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Qu’est ce que cette guerre étrange en Ukraine où on demande au pays envahi de se soumettre à la volonté de l’envahisseur ?*

Évidemment, rien de plus normal que l'actuelle escalade de la guerre en Ukraine fasse peur.
*par Yorgos Mitralias*
*Et aussi, rien de plus normal que la possession de l'arme nucléaire par l'une des forces impliquées (la Russie) donne lieu à des inquiétudes tout à fait justifiées. Cependant, rien ne pourrait justifier l'actuel -énième depuis presque quatre ans- déchaînement de déclarations alarmistes qui se concluent toujours par des appels adressés non pas à l'envahisseur possédant l'arme nucléaire (la Russie) mais au pays envahi (l'Ukraine) de se montrer raisonnable, en faisant des concessions pour ne pas provoquer l'ire nucléaire de son ennemi envahisseur ! *
Conclusion logique : face à une puissance possédant l'arme nucléaire, les pays qui n'en possèdent pas ont le devoir de ne pas résister et d'accepter de se soumettre sans discussion. En somme, tous ceux qui se sont battus becs et ongles dans le passé contre des puissances nucléaires, n'étaient que des décervelés irresponsables qui s'en foutaient éperdument du mal qu'ils faisaient au reste de l'humanité ! Comme par exemple, *les Vietnamiens * qui se sont battus avec le succès que l'on sait, contre la superpuissance nucléaire nord-américaine ou *les Algériens* qui ont fait de même contre la puissance nucléaire française. Ce qui nous conduit également logiquement à considérer (rétroactivement) ceux qui ont soutenu ces Vietnamiens et ces Algériens luttant pour leur liberté et leur autodétermination, comme des aventuriers politiques, des inconscients et des apprentis sorciers qui jouaient avec le sort de l'humanité…
En réalité, ces appels des bien pensants de tous bords -de gauche et de droite- à la raison des... victimes, n'a de nouveau que leur trop claire référence à l'arsenal nucléaire de l'envahisseur russe. Car ça fait déjà presque quatre ans, qu'on entend la même litanie des mises en demeure adressés aux Ukrainiens, les invitant à céder une partie de leur pays afin de ne pas trop énerver M. Poutine. Ce qui nous oblige à (ré)proposer, sans changer un seul mot, ce qu'on écrivait déjà en juin 2022, quelques mois après le début de cet interminable guerre que nous qualifions déjà d' "étrange" en acceptant comme allant de soi que « *les deux pays en guerre n'ont pas les mêmes droits et ne se battent donc pas à armes égales * » :
“*Cette guerre est « étrange » parce que la plupart de ceux qui se déclarent solidaires de la lutte du peuple ukrainien sont en même temps opposés à l'envoi d'armes qui permettraient à ce peuple de se défendre de manière un tant soit peu efficace. En d'autres termes, ils sont solidaires d'eux à condition qu'ils ne puissent pas se défendre, et qu'ils se contentent du rôle… de cadavre héroïque !*
*Mais les « bizarreries » de cette guerre – qui n'en est pas une – n'ont pas de fin. Par exemple, comment expliquer le fait – sans précédent dans l'histoire mondiale – que les deux pays en guerre n'ont pas les mêmes droits et ne se battent donc pas à armes égales ? C'est-à-dire que tandis que l'un (la Russie qui agresse) a le droit d'avoir une force aérienne, l'autre (l'Ukraine qui se défend) ne l'a pas. Que l'un (la Russie) a le droit de monopoliser le ciel de l'autre (l'Ukraine), tandis que cet autre – qui est en fait celui qui se défend – n'a que le droit de se faire arroser de bombes et de missiles tombés du ciel. Et aussi, alors que la Russie peut avoir et utiliser des armes lourdes de toutes sortes et sans aucune restriction, l'Ukraine qui se défend ne peut utiliser que des armes « défensives » et aucune arme « offensive ». Et en plus, alors que la Russie peut bombarder l'Ukraine en canonnant et en tirant des missiles depuis les territoires russe et biélorusse, il est expressément interdit à l'Ukraine de riposter en frappant des cibles à l'intérieur de la Russie et du Belarus, etc. etc*
*Mais, le plus « étrange » dans cette guerre, n'est pas que l'Ukraine ait été soumise à toutes ces restrictions scandaleuses de son droit (inaliénable) à se défendre comme elle l'entend. Le plus « étrange », c'est surtout que tous les gouvernements occidentaux et tous les médias occidentaux non seulement soutiennent ces « restrictions », qui n'ont aucun précédent dans l'histoire des guerres, mais les présentent en permanence comme évidentes, allant de soi, indiscutables et incontestables ! Et le résultat de cette situation scandaleuse est que lorsque Zelensky ose défier l'une de ces « restrictions », par exemple en demandant des avions pour protéger ses villes et leurs habitants, non seulement sa demande est instantanément rejetée, mais elle est également qualifiée d'inappropriée et… « dangereuse »…*
*La raison de ce traitement « étrange » de l'Ukraine par les ennemis, et surtout par les amis, s'est fait connaître progressivement, au fil du temps, et seulement à partir du moment où la possibilité d'un échec ou même d'une défaite de l'« opération militaire spéciale » russe a commencé à être envisagée : l'Ukraine n'a droit qu'à une défense de basse intensité contre l'invasion russe parce que… « Le président Poutine ne doit être ni vaincu ni humilié » ! Et pas seulement ça. Les partisans de cette position qui ne sont pas seulement des réactionnaires avérés comme Orban ou le vieux zombie qu'est Kissinger, mais aussi des démocrates néolibéraux plus présentables, comme tous les dirigeants occidentaux, Macron en tête, ne cessent d'affirmer avec une insistance croissante qu'« il doit y avoir une porte de sortie pour Poutine », une proposition qui lui permette de gagner quelque chose dans cette guerre afin d'éviter d'affronter ses compatriotes les mains vides au moment du décompte final. Et tout cela pour qu'il ne soit pas évincé et pour qu'il reste au pouvoir, ce qui est d'ailleurs ce qu'ils souhaitent tous publiquement ! Et pour atteindre cet objectif, non seulement ils commencent à « conseiller » de plus en plus instamment à Zelensky d'abandonner sa « rigidité » actuelle, de devenir plus
« réaliste » et d'accepter de donner à Poutine une partie de son pays. Mais ils ont aussi le culot de commencer à discuter entre eux quelle partie de l'Ukraine ils pourraient céder, ces impérialistes occidentaux (!), à Poutine, dans le dos des Ukrainiens et de leur gouvernement !*
*Bien que nous ayons ici un cas carabiné de l'interventionnisme et du paternalisme impérialiste le plus scandaleux, il y a peu de gens de gauche qui osent faire ce qui va de soi, à savoir le dénoncer publiquement, comme il le mérite. Et malheureusement, sont encore moins nombreux ceux qui osent soutenir le droit encore plus évident et élémentaire des Ukrainiens – qu'ils défendent bec et ongles – de se battre jusqu'au bout et par tous les moyens contre les envahisseurs russes, en décidant eux-mêmes librement et démocratiquement, et sans aucune ingérence étrangère hostile ou « amicale », de l'avenir de leur pays et des personnes qui y vivent !*
*En fait, un regard sur le passé très récent montre que l'attitude actuelle de l'Occident à l'égard de la Russie n'est pas surprenante, mais, contrairement à ce que pensent certains poutinistes plutôt naïfs, elle s'inscrit dans la continuité de sa position ferme en faveur du développement sans entrave de ses relations économiques avec ce pays, véritable eldorado pour ses capitalistes. En effet, rappelons-nous quelles ont été les premières réactions de tous ses dirigeants (Biden, Macron, Johnson…) dans les heures et les jours qui ont suivi l'invasion russe en Ukraine : Ils ont suggéré à Zelensky de l'exfiltrer d'Ukraine, car eux-mêmes et les médias de leur pays croyaient fermement que l'occupation de Kiev, et du pays entier, par l'armée russe était une question de quelques jours.*
*Tout a changé lorsque Zelensky a exhorté ses compatriotes à résister, en répondant à la proposition de Biden par la phrase désormais historique « La bataille sera menée ici, en Ukraine. J'ai besoin d'armes, pas d'un taxi » ! Et en effet, c'est parce que le peuple ukrainien a résisté et résiste encore bec et ongles, provoquant une vague de sympathie et de solidarité sans précédent dans l'opinion publique internationale, qu'il a de fait forcé les gouvernements occidentaux à faire quelque chose qui n'était pas dans leur agenda et qui était radicalement différent de la passivité dont ils ont fait preuve lorsque Poutine a occupé et annexé la Crimée en 2014 : Soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine et imposer des sanctions économiques de plus en plus sévères à la Russie de Poutine et à ses oligarques »*.(1)
Notes
*1.*
*https://www.pressegauche.org/Qu-est-ce-que-cette-guerre-etrange-ou-on-interdit-a-l-Ukraine-que-Poutine-soit*
<https://www.pressegauche.org/Qu-est...>
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Trump, un cabinet de dangereux fanatiques

Donald Trump a rapidement choisi des loyalistes pour occuper des postes ministériels et autres hautes fonctions. Le Sénat devrait normalement voter pour confirmer les membres du cabinet, et les choix présidentiels sont controversés même parmi les républicains.
Hebdo L'Anticapitaliste - 730 (21/11/2024)
Par Dan La Botz
Dans certains cas, les choix capricieux de Trump, qui n'ont fait l'objet d'aucun contrôle, risquent de conduire au chaos gouvernemental s'ils sont confirmés. Des humoristes et des journalistes ont qualifié le nouveau cabinet de « voiture de clowns de Trump ». Mais les clowns ne sont pas drôles, ils sont effrayants.
Anti-vax à la Santé, climato-sceptique à l'Énergie…
Le plus scandaleux est peut-être que Trump a désigné le représentant Matt Gaetz pour le poste de procureur général. En 2020, Gaetz a été accusé de trafic sexuel d'enfants et de détournement de mineur pour avoir emmené une lycéenne de 17 ans au-delà des frontières d'un État afin d'avoir des relations sexuelles avec elle. Le ministère de la Justice et le comité d'éthique de la Chambre des représentantEs ont enquêté sur l'affaire, mais il n'a pas été mis en examen.
Le choix de Trump pour le poste de secrétaire à l'énergie se porte sur Chris Wright, PDG de Liberty Energy, une entreprise de fracturation basée à Denver. Il soutiendra l'industrie des combustibles fossiles et s'opposera aux efforts de réduction des gaz à effet de serre. L'année dernière, Wright a déclaré : « Il n'y a pas de crise climatique, et nous ne sommes pas non plus en pleine transition énergétique ».
Trump a désigné Robert F. Kennedy Jr, un anti-vax, comme secrétaire à la santé et aux services sociaux, un ministère doté d'un budget de 1 700 milliards de dollars et exerçant une influence considérable sur les politiques de santé. Son choix a été largement critiqué par les médecins et les scientifiques spécialisés dans le domaine de la santé.
Brutalité envers les migrantEs et dans l'armée
Trump a fait campagne sur la question de l'immigration en disant qu'il fermerait la frontière et commencerait les déportations dès le premier jour, et pour y faire face, il a choisi le nationaliste blanc Steven Miller comme chef de la politique de sécurité intérieure et un policier au langage dur nommé Thomas Homan comme « tsar de la frontière ». Homan a été responsable de la politique de séparation des familles pendant le premier mandat de Trump. Ils traiteront les immigrantEs de manière brutale.
Pour ce qui est de la politique étrangère, Trump a choisi Pete Hegseth, vétéran d'Irak et d'Afghanistan, major de la Garde nationale et animateur de télévision sur la chaîne d'extrême droite Fox News en 2014, pour le poste de secrétaire à la Défense. Hegseth, qui n'a jamais dirigé une grande organisation, sera en charge des 3,4 millions d'employéEs du ministère de la Défense. Son choix a indigné des membres du Congrès et d'anciens officiers, en partie à cause de son soutien aux soldats accusés de crimes de guerre. Il estime que l'armée est trop « woke » et s'oppose aux politiques de diversité, d'équité et d'inclusion qui, selon lui, ont affaibli les valeurs militaires. Il s'oppose également à ce que les femmes soient placées à des postes de combat. Hegseth a été accusé d'agression sexuelle lors d'une manifestation de femmes républicaines et, bien qu'il n'ait pas été mis en examen, il a payé la femme concernée. Hegseth a un tatouage, Deus Vult (la volonté de Dieu) et porte une croix de Jérusalem, deux symboles du mouvement nationaliste blanc.
Tulsi Gabbard, choix de Trump pour le poste de directeur du renseignement national, a été qualifiée d'« agent russe » et de « traître » par un membre de la Chambre des représentants en raison de son soutien à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Musk et ses milliards, les PalestinienNEs niéEs
Pour le poste d'ambassadeur des États-Unis en Israël, Trump a choisi le pasteur baptiste Mike Huckabee, ancien gouverneur de l'Arkansas. Huckabee soutient que l'État d'Israël a le droit de contrôler la Cisjordanie, un nom qu'il rejette, préférant les termes bibliques de Judée et Samarie. Il affirme que la Cisjordanie n'existe pas, qu'il n'y a pas d'occupation et que les PalestinienNEs n'existent pas.
Enfin, Elon Musk, le magnat de la technologie et l'homme le plus riche du monde, qui a donné au moins 132 millions de dollars à la campagne de Trump, a été choisi avec l'entrepreneur pharmaceutique Vivek Ramaswamy pour diriger un nouveau ministère de l'efficacité gouvernementale. Musk a conclu des contrats avec le gouvernement pour un montant d'environ 1 000 milliards de dollars.
Les nominations ministérielles doivent en principe être confirmées par le Sénat américain, bien que Trump puisse tenter d'éviter cela en procédant à des « nominations d'urgence » lorsque le Sénat n'est pas en session. Les républicains désormais majoritaires au Sénat ne semblent pas avoir l'intégrité et le courage de lui tenir tête. Les clowns de Trump pourraient mettre en péril la bonne marche du gouvernement.
Dan La Botz (traduction Henri Wilno)
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De l’utilité du journalisme à l’ère du chaos trumpiste

Donald Trump les considère comme les « ennemis du peuple ». Alors que les journalistes états-uniens s'inquiètent pour leur avenir, une question se pose : à quoi servent les médias ?
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
« Uh, Houston, we've had a problem » : c'est par ces mots laconiques que Jack Swigert, un des trois membres d'équipage de la mission Apollo 13, en pleine ascension vers la Lune, s'est adressé aux ingénieurs du centre de contrôle de la Nasa, le 13 avril 1970, pour alerter de la baisse subite des réserves d'oxygène dans la navette spatiale. La survie des astronautes était en jeu, il fallait trouver des solutions sans plus attendre.
Plus d'un demi-siècle plus tard, la catastrophe annoncée s'applique au secteur des médias. Le « problème » s'appelle Trump, et les malheureux contraints de colmater la brèche pour espérer en réchapper sont les journalistes. Le crash des « ennemis du peuple », tels que les désigne le nouveau président, est assuré si rien n'est fait pour redresser la barre.
En pleine introspection dès le lendemain de l'élection, la presse états-unienne en convient : elle a « perdu » face au candidat des républicains, comme l'écrit le journaliste Kyle Paoletta dans la Columbia Journalism Review, victime de sa stratégie d'étouffement, de dénigrement et de contournement.
Trump a en effet gagné, non pas malgré sa haine des journalistes, mais parce qu'il l'a si bien mise en scène qu'ils sont devenus, aux yeux de ses électeurs et électrices, ces « salauds de corrompus » qu'il dénonçait.
Nous pataugeons dans les égouts de l'information.
– Carole Cadwalladr, journaliste à « The Observer »
Il les a essorés en saturant la campagne de mensonges, fake news et autres saillies clownesques, les obligeant à un fact-checking incessant. Il les a insultés et les a menacés de s'en prendre à leurs sources, de surveiller leurs mails et leurs téléphones, voire de les emprisonner, de les empêcher de couvrir les manifestations, de leur interdire l'accès à la Maison-Blanche, de privatiser les chaînes de radio et de télé publiques, et de retirer les autorisations d'émettre aux médias qui lui déplaisent.
Il les a dédaignés en s'adressant aux influenceurs acquis à sa cause, capables de diffuser ses messages à de gigantesques audiences. Il leur a préféré les réseaux sociaux, dont il savait pouvoir manipuler les algorithmes. « You are the media now », a d'ailleurs tweeté Elon Musk, patron du réseau social X, le jour de sa victoire, pour marquer le début d'une nouvelle ère.
« Notre défi est de nous rendre compte que nous pataugeons dans les égouts de l'information. Trump est un bacille mais le problème ce sont les tuyaux. Nous pouvons et devons résoudre ce problème », a réagi Carole Cadwalladr, journaliste à The Observer.
Si, aujourd'hui, seule compte la capacité de la presse américaine à se préparer aux attaques à venir, une réflexion critique sur ses erreurs n'est pas inutile pour aider à penser la suite.
Pourquoi n'a-t-elle pas vu que les chiffres flatteurs de la croissance, tels que les égrenait la candidate démocrate Kamala Harris en défense du bilan de Joe Biden, cachaient une difficulté grandissante des États-Unien·nes à tenir les deux bouts face à l'inflation ? Comment, après la gestion calamiteuse du covid, a-t-elle pu négliger le décrochage de pans entiers de la population à l'égard des élites ?
A-t-elle sous-estimé l'impact de l'implication dans la campagne de géants de la tech capables, à coups de millions de dollars, de reconfigurer, au service de leur candidat, l'espace public médiatique et la formation des opinions politiques ? Pourtant traditionnellement moins révérencieuse qu'en France à l'égard des institutions, la presse états-unienne a-t-elle pu, au nom de la « neutralité » et de « l'objectivité », être aveuglée par des positions centristes favorables aux élites ?
Ce qui est certain, c'est qu'elle n'a pas su, non pas faire gagner Kamala Harris, mais empêcher qu'un autocrate patenté, raciste, misogyne, homophobe et climato-sceptique remporte à la fois le vote des grands électeurs et le vote populaire. Elle n'a pas su convaincre l'opinion des dangers que ce réactionnaire fascisant fait peser sur la démocratie états-unienne et l'ensemble du monde.
Alors que l'extrême droite prospère en Europe, cette défaite des valeurs progressistes – de l'égalité à la justice sociale, en passant par la solidarité, la probité et la sobriété écologique – doit être considérée comme un test grandeur nature de ce côté-ci de l'Atlantique.
Des faits et de l'impact
Elle nous oblige tous et toutes, en tant que journalistes, à interroger notre rôle social en revenant à l'essence même de notre métier. Dans un discours prononcé en 1907, le magnat de la presse Joseph Pulitzer, pas vraiment un extrémiste, déclarait à propos de son journal qu'il « combattra[it] toujours pour le progrès et les réformes, ne tolérera[it] jamais l'injustice ou la corruption ; il n'appartiendra[it] à aucun parti, s'opposera[it] aux classes privilégiées et aux exploiteurs du peuple, ne manquera[it] jamais de sympathie pour les pauvres, demeurera[it] toujours dévoué au bien public, maintiendra[it] radicalement son indépendance ».
Contre le poison des fausses nouvelles et des préjugés, aussi payant soit-il électoralement et sans doute médiatiquement, nous ne devons jamais renoncer à notre éthique journalistique en publiant toujours des informations basées sur des faits recoupés, vérifiés et documentés.
Nos informations, à la différence des commentaires engorgeant les réseaux sociaux, peuvent changer le cours de l'Histoire.
« La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat », écrivait Hannah Arendt en 1967, dans Vérité et politique. Notre travail journalistique, fondé sur la rigueur et l'honnêteté, est la garantie du lien de confiance avec nos lecteurs et nos lectrices.
À nous, en publiant des informations exclusives ayant de l'impact sur la vie des gens, d'apporter la preuve de notre utilité, article après article, révélation après révélation. Nos informations, à la différence des commentaires engorgeant les réseaux sociaux, peuvent changer le cours de l'Histoire ; elles peuvent aussi aider à lutter contre la confusion, telle qu'elle est propagée par les influenceurs, en donnant du sens au monde tel qu'il est.
Contre le risque de déconnexion qui guette les rédactions, il est nécessaire de rappeler haut et fort que la mission d'intérêt public des journalistes est de rendre aux citoyens et aux citoyennes ce qui leur revient en droit dans un régime démocratique : des informations sur les gouvernant·es qui prennent des décisions en leur nom.
Du côté de la société
À Mediapart, depuis nos débuts, nous nous engageons à placer les puissances économiques et politiques face à leurs responsabilités et assumons d'être là pour leur demander des comptes. La totale indépendance de notre modèle économique nous le permet, puisque, comme l'affirme notre slogan, « seuls nos lecteurs et nos lectrices peuvent nous acheter ».
Pour le dire autrement : nous ne représentons pas les intérêts de quelques-uns mais de l'ensemble des citoyens et citoyennes, dans toute leur diversité. À la différence des journaux mainstream qui revendiquent une « objectivité » journalistique sans voir qu'ils relayent la vision d'une certaine bourgeoisie, nous réfutons l'idée d'une quelconque neutralité, qui n'est jamais qu'un équilibre trompeur entre des positions situées, et préférons rappeler d'où nous parlons : nous sommes fondamentalement du côté de la société.
C'est pour cela que nous donnons la priorité, dans notre couverture éditoriale, aux difficultés rencontrées quotidiennement par nos concitoyen·nes : par nos reportages, nous racontons, au jour le jour, la hausse des prix des produits de première nécessité, la crise du logement et le délitement des services publics, et, par nos analyses, nous nous efforçons d'expliquer les mécanismes structurels creusant les inégalités.
Contre l'entre-soi, notre responsabilité est de nous rendre accessibles à toutes et tous, quelles que soient les origines sociales et géographiques de nos lecteurs et nos lectrices. Les résultats des élections états-uniennes montrent non seulement que les diplômes et le lieu de résidence (ville/campagne) restent déterminants dans le vote, mais aussi que chaque électorat est enfermé dans sa bulle.
À nous d'en tirer les conclusions et de faire en sorte de nous rendre lisibles et compréhensibles par tout le monde. À Mediapart, notre ambition est de nous adresser au plus grand nombre sans jamais laisser un pan du lectorat au bord du chemin. Soyons pédagogique et adressons-nous franchement à notre public, sans complaisance, mais sans mépris.
C'est dans l'adversité que l'utilité politique et sociale des journalistes prend tout son sens.
Cela ne doit pas nous empêcher de défendre les valeurs émancipatrices qui sont les nôtres, bien au contraire. Dans un moment où les régimes autoritaires remportent des batailles, il est de notre devoir de ne pas banaliser leurs pratiques et de dénoncer les risques qu'ils font peser sur la vie de la cité. C'est le constat que dresse aujourd'hui le New York Times, qui s'est vu reprocher par une partie de son lectorat de minimiser la menace, comme le rapporte Max Tani dans le journal en ligne Semafor.
Il est aussi de notre responsabilité de comprendre cet électorat attiré par l'extrême droite. À nous, via nos reportages, de l'interroger pour mieux appréhender ses motivations, tout en donnant à voir, par nos investigations, le vrai visage des partis vers lesquels il se tourne.
Après l'élection de Trump, la rédactrice en cheffe du quotidien britannique The Guardian, Katharine Viner, pose ainsi les enjeux : « Nous maintiendrons la distinction importante entre faits et opinions. Nous chercherons à analyser et à expliquer. Nous rassemblerons les fils conducteurs qui rendent cette élection si importante pour la planète. Nous demanderons des comptes avec énergie et force à Trump et à ses collaborateurs. Et, aussi difficile que cela puisse paraître cette semaine, nous essaierons de comprendre la vie et les réalités économiques de celles et ceux qui, nombreux, ont voté pour [Trump], sans jamais trouver d'excuses pour le racisme et la misogynie déclenchés par les élections. »
À l'image du Guardian, Mediapart a décidé de faire de la diversité de son équipe une priorité : nous avons encore du chemin à parcourir, mais nous sommes convaincu·es qu'améliorer notre accessibilité suppose que nous reflétions la société dans toutes ses composantes. Recruter des profils variés est une nécessité, chacun·e apportant des expériences, des préoccupations et des sources complémentaires les unes des autres.
La bataille du droit de savoir, enfin, ne pourra pas être gagnée sans une prise de conscience collective du secteur des médias. Lutter contre la concentration des journaux dans les mains de quelques milliardaires soucieux de défendre leurs intérêts, réguler les réseaux sociaux utilisés comme des armes de déstabilisation et empêcher les Gafam d'appauvrir la presse en pillant ses informations : tels sont quelques-uns des enjeux à relever.
Ils sont immenses, mais nous ne pouvons pas nous permettre de baisser les bras : c'est dans l'adversité que l'utilité politique et sociale des journalistes prend tout son sens. C'est dans des périodes comme celle que nous traversons, de guerres, de crise du capitalisme et de déclin des démocraties, que nous mesurons l'importance de notre fonction de contre-pouvoir. Nous sommes plus que jamais requis pour informer honnêtement nos lectrices et nos lecteurs. Nous savons comment le faire, au service des citoyennes et des citoyens : ils peuvent compter sur nous, comme nous comptons sur eux.
Carine Fouteau
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Liban. Villages rasés et patrimoine menacé par Israël

La destruction d'une partie du patrimoine libanais suite aux bombardements israéliens intensifs mettent en alerte différents acteurs politiques et associatifs du pays.
Tiré d'Orient XXI.
Lundi 18 novembre 2024, le comité spécial de l'Unesco (l'agence des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture) chargé de la protection des biens culturels en cas de conflit armé s'est réuni en urgence à la demande de Beyrouth pour décider de placer 34 sites du patrimoine libanais sous « protection renforcée ». Une initiative bienvenue, mais qui laisse encore sceptique beaucoup d'acteurs de la société civile et d'archéologues.
« Tout dépend de l'ampleur que va prendre cette décision et de ses mécanismes d'application », relativise Charles Al-Hayek, chercheur en histoire basé à Beyrouth. Ce dernier a créé en 2020 la page Heritage and roots (Héritage et racines) sur les réseaux sociaux ainsi qu'une chaine Youtube pour parler d'histoire libanaise et de patrimoine (architectural, gastronomique, etc.). Depuis le début des bombardements israéliens, il tente de relayer les appels à l'aide pour protéger plusieurs sites archéologiques.
La décision de l'Unesco de mettre sous protection renforcée 34 sites se base sur la convention de la Haye de 1954 pour la protection du patrimoine en cas de conflit, notamment avec la création « au sein des forces armées des unités spéciales chargées de la protection des biens culturels ». La prise pour cible de sites protégés par l'Unesco peut constituer un crime de guerre selon la Cour pénale internationale. Le critère pour choisir les lieux à protéger est fait en fonction de « leur plus haute valeur pour l'humanité », explique sur France culture le chercheur au CNRS Vincent Negri, et auteur du livre Le patrimoine culturel, cible des conflits armés. Il estime que la décision de l'Unesco doit surtout envoyer un « signal fort » aux forces armées israéliennes dans un premier temps.

Des palis, et des oliviers centenaires
Plus de 300 universitaires et professionnels du monde de la culture avaient aussi signé une pétition le 17 novembre 2024 pour demander à garantir la protection du patrimoine libanais. Une centaine de députés libanais avaient aussi alerté début novembre sur les destructions, et réclamé à l'Unesco de protéger les sites. « Ce qui est sûr, c'est qu'au moins une trentaine de villages ont été détruits » dans le Sud Liban, rappelle Charles Al-Hayek.

En plus des trois sites libanais — Tyr, Baalbek et Anjar — classés au patrimoine mondial et directement menacés, le sud du pays, bombardé depuis le 8 octobre 2023, compte pléthore de villages avec des églises, des mosquées et des souks datant de la période des croisades et ottomane.
Depuis le début des bombardements israéliens, plus de 3 480 personnes ont été tuées et plus de 880 000 ont été déplacées à l'intérieur du pays, selon les chiffres de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Face au drame humain, le patrimoine tangible et intangible est souvent mis de côté, « mais il ne doit pas être oublié, car pour les Libanais, c'est une partie de leur identité », explique Sarkis Khoury, directeur général des Antiquités au sein du ministère de la culture libanais. Il a été chargé avec son département d'élaborer la liste des sites menacés, soumise ensuite à l'Unesco. On y trouve notamment les forteresses de Tebnine et Beaufort (XIIe et XIIIe siècles), le palais Beiteddine (XIXe siècle) et le musée national de Beyrouth, en plus de sites déjà classés au patrimoine mondial de l'UNESCO.
« Pour l'instant, nous documentons et recensons les destructions et les dommages. Ce sera ensuite au gouvernement libanais de décider s'il dépose plainte auprès de la Cour pénale internationale », explique Mostafa Adib, ambassadeur du Liban à l'Unesco et à Berlin.
Sarkis Khoury ajoute :
Nous recevons beaucoup d'informations alarmantes du terrain de la part des gardiens des sites et de nos agents sur place. Lorsque vous détruisez un village, ce sont aussi les oliviers centenaires, les vignes ancestrales, les anciens pressoirs qui disparaissent, cela aussi fait partie du patrimoine libanais.
Tout en alertant sur ce risque de « déracinement identitaire », il rappelle que le patrimoine libanais s'est souvent construit sur la « stratification de chaque civilisation sur l'autre », « et là on se retrouve face à une destruction totale, comme si notre histoire n'existait plus ».
Résister aux séismes, mais pas à l'artillerie israélienne
Autre difficulté, l'impossibilité de réaliser une réelle évaluation de l'ampleur des dégâts, plusieurs sites se trouvant dans des zones sinistrées et inaccessibles. « Normalement on doit pouvoir faire voler des drones et envoyer des experts pour ce genre d'évaluation, tout est compliqué actuellement », confirme Sarkis Khoury. Outre les sites classés et le marché couvert de Nabatiyé (début XXe) détruit mi-octobre par l'aviation israélienne, les historiens et archéologues craignent aussi pour les sites archéologiques romains de Tyr et de Baalbek. Celui-ci a été ébranlé par les tirs de roquettes lancées depuis le 6 novembre 2024 à 500 mètres de son emplacement. Selon l'ambassadeur du Liban à l'Unesco, Mostafa Adib, un mur à proximité de la citadelle de Baalbek a été touché et un bâtiment de l'époque ottomane (années 1920) a été entièrement détruit.

« Ces sites ont été construits par des Romains pour faire face à des tremblements de terre et autres, ils ont survécu aux aléas du temps, mais ils ne sont pas conçus pour faire face à l'équipement militaire israélien », s'inquiète Charles Al-Hayek. Le château de Chamaa (XIIe siècle) à une centaine de kilomètres de Beyrouth, qui fait l'objet d'une restauration avec un soutien italien depuis 2021, a été provisoirement occupé par l'armée israélienne mi-novembre : « Pour l'instant, nous ne savons pas si le site a été endommagé ou pas », précise Charles Al-Hayek. La forteresse de Beaufort, qui a déjà servi de base militaire à l'armée israélienne pendant dix-huit ans lors de l'occupation du Liban-Sud (1982-2000), est de nouveau menacée. La mosquée ottomane de Kfar Tebnit (fin XIXe) à proximité de Nabatiyé a été également détruite. L'unique site datant de l'époque omeyyade (VIe – VIIe siècles), situé à Anjar dans la vallée de la Bekaa, est aussi en danger selon l'ambassadeur du Liban à l'Unesco Mostafa Adib.

Maroun Khreich, maître de conférences en histoire, langues anciennes et patrimoine à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth rappelle :
Il y a aussi des sites méconnus comme ceux de Qatmoun à Rmeich (déjà bombardé en 2006 par Israël), le centre du village Alma dont l'architecture vernaculaire est centenaire, le marché couvert de Bint Jbeil, les sites de la région de Wadi-Zebqin et Rob El Tatlin qui ont été détruits.
Il estime que la décision de l'Unesco est importante mais tardive. Icomos, une ONG qui se consacre à la protection et la conservation des sites patrimoniaux, avait lancé l'alerte depuis le 17 octobre sur le sort des sites archéologiques au Liban. « Malheureusement il y a eu un silence assourdissant sur les événements, aussi bien au niveau des pertes humaines que sur le patrimoine », déplore l'universitaire.
Alors que l'attente d'un cessez-le-feu est toujours au cœur des discussions politiques et diplomatiques, Charles Al-Hayek pense déjà à l'après :
Nous avons besoin de ne pas oublier notre patrimoine, car c'est ce qui motivera ensuite la reconstruction et le lien social face à ce nouveau traumatisme. Préserver l'histoire de ces sites et la publier a une double fonction : rappeler que nous faisons partie de l'histoire mondiale, car beaucoup semblent l'oublier, et aider aussi les communautés sinistrées qui auront besoin de ce travail mémoriel pour tisser un lien social lors de la reconstruction.
Malgré cette détermination, d'autres problèmes ont été soulevés par les chercheurs. Le risque de pillage de certains sites dans les zones sinistrées comme c'est souvent le cas lorsque le patrimoine se retrouve au centre des conflits armés.
La question de la mise à l'abri des collections dans le cas du musée de Beyrouth ou celui de Sursock (musée d'art moderne qui porte le nom de son fondateur Nicolas Ibrahim Sursock) a été aussi soulevée. Ces problématiques ont des airs de déjà-vu pour le Liban, bien que le contexte soit radicalement différent. Pendant la guerre civile de 1975 à 1990, les œuvres du Musée national de Beyrouth avaient été, dans les années 1980, déplacées au sous-sol et emmurées, pour être protégées. Des coffres en béton armé avaient été disposés autour des œuvres les plus imposantes afin de les protéger. Des archéologues avaient également enfoui des vestiges retrouvés à Tyr et près de 600 pièces issues des fouilles avaient été transportées du dépôt de Tyr à celui Byblos. Aujourd'hui, les bombardements massifs israéliens et l'artillerie lourde utilisée génère des dégâts beaucoup difficiles à évaluer ou anticiper. Mostafa Adib précise toutefois que la décision de protéger les 34 sites libanais a été accompagnée du déblocage d'un fond d'urgence de 80 000 dollars (76 360 euros) « dont une partie pourrait être utilisée pour déplacer et protéger certaines œuvres, mais seulement dans les sites auxquels nous pouvons accéder actuellement », précise-t-il.
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Analyse du virage à gauche au Sri Lanka avec Ahilan Kadirgamar et Balasingham Skanthakumar

Les élections parlementaires sri-lankaises ont donné un mandat massif au National People's Power (NPP). Ils ont remporté 159 sièges sur 225, soit plus d'une majorité des deux tiers. Des citoyens de toute l'île ont voté pour le NPP. Ceci est particulièrement significatif dans un pays marqué par les divisions ethniques, où les habitants du nord et de l'est n'avaient jusqu'alors jamais fait confiance aux partis nationaux.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Pour analyser ces développements, The Wire a invité Ahilan Kadirgamar, maître de conférences en sociologie à l'Université de Jaffna, observateur de longue date de la politique sri-lankaise qui vit à Jaffna depuis la fin de l'insurrection des Tigres tamouls, et Balasingham Skanthakumar, co-rédacteur en chef du magazine Polity du Sri Lanka, qui vit à Colombo et suit de près l'évolution du pays.
Amit Baruah
Bonjour et bienvenue à ce direct YouTube de The Wire. Nous allons discuter des résultats parlementaires des élections sri-lankaises, qui ont donné un mandat massif au NPP. Deux mois seulement après l'élection d'Anura Kumara Dissanayake à la présidence, le soutien au NPP a été considérable. En incluant les sièges de la liste nationale, ils ont remporté 159 sièges sur 225, soit plus d'une majorité des deux tiers. Des citoyens de toute l'île, y compris du nord et de l'est, ont voté pour le NPP. Ceci est particulièrement significatif dans un pays marqué par les divisions ethniques, où les habitants du nord et de l'est n'avaient auparavant jamais fait confiance aux partis nationaux. Cela représente un changement majeur dans la politique sri-lankaise. Lors d'un rassemblement le 10 novembre à Jaffna, M. Dissanayake a reconnu qu'ils n'en avaient pas fait assez pour gagner les électeurs tamouls. Tout cela a changé, et les gens attendent maintenant de voir ce que le nouveau gouvernement peut faire pour les citoyens de toute l'île - au nord, à l'est, au sud et à l'ouest.
Pour analyser les résultats, nous accueillons Ahilan Kadirgamar, maître de conférences en sociologie à l'Université de Jaffna, observateur de longue date de la politique sri-lankaise qui vit à Jaffna depuis la fin de l'insurrection des Tigres tamouls, et Balasingham Skanthakumar, co-rédacteur en chef du magazine Polity, qui vit à Colombo et suit de près l'évolution du pays.
Amit Baruah
Je me tourne d'abord vers vous, Ahilan, puisque vous êtes à Jaffna, et les résultats de là-bas sont assez surprenants, même pour ceux qui pensaient que le NPP réussirait bien. Expliquez à nos téléspectateurs ce que signifie ce mandat.
Ahilan Kadirgamar
C'est une victoire historique - la première fois qu'un parti national remporte une victoire aussi écrasante dans le nord du Sri Lanka. Ils ont gagné les deux circonscriptions de la province du nord, montrant clairement un mandat pour la réconciliation et la résolution des griefs de longue date de la communauté tamoule. Le peuple a placé une confiance significative dans le NPP. Lors de sa visite à Jaffna, le Président a spécifiquement promis de régler la question des terres saisies par l'armée et divers services gouvernementaux comme l'archéologie et les forêts. La première priorité serait de tenir cette promesse et de libérer des quantités substantielles de terres. Mais il y a beaucoup d'autres questions en suspens depuis la fin de la guerre que le Président et son parti doivent aborder, y compris une solution politique. Il y a eu un vaste débat au Sri Lanka, avant et après l'accord indo-lankais, sur de nouvelles formes de décentralisation et de partage du pouvoir. La question est maintenant de savoir si le NPP, avec leur majorité des deux tiers nécessaire pour des changements constitutionnels majeurs, aura la volonté politique d'aller dans cette direction.
Amit Baruah
Ahilan, avant de me tourner vers Kumar, je voulais vous demander - avez-vous vu cela comme une vague, étant donné le peu de votes qu'Anura Kumara Dissanayake a reçus dans les zones tamoules lors des élections présidentielles ? S'agit-il d'un vote tactique des habitants du nord et de l'est, ou de quelque chose de plus ?
Ahilan Kadirgamar
Pendant 15 ans après la fin de la guerre, la politique nationaliste tamoule a dominé le Nord. Les LTTE ont créé l'Alliance nationale tamoule comme coalition, et après leur défaite, ils ont continué mais n'étaient pas organiquement liés au peuple. C'étaient des individus qui perpétuaient l'héritage et les slogans des LTTE, avec un soutien considérable de la diaspora. Ils se positionnaient comme intermédiaires avec la communauté internationale, y compris Delhi. Avant ou après chaque élection, ils allaient à New Delhi chercher des bénédictions, affirmant que cela aboutirait à un règlement politique. Cela a continué pendant un certain temps, mais il y a eu un changement significatif après l'élection présidentielle. Pour cette élection, beaucoup de ces mêmes acteurs ont présenté un candidat commun, sachant qu'il ne gagnerait pas, mais comme moyen de démontrer l'unité tamoule et d'en appeler à la communauté internationale. Cependant, deux choses se sont produites par la suite : comme dans le reste du pays, il y a eu une vague pour le changement politique, et les partis politiques tamouls se sont fragmentés. Les gens ont estimé que ces partis ne servaient que leurs intérêts personnels en cherchant des sièges parlementaires. La prolifération des partis politiques, leur incapacité à s'unir, tout cela a contribué à leur défaite massive. C'était à la fois un vote anti-sortants et une vague vers le NPP.
Amit Baruah
Kumar, je veux vous interroger sur ce mandat massif. Bien que la participation ait été légèrement inférieure aux élections présidentielles, le vote NPP a considérablement augmenté. De votre perspective à Colombo, que représente cela ? Est-ce une rupture avec les élections passées, un rejet de la classe politique traditionnelle du Sri Lanka ?
Balasingham Skanthakumar
Tout cela et plus encore. L'électorat a envoyé un message très clair. Ce sentiment se construisait depuis 2021-2022, mais nous n'avons pas eu l'occasion d'exercer notre droit de vote jusqu'à cette année. Même à l'époque, il y avait une énorme répulsion dans tout le Sri Lanka, à travers les classes sociales, les ethnies, les régions et les religions, dirigée contre les politiciens. Pendant longtemps dans ce pays, comme dans de nombreuses parties du monde, les gens pensaient que les politiciens professionnels existaient pour se servir eux-mêmes. Mais il a fallu cette crise - cette crise économique et sociale - et l'émergence du NPP, considéré comme non entaché par la politique, pour que le public rejette finalement les politiciens traditionnels. Les gens ont toujours su que les politiciens avaient les deux mains dans la caisse et s'aidaient eux-mêmes avec les ressources publiques. Ils voyaient la corruption morale, mais ils avaient besoin de quelque chose pour quoi voter, même s'ils n'étaient pas tout à fait sûrs de ce que c'était. C'est absolument sans précédent. Vous avez utilisé le terme « tsunami » ce matin, et je l'avais utilisé indépendamment pour décrire ce résultat. Il y a quelques semaines, après l'élection présidentielle, nous l'avons appelé un tremblement de terre. Du tremblement de terre au tsunami - cela traduit à quel point ces développements ont été dramatiques pour le système politique du Sri Lanka, envoyant un message à travers la région et au-delà.
Amit Baruah
Kumar, vous avez beaucoup écrit sur la crise économique et noté la hausse des niveaux de pauvreté au Sri Lanka. Diriez-vous que le NPP a construit son soutien sur les pressions économiques - les mesures d'austérité, les temps difficiles, les files d'attente pour le carburant et les bouteilles de gaz, la hausse des prix, les pénuries de nourriture et de médicaments ?
Balasingham Skanthakumar
Je n'en suis pas encore tout à fait sûr. Ces questions de classe n'ont pas nécessairement conduit à des réactions similaires à travers l'île. Oui, il y a une convergence dans la façon dont les réformes d'austérité ont impacté les gens, mais même pendant le COVID-19 et la crise économique, beaucoup dans le nord et l'est ont dit qu'ils ne le ressentaient pas de la même manière, ayant vécu pendant des décennies sans nécessités. Autant j'aimerais dire que c'est un sentiment purement basé sur la classe, c'est encore trop amorphe pour l'attribuer à un seul facteur. Ce qui est commun, comme nous l'avons entendu d'Ahilan, c'est vraiment un rejet de la politique comme d'habitude. C'est un cri du peuple pour un changement dans le système politique. Mais cela ne signifie pas que le nord et le sud, l'est et l'ouest, ont tous les mêmes attentes.
Amit Baruah
Ahilan, quel est votre sentiment depuis Jaffna ? Est-ce la fin de la classe politique qui a longtemps gouverné votre pays ? L'élite de Colombo est-elle menacée, n'étant plus capable de diriger la politique comme elle l'a fait ces 70-75 dernières années ? Et le NPP est-il vraiment un outsider de la politique sri-lankaise ?
Ahilan Kadirgamar
Je dirais que c'est une perturbation majeure dans la façon dont le pays a été gouverné. Ce n'est pas quelque chose que l'élite attendait, et même les gens ordinaires ne pouvaient pas imaginer ce genre de changement. Une fois qu'une telle perturbation se produit, il devient très difficile de reconstruire rapidement une autre coalition d'élite, même cinq ans plus tard. C'est un moment crucial pour la direction du pays. Le NPP a reçu un mandat énorme pour traiter de multiples questions. Dans le nord, il y a la militarisation, le chômage, et les jeunes qui sentent qu'ils n'ont pas d'avenir, les conduisant à quitter le pays. Les gens ont différentes explications - certains blâment la corruption pour l'état du pays, d'autres disent que c'est une mauvaise gouvernance ou de mauvaises politiques. Néanmoins, le NPP a ce mandat pour faire avancer le pays. Si le NPP ne réussit pas, je ne pense pas que nous reviendrons aux affaires comme d'habitude. Cela pourrait être bien pire. Un autre acteur devrait combler le vide, ce qui pourrait être très dangereux - peut-être l'émergence d'une tendance droitiste, populiste autoritaire, ou même fasciste. Donc c'est un moment très différent des nombreuses décennies passées. Je le comparerais à quand [J. R.] Jayewardene est arrivé au pouvoir à la fin des années 70. C'était similaire - le monde connaissait un ralentissement économique, le Sri Lanka faisait face à une grave crise économique dans les années 1970 sous le gouvernement de gauche du Front uni, qui ne pouvait pas gérer la crise. Jayewardene a remporté une victoire écrasante avec les cinq sixièmes du parlement sous le système uninominal à un tour. Maintenant sous la représentation proportionnelle, cette majorité des deux tiers est similaire à ce moment. Il a apporté des changements massifs vers la libéralisation - le Sri Lanka est devenu le premier pays à libéraliser son économie, il a introduit la Loi sur la prévention du terrorisme, et tout cela a contribué à la tragédie de la guerre civile. Le NPP est à un moment similaire maintenant - seront-ils capables de s'écarter de cette trajectoire néolibérale ? Parce que cela semble avoir atteint son impasse, sinon nous ne continuerions pas à faire face à des crises.
Amit Baruah
Désolé d'interrompre, mais quel est votre sentiment - personne ne s'attendait à cette énorme majorité. Même le Président a dit qu'il serait content avec juste une majorité il n'y a pas longtemps. Pensez-vous que ce nombre massif, qui permet au NPP de modifier la Constitution et de faire des changements législatifs majeurs, signifiera une pression supplémentaire sur le président et le gouvernement ?
Ahilan Kadirgamar
Oui, d'une certaine manière, mais même avant cette élection, je sentais que ce gouvernement pourrait avoir plus d'espace pour traiter les questions juridiques et constitutionnelles, même la question des minorités. Leur plus grand défi sera les questions économiques. Ce n'est pas purement domestique - nous avons fait défaut sur notre dette, nous devons rembourser les créanciers, et nous sommes dans un programme du FMI. Toutes les grandes puissances de la région - l'Inde, la Chine, les États-Unis - nous tiennent à la gorge en utilisant le FMI. S'ils continuent à presser le Sri Lanka, comme ils l'ont fait pour les régimes progressistes en Amérique latine, alors la question économique et comment la gérer devient un défi encore plus grand, étant donné que nous vivons dans cette économie très globalisée et néolibérale.
Amit Baruah
Kumar, je voulais vous interroger sur le mouvement à grande échelle hors du Sri Lanka - les gens cherchant des emplois et l'immigration permanente. Bien que travailler à l'étranger ne soit pas nouveau pour les Sri-Lankais ou les Sud-Asiatiques en général, beaucoup de professionnels qui partent ont tendance à revenir. Les files d'attente pour les passeports à Colombo montrent que l'émigration est une préoccupation majeure. Si ce gouvernement crée des opportunités, en particulier des emplois, au Sri Lanka, cela pourrait-il endiguer le flux de personnes qui partent ?
Balasingham Skanthakumar
Bien que beaucoup de gens, y compris les partisans du gouvernement, aimeraient voir ce scénario, je serais plus prudent. Premièrement, les gens ont besoin d'un soulagement économique maintenant - ils ne peuvent pas attendre des mois ou des années pour que les programmes et politiques de développement génèrent des emplois et des revenus. Il y a toujours un sentiment de pessimisme sur la situation globale. Je ne spéculerais pas que le changement politique seul réduira le nombre de personnes cherchant du travail à l'étranger. Cependant, nous pourrions voir des changements en raison de la situation mondiale morose. De nombreux pays occidentaux, destinations traditionnelles pour l'immigration permanente, ferment leurs portes plus étroitement en raison de leurs propres problèmes économiques et de la montée des sentiments d'extrême droite anti-immigrants. Quant aux pays du Moyen-Orient et aux destinations non traditionnelles comme la Corée du Sud et la Malaisie, où vont de nombreux travailleurs sri-lankais moins qualifiés, ces économies sont impactées par les développements dans le Nord global. Nous pourrions voir une demande réduite de main-d'œuvre bon marché en provenance de pays comme le Sri Lanka. Mais alors quelles sont les alternatives ? Le fait que tant de personnes aient pu partir signifie que nos envois de fonds, notre plus grande source de devises étrangères, sont restés élevés en 2023 et cette année. Ces envois de fonds, générés en grande partie par les femmes, maintiennent notre économie et nos ménages à flot. Je ne pense pas qu'il y ait un substitut immédiat facile au Sri Lanka, même si le NPP réalise rapidement ses plans économiques. Tout gouvernement éclairé devrait travailler à supprimer les raisons de la migration de détresse tout en respectant la liberté de mouvement et les choix des gens. La migration de détresse que nous avons vue est absolument inacceptable, et il était tragique que le gouvernement précédent soit indifférent, semblant vouloir augmenter le nombre de personnes partant à l'étranger pour augmenter les envois de fonds. Ce cynisme et cette insensibilité sont aussi ce que les électeurs sri-lankais ont rejeté dans leur verdict pour la coalition Dissanayake.
Amit Baruah
Ahilan, vous avez mentionné la crise de la dette sri-lankaise et les obligations de remboursement à venir. Pour un observateur extérieur, le NPP semble lié au JVP, qui est associé à deux insurrections en '71 et '87-89. Pourriez-vous expliquer quelle approche économique le NPP est susceptible d'adopter, et quelles implications cela a pour les relations du Sri Lanka avec l'Inde, la Chine, les États-Unis et l'Occident ?
Ahilan Kadirgamar
Le NPP n'a pas été très explicite sur leur programme économique. Ils se sont concentrés sur l'accession au pouvoir, ont eu une bonne stratégie électorale, ont attendu le bon moment, et ont mobilisé les classes moyennes. Ils ont été assez silencieux sur les questions comme la redistribution. Concernant l'économie plus large, alors qu'avant l'élection présidentielle ils parlaient de renégocier le programme du FMI et de créer une nouvelle analyse de viabilité de la dette pour les négociations avec les créanciers, il y a eu une pression énorme de l'Occident et du FMI après les élections présidentielles. Ils semblent avoir accepté, pour l'instant, de rester avec le programme du FMI, ce qui limite leur capacité à fournir le soulagement immédiat dont les gens ont besoin. Ils ont dit qu'ils soutiennent une économie de production et ne procéderont pas à la privatisation, mais n'ont pas pris de positions politiques explicites sur le modèle axé sur l'exportation ou les questions plus larges de libéralisation. Cela reste à voir. Beaucoup d'entre nous attendent - je pense qu'ils attendaient aussi de voir s'ils obtiendraient une majorité parlementaire. Maintenant, ils doivent commencer à gouverner, faisant face aux compromis entre le remboursement des créanciers et l'aide publique. La question est jusqu'où ils défieront les puissants acteurs externes comme l'Inde, la Chine et les États-Unis, étant donné la faible position de négociation du Sri Lanka après avoir fait défaut sur sa dette. Le prochain choc externe pourrait aggraver la crise.
Amit Baruah
Qu'en est-il de leur approche de l'investissement étranger ? Il y a des inquiétudes dans la communauté des affaires concernant le mot « marxiste ». De nombreux pays et partis se prétendent marxistes mais ont des politiques favorables aux entreprises et sont ouverts aux changements économiques. Le JVP ou le NPP seraient-ils similaires ?
Ahilan Kadirgamar
Oui, je caractériserais le NPP maintenant comme un parti de centre-gauche. Et ils ont été très ouverts à ce sujet, qu'ils accueillent l'investissement étranger, que leurs politiques seront orientées vers l'obtention d'investissements étrangers. Maintenant, la vraie question est le type d'investissement étranger qui arrive au Sri Lanka, n'est-ce pas ? Ce que nous avons vu ces dernières années, je veux dire, l'IDE a été inférieur à un milliard de dollars américains, et même dans ce milliard de dollars américains, environ 70% sont des investissements spéculatifs dans l'immobilier. Ce n'est pas le type d'IDE que nous connaissions autrefois qui mène à la production et à l'emploi et ainsi de suite. C'est de l'investissement spéculatif. Et maintenant avec la crise économique, que voyons-nous ? Nous voyons une saisie stratégique d'actifs. Vous savez, des actifs stratégiques au Sri Lanka. Donc, que ce soit des ports, des centrales électriques, des acteurs comme Adani qui s'implantent au Sri Lanka, Sinopec, la Corporation pétrolière chinoise qui essaie de construire de grandes raffineries. Donc, ce sont les types d'investissements qui arrivent au Sri Lanka en ce moment, il y a de grandes questions quant à savoir s'ils sont réellement souhaitables, étant donné les intérêts à long terme du Sri Lanka, s'ils éloigneraient réellement le Sri Lanka d'une histoire où, vous savez, malgré être un pays à faible revenu pendant longtemps, nous avons pu avoir des indicateurs de développement humain beaucoup plus élevés. Vous savez, nous avions 99% de notre population qui avait l'électricité — pour un pays d'Asie du Sud, vous pouvez voir à quel point c'est différent. Mais ces deux dernières années, avec la crise économique et le programme du FMI, 1,3 million de ménages ont été déconnectés du réseau électrique. C'est environ 20% de nos ménages. Donc, ce sont les réalités et si ces entreprises à but lucratif viennent et commencent à générer de l'électricité, si ce sont elles qui vont fournir le carburant, serait-ce disponible pour notre peuple travailleur dans cinq ans ? C'est la grande question devant nous.
Amit Baruah
Kumar, vous savez, avant que nous ne terminions notre discussion pour aujourd'hui, je voulais vous demander maintenant que cette majorité massive est en place. Il y a bien sûr des discussions sur l'abolition de la présidence exécutive, que cela arrive maintenant ou plus tard. C'est quelque chose que le NPP s'était engagé à faire. Il y a aussi des discussions sur l'écriture d'une nouvelle législation ou d'une nouvelle constitution. Donc la question qui me vient à l'esprit est celle des minorités, en particulier le peuple tamoul, qui a voté pour le NPP, dans un sens, vous savez, après une insurrection de 26 ans et un désir vieux de plusieurs décennies de, vous savez, plus de droits pour le peuple tamoul au Sri Lanka, le 13e amendement, dans un sens, est ce qui a été inscrit dans la Constitution, qui fait partie de la Constitution suite à l'accord indo-sri-lankais. Pensez-vous que tout changement au statut, vous savez, comment cela pourrait affecter le 13e amendement ? Pensez-vous que c'est quelque chose dont il faut s'inquiéter, ou est-ce quelque chose que la direction du NPP comprend, et l'importance de cela, et les préoccupations du peuple tamoul concernant de tels changements ?
Kumar
Je pense que le NPP comprend bien l'importance du 13e amendement pour l'État indien. Cela leur a été très clairement signifié, je pense, par les gouvernements indiens successifs et les secrétaires aux affaires étrangères. Je ne suis pas si sûr qu'il y ait le même attachement au 13e amendement au sein des polités tamoule et cinghalaise. Certes, certaines sections voient la valeur de la dévolution, la dévolution limitée, que le 13e amendement offrait. Et certainement, de nombreux politiciens accueillent favorablement la capacité d'avoir un grand nombre de sièges à disputer afin d'obtenir également certaines positions politiques. Et bien sûr, il y a une certaine dévolution en ce qui concerne les ressources financières. Ce qui fait une différence quand il s'agit de certaines choses comme les écoles ou les hôpitaux qui font partie du système des Conseils provinciaux. Mais Amit, ici, je dois vous rappeler que, comme vous le savez bien, quand il s'est agi de sa deuxième insurrection, le JVP, à la fin des années 80, a pris les armes contre le 13e amendement, contre l'accord indo-lankais, qui était à l'origine de ce qui est devenu le 13e amendement à la Constitution. Et depuis lors, le JVP, bien qu'il participe maintenant aux élections et ait été représenté dans les conseils provinciaux, a été assez prudent pour ne pas s'associer trop étroitement au 13e amendement. De même, dans la polité tamoule, Amit comme vous le savez bien que quand il s'est agi des divisions au sein du nationalisme militant tamoul, vous aviez une section qui a déposé les armes et a participé à ce processus ; et vous aviez une autre section, les LTTE [Tigres de libération de l'Eelam tamoul] qui ne l'a pas fait ; et c'était la perspective des LTTE sur les conseils provinciaux qui, je dirais, dans une large mesure, continue d'influencer les vues des partis politiques tamouls, ainsi que la polité tamoule en général, y compris les citoyens du nord, au moins ; quand il s'agit de leur attitude envers cela [les conseils provinciaux], ils le voient comme étant inadéquat, comme n'étant pas suffisant. Et jusqu'à présent, le NPP ne nous a donné aucune indication qu'il prend d'une manière ou d'une autre le 13e amendement comme point de départ. Je pense que c'est assez significatif que dans son manifeste, il n'y ait fait aucune référence. Au lieu de cela, il examine ces questions, ou réfléchit à ces questions à nouveau. Bien sûr, cela signifie qu'il devra y avoir certains apprentissages tirés de la façon dont le 13e amendement a fonctionné dans la pratique, il devra y avoir certains apprentissages sur ce que nous faisons en ce qui concerne la division des sujets et des fonctions et des pouvoirs entre le centre et les provinces. Il devra certainement y avoir des apprentissages en ce qui concerne la levée des impôts, des revenus, et ainsi de suite. Mais jusqu'à présent, et je pense que ce n'est probablement pas une mauvaise idée. Ce serait bien si nous ne commencions pas un exercice de rédaction de constitution, je pense, sur, vous savez, sur la base du 13e amendement. Au lieu de cela, nous avons déjà un projet assez élaboré qui a été développé pendant les premières années du régime dit de 'bonne gouvernance', en 2015, 2016, 2017, pendant cette période. Et donc ce n'est pas que nous devions repartir de zéro au Sri Lanka. Ce projet a été développé à travers un processus de consultation publique extensif, donc nous avons un projet de travail. Et je pense que ce dont nous avons besoin et ce qui nous manquait à cette période, et même dans les périodes précédentes, c'est un gouvernement qui va et se bat pour le partage du pouvoir, qui ne prend pas une approche mains libres ou une approche neutre, mais qui va réellement faire campagne et solliciter pour cela et explique aux gens dans chaque partie du pays, pas seulement dans le nord et l'est, mais aussi dans le sud, dans les hautes terres, à l'est et à l'ouest, comment, en rapprochant le pouvoir des gens, ils ont plus de contrôle sur leur vie. Ils ont plus de contrôle, leurs représentants leur sont plus redevables, et que donc c'est bon pour la démocratie.
Amit Baruah
Je crains que nous devions conclure rapidement, mais je voulais juste faire intervenir Ahilan pour une réponse rapide. Vous savez, Kumar fait ce point important de cet attachement au 13e amendement. Et je voudrais reformuler ma question d'une certaine manière. Et vous savez, vous demander une brève réponse est que l'approche basée sur les droits est peut-être plus importante qu'un amendement à la Constitution. Et si vous pensez qu'il y a de la confiance entre les communautés ethniques et ces parties prenantes qui sont impliquées dans la gouvernance du Sri Lanka, vous pensez qu'il pourrait y avoir plus d'opportunités pour le peuple tamoul ou les musulmans de, dans un sens, jouir de plus de droits dans le pays.
Ahilan Kadirgamar
Oui. Je veux dire, il y a aussi un débat au Sri Lanka sur, vous savez, assurer qu'il y a des droits économiques, sociaux et culturels inscrits dans notre Constitution et de manière justiciable. Mais je pense toujours que la question est le partage du pouvoir, n'est-ce pas ? Ce n'est pas seulement aussi une question de dévolution territoriale, qui est importante. Donc vous rapprochez le pouvoir des gens, mais les minorités sont aussi dispersées dans tout le pays. Donc pour leur donner la confiance qu'à l'avenir, notre État et le pouvoir d'État seraient partagés d'une manière qui ne fonctionne pas contre une communauté. Donc pour créer ce type de structure et donner cette confiance, et comme Kumar l'a mentionné, vous savez, le besoin d'une volonté politique, et c'est quand quelqu'un est au pouvoir qu'il peut le faire, plutôt que de dire, d'accord, voici une proposition, choisissez si vous voulez. Donc, c'est je pense, la chose importante. Je veux juste faire un dernier point Amit. Le Sri Lanka est à ce moment crucial, le peuple a parlé. Et ce que nous avons vu quand les choses au Sri Lanka se mettent en place, c'est que parfois des acteurs externes très puissants ont tendance à perturber ce qui se passe ici. Et je pense que cette fois, le Sri Lanka devrait avoir l'espace pour résoudre cela. Et je pense que c'est ce dont nous avons besoin en termes de solidarité internationale. Parce qu'avec un peu de chance, vous savez, avec ces quatre décennies et demie de néolibéralisme et ce que nous voyons à travers le monde, avec un peu de chance, le Sri Lanka peut devenir un exemple pour aller de l'avant, mais cet espace doit être donné pour que nous puissions avancer.
Amit Baruah
En tant qu'observateur extérieur, la seule chose que je voudrais ajouter est que je pense que c'est un grand moment d'espoir pour le Sri Lanka et les Sri-lankais. C'est une grande opportunité. Les gens veulent du changement. Ils veulent une vie meilleure. Je pense que le mandat est très clair. Le peuple a parlé, et tous les yeux seront tournés vers votre gouvernement pour voir comment ils tiennent leurs nombreuses promesses, s'ils sont capables de maintenir cet élan d'espoir qui a été généré parce qu'au final dans une démocratie, c'est la seule voie disponible, et on ne peut qu'espérer qu'un processus de consultation avec le peuple continuera, et toutes les crises auxquelles vous faites face, tant économiques, politiques que sociales, sont résolues, vous savez, conformément aux souhaits de tous les Sri-lankais, transcendant les barrières ethniques et religieuses. Merci beaucoup Ahilan de m'avoir rejoint, et merci beaucoup Kumar d'avoir consacré votre temps à cette analyse de ce qui se passe, ce qui s'est passé pendant les élections et ce qui est susceptible de se passer dans les semaines et mois à venir. Merci. Et c'est Amit Baruah qui vous quitte depuis Colombo, merci.
Ahilan Kadirgamar
Balasingham Skanthakumar
Amit Baruah
Traduction par Adam Novak
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En Israël, le gouvernement Nétanyahou “tente de faire taire” le journal “Ha’Aretz”

Le cabinet israélien a approuvé un boycott éditorial et financier du principal journal d'opposition de l'État hébreu. Une “nouvelle étape vers le démantèlement de la démocratie israélienne”, réagit le journal, très hostile au Premier ministre.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Une femme lisant l'édition anglophone du quotidien israélien "Ha'Aretz, à Jérusalem en 2013. Photo : Ahmed Gharabli/AFP.
Le gouvernement israélien a approuvé, le 24 novembre, une décision interdisant aux officiels et organismes liés au gouvernement d'avoir des contacts avec le quotidien Ha'Aretz et d'y placer des publicités.
Une tentative de “faire taire un journal critique et indépendant”, alerte Ha'Aretz, très hostile au Premier ministre Benyamin Nétanyahou et à son cabinet, considéré comme le plus à droite de l'histoire de l'État hébreu.
Le gouvernement justifie sa décision, actée en Conseil des ministres sur la base d'une proposition du ministre des Communications, Shlomo Karhi, par les “nombreux éditoriaux qui ont mis à mal la légitimité de l'État d'Israël et de son droit à la légitime défense”, explique l'exécutif.
“Combattants de la liberté”
Une réaction, surtout, à des propos tenus par l'éditeur de Ha'Aretz, Amos Schoken, qui, selon lui, “soutiennent le terrorisme et appellent à imposer des sanctions au gouvernement”. Lors d'une conférence à Londres, le 27 octobre, Schoken avait notamment déclaré que le gouvernement Nétanyahou se battait contre “les combattants de la liberté palestiniens, qu'Israël qualifie de terroristes”.
Ces propos avaient suscité un tollé, certains y voyant une légitimation du Hamas et des attaques du 7 octobre. De quoi pousser l'éditeur de Ha'Aretz à les clarifier en expliquant qu'il parlait des Palestiniens de Cisjordanie, et en affirmant que “le recours à la terreur n'est pas légitime. Quant au Hamas, il n'est pas un combattant de la liberté.”
Même après cette clarification, le journal a publié un éditorial, le 4 novembre, pour se distancier un peu de ces propos.
“‘Ha'Aretz' ne reculera pas”
Le journal a réagi à la décision du gouvernement Nétanyahou, non inscrite à l'ordre du jour et prise “sans aucun contrôle juridique”.
“La résolution opportuniste de boycotter Ha'Aretz […] marque une nouvelle étape dans le parcours de Nétanyahou vers le démantèlement de la démocratie israélienne. Comme ses amis Poutine, Erdogan et Orban, Nétanyahou essaie de faire taire un journal critique et indépendant.”

Et d'assurer : “Ha'Aretz ne reculera pas et ne se transformera pas en un tract gouvernemental publiant des messages approuvés par le gouvernement et son chef.”
Fondé en 1919, ce journal qui est le plus ancien quotidien israélien existant, est depuis longtemps dans le collimateur du gouvernement.
Ha'Aretz a publié de nombreuses enquêtes sur les abus de la guerre à Gaza, et s'est positionné en faveur d'un cessez-le-feu pour la libération des derniers otages encore retenus dans l'enclave palestinienne.
Et depuis quelques semaines, il suit particulièrement les affaires de documents déclassifiés impliquant le très proche entourage de Benyamin Nétanyahou.
Courrier international
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Liban : Des armes américaines utilisées lors d’une frappe israélienne contre des journalistes

Une frappe aérienne israélienne menée au Liban le 25 octobre 2024, qui a tué trois journalistes et a blessé quatre autres journalistes, était très vraisemblablement une attaque délibérée contre des civils et donc un crime de guerre apparent, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Human Rights Watch a déterminé que les forces israéliennes ont mené cette attaque en utilisant une bombe larguée par avion et équipée d'un kit de guidage « Joint Directed Attack Munition » (JDAM - Munition d'attaque dirigée conjointe) fabriqué aux États-Unis. Le gouvernement américain devrait suspendre les transferts d'armes vers Israël en raison des attaques répétées et illégales commises par l'armée israélienne contre des civils, et pour lesquelles des responsables américains risquent de se rendre complices de crimes de guerre.
« L'utilisation par Israël d'armes américaines pour attaquer et tuer illégalement des journalistes qui se trouvaient loin de toute cible militaire entache terriblement l'image des États-Unis et d'Israël », a déclaré Richard Weir, chercheur senior auprès de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Les précédentes attaques meurtrières menées par l'armée israélienne contre des journalistes, restées sans conséquences, ne laissent que peu d'espoir d'aboutir à la reddition de comptes pour cette violation, ou pour de futures violations subies par les médias. »
Cette attaque a été menée tôt dans la matinée du 25 octobre contre le Hasbaya Village Club Resort, un complexe hôtelier situé à Hasbaya dans le sud du Liban, où plus d'une dizaine de journalistes séjournaient depuis plus de trois semaines. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve de combats, ni de présence de forces militaires ou d'activité militaire dans cette zone au moment de l'attaque. Selon les informations recueillies par Human Rights Watch, l'armée israélienne savait ou aurait dû savoir que des journalistes séjournaient dans la zone, et plus particulièrement dans le bâtiment ciblé. Après avoir initialement affirmé que ses forces avaient frappé un bâtiment où « des terroristes opéraient », l'armée israélienne a déclaré quelques heures plus tard que « l'incident est en cours d'examen ».
Human Rights Watch a mené des entretiens avec huit personnes qui séjournaient au Hasbaya Village Club Resort ou à proximité lors de l'attaque, dont trois journalistes blessés et le propriétaire de ce complexe hôtelier. Des chercheurs de Human Rights Watch ont visité ce site le 1er novembre, et ont examiné 6 vidéos et 22 photos de l'attaque et de ses conséquences, ainsi que des images satellite. Le 5 novembre et le 14 novembre, Human Rights Watch a transmis respectivement un courrier à l'armée libanaise contenant des questions, et un courrier à l'armée israélienne contenant les conclusions de ses recherches ainsi que des questions, mais n'a reçu aucune réponse à ces deux lettres.
L'attaque contre le bâtiment dans lequel les journalistes séjournaient a eu lieu peu après 3 heures du matin le 25 octobre, selon les témoignages recueillis et des images de vidéosurveillance affichant l'heure d'enregistrement. La plupart des journalistes dormaient à ce moment-là, mais pas tous. Zakaria Fadel, âgé de 25 ans, est un assistant caméraman pour ISOL for Broadcast, un fournisseur libanais de services de diffusion par satellite ; il a déclaré qu'il était en train de se brosser les dents lorsque l'explosion l'a projeté en l'air.
La munition a frappé le bâtiment d'un étage, puis a explosé en touchant le sol. L'explosion a tué Ghassan Najjar, journaliste et caméraman pour la chaîne de télévision Al Mayadeen, et Mohammad Reda, ingénieur de diffusion par satellite pour cette chaîne ; l'explosion a aussi tué Wissam Kassem, un caméraman travaillant pour la chaîne de télévision Al Manar TV, propriété du Hezbollah. Al Mayadeen est une chaîne de télévision panarabe basée au Liban, politiquement alliée au Hezbollah et au gouvernement syrien.
Human Rights Watch a vérifié des vidéos prises quelques minutes après l'attaque, qui montrent le bâtiment ciblé complètement détruit, et les bâtiments voisins endommagés. La frappe a fait s'effondrer un mur du bâtiment adjacent, blessant gravement Hassan Hoteit, 48 ans, un caméraman pour ISOL for Broadcast. La frappe a aussi considérablement endommagé le mur d'un petit bâtiment situé à environ 10 mètres de là, blessant d'autres journalistes, dont Ali Mortada, un caméraman pour Al Jazeera âgé de 46 ans.
Ali Mortada a déclaré avoir été réveillé par l'explosion et par des morceaux de béton qui lui tombaient dessus, le blessant au visage et au bras droit. Lorsque les débris ont cessé de tomber, il est sorti de sa chambre pour prendre des nouvelles de ses collègues. Avec d'autres personnes, il a alors retrouvé Hassan Hoteit, qui était blessé. Le bâtiment qui avait été directement frappé était détruit. Ali Mortada a déclaré avoir vu les corps de Wissam Kassem et de Ghassan Najjar gisant à proximité. Une partie du corps de Mohammad Reda gisait un plus loin.
Peu après, le concierge du Hasbaya Village Club Resort est venu vers eux, disant qu'il avait trouvé deux jambes humaines dans une chambre. Ehab el-Okdy, un journaliste d'Al Jazeera qui séjournait dans le complexe, a déclaré avoir également vu les corps et les parties des corps des journalistes morts. « Nous avons vu les corps », a-t-il déclaré. « Nous avons vu que Mohammad Reda était brisé partout. »
Anoir Ghaida, le propriétaire du Hasbaya Village Club Resort, a déclaré que les journalistes y étaient arrivés le 1er octobre, suite à un ordre d'évacuation émis par l'armée israélienne et portant sur une zone située au sud de Hasbaya. Les journalistes avaient précédemment effectué leurs reportages à Ibl al-Saqi, une ville libanaise située dans la zone mentionnée dans l'ordre d'évacuation.
Les journalistes avec qui Human Rights Watch s'est entretenu ont déclaré qu'entre le 1er octobre et le 25 octobre, date de l'attaque, ils avaient effectué des déplacements réguliers et répétés aux alentours de Hasbaya, réalisant plusieurs reportages télévisés en direct depuis une colline qui surplombait de vastes parties du sud du Liban. Les journalistes ont déclaré qu'ils quittaient le complexe hôtelier le matin et y revenaient le soir, à peu près à la même heure chaque jour, ce qu'a corroboré Anoir Ghaida. Sur la plupart des véhicules figuraient en grandes lettres les mots « Press » (presse) ou « TV ».
Les journalistes et Anoir Ghaida ont aussi déclaré avoir constamment entendu le bourdonnement de drones aériens dans cette zone, ce qui indique que la zone était très probablement sous surveillance israélienne. Avant le 25 octobre, aucune attaque n'avait été menée contre contre la ville de Hasbaya.
Depuis le début des hostilités entre Israël et le Hezbollah le 8 octobre 2023, au lendemain du 7 octobre, l'armée israélienne a attaqué et tué des journalistes, et a pris pour cible la chaîne de télévision Al Mayadeen. Le 23 octobre, les forces israéliennes ont attaqué et détruit un bureau utilisé par Al Mayadeen à Beyrouth. Al Mayadeen avait pu évacuer son personnel du bâtiment, avant cette frappe.
Durant la période du 8 octobre 2023 au 29 octobre 2024, des frappes israéliennes ont tué au moins six journalistes libanais, selon le Comité pour la protection des journalistes (Committee to Protect Journalists, CPJ). Human Rights Watch a conclu que l'attaque israélienne du 13 octobre 2023, qui a tué Issam Abdallah, un journaliste de Reuters, et blessé six autres journalistes, était un crime de guerre apparent. Le 21 novembre 2023, une frappe israélienne menée à Tayr Harfa, dans le sud du Liban, a tué Rabih al-Maamari et Farah Omar, deux journalistes libanais qui travaillaient pour la chaîne de télévision Al Mayadeen, ainsi que leur chauffeur, Hussein Akil.

Human Rights Watch a vérifié une photo et une vidéo montrant les funérailles de Ghassan Najjar, dont le cercueil était enveloppé dans un drapeau du Hezbollah, dans un cimetière du sud de Beyrouth où sont enterrés des combattants du Hezbollah ; l'emplacement était proche de la tombe de Rabih al-Maamari. Le 14 novembre, un porte-parole du Hezbollah a déclaré à Human Rights Watch que Ghassan Najjar avait demandé à être enterré près de son ami et collègue Rabih al-Maamari, et a ajouté que Najjar « n'était qu'un civil » qui n'avait « participé d'aucune manière à des activités militaires ».
Human Rights Watch a trouvé des fragments de la munition sur le site de l'attaque, et a examiné des photographies d'autres fragments récupérés par le propriétaire du complexe hôtelier. Human Rights Watch a déterminé que ces fragments correspondaient à un kit de guidage JDAM assemblé et vendu par la société américaine Boeing. Human Rights Watch a également identifié un fragment de bombe comme faisant partie du système d'actionnement du kit de guidage qui pilote les ailerons. Un code numérique sur le fragment correspondait à l'entreprise américaine Woodward, qui fabrique des composants pour les systèmes de guidage des munitions, y compris le JDAM. Le kit JDAM, fixé à des bombes larguées par voie aérienne, permet de les guider vers une cible en utilisant des coordonnées satellite, ce qui permet un ciblage plus précis, compris dans un rayon de plusieurs mètres.
Le 14 novembre, Human Rights Watch a transmis des courriers aux sociétés Boeing et Woodward, mais n'a reçu aucune réponse. Les entreprises ont des responsabilités en vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises, ainsi que d'autres directives visant à empêcher, stopper ou atténuer les violations réelles et potentielles du droit international humanitaire qu'elles causent ou auxquelles elles contribuent, et à y remédier.

Compte tenu des violations généralisées des lois de la guerre par Israël et de l'absence de reddition de comptes pour ces violations, les entreprises devraient cesser de vendre des armes à ce pays ; dans la mesure du possible, elles devraient aussi instaurer un rappel de produits pour les armes déjà vendues, et cesser tout service d'assistance technique pour ces armes.
Human Rights Watch a précédemment documenté l'utilisation illégale par l'armée israélienne d'une arme américaine lors d'une frappe menée le 27 mars 2024, qui a tué sept travailleurs humanitaires dans le sud du Liban.
Le droit international humanitaire, qui rassemble les lois de la guerre, interdit les attaques contre les civils et les biens civils. Les journalistes sont considérés comme des civils, et doivent être protégés contre toute attaque, tant qu'ils ne participent pas directement aux hostilités. Les journalistes ne peuvent pas être attaqués en raison de leur travail, même si la partie adverse considère que les médias pour lesquels ils travaillent ont des points de vue biaisés, ou sont utilisés à des fins de propagande. Lorsqu'elles mènent une attaque, les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils et aux biens civils. Cela comprend la prise de toutes les mesures nécessaires pour vérifier que les cibles sont des objectifs militaires, ou non.
Les personnes qui commettent de graves violations des lois de la guerre avec une intention criminelle – c'est-à-dire intentionnellement ou par imprudence – peuvent être poursuivies pour crimes de guerre. Des personnes peuvent également être tenues pénalement responsables d'avoir aidé, facilité, aidé ou encouragé un crime de guerre.
Le Liban devrait d'urgence reconnaître la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêter sur les crimes internationaux graves commis dans ce pays, afin que le Procureur de la CPI puisse disposer d'un mandat l'autorisant à mener une telle enquête.
Les principaux alliés d'Israël – les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l'Allemagne – devraient suspendre leurs ventes d'armes et leur assistance militaire à Israël, compte tenu du risque réel que ces armes soient utilisées pour commettre de graves abus. La politique américaine sur les transferts d'armes vers d'autres États interdit de tels transferts s'il est « plutôt probable » (« more likely than not ») que ces armes soient utilisées en violation du droit international.
« Face à l'accumulation de preuves de l'utilisation illégale d'armes américaines par Israël, y compris lors de crimes de guerre apparents, les hauts responsables des États-Unis doivent décider s'ils respecteront le droit américain et international en mettant fin aux ventes d'armes à Israël, ou s'ils s'exposeront au risque d'être reconnus légalement complices de violations graves », a conclu Richard Weir.
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Gaza, jour 402 : les civils tentant de fuir sont assassinés

Israël poursuit sa guerre génocidaire à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Point sur la situation cette semaine à Gaza, alors que l'armée israélienne a déclaré qu'elle ne permettrait pas aux Palestinien·nes déplacé·es du nord de Gaza de retourner chez elles et eux.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Chiffres clés
à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :
43 665 mort·es
103 076 blessé·es
1,9 million de déplacé·es
au Liban depuis le 7 octobre 2023 :
3243 mort·es
14 134 blessé·es
1,2 million de déplacé·es
en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023 :
783 mort·es
dont 146 enfants
19 031 déplacé·es
L'armée israélienne poursuit ses massacres dans l'ensemble de la bande de Gaza, et principalement au nord de l'enclave. Le ministère de la santé de Gaza a annoncé que 49 Palestinien·nes avaient été assassiné·es dimanche 10 novembre, et 50 autres lundi.
Le camp de Nuseirat, situé sur le « corridor de sécurité » désigné par Israël comme passage pour les gazaoui·es qui fuient le nord, a été bombardé à plusieurs reprises au cours des derniers jours, et des tanks israéliens y ont mené une attaque dimanche, assassinant plus de 11 Palestinien·nes.
Les résident·es du camp témoignent que les chars israéliens ont ouvert le feu en entrant dans le secteur ouest secteur du camp, provoquant la panique au sein de la population et des familles déplacées. Zaik Mohammad, habitant du camp, explique que l'avancée des chars est survenue sans aucun avertissement : « Certaines personnes n'ont pas pu partir et sont restées bloquées à l'intérieur de leurs maisons, suppliant qu'on les laisse sortir, tandis que d'autres se sont précipitées pour fuir avec tout ce qu'elles pouvaient porter ».
Le siège du nord de Gaza
Le 4 novembre, les Nations unies et leurs partenaires estimaient qu'environ 100 000 personnes avaient été déplacées en quatre semaines depuis le nord vers la ville de Gaza, et qu'il restait entre 75 000 et 95 000 personnes dans la zone assiégée. La défense civile palestinienne (PCD) estime qu'au moins 1 300 Palestinien·nes ont été assassiné·es au cours de cette offensive.
Décrivant la situation au nord de Gaza comme « apocalyptique », les directeurs de 15 organisations et consortiums humanitaires et des Nations Unies ont renouvelé leur appel à toutes les parties qui se battent à Gaza pour protéger les civils, ont demandé à l'État d'Israël de « cesser son assaut sur Gaza et sur les humanitaires qui tentent de l'aider ». Constatant que l'aide de base et les fournitures vitales ont été refusées alors que les bombardements et autres attaques se poursuivent, les chefs d'État et de gouvernement ont souligné que « le mépris flagrant de l'humanité fondamentale et des lois de la guerre doit cesser », que les attaques contre les civils et les infrastructures civiles restantes doivent cesser, que l'aide humanitaire doit être facilitée et que les biens commerciaux doivent être autorisés à entrer dans la bande de Gaza.
Les réfugié·es du nord affluent dans la ville de Gaza
Les civil·es qui se résignent à quitter le nord de Gaza arrivent dans la ville de Gaza et s'installent dans des camps de réfugiés nouvellement créés. Ces camps débordent cependant déjà, et il n'y a plus de tentes pour les nouveaux·lles arrivant·es.
« Plus de 350 familles sont arrivées du nord et il n'y a pas assez de tentes pour les accueillir. » explique Muhammad Saada, directeur adjoint du centre de déplacement. Le camp a été établi par plusieurs initiatives caritatives mais n'est pas suffisamment approvisionné, et devient rapidement invivable alors que des familles cherchant un abri continuent d'affluer.
Les réfugié·es du nord de Gaza décrivent les scènes d'horreur qu'ils et elles ont vécu, et de nombreux témoignages dénoncent des traitements inhumains de la part de l'armée israélienne sur les routes pourtant désignées par celle-ci comme « sûres » pour évacuer.
« Une femme atteinte d'un cancer se tenait sur le bord de la route, accompagnée de quatre enfants », raconte Jinan Suleiman, 18 an, qui vient d'arriver dans la ville de Gaza. « Elle en portait deux dans ses bras, et les deux autres étaient à terre, pleurant et criant de faim. Elle demandait de l'aide à tous ceux qui passaient près d'elle. Elle criait et disait : ‘J'ai un cancer, je ne peux pas porter mes enfants et mes sacs'. Elle voulait que quelqu'un·e prenne ses enfants, qui étaient couché·es sur le sol, mais moi, comme tous les autres, je suis passée à côté d'elle et je n'ai pas pu l'aider. (…) Les soldats nous guettaient, elles et ils tiraient sous nos pieds et nous empêchaient d'aider les autres ou de nous arrêter pour quelque raison que ce soit. »
« Sur le chemin, les blessé·es marchaient ensemble et saignaient ; ils tombaient au milieu de la route et personne ne les aidait », raconte une autre réfugiée. « Il y avait des enfants qui avaient perdu leur famille et d'autres qui s'étaient débarrassés de leur sac pour pouvoir continuer à marcher et survivre. L'armée nous a délibérément fait marcher sur une route accidentée afin de nous épuiser et de nous tuer en chemin ».
Les craintes de saisies de terres se concrétisent
Mardi 5 novembre, un porte-parole de l'armée israélienne, Yitzhak Cohen, a déclaré lors d'un point de presse que l'armée était sur le point de procéder à l'« évacuation » complète de la population du nord de Gaza, et a affirmé que les résidents palestiniens du nord ne seront pas autorisés à retourner chez eux. Cette déclaration marque la première admission officielle par Israël de son intention d'expulser définitivement les Palestiniens du nord de la bande de Gaza.
La semaine dernière, l'armée israélienne avait pourtant déclaré qu'elle avait mis fin à la plupart de ses « opérations » dans le nord de Gaza et qu'elle mettrait bientôt fin à son offensive dans cette région. La dernière annonce de Yitzhak Cohen vient donc renforcer les craintes qu'Israël ambitionne de se saisir des terres du nord de Gaza en appliquant le « Plan des Généraux », une proposition d'un groupe de généraux israéliens de haut rang qui vise à vider Gaza de sa population par une campagne systématique de famine, de massacres et de déplacements forcés.
« Ils veulent détruire le nord », explique Umm Omar Salman, une enseignante qui a fui sa maison pour se réfugier à Gaza. « Surtout la zone frontalière, Beit Lahia. C'est de là que nous venons. Nous avons tenu bon jusqu'au dernier moment, lorsque nous avons découvert des dizaines de chars entourant les abris de l'école. Les soldats nous ont fait sortir de force. »
Gaza invivable
Dans un rapport, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) alerte des dangers que constitue l'environnement même de Gaza suite aux bombardements continus d'Israël depuis plus d'un an. La dernière analyse du Centre satellitaire de l'ONU (UNOSAT), réalisée au début du mois de septembre, a montré que plus de 65 % de toutes les structures de Gaza avaient été soit endommagées, soit détruites.
Des milliers de civil·es continuent d'être contraint·es de se déplacer à plusieurs reprises, de survivre au milieu des décombres et de s'abriter dans des endroits peu sûrs, y compris dans des bâtiments endommagés ou détruits. Outre les risques liés aux bombardements israéliens incessants, à la famine et aux épidémies, les Palestinien·nes évoluent dans des zones dangereuses et instables, où de nombreux restes explosifs sont enfouis dans les sols et les décombres.
Le service d'action contre les mines de l'ONU (UNMAS) rappelle que la contamination par les restes explosifs de guerre est susceptible de se produire à la fois en surface et sous la surface, impliquant non seulement des munitions de service terrestres (projectiles, mortiers, roquettes, missiles, grenades et mines terrestres), mais aussi des bombes profondément enfouies. L'UNMAS alerte aussi que les difficulté d'accès ne permettent pas à leurs équipes d'évaluer pleinement l'étendue des risques et de les prévenir.
Le PNUD alerte aussi que l'amiante hautement cancérigène libérée dans l'air en raison de la destruction généralisée des infrastructures, ainsi que d'autres contaminants, continueront d'affecter les communautés de Gaza pendant longtemps.

Benjamin Netanyahu cherche à provoquer une fragmentation du Moyen-Orient

Depuis son retour au pouvoir, Benjamin Netanyahu s'inscrit dans une continuité stratégique : celle de la fragmentation de ses voisins pour renforcer la sécurité d'Israël.
Tiré de MondAfrique.
Une vision qui s'inspire des recommandations du rapport A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm, publié en 1996 par des stratèges néoconservateurs américains. Ce document suggérait de remodeler le Moyen-Orient en exacerbant les divisions internes de ses États, une approche que Netanyahu semble avoir adoptée avec constance.
Une doctrine au service de la puissance israélienne
Le rapport A Clean Break préconisait de rompre avec les processus de paix traditionnels et d'utiliser la puissance militaire et politique pour affaiblir les adversaires d'Israël. Cette doctrine repose sur deux piliers principaux :
– Rejeter les compromis territoriaux, notamment le principe de « la terre contre la paix » inscrit dans les accords d'Oslo.
– Exploiter les divisions internes des adversaires pour maintenir un avantage stratégique.
Cette logique se reflète dans plusieurs initiatives israéliennes, notamment le soutien à l'indépendance kurde, qui vise à fragmenter des États comme l'Irak, la Syrie ou l'Iran. Autre exemple : la division entre le Hamas et le Fatah, qui affaiblit les Palestiniens en rendant plus difficile toute forme d'unité nationale.
Une stratégie qui fragmente le Moyen-Orient
Depuis deux décennies, cette approche a eu des répercussions majeures sur les équilibres régionaux :
– En Irak, l'éviction de Saddam Hussein en 2003, bien que menée par les États-Unis, a laissé un pays fracturé entre tensions sectaires et ingérences étrangères.
– En Syrie, les frappes israéliennes ciblées contre les infrastructures militaires et les soutiens indirects à certains groupes d'opposition affaiblissent le régime de Bachar Al-Assad.
– Au Liban, les actions israéliennes contre le Hezbollah, combinées à la crise économique, contribuent à fragiliser un État déjà en grande difficulté.
Ces interventions, bien qu'efficaces à court terme pour limiter les menaces immédiates, alimentent un cycle d'instabilité dans la région.
Un risque d'effet domino
Cette politique de fragmentation pourrait cependant produire des effets inverses :
1- L'instabilité pourrait s'étendre à des puissances régionales telles que l'Iran ou l'Arabie saoudite. La diversité ethnique en Iran ou les fractures religieuses en Arabie saoudite pourraient devenir des points de tension exploités par des acteurs externes.
2- Des risques pour les intérêts américains : La fragmentation des États du Moyen-Orient risque d'affaiblir les alliances des États-Unis et de créer des vides de pouvoir où prospèrent les groupes extrémistes.
Un paradoxe face aux Accords d'Abraham
La stratégie de Netanyahu entre en contradiction avec les dynamiques de normalisation portées par les Accords d'Abraham, signés en 2020, qui visent une intégration régionale autour de la coopération économique et politique. Cette tension se manifeste particulièrement dans les relations avec l'Arabie saoudite :
– La priorité saoudienne à la stabilité régionale s'oppose aux actions israéliennes au Liban ou en Syrie, qui amplifient les crises.
– La question palestinienne demeure un point central : Riyad exige des avancées concrètes pour envisager une normalisation avec Israël, une exigence incompatible avec la doctrine de fragmentation.
Une vision stratégique aux limites évidentes
Si la doctrine de Netanyahu a permis de contenir des menaces à court terme, elle repose sur une vision à court terme de la sécurité régionale. L'instabilité qu'elle alimente pourrait renforcer des groupes extrémistes et éloigner Israël de partenaires potentiels.
Alors que le Moyen-Orient évolue vers une interconnexion accrue, portée par des initiatives comme les Accords d'Abraham ou la Vision 2030 de l'Arabie saoudite, la persistance d'une stratégie de rupture pourrait isoler Israël. La quête de sécurité pourrait alors se transformer en un pari risqué, où l'instabilité finit par affecter tous les acteurs, y compris ceux qui la provoquent.
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Tourmente à la CPI : les craintes d’ingérence d’Israël et des États-Unis augmentent

Le retard dans la délivrance des mandats d'arrêt de la CPI à l'encontre de Benjamin Netanyahou et de Yoav Gallant, suivi du remplacement du juge président, a fait naître de sérieuses inquiétudes quant au fonctionnement de la Cour et à d'éventuelles machinations en coulisses.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Le 20 mai 2024, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a demandé à la CPI de délivrer des mandats d'arrêt contre les dirigeants israéliens Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, y compris l'extermination.
Dans la même déclaration, il a lancé un avertissement extraordinaire : « J'insiste pour que cessent immédiatement toutes les tentatives d'entrave, d'intimidation ou d'influence indue sur les fonctionnaires de cette Cour. Mon Bureau n'hésitera pas à agir en vertu de l'article 70 du Statut de Rome si de tels agissements se poursuivent ».
Le Procureur n'a pas précisé la source des menaces contre les fonctionnaires de la CPI.
Conformément à ses procédures établies, la Cour a ensuite confié l'affaire à une chambre préliminaire composée de trois juges et présidée par la juge Iulia Motoc.
Huit jours seulement après l'annonce par le procureur des demandes de mandats et de son avertissement concernant l'intimidation des fonctionnaires de la Cour, le Guardian et +972 Magazine ont publié un exposé révélant une décennie d'interférences, de pressions et de menaces de la part de célèbres agences de renseignement israéliennes à l'encontre du personnel de la Cour pénale internationale afin de faire dérailler les enquêtes sur les crimes israéliens.
Mais à ce moment-là, la Cour est restée silencieuse sur le dossier de la Palestine – un silence qui durera cinq mois. Les observateurs de la Cour ne pouvaient que s'interroger et s'inquiéter de ce retard sans précédent dans l'émission des mandats.
Et puis, comme s'il fallait s'y attendre, au début du mois d'octobre, des publications pro-israéliennes ont commencé à faire circuler des allégations anonymes accusant le Procureur de la CPI d'avoir harcelé une employée de la Cour.
Quelques jours plus tard, le 20 octobre 2024, la CPI a annoncé que M. Motoc, le juge président de la chambre préliminaire de trois juges chargée de décider s'il y a lieu d'émettre des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre et du ministre de la Défense d'Israël, avait soudainement démissionné.
Invoquant des « raisons de santé » non précisées, la Cour n'a pas fourni d'autres informations. M. Motoc a été remplacé par la juge slovène Beti Hohler, tandis que le juge français Nicolas Guillou préside désormais la chambre.
En temps normal, ces développements pourraient être à peine remarqués. Mais ce ne sont pas des temps ordinaires, et ce n'est pas une affaire ordinaire.
Israël, un État qui a bénéficié pendant 75 ans d'une impunité soutenue par l'Occident, est enfin, semble-t-il, appelé à rendre compte de ses crimes. Déjà poursuivis pour génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ) et faisant l'objet d'une série d'ordonnances provisoires, les dirigeants israéliens ont reçu en mai un avis de l'autre côté de la ville, à La Haye, leur indiquant que le filet continuait à se resserrer.
La demande de mandat d'arrêt présentée en mai par le procureur de la CPI à l'encontre de Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant a suscité une réaction prévisible de la part d'Israël, qui a lancé des récriminations furieuses, des invectives et les tactiques habituelles de diffamation à l'encontre de la Cour.
Ses alliés occidentaux se sont immédiatement joints à lui pour attaquer la requête du procureur, les responsables américain-es allant même jusqu'à menacer la Cour elle-même.
Aujourd'hui, le retard dans l'émission des mandats, suivi de l'annonce du remplacement du juge président, a soulevé de sérieuses inquiétudes quant au fonctionnement de la Cour et à d'éventuelles machinations en coulisses.
Interférences et retards
Le fait que ce retard de cinq mois survienne alors que la première enquête préliminaire sur les crimes d'Israël en Palestine a été ouverte il y a près de dix ans n'a fait qu'exacerber ces craintes.
À titre de comparaison, la CPI a répondu en trois semaines à une demande de mandat d'arrêt à l'encontre du président russe Vladimir Poutine. Dans ses autres affaires, la Cour a mis en moyenne huit semaines pour délivrer des mandats.
L'arrivée de ces derniers développements, qui fait suite à la révélation d'années de menaces et de harcèlement de juges et de fonctionnaires de la Cour par des agent-es des services de renseignement israéliens et des fonctionnaires de gouvernements occidentaux, a mis les partisan-es de la Cour et les opposant-es à l'impunité d'Israël en état d'alerte maximale.
Dans un cas, le chef du Mossad lui-même a menacé l'ancien procureur de la CPI, Fatou Bensouda, et sa famille. (À son crédit, Fatou Bensouda a résisté aux attaques et, avec un courage et des principes exemplaires, a ouvert une enquête sur les crimes israéliens).
Le changement de juge dans cette affaire devrait encore prolonger la décision sur les mandats d'arrêt dans un processus déjà excessivement retardé. Les retards sans précédent (et maintenant encore plus importants) ont soulevé des questions quant à l'existence de facteurs « en coulisses ».
Mais Israël n'est pas le seul État à interférer avec les travaux de la CPI. Agissant au nom d'Israël, les législateur-ices américain-es, le département d'État et les responsables du Conseil national de sécurité des États-Unis ont uni leurs forces pour faire pression, menacer et tenter de faire dérailler les poursuites engagées contre les responsables israéliens, menaçant même de prendre des sanctions contre la Cour.
Risques fondamentaux
Bien qu'il soit impossible de savoir comment ces juges vont finalement statuer, et qu'il n'y ait rien dans le dossier public qui puisse remettre en question leur intégrité judiciaire, les changements dans la composition de la chambre pourraient également avoir d'importantes implications sur le fond.
Par exemple, la nouvelle juge Hohler a publié un article en 2015 (bien avant de rejoindre la CPI) dans lequel elle suggère que la complémentarité peut empêcher l'examen d'Israël parce que « Israël en général a un système juridique qui fonctionne bien et qui est dirigé par une Cour suprême respectée ».
Si l'on fait abstraction de la vaste critique internationale de la Cour suprême israélienne (déjà évidente en 2015) pour son long passé d'approbation des politiques d'apartheid et des crimes d'État contre les Palestiniens, et pour son long passé de tolérance des crimes de guerre israéliens, il est depuis devenu clair qu'Israël n'a aucune intention d'enquêter ou de poursuivre Netanyahou ou Gallant pour les crimes allégués dans la demande de mandats d'arrêt du Procureur de la CPI.
Nous devons espérer que la juge Hohler réalisera maintenant que toute objection de complémentarité (c'est-à-dire qu'Israël enquêtera sur lui-même) est sans fondement, comme l'a déjà constaté la CIJ. Mais l'évaluation profondément déformée qu'elle a faite précédemment du système judiciaire israélien est néanmoins préoccupante.
Dans le même article, la juge Hohler laissait entendre que des considérations politiques externes pouvaient influencer les décisions de la Cour, car « la CPI dépend fortement du soutien de ses États parties, y compris pour tout type d'exécution et pour garantir la présence des auteurs présumés à La Haye ».
Bien que cela puisse être vrai, et que de nombreuses parties au statut (de Rome) de la CPI soient des alliées occidentales d'Israël, les préoccupations relatives à la mise en œuvre ne devraient pas jouer de rôle dans les décisions des juges sur le fond.
Pour sa part, le nouveau juge président français, M. Guillou, est arrivé à la Cour avec un profil « antiterroriste » très marqué. Il a été chef de cabinet du président du Tribunal spécial pour le Liban, qui a condamné un membre du Hezbollah pour l'assassinat de Rafik Harri en 2005, et ancien agent de liaison auprès du ministère américain de la justice, où il a travaillé avec les États-Unis (entre autres) sur des poursuites antiterroristes au plus fort de la « guerre contre le terrorisme » américaine, qui a donné lieu à de nombreux abus.
Le juge Guillou a également (avant de rejoindre la Cour) plaidé publiquement en faveur de la poursuite du « terrorisme » non étatique devant les tribunaux internationaux (ce qui ne s'est jamais produit que dans le cadre du Tribunal pour le Liban, où il a siégé), malgré l'absence de définition du terrorisme dans le droit international et malgré les objections des défenseurs des droits de l'homme et d'autres personnes préoccupées par l'effet juridique corrosif de la « guerre contre la terreur » en matière pénale et dans les situations de conflit armé.
Rien de tout cela ne prouve l'existence d'irrégularités dans le changement de composition de la chambre, ni ne suggère l'existence d'un quelconque manquement à l'éthique de la part des juges. Mais le droit n'est pas non plus une machine dans laquelle les décisions sont prises sur la base d'une application neutre de la loi aux faits. Les opinions, les expériences, les prédispositions et les biais des juges comptent. Quiconque cherche à influencer la Cour le sait.
Et ce fait ne tient même pas compte de l'influence corruptrice des menaces israéliennes et des campagnes de pression américaines contre le personnel de la CPI.
Les défenseurs des droits de l'homme se souviennent bien de la campagne de pression similaire lancée par Israël contre le juge Richard Goldstone, qui dirigeait la Mission d'établissement des faits de l'ONU sur Gaza en 2009, et qui a contraint Goldstone à se rétracter sur les conclusions de la Mission, détruisant ainsi sa réputation dans les cercles juridiques internationaux et les cercles des droits de l'homme, après une carrière juridique de plusieurs décennies et riche en rebondissements.
Accusations infondées contre le procureur
Pour ajouter aux inquiétudes concernant les attaques contre l'indépendance de la Cour, en octobre, un compte X anonyme et peu suivi a tweeté des allégations non fondées de tiers, selon lesquelles le procureur de la CPI, Karim Khan, avait harcelé une employée de la Cour.
D'une manière ou d'une autre, le Daily Mail, un tabloïd anglais de droite pro-israélien (qui est devenu célèbre pour avoir publié de la désinformation israélienne et qui a été banni par la Wikipedia anglaise en raison de son manque de fiabilité et de ses fabrications) a trouvé ce petit compte X et a reproduit les allégations. À partir de là, l'histoire a été reprise par des sites d'information pro-israéliens dans tout l'Occident.
Bien qu'il soit impossible de savoir si ces allégations sont fondées, M. Khan les a démenties et a déclaré qu'elles faisaient partie de la campagne de menaces et de harcèlement dont lui et la Cour font l'objet en raison de leur travail.
Pour sa part, la victime présumée n'a pas déposé de plainte, et ni elle ni le mécanisme de contrôle indépendant (MCI) de la Cour n'ont jugé opportun d'ouvrir une enquête ou de porter des accusations.
Ce qui est clair, cependant, c'est que cette accusation anonyme a rapidement alimenté une campagne de délégitimation contre le Procureur et, par extension, contre la CPI.
Les médias pro-israéliens et les groupes mandataires, voyant la valeur de propagande de lier les allégations à l'affaire contre Netanyahu et Gallant, les ont rapportées avec des titres tels que « Le procureur pour les crimes de guerre qui a inculpé Netanyahu est accusé de harcèlement sexuel », dans une tentative évidente de discréditer les accusations portées contre les accusés israéliens.
Piraterie à La Haye
Ce que nous savons, c'est que (1) la Cour, par crainte ou par faveur, a longtemps été réticente à faire avancer les affaires contre les Israéliens, (2) les agences de renseignement israéliennes et occidentales et les acteurs gouvernementaux ont travaillé pour faire pression sur les juges et les fonctionnaires de la CPI, et (3) les retards dans le dossier de la Palestine sont déjà sans précédent.
Sachant cela, nous devons au moins poser trois questions :
Premièrement, si les « raisons de santé » du juge Motoc étaient dues à quelque chose de plus sinistre ou si elles en étaient la couverture.
Deuxièmement, si les nominations de remplacement qui ont suivi ont été influencées par les positions de fond des juges, présumées ou réelles.
Et troisièmement, si les changements ont été conçus pour justifier de nouveaux retards dans les procédures, profitant ainsi aux accusés israéliens et offrant plus de temps pour des manipulations en coulisses.
Sauf nouvelles fuites ou révélations de la part de la CPI, nous ne connaîtrons peut-être pas la réponse à ces questions avant le coup de marteau, si tant est qu'il y en ait un.
Mais sachant que les retards judiciaires continuent d'augmenter alors même que l'extermination en Palestine se poursuit sans relâche, et sachant que des acteurs néfastes ont pris la Cour pour cible afin d'entraver la justice, la vigilance du public est impérative.
La CPI et celles ou ceux qui cherchent à la corrompre doivent savoir que le monde les observe.
Risque pour la réputation
En effet, la réputation de la CPI, de ses juges et de son procureur actuel est déjà sérieusement entamée, non seulement en raison d'une décennie de retards dans le dossier palestinien, mais aussi en raison d'un déséquilibre dramatique dans son action à l'échelle mondiale.
La Cour s'est presque entièrement concentrée sur le Sud et sur les adversaires présumés de l'Occident. À ce jour, les auteur-es de crimes commis par Israël et tous les autres pays occidentaux jouissent d'une impunité totale sous le statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).
Pour les États du Sud et les défenseurs de la justice dans le monde, la CPI est de plus en plus suspecte. L'échec de la justice dans l'affaire en cours, toute perception de partialité en faveur d'Israël, toute concession aux pressions américaines ou aux sponsors occidentaux de la Cour, représenteront presque certainement le début de la fin de la CPI.
Poursuivre les délits contre l'administration de la justice
Mais Israël et les États-Unis devraient en prendre bonne note. Le risque auquel ils sont confrontés va au-delà du simple risque de réputation. Le type d'ingérence dans lequel ils ont été impliqués constitue non seulement un outrage moral, mais aussi une violation du droit international.
Et certains des actes révélés pourraient faire l'objet de poursuites pénales de la part de la Cour elle-même.
L'article 70 du statut de Rome de la CPI codifie les crimes contre l'administration de la justice et, surtout, confère à la Cour la compétence de poursuivre ces crimes.
Il s'agit notamment d'« entraver, intimider ou influencer par la corruption un fonctionnaire de la Cour dans le but de le contraindre ou de le persuader de ne pas s'acquitter, ou de s'acquitter indûment, de ses fonctions », et de « prendre des mesures de rétorsion à l'encontre d'un fonctionnaire de la Cour en raison des fonctions exercées par ce fonctionnaire ou par un autre fonctionnaire » (entre autres infractions).
Les personnes reconnues coupables de ces infractions peuvent être emprisonnées par la CPI pour une durée maximale de cinq ans.
En outre, chaque État partie au statut de Rome serait légalement tenu de traduire en justice ces infractions si elles sont commises par ses ressortissant-es ou sur son territoire. Si les États-Unis et Israël ne sont pas parties à la CPI, la plupart de leurs alliés occidentaux les plus proches le sont et seraient contraints de coopérer.
De plus, les Pays-Bas, où se trouve la CPI, sont tenus, en vertu d'un accord de pays hôte avec la Cour, d'assurer la sûreté et la sécurité du personnel de la Cour et de protéger la CPI contre toute ingérence.
D'ailleurs, les procureur-es néerlandais-es envisagent actuellement d'intenter une action en justice contre de haut-es responsables des services de renseignement israéliens pour les pressions et les menaces exercées sur les fonctionnaires de la CPI dans le cadre des affaires concernant la Palestine.
Dernière chance pour la justice
Les risques qui pèsent sur la CPI sont réels.
Israël et les États-Unis ont démontré qu'ils ne respectaient pas l'État de droit et qu'ils n'hésitaient pas à menacer ou à corrompre la Cour.
Et la CPI elle-même a un long chemin à parcourir pour prouver au monde qu'elle est engagée dans le rôle de justice universelle qui lui a été confié, plutôt que de servir de simple bras sélectif de la puissance occidentale.
Mais la solidité du dossier contre Netanyahu, Gallant et d'autres dirigeants israéliens, dans le cadre du premier génocide au monde retransmis en direct, et sous les feux d'une attention publique sans précédent, donne des raisons d'espérer.
Aujourd'hui, Israël est en procès, ses dirigeants sont en procès, et le système de justice internationale lui-même est en procès.
Des acteur-ices malveillant-es s'emploient, publiquement et dans l'ombre, à entraver le cours de la justice.
Si nous voulons que la justice soit rendue, nous devons faire preuve de vigilance.
Craig Mokhiber est un avocat international spécialisé dans les droits de l'homme et un ancien haut fonctionnaire des Nations unies. Il a quitté l'ONU en octobre 2023, après avoir rédigé une lettre ouverte qui mettait en garde contre un génocide à Gaza, critiquait la réaction internationale et appelait à une nouvelle approche de la Palestine et d'Israël fondée sur l'égalité, les droits de l'homme et le droit international.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss
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Un commandant israélien confirme le nettoyage ethnique dans le nord de Gaza : « Pas de retour possible »

Le commandant Itzik Cohen, qui dirige la division 162 opérant dans le nord de la bande de Gaza, a déclaré aux journalistes que ses ordres étaient clairs : « Personne ne retournera dans la partie nord… Ma tâche est de créer un nettoyage ethnique dans la région. Ma tâche consiste à nettoyer la zone ».
Tiré de Agence médias Palestine.
Le commandant de la division Itzik Cohen, qui dirige la division 162 opérant dans le nord de la bande de Gaza, a déclaré aux journalistes, selon Haaretz, que ses ordres étaient clairs : « Personne ne retournera dans la partie nord… Nous avons reçu des ordres très clairs. Ma tâche consiste à nettoyer la zone ».
Cette déclaration intervient alors que des informations de plus en plus nombreuses font état d'un nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza. Les rapports indiquent qu'Israël a forcé le déplacement de presque tous et toutes les habitant-es de zones comme Jabalia, Beit Hanoun et Beit Lahiya.
Les évacuations forcées, réalisées par une série de bombardements aériens, la famine et la destruction des infrastructures civiles, ont laissé des dizaines de milliers de personnes sans maison ou sans accès aux produits de première nécessité.
Déplacement systématique
Selon le rapport, Israël a délibérément pris pour cible des bâtiments résidentiels, des écoles et des abris où les Palestiniens déplacés cherchaient refuge.
Ces destructions ont provoqué un exode massif de civil-es du nord de la bande de Gaza, l'armée israélienne ayant clairement fait savoir qu'aucun-e habitant-e ne pourrait y retourner. Ces actions s'inscrivent dans une stratégie préméditée de nettoyage ethnique dans le cadre du « plan des généraux ».
Le général de brigade Elad Goren, responsable du soi-disant « effort humanitaire “ à Gaza, a encore exacerbé ces préoccupations en déclarant que les personnes restées à Jabalia avaient « suffisamment d'aide » grâce aux livraisons passées, tout en prétendant que Beit Hanoun et Beit Lahiya étaient désormais dépourvues d'habitant-es.
Ses remarques suggèrent une approche calculée pour affamer et déplacer les civil-es, contredisant directement les affirmations d'efforts humanitaires.
L'armée israélienne a nié à plusieurs reprises avoir adopté le « plan des généraux », qui prévoit l'évacuation de centaines de milliers de Palestiniens de la ville de Gaza et de ses environs sous la famine et les bombardements.
La semaine dernière, l'administration Biden a décidé de maintenir son aide militaire à Israël, malgré les preuves de plus en plus nombreuses de la campagne d'affamement systématique menée par Israël contre Gaza, affirmant qu'Israël n'avait pas enfreint les lois américaines sur le blocage des fournitures d'aide.
Plus tôt dans la journée, le ministère israélien de la défense a confirmé qu'il n'avait pas l'intention, dans l'immédiat, d'envoyer de l'aide à la bande de Gaza assiégée.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : Quds News Network
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Des postiers dénoncent la mauvaise gestion de Postes Canada

Le paradoxe du réformisme – Robert Brenner
Archives Révolutionnaires : L’abandon par le NPD de ses fondements socialistes, le travail actif des directions syndicales pour maintenir la paix industrielle, les capitulations récurrentes de Québec solidaire face aux exigences du parlementarisme et du patronat, un Front commun historique qui laisse pourtant une masse considérable de travailleur·euse·s sur leur faim… Alors que les politiques néolibérales saccagent nos droits, l’environnement et nos conditions de vie, qu’est-ce qui explique cette frilosité de plusieurs organisations de la gauche et du mouvement ouvrier ? Pourquoi, tout en prêchant pour le réinvestissement dans le « filet social », ces organes puissants semblent parallèlement incapables d’obtenir gain de cause sur ces revendications ? Robert Brenner proposait déjà quelques pistes d’explication en 1993, dans son article consacré aux bases idéologiques et aux dynamiques politiques du réformisme. Nous présentons ici la traduction française de l’article, publiée initialement par la revue en ligne Période.
Robert Brenner (né en 1943) est un historien et un militant socialiste américain. Il est notamment membre du comité de rédaction de la New Left Review. L’article original est disponible dans la revue Against the Current (no. 43, mars-avril 1993).
Le paradoxe du réformisme
La différence entre réforme et révolution n’est pas une question de programme. En réalité, le réformisme est incapable d’obtenir des réformes par son seul concours. Dans cette formation (1993) à destination des cadres de son organisation, Solidarity, Robert Brenner détaille les raisons sociologiques de ce paradoxe, et en formule les conséquences stratégiques aux États-Unis. Le réformisme est l’idéologie spontanée d’une couche sociale bien précise : les permanents syndicaux et les politiciens sociaux-démocrates. Pour Brenner, la social-démocratie est une « forme de vie » à part entière dont les ressorts ne dépendent pas des défaites ou des victoires de la lutte des classes, mais de la négociation syndicale ou des résultats électoraux. Il en résulte que les révolutionnaires n’ont pas à combattre des « programmes » réformistes, mais une orientation au sein de la lutte qui rend inévitable la défense de l’ordre établi.
On m’a demandé de parler des leçons historiques des révolutions du XXe siècle. Mais puisque notre intérêt principal porte sur des enseignements qui puissent être pertinents pour le XXIe siècle, je pense qu’il est plus à propos de se pencher sur l’expérience de la réforme et du réformisme. Le « réformisme » est bel et bien parmi nous, bien qu’il ne se présente que rarement sous cette appellation, préfère se montrer sous un jour plus favorable. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de notre principal concurrent politique et nous devons par conséquent mieux le comprendre. Pour commencer, il est clair que le réformisme ne se distingue pas par son souci de mettre en place des réformes. Les révolutionnaires et les réformistes tentent tous deux de parvenir à des réformes. En effet, la lutte pour des réformes reste la principale préoccupation des révolutionnaires. En réalité, les réformistes partagent notre programme en grande partie – c’est du moins ce qu’ils prétendent. Ils sont pour des salaires plus élevés, le plein emploi, un meilleur État providence, des syndicats plus forts, et même une forme de parti ouvrier.
Or, si nous souhaitons gagner les réformistes à notre politique, nous n’y parviendrons pas en surenchérissant sur les propositions de leur programme. Nous ne pouvons gagner à nous les réformistes que par notre théorie (notre compréhension du monde) et, de façon plus importante encore, par notre méthode et notre pratique. Ce qui distingue au quotidien le réformisme, c’est sa méthode politique et sa théorie, et non pas son programme. Pour le dire schématiquement, les réformistes considèrent que même si l’économie capitaliste tend d’elle-même vers la crise, l’intervention étatique peut aider le capitalisme à atteindre un état de stabilité et de croissance à long terme. D’autre part, l’État est pour eux un instrument qui peut être utilisé par n’importe quel groupe, y compris la classe ouvrière, pour servir ses propres intérêts.
Ces prémisses permettent de comprendre toute la méthode et la stratégie des réformistes. Les travailleurs, les travailleuses et les opprimés devraient mettre toute leur énergie dans la lutte électorale pour s’emparer du contrôle de l’État et mettre en place des législations visant à réguler le capitalisme et améliorer sur cette base leurs conditions de travail et leur niveau de vie.
La base matérielle du réformisme
Les marxistes révolutionnaires ont toujours opposé leurs propres théories et stratégies à celles des réformistes. Mais comme souvent, il s’avère que la théorie et la pratique réformistes se comprennent mieux lorsqu’on tient compte des forces sociales spécifiques qui en constituent la base historique. Dans cette perspective, le réformisme s’affirme comme une vaste rationalisation des besoins et intérêts des responsables syndicaux et des politiciens, ainsi que des leaders du mouvement des opprimés issus des classes moyennes.
La base sociale distinctive du réformisme ne constitue pas un simple intérêt sociologique. C’est la clé d’un paradoxe central qui définit obstinément le réformisme, et ce depuis qu’il a existé des courants s’en réclamant explicitement au sein des partis sociaux-démocrates [ancienne appellation des partis communistes n.d.l.r], autour de 1900. Ce paradoxe est le suivant : les forces sociales qui constituent le cœur du réformisme se sont toujours rabattues sur des méthodes politiques – en particulier la voie électorale-législative et la négociation des conditions de travail par le biais de l’État – qui finissent à un moment ou un autre par mettre en péril leurs propres objectifs de réforme.
La conséquence est que, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la mise en place de réformes majeures tout au long du XXe siècle a généralement requis non seulement de rompre avec le réformisme, mais de lutter systématiquement contre le réformisme organisé, ses principaux dirigeants, et leurs organisations. En effet, ces gains ont dans presque tous les cas nécessité des stratégies et des tactiques que le réformisme organisé ne pouvait se permettre d’approuver, dans la mesure où elles menaçaient sa position sociale et ses intérêts. Parmi ces orientations tactiques que les réformistes étaient amenés à rejeter, on compte par exemple les degrés très élevés d’action militante (à la base), des actions illégales de masse, et la mise en place de liens de solidarité active dans toute la classe – entre syndiqués et non-syndiqués, employés et chômeurs, etc.
La vision réformiste
La proposition principale de la vision réformiste du monde est la suivante : bien que la crise constitue une tendance irréductible au sein de l’économie capitaliste, celle-ci est en dernier instance susceptible d’être régulée par l’État. En d’autres termes, pour les réformistes, c’est la lutte des classes non régulée qui mène à la crise. Deux hypothèses théoriques permettent d’affirmer cette idée. D’une part, la lutte de classe est susceptible d’aboutir à une « trop grande » exploitation des travailleurs et travailleuses par les capitalistes, qui veulent augmenter la profitabilité. C’est là une source de problème pour l’ensemble du système puisque le pouvoir d’achat des travailleurs et travailleuses se révèle alors insuffisant pour acheter ce qu’ils ont eux-mêmes produits. Cette insuffisance de la demande serait à l’origine d’une « crise de sous-consommation », et c’est de cette façon que les théoriciens réformistes interprètent la Grande dépression des années 1930.
D’autre part, les réformistes suggèrent parfois que la crise capitaliste survient en raison d’une résistance « trop forte » des travailleurs et travailleuses à l’exploitation capitaliste. En bloquant la mise en place d’innovations technologiques ou en refusant de travailler davantage, les travailleurs et travailleuses bloqueraient les gains de productivité. Il en résulterait une croissance plus faible, une réduction de la profitabilité, une baisse des investissements, et pour finir une « crise de l’offre » – selon les théories réformistes, le déclin économique actuel qui a débuté à la fin des années 1960 s’explique de cette façon.
Selon cette approche, puisque les crises sont des résultats imprévus de la lutte des classes non régulée, l’État peut assurer la stabilité économique et la croissance précisément en intervenant pour réguler à la fois la distribution des revenus et les relations de travail. Il en découle que la lutte de classes n’est pas réellement nécessaire puisqu’à long terme elle ne sert pas les intérêts de la classe capitaliste, ni ceux de la classe ouvrière, qui devraient donc coordonner leurs efforts.
L’État comme appareil neutre
La théorie réformiste de l’État va de pair avec son économie politique. Selon cette conception, l’État est un appareil autonome de pouvoir, neutre en principe, utilisable par quiconque s’en saisit. Il en découle que les travailleurs, les travailleuses et les opprimés devraient tenter d’en prendre le contrôle afin de réguler l’économie et ainsi assurer la stabilité économique et la croissance, pour ensuite mettre en place sur cette base des réformes servant leurs propres intérêts matériels.
La stratégie politique réformiste est une conséquence logique de sa vision de l’économie et de l’État. Les travailleurs, travailleuses et opprimés devraient concentrer leurs efforts à l’élection de politiciens réformistes. Puisque l’intervention étatique d’un gouvernement réformiste peut assurer la stabilité à long terme et la croissance, dans l’intérêt du capital et du travail, il n’y a pas de raison de croire que les employeurs s’opposeront obstinément à un gouvernement réformiste. Un tel gouvernement serait à même de prévenir des crises de sous-consommation en mettant en place des politiques budgétaires redistributives. Les crises de l’offre seraient elles aussi fortement limitées grâce à des commissions conjointes capital-travail régulées par l’État ayant pour objectif d’augmenter la productivité. Dans cette vision, sur la base d’une économie croissante et de plus en plus productive, l’État aurait les moyens d’augmenter continuellement ses dépenses publiques tout en régulant les négociations de conventions collectives pour assurer l’équité envers toutes les parties.
Pour les réformistes, il ne fait cependant aucun doute que les travailleurs et travailleuses doivent demeurer organisés et vigilants – surtout au sein de leur syndicat – et prêts à en découdre avec les capitalistes récalcitrants qui refuseront de se soumettre à l’intérêt commun : prêts à faire grève contre des employeurs qui refuseraient d’accepter de négocier, et prêts encore, dans le pire des cas, à se soulever en masse contre des coalitions capitalistes réactionnaires qui tenteraient de subvertir l’ordre démocratique. Ce n’est pas beaucoup s’avancer de dire que, pour autant que les réformistes les évoquent, ces batailles demeurent subordonnées à la lutte électorale et législative. Dans l’idéologie réformiste, ces luttes devraient s’atténuer avec le temps, dans la mesure où les politiques seraient menées non seulement dans l’intérêt des travailleurs et des opprimés, mais aussi dans l’intérêt des employeurs, bien que ces derniers n’aient pas la vue assez longue pour s’en rendre compte.
Une réponse politique au réformisme
Les révolutionnaires ont traditionnellement rejeté la méthode politique des réformistes, qui consiste à se fier au processus électoral-législatif et aux négociations collectives régulées par l’État, pour la simple et bonne raison qu’elle ne fonctionne pas. Aussi longtemps que les rapports de propriété capitalistes demeurent en place, l’État ne saurait être une instance autonome. La raison à cela n’est pas que l’État serait toujours sous le contrôle direct des capitalistes (les gouvernements travaillistes ou sociaux-démocrates, par exemple, ne le sont que rarement). C’est plutôt parce que quiconque contrôle l’État a des moyens extrêmement limités, dans la mesure où la force au gouvernement doit mener une politique compatible avec le maintien de la profitabilité capitaliste et que, à long terme, la profitabilité capitaliste est très difficile à réconcilier avec des réformes dans l’intérêt des exploités et des opprimés.
Dans une société capitaliste, il ne peut y avoir de croissance économique sans investissement, et les capitalistes n’investiront pas à moins de pouvoir obtenir un taux de profit qu’ils estiment adéquat. Puisque la baisse du chômage et l’extension des services publics à l’intention de la classe ouvrière (qui dépend des recettes fiscales) sont fondés sur la croissance économique, même les gouvernements qui souhaitent faire avancer les intérêts des exploités et des opprimés – par exemple des gouvernements sociaux-démocrates ou travaillistes – doivent faire de la profitabilité capitaliste et de la croissance économique leur priorité. Le vieux dicton « ce qui est bon pour General Motors est bon pour tout le monde » contient malheureusement un important fond de vérité, aussi longtemps que les rapports de propriété capitalistes demeurent en place.
Cela ne veut pas dire que les gouvernements capitalistes ne feront jamais de réformes. En période d’expansion économique, lorsque les taux de profit sont élevés, le capital et l’État sont bien disposés à accorder des gains à la classe ouvrière et aux opprimés, afin de maintenir l’ordre social. Toutefois, dans des périodes de déclin, lorsque les taux de profit sont plus faibles et que la concurrence s’intensifie, le coût (fiscal) de telles réformes peut mettre en danger la survie même de firmes. Les réformes ne sont que très rarement accordées en l’absence de luttes vigoureuses sur les lieux de travail et dans la rue. Par ailleurs, dans de telles périodes, les gouvernements de tout acabit – qu’ils représentent le capital ou le travail – s’ils ont refusé de rompre avec les rapports de propriété capitalistes, finissent par tenter de restaurer les taux de profit en coupant dans les salaires et les services sociaux, de baisser les impôts qui touchent les capitalistes, etc.
Économie politique et stratégie
L’idée que des périodes de crise prolongée sont inhérentes au capitalisme est d’une importance capitale pour les révolutionnaires, et la raison en est évidente. De ce point de vue, les crises découlent de la nature anarchique du capitalisme, qui suscite des sentiers d’accumulation contradictoires. Puisque, par sa nature même, une économie capitaliste opère de façon non-planifiée, les gouvernements ne peuvent prévenir les crises.
Ce n’est pas l’endroit approprié pour une discussion détaillée des débats portant sur la théorie des crises. On peut tout de même souligner que l’histoire du capitalisme étaye la vision non réformiste. Depuis la fin du XIXe siècle, pour ne pas remonter encore plus loin, peu importe le type de gouvernement en place, les longues périodes d’expansion capitaliste (des années 1850-1870, 1890-1913, 1940-1970) ont toujours été suivies de de longues périodes de dépression capitaliste (années 1870-1890, 1919-1939, 1970-aujourd’hui). L’une des contributions fondamentales d’Ernest Mandel dans les dernières années a été de mettre l’accent sur ce mode de développement capitaliste par longues vagues de boom et de déclin.
Lors des deux premières décennies de la période d’après-guerre, le réformisme et sa vision politique apparaissaient victorieux. La période d’expansion économique fut sans précédent, accompagnée par la mise en œuvre de mesures keynésiennes de soutien de la demande et d’une augmentation des dépenses gouvernementales associées à l’État providence. Toutes les économies capitalistes avancées ont non seulement connu une montée rapide des salaires, mais aussi une croissance du secteur public, dans l’intérêt des exploités et des opprimés.
Vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, un certain nombre d’observateurs défendaient l’idée qu’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière impliquait de mener la « lutte des classes à l’intérieur de l’État » – c’est-à-dire de pousser à des victoires électorales et législatives de partis sociaux-démocrates et travaillistes (et du Parti démocrate aux États-Unis).
Les deux décennies suivantes ont radicalement invalidé cette perspective. La baisse des taux de profit a donné lieu à une crise de long terme de la croissance et des investissements. Dans ces conditions, les gouvernements réformistes qui ont accédé au pouvoir – le Parti travailliste à la fin des années 1970, les partis socialistes français et espagnol dans les années 1980, tout comme le Parti social-démocrate suédois dans ces mêmes années – se sont trouvés dans l’impossibilité de restaurer la prospérité à l’aide des méthodes habituelles de soutien de la demande, et ont conclu qu’ils n’avaient guère d’autre choix que de rétablir les taux de profits pour favoriser les investissements et restaurer la croissance. Le résultat fut le suivant : les partis réformistes ont, pratiquement sans exception, non seulement échoué dans la défense des salaires et du niveau de vie des travailleurs et travailleuses contre les attaques des employeurs, mais ont été à l’initiative d’une puissante vague d’austérité visant à augmenter le taux de profit aux dépens de l’État providence et des syndicats. Il ne saurait y avoir de réfutation plus définitive des théories économiques réformistes et de la notion d’autonomie de l’État. C’est précisément le fait que l’État n’a pu prévenir la crise capitaliste qui l’a révélé comme complètement dépendant du capital.
Pourquoi le réformisme est incapable de réformer
La question demeure : pourquoi les partis réformistes au pouvoir ont-ils continué à respecter les droits de propriété capitalistes et tenté de restaurer les profits capitalistes ? Pourquoi n’ont-ils pas plutôt cherché à défendre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, par la lutte de classe si nécessaire ? Si cette approche était susceptible d’amener les capitalistes à arrêter d’investir ou à retirer leurs capitaux, pourquoi ne pas nationaliser les moyens de production et emboîter le pas vers le socialisme ? Nous revenons au paradoxe du réformisme. La réponse à la question se situe dans les forces sociales spécifiques qui dominent la politique réformiste : les responsables syndicaux et les politiciens sociaux-démocrates. L’élément distinctif de ces forces est que leur existence dépend d’organisations de la classe ouvrière, mais qu’elles ne font pas elles-mêmes partie de la classe ouvrière[1].
Cette catégorie sociale est précisément déconnectée de la réalité concrète du travail salarié. Sa base matérielle, son gagne-pain, se situe directement dans les syndicats ou l’organisation du parti. Ce n’est pas qu’une question de salaire (même si c’est un aspect important du problème). Le syndicat ou le parti façonne tout le mode de vie de ces individus – ce qu’ils font, leurs rencontres, etc. – tout comme leur trajectoire professionnelle. Par conséquent, leur position sociale et matérielle dépend de leur place au sein du syndicat et du parti. Aussi longtemps que l’organisation est viable, ils peuvent aspirer à une vie stable et des possibilités de carrière raisonnables.
Le gouffre qui sépare la forme de vie des salariés de base de celle d’un permanent syndical (et a fortiori d’un membre dirigeant) est donc énorme. La position économique – salaire, retraite, conditions de travail – des travailleurs et travailleuses ordinaires dépend directement du déroulement de la lutte de classes sur les lieux de travail et dans leur branche. Obtenir des victoires sur le plan salarial est leur seule manière de défendre leur niveau de vie. L’employé d’un syndicat, par contraste, peut bénéficier d’une situation confortable même en cas de défaites répétées dans la lutte de classes : il suffit que l’organisation syndicale survive. Il est vrai qu’à long terme, la survie même de l’organisation syndicale dépend de la lutte de classes, mais il est rare que ce soit un facteur important. Il se trouve en réalité qu’à court terme, surtout en période de crise où les taux de profit sont menacés, la lutte de classes est probablement la menace principale à la viabilité de l’organisation.
Dans la mesure où la combativité sociale est susceptible d’être suivie d’une répression du capital et de l’État qui menace la trésorerie et la survie même du syndicat, les responsables syndicaux cherchent généralement à l’éviter. Les syndicats et les partis réformistes ont donc, historiquement, tenté de tenir le capital en bride en composant avec lui. Ils ont fini par donner l’assurance au capital qu’ils acceptent le système de propriété capitaliste et la priorité des profits au sein des entreprises. Ils ont également cherché à s’assurer que les travailleurs et travailleuses n’adoptent pas des formes d’actions combatives et illégales, qui apparaîtraient au capital comme une menace et le pousserait à y réagir avec virulence. Or, dans la mesure où la perspective d’une lutte « radicale » est mise de côté comme moyen d’obtenir des réformes, la voie parlementaire devient une stratégie politique fondamentale pour les responsables syndicaux et les politiciens sociaux-démocrates. Par la mobilisation passive d’une campagne électorale, ces forces espèrent créer les conditions propices à la réforme, tout en évitant ce faisant de trop offenser le capital.
La thèse avancée ici ne revient pas à adopter la position absurde que les travailleurs et travailleuses sont toujours prêts à en découdre avec le grand capital, et ne sont retenus que par les tromperies de leurs directions politiques et syndicales. En réalité, les travailleurs et travailleuses sont souvent aussi conservateurs que ces dirigeants, voire davantage. Pour autant, il faut rappeler qu’à long terme et contrairement aux permanents syndicaux ou politiques, les travailleurs et travailleuses ne peuvent pas défendre leurs intérêts sans recourir à la lutte de classe. Et dans ce processus, pour les raisons évoquées plus haut, il se trouve que les responsables syndicaux sont le plus souvent des obstacles à cette action indépendante des travailleurs et travailleuses contre leurs employeurs. Bien entendu, ces dirigeants syndicaux et politiques ne sont pas dans leur totalité opposés à la lutte de classes et vont même parfois jusqu’à en prendre l’initiative. L’idée est simplement que, étant donné leur position sociale, la mobilisation ne saurait reposer sur eux, et ce quelque soit le degré de radicalisme de leur rhétorique.
C’est à partir de cette analyse, selon laquelle on ne saurait compter sur les responsables syndicaux et les politiciens sociaux-démocrates pour mener à bien la lutte de classes, que s’élabore notre stratégie visant à construire des organisations de base qui soient indépendantes des responsables syndicaux (bien qu’elles puissent travailler avec eux), et à envisager la création d’un parti politique ouvrier indépendant des démocrates.
Le réformisme et l’unité
Notre compréhension du réformisme n’est pas qu’un exercice universitaire : elle a des conséquences sur l’ensemble de nos initiatives politiques. On le voit clairement aujourd’hui au travers les tâches de regroupement des forces antiréformistes au sein d’une organisation commune et en rupture avec le Parti démocrate. Depuis plusieurs années, les perspectives de coalition avec des forces de gauche (plus ou moins organisées) sont liées à ces individus et groupes qui se positionnent à gauche du réformisme officiel et sont en rupture avec lui. Il s’avère pourtant qu’un certain nombre de ces forces de gauche continuent de s’identifier, implicitement ou explicitement, à une approche de la politique qu’on pourrait appeler, un peu crûment, « front populiste ».
Bien qu’elle soit née à l’extérieur du camp de la social-démocratie organisée, la doctrine des fronts populaires donne une portée systématique au réformisme. L’Internationale communiste a été la première à faire la promotion de l’idée d’un front populaire en 1935, en complément de la politique étrangère soviétique visant à former une alliance avec les pouvoirs capitalistes « libéraux » pour se défendre contre l’expansionnisme nazi (« sécurité collective »). Dans ce contexte, les communistes ont avancé, à l’international, l’idée qu’il était possible pour la classe ouvrière de forger une alliance interclasse très large, non seulement avec la classe moyenne libérale, mais aussi avec une section éclairée de la classe capitaliste, et ce dans l’intérêt de la démocratie, des libertés civiles et de la réforme sociale.
L’hypothèse fondamentale de cette stratégie était qu’une section éclairée de la classe capitaliste préférait un ordre constitutionnel à un ordre autoritaire, et que cette frange était prête à consentir à une intervention gouvernementale plus soutenue, à davantage d’égalitarisme, dans une optique « progressiste » (liberal) avec un objectif général de cohésion sociale. Comme d’autres doctrines réformistes, le front populaire se basait, sur le plan économique, sur une théorie de la crise en terme de « sous-consommation ». Cette théorie de la sous-consommation était en fait très répandue dans les cercles « progressistes » et socialistes-radicaux au cours des années 1930, gagnant encore davantage en popularité avec le succès des idées de Keynes. Aux États-Unis, le front populaire se devait d’investir le Parti démocrate. L’administration Roosevelt, qui comptait un certain nombre d’éléments relativement progressistes, était considérée comme l’archétype de l’aile capitaliste éclairée. L’impératif de travailler avec les démocrates n’a semblé que plus justifié dans la mesure où, au même moment, le mouvement ouvrier devenait une force d’ampleur dans tout le pays. Au départ, les communistes ont été les fers de lance de l’organisation syndicale CIO, et ont grandement contribué à son succès spectaculaire dans le secteur automobile en adoptant, pour une période brève mais décisive (1935-début 1937), une stratégie d’organisation depuis la base. Le corrélât de cette stratégie à un niveau politique était le refus des communistes de soutenir Roosevelt au cours de ces premières années.
À partir de 1937, à l’issue de l’adoption par l’Internationale communiste de la doctrine des « fronts populaires » et de son impératif de ne pas s’aliéner l’administration Roosevelt, le Parti communiste a dû faire obstacle à la combativité des travailleurs et travailleuses (grèves sur le tas, grèves sauvages) : il s’agissait de reconduire la politique sociale-démocrate classique de s’allier avec l’aile « gauche » des responsables syndicaux. Cette politique était en clair retrait par rapport à l’idée que les responsables syndicaux constituent une couche sociale distincte dont on doit attendre qu’elle place les intérêts de leurs organisations au-dessus de ceux de leur base – une hypothèse pourtant au cœur de la stratégie de la gauche du mouvement social-démocrate avant la Première Guerre mondiale (Luxembourg, Trotski, etc.), ainsi que de la Troisième Internationale au temps de Lénine.
L’application du front populisme par le PC impliquait de différencier les responsables syndicaux en terme de ligne politique (gauche, centre, droite) et non plus en terme de division cadres syndicaux/base. Cette approche était absolument constitutive de l’objectif des communistes consistant à pousser les nouveaux syndicats industriels à entrer au Parti démocrate. Bien entendu, la majorité des représentants syndicaux n’étaient que trop heureux de mettre l’accent sur leur rôle politique au sein de l’aile réformiste émergente du Parti démocrate, surtout en comparaison avec leur rôle économique beaucoup plus dangereux consistant à organiser leurs membres et à lutter contre les offensives patronales. La politique duelle de s’allier aux représentants « de gauche » à l’intérieur du mouvement syndical, et de travailler pour la réforme à l’aide de moyens électoraux et législatifs au sein du Parti démocrate (avec un peu de chance aux côtés des leaders syndicaux progressistes) demeure jusqu’à ce jour très attirante pour une grande partie de la gauche.
Une perspective par et pour la base
Au cours des années 1970 dans les syndicats, les représentants des tendances qui ont fini par se retrouver au sein du groupe Solidarity ont eu à s’opposer à l’idée des front populaires partagée par divers courants de la gauche radicale, impliquant d’appuyer les dirigeants « progressistes » existants. Notre point de vue était alors en opposition avec l’idée que les responsables syndicaux progressistes seraient obligés de se ranger à gauche et de s’opposer aux employeurs, ne serait-ce que pour défendre leur propre organisation. La gauche révolutionnaire était au contraire convaincue que, précisément en raison de la virulence de l’offensive patronale, les responsables syndicaux seraient pour la plupart prêts à faire des concessions substantielles afin de contourner l’affrontement avec les employeurs. Le démantèlement morceau par morceau du mouvement ouvrier était dès lors loisible de se poursuivre indéfiniment.
Cette dernière perspective s’est plus que confirmée, les responsables syndicaux ne levant pas le petit doigt alors que l’étendue des concessions atteignait des proportions désastreuses et que le taux de syndicalisation passait de 25-30 % dans les années 1960 à 10-15 % aujourd’hui.
En outre, les révolutionnaires au sein du mouvement syndical devaient riposter à l’idée que les leaders syndicaux étaient « à gauche de leur base ». Si vous parliez avec des militants de la gauche radicale à cette époque, vous étiez sûr d’entendre à un moment ou un autre que la base était politiquement arriérée. Après tout, plusieurs syndicats « progressistes » se sont opposés à l’intervention américaine en Amérique centrale (et ailleurs) plus fermement que leurs membres, se sont affirmés plus fermement que leurs membres sur la question de l’extension de l’État providence, et se sont même prononcés, dans quelques cas, pour un Parti des travailleurs indépendant. Notre réponse à cet argument était de montrer le contraste entre ce que les leaders syndicaux « progressistes » étaient prêts à faire en parole sur le plan « politique », où très peu est en jeu, avec ce qu’ils étaient prêts à faire contre les patrons, où ils risquaient réellement leur peau. Il n’en coûtait pas grand-chose au dirigeant de l’IAM William Winpisinger d’être membre de la Democratic Socialist Association (DSA) et de se réclamer d’un projet de société social-démocrate absolument clair sur des questions telles que la reconversion de l’économie, le système de santé national, et autres.
Mais lorsqu’il était question de la lutte des classes, nous faisions remarquer que, non seulement Winpisinger s’est clairement prononcé contre les Teamsters pour un syndicat démocratique, mais a envoyé ses machinistes traverser le piquet de grève lors de la grève cruciale de la PATCO (les contrôleurs aériens).
Dans la dernière décennie, plusieurs courants de la gauche radicale ont rompu leurs liens avec l’Union Soviétique ou la Chine et se sont engagés dans un réexamen complet de leur vision politique du monde. Mais cela ne signifie pas qu’ils se dirigeront automatiquement vers nous, puisque leur stratégie politique de front populaire est semblable à ce que nous avons décrit sous le terme de « réformisme ». Si nous voulons convaincre ces camarades de se joindre à nous, nous devons leur démontrer, systématiquement et en détail, que leur stratégie traditionnelle consistant à travailler avec les « gauches » syndicales et à infiltrer le Parti démocrate est en fait contre-productive.
L’action politique indépendante
À certains moments au cours de la campagne électorale, des éléments importants du mouvement des Noirs, du mouvement des femmes, et même du mouvement ouvrier, ont déclaré qu’ils aimeraient qu’une alternative politique viable au Parti démocrate puisse voir le jour. Leurs intentions semblaient rendre la construction d’une force politique indépendante soudainement beaucoup plus concrète. Ces franges sont désormais indispensables à n’importe quelle tentative de recomposition à gauche des démocrate, pour la simple et bonne raison que la grande majorité des Noirs, des femmes et des militants ouvriers combatifs s’en remettent, en matière de direction politique, à eux et à personne d’autre. Mais ces franges ont-elles une attitude réaliste au regard de cette exigence d’agir de façon autonome ?
En un certain sens, il est évident que toutes ces forces ont besoin d’une action politique autonome. Le Parti démocrate a depuis trop longtemps mis toute son initiative dans des mesures qui visent à rétablir les taux de profit, aux dépens des intérêts des travailleurs, des femmes, et des minorités opprimées. Il a donc perdu de son utilité pour les directions établies des syndicats, des mouvements noirs et des femmes, qui, après tout, travaillent auprès des démocrates pour obtenir des gains en faveur de leurs membres.
Les directions officielles de ces mouvements aimeraient donc sans doute qu’il y ait un troisième parti qui soit viable. Mais c’est le paradoxe de leur couche sociale et de leur politique réformiste : ils sont incapables de faire le nécessaire pour créer les conditions propices à la naissance d’un tel parti. Il est en effet difficile de réunir ces conditions sans une revitalisation des mouvements sociaux, et surtout du mouvement ouvrier – à travers une le renforcement d’une ligne combative et unitaire au sein du mouvement syndical et au-delà. Des mouvements de masse nouvellement dynamisés pourraient fournir une base matérielle pour transformer une conscience politique émergente en un troisième parti capable de succès électoraux. Mais les directions établies ont peur de susciter de tels mouvements.
D’autre part, en l’absence d’une rupture profonde dans l’activité et la conscience des mouvements de masse, il n’y a aucune raison pour que les directions établies rompent leurs liens avec le Parti démocrate. La voie électorale est pour eux un élément indispensable : il s’agit du meilleur moyen dont ils disposent pour obtenir des gains en faveur de leurs membres. Et la condition sine qua non pour obtenir quoique ce soit par la voie électorale est bien évidente : il faut gagner. Sans victoire électorale, rien n’est possible. Le problème est que dans un futur proche, aucun troisième parti n’a de chance de gagner. Le niveau de conscience politique n’est pas suffisamment élevé pour cela. En outre, les troisièmes partis sont particulièrement désavantagés dans notre pays en raison du système présidentiel. Dans cette situation, les directions établies des mouvements ouvriers, des Noirs et des femmes sont dans une impasse : ils ne peuvent rompre avec les démocrates avant que les conditions soient propices à ce qu’un troisième parti puisse faire des gains électoraux ; mais ils ne peuvent créer les conditions pour un troisième parti sans mettre de côté, probablement pour une période conséquente, leurs méthodes établies pour faire des gains par la voie électorale.
Ce n’est malheureusement pas du tout surprenant que des partisans parmi les plus sérieux d’une rupture vers un troisième parti au sein des directions établies de ces mouvements – notamment au sein du mouvement des femmes – se soient montrés beaucoup moins intéressés par « leur propre » parti du XXIe siècle que par les candidatures démocrates de Carole Moseley Braun, Barbara Boxer, et même Dianne Feinstein. Tout hypothétique renouveau du mouvement ouvrier, des mouvements sociaux et de la gauche, et tout projet de construire un nouveau parti à gauche des démocrates, dépendra d’une rupture – et d’une confrontation – avec les forces sociales et politiques qui sous-tendent le réformisme.
Traduit de l’anglais par Jonathan Martineau.
Notes
[1] Pour un examen sociologique et historique plus détaillé de cet argument, voir « The Paradox of Social Democracy: the American Case » in Mike Davis, Fred Pfeil, and Michael Sprinker (eds). The Year Left: an American Socialist Yearbook 1985. Vol. 1. Londres & New York: Verso. pp. 33-86 []
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Les violences masculines en question Violences, une affaire d’hommes ?

Tiré de NPA 29
50 000 féminicides par an sur la planète, 736 millions de femmes victimes de violences physiques ou sexuelles par leur conjoint ou un autre homme, le plus souvent un proche : coups, blessures, maltraitances, tentatives de viol, viols, meurtres… 58% des meurtres de femmes ont été commis par leur partenaire ou un membre de leur famille. En 2020, année où la pandémie du Covid 19 a favorisé une explosion des violences domestiques, 137 000 femmes ont été tuées (1). L'équivalent de villes comme Limoges, Amiens ou Clermont-Ferrand, qu'on aurait rayées de la carte en décimant la totalité de la population.
La prévalence des violences masculines contre les femmes est avérée partout dans le monde, sous toutes les latitudes, dans toutes les régions, toutes les classes sociales, toutes les cultures, quel que soit le contexte géopolitique dans lequel elle s'opère. Il s'agit d'un problème global et systémique qui ne peut être résolu sans une remise en question radicale du modèle patriarcal de nos sociétés, et sans une action collective qui implique les Etats, les institutions, les organisations de la société civile et les individus.
Vaste programme. Pourtant, la prolifération des guerres et des conflits aux quatre coins du globe, la généralisation des violences sexospécifiques subies par les femmes et les filles, en zone de conflits comme en temps de paix, appellent à prendre conscience de l'urgence. Car ce phénomène de discriminations d'un sexe par l'autre, de domination par la force et de subordination systémique d'une moitié de l'humanité, met en danger la société humaine tout entière.
Des violences physiques
« Le féminicide est, selon moi, l'exécution d'une femme parce qu'elle est une femme » explique l'historienne Christelle Taraud qui a dirigé Féminicides. Une histoire mondiale, l'ouvrage magistral pour lequel elle a réuni une équipe multidisciplinaire de plus de 130 expert.es et chercheur.es. Elle poursuit : « Le féminicide n'est jamais un acte spontané, il y a une très longue histoire de violence avant l'acmé de cette violence, qui est la destruction physique de la personne ».
A ce jour, le féminicide, crime systémique et sexiste n'est pas encore reconnu comme tel dans le Code pénal français.
L'éventail est large des violences physiques et sexuelles qui mènent au meurtre dans le continuum féminicidaire, cette « machine de guerre dirigée contre les femmes ». De la gifle au sur-meurtre (déchaînement de violences ante ou post mortem du meurtrier à l'égard de sa victime), on trouve de multiples déclinaisons. Observons en quelques unes.
Les mutilations génitales féminines sont présentées comme « culturelles » ou « cultuelles », alors qu'aucune religion n'a jamais prescrit aucune mutilation sexuelle de cette sorte. Le mariage forcé et les grossesses précoces favorisent les violences masculines dans un rapport de domination mentale et physique, a fortiori le mariage de petites filles à des hommes adultes.
La traite humaine en vue d'esclavage ou de prostitution concerne en grande majorité des femmes, lesquelles représentent 72% des victimes : elles sont les premières proies des trafiquants qui surveillent les routes de l'exil et de la migration où les femmes se jettent pour fuir la guerre, la pauvreté ou la désertification et le réchauffement climatique. Le viol de guerre est soit le fait d'individus s'appropriant le corps des femmes comme leur butin, soit le fait de chefs militaires ou de bandes armées qui décident de l'utiliser comme arme de guerre, pour humilier le peuple ennemi, engrosser les femmes, afin de le coloniser démographiquement, ou au contraire détruire leur appareil génital pour empêcher qu'il se reproduise et se perpétue. Le corps des femmes devient là encore le champ de bataille de guerriers, le champ des violences masculines.
L‘impact de ces violences physiques est énorme. Les victimes sont davantage susceptibles de souffrir de problèmes de santé chroniques, de douleurs : troubles gastro-intestinaux, troubles du sommeil, troubles de stress post-traumatique, problèmes de santé sexuelle et reproductive, grossesses non désirées, avortements clandestins, complications pendant la grossesse, etc.
Il existe tout un arsenal d'autres violences : psychologiques, économiques, institutionnelles.
Il n'y a pas que les violences physiques. Au-delà des coups, des viols ou des meurtres, il existe tout un arsenal de violences moins visibles mais qui font des dégâts considérables à long terme sur la vie des femmes et des filles.
Ce sont les violences psychologiques. Intimidations, manipulations, surveillance, menaces, humiliations, emprise, ou contrôle coercitif, minent durablement la santé émotionnelle et mentale et conduisent à la perte de confiance en soi, à la dépression, à l'isolement social, voire parfois au suicide.
Ce sont les violences économiques. Selon la Banque mondiale 2,4 milliards de femmes en âge de travailler ne bénéficient pas des mêmes droits économiques que les hommes. Outre les inégalités salariales constantes à des degrés divers dans l'ensemble des pays, les femmes victimes de violences sont souvent contrôlées par leur conjoint dans leur gestion de l'argent, quand elles ne sont pas carrément privées de leurs ressources. Par ailleurs, on sait que les femmes les plus pauvres ont deux à trois fois plus de risques de subir des violences physiques de leur conjoint.
Ce sont enfin les violences institutionnelles, les institutions n'étant pas décorrélées du système patriarcal qui les érige, et qu'elles nourrissent à leur tour. Deux milliards de femmes et de filles dans le monde n'ont ainsi accès à aucune forme de protection sociale, indique ONU Femmes. Elles font globalement face à une absence de protection et de justice dans les systèmes juridiques, médicaux et éducatifs. Elles représentent les deux tiers des personnes analphabètes et les filles ont un accès beaucoup moindre à la scolarité que les garçons.
Elles forment la moitié de la main d'œuvre agricole tout en produisent 60 à 80% de l'alimentation dans les pays en développement, mais sont moins de 15% des propriétaires des terres agricoles, car elles ne bénéficient pas du même accès que les hommes aux ressources productives et aux prêts bancaires. Quant à l'accès aux autorités de police et de justice, les violences conjugales restent très souvent minimisées si elles ne sont pas totalement ignorées, car considérées du domaine privé, dans de nombreux Etats.
Mieux vivre ensemble
Y a -t-il une place pour le droit face à cet océan d'injustices et de malheurs, qui repose sur la force du dominant socio-économique, sur les inégalités entre les sexes, sur des normes patriarcales, une culture du viol, une banalisation de la violence intériorisées par l'humanité dans son ensemble ?
Oui, envers et contre tout, si on regarde l'histoire.
Les législations ont globalement progressé dans la plupart des pays et les instruments de justice au plan national et international s'y sont adaptés.
Pour tous les Etats, le droit de vote des femmes est acquis, depuis les Néo Zélandaises en 1893 jusqu'aux Saoudiennes en 2015, sauf au Vatican qui commence toutefois à s'interroger. Une majorité des Etats a mis en place des mesures de protection et de pénalisation des violences contre les femmes, à l'instar de l'Espagne, pionnière en la matière avec sa loi-cadre de protection intégrale contre les violences conjugales votée en 2004 et complétée en 2017, ou le Mexique, pays gangréné par la violence maffieuse et les féminicides, qui a adhéré à de nombreux traités internationaux, a adopté des lois et a mis en œuvre des politiques publiques contre les violences faites aux femmes.
Toujours au niveau international, ONU femmes, entité dédiée spécifiquement, créée en 2010, pour mettre l'égalité femmes/hommes parmi les priorités des Etats, a poussé à l'adoption de nombreuses décisions et réalisé régulièrement des campagnes de sensibilisation contre ces violences.
Plus près de nous, l'Union Européenne (UE) a elle-même ratifié en juin 2023 la Convention d'Istanbul, précisément « Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique », le traité international le plus abouti en la matière, et a ainsi rejoint les 37 Etats l'ayant déjà adoptée, c'est-à-dire qui ont accepté de rendre des comptes pour sa mise en œuvre sur leur territoire. C'est une étape considérable, même si comme toujours les lois existent mais leur application concrète est plus difficile.
Aux efforts des autorités nationales et multilatérales s'ajoute la mobilisation des mouvements féministes et activistes voire leur pression sur les politiques.
Leur force est cruciale et se propage toujours largement au-delà des frontières nationales qui l'ont vu naître : du mouvement des Suffragettes dans les premières années du 20ème siècle pour le droit à la citoyenneté et au vote des Européennes, au mouvement #metoo parti des Etats-Unis puis autour du globe via le cinéma contre les violences sexistes et sexuelles, en passant par le collectif argentin « Ni una menos » ( pas une de moins) en 2015 et 2016 contre les féminicides qui s'est propagé dans toute l'Amérique latine en Uruguay, au Pérou, au Chili, et au-delà en Espagne. Les mouvements féministes et citoyens ont su réveiller les consciences et contribuer à la mise en place de politiques publiques ambitieuses pour contrer ces violences masculines.
La force de cette société civile citoyenne, féministe, peut devenir une dynamique puissante, irrépressible. Si elle est capable de rallier autant d'hommes que de femmes aux valeurs humanistes d'égalité et de justice qu'elle porte, alors elle sera capable d'éradiquer le fléau des violences liées à une certaine idée de la masculinité. Et de changer le monde. Chiche ?
Jocelyne Adriant-Metboul 50-50 Magazine
1 Sources : Organisation des Nations Unies (ONU, ONU Femmes), Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Banque mondiale, OCDE, ONG humanitaires, « Le féminicide, une histoire mondiale » de Christelle Taraud.
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