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Gauches et droites latino-américaines dans un monde en crise

29 octobre 2024, par Eric Toussaint , Franck Gaudichaud — ,
Nous publions la préface rédigée par Franck Gaudichaud et Éric Toussaint à la demande de la revue cubaine Temaspour un livre coordonné par Julio César Guanche à paraître en (…)

Nous publions la préface rédigée par Franck Gaudichaud et Éric Toussaint à la demande de la revue cubaine Temaspour un livre coordonné par Julio César Guanche à paraître en Argentine sous le titre Izquierdas y derechas en America latina.

Tiré du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM)
19 juin 2024

Par Eric Toussaint , Franck Gaudichaud

Emergentes + Hernán Vitenberg para Emergentes (CC BY-NC 4.0)

Le monde de ces dernières années a été marqué par de multiples crises. On pourrait parler d'une « polycrise » globale, intersectionnelle et interconnectée du capitalisme néolibéral : turbulences politiques et économiques profondes, guerres et violences armées, effondrement accéléré des écosystèmes et du climat, pandémies et extractivismeprédateur, redéfinitions brutales des équilibres géopolitiques et tensions inter-impérialistes, etc. Une fois de plus, l'humanité traverse des ouragans et des défis majeurs dans un moment historique où, manifestement, sa survie même en tant qu'espèce et son (in)capacité à habiter collectivement et pacifiquement cette planète sont d'ores et déjà en jeu. La grande révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg déclarait, dans les années 1910, alors qu'il était minuit dans le siècle dernier : socialisme ou barbarie ! Ce slogan résonne très fort aujourd'hui [1], dans un contexte où les peuples et les mouvements populaires continuent de résister, de se mobiliser, de débattre, de proposer, mais sans parvenir à surmonter la fragmentation structurelle, ni - pour l'instant - à voir des forces politiques émancipatrices ayant une réelle capacité à accompagner, consolider ces résistances et construire un cap à moyen terme pour des alternatives démocratiques et éco-sociales « raizal », pour citer le sociologue colombien Orlando Fals Borda (1925-2008).

Cependant, si l'on observe les Amériques « latines » et les Caraïbes au cours des deux dernières décennies, les terres de Berta Cáceres (1971-2016), José Carlos Mariátegui (1894-1930) et Marielle Franco(1979-2018) semblent chercher de nouvelles voies sociales et politiques, réveillant les espoirs de la gauche mondiale, au-delà de la chute du mur de Berlin et d'un néolibéralisme vorace. « Tournant à gauche », « vague progressiste », « fin du néolibéralisme », « marée rose » : l'inflexion sociopolitique vécue par de nombreux pays d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale dans les années 2000 a surpris beaucoup d'observateurs et d'observatrices et même fasciné beaucoup d'autres, notamment en Europe [2]. Le défi - en particulier pour des pays comme la Bolivie, le Venezuela et l'Équateur, qui ont construit un narratif et une promesse « transformatrice » - était de trouver des voies politico-électorales et nationales-populaires avec une clé « post-néolibérale » et anti-impérialiste. Pour certains militant.e.s et mouvements, il ne s'agissait pas seulement de « démocratiser la démocratie », mais aussi de ne pas rester enfermé dans un nouveau modèle fondé sur l'extractivisme des matières premières, la soumission au marché mondial et diverses formes de colonialisme interne et externe.

Plus de 20 ans après le début de ce « cycle », nous pouvons constater à quel point cet objectif de transformation n'a pas été atteint, bien qu'à des rythmes et des réalités très différents selon les scénarios régionaux et nationaux d'Abya Yala[3]. Obstacles et difficultés, désenchantement et désillusion ont été communs à plusieurs pays gouvernés par la gauche et le « progressisme », sans qu'une dynamique homogène ne soit perceptible. Parallèlement, les forces conservatrices et les nouvelles extrêmes droites ont su capitaliser sur ce contexte de crises multiples, pour imposer de nouveaux récits politiques et culturels furieusement « antiprogressistes », soutenus par les grands groupes médiatiques et par les oligarchies économiques locales et impériales, afin, in fine, de se poser en « alternatives populaires » : Javier Milei est le dernier maillon de cette chaîne réactionnaire globale [4]. Nayib Bukele Ortez, réélu à la présidence du Salvador en février 2024, a développé un style de gouvernement qui rappelle l'expérience de la présidence de Rodrigo Duterte aux Philippines entre 2016 et 2022, durant laquelle des milliers d'exécutions extrajudiciaires contre des secteurs populaires « lumpénisés » ont été menées par les forces répressives sous son contrôle au nom de la lutte contre le trafic de drogue. Daniel Noboa, élu président de l'Équateur en 2023, pourrait tenter d'aller dans ce sens.

Comme le montre ce livre, il est essentiel d'établir un bilan critique et argumenté des dernières décennies, du point de vue des sciences sociales et de leur méthodologie, en approfondissant et en débattant les essais et les publications qui tentent de décrypter l'Amérique latine d'aujourd'hui. L'objectif est d'analyser dans sa complexité changeante la période ouverte dans les années 2000 (avec l'élection d'Hugo Chávez en 1999), produit des luttes sociales et populaires contre l'hégémonie néolibérale de la période précédente. Un premier sursaut suivi d'une multiplicité de victoires électorales permettant un relatif « âge d'or » (entre 2005 et 2011) de la gauche et des gouvernements progressistes, avec diverses formes d'État compensateur et redistributeur, une baisse notable de la pauvreté et de nouvelles formes de participation politique, période suivie d'un net reflux régional, d'une baisse du prix des matières premières et d'une embellie conservatrice (2011-2018), marquée - entre autres - par la crise profonde de la « révolution bolivarienne », débouchant sur le moment chaotique post-pandémique des dernières années (2019-2023), où l'on a assisté à la victoire de Bolsonaro au Brésil, à la confirmation des dynamiques de droite en Équateur, mais aussi à des soulèvements populaires au Chili, en Haïti, en Colombie, au Pérou et en Équateur. Dans le même temps, une troisième nouvelle « vague » de gauches institutionnelles( ou « progressisme tardif » selon Massimo Modonesi), clairement limitée (par rapport au début du siècle), a commencé à prendre forme au Chili avec l'élection de Gabriel Boric (2021), en Colombie avec la victoire de Gustavo Petro (2022), Honduras avec la présidence de Xiomara Castro (2022), Guatemala avec l'élection de Bernardo Arévalo en 2023 mais aussi - depuis 2018 - avec l'élection de Manuel López Obrador au Mexique ou en 2020 avec le retour démocratique du Mouvement pour le Socialisme (MAS) en Bolivie.

Cet ouvrage collectif, coordonné par le chercheur Julio César Guancheet publié par la revue cubaine Temas, nous invite à comprendre ces processus à partir de différents points de vue, géographies et sensibilités. L'intérêt principal de cette publication est de couvrir les réalités politiques et sociales de plusieurs pays : l'Argentine, le Brésil, le Chili, l'Équateur, le Mexique, le Pérou et Cuba, à partir d'un examen critique des continuités et des nouveaux phénomènes dans la région, en particulier les transformations sociales et culturelles souterraines qui sous-tendent les changements politiques en cours. Ainsi, ce livre pluraliste traite des processus de gauche ou « progressistes » au pouvoir, ainsi que des processus conservateurs et réactionnaires. Il décrit les dimensions plébéiennes du populisme ou de l'extrême droite (en Équateur, au Brésil et au Pérou), et décrypte les contradictions des progressistes au pouvoir. Si les auteurs envisagent ici les aspects partisans et institutionnels (par exemple, à propos de la droite équatorienne ou de la gauche chilienne et mexicaine), ce n'est pas sans laisser de côté le vaste champ des mobilisations collectives et de la société civile organisée : mouvements sociaux afro-descendants, luttes féministes et anti-féministes, mouvements religieux fondamentalistes, mouvements indigènes sont tous présents dans cet opus. Sans aucun doute, la diversité des approches et des origines des chercheurs inclus ici, qui ont tous une longue histoire de travail et de vie dans différents pays de la région, permet au lecteur d'offrir une vision intéressante, plurielle et contrastée du continent à l'heure actuelle.

Le politologue Noberto Bobbio, dans son ouvrage désormais classique, Droite et gauche, essai sur une distinction politique [5] a souligné de manière convaincante que la distinction des deux pôles de ce binôme peut être un bon point de départ pour réfléchir à une carte politique. Dans cette distinction, Bobbio part de l'axe liberté/égalité pour classer les forces politiques : les droites revendiquant de manière privilégiée le concept de « liberté » (du marché et/ou de l'individu en particulier) et les gauches celui d'« égalité » (et d'émancipation sociale et collective). En transposant cette réflexion à l'Amérique latine et aux Caraïbes, et en rompant avec les visions eurocentriques, il serait nécessaire d'introduire un ensemble d'autres concepts pour penser cette distinction, tels que la colonialité du pouvoir et les conceptions nationales/plurinationales de l'État, les notions de souveraineté populaire et d'anti-impérialisme, les droits des peuples indigènes et les rapports sociaux de race ou de genre, les modèles de développement et les modèles socio-environnementaux, etc. Au-delà de ces caractérisations, ce sont surtout les zones grises et les recoins des espaces sociopolitiques latino-américains actuels que ce livre confirme, des espaces qui ne se résument pas à une simple dichotomie gauche/droite. Cette publication propose des versions actualisées de textes parus dans un dossier de la revue Temas en 2022. Dans leur présentation, les coordinateurs notent à juste titre :

« L'arrivée de nouveaux gouvernements de gauche et de centre-gauche identifiés comme la « marée rose » en Amérique latine et dans les Caraïbes ne fait que renvoyer à un phénomène électoral, dont l'environnement politique est plus complexe. En son sein coexistent des différences stratégiques, des croisements de bases sociales entre les zones de gauche et les zones conservatrices, comme le néo-évangélisme, le rejet de l'autoritarisme de certains mouvements progressistes, des critiques sur les questions de genre, la justice raciale et environnementale, les revendications des peuples indigènes, et d'autres sujets à l'ordre du jour politique, comme la transition énergétique, la perpétuation de l'extractivisme et sa corrélation avec un système de démocratie populaire, qu'il s'appelle socialisme ou non« . Bien qu'ils aient perdu des sièges au gouvernement, les courants conservateurs ont gagné une base populaire, comme le reflète non seulement leur représentation parlementaire, mais aussi le renforcement du consensus néolibéral parmi ces autres bases, sur la »liberté« et la »démocratie« et contre le »populisme". Ces courants n'ont pas cessé d'utiliser la répression pour maintenir un régime d'inégalité caractérisé par une grande dévastation sociale ». [6]

Plus que jamais, les réalités latino-américaines montrent la turbulence des sociétés et de l'ensemble des forces politiques : une situation dans laquelle l'extrême droite « libertarienne » et « anarcho-capitaliste » est capable de faire un ratissage électoral dans des secteurs populaires précaires, alors que dans le même temps, des courants politiques émergeant du cœur de la gauche incarnent des pratiques autoritaires ou sont déconnectés des mouvements sociaux, féministes ou écologistes. C'est ce que confirment plusieurs chapitres du livre et ce que souligne Daniel Kersffeld, rappelant que le progressisme a été marqué ces dernières années par diverses formes de caudillisme, de corruption, d'acceptation d'un modèle de développement extractiviste, ou encore par la mise en œuvre de politiques de « main de fer » et de militarisation, qui semblaient jusqu'à récemment être le « patrimoine politique » de la droite. Dans un autre chapitre, la chercheuse et militante féministe antiraciste Alina Herrera Fuentes souligne que le conservatisme patriarcal ne vient pas seulement des rangs de la droite :

« Les parcours nationaux des progressistes ont été et sont profondément fragiles et discontinus. À certaines périodes et sur certaines questions, des progrès ont pu être accomplis, mais ils se sont arrêtés à d'autres moments. Par exemple, alors que le taux de pauvreté global a diminué, la féminisation de la pauvreté a augmenté au cours de cette période. En d'autres termes, la pauvreté a globalement diminué, mais les femmes ont moins bénéficié que les hommes des politiques qui ont permis d'atteindre cet objectif (ONU Femmes 2017). Mais surtout, ce sont les politiques qui remettent en cause les normes traditionnelles de la famille et de la sexualité - comme l'avortement, le mariage homosexuel, la reconnaissance de l'identité de genre et, dans certains cas, la violence fondée sur le genre - qui ont été le plus entravées par le conservatisme des dirigeants ou directement par les alliances entre les hommes politiques au pouvoir et le néoconservatisme religieux en expansion. Les preuves à cet égard infirment l'hypothèse selon laquelle, par définition, la politique de gauche remet en question les croyances et les hiérarchies conservatrices, avec une base religieuse implicite ou explicite ».

Bien entendu, ces observations n'effacent pas le bilan positif des années 2000-2010 en termes de lutte contre la pauvreté, de progrès des politiques publiques en matière d'éducation, de santé ou de construction de logements, de conquête de processus constituants originaux (Bolivie, Équateur, Venezuela), l'élan bolivarien pour une intégration régionale indépendante des Etats-Unis (UNASUR, CELAC, ALBA), le développement d'une nouvelle diplomatie Sud-Sud, notamment grâce à Hugo Chávez, qui a tenté de privilégier un axe de gauche anti-impérialiste, et dans une certaine mesure à Lula, qui a favorisé l'accroissement de l'influence de son pays dans la région et l'axe des BRICS. En ce qui concerne les politiques internationales de Lula et de Dilma Rousseff, il serait utile de prendre en compte et d'actualiser l'analyse faite par l'auteur marxiste brésilien Ruy Mauro Marini (1932-1997) dans les années 1960, lorsqu'il a qualifié le Brésil de « sous-impérialisme ». Comme le note Claudio Katz :

« Ruy Mauro Marini ne s'est pas contenté de ressasser les vieilles dénonciations du rôle oppressif des États-Unis. Il a plutôt introduit le concept controversé de »sous-impérialisme« pour décrire la nouvelle stratégie de la classe dirigeante brésilienne. Il a décrit les tendances expansionnistes des grandes entreprises affectées par l'étroitesse du marché intérieur et a perçu leur promotion de politiques étatiques agressives pour faire des incursions dans les économies voisines ». [7]

Alors qu'Hugo Chávez soutenait activement le projet ALBA avec Cuba, avec l'appui notamment de la Bolivie et de l'Équateur, et jetait les bases d'une Banque du Sud, Lula a donné la priorité au renforcement du rôle régional et international du Brésil en tant que puissance régionale, coordonnant l'intervention militaire en Haïti (ce qui convenait parfaitement à Washington) et participant activement au lancement des BRICS en 2009 avec la Russie, la Chine et l'Inde (auxquels s'est ajoutée l'Afrique du Sud en 2011). Hugo Chávez avait besoin de la protection du Brésil de Lula contre le danger posé par Washington, et espérait beaucoup de son soutien à la création de la Banque du Sud. Bien que l'acte fondateur de la Banque ait été signé à Buenos Aires - en décembre 2007 - par les présidents brésilien Lula, argentin Néstor Kirchner, bolivien Evo Morales, vénézuélien Hugo Chávez et paraguayen Nicanor Duarte Fruto, le Brésil a effectivement paralysé la mise en œuvre de la Banque [8]. La Banque du Sud n'a jamais fonctionné [9] et aucun crédit n'a été accordé au cours des quinze années qui ont suivi sa création. En fait, Lula a favorisé l'utilisation de la Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES) pour la politique de crédit dans la région. Cette banque accorde des crédits à de grandes entreprises brésiliennes comme Odebrecht, Vale do Rio Doce, Petrobras, etc. afin qu'elles puissent étendre et renforcer leurs activités à l'étranger [10]. Par la suite, Lula a soutenu le lancement des activités de la Nouvelle Banque de Développement (NBD) créée par les BRICS, basée à Shanghai et présidée à partir de 2023 par Dilma Rousseff [11]. Lula a également favorisé le Mercosur, qui correspondait aux intérêts du grand capital brésilien. L'avortement de la Banque du Sud doit être inclus dans l'évaluation critique de la première vague du progressisme. De même que l'isolement relatif de l'Équateur en 2007-2009 dans sa décision d'auditer sa detteet de suspendre le paiement d'une grande partie de celle-ci, en la déclarant illégitime. L'Équateur a remporté une victoire éclatante contre ses créanciers privés, mais son exemple n'a pas été suivi par les autres pays de la région, malgré les promesses faites lors de la réunion des chefs d'État de la région qui s'est tenue au Venezuela en juillet 2008, et contre la volonté du président Fernando Lugo (Paraguay) de suivre l'exemple de l'Équateur [12].

Ainsi, à l'heure du bilan, on perçoit toutes les nuances, les revers et les limites de ce premier cycle, tributaire d'équilibres fragiles et transitoires, qui a laissé place à une recomposition de la droite et même à des figures fascisantes (Bolsonaro, Kast, Milei, Añez, Bukele, etc.). En fait, si ce livre parle de « gauches et de droites » au pluriel, il explore aussi la notion même de « progressisme ». Cette caractérisation est présente dans presque tous les chapitres, mais que signifie aujourd'hui le progressisme latino-américain : la crise du processus bolivarien au Venezuela, les timides réformes du jeune président Boric au Chili, le « populisme de gauche » d'AMLO ? Ce mot est par excellence conceptuellement vaste et ambigu, devenant un mot insaisissable et en même temps omniprésent. En fait, il est intéressant de rappeler que « cette notion de progressisme appartient au langage par lequel, historiquement, la gauche marxiste a désigné les programmes et les forces sociales et politiques sociaux-démocrates, populistes ou nationaux-populistes qui cherchaient à transformer et à réformer le capitalisme en introduisant des doses d'intervention et de régulation de l'État et de redistribution des richesses : dans le cas de l'Amérique latine, avec un net accent anti-impérialiste et développementaliste. Ce dernier aspect, aujourd'hui présenté comme le »néo-développementalisme« , est lié à la notion de progrès et contribue à définir l'horizon et le caractère du projet, ainsi que les critiques qui, à partir de perspectives environnementalistes, écosocialistes ou postcoloniales, remettent en question l'idée de progrès et de développement, tant dans leurs expressions au cours des siècles passés que dans leur prolongement au XXIe siècle ». [13]

Nous pensons que ce livre montre que des ambiguïtés et des points de fuite peuvent également être trouvés lorsqu'il s'agit de définir les droits du temps présent, le conservatisme ou même la nouvelle extrême-droite. Cependant, ce que les cas de l'Équateur analysé par Franklin Ramírez Gallegos, du Brésil présenté par Luiz Bernardo Pericás et du Pérou (article de Damian A. Gonzales Escudero) soulignent, c'est qu'une base commune pour la consolidation et la radicalisation de la droite actuelle est la confrontation frontale avec le progressisme, que ce soit dans ses aspects nationaux-populaires ou de centre-gauche. C'est ce que confirme un pays, aujourd'hui scénario capital de la réaction continentale : l'Argentine, où la construction de la candidature « outsider » de Milei s'est appuyée sur la haine d'une partie de l'électorat pour le péronisme et le kirchnerisme, dans un contexte d'effondrement économique, d'hyperinflation et de rejet de l'administration d'Alberto Fernández, qui n'a pas tenu ses promesses de dénoncer la dette illégitime et odieuse contractée par Mauricio Macri auprès du FMIen 2018. Un autre pays qu'il serait intéressant d'inclure dans les réflexions est le Nicaragua de Daniel Ortega, car il offre l'exemple dramatique d'un pays gouverné par une force politique initialement issue d'une révolution (1979-1989) et qui incarne aujourd'hui la tutelle d'un clan familial répressif, qui a voulu mettre en œuvre un programme du FMI en 2018, provoquant une rébellion massive de la jeunesse et d'autres secteurs populaires, et qui a décidé de la réprimer brutalement afin de rester au pouvoir [14].

Il faut ici reconnaître un autre aspect original de ce livre : il inclut une réflexion sur la situation à Cuba, une réflexion critique nécessaire quand Cuba et sa révolution ont été un « phare » central de l'imaginaire de la gauche latino-américaine et mondiale tout au long du vingtième siècle [15]. Manuel R. Gómez revient sur l'histoire de la droite cubaine, en tant qu'instrument « utile » - mais non décisif - de la politique étatique et impériale des Etats-Unis, tant dans les périodes de « main de fer » de Washington à l'égard de l'île caribéenne, que de rapprochement relatif et timide sous le mandat Obama. Quant à Wilder Pérez Varona, il pose à juste titre la question suivante : dans quel sens peut-on parler de gauche et de droite à Cuba aujourd'hui, compte tenu des spécificités de l'histoire cubaine depuis 1959 et de son régime sociopolitique ? Là, le terme même de « révolution » est devenu flou, car « pendant des décennies, le terme révolutionnaire a fusionné des relations très diverses. Très tôt, cette condition a expulsé toute opposition de la communauté politique nationale et l'a qualifiée de contre-révolutionnaire. L'utilisation du terme »révolution« a servi à synthétiser une épopée exceptionnelle, dont les réalisations et les acquis ont résisté à la belligérance systématique des États-Unis. Son utilisation a souvent évité à la fois l'analyse des contradictions du processus et de ses acteurs. La prémisse de l'unité face au siège a externalisé le conflit politique ».

Parler aujourd'hui, à Cuba, en termes de gauche/droite renvoie en fait à une question essentielle : celle de la représentation politique ou plutôt de son déficit, dans le contexte d'une société de plus en plus inégalitaire et différenciée, de l'élargissement de la contestation et des exigences croissantes de changements dans les domaines économique et culturel, mais aussi d'une véritable démocratisation politique.

Pour conclure cette brève présentation, revenons à notre constat initial. La « polycrise » mondiale et la prise de conscience que nous entrons dans une période de fortes turbulences qui se font sentir sur l'ensemble du continent. Ainsi, comme l'affirment Gabriel Vommaro et Gabriel Kessler, aujourd'hui « la polarisation idéologique avec des composantes affectives, le mécontentement généralisé et la polarisation autour d'un leader émergent marquent la politique latino-américaine, dont les électorats, comme sous d'autres latitudes, sont de plus en plus volatiles et insatisfaits » [16] . Peut-être avons-nous là une leçon essentielle de ce livre collectif et des urgences qu'il signifie. Au-delà des régimes politiques, de droite comme de gauche, progressistes ou conservateurs, le malaise citoyen et le mécontentement de ceux « d'en bas » s'amplifient. Mais il y a aussi du désespoir si des alternatives démocratiques locales et globales n'émergent pas, un désespoir qui pourrait ouvrir la porte à des forces de plus en plus violentes et réactionnaires, et même à la possibilité du fascisme [17].

Depuis l'œil du cyclone, les auteur.e.s de cet ouvrage contribuent à l'analyse du moment crucial que nous vivons, à une meilleure compréhension du présent et à l'esquisse de perspectives d'avenir pour l'Amérique latine et les Caraïbes.

Traduit de l'espagnol par Christian Dubucq.

Notes

[1] 1. Andreas Malm, Corona, Climate, Chronic Emergency : War Communism in the Twenty-First Century, Londres, Verso, 2020.

[2] 2. Voir par exemple : Tariq Ali, Piratas del Caribe. El eje de la esperanza, Madrid, Foca ediciones, 2008.

[3] 3. Maristella Svampa, Del cambio de época al fin de ciclo : gobiernos progresistas, extractivismo, y movimientos sociales en América Latina, Buenos Aires, Edhasa, 2017 et Massimo Modonesi, « La normalización de los progresismos latinoamericanos », Jacobín América Latina, juillet 2022, https://jacobinlat.com/2022/07/04/la-normalizacion-de-los-progresismos-latinoamericanos.

[4] 4. Pablo Stefanoni, La rébellion est-elle passée à droite ? Paris, Éditions La Découverte, 2022. Miguel Urban, Trumpismos : Neoliberales y Autoritarios. Radiografía de la derecha radical, Madrid, Verso, 2024, https://versolibros.com/products/trumpismos.

[5] 5. Norberto Bobbio, Droite et gauche : essai sur une distinction politique, Seuil, Paris, 1996

[6] Temas, N° 108-109, marzo-octubre 2022, https://temas.cult.cu/revista/revista_datos/3

[7] Claudio Katz, La teoría de la dependencia cincuenta años después, Argentine, Ed. Batalla de Ideas, 2018, p. 102.

[8] Éric Toussaint, Banque du Sud et nouvelle crise internationale, Paris, 2008, CADTM/Syllepse.

[9] Éric Toussaint, La banque du Sud est une alternative, pas celle des BRICS, CADTM, 19 août 2014. Voir également : Éric Toussaint, « L'expérience interrompue de la Banque du Sud en Amérique latine et ce qui aurait pu être mis en place comme politiques alternatives au niveau du continent », https://www.cadtm.org/L-experience-interrompue-de-la-Banque-du-Sud-en-Amerique-latine-et-ce-qui , CADTM, 10 mai 2024.

[10] Caio Bugiato, « A política de financiamento do BNDES e a burguesia brasileira », in Cadernos do Desenvolvimento, http://www.cadernosdodesenvolvimento.org.br/ojs-2.4.8/index.php/cdes/article/view/125/128

[11] Éric Toussaint, « Les BRICS et leur Nouvelle banque de développement offrent-ils des alternatives à la Banque mondiale, au FMI et aux politiques promues par les puissances impérialistes traditionnelles ? », CADTM, 22 avril 2024.

[12] Éric Toussaint et Benjamin Lemoine, « En Équateur, des espoirs déçus à la réussite. Les exemples de l'Afrique du Sud, du Brésil, du Paraguay et de l'Équateur », CADTM, 3 août 2016.

[13] Franck Gaudichaud, Massimo Modonesi, Jeffery Webber, Fin de partie. Les expériences progressistes dans l'impasse, (1998-2019), Paris, 2020, Syllepse.

[14] Nathan Legrand, Éric Toussaint, « Nicaragua, la otra revolución traicionada », CADTM, 30 janvier 2019, https://www.cadtm.org/Nicaragua-la-otra-revolucion-traicionada. Éric Toussaint, « Nicaragua : L'évolution du régime du président Daniel Ortega depuis 2007 », https://www.cadtm.org/Nicaragua-L-evolution-du-regime-du-president-Daniel-Ortega-depuis-2007 , CADTM, 25 juillet 2018. Éric Toussaint, « Nicaragua : Poursuite des réflexions sur l'expérience sandiniste des années 1980-1990 afin de comprendre le régime de Daniel Ortega et de Rosario Murillo », https://www.cadtm.org/Nicaragua-Poursuite-des-reflexions-sur-l-experience-sandiniste-des-annees-1980, CADTM, 12 août 2018.

[15] Tanya Harmer, Alberto Martín Álvarez (dir.), Toward a Global History of Latin America's Revolutionary Left, Gainesville, University of Florida Press, 2021.

[16] Dossier « Cómo se organiza el descontento en América Laina ? Polarización, malestar y liderazgos divisivos », Nueva Sociedad, Nº 310, mars-avril 2024, https://nuso.org/articulo/310-como-se-organiza-el-descontento-en-america-latina/

[17] Dossier « Ultraderechas, neofascismo o postfascismo », Cuadernos de Herramienta, avril 2024, https://herramienta.com.ar/cuadernos-de-herramienta-las-ultraderechas-neofascismo-o-postfascismo

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Le référendum en défense de la sécurité sociale au centre de la lutte de classes en Uruguay

29 octobre 2024, par Ruben Navarro — , ,
Ce dimanche 27 octobre aura lieu en Uruguay le premier tour des élections présidentielles et celle des représentants – députés et sénateurs. En même temps, les votants devront (…)

Ce dimanche 27 octobre aura lieu en Uruguay le premier tour des élections présidentielles et celle des représentants – députés et sénateurs. En même temps, les votants devront s'exprimer sur le référendum contre la réforme de la sécurité sociale.

23 octobre 2024 | rité d'Inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4385

La campagne électorale est marquée par l'absence de propositions, à tel enseigne que même le journal de droite El Observador, parle d'une campagne plate qui devient sale1 .
Les conditions actuelles pour accéder à la retraite

La réforme de la Sécurité sociale du 2 mai 2023 fixe l'âge de départ à la retraite à 65 ans, alors qu'elle était de 60 ans jusqu'en août 2023. Cette réforme a été adoptée par le gouvernement actuel, une coalition hétéroclite de droite très conservatrice qui a soutenu le candidat et actuel président Luis Lacalle Pou, du parti Nacional, fils de l'ancien président Luis Alberto Lacalle Herrera (entre 1990 et 1995). Les autres membres de la coalition sont le parti Colorado, Cabildo Abierto (extrême droite dont le chef est un militaire issu d'une famille liée historiquement à l'extrême droite et à la dictature militaire) et deux autres partis mineurs. Pour sa part, le Frente Amplio, de type front populaire composé de partis d'origine ouvrière (PCU, PS, PVP et de forces bourgeoises) a voté contre cette loi et a proposé des amendements lors du débat parlementaire.

La reforme établit une cotisation obligatoire au BPS (Banco de Previsión Social), la caisse de retraites cogérée par l'État, les patrons et les représentants des travailleurs2 , mais aussi aux AFAP (Administradoras de Fondos de Ahorro Provisional), des organismes privés ou de capital mixte, des fonds de pension. Les apports aux AFAP sont donc obligatoires au-dessus d'un certain seuil (voir ci-dessous). Ces AFAP prennent une « commission » d'entre 4% et 6% même si on ne cotise pas, y compris en cas de chômage. Les prélèvements effectués sur les cotisations obligatoires payées par les travailleurs sont gérés par le BPS, institution publique, ce qui signifie qu'elles n'ont aucun frais de gestion à ce niveau-là.

Les AFAP sont apparues en 1996, sous le deuxième mandat de Julio María Sanguinetti (parti Colorado, droite libérale) lorsque celui-ci a introduit le Système de Prévoyance Mixte, un coup de massue au système solidaire existant. Cette réforme imposait la cotisation obligatoire aux AFAP à partir d'un revenu équivalent, en euros constants, à environ 1900 euros ( 86600 pesos).

Actuellement, la cotisation au BPS et aux AFAP se distribue comme suit :

• Si le salaire brut est inférieur à $85.607 (en pesos uruguayens, environ 1900 euros) : La cotisation est de 15% du salaire. La moitié va au BPS et l'autre moitié est transférée sur le Compte d'Épargne Inidividuel de l'AFAP choisie.

• Si le salaire brut se situe entre $85.607 y $128.410 (entre 1900 et 2850 euros) : Cotisation de 15% du salaire repartie de la manière suivante : jusqu'à $85.607, une moitié reste au BPS et l'autre à une AFAP. La part de cotisation qui dépasse ce montant va au BPS.

• Si le salaire brut se situe entre $128.410 y $256.821 (entre 2850 et 5700 euros) : La cotisation est toujours de 15% du salaire brut et elle se ventile de la manière suivante : Le 15% des $85.607 reste au BPS et tout ce qui dépasse ce seuil est transféré sur le Compte d'Épargne Individuel dans une AFAP.

En dessous du premier seuil (environ 1900 euros), la cotisation aux AFAP et optionnelle. Chaque travailleur se voit prélever trois « commissions » de ses cotisations de retraite : Une « commission d'administration » qui varie entre 4,4% et 6,6 % selon le gestionnaire privé de fonds ; une autre commission qui varie entre 15,6% et 16,7%, prélevée celle-ci par la Banque des Assurances, qui appartient à l'État (Banco de Seguros del Estado) et enfin une commission de « garde », qui tourne autour de 0,0015%, à la Banque Centrale de l'Uruguay.

Ces AFAP, qui disposent d'un fonds d'environ 24 milliards de dollars, financent des projets de l'État mais aussi des investissements à risque dans l'immobilier, y compris des quartiers privés à Punta del Este, haut lieu de la spéculation immobilière, une « place to be » de la grande bourgeoisie latinoaméricaine et étasunienne. Elles financent aussi des projets de certaines mairies dont deux des plus grandes villes de l'Uruguay, Montevideo et Canelones, gouvernées par la coalition progressiste, le Frente Amplio.

Genèse du plébiscite

Deux mois après l'adoption de la réforme, l'Association des travailleurs de la sécurité sociale (ATSS, travailleurs du BPS) a présenté une motion à la direction du PIT-CNT, la centrale syndicale unique, en proposant un référendum dans le but de abroger la réforme des retraites du gouvernement et d'introduire dans la Constitution trois points : 1) suppression des AFAP, 2) établir l'âge de départ à la retraite à 60 ans avec 30 annuités et 3) le montant des retraites ne pourra pas être inférieur au Salaire Minimum National.

Le 10 août 2023, sur 44 syndicats et fédérations membres de la direction du PIT-CNT, 16 ont voté pour mais, suite aux abstentions, la proposition a été adoptée par la centrale ouvrière. Le débat a été dur. La fédération des métallos – la UNTMRA – et le courant Gerardo Cuesta (tous les deux sous très influencés par le PC) proposaient ne pas toucher aux fonds de pension, les AFAP. Mais le syndicat des travailleurs de la sécurité sociale a joué un rôle clé en réussissant à faire adopter la suppression de ces fonds privés, pour la plupart inféodés et contrôles par des multinationales de la spéculation, sauf un, géré par une banque d'État, le Banco República.

L'appel au référendum a été appuyé par la FUCVAM, la coopérative de logements (qui a un poids important dans la société uruguayenne, même si à présent elle compte peu de militants) la FEUU, Fédération des Étudiants Universitaires de l'Uruguay (une tradition très importante mais un poids devenu très relatif) et d'autres organisations.

Pour déclencher un référendum il faut recueillir 10% des inscrits, un peu moins de 250.000 signatures sur quelques 2.680.000 inscrits sur le registre électoral. Ce seuil a été atteint dès le début avril 2023. Mais les organisateurs du référendum ont réussi à recueillir un total de 430.000 signatures avec des campagnes quartier par quartier, en parcourant l'ensemble du territoire, et les ont déposées au siège du Parlement le 27 avril 2023. La procédure référendaire était ainsi enclenchée avec une marge suffisante afin d'éviter les signatures non validées par la Cour Électorale.

La campagne du plébiscite, la gauche et les élections

Le référendum est tombé comme un cheveu dans la soupe dans la valse électorale, comme « Le convive de pierre » de Tirso de Molina, cette statue de don Gonzalo qui à la fin du repas prend la main de Don Juan et le conduit en enfer. Les réactions des partis politiques n'ont pas été immédiates. Le président de la République (Partido Nacional, droite conservatrice, parti héritier de la grande bourgeoisie propriétaire terrienne), a tardé à réagir.

Les premières réactions sont venues de la gauche. Les partis communiste et socialiste, ainsi que d'autres partis moins importants, comme le PVP (Partido por la Victoria del Pueblo) ont soutenu l'initiative du mouvement ouvrier dès le début. Leurs militants syndiqués ont participé à la campagne de collecte de signatures. Ils ont mis leurs appareils à contribution de la campagne du Pit-Cnt. Mais un secteur très important du Frente Amplio, le MPP (Mouvement de Participation Populaire) de l'ancien président Mujica, s'est rapidement positionné contre l'initiative des travailleurs organisés. L'idole de milliers de militants du monde entier a dit que « l'approbation du référendum de la sécurité sociale serait le chaos et que le chemin est la loi »3 .

Les candidats de la gauche à la présidence et vice-présidence, Yamandú Orsi et Carolina Cosse ne voteront pas le « Sí » au référendum. La coalition de gauche a décidé de laisser « liberté d'action » à ses militants.

Une tribune de 112 « experts » du Frente Amplio a annoncé qu'ils feraient campagne contre le référendum de la centrale syndicale4 . Parmi les signataires de cette tribune on retrouve le potentiel futur ministre d'économie en cas de victoire électorale du Frente Amplio, Gabriel Oddone. Les arguments sont les mêmes que l'on a pu entendre dans la bouche de la droite lors de la lutte contre la réforme des retraites en France. Et en plus du « chaos » de Mujica, la peur, la menace de « devoir » doubler les impôts sur les bénéfices des entreprises, de devoir multiplier par quatre les cotisations patronales ou encore de devoir passer la TVA de 22% à 35%. Un discours connu…

Mais la dirigeante du syndicat des travailleurs de la sécurité sociale (ATSS), Nathalie Barbé, a balayé les arguments alarmistes du capital et ses gestionnaires de droite et de gauche en signalant que « sans perdre les 5 milliards de dollars qui iront aux fonds parapublics jusqu'en 2060 seulement », avec 1,5 milliard de dollars supplémentaires par an dans les caisses de l'État et « sans parler des 24 milliards de dollars actuellement accumulés dans les fonds d'épargne » qui reviendront progressivement à l'État lorsque les contrats de fonds fiduciaires prendront fin, « il y a suffisamment de ressources pour financer la réforme »5 .

Les chambres patronales se sont manifestées contre le référendum, cela va de soi. Les arguments vont de « l'impact négatif que cela aurait pour le pays » au fait que cela « nuirait à la réputation internationale de l'Uruguay »6 .

Le vote du dimanche 27 novembre

Le scrutin présidentiel s'annonce serré. La coalition progressiste devrait obtenir plus de voix que la droite, mais pas assez pour éviter un second tour, autour de 44% des voix.

L'autre option de gauche, une alliance entre la Unidad Popular et le Parti des Travailleurs (parti frère de Política Obrera en Argentine, le parti d'Altamira) n'a pas réussi à créer une alternative de gauche et n'obtiendrait qu'un pour cent des voix. Le pilier de l'Unidad Popular est le Mouvement 26M – scission historique du MLN Tupamaros. Ce mouvement a quitté le Frente Amplio en 2008. Cependant, son dirigeant de l'époque, Raúl Sendic (fils de l'ancien dirigeant du MLN) est resté dans la coalition. Cette alliance – Unidad Popular-Frente de los Trabajadores – reflète une recherche de recomposition de la gauche, une recomposition qui peine, qui a du mal à trouver des alternatives en dehors de la gauche institutionalisée. Plusieurs réunions de militants issus de divers courants de la gauche radicale ont lieu depuis un certain temps sans que cela se traduise au niveau organisationnel et encore moins électoral.

Le mouvement ouvrier s'est placé au centre des débats et de la lutte de classes. « Le conflit de classes s'exprime dans le référendum de la sécurité sociale et non pas dans les élections nationales », affirme Mario Pieri7 . Le mouvement ouvrier est affaibli. Affaibli par des conditions objectives : travail précaire ou informel, fermetures d'usines, poids des zones franches (des zones de non-droit)… mais aussi subjectives, comme la « cohabitation » pendant 15 ans, dans le cadre de trois gouvernements successifs de la gauche entre 2005 et 2020.

Le dernier sondage estime que le « Sí » au référendum obtiendrait 47% d'approbation, 43% serait contre et 10% n'ont pas pris encore de décision8 .

La bataille est rude. Les mêmes partis qui ont participé à la recherche de signatures pour déclencher le référendum et qui participent activement de la campagne différencient clairement la campagne électorale du référendum. Ainsi, par exemple, le parti Communiste ne fait presque pas référence au référendum dans ses clips de campagne, sauf dans les réseaux sociaux.

Pendant ce temps, le possible futur ministre de l'Économie du Frente Amplio, Gabriel Oddone, est parti aux États-Unis où il s'entretiendra avec la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et des représentants des entrepreneurs et des finances. Il ne sera de retour en Uruguay que le samedi 26, la veille des élections. Des entretiens qui en disent long sur une éventuelle « rupture », ou pas, si la gauche institutionnelle venait à gagner les élections.

L'autre référendum

Un deuxième référendum concerne le droit pour les « forces de l'ordre » d'effectuer des perquisitions nocturnes dans les domiciles privés sous prétexte de « lutte contre le trafic de drogues ». En réalité, ce droit de perquisition nocturne existe déjà mais seulement lorsque la justice l'autorise. Les mesures pointent les petits dealers avec une vision purement répressive. Une proposition populiste face à une augmentation de la violence, qu'elle soit réelle ou ressentie. À l'initiative de ce référendum on retrouve Cabildo Abierto, le parti de l'ancien militaire Guido Manini Ríos, dont les positions flirtent avec l'extrême droite et il est soutenu par les quatre autres membres de la coalition qui gouverne (parti nacional, parti colorado, parti de la gente et parti independiente). Les derniers sondages indiquent qu'il pourrait être adopté. En effet, malgré une baisse dans les intentions de vote, il bénéficie encore de 56% d'approbation parmi les votants. La gauche dans son ensemble s'est prononcée contre cette initiative9 .

Le 22 octobre 2024

Notes

1. quién, por qué, para qué”. El Observador, 20-10-2024

2. La direction du BPS est composée de 7 membres. L'exécutif en désigne directement 4 d'entre eux. Les 3 autres sont élus directement par la population concernée et représentent les entrepreneurs, les travailleurs et les retraités respectivement. Cette institution est le fruit de l'unification établie dans la Constitution de 1967 des principales caisses de retraites, dont certaines avaient été créées dès la fin du XIXe siècle. Certains secteurs, comme la banque, les professionnels universitaires qui exercent en libéral, les notaires ou les militaires ont encore une caisse indépendante. ladiaria.com.uy/economia/articulo/2020/12/las-cajas-paraestatales-y-sus-regimenes-jubilatorios/

3. José Mujica dijo que la aprobación del plebiscito de la seguridad social sería un "caos" y cree que "el camino es la ley". El Observador, 26-9-2024 www.elobservador.com.uy/nacional/jose-mujica-dijo-que-la-aprobacion-del-plebiscito-la-seguridad-social-seria-un-caos-y-cree-que-el-camino-es-la-ley-n5962720
4
5. Y, sin embargo, se mueve. Agustín Büchner, Brecha, 9-8-2024. brecha.com.uy/y-sin-embargo-se-mueve-4/

6. Cámaras empresariales expresaron preocupación por el plebiscito de la seguridad social. La Diaria, 21-10-2024. ladiaria.com.uy/elecciones/articulo/2024/10/camaras-empresariales-expresaron-preocupacion-por-el-plebiscito-de-la-seguridad-social

7. El conflicto de clases se expresa en el plebiscito de la seguridad social, no en las elecciones nacionales. Mario Pieri, Correspondencia de Prensa, 1-10-2024 correspondenciadeprensa.com/ ?p=43816

8. 47% del electorado se inclina a votar por el plebiscito de la seguridad social, según Factum. La Diaria, 15-10-2024. ladiaria.com.uy/elecciones/articulo/2024/10/47-del-electorado-se-inclina-a-votar-por-el-plebiscito-de-la-seguridad-social-segun-factum/

9. Allanamientos nocturnos ¿qué propone la reforma a la Constitución que se vota el domingo ? Búsqueda, 21-10-2024 www.busqueda.com.uy/informacion/allanamientos-nocturnos-que-propone-la-reforma-la-constitucion-que-se-vota-el-domingo-n5393853

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Marxisme et racisme aux Etats-Unis : une approche théorique

29 octobre 2024, par Cornel West — , ,
Quel est le rapport entre la lutte contre le racisme et la théorie et la pratique socialistes aux États-Unis ? Pourquoi les gens de couleur, actifs dans les mouvements (…)

Quel est le rapport entre la lutte contre le racisme et la théorie et la pratique socialistes aux États-Unis ? Pourquoi les gens de couleur, actifs dans les mouvements antiracistes, devraient prendre au sérieux le socialisme démocratique ? Et qu'est-ce que les socialistes américains d'aujourd'hui peuvent penser des tentatives inadéquates des socialistes d'hier de comprendre la complexité du racisme ?

Tiré de Entre les ligne et les mots

Dans cette contribution, j'essaie de répondre à ces questions cruciales pour le mouvement démocratique socialiste. D'abord, j'examine les efforts passés des marxistes pour comprendre ce qu'est le racisme et comment il opère dans des contextes différents. Ensuite, j'entreprends de développer une nouvelle conception du racisme qui par ses constructions va au-delà de la tradition marxiste. Enfin, j'examine comment ces nouvelles conceptions éclairent les rôles du racisme dans le passé et le présent. J'essaie, pour conclure, de montrer que la lutte contre le racisme est à la fois moralement et politiquement nécessaire pour les socialistes démocratiques.

Les conceptions marxistes d'hier du racisme

Le plus souvent la théorisation socialiste du racisme a été produite dans une structure marxiste et s'est concentrée sur l'expérience afro-américaine. Quoique mon analyse se concentre sur des personnes d'origine africaine, particulièrement les Afro-américains, il a aussi des implications importantes pour analyser le racisme qui a constitué un fléau pour d'autres peuples de couleur, tel que les Espagnols-parlant-américain (par exemple, les Chicanas et les Puerto-Ricains), les Asiatiques, et les Américains indigènes. Il y a quatre conceptions de base du racisme dans la tradition marxiste. La première des analyses du racisme se glisse sous la rubrique générale d'exploitation du fonctionnement de classe. Ce point de vue tend à ignorer des formes du racisme non déterminées par le lieu de travail.

Au tournant du siècle, cette conception a été avancée par les principaux dirigeants du Socialist Party, particulièrement Eugene Debs. Debs qui a cru que le racisme blanc contre le peuple de couleur était uniquement le produit d'un « diviser pour mieux régner » de la classe dominante et que porter l'attention à ses effets « à part du problème de la main-d'œuvre » en général constituerait un racisme à l'envers. Mon but n'est pas de dénoncer la conception des socialistes ou d'insinuer que Debs était un raciste. Le Socialist Party avait quelques membres distingués, et Debs avait une longue histoire de combat contre le racisme. Mais cette analyse qui l'emprisonnait lui-même dans la sphère d'oppression du lieu de travail, oubliait le racisme dans d'autres sphères de vie. Pour le Socialist Party cette stratégie en « aveugle à la couleur » pour résister au racisme parmi tous les ouvriers, a conduit à considérer simplement les ouvriers comme des ouvriers sans identité spécifique ou sans problème. Les pratiques racistes dans et à l'extérieur du lieu de travail ont été réduites uniquement à des stratégies de la classe dominante.

La deuxième conception du racisme dans la tradition marxiste reconnaît le rôle spécifique du racisme sur le lieu de travail (par exemple, la discrimination du travail et les inégalités structurelles de salaires) mais reste silencieuse sur la scène extérieure aux activités sur le lieu de travail. Ce point de vue considère que le peuple de couleur est soumis à l'exploitation du fonctionnement général de classe et à un autre mode d'oppression spécifique qualifié de « surexploitation » qui se traduit par un moindre accès au travail et des salaires inférieurs. Sur un plan pratique cette perspective a accentué une lutte plus intense contre le racisme que ne le faisait la conception de Debs, et cependant elle a limité encore cette lutte au lieu de travail.

La troisième conception du racisme dans la tradition marxiste, nommée « thèse de la Nation noire », a été la plus influente parmi les marxistes noirs. Elle considère que le racisme est bien une conséquence de l'exploitation générale et du fonctionnement général de classe spécifique et d'une oppression nationale. Ce point de vue soutient que les Afro-américains constituent, ou ont constitué, une nation opprimée dans le Sud et une minorité nationale opprimée dans le reste de la société américaine. Il y a de nombreuses versions de la thèse de la nation noire. Sa forme classique a été mise en avant par le Parti communiste américain en 1928, modifiée en 1930 dans une résolution et a été codifiée dans La libération nègre de Henri Haywood (1948). Quelques petites organisations léninistes souscrivent encore à cette thèse, et sa plus récente reformulation est parue dans L'autodétermination de James Forman et Le peuple africain-américain (1981). Toutes ces variantes adhèrent à la définition de Staline d'une nation dans son Marxisme et la question nationale (1913) pour lequel :

Une nation est une communauté historiquement constituée, stable de personnes sur la base d'une langue commune, d'un territoire, d'une vie économique et un état psychologique qui se manifeste dans une culture commune.

En dépit de sa brièveté et de sa formulation un peu frustre, cette approche prend en compte la dimension culturelle cruciale ignorée par les deux autres conceptions marxistes du racisme. En outre, elle relie le racisme à des luttes entre nations dominées et dominantes et a été considérée comme pertinente vis-à-vis de la situation critique des Américains indigènes, des Chicanas, et des Portoricains qui ont été expropriés et décimés par les colons blancs. De tels modèles du « colonialisme interne » ont des implications importantes pour la stratégie organisationnelle parce qu'elle porte une attention particulière à la critique des formes linguistiques et culturelles d'oppression. Elle nous rappelle ce que la conquête de l'Amérique de l'Ouest a consisté en accaparement de terres précédemment occupées par des Américains indigènes et celles du Mexique. Depuis le garveyisme, mouvement des années 1920, qui a été le premier mouvement de masse parmi les Afro-Américains, la gauche noire a été forcée de prendre sérieusement en compte la dimension culturelle de la lutte pour la libération noire. Le nationalisme noir de Marcus Garvey a transformé les marxistes noirs en « proto-gramsciens » dans le sens, limité, qu'ils ont pris en compte les questions culturelles plus sérieusement que beaucoup d'autres marxistes. Mais cette attention à la vie culturelle a été limitée par la thèse de la Nation noire elle-même. Bien que la théorie ait inspiré beaucoup de luttes impressionnantes contre le racisme et de façon prédominante menée par la gauche blanche, particulièrement dans les années 1930, sa définition raciale ahistorique d'une nation, sa détermination purement statistique des limites nationales (le Sud était une nation noire parce que sa population d'alors était en majorité noire), et sa conception illusoire d'une économie nationale noire distincte ont finalement rendu son analyse inadéquate.

La quatrième conception du racisme dans la tradition marxiste considère que le racisme n'est pas seulement le résultat du fonctionnement de classe spécifique mais aussi le produit d'attitudes xénophobes qui ne sont pas strictement réductibles à l'exploitation. Dans cette perspective, les attitudes racistes ont une vie et une logique qui leur sont propres, et dépendent de facteurs psychologiques et de pratiques culturelles. Ce point de vue a été motivé essentiellement par opposition au rôle prédominant de la Thèse de la Nation noire sur la gauche américaine et afro-amé- ricaine. Ses interprètes les plus influents ont été W. E.B. Du Bois et Oliver Cox.

Pour une conception plus adéquate du racisme

Ce bref examen des vues marxistes passées conduit à une conclusion. La théorie marxiste est indispensable, cependant elle est finalement inadéquate pour saisir la complexité du racisme comme phénomène historique. Le marxisme est indispensable parce qu'il met en valeur les relations du racisme au mode de production capitaliste et reconnaît son rôle crucial dans l'économie capitaliste. Cependant le marxisme est inadéquat parce qu'il manque d'approfondir d'autres sphères de la société américaine où le racisme joue un rôle, particulièrement dans les sphères de la psychologie et de la culture. En outre, les approches marxistes soulignent que le racisme a ses racines dans la montée du capitalisme moderne. Cependant, il peut être démontré facilement que le racisme a été façonné et a été approprié par le capitalisme moderne, et que donc le racisme est antérieur au capitalisme. Ses racines remontent aux rencontres entre les civilisations d'Europe, d'Afrique, d'Asie, et d'Amérique latine et il s'est manifesté longtemps avant la montée du capitalisme moderne. Il est en effet vrai que la catégorie même de « race » dénote essentiellement que la couleur de peau a été employée en premier lieu comme un moyen de classer les corps humains comme l'a fait, en 1684, François Bernier, un médecin français. La première division qui fait autorité en matière raciale de l'humanité se trouve dans Le système naturel (1735) du naturaliste du 18e siècle, Carolue Linnaeus. Ces deux exemples révèlent des conceptions racistes européennes au niveau d'une codification intellectuelle qui dégrade et dévalue les non Européens. Folklore raciste, mythologies, légendes, et histoires fonctionnent dans la vie ordinaire du sens commun aux 17e et 18e siècles. Par exemple, l'antisémitisme chrétien et l'anti-Noir de l'Euro-chrétien étaient rampants durant le Moyen Âge. Ces fausses divisions de l'humanité ont été appliquées à l'Amérique latine où le racisme anti-lndien est devenu un pilier fondamental de la société coloniale et a influencé plus récemment le tardif développement national métis. Donc le racisme est beaucoup plus qu'un produit de l'interaction de chemins culturels de la vie comme l'est celui du capitalisme moderne. Une conception plus adéquate du racisme doit renvoyer à ce contexte de double réalité, culturelles et économiques dans lesquelles s'est développé le racisme. Une nouvelle analyse du racisme doit se construire sur le meilleur des théories marxistes (particulièrement l'attention d'Antonio Gramsci sur les sphères culturelles et idéologiques), et cependant doit aller au-delà en incorporant trois propositions. […] Une telle analyse doit inclure le rôle extraordinaire et équivoque du christianisme évangélique et protestant (qui tous les deux ont promu et aidé à contenir la résistance noire) et les influences africaines et protestantes anglo-saxonnes US et catholiques françaises au milieu desquelles ont émergé les styles distinctifs afro-américains culturels, des langues, et valeurs esthétiques. L'objectif de cette approche est de montrer comment les discours suprémacistes blancs façonnent les identités non européennes, et influencent les sensibilités psychosexuelles et participe à la construction d'un contexte de cultures et de mœurs opposées (mais aussi co-optables) non-europénnes. Cette analyse révèle aussi comment l'oppression et la domination culturelle américaine d'indigènes, de Chicanos, de Portoricains, et de bien d'autres colonisés sont différentes (même s'il existe beaucoup de traits communs) de celles connues par les Afro-Américains.

L'analyse du colonialisme interne, de l'oppression nationale, et de l'impérialisme culturel conduit à expliquer le déplacement territorial et la domination que subissent les peuples. Une autre approche révèle le rôle et le fonctionnement d'exploitation de la classe et la répression politique dans la consolidation des pratiques racistes. Cette analyse ressemble aux théories traditionnelles marxistes du racisme, qui centrent leur attention essentiellement sur les institutions de production économique et secondairement sur l'État et le public et les bureaucraties privées. Mais la nature de ce pivot est modifiée dans le sens où cette production économique n'est pas envisagée comme la seule source majeure des pratiques racistes. Ce pivot est plutôt considéré comme une source parmi d'autres. Pour le dire un peu grossièrement, le mode de production capitaliste constitue juste une des contraintes structurelles qui détermine les formes que le racisme prend à une période historique particulière.

Cornel West
Cornel West est professeur d'études afro-américaines et de philosophie des religions. Il a notamment publié Restoring Hope : Conversations on the Future of Black America (Beacon Press, 1997) et Democracy Matters : Winning the Fight Against Imperialism (Penguin Books, 2005).
Publié dans L'Autre Amérique, n° 19, 4e trimestre 1998.

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Les accusations de « fascisme » déroutent les électeurs américains

29 octobre 2024, par Dan La Botz — , ,
Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine 23 octobre 2024 Point de vue international Dan La (…)

Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine

23 octobre 2024
Point de vue international Dan La Botz
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article8720
Traduction Johan Wallengren

Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine, ce à quoi ont largement contribué des déclarations de Donald Trump, qui a confié qu'il ferait appel à l'armée pour supprimer « l'ennemi intérieur », expression qui recouvre pour lui les « illuminé(e)s de la gauche radicale » (« radical left lunatics ») et dont il a en particulier affublé sa rivale Kamala Harris, à plus d'une occasion. Il a par ailleurs assimilé le membre démocrate du congrès Adam Schiff, qui a mené le premier procès en destitution contre lui et qui est maintenant candidat au Sénat, à « l'ennemi intérieur ».

Questionné lors d'une entrevue télévisée quant à la possibilité que le processus électoral puisse être perturbé par des agitateurs de l'extérieur, Trump a répondu : « Je pense que le plus gros problème est l'ennemi de l'intérieur. Nous avons des gens pas bien du tout. Nous avons des malades, des illuminés de la gauche radicale. Et d'ajouter : « mais les choses devraient pouvoir être prises en main sans problème, si nécessaire, par la Garde nationale, ou si c'est vraiment nécessaire, par l'armée, parce qu'ils ne peuvent pas laisser de telles choses se produire ».

Plusieurs commentateurs ont souligné que le recours à l'armée pour réprimer l'opposition politique ressemble à ce que nous appelons le fascisme. Et pour beaucoup d'observateurs, il ne fait aucun doute qu'en envisageant d'utiliser le pouvoir de l'État contre les citoyens américains, Trump va plus loin dans ses déclarations que les fois où il a dit qu'il ferait appel à la police et aux gardes nationaux pour débusquer les immigrants, les parquer dans des camps de concentration, puis les expulser.

Une remarque du général Mark A. Milley, ancien président de l'état-major interarmées sous Trump, en rajoute : selon ce que rapporte le célèbre journaliste américain Bob Woodward dans son nouveau livre, ce haut gradé aurait décrit Trump comme étant un « fasciste en puissance » (« fascist to the core »). Madame Harris elle-même a repris à son compte cette confidence de Milley et a convenu à d'autres moments que Trump pouvait être étiqueté fasciste. À noter que le président Joe Biden avait déjà qualifié le mouvement de Trump de « semi-fasciste » en 2022.

L'affirmation selon laquelle Trump est un fasciste risque toutefois de ne pas émouvoir beaucoup d'électeurs américains. La lutte des États-Unis contre les fascistes de Benito Mussolini et les nazis d'Adolf Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale est désormais de l'histoire ancienne. Seuls les 1 à 2 % d'Américains âgés de plus de 85 ans ont un souvenir direct de ces événements. En outre, le peuple américain a une connaissance notoirement vague de l'histoire et la plupart des Américains n'ont jamais réfléchi à la question du fascisme et à tout ce que peut charrier ce mot. Pendant des années, le monde politique et la presse ont considéré que traiter quelqu'un de fasciste était une faute de goût, tandis que pour la population en général, c'était juste une façon de désigner quelqu'un de peu recommandable.

On peut d'autant plus parler d'un imbroglio que Trump a régulièrement traité Kamala Harris de « marxiste, communiste, fasciste, socialiste ». Le colistier de Trump, le sénateur J.D. Vance, a quant à lui déclaré que les affirmations des démocrates selon lesquelles Trump est quelqu'un d'autoritaire ou de fasciste sont à l'origine des deux tentatives d'assassinat dont il a fait l'objet.

La gauche n'a pas toujours contribué à faire la lumière sur ce concept de fascisme. Dans les années 1960 et 1970, les gens de gauche avaient tendance à utiliser le mot sans discernement : Les racistes du Sud étaient fascistes, la guerre du Viêt Nam était fasciste, le maire de Chicago, Richard Daley, était fasciste, et pour certains, le système politique américain tout entier était fasciste. Pendant quarante ans, le parti communiste et les groupes maoïstes ont à chaque élection présidentielle avancé l'argument que le candidat républicain était fasciste et qu'il fallait donc voter démocrate.

Aujourd'hui, au sein de groupes tels que les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), dont les membres sont nombreux à avoir fait des études supérieures, des universitaires de gauche prennent part à des discussions sur le fascisme. Le magazine Jacobin, par exemple, a publié en 2019 une entrevue d'Enver Traverso sur son livre Les nouveaux visages du fascisme et sa théorie du « post-fascisme » pouvant servir à ausculter des gens comme Trump. Au sein de petites organisations socialistes et anarchistes d'extrême gauche, on discute sérieusement et concrètement du sujet. Et des journaux en ligne populaires comme Truthout ont publié de nombreux articles parlant du fascisme. Néanmoins, pour la plupart des Américains, l'utilisation de ce mot ne permet en rien d'y voir plus clair.

Si Trump est élu – ce qui est tout à fait possible – et qu'il s'avère être le fasciste que nous croyons qu'il est, nous serons mal préparés, tant d'un point de vue théorique que pratique.

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Etats-Unis : Quel genre de dommages la Cour suprême infligera-t-elle au cours de ce mandat ?

29 octobre 2024, par Elie Mystal — , ,
Pour comprendre les ambitions de la majorité conservatrice, il suffit de regarder le Projet 2025, qui a été concocté par certaines des mêmes personnes qui ont conçu la cour (…)

Pour comprendre les ambitions de la majorité conservatrice, il suffit de regarder le Projet 2025, qui a été concocté par certaines des mêmes personnes qui ont conçu la cour actuelle.

Tiré de The Nation

Elie Mystal
Illustration par Adrià Fruitós.

La Cour suprême rentrera de ses vacances d'été le 7 octobre, quatre semaines et un jour avant les élections générales du 5 novembre. Les empreintes digitales de la Cour (ainsi que les empreintes digitales des riches donateurs républicains qui ont probablement payé certaines des vacances d'été des juges) sont déjà partout dans les prochaines élections. Plus tôt cette année, le tribunal a assuré à Donald Trump une place sur le bulletin de vote lorsqu'il s'est prononcé contre une tentative de l'empêcher de se présenter à la présidence en raison de sa participation à une insurrection contre le gouvernement. puis, en juillet, les juges républicains ont accordé à Trump une « immunité absolue » pour les crimes commis dans le cadre de ses « fonctions officielles », garantissant probablement qu'il n'aura jamais à rendre des comptes pour ses pires actions. Grâce à ces décisions, Trump peut légalement se présenter à un poste qu'il a précédemment tenté de voler.

Étant donné l'empressement démontré de la Cour à mettre son pouce sur la balance pour Trump avant les élections, nous ne pouvons qu'imaginer ce qu'elle fera pour l'aider après les élections. Trump pourrait perdre par des millions dans le vote populaire et par 40 voix au collège électoral, mais s'il peut obtenir que cinq juges de la Cour suprême se prononcent en sa faveur, aucun de ces votes n'aura d'importance. La Cour lui donnera le pouvoir d'inaugurer une ère d'autoritarisme et de régime permanent à parti unique.

Pourtant, même si Kamala Harris parvient à franchir tous les obstacles à la présidence – si elle parvient à remporter à la fois le vote populaire et le collège électoral, et que ces votes sont honorés – il est important de comprendre que le redoutable travail de la Cour suprême visant à démanteler la démocratie et à faire reculer les droits des femmes, des personnes de couleur, et la communauté LGBTQ selon les normes en vigueur de 1859 se poursuivra à un rythme soutenu. Les dés sont pipés, et les six juges conservateurs de la Cour ne vont pas laisser passer cette occasion. Ils ont un ordre du jour – un mandat, pourrait-on dire – et il ressemble beaucoup à celui qui a suscité beaucoup d'attention ces derniers mois : le mandat de leadership du Projet 2025, Le plan conservateur pour prendre le contrôle du gouvernement fédéral et remodeler le pouvoir exécutif à l'image d'un christofaciste si Trump gagne.

Le Projet 2025 est l'œuvre de la Heritage Foundation. Il en va de même, à bien des égards, de la Cour suprême actuelle. Parallèlement à laSociété fédéraliste, la Heritage Foundation a été l'un des principaux acteurs déterminant quels républicains se retrouvent à la plus haute cour du pays. Depuis plus de 50 ans, il s'efforce de remplir le système judiciaire de juges républicains extrémistes dans le but d'anéantir le progrès civil et social du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Et il a largement réussi.

Ce succès peut aider à expliquer l'une des rares lacunes du document de 900 pages du Projet 2025 : l'absence d'une section détaillée consacrée à la Cour suprême. Je crois que c'est parce que le plan fasciste suppose que le tribunal a déjà été capturé. Le Projet 2025 est en cours devant les tribunaux, et il continuera d'aller de l'avant là-bas, avec ou sans Trump au pouvoir, car ses principes fondamentaux sont soutenus par une majorité des juges de la Cour suprême.

Cela nous en dit long sur ce que nous pouvons attendre de la Cour à l'avenir. Au cours du prochain mandat et des nombreux qui suivront, nous verrons l'agenda du Projet 2025 se dérouler dans trois domaines clés : l'État administratif, les réglementations environnementales et les droits civils.

Le démantèlement de l'État administratif a été une obsession déterminante pour les conservateurs pendant des décennies, et ils se sont rapprochés de plus en plus de la réaliser ces dernières années. Au début de l'été, la Cour suprême Renversé La déférence de Chevron – la doctrine juridique selon laquelle les tribunaux devraient s'en remettre aux agences exécutives sur les questions concernant l'interprétation des lois du Congrès. La décision remet en question des milliers de réglementations qui ont été mises en avant par ces agences exécutives. Leonard Leo, le toujours impitoyable Svengali de la Federalist Society, a appelé les républicains à « inonder la zone » de contestations de ces réglementations, et les tribunaux inférieurs examinent déjà un certain nombre d'affaires qui cherchent à percer des trous dans l'autorité réglementaire d'agences telles que la Securities and Exchange Commission et le Bureau of Alcohol, Tobacco, Armes à feu et explosifs (ATF).

Beaucoup de ces affaires ne sont peut-être pas prêtes pour l'examen de la Cour suprême ce trimestre, mais en ce qui concerne l'environnement, il y a déjà deux affaires sur le rôle de la cour qui permettront aux juges conservateurs de remplir leur rôle de membres officieux des industries des combustibles fossiles et des produits chimiques. Dans l'affaire City and County of San Francisco v. Environmental Protection Agency, la Cour suprême décidera probablement que ses membres, et non les experts de l'environnement, devraient déterminer la quantité de pollution et de saleté humaine qui peut être déversée dans l'océan. Et dans l'affaire Seven County Infrastructure Coalition v. Eagle County, Colorado, les conservateurs choisiront probablement d'affaiblir le rôle des études d'impact environnemental. La loi sur la politique environnementale nationale exige que les agences mènent de telles études avant de commencer de grands projets qui modifieront l'écosystème environnant, mais les conservateurs et les pollueurs veulent libérer les développeurs pour qu'ils fassent autant de ravages qu'ils le souhaitent sur l'environnement.

La Cour ne s'arrêtera pas non plus à la déréglementation et aux abus environnementaux. L'un des principaux objectifs du Projet 2025 est de réaffirmer et de sauvegarder la suprématie blanche en renversant toute loi ou politique destinée à égaliser les chances. La décision de la Cour suprême de 2023 mettant fin à la discrimination positive n'était que le début pour ces personnes. Le plan est de prendre la mauvaise interprétation délibérée de Clarence Thomas du 14e amendement, telle qu'articulée dans son opinion concordante pour Students for Fair Admissions v. Harvard, et de l'utiliser comme une arme contre tout programme de droits civiques qu'ils n'aiment pas. Il y a déjà des affaires qui font leur chemin devant les cours d'appel inférieures qui cherchent à rendre inconstitutionnelle la conscience raciale dans l'embauche. Il y a un effort pour déclarer que la formation sur la diversité et l'inclusion en milieu de travail crée un environnement de travail « hostile ». Et un juge de Trump au Texas a déclaré la loi sur le développement des entreprises minoritaires inconstitutionnelle. La Cour suprême n'a pas encore décidé d'entendre l'une de ces affaires, mais il est probable qu'elle le fera bientôt – ce qui signifie que dans les mois et les années à venir, nous verrons presque certainement la Cour redéfinir les « droits civiques » pour signifier « pour les Blancs et personne d'autre ».

Au-delà de ce genre d'affaires alignées sur le Projet 2025, ce mandat de la Cour suprême verra, une fois de plus, les juges conservateurs rendre les écoles dangereuses pour les enfants mais sûres pour les tireurs de masse, rendre le pays peu accueillant pour les immigrants du Sud, et adopter des positions barbares sur la peine de mort et envoyer des personnes potentiellement innocentes à la mort. Et nonobstant leurs positions sur la peine de mort, les juges conservateurs se déclareront « pro-vie » et reprendront leur assaut contre les droits reproductifs. Au cours du dernier mandat, la Cour s'est penchée sur deux affaires majeures d'avortement, probablement dans le but d'éviter d'enflammer la question avant les élections. Mais vous pouvez parier que ces affaires seront de retour sur le rôle après les élections.

Dans l'affaire FDA c. Alliance pour la médecine hippocratique, la Cour suprême Gouverné qu'un groupe composé de médecins, d'un dentiste et de plusieurs personnes sans aucune formation médicale ni licence n'avait pas qualité pour poursuivre la Food and Drug Administration pour son autorisation du médicament mifépristone pour l'utilisation dans les avortements médicamenteux. Le tribunal a ensuite renvoyé l'affaire au cinquième circuit, au juge Matthew Kacsmaryk, nommé par Trump, qui est celui qui a permis à ces randos assortis d'intenter des poursuites en premier lieu. Maintenant, Kacsmaryk a donné aux responsables de l'État de l'Idaho, du Kansas et du Missouri le droit de se joindre au litige en tant que coplaignants, résolvant potentiellement le problème de la qualité pour agir. La question de savoir si la mifépristone restera légale est encore très en suspens.

La deuxième affaire est Moyle c. États-Unis. Fin juin, la Cour suprême a rejeté une affaire faisant valoir que la Loi relative aux traitements médicaux d'urgence et au travail actif (EMTALA) ne pouvait pas obliger les hôpitaux à pratiquer des avortements lorsque la vie ou la santé de la future mère est en danger. Une fois de plus, il l'a fait pour des raisons techniques, mais avec une touche d'originalité. Bien que la décision de la Cour ait éludé les questions sous-jacentes de l'affaire, l'accord important de la juge Amy Coney Barrett comprenait quelques conseils aux défenseurs des naissances forcées sur la façon de gagner à l'avenir : modifier l'affaire pour faire valoir que le Congrès ne peut pas exiger des hôpitaux qu'ils suivent EMTALA comme condition pour recevoir des fonds Medicare. Si les challengers saisissent l'allusion, cette affaire pourrait être de retour devant la Cour suprême plus tôt que tard.

La Cour n'a pas encore fini de classer toutes ses affaires pour le mandat, mais son rôle est déjà rempli d'affaires qui couvrent une gamme de domaines importants, ce qui est de mauvais augure pour des millions de personnes.

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Etats-Unis : La forme et le fond

29 octobre 2024, par Jean-François Delisle — , ,
Ce qu'on appelle la démocratie américaine serait-elle menacée par une éventuelle arrivée de Donald Trump au pouvoir le 5 novembre prochain ? C'est le sentiment général dans les (…)

Ce qu'on appelle la démocratie américaine serait-elle menacée par une éventuelle arrivée de Donald Trump au pouvoir le 5 novembre prochain ? C'est le sentiment général dans les milieux progressistes et de gauche ; même au delà de ces cercles, on s'inquiète de cette possibilité.

La démocratie formelle est moins vulnérable au retour envisageable du populiste à la Maison-Blanche qu'à son affaiblissement plus ou moins marqué au quotidien. Je ne reviendrai pas sur les arguments souvent invoqués pour soutenir cette opinion. Dans l'ensemble, ils me paraissent pertinents. Sous un éventuel nouveau mandat de Trump, les libertés formelles risquent de se trouver grugées toujours davantage, ce qui pourrait entraîner toutefois la mobilisation sous diverses formes d'une bonne partie de la population contre ce processus délétère.

Mais Trump ne constitue que le signe, l'incarnation d'un mal plus profond qui affecte la société américaine (et d'autres aussi en Occident, y compris chez nous) au moins depuis la présidence de Ronald Reagan (1981-1989) : le néo-conservatisme social et économique qui a étendu sans ménagement ses tentacules dans beaucoup de secteurs de cette société. Même les présidences démocrates de Bill Clinton (1993-2001) et de Barack Obama (2009-2017) ont suivi pour l'essentiel ce courant.

Même si Trump était battu, cette tendance dominante (en particulier dans les milieux financiers et boursiers) ne disparaîtra pas. Elle va au contraire se maintenir, soutenue par plusieurs milieux privilégiés vu leurs intérêts et par nombre d'ouvriers blancs en raison de leur frustration ; en effet, les usines où ils travaillaient ont fait faillite et disparu, ou encore elles ont déménagé dans des pays au régime politique autoritaire, lequel offre au patronat américain une main d'oeuvre soumise à bon marché.

Même une administration Kamala Harris ne pourrait pas y changer grand chose. Et si elle parvenait à freiner, voire à stopper l'érosion de la démocratie formelle, serait-elle en mesure d'éliminer les causes plus profondes de la baisse de confiance de larges secteurs de la société américaine à l'endroit des institutions nationales ? C'est loin d'être certain ; et ce d'autant plus que Trump a bourré la fonction publique et aussi le système de justice de juges conservateurs, lesquels risquent de faire obstruction aux tentatives réformistes de Harris.

Les démocraties électorales ne s'effondrent pas toujours à cause de l'arrivée au pouvoir d'un dictateur (comme en Italie la dictature de Benito Mussolini à partir de 1922 ou en Allemagne en 1933 celle de Hitler) ou encore à grand fracas comme en Espagne à cause de la guerre civile de 1936 à 1939 sous les coups des franquistes.

Un courant autoritariste montant peut s'avérer plus sournois (en dépit dans ce cas-ci des coups de gueule de Trump) et entraîner un affaiblissement grave du régime démocratique, qui pourrait à la limite aboutir à sa disparition "en douce".

On en n'est pas rendu là aux États-Unis. Certains observateurs et analystes ont soutenu que les Américains sont habiles à utiliser leurs institutions pour bloquer ou entraver les tentations autoritaristes de leaders exaltés. Il faut souhaiter qu'en cas de retour à la Maison-Blanche de Trump, ils fassent preuve de toute l'ingéniosité requise pour calmer ses ardeurs autoritaires.

Pour l'instant, la démocratie américaine formelle se maintient. Mais les tendances actuelles s'avèrent inquiétantes. On peut miner la démocratie tout en en respectant les formes.

Jean-François Delisle

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Guerre au Liban et à Gaza : la position de la France critiquée par des employés des agences publiques de développement

Suspension des projets de coopération avec Israël, reconnaissance de la Palestine, association de la France aux plaintes devant la Cour de justice internationale et la Cour (…)

Suspension des projets de coopération avec Israël, reconnaissance de la Palestine, association de la France aux plaintes devant la Cour de justice internationale et la Cour pénale internationale… Dans deux courriers internes, révélés par « Le Monde », des employés d'Expertise France et de l'Agence Française de développement appellent l'exécutif à sortir du « deux poids, deux mesures » et à « adopter une position plus ferme et claire » face aux guerres au Liban et à Gaza.

Par Julia Hamlaoui,
Tiré de L'Humanité, France, le jeudi 24 octobre 2024

« La guerre doit cesser au plus vite. Il faut un cessez-le-feu au Liban », a martelé Emmanuel Macron en ouverture de la conférence internationale de soutien au pays du cèdre organisée à Paris à l'initiative de la diplomatie française. Si le président de la République a également annoncé une enveloppe de 100 millions d'euros (1), l'action de la France, face à cette guerre et à celle menée par Israël à Gaza, n'est pas suffisante aux yeux des employés des agences publiques de développement signataires de lettres internes, révélées par Le Monde.

« Nous voyons notre pays brûler et notre population massacrée tout en travaillant pour les intérêts d'un pays justifiant le droit de se défendre seulement pour les Israéliens, même si nous savons que la France défend, pour l'instant, un cessez-le-feu », ont ainsi écrit les salariés du bureau de Beyrouth de l'Agence Française de Développement (AFD) dans un courrier, consulté par Le Monde, au directeur de l'organisme dans lequel ils dénoncent le « deux poids, deux mesures » et un « fort sentiment d'injustice ».

*« Sans quoi, nous en sommes tous complices »*

Une vision que partagent plus de 100 de leurs collègues d'Expertise France (EF) dans une lettre adressée à leur directeur général, Jérémie Pellet, également consultée par le quotidien. « Les déclarations évoquant le « droit d'Israël à se défendre » sans mentionner les souffrances du peuple palestinien ont suscité une incompréhension profonde et ont terni l'image de la France auprès de nos partenaires », expliquent-ils, appelant « la France adopter une position plus ferme et claire ».

Les signataires estiment que « condamner les attaques terroristes du 7 octobre 2023 (…) est indispensable et doit se faire sans équivoque » mais aussi que « l'ampleur des victimes civiles palestiniennes ( près de 43 000 morts, dont une majorité de civils, selon le dernier bilan, NDLR [3] ) et libanaises ( plus de 1 500 morts depuis le 23 septembre, NDLR [4] ) nous oblige à dénoncer et à agir pour mettre fin à ces guerres. Sans quoi, nous en sommes tous complices ».

Tout en saluant l'appel d'Emmanuel Macron à interrompre les livraisons d'armes à Israël (5), les agents estiment nécessaire « la suspension des projets de coopération avec les institutions israéliennes et la reconnaissance officielle de l'État palestinien (6) ». Ils souhaitent également voir la France se joindre aux plaintes en cours devant la Cour internationale de justice (7)et la Cour pénale internationale (8) « pour dénoncer les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et actes de génocide commis par le gouvernement israélien ».

(1) https://www.humanite.fr/monde/emmanuel-macron/guerre-au-liban-macron-promet-100-millions-deuros-daide-pour-beyrouth

(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/10/24/des-employes-des-agences-publiques-de-developpement-francaises-remettent-en-cause-la-position-de-la-france-sur-les-guerres-au-proche-orient_6358949_3210.html

(3) https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/pourquoi-la-mort-de-yahya-sinouar-nouvre-pas-de-perspectives-de-paix

(4) https://www.humanite.fr/monde/guerre-au-liban/guerre-au-liban-comment-benyamin-netanyahou-cherche-a-briser-lunite-du-peuple-libanais

(5) https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/fin-des-ventes-darmes-a-israel-cessez-le-feu-a-gaza-et-au-liban-emmanuel-macron-est-il-enfin-pret-a-agir

(6) https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/reconnaissance-de-la-palestine-macron-en-retard-dune-guerre

(7) https://www.humanite.fr/monde/colonies-israeliennes/comment-la-cour-internationale-de-justice-sest-portee-au-secours-du-peuple-palestinien

(8) https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/guerre-a-gaza-la-cour-penale-internationale-une-institution-sous-pression

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*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, le 25 octobre 2024

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Budget 2025 : la supercherie macroniste va nous coûter très cher !

29 octobre 2024, par François Boulo — , ,
À peine formé, le gouvernement Barnier a eu la charge de préparer en urgence le budget du pays pour l'année 2025. Dès son arrivée à Matignon, Michel Barnier n'a pas caché sa (…)

À peine formé, le gouvernement Barnier a eu la charge de préparer en urgence le budget du pays pour l'année 2025. Dès son arrivée à Matignon, Michel Barnier n'a pas caché sa stupéfaction et son inquiétude face à la situation budgétaire du pays. Avec un déficit révisé à 6,1 % du PIB pour l'année 2024, on est bien loin des 4,4 % prévus initialement par le précédent gouvernement et son ministre de l'Économie, l'inénarrable Bruno Le Maire. Tout ce petit monde s'est tellement lamentablement planté qu'ils ont dissimulé la situation pendant des mois ! Mais il en faudra plus pour que les « élites » françaises ouvrent enfin les yeux et acceptent de changer fondamentalement d'orientation économique. Malgré une (très) légère inflexion, le gouvernement Barnier poursuit assez largement la logique de la politique de l'offre assortie d'une cure drastique d'austérité. Le désastre français est assuré !

22 octobre 2024 | tiré d'elucid.media
https://elucid.media/politique/budget-2025-supercherie-macroniste-couter-tres-cher-francois-boulo

Signe révélateur de la situation budgétaire catastrophique du pays, en septembre dernier, Matignon a refusé aux deux plus hauts responsables de la Commission des finances de l'Assemblée nationale l'accès (pourtant obligatoire) à certains documents budgétaires essentiels. On pourrait en rire si ce n'était pas aussi grave.

L'échec cuisant du macronisme et de la politique de l'offre

Après dix ans de politique économique guidée par Emmanuel Macron (3 ans en tant que ministre de l'Économie sous Hollande, puis 7 ans en tant que Président), le retour à la réalité est brutal. La dette de la France s'élève à plus de 3 000 milliards d'euros (+ 1 000 milliards depuis 2017) et ses intérêts à 52 milliards d'euros. Son déficit budgétaire devrait atteindre les 178 milliards d'euros (au lieu de 128 !) en 2024 ; son déficit du commerce extérieur s'établit à 130 milliards d'euros en 2023 ; sa croissance demeure très faible à 1,1 % en 2023 et 2024, et le chômage (réel) culmine à 10 %. Autrement dit, la France est surendettée, désindustrialisée, amorphe économiquement et toujours rongée par le chômage de masse.

Chapeau l'artiste !

On peut néanmoins reconnaître une chose à Emmanuel Macron : il n'a pas fait dans la demi-mesure. Il a appliqué sa stratégie économique jusqu'au bout des ongles. L'avantage est qu'il est, par conséquent, facile de tirer les leçons de son tragique échec. Quelle était sa philosophie ? Pour l'essentiel, inonder les entreprises (essentiellement les plus grandes) et les contribuables les plus riches d'exonérations sociales et fiscales en tous genres – Crédit impôt compétitivité emploi (CICE), baisse du taux d'impôt sur les sociétés, transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), flat tax, suppression de l'exit tax, etc. –, détruire les protections du droit du travail (Loi El Khomri de 2016, Ordonnances Macron de 2017) et durcir drastiquement les conditions d'accès au droit à l'assurance chômage pour forcer les chômeurs à accepter n'importe quel emploi.

Souvenez-vous, il fallait « libérez les énergies », en langage clair, faire une bonne fois pour toutes une vraie politique de l'offre. Ces réformes, appelées de ses vœux par le MEDEF depuis des années, étaient censées encourager l'investissement, générer une forte croissance et créer des millions d'emplois. Avec un programme pareil, vous savez d'avance que vous allez creuser les inégalités, mais c'était la seule manière – d'après les « experts » en économie défilant sur les médias officiels – de repositionner le pays dans la course face à la concurrence mondiale.

De la casse sociale certes, mais que voulez-vous, c'est le prix à payer ma bonne dame ! Tant pis pour les licenciements abusifs, les burn-out, les expulsions, les dépressions, les divorces, les suicides… Il faut tout sacrifier pour le saint Graal : la croissance. Mais après dix ans d'expérimentation, le résultat est pourtant sans appel : les subventions massives accordées aux entreprises (160 milliards d'euros en 2019) ont vidé les caisses de l'État et creusé le déficit, sans pour autant produire le moindre effet bénéfique sur l'activité. Du grand art !

Pour ce qui est des inégalités, sans surprise, elles ont explosé comme le montrent l'évolution du taux de pauvreté (près de 15 %) et l'indice de Gini (0,294 en 2022) qui atteignent des niveaux historiques, parmi les plus élevés. Dans le même temps, les grandes entreprises ont réalisé des bénéfices records (153,6 milliards d'euros pour le CAC 40 en 2023) etle patrimoine des plus grandes fortunes s'est considérablement accru. La France court à sa ruine, mais qu'importe ! Champagne pour les ultra-riches !

Le mensonge de la réduction du chômage

Ce bilan accablant pour Macron est implacable. Il n'est d'ailleurs nullement contesté… si ce n'est sur un seul point précis : le chômage. C'est l'ultime argument de la macronie pour justifier sa politique. Le taux du chômage aurait été ramené à 7,5 %, soit un niveau jamais atteint depuis 40 ans. Il suffit pourtant de creuser un peu pour s'apercevoir que la promotion à outrance de cet indicateur économique relève d'une supercherie.

En se basant sur les chiffres de France Travail et non sur la définition du Bureau international du travail (BIT), le chômage atteint 10 % de la population, soit un actif sur cinq. Surtout, derrière l'apparence d'une relative bonne dynamique du marché de l'emploi se cachent des mesures court-termistes et très coûteuses. Depuis 2018, la moitié de la baisse du chômage s'explique par la création de 800 000 emplois aidés financés par des fonds publics, et l'autre moitié est constituée d'emploi salariés et non-salariés à faible valeur ajoutée (et à faible rémunération).

La politique macroniste a certes créé des emplois, mais de « mauvais » emplois. En atteste la baisse historique du taux de productivité sur la période. Alors que la productivité d'une heure travaillée n'avait cessé d'augmenter de manière constante (période de crise économique ou non) de 1990 à fin 2018, elle s'est mise brutalement à chuter à compter de l'année 2019.

Penser l'activité du marché de l'emploi uniquement en termes de taux de chômage revient à n'appréhender l'économie que d'un point de vue quantitatif, et non qualitatif. Pour le dire de manière schématique, multiplier les petits boulots de livreurs à domicile ne compense pas la perte des emplois d'ingénieurs et d'ouvriers qualifiés dans l'industrie… La classe dirigeante française a visiblement un peu de mal à comprendre ce principe de base.

Contrairement à ce que prétendent les macronistes, ils n'ont pas réindustrialisé le pays, ils ont remplacé des emplois à haute valeur ajoutée par des emplois précaires. C'est du génie ! Si l'on prend le temps d'y réfléchir, créer des millions d'emplois avec une croissance aussi faible ne pouvait que cacher quelque chose. On sait quoi désormais. Certes on travaille plus, mais chaque nouvelle heure travaillée produit moins que les autres heures. Le pays ne s'enrichit pas, il se précarise !

Budget 2025 : pourquoi changer quand ça ne marche pas ?

C'est dans ce marasme économique, qui vaut à la France de faire l'objet d'une procédure pour déficit excessif de la part de la Commission européenne, que le budget 2025 a été préparé dans l'urgence. En substance, il est prévu de réaliser 60 milliards d'euros d'économies, dont 40 par des réductions de dépense publique (20 Md€ dans les administrations centrales, 15 Md€ dans la Sécurité sociale et 5 Md€ dans les collectivités locales) et 20 par une augmentation des recettes fiscales. L'objectif est de ramener le déficit public à 5 % du PIB, ce qui demeure supérieur de 2 points par rapport à la fameuse limite des 3 %… C'est dire l'ampleur de la dérive budgétaire de la gestion macroniste !

N'est-ce pas ces gens-là qu'on nous présentait comme sérieux contre les « irresponsables extrêmes » ? Après des années passées à dilapider l'argent public par des subventions aux entreprises qui n'auront servi qu'à enrichir les plus riches, le tout financé par de l'endettement, nos « élites » et surtout l'Union européenne ont décidé qu'il était désormais temps pour les Français de passer à la caisse. Il faut dire aussi que les marchés financiers ont depuis quelques mois significativement rehaussé leurs taux de financement pour la France.

Voici venu le temps de l'austérité, la vraie cette fois. Non seulement ça va saigner, mais ça va durer aussi, au moins jusqu'en 2029 ! Peu importe que les mesures de rigueur budgétaires aient partout fait la démonstration de leur inefficacité. Remettre en question la politique de l'offre et les aides publiques aux entreprises ? Certainement pas ! On ne va tout de même pas changer une méthode qui ne marche pas !

Au programme deséconomies budgétaires pour la seule année 2025 – qui pourrait encore réserver de mauvaises surprises dans les jours et semaines à venir –, le gouvernement a prévu notamment la suppression de 4 000 postes dans l'éducation nationale, un report pour 6 mois des revalorisations des pensions de retraite, la baisse du montant de prise en charge des consultations de médecin et sage-femme de 70 % à 60 %, la baisse du plafond d'indemnisation des arrêts maladie, un doublement de la taxe sur l'électricité, un quadruplement de la TVA sur les abonnements au gaz et à l'électricité, une remise en cause d'une partie des aides à l'apprentissage, un rabotage des aides à la rénovation thermique, un malus fortement durci sur les véhicules polluants ou lourds… Malgré la saignée, il n'est même pas dit que l'objectif de 5 % du déficit soit atteint !

Certes, le gouvernement Barnier a aussi décidé d'augmenter les impôts pour les plus riches par une augmentation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et par un relèvement exceptionnel et temporaire de la taxation des entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse un milliard d'euros (environ 400 entreprises). C'est assez pour déclencher une levée de boucliers dans le camp de la macronie, dont la défense des ultra-riches confine à l'obsession. Mais soyons clairs, ces hausses d'impôts sont ridiculement faibles (20 Md€) comparées aux immenses cadeaux faits sur les dix dernières années.

S'agissant de la taxation des hauts revenus, il s'agit uniquement d'instaurer un taux d'imposition minimal de 20 % – ce qui devrait rapporter 2 milliards d'euros. On rappelle que ces foyers les plus fortunés sont censés être assujettis au taux de 45 % sur le gros de leurs revenus (1)… on en reste à des années-lumière ! Ces mesures présentées au nom de la « justice fiscale » relèvent bien plus du symbole que d'une vraie volonté de réduire les inégalités. En bon politicien – ce que n'est pas Macron –, Michel Barnier essaie de donner l'illusion qu'il demande des efforts « justes » et « équilibrés » à tout le monde. Mais sur le fond, il n'y a aucun changement d'orientation économique.

L'incompétence et la traitrise de la classe dirigeante française

Il est facile d'anticiper l'avenir : réduire les dépenses publiques, c'est inéluctablement réduire l'activité économique et diminuer les recettes fiscales. Ce programme de rigueur budgétaire risque surtout de pénaliser la croissance, voire de provoquer une récession avec à la clé des faillites d'entreprises, des suppressions d'emplois et des pertes de savoir-faire, poursuivant la destruction durable du tissu économique du pays.

L'économiste Anne-Laure Delatte évalue que le budget 2025 coûtera 0,6 point de croissance. La thérapie de choc risque fort d'accoucher d'économies tout à fait dérisoires, tout en approfondissant le délabrement des infrastructures et des services publics. Si vous ajoutez à cela que les intérêts de la dette vont bientôt représenter le premier poste de dépense de l'État en atteignant plus de 72 milliards d'euros en 2027, l'étau se resserre dangereusement...

À court terme, la gravité de la situation commanderait de remettre en cause une large partie des subventions accordées aux plus grandes entreprises du pays (au moins 40, voire 60 milliards d'euros) dont les bénéfices ont explosé sur les deux dernières décennies (153 milliards en 2023 pour le CAC 40contre 37 milliards en 2003) plutôt que de demander des sacrifices aux Français.

À plus long terme, l'approche uniquement budgétaire ne sauvera pas durablement l'économie française. Il est impératif de sortir de la logique purement comptable de nos dirigeants pour repartir des besoins réels de l'économie, avec pour priorité de redresser notre système éducatif et de réintroduire du protectionnisme pour soutenir la compétitivité de nos entreprises. En la matière, les mots ne suffisent pas. Il faudrait assumer l'interventionnisme de l'État pour donner de réels moyens aux services publics essentiels et protéger le marché intérieur de la concurrence étrangère déloyale. Cela nécessiterait très concrètement d'agir sur les structures économiques, et en particulier l'euro et le marché unique européen, pour enfin retrouver notre souveraineté industrielle perdue.

Cela fait deux conditions : rompre avec les règles actuelles de l'Union européenne et nourrir une vraie volonté de réindustrialiser le pays. Or, ces deux conditions font manifestement défaut à notre caste dirigeante. Dernière preuve en date ? Le gouvernement a officiellement décidé de ne pas s'opposer à la vente du Doliprane par Sanofi (gavée de subventions publiques) au fonds d'investissement américain CD&R. Mais attention ! Des garanties vont être exigées pour que les emplois soient maintenus en France, nous assurent solennellement nos dirigeants. Cela ne vous rappelle rien ? Les mêmes promesses avaient été faites lors de la vente d'Alstom énergie avec le résultat que l'on connaît.

Bienvenue dans une histoire sans fin...

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En Belgique, le PTB veut « réveiller la conscience de classe »

29 octobre 2024, par Laëtitia Riss, William Bouchardon — , ,
À quelques mètres de la mer du Nord, dans la ville flamande d'Ostende, le Parti du travail de Belgique (PTB) a fêté sa rentrée politique en septembre dernier, à l'occasion (…)

À quelques mètres de la mer du Nord, dans la ville flamande d'Ostende, le Parti du travail de Belgique (PTB) a fêté sa rentrée politique en septembre dernier, à l'occasion d'une grande Manifiesta, qui a réuni 15.000 personnes. Au programme, de nombreux invités internationaux, parmi lesquels le député britannique Jeremy Corbyn, le syndicaliste américain Shawn Fain ou encore le journaliste français Serge Halimi, ainsi que des ateliers politiques, culturels et sportifs à destination des sympathisants du parti. Et à travers tous les débats, un même fil rouge : revendiquer l'héritage du marxisme et travailler à sa reconstruction. Le PTB se veut ainsi plus offensif qu'un PCF réduit à de faibles scores. Stand après stand, le parti de gauche radicale affiche sa capacité grandissante à organiser la classe travailleuse dans différents organes, sur le modèle des partis de masse du XXe siècle. Par-delà les campagnes électorales, considérées comme des leviers de politisation parmi d'autres, le président du parti, Raoul Hedebouw a par ailleurs clairement rappelé les objectifs du PTB : « réveiller la conscience de classe » et permettre « la structuration du peuple, contre l'atomisation » afin de « matérialiser le contre-pouvoir ».

13 octobre 2024 | tiré de la lettre de Le Vent se lève | Photo : Raoul Hedebouw, président du Parti du Travail de Belgique, sur le marché populaire de La Batte. © PTB
https://lvsl.fr/en-belgique-le-ptb-veut-reveiller-la-conscience-de-classe/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Newsletter_Derniers_Articles&utm_medium=email

Un parti devenu incontournable

Si le PTB est en effet devenu un parti majeur du champ politique belge, beaucoup reste encore à faire. Lors des élections du 9 juin – où les Belges élisaient leurs parlementaires nationaux, régionaux et européens – le PTB a de nouveau progressé. Il a envoyé un second député au Parlement européen, est passé de 12 à 15 sièges à l'échelle nationale et a considérablement amélioré sa représentation dans la région de Bruxelles et en Flandre, en passant respectivement de 11 à 16 et de 4 à 9 élus. Pour la première fois, le parti a même été consulté par le roi de Belgique en vue de rentrer au gouvernement, bien que cette hypothèse ait été très vite écartée par l'ensemble des autres partis.

Le PTB avait donc de bonnes raisons de célébrer cette campagne réussie. Sa mobilisation de terrain en Flandre a sans doute contribué à détourner une partie de la classe travailleuse du vote pour l'extrême-droite, donnée gagnante dans cette partie du pays durant plusieurs mois. Alors que le Vlaams Belang (extrême-droite indépendantiste flamande) est implanté de longue date, le PTB – dénommé PVDA en Flandre ] a réussi, au prix d'un fort investissement militant, à incarner une alternative pour les électeurs en colère contre le statu quo. En arrivant deuxième à Anvers, la grande métropole portuaire du Nord, le parti a même créé la surprise dans une ville souvent décrite comme un bastion de la droite.

En arrivant deuxième à Anvers, la grande métropole portuaire du Nord, le parti a même créé la surprise dans une ville souvent décrite comme un bastion de la droite.

Seule ombre au tableau : un léger recul en Wallonie, où l'ensemble de la gauche a reculé sous l'effet d'une campagne victorieuse menée par Mouvement Réformateur (droite), et son ambitieux président Georges-Louis Bouchez. Certes, le PTB avait particulièrement focalisé son action sur la Flandre cette année afin de rééquilibrer ses forces sur l'ensemble du pays, ce qui était indispensable pour le seul parti défendant l'unité de la Belgique. D'importants efforts de mobilisation seront cependant nécessaires pour reprendre pied en Wallonie, qui, si elle ne compte pas de parti d'extrême-droite, a été séduite par les discours d'un MR de plus en plus conservateur, qui a habilement su se réapproprier la « valeur travail » en opposant travailleurs et chômeurs. D'après la droite, ces derniers seraient en effet volontairement maintenus dans l'assistanat par le Parti Socialiste, qui s'assure ainsi une clientèle électorale.

La guerre sociale « en pause » provisoire

Si les performances électorales sont donc plutôt enthousiasmantes pour le PTB, le parti refuse de se reposer sur ses lauriers et de faire de la politique en fonction des sondages, comme nous l'avait confié Raoul Hedebouw dans un entretien à LVSL. À Manifiesta, les différents leaders du parti ont fortement insisté sur la nécessité de s'attaquer aux discours cherchant à diviser le peuple, en l'opposant aux étrangers ou aux supposés « assistés ». Une nécessité d'autant plus forte que la future coalition au pouvoir, dénommée Arizona, prévoit un programme anti-social extrêmement violent : augmentation de la TVA sur les produits de première nécessité de 6 à 9%, désindexation des salaires sur l'inflation, simplification du travail le dimanche et les jours fériés, fin de la semaine de 38 heures, attaques contre les droits des délégués syndicaux, baisses des pensions de retraite…

Ce programme de guerre sociale envisagé par une grande alliance, alliant des socialistes flamands de Vooruit à la droite francophone du MR, en passant par la N-VA (droite flamande), les CD&V (conservateurs chrétiens) et Les Engagés (centre), a certes été mis en sourdine dernièrement. Pour une raison simple selon Raoul Hedebouw : « Ils ont appuyé sur le bouton « pause » jusqu'aux élections du 13 octobre. Et ils se sont dit que les gens étaient trop stupides pour comprendre leur manège. » Ce dimanche, les Belges voteront en effet pour renouveler leurs conseils communaux pour les six prochaines années. Craignant une défaite dans les urnes, les partis de l'alliance Arizona préfèrent donc attendre le scrutin avant de lancer leur offensive.

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Au-delà de la volonté de contrer ce programme anti-social, le PTB nourrit de fortes ambitions pour cette échéance. L'objectif est triple : doubler le nombre de conseillers communaux PTB (en passant de 150 à 300 élus), doubler le nombre de communes où il est représenté (de 35 à 70) et surtout entrer dans quelques « majorités de changement » municipales. Un certain nombre de communes sont particulièrement visées : Seraing, Liège, Charleroi et Herstal en Wallonie, Molenbeek et Forest en région bruxelloise, voire Anvers. Avec près de 23% des voix dans cette dernière le 9 juin et un total de 46% pour les listes progressistes, la possibilité de détrôner le leader de la droite flamande et maire sortant Bart de Wever apparaît donc possible.

Le « communisme municipal » comme source d'inspiration

Des victoires possibles donc, mais pour quoi faire ? Une des priorités du PTB est de stopper l'envolée des prix du logement, en imposant aux promoteurs une règle simple : un tiers de logements sociaux, un tiers à prix accessible et un tiers au prix du marché. En matière de transports, le parti promeut certes le développement des transports en commun, mais s'oppose fermement aux politiques anti-sociales contre la voiture lorsqu'aucune alternative n'existe. Un discours qui s'adresse en particulier aux travailleurs dépendants de la voiture en raison de leurs horaires ou de l'éloignement de leur travail suite à la spéculation immobilière. Le parti souhaite aussi rééquilibrer la fiscalité locale, en imposant davantage les grandes entreprises pour permettre de baisser les impôts sur les commerces locaux, comme cela a été mis en œuvre à Zelzate et Borgerhout, deux petites communes flamandes où le PVDA fait partie de la majorité sortante. Enfin, de manière plus classique pour la gauche, il promet des investissements importants dans les services publics comme les crèches et la police de proximité ou dans le monde associatif.

Dans toute l'Europe de l'Ouest, les partis communistes et ouvriers ont longtemps réussi à faire de leurs bastions de véritables modèles.

À Manifiesta, Raoul Hedebouw décrit ce programme comme une première avancée vers le « communisme municipal » qu'il cite comme source d'inspiration. Cette tradition de progrès sociaux à l'échelle municipale, à travers la construction de logements publics, le développement d'une offre culturelle et de colonies de vacances pour les plus pauvres et des dispositifs d'aide sociale comme les CCAS, les mutuelles, les plannings familiaux ou les coopératives d'achats alimentaires, a en effet une longue histoire. Dans toute l'Europe de l'Ouest, les partis communistes et ouvriers ont longtemps réussi à faire de leurs bastions de véritables modèles. Au-delà de l'amélioration immédiate des conditions de vie des habitants, il s'agissait aussi de montrer à quoi pourrait ressembler la future vie communiste. Un héritage qui s'est largement perdu depuis un demi-siècle, mais encore vivace en Autriche, où le parti communiste KPÖ dirige Graz (seconde ville du pays) ou au Chili, où le communiste Daniel Jadue mène des politiques d'avant-garde dans une banlieue de Santiago.

En comparaison, le programme du PTB semble plus réformiste, ce qui s'explique par la nécessité de gouverner avec des alliés plus modérés, à savoir le Parti socialiste et Écolos, voire Vooruit. Si ceux-ci ont toujours rejeté les mains tendues du PTB jusqu'à présent pour former des coalitions progressistes, comme le rappelle David Pestieau, le secrétaire politique du parti, la donne est peut-être en train de changer : ces partis sont en perte de vitesse, exclus des négociations nationales et concurrencés sur leur gauche par le PTB. À la manière du PSOE de Pedro Sanchez, ils pourraient donc renoncer à leur stratégie de d'évitement et tenter de conclure des majorités avec le PTB pour reconstruire leur crédibilité politique. Pour le parti marxiste, une telle situation serait à double tranchant : côté pile, il pourrait sortir de son isolement politique et casser l'argument selon lequel il serait toujours un parti d'opposition, incapable de gouverner. Côté face, il pourrait être comptable de mauvaises décisions et perdre une part de la crédibilité chèrement acquise depuis une quinzaine d'années.

Organiser les travailleurs : le mot d'ordre du PTB

Pour écarter ce scénario, le parti devra user habilement de ses capacités de blocage là où ses votes seront décisifs pour obtenir une majorité, mais aussi s'appuyer sur son implantation en dehors des institutions. Ce dernier point est une différence majeure avec d'autres partis de gauche radicale, comme Podemos, qui s'est montré subtil en termes de tactiques parlementaires vis-à-vis du PSOE, mais a délaissé le terrain syndical et les mouvements sociaux. À l'inverse, le PTB poursuit son investissement des sections d'entreprises, « premier bastion » de l'organisation des travailleurs, et soutient concrètement ces derniers à l'occasion des batailles décisives contre leurs directions. Dernière mobilisation en date : celle en faveur des travailleurs d'Audi à Bruxelles (VW Forest), menacés par la fermeture de leur usine, alors qu'elle constitue le premier site de production de véhicules électriques en Belgique, et qu'elle emploie près de 3000 personnes. Invitée à s'expliquer devant la Chambre belge par le président de la commission de l'Économie Roberto d'Amico, ancien syndicaliste FGTB et actuel député du PTB, la direction d'Audi n'a pas donné suite ; mais s'est néanmoins trouvée forcée d'ouvrir les portes de son usine aux parlementaires de tous les partis pour clarifier ses intentions.

Une première victoire face au huit-clos qui devait initialement solder le sort des travailleurs d'Audi et acter la non-viabilité des différents plans de reprises. Robin Tonniau, député fédéral du PTB, s'en explique : « Audi a fait des erreurs stratégiques qui impactent des milliers de travailleurs et on devrait les croire sur parole qu'aucun des 24 scénarios étudiés n'est rentable ? On exige d'Audi qu'il y ait une transparence totale, comme le demandent les syndicats. (…) Comment se peut-il qu'il n'y ait aucun intérêt financier, selon la direction, à maintenir une activité de constructeur automobile ? » La question fait d'autant plus mouche qu'elle est formulée par un ancien travailleur du site. Élu député au Parlement flamand en 2019, et député à la Chambre en 2024, Robin Tonniau a été pendant 16 ans ouvrier de l'industrie automobile. Une trajectoire fidèle à celle que le PTB s'essaie à promouvoir pour transformer les postes d'élus en postes de tribuniciens, où s'entend l'écho d'un véritable « porte-parolat populaire », susceptible de s'adresser à tous les travailleurs du pays. C'est en rappelant que les mobilisations sectorielles sont aussi des causes nationales que les députés du PTB parviennent, selon certains de ses militants rencontrés à l'occasion de Manifiesta, à « réveiller la conscience de classe ».

S'il est un mot d'ordre qui explique la progression du PTB depuis plusieurs années, c'est donc assurément celui de l'organisation, dépassant largement les ordres de bataille en période électorale.

S'il est un mot d'ordre qui explique la progression du PTB depuis plusieurs années, c'est donc assurément celui de l'organisation, dépassant largement les ordres de bataille en période électorale. Lorsqu'on normalise « les mouvements gazeux », on justifie « un retard organisationnel » défend notamment Raoul Hedebouw, à l'occasion d'un débat avec Serge Halimi, ancien directeur du Monde Diplomatique, au sujet de la montée de l'extrême-droite. Un retard dont profitent selon lui les partis nationalistes, qui reconstruisent un « nous » à la place de celui historiquement bâti par le mouvement ouvrier. Pour inverser la tendance, c'est par conséquent à une gauche des travailleurs, et non à une gauche des valeurs, qu'il s'agit de revenir pour le président du PTB. Certes l'opposition n'est pas binaire, mais elle doit présider à certaines analyses : considère-t-on les électeurs d'extrême-droite perdus pour la cause ou, au contraire, capables de s'émanciper du « chaos politique et idéologique » qu'entretient, à dessein, la classe dirigeante ? En Belgique, la réponse ne fait débat : tous les électeurs sont avant tout des travailleurs qui, à ce titre, ne sont pas irrécupérables. De quoi contraster avec les tergiversations des forces de gauche frontalières qui se demandent encore comment – et pourquoi – reconquérir les classes populaires.

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Grèce : amplifier et unir les luttes !

29 octobre 2024, par Andreas Sartzekis — , ,
C'est le paradoxe de la rentrée. Si la droite gouvernementale est en crise (les sondages la donnent à environ 20 %, loin des 41 % des élections 2023), Mitsotakis s'affiche plus (…)

C'est le paradoxe de la rentrée. Si la droite gouvernementale est en crise (les sondages la donnent à environ 20 %, loin des 41 % des élections 2023), Mitsotakis s'affiche plus fort que jamais.

20 octobre 2024 | tiré d'Inprecor par Andreas Sartzekis

Son mépris le fait se féliciter de son projet de budget où des hausses de salaires seront illico neutralisées par la hausse des prix (électricité !). Pire, il se réjouit des privatisations pour la vie quotidienne, et cela au moment où un immense concert de soutien aux familles des 57 victimes de la tragédie ferroviaire de Tèmbi rappelle que sa cause était le désengagement du secteur public…

S'il peut agir ainsi — et malgré une première défaite juridique dans le scandale des écoutes — c'est surtout en raison de la faiblesse de l'opposition politique : au « centre gauche » Syriza (devenu 5e parti dans les sondages) est au bord de disparaître, et la gauche continue, malgré quelques tentatives en cours, d'agir de manière fort sectaire (tendance au parti ­autoproclamé).

Des colères

Certes, la manif de rentrée en septembre à Salonique était cette année moins fournie que les années précédentes. Pourtant, des colères populaires sont là. Face à l'incapacité de la droite à prévenir et à circonscrire les incendies ravageurs qui sont arrivés aux portes d'Athènes (manque cruel de postes de pompiers). L'implantation forcenée de centaines d'éoliennes est refusée par les populations locales (sur les îles, dans les montagnes…). Colère aussi contre le surtourisme, qui voit croître les logements Airbnb au détriment des logements populaires, sans oublier les consignes du maire de Santorin cet été demandant aux habitantEs du bourg de ne pas sortir de chez eux pour faciliter le passage des milliers de passagers des croisières… Et une colère croissante contre la multiplication des accidents du travail (107 morts depuis le début de l'année), conséquence des attaques contre le droit du travail. Cette fuite en avant ultralibérale n'empêche pas des critiques du président du conseil d'administration de la Banque nationale, alertant sur le fait que la Grèce ne peut pas s'appuyer sur le seul secteur touristique et rappelant que personne ne s'est vraiment penché sur la raison profonde de la crise de 2008, qui a débouché sur les mémorandums de la troïka.

Et des luttes

Les principales luttes de la rentrée ont lieu dans l'éducation : mobilisations contre le manque d'enseignantEs (16 000 à la mi-septembre), effarantes fusions de sections. Des mobilisations locales ont lieu, des manifs, plusieurs occupations… Face à cette combativité, le pouvoir accentue de manière inquiétante la répression contre les enseignantEs mobiliséEs, comme au Pirée où des militantEs syndicaux risquent le renvoi — plusieurs centaines de collègues ont manifesté en soutien mi-octobre. Même tendance à l'université ! La police est envoyée contre les étudiantEs protestant contre le manque d'entretien de l'université publique, et le ministre, après la création illégale de facs privées, tente désormais d'instaurer des droits d'inscription ! Contre aussi le personnel de recherche intervenant à Polytechnique Athènes pour des conditions décentes en Grèce — un chercheur militant rapporte, dans l'hebdomadaire Prin1, que le secrétaire général du ministère leur enjoint, s'ils veulent de meilleurs salaires, de partir en Hollande !

Et, sans oublier les nombreuses manifs de soutien au peuple palestinien, il faut une nouvelle fois évoquer la lutte antiraciste constante face aux violences policières : plusieurs incursions destructrices dans des regroupements de RromEs, et de graves violences contre des immigréEs. La plus odieuse est celle du livreur pakistanais qui, conduit au sinistre poste de police d'Omonia, est resté 8 jours à passer d'un poste à l'autre. Il a été retrouvé mort avec de nombreuses traces de coups... Justice pour Mohamed Kamrad, exigent Keerfa et d'autres associations ! Et pas le seul déplacement des deux responsables du poste d'Omonia… La convergence des luttes sera vite un objectif majeur !

Publié le 13 octobre 2024 par L'Anticapitaliste.

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Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) :Le chemin de la victoire et les tâches de la gauche ukrainienne

29 octobre 2024, par Sotsialnyi Rukh — , ,
L'une des principales décisions de la conférence du Mouvement social (Sotsialnyi Rukh), qui s'est tenue à Kiev les 5 et 6 octobre 2024, a été l'adoption de la résolution « Le (…)

L'une des principales décisions de la conférence du Mouvement social (Sotsialnyi Rukh), qui s'est tenue à Kiev les 5 et 6 octobre 2024, a été l'adoption de la résolution « Le chemin de la victoire et les tâches de la gauche ukrainienne ». Le texte de la résolution est reproduit ci-dessous :

1. Une réponse honnête aux défis de la guerre, pas une politique hypocrite

Les perspectives incertaines de victoire de l'Ukraine découlent du fait que la seule stratégie fiable pour s'opposer à l'agresseur - mobiliser toutes les ressources économiques disponibles pour soutenir la ligne de front et les infrastructures critiques - est en contradiction avec les intérêts de l'oligarchie. En raison du libre marché, l'Ukraine est une caricature d'économie de guerre, et la concentration du luxe au milieu de la pauvreté devient dangereusement explosive. Le refus de nationaliser les capacités de production, de taxer les grandes entreprises et d'orienter le budget vers le réarmement permet de prolonger la guerre au prix d'importantes pertes humaines et d'une mobilisation constante.

Nous pensons que le gouvernement devrait entamer un dialogue avec la population sur les objectifs réalisables de la guerre et, surtout, introduire une économie défensive ou reconnaître qu'il n'est pas prêt à se battre pour la victoire. Nous préconisons de mettre fin à l'incertitude concernant la durée du service militaire, car il s'agit d'une question d'équité élémentaire. L'acquisition d'une supériorité technologique combinée à une approche prudente des personnes est la voie de la victoire.

2. La solidarité internationale comme moyen de surmonter la crise de l'ordre mondial

La guerre en cours en Ukraine est l'un des signes de la crise de l'ordre mondial fondé sur le modèle néolibéral. Celui-ci se caractérise par l'exploitation des pays pauvres par les riches, l'inégalité dans l'accès aux biens fondamentaux et la prospérité des élites financières au prix de l'endettement de nations entières. Toutes ces caractéristiques du système néolibéral ont sapé la confiance dans le droit international et rendu inévitable la polarisation mondiale.

Pour lutter contre l'agression russe et pour ouvrir la voie à une reconstruction d'après-guerre qui profite aux travailleurs, nous avons besoin du soutien de la communauté mondiale, y compris d'une assistance humanitaire et militaire. L'intégration européenne ne doit pas servir de justification à des réformes antisociales, mais doit se faire sur des bases équitables, en s'accompagnant d'une amélioration du bien-être du peuple ukrainien et d'un renforcement de la démocratie. Nous sommes convaincus que nos liens avec les mouvements de gauche à travers l'Europe aideront l'Ukraine à mieux se défendre. Dans le même temps, nous sommes solidaires des mouvements progressistes d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine dans leur lutte contre l'impérialisme. Nous condamnons les politiques d'agression et d'occupation d'autres États, qu'il s'agisse de l'oppression des Palestiniens par Israël, des Kurdes par la Turquie ou des Yéménites par l'Arabie saoudite. Une nouvelle architecture des relations internationales est nécessaire, où il n'y a pas de privilèges pour les « grandes puissances », le G7 ou les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU.

Le Mouvement social prône le désarmement nucléaire, interagit avec les forces de gauche qui reconnaissent le droit à l'autodéfense de l'Ukraine et soutient la lutte des autres nations pour leur libération.

3. Construire une « Ukraine pour tous » en tant qu'espace de solidarité et de sécurité

Alors que la guerre contre un ennemi extérieur était censée unir le peuple ukrainien, en réalité, des tentatives honteuses sont faites pour diviser les Ukrainiens en « bons » et « mauvais ». Au lieu d'unir le plus grand nombre autour des idées de justice, de liberté et de solidarité, on provoque des conflits au sein de la société. On assiste à des manifestations de chauvinisme linguistique, à la justification de l'hostilité envers les minorités nationales et la communauté homosexuelle, et à la promotion de l'uniformité idéologique. Cela ne permettra pas à la lutte mondiale contre l'impérialisme russe de gagner du terrain et compliquera la réintégration des territoires occupés.

Il est impossible d'établir l'égalité sans surmonter la vulnérabilité sociale. À l'inverse, la réduction des dépenses sociales par l'État et la déréglementation irresponsable affectent déjà la résilience de la société. Il est temps de cesser de promouvoir des politiques qui exacerbent les inégalités. Les demandes d'émancipation des femmes, d'espaces inclusifs pour les personnes handicapées et de soutien aux victimes de la violence d'extrême droite peuvent renforcer la capacité de l'Ukraine à résister à la tyrannie, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du pays. Prouver notre humanité = prendre l'avantage sur l'agresseur.

Le Mouvement social s'opposera aux politiques qui divisent la société et protégera les droits sociaux comme condition préalable à l'affirmation de la dignité humaine. Nous exigerons un contrôle total de l'État sur la protection de la vie et le bien-être des travailleurs, qui sont plus exposés que jamais.

4. La transformation écosocialiste - la clé de la survie

L'écoterrorisme russe, combiné à des années d'exploitation prédatrice à grande échelle des ressources naturelles par les oligarques nationaux et à la négligence des autorités en matière de protection de l'environnement, constitue une menace pour les écosystèmes de l'Ukraine, y compris sa biodiversité, ses ressources en eau propre, la fertilité de ses sols, ainsi que la santé et la vie de sa population. La guerre et la politique anti-environnementale du capital ont un impact négatif sur les groupes pauvres et discriminés, augmentant leur vulnérabilité.

Nous insistons sur la nécessité d'harmoniser la production sociale et la reproduction écologique sur la base des principes de l'écosocialisme. La transition verte doit avant tout être équitable et prendre en compte les intérêts des travailleurs en créant de nouveaux emplois, en recyclant les travailleurs et en assurant des garanties sociales et des compensations pour ceux qui risquent de perdre leur emploi en raison de la fermeture d'entreprises. L'utilisation efficace des ressources énergétiques nécessite une réduction du temps de travail, et la nationalisation des entreprises énergétiques permettra une gestion rationnelle des capacités sans l'influence d'intérêts commerciaux. Nous soutenons les petits agriculteurs familiaux pour la sécurité alimentaire et l'écologisation de l'agriculture, l'idée de déprivatisation des ressources communes, et nous nous opposons fermement aux exploitations agricoles monopolistiques qui détruisent l'écosystème.

Le Mouvement social collaborera avec les syndicats et d'autres organisations publiques progressistes pour élaborer un programme de transformations qui réponde aux intérêts à long terme des travailleurs, des agriculteurs et d'autres segments vulnérables de la population ukrainienne dans le contexte de la production, de l'écologie et de l'énergie.

5. Les travailleurs ont porté le fardeau de la guerre, ils méritent donc d'être entendus.

Depuis le début de l'invasion à grande échelle, le cœur de la résistance à l'agression - tant au front qu'à l'arrière - a été la classe ouvrière. Malheureusement, dans des conditions où le principal fardeau de la guerre a été transféré à la classe ouvrière, il n'y a pas de force politique de gauche en Ukraine qui exprimerait les problèmes inhérents aux travailleurs et qui agirait selon les principes de la démocratie inclusive. Dans le cadre des réalités du capitalisme oligarchique, les restrictions des libertés servent souvent les intérêts des élites.

Pour construire une Ukraine écosociale, indépendante, avec des droits et des opportunités égaux, il est nécessaire d'avoir une plateforme politique démocratique qui unira les travailleurs et les autres groupes opprimés, représentant leurs intérêts dans la politique, y compris la participation aux élections. Nous sommes ouverts à l'interaction avec les partis politiques qui partagent notre vision. Plus vite un processus politique compétitif sera rétabli, plus vite la confiance dans l'État sera restaurée. La corruption, la censure et d'autres abus commis par des fonctionnaires nuisent aux efforts de défense. Le meilleur remède contre cela est le renouvellement démocratique du pouvoir. La liberté est le fondement de la sécurité pour tous les citoyens.

Le Mouvement social plaide pour le rétablissement des droits électoraux, du droit de réunion pacifique et de grève des travailleurs, ainsi que pour l'abolition de toutes les restrictions aux droits du travail et aux droits sociaux.

Sotsialnyi Rukh (Mouvement social), octobre 2024

Sotsialnyi Rukh's website, https://rev.org.ua/rezolyuciya-shlyax-do-peremogi-ta-zavdannya-ukraїnskix-livix/

Publié en anglais le 20 octobre 2024 sur https://links.org.au/sotsialnyi-rukh-social-movement-path-victory-and-tasks-ukrainian-left

Traduit avec deepl.com

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Ukraine : La force vient de l’intérieur

Le « plan de victoire » de Zelensky est un appel aux acteurs extérieurs qui montre que le gouvernement sous-estime encore nettement le potentiel d'une mobilisation interne de (…)

Le « plan de victoire » de Zelensky est un appel aux acteurs extérieurs qui montre que le gouvernement sous-estime encore nettement le potentiel d'une mobilisation interne de toutes les forces. Dans le même temps, le plan risque même de saper l'unité, par exemple en ouvrant l'accès aux ressources naturelles tandis que les oligarques continuent d'être protégés et que les charges de la guerre sont répercutées sur la population.

Oleksandr Kyselov (Mouvement social, Ukraine)

Ce n'est qu'en développant une infrastructure de défense publique, en socialisant les infrastructures critiques et en gérant les ressources de l'Ukraine dans l'intérêt des générations actuelles et futures que nous pourrons espérer protéger notre liberté. Les citoyens devraient être concernés par l'avenir du pays, et le respect de la dignité humaine doit être au cœur d'une société qui demande à ses membres de risquer leur vie pour elle.

Malheureusement, rien de tel n'apparaît dans le « plan de victoire » de Zelensky, qui a finalement été révélé à la nation. Au contraire, ce qui frappe le plus dans ce plan est sa dépendance disproportionnée à l'égard de l'Occident. Il s'agit là d'un changement notable, s'éloignant des appels émotionnels antérieurs pour chercher à attirer un soutien par l'accès à nos ressources naturelles et la promesse d'externaliser nos troupes pour assurer la sécurité de l'Union européenne. Aussi éloignée que soit cette vision de nos rêves les plus chers de réintégrer la « famille européenne », il pourrait s'agir d'une approche sobre, compte tenu de l'hypocrisie omniprésente dans la politique internationale. Mais ce qui est encore plus humiliant, c'est d'essuyer un refus presque immédiat. Alors qu'auparavant, une pression incessante - à la limite de l'intrusion – réalisait l'inimaginable, aujourd'hui l'évolution de l'environnement politique indique que les limites sont atteintes.

Cette dépendance à l'égard d'acteurs extérieurs pour résoudre nos problèmes est symptomatique de la voie politique choisie, qui a considéré nos propres citoyens comme d'accord et a entraîné une fragilité interne à peine dissimulée. « Sotsialnyi Rukh » exige un dialogue sincère avec la société sur la façon dont nous en sommes arrivés là et sur ce que l'on peut raisonnablement en attendre. La rhétorique militante du gouvernement suscite des attentes, mais l'incapacité à les concrétiser en unissant l'ensemble de la société et en mobilisant toutes les ressources pour la défense ne fait qu'aggraver la méfiance et la déception.

Après 970 jours de guerre au moment de la rédaction de ce rapport, des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers de blessés et des millions de personnes déplacées, l'enjeu est immense. Peu de familles sont épargnées par cette dévastation. Les espoirs nés d'une offensive réussie dans l'oblast russe de Koursk ont cédé la place à l'inquiétude et à l'incertitude face à une lente retraite dans l'Est. Les forces russes menacent de s'emparer de Pokrovsk, ce qui risquerait de couper la principale source de charbon à coke et de paralyser notre industrie métallurgique. Les soldats épuisés, qui combattent souvent dans des unités en sous-effectif sans bénéficier d'un repos et d'une récupération adéquats, sont scandalisés par les projets du gouvernement visant à autoriser l'achat légal d'une exemption, au moins temporaire, du service militaire et exigent des durées de service claires. Certains n'en peuvent plus : selon les médias, près de 30 000 cas d'exemption de service ont été enregistrés au cours des six premiers mois de l'année 2024.

La question reste ouverte : qui remplacera ceux qui sont en première ligne ? Conscients des conditions de vie dans l'armée, les civils ne font plus la queue aux postes d'appel sous les drapeaux, mais se soustraient activement à la mobilisation. Les cas signalés d'évasion ont triplé depuis 2023, et les sondages montrent régulièrement que près de la moitié des personnes interrogées jugent ce phénomène raisonnable. Les appels au devoir civique sonnent creux lorsque l'État déclare ouvertement qu'il ne doit rien à ses citoyens - la ministre de la politique sociale, Oksana Zholnovich, ayant déclaré que « nous devons briser tout ce qui est social aujourd'hui et simplement reformuler à partir de zéro le nouveau contrat social sur la politique sociale dans notre État » et le président de la politique sociale ayant déclaré « nous ne sommes pas un ministère de paiement, les Ukrainiens devraient être plus autosuffisants et moins dépendre de l'État ». La brutalité et l'impunité des officiers de police judiciaire, qui font pression sur les hommes dans les rues, ne font qu'exacerber le problème. Plus de 1 600 plaintes ont été déposées auprès du Médiateur en 2024, mais les résultats se font attendre. Entre-temps, les rapports du champ de bataille, qui décrivent comment des recrues non motivées, non entraînées, voire inaptes, mettent en danger les autres, remettent en question le résultat de l'augmentation de la coercition.

Le tableau d'ensemble suggère un choix délibéré des élites dirigeantes de transférer le fardeau de la résistance à l'agression sur les gens ordinaires. La flambée des prix, les maigres salaires et l'austérité sociale vont de pair avec la restriction des négociations collectives, l'augmentation des impôts sur les revenus faibles et moyens et la poursuite de la corruption, même dans le domaine de la défense. Ce qui aggrave encore la situation, c'est que la classe politique préfère ignorer la chance d'une unité sans précédent que nous avons tous connue après le début de l'invasion. Au lieu de cela, elle choisit de semer la division en exploitant les peurs d'une société traumatisée et en alimentant la suspicion en désignant sans cesse de nouveaux ennemis intérieurs : russophones, « victimes de la pensée coloniale », adeptes des prêtres moscovites, collaborateurs, agents du Kremlin ou pédés. Les Ukrainiens du front sont montrés du doigt comme les ingrats de l'arrière, qui devraient à leur tour blâmer ceux qui sont « confortablement » assis à l'étranger.

Cela nous ramène au « plan de victoire » du président qui, bien qu'il mette l'accent sur la force, ne fait qu'exposer nos faiblesses. Certains affirment qu'il s'agit peut-être du dernier ultimatum de Zelensky à l'Occident - destiné à être rejeté - avant un revirement complet vers un compromis forcé avec l'ennemi. Cet argument n'est pas totalement dénué de fondement, puisque les sondages suggèrent que plus de la moitié de la population serait prête à négocier ou à geler le conflit si le soutien de l'Occident lui était retiré. Mais quelles sont les chances qu'un accord avec la Russie conduise à une paix durable, sans parler d'une paix juste ? Même en supposant que Poutine soit disposé à négocier de bonne foi, ce qui n'est pas acquis, de tels pourparlers pourraient être voués à l'échec, déboucher sur un accord mort-né ou ne constituer qu'une pause temporaire avant la reprise des combats.

La reconnaissance de l'annexion des territoires occupés est évidemment hors de question. Pour les Ukrainiens, ces territoires restent occupés et il n'y a aucun moyen d'atténuer cette réalité. Laisser l'Ukraine sans garanties de sécurité, surtout lorsque la Russie continue d'investir dans sa force militaire, serait une invitation ouverte à une nouvelle agression. Dans la société ukrainienne, 45 % des Ukrainiens considèrent une paix injuste comme une trahison des compatriotes tombés au combat, et 49 % d'entre eux descendent dans la rue pour protester contre le compromis. Le seul accord ayant une chance d'être soutenu, avec une légère marge, comprend la désoccupation des régions de Zaporizhzhia et de Kherson, combinée à l'adhésion à l'OTAN et à l'UE.

D'autre part, rien de moins que la capitulation et la soumission ne semble remplir les objectifs du Kremlin dans cette guerre d'agression, qui ont été réitérés par Poutine lui-même avant le sommet des BRICS à Kazan. En outre, le plan budgétaire triennal récemment adopté par la Russie porte les dépenses militaires à un niveau record. Par conséquent, la plus grande erreur serait d'opposer les efforts diplomatiques au soutien militaire. Sans une solidarité significative, l'Ukraine et son peuple chuteront - si ce n'est pas maintenant, ce sera plus tard.

Bien qu'il n'existe pas de solutions faciles ou toutes faites, l'honnêteté est essentielle pour se préparer. Si un cessez-le-feu intervient, il ne durera peut-être pas longtemps, mais chaque jour qui passe doit être mis à profit pour renforcer la résilience de notre société. Exposer notre écosystème aux investisseurs étrangers alors qu'il est déjà affaibli par des années d'exploitation prédatrice et d'écoterrorisme russe, n'est pas la solution. L'inégalité, l'aliénation et la privation de droits ne nous apporteront pas la résilience. La main invisible du marché - qui marchandise tout, qui est en proie au court-termisme et au profit - ne nous rendra pas plus forts.

La racine de nos problèmes réside dans le fait que, trop souvent, les intérêts de ceux qui, par leur travail invisible, font fonctionner le pays, ont été ignorés. Espérons que cette fois-ci, nous avons retenu la leçon. C'est pourquoi « Sotsialnyi Rukh » déclare publiquement qu'il est prêt à coopérer avec d'autres forces pour construire un mouvement politique qui garantisse que la voix du peuple soit entendue dans les couloirs du pouvoir. Dès que les élections auront lieu, elles pourront décider de notre destin pour les années à venir.

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Iran. En attendant la tempête

Dans la nuit du 25 au 26 octobre, Israël a lancé une attaque limitée sur l'Iran, avec la bénédiction des États-Unis. Si Tel-Aviv semble pour l'instant se retenir d'ouvrir un (…)

Dans la nuit du 25 au 26 octobre, Israël a lancé une attaque limitée sur l'Iran, avec la bénédiction des États-Unis. Si Tel-Aviv semble pour l'instant se retenir d'ouvrir un nouveau front dans la région, à Téhéran, la population semble davantage préoccupée par les difficultés de la vie quotidienne que par l'éventualité d'une guerre régionale. De passage dans le pays, Shervin Ahmadi raconte l'ambiance dans la capitale.

Tiré d'Orient XXI.

En ce début d'après-midi du 1er octobre, le hall de l'aéroport international Imam Khomeini de Téhéran est plus calme que d'habitude. Seuls deux vols viennent d'atterrir. Dans le taxi qui me conduit vers mon appartement, nous parlons de la situation politique, comme toujours. C'est à ce moment-là que nous apprenons que l'Iran a attaqué Israël. Le conducteur, plus jeune que moi, est inquiet des répercussions économiques. Il a pourtant participé à la guerre contre l'Irak, souvenir amer au vu des jours meilleurs qu'il espérait par la suite. Comme beaucoup d'Iraniens, il critique tout, y compris la révolution iranienne qu'il attribue aux intellectuels « qui sont partis à l'étranger et nous ont laissés dans cet enfer ». Je me sens visé par ce reproche et lui rappelle que la vie sous le Shah n'était pas un paradis, et qu'il n'était pas possible à l'époque de critiquer le régime comme il le fait. Comme beaucoup d'autres, l'homme répète la propagande des chaînes satellitaires pro-israéliennes, comme Iran International, qui ne cessent d'embellir le régime du Shah, pourtant l'un des dictateurs les plus durs de la seconde moitié du XXe siècle.

En arrivant chez moi, je sors acheter le strict nécessaire : un peu de pain et du fromage. Dans un vieux magasin du quartier, les commerçants se sont rassemblés et discutent de la nouvelle de l'attaque. Eux aussi sont inquiets des conséquences économiques, mais sans dramatiser.

Dans les jours qui suivent, je me promène dans le centre-ville, où de nombreux cafés attirent les jeunes. Dans ces quartiers, près d'un tiers de jeunes filles ne portent pas le foulard. Je n'ai pas vu la police des mœurs, ni dans les rues ni à l'entrée des stations de métro. Il semble que la pression sociale ait diminué, comme l'avait promis le candidat Masoud Pezeshkian lors de sa campagne présidentielle. La présence policière dans les rues n'est pas aussi marquée qu'elle l'était pendant le mouvement « Femme, vie, liberté » (1). Pour un pays au bord de la guerre, la situation est curieusement très calme. On a l'impression que les Iraniens ne croient pas à une guerre ouverte avec Israël, et ne paniquent pas face à cette éventualité.

L'inflation plutôt que la guerre dans la région

Cela fait un an que je ne suis pas venu en Iran. J'ai l'impression que l'inflation n'est pas aussi galopante qu'auparavant. Le prix du pain n'a pas changé, mais celui du poulet est passé de 74 000 tomans (1,62 euro) il y a un an à 84 000 tomans (1,84 euro) aujourd'hui, soit une hausse de 14 %. L'augmentation des prix des produits laitiers est encore plus marquée. Selon le Centre des statistiques iranien, le taux d'inflation annuel des ménages du pays a atteint 34,2 % en septembre 2024, enregistrant une légère baisse de 0,6 point par rapport à l'année précédente. Mais la vie chère reste la principale préoccupation des Iraniens. Comme les années précédentes, la hausse des salaires n'a pas suivi l'inflation, et les gens ont le sentiment de s'appauvrir de plus en plus.

La guerre à Gaza est presque absente des conversations. En dehors des médias d'État et des journaux, on n'entend pas parler de ce conflit dans la rue. En revanche, une partie des intellectuels dits « de gauche » adopte une position proche de l'extrême droite française et ne condamne pas les crimes d'Israël, les trouvant « normaux » après le 7 octobre. La haine du régime semble tout justifier, y compris le génocide à Gaza. Certains royalistes vont plus loin, voyant l'image du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou dans la lune (2) et le présentant comme le sauveur des Iraniens. Cependant, ces voix restent très minoritaires, et un appel collectif « contre le nouvel ordre imposé au Proche-Orient » a recueilli la signature de plus d'un millier d'artistes et d'intellectuels iraniens. En discutant avec les gens, on voit tout de suite pointer une certaine fierté patriotique. Personne ne sait quelle serait la réaction des Iraniens si des soldats américains venaient à débarquer sur leur sol.

De son côté, le régime ne semble pas préparer la population à l'éventualité d'une guerre ouverte avec l'Occident dans un avenir proche. La diplomatie iranienne est très active, et Abbas Araghtchi, le ministre des affaires étrangères, a multiplié les voyages dans la région, se rendant notamment en Égypte, pays avec lequel l'Iran n'avait pas de relations diplomatiques pendant des années. Lors de son déplacement au Liban après l'assassinat du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, le ministre a fait état des efforts déployés par l'Iran pour parvenir à un cessez-le-feu simultané au Liban et à Gaza. Le message de Téhéran est très clair : une guerre ouverte entre Israël (ou l'Occident) et l'Iran n'épargnerait aucun pays de la région, et il est dans l'intérêt de tous d'éviter cette éventualité.

Les quotidiens, qu'ils soient réformateurs ou conservateurs, saluent cette forme de « dissuasion diplomatique » et évitent de semer la panique parmi la population en évoquant la probabilité d'une attaque totale imminente d'Israël. On a l'impression que la guerre à Gaza et au Liban a mis fin, du moins temporairement, aux querelles habituelles entre réformateurs et conservateurs, favorisant ainsi l'émergence d'une forme de « réconciliation nationale ».

Les affaires continuent

Téhéran continue de réaffirmer par ailleurs son soutien à ses alliés au sein de « l'axe de la résistance ». Lors de son voyage à Beyrouth, Mohammad Ghalibaf, président du parlement iranien, a déclaré : « Nous participerons à la reconstruction du Liban. » Il a également affirmé récemment que son pays est prêt à négocier avec Paris en vue d'un cessez-le-feu au Liban.

Lors du premier sommet de l'Union européenne avec les six monarchies du Golfe arabo-persique, le 16 octobre 2024, les responsables de l'Union européenne (UE) ont déclaré : « Les opérations militaires d'Israël à Gaza et au Liban, ainsi que le risque d'une guerre régionale plus large, seront le sujet principal de cette rencontre. »3 Cependant, juste avant ce sommet, l'UE a émis de nouvelles sanctions contre sept entreprises iraniennes, dont trois compagnies aériennes, contraignant ainsi Iran Air à suspendre tous ses vols vers l'Europe, sauf Londres. Ces nouvelles sanctions ne devraient pas avoir d'impact significatif sur le régime, mais elles compliquent légèrement la vie des Iraniens de la diaspora qui souhaitent rentrer au pays. Les voyages vers l'Europe et le reste du monde restent possibles via des pays voisins, comme la Turquie, les Émirats ou le Qatar.

Le matin du 26 octobre, en me réveillant, j'apprends que la riposte israélienne a eu lieu : des sites militaires dans les provinces de Téhéran, du Khouzestan (sud-ouest) et d'Ilam (ouest) ont été attaqués. Les médias d'État parlent de dégâts limités.

Malgré cette opération, je ne remarque aucun changement dans le comportement des gens. Tout est calme, et l'attaque semble ne susciter aucun intérêt. Dans le métro, j'essaie d'aborder le sujet avec un jeune étudiant, qui n'est même pas au courant des événements. Je descends au quartier universitaire, où se concentrent de nombreuses librairies, et je constate la même indifférence. Étonnamment, les gens semblent désintéressés.

Plus surprenant encore, le prix du dollar, qui avait grimpé ces derniers jours, a légèrement baissé au lendemain de l'attaque, et la Bourse est passée au vert après plusieurs jours dans le rouge. On dirait que les milieux d'affaires, commerçants inclus, soulagés par la portée limitée de cette attaque, se disent désormais : c'est bon, nous pouvons continuer nos activités.

Beaucoup pensaient que Nétanyahou pourrait attaquer l'Iran avant l'élection présidentielle américaine, le 5 novembre 2024, plaçant ainsi le prochain locataire de la Maison-Blanche devant le fait accompli. Les responsables iraniens avaient déjà mis en garde contre cette éventualité, promettant, si tel était le cas, une riposte encore plus violente que celle du 1er octobre. Pour l'instant, la balle semble à nouveau au centre.

Notes

1- NDLR. Mouvement de révolte qui s'est déclenché en Iran en septembre 2022 à la suite du meurtre, par la police des mœurs, de Mahsa Amini, jeune femme kurde iranienne, pour avoir mal mis son voile.

2- Pendant la révolution iranienne, une rumeur s'est répandue parmi la population selon laquelle l'image de l'Ayatollah Khomeini serait apparue dans la lune. Cet événement a été utilisé pendant des années par les royalistes pour qualifier la révolution iranienne de soulèvement d'un peuple ignorant.

3- « Un sommet UE/Pays du Golfe dominé par la crise au Moyen-Orient », L'Orient-Le Jour, 15 octobre 2024.

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Au Japon, des élections sans illusions

29 octobre 2024, par Romaric Godin — , ,
Le nouveau premier ministre, Shigeru Ishiba, nommé fin septembre, cherche une nouvelle légitimité dans des législatives prévues le 27 octobre. Pris entre les courants internes, (…)

Le nouveau premier ministre, Shigeru Ishiba, nommé fin septembre, cherche une nouvelle légitimité dans des législatives prévues le 27 octobre. Pris entre les courants internes, une opinion sans illusions et une économie stagnante, il devrait être confirmé, mais affaibli.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Pour la première fois depuis 2009, le Parti libéral-démocrate du Japon (PLD) pourrait perdre sa majorité absolue à la Chambre des représentants, la chambre basse du Parlement, lors des élections anticipées prévues le 27 octobre. Ce ne sont pas seulement les sondages qui le prédisent, mais le premier ministre nippon lui-même, Shigeru Ishiba, qui a déclaré que son objectif était d'obtenir une majorité avec son allié traditionnel, le Kōmeitō, un parti issu du mouvement bouddhiste japonais.

C'est pourtant Shigeru Ishiba qui a appelé ce scrutin anticipé après sa désignation surprise, dans un vote interne au PLD, comme premier ministre en remplacement de Fumio Kishida, en poste depuis 2021. Ce dernier avait dû démissionner mi-août après un scandale de corruption au sein du parti. Pour renforcer sa légitimité douteuse et effacer les effets de ces malversations, le nouveau chef du gouvernement a décidé de dissoudre la Chambre des représentants.

L'idée était d'incarner un « nouveau PLD » au pouvoir. Au Japon, ce parti a gouverné soixante-cinq des soixante-neuf dernières années, perdant le pouvoir deux fois seulement, très temporairement, entre 1993 et 1994 et entre 2009 et 2012. Les « alternances » se font donc aussi au sein même du PLD. Shigeru Ishiba a, sur le papier, tout pour représenter cette forme d'alternance.

Le premier ministre japonais Shigeru Ishiba, à Kagawa, le 16 octobre 2024. © Photo Makoto Kondo / The Yomiuri Shimbun via AFP

Pendant longtemps, il a été dans l'opposition interne au parti, notamment à Shinzō Abe qui, en 2012, l'avait battu pour la présidence du PLD. Fin septembre, il l'a emporté en outsider, et en défendant des positions originales, tant sur le plan économique, avec un soutien à la politique de resserrement monétaire de la Banque du Japon (BoJ), la banque centrale du pays, que sur le plan international, où il prônait une politique de réarmement agressif du Japon et la création d'un « Otan asiatique ».

Mais Shigeru Ishiba n'a remporté l'élection interne que grâce au rejet de sa principale concurrente, Sanae Takaichi, héritière autoproclamée de Shinzō Abe. Sa victoire a été courte et n'a pas été un vote d'adhésion des barons du parti à ses positions. Autrement dit, le nouveau premier ministre a une très faible base au sein même du PLD et il lui faut, en réalité, mener deux campagnes parallèles : une pour rassurer les rangs du PLD, l'autre devant les électeurs.

Équilibrisme

Le chemin est étroit. Dans son discours de politique monétaire devant la Diète, Shigeru Ishiba s'est montré extrêmement prudent, évitant de prendre des positions tranchées et d'annoncer quoi que ce soit de concret. Un signe qu'il lui faut trouver des équilibres internes délicats. Résultat : l'homme qui pouvait renouveler le PLD semble se contenter de se mettre dans les pas de son prédécesseur.

Un mode de scrutin mixte qui favorise le PLD

Le Parlement japonais s'appelle la Diète et est constitué de deux chambres : la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers. C'est la première qui est renouvelée le 27 octobre et devant laquelle le gouvernement est responsable. Elle est élue pour quatre ans, mais fait régulièrement l'objet de dissolutions. La dernière chambre a été élue en 2021.

L'élection des 465 députés se déroule en une journée selon deux modes : un majoritaire et un proportionnel. 289 députés sont élus dans des circonscriptions selon un système majoritaire uninominal à un tour, sur le modèle britannique ou états-unien. 176 sièges sont ensuite répartis à la proportionnelle dans onze grands « blocs régionaux ». Chaque électeur dispose de deux bulletins de vote, un pour chacun de ces modes de désignation.

Le mode de scrutin et le découpage des circonscriptions favorisent très largement les aires rurales, traditionnellement conservatrices, ainsi que les grands partis, à commencer bien sûr par le PLD. En 2021, ce dernier a ainsi obtenu 55,7 % des sièges, soit 259 élus, avec 34,7 % des voix.

Autre signe de cette prudence, le nouveau premier ministre n'a exclu que douze députés du parti impliqués dans le scandale de corruption. Mais il n'a satisfait personne. Beaucoup d'élus PLD n'ont guère apprécié ces exclusions réalisées sur des critères opaques, tandis qu'une grande partie de l'opinion a jugé le « nettoyage » principalement cosmétique. L'image du PLD, même menée par Shigeru Ishiba, reste donc entachée par ce scandale dans l'opinion et cela va se traduire par un recul dans les urnes.

Sur le plan international, dès son arrivée au pouvoir, Shigeru Ishiba a, là aussi, dû mettre de l'eau dans son vin. Son idée d'Otan asiatique a été très fraîchement reçue dans la région et semble déjà plus ou moins enterrée. Et alors qu'il avait appelé à une « réponse dure » envers Pékin après la violation de l'espace aérien nippon par un avion de surveillance chinois, il s'est montré plus flexible lors de sa rencontre le 10 octobre avec son homologue chinois Li Qiang, prônant une « relation mutuellement bénéficiaire ».

Au reste, si le PLD doit compter sur son alliance avec le Kōmeitō pour obtenir sa majorité, il y a fort à parier que les bouddhistes profiteront de leur position clé pour peser davantage sur la politique étrangère. Traditionnellement, ce parti est opposé à la rhétorique nationaliste et à toute politique de réarmement massif. L'apaisement prôné par le premier ministre avec Pékin entre plutôt dans ce cadre.

L'absence de politiques économiques convaincantes

Cette volte-face se voit aussi sur le plan économique. Shigeru Ishiba a longtemps défendu un durcissement monétaire afin de sortir de la politique de taux négatifs dans laquelle la BoJ s'est engagée dans les années 2010 pour accompagner la politique de Shinzō Abe.

En mars 2024, la BoJ a relevé une première fois ses taux mais a, pour l'instant, mis en suspens de nouvelles hausses. Dès le 4 octobre, Shigeru Ishiba a déclaré que « l'économie japonaise n'était pas en mesure de supporter de nouvelles hausses de taux ». Ce commentaire a provoqué un vent de panique sur les marchés qui y ont vu l'annonce d'un changement de politique monétaire. Le yen a perdu 2 % en une journée, obligeant le premier ministre à corriger ses déclarations et à jurer qu'il accepterait les choix futurs de la BoJ. L'épisode a prouvé la confusion dans laquelle le leader du PLD mène cette campagne électorale.

De fait, Shigeru Ishiba semble avoir choisi la voie de la continuité avec son prédécesseur. Comme lui, il a promis, dans son premier discours devant le Parlement, de « mettre fin à la déflation », autrement dit à la logique de stagnation alliée à de l'inflation faible qui règne dans le pays depuis le début des années 1990. Car même si le Japon a connu un épisode inflationniste comme le reste du monde entre 2022 et 2023, la logique déflationniste continue de menacer avec la faiblesse des salaires réels et une croissance plus que jamais poussive.

Certes, le PIB japonais a nettement rebondi au deuxième trimestre avec une hausse trimestrielle de 0,8 %, mais il s'agissait largement d'un rattrapage après une baisse de 0,6 % au trimestre précédent. Et les derniers chiffres disponibles ne sont guère encourageants. Les exportations ont reculé de 1,7 % en septembre sur un an, effaçant la hausse de 1,1 % du mois d'août qui constituait le seul moteur de la croissance.

En réalité, en prenant un peu de recul, on constate que, malgré la méthode Coué du gouvernement précédent et de la BoJ, le pays reste dans une stagnation profonde. Le PIB du deuxième trimestre 2024 était ainsi supérieur de 0,2 % à celui du deuxième trimestre de 2019. Autrement dit, en cinq ans, il n'a quasiment pas bougé. On constate aussi que le PIB du deuxième trimestre 2024 est presque 10 % inférieur à ce qu'il aurait été si la tendance déjà faible des années 1994-2008 s'était poursuivie.

Une opposition éclatée

Compte tenu du mode de scrutin, un des avantages structurels du PLD dans les élections japonaises réside dans la division de l'opposition. Dans les années 2000, le Parti démocrate du Japon (PDJ) avait réussi à concentrer une grande partie des courants d'opposition et avait fini par remporter les élections de 2009. Mais après le désastre de la gestion du PDJ, marqué notamment par la catastrophe de Fukushima en 2011, il a perdu beaucoup de crédibilité.

Aujourd'hui, les héritiers du PDJ sont le Parti démocrate constitutionnel (PDC), plutôt social-libéral, et le Parti démocrate du peuple (PDP), plus conservateur et plus marginal. Le PDC n'a cependant jamais plus représenté une menace directe pour l'alliance PDJ-Kōmeitō. En 2021, le PDC a obtenu 99 députés et 20 % des voix au scrutin proportionnel. De son côté, le PDP a obtenu 2,4 % des voix et 11 sièges.

La tâche du PDC est encore rendue plus compliquée par l'émergence du Parti de l'innovation, appelé Ishin no Kai ou simplement Ishin, qui a obtenu 14 % des voix en 2021 et 41 sièges. Ce parti défend une ligne libertarienne et a réussi à s'implanter solidement dans la région de Kyoto et Osaka. Il refuse toute alliance avec le PDC, mais s'est récemment dit prêt à aider le PLD à gouverner, si besoin.

Enfin, le dernier grand parti japonais d'opposition est le Parti communiste du Japon (PCJ) qui, grâce à une évolution précoce d'indépendance vis-à-vis de Moscou et de Pékin, a réussi à conserver des positions fortes. En 2021, il a obtenu 6,8 % des voix et 11 sièges.

Les salaires n'ont pas réellement rebondi. Le salaire réel a reculé pendant vingt-six mois jusqu'en juin 2024 et, après deux mois de hausse modeste, il a, à nouveau, baissé en août. Sans surprise, la demande des ménages est donc atone. La croissance dépend très largement des entreprises exportatrices, lesquelles sont sous la pression du ralentissement de leur principal marché, la Chine. Ces dernières ont donc déjà fait savoir qu'elles préféreraient freiner les hausses de salaires. Et déjà, la dernière proposition des syndicats dans les négociations salariales pour les grandes entreprises a été plus modeste qu'attendu.

Face à cette situation, la BoJ est prise au piège. Est-il temps de resserrer encore les taux alors que l'économie reste aussi fragile ? Faut-il, au contraire, maintenir un soutien monétaire et budgétaire ? Le faux pas de Shigeru Ishiba trahit les doutes qui, en réalité, sont ceux de tout le monde au Japon.

Faute de mieux, le nouveau premier ministre en est donc réduit à s'en remettre aux mêmes recettes qu'auparavant. Shigeru Ishiba, qui avait tant critiqué la politique de Shinzō Abe, a donc annoncé ce que tout nouveau premier ministre doit annoncer : un plan de relance.

L'arme de la relance semble émoussée, comme l'arme monétaire

Sa taille sera annoncée après l'élection, ce qui est, là encore, la preuve de la prudence extrême et du flou que la nouvelle administration entretient. Mais on sait déjà que son originalité sera de se concentrer sur le développement régional. Ce n'est certainement pas une mauvaise idée dans la mesure où l'essentiel de la faible croissance nipponne se concentre dans les métropoles, laissant les régions plus modestes et isolées à l'abandon.

Mais il n'empêche : l'arme de la relance semble émoussée, comme l'arme monétaire. Entre 2021 et 2023, les trois plans réalisés par Fumio Kushida se sont élevés à 188 000 milliards de yens, soit environ 116 milliards d'euros. Sans effets de reprise notable sur la productivité et la croissance. Et c'est ainsi depuis trente ans.

C'est la raison pour laquelle la dette publique est la plus importante du monde : elle atteint 255 % du PIB. Ce niveau s'explique aisément : l'action publique a certes garanti d'éviter un effondrement, mais elle n'a pas permis de redresser la croissance.

Dans ce contexte, Shigeru Ishiba marche sur des œufs. La BoJ normalisant sa politique monétaire, le taux d'intérêt de la dette japonaise va remonter. La charge de la dette pourrait donc venir alourdir la facture et affaiblir le pays à terme, sauf si, cette fois, la relance fonctionne. Mais cette hypothèse semble très hasardeuse : le Japon est une économie structurellement vieillissante, peu productive. Une économie qui dépend trop de son secteur exportateur, lequel a besoin d'un yen faible et de salaires réels comprimés, donc d'une demande intérieure anémique.

Le Japon est donc pris dans des injonctions contradictoires. Comme l'illustre l'appel du nouveau premier ministre à mettre fin à la déflation, sans réellement avoir de solutions concrètes à mettre en œuvre. On comprend donc le peu d'enthousiasme des Japonais devant la proposition de Shigeru Ishiba.

Mais l'opposition est extrêmement divisée et s'est largement discréditée par ses expériences de gestion passées. Le PLD devrait donc garder le pouvoir avec l'appui du Kōmeitō ou, dans le pire des cas, du parti libertarien Ishin. Shigeru Ishiba gardera donc son poste.

L'essentiel est ailleurs. Ni le PLD, ni l'opposition, ni même la BoJ ne semblent aujourd'hui en mesure de régler les problèmes fondamentaux de l'économie japonaise. Les autorités naviguent à vue, tentant d'éviter les écueils les plus évidents. Mais le Japon, tombé à la quatrième place économique mondiale l'an dernier, reste un paquebot à la dérive.

Romaric Godin

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« Les Israéliens pensent que la seule solution pour vivre en sécurité, c’est la guerre »

29 octobre 2024, par Nitzan Perelman, Loïc Le Clerc — , , ,
Que pensent les Israéliens ? De la guerre, à Gaza puis au Liban. Des crises politiques et économiques qui s'enchaînent. D'une société qui se radicalise. On en a causé avec (…)

Que pensent les Israéliens ? De la guerre, à Gaza puis au Liban. Des crises politiques et économiques qui s'enchaînent. D'une société qui se radicalise. On en a causé avec Nitzan Perelman.

Tiré de regards.fr

Regards. Voilà plus d'un an que la situation au Proche-Orient a basculé dans un nouveau niveau de violence. Qu'est-ce qui a changé depuis le 7 octobre 2023 au sein de la société israélienne ?

Nitzan Perelman. En soi, il n'y a rien de nouveau dans cette situation. Les Israéliens ont l'habitude de ces moments de tension – même si cette séquence est très longue. Depuis sa création, Israël est en état d'urgence, quand il n'est pas en guerre. Les Israéliens n'ont jamais rien connu d'autre, au point que même les accords de paix avec la Jordanie et l'Égypte ne sont pas pris au sérieux. Mais il est vrai que le 7-Octobre a été un très grand tournant dans la région et un point de radicalisation et de fracture. Tous les phénomènes que l'on observe aujourd'hui étaient déjà présents dans la société israélienne, ils sont simplement exacerbés. Il faut se rappeler qu'en décembre 2022, quand le gouvernement accède au pouvoir, ils avaient des objectifs très clairs concernant la colonisation de la Cisjordanie et, en mars 2023, ils ont abrogé la loi sur le désengagement de Gaza qui interdisait la construction de colonies.

Tout de suite après le 7-Octobre, il y a eu cette impression que l'armée israélienne, qui est l'institution en laquelle les Israéliens ont le plus confiance, ne fonctionnait plus. C'est un changement d'ampleur parce qu'en Israël, la sécurité est la première des priorités. Cette image d'une armée puissante, dont le renseignement se veut un des plus efficaces au monde, a été brisée. Mais depuis, notamment avec les assassinats des leaders du Hamas et du Hezbollah, cette image est restaurée.

Existe-t-il encore une opposition à Benyamin Netanyahou ou assiste-t-on à une sorte d'union sacrée, à l'extrême droite toute ?

Il y a une très forte opposition à Netanyahou, mais il faut comprendre sur quoi elle repose. Avant le 7-Octobre, cette opposition se basait sur la contestation de la réforme judiciaire, l'alliance du Likoud avec l'extrême droite. Maintenant, l'opposition est concentrée sur la libération des otages, considérée par Netanyahou et ses ministres comme moins prioritaire que l'occupation de Gaza ou la destruction du Hamas.

Pourtant, les manifestations se sont multipliées depuis – début septembre, ce sont plus de 500 000 personnes qui défilaient à Jérusalem. Est-il question de paix dans les revendications de ces Israéliens ?

S'il est question de cessez-le-feu, c'est uniquement pour la libération des otages, aucunement pour cesser la guerre. La paix, le sort des Palestiniens ne sont pas du tout évoqués. Les familles des otages ont fait une campagne dont le slogan était « On les ramène d'abord, on y retourne après ». Autre élément de compréhension de l'état d'esprit des Israéliens : un sondage, publié fin avril, montrait que seulement 4% des juifs israéliens considèrent que la guerre est allée trop loin. Concernant la guerre avec le Liban, le soutien est plus large encore. Même le centre et la gauche sioniste sont très impliqués – on a dit que la gauche s'est « réveillée » le 7-Octobre. On voit par exemple Yaïr Golan, président du parti Les Démocrates, qui a très clairement exprimé son opposition au cessez-le-feu et son soutien à la guerre au Liban.

Depuis sa création, Israël est en état d'urgence, quand il n'est pas en guerre. Les Israéliens n'ont jamais rien connu d'autre. Plus personne ne pense que la paix est possible.

La nouveauté par rapport aux précédents conflits, c'est que l'extrême droite est dans la coalition au pouvoir et ses ministres poussent pour accentuer les tensions avec tous les pays voisins. Netanyahou aussi utilise ce sentiment de peur et de guerre permanente pour rester au pouvoir. Les plus modérés n'échappent pas à cette idée et plaident pour le droit d'Israël à se protéger. Le centre et la gauche sioniste n'appellent pas faire la guerre, mais ils la soutiennent au nom de la sécurité.

Des dizaines de milliers d'entreprises ont fait faillite depuis le 7-Octobre. Le pouvoir a basculé à l'extrême droite. La guerre est à chaque frontière. Et c'est normal pour les Israéliens ?

C'était déjà très compliqué avant le 7-Octobre. En 2011, il y a eu une crise économique et des manifestations très importantes contre le coût de la vie. Entre 2019 et 2021, il y a eu une crise politique où Israël a connu quatre élections législatives sans majorité. Quand, en 2022, Netanyahou a fini par former sa coalition avec l'extrême droite, il subit une énorme contestation contre la réforme judiciaire. Puis arrive le 7-Octobre, le choc de l'attaque, la durée du conflit, le nombre de réservistes mobilisés, la situation économique qui s'enfonce, le fait qu'il y a énormément de déplacés… Non, ça n'est pas normal pour les Israéliens, le sentiment d'insécurité et de fatigue est plus important que jamais. Mais, encore une fois, ça n'est pas un changement, c'est une radicalisation. Plus personne ne pense que la paix est possible et, donc, la seule solution pour que les Israéliens soient en sécurité, c'est la guerre.

Arrivez-vous à imaginer, d'ici un an, ou peut-être plus, une issue pacifique à cette guerre ?

Je suis assez pessimiste. On voit très clairement où veut aller le gouvernement Netanyahou. Le Likoud et ses alliés d'extrême droite – Otzma Yehudit et le Parti sioniste religieux – ont organisé un événement pour la recolonisation de Gaza. Ça ne se fera peut-être pas d'ici un an, mais ils vont mettre en place le « plan des généraux », c'est-à-dire évacuer la population, détruire ce qu'il reste à détruire et occuper militairement Gaza. La construction des colonies viendra dans un second temps. Concernant le Liban, la même idée commence à germer. Parce que cette guerre ne ressemble pas aux opérations précédentes, plus ponctuelles entre deux moments de normalisation. On voit désormais des gens comme Daniella Weiss, une figure emblématique du mouvement des colons, appeler à la colonisation du Sud du Liban. Au sein du gouvernement, on évoque plutôt l'importance de contrôler militairement cette région. Je ne sais pas si c'est possible, mais ça n'est pas improbable.

Loïc Le Clerc

Nitzan Perelman est doctorante en sociologie politique à l'Université Paris-Cité, cofondatrice du site yaani.fr qui analyse les sociétés palestinienne et israélienne.

Netanyahou : un fasciste pur sang de par ses origines, sa formation et ses mentors…

Qu'est-ce qui fait que Bibi Netanyahou soit devenu la coqueluche et l'idole de la racaille d'extrême droite raciste, néofasciste et néonazie en Europe et de par le monde ? La (…)

Qu'est-ce qui fait que Bibi Netanyahou soit devenu la coqueluche et l'idole de la racaille d'extrême droite raciste, néofasciste et néonazie en Europe et de par le monde ? La réponse n'est pas difficile : cette racaille se reconnaît en lui car elle considère, à juste titre, que Bibi Netanyahou est chair de sa chair.

Tiré de : CADTM infolettre , le 2024-10-23
22 octobre par Yorgos Mitralias

Et pas seulement à cause de ses « exploits » guerriers et autres qui font que l'Israël de Netanyahou soit devenu l'État-modèle de leurs rêves (et de nos cauchemars). Si tout ce beau monde le célèbre et s'identifie à lui c'est aussi parce que Netanyahou est un fasciste pur sang de par ses origines, sa formation et ses mentors…

En somme, les poids lourds de l'Internationale Brune en gestation, l'américain Trump, le Russe Poutine et l'Indien Modi, les latino-américains Milei et Bolsonaro et les leaders d'importants partis d'extrême droite, racistes, islamophobes. homophobes, misogynes, fascistes et néonazis (et souvent...antisémites !), dont certains gouvernent ou se préparent à gouverner des pays membres de l'UE comme l'Hollande, l'Allemagne, l'Autriche, la France, l'Italie, l'Espagne, la Belgique ou la Hongrie, comprennent très bien ce que nos politiciens (neo)libéraux feignent de ne pas comprendre : que Netanyahou ne s'acoquine pas avec eux par opportunisme ou pour des raisons tactiques, mais parce que l'attraction est mutuelle. Parce qu'il se reconnaît en eux , en leur idéologie et en leur prédilection pour la violence physique !

Et voici tout de suite de quoi il s'agit, en commençant par la fin. Bibi Netanyahou a été propulsé en politique par Yitzhak Shamir surtout au temps où ce dernier était premier ministre d'Israël (1986-1992) et chef du Likoud, le parti d'extrême droite au gouvernement. Les affinités électives entre les deux hommes ont été manifestes dès le début quand Shamir a fait du jeune Netanyahou, qui était déjà ambassadeur israélien auprès des Nations Unis (1984), son ministre adjoint des Affaires Etrangères, avant de lui céder sa place à la présidence du Likoud en 1993, seulement trois ans avant que Netanyahou devienne à 47 ans le plus jeune Premier ministre de l'histoire d'Israël ! Ce n'est pas donc un hasard que Netanyahou ait toujours reconnu en Yitzhak Shamir non seulement son « protecteur » mais aussi son mentor idéologique…

Shamir et le jeune Netanyahou Shamir et le jeune NetanyahouAlors, vu que Netanyahou s'est toujours réclamé de l'idéologie de Shamir, se posant même en successeur et héritier politique de celui-ci, la question qui se pose tout naturellement est quelle a été l'idéologie que ce Yitzhak Shamir a servi durant toute sa vie, sans jamais rien renier ? On pourrait dire que tout a commence quand je jeune Shamir a pris la tête de l'organisation paramilitaire et terroriste sioniste Lehi, après l'exécution de son chef et fondateur Avraham Stern par la police britannique en 1942. Voici ce qu'on peut lire aux premières paragraphes que Wikipedia consacre à Lehi :

"Sous la direction d'Avraham Stern, le Lehi a été clairement un groupe d'extrême droite, dont les membres (mais pas tous) étaient pour une bonne partie influencés par le fascisme italien. L'influence politique originelle de Stern se situe au sein du groupe des Birionim, un groupe de sympathisants fascistes agissant en marge du parti de la droite sioniste, le parti révisionniste, au début des années 1930.

En novembre 1940, la toute jeune organisation publie ses thèses, sous la forme de 18 « principes de la renaissance (Ikarei ha'Tehiya) ». On y indique en particulier que :

Les frontières d'un État juif doivent aller du Nil à l'Euphrate (de l'Égypte à l'Irak). Cette terre sera « conquise sur les étrangers par le glaive ». La revendication d'un État sur une forte partie du Moyen-Orient se fait en référence à la Bible (Genèse 15-18). Cependant, dans la pratique, la revendication du Lehi portera ensuite essentiellement sur la Palestine et la Transjordanie (Jordanie actuelle).

Le « Troisième royaume d'Israël » y sera rétabli (cette phrase sera modifiée en fevrier 1941).

Les exilés juifs se rassembleront dans le nouvel État.

Le temple de Jérsalem sera reconstruit (le Stern regroupe essentiellement des laïcs. Le temple est ici plus un symbole national que religieux. La majorité des Haredim (ultra orthodoxes) est d'ailleurs hostile à une telle reconstruction, considérant qu'elle est l'apanage du Messie).

Les populations arabes doivent partir du nouvel État : « le problème des étrangers sera résolu par un échange de population ».

Dans un autre de ses textes, le Lehi indique que le monde est divisé « entre races combattantes et dominatrices d'une part, et races faibles et dégénérées de l'autre ». Les Hébreux doivent retrouver leurs vertus « guerrières et colonisatrices » de l'Antiquité »".

Il est vrai qu'après la mort de Stern, Lehi s'est divisé en plusieurs fractions aux programmes et idéologies assez différentes. Cependant, elles étaient toutes d'accord sur une question, celle du terrorisme en tant que moyen (privilégié) d'action. C'est pourquoi tous les leaders de Lehi, et évidemment Yitzhak Shamir, ont toujours défendu des opérations terroristes de grande ampleur (dont Shamir était d'ailleurs le chef), auxquelles leur organisation a été la protagoniste, seule ou ensemble avec l'Irgoun. Et tout ça, tant en Palestine qu'a l'étranger (Londres), provoquant au total plusieurs milliers de morts parmi les Britanniques mais aussi parmi les Arabes, et même les juifs. Il est a noter que deux parmi les actions terroristes les plus tristement célèbres, le massacre du village palestinien de Deir Yassine et l'assassinat du « médiateur pour la Palestine » de l'ONU comte Bernadotte ont été conçues et exécutées par les dirigeants et les militants de Lehi…

Ceci étant dit sur les origines idéologiques fascistes, racistes et terroristes de Benjamin Netanyahou, quid de ses fréquentations actuelles des néonazis, des fascistes et autres antisémites patentés ? Comment expliquer le paradoxe d'un premier ministre de l'État d'Israël qui non seulement fréquente de telles personnes, mais -pire- les considère et les célèbre comme des alliés privilégiés des juifs dans leur combat contre ...les antisémites ? Aucun paradoxe, répondraient les chefs de Lehi Yitzhak Shamir et Abraham Stern, mais aussi leur mentor à tous, le fondateur du sionisme « révisionniste » d'extrême droite Ze'ev Jabotinsky, et même... le père lui-même de Bibi Netanyahou. Pourquoi ? Mais, parce que ce qui unit toutes ces personnalités historiques du sionisme de droite, est qu'ils n'ont eu aucun problème de conscience de proposer et parfois de conclure des alliances avec... Hitler et Mussolini en personne !

Comme on l'écrivait déjà dans notre article quand Einstein appelait « fascistes » ceux qui gouvernent Israël depuis 44 ans...« le premier à pratiquer ces « alliances contre-nature » n'était autre que le fondateur et théoricien du Révisionnisme sioniste Ze'ev Jabotinsky qui, poussé par sa haine viscérale de la Révolution Russe, est allé jusqu'à conclure une alliance avec le chef de guerre nationaliste et anticommuniste Ukrainien Petlioura, l'armée duquel avait commis en 1917-1922...897 pogroms anti-juifs durant lesquels ont été massacrés au moins 30.000 juifs Ukrainiens ! ». Et on continuait rappelant que « le père de « Bibi », qui a servi de secrétaire de Jabotinsky, a suivi Abba Ahimeir quand celui-ci est entré en conflit avec Jabotinsky qui a rejeté sa proposition de devenir un... Mussolini juif a la tête d'un parti sioniste clairement fasciste. Étroit collaborateur de cet idéologue et théoricien fasciste, le père de Bibi a dirigé les publications de l'organisation de Ahimeir, lequel a noué des liens assez étroits avec l'Italie fasciste de Mussolini mais il n'a jamais réussi la même chose avec l'Allemagne nazie bien qu'il n'a pas hésité de faire l'éloge d' Hitler en 1933 ! ».

Mais, il y a pire avec le mentor de Netanyahou et son organisation terroriste, car le fondateur et dirigeant de Lehi Avraham Stern n'a pas hesite, en pleine guerre mondiale, d'envoyer, par l'entremise de l'ambassade du Troisième Reich à Beyrouth, une lettre a Hitler lui proposant une alliance en bonne et due forme, bien qu'étant au courant de la persécution des juifs par le régime nazi ! C'est exactement ce cynisme et ce manque total de scrupules qui caractérisent Jabotinsky, Ahimeir, Begin et Shamir, c'est a dire tous les précurseurs et maîtres à penser de Netanyahou, qu'on retrouve actuellement dans les alliances que ce dernier est en train de conclure avec la fine fleur de l'extrême droite et du fascisme mondial, s'en foutant éperdument du fait que ses alliés archi-réactionnaires et obscurantistes soient des antisémites et des épigones ou nostalgiques des pogromistes et autres génocidaires de Juifs d'antan !

Alors, que dire de ceux qui feignent de s'étonner du « manque de projet » de Netanyahou ou de ne pas comprendre pourquoi lui, un juif, s'allie aux fascistes et aux antisémites. Ils ne sont que des hypocrites impénitents car Netanyahou a bien un projet, qu'il applique d'ailleurs scrupuleusement : en Palestine où il extermine et expulse les Palestiniens, et au Moyen Orient où il est en train de construire le Grand Israël de ses rêves messianiques. Quant à ses alliances privilégiées avec la racaille d'extrême droite raciste, néofasciste et néonazie, elle n'ont rien d'incompréhensible du moment qu'on admette l'évidence qui crève les yeux : le fait que Netanyahou est un fasciste pur sang qui d'ailleurs est en train de devenir un des piliers de cette Internationale Brune en gestation, qui constitue déjà la plus grande menace qu'ait à affronter actuellement l'humanité toute entière !...

Auteur.e

Yorgos Mitralias Journaliste, Giorgos Mitralias est l'un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l'Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l'appel de soutien à cette Commission.

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Citoyens israéliens pour une pression internationale réelle sur Israël

Nous, citoyennes et citoyens israéliens, résidant en Israël et ailleurs, appelons la communauté internationale – l'Organisation des Nations unies et ses institutions, les (…)

Nous, citoyennes et citoyens israéliens, résidant en Israël et ailleurs, appelons la communauté internationale – l'Organisation des Nations unies et ses institutions, les États-Unis, l'Union européenne, la Ligue arabe, ainsi que tous les pays du monde – à intervenir immédiatement en appliquant contre Israël toute sanction possible afin d'obtenir un cessez-le-feu immédiat entre Israël et ses voisins, et cela, pour l'avenir des peuples vivant en Israël / Palestine et dans la région, et afin de garantir leur droit à la sécurité et à la vie.

Tiré de https://israelicitizensforin.live-website.com/francais/

Bon nombre d'entre nous sont des militants de longue date œuvrant contre l'occupation et pour la paix et une existence commune. Animés par l'amour de notre pays et de ses habitants, nous sommes extrêmement inquiets aujourd'hui. Nous avons été horrifiés des crimes de guerre perpétrés par le Hamas et ses complices le 7 octobre, et nous sommes épouvantés des innombrables crimes de guerre commis par Israël. Hélas, la majorité des Israéliens soutient la poursuite de la guerre. Ainsi, un changement venant de l'intérieur semble, à l'heure actuelle, impossible. L'État d'Israël se trouve engagé dans une trajectoire suicidaire et dans une entreprise de destruction d'autrui qui ne cesse de s'intensifier avec chaque jour qui passe.

Le gouvernement israélien a abandonné ses citoyens tenus en otages (et les a parfois tués) ; il a délaissé les habitants du Sud et du Nord d'Israël, et, par ses actions, il sacrifie l'avenir de ses propres citoyens. Les Palestiniens citoyens d'Israël sont persécutés et réduits au silence tant par le pouvoir que par l'opinion publique majoritaire. L'oppression, l'intimidation et la persécution politique empêchent de nombreux citoyens qui partagent notre avis à s'engager publiquement en signant cet appel.

L'horizon d'un règlement de conflit – de réconciliation, d'un avenir où des Juifs-Israéliens pourront vivre en sécurité dans cet espace – s'éloigne à mesure que la guerre continue. Cependant, la destruction et le massacre doivent s'arrêter immédiatement !

L'absence de pression internationale effective, la poursuite de l'approvisionnement d'Israël en armes, le maintien des accords de coopérations économiques, sécuritaires, scientifiques et culturelles réconfortent beaucoup d'Israéliens dans l'idée que la politique menée par leur gouvernement bénéficie d'un soutien international. De nombreux chefs d'État s'indignent et condamnent Israël, mais ces déclarations ne sont pas suivies d'effet. Nous en avons assez des mots creux.

Pour notre avenir et pour l'avenir de tous les habitants d'Israël / Palestine et des pays de la région, nous vous implorons : sauvez-nous de nous-même ! Exercez une vraie pression internationale sur Israël pour un cessez-le-feu immédiat et durable.

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Un homme d’affaires israélo-américain présente son plan à 200 millions de dollars pour déployer des mercenaires dans la bande de Gaza

Moti Kahana affirme être en discussion avec le gouvernement israélien sur la possibilité de créer un programme pilote de « communautés fermées » contrôlées par des forces de (…)

Moti Kahana affirme être en discussion avec le gouvernement israélien sur la possibilité de créer un programme pilote de « communautés fermées » contrôlées par des forces de sécurité privées américaines.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Le gouvernement israélien est en train d'étudier activement un plan visant à déployer des agent-es de sociétés américaines privées de logistique et de sécurité dans la bande de Gaza sous les auspices de l'acheminement de l'aide humanitaire, ont rapporté les médias israéliens. Le cabinet de sécurité israélien s'est réuni dimanche soir pour discuter de la proposition et devrait approuver un programme « pilote » pour commencer à effectuer des essais dans les deux prochains mois, selon ces médias. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a « accepté d'examiner » le plan la semaine dernière, indique le journal Haaretz.

Les médias décrivent ce projet comme le fruit de la réflexion de l'homme d'affaires israélo-américain Mordechai « Moti » Kahana, PDG de Global Delivery Company (GDC), qui décrit son entreprise à but lucratif comme « Uber pour les zones de guerre ». M. Kahana, partisan passionné de Joe Biden et de Kamala Harris, a passé l'année dernière à essayer de trouver un rôle pour son entreprise dans la guerre d'Israël contre Gaza.

L'un des objectifs de Kahana est de créer une « communauté fermée » à Gaza où les Palestinien-nes seraient soumi-ses à des contrôles biométriques afin de recevoir l'aide humanitaire. Depuis des mois, il est question en Israël de créer des « bulles humanitaires » dans le nord de la bande de Gaza où l'aide pourrait être distribuée après que les forces israéliennes aient décrété l'élimination des combattants du Hamas dans ces zones. Le ministre de la défense, Yoav Gallant, a défendu cette idée. Des rumeurs circulent en Israël sur la façon dont cela pourrait être réalisé et sur les acteurs qui pourraient diriger les opérations.

« GDC et son sous-traitant ont eu des discussions approfondies avec le gouvernement israélien, y compris le ministère de la défense, les forces de défense israéliennes et le bureau du premier ministre, sur les modalités de cette initiative », a déclaré GDC dans un communiqué lundi. La société a affirmé qu'une « sécurité privée bien formée est le seul moyen réaliste “ d'acheminer l'aide à Gaza ” tant que les nations ne seront pas disposées à envoyer leurs troupes sur le terrain à Gaza et que les forces de maintien de la paix de l'ONU seront perçues comme inefficaces ». Elle ajoute : « Le personnel travaillant pour notre sous-traitant en matière de sécurité est formé et équipé pour les méthodes létales et non létales de contrôle des foules. Elles et ils sont formé-es pour n'utiliser la force meurtrière qu'en dernier recours, si leur vie est en danger. Les forces de l'IDF, en revanche, sont des troupes de combat qui n'ont ni la formation, ni l'équipement, ni la discipline nécessaires pour éviter le recours à la force meurtrière, sauf en cas d'absolue nécessité. L'utilisation de soldat-es de combat pour cette mission entraînera presque à coup sûr des pertes civiles ».

La proposition pilote de la GDC comprend un plan de partenariat avec Constellis, successeur et société mère de l'ancienne Blackwater, la tristement célèbre société de mercenaires fondée par Erik Prince. Constellis affirme n'avoir aucun lien avec Prince. La société opère en Israël dans le cadre d'un contrat du Pentagone visant à assurer la sécurité du personnel américain travaillant dans une installation radar discrète située dans le désert du Néguev, à une trentaine de kilomètres de Gaza. Le site a été créé pour donner l'alerte en cas d'attaque de missiles balistiques iraniens. Parmi les filiales de Constellis figure la société de mercenaires Triple Canopy, qui travaille depuis longtemps pour le gouvernement américain et des entreprises privées dans des zones de guerre et de conflit à travers le monde. Constellis n'a pas répondu à une demande de commentaire.

Si les médias israéliens ont présenté M. Kahana comme étant à l'origine de la proposition d'une force de sécurité privée chargée d'acheminer l'aide à Gaza, il n'est pas certain que le gouvernement israélien prenne réellement en considération son offre spécifique ou qu'il étudie d'autres fournisseurs de services de sécurité privés. Une société de sécurité privée américaine aurait besoin de l'approbation du département d'État pour offrir des services armés à une entité étrangère ou au gouvernement israélien. Dans sa déclaration de lundi, GDC a indiqué qu'elle prévoyait d'assurer le suivi auprès du gouvernement israélien et qu'elle « chercherait à rencontrer le gouvernement des États-Unis, les Nations unies et les organisations humanitaires actives à Gaza ».

L'avalanche de rapports médiatiques indiquant que le gouvernement israélien est de plus en plus impliqué dans la logistique de la distribution de l'aide humanitaire survient à un moment où la politique israélienne sur le terrain manifeste sa volonté inébranlable de mener une guerre d'extermination contre les Palestiniens de Gaza. Toute la discussion sur les plans « du jour d'après » pour Gaza et les rumeurs et rapports sur les propositions de sécurité privée pourraient n'être qu'un écran de fumée. Qu'Israël envisage sérieusement de déployer des forces privées ou non, il a clairement indiqué qu'il avait l'intention de rester à Gaza indéfiniment et qu'il n'envisageait pas de mettre fin à ses opérations génocidaires.

« Uber pour les zones de guerre »

Kahana publie fréquemment des messages sur Twitter (X), développant sa vision d'une opération « humanitaire “ à Gaza dans laquelle l'éligibilité à l'aide humanitaire est conditionnée à la soumission à des tests biométriques visant à déterminer si l'on est un ” terroriste « . « Les terroristes recevront une balle », a-t-il promis dans un tweet. En réponse aux questions de Drop Site News, M. Kahana a ajouté qu'il s'agirait d'une ville « similaire à Miami sans terrain de golf ni piscine ». « Ce ne sera pas un ghetto, écrit-il, ils pourront y entrer et en sortir à tout moment, mais l'objectif sera de créer des communautés sûres et sécurisées avec des dirigeant-es et un gouvernement palestiniens locaux. Le GDC et la compagnie ne feraient qu'« assurer la sécurité ».

Le GDC compte parmi ses employé-es Stuart Seldowitz, le fonctionnaire en disgrâce de l'administration Obama qui a été accusé de crime haineux après avoir harcelé un vendeur de chariots de nourriture halal. M. Kahana a déclaré que M. Seldowitz était son « consultant principal en diplomatie humanitaire ». Le GDC aurait coupé les ponts avec M. Seldowitz peu après l'incident, mais M. Kahana s'est dit ouvert à ce que M. Seldowitz travaille avec le GDC à Gaza. » Il reste un ami », a déclaré Kahana à Drop Site. » Il a aidé le GDC à sauver plus de 5 000 musulman-es en Afghanistan, et il est le bienvenu pour faire la même chose à Gaza avec nous ». M. Kahana a lui-même fait des déclarations incendiaires, qualifiant la représentante américaine Rashida Tlaib d'« ambassadrice désignée du Hamas aux États-Unis » et le système de tunnels souterrains utilisé par les Brigades Al-Qassam à Gaza de « système du rat ».

Le GDC emploie actuellement plusieurs anciens officiers israéliens de haut rang – le général de brigade (res.) Yossi Kuperwasser, membre du Think Tank extrémiste « HaBitchonistim » qui conseille Netanyahou depuis le début du génocide, et le lieutenant-colonel Doron Avital, ainsi que l'ancien chef des services de renseignement David Tzur. L'équipe du GDC comprend également le colonel Justin Sapp, béret vert (forces spéciales de l'US Army, ndlt) récemment retraité, consultant pour Constellis et vétéran des opérations paramilitaires secrètes de la CIA en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001. Son directeur logistique est l'ancien officier de la marine américaine Michael Durnan.

Lundi, M. Kahana a tweeté que le GDC lancerait son projet à Gaza dès qu'il en recevrait l'autorisation et a ajouté que « notre chef d'équipe qui dirigera le [projet] à Gaza a conquis [Mazar-i-Sharif] en Afghanistan après le 11 septembre ». Dans un entretien ultérieur avec YNet, Kahana a déclaré qu'il parlait de Sapp, l'ancien Béret vert.

Kahana se vante que sa société a opéré pendant 14 ans dans cinq guerres : Afghanistan, Syrie, Irak, Ukraine et Gaza. » Notre slogan est “Nous livrons” », a-t-il écrit sur X en mars. GDC, une entreprise à but lucratif qui opère depuis au moins 2019, est née de l'ancienne organisation à but non lucratif de Kahana, basée à New York et appelée Amaliah. « Mon entreprise est comme un Uber/UPS en zone de guerre, pour les personnes et les marchandises », a déclaré Kahana en juillet 2023. » Je peux être ici dans ma ferme [dans le New Jersey] et diriger une opération au Moyen-Orient ».

Constellis figure comme partenaire officiel sur le site de GDC et GDC et Constellis ont travaillé ensemble en Ukraine, selon The Jewish Chronicle et confirmé par Kahana à Drop Site News. Tandis que GDC transportait de l'huile de tournesol et du diesel dans le pays, Constellis fournissait des services de sécurité. Constellis est l'une des plus grandes sociétés de sécurité privée au monde. Elle affirme avoir opéré dans plus de 50 pays et possède plusieurs divisions et filiales. En 2022, sa filiale Triple Canopy a remporté un contrat de 10 ans pour assurer la sécurité de l'ambassade américaine en Irak, d'une valeur estimée à 1,3 milliard de dollars. Elle possède également Olive Group, une société britannique de sécurité privée et de formation.

Dans un récent tweet, M. Kahana a partagé une capture d'écran d'une présentation datée du 30 mai décrivant le projet pilote proposé, qui devait à l'époque commencer en juillet et se concentrer sur Beit Hanoun. Constellis est cité comme partenaire. Le journaliste de Haaretz Amos Harel, sans nommer Constellis, a déclaré dans une récente interview en podcast que la société à laquelle Israël envisageait de confier le projet « avait apparemment travaillé avec les Américains en Irak ». Kahana a décrit la force de sécurité avec laquelle il travaillerait comme étant « composée d'anciens combattants, de vétérans d'unités d'élite des États-Unis, d'Angleterre et de France. Leur dénominateur commun est qu'ils ne sont pas juifs ».

Kahana a essayé d'attirer l'attention du gouvernement israélien dès octobre 2023, en présentant un projet qui consistait à utiliser l'aide humanitaire comme levier pour obtenir la libération d'otages israéliens. À l'époque, son plan a été rejeté par le gouvernement israélien, qui l'a qualifié de « [ressemblant] à de la propagande du Hamas résultant de la pression qu'il subit ».

En novembre 2023, Kahana a plaisanté sur le nettoyage ethnique de Gaza et le transfert de sa population en Jordanie, et a comparé les manifestant-es contre le génocide aux États-Unis aux « souris dans les tunnels de Gaza ». Se référant aux images d'un enfant palestinien arrivé à l'hôpital Al-Shifa après avoir survécu à une attaque israélienne, couvert de poussière et de sang et tremblant de façon incontrôlable, il a écrit : « Pas d'inquiétude. Nous allons le libérer du Hamas ».

En mars, NBC News a rapporté que le gouvernement israélien envisageait de confier à un prestataire privé américain l'escorte des camions d'aide, déclarant que des responsables israélien-nes avaient « déjà approché plusieurs sociétés de sécurité, mais n'ont pas voulu préciser lesquelles ». M. Kahana a publié un lien vers l'article sur son profil Facebook, accompagné d'un commentaire : « Le GDC n'est pas payé par le contribuable israélien. » Dans la récente interview accordée à Ynet, M. Kahana a affirmé que les États-Unis financeraient le projet à hauteur de 200 millions de dollars pour six mois d'activité.

Après l'assassinat de sept travailleur-euses de la World Central Kitchen lors de frappes aériennes successives de l'armée israélienne en avril, M. Kahana s'est plaint que son plan visant à établir ce qu'il décrit comme un corridor sécurisé vers Gaza n'était pas mis en œuvre. « Israël a mis ce plan sur la table depuis plus de deux mois. Nous avons eu plusieurs réunions au plus haut niveau pour présenter le plan et passer en revue les idées. L'armée était favorable à ce projet et nous attendions le feu vert, mais lorsque nous avons demandé si nous pouvions aller de l'avant, le bureau du Premier ministre a demandé : « Quelle urgence ? » M. Kahana a affirmé que sa proposition « a été présentée à de hauts responsables de la Maison Blanche, du département d'État et du département de la défense. Nous n'avons pas reçu de réponse à notre demande de réunion pour discuter et expliquer le plan ».

En mai, les médias ont indiqué que le gouvernement israélien était en pourparlers avec une société de sécurité privée américaine, qui emploierait d'ancien-nes soldat-es d'unités militaires d'élite, dans le but de lui confier la responsabilité de la gestion du point de passage de Rafah. Kahana a publié le rapport sur son compte Facebook personnel, en écrivant : « Pas de commentaires ». Quelques jours plus tard, il a fait suivre cette publication d'une annonce : » Je suis enfin en mesure de partager que je fournirai de l'aide humanitaire aux civils de #Gaza. Après 14 ans et 5 guerres, je suis maintenant dans ma patrie. Ma société a été autorisée à fournir des services logistiques à Gaza. Hamas, sachez qu'aucune de nos fournitures ne sera volée par vous ! C'est mon premier et dernier avertissement. »

En août, l'idée que l'armée israélienne confie l'occupation de Gaza à des sociétés privées américaines a de nouveau été évoquée, cette fois en relation avec le corridor de Netzarim, qui coupe la bande de Gaza en deux. La société GDC a été désignée comme l'entreprise que le gouvernement israélien envisageait de retenir pour ce travail. Sur sa page Facebook, M. Kahana a proclamé : » Nous sommes sur la voie vers le corridor de Netzarim ».

Au lendemain du 11 septembre, le gouvernement américain a considérablement élargi son recours aux sociétés de sécurité privées dans le cadre de ses guerres en Irak et en Afghanistan. Souvent présentées comme engagées dans des opérations humanitaires, les sociétés de sécurité privées offrent des services de mercenaires à la fois aux gouvernements et au secteur privé. Les États-Unis les ont utilisées dans le cadre d'opérations de la CIA et d'opérations militaires, ainsi que pour assurer la garde de diplomates et de dignitaires américain-es et étranger-es.

Blackwater est entrée en Irak en 2003 pour surveiller les convois humanitaires et assurer la sécurité des entreprises. La société a ensuite été engagée pour assurer la garde de hauts responsables de l'occupation américaine. En septembre 2007, des agent-es de Blackwater ont abattu 17 civils irakiens sur la place Nisour à Bagdad, un massacre qui a attiré l'attention de l'opinion publique mondiale sur le monde secret et en plein essor des contrats militaires privés. Les forces privées ne sont pas soumises au système judiciaire militaire et ne relèvent pas de la chaîne de commandement militaire.

L'argumentaire d'Israël en faveur de l'utilisation de prestataires privés à Gaza consisterait en partie à soutenir qu'ils ne constituent pas une force d'occupation israélienne officielle. Cela offre également à Israël la possibilité d'utiliser des soldat-es retraités des États-Unis et d'autres pays pour exécuter ses ordres à Gaza.

M. Kahana a également affirmé avoir été « impliqué “ dans un projet élaboré par Erik Prince au début de la guerre de Gaza pour aider les FDI à inonder les tunnels souterrains de Gaza avec de l'eau de mer, ce qui, selon les scientifiques, aurait rendu la bande de Gaza ” invivable pendant une période pouvant aller jusqu'à 100 ans ». Prince « m'a demandé de parler aux Israélien-nes de la situation des tunnels et de son idée », a déclaré Kahana à Drop Site, « mais les Israélien-nes n'avaient aucun intérêt à le faire. «

Kahana a qualifié à plusieurs reprises Prince de « bon ami » et a déclaré que « nous partageons certainement les mêmes points de vue en matière de sécurité et notre [amour] pour [drapeaux israélien et américain] ». En ce qui concerne la politique américaine, cependant, Prince est un proche allié de Donald Trump, tandis que Kahana a exprimé ouvertement son enthousiasme pour la candidature de Kamala Harris à la présidence. « Il est grand temps qu'une femme dirige le monde », a-t-il écrit dans un message publié sur Facebook en juillet, accompagné d'une photo de Mme Harris. « Politiquement, nous sommes à 180, je suis démocrate », a déclaré Kahana à Drop Site. Mais, a-t-il ajouté, « j'ai acheté 9 vaches à la femme [de Prince] ».

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Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Dropsitenews

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‘Copier-coller la Cisjordanie sur Gaza’ : des centaines de personnes participent à un événement en faveur de la colonisation de Gaza

Dans une zone militaire fermée près de Gaza, des colons israéliens, des ministres et des députés ont appelé au nettoyage ethnique et à l'annexion de la bande de Gaza : une idée (…)

Dans une zone militaire fermée près de Gaza, des colons israéliens, des ministres et des députés ont appelé au nettoyage ethnique et à l'annexion de la bande de Gaza : une idée qui tend à se banaliser.

Tiré d'Agence médias Palestine.

» Nous sommes ici avec un objectif clair : coloniser toute la bande de Gaza ». C'est ce que déclarait Daniella Weiss, cheffe de file des colons israélien-nes, lors d'un rassemblement de centaines d'Israéliens de droite près de Gaza lundi, où était célébrée la fête juive de Souccot en appelant à l'édification de colonies à l'intérieur de l'enclave assiégée.

En janvier, des milliers d'Israélien-nes ont participé à une grande conférence à Jérusalem, dont plusieurs ministres et membres de la Knesset ; en mai, des milliers de personnes ont défilé dans la ville de Sderot et ont tenu un rassemblement sur une colline surplombant la bande de Gaza. Ce n'était pas non plus la plus énergique : en mars dernier, des militant-es de droite avaient franchi le passage d'Erez et établi un « avant-poste » symbolique avant d'être expulsé-es par l'armée.

Mais ce rassemblement bien organisé, calme et joyeux – qui a été autorisé et tenu contre toute logique dans une zone militaire fermée près de la frontière, et auquel ont participé plusieurs personnalités du parti du Premier ministre Benjamin Netanyahou, le Likoud – a marqué une nouvelle étape dans les efforts visant à intégrer l'idée de colonisation de la bande de Gaza par des juif-ves israélien-nes.

Alors que le gouvernement israélien a nié à plusieurs reprises aux responsables américain-es que l'armée mettait en œuvre le « plan des généraux » visant à assiéger, affamer et expulser les habitant-es du nord de Gaza avant d'annexer le territoire à Israël, il est manifeste que les participant-es à la manifestation de lundi comptaient sur un tel plan pour nettoyer la région en vue de l'implantation de colonies juives. Selon l'ONU, des centaines de milliers de Palestinien-nes vivent encore dans le nord de Gaza, mais plusieurs participant-es en parlaient comme si la zone était presque vide.

» La solution est que nous nous y installions à la place de nos ennemi-es, le Hamas et leurs partisan-es “, déclarait à +972 Noam Toeg, 35 ans, originaire de Givatayim, qui s'est présenté comme un porte-parole du mouvement ‘New Gaza'. « Tout ce qui a été tenté au cours des 80 dernières années a échoué. Le processus est déjà en cours : aujourd'hui, presque tous-tes les habitant-es du nord de la bande de Gaza sont parti-es. »

« Nous sommes la prochaine étape du plan des généraux », a-t-il poursuivi. « Les colonies apporteront la sécurité à long terme. »

Shlomo Ahronson, 54 ans, originaire de la colonie cisjordanienne notoirement violente d'Yitzhar, a déclaré qu'il vivait dans la colonie juive de Netzarim à Gaza jusqu'au « désengagement » de 2005, lorsqu'Israël a évacué ses colonies de la bande de Gaza. « Lorsque [les autorités israéliennes] nous ont expulsés de là, il était clair pour nous qu'un jour nous reviendrions, parce que c'est la volonté de Dieu », a-t-il déclaré. « En fin de compte, [Gaza] fait partie de l'héritage de la tribu de Juda [la terre que la Torah dit avoir été attribuée par Dieu à l'une des anciennes tribus israélites] ».

Ahronson estime que la réinstallation de Gaza n'est pas seulement ordonnée par Dieu, mais qu'elle est également réalisable sur le plan pratique. « Ce n'est certainement pas moins réaliste que de s'installer à Hébron, ou dans n'importe quel endroit de [la Cisjordanie] où il y a des colonies au milieu de zones arabes. J'appartiens au groupe qui, si Dieu le veut, est censé établir une colonie appelée Oz Chaim sur la côte. Il y a des gens [ici] qui veulent s'installer dans la ville de Gaza, ce qui est également faisable mais prendra plus de temps.

« À terme, les Arabes, dont le seul but est de détruire l'État d'Israël, ne sont pas censés se trouver à l'intérieur de l'État d'Israël », poursuit Ahronson. « Nous ne déplaçons aucun-e résident-e, nous nous installons là où il y a de la place et nous attendons le développement – tout comme ils ont établi des kibboutzim en Galilée ou dans le Néguev lorsqu'il y avait des Arabes autour d'eux. Ashkelon était une ville arabe, Ashdod était une ville arabe. Dieu arrange les choses, la réalité s'installe, il y a des guerres, ce n'est pas de notre ressort ».

Ahronson ne voit pas non plus la pression internationale comme un obstacle. » Si une grande partie de la société souhaite s'installer à Gaza, Netanyahou devra déclarer à Biden : “Écoutez, c'est ce que veut le peuple d'Israël, et je n'ai pas d'autre moyen de m'assurer que Gaza n'est [plus] arabe”. Il dira bien sûr qu'il s'agit de la ‘situation sécuritaire', mais petit à petit [Gaza sera repeuplée] ».

« Les Arabes de Gaza ont perdu le droit d'être ici »

Après les prières du matin, les participant-es ont pris part à divers ateliers et ont installé des souccahs (petites huttes pour la fête de Souccot) pour chaque « noyau » de colons prévoyant d'établir une nouvelle communauté juive à Gaza. Il y avait des stands représentant le parti Likoud de Netanyahou et le parti Otzma Yehudit du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir, ainsi qu'un stand tenu par Bentzi Gopstein, le chef du groupe extrémiste Lehava.

Dans un atelier, un guide portant un fusil militaire en bandoulière a distribué des cartes de Gaza et expliqué que l'annexion de Gaza ajouterait 40 kilomètres à la côte israélienne. « Ce n'est pas une petite partie de l'État d'Israël, et elle est entre nos mains – nous n'avons qu'à la prendre », a-t-il déclaré.

Rina Kushland, une participante de 76 ans à cet atelier, originaire de la ville de Modi'in, dans le centre d'Israël, a déclaré qu'en ce qui la concerne, la colonisation de Gaza est « la solution pour la sécurité d'Israël. Et c'est aussi la nôtre : « Je vous ai donné cette terre, de l'Euphrate au fleuve d'Égypte », est-il écrit [dans la Torah]. Il peut y avoir des mort-es. J'ai des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants ; si le sang doit couler, je suis prête à ce que ce soit moi ».

Lors de la table ronde principale, comme il est d'usage dans ce genre d'événement, la vedette était Daniella Weiss, résidente de la colonie de Kedumim en Cisjordanie et présidente de la principale organisation de colons, Nahala. « Nous avons foi en Dieu et en l'expérience que nous avons acquise au cours de nombreuses années de colonisation – plus de 850 000 Juifs au-delà de la ligne verte [en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est] », a-t-elle déclaré à l'auditoire. » Ce que nous faisons ici est un copier-coller sur Gaza. Ce n'est pas pour rien que nous avons fait 50 ans d'efforts et que nous avons réussi. »

En anglais, à l'intention de la presse étrangère venue couvrir l'événement, elle a ajouté : « L'objectif est d'établir des colonies dans toute la bande de Gaza, du nord au sud. Des milliers de personnes sont prêtes à s'installer à Gaza dès maintenant. En même temps, je le dis clairement, les guerres apportent cette chose terrible que sont les réfugié-es. Sans le 7 octobre, nous ne serions pas ici. Mais le 7 octobre a changé l'histoire. À la suite de ce massacre brutal, les Arabes de Gaza ont perdu le droit d'être ici pour toujours. Elles et ils iront dans différents pays du monde. Elles et ils ne resteront pas ici.

« L'armée israélienne mettra fin aux agissements du Hamas et du Hezbollah et, dans le même temps, nous poursuivrons notre projet d'implantation dans la région », a poursuivi Weiss. » Nous parlons également du Liban, mais il faut du temps pour préparer physiquement les gens au déplacement. Nous remplirons les zones qui seront libérées avec des communautés juives. Peut-être qu'au début, nous serons dans des camps militaires – civil-es et soldat-es [ensemble], comme cela s'est produit dans de nombreux endroits en Judée et en Samarie ».

L'arrivée de plusieurs membres du Likoud à la Knesset a suscité beaucoup d'intérêt quant à la question de savoir si le parti du Premier ministre adopterait l'appel à la colonisation de Gaza comme politique officielle. La députée Tali Gottlieb a réprimandé en hébreu un journaliste étranger qui l'interrogeait sur les civil-es de Gaza : » En ce qui me concerne, quiconque reste dans le nord de la bande de Gaza après les avis d'évacuation est non seulement sciemment un bouclier humain, mais interfère avec les efforts de nos combattant-es pour rétablir la sécurité des citoyen-nes de l'État d'Israël ».

Un autre député du Likoud, Osher Shekalim, a déclaré aux médias étrangers que « le peuple palestinien n'existe pas, il n'y a que des gens qui se sont rassemblés dans une certaine zone et qui réclament un État palestinien uniquement parce que l'État d'Israël existe. Avant cela, il n'y avait aucune revendication sur cette terre émanant d'une autre partie ». Il a ensuite ajouté : « Ce n'est pas un peuple, c'est un groupe d'assassins ».

« Un moment historique »

Ce n'est que vers 15 heures, alors que certain-es participant-es s'étaient déjà dirigés vers le parking pour partir, que les invité-es les plus en vue ont commencé à arriver : La ministre de l'égalité sociale et de l'émancipation des femmes, May Golan, du Likoud, suivie du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, d'Otzma Yehudit, et enfin du ministre des finances, Bezalel Smotrich, du Parti sioniste religieux. M. Ben Gvir a dansé avec certain-es participant-es avant de monter sur scène. Il a souhaité un joyeux anniversaire à Netanyahou, qui n'était pas présent, puis a déclaré à la foule que le « changement de conception » opéré par Israël depuis le 7 octobre portait ses fruits.

» Quand le peuple d'Israël le voudra, Nasrallah, Sinwar et Haniyeh disparaissent », a-t-il déclaré. « Quand le peuple d'Israël le veut, nous entrons dans le nord [du Liban] et nous y faisons ce que nous voulons. Il est vrai qu'il y a des pertes, mais lorsqu'un peuple se comporte en seigneur de la terre, on voit les résultats. »

« Nous pouvons encore faire une chose : encourager la migration [des habitants de Gaza] », a-t-il poursuivi. « En vérité, c'est la solution la plus morale, la plus correcte et la moins coercitive : leur déclarer que nous vous donnons la possibilité d'aller dans d'autres pays ; la Terre d'Israël est la nôtre. »

Plus tard, M. Ben Gvir a félicité les autorités d'avoir permis à l'événement de se dérouler dans une zone militaire fermée. « L'armée et la police nous ont aidés – c'est un moment historique », a-t-il déclaré, avant de se tourner vers Daniella Weiss. « Vous ne savez pas, Daniella, combien d'admirateur-ices vous avez parmi les officier-es de police. »

À proximité, plusieurs dizaines de manifestant-es s'étaient également rassemblé-es, dont des membres de familles d'otages, scandant « la colonisation de Gaza assassine les otages ». Leur présence n'a fait que souligner le fait que les otages ont été à peine mentionné-es lors de l'événement organisé par les colons. Weiss, par exemple, interrogé par un journaliste étranger sur les otages, a rétorqué : « Qu'avez-vous fait, vous et votre pays, pour elles et eux ? »

» Les colons déclarent des implantations sur la tombe où mon fils est enterré vivant », a déclaré à +972 Yehuda Cohen, dont le fils Nimrod a été kidnappé le 7 octobre. » Au lieu de décréter un cessez-le-feu, au lieu de mettre fin à cette guerre odieuse, elles et ils l'attisent afin de pouvoir s'installer à Gaza. Nous ne les laisserons pas faire.

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Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.

Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : +972

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Projet de bulles humanitaires : un sommet de cruauté sans précédent

Le Conseil criminel restreint (Cabinet) a décidé d'adopter le plan expérimental suivant : passer un contrat avec une société de sécurité américaine privée, dont le propriétaire (…)

Le Conseil criminel restreint (Cabinet) a décidé d'adopter le plan expérimental suivant : passer un contrat avec une société de sécurité américaine privée, dont le propriétaire est israélien, pour gérer la distribution de l'aide humanitaire à Gaza. Cette entreprise est appelée à créer ce qu'elle appelle des « bulles humanitaires », c'est-à-dire des zones géographiquement délimitées, fermées par des murs et des portes, fortement gardées par des milliers de mercenaires étrangers, et qui seraient les seules à recevoir l'aide humanitaire. L'accès à ces zones serait exclusivement réservé aux Palestiniens ayant subi un contrôle de sécurité attestant qu'ils n'ont aucun lien avec les formations de fédayins et de résistants qu'Israël considère comme ennemis.

Tiré d'Agence médias Palestine.

L'entrée et la sortie dans ces zones se feraient uniquement par des outils biométriques (comme l'empreinte digitale ou la cornée). Ainsi, selon eux, l'entreprise veillera à ce qu'aucun individu ayant des liens avec la résistance ne puisse s'infiltrer dans une telle zone.

Vous trouverez ci-après les informations publiées, ainsi qu'une présentation de quelques scénarios et dangers menaçants. Mais avant cela, ce qu'il importe de signaler, que ce plan soit mis en œuvre ou pas, est que dans sa conception et sa logique, ce projet représente un summum, jamais atteint historiquement, dans l'évolution du mal humain et de la malfaisance du cerveau technologique. La raison a besoin d'un énorme effort pour saisir l'ampleur et le mode d'agencement d'un tel crime.

Si l'on considère le fait de réduire une population à la faim comme une arme criminelle au sens général du terme, qui englobe mise sous blocus, soumission, etc…, nous pouvons dire que nous sommes ici face à autre chose, à savoir une occupation qui affame systématiquement les gens jusqu'à l'épuisement, puis utilise la nourriture et la boisson comme arme, en les leur offrant à condition qu'ils se soumettent à un système de contrôle biométrique totalitaire qui identifie chaque personne et fait directement le lien entre sa pitance quotidienne et sa position politique. C'est le système qui décide si vous méritez d'avoir à manger en fonction de vos relations dans la résistance (si vous êtes juste ami ou cousin d'un fédayin, ou influenceur soutenant les fédayins, ou encore si vous avez été un jour membre d'un conseil étudiant et apparaissiez dans les dossiers des renseignements). Autrement dit, tout acte humain que vous effectuez peut vous inclure immédiatement dans une base de données et vous menacer, vous et votre famille, d'être privés de nourriture si Israël y voit une hostilité envers lui. Plus encore, la nourriture devient un outil de chantage au quotidien dans l'interrogatoire les gens et leur enrôlement à des fins de renseignement. Ce procédé était couramment utilisé pendant les sièges, que ce soit pour obtenir un permis de voyager, ou la possibilité de se faire soigner même à l'intérieur, etc. Mais imaginez si chaque repas devenait l'occasion de vous soumettre à un chantage !

Ajoutons à cela que ces « bulles » sont des zones géographiques créées par la force de l'arme alimentaire, mais elles existent par ailleurs en tant que bases sécuritaires avec leurs murs et gardes militaires. Elles vont par conséquent démembrer la géographie et permettre la spoliation de ce qui les entoure, puis contrôler la démographie dans toute la région, de par la liberté qu'elles auraient à bombarder tout ce qui se trouve en dehors de la bulle et à sélectionner qui pourrait y entrer ou pas.

Nous sommes confrontés à l'une des idées les plus perverses de l'histoire de l'humanité, qui recourt au crime d'affamer pour réaliser un autre crime, celui du déplacement forcé, puis celui de la spoliation des terres occupées et le crime de la torture (c'est-à-dire le chantage, l'interrogatoire, et la privation de nourriture juste parce que vous avez appartenu à une faction politique à l'université. Il s'agit là de tortures qui avaient rarement cours, même dans les prisons israéliennes) …Il s'agit là de quelque chose que les mots ne peuvent décrire.

Faisons à présent une remarque sur les détails du projet. Toutes les informations actuellement disponibles nécessitent l'extrême prudence quant à leur présentation et leur analyse, car tout ce qui a été publié fait partie d'une campagne de relations publiques menée par la société de sécurité américaine et son propriétaire israélien. Les premières fuites ont commencé via des comptes suspects sur Telegram et Twitter, puis une interview marketing dans Yediot Aharonot. Il semble que la campagne vise à faire pression et à convaincre les gouvernements israélien et américain de se décider.

La situation est grosso modo la suivante : Cette société (GDC) recevra 200 millions de dollars et travaillera en coopération avec le fournisseur de mercenaires « Constellis », propriétaire de la sinistre « Blackwater ». Le propriétaire de l'entreprise de sécurité déclare que les mercenaires potentiels sont américains, britanniques et français , choisis parmi ceux qui ont combattu en Irak et en Afghanistan. Tandis que d'autres sources affirment que ceux qui participeront à l'opération sont « uniquement des diplômés de la CIA ».

Il n'est pas clair si le contrat a été définitivement établi. Mais l'entreprise a présenté son plan depuis au moins mai 2024. Certaines sources rapportent que le Conseil criminel restreint l'a approuvé, mais qu'il attend l'accord formel des États-Unis, puisque chaque société de sécurité enregistrée aux États-Unis a besoin de l'approbation du Département d'État pour pouvoir fournir ses services à travers le monde. D'autres sources affirment que Biden est concerné par le plan et que celui-ci est aux dernières étapes de coordination entre Jack Sullivan et le propriétaire israélien de l'entreprise américaine, qui soutient, lui, que s'il réussit, ce plan sera une « alternative à la gouvernance » et « le lendemain » à Gaza.

D'après le plan expérimental, la première « bulle humanitaire » sera implantée dans la région d'al-Atatra à Beit Hanoun. La zone est censée être sécurisée par 1 000 mercenaires américains, chargés également de sécuriser l'accès des camions. L'entreprise affirme que la « bulle » sera pourvue de tout le nécessaire humanitaire et que les installations et les logements seront reconstruits grâce à un investissement de 90 millions de dollars. Le plan prévoit aussi la nomination d'un « cheikh local » qui sera chargé de la communication et de la coordination avec et l'entreprise américaine et l'armée israélienne. Il va de soi que les mercenaires ont le feu vert pour tirer sur toute personne qu'ils considèrent comme une « menace ». Si l'expérience d'al-Atatra aboutit, elle serait reproduite dans deux zones supplémentaires à Jabalia.

Quant aux dangers et différents scénarios, ils sont terrifiants, que les informations soient exactes ou non, qu'Israël soit sérieux dans sa mise en œuvre du projet ou pas, et même que le plan réussisse ou échoue…

1/ A supposer que le plan ne sera pas effectivement mis en œuvre, le fait de promouvoir un tel projet, et de prétendre vouloir le réaliser constitue – comme la jetée dans la mer – une couverture pour poursuivre ces massacres et destructions inédits dans l'histoire, et pour perpétuer l'indescriptible tragédie humaine. Continuer à user du feu sous couvert de projets technologiques complexes ajoutera sur le long terme à l'actuel enfer, des méandres administratifs faits de contrats, de litiges, d'obstacles et d'amendements, et nous vivrons encore des années de carnage, de famine et de destruction, pendant que l'Occident s'amuse à expérimenter ces « solutions créatives »…En outre, qu'il soit mis en œuvre ou non, ce projet sera une couverture pour durcir les restrictions déjà imposées aux équipes des organisations internationales d'aide humanitaire (qui sont déjà ciblées), ce qui conduira à les empêcher complètement de travailler dans la bande Gaza sous le prétexte de ce projet, s'en suivra alors l'aggravation de la famine et les privations pour tous ceux qui restent en dehors des « bulles humanitaires ». En plus de cela tout type de contrôle et de relais d'informations seront interdit, or c'est le rôle de ces organisations pratiquent et il offre au monde un point de vue objectif de ce qui se passe à Gaza.

2/ Etant donné la dévastation hystérique dans le nord de la bande de Gaza –aujourd'hui, ils ont incendié des centres d'hébergement pour empêcher les gens d'y retourner – ces « bulles » pourraient devenir les seules zones vers lesquelles le retour est autorisé dans le nord, du moins à un horizon prévisible. Le sud de la bande de Gaza se trouvant actuellement dans un état indescriptible, le désastre va s'y amplifier et le déluge de feu va s'intensifier. Les gens vont donc forcément essayer de trouver refuges dans ces « bulles », qui se transformeront à leur tour en filtres sociaux et politiques, accessibles aux seules personnes qui bénéficient de la clémence d'Israël ou celles soumises à son chantage. Et quiconque restera à l'extérieur de la bulle sera susceptible d'être tué impunément. N'oublions pas qu'il s'agit essentiellement de bulles séparées et cernées de murs. En fait elles sont destinées à former de petites prisons de contrôle social. Peut-être, qu'à long terme, ces bulles se transformeront en « colonies » habitées par « le bon Palestinien » bien séparé du « mauvais Palestinien ».

3/Ce plan ouvre donc la voie à l'implication directe des sociétés de sécurité internationales en Palestine. Jusqu'à présent elles y ont toujours été mêlées de manière limitée, comme pour sécuriser les check points ou les colonies en Cisjordanie par exemple. Le recours à ces sociétés va probablement s'accroître, notamment avec l'épuisement des capacités humaines de l'armée d'occupation et le manque de combattants. Une telle perspective changera complètement la forme de la guerre, ouvrira la porte à divers services de renseignement étrangers pour opérer directement en Palestine et prolongera ainsi la durée de la guerre bien au-delà de ce que nous avions supposé. Si cette guerre est incitée par des entreprises de vente d'armes et des systèmes de contrôle et de surveillance, l'entrée dans la dance de sociétés de sécurité privées et de mercenaires imposera, elle, sa poursuite à jamais. Cependant, c'est une porte dangereuse pour Israël aussi, qui représentera une grave perturbation dans la structure des relations entre l'armée, le secteur privé (qui comprend d'énormes entreprises de sécurité) et la société israélienne. Tout cela doit être compris en considérant l'orientation de l'économie israélienne vers la privatisation depuis quarante ans, mais plus précisément en observant le statut des élites de l'armée de l'air et le Mossad ashkénaze (qui a retrouvé son prestige durant cette guerre) qui exigeront le règlement de la facture en termes d'hégémonie sociale face à d'autres courants sociaux représentés par Netanyahu. Il s'agit là d'un compte ouvert entre eux bien avant la guerre.

4/Enfin le pire et le plus dangereux des cauchemars, le scénario qui devrait vraiment nous terrifier même s'il est imaginaire et presque impossible, est le suivant : l'utilisation des forces de renseignement les plus secrètes et les plus sombres, israéliennes et non israéliennes, afin de créer dans la situation de chaos total qui règne dans la bande de Gaza, de groupes qui mèneraient des opérations ciblant les civils au sein des « bulles humanitaires », pour attribuer ensuite ces opérations à des mouvements de résistance et affirmer qu'ils (les Palestiniens) ciblent leur propre communauté pour contrecarrer le projet. Cette possibilité est à craindre si on lit entre les lignes de l'interview que le propriétaire de la société de sécurité a donnée à Yediot Ahronot, et dans laquelle il a répété à souhait l'expérience de leur intervention en Irak, en Afghanistan et en Syrie. Bien qu'il semble pour l'instant imaginaire, ce scénario, pourrait mettre Gaza dans une situation de conflit civil terrifiant, à travers des opérations inconnues et faussement attribuées aux mouvements de la résistance. Des formations de combattants pourraient émerger du chaos de la guerre, surtout si ces « bulles » se transforment en « bases » de sécurité pour les Israéliens… Mais pour rester réaliste : ce scénario est très lointain ; (a) d'abord en raison de la structure sociale et culturelle de Gaza unifiée par l'exiguïté géographique, le long blocus et la tragédie commune ; – (b) ensuite parce qu'à plus long terme, la petite superficie de la Palestine historique ferait d'un tel chaos un danger direct pour Israël aussi, car il n'y aurait aucune garantie de pouvoir le contrôler.

Encore une fois, ce qui a été publié jusqu'à présent à ce sujet n'est pas innocent et ces informations doivent être lues avec une extrême prudence. Cependant, la plupart des dangers sont plausibles même si le plan échoue sur le terrain. Quoi qu'il en soit, et dans une perspective plus large, le plus grand danger reste le même : l'expansion des labyrinthes administratifs et techniques internationaux privatisés et l'élaboration d'une branche d'ingénierie sociale pour la dévastation humaine en Palestine. Cette arme est un élément essentiel sur lequel repose le régime d'extermination instauré à Gaza.

***

Traduit de l'arabe par Saïda Charfeddine pour l'Agence Média Palestine

Source : Facebook de Majd Kayyal

Majd Kayyal est chercheur et écrivain de Haïfa, Palestine

A lire aussi, cette analyse publiée le 21 octobre dernier : The Israeli-American Businessman Pitching a $200 Million Plan to Deploy Mercenaries to Gaza

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Israël : le commerce des armes n’est pas une question d’affaires

29 octobre 2024, par Lina Al khatib — , , , ,
Au moment où la proportion de population mondiale qui vit en paix diminue, on observe une dissonance frappante entre les discours officiels et les choix stratégiques des (…)

Au moment où la proportion de population mondiale qui vit en paix diminue, on observe une dissonance frappante entre les discours officiels et les choix stratégiques des dirigeants canadiens et américains. Tandis qu'ils prônent la stabilité, leurs décisions en matière de vente d'armes révèlent des priorités parfois contraires, soulignant les ambiguïtés et les tensions dans leurs politiques de défense.

Tiré d'alter.quebec

Le 18 mars 2024, la Chambre des communes a voté l'adoption d'une motion non contraignante du NPD demandant au Canada de « cesser d'autoriser et de transférer des exportations d'armes vers Israël afin de garantir la conformité avec le régime canadien d'exportation d'armes ». En parallèle, le 15 octobre 2024 a été marqué par l'avertissement de l'administration Biden à l'égard du gouvernement israélien. Le président américain a émis un ultimatum sérieux concernant l'accès à l'aide humanitaire à Gaza, menaçant d'arrêter l'envoi d'armes à leur précieux allié.

Ambiguïté entre paroles et actes

Depuis la situation canadienne ne semble pas avoir évoluée. La ministre aux affaires étrangères, Mélanie Joly a maintenu une certaine ambiguïté quant à l'application de la motion. Ce que nous savons, c'est que les permis d'exportation approuvés avant le 8 janvier 2024 restent en vigueur et que les entreprises peuvent toujours demander des permis d'exportation de biens militaires vers Israël. L'embargo théorique est ainsi totalement contourné… Plus que ça, le Canada est clairement entrain de violer le droit international, en vertu du traité du commerce des armes, de la législation nationale et de la convention sur le Génocide.

Le cas américain est plus complexe. En 2023, 69% des importations d'armes en Israël provenaient des États-Unis. Ce récent avertissement de Biden représente la plus grande avancée depuis le 7 octobre 2023. Toutefois, pouvons-nous nous attendre à des actions immédiates de la part de la Maison blanche ? Actuellement, la période de 30 jours accordée à Israël pour réhabiliter l'aide humanitaire est toujours en cours. Ce qui reste inquiétant, c'est qu'aucun plan n'a encore été élaboré pour l'après. Dans la lettre rédigée par Bliken et Austin à l'instar des officiels israéliens, on parle de conséquences en terme d'« implications politiques non spécifiées ».

Réduire ses exportations, c'est possible

Face aux latences canadienne et américaine, un faux narratif a émergé autour des embargos. On prétend désormais que réduire les exportations vers Israël pourrait nuire au développement et à la réputation du pays. Or, le Royaume-Uni a su discréditer cette idée en https://www.bbc.com/news/articles/cd05pk95j2xo
vers Israël. Ces contrats incluaient des composants pour avions de chasse (F-16), des pièces pour véhicules aériens sans pilote (UAV ou drones), de systèmes navals et d'équipements de ciblage. La décision du gouvernement travailliste est survenue après une enquête légale prouvant que ces armes constituaient un risque clair au respect du droit international humanitaire .

Bien que modeste, ce positionnement symbolique britannique dénote de l'inertie du reste des dirigeants occidentaux. Il prouve qu'il est possible de prendre des mesures concrètes en matière de contrôle des exportations d'armes malgré l'enchevêtrement du jeu politique international et des transactions de l'armement. Le gouvernement britannique a ainsi envoyé un signal fort : il est prêt à aligner ses actions sur ses engagements en matière de droits humains et de droit international.

Les profiteurs de guerre

Le chiffre d'affaires généré par la guerre est en effet un phénomène bien documenté. Regrettable soit-il, les profiteurs de la guerre sont réels et se matérialisent à travers des compagnies privées d'armement. Au lendemain du 7 octobre, les cinq plus grands producteurs d'armes ont vu leur cour en Bourse augmenter de 7 %. 1. Cette hausse reflète non seulement l'attente d'une augmentation des commandes de la part des États en réponse à la montée des tensions, mais également la spéculation des investisseurs qui anticipent de futurs profits. Le PDG du géant américain de l'armement, RTX, déclarait déjà le 24 octobre 2023 « Je pense réellement que nous constaterons un bénéfice causé par la hausse des commandes sur l'ensemble de notre portefeuille. ».

Cette corrélation entre guerre et profit désole et révolte. D'autant plus que l'industrie des armements est devenue un catalyseur de conflit. Les États sont alors prisonniers d'un cercle vicieux dans lequel la guerre et la militarisation deviennent à la fois les moteurs et les conséquences d'intérêts économiques et stratégiques. Le discours de sécurisation sont omniprésents, les politiques des militarisations sont normalisés. En plein cœur de cette tornade, une question s'impose : qui vient en premier, la guerre ou l'arme ?

1- LVSL[↩]

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Normaliser le génocide

Les administrations universitaires ne peuvent faire taire les voix discordantes sur les campus en s'appuyant sur des injonctions ou en demandant l'intervention de la police. (…)

Les administrations universitaires ne peuvent faire taire les voix discordantes sur les campus en s'appuyant sur des injonctions ou en demandant l'intervention de la police. Qu'à cela ne tienne, ils peuvent faire de la sous-traitance et embaucher une firme de fiers à bras pour faire la job de bras.

Michel Seymour
Professeur honoraire
Université de Montréal
Auteur de Nation et autodétermination au XXIe siècle, PUM, 2024.

Il y a bien sûr les manifestations de rue de citoyens qui sont tolérées parce que nous sommes après tout dans une société « démocratique ». Elles le sont d'autant plus facilement qu'après plusieurs mois, ils ne sont plus que quelques centaines à défiler chaque semaine.

Ensuite, que ce soit par opportunisme, par indifférence, par prudence calculée ou par désintérêt pour ce qui n'est pas immédiatement dans son propre intérêt, le milieu intellectuel dans son ensemble, y compris dans ces centres de recherche ayant pour « expertise » la politique internationale, a plutôt tendance à se cantonner sur son quant-à-soi.

Les médias mainstream adoptent ensuite des politiques éditoriales qui cherchent à minimiser les propos jugés trop vitrioliques, ce qui a pour effet d'aseptiser le contenu des pages Idées ou Opinions.

C'est que voyez-vous, on ne peut plus désormais négliger totalement l'appui gouvernemental au bon fonctionnement des médias, de même que l'appui des commanditaires. Un média mainstream digne de ce nom a donc le bon réflexe de checker ses claques. Il exige « à bon droit » que soient expurgés les textes véhiculant de la « désinformation », qu'elle soit russe ou chinoise. Ils réservent un même sort à ceux qui véhiculent des propos « haineux » ou « incitant à la violence », comme ceux qui, prétendant se porter à la défense du peuple palestinien, ont l'audace d'appuyer le « groupe terroriste » du Hamas. Peu importe si du point de vue du droit international, un peuple faisant l'objet d'une occupation illégale a le droit de se défendre par les armes et peu importe si, en dehors de l'Occident, le reste de la communauté internationale reconnait aussi ce droit.

C'est ainsi que les voix discordantes qui s'élèvent à gauche ou à droite au sein des médias de l'anglosphère font l'objet d'une répression croissante. La Grande-Bretagne s'est occupée de Julian Assange, Sarah Wilkerson, Tony Greenstein, Richard Medhurst, Craig Murray et Asa Winstanley. Aux États-Unis, Mark Lamont Hill a été licencié de CNN. Mehdi Hasan a été licencié de MSNBC. Tucker Carlson a été licencié de Fox TV. Candace Owens a été licenciée du Daily Wire. Katie Halper et Briahna Joy Gray ont été licenciées de The Hill. Scott Ritter a fait l'objet de perquisitions à son domicile. Chris Hedges a été invité à quitter The Real News Network.

Ceux qui ne vivent que du pain et des jeux, quand ce n'est pas d'amour et d'eau fraîche, et qui regardent dans leur caverne défiler les images sur leur petit écran, peuvent bien se demander où je pige tous ces noms et tous ces faits. Il s'agit bien souvent d'un monde qu'ils ignorent car il est composé, tenez-vous bien, de personnes qui osent refiler en contrebande de la camelote d'informations véritables.

C'est dans ce contexte qu'il faut se placer pour apprécier ensuite le comportement des partis politiques à la chambre des communes ou au congrès. Même si certains députés du NPD ont osé élever la voix, ne comptez pas sur la mise aux voix d'une résolution dénonçant le génocide présentement en cours à Gaza. Et pourtant, c'est pour la première fois dans l'histoire mondiale un génocide auquel on assiste en direct !

Justin Trudeau et Mélanie Joly ont donc la voix libre pour se réfugier dans un mutisme complet, ainsi que dans de la complaisance étasunienne et dans le maintien de livraisons d'armes à l'entité sioniste génocidaire.

Les citoyens médusés qui voient cette horreur et qui ont de la rage au fond du coeur se sentent impuissants. Ils se disent qu'il n'y a probablement rien qui puisse être fait pour renverser la vapeur et changer l'ordre des choses. Même s'ils sont très majoritaires aux États-Unis à vouloir un cessez-le-feu et à proposer l'interruption de l'aide militaire, les autorités politiques américaines savent elles aussi qu'elles peuvent aller de l'avant.
Elles n'ont qu'à faire croire qu'elles travaillent jour et nuit à un cessez-le-feu. La population n'y verra que du feu.

Bernie Sanders et le Squad ont capitulé. Les « uncommitted » n'ont pas voulu se commettre en faveur d'une tierce candidature comme celle de Jill Stein. Il est maintenant trop tard pour espérer une percée. Son colistier est un illustre inconnu. Le débat sempiternel, typique au sein de l'anglosphère, entre des rouges et des bleus reprend de plus belle ses droits et occupe, encore une fois, l'essentiel des débats au sein des médias.

On peut ainsi comprendre pourquoi les citoyens sont frustrés et amers avec de la tristesse restée coincée en travers de la gorge. Que ce soit sur les campus ou dans la rue, dans les journaux ou sur les réseaux sociaux, jusqu'à la chambre des communes ou au Congrès, les citoyens n'ont pas de porte-parole. Ils ont le droit de vote, mais ils n'ont pas de voix.

C'est ainsi que l'on parvient enfin à normaliser le génocide.

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Gaza : Vers une privatisation de l’occupation israélienne ? “La recette infaillible d’un désastre”

28 octobre 2024, par Courrier international — , , , ,
La guerre de Gaza est loin d'être finie mais plusieurs instances israéliennes préparent déjà “le jour d'après”. Selon les informations de divers titres israéliens, la (…)

La guerre de Gaza est loin d'être finie mais plusieurs instances israéliennes préparent déjà “le jour d'après”. Selon les informations de divers titres israéliens, la recolonisation du territoire est envisagée de même que la sous-traitance de la sécurité à des sociétés privées.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Des palestiniens déplacés s'abritent dans un camp de tentes, dans la région d'Al Mawasi, à Kahn Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 27 octobre 2024. Photo Ramadan Abed/Reuters.

Alors que le devant de la scène médiatique est occupé par l'opération israélienne contre le Hezbollah libanais, les événements en cours dans la bande de Gaza se retrouvent quelque peu éclipsés. Pourtant, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et surtout ses membres d'extrême droite fourmillent d'idées quant à l'avenir de l'enclave palestinienne. Ainsi, dans Zman Yisrael, l'analyste Shalom Yerushalmi rend compte d'un événement ayant rassemblé le 21 octobre “plusieurs milliers de militants israéliens de droite et d'extrême droite et près de 15 ministres et députés, soit près de la moitié des parlementaires du Likoud”, le parti de droite nationaliste du Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Leur objectif ? “Trouver une ‘solution' pour le ‘jour d'après'”.

Leurs revendications risquent pourtant de mettre de l'huile sur le feu. “Ces élus israéliens n'envisageant rien d'autre que la création de nouvelles implantations”, c'est-à-dire des colonies juives de peuplement dans la bande de Gaza.

“Remplacer progressivement Tsahal”

Dans la foulée, plusieurs médias locaux se sont fait l'écho de plans israéliens improbables mais pas forcément fantasmagoriques. Ainsi, la société de mercenaires israélo-américaine GDC (Global Delivery Company), par la voix de son directeur Mordechai “Moti” Kahana, s'est exprimée auprès du journaliste Itamar Eichner du quotidien Yediot Aharonot. “Le gouvernement est sur le point de nous [donner le feu vert]. Notre objectif est de suppléer et de remplacer progressivement Tsahal [l'armée israélienne] dans sa gestion de la bande de Gaza.”

  • “Nous nous occuperons des fonctions de police et de distribution de l'aide alimentaire. Et nous créerons des ‘bulles humanitaires' qu'aucun belligérant n'est capable de sécuriser.”

Cette possible privatisation de la guerre contre le Hamas inquiète Yediot Aharonot. “Outre qu'elles n'ont pas pour but de peser sur un hypothétique processus politique, ces sociétés privées de mercenaires risquent, comme dans l'Afghanistan d'après 2001 et l'Irak d'après 2003, de commettre des crimes de guerre et de couper l'herbe sous le pied des armées régulières, tout en engrangeant de juteux profits.”

Commentant cette interview, la journaliste Noa Landau du quotidien Ha'Aretz laisse transparaître son inquiétude. “Quand Moti Kahana déclare que les Gazaouis ‘n'auront pas intérêt à l'emmerder', il tient un langage de mafioso.” Elle espère qu'il ne s'agit là que d'“esbroufe”. Plus grave, Global Delivery Company ne serait selon elle qu'un des innombrables maillons de l'occupation militaire pensée par un pouvoir israélien qui ne jure plus que par l'embauche de mercenaires sans foi ni loi et la construction de nouvelles colonies juives. “C'est la recette infaillible d'un prochain désastre.”

Courrier international

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Le PTB confronte l’ambassadrice d’Israël à ses crimes de guerre

28 octobre 2024, par Parti du travail de Belgique — ,
23 octobre 2024 Le député PTB à la Chambre Nabil Boukili confronte l'ambassadrice d'Israël à ses crimes de guerre. #FreePalestine #StopGenocide À propos du PTB : « Les (…)

23 octobre 2024

Le député PTB à la Chambre Nabil Boukili confronte l'ambassadrice d'Israël à ses crimes de guerre. #FreePalestine #StopGenocide

À propos du PTB :
« Les gens d'abord, pas le profit. » Rien ne définit mieux le PTB que cette idée fondamentale. Les gens ne sont pas des numéros. La société n'est pas une loterie. Nous valons beaucoup mieux que ça.

Manifestation contre le projet de mine de pouzzolane : inquiétudes croissantes en Gaspésie

28 octobre 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Une mobilisation citoyenne prend de l’ampleur dans la Baie-des-Chaleurs contre le projet controversé de mine à ciel (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Une mobilisation citoyenne prend de l’ampleur dans la Baie-des-Chaleurs contre le projet controversé de mine à ciel ouvert, mené par la société EcoRock Dalhousie. Le groupe Non Merci, Pozzolan Dalhousie ! , composé de résident.es (…)

Northvolt possédé par une filière active dans les paradis fiscaux

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/10/Northvolt_Ett_oktober_2022-2-1024x576.png28 octobre 2024, par Comité de Montreal
Au mois d'août, la compagnie suédoise Northvolt a annoncé que son projet de méga-usine de batteries en Montérégie pourrait connaitre des retards importants. En effet, la (…)

Au mois d'août, la compagnie suédoise Northvolt a annoncé que son projet de méga-usine de batteries en Montérégie pourrait connaitre des retards importants. En effet, la compagnie connait des difficultés financières qui l'ont menée à licencier près du quart de son personnel en Suède. Alors que (…)

Les allumettières de la E. B. Eddy et l’Union des faiseuses d’allumettes (1918-1928)

28 octobre 2024, par Archives Révolutionnaires
L’historienne Katlheen Durocher nous a fait parvenir un texte sur la tradition syndicale des allumétières de Hull. Durocher cherche à faire « sortir les allumettières de (…)

L’historienne Katlheen Durocher nous a fait parvenir un texte sur la tradition syndicale des allumétières de Hull. Durocher cherche à faire « sortir les allumettières de l’ombre », comme l’indique le titre de son dernier ouvrage sur le sujet. En tant qu’elles incarnaient la double condition de femmes et d’ouvrières, les allumettières ont subi une exploitation accrue du patronat anglophone, fait l’expérience d’une représentation syndicale masculine incompétente et paternaliste, en plus d’avoir été marginalisées par l’histoire du mouvement ouvrier québécois. Ce texte entend contribuer à renverser cet ordre des choses, à replacer l’histoire des allumettières comme un épisode central de la mémoire ouvrière québécoise.


Les allumettières de la E. B. Eddy et l’Union des faiseuses d’allumettes (1918-1928)

Kathleen Durocher

Pendant plus d’un siècle et demi, entre le début des années 1800 et 1960, le travail en Outaouais est rythmé par les hauts et les bas de l’exploitation forestière, une industrie qui fait la fortune des barons du bois et des industriels qui s’installent dans la région. La coupe du bois, son transport et sa transformation offrent un grand nombre d’emplois physiquement exigeants et dangereux. Alors que les camps de bûcherons et la drave attirent les hommes, les petits centres industriels qui se développent sont progressivement habités par des familles. Vers le tournant du siècle, plusieurs jeunes femmes célibataires arrivant des campagnes s’y établissent, particulièrement à Hull. Souvent oubliées, les femmes sont nombreuses à être employées dans l’industrie forestière, même si elles sont limitées à quelques départements considérés comme moins dangereux et propres à une main-d’œuvre féminine. Notamment, l’une des plus anciennes fabriques du cœur industriel de la région, l’île de Hull (faisant aujourd’hui partie de la ville de Gatineau), prospère grâce à une main-d’œuvre principalement féminine. La E. B. Eddy Match Company fait la renommée de la petite ville industrielle entre les années 1860 et 1920 puisqu’environ 90 % des allumettes canadiennes y sont produites. Exténuant, réplétif et sous-payé, le travail d’allumettière offre une rare opportunité de travail en industrie pour les femmes de la région jusqu’au début du XXe siècle[1].

Pendant longtemps, l’histoire du travail en Outaouais fut écrite au masculin[2], l’expérience des femmes et des filles de la fabrique d’allumettes restant longtemps invisibilisée. Effacée des mémoires collectives, leur histoire refait progressivement surface. Dès les années 1980, leurs grèves de 1919 et 1924 s’inscrivent peu à peu dans l’histoire du syndicalisme national au Québec puis, depuis la fin des années 1990, dans l’histoire de Hull/Gatineau et de l’Outaouais[3].

En 1984, la Confédération des syndicats nationaux annonce la parution de la seconde édition de leur publication Histoire du mouvement ouvrier illustrée par une photographie des allumettières en grève devant les bureaux du journal Le Droit (octobre 1924). Source : Nouvelles CSN, no 216 (21 novembre 1984), p. 16.

Ce texte s’intéresse à leur expérience militante et tente d’expliquer ce qui a mené les allumettières de la E.B. Eddy de Hull à fonder une association féminine affiliée au mouvement syndical national confessionnel (1918-1928). Pour ce faire, nous présentons un survol de la présence syndicale à Hull au XIXe siècle pour ensuite aborder plus en détail le cas des travailleuses de la fabrique d’allumettes. Après avoir spécifié en quoi consiste leur travail et quelles personnes sont employées, nous proposons une description de leur syndicalisation. De même, une réflexion sera faite sur les possibilités qu’offre cette organisation et les barrières auxquelles ses membres sont confrontés, particulièrement lors de leurs grèves menées en 1919 et en 1924.

La syndicalisation au pied des Chaudières 

De prime abord, rappelons que l’industrialisation de la petite colonie agraire de Wright’s Town (1800), devenue Hull, s’entame réellement dans les années 1860 et 1870 grâce à l’exploitation forestière. Alors que différents moulins et fabriques sont implantés à proximité de la rivière des Outaouais, les terrains entourant la chute des Chaudières, située sur la frontière entre l’Ontario et le Québec, s’avèrent un lieu de choix pour l’activité industrielle grâce à son potentiel hydraulique. Le village de Hull, voisine de la capitale canadienne, connaît une croissance économique et démographique rapide jusqu’à la fin du siècle[4]. Comme dans le reste du Canada, l’industrie forestière est le fer de lance du développement  du capitalisme industriel à Hull et dans l’Outaouais. Alors que le recensement canadien de 1871 indique que seulement 3 800 personnes y résident, la population double en dix ans (6 890 en 1881). La croissance se poursuit dans les décennies qui suivent. La population franchit les 10 000 avant 1890 et atteindra 20 000 dans les années 1910[5]

Le marchand d’allumettes américain, Ezra Butler Eddy, s’installe à Hull en 1851. Tirant rapidement profit du potentiel des Chaudières, le fondateur et propriétaire de la E.B. Eddy Co règne sur la ville de Hull jusqu’à sa mort en 1906[6]. Bien que d’autres entreprises s’y implantent, la E. B. Eddy Company demeure la plus puissante non seulement dans la ville, mais aussi dans l’Outaouais. Son fondateur conserve à la fois une main mise sur l’économie et sur la vie politique locale[7]. Notamment, il devient échevin (1878 à 1888) et maire de Hull (1881 à 1884, 1887 et 1891), période de croissance industrielle importante pour sa compagnie et la cité.  

Vue aérienne des installations de la compagnie E. B. Eddy et, sur la rive nord de la rivière, la compagnie Booth (1900). Le fort courant des Chaudières rend le site particulièrement attrayant pour les industries. Source : E. B. Eddy Collection, Musée des Sciences et de la technologie du Canada (PHO-097)

Vers la fin du XIXe siècle, les ouvriers employés dans ses moulins et fabriques essaient de s’organiser et militer pour obtenir de meilleurs salaires, en plus de conditions de travail moins pénibles et dangereuses. Or, Ezra Butler Eddy est un industriel bien connu pour son antisyndicalisme. Les luttes entreprises par les ouvriers syndiqués par les Chevaliers du travail à la fin des années 1880 et dans la décennie suivante sont déjouées à tout coup par la compagnie[8]. La grande grève entreprise en 1891 est violemment supprimée grâce à la police et l’armée. Quelques années plus tard, en 1904, une grève majeure est déclenchée par les ouvrier·ère·s des papetières affilié·e·s à l’International Brotherhood of Papermakers[9]. Comme ce fut le cas dans les quelques rares conflits ouvriers du passé, la Eddy n’hésite pas à briser la grève. Cela dit, la compagnie laisse entendre aux suites de cette grève qu’elle serait prête à tolérer les syndicats nationaux, moins revendicateurs et beaucoup plus conciliants avec le patronat[10]. Ceux-ci n’étant pas encore réellement implantés dans la cité industrielle, seules quelques petites associations professionnelles subsistent réellement à Hull[11]. Durant ces brèves expériences militantes, les travailleuses employées aux Chaudières sont largement exclues des organisations ouvrières et des luttes. Ignorées par les Chevaliers du travail, seules quelques ouvrières irlandaises œuvrant dans les papetières ont activement participé au conflit de 1904[12].

Le cas des allumettières 

Entre 1854 et 1928, la fabrique d’allumettes E. B. Eddy, située au coin de l’actuelle rue Laurier et Eddy, offre entre 100 et 300 emplois rémunérés. Alors que la coupe de bois en bâtonnets, la préparation de la mixture chimique inflammable, le trempage et le séchage sont la prérogative d’hommes et de garçons, les femmes et les filles s’affairent plutôt à empaqueter les allumettes. Quotidiennement, des milliers d’allumettes sont apportées à leurs postes de travail, dans les premières années sur des chariots poussés par des travailleurs et, dès les années 1870, par un système mécanisé plus rapide[13]. L’employée, à sa table de travail, doit alors prendre une poignée d’allumettes, l’insérer dans la boîte, refermer celle-ci, puis la déposer pour qu’elle soit transportée vers l’entrepôt[14]. La même opération est répétée toute la journée, entre 10 et 12 heures quotidiennement. Dans ces départements où le bruit de la machinerie est incessant, le tout doit se faire dans le silence, sous peine d’amande.

La mise en boîte est exclusivement faite par des femmes et des filles. Elles sont gardées hors des autres étapes de la production, ces dernières étant considérées comme physiquement trop difficiles ou trop dangereuses pour elles. De plus, l’empaquetage demande de la dextérité. L’ouvrière doit être rapide, minutieuse, prudente et attentive, des qualités que l’on disait « naturelles » pour les femmes. Pour l’employeur, ce travail d’empaqueteuse n’exige ainsi aucune qualification particulière, seulement un peu de pratique. Un article publié en 1919 par la E.B. Eddy dans le Canadian Grocer affirme à ce sujet : « Feminine fingers are very quick and sure, and constant practice makes their nimbleness almost unbelievable. »[15] Dans les faits, la compagnie s’assure d’embaucher des femmes et des enfants puisqu’elle peut leur offrir un salaire considérablement plus bas que celui des hommes. Par exemple, selon le recensement canadien de 1911, les allumettières gagnent en moyenne environ 225 $ par année. Le salaire annuel des allumettiers pour la même année est d’environ 550 $[16]

Le travail est supervisé par des contremaîtresses, souvent une ouvrière un peu plus âgée, ayant œuvré pendant plusieurs années à la fabrique. De ce fait, les départements d’empaquetage s’avèrent des espaces exclusivement féminins. Il faut préciser que la vaste majorité des allumettières sont des adolescentes, la plupart âgées de 14 à 17 ans[17]. Le devoir moral des contremaîtresses est généralement approuvé par les familles des travailleuses, ces femmes plus âgées assumant le rôle d’une sœur aînée ou même d’une mère. Elles s’assurent ainsi d’éviter les contacts entre les jeunes ouvrières et les hommes[18]. Cette supervision est également faite par les membres de la famille présents à l’usine. Souvent, les plus jeunes sont accompagnées d’une parente à la fabrique, la plupart du temps une sœur[19]. C’est ce lien de parenté qui assure non seulement la formation des nouvelles employées, mais qui permet aussi leur embauche à l’usine[20]. Habituellement, les travailleuses suggèrent un membre de leur famille aux contremaîtresses, les patrons leur octroyant cette responsabilité. Sans surprise, on observe de nombreux liens familiaux qui unissent la main-d’œuvre, rendant celle-ci relativement homogène. À l’exception de quelques rares femmes irlandaises, les allumettières sont originaires du Canada, francophones et catholiques. Cette forte présence canadienne-française n’est pas surprenante, ce groupe formant la vaste majorité de la population hulloise de l’époque. Les allumettières sont pour la plupart voisines, résidant dans les quartiers populaires de l’île de Hull, à proximité de l’usine. Entassées dans les « maisons allumettes » surpeuplées, elles fréquentent aussi les mêmes lieux publics et commerces lorsqu’elles ne sont pas à la fabrique[21].

Exemples de « maisons allumettes ». Au cours du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, ces habitations de bois recouvrent la majorité de l’île de Hull. Dans le cas des familles d’allumettières identifiées dans le recensement de 1921, bon nombre d’entre elles sont locataires. Source : Ville de Gatineau, Collection iconographique de la Ville de Hull, H012-01/0077.  

L’Union des faiseuses d’allumettes

Considéré comme non qualifié par l’employeur, leur travail d’empaqueteuse est mal rémunéré. De surcroît, puisqu’elles sont payées à la pièce, elles doivent s’assurer d’emboîter assez d’allumettes pour obtenir un gage suffisant pour contribuer à la survie familiale[22]. Généralement perçu comme un salaire d’appoint par le patronat, le salaire des femmes et des enfants employés à la Eddy est, dans les faits, souvent essentiel aux familles[23]. À l’exception de quelques veuves, la majorité des allumettières sont célibataires et résident chez leurs parents. Pour ces familles, envoyer les enfants au travail, particulièrement les filles et les plus jeunes, est une nécessité. Malgré l’idéal du père pourvoyeur, présent autant chez les classes populaires que bourgeoises, la paie des hommes employés par la E.B. Eddy suffit rarement pour subvenir aux besoins de leurs familles nombreuses, surtout dans les périodes de ralentissement industriel[24]. Lorsque le père est sans emploi ou, plus encore, lorsqu’il est absent ou décédé, le travail des ouvrières devient central à la survie familiale. Mais les salaires d’allumettières sont maigres et la compagnie n’hésite pas à diminuer le montant octroyé par paquet de boîtes d’allumettes. Les employées doivent donc s’assurer de maintenir un rythme constant pour éviter de voir la production s’accélérer et leur gage réduit, nécessitant à la fois une bonne coopération et l’appui des contremaîtresses.

En plus d’être mal payées et de s’affairer à une occupation aliénante, les allumettières sont confrontées à plusieurs dangers. Les brûlures et les incendies sont fréquents, la fumée et la poussière envahissent quotidiennement l’espace de travail. De plus, le phosphore blanc (ou jaune) est en usage à la Eddy des années 1850 jusqu’en 1915[25]. Ce poison violent peut causer de nombreux problèmes de santé aux ouvrières, allant de l’intoxication à la nécrose maxillaire. Pour plusieurs d’entre elles, leur santé en est considérablement affectée et, dans quelques rares cas, certaines en décèdent. Les conditions difficiles sont largement maintenues alors que les ouvrières sont exclues du mouvement syndical hullois. Seul un arrêt de travail spontané en 1883 apparaît dans les journaux. Le Montreal Daily Witness affirme au sujet de l’évènement : « The proposed reduction of wages raised a miniature rebellion Tuesday among the girls working in Eddy’s match factory. A number of them struck work and might be seen on the streets in groups engaged in an animated discussion of the situation. »[26] Malheureusement pour les allumettières, elles doivent retourner au travail le lendemain, menacées d’être mises à pied si elles en faisaient autrement. Il faut dire que le peu d’emplois industriels offert aux femmes à Hull crée un bassin important de main-d’œuvre pour la Eddy[27]. Les ouvrières s’en trouvent facilement remplaçables et, donc, dépourvues d’une réelle capacité de négociation sans organisation syndicale.

Pour éviter qu’elles ne quittent l’usine, la compagnie impose aux allumettières que la prise du repas du midi se fasse dans une salle à manger. Lorsqu’annoncée, cette décision n’est pas particulièrement populaire chez la main-d’œuvre.  Source : « Every Week with E.B. Eddy », Canadian Grocer, 5 septembre 1919, p. 5.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Canada connaît une effervescence du militantisme ouvrier face à leurs conditions matérielles précaires[29]. L’activisme syndical s’intensifie rapidement et se radicalise. Certains syndicats nationaux se confessionnalisent, suivant les principes de la doctrine sociale de l’Église. Les organisations catholiques prennent timidement racine au Québec, appuyées par certaines franges moins conservatrices (à cet égard) du clergé catholique. À Hull, l’Association ouvrière de Hull (A.O.H.) apparaît en 1915, chapeautée par les Oblats de Marie-Immaculée (O.M.I.). Selon ces derniers, les adhésions demeurent limitées, la main-d’œuvre préférant les « unions internationales » américaines implantées à Ottawa[30].

En 1918, à la demande d’ouvrières de Hull, une branche féminine de l’A.O.H est constituée avec l’approbation des O.M.I. Ainsi naît l’Association ouvrière catholique féminine de Hull (A.O.C.F.) qui regroupe rapidement plus de 300 femmes et jeunes filles, principalement des allumettières de la E.B. Eddy. Une d’entre elles, Georgiana Cabana, devient la première présidente de l’association et le demeure tout au long des années 1920[31]. Alors que l’exécutif de A.O.C.F. est composé de femmes, celui-ci reste néanmoins sous une supervision masculine. La présidence de l’A.O.H. et les O.M.I. s’assurent que les décisions prises par ces femmes conviennent aux visées de l’association hulloise et à la doctrine sociale de l’Église catholique. Il faut dire que selon cette dernière, le but des « œuvres sociales féminines » doit avant tout être la protection des femmes et des filles[32]. Cette protection ne peut qu’être assurée par des hommes, laïques et religieux. Plus encore, l’association est encadrée par certaines femmes issues de la bourgeoisie canadienne-française de Hull impliquées dans les œuvres sociales catholiques, s’octroyant le titre de « marraine du syndicat ».

Malgré les limites imposées par l’idéologie de l’organisation et de ceux et celles qui la chapeautent, l’association féminine croît de manière importante dans les mois qui suivent sa fondation. Entre 300 et 400 ouvrières en seraient membres, dont bon nombre d’allumettières[33]. Face à cet engouement, l’association doit se scinder en syndicats de métier. L’union des faiseuses d’allumettes, comme elle était appelée à l’époque, voit le jour. Nous pouvons penser que les ouvrières canadiennes-françaises de Hull sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à adhérer au syndicalisme catholique puisqu’il s’agit réellement de la seule option d’organisation pour elles, les syndicats internationaux anglophones établis à Ottawa ne semblant pas avoir tenté de les recruter. Il faut dire que le clergé de Hull joue un rôle non négligeable par son influence, dissuadant la main-d’œuvre de se joindre à ces syndicats neutres et mixtes, perçus comme révolutionnaires. Les allumettières ont peut-être également craint ne pas avoir de capacité décisionnelle dans ces vastes organisations. La barrière linguistique peut également être mise en cause[34]. À l’inverse, elles peuvent voir en l’A.O.C.F. l’opportunité d’exprimer leurs insatisfactions face à leurs conditions de travail sans être invisibilisées par les hommes. Plus encore, dans le cas du syndicat des allumettières, l’exécutif est entièrement formé de contremaîtresses. Les ouvrières ayant déjà l’habitude de s’adresser à elles à la fabrique, nous pouvons ainsi penser qu’un certain rapport de confiance existe déjà entre les membres et l’exécutif. Dès 1919, l’A.O.C.F. et l’union des faiseuses d’allumettes organisent de nombreuses activités et tiennent fréquemment des rencontres. En plus d’assurer une représentation syndicale, l’association propose des cours du soir qui deviennent rapidement populaires. Leur visée n’est toutefois pas d’offrir une instruction technique, mais plutôt de préparer les syndiquées à leur futur rôle de mère et de femme au foyer grâce à des cours d’art ménager, de français et d’anglais[35]. Pour l’organisation, la pertinence de ces cours va de soi, puisque l’objectif est de former les travailleuses pour leur réelle vocation. Dans les faits, il est vrai que la vaste majorité des allumettières ne passent que quelques mois ou quelques années à l’emploi avant de quitter la fabrique pour fonder une famille. Pour les filles et les femmes, ces cours offrent également un nouvel espace pour socialiser entre elles à l’extérieur de la fabrique et de la maison familiale.

Photographie prise lors du congrès de fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, devant la Bourse du travail. Nous pouvons apercevoir quelques femmes au milieu de la photographie. Source : BAnQ, Collection Centre régional d’archives de l’Outaouais (P1000, D7)

1919 

Durant sa première année d’existence, le syndicat des allumettières de Hull, comme le reste de l’A.O.C.F., est toléré par la E. B. Eddy. L’organisation demeure assez peu revendicatrice et assure plutôt des services aux travailleuses. Or, la situation change en décembre 1919 quand la compagnie décide d’apporter des modifications aux horaires de travail des femmes et à la structure des équipes de travail, les obligeant à travailler davantage et quitter la fabrique plus tard dans la soirée[36]. L’exécutif syndical, appuyé par les ouvrières, s’oppose à la décision. Des négociations sont entamées avec le patronat. Toutefois, la délégation représentant les allumettières — composées uniquement d’hommes de l’AOH et l’aumônier responsable — ne s’entend pas sur la raison et la nécessité de poursuivre de telles négociations[37]. Profitant de cette division interne, la E. B. Eddy se retire et, par le fait même, remet en question la légitimité de l’organisation. Plus encore, elle décide de fermer les portes de la fabrique, déclenchant un lock-out. En réponse au lock-out décrété par leur patron, les travailleuses décident d’entamer une première grève. Or, le syndicat insiste pour la qualifier de « contre-grève », affirmant qu’il ne fait que répondre au geste de la compagnie[38]. L’organisation s’assure ainsi de présenter les allumettières comme des victimes de la mauvaise foi du patronat. Malgré tout, ces évènements offrent une première occasion pour les allumettières de militer activement, participant à un piquet de grève devant la fabrique. Possiblement prise au dépourvu et confrontée à une opinion publique en faveur des ouvrières, la compagnie accepte de retourner à la table de négociation[39].

Le conflit se conclut au bout de trois jours avec une entente signée par le patronat et l’A.O.H. Bien que les horaires de travail soient changés, les travailleuses obtiennent une compensation salariale substantielle[40]. Ce qui est vu comme une victoire fait écho. Pour la première fois, une organisation syndicale fait (partiellement) plier le plus grand employeur de Hull. Plus encore, la grève des allumettières devient le premier exemple de réussite d’une organisation ouvrière catholique féminine au Québec[41]. Dans les trois années qui suivent le conflit, l’Union des faiseuses d’allumettes enregistre certains gains importants, dont l’amélioration des salaires, la réduction des heures de travail et la reconnaissance de certains jours fériés. Ses activités se multiplient et la participation des membres est décrite comme exemplaire[42]. Notons toutefois que nous en connaissons peu à ce sujet, les archives des associations féminines n’ayant pas été préservées. En l’absence de documents produits par des ouvrières ou leur organisation, il faut garder à l’esprit que la présentation des faits et la représentation des syndiquées sont toujours le produit de regards masculins, aussi bien laïques que religieux[43]. L’activisme des femmes intéressant peu les hommes de l’A.O.H. et les O.M.I., nous trouvons peu de références à leur militantisme ou aux activités quotidiennes de l’A.O.C.F. et de ses syndicats.

Malgré le silence des allumettières dans les sources, nous pouvons croire qu’elles se font plus militantes après leur victoire de 1919. Par exemple, lors du congrès de fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada de 1921, à Hull, certaines d’entre elles, ainsi que d’autres femmes de l’A.O.C.F. participent activement aux délibérations bien que seulement des hommes aient été invités[44]. Il faut dire que l’évènement a lieu à l’endroit même où elles tiennent leurs rencontres : la Bourse du travail.

Bien que le tout se passe sous le regard de l’A.O.H., des O.M.I. et des marraines de l’organisation, c’est à la Bourse du travail qu’elles détiennent un droit de s’exprimer qu’elles n’ont probablement pas ailleurs. Les discussions ne sont pas permises sur le lieu de travail et les allumettières n’ont pas la chance d’échanger longuement à la fin de la journée lorsqu’elles doivent retourner chez elles et aider aux corvées domestiques. À la Bourse, elles peuvent commenter leurs conditions de travail, leurs salaires et, plus largement, leurs conditions matérielles. Ainsi, les allumettières y trouvent une certaine agentivité, malgré les nombreuses restrictions de l’idéologie catholique.

Source : « Défilé de la Fête du Travail, 1924 » (H12-01-0125), Ville de Gatineau, coll. iconographique de la Ville de Hull (H012-01/125)

1924

Au printemps 1924, des tensions considérables se font sentir entre la E. B. Eddy, le conseil de ville et la population de Hull. La compagnie refuse de payer les taxes municipales, proteste en mettant à pied 300 employés et menaçant de quitter la ville. Un sentiment de frustration et de colère à l’égard de la compagnie est exprimé dans les journaux[45]. En bref, cette compagnie qui accaparait les ressources naturelles de la ville, les meilleurs terrains et qui exploitait plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants depuis des décennies s’abstient toujours de contribuer à l’amélioration de leurs conditions autrement qu’en offrant des salaires insuffisants. Les infrastructures municipales, les services et les œuvres sous contrôle de l’Église catholique étaient boudés alors que le patronat préférait financer les organisations protestantes d’Ottawa.

À la E. B. Eddy, et particulièrement à la fabrique d’allumettes, l’année 1924 apporte un déclin dans les ventes et une augmentation des coûts de production[46]. Craignant une baisse de ses revenus, la compagnie choisit de diminuer drastiquement les salaires de ses employé·e·s : une coupure de 40 % est annoncée[47]. Confrontées à la possibilité de voir presque la moitié de leur gage disparaître, les allumettières se mobilisent à l’aide de leur syndicat. Des négociations sont entamées avec les patrons. Un changement important est à noter par rapport à décembre 1919 : cette fois-ci, ce ne sont pas que des hommes qui y participent. En plus de l’aumônier Bonhomme, des représentants de la compagnie, l’ancienne allumettière Georgiana Cabana, toujours en présidence de l’A.O.C.F., Ernestine Pitre, présidente de l’Union des faiseuses d’allumettes, et Donalda Charron, porte-parole des employées, s’y trouvent[48].

Le 21 novembre 1924, Le Droit souligne l’entente signée en publiant la photo de trois syndicalistes ayant participé à la résolution du conflit ouvrier.

D’emblée, les négociations sont difficiles et la compagnie fait preuve de mauvaise foi. Le 6 septembre, cette dernière ferme les portes de la fabrique pour une période indéterminée, sous prétexte que des réparations nécessaires doivent être entreprises. Or, l’arrêt de travail perdure. Rapidement, comme elle l’avait fait en 1919, la E. B. Eddy décide de remettre en question la légitimité de l’organisation ouvrière. En catimini, elle propose aux employées de retrouver leur travail à condition qu’elle signe une entente promettant de ne pas « parler en faveur de l’union »[49]. Dans les faits, elle leur demande plus ou moins directement de rejeter leur syndicat. Refusant cette demande et confrontées à ce qui s’avère un nouveau lock-out, les quelque 200 allumettières se lancent dans une « contre-grève » et entreprennent un piquetage quotidien devant la fabrique.

Dans les journaux, particulièrement dans Le Droit, journal francophone de la région, l’enjeu du conflit n’est plus la question salariale, mais bien la reconnaissance syndicale, traçant un parallèle clair avec 1919. Il faut dire qu’à cette occasion, les travailleuses avaient obtenu une entente avec la compagnie affirmant que celle-ci ne renierait plus l’organisation ouvrière catholique. À l’automne 1924, la Eddy renvoie les membres de l’exécutif féminin afin de s’assurer que sa légitimité peut être remise en question. La compagnie annonce du même coup que toutes les contremaîtresses tentant de joindre l’organisation syndicale seraient renvoyées sans être remplacées. Les ouvrières devraient traiter directement avec les surintendants[50]. Dès ce moment, en plus d’une lutte pour la reconnaissance syndicale, la grève des allumettières devient une cause morale pour les observateurs qui leur sont favorables. Le Droit couvre cette « noble cause » quotidiennement, soutenant que « toute la population est derrière les contre-grévistes »[51]. En effet, il est fort possible que de nombreuses personnes les appuient, notamment en raison de l’animosité envers l’employeur qui plane depuis le printemps. Plusieurs familles dépendent directement du salaire des travailleuses. La baisse des gages annoncée au début septembre ainsi que sa suspension complète avec le lock-out rendent difficile la survie familiale, surtout durant les mois froids d’automne et d’hiver qui approche. Plus encore, la question du renvoi des contremaîtresses peut également être source de colère et d’inquiétudes face à la sécurité des jeunes travailleuses à la fabrique.

Ainsi, un conflit parfait semble se dessiner, mettant en scène un riche patronat anglophone, protestant, refusant d’investir pour améliorer le bien-être des jeunes travailleuses canadiennes-françaises, de leurs familles et de leur communauté, mettant en danger la moralité des jeunes allumettières. Contre lui se dresse une population à grande majorité canadienne-française, appartenant aux classes populaires, qui peut s’identifier aux allumettières en lutte. Chez leurs collègues masculins syndiqués, le mot d’ordre est de ne pas franchir le piquet de grève. Solidaires à la cause du syndicat féminin, certains hommes leur prêtent main-forte pour s’assurer que personne n’entre dans la fabrique[52]. Nous pouvons penser que ce sentiment, ainsi que le fort taux de participation à l’effort syndical chez les travailleuses, peut s’expliquer par les nombreux liens de parenté et de voisinage qui unissent déjà la main-d’œuvre. Un esprit de coopération est ainsi déjà bien présent et accentué par la crise.

Selon Le Droit, la conduite sur la ligne de piquetage est exemplaire. Les jeunes grévistes sont assidues, disciplinées et pacifistes comme le souhaitent les défenseurs du syndicalisme catholique. Dans la presse anglophone d’Ottawa, les actions des ouvrières et de leur organisation sont vivement critiquées et on n’hésite pas à faire ressortir les quelques actes de violence commis à l’égard des surintendants et des briseur·euse·s de grève. Par exemple, le titre « Superintendent and male employes molested at work » fait la une du Ottawa Citizen le 20 octobre[53]. Sans surprise, ces évènements sont largement ignorés par le Droit qui s’assure de véhiculer l’image de victime attribuée aux grévistes[54]. Soulignons qu’aussi bien dans les journaux qui leur sont favorables que défavorables, les principales intéressées sont complètement muettes. Aucune parole d’allumettière n’est transcrite. Seules Georgina Cabana et Donalda Charron voient quelques rares propos, souvent paraphrasés, apparaître dans la couverture médiatique. La présidente, Ernestine Pitre, n’est que mentionnée à l’occasion. À l’inverse, les affirmations de l’aumônier responsable Joseph Bonhomme, des représentants syndicaux masculins, des échevins, de commerçants hullois et du patronat sont toutes bien présentes. Les travailleuses sont alors réduites à un ensemble silencieux et anonyme auquel les journaux et les différents acteurs peuvent imposer leurs idéaux. 

Des allumettières devant la fabrique lors du lock-out de 1924. Nous pouvons également apercevoir quelques hommes qui les accompagnent. Source : Archives de la C.S.N.

Le conflit s’éternise, perdurant jusqu’en novembre. Des difficultés économiques se font sentir chez l’organisation syndicale et dans les familles d’allumettières. Le support des commerçants et de la presse s’essouffle. Néanmoins, grâce à l’intervention du maire de Hull, Louis Cousineau, les négociations entre le syndicat et le patronat reprennent[55]. Le lock-out prend fin et les allumettières peuvent finalement retourner au travail. Une entente est signée le 20 novembre. La compagnie assure qu’elle reconnaît le syndicat et accepte de garder les contremaîtresses en poste. Aucune mention n’est faite de la compression salariale qui était à la source du conflit initial. Cependant, la victoire ne dure que quelques jours. La situation s’envenime rapidement au début du mois de décembre. La compagnie annonce que les contremaîtresses impliquées dans le syndicat sont immédiatement mises à pied. De plus, les travailleuses doivent individuellement signer un document promettant de ne plus s’affilier à l’A.O.C.F. La lutte reprend aussitôt. Or, cette fois-ci, l’intérêt de la presse et l’appui populaire sont largement diminués. Plusieurs travailleuses refusent de retourner à l’emploi, certaines continuant de militer jusqu’à la fin du mois. Mais confrontées au renvoi permanent, la plupart d’entre elles se résolvent à reprendre le travail. Le conflit prend fin avec l’arrivée de la nouvelle année, après plus de trois mois de grève.

Les conditions économiques précaires des ouvrières, de leurs familles et des classes populaires de Hull auront donné la victoire à la E. B. Eddy qui aura su faire perdurer le conflit. Le syndicat, considérablement affaibli, subit durement la défaite. Les contremaîtresses impliquées dans le conflit, notamment la porte-parole Donalda Charron, sont définitivement renvoyées. L’exécutif féminin perd sa légitimité, ses membres n’étant plus à l’emploi de la compagnie. Possiblement par désintérêt ou par peur de représailles de la part du patronat, les travailleuses délaissent e

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Le 3 novembre ; Cabaret des Sorcières

Le Comité des femmes de Québec solidaire de la Capitale-Nationale vous invite à une toute nouvelle édition du Cabaret féministe : édition sorcières qui aura lieu le dimanche le 3 novembre 2024 de 14 h à 16 h 30 à La Korrigane – Brasserie artisanale.

Sur place, nous aurons des prestations de deux artistes invité.e.s : Geneviève Dufour et Lauriane Charbonneau. Nous aurons également des capsules historiques sur les sorcières d'ici, quelques prises de paroles, un micro-ouvert, des présentations de livres sur le thème des sorcières, une activité surprise et nous ferons un tirage de livres.

Venez partager vos textes, chansons, slams, poèmes, danses ou autres.

Préinscription recommandée pour celles qui souhaitent contribuer au micro-ouvert. Le micro ouvert sera ouvert seulement aux personnes qui s'identifient comme femmes et aux personnes non-binaires (la priorité sera accordée aux pré-inscriptions pour la prise de parole lors de l'évènement) : https://forms.gle/FTH9N2ufn5yV4ZMs5

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