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Journée de commémoration et d’action contre les violences faites aux femmes

Lors de la journée de commémoration et d'action contre les violences faites aux femmes, après 35 ans de la tuerie de Polytechnique, les féminicides et les violences envers les femmes sont toujours aussi présentes, voir même en recrudescence ! Rappelons-nous des victimes et crions notre indignation ! Joignez-vous à nous afin de dire non aux violences patriarcales.
Venez nous rejoindre pour le départ de la marche au parc de l'Amérique-Française le vendredi 6 décembre à 12h. Nous nous dirigerons vers l'Assemblée-Nationale. Portez votre ruban blanc comme symbole des violences faites aux femmes.
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Plan de réduction des émissions de la #fonderiehorne - Mères au front de Rouyn-Noranda déplore que Glencore abandonne le projet AERIS

ères au front de Rouyn-Noranda se désole que Glencore, malgré des profits de plus de 4 milliards de dollars en 2023, n'aille pas de l'avant avec AERIS. Pour rappel, le projet AERIS existait avant le renouvellement de l'entente ministérielle de 2023 et visait un accroissement de la production et des profits. Ce projet est devenu le principal véhicule de la fonderie pour promettre une réduction des émissions.
Or, la multinationale considère maintenant que les coûts pour la mise sur pied du projet sont trop élevés et qu'elle n'ira pas de l'avant. Elle a également mis à pied des travailleurs et travailleuses, dont certain·es à Rouyn-Noranda.
Les Mères au front se questionnent sur ce que souhaite l'entreprise. On pourrait penser que cet abandon constitue une tactique pour recevoir plus de fonds publics ou encore obtenir un report des délais pour l'atteinte du 15ng d'arsenic prévu en mars 2028.
« Peu importe les moyens et le nom du projet, nous souhaitons avant tout que la fonderie Horne respecte les normes pour tous les contaminants le plus rapidement possible » déclare Isabelle Fortin-Rondeau Mères au front de Rouyn-Noranda et leurs allié.e.s.
Ce que sont en droit de demander les citoyen·nes de Rouyn-Noranda, c'est un environnement sécuritaire et un air sain. Il n'est pas question que la population renonce à ces droits fondamentaux pour protéger les profits d'une multinationale.

S’unir pour être plus forts contre l’industrie minière

Jusqu'à dimanche, des Autochtones de partout au Canada et aux États-Unis se retrouvent à Montréal pour échanger, parler de leurs batailles, mais aussi de leurs solutions face à l'appétit grandissant de l'industrie minière sur leurs territoires. Allier leurs forces n'a jamais été aussi important dans l'actuel contexte politique nord-américain.
Ces rencontres, ponctuées d'un nombre conséquent de conférences, se tiennent à l'occasion de la biennale du Western Mining Action Network, un organisme américain fondé en 1997 et dont le but est d'œuvrer à la protection de l'eau, de la terre et des êtres humains contre les effets de l'extraction minière.
La membre de la communauté shoshone estime que les Autochtones seront les premiers à souffrir de la transition écologique.
Par ailleurs, Earl Hatley, de l'organisme américain LEAD qui lutte contre l'exploitation minière principalement dans trois États américains (le Missouri, le Kansas et l'Oklahoma), souhaite que les Autochtones puissent avoir un droit de veto sur les projets miniers.
Nous constatons que les gouvernements canadien et américain font pression pour exploiter les terres rares qui se trouvent pour la plupart sur les territoires autochtones. Nous demandons le droit de dire non. L'exploitation minière est éternelle et elle crée un héritage permanent pour nos communautés. Une citation de Earl Hatley
George Lameboy, originaire de la communauté crie de Chisasibi, a justement souligné le manque de renseignements et de consultations concernant les projets miniers. Et ce, même lorsqu'il s'agit de la phase d'exploration, alors que les dégâts que nous observons, rien qu'à cette étape, suffisent à réveiller les occupants des territoires visés, dit-il.
Plusieurs d'entre eux ont aussi rappelé que l'un des matériaux qui suscitent les convoitises, l'or, n'est pas essentiel. La plupart ne sert qu'à fabriquer des bijoux et des lingots, affirme Jaime Lopez Wolters, un allochtone qui travaille pour un organisme qui vise entre autres à protéger la vallée de Yosemite, en Californie.
Des appels au rassemblement ont aussi été formulés, notamment par Fermina Stevens. Mon appel s'adresse aux gens, au grand public, aux Autochtones et aux non-Autochtones, parce qu'en fin de compte, tout le monde sera concerné. Nous devons donc tous nous réunir à un moment ou à un autre et déterminer comment nous allons procéder.
Plusieurs conférences sont ainsi prévues à ce sujet : comment mobiliser les membres des communautés concernées, comment créer une coalition diversifiée, comment affronter un nouveau projet minier, etc.
C'est formidable de se réunir avec des gens qui ont les mêmes idées et qui luttent contre les compagnies minières aux États-Unis et au Canada, de partager des histoires et des stratégies pour atteindre notre objectif de protéger la terre, les gens et la culture contre ces compagnies minières, ajoute Jaime Lopez Wolters.
Rodrigue Turgeon, qui est avocat pour MiningWatch, mais aussi coprésident du réseau Western Mining Action Network, estime que ces rencontres entre Autochtones de partout en Amérique du Nord sont très importantes.
On peut bien venir en tant que Blancs, experts, leur expliquer certaines choses, mais de toute évidence, on n'arrivera jamais à transmettre l'information aussi efficacement que si elle est transmise par d'autres Autochtones, explique-t-il avant d'ajouter que ce rassemblement est aussi l'occasion pour ceux qui sont aux prémices d'une lutte contre un projet minier de bénéficier des leçons de ceux qui sont sur ce champ de bataille depuis de nombreuses années.
Un sentiment ressort aussi chez différents intervenants : ils estiment qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et sur la mobilisation citoyenne.
Et surtout, la récente élection de Donald Trump à la présidence américaine et la montée en popularité des conservateurs au Canada n'augurent rien de bon pour les militants venus à Montréal.
Je n'ai pas d'espoir que le gouvernement nous sauve, laisse tomber Fermina Stevens.
Je ne pense pas que Trump ait la moindre considération pour l'environnement ou les peuples autochtones. Et je pense que la situation va s'aggraver au cours des quatre prochaines années.
Une citation de Fermina Stevens
La seule chose qu'on peut faire pour ralentir [les projets miniers], c'est la mobilisation citoyenne, une opposition solide et structurée. On a compris que personne ne peut nous aider, il y a juste nous autres, ajoute Louise Gagnon, une citoyenne septilienne opposée au projet Strange Lake (nouvelle fenêtre), qui verrait la construction d'une usine de transformation de terres rares dans le secteur de Sept-Îles (nouvelle fenêtre).
Earl Hatley, lui aussi, croit en la force de la base, du mouvement grassroot.
Quant à George Lameboy, une lueur d'espoir traverse son regard. Il y a environ une semaine, je n'avais aucune idée de tous les mouvements qui existent à travers l'Amérique du Nord concernant l'exploitation minière. J'espère donc obtenir des contacts et créer des alliances, dit-il.

Le Québec s’engage à éliminer le gaz fossile des bâtiments d’ici 2040, mais doit éviter les fausses solutions

La coalition Sortons le gaz est heureuse de constater que, profitant de la COP 29, le gouvernement du Québec est enfin passé de la parole aux actes pour sortir le gaz d'origine fossile du secteur du bâtiment neuf et existant d'ici 2040. En fixant un horizon clair pour l'élimination des énergies fossiles dans tous nos bâtiments, le gouvernement envoie un signal fort aux marchés, à la population québécoise et à la planète entière. Toutefois, la coalition remarque que le gouvernement continue de s'embourber dans les pièges de la biénergie et du gaz de source renouvelable (GSR).
Cette victoire significative pour l'environnement démontre à nouveau la force de la mobilisation de la société civile québécoise et l'engagement croissant des municipalités en faveur de la sortie du gaz de nos bâtiments. L'ère fossile est bel et bien derrière nous », souligne Andréanne Brazeau, analyste principale des politiques à la Fondation David Suzuki.
« L'annonce d'aujourd'hui est d'une importance capitale, marquant un engagement déterminé du gouvernement dans la décarbonation du secteur du bâtiment. Toutefois, il faudra faire preuve de vigilance pour que le recours au GSR ne devienne pas une béquille pour continuer d'alimenter le réseau en gaz fossile », note Charles-Edouard Têtu, analyste des politiques climatiques et énergétiques chez Équiterre.
Par son règlement, le gouvernement du Québec soutient l'ambition climatique des nombreuses municipalités qui, depuis deux ans, avaient déjà montré la voie à suivre et publié leurs propres règlements interdisant le gaz fossile dans les nouvelles constructions du secteur résidentiel (600 m2 et moins, 3 étages et moins), commercial et institutionnel. Il vient en plus lui donner une nouvelle ampleur, en s'attaquant également aux bâtiments existants, qui composeront toujours la grande majorité du parc immobilier du Québec en 2040. Il sera crucial que le règlement provincial permette aux municipalités de mettre en place des règlements plus ambitieux si elles le désirent.
Pour renforcer la cohérence de ce tournant, le gouvernement doit appuyer sa stratégie de décarbonation sur les solutions les moins émettrices de GES et les moins coûteuses telles que les thermopompes et les accumulateurs de chaleur. Ces alternatives sont également nécessaires pour éviter l'illusion d'une solution durable par le biais du GSR, laquelle, en réalité, retarde la transition vers des sources d'énergie véritablement renouvelables.
Enfin, comme la coalition l'a rappelé récemment, l'entente biénergie gaz/électricité s'annonce un échec et comporte plusieurs enjeux. « Pour arriver à éliminer 100 % du gaz fossile d'ici 2040, il ne suffit pas de l'interdire dans les nouveaux bâtiments. Le nerf de la guerre de cette transition, c'est le remplacement des systèmes au gaz en fin de vie. Ceux-ci doivent absolument être remplacés par des systèmes électriques, combinés à des programmes de gestion de la pointe et d'efficacité énergétique. Permettre leur remplacement par des systèmes utilisant du GSR, c'est vouer la population à dépendre d'une source énergétique dont les volumes seront très incertains et dont les coûts grimperont en flèche », ajoute Emmanuelle Rancourt, coordonnatrice de la coalition Sortons le gaz !
« Nous nous apprêtons enfin à unifier la sortie du gaz fossile du secteur des bâtiments neufs et existants. C'est une excellente nouvelle car c'est une solution qui va nous permettre de nous attaquer concrètement à 7 % des émissions de GES de la province. Par contre, il est clair que le gouvernement continue de se laisser guider par le mirage de la biénergie et du GSR. Or, nous n'aurons jamais la capacité de produire les volumes nécessaires de façon durable si nous nous entêtons à vouloir le gâcher dans le secteur résidentiel », rappelle Anne-Céline Guyon, analyste Climat-Énergie pour Nature Québec. »

Attaque en règle contre les travailleuses et travailleurs des postes : Postes Canada impose de nouvelles conditions d’emploi aux membres des deux unités de négociation

Aujourd'hui, vendredi 15 novembre, Postes Canada a informé le Syndicat qu'à partir de 8 h (heure de l'Est), les conventions collectives de l'unité urbaine et de l'unité des factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) ne s'appliquent plus. Vous découvrez donc aujourd'hui ce que ferait Postes Canada s'il n'y avait pas de syndicat ni de convention collective pour vous protéger.
L'attaque de l'employeur comprend ce qui suit :
– Annulation de la protection du régime d'assurance-invalidité de courte durée et de tous les régimes de soins de santé, pour vous et les membres de votre famille. Évidemment, ce sont les membres les plus vulnérables qui en pâtiront le plus. Ne l'oubliez pas lorsque l'employeur vous appellera « collègue ».
– Menace de « mettre à pied » certains employés et employées « permanents », de mettre fin à toutes les affectations des employées et employés temporaires et de réduire les heures de travail des employées et employés à temps partiel.
– Annulation des indemnités. Postes Canada n'a pas précisé quelles indemnités elle verserait. Celles-ci pourraient comprendre, entre autres, la prime de quart. Elle met également fin à la rémunération au taux double des heures supplémentaires.
– Annulation des congés annuels acquis et convenus. Postes Canada a déjà tenté de le faire dans le passé et un arbitre lui a dit qu'il s'agissait d'une violation du Code canadien du travail.
Bien que Postes Canada refuse d'honorer les congés annuels, en violation du Code, elle affirme qu'elle se conformera au minimum permis pour les autres congés. Si Postes Canada n'honore pas tous les congés prévus au Code canadien du travail, veuillez en aviser votre section locale.
Le Syndicat ne pouvait pas laisser ses membres exposés à de telles conditions. Postes Canada a montré ses vraies couleurs. L'employeur n'est pas votre ami.
Pour obtenir des mises à jour sur les négociations et d'autres nouvelles du Syndicat par courriel, abonnez-vous à Somm@ire : www.sttp.ca/fr/sommaire-sttp.
Solidarité,
Jan Simpson
Présidente nationale

Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades : corriger des injustices

Nous vous transmettons ce message au sujet de la campagne que l'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (uttam) vient de lancer pour corriger deux injustices qui appauvrissent les victimes de lésions professionnelles.
Le 15 octobre dernier, nous avons transmis une lettre à Jean Boulet, ministre du Travail, pour dénoncer :
– L'indemnisation sous le salaire minimum de plusieurs victimes parce que l'indexation qu'applique la CNÉSST ne suit pas les hausses du salaire minimum ;
– L'appauvrissement à la retraite que subissent toutes les victimes de lésions professionnelles parce que la CNÉSST ne verse pas les cotisations au RRQ.
Nous demandions au ministre Boulet des changements sur ces deux enjeux. N'ayant pas eu de réponse satisfaisante, nous lançons aujourd'hui une campagne de messages aux députés !
Ce que vous pouvez faire pour soutenir nos revendications :
À titre individuel, nous vous invitons à vous rendre ici : https://uttam.quebec/appauvrissement/lettre/index.php, à cliquer sur « Envoyez un message à votre député-e » et à suivre les instructions pour l'envoi du message par courriel.
Comme organisation, vous pouvez signifier votre appui formel à notre campagne et à nos revendications, en inscrivant cet appui ici. Nous vous ajouterons à la liste des groupes qui nous appuient.
Évidemment, nous vous encourageons fortement à inviter vos membres, vos contacts ou les gens qui sont sur vos listes de diffusion à envoyer un message à leur député, en diffusant le lien ! Pour une telle diffusion, nous vous suggérons un message, plus bas dans le présent courriel, que vous pouvez copier-coller et adapter librement.
Pour plus d'informations sur nos revendications et les enjeux de cette mobilisation, consultez le site de la campagne : https://uttam.quebec/appauvrissement/index.php
Merci de votre solidarité !
uttam
2348 rue Hochelaga
Montréal (Québec) H2K 1H8
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Les syndicats du Canada exigent le respect des travailleurs portuaires et des négociations équitables, sans ingérence politique

La décision prise aujourd'hui par le ministre du Travail Steven MacKinnon de mettre fin aux lock-out dans les ports de la Colombie-Britannique, de Montréal et de Québec et d'imposer l'arbitrage obligatoire est une mesure troublante qui sape les droits fondamentaux des travailleurs et des travailleuses en plus de souligner l'injustice économique croissante dans notre pays.
Les travailleurs et les travailleuses sont laissés pour compte alors que les entreprises engrangent des profits records ; c'est tout simplement injuste.
Trop de gens ont du mal à joindre les deux bouts. Il ne s'agit pas seulement des travailleurs portuaires, mais d'un système économique dans lequel le fossé entre les riches et les travailleurs ne cesse de se creuser.
Les travailleurs et les travailleuses se battent pour des salaires équitables, une sécurité de l'emploi et des lieux de travail sécuritaire – des droits fondamentaux qui ne devraient jamais faire l'objet d'un débat.
Personne ne prend à la légère la décision d'être en grève ou d'endurer un lock-out.
Cependant, leurs choix sont limités lorsque les employeurs refusent de s'engager dans des négociations équitables, en particulier lorsque ces mêmes employeurs ont bénéficié de profits exceptionnels pendant la pandémie.
Malgré les profits records qu'ils ont réalisés pendant la pandémie, les employeurs portuaires refusent toujours de s'engager dans des négociations de bonne foi, poussant les travailleurs au bord du gouffre.
Aujourd'hui, en recourant à l'arbitrage obligatoire en vertu de l'article 107, le gouvernement envoie un message dangereux : les employeurs peuvent contourner des négociations sérieuses, mettre leurs travailleurs en lock-out et attendre une intervention politique pour obtenir un accord plus favorable.
L'imposition d'un arbitrage contraignant ou d'une législation de retour au travail porte atteinte au droit des travailleurs à la négociation collective, ce qui affaiblit leur capacité à lutter pour des salaires équitables et des lieux de travail sûrs.
L'ingérence politique fait pencher la balance du côté des employeurs et crée un dangereux précédent. Les syndicats canadiens estiment que les solutions durables sont le fruit de négociations équitables, et non d'accords imposés par le gouvernement. Le gouvernement doit laisser la négociation collective suivre son cours pour protéger les droits de tous les travailleurs.
Les travailleurs portuaires demandent simplement ce qu'ils méritent : des salaires équitables, la sécurité de l'emploi et des conditions de travail sûres. Ces demandes ne sont pas déraisonnables, d'autant plus que les employeurs ont engrangé des gains financiers extraordinaires au cours des dernières années.
Les syndicats du Canada sont unis pour demander au gouvernement de respecter le Code canadien du travail et de permettre un processus de négociation collective équitable qui respecte les travailleurs et garantit qu'ils reçoivent leur juste part à une époque où les entreprises réalisent des profits records.
Les travailleurs méritent un accord équitable, et la seule façon de parvenir à une stabilité durable est le respect mutuel et les négociations de bonne foi.
Les travailleurs ne demandent pas la lune, ils demandent leur juste part à une époque où les entreprises sont extraordinairement riches. Le gouvernement doit prendre une décision : sera-t-il aux côtés des travailleurs ou continuera-t-il à faire pencher la balance en faveur de ceux qui en ont déjà plus qu'il n'en faut ?

L’art pour visibiliser les récits palestiniens

L'exposition P pour Palestine rassemble les œuvres de huit artistes d'origine palestinienne. Le projet est présenté au centre d'exposition Plein Sud à Longueuil, et cherche à rendre visibles des récits peu présents dans l'espace artistique et médiatique.
Tiré d'alter.quebec
Dans un contexte où les « voix palestiniennes sont souvent censurées ou peinent à se faire entendre », les commissaires Ariane De Blois et Muhammad Nour ElKairy ont voulu mettre en lumière le travail d'artistes d'origine palestinienne. Les douze œuvres présentées à Plein Sud ont été choisies pour leur rapport au langage, thématique centrale de l'exposition.
« L'exposition part du principe que le langage est politique », explique Ariane De Blois dans une entrevue pour Plein Sud. Les œuvres exposées utilisent en effet le langage comme moyen de visibilisation des réalités palestiniennes, s'interrogeant sur des questions telles que l'identité, la terre, l'exil, et le génocide.
Le langage prend toutefois des formes différentes selon les œuvres : manuscrit, numérique, audio, vidéo… On retrouve par exemple l'œuvre What the actual fuck ? de l'artiste Amal Al Nakhala, un journal de guerre mêlant texte et croquis sur les déplacements forcés qu'elle a subi avec ses proches. Il y a aussi l'œuvre Vibrations de Gaza, dans laquelle Rehab Nazzal filme des enfants sourds racontant les bombardements des forces israéliennes. Dans un autre registre, un extrait du livre Les racistes n'ont jamais vu la mer de Yara El-Ghadban est affiché.

Au niveau sonore, on entend dans la salle d'exposition des bruits de drones militaires et d'un clavier numérique en train d'être tapé, provenant de deux œuvres distinctes. Une ambiance qui mêle les sonorités de la guerre et de l'écriture, plongeant le public dans la problématique portée par l'exposition. Quant à la disposition des lieux, la salle d'exposition unique permet d'avoir une vision d'ensemble sur toutes les œuvres, et de s'y déplacer dans le sens souhaité. L'espace a été pensé comme une « agora », un « lieu de rencontres » autour des voix et des imaginaires palestiniens, selon les termes des commissaires d'exposition.
Un contexte particulier
Les locaux de Plein Sud étant situés dans le Cégep Édouard Montpetit, l'exposition accueille beaucoup d'étudiant·es. La directrice générale de Plein Sud, Hélène Poirier, juge cet emplacement dans un milieu scolaire « vraiment intéressant », étant donné la « mission éducative » de l'art contemporain, parfois trop isolé et réservé à une « petite élite ». Les professeur·es font également partie des visiteurs, ainsi que les amateur·ices d'art contemporain. Des groupes de nouveaux arrivants en francisation avaient aussi l'habitude de se rendre à l'exposition, mais les visites ont finalement été annulées en raison d'une « charge émotionnelle trop forte ».
C'est « la première fois qu'une de nos expositions est autant d'actualité », selon Hélène Poirier. Bien que l'art contemporain traite de plus en plus de questions sociopolitiques, P pour Palestine s'inscrit dans un contexte géopolitique et médiatique rare pour une exposition.
L'exposition P pour Palestine se tient jusqu'au 14 décembre au centre d'exposition Plein Sud à Longueuil, et en simultanée au centre d'artistes L'Œil de Poisson, à Québec, jusqu'au 15 décembre

Artistes pour la Souveraineté Alimentaire. Édition Nyéléni : « La Transformation Systémique, c’est MAINTENANT ou JAMAIS ! »

En avril 2025, lors du 3e Forum Global Nyéléni – l'événement le plus important du mouvement mondial pour la souveraineté alimentaire, la transformation systémique et la justice pour tou·tes – la Galerie Virtuelle Nyéléni sera lancée comme un espace pour les artistes engagé·es dans les luttes populaires.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Rejoignez la Lutte !
Jusqu'à présent, le processus Nyéléni a rassemblé des producteurs·trices alimentaires à petite échelle, y compris des paysan·nes, des pêcheur·es et des pastoralistes, ainsi que des Peuples Autochtones, des groupes féministes, des communautés racisées, des universitaires et des défenseur·euses des droits humains du monde entier. Il est temps de renforcer nos alliances et d'unir nos forces avec celleux qui résistent à l'oppression du système.
Appel aux Artistes !
Nous invitons les artistes de tous horizons à soumettre leurs œuvres sous divers formats avant le 31 janvier 2025, dans le cadre de l'« Appel : Artistes pour la Souveraineté Alimentaire – Édition Nyéléni. » Cette année, notre objectif est d'élargir l'appel pour englober les luttes interconnectées pour la justice globale et la transformation systémique, en soulignant que l'art et la culture sont des formes vitales de résistance et d'activisme. La galerie virtuelle Nyéléni s'inscrit dans et élargit le projet initié par La Vía Campesina (2021) et sera présentée lors du 3e Forum Global Nyéléni en 2025 .Les œuvres sélectionnées seront cruciales pour notre défense et notre mobilisation, suscitant la réflexion collective et remettant en question les narrations dominantes.
L'Intersectionnalité du Processus
Cet appel aux artistes vise à renforcer nos convergences en tant que mouvements sociaux revendiquant la souveraineté alimentaire, la protection de nos territoires et de nos corps, les droits des travailleur·euses, les droits des Peuples Autochtones, des consommateur·trices et des petit·es producteur·trices, ainsi que les luttes pour la justice climatique et environnementale, les économies sociales et solidaires, la paix avec justice sociale, la santé et le logement pour tou·te – dans les contextes ruraux comme urbains. Voici notre défi pour le 3e Forum Mondial Nyéléni : lorsque nous nous rencontrerons, il sera temps de tracer ensemble des agendas et des stratégies communes pour stopper les crises globales provoquées par ce système capitaliste, colonial et patriarcal. Avec l'art et la culture comme outils de lutte, nous sommes convaincu·es que nous pouvons favoriser le dialogue nécessaire pour avancer vers une transformation systémique, sans laisser personne de côté.
La Culture et Notre Lutte
Tout comme l'alimentation, le logement et la santé sont des droits fondamentaux, la culture l'est également, et elle est même un puissant outil de protestation. À travers elle, nous défions les fausses narratives soutenues par les gouvernements néolibéraux et néocoloniaux, ainsi que par leurs multinationales de l'agrobusiness et de l'extractivisme.
Pour mieux comprendre le lien entre la culture et nos luttes, examinons la racine du mot « culture », qui provient du verbe « cultiver ». À l'origine, cela désignait le travail humain en relation avec la nature – comment les gens plantaient, récoltaient et produisaient pour satisfaire leurs besoins. Au fil du temps, « culture » a évolué pour englober la culture de l'âme et des sens, liée aux pratiques artistiques. Cependant, elle a toujours maintenu son lien avec la nature et les liens humains essentiels.
Face à une logique capitaliste qui privilégie les profits au détriment de la vie, nos luttes s'élèvent, défendant la reproduction de la vie, embrassant les formes populaires, la diversité culturelle et le pouvoir transformateur des peuples.
Artistes, faites résonner votre voix !
L'« Appel : Artistes pour la Souveraineté Alimentaire – Édition Nyéléni » invite une large gamme de productions sous divers formats : chansons, clips musicaux, poèmes, peintures, photographies, illustrations, documentaires, podcasts, etc. Après la date limite de soumission, le 31 janvier 2025, les matériaux seront sélectionnés pour une exposition virtuelle en avril 2025.
Ceux-ci seront également présentés lors d'une exposition physique durant le 3e Forum Global Nyéléni. Pour soutenir le processus créatif, nous proposons cinq axes thématiques pour les soumissions, qui peuvent être des œuvres originales ou des créations antérieures alignées avec ces thèmes :
Les défis qui nous unissent : Le capitalisme, l'impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, le racisme, la militarisation et le patriarcat exploitent nos vies et ravagent nos territoires. Ensemble, nous brandissons la souveraineté alimentaire et la justice comme des armes de résistance et de transformation systémique, forgeant un monde où la vie fleurit et où la dignité est non négociable.
Notre chemin commun est de forger le Pouvoir Populaire : Cela implique d'assurer la souveraineté alimentaire, le droit des peuples à des aliments sains produits de manière durable et respectueuse des cultures et de l'environnement. Il s'agit de permettre aux communautés de décider de leur propre alimentation et d'assurer leur accès aux semences, à l'eau, aux terres et aux communs essentiels à la reproduction de la vie. Grâce à des pratiques agroécologiques, nous restaurons les sols et protégeons nos écosystèmes, contribuant à refroidir la planète. Le pouvoir populaire est aussi notre voie pour lutter contre le racisme, la discrimination et revendiquer des réformes agraires, les droits des communautés autochtones, paysannes, de pêcheur·euses, pastoralistes et de la diversité de genre, tout en promouvant des économies solidaires et garantissant une santé et un logement universels pour une véritable transformation systémique.
Solidarité et Justice : Nous défendons celleux qui protègent la vie sur nos territoires, luttant contre la marchandisation et financiarisation des droits fondamentaux et plaidant pour la justice sociale, de genre, climatique, environnementale, économique, fiscale, alimentaire, agraire, territoriale, de santé, migratoire, criminelle, du travail, interculturelle, politique et dans toutes ses formes.
Féminisme, Jeunesse et Diversités : Ces luttes garantissent la justice de genre, l'accès équitable aux communs, protègent la diversité de genre, de race et d'ethnicité, et restaurent le lien vital entre l'humanité et la nature. Il est crucial de mettre en avant leurs rôles interconnectés dans notre mouvement pour la transformation systémique.
Gouvernance Communautaire et Souveraineté Populaire : Les communautés ont démontré qu'il est possible d'adopter une forme alternative de gouvernance qui valorise la vie communautaire, l'environnement et la dignité de tous les peuples. Cette approche nécessite le développement et la mise en œuvre de politiques publiques qui s'alignent sur les luttes de base, basées sur des principes de droits humains, et incluent des systèmes alimentaires centrés sur les producteur·trices et les consommateur·trices, l'autogouvernance des Peuples Autochtones, la démocratie et la participation directe, la santé et le logement universels, l'autonomie financière de nos mouvements, et plus encore. Ce système nous a tous failli, mais nous avons toujours été – et continuons d'être – la solution.
L'Art comme Force de Transformation !
L'art a longtemps été une force vitale dans les luttes pour la justice, l'accès aux communs et la production alimentaire durable – se manifestant par des chansons collectives, des anniversaires, des rituels et des assemblées. Tout au long du processus Nyéléni, l'art a été un puissant vecteur de libération, entrelaçant nos histoires et nos aspirations. Nous avons besoin de productions artistiques qui visualisent et amplifient ces luttes, impulsant la convergence de nos mouvements populaires.
Les œuvres sélectionnées seront des outils puissants pour diffuser notre message et construire une formation politique en vue du 3e Forum Global Nyéléni en 2025. Elles uniront des efforts pour transformer le système hégémonique, garantissant la vie pour la nature et les générations futures, tout en rompant les chaînes de l'aliénation et de l'individualisme imposées par les médias de masse et les grands intérêts économiques en jeu.
Nous appelons à l'Action !
Envoyez vos propositions artistiques avec l'objet « Appel : Artistes pour la Souveraineté Alimentaire – Édition Nyéléni » à communications@foodsovereignty.org, en incluant les informations suivantes :
Titre de l'œuvre et l'axe thématique choisi
Nom complet de l'artiste
Pays
Optionnel : Organisation et profils sur les réseaux sociaux
Langue : Nous acceptons des œuvres dans les langues coloniales comme l'espagnol, l'anglais et le français, mais nous accueillons avec enthousiasme les langues locales, tant qu'elles incluent des traductions.
Formats : Vidéo, audio, Word, JPG ou PDF, sans filigrane.
Les représentant·es du processus Nyéléni valideront la sélection et la curation des œuvres artistiques pour la galerie virtuelle du 3e Forum Global Nyéléni, qui seront également incluses dans un catalogue numérique avec les crédits appropriés. Ces œuvres seront partagées avec les mouvements et les organisations sociales de notre processus afin de soutenir la sensibilisation et la mobilisation. Nous invitons les artistes à incarner la solidarité et l'internationalisme dans leur art, renforçant ainsi les luttes du peuple.
« La Transformation Systémique,
c'est MAINTENANT ou JAMAIS ! »
FR Appel aux artistes Nyéléni : Télécharger
https://viacampesina.org/fr/artistes-pour-la-souverainete-alimentaire-edition-nyeleni-la-transformation-systemique-cest-maintenant-ou-jamais/
Call for Artists for Food Sovereignty – Nyéléni Edition | Systemic Transformation is NOW or NEVER !
https://viacampesina.org/en/call-for-artists-for-food-sovereignty-nyeleni-edition-systemic-transformation-is-now-or-never/
Llamado Internacional : Artistas por la Soberanía Alimentaria – Edición Nyéléni : “¡La Transformación Sistémica es AHORA o NUNCA !”
https://viacampesina.org/es/llamado-internacional-artistas-por-la-soberania-alimentaria-edicion-nyeleni-la-transformacion-sistemica-es-ahora-o-nunca/
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Les animaux se dotent de l’arme nucléaire !

( En Afrique, au plus profond bunker de l'Histoire, se tient un Conseil de Guerre du règne animal)
– Chuuut ! j'entends un bruit, prévient la fourmi
- Vas -y- ! assure l'Okapi, c'est le forage de Total Energies
- Il va bousiller toutes nos galeries, dit le Fennec, ébahi.
- Ne vous laissez pas distraire ! rugit le Lion, l'heure est grave, continue - fourmi !
- Chuuut ! j'vous dis ! ce fracas sourd nous annonce de gros ennuis.
– Elle a raison la fourmi, avertit le casoar, le regard ahuri.
(Instant de silence pesant. Et soudain ! Une ombre étrange s'encastre dans l'embrasure de l'entrée de l'abri…)
- Aaaah ! ça fait du bien de se délester des ruines des merveilles de la cuisine, se libère l'hippopotame, Dember.
– Espèce d'idiot ! tu nous as foutus une sacrée trouille avec ta détonation scatologique ! grogne le plus puissant gorille de la Terre.
– Mes excuses, les Amis (es).
– On n'est pas en Ukraine ni au Moyen-Orient, Ya Baghaloune* ! s'offusque la vipère d'Orsini.
– Mais quelle andouille, ce lourdaud ? Faut l'virer du Conseil ! ordonne l'hyène, Dent'si
- La dernière fois que t'as baillé, t'as fait fuir tous les poissons de l'Ogooué, renchérit le Wapiti
- Il y va de notre survie, mugit le calao bicornis
– La prochaine fois, peste Wing, le Panda de Qinling, ne rapplique pas avec des Pampers, mais des feuilles de Raphia Regalis, t'as saisi ?
(Furieux, le lion tape de la patte sur la table )
– Plus jamais ça ! compris ? Il y a les guerres, la domination, la misère, les profits…
– Pourquoi tu rigoles, souris ?
- Vous n'allez pas me croire, chers (es) congénères. Le monde est à une encablure d'une guerre nucléaire, et présentement se tiennent les Journées mondiales des Toilettes à Paris !
( Tonnere de rires nourris)
- Ha, ha, ha, ha ha !
- Je vous jure que c'est vrai ! demandez à notre rapporteur, le Lama ?
- C'est l'exception française ! « La frensh touch 2024 ! »... Toz ! (Pardon) la COP 29 pour le climat !
- Assez rigolé ! enjoint le lion, la parole est de nouveau à la fourmi :
– Merci ! Chers (es) Congénères. Par mesures de confidentialité, je me vois dans l'obligation d'être concise. Chacun (e) de nous ici présent (e) peut se figurer l'ampleur de la démence qui s'empare de l'Humanité. En fissurant l'atome, l'Homme a rédigé le testament de son Apocalypse. La prolifération des armes de destruction massive, a le vent en poupe. Environ 12 121 ogives nucléaires se baladent dans le monde. Les 9 puissances s'en enorgueillissent impudemment.
Le risque de notre disparition par effet d'ineptie, est effectif. Face à ce paradigme démentiel, le Conseil de Guerre animalier a fait appel à notre éminence grise, le Corbeau calédonien Stein-Ein, réputé pour son intelligence. Sa découverte va donner des sueurs froides à nos ennemis (es).
La mise au point de cette technologie anticipatrice tournera en ridicule l'IA des Super Puissances.
Des années de recherche de Stein-Ein, se sont couronnées par un succès plus que « nobélisable ».
Je vous invite à vous lever en ce moment solennel pour l'annonce de la nouveauté révolutionnaire !
A vous de conclure honorable Corbeau calédonien :
- « Plus jamais, notre destin ne sera mis en péril ! A tous (es) mes congénères, je leur dis ceci :
Le mal est banni ! Notre arsenal nucléaire a une longueur d'avance. Il est truffé d'un système innovant déroutant : La « D.P.P.S » Détection Préventive de la Pensée Subversive ! Explicitement, dès que la pensée germe dans le cerveau de notre agresseur, notre système se déclenche automatiquement » .
– Waaaouh ! Ils vont faire dans leurs frocs, les Amerlocs ! murmure l'adorable Steenbock.
Texte et dessin : O.H
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* Ya Baghaloune : Espèce de bourricot, mule, pour caricaturer l'ignorance de quelqu'un en langue arabe dialectale.

Comptes rendus de lecture du mardi 19 novembre 2024


La tyrannie des droits
Brewster Kneen
Traduit de l'anglais
C'est mon deuxième bouquin de Brewster Kneen. Le premier, écrit en 2000, portait sur les aliments trafiqués - les OGM. La tyrannie des droits est encore une fois un essai qui porte à réfléchir, et cette fois particulièrement pour les gens de la gauche dont les "droits" desservent bien souvent les objectifs. Remettant en question le prétendu universalisme des droits de la personne, Kneen cite plusieurs exemples de sociétés non occidentales où la notion même de droit individuel est absente, au profit d'un langage de la responsabilité à l'égard d'autrui. Un livre à lire.
Un extrait :
Au Québec, la judiciarisation de la grève étudiante de 2012 a offert une triste illustration de la contamination du politique par le droit et du droit par les logiques du marché, alors que les tribunaux ont très largement interprété le droit à l'éducation comme le droit individuel de voir respecter le contrat unissant un client qui achète des services d'enseignement - et ultimement un diplôme - à une institution qui les lui prodigue. Ils battaient ainsi en brèche une vision collective du droit à l'éducation, comprise comme les fragiles conditions sociales et politiques assurant un accès universel à une éducation de qualité, notamment par l'instauration progressive de la gratuité.

No steak
Aymeric Caron
Ce livre est un vibrant plaidoyer en faveur du végétarisme, d'abord pour des raisons éthiques, mais aussi, de façon réaliste, pour des raisons de survie. Nous ne pouvons continuer de tuer des animaux en aussi grand nombre - et à les faire souffrir comme nous le faisons - sans considérer l'impact de cette pratique sur l'environnement. Nos ressources en terres et en eau ne suffiront plus à ce mode de consommation dans quelques décennies. On sait aussi aujourd'hui, fait non négligeable, que les élevages sont responsables de 18 % de la totalité des gaz à effet de serre. C'est selon l'auteur plus que l'ensemble des transports de la planète, qui sont eux responsables de 14 % de ces gaz à effet de serre.
Un extrait :
La consommation sans cesse croissante de viande aurait, paraît-il, un effet très positif : celui de lutter contre la faim dans le monde. Cette croyance est non seulement naïve, mais même carrément fausse. Depuis trente ans, tandis que la consommation de viande explosait, le nombre de personnes sous-alimentées a doublé. On estime qu'actuellement un milliard de personnes souffrent de malnutrition, et qu'un enfant meurt toutes les six secondes par manque de nourriture.
Le facteur Armageddon
Marci McDonald
Traduit de l'anglais
Armageddon, terme biblique, est un lieu symbolique du combat final entre le Bien et le Mal. Cette vision manichéenne du monde est celle d'une droite chrétienne déconnectée de la chrétienté moderne et de la réalité, droite qui était et demeure incarnée politiquement chez nous par le Parti conservateur du Canada. « Le facteur Armageddon » nous décrit cette influence croissante de la droite religieuse, en passe de devenir une force politique durable, avec ses politiques belliqueuses, misogynes, homophobes, liberticides, antidémocratiques et inégalitaires. Il nous rappelle aussi l'importance d'élire un autre parti que le Parti conservateur du Canada lors des prochaines élections fédérales.
Extrait :
Ce mouvement nationaliste en pleine croissance tire son énergie de la foi de ses membres, convaincus que la fin des temps annoncée dans l'Apocalypse est proche. Parés pour une fin du monde imminente, ils se donnent le devoir d'assurer au Canada un rôle unique, prescrit par les Écritures, en ces jours précédant le second avènement du Christ - et leurs idées s'arrêtent à peu près là. Cette obsession pour les préparatifs des derniers jours explique probablement pourquoi un millier de jeunes évangélistes ont pu se rassembler à Stanley Park, à Vancouver, en lançant des appels passionnés pour la fin de l'avortement et des relations sexuelles avant le mariage, tout en ignorant les dangers des changements climatiques. Pour eux. l'essentiel de l'évangélisme consiste à sauver les âmes pour la moisson finale, plutôt que de combattre les dangers qui menacent un monde de toute façon condamné.

Les Patriotes de 1837-1838
Laurent-Olivier David
« Les Patriotes de 1837-1838 », écrit un peu plus de quarante ans après les événements, possède toute la saveur de l'écriture et de la culture de l'époque. Ceux qui ne connaissent cette page essentielle de notre histoire qu'à travers le très beau film « 15 février 1839 » du réalisateur Pierre Falardeau adoreront ce bouquin qui nous ressemble et nous rassemble tellement. Un livre pour les amis de la liberté...
Extrait :
De toutes les assemblées publiques qui précédèrent l'insurrection, celle de Saint-Charles fut la plus importante. Elle précipita le dénouement en activant l'agitation et en décidant les autorités à intervenir. C'était l'assemblée des six fameux comtés confédérés de Richelieu, de Saint-Hyacinthe, de Rouville, de Chambly, de Verchères et de l'Acadie. Papineau, O'Callaghan , les chefs les plus distingués et les orateurs les plus populaires de la cause libérale y avaient été invités.
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Ukraine, mettre les compteurs à l’heure Trump

La « géopolitique » des États-Unis de Trump sera celle de « MAGA » — Make America Great Again — selon une logique à dominante dite « isolationniste ». Quelle y sera la place de l'Ukraine et de la guerre qui la ravage ?
Hebdo L'Anticapitaliste - 729 (14/11/2024)
Par Catherine Samary
Contrairement à d'autres guerres dont les États-Unis ont dû se retirer, la guerre en Ukraine n'est pas perçue aux États-Unis comme « leur » guerre. Trump n'est pas « concerné » par les « valeurs » hypocritement mises en avant par Biden pour « aider » l'Ukraine (tout en lui interdisant de viser des sites militaires russes d'où partent les missiles qui frappent les infrastructures et la population ukrainienne).
Trump ne se soucie pas non plus le moins du monde de critiquer le double langage de son prédécesseur en confrontant ces « valeurs » à la politique génocidaire d'Israël. Le racisme de Trump, envisageant d'interdire des vols amenant aux États-Unis des populations de pays arabo-musulmans, ne peut que conforter sa politique prosioniste.
Les intérêts matériels des USA d'abord
Ce sont des intérêts matériels perçus comme positifs pour son pays qui comptent à ses yeux. Même les rapports de connivence avec Poutine et la pénétration de la sphère trumpiste par la mafia et les services de sécurité russes n'impliquent aucune certitude.
Somme toute, il n'y a vis-à-vis de la Russie ni l'évidence d'une « nouvelle guerre froide » ni celle d'une quelconque amitié indéfectible (comme le disent les Chinois, non sans hypocrisie). Pas plus que le financement de l'Otan par les États-Unis trumpistes n'est assuré, l'aide à l'Ukraine ne fait partie d'une quelconque « obligation » politico-morale pour Trump et la population qui le soutient.
Un internationalisme par en bas nécessaire
Si l'aide des États-Unis baisse ou s'arrête, cela souligne combien sont importantes les tâches d'un internationalisme par en bas en lien avec les associations progressistes ukrainiennes, urgentes et essentielles. Car sous une forme ou une autre la résistance ukrainienne contre le pouvoir grand-russe se poursuivra — y compris par une guérilla permanente après un « cessez-le-feu » contraint. Pour une raison simple : la guerre est d'abord et avant tout une agression de la Russie contre l'Ukraine, niant son existence nationale et indépendante. Telle est sa nature fondamentale — et non pas un « proxy » de la géopolitique.
L'aide reçue des grandes puissances est limitée, fluctuante selon qui gouverne, et toujours « conditionnée » à des intérêts qui ne sont pas ceux d'une Ukraine indépendante et démocratique. Et c'est pourquoi notre solidarité implique d'abord une vigilance — rendue concrète et possible par notre indépendance envers tous « nos » gouvernements pour qu'aucune aide ne soit conditionnée par des politiques néolibérales. De même, nos camarades ukrainieNEs, au sein de la résistance contre la guerre, contrôlent toute concession « néolibérale » du pouvoir Zelensky contre une aide occidentale.
Une solidarité concrète
C'est pourquoi nous sommes pleinement en accord avec nos camarades de la gauche ukrainienne et à leur côté : leurs déclarations et actions depuis l'invasion russe expriment une lutte sur plusieurs fronts. Elle s'adresse au gouvernement ukrainien en toute indépendance critique, pour souligner, comme le fait O. Kyselov, que « la force principale » du pays contre l'agression russe « est intérieure ». Leurs appels soulignent — pour que la résistance soit efficace contre l'agression — l'importance d'une transparence égalitaire des conditions de la mobilisation.
Face à « nos » gouvernements, dont nous ne cessons de combattre les politiques réactionnaires, nous devons nous appuyer sur les pressions « politico-morales » en faveur de la résistance ukrainienne à une guerre d'agression pour relayer, avec nos camarades ukrainienNes, des demandes concrètes : l'annulation de la dette ukrainienne ; l'accueil de touTEs les réfugiéEs ; et face aux incertitudes de l'aide venant des États-Unis à l'Ukraine, l'envoi à ce pays de l'aide matérielle, militaire, financière qui lui permette d'affronter les missiles russes et l'hiver, alors que la moitié de ses infrastructures d'énergie ont été bombardées. Les liens directs avec les organisations progressistes, politiques, syndicales, féministes de la résistance ukrainienne sont établis depuis le début de la guerre via des réseaux solidaires. Les tâches d'un internationalisme par en bas sont plus que jamais essentielles.
Catherine Samary
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Sur l’armement de l’Ukraine et la lutte contre le militarisme

Le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (ENSU) a dénoncé l'invasion russe de l'Ukraine dès le début et soutient pleinement le droit ukrainien à l'autodéfense. La résistance armée du peuple ukrainien est juste. Elle ne s'inscrit pas dans le cadre d'une agression militaire de l'OTAN, des États-Unis ou de tout autre pays occidental, mais constitue une défense contre l'objectif de guerre déclaré du président russe Vladimir Poutine : reconquérir le « monde russe » fictif prétendument perdu lors de la dissolution de l'Union soviétique en 1991. Puisque la résistance armée de l'Ukraine est légitime, tous les États qui se considèrent comme démocratiques et respectueux des relations internationales régies par le droit ont la responsabilité d'aider le peuple ukrainien à vaincre l'invasion russe.
30 octobre 2024
L'ENSU demande donc à tous les gouvernements opposés à l'agression illégale de la Russie (qu'ils soient ou non membres de l'OTAN) de fournir à l'Ukraine les armes, les munitions et le soutien financier nécessaires pour expulser les forces d'invasion du territoire internationalement reconnu du pays.
Dans le même temps, la déclaration fondatrice de l'ENSU définit son orientation générale comme anticoloniale et opposée au « militarisme et à la concurrence impérialiste pour le pouvoir et le profit qui détruisent notre environnement et nos droits sociaux et démocratiques ». Comme les peuples pacifiques de tous les pays, nous ressentons l'urgence absolue de mettre fin à la rivalité des grandes puissances, au militarisme meurtrier et à la dévastation de l'environnement qu'elle engendre.
Apporter à l'Ukraine le soutien nécessaire pour vaincre la grande puissance russe qui s'est emparée de son territoire, a détruit ses infrastructures, assassiné son peuple et empoisonné ses terres et ses rivières n'est pas en contradiction avec cette perspective. Soutenir une Ukraine libre et indépendante n'exige pas non plus une augmentation permanente des dépenses militaires mondiales, l'enracinement de blocs militaires rivaux ou la promotion sociale et politique du militarisme - même si c'est le programme de certaines forces réactionnaires qui se présentent comme les champions de l'Ukraine.
Pour soutenir l'Ukraine sans déclencher une vague de militarisme, de chauvinisme et de profits de guerre, l'ENSU inscrit sa solidarité avec le peuple ukrainien dans une perspective antimilitariste opposée au réarmement des puissances impérialistes. L'ENSU affirme que :
- l'aide militaire à l'Ukraine peut initialement provenir des stocks et de l'armement actuellement fourni aux gouvernements menant des guerres d'agression condamnées par les Nations unies ;
- la production de toutes les formes d'armement peut, et doit, être nationalisée. Cela permettrait de mettre fin aux profits de guerre obscènes et au trafic d'armes et de soumettre la production et la livraison de matériel de guerre aux droits internationalement reconnus de la souveraineté nationale et à la nécessité de s'opposer aux guerres qui les violent ;
- dans le cas où les pays auraient réellement besoin d'augmenter leurs budgets militaires pour aider l'Ukraine ou pour se défendre contre les menaces du régime de Poutine, l'augmentation devrait être financée par une taxation accrue des couches les plus riches de la société. Le soutien à l'Ukraine ne doit pas devenir un prétexte à l'austérité qui nuit à la majorité sociale.
L'ENSU souligne également la nécessité d'une propriété publique de l'industrie de l'armement afin de permettre sa conversion - après avoir vaincu des guerres d'agression - en un outil inestimable de production socialement et écologiquement utile.
Telle est l'approche démocratique, socialement juste et internationaliste pour aider le peuple ukrainien à gagner.
C'est également l'approche qui aide le plus l'opposition anti-guerre en Russie, en montrant que l'objectif de l'aide militaire à l'Ukraine n'est pas d'envahir la Fédération de Russie ou de renforcer l'OTAN, mais simplement de vaincre l'agression de Poutine.
C'est la seule approche compatible avec l'objectif d'avancer au-delà du militarisme et de la guerre vers le seul horizon souhaitable pour l'humanité : celui de peuples et de nations coexistant pacifiquement sur une planète durable.

BRICS+, en passe de perspectives

Beaucoup de regards étaient tournés vers l'Est au cours du weekend du 22, 23 et 24 octobre 2024, alors que s'est tenue la 16e réunion des BRICS+ à Kazan en Russie. Malgré et à cause de l'élargissement, les BRICS+ n'arrivent pas à clarifier leurs perspectives. Le manque de cohésion de l'alliance semble entraver leur ambition d'alternative mondiale.
Les chefs d'État brésilien, chinois, russe, indien, iranien, émirien, sud-africain, éthiopien et égyptien étaient réunis à l'occasion du sommet annuel de l'alliance 1. Chaque pays est arrivé avec son propre agenda et a voulu tirer son épingle du jeu à la fin de ces trois jours. La complexité des BRICS+ réside dans son hétérogénéité. Elle serait un avantage pour la surmonter, considérant la volonté partagée de remodeler l'ordre mondial. Or, l'alliance ne réussit pas à s'imposer comme une alternative logique à l'Occident.
Une naissance circonstancielle
Ironiquement, ce sont les États-Unis qui ont amorcé la formation des BRIC. Jim O'Neill, un des économistes en chef de Goldman Sachs, réunit dans les années 2000 le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine sous l'acronyme BRIC pour distinguer ce groupe émergeant du reste du marché mondial. Cependant, le mérite ne revient pas uniquement aux États-Unis, puisque la collaboration entre ces quatre puissances est apparue indépendamment de la tutelle américaine.
Le premier sommet officiel des BRICS prit place en 2009 en Russie. Ce que les spécialistes ne comprennent pas tout à fait, c'est que les cinq puissances, l'Afrique du Sud ayant rejoint entre temps la bande des quatre, ne cherchaient pas un statut public. Il a fallu plus d'une décennie de rapprochement pour que la rencontre de 2009 confirme la naissance de ce front commun.
Aujourd'hui, les BRICS+ ont troqué l'ombre au travers de laquelle ils se sont construits. Ils réclament une place dans le système international. Malgré la médiatisation accrue autour des BRICS+, la critique qui revient souvent de la part des pays du Sud global sur l'alliance concerne le manque d'institutions et de structures claires, suscitant des questionnements quant à sa capacité à répondre aux attentes en matière de gouvernance alternative.
Lorsque ces pays prétendent être les successeurs des puissances occidentales traditionnelles, plusieurs pointent un minimum de matérialisation institutionnelle plus formelle. Certes, le projet de la Nouvelle banque de développement (NBD) s'inscrit en faux à une telle affirmation, Son incapacité à formaliser ses projets limite son potentiel transformationnel. La NBD n'est donc qu'un potentiel ad hoc gâché.
Neutralité comme mot d'ordre
Contrairement au MNA et à celui pour un Nouvel ordre économique international qui étaient guidés par un engagement politique, l'alliance BRICS+ est caractérisée par sa force économique. La dépolitisation de l'alliance n'est pas encore assumée, puisque les enjeux politiques sont toujours abordés lors des sommets. Toutefois, les États semblent s'engager timidement et défendent leurs positions à reculons.
Lors de ce 16ème sommet, la condamnation d'Israël sans utiliser le mot « génocide » a suscité l'indignation, surtout lorsqu'on sait que l'Afrique du Sud était de la partie. De même, la mise sous silence de l'invasion ukrainienne depuis 2022 conforte ce mutisme sélectif de l'alliance. Ce silence est d'autant plus frappant quand les BRICS+ choisissent de seulement dénoncer les actions des Houthis en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab. Rompre le silence uniquement lorsque des intérêts commerciaux sont en jeu relève d'un opportunisme, non pas d'un dévouement politique.
Dans cette même démarche de neutralité, les BRICS critiquent l'Occident pour son recours aux sanctions économiques à des fins politiques. L'alliance demande la levée des sanctions unilatérales, soulignant que ces mesures nuisent aux droits humains et entravent le développement des populations les plus vulnérables des pays ciblés. Alors que le droit international sert de fondement à ces réclamations, l'éthique des BRICS amène à s'interroger sur la cohérence de leurs positions face à leurs propres pratiques internes.
Front commun désuni ?
Les BRICS représentent avant tout un choix stratégique de leurs membres. Imaginer que ces États se réunissent chaque année par simple complaisance ne correspond pas à la réalité, tout comme supposer qu'ils partagent un consensus sur l'ensemble des enjeux abordés.
Au sein même de l'alliance, des rivalités refont surface, comme pour la Chine et l'Inde. Les deux puissances, en pleine période de froid diplomatique, ont cherché à rétablir un certain dialogue en marge du sommet. Cependant, un apaisement des tensions semble peu probable, après plus de quatre ans de dispute à propos de la frontière himalayenne.
Les divergences persistent également sur l'idéologie des BRICS. Alors que l'alliance s'est fondée sur un espoir postcolonial, les membres peinent à concorder leur vision d'un nouvel ordre mondial. Le Brésil et l'Inde demeurent prudents face à l'anti-occidentalisme prôné par la Russie et la Chine, privilégiant plutôt une stratégie de réforme des institutions existantes, sans confrontation directe avec l'ordre dominé par les États-Unis. Cela transparaît d'ailleurs dans la déclaration finale du sommet, qui ne remet en aucun cas en cause le Fond monétaire international et la Banque mondiale .
Le grand projet de monnaie commune des BRICS, qui avait suscité de vives discussions, a également généré des discordes. Quand le président brésilien Lula avait annoncé le projet au sommet de 2023, le scepticisme était déjà palpable. Un an plus tard, l'omission complète de celui-ci est notée. Certains membres craignant que cette monnaie, soit dominée par les intérêts des économies les plus influentes, comme la Chine, freinent la réflexion, renforçant ainsi les tensions de pouvoir au sein du groupe. Autant de désillusions qui éloignent les perspectives d'une coopération Sud-Sud réussie et d'un rebattement de cartes de l'échiquier mondial.
Note
L'Argentine a formellement refusé l'adhésion aux BRICS+ tandis que le statut de l'Arabie Saoudite au sein du groupe reste vague. Ont obtenu le statut de partenaires les pays suivants : Algérie, Biélorussie, Bolivie, Cuba, Indonésie, Kazakhstan, Malaisie, Nigeria, Ouganda, Ouzbékistan, Thaïlande, Turquie et Vietnam. [↩]

Quand La Presse+ trouve du « positif » dans la victoire de Trump

Donald Trump n'a pas encore été assermenté que nos milieux d'affaires et leurs porte-paroles dans les médias se montrent des plus serviles. Pour éviter les tarifs, ils se disent prêts à sacrifier la gestion de l'offre en agriculture lors des prochaines négociations du traité de libre-échange (ACEUM).
13 novembre 2024 | tiré de l'Aut'journal
Mais ils savent bien que ce ne sera pas assez pour assouvir l'immense appétit de Donald Trump. Alors, ils mènent une cabale dans les médias pour une augmentation des dépenses militaires et un accès subventionné aux ressources minérales stratégiques du Québec.
Stéphanie va-t'en guerre Grammond
La palme de la servitude revient à Stéphanie Grammond de La Presse+ pour son éditorial « Ce que Trump aura de positif pour le Canada » (2024-11-09). Et qu'est-ce qu'il y aurait de si « positif » pour le Canada dans cette élection ? Selon Mme Grammond, l'élection de Trump est « l'électrochoc nécessaire » à nos politiciens pour « mettre en place une véritable stratégie militaire », laquelle passe, bien entendu, par une augmentation des dépenses militaires pour atteindre le fameux 2% du PIB.
Sinon, aux abris !, nous prévient-elle, car Trump nous a prévenus : « En cas d'attaque, non, je ne vous protégerais pas. » Et qui menace de nous attaquer ? Mme Grammond ne le dit pas. Mais on imagine que, si on insiste, elle va agiter le spectre d'une invasion russe. La Russie, qui est incapable de vaincre l'Ukraine, va déferler dans le Grand Nord pour nous conquérir ! Allons, un peu de sérieux, Mme Grammond, le seul véritable ennemi du Canada, ce sont les feux de forêt. Le Canada n'a pas besoin de F-35, mais d'avions-citernes comme les Canadairs CL-215 et CL-415. Le Canada aura plus d'avions de chasse (88 F-35) que d'avions-citernes (60 Canadairs) !
Bien naïvement, l'éditorialiste essaie de nous faire croire qu'il sera possible d'encadrer cette augmentation des dépenses d'armements dans une « politique industrielle militaire », mais elle-même torpille son plan en rappelant qu'Ottawa a accordé à Boeing un contrat de neuf milliards $ sans appel d'offres pour le remplacement des appareils de patrouille maritime, plutôt que de confier le contrat à Bombardier qui était prête à relever le défi en adaptant son jet privé Global 6500.
Mme Grammond n'a pas encore compris que l'objectif de Trump n'est pas d'assurer la « défense de l'Occident », mais de procurer des contrats d'armements aux industries militaires américaines… situées aux États-Unis. Il a mis la barre à 2% du PIB, mais il a aussi évoqué de la hausser à 3% du PIB. La va-t'en guerre Grammond va-t-elle emboiter le pas ?
Mme Grammond se désole que le « prestigieux » (le qualificatif est le sien) Wall Street Journal s'en soit pris au Canada l'été dernier pour son non-respect de l'objectif fixé par l'OTAN sous la première administration Trump. Doit-on s'en étonner ? Le nom même du journal indique pourtant très clairement les intérêts qu'il défend.
Des gros cadeaux énergétiques
Dans l'espoir d'éviter l'imposition de tarifs et d'être copains-copains avec les États-Unis de Trump, les milieux d'affaires et leurs médias font miroiter auprès de l'Oncle Sam l'accès aux minéraux stratégiques du Québec et du Canada, sachant que les États-Unis, peu importe que l'administration soit démocrate ou républicaine, veulent mettre fin à leur dépendance de la Chine.
Déjà, sous l'administration Biden, le département de la Défense a investi dans deux mines au Québec. Attardons-nous à autre projet, qui est passé sous le radar, soit l'octroi par le ministre Fitzgibbon de 307 mégawatts à Hy2Gen sur la Côte-Nord.
L'hydrogène doit servir à la production d'ammoniac vert, qui sera transformé en nitrate d'ammonium, une substance utilisée comme explosif dans les mines.
Les 307 mégawatts constituent un bloc colossal d'électricité. Seul Northvolt, avec ses 354 mégawatts a obtenu plus. Trois cents sept mégawatts, c'est plus que la production du barrage de la Romaine-1 (270 MW) ou de celle du barrage de la Romaine-2 (245 MW) ou 2,3 fois la puissance nécessaire pour alimenter tous les véhicules électriques du Québec pendant la point hivernale (132 MW). Hy2Gen est une entreprise allemande, qui a des projets dans une douzaine de pays, mais pour le moment, comme Northvolt, peu de réalisations.
Des minéraux pour l'armement
Le boom minier à venir nécessitera énormément d'énergie. Il sera présenté comme une « contribution » à la transition énergétique, mais les minéraux rares et stratégiques iront en grande partie à l'industrie militaire. Alors, oubliez l'objectif la décarbonation des industries installées au Québec ! Sophie Brochu, l'ex-présidente d'Hydro-Québec, avait dénoncé un « Dollarama » de l'électricité, mais il s'agira plutôt d'un « Armorama ».
Revenons un instant à Stéphanie Grammond. Selon le Directeur parlementaire du budget à Ottawa, faire passer les dépenses militaires de 1,59 % du PIB d'ici 2026-2027 au 2 % fixé par Trump « nécessiterait un investissement annuel supplémentaire de 13 milliards $ » Une somme énorme, colossale, démesurée !
Que Mme Grammond nous indique dans quels programmes, elle suggère de couper, oui, de couper, car son « prestigieux » journal trouve le déficit fédéral déjà monstrueux. Dans les transferts en santé aux provinces ? Dans les subventions à l'habitation ? Où, madame Grammond ?

Syndicats, déréglementation et dialogue social en Ukraine

Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes. Vitaly Dudin est l'un de ces avocats pour qui l'idée de se battre pour la justice définit sa routine professionnelle. Cela ne devrait pas nous surprendre, car c'est le fondement de toute profession juridique. Cependant, ce qui fait de Vitaliy un avocat particulier, c'est sa compréhension du fait qu'il est impossible d'obtenir une justice individuelle sans une lutte commune pour les droits. Comme il le dit lui-même, les droits du travail sont des droits collectifs.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Vitaliy ne se contente pas de défendre les droits des employés, il leur enseigne également comment défendre leurs droits dans le cadre du cours Trudoborona. En outre, il participe activement au renforcement et à l'élargissement du mouvement des syndicats indépendants en Ukraine dans le cadre de son travail au sein du Mouvement social.
La conversation avec Vitaliy s'est avérée intense et peut être divisée en deux parties, de sorte que vous pouvez commencer par l'une ou l'autre.
Dans la première partie de l'entretien, nous avons discuté de ce que l'on peut appeler le passé : comment l'idée de la déréglementation des relations de travail s'est développée et, avec elle, l'idée de la suprématie de l'employeur sur les employés s'est enracinée.
La deuxième partie de notre conversation concerne le présent : les tendances dans les relations de travail après le début de l'invasion à grande échelle, à la lumière et sans la lumière de l'intégration européenne ; les tentatives de laisser les travailleurs seuls face aux employeurs par le biais de l'individualisation des relations de travail ; et le dialogue social comme une alternative difficile mais nécessaire.
Maria Sokolova
Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes
Jusqu'en 2022, pendant une décennie et demie, les responsables gouvernementaux se sont efforcés de déréglementer le marché du travail, de le rendre aussi « libre » que possible et de réformer radicalement la législation. On ne cesse de répéter que notre législation du travail date de l'Union soviétique, qu'elle est donc inefficace, rigide et qu'elle devrait être abandonnée, et que la société a besoin d'une nouvelle législation du travail. Je voudrais te poser quelques questions sur cette période : tout d'abord, qui a fait pression en faveur d'une déréglementation radicale ? Qui s'est opposé à cette idée ? Quelle était la logique de ces discussions ? Qu'est-ce qui a empêché la déréglementation complète du marché du travail ?
Le secteur de l'emploi en Ukraine est en déclin depuis un certain temps. Il s'accompagne d'un processus de désindustrialisation qui a débuté dans les années 1990 et se poursuit depuis lors avec une intensité variable. Moins il y a de personnes employées dans le secteur réel de l'économie, plus les voix se font entendre : « Dérégulons tout et simplifions la législation pour répondre aux besoins des employeurs qui existent ». Les employeurs les plus actifs étaient, d'une part, les grandes entreprises détenues par des oligarques et, d'autre part, de nombreux petits propriétaires, en particulier dans le secteur des services, qui n'avaient pas envie de constituer des effectifs importants. Les uns et les autres souhaitaient minimiser leurs obligations sociales. Pour les oligarques, le fait que les syndicats aient encore une influence assez forte constituait un défi de taille : les grandes entreprises comptaient de nombreux syndicats, des conventions collectives étaient conclues et, lorsque les entreprises ont été privatisées, les propriétaires prenaient souvent des engagements en matière d'investissement social. Un exemple est ArcelorMittal Kryvyi Rih, une entreprise qui a été privatisée avec la promesse du propriétaire d'investir dans l'amélioration de la santé, les sanatoriums et l'amélioration des conditions de travail.
Le nouveau propriétaire a donc dû investir non seulement dans les installations de production, mais aussi dans le soutien aux employés ?
Par exemple, il s'est engagé à améliorer les conditions sociales et de vie, et les syndicats ont été chargés d'en assurer le suivi. Mais pour les propriétaires de petites et moyennes entreprises, le problème réside dans le droit du travail lui-même. Ils ne veulent pas se plier aux règles d'embauche et veulent avoir toute latitude pour licencier. Ce sont ces deux groupes – l'oligarchie industrielle et les petites et moyennes entreprises – qui ont réclamé avec force la déréglementation de la législation du travail, en particulier l'adoption d'un nouveau Code du travail ukrainien.
Depuis le début des années 2000, les premiers projets de Code du travail ukrainien ont été élaborés pour remplacer celui de 1971. À mon avis, ces projets ont été influencés par les expériences russe et bélarus. Il s'agissait de grands « livres » assez détaillés qui contenaient certaines des garanties habituelles pour les employés. Ces projets devaient être adoptés avec le soutien de la plus grande confédération syndicale, la Fédération des syndicats d'Ukraine (FPU). À l'époque, il existait une certaine configuration des rapports de classe : de grands oligarques qui tentaient d'influencer la politique en utilisant l'expérience des réformes russes, et des syndicats qui ne s'opposaient pas à eux, mais coopéraient.
Ainsi, ces premiers projets de Code du travail s'inspiraient principalement des modèles russes et bélarus et convenaient généralement aux plus grands syndicats qui, de fait, ne remplissaient plus leur fonction de protection des salariés ?
En effet, les syndicats qui existaient étaient pour la plupart complémentaires à l'administration, servant les intérêts du capital et essayant de rendre les frictions entre les employés et l'administration moins perceptibles. Mais si l'on regarde vers l'avenir, la situation des syndicats est en train de changer lentement.
Je ne savais pas que le Code du travail avait été discuté dans les années 2000. J'ai toujours eu l'impression que l'élaboration du Code du travail était associée aux jeunes « progressistes » qui sont arrivés au pouvoir après 2014.
Tout a commencé plus tôt. Personnellement, j'ai commencé à suivre activement ce processus en 2008. En 2010 déjà, une nouvelle configuration des forces émergeait : Viktor Ianoukovytch est arrivé au pouvoir, l'a consolidée et a déclaré l'introduction de réformes du marché, y compris l'adoption d'un nouveau Code du travail. Toutefois, l'attitude généralement critique de la population à l'égard de l'équipe au pouvoir a empêché la mise en œuvre de ces plans. Cette dernière était considérée comme oligarchique, corrompue, anti-ukrainienne, etc., et la loi a donc été adoptée avec beaucoup de difficultés, ce qui a également affecté les perspectives portées dans le Code du travail.
Les mêmes idées de déréglementation des relations de travail ont été présentées à la sauce du « renouveau de l'Ukraine » uniquement parce que leurs promoteurs sont arrivés dans la foulée des événements révolutionnaires. En fait, ces réformes n'étaient pas très différentes de ce que Ianoukovytch avait proposé. On peut dire que cette « continuité » [des événements] a été l'un des facteurs qui ont empêché le nouveau gouvernement d'adopter des changements. Mais en 2014, le Maïdan a eu lieu, et de nombreuses personnes fanatiquement attachées aux idées du marché libre, du néolibéralisme et de la déréglementation sont arrivées au pouvoir. Un nouveau facteur est également apparu : les liens entre la Fédération des syndicats d'Ukraine et le gouvernement se sont considérablement affaiblis. Pour la première fois depuis longtemps, la Fédération a commencé à lancer des slogans de protestation contre le gouvernement, exigeant une augmentation du salaire minimum, qui était alors extrêmement bas. Le gouvernement a fait des concessions partielles et a porté le salaire minimum à 3 200 UAH en 2017. Par conséquent, les projets d'adoption du Code du travail n'étaient plus à l'ordre du jour, car les tensions socio-économiques étaient déjà fortes. Par conséquent, aucun changement majeur n'a eu lieu jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Volodymyr Zelensky, qui était accompagné d'un groupe de nouveaux réformateurs néolibéraux. Ces derniers ont pris autant de distance que possible avec le gouvernement « précédent » et ont été perçus comme la « voix de la raison » – ce qui, bien entendu, était discutable.
Je fais tout d'abord référence à Tymofiy Milovanov, qui a pris la tête du ministère de l'Économie et a immédiatement, à la fin de l'année 2019, « adopté » un projet de loi de l'Ukraine « sur le travail » proposant une conception nouvelle. Cette initiative a marqué un nouveau cycle de confrontation entre le gouvernement et les syndicats : depuis 2019, presque tous les syndicats ukrainiens s'opposent aux initiatives du gouvernement dans le domaine des relations de travail. Le nouveau projet de loi reposait sur l'idée d'une individualisation des relations de travail. Il permettait de convenir des motifs des heures supplémentaires et des heures de travail prolongées sur une base individuelle, et autorisait l'employeur à rappeler un employé lors de son congé ou même à le licencier sans raisons spécifiques. En effet, une personne pouvait être licenciée à tout moment lorsque cela convenait à l'employeur, pour autant que ce dernier ne remplisse que quelques conditions, telles que l'indemnité de licenciement. Cette situation a fortement exacerbé la confrontation entre le gouvernement et les syndicats et s'annonçait extrêmement dangereuse, car en 2019, l'équipe de Zelensky avait la majorité au parlement et pouvait facilement faire passer n'importe quelle loi. Mais c'est grâce aux manifestations de masse que ces innovations ont été bloquées.
Je considère que le fait que ce projet de loi sur le travail n'ait pas été adopté est une grande victoire pour les syndicats et tous les travailleurs ukrainiens. Cela a notamment été facilité par la démission de Milovanov au début de l'année 2020. Le 24 février 2022, l'Ukraine s'est donc retrouvée avec une législation du travail qui offrait aux travailleurs un niveau de protection beaucoup plus élevé. À mon avis, ce facteur a permis à l'économie ukrainienne de ne pas s'effondrer complètement et de préserver les collectifs de travail qui soutiennent directement la vie de la société.
Peut-on dire que l'association avec l'UE est une autre raison pour laquelle le nouveau Code du travail n'a pas été adopté et que cette déréglementation n'a pas eu lieu après 2014 ou en 2019, lorsque Milovanov est entré en fonction ?
Plus l'Ukraine a déclaré activement sa volonté de rapprochement avec l'UE, plus il a été facile pour les syndicats de faire appel à des normes de travail spécifiques soutenues par l'UE et l'Organisation internationale du travail. Il est également devenu plus facile de demander l'aide des syndicats internationaux, y compris la Confédération syndicale internationale et la Confédération européenne des syndicats. L'attention de ces puissantes organisations, qui comptent des millions de membres dans le monde, a refroidi notre gouvernement à plusieurs reprises. Des déclarations internationales ont été faites, des visites ont été effectuées en Ukraine – tout cela a rappelé nos politiciens à leurs obligations, en particulier la députée Galina Tretyakova, qui est sans aucun doute l'une des idéologues et adeptes de la déréglementation de la législation du travail en Ukraine.
Pourtant, en 2022, de nombreux changements avaient été apportés à la législation du travail : des changements ponctuels, souvent non systématiques. Dans quelle direction ont-elles fait évoluer le système – vers la déréglementation ou la protection ?
Il s'agit bien d'une déréglementation, c'est-à-dire de la volonté d'éliminer les règles qui semblent défavorables aux employeurs et qui restreignent leur liberté. Bien entendu, les relations de travail ne sont pas une question d'égalité – l'employeur sera toujours plus fort. Par conséquent, l'élimination des règles et du contrôle de l'État, ainsi que le nivellement de l'influence des syndicats, conduisent à ce que les employés souffrent et à ce que leur vulnérabilité soit ressentie de manière beaucoup plus aiguë. En 2021, j'ai préparé pour Commons un document intitulé « Chroniques de la déréglementation » consacré au 50e anniversaire du Code du travail. Il montre de manière interactive comment les droits des Ukrainiens ont été restreints – et il y a eu beaucoup de changements. Ce document illustre comment la protection des travailleurs a été sacrifiée au profit d'une plus grande flexibilité dans la prise de décision par les dirigeants1.
À propos d'aujourd'hui
Intégration européenne et droits du travail
J'entends souvent dire que les petites et moyennes entreprises non seulement ne veulent pas employer officiellement des travailleurs, mais qu'elles ne peuvent pas le faire parce que cela détruirait leur activité. Comment pourriez-vous répondre à cette thèse ? Est-elle vraiment vraie ?
Les mécanismes de protection des travailleurs offerts par la législation actuelle sont-ils vraiment totalement inadaptés aux petites entreprises ?
La thèse selon laquelle la législation du travail est inapplicable ou même nuisible aux petites entreprises est trop abstraite. Nous devons étudier la pratique, les faits réels. Nous devons comprendre de quel type de petite entreprise nous parlons. Bien sûr, il y a des entreprises indépendantes où le propriétaire de l'entreprise est directement impliqué dans le travail. Il y a aussi des cas où de grands capitalistes utilisent un réseau d'entrepreneurs individuels pour économiser des impôts et éviter les exigences réglementaires. C'est le cas des chaînes de magasins, des restaurants, d'autres établissements de restauration, etc. Les inquiétudes concernant l'impact négatif de la réglementation sur l'économie et l'emploi sont très discutables. En 2017, lorsque le salaire minimum a été doublé et que le Service national du travail a été doté de nouveaux pouvoirs pour lutter contre le travail non déclaré, il n'y a pas eu d'effets négatifs significatifs sur l'emploi en Ukraine. Au contraire, l'emploi a progressé ! Ces mesures ont peut-être choqué de nombreuses entreprises, mais en même temps, la plupart des entrepreneurs ukrainiens se sont adaptés, ont commencé à formaliser leurs relations avec leurs employés et à leur verser au moins le salaire minimum par crainte des sanctions. Je pense que des exigences plus strictes ne peuvent que contribuer à la transparence et motiver les employés à assumer des obligations spécifiques et à travailler en toute bonne foi. L'accord d'association [avec l'UE] fournit des lignes directrices claires : la nécessité de protéger les travailleurs, le dialogue social, la garantie de l'égalité, la lutte contre l'exclusion sociale et la lutte contre les diverses formes d'abus des entreprises.
Expliquez-nous nos engagements en matière d'intégration européenne. L'idée de déréglementer les relations de travail est-elle conforme aux principes de l'intégration européenne ?
Je pense que la déréglementation est en contradiction avec l'intégration européenne. En effet, l'intégration européenne repose sur les actes fondamentaux du droit primaire et secondaire de l'UE, qui parlent d'une lutte constante contre l'exclusion sociale et de la garantie de la cohésion sociale. Si nous intégrons l'Union européenne, et non pas, par exemple, les États-Unis d'Amérique, nous devons garder cela à l'esprit.
En 2014, l'Ukraine a signé un accord d'association avec l'UE, qui contient déjà certaines dispositions, notamment aux articles 419 et 420, concernant les priorités communes dans le domaine de l'emploi. Il ne s'agit pas d'une flexibilité incontrôlée en faveur de l'employeur, mais de soutenir le bien-être des employés. Dans le même temps, l'Ukraine s'est engagée à mettre en œuvre une douzaine de directives européennes dans le domaine des relations de travail. Ces directives concernent la lutte contre la discrimination, la création de conditions favorables pour les mères qui travaillent et les travailleurs mineurs, la santé et la sécurité au travail, les inspections du travail et la clarté des contrats de travail. L'une de ces directives traite également de la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales. En d'autres termes, il s'agit d'un paquet social-démocrate censé rendre la situation d'un employé plus prévisible.
La nuance est qu'au cours des dix années qui ont suivi la signature de l'accord, presque aucune de ces règles n'a été transposée dans la législation ukrainienne. Au cours de ces dix années, un certain nombre de directives européennes supplémentaires ont été adoptées, qui offrent une protection encore plus grande aux employés, mais nous ne sommes pas encore obligés de mettre en œuvre les directives adoptées après 2014. Cependant, la logique veut que si nous rejoignons l'UE, nous devrions adopter de nouvelles lois basées sur les meilleures normes européennes.
Et, bien entendu, aucune réforme ne peut être adoptée sans le consentement des syndicats. Et ce que nous avons fait en 2019 est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Dans l'UE, l'adoption de lois dans le domaine des relations de travail sans le consentement des partenaires sociaux est considérée comme une honte. Si les pays entreprennent certaines réformes risquées et s'écartent des dispositions établies, il doit y avoir des circonstances extraordinaires. Si ces réformes sont motivées par des facteurs tels qu'une crise financière, elles doivent avoir une forte justification socio-économique. C'est pourquoi l'UE, malgré son hétérogénéité et la présence d'idées néolibérales, maintient un équilibre grâce à certaines règles de procédure. Il n'est pas possible que des réformes néfastes pour les salariés soient adoptées sans discussion, sans protestation et sans l'attention des instances supranationales. Nous ne nous faisons pas d'illusions sur la nature de l'UE, mais nous savons qu'il existe des outils permettant d'équilibrer la situation.
Les relations de travail en temps de guerre : l'entreprise privée comme base de la sécurité nationale ?
Vous avez dit que si certains pays de l'UE s'écartent des normes acceptées, c'est qu'il doit y avoir des raisons extraordinaires à cela. Je crois savoir que pour le gouvernement ukrainien, la guerre est devenue une telle raison. Comment le gouvernement a-t-il modifié la réglementation des relations de travail dans le contexte de la loi martiale ?
Dans des conditions démocratiques normales, les propositions élaborées par Galina Tretyakova n'auraient pas été adoptées. C'est elle qui a contribué à l'élaboration de diverses initiatives de déréglementation avant 2022 et après la déclaration de la loi martiale en Ukraine. Tout d'abord, il convient de prêter attention à la loi ukrainienne n°2136 du 15 mars 2022 sur l'organisation des relations de travail sous la loi martiale, qui a introduit un certain nombre de restrictions strictes, bien que temporaires, aux droits et garanties des employés et des syndicats. Bien sûr, elle est très proche de l'idéal des relations de travail professé par les hommes d'affaires libéraux. Pour eux, l'employeur ne doit rien à personne, l'État ne doit pas intervenir dans les relations de travail et les syndicats doivent jouer un rôle symbolique. Cette décentralisation de la réglementation engendre le chaos et l'arbitraire.
En ce qui concerne la dérogation à certains droits dans le cadre de la loi martiale, les instruments internationaux, tels que la Charte sociale européenne (révisée) de 1996, prévoient la possibilité de déroger à certains droits en cas de menace pour la sécurité nationale. La guerre, bien sûr, est une circonstance qui exige la consolidation de toutes les ressources de l'État pour repousser l'agresseur et préserver l'indépendance. Dans le même temps, la Charte stipule que les restrictions aux droits doivent être imposées dans la mesure nécessaire pour prévenir l'agression. En d'autres termes, nous devons examiner de manière critique chacune des restrictions imposées pour voir si elle répond au critère de la nécessité sociale. En règle générale, les restrictions aux droits sont autorisées lorsqu'elles poursuivent un but légitime, utilisent des moyens légitimes et présentent un degré raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but. La proportionnalité est le principe essentiel sur lequel le législateur doit s'appuyer pour restreindre certains droits et libertés. Dans notre cas, il me semble que ce critère a été négligé. En mars 2022, une loi aggravant la situation des employés a été présentée à la Verkhovna Rada et a été adoptée à huis clos quelques jours plus tard. En mars 2022, la situation de l'Ukraine était extrêmement difficile. Chaque jour était devenu une lutte pour la survie. Des millions de personnes ont fui la zone de guerre pour se réfugier dans des régions plus sûres ou à l'étranger. Il n'était plus question d'exercer un contrôle public sur le parlement. Le parlement se réunissait sans annonces publiques et les citoyens ne pouvaient prendre connaissance des décisions prises qu'avec beaucoup de retard. Il me semble que Tretyakova a su profiter de l'occasion pour réaliser ses fantasmes libéraux. On ne sait toujours pas qui a voté en sa faveur. La loi a été adoptée immédiatement en deuxième lecture. Cela signifie que toutes les factions représentées au parlement ont accepté son adoption en tant que base et dans son ensemble.
Bien entendu, la justification fournie dans la note explicative était très vague. De nombreuses questions se sont posées : pourquoi aider les employeurs privés à augmenter le temps de travail, à simplifier la procédure de licenciement sans l'accord des syndicats ou pendant un congé de maladie, et à annuler les conventions collectives ? Il n'y a toujours pas de réponse claire à ces questions. Cela soulève de sérieux doutes quant à la légitimité et à la validité de la loi. À mon avis, dans un pays démocratique, le gouvernement et le parlement auraient dû préparer un rapport ou un avis expliquant pourquoi ces restrictions restent nécessaires.
Vous avez dit que la Charte sociale européenne permet de déroger à ses dispositions en cas de menace pour la sécurité nationale. Peut-on dire que dans l'esprit de nos responsables, la sécurité nationale est désormais la sécurité des entreprises ? Après tout, il semble qu'avec cette déréglementation, ils aient voulu sauver avant tout le secteur privé, et non, par exemple, l'emploi.
Je suis d'accord pour dire que, dans cette affaire, les intérêts des employeurs, en particulier des employeurs privés, ont été identifiés à tort avec les intérêts du peuple ukrainien dans son ensemble. Je suis convaincu que la mise en place d'une économie de guerre dans un conflit de grande ampleur nécessite le plein-emploi. Nous devons nous assurer que toutes les ressources humaines sont utilisées pour rapprocher la victoire. Nous n'avons pas cette priorité. Au lieu de cela, des mesures ont été introduites qui poursuivent des intérêts économiques à court terme, telles que la réduction des droits salariaux, de l'emploi et des congés, toutes ces mesures étant prises pour économiser de l'argent aux entreprises. Cette loi a créé une tentation pour les employeurs d'abuser de ces décisions impopulaires en les prenant sans le consentement des partenaires sociaux, alors même que l'unité de la société est plus importante que jamais. En outre, la limitation stricte des allocations de chômage à un maximum de trois mois et au salaire minimum a effectivement découragé de nombreuses personnes de s'inscrire auprès des centres pour l'emploi. L'État n'a donc pas été en mesure d'offrir à ces personnes un travail d'intérêt public. Il existe différentes catégories de travaux publics qui prennent une importance particulière en temps de guerre : de l'aide aux entreprises de défense au déblaiement des décombres, en passant par les soins aux blessés et l'aide aux victimes. Ainsi, cet instrument des « travaux publics » ne fonctionne pas en Ukraine, comme cela a été le cas aux États-Unis sous Franklin Roosevelt.
Il s'agit d'une contradiction évidente entre, d'une part, les choix de la déréglementation, de la réduction des coûts pour les employeurs et de la mise en œuvre de l'austérité et, d'autre part, les intérêts à long terme du peuple ukrainien. Je donnerai un exemple récent de la manière dont l'État essaie d'économiser de l'argent sur les gens en sapant la confiance dans les institutions gouvernementales en tant que telles. La loi ukrainienne n° 2980 du 20 mars 2023 sur l'aide financière unique pour les dommages causés à la vie et à la santé des employés des infrastructures critiques, des fonctionnaires et des représentants des autorités locales à la suite de l'agression militaire de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a été adoptée, mais le Fonds de pension de l'Ukraine, représenté par ses organes, tente d'éviter les paiements aux victimes de l'État agresseur dans les secteurs de l'énergie, de la défense et des transports en exploitant les lacunes de la législation. Par exemple, en prétendant que certaines entreprises ne font pas partie des infrastructures critiques parce qu'elles ne figurent pas dans le registre classifié2. Oui, ils économiseront de l'argent aujourd'hui, mais la question se pose : les gens voudront-ils travailler dans ces industries socialement importantes à l'avenir ?
Vous consacrez beaucoup de temps à la protection des travailleurs des infrastructures critiques et au-delà. Pourriez-vous nous parler des tendances que vous observez actuellement dans les relations de travail ?
Le principal résultat de mes observations de ce qui se passe dans la sphère sociale et du travail a été la création de ce que l'on appelle la « Liste noire des employeurs » publiée sur le site web du Sotsialnyi Rukh. Vous pouvez y lire des informations sur les employeurs qui ont osé abuser des innovations honteuses prévues par la loi n°2136 pour la période de la loi martiale. D'après l'analyse de la pratique des tribunaux, d'autres sources ouvertes et la communication avec des collectifs de travailleurs, l'abus le plus courant est la suspension des contrats de travail, lorsque les employés sont privés de la possibilité de travailler et ne reçoivent pas leur salaire. Je sais que dans environ 50% des cas, ces suspensions sont contestées. Heureusement, les tribunaux analysent chaque cas assez scrupuleusement. En outre, les cas de modification des conditions de travail essentielles sans préavis de deux mois sont fréquents. Cela signifie qu'un employé est informé du jour au lendemain d'une réduction de moitié de son temps de travail et, s'il n'est pas d'accord, il est licencié avec une indemnité de licenciement. Ces cas ont été particulièrement nombreux dans le secteur public, notamment dans le domaine des soins de santé. Des personnes ont été confrontées à la détérioration de leurs conditions de travail, ce qui les a poussées à démissionner.
Il est également courant que les employeurs suspendent certaines dispositions des conventions collectives. Cette pratique a été utilisée par des entreprises telles que Ukrzaliznytsia [exploitant du réseau ferroviaire ukrainien], la centrale nucléaire de Tchernobyl, de nombreux hôpitaux ukrainiens et Nova Poshta. Il y a eu très peu de cas de contestation de ces actions devant les tribunaux, à l'exception des poursuites contre Ukrzaliznytsia², dans lesquelles le syndicat libre des cheminots d'Ukraine a réussi à faire déclarer illégales les actions unilatérales de leurs patrons. Il n'est pas rare non plus que les employeurs refusent d'accorder des congés à leurs employés, au motif que leur entreprise ou institution est une infrastructure critique. Dans ce cas, les employeurs sont souvent de mauvaise foi et ne fournissent pas la preuve que leur entreprise est inscrite au registre correspondant. Les employés des tablissements d'enseignement, par exemple, ont été privés de ces congés. Très souvent, il s'agissait de congés sans solde, lorsque les gens partaient à l'étranger pour se sauver et sauver leur famille.
Le dialogue social contre l'individualisation des relations de travail
Vous avez évoqué l'individualisation des relations de travail et du dialogue social. Pouvez-vous nous dire en quoi l'individualisation menace le marché du travail et les salariés ? Parce qu'il y a une perception selon laquelle « c'est une bonne chose, chacun pourra négocier comme il l'entend », d'une part, mais d'autre part, comment le dialogue social s'articule-t-il avec tout cela ?
L'individualisation des relations de travail crée l'illusion que l'employé, tout comme l'employeur, peut influencer les conditions de travail. Cela peut fonctionner pour les stars d'Hollywood ou les footballeurs de haut niveau, mais pas pour les infirmières, les enseignants ou les cheminots dont le travail est extrêmement important pour la société. Si l'employeur est autorisé à introduire des motifs supplémentaires de licenciement, d'heures supplémentaires ou de rappel en congé avec le « consentement » du salarié, cela signifie qu'il devra obtenir ce « consentement » dans chaque cas individuel lors de l'embauche, pour ainsi dire, volontaire et obligatoire. Il est très difficile pour un employé de « mesurer ses forces » lorsqu'il souhaite obtenir un emploi. Cela peut donc entraîner une distorsion des droits en faveur de l'employeur.
En Ukraine, cette individualisation est partiellement mise en œuvre. Par exemple, en juillet 2022, une loi a été adoptée sur les contrats de travail à horaires variables, qui obligent les employés de travailler non pas en permanence, mais uniquement lorsque l'employeur en a besoin. Dans le cadre de ces contrats, le salaire de l'employé peut même être inférieur au salaire minimum. En outre, des motifs de licenciement supplémentaires non prévus par le droit du travail peuvent être appliqués, ce qui est contraire aux règles de l'OIT. En outre, pour la période de la loi martiale, un « régime simplifié de réglementation des relations de travail » a été introduit pour les entreprises comptant jusqu'à 250 employés. Je ne sais pas dans quelle mesure ce régime est utilisé, mais il semble attrayant pour les employeurs, car de nombreuses choses, telles que les heures supplémentaires ou la responsabilité en cas de divulgation de secrets commerciaux, peuvent être convenues au niveau d'un contrat de travail individuel. Je ne vois pas en quoi de telles mesures permettront une avancée tangible dans la sphère économique ou la création d'un grand nombre d'emplois. Tout reste à peu près au même niveau qu'à la fin de l'année 2022 : beaucoup d'offres d'emploi non pourvues et un nombre très modeste de personnes officiellement employées – environ 8 millions. Dans le même temps, la proportion de personnes gagnant le salaire minimum ou ayant des revenus inférieurs au salaire minimum augmente. En d'autres termes, la déréglementation, cet encouragement à des conditions d'emploi plus flexibles, n'a pas conduit à une croissance fulgurante de l'emploi. Il y a donc lieu de se demander si cette stratégie fonctionne vraiment lorsque l'on laisse tout « au hasard ».
Parlons du dialogue social. La guerre est un défi pour l'ensemble de la société, ce qui signifie que l'ensemble de la société devrait supporter le fardeau de la guerre et déterminer la direction du mouvement. Il serait utopique d'espérer que le gouvernement, en collaboration avec des cercles d'affaires proches, puisse trouver des solutions systémiques. Le dialogue social est donc une nécessité pratique dans un conflit de grande ampleur si l'on veut que les décisions prises par les autorités soient perçues comme légitimes, légitimes et justes. Malheureusement, il existe des innovations telles que l'introduction d'une réserve [exemption de mobilisation] économique. Elles provoquent un clivage dans la société parce qu'elles ont été élaborées sans tenir compte de l'avis des syndicats.
Le besoin de dialogue social est déjà objectivement déterminé par les circonstances actuelles et les impératifs de l'intégration européenne. Pour l'UE, les consultations entre les partenaires sociaux dans la prise de décision sont la priorité numéro un. Or, ce qui se passe en Ukraine est exactement le contraire. Un exemple récent est l'élaboration du projet de budget pour 2025, qui prévoit le gel du salaire minimum et du minimum vital pendant 3 ans, jusqu'en 2027. Une telle décision, bien sûr, sape encore plus le désir des gens de travailler en Ukraine et montre que le gouvernement méprise ouvertement l'opinion des syndicats. Le fossé entre la société et le gouvernement se creuse.
Et comment un travailleur ordinaire peut-il participer au dialogue social ?
Il existe trois niveaux de dialogue social : local, sectoriel et national. Bien sûr, il est plus facile pour un employé ordinaire de participer à ces procédures au niveau local en devenant membre d'un syndicat. Et je peux vous assurer qu'il existe des exemples où le dialogue social au niveau local fonctionne réellement et apporte certains avantages aux employés. Je citerai des entreprises comme Ukrzaliznytsia, où un grand nombre de syndicats tentent de freiner la volonté du propriétaire d'annuler certains avantages prévus dans la convention collective de cette entreprise de plusieurs milliers d'employés. Il y a aussi Energoatom [Compagnie nationale de production d'énergie nucléaire], qui est aussi directement liée à la pérennité de l'économie ukrainienne, et où il y a aussi un puissant syndicat qui contrôle toutes les décisions prises par l'administration. Ce dialogue entre les parties rend difficile toute prise de décisions qui pourraient aggraver la situation des employés.
Si nous parlons d'entreprises plus petites, je voudrais attirer l'attention sur un hôpital dans le district de Derazhnyansky, dans la région de Khmelnytsky. Un syndicat très militant y est affilié au mouvement des infirmières Sois comme Nina. Étant donné que leur convention collective contient de solides garanties procédurales, le syndicat exige que toute décision modifiant les conditions de travail essentielles soit prise en accord avec lui. C'est le cas, par exemple, pour le transfert de personnel à temps partiel. Bien sûr, la direction essaie de faire passer certaines décisions pour économiser sur les salaires, mais la convention collective reste en vigueur, et le syndicat et le conseil du travail en tirent parti. J'ai également entendu parler d'un cas à l'usine Leoni, qui est impliquée dans l'industrie automobile – elle opère également à Stryi, dans la région de Lviv. Au début de la guerre, l'employeur a pris des mesures qui ont aggravé la situation des employés, notamment en essayant de suspendre certains avantages prévus par la convention collective. Cependant, le syndicat a amené l'employeur à la table des négociations et a réussi à préserver certaines garanties pour ses membres.
Voyez-vous des perspectives de développement du dialogue social en Ukraine à l'heure actuelle ?
En conclusion, je voudrais dire qu'au cours de ces presque trois années, une strate de dirigeants syndicaux assez puissants a émergé en Ukraine, qui s'est habituée à travailler dans des circonstances d'incertitude totale et où l'État soutient les employeurs. Je pense que si ces personnes survivent à ces temps difficiles, elles seront en mesure de créer des structures fortes pendant la période de reconstruction d'après-guerre, qui exigeront de meilleures conditions de travail et l'égalisation des salaires avec la moyenne européenne. Aujourd'hui, le salaire moyen dans l'UE est d'environ 2 000 euros, et il me semble qu'au moins les travailleurs des infrastructures critiques et des industries d'exportation devraient recevoir au moins la moitié de ce montant, soit au moins 1 000 euros par mois.
Si nous voulons avancer sur la question des conditions de travail, nous devons imposer certaines obligations aux entreprises qui bénéficient de l'achat de biens et de services sur les fonds budgétaires par le biais du mécanisme d'appel d'offres. En particulier, nous devrions exiger que les accords d'adjudication prévoient la minimisation des accidents dans l'entreprise, que les employés soient impliqués dans la prise de décision et que les salaires soient également alignés sur les indicateurs européens. C'est ce que j'entends par des changements qui profiteront à l'ensemble de la société.
11 novembre 2024
Publié par Commons
Illustration Katya Gritseva
Traduction Patrick Le Tréhondat
1 Le récit sur la déréglementation des relations de travail et la destruction de l'État-providence aujourd'hui peut également être trouvé dans la conférence de Vitaliy :
https://www.youtube.com/watch?v=dO4e_M3iMLs
2 Pour bénéficier d'un tel paiement unique, l'entreprise ou l'institution où travaillait le travailleur blessé doit être inscrite au registre des infrastructures critiques. Le fonds de pension, interprétant la loi de manière restrictive, a massivement refusé des paiements si l'installation n'était pas inscrite au registre au moment de la tragédie. Pour plus de détails sur cette situation, voir l'article de Vitaliy :
https://rev.org.ua/garanti%d1%97-dlya-pracivnikiv-kritichno%d1%97-infrastrukturi/
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Syndicats, déréglementation et dialogue social en Ukraine.

Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes. À propos d'aujourd'hui Intégration européenne et droits du travail. Dans la première partie de l'entretien, nous avons discuté de ce que l'on peut appeler le passé : comment l'idée de la déréglementation des relations de travail s'est développée et, avec elle, l'idée de la suprématie de l'employeur sur les employés s'est enracinée.
Tiré de Entre les lignes et les mots
La deuxième partie de notre conversation concerne le présent : les tendances dans les relations de travail après le début de l'invasion à grande échelle, à la lumière et sans la lumière de l'intégration européenne ; les tentatives de laisser les travailleurs seuls face aux employeurs par le biais de l'individualisation des relations de travail ; et le dialogue social comme une alternative difficile mais nécessaire.
Maria Sokolova
À propos d'aujourd'hui Intégration européenne et droits du travail
J'entends souvent dire que les petites et moyennes entreprises non seulement ne veulent pas employer officiellement des travailleurs, mais qu'elles ne peuvent pas le faire parce que cela détruirait leur activité. Comment pourriez-vous répondre à cette thèse ? Est-elle vraiment vraie ?
Les mécanismes de protection des travailleurs offerts par la législation actuelle sont-ils vraiment totalement inadaptés aux petites entreprises ?
La thèse selon laquelle la législation du travail est inapplicable ou même nuisible aux petites entreprises est trop abstraite. Nous devons étudier la pratique, les faits réels. Nous devons comprendre de quel type de petite entreprise nous parlons. Bien sûr, il y a des entreprises indépendantes où le propriétaire de l'entreprise est directement impliqué dans le travail. Il y a aussi des cas où de grands capitalistes utilisent un réseau d'entrepreneurs individuels pour économiser des impôts et éviter les exigences réglementaires. C'est le cas des chaînes de magasins, des restaurants, d'autres établissements de restauration, etc. Les inquiétudes concernant l'impact négatif de la réglementation sur l'économie et l'emploi sont très discutables. En 2017, lorsque le salaire minimum a été doublé et que le Service national du travail a été doté de nouveaux pouvoirs pour lutter contre le travail non déclaré, il n'y a pas eu d'effets négatifs significatifs sur l'emploi en Ukraine. Au contraire, l'emploi a progressé ! Ces mesures ont peut-être choqué de nombreuses entreprises, mais en même temps, la plupart des entrepreneurs ukrainiens se sont adaptés, ont commencé à formaliser leurs relations avec leurs employés et à leur verser au moins le salaire minimum par crainte des sanctions. Je pense que des exigences plus strictes ne peuvent que contribuer à la transparence et motiver les employés à assumer des obligations spécifiques et à travailler en toute bonne foi. L'accord d'association [avec l'UE] fournit des lignes directrices claires : la nécessité de protéger les travailleurs, le dialogue social, la garantie de l'égalité, la lutte contre l'exclusion sociale et la lutte contre les diverses formes d'abus des entreprises.
Expliquez-nous nos engagements en matière d'intégration européenne. L'idée de déréglementer les relations de travail est-elle conforme aux principes de l'intégration européenne ?
Je pense que la déréglementation est en contradiction avec l'intégration européenne. En effet, l'intégration européenne repose sur les actes fondamentaux du droit primaire et secondaire de l'UE, qui parlent d'une lutte constante contre l'exclusion sociale et de la garantie de la cohésion sociale. Si nous intégrons l'Union européenne, et non pas, par exemple, les États-Unis d'Amérique, nous devons garder cela à l'esprit.
En 2014, l'Ukraine a signé un accord d'association avec l'UE, qui contient déjà certaines dispositions, notamment aux articles 419 et 420, concernant les priorités communes dans le domaine de l'emploi. Il ne s'agit pas d'une flexibilité incontrôlée en faveur de l'employeur, mais de soutenir le bien-être des employés. Dans le même temps, l'Ukraine s'est engagée à mettre en œuvre une douzaine de directives européennes dans le domaine des relations de travail. Ces directives concernent la lutte contre la discrimination, la création de conditions favorables pour les mères qui travaillent et les travailleurs mineurs, la santé et la sécurité au travail, les inspections du travail et la clarté des contrats de travail. L'une de ces directives traite également de la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales. En d'autres termes, il s'agit d'un paquet social-démocrate censé rendre la situation d'un employé plus prévisible.
La nuance est qu'au cours des dix années qui ont suivi la signature de l'accord, presque aucune de ces règles n'a été transposée dans la législation ukrainienne. Au cours de ces dix années, un certain nombre de directives européennes supplémentaires ont été adoptées, qui offrent une protection encore plus grande aux employés, mais nous ne sommes pas encore obligés de mettre en œuvre les directives adoptées après 2014. Cependant, la logique veut que si nous rejoignons l'UE, nous devrions adopter de nouvelles lois basées sur les meilleures normes européennes.
Et, bien entendu, aucune réforme ne peut être adoptée sans le consentement des syndicats. Et ce que nous avons fait en 2019 est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Dans l'UE, l'adoption de lois dans le domaine des relations de travail sans le consentement des partenaires sociaux est considérée comme une honte. Si les pays entreprennent certaines réformes risquées et s'écartent des dispositions établies, il doit y avoir des circonstances extraordinaires. Si ces réformes sont motivées par des facteurs tels qu'une crise financière, elles doivent avoir une forte justification socio-économique. C'est pourquoi l'UE, malgré son hétérogénéité et la présence d'idées néolibérales, maintient un équilibre grâce à certaines règles de procédure. Il n'est pas possible que des réformes néfastes pour les salariés soient adoptées sans discussion, sans protestation et sans l'attention des instances supranationales. Nous ne nous faisons pas d'illusions sur la nature de l'UE, mais nous savons qu'il existe des outils permettant d'équilibrer la situation.
Les relations de travail en temps de guerre : l'entreprise privée comme base de la sécurité nationale ?
Vous avez dit que si certains pays de l'UE s'écartent des normes acceptées, c'est qu'il doit y avoir des raisons extraordinaires à cela. Je crois savoir que pour le gouvernement ukrainien, la guerre est devenue une telle raison. Comment le gouvernement a-t-il modifié la réglementation des relations de travail dans le contexte de la loi martiale ?
Dans des conditions démocratiques normales, les propositions élaborées par Galina Tretyakova n'auraient pas été adoptées. C'est elle qui a contribué à l'élaboration de diverses initiatives de déréglementation avant 2022 et après la déclaration de la loi martiale en Ukraine. Tout d'abord, il convient de prêter attention à la loi ukrainienne n°2136 du 15 mars 2022 sur l'organisation des relations de travail sous la loi martiale, qui a introduit un certain nombre de restrictions strictes, bien que temporaires, aux droits et garanties des employés et des syndicats. Bien sûr, elle est très proche de l'idéal des relations de travail professé par les hommes d'affaires libéraux. Pour eux, l'employeur ne doit rien à personne, l'État ne doit pas intervenir dans les relations de travail et les syndicats doivent jouer un rôle symbolique. Cette décentralisation de la réglementation engendre le chaos et l'arbitraire.
En ce qui concerne la dérogation à certains droits dans le cadre de la loi martiale, les instruments internationaux, tels que la Charte sociale européenne (révisée) de 1996, prévoient la possibilité de déroger à certains droits en cas de menace pour la sécurité nationale. La guerre, bien sûr, est une circonstance qui exige la consolidation de toutes les ressources de l'État pour repousser l'agresseur et préserver l'indépendance. Dans le même temps, la Charte stipule que les restrictions aux droits doivent être imposées dans la mesure nécessaire pour prévenir l'agression. En d'autres termes, nous devons examiner de manière critique chacune des restrictions imposées pour voir si elle répond au critère de la nécessité sociale. En règle générale, les restrictions aux droits sont autorisées lorsqu'elles poursuivent un but légitime, utilisent des moyens légitimes et présentent un degré raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but. La proportionnalité est le principe essentiel sur lequel le législateur doit s'appuyer pour restreindre certains droits et libertés. Dans notre cas, il me semble que ce critère a été négligé. En mars 2022, une loi aggravant la situation des employés a été présentée à la Verkhovna Rada et a été adoptée à huis clos quelques jours plus tard. En mars 2022, la situation de l'Ukraine était extrêmement difficile. Chaque jour était devenu une lutte pour la survie. Des millions de personnes ont fui la zone de guerre pour se réfugier dans des régions plus sûres ou à l'étranger. Il n'était plus question d'exercer un contrôle public sur le parlement. Le parlement se réunissait sans annonces publiques et les citoyens ne pouvaient prendre connaissance des décisions prises qu'avec beaucoup de retard. Il me semble que Tretyakova a su profiter de l'occasion pour réaliser ses fantasmes libéraux. On ne sait toujours pas qui a voté en sa faveur. La loi a été adoptée immédiatement en deuxième lecture. Cela signifie que toutes les factions représentées au parlement ont accepté son adoption en tant que base et dans son ensemble.
Bien entendu, la justification fournie dans la note explicative était très vague. De nombreuses questions se sont posées : pourquoi aider les employeurs privés à augmenter le temps de travail, à simplifier la procédure de licenciement sans l'accord des syndicats ou pendant un congé de maladie, et à annuler les conventions collectives ? Il n'y a toujours pas de réponse claire à ces questions. Cela soulève de sérieux doutes quant à la légitimité et à la validité de la loi. À mon avis, dans un pays démocratique, le gouvernement et le parlement auraient dû préparer un rapport ou un avis expliquant pourquoi ces restrictions restent nécessaires.
Vous avez dit que la Charte sociale européenne permet de déroger à ses dispositions en cas de menace pour la sécurité nationale. Peut-on dire que dans l'esprit de nos responsables, la sécurité nationale est désormais la sécurité des entreprises ? Après tout, il semble qu'avec cette déréglementation, ils aient voulu sauver avant tout le secteur privé, et non, par exemple, l'emploi.
Je suis d'accord pour dire que, dans cette affaire, les intérêts des employeurs, en particulier des employeurs privés, ont été identifiés à tort avec les intérêts du peuple ukrainien dans son ensemble. Je suis convaincu que la mise en place d'une économie de guerre dans un conflit de grande ampleur nécessite le plein-emploi. Nous devons nous assurer que toutes les ressources humaines sont utilisées pour rapprocher la victoire. Nous n'avons pas cette priorité. Au lieu de cela, des mesures ont été introduites qui poursuivent des intérêts économiques à court terme, telles que la réduction des droits salariaux, de l'emploi et des congés, toutes ces mesures étant prises pour économiser de l'argent aux entreprises. Cette loi a créé une tentation pour les employeurs d'abuser de ces décisions impopulaires en les prenant sans le consentement des partenaires sociaux, alors même que l'unité de la société est plus importante que jamais. En outre, la limitation stricte des allocations de chômage à un maximum de trois mois et au salaire minimum a effectivement découragé de nombreuses personnes de s'inscrire auprès des centres pour l'emploi. L'État n'a donc pas été en mesure d'offrir à ces personnes un travail d'intérêt public. Il existe différentes catégories de travaux publics qui prennent une importance particulière en temps de guerre : de l'aide aux entreprises de défense au déblaiement des décombres, en passant par les soins aux blessés et l'aide aux victimes. Ainsi, cet instrument des « travaux publics » ne fonctionne pas en Ukraine, comme cela a été le cas aux États-Unis sous Franklin Roosevelt.
Il s'agit d'une contradiction évidente entre, d'une part, les choix de la déréglementation, de la réduction des coûts pour les employeurs et de la mise en œuvre de l'austérité et, d'autre part, les intérêts à long terme du peuple ukrainien. Je donnerai un exemple récent de la manière dont l'État essaie d'économiser de l'argent sur les gens en sapant la confiance dans les institutions gouvernementales en tant que telles. La loi ukrainienne n° 2980 du 20 mars 2023 sur l'aide financière unique pour les dommages causés à la vie et à la santé des employés des infrastructures critiques, des fonctionnaires et des représentants des autorités locales à la suite de l'agression militaire de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a été adoptée, mais le Fonds de pension de l'Ukraine, représenté par ses organes, tente d'éviter les paiements aux victimes de l'État agresseur dans les secteurs de l'énergie, de la défense et des transports en exploitant les lacunes de la législation. Par exemple, en prétendant que certaines entreprises ne font pas partie des infrastructures critiques parce qu'elles ne figurent pas dans le registre classifié2. Oui, ils économiseront de l'argent aujourd'hui, mais la question se pose : les gens voudront-ils travailler dans ces industries socialement importantes à l'avenir ?
Vous consacrez beaucoup de temps à la protection des travailleurs des infrastructures critiques et au-delà. Pourriez-vous nous parler des tendances que vous observez actuellement dans les relations de travail ?
Le principal résultat de mes observations de ce qui se passe dans la sphère sociale et du travail a été la création de ce que l'on appelle la « Liste noire des employeurs » publiée sur le site web du Sotsialnyi Rukh. Vous pouvez y lire des informations sur les employeurs qui ont osé abuser des innovations honteuses prévues par la loi n°2136 pour la période de la loi martiale. D'après l'analyse de la pratique des tribunaux, d'autres sources ouvertes et la communication avec des collectifs de travailleurs, l'abus le plus courant est la suspension des contrats de travail, lorsque les employés sont privés de la possibilité de travailler et ne reçoivent pas leur salaire. Je sais que dans environ 50% des cas, ces suspensions sont contestées. Heureusement, les tribunaux analysent chaque cas assez scrupuleusement. En outre, les cas de modification des conditions de travail essentielles sans préavis de deux mois sont fréquents. Cela signifie qu'un employé est informé du jour au lendemain d'une réduction de moitié de son temps de travail et, s'il n'est pas d'accord, il est licencié avec une indemnité de licenciement. Ces cas ont été particulièrement nombreux dans le secteur public, notamment dans le domaine des soins de santé. Des personnes ont été confrontées à la détérioration de leurs conditions de travail, ce qui les a poussées à démissionner.
Il est également courant que les employeurs suspendent certaines dispositions des conventions collectives. Cette pratique a été utilisée par des entreprises telles que Ukrzaliznytsia [exploitant du réseau ferroviaire ukrainien], la centrale nucléaire de Tchernobyl, de nombreux hôpitaux ukrainiens et Nova Poshta. Il y a eu très peu de cas de contestation de ces actions devant les tribunaux, à l'exception des poursuites contre Ukrzaliznytsia², dans lesquelles le syndicat libre des cheminots d'Ukraine a réussi à faire déclarer illégales les actions unilatérales de leurs patrons. Il n'est pas rare non plus que les employeurs refusent d'accorder des congés à leurs employés, au motif que leur entreprise ou institution est une infrastructure critique. Dans ce cas, les employeurs sont souvent de mauvaise foi et ne fournissent pas la preuve que leur entreprise est inscrite au registre correspondant. Les employés des tablissements d'enseignement, par exemple, ont été privés de ces congés. Très souvent, il s'agissait de congés sans solde, lorsque les gens partaient à l'étranger pour se sauver et sauver leur famille.
Le dialogue social contre l'individualisation des relations de travail
Vous avez évoqué l'individualisation des relations de travail et du dialogue social. Pouvez-vous nous dire en quoi l'individualisation menace le marché du travail et les salariés ? Parce qu'il y a une perception selon laquelle « c'est une bonne chose, chacun pourra négocier comme il l'entend », d'une part, mais d'autre part, comment le dialogue social s'articule-t-il avec tout cela ?
L'individualisation des relations de travail crée l'illusion que l'employé, tout comme l'employeur, peut influencer les conditions de travail. Cela peut fonctionner pour les stars d'Hollywood ou les footballeurs de haut niveau, mais pas pour les infirmières, les enseignants ou les cheminots dont le travail est extrêmement important pour la société. Si l'employeur est autorisé à introduire des motifs supplémentaires de licenciement, d'heures supplémentaires ou de rappel en congé avec le « consentement » du salarié, cela signifie qu'il devra obtenir ce « consentement » dans chaque cas individuel lors de l'embauche, pour ainsi dire, volontaire et obligatoire. Il est très difficile pour un employé de « mesurer ses forces » lorsqu'il souhaite obtenir un emploi. Cela peut donc entraîner une distorsion des droits en faveur de l'employeur.
En Ukraine, cette individualisation est partiellement mise en œuvre. Par exemple, en juillet 2022, une loi a été adoptée sur les contrats de travail à horaires variables, qui obligent les employés de travailler non pas en permanence, mais uniquement lorsque l'employeur en a besoin. Dans le cadre de ces contrats, le salaire de l'employé peut même être inférieur au salaire minimum. En outre, des motifs de licenciement supplémentaires non prévus par le droit du travail peuvent être appliqués, ce qui est contraire aux règles de l'OIT. En outre, pour la période de la loi martiale, un « régime simplifié de réglementation des relations de travail » a été introduit pour les entreprises comptant jusqu'à 250 employés. Je ne sais pas dans quelle mesure ce régime est utilisé, mais il semble attrayant pour les employeurs, car de nombreuses choses, telles que les heures supplémentaires ou la responsabilité en cas de divulgation de secrets commerciaux, peuvent être convenues au niveau d'un contrat de travail individuel. Je ne vois pas en quoi de telles mesures permettront une avancée tangible dans la sphère économique ou la création d'un grand nombre d'emplois. Tout reste à peu près au même niveau qu'à la fin de l'année 2022 : beaucoup d'offres d'emploi non pourvues et un nombre très modeste de personnes officiellement employées – environ 8 millions. Dans le même temps, la proportion de personnes gagnant le salaire minimum ou ayant des revenus inférieurs au salaire minimum augmente. En d'autres termes, la déréglementation, cet encouragement à des conditions d'emploi plus flexibles, n'a pas conduit à une croissance fulgurante de l'emploi. Il y a donc lieu de se demander si cette stratégie fonctionne vraiment lorsque l'on laisse tout « au hasard ».
Parlons du dialogue social. La guerre est un défi pour l'ensemble de la société, ce qui signifie que l'ensemble de la société devrait supporter le fardeau de la guerre et déterminer la direction du mouvement. Il serait utopique d'espérer que le gouvernement, en collaboration avec des cercles d'affaires proches, puisse trouver des solutions systémiques. Le dialogue social est donc une nécessité pratique dans un conflit de grande ampleur si l'on veut que les décisions prises par les autorités soient perçues comme légitimes, légitimes et justes. Malheureusement, il existe des innovations telles que l'introduction d'une réserve [exemption de mobilisation] économique. Elles provoquent un clivage dans la société parce qu'elles ont été élaborées sans tenir compte de l'avis des syndicats.
Le besoin de dialogue social est déjà objectivement déterminé par les circonstances actuelles et les impératifs de l'intégration européenne. Pour l'UE, les consultations entre les partenaires sociaux dans la prise de décision sont la priorité numéro un. Or, ce qui se passe en Ukraine est exactement le contraire. Un exemple récent est l'élaboration du projet de budget pour 2025, qui prévoit le gel du salaire minimum et du minimum vital pendant 3 ans, jusqu'en 2027. Une telle décision, bien sûr, sape encore plus le désir des gens de travailler en Ukraine et montre que le gouvernement méprise ouvertement l'opinion des syndicats. Le fossé entre la société et le gouvernement se creuse.
Et comment un travailleur ordinaire peut-il participer au dialogue social ?
Il existe trois niveaux de dialogue social : local, sectoriel et national. Bien sûr, il est plus facile pour un employé ordinaire de participer à ces procédures au niveau local en devenant membre d'un syndicat. Et je peux vous assurer qu'il existe des exemples où le dialogue social au niveau local fonctionne réellement et apporte certains avantages aux employés. Je citerai des entreprises comme Ukrzaliznytsia, où un grand nombre de syndicats tentent de freiner la volonté du propriétaire d'annuler certains avantages prévus dans la convention collective de cette entreprise de plusieurs milliers d'employés. Il y a aussi Energoatom [Compagnie nationale de production d'énergie nucléaire], qui est aussi directement liée à la pérennité de l'économie ukrainienne, et où il y a aussi un puissant syndicat qui contrôle toutes les décisions prises par l'administration. Ce dialogue entre les parties rend difficile toute prise de décisions qui pourraient aggraver la situation des employés.
Si nous parlons d'entreprises plus petites, je voudrais attirer l'attention sur un hôpital dans le district de Derazhnyansky, dans la région de Khmelnytsky. Un syndicat très militant y est affilié au mouvement des infirmières Sois comme Nina. Étant donné que leur convention collective contient de solides garanties procédurales, le syndicat exige que toute décision modifiant les conditions de travail essentielles soit prise en accord avec lui. C'est le cas, par exemple, pour le transfert de personnel à temps partiel. Bien sûr, la direction essaie de faire passer certaines décisions pour économiser sur les salaires, mais la convention collective reste en vigueur, et le syndicat et le conseil du travail en tirent parti. J'ai également entendu parler d'un cas à l'usine Leoni, qui est impliquée dans l'industrie automobile – elle opère également à Stryi, dans la région de Lviv. Au début de la guerre, l'employeur a pris des mesures qui ont aggravé la situation des employés, notamment en essayant de suspendre certains avantages prévus par la convention collective. Cependant, le syndicat a amené l'employeur à la table des négociations et a réussi à préserver certaines garanties pour ses membres.
Voyez-vous des perspectives de développement du dialogue social en Ukraine à l'heure actuelle ?
En conclusion, je voudrais dire qu'au cours de ces presque trois années, une strate de dirigeants syndicaux assez puissants a émergé en Ukraine, qui s'est habituée à travailler dans des circonstances d'incertitude totale et où l'État soutient les employeurs. Je pense que si ces personnes survivent à ces temps difficiles, elles seront en mesure de créer des structures fortes pendant la période de reconstruction d'après-guerre, qui exigeront de meilleures conditions de travail et l'égalisation des salaires avec la moyenne européenne. Aujourd'hui, le salaire moyen dans l'UE est d'environ 2 000 euros, et il me semble qu'au moins les travailleurs des infrastructures critiques et des industries d'exportation devraient recevoir au moins la moitié de ce montant, soit au moins 1 000 euros par mois.
Si nous voulons avancer sur la question des conditions de travail, nous devons imposer certaines obligations aux entreprises qui bénéficient de l'achat de biens et de services sur les fonds budgétaires par le biais du mécanisme d'appel d'offres. En particulier, nous devrions exiger que les accords d'adjudication prévoient la minimisation des accidents dans l'entreprise, que les employés soient impliqués dans la prise de décision et que les salaires soient également alignés sur les indicateurs européens. C'est ce que j'entends par des changements qui profiteront à l'ensemble de la société.
11 novembre 2024
Publié par Commons
Illustration Katya Gritseva
Traduction Patrick Le Tréhondat
1 Le récit sur la déréglementation des relations de travail et la destruction de l'État-providence aujourd'hui peut également être trouvé dans la conférence de Vitaliy :
https://www.youtube.com/watch?v=dO4e_M3iMLs
2 Pour bénéficier d'un tel paiement unique, l'entreprise ou l'institution où travaillait le travailleur blessé doit être inscrite au registre des infrastructures critiques. Le fonds de pension, interprétant la loi de manière restrictive, a massivement refusé des paiements si l'installation n'était pas inscrite au registre au moment de la tragédie. Pour plus de détails sur cette situation, voir l'article de Vitaliy :
https://rev.org.ua/garanti%d1%97-dlya-pracivnikiv-kritichno%d1%97-infrastrukturi/

Les infirmières iraniennes reprennent leurs manifestations pour dénoncer les conditions de travail difficiles et les bas salaires

Les infirmières iraniennes ont repris leurs manifestations à Fasa (sud de l'Iran) et à Yazd (centre de l'Iran), le samedi 2 novembre 2024, alors que le gouvernement refuse de répondre à leurs demandes d'amélioration des salaires et des conditions de travail.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les femmes représentent 70 % de la main-d'œuvre infirmière en Iran, un groupe qui a été confronté à des sous-paiements systématiques, à la censure et même à l'intimidation.
Un tragique catalyseur de changement
En août, de vastes manifestationsont éclaté à la suite de la mort tragique de Parvaneh Mandani, une infirmière de 32 ans de la province de Fars. Son effondrement et son décès, attribués à un surmenage extrême, ont été rapportés dans les médias comme un cas de « syndrome de Karoshi » – un terme traditionnellement associé au Japon, qui trouve désormais une résonance dans la crise des soins de santé en Iran.
Le décès de Parvaneh est devenu un cri de ralliement, déclenchant des manifestations qui se sont étendues à plus de 50 hôpitaux dans 21 villes. Les infirmières iraniennes se sont mobilisées, exigeant une rémunération équitable et dénonçant les heures supplémentaires obligatoires, qui les obligent souvent à prendre en charge jusqu'à 50 patients simultanément.
Négligence systémique de la loi sur la tarification des soins infirmiers
Les revendications des infirmières iraniennes ne se limitent pas à des heures de travail équitables. Elles demandent l'application de la loi sur la tarification des services infirmiers, promulguée en 2006, qui vise à normaliser la rémunération en fonction de la charge de travail et des performances – une loi qui a été largement ignorée. En outre, les infirmières souhaitent avoir accès aux avantages professionnels généralement accordés aux fonctions à haut risque, tels que la retraite anticipée après 25 ans, mais ces droits ne sont toujours pas respectés.
Augmentation des taux de démission et d'émigration
Le manque de soutien gouvernemental a poussé de nombreuses infirmières à bout. L'année dernière, environ 1 590 infirmières iraniennes ont démissionné, un chiffre qui dépasse nettement le taux d'émigration des professionnels de la santé. En fait, on estime que les démissions sont deux à trois fois supérieures au taux d'émigration. En un mois seulement, plus de 200 infirmières iraniennes ont quitté le pays, ce qui souligne l'urgence de cette crise.
La légalité des heures supplémentaires forcées remise en question
Fin septembre, la commission parlementaire iranienne de la santé et des traitements a pris acte de l'augmentation des démissions et de l'émigration. Elle a reconnu que l'imposition d'heures supplémentaires obligatoires aux infirmières était illégale, citant une décision de la Cour de justice administrative. Malgré cette reconnaissance, aucune réforme substantielle ou mesure de compensation n'a été adoptée.
Néanmoins, les infirmières iraniennes restent déterminées dans leurs revendications. Elles continuent de réclamer un revenu minimum supérieur au seuil de pauvreté et un plafonnement des heures supplémentaires à 80 par mois. Il est alarmant de constater que les heures supplémentaires sont actuellement rémunérées à moins de 50 cents de l'heure.
https://wncri.org/fr/2024/11/03/les-infirmieres-iraniennes-4/
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Aliyev, Orbàn, Meloni... La COP29 accueille le gratin d’extrême droite mondial

Emmanuel Macron, Joe Biden ou Lula ne viendront pas à la COP29, à Bakou. Ils laissent ainsi toute latitude aux chefs d'État d'extrême droite et à leur hôte l'autocrate Ilham Aliyev pour faire les louanges des énergies fossiles.
Tiré de Reporterre
Bakou (Azerbaïdjan), reportage
« Je veux le répéter ici devant cette audience : c'est un don de Dieu. » Le président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, répète son mantra au sujet du pétrole et du gaz. Le 12 novembre, au deuxième jour de la COP29 à Bakou, l'allocution de l'indétrônable autocrate s'est traduite par une défense acharnée — et transparente — de l'extraction de combustibles fossiles. Sans la moindre retenue à l'égard de ses détracteurs, le moustachu a taillé « la politique du deux poids, deux mesures, la manie de donner des leçons et l'hypocrisie » des dirigeants, activistes et médias de certains pays occidentaux.
Quittant la tribune sous les applaudissements nourris de la plénière « Nizami », le dictateur aux commandes du pays hôte depuis 2003 a échangé une chaleureuse poignée de mains avec le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Celui-ci n'a pas corrigé la teneur de son laïus, mais était sans doute médusé par ces propos d'une férocité quasi-inédite en diplomatie internationale. Toujours est-il que le patron de l'ONU a commencé par remercier « l'accueil et l'hospitalité » de l'homme venant de jeter un froid à l'hémicycle.
« Nous sommes dans le compte à rebours final »
« Le son que vous entendez est celui du tic-tac de l'horloge. Nous sommes dans le compte à rebours final pour limiter l'augmentation de la température mondiale à 1,5 °C, a toutefois clamé le Portugais. Et le temps ne joue pas en notre faveur. » Dénonçant l'absurdité de poursuivre l'investissement dans les hydrocarbures, il a appelé à réduire de 30 % leur production d'ici 2030.
Un vœu aux antipodes des projections de l'État accueillant la COP, tablant plutôt sur une hausse de +14 % à l'horizon 2035.
Champ libre aux nationalistes européens
Jusqu'au crépuscule du 13 novembre, un bataillon de 82 chefs d'État et de gouvernement, vice-présidents et princes héritiers doit défiler au pupitre de l'Assemblée. Une grand-messe protocolaire, baptisée « Sommet des leaders » et boudée par tous les dirigeants des pays les plus émetteurs de dioxyde de carbone. Le président des États-Unis, Joe Biden, à la légitimité terriblement fragilisée par l'élection de Donald Trump, sèche l'exercice pour la deuxième année consécutive. Les leaders du Japon, de l'Australie, de la Chine, de l'Inde, du Canada, de l'Afrique du Sud ou encore du Mexique brillent aussi par leur absentéisme. Au même titre que le dictateur Vladimir Poutine, le roi Charles et le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, pourtant hôte de la prochaine COP.
Et le tableau n'est guère plus garni du côté de l'Union européenne. Emmanuel Macron, lui aussi, a refusé de se déplacer. Une première depuis 2019, justifiée par les fortes tensions diplomatiques entretenues avec l'Azerbaïdjan depuis la condamnation par la France de l'invasion du Haut-Karabagh par l'armée d'Ilham Aliyev, en 2023. Une fenêtre de tir idéale, dont Alexandre Loukachenko, autocrate biélorusse et proche allié de Vladimir Poutine, s'est aussitôt saisi : « Quelle est l'efficacité de nos négociations sur le climat si le président français n'est même pas présent ? »
Le nationaliste hongrois, Viktor Orban, a pu dérouler à la COP des ambitions climatiques bien différentes de celles défendues par l'Union européenne. © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Le chancelier allemand Olaf Scholz et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen ne participent pas non plus au grand raout. Une aubaine pour le nationaliste hongrois, Viktor Orban, ayant pu dérouler des ambitions climatiques bien différentes de celles défendues par l'Union européenne : « Nous devons poursuivre la transition verte tout en maintenant notre usage du gaz, du pétrole et du nucléaire », a-t-il notamment déclaré à la barre. Attendue ce jour devant la plénière, son homologue italienne d'extrême droite, Giorgia Meloni, risque d'adopter pareille posture.
Les pays pauvres vont-ils « quitter Bakou les mains vides » ?
Visiblement plus enclins à partager le sentiment d'urgence devant « le tic-tac de l'horloge », plus d'une vingtaine d'intervenants africains ont décrit les tragiques répercussions du changement climatique que leur pays affronte au quotidien. Au même titre que le président du Népal, endeuillé par une mousson et des glissements de terrain meurtriers, ainsi que les figures d'une flopée de nations insulaires : « Tout est menacé, a déploré Ahmed Abdullah Afif Didi, vice-président des Seychelles. Nous devons déménager nos maisons. »
Hilda Heine, l'une des neuf femmes parmi les 82 leaders présents à la COP29, a fustigé la démobilisation des pays riches à l'heure de mettre la main à la poche. La présidente des Îles Marshall, un État insulaire que le Pacifique pourrait un jour engloutir, a toutefois harangué l'hémicycle : « Nous savons reconnaître le moment où la tendance s'inverse. Et en ce qui concerne le climat, la tendance s'inverse maintenant. »
Jusqu'au 22 novembre prochain, une enveloppe annuelle allant de 100 à 1 300 milliards de dollars (1 225 milliards d'euros) doit être débattue pour financer la transition des pays vulnérables au changement climatique. « [Ils] ne doivent pas quitter Bakou les mains vides », a insisté António Guterres.
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COP 29 : le méthane, un don de la Trinité

Cette COP29, réunie à Bakou, est, comme les précédentes, l'occasion pour certains « acteurs » des industries fossiles, comme de leurs financiers, de répéter une fois de plus « qu'il faut prendre conscience de la situation » et pour les affabulateurs les plus hypocrites de diffuser l'idéologie « de la transition écologique ».
13 novembre 2024 Alencontre
http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/cop-29-le-methane-un-don-de-la-trinite.html
Par rédaction A l'Encontre
Une « transition » que Jean-Baptiste Fressoz, dans son ouvrage Sans transition, une nouvelle histoire de l'énergie (Le Seuil, janvier 2024), qualifie « d'idéologie du capital au XXIe siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes des industries vertes en devenir, et l'innovation, notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se retrouve du bon côté de la lutte climatique. Grâce à la transition, on parle de trajectoire à 2100, de voitures électriques [1] et d'avions à hydrogène plutôt que de niveau de consommation matérielle et de répartition [de la richesse produite]. » Autrement dit est évité tout pas de travers qui permettrait de déceler la logique vampiriste du capital [2].
***
Au deuxième jour de la COP29, Ilham Aliyev, président de l'Azerbaïdjan marchant dans les pas de son père autocrate Heydar Aliyev, déclamait au sujet du pétrole et du gaz : « Je veux le répéter ici devant cette audience : c'est un don de Dieu. » La figure divine est aujourd'hui d'actualité : Trump a été sauvé par Dieu à l'occasion d'une tentative d'assassinat le 13 juillet et incarne la présence de Dieu dans le champ politique selon les courants catholiques intégristes et évangélistes qui furent les anges gardiens de son élection à la présidence des Etats-Unis. Ici, la « providence divine » guide les forages et l'augmentation de l'extraction de fossile.
Au moment où António Guterres, à Bakou, indique qu'il faut réduire de 30% la production d'hydrocarbures d'ici 2030, l'hôte de la COP29, l'Azerbaïdjan, selon le rapport de l'ONG OilChange International, a pour objectif d'augmenter sa production d'hydrocarbures de 14% d'ici 2035. Et le futur hôte de la COP30, le Brésil, table sur une croissance de 36%.
Quant à Giorgia Meloni, selon Il Fatto Quotidiano du 13 novembre, elle joue dans son intervention la carte de la « transition écologique » (décarbonation, biocarburants, fusion nucléaire) tout en insistant sur un fait d'évidence : « Il n'y a pas d'alternative aux combustibles fossiles. » Il est vrai que l'Italie importe 57% de son pétrole et 20% de son gaz d'Azerbaïdjan.
***
Les COP ont au moins un effet stimulant : des ONG, des instituts et y compris la presse économique publient des données qui pointent les périls à venir. Ainsi, les études concernant, par exemple, les émissions de méthane sont diffusées dans les mois précédant la COP.
Ian Angus, sur son site Climate & Capitalism, le 10 septembre, rapportait les résultats établis par le Earth System Science Data sur le budget mondial du méthane pour 2024.
Ce dernier « montre une augmentation de 20% des émissions de méthane dues aux activités humaines au cours des deux dernières décennies.
»Le méthane est l'un des trois principaux gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique. Il ne reste dans l'atmosphère que quelques décennies, moins longtemps que le dioxyde de carbone et l'oxyde nitreux, mais son potentiel de réchauffement global à court terme est le plus élevé, car il retient davantage de chaleur dans l'atmosphère.
»Le bilan, établi par leGlobal Carbon Project, couvre 17 sources naturelles et anthropiques (induites par l'homme). Il montre que le méthane a augmenté de 61 millions de tonnes métriques par an.
“Nous avons observé des taux de croissance plus élevés pour le méthane au cours des trois dernières années, de 2020 à 2022, avec un record en 2021”, explique Pep Canadell, directeur du Global Carbon Project. “Cette augmentation signifie que les concentrations de méthane dans l'atmosphère sont 2,6 fois plus élevées que les niveaux préindustriels (1750).” “Les activités humaines sont responsables d'au moins deux tiers des émissions mondiales de méthane, ajoutant environ 0,5°C au réchauffement climatique qui s'est produit jusqu'à présent.”
»Le rapport conclut que l'agriculture est à l'origine de 40% des émissions mondiales de méthane d'origine anthropique. Le secteur des combustibles fossiles en produit 34%, les déchets solides et les eaux usées 19%, et la combustion de la biomasse et des biocarburants 7%.
»Les cinq principaux pays émetteurs en 2020 étaient la Chine (16%), l'Inde (9%), les Etats-Unis (7%), le Brésil (6%) et la Russie (5%).
»L'Union européenne et l'Australasie ont réduit leurs émissions anthropiques de méthane au cours des deux dernières décennies. Toutefois, les tendances mondiales mettent clairement en péril les engagements internationaux visant à réduire les émissions de méthane de 30% d'ici à 2030.
»Pour des trajectoires d'émissions nettes nulles compatibles avec l'objectif de l'Accord de Paris d'une augmentation maximale de la température de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, les émissions anthropiques de méthane doivent diminuer de 45% d'ici à 2050, par rapport aux niveaux de 2019. »
***
Dans le Financial Times du 12 novembre, Attracta Mooney (Bakou) et Jana Tauschinski (Londres) rassemblent un cumul de données démontrant « comment les compagnies pétrolières et gazières dissimulent leurs émissions de méthane […], comment elles dissimulent régulièrement des fuites de ce gaz à effet de serre mortel, bien qu'il s'agisse de l'une des solutions les plus faciles à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique. »
»Sur les rives de la mer Caspienne, à moins de 30 miles de l'endroit où les dirigeants, ministres et négociateurs du monde entier se réunissent cette semaine à Bakou dans le cadre du sommet sur le climat COP29, un puissant gaz à effet de serre s'est échappé dans l'atmosphère.
»Un capteur installé sur la Station spatiale internationale a détecté six panaches distincts de méthane entre avril et juin. Selon l'organisation californienne à but non lucratif Carbon Mapper, qui a analysé les données et les a communiquées au Financial Times, tous ces panaches proviennent de sites pétroliers et gaziers situés à la périphérie de la capitale de l'Azerbaïdjan.
»Cinq autres panaches ont été détectés sur d'autres sites du pays, notamment près du terminal pétrolier et gazier géant de Sangachal [vaste complexe industriel qui comprend un point de collecte, de traitement, de stockage et d'exportation du gaz du champ de Shah Deniz, ainsi que du pétrole d'Azeri-Chirag-Guneshli]. Bien que d'intensité variable, ces panaches étaient à la fois polluants et profondément toxiques, contenant des substances cancérigènes et d'autres gaz dangereux, ainsi que du méthane.
»Selon les militants et les analystes qui suivent la pollution par le méthane, une situation similaire se produit dans les installations pétrolières et gazières du monde entier. Dans certains cas, des fuites accidentelles sont à blâmer. Mais ailleurs, les producteurs rejettent le gaz de manière flagrante et délibérée.
»Le méthane est le principal responsable de la formation de l'ozone troposphérique [c'est-à-dire présent près du sol], un polluant atmosphérique dangereux qui cause chaque année la mort d'un million de personnes dans le monde à la suite de maladies respiratoires. Mais une menace encore plus grande pèse sur le climat.
»Même s'il ne persiste pas aussi longtemps dans l'atmosphère que le dioxyde de carbone, sur une période de 20 ans, le méthane est 80 fois plus puissant pour piéger la chaleur. On estime qu'il est responsable de 30% du réchauffement de la planète depuis la révolution industrielle.
»Une partie du méthane provient de sources naturelles telles que les zones humides et les gaz volcaniques. Mais la majeure partie des émissions est due à l'activité humaine : agriculture, déchets de décharge et industrie des combustibles fossiles.
»Le problème a longtemps été occulté en raison du manque d'outils permettant de le détecter et de le mesurer. Inodore et incolore, ce gaz est notoirement difficile à repérer. Jusqu'à récemment, les études sur le méthane s'effectuaient principalement au sol à l'aide d'appareils portatifs ou par des survols aériens qui le détectent grâce à ses interactions avec les ondes lumineuses.
»Selon une analyse du Financial Times, les entreprises du secteur de l'énergie ont trouvé de nombreux moyens de dissimuler l'ampleur de leurs émissions. « Le pétrole et le gaz émettent beaucoup plus de méthane que nous ne le pensons », affirme Eric Kort, professeur de climat, de sciences spatiales et d'ingénierie à l'université du Michigan. […] les émissions provenant de l'industrie pétrolière et gazière ne figurent pas à l'ordre du jour de cette année.
»Pourtant, les émissions du secteur de l'énergie ont atteint un niveau record en 2023 – une irritation pour certains analystes, qui soulignent qu'il s'agit de l'une des possibilités les moins coûteuses et les plus rapides de lutter contre le réchauffement climatique actuellement disponibles.
»“La réduction du méthane à court terme est le moyen le plus rapide dont nous disposons pour éviter les pires effets du changement climatique”, déclare Manfredi Caltagirone, responsable de l'Observatoire international des émissions de méthane du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). “[Et] le secteur qui présente le plus grand potentiel de réduction est l'industrie pétrolière et gazière.”
»Un précédent sommet de la COP tenu en 2021 a lancé le Global Methane Pledge, une initiative soutenue par plus de 150 pays, qui vise à réduire les émissions mondiales de 30% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020. Toutefois, selon des données récentes, les émissions globales de méthane continuent d'augmenter. » […]
***
Le dogme des politiques néolibérales, l'autorégulation, est invoquée de manière trompeuse car les groupes pétroliers et gaziers disent pouvoir détecter les émissions de méthane – y compris celles liées au torchage et aux accidents – grâce au développement de technologies satellitaires d'imagerie et de mesures.
Or, comme le souligne l'article du Financial Times :
« Josh Eisenfeld, qui suit les émissions de méthane à Earthworks, une organisation américaine à but non lucratif dont l'objectif est de mettre fin à la pollution énergétique, estime que l'un des principaux problèmes réside dans le fait que l'industrie “essaie de s'autosurveiller”. La plupart des équipements utilisés par les compagnies pétrolières et gazières ne parviennent même pas à repérer les petites fuites de méthane, affirme-t-il.
»Une enquête menée par Earthworks et Oil Change International a révélé que les “moniteurs d'émissions en continu”, utilisés par les producteurs pour enregistrer les rejets de polluants en temps réel, n'ont détecté qu'une seule émission au Colorado, alors que leurs propres chercheurs en ont enregistré 23. […]
»L'AIE (Agence internationale de l'énergie) estime également que les émissions mondiales de méthane provenant du secteur de l'énergie sont supérieures d'environ 70% aux quantités déclarées par les pays.
»Selon une étude publiée dans Nature au début de l'année et basée sur un million de mesures aériennes de puits, de pipelines, d'installations de stockage et de transmission dans six régions des Etats-Unis, les émissions étaient presque trois fois plus élevées que les estimations fournies par le gouvernement fédéral. »
***
Or, Donald Trump a placé l'un de ses proches à la direction de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), Lee Zeldin. Selon Trump, « Lee Zeldin va s'assurer de prises de décisions rapides et justes de déréglementation qui vont permettre de doper la force des entreprises américaines, tout en conservant les plus hautes normes environnementales. » La transition est assurée.
[1] Voir à ce propos sur ce site l'article d'Alain Bihr intitulé « La voiture électrique, une alternative illusoire ». http://alencontre.org/ecologie/la-voiture-electrique-une-alternative-illusoire.html
[2] Voir l'article publié sur ce site en date du 4 mai 2021 http://alencontre.org/laune/le-vampirisme-du-capital-i.html
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La réélection de Donald Trump : quelles implications pour les politiques climatiques ?

Y aura-t-il bientôt des COP sans les États-Unis ? Ces derniers vont-ils de nouveau quitter l'accord de Paris ? Quel avenir pour les énergies renouvelables outre-Atlantique ? Alors que Trump revient à la Maison Blanche, l'économiste Christian de Perthuis nous en dit plus sur ce que l'on peut attendre de ce climatosceptique convaincu à la tête de la première puissance mondiale.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
6 novembre 2024
Par Christian (de) Perthuis
Climatosceptique affiché, Donald Trump avait fait campagne en 2016 sur la relance du charbon aux États-Unis, l'allègement des contraintes environnementales imposées par l'administration démocrate et la sortie de l'Accord de Paris.
De relance de charbon, il n'y eut point durant son premier mandat (2017-2020), l'électricité produite à partir du gaz ou des renouvelables étant bien trop compétitive. L'allègement des contraintes réglementaires a consisté à abroger le Clean Power Acthttps://www.connaissancedesenergies..., une régulation préparée sous l'administration Obama qui n'était pas entrée en vigueur faute de soutien au Congrès. Enfin, le retrait de l'Accord de Paris, décidé en juin 2017, a été sans conséquence car il exigeait, au moment où il a été décidé, un délai de quatre ans pour devenir effectif.
Au total, le premier mandat de Donald Trump n'a eu que des effets limités sur la politique climatique, tant au plan interne qu'externe. Il pourrait en aller bien différemment durant le second mandat.
L'accord de Paris soumis à rude épreuve
Le candidat Trump n'a pas fait mystère de son intention de quitter à nouveau l'accord de Paris, qualifié d'un meeting à l'autre de « ridicule », « injuste » ou encore « désastreux ». Autre argument de campagne : l'Accord coûterait des centaines de milliards aux États-Unis et rien à la Chine et aux autres pays émergents.
Un second retrait des États-Unis est donc pratiquement certain. Mais il sera cette fois-ci effectif un an seulement après avoir été signifié aux Nations unies. Cela aura donc un impact potentiellement bien plus dévastateur sur les négociations climatiques internationales. Comme l'avait été la décision de George W. Bush en 2001 de quitter le protocole de Kyoto, le prédécesseur de l'accord de Paris, entré en déshérence graduelle durant les années 2000.
Une certaine incertitude plane cependant sur un possible retrait des États-Unis de la convention-cadre sur le climat de 1992, le traité fondateur de la diplomatie climatique dont le protocole de Kyoto ou l'accord de Paris ne sont que des textes d'application.
Au plan juridique, la sortie de cette convention implique en effet d'obtenir une majorité des deux-tiers au Sénat alors que quitter l'accord de Paris s'effectue par simple décret présidentiel. Si les États-Unis sortaient de cette convention, ils ne participeraient donc plus aux COP climat qui sont l'organe décisionnel de la convention.
Ce retrait attendu des États-Unis intervient à un moment charnière de la négociation climatique. À la COP29 de Bakou, il sera bien difficile d'obtenir des engagements d'accroissement des financements climatiques, l'enjeu central des discussions, avec la perspective de sortie du premier bailleur de fonds.
La réévaluation des objectifs de réduction des émissions aux horizons de 2030 et 2035 sera le principal enjeu de la COP30, à Belém (Brésil) l'an prochain. Ici encore, on voit difficilement comment parvenir à un résultat significatif sans l'implication des États-Unis, deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre (GES) après la Chine.
Promesses de baisses des prix de l'énergie, disparition des objectifs climatiques
D'après les évaluations indépendantes, les États-Unis ne sont pas en ligne pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de GES, au titre de leur contribution à l'accord de Paris (-50/52 % entre 2005 et 2030). Des mesures complémentaires auraient du compléter l'Inflation Reduction Act (IRA), principal outil de financement de la transition énergétique adopté sous l'administration Biden pour y parvenir.
Avec le retour de Trump, c'est un changement majeur de perspective qui s'annonce. L'objectif de réduction d'émission disparaît du paysage au profit d'une promesse, annoncée à la Convention Républicaine de juillet 2024, de diviser par deux le prix de l'énergie à la charge des ménages américains. La méthode ? « Drill, baby, drill » (en français, littéralement « fore [du pétrole], chérie, fore ! »), suivant le slogan de campagne répété à chaque meeting électoral, et la récupération des milliards gaspillés au nom de la « nouvelle arnaque verte » (« Green new scam »), expression désignant l'IRA et plus généralement le développement des énergies renouvelables soutenu par l'administration démocrate.
Vidéo : « Je m'engage devant le grand peuple américain à mettre fin immédiatement à la crise inflationniste dévastatrice, à faire baisser les taux d'intérêt et le coût de l'énergie, nous allons “Drill baby drill !” » assurait Donald Trump le 19 juillet 2024 dernier.
L'objectif de relance de l'exploration pétrolière et gazière est affiché alors que les États-Unis sont devenus exportateurs nets de pétrole et de gaz sous le mandat de Joe Biden. Avec la nouvelle majorité républicaine au Congrès, les derniers verrous qui freinaient l'extraction de pétrole et de gaz sur les terres fédérales ou protégés risquent de sauter et l'industrie de bénéficier de conditions fiscales et financières plus favorables. Cette relance du pétrole et du gaz pourrait générer en 2030 un supplément d'émission voisin de 2 Gt d'équivalents CO2 (5 fois les émissions de la France !), relativement à un scénario de simple poursuite de la politique climatique démocrate (graphique).
Fourni par l'auteur
La réalité économique comme seul garde-fou ?
Le démantèlement des soutiens aux énergies renouvelables via l'IRA sera en revanche plus problématique. Au plan politique, il risque de contrarier nombre d'élus Républicains au Congrès. Les états du centre et du sud des États-Unis, les plus acquis à la cause Républicaine, sont en effet les premiers bénéficiaires des subsides de l'IRA.
Ce démantèlement ira de surcroît à contresens de l'objectif de baisse des prix de l'énergie. Dans les meetings de campagne, les énergies solaires ou éoliennes ont été systématiquement présentés comme plus coûteuses que leurs concurrentes d'origine fossile. Mais cette représentation, héritée du passé, est de plus en plus déconnectée des réalités industrielles.
Si on veut faire baisser le prix de l'électricité, et multiplier ses usages au détriment des sources fossiles devenues plus coûteuses, il faut au contraire accélérer le déploiement des nouvelles énergies de flux (solaire et éolien) et non pas les contrarier. Avec une majorité au Sénat et peut-être à la Chambre des Représentants plus une Cour suprême qui lui est acquise, les garde-fous politiques pour s'opposer au rétropédalage climatique programmé par Donald Trump seront bien faibles. Reste le garde-fou économique, car le monde que voudrait construire le bientôt octogénaire Président est celui d'hier et non celui de demain.
Christian de Perthuis, Professeur d'économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL
< !—> The Conversationhttp://theconversation.com/republishing-guidelines —>
P.-S.
• The Conversation. Publié : 6 novembre 2024, 15:37 CET.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
• Christian de Perthuis, Université Paris Dauphine – PSL
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On n’a jamais autant brûlé d’énergies fossiles qu’en 2024

Les émissions de CO2 issues des énergies fossiles ont augmenté de 0,8 % par rapport à 2023, rapportent les scientifiques du Global Carbon Project. Ce qui augure d'un réchauffement de 2 °C atteint en 2051.
Tiré du site de Reporterre
Nous ne sommes toujours pas sur la bonne trajectoire. Selon les dernières projections du Global Carbon Project — collectif réunissant 120 scientifiques à travers le monde — les émissions mondiales de CO2 liées à la production et à la consommation d'énergies fossiles continuent de croître. Dans un rapport publié mercredi 13 novembre, les chercheurs estiment qu'en 2024 ces émissions seront en hausse de 0,8 % par rapport à l'an dernier. Soit 37,4 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (GtCO2) envoyées dans l'atmosphère.
En plus des énergies fossiles, le changement d'usage des sols (principalement la déforestation) ont émis 4,2 GtCO2. Un chiffre en légère hausse par rapport à 2023 (4,1 GtCO2). La raison ? « La sécheresse pendant le phénomène El Niño et la déforestation ont permis les très nombreux incendies au Brésil et en Indonésie cette année », disent les chercheurs. Tout compris, les estimations des émissions de CO2 atteignent 41,6 milliards de tonnes en 2024 contre 40,6 milliards de tonnes l'an dernier.
« Il est clair que le budget carbone restant est presque épuisé »
Est-il trop tard pour respecter l'Accord de Paris et limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle (1850-1900) ? Au rythme actuel, il y a 50 % de risques que le réchauffement dépasse 1,5 °C de manière constante sur plusieurs années d'ici environ six ans, selon les scientifiques du Global Carbon Project. Si cette estimation est soumise à de grandes incertitudes liées au réchauffement supplémentaire causé par d'autres agents eux aussi réchauffants (CH₄, N₂O, aérosols) « il est clair que le budget carbone restant — et donc le temps qu'il reste pour atteindre l'objectif de 1,5 °C — est presque épuisé ». Si l'on continue au même rythme, « les +2 °C seront, eux, atteints dans vingt-sept ans ».
Toutes les émissions fossiles sont à la hausse
Pour une seule année, la barre a déjà été franchie, a annoncé l'institut Copernicus début novembre. L'observatoire européen a indiqué qu'il est désormais « pratiquement certain » que l'année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne de 1,6 °C supérieure à la température moyenne de l'ère préindustrielle.
Malgré l'urgence, les chercheurs du Global Carbon Project affirment qu'il n'y a toujours « aucun signe » que le monde a atteint un pic d'émission de CO2. Au surlendemain de l'ouverture de la COP29 à Bakou en Azerbaïdjan, ils appellent les dirigeants à « prendre des engagements pour réduire rapidement et fortement les émissions de combustibles fossiles afin de nous donner une chance de rester en dessous des 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».
Dans le détail, les émissions liées au gaz naturel bondiraient en 2024 de 2,4 %, celles relatives au pétrole seraient en hausse de 0,9 % et celles liées au charbon devraient croître de 0,2 %. Seules les émissions liées au ciment sont à la baisse (-2,8 %), en raison de la crise de la construction en Chine et aux États-Unis. Toutefois, « compte tenu de l'incertitude des projections, il est possible que les émissions de charbon — combustible le plus néfaste pour l'atmosphère — diminuent en 2024 », précisent les scientifiques dans le rapport.
En Inde et en Chine, des hausses moins fortes qu'en 2023
Tous les pays ne sont pas sur les mêmes trajectoires. Du côté des mauvais élèves, l'Inde, responsable de 8 % des émissions mondiales de CO2, reste sur une pente ascendante. Après une hausse de 8,2 % en 2023, ses rejets de CO2 augmentent cette année « seulement » de 4,6 %.
La Chine, qui dégage quasiment un tiers des émissions mondiales (31 %), n'infléchit pas la tendance mais ses émissions augmentent beaucoup moins qu'avant : 4,9 % en 2023 contre 0,2 % cette année. « La demande d'électricité continue de croître fortement, tant dans l'industrie que dans les ménages, la consommation de charbon a légèrement augmenté », notent les scientifiques du Global Carbon Project.
« La demande d'électricité continue de croître fortement »
Par ailleurs, « les émissions provenant du pétrole ont probablement atteint leur maximum, les véhicules électriques gagnent régulièrement des parts de marché ». Pour information, la Chine s'est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2060 et un pic d'émissions en 2030.
Des baisses plus timides aux États-Unis et dans l'Union européenne
Les États-Unis poursuivent quant à eux leur baisse des émissions de CO2. Après une diminution de 3 % en 2023, cette année, les rejets de dioxyde de carbone devraient s'infléchir de 0,6 %. Cette baisse concerne à la fois le charbon — délaissé au profit du gaz naturel — le pétrole et le ciment. Alors que le pays s'est engagé à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, l'élection de Donald Trump à la présidence pourrait changer la donne.
Si l'Union européenne affiche encore une fois la plus forte baisse d'émissions, -3,8 % de CO2 en un an, selon l'estimation des chercheurs, c'est beaucoup moins qu'en 2023 (-7 %). Pourquoi ? Une partie peut s'expliquer par la crise énergétique en 2023 : « La chute avait été très forte en 2023 car les Européens se sont moins chauffés que d'habitude à cause de la hausse des prix de l'électricité consécutive à l'arrêt des importations de gaz russe. » En outre, l'hiver 2023 avait été particulièrement doux.
Pour le « reste du monde » (soit tous les autres pays à l'exclusion de la Chine, des États-Unis, de l'Inde et de ceux de l'Union européenne), les émissions sont en hausse de 1,1 %.
Concernant les différents secteurs d'émissions, l'aviation et le transport maritime internationaux, responsables chacun de 3 % des émissions mondiales, devraient augmenter respectivement de 13,5 % et 2,7 % en 2024.
La technologie ne sauvera pas le climat
Si l'on regarde les tendances décennales, les chercheurs observent toutefois un ralentissement de la hausse des émissions de CO2. Entre 2013 et 2024, elles étaient de +0,6 % par an en moyenne, contre +2,4 % lors de la décennie précédente.
Et il ne faut pas compter sur la technologie pour sauver le climat. « Les niveaux actuels d'élimination du dioxyde de carbone par la technologie (captage et stockage de CO2) ne permettent que de compenser un millionième du CO2 émis par les combustibles fossiles », rappellent les scientifiques.
En plus de réduire les activités du charbon, pétrole et gaz, il faut davantage prendre soin des puits de carbone océaniques et terrestres. Ceux-ci nous évitent le pire en absorbant la moitié des émissions totales de CO2 sur la dernière décennie malgré les effets négatifs du changement climatique sur ces écosystèmes.
Enfin, si les effets de l'épisode El Niño ont entraîné une forte réduction des puits de carbone en 2023, en favorisant par exemple les sécheresses, ces puits de carbone devraient se rétablir avec la fin de ce phénomène météo, prédisent les scientifiques.
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La Contre-COP des peuples africains dénonce le système des COP et exige que la justice climatique pour le Sud global soit au centre de l’action climatique

Du 7 au 10 octobre, le Collectif Africain pour la Justice Climatique a organisé la première Contre-COP du Peuple Africain à Saly, au Sénégal. Plus d'une centaine de participant.e.s, venu.e.s de 21 pays, représentant des mouvements sociaux, des communautés de base, des femmes, des jeunes, des organisations de la société civile, des universitaires, des travailleur.e.s et d'autres, ont pris part à l'événement.
Tiré de la page web de Via Campesina
De nombreuses voix africaines – exclues de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – ont été captées et légitimées lors de ce rassemblement. C'était « un moment pour dénoncer le système des COP, souligner les impacts du changement climatique sur les communautés africaines et présenter des solutions alternatives viables », comme le souligne leur déclaration (à lire ci-dessous).
L'événement a offert aux délégué.e.s un espace fructueux pour discuter, élaborer des stratégies et proposer des actions concrètes pouvant conduire à des solutions climatiques justes à travers l'Afrique. Divers thèmes ont été abordés au cours de la conférence, de la souveraineté alimentaire à la lutte contre les fausses solutions climatiques, en passant par les impacts sur l'environnement et les communautés locales de pêcheur.e.s.
Evelyne Awuor, de la Kenyan Peasants League (KPL), membre de La Via Campesina (LVC) SEAf du Kenya, a assisté à la conférence et était heureuse de partager des histoires de communautés où les agricultrices ne sont pas invitées aux réunions. « J'ai veillé à être présente et à partager leur message, occupant ainsi avec force des espaces dans lesquels elles étaient exclues », conclut-elle.
L'APCC est devenue une plateforme pour faire la chronique de la résilience et de la survie des communautés en Afrique et une excellente occasion d'échanger des idées et des rêves d'un meilleur avenir pour tou.te.s !
Lisez ci-dessous leur déclaration complète, rédigée à l'issue de la réunion :
L'Afrique unie contre l'oppression systématique et l'injustice climatique : Déclaration des peuples africains pour la justice climatique
Du 7 au 10 octobre 2024, le Collectif africain pour la justice climatique a organisé la première Conférence des peuples africains pour la justice climatique (APCC) en présentiel à Saly, au Sénégal. Plus d'une centaine de participant·e·s issus de mouvements sociaux, de communautés de base, de femmes, de jeunes, d'organisations de la société civile, d'universitaires, de travailleurs et d'autres personnes de 21 pays y ont pris part.
L'APCC reconnaît que les voix africaines ont été largement exclues de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, captée par les États et les entreprises du Nord, qui continuent d'alimenter les crises climatiques tout en prétendant faussement résoudre les causes du changement climatique. L'APCC constitue donc un moment pour dénoncer le système des COP, souligner les impacts du changement climatique sur les communautés africaines et présenter des solutions alternatives viables. Cela se fait par le partage des connaissances et l'activisme des communautés africaines les plus vulnérables en première ligne de la crise climatique, en particulier les femmes, les jeunes, les militant·e·s et les OSC.
L'APCC a créé un espace où les voix des communautés de base et des militant·e·s ont été entendues et saluées, contrairement à la COP, où ces voix sont marginalisées. Les délégué·e·s ont partagé leurs récits sur les impacts du changement climatique : sécheresses, inondations, érosion, mauvaises récoltes, cyclones, élévation du niveau de la mer, tempêtes de poussière et menaces pour les écosystèmes marins et terrestres, aggravées par l'accaparement des ressources et des terres, ainsi que par les conflits induits par le climat. Ces événements ont entraîné des déplacements, des pertes de moyens de subsistance, des pertes et dommages connexes, des victimisations, des arrestations, du harcèlement et même la mort de membres de la communauté et de militant·e·s qui défendent leurs territoires.
En raison du rétrécissement des espaces civiques dans de nombreux pays, la plateforme APCC est devenue un lieu pour faire la chronique de la résilience et de la survie des communautés, ainsi que de la manière dont la géopolitique a affecté la capacité de l'Afrique à répondre aux impacts du changement climatique. Plusieurs thèmes ont été abordés.
-Souveraineté alimentaire : La nécessité de renforcer les pratiques agroécologiques, la gestion communautaire des forêts et des terres, le pastoralisme et les pratiques de pêche locale, en particulier pour les femmes, qui constituent la majorité des personnes dans les zones rurales.
-Transitions justes : Une interrogation sur les considérations relatives au travail dans la souveraineté énergétique, l'élimination rapide, juste et équitable des combustibles fossiles, et le changement de système à mesure que nous évoluons vers l'adoption des énergies renouvelables et l'industrialisation verte pour le continent africain.
-Systèmes zéro déchet : Une opportunité pour les gouvernements africains d'intégrer des pratiques de gestion décentralisée des déchets afin de réduire les émissions de méthane.
-Financement climatique : L'accent est mis sur l'architecture financière nécessaire à la transition juste, à l'adaptation, à l'atténuation et au fonds pour les pertes et dommages, avec un appel à garantir que les communautés les plus vulnérables touchées par le changement climatique aient accès à ces fonds.
À l'approche de la COP29 qui se tiendra à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre 2024, les peuples africains se mobilisent pour défendre leur droit à un environnement sûr, propice à la croissance et au progrès, même face à la dévastation climatique, environnementale, sociale et économique aggravée par l'architecture néolibérale soutenue par les pays du Nord.
La région de Saint-Louis et la Langue de Barbarie au Sénégal illustrent bien ces défis environnementaux dramatiques : élévation du niveau de la mer, érosion côtière, inondations et salinisation des terres agricoles. Le projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA), mené par des sociétés transnationales (STN), BP et Kosmos Energy, doit exploiter l'un des plus grands gisements de gaz naturel d'Afrique de l'Ouest, situé à la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie. Bien que ce projet soit présenté comme un vecteur de développement économique, il constitue en réalité une menace sérieuse pour les communautés locales, en particulier pour les pêcheurs artisanaux de Saint-Louis.
La pêche artisanale, pilier de l'économie locale, fait vivre des milliers de familles et contribue à la souveraineté alimentaire des femmes, des populations autochtones et de leurs communautés. Cependant, l'exploitation du gaz dans les eaux menace directement ces communautés de pêcheurs et la région dans son ensemble. Les zones de pêche traditionnelles sont désormais interdites, et la pollution croissante due aux forages et aux opérations sismiques compromet gravement la santé des écosystèmes marins. Les eaux, la biodiversité et le patrimoine naturel sont détruits au profit de quelques-uns.
En réponse aux présentations faites, les participants à l'APCC 2024 ont conclu que la crise climatique en Afrique est transversale et ont réaffirmé que les Africains ont contribué de manière minime aux émissions responsables du réchauffement climatique. Cependant, en raison de capacités limitées d'adaptation et d'atténuation du changement climatique, nous, Africains, sommes confrontés à la majorité des défis causés par la crise climatique qui ravage le continent aujourd'hui.
Pour démanteler le pouvoir d'exploitation et l'impunité, les peuples africains affirment leur pouvoir de reléguer les faux récits en promouvant des solutions africaines à travers les déclarations suivantes, en opposition aux impositions du marché et du Nord global lors de la prochaine COP29 à Bakou.
En tant que peuples d'Afrique, nous déclarons :
-Justice climatique maintenant : Nous exigeons la justice climatique pour les communautés du Sud global au centre de l'action climatique. Les pays du Nord global, qui ont le plus contribué à la crise climatique, doivent mener le processus de réduction des émissions à la source et financer les transitions nécessaires en guise de paiement de la dette climatique due au Sud global. Nous dénonçons toutes les formes de fausses solutions au changement climatique, telles que REDD+, Net zéro et la géo-ingénierie, qui aggravent encore davantage les crises climatiques.
- Mettre fin aux extractions de combustibles fossiles en Afrique MAINTENANT : Toutes les formes d'exploration, d'extraction et de production de combustibles fossiles en Afrique doivent être immédiatement arrêtées. Il est temps de donner la priorité aux pratiques durables grâce à une énergie renouvelable centrée sur les personnes, qui protège nos écosystèmes et soutient les économies locales. Les entreprises de combustibles fossiles doivent financer la réhabilitation des terres, des océans et des rivières dégradés par l'extraction d'hydrocarbures.
-Migration et déplacements induits par le climat : Avec l'augmentation des crises climatiques, de nombreux Africains sont contraints de migrer, risquant leur vie dans des voyages dangereux vers le Nord global ou devenant des réfugiés climatiques en Afrique, ce qui entraîne des insécurités alimentaires, foncières et des conflits. Pour y remédier, il faut s'adapter et renforcer la résilience face aux impacts climatiques, tels que les sécheresses, les inondations, l'érosion côtière et la désertification, et veiller à ce que les communautés disposent des ressources nécessaires pour rester dans leurs terres d'origine ou se réinstaller dans des zones propices sans détruire leurs moyens de subsistance, leur culture et leur langue.
-Dette climatique, réparations et réformes économiques : Les réparations climatiques, la remédiation et l'indemnisation des populations touchées en Afrique, ainsi que les réparations coloniales, doivent être versées aux nations africaines et au Sud global, reflétant l'ampleur des dommages causés par le changement climatique et l'exploitation historique. Ces réparations doivent prendre la forme de subventions, et non de prêts qui aggravent encore la dette. L'APCC exige un mécanisme de financement mondial dédié aux pertes et dommages, doté d'au moins 100 milliards de dollars de financements nouveaux et supplémentaires par an d'ici 2030. Ce financement doit être fourni par les pays du Nord, qui portent la responsabilité historique des émissions mondiales. Les pays africains devraient se concentrer sur la valorisation de la valeur ajoutée et sur des partenariats stratégiques qui élèvent la position de l'Afrique dans la chaîne de valeur. Il est urgent de procéder à une réforme fiscale structurelle de l'architecture financière actuelle, qui mettra fin aux flux financiers illicites et à l'évasion fiscale des sociétés transnationales (STN). L'APCC s'oppose fermement à la marchandisation des forêts, des terres et des ressources naturelles africaines par le biais du commerce du carbone.
-Réformer les lois foncières et promouvoir la souveraineté alimentaire : Les gouvernements africains doivent adhérer à la souveraineté alimentaire en donnant la priorité aux cultures vivrières locales par rapport aux cultures commerciales et en promouvant des méthodes de conservation des semences résistantes aux OGM. Cette protection doit inclure des politiques contraignantes ratifiées telles que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Il est urgent de réévaluer les lois coutumières qui donnent du pouvoir aux communautés locales. Les pays africains ont besoin d'un minimum de 15 milliards de dollars par an d'ici 2030 pour financer les mesures d'adaptation agricole, et au moins 5 milliards de dollars par an doivent être consacrés aux pratiques agroécologiques.
-Souveraineté énergétique et démocratie pour tous : La transition vers les énergies renouvelables en Afrique doit être soutenue en priorité avant que l'Afrique n'exporte ses ressources pour la transition vers le Nord global. Les projets d'énergie renouvelable doivent être détenus par la société et bénéficier aux femmes, aux jeunes, aux populations autochtones et aux communautés locales avant l'industrie. La transition doit être menée par la base, en veillant à ce que les politiques donnent la priorité au bien-être des personnes et de l'environnement, et non aux profits des entreprises.
-Halte au colonialisme des déchets : L'Afrique n'est pas un dépotoir et nous ne sommes pas jetables. Il est donc primordial pour nous, Africains, de nous adapter au Traité mondial sur les plastiques, qui nous permet de lutter contre la pollution plastique tout au long de son cycle de vie, de l'extraction à la production et à l'élimination.
-Consentement préalable, libre et éclairé (CLIP) et autodétermination : Le droit des femmes, des peuples autochtones et de leurs communautés au CLIP doit être ratifié et mis en œuvre dans tous les projets d'extraction. Les communautés doivent avoir le droit de dire non ou oui au développement. Si les communautés disent oui, elles doivent dicter les conditions du projet d'une manière qui leur soit bénéfique ainsi qu'à leur environnement. L'indemnisation doit être proportionnelle au niveau de déplacement et de pertes.
-Impliquer les personnes touchées et marginalisées dans la prise de décision : Les gouvernements doivent développer des mécanismes de participation durables qui amènent les femmes, les jeunes autochtones, les personnes handicapées, ainsi que les éleveurs, les pêcheurs et les petits producteurs alimentaires à la table des discussions politiques pour créer des politiques centrées sur les personnes et de véritables solutions qui répondent aux effets du changement climatique. Les demandes des personnes touchées, dans leur diversité, doivent être entendues et respectées.
-Renforcement de la résilience en Afrique : Les Africains doivent se lever contre l'oppression systématique et l'injustice climatique en partageant leurs compétences en matière de résilience et leurs connaissances traditionnelles à travers la narration, le partage d'expériences et l'apprentissage, et mettre ces connaissances en pratique dans nos communautés africaines dirigées par des peuples autochtones et des femmes. Ces connaissances doivent être respectées et intégrées dans d'autres systèmes et processus, car elles constituent des savoirs spécialisés.
En conclusion, la Contre-COP des peuples africains est organisée en réponse à la cooptation de la COP par le capitalisme et le Nord global, qui perpétuent les injustices à l'origine de la crise climatique. Par conséquent, nous, du Sud global, et les Africains en particulier, devons entreprendre des actions qui remédient aux crises climatiques de manière juste et holistique.
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– Contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de NousToutes

À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes et minorités de genre, nous appelons à manifester dans toutes les villes de France hexagonale et des Outre-mer le samedi 23 novembre contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de genre.
Tiré de Entre les lignes et les mots
En France, depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, nous décomptons déjà plus d'un millier de féminicides. UN MILLIER de femmes et filles assassinées par des hommes ! Les féminicides ont lieu partout, dans les foyers mais aussi en dehors. Dans l'espace public, ces crimes visent particulièrement les femmes trans, migrantes, travailleuses du sexes ou SDF qui sont trop souvent invisibilisées. Derrière ce chiffre, ce sont aussi des milliers d'enfants, de familles et de proches endeuilléEs.
Qui s'en indigne ? Qui se préoccupe réellement du meurtre de ces femmes, tuées parce qu'elles sont des femmes ? Quelles réactions collectives ? Quelles réponses politiques ? Depuis 7 ans, les gouvernements successifs ont multiplié les promesses mais les moyens sont dérisoires et en baisse, l'action politique est quasi-inexistante. Non seulement le gouvernement ne soutient pas le travail militant et associatif, mais il s'engage dans une répression sans précédent des mouvements sociaux et féministes.
Les violences sexistes et sexuelles sont quotidiennes et concernent tout le monde. La banalisation du sexisme favorise les violences que nous vivons au quotidien : discriminations, harcèlement, violences psychologiques, violences au sein du couple à travers le contrôle coercitif, violences économiques, cyberviolences dont les raids masculinistes, violences gynécologiques, mutilations sexuelles, mariages forcés, agressions, viols, féminicides. En France, une femme est victime de viol ou tentative de viol toutes les 2 minutes 30 et un enfant toutes les 3 minutes. Plus de cinq millions d'adultes en France déclarent avoir été victimes de pédocriminalité. Des centaines de milliers d'enfants sont victimes des violences conjugales, parentales et intrafamiliales. Un tiers des femmes subissent du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Face à Gisèle et ses enfants, le profil des 51 hommes accusés de viol sous soumission chimique confirme ce que les associations féministes et enfantistes répètent depuis des décennies : les auteurs de violences ne sont pas des monstres, ce sont des hommes de notre entourage mais aussi des personnalités publiques. Ces violences concernent tout le monde ! Et la honte doit changer de camp !
Les violences de genre interviennent aussi au croisement de plusieurs systèmes de domination et d'exclusion. Elles touchent particulièrement les personnes aux identités multiples et vulnérabilisées parce qu'elles sont racisées, précaires, lesbiennes, gays, bi, trans, queer, intersexes, exilées, sans papiers ou en situation irrégulière, incarcérées, handicapées, affectées par des maladies ou troubles psychiques, vivant avec le VIH, travailleuses du sexe, victimes d'exploitation, à la rue, usagères de produits psycho-actifs, mères isolées, mineures, âgées ou grosses. Les rapports de domination s'entretiennent et se renforcent. Ce sont les paroles des premièrEs concernéEs qui fondent nos luttes féministes et nous combattons conjointement toutes les oppressions.
Alors que les victimes parlent et appellent à l'aide, nous dénonçons l'inaction volontaire de l'État, coupable du maintien des violences et de l'abandon des victimes. Le gouvernement enterre la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciilise), abandonne les associations et les services de protection de l'enfance qui subissent des coupes budgétaires. Les institutions maintiennent leur fonctionnement patriarcal et délétère pour les victimes et celleux qui les soutiennent. Ancrées et normalisées dans nos sociétés, les violences sont tantôt invisibles, tantôt considérées comme une fatalité ou un fléau. Au contraire, elles peuvent et doivent être éradiquées. Les solutions sont connues depuis des décennies, d'autres pays les mettent en oeuvre avec des résultats probants : des politiques publiques notamment de prévention des violences, d'éducation à l'égalité et à la culture du consentement à l'école, de mise à l'abri et d'accompagnement des victimes dans leur reconstruction.
Le 23 novembre, nous serons dans la rue pour réclamer ces politiques publiques, avec un budget pérenne annuel d'au moins 2,6 milliards d'euros soit 0,5% du budget de l'État. Le 23 novembre, nous serons dans la rue pour crier notre colère face aux violences sociales qui se sont multipliées ces dernières années et impactent particulièrement la vie des femmes, des personnes LGBTQI+ et des enfants. Si la réforme des retraites représente une violence envers toutes les personnes les plus précaires, les femmes en sont les premières victimes car 60% des économies ont été réalisées sur leurs retraites. Parmi les deux millions de mères isolées avec leurs enfants, près de la moitié vivent sous le seuil de pauvreté. 70% des travailleurs pauvres sont des femmes. En plus des temps partiels imposés, des bas salaires des métiers dévalorisés occupés en grande partie par des femmes racisées, l'inflation ou encore la réforme du RSA les ont encore plus vulnérabilisées.
Le 23 novembre, dans un contexte d'explosion de l'antisémitisme, de l'islamophobie et de toutes les formes de racisme, ainsi que de la transphobie, nous serons aussi dans la rue pour dénoncer la haine entretenue par la fascisation des discours politiques et médiatiques, qui impactent directement nos vies. Nous rappellerons que l'extrême-droite en particulier représente une menace immédiate pour les femmes, les personnes minorisées et les enfants. Niant le résultat des urnes, Emmanuel Macron continue de dérouler le tapis rouge à l'extrême-droite en nommant un premier ministre et un gouvernement réactionnaires ayant voté contre les droits des femmes, des minorités de genre et des enfants. Nous manifesterons notamment contre les politiques LGBTQI+phobes dont les thérapies de conversion et la mutilation des enfants intersexes. Nous continuerons de faire front face aux partis politiques, organisations, médias, masculinistes et fémonationalistes qui attaquent nos droits et instrumentalisent nos luttes.
Le 23 novembre, nous serons aussi dans la rue en solidarité avec nos sœurs et nos adelphes du monde entier, et en soutien de tous les peuples victimes de la colonisation, des génocides, des guerres. Partout où il y a des guerres et des régimes totalitaires, les femmes, les personnes LGBTQI+ et les enfants subissent le viol, les pires violences et voient leurs droits bafoués. Nous exigerons le respect par le gouvernement français du droit international et de l'autodétermination des peuples, la fin de toute politique coloniale et l'arrêt immédiat de l'armement des régimes génocidaires.
Le 23 novembre, nous appelons à la mobilisation générale et à une déferlante féministe dans les rues de toutes les villes de France hexagonale et des Outre-mer contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de genre
Publiés dans le Courrier N° 437 de la Marche Mondiale des Femmes
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L’affaire Errejón, les agressions sexuelles et les féministes (Etat espagnol) : « {Il est urgent d’ouvrir le débat, d’en redéfinir le cadre et de le politiser »}

L'affaire Errejón a suscité un vaste débat public dans la société et, bien entendu, au sein d'un mouvement féministe très diversifié. Dans cette interview, Justa Montero, féministe et engagée depuis longtemps dans le mouvement social, membre du Conseil consultatif de Viento sur, nous donne son point de vue sur ce débat très nécessaire et en même temps, comme elle le dit elle-même, complexe et aux aspects multiples.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Viento Sur : L'accusation d'agression sexuelle portée contre Iñigo Errejón [1] et les témoignages qui ont suivi ont donné lieu à un débat public intense. Selon toi, où se situe le cœur du débat ?
Justa Montero : Au-delà de la procédure judiciaire que l'accusation (ou les accusations) d'agression sexuelle contre Iñigo Errejón va entraîner, l'impact en a été dévastateur. À la plainte s'est ajoutée une désolante lettre, bourrée d'euphémismes, dans laquelle il reconnaît de manière vague sa conduite tout en se disculpant sans demander pardon. Les conséquences ont été dévastatrices, car il s'agit d'un responsable politique extrêmement connu du public, représentant un parti de gauche qui se réclame de la « nouvelle politique » et se déclare féministe.
L'ampleur prise par cette affaire a entraîné un important débat public qui pourrait marquer un tournant dans la compréhension du phénomène des violences sexuelles. Un débat qui n'est pas facile parce qu'il a de multiples facettes et qu'il révèle à quel point il est complexe de prendre en considération cette violence machiste dans ses dimensions personnelles et sociales.
Ainsi, au premier abord, ce qu'il révèle est quelque chose que le mouvement féministe souligne depuis de nombreuses années, depuis que la violence sexuelle est inscrite parmi ses priorités : que la violence sexuelle, dans ses différentes manifestations, est plus banalisée que ne le laisse penser la perception qu'en a la société ; qu'il n'y a pas un seul profil d'homme harceleur et agresseur, c'est-à-dire que la violence sexuelle peut être le fait de citoyens respectables, de pères de famille (Dominique Pelicot, le retraité français qui a organisé le viol de sa femme par 92 hommes, ne semblait-il pas en être un ? ), elle peut venir de prêtres, de collègues, de parents, d'enseignants…
Dans le cas d'Iñigo Errejón, le débat a également été alimenté par un traitement médiatique agressif, moralisateur et sensationnaliste, qui a réussi à faire de la douleur un spectacle (une émission de télévision a même été jusqu'à reconstituer avec des acteurs les scènes mentionnées dans la plainte) ; une stigmatisation sur le mode du lynchage s'est ensuivie, créant un monstre qui mérite la prison à vie. Ceci est typique d'un populisme punitif et étranger à une éthique féministe, quels que soient les faits et les personnes.
Mais, comme le souligne Paola Aragón dans son article « Reconstruire le monstre »·[2], cela répond à un objectif, à une intentionnalité politique claire. Il s'agit de réinstaller dans l'imaginaire collectif l'idée que l'agresseur est un monstre, un traitement qui lui confère le caractère d'exception, de chose hors du commun, ce qui permet d'empêcher que l'on puisse se reconnaître dans le problème qui l'a engendré, créant ainsi un phénomène de mise à distance. Ceci, comme nous le voyons, a un effet rassurant immédiat sur la société, sur les hommes, et un effet trompeur sur les femmes.
Parmi les articles écrits par des hommes que j'ai lus ces jours-ci (de toutes sortes sur l'échelle idéologique), et je suis sûre qu'il y en a plus et que dans les réseaux il y aura des commentaires que je n'ai pas lus non plus, il y en a très, très peu qui se sont sentis interpellés ; allez, ils se comptent sur les doigts d'une main, et il y en a trop (sur ce site, nous avons repris un article de Martí Caussa, « Errejón y nosotros » [3]). Il est surprenant de voir à quel point les hommes ont beaucoup à dire et à repenser (et dans ce cas très particulièrement les hommes hétérosexuels), à partir de la place sociale qu'ils occupent, sur leur masculinité, les relations qu'ils entretiennent, leur contribution à la construction de relations agréables pour les uns et les autres… Mais bien au contraire, dans un certain nombre de cas, ils sont tombés dans la mise en cause du féminisme et de ses dérives.
Une de ces réactions problématiques apparues dans le débat est celle qui s'accompagne d'une connotation moralisatrice. Au lieu de classer les pratiques sexuelles, quel que soit leur type, en fonction de l'existence ou non d'un consentement, et donc de leur qualification d'agression ou non, à partir de l'interprétation de témoignages sortis de leur contexte, il semble que toute pratique sexuelle insatisfaisante à un moment donné, désagréable ou directement désagréable, soit une agression. Et cela revient à dévaloriser l'expression par chaque femme de son vécu sexuel.
L'approche moralisante et moralisatrice contribue à dépolitiser le débat ouvert, il est donc urgent d'ouvrir le champ, de redéfinir le cadre du débat et de le politiser, d'élargir le cadre de l'attention aux violences sexuelles et, en plus du niveau strictement individuel, qui est important et qui exige la vérité, la justice et la réparation pour les femmes qui en ont souffert, d'affronter également la nature structurelle des violences sexuelles, au niveau des structures sociales et des relations de pouvoir patriarcales et discriminatoires qui les entretiennent.
Je voudrais ouvrir une parenthèse pour commenter le fait que, de manière surprenante, le débat s'est accompagné d'un règlement de comptes, à d'honorables exceptions près, entre personnes ayant fait partie de Podemos et de Sumar. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de rapport, il est clair que le mode de direction hyperpersonnalisé, les structures hiérarchiques, les structures peu démocratiques et l'autoritarisme sont favorables au règne du pouvoir, mais il serait bon de réserver d'autres espaces à ces discours afin d'éviter de détourner l'attention, parce que, de fait, dans ces discours, le problème de la violence sexuelle et des femmes qui la subissent disparaît.
V. S. : Pourquoi penses-tu que les dénonciations de ce cas et d'autres sont passées par les réseaux sociaux et non par les sphères collectives des partis ou des espaces dans lesquels ils se produisent ?
J. M. : Hé bien, d'une façon générale, il y a très peu de femmes qui dénoncent les violences sexuelles. Selon les données disponibles, issues de la macro-enquête de 2019 sur les violences faites aux femmes, seules 11,1% des femmes ayant subi des violences sexuelles en dehors du couple les ont dénoncées (elle ou quelqu'un d'autre en son nom) ; ce pourcentage tombe à 8% si la plainte est déposée uniquement par la femme agressée. Dans le cas d'un viol, le pourcentage de femmes qui portent plainte est un peu plus élevé, mais il n'est que de 18%.
Il n'y a pas de raison unique à cela. La majorité des agressions sexuelles ont lieu dans des environnements proches de la vie quotidienne des femmes : dans la famille, au boulot, à l'université, entre amis, à l'église, dans des lieux divers. Même dans le cas des viols, ce n'est pas dans la rue que la plupart d'entre eux ont lieu, comme ce fut le cas pour « la manada », la meute [4]. Dans de nombreux cas, des relations hiérarchiques et de pouvoir sont en jeu, et il est difficile de les dénoncer par crainte de répercussions immédiates dans l'environnement, en raison de situations précaires, par exemple sur le lieu de travail. Il y a des femmes qui, même si elles le voulaient, ne pourraient pas dénoncer ; c'est le cas des femmes migrantes en situation administrative irrégulière parce que la loi les a laissées de côté sans modification de la loi sur les étrangers et donc, si elles dénoncent, elles peuvent se retrouver exposées à des procédures d'expulsion.
Ainsi, lorsque cela a été possible, parce que les femmes se sont senties soutenues par la mobilisation féministe et qu'on leur a offert un espace de parole, on a assisté à une explosion de témoignages anonymes. Sur les réseaux, elles ont trouvé cet espace où elles peuvent raconter leur histoire et se sentir accompagnées, se reconnaissant dans les récits des autres. Cela revêt une importance politique considérable, car la première étape pour aller de l'avant est de donner la parole aux femmes. Et dans les témoignages, elles racontent des expériences qui parfois peuvent constituer un délit, dans d'autres cas elles relatent des pratiques machistes de connards et de bourrins machistes ; dans tous les cas, elles nous permettent de connaître la diversité des expériences et l'impact différencié qu'ont les différentes formes de violence sexuelle sur les femmes.
Le fait que ce soient les réseaux qui aient canalisé ce déversement, avec certaines garanties, soulève de nombreuses questions, car les réseaux, comme nous le savons tous, ne sont pas sans poser des problèmes. Mais l'alternative qui a été proposée par les institutions et certains groupes féministes, à savoir le dépôt de plainte comme procédure offrant davantage de garanties aux femmes, il faut d'abord dire qu'elle se réfère à des moments différents, parce qu'une femme peut vouloir laisser un témoignage de son expérience, mais ne pas vouloir dénoncer parce que son témoignage ne se rapporte peut-être pas à quelque chose qui est considéré comme un délit, ou parce que si c'est le cas, elle ne veut pas le faire non plus.
Comment ne pas avoir peur de la culpabilisation et de la revictimisation, de se voir jugée, d'être interrogée et de la mise à nu personnelle que cela implique ? Il suffit de se rappeler certaines questions posées dans les procès les plus célèbres, ou de l'embauche d'un détective par la défense de violeurs en bande pour passer au peigne fin la vie de la victime. Il y a un film et un documentaire qui illustrent tout cela de manière rigoureuse. Je fais référence au film récent Nevenka (la conseillère municipale de Ponferrada qui a dénoncé le maire, tous deux du PP) d'Icíar Bollaín ; et au documentaire No estás sola (Tu n'es pas seule) sur le viol collectif de Pampelune, d'Almudena Carracedo et Robert Bahart. Dans ces deux cas, les femmes ont gagné en justice, les jugements ont eu d'importantes implications sociales et juridiques en raison de leur impact, et ont permis aux femmes de reprendre le cours de leur vie, même si elles ont dû quitter leur ville. En les regardant, il est facile de comprendre pourquoi une femme ne voudrait pas subir des procédures pénales aussi longues et aussi pénibles.
Tu as demandé pourquoi les plaintes n'ont pas été déposées dans les lieux où les faits se sont produits. Tous les partis ont déclaré avoir adopté des procédures contre les abus ou la violence machiste. Mais les résolutions ne sont pas une garantie en soi ; elles doivent s'accompagner d'une culture politique et organisationnelle anti-violence, de mécanismes d'écoute préventive et protectrice permettant d'identifier les comportements machistes, de mesures d'accompagnement et de suivi. En bref, garantir qu'il s'agit bien d'espaces politiques permettant des relations sûres et amicales dans lesquels la culture machiste est combattue, qu'il existe des moyens permettant, en cas de témoignage ou de plainte, de garantir la non-répétition des faits. Je ne crois pas qu'il y ait de formule magique ; ce sont les processus mêmes de construction collective qui comptent et dans lesquels les groupes de femmes doivent avoir une légitimité et une autorité.
V. S. : Peux-tu expliquer les raisons de la polarisation entre les positions punitivistes et anti-punitivistes ?
J. M. : De mon point de vue, la question centrale pour avancer vers un horizon de transformation est de savoir comment mettre fin à l'impunité qui entoure les violences sexuelles et protège les agresseurs, et comment garantir la réparation aux victimes. L'impunité et la réparation sont les deux éléments qui donnent un sens à la demande de justice et de garanties de non-répétition, car avec l'impunité, il n'y aura jamais de réparation.
La question que se pose le féminisme est la suivante : quelles sont les stratégies qui permettent de lutter contre les violences sexuelles de façon à ce qu'il y ait la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition ? Et c'est là que le débat punitivisme/anti-punitivisme réapparaît.
Une précision préliminaire, car depuis l'affaire Errejón, des positions punitivistes ont été imputées au féminisme comme s'il s'agissait d'un groupe homogène. Bien qu'il existe un secteur du mouvement féministe qui connaît une dérive punitiviste, laquelle la rapproche des positions libérales, sociales-démocrates ou du féminisme classique, il ne s'agit en aucun cas de ce que j'appellerais la position des « grèves féministes ». Je précise cela parce qu'affirmer que le dépôt d'une plainte en justice est punitif revient à banaliser la portée du dépôt d'une plainte. Comme le souligne Laia Serra (avocate pénaliste et féministe) :
« En fait, s'il est un mouvement politique qui n'a cessé de se remettre en question, c'est bien celui des féministes de base. Nous n'avons pas besoin de leçons d'anti-punitivisme, nous connaissons, pour l'avoir vécu, la brutalité du système et les retombées de la répression, et nous savons très bien que le droit pénal non seulement ne résout pas les problèmes sociaux, mais qu'il en démultiplie la violence. Nous avons toujours eu à cœur, de par notre éthique et notre engagement pour l'émancipation, de nous opposer à tout ce qui vide les problèmes de leur charge de contestation sociale » (pikaramagazine [5]).
Le débat avec les positions punitivistes est très important, et du fait de la loi du « seulement si », du populisme punitif qui se manifeste face aux réductions de peine et aux libérations de prisonniers, le débat sur ses conséquences s'est approfondi et amplifié. Parler de punitivisme, c'est se tourner vers l'Etat qui a le monopole de la violence, vers le système carcéral et sécuritaire qu'il organise, vers l'ensemble de son maillage juridique de contrôle social. Et l'État exerce la violence contre les femmes de multiples façons, comme le montre le livre Cuando el estado es violento d'Ana Martínez et Marta Cabezas.
Mais de mon point de vue, il est également intéressant de s'attaquer à l'anti-punitivisme, car c'est ce qui peut ouvrir de nouveaux horizons à ce que nous appelons la justice féministe. Je me réclame d'un féminisme qui a été et qui est anti-punitiviste, qui s'est confronté au populisme punitif, qui critique, par conséquent, le système pénal, les prisons et leur supposé effet préventif. Jamais ce courant féministe n'a mis l'accent sur un alourdissement des peines, ce n'est pas ce qui a été demandé dans le cas de la « meute de Pampelune », où ce qui était demandé, c'était une nouvelle façon de prendre en compte la violence, allant du harcèlement au viol collectif.
Mais, et je reviens à Laia Serra, ce débat sur l'anti-punitivisme ne peut occulter le vrai problème, non résolu, de savoir que faire face à l'impunité généralisée dont bénéficie la violence et de déterminer qui doit être tenu pour responsable de ses conséquences. En d'autres termes, la façon dont on donne un fondement à ces accords théoriques sur l'anti-punitivisme revêt un caractère plus complexe dans la pratique politique féministe, lorsqu'il faut se colleter à la réalité concrète que vivent les femmes.
Et c'est là que la complexité revient. J'ai dit plus haut que les femmes peuvent appréhender la réparation de différentes manières : par le biais d'une décision judiciaire, dans laquelle la sanction est peut-être ce qui importe le moins, mais où la reconnaissance formelle de l'agression est plus importante ; il peut s'agir d'un processus de réparation s'il bénéficie d'un accompagnement professionnel et social qui soutient les femmes ; il peut s'agir d'une réparation économique, ou de se sentir réparée par la reconnaissance et la responsabilisation de l'agresseur dans l'environnement dans lequel l'agression a eu lieu. Toutes ces réponses sont pareillement légitimes et nécessaires parce qu'elles se concentrent sur les besoins des femmes et sur les moyens de mettre fin à l'impunité et de parvenir à une réparation.
D'une part, nous connaissons les problèmes auxquels les femmes sont confrontées dans les procédures judiciaires et il ne saurait être question d'embellir ou de mythifier les choses. Mais réaliser des changements, ouvrir des failles dans le système qui permettent des améliorations dans la vie réelle des femmes, comme par exemple le fait que les femmes ne soient pas obligées de porter plainte pour bénéficier de moyens de subsistance et d'un traitement psychologique, l'existence de centres de soins d'urgence spécifiques, que la prévention sociale et en milieu scolaire occupe une place centrale (même si c'est autre affaire qu'elle soit réellement développée), que l'on continue à affronter la justice patriarcale, tout cela permet de continuer à faire porter à l'État la responsabilité de ses dérives patriarcales, autoritaires et punitives, et d'avancer vers l'horizon d'un système de justice féministe.
D'autre part, dans les positions anti-punitivistes, l'alternative à la dénonciation judiciaire est formulée comme une justice réparatrice/transformatrice centrée sur des processus communautaires de réparation et de responsabilisation individuelle et collective. Il est très important et porteur d'espoir que certaines expériences positives de promotion de la non-impunité et de la réparation au niveau communautaire existent. Il est également important que des femmes et des hommes participent à leur développement afin d'enrichir et de faire progresser la réflexion sur la justice féministe que nous souhaitons. Mais il est également important de ne pas enjoliver cela, car cela a aussi ses limites et ses difficultés. Ces espaces, auxquels nous participons, sont aussi en construction et traversés par des inégalités. Lorsqu'un cas de violence sexuelle a été soulevé, il est parfois arrivé que des dynamiques de revictimisation de la femme qui avait porté plainte au sein du collectif se soient produites. Ces expériences n'ont pas toujours été positives et l'autogestion de la violence n'a pas toujours donné des résultats satisfaisants. Vouloir l'aborder non pas de manière complémentaire, mais comme une alternative, crée des problèmes dans la pratique, car la grande majorité des femmes qui subissent des violences sexuelles ne participent pas à ce type de communautés et de réseaux sociaux, n'ont pas la possibilité de le faire, et ont besoin d'autres outils.
En conclusion, l'anti-punitivisme est quelque chose qui se construit à partir de diverses pratiques en espérant réduire la distance entre la justice féministe à laquelle nous aspirons et les conquêtes ponctuelles que nous obtenons : mesures préventives, prise en charge totale des femmes ayant subi des violences sexuelles, transformation du système judiciaire, construction de collectifs et de relations plaisantes et satisfaisantes, afin d'améliorer la situation de celles qui subissent des violences sexuelles.
V. S. : Quel devrait être, selon toi le rôle du féminisme dans ce débat ?
J. M. : Tout d'abord, une précision, car vu la tournure que prend le débat public, je pense qu'il est nécessaire de revenir à parler des féminismes au pluriel. On parle trop souvent du féminisme comme s'il s'agissait d'un bloc compact ou d'un parti, alors qu'il s'agit d'un mouvement pluriel. C'est ainsi que l'on étouffe, y compris, même si c'est surprenant, de la part de voix amies, le féminisme de base qui s'est nourri des grèves féministes et qui, comme je l'ai dit, ont fui le punitivisme, qui ont toujours mis en avant la capacité d'action des femmes en tant que sujets dotés de la compétence éthique de prendre des décisions concernant leur vie, leur identité, leur sexualité, leur plaisir et leur amour, non pas en tant que victimes mais, même dans des situations dures et difficiles, en tant que sujets actifs à même de formuler leurs revendications. Ces exigences, il les formule pour toutes, pour les travailleuses du sexe, pour les personnes transgenres, en ce qui concerne la maternité, les relations sexuelles, afin de faire face à la violence. C'est un féminisme qui pratique une approche intersectionnelle pour ancrer les histoires et les propositions dans les réalités concrètes de la vie des femmes, sur la base de leurs conditions de vie matérielles et de la subjectivité de chacune d'entre elles, afin qu'elles puissent vivre dans la dignité et libérées de la violence. Je crois que c'est ce qui ouvre une voie vers une plus grande transformation.
Tout ce qui vient d'être dit n'est rien de plus que de brèves réflexions ; comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un débat complexe, et plus il y a d'acteurs impliqués, plus il y a de facettes qui se dessinent. Je crois que nous devons continuer à y réfléchir et à nous poser de nombreuses questions, comme nous l'avons fait tout au long de notre vie. Lutter contre la violence à deux niveaux interconnectés – individuel et structurel – implique de se confronter à la subjectivité et à la réalité matérielle des femmes et des hommes, ainsi qu'aux structures de pouvoir du système qui génèrent et entretiennent la violence.
Nous nous trouvons à un moment important où nous devons consolider et faire progresser ce qui a été réalisé, afin de gagner la bataille du narratif qui a commencé à se déployer.
Face au risque d'une fermeture moralisatrice du débat, dans lequel la droite et l'extrême droite se lanceront avec force, c'est l'occasion d'exposer nos arguments en défense de notre identité sexuelle et de notre lutte contre la violence machiste. Et face au risque de voir les femmes réduites au silence, il n'y a pas d'autre choix, comme toujours, que l'organisation et la mobilisation féministes. Car la mobilisation féministe est aussi réparatrice pour de nombreuses femmes. J'aime à rappeler les paroles de remerciement contenues dans la lettre envoyée par la femme qui a subi la violence de la manada : « Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont aidée dans ce parcours. Toutes les personnes dont l'élan, sans qu'elles me connaissent, a submergé l'Espagne, et qui m'ont donné une voix quand beaucoup ont essayé de me l'enlever ».
[1] Iñigo Errejón a été l'un des principaux dirigeant de Podemos, avant de rompre avec Pablo Iglesias, et de fonder ses propres organisations, puis de rejoindre Sumar, puis de se retirer de la vie politique en 2024.
[2] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/reconstruir-al-monstruo/
[3] https://vientosur.info/errejon-y-nosotros/
[4] L'affaire de La Manada, viol collectif commis à Pampelune en 2016. La victime a porté plainte, le procès a eu un grand retentissement. Après bien des péripéties, la mobilisation féministe a permis de faire entrer la notion de consentement dans le code pénal, les cinq violeurs ont finalement été condamnés à 15 ans de prison (ndt)
[5] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/antipunitivismo-remasterizado/
Source : Viento Sur, 09/Nov/2024, “Urge abrir el foco, cambiar el marco del debate y politizarlo” :
https://vientosur.info/urge-abrir-el-foco-cambiar-el-marco-del-debate-y-politizarlo/
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72497
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« {Pas tous les hommes, mais beaucoup d’entre eux} » : le procès de Gisèle Pelicot changera-t-il enfin l’attitude des Français à propos des agressions sexuelles ?

Les détails horribles de l'affaire Pelicot qui a secoué le pays, et la réaction du maire local, démontrent un refus généralisé de tenir tête à ce genre d'agressions.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/14/pas-tous-les-hommes-mais-beaucoup-dentre-eux-le-proces-de-gisele-pelicot-changera-t-il-enfin-lattitude-des-francais-a-propos-des-agressions-sexuelles/?jetpack_skip_subscription_popup
Alors que l'horreur de la façon dont Dominique Pelicot a longuement drogué son épouse, Gisèle, et permis à au moins 83 hommes de la violer continuait à être dévoilée dans une salle d'audience française la semaine dernière, il était difficile de voir comment l'affaire « aurait pu être pire », comme l'a suggéré un élu local.
Louis Bonnet, maire de #Mazan, la ville de 6 000 habitants du sud de la France où vivaient les Pelicots et un certain nombre de violeurs présumés, a en effet soutenu que « personne n'a été tué », même s'il s'est excusé plus tard et a admis que ses mots n'étaient « pas tout à fait appropriés ».
Pour les féministes et militantes françaises cependant, les commentaires malencontreux de M. Bonnet résument la façon dont la France n'a pas réagi au mouvement #MeToo et accuse un retard « abyssal » dans la lutte contre lesagressions sexuelles sur le plan social et juridique.
Anne-Cécile Mailfert, fondatrice de l'organisation féministe Fondation des Femmes, a déclaré que le fait qu'un tel commentaire puisse être lancé à propos d'un procès « qui symbolise ce que la violence masculine peut faire de pire » montrait les défis auxquels les femmes doivent faire face. « Cela montre exactement ce à quoi nous sommes confrontées, à savoir non seulement une culture du viol, mais aussi une culture de l'impunité », a-t-elle conclu.
Anna Toumazoff, écrivaine et militante féministe, a ajouté : « C'est un exemple de la façon dont les hommes ont encore du mal à comprendre ce à quoi nous sommes confrontées en tant que femmes, et c'est là le véritable problème ».
« C'est le produit d'une société qui ne parvient pas à protéger les femmes ou à les considérer comme des êtres humains à part entière. »
Depuis que le mouvement mondial #MeToo a émergé, encourageant les victimes à aborder et à signaler les agressions sexuelles et sexistes, la France peine à changer d'attitude à l'égard de celles qui le font.
Les accusations portées contre un certain nombre de personnalités, dont l'acteurGérard Depardieu et les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon, n'ont pas réussi à ébranler le relent de ce que l'on qualifie souvent de puritanisme anglo-saxon attaché au mouvement MeToo dans les esprits français, malgré des protestations d'innocence.
En mai, dans le contexte d'une frustration croissante face à l'absence de changement après que le nombre d'affaires de viols classées sans suite a atteint le pourcentage de 94% des plaintes déposées, une pétition signée par plus de 140 personnalités, publiée dans Le Monde, a appelé à une nouvelle loi de grande ampleur contre les violences sexuelles et sexistes.
« #MeToo a révélé une réalité empreinte de déni, y a-t-on lu : les violences sexistes et sexuelles sont systémiques et non exceptionnelles. Les faits semblent se succéder les uns aux autres. Qui nous écoute ? » Mme Mailfert, l'une des instigatrices de la pétition, a soutenu que l'affaire Pelicot, entendue à un tribunal d'Avignon, montre à quel point une nouvelle « loi intégrale » est nécessaire.
« Nous l'avons régulièrement réclamée à chaque fois qu'un cas particulier se présentait », a-t-elle déclaré. « Nous ne pouvons qu'espérer que cette fois-ci, cela débouchera sur une loi de grande envergure qui couvrirait la manière dont la police traite les plaintes au départ, la manière dont elles sont instruites, puis la manière dont elles sont jugées. Cela permettrait à la société de progresser vers la résolution de ces problèmes ».
« EnFrance, il y a un débat pour savoir si #MeToo est allé trop loin. ‘Est-ce vraiment si grave si quelqu'un met la main aux fesses de quelqu'une, après tout ce n'est qu'un geste ? Est-ce si grave de prendre une photo sous la jupe de quelqu'une ? Ce n'est qu'une photo.' Mais tous ces délits apparemment mineurs doivent être pris au sérieux, car une personne capable de mettre la main aux fesses de quelqu'un sans son consentement ou de prendre une photo sous une jupe est peut-être capable de faire quelque chose de beaucoup, beaucoup plus grave. Comme nous le constatons dans cette affaire ».
Les agressions de Dominique Pelicot à l'encontre de sa femme n'ont étédécouvertesque lorsqu'il a été repéré par un agent de sécurité en train de prendre des photos sous les jupes de femmes dans un supermarché et qu'il a été arrêté.
Mme Mailfert a ajouté : « Nous ne devons pas oublier que c'est grâce à la chance que Dominique Pelicot a été arrêté. C'est une chance que l'agent de sécurité qui l'a attrapé […] l'ait retenu, ait appelé la police et ne l'ait pas laissé partir avec un simple avertissement ».
« C'est une chance que la femme dont il a filmé sous la jupe ait porté plainte. C'est une chance que la police n'ait pas choisi de s'occuper d'une centaine de choses perçues comme plus graves et qu'elle ait poursuivi l'affaire, regardé son ordinateur et découvert ce qu'il faisait ».
« Si rien de tout cela n'était arrivé, il aurait sûrement continué. Ce qui semblait être un petit incident était un indicateur de quelque chose de beaucoup plus grave. Il s'inscrivait dans un continuum de violence. »
Mme Mailfert a déclaré que toute nouvelle loi devrait également traiter de la manière dont les victimes sont traitées au tribunal. La semaine dernière, Gisèle Pelicot, 72 ans, a été contrainte de rappeler au juge que ce n'était pas elle qui était en procès, après avoir été confrontée à ce qu'elle a qualifié de « questions humiliantes » de la part des juges et des avocats de la défense concernant ses vêtements, sa consommation d'alcool et la question de savoir si elle avait consenti à des relations sexuelles avec les 50 hommes qui se trouvaient sur le banc des accusés avec son mari accusé de viol.
Kim Willsher à Paris, pour The Guardian, le 21 septembre 2024
Traduction : TRADFEM
https://tradfem.wordpress.com/2024/11/10/pas-tous-les-hommes-mais-beaucoup-dentre-eux-le-proces-de-gisele-pelicot-changera-t-il-enfin-lattitude-des-francais-a-propos-des-agressions-sexuelles/
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Vendredi 22 novembre : Rassemblons-nous pour protester contre l’OTAN ! Nos raisons de protester sont nombreuses, même vitales !

Du 22 au 25 novembre 2024, l'Assemblée des parlementaires de l'OTAN (AP-OTAN) se tiendra à
Montréal. Cette assemblée réunira près de 400 délégué·e·s de 57 pays, incluant les 32 pays membres de l'OTAN, dont le Canada, et plusieurs autres pays partenaires ou associés.
À l'occasion de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, à Montréal :
Vendredi 22 novembre 2024
Rassemblement de protestation à Montréal
Place Jean-Paul Riopelle, à 15 h
Cette Assemblée des parlementaires est un des mécanismes par lesquels les États-Unis, maître d'œuvre de l'OTAN, fabriquent, en continu, un « consensus » autour de leur propre stratégie belliciste :
« L'AP-OTAN a été fondée en 1955 pour amener les parlementaires à prendre part au débat sur les questions transatlantiques et pour contribuer à l'émergence d'un consensus autour des politiques de l'Alliance au sein des parlements et de l'opinion publique ».
L'OTAN se décrit comme « une communauté de valeurs unique en son genre, attachée aux principes de la liberté individuelle, de la démocratie, des droits de l'homme et de l'état de droit ». Mais, de ses origines
(1949) à aujourd'hui, l'OTAN a régulièrement violé les principes qu'elle proclame. Actuellement, après plus de 13 mois de génocide à Gaza, la complicité ou l'inaction des pays membres de l'OTAN nous donne la mesure réelle de leur attachement aux droits humains et au droit international.
L'OTAN est, en réalité, un bras armé des États-Unis, s'ajoutant à son armée ultrapuissante et à ses 800 bases militaires à travers le monde. Loin d'être une alliance défensive, l'OTAN s'est lancée dans de nombreuses guerres a
u cours des 30 dernières années. L'OTAN a rejeté en bloc la démarche des Nations Unies pour parvenir à l'élimination de toutes les armes nucléaires, qui menacent la survie même de l'humanité. Aucun de ses membres n'a signé le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires. Tous les membres de l'OTAN, dont le Canada, sont maintenant mobilisés par les États-Unis pour préserver leur hégémonie, dans une logique de confrontation avec la Chine et la Russie. Loin de nous protéger, l'OTAN représente une menace pour l'humanité.
Pressé par l'OTAN et les lobbies militaristes d'accroître considérablement ses dépenses militaires, le Canada obéit. À la veille de l'AP-OTAN et au lendemain de l'élection de Donald Trump, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, lance même que le budget de la Défense sera triplé ! Ces sommes colossales ne devraient-elles pas être consacrées plutôt aux fonctions sociales de l'État (logement, santé, éducation) et à affronter la crise climatique ?
L'OTAN n'est pas défensive, l'OTAN c'est la guerre
Sitôt finie la Guerre froide (1989), les États-Unis et l'OTAN sont partis en guerre : Irak, Kosovo, Afghanistan, Irak à nouveau, Libye et Syrie. Certaines de ces guerres se sont étendues sur des années, voire deux décennies. Leur guerre « contre le terrorisme » a causé plus de 4,5 millions de morts directes et indirectes et a créé au moins 38 millions de réfugié·e·s.
L'OTAN en expansion : perturbatrice de l'ordre mondial
De la fin de la Guerre froide à aujourd'hui, au lieu d'être dissoute, l'OTAN a été transformée pour répondre au nouvel objectif d'hégémonie étasunienne globale. D'une part, elle est passée de 16 à 32 États membres, englobant les pays d'Europe de l'Est, jusqu'aux frontières de la Russie. D'autre part, elle a établi des partenariats dans diverses régions du monde et son champ d'action est devenu planétaire :
« L'OTAN s'est transformée en une organisation transatlantique effectuant des missions globales, de portée globale avec des partenaires globaux (…). Tout appartient potentiellement à la zone de l'OTAN ».
– Daniel Fried, Secrétaire d'État adjoint (étasunien) aux Affaires européennes et eurasiennes, 2007
Cette posture entre clairement en contradiction avec le rôle même des Nations Unies dont le but premier est de maintenir la paix et la sécurité internationales. En effet, cette volonté des États-Unis et de l'OTAN d'agir de façon autonome partout dans le monde entre en contradiction avec l'article 53 de la Charte des Nations Unies qui stipule qu'« aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité ». Ni la guerre du Kosovo (contre la Serbie), ni la guerre en Afghanistan, ni la guerre en Irak (2003), ni la guerre en Libye n'avaient reçu de telles autorisations. Elles se sont donc menées en violation du droit international.
Dans son soutien à l'Ukraine face à l'invasion de la Russie – une véritable guerre par procuration – l'OTAN et ses pays membres prétendent se porter à la défense d'un « ordre mondial fondé sur des règles ». Mais de quelles règles s'agit-il ? Celles du droit international et des Nations Unies, ou celles des États-Unis et de l'OTAN ?
Face à l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza, toutes les institutions des Nations Unies et la Cour internationale de justice sonnent l'alarme et appellent les pays à agir en vue d'un cessez-le-feu immédiat. Les pays de l'OTAN, eux – presque à l'unisson et y compris le Canada – font la sourde oreille, n'imposent aucune sanction et continuent même, pour plusieurs, d'armer Israël. Il faut savoir qu'Israël est un pays « partenaire » de l'OTAN et aura, en plein génocide, sa délégation à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN à Montréal.
L'OTAN : promotrice de la démocratie et des droits humains ?
L'attachement professé par l'OTAN envers la démocratie et les droits humains se révèle trompeur quand on considère notamment les faits suivants :
● Des dictatures ont été membres de l'OTAN : Portugal, Grèce ;
● De nombreuses dictatures militaires en Amérique latine ont été soutenues et même installées au pouvoir – via des coups d'État fomentés par la CIA – dans les années 1960, 1970 et 1980 ;
● Plus récemment, l'OTAN a collaboré avec des seigneurs de guerre en Afghanistan ou des organisations affiliés à Al-Qaïda en Syrie ;
● Les États-Unis, maitre d'œuvre de l'OTAN, ont systématiquement pratiqué la torture dans leur guerre « contre le terrorisme » ;
● Les pays de l'OTAN vendent massivement des armes à des pays répressifs comme l'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis.
En tant qu'instance supranationale, l'OTAN échappe au contrôle démocratique. Le respect de leurs « engagements envers l'OTAN » amène souvent les pays membres à poursuivre des politiques contraires à la volonté de leurs populations, comme ce fut le cas dans la guerre en Afghanistan.
Actuellement, après plus de 13 mois de génocide à Gaza, plusieurs pays de l'OTAN continuent d'armer Israël. Sauf rares exceptions, la complicité ou l'inaction des pays membres de l'OTAN, qui se contentent d'appeler à un cessez-le-feu sans la moindre sanction contre Israël, nous donne la mesure réelle de leur attachement aux droits humains et au droit international !
L'OTAN : une menace pour l'humanité
Depuis plusieurs années, l'économie et l'influence de la Chine se sont accrues considérablement dans le monde, rivalisant avec celles des États-Unis. Une évolution similaire a marqué la Russie, mais de façon nettement moindre. Ces deux pays ont aussi beaucoup augmenté leurs dépenses militaires au cours de la dernière décennie. Mais il faut replacer ces dépenses en perspective. En 2023, les dépenses militaires mondiales se sont élevées à 2 443 milliards de dollars US, en hausse constante depuis 2015. Les dépenses militaires des membres de l'OTAN (32 pays) représentent plus de la moitié (55 %) du total mondial. À elles seules, les dépenses militaires des États-Unis ont constitué 37,5 % des dépenses mondiales, soit plus que le total combiné des neuf autres pays en tête de liste, incluant la Chine (12 %) et la Russie (4,5 %).
Depuis 2018, les États-Unis ont adopté la « compétition stratégique » avec la Chine et la Russie comme axe central de leur stratégie de défense nationale, qui a ensuite été adoptée par l'OTAN et ses pays membres. Cette orientation a lancé une nouvelle course mondiale aux armements particulièrement inquiétante quand on se rappelle…
● … que les États-Unis entretiennent une « ambiguïté stratégique » face à la Chine, affirmant à la fois qu'ils acceptent le principe d'« une seule Chine », et qu'ils défendraient Taïwan en cas d'attaque chinoise ;
● … que l'OTAN se trouve déjà objectivement dans une guerre par procuration contre la Russie en Ukraine.
Au moment de la Guerre froide, les États-Unis et l'URSS considéraient qu'un affrontement direct entre eux, risquant inévitablement une guerre nucléaire, était un tabou absolu. Mais cet élément de sagesse élémentaire n'existe plus aujourd'hui. Des stratèges étasuniens vont même jusqu'à dire que la question n'est pas de savoir s'il y aura une guerre avec la Chine, mais quand !
Face au risque de notre annihilation totale par une guerre nucléaire, les Nations Unies ont adopté un Traité sur l'interdiction des armes nucléaires, qui est entré en vigueur le 10 janvier 2021. Jusqu'à maintenant, il a été signé par 94 pays. Alors que l'OTAN affirme vouloir « créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires », aucun de ses 32 pays membres, dont trois possèdent l'arme nucléaire, ne l'a signé. Aucun des six autres pays dotés de cette arme non plus.
La politique nucléaire de l'OTAN est indéfendable et suicidaire. Indéfendable, parce qu'elle affirme que les armes nucléaires sont la « garantie suprême de la sécurité des Alliés » tout en rejetant toute possibilité que les autres pays se dotent eux aussi de cette garantie suprême. Suicidaire, parce qu'un potentiel anéantissement de l'humanité ne peut raisonnablement être le garant de notre sécurité. Il faut savoir aussi que l'OTAN a toujours refusé de s'engager à ne pas être la première à utiliser des armes nucléaires…
Le militarisme accentue la crise climatique
L'armée des États-Unis (É.-U.) est l'institution qui produit le plus de gaz à effet de serre dans le monde. Ses émissions – pour ses guerres et les opérations de ses 800 bases militaires dans le monde – sont bien supérieures aux émissions totales de pays comme la Suède, la Finlande ou le Danemark. À cela, il faut ajouter les émissions des industries militaires estimées à environ 15 % du total des émissions industrielles du pays.
Pour connaître l'empreinte carbone réelle des guerres et du militarisme, il faudrait ajouter toutes les émissions liées aux autres armées et aux autres industries militaires dans le monde (celles des autres membres de l'OTAN, de la Chine, de la Russie, etc.). Il faudrait aussi estimer les émissions résultant des autres guerres en cours. Et il faudrait aussi ajouter les émissions liées à la reconstruction des infrastructures détruites ou endommagées dans toutes ces guerres. À cet égard, les impacts climatiques de la guerre en Ukraine et de l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza sont considérables.
Il faut savoir aussi que le Protocole de Kyoto (1997) exemptait les pays signataires de faire rapport de leurs émissions de CO2 pour la défense et la sécurité, qui n'étaient donc pas comptabilisées. L'Accord de Paris (2016) a voulu combler un peu cette brèche. Mais les pays peuvent continuer d'exempter ces secteurs quand vient le temps d'établir des cibles de réduction des émissions, ce qui est le cas du Canada.
Le militarisme détourne des ressources énormes des besoins réels de l'humanité
Il est scandaleux que 2 443 milliards de dollars US soient consacrés à intimider, à tuer, à estropier, à terroriser et à détruire, pour servir des ambitions de domination et de pouvoir contraires aux intérêts de l'humanité et qui la conduisent à sa perte ! Cet argent devrait servir à combler les besoins fondamentaux de l'humanité (nourriture, logement, santé, éducation) et à faire face à l'urgence climatique.
Ici même, au Canada, alors que l'inflation réduit notre pouvoir d'achat, que nous sommes frappés par une grave crise du logement et que nos services publics d'éducation et de santé sont de moins en moins à la hauteur des besoins, le budget 2024 du gouvernement canadien prévoit augmenter le financement du ministère de la Défense nationale, de 30 milliards de dollars en 2023-2024 à 49,5 milliards de dollars en 2029-2030. Et le 8 novembre – à la suite de l'élection de Donald Trump et alors que le Canada sera l'hôte de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN du 22 au 25 novembre –, le ministre de la Défense du Canada, Bill Blair, a indiqué qu'un plan avait été soumis à l'OTAN pour que le Canada accroisse ses dépenses militaires de 1,35 % du PIB présentement à 2 % du PIB en 2032, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, allant même jusqu'à dire que le Canada allait tripler ses dépenses militaires !

Conflits géopolitiques, anti-impérialisme et internationalisme à l’heure de « l’accélération réactionnaire »

Face à crise du (dés)ordre géopolitique international, « je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle, pour ensuite caractériser les différentes positions qui émergent au sein de la gauche dans cette nouvelle phase et insister sur la nécessité de construire une gauche internationaliste, opposée à tous les impérialismes (principaux ou secondaires) et solidaire des luttes des peuples agressés. »
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
15 novembre 2024
Par Jaime Pastor
Dans le cadre général de la crise multidimensionnelle dans laquelle nous nous trouvons – aujourd'hui aggravée par l'impulsion donnée par la récente victoire électorale de Trump à la montée d'une extrême droite à l'échelle mondiale –, il semble encore plus évident que nous assistons à une crise profonde du (dés)ordre géopolitique international, ainsi que des règles fondamentales du droit international qui ont été établies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La manifestation la plus tragique de cette crise (qui remet en question l'avenir même de l'ONU) se trouve dans la guerre génocidaire contre Gaza (Awad, 2024), à laquelle s'ajoutent actuellement quelque 56 guerres dans le monde.
Dans ce contexte, le système hiérarchique impérialiste basé sur l'hégémonie américaine est ouvertement remis en question et contesté par des grandes puissances rivales, telles que la Chine et la Russie, ainsi que par d'autres au niveau régional, comme l'Iran. Cette compétition géopolitique mondiale se manifeste clairement dans certains conflits militaires, de l'évolution desquels dépendra une nouvelle configuration des rapports de forces au sein de ce système, ainsi que dans les blocs présents ou en formation, tels que les BRICS.
Face à ce nouveau scénario, je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle pour ensuite caractériser les différentes positions qui émergent au sein de la gauche dans cette nouvelle phase et insister sur la nécessité de construire une gauche internationaliste, opposée à tous les impérialismes (principaux ou secondaires) et solidaire des luttes des peuples agressés.
Polycrise et néolibéralisme autoritaire
Il existe un large consensus au sein de la gauche sur le diagnostic que l'on peut faire de la crise globale que le monde traverse aujourd'hui, avec en toile de fond la crise éco-sociale et climatique. Une polycrise que l'on peut définir avec Pierre Rousset comme « multiforme, résultat de la combinaison de multiples crises spécifiques. Nous ne sommes donc pas face à une simple somme de crises, mais à leur interaction, qui démultiplie leur dynamique, alimentant une spirale mortifère pour l'espèce humaine (et pour une grande partie des espèces vivantes) » (Pastor, 2024).
Une situation étroitement liée à l'épuisement du régime d'accumulation capitaliste néolibéral initié au milieu des années 1970, qui, après la chute du bloc hégémonisé par l'URSS, a fait un bond en avant vers son expansion à l'échelle mondiale. Un processus qui a conduit à la Grande Récession qui a débuté en 2008 (aggravée par les politiques d'austérité, les conséquences de la crise pandémique et la guerre en Ukraine), qui a fini par frustrer les attentes d'ascension sociale et de stabilité politique que la mondialisation heureuse promise avait générées, principalement parmi des secteurs significatifs des nouvelles classes moyennes.
Une mondialisation, rappelons-le, qui s'est développée dans le cadre du nouveau cycle néolibéral qui, tout au long de ses différentes phases – combative, normative et punitive (Davies, 2016) –, a construit un nouveau constitutionnalisme économique transnational au service de la tyrannie corporative globale et de la destruction du pouvoir structurel, associatif et social de la classe ouvrière. Plus sérieusement, il a fait de la civilisation du marché « la seule civilisation possible », un sens commun, bien que tout ce processus ait pris différentes variantes et formes de régimes politiques, généralement basés sur des États forts et immunisés contre les pressions démocratiques (Gill, 2022 ; Slobodian, 2021). Un néolibéralisme qui, cependant, montre aujourd'hui son incapacité à offrir un horizon d'amélioration à la majorité de l'humanité sur une planète de plus en plus inhospitalière.
Nous nous trouvons donc dans une période, tant au niveau étatique qu'interétatique, pleine d'incertitudes, sous un capitalisme financiarisé, numérique, extractiviste et rentier qui précarise nos vies et cherche à tout prix à jeter les bases d'une nouvelle étape de croissance avec un rôle de plus en plus actif des États à son service. Pour ce faire, il recourt à de nouvelles formes de domination politique, fonctionnelles, adaptées à ce projet, qui tendent de plus en plus à entrer en conflit non seulement avec les libertés et les droits conquis au terme de longues luttes populaires, mais aussi avec la démocratie libérale. Ainsi, un néolibéralisme de plus en plus autoritaire se répand, non seulement au Sud mais aussi de plus en plus au Nord, avec la menace d'une « accélération réactionnaire » (Castellani, 2024). Un processus désormais stimulé par un trumpisme qui devient le cadre discursif maître d'une extrême droite montante, prête à se constituer en alternative à la crise de la gouvernance mondiale et à la décomposition des anciennes élites politiques (Urbán, 2024 ; Camargo, 2024).
Le système hiérarchique impérialiste en question
Dans ce contexte, succinctement esquissé ici, nous assistons à une crise du système hiérarchique impérialiste qui prévaut depuis la chute du bloc soviétique, facilitée précisément par les effets générés par un processus de mondialisation qui a conduit à un déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale de l'Atlantique Nord (Europe/États-Unis) vers le Pacifique (États-Unis, Asie de l'Est et du Sud-Est).
En effet, suite à la Grande Récession qui a débuté en 2007-2008 et à la crise de la mondialisation néolibérale qui s'en est suivie, une nouvelle phase s'est ouverte dans laquelle une reconfiguration de l'ordre géopolitique mondial est en train de se produire, un ordre qui est tendanciellement multipolaire, mais en même temps asymétrique, dans lequel les États-Unis restent la grande puissance hégémonique (monétaire, militaire et géopolitique), mais se trouvent plus affaiblis et défiés par la Chine, la grande puissance montante, et la Russie, ainsi que par d'autres puissances sub-impériales ou secondaires dans différentes régions de la planète. Pendant ce temps, dans de nombreux pays du Sud, confrontés au pillage de leurs ressources, à l'augmentation des dettes souveraines, aux révoltes populaires et aux guerres de toutes sortes, la fin du développement comme horizon à atteindre cède la place à des populismes réactionnaires au nom de l'ordre et de la sécurité.
Ainsi, la concurrence géopolitique mondiale et régionale est accentuée par des intérêts divergents, non seulement dans le domaine économique et technologique, mais aussi dans le domaine militaire et des valeurs, avec pour conséquence la montée des ethno-nationalismes étatiques face à des ennemis présumés internes et externes.
Cependant, nous ne devons pas oublier le haut degré d'interdépendance économique, énergétique et technologique qui s'est matérialisé à travers le monde dans le contexte de la mondialisation néolibérale, comme l'ont ouvertement souligné à la fois la crise pandémique mondiale et l'absence d'un blocus efficace contre la Russie dans le domaine de l'énergie malgré les sanctions convenues. À cela s'ajoutent deux nouveaux facteurs fondamentaux : d'une part, la possession actuelle d'armes nucléaires par les grandes puissances (il existe actuellement quatre points chauds nucléaires : un au Moyen-Orient (Israël) et trois en Eurasie (Ukraine, Inde-Pakistan et péninsule coréenne) ; et, d'autre part, les crises du climat, de l'énergie et des matières premières (c'est l'heure de vérité !), qui rendent cette situation sensiblement différente de ce qu'elle était avant 1914. Ces facteurs conditionnent la transition géopolitique et économique en cours, fixant les limites d'une démondialisation qui risque d'être partielle et certainement pas heureuse pour la grande majorité de l'humanité. Dans le même temps, ces facteurs alertent sur les risques accrus d'escalade dans les conflits armés dans lesquels des puissances dotées de l'arme nucléaire sont directement ou indirectement impliquées, comme dans les cas de l'Ukraine et de la Palestine.
Cette spécificité de l'étape historique actuelle nous amène, selon Promise Li, à considérer que la relation entre les grandes puissances (notamment entre les Etats-Unis et la Chine) est un équilibre instable entre une « coopération antagoniste » et une « rivalité inter-impérialiste » croissante. Un équilibre qui pourrait être rompu en faveur de cette dernière, mais qui pourrait également être normalisé dans le cadre de la recherche commune d'une issue à la stagnation séculaire d'un capitalisme mondial dans lequel la Chine (Rousset, 2021) et la Russie (Serfati, 2022) se sont désormais insérées, bien qu'avec des évolutions très différentes. Un processus, donc, plein de contradictions, qui est extensible à d'autres puissances, comme l'Inde, qui font partie des BRICS, dans lesquels les gouvernements de ses pays membres n'ont pas réussi jusqu'à présent à remettre en question le rôle central d'organisations comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, qui sont toujours sous l'hégémonie des États-Unis (Fuentes, 2023 ; Toussaint, 2024).
Cependant, il est clair que l'affaiblissement géopolitique des États-Unis - surtout après leur fiasco total en Irak et en Afghanistan et, maintenant, la crise de légitimité qu'entraîne leur soutien inconditionnel à l'État génocidaire d'Israël - permet une plus grande marge de manœuvre potentielle de la part des différentes puissances mondiales ou régionales, en particulier celles dotées de l'arme nucléaire. Je suis donc d'accord avec la description de Pierre Rousset :
« Le déclin relatif des Etats-Unis et la montée incomplète de la Chine ont ouvert un espace dans lequel des puissances secondaires peuvent jouer un rôle significatif, au moins dans leur propre région (Russie, Turquie, Brésil, Arabie Saoudite, etc.), même si les limites des BRICS sont évidentes. Dans cette situation, la Russie n'a pas manqué de mettre la Chine devant une série de faits accomplis aux frontières orientales de l'Europe. En agissant de concert, Moscou et Pékin ont été largement maîtres du jeu sur le continent eurasiatique. En revanche, il n'y a pas eu de coordination entre l'invasion de l'Ukraine et l'attaque effective de Taïwan » (Pastor, 2024).
Ceci, sans doute facilité par le poids plus ou moins important d'autres facteurs liés à la polycrise, explique l'éclatement de conflits et de guerres dans des endroits très différents de la planète, mais en particulier dans trois épicentres très pertinents de l'actualité : l'Ukraine, la Palestine et, bien que pour l'instant en termes de guerre froide, Taïwan.
Dans ce contexte, nous avons vu comment les États-Unis ont utilisé l'invasion injuste de l'Ukraine par la Russie comme alibi pour relancer l'expansion d'une OTAN en crise vers d'autres pays d'Europe de l'Est et du Nord. Cet objectif est étroitement associé à la reformulation du « nouveau concept stratégique » de l'OTAN, comme nous l'avons vu lors du sommet que cette organisation a tenu à Madrid en juillet 2022 (Pastor, 2022) et plus récemment lors du sommet qui s'est tenu en juillet de cette année à Washington. Ce dernier a réaffirmé cette stratégie, ainsi que la prise en compte de la Chine comme principal concurrent stratégique, tout en évitant de critiquer l'État d'Israël. Ce dernier montre le double standard (Achcar, 2024) du bloc occidental concernant son implication dans la guerre en Ukraine, d'une part, et sa complicité avec le génocide commis par l'État colonial d'Israël contre le peuple palestinien, d'autre part.
Nous avons également constaté l'intérêt croissant de l'OTAN pour le flanc sud afin de poursuivre sa nécropolitique raciste contre l'immigration illégale tout en aspirant à rivaliser pour le contrôle des ressources de base dans les pays du Sud, en particulier en Afrique, où l'impérialisme français et américain perd du terrain au profit de la Chine et de la Russie.
Ainsi, une redéfinition de la stratégie du bloc occidental a eu lieu, au sein duquel l'hégémonie américaine a été renforcée militairement (grâce, surtout, à l'invasion de l'Ukraine par la Russie) et à laquelle une Union européenne plus divisée est clairement subordonnée, avec son vieux moteur allemand affaibli. Cependant, après la victoire de Trump, l'UE semble déterminée à renforcer sa puissance militaire au nom de la recherche d'une fausse autonomie stratégique, car elle restera liée au cadre de l'OTAN. Pendant ce temps, de nombreux pays du Sud prennent de plus en plus leurs distances avec le bloc, bien qu'ils aient des intérêts différents, ce qui différencie les alliances possibles qui pourraient être formées de celles qui caractérisaient le mouvement des non-alignés dans le passé.
Quoi qu'il en soit, il est probable qu'après sa victoire électorale, Donald Trump opère un changement majeur dans la politique étrangère des États-Unis afin de mettre en œuvre son projet MAGA (Make America Great Again) au-delà de la sphère géo-économique (en intensifiant sa concurrence avec la Chine et, bien qu'à un niveau différent, avec l'UE), en particulier en ce qui concerne les trois épicentres de conflit mentionnés plus haut : en ce qui concerne l'Ukraine, en réduisant substantiellement l'aide économique et militaire et en cherchant une forme d'accord avec Poutine, au moins, sur un cessez-le-feu ; en ce qui concerne Israël, en renforçant son soutien à la guerre totale de Netanyahou ; et enfin en réduisant son engagement militaire avec Taïwan.
Quel internationalisme anti-impérialiste de la gauche ?
Dans ce contexte de montée du néolibéralisme autoritaire (dans ses différentes versions : l'extrême droite réactionnaire et l'extrême centre, principalement) et de divers conflits géopolitiques, le grand défi pour la gauche consiste à reconstruire des forces sociales et politiques antagonistes ancrées dans la classe ouvrière et capables de forger un anti-impérialisme et un internationalisme solidaire qui ne soient pas subordonnés à l'une ou l'autre grande puissance ou à un bloc capitaliste régional.
Une tâche qui ne sera pas facile, car dans la phase actuelle, nous assistons à de profondes divisions au sein de la gauche quant à la position à maintenir face à certains des conflits mentionnés ci-dessus. En essayant de synthétiser, avec Ashley Smith (2024), nous pourrions distinguer quatre positions :
• La première serait celle qui s'aligne sur le bloc impérial occidental dans la défense commune de prétendues valeurs démocratiques contre la Russie, ou sur l'État d'Israël dans son droit injustifiable à l'autodéfense, comme l'a affirmé un secteur majoritaire de la gauche sociale-libérale. Une position qui cache les véritables intérêts impérialistes de ce bloc, ne dénonce pas son double langage et ignore la dérive de plus en plus antidémocratique et raciste que connaissent les régimes occidentaux, ainsi que le caractère colonial et d'occupation de l'État israélien.
• La seconde serait celle que l'on qualifie habituellement de campiste, qui s'alignerait sur des États comme la Russie et la Chine, qu'elle considère comme des alliés contre l'impérialisme américain parce qu'elle considère ce dernier comme l'ennemi principal, en ignorant les intérêts géopolitiques expansionnistes de ces deux puissances. Une position qui rappelle celle adoptée dans le passé par de nombreux partis communistes pendant la période de la guerre froide à l'égard de l'URSS, mais qui devient aujourd'hui caricaturale au vu de la nature réactionnaire du régime de Poutine et de la persistance du despotisme bureaucratique d'État en Chine.
• La troisième est celle du réductionnisme géopolitique, qui se traduit aujourd'hui dans la guerre en Ukraine, se limitant à considérer qu'il ne s'agit que d'un conflit inter-impérialiste. Cette attitude, adoptée par un secteur du pacifisme et de la gauche, implique de nier la légitimité de la dimension nationale de la lutte de la résistance ukrainienne contre la puissance occupante, tout en critiquant le caractère néolibéral et pro-whitewashing du gouvernement qui la dirige.
• Enfin, il y a celle qui s'oppose à tous les impérialismes (qu'ils soient majeurs ou mineurs) et à tous les doubles standards, se montrant prête à faire preuve de solidarité avec tous les peuples attaqués, même s'ils peuvent compter sur le soutien de l'une ou l'autre puissance impériale (comme les États-Unis et l'UE en ce qui concerne l'Ukraine) ou régionale (comme l'Iran en ce qui concerne le Hamas en Palestine). C'est une position qui n'accepte pas le respect des sphères d'influence que les différentes grandes puissances aspirent à protéger ou à étendre, et qui est solidaire des peuples qui luttent contre l'occupation étrangère et pour le droit de décider de leur avenir (en particulier, avec les forces de gauche dans ces pays qui s'engagent pour une alternative au néolibéralisme), et qui n'est alignée sur aucun bloc politico-militaire.
Cette dernière position est celle que je considère comme la plus cohérente de la part d'une gauche anticapitaliste. En réalité, en gardant la distance historique et en reconnaissant la nécessité d'analyser la spécificité de chaque cas, elle coïncide avec les critères que Lénine a essayé d'appliquer lorsqu'il a analysé la centralité que la lutte contre l'oppression nationale et coloniale était en train d'acquérir dans la phase impérialiste du début du 20e siècle. Cela s'est reflété, en ce qui concerne les conflits qui ont éclaté à cette époque, dans plusieurs de ses articles comme, par exemple, dans « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes », écrit en janvier-février 1916, dans lequel il a soutenu que :
« Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre « grande » puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d'elles-mêmes, que les nombreux exemples d'utilisation par la bourgeoisie des mots d'ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme » (Lénine, 1916).
Une position internationaliste qui doit s'accompagner d'une mobilisation contre le processus de remilitarisation en cours de l'OTAN et de l'UE, mais aussi contre celui d'autres puissances comme la Russie et la Chine. Elle doit s'engager à remettre au centre de l'agenda la lutte pour le désarmement nucléaire unilatéral et la dissolution des blocs militaires, en reprenant le flambeau du puissant mouvement pacifiste qui s'est développé en Europe dans les années 1980, avec en tête les militantes féministes de Greenham Common et des intellectuels tels qu'Edward P. Thompson. Une orientation qui devra évidemment s'insérer dans un projet global écosocialiste, féministe, antiraciste et anticolonialiste.
Jaime Pastor
Références
Achcar, Gilbert (2024) « El antifascismo y la caída del liberalismo atlántico », Viento Sur, 19/08/24.
• Awad, Nada (2024) « Derecho Internacionalismo y excepcionalismo israelí », Viento Sur, 193, pp. 19-27.
Camargo, Laura (2024) Trumpismo discursivo. Barcelone : Verso (sous presse).
Castellani, Lorenzo (2024) « Avec Trump, l'ère de l'accélération réactionnaire », Le Grand Continent, 8/11/24.
Davies, William (2016) « Neoliberalism 3.0 », New Left Review, 101, pp. 129-143.
Fuentes, Federico (2023) « Interview with Promise Li : US-China rivalry, “antagonistic cooperation” and anti-imperialism », South Wind, 191, 5-18.
Gill, Stephen (2002) « Globalization, Market Civilization and Disciplinary Neoliberalism ». Dans Hovden, E. et Keene, E. (Eds.) The Globalization of Liberalism. Londres : Millennium. Palgrave Macmillan.
Lénine, Vladimir (1976) « La révolution socialiste et le droit des nations à l'autodétermination », Œuvres choisies, Volume V, pp. 349-363. Moscou : Progress.
Pastor, Jaime (2022) « El nuevo concepto estratégico de la OTAN : Hacia una nueva guerra global permanente ? », viento sur, 2/07/22.
(2024) « Entretien avec Pierre Rousset : Crise mondiale et guerres : quel internationalisme pour le XXIe siècle ? », Viento Sur, 16/04/24.
Rousset, Pierre (2021) « China, el nuevo imperialismo emergente », Viento Sur, 16/10/21.
Serfati, Claude (2022) « La era de los imperialismos continúa : así lo demuestra Putin », Viento Sur, 21/04/22.
Slobodian, Quinn (2021) Globalistas. Madrid : Capitán Swing.
Smith, Ashley (2024) « Imperialismo y antiimperialismo hoy », Viento Sur, 4/06/24.
Toussaint, Eric (2024) « La cumbre de los BRICS en Rusia no ofreció ninguna alternativa », Viento Sur, 30/10/24.
Urbán, Miguel (2024) Trumpisms. Néolibéraux et autoritaires. Barcelone : Verso.
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Rousset avec l'aide de DeepL.
Source - Viento Sur, 15/NOV/2024 :
https://vientosur.info/conflictos-geopoliticos-antiimperialismo-e-internacionalismo-en-tiempos-de-aceleracion-reaccionaria/
• Cet article est une version actualisée de celui publié dans la revue Nuestra Bandera, 264, pp. 55-62, 2024.
• Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur.
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Analyse critique des fausses solutions de la Banque Africaine de Développement : Critique de la stratégie globale des échanges dette-nature en Afrique (Partie 2)

Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu'elle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport. Vous apprendrez sur différentes choses : l'Initiative de Suspension temporaire du Service de la dette du G20 (ISSD), le Cadre commun du G20, le mécanisme africain de stabilité financière (MASF), l'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI, et enfin les échanges dette-nature qui sont longuement analysés. Qu'est ce qu'un échange dette nature ? D'où cela vient-il ? Quelles sont les différentes formes d'échange dette-nature ? Par qui sont-ils menés ? Quels exemples parlants ?
Tiré du site du CADTM.
Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu'elle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport.
Les deux possibilités envisagées par le rapport de la BAD sont l'annulation d'une partie des obligations liées aux dettes en cours ou bien le refinancement par des opérations axées sur la durabilité (la lutte contre le réchauffement climatique d'une part et l'atteinte des Objectifs de Développement Durable d'autre part). À noter que le rapport n'entrevoit pas la possibilité d'une annulation pure et simple des dettes illégitimes. Il rappelle qu'avant la pandémie, une Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) avait déjà été mise en œuvre pour certains pays.
Par la suite, une Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale (IADM) en 2005 est venue compléter cette mesure en permettant l'annulation de 100% des dettes des pays au bout du processus PPTE. Mais les auteurs du rapport de la BAD précisent que malgré ces efforts, la dette a continué de s'exacerber. En mars 2020, La Banque Mondiale et le FMI ont envisagé des suspensions de paiements de la dette des pays de l'IDA. Au G20 les pays africains ont demandé le déblocage urgent de 100 milliards de ISD pour des infrastructures sanitaires répondant aux besoins des plus vulnérables dont 44 milliards d'allègement de dette pour tous les pays africains et 55 milliards pour la reconstruction en 2021. Néanmoins, la BAD ne s'étend pas sur ces mesures plus radicales lorsqu'elle met en évidence sa nouvelle stratégie.
1. L'ISSD
L'initiative de Suspension temporaire du Service de la Dette accordée par le G20 en avril 2020, a dégagé des liquidités supplémentaires pour les membres de l'Association Internationale de Développement (IDA, pays éligibles aux prêts concessionnels) et pour les Pays les Moins Avancés (définis par l'ONU). 73 pays à revenus faibles ou intermédiaires y étaient éligibles dont 32 pays en Afrique. Il s'agissait de 30 opérations de prêts octroyés par la BAD, environ 318 milliards pour offrir des liquidités au PMR. Entre mai 2020 et décembre 2021, l'ISSD a permis le report de 12,9 milliards de USD de service de la dette de 50 pays. Des fonds destinés au paiement des intérêts de la dette à court terme ont été réaffectés au financement de projet verts...ou sociaux, sanitaires et de soutiens économiques pendant la pandémie.
Critique :
Cependant, pour y avoir droit, il faut avoir un accord de financement avec le FMI ou en avoir fait la demande, diminuer les emprunts non concessionnels et rendre publique les dépenses et recettes du secteur public. Remarquons aussi que les créanciers privés n'y participent pas et les créanciers multilatéraux, désireux de garder leur note AAA non plus. Pourtant, le CADTM souligne que les organisations multilatérales possèdent aussi une proportion non négligeable de la dette. La Banque mondiale par exemple détient 18,9% de la dette subsaharienne concernée par l'ISSD...
Selon la BAD elle-même, les économies projetées par l'ISSD (5,5 milliards de USD) étaient bien supérieures à celles effectivement réalisées (1,8 milliards de USD). Attention, ce ne sont pas des remises de dette : on ne fait que différer le remboursement sur une période de 4 ans. Cette mesure alourdit donc les échéanciers des paiements du service de la dette en période de récession ce qui compromet la viabilité de la dette des pays qui y ont recours à moyen ou long terme. En effet, ces économies n'étaient que temporaires et les paiements ont dû reprendre en 2023 quand le service de la dette est redevenu plus élevé car il faut payer la dette rééchelonnée en plus de la dette ordinaire pour la même période !
Le réseau du CADTM Afrique de son côté critique le fait que les suspensions ne sont que temporaires et qu'elles ne concernent qu'un nombre de pays limités. Certains pays en sont exclus comme l'Erythrée, le Soudan, la Syrie ou les Zimbabwe en raison de leurs arriérés.
Enfin l'ISSD n'est que très partielle. La somme totale représente moins de 1,66% du total des remboursements exigés aux pays des Suds. En Afrique, à part le Cameroun, l'Angola, le Kenya, le Mozambique, le Congo- Brazzaville, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Tanzanie, l'aide n'a pas dépassé les 2 millions de USD par pays. Le CADTM regrette aussi qu'il n'y ait pas de moratoire pour les dettes privées qui s'élèvent à 10,22 milliards d'USD pour 68 pays éligibles. Il souligne aussi que c'est la Chine qui a le plus contribué en suspendant 30% du service de la dette du G20 soit 5,7 milliards d'USD. Surtout, il remarque que les suspensions et nouveaux prêts accordés servent en priorité les créanciers privés car ceux-ci étant réticents aux concessions laissent les États, les créanciers bilatéraux, le FMI et la BM, négocier des suspensions ou allègements de dettes. Les pays endettés utilisent essentiellement leur argent consacré aux dettes pour continuer à rembourser les créanciers privés récalcitrants. Tout cela bien sûr se produit au détriment des besoins urgents des populations sur place, car les montants rendus au secteur privé servent rarement par la suite les secteurs non marchands ou sociaux indispensables aux populations. Bien au contraire, nous avons vu que les acteurs privés sont peu enclins à limiter leurs profits et l'évasion fiscale ou l'optimisation fiscale des grandes entreprises est un facteur important de diminution de recettes des États et d'aggravation des dettes publiques.
Le CADTM insiste sur le fait que les 750 milliards d'USD de dettes des pays surendettés ne correspondent qu'à 1% du PIB du G20 qui s'élève à 78 286 milliards ! À titre de comparaison, il montre que pour les plans d'aide post Covid, les parlements allemand et américain ont voté respectivement les montants substantiels de 1 100 milliards d'Euros et de 2000 milliards d'USD !
De plus, il existe un fonds fiduciaire, pour compenser les pertes des institutions multilatérales, alimenté par les contributions des bailleurs de fonds et la vente des réserves en or du FMI. Il suffirait de vendre 6,7% de l'or détenu par le FMI pour financer les dettes totales des pays surendettés ! C'est donc possible mais il n'y a pas de véritable volonté politique de chercher des solutions. L'ISSD fait pâle figure à côté de ce qu'on pourrait réaliser.
De manière générale, la situation d'endettement des pays africains ne s'est pas améliorée. Pour l'Afrique subsaharienne, elle est passée de 665 milliards à 702 milliards de 2019 à 2020. Les bénéficiaires de l'ISSD ont reçu des prêts du FMI 13 fois supérieurs à la moyenne annuelle en mars 2022. Or ces prêts sont toujours conditionnés à des réformes antisociales, antipopulaires et au final favorables au capital privé international. Ainsi le Kenya a vu, en janvier 2021, ces dettes croître de 34,9 milliards à 38,1 milliards en un an, malgré une suspension de 209 millions, en raison de l'augmentation des créances privées. Le Niger est passé de 3,6 milliards en 2019 à 4,5 milliards en 2020, malgré une suspension de 16 millions.
Le cas du Ghana :
Dans son article « la dette menace l'Afrique »publié en février 2023, dans Afrique magazine, son auteur Cédric Gouverneur décrit la crise de la dette extérieure qui affecte le Ghana. Celle-ci représente plus de 80% de son PIB. Pourtant, ce pays était un élève modèle du libéralisme. Grand producteur de cacao, d'hydrocarbures, de pétrole et de diamants, son taux de croissance élevé attirait les investisseurs. Son dirigeant déclarait même libérer le pays de tout besoin d'aide. Mais aujourd'hui l'inflation de plus de 50%, la hausse du prix des combustibles, les répercussions de la pandémie et de la guerre en Ukraine ont complètement renversé la tendance. Après un renflouement de 3 milliards par le FMI, le Ghana a surpris la communauté internationale en annonçant unilatéralement une suspension de paiement d'une partie de sa dette dont les eurobonds, les prêts commerciaux à terme et la plupart des dettes bilatérales. Le 13 décembre 2022, il accepte un plan de restructuration de la dette assorti de mesures d'austérité craint par la population ghanéenne déjà fortement frappée par la récession.
Dans leur livre « Le Ghana, les dessous du miracle économique » publié en janvier 1999 par le GRESEA , Bruno Carton et Isabelle Guillet montrent que la croissance « exemplaire » du Ghana - qui affichait un taux moyen de 5% de 1983 à 1993, et au début une inflation limitée à 10% - cachait déjà les effets pervers de sa politique de libéralisation à tout vent et des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale de 1980 à 1988. Ces auteur·ices ont démontré que des chocs extérieurs n'ont pas été les causes principales du déclin économique de ce pays, après une courte envolée économique saluée par la communauté internationale. Selon eux, l'orientation néolibérale des institutions internationales, imposée via le mécanisme d'octroi de prêts a largement contribué à ronger le potentiel de développement à long terme du Ghana. En effet, contrairement aux pays du Nord-Est asiatique qui ont pu maintenir une forte croissance économique après la phase de libéralisation économique, le Ghana, lui, ne disposait pas encore d'une assise productive industrialisée suffisamment forte, diversifiée et modernisée pour résister à la concurrence des transnationales étrangères lorsqu'il s'est libéralisé. Or avec les ajustements structurels, la production industrielle ne s'est pas déployée, au contraire, on a assisté à une reprimarisation de l'économie ! La production alimentaire s'est peu modernisée. Il y a eu un très faible transfert technologique. Par contre, la dépendance aux exportations de l'or, du cacao, du pétrole, aux produits de base et la hausse des importations se sont intensifiées et ont créé un déséquilibre de la balance des paiements, une détérioration des termes de l'échange qui sont toujours d'actualité. La dette s'est aggravée. L'augmentation du taux d'intérêt a intensifié le déficit et les mesures d'austérité ont pesé lourdement sur les revenus du plus grand nombre aussi bien dans les villes que dans les campagnes. La pauvreté, le chômage ont explosé. Depuis les réformes libérales, les recettes dépendent fortement des revenus fiscaux sur les transactions internationales et celles-ci chutent chaque fois que les prix mondiaux diminuent comme actuellement sous l'effet de la pandémie ou de guerre en Ukraine. Les petites entreprises locales, l'agriculture, le secteur social ont complètement été oubliés. La santé, l'éducation, les infrastructures, tout ce qui ne rapporte pas directement des devises est considéré comme un coût à réduire par tous les moyens indépendamment des besoins. Car il faut toujours plus de devises... pour rembourser prioritairement la dette. L'économie informelle augmente face à l'incertitude, malmenant sa main d'œuvre. Dans le secteur privé, ce sont les secteurs de l'immobilier, du transport, du commerce, dits de cycles courts, et quelques niches de services ou encore les rentes des mines qui sont favorisés, au détriment des activités générant des ressources à plus long terme.
Seules les grosses sociétés étrangères ont assez de liquidités en devises « vendues aux enchères » pour faire des offres sur des marchés complètement dérégulés... Donc ces libéralisations, privatisations et dérégulations ont profité et profitent toujours principalement aux plus grands investisseurs étrangers. Pour les attirer, le Ghana va même appartenir au Free Zones Board en votant une loi dans ce sens en août 1995. La condition pour en faire partie : que 70% du chiffre d'affaires soit lié à l'exportation ! Le Free Zones Board accorde aux investisseurs des exemptions fiscales ; les importations sont plus chères à cause des taxes mais par contre les exportations ghanéennes vers les USA et l'UE en sont exemptées. Les monopoles, les concentrations de capital, l'abattement fiscal sur les profits des entreprises privées rapatriés sont autorisés, encouragés. En outre, ce livre explique comment les conditionnalités associées aux prêts ont contribué à délégitimiser l'État, en le poussant à se désengager de ses prérogatives essentielles qui sont d'une part la gestion de la masse monétaire, des prix, des marchés, du service de la dette, l'administration des dépenses publiques et la gestion des mécanismes de formation des salaires et des prix, de la propriété des moyens de production. Les intérêts financiers et économiques internationaux priment sur les besoins sociaux nationaux et locaux. « Nous avons d'un côté des institutions internationales puissantes, sans responsabilité, et de l'autre des institutions nationales, responsables devant le corps social, mais au pouvoir fortement affaibli » face aux bailleurs de fonds internationaux ou privés. La démocratie est menacée. À cela s'ajoute encore le constat que la part d'assistance technique du FMI et de la Banque Mondiale dans le PIB de l'Afrique a doublé de 1980 à 1987 et qu'elle devient parfois supérieure à la masse salariale de la fonction publique de certains pays (c'était le cas de la Tanzanie à cette époque-là). On assiste à un transfert de souveraineté dangereux accentuant la dépendance et donc la vulnérabilité des pays africains par rapport aux perturbations extérieures...
Nous replonger dans ces explications sur l'impact des politiques d'ajustements structurels nous aide à analyser la crise de la dette actuelle du Ghana et de nombreux pays africains, d'un point de vue plus structurel et pas uniquement sous l'angle de vue de la BAD, des institutions internationales qui sous le couvert d'une adaptation à l'urgence climatique et environnementale tenterait de nous faire oublier les origines, les facteurs aggravants et les conséquences désastreuses du système dette qui est leur raison d'être, qu'elles entretiennent, qui est, rappelons-le, le moteur de leur pouvoir et de leur enrichissement. L'exemple du Ghana nous permet aussi de mettre en lumière un autre problème lié aux mécanismes des dettes. Le risque de voir se multiplier les activités spéculatives criminelles de certains acteurs privés peu scrupuleux et en particulier des Fonds vautours.
Selon Arnaud Zacharie,secrétaire général de la coupole d'ONG belges CNCD « Quand un pays comme le Ghana demande un allègement de paiement, il doit avoir l'accord de tous ses créanciers, occidentaux, FMI, Banque mondiale et créanciers privés. Comme il n'y a pas de cadre multilatéral pour imposer un allégement de la dette à tous les créanciers, il se trouve toujours des créanciers privés qui jouent des rôles de passagers clandestins. Ils cherchent à tirer profit de l'allègement accordé par une partie des créanciers qui donne un peu d'oxygène financier aux pays surendettés. Et certains créanciers privés attaquent en justice ce pays pour qu'il les rembourse en intégralité ».
Les emprunts ne cessent d'augmenter entre autres pour rembourser les créanciers privés. Jubilée Debt Campaign explique comment ces derniers ont le plus indirectement bénéficié de l'ISSD bien qu'ils l'aient rejeté, qu'ils ne participent pas à ces opérations, tout comme ils sont réticents aux restructurations de dettes proposées dans le cadre du Cadre Commun.
2. Le cadre commun du G20
Le Cadre commun a été accordé par le Club de Paris et le G20 en novembre 2020 pour le traitement de la dette au-delà de l'ISSD. C'est un cadre multilatéral pour le traitement des dettes des pays éligibles à l'ISSD. Il promeut l'échange d'une grande partie de la dette dans le cadre d'une restructuration. Ce cadre permet la renégociation de l'ensemble des dettes extérieures des pays surendettés (15 pays sur 38 sont considérés comme à risque élevé de surendettement). Pour l'instant, seuls le Tchad, l'Éthiopie et la Zambie ont demandé une restructuration de ce type en octobre 2021. L'enveloppe de restructuration à allouer est fonction de l'analyse de viabilité de la dette par le FMI. Il impose des conditionnalités. Il permet un traitement global de la dette publique et privée. La Chine et l'Inde y participent largement mais c'est ouvert également au secteur privé. Les négociations sont réalisées avec une comparabilité des traitements et au cas par cas, ce qui n'attire pas beaucoup les pays débiteurs.
Ce dispositif a moins d'impact négatif sur la note de crédit des agences ce qui facilite l'accès aux marchés financiers internationaux (même si dans les faits seulement 60% des pays africains sont notés). De plus, il s'adresse aussi au secteur privé ce qui n'est pas le cas de l'ISSD. Par contre, il n'y a pas de garantie contre les pertes mais il peut y avoir renégociation des conditions de la dette en cours de route.
Critique :
Selon le FMI, on constate un problème de coordination entre les institutions et les gouvernements de la Chine et de l'Inde. Au Tchad on constate un retard des créanciers privés ce qui implique une complexification de la restructuration de la dette garantie. Il n'existe pas de clauses d'action collective il faut donc chaque fois recueillir le consentement de chaque créancier et de chaque débiteur pour toute modification contractuelle. Une réforme de ce Cadre Commun est déjà en cours.
Pour le CADTM, ce dispositif est inefficace en raison du manque d'intérêt des débiteurs et principalement du peu d'implication du secteur privé dans les restructurations alors que se sont les banques commerciales, les détenteurs d'obligations et autres créanciers privés extérieurs les détenteurs de dettes majoritaires.
D'après les propos d' Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD, en janvier 2023, « l'instauration d'un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette, sur base des principes définis dans la résolution adoptée en septembre 2015 par l'Assemblée générale des Nations Unies, permettrait aux Etats en défaut de paiement de négocier dans un cadre équitable et transparent des accords de restructuration de leur dette qui s'imposent à tous les créanciers et qui empêchent les pratiques de passagers clandestins des « fonds vautours » qui cherchent à tirer profit de la situation. Mais un tel mécanisme multilatéral, proposé depuis le début des années 2000, n'a toujours pas vu le jour ».
Signalons qu'une carte blanche signées par de nombreuses ONG, associations et syndicats en Belgique est sortie dans le Soir le 12 juin 2023 sur « La nécessité d'une loi pour impliquer les banques dans les allègements de dettes ». Elle affirme que les Etats ont les moyens d'agir immédiatement pour limiter le fait qu'indirectement, des allègements de dettes publiques servent à rembourser des créanciers privés (dont les « fonds vautours ») qui ne veulent faire aucune concession en faveur des pays surendettés et qui mêmes parfois spéculent sur leurs retards de paiement pour maximiser les profits. En effet, les parlements peuvent adopter des lois pour empêcher les pays confrontés au surendettement d'être poursuivis par des créanciers privés pour une somme supérieure à celle que ces créanciers auraient reçue s'ils avaient participé à la restructuration de la dette. L'existence de telles lois inciterait ainsi les banques à coopérer aux opérations d'allègement de dettes...
L'article montre que la Belgique a quatre raisons de vouloir légiférer en ce sens : premièrement, les Objectifs de Développement Durable auxquels elles s'est engagée, sont compromis par cette attitude du secteur privé ; deuxièmement, les tribunaux belges ont déjà été saisis par des créanciers privés contre des États ; troisièmement, plusieurs grands créanciers privés ont leur siège social en Belgique et pratiquent des taux d'intérêt usuriers avec un taux de 24 % ; quatrièmement, les contribuables de Belgique sont également impactés car l' absence de coopération des créanciers privés a pour conséquence qu'ils sont, dans les faits, subsidiés par les États créanciers avec de l'argent public puisque les banques ne peuvent être payées par les pays en détresse financière que parce que certains États allègent une partie des dettes. Plusieurs propositions législatives contre les fonds vautours sont déposées dans des parlements ou sont en cours d'élaboration. La loi belge sur les fonds vautours adoptée le 12 juillet 2015, est un beau précédent, une loi pionnière au niveau mondial. La Cour constitutionnelle lui a donné raison en 2017 contre un Fonds vautour qui l'a attaquée en 2015. La France a adopté à son tour en 2016 un dispositif juridique « anti-fonds vautours »...Une nouvelle loi est actuellement en préparation à la Chambre pour faire participer de manière équitable les créanciers privés aux allègements de dettes.
Le cas du Tchad :
Selon Moutiou Adjibi Nourou dans son article publié en le 11 juillet 2022 sur le site d'Ecofin, au Tchad, « le FMI maintient la pression sur Glencore pour un accord de restructuration de la dette ». Le groupe anglo-suisse Glencore possède des actifs pétroliers dans le pays et détient 1 milliard sur les trois milliards de dettes dues par le Tchad. C'est lui qui fait obstacle à la négociation avec les autres créanciers d'après le FMI. Apparemment, l'acteur privé chercherait à obtenir des « échanges » avec le gouvernement tchadien mais pour des raisons inconnues ceux-ci n'ont pas encore abouti et le processus est bloqué depuis début 2021 alors que le Tchad est l'un des pays les plus pauvres du monde, que sa situation économique et financière continue de se dégrader à la suite des chocs combinés de la pandémie de Covid-19, de la baisse des prix du pétrole, du changement climatique et des attaques terroristes. « La classe dirigeante tchadienne n'a-t-elle pas une quelconque responsabilité dans la situation du Tchad ? » s'interroge Jean Nanga . « Ne serait-elle pas concernée par les “biens mal acquis ? » L'ONG suisse SWISSAID avait produit, en 2017, un rapport intitulé Tchad SA. Un clan familial corrompu, les milliards de Glencore et la responsabilité de la Suisse (qui n'est plus disponible en ligne), dans lequel il est écrit, concernant les recettes pétrolières : « il y a des investissements inefficaces dans des projets de prestige, la corruption et le népotisme fleurissent, une élite politique s'enrichit et se cramponne au pouvoir pendant qu'une grande partie de la population reste pauvre ».
3. L'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI
650 milliards d'USD non remboursables viennent gonfler les réserves des pays et consolider les amortisseurs externes. Mais finalement, seulement 21 milliards bénéficieront aux pays à faible revenu. En effet, ce que le rapport de la BAD ne révèle pas, c'est que le système d'allocations ne fonctionne pas suivant la logique 1 pays, 1voix mais plutôt 1 dollar, 1 voix c'est-à-dire que les sommes attribuées sont évaluées proportionnellement au poids financier économique mondial de chaque État, peu importe les besoins ou la grandeur de la population ! Ainsi, sur les 118 milliards de USD alloués en août 2021, les USA, le Japon, la Chine et l'Allemagne ont reçu chacun 43 milliards d'USD alors que toute l'Afrique n'a reçu que 33 milliards pour ses 54 pays !
De surcroît, dans les cas du Congo, de la Guinée, du Tchad, de Malawi, de la Mauritanie, la totalité de leur allocation n'a servi qu'à rembourser la dette du FMI !
Face à cette situation paradoxale, quelques pays se sont engagés à verser, en prélevant des intérêts, de 45 jusqu'à 100 milliards USD des DTS qu'ils ont reçu gratuitement aux pays à faibles revenus de l'Afrique. C'est le cas de la France pour le Soudan.
En octobre 2022, comme les pays africains demandaient la rétrocession de DTS de 20 à 25% pour accéder à la vaccination, lutter contre l'extrême pauvreté et accompagner les banques régionales et multilatérales de développement par rapport à la pandémie un fonds fiduciaire pour la résilience et la viabilité a été opérationnalisé en octobre 2022 par le FMI. Il finance surtout à long terme les pays à faibles revenus, les îles, les régions vulnérables en raison du déficit de leur balance de paiement. La BAD et les banques multilatérales utilisent ces DTS octroyés par le FMI pour octroyer des financements aux banques ainsi que de nouveaux prêts concessionnels.
Dr Ange Ponou, spécialiste en économie financière, nous explique dans un article du 13 octobre 2022, sur le site de Sikafinance que ce fonds dispose actuellement d'une dotation initiale de 15,3 milliards de DTS (20 milliards de dollars) émanant de dons de certains pays membres comme l'Allemagne, l'Australie, l'Espagne, la Chine, le Canada et le Japon. À terme, il devrait être porté à 29 milliards de DTS, soit 37 milliards de dollars. Il a pour vocation d'aider les pays à renforcer leur résilience face aux changements climatiques, aux pandémies afin qu'ils préservent leur stabilité économique et financière à plus long terme tout en mobilisant d'autres financements publics ou privés. Ces prêts auront une échéance de 20 ans, assortis d'une période de grâce de 10 ans et demi et bénéficieront aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire admissibles.
4. Le fonds d'assistance technique (FDG et FAD)
On a bien compris que le rôle de la BAD est d'éviter les défauts de paiement en série pour surendettement. Néanmoins, malgré tous ces efforts, son efficacité est faible et les résultats décevants, comme le rapport le reconnaît lui-même. Pour eux, le problème vient bien évidemment de « la gouvernance défectueuse des États ». Des réformes structurelles sont nécessaires. La difficulté de mobiliser le secteur privé dans le cadre commun est tout de même pointée puisque ce sont le plus généralement des prêts officiels de gouvernements à gouvernements qui sont observés.
La BAD critique la solidité des institutions publiques nationales et réclame plus de transparence sur la dette et la couverture de la dette des entreprises publiques. C'est aussi l'occasion pour elle de rappeler à quel point son assistance technique est indispensable et de proposer une nouvelle stratégie de gouvernance économique pour 2021-2025 avec la création de fonds d'assistance technique pour les pays à revenus intermédiaires, afin de renforcer les capacités nationales, mieux contrôler les administrations fiscales pour lutter contre l'endettement. Un fonds d'affectation multidonateurs et un fonds de la facilité de gestion de la dette (FGD), chargé d'encadrer les allègements et restructurations de dettes des PMR ainsi que de former et conseiller les différents acteurs sont constitués.
Le Fonds Africain de Développement (FAD), est le guichet de prêt à taux concessionnels du groupe de la BAD depuis 1974. Il est administré par la BAD et est constitué d'États participants (les pays donateurs) et de ses 40 pays bénéficiaires dans le but de réduire la pauvreté dans les pays membres régionaux (PMR) en fournissant des prêts et des dons à des projets et par son assistance technique. Dans sa 14e version, il consistait en un investissement de 45 milliards de USD pour des financements concessionnels accordés à 37 pays. Le dernier FAD couvrant la période de 2020 à 2022 ne s'élève plus qu'à 7,8 milliards d'USD.
Critique :
Cette assistance technique, cet encadrement et les montants qui y sont alloués se justifient par la BAD car ils semblent apporter des solutions aux problèmes de gouvernance des États africains qui serait un élément explicatif majeur du surendettement des pays africains selon leur point de vue. Le CADTM n'ignore pas les difficultés de gestion, de manque de transparence et l'important problème de la corruption des autorités publiques et de fonctionnaires en Afrique.
Néanmoins, une des raisons de ces problèmes de gouvernance publique est justement l'affaiblissement des États, de plus en plus sous alimentés financièrement, délégitimisés et à qui les institutions internationales ôtent de plus de plus de prérogatives, à travers leurs plans d'ajustements structurels. En effet, ceux-ci s'attaquent aux États lorsqu'ils soutiennent les privatisations, les dérégulations, des coupes drastiques des dépenses publiques, lorsqu'ils imposent à leur place, en se substituant à leur souveraineté, des choix monétaires, des orientations économiques, financières, commerciales et politiques néolibérales impopulaires, indépendamment des votes des électeurs, en contradictions avec les besoins urgents exprimés par une grande partie de la population. Ils vident de leur sens les élections démocratiques ce qui ouvre la voie à des tendances plus extrêmes et radicales qui récoltent un certain succès.
En plus, le secteur privé international s'enrichit et corrompt les haut-fonctionnaires, de plus en plus sous-payés, pour qu'ils ne disent rien. Il les mêle à leurs « affaires » pour qu'ils ne les dénoncent pas, dans une politique de laisser-faire souvent complice d'agissements criminels, auxquels des membres des gouvernements participent plus ou moins activement ou qu'ils encouragent selon les cas. La corruption se généralise, à tous les échelons et dans tous les secteurs.
Remarquons tout de même que dans le rapport de la BAD, rien n'est proposé par les institutions internationales pour contraindre, mieux encadrer, améliorer la gouvernance et la transparence, mieux canaliser les pratiques peu éthiques et écologiques du secteur privé, des investisseurs, des banques et transnationales. Pourtant, certains de ces acteurs sont dangereux, bien plus responsables de détournements massifs d'argent, via les pratiques courantes d'optimisation ou d'évasions fiscales, de dumpings social, fiscal et écologique. Nous avons vu qu'ils sont capables de destruction de l'environnement et de violations de droits humains et qu'ils jouissent encore aujourd'hui d'une inacceptable impunité. Au contraire, la BAD invite largement le secteur privé, sans distinction et sans réglementation commune aboutie, à investir pleinement dans ses nouveaux instruments financiers. Elle ouvre tout grand la porte à une spéculation débridée sur les capitaux naturels mondiaux, capitaux cruciaux dont la valeur boursière risque de grimper au fur et à mesure qu'apparaîtront des carences, des conflits géostratégiques pour les maîtriser et que les crises écologiques et climatiques s'imposeront comme des urgences dans nos imaginaires collectifs.
Parfois dans un pays africain l'assistance technique extérieure est mieux rémunérée et écoutée que l'ensemble de la fonction publique ; cela crée un déséquilibre et représente une forme d'ingérence et de menace pour la souveraineté des États africains.
L'assistance technique fait plus que conseiller les plus hauts-décideurs d'Afrique. Ses orientations ne sont pas « neutres » politiquement. Or elle n'a pas été élue démocratiquement pour imposer ses choix comme des évidences techniques et scientifiques dans des pays qui ne partagent pas forcément ses crédos économiques et financiers et qui en pâtissent le plus souvent. En imposant des formes et des procédures incontournables, une logique à elle, une complexité terminologique et technique de plus en plus lourde à utiliser et qu'il faut pourtant maîtriser pour bénéficier d'évaluations positives et avoir accès aux prochains financements, elle se rend de cette manière indispensable et lance régulièrement des nouvelles modes, des méthodologies, des styles de managements, des concepts et des terminologies spécifiques à bien si l'on veut accéder aux hautes sphères du pouvoir international et espérer bénéficier de ses prétendues largesses.
5. Le mécanisme africain de stabilité financière (MASF)
Il y avait un Mécanisme Européen de Stabilité, un Fonds Monétaire Arabe et un Fonds de Réserve pour l'Amérique du Sud. L'équivalent africain, le MASF offre aux pays africains un nouveau cadre de résolution des crises de la dette « plus rapide, moins coûteux pour les débiteurs et les créanciers ». Il permettrait de mutualiser les fonds et d'éviter les débordements en cas de crise externe.
Voici quelques réactions dans la presse africaine qui acclament la création du MASF : « Le système financier international ne répond pas aux besoins du continent africain, surtout en cette période de crises. Dès lors, les gouvernements africains ont évoqué mardi à Accra, au Ghana, la mise en place d'une plateforme leur facilitant un accès d'urgence à des liquidités ». Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD) a expliqué les besoins financiers énormes dont l'Afrique a besoin pour faire face aux crises sanitaires, alimentaires et environnementales. — © NIPAH DENNIS / AFP
« Les graines d'un mécanisme africain de stabilité ont été semées mardi lors de l'assemblée annuelle de la Banque africaine de développement (BAD) qui a lieu du 23 au 27 mai à Accra, capitale du Ghana. A l'image du Mécanisme européen de stabilité mis en place lors de la crise de la dette grecque, cet instrument africain viendra en aide aux pays ayant un besoin urgent de liquidités. L'objectif n'est pas de boycotter le Fonds monétaire international (FMI) qui est le dernier recours pour les pays en difficulté. Il s'agit plutôt de se donner les moyens d'éteindre les incendies de façon rapide, sans attendre les pompiers de Washington. » Publié par Ram Etwareea, à Accra, au Ghana, le 24 mai 2022
« La plupart des pays africains pâtissent de taux d'intérêt élevés qui bloquent leur développement » expliquent Christian de Boissieu, professeur émérite à l'université de Paris-I et vice-président du Cercle des économistes, et Jean-Hervé Lorenzi, chroniqueur et président du Cercle des économistes. « La mise en place d'un Mécanisme africain de stabilité financière permettrait, parmi d'autres mesures, de les aider à augmenter leur résilience face aux crises. »
Le 18 mai 2022« Les pays africains souffrent de taux d'intérêt excessivement élevés qui entravent leur développement. Avec, à la clé, une vulnérabilité excessive face aux incertitudes et un coût du capital souvent rédhibitoire. Renforcer la stabilité financière implique d'améliorer la résilience des économies du continent, leur capacité à résister aux chocs. » « D'autre part, il est nécessaire de réduire les coûts de financement des investissements, en envoyant aux investisseurs des signaux qui correspondent mieux au contexte de l'Afrique ».
Pourtant, dans le cadre de la crise de la dette grecque, Éric Toussaint, porte-parole du CADTM a pu démontrer en quoi le Mécanisme de Stabilité Européenne a joué un rôle pervers c'est-à-dire qu'il n'a pas servi aux populations européennes menacées par les crises mais bien aux banques privées, principales responsables de l'endettement des États, qui ont pu grâce à lui être remboursées en priorité et en grande partie par l'argent tiré des plans d'austérité draconiens imposés aux populations lésées. Il écrit dans « le FESF et le MES contre les peuples » :
« En collaboration avec le FMI, la Commission européenne a plié et a octroyé via le fonds européen de stabilité financière (FESF) et le mécanisme européen de stabilité (MES) des prêts à certains Etats membres de l'Eurozone (la Grèce, l'Irlande, le Portugal et Chypre) afin qu'ils puissent en priorité rembourser les banques privées des pays les plus forts de l'UE. Elle n'a donc pas respecté à la lettre l'article 125 du Traité de Lisbonne cité plus haut. Mais elle a respecté l'esprit néolibéral du Traité : en effet le FESF et le MES empruntent sur les marchés financiers les moyens financiers qu'ils prêtent aux Etats."
Jean Nanga soutient la position d'Éric Toussaint et renchérit en rappelant que si les États africains (54 sur les 81 actionnaires) détiennent la majorité absolue des parts (52,7 %) de la BAD, parmi les dix premiers actionnaires figurent les États-Unis d'Amérique (2e, après le Nigeria), le Japon (3e), l'Allemagne (7e), le Canada (8e) et la France (9e). Parmi les 20 premiers, s'ajoutent l'Italie (13e), le Royaume-Uni (16e), la Suède (18e), la Suisse (19e)" comme le précise l' État des souscriptions et des pouvoirs de vote au 30 septembre 2021, publié par la BAD le 09 novembre 2021. Les ressources de la BAD proviennent aussi, entre autres, des marchés financiers internationaux. Et, il s'agit, comme le dit déjà le titre de l'article de De Boissieu (prêtre de la financiarisation, supposé co-inspirateur, avec le ministre sénégalais des Finances, Kane, dudit mécanisme) et Lorenzi, de financiariser davantage les économies d'Afrique. Il ne fait presque aucun doute que le MASF s'est bien inspiré du FESF et ne sera pas moins contre les peuples...
6. La facilité africaine de soutien juridique (ALSF)
Elle devrait permettre de conseiller et de mettre en œuvre des allègements et restructurations de dettes adaptés à chaque pays africain. En Guinée-Bissau, elle a négocié une importante remise de dettes privées qui est passée de 50 millions d'USD d'obligations à 5 millions d'USD. En Gambie, elle a permis une restructuration de la dette commerciale suite à une analyse de viabilité de la dette (AVD) et a mis en place une Stratégie Générale de Dette à Moyen Terme (SGDTM). En Somalie, elle a négocié avec le Club de Paris un allègement de 1,4 milliards d'USD selon une initiative proche de l'initiative PPTE.
Selon le rapport de la BAD, dans son Plan d'Action sur la Dette (PAD) de 2021 et 2023, l'ALSF veut coordonner les agences multilatérales et revenir à une trajectoire de développement vert, résilient et inclusif. Pour cela, elle veut établir un dialogue à différents échelons : national, régional, continental et international ; accroître les financements à faible coût et risque, améliorer la soutenabilité des dettes ; mieux gérer les dettes publiques, avec plus de transparence ; réduire la dépendance des pays PMR surendettés par rapport à leur dette extérieure en tenant compte de leurs fragilités spécifiques. Ainsi, elle propose des obligations de dette indexées à la sécurité pour les pays perturbés par les conflits et violences, des prêts adossés aux ressources naturelles pour les pays qui en disposent d'importantes à conserver et enfin des échanges dette-climat pour ceux qui sont déjà confrontés aux conséquences du réchauffement climatique ou qui sont menacés d'une perte importante de biodiversité. Ce genre d' échanges ne sont pas nouveaux. Dans les années 1980 et 1990, de nombreuses remises de dettes ont été conditionnées à des investissements en reforestation « pour protéger la biodiversité et les peuples autochtones ».
Enfin plusieurs pays africains ont accepté des échanges dette-nature conclus avec des créanciers commerciaux et bilatéraux. « Le Cameroun et le Mozambique en ont négocié avec le gouvernement français, Madagascar avec des banques commerciales françaises et l'Allemagne ; la Tanzanie avec des banques commerciales russes et la Zambie avec diverses institutions privées ».
7. Les échanges dette-nature
a) Succès limité dans le temps et importance peu significative des échanges dette-nature/climat (ou SWAPS) Cette invention de Thomas Lovejoy du WWF, a été appliquée pour la première fois par l'État Bolivien en 1987 qui dans une période d'importante difficulté budgétaire, a négocié avec le Conservation International (CI) une remise de dette afin d'orienter les dépenses nationales vers des actions de conservation de l'environnement.
Les Swaps bilatéraux ont connu leur plus grand succès de 1990 à 1994.
On compte 25 à 30 opérations de ce type brassant au total 600 à 700 millions d'USD par an. Rien qu'en 1994, plus de 25 échanges dette-nature ont été signés pour plus de 600 Millions d'USD. De 1990 à 1991, 15 à 20 allocations du fonds environnement sont aussi concédées ce qui représente 400 millions d'USD. Les swaps multipartites apparaissent plus tardivement et ont toujours été moins nombreux et concernant des montants plus limités (entre 5 et 10 et entre 100 et 150 millions par an).
Après 1994 toutes ces initiatives diminuent drastiquement.
En effet, après cette année, d'autres sources d'allègements comme l'initiative PPTE attirent davantage les pays surendettés. Car il faut bien comprendre qu'un pays préfère toujours une annulation définitive d'une grande partie de sa dette extérieure. En outre, lorsque la procédure de décaissement est libellée en devises étrangères dans un contexte inflationniste, cela n'arrange pas les pays débiteurs qui peuvent pâtir d'une dépréciation rapide du fonds pour l'environnement. Enfin, les premiers échanges dettes-natures n'ont pas permis d'allègements significatifs de la dette à long terme même s'ils suscitent une légère stimulation positive pour des projets bénéfiques à l'environnement.
Depuis la Cop20 en 2012 et surtout depuis la COP26 et le plan de « Relance Verte », on constate un regain d'intérêt pour ces pratiques. Néanmoins, entre 2013 et 2015 leur nombre ne dépasse pas les 5 par an pour des sommes de moins de 100 millions. C'est surtout en Amérique latine que des opérations de ce genre ont été effectuées avec la participation des États-Unis. Les intermédiaires choisis étaient souvent des ONG internationales qui rachetaient la dette avec le financement de leurs donateurs à un prix inférieur en échange de la mise en place d'un fonds de conservation de l'environnement local. C'est une forme d'annulation volontaire d'une partie de la dette par des créanciers.
En 2021, THE NATURE CONSERVANCY (TNC) réalise un swap de grande envergure avec Belize en échange d'obligations bleues en faveur de la conservation des océans. Ce qui encourage à appliquer ce système à une plus grande échelle. Selon le rapport de la BAD, cela aurait permis une diminution de dettes et une plus large marge de manœuvre pour le gouvernement de Belize dans ses futurs choix budgétaires.
Voir le tableau récapitulatif des Échange dette-nature et son commentaire p26-27 du rapport de la BAD
b) Définition générale des échanges dette-nature
Il faut tout un glossaire (voir le glossaire de la dette du SYGADE publié par la CNUCED) pour en expliquer les différentes formes et en uniformiser les définitions car différentes réalités se cachent derrière ce terme générique ce qui contribue à « brouiller les pistes », d'autant plus que les négociations sont souvent très discrètes et les dispositifs complexes et peu transparents.
Définition générale :
Un SWAP est une technique d'allègement de la dette qui altère la valeur initiale ou la nature des instruments de prêt. Elle consiste en général en une réduction de la dette souveraine par un créancier en échange d'une action en faveur de l'environnement de la part du pays débiteur. La réduction peut être réalisée directement par le créancier, comme dans les échanges bilatéraux officiels mais parfois la partie de dette est rachetée avec une décote par une organisation qui se présente comme donatrice (souvent une ONG spécialisée dans l'environnement) comme dans les échanges multilatéraux. Ils visent à lier les dettes à des résultats environnementaux. Ils consistent en une réduction, avec la création d'un fonds de conservation financé et géré localement et des engagements politiques de haut niveau. Il en existe de deux sortes : des accords bilatéraux entre débiteurs et créanciers et des accords multilatéraux dans laquelle la dette est rachetée avec une décote par un ou plusieurs entités qui se présentent comme philanthropiques mais il s'agit souvent d'opérateurs privés à but lucratif ( des banques commerciales , une série d' intermédiaires privés obscures et non régulés. ) Une partie de l'économie réalisée est réaffectée aux efforts de conservation sous le contrôle d'organisations qui n'impliquent pas forcément les gouvernements ou les collectivités territoriales concernées ( ce qui pose question quant à la perte de leur souveraineté et du caractère démocratique).
Cette structure est plus souple et peut coexister à d'autres opérations de dettes favorables au climat et à la nature. En principe, « toutes les parties doivent tirer avantages de l'opération, les débiteurs comme les créanciers et intermédiaires ». Mais il faut bien comprendre que les États au bord du défaut de paiement ne sont pas vraiment en position de force pour défendre leurs intérêts et leur biodiversité devient une valeur cotée en bourse qui attire de plus en plus d'acteurs privés qui peuvent tirer profit de la spéculation sur les ressources naturelles à l'heure de l'urgence climatique.
c) Échanges bipartites ou bilatéraux
Actuellement, ils concernent surtout les échanges officiels justifiés (de gouvernement à gouvernement ou de gouvernement à groupe organisé de gouvernements comme le Club de Paris). Ce sont principalement les USA qui en sont les instigateurs encouragés par différents instruments comme les Initiatives Entreprises par les Amériques, suivies par La loi sur la conservation de la forêt tropicale (TFCA) en 1998 puis la Conservation des forêts tropicales et des récifs coraliens en 2019.
d) Un cas d'échange bipartite de dette-nature au Botswana
« En 2006, un échange dette-nature TFCA bipartite s'est conclu au Botswana. Il aurait permis, selon la BAD, l'annulation de 8,3 millions d'USD de dette bilatérale par le gouvernement américain en échange de la facilitation de l'octroi de subventions pour la conservation des forêts tropicales, financées par les économies réalisées sur la dette. Le Botswana devait constituer un Fonds de 10 millions d'USD dont 7 millions apportés par les USA en faveur des forêts. Le reste des économies réalisées sur le flux de la dette a pu être réinvesti aux autres dépenses publiques générales ». Nous ne disposons que de très peu d'informations à ce sujet et n'en connaissons pas l'impact réel. S'agit-il d'un effet d'annonce publicitaire ou bien cette opération est-elle vraiment un succès prometteur ?
e) Échange de dette-nature multipartite
Il arrive que des tiers interviennent dans le rachat d'une partie de la dette souveraine auprès des créanciers initiaux ou actuels surtout pour des dettes commerciales cotées en bourse. C'est le cas d'ONG environnementalistes comme CI, TNC, WWF, de banques de développement, ou de groupes de plusieurs institutions présentées comme donatrices, qui se coordonnent pour une même opération. Toute institution, ONG ou banque de développement, peut octroyer des financements à un ou plusieurs créanciers pour ce type d'opération. On peut concevoir ce genre d'échange multipartite avec uniquement des créanciers officiels. Un Etat pourrait accorder une aide financière à un autre créancier pour une telle opération.
Les Seychelles, illustrent bien ces échanges dettes-nature multipartites : « les obligations bleues ont été facilitées par l'ONG TNC ce qui a permis au gouvernement des Seychelles de renégocier sa dette avec le Club de Paris en favorisant en contrepartie la conservation du milieu marin ».
Les avantages pour les créanciers sont une publicité verte (dans certains cas, c'est l'effet principal poursuivi, et il s'agit en réalité d'un greenwashing mensonger) en plus de la perspective de récupérer des fonds dans l'immédiat de la part d'un instrument devenu trop risqué. Pour les débiteurs, on leur laisse miroiter une plus grande flexibilité de la structure adaptable aux situations spécifiques, l'amélioration de la viabilité de la dette ( ce qui dépend du montant de la somme réduite – souvent très petite- ou du délais accordé, des conditionnalités et surtout du taux d'intérêt appliqué ) dont la note ( bien qu'en général le FMI et les agences de notation ne tiennent pas compte de ces accords pour améliorer la cote de solvabilité des pays surendettés bien au contraire) et permet le maintien à plus long terme d'une politique de développement durable du gouvernement ( ce qui n'est pas prouvé car il n'y a pas de planification précise avec mesure d'impact contraignante ni de contrôle possible via les élections ou via un organe publique indépendant assortis au dispositif et les négociations ne sont pas rendues publiques) . Néanmoins, la BAD admet qu' il faut qu'ils concernent des montants suffisamment importants pour permettre que les économies réalisées autorisent une plus grande marge de manœuvre pour d'autres dépenses des pays débiteurs.
Ces échanges ont eu un impact très restreint jusqu'à présent.
D'après le rapport de la BAD, depuis 1987, la valeur nominale totale de la dette traitée par des échanges dette-nature bipartites et multipartites dans le monde se limite seulement à 3,7 milliards d'USD dont à peine 318 millions pour l'Afrique. Malgré tout, cela pourrait avoir un effet de publicité et de sensibilisation médiatique stimulant pour l'écotourisme, selon la BAD.
De plus il est très difficile d'en mesurer les résultats au niveau macroéconomique à long terme mais il semble d'ores et déjà que les échanges aient peu d'effets sur les bilans réels des pays bénéficiaires. Pour Belize, cependant, toujours selon la BAD, « si l'échange n'a pas complètement rétabli la viabilité de la dette, l'unique obligation souveraine de Belize qui représentait 1/3 de son PIB a été substituée, à un instrument moins lourd et contraignant offrant une marge de manœuvre plus importante au gouvernement et une capacité à convaincre des créanciers privés à faire plus de concessions ». Cela mériterait une enquête. Ces échanges pourraient-ils être transposables en Afrique à plus large échelle, avec des sommes plus importantes ?
En Afrique, vu le risque de défaut de paiement généralisé, il est possible de convaincre des créanciers « qu'il vaut mieux recevoir moins mais à très court terme et en monnaie locale ou en espèce plutôt que de ne plus rien recevoir du tout ou d'obtenir peu à trop long terme. » En évaluer l'effet sera compromis pour plusieurs raisons : le montant alloué à la conservation n'est pas toujours égal à la valeur nominale de la dette ; la réduction varie d'une transaction à l'autre : par exemple, à Belize la réduction est de 55 cents pour 1USD alors qu'elle est de 93,5 cents pour les Seychelles ; les taux d'intérêts appliqués diffèrent également ainsi que la durée des échéances.
Même s'ils apportent plus de flexibilité budgétaire aux États, il ne s'agit pas d'annulation de dettes et les encours de la dette reste largement inchangés. Finalement l'enveloppe allouée à l'environnement reste insuffisante. La BAD espère néanmoins qu'avec les engagements politiques et la publicité, ils contribuent à faire croître les fonds de conservation, les financements pour des résultats plus importants. Cependant, cet effet moteur n'est qu'hypothétique et pour l'instant, non démontré.
La difficulté réside à trouver des créanciers disposés à payer pour ces résultats par
rapport à l'environnement ou le climat ainsi que des débiteurs intéresser à s'y engager.
Ne sont pas inclues dans ce montant les dettes envers les créanciers multilatéraux privilégiés peu susceptibles d'envisager ce genre d'opérations d'annulation. C'est plus facile évidemment pour les dettes bilatérales avec des créanciers souverains officiels, comme les prêteurs du Club de Paris et les gouvernements qui se sont engagés dans la COP 26 à mobiliser des fonds pour le climat et la nature. Les créanciers commerciaux y voient moins d'intérêt sauf si leurs créances sont en trop grande souffrance et qu'ils risquent de tout perdre.
Du côté des débiteurs, cela peut sembler utile pour ceux qui sont déjà à risque élevé d'être en défaut de paiement mais pas pour les autres qui peuvent craindre que le recours à ces opérations nuise à l'appréciation de leur solvabilité, à la dégradation de leur note avec pour conséquences désastreuses une augmentation du coût des emprunts futurs et une difficulté d'accès aux marché internationaux. Dès lors, la plupart cherchent d'autres moyens de financement.
Dans le cas de l'Échange dettes nature des Iles Galapagos, le CADTM grâce au réseau sud-américain LATINDADD, a mis en évidence les risques importants de ce système, tel qu'il a été négocié en Équateur.
Malheureusement, il n'y a pas de raisons d'exclure que les dérives et travers dénoncés dans le cas de l'échange dette-nature aux Galapagos ne puissent pas se retrouver dans les échanges dette-nature en Afrique. Il faut bien sûr vérifier minutieusement, au cas par cas, mais les dangers existent.
Quels sont les points inquiétants qui méritent une mise en garde ?
Tout d'abord, tout se passe toujours en contexte de risque de faillite où les gouvernements surendettés et leurs créanciers sont prêts à tout pour éviter que le bateau coule et où les protections des pays concernés sont particulièrement fragilisées. Les dirigeant·es ont besoin de redorer leur blason et la cause climatique est très populaire internationalement pour l'instant.
Ensuite, on parle d'annulation de dettes alors qu'il ne s'agit que de très faibles réductions de dettes voire seulement de suspensions avec des taux d'intérêt variables. Donc en prétendant alléger, on ne fait que stigmatiser, et entretenir la dépendance et le système d'endettement sur le plus long terme. Les sommes libérées sont non seulement insignifiantes par rapport au problème de l'endettement du pays mais en plus les investissements concédés pour le fonds de conservation restent insuffisants pour la protection naturelle des territoires concernés.
D'ailleurs le FMI ne tient pas compte de ces conversions dans la manière dont il comptabilise la dette publique des pays et lorsque ceux-ci ont recours à des swaps, cela nuit à leur cote de solvabilité sur les marchés internationaux, en ayant un impact négatif sur les taux d'intérêts qui leur seront appliqués pour les prochains prêts. De surcroît, le dispositif mis en place est souvent un montage complexe, opaque, dans lequel des SPV (véhicule à objectifs spécifiques, opérateurs privés à but lucratif, non régulés) se mêlent à des banques comme le Crédit Suisse (dont la conduite scandaleuse et la mauvaise gestion ont été maintes fois critiquées). Ces acteurs ne sont pas « philanthropiques » mais ils cherchent à faire du profit. Ils sont d'ailleurs accusés régulièrement d'évasion fiscale, d'écoblanchiment d'argent, d'avoir recours à des malversations criminelles et à des paradis fiscaux. On ne précise pas les coûts administratifs de ces nombreux intermédiaires, souvent surfacturés.
Les négociations ne sont pas publiques et transparentes, pas plus que la fiscalité des opérateurs, leurs acquisitions, leurs contrats, les bénéfices réels qu'ils en retirent. Leur siège est à l'étranger. Ils ont des filiales dans plusieurs pays. Le holding qui s'étend parfois sur plusieurs entités délocalisées est de forme pyramidale mais personne ne sait qui est à la tête, qui est responsable et qui contrôle le tout. Il y a peu de traçabilité des investissements, qui peuvent être mêlés à des produits toxiques et devenir des produits dérivés très risqués. La spéculation sur la nature, non contrôlée, peut-être très rentable à court terme pour certains et profondément dommageable pour l'environnement, les gouvernements et les populations dans l'ensemble à moyen et long terme.
Enfin, les fonds de conservation créés dans les accords d'échange dette-nature sont majoritairement gérés ou détenus par des acteurs privés étrangers. Aucune planification à long terme n'est publiée et donc il n'y a pas de possibilité d'évaluation des impacts recherchés par rapport au climat ou l'environnement de manière précise. Il n'y a pas de démarche de procédure d'appel d'offres publiques. Les gouvernements se voient ainsi privés d'une partie importante de leur souveraineté en ce qui concerne la gestion de leurs ressources naturelles protégées et ainsi que l'administration de leurs populations impactées. En effet, les personnes qui vivent sur ces espaces et y travaillent (pêcheurs, agriculteurs, éleveurs, artisans, agents de tourisme...) ne sont pas consultées ou intégrées à des délibérations ou aux négociations quant à la gestion des espaces naturels dont elles dépendent. Leurs intérêts ne sont parfois même pas pris en compte voire carrément bafoués et leurs votes, leurs avis ne peuvent influencer les décisions des fonds.
Le cas de l'échange de dette-nature au Gabon
L'Agence écofin, a annoncé dans un article publié sur son site le 12 mai 2023, que la Bank of America allait arranger un échange dette-nature de 500 millions de USD au profit du Gabon. C'était une information rapportée par l'agence Bloomberg, la veille, citant des sources proches du dossier. L'accord qui a eu lieu en juillet, autorise une réduction de la dette extérieure gabonaise d'environ 500 millions de dollars, en s'engageant en contrepartie à protéger 26% des eaux territoriales du Gabon avec l'appui de l'organisation à but non lucratif américaine The Nature Conservancy. Le Gabon a créé ces dernières années le plus grand réseau de réserves marines protégées d'Afrique abritant d'innombrables espèces marines menacées, parmi lesquelles les populations reproductrices les plus importantes de tortues luths et de tortues olivâtres, ainsi que 20 espèces de dauphins et de baleines. Composé de 20 parcs marins et réserves aquatiques, ce réseau s'étend sur 53 000 km2.« Devant être conduite par Bank of America, l'opération visant à échanger une partie de la dette publique contre la protection de 26% des eaux territoriales soulève des questions aux plans politique, juridico-institutionnelle et technique », critiquait l'auteur AJ.S de « Un échange de dette-nature au Gabon, une aberration ».
Pourquoi l'opération est-elle conduite dans l'opacité, à l'abri des regards indiscrets ? Sur le plan politique d'abord, ni les administrations sectorielles ni les instituts de recherche ni la société civile et, encore moins, les parlementaires ne semblaient au courant. Aucun débat public... « Le Parlement ne devrait-il pas être tenu informé de l'existence d'une stratégie de désendettement ? »
Deuxièmement, d'un point de vue juridico-institutionnel, Lee White, le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l'Environnement était impliqué mais ses collègues en charge de l'Economie ou des Finance semblaient écarté·es, tout comme le directeur général de la Dette. Le Conseil des ministres avait donné son blanc-seing sans plus d'explications. « Pour parler des identités des créanciers, des échéances de remboursement, de la réduction des dépenses, de l'augmentation des recettes, du ratio dette-croissance, des taux d'intérêt ou de l'inflation, Lee White n'est ni le plus légitime ni le mieux outillé. Pourquoi doit-il supplanter Nicole Roboty Mvou, la ministre de la relance économique, et Edith Ekiri Mounombi, la ministre du budget ? »
L'article dénonçait aussi une opération aberrante d'un point de vue technocratique. « De quel type d'échange dette-nature s'agit-il ? D'une conversion de dette bilatérale comme celle résultant de l'accord passé en 2008 avec la France sous la houlette d'Omar Bongo Ondimba et Nicolas Sarkozy ? D'une initiative d'allègement de la dette multilatérale ? Ou d'une conversion de la dette commerciale ? Mystère et boule de gomme »... Qu'en était-il de l'étude de faisabilité ? « Profil de la dette, politique de désendettement, contexte macro-économique, sources de financement, aspects juridiques et fiscaux, taux de décote, bailleurs intéressés ou concernés, mécanismes de gestion des fonds... Sur tous ces points, ni le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l'Environnement ni l'Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) ne disposent de données complètes ». Mais selon le journaliste « les autorités se laissent aveugler par l'enthousiasme international pour de la défense de la biodiversité. Ayant longtemps présenté l'écotourisme comme le segment d'avenir, ayant ensuite fondé ses espoirs sur les crédits-carbone, » le gouvernement avait déjà fait face à tant de désillusions, ne devait-il pas plus se méfier ?
L'État gabonais a annoncé officiellement le mardi 25 juillet 2023, sur le site de la Bourse de Londres ( London Stock Exchange), cet échange dette-nature. Les médias gabonais se sont mis à parler de ce swap de manière laudative.
Ainsi par exemple le 8 août 2023, Gabon Review publie sur son site un article de Loic Ntoutoume « Échange dette-nature : le Gabon offre un rendement plus juteux que prévu ». Nous voyons que différents intermédiaires privés interviennent dans cette négociation dont l'intérêt financier reste la préoccupation principale . L'opération d'échange dette-nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions de dollars de ses obligations et de tirer un prêt bleu de 500 millions de dollars auprès du véhicule à usage spécial, Gabon Blue Bond Master Trust, a été boosté à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons du Trésor fixés le 7 août 2023, à 180 points de base. L'État gabonais et son arrangeur d'obligations, Bank of America, a relévé le prix de la transaction dette nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions USD de son euro-obligation 2025 et des deux euro-obligations 2031.Initialement fixée à 180 points de base, l'obligation bleue du Gabon a grimpé de 20 points pour se situer à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons de Trésor américain du 7 août 2023. Selon de

Pour Trump, les USA d’abord… et l’Afrique (bien) après

L'accession du milliardaire à la Maison blanche entraînera une politique africaine centrée sur les intérêts des États-Unis et la promotion des valeurs conservatrices en Afrique.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Quelle va être la politique de Trump vis-à-vis du continent africain ? La réponse est incertaine car lui — tout comme Kamala Harris, n'a jamais évoqué cette question pendant la campagne électorale — bien trop occupé à disserter sur les choix gastronomiques supposés des immigrés haïtiens de la ville de Springfield ou sur l'importation des mauvais gènes aux États-Unis par les migrantEs.
Désintérêt
On peut se baser cependant sur quelques indices, notamment son bilan lorsqu'il était au pouvoir de 2017 à 2021. On se souvient de la délicate formule qui sied à ce personnage si raffiné, traitant les pays africains de « pays de merde » et de sa relation toute particulière à la vérité en parlant de crimes de masse contre les fermiers blancs en Afrique du Sud. Deux ans après son installation au pouvoir, son éphémère conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, déroulait la stratégie des USA vis-à-vis du continent. Elle pouvait se résumer en une idée simple : cette politique devait avant tout rapporter aux USA. Trois thèmes étaient déclinés : les échanges commerciaux favorisant les entreprises américaines ; la promotion de l'aide seulement aux pays alliés et la lutte contre le terrorisme. Dans les faits, la politique de Trump a été surtout un désengagement des États-Unis du continent et la suppression des visas pour les ressortissants des pays comme la Somalie, le Soudan, la Libye, le Ghana, le Nigeria ou le Tchad, ce qui a contribué à renforcer la marginalisation des USA en Afrique.
America first
Autre indice, la communication de la fondation conservatrice Heritage Foundation. Sur les 900 pages de son rapport « Project 2025 » décrivant dans le détail les mesures à prendre pour une politique conservatrice radicale, une page et demie est consacrée à l'Afrique. Elle est écrite par Kiron K. Skinner, fan de Reagan et ancienne de l'administration George W Bush et Trump. Elle souligne l'importance de l'Afrique pour ses richesses naturelles, notamment les minerais nécessaires aux industries de haute technologie et sa proximité des voies maritimes. Pour elle, il est urgent de disputer « l'influence maligne » de la Chine et secondairement de la Russie. En termes économiques cela se traduit par le ciblage de certains pays considérés comme prioritaires plutôt que l'essaimage des aides à travers le continent. Des aides qui devront favoriser le « marché libre » et « la croissance privée » et être supprimées aux pays hostiles ou qui votent contre les USA dans les instances internationales. La crise sécuritaire au Sahel n'est pas considérée comme une menace vitale pour les États-Unis mais comme un danger potentiel sur le flanc sud de l'Otan. Enfin, les États-Unis devront porter leur effort sur les « activités diplomatiques essentielles » plutôt qu'essayer de promouvoir les droits des personnes LGBT.
Le sabre et le goupillon
Bien que ce programme présente une certaine continuité, il ne doit pas occulter que le Trump d'aujourd'hui est bien plus radical, et que lors de son mandat précédent il devait composer avec une Chambre des représentants à majorité démocrate à partir de 2018. Au vu des résultats, cela ne serait plus le cas. Ainsi il est très probable que des aides seront détournées vers les organisations évangéliques pour promouvoir des politiques homophobes et anti-avortement en Afrique. Ceci irait de pair avec la suppression du President's Emergency Plan for AIDS Relief consacré à la lutte contre le sida et décrié par les républicains. La recommandation de Heritage Foundation de reconnaître la région de Somaliland comme un État indépendant de la Somalie est révélatrice. Elle permettrait aux USA de dédoubler sur la côte somalilandaise leur base militaire de Djibouti qui se trouve à une dizaine de kilomètres de l'emprise chinoise pouvant accueillir plusieurs milliers de soldats. Même si le prix à payer serait une accentuation de la déstabilisation de la corne de l'Afrique.
Il est certain que l'élection de Trump est un encouragement à tous les autocrates africains.
Paul Martial
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