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Oubliez Trump : l’accord de cessez-le-feu est le calcul de Netanyahou lui-même

En Israël, la guerre à Gaza est devenue un fardeau pour le gouvernement, l'armée et la société dans son ensemble. Trump n'a fait que donner à Netanyahou une excuse pour réduire ses pertes.
Tiré de AgenceMédiasPalestine
21 janvier 2025
Par Meron Rapoport
17 janvier 2025
Un grand panneau d'affichage à Jérusalem représente le président américain élu Donald Trump exhortant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à mettre fin à la guerre, le 13 janvier 2025. (Chaim Goldberg/Flash90)
Presque immédiatement après l'annonce qu'Israël et le Hamas avaient convenu d'un cessez-le-feu à Gaza, un consensus s'est dégagé dans les médiasinternationaux et israéliens : ce sont les pressions et les menaces du président élu Donald Trump qui auraient conduit le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à accepter finalement un accord qui était sur la table depuis mai 2024. Le récit présentant Steven Witkoff, l'envoyé de Trump au Moyen-Orient, arrivé à Jérusalem samedi matin et informant Netanyahou qu'il n'a pas l'intention d'attendre la fin du shabbat pour lui parler, est en passe de devenir folklorique.
« Il n'y aurait pas d'accord si le grand et puissant Donald Trump n'avait pas pris la main de Netanyahou, l'avait pliée derrière son dos, puis l'avait pliée un peu plus, puis un peu plus, avait poussé sa tête sur la table, puis lui avait murmuré à l'oreille que dans un instant il lui donnerait un coup de pied dans les couilles », a tweeté mercredi le journaliste de Haaretz Chaim Levinson, résumant ainsi le sentiment général. » Il est dommage que Biden ne l'ait pas compris depuis longtemps ».
Nous ne savons pas exactement ce qui s'est dit lors de la conversation entre Witkoff et Netanyahou. Il est possible que Trump ait menacé Netanyahou et que le premier ministre israélien ait craint la colère du président élu. Mais en y regardant de plus près, on s'aperçoit que d'autres dynamiques sont à l'œuvre. En réalité, la décision d'accepter l'accord de cessez-le-feu semble avoir moins à voir avec Trump qu'avec l'évolution de la perception de la guerre en Israël.
Revenons en arrière : dès son retour de sa première visite en Israël après l'attaque du Hamas du 7 octobre, le président Biden a avertiIsraël de ne pas réoccuper la bande de Gaza. Il s'est également dit convaincu qu'« Israël fera tout ce qui est en son pouvoir pour éviter de tuer des civils innocents » et que la population de Gaza aurait accès à des médicaments, à de la nourriture et à de l'eau. M. Biden a également avertiIsraël de ne pas répéter les erreurs commises par les États-Unis après le 11 septembre et de ne pas laisser le désir de « rendre la justice » prendre le dessus. Netanyahou a écouté tout cela, puis a fait le contraire.
Tout au long de la guerre, Israël a sommairement ignoré les avertissements américains, même lorsqu'ils étaient accompagnés de menaces explicites d'arrêter les livraisons d'armes – comme avant qu'Israël n'envahisse Rafah en mai dernier, et tandis qu'il affamait le nord de Gaza ces derniers mois. Et s'il est possible que Trump fasse plus peur à Netanyahou que Biden, nous devons nous poser la question suivante : si Netanyahou avait refusé d'accepter l'accord maintenant, Trump aurait-il arrêté les livraisons d'armes à Israël ou levé le veto américain sur les résolutions anti-israéliennes à l'ONU ?
Mike Huckabee, l'ambassadeur des États-Unis en Israël choisi par Trump, soutient le maximalisme territorialde l'extrême droite israélienne et ne croit pas au mot « occupation ». L'administration Trump ferait-elle vraiment quelque chose qu'aucune administration américaine n'a jamais fait auparavant ? Ainsi, bien que la pression de Trump soit sans aucun doute notable, nous devrions regarder ce qui se passe à l'intérieur d'Israël.
Comme je l'avais préditil y a moins de deux mois, peu avant le cessez-le-feu au Liban : « La fin de la guerre dans le nord ramènera inévitablement l'attention du public israélien sur la guerre à Gaza, et les questions sur la viabilité de sa poursuite referont surface. Même si Trump donne le feu vert à la poursuite du nettoyage ethnique à Gaza, il n'est pas certain que cela suffise à convaincre l'opinion publique israélienne. Qu'Israël le veuille ou non, la fin de la guerre au Liban pourrait accélérer la fin de la guerre à Gaza ». Selon moi, c'est exactement ce qui s'est passé.
Certains diront que l'accord est le fruit d'une évolution de la pensée du Hamas après qu'il a été laissé seul face à la machine de guerre israélienne, à la suite de la décision du Hezbollah de cesser ses tirs et de l'effondrement du régime d'Assad en Syrie. Mais si le Hamas a pu croire (et on peut se demander s'il l'a vraiment cru) que la menace d'une intensification des attaques du Hezbollah empêcherait Israël de faire ce qu'il voulait à Gaza, l'invasion de Rafah a probablement prouvé le contraire. Par ailleurs, le régime d'Assad était hostile au Hamas, et le nouveau régime en Syrie pourrait en fait être plus favorable, comme le suggère la récente visite à Damas du premier ministre du Qatar.
Il n'y a aucune raison de mettre en doute l'affirmation du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir selon laquelle les pressions politiques qu'il a exercées sur M. Netanyahou ont à plusieurs reprises fait échouer un accord au cours de l'année écoulée. L'idée selon laquelle l'accord a été conclu parce que le Hamas a abandonné toutes ses exigences en raison de l'entêtement de M. Netanyahou est « une bonne histoire, mais elle n'est pas vraie. En fait, c'est exactement le contraire de la réalité « , a écritle journaliste israélien Ronen Bergman dans Ynet, qui a démontré à maintes reprises comment M. Netanyahou a lui-même saboté un accord après que les États-Unis et le Hamas se soient entendus à ce sujet, il y a huit mois.
Il était presque embarrassant de voir le conseiller en communication pour la sécurité nationale des États-Unis, John Kirby, expliquersur la chaîne israélienne Channel 12 que le Hamas n'a cédé et accepté le cessez-le-feu que parce qu'Israël a tué son ancien chef Yahya Sinwar – quelques jours seulement après que le secrétaire d'État Antony Blinken a déclaré dans une interview au New York Times que l'assassinat de Sinwar avait en fait rendu les négociations beaucoup plus difficiles. Washington ferait mieux de décider d'un mensonge et de coordonner ce mensonge entre eux.
Une guerre de plus en plus impopulaire
En Israël, la guerre à Gaza est devenue un fardeau pour le gouvernement, l'armée et la société dans son ensemble. Dans tous les sondages récents, une nette majorité – entre 60et 70 %, voire plus – se prononce en faveur de la fin de la guerre. Contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, la fin de la guerre au Liban a en fait renforcé le désir de mettre fin à la guerre à Gaza.
Il y a plusieurs raisons à cela. Les manifestations hebdomadaires menées par les familles d'otages n'ont peut-être pas l'ampleur de celles qui ont suivi la découverte des corps de six otagesassassinés par le Hamas en septembre dernier, mais le défi qu'elles représentent pour le gouvernement n'a pas diminué. Au contraire, jamais auparavant autant d'Israéliens n'étaient montés sur scène lors de manifestations d'une telle ampleur et n'avaient réclamé aussi ouvertement la fin d'une guerre menée par Israël.
Lors d'un récent discours prononcé à l'occasion d'une de ces manifestations, alors qu'une nouvelle délégation israélienne se rendait au Qatar pour négocier un cessez-le-feu, Einav Zangauker, une militante de premier plan dont le fils, Matan, est retenu prisonnier à Gaza, a prédit que la délégation reviendrait avec la demande d'arrêt de la guerre formulée par le Hamas et que M. Netanyahu affirmerait que le Hamas avait durci ses positions. « Ne croyez pas à ces mensonges », a-t-elle déclaré à la foule.
L'armée montre également des signes de fatigue. Malgré les efforts considérables consacrés au nettoyage ethnique du nord de Gaza depuis le début du mois d'octobre, le Hamas est loin d'être vaincu et continue d'infliger des pertes à l'armée israélienne. La semaine dernière, 15 soldats ont été tués à Beit Hanoun, une zone que l'armée a occupée pour la première fois au début de l'invasion terrestre, il y a plus de 14 mois.
La mission de sauvetage des otages, comme en témoignentles soldats, semble impossible. Il ne reste plus qu'à détruire le nord de Gaza pour le plaisir. Un officier de réserve, qui a servi plus de 200 jours à Gaza, m'a dit que le sentiment dominant parmi les soldats est que la guerre ne mène nulle part – non pas en raison d'une opposition morale (62 % des Israéliens sont d'accord avec l'affirmation « il n'y a pas d'innocents à Gaza », selon une enquête récentedu Centre aChord), mais parce que ses objectifs ne sont pas clairs.
Plus important encore, il est probable que M. Netanyahou lui-même ait commencé à reconsidérer l'idée qu'il n'a rien à gagner à mettre fin à la guerre et qu'il ne peut qu'y perdre. On aurait pu supposer que sa popularité aurait grimpé après ce que la quasi-totalité des médias israéliens a décrit comme des victoires éclatantes d'Israël au Liban, en Syrie, en Iran et à Gaza. En réalité, c'est le contraire qui s'est produit. Des sondages récents montrent que la coalition de M. Netanyahou est tombée à 49 sièges sur 120, ce qui est proche de la position qu'elle occupait immédiatement après le 7 octobre, tandis que le bloc de centre-gauche pourrait former une majorité même en l'absence des partis palestiniens restants à la Knesset.
Dans l'ensemble, il semble que les protestations des familles d'otages – qui s'amplifient chaque fois que l'armée ramène un nouvel otage dans un sac mortuaire – ainsi que l'épuisement et la perte de motivation des militaires, l'impopularité de la guerre auprès de l'opinion publique et la baisse des sondages de M. Netanyahou aient amené le premier ministre à conclure que la poursuite indéfinie de la guerre réduirait ses chances de remporter les prochaines élections – prévues dans un an et dix mois – à un niveau très faible, voire inexistant.
En conséquence, M. Netanyahou a peut-être décidé qu'il était temps de réduire ses pertes. Même si Ben Gvir et le ministre des finances Bezalel Smotrich décident de faire tomber le gouvernement, Netanyahou a de bonnes chances de réussir à organiser des élections anticipées en présentant les scalps de Sinwar et Nasrallah d'une main et en embrassant les otages libérés de l'autre.
L'excuse parfaite
Si tel est le cas, la pression de Trump – qu'elle soit réelle ou exagérée – sert d'excuse parfaite à Netanyahou pour expliquer à ses partisans pourquoi il est revenu sur sa promesse de « victoire totale ». Si Channel 14, le réseau de propagande de Netanyahou, rapporte la « conversation difficile » entre Netanyahou et Witkoff, on soupçonne que la source de l'information est le bureau du Premier ministre, et non les Américains. Netanyahou a clairement intérêt à amplifier ce récit : il pourra ainsi prétendre qu'il s'est vaillamment battu contre les « gauchistes » de l'administration Biden, mais qu'il a été impuissant face au républicain imprévisible et facilement irritable de Mar-a-Lago.
La preuve que la guerre et son arrêt sont des questions internes à Israël sera probablement apportée dans 42 jours, lorsque la première phase de l'accord se terminera et que commencera la deuxième phase, qui est censée inclure le retrait total d'Israël de la bande de Gaza. Après la signature de l'accord au Qatar, M. Trump a déclaré qu' il s'agissait d'une preuve que son administration allait « rechercher la paix et négocier des accords » au Moyen-Orient, suggérant qu'il s'attendait à ce que ce cessez-le-feu mette fin à la guerre. La formulation de l'accord, qui stipule que les négociations en vue de la deuxième phase commenceront le 16e jour de la première phase et que le cessez-le-feu restera en place tant que ces négociations se poursuivront, va dans le même sens.
Pourtant, M. Smotrich conditionnesa décision actuelle de rester au gouvernement à la reprise de la guerre par Israël, à la conquête de Gaza dans son intégralité et à la restriction sévère de l'aide humanitaire après l'achèvement de la première phase de l'accord. Lors de la réunion du cabinet qui a approuvé l'accord vendredi, M. Netanyahou a déclaré avoir reçu le soutien de M. Trump pour reprendre la guerre si les négociations en vue de la deuxième phase échouaient. Cela va apparemment à l'encontre de la volonté de Trump, mais sous la pression de la droite, Netanayhu pourrait bien accepter une reprise des combats – ce qui signifie que la pression américaine, même sous le « grand et puissant » Trump, a une limite.
Ce n'est donc pas la peur de Trump qui empêchera Netanyahou de relancer la guerre, du moins pas à elle seule. La peur de la colère des familles des otages restant à Gaza sera un facteur plus important. Les réserves de l'armée concernant la réoccupation de la ville de Gaza, après le retour de centaines de milliers de Palestiniens au cours de la première phase de l'accord, pourraient également avoir un impact. L'opinion publique israélienne, qui connaîtra des moments d'euphorie avec le retour des otages, n'acceptera pas facilement un retour à la guerre – sans parler des réservistes de l'armée qui se présentent déjà moins en service, des coûts économiques et du désir général de retour à la normale.
Avec tout le respect dû au président élu, le prochain mouvement d'Einav Zangauker pourrait être tout aussi important, sinon plus, que celui de Trump.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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Palestine : Un mur de fer contre Jénine

Netanyahou a donné le coup d'envoi d'une vaste offensive militaire qui s'étendra de la ville palestinienne à l'ensemble de la Cisjordanie : déjà 9 tués
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
21 janvier 2025
Par Michele Giorgio
RAMALLAH
Le coup le plus dévastateur sur le camp de réfugiés de Jénine et sur plusieurs quartiers de la ville a été porté au cours de la première heure de l'attaque israélienne. « Soudain, des hélicoptères Apache et des drones sont apparus dans le ciel, tirant sur tout. Six (des neuf) personnes tuées ont été touchées dans les quinze premières minutes, pour la plupart des civils », nous a déclaré hier par téléphone Amer Nofal, 61 ans, un habitant du centre de Jénine. « Ceux qui étaient dans la rue ont cherché à s'abriter des tirs de mitrailleuses. Ensuite, après les attaques aériennes, les véhicules blindés avec des soldats sont arrivés. Puis les bulldozers militaires qui, comme toujours, ont détruit les routes et endommagé les bâtiments », a-t-il ajouté, soulignant que « ce n'est pas une opération comme les autres, c'est quelque chose de plus important ». Amer a raison, ce qu'Israël a lancé hier contre Jénine, ville symbole de la résistance palestinienne à l'occupation, est une offensive qui s'annonce de grande ampleur. En fait, il s'agit du nouveau chapitre de la guerre à Gaza.
Benyamin Netanyahou l'a appelée « Mur de fer », en référence au manifeste idéologique du leader sioniste, son modèle, Zeev Jabotinsky, qui écrivait en 1923 que la colonisation sioniste en Palestine se ferait par le biais d'un « mur de fer que la population autochtone ne pourrait violer... Il ne peut y avoir d'accord librement consenti entre nous et les Arabes palestiniens ». Il s'agit d'une exhortation à l'utilisation systématique de la force qui correspond bien à la guerre implacable que, 102 ans plus tard, le premier ministre de Gaza porte aujourd'hui en Cisjordanie occupée. L'armée, les services de sécurité et la police israéliennes ont lancé aujourd'hui une opération militaire - baptisée « Mur de fer » - vaste et importante pour lutter contre le terrorisme à Jénine... Nous agissons de manière systématique et déterminée contre l'axe iranien partout où il étend ses mains : à Gaza, au Liban, en Syrie, au Yémen, en Judée et en Samarie (la Cisjordanie, ndlr). Et cela ne s'arrête pas là« , a annoncé le cabinet de M. Netanyahou. Jénine n'est donc que le début d'une campagne militaire qui gagnera d'autres villes où Israël veut »éradiquer le terrorisme« et poursuivre la »destruction du Hamas".
À Jénine se vivent des heures tendues, l'armée israélienne étant occupée à « rechercher et éliminer » les combattants palestiniens de la Brigade de Jénine (Jihad Islamique), du Hamas, du Front Populaire et d'autres formations. Ce que les forces de sécurité de l'Autorité nationale palestinienne ont fait pendant six semaines jusqu'à il y a quelques jours, dans une tentative vaine et impopulaire d'affirmer le contrôle du président Abu Mazen. Parmi les 36 Palestiniens blessés hier à Jénine se trouvaient également des policiers de l'ANP (l'un d'eux est gravement atteint) qui étaient retournés dans le camp de réfugiés et dans le centre de la ville sur la base d'un accord de réconciliation avec les groupes combattants. L'attaque israélienne d'hier a démontré le caractère déraisonnable des dissensions internes : l'occupation était et reste la question centrale pour tous les Palestiniens. Outre le camp de réfugiés, les forces israéliennes ont pris d'assaut les quartiers d'Al-Jabriyat, d'Al-Hadaf et la zone de l'hôpital Al-Amal. Des renforts sont arrivés peu après aux points de contrôle de Dotan et d'Al-Jalama, tandis que des drones et des hélicoptères ont continué à survoler toute la zone. « Il n'y a pas d'électricité dans plusieurs zones, l'obscurité est percée par les fusées éclairantes qui guident les troupes (israéliennes) dans leurs opérations de ratissage. Le bourdonnement des drones est ininterrompu », a rapporté hier soir Musa Natur, un réfugié.
Les signes avant-coureurs du « mur de fer » se sont manifestés dimanche, avec la libération de 90 Palestiniens en échange de trois otages israéliens. Alors qu'après 471 jours de guerre, Gaza passait au second plan, le chef d'état-major israélien Herzi Halevy a prévenu que des opérations militaires « préventives » contre des « attaques terroristes en préparation » allaient être lancées. Soudainement, les contrôles ont été renforcés aux points de contrôle de l'armée, dont plusieurs ont été fermés, isolant une grande partie de la population palestinienne dans les villes et les villages. Les points de contrôle de Qalandiya, Jaba et Bet El étant fermés par endroits, il était presque impossible de quitter Ramallah et des milliers de Palestiniens ont été submergés par le chaos total qui régnait aux points de passage vers Jérusalem. L'armée a levé des barrages routiers et placé des blocs de béton sur les routes menant à des dizaines de petites et grandes villes. Les Palestiniens qui résident officiellement à Jérusalem et qui, pour des raisons économiques et par manque de logement, vivent en Cisjordanie, ont reçu des messages sur leur téléphone leur ordonnant de retourner dans la ville sainte. Les Palestiniens craignent une incursion dans la région de Kufr Aqab et Qalandiya, entre Jérusalem et Ramallah. L'armée a arrêté des dizaines de Palestiniens dans la nuit de lundi à mardi, notamment à Azzun (Qalqilya). Des vidéos montrent des jeunes gens couchés à plat ventre sur le sol et marchant en rang, les mains sur la tête, gardés par des soldats. Un correspondant militaire israélien, Hillel Biton, a déclaré : « Ce n'est pas Jabaliya, c'est Azzun. Ce que nous voyons ici, c'est la mise en œuvre de la politique de la main de fer approuvée par le gouvernement, que nous verrons appliquée dans toute la Cisjordanie dans les heures et les jours à venir ».
Le chef d'état-major Halevy a annoncé hier sa démission pour le 6 mars, ainsi que celle du commandant de la région sud Yoram Finkelman, en raison de « l'échec du 7 octobre 2023 ». Il dirigera donc le « mur de fer » jusqu'en mars. Mais en coulisses, le responsable militaire sera le ministre ultranationaliste des Finances, Bezalel Smotrich. Opposant à la trêve à Gaza, Smotrich affirme avoir reçu l'assurance de Netanyahou que la guerre se poursuivra. Channel 14 TV ajoute que grâce aux pressions du ministre des Finances, « des changements ont été apportés pour faire de la liberté de mouvement en Cisjordanie un droit fondamental, en premier lieu pour les colons juifs ». Et les colons, encouragés également par la décision de Trump de lever les sanctions américaines contre certains d'entre eux, cette « liberté de mouvement » en Cisjordanie, ils la mettent à profit pour lancer des attaques et des raids contre des villages palestiniens où ils mettent le feu à des édifices et à des voitures et détruisent des récoltes et des arbres. L'armée reste les bras croisés.
Michele Giorgio
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro
Source - Il Manifesto
https://ilmanifesto.it/un-muro-di-ferro-contro-jenin
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Gaza, 435 jours de génocide

Qu'avons-nous fait en 435 jours, si ce n'est trahir le destin d'un peuple tout entier ? Que pouvons nous écrire d'autre que notre colère est immense, mais qu'elle reste ridicule face à notre impuissance et désespoir face aux atrocités en cours à Gaza ?
Tiré du blogue de l'autrice.
Que pouvons nous écrire d'autre que notre colère est immense, mais qu'elle reste ridicule face à notre impuissance et désespoir face aux atrocités en cours à Gaza ? Que pouvons-nous écrire face au vide médiatique qui entoure l'un des plus grands drames humanitaires de notre siècle, et qu'à cela s'ajoute le triste cirque politique et les petites polémiques qui viennent encombrer les fils d'actualités ? Que cela dit-il de nos sociétés quand un tweet, une parole publique prend plus de place dans les journaux que le massacre continu d'enfants innocents en Palestine ?
Cela fera bientôt près de 500 jours qu'Israël bombarde sans relâche le petit territoire de 365km2. Est-ce que l'on se rend compte de ce que peuvent représenter 435 jours de bombardements intensifs, de raids, d'exécutions sommaires, d'un espace en permanence survolé par des drones, de confrontations à des corps déchiquetés, aux cris de douleurs des survivants. 435 jours où il faut réfléchir à la survie, à trouver à manger, à trouver de l'argent, trouver un refuge, pleurer ses morts, pleurer une vie volée, pleurer un futur incertain et un passé dont l'occupant a volé tous les souvenirs. 435 jours sans silence et sans repos.
Avons-nous mesuré l'ampleur de la souffrance et la destruction que représentent ces 435 jours chez les Palestiniens ? Avons-nous même conscience de l'indicible douleur dans lequel est plongé le peuple palestinien, des cœurs qui seront impossibles à reconstruire, des corps amputés, des traumatismes, des familles entièrement rayées des registres de l'état civil et d'orphelins inconsolables que la colonisation a privés de tout avenir ?
Est-ce qu'ici, dans cette vieille Europe, qui se rabougrit un peu plus sur elle-même chaque jour et retourne à ses vieux démons fascistes, oui est-ce qu'ici allons-nous accepter une fois de plus que l'humanité viennent s'échouer à nos portes dans une indifférence glaciale ? Que font nos dirigeants, si ce n'est s'adonner à un spectacle pitoyable aussi bien sur la scène internationale que nationale ? N'y a t-il pas dans le lot une personne raisonnable qui puisse rappeler que le droit de vivre en paix s'applique à tous, Palestiniens compris, et que faire cesser la barbarie israélienne devrait être notre priorité ? Qu'avons-nous fait en 435 jours, si ce n'est trahir le destin d'un peuple tout entier ?
Irons-nous fêter avec les Palestiniens, la fin de ce génocide, si seulement un jour cette machine de mort se termine, oui irons-nous fêter comme nous avons célébré la libération du peuple Syrien après 54 années de dictature et autant d'indifférence générale face à leurs souffrances, tortures et exil ? Nous vivons un génocide en direct, il est documenté et s'incruste entre deux story Instagram. On y voit l'horreur, le désespoir et l'agonie d'un peuple tout entier. Et pourtant, Israël éradique toute vie humaine dans le nord de Gaza et intensifie ses bombardements dans le centre de l'enclave, en toute impunité.
C'est aussi 435 nuits d'errance pour les exilés gazaouis partout dans le monde, à qui l'on demande aussi l'impossible : continuer d'aller travailler, d'aller à la préfecture, d'aller en cours tout en assistant à l'anéantissement de leurs proches et de leur pays, trouver les moyens d'envoyer de l'argent à Gaza, vivre avec la culpabilité d'être en sécurité, et survivre seul loin des siens.
Combien de vies seront nécessaires aux Palestiniens pour se relever quand on sait qu'il faut parfois plus d'une vie pour surmonter un seul deuil. Combien d'autres nuits sous les bombardements allons nous imposer à des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ? Allons-nous continuer d'abandonner les Palestiniens dans le pire ? Allons-nous continuer de nous taire au lieu de dénoncer l'horreur de la colonisation, qui nous éloigne chaque jour un peu plus de notre humanité ? Nos silences et renoncements face au génocide en cours nous condamnent tous. Il faut que les décomptes macabres cessent, et qu'un cessez-le-feu à Gaza soit exigé et appliqué.
Les vies Palestiniennes comptent. Elles sont riches, diverses et uniques. Il est de notre devoir de les protéger, et de ne jamais les écarter de notre humanité.
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Deux mythes sur le cessez-le-feu à GazaIl

Il y a deux mythes évidents sur le cessez-le-feu entré en vigueur à Gaza dimanche dernier. Le premier mythe attribue l'accord à la pression de Donald Trump, qui avait exprimé son désir de le voir entrer en vigueur avant son investiture, et avait même menacé de créer un « enfer » (comme si ce que le peuple de Gaza avait vécu pendant 471 jours n'avait pas été un enfer) si le cessez-le-feu n'avait pas lieu à la date souhaitée. Bien sûr, l'équipe de Trump a exercé une réelle pression pour parvenir à une trêve (c'est le nom approprié de ce qui a commencé dimanche), mais le mythe est de présenter cette pression comme consistant à tordre le bras de Netanyahou, au point que Trump a été dépeint par diverses sources comme un héros qui allait obtenir une paix juste pour le peuple palestinien.
Tiré de Entre les lignes et les mots
photo Serge d'Ignazio
La vérité est que ce mythe est une aberration absolue ! Comme si le président américain qui a rendu le plus grand service à Israël avant que son successeur, Joe Biden, poursuive sur sa lancée, et qui est maintenant revenu à la présidence entouré d'une équipe de sionistes chrétiens et juifs, dont certains se tiennent presque à la droite de Netanyahou ; comme si cet homme, le leader de l'extrême droite mondiale et un politicien réactionnaire à l'extrême, s'était transformé comme par magie, ou peut-être par intervention divine, en antisioniste et défenseur du peuple palestinien.
En réalité, il était clair pour tout le monde – et pour Biden en premier lieu, qui l'a publiquement reproché à Netanyahou après l'avoir reçu à Washington en juillet dernier – que le refus du premier ministre israélien d'aller de l'avant dans la mise en place de l'accord que l'administration américaine avait élaboré avec l'aide du Caire et de Doha depuis le printemps dernier, visait principalement à priver Biden, ainsi que Kamala Harris après qu'elle eût remplacé ce dernier en tant que candidate du Parti démocrate, d'un exploit dont ils auraient pu se vanter dans la course à la présidence. Il était également clair que Netanyahou, qui a rendu visite à Trump dans son manoir de Floride après sa visite à Washington, avait promis à ce dernier qu'il lui accorderait une trêve s'il remportait les élections. Après sa rencontre avec Trump, Netanyahou avait déclaré aux journalistes qu'il était « certainement impatient » de parvenir à un accord, ajoutant : « nous y travaillons ».
Netanyahou a en fait utilisé le mythe de la pression exercée par Trump sur lui – que le représentant de ce dernier au Moyen-Orient, Steve Witkoff, un sioniste de choc, tenait visiblement à accréditer – afin de convaincre ses alliés de l'extrême droite sioniste d'accepter l'accord. Alors que les médias étaient silencieux, ou presque silencieux, sur la pression réelle exercée sur le Hamas par l'intermédiaire de l'Égypte et du Qatar, sur l'insistance du représentant de Trump, le mythe a prévalu d'une manière qui convenait à Netanyahou. Il a néanmoins promis à Smotrich et Ben-Gvir que l'accord n'irait pas au-delà de sa première étape. Smotrich a accepté la promesse, tandis que Ben-Gvir a démissionné du gouvernement, en annonçant qu'il continuerait à soutenir Netanyahou à la Knesset et qu'il reviendrait au gouvernement dès que la guerre à Gaza reprendrait.
Les commandants des forces armées sionistes faisaient pression en faveur de l'accord, en réponse à la pression du public israélien pour libérer les otages détenus dans la bande de Gaza. L'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant a même démissionné pour protester contre les atermoiements de Netanyahu dans l'acceptation de l'accord. Ils savent tous que cet accord n'est rien d'autre qu'une trêve temporaire qui permettra la libération des otages civils, et que l'armée poursuivra sa campagne par la suite. Bien sûr, le déploiement ostensible avec beaucoup de zèle d'hommes armés par le Hamas, pour essayer de montrer qu'ils contrôlent toujours la population de la bande de Gaza, est l'incitation la plus forte possible pour l'armée et la société sionistes à poursuivre la guerre et l'occupation ! Quiconque croit que la trêve actuelle se transformera en cessation définitive de la guerre, accompagnée d'un retrait complet de l'armée sioniste de la bande de Gaza, se livre à des vœux pieux ou se laisse aller à rêver.
Le deuxième mythe est lié au premier en quelque sorte, en dépeignant la trêve actuelle comme une grande victoire remportée par le Hamas. Samedi dernier, le mouvement a publié un communiqué de presse dans lequel il affirmait : « La bataille du Déluge d'Al-Aqsa nous a rapprochés de la fin de l'occupation, de la libération et du retour, s'il plaît à Dieu. » Il s'agit là d'un nouvel exemple de la pensée magique irrationnelle qui a présidé à l'opération du 7 octobre 2023, prélude au chapitre le plus laid et le plus terrible de la longue tragédie subie par le peuple palestinien. Cela a également conduit à l'effondrement des alliés du Hamas dans « l'axe de la résistance » : le Hezbollah a reçu un coup décisif au Liban, le régime d'Assad s'est effondré en Syrie et le régime iranien est effrayé, de sorte que seuls les Ansar Allah houthis yéménites sont restés sur le terrain, exploitant leurs lancements de missiles dans leur conflit confessionnel avec les autres Yéménites et le royaume saoudien. Les Houthis sont très bien représentés par leur porte-parole militaire Yahya Saree, qui est devenu un nouveau symbole de la fanfaronnade arabe après Ahmed Saïd [commentateur radio égyptien à l'époque de Gamal Abdel-Nasser] et Muhammad Saeed al-Sahhaf [porte-parole de Saddam Hussein] et les dépasse même en termes de ridicule.
Face au terrible génocide que le peuple de Gaza a subi (il ne fait guère de doute que le nombre total de morts, y compris ceux qui sont morts à cause des conditions créées par l'invasion, dépasse les deux cent mille, sans parler du nombre de personnes affectées en permanence par toutes sortes de blessures physiques et psychologiques, qui est certainement plus grand) ; à la réoccupation de la bande de Gaza par l'armée sioniste près de vingt ans après s'en être retirée, ayant ainsi permis à Gaza de s'autogouverner ; sa destruction d'une façon que l'histoire n'a connue nulle part à une telle échelle depuis la Seconde Guerre mondiale ; la destruction de son environnement et d'autres éléments nécessaires à la vie ; la libération de centaines de détenus dans les prisons israéliennes coïncidant avec l'arrestation pour la première ou la seconde fois de milliers d'autres ; et l'escalade de l'attaque fasciste menée par le gouvernement sioniste et les colons en Cisjordanie et leur annexion rampante de celle-ci – face à cette énorme catastrophe, prétendre que ce qui s'est passé est une victoire pour le peuple de Palestine qui l'a « rapproché de la fin de l'occupation, de la libération et du retour », est plus qu'une aberration ; c'est une manifestation d'indécence et de manque de scrupules.
Il est probable que Trump revienne à « l'accord du siècle » que son gendre sioniste avait formulé lors de son premier mandat présidentiel et que l'Autorité palestinienne basée à Ramallah avait elle-même rejeté en raison de sa grande injustice envers les droits des Palestiniens. Une formule similaire liée à Gaza est en cours de préparation pour être ajoutée à « l'accord » avec l'aide des Émirats arabes unis, qui s'apprêtent à envoyer des troupes dans la bande de Gaza pour y renforcer le rôle de Mohammed Dahlan en tant que superviseur. [Dahlan est un ancien chef de l'un des services de sécurité de l'OLP et le principal organisateur de la tentative ratée de réprimer le Hamas à Gaza en 2007, soutenue par l'administration américaine de George W. Bush. Il s'est retrouvé en exil aux Émirats arabes unis.] Quant à l'objectif de Trump dans tout cela, il consiste à achever la liquidation de la cause palestinienne afin d'ouvrir la voie à une normalisation complète entre l'État sioniste et les États arabes restants, au premier rang desquels le royaume saoudien, et à maximiser ses intérêts personnels et familiaux dans de véritables « contrats du siècle » immobiliers et financiers avec les pays pétroliers arabes.
Gilbert Achcar
Traduit de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 21 janvier. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/220125/deux-mythes-sur-le-cessez-le-feu-gaza
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« Pas d’innocents à Gaza » : réflexions sur la première guerre fasciste d’Israël

La guerre supposée se terminer dimanche restera dans l'histoire comme la Première Guerre kahaniste. Elle est profondément différente de toutes les guerres menées précédemment par Israël.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/23/deux-mythes-sur-le-cessez-le-feu-a-gaza-et-autres-textes/
Photo : Serge d'Ignazio
La seule guerre à lui ressembler était celle de 1948, qui a causé la Nakba, mais les motivations en étaient différentes. C'était une guerre pour la création d'un État juif ; celle-ci est une guerre pour l'établissement d'un État fasciste.
L'État de Kahane s'est développé en Israël. La mollesse criminelle de Benjamin Netanyahou l'a rendu possible. Ce n'a pas été le seul fait des partis néo-nazi d'extrême-droite : ce fut, par-dessus tout, le propre parti du premier ministre, le Likoud, qui a porté le kahanisme au pouvoir.
C'est la guerre à Gazaqui illustre le mieux le profond changement qui s'est produit en Israël. À peu près tout ce qui a eu trait à cette guerre était destiné à apaiser l'extrême droite fasciste, raciste, pro-transfert de population ; et l'esprit du kahanisme a pris le contrôle de ses objectifs et de sa conduite. Il ne s'est pas seulement agi de l'ampleur de la cruauté de l'armée ; c'était, par-dessus tout, la façon dont la cruauté a été traduite en valeur dans l'ensemble de la société israélienne, en opportunité, en atout, en miracle. Une cruauté comme une chose dont être fier, à laquelle aspirer, dont se vanter et à exhiber.
Dans ses précédentes guerres, aussi, Israël a commis des actes haineux. Il a parfois essayé de nier, de cacher et de mentir et parfois il a même admis ces actes et en a eu honte. Pas cette fois.
Cette fois-ci, leporte-parole de l'IDF présente fièrement l'échelle de la destruction et du massacre, en les brandissant comme des réussites destinées à plaire à la droite kahaniste, qui est devenue le courant majoritaire.
Israël est devenu un État aspirant au massacre et à la destruction des Arabes, uniquement pour massacrer et détruire des Arabes. Il n'était pas comme cela, et il n'en tirait certainement aucune fierté. C'est un profond changement et nous allons lutter pour l'annuler. Il annonce un avenir de ténèbres.
Lorsque Meir Kahane est apparu, il est venu avec un parti néo-nazi de facture israélienne considérant les Arabes comme des chiens, au mieux. Israël a reculé devant lui. L'ethos du Mapaï de « On tire, on pleure » prévalait encore ici, parallèlement à l'absence de sectarisme du Likoud. Menahem Begin et aussi le premier gouvernement de Netanyahou l'ont préservé. L'effondrement a commencé avec le deuxième gouvernement Netanyahou et a atteint son apogée dans l'actuel. De tous ses crimes, celui-ci est le plus énorme et le plus impardonnable. La première étape a été celle de la légitimation et du blanchiment du fascisme.
Des voix jamais auparavant considérées légitimes ont infiltré la politique et les médias. Rapidement, elles ont été non seulement légitimées, mais elles ont été la voix des masses israéliennes ainsi que du gouvernement et de l'armée. À la radio et à la télévision, des gens ont dit « Il n'y a pas d'innocents à Gaza » et ont parlé du droit (heureux) et du devoir de tuer tout le monde, avec autant de facilité que s'ils parlaient du temps qu'il fait.
Degrands reporters ont manifesté des opinions qu'ils tenaient cachées lorsqu'ils ont réalisé que ce n'était pas seulement permis mais aussi bénéfique pour eux.D'Amit Segalet de Zvi Yehezkelià Almog Boker, des fascistes sont nés. Un tel discours n'existait simplement pas en Israël auparavant et n'a aucune place en démocratie. En même temps, des voix anti-guerre ont été silenciées ; même la compassion et l'humanité ont été interdites. La prise de contrôle du débat public a été réalisée.
Pendant les longs mois qu'a duré la guerre, le kahanisme est devenu la voix dominante d'Israël et de son armée. Il n'y a plus eu de différence entre les commandants qui ont émergé du sol putride des colonies, et leurs homologues du « Bel » Israël : ils ont tous agi dans l'esprit de Kahane, sans exception et sans dissidents. Le but était de plaire à Betsalel Smotrich et àItamar Ben-Gvir . Juste leur donner la mesure infinie du sang de leur désir.
Un deal pour les otages a été remis de mois en mois,Gaza a été complètement détruite, des zones entières ont été vidées de leurs habitants et des dizaines de milliers ont été tués, tout pour satisfaire l'esprit de Kahane et de ses représentants terrestres au gouvernement.
C'est une ironie de voir que la première guerre kahaniste se termine maintenant par le retrait de la coalition au pouvoir de Otzma Yehudit, dont le leader a déjà promis de revenir quand le génocide reprendra. Mais le bouleversement a déjà eu lieu, Ben Gvir et sa clique n'en ont plus aucun besoin. Netanyahou et le Likoud sont suffisamment kahanistes pour continuer à appliquer la vision de Kahane ; il n'est même plus la peine d'écrire « Kahane avait raison » sur les murs.
Gideon Levy
https://www.haaretz.com/opinion/2025-01-19/ty-article-opinion/.premium/no-innocents-in-gaza-israels-first-fascist-war-designed-to-appease-the-far-right/00000194-7b1f-de1b-a9bd-7b5f5b450000
Traduction SF pour l'Aurdip
https://aurdip.org/pas-dinnocents-a-gaza-reflexions-sur-la-premiere-guerre-fasciste-disrael/
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Dr Ghassan Abou Sittah : « Le génocide perdurera malgré l’arrêt des combats »

Dr Ghassan Abou Sittah (1), médecin palestino-britannique, spécialiste en chirurgie plastique et réparatrice, est professeur de médecine des conflits à l'Université américaine de Beyrouth. Il a également été élu recteur de l'Université de Glasgow en mars 2024. Abou Sittah a exercé comme chirurgien de guerre au Yémen, en Irak, en Syrie, au Sud-Liban, ainsi que durant les quatre guerres qu'a subies la bande de Gaza depuis 2009.
Au lendemain du 7 octobre 2023, il se trouvait à Gaza, où il a exercé pendant 43 jours à l'hôpital Al-Shifa et l'hôpital baptiste d'Al-Ahly. Sorti de Gaza, il fonde à Beyrouth The Ghassan Abu Sittah Children's Fund (le Fonds Ghassan Abou Sittah pour les enfants) dédié à soigner les enfants de Gaza et du Liban.
Empêché à deux reprises, en 2024, d'entrer dans l'espace Schengen, Ghassan Abou Sittah a enfin pu se rendre en janvier 2025 en France, où il donne une série de conférences. Nous avons enregistré avec lui cet entretien le mercredi 15 janvier 2025, à la veille de l'annonce d'un accord de cessez-le-feu à Gaza.
Entretien avec Dr Ghassan Abou Sittah
Images et montage : David Even.
Sous-titrage : Fatma Ben Hamad
Entrevue :
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Le conflit israélo-palestinien ou les mots comme arme de disqualification massive

Dans le conflit israélo-palestinien tel qu'il est évoqué dans les médias français, les mots sont utilisés non pas pour caractériser une situation complexe mais pour disqualifier l'adversaire idéologique. Mais quels présupposés et quelle vision idéologique se cachent derrière l'usage de ces mots ?
Tiré du blogue de l'auteur.
Ainsi que je l'avais déjà évoqué dans une note de blog précédente, les mots porteurs de sémantisme (les noms, les verbes, les adjectifs et les adverbes qui en sont dérivés) peuvent être envisagés sous deux angles différents : la dénotation ou ce qu'ils veulent dire et la connotation ou le jugement moral que l'on attribue à ce qu'ils désignent. Or, on peut constater que, dans le discours médiatique dominant (celui des chaînes de télévision de la TNT et des radios nationales), l'aspect dénotatif disparaît le plus souvent au seul profit de l'aspect connotatif. La plupart du temps on n'utilise pas les mots pour ce qu'ils signifient mais pour ce qu'ils disqualifient. Le but du journaliste n'est donc plus d'aider à la compréhension du monde mais de porter des jugements moraux. Cette dérive journalistique qui n'est pas sans poser des problèmes éthiques graves trouve son illustration paroxystique dans la manière dont le conflit israélo-palestinien a été traité.
Il ne s'agissait pas tant d'expliquer le conflit et ses enjeux que de disqualifier de toutes les manières possibles ceux et celles qui prenaient fait et cause pour les palestiniens et de justifier ou de minimiser les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité perpétrés par l'armée israélienne sous l'impulsion du gouvernement de M. Netanyahou. Cette tentative de disqualification s'est traduite par une bataille sur les mots aux proportions rarement atteintes jusqu'alors. Avant d'examiner de manière plus précise les mots les plus emblématiques de cette bataille, il convient de poser quelques principes généraux qui nous guideront dans cette étude.
Les mots utilisés le sont donc non dans le but de décrire une réalité objective mais essentiellement pour justifier l'action du gouvernement israélien et pour condamner l'action du Hamas. Ces mots sont particulièrement intéressants à étudier en cela qu'ils ne se contentent pas de produire un jugement moral mais qu'ils trahissent également les présupposés idéologiques et la vision du monde de ceux qui les utilisent.
Ils se rangent en deux catégories : ceux qui ne peuvent pas être utilisés et ceux qui ne peuvent pas ne pas être utilisés, les mots interdits et les mots obligatoires. Roland Barthes, dans sa leçon inaugurale affirmait : « La langue, comme performance de tout langage, n'est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire. » Avec les journalistes de plateau, la langue réussit l'exploit d'être à la fois réactionnaire et fasciste puisqu'elle interdit de dire et oblige à dire tout à la fois.
Terroriste
C'est un des premiers points d'achoppement entre journalistes et ceux qui, sur les plateaux, cherchaient à prendre en compte le point de vue palestinien. Les massacres du 7 octobre perpétrés par des membres du Hamas devaient impérativement être qualifiés de terroristes, l'adjectif s'appliquait également au Hamas lui-même qualifié d'organisation terroriste. Symétriquement, l'usage des mots résistant ou résistance était totalement proscrit sous peine d'excommunication. On a en tête les réticences dans un premier temps des membres de LFI, pour ne pas les citer, à utiliser le mot, avant de finir par concéder qu'il s'agissait bien d'actions terroristes, c'est-à-dire d'actions destinées à semer la terreur.
Ce recentrage autour de la dénotation du mot terroriste est évidemment due à tout ce que ce mot charrie en terme d'imaginaire contemporain. Car il n'y a, dans un univers médiatique marqué par l'inculture et la perte de mémoire, de terrorisme qu'islamique. C'est oublier un peu vite que le terrorisme est d'abord un mode de gouvernement, celui de la terreur lors de la Révolution française. C'est oublier qu'il y a eu un terrorisme anarchiste, un terrorisme d'extrême-gauche, un terrorisme d'extrême-droite, un terrorisme indépendantiste (basque, catalan, corse…) De fait, l'assimilation des massacres perpétrés par le Hamas à un fait de terrorisme semble moins avoir comme but de qualifier ces massacres pour ce qu'ils sont (une action effectuée par la branche armée d'un groupe politique dans le but de semer la terreur), que de les rapprocher dans l'esprit du téléspectateur ou de l'auditeur français des attentats du 13 novembre. Dans le but évident de créer chez lui une empathie pour les Israéliens.
A contrario, les mots résistance ou résistant sont chargés d'une aura positive liée au contexte de la Seconde guerre mondiale. On notera d'ailleurs que ces résistants dont nous célébrons à juste titre la mémoire étaient qualifiés de terroristes par les autorités du régime de Vichy. Ces mots ne peuvent et ne doivent pas être utilisés peut-être également parce qu'ils rappellent la réalité concrète de la Palestine, celle d'un territoire occupé par une puissance étrangère. La notion de terrorisme islamiste avec son halo d'obscurantisme religieux repousse l'action du Hamas dans une forme d'irrationalité incompréhensible qui permet d'éviter de se poser la question de la causalité.
Le problème des mots terrorisme et terroriste, c'est qu'ils ont été tellement utilisés ces derniers temps pour qualifier tout et n'importe quoi – on songe aux écoterroristes dénoncés par Darmanin – qu'ils sonnent comme des coquilles vides. L'utilisation même de ces mots s'apparente, pour reprendre la terminologie de ceux qui les utilisent, ni plus ni moins qu'à une forme de terrorisme intellectuel.
Pogrom
On retrouve une logique similaire dans la réapparition d'un vieux mot chargé d'histoire qu'on croyait appartenir au passé. Les massacres du 7 octobre ont en effet assez vite été qualifiés, sans que jamais l'emploi du terme ne pose question, de pogrom. Autant l'usage de l'expression acte terroriste pour qualifier ces massacres pouvait se justifier par son sémantisme autant avec le terme pogrom, rien ne va. Le mot est associé à un contexte historique et géographique précis, celui de la Russie tsariste, où il désigne « un mouvement populaire antisémite encouragé ou toléré par les autorités et accompagnés de pillages et de massacres » (Robert historique de la langue française). On peut évidemment utiliser ce terme en-dehors de ce contexte à condition cependant que mutatis mutandis les éléments structurels en soient conservés.
Or, les massacres du 7 octobre ne sont pas le fait d'un « mouvement populaire » mais relève d'une attaque planifiée et préparée de manière quasi-militaire effectuée par des combattants dûment entraînés aux actes qu'ils allaient accomplir. On peut constater qu'il y a une contradiction manifeste entre les qualificatifs utilisés par les commentateurs : s'il s'agit d'un pogrom, cela ne peut pas être une attaque terroriste et si c'est une attaque terroriste, ce n'est pas un pogrom. Pose question aussi la connivence des autorités. Utiliser le mot pogrom, c'est sous-entendre une complicité au moins tacite des autorités israéliennes puisque les massacres ont eu lieu sur le sol israélien. Complicité dont il n'est jamais question dans la bouche de ceux qui emploient le mot pogrom.
Pourquoi dans ce cas, s'accrocher à ce terme alors que ce qu'il signifie ne correspond absolument pas à la réalité qualifiée ? Pour deux raisons me semble-t-il. D'une part, elle permet encore une fois de rejeter l'action du Hamas dans le domaine du fanatisme irrationnel, celui de la foule mue par ses passions telle qu'elle est décrite par Gustave Le Bon dans la psychologie des foules. D'autre part, elle permet de souligner le caractère antisémite de l'attaque pour mieux pouvoir en occulter la dimension politique.
Antisémitisme
Cette accusation d'antisémitisme ne concerne pas seulement le Hamas mais s'applique également à tous ceux qui prennent fait et cause pour le peuple palestinien. Il ne s'agit pas seulement de la confusion plus ou moins volontaire entre antisionisme et antisémitisme, mais d'une tentative de disqualification de tout soutien à la cause palestinienne. L'accusation d'antisémitisme visant à disqualifier toute une partie de la gauche n'est pas nouvelle en France. Eric Hazan et Alain Badiou en avaient fait l'objet d'un livre, L'antisémitisme partout, aujourd'hui en France, publié il y a quatorze ans déjà en 2011. Mais il semble qu'avec les événements d'octobre 2023 on ait franchi un palier significatif.
Ces accusations visent avant tout et en priorité les membres de la France insoumise et en particulier le premier d'entre eux, Jean-Luc Mélenchon. Comme on ne peut pas faire un lien direct entre la défense des populations civiles palestiniennes et l'accusation d'antisémitisme, et que par ailleurs on ne peut pas trouver de trace explicite d'antisémitisme dans les propos des représentants de la France Insoumise, on est obligé d'interpréter. Et en matière d'interprétation, tout est bon à prendre. La méthode est assez simple : il s'agit de procéder de manière déductive en partant du présupposé que dans le discours insoumis, il y a des sous-entendus antisémites qui méritent d'être décryptés. Et quand on cherche on trouve. Parce que comme dirait tout bon complotiste, il n'y a pas de hasard
On a ainsi pu assister à un véritable concours Lépine de décryptage des allusions ou symboles antisémites cachés. Mélenchon utilise-t-il le terme camper ? Il fait évidemment allusion aux camps de concentration. Rima Hassan appelle-t-elle au soulèvement ? Elle voulait parler d'intifada qui en est la traduction en arabe. Cette même Rima Hassan évoque-t-elle un état palestinien de la rivière à la mer ? Elle appelle à jeter les Israéliens à la mer. Des étudiants de Sciences po arborent-ils des mains rouges pour dénoncer la complicité de la France dans les crimes perpétrés par le gouvernement israélien ? Ils le font en référence au lynchage de deux soldats israéliens par un Palestinien lors de la deuxième Intifada. A ce niveau de ridicule, il n'y a même pas de quoi contre-argumenter. Ces interprétations proprement délirantes parlent d'elles-mêmes.
En ce qui concerne l'origine de cet antisémitisme supposé, les avis divergent. Il y a ceux qui pensent que LFI est authentiquement antisémite et ceux qui croient à un antisémitisme clientéliste. LFI tiendrait un discours teinté d'antisémitisme pour flatter un électorat antisémite issu essentiellement de l'immigration maghrébine. C'est en effet une opinion communément admise que l'antisémitisme serait dorénavant davantage l'apanage des populations arabes que du monde occidental. Même l'extrême-droite aurait fait son aggiornamento et aurait définitivement tourné le dos à ce qui constituait autrefois son fonds de commerce à savoir un antisémitisme viscéral. D'où l'incapacité de la plupart des commentateurs télévisuels à comprendre ce qu'ils voient lorsque Elon Musk effectue un salut nazi.
Il faut le dire, cet antisémitisme supposé des populations arabes permet au monde occidental en général et à la France en particulier de s'exonérer d'un passé peu glorieux. L'antisémitisme tel que nous le connaissons prend en effet naissance dans l'Espagne du Moyen-âge, après la reconquista, où il s'agissait de purger le pays de ses éléments juifs et musulmans en traquant la moindre trace de sang juif ou arabe dans les ascendants de tout un chacun. Il prend ensuite la forme d'un discours pseudo-scientifique au XIXème siècle. Discours véhiculé par Drumont en France, qui influencera les antidreyfusards avant d'irriguer la pensée nazie au cours du XXème siècle avec les conséquences catastrophiques que l'on connaît.
Or, la création de l'état d'Israël est la conséquence directe de l'holocauste perpétré par les Allemands lors de la Seconde guerre mondiale. L'antisémitisme qui apparaît au moment de la création d'Israël dans les populations arabes qui en avaient été jusqu'alors exemptées est donc la conséquence de la politique de réparation des puissances européennes à l'égard de la communauté juive. Se focaliser sur le seul antisémitisme des populations arabes ou des ressortissants des pays occidentaux issus de l'immigration maghrébine ou moyen-orientale permet donc d'occulter l'origine de cet antisémitisme et sa survivance au sein de l'extrême-droite occidentale.
Le droit de se défendre
Dans les arguments de mauvaise foi visant à justifier les crimes commis dans les territoires palestiniens par le gouvernement israélien, il y a le droit de se défendre qu'aurait Israël suite aux massacres du 7 octobre. Est invoquée avec cet argument une notion qui semble faire consensus, celle de la légitime défense. Point besoin de rappeler que dans toute guerre d'agression, il y a toujours comme justification l'idée que l'autre, celui qu'on agresse, représenterait une menace. Or, de quoi est-il question ici ? De lutter contre une organisation, le Hamas dont les membres sont insaisissables et vivent cachés au milieu de la population. C'est qu'en effet nous avons affaire avec le conflit israélo-palestinien à une guerre asymétrique. Il ne s'agit pas comme en Ukraine d'une guerre où deux armées régulières s'affrontent pour emporter la maîtrise d'un territoire.
Dès lors il ne peut y avoir de victoire définitive contre le Hamas sinon à décimer la quasi-totalité de la population palestinienne. Pourtant l'ensemble des commentateurs semblent faire comme s'il s'agissait d'un combat entre deux armées de puissance égale, reprochant aux membres du Hamas de ne pas jouer le jeu en se cachant au milieu de la population civile, utilisée comme bouclier. Le terme de bouclier transforme de fait des êtres humains en arme de guerre, arme défensive, mais arme tout de même, qui mérite par conséquent d'être détruite puisqu'on est en guerre. Il est certes regrettable que ce soit des femmes et des enfants, mais - que voulez-vous ? - on n'y peut rien, c'est la guerre.
Peu importe que la motivation des autorités israéliennes semble surtout obéir à deux impératifs dont elles se cachent à peine : celui de la vengeance qui excède dans des proportions considérables la loi talmudique du Talion, celui de l'accaparement des terres des Palestiniens au seul profit des Israéliens, semblable à celui effectué au XIXème siècle par les colons américains au détriment des Amérindiens.
Génocide
Si tous les termes précédemment évoqués ont été abondamment utilisés par tous ceux qui prenaient la défense de l'État israélien, il y en avait un qu'il ne fallait en revanche surtout pas prononcer, celui de génocide. On a vu que le droit de se défendre invoqué à propos d'Israël conduisait logiquement à l'idée de génocide puisqu'on ne peut pas faire la distinction entre le bon grain et l'ivraie et que les mauvais Palestiniens refusent de se livrer d'eux-mêmes pour qu'on les tue. La qualification de génocide a cependant été évoquée par plusieurs instances internationales, fournissant ainsi un précieux argument d'autorité à ceux qui se risquaient à utiliser le terme dans le débat public.
L'utilisation du terme semble contre intuitive : comment un peuple victime de génocide pourrait-il en commettre un à son tour ? Rappelons en effet que le terme a tout d'abord été inventé pour qualifier le génocide des Juifs durant la seconde guerre mondiale avant de s'appliquer à d'autres populations (Arméniens, Tutsis…) Mais la situation de l'État d'Israël ne peut en rien se comparer à la situation des Juifs dans les pays occidentaux avant la Seconde guerre mondiale. Les commentateurs ne se gênent pas pour le rappeler : Israël est une démocratie, elle fait partie du monde libre qui s'oppose en un manichéisme assez confondant aux pays autoritaires et aux hordes de sauvages soumis à l'obscurantisme religieux (omettant évidemment de préciser que cet obscurantisme religieux pèse également de façon conséquente sur les choix du gouvernement israélien).
C'est oublier bien vite que Hitler est arrivé au pouvoir par la voie des urnes. C'est oublier que l'Allemagne était un pays hautement civilisé n'ayant rien à voir avec la barbarie supposée des contrées asiatiques ou africaines. C'est oublier ce qui avait stupéfait les contemporains à savoir qu'un haut degré de civilisation ne protège en rien d'une forme absolue de barbarie. Paradoxalement, ceux qui réfutent ce terme de génocide au nom de la prétendue civilisation d'Israël face aux barbares que seraient les Palestiniens semblent complètement oublier le génocide initial, celui qui a permis l'émergence même du mot, celui des Juifs par le régime nazi.
L'étude précise du vocabulaire utilisé depuis le 7 octobre 2023 forme un tout cohérent. Tous ces termes évoqués obéissent à une même logique. On pourrait évidemment souligner la proximité idéologique de certains patrons de médias avec le gouvernement d'Israël, mais ce ne serait pas suffisant à expliquer un tel suivisme de la part de la quasi-totalité des médias français. Ce qui se joue aurait bien plutôt à voir avec une forme d'amnésie collective. Soutenir quasi-inconditionnellement Israël dans son entreprise de destruction du peuple palestinien, c'est d'abord occulter les responsabilités européennes dans la situation au Proche-Orient, c'est aussi nier l'antisémitisme occidental comme matrice de tout antisémitisme et de tout racisme. C'est également occulter le passé colonial des puissances européennes, passé colonial qui semble ressurgir en Palestine. Comment regarder en face ce que commet le gouvernement israélien alors qu'il ne s'agit rien d'autre que du miroir peu flatteur de ce que nous avons été et de ce que, peut-être, nous aspirons à redevenir ?
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Al Jazeera, la chaîne TV qui sauve l’honneur du journalisme de notre temps !

Il a été dit et écrit à maintes reprises que le génocide des Palestiniens à Gaza est « la première guerre retransmise en direct » de l'histoire. Et aussi, qu'en conséquence de cette première historique, nul ne peut désormais dire qu'il ignore ce qui se passe en Palestine. Cependant, rares ont été ceux qui se sont demandé grâce à qui cette guerre a été retransmise en direct. Et encore plus rares ont été ceux qui ont osé donner une réponse à cette interrogation. Ce qui suit est donc un hommage à tous ceux et celles qui l'ont fait au péril de leur vie…
La chaîne qui a monopolisé cette retransmission en direct s'appelle *Al Jazeera*. Et elle l'a monopolisé non parce qu'elle l'a voulu mais parce que la grande majorité des chaines TV du monde entier ont refusé de couvrir « les évènements de Gaza », ou bien ont arrêté de le faire face aux menaces et aux agressions, parfois meurtrières, de l'envahisseur israélien qui a tout fait pour qu'il n'ait pas des témoins oculaires de ses crimes. Seule Al Jazeera n'a pas cédé et a accompli sa mission contre vents et marais, sauvant ainsi le très malmené honneur de la presse mondiale !
Profitant donc du cessez le feu qui fait que les journalistes et autres professionnels des médias en poste à Gaza, enlèvent -enfin !- leur équipement de guerre (casques, gilets par balle, etc.) et se sentent à l'abri des drones, des obus et des snipers israéliens, rendons leur justice en faisant un premier bilan de leur professionnalisme, de leur courage et de leur héroïsme. Car c'est grâce à eux et à elles qu'on connaît ce qui s'est passé aux *killing fields *(champs de la mort) de Gaza et que les bourreaux devront un jour répondre de leurs crimes…
Alors, nous commençons par cet extraordinaire *Hani Mahmoud*, le journaliste de Al Jazeera, qui est entré dans nos vies en nous réveillant chaque matin depuis 15 mois, pour nous informer de tout ce qui s'était passé à Gaza au cours de la nuit et du lever du soleil précèdent. Ce Hani Mahmoud toujours debout dans les ruines ou devant un des hôpitaux gazaouis bombardés à répétition, relatant dans un anglais impeccable et avec une rigueur exemplaire, sans jamais trahir ses émotions, les massacres des dernières heures tandis que le bruit caractéristique des drones qui le survolaient couvrait parfois sa voix et les bombes explosaient souvent derrière son dos ! Et tout ça tandis que Hani Mahmoud et sa famille partageaient le sort des Palestiniens de Gaza obligés d'errer, affamés et assoiffés, d'un endroit à l'autre sous une pluie de bombes qui pouvaient les frapper à n'importe quel moment…
*https://www.youtube.com/watch?v=zUZYA7yQKbk
<https://www.youtube.com/watch?v=zUZ...>
*
Ces bombes qui ont frappé durement la famille de *Wael Al-Dahdouh,* chef du bureau de Al Jazeera de la ville de Gaza, tuant sa femme, ses enfants, ses petits- enfants pendant que lui continuait à nous informer, se permettant seulement quelques larmes aux yeux. Mais, ce n'est pas tout. Quelques mois plus tard, Wael Al-Dahdouh est ciblé par un missile israelien, et si lui échappe avec des blessures, il perd son cameraman Samer Abu Daqqa tué sur le coup. Et pour achever sa tragédie personnelle, son fils aîné, également journaliste, est tué par une frappe aérienne, début janvier 2025…
Hélas, le cas de ce grand Monsieur qu'est Wael Al-Dahdouh n'est pas du tout exceptionnel. Selon le* Committee to Protect Journalists *basé aux Etats-Unis, *« au moins 166 journalistes et professionnels des médias comptent parmi les dizaines de milliers de personnes tuées à Gaza, en Cisjordanie, en Israël et au Liban depuis le début de la guerre, ce qui en fait la période la plus meurtrière pour les journalistes depuis que le CPJ a commencé à recueillir des données en 1992 * » !(1) Mais, selon Al Jazeera elle-même, qui publie une enquête éloquemment titrée *« Apprenez leurs noms* » avec les images et les noms des « Journalistes Palestiniens tués par Israël à Gaza », le bilan est encore plus terrible : *« du 7 octobre 2023 au 25 décembre 2024, au moins 217 journalistes et professionnels des médias ont été tués à Gaza. Cinq autres ont été tués le 26 décembre lorsqu'une frappe aérienne israélienne a visé une camionnette de presse près de l'hôpital al-Awda. Ces meurtres de journalistes les plus récents soulignent l'environnement périlleux dans lequel les professionnels des médias opèrent à Gaza. En termes simples, il s'agit du pire conflit jamais vécu par les journalistes ».(2)*
Du jamais vu de mémoire de journaliste ! Un vrai carnage sans pareil dans l'histoire de la presse mondiale ! Car pour Israël, l'élimination des journalistes palestiniens constitue une priorité absolue que seule l'élimination systématique des médecins palestiniens pourrait concurrencer. D'autant plus que les journalistes Palestiniens de Al Jazeera sont depuis de longs mois, les seuls à couvrir sur place le génocide en cours de leur peuple par Israël. Car tous les autres médias internationaux s'en abstiennent, a trop peu d'exceptions près. (3)
C'est pourquoi il suffirait de suivre Al Jazeera pendant quelques heures pour réaliser que ce que font, ou plutôt ne font pas toutes les autres chaînes de télévision de par le monde, est tout simplement de la…désinformation, du pur lavage de cerveau. Et cela parce que Al Jazeera ne parle pas du tout exclusivement de la Palestine ou même du Moyen Orient. Elle s'occupe, avec des correspondants sur place ( !) de tout le monde, de
l'Irlande du Nord et du Botswana, à l'Indonésie et la Nouvelle Zélande. Et surtout, elle accorde une grande importance, avec des enquêtes approfondies, aux grandes questions de nos temps comme le féminisme et la condition des femmes, la catastrophe climatique et la lutte des mouvements écologiques, le racisme et l'antisémitisme, les droits et l'oppression des LGBT, la famine au monde, etc. Et toujours du côté des faibles et avec le regard et la sensibilité de ceux d'en bas, ce qui amène Al Jazeera à donner la priorité à tous ceux que nos médias méprisent et « oublient » traditionnellement, comme l'Afrique noire, les pays de l'océan Indien, ceux de l'ex-URSS ou…les nations et les peuples indigènes. A l'opposé de ce que font tous nos grands médias, pour Al Jazeera il n'y a pas des vies et des morts qui comptent plus ou moins que d'autres, ce qui la conduit p.ex. à
donner souvent la parole aux parents des otages Israéliens détenus par Hamas et même à des généraux et des officiels Israéliens qui défendent les politiques du gouvernement Netanyahou ! En somme, à faire des choses qui sont tout simplement impensables non seulement pour les médias israéliens, mais aussi pour les grands médias de nos pays occidentaux. Alors, notre conclusion est simple et va de soi : pour ceux et celles qui voudront se faire une opinion de ce qu'est cette Al Jazeera si haïe par Netanyahou et
ses amis occidentaux et autres, voici le lien sur lequel il suffirait de cliquer pour suivre ses émissions en direct : *https://www.aljazeera.com/live
<https://www.aljazeera.com/live>
*
Et n'oubliez pas en cliquant sur la vidéo ci-dessous, d'écouter la chanson pour Hani Mahmoud et son collègue Tareq Abu Azzoum que le Woodie Guthrie de nos temps qu'est (le juif américain) *David Rovics* <https://en.wikipedia.org/wiki/David...> , a composé et chanté.
*https://www.youtube.com/watch?v=fRqe5d5f7Jk
<https://www.youtube.com/watch?v=fRq...>
*
Notes
1.
https://cpj.org/2025/01/journalist-casualties-in-the-israel-gaza-conflict/
3. Voir aussi notre article de janvier 2023 *"Parce qu'il ne veut pas de
témoins de ses crimes, Israël tue méthodiquement les journalistes qu'il ne
peut faire taire !" : *
https://www.cadtm.org/Parce-qu-il-ne-veut-pas-de-temoins-de-ses-crimes-Israel-tue-methodiquement-le
<https://www.cadtm.org/Parce-qu-il-n...>
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Comment des militants et militantes ont pu devenir le sable dans l’engrenage d’Amazon
Le 13 mai 2024, le Syndicat des travailleuses et travailleurs d’Amazon Laval a été officiellement accrédité. Il s’agit du premier et du seul syndicat d’Amazon au pays. La nouvelle a fait le tour des médias, mais on a donné très peu d’attention à l’organisation du syndicat sur le terrain et aux motivations des membres à s’organiser. À Lachine, à Vancouver et à Toronto, les campagnes de syndicalisation n’ont pas mené à une accréditation, alors pourquoi les militantes et militants syndicaux ont-ils gagné à l’entrepôt DXT4 de Laval ?
Cet article a d’abord pour but d’offrir un aperçu des spécificités de l’exploitation chez Amazon, puis d’exposer les méthodes qui ont mené les syndicalistes à une première réussite. Sera ensuite abordée la question de l’organisation syndicale de nouveaux arrivants et arrivantes qui forment une majorité dans l’entrepôt nouvellement syndiqué.
Ce texte s’appuie d’abord sur deux entretiens approfondis que j’ai eu la chance d’avoir avec Jean-François, un ancien travailleur d’Amazon licencié durant la campagne de syndicalisation, et avec Jacques, un ancien militant de la Fédération autonome de l’enseignement qui s’est fait embaucher à l’entrepôt DXT4 pour des raisons pécuniaires, mais surtout politiques. L’article est aussi le fruit de nombreux échanges avec des membres de l’exécutif du nouveau syndicat, avec d’anciennes et anciens commis qui ont travaillé dans différents entrepôts de la région de Montréal, avec des militantes et militants impliqués au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (IWC-CTI) et avec des journalistes qui ont couvert le dossier.
Au Canada, Amazon compte environ 45 000 employé·e·s et a franchi le cap des 50 entrepôts en 2022. Au Québec, on en comptera bientôt une vingtaine, dont huit dans la grande région de Montréal. La plupart sont des centres d’expédition, désignés par le sigle DXT, mais les plus impressionnants sont les centres de distribution, désignés par le sigle YUL.
Le premier entrepôt qui a fait les manchettes sur le plan de la syndicalisation fut YUL2 situé à Lachine. Un travailleur, Manuel Espinar Tapial, avait fait signer environ 80 cartes de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) dans ce centre de distribution. Une offensive antisyndicale de la part d’Amazon est cependant venue à bout de cette campagne[1].
C’est dans cet entrepôt que le CTI a aussi commencé à s’impliquer dans la lutte contre Amazon. Le Centre a depuis formé un comité dédié aux aspects du travail dans les entrepôts de la multinationale, lequel organise des événements et fait pression pour qu’Amazon respecte les normes du travail. Le Comité Amazon du CTI demande entre autres que, conformément à la loi, l’employeur cesse de renvoyer les employé·e·s qui sont prosyndicat en guise de représailles et qu’il forme un comité de santé et de sécurité au travail. La force du CTI, habitué à accompagner les travailleurs et travailleuses d’entrepôt, se situe sur le plan de l’intervention dans des cas d’abus ou de blessures professionnelles.
Des conditions propices à la syndicalisation
On ne peut pas dire que les conditions de travail sont bonnes dans un entrepôt Amazon. Le travail est ardu physiquement et commande de répéter les mêmes gestes des centaines de fois chaque jour. À DXT4, les travailleurs et les travailleuses passent une partie de la journée devant un convoyeur qui leur dicte le rythme de travail et émet une alarme si les colis ne sont pas ensachés assez rapidement.
L’autre occupation principale d’une ou d’un employé de centre d’expédition impose de soulever des charges allant jusqu’à 50 lb (22 kg). Récemment, les chariots sur lesquels les lourds sacs de colis doivent s’empiler ont été munis de bras hydrauliques qui assument une partie de l’effort de soulèvement des sacs, mais, selon Jacques, ces bras ralentissent en fait le travail.
Les aides technologiques qui ont pour effet d’« allonger le travail » sont mal vues car chez Amazon, seule la cadence de travail compte. La travailleuse ou le travailleur est en effet constamment surveillé. Durant la « cueillette », c’est-à-dire le moment du quart de travail où les sacs de colis sont placés sur les chariots, le taux de complétion des commandes (« les rates » dans le jargon) est constamment calculé. Les commis sont munis de lecteurs de codes QR et doivent sans cesse numériser des codes pour que le système informatique puisse fournir en temps réel les variations en productivité des employé·e·s.
Dans un article de Radio-Canada, un travailleur d’Amazon du Québec avait exprimé ainsi cette condition : « On a littéralement un cellulaire accroché à notre main qui nous dit quoi faire, avec un scanner au bout du doigt. On est l’extension d’un robot[2] ». À la supervision numérique s’ajoute la supervision humaine de la part des cadres de l’entrepôt, qui vont, par exemple, aller avertir ceux et celles qui passent trop de temps aux toilettes.
Selon Jacques, ce n’est pas tellement qu’Amazon veut voir sa main-d’œuvre être la plus rapide possible, mais qu’elle garde une vitesse de travail constante. Même s’il demeure un employé parmi les plus rapides, quand il est relativement moins efficace qu’à l’habitude, Jacques se fait questionner par ses superviseurs. Les salarié·e·s sont, en effet, beaucoup plus facilement transformés en données managériales si le nombre de colis qu’ils traitent dans un temps donné est stable.
Il y a cependant deux exceptions à cette règle générale : lorsque l’équipe du quart précédent a pris du retard ou lorsque la quantité de colis est anormalement élevée. Durant la haute saison qui va de la mi-octobre jusqu’au début de janvier, on témoigne de rythmes beaucoup plus intenses, ce qui amène une augmentation des blessures[3]. Celles-ci sont d’ailleurs un fléau dans l’entreprise. Le travailleur interviewé par Radio-Canada affirmait qu’en « un an de travail, je pense que tout le monde a une blessure[4] ».
Les employé·e·s à qui j’ai parlé s’accordent sur le fait que le travail d’entrepôt chez Amazon n’est pas à classer parmi les pires au Québec et que nous ne sommes pas ici dans une situation des plus dramatiques, mais qu’il s’agit certainement de conditions qui usent rapidement le corps et les nerfs des travailleurs et travailleuses. Bien que Jacques trouve une certaine satisfaction à accomplir ce travail éreintant, il ne croit pas pour autant qu’il soit normal qu’il faille quotidiennement déplacer des tonnes de colis pour payer le loyer[5].
Au Québec, les pires conditions de travail chez Amazon sont réservées aux livreurs et livreuses qui sont à l’embauche de sous-traitants, ce qui dédouane Amazon de toutes les infractions aux normes du travail et d’autres abus lorsqu’ils adviennent.
Il est notable d’ailleurs qu’Amazon, suivant les préceptes du management à la mode, prenne des initiatives pour tenter que les salarié·e·s se sentent partie prenante de l’entreprise et que leur exploitation soit maquillée. On parle de nourriture offerte par les cadres, de séances collectives d’étirement, du spectacle occasionnel d’employé·e·s de bureau qui viennent maladroitement aider sur le plancher et, dans un cas spécifique, d’une séance surréelle de motivation où une gérante sautillait en encourageant les travailleurs et travailleuses. Somme toute, Jacques estime que les cadres de l’entrepôt ont du succès à créer une certaine complicité avec leurs subordonné·e·s.
Des conditions de travail dictées par le marché
Selon Jean-François, les conditions de travail dans les entrepôts sont juste assez bonnes – en comparaison des emplois les plus précaires de la province – pour qu’Amazon réussisse facilement à recruter des commis. Les offres d’emploi affichées par Amazon sont normalement comblées en quelques jours et la compagnie reçoit toujours des dizaines de candidatures quand elle ouvre des postes. Les salaires – par exemple, les commis débutent à 20 dollars de l’heure – sont corrects pour quelqu’un qui n’a pas la possibilité d’obtenir un emploi qualifié ou syndiqué.
Cet engouement pour les emplois chez Amazon est, en fait, l’un des piliers de la stratégie économique du géant. L’objectif de la compagnie est de toujours avoir le strict minimum de main-d’œuvre, et ce, au point où l’entreprise préfère licencier en grand nombre des membres du personnel dans un moment de faible demande pour engager à nouveau quelques mois plus tard. Contrairement à beaucoup d’entreprises qui favorisent le délestage ou la réduction des heures individuelles travaillées plutôt que de prendre le risque de briser des liens d’emploi en période morte, Amazon ne craint pas la pénurie de personnel.
L’instabilité de la main-d’œuvre dans les entrepôts est telle que le New York Times a rapporté en 2021 que le taux moyen de roulement de l’ensemble de la main-d’œuvre du comté de Richmond dans l’État de New York avait dépassé le cap des 100 % dans l’année qui a suivi l’ouverture d’un entrepôt d’Amazon dans la région[6]. L’entreprise se comporte, de fait, en capitaliste commercial exemplaire qui a orienté sa stratégie de gestion du personnel sur le principe que « la quantité d’ouvriers, emballeurs et transporteurs, etc., dépend de la masse des marchandises, objets de leur activité, et non l’inverse[7] ».
Encore une fois comme capitaliste exemplaire, Amazon a mis en place tout un appareil administratif et légal qui lui permet de faire des congédiements massifs sans pour autant inquiéter les autorités du travail comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et sécurité du travail (CNESST). Les commis sont ainsi classés en deux catégories : les badges bleus et les badges blancs. Les premiers sont des employé·e·s permanents alors que les seconds se savent sous la constante épée de Damoclès du congédiement sans raison autre que les pressions du marché.
Le renvoi de badges blancs sert aussi de représailles de la part des patrons. Radio-Canada rapportait en 2019 qu’un licenciement massif de 300 personnes aux États-Unis avait eu lieu pour punir les travailleurs et travailleuses qui avaient une productivité trop basse[8]. À DXT4, l’octroi de badges bleus a été suspendu peu après la syndicalisation de l’entrepôt.
Cette catégorie de commis plus précaires, constamment inquiets de se faire congédier s’ils n’en viennent pas à obtenir un badge bleu, sert d’ailleurs de tampon protecteur pour Amazon en ce qui concerne une possible syndicalisation. Les travailleurs interviewés sont unanimes : les badges blancs ont peur de s’impliquer dans le syndicat à cause de leur situation. Certaines personnes souhaitaient même attendre d’avoir le badge bleu pour signer leur carte d’adhésion.
Si les badges blancs sont les plus vulnérables au renvoi, les badges bleus peuvent eux aussi être mis à la porte par Amazon avec une relative facilité. Les statistiques constamment recueillies sur chaque employé·e servent à la ou à le discipliner par rapport à son travail, mais aussi à donner une justification pour le renvoi de certains « éléments à problème », au nombre desquels on compte les syndicalistes ou les gens qui se sont déjà blessés au travail.
Jean-François est d’avis qu’Amazon pratique un « eugénisme de la main-d’œuvre » en « purgeant » sournoisement la main-d’œuvre des commis à risque de se blesser. Selon lui, un premier accident de travail constitue une garantie soit de se faire renvoyer, soit de se blesser une deuxième fois à brève échéance. Les blessé·e·s, explique-t-il, reçoivent d’abord une assignation temporaire, comme il se doit de la part d’un capitaliste exemplaire, où ils exécutent des travaux moins difficiles. Ceux-ci sont cependant réintégrés assez rapidement au travail régulier, où ils font face à un choix difficile : ne pas atteindre la productivité d’avant leur accident de travail ou bien procéder trop vite par rapport à ce qu’exigerait leur réadaptation.
Ainsi, selon un employé de l’autre entrepôt de Laval, DXT5, un travailleur s’est forcé à maintenir sa productivité malgré qu’il ait été en rémission d’un cancer, ce qui l’a amené à faire une crise cardiaque. Cependant, la situation optimale pour Amazon est que le commis baisse la cadence et qu’il soit renvoyé pour des raisons de productivité, car s’il se blesse, il fera plutôt augmenter les cotisations à la CNESST.
L’ensemble de ces éléments constitue, sur le fond, plus l’essence de la grossière exploitation à la sauce Amazon que les bas salaires et l’ardeur du travail physique qu’on retrouve dans tant d’autres milieux de travail au Québec.
Ce qui a fait gagner le syndicat de Laval
Quand j’ai demandé à Jean-François ce qui a permis de remporter la victoire à DXT4, il semblait d’abord peu inspiré : « On a juste fait signer des cartes ». Comment a-t-on syndiqué ce qui n’avait jamais été syndiqué au Canada ? En faisant signer des cartes ?
La vérité, précise-t-il, est que du point de vue des tactiques proprement dites, rien n’était vraiment nouveau dans la campagne de syndicalisation de DXT4. Les militants ont appliqué ce qui constitue l’ABC de la mobilisation et de l’organisation. D’abord, il faut faire enquête, « parler au monde » dans les termes de Jean-François. Ensuite, il faut identifier des meneurs et des meneuses dans l’entrepôt. Finalement, il faut créer des comités pour embarquer ces contacts dans le mouvement de syndicalisation et les pousser à faire signer des cartes par leurs collègues proches.
À ces fondations solides s’ajoutent la distribution de matériel d’agitation, des barbecues et divers autres événements pour rallier les travailleurs au mouvement de syndicalisation. Les ressources de la CSN ont été utiles en cette matière, notamment pour permettre de multiplier les interventions à l’extérieur de l’entrepôt et pour ainsi épauler la part principale du travail qui se fait entre collègues dans l’entrepôt.
La syndicalisation est en effet le fruit du travail d’employé·e·s de l’entrepôt, et non celui d’une centrale syndicale ou d’un groupe politique qui intervient depuis une position externe. Législation oblige, la signature des cartes et la « sollicitation » se fait en dehors du lieu de travail, mais la mobilisation se fait néanmoins entre collègues et non pas entre un intervenant syndical et un travailleur.
La combinaison ultime entre le travail externe et le travail interne est venue de la part de militants syndicaux qui ont réussi à recruter d’autres militants et militantes syndicalistes pour que ceux-ci rejoignent également la force de travail d’Amazon et qu’ils fassent signer des cartes d’adhésion à la CSN. La tactique est vieille comme la lutte des classes ; il a été assurément bénéfique que quelques militants de gauche sans emploi aient bien voulu aller au cœur de la bête pour faire œuvre utile[9].
Là où il y a nouveauté, c’est en ce qui concerne la stratégie à plus long terme. L’envoi de militants dans un milieu de travail pour le syndiquer, ce qu’on appelle dans le jargon le salting, est quelque chose de tout à fait commun et, encore une fois, il s’agit d’une tactique éprouvée, mais les militants qui donnent actuellement du fil à retordre aux sous-fifres de Jeff Bezos ne sont pas des salts.
Ce groupe de militants n’est pas dans l’entrepôt de manière temporaire. L’objectif de ses membres est l’organisation à long terme des travailleurs et travailleuses d’Amazon au Canada et non pas seulement de syndiquer un nouveau milieu de travail. Dans un événement organisé en juin dernier par le collectif Archives Révolutionnaires, un membre du syndicat, questionné sur le futur de son implication militante dans le syndicat nouvellement formé, sur ce qu’il fera « après », a rétorqué : « C’est ma vie ».
Cette position surprend chez la gauche syndicale parce que l’« infiltration » d’un milieu de travail est généralement une chose de courte durée. Par exemple, un des grands succès du Syndicat industriel des travailleurs et travailleuses (SITT-IWW) de Montréal fut la syndicalisation du restaurant Frites Alors! sur la rue Rachel à Montréal en 2016. Trois membres du SITT avaient noyauté le personnel du restaurant et avaient pu en quelques mois organiser leurs collègues selon les lignes stratégiques de leur syndicat anarchosyndicaliste. Aucun des activistes n’est cependant resté plus de quelques mois supplémentaires au restaurant et le syndicat disparut rapidement[10].
Selon Jean-François, lui-même un militant entré chez Amazon pour la lutte syndicale, faire entrer des alliés à son travail pour faire signer plus de cartes n’est pas ce qui permet de bâtir un syndicat fort qui s’appuie sur ses membres. La stratégie du SITT était, au fond, la version anarchiste de la stratégie adoptée par les Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce pour syndiquer des hôtels : former un syndicat avec des militants et militantes qui s’engagent temporairement, puis laisser les syndiqué·e·s se débrouiller.
L’idée que les militants syndicaux puissent être des activistes venant principalement de l’extérieur des milieux de travail et qu’ils infiltrent temporairement un endroit, si nécessaire, est radicalement différente de celle qui anime les syndicalistes d’Amazon de Laval. Jacques croit que les élu·e·s syndicaux devraient par exemple pouvoir être libérés une demi-journée par semaine, mais qu’ils devraient travailler la majorité du temps « sur le plancher ».
La volonté des militants d’Amazon de s’engager pour une longue période dans la lutte pour améliorer les conditions de travail d’un endroit médiocre peut, selon certains à gauche, être rapprochée de la tradition de l’« implantation ». Apparue à la fin des années 1960, mais peut-être davantage popularisée par le Parti communiste ouvrier et En lutte ! dans les années 1970, cette pratique consistait à joindre un milieu de travail ouvrier et à y organiser les travailleurs selon des lignes révolutionnaires. Le phénomène n’a pas eu lieu seulement au Québec, mais il a aussi été observé dans le mouvement antirévisionniste international.
Bien qu’on la croyait jadis rangée dans le placard du folklore marxiste-léniniste, l’implantation est récemment réapparue dans les débats de gauche au Québec. Certaines publications comme L’Établi de Robert Linhart[11] ont ravivé des discussions entre de jeunes militants prêts à se jeter dans la lutte ouvrière et des vétérans qui ont connu l’époque où il était courant pour un révolutionnaire d’aller travailler à l’usine.
Il n’est pas tellement surprenant, en fait, de retrouver de plus en plus de militants radicalisés au sein du mouvement étudiant qui soient prêts à plonger dans l’organisation en milieu de travail ouvrier. Il se trouve que beaucoup de jeunes prolétaires destinés à une ascension de classe ont finalement été obligés de remettre leur projet et d’occuper un emploi au bas de l’échelle « en attendant », voire de simplement abandonner leur plan de carrière pour aller vers un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou un diplôme d’études collégiales (DEC). Une statistique parlante à ce sujet, c’est que près de 10 % de la main-d’œuvre du domaine de la construction au Québec possède un diplôme universitaire[12].
Le travail d’implantation présente d’ailleurs un attrait certain pour les militants et militantes qui croient que le pouvoir vient du peuple (populistes de gauche, démocrates radicaux, maoïstes, etc.). Les mots d’ordre, les tracts, les discours visent assurément plus juste s’ils sont rédigés par des gens qui connaissent intimement une réalité que s’ils sont rédigés par des acteurs externes. De la même manière, il est beaucoup plus aisé d’établir un lien de confiance avec des travailleurs en vue d’organiser un syndicat si on travaille à leurs côtés. « On est complices, on est dans la gang », exprime Jacques.
Un ancien travailleur d’un entrepôt de Lachine donnait comme exemple qu’il a fait signer sa première carte grâce à des discussions qu’il a eues en faisant du covoiturage. L’employé d’une centrale syndicale qui distribue des tracts aux portes de l’entrepôt ne peut pas avoir ce type de discussion mi-politique mi-papotage qui permet de saisir comment convaincre quelqu’un d’adhérer au syndicat.
Le plus dur est à venir
Établir ces liens solides avec les autres travailleurs et travailleuses est d’autant plus important que tous les militants et militantes de DXT4 s’entendent sur une chose : la lutte ne fait que commencer et le plus dur est à venir.
Amazon est prêt à tout pour ne pas reconnaitre le syndicat légalement constitué. Aux États-Unis, la multinationale conteste carrément la validité du National Labour Relations Board, tandis qu’ici elle essaie de contester le principe de l’accréditation automatique quand plus de 50 % des employé·e·s ont signé une carte d’adhésion. La tactique d’Amazon devant le Tribunal administratif du travail a même été de se présenter en défenseur de la démocratie[13].
Aussi stupide que soit l’attaque légale d’Amazon, elle sert avant tout à retarder le processus de négociation et à laisser plus de temps à ses experts en démantèlement syndical pour faire leur sale besogne. À l’entrepôt de Staten Island (New York), cette approche patronale a réussi : le syndicat, pris à poireauter en attendant que l’appareil judiciaire s’occupe des diversions légales d’Amazon, a vu des conflits internes émerger[14].
La lutte dans les entrepôts d’Amazon constitue donc obligatoirement une lutte prolongée. Les bases organisationnelles qui ont permis à faire adhérer une majorité d’employé·e·s au syndicat doivent, suivant cette idée, devenir encore plus solides. Les « relais » qui avaient comme tâche de faire signer les cartes parmi les travailleurs doivent devenir des assises du syndicat. Les mots d’ordre, les objectifs, les tactiques doivent venir de tout le monde qui travaille dans l’entrepôt et pas seulement des quelques éléments qui ont une expérience militante. C’est seulement en refusant le « dirigisme » et en mettant de l’avant les membres de la base que l’unité du syndicat peut être préservée.
L’unité est déjà rudement mise à l’épreuve puisque les patrons s’évertuent à faire de la propagande antisyndicale. Jacques ou d’autres travailleurs doivent souvent prendre la parole pour contredire les gérants durant les réunions quotidiennes, car ceux-ci glissent d’habiles mensonges à l’encontre du syndicat dès qu’ils le peuvent. Ces mensonges sont d’autant plus faciles à propager qu’une grande majorité des employé·e·s de DXT4 sont immigrants et ne connaissent pas nécessairement leurs droits.
Manœuvrer en territoire multiculturel
On a vu ces dernières années un essor de l’intersectionnalité et de la décolonisation sur le plan théorique, mais bien peu de travail pratique de la gauche s’est tourné vers l’exploitation des « damnés de la terre » sur leur lieu de travail, hormis l’imposant travail du CTI. Cependant, la limite du CTI est qu’il n’est pas un syndicat ; il ne mène donc pas directement une lutte entre exploiteurs et exploités. Des ONG – on a nommé le CTI, mais il y a aussi le Front de défense des non-syndiquéEs – veillent sur les usines, les manufactures et les entrepôts où on retrouve une forte proportion de migrantes et migrants mais la gauche n’est généralement pas présente à l’intérieur des murs.
Ce n’est pas qu’on ne rencontre pas de travailleurs ou de travailleuses de gauche dans ces milieux, mais personne n’a su les intégrer au mouvement progressiste québécois. Par exemple, on retrouve chez Amazon des commis indiens qui ont participé au mouvement de révolte agricole qui a secoué leur pays en 2020 et 2021, mais ils n’ont jamais été sollicités par la gauche d’ici avant de rencontrer les militants d’Amazon.
L’isolement auquel font face beaucoup de travailleurs précaires migrants sera dur à rompre tant qu’il n’y aura pas dans leurs quartiers et leurs lieux de travail des militants québécois prêts à les mobiliser. Jean-François soulignait lors de notre discussion que depuis la désindustrialisation et la lente réindustrialisation qui s’en est suivie, les milieux ouvriers de grande ampleur n’ont généralement pas été syndiqués. Les usines et entrepôts bâtis dans les dernières décennies offrent ainsi des conditions de travail plutôt médiocres au point où un poste de commis chez Amazon apparait comme un emploi de choix pour beaucoup de travailleurs migrants.
L’abandon par la gauche des secteurs qui constituaient traditionnellement les châteaux forts des partis communistes, comme l’industrie manufacturière ou la construction, est parfois justifié par l’argument qu’il faut s’éloigner de la classe ouvrière blanche et masculine qui constitue la majorité dans plusieurs de ces secteurs. Cependant, ces secteurs sont ceux où, dans les dernières années, l’on voit la main-d’œuvre migrante augmenter et la main-d’œuvre canadienne diminuer[15]. La gauche s’est ainsi, par souci d’inclusivité, partiellement détournée des milieux où se développe l’exploitation des migrants et migrantes.
Jacques estime que plus de 90 % de ses collègues à DXT4 sont des personnes immigrantes, dont beaucoup de réfugié·e·s et d’étudiants et étudiantes. Le fait de travailler côte à côte avec eux et elles fut, selon les syndicalistes rencontrés, un facteur décisif pour gagner la confiance de certains meneurs organiques des microcommunautés migrantes présentes dans l’entrepôt.
Car, pour des raisons de langue notamment, les membres de différentes nationalités se regroupent habituellement ensemble dans les entrepôts Amazon. Pour gagner la confiance des nombreux travailleurs et travailleuses qui s’expriment peu en français ou en anglais, pour briser la barrière culturelle qui peut nuire aux échanges, les syndicalistes d’Amazon ont dû faire un effort d’inclusivité qui n’était pas sur le plan du discours, mais sur celui des actes, soit s’inclure dans les conditions de vie de ces gens. L’atomisation, les divisions culturelles ne peuvent être vaincues qu’en faisant partie du quotidien de ceux et celles qu’on souhaite voir se libérer.
Par André-Philippe Doré, boulanger et ancien délégué syndical à l’Alliance de la fonction publique du Canada
- David Savoie, « Syndicalisation : le cas d’Amazon porté devant le Tribunal administratif du travail », Radio-Canada, 10 février 2024. ↑
- David Savoie, « Amazon, c’est l’exploitation avec le sourire », Radio-Canada, 29 mars 2023. ↑
- Comité de Montréal, « La haute saison d’Amazon tue », L’Étoile du Nord, 19 janvier 2024, <https://etoiledunord.media/un-travailleur-meurt-pendant-la-frenesie-des-fetes-de-fin-dannee-la-haute-saison-damazon-tue/>. ↑
- Savoie, op. cit., 29 mars 2023. ↑
- L’Étoile du nord avance qu’au centre de distribution YUL2, les travailleurs et travailleuses soulèvent de 2 à 7 tonnes de colis par jour, suivant la période. Voir Comité de Montréal, op. cit., 19 janvier 2024. ↑
- Jodi Kantor, Karen Weise et Grace Ashford, « The Amazon that customers don’t see », New York Times, 15 juin 2021, <https://www.nytimes.com/interactive/2021/06/15/us/amazon-workers.html>. ↑
- Karl Marx, Le capital, livre 3, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 288. ↑
- Radio-Canada, « Amazon procède au licenciement d’employés à l’aide d’un système automatisé », 26 avril 2019. ↑
- Aucun parmi eux n’était un employé ou un militant de la CSN avant d’aller travailler chez Amazon. ↑
- « Solidarity and power in the face of a terrified employer : the IWW campaign at Frite Alors », Organizing Work, 2019, <https://organizing.work/2019/02/solidarity-and-power-in-the-face-of-a-terrified-employer-the-iww-campaign-at-frites-alors/>. ↑
- Robert Linhart, L’Établi, Paris, Minuit, 1981. ↑
- Guichets-Emploi (Gouvernement du Canada), Construction: Profil sectoriel (SCIAN 23) et perspectives 2023-2025 au Québec, <https://www.guichetemplois.gc.ca/analyse-tendances/rapports-marche-travail/quebec/construction>. ↑
- Comité de Montréal, « Amazon achète du temps au Tribunal administratif du travail », L’Étoile du Nord, 20 juin 2024, <https://etoiledunord.media/amazon-achete-du-temps-au-tribunal-administratif-du-travail/>. ↑
- Alex N. Press, « As Amazon refuses to bargain, divisions have emerged in the Amazon labor union », Jacobin, juillet 2023. ↑
- Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Les personnes immigrantes et le marché du travail québécois, 2020, <https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/immigration/publications/fr/recherches-statistiques/ImmigrantsMarcheTravail2020.pdf>. ↑
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Chronique d’un cycliste dépassé
Décembre, la saison cycliste s'achève. La neige et la glace n'ont pas encore séduits le cycliste que je suis. Bien que le dérèglement climatique, avec ses chaussées de plus en plus dénudées, pourrait bien m'offrir la possibilité de quelques sorties.
Et l'année cycliste 2024, quoi en penser ?
Je constate maintenant que je suis un cycliste dépassé.
Avec un corps fraîchement retraité, je dois bien l'avouer, je n'ai plus l'essence de mes trente ans. Je me fais souvent dépassé, par des jeunes et moins jeunes aux mollets bien plus tendus que les miens. Pour me consoler, je me dis : « il n'y a pas si longtemps, je traversais quotidiennement l'île de Montréal, de Hochelaga à Ahuntsic. » Cet aller-retour vélo-boulot-dodo me permettait d'apprécier un bon deux heures vingt à pédaler, quatre jours semaine. Ce n'est peut-être pas de la vitesse ça, mais un peu d'endurance. N'est-ce pas ?
CIRCUIT POUR ROUES DE TOUT GENRE
Mes nombreux allers-retours m'ont permis d'observer et de me questionner : « devrait-on changer la dénomination voie cyclable (ce qui inclus les bandes et les pistes cyclables) pour circuit pour roues de tout genre ?
Dans le temps, nous qui faisions l'effort de pousser sur des pédales pour articuler un engrenage qui faisait tourner des roues, nous étions « rois et maîtres » des voies cyclables. Maintenant, nous sommes détrônés de plus en plus par toutes sortes d'engin. Il y a maintenant des vélos électriques, des véhicules qui ressemblent à des scooters ou petites motos, des trottinettes électriques, des « uni-roues » électriques, et j'en passe. Les « vrais » cyclistes seront-ils bientôt en voie de disparition ? La propulsion par énergie humaine et sa simplicité deviennent-elle désuètes ?
Je ne sais pas ce qu'en penseraient Claire Morissette et Bob Silverman, ces deux porte-étendards du groupe Le Monde à bicyclette, avec qui j'ai milité dans les années 1980. Elle qui nous a quitté en 2007, lui en 2022. Je leur poserais la question : « y a-t-il du sable dans l'engrenage de la « vélorution » ? Ou la « vélorution » a-t-elle changé de sens ? »
CRÉER DE NOUVEAUX BESOINS
Les capitalistes n'en ont pas assez de produire plus de vélos, il faut qu'ils inventent toutes sortes de machines à propulsion pour augmenter les parts de marché et faire encore plus de profits. Il faut créer de nouveaux besoins. On parle maintenant de bicyclettes intelligentes…
Bon ! Je ne suis pas contre l'idée d'offrir à des gens, qui n'ont pas les mollets suffisants pour pédaler ou qui ont des limitations, la possibilité de prendre la route. Surtout si c'est pour délaisser la voiture. Mais, il y a des gens qui pourraient profiter de l'effort de pédaler avec ses bienfaits pour la santé. On aime mieux dénaturer le vélo, pour en faire autre chose.
Ce qui me désole en plus, c'est l'attitude autour de cette dénaturation.
VITESSE, VITESSE ET IMPATIENCE
Ce sont les mots d'ordre.
En cette époque où on peut tout obtenir d'un seul clic, obnubilé par les écrans, on ne voit plus rien et on ne peut plus attendre. On passe sur un feu rouge en se faufilant autour des autos, on roule à des vitesses folles en dépassant à droite à gauche, on fait un bout sur le trottoir, peu importe. « Free for all ». On est pressé, on est stressé. Que ce soit à bord de sa trottinette propulsé, de son scooter ou de son super vélo qui fait clic clic clic- les sporTIFS comme je les appelle - avec leurs costumes d'athlètes et leurs pieds soudés au pédalier, tous se disent : « il faut foncer ! »
Il y a des jours où je me demande si je risque plus de me faire défoncer par un vélo ou un truc à roues, que par une auto.
Je ne parlerai pas ici des automobilistes, même logique. Ce serait un sujet en soi. Maintenant, plusieurs d'entre eux sont frustrés de voir de plus en plus de vélos dans les rues et c'est tant mieux. La rue ça se partage. Mais, la communauté cycliste et autres roues dans son ensemble ne nous font pas honneur.
Et quand je vois des cyclistes qui ne s'emballent pas, respectueux de la route et des autres usagers, qui prennent le temps de regarder, d'arrêter et d'attendre sur un coin de rue et de contempler ce qu'il y a autour, tout en pédalant à un bon rythme. À ceux-là, encore majoritaires, je leur dit avec solidarité : « peace and love ». « Be cool » ! « Cyclistes de tous les pays unissons-nous pour ne pas perdre la simplicité énergétique ».
Certains diront : « tu te fais vieux bonhomme. » J'aime mieux ça que d'être avalé par la techno-performance. Je me tiendrai loin derrière, n'ayant pas peur de me faire dépasser, si cela ne mène à rien.
ALORS, ON SE TROMPE DE CHEMIN
Si cela ne mène qu'à une société où il faut courir sans cesse, produire et consommer jusqu'à en perdre le sens de la réalité, dans un espace où on laisse libre cours au marché, alors, on se trompe de chemin.
L'espace consacré aux bicyclettes dans les rues a augmenté et c'est tant mieux, mais la ville est encore étouffée par un nombre effarant de voitures, au détriment du transport actif et en commun. Tant qu'il y aura ce déséquilibre mortifère et ces valeurs productivistes qui pèsent sur nos têtes, il n'y aura pas de « vélorution ». N'est-ce pas Bob et Claire ?
Yvon Dinel, cycliste.
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