en 1918, Georges Scelle, professeur de droit international, a consacré tout son travail à mettre en lumière cette contradiction. Et aujourd'hui, je m'inscris dans cette tradition, mais dans le même isolement [1]. Suivre l'évolution de cette contradiction peut nous éclairer sur les raisons de cette situation.
Les États occidentaux, auteurs de la Charte, étaient soucieux qu'il n'y ait plus entre eux, parmi le cercle que formaient ces pays dits avancés, de possibilité de domination. Cette préoccupation était ancienne car elle avait déjà été l'objet des Traités de Westphalie qui avaient mis fin à la Guerre de Trente ans en 1648, puis du Congrès de Vienne après les guerres napoléoniennes en 1815. Les prétentions hégémoniques de l'Allemagne au XIXème et au XXème siècle avaient montré qu'un engagement politique n'était pas suffisant et qu'il fallait des mécanismes juridiques adaptés. Ce fut l'interdiction du recours à la force, principe cardinal de la Charte des Nations unies.
Mais les États qui eurent l'initiative de cette avancée dans l'édification d'un monde soumis au droit, n'ont pas été sincères. Ils ont utilisé leur souveraineté pour consolider des positions de domination. La preuve en est que le colonialisme ne fut pas banni par la Charte des Nations unies. Il ne le fut que plus tard sous l'effet des luttes de libération nationale des peuples dominés. Et durant la guerre d'Algérie, la France s'opposa à ce que les Nations Unies mettent cette guerre en débat en s'abritant derrière le fait, qu'à ses yeux, il s'agissait là d'une question relevant exclusivement de la compétence nationale.
Les peuples asservis s'emparèrent alors de la Charte comme d'une arme de libération et à partir du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ils en appelèrent au droit international pour se libérer. Mais la contradiction entre ce droit international et la souveraineté des États n'était pas dépassée pour autant. En effet, le seul débouché du droit des peuples à leurs yeux était de devenir des États souverains comme l'étaient les colonisateurs. Allant plus loin, ils revendiquèrent la plénitude de la souveraineté en exigeant une souveraineté économique, base à leurs yeux d'un nouvel ordre économique international. Mais celui-ci s'enlisa dans quelques discours à l'Assemblée générale des Nations unies.
À partir de là, les pays nouveaux venus dans la communauté des États, jouèrent le jeu du marché mondial et se retranchèrent derrière la souveraineté pour exercer une domination sur leurs propres peuples et s'engager dans une course à la domination dans l'espace international, comme la politique de la Chine en est l'exemple. Les peuples de ces pays ont été libérés du colonialisme, mais soumis à des régimes autoritaires, parfois sanglants.
Dans la phase actuelle, ces sociétés poussent leurs économies dans la voie d'un productivisme accéléré, particulièrement en Asie. Mais alors, le droit international est un obstacle. Il prétend imposer des règles en matière politique, sociale, environnementale, technique, qui sont autant de freins à la domination de ceux qui sont au pouvoir.
Il leur est facile de s'engouffrer dans la voie ouverte par ceux-là mêmes qui avaient fondé le droit international, mais s'était réservé de ne pas l'appliquer, pour en faire autant. Mais la différence essentielle, est que ce refus du droit international n'est plus clandestin, il est théorisé. Et le droit international est discrédité dans ses fondements mêmes. L'idée d'universalisme est contestée. L'Occident se trouve de ce fait dans une position très dégradée. Fortement concurrencé sur le plan technologique, industriel et commercial, il est déconsidéré dans ses valeurs pour les avoir lui-même trahies si souvent.
3 – Quelles sont les voies qui permettraient de revenir vers un droit commun à la société mondiale dans son universalité ?
Pour tenter de répondre à cette question difficile, Il faut d'abord se demander sur quelles valeurs communes, ce droit pourrait être édifié. Il est possible ensuite d'examiner à quelles conditions, institutionnelles et sociales, ce projet pourrait être mis en œuvre.
Sans entrer ici en détails sur la question des valeurs qui pourraient être communes à l'humanité dans son ensemble, je me bornerai à souligner que les valeurs véhiculées par l'Occident pour promouvoir un droit international universel ne sont pas à rejeter en elles-mêmes. En apparence, elles étaient porteuses de ce à quoi tous les humains aspirent, à savoir ne pas tomber sous la domination soit de puissances étrangères, soit de régimes internes qui asservissent leurs populations. Et les régimes qui les contestent, notamment la Chine, au nom d'un respect de l'autorité qui interdirait de critiquer les politiques d'État, ou les régimes théocratiques, comme le régime iranien ou celui d'Arabie Saoudite, qui veulent imposer à l'ensemble de la société des normes d'origine religieuse, connaissent des oppositions internes, plus ou moins muselées, mais qui témoignent des aspirations à la liberté de leurs peuples.
On peut en conclure que les aspirations au respect des personnes, de leur dignité et aux libertés de conscience, de pensée ou d'association sont partagées par tous les humains. Cela doit permettre de construire un socle commun de normes protégeant ces aspirations. Et tous les peuples, comme tous les individus, lorsqu'ils ont confrontés à un différend sur la réalisation de leurs droits, souhaitent disposer d'une instance judiciaire capable de trancher ce différend avec objectivité.
Mais pour retrouver une nouvelle force, et une nouvelle portée universelle, les valeurs contenues dans les grands textes du droit international doivent être remises en jeu, débattues et adoptées de nouveau dans des forums adaptés. Malheureusement, aujourd'hui, la chose semble bien lointaine. Il y faut en effet deux conditions absentes pour le moment : un groupe impulseur disposé à ne pas représenter des intérêts particuliers et venant nécessairement d'ailleurs que du sein des organisations internationales existantes et une opinion publique mondiale allant dans ce sens.
Ce renouveau d'un droit universel ne pourra pas venir de l'intérieur du système actuel par une simple réforme, car le système n'a plus de légitimité internationale. Le principe de domination validé par la Charte avec le régime exorbitant accordé à cinq États-membres est garanti perpétuellement. En effet, toute réforme du système ne peut se faire, selon les articles 108 et 109 de la Charte qu'avec l'accord des cinq membres permanents. Or ce sont eux les principaux responsables de la perte de crédibilité du droit international, par les incessantes violations auxquelles ils se sont livrés.
Aussi faut-il affronter la difficulté et pour tenter de construire autre chose, il faut nécessairement se situer en dehors du système actuel, lequel est inamendable. Il faut pour cela que des mouvements de la société civile du monde entier, organisent des groupes de travail pour réfléchir en commun à la manière de doter le monde d'un droit et d'institutions internationales permettant de contrer les dominations. Or pour contrer les dominations, il faut imaginer la société internationale fondée sur un principe non-hiérarchique.
Et la recherche d'une société non-hiérarchique est au cœur de la pensée fédéraliste. Il faut donc élargir la pensée fédéraliste afin que non seulement les sociétés nationales soient considérées comme des associations d'hommes libres, mais que la société mondiale soit organisée et garantie comme une association de peuples libres. Et les institutions dont cette société mondiale aura à se doter devront être imaginées de manière à entraver toute tentative par l'un de ces peuples ou un groupe d'entre eux, tendant à confisquer la place de l'universel au profit d'intérêts particuliers.
Cela suppose et c'est sans doute le plus difficile, une opinion publique mondiale convaincue de la nécessité d'un nouveau projet politique anti-hégémonique aussi bien comme nouvelle conception de la démocratie que comme base d'un nouvel universalisme. Parler de cela dans le contexte actuel apparaît comme très décalé par rapport aux réalités tant les opinions publiques sont fragmentées, préoccupées d'abord d'intérêts particuliers. Il est déjà difficile de construire des objectifs d'intérêt national, alors pourrons-nous élaborer des mouvements d'idées prenant en charge le principe même d'une société mondiale soumise au droit ? Cela semble aujourd'hui utopique. Mais l'utopie n'est pas ce dont on rêve comme étant inaccessible. L'utopie est la pensée de ce monde d'ailleurs qui n'est pas encore advenu. Il tient à nous de le rendre réalisable. Et cela suppose d'abord de l'évoquer.
Les évènements serviront d'accélérateur. Les guerres en cours sans perspective de paix et sans procédures pour y conduire, la multiplication des dérèglements humains, violences, trafics illicites, exploitation des plus faibles, les changements climatiques et leurs conséquences dramatiques par sécheresse, cyclones, canicules, inondations, sont devant nous. Allons-nous laisser tout cela se développer au sein d'un système mondial à bout de souffle ? Ou saurons nous convaincre qu'il faut se mettre à l'ouvrage pour préparer une alternative, véritablement universelle à ce qui a été essayé et a échoué ? Ne pas le faire, ce serait laisser advenir la catastrophe dans l'indifférence.
[1] Voir Monique Chemillier-Gendreau, « En finir avec la souveraineté », Dalloz, Tiré à part, Paris, 2024.
Monique Chemillier-Gendreau
De l'autrice :
Plaidoirie de Monique Chemillier-Gendreau à la CIJ
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/04/22/lelephant-dans-la-piece-publie-le-4-8-2023-plaidoirie-de-monique-chemillier-gendreau-a-la-cij/
Monique Chemillier-Gendreau : Contrer la domination et ouvrir la perspective d'un autre monde
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/03/27/monique-chemillier-gendreau-contrer-la-domination-et-ouvrir-la-perspective-dun-autre-monde/
Pour un Conseil mondial de la Résistance
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/07/02/sarracher-au-cours-homogene-de-lhistoire/
Régression de la démocratie et déchainement de la violence. Conversation avec Regis Meyran,
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/01/07/la-resistance-a-loppression-est-le-droit-a-avoir-des-droits/
Préface de Monique Chemillier-Gendreau au livre de Stéphanie Bossard : Accueillir les migrants. Rien n'est facile mais tout est possible
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/12/09/preface-de-monique-chemillier-gendreau-au-livre-de-stephanie-bossard-accueillir-les-migrants-rien-nest-facile-mais-tout-est-possible/
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Les BRICS, l’Asie et l’enjeu du dollar

Le sommet des BRICS qui vient de se dérouler à Kazan marque un tournant. L'organisation est en phase rapide d'élargissement et prétend désormais traiter toutes les grandes questions internationales. Les pays asiatiques jouent un rôle majeur pour l'avenir des BRICS. Aucun des projets structurants – notamment la dédollarisation – ne peut se faire autrement que sous la direction de la Chine, et progressivement de l'Inde.
Tiré d'Asialyst. Légende de la photo : Le président chinois Xi Jinping et son homologue russe Vladimir Poutine lors du sommet des BRICS à Kazan, en Russie, le 22 octobre 2024. (Source : HGT)
Le 16ème sommet des BRICS s'est déroulé à Kazan du 22 au 24 Octobre derniers. Il a réuni les cinq membres fondateurs de l'organisation (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), les cinq nouveaux membres qui les ont rejoints depuis le 1er janvier 2024 (Iran, Égypte, Arabie Saoudite, Éthiopie, Émirats Arabes Unis), et vingt-cinq autres pays ainsi que plusieurs représentants d'organisations internationales, avec la participation remarquée du secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres.
L'Asie au cœur de l'expansion des BRICS
Au-delà des dix membres actuels, treize pays, dont six États asiatiques, ont acquis le statut de « partenaires » : Algérie, Biélorussie, Bolivie, Cuba, Indonésie, Kazakhstan, Malaisie, Nigeria, Ouganda, Ouzbékistan, Thaïlande, Turquie et Vietnam. Dans ce groupe des pays partenaires, l'Asean pèse lourd avec quatre de ses principaux membres, et l'Asie centrale fait également son apparition.
Le statut de partenaire permet d'associer les pays concernés à certaines des activités de l'organisation et surtout constitue une étape préalable à une adhésion. Cette adhésion n'est pas garantie car elle suppose un consensus parmi les membres actuels, mais elle semble probable à plus ou moins brève échéance pour la quasi-totalité des pays partenaires. Les candidatures sont rejetées avant d'atteindre le statut de pays partenaire, comme cela a été le cas pour le Vénézuela, bloqué par le Brésil. Une dizaine de pays non-partenaires ont par ailleurs signalé leur intérêt pour rejoindre l'organisation.
À relativement brève échéance, les BRICS pourraient donc dépasser le G20 en nombre, avec une répartition par continent assez équilibrée : huit pays asiatiques, trois pays du Proche et Moyen-Orient, trois Européens (si l'on inclut la Turquie), six Africains et trois pays d'Amérique Latine ou Centrale.
L'Asie n'est pas majoritaire en nombre dans le groupe des 10 membres et 13 partenaires, mais elle représente à la fois les trois quarts de la population et les trois quarts du PIB du groupe BRICS + partenaires.

Les BRICS commencent à traiter toutes les grandes questions internationales
La déclaration de Kazan est un long document de 134 paragraphes couvrant tous les sujets d'actualité internationaux avec trois grands piliers : politique et sécurité internationale, questions économiques et financières, culture et coopération entre les peuples. Au-delà des prises de position purement diplomatiques – qui incluent des engagements dithyrambiques sur la résolution pacifique des conflits, la protection des droits de l'homme ou la lutte contre la dissémination des fake news – ce document énumère une série d'initiatives d'importance variable.
On y trouve entre autres la protection des félins dans le monde (initiative de l'Inde), la facilitation des transactions et des financements internationaux en monnaies locales, la création d'une plateforme d'échanges de matières premières agricoles (à l'initiative de la Russie), la création d'un partenariat pour une nouvelle révolution industrielle, la mise en place d'un groupe d'études conjoint sur l'intelligence artificielle, le développement d'une coopération sur l'identification des ressources géologiques en métaux critiques, la création d'un groupe de travail sur la médecine nucléaire, la coopération fiscale, le développement de programmes conjoints de recherche scientifique.
L'élargissement rapide des BRICS ne va pas faciliter la cohésion du Groupe, et la coexistence de l'Organisation avec une multitude d'autres instances multilatérales ou régionales couvrant les mêmes sujets ne garantit pas le succès des multiples initiatives citées dans la déclaration de Kazan.
Le Groupe a cependant, en plus de son poids économique, des points forts sur lesquels il va tenter de capitaliser. En matière d'énergie, les dix membres actuels de l'organisation représentent déjà 36 % des exportations de pétrole brut et 34 % des exportations de pétrole raffiné dans le monde. Ils occupent également une place majeure dans le commerce international du soja (51 %) ou du riz (44 %) ainsi que de différents métaux critiques (terres rares, magnésium, graphite).
Les treize pays partenaires comportent également de grands exportateurs de produits énergétiques (Algérie, Indonésie, Malaisie, Kazakhstan, Nigéria), de produits agricoles (Thaïlande), et de métaux critiques (Bolivie, Indonésie). Collectivement le groupe BRICS + partenaires a donc les moyens de peser sur l'évolution des échanges d'énergie, de matières premières et de métaux critiques dans le monde, avec sans doute un axe de travail majeur ne faisant pas double emploi avec ce qui existe déjà, qui est celui de la fin de l'hégémonie du dollar.
La question du dollar
La Russie est particulièrement motivée pour trouver des modes de financement alternatifs au dollar depuis qu'elle est soumise à une vaste gamme de sanctions occidentales couvrant notamment la participation des banques russes au système SWIFT ou les avoirs de sa Banque Centrale. La Chine l'est également pour imposer progressivement le yuan comme monnaie internationale concurrente du dollar. L'Inde a tiré parti des difficultés de la Russie pour utiliser la roupie indienne dans ses achats de produits pétroliers russes. Les autres membres du groupe BRICS+ ont des motivations moins fortes pour éviter les règlements en dollar, et Vladimir Poutine est resté prudent dans ses commentaires sur les perspectives de dédollarisation lors de la conférence de presse de clôture du sommet de Kazan.
L'idée d'une monnaie commune aux BRICS reste manifestement un outil de communication plus qu'un projet, et ses chances de concrétisation sont nulles. Restent cinq axes de travail complémentaires que sont la diversification des réserves de change, les transactions bilatérales en monnaies locales, les actifs internationaux en monnaies locales, la dédollarisation progressive des marchés d'énergie et de matières premières et l'internationalisation du yuan.
S'agissant des réserves de change, la Russie, la Chine, l'Inde et la Turquie sont les quatre pays dont les réserves en or ont le plus fortement progressé depuis dix ans, avec une sensible accélération depuis le début de la guerre en Ukraine. Cet attrait de l'or va de pair avec une érosion progressive de la part du dollar dans les réserves de change de l'ensemble des banques centrales du monde, qui est passée de 71 % en l'an 2000 à 58 % en 2024. Mais les autres grandes monnaies internationales – euro, yen et livre sterling – ont conservé une part stable autour de 30 %, et parmi les monnaies « alternatives », le yuan reste à la peine avec une part limitée à 2,1 % fin juin 2024, en recul sur l'année 2023.
Sur les transactions bilatérales les progrès sont inégaux. Les échanges commerciaux entre la Chine et la Russie libellés en yuans ou en roubles représenteraient de 90 à 95 % du total des échanges bilatéraux, selon les sources russes et chinoises. Les échanges en monnaies locales avec l'Inde sont beaucoup moins avancés.
La Russie a trois problèmes avec l'Inde : elle est exportatrice nette pour des montants importants, et elle accumule des roupies indiennes qui restent en Inde et sont investies en obligations à faible rendement, les transactions entre les deux monnaies passent par des monnaies tierces en raison de la non-convertibilité de la roupie indienne, ce qui coûte cher (un accord est en vue pour régler ce problème), et l'argent russe ne peut pas ressortir facilement d'Inde en raison d'un contrôle des changes sourcilleux de la Banque Centrale indienne. L'une des solutions trouvées par les opérateurs russes a été d'échanger les roupies indiennes contre des cryptomonnaies (les stable coins), qui peuvent être à nouveau échangées contre d'autres monnaies aux Émirats arabes unis.
Les échanges bilatéraux en monnaies locales sont relativement simples avec la Chine dont la monnaie est déjà internationale et qui a mis en place les solutions techniques pour les transactions en yuans à travers la création d'un système concurrent de SWIFT qui est le CPIS. Ce n'est pas le cas pour la plupart des autres monnaies des BRICS+.
Globalement, on constate tout de même une nette progression de la part de ces monnaies dans les transactions enregistrées dans SWIFT (6,4 % en 2024, dont une bonne moitié concerne le yuan) et sur les marchés des dérivés de change (6,8 %).
S'agissant des actifs internationaux en monnaies locales, une étude de la Banque ING portant sur les dix membres actuels des BRICS montre que les avoirs ou dettes des BRICS en monnaies alternatives progressent, sans pour autant détrôner le dollar.

La dédollarisation des marchés de l'énergie ou des matières premières agricoles est encore à un stade préliminaire. La Chine a passé des accords bilatéraux avec l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l'Iran pour développer les achats de pétrole dans les monnaies des pays partenaires et elle va probablement faire de même avec d'autres pays comme l'Algérie. Les difficultés des règlements en monnaie locale restent toutefois les mêmes. Renoncer au dollar comporte des risques de change accrus (le système de garanties de change en dollar est sans équivalent), les échanges bilatéraux sont rarement équilibrés et l'un des deux partenaires se retrouve avec des avoirs dans la monnaie du pays partenaire qui ne sont pas faciles à placer ou à recycler. Hormis les pays soumis à un régime de sanctions comme la Russie ou l'Iran, les autres ont une motivation plus diplomatique que pratique, et les BRICS en tant que groupe ne peuvent pas réellement mettre en place un système de compensation multilatérale en monnaies alternatives au dollar.
L'avenir de la dédollarisation repose donc sur l'essor international de monnaies alternatives comme le yuan. Or la période récente, marquée par une faiblesse de la monnaie chinoise face au dollar et par un durcissement du contrôle des changes chinois pour éviter d'éventuelles fuites de capitaux, n'est pas une période faste pour l'internationalisation du yuan. Les marqueurs classiques (poids dans les réserves de change, les échanges commerciaux, les transactions du système SWIFT, les actifs financiers) stagnent ou ne progressent que marginalement. On observe quand même un début de transactions commerciales en yuans entre pays tiers. La Russie par exemple réalise 5 % de ses échanges commerciaux en yuans avec d'autres pays que la Chine.
Du côté de l'Inde, les difficultés avec la Russie ont incité le gouvernement à lancer un plan d'internationalisation de la roupie qui en est encore à ses balbutiements. La dédollarisation des relations entre les BRICS reste globalement un objectif de long terme qui sera lié au succès de l'internationalisation du yuan aujourd'hui et de la roupie indienne d'ici quelques décennies.
Par Hubert Testard
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Un sommet des BRICS en Russie qui n’offre pas d’alternative

Le 16e sommet des BRICS a abouti, le 23 octobre 2024, à une déclaration finale en 134 points, qui indique clairement que ce bloc ne constitue pas une alternative favorable aux intérêts des peuples.
29 octobre 2024 | tiré du site d'Inprecor | Photo : Kazan a accueilli la première session plénière du 16e sommet des BRICS en format « Outreach/BRICS+ ». © President.az, CC BY 4.0
https://inprecor.fr/node/4393
Il n'y a aucun doute qu'il faut combattre la politique des grandes puissances impérialistes traditionnelles : les États-Unis et ses partenaires européens ainsi que le Japon. Il n'y a pas de doute que les pays impérialistes les plus agressifs sont de loin les États-Unis et Israël, dans le sillage desquels se placent l'Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon, l'Australie, le Canada… qui acceptent tout ce qu'accomplit le gouvernement fasciste israélien.
Il y a un tel dégoût pour la politique de ces puissances impérialistes traditionnelles qu'une partie de la gauche considère que la politique des BRICS constitue une alternative encourageante même si beaucoup sont contre l'invasion de l'Ukraine par la Russie, tout en considérant que l'OTAN et Washington ont leur part de responsabilité.
C'est important d'analyser le contenu de la déclaration finale des BRICS adoptée à Kazan le 23 octobre 2024 afin de vérifier si ce bloc met en avant une alternative au modèle et aux politiques qui sont imposées par les puissances impérialistes traditionnelles (regroupée dans le G7 : États-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni, Canada, Japon, Italie et Union européenne). De toute manière, on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'émerge une alternative favorable aux peuples d'un conglomérat de pays tous dominés par une logique capitaliste (même si c'est à des degrés divers) et parmi lesquels les gouvernements qui répriment leur peuples sont majoritaires. Le résultat de la lecture de la déclaration finale dans son intégralité est sans appel : même au niveau des mots, on ne trouve pas de véritable différence avec les discours, les déclarations des principales puissances impérialistes traditionnelles et des institutions qu'elles dominent. Si, en plus, on prend la peine d'analyser la politique concrète des BRICS, on ne peut que conclure que pour promouvoir une alternative favorable à l'émancipation des peuples, pour renforcer la lutte contre les différentes formes d'oppression et pour affronter la crise écologique, il ne faut pas compter sur l'aide et l'action des BRICS.
Pour passer en revue les points les plus importants de la déclaration finale du sommet des BRICS, tenu en Russie, je suivrai, sauf à un endroit, l'ordre dans lequel les différents points se succèdent. Ceux et celles qui veulent lire l'ensemble de la déclaration, la trouverontsur le site du gouvernement russe et sur d'autres sites officiels.
Pas de remise en cause du FMI et de la Banque mondiale :
Dans le point 11, les BRICS réaffirment le rôle central que doit jouer le Fonds monétaire international (FMI) :
11. « Nous réaffirmons notre volonté de maintenir un filet de sécurité financier mondial solide et efficace, avec en son centre un FMI »
Les BRICS se félicitent des discussions en cours au FMI sur l'évolution des droits de vote en son sein :
« Nous nous félicitons des travaux en cours du Conseil d'administration du FMI visant à élaborer, d'ici juin 2025, des approches possibles pour guider la poursuite du réalignement des quotes-parts ». « Il s'agit également de féliciter le FMI pour son intention de permettre aux pays d'Afrique subsaharienne, scandaleusement sous-représentés dans la direction du FMI, d'obtenir en son sein un siège supplémentaire. »
Les BRICS n'émettent aucune critique à l'égard des politiques néolibérales imposées par le FMI aux pays qui font appel à ses crédits.
Les BRICS n'exigent aucun changement de la part de la Banque mondiale et se contentent de dire à son propos : « Nous attendons avec intérêt l'examen de la participation de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) à l'horizon 2025. »
On ne trouve dans la déclaration aucune demande et aucun engagement pour l'annulation des dettes.
Suit, au point 12, une déclaration purement abstraite et sans intérêt sur la nécessaire amélioration du système monétaire et financier international.
Satisfecit pour les COP qui pourtant n'apportent aucune solution probante et soutien au marché du carbone
Au point 16, concernant les initiatives pour faire face à la crise écologique et au changement climatique, la déclaration ne fait aucune allusion à la profonde crise écologique et se félicite des avancées que représentent les derniers sommets COP sur le climat :
« Nous félicitons l'Égypte d'avoir accueilli la COP27 à Sharm El-Sheikh en 2022, où le Fonds de réponse aux pertes et dommages a été créé, et les Émirats arabes unis d'avoir accueilli la COP28 à Dubaï en 2023, où le Fonds a été rendu opérationnel. Nous nous félicitons du consensus obtenu par les Émirats arabes unis lors de la COP28, notamment de la décision intitulée « Résultats du premier bilan mondial », et du Cadre des Émirats arabes unis pour la résilience climatique mondiale. Nous nous engageons à ce que la COP29 en Azerbaïdjan soit couronnée de succès… Nous soutenons le leadership du Brésil qui accueillera la COP30 en 2025 et saluons la candidature de l'Inde qui accueillera la COP33 en 2028. »
Alors que les COP n'aboutissent sur aucun résultat probant et que les derniers ont été des caricatures, les BRICS se retrouvent de fait très proches des grandes puissances industrielles impérialistes traditionnelles en refusant de reconnaître que jusqu'ici les politiques adoptées ne permettent pas de fournir des réponses à la hauteur des enjeux. Malgré leurs désaccords et les tensions qui marquent leurs relations, les deux blocs s'entendent en pratique lors des COP pour ne pas adopter de mesures contraignantes suffisamment fortes pour faire face à la crise écologique. Chaque bloc défend les intérêts des industries polluantes. C'est frappant de constater que les BRICS ne dénoncent pas la politique irresponsable des anciennes puissances impérialistes et des grandes entreprises qui vivent des énergies fossiles.
De plus au point 85, les BRICS déclarent leur soutien au marché des permis d'émission de carbone
« Nous reconnaissons le rôle important que jouent les marchés du carbone en tant que l'un des moteurs de l'action en faveur du climat, et nous encourageons le renforcement de la coopération et l'échange d'expériences dans ce domaine. » (pour plus loin).
Le marché du carbone est au cœur du capitalisme vert, du greenwashing et de la poursuite de politiques prédatrices à l'égard de la nature.
Pour en savoir plus sur le marché du carbone, lire : Adam Hanieh, « Blanchissement de carbone — La « nouvelle ruée vers l'Afrique » du Golfe », publié le 14 août 2024
Condamnation d'Israël sans employer le mot génocide
Le point 30 aborde la situation en Israël-Palestine sans utiliser une seule fois le mot génocide pour désigner l'action criminelle du gouvernement israélien.
Nous réitérons notre grave préoccupation face à la détérioration de la situation et à la crise humanitaire dans le territoire palestinien occupé, en particulier l'escalade sans précédent de la violence dans la bande de Gaza et en Cisjordanie à la suite de l'offensive militaire israélienne, qui a entraîné des massacres et des blessures de civils, des déplacements forcés et la destruction généralisée d'infrastructures civiles. Nous soulignons la nécessité urgente d'un cessez-le-feu immédiat, global et permanent dans la bande de Gaza, de la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages et détenus des deux camps qui sont illégalement retenus en captivité, de l'acheminement durable et sans entrave de l'aide humanitaire à grande échelle dans la bande de Gaza et de la cessation de toutes les actions agressives. Nous dénonçons les attaques israéliennes contre les opérations humanitaires, les installations, le personnel et les points de distribution. (…) nous saluons les efforts continus de la République arabe d'Égypte, de l'État du Qatar et d'autres efforts régionaux et internationaux en vue de parvenir à un cessez-le-feu immédiat, d'accélérer l'acheminement de l'aide humanitaire et le retrait d'Israël de la bande de Gaza.
Les BRICS ne décrètent pas une rupture ou une suspension des relations commerciales et des traités de coopération avec Israël. Pire, comme Patrick Bond et d'autres auteurs l'ont montré, les BRICS continuent à fournir à Israël du pétrole, du gaz, du charbon, indispensables à ce pays pour continuer son effort de guerre. Cela est également vrai de la part du gouvernement d'Afrique du Sud qui bien qu'ayant déposé à juste titre une plainte contre Israël devant la Cour de justice internationale, continue de lui fournir du charbon.
Pour en savoir plus sur la poursuite des relations commerciales entre les BRICS et Israël pendant le génocide, lire en anglais ou en espagnol : Patrick Bond, ‘The Blessing' for genocide publié le 1 octobre 2024, - En Espagnol : La “bendición” para el genocidio
Certes ils condamnent au point 31. , « la perte de vies civiles et les immenses dégâts causés aux infrastructures civiles par les attaques menées par Israël contre des zones résidentielles au Liban et nous demandons la cessation immédiate des actes militaires » mais ils s'en tiennent à cela.
Au point 32, ils condamnent, sans désigner comme responsable le gouvernement d'Israël, « l'acte terroriste prémédité consistant à faire exploser des appareils de communication portatifs à Beyrouth, le 17 septembre 2024, qui a fait des dizaines de morts et de blessés parmi les civils » .
Condamnation sans les mentionner explicitement des actions Houthis qui tentent d'entraver les relations commerciales avec Israël
Au point 33, ils condamnent, sans les nommer, les actions des Houthis qui s'attaquent aux bateaux qui commercent avec Israël. Les BRICS affirment
« qu'il importe de garantir l'exercice des droits et libertés de navigation des navires de tous les États en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab ».
Absence de condamnation de l'invasion de l'Ukraine par la Russie et absence de critique explicite à l'égard de l'OTAN
Au point 36, les BRICS ne condamnent pas l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ils écrivent :
« Nous rappelons les positions nationales concernant la situation en Ukraine et dans les environs, telles qu'elles ont été exprimées dans les enceintes appropriées, y compris le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Assemblée générale des Nations unies. (…). Nous prenons note avec satisfaction des propositions pertinentes de médiation et de bons offices, visant à un règlement pacifique du conflit par le dialogue et la diplomatie. ».
Le fait qu'on ne trouve pas de critique de l'OTAN est vraisemblablement dû au fait que la Turquie était invitée au sommet.
Soutien aux partenariatx public-privé qui en réalité favorisent les grandes entreprises privées aux détriments des biens publics
À partir du point 61, les BRICS reviennent sur les questions financières. Ils se prononcent pour les partenariats public-privé en déclarant :
« Nous reconnaissons que le recours au financement mixte est un moyen efficace de mobiliser des capitaux privés pour financer des projets d'infrastructure. »
Ils ajoutent : « nous saluons les travaux du groupe de travail des BRICS sur les partenariats public-privé et les infrastructures ».
Soutien aux activités de la Nouvelle banque de développement créée par les BRICS en 2015 en parlant des crédits en monnaie locale alors que l'essentiel du financement passe toujours par le dollar des États-Unis
Au point 62, ils soulignent « le rôle clé de la Nouvelle banque de développement (NDB) (voir encadré sur la NDB) dans la promotion des infrastructures et du développement durable de ses pays membres. » Ils promettent une amélioration de sa gestion : « Nous soutenons la poursuite du développement de la NDB et l'amélioration de la gouvernance d'entreprise et de l'efficacité opérationnelle en vue de la réalisation de la stratégie générale de la NDB pour 2022-2026 ». Pour comprendre la référence à l'amélioration de la gouvernance de la NDB, il faut certainement prendre en compte l'avis du brésilien, Paulo Nogueira Batista qui a représenté de 2007 à 2015 le Brésil au FMI sous la présidence de Lula, et qui a été ensuite vice-président de la Nouvelle banque de développement (créée par les BRICS) de 2015 à 2017. Bien qu'il exprime un soutien enthousiaste aux BRICS, il n'a pas manqué de critiquer la mauvaise gestion de la direction de la NDB :
« La Banque a accompli beaucoup de choses mais n'a pas encore fait la différence. L'une des raisons est, franchement, le type de personnes que nous avons envoyées à Shanghai depuis 2015 en tant que président·es et vice-président·es de l'institution. Le Brésil, par exemple, sous l'administration Bolsonaro, a envoyé une personne faible pour devenir président de la mi-2020 au début 2023 - techniquement faible, orientée vers l'Occident, sans leadership et sans la moindre idée de la manière de mener une initiative géopolitique. La Russie ne fait malheureusement pas exception à la règle : le vice-président russe de la NDB est remarquablement inapte à ce poste. La faiblesse de la gestion a souvent conduit à un mauvais recrutement du personnel. »1
Ceux-ci annoncent qu'ils soutiennent la NDB dans l'expansion continue des financements en monnaie locale, ce qui est positif mais ils omettent de dire que l'essentiel du financement de la NDB se fait en dollars par l'émission de titres sur les marchés financiers.
La Nouvelle banque de développement (NDB)
La NDB a été créée officiellement le 15 juillet 2014 à l'occasion du 6e sommet des BRICS qui s'est tenu à Fortaleza au Brésil. La NDB a octroyé ses premiers crédits à partir de fin 2016. Les cinq pays fondateurs ont chacun une part égale du capital de la Banque et aucun n'a le droit de veto. La NDB, outre les 5 pays fondateurs, compte comme membres le Bangladesh, les Émirats Arabes Unis et l'Égypte. L'Uruguay est en train de rendre effective sa participation. La NBD est dotée d'un capital de 50 milliards de dollars qui devrait être porté dans le futur à 100 milliards de dollars. Il y a rotation pour l'exercice du poste de président·e de la NDB. A tour de rôle pour un mandat de cinq ans, chaque pays a droit à exercer la présidence. Dilma Rousseff, la présidente actuelle, est brésilienne, le prochain ou la prochaine présidente sera russe et sera désignée en 2025 par Vladimir Poutine qui vient d'être réélu à la présidence de la Fédération de Russie jusque 2030. La Nouvelle Banque de Développement annonce qu'elle se concentre principalement sur le financement de projet d'infrastructures y compris des systèmes de distribution d'eau et des systèmes de production d'énergie renouvelables. Elle insiste sur le caractère « vert » des projets qu'elle finance, bien que cela soit très discutable.
Certains passages concernant la NDB donnent à entendre qu'il y a véritablement des tensions entre les pays membres des BRICS :
« Nous demandons instamment à la Banque de s'acquitter de sa mission et de ses fonctions, conformément aux statuts de la nouvelle banque de développement, de manière équitable et non discriminatoire. »
C'est probablement lié au fait que la NDB n'a octroyé aucun crédit en Russie depuis que les puissances occidentales ont pris des sanctions contre Moscou après l'invasion de l'Ukraine en février 2022. En effet la NDB qui se finance sur les marchés financiers a craint de subir une dégradation de sa note triple AAA au cas où elle aurait poursuivi les prêts à la Russie. Elle a donc refusé de financer des projets en Russie.
Ceci peut être vérifié sur le site de la NDB : où l'on constate que depuis début 2022, la NDB a approuvé le financement de plus de 50 projets différents dont aucun en Russie. Concernant les crédits vers la Russie, si on clique ici on peut constater que le dernier projet soutenu financièrement par la NBD en Russie remonte à septembre 2021.
Soulignons de nouveau le jugement négatif émis en mars 2024 par Paulo Nogueira, pourtant chaud partisan des BRICS, à propos de la NDB dont il a été vice-directeur en 2014-2015 :
"Pourquoi peut-on dire que la NDB a été une déception jusqu'à présent ? Voici quelques-unes des raisons. Les décaissements ont été étonnamment lents, les projets sont approuvés mais ne sont pas transformés en contrats. Lorsque les contrats sont signés, la mise en œuvre effective des projets est lente. Les résultats sur le terrain sont maigres. Les opérations - financements et prêts - se font principalement en dollars américains, monnaie qui sert également d'unité de compte à la Banque.
Comment pouvons-nous, en tant que BRICS, parler de manière crédible de dédollarisation si notre principale initiative financière reste majoritairement dollarisée ?
Ne me dites pas qu'il n'est pas possible d'effectuer des opérations en monnaie nationale dans nos pays. La Banque interaméricaine de développement, la BID, par exemple, possède depuis de nombreuses années une expérience considérable en matière d'opérations en monnaie brésilienne. Je ne comprends pas pourquoi la NDB n'a pas profité de cette expérience. »2
Les BRICS ne parlent plus du lancement d'une monnaie commune
En réalité en ce qui concerne les outils financiers dont se sont dotés les BRICS les résultats sont négligeables et aucune avancée sérieuse n'est annoncée dans la déclaration finale.
Rappelons que Lula, président du Brésil, lors du sommet précédent tenu en Afrique du Sud en août 2023 avait déclaré que les BRICS avaient
« approuvé la création d'un groupe de travail chargé d'étudier l'adoption d'une monnaie de référence pour les BRICS. Cela augmentera nos options de paiement et réduira nos vulnérabilités. »3
Peu après, Paulo Nogueira Batista, déjà cité, avait déclaré dans une rencontre en Russie :
« Nous avons la chance que la Russie préside les BRICS en 2024 et le Brésil en 2025 - précisément les deux pays qui semblent les plus intéressés par la création d'une monnaie commune ou de référence. Si tout se passe bien, les BRICS pourraient prendre la décision de créer une monnaie lors du sommet en Russie l'année prochaine »4 .
Rien de tel ne s'est produit. Dans la déclaration finale du 16e sommet des BRICS rendue publique le 23 octobre 2024, il n'y a aucune référence à la création d'une monnaie commune. Il s'agit donc d'un important pas en arrière. Or beaucoup de partisans des BRICS avaient annoncé en 2023 après que la rencontre des BRICS en Afrique du Sud qu'on était à la veille de la création de cette monnaie. La montagne a accouché d'une souri et le court point 67 en donne la mesure :
« 67. Nous chargeons nos ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales, selon le cas, de poursuivre l'examen de la question des monnaies locales, des instruments de paiement et des plateformes et de nous faire rapport d'ici la prochaine présidence. »
Pas un mot sur une monnaie commune.
Le Fonds monétaire des BRICS est au point mort
Sur un autre point, le bilan est carrément négatif, il s'agit du fonds de réserve en devises que les BRICS avaient décidé de créer en 2015, il y a près de 10 ans. L'acronyme de ce fonds est le CRA (Contingent Reserve Arrangement ). Il devait permettre à des pays membres des BRICS confrontés à un problème de manque de devises pour assurer leurs paiements internationaux de pouvoir puiser dans ce fonds (emprunter à ce fonds) les devises qui leur manquait. Cet instrument est important en particulier pour l'Afrique du Sud, le pays le plus faible des BRICS car celui-ci a fait face ces dernières années à un manque de devises. Ce problème concerne aussi une quantité importante de pays qui ont adhéré aux BRICS ou sont candidats pour en faire partie. On peut citer comme exemples l'Éthiopie, l'Égypte, l'Iran.
Or depuis que le Fonds a été créé sur papier en 2015 rien n'a avancé. Aucun crédit n'a été octroyé.
Ce Fonds devait remplir la fonction que joue le FMI quand un de ses membres fait face à un manque de réserves de change pour effectuer des paiements. Cela devait permettre aux pays membres des BRICS d'échapper aux conditionnalités imposées par le FMI.
Or, ce fonds bien que créé sur papier, n'est pas entré en activité et le sommet des BRICS qui vient de se conclure accouche d'une déclaration on ne peut plus timide :
68. Nous reconnaissons que l'accord sur les réserves contingentes (càd le fonds de réserve appelé CRA, note d'Éric Toussaint) des BRICS est un mécanisme important pour prévenir les pressions à court terme sur la balance des paiements et renforcer la stabilité financière. Nous exprimons notre soutien résolu à l'amélioration du mécanisme du CRA en envisageant d'autres monnaies éligibles et nous nous félicitons de la finalisation des modifications apportées aux documents relatifs au CRA. Nous saluons l'achèvement réussi du 7e test du CRA et la cinquième édition du Bulletin économique des BRICS sous le titre « BRICS Economies in a Higher-rate Environment » (Les économies des BRICS dans un environnement de taux plus élevés).
Se féliciter de l'édition d'un bulletin d'analyse et de la réalisation d'un 7e test, c'est reconnaître qu'après 9 ans le fonds de réserve (CRA) n'existe qu'à l'état de projet et n'a effectué aucune opération.
Paulo Nogueira déclarait à propos du CRA en octobre 2023 :
« Les deux mécanismes de financement existants des BRICS ont été créés à la mi-2015, il y a plus de huit ans. Permettez-moi de vous assurer que lorsque nous avons commencé avec le CRA et la Nouvelle banque de développement, il existait une inquiétude considérable quant à ce que les BRICS faisaient dans ce domaine à Washington, au FMI et à la Banque mondiale. Je peux en témoigner car j'y ai vécu à l'époque, en tant qu'administrateur pour le Brésil et d'autres pays au sein du conseil d'administration du FMI.
Au fil du temps, cependant, les gens à Washington se sont détendus, sentant peut-être que nous n'allions nulle part avec le CRA (= le Fonds monétaire commun des BRICS) et la Nouvelle Banque de Développement. » (même source que les citations précédentes)
Pour en savoir plus sur les BRICS : Éric Toussaint, Les BRICS et leur Nouvelle banque de développement offrent-ils des alternatives à la Banque mondiale, au FMI et aux politiques promues par les puissances impérialistes traditionnelles ?, publié le 18 avril 2024,
Selon les BRICS, le libre-échange est le leitmotiv de l'activité agricole. Pas un mot sur la souveraineté alimentaire, sur l'agriculture biologique
73. Nous convenons que la résilience des chaînes d'approvisionnement et le libre-échange dans l'agriculture, parallèlement à la production intérieure, sont essentiels pour garantir la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance, en particulier pour les agriculteurs à faible revenu ou disposant de ressources limitées, ainsi que pour les pays en développement importateurs nets de denrées alimentaires. »
L'expérience a montré que le libre échange est une arme des grandes puissances et des grandes entreprises privées de l'agro business contre les paysans.
Les BRICS font la promotion des Zones économiques spéciales, paradis des entreprises capitalistes et souvent un espace de non droit pour les travailleurs-ses
« 74. Nous reconnaissons l'efficacité des zones économiques spéciales (ZES) des pays du BRICS en tant que mécanisme bien établi pour la coopération commerciale et industrielle et la facilitation de la fabrication (…) Nous nous félicitons de la création d'un forum de coopération sur les zones économiques spéciales des pays du BRICS. »
Rejet des mesures protectionnistes pour protéger l'environnement
« 83. Nous rejetons les mesures protectionnistes unilatérales, punitives et discriminatoires, qui ne sont pas conformes au droit international, sous prétexte de préoccupations environnementales, telles que les mécanismes unilatéraux et discriminatoires d'ajustement carbone aux frontières, les exigences de diligence raisonnable, les taxes et autres mesures, et nous réaffirmons notre soutien total à l'appel lancé lors de la COP28 pour éviter les mesures commerciales unilatérales fondées sur le climat ou l'environnement. Nous nous opposons également aux mesures protectionnistes unilatérales qui perturbent délibérément les chaînes d'approvisionnement et de production mondiales et faussent la concurrence. »
Il est vrai que des grandes puissances traditionnelles en perte de vitesse comme l'UE et les USA prennent prétexte de motivations environnementales pour cacher leur volonté de protéger les intérêts des grands actionnaires des entreprises en perte de vitesse mais cela ne signifie pas que nous devons être contre toutes les mesures protectionnistes qui défendraient réellement l'environnement et permettrait la promotion des droits des travailleurs tant au Sud qu'au Nord de la planète.
Les BRICS ont un discours sur les femmes tout à fait compatible avec celui adopté par les puissances impérialistes traditionnelles, par la Banque mondiale, par la presse dominante et le monde des affaires
« 130. Nous reconnaissons le rôle essentiel des femmes dans le développement politique, social et économique. Nous soulignons l'importance de l'autonomisation des femmes et de leur pleine participation, sur la base de l'égalité, à toutes les sphères de la société, y compris leur participation active aux processus de prise de décision, y compris aux postes à responsabilité, qui sont fondamentales pour la réalisation de l'égalité, du développement et de la paix. Nous reconnaissons que l'entrepreneuriat inclusif et l'accès des femmes au financement faciliteraient leur participation aux entreprises, à l'innovation et à l'économie numérique. À cet égard, nous nous félicitons des résultats de la réunion ministérielle sur les affaires féminines et du forum des femmes des BRICS qui se sont tenus en septembre à Saint-Pétersbourg sur le thème « Les femmes, la gouvernance et le leadership » et nous reconnaissons la précieuse contribution de ces réunions annuelles au développement et à la consolidation de l'autonomisation des femmes dans les trois piliers de la coopération des BRICS.
131. Nous apprécions les efforts déployés par l'Alliance des femmes d'affaires des BRICS pour promouvoir l'entrepreneuriat féminin, notamment le lancement de la plateforme numérique commune de l'Alliance des femmes d'affaires des BRICS, la tenue du premier forum des femmes d'affaires des BRICS à Moscou les 3 et 4 juin 2024 et le premier concours de startups féminines des BRICS. Nous sommes favorables à la poursuite du renforcement de la coopération entre la BRICS Women's Business Alliance et les femmes entrepreneurs du Sud, y compris la mise en place de bureaux régionaux, le cas échéant.
Pour en savoir plus sur la question du genre : Camille Bruneau : La farce de la « prise en compte du genre » : une grille de lecture féministe des politiques de la Banque mondiale, publié le 25 septembre 2024,
Les BRICS ne sont pas une alternative pour les peuples face aux puissances impérialistes traditionnelles. Les positions des BRICS s'inscrivent à merveille dans le système capitaliste néolibéral global, ils ne font rien ou presque pour s'en détacher et souscrivent aux fausses solutions du capitalisme vert. Malgré leur dénonciation des crimes commis par Israël contre les peuples palestiniens et libanais, ils ne daignent pas rompre leurs liens commerciaux avec la puissance sioniste.
Publié par le CADTM le 26 octobre 2024
1. Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.
2. Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.
3. Lula “aprovado a criação de um grupo de trabalho para estudar a adoção de uma moeda de referência dos Brics. Isso aumentará nossas opções de pagamento e reduzirá nossas vulnerabilidades » Folha de Paulo, « Moeda do Brics ; tema ganha tratamento tímido em cúpula » - 25/08/2023 - www1.folha.uol.com.br/mercado/2023/08/india-resiste-a-moeda-do-brics-e-tema-ganha-tratamento-timido-em-cupula.shtml. CNN, « Brics criam grupo de trabalho para avaliar moeda comum » www.youtube.com/watch?v=keUdkW-s5M4
4. Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.
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La crise des Etats-Unis, centre de la multipolarité impérialiste.

Commentant l'alignement géopolitique qui semble vouloir s'affirmer au moment présent, que le sommet des « BRICS+ » à Kazan (en Russie) a, depuis, confirmé, et le tableau de guerre mondiale dont il dessine le spectre, entre un bloc de tyrannies eurasiatiques et les vieilles démocraties capitalistes vermoulues, j'écrivais, le 18 octobre dernier :
« Le facteur conjoncturel, mais capital, qui attise les faits guerriers immédiats, ce sont les présidentielles nord-américaines. Cette relation est réciproque : les tensions en mer de Chine et en Corée, les reculs ukrainiens dans le Donbass, et la guerre engagée au Liban par le gouvernement et l'armée israéliens, sont autant de facteurs qui jouent en faveur de Trump. »
29 octobre 2024 | tiré du site d'aplutsoc | Photo illustrant cet article : image du film Civil War, de Alex Garland, avril 2024.
Géopolitique mondiale et géopolitique américaine.
Or, il y a aussi une « géopolitique » électorale étatsunienne. Beaucoup de médias parlent maintenant ouvertement du spectre de la guerre civile aux Etats-Unis. Le scrutin présidentiel s'y joue dans 7 Etats, les swing states – Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie, Caroline du Nord, Géorgie, Nevada, Arizona. La constitution américaine veut que le résultat ne provienne pas du total national des bulletins, mais du nombre de grands électeurs par Etats. Les jeux sont faits un peu partout, sauf dans ces 7 Etats qui forment une sorte de ligne de front, lignes qui, parfois, les découpent eux-mêmes entre comtés.
Hors de ces 7 Etats qui totalisent 93 grands électeurs, Trump peut tabler sur 219 de ceux-ci et Harris sur 226. En simplifiant, on peut les grouper en 3 catégories.
Le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, au Nord-Est, sont des contrées industrielles sinistrées, dans lesquelles le charcutage électoral (au Wisconsin notamment) favorise les Républicains, ce qui ne joue plus pour les présidentielles, sauf dans la mesure où les pouvoirs locaux font pression contre le vote des couches les plus pauvres et les moins blanches de la population. La mobilisation de la nouvelle direction syndicale de l'United Automobile Workers, contre Trump et pour Harris, peut peser dans ces régions, ainsi que la candidature à la vice-présidence du gouverneur du Minnesota Tim Walz, présenté comme « ami des syndicats ».
La Caroline du Nord et la Géorgie sont des Etats « sudistes » dans lesquels la polarisation est violente entre les campagnes évangélistes et racistes et les centres urbains.
Le Nevada et l'Arizona voient une confrontation politique entre « ruraux » blancs et groupes tournés vers la Californie démocrate et libérale, avec les latinos « intégrés » partagés, face aux immigrants illégaux et discriminés.
Trois lignes de front, donc : celle de la « vieille » classe ouvrière au Nord, de la frange Nord des confédérés de la guerre de Sécession au Sud, du far West capitaliste sauvage à la fois vivifié et perturbé par le flux migratoire latinos (hispanophone mais en même temps, il ne faut pas l'oublier, amérindien), à l'Ouest.
En dehors des Etats de la ligne de front – appelons-les ainsi, ce sera plus parlant que swing states – le reste du pays forme maintenant de vastes ensembles hostiles qui auront le sentiment de s'être fait voler l'élection dans ces zones disputées. Mais le sentiment va différer entre la base trumpiste et la base sociale qui, par adhésion mais surtout par réflexe de défense, va voter Harris.
Pour cette base sociale là ce sera un sentiment démocratique. En effet, il est fort probable que, comme déjà en 2016, Trump ne sera pas en tête en nombre de voix, mais en nombre de grands électeurs. En soi, ce fait ne choque pas, pour des raisons historiques, aux Etats-Unis, république fédérale. Mais là, il risque d'énerver, traduisant le fait que la constitution américaine, ce chef-d'œuvre de déséquilibre dynamique fait pour gouverner un Etat en expansion permanente, arrive aujourd'hui à bout de souffle. Une autre revendication démocratique vise la Cour suprême, dont les juges nommés à vie sont aujourd'hui une brochette de parfaits obscurantistes. Elire le président sur la base du vote populaire de base, et limiter à quelques années le mandat des juges de la Cour suprême : ces deux revendications démocratiques ont l'air de pas grand-chose, mais leur montée progressive dans les consciences ouvre la voie à la remise en cause de tout l'ordre établi.
Pour la base trumpiste, il est entendu que c'est par trucage que Trump a perdu en 2020 et que ce ne peut être que par trucage, falsification ou « vote des étrangers », qu'il pourrait ne pas gagner. Au demeurant, il est aussi entendu de plus en plus ouvertement qu'il devrait être président même s'il perdait, car peu importe : il est le Sauveur et le camp d'en face est celui du Mal, contre lequel tout est permis. Le sentiment protestataire de la base trumpiste n'est pas démocratique, même s'il peut véhiculer des frustrations provenant des limites de cette « démocratie » capitaliste, médiatique et oligarchique.
Guerres, révolutions, guerres-révolutions.
Réfléchir sur les pires potentialités ne veut pas dire les prédire. Oui, la dernière période a vu un alignement stratégique dessiner clairement des coalitions possibles en cas de guerre, et nul doute que les états-majors militaires planchent sur les scenarii qui en découlent. Notons que dans ces alignements, on a des éléments instables, comme l'Inde, BRICS alliés des Etats-Unis et de la Russie et hostile à la Chine.
Surtout, les révolutions, insurrections et luttes sociales sont le facteur clef, déterminant en dernière analyse, que les géopoliticiens sont fonctionnellement incapables d'incorporer à leurs analyses. Cela dit, attention : quand je dis que ce facteur, la lutte des classes et les aspirations des exploités et opprimés, est déterminant en dernière instance, cela ne veut pas dire qu'il peut forcément empêcher les guerres globales, auxquelles conduisent les contradictions du capitalisme. Il aurait pu l'empêcher en 1914 et ne l'a pas fait, ce qui fut une grande défaite. Dès fin 1936 il ne pouvait plus empêcher la seconde guerre mondiale.
Mais l'ouverture des guerres ne met pas fin à ce facteur, bien au contraire. Il se mêle à la guerre. Lénine parlait de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, Trotsky de politique militaire du prolétariat, et, à contretemps, un trotskyste en dérive, Pablo, de guerres-révolutions et de révolutions-guerres : même si, dans ce dernier cas, la perspective était dangereuse car campiste, l'idée correspondait à notre époque, car c'est toujours et plus encore notre époque, à condition de faire du prolétariat, l'immense majorité, le sujet social de la révolution, et donc de la guerre-révolution.
C'est ce que nous voyons en Ukraine, à échelle de masse depuis 2022 (mais cela y avait commencé avant). En Palestine, la confiscation de la résistance nationale palestinienne par des appareils ultra-réactionnaires bloque cette possibilité, pour l'instant : ce sont en fait les formes d'organisation populaire à Irbid en Jordanie, en 1971, il y a déjà longtemps, et lors de la participation de secteurs palestiniens à la révolution syrienne, plus récemment, qui ont marqué ce dont la nation palestinienne elle aussi est capable.
Expliciter l'impensé.
Tout cela précisé, nous pouvons tenter d'envisager la manière dont les deux spectres de la guerre, celui de la guerre mondiale et celui de la guerre civile américaine, se combinent aujourd'hui. C'est là penser ce qui est généralement impensé, sinon dans des fictions (le film Civil War), mais il est nécessaire de le faire, non pour des prédictions à la Cassandre, mais pour saisir les tendances profondes et agir sur elles, voire contre elles.
Le point déterminant à comprendre, c'est qu'on ne doit pas séparer, surtout s'agissant de la première puissance impérialiste, les contradictions nationales des contradictions internationales. Ceci aide aussi à ne pas entrer dans une vision de cauchemar répétant simplement les césures de la guerre de Sécession : oui, c'est bien elle qui n'a pas été digérée, mais notre rapide parcours des Etats de la ligne de front a aussi montré que la géographie de la menace américaine interne aujourd'hui n'est pas exactement la même que celle de 1861.
Donc, si nous combinons la réflexion hypothétique sur le danger mondial et la réflexion hypothétique sur le danger américain intérieur, il apparaît que les contradictions mondiales de la multipolarité impérialiste se concentrent aux Etats-Unis. La « suprématie » américaine se manifeste aujourd'hui de cette manière-là.
L'image du premier violon et ses limites.
Et non pas comme la simple domination unilatérale d'un unique impérialisme plus puissant que tous les autres : cette unilatéralité-là a tenté de dessiner le monde, d'abord dans les années 1990, puis surtout dans les années 2001-2008, les années de Bush junior, de la seconde guerre du golfe, et de la combustion effrénée des hydrocarbures – des années catastrophiques pour l'humanité, ouvertes par les attentats d'al-Qaïda. Et ce fut un échec pour l'impérialisme américain.
J'ai, plusieurs fois, usé d'une métaphore consistant à dire qu'il n'est plus chef d'orchestre, mais premier violon. Il est passé du rang de chef d'orchestre à celui de premier violon par les paliers de la crise des subprimes, de la renonciation d'Obama à intervenir en Syrie suivie de son désistement contre-révolutionnaire en faveur de l'Iran, du premier mandat de Trump, du retrait d'Afghanistan, et y compris du feu vert donné en fait par Biden à l'invasion généralisée de l'Ukraine de février 2022, combiné à un plan de containment et d'isolement de la Russie, qui est en train d'échouer du fait, non de la Russie, mais de la Chine.
Tout cela est vrai, mais la métaphore du premier violon a une faiblesse, c'est qu'elle n'exprime pas, ou mal, la place toujours centrale des Etats-Unis, quoique n'étant plus ni le chef d'orchestre, ni même le premier gendarme mondial, mais alors qu'en même temps ils sont toujours, voire plus que jamais, le premier budget militaire (la première puissance militaire ? C'est une autre question, qui demanderait à être mise à l'épreuve …), ainsi que le centre des flux financiers, bien que le volume principal de survaleur capitaliste produite le soit en Chine et en Asie.
Le campisme se nourrit de la répétition, mais 2024 justement n'est pas 2003.
Le caractère central des Etats-Unis demeure, non en ce qu'ils mèneraient la « guerre de l'OTAN » pour « encercler la Russie » en « faisant mourir jusqu'au dernier ukrainien », comme le fantasment les campistes réactionnaires qui, dans le meilleur des cas, ont arrêté les compteurs à l'année 2003, et pas non plus en ce que Genocide Joe serait la force motrice de la guerre menée par Israël contre la population palestinienne et aussi, depuis quelques semaines, au Liban : ce sont là les croyances campistes, que nous retrouvons, je le signale ici car il va falloir en tenir compte, à la toute première page du texte sur la situation internationale adopté par le Comité international de la IV° Internationale (le successeur du « Secrétariat Unifié »), où l'on peut lire ceci :
« Il ne s'agit pas d'une guerre entre Israël et le Hamas. Il ne s'agit pas non plus de la simple continuation de la guerre qui dure depuis 75 ans [ce second point est vrai] (…)
C'est la première fois depuis l'offensive contre l'Irak en 2003 que les Etats-Unis interviennent si directement. Leur soutien en armes et en millions de dollars à Israël est décisif pour produire un massacre historique de civils. »
Ce parallèle, qui nous susurre en somme que l'histoire se répète, est erroné. En Irak, les troupes américaines intervenaient directement en 2003 : ce fut la dernière intervention directe de ce type, et son échec historique de longue portée inaugure le changement de statut du premier impérialisme mondial. Les livraisons d'armes américaines à Israël sont décisives, oui, mais elles alimentent directement les pires contradictions politiques aux Etats-Unis, à tous les niveaux. Les Etats-Unis n'ont en rien été à l'initiative, ni, bien sûr, du 7 octobre lorsque se produit la provocation pogromiste du Hamas coaché par l'Iran avec l'aval russe, ni à partir du 8 octobre dans le processus de guerre à dynamique potentiellement génocidaire engagé par l'Etat israélien. Leur place est décisive en effet mais en tant que soutiens qui suivent, pas en tant que décideurs qui impulsent, ce qui est tout à fait différent. 2024 n'est pas 2003.
En abordant son analyse de la situation mondiale par cet amalgame entre 2024 et 2003, le Comité international de la IV° Internationale inaugure les débats de son prochain congrès mondial par une régression politique, qui est elle-même une conséquence de la grande provocation réactionnaire du 7 octobre. Cette régression tend à effacer les acquis politiques du rôle de cette organisation comme précieux support du RESU/ENSU, de l'internationalisme en solidarité avec l'Ukraine. Et elle bloque, au point de vue de l'analyse, avec toutes les conséquences politiques qui risquent d'en découler, la compréhension de la place exacte de l'impérialisme américain, non pas comme chef d'orchestre, mais à l'intérieur de la multipolarité impérialiste elle-même.
Pas chef d'orchestre, mais un peu plus que premier violon : en quoi ?
En ce que les contradictions globales de la multipolarité impérialiste se concentrent dans la situation intérieure des Etats-Unis à un degré qui jamais n'avait été atteint, lorsque déjà, bien sûr, les contradictions du rôle de première puissance économique et financière et de gendarme mondial opéraient aux Etats-Unis, par exemple dans le mouvement contre la guerre du Vietnam. Aujourd'hui, ce sont la classe capitaliste et les forces politiques capitalistes nord-américaines qui sont clivées, dissociées, à un degré jamais vu depuis la guerre de Sécession, en fonction de la situation mondiale et de la place des Etats-Unis dans le monde. Les Etats-Unis sont un peu plus qu'un premier violon en tant que réceptacle de toutes les contradictions.
La force de Trump, du point de vue de la classe dominante, se situe là. Ses forces propres – son argent, le soutien mafieux des organes russes, et même sa base sociale populaire – ne suffiraient pas par elles-mêmes à expliquer l'exploit qu'a été le fait qu'après sa défaite de 2020 il n'ait pas été collé en prison (où il a sa place, du propre point de vue « bourgeois »), et qu'il ait finalement pris le contrôle du Parti républicain d'une main de fer plus forte que jamais, les responsables républicains étant morts de trouille, physiquement, car ils craignent pour eux-mêmes et leurs familles, s'ils ne le suivent pas – les plus grands personnages de l'ancienne tradition républicaine impérialiste, réactionnaires, mais favorables à l'équilibre des pouvoirs appelé aux Etats-Unis cheks and balances, comme les Cheney, la fille et le père (ancien vice-président de Bush junior), ont migré en dehors des rangs républicains, et appellent à voter Harris.
Cet exploit s'explique par la crise fondamentale qui traverse la classe dominante de sa base à ses sommets. La politique étrangère prorusse, en principe antichinoise, et protectionniste, de Trump, n'exprime pas seulement les intérêts de la mafia immobilière de la côte Est sustentée aux capitaux russes (alliance dont Trump est l'homme depuis 1987), mais plus largement ceux de larges couches capitalistes et de secteurs politiques, qui, soit admettent un relatif déclassement des Etats-Unis, soit estiment que la seule et meilleure manière pour les Etats-Unis de réaffirmer leur puissance n'est plus, et ne peut plus être, la voie « classique » héritée de 1945 et réaffirmée par Bush père en 1991 et Bush fils en 2003, la voie de l'OTAN, et du « leadership du monde occidental ».
L'impérialisme américain peut, de leur point de vue, se préparer à la guerre non pas en étant le chef d'une coalition perdante, « occidentale », mais en rebattant tout le jeu de cartes instable, notamment par les alliances russe et indienne, et en écrasant éventuellement l'Iran, d'où la carte blanche laissée à Netanyahou, malgré la crise aigüe (pas chronique, aigüe) que cela produit dans l'administration démocrate en plein affrontement présidentiel sans précédent.
Quatre scenarii … et le nôtre.
Dans les scenarii de guerre mondiale, il s'ensuit que l'option Trump et celles des forces, diverses, qui se regroupent derrière lui, ne conduit pas à l'isolationnisme « neutre » ou non-intervenant (même si c'est une option, c'est la moins bonne de leur point de vue, car c'est la capitulation et la perte du rang mondial), mais à l'intervention, mais on ne sait pas avec qui ni contre qui !
Ces scenarii se recoupant avec celui de la violence politique montante aux Etats-Unis, ouvrent une quatrième possibilité. Les trois premières possibilités théoriques sont :
– n°1 : guerre mondiale des tyrannies eurasiatiques versus les « occidentaux » sous la direction américaine,
– n°2 : guerre mondiale avec « surprise du chef » de la part des Etats-Unis faisant alliance avec la Russie et l'Inde,
– n°3 (la moins conforme aux besoins du capitalisme US) : isolement pur et simple des Etats-Unis.
La possibilité n°4 est : guerre mondiale avec éclatement des Etats-Unis eux-mêmes, traversant les Etats-Unis, les « confédérés » trumpistes marchant avec l'impérialisme russe.
Remarquons que 3 sur 4 (les 2, 3 et 4) de ces possibilités théoriques passent aujourd'hui par Trump, qui, cela dit, n'est pas non plus le moins du monde une garantie contre la n°1 !
Encore une fois : ce ne sont pas là des pronostics, ni des prédictions. Il s'agit d'identifier des tendances pour agir sur elles et contre elles. Car bien entendu la possibilité autre, la notre, est celle qui passe par la défaite de Trump, dans la mesure où cette défaite ne sera pas le fait de Harris par elle-même, mais des forces sociales autonomes qui ont un besoin vital, elles, de démocratie et de liberté.
Fascisme.
Pour saisir les enjeux, il est conseillé de s'infliger de regarder, si l'on a le temps, le meeting historique – il restera dans l'histoire quelle que soit la suite – de Trump, au Madison Square Garden à New York ce dimanche 25 octobre.
Son impact et son contenu ont fait dire à la plupart des commentateurs ce qu'ils ne disaient pas ou pas si fort : le fascisme, contemporain certes, était là et bien là.
Contemporain, mais n'oubliant pas le passé : l'hymne sudiste, confédéré, Dixie, a marqué le rassemblement. Pour ce qui est du contemporain, on a eu Elon Musk, représentant du capital s'il en est, qui a lancé, à l'intérieur du trumpisme le mouvement Dark MAGA, aile futuriste-fasciste du trumpisme, nouvel avatar, si l'on veut, actualisé aux technologies de pointe, de QAnon. Et de dangereux pitres : le catcheur bodybuildé « Hulk » Hogan, Priape ridicule (Ithyphalliques et pioupiesques, aurait dit Rimbaud !), et, dans un style remarquablement proche de celui de Joseph Goebbels, l' « humoriste » Tony Hinchcliffe, crachant la haine contre les migrants et traitant les portoricains de tas d'ordures.
Depuis dimanche, Trump a précisé qu'il était « le contraire d'un nazi », n'est-ce pas, et s'est fait imposer les mains par des évangélistes de Caroline du Nord. L'arc ultra-réactionnaire est ainsi complet.
Un appel, salutaire, de Bernie Sanders, s'adressant à ceux qui ne voudraient pas voter Harris à cause de « Gaza », a suivi cette démonstration. Mais généralement, les militants de gauche, dans le meilleur des cas, sont terriblement routiniers : de même qu'ils confondent 2024 avec 2003, ils ne voient pas que le second Trump, car nous avons affaire au second Trump, menace réellement les droits démocratiques dans tous les Etats-Unis, se constitue une base milicienne, assez hétérogène mais bien réelle et qui vient de loin, et compte modifier, sinon la lettre, au moins l'esprit de la constitution, par un renforcement sans précédent des pouvoirs présidentiels (même si ses partisans, dans la tradition confédérée, s'imaginent défendre les droits des Etats).
Project 2025, plan de la Heritage Fondation, vieille structure néoconservatrice ralliée à Trump, prévoit, pour la première fois dans l'histoire des Etats-Unis, l'intégration des syndicats à des structures les associant institutionnellement au patronat dans le secteur privé, et leur interdiction ou quasi-interdiction dans la fonction publique.
Trump promet de déporter 10 millions de migrants. Promesse en l'air ? Regardons ailleurs ? Des mots ? Mais de tels mots, c'est déjà énorme.
Il ne suffit pas de dire que les droits des femmes et des minorités sont menacés, ce qui est déjà énorme : c'est bien une tentative de modification radicale des relations sociales aux Etats-Unis qui menace. Parler de fascisme n'est pas mettre un signe égal exact avec les années 1920-1930, c'est donner la mesure de ce qui se passe.
Si …
La suite immédiate de l'élection de Trump serait le désarmement de l'Ukraine et la percée du front dans le Donbass, par la Russie et les troupes nord-coréennes qui sont en train d'y être acheminées, d'une part, et la destruction totale de Gaza ainsi que l'achèvement de l'épuration ethnique en Cisjordanie, d'autre part.
Même si l'Ukraine acculée capitulait, ce qui est peu probable et nullement souhaitable, les campistes « partisans de la paix » ne pourraient pas faire croire longtemps que la paix aurait avancé, car les troupes ou les organes russes opéreraient en Géorgie et en Moldavie et les combats se prépareraient sur les frontières finlandaise, balte, polonaise, avec Orban donnant des coups de poignards dans le dos, sûr désormais du soutien non seulement de Moscou, mais de Washington.
Le rebattage des cartes du jeu des alliances produirait hésitations et incertitudes, mais nulle stabilité, bien au contraire.
En France, le gouvernement Barnier, nommé par Macron et soutenu par Le Pen, serait conforté dans ses attaques contre « les fonctionnaires » et contre « les immigrés », ainsi que le gouvernement Melloni en Italie. La préparation d'une alternance visant à rétablir une V° République de plein exercice, avec Le Pen à la présidence et une coalition la soutenant, serait accélérée. Bien entendu, le mouvement social garderait la force d'empêcher cela, mais dans des conditions internationales dégradées. Remarquons que le mépris manifesté par Macron pour les résultats électoraux, donc pour toute démocratie, aura rejoint celui des Trump et des Bolsonaro, leur préparant le terrain.
Et la victoire de Trump, ce serait la destruction de toute bataille pour limiter le réchauffement climatique et faire face de façon responsable et solidaire à ses effets.
L'entrée de plein pied des Etats-Unis dans l'ordre/désordre de la multipolarité impérialiste sera un pas vers la barbarie la plus moderne.
Le plébiscite brun mondial des gauchistes, campistes et sectaires.
Elément d'une importance fondamentale : une victoire de Trump, ou un affrontement portant sur les résultats électoraux et basculant en sa faveur, ne sont possibles que parce que des secteurs « de gauche » veulent avant tout « punir » Genocide Joe, poussant la stupidité criminelle jusqu'à jouer ainsi en faveur de Netanyahou et cela au nom du « peuple palestinien » !!!
Le fait que l'aveuglement politique majoritaire du mouvement propalestinien sur les campus puisse conduire à une telle conséquence, ainsi que les candidatures poutiniennes de « gauche radicale » ou écologiste de Jill Stein et Cornell West, a une très forte signification politique. La convergence entre la gauche poutinienne et certains discours trumpistes est ancienne. Tous, par exemple, détestent les « révolutions oranges » et les « révolutions arabes », calomnient le peuple syrien et le peuple ukrainien. Ces convergences ne sont pas fortuites, elles sont fondamentales. Disons-le : si Trump gagne, ce sera aussi à cause d'un « plébiscite brun » de portée mondiale.
Le « plébiscite brun » a vu, en 1931, les communistes allemands ajouter leurs voix, en disant qu'ainsi le plébiscite serait « rouge », à celles des nazis, pour dissoudre le parlement prussien à majorité social-démocrate (des social-démocrates bien droitiers qui avaient réprimé des grèves, bien sûr !). Cette convergence fut une étape importante de la montée d'Hitler vers le pouvoir.
Il y a diverses manières de faire « plébiscite brun » aux Etats-Unis, et mondialement en abordant la question des Etats-Unis. La plus efficace n'est pas l'appel direct à voter Trump. C'est la négation du danger, son euphémisation, et c'est le choix de vouloir avant tout battre les politiciens impérialistes américains « classiques » que sont les démocrates.
« La Palestine » et « Gaza » sont aujourd'hui les drapeaux du plébiscite brun des gauchistes, des campistes et des sectaires en faveur de Trump. Ils ne servent de rien aux Palestiniens, qui ne méritent vraiment pas, en plus de l'oppression et des crimes qu'ils subissent, cette utilisation.
Il faudra donc aussi tirer toutes les conséquences de ce fait terrible, mais fondamental : le plébiscite brun de l'extrême-gauche, au nom des Palestiniens, pour Trump.
* * *
La voie du combat prolétarien, révolutionnaire, démocratique, indépendant, passe tout de suite par le vote Harris. C'est seulement ainsi que se prépare l'affrontement de masse avec Trump, qu'il soit élu ou qu'il conteste les résultats pendant des semaines, ou que se prépare l'affrontement social avec Harris présidente. Le plus probable est une montée rapide des tensions autour des résultats contestés. Au mouvement ouvrier d'intervenir directement là-dedans, il le faudra !
Nous saluons nos camarades américains, engagés dans ce combat, qui, depuis les affrontements politiques français, comme depuis les tranchées ukrainiennes ou les camps palestiniens pilonnés et affamés, intéresse tous les combattants de l'émancipation, dans le monde entier.
Vincent Présumey, le 28 octobre 2024.
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Soudan : faim extrême et déplacements forcés en plus d’un an de guerre

Des militantes soudanaises analysent les impacts du conflit qui a déjà déplacé 10 millions de personnes
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/29/soudan-faim-extreme-et-deplacements-forces-en-plus-dun-an-de-guerre/
Depuis avril 2023, une violente guerre civile s'est emparée du Soudan dans un différend pour le pouvoir et les territoires entre les forces armées soudanaises et le groupe paramilitaire connu sous le nom de Forces de soutien rapide (RSF en anglais). Depuis le début de cette nouvelle phase du conflit, plus de 10 millions de personnes ont été déplacées et environ 70% de la population meurt de faim.
L'histoire des guerres civiles dans le pays n'est pas récente. Depuis les luttes pour l'indépendance, le Soudan a connu une série de conflits internes, alimentés par des différends et des ingérences extérieures. La première guerre civile, qui a duré entre 1955 et 1972, a marqué les différences entre le sud et le nord du pays, les sudistes réclamant plus d'autonomie régionale. Un autre conflit a éclaté en 2003 et s'étend jusqu'à nos jours dans la région du Darfour, à l'ouest du Soudan, une région riche en ressources naturelles telles que l'or. La guerre actuelle a éclaté en raison d'un désaccord sur la période d'intégration des RSF dans les Forces armées, dans le cadre des revendications non résolues de la Révolution populaire soudanaise de 2018.
Cet article rassemble des analyses présentées lors des activités « La guerre au Soudan : perspectives de la gauche », organisées par l'Assemblée Internationale des Peuples (AIP), Peoples Dispatch et le magazine Madaar en juillet 2024 et « Tracer la route des conflits africains oubliés », organisé par la Marche Mondiale des Femmes (MMF) Afrique du Sud en septembre.
Dispute sur les territoires et les richesses naturelles
Pour Niamat Kuku, membre du Comité central du Parti communiste du Soudan et militante des droits humains, le contexte avant la guerre et pendant la période de transition était celui d'une lutte de classe intense. « Ceux qui s'opposaient à la révolution étaient contre toutes les femmes, les paysans et les paysannes et tous les autres segments sociaux à l'exception des politiciens islamiques », a déclaré Niamat. Cette opposition antipopulaire bénéficiait d'un fort soutien de forces extérieures : « nous avons été confrontés aux menaces de forces étrangères, d'ingérence et d'intervention au Soudan, y compris l'intervention de l'Égypte et des Émirats arabes unis, des pays qui ont un grand intérêt pour nos ressources ».
L'ingérence internationale est devenue de plus en plus intense à mesure que la révolution soudanaise a eu lieu, dans le cadre de la lutte pour la souveraineté nationale sur les ressources du pays. « La situation géographique du Soudan permet de se diriger vers la Méditerranée ou l'océan Atlantique. Nous avons une grande réserve d'eau douce, des terres fertiles pour l'agriculture, des minéraux, de l'uranium, de l'or, de l'argent, même la qualité de notre sable est excellente. Nous avons une population diversifiée et un grand patrimoine humanitaire et civilisationnel. Ce sont des éléments qui font que le Soudan intéresse de nombreuses forces régionales et internationales », explique Randa Mohammed, membre de l'Union des femmes soudanaises [Sudanese Women's Union].
Les organisations et les forces révolutionnaires ont commencé à dénoncer le coup d'État en cours depuis fin 2021. Les caractéristiques de la guerre sont devenues plus évidentes à mesure que de plus en plus d'armes ont été apportées de l'extérieur. « Ce n'est pas seulement une guerre économique entre deux généraux, et ce n'est pas non plus un conflit entre un général national et des puissances extérieures, mais c'est un conflit mené par des agendas extérieurs qui manipulent l'environnement social. Nous sommes entourés de pays et de gouvernements qui sont totalement opposés à un nouveau gouvernement démocratique au Soudan », conclut Niamat.
Attaques contre des établissements de santé, impacts sur la vie des gens
La docteure Ihisan Fagiri, également de l'Union des femmes soudanaises, a déclaré que la guerre violente d'aujourd'hui visait essentiellement le peuple soudanais qui a combattu lors de la révolution de décembre 2018. Depuis lors, les deux camps ont commis des crimes contre l'humanité, ce qui a eu de nombreux impacts, en particulier sur le système de santé déjà fragile du pays. « Notre secteur de la santé a été affaibli par le Fonds monétaire international, ce qui a entraîné l'épuisement des ressources hospitalières et la fermeture et privatisation de tous les services de santé », explique Ihisan.
Après le déclenchement de la guerre le 15 avril 2023, l'impact sur les établissements de santé a été très grave, puisque la plupart des hôpitaux ont été occupés par les milices ou détruits par l'armée. Selon le rapport préliminaire du Comité du Syndicat des médecins, présenté par Ihisan lors de l'activité de la Marche Mondiale des Femmes, au cours des deux premières semaines de la guerre dans la capitale Khartoum, plus de 70% des hôpitaux étaient hors service ou détruits. « Le premier hôpital occupé par la milice était la maternité d'Omdurman. Cela nous donne un indice sur leur mentalité envers les femmes et leur santé, et sur la façon dont les femmes paient la facture de cette guerre », explique Ihisan Fagiri.
La détérioration de la santé au Soudan a été exacerbée par un certain nombre d'autres facteurs, notamment les pénuries d'eau potable, l'assainissement inadéquat et le manque d'hygiène de base. La situation s'est aggravée lors de catastrophes amplifiées par la crise climatique, telles que les pluies et les inondations, qui ont détruit des maisons et laissé de nombreuses personnes sans abri dans les rues, augmentant la propagation de maladies telles que la diarrhée, le paludisme, la dysenterie et la typhoïde. De plus, la population du pays souffre de coupures d'électricité et du manque de traitement approprié des corps des victimes du conflit.
Omayma Elmardi, de la MMF au Soudan, a parlé des impacts de la guerre sur différents groupes ethniques, les femmes et les filles soudanaises. « La guerre a provoqué des déplacements massifs, des meurtres parmi les civils réfugiés, la destruction d'institutions publiques, de marchés, d'hôpitaux et de biens. Les femmes et les filles craignent pour leur sécurité personnelle dans les zones de conflit et sont soumises à toutes sortes de violences, au manque de services de santé, de nourriture, de sûreté et de sécurité ».
Migrations forcées
Les femmes et leurs familles ont été forcées de quitter leurs maisons pour fuir la violence. Ils ont eu un certain soutien des Comités de Résistance, qui sont composés de différentes entités et organisent, par exemple, la distribution de nourriture. « Mais l'aide humanitaire est très rare et limitée. Les Nations Unies disent qu'elles fournissent une aide humanitaire à cinq millions de personnes, mais au moins 15 millions ont encore besoin d'une aide humanitaire et maintenant 25 millions de la population totale du Soudan de 47 millions risquent de souffrir de la faim et de la malnutrition. Dans le camp de Zamzam, toutes les heures, deux enfants meurent », a déclaré Randa Mohammed.
Le déplacement interne de millions de personnes en raison de la violence a entraîné un afflux de réfugiés qui surpeuplent les quelques établissements de santé qui fonctionnent encore dans certaines régions, épuisant les ressources et entravant la capacité de répondre à cette importante demande de la population.
Les camps de réfugiés s'étendent au-delà des frontières du pays alors que les Soudanais demandent l'asile dans les pays voisins. En Égypte, qui abrite déjà des centaines de personnes en exil, le gouvernement a empêché les avocats d'assister les nouvelles demandes d'asile. En Éthiopie, l'augmentation de la migration soudanaise a amplifié la crise migratoire déjà présente dans le pays, qui abrite également des migrant.e.s d'autres conflits de la région.
La vie des femmes qui, à travers le monde, font face à des situations de guerre ou de dictatures a été un point de réflexion lors des deux activités. Les camarades du Soudan y ont exprimé une solidarité sans restriction avec les femmes qui résistent aux conflits et aux guerres qui se déroulent actuellement en Palestine et en République démocratique du Congo. Comme l'a rappelé Ihisan, « en général, lors de tout conflit, les épées sont pointées sur les femmes qui paient le prix de la guerre sous la forme de meurtres, d'expulsions et de viols ». Compte tenu de cela, le féminisme doit être positionné avec force dans la lutte contre les guerres, les génocides et les conflits armés motivés par la cupidité impérialiste et détruisant des vies et des communautés. Ihisan poursuit : « Nous devons mettre fin à cette guerre et obtenir des passages et des chemins sûrs et sécurisés pour la livraison de médicaments et de nourriture. L'union des femmes soudanaises préconise la participation des femmes à tous les processus de rétablissement de la paix. C'est l'étape la plus importante pour mettre fin à la guerre ».
Écrit par Bianca Pessoa
Édition et révision par Helena Zelic et Tica Moreno
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
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France - Cancer du sein - Assemblée nationale française :« {Remboursement intégral des soins liés au cancer du sein. »}

Après l'Assemblée Nationale, notre proposition de loi pour le remboursement intégral des soins liés au cancer du sein vient d'être adoptée au Sénat !
Le résultat d'un travail législatif de grande qualité.
Depuis plus d'un an, le PCF mène campagne et porte cette proposition de loi relative à la prise en charge par l'Assurance maladie des soins liés au traitement du cancer du sein depuis la rencontre marquante avec Marie-Noëlle Martin dans une réunion publique sur les droits des femmes à Aurillac...
Touchée par la maladie, Marie-Noëlle avait listé et dénoncé les restes à charge importants auxquels elle devait faire face notamment en matière de soins dits supports - très mal nommés "de confort" - pourtant indispensables pour tolérer les traitements et se reconstruire physiquement et psychologiquement.
ON S'ÉTAIT ALORS PROMIS D'ALLER JUSQU'AU BOUT !
Cette victoire est la conséquence d'un travail commun et de longue haleine.
Avec Shirley Wirden, responsable de la commission Féministe et Droits des femmes du PCF ;
Avec Yannick Monnet et Fabien Roussel, les co-auteurs de la loi à l'Assemblée nationale et nos député·es GDR ;
Avec Marie-Noëlle Martin, et toutes ces femmes qui trouvent la force de se battre pour plus de justice ;
Avec Anthony Goncalves, oncologue et membre du Conseil national du PCF ;
Avec Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la proposition au Sénat, et tou·tes nos sénateurs et sénatrices du groupe CRCE-K
et avec vous, signataires de notre pétition, membres du parti, sympathisant·es.
SOYONS FIER·ÈRES D'AVOIR GAGNÉ CETTE BATAILLE !
La suite...
C'est maintenant la dernière ligne droite avec un retour à l'Assemblée pour mettre fin à une inégalité face à cette maladie qui touche une femme sur huit, qui cause le plus grand nombre de décès chez la femme et dont le nombre annuel de nouveaux cas a presque doublé en 30 ans.
Une fois la loi adoptée, ces soins seront enfin considérés comme de première nécessité et les dépassements d'honoraires seront encadrés.
Activité physique adaptée, consultations de diététique, prothèses capillaires et mammaires... Alors que plus de 60.000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année, le cancer du sein place de nombreuses femmes dans une situation financière fragile, entre un reste à charge souvent élevé et de nombreuses dépenses relatives à des soins annexes - et non-remboursés - ou à l'achat d'accessoires (sous-vêtements adaptés, crèmes, vernis contre la chute des ongles...).
Et encore après ?
Après ? On continue avec les autres cancers, on se bat pour un véritable service public de la santé, contre les déserts médicaux, pour une prise en charge à 100% par la sécurité sociale de toutes les maladies !
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Deux milliards de femmes n’ont pas accès à la protection sociale

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/28/deux-milliards-de-femmes-nont-pas-acces-a-la-protection-sociale/
Des prestations en espèces aux soins de santé et aux pensions, les politiques ne s'étendent pas à un nombre suffisant de femmes et de filles, ce qui les rend plus vulnérables à la pauvreté dans le monde entier, avertit un nouveau rapport d'ONU Femmes.
L'écart entre les hommes et les femmes en matière de protection sociale s'accroit, souligne le rapport publié à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté, célébrée le 17 octobre.
Le rapport révèle qu'un nombre alarmant de deux milliards de femmes et de filles n'ont accès à aucune forme de protection sociale.
Malgré quelques progrès depuis 2015, les disparités entre les sexes en matière de couverture sociale se sont creusées dans la plupart des régions en développement, ce qui suggère que les progrès récents ont profité de manière disproportionnée aux hommes. Cette situation met en péril les progrès accomplis dans la réalisation de l'objectif de développement durable n°5 (ODD 5)
Le poids croissant de la pauvreté liée au genre
Le rapport peint un tableau sombre de la pauvreté sexospécifique, montrant que les femmes et les filles sont surreprésentées parmi les pauvres à tous les stades de la vie, les disparités les plus importantes étant observées pendant les années de procréation.
Les femmes âgées de 25 à 34 ans sont 25% plus susceptibles que les hommes de la même tranche d'âge de vivre dans l'extrême pauvreté.
Les conflits et le changement climatique continuent d'exacerber cette inégalité, les femmes vivant dans des environnements fragiles étant 7,7 fois plus susceptibles de vivre dans l'extrême pauvreté que celles vivant dans des régions stables.
En outre, les taux d'inflation élevés enregistrés depuis 2022 ont fait grimper les prix des denrées alimentaires et de l'énergie, ce qui touche les femmes de plein fouet.
Pourtant, sur près de 1 000 mesures de protection sociale adoptées par les gouvernements de 171 pays dans les mois qui ont suivi, seules 18% visaient la sécurité économique des femmes, signale le rapport.
Cela montre que les risques et les vulnérabilités propres à chaque sexe sont souvent négligés à la suite d'un choc.
L'état lamentable de la protection de la maternité
Plus de 63% des femmes accouchent encore sans avoir accès à des prestations de maternité, au niveau mondial. Ce chiffre atteint 94% en Afrique subsaharienne.
Le manque de soutien financier pendant le congé de maternité place non seulement les femmes dans une situation économique défavorable, mais compromet également leur santé et leur bien-être ainsi que ceux de leurs enfants, perpétuant ainsi la pauvreté d'une génération à l'autre.
Des exemples phares
Il existe néanmoins des exemples prometteurs de progrès.
En Mongolie, les prestations de congé de maternité ont été étendues aux travailleurs informels, tels que les éleveurs et les travailleurs indépendants. Le congé de paternité a également été renforcé pour soutenir l'égalité des sexes dans les responsabilités de soins.
Au Sénégal, le régime national d'assurance maladie a étendu ses services pour mieux répondre aux besoins des femmes rurales, avec le soutien d'ONU Femmes.
« Le potentiel de la protection sociale pour l'égalité des sexes, la résilience et la transformation est énorme. Pour l'exploiter, nous devons centrer la dignité, l'agence et l'autonomisation des femmes et des filles à chaque étape du processus – de la conception des politiques et des programmes à la fourniture et au financement », a souligné Sarah Hendriks, la Directrice de la Division des politiques, des programmes et des affaires intergouvernementales d'ONU Femmes.
https://news.un.org/fr/story/2024/10/1149776
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Ni les femmes, ni la terre ne sont des territoires de conquête – Déclaration commune des Articulations des femmes d’ARNA et d’ECVC

Nous, les femmes de la Région Arabe et Afrique du Nord de LVC et de la Coordination européenne Via Campesina, nous sommes rassemblées en Galice du 27 septembre au 1er octobre 2024, pour échanger sur nos conditions de vie et de travail en tant que femmes* paysannes* dans nos contextes respectifs, afin d'apprendre les unes les autres et d'identifier nos luttes communes.
Ensemble, nous nous opposons vigoureusement au système néolibéral et patriarcal, basé sur l'exploitation du travail des femmes : Les femmes effectuent une part importante du travail agricole mais ne possèdent souvent pas les moyens de production et les ressources. Elles produisent des denrées alimentaires destinées à l'exportation qu'elles ne peuvent s'offrir.
Les paysannes et les travailleuses rurales jouent un rôle majeur dans la société et ce rôle n'est pas reconnu. Les femmes assurent 70% de la production agricole ; elles s'occupent également de 80% des travaux domestiques, assumant ainsi une triple charge de travail.
Nous jouons un rôle fondamental dans l'accession de nos territoires à la souveraineté alimentaire ; nous prenons soin de nos champs et de nos familles, et protégeons la planète dans notre travail quotidien.
En temps de guerre et de crise, nous soutenons les luttes des femmes paysannes dans nos régions, défendons résolument la paix, et condamnons la militarisation croissante du monde. Ensemble, nous tenons à exprimer notre solidarité avec toutes les femmes qui souffrent de la violence et de la guerre dans le monde. Nous restons aussi unies avec les femmes palestiniennes, libanaises et soudanaises qui, en temps de guerre et d'occupation, poursuivent leur lutte pour l'autodétermination et la liberté. Nous condamnons et dénonçons la guerre continue qu'Israël mène à Gaza, de même que les attaques israéliennes contre le Liban. Nous appelons à un cessez-le-feu immédiat dans la région et à la fin du génocide qui, à ce jour, a tué des dizaines de milliers de personnes.
Nous réaffirmons la nécessité urgente de respecter le droit à la vie, à une vie digne, pour toutes les femmes du monde.
Ensemble, nous réitérons notre engagement à travailler main dans la main pour la souveraineté alimentaire, et pour mettre fin à toute forme de violence, d'exploitation sexuelle et de discrimination aux niveaux individuel et institutionnel à l'égard des femmes et des filles.
Dans le système existant, les femmes paysannes sont exclues à bien des égards en matière d'égalité d'accès aux ressources, aux services publics et professionnels, ainsi qu'en termes de participation égale à nos organisations locales et aux espaces publics et décisionnels.
Aujourd'hui, nous sommes unies et réaffirmons notre lutte commune :
– pour l'égalité d'accès à la terre, à l'eau, aux semences et à toutes les autres ressources naturelles, qui garantira aux femmes l'égalité des droits à la propriété foncière et un statut juridique reconnu de paysannes ;
– contre toutes les formes de discrimination et de violence qui frappent les femmes (intersectionnalité, race, identité de genre et orientation sexuelle) ;
– pour le plein accès des paysannes et des travailleuses rurales aux services professionnels et à la sécurité sociale ;
– pour un accès complet à l'information et aux formations ;
– pour la participation pleine et entière des femmes paysannes dans leurs organisations, ainsi que dans les espaces de politique publique et de prise de décision ;
– pour la pleine égalité des droits socio-économiques des travailleuses migrantes dans nos régions ;
– pour des prix équitables pour les aliments produits par les paysans ;
– pour un partage égal et coresponsable des soins basé sur un modèle de communauté publique ;
– pour un accès sûr et égal à tous les services publics, y compris les transports, ainsi qu'une répartition équitable des subventions publiques.
Nous nous engageons à poursuivre activement le renforcement des alliances au sein de nos propres organisations et avec les organisations sociales et féministes.
Sans féminisme, il n'y a pas de souveraineté alimentaire ! Internationalisons la lutte, internationalisons l'espoir !
Cette publication est également disponible en English.
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Ahou Daryaei, l’étudiante iranienne qui lève le voile a été arrêtée

Ahou Daryaei, l'étudiante iranienne de l'université Azad de Téhéran s'était dévêtue en signe de protestation contre le harcèlement de miliciens des gardiens de la révolution. Elle a été arrêtée, ont rapporté des groupes militants sur les réseaux sociaux le 2 novembre.
Par Pierre Chaillan,
Tiré de L'Humanité, France, le dimanche 3 novembre 2024
L'étudiante iranienne de l'université Azad de Téhéran qui s'était dévêtue en signe de protestation contrele harcèlement de miliciens <https:/www.humanite.fr/monde/ali-k...>'>des gardiens de la révolutiona été arrêtée, ont rapporté des groupes militants sur les réseaux sociaux le 2 novembre. Une vidéo de son geste de protestation circule largement depuis.
On y voit Ahou Daryaei, âgée de 30 ans et étudiante en français, en petite tenue alors qu'un gardien est en train d'intervenir. De nombreuses Iraniennes se sont solidarisées./« Une étudiante harcelée par la police des mœurs à cause de son hidjab ”inapproprié” n'a pas reculé. Elle a transformé son corps en manifestation »,/a réagi la journaliste Masih Alinejad sur son compte X.//Cette affaire survient un peu plus de deux ans après la mort de https://www.humanite.fr/monde/droit...>
,">Jina Mahsa Amini qui avait déclenchéle mouvementhttps://www.humanite.fr/monde/iran/...>
.">Femme, vie, liberté
Une vidéo de son geste de protestation circule largement. Ahou Daryaei, âgée de 30 ans, enlève ses vêtements, contre le harcèlement des gardiens de la révolution.
*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, 3 novembre 2024
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La conception de l’égalité des sexes sous le prisme japonais

A Nikko au Japon, le 25 juin dernier, la réunion ministérielle du G7 sur l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes a été dirigée par le Ministre de l'égalité des sexes japonais, Masanobu Ogura.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/01/la-conception-de-legalite-des-sexes-sous-le-prisme-japonais/
Rose Moreira – les-yeux-du-monde.fr
Ogura a été le seul homme présent parmi tous les autres représentants étatiques. La réunion devait souligner les réalisations des femmes au Japon. Néanmoins, cette présence masculine a semblé détourner l'attention, considérée comme un témoignage de la situation des japonaises au au sein du champ politique. La sous-représentation des femmes en politique japonaise s'analyse notamment par une compréhension de l'égalité des sexes sous le prisme japonais.
Le Japon, le bon dernier du G7 en matière de parité
Chaque année, le classement mondial des inégalités de genre du Forum économique mondial mesure la parité d'une multitude de pays. En 2023, le Japon se classe 125ème sur 146 nations étudiées en termes d'égalité des sexes. Ce nouveau rapport consolide la dernière place du Japon parmi tous les autres pays du G7 en matière de parité. Pour le Japon, cette position n'est pas nouvelle. Elle marque même un recul : en 2022, le Japon était classé 116ème sur 156.
Le classement du FEM considère des données propres à quatre domaines d'activité : la politique, l'économie, l'éducation et la santé. Bien que le Japon possède un haut indice dans l'éducation et dans la santé, ceux de l'économie et de la politique ont tendance à fléchir. Dans le cas japonais, avec un indice de 0,057 en politique en 2023, l'inégalité en matière de genre au sein du champ politique se présente comme l'une des causes majeures du classement japonais.
Les réformes mises en œuvre pour lutter contre la sous-représentation des femmes
Le champ politique japonais se caractérise par une forte sous-représentation des femmes. En effet, le gouvernement de Fumio Kishida ne compte que trois femmes pour vingt-et-un postes ministériels. Quant à la Chambre basse, l'organe exécutif le plus important de la politique japonaise, les politiciennes occupent 46 des 463 sièges disponibles. Pour un ratio de 9,94% de femmes à la Chambre basse, l'expression « monopole masculin » décrit bien la sous-représentation des femmes au sein de la politique japonaise.
La place des femmes dans la société japonaise constituait déjà un objet de la politique de Shinzô Abe. Des réformes ont vu le jour afin d'augmenter la participation des femmes à la vie politique, comme celle de la « loi sur la promotion de l'égalité des sexes dans le domaine politique » en 2018. Celle-ci préconise la promotion à la participation des femmes au sein des élections de la Chambre basse, de la Chambre haute et des assemblés locales. Sans imposer des quotas, la loi a introduit des objectifs quant au nombre de candidats masculins et féminins. Autrement dit, cette loi attend l'engagement des partis et du gouvernement pour promouvoir l'égalité des sexes dans le champ politique.
Sans qu'elle soit coercitive, cette loi porte le symbole des premiers pas japonais vers une parité en politique. Cette parité a été institutionnalisé sous une considération particulière de l'égalité, pensée sous le prisme japonais.
La question de l'égalité des sexes sous le prisme japonais : une conception japonaise de l'« égalité »
Cette loi envisage la conception d'une égalité qu'elle ne dit pas en usant de l'expression « danjo kyōdō ». Si « danjo » fait référence aux deux sexes, « kyōdō » indique une coopération ou participation commune. Ainsi, l'expression « danjo kyōdō » signifie littéralement une « participation et coopération des hommes et des femmes ». Si la Constitution japonaise, dans toutes ses ambiguîté et tous ses débats, convoque déjà deux termes pour dire égalité – taitō (対等) et byōdō (平等) –, « danjo » a été le nouveau terme inventé pour évoquer la question de l'égalité homme-femme.
Il est grammaticalement possible de dire en japonais « égalité entre les genres » (gender equality) par « danjo byōdō ». Le choix de parler de « danjo kyōdō » renvoie à une décision du Parti Libéral Démocrate (PLD) de 1999, dans le cadre d'une première loi en faveur de la promotion des femmes. Cette invention souligne cette conception spécifique de la notion d'« égalité entre les genres ». Si la conception occidentale reste plus axée sur l'égalité formelle et juridique, considérant tous les individus comme égaux devant la loi, indépendamment de leur statut social et de leur genre, au Japon, l'égalité est davantage liée à l'harmonie sociale et à la reconnaissance mutuelle des rôles et des positions dans la société. La question de l'égalité des sexes au Japon reste marquée par la croyance d'une répartition genrée des rôles.
Le Courrier de la Marche Mondiale des Femmes contre les Violences et la Pauvreté – N°436 – 15 octobre 2024
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Université féministe d’été 2024

Pari réussi pour la deuxième édition de l'Université Féministe d'Été 2024 en Afrique

L'organisation féministe NÈGÈS MAWON a pris part à la deuxième édition de l'Université Féministe d'Été de l'Afrique de l'Ouest et du Centre qui s'est tenue au Sénégal, du 1er au 3 août 2024
Déroulée autour du thème “Capitaliser nos connaissances et pratiques féministes et croiser nos dynamiques d'actions collectives intersectionnelles”, cette activité a favorisé la participation de la coordonnatrice générale de NÈGÈS MAWON, Madame Pascale Solages, à titre d'intervenante au colloque d'ouverture de cet événement.
Co-organisée par JGEN SÉNÉGAL et LE COLLECTIF DES FÉMINISTES DU SÉNÉGAL, L'Université d'Été Féministe d'Afrique de l'Ouest et du Centre (UEF) 2024 se déroulera au Sénégal, du 1er au 3 août 2024.

L'édition de cette année a réuni plus de 150 participants.es, dont des chercheurs.es, militantes, universitaires, et partenaires internationaux.
Après le succès de la première édition en 2023, l'UEF 2024 continuera de renforcer les dynamiques féministes en Afrique francophone, en mettant l'accent sur l'apprentissage et la création d'outils pour démocratiser le mouvement féministe.
L' objectif Général de cette deuxième édition est de créer un laboratoire féministe pédagogique qui documente et visibilise les acquis du mouvement féministe, abordant la justice reproductive, les violences sexuelles et sexistes, la justice climatique et économique.
Qu'elles soient climatiques, géopolitiques, mais aussi sociales, la multiplication et l'imbrication des crises actuelles fragilisent les populations et exacerbent les inégalités.
Devant l'ampleur de la tâche, on maintient que les luttes féministes sont non seulement des espaces de réflexion cruciaux pour penser les crises actuelles et futures, mais également des lieux de résistances incontournables pour que les différentes solutions ne s'opèrent pas au détriment des populations les plus marginalisées.
Smith PRINVIL
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Mines de cobalt : « BMW et Renault doivent protéger les droits humains »

En grève depuis cinq mois, 254 mineurs de cobalt au Maroc sont privés de salaires. Ces « graves atteintes » doivent cesser, appellent les auteurs de cette tribune, à l'occasion de la visite d'Emmanuel Macron dans le pays.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/04/mines-de-cobalt-bmw-et-renault-doivent-proteger-les-droits-humains/
En écho à la grève des 254 mineurs en sous-traitance de la mine de Bou-Azzer, au sud du Maroc, nos organisations dénoncent les graves atteintes aux droits des travailleurs, des populations locales et à l'environnement de l'extraction de cobalt et plus largement les impacts internationaux de l'industrie automobile européenne.
Au Maroc, au Mali, au Congo comme en France, en Allemagne et partout ailleurs, le développement exponentiel des projets miniers impacte ou menace des écosystèmes entiers et des milliers de vies humaines, malgré les artifices rhétoriques des entreprises les présentant comme « responsables » ou « nécessaires à la transition énergétique ». Nous appelons les donneurs d'ordre, au premier rang desquels BMW et Renault, à prendre des mesures urgentes pour protéger les droits humains et l'environnement dans leurs chaînes d'approvisionnement.
À l'heure où nous écrivons, ces 254 mineurs n'ont pas été payés depuis cinq mois et sont en grève depuis le mois de juin. La plupart d'entre eux ont des familles et des enfants. L'entreprise marocaine Managem, groupe minier marocain international appartenant à la holding royale Al Mada, exploite la mine de cobalt de Bou-Azzer en recourant massivement à la sous-traitance. Ce sont les mineurs de l'une de ces entreprises, Top Forage, qui sont aujourd'hui privés de salaires et ont découvert que leur employeur n'avait pas versé de cotisations sociales depuis des années, se présentant comme insolvable.
En novembre dernier, nos organisations signaient déjà une tribune pour dénoncer les conditions d'extraction dans la mine de cobalt et d'arsenic de Bou-Azzer, qui se déroulent au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité, du droit du travail, de l'environnement, du respect des populations locales et de la liberté d'association, alors même que BMW et Renault, les deux clients principaux, vantent leur politique d'approvisionnement exemplaire en métaux.
Pour les voitures des Européens
Depuis 2020, BMW est l'un des clients de Managem. Renault a également conclu avec Managem un accord pour la fourniture de 5 000 tonnes de sulfate de cobalt par an, à partir de 2025, permettant d'alimenter la production de 300 000 batteries pour véhicules électriques dans sa gigafactory du nord de la France.
Ce cobalt, qui sert à produire des alliages et les cathodes des batteries des voitures électriques européennes, est en partie extrait des galeries de Bou-Azzer dans des conditions catastrophiques. Les mineurs dénoncent leurs conditions de travail dangereuses, leur matériel vétuste et leur exposition systématique aux poussières toxiques.
Les riverains, dont une vingtaine d'enfants, respirent quotidiennement des poussières d'arsenic issues des montagnes de résidus entassés à côté de la mine. En un siècle, elle a pollué à l'arsenic les oasis de toute une vallée et épuise la nappe phréatique dans une zone désertique souffrant déjà de sécheresses qui sont devenues plus fréquentes et plus intenses ces dernières années à cause des changements climatiques.
Obligations
Nos organisations dénoncent la répression et les intimidations des militant·es syndicaux et grévistes. Nous appuyons les demandes des syndicats et salariés et nous demandons aux employeurs, aux donneurs d'ordres et à l'État marocain :
– le versement des salaires arriérés et revalorisation de ceux-ci en incluant les mois de grève ;
– le rétablissement de la couverture maladie, de la prime d'ancienneté et du camp d'été ;
– la mise en place de formations nécessaires à l'accomplissement des missions et postes en toute sécurité ;
– la dotation de matériel de sécurité adéquat pour tous les personnels ;
– la remise aux normes des dispositifs de sécurité et de protection de la mine ;
– l'arrêt du drainage et de l'épuisement de la nappe phréatique jouxtant la mine avec la fixation de seuils donnant priorité aux besoins du milieu et en eau potable des habitant·es.
Qu'il s'agisse de Renault, de BMW, de Managem, nous exigeons que les entreprises responsables de ces mauvais traitements prennent les mesures que la dignité et le droit international imposent. Ces entreprises ont une obligation d'identifier les risques d'atteintes aux droits humains et à l'environnement dans leur chaîne d'approvisionnement. La responsabilité ne peut être éternellement déléguée ni diluée dans un mécanisme de sous-traitance qui reporte les engagements vis-à-vis des travailleurs et des habitant·es sur des structures qui ne peuvent ou ne veulent pas les assumer.
Les premières organisations signataires :
Association Henri Pézerat
Association marocaine des droits humains (AMDH)
Association de défense des droits de l'homme au Maroc (ASDHOM)
Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF)
Attac France
Attac/Comité pour l'annulation de la dette du tiers-monde (CADTM) Maroc
Confédération générale du travail (CGT)
Fédération internationale des droits humains (FIDH),
Fondation Danielle Mitterrand
Jonction pour la défense des droits des travailleurs (Maroc)
Ligue des droits de l'Homme (LDH),
SUD Renault/Ampère Île-de-France
Union syndicale Solidaires
https://reporterre.net/Mines-de-cobalt-BMW-et-Renault-doivent-proteger-les-droits-humains
Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n'est pas nécessairement celui de la rédaction.
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Uruguay : le candidat de gauche Yamandú Orsi arrive en tête au premier tour

Le dauphin de l'ex-président José « Pepe » Mujica ( 2010-2015 ), Yamandú Orsi est arrivé en 1re position – avec 44 % des suffrages – au premier tour de la présidentielle, dimanche 27 octobre. Le second tour se tiendra le 24 novembre.
Par Luis Reygada,
Tiré de L'Humanité, France, le 28 octobre 2024.
https://www.humanite.fr/monde/jose-mujica/uruguay-le-candidat-de-gauche-yamandu-orsi-arrive-en-tete-au-premier-tour <https://www.humanite.fr/monde/jose-...>
Vers un retour de la gauche au pouvoir en Uruguay ? Le dauphin del'ex-président José « Pepe » Mujica (2010-2015) Yamandú Orsi (parti Frente Amplio) est arrivé en 1re position – avec 44 % des suffrages – au premier tour de la présidentielle, ce dimanche 27 octobre.
Alors que plus de 2,7 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes pour désigner le successeur<https:/www.humanite.fr/monde/urugu...>'>deLuis Lacalle Pou (droite ; Parti national), Orsi a battu de plus de 15 points Alvaro Delgado.
Ce dernier pourra toutefois compter sur le soutien des sympathisants du candidat du parti Colorado (droite), Andrés Ojeda – arrivé en troisième position avec près de 16 % des voix – lors du second tour, le 24 novembre. « /Redoublons d'efforts pour construire une nouvelle ère progressiste / », a twitté Carolina Cosse, militante communiste et candidate à la vice-présidence aux côtés d'Orsi.
photo Le candidat du parti Frente Amplio, Yamandu Orsi, le 27 octobre 2024, à Montevideo prononce un discours à l'annonce des résultats.© REUTERS/Mariana Greif
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Malcolm Ferdinand : "Le processus autour du chlordécone porte la marque d’une justice coloniale"

S'aimer la Terre. Défaire l'habiter colonial, Malcom Ferdinand, Seuil, collection « Écocène », 608 pages. Une écologie décoloniale. Penser l'écologie depuis le monde caribéen, Malcom Ferdinand, Seuil, collection « Anthropocène », 2019. Prix du livre de la Fondation d'écologie politique.
Malcom Ferdinand est ingénieur en environnement (University College, Londres), docteur en philosophie politique (Paris-Diderot), chercheur au CNRS. Il a cofondé l'Observatoire Terre-Monde. Originaire de la Martinique, il travaille depuis une quinzaine d'années sur la contamination des Antilles au chlordécone et sur une approche décoloniale de la crise environnementale. Il est partie civile dans le dossier pénal du chlordécone et a été auditionné lors de la commission d'enquête parlementaire de 2019.
30 octobre 2024 | tiré de Politis.fr
Le 22 octobre, la cour d'appel de Paris a examiné deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Où en sommes-nous dans le traitement judiciaire de l'affaire du chlordécone ?
Malcolm Ferdinand : Deux questions étaient posées aux juges. D'abord, l'intention d'empoisonner doit-elle être avérée pour qualifier le crime d'empoisonnement, ou est-ce que la connaissance des effets mortifères de la substance est suffisante ? La deuxième question portait sur la responsabilité pénale de l'État. Une fois qu'elles seront traitées, nous aurons une date d'audience pour aborder le fond de l'affaire. Le processus judiciaire autour du scandale du chlordécone porte la marque d'une justice coloniale.
Nous avons une justice qui se fait à l'extérieur des Antilles, sans les Antillais.
Premièrement, cette affaire qui concerne la Martinique et la Guadeloupe est traitée à Paris. Un des arguments était qu'il y a plus de moyens, mais la symbolique coloniale est forte : des tribunaux qui sont littéralement posés sur les terres contaminées se refusent à traiter de cette affaire, donc l'instruction judiciaire est menée à 8 000 kilomètres des habitant·es concerné·es. En dix-sept ans d'instruction, les juges ne se sont jamais déplacés ni en Martinique ni en Guadeloupe.

De plus, lors de l'audience de ces QPC, les parties civiles – dont je fais partie – n'ont pas pu accéder à la chambre d'instruction. Une famille avait fait le déplacement depuis la Guadeloupe et n'a pas pu assister aux débats. Nous avons donc une justice qui se fait à l'extérieur des Antilles, sans les Antillais, dans un langage relativement abscons, avec des processus qui paraissent assez opaques. Quel que soit le résultat, avoir confiance est difficile, notamment après la décision de non-lieu prononcée par la justice en janvier 2023.
Sur le même sujet : Chlordécone : non-lieu pour un « scandale sanitaire » d'État
Les juges ont reconnu le « scandale sanitaire » mais ont donné trois raisons pourjustifier le non-lieu : la prescription, les difficultés à prouver l'intentionnalité et les dommages au moment de l'utilisation du produit, et l'impossibilité de « caractériser une infraction pénale ». On demande à une population aujourd'hui contaminée à plus de 90 % au chlordécone d'accepter une justice affirmant que le crime est passé. Cette justice est coloniale et antidémocratique.
Pouvez-vous expliquer ce qu'est le chlordécone et comment il a imprégné l'histoire des Antilles ?
Il y a deux manières de penser le chlordécone. Une manière très techniciste, environnementaliste, qui est celle de l'État français, c'est-à-dire que le chlordécone ne serait qu'une petite molécule monstrueuse, très toxique. Elle a été répandue dans les bananeraies pour lutter contre le charançon du bananier de 1972 à 1993, et a contaminé les sols, les eaux, les plantes, les animaux, les corps humains. Ce récit techniciste est dépolitisant parce qu'il fait reposer toute la responsabilité de cette affaire sur cette molécule.
Sur le même sujet : Chlordécone : Du secret d'État au scandale d'État
Ainsi, l'ensemble des relations sociales, agronomiques, scientifiques, politiques, législatives, judiciaires et administratives qui ont rendu possible cette contamination sont occultées. Or on ne sortira pas de cette contamination par une dépollution miraculeuse, il faut revoir l'ensemble de ces relations qui ont causé cette molécule. C'est ce que j'appelle « l'habiter colonial », qui comprend une manière de se penser sur Terre, d'organiser les rapports de production discriminés selon des critères socio-raciaux, et avec une dimension coloniale évidente puisque les terres antillaises sont destinées à la production portée vers l'extérieur et non à l'alimentation ou aux soins portés à ceux qui y vivent.
Le mouvement pour la vie chère qui a lieu depuis septembre est un autre symptôme de cet « habiter colonial ». Les personnes demandent de pouvoir se nourrir et pourvoir à leurs besoins avec une certaine forme de dignité, et on leur envoie des CRS.
Quelles responsabilités incombent à la communauté scientifique au fil des décennies ?
Le chlordécone, tout comme la transformation des terres antillaises en terres de bananes Cavendish, a été une aventure scientifique décidée à la fin du XIXe siècle. Le but était de reproduire la « colonisation agricole ». Après la défaite de la France contre la Prusse en 1870, des administrateurs et des politiques décident que la colonisation agricole permettra à la nation française de redorer le blason de la France, de retrouver une estime de soi collective. Cela se traduit par la création d'instituts scientifiques qui ont déterminé les meilleures manières de cultiver et d'accroître les profits sur le cacao, le caoutchouc, la banane, l'industrie minière. L'utilisation du chlordécone aux Antilles s'inscrit dans ce cadre-là.
Sur le même sujet : L'écologie décoloniale au cœur de la marche contre l'agrochimie
La question de la science reste fondamentale dans cette affaire. Qui produit la science ? Qui y a accès ? Dans quelle langue ces recherches sont-elles produites ? Deux choses restent valables dans les sciences aux Antilles. Premièrement, « l'habiter colonial » est omniprésent puisque les terres antillaises sont avant tout consacrées à la monoculture d'exportation, et que cela reste le paradigme de beaucoup de productions scientifiques, notamment agronomiques. Deuxièmement, l'accès aux recherches reste inégal par la langue utilisée ou par les moyens d'accès. L'espace scientifique est lui-même traversé par cette colonialité : on maintient une situation où les Antillais sont tenus à l'écart des arènes de production de savoirs sur leur propre corps et leur propre terre.
Où en sont les recherches à propos des maladies liées au chlordécone ?
Même si les liens de causalité sont toujours très compliqués à prouver, les recherches scientifiques ont montré que cela augmente les risques de cancer de la prostate, ainsi que les récidives, retarde le développement cognitif, visuel et moteur des enfants. Il y a un ensemble de recherches en cours pour interroger les liens avec le myélome, avec l'endométriose, et avec d'autres cancers. Les scientifiques étaient des personnes d'un groupe socio-racial blanc, et majoritairement des hommes, donc cela a produit des biais de recherche. Pour le moment, nous avons plus d'informations sur les dangers liés aux pathologies masculines.
Nous sommes face à une inégalité de production de connaissances qui devient une forme d'ignorance et qui ne permet pas à tout un chacun de se saisir et d'appréhender ce sujet, sa maladie, son corps. J'appelle à une forme de souveraineté antillaise de la recherche, notamment parce que ce sujet a pris de l'ampleur médiatique et attire beaucoup de jeunes chercheurs. Ce n'est pas pour fermer la recherche, mais pour l'encadrer, l'orienter afin qu'elle soit démocratisée et coconstruite avec les acteurs et les actrices du terrain.
À quel point les pouvoirs économiques et la filière banane sont-ils encore puissants dans ce dossier ?
La colonisation a commencé par une appropriation de la terre, du foncier racialisé, c'est-à-dire que les titres de propriété étaient d'abord attribués aux hommes blancs. Cela a donné le groupe socio-racial des blancs créoles, les Békés, qui a réussi à maintenir une propriété des terres et des moyens de production. Il conserve une place dominante aujourd'hui dans l'agriculture, l'import-export, la grande distribution, la finance, les banques.
La production d'ignorance qui a entouré le chlordécone dès son introduction en 1972 a rendu difficile la mobilisation citoyenne.
Nous avons donc une structure de la production bananière basée sur quelques personnes qui ont la majorité des terres, et une pluralité de petits planteurs qui s'agrègent autour. Ces groupes dominants cultivent depuis des siècles un sentiment de toute-puissance et d'impunité. Par exemple, en 2009, une directive européenne a interdit les épandages aériens de pesticides. Aux Antilles, les producteurs de bananes ont obtenu des arrêtés préfectoraux dérogatoires afin de poursuivre ces pratiques. C'était vraiment symptomatique de leur état d'esprit colonial resté au stade de « nous sommes les maîtres ».
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Cette façon de penser découle de l'histoire, puisque l'abolition de l'esclavage en 1848 s'est faite à la condition que les anciens maîtres soient dédommagés de la prétendue injustice qui leur a été faite en perdant la propriété d'êtres humains. Elle a été faite à condition de maintenir une continuité du capital financier des anciens maîtres, ce qui leur a permis d'investir, d'acheter des usines et de maintenir leur place dominante. Ce sentiment d'impunité fait qu'aujourd'hui ils ne rendent aucun compte sur la contamination des Antilles au chlordécone.
Comment s'est organisée la mobilisation citoyenne contre le chlordécone au fil des années ?
La production d'ignorance qui a entouré le chlordécone dès son introduction en 1972 a rendu difficile la mobilisation citoyenne. Mais, en 1974, des ouvriers agricoles martiniquais qui manipulaient quotidiennement ce produit dans les bananeraies se sont révoltés. Ils n'étaient pas scientifiques mais voyaient déjà les conséquences de l'intensité aiguë de l'exposition à cette poudre blanche. Ils demandaient des congés, une pause le midi, des gants pour travailler, mais aussi le retrait du chlordécone !
Comment envisager des projets de parentalité quand on sait que le chlordécone est présent dans le lait maternel, le cordon ombilical ?
Les gendarmes ont été envoyés et ont ouvert le feu sur les grévistes, faisant deux morts et de nombreux blessés, en toute impunité. Entre 1974 et les années 2000, il y a eu une invisibilisation de ce sujet jusqu'à ce que des acteurs associatifs historiques de Martinique et de Guadeloupe déposent plainte en 2006 pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substance nuisible. Le sujet est revenu dans le débat public lors des grèves contre la vie chère en 2009, puis lors de la mobilisation contre les épandages aériens de pesticides entre 2011 et 2014. Mais il y a eu un réel embrasement contre ce toxique à partir de 2018.
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L'élément déclencheur a été la déclaration de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) disant que les limites maximales de résidus (LMR) de chlordécone dans la viande étaient « suffisamment protectrices » pour la population et ne nécessitaient pas d'être abaissées. Quasiment au même moment, la commission d'enquête parlementaire – à laquelle j'ai participé – a conclu que l'État est bien le « premier responsable » du scandale du chlordécone aux Antilles.
La même année, le Collectif des ouvriers agricoles et de leurs ayants droit empoisonnés par les pesticides (Coaadep) a été créé en Martinique. C'était la première fois depuis 1974 qu'ils avaient une voix propre sur ce sujet et ils ont dénoncé le fait que les premiers concernés soient exclus des discussions.
Vous tirez un fil intéressant entre ces pratiques agro-industrielles toxiques et la méfiance développée chez les Antillais·es envers leurs propres terres. Pouvez-vous étayer ?
La gestion de l'État a mis au centre la question de la toxicité, donc les autres pratiques de ces îles – comme la pêche, la culture de certains légumes racines, l'échange, le don – n'entrent pas dans ce logiciel de pensée. Quand vous entendez à longueur de journée que le chlordécone est partout, que tout est contaminé, cela change votre rapport à la terre, aux animaux. Comme cette habitante qui a décidé de bétonner tout son jardin contaminé. Ou cet éleveur bovin qui me racontait que, pour que ses vaches soient vendues, elles doivent passer six mois dans un box de quelques mètres carrés, bétonné, afin d'être désintoxiquées.
Cette politique crée des rapports aliénants à l'environnement, au point de douter de son propre corps. Comment envisager des projets de parentalité quand on sait que le chlordécone est présent dans le lait maternel, le cordon ombilical ? Cela porte atteinte à ce que je désigne comme l'écoumène antillais. La conséquence ultime pour les Antillais est de se dire que la seule solution est de quitter cette terre. Soit littéralement pour celles et ceux qui en ont les moyens, soit symboliquement en acceptant d'acheter de l'eau en bouteille et de ne manger que des produits exportés.
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Cette politique exacerbe une distanciation entre les Antillais et leur terre, déjà entamée avec la colonisation et l'esclavage, qui ont rendu compliqué l'accès à la propriété, qui ont transformé les îles en terre de monoculture pour l'exportation. Le propre de la colonisation, c'est de séparer les peuples de leur terre. Ces politiques autour du chlordécone reproduisent les mêmes schémas. Mon livre propose une autre réponse : « S'aimer la Terre », c'est-à-dire renouveler, approfondir le rapport à nos terres, quand bien même elles contiendraient des molécules dangereuses, toxiques, et retisser des liens avec les écosystèmes, avec le vivant.
Il y a d'ailleurs un passage percutant dans lequel vous appelez à penser comme un charançon.
C'est un peu contre-intuitif, car ce n'est ni le plus beau des animaux ni le plus beau des insectes. Mais le charançon a été la première victime du chlordécone, la première victime de cette relation écocidaire. Nous ne pouvons pas avoir une politique de révolte, de gestion qui ne concerne que les corps humains, qui ne reconnaît pas les connexions avec l'ensemble du vivant. Soudainement, on comprend que ce qui tue le charançon nous tue aussi car nous partageons quelque chose avec le reste du vivant.
Nous ne pouvons pas avoir une politique de révolte, de gestion qui ne concerne que les corps humains.
Il faut envisager un autre récit disant que ce n'est qu'à la condition de composer avec ce tissu vivant que nous pouvons véritablement habiter la Terre. Selon moi, c'est une réponse beaucoup plus riche, plus complexe, plus belle, qu'une seule politique centrée sur une molécule toxique.
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La leader indigène Nemonte Nenquimo parle de la lutte pour défendre l’interdit d’extraction du pétrole en Amazonie équatorienne dans le futur

Democracy now, 14 octobre 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Note préliminaire : la parole de Mme Nenquimo est ici traduite depuis la traduction anglaise (américaine) de une langue non identifiée. A.C.
Amy Goodman : (…) Nous examinons le vote du peuple de l'Équateur qui dans un référendum a réussi à faire interdire le pompage de pétrole dans la forêt tropicale du Parc Yasuni. Mais voilà que le nouveau Président, tout juste élu, M. Daniel Noboa, a déclaré que son pays était « en guerre » contre des gangs violents qui « ne sont plus dans la même situation que celle d'il y a deux ans ». Il a aussi dit que le pétrole du Parc Yasuni pouvait aider à financer la guerre contre les cartels de la drogue. Les militants.es et les indigènes se disent préoccupés.es par cette déclaration. Leur victoire avait pourtant été citée en exemple de l'utilisation du processus démocratique pour faire en sorte que le pétrole reste dans le sol.
Pour y voir plus clair, nous sommes avec une personne qui a aidé à la direction de cette lutte pour le référendum et plus encore. Mme Nemonte Nenquimo a reçu le prix de leader Waorani de l'Amazone de l'Équateur. Elle a fondé, avec d'autres le groupe « Premières lignes de l'Amazone » et « l'Alliance Ceibo ». Elle a publié récemment un article dans The Gardian intitulé « Ecuador's president won't give up on oil drilling in the Amazon. We plan to stop him – again ».
Elle vient aussi de publier ses mémoires intitulés : « We Will Be Jaguars : A Memoir of My People », dans lequel elle écrit : « Au fond de moi-même j'ai compris qu'il existe deux mondes ; un où se trouve notre feu et sa fumée (près duquel) je tourne le manioc en miel dans ma bouche, où les perroquets répètent « Mengatowe », où ma famille m'appelle Nemonte, mon véritable nom qui signifie beaucoup d'étoiles. Et il y en a un autre où des personnes de race blanche nous surveillent du haut du ciel, le cœur du diable était noir ; il y avait quelque chose appelé « compagnie pétrolière » et les missionnaires m'appelaient Inés ».
Donc, pour creuser le sujet, Nemonte Nenquimo est ici dans nos studios de New York accompagnée de partenaire et co-auteur, Mitch Anderson qui est le fondateur et le directeur exécutif de « Amazon Frontlines. Il a longtemps travaillé avec les Premières nations de l'Amazone et défends leurs droits.
Soyez les bienvenus à Democracy Now. C'est un honneur de vous rencontrer. Nemonte, pour commencer, je voudrais que vous nous disiez votre nom. Parlez-nous aussi des nations indigènes, de vos origines, de la terre où vous avez vécu en Amazonie en Équateur.
Nemonte Nenquimo : Bonjour à vous tous et toutes.
Mon nom est Nemonte Nenquimo. Je suis une Waorani, dirigeante, mère qui vient du territoire Waorani à Pastaza en Équateur. Toutes les femmes amazoniennes en général sont sur les lignes avancées de défense. Elles donnent leur vie parce qu'elles sont plus respectées et que nous nous préoccupons pour nos fils et nos filles. Nous voulons que nos filles aient leur propre espace de vie, l'eau, la terre, les connaissances, les valeurs, les plantes, les animaux, pour que nous vivions bien libres et dans la dignité. En ce moment, tous les jours notre territoire est menacé. Pourquoi, nous les femmes devrions-nous être menacées sur notre propre territoire ?
C'est la raison pour laquelle j'ai écrit ce livre sur la résistance, à propos de mon enfance, depuis le point de vue d'une enfant. J'ai grandi entre deux mondes. Les missionnaires nous parlaient du salut de notre âme en disant que nos croyances étaient mauvaises. Le pétrole est arrivé sur notre territoire avec le vol des hélicoptères et des promesses de développement. Ils ont fait beaucoup de dommages. Ils ont détruit notre eau. Ils ont contaminé notre population et nous ont séparé de nos savoirs et de nos valeurs. Les gouvernements et les grandes organisations sont arrivés pour nous dire qu'un parc national serait installé et en même temps, ils ont rendu les choses pires encore et ils se sont emparé de notre territoire.
La lutte que nous avons menée est très importante et je voudrais en donner le contexte. C'est une longue histoire avec tous ses détails. Mais, pour moi c'est très important. Comme le disait mon père : « Ma fille, moins les gens connaissent la jungle plus ils ont d'argent pour la détruire ». Mon histoire et notre culture sont orales. Avec mon mari Mitch j'ai voulu la livrer par écrit pour que le monde puisse comprendre comment nous vivons, nous les peuples indigènes liés à Mère Nature avec amour et respect.
Donc, c'est une histoire de résilience, de résistance pour que les autres peuples du monde puissent connaître la véritable histoire des peuples indigènes, de tous les peuples indigènes qui vivent une grande menace, une gigantesque menace parce le système d'ici atteint nos territoires jours après jours. Donc, ce message est très important. Vous pouvez lire le bouquin. Vous pouvez en être touchés.es et ouvrir vos cœurs, prendre un véritable engagement à agir.
Qu'est-ce que je tente de vous dire ? Vous ici, les communautés et la société civile vous devez ouvrir vos cœurs et condamner les compagnies qui continuent à investir dans ce qui mutile nos territoires qui les extermine comme nos connaissances et notre culture. Donc, à partir d'ici nous devons commencer à nous rééduquer à ne pas consommer ce qui détruit notre santé, à nous reconnecter à Mère Nature, nous reconnecter spirituellement, à aimer Mère Nature pour nous guérir. Voilà ce qui est important.
A.G. : Je veux que nous parlions de la bataille que vous avez menée pour faire adopter cette loi en Équateur. Mais, d'abord, le titre de votre livre qui vient juste d'être disponible est : We Will Be Jaguars : A Memoir of My People, aux États-Unis. En Europe où il vient aussi juste de sortir, ce n'est pas la même chose, c'est : We Will Not Be Saved. Pouvez-vous expliquer la différence ?
N.N. : Donc, j'ai grandi dans deux mondes différents. Les évangélistes venaient sauver nos âmes mais ils ont apporté les maladies dont la polio. Nos grands-parents, mes grands-parents et une de mes tantes en sont morts. Les compagnies pétrolières sont aussi venues disant qu'elles allaient développer nos vies dans nos communautés mais elles les ont détruites. Et encore maintenant, elles contaminent nos territoires et nous apportent des maladies. Les gouvernements et les grandes compagnies viennent avec les mêmes intentions, sans rien comprendre (à notre mode de vie).
C'est à cause de cela que j'ai tenté de dire « Nous ne serons pas sauvés.es » et cela aussi longtemps qu'ils n'écouteront pas les peuples indigènes, leur vision globale du cosmos. Parfois ils arrivent avec les structures propres à l'homme blanc pensant qu'elles sont meilleures, qu'ils ont de meilleures idées. Ils apportent des propositions de développement et causent des destructions. C'est ce que je tente de dire parce c'est ce que j'ai vécu depuis mon enfance dans la confusion et mon peuple, mon peuple était très directement lié spirituellement à la nature qui guérit. Mais les missionnaires parlent de nous sauver et disent que notre lien fort avec la nature est mauvais. C'est donc ce qu'ils sont venus faire : détruire.
C'est pour cela que j'ai choisi ce titre. Ils ne peuvent continuer à traiter les peuples indigènes comme s'ils étaient ignorants, comme si nous n'avions aucune connaissance. Pendant des milliers d'années les indigènes ont possédé leurs savoirs, ils ont respecté Mère nature, aimé la terre. Si nous les femmes somment la terre et s'il la maltraite, la détruise, comment allons-nous leur donner la vie ? Comment allons-nous les nourrir ? C'est ce que j'essaie de dire.
We Will Be Jaguars. Dans notre culture le jaguar est un dieu. Il nous aide, dans nos rêves à voir que nous devons prendre soin de notre territoire. Si nous mourrons, nous continueront à vivre spirituellement comme le jaguar qui entoure nos territoires et les défend. Donc, comme femme waoranie diriger la lutte contre le gouvernement, contre le pétrole, c'est dire : « Nous serons des Jaguars, prêts.êtes, toujours à nous défendre pour nos enfants et vos enfants et pour la planète ». Voilà pourquoi j'ai écrit que nous serons tous et toutes des jaguars.
Ce livre est très spécial. (Il espère) que tous et toutes autour du monde peuvent apprendre le respect et que nous pouvons travailler ensemble contre les changements climatiques. Pendant qu'ils parlent de changements climatiques ils n'avancent aucune solution. Ils ne font que promettre. Ce sont les mêmes politiciens.nes, les mêmes représentants.es qui prennent les décisions. Il n'y a pas de place pour que les femmes amérindiennes puissent agir, pour occuper un espace ensemble.
A.G. : Mitch Anderson, vous êtes le co-auteur de ce livre et le partenaire de Nemonte. Vous avez 2 enfants, un de 9 ans et un de 3 ans. Nemonte vient de nous expliquer ce que signifie We Will Not Be Saved e de même à propos de We Will Be Jaguars. Comme Américain, né dans la Baie de San Francisco, pouvez-vous nous expliquer pourquoi We Will Not Be Saved n'est pas le titre de ses mémoires aussi aux États-Unis ?
Mitch Anderson : Au point de départ, quand nous avons commencé à écrire ce livre Nemonte et moi, nous avons proposé We Will Not Be Saved comme titre. Nemonte, dans ce livre décrit son expérience de petite fille qui voit arriver les missionnaires qui parlent de ce Dieu blanc dans le ciel qui essaie de sauver les âmes de la population, donc ce titre nous semblait approprié. Elle décrit aussi les maux que cela a causé. Et en fait, au cours de sa vie, et elle le décrit dans le livre, elle a eu connaissance de la mentalité d'arrogance de ces étrangers.ères que le peuple Waorani appelle cowori, qui sont arrivés.es sur leur territoire en promettant de sauver leurs âmes, de le développer et qui ont fait tant de mal. Et donc, au Royaume Uni le titre est We Will Not Be Saved.
Mais quand nous avons publié le livre aux États-Unis je pense qu'ils (les éditeurs) voulaient un titre un peu moins confrontant, un peu plus optimiste je dirais. Mais We Will Be Jaguars est aussi un titre puissant parce que Nemonte décrit dans ce livre le lien de son peuple avec les esprits du jaguar. Et même si les compagnies pétrolières, les gouvernements et les missionnaires tentent de changer son peuple, de lui faire mal, il restera un jaguar dans cette vie, protégeant leur terre, et dans la vie après la mort protégera ce même territoire qu'il protège en ce moment.
A.G. : Je voulais revenir à ce qui s'est passé l'an dernier en Équateur dans la forêt tropicale où se trouvait Nemonte. Le 20 août 2023, il y a eu un vote en Équateur qui interdisait tout futur forage dans le Parc national Yasuni. En octobre, M. Daniel Noboa a été élu à la présidence, environ une année plus tard donc. Vous avez été une des leaders qui s'est battue pour que ce parc soit protégé. Décrivez-le-nous et parlez-nous du mouvement que vous avez dirigé et comment M. Noboa a changé de position.
N.N. : Le parc Yasuni est un territoire ancestral Waorani. C'est aussi un des endroits de la planète qui possède le plus de diversité. Il lui donne de l'oxygène. Pour réussir, les peuples autochtones se sont alliés entre eux puis avec des activistes, des réalisateurs.trices de cinéma et des étudiants.es. Nous avons fait comprendre aux gens des villes, à la société civile, son importance et aussi que partout où il y a eu de l'exploitation pétrolière dans notre pays, il n'y a pas eu de développement. Il y a eu plus de corruption, plus de problèmes et de morts. C'était très évident. Les sociétés ont compris que la protection était importante, qu'il fallait conserver ce territoire pour le futur. C'est pour cela que nous avons mené la bataille.
Je dirige aussi Amazon Frontlines. Avec d'autres organisations nous avons réalisé un film pour que les gens voient l'importance de la forêt tropicale du Yasuni non seulement pour le peuple Waorani mais pour tous les peuples de la terre. Et nous avons gagné le référendum ! Nous avons réussi à convaincre toute la population du pays qui a voté OUI en faveur de la vie. J'ai ressenti la puissance de ce signe : les gens des villes ont ouvert leur conscience, leur cœur et ont vu que le plus important était la vie. Nous avons gagné. Mais le Président n'est pas à la hauteur. Il devrait déjà avoir commencé à démanteler et fermer (le site). Nous les peuples indigènes, nous en avons assez.
A.G. : Laissez-moi vous interrompre un moment. Donc, d'abord vous avez fait adopter la loi ce qui a demandé une énorme mobilisation de toute la population du pays. Quelle était la position de M. Noboa durant la campagne électorale, après l'adoption de cette loi ? Elle bénéficiait d'un soutien tel que pour gagner son poste il devait la soutenir aussi n'est-ce pas ?
N.N. : Exact. Durant la campagne électorale M. Noboa s'est engagé à respecter le parc Yasuni. Mais une fois élu, il s'est désisté. Je dois dire que j'ai vu les politiciens.nes, pas seulement M. Noboa, faire de belles promesses durant les campagnes à la Présidence mais aussitôt élus.es le courage et la bravoure ne les étouffent pas et les droits des peuples autochtones, ceux de la nature, ne sont jamais pris en considération. C'est pourquoi les peuples autochtones sont unis prêts à confronter (ces politiciens.nes). Notre territoire c'est notre foyer. C'est un espace de vie pour l'avenir et pour les peuples de la terre. Notre territoire ne sera jamais à vendre.
A.G. : Donc, en ce moment, le Président dit que le pays a besoin d'argent pour combattre les cartels de la drogue qui trafiquent en Équateur. Sa façon d'avoir cet argent c'est de permettre à des compagnies étrangères d'extraire plus de ressources dans le pays. Qu'elle est votre réaction Nemonte ?
N.N. : Oui, il parle d'économie mais un jour il n'y aura plus de pétrole. Ça n'assure pas l'avenir. Le Président Noboa doit faire attention. Il doit assurer l'avenir. Il doit présenter des opportunités. Il devrait jouer un rôle plus important dans le monde pour provoquer des changements et laisser le pétrole dans le sol, présenter des alternatives, sortir de la mentalité consumériste, arriver à une autre forme de mentalité, un changement pour envisager ce qui pourrait être généré dans le futur et comment les peuples indigènes sont respectés, comment Mère nature l'est aussi pour mettre fin aux changements climatiques pour le monde. Mais souvent, les leaders ne pensent pas à ça. Ils et elles ne veulent que de l'argent et n'ont pas de solution. Ce n'est pas une solution justement pour les générations à venir. M. Noboa est favorisé ; c'est un jeune président qui pourrait changer le monde.
A.G. : Donc, comment allez-vous provoquer ce changement ? Vous êtes une leader Waoroni. Vous êtes une des leaders du mouvement qui a réussi à faire adopter cette loi mais qui a pris une autre direction. Comment allez-vous provoquer cela ?
N.N. : Je pourrais dire que n'importe quelle société doit agir. Ne laissez pas les premiers peuples mener seuls la lutte pour la vie. Ce que nous faisons, c'est la solution. Nous sommes aux premières lignes. Donc, les gens d'ici (aux États-Unis), doivent commencer par ne plus investir dans des compagnies qui endommagent le territoire, la forêt dans toute l'Amérique latine. Ensuite, n'investissez plus dans la propagande qui veut que le pétrole soit la solution, mais dans celle qui cherchent une alternative à cette énergie. Et en plus, les mentalités doivent changer, cesser de consommer de plus en plus de choses nuisibles. Par le mot changement, je veux dire d'ouvrir vraiment son cœur, de se relier de nouveau avec Mère nature, de se relier spirituellement, de guérir à nouveau. Ça c'est la solution. Les gens des villes d'ici continuent à consommer ; c'est une honte. Cela va affecter l'Amazone pendant que nous les premiers peuples somment sur les lignes de front.
Assez, c'est assez. Nous ne cesserons pas de nous battre. Nous allons continuer à nous tenir debout. Nous serons sur le front comme des combattants.es, des jaguars. Mais, ici, aussi longtemps qu'il n'y aura pas de changements, aussi longtemps que la consommation dure, l'Amazone en sera affectée. Même si les pétrolières ne viennent pas, l'effet sera là. Donc, pour moi, le travail ici, c'est de faire pression sur les hommes et les femmes politiques, sur les compagnies, de ne pas consommer ce qui fait du mal mais de soigner et guérir dans les villes.
A.G. : Vous êtes ici au beau milieu d'une campagne électorale présidentielle aux États-Unis. C'est peut-être le plus important. Il y a deux partis principaux, les Démocrates et les Républicains. À propos de l'immigration, ils rivalisent entre eux ; ils sont d'accord sur plusieurs points comme fermer la frontière aux immigrants.es venant du Mexique et des pays du sud dont l'Équateur. Pouvez-vous faire un lien direct avec la destruction environnementale, la pauvreté, la violence (dans leurs pays), qui poussent des milliers de gens de l'Équateur et de toute la région de l'Amazone à quitter leurs terres, leurs pays ?
N.N. : Je pense que cela est survenu souvent au cours des dernières années parce que le climat de crise dans le monde est très sérieux. Et nous ne devons pas laisser cela arriver. Nous devons éveiller les consciences de la population dans la ville.
Pourquoi y a-t-il des gens malheureux ? Les gens quittent leurs pays parce ce système de consommation ici, provoque des conflits armés et ce n'est pas qu'en Équateur. Ça provoque l'extraction du pétrole parce que le monde entier en a besoin pour son pillage. Le besoin d'argent est là.
C'est pourquoi nous devons y voir, équilibrer, nous reconnecter, sentir à nouveau la paix que nous voulons pour nos sociétés parce que Mère nature souffre de ces phénomènes qui nous affectent tous et toutes. Mais les gens ne s'en rendent pas compte. Les politiciens.nes avec leur grand pouvoir ne s'en rendent pas compte ; ils et elles sont déconnectés.es, ne sont plus en lien avec Mère nature, ni avec leur spiritualité. Il n'y a pas d'amour dans leur cœur, absolument aucun amour.
Donc, nous les gens, la société, devons-nous rassembler, socialiser, nous unir parce que nous sommes capables de résoudre ce problème. Nous n'allons pas laisser le gouvernement prendre les décisions dans notre propre maison. Nous n'allons pas laisser le gouvernement nous diriger, diriger nos territoires. Donc cette responsabilité nous revient à tous et toutes. C'est ce que je tente de dire. La responsabilité n'est pas que celle des peuples autochtones.
Pourquoi devons-nous vivre sur notre territoire en étant chaque jour menacés.es. Le système ne s'arrête pas, les mentalités ne changent pas, le cœur n'est plus touché profondément. Donc le travail à faire est ici dans les grandes villes. Comme femme autochtone, c'est ainsi que je vois les choses, c'est ce que je tente de dire. Comme femme autochtone, je vois que le problème n'est pas dans les territoires indigènes. Le problème est ici, dans ce système que tous ensemble nous devons arrêter. C'est le message. Tant que nous ne connaissons pas vraiment la vie, ce qui est le plus important, nous allons la détruire. Mère nature ne s'attends pas à ce que nous la sauvions mais à ce que nous la respections que nous l'aimions et la guérissions. C'est la société que nous devons soigner.
A.G. : Donc, vous voici à New York. Vous y êtes à cause de la semaine sur le climat. Vous y avez été antérieurement même si vous passez l'essentiel de votre vie en Amazonie. Qu'est-ce que ça représente pour vous d'être avec des milliers de personnes dont des leaders mondiaux et de vous adresser aux Nations Unies ? Voyez-vous des progrès depuis que vous participez ainsi avec des milliers de militants.es venant du monde entier sur des enjeux liés au réchauffement climatique ?
N.N. : À titre de femme autochtone, je vis une vie collective dans ma communauté ; c'est ainsi dans chacune de nos communautés. Nous les femmes, somment sur les lignes de front parce que nous sommes préoccupées par le bien-être de tous et toutes. Nous sommes un collectif et nous nous assurons que tout fonctionne bien. Nous sommes les protectrices, les gardiennes, les mères.
Qu'est-ce que je vois pour ce qui est du changement climatique ? Quand j'arrive ici, en tant que femme autochtone, je regarde et je constate qu'il n'y a aucun espace pour nous les femmes autochtones où nous pourrions parler aux hommes et femmes politiques. Je vois un espace où les même politiciens.nes sont représentants.es, parlent, prennent des décisions quant au territoire, en extrayant des ressources tout en parlant de la manière de sauver l'environnement. Il n'y a aucune manière sérieuse de faire une place aux peuples indigènes à la table (de discussion), pour prendre des décisions, pour s'engager avec respect. Il n'y a rien. Les politiciens.nes créent leurs propres espaces, prennent leurs décisions. Ça n'arrêtera pas les changements climatiques.
Mais ce que j'observe aussi très sérieusement, c'est que les sociétés civiles relèvent leur conscience. Elles se réveillent. C'est bon signe. Comme je travaille avec des collectifs, la tâche nous appartient, comme le rôle. Nous devons nous unir avec les sociétés civiles. Nous devons faire pression sur les élus.es pour qu'ils et elles nous voient, pour ouvrir leurs cœurs, les rendre conscients.es des enjeux climatiques sérieusement. Pendant que nous les peuples indigènes, occupons un espace, présentons nos histoires ces élus.es prennent des décisions, signent des résolutions et des ententes. Pour moi ce n'est pas une solution. C'est triste.
A.G. : Mitch Anderson, vous avez étudié ces enjeux depuis des années. Au début 2000, vous étiez avec Amazon Watch. Vous avez passé beaucoup de temps, environ 15 ans en Amazonie. Avec votre partenaire Nemonte, vous avez fondé Amazon Frontlines. Au moment de revenir dans votre pays de naissance, les États-Unis, pouvez-vous observer quelques progrès ? Et comme personne pouvant voir l'Amazonie depuis votre pays, depuis le lieu où votre famille et votre communauté vivaient, jusqu'au lieu où vous vivez maintenant avec vos enfants, avec votre nouvelle communauté, qu'est, selon vous le plus grand malentendu que nous ayons avec l'Amazonie ?
M.A. : Je vis en Amazonie avec Nemonte et son peuple depuis 15 ans. La vaste majorité du pétrole extrait en Amazonie détruit les forêts et les rivières. Il est ensuite expédié en Californie pour y être raffiné. Il est ensuite distribué dans les stations d'essence dans tout le pays et aussi transformé en carburant pour les avions. Je ne crois pas que les Américains.es comprennent vraiment ce que Nemonte leur dit à propos de la consommation et du système de dépendance au pétrole ni comment cela détruit les cultures indigènes et leurs territoires.
Durant les années 1960, les pétrolières américaines ont découvert le pétrole de l'Amazonie en Équateur et au Pérou. Elles ont délibérément pris la décision d'en verser des barils et des barils dans les rivières, des millions de gallons ainsi que de l'eau usée pour épargner de l'argent. Il en est résulté une crise majeure de santé publique. En Équateur, le gouvernement de l'époque pensait que cette exploitation serait leur salut, que ça allait les sortir du sous-développement et de la pauvreté. Mais, au cours des 60 dernières années cela a créé des disparités économiques, des inégalités, de la corruption, une énorme contamination environnementale et de la pauvreté.
Je pense que Nemonte et son peuple, les jeunes militants.es du climat en Équateur ont fait une démonstration et élevé la conscience de toute la population du pays en lui racontant des histoires, en lui disant : « Vous voyez, nous vivons dans le développement du pétrole et où sommes-nous rendus.es en ce moment ? Il faut que le pétrole reste dans le sol. Nous devons protéger la forêt avec la plus grande biodiversité du monde. Nous devons réveiller nos imaginations, penser à des alternatives économiques, penser à la régénération ».
Et gagner dans le cas du parc Yasuni, de la forêt avec la plus grande biodiversité du monde, c'est ça. C'est ce modèle de démocratie climatique qui est une inspiration pour le monde entier. Avec Nemonte, à Amazon Frontlines, nous sommes un collectif de militants.es occidentaux et de leaders indigènes qui travaillons à mettre fin à l'industrie pétrolière, minière, du bois, à ne pas les laisser entrer dans les forêts, à créer des zones permanentes de protection, mais aussi avec les communautés indigènes à récupérer leurs territoires parce qu'essentiellement, elles sont les propriétaires ancestraux de presque la moitié de ce qui reste de la forêt amazonienne. Ils ne comptent que pour 5% de la population mondiale mais protègent 80% de la biodiversité de toute la planète. Les peuples indigènes sont les propriétaires de 40% des écosystèmes encore intacts sur terre.
Donc, nous avons vu à la semaine sur le climat que la société civile se réveille. Les peuples autochtones mènent la marche, ils partagent leurs histoires, leurs positions, ajoutent à leurs valeurs. Mais nous voyons aussi que les politiciens.nes, les dirigeants.es de compagnies sont encore accrochés.es au pompage jusqu'à la dernière goutte de pétrole dans les forêts et les océans. Nous ne pouvons permettre cela.
A.G. : Et comment a été cette collaboration entre vous pour écrire le livre ? Ce sont les mémoires de Nemonte mais vous avez écrit avec elle We Will Be Jaguars : A Memoir of My People.
M. A. : Vous savez, au cours de ces 15 dernières années, avec Nemonte et son peuple, avec Amazon Frontlines, l'Alliance Ceibo, nous avons gagné beaucoup de batailles. Nous avons fait reculer l'industrie pétrolière, protégé un demi millions d'acres de forêt, créé le précédent pour 7 millions de plus, aidé au mouvement pour sauver Yasuni et réussi à garder 726 millions de barils de pétrole dans le sol.
Nous continuons à recevoir des menaces. Les pétrolières et les minières et en ce moment le gouvernement de l'Équateur, préparent une nouvelle vente aux enchères pour la location de millions d'acres à l'industrie pétrolière internationale juste au moment où nous savons tous et toutes qu'il faut mettre fin à cette production. Il faut que le pétrole reste dans le sol.
Alors, Nemonte m'a expliqué que son père lui avait dit que le peuple Waorani avait toujours su que les étrangers détruisent ce qu'ils ne comprennent pas. Il lui a aussi dit qu'il était temps qu'elle écrive son bouquin pour y décrire l'histoire de son peuple, de sa résistance pour donner une chance au monde de connaitre les peuples indigènes, de comprendre leur conception de la forêt, de comprendre ce qui est en jeu. Elle m'a demandé d'être son collaborateur. Nous sommes partenaires de vie et dans le militantisme. Nous avons fondé ensemble Amazon Frontlines et l'Alliance Ceibo. Elle m'a donc demandé de me joindre à elle pour écrire cette histoire.
Elle vient d'une tradition orale. Nous avons passé des années ensemble à écrire aux petites heures du matin, au lever du soleil, en canot, en marchant dans la forêt. Je l'écoutais me raconter ces histoires. Certaines remontent à la nuit des temps, à des milliers d'années, à des centaines d'années, à ses premiers souvenirs d'enfant, de fillette. Ma mission était de concevoir, avec elle, une manière d'écrire cela avec l'esprit propre aux récits oraux des traditions de son peuple. Ce fut un magnifique processus. Et nous pensons ….Nemonte m'a dit qu'elle pense que ses ancêtres seraient fiers de l'histoire que nous avons produit.
A.G. : Nemonte, amenez-nous dans ce profond parcours. Vous nous faites pénétrer dans votre livre, We Will Be Jaguars. Dites-nous d'abord où vous êtes née en Équateur, en Amazonie, cet endroit où les missionnaires vous ont rejoint. Vous avez dit : « Les auteurs-es de notre destruction sont exactement ceux et celles qui nous prêchaient le salut ». Commencez par nous parler de votre visage et des images qui s'y trouvent. Il y a une teinte de rouge sur vos yeux d'une tempe à l'autre et quel est le sens de votre coiffure ?
N.N. : Durant mon enfance j'ai grandi dans deux univers, très jolis, magnifiques. Je voyais les missionnaires aller et venir autour de nous, nous apportant les paroles de Jésus et je voyais aussi nos grands-parents près de nous, soigner avec des plantes. J'étais une fillette très curieuse. Je voulais découvrir. Je voulais comprendre qui étaient ces gens, ces blancs.hes, et mes grands-parents. Qui étaient-ils ? Donc j'ai grandi en des temps très jolis, vraiment magnifiques parce que sur notre territoire nous vivions encore collectivement à ce moment-là. Nos chakras, nos rivières, notre mode de vie étaient libres dans ce lieu.
Le rocou (colorant d'un beau rouge orangé obtenu du fruit du rocouyer. N.d.t.) fait partie de notre culture. Nous nous peignons les yeux et le front pour nous protéger des mauvaises énergies. Mais aussi, pour les femmes, pour leur beauté. En peignant cette partie de notre visage nous annonçons notre identité, nos origines waoranies, de femme waorani.
La couronne est faite de plumes d'aras. Pour nous c'est un oiseau très sacré. Ils comptaient beaucoup pour nos ancêtres et nous y croyons toujours. Ils se tiennent à la cime des arbres, communiquent entre eux et ensuite ils planifient leur recherche de nourriture. Donc, porter cette couronne signifie que vous êtes une leader liée à sa famille qui protège sa maison et ses communautés.
Le collier signifie aussi que vous êtes une leader. Il représente le pouvoir, celui de la femme. Ça fait partie de notre culture. Il est fait de graines appelées pantomo. On en trouve beaucoup dans la jungle. Nous croyons qu'elles nous protègent des mauvaises énergies et mais aussi qu'elles nous envoient de bonnes vibrations, une bonne énergie. Nous portons ce collier pour aller aux cérémonies et aux réunions.
Ce n'est que depuis 50 ou 60 ans que nous avons des contacts avec l'extérieur, que notre culture est en contact avec le monde extérieur. Il y a maintenant de nouvelles générations et nous réfléchissons à la façon d'exposer nos connaissances ; nos grands-parents sont en train de mourir. Il faut donc que nous passions notre culture aux jeunes, aux jeunes leaders pour qu'ils et elles puissent continuer à protéger le territoire et conserver leur propre langage.
C'est donc très important pour nous de réapprendre, d'avoir notre propre système d'éducation, notre éducation traditionnelle mais en même temps, d'apprendre des autres systèmes comment utiliser nos connaissances pour protéger notre territoire où il y a encore des forêts. Si elles sont en santé, nous le seront nous aussi. Mais si la maladie les atteint, si elles deviennent contaminées nous commencerons à être malades et nous nous dissocieront de nous-mêmes, de nos savoirs, de notre langue, nous perdrons tout comme c'est arrivé à d'autres peuples qui sont disparus depuis 500 ans. Nous ne voulons pas ça. Nous voulons continuer à être des Waoranis.es avec le savoir des deux mondes en valorisant nos principes.
A.G. : Amenez-nous avec vous depuis New York. Qu'est-ce que ce retour chez-vous, en Amazonie en Équateur, va représenter pour vous ? Combien de temps va durer ce voyage ? Vous allez d'abord vous rendre à Quito, la capitale ?
N.N. : Je peux vous en parler. Pour rejoindre mon territoire depuis ici, à New York, nous devons d'abord aller à Quito. De là, nous devons prendre un autobus et voyager pendant cinq heures jusqu'à Puyo, Pastaza. Et de là, faire encore quatre heures de routes jusqu'au bout du chemin où vivent d'autres voisins Quetchuas. Ensuite nous devons pendre un canot pour descendre la rivière jusqu'où le territoire waorani commence.
Ensuite nous nous rendrons dans les communautés de Daipare, Quenahueno et Tonampare où je suis née et où j'ai grandi. Par la suite j'ai déménagé plus bas. Mon père m'a emmenée dans la jungle profonde dans la communauté de Nemompare. J'y suis encore avec mon père. C'est un endroit très éloigné où il y a de grands arbres, des arbres magnifiques, les ceibos (Erythrica crista-galli du nom scientifique. N.d.t.). Il y a aussi beaucoup d'oiseaux des perroquets et beaucoup d'autres. On peut entendre les chants des oiseaux petits et grands. On peut aussi voir les poissons, l'anaconda, le jaguar, les singes rouges qui crient dans la montagne. C'est très, très beau. En arrivant la nuit, si vous levez les yeux, vous voyez le clair de lune, c'est vraiment très beau.
Notre territoire est grand. Il y a trois provinces : Pastaza, Napo et Orellana. Nous vivons collectivement sur ce territoire. Mais une pétrolière opère dans le parc Yasuni où nos frères et sœurs Tagaeri et Taromenane vivent en autarcie volontaire.
Nous essayons de défendre nos droits, de garder nos foyers et d'avoir un espace sans extraction, sans contamination où nous pouvons vivre dans le bonheur et dans la dignité. Et tout ce que nous faisons chez-nous pour nous protéger profite aussi aux autre tribus. Nous profitons de l'oxygène. 80% de la diversité dans les poumons de tous les humains vient de notre territoire. C'est donc mon message : même si nous sommes ici à New York où ailleurs nous nous sentons en liens avec vous.
Nous devons commencer à travailler ensemble, collectivement comme femmes. Je travaille beaucoup avec les femmes de ma communauté parce que comme femmes nous sommes aux avant-postes. Nous prenons soin de nos corps, de notre santé. Donc c'est mon message. J'apporte l'esprit des femmes de la jungle. C'est pour cette raison qu'il est dans mon livre. J'espère que vous allez tous et toutes le lire pour vous reconnecter à Mère nature, à l'amour de vous-mêmes, a la spiritualité pour vous soigner ensemble, pour faire face aux menaces qui ne vont pas s'arrêter. Je suis sûre que la menace ne s'arrêtera pas. Comme femme nous devons apprendre à bien dire les choses. Femmes indigènes et non indigènes, nous devons travailler ensemble.
A.G. : Ici aux États-Unis vous venez de gagner un prix que vous allez bientôt recevoir. Le prix humanitaire Hilton de la Fondation Conrad Hilton. Ce sont deux millions et demi de dollars pour votre groupe, Amazon Frontlines. Pouvez-vous nous dire ce que cela signifie pour vous et ce que vous prévoyez en faire ?
N.N. : Cette reconnaissance est très importante pour moi. C'est très important de montrer ce que nous faisons avec nos partenaires aussi, montrer que nous pouvons fournir des ressources aux communautés indigènes parce que nous sommes sur le front à combattre les changements climatiques. Cela va nous aider à développer notre organisation, à élaborer nos structures et à nous battre contre cette menace qui est là tous les jours.
Mais si cette reconnaissance n'est pas une solution elle va nous aider à être plus visibles, à faire valoir notre lutte et à la présenter à d'autres acteurs. La menace est très forte et le peuple indigène ne peut être le seul sur la ligne de front. Donc, le monde entier doit s'assembler et lutter pour des changements dans l'avenir.
A.G. : Mitch, vous êtes co-fondateur de Amazon Frontlines. Qu'est-ce que cela signifie pour votre organisation ?
M.A. : Amazon Frontlines est une organisation d'indigènes et d'occidentaux. Pour nous ce prix est une validation de notre modèle. C'est une validation que le leadership indigène est aux premières lignes. C'est une validation de son importance comme administrateurs.trices de leurs territoires. C'est la validation par le monde qui reconnait que pour faire face à la crise climatique les indigènes doivent être vus.es, structurés.es et soutenus.es dans leur pouvoir, qu'on doit leur fournir les ressources dont ils et elles ont besoin pour poursuivre les protections contre toutes ces menaces.
Nous allons recevoir des sommes importantes. Nous allons intervenir avec ceux et celles sur la ligne de front qui sont avec les communautés qui mènent la lutte contre les industries pétrolières et minières. Nous allons aussi nous en servir, grâce à la visibilité qu'il nous donne, pour augmenter nos ressources, pour augmenter notre travail, notre impact et nous assurer que nous pouvons protéger la totalité du Haut Amazone, une des forêts contenant le plus de biodiversité dans le monde, un lieu de capture du carbone. C'est encore un puits de carbone et c'est un des endroits avec le plus de diversité culturelle de la planète. Oui, nous sommes extrêmement fiers.es, reconnaissants.es, honorés.es et humbles. Nous allons apporter ces ressources sur la ligne de front.
A.G. : En terminant, (s'adressant à Nemonte n.d.t.), pouvez-vous regarder directement la caméra et partager votre message avec le monde ?
N.N. : Mons message est que la forêt et Mère nature sont importantes. Nous devons les aimer, nous lier à elles. Nous devons revenir aux liens, soigner nos corps parce que nous donnons la vie. Je vous apporte le message que nous les peuples indigènes sommes minoritaires mais nos territoires sont plus grands, comme notre diversité et nous allons donner vie à la planète.
La menace arrive chaque jour ; elle vient du système. Notre responsabilité est collective. Les peuples indigènes, les leaders féminines indigènes ne sont pas seuls.es a devoir porter cette responsabilité. Nous devons faire alliance avec des femmes qui ne sont pas autochtones pour nous unir et agir pour notre mieux-être et celui de nos enfants.
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Elections au Brésil : la gauche a besoin de dire son nom, mais elle ne peut pas continuer à parler toute seule

Les défaites ont des effets contradictoires. Une fois absorbées, elles peuvent constituer une expérience d'apprentissage importante et favoriser la progression du mouvement. Mais cette assimilation n'est jamais automatique. C'est pourquoi le résultat immédiat des défaites est la désorganisation de la pensée, la confusion, la démoralisation et, dans les cas extrêmes, la paralysie. Face à la défaite, des explications rapides et faciles émergent, préparées à l'avance. Les ingénieurs du prêt-à-penser émergent, les prophètes du passé. Et la recherche des coupables commence.
Je souffre : quelqu'un doit bien en être coupable.
Friedrich Nietzsche
31 octobre 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Illustration : Le diable assis, 1890. Mikhail Vrubel
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72431
Selon nous, il s'agit d'une victoire de l'extrême droite. La presse institutionnelle fait tout ce qu'elle peut pour la présenter comme un triomphe du centre-droit, mais il s'agit d'une analyse purement instrumentale. Son objectif est de masquer les relations du centrão avec l'extrême droite, ouvrant ainsi plus d'espace pour la formation d'un grand front anti-gauche pour 2026.
« Selon nous, il s'agit d'une victoire de l'extrême droite. La presse institutionnelle fait tout ce qu'elle peut pour la présenter comme un triomphe du centre-droit, mais il s'agit d'une analyse purement instrumentale. Son objectif est de masquer les relations du centrão avec l'extrême droite, ouvrant ainsi plus d'espace pour la formation d'un grand front anti-gauche pour 2026. »
La très forte personnalisation de la politique, résultat de la défaite historique qu'a été l'effondrement de l'Union soviétique, donne encore plus de force à ce mécanisme. On tente d'expliquer les défaites non plus par le jeu des forces entre classes et partis, mais uniquement par la subjectivité. Le volontarisme est une caractéristique de notre époque. Je peux tout faire. Et si je ne peux pas, il faut en rechercher les responsables.
L'exemple le plus flagrant de cette entreprise est l'effort déployé par les médias (qui a de grandes chances de réussir) pour présenter un personnage grossier comme Tarcísio de Freitas comme un modéré et même un démocrate, plutôt que comme ce qu'il est vraiment : un véritable produit du bolonarisme le plus torve (voir sa « révélation » sur le « Salve » du PCC le jour de l'élection) [1].
Pour commencer, analysons les conditions dans lesquelles se sont déroulées ces élections. Quelques thèmes peuvent être rapidement mentionnés :
a) Le contrôle du Congrès sur la répartition du budget dans un système (en pratique) semi-parlementaire, ce qui a conduit à un taux élevé de réélection des maires qui ont bénéficié d'amendement améliorant leur situation budgétaire alors que le gouvernement fédéral reste lié par le cadre fiscal qu'il a lui-même mis en place ;
b) La progression et la systématisation de la précarité, avec une masse gigantesque de la population jetée dans la jungle de la survie individuelle et de l'« esprit d'entreprise », ce qui a conduit à la diffusion à grande échelle de l'idéologie de la réussite individuelle et de l'idée que les droits sociaux sont nuisibles parce qu'« ils empêchent d'apprendre à pêcher » ;
c) La dégradation et la démoralisation des services publics de santé, d'éducation, de transport, d'assainissement, d'aide sociale et autres, ce qui crée dans la population le sentiment que ces services sont déjà perdus à jamais et qu'il est vain d'en attendre quoi que ce soit ou de se battre pour leur rétablissement ;
d) Le haut niveau d'engagement, de mobilisation et de motivation de l'extrême droite qui, même dans l'opposition (ou peut-être précisément à cause de cela), reste très cohérente sur les questions programmatiques essentielles, même si la personnalité de Bolsonaro est remise en question ; e) L'absence de changement réel dans la vie des gens depuis l'élection de Lula, avec des concessions permanentes au centre, une extrême timidité dans les mesures sociales et l'absence de toute lutte idéologique contre l'extrême droite ; f) Le degré de fusion entre la politique et la religion, avec la propagation (irrésistible jusqu'à présent) des cultes fondamentalistes néo-pentecôtistes qui enrégimentent politiquement leurs fidèles ; g)La campagne permanente des médias institutionnels et de la droite autour de la sécurité et de la corruption comme principaux problèmes du pays, en les associant toujours à la gauche (« qui veut le pouvoir pour voler » et « défend les escrocs ») ; h) La propagation de la panique morale autour des questions de droits reproductifs, de l'identité sexuelle et de la guerre contre la drogue ; i) La satanisation des mouvements sociaux auxquels la gauche est traditionnellement associée, tels que le Mouvement des sans-terres (MST), les syndicats, les mouvements féministes, noirs et étudiants et, plus récemment, les mouvements indigènes et environnementaux ; j) Le grand front unique anti-gauche, qui s'étend de l'extrême droite à la grande presse et qui mène des attaques frénétiques contre les candidats du camp progressiste, aussi modérés qu'ils puissent être.
Bien d'autres éléments pourraient être énumérés, mais il nous semble que ce sont les plus essentiels et les plus caractéristiques pour ce qui concerne cette élection.
Dans ce contexte, il est légitime de se demander : avons-nous commis des erreurs ? Les choses auraient-elles pu être différentes ? Nous ne sommes pas de ceux qui méprisent l'importance de l'intelligence en politique. Au contraire, dans les différents articles publiés sur ce site, nous avons insisté sur le fait que, précisément en raison des conditions difficiles dans lesquelles nous nous trouvons, la flexibilité tactique, les manœuvres, les retraites temporaires, les changements de cap, la capacité à percevoir le sentiment exact et la volonté de lutter de la classe afin de formuler la ligne correcte, tout en gardant nos principes intacts et en poursuivant la lutte à long terme pour dépasser radicalement cette société et son système, sont plus nécessaires que jamais. Il faut également faire preuve d'une capacité d'audace intelligente, en profitant des positions acquises pour attaquer sur les flancs les plus vulnérables de l'ennemi, afin de le faire reculer. Céder sans cesse des territoires (pas plus que l'offensive permanente) n'a jamais été une bonne politique.
L'histoire connaît d'innombrables exemples où l'intelligence politique a changé le cours des choses. En fait, cela arrive tout le temps. Changer le cours des événements est précisément l'essence de l'activité politique, en particulier de la politique communiste.
Mais il n'est pas vrai que cela soit toujours possible, et à n'importe quelle échelle. Cela dépend des conditions concrètes. À notre avis, la raison de la défaite de la gauche dans ces élections réside beaucoup plus dans les facteurs objectifs que sont les rapports de force que dans les erreurs subjectives liées à la tactique politique.
São Paulo : Boulos était-il trop radical ?
« La récente interview de Jilmar Tatto ne laisse aucun doute sur la stratégie qui guide la façon de voir d'une aile du PT : il faut intégrer la Mairie à tout prix. Faisant le bilan de l'élection, Tatto regrette que Nunes ait rejeté un rapprochement avec le PT et le gouvernement dans le cadre d'une alliance de centre. C'est la politique de la capitulation ».
Confrontés à la défaite de l'alliance dirigée par le PSOL à São Paulo, certains secteurs du PT ont émis l'hypothèse que, d'une manière générale, tous les arrangements politiques et accords entre les partis conclus pendant la période préélectorale étaient erronés : Boulos aurait un profil trop radical ; le PSOL aurait une implantation sociale trop faible ; le poids important accordé aux questions de race et de genre empêcherait le dialogue avec la masse de la population qui se focalise sur les « problèmes concrets ». La solution serait donc un recul encore plus grand sur le plan du programme, dans la recherche d'alliances qui dissoudraient le caractère de gauche du front pour le rapprocher d'un agrégat amorphe et centriste.
Ce type de bilan ne tient pas compte du fait qu'en 2020, Boulos est arrivé au second tour des élections avec un profil encore plus radical et une alliance encore plus clairement à gauche, tout en étant parfaitement capable de dialoguer avec la population qui était loin de le connaître aussi bien qu'aujourd'hui. Dans le même temps, le candidat du PT, Jilmar Tatto, qui incarnait exactement la conception d'une candidature plus modérée et de centre-gauche, n'avait recueilli que 8,65 % des voix, tandis que Boulos a obtenu 20,24 %, ce qui lui avait permis de se qualifier pour le second tour.
En d'autres termes, il n'existe pas de règle selon laquelle un candidat plus modéré et de centre-droit est toujours meilleur qu'un candidat avec un profil de gauche plus affirmé. C'est pourquoi la comparaison avec 2020 et la conclusion selon laquelle la candidature de Boulos était trop radicale en 2024 est erronée, car elle ignore le facteur principal : la détérioration de la situation politique.
De plus, il convient d'être concret. Boulos a mené une campagne qui parlait de logement, de transport, d'éducation et de la pénétration du crime organisé dans la mairie. Aurait-il dû renoncer à ces points fondamentaux ? En même temps, il a su établir un dialogue avec un public qui ne constitue pas un électorat traditionnel de la gauche : il s'est adressé aux conducteurs de VTC, aux livreurs, aux petits entrepreneurs, aux commerçants, aux pasteurs évangéliques. La campagne a balayé un large spectre politique et social et ne peut en aucun cas être taxée de sectaire ou d'égocentrique. La récente interview de Jilmar Tatto ne laisse aucun doute sur la stratégie qui guide l'approche d'une aile du PT : il faut intégrer l'hôtel de ville à tout prix. Faisant le bilan de l'élection, Tatto regrette que Nunes ait refusé un rapprochement avec le PT et le gouvernement dans le cadre d'une alliance au centre. C'est la politique de la capitulation.
Boulos était-il trop modéré ?
L'évaluation selon laquelle Boulos était trop radical et celle selon laquelle il était trop modéré commettent toutes deux la même erreur méthodologique : elles ignorent la réalité objective.
Boulos n'a pas été battu à São Paulo à cause d'un supposé « recul programmatique », mais parce que, face à la droitisation du processus (Nunes et Marçal ont obtenu ensemble 2/3 des voix), l'ancien leader du MTST (mouvement des travailleurs sans toit) est apparu trop radical.
Boulos n'a pas été battu à São Paulo à cause d'un prétendu « recul programmatique », mais parce que, face à la droitisation du processus (Nunes et Marçal ont obtenu ensemble 2/3 des voix), l'ancien leader du MTST est apparu trop radical, trop à gauche, trop socialiste pour une bourgeoisie qui a embrassé Bolsonaro, légitimé Marçal et rejoint Tarcísio dans un front sans principes pour empêcher la victoire du PSOL. Nous avons été vaincus en raison de ce que nous faisons le mieux : notre relation avec les mouvements sociaux, notre combativité dans les luttes pour la défense des droits, notre opposition aux privatisations, à l'incarcération massive des jeunes Noirs et pour d'autres « péchés originels » de la gauche ".
D'autres analyses affirment que le « repli programmatique » de Boulos a découragé la base militante, ce qui aurait affaibli la campagne et contribué à sa défaite. Il est vrai qu'une campagne visant à atténuer le rejet et à engager le dialogue avec un secteur qui n'est pas de gauche peut ne pas mobiliser pleinement l'avant-garde qui tient à affirmer son idéologie. À de nombreux moments, il y a eu un manque d'équilibre entre le dialogue de masse et la mobilisation de l'avant-garde. Des actions comme celle du début de la campagne sur la place Roosevelt contre Bolsonaro ou les actions de la dernière semaine auraient pu être plus nombreuses, mais cela n'aurait pas inversé le résultat, qui ne s'est pas joué sur une différence étroite. Par ailleurs, nous ne pouvons pas oublier l'énorme effort réalisé par les militant.e.s lors de ces élections : la mobilisation, les marches, les « autocollants », les « vols de nuit », la distribution de tracts, les réunions avec les communautés, etc. etc. etc. Il est vrai qu'il y a eu un moment de découragement chez les militant.e.s, mais ce n'est pas à cause de Boulos. C'est à cause du résultat du premier tour qui a ébranlé tout le monde. Ce qu'a réussi à faire la campagne de Boulos (surtout au moment le plus difficile), c'est exactement le contraire : ne pas baisser la tête, assumer ses responsabilités, relancer les découragé.e.s et mener une campagne militante, en polarisation permanente avec la droite, contre toute la machine étatique et municipale et la presse à grand tirage.
Même du point de vue du programme, bien que l'on puisse signaler des erreurs, il faut admettre qu'un combat idéologique très difficile a été mené. Quelques exemples le montrent clairement : la remise en question de la privatisation d'Eletropaulo (aujourd'hui Enel) et de SABESP ; le point sur les mouvements sociaux et la lutte pour le logement, rrepris à chaque fois que le candidat était interrogé ; l'importance de la dimension morale pour l'enseignant, à la fois comme professionnel et comme être humain ; la défense des fonctionnaires ; l'engagement à annuler la confiscation des 14% ; un traitement identique par la police municipale pour l'ouvrier d'Heliópolis et pour le médecin du quartier huppé des Jardins. La « Lettre au peuple de São Paulo » elle-même n'avait rien à voir avec la « Lettre au peuple brésilien » [de Lula] en 2002. Il s'agissait d'une recherche de dialogue non pas avec les entrepreneurs, le marché financier et la classe moyenne effrayée, mais avec les travailleurs précaires qui ne se considèrent pas comme des travailleurs et ne se sentent pas inclus dans la défense des droits en général, à la fois parce qu'ils n'ont plus rien et parce qu'ils sont sous l'emprise de l'individualisme ultra-néolibéral qui profite à l'extrême-droite.
La campagne à São Paulo a cherché à établir le dialogue avec une conscience plus à droite qu'en 2020. En ce sens, l'adaptation du discours n'a pas représenté une trahison de classe, car les questions concrètes les plus importantes sont restées à l'ordre du jour. N'oublions pas que nous sommes parvenus au second tour par une faible différence de voix et même avec l'aide d'une erreur de l'ennemi le jour du scrutin. La campagne n'a pas toujours été réussie, bien sûr. Il n'y a pas de campagne sans erreurs. Mais la rectification de ces erreurs, qui doivent être discutées ouvertement, se traduirait pas une différence qualitative dans le sens d'une amélioration.
La conclusion selon laquelle nous avons perdu parce que nous n'avons pas fait de travail dans les zones périphériques est également erronée. On ne peut pas dire que Boulos et le MTST ne sont pas dans la périphérie ou que le fait de débattre de questions concrètes dévalorise le programme. Boulos a cherché à dialoguer avec la périphérie, où il est l'une des seules forces politiques de la gauche radicale à être présente, et cela ne se fait pas en déclamant nos idées sans échanger avec les gens et ce qu'ils ont dans la tête. Des millions de travailleurs ont renoncé à être déclarés légalement et sont allés vendre quelque chose dans la rue ou sur internet. Que leur disons-nous ? Que leurs conditions de vie anciennes seront immédiatement rétablies ? C'est notre programme historique, mais dans cette situation spécifique, ce ne serait pas vrai. Il faut donc un certain nombre de médiations, et c'est ce que Boulos a cherché à trouver.
La question fondamentale ne concerne pas la tactique, le discours ou la figure de Boulos, mais le fait que la classe ouvrière est réellement gagnée à des idées qui sont étrangères à ses intérêts. Dans ces conditions, Boulos est le meilleur allié possible pour mener à bien le combat idéologique dans les zones périphériques. Boulos est une alternative au renoncement à travailler avec les mouvements sociaux de la part de la droite du PT. Et c'est une excellente nouvelle ! Mettre la campagne dans le même sac que les erreurs de la direction du PT, c'est lutter contre les faits.
Quelques leçons de 2024 et le rôle du PSOL
Le résultat des élections montre qu'il y a eu un changement négatif dans les rapports de forces depuis 2022. La diversification des candidats d'extrême droite aux élections ne reflète pas leur faiblesse et leur « division » au sens négatif du terme, mais une réorganisation considérable et une lutte pour le rôle dirigeant au sein d'un mouvement qui a pris de l'ampleur. Il y avait un grand espace pour eux, même divisés, et un espace minoritaire pour nous, même unifiés, comme à São Paulo.
Le lulisme est la seule force politique et sociale capable de disputer le pouvoir à l'extrême droite. Mais il est nécessaire de dire les choses telles qu'elles sont. Pour nous éviter une catastrophe en 2026, le PT et le gouvernement doivent changer d'attitude.
Il s'est également avéré que le lulisme est la seule force politique et sociale capable de disputer le pouvoir à l'extrême droite. Mais il faut dire les choses crûment. Pour éviter une catastrophe en 2026, le PT et le gouvernement doivent changer d'attitude : à ce stade, près de deux ans de mandat, il ne suffit pas de favoriser les améliorations économiques et sociales (même si elles sont centrales). Il est nécessaire de politiser l'espace électoral couvert par le lulisme, de transformer ce qui est actuellement une base purement électorale et profondément dépendante de la personnalité de Lula en une force politico-idéologique. Les gens votent pour Lula, mais ils ne soutiennent pas les idées de gauche. C'est aussi pour cela que nous perdons du terrain.
La conclusion selon laquelle la voie à suivre consiste à faire de plus en plus de concessions à la droite, à Faria Lima et au centre serait désastreuse pour 2026. Nous avons besoin de politiques sociales et économiques audacieuses, de préserver et d'étendre les droits, de remettre sur la table le débat sur les privatisations, sur l'autonomie de la Banque centrale, sur la crise climatique, sur la transition énergétique et sur la souveraineté nationale. Allumer une flamme d'espoir dans le cœur des gens. Le gouvernement doit être à l'avant-garde de ce mouvement.
En ce sens, la tâche de défendre le gouvernement contre l'offensive de l'extrême droite reste à l'ordre du jour, puisque Lula est le principal instrument pour battre électoralement Bolsonaro en 2026. Mais il nous faut aussi combattre pour que la gauche s'oriente dans le sens de la déclaration de Boulos : se battre pour que nos idées pénètrent dans la conscience des gens, et ne pas reculer encore plus.
Pour toutes ces raisons, le PSOL est fondamental en tant que parti porteur d'une idéologie et d'un programme résolument tourné vers la lutte contre les inégalités sociales. En s'appuyant sur l'autorité politique acquise par Boulos (mais aussi par d'autres figures du parti, nos parlementaires et nos militant.e.s), nous pouvons jouer un rôle très important dans le combat idéologique contre l'extrême droite. Cela ne dispense pas de maintenir la lutte pour le front uni de la gauche, qui devient encore plus nécessaire. Sans cela, toute lutte idéologique, aussi bien intentionnée et acharnée soit-elle, se heurtera à la violence des rapports de forces qui nous sont hostiles.
Le résultat obtenu est désolant parce qu'il montre que, malgré tous les efforts déployés, nous avons perdu des positions. Cela nous frustre, nous fatigue et nous décourage. Mais nous sommes du genre à garder la tête haute, à serrer les dents et à aller de l'avant. Nous n'avons pas commencé avec cette élection et nous allons continuer, plus conscients, plus forts, en corrigeant les trajectoires. Ce qu'il y a de beau dans la politique, c'est que, malgré les limites que nous imposent nos forces, il est possible de peser sur la réalité.
Glória Trogo et Henrique Canary
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL
Source : Esquerda online, site du courant « Reistencia » du PSOL
https://esquerdaonline.com.br/2024/10/31/a-esquerda-precisa-dizer-seu-nome-mas-nao-pode-ficar-falando-sozinha/
Notes
[1] Sans fournir de preuves, le gouverneur de São Paulo avait déclaré que l'organisation criminelle « Primeiro Comando da Capital » (PCC) avait appelé à voter pour le candidat du PSol en utilisant le nom de code « Salve » (ndt).
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L’Ouganda, carrefour de la résistance soudanaise en exil

Cet été, l'équipe de Sudfa s'est rendue en Ouganda, pays frontalier du Soudan du Sud, qui est un des principaux foyers d'accueil des réfugié·es soudanais·es depuis le début de la guerre. Les politiques d'accueil ougandaises leur ont permis de faire renaître à l'étranger une véritable vie culturelle et politique soudanaise, et de poursuivre les objectifs de la révolution en exil.
Tiré du blogue de l'auteur.
L'Ouganda, foyer d'accueil des réfugiés soudanais
Depuis le début du conflit au Soudan, des millions de Soudanais·e·s ont été contraints de fuir leur pays, cherchant refuge dans les pays voisins. Parmi les destinations privilégiées, l'Ouganda s'est imposé comme l'un des principaux pays d'accueil, abritant des milliers de réfugié·e·s soudanais dès les premières heures du conflit.
Lors de notre visite à Kampala, nos échanges ont révélé que le choix de nombreux·ses Soudanais·e·s de se rendre en Ouganda n'était pas dû au hasard. En effet, l'Ouganda est perçu comme l'un des pays les plus sûrs de la région, un véritable havre de paix en comparaison avec les troubles qui affectent nombre de ses voisins. Ce pays d'Afrique de l'Est s'est bâti une solide réputation grâce à son approche généreuse et humanitaire envers les réfugiés. Contrairement à d'autres pays, l'Ouganda offre aux réfugié·e·s soudanais·e·s un accueil inconditionnel, notamment à travers la délivrance rapide de documents officiels, un fait confirmé par tou·te·s les réfugié·e·s soudanais·e·s rencontré·e·s lors de notre visite.
L'une des principales raisons pour lesquelles les Soudanais·e·s choisissent l'Ouganda réside dans la rapidité avec laquelle les autorités délivrent des cartes de résidence valables pour cinq ans. Cette mesure permet aux réfugié·e·s de se sentir rapidement intégré·e·s et de bénéficier d'une certaine stabilité dans un contexte où beaucoup ont tout perdu. Dès leur arrivée, ils et elles peuvent ainsi commencer à reconstruire leur vie.
De plus, l'Ouganda se distingue par sa politique d'accueil inclusive. Contrairement à d'autres pays, les réfugié·e·s soudanais·e·s peuvent entrer sur le territoire ougandais sans passeport valide, une situation fréquente pour de nombreux Soudanais. Les autorités ougandaises comprennent la gravité de la situation et adaptent leur approche pour faciliter l'accueil des personnes en détresse.
L'Ouganda a également été, depuis longtemps, un refuge important pour les militant·e·s soudanais·e·s. A l'époque du régime autoritaire d'Omar el-Béchir, de nombreux·ses opposant·e·s et activistes soudanais·e·s ont trouvé en Ouganda un lieu où ils et elles pouvaient s'organiser et militer sans craindre de représailles. Ainsi, Kampala (la capitale de l'Ouganda) est devenue un foyer de la résistance politique soudanaise, attirant des milliers de militant·e·s espérant, depuis cet exil, contribuer à un avenir meilleur pour leur pays.

Organiser la résistance politique en exil
Depuis le début de la guerre civile en avril 2023, des milliers de militant·e·s, intellectuel·le·s et activistes soudanais·e·s se sont rassemblé·e·s à Kampala. Leur objectif est clair : « organiser la résistance, sensibiliser la communauté internationale à la crise qui ravage le Soudan, et œuvrer à une solution politique durable », comme l'a affirmé El-Mahboub, un militant arrivé à Kampala après le début de la guerre, lors d'un échange que nous avons eu sur place. En effet, Kampala abrite aujourd'hui des centaines de collectifs et associations qui militent sur des sujets variés, allant de l'aide humanitaire à la défense des droits.


L'exil à Kampala ne se limite pas à la résistance politique. La ville est également devenue un carrefour culturel où la culture soudanaise connaît une renaissance. De nombreux·ses militant·e·s ont ouvert des centres culturels, comme le groupe féministe soudanais « Les Gardiennes », qui a créé un espace de débat et de refuge pour les femmes réfugiées. Ce centre sert à la fois de lieu d'échange d'idées sur les droits des femmes et d'hébergement pour celles qui en ont besoin. Samria, une activiste féministe, a souligné que des dizaines de femmes y trouvent refuge, appelant cet espace le « Safe Space ».
Un autre exemple est l'association Hub Développement, qui vise à créer un espace de dialogue vivant entre Soudanais en exil. Ce lieu se veut une plateforme ouverte où toutes les opinions sont les bienvenues, avec l'espoir d'établir les bases d'un dialogue inclusif pour l'avenir du Soudan. Lors d'un événement auquel nous avons assisté à Kampala, Ahmed Al-Haj, coordinateur de l'association, nous a expliqué que : « Cette dynamique de réflexion reflète la volonté de la diaspora soudanaise de contribuer activement à la reconstruction politique et sociale du pays, même depuis l'étranger ».

Par ailleurs, l'association Adeela s'efforce de faire revivre la culture soudanaise en exil. À travers des événements culturels et artistiques, elle œuvre à préserver l'héritage soudanais tout en l'adaptant à la réalité des réfugiés. L'association organise des expositions d'art, des projections de films, et des débats sur l'identité culturelle soudanaise, créant un lien entre le passé et l'avenir. Lors de notre visite, nous avons assisté à une pièce de théâtre en l'honneur du centenaire de la révolte de 1924, dirigée par Ali Abdel Latif contre la colonisation britannique.

Un mini-Soudan au cœur de Kampala : recréer son monde en exil
Au centre de Kampala, un quartier particulier s'est formé, caractérisé par ses boutiques, restaurants, et ambiances qui recréent un fragment du Soudan en exil. Les habitant·e·s appellent cette zone « Down-Town ». Des centaines de réfugié·e·s et de membres de la diaspora soudanaise s'y rassemblent quotidiennement, non seulement pour faire leurs courses, mais aussi pour échanger sur la situation dans leur pays ravagé par la guerre.
Avec l'escalade récente des conflits au Soudan, ce quartier s'est transformé en un véritable « mini-Soudan ». Les vitrines des magasins portent des enseignes en arabe, rappelant leur pays d'origine. Les commerces offrent des produits typiquement soudanais, des épices aux tissus en passant par l'artisanat local.

Les réfugié·e·s soudanais·e·s se retrouvent dans les cafés et restaurants pour échanger des nouvelles, partager des plats traditionnels, et renforcer leurs liens de solidarité. Ces rencontres sont un moyen de se détendre et d'échapper temporairement aux difficultés de l'exil. Ce quartier offre ainsi un soutien moral essentiel, permettant à chacun·e de se sentir un peu plus proche de son pays.
En plus d'être un espace culturel, ce mini-quartier soudanais offre des opportunités économiques pour les réfugiés. Beaucoup y trouvent du travail, que ce soit dans la vente, la restauration, ou la gestion de petites entreprises. La création d'emplois dans ce quartier est cruciale pour ces réfugié·e·s, dont beaucoup ont perdu tous leurs moyens de subsistance en quittant le Soudan. Ces commerces leur offrent une certaine stabilité économique, tout en participant à la vie de Kampala.

Là où beaucoup de médias occidentaux sont focalisés sur les migrations à destination de l'Europe, il faut rappeler, une fois de plus, que la majorité des migrations, notamment en provenance du Soudan, ne se font pas vers le Nord et vers l'Europe, mais bien dans le Sud, en Afrique, et notamment vers des pays comme le Ouganda. Pour reprendre le titre du fameux roman de l'écrivain soudanais Tayeb Saleh, « Saison d'une migration vers le Nord », la dernière guerre au Soudan a bien marqué le début d'une nouvelle « Saison d'une migration vers le Sud », vers les pays africains voisins. Bien qu'invisibles dans le champ médiatique, ces migrations sud-sud sont le point de départ, très intéressant, de nouvelles cultures hybrides, d'entraide, de renaissance culturelle et de résistance politique en diaspora.

Équipe de Sudfa Media
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Pourquoi le conflit du Sahara occidental perdure ?

Au Sahara occidental se déroule un des derniers conflits de décolonisation. En 1973, alors que ce territoire est encore occupé par l'Espagne (1884-1976), le Front Polisario, un mouvement politique et armé, est créé pour lutter contre l'Espagne, avant de s'opposer au Maroc et à la Mauritanie. Il dit agir au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et proclame la République arabe sahraouie démocratique (RASD) reconnue par l'Union africaine (UA).
Tiré d'Orient XXI.
Le Maroc revendique ce territoire de longue date. Au milieu des années 1970, et alors qu'il est confronté à la revendication indépendantiste du Front Polisario, le roi Hassan II est très affaibli par deux coups d'État perpétrés par l'armée en 1971 et 1972. Il décide de faire ce qu'il appelle la « récupération des provinces du sud », une cause nationale lui permettant l'union de tous les Marocains autour de son trône. Le pouvoir mobilise 350 000 personnes qui marchent pacifiquement sur le Sahara que les Espagnols viennent de quitter : c'est « la Marche verte » (6 novembre 1975). Grâce à elle, Hassan II fait taire son opposition, s'empare pacifiquement du territoire contesté. Il s'entend avec l'Espagne et la Mauritanie sur le partage de cette ancienne colonie, et signe les accords de Madrid (14 novembre 1975), qui seront ratifiés par le parlement espagnol, mais jamais reconnus par les Nations unies.
Une rivalité entre le Maroc et l'Algérie
En 1975, l'Algérie bouscule ces arrangements en décidant de soutenir le Front Polisario. Alger dit agir au nom du droit à l'autodétermination, mais sa rivalité avec Rabat est ancienne. Les deux pays sont divisés par la question de leur frontière tracée par la France du temps de la colonisation et qui a généreusement avantagé l'Algérie.
Dès lors, deux conflits s'enchevêtrent, un conflit de décolonisation et un autre qui oppose Alger à Rabat. Tandis que le Maroc revendique les « droits historiques » pour définir son territoire matérialisé par la carte du « Grand Maroc », dessinée en 1956, l'Algérie estime que son territoire a été obtenu par le sang des martyrs de la guerre d'indépendance. Dans leur affrontement, Alger et Rabat instrumentalisent la question du Sahara occidental.
Aujourd'hui, Rabat administre 80 % de ce territoire contesté et considéré comme non autonome par l'ONU. De son côté, Alger soutient, héberge, et finance le Front Polisario et les réfugiés sahraouis. Les deux grands États du Maghreb s'affrontent par Sahraouis interposés, contribuant à rendre inextricable la décolonisation de l'ancienne colonie espagnole.
L'Organisation des Nations unies (ONU), qui se voit confier le règlement du conflit en 1991, échoue à appliquer un règlement consistant à mettre en place un plan d'autonomie d'une durée de cinq ans, avant que les populations concernées puissent s'exprimer par voie référendaire. La difficulté consiste à définir le corps électoral, puisque Rabat a encouragé nombre de Marocains à s'installer dans le territoire.
Le Front Polisario s'est engagé récemment dans une bataille juridique contre l'exploitation et la commercialisation des ressources naturelles du Sahara par le Maroc. Tandis que Rabat a usé de son soft power pour amener le plus grand nombre d'États à reconnaître ce que le Maroc appelle la « marocanité » du Sahara. En décembre 2020, sa stratégie est couronnée de succès avec la signature d'un accord entre le Maroc et les États-Unis qui stipule que Rabat normalise ses relations avec Tel-Aviv en contrepartie de la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Le pays bénéficie désormais d'un double parrainage, israélien et américain, qui lui permet de disposer de ressources stratégiques l'aidant à s'affirmer comme une puissance régionale importante. Dans la foulée, Rabat incite les capitales européennes à accepter ce que l'ONU ne lui a pas donné, c'est-à-dire sa souveraineté sur ce territoire. Il utilise tous les moyens, y compris une diplomatie du chantage, la rupture des relations diplomatiques et commerciales, le contrôle des flux migratoires, etc. Berlin et Madrid ont été les premiers à céder.
La France a longtemps hésité. L'ancienne puissance coloniale des pays du Maghreb a essayé une politique d'équilibre, inscrivant ce conflit de décolonisation dans le temps long et se référant aux options qu'offre le droit international, même si elle avait appuyé le plan d'autonomie du Sahara proposé par le Maroc en 2007.
Le changement de cap s'est opéré le 30 juillet 2024, lorsque, par une lettre adressée au roi Mohamed VI, le président Emmanuel Macron précise que « le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Ce changement semble dicté par des intérêts économiques et stratégiques sur le court terme. C'est évidemment une victoire pour le soft power marocain, qui reflète aussi l'affaiblissement de l'Algérie, au plan interne et au niveau régional.
Alors qu'elle était un pays clé du mouvement des non-alignés dans les années 1970, dont la puissante diplomatie avait été capable de conduire de délicates négociations, notamment entre les États-Unis et l'Iran (1979-1981), l'Algérie se cherche aujourd'hui un rôle. En août 2023, elle échouait à rejoindre le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Elle peine à rajeunir une diplomatie et à freiner une perte d'influence que l'on a pu observer, notamment en Libye ou au Sahel.
Sur le Sahara occidental, l'Algérie partage avec le Maroc le fait de considérer ses interlocuteurs en fonction de leur positionnement sur ce dossier. Au fil des ans, alors que le Maroc abandonnait l'option référendaire, Alger s'est arc-boutée sur le principe d'autodétermination, rendant impossible toute négociation sur une sortie de crise. Le conflit s'en est trouvé gelé ce qui est préjudiciable aux Sahraouis d'abord, à l'ensemble des Maghrébins ensuite, dans la mesure où elle empêche l'intégration de la région. Désormais, l'Algérie perçoit la coopération entre le Maroc et Israël comme une menace, ce qui ajoute à la crispation et éloigne un peu plus le règlement de la question du Sahara occidental.
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95 morts dans des inondations à Valence : la région, le gouvernement et le patronat sont responsables !

Le Courant révolutionnaire des travailleurs (CRT), organisation révolutionnaire dans l'Etat espagnol, revient sur la catastrophe écologique qui a fait au moins 95 morts à Valence. La solidarité avec les victimes implique de dénoncer la responsabilité de ceux qui ont transformé une catastrophe naturelle en un crime social.
30 octobre 2024 | tiré du site de Révolution permanente
Nous traduisons une déclaration initialement parue en espagnol sur izquierdadiario.es.
Au cours des dernières 24 heures, la province de Valence et les régions frontalières, Albacete et Cuenca, ont connu les pluies les plus intenses du siècle. La « goutte froide » [1], a commencé mardi soir et a surpassé la précédente « goutte froide » de 2019. Les précipitations se dirigent maintenant vers la Catalogne et l'Aragon, mais aussi vers le sud-est de l'Andalousie.
A 15 heures ce mercredi, le bilan provisoire était de 70 morts et des dizaines de personnes sont toujours portées disparues [2]. Une tragédie qui va sans doute dépasser le bilan des dernières grandes inondations de 1982 et 1987, qui avaient fait respectivement 38 et 81 morts.
Mardi, des centaines de milliers de personnes ont été surprises par des torrents d'eau alors qu'ils se trouvaient à leur travail ou à leur domicile, ou bien sur la route. Des milliers de personnes ont passé la nuit sur les toits des maisons ou de leurs voitures sans aucune communication possible. Les inondations ont détruit plusieurs routes et autoroutes, tandis qu'une coupure de courant a affecté 150 000 personnes. Les réseaux téléphoniques ont été indisponibles dans une grande partie de la région et la totalité du trafic ferroviaire a dû être suspendu.
La CRT (Courant Révolutionnaire des Travailleurs et des Travailleuses, organisation sœur de Révolution Permanente dans l'État Espagnol, NdT), exprime sa solidarité avec les victimes et envoie tout son soutien aux travailleurs et travailleuses des équipes de secours qui risquent leur vie.
Une catastrophe naturelle et un crime social
Nous sommes confrontés à une catastrophe naturelle, dont l'ampleur ne peut être séparée de l'augmentation des phénomènes extrêmes produits par le réchauffement climatique, résultat de l'irrationalité capitaliste et de l'inaction absolue des États capitalistes pour y mettre un terme.
Mais en plus de ces responsabilités fondamentales, et contre ceux qui cherchent à présenter cette tragédie comme un évènement imprévu face auquel rien ne pouvait être fait, le gouvernement valencien, celui de Pedro Sánchez et le patronat ont aujourd'hui les mains tachées de sang.
Le gouvernement PP [3] à la tête de la région, dirigé par Carlos Mazón avec le soutien de Vox [4] au Parlement, a fait du démantèlement des services publics sa marque de fabrique. Ils sont donc de ceux qui ont détruit les services indispensables pour faire face à une telle situation. Peu après être arrivé au pouvoir, une de leurs premières mesures a été la dissolution de la « Unidad Valenciana de Emergencias » (Unité Valencienne des Urgences), une décision présentée comme un exemple de « restructuration du service public ».
Cette unité avait été créée lors des derniers mois du gouvernement régional du PSPV (Parti Socialiste) et Compromís (coalition de gauche et écologiste, NdT), mais n'avait en réalité jamais réellement fonctionné. Aussi, alors que les « progressistes » valenciens critiquent le PP et Vox, il est nécessaire de rappeler qu'eux non plus n'avaient pas pris de mesures efficaces pour renforcer les services d'urgence lors de leur mandat. Et cela, précisément, dans une région comme Valence sujette à des phénomènes comme les pluies torrentielles et les inondations périodiques.
Leurs profits avant nos vies
En outre, la gestion de l'inondation et l'absence de la mise en place de mesures immédiates pour protéger la population ont révélé un niveau d'incompétence qui n'est pas seulement le fait de l'inaptitude du gouvernement du PP.
Le gouvernement régional a envoyé mardi à 13 heures un message de calme et a assuré à 18 heures que le pire était passé. C'est dans ces coordonnées qu'ils ont été évacués de leurs confortables bureaux, alors que des milliers de personnes étaient déjà piégées entre des torrents d'eau dans l'attente d'un secours qui n'arrivait pas.
La raison de ces appels au calme est loin d'être innocente. Comme dans beaucoup d'autres crises, la priorité a été donnée au maintien de l'activité économique et sociale, malgré le risque que cela représentait pour des centaines de milliers de Valenciennes et de Valenciens. La bureaucratie des grands syndicats a gardé un silence complice et, à l'heure actuelle, n'a toujours pas dénoncé cette décision.
Le gouvernement central du PSOE et Sumar n'a non plus choisi de décréter des mesures d'urgence, bien qu'il contrôle directement les agences météorologiques de l'Etat qui surveillaient la situation.
Des centaines de milliers de travailleurs ont ainsi été envoyés au travail et des centaines de milliers d'enfants et de jeunes à l'école. Une répétition de la gestion de la pandémie, lorsque le gouvernement de PSOE et d'Unidas Podemos avait suspendu la fermeture des activités non essentielles au milieu de la première vague et sans même avoir fourni de masques à l'ensemble de la population.
Contre les lamentations hypocrites du gouvernement de Valence et du gouvernement national : cinq mesures d'urgence pour faire face à cette crise
Mardi, la priorité, une fois de plus, a été accordée aux profits des entreprises plutôt qu'à nos vies. Ce mercredi, tous les partis du régime se lamentent hypocritement sur la catastrophe. La droite au pouvoir à Valence veut cacher sa responsabilité directe dans la gestion de la crise. Le gouvernement Sánchez et Díaz cherchent à masquer qu'ils ont laissé faire Mazón et ses alliés.
Ensemble, ils promettent désormais « toutes les aides publiques » nécessaires à la reconstruction. Il est certain que les entreprises de la région les recevront bientôt. Pour les familles de travailleurs qui ont tout perdu, c'est moins sûr. Les victimes de la catastrophe du volcan de La Palma en 2021, attendent toujours l'indemnisation qui leur permettra de retrouver un logement.
La solidarité avec les victimes des inondations implique de dénoncer les responsables qui ont transformé cette catastrophe naturelle en un nouveau crime social. Nous exigeons des mesures urgentes et immédiates qui fassent passer nos vies avant leurs profits :
· Renforcement de tous les services d'urgence disponibles dans l'État espagnol pour garantir le sauvetage immédiat de toutes les victimes et la recherche des disparus.
· Suspension de toutes les activités non essentielles, sans réduction de salaire et à la charge des bénéfices des grandes entreprises. Les familles de travailleurs et les classes populaires doivent disposer du temps et des ressources nécessaires pour pouvoir reconstruire leur vie et se remettre de cette tragédie.
· Création d'un fonds spécial de reconstruction à la charge du budget général de l'État et alimenté par des taxes spéciales sur les grandes entreprises valenciennes et du reste de l'État.
· Des commissions d'enquête indépendantes, composées de représentants des victimes et des syndicats, afin de clarifier les responsabilités politiques et économiques dans ce qui s'est passé.
· Renforcement du corps d'urgence - santé, pompiers, équipes de secours - et nationalisation de tous les services externalisés et privatisés.
Notes
[1] une dépression de haute altitude qui provoque des pluies soudaines et extrêmement violentes, NdT
[2] A 22 h ce mercredi, le bilan est désormais de 95 morts
[3] Le Partido Popular, de centre droit
[4] Parti d'extrême droite
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La société civile se mobilise déjà contre la future loi immigration de Bruno Retailleau

Aux premières loges face au basculement de la droite à l'extrême droite sur l'immigration, les associations s'inquiètent du sort à venir des migrants dans le pays. Avec les intellectuels engagés, elles se mobilisent contre la loi immigration et tentent d'organiser la riposte.
23 octobre 2024l| Politis - hebdo N° 1833 | Photo : Manifestation à Paris contre la loi immigration de Gérald Darmanin, en janvier 2024. © Myriam Tirler / Hans Lucas / AFP
https://www.politis.fr/articles/2024/10/asile-la-societe-civile-se-mobilise-deja-contre-la-future-loi-immigration-de-bruno-retailleau/
Michel Barnier et Bruno Retailleau main dans la main avec les ministres italiens des Affaires étrangères et de l'Intérieur, Antonio Tajani – « ami » du premier ministre français – et Matteo Piantedosi, proche de Matteo Salvani, chef de la Ligue, parti d'extrême droite. Les quatre politiciens se sont retrouvés pour lutter, selon eux, contre le « désordre migratoire », vendredi 18 octobre, à Menton, dans les Alpes-Maritimes.
Une rencontre qui n'a provoqué que de rares critiques, principalement à gauche, et une réelle inquiétude parmi les associations et les militants pour les droits des migrants. Leur constat est unanime : la répression contre les exilés s'accentue, hélas pour le pire. « Ce qui est grave, c'est que faire preuve d'humanité ne devrait pas être réservé à la gauche mais transcender les partis politiques », déclare à Politis l'agriculteur et militant Cédric Herrou.
ZOOM : Le naufrage de la France
Connu pour sa bataille acharnée contre les autorités pour faire reconnaître aux exilés leur droit à un accueil digne et faire respecter le droit d'asile à la frontière franco-italienne, Cédric Herrou était présent vendredi à un rassemblement à Menton, avec une vingtaine de militants de gauche, contre la mise en scène de l'alliance entre le gouvernement Barnier avec celui, post-fasciste, de son homologue Giorgia Meloni.
« La droite républicaine manque à l'appel. Nos politiciens n'ont plus aucune colonne vertébrale, s'insurge-t-il. Pendant qu'ils font des discours pour faire monter la peur contre les étrangers, nous, on crève de trouille face aux tempêtes qui ravagent la vallée. Les conséquences du réchauffement climatique, c'est ça notre principale préoccupation, pas l'immigration. » Il est vrai qu'à droite même des personnalités longtemps considérées comme plus modérées sur le sujet, telles que Gérard Larcher, Jean-François Copé ou encore Valérie Pécresse, semblent désormais s'aligner sur le RN.
La présidente de la région Île-de-France s'est notamment prononcée en faveur de l'instauration de quotas d'immigration et implore le gouvernement de supprimer les 50 % de réduction dans les transports pour les personnes sans-papiers. L'extrême droite voit en Bruno Retailleau le meilleur VRP de ses idées.
François Fillon a joué un rôle charnière dans le basculement de la droite à l'extrême droite.
F. Héran
Pour la députée du Rassemblement national Laure Lavalette,« quand on écoute Bruno Retailleau, on a l'impression que c'est un porte-parole du RN ». Pour un proche de Marine Le Pen, le nouveau locataire de Beauvau permet même de « changer de culture, de radicaliser tout le monde […]. Il est plus conservateur que nous ! », estime cette source auprès de Radio France.
D'ailleurs, lorsqu'on lui demande ce qui le différencie du RN, le Vendéen refuse de répondre, arguant que la question est un « vieux piège de la gauche ». Pour le professeur au Collège de France François Héran, le basculement de la droite a eu lieu lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012) avec François Fillon, candidat malheureux de la droite à la présidentielle en 2017.
« C'est lui qui a joué un rôle charnière dans le basculement de la droite à l'extrême droite en s'en prenant aux juges européens qui annulaient des décisions françaises illégales sur les migrants pendant le quinquennat », précise ce spécialiste des migrations, citant les mémoires de l'ancien conseiller de Matignon Maxime Tandonnet (Au cœur du volcan, éd. Flammarion, 2014). « Comme premier ministre, il a défendu un projet de démocratie illibéral, ce même projet qui a été ensuite repris par Retailleau et Wauquiez », affirme-t-il.
« On est dans un moment d'accélération »
Emmanuel Macron n'a pas enrayé cette dérive. Au contraire, alors qu'il insistait sur la nécessité d'une intégration rapide des immigrés, avec des procédures simplifiées, le tout dans un cadre européen, lors de sa campagne en 2017, le président a trahi ses engagements une fois arrivé à l'Élysée. Il autorise la création de « hot spots » en Libye et se donne pour objectif « de n'avoir aucun migrant dans les rues d'ici fin 2017 ».
Un an plus tard, un premier projet de loi « asile et immigration » défendu par Gérard Collomb voit le jour, à la grande satisfaction de la droite. Sa majorité tire la langue et des soutiens de la première heure le lâchent. « La situation était terrible », se rappelle Pierre Henry, ancien directeur général de France Terre d'asile, qui a soutenu le candidat en 2017, avant d'en être « déçu ». « Cette première loi a été un point de bascule en rompant avec le principe d'égalité qui fonde notre république ».
Gérald Darmanin déjà se félicitait que la France soit condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme.
F. Carrey-Conte
La nouvelle loi immigration prévue par le gouvernement Barnier s'inscrit dans cette trajectoire. « On est dans un moment d'accélération mais tout cela ne vient pas de nulle part », soutient Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade. « Les remises en cause de l'État de droit ne datent pas de Bruno Retailleau, Gérald Darmanin déjà se félicitait que la France soit condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour soi-disant protéger les Français. » Mais Gérald Darmanin prenait soin de ne pas aller trop loin, en tout cas de son point de vue.
« Quand on adhère à l'UE, on adhère à la Convention européenne des droits de l'homme. Les Républicains ne sont plus dans cette logique et sont à deux doigts de défendre un Frexit », balance un proche de l'ancien ministre de l'Intérieur.
Reste que la préférence nationale, les quotas, le délit de séjour irrégulier, le renvoi des étudiants étrangers, ou encore la restriction du regroupement familial et du droit du sol – des mesures contenues dans la loi sur l'immigration adoptée fin 2023 par le Parlement et censurées par le Conseil constitutionnelavec le soutien de l'exécutif – devraient servir « de base pour le nouveau projet de loi sur l'immigration », selon le successeur de Darmanin. Ce dernier ne verrait pas d'un mauvais œil la future loi du nouveau gouvernement, selon nos informations.
Désormais, l'exécutif lorgne « le modèle albanais », qui tente de délocaliser la procédure de demande d'asile dans des entreprises italiennes installées en Albanie, pour des personnes qui ont débarqué de Méditerranée. Un système « inhumain et absurde » selon les associations interrogées, qui a déjà du plomb dans l'aile alors qu'un tribunal de Rome a invalidé la rétention des douze premiers migrants, avec un retour express sur le sol italien.
Face à ce premier revers juridique, Michel Barnier temporise. S'il a confirmé dansLe JDD, journal d'extrême droite, dimanche 20 octobre, qu'il y aurait bien un projet de loi immigration, ce dernier porterait d'abord sur « la transposition du pacte » sur la migration et l'asile voté au printemps au Parlement européen, l'actuel locataire de Matignon ne s'est pas plus avancé sur le reste : « Nous allons également avancer sur tous les abus et tous les détournements », s'est-il contenté de déclarer.
Déshumanisation
À ces initiatives politiques nauséabondes s'ajoute une dégradation brutale des conditions d'accueil et de vie des migrants au sein dans les centres de rétention administrative (CRA), en France. Tentatives de suicide, grèves de la faim, violences mais aussi absence d'hygiène : ces centres concentrenttoutes les carences actuelles de l'État en la matière. « Les conditions de travail pour les associations sont de plus en plus difficiles, l'enfermement est utilisé comme un outil d'expulsion, ce qui conduit à la maltraitance des personnes retenues », confirme Fanélie Carrey-Conte, de la Cimade, l'une des quatre associations mandatées par l'État pour accompagner les retenus dans les CRA.
En 2023, 36 % des 17 000 étrangers placés dans ces centres en métropole ont été expulsés, selon l'association. Un chiffre actuellement en baisse. En 2021, 42 % des personnes enfermées avaient été expulsées. Malgré les remontées alarmantes sur les conditions d'enfermement, Bruno Retailleau veut allonger la durée de rétention dans les CRA de 90 à 210 jours.
Le tour de vis s'observe aussi au niveau des administrations. « Auparavant, on arrivait à dialoguer avec un préfet, un secrétaire général de préfecture, un chef de service ou des fonctionnaires, maintenant tout ça, c'est terminé. On se retrouve face à un mur et des rendez-vous administratifs sur ordinateur », déplore l'ancienne présidente de la Cimade Geneviève Jacques, qui a pourtant connu le ministère Pasqua au milieu des années 1990, peu suspect de laxisme à l'égard des immigrés.
Les préfectures ne répondent plus, donc les tribunaux administratifs sont submergés de recours et les personnes sont en détresse.
P. Henry
« Les préfectures ne répondent plus, donc les tribunaux administratifs sont submergés de recours et les personnes sont en détresse », acquiesce Pierre Henry. « Il y a une déshumanisation croissante dans le regard porté sur les immigrés par certains médias et les politiciens », regrette Geneviève Jacques, qui continue de tenir des permanences au sein de la Cimade.
La vénérable association, qui œuvre depuis la Seconde Guerre mondiale pour conseiller juridiquement les étrangers en attente d'expulsion, se retrouve plus que jamais dans le viseur de la place Beauvau. Aux mauvaises conditions de travail matérielles et humaines s'ajoute en effet un « procès en sorcellerie » de la part du ministère de l'Intérieur : « Ces associations sont juges et parties », affirme Bruno Retailleau au Figaro Magazine le 2 octobre.
Le nouveau ministre n'en fait pas mystère, il aimerait les évincer des CRA pour confier leurs missions de conseil juridique à l'État, une vieille lune de la droite. « C'est une petite musique de discrédit et de remise en cause des associations qui nous affaiblit petit à petit », s'alarme Fanélie Carrey-Conte, alors que la Cimade est tout particulièrement visée par les derniers locataires de la place Beauvau.
L'association fait régulièrement l'objet de menaces, comme l'avait révélé Politis au moment du vote de la dernière loi immigration, sans aucune réaction de l'exécutif.
Le discours général sur l'immigration de l'extrême droite relayé par la droite via le gouvernement Barnier et une partie de la Macronie est d'autant plus insupportable qu'il ne correspond pas à la réalité. La France est en effet la lanterne rouge de l'Europe en matière d'asile. « Les demandes d'asile et l'immigration sont en hausse partout en Europe mais la part prise par la France est très faible. On est 15 % de la population européenne et 18 % du PIB européen et on a accueilli 5 % des réfugiés du Proche et Moyen-Orient », observe François Héran.
Bruno Retailleau prétend qu'il est pragmatique, c'est faux, c'est un dogmatique.
F. Héran
Le modèle italien, observé avec « bienveillance » par le gouvernement Barnier, semble moins répondre à une logique anti-immigration qu'à un affichage électoral : « C'est d'une hypocrisie incroyable, Meloni a diminué un peu les arrivées des petites embarcations de la Méditerranée tout en mettant en place un programme d'importation de travailleurs migrants. On évoque 500 000 personnes en trois ans, ce qui est considérable », précise François Héran.
« Bruno Retailleau affirme qu'il veut non seulement diminuer l'immigration illégale mais aussi l'immigration légale. Or le gouvernement Meloni part du principe qu'il ne pourra diminuer l'immigration illégale qu'en augmentant l'immigration légale. Bref, les mesures annoncées par Bruno Retailleau sont absurdes et inefficaces. Il prétend qu'il est pragmatique, c'est faux, c'est un dogmatique », cingle le professeur au Collège de France.
« Garder espoir »
Face à cette nouvelle donne, militants, associations et partis politiques de gauche tentent de trouver la parade. « Il faut qu'on reste très fermes sur nos principes et les valeurs que l'on défend, affirme Fanélie Carrey-Conte. L'un des leviers, ce sont les dynamiques d'alliance et de partenariat dans la société civile avec les syndicats, les associations, etc. ».
Pour Cédric Herrou, le gouvernement Barnier devrait arriver à faire passer son texte. « Ça va entraîner plus de malheurs, avec des conséquences négatives », soupire l'agriculteur. « Il y a de quoi avoir peur mais au quotidien, on rencontre aussi des initiatives individuelles ou collectives dans les villes et les villages pour accueillir dignement des réfugiés et des migrants, contre l'extrême droite. Il faut garder espoir », affirme Geneviève Jacques.
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