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Des soins dans des murs en ruine : quand l’état des lieux menace la santé et la sécurité

29 avril, par Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Julie Bouchard — , , ,
Il faut le voir pour le croire. Des murs gangrenés par la moisissure, des équipements défectueux, des fuites d'eau à répétition, des ascenseurs constamment en panne, de la (…)

Il faut le voir pour le croire. Des murs gangrenés par la moisissure, des équipements défectueux, des fuites d'eau à répétition, des ascenseurs constamment en panne, de la vermine qui rôde, des bâtiments infestés d'amiante. Et au milieu de ce chaos, des professionnelles en soins qui continuent, avec courage et dévouement, à offrir les meilleurs soins possibles à la population. Voilà le quotidien dans trop d'hôpitaux et de centres de soins au Québec en 2025.

À Drummondville, Montréal, Sorel, Saint-Jérôme, Mont-Laurier — et bien d'autres endroits —, des établissements de santé tombent en ruine, sous le regard indifférent d'un gouvernement plus préoccupé par des mégaprojets inutiles que par la sécurité de son personnel et de ses citoyen-ne-s. Ces lieux censés être synonymes de guérison sont devenus, dans bien des cas, des zones à risque.

Si les murs de certains de nos hôpitaux pouvaient parler, ils hurleraient à l'abandon. Et leur cri serait celui de toutes les professionnelles en soins du Québec, épuisées de devoir soigner dans des conditions dignes d'un autre siècle. Comment parler de qualité des soins quand les outils manquent, quand les infrastructures menacent de céder, quand les milieux de travail sont à ce point insalubres que la santé de celles qui y exercent est elle-même compromise ?

Pendant ce temps, que fait le gouvernement ? Il investit à coups de millions dans des projets qui n'ont aucun lien avec les besoins urgents du réseau de la santé. Plus de soixante millions de dollars pour des études sur un troisième lien mort-né. Des centaines de millions engloutis dans le fiasco SAAQclic. Sept millions pour séduire une équipe de hockey millionnaire à venir faire du tourisme à Québec. Et bien sûr, une pluie de millions versés à Northvolt, sans débat public, sans transparence, sans conditions.

Mais lorsqu'il s'agit de rénover un hôpital, de réparer un ascenseur ou de s'assurer que les salles d'urgence ne débordent pas, les coffres sont soudainement vides. On nous répète qu'il faut faire des choix responsables, que le budget est serré, que les ressources sont limitées. Mais il semble que ces contraintes ne s'appliquent qu'à la santé et à l'éducation. Quand vient le temps de satisfaire des intérêts économiques ou politiques, l'argent, lui, coule à flots.

Ce désintérêt chronique pour l'état des infrastructures de soins est non seulement un affront aux professionnelles en soins, mais aussi à la population. Car il ne s'agit pas seulement de conditions de travail indignes : il s'agit de sécurité, de décence, de respect. Chaque dollar gaspillé dans un projet douteux est un dollar qui manque pour protéger une vie, prévenir une chute, éviter une infection.

Et dans un contexte où les besoins en santé explosent, où la population vieillit et où la santé mentale devient un enjeu majeur, continuer de négliger l'entretien et la modernisation de nos établissements, c'est foncer droit dans le mur. La situation actuelle favorise l'exode des professionnelles en soins vers des milieux plus sécuritaires, plus modernes, plus respectueux. Peut-on vraiment les blâmer ?

Le gouvernement doit se ressaisir. La santé n'est pas une ligne comptable ni un levier de marketing politique. C'est un pilier fondamental de notre société. Il est impératif de réinvestir massivement dans nos infrastructures, de garantir des milieux de soins sécuritaires et salubres, et de respecter l'expertise de celles qui, jour après jour, prennent soin de nous.

Il est plus que temps de cesser de jouer au Monopoly avec les fonds publics. Ce qui est en jeu ici, ce n'est pas une partie de stratégie financière. Ce sont nos vies. Nos corps. Notre dignité.

Julie Bouchard
Présidente de la Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec—FIQ

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Notes sur une mobilisation anti-impérialiste planétaire : « Hands off Ethiopia »

29 avril, par Martin Gallié — , ,
Ce texte propose de revenir sur une mobilisation exceptionnelle dans l'histoire du mouvement ouvrier et de l'internationalisme, encore peu documentée en français : la campagne (…)

Ce texte propose de revenir sur une mobilisation exceptionnelle dans l'histoire du mouvement ouvrier et de l'internationalisme, encore peu documentée en français : la campagne menée en solidarité avec l'Éthiopie entre 1934 et 1936 contre l'invasion italienne, plus connue en anglais sous le nom de « Hands off Ethiopia ».

À travers ce bref retour historique, par un auteur qui n'a aucune compétence et aucune prétention d'historien, il s'agit de mettre en perspective certains débats qui traversent actuellement la gauche radicale concernant la solidarité armée avec l'Ukraine. L'objectif est notamment de tenter de faire ressortir certaines difficultés rencontrées à l'époque par les militant·es socialistes pour construire une solidarité internationale avec l'Éthiopie qui articule tout à la fois le soutien aux luttes de libération nationale et la lutte des classes ; le soutien à la lutte contre le fascisme et la lutte contre toute forme de colonialisme et d'impérialisme.

  • « Si Mussolini l'emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l'impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l'impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir ». Léon Trotsky, « Le conflit Italo-éthiopien », juillet 1935"

À l'heure où la gauche internationale se fracture sur la question du soutien militaire à apporter à la résistance ukrainienne afin qu'elle puisse, ou ne puisse pas, se défendre contre l'impérialisme Russe, nous proposons ici de faire un pas en arrière. Il s'agit de revenir sur une mobilisation internationale exceptionnelle contre une autre agression impérialiste : la campagne de solidarité avec l'Éthiopie entre 1934 et 1936 contre l'invasion italienne, plus connue en anglais sous le nom de « Hands off Ethiopia ».

Cette mobilisation reste étrangement peu documentée en français alors qu'il s'agit d'une des plus importantes mobilisation internationale de l'histoire ouvrière du XXe siècle [1]. Pendant plus d'une année, elle donne lieu à d'innombrables manifestations de solidarité à travers le monde mais également, ce qui est encore plus rare, à de très nombreuses actions pour bloquer les livraisons d'armes, voire même pour encourager un enrôlement militaire dans l'armée éthiopienne. Cette campagne est également exceptionnelle en ce qu'elle marque « un tournant dans l'organisation politique antiraciste et anticoloniale sur le continent africain et dans la diaspora » [2]. Des figures devenues incontournables du mouvement de lutte contre le colonialisme et le racisme, comme C. L. R. James, Tiémoko Garan Kouyaté, George Padmore, Amy Ashwood Garvey, se mobilisent et tissent des liens amenés à perdurer bien au-delà de la campagne. Enfin, une dernière particularité remarquable de cette mobilisation est qu'elle se construit à la base, comme « une sorte de globalisme par en bas » [3], c'est-à-dire en dehors – voire contre - les principaux partis politiques et les organisations syndicales internationales. C'est ainsi une mobilisation en réaction à l'hypocrisie et à la passivité des États et des organisations internationales, comme la Société des Nations mais également des organisations ouvrières qu'elles soient sociales-démocrates, comme la Seconde internationale ou la Fédération syndicale internationale (FSI) ou communistes, comme le Komintern et le Profintern. Bref, pour Joseph Fronczak, auteur d'une précieuse étude sur le sujet et sur laquelle nous nous appuyons ici, cette campagne est « l'un des tournants les plus critiques dans la formation d'une gauche mondiale au XXe siècle, avec des effets sur l'histoire internationale qui se sont poursuivis jusqu'à la Seconde Guerre mondiale et ont duré jusqu'à l'ère de la décolonisation de l'après-guerre » [4].

Et aujourd'hui encore, ce retour historique permet de mettre en perspective certains des débats qui divisent la gauche sur la solidarité à apporter à l'Ukraine : comment articuler soutien à la lutte de libération nationale et la lutte des classes ? Comment articuler lutte contre le fascisme et lutte contre le colonialisme et l'impérialisme [5] ? Comment construire une solidarité internationale avec un peuple envahi sans soutenir les impérialismes concurrents ?

Brève mise en contexte historique

Depuis le début des années 1930, l'Italie fasciste de Mussolini planifie politiquement et militairement d'envahir l'Éthiopie [6]. En décembre 1934, des affrontements à la frontière somalienne (« l'incident de Welwel ») lui fournissent un prétexte. Des négociations de mauvaise foi pendant toute la première partie de l'année 1935, lui donne le temps d'amasser des armes et d'envoyer en Érythrée, une colonie italienne, la plus grande armée coloniale jamais envoyée en Afrique, soit environ 500 000 hommes, en comptant des ouvriers, des responsables des communications, des médecins etc. Finalement, le 2 octobre 1935, elle envahit l'Éthiopie du dictateur Haïlé Sélassié 1er, dit le Négus. Addis-Abeba tombe le 5 mai 1936, date qui marque officiellement la fin de la guerre mais pas celle de la résistance éthiopienne qui ne cessera de harceler les forces italiennes jusqu'à prise de pouvoir par les britanniques en 1941. Les estimations varient beaucoup mais selon certains au moins 760 000 éthiopien·nes perdront la vie (dans un pays d'environ six millions d'habitant·es) - dont nombre empoisonné·es par du gaz moutarde, de faim, de maladie [7].

La guerre consacre l'impuissance de la Société des Nations à s'opposer aux ambitions impérialistes de l'Italie. Elle révèle également l'absence de volonté politique des principales puissances occidentales comme de l'URSS stalinienne à s'y opposer.

De fait, dans un premier temps, les États européens, la France et le Royaume-Uni en tête, espèrent éviter de pousser Mussolini « dans les bras de Hitler ». Ils ne feront donc rien dans les premier mois de l'année 1935 pour contrarier ses ambitions en Éthiopie. Au contraire, la France signe en janvier une entente de non-intervention avec l'Italie et le Royaume-Uni décrète un embargo sur les armes à destination de l'Éthiopie. Après le début de l'invasion, la France et, surtout le Royaume Uni, insistent et réussissent à imposer des sanctions via la SdN. Ils développent alors, selon Florence Oppen, « la propagande bourgeoise comme quoi ce conflit était une lutte des « démocraties » (Angleterre, France, USA) contre le « fascisme » (Italie) » [8] et ils présentent les sanctions économiques comme une alternative crédible au soutien armé à la résistance éthiopienne [9]. Ces sanctions ne ciblent pourtant pas l'essentiel à savoir le charbon, le pétrole et l'acier, qui restent alors de précieuses sources de revenus pour les britanniques et les français, et sans lesquelles Mussolini n'aurait pas pu mener à bien son projet colonial [10].

Les États-Unis de Roosevelt s'engagent quant à eux dans une politique dite de non-intervention, voire isolationniste. Le Département d'État étatsunien contraint même la Standard-Vacuum Oil co. à renoncer à un « contrat pétrolier » conclut pendant la guerre avec l'Empereur éthiopien dans une tentative désespérée de ce dernier d'impliquer les États-Unis dans le conflit [11]. Ce « deal », qui avait toute les apparences d'un racket, prévoyait la « location » de la moitié du territoire éthiopien à la compagnie pétrolière [12].

Enfin, pour les Soviétiques, derrière un discours de lutte contre « les fascismes » Italien et Éthiopien, il s'agit de ne pas se brouiller avec les Italiens dans l'espoir de contrer l'expansionnisme de l'Allemagne Nazie [13]. Par ailleurs, à la même époque, l'Union soviétique entretient d'importants échanges commerciaux avec l'Italie et continue de lui vendre, plus ou moins discrètement, des matières premières dont du pétrole. Bref, en mettant sur le même plan le fascisme italien et éthiopien, l'Union soviétique renonce à lutter contre le colonialisme et l'impérialisme italien et instrumentalise la lutte contre le fascisme à ses propres fins.

La lutte contre le fascisme et la marginalisation des luttes anti-impérialistes et anti-racistes

En effet, depuis les années 1924-1925 Staline et Boukharine considèrent que l'URSS est assiégée par les États bourgeois. Contre les thèses de Marx, Engels, Lénine et Trotsky notamment, ils défendent alors l'idée qu'il est possible de réaliser le « socialisme dans un seul pays ». Dans cette perspective, la priorité de la politique étrangère soviétique n'est plus d'encourager la révolution internationale mais de défendre la « patrie du prolétariat » contre les partis fascistes mais également contre la social-démocratie identifiée comme complice si ce n'est comme une variante du fascisme. Cette analyse sera théorisée lors sixième congrès de 1928 du Komintern, sous le nom de la stratégie dite « classe contre classe ». Concrètement, les partis communistes du monde entier doivent alors refuser toute alliance électorale, tout « front unique » avec la social-démocratie, désormais formellement qualifiée de sociale-fasciste ; y compris dans le cas de luttes contre le fascisme ou de décolonisation [14].

Finalement, après la prise de pouvoir par les nazis en 1933, Staline change progressivement de cap. L'Allemagne, et dans une moindre mesure l'Italie fasciste et le Japon impérial, sont désormais perçus comme les principales menaces militaires qui pèsent sur l'URSS. Le rapprochement entre l'Union soviétique et les démocraties occidentales (Royaume-Uni et France en particulier) est donc considéré comme le meilleur moyen de lutter contre les nazis.

Dans ce contexte, la critique des démocraties occidentales, et donc la critique de leur politique coloniale et impérialiste, est secondarisée, « mise en sourdine » [15]. La consigne est donnée aux partis communistes à travers le monde, via le Komintern, de centrer la lutte contre le fascisme et d'encourager les « fronts populaires » avec les sociaux-démocrates [16]. À partir de ce moment, souligne Tom Buchanan, seule une minorité de militant·es s'engage dans une lutte qui articule tout à la fois la lutte contre le fascisme et la lutte contre l'impérialisme. En fait, la majorité du mouvement ouvrier « se concentre sur la menace militaire et politique immédiate posée par l'Allemagne, l'Italie et le Japon plutôt que sur les iniquités de l'empire » [17].

À l'inverse, au même moment, les militants anticolonialistes, antiracistes et anti-impérialistes s'éloignent des instances staliniennes, du Komintern et du Profintern. Georges Padmore par exemple, qui avait activement participé à la Ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale et au Comité international des travailleurs noirs, deux organisations étroitement liées au parti communiste soviétique, quitte le Komintern en 1933. Pour l'organisation communiste G. Padmore accorde une place trop importante à la lutte contre le racisme et le colonialisme au détriment de la lutte des classes. À l'inverse G. Padmore accuse « le Komintern de modérer son anticolonialisme, afin de permettre à l'Union soviétique de rechercher des alliances anti-allemandes avec la Grande-Bretagne et la France » [18]. Dans le même sens, en 1933 également, Tiémoko Garan Kouyaté, l'un des fondateurs de la Ligue de Défense de la Race Nègre (LDRN) en France est exclu du parti communiste français, officiellement pour des questions de malversation mais officieusement pour avoir refusé de se plier à la stratégie du « classe contre classe » et pour avoir priorisé les luttes anticoloniales [19].

Un antifascisme impérialiste

En ce qui concerne le conflit Italo-éthiopien, cette ligne politique signifie, pour les partis communiste, d'occulter le caractère colonial et impérialiste de la conquête italienne et, à l'inverse, de mettre en exergue du caractère fasciste des régimes italiens mais également éthiopiens. Une politique qui permet alors, au nom de la lutte contre "les fascismes", de légitimer l'absence de soutien matériel à l'Éthiopie. À un point tel que de la fin de l'année 1934 jusqu'au mois d'août 1935, l'URSS comme le Komintern restent largement inactifs et développent un discours incohérent pour se justifier.

D'un côté ils affichent un timide soutien verbal à l'intégrité territoriale de l'Éthiopie et au « peuple éthiopien », par opposition à « l'Éthiopie fasciste ». Mais d'un autre côté, ils refusent d'accorder un quelconque soutien militaire au régime du Négus, qualifié de bourgeois et d'impérialiste au même titre que l'Italie. Les partis communistes et de nombreux partis de gauche européens suivent alors cette ligne et refusent de s'engager dans des campagnes de solidarité avec le Gouvernement éthiopien. À titre d'exemple, l'exécutif de l'International Labour Party anglais estime que « la différence entre les deux dictateurs rivaux et les intérêts qui les sous-tendent ne valent pas la perte d'une seule vie britannique », adoptant ainsi une posture de neutralité, pacifiste, contrairement à la position défendue par de nombreux membres du parti [20]. Les régimes italien et éthiopien sont donc renvoyés dos à dos, que ce soit au nom de la priorité donnée à la lutte contre le fascisme et à la défense de l'URSS ou du pacifisme.

Bref, le Komintern et les partis communistes notamment, occultent délibérément la dimension coloniale, raciste et impérialiste de la conquête de l'Éthiopie par l'Italie ce qui fait dire à Tom Buchanan que par bien des aspects l'anti-fascisme de l'époque est en fait impérialiste :

  • « to a surprising degree the anti-fascism of the later 1930s rested on imperial assumptions » [21].

L'absence de solidarité des partis communistes et la division du mouvement

Concrètement cette posture légitime l'absence de tout soutien à l'Éthiopie. L'URSS comme la plupart des partis communistes et des démocraties occidentales, n'apportent aucune aide, aucun soutien militaire au gouvernement éthiopien [22]. George Padmore, par exemple, dénoncera violemment la passivité et l'absence de soutien de l'URSS et des organisations communistes rappelant que « not one rouble was sent to Abyssinia, not one bandage, not one ton of wheat » [23]. Et il faut attendre la fin du mois d'août 1935, soit quelques semaines avant le déclenchement de la guerre et alors que la campagne « Hands off Ethiopia » est déjà à son sommet à travers le monde, pour que le Komintern prenne officiellement position. Il dénonce alors, toujours très timidement, l'Italie fasciste et accepte implicitement l'idée d'un front commun avec les organisations sociales-démocrates [24].

Concrètement toujours, cette politique centrée sur la dénonciation des fascismes italien et éthiopien, signifie que la campagne Hands off Ethiopia va se construire malgré ou contre les partis communistes. De fait, au nom de la priorité accordée à la lutte contre le « social-fascisme », ils s'opposent à la construction de liens de solidarité avec les organisations qui se mobilisent alors en défense de l'Éthiopie. À titre d'exemple, en France, le Parti communiste français et le Komintern s'opposent à des actions communes entre l'Union des travailleurs noirs - qui est alors plus ou moins contrôlée par le parti communiste - et la Ligue de défense de la race noire (LDRN), une organisation indépendantiste qui se mobilise alors activement contre la guerre [25].

Mais si le mouvement se construit malgré tout c'est que pour de nombreux militant·es soutenir l'Éthiopie, c'est défendre un projet politique d'émancipation plus large que l'antifascisme et la lutte des classes : c'est également celui de la lutte pour l'indépendance, contre le colonialisme, contre le racisme, contre l'impérialisme et pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le mouvement de solidarité se construit alors contre la réthorique soviétique, des partis communistes et leurs pratiques. C.L.R. James, militant trotskyste en Angleterre au sein de l'Independent Labour Party anglais (ILP), considère ainsi que la priorité accordée par les staliniens à la lutte antifasciste revient à donner la priorité aux intérêts des européens sur les intérêts des non-européens colonisés [26]. C'est notamment pour cette raison qu'il fonde en 1935, avec Amy Ashwood Garvey, l'International African Friends of Ethiopia (IAFE) et organise de nombreuses manifestations, en défense de la souveraineté éthiopienne [27].

Dans le même sens, la féministe britannique Sylvia Pankhurst déclare que l'antifascisme ignore les souffrances des victimes non blanches du fascisme. Pour elle, l'accent mis sur l'antifascisme contribue à masquer le caractère colonial et raciste de la conquête éthiopienne [28].

Enfin, tout une étude reste à faire sur le sujet, mais on relèvera que lorsque les partis communistes s'engagent finalement dans la campagne Hands Off Ethiopia, à l'automne 1935, ils continuent de s'attaquer aux groupes qui se sont constitués aux États-Unis autour de la question raciale et de la solidarité des afro-américains avec les Éthiopiens et qui dénoncent l'attitude hypocrite de l'URSS. À titre d'exemple on peut lire dans The Communist International l'organe officiel de propagande de la IIIe Internationale (Komintern) à l'automne 1935 :

  • "Les réactionnaires bourgeois nègres ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour brouiller les pistes, d'abord en en faisant une question de race, Nègres contre Italiens, en fermant les magasins italiens avec des escadrons volants, etc. (A New York et dans le New Jersey, il y a eu de petites émeutes entre Italiens et Nègres.Et, deuxièmement, en calomniant l'U.R.S.S. affirmant qu'elle soutien l'Italie (traduction deepl). [29]

Cette analyse est également développée par les dirigeants communistes aux États-Unis. "Not a Race War" écrit ainsi James W. Ford, un des représentants du Parti communiste étatsunien, lui-même noir :

  • Il y a cependant certaines sections du peuple noir qui considèrent les événements d'Ethiopie comme une guerre de tous les hommes noirs contre tous les hommes blancs, en d'autres termes une « guerre raciale ». C'est inexact ! La guerre d'Ethiopie est une guerre défensive nationale contre une attaque impérialiste de pillage et devrait et doit recevoir le soutien de toutes les forces antifascistes et anti-impérialistes. C'est sur cette base que peut se construire le front uni de tous les alliés du peuple éthiopien" (traduction deepl) . [30].

L'action de l'Internationale des gens de la mer et du Comité syndical international des travailleurs noirs

Si le Komintern et la plupart des partis communistes restent largement inactifs jusqu'à l'automne 1935, des travaux révèlent toutefois l'action de deux organisations communistes internationales, pourtant étroitement dépendantes du Komintern et qui ont malgré tout tenté de mobiliser leurs membres : l'Internationale des gens de la mer (ISH) et le Comité syndical international des Travailleurs noirs (ou International Trade Union Committee of Negro Workers - ITUCNW).

Au cours de l'année 1935, l'ISH - un syndicat international communiste de dockers - lance des appels au boycott des livraisons d'armes à l'Italie, à au moins deux reprises. La première campagne est lancée en mars 1935. Selon H. Weiss, elle échoue car l'ISH est alors largement dysfonctionnelle depuis la prise du pouvoir par les nazis et le déménagement en urgence de son siège à Amsterdam. Mais cet échec est également dû à la stratégie déployée. De fait, conformément à la stratégie définie par les instances soviétiques, l'ISH invite les dockers et les marins à défendre le « peuple abyssin » mais pas « l'Abyssinie », c'est-à-dire l'empereur et le système politique. Une telle position n'est clairement pas « inclusive », note H. Weiss, en ce sens qu'elle mine la construction de solidarité avec le gouvernement éthiopien d'une part et d'autre part avec ceux et celles attachés à la décolonisation et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Bref, le mot d'ordre ne convint pas grand monde.

En octobre 1935, après le VIIe congrès mondial du Komintern d'août 1935, le secrétariat de l'ISH lance un second appel au boycott international des navires italiens. Mais là encore l'appel est un échec. L'ISH refuse toujours d'appeler à la solidarité avec le Gouvernement éthiopien et l'International Transport Workers Federation (ITF) – le principal syndicat des gens de mer associé à la Seconde internationale quant à lui – refuse de s'associer avec des syndicats communistes [31].

Le Comité syndical international des travailleurs noir tente également très tôt de mobiliser et joue un rôle important grâce, notamment, à son journal The Negro Worker et à l'investissement de son dirigeant Otto Huiswoud. Celui-ci, qui a remplacé George Padmore à la tête de l'organisation, milite activement pour faire de la Ligue l'avant-garde de la campagne. C.L.R James, pourtant anti-stalinien et qui s'implique activement dans la campagne au Royaume Uni, soulignera le rôle joué par le mensuel The Negro Worker qui circule de port en port et diffuse les appels au boycott un peu partout dans le monde [32].

Mais l'action des communistes, d'Huiswoud et de la Ligue, comme celle de l'ISH restent limitées et ils peinent à mobiliser a contrecourant du Komintern.

L'hypocrisie soviétique mise à nue

De fait, c'est surtout la politique et l'hypocrisie éhontée de l'URSS qui mine les efforts déployés par les membres de l'Internationale des gens de la mer ou du Comité syndical international des travailleurs noirs en les plaçant clairement « en porte-à-faux » [33]. En effet en septembre 1935, le New York Times publie en première page un article révélant le soutien matériel apporté par l'URSS à l'Italie. Le journal expose alors la complicité du régime stalinien qui tout en condamnant formellement la campagne de Mussolini, poursuit des échanges très lucratifs avec l'Italie et soutient activement la colonisation éthiopienne [34].

Un mois plus tard, un article de George Padmore publié dans The Crisis, le journal fondé par W.E.B. du Bois et organe officiel de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) étatsunienne, donne le « coup de grâce » à l'action de Huiswoud et du Comité, en rapportant à son tour les échanges commerciaux de l'URSS avec l'Italie fasciste. Selon H. Weiss,

  • « La nouvelle fit le tour de l'Atlantique africain, ce qui eut pour conséquence que de nombreux militants noirs, sinon la plupart, rompirent avec les partis et les organisations communistes » [35].

Une tentative d'articulation entre soutien aux guerres de libération nationale et lutte contre les impérialistes

La rhétorique contradictoire de l'URSS et du Komintern qui tout en affirmant timidement leur soutien au « peuple éthiopien », refusent de s'engager concrètement et ne cessent de renvoyer dos à dos les régimes fascistes italien et éthiopien, n'échappent pas à Léon Trotsky. Celui-ci, dans un texte de juillet 1935, revient sur ce conflit « de la plus haute importance » et se dissocie alors clairement de cette position stalinienne. Il insiste alors pour soutenir l'Éthiopie au nom de la lutte contre l'anti-impérialisme :

  • « Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l'Italie et pour la victoire de l'Éthiopie, et nous devons donc faire tout notre possible pour empêcher, par tous les moyens en notre pouvoir, que d'autres puissances impérialistes soutiennent l'impérialisme italien et en même temps faciliter du mieux que nous pouvons la livraison d'armes, etc. à l'Éthiopie.
    Néanmoins nous devons faire valoir que cette lutte n'est pas dirigée contre le fascisme mais contre l'impérialisme. Quand c'est de guerre qu'il s'agit, il n'est pas question pour nous de savoir qui est « le meilleur » du Négus ou de Mussolini, mais d'un rapport de forces et du combat d'une nation sous-développée pour se défendre contre l'impérialisme »
    [36].

Plus tard, en avril 1936, Trotsky dénonce de nouveau les partis de gauche socialistes ou staliniens qui prônent le pacifisme, qui refusent de prendre parti en faveur de l'Éthiopie, au motif qu'il s'agit de deux dictateurs fascistes en conflit. Comme si l'Éthiopie sous-développée et l'Italie puissance coloniale pouvaient être mises sur un pied d'égalité ; comme si des dictateurs n'avaient jamais pu jouer un rôle progressiste dans l'histoire (il cite notamment Cromwell et Robespierre) ; comme si la victoire de Mussolini ou du Negus aurait les mêmes conséquences pour la classe ouvrière.

  • « Si Mussolini l'importe, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l'impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l'impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir » [37].

Trotsky qualifie alors ceux qui se contentent de parler de « querelles entre dictateurs », comme « un modèle exemplaire de l'impuissance spirituelle et morale du pacifisme » [38].

Dans le même temps cependant, il insiste sur l'importance et la nécessité pour la classe ouvrière de dénoncer l'hypocrisie et les pratiques de tous les impérialistes, y compris des soutiens affichés à l'Éthiopie. Il invite alors à soutenir un agenda d'actions distinct de celui des États de la SdN, à développer des « sanctions ouvrières » :

  • « La vérité́, c'est que si les ouvriers commencent à appliquer contre l'Italie leurs propres sanctions, leurs actions vont inévitablement atteindre leurs propres capitalistes et la S.D.N. sera alors contrainte d'abandonner toute sanction. Elle ne propose aujourd'hui de sanctions que parce que les voix des ouvriers ne s'élèvent dans aucun pays. L'action ouvrière ne peut commencer qu'en opposition absolue à la bourgeoisie nationale et à ses combinaisons internationales. Soutien de la S.D.N. et soutien des actions ouvrières sont comme l'eau et le feu : on ne les marie pas". [39].

Cette position sera notamment activement défendue aux États-Unis par les des militants trotskystes du Socialist Appeal, qui défendent alors la nécessité d'articuler un soutien actif à l'Éthiopie et une critique radicale de tous les impérialismes.

  • « Nous devons œuvrer pour un boycott de l'Italie, un boycott si efficace qu'il vaincra l'Italie. Mais nous devons également lutter contre toute implication dans une guerre au nom de « notre » gouvernement impérialiste (…) nous rejetons l'idée de boycotter à la fois l'Italie et l'Éthiopie » [40].

Une mobilisation ouvrière à l'échelle planétaire

Certes, la mobilisation ne part pas uniquement de la base. Il y a bien eu des appels internationaux à la solidarité avec l'Éthiopie provenant d'organisations ou de partis de gauche. Outre le soutien de certains organisations trotskystes, on a vu que les appels au boycott lancé par l'ISH ont eu une diffusion mondiale, notamment grâce à journal The Negro Worker. Mais ces appels, estime H. Weiss, sont le plus souvent des réactions à des actions déjà menées localement, par des syndicats, par les comités anti-guerres locaux ou des équipages, indépendants du Komintern.

Ainsi, à la différence de la campagne internationale « Hands off China » lancée contre le Japon suite à l'invasion de la Mandchourie en 1932 et qui avait été dirigée et menée par les organisations politiques et syndicales communistes, le Komintern et le Profintern en particulier, la campagne « Hands off Ethiopia » est surtout le fait d'organisations nationales, de terrain, syndicales, antiracistes, religieuses etc [41].

C'est donc un mouvement qui part de la base mais qui ne vient pas de nulle part. Il s'inscrit notamment dans la continuité d'autres grandes mobilisations internationales, comme celles pour les « Scottsboro boys », pour Angelo Herndon ou Sacco et Vanzetti [42], autant de campagnes populaires, qui « contrastent avec l'inertie et la division de la gauche institutionnelle durant ces années » selon Fronczak [43]. Toutefois, la mobilisation contre la guerre en Éthiopie marque un changement d'échelle [44]. À la différence de ces précédentes mobilisations, qui concernaient des enjeux nationaux et des individus, des « causes célèbres » pour reprendre la formule de Buchanan [45], il s'agit ici d'une mobilisation contre une guerre impérialiste, entre deux États, au cours de laquelle tout le répertoire d'actions militantes est mobilisé ; des plus classiques, comme les pétitions, sit-in, manifestations, aux plus radicales comme des effigies brulées, des grèves, des boycotts, des blocages, du vandalisme, des actes de sabotages, des mutineries.

De fait, ce mouvement donne lieu à d'innombrables mobilisations à travers le monde. T. Kouyaté et plus récemment J. Fronzcak ont identifié des dizaines de manifestations ou des actions en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Japon, au Brésil, en Égypte, en Tunisie, en Inde, en Guyane, dans les Caraïbes, en Afrique du Sud etc. Il s'agit parfois de petites actions directes. Ainsi, à Chicago le 22 juin 1935, une jeune femme blanche de 19 ans et une autre noire de 24 ans s'attachent avec des menottes au consulat italien de Chicago, vêtues de T-shirt avec les inscriptions, « Hands off Ethiopia », devant une trentaine de soutiens, communistes ou non, blancs, noirs, hommes et femmes [46]. Mais très souvent, il s'agit d'importantes manifestations, regroupant des milliers de personnes. À titre d'exemple, le 17 juillet à Johannesburg une importante manifestation est organisée, regroupant des blancs et des noirs contre le fascisme italien ; une effigie de Mussolini est brulée. Le 5 août, plus de 100 000 personnes manifestent à Harlem. À Paris, le 22 août 1935, Messali Hadj, figure de la lutte anticoloniale algérienne, se souvient d'un « gargantuan meeting », au cours de laquelle il prend la parole et appelle à la solidarité de tous les travailleurs, indépendamment de leur religion ou couleur de peau, contre le fascisme . De même, les britanniques se mobilisent massivement contre la guerre tandis que les socialistes de Rio de Janeiro organisent « a mammouth demonstration » . Et selon Fronzcak, « [n]ulle part dans le monde, le sentiment d'identification à l'Éthiopie n'a été aussi aigu que dans toute l'Afrique » . Il a notamment identifié des actions et des manifestations au Sierra Léone, au Nigéria, au Ghana, Kenya etc [47].

À noter enfin que cette campagne suscite parfois d'importantes confrontations, qui peuvent être très violentes. Ainsi une émeute éclate à Harlem en mars 1935 au cours de laquelle les manifestants dénoncent le fascisme italien. En août 1935, les rues de Jersey City sont, trois jours durant, le lieu de violentes confrontations entre fascistes et antifascistes d'origine italienne. En octobre, des jets de pierres sont jetée sur le consulat italien de Rio de Janeiro, du piquetage est organisé devant celui de New York ; le 3 octobre une violente bagarre éclate à Toulouse quand le bruit circule que des immigrés italiens souhaitaient répondre à l'appel à la mobilisation lancé par Mussolini etc [48].

Blocage des livraisons d'armes et appels à la mobilisation armée

Mais ce mouvement ne se limite pas à manifester son opposition à la guerre. D'innombrable actions de boycott, des grèves et même des mutineries se déploient pour empêcher les livraisons de matériel, militaire ou non, à l'Italie, ce qui est relativement exceptionnel dans l'histoire ouvrière. Et encore une fois, comme l'ont déjà relevé H. Weiss et J. Fonczak, si certains partis de gauche se sont parfois mobilisés pour mener de telles actions [49], la plupart d'entre elles sont réalisées plus ou moins spontanément par les organisations syndicales locales, des marins et des dockers, indépendamment des consignes des organisations syndicales internationales.

Et la liste des actions menées et recensées, notamment par H. Weiss, est impressionnante :

  • « L'équipage de cinq navires grecs lancent une grève pour protester contre l'envoi de matériel de guerre destiné aux troupes italiennes. Les travailleurs portuaires d'Alexandrie (Égypte), du Cap et de Durban (Afrique du Sud), de Bombay (Inde) et de Marseille (France) refusent de charger des navires italiens. Il semble qu'aucune de ces activités n'ait été coordonnée par le secrétariat de l'ISH, mais par des comités locaux et des activistes. Des grèves et des boycotts similaires ont été organisés aux États-Unis (San Pedro), au Royaume-Uni (Cardiff ; Londres), en France (Port Saint-Louis-Du-Rhône ; Marseille), en Belgique (Anvers), en Grèce (Le Pirée), en Égypte (Port Saïd), en Algérie (Bone) et en Afrique du Sud-Ouest / Namibie (baie de Lüderitz) » [50].

J. Fonczak rajoute de nombreuses autres actions comme des dockers qui refusent de charger un bateau italien à San-Francisco, à Marseille, (le SS Vildemetz), à Seattle (le SS Cellini) à Bône en Algérie ou à Port of Spain, à Trinidad et Tobago ; en mer noire, des marins grecs et roumains se mutinent à bord d'un tanker italien ; à Montréal, des pierres sont jetées sur un bateau avec des tracts invitant les marins à ne pas livrer d'armes à l'Italie etc [51].

Enfin, des militant·es ont également lancé des appels à s'engager militairement. Ainsi, « [à] Istanbul, les partisans de l'Éthiopie organisent une campagne d'enrôlement pour l'armée éthiopienne » [52]. Dans le même sens, suite à une réunion à Nairobi, les participants, demandent à la Grande-Bretagne de lever une armée noire en cas d'invasion italienne » tout en réclamant la fin de l'Empire britannique [53]. Enfin, C.L.R. James propose en 1935 de « former une brigade militaire composée de Britanniques noirs volontaires pour rejoindre la résistance éthiopienne contre les troupes italiennes », une initiative qui ne débouchera pas. C.L.R. James affirmera plus tard dans le journal de l'ILP, New Leader, avoir alors voulu s'enrôler comme volontaire dans l'armée éthiopienne :

  • « Mon espoir était d'entrer dans l'armée. Cela m'aurait donné l'occasion de prendre des contacts non seulement avec des abyssins et d'autres africains, mais à leurs côtés, j'aurais eu la meilleure opportunité́ de défendre le socialisme internationaliste » [54].

Si ces appels à s'enrôler dans l'armée éthiopienne ne débouchent pas, ils lancent toutefois une idée qui sera reprise l'année suivante, avec les Brigades internationales pendant la guerre civile espagnole. Par ailleurs, force est de constater que ce sont bien ces appels à la solidarité armée avec l'Éthiopie et à ne pas dissocier la lutte contre le fascisme, contre le colonialisme et contre les impérialismes – et non pas les mots d'ordre des partis communistes appelant à lutter exclusivement contre les fascismes – qui ont fortement contribué à mobiliser les travailleurs et les travailleuses un peu partout dans le monde, bien au-delà des milieux syndicaux communistes [55].

Remarques conclusives

Alors pour conclure, nous avons bien conscience que l'Italie et l'Éthiopie de 1935 ne sont pas la Russie et l'Ukraine de 2022 et qu'il est toujours très délicat de faire des analogies historiques. Toutefois, il nous semble difficile de ne pas faire un lien ici entre l'opposition des partis communistes d'hier à soutenir militairement l'Éthiopie colonisée et le refus de toute une partie de la gauche radicale d'aujourd'hui à soutenir militairement l'Ukraine envahie.

Dans le premier cas, cette opposition était justifiée au nom du pacifisme, de la stratégie dite de « classe contre classe » ou de la lutte contre le régime fasciste du Négus et de ses alliés. Dans le second cas, c'est toujours au nom du pacifisme, de la stratégie « classe contre classe » ou de la lutte contre le régime néo-libéral de Volodymyr Zelensky et de ses alliés que toute une partie de la gauche s'oppose à soutenir militairement l'Ukraine.

Dans les deux cas, les puissances impérialistes proposent des « deals » qui sont de véritables rackets. Dans les deux cas, les sanctions internationales ne ciblent pas les matières premières nécessaires à la conquête coloniale. Dans les deux cas, la lutte contre le fascisme est instrumentalisée à des fins de politiques nationalistes et chauvines et pour refuser de soutenir militairement un pays colonisé. Dans les deux cas, la lutte contre le colonialisme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes sont secondarisés au nom de la lutte des classes. Dans les deux cas, la volonté des premier·ères concerné·es, celle des travailleurs et des travailleuses, est passée sous silence et le principe de solidarité internationale, l'internationalisme, abandonné.

Martin Gallié


[1] Voir Holger Weiss, « Against Japanese and Italian Imperialism : The Anti-War Campaigns of Communist International Trade Union Organizations, 1931–1936 », Moving the Social 60 (2018) : 121-146 ; Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274 ; Arlena Buelli, « The Hands Off Ethiopia campaign, racial solidarities and intercolonial antifascism in South Asia (1935–36) », Journal of Global History 18.1 (2023) : 47-67 ; Clayton Vaughn-Roberson, « Grassroots Anti-Fascism : Ethiopia and the Transnational Origins of the National Negro Congress in Philadelphia, 1935–1936 », American Communist History 17.1 (2018) : 4-15 ; Tom Buchanan, « ‘The dark millions in the colonies are unavenged' : Anti-fascism and anti-imperialism in the 1930s », Contemporary European History 25.4 (2016) : 645-665 ; Sabine Dullin et Brigitte Studer, « Communisme+transnational. L'équation retrouvée de l'internationalisme au premier XXe siècle », Monde(s), 2016/2 (N° 10), p. 9-32 ; Florence Oppen, La seconde guerre italo-éthiopienne (1935-1936), 2022, https://aplutsoc.org/2024/02/27/la-seconde-guerre-italo-ethiopienne-1935-1936-et-la-politique-trotskyste-par-florence-oppen/

[2] Arlena Buelli, « The Hands Off Ethiopia campaign, racial solidarities and intercolonial antifascism in South Asia (1935–36) », Journal of Global History 18.1 (2023) : 47-67

[3] Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274, p.256 (“a sort of grassroots globalism »)

[4] Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274.

[5] Sur la distinction à l'époque, voir par exemple Michael Goebel, « Anticolonialism and Anti-Imperialism », The Interwar World. Routledge, 2023. 569-582.

[6] Pour l'historique nous nous sommes principalement appuyé sur : Holger Weiss, « Against Japanese and Italian Imperialism : The Anti-War Campaigns of Communist International Trade Union Organizations, 1931–1936 », Moving the Social 60 (2018) : 121-146 ; Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274

[9] Nicholas Mulder, The Economic Weapon : The Rise of Sanctions as a Tool of Modern War, Yale University Press, 2022. Les sanctions sont imposées le 18 novembre 1935 (embargo sur les armes et les importations, interdictions d'exportation de certains produits et création d'un fond de soutien et exclusions explicites du pétrole, de l'acier et du charbon)

[11] Joseph Fronczak, « Local People's Global Politics : A Transnational History of the Hands Off Ethiopia Movement of 1935 », Diplomatic History (2015/2), p. 245-274, p.262-263 ; voir aussi, “Haile Selassie gives a mighty concession”, New York Times, 1er septembre 1935, https://www.nytimes.com/1935/09/01/archives/haile-selassie-gives-a-mighty-concession-however-standard-oil-knows.html

[12] À noter qu'en mars 1945, une fois revenu au pouvoir, l'Empereur conclut de nouveau un accord avec Harry Ford (« Sinco ») Sinclair, 69 ans, le président de Sinclair Oil Corp. Selon le Time, ce dernier aurait « obtenu d'Hailé Sélassié une concession de 50 ans lui donnant des droits exclusifs sur tout le pétrole qu'il pourrait trouver sur les 350 000 miles carrés de l'Éthiopie… En échange de la concession, Sinclair a promis de consacrer une partie de ses bénéfices éthiopiens - s'il y en a - à la construction d'écoles, d'hôpitaux, de cliniques, d'installations sanitaires « et d'autres institutions publiques pour l'amélioration, l'éducation, la santé, la culture et la prospérité du peuple ». On ne peut s'empêcher ici de mentionner qu'environ 90 ans plus tard, en février 2025, le Gouvernement des États-Unis tente à son tour d'imposer à l'Ukraine un « deal » globalement homologue, l'acquisition de la moitié des ressources minières de l'Ukraine, mais cette fois-ci sans contrepartie. « Oil Sinco places a bet », Time, https://time.com/archive/6792001/oil-sinco-places-a-bet/ ; sur le « Deal » avec l'Ukraine ; « Trump vient-il de signer un traité inégal ? », Le Grand Continent, 27 février 2025, https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/27/trump-vient-il-de-faire-signer-a-lukraine-un-traite-inegal-le-texte-integral-de-laccord-etats-unis-ukraine-sur-les-mineraux-critiques/

[13] Holger Weiss, « Against Japanese and Italian Imperialism : The Anti-War Campaigns of Communist International Trade Union Organizations, 1931–1936 », Moving the Social 60 (2018) : 121-146, p.136

[14] « Front unique », Wikirouge, https://wikirouge.net/Front_unique

[15] Tom Buchanan, « ‘The dark millions in the colonies are unavenged' : Anti-fascism and anti-imperialism in the 1930s », Contemporary European History 25.4 (2016) : 645-665.

[16] « Front unique », Wikirouge, https://wikirouge.net/Front_unique

[17] Tom Buchanan, « ‘The dark millions in the colonies are unavenged' : Anti-fascism and anti-imperialism in the 1930s », Contemporary European History 25.4 (2016) : 645-665, p.665

[18] Théo Williams, « L'International African Service Bureau entre marxisme et panafricanism », 2021 https://www.contretemps.eu/read-offline/27196/international-african-service-bureau-marxisme-panafricanisme.print

[19] Tiémoko Garan Kouyaté, fiche Le Maitron, https://maitron.fr/spip.php?article173285

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Monde arabe : pour un regard lucide sur Israël

29 avril, par Yassine Al Haj Saleh — , , ,
Yassin al-Haj Saleh (né en 1961) est sans doute l'auteur politique progressiste et le dissident syrien le plus respecté de notre époque. Dans sa jeunesse, il a passé 16 ans, de (…)

Yassin al-Haj Saleh (né en 1961) est sans doute l'auteur politique progressiste et le dissident syrien le plus respecté de notre époque. Dans sa jeunesse, il a passé 16 ans, de 1980 à 1996, dans les prisons de la dictature syrienne d'Hafez al-Assad. À partir de 2011, il a accompagné, analysé et expliqué les sources du « printemps arabe » dans les médias arabes et occidentaux et est devenu une figure centrale de la résistance démocratique et de la défense des droits de l'homme en Syrie. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la révolution syrienne, la prison, la torture et la violence génocidaire du régime, notamment The Impossible Revolution : Making Sense of the Syrian Tragedy (Hurst, Londres, 2017).

Tiré d'À l'encontre.

Réfugié en Turquie en 2013, il est installé en Allemagne depuis 2017. Son épouse Samira al-Khalil, elle aussi militante de la révolution syrienne, a été enlevée par un groupe islamiste armé à Douma en décembre 2013 et n'est jamais réapparue. Dans cet article publié dans le magazine en ligne New Lines, le 4 octobre 2024, sous le titre « Seeing Israel Clearly Through Arab Eyes », il se propose de dissiper les impensés et les confusions qui empêchent les Arabes de porter un regard lucide sur Israël en distinguant analytiquement les trois dimensions de la réalité israélienne et en proposant de penser cette complexité historique pour mieux affronter le défi posé par le sionisme. (Marc Saint-Upéry)

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Le conflit avec Israël fait désormais partie de la conscience collective du monde arabe depuis plusieurs générations, mais la nature de l'État israélien et de ses fondements idéologiques ont rarement fait l'objet d'une réflexion sérieuse en dehors de certains cercles palestiniens. Dans certains pays voisins, comme la Syrie et le Liban, l'existence d'Israël a servi aux dirigeants locaux de prétexte pour justifier l'imposition de politiques injustes. Pour d'autres, plus éloignés, l'État juif est perçu de manière apolitique comme une entité maléfique et un objet de haine ou bien, à l'inverse, comme l'incarnation d'un destin inéluctable qui justifierait l'inaction, voire l'acquiescement.

La réalité est plus complexe. Depuis sa naissance, l'existence d'Israël a engendré un mélange de détresse psychologique, de difficultés politiques et de dilemmes intellectuels pour les peuples du monde arabe. Le défi israélien a fait beaucoup de victimes, et ses effets toxiques persisteront probablement pendant longtemps.

En dernière analyse, la question israélienne est une question arabe, et pour que le peuple arabe s'émancipe et surmonte son impuissance, les Arabes devront apprendre à rationaliser et clarifier leur perception de cette force redoutable qui, en tout état de cause, les considère comme un tout unifié. Pour comprendre Israël, il faut reconnaître qu'il s'agit d'un État qui présente aux mondes trois facettes principales : la dimension coloniale, la dimension juive et la dimension sacrificielle. Chacun de ces piliers sur lesquels repose l'État d'Israël mérite d'être analysé dans ses propres termes, ce afin d'amorcer le processus de connaissance de cette entité politique qui a remodelé le Moyen-Orient tout entier depuis des générations.

Une entité coloniale

Israël est avant tout une puissance coloniale. En tant qu'État, il est le prolongement de la vague colonialiste dont la plupart des pays arabes ont fait l'expérience au cours des XIXe et XXe siècles. Mais la forme de colonialisme qu'il incarne est tout à fait spécifique : il s'agit d'un colonialisme de peuplement, soit d'un projet politique que, parmi les autres nations arabes, seule l'Algérie a connu. Dans la littérature palestinienne, on voit parfois le terme « remplaçant » accolé à celui de « colon », pour mettre en exergue l'idée qu'il s'agit d'un processus de déracinement de la population indigène visant à la remplacer par des étrangers.

Le colonialisme de peuplement a souvent un fort potentiel génocidaire, comme en témoignent l'exemple historique des États-Unis, du Canada et de l'Australie. Ce potentiel génocidaire peut également se manifester à travers l'éradication du peuple visé en tant qu'entité politique, ou « politicide », terme auquel a recours le sociologue israélo-canadien Baruch Kimmerling dans un livre du même nom. Dans le cas d'Israël-Palestine, Kimmerling attribue toutefois la responsabilité de cette forme d'oblitération aux seules actions de l'ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon, considéré comme un faucon, plutôt qu'au projet colonial sioniste dans son ensemble [1].

Le politicide peut également se manifester sous la forme d'une combinaison de colonialisme de peuplement et de ségrégation raciale ou d'apartheid, comme le décrit Amnesty International dans un rapport publié début février 2022, ou encore l'intellectuel palestinien Azmi Bishara dans un article intitulé « Colonialisme de peuplement ou apartheid : faut-il choisir ? » [2]. Enfin, le politicide peut prendre la forme d'un génocide à grande échelle visant indistinctement civils et combattants non seulement par les armes, mais aussi en assiégeant la population, en l'affamant et en instaurant un contrôle strict ou un blocage de l'accès à l'aide humanitaire, comme l'a fait Israël avec les habitants de Gaza pendant la guerre en cours.

L'une des justifications idéologiques initiales du colonialisme de peuplement en Palestine était l'affirmation selon laquelle il s'agissait d'une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ». C'est ainsi que le sioniste britannique Israel Zangwill (1864-1926) le présentait à l'époque. Ce déni de l'existence du peuple palestinien est similaire à certains des discours utilisés pour justifier le nettoyage ethnique pendant les guerres yougoslaves des années 1990, et la négation de l'identité palestinienne a trouvé son illustration la plus exemplaire lors de la Nakba [3] en 1948, lorsque les trois quarts de la population palestinienne, soit environ 750 000 personnes, ont été expulsés en masse sous la menace de massacres et de diverses formes de violence.

Quant aux Palestiniens qui sont restés sur leurs terres, ils ont vécu sous régime militaire jusqu'en 1966. Pendant longtemps, ils ont été réduits à la condition de peuple vulnérable et opprimé, vivant dans ce que le philosophe italien Giorgio Agamben définit comme un « état d'exception », soit une situation dans laquelle les individus existent en dehors de la protection de la loi. La notion d'« homo sacer » développée par Agamben s'inspire d'un concept du droit romain désignant une personne qui ne peut faire l'objet d'un sacrifice rituel, mais qui peut être tuée en toute impunité, et s'appuie en outre sur l'expérience des détenus des camps de concentration nazis [4]. On peut également l'appliquer aux sujets de la domination coloniale qui, comme l'a montré Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme, sont gouvernés par des directives administratives plutôt que par des normes juridiques [5].

Arendt prenait comme exemple Lord Cromer, gouverneur britannique de l'Égypte pendant près de 30 ans, mais la situation des Palestiniens est bien pire que celle des Égyptiens sous Cromer. Ils sont traités comme des étrangers dans leur propre pays, des milliers d'entre eux – plus de 10 000 à ce jour – sont détenus dans des prisons israéliennes en vertu de décisions rendues par des tribunaux militaires, et Israël les soumet à une pression incessante pour qu'ils quittent le territoire. Cet état de violence légitimée n'a fait qu'empirer pendant la guerre actuelle à Gaza.

L'idée des origines coloniales de l'État israélien est renforcée par le fait qu'il a émergé à l'époque du mandat britannique sur la Palestine. Dans son ouvrage intitulé The Palestine Problem and the One-State/Two-States Solution [6], l'universitaire palestinien Raef Zreik explique que les principes constitutifs de ce mandat, établis pour la première fois lors de la conférence de San Remo en avril 1920 et officiellement adoptés par la Société des Nations en juillet 1922, intégraient la déclaration Balfour [7]. Le deuxième paragraphe du préambule du texte qui les résume fait explicitement référence à cette déclaration et à son adoption par les pays alliés. La forme « mandat » était l'expression spécifique du colonialisme européen dans certains pays du Levant, notamment en Syrie et au Liban, contrôlés par les Français. En ce sens, le mandat britannique a joué le rôle de « matrice » de l'entité israélienne, qu'il a nourrie pendant trois décennies. En 1938, le général britannique Orde Wingate déclarait : « Nous sommes ici pour créer l'armée sioniste [8]. »

Le projet colonial sioniste n'a pas vu le jour en Palestine ou au Moyen-Orient, mais en Europe, à la convergence de trois phénomènes européens : l'essor d'un nationalisme agressif, l'expansion de l'impérialisme européen et la propagation de l'antisémitisme, ou sentiment anti-juif, en tant que forme distincte de racisme. L'impérialisme, qui a permis à l'Europe de dominer une grande partie du monde, a créé les conditions nécessaires à la concrétisation du projet sioniste.

Dans son livre intitulé Comment la terre d'Israël fut inventée, l'historien israélien Shlomo Sand explique que Theodor Herzl, le père du sionisme, était un « colonialiste » qui estimait qu'en tant qu'elle était une projection du monde bourgeois civilisé, l'acquisition d'une patrie en dehors de l'Europe n'avait besoin d'aucune autre justification [9].

En deçà de toute discussion historique ou théorique, le peuple palestinien et les élites arabes ont vécu la création de l'État d'Israël comme une forme de violence coloniale imposée par les armes, violence qui persiste depuis le moment de son émergence jusqu'à nos jours. Cette perception subjective du colonialisme israélien est essentielle, car elle reflète la manière dont les personnes concernées appréhendent la présence continue d'Israël comme une attaque non provoquée contre leur existence même. En réponse à cette agression, diverses formes de résistance ont vu le jour. Dans les années 1960 et 1970, cette résistance reposait plus souvent sur des fondements progressistes qu'au cours des dernières décennies, mais elle a échoué en raison de la nature sui generis de l'ennemi auquel elle était confrontée – un ennemi bénéficiant d'un soutien militaire écrasant de la part de ses alliés occidentaux –, ainsi que du déclin depuis cette même époque des valeurs émancipatrices jadis au principe des politiques intérieures et de la diplomatie arabes.

On attribue au premier chef du gouvernement et père fondateur d'Israël David Ben Gourion la phrase suivante : « Ce qui ne peut être obtenu par la force peut être obtenu par plus de force encore. » Cette affirmation reflète une mentalité coloniale qui non seulement reconnaît le refus palestinien du projet israélien, mais anticipe aussi la vocation belliciste d'Israël et sa volonté durable d'imposer la soumission par la violence

Elle implique également quelque chose de plus important encore, à savoir l'idée d'une garantie continue de la supériorité de l'État juif en matière d'armement, fondement du principe de l'application de « plus de force encore ». Les paroles de Ben Gourion se sont révélées prophétiques à bien des égards. Depuis les années 1970, cette garantie de la supériorité militaire israélienne a pris la forme d'un engagement de Washington à maintenir la suprématie qualitative des armes israéliennes sur l'ensemble des pays arabes. Le fait que cet engagement n'ait plus été mis en avant dans le discours public étasunien ces dernières années ne signifie pas pour autant qu'il ait été abandonné. Bien au contraire, il a été sanctionné par le Congrès en 2008 sous la forme d'une loi a interdisant toute vente d'armes à un pays arabe qui serait susceptible de menacer « l'avantage militaire qualitatif » d'Israël. On peut en tirer la conclusion que ce n'est pas seulement Israël qui considère les Arabes comme un tout unifié, mais les États-Unis eux-mêmes.

Identité juive et racines bibliques

L'identité d'Israël ne se limite toutefois pas à son statut d'entité coloniale. Elle comporte deux autres aspects, qu'il serait grave d'ignorer. Le premier, et peut-être le plus évident, est son caractère juif. Israël se définit comme un État juif. Cette identité juive ne signifie pas nécessairement qu'il s'agit d'un État religieux, mais reflète l'existence d'un lien profond avec toute une histoire et une géographie bibliques sacrées centrées sur la Palestine, ou « Eretz Israël », et ayant Jérusalem en son cœur.

Le récit biblique reste une source fondamentale de légitimité pour de nombreux penseurs et critiques sionistes. Dans son livre Zionist Thought in the Labyrinth of Renewal and Regeneration, le chercheur palestinien Amal Jamal cite le journaliste et essayiste Uri Elitzur (1946-2014), qu'il décrit comme « l'un des représentants les plus éloquents de la pensée néo-sioniste », et qui affirme que « sans la Bible, nous [les Israéliens] ne sommes rien de plus qu'une colonie européenne au Moyen-Orient » [10].

Même si Israël avait à ses débuts un caractère laïc et vaguement socialiste, son histoire depuis la guerre de 1967 a été marquée par la montée des mouvements religieux et des partis de droite. Cette évolution s'est consolidée avec la victoire du Likoud aux élections de 1977, la première depuis la création de l'État. Israël est marqué par une contradiction politique inhérente entre sa dimension religieuse et ses fondements laïques, et cette contradiction se résout de plus en plus en faveur du côté religieux.

La composante juive joue un rôle important dans la définition de l'État d'Israël et constitue également l'un des piliers garantissant le soutien continu de l'Occident, un soutien qui va au-delà de sa nature coloniale ou de son rôle de « forteresse de l'Occident », comme le décrivait le chancelier allemand Konrad Adenauer. Il est révélateur qu'Adenauer ait tenu ces propos au lendemain de la guerre de 1956, lorsque Israël s'est joint au Royaume-Uni et à la France pour attaquer l'Égypte suite à la nationalisation du canal de Suez par Nasser. Mais le soutien à Israël ne disculpe en rien l'Occident de pratiquer une forme d'antisémitisme déguisé. Il est désormais plus facile de soutenir une entité politique juive dès lors qu'elle est établie au Moyen-Orient et non plus en Europe.

Dans son livre The Jew, the Arab : A History of the Enemy (Le Juif, l'Arabe : une histoire de l'ennemi), le chercheur franco-américain Gil Anidjar explique que les Européens ont toujours considéré les Juifs comme un ennemi théologique interne, tandis que les musulmans étaient considérés comme un ennemi politique externe [11]. Dans cette perspective, il devient utile que ces deux ennemis soient occupés à s'affronter mutuellement. Ce sentiment trouve un écho dans certains cercles de la droite antisémite en Europe et en Occident, qui, de nos jours, plutôt que de viser les Juifs, incitent à la haine contre les musulmans, les immigrés et les minorités. Le gouvernement du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou est aujourd'hui aligné avec ces groupes fascistes ou semi-fascistes dans une guerre religieuse et civilisationnelle contre les Arabes et les musulmans, reflétant la dérive réactionnaire du soutien occidental à Israël.

L'ombre de la Shoah

La troisième dimension fondamentale du caractère national israélien est liée à la Shoah, une catastrophe historique souvent perçue comme caractérisée par sa singularité absolue et qui s'est traduite par l'extermination de 6 millions de Juifs aux mains de l'Allemagne nazie. Après la chute du régime hitlérien en 1945 et l'occupation de l'Allemagne par l'Union soviétique, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, il ne restait plus personne pour défendre le nazisme. Tout au contraire, ses victimes, en particulier les Juifs, ont suscité une immense sympathie en raison de l'horreur de ce qu'elles avaient enduré et aussi parce que, contrairement aux Russes, aux Polonais, aux Ukrainiens, aux Biélorusses, aux Tchèques, aux Slovaques ou aux Français, elles ne disposaient pas d'un État ou d'une entité politique susceptible de les protéger.

Le sionisme, alors actif en Europe depuis plus d'un demi-siècle, a su capitaliser sur cette sympathie en présentant la Shoah comme la preuve de la nécessité d'un État juif, afin de garantir que de telles atrocités ne se reproduisent plus jamais. C'est l'essence même de l'expression « plus jamais », utilisée dans un sens excluant qui sous-entend qu'un tel événement ne doit plus jamais se reproduire au détriment des Juifs, oblitérant l'interprétation plus généreuse selon laquelle une telle tragédie ne devrait plus arriver à personne.

Cet aspect de l'identité israélienne l'enracine dans un sacrifice monumental, quelque chose de si profond qu'on pourrait en faire le fondement d'une religion – ce qui est d'une certaine manière le cas. La Shoah est bien devenue une sorte de religion, non seulement en Israël, qui a réussi à s'approprier politiquement et moralement de cet événement extraordinairement tragique, mais aussi dans l'ensemble de l'Occident. Cette dimension sacrale est encore renforcée par le fait que les victimes étaient membres d'un groupe religieux et que, du fait du sentiment de culpabilité et de repentance suscité par la Shoah, les Juifs furent dès lors considérés comme des co-fondateurs de la civilisation occidentale.

Dans cette nouvelle « religion », les Juifs exterminés ont en quelque sorte remplacé le Christ crucifié, occupant désormais la place symbolique du « Fils de Dieu ». Comme l'écrivait Charlotte Delbo, survivante de la Shoah, « vous qui avez pleuré deux mille ans / un qui a agonisé trois jours et trois nuits / quelles larmes aurez-vous / pour ceux qui ont agonisé / beaucoup plus de trois cents nuits et beaucoup plus de trois cents journées / combien / pleurerez-vous / ceux-là qui ont agonisé tant d'agonies / et ils étaient innombrables » [12].

Dans ce poème, Delbo fait bien sûr référence aux horribles souffrances infligées aux Juifs par les nazis. Il s'agit d'une immense tragédie qui mérite d'être mieux reconnue et méditée dans le monde arabe, surtout dans le contexte de la description et de l'analyse des souffrances vécues dans notre propre région, y compris en Palestine.

Penser le problème dans sa complexité

Les échecs répétés des confrontations arabes avec Israël, et le succès durable du projet sioniste, nous obligent à remettre en question notre compréhension de ce projet, qui a dévasté l'existence de générations entières, affectant plusieurs dizaines de millions d'Arabes, soit bien plus que la population juive mondiale, estimée à environ 15 à 16 millions de personnes.

Le dramaturge syrien Saadallah Wannous, aujourd'hui décédé, déclarait dans un documentaire réalisé par le regretté Omar Amiralay qu'Israël lui avait « volé sa vie », un sentiment né de l'humiliation et de la perte de dignité qui ont empoisonné son existence entre 1941 et 1997 [13]. Après la visite du président égyptien Anouar el-Sadate à Jérusalem en 1977, Wannous avait tenté de mettre fin à sa vie. Bien qu'il ait finalement survécu, il a alors choisi une forme de suicide symbolique en restant silencieux pendant des années. De tels exemples sont plus fréquents qu'on ne pourrait le croire dans le monde arabe, même s'ils ne prennent pas toujours des formes aussi dramatiques. Yassin al-Hafez, un intellectuel syrien décédé en 1978 à l'âge de 48 ans, a lui-même expliqué qu'il avait envisagé le suicide après la défaite de 1967, mais qu'il en avait été dissuadé par « un reste de confiance métaphysique dans les capacités du peuple arabe ». Le poète libanais Khalil Hawi (1919-1982) s'est suicidé lors de l'occupation de Beyrouth par Israël pendant l'été 1982. Tous ces exemples, qui ne représentent que la partie émergée de l'iceberg, montrent bien que nous avons des raisons non seulement politiques, militaires, juridiques et morales, mais aussi psychologiques, de considérer l'existence d'Israël comme une question cruciale qui exige une réponse.

La création de l'État israélien a engendré un problème chronique pour les peuples du monde arabe. Il s'agit d'une question qui pousse des intellectuels au suicide, qui répand un sentiment d'humiliation chez des millions de personnes, qui empoisonne l'existence d'une multitude d'êtres humains et qui se traduit périodiquement par des explosions d'hostilité et de haine ; au cours des deux dernières générations, elle a alimenté des conflits nihilistes entre les Arabes eux-mêmes.

Pour affronter avec succès cette question à l'avenir, il est nécessaire de mener une réflexion approfondie, d'exercer notre jugement politique et d'offrir une vision. Tout à la foi défi spirituel, épreuve de la volonté et dilemme intellectuel, elle exige de notre part un effort sérieux de compréhension pour dépasser l'impuissance. Nous ne deviendrons des acteurs historiques efficaces que si nous transformons nos sentiments confus en un programme susceptible d'être mis en œuvre concrètement.

Une des manifestations les plus patentes de l'incapacité à établir une ligne de conduite efficace est sans doute l'idéologie dite de la « mumanaa », qui signifie en gros « empêcher l'ennemi de parvenir à une domination totale ». Au Moyen-Orient, cette prétention d'intransigeance a en fait toujours été associée à la dictature, à la corruption et au sectarisme. À l'inverse, et avec des effets tout aussi autodestructeurs, on a l'« anti-mumanaa », une position qui accepte les exigences radicales d'Israël sous couvert de modération.

Alors que la mumanaa se traduit par la perpétuation de la lutte pour le contrôle politique, l'anti-mumanaa est incarnée par de groupes qui collaborent avec Israël ou acceptent sans réserve son comportement agressif, suprémaciste et raciste. Mais comme le dit un proverbe levantin, « peu importe ce que nous leur cédons, ils ne sont jamais satisfaits ». Les résultats des accords d'Oslo au cours des trente dernières années en sont la preuve flagrante.

Il est déconcertant de constater que certains pays acceptent un déséquilibre de pouvoir aussi flagrant en faveur d'un État de la région, d'autant que cet État s'est fondé sur le nettoyage ethnique et refuse d'accorder la moindre portion de justice à ses victimes ou de traiter ses voisins sur un pied d'égalité. Avant la Seconde Guerre mondiale, les nations européennes ont souvent été en guerre pendant un siècle et demi sous prétexte de corriger des déséquilibres de pouvoir. Pourquoi les Arabes devraient-ils penser et agir autrement ?

Ceux qui prônent la normalisation avec Israël font preuve de myopie politique s'ils estiment possible d'intégrer l'État juif dans des relations « normales » avec le reste de la région. Israël n'est pas un État « normal » et ne se considère pas comme une entité politique comme les autres – susceptible d'être critiquée, d'être boycottée, de se heurter à des résistances et des condamnations, de conclure des traités et des accords de paix ou de gagner la confiance de ses voisins. Car Israël n'accepte pas ses voisins arabes comme des égaux.

Prendre en compte les trois dimensions de l'État israélien peut nous aider à proposer de nouvelles manières de répondre au défi qu'il pose au monde arabe. En ce qui concerne sa dimension juive, il est important de reconnaître que la présence juive en Palestine et dans le monde arabe ne posait pas problème avant l'essor du sionisme.

La présence des Juifs dans le monde arabe doit être reconnue et saluée. Cela inclut non seulement les Juifs arabes – ceux qui vivaient dans les pays arabes et parlaient notre langue –, mais aussi les Juifs originaires d'autres régions du monde. Le Moyen-Orient, berceau des religions abrahamiques, s'est arabisé à partir de l'expansion de l'islam, mais n'a jamais cessé d'accueillir une certaine diversité religieuse. Cette diversité a décliné au cours des deux derniers siècles sous l'influence de l'Occident moderne et, plus encore, sous l'effet de l'émergence du sionisme et de la création d'Israël.

En outre, au lieu d'embrasser la diversité, les infrastructures intellectuelles et politiques du monde arabe moderne, qu'elles soient nationalistes ou islamiques, ont souvent rejeté les éléments faussement perçus comme étrangers à leurs sociétés. L'ouverture à la présence juive ne menace pas plus le caractère arabe de la région que la présence de musulmans en Europe ne menace l'existence de ces pays, malgré ce que prétendent les fascistes et la droite en Occident.

En ce qui concerne la Shoah et son aspect sacrificiel, on aurait pu soutenir un droit à l'existence de l'État d'Israël dans un pays européen comme l'Allemagne, voire la Pologne ou la République tchèque. Mais c'est sur les épaules des Palestiniens et des Arabes qu'on a injustement jeté tout le poids de l'immense sacrifice de la Shoah, et à qui on exige de le respecter.

Pour ce qui est de la dimension coloniale d'Israël, qui a entraîné le déplacement des trois quarts de la population palestinienne à travers diverses formes de massacre et d'intimidation – une situation qui persiste et s'aggrave depuis plus de 76 ans –, l'État israélien tel qu'il est actuellement constitué n'a aucun droit légitime d'exister, au sens où aucune forme de colonialisme ou d'apartheid n'a le droit d'exister.

Nous devons cependant reconnaître qu'Israël, tel qu'il existe, est une combinaison de ces trois dimensions. Son identité juive lui confère une profondeur historique mythique et s'appuie sur l'idée d'une « mission éternelle » liée à la terre. Sa dimension sacrificielle lui confère une aura de justice et de légitimité, quels que soient les actes qu'il commet. Et sa dimension coloniale lui confère un potentiel génocidaire, capable de prendre pour cible tous les Arabes et pas seulement les Palestiniens.

Cet Israël-là, selon Shlomo Sand, comprend à la fois « une société, une culture et un peuple » qui n'existent que depuis trois générations. Mais nombre de ses habitants juifs ne connaissent pas d'autre patrie.

Existe-t-il un moyen de conceptualiser la question israélienne qui soit susceptible de nous conduire un jour à une solution globale de cet immense problème ? L'intellectuel palestinien Edward Said a toujours rejeté l'idée de déplacer telle ou telle population de ce qui constitue aujourd'hui – et constituait déjà à son époque – la terre d'Israël et de Palestine ; mais il prônait avec fermeté l'élimination de la dimension coloniale et raciste d'Israël.

Comprendre la question israélienne dans cette perspective ouvre la voie à des solutions complexes capables de prendre en compte ces trois dimensions à la fois. On peut par exemple insister sur le respect du droit international en ce qui concerne le retrait d'Israël des territoires occupés en 1967 et sur le retour des réfugiés palestiniens, ou bien sur une indemnisation équitable s'inspirant des réparations versées par l'Allemagne à Israël. Cette approche pourrait constituer la pierre angulaire d'une solution à la dimension coloniale.

Les chances de succès sont susceptibles d'augmenter si l'on déploie parallèlement des efforts pour traiter les deux autres dimensions : favoriser l'ouverture à la présence juive en Palestine et dans le monde arabe, notamment en restituant les biens des Juifs arabes désirant retourner dans leurs foyers, ce en échange d'une compensation similaire pour les Palestiniens. Il convient en outre de mettre davantage l'accent sur la Shoah en tant que modèle de génocide et expression emblématique de la capacité humaine à commettre le mal. On pourrait par exemple stimuler la traduction en arabe d'ouvrages clés sur la Shoah, ainsi que l'organisation de conférences et de séminaires sur cet événement et sur d'autres génocides dans le monde, dans le but de favoriser une meilleure compréhension. Une telle approche ne serait pas une concession à Israël, au sionisme ou même au peuple juif, mais plutôt une occasion pour les Arabes de participer à la défense des opprimés dans le monde entier.

Victimes d'une des plus grandes injustices de l'époque moderne, commise à leurs dépens sans qu'ils y soient pour rien, les Arabes ont vécu une profonde crise émotionnelle en voyant les opprimés d'hier devenir les oppresseurs d'aujourd'hui, bardés d'arrogance et de justifications fallacieuses, soutenus par les nations les plus puissantes du monde. En abordant de front la question israélienne, on ferait un premier un pas vers la résolution de cette crise existentielle et la réparation des blessures profondes engendrées par plus d'un siècle de confrontation fatidique entre le sionisme et le monde arabe.

La question israélienne comme question arabe

En ce sens, la question israélienne est devenue une question arabe, un enjeu et un défi pour les Arabes. Il est peu probable qu'ils parviennent à une véritable liberté s'ils ne font pas de progrès dans ce domaine.

Dire que la question israélienne est une question arabe signifie que ces possibles progrès sont liés à la solution d'autres problèmes que les Arabes ont créés pour eux-mêmes et pour le reste du monde. Cela mérite un débat à part, mais il nous suffira de dire que les Arabes sont aujourd'hui parmi les peuples les moins libres du monde en raison de leur lutte contre une triple tyrannie. Le premier aspect de cette tyrannie est le fait que tous les régimes arabes, sans exception, pratiquent le politicide. Le deuxième aspect est la présence coloniale, occidentale et non occidentale, dont Israël est l'expression la plus manifeste, mais en aucun cas la seule. Enfin, il faut signaler l'essor d'un fondamentalisme religieux nihiliste à tendance fascisante.

Cette exigence de comprendre la question israélienne est un appel à la raison, à l'action politique et à la générosité. C'est aussi une exhortation à faire revivre les traditions pluralistes et œcuméniques qui prospéraient jadis dans le monde arabe et islamique avant la période coloniale et l'émergence des États-nations modernes.

On a injustement imposé aux Palestiniens et aux Arabes la tâche de résoudre la question juive, qui est un problème européen. Les Arabes n'ont joué aucun rôle dans la Shoah, sauf dans l'esprit d'individus comme Netanyahou. Son affirmation selon laquelle Hitler aurait été inspiré par le mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, a suscité les protestations de nombreuses personnalités juives et allemandes, avant même celles des Arabes.

Les Arabes n'ont joué aucun rôle non plus dans le développement historique de la diaspora juive. Ils ont pris la Palestine aux Byzantins, et non à une entité juive. Pendant les six siècles qui ont précédé la conquête arabe, les Juifs n'ont eu aucune présence politique constituée dans la région, et à aucun moment les Arabes n'ont chassé les Juifs de Palestine ou des terres voisines. Quant au colonialisme européen, les Palestiniens et les Arabes en sont les victimes au même titre que les Africains, les Indiens et d'autres peuples, tandis qu'Israël a bénéficié de ce même colonialisme avant et après sa création. La responsabilité de cette injustice historique revient à l'alliance occidentale-sioniste. L'Allemagne a versé des réparations à Israël pour les crimes nazis commis contre les Juifs, mais ni l'Allemagne ni aucune autre entité occidentale ou internationale n'ont versé de compensation aux Palestiniens pour le vol de leur patrie ou l'injustice coloniale qu'ils ont subie.

Pourtant, si nous réfléchissons à la question, nous arriverons probablement à la conclusion que ce qui nous empêche de développer une compréhension nuancée de la question israélienne, ce n'est pas du côté israélien qu'il faut le chercher, mais du côté arabe. Quelle est la subjectivité arabe qui tente de formuler une vision et une politique à l'égard d'Israël ? Cette subjectivité est-elle capable de se remettre en question et de réfléchir en termes historiques ? À l'heure actuelle, aucune entité arabe n'en semble capable. Cette incapacité maintient la perception de la question israélienne dans un cadre arbitraire, infra-politique et infra-historique.

Une affaire de longue haleine

Dans quel délai sera-t-il possible de résoudre la question israélienne ? Car si l'on parle d'une « question », cela implique de discuter d'une solution, et la recherche d'une solution implique une certaine maîtrise de la réalité représentée par cette question – une maîtrise qui requiert que l'on passe d'un statut de sujet passif à celui de sujet actif.

De par sa nature, il s'agit d'une question à long terme. On ne parle pas ici de quelques années, mais de décennies et de générations entières. Le concept de « question juive » circulait déjà lorsque Marx rédigeait un texte portant ce titre en 1843. Au cours du siècle qui s'est écoulé entre la publication de ce texte et la création d'Israël, on a assisté à l'essor d'un antisémitisme qui s'enracinait dans le nationalisme plutôt que dans ses fondements chrétiens traditionnels. Après quoi sont advenues l'émergence du nazisme et la Shoah, tentative nazie d'apporter une « solution finale » à la question juive. À bien des égards, Israël est la solution finale de cette solution finale : un accord conclu après la Seconde Guerre mondiale et le génocide entre les élites ashkénazes influentes en Occident, le « Yishouv » (les immigrants juifs en Palestine) et les puissances coloniales occidentales.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on a vu aussi émerger une « question d'Orient » lorsque l'Empire ottoman a commencé à être qualifié d'« homme malade de l'Europe », selon l'expression du tsar Nicolas Ier de Russie. Dès le départ, cette soi-disant question d'Orient a été en fait une préoccupation occidentale, comme l'observera plus tard Arnold Toynbee. Elle a été « résolue » à la fin de la Première Guerre mondiale par l'effondrement et le démembrement de l'Empire ottoman. Mais du point de vue des populations les plus directement concernées, en particulier les Arabes, la « question » a été modifiée, mais pas résolue. Tant sur le plan intellectuel que sur le plan politique, elle n'a d'ailleurs jamais été correctement comprise ni traitée par les parties concernées. La question d'Orient est donc devenue une question arabe rendue encore plus problématique par la question israélienne. La fragmentation que nous observons aujourd'hui au sein du monde arabe est le résultat de l'incapacité à résoudre ces deux questions. Elle exprime aussi l'effondrement ou la désintégration d'une subjectivité capable de les résoudre, voire tout simplement de les comprendre pleinement. Essayer de conceptualiser la question israélienne revient en fait à s'efforcer de résister à cette désintégration.

Certes, discuter d'un horizon temporel s'étendant sur plusieurs décennies ou plusieurs générations sera perçu par d'aucuns comme profondément insatisfaisant. Il y aura toujours des critiques pour s'empresser d'accuser les partisans d'une telle approche de prôner la capitulation, la normalisation ou pire encore. Mais c'est justement la crainte de telles accusations qui a contribué à notre situation actuelle et à sa dynamique autodestructrice et catastrophique. Face aux porte-parole de la mumanaa et à ceux de l'anti-mumanaa, face à ceux qui sont prêts à se battre pour qu'on leur accorde quelques miettes, des voix doivent s'élever parmi nous pour exprimer leurs convictions sans crainte ni autocensure. Problématiser Israël comme un triple défi s'enracinant dans une longue histoire constituera un premier pas dans cette direction. (Traduction par Marc Saint-Upéry)

Notes

[1] Baruch Kimmerling, Politicide : Sharon's War Against the Palestinians, Verso, Londres, 2003.

[2] Azmi Bishara, « Settler Colonialism or Apartheid : Do We Have to Choose ? », Omran, vol. 10, n° 38, automne 1981, https://omran.dohainstitute.org/en/038/pages/art02.aspx.

[3] Littéralement, la « catastrophe », en arabe.

[4] Giorgio Agamben, Homo Sacer : le pouvoir souverain et la vie nue, Seuil, Paris, 1997.

[5] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme : Tome 2, L'Impérialisme, Seuil, Paris, 2006.

[6] Raef Zreik, The Palestine Problem and the One-State/Two-States Solution, Institute for Palestine Studies, Beyrouth, 2014.

[7] La Déclaration Balfour est une lettre ouverte datée du 2 novembre 1917 et signée par Arthur Balfour, secrétaire d'État britannique aux Affaires étrangères dans le gouvernement de David Lloyd George. Elle était adressée à Lionel Walter Rothschild (1868-1937), personnalité de la communauté juive britannique et financier du mouvement sioniste, afin d'être communiquée à l'Organisation sioniste mondiale, fondée par le père du sionisme Theodor Herzl. Le Royaume-Uni s'y déclarait en faveur de l'établissement en Palestine d'« un foyer national pour le peuple juif ».

[8] Cité in Ari Shavit, My Promised Land : The Triumph and Tragedy of Israel, Random House, New York, 2013. Orde Charles Wingate (1903-1944) était un officier supérieur britannique affecté en Palestine en 1936. Sympathisant affiché du sionisme, il promeut en 1938 la création de commandos juifs conduits par des officiers britanniques expérimentés, les Special Night Squads (escadrons de nuit spéciaux) pour combattre les insurgés arabes et mener des opérations punitives contre les villages ayant aidé ou hébergé des saboteurs palestiniens. Considéré comme un héros par les sionistes, Wingate était particulièrement apprécié par Moshe Dayan, qu'il avait entraîné et qui déclarait avoir tout appris de lui.

[9] Shlomo Sand, Comment la terre d'Israël fut inventée, Flammarion, Paris, 2012.

[10] Amal Jamal, Zionist Thought in the Labyrinth of Renewal and Regeneration : The Dialectic of Internal Contradictions and their Practical Ramifications, Institute for Palestine Studies, Beyrouth, 2016.

[11] Gil Anidjar, The Jew, the Arab : A History of the Enemy, Stanford University Press, Redwood City (CA), 2003.

[12] Charlotte Delbo, Auschwitz et après, 4 tomes, Minuit, Paris, 2018-2025.

[13] Omar Amiralay, There Are So Many Things Still to Say, ARTE France/Grains de Sable, 1997.

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L’IA arrive dans les soins à domicile au Québec

29 avril, par Emma Soares — , ,
La privatisation des services sociaux dans le monde pose des défis considérables pour les équipes sur le terrain. L'intégration de méthodes axées sur la productivité et le (…)

La privatisation des services sociaux dans le monde pose des défis considérables pour les équipes sur le terrain. L'intégration de méthodes axées sur la productivité et le rendement est souvent inadaptée à la réalité que traverse le personnel. L'intelligence artificielle est perçue comme un poids qui renforce les tensions entre l'État, les professionnel.les et les patient.es. Rencontre avec Eugénie Loslier, responsable de la mobilisation, communication et négociation à la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ).

Tiré de la page web du Journal des Alternatives

Par Emma Soares -23 avril 2025

Crédit photo : Jernej Furman

L'Organisation Internationale du travail (OIT) a publié aujourd'hui unrapportsur les risques encourus par ces nouvelles technologies dans le secteur du travail. Ils identifient déjà des dangers liés à ce nouveau partenariat humain-robot, où les défaillances et imprévisibilité des systèmes amènent des obstacles sur le chemin de l'automatisation.

À travers le monde, les syndicats et associations s'opposent à ces logiciels, inquiets des risques de dégradation de la qualité des soins et des conditions de travail, qui pousseraient les personnes soignantes vers la sortie. L'incorporation de nouvelles technologies tel que l'IA dans les services de soins à domicile est un enjeu croissant.

Au Québec, l'application canadienne Alayacare, diffusée à travers le monde a été introduite, il y a plus d'un an, dans les soins à domicile du nord de l'île de Montréal et l'adaptation du personnel se montre difficile. Eugénie Loslier, représentante de 4000 soignant.es de ce secteur, nous éclaire sur les défis que cette nouvelle application impose au personnel à domicile.

Une surveillance accrue du travail de soins à domicile

L'application d'intelligence artificielle, Alayacare est un système de gestion de soins intégré dans les cellulaires des professionnel.les qui répertorie toutes les données essentielles à leur travail : les dossiers de patient.es, les calendriers de travail et les notes de visite.

Depuis son intégration comme projet pilote dans les services à domicile, de graves enjeux techniques et éthiques ont été soulevés par le personnel qui l'utilise. Elle implique une standardisation des soins, les soignant.es sur le terrain se voient imposés des temps stricts pour chaque visite et tâche comprise. Toutes les données récoltées par Alayacare sont mises à disposition des responsables qui peuvent scruter la localisation du personnel, mais aussi leurs performances en temps réel. Une surveillance accrue qui impacte significativement le climat de travail.

Eugénie Losllier nous explique qu'au quotidien, le travail du personnel soignant et des auxiliaires à domicile est lourdement affecté par l'imposition de ce nouvel outil. En standardisant leurs services, on leur impose un calendrier effréné où chaque minute compte et le temps manque souvent pour délivrer des soins et un accompagnement humain de qualité.

En arrivant au domicile de leur patient.e, la personne soignante évalue souvent un besoin supérieur à celui indiqué sur l'application, ce qui nécessite plus de temps pour allouer ces soins. Travailler à domicile, au plus près de la population est essentiel pour le personnel soignant, qui peut tenir compte de la globalité des besoins en évaluant la condition de vie et le soutien social pour mettre en place des soins adaptés.

Cette standardisation bloque les évaluations au cas par cas et nuit à la mission préventive des services. La FIQ a enquêté en récoltant des témoignages provenant de cinq équipes du secteur du nord de l'île, afin de cerner les enjeux et défis qu'englobent ces nouveaux outils dans leur profession. En collectant ces données directement sur le terrain et à partir de sondages et de consultations, les inquiétudes de base se confirment.

Des impacts marquants sur la qualité des soins

L'application comporte des problèmes techniques préoccupant, le personnel soignant est régulièrement déconnecté et perd accès aux données indispensables à l'exécution de leur travail. Certains membres du personnel sont contraints de sortir du domicile de leur patient pour tenter de se reconnecter sur le trottoir. En plus de perdre accès aux données, des dossiers de patients sont fusionnés, des formulaires perdus… la liste est longue. Les soignants subissent le coût de ses erreurs techniques au quotidien, ralentissant leur productivité et impactant leurs conditions de travail.

Un des principaux enjeux des soins à domicile est d'établir une approche humaine et un lien de confiance avec les patients. En utilisant Alayacare, la productivité et le rendement attendu du personnel est visiblement augmenté. Le corps soignant est imposé des temps réduits et prédéterminés pour chaque soin dans le but d'augmenter le nombre de visite sur leur route.

Les équipes doivent désormais couvrir 12 à 16 personnes dans leur journée de travail, soit 7,5 heures au cours desquelles elles doivent aussi prendre leur pose, manger et rédiger leurs notes. Une surcharge conséquente qui alourdis gravement leur charge de travail et pose des risques psychologiques non négligeables. L'inadaptation d'Alayacare sur le terrain dégrade le lien thérapeutique entre patient.e et soignant.e, leur route surchargée les empêche d'avoir le temps de construire adéquatement et progressivement ce lien.

Parmi les professionnel.les interrogés par la FIQ, sept sur dix affirment qu'Alayacare impacte la qualité des soins délivrés. Les objectifs d'efficacité et de sécurité qui ont poussé la direction et le gouvernement à implanter Alayacare dans les services de soins à domicile ne sont pas atteints. Les retombées négatives de son utilisation pèsent lourds sur les professionnels de santé.

Le personnel espère que les nouvelles technologies aident leur profession et améliore la gestion des soins, mais les outils actuels demeurent mal adaptés au terrain. Parmi les efforts des gouvernements et industries privés, il manque un point crucial sur lequel ces nouvelles technologies ne s'attardent pas : la qualité des services.

Malgré les preuves d'inefficacité d'Alayacare, elle va continuer d'être appliquée et même exportée à d'autres équipes à Québec. Le personnel soignant poursuive leur lutte pour recentrer la qualité des soins au cœur du développement des services de santé. L'OIT appelle à renforcer les politiques mondiales et nationales pour garantir une gestion globale des nouveaux risques et dangers qui émergent à l'ère du numérique.

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L’AUTRE VOIE, Une confrontation avec l’IA

29 avril, par André Prone — ,
Trump et ses complices nous poussent vers le mur… mais y a-t-il une issue ?Mon nouveau livre explore une piste radicale : confronter une IA générative,miroir des biais du (…)

Trump et ses complices nous poussent vers le mur… mais y a-t-il une issue ?Mon nouveau livre explore une piste radicale : confronter une IA générative,miroir des biais du capitalisme, à une alternative qui propose Une Autre voie.
Un essai court, tranchant – une lecture urgente à l'heure des crises.

Une Plongée dans les promesses (et pièges) de l'IA. Un dialogue choc entre l'humain et la machine sur l'effondrement social et environnemental en cours.

A lire avant que les algorithmes ne décident pour nous

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Elles avaient fui Franco

29 avril, par Marie-José Nadal — , ,
Présentation Y a-t-il un intérêt à rendre compte, en 2024, de l'expérience de femmes qui ont fui l'Espagne au moment de la victoire de Franco en 1939 ? C'est à travers des (…)

Présentation

Y a-t-il un intérêt à rendre compte, en 2024, de l'expérience de femmes qui ont fui l'Espagne au moment de la victoire de Franco en 1939 ? C'est à travers des récits de vie, des trajectoires de trois femmes, que ce livre entend contribuer à une compréhension toujours à renouveler du fascisme, des résistances au quotidien, des processus de violence. Ainsi, la première partie du livre met en perspective les récits en posant un cadre historique.

La deuxième présente le témoignage de trois femmes espagnoles qui avaient refusé la victoire du général Franco en 1939 et s'étaient réfugiées en France en l'absence de leur mari. Cette séparation était due au fait que la frontière entre la France et l'Espagne avait été ouverte aux civils et aux blessés à partir du 27 janvier 1939, alors qu'elle était restée fermée aux soldats de l'armée républicaine espagnole jusqu'au 5 février 1939.

Les trois narratrices, qui ont accepté de raconter leur vie à l'auteure, 50 ans après la défaite républicaine, étaient issues de familles dont les hommes avaient été des militants ou des sympathisants de partis politiques opposés au coup d'État nationaliste. Leur enfance et leur adolescence se sont passées à Barcelone, avec son lot de conflits sociaux et de répression. Leurs témoignages montrent comment des ouvrières ou des mères de famille des quartiers ouvriers se sont senties concernées par les idées nouvelles et par les changements politiques intervenus dès leur jeunesse.

L'imprégnation politique émanant du milieu familial et de la vie de quartier alimente le sentiment d'appartenir à une classe sociale qui lutte pour améliorer ses conditions de vie. Dès lors, les femmes n'hésitent pas à intervenir à leur manière dans leur quartier. Ce sont les petits gestes de solidarité ou de rejet, les échanges verbaux dans les magasins, les coopératives d'alimentation, les lavoirs publics ou le récit de leurs loisirs dans les centres communautaires, qui révèlent la constitution d'un espace politique qui ne s'exprime que lors d'événements particulièrement importants comme les grèves, la célébration de l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement républicain, la guerre ou l'exil.

Pour ces trois femmes, leur décision de quitter l'Espagne représente leur fidélité idéologique à leur condition de femmes du peuple, en même temps qu'elles se sont montrées solidaires des choix politiques de leur famille, de leur milieu social et de leurs époux impliqués dans la guerre civile.

Collection : « Des paroles en actes »
Auteur-e : Marie-José Nadal

Parution : Février 2025
Pages : 200
Format : 150 x210
ISBN : 979-10-399-02556

Marie-José Nadal est anthropologue mexicaniste. Elle a été professeure associée à l'Université du Québec à Montréal et professeure-chercheure invitée dans plusieurs universités du Mexique et de France. Elle a publié, en plus de nombreux articles, À l'ombre de Zapata. Vivre et mourir dans le Chiapas, La Pleine Lune, Montréal, 1994 ; Le Félin, Paris, 1995 ; Les Mayas de l'oubli, Logiques, Montréal, 2001 ; Les femmes autochtones dans l'espace public mexicain, Presses de l'Université Laval, Québec, 2021 et Derniers entretiens avec Charles Gagnon. Parcours d'un militant, La Pleine Lune, Montréal, 2021.

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« Un couple panafricain. Miriam Makeba et Stokely Carmichael en Guinée »

29 avril, par Miriam Makeba, Stokely Carmichael — , ,
Information publiée le 25 avril 2025 par Faculté des lettres - Université de Lausanne < marc.escola[a]]unil.ch > sur le site internet « Fabula – La Recherche en (…)

Information publiée le 25 avril 2025 par Faculté des lettres - Université de Lausanne < marc.escola[a]]unil.ch > sur le site internet « Fabula – La Recherche en littérature » < www.fabula.org/actualites/127275/elara-bertho-un-couple-panafricain-miriam-makeba-et-stokely-carmichael-en-guinee.html <http://www.fabula.org/actualites/12...> >

En 1968, Miriam Makeba et Stokely Carmichael quittent les États-Unis pour s'installer à Conakry, capitale de la Guinée socialiste. Réfugiés politiques en exil, la chanteuse sud-africaine mondialement connue et le militant révolutionnaire noir décident de se mettre au service du régime de Sékou Touré et de son ambitieux programme de décolonisation des esprits.

En suivant ce couple iconique de la lutte antiraciste dans ses pérégrinations transatlantiques, ce livre replace Conakry dans une cartographie mondiale et une histoire globale des luttes de libération. Dans cette capitale africaine, radicalités noires, combat anti-impérialiste, décolonisation des savoirs et idéal panafricain furent adossés à une politique culturelle ayant pour aspiration de rayonner depuis l'Afrique vers le reste du monde.

*Lire l'introduction du livre,Un couple à Conakry… <https://www.rot-bo-krik.com/ressour...>
*

www.rot-bo-krik.com/ressources/intro-une-couple-panafricain*
*

/Chargée de recherches au CNRS au sein du laboratoire Les Afriques dans le Monde, *Elara Bertho *s'intéresse aux relations entre histoire et littérature en Afrique de l'Ouest. Elle anime avec Elgas un séminaire à Sciences Po portant sur les liens entre littératures et sciences sociales./

/Directrice de la collection « Lettres du Sud » aux éditions Karthala <https://www.karthala.com/> et membre du comité de rédaction de la revueMultitudes <https://www.multitudes.net/> , elle a publié en 2023« Léopold Sédar Senghor <https://www.puf.com/leopold-sedar-s...> » (PUF). Elle travaille actuellement à une histoire des productions artistiques dans la Guinée révolutionnaire de Sékou Touré et aux circulations transnationales du panafricanisme./

* *URL *de référence : https://www.rot-bo-krik.com/un-couple-panafricain

*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, le 25 avril 2025*

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Vivre et mourir en centre de soins de longue durée

29 avril, par Maude Lévesque — , ,
Maude Lévesque Collection Problèmes sociaux et interventions sociales Résumé Comment prendre soin de nos personnes aînées dans un système souvent déshumanisé ? Pourquoi (…)

Maude Lévesque
Collection
Problèmes sociaux et interventions sociales

Résumé

Comment prendre soin de nos personnes aînées dans un système souvent déshumanisé ? Pourquoi vieillir est-il trop souvent synonyme de solitude et de négligence ? Les centres de soins de longue durée (CSLD) sont-ils vraiment des lieux de compassion ?

Ce livre examine les réalités des CSLD au Québec et en Ontario à travers une étude comparative, en s'appuyant sur des entrevues avec des personnes impliquées dans ce milieu. L'auteure, inspirée par son expérience personnelle, interroge le système de soins et les logiques qui guident son organisation. Elle met en lumière l'emprise des pratiques biomédicales de l'organisation, ses représentations et ses conséquences sur les pratiques et les interrelations en CSLD.

Vivre et mourir en centre de soins de longue durée est essentiel pour la recherche, les personnes professionnelles de soins ou candidates à l'intervention et les décisionnaires. Il propose des pistes concrètes pour réhumaniser les soins aux personnes aînées, offrant une réflexion sur les conditions de fin de vie. Cette lecture incontournable appelle à repenser nos pratiques. Elle permet de réfléchir aux limites structurelles et éthiques des CSLD et de participer à un changement tangible.

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Les ressorts du fascisme de Jason Stanley

29 avril, par Éditions Éliott — , ,
Jason Stanley, philosophe américain, professeur à l'université de Yale, est spécialiste de philosophie du langage et d'épistémologie. Il jouit d'une reconnaissance qui a (…)

Jason Stanley, philosophe américain, professeur à l'université de Yale, est spécialiste de philosophie du langage et d'épistémologie. Il jouit d'une reconnaissance qui a dépassé les frontières du monde académique depuis la parution de son livre How Propaganda Works (2015), son œuvre a été plusieurs fois récompensée. L'auteur collabore régulièrement au New York Times. Il a récemment quitté les Etats-Unis pour s'installer à Toronto où il enseigne à l'université de l'endroit.

Traduit de l'anglais (É.U.) par A. Dang Van & S. Réhault

Pourquoi parler, à notre époque, de politique fasciste ?

À partir d'exemples pris dans de nombreux pays, des États-Unis à la Hongrie en passant par l'Inde, la Birmanie, la Russie, la Turquie ou encore la France, Jason Stanley dresse un tableau saisissant des stratégies visant à saper les institutions démocratiques : propagande et théories du complot, défiance à l'égard des intellectuels, critique de l'Université et des médias, nostalgie pour un passé patriarcal mythique, opposition entre territoires ruraux et villes cosmopolites, obsession sécuritaire, stigmatisation et criminalisation des minorités ethniques et des populations pauvres.

Rédigé sous le mandat de Donald Trump, dont il a anticipé la fin par bien des aspects, ce livre dévoile les ressorts du fascisme et nous met en garde contre la naïveté consistant à croire qu'il s'agirait d'une histoire révolue.

Janvier 2022
232 pages - 37.95$
ISBN 9782493117014
13 x 19,5 cm


« Peu de gens savent que l'idéologie fasciste forme un tout structuré et que chacun de ses rouages concourt au bon fonctionnement de l'ensemble. Ils n'ont généralement pas conscience que les slogans politiques qu'on tente de leur faire répéter forment une trame unique. J'ai écrit ce livre dans l'espoir de fournir aux citoyens les outils critiques qui leur permettront de distinguer les stratégies politiques qui, dans une démocratie libérale, sont légitimes et les stratagèmes iniques qui constituent les ressorts de la politique fasciste. »

Jason Stanley, Introduction

« L’OTAN », cette alliance guerrière au service de Washington

29 avril, par Simon Gionet — , ,
En quelques mois, le désengagement du gouvernement Trump à l'international et ses menaces annexionnistes ont poussé le Canada et l'Union européenne à renforcer leurs (…)

En quelques mois, le désengagement du gouvernement Trump à l'international et ses menaces annexionnistes ont poussé le Canada et l'Union européenne à renforcer leurs investissements en défense et à réaffirmer le bien-fondé de l'OTAN, au nom de la paix et de la stabilité mondiale. Dans leur essai L'OTAN. Une alliance au service de la guerre, les militants pacifistes Medea Benjamin et David Swanson mettent en cause cette militarisation croissante en exposant les rouages de l'alliance transatlantique et, surtout, son pouvoir destructeur.

22 avril 2025 | tiré du site de Lux Éditeur | Source : Le Devoir 22 avril 2025
https://luxediteur.com/catalogue/lotan/

En quelques mois, le désengagement du gouvernement Trump à l'international et ses menaces

« Plusieurs pensent que [l'OTAN] est une institution nécessaire pour le maintien de la paix et du libéralisme dans le monde, mais ils ont besoin de comprendre qu'elle agit en violation flagrante de la Charte des Nations unies et qu'elle est une force extrêmement destructrice plutôt que bénéfique pour notre monde », résume David Swanson en entrevue avec Le Devoir.

Respectivement président de World Beyond War et cofondatrice de Code Pink, deux groupes militant pour la paix, Swanson et Benjamin ont amorcé l'écriture avec la volonté d'offrir aux lecteurs une analyse critique et accessible de l'OTAN, au-delà du discours politique ou médiatique ambiant.

Au fil d'une dizaine de courts chapitres, dans un style vulgarisé aux airs pamphlétaires, les auteurs explorent les origines de l'alliance après la Seconde Guerre mondiale, son fonctionnement, ses liens avec l'industrie de l'armement ainsi que son expansion et ses offensives militaires au fil des décennies. S'y dessine une organisation qui, sous le contrôle des États-Unis et de ses intérêts, s'est étendue au mépris du risque nucléaire, des droits de l'homme et de la paix, jusqu'à contribuer à « provoquer » l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022.

« Par provocation, je ne veux pas dire que c'était excusable, permis, acceptable, sans faute ou sans blâme, précise David Swanson. Je veux simplement dire […] que des mesures ont été prises alors qu'on savait qu'elles rendaient [l'invasion] plus probable. » Lui et Medea Benjamin détaillent à ce titre l'intervention de diplomates, de dirigeants américains ou d'experts qui, dès les années 1980, préviennent du potentiel explosif d'une expansion de l'OTAN près des frontières russes, contraire aux engagements réitérés à Moscou par les pays occidentaux dans la foulée de la dissolution de l'URSS.

À la lecture, cette démonstration de l'attitude belliqueuse de l'OTAN fait néanmoins peu de place à la responsabilité militaire de Moscou, à ses aspirations impérialistes ou à ses crimes de guerre. Swanson justifie cette approche par souci de « corriger » le traitement unidimensionnel des médias américains de la Russie et de la guerre en cours. « Les gens ont besoin d'entendre que plusieurs choses peuvent être vraies simultanément. Que le gouvernement russe peut commettre le mal, mais qu'il peut aussi être encouragé dans un cercle vicieux d'hostilité par d'autres gouvernements. » À commencer par celui des États-Unis.

Le militant antiguerre salue à cet égard la reprise du dialogue entre Washington et Moscou, une initiative de Donald Trump, mais il doute qu'un accord de paix soit véritablement durable sans l'inclusion de l'Ukraine, de l'Europe et des provinces séparatistes russes au cœur des pourparlers.

Militarisme trumpien

Parmi les préjugés qu'ils déboulonnent, Benjamin et Swanson s'attaquent dans leur livre à l'idée que le président républicain, qui remet en question l'OTAN depuis 2016, constitue une menace sérieuse à l'alliance ou au militarisme américain.

« Donald Trump a dit beaucoup de choses, mais il n'a jamais fait quoi que ce soit pour nuire à l'OTAN, résume David Swanson. En fait, il est parvenu [durant son premier mandat] à convaincre les membres de l'OTAN d'augmenter leurs dépenses militaires plus que ne l'a fait Biden. » Le militant doute que l'alliance soit mise en péril par le républicain dans les années à venir, citant sa promesse non tenue de réduire les dépenses militaires durant son premier mandat de même que son appui sans réserve à Israël, qui représente un partenaire et fournisseur d'armes important pour l'OTAN.

Autre idée contestée par les auteurs : la légitimité de la cible de 2 % du PIB que devrait consacrer à la défense chaque pays membre de l'OTAN, ainsi que les récentes pressions de Trump pour le porter à 5 %. Ce taux, adopté en 2006 de façon « antidémocratique » sans l'appui des Parlements de chaque pays, est « complètement arbitraire et sans limite », critique Swanson, qui ajoute que l'industrie de l'armement tentera toujours de l'augmenter pour des raisons de profit.

L'écrivain réitère que l'armement militaire, loin d'être un bien public à valoriser, accentue le risque d'apocalypse nucléaire et fragilise la coopération internationale. Il s'inquiète en ce sens de voir l'Union européenne vouloir gonfler son budget de défense au détriment d'autres services publics. « Les États-Unis devraient apprendre de l'Europe, qui a une meilleure espérance de vie, une population plus heureuse, un environnement plus sain et une économie plus durable. Or, c'est le contraire qui se produit », dit-il.

Appel à la résistance

Benjamin et Swanson concluent l'ouvrage avec des solutions de rechange à opposer au militarisme ambiant, au rang desquelles on retrouve la diplomatie du désarmement et le renforcement des conventions internationales pour rendre les États responsables en cas d'infraction.

Pour Swanson, il importe que les pays rehaussent la pression sur les États-Unis pour infléchir leurs politiques étrangères et militaires, à l'image de l'Afrique du Sud qui « a pris l'initiative de faire respecter l'État de droit » en déposant une requête contre Israël auprès de Cour internationale de justice pour « génocide » à Gaza.

Plutôt qu'être un « acolyte » de Washington, le Canada devrait selon lui s'inspirer de cet exemple et « devenir un leader » en matière de droit international, comme il l'a fait durant la guerre du Vietnam ou en 2005 avec la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel, signée à Ottawa.

« Il faut défendre un modèle, soutenir ce que les gens veulent vraiment. C'est-à-dire une vie sécuritaire, avec des écoles, de la santé et des hôpitaux, au lieu de toute cette belligérance. »

Simon Gionet, Le Devoir, 22 avril 2025.

Photo : Susan Walsh, Archives Associated Press. Une fanfare militaire passant devant la Maison-Blanche à l'occasion d'un dîner officiel entre l'ex-président américain Joe Biden et les pays alliés et partenaires de l'OTAN, le 10 juillet 2024, dans le cadre du 75e anniversaire de l'alliance.

Comptes rendus de lecture du mardi 29 avril 2025

29 avril, par Bruno Marquis — , ,
Histoire de la Révolution mexicaine Jésús Silva Herzog Traduit de l'espagnol J'ai beaucoup aimé ce livre de Jésús Silva Herzog sur la Révolution mexicaine. On y découvre, (…)

Histoire de la Révolution mexicaine
Jésús Silva Herzog
Traduit de l'espagnol

J'ai beaucoup aimé ce livre de Jésús Silva Herzog sur la Révolution mexicaine. On y découvre, pendant ces années 1910-1917, les faits et gestes des dictateurs mexicains Porfilio Díaz et Victoriano Huerta et des chefs révolutionnaires Francisco Madero, Venustiano Carranza, Álvaro Obregón, Pancho Villa et Emiliano Zapata. L'auteur y prête une attention particulière aux questions sociales, au partage des terres et à la répression des grèves qui ont poussé des millions de paysans et d'ouvriers à la révolte. Nous sommes aussi en pleine Doctrine Monroe, avec ses conséquences funestes pour le Mexique, mais aussi pour toute l'Amérique latine.

Extrait :

On ne peut cependant nier l'intervention, condamnable à tous les points de vue, du premier mandataire nord-américain dans les affaires intérieures du Mexique. Il est évident qu'il avait l'entière faculté de ne pas reconnaître le gouvernement du criminel dictateur ; mais il n'avait pas le pouvoir d'exiger qu'il renonçât à la présidence, comme il le fit au moyen de deux notes que son chargé d'affaire remit au ministre des Affaires étrangères au mois de novembre de cette sombre année 1913, si funeste à la nation. Une telle ingérence, à l'égal des interventions antérieures de la Maison Blanche et de celles postérieures, de Wilson au Mexique et dans d'autres nations latino-américaines, ne se justifiera jamais devant l'histoire.

Agent Orange - Apocalypse Viêt Nam
André Bouny

Le populaire président américain Barack Obama a terminé son second mandat sans avoir présenté la moindre excuse au peuple japonais pour les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki en 1945, alors que la guerre était vraisemblablement terminée, et sans avoir présenté la moindre excuse au peuple vietnamien pour l'utilisation massive de l'Agent Orange lors de l'occupation américaine du Vietnam de 1961 à 1971. C'est sur ce dernier cas que se penche avec beaucoup de rigueur André Bouny dans son excellent ouvrage « Agent Orange - Apocalypse Viêt Nam ». La guerre livrée par le gouvernement américain au Viêt Nam fut la plus grande guerre chimique de l'histoire de l'humanité. Il n'y a probablement aucun langage suffisamment puissant pour traduire les horreurs des attaques américaines d'alors contre le Viêt Nam - le bombardement des villages, la destruction de l'habitat rural, le massacre de millions de gens, la dévastation d'un paysage magnifique et les effets cruels de l'Agent Orange sur les adultes et les enfants qui ont survécu. Ce livre en est un vibrant témoignage. On ne peut pas ne pas en recommander la lecture.

Extrait :

Aussi atroces que soient les effets des agents chimiques, principalement l'Agent Orange, sur les hommes et leur descendance, ils ne représentent qu'une partie du problème. la destruction intentionnelle des règnes végétal, animal et minéral, par empoisonnement de la terre qui apportait protection et subsistance aux habitants de ces écosystèmes n'a pas de précédent dans l'Histoire de l'humanité.

Les armoires vides
Annie Ernaux

C'est le premier roman d'Annie Ernaux et - comme le reste de son œuvre - il est en grande partie autobiographique. Denise Lesur est une adolescente qui a honte de ses parents, malgré leurs efforts pour qu'elle poursuive ses études. Elle aspire, comme d'autres, à un monde moins vulgaire, plus cultivé, de mieux nantis, à l'image des jeunes filles et surtout des garçons qu'elle cherche à côtoyer. C'est un roman agréable à lire, certes, mais très dur. Le mépris des enfants pour leurs parents de conditions modestes est en mon sens une chose bien cruelle ; surtout, comme dans ce roman, quand il se manifeste avec autant d'intensité et sur une longue période de temps.

Extrait :

Ne pas pouvoir aimer ses parents, ne pas savoir pourquoi, c'est intenable. Personne à qui avouer, je déteste mon père parce que tous les matins la cascade de pisse dans le seau de chambre traverse la cloison, jusqu'à la dernière goutte, que ma mère se gratte en grimaçant sous ses jupes, qu'ils lisent France-Dimanche dont le prof a dit que c'était un torchon, qu'ils disent une hôtel, un anse.

Le municipalisme libertaire
Janet Biehl
Traduit de l'anglais

J'ai lu ce livre parce qu'il s'inspire en grande partie de la pensée de Murray Bookchin, dont j'avais beaucoup aimé « Pour une société écologique », publié chez Écosociété. « Le municipalisme libertaire » est un essai qui vise à instaurer la démocratie là où cela doit être fait, au niveau municipal ou local, et non, de façon faussement représentative, au niveau de l'État ; c'est surtout un essai qui ne transige pas avec l'oligarchie en place et qui ne fait pas de compromis avec la démocratie. Avant de poursuivre, et pour bien comprendre, il faut bien sûr s'entendre sur les termes. On ne parle évidemment pas ici de cette « démocratie » de pacotille qu'on nous claironne dans tous les médias de masse et qui vivrait supposément en symbiose avec le capitalisme — un peu comme une poule avec un renard dans un poulailler. On parle ici de vraie démocratie, où ce sont tous les citoyens qui décident ensemble de ce qu'ils veulent faire. « Le municipalisme libertaire » est un livre à lire pour tous ceux qui s'intéressent au changement et au progrès...

Extrait :

Il est impossible que l'État-nation et le capitalisme survivent indéfiniment. Alors même que ce système creuse le fossé entre riches et pauvres tout autour du monde en un abîme d'inégalité, il suit aussi une trajectoire de collision avec la biosphère. L'impérialisme capitaliste de la "croissance ou de la mort" surtout, qui recherche le profit aux dépens de toute autre considération, s'oppose radicalement aux réalités pratiques de l'interdépendance et des limites, tant du point de vue social que du point de vue de la capacité de la planète à maintenir la vie.

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Trump II

29 avril, par Guylain Bernier, Yvan Perrier — ,
Trump fait la manchette autant dans son pays qu'à l'échelle planétaire. Pas moyen de s'y soustraire. Dans certains articles on le présente souvent comme un personnage « bizarre (…)

Trump fait la manchette autant dans son pays qu'à l'échelle planétaire. Pas moyen de s'y soustraire. Dans certains articles on le présente souvent comme un personnage « bizarre », « vulgaire », « raciste », « misogyne », « anti-intellectuel », « anti-scientifique », « antiwoke », etc., qui aimerait, malgré ses travers, faire l'unanimité autour de lui, compter sur une quantité phénoménale de supportrices et de supporteurs, avoir de nombreux émules et pouvoir s'appuyer sur un vaste réseau d'alliés ou de dirigeantes soumisEs. Hélas pour lui, il est très controversé, et ce même s'il est parvenu à créer, autour de son personnage politique, des copies sur divers continents. Pensons ici à Orban (Hongrie), Meloni (Italie), Milei (Argentine), Netanyahou (Israël) et Modi (Inde). Sans oublier, parmi des dirigeants qui ne sont plus aux pouvoirs, les Boris Johnson (Royaume-Uni) et Jair Bolsonaro (Brésil), etc.. Comment est-il possible de rendre compte de la présence sur la scène politique de ce type de dirigeantE qui adopte des politiques visant à réduire les fonctions régaliennes de l'État ; à mettre au pas l'élite universitaire et intellectuelle ; à dicter les orientations des décisions des tribunaux ? Voire même à chasser les immigrantEs et les personnes qui demandent l'asile politique ? À brimer les droits des groupes minoritaires opprimés et dominés ? Etc. ? Comment expliquer ce type de politicien qui est en rupture à plusieurs égards avec plusieurs de ses prédécesseurs (mis à part Richard Nixon) ?

La nouvelle donne depuis les années quatre-vingt du siècle dernier

Commençons par constater que nous vivons dans un monde au sein duquel nous pouvons observer une crise profonde des régimes parlementaires nationaux dominés par un capitalisme-impérialiste prédateur qui n'a plus de modèle alternatif pour le concurrencer. Les États-nations aujourd'hui sont, de moins en moins, en mesure de se définir à l'extérieur de leur rapport avec certaines organisations internationales (OMC, Banque mondiale de développement) ou sans envisager des traités de libre-échange avec d'autres pays. Il en est ainsi depuis les années quatre-vingt du siècle dernier. Même si Donald Trump semble vouloir aller à contre-courant de cette tendance, en adoptant une politique protectionniste (via l'imposition de tarifs douaniers aux produits importés sur son territoire), il s'agit là pour nous, à ce moment-ci, d'une parenthèse étasunienne dans la mondialisation, dont il est trop tôt pour conclure quoi que ce soit à ce sujet. L'heure du repli protectionniste n'a pas encore sonné aux USA. Trump semble chercher, pour le moment, à travers des négociations bilatérales avec divers pays, à rétablir la balance commerciale en faveur du sien. Attendons voir avant de conclure trop rapidement au sujet de cette politique héritée de l'époque du mercantilisme.

Pour comprendre le phénomène Donald Trump en politique, il faut revenir sur certaines caractéristiques du monde dans lequel nous vivons depuis l'élection de Margaret Thatcher (1979 à 1990) et de Ronald Reagan (1981 à 1989) et surtout depuis l'effondrement des régimes communistes du bloc de l'Est (de 1989 à 1991). Manifestement, la situation générale d'aujourd'hui, à l'échelle planétaire, est celle de la victoire complète du capitalisme à l'échelle mondiale. Il n'y a plus, en ce moment, que quatre régimes politiques qui se réclament du communisme ou du socialisme et il s'agit des suivants : Cuba, Vietnam, Corée du Nord et République populaire de Chine. Cette dernière se présente comme un « État socialiste de dictature démocratique populaire » dont le modèle de développement économique correspond à une « économie socialiste de marché ». Bref, un capitalisme d'État. La grande menace communiste, qui a donné le ton aux relations internationales de 1917 à 1991 semble avoir été éradiquée. Le grand gagnant de l'affrontement est-ouest est incontestablement le bloc de l'Ouest. Or, les implications de la victoire du capitalisme global à l'échelle mondiale sont nombreuses.

Dans un livre intitulé Trump, Alain Badiou (2019) a mis en évidence quatre implications découlant de ce triomphe :

1) La première c'est celle des inégalités : « de nos jours, deux cent soixante-quatre personnes possèdent, par héritage ou par revenu, autant que les sept milliards d'autres qui peuplent le monde. C'est là un déséquilibre bien plus important que ce qui a été possible du temps des monarchies absolues. » (p. 19).

2) La deuxième implication concerne les positions que le « sujet contemporain » (p. 45) peut occuper dans ce système d'inégalités. Le philosophe français en identifie quatre : être un « propriétaire industriel ou terrien, bref un capitaliste » ; « être à la fois un salarié et un consommateur, c'est-à-dire de vendre sa force de travail pour acquérir des marchandises quelconques » ; « être un pauvre paysan » en Afrique (ou dans un pays sous-développé) ; et, enfin, « n'être rien du tout, ni un consommateur ni un salarié, ni un paysan, ni un capitaliste » (pp. 45-46).

3) La troisième implication découle des deux précédentes et notre auteur l'énonce comme suit et concerne les populations démunies qui sont errantes et migrantes : « Il semble […] que le capitalisme lui-même soit incapable de procurer du travail à la totalité de la population mondiale […] parce que, comme vous le savez, les capitalistes offrent du travail uniquement s'ils peuvent espérer faire du profit » (p. 47). Il résulte de cette situation un excédent de gens démunis et sans avenir, les quelques milliards qui ne sont rien du tout, qui ne devraient pas exister, et dont une partie erre à travers le monde à la recherche de moyens de subsistance.

4) Dans ce champ planétaire, du capitalisme, dont la loi primordiale est la circulation de l'argent, les politicienNEs, et c'est là la quatrième implication, ne peuvent œuvrer que dans les limites étroites de la sphère nationale. Or, de la brutalité du capitalisme global associée à l'absence de choix politiques réels, à l'échelon national, résultent une frustration populaire, une peur de l'avenir et un sentiment généralisé de désarroi, ceci au sein d'une fraction de la classe moyenne, mais surtout parmi les pauvres. D'où une base électorale pour des politiciens à la Trump.

Sur le plan idéologique, last but not least, Badiou définit le monde dans lequel nous vivons par l'absence d'une autre orientation stratégique que celle du capitalisme. Autrement dit, le capitalisme ne prétend plus, comme jadis, être le meilleur système d'organisation économique et sociale ; il prétend tout simplement être le seul possible (pp. 15 à 17).

Depuis environ plus de trente-cinq ans, soit depuis l'effondrement des régimes communistes (1989-1991), l'humanité semble s'être résignée au fait qu'il n'y a plus de modèle alternatif, qu'il n'y a donc, par conséquent pour elle, qu'une seule voie à suivre. Ce qui implique qu'il n'y a plus de politique à proprement parler, la politique étant essentiellement une opposition entre deux visions antagonistes du monde et la voie jadis considérée comme alternative — le communisme à la soviétique ou à la chinoise — s'est dissipée dans les vapeurs de différentes substances : l'autoritarisme, le déviationnisme idéologique et politique, la corruption, les scandales, etc..

Trump n'est pas une exception : « [F]ace à l'oligarchie politique traditionnelle nous voyons apparaître, plutôt que des politiciens bourgeois chevronnés, une nouvelle espèce d'activistes, qui défendent des propositions violentes et démagogiques et semblent prendre de plus en plus pour modèle les gangsters ou la mafia » (p. 22). En effet, justement parce que l'argent-roi domine l'esprit capitaliste qui ne fait pas de distinction entre le respect des lois et le hors-la-loi. Tout est une question de tirer profit des circonstances, dans le but indispensable d'accumuler toujours davantage et davantage encore. De là, l'illusion d'une limite, et ce, même si les ressources planétaires en ont une… Grave problème qui peut être renversé par l'avenue de l'autre monde — le cyberespace — où l'argent est débarrassé de son corps physique pour devenir entièrement virtuel. Ainsi, l'avenir de l'enrichissement capitaliste passera à l'intérieur de cet autre monde à conquérir (une autre conquête). Voilà pourquoi les grandes puissances du monde terrestre s'allient aux grandes compagnies Internet et s'infiltrent donc dans le monde virtuel, tout en entreprenant des guerres de « hacking » aux effets profitables — d'où pourquoi aussi d'autres pays cherchent aussi à s'enrichir de la sorte au nom de leur souverain. Et sur ce point Badiou a raison de comparer leurs agissements à celui des groupes illégaux, car seul l'enrichissement compte ici.

Pour le philosophe, c'est la domination stratégique du capitalisme global qui règne internationalement, quelles que soient les pseudonouvelles politiques, et face à laquelle le trouble et la frustration des peuples n'y peuvent rien puisque ce « capitalisme démocratique » leur est présenté comme la seule voie possible envisageable.

Badiou revient sur la nécessité d'une autre voie, une autre stratégie pour la vie de l'humanité… : « Ce dont nous avons besoin c'est d'une idée, d'une grande idée […] il est possible de résumer cette idée par quelques points très simples, qui sont en réalité les points retenus par le communisme » (p. 69). Or, le communisme fait encore peur.

La mondialisation compétitive et conflictuelle

Nous vivons dans un monde qui a comme point cardinal la mondialisation. Celle-ci s'effectue dans un mode compétitif qui est foncièrement désorganisé, se définit et se déploie à travers des conflits et des rivalités entre différents pays. Les compétiteurs, que sont les USA, la République populaire de Chine et la Russie, cherchent à imposer leur domination dans différentes zones de la planète. Nous ne pouvons pas affirmer que les dirigeantEs politiques qui dominent la scène politique sont toutes et tous des personnes qui ont lu Kant et qui agissent en fonction de l'impératif catégorique suivant : « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen. » Les rivalités à l'échelle internationale s'activent. Trump parle souvent « d'état d'urgence », « d'ennemis », « de guerre », etc.. Or, nous savons que les libertés fondamentales ne sont respectées dans les pays occidentaux qui se présentent comme étant des démocraties libérales parlementaires qu'en proportion inverse de l'intensité des conflits internationaux. En cas de conflits ouverts, les libertés sont sévèrement restreintes et limitées, les gouvernements exigent une loyauté inconditionnelle à l'égard de l'État et imposent diverses restrictions à la liberté d'expression (contrôle de la presse, des centres de recherche et des universités ; surveillance des citoyens ; expulsion de certains ressortissantes et ressortissants de l'étranger, etc.). Il faut préciser ici qu'en dehors de l'état de guerre ouverte ou présumée, ces restrictions aux droits et libertés diminuent sans réellement disparaître complètement.

D'un monde bipolaire, à un monde unipolaire et pourquoi pas maintenant multipolaire…

Nous aurions donc évolué dans un monde bipolaire du lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, et ce jusqu'à l'effondrement des régimes communistes des pays du bloc de l'Est. De 1991 jusqu'au début de l'an 2000 environ, il pourrait être question d'un monde unipolaire et, depuis le début du XXIe siècle, un monde multipolaire aurait émergé, avec à sa tête un triumvirat composé des USA, de la République populaire de Chine et de la Russie. Le monde compterait maintenant au moins deux super puissances plus une ex qui multiplie les efforts pour reprendre du gallon ou du poil de la bête.

Il faut savoir au sujet de la République populaire de Chine — l'Empire du Milieu — qu'elle revient de loin, de très loin même. Comment qualifier autrement que de victime de prédation le sort réservé à un empire chinois affaibli, à partir de la première guerre de l'opium, par à peu près tout ce que le monde comptait au XIXe siècle de puissances navales ? Par une ironie de l'histoire, la Chine, aujourd'hui est redevenue superpuissance, se retrouve assise à la table des prédateurs (Heisbourg, 2024) avec ses deux grands tantôt partenaires ou tantôt rivaux.

Il est à souligner que ces trois grands pays impérialistes déclinent en ce moment leur stratégie en exploitant les interdépendances pour en extraire tous les avantages possibles. Sur ce point, disons d'abord que la Chine est devenue une cyberdictature qui cherche à s'approprier les technologies européennes et américaines, à détacher l'Europe des États-Unis, à intégrer l'Europe dans l'espace eurasiatique, notamment via la 5G, tout en se réservant l'option de l'intervention militaire (à Taïwan notamment). Ensuite, forts de leur suprématie militaire et de leur capacité d'innovation, cyberpuissance avérée, pays détenteur de la devise monétaire qui permet encore largement les échanges commerciaux internationaux, les USA ont, avec Donald Trump, abandonné (provisoirement) le libre-échange et, pour au moins les quatre prochaines années, leur prétention à l'exemplarité pour verser dans le transactionnalisme à courte vue, le bilatéralisme et l'imposition de tarifs douaniers en vue de réduire les impôts des particuliers les plus riches. Enfin, reléguée par sa faiblesse économique dans une autre catégorie que les deux autres puissances, la Russie est animée par une démarche révisionniste vis-à-vis de la perte de son statut de superpuissance, ainsi que de l'ordre de sécurité européen de l'après-guerre froide. Elle compense son manque de ressources en se montrant conquérante et belliqueuse tout en essayant de déstabiliser ses adversaires par la désinformation.

Ce sont ces pratiques de prédation qui se déploient en ce moment un peu partout dans le monde. La Russie veut gruger des territoires de l'Ukraine et obtenir le contrôle éventuel de la route maritime de l'Océan Arctique ; la Chine veut s'annexer Taïwan et développer sa zone d'influence sur le continent Africain ; les USA ont annoncé une politique d'annexion territoriale agressive à l'endroit du canal de Panama, du Groenland et du Canada. Trump a même annoncé vouloir chasser la population palestinienne de la bande de Gaza pour en faire une zone touristique sous le contrôle d'Israël. Au milieu de ce champ de forces, l'Union européenne offre aux prédateurs les atours de ses divisions internes et de son absence de moyens de défense stratégiques.

Mais est-ce si différent des temps passés ? La conquête de territoires n'a cessé d'animer un type de dirigeant qui se croyait être l'Un parmi les autres. Ce qui animait donc l'Asie et l'Europe de l'Antiquité — étant sûrement tout autant le cas en Amérique, même si notre connaissance reste limitée sur cette période en ce territoire —, possible de rappeler aussi durant le Moyen Âge, lors de la formation des États-nations, se poursuit tout simplement. Là où la mainmise sur la Méditerranée devient ensuite un contrôle des blocs continentaux, on en vient tout naturellement à vouloir contrôler le monde entier avec son cyberespace — et pourquoi pas ensuite tout ce qui concerne l'espace extraterrestre et non virtuel. Pour se faire, il faut devenir puissant, créant alors un cycle perpétuel binaire entre la nécessité de conquête pour être puissant et le désir d'être puissant qui oblige la conquête, donc dans une vision limitée des choses ; cela revient à dire qu'après la paix vient la guerre et après la guerre le besoin d'une pause dans la paix. En bref, le contexte international actuel n'a rien de surprenant. C'est la nature humaine qui est en cause ici : répondre à des besoins et des désirs. Mais il existe une frange qui ambitionne plus que les autres, ne pouvant se contenter. À cela se joignent évidemment des excès de la personnalité qui rappellent les Augustes, les Césars, les Empereurs ou les Rois-tyrans d'un temps bizarrement pas aussi révolu que nous pouvons le croire.

Plus près de nous, il y a la suite des deux Grandes guerres, où les puissances poussent dans ses extrêmes retranchements la formule de l'État, reposant sur une autorité centralisatrice et structurée. Autrement dit, on revient même à l'ancien questionnement portant sur la grosseur idéale de l'État, de son régime politique, économique et social à prioriser — en dépit de ce qui a été dit plus haut au sujet de la solution unique ou de la voie de salut offerte par le capitalisme. En réalité, notre mode de pensée continue d'être mené par le passé de conquêtes et de religiosité. Le désenchantement du monde de Weber ou de Gauchet intervient certes ici de façon à supposer sa prochaine phase consistant à le généraliser, alors que nous évoluons toujours dans un monde très religieux, qui en plus reconnaissait la place des Empereurs et des Rois au sein d'une division entre la Cité céleste et la Cité terrestre qui ne possède pas seulement les traits augustiniens. Il existe toujours dans l'esprit humain cette grandeur qui dépasse l'humanité, parce que, comme le disaient les Descartes, Kant, James et Bergson de ce monde, nous avons besoin de croire. Par contre, son inaccessibilité physique, dans un certain sens, exigeait de l'exprimer concrètement à travers ce que nous avons généré en termes de hiérarchie — avec ses dérives. La catégorisation des choses, comme le dirait Foucault, accentue aussi les discriminations sur le plan humain. Au-delà des forts et des faibles, des êtres intelligents et des sots, s'ajoute une hiérarchie basée sur le sexe (ou le genre), sur la race, le sang, la couleur et ainsi de suite. Cela s'est évidemment répercuté dans une recherche de suprématie qui, dans un contexte de mondialisation et d'immigration de toute provenance, n'a plus sa place, selon un certain point de vue toutefois et malgré le capitalisme qui n'a rien à faire des différences, hormis entre les riches et les pauvres, soit la seule hiérarchie qui le concerne. Voilà qui expose une quête allant au-delà des richesses promises par le capitalisme.

Nos sociétés continuent de présenter ce caractère craintif par rapport aux différences, par rapport donc à l'inconnu. La crainte de perdre des repères, de ne plus savoir où aller, voire même à quoi ou qui croire, stimule d'ailleurs le besoin de retourner vers des bases connues et jugées solides, même si elles ont causé toutes sortes de désagréments et, au plus, des destructions massives. Pourtant, on reconnaît certaines valeurs jugées universelles et, en l'occurrence, rattachées à une vie en commun harmonieuse, mais cette idéalité se confronte à une réalité de besoins qui ramène l'intérêt égoïste en avant-plan — d'où le capitalisme. On veut manger, avoir un toit sur la tête et suffisamment d'argent pour éviter le manque et, au meilleur, s'offrir un temps pour soi et nos proches. Au fond, la plus grande difficulté que nous avons à faire face est de rendre compte de l'humanité, c'est-à-dire de donner forme à une seule espèce humaine ou de rentrer dans cette unité ses multiples expressions. Car, comme l'a bien dit Bergson (2012[1932]), c'est la religion qui en est la cause première, cherchant à créer un homogénéité basée sur la foi plutôt que sur le territoire ou la tribu. Malheureusement, notre tendance à repousser la différence (ou à combattre celles et ceux qui ne font pas partie de notre tribu) entre en opposition avec cette vision de l'humanité, ce qui pourrait alors expliquer également cette tendance des conquêtes et des frictions entre superpuissances. Autrement dit, le réenchantement du monde en misant sur cette forme de lien fraternel qu'est l'humanité exige conséquemment une nouvelle forme d'État ou de gouvernement ; à savoir une autre façon de coordonner les relations humaines autrement que par une hiérarchie propre à élever les uns sur les autres. C'est là que des organismes, en songeant à l'ONU, peuvent servir de pont, afin de ramener les divisions vers une compréhension plus générale de l'humanité dans ses formes de distinction étant à la source même de sa splendeur. Ce réenchantement exige en plus un rééquilibre entre l'humain et la nature, puisque les deux sont conjointement liés : envisageons-nous alors un retour vers le jardin d'Éden, comme voie de sortie du capitalisme impérial ?

Conclusion

Cette nouvelle dynamique géopolitico-économique de la présente phase de la mondialisation, qui nous expose à une authentique alternance gouvernementale sans possibilité d'une alternative politique, pourrait (en partie) expliquer l'émergence du type de politicienNE aux caractéristiques comportementales à la Donald Trump. La fin de la guerre froide entre les pays des blocs de l'Ouest et de l'Est a permis l'émergence de politicienNEs pour qui la fin justifie les moyens et où la raison cède le pas à la déraison, ce qui se répercute sur une population des pays du centre craintive et préoccupée par son avenir, entre autres sur le marché du travail et de l'emploi. Cette population redoute les affres du chômage et les conséquences de la perte ou de l'érosion de son pouvoir d'achat. Une frange importante des électrices et des électeurs adhère au diagnostic simpliste selon lequel la situation économique s'est détériorée à cause supposément d'une immigration massive et également en raison de politiques en faveur des groupes discriminés. Mais ces dirigeantEs de l'ultra-droite, qu'une frange importante de l'électorat est prête à accorder son vote, prônent et adoptent, une fois installéEs au pouvoir, des politiques qui ont pour effet d'accentuer les écarts entre les riches et les pauvres. « Tout fonctionne normalement, ça tourne en rond évidemment », comme dirait l'Autre… Jusqu'à ce que la masse décide d'en finir et choisisse la voie de la révolution. Mais, à la chute des impériaux, viendra des périodes troubles susceptibles de créer une marche de recul. Car pour avancer, il faut une direction avec une destination. Le temps est venu de se pencher sur des alternatives au capitalisme impérial, à des solutions qui exigeront de transformer la mentalité actuelle : à commencer par notre relation avec la richesse et avec autrui.

Guylain Bernier
Yvan Perrier
26 avril 2025
18h

Références

Allès, Delphine, Frédéric Ramel et Pierre Grosser. 2023. Relations internationales. Paris : Armand Colin, 318 p.

Badiou, Alain. 2019. Trump. Paris : PUF, 97 p.

Bergson, Henri. 2012[1932]. Les Deux Sources de la morale et de la religion. Paris : Flammarion, 446 p.

Canivez, Patrice. 2013. Qu'est-ce que l'action politique ? Paris : Vrin, 125 p.

Heisbourg, François. 2024. Le temps des prédateurs : La Chine, les États-Unis, la Russie et nous. Paris : Odile Jacob, 238 p.

Manzagol, Claude. 2011. La mondialisation : Données, mécanismes et enjeux. Paris : Armand Colin, 191 p.

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En mission officielle, la Directrice de l’OIM Amy Pope s’immerge dans la détresse silencieuse des déplacés internes

29 avril, par Smith Prinvil —
Port-au-Prince, 14 avril 2025 – Sous un soleil de plomb, entre des allées boueuses et des tentes de fortune en plastique noir, la Directrice Générale de l'Organisation (…)

Port-au-Prince, 14 avril 2025 – Sous un soleil de plomb, entre des allées boueuses et des tentes de fortune en plastique noir, la Directrice Générale de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), Madame Amy Pope, foule le sol craquelé d'un camp de déplacés internes à Delmas 33. Sa visite, très attendue, résonne comme un moment de reconnaissance pour les milliers de familles ayant fui les balles, les incendies, les menaces et les cauchemars imposés par les gangs armés dans la région métropolitaine.

Le regard grave, Amy Pope échange avec des mères qui racontent leur fuite de Martissant ou de Cité Soleil, avec des enfants qui n'ont pas mis les pieds à l'école depuis des mois, et avec des chefs de famille qui ne savent plus à qui s'adresser pour se faire entendre.

“La résilience ne doit pas être confondue avec une solution,” a-t-elle déclaré, d'une voix ferme. “Ces gens n'ont pas choisi cette vie. Ils ont été arrachés à leurs maisons, à leur quotidien, à leur dignité. Ils ont un besoin urgent de protection, d'abris et de soutien.”

Une humanité en suspend

Depuis plusieurs années, les camps de déplacés internes se multiplient à travers la capitale haïtienne. La recrudescence de la violence des groupes armés a vidé des quartiers entiers, forçant des dizaines de milliers de personnes à chercher refuge dans des espaces publics transformés en zones de survie. Écoles abandonnées, cours d'églises, places publiques… les abris improvisés ne protègent ni du froid, ni des maladies, encore moins de la faim.

Marie-Ange, 38 ans, mère de trois enfants, raconte : “Ils sont venus en pleine nuit. On n'a rien pu emporter. Depuis, je dors par terre. On survit comme on peut.”

Comme elle, des milliers de femmes, souvent seules à porter le fardeau familial, dénoncent le manque d'assistance, l'insécurité dans les camps et l'absence de perspective.

Une visite au goût d'alerte

La venue d'Amy Pope marque un tournant. Rarement un haut responsable onusien s'est montré aussi direct dans ses propos. Sa visite n'était pas un simple geste diplomatique : elle a mis en lumière la gravité d'une crise humanitaire que le pays ne peut plus ignorer. Et elle a lancé un signal clair à la communauté internationale : Haïti ne peut pas affronter seule cette catastrophe.

Face à la presse, Mme Pope a insisté : “Nous devons sortir ces familles de l'ombre. La situation actuelle n'est pas soutenable. L'OIM fera tout son possible, mais cela demande un effort collectif, national et international.”

L'État haïtien face à ses responsabilités

Cette visite soulève aussi une question brûlante : que fait l'État haïtien ? Malgré les promesses répétées d'une meilleure coordination humanitaire, les structures publiques restent désorganisées, sous-financées, voire absentes sur le terrain. Les déplacés internes sont devenus les symboles d'un effondrement progressif, où l'aide humanitaire supplée un État défaillant.


Un appel à l'action

En quittant le camp, Amy Pope a laissé derrière elle des regards remplis d'attentes. Sa visite ne guérira pas les blessures ni ne restaurera les toits perdus. Mais elle aura permis une chose essentielle : remettre la lumière sur ceux qu'on ne veut plus voir.

Derrière chaque chiffre, chaque tente, il y a des noms, des histoires, des vies en attente de justice. Il est temps de passer de l'observation à l'action.

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Trois militaires tués à Kenscoff : symbole d’un État en lutte

29 avril, par Smith Prinvil —
Haïti a perdu, ce dimanche 20 avril 2025, trois de ses fils. Trois militaires tombés sous les balles de la terreur, dans la commune de Kenscoff, alors qu'ils tentaient de (…)

Haïti a perdu, ce dimanche 20 avril 2025, trois de ses fils. Trois militaires tombés sous les balles de la terreur, dans la commune de Kenscoff, alors qu'ils tentaient de défendre un territoire stratégique contre l'assaut féroce de la coalition de gangs armés connue sous le nom de Viv Ansanm. Une nouvelle tragédie dans un pays où le sang coule trop souvent dans le silence des collines.

Kenscoff, longtemps considérée comme un havre de paix, s'est transformée en théâtre de guerre. Les attaques répétées, les tentatives de prise du commissariat, de la Mairie et de la zone de Téléco, traduisent une ambition claire : celle d'étendre l'emprise criminelle sur des zones rurales jusque-là préservées. Cette escalade de la violence n'est pas une dérive ponctuelle. C'est une stratégie de conquête. Une guerre insidieuse menée contre la République.

Les militaires tués ce dimanche n'étaient pas de simples soldats. Ils étaient le visage d'un espoir national : celui d'un État qui résiste, d'un pouvoir qui se bat encore, malgré ses failles, ses lenteurs et ses déchirures internes. Leur mort interpelle. Elle révèle à la fois le courage de nos forces armées et la profondeur du gouffre sécuritaire dans lequel le pays s'enfonce.

La Primature, dans un communiqué, a salué leur bravoure, leur engagement, leur sacrifice. C'est un geste noble, nécessaire. Mais il ne suffit plus de rendre hommage. Il faut agir. Chaque soldat qui tombe doit éveiller une conscience, raviver une volonté politique. Car laisser les gangs prendre Kenscoff aujourd'hui, c'est compromettre demain toute l'aire métropolitaine.

Nous faisons face à un ennemi structuré, armé, déterminé. La réponse doit être à la hauteur : coordination renforcée entre les forces de sécurité, investissements massifs dans les équipements, appui logistique, mais aussi travail en profondeur sur l'intelligence territoriale, le renseignement, la réinsertion et la désactivation des bases criminelles.

Et surtout, la société ne peut pas rester spectatrice. Il faut un sursaut collectif. Ce ne sont pas seulement des militaires qui tombent, c'est une part de notre souveraineté qui s'effondre à chaque fois. La peur ne doit pas remplacer le civisme. Le silence ne doit pas étouffer la mémoire de ces héros.

Le combat pour Haïti ne se joue pas seulement dans les rues de Port-au-Prince. Il se joue aujourd'hui à Kenscoff, demain ailleurs. Face à l'ombre qui avance, il nous faut de la lumière, du courage et un engagement sans faille.

Paix à ces soldats. Honneur à leur engagement. Et à nous, le devoir de poursuivre le combat.

Smith PRINVIL

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L’humanité malade de ses humains ou la banalité du mal

29 avril, par Gaétan Roberge — ,
Au nom de la justice, nous devrions descendre de nos bien-pensantes tribunes, quitter nos cérémoniales chaires « financées » et nos commodes tours de garde doctrinaires pour (…)

Au nom de la justice, nous devrions descendre de nos bien-pensantes tribunes, quitter nos cérémoniales chaires « financées » et nos commodes tours de garde doctrinaires pour ouvrir nos yeux sur les injustices du monde et agir. L'empathie et la solidarité auraient-elles brûlées sur le bûcher ardent du confort et de l'indifférence ?

Deux visions, un choix : Barbarie ou civilisation

Hannah Arendt : « La mort de l'empathie humaine est l'un des premiers signes et le plus révélateur d'une culture de la barbarie. Elon Musk : « L'empathie est la faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale. »

Ah la justice ! Quelle justice au juste ?

Mais, où sont donc passés les justes de la terre ? La justice si difficile et imparfaite puisse-t-elle demeure l'un des précieux indicateurs déterminant non seulement le degré d'avancement d'une société ou d'une civilisation, mais également de légitimer sa propre raison d'être. Puisque sans la justice, qui incarne le principe moral qui exige le respect du droit et de l'équité, sans État de droit qui garantit la protection légale et le respect des droits civils et politiques fondamentaux ainsi que les libertés civiles et accès à la justice on ne peut exercer sa liberté d'expression et établir des rapports égalitaires. La justice s'avère la prémisse essentielle et fondatrice de tout engagement et de toutes les libertés. Sans elle, il ne pourrait donc pas y avoir de civilisation sur les pas empressés de nos horizons chaotiques et de nos réalités à la fois angoissantes et fascinantes. Ainsi, lorsque l'injustice se manifeste, telle l'éclosion d'un virus, elle annonce d'avant-coureurs et graves symptômes d'une civilisation ou d'une société malade.

Les despotes ou l'instauration de la barbarie et de la bêtise

C'est pourquoi, tout en demeurant extrêmement vigilants, méfions-nous des discours haineux, de la propagande mensongère et du règne de l'arbitraire lorsque des sociétés dont la gouvernance, la liberté de parole et l'appareil de justice basculent aux mains tentaculaires et aux pieds destructeurs de despotes. Ces autocraties, souvent sous le couvert d'une légalité tronquée dont elles se revendiquent, perdent leur légitimité en ne faisant que broyer froidement la dignité des populations ciblées, bafouer leurs droits fondamentaux ainsi que terrasser leurs assises, tarer leurs valeurs et encager leurs libertés.

« Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice. » Montesquieu

Les cent premiers jours de l'administration américaine Trumpienne, dont les débuts ont été abondamment inspirés duProjet 2025 ou Projet de transition présidentielle proposée par un « think thank » de droite, la Heritage Foundation, représentent une violente démonstration de ce glissement vers un régime autoritaire. Un régime instrumentalisé par un cruel voyou affecté dusyndrome d'hubris, tout comme son sanguinaire et oligarque ami Poutine, et inlassablement assoiffé de pouvoir, de richesse et surtout de sa petite personne. – Si Trump pouvait boire sa propre bêtise, il la boirait assurément jusqu'à la lie… – Un régime « commandité » à hauteur de 239 millions de dollars USD par une bande d'oligarques du numérique, dont il sera redevable, suspendus telles des sangsues aux babines du Torquemada des tarifs et secondé par une confrérie d'incompétents et serviles idéologues. Un régime qui triture sans vergogne la vérité, fait fi du pouvoir exécutif et dirigé par un président qui tire à bout portant sur tout ce qui bouge et qui en toute impunité s'autoproclame au-dessus des lois et se divertit quotidiennement au salon ovale par l'imposition psychotropique de décrets ubuesques à la signature gonflée à la fatuité et à l'encre imprégnée de souffrance. À l'image d'un Staline qui avec la complicité de membres du Politburo de l'URSS se faisait un jovial devoir tous les matins de cocher sur une liste dressée par le NKVD les noms des personnes qui « méritaient » de mourir dans ses camps de travail du Goulag. Staline expédiait les personnes dans l'antichambre de la mort. Quant à Trump, sans aucune empathie et de façon cynique, il les dompe tels des déchets par milliers désespérées et en colère dans les caniveaux de l'oubli ou sur les débarcadères de la misère ou bien sur les tarmacs de la déportation.

« Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument. » Lord Acton

Nous parlons d'un régime autocratique qui sème à tout vent les graines de la souffrance, de la déraison et de l'injustice et même celles du racisme et d'un eugénisme à peine dissimulé et qui cultive la discorde en s'imposant par le chantage, la force et la terreur. Heureusement, voici une pensée qui console un peu : « … les despotes et les coteries dirigeantes peuvent réussir à dominer leurs frères, mais ils sont incapables de prévenir leurs réactions. » Erich Fromm. À preuve, des milliers d'Américains ont commencés à tenir des assemblées citoyennes et à prendre la rue. Cette mobilisation est train de se mettre en place partout dans les villes pour manifester contre les politiques de Trump et réclamer sa destitution ainsi que celle de son administration d'oligarques carburant à l'idiocratie et l'IAcratie.

« On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. » Abraham Lincoln

Les laissé.e.s- pour- compte et les réfugié.e.s de la terre

Notre histoire contemporaine regorge d'exemples révoltants du désespoir et de la souffrance. N'oublions pas que sur tous les continents des millions d'êtres humains sont privés de leurs droits. Ils sont contraints de vivre ou tentent de survivre dans des abris de (mauvaise) fortune ou lorsqu'ils ne sont pas froidement jetés à la rue ou contraints de croupir dans les ruelles sordides desbidonvilles – L'ONU estime à plus d'un milliard de personnes qui vivent dans des bidonvilles, soit l'équivalent de la population réunie de l'Amérique du Nord et du Sud – et des banlieues blafardes pour tenir compagnie à leurs sœurs et frères ainsi qu'à la fratrie des rats errants et des chiens affamés.

Nous portons aussi l'odieux de « fabriquer » des réfugiés.e.s de la terre sans terre d'accueil et souvent apatrides et sans issue que l'on enterre presqu'à vie dans des camps. Ils sont malheureusement légion. Selon l'Agence des Nations Unies pour les réfugié.e.s (UNHCR), avec l'escalade mondiale des conflits, des guerres et de la violence ainsi que l'augmentation des catastrophes naturelles, chaque minute crée 20 réfugié.e.s et l'on estime à 122,6 millions de personnes déplacées de force dans le monde. Soit 43,7 millions de réfugié.e.s, 72,1 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays et 8 millions de demandeur.e.s d'asile. Sans compter les 4,4 millions d'apatrides privés de nationalité et d'accès aux droits élémentaires comme l'éducation, les soins de santé, l'emploi et la liberté de circulation. Et selon un autre rapport de l'UNHCR-, cette crise des réfugiés.e.s touche principalement les enfants car plus de 42% d'entre eux sont des enfants. Des enfants privés d'enfance et loin de l'amour des leurs. Parmi eux, certains auront été témoins ou victimes d'actes de violence physique et sexuelle et exposés à de mauvais traitements. Ils risqueront de devenir d'innocentes victimes de négligence, d'exploitation, de traite d'êtres humains ou de recrutement militaire pour en faire des enfants soldats « tueurs ». De petits soldats embrigadés de force qui recevront pour seuls cadeaux une dose de dope pour cuirasser leur conscience, un beau fusil d'assaut AK-47 pour témoigner de leur bravoure et une grosse tape sur l'épaule pour célébrer leurs crimes …

Les prisonniers et prisonnières des camps de la terre

Ainsi, ce sont des millions d'êtres humains – comme vous, moi, vos enfants ou vos proches – abandonnés et cruellement emmurés contre leur gré dans des camps. Des camps que l'on peut qualifier de prisons à ciel et égouts ouverts avec pour unique habitat pour se protéger des intempéries des tentes plantées au cœur des macadams ensablés de souffrance et des monticules de détritus de la misère et comptant pour seule nourriture des miettes rationnées des ONG. Pendant qu'ils récoltent la haine outrancière de leurs voisins belligérants, ils n'ont pour eau que des larmes de douleur et de colère au goût de choléra et de dysenterie, pour chaleur et éclairage, des tempêtes d'éclairs de drones et de tirs de roquettes et pour seul espoir, d'atroces et permanentes déchirures de l'exil et d'avoir dû tout abandonner derrière eux ou finalement pour d'autres, l'attente de la mort comme ultime et inéluctable délivrance !

« Quand la fin du monde arrivera, faudra-t-il se souhaiter bonne fin du monde ? » Voltaire

La Palestine ou les Oublié.e.s de la terre

Lors de la création de l'État d'Israël, en 1948, 750 000 Palestiniens ont perdu leur domicile et leurs terres. Certains ont fui la guerre et d'autres expulsés de force. Bon nombre se sont réfugiés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, tandis que d'autres sont partis dans les pays voisins telle la Jordanie, le Liban et la Syrie. Ce fut que l'on a appelé en arabe, la Nakba, soit la catastrophe. Pour ajouter l'insulte à l'injure, depuis laGuerre des Six Jours remportée par Israël, en 1967, 475 000 Israéliens habitent maintenant dans des colonies en Cisjordanie. Des colonies pourtant déclarées illégales au regard du droit international des Accords d'Oslo de 1990. Encore récemment en Cisjordanie, des colons Israéliens avec la complicité brutale et parfois létale des soldats de Tsahal harcèlent et chassent, pour ne pas dire déracinent, violemment et en toute impunité les Bédouins et leur famille de leurs terres ancestrales.

La bande de Gaza ou La naissance d'une occupation

Depuis 2007, la bande de Gaza fait figure de cruelle et tragique illustration de notre inhumanité. Là où un peu plus deux millions d'enfants, de femmes et d'hommes sont littéralement affamés et entassés sur un territoire plus petit que la ville de Québec. Là où le soleil se meurt du cancer de la noirceur, où la liberté est balayée par les vents de l'indifférence et les rayons de la justice assombris par des nuages de larmes d'abandon et des poussières de douleur nacrées de désespoir. Depuis le 7 octobre 2023, un ciel d'enfer crache le venin la mort et de la désolation au-dessus de la tête des Gazaouis. Tandis que le sol se dérobe sous leurs pieds meurtris par les fuites à marches forcées, ils agonisent par milliers enclavés et terrorisés par la haine des colonnes de blindés. Un mur de souffrance et de désespoir semblable à celui du Ghetto juif de Varsovieet d'une hauteur de plus de 6 mètres et d'une longueur de 65 km. – Honte à Israël qui aurait dû être le dernier État au monde à ériger un tel mur de l'ignominie et imposer autant de dévastation et de privation à un autre peuple « frère ». –

La bande de Gaza ou La naissance d'un génocide

Depuis plus de deux ans à l'intérieur de la bande de Gaza, 2,1 millions d'êtres humains, soit la population de l'île de Montréal, agonisent abandonnés et à la face du monde. Il n'y a plus d'eau, d'électricité, d'infrastructures civiles, commerciales, industrielles, médicales et sanitaires. Quant aux terres agricoles, elles ont été dévastées provoquant de graves pénuries de nourriture. Pendant ce temps, Israël ne cesse de canonner des civils, de chasser et déplacer massivement 90 % de la population en plus de bloquer l'entrée des secours et de l'aide humanitaire. Gaza s'est transformée en un inimaginable champ de ruines et de désolation. On estime que près de 60 % des bâtiments ont été détruits ou endommagés, soit 160 000 en tout. Concernant les établissements de santé, nous parlons également de 60 % et plus de 70 % des écoles ont été détruites et 50 000 personnes tuées. Par contre, la revue médicale britannique The Lancet avance plutôt que le nombre probable de tués serait plutôt de 64 260 morts, soit 1 habitant sur 35 ! De ce nombre, 14 500 enfants, soit 23 %, auraient été tués, 25 000 blessés et 17 000 autres séparés de leurs parents en raison du conflit ou se sont retrouvés seuls suite à la mort de ces derniers. Combien d'autres enfants vont demeurer handicapés ou mourir de leurs blessures faute de soins ? En plus de ce bilan, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a déclaré qu'environ 10 000 habitants de Gaza portés disparus seraient enterrés sous les décombres. Plus abject encore, un rapport de la Commission indépendantede l'ONU sur les crimes sexuels et reproductifs commis par Israël à l'encontre de la population palestinienne et je cite : « … confirme ce que nous savions déjà : l'État sioniste utilise systématiquement et massivement la violence sexuelle contre les femmes, les hommes, les filles et les garçons palestiniens ! » Dire que Netanyahou, cautionné par sa coalition d'extrême droite expansionniste, s'acharne à perpétuer ses crimes dans cet atroce conflit dans le seul but avoué de surseoir à son procès et celui de son épouse pour corruption …

La banalité du mal et Le droit à l'autodétermination

Ce qui se déroule sous nos yeux en Palestine ne constitue en rien une guerre, mais correspond davantage à un sanglant et ignoble massacre d'innocentes victimes et la destruction systématique de leur territoire et de leur patrimoine. Nous ne sommes peut-être pas loin de la « Solution finale », orchestrée jadis par les nazis Heidrich et Eichmann, en voulant déraciner la population de la Palestine qui selon eux parasite « l'espace vital » d'Israël ? Comme nous l'a démontré Hannah Arendt par le passé, nous assistons ici à la « banalité du mal ». Oui, nous nous trouvons en face de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, selon l'Organisme Human Rights Watch, et confrontés à un véritable et dramatiquegénocide. Dire qu'avant le partage de l'ONU en 1947 qui divisait la Palestine en un État juif et un État arabe, c'était l'un des endroits les plus cosmopolites où vivaient en paix Juifs, musulmans, Arabes, Arméniens et Assyriens. Pourtant depuis 78 ans, la Palestine n'a fait que revendiquer son indépendance politique et sa souveraineté sur son territoire. Il en va du droit à l'autodétermination reconnu par la Charte des Nations Unies et la Palestine n'aspire qu'à vivre en toute dignité, en paix et en harmonie avec les autres nations !

Lorsque l'on prend un temps de recul, on réalise que la tragédie qui perdure en Palestine et ailleurs dans le monde représente en vérité le sombre et lourd héritage d'une forme de transmutation du colonialisme d'antan en un impérialisme parvenu à son stade suprême de développement, soit celui du capitalisme financier. Un système de domination sur les nations pauvres et d'exploitation de leurs biens et de leurs ressources et qui détermine et contrôle les enjeux stratégiques du grand échiquier pipé de la géopolitique mondiale et porte la responsabilité des perturbations politiques et socioéconomiques. En somme, un système qui consacre ses énergies « capitales » et ses indices boursiers à sacraliser un productivisme et son dogme de la croissance sans fin et à promouvoir à tous crins la capitalisation captive afin de maintenir la primauté de l'actionnariat et la recherche obsessive de profits. Mais qui par contre, pour le bon usage et la survie du système, ne néglige jamais le bon entretien de la fabrique des pauvres en nourrissant « leurs forces de travail » de miettes boostées aux condiments « novlanguins » et aux stéroïdes chimériques d'un bonheur consumériste et doté en prime d'une promesse constamment renouvelée, pour ne pas dire circulairement recyclable, annonçant : « Des lendemains meilleurs dans un pays plus fort … » – MAGAFIQUE ! N'est-ce-pas ? –

« Le discours politique est destiné à donner aux mensonges l'accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à donner l'apparence de solidarité à un simple courant d'air. » George Orwell

Sauver la Palestine et donner une chance à l'humanité

L'interminable et impitoyable oppression imposée par Israël au peuple palestinien au sein de son territoire national et des territoires occupés depuis 1967 (la péninsule du Sinaï et la Cisjordanie) constitue une forme d'apartheid et « ce peuple supposément élu d'Israël », qui a pourtant subi les affres du nazisme et de la Shoah, se rend maintenant coupable à son tour de génocide et de crimes contre l'humanité. Quant à nous, nous fermons les yeux et tolérons depuis 2007 ce terrible blocus israélo-égyptien. Un blocus qui entrave la survie du peuple palestinien et qui a pourtant été jugé illégal en vertu de l'article 55 da la 4e Convention de Genève. Honte à nous qui avons lâchement enfoui le cœur de notre indignation, les poings de notre colère et la mémoire de nos convictions sous les sables ensanglantés et piégés du désert aride de la souffrance et de ses dunes de la mort.

Que faire à partir de maintenant ? Tout d'abord, adoptons comme étendard la devise des Nations Unies : « Paix, dignité et égalité sur une planète saine ». Puis, cessons de cautionner silencieusement cette cruelle et injuste oppression dans une presque totale et inacceptable indifférence. Ayons le courage des mots et la volonté des actes en faisant preuve d'empathie et de solidarité envers le peuple de la Palestine qui n'en finit plus d'agoniser sous des pilonnages high-techs qui visent trop souvent des victimes innocentes et détruisent stratégiquement des infrastructures civiles essentielles ; dommages collatéraux dans le jargon abscon de la guerre. –Surtout lorsque l'on prend pour cible des journalistes pour mieux museler les médias, des humanitaires et même des secouristes de la Croix Rouge. – Pourtant, Gaza n'est pas confronté à une véritable guerre, mais plutôt foudroyé par un carnage innommable et plongé au cœur d'un désastre humanitaire injustifiable.

En premier lieu, souhaitons que la révolte grandissante de la population israélienne liée à la libération des otages et à la réforme de la justice interprétée tel un coup d'État qui gronde actuellement puisse bannir du pouvoir Netanyahou et neutraliser sa bande d'ultra-orthodoxes. Eux qui ne rêvent que d'autarcie et d'homogénéité ethnique et cautionnent les ignobles « opérations de nettoyage » par la déportation du peuple palestinien et la destruction et l'occupation entière du territoire de la bande de Gaza. Cependant, consolons-nous. Ce boucher de la Knesset, admirateur de Trump et de ses méthodes brutales, risque dans un avenir proche de passer de sa cellule de commandement à une cellule de prisonnier de droit commun, puis de trépasser dans une autre cellule, celle d'un criminel de guerre et responsable de crimes contre l'humanité. Ensuite, que les États-Unis cessent ce double jeu dramatique et criminel qu'ils pratiquent depuis trop longtemps en affirmant à la face du monde vouloir travailler à la réconciliation et à la paix alors qu'ils n'en continuent pas moins d'offrir du soutien politique et logistique et de livrer de grande quantité coûteuse – 20 milliards en 2024 et 7,4 milliards de dollars en 2025, soit la moitié de la somme estimée pour le relèvement et la reconstruction de la bande de Gaza – de matériel militaire de pointe à Israël. Faire en sorte que les cinq membres « permanents à vie », (la Chine, les États-Unis d'Amérique, la France, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie) du Conseil de sécurité des Nations-Unies ne soient plus permanents à vie. Qu'ils cessent de bloquer systématiquement nombre de résolutions portées par les membres de l'Assemblée générale de l'ONU allant ainsi à l'encontre de la volonté d'autres nations qui elles sont alors identifiées, souvent à tort, pour n'avoir pas choisi d'intervenir dans certaines situations. Soulignons que la majorité des cinq membres de ce Conseil figurent en tête de liste des plus grands fournisseurs d'arme ! Et cela, avec pour gravissimes conséquences l'apparition de possibles conflits d'intérêt gommés d'un discours plus ou moins transparent et d'avoir le cœur sur des mains sales …

Un gouvernement palestinien unifié et la reconstruction de Gaza

Les factions palestiniennes ont signé la Déclaration de Beijing en juillet 2024. Le consensus le plus important du dialogue de Beijing c'est d'être parvenu à la réconciliation entre le Hamas et le Fatah et à l'unité entre les 14 factions confirmant l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme seul représentant légitime de l'ensemble du peuple palestinien. Par la suite, il faudra œuvrer avec la communauté internationale des Nations-Unies à la création d'un gouvernement intérimaire de réconciliation nationale axé sur le financement et la reconstruction de Gaza après le conflit. Dans un second temps, procéder à l'établissement durable et la reconnaissance légitime et juridique d'un État palestinien indépendant et souverain en accord avec le droit international et le respect des résolutions des Nations Unies. Finalement, faire en sorte qu'Israël se conforme à ce nouvel ordre mondial afin que tous et toutes puissent enfin cohabiter en harmonie dans ce coin du Proche-Orient.

« L'égalité économique est la clé maitresse de l'indépendance non violente. » Gandhi

À la recherche de la paix et de la justice

Sans être manichéen, comme avait dû le faire Roméo A. Dallaire, commandant de la force de l'ONU de 1993-1994, lors du génocide du Rwanda, – dont on n'a pas tenu compte de ses avertissements et surtout de la part de l'administration Clinton qui est demeurée mortellement silencieuse – d'être contraint de serrer « la main du Diable ». Eh bien, je crois que nous éprouverions la même sensation si nous devions serrer la main de Trump, Netanyahou, Poutine, Xi Jinping, Modi et de tant d'autres dictateurs dans le monde. Un monde où 70 % de la population mondiale, soit près de 6 milliards de personnes vivent sous le contrôle de dictatures. Et n'ayons point peur des mots, nous sommes dirigés par un nombre inquiétant de fous d'eux-mêmes et de malades de pouvoir. Nous devrons trouver les moyens de menotter ces mains sales. Puis laver notre linge sale en famille, entre nations égalitaires qui saisissent l'urgence et la nécessité de restaurer les sentiers de la liberté, donner une chance à la paix et de rendre justice aux opprimés.e.s de la terre.

Sauver la beauté du monde

Nous avons l'obligation d'affronter les vagues de dangers imminents car nous sommes presque parvenus à un point de non-retour climatique. Quant au climat géopolitique mondial, il vire à tribord à toute vapeur et se militarise de nouveau à la vitesse grand « V » pour violence et victimes et sans compter le péril nucléaire qui est revenu hanté les chaumières de l'humanité. Nous nous dirigeons à pas de géant vers un monde dystopique, injuste et sans partage et où le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de s'élargir. Nous sommes également en danger d'extinction civilisationnel et pour parvenir à relever de grands défis telle la malnutrition, la santé, l'éducation, l'habitation et le travail nous devrons nous unir, réanimer le feu intérieur de nos valeurs universelles et réveiller nos consciences. Le sort de l'humanité repose entre nos mains et nous devrons impérativement modifier nos modes de vie consumériste et extractiviste destructeurs. Nous soutenir en toute équité, égalité et en solidarité et tout en faisant preuve de courage, de bonne volonté et dans le respect des diversités. Nous habitons la même planète qui nous a tant donné, même jusqu'à épuisement, et tous les peuples font partie du même Genre humain. Si nous n'agissons pas, la vie sur terre ne deviendra que malheur, souffrance et destruction – elle l'est déjà trop – et nous risquons de mourir de nos inactions, de nos fautes et de notre propre bêtise. L'humanité est malade et elle seule porte en elle le remède. Nous nous devons de sauver la beauté du monde. La balle se trouve dans notre camp et saurons-nous l'attraper ? Une grande Question à 8,5 milliards de réponses …

Voici une réponse : « L'utopie est la mémoire des rêves que nous n'avons pas encore réalisés. » Paul Ricoeur

Gaétan Roberge

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Gaza : l’enfer des bombardements et du blocage de l’aide humanitaire !

L'incommensurabilité de l'horreur infligée à la population de Gaza se poursuit dans l'impunité. Rompant une trêve de 2 mois, les frappes israéliennes ont fait, hier lundi, 40 (…)

L'incommensurabilité de l'horreur infligée à la population de Gaza se poursuit dans l'impunité. Rompant une trêve de 2 mois, les frappes israéliennes ont fait, hier lundi, 40 victimes. Une barbarie dénoncée par la Présidente d'Europalestine et le Docteur Nizar Badran, Président PalMed France.

De Paris, Omar HADDADOU

La violence du Puissant, langue universelle à inscrire dans le Patrimoine de l'Humanité !
Deux options pour venir à bout de la Résistance dans la bande de Gaza : « Arrêter l'aide humanitaire et rendre inopérantes les maternités afin annihiler toute natalité ». Les stratégies donnent froid dans le dos ! Elles ont été rendues publiques par la très intraitable Olivia Zémor, cheffe de fil d'Europalestine et le Docteur Nizar Badran, président de l'Association PalMed France, décrivant « une situation d'horreur » dans la bande de Gaza !
Depuis les attaques du 7 octobre 2023, le Hamas et Tsahal se livrent à un bras de fer armé dont seuls les enfants et la population civile paient le lourd tribut sous les bombes. Si les branches politique et armée du Mouvement palestinien se disent prêts à aller à la table des négociations, le Premier ministre Netanyahou ne l'entend pas de cette oreille. Il promet mordicus de récupérer tous (es) les otages et d'éradiquer la Résistance. Conclusion : la bande de Gaza et la Cisjordanie sont devenues un cimetière à ciel ouvert, avec la bénédiction de Trump (plaidoyer du transfert des Palestiniens), les Européens et les Institutions Internationales en papier mâché !
Privée de l'aide humanitaire depuis 50 jours, les Gazaouis(es) ont pour horizons le blocus, les maladies, l'exode et le dernier sommeil (mort), perpétrés avec une cruauté innommable. Hier lundi, le pilonnage de l'aviation israélienne a fauché la vie de 40 Palestiniens (es), rapportent les médias français.
Les envoyés spéciaux des chaînes en langue arabe transmettaient des images insoutenables de bébés, de femmes et de vieillards extirpés calcinés des décombres !

Oui ! La culture de la domination conduit la Puissance à se « génomiser » Ogre.

En attendant la conférence en juin co-présidée avec l'Arabie Saoudite, sur la solution à 2 Etats, des tractations tenues secrètes, indique un canal public français, se dérouleraient actuellement, en vue d'aboutir à l'étape décisive de reconnaissance officielle de l'Etat palestinien.

La France, par la voix du Porte-parole du gouvernement, Sophie Prima, a appelé, ce lundi, Israël « à arrêter le massacre », et au Hamas à la libération immédiate des otages. Une démilitarisation de la Moukaouama ainsi que la refondation de l'Autorité palestinienne, restent le préalable pour une coexistence effective que nombre d'observateurs jugent fragile.

Plus frappant, est le constat établi par l'ONG française PalMed œuvrant en territoire palestinien, sur la situation des enfants et les structures infantiles à Gaza.
Horrifié, son Président, le Docteur Nizar Badran, ne mâche pas ses mots : « C'est une horreur totale ! On parle de 27 enfants tués par jour, selon l'Unicef. Sur les 51.000 exterminés à Gaza, 15.000 sont des enfants, 34.000 blessés et 11.200 sous les décombres. Un rapport publié le 13 mars parle ciblage des installations de Santé reproductive, comme la clinique El Besma (Le sourire), pour empêcher justement toute procréation. Le but des attaques des maternités, est de détruire la capacité des Palestiniens d'avoir des enfants. On peut dire pour les enfants palestiniens qu'une génération entière a été éliminée et qu'il y aura un trou générationnel. Ceux qui survivent, souffreront de troubles psychologiques ».
Cette réalité atterrante n'a pas laissé Europalestine indifférente. Sa Présidente, Olivia Zémor, dont les procédures judiciaires la guettent à chaque sortie, a fait, encore une fois, montre de détermination à défendre la cause palestinienne. Ce samedi 26 avril, à Paris, de la Fontaine des Innocents jusqu'au Boulevard des Batignoles (17 arr), elle a conduit le cortège pour un cessez le feu à Gaza, comme un officier supérieur ses troupes. A chaque fois, l'activiste passe en revue la procession, procédant à des mises au point, soufflant dans le mégaphone les slogans pour l'arrêt du génocide, tout en réitérant la levée du blocus. De façon impromptue, elle improvise et régule la cadence de la marche funèbre, rythmée par le retentissement des gamelles et des Jerricans vides, illustrant la famine et la carence en eau potable dans la bande de Gaza. D'une voix révoltée, elle fustige, s'indigne et exhorte les manifestants (es) à reprendre près elle : « Tortionnaires, assassins ! On n'accepte pas le supplice de la famine ! Arrêtez de brûler vifs les enfants de Gaza ! Leur guerre de religion, c'est du bidon ! Ça s'appelle Colonisation ! Trump casse-toi ! Le monde a honte de toi ! »

Et de boucler la manifestation par : « Génocide à Gaza, on ne se taira pas ! »

O.H

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Nouveau désordre, transition géopolitique et militarisation de l’Europe

29 avril, par Jaime Pastor — ,
La nouvelle ère que le bloc réactionnaire regroupé autour de Trump aspire à imposer à l'échelle mondiale vient de commencer, mais nous voyons déjà apparaître les contradictions (…)

La nouvelle ère que le bloc réactionnaire regroupé autour de Trump aspire à imposer à l'échelle mondiale vient de commencer, mais nous voyons déjà apparaître les contradictions et les résistances provenant de différents horizons qui s'opposent à ce projet. Je tenterai dans cet article de souligner certaines des caractéristiques de ce moment historique avant d'aborder ses implications pour l'Europe.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
26 avril 2025

La tendance fondamentale qui caractérise cette période sur le plan politico-idéologique à l'échelle internationale est la montée d'un autoritarisme réactionnaire, qui a pour référence un « fascisme de la fin des temps » (Klein et Taylor, 2025), avec à sa tête Trump et ses techno-oligarques intellectuels (Morozov, 2025) et qui trouve son expression extrême dans l'État génocidaire d'Israël dirigé par Netanyahu. Ce phénomène s'inscrit dans le cadre d'une polycrise mondiale – un ensemble de crises interdépendantes, parmi lesquelles la crise climatique et écosociale occupe une place prépondérante – qui, dans le cadre de la présente analyse, remet en question la mondialisation capitaliste néolibérale et le système hiérarchique impérial qui prévaut depuis la chute de l'URSS.

En réalité, comme l'ont déjà analysé Arrighi et Silver [1], Günder Frank ou Wallerstein, entre autres, la tendance au déclin de l'hégémonie américaine qui se manifeste aujourd'hui avec force dans le cadre de la polycrise actuelle est ancienne. Eux tous plaçaient cette tendance dans la transition entre le XXe et le XXIe siècle et, plus précisément, dans les changements qui s'opéraient dans l'économie mondiale – surtout avec l'essor que connaissaient la Chine et l'Asie du sud-est – ainsi que dans les conséquences de l'énorme échec des guerres menées par les États-Unis en Irak et en Afghanistan et de leur crise d'hyperextension stratégique.

Après la Grande Récession de 2008 et la crise sanitaire de 2020, ces changements géopolitiques se sont en outre développés dans le contexte de la crise d'un capitalisme numérique largement financiarisé qui, malgré les progrès technologiques et le niveau extrêmement élevé d'exploitation, s'approprie et domine la majorité de l'humanité et la planète Terre, ne parvient pas à créer les conditions nécessaires pour sortir de la longue période de stagnation qui a débuté à la fin des années 70 du siècle dernier.

D'un moment réactionnaire à une nouvelle ère mondiale

Dans ce contexte général de transformation qualitative du type de capitalisme tel que nous le connaissions jusqu'à présent (Velásquez, 2025) et de crise de la gouvernance mondiale, l'épuisement des démocraties libérales, le déclin des « néolibéralisme progressistes » et l'échec qui a sanctionné le cycle du passage au pouvoir de différentes gauches (symbolisé principalement dans le cadre européen par la défaite subie en Grèce en 2015) ont ouvert la voie à la consolidation d'une extrême droite internationale qui conquiert l'hégémonie politico-culturelle grâce à une alliance de différentes forces sociales – allant de fractions de l'oligarchie à des secteurs populaires autochtones – autour de différentes versions d'un ethno-nationalisme xénophobe, antiféministe et négationniste de la crise climatique.

Ce dernier point se retrouve aujourd'hui principalement dans la grande puissance américaine, déjà vieillissante, avec la constitution d'un bloc où convergent les « intellectuels » techno-oligarques, le capital fossile et les secteurs de la classe moyenne et ouvrière blanche. C'est ainsi qu'est arrivé au pouvoir un suprémacisme blanc, oligarchique et protectionniste, prêt à mener à bien son projet MAGA face à ce qui, selon l'expression de son aile la plus millénariste, suppose l'entrée dans une phase apocalyptique où l'urgence est de construire, ce que denoncent aussi Klein et Taylor (2025), une « nation retranchée » prête à s'assurer toutes les ressources nécessaires – et de plus en plus rares – pour survivre au cataclysme imminent.

C'est dans ce contexte général qu'il faut comprendre le revirement de Trump en matière de politique étrangère, tant sur le plan commercial – comme nous le voyons avec la guerre des droits de douane, en particulier avec la Chine, qui est en train de se retourner contre les États-Unis (Katz, 2025) – que sur le plan géopolitique. Sur ce front, d'une part, il tente une nouvelle expansion impériale (Groenland, canal de Panama...) et, d'autre part, il neutralise son vieil ennemi russe autour de la guerre en Ukraine grâce à un accord avec Poutine, avec lequel il ne cache pas ses affinités idéologiques. Sur ces deux plans, ce revirement implique également un changement dans les relations avec l'UE, même si l'on ne sait pas encore quelle sera son ampleur, notamment en ce qui concerne l'OTAN et la présence militaire américaine sur le territoire européen.

Le réarmement du pilier européen de l'OTAN

S'il faut rappeler que le monopole systématique exercé sur le concept d'Europe par une UE divisée et dont le moteur allemand est en déclin reste abusif et sert les intérêts de l'ancien eurocentrisme occidental, il semble évident que ses élites tirent aujourd'hui parti de l'alibi que leur offre Trump pour redynamiser leur projet fallacieusement qualifié d'« autonomie stratégique ». Elles aspirent ainsi à freiner leur perte croissante de centralité à l'échelle mondiale en redéfinissant leur rôle dans le domaine économique et commercial en l'associant étroitement au domaine militaire, comme le confirme le Livre blanc sur la défense (Jaén, 2025).

Ce plan comprend un budget de 800 milliards d'euros (dont 150 milliards seront obtenus sur le marché des capitaux) jusqu'en 2030 (avec un maximum de 1,5 % par an), qui permet aux États de contourner les règles du déficit budgétaire et qui profitera en outre principalement à l'industrie militaire américaine. Un plan qui n'est d'ailleurs pas présenté comme incompatible avec la participation à l'OTAN – qui est d'ailleurs citée 25 fois dans ce document –, bien au contraire.

En réalité, cela aboutira donc à un renforcement du pilier européen de l'OTAN. Une alliance militaire qui, ne l'oublions pas, continue d'accorder une importance stratégique aux « menaces » provenant de la frange sud, c'est-à-dire de l'Afrique, où, outre la persistance du rôle traditionnel de l'impérialisme français, une concurrence intense se développe déjà pour le pillage des minerais clés, en particulier avec la Chine, considérée comme un « rival systémique » par les États-Unis et l'OTAN.

Pour justifier ce bond en avant dans leur militarisation, les élites européennes ont définitivement choisi de considérer la Russie comme une « menace existentielle » pour les « valeurs démocratiques » qu'elles prétendent défendre, alors qu'elles-mêmes ne cessent de les bafouer chaque jour qui passe. En témoignent clairement leur complicité dans le génocide israélien contre le peuple palestinien (comme nous le voyons également dans le cas espagnol, avec les contrats du gouvernement avec des entreprises israéliennes [2]) et la mise en œuvre d'une politique migratoire raciste qui viole des droits fondamentaux tels que le droit d'asile. À tout cela s'ajoute la criminalisation croissante des protestations de nombreux mouvements sociaux, comme nous le voyons dans le cas espagnol avec le harcèlement visant la solidarité avec la Palestine ou la répression et l'emprisonnement d'activistes antifascistes (comme les 6 de Saragosse) et de travailleurs en grève (comme les 6 de la Suiza).

De plus, l'utilisation du terme « réarmement » est un exemple flagrant de novlangue, car ces élites veulent donner l'impression que « l'Europe » n'est pas armée alors qu'en réalité, comme le rappelle Gilbert Achcar, « l'Union européenne a plus de trois fois la population, plus de dix fois l'économie et trois fois les dépenses militaires, en incluant le Royaume-Uni, que la Russie — malgré le fait que la Russie soit directement impliquée dans une guerre à grande échelle et donc au maximum de ses capacités, contrairement à l'Europe. Dans ces conditions, il serait absurde d'envisager sérieusement une invasion russe de l'Europe » (Desnos, 2025).

Si l'argument idéologique, pas plus que l'argument purement militaire, ne tient pas la route, d'autres raisons de poids peuvent être ajoutées pour rejeter la thèse selon laquelle la Russie constituerait une « menace existentielle » pour l'UE. Premièrement, parce que la principale menace pour cette « Europe » se trouve à l'intérieur, dans la montée d'une extrême droite réactionnaire qui, dans les prochaines années, pourrait arriver au pouvoir dans des pays clés comme la France et l'Allemagne et qui, d'ailleurs, bénéficierait de façon certaine du soutien de Trump ; deuxièmement, parce que le bilan, plus de trois ans après l'invasion injustifiée de l'Ukraine, montre que la Russie n'a pas été capable d'occuper plus de 20 % de son territoire, et qu'il est donc difficile de croire qu'elle pourrait se lancer dans de nouvelles aventures militaires dans d'autres pays de son front occidental. En ce qui concerne ces derniers, il est évident qu'elle est prête à recourir à différents moyens de pression afin de pouvoir compter sur des « régimes amis », comme c'est déjà le cas de la Hongrie, mais ce n'est pas en militarisant davantage les pays voisins que cette guerre hybride sera neutralisée.

Il semble toutefois clair que Poutine serait prêt à profiter de la fenêtre d'opportunité que lui a offerte Trump pour parvenir à une reconnaissance mutuelle de leurs sphères d'influence (toi l'Ukraine, moi le Groenland, le canal de Panama et mes États « vassaux »...) ce qui, ne nous leurrons pas, aboutirait finalement à l'accepter une UE où ses alliés idéologiques continueraient de se multiplier. C'est dans ce sens que vont certaines des réflexions des idéologues proches de Poutine, davantage intéressés à diriger leur expansionnisme vers leur « étranger proche » dans l'espace eurasien [3].

Car, comme le souligne Hélène Richard :

« Les risques pris par Moscou pour maintenir Kiev de force dans son orbite ne sont pas comparables à ceux qu'elle devrait prendre pour y faire entrer d'autres pays, même ceux qui abritent des minorités russophones, comme la Lituanie, l'Estonie et la Lettonie. Car même si l'on admettait que Moscou est en proie à une soif insatiable de territoires, elle aurait bien du mal à la satisfaire. Attaquer les États baltes reviendrait à s'affronter une coalition otanienne dans laquelle pourraient entrer une trentaine de pays européens, sans compter les États-Unis » (Richard, 2025 : 13).

Enfin, n'oublions pas que, contrairement à la défunte URSS, la Russie est aujourd'hui une formation sociale capitaliste aux traits distincts de ceux de l'Occident, mais dont celui-ci est dépendant pour des matières premières essentielles, comme l'a démontré l'échec de la politique de sanctions qui a été mise en place après le début de l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022.

Ce qui est indéniable, c'est que la Russie de Poutine a un projet nationaliste « grand russe » qui constitue une menace existentielle pour l'Ukraine. Il est donc légitime de soutenir le peuple ukrainien dans sa juste résistance – et, au sein de celui-ci, les secteurs de gauche qui critiquent les politiques néolibérales et pro-atlantistes de Zelenski – face à l'occupation russe, ainsi que dans sa revendication d'une paix juste et durable qui ne conduise pas au partage de ses terres et de ses ressources entre Poutine et Trump.

Mais cela n'impose pas d'utiliser cette guerre comme alibi pour un « réarmement » qui s'annonce d'ailleurs ouvertement offensif, car cela reviendrait à entrer dans une nouvelle phase de la course aux armements (y compris aux armes nucléaires, comme le réclame déjà la Pologne face à la puissance qui dispose du plus grand arsenal nucléaire), avec le risque de provoquer une escalade dans une guerre qui serait alors directement interimpérialiste.

Le plan ReArm Europe n'a donc pour seul sens que de contribuer à imposer un bond en avant dans le renforcement de l'UE en tant que bloc impérialiste, afin de lui permettre de retrouver son rôle de premier plan dans la concurrence interimpérialiste croissante à l'échelle mondiale pour le contrôle des ressources rares et le pillage des biens communs, tant au Nord qu'au Sud. Il s'agit, en résumé, de mettre en place un eurokeynésianisme militaire comme nouvelle version de la doctrine du choc, qui non seulement ne contribuerait pas à sortir de la crise de rentabilité du capitalisme (Roberts, 2025), mais surtout se ferait au détriment de la lutte la plus nécessaire et la plus urgente contre la crise climatique, ainsi que des acquis sociaux, culturels et démocratiques qui ne nous ont pas encore été arrachés au terme du long cycle néolibéral. Un scénario qui serait sans aucun doute encore plus favorable à la montée de l'extrême droite dans nos propres pays et au « changement de régime » préconisé par J. D. Vance lors du sommet de Munich.

Quelle sécurité, quelle défense ?

Il est donc urgent de réfuter le discours militariste, sécuritaire et raciste sur la sécurité prôné par les élites européennes, ainsi que leur culture de la peur – avec la mise au pas sociale qui l'accompagne – et de lui opposer un autre discours fondé sur la recherche d'une sécurité écosociale et démilitarisée à l'échelle européenne et mondiale.

Pour cela, en tant que gauche alternative et pacifiste radicale, nous ne pouvons pas non plus ignorer le débat sur les modèles de défense face à ceux qui nous accusent de ne pas proposer d'alternatives. En réalité, comme l'a récemment rappelé Jorge Riechmann (2025), dès les années 80, des contributions intéressantes et des débats animés ont eu lieu dans le cadre du mouvement pour la paix européen et également dans l'État espagnol sur ces questions.

Il s'agissait alors de répondre à l'escalade des armements et du nucléaire à l'échelle européenne, ainsi qu'à l'engagement du gouvernement de Felipe González en faveur du maintien dans l'OTAN, qui a abouti à un référendum dont nous sommes sortis vaincus pour des raisons que nous avons pu rappeler dans d'autres travaux [4]. C'est dans ce but que nous avons eu l'occasion de réfléchir à des propositions de systèmes de dissuasion alternatifs de type défensif, et en aucun cas agressif, qui excluaient les armes de destruction massive et qui devaient privilégier les formes de résistance active et non-violente qui s'appuient sur l'auto-organisation populaire. C'est dans cette ligne que s'inscrivaient le modèle développé par Horst Afheld, mentionné par Riechmann dans son article, ainsi que d'autres modèles discutés lors des différentes journées d'études de la CEOP (Coordinadora Estatal de Organizaciones Pacifistas, Coordination nationale des organisations pacifistes), qui ont également bénéficié de la participation de spécialistes éminents, entre lesquels il convient de distinguer Johan Galtung, malheureusement décédé en février 2024.

À l'époque, on nous disait que nous n'avions rien à opposer à la course aux armements et à l'OTAN, mais en réalité, nous étions en train de construire une alternative en misant sur la dénucléarisation de l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural, et sur le refus de l'alignement sur l'un des deux blocs, l'OTAN et le Pacte de Varsovie. Nous n'avons pas gagné la bataille, mais une culture pacifiste et antimilitariste a perduré, qui a trouvé sa continuité dans le mouvement de refus de la conscription militaire, dans le « Non à la guerre en Irak » et dans différents centres de recherche et collectifs antimilitaristes et pour la paix et qui restent actifs dans différentes régions d'Europe et en Espagne et qui développent des propositions autour de ces questions et d'autres.

Aujourd'hui, dans un contexte différent mais plus dangereux, il nous appartient de relancer et d'actualiser ces débats et ces propositions afin de démontrer que nous avons bel et bien des solutions de rechange à proposer face à l'accélération de la catastrophe climatique, sociale et militariste dans laquelle nous entraîne le capitalisme du désastre, véritable menace pour la survie de la vie sur cette planète.

Il est évident que le pari sur des modèles alternatifs de défense est indissociable d'une mobilisation unitaire aussi large que possible aujourd'hui contre le plan de réarmement, pour la dissolution de l'OTAN et le démantèlement de toutes les bases militaires américaines sur ce continent, afin d'avancer vers une Europe décoloniale, dénucléarisée et disposée à faire la paix avec tous les peuples et avec cette planète.

Jaime Pastor

Références

Arrighi, G. et Silver, B. J., éd. (2000) Chaos et ordre dans le système-monde moderne. Madrid : Akal.

Desnos, Gaëlle (2025) « Gilbert Achcar : « Pour un désarmement mondial synchronisé » », CQFT, 04.04.2025 :
https://cqfd-journal.org/Pour-un-desarmement-mondial

Jaén, Jesús (2025) « ¿A dónde va Europa ? Acerca del rearme y la defensa » (Où va l'Europe ? À propos du réarmement et de la défense), Viento Sur, 24/04, https://vientosur.info/a-donde-va-europa-acerca-del-rearme-y-la-defensa/

Katz, Claudio (2025) « El desmadre programado que desborda a Trump » (Le chaos programmé qui submerge Trump), Viento Sur, 16/04, https://vientosur.info/el-desmadre-programado-que-desborda-a-trump/

Klein, Naomi et Taylor, Astra (2025) « L'essor du fascisme de la fin des temps), traduction française par ESSF, originellement publié sur le Guardian le 13/04, https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74594

Morozov, Evgeny (2025) « Los nuevos legisladores de Silicon Valley (Les nouveaux législateurs de la Silicon Valley) », sinpermiso, 12/04, https://sinpermiso.info/textos/los-nuevos-legisladores-de-silicon-valley

Richard, Hélène (2025) « La menace russe est-elle réelle ? », Le Monde Diplomatique, 354, avril, pp. 13-14.

Riechmann, Jorge (2025) « Por una defensa (auténticamente) no ofensiva. Sobre el rearme y militarización que propone la UE (Pour une défense (authentiquement) non offensive. À propos du réarmement et de la militarisation proposés par l'UE) », Viento Sur, 31/03/, https://vientosur.info/por-una-defensa-autenticamente-no-ofensiva-sobre-el-rearme-y-militarizacion-que-propone-la-ue/

Roberts, Michael (2025) « From welfare to warfare : military Keynesianism (Du bien-être à la guerre : le keynésianisme militaire) », 22/03, https://thenextrecession.wordpress.com/2025/03/22/from-welfare-to-warfare-military-keynesianism/

Velásquez, Diego (2025) « Desborde reaccionario del capitalismo : la hipótesis tecnofeudal
Entrevista a Cédric Durand (Entretien avec Cédric Durand : Le débordement réactionnaire du capitalisme : l'hypothèse technoféodale) », Nueva Sociedad, janvier-février 2025, https://nuso.org/articulo/315-desborde-reaccionario-del-capitalismo-la-hipotesis-tecnofeudal/
P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro

Source - Viento Sur, 26 avril 2024 :
https://vientosur.info/nuevo-desorden-transicion-geopolitica-y-militarizacion-de-europa/

• Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur

Notes

[1] Rappelons ce qu'écrivaient déjà Arrighi et Silver en 1999 : « Si le système [ils font référence au « système-monde »] finit par s'effondrer, ce sera avant tout à cause de la résistance des États-Unis à s'ajuster et à s'adapter à la montée en puissance économique de l'Asie orientale, condition nécessaire à une transition sans catastrophe vers un nouvel ordre mondial » (2000 : 292).

[2] N'oublions pas que même si l'un d'entre eux a été annulé, d'autres restent en attente de clarification : https://www.eldiario. es/internacional/contratos-compra-armamento-israel-tendra-revocar-gobierno-espanol-cumplir-compromiso_1_12244788.html

[3] Lire le texte de Sergueï Karaganov, directeur du Conseil de politique étrangère et de défense de Russie, dans « Un lebensraum pour la Russie de Poutine : Karaganov et la géopolitique de la Grande Eurasie », Le Grand Continent, 18/03/25, https://legrandcontinent. eu/es/2025/03/18/un-lebensraum-pour-la-russie-de-poutine-l'union-géopolitique-de-la-grande-eurasIE-selon-karaganov/

[4] Voir, par exemple, le dossier « Dix ans de l'OTAN » dans Viento Sur, 25, mars 1996, pp. 111-126, avec des articles d'Enric Prat, Ramón Adell et Consuelo del Val. Pour ma part, j'ai noté quelques réflexions dans le chapitre V de mon livre Guerra, paz y sistema de Estados (Guerre, paix et système des États) (Madrid, Ediciones Libertarias, 1990) : « Mouvement pour la paix et démocratie participative. Leçons du cas espagnol “

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Communion médiatique autour du pape François : la disparition de l’esprit critique ?

29 avril, par Olivier Mathonat — ,
Les obsèques du pape François auront lieu ce samedi. Elles vont donner lieu à une multitude d'hommages, la plupart du temps respectueux et empreints de solennité, comme si (…)

Les obsèques du pape François auront lieu ce samedi. Elles vont donner lieu à une multitude d'hommages, la plupart du temps respectueux et empreints de solennité, comme si l'exercice critique journalistique disparaissait soudainement.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Les funérailles du pape seront un « media event » : un événement fédérateur, dont le déroulement est connu à l'avance, suivi en direct par des audiences très nombreuses. Ces cérémonies télévisées, identifiées comme telles par les sociologues Daniel Dayan et Elihu Katz, dans les années 1990, ont également pour particularité une couverture médiatique sur le registre laudatif.

En pareille occasion, en effet, les journalistes de télévision, pris par leur volonté d'initier les publics à l'événement solennel qu'ils retransmettent, abandonnent ponctuellement leur posture d'enquêteurs parfois contestataires pour revêtir les habits de maîtres de cérémonie respectueux. Ils se font les relais du sens donné à cet événement par l'institution organisatrice, ici l'Église catholique, parfois la royauté.

Le phénomène à l'œuvre fut en effet le même avec la monarchie anglaise lors des funérailles d'Elizabeth II ou le couronnement de Charles III. Comme le soulignent Dayan et Katz, lors de ce type d'évènement, les journalistes sont « transformés en prêtres, en “photographes de noces”, en convives », ce qui les conduit à adopter « une révérence qui touche à la componction ». L'heure ne sera donc pas – encore – au droit d'inventaire, mais à la mise en scène de l'unité, de la continuité et du recueillement, dans un récit médiatique suspendu à la solennité du moment.

Au-delà du rituel de la cérémonie en elle-même, les télévisions du monde entier se feront probablement l'écho de la « performance » de communion de la foule, silencieuse et priante, rassemblée place Saint-Pierre. Comme l'observait la doctorante en médias Liz Hallgren à l'occasion des funérailles d'Elizabeth II :

  • « En mettant en avant les foules massées pour “faire la queue” et voir le cercueil de la reine exposé, ou celles rassemblées pour assister à ses funérailles, les médias, notamment occidentaux, ont façonné l'image d'un collectif uni dans le deuil. »

Des réseaux sociaux moins obséquieux que les médias

On pourra certainement observer une différence de traitement importante entre ce qui sera retransmis à la télévision et ce qu'on pourra lire sur les réseaux sociaux. Des travaux sur les événements cérémoniels ont en effet montré récemment qu'en contraste avec le discours unanimement respectueux développé à la télévision, les médias sociaux sont les vecteurs d'une multiplicité de discours, parfois virulents ou moqueurs. Cette perspective s'oppose au consensus médiatique généralement observé dans le cas d'un deuil. Relevons d'ailleurs que c'est en fait à une confrontation de perspectives médiatiques qu'on assiste, car comme l'indiquait également Liz Hallgren à propos de la reine d'Angleterre :

  • « La couverture médiatique traditionnelle du décès de la reine reflétait une nostalgie pour une époque révolue de la télévision et des médias d'information traditionnels, où ces derniers constituaient la principale, voire l'unique, source d'information pour leur public. »

« Bon vieux temps » de la perspective unique de la télévision versus multiplicité actuelle des supports et des points de vue exprimés en ligne, en somme.

La communion par le foot et par le pape ?

Cette surmédiatisation des funérailles ne fera qu'ouvrir une chronique qui alimentera les médias ces prochaines semaines : le processus rituel de désignation du prochain pape. Nombre de spectateurs, habituellement très éloignés du catholicisme, vont alors suivre avec intérêt les préparatifs du conclave, entendront une nouvelle fois le récit – exagéré – de la première réclusion des cardinaux à Viterbe en 1274, guetteront la couleur de la fumée s'échappant de la chapelle Sixtine.

Cet attrait manifestera, s'il était encore nécessaire, le pouvoir intégrateur des rites, comme les Jeux olympiques l'ont montré d'une certaine façon, l'été dernier. Quitte à faire regretter aux publics français que nous ayons si peu de rituels nationaux autres que sportifs, comme Régis Debray l'affirmait dans Libération il y a vingt ans, deux jours avant l'élection de Benoît XVI :

  • « Il y a une joie à se rassembler, il y a un bonheur intense à se fondre au coude à coude dans une foule organisée. Notre déficit cérémoniel crée un vide à combler. Les philosophes dans le vent depuis cinquante ans, individualistes et libertaires, antitotalitaires et libéraux, parlent de cette euphorie comme d'une basse et vilaine écume. Ils parlent droits, sexe, langage, liberté, valeurs. Mais plus jamais de fraternité. Communautaire est un vilain mot. Communisme est obscène, où il y avait pourtant communion. Ne parlons pas de la patrie et du Parti. On ne va plus au meeting ni à la guerre. Les rites civiques s'effacent. Alors, que reste-t-il ? Le sport et le pape. »

Le pape, donc. Ou plutôt ce qu'il incarne dans cette période de deuil globalisé : une figure autour de laquelle se cristallisent des récits de communion et d'unité, dépassant les appartenances religieuses. À travers la scénographie ancienne des funérailles pontificales et la médiatisation de l'émotion collective, c'est une forme de récit de l'universalité qui se joue.

Universel, c'est d'ailleurs ce que signifie l'étymologie de « catholique ». Ce qui tend à démontrer la pertinence de la proposition de Dayan et Katz, pour qui « les cérémonies télévisées sont susceptibles de produire la communauté même à laquelle elles s'adressent ». Pendant quelques jours, quelques heures, l'Église catholique va atteindre cette ambition d'universalité.

Pourtant, ce moment d'unanimité, sans doute prolongé par l'enthousiasme que suscitera l'annonce du successeur du pape François, ne fera que précéder un retour de la fragmentation. Avant cela, nombre de commentateurs, y compris sur les réseaux sociaux, salueront l'élection du nouveau pontife d'un « Habemus papam » (« Nous avons un pape »), reprenant à leur compte l'expression des catholiques. Alors que pour bon nombre d'entre eux « habetis » ou « habent papam » (« vous avez », « ils ont un pape ») serait plus approprié. Signe, en creux, de la force persistante d'une formule rituelle.


Olivier Mathonat, Enseignant chercheur à l'Ircom - Doctorant en communication, Université Bourgogne Europe

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La crise haïtienne : genèse, fondement et persistance

29 avril, par Guecelyn Otilus — , ,
L'histoire socio-politique d'Haïti, c'est plus de deux siècles de tyrannies, de guerres intestines, de captation de l'État, d'occupations étrangères, mais aussi de grandes (…)

L'histoire socio-politique d'Haïti, c'est plus de deux siècles de tyrannies, de guerres intestines, de captation de l'État, d'occupations étrangères, mais aussi de grandes mobilisations populaires (Hector 2006 ; 1998 ; Etienne 2007 ; Dorismond 2020).

Introduction générale

Si par la Révolution de 1804, l'État haïtien est né sur les ruines de la colonie de Saint-Domingue, mettant ainsi fin au système d'exploitation implanté depuis la fin du 15e siècle. Il faut dire que les acquis de la révolution seront vite accaparés par une élite militaro-politique, trahissant ainsi l'idéal de la révolution « Tout moun se moun » (Péan 2009). La colonie de Saint-Domingue fut rongée par de profondes crises structurelles dont les tentacules allèrent hanter le nouvel État indépendant, alors on pourrait affirmer sans ambages qu'Haïti a pris naissance sur fond de crise.
Lorsqu'on étudie l'histoire socio-politique d'Haïti, on a l'impression que l'histoire se reproduit. Ce qui n'est évidemment pas le cas, l'histoire ne se reproduit pas, c'est toujours un phénomène, un évènement nouveau qu'on a sous les yeux, cette impression est due au fait qu'on est devant les manifestations d'un système politique qui se reproduit, se régénère pour perdurer dans le temps. La notion de crise devient depuis un certain temps un concept récurrent dans les travaux en Sciences sociales. Ici en Haïti, il y a une littérature assez vaste sur la crise haïtienne.

Dans toute cette littérature, il y a ce qui pourrait être considéré comme une crise de l'interprétation de la crise. Il faut dire que l'appréhension de la crise ne fait pas l'unanimité chez ces auteurs qui sont d'horizons disciplinaires variés. Depuis un certain temps, dans les sphères politiques, médiatiques et académiques le concept de « crise » est au cœur des principales discussions, il est si souvent présent que lorsqu'on l'évoque on ne sait plus de quoi parle-t-on. Peu importe si on appréhende la crise en terme de rupture ou de confrontation entre l'ancien et le nouveau, l'« état de crise » présuppose un état antérieur de stabilité, de fonctionnement de la structure sociale et politique. C'est qu'il y a une rupture entre ce qui est et ce qui devrait être en terme de normativité.

Dans la science politique, il y a cette tradition à penser en terme de normativité. De cette considération, pour répondre à la question « qu'est-ce qu'une crise ? », il faut esquisser une tentative de définition de la politique puisque dans une large mesure tout constat d'une crise passe par une rupture ou une disparité entre ce qui se fait et une certaine finalité de la politique. Je préfère cette conception de la politique comme « gestion de conflit ». Les différentes catégories sociales n'ont pas les mêmes intérêts, très peu importe les convictions politiques, que l'on soit de droite ou de gauche puisqu'on est en communauté, déjà le mot dit beaucoup, faire communauté c'est mettre en commun. On est obligé à discuter, contrairement à ce que pense Jürgen Habermas, la politique repose sur le dissensus comme l'a avancé J. Rancière. Il faut discuter sur l'avenir de la polis, sur la distribution des ressources. Le rapport de tension entre les classes doit passer principalement par le canal politique. Il y a crise lorsque la politique ne permet pas la cohabitation des catégories sociales opposées, et que l'ordre dominant est inégalitaire et structuré par la violence. Incapable de proposer un projet de société où des individus ne seraient pas des êtres non sujet de droit dans l'effectivité, vidés de leur dignité, incapables de se réaliser. De cette considération, dans le cadre de cette analyse nous retiendrons la définition de la crise proposée par le philosophe Dorismond pour qui c'est « La difficile ascension à un régime de rationalité politique susceptible de procéder à une juste redistribution du bien commun, et à la réalisation de soi et de chacun des Haïtiens » (2020). Maintenant, il est tout à fait légitime de se demander ; Comment parler de la crise tout en étant au cœur de celle-ci sans tomber dans une impasse ?

C'est une question presqu'aussi épineuse que la crise elle-même. Si dans le cas haïtien, la crise fait corps avec le système politique, alors quels sont ses fondements, comment la saisir dans son déploiement ? Et comment elle a pu traverser des siècles ? Dans les lignes qui suivent, il sera question de tenter d'apporter un élément de réponse à ces principales interrogations. Pour ce faire, nous nous référons à l'analyse de l'historien Michel Hector qui a su identifié trois (3) principales aspirations des contestations populaires qui a traversé le système politique haïtien, allant de la période de la chute du gouvernement de Boyer en 1843 à la chute de la dictature des Duvalier en 1986. À partir de cette identification, dans un premier temps nous allons tenter de saisir les fondements de la crise dans son déploiement sur la société haïtienne, et dans un deuxième mouvement de comprendre comment le système se régénère c'est-à-dire comment il a pu rester debout malgré les diverses vagues de contestation dont il fait l'objet durant deux siècles environ.

1er janvier 1804 : invention d'un État colonial dans une post-colonie

Au tout début du XIXe siècle, un évènement extraordinaire s'est produit dans les Amériques. Un groupe d'esclavagisés ont conduit une révolte contre leurs maitres, la seule révolte d'esclaves victorieuse de toute l'histoire de l'humanité. Par cet acte, les insurgés ont non seulement mis fin au système esclavagiste instauré depuis plusieurs siècles, mais aussi opéré une rupture dans l'imaginaire ou la pensée coloniale. C'était pour l'époque quelque d'inconcevable (Trouillot 1995 & Hurbon 2009). Ainsi, Haïti fait son entrée sur la scène politique internationale, devenant le premier État indépendant de l'Amérique latine.

Il faut dire que cet acte n'est pas resté sans conséquence, dans un monde où le racisme et l'esclavagisme définissent les relations internationales, Haïti était aux yeux des puissances esclavagistes le chien rageux à noyer pour préserver l'ordre des choses. Elle se trouvait enfermée dans un carcan, il existait certes des relations commerciales entre Haïti et les États-Unis d'Amérique, mais en raisons des diverses restrictions imposées, le pays ne pouvait pleinement profiter de ses exportations. Cette politique créait selon Etienne « sur le plan externe, un contexte d'isolement et d'hostilité qui ne facilitaient pas son insertion dans le système d'États concurrentiel, tout en structurant des rapports d'un genre nouveau entre le jeune État et le système capitaliste en expansion ». De cette dynamique découle en partie l'incapacité de l'État haïtien à prendre part dans la révolution industrielle au XIXe siècle.

Dès sa naissance, l'État haïtien est traversé par une contradiction fondamentale. Il a pris naissance contre la dynamique de l'Occident d'alors dans une certaine mesure, surtout colonialiste et esclavagiste, mais dans sa quête de reconnaissance, ou encore dans l'« Intérêt » des acteurs dominants au sens dorismondien du terme, pour se montrer capable de civilisation aux yeux du monde, les valeurs occidentales ont été présentées et considérées par les élites comme critère de référence. Dans le dispositif colonial, il y a ce discours à considérer comme supérieur tout ce qui ne vient pas des cultures africaines et autochtones et comme supérieur ce qui vient de l'Occident, langue, religion, science. Alors, le fait de lutter pour se rapprocher de la blanchitude, de la civilisation de l'Occident, ne fait que nourrir le système. La condition d'infériorité est une production de la civilisation à laquelle les ex-colonisés veulent accéder à tout prix, c'est un cercle vicieux, une forme de labyrinthe. Selon l'historien Victor « cette double réalité détermine la structure et l'organisation sociales de façon si importante que les nouvelles classes dirigeantes trouvent tout à fait naturel de reproduire l'économie des plantations – malgré le rejet de celle-ci par la grande masse des anciens esclaves – et d'élaborer un cadre juridique qui renforce l'exclusion des nouveaux libres ». On peut voir dans les comportements des premiers dirigeants des politiques ou des actes qui s'apparentent aux agissements de l'État colonial français.

Il ne s'agit point de faire ici un procès d'histoire aux premiers dirigeants haïtiens, mais il est une évidence que pour comprendre le caractère hostile de l'État haïtien dans ses articulations avec les masses il faudrait remonter à sa genèse. Certains historiens, c'est le cas de Délide (2017), pensent qu'il faut partir de la Constitution 1801 de T. Louverture, parce que cette constitution sera considérée comme un modèle à suivre, certains des articles seront repris dans les nouvelles constitutions à venir. Pour Bernard Hadjadj « Haïti a été mis sur les fonds baptismaux par Toussaint Louverture, avec la conquête de la liberté mais également avec la reproduction d'un système bafouant la dignité des hommes ». Puisqu'on ne peut étudier les politiques, les décisions des pères fondateurs dans leur exhaustivité, on s'appuiera sur les faits, parmi les plus importants.
Comme l'a écrit l'historien Claude Moise (2009, 41),

« Haïti est née de Saint-Domingue. Saint-Domingue est l'aboutissement d'un modèle colonial fortement structuré par les facteurs clés que sont la traite négrière, l'esclavage, les grandes plantations, le système de l'Exclusif et la domination des colons blancs. L'architecture de cette société n'est pas simple ».

Cette dynamique de la société esclavagiste saint-domingoise allait influer profondément la société haïtienne indépendante. Dans les années antérieures à 1789, l'économie saint-domingoise était à son apogée. « En 1776, la colonie de Saint-Domingue produisait à elle seule pour le compte de la métropole française plus de richesse que toute l'Amérique espagnole (Castor 1998, 12) ». Lorsque le 29 juillet 1793, grâce à aux luttes des esclaves, la pression des planteurs français sur les représentants de la métropole, l'isolement des autorités coloniales entre autres, Sonthonax déclara l'abolition générale de l'esclavage (Castor 1998). Une question de taille allait se poser, celle de la main-d'œuvre pour la substitution de la masse esclave. Toussait, à travers sa politique agraire tentera de répondre à cette question. Avec l'article 14 de la Constitution de 1801 stipulant que « la colonie étant essentiellement agricole, ne peut souffrir la moindre interruption dans les travaux de ses cultures » et son invitation aux colon-propriétaires qui fuyaient les mouvements révolutionnaires à retourner dans la colonie, c'est la volonté manifeste que le Gouverneur général voulait faire de Saint-Domingue la plus prospère des colonies. Mais à quel prix ? À ce sujet, Dorismond commente (2020, 228) « en vue d'alimenter la colonie en mains d'œuvre, la Traite continue, et le gouverneur général Toussait Louverture ne manquait de recevoir des esclaves pour les colons ». S'il est soutenu que Toussaint n'a pas utilisé le modèle de constitution présenté par Hamilton, il faut dire certains points de vue exprimés à travers le texte constitutionnel a été repris dans la Constitution de 1801, c'est le cas d'un chef héréditaire (Pean 2009, 57). Alors que la population de Saint-Domingue était constituée pour la plupart de Noirs, il faut souligner que cette catégorie était le grand absent parmi les constituants. La constitution autocratique de Toussaint Louverture fut élaborée par 7 Blancs et 3 mulâtres. Cette situation n'est pas l'unique forme d'exclusion socio-politique, elle se reproduira un peu plus tard, soit en 1804, il ne figurait aucun bossale parmi les 37 signataires de l'acte de l'indépendance (Madiou 1989, 150). Si Dalencour (1983) avance que la trajectoire absolutiste de l'État haïtien conduit droit à Toussaint Louverture, il faut dire qu'il n'y pas que son emprunte dans la formation socio-politique de la nation haïtienne.
L'administration de Dessalines, certes très brève, a laissé un héritage pas moins conséquent que son prédécesseur Toussaint Louverture. En 1804, un État particulier a pris naissance, il prendra tour à tour la forme impériale, royale et républicaine. Si l'on s'interroge sur les articulations de l'État haïtien avec la société, il y a lieu de nous poser cette question ; quelle a été la base sur laquelle reposait le pouvoir en 1804, c'est-à-dire quelle était sa source de légitimité ? Selon nous, l'hypothèse la plus plausible serait les premiers chefs d'État haïtiens tiraient la légitimité de leur pouvoir de leur faits d'armes. Dessalines comme tant d'autres généraux ont fait leur preuve durant la guerre de l'indépendance, il est vrai qu'il a été « le boucher des Noirs », précisément des bossales pour reprendre les mots de Leclerc dans une lettre adressée à Napoléon lorsqu'il a été sous ses ordres. Mais, grâce à diverses stratégies il s'est construit comme leader légitime de la nouvelle nation, ainsi il sera déclaré empereur par ses généraux. Encore, il faut dire que la peur d'un éventuel retour des Français qui exigeait la construction de nombreux forts miliaires ont contribué dans la formation et la construction de l'État haïtien comme un État militarisé, qui doit avoir à sa tête un militaire pour protéger la nation. Alors, il n'est pas étonnant que tous les chefs d'État haïtiens de 1804 à 1859 sont des militaires et ils ont participé à la guerre de l'indépendance.
Il est vrai que Dessalines a hérité d'un État militarisé, mais à travers certaines décisions prise ou politiques mises en place, il a renforcé l'aspect autoritaire de l'État. Concernant l'organisation du pouvoir politique dans le nouvel État, le général Charéron a proposé le modèle républicain pour la séparation, la limitation du pouvoir avec un président élu pour quatre ans comme c'était le cas aux États-Unis d'Amérique. Mais sa proposition a été vite rejetée par les généraux de Dessalines au profit de celle de B. Tonnerre. Leslie Péan (2009, 84) commente en ces termes « l'adoption de la voie proposée par Boisrond Tonnerre au lieu de celle de Charéron dit long sur l'optique absolutiste des dirigeants du nouvel État ».

Le défi d'institutionnalisation au lendemain de 1804

Malgré la volonté des Haïtiens de finir avec le passé colonial esclavagiste, il faut dire que l'histoire de la société haïtienne serait incompréhensible si nous ne tenons pas en compte son ancrage dans l'expérience coloniale de Saint-Domingue (Dorismond 2020, 109). Lorsqu'on évoque la problématique de l'institutionnalisation du pays, il faudrait remonter aux bases historiques de l'État haïtien pour mieux cerner les contours de cette problématique.

La problématique de l'institutionnalisation demeure aujourd'hui après plus de deux cent ans une question récurrente dans la société haïtienne. L'occupation américaine (1915-1934) et la dictature des Duvalier ont joué un rôle non négligeable dans l'affaiblissement des institutions haïtiennes, mais les racines du mal remontent à bien plus longtemps, à la période coloniale. Si la colonisation avant même d'être une vision du monde est une institution, il faut dire qu'Haïti n'a pas pris naissance contre cette institution. L'a-institution à la colonisation n'a pas été réalisée. Après 1804, l'élite politique surtout n'arrivait pas à instituer de nouvelles structures républicaines pour le jeune État. Elle préférait se replonger dans la bibliothèque coloniale pour redonner à des institutions coloniales contre lesquelles la révolution a été faite, de là se crée une première cassure entre la société politique et la société civile. La division territoriale en arrondissement reprend la division géographique du temps de la colonie, cette démarche opère une seconde cassure, cette fois-ci au sein de l'État même comme institution centrale.

Du point de vue qualitatif, il y a lieu de préciser qu'il existe une nette différence entre la colonisation française sur la partie occidentale de l'ile et celle espagnole de la partie orientale (Sauveur 2007). Tandis qu'à un moment où l'or n'était plus à portée de main, les espagnoles fuyaient la partie orientale pour la grande terre, particulièrement l'Amérique du sud, et le peu qui y restaient pratiquaient l'élevage, établissant ainsi une colonie de peuplement, les français de leur côté s'adonnaient à la culture de la canne-a-sucre, de l'indigo, du tabac, une nouvelle source de richesse. Saint-Domingue était à leurs yeux un lieu de transit, une fois qu'ils font fortune qu'ils quittent et partent pour la Métropole, confiant la gestion de leur habitation à un gérant, quand elle n'est pas vendue. Il n'y avait aucun souci d'investissement à long terme en matière d'infrastructure sinon que pour la production de richesse. Ainsi, après sa proclamation d'indépendance, Haïti se retrouve sans un véritable système éducatif par exemple, contrairement à la République Dominicaine qui a hérite de la plus ancienne université des Amérique, contribuant à former une élite nationale participant dans le renforcement et la mise en place des institutions au pays.

Le gouvernement français, écrit M. Villaret, a reconnu que la nécessité d'étendre et de généraliser l'instruction – convenable sans doute à un peuple libre – est incompatible avec l'existence de nos colonies qui reposent sur l'esclavage et la distinction de couleur… Ce serait donc imprudence bien dangereuse de tolérer des écoles pour les nègres et les gens de couleur.

L'attitude des pères fondateurs est aussi à signaler dans la difficulté à instituer dans le pays. Le projet d'État de Dessalines à travers sa constitution de 1805, celui de Pétion avec la constitution de 1806 et Christophe 1811 ont tous repris un article de la constitution de 1801 stipulant qu'ils se réservent le droit de désigner leur successeur, la captation de l'Etat.

Élites contre masse : le long dépérissement de la société haïtienne

Partant du postulat que la France a échoué dans la fabrication du nègre colonial, c'est par la force de ses armées et à sa bonne fortune qu'elle a pu tenir et administrer durant près de deux siècles la colonie de Saint-Domingue, ces deux éléments constituent la source du pouvoir de l'État métropolitain. Le pouvoir politique de l'État haïtien avait le même fondement que son prédécesseur français. Ce qui est fondamental dans cette dynamique, une seule institution a fait la transition entre la colonie et l'État indépendant ; l'armée (Casimir 2006). Et ce sont pour la plupart des militaires qui formeront l'élite politique dans le nouvel État. Si la masse d'anciens esclaves a gagné avec la proclamation d'indépendance, il faut dire qu'une minorité a perdu et elle fera tout pour compenser ses pertes. Ainsi « la société esclavagiste périt pour céder la place à de nouvelles formes de domination et d'exploitation » (Pean 2009, 48).

Si vers les années 90 l'école anthropologique américaine parle de la bourgeoisie haïtienne comme une élite moralement répugnante (morally repugnat elite), il faut dire que c'est un juste constat. Les élites haïtiennes n'ont pas su proposer un projet de société viable où les Haïtiens pourraient vivre en toute dignité après plus de deux siècles d'indépendance. Au sein du champ politique haïtien, le pouvoir est vu comme un grand gâteau à partager avec ses amis, le bien-être commun n'existe pas.

Le système politique haïtien : lieu de négation de la vie

Dans un célèbre ouvrage intitulé Haïti : State against Nation, l'anthropologue Michel-Rolph (1990) tente d'analyser les articulations de l'État haïtien en rapport avec la société, il conclut que l'État s'est institué contre la nation. Dès 1804, il existe un rapport de violence par excellence entre les tenants de l'État qui forment la nouvelle élite, et les masses. Ce rapport de domination dépasse le « Biopouvoir » de Michel Foucault comme gouvernementalité, un délaissement du territoire comme lieu de déploiement du pouvoir politique au profit du corps et de la vie. Le corps et l'individu qui tiennent lieu de déploiement du pouvoir politique font l'objet de protection, de contrôle et de préservation selon la logique de la biopolitique, d'où l'émergence de la démographie comme science pour le contrôle de la population, la mise en place des politiques sanitaires et la naissance des institutions comme la prison (Foucault 1976). Il s'apparente plutôt à la « Nécropolitique » d'Achille M'bembe comme droit de faire vivre ou de laisser mourir.
« M'bembe a proposé le concept de nécropolitique pour parler des mécanismes de domination et de pouvoir qui dictent qui peut vivre et qui doit mourir dans nos sociétés. Il permet de penser les inégalités structurelles de notre monde contemporain qui, de toute évidence, assignent certains à des death-worlds dans lesquels leur existence est non seulement dévalorisée, privée de pouvoir, mais désubjectivée, et dont la vie n'a pas vraiment de valeur. Ces groupes peuvent mourir, en fait ils sont comme « des vivants déjà morts » (Mbembe 2003 cite par ; Medico et Wallach 2020).

Nous entendons par « négation de la vie », cette volonté réfléchie de banaliser la vie d'autrui. De penser son propre existence par l'inexistence de l'autre, de le tenir à l'écart, dans un état critique afin de l'empêcher à déployer son énergie, son savoir-faire, sa capabilité jusqu'à ce que mort s'ensuive. Cette mort, elle peut être physique comme dans la plupart des cas, sociale ou politique.

Dans Qu'est-ce que la politique ? (1995) la philosophe Hannah Arendt envisage la pluralité humaine comme essence de la politique, et la liberté comme son sens. Il faut signaler que le système politique haïtien s'inscrit dans une large mesure en dehors de cette considération. La mise à mort de l'africain Félix Darfour le 02 septembre 1822 pour avoir critiqué la gestion du pays par le gouvernement de Boyer dit long sur le caractère intolérant de l'État haïtien (Pean 2009, 259).

Le philosophe Edelyn Dorismond, dans un article ayant pour titre Qu'est-ce qu'une vie humaine en Haïti ? Nous livre une analyse profonde et éclaireuse sur la question, il observe une certaine démarcation de Michel Foucault notamment de son concept « biopolitique », parce que selon lui, la biopolitique ne prend pas en considération l'expérience esclavagiste de la société « où s'est mise en place une politique de la vie comme production de la mort à petit feu ou comme métamorphose de l'humain en bête de somme en ‘‘bien meuble'' fondé juridiquement dans le Code noir. Il soutient que ce dispositif préexistait dans la société coloniale, et il deviendra le cadre anthropologique de la politique haïtienne, qu'il appelle la politique de la survie. C'est « le choix d'exposer la vie à la mort lente, à la vie négligée qui se meurt du fait de son insignifiance ».

Avec l'élaboration de son concept de « zoopolitique », Dorismond nous a offert de nouveaux outils conceptuels pour mieux traiter l'objet
.
La zoopolitique « n'a pas la vie bonne comme finalité ; dans ce cas elle se passe bien de l'éthique. Ce qu'elle vise c'est le ravalement de la vie humaine, individuelle ou collective, à sa forme animalisante et au projet de l'épuiser jusqu'à ce que mort s'ensuive ou l'immoler aux projets de toute puissance du chef-dictateur ». La politique haïtienne est une zoopolitique qui, dans une perspective téléologique ne conçoit pas la vie bonne.

Il y a toute une tradition philosophique qui pose la vie au cœur de la politique, il n'est pas moins important de préciser que dans l'imaginaire des élites haïtiennes, la vie n'est point appréhendée comme fin mais plutôt comme moyen. Moyen mobilisable pour parvenir à une fin. Cette vision a pris toute sa forme durant le fameux mouvement dénommé « Peyi lock ». Ce n'est pas de la politique, ou c'est une politique de la mort. Alors, il est tout à fait légitime de nous poser cette question ; Comment prétendre lutter au nom du bien-être de la communauté, tout en mettant en péril la survie de cette communauté ?

Si le « peyi lock » a fait l'objet d'une timide théorisation dans quelques travaux de sciences sociales haïtiennes, le présentant comme une forme inédite de mobilisation populaire. Il y a lieu de faire une archéologie de cette forme de contestation politique. Différentes hypothèses pourraient être avancées. Si c'était réellement une mobilisation populaire, on dirait qu'on a été témoins d'une nouvelle forme de lutte. Non pas parce qu'elle a provoqué le blocage systématique de tout le pays, mais parce qu'elle concerne la survie de toute la communauté. Car ce n'est point ordinaire dans les luttes sociales de voir les catégories dominées mettre leur survie en périls, ce qui est plus plausible à l'échelle individuelle, avec les grèves de faim par exemple. Peut-être le mouvement a été récupéré.

Le mouvement « peyi lock » a servi de monnaie d'échange dans les jeux de pouvoir entre le régime en place et l'opposition. En instaurant le « peyi lock », les élites politiques ont plongé le pays dans un état d'exception, où le droit est suspendu, un véritable état de nature en vue d'exiger la démission du président. Il ne s'agit surtout pas de remettre en question une telle demande, mais plutôt le dispositif mise en place. En quoi c'est différent du terrorisme politique ?

C'est-à-dire une forme de gouvernement par la terreur, l'emploie systématique de la violence dans la poursuite d'une fin politique tout en prenant pour cible la population ? Les gens sont barricadés chez eux sans eau, ni nourriture, les malades dans les hôpitaux sans médicament ni soin. Des bébés prématurés mourraient à cause de l'oxygène qui manquait dans les maternités. Les ambulances ne circulent pas, des femmes sur le point d'accoucher meurent avec leur bébé, c'est le même cas pour des personnes diabétiques qui n'ont pu se rendre à l'hôpital, les « madan sara » violées et rançonnées. Voilà ce qu'on ne dit pas du mouvement « peyi lock ». Une banalisation flagrante de la vie humaine, où la vie est un simple instrument, un moyen pour parvenir à une fin politique.

L'aliénation politique » comme pathologie de la démocratie libérale

Traditionnellement, dans la Science politique « l'aliénation politique » est comprise comme un rejet, un éloignement voire une certaine apathie contre le champ politique. Ce n'est point cette conception qui nous intéresse ici, mais plutôt celle considérant le sujet politique aliéné comme étranger à lui-même, dépolitisé et par conséquent qui est obligé de s'en remettre à un autre. Le discours dominant, c'est-à-dire le libéralisme, dans sa tentative d'explication de ce rejet et ou cette exclusion l'attribue à l'expression d'un droit, celui de ne pas voter. Cependant, les données empiriques ont démontré toute la complexité de la question. Depuis son émergence à la fin du 18e siècle, il est institué comme l'idéologie dominante, son axe politique a toujours fait de la démocratie son fer de lance. Si la société aristocratique a cédé sa place à la société démocratique, le suffrage censitaire au suffrage universel, il faut dire qu'il reste à démocratiser les moyens d'y parvenir. Comme Bourdieu (2001, 4) l'a écrit « le vote ne deviendra vraiment le suffrage universel qu'il prétend être que lorsqu'on aura universalisé les condition d'accès à l'universel ». Ce système que le politiste Daniel G. (1978) appelle « Cens caché ».

Lorsqu'on pose la question de l'émancipation populaire dans une démocratie représentative, on ne peut laisser de côté la représentation politique. Castoriadis n'a pas hésité à qualifier de « pseudo-démocratie » la démocratie représentative, parce que dit-il « Ce n'est pas une vraie démocratie. […] Personne n'a demandé au peuple sur quoi il veut voter. On lui dit : « Votez pour ou contre Maastricht (Cornelius 1998) ». Aujourd'hui le contrôle du champ politique échappe aux masses populaires qui sont pourtant considérées comme l'acteur principal de l'Histoire par les marxistes. Toutes les opinions ne se valent pas, la politique est devenue une affaire de professionnels. Les agents sociaux qui ont une faible compétence statutaire ou politiquement incompétents s'en remettent aux professionnels qui ont les capitaux nécessaires pour participer au jeu, le recrutement de ces professionnels se fait souvent au sein des classes dominantes.

«

Encore doit-on noter que, faute de mettre en place leur propre système de formation et d'encourager la promotion systématique de responsables issus des groupes sociaux défavorisés, les partis populaires recrutent souvent leur personnel dirigeant parmi les groupes sociaux cultivés. L'exclusion politique des groupes sociaux dominés et le monopole de l'exercice des activités politiques par les catégories dominantes aboutissent alors à ce que les porte-parole des premiers — ou ceux qui se présentent comme leurs porte-parole — se recrutent paradoxalement parmi les membres des secondes (Gaxie 1987, 46) »

Le champ politique est devenu « le monopole des professionnels » pour reprendre un titre de Bourdieu (1981). Le principe d'égalité des conditions si cher à la démocratie est bafoué, les agents sociaux qui maitrisent les codes, comme le langage autorisé, avec un capital culturel élevé, produisent un discours pour et à la place des agents qui en sont démunis. La domination se reproduit, un cercle vicieux que les masses dominées doivent briser. À ce sujet Gaxie écrit :
« Le champ politique favorise ainsi, par sa seule existence, le maintien de la domination politique des catégories dominantes. Au-delà des services matériels et idéologiques que le personnel politique peut rendre aux classes sociales dominantes, l'existence même d'un champ politique est probablement la contribution la plus cachée, donc la plus décisive, apportée à la reproduction de leur domination (1978, 311) ».

Avec la complexité des sociétés modernes, la démocratie représentative est apparemment la forme d'organisation politique la plus adaptée, à laquelle on ne peut se passer. Ce qui n'est pas totalement vrai, la démocratie directe demeure une alternative sérieuse pour garantir une participation plus active des catégories subalternes (Bourdieu 1984 ; 1975). On peut commencer l'expérience au niveau des collectivités territoriales comme c'est le cas dans certains pays en Europe et en Amériques du sud. Faire participer les citoyens dans l'élaboration des budgets pour les communes. Si la démocratie est selon l'une des trois principales revendications qui ont traversé toutes les crises ou mouvements sociaux en Haïti, il faut dire la démocratie telle qu'elle est pratiquée dans les sociétés libérales ne garantit pas tout à fait une émancipation populaire. Elle est récupérée et au service des classes dominantes.


En guise de conclusion

Dans son ouvrage intitulé Crises et mouvements populaires en Haïti, Michel Hector a su identifier certaines caractéristiques qui font la spécificité de la crise de 1986. D'abord c'est l'apparition sur la scène politique nationale d'un nouvel acteur collectif. « Ce nouvel acteur ne veut pas qu'on fasse des discours sur sa situation, qu'on s'apitoie sur son sort et qu'on décide pour lui. Fini le temps des beaux discours sur le peuple avec au fond la conviction que celui-ci n'osera jamais se montrer » (2006, 69). Ensuite c'est l'action en symbiose de la diaspora avec l'acteur collectif national. Ne serait-il pas plus fondé de considérer les mouvements de 1986 comme le prolongement ou encore les tentacules d'une seule et même crise ? Celle réclamant un nouveau contrat social, une juste distribution du bien commun, des revendications pluriséculaires. Au milieu de toutes ces interrogations ce qui est sûr, c'est que la stratégie des classes dominantes pour conserver et renforcer leur position sociale a aussi changé. Hormis les modus operandi classiques comme l'emploie systématique de la violence, l'instauration et l'institution de groupes paramilitaires, les interventions étrangères, certaines méthodes s'avèrent plus subtiles mais pas moins efficaces. Et mieux encore, elles puisent leur légitimité de l'idéologie dominante ; le libéralisme dans son versant économique et politique.

Le « Mythe du citoyen passif » a connu toute sa limite avec la présence du nouvel acteur collectif national sur la scène politique nationale, il a participé au jeu démocratique en votant aux élections de décembre 1990, cependant ses espérances seront vite décimés par un violent coup d'État en septembre 1991 (Hector 2006). L'institutionnalisation des luttes de classe a porté un coup dur aux aspirations populaires, si la plupart le parlement est devenu l'arène des affrontements de catégories sociales, aisées et démunies, il faut dire que les dernières n'ont pas les compétences nécessaires pour lutter à armes égales, le langage autorisé pour reprendre l'expression de Pierre Bourdieu. Le système politique fait des concessions, il accorde des droits sociaux en vue de casser les soulèvements populaires. Par exemple droit à la santé, à l'éducation, mais ces droits accordés seront vite instrumentalisés. La masse a eu ce à quoi il aspirait ; des droits. Mais ces droits ne sont pas effectifs, ce n'était qu'un palliatif. Ils ne seront jamais effectifs tant que la masse n'arrive pas au pouvoir. C'est la grande question de l'Histoire. A part les trois éléments constituant les fondements de la crise haïtienne avances par l'historien Michel Hector, il convient d'ajouter la perte du contrôle du champ politique haïtien par les agents politiques comme l'a soutenu le sociologue Carlyle(2024). La crise s'est métamorphosée.

Guecelyn OTILUS, diplômé en Sciences Politiques à l'Université État d'Haiti, Campus Henry Christophe de Limonade et également du département d'Histoire et de géographie de la Faculté des Sciences de l'Ééducation de l'Université Publique du Nord au Cap-Haitien. Membre du Collectif de Recherche en Sciences Sociales (CRSS).

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Point de vue : les tarifs douaniers de Trump seront-ils bénéfiques pour les travailleurs de l’automobile ?

Pendant la grève de General Motors de 2019, alors que mes collègues et moi-même battions le pavé, quelque chose d'inspirant se produisait au sud de la frontière : l'ouvrier (…)

Pendant la grève de General Motors de 2019, alors que mes collègues et moi-même battions le pavé, quelque chose d'inspirant se produisait au sud de la frontière : l'ouvrier automobile mexicain Israël Cervantes, ainsi que de nombreux autres dans une usine GM à Silao, Guanajuato, ont refusé les heures supplémentaires en solidarité avec nous.

Leur action concrète a été particulièrement utile à notre cause, car ils construisent de gros camions, principale source de revenus de notre employeur commun. Peu après, Israël a été licencié et a contribué à la création du Syndicat national indépendant des travailleurs de l'industrie automobile (SINTTIA), évinçant ainsi un syndicat favorable aux employeurs à Silao. Le SINTTIA vient d'obtenir des augmentations de 10 % pour les travailleurs mexicains de GM.

20 avril 2025 | tiré du site de la gauche anticapitaliste | Photo : L'ouvrier automobile américain Sean Crawford (à droite, avec une casquette) a remercié l'ouvrier automobile mexicain Israel Cervantes (à gauche) pour sa solidarité lors de leur rencontre en 2023. Cervantes et d'autres ouvriers mexicains de General Motors avaient refusé les heures supplémentaires lorsque les ouvriers de GM aux États-Unis étaient en grève en 2019.
https://www.gaucheanticapitaliste.org/point-de-vue-les-tarifs-douaniers-de-trump-seront-ils-benefiques-pour-les-travailleurs-de-lautomobile/

Alors que les discussions sur les droits de douane atteignent leur paroxysme, nous devrions tous nous inspirer d'Israël si nous voulons bâtir un mouvement syndical plus puissant, plus connecté et plus affirmé. À maintes reprises, il a agi en solidarité avec ses collègues de travail, quel que soit le côté de la frontière où ils vivent.

J'ai eu l'occasion de rencontrer Israël en personne en 2023 et de le remercier pour son courage. Les circonstances qui nous ont réunis étaient révélatrices : il s'était rendu dans le Michigan pour soutenir notre grève, et nous nous sommes retrouvés devant le siège social d'une entreprise de pièces détachées automobiles, VU. Une douzaine de membres du syndicat United Auto Workers (UAW) et d'alliés de la communauté s'étaient rassemblés pour protester contre les licenciements et la mise sur liste noire de 400 ouvriers qui fabriquaient des accoudoirs à Piedras Negras, dans l'État de Coahuila.

Les travailleurs de VU avaient vaincu le syndicat jaune de la direction et s'étaient organisés avec un syndicat indépendant , la Ligue des travailleurs mexicains. Notre petite action de solidarité n'a pas suffi à stopper les représailles, mais elle a offert un aperçu des possibilités offertes par une coordination plus étroite et des liens plus étroits entre les travailleurs américains et mexicains de l'automobile.

Dans la spirale de la guerre commerciale

La solidarité transfrontalière s'attaque au cœur de l'un des mécanismes qui permettent aux entreprises de dominer : leur portée mondiale. Les géants contribuent à l'élaboration des lois commerciales internationales. Lorsqu'ils franchissent les frontières, ils diversifient (selon la logique des investisseurs) leurs activités, opposant ainsi des travailleurs à d'autres.

Lorsqu'une partie de leur activité est en grève, ils continuent dans une autre : c'est pourquoi ils ont exigé des heures supplémentaires des travailleurs de Silao lorsque nous étions en grève ici. Diviser pour mieux régner, telle est la règle du jeu.

La stratégie de lutte contre ces géants du secteur doit également être mondiale. Or, elle est menacée par les droits de douane de 25 % imposés par le président Donald Trump, qui sont en vigueur de manière intermittente. (Des exceptions partielles pourraient être prévues pour le Mexique et le Canada , qui seront définies après l'entrée en vigueur des droits de douane aujourd'hui. Ce week-end, Trump a déclaré que ces droits de douane toucheraient « tous les pays ».)

Preuve de l'escalade de la guerre commerciale alimentée par Trump, la Chine, le Japon et la Corée du Sud ont annoncé leur réponse commune aux droits de douane américains. Les travailleurs doivent désormais se préparer à l'incertitude et aux conséquences, alimentant les craintes d'inflation et de licenciements, qui sont précisément conçues pour briser la solidarité internationale.

Les tarifs douaniers font partie du programme America First de Trump, censé stimuler l'industrie manufacturière américaine, et l'UAW a apporté son soutien à Trump sur cette question.

Des résultats non garantis

Après la perte de 682 000 emplois aux États-Unis à cause de l'ALENA, mon syndicat espère que ces droits de douane punitifs stimuleront la production nationale et renforceront le tissu manufacturier américain. « Grâce à ces droits de douane, des milliers d'emplois manuels bien rémunérés pourraient être rétablis dans les communautés ouvrières des États-Unis en quelques mois », a déclaré Shawn Fain, président de l'UAW, dans un communiqué.

Fain a ensuite précisé, lors de l'émission « Face the Nation » sur CBS, que la construction d'une nouvelle usine pourrait prendre des années, mais il a ajouté que les droits de douane pourraient inciter à la création d'emplois massifs là où les entreprises ont supprimé des équipes de travail, comme à l'usine Volkswagen du Tennessee, où le syndicat négocie actuellement une première convention collective. Chez Stellantis, a déclaré Fain, l'entreprise pourrait récupérer 2 000 emplois perdus lors du transfert de la production du camion Ram au Mexique.

En négociation, il existe un truisme : si l'entreprise ne vous le donne pas par écrit, il ne faut pas la croire. Ces tarifs promettent la construction d'aucune nouvelle usine, mais deux choses sont sûres : les prix des véhicules augmenteront, peut-être jusqu'à 6 400 $ , car les constructeurs automobiles répercuteront les coûts des tarifs sur les acheteurs ; et la production sera perturbée par la baisse des ventes et les difficultés logistiques, ce qui entraînera probablement des licenciements. Le Michigan pourrait être le plus durement touché .

Pour entreprendre un projet aussi ambitieux que la construction d'une usine, les entreprises ont besoin d'une valeur sûre. Elles ont besoin d'une politique cohérente, offrant des incitations à long terme pour justifier une telle initiative. Trump a déjà démontré que ses politiques étaient tout sauf cohérentes. Un caprice passager d'un homme impulsif ne justifie guère la construction d'une usine entière, avec toute la logistique, les chaînes d'approvisionnement et les investissements que cela implique.

Et même si une entreprise décidait de construire une nouvelle usine aux États-Unis, cela prendrait des années à terminer, alors que d'autres pays auraient pu imposer des droits de douane de rétorsion au moment où vous lirez ces lignes !

Interrogé sur l'impact des droits de douane sur les prix, Trump a répondu : « Je m'en fiche complètement, car si les prix des voitures étrangères augmentent, ils achèteront des voitures américaines. » Rappel des faits : GM et Ford fabriquent également des véhicules au Mexique et au Canada, et dépendent de pièces détachées qui transitent par-delà les frontières pour leurs véhicules assemblés ici. Peter Navarro, conseiller commercial principal du président, affirme que le peuple américain devrait simplement « faire confiance à Trump ».

Un autre inconvénient est le risque de corruption, les entreprises se disputant les faveurs ; l'usage des transactions en mode « pay-to-play » est une caractéristique déterminante de l'administration Trump.

Vous souhaitez bénéficier d'une exemption tarifaire pour fabriquer votre produit à moindre coût que celui de vos concurrents ? Une contribution généreuse pourrait attirer l'attention du président. Cela a visiblement fonctionné pour Elon Musk, propriétaire de Tesla. Mieux encore, vous pourriez imposer des droits de douane à vos concurrents !

Alors que Trump démantèle l'investissement de Biden dans la transition vers les véhicules électriques, Musk a réalisé d'importants gains grâce à la suppression par Trump des crédits d'impôt à la consommation dont bénéficiaient les concurrents de Tesla, notamment les coentreprises de GM et de Ford. Cette situation menace les emplois des salariés que l'UAW vient de syndiquer ou est en train de syndiquer dans les usines de batteries du Kentucky, de l'Ohio et du Tennessee.

Une meilleure façon de faire

Tous les travailleurs du Midwest industriel peuvent constater que le « libre-échange » a été un désastre pour nous. Ville après ville, des pans entiers de nos États sont réduits à l'état de carcasses. Les morts par désespoir sont monnaie courante là où la prospérité s'épanouissait autrefois. Je comprends parfaitement le désir de protéger nos industries et nos communautés. Mais je comprends aussi que nos voisins du Nord et du Sud partagent ce même désir.

Ma proposition consisterait à taxer ou à imposer des droits de douane uniquement sur les véhicules et les pièces (nationaux et étrangers) produits dans des usines violant les droits des travailleurs. Cette approche permettrait de défendre les emplois syndiqués, piliers de nos familles et de nos communautés, et de renforcer la solidarité avec nos collègues syndiqués à l'étranger. Elle inciterait également les entreprises non syndiquées (1) à enfin respecter le droit de leurs employés à la négociation collective.

Ce type de politique tarifaire explicitement favorable aux travailleurs n'est clairement pas envisageable sous cette administration, mais il s'agit d'un objectif politique à considérer maintenant que le tabou autour des tarifs douaniers a été brisé. Associée à un fort mouvement de solidarité internationale entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, elle nous donnerait plus de pouvoir et d'influence que jamais. Tout comme les grandes entreprises sont mondiales, notre solidarité doit dépasser les frontières pour s'adapter à leur sphère de contrôle sur la production et nos vies.

Il n'y a pas si longtemps, les travailleurs de l'automobile du Canada et des États-Unis étaient membres du même syndicat. Est-il inconcevable que nous puissions également intégrer le Mexique à un syndicat nord-américain ? Imaginez ce que nous pourrions accomplir ensemble ! Souvenons-nous de notre ami mexicain et de son esprit de fraternité, et construisons une solidarité qui dépasse ses limites actuelles.

Sean est un membre de la section locale 160 de l'UAW dans le Michigan, il travaille pour General Motors.

Article initialement publié le 10 avril sur le site d'Aplutsoc. Source : https://labornotes.org/blogs/2025/04/viewpoint-will-trumps-tariffs-be-good-auto-workers

Notes
1. Dans le contexte nord-américain, on dit qu'une entreprise est syndiquée dans le sens où au travers d'une procédure souvent laborieuse, le syndicat a acquis la représentativité parmi les salariés de cette entreprise et accède ainsi à la possibilité légale de négocier avec l'employeur

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Sud global : rencontre interrégionale du Réseau syndical Trade Unions for Energy Democracy SUD à Mexico

Une réunion du réseau syndical TUED Sud (Trade Unions for Energy Democracy) a réuni 120 syndicalistes de 34 pays à Mexico du 4 au 6 février dernier. Il s'agit de la deuxième (…)

Une réunion du réseau syndical TUED Sud (Trade Unions for Energy Democracy) a réuni 120 syndicalistes de 34 pays à Mexico du 4 au 6 février dernier. Il s'agit de la deuxième conférence syndicale interrégionale Sud-Sud sur la transition énergétique. Des syndicats d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et des Caraïbes étaient présents, ainsi que des syndicats alliés du Nord. Les délégations se sont engagées en faveur d'une transition énergétique juste, ancrée dans la propriété et le contrôle publics.

22 avril 2025 | tiré du Journal des Alternatives
https://alter.quebec/sud-global-rencontre-interregionale-de-la-tued-sud-a-mexico/

Développer la Voie publique pour une transition juste

Lala Peñaranda est l'organisatrice du réseau TUED et la représentante pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Elle fut au cœur de la rencontre de février comme responsable des communications pour l'événement. Elle constate que

« Les technologies de l'énergie évoluent rapidement. Leur situation en 2025 diffère beaucoup de celle qui existait il y a 30 ans, mais on se rend compte qu'elle reste souvent inaccessible. Dans bien des cas, les universités publiques n'ont pas accès aux progrès qui permettent la mise en œuvre des innovations les plus efficaces et les plus durables. »

Un fait qui crée une dépendance aux entreprises privées, qui occultent souvent les connaissances en leur faveur et créent une dépendance des communautés à leur endroit, notamment dans l'industrie minière. « Si nous avons un accès complet aux dernières innovations, nous pouvons ensuite décider si nous voulons en faire usage, s'il y a moyen de le faire à notre manière, avec notre propre planification et notre propre connaissance des territoires. »

C'est pourquoi l'événement a également mis à l'honneur une réponse dans la constitution du Red Camino Público (Réseau pour une Voie publique — RedCAPU). Cette approche vise à stopper et à inverser l'appropriation néolibérale des systèmes énergétiques et à mettre en place une alternative capable de répondre aux besoins énergétiques et aux objectifs climatiques dans un cadre d'autodétermination et de souveraineté énergétique.

Pour elle, ce fut aussi l'occasion d'échanger sur les progrès et les défis propres à différentes régions du Sud Global. Elle souligne également que l'événement a fait place à un forum des femmes syndicalistes, un événement où ont été abordés divers enjeux féministes et qui constitue une première pour le réseau TUED Sud et plus généralement dans tout le réseau des TUED.

La responsable des communications ajoute que les stratégies de résistance aux droites radicales ont fait l'objet de discussions, non seulement celui du gouvernement de Donald Trump, mais aussi ceux de Javier Milei en Argentine ou encore de Nayib Bukele au Salvador. « Nous allons travailler avec d'autres mouvements sociaux et populaires à développer les luttes antifascistes », affirme-t-elle..

TUED : un réseau mondial intersyndical sur la transition énergétique

Le réseau mondial TUED comprend 120 organisations syndicales qui œuvrent dans 48 pays et régions, dont quatre fédérations syndicales mondiales, trois organisations régionales et 16 centres nationaux. On y retrouve également une douzaine d'organismes alliés universitaires et de plaidoyers, dont le bureau de New York de la Fondation Rosa Luxemburg.

TUED vise à créer des ponts entre les luttes syndicales et écologiques et aborde la transition énergétique en tant qu'enjeu de classe. Une perspective particulièrement actuelle et inspirante en Amérique latine pour Lala Peñaranda : « Nous voulons développer nos propres outils de classe pour défendre l'environnement, nos propres alternatives au capitalisme vert. »

TUED a vu le jour en 2012 lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20) au Brésil, suite à la vague d'indignation suscitée par le corporatisme qui s'imposait lors de ce forum international. Lors de sa constitution, différents syndicats clés du Nord et du Sud en furent parties prenantes, mais des ONG comme War on Want et la Fondation Rosa Luxembourg.

Luttes de classes

« La perspective de classe reste extrêmement pertinente pour les luttes écologiques, tout comme le sont l'anticolonialisme et l'antiracisme », affirme Lala Peñaranda d'origine colombienne.

Le réseau a pris naissance en réaction à la récupération des principes du développement durable par les institutions économiques comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale (BM). Des institutions qui s'approprient les objectifs liés à la transition énergétique — par exemple la décarbonisation — pour exercer des pressions en faveur de la privatisation des services publics, par le biais des conditions de financement — avec un modèle qui génère un système d'endettement — qu'elles continuent d'imposer à plusieurs pays. Une logique capitaliste qui a pour conséquence d'affaiblir la souveraineté des peuples et les luttes écologiques dans le monde.

Ces institutions continuent d'utiliser les prêts pour faire pression et créer des marchés qu'elles qualifient de compétitifs ou de favorables à l'investissement. À cette violence institutionnelle, le réseau vise donc à répondre par des alliances ouvrières qui se déploient à l'échelle mondiale. Lala Peñarada explique :

« Nous avons besoin d'un réseau de syndicats qui s'opposent à ces ajustements structurels masqués d'environnementalisme et qui travaillent à mettre un frein aux changements climatiques, mais aussi à offrir un accès équitable à l'énergie et à défendre les personnes qui travaillent dans les secteurs de l'énergie. »

Elle indique que la propriété publique de l'énergie et son contrôle démocratique constituent les revendications communes du réseau. Sa perspective d'action implique toutefois plusieurs fronts, que ce soit en ce qui a trait à l'énergie verte ou à la défense des conditions de travail.

« Nous avons besoin de sortir le profit de l'équation ; c'est à partir de ce principe que se structure le projet. Il ne suffit pas que l'énergie soit publique, mais nous avons besoin d'une gestion démocratique, exercée par la classe ouvrière. »

Du Sud au Nord

La coordinatrice du réseau TUED pour l'Amérique latine et les Caraïbes considère qu'il s'agit d'une région essentielle pour l'actualité et l'avenir des luttes à l'échelle globale.

« Les mouvements écologiques d'Amérique latine constituent une authentique avant-garde climatique internationale. Ils sont les porteurs d'une vision alternative et anticoloniale, composée d'une multitude de perspectives de cultures, de genres et de classes. Ce sont des mouvements dotés d'autant plus de force qu'ils sont issus de décennies de résistance à des dictatures et à des régimes paramilitaires à l'origine d'exactions et de disparitions forcées. Alors, il nous appartient — surtout en tant qu'alliances internationales — de gagner la confiance de ces mouvements. »

« Les mouvements d'Amérique latine n'ont pas à suivre les mouvements du Nord. C'est en cheminant et en construisant ensemble que se gagne la confiance, dans un échange qui se base sur le respect des différences. »

Lala Peñarada insiste sur le fait qu'un tel échange implique une conscience anticoloniale. Une exigence d'autant plus essentielle dans un contexte où le lobbying en faveur de la privatisation et du capitalisme vert reste inhérent aux sommets comme ceux des Conférences des Parties (COP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Les COP, de plus en plus corporatistes

« Il ne fait aucun doute que les COP sont de plus en plus corporatistes. À bien des égards, nous pouvons dire qu'elles sont une extraction des luttes climatiques. » Après avoir pris part en octobre 2024 à la COP16 en Colombie, le réseau TUED se prépare à assister à la COP30, qui aura lieu en novembre au Brésil.

Ces conférences donnent lieu à de plus en plus de critiques dans les mouvements écologistes. D'ailleurs, une première AntiCOP — laquelle a réuni des organisations de différents continents — a eu lieu du 4 à 9 novembre 2024 à Oaxaca de Juárez au Mexique. Un Sommet des peuples se tiendra également en marge de la COP 30 à Belém. Comme ce sont des réunions où s'expriment diverses voix du Sud, nous y allons pour faire du bruit, protester et nous battre pour des changements », conclut Lala Peñarada.

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Dix syndicats nationaux appellent à la résistance anti-Trump

29 avril, par Natascha Elena Uhlmann — , ,
Dix syndicats nationaux et des dizaines de sections locales représentant plus de 3 millions de membres ont publié une déclaration commune exigeant la libération des (…)

Dix syndicats nationaux et des dizaines de sections locales représentant plus de 3 millions de membres ont publié une déclaration commune exigeant la libération des travailleurs immigrants récemment enlevés par l'Immigration and Customs Enforcement.

9 avril 2025 | tiré de Z |Photo : Des membres de divers syndicats se sont rassemblés le 27 mars devant le centre de détention du Nord-Ouest à Tacoma, dans l'État de Washington, où l'organisateur des travailleurs agricoles Lelo Juarez et Lewelyn Davis, membre du SEIU, sont détenus. Crédit : The Stand | Source : Labor notes
https://znetwork.org/znetarticle/ten-national-unions-call-for-anti-trump-resistance/

La déclaration nomme le dirigeant syndical des travailleurs agricoles, Alfredo « Lelo » Juarez, qui a été arrêté dans ce qui semble être des représailles flagrantes pour son organisation ; Lewelyn Dixon, membre de la section locale 925 du SEIU, une technicienne de laboratoire de l'Université de Washington arrêtée alors qu'elle rentrait chez elle après avoir rendu visite à sa famille ; Rumeysa Ozturk, membre de la section locale 509 du SEIU, une étudiante diplômée dont la détention par des agents fédéraux a été filmée dans des images effrayantes ; le tôlier Kilmar Armando Abrego Garcia, un apprenti de la section locale 100 de SMART qui a été envoyé au tristement célèbre complexe pénitentiaire du Salvador, et Mahmoud Khalil, membre de la section locale 2710 des Travailleurs unis de l'automobile, enlevé par des agents fédéraux devant sa femme enceinte de huit mois.

Les syndicats demandent également aux employeurs, aux administrateurs d'universités et aux gouvernements locaux de refuser de coopérer et exigent que les élus « trouvent leur colonne vertébrale ».

Trump reprend des tactiques d'autres moments de l'histoire des États-Unis, lorsque « le gouvernement réprimait activement les protestations et la dissidence », a déclaré Carl Rosen, président de l'United Electrical Workers (UE).

Lors des raids Palmer de 1919-1920, des immigrants de gauche et des agitateurs syndicaux ont été arrêtés et déportés, principalement vers l'Italie et l'Europe de l'Est. À l'époque de McCarthy, à la fin des années 1940 et dans les années 1950, des travailleurs fédéraux, des travailleurs d'Hollywood, des universitaires et des dirigeants syndicaux présumés communistes ont été licenciés, mis sur liste noire, traînés devant le Congrès et parfois emprisonnés.

« Lorsqu'un segment de la population est ciblé pour la première fois, cela ne va pas s'arrêter là », a déclaré Rosen. « Finalement, il va être utilisé contre le mouvement ouvrier et tous les Américains qui veulent se lever pour la justice. Nous étions donc heureux de nous joindre à d'autres syndicats pour dire : « Nous allons résister à cela. »

Prélude à l'action ?

Face à l'éventail vertigineux d'attaques de Trump contre les travailleurs, les travailleurs immigrés, les travailleurs des campus et la liberté d'expression, jusqu'à présent, la classe ouvrière organisée, qui représente 14 millions de membres syndicaux, est restée largement silencieuse ou concentrée sur les luttes individuelles de chaque syndicat.

Cette déclaration commune pourrait être un prélude à une action plus coordonnée et plus directe pour résister aux attaques.

« J'espère que c'est un signe que, peut-être que s'il y avait des problèmes passés avec des syndicats ou des organisations qui avaient peut-être des différends, cela pourrait être la chose qui rassemble tout le monde, s'unit pour une seule cause », a déclaré Edgar Franks, directeur politique du syndicat indépendant des travailleurs agricoles Familias Unidas por la Justicia, où Lelo Juarez est un dirigeant. « Des relations seront établies ou modifiées, et à partir de là, nous pourrons avoir un front syndical uni et combatif. »

« À l'heure actuelle, il y a beaucoup de gens qui font beaucoup de bon travail pour essayer de se syndiquer », a déclaré Faye Guenther, présidente de la section locale 3000 des travailleurs de l'alimentation et du commerce à Washington, l'une des initiatrices de la lettre conjointe. « Je pense que nous serons mieux servis si nous pouvons mettre de côté autant de différences que possible et nous rassembler dans une table aussi large que possible. »

Trouver des cibles d'entreprise

Pour que les travailleurs puissent faire face à ces attaques, nos mouvements devront être prêts à perturber le statu quo. « De toute évidence, Tesla a touché une corde sensible », a déclaré Rosen, faisant référence aux manifestations régulières chez les concessionnaires à travers le pays, qui ont contribué à faire chuter l'action de l'entreprise ; Le PDG méga-milliardaire de Tesla, Elon Musk, est le fer de lance des attaques contre les travailleurs fédéraux.

« Je pense que nous devons trouver des cibles d'entreprise supplémentaires », a déclaré Rosen. « Il y a beaucoup de grandes entreprises qui profitent de leur association avec Donald Trump et de leur volonté de l'aider à mener à bien son programme. »

Il se souvient de la réaction explosive du public en 2008 lorsque les membres de la section locale 1110 de l'UE à Chicago ont pris une décision courageuse : ils ont occupé leur usine. Republic Windows and Doors fermait ses portes, mais le dernier jour de service, les travailleurs ont refusé de partir. Ils ont mené une grève d'occupation jusqu'à ce qu'ils parviennent à un accord de 1,75 million de dollars pour les indemnités de licenciement et autres avantages dus, et finalement ils ont rouvert l'usine en tant que coopérative gérée par les travailleurs.

« Cela a attiré l'attention des gens à travers le pays qui étaient tellement en colère contre les banques qui recevaient tout cet argent alors que les travailleurs étaient licenciés », a déclaré Rosen. Des partisans ont organisé des piquets de grève dans les bureaux de Bank of America et ont même commis une désobéissance civile en organisant des sit-in à l'intérieur des succursales des banques. « La pression exercée sur la banque a certainement été très importante pour s'assurer que les travailleurs obtiennent le règlement qu'ils ont obtenu. »

Parlez-en

« La prochaine étape de cette riposte exige que nous parlions à nos collègues et voisins de la façon dont les employeurs et les milliardaires bénéficient lorsque les travailleurs sont divisés et effrayés », a déclaré Stephanie Luce, professeure d'études du travail et de sociologie à la City University de New York et membre de l'AFT (AFT).

« Nous devrions chercher des espaces pour avoir plus de conversations et préparer les travailleurs à prendre des mesures plus importantes », a-t-elle déclaré, « parce que les attaques continueront d'arriver ». Elle a déclaré que les syndicats travaillent ensemble pour organiser de grandes actions le 1er mai (pour plus d'informations à maydaystrong.org), et a également recommandéla formation « Tactics to Build Power » de Labor Notes.

À moins que les membres ne s'en mêlent, une résolution n'est qu'un morceau de papier. « La pétition est un outil que nous devons utiliser pour unifier les gens, mais elle ne nous servira à rien si les seules personnes qui la signent sont des organisations », a déclaré M. Guenther. « Les travailleurs ont besoin d'être dans ces conversations profondes sur le genre de monde qu'ils veulent avoir et dans quel genre de pays ils veulent vivre. »

Mais les attaques de Trump ont également montré sur la scène publique pourquoi les travailleurs ont besoin d'une institution qui défend leurs droits : « Beaucoup de gens, même pas seulement dans le secteur des travailleurs agricoles, nous ont contactés pour savoir comment se syndiquer », a déclaré Franks. Tout comme les travailleurs fédéraux : l'AFGE signale un nombre record d'adhésions.

« Les hommes forts et les dictateurs se nourrissent de la peur et du chaos des gens », a déclaré Guenther. « Nous devons prendre des mesures qui nous permettent de montrer que nous pouvons gagner et qui aident à surmonter la peur des gens. »

Les syndicats peuvent signer la pétition ici.

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Manifeste pour une révolution écosocialiste – Rompre avec la croissance capitaliste

29 avril, par Quatrième Internationale — , ,
De nouvelles institutions doivent être construites pour délibérer, décider démocratiquement, organiser la production et l'ensemble de la société… Ces nouveaux pouvoirs devront (…)

De nouvelles institutions doivent être construites pour délibérer, décider démocratiquement, organiser la production et l'ensemble de la société… Ces nouveaux pouvoirs devront affronter la machine étatique capitaliste, qui devra être brisée. Le renversement de l'ordre social, l'expropriation des capitalistes se heurteront inévitablement à la riposte violente, armée, des classes dominantes.

Quatrième internationale

18e Congrès Mondial - 2025

TABLE DES MATIÈRES

. La nécessité objective d'une révolution écosocialiste, antiraciste, antimilitariste, anti-impérialiste, anticolonialiste et féministe

. Le monde pour lequel nous nous battons

. Notre méthode transitoire
. Pour un programme de transition anticapitaliste

. Les grandes lignes d'une alternative écosocialiste à la croissance capitaliste
. Contre les catastrophes, des plans publics de prévention adaptés aux besoins sociaux, sous contrôle populaire
. Partager les richesses pour prendre soin des humains et de notre environnement de vie, gratuitement
. Développer les biens communs et les services publics contre la privatisation et la marchandisation
. Prendre l'argent là où il est : les capitalistes et les riches doivent payer
. Pas d'émancipation sans lutte antiraciste
. Liberté de circulation et de séjour sur Terre ! Personne n'est illégal !
. Éliminer les activités économiques inutiles ou nuisibles
. Souveraineté alimentaire ! Sortir de l'agro-industrie, de la pêche industrielle et de l'industrie de la viande
. Cohabiter avec le vivant, arrêter le massacre des espèces
. Réforme urbaine populaire
. Socialiser l'énergie et la finance sans compensation ni rachat pour sortir au plus vite des énergies fossiles et du nucléaire
. Ouvrir la “boîte noire” des centres de données, socialiser les Big Tech
. Pour la libération et l'autodétermination des peuples ; contre la guerre, l'impérialisme et le colonialisme
. Garantir l'emploi pour tou·tes, assurer la reconversion nécessaire dans des activités écologiquement durables et socialement utiles
. Travailler moins, vivre et travailler mieux, vivre une bonne vie
. Réduire, réutiliser, recycler
. Garantir le droit des femmes sur leur propre corps et à une vie sans violence
. La connaissance est un bien commun. Réforme des systèmes d'éducation et de recherche
. Ne touchez pas aux droits démocratiques ! Contrôle populaire et auto-organisation des luttes
. Favoriser une révolution culturelle fondée sur le respect attentif du vivant et “l'amour de la Pachamama”
. Planification autogestionnaire écosocialiste

. La décroissance matérielle globale dans le contexte d'un développement inégal et combiné

. À contre-courant, faire converger les luttes pour rompre avec le productivisme capitaliste. S'emparer du gouvernement, initier la rupture écosocialiste basée sur l'auto-activité, l'auto-organisation, le contrôle par en bas, la démocratie la plus large

Ce Manifeste est un document de la Quatrième Internationale, fondée en 1938 par Léon Trotsky et ses camarades pour sauver l'héritage de la Révolution d'Octobre du désastre stalinien. Refusant un dogmatisme stérile, la IVe Internationale a intégré dans sa réflexion et sa pratique les défis des mouvements sociaux et de la crise écologique. Ses forces sont limitées, mais elles sont présentes sur tous les continents et ont activement contribué à la résistance au nazisme, à Mai 68 en France, à la solidarité avec les luttes anticoloniales (Algérie, Vietnam), à l'essor du mouvement altermondialiste et au développement de l'écosocialisme.

La IVe Internationale ne se considère pas comme la seule avant-garde ; elle participe, dans la mesure de ses forces, à de larges formations anticapitalistes. Son objectif est de contribuer à la formation d'une nouvelle Internationale, à caractère de masse, dont elle serait l'une des composantes.

Notre époque est celle d'une double crise historique : la crise de l'alternative socialiste face à la crise multiforme de la “civilisation” capitaliste.

Si la IVe Internationale publie ce Manifeste en 2025, c'est parce que nous sommes convaincu·es que le processus de révolution écosocialiste à différentes échelles territoriales, mais à dimension planétaire, est plus que jamais nécessaire : il s'agit désormais non seulement de mettre fin aux régressions sociales et démocratiques qui accompagnent l'expansion capitaliste mondiale, mais aussi de sauver l'humanité d'une catastrophe écologique sans précédent dans l'histoire humaine. Ces deux objectifs sont inextricablement liés.

Cependant, le projet socialiste qui est à la base de nos propositions nécessite une large refondation nourrie par l'évaluation pluraliste des expériences et par les grands mouvements de lutte contre toutes les formes de domination et d'oppression (classe, genre, communautés nationales dominées, etc.). Le socialisme que nous proposons est radicalement différent des modèles qui ont dominé le siècle dernier ou de tout régime étatiste ou dictatorial : c'est un projet révolutionnaire, radicalement démocratique, nourri par l'apport des luttes féministes, écologiques, antiracistes, anticolonialistes, antimilitaristes et LGBTI+.

Nous utilisons le terme d'écosocialisme depuis quelques décennies, car nous sommes convaincu·es que les menaces et les défis globaux posés par la crise écologique doivent imprégner toutes les luttes au sein de / contre l'ordre globalisé existant et nécessitent une reformulation du projet socialiste. La relation avec notre planète, le dépassement de la « fracture métabolique » (Marx) entre les sociétés humaines et leur milieu de vie, le respect des équilibres écologiques ne sont pas seulement des chapitres de notre programme et de notre stratégie, mais leur fil conducteur.

La nécessité d'actualiser les analyses du marxisme révolutionnaire a toujours inspiré l'action et la pensée de la Quatrième Internationale. Nous poursuivons cette démarche dans notre travail de rédaction de ce Manifeste écosocialiste : nous voulons contribuer à la formulation d'une perspective révolutionnaire capable d'affronter les défis du 21e siècle. Une perspective qui s'inspire des luttes sociales et écologiques, et des réflexions critiques authentiquement anticapitalistes qui se développent dans le monde.


LA NÉCESSITÉ OBJECTIVE D'UNE RÉVOLUTION ÉCOSOCIALISTE, ANTIRACISTE, ANTIMILITARISTE, ANTI-IMPÉRIALISTE, ANTICOLONIALISTE ET FÉMINISTE

Partout dans le monde, les forces d'extrême droite, autoritaires et semi-fascistes se renforcent et gagnent en influence. L'absence d'alternative à la crise du capitalisme tardif crée le désespoir qui favorise la misogynie, le racisme, la queerphobie, le déni du changement climatique et les idées réactionnaires en général. Effrayés parce que la crise écologique met objectivement en accusation l'accumulation pour le profit, des milliardaires se tournent vers une nouvelle extrême droite (allant des populistes de droite aux néofascistes) offrant ses services pour sauver le système par le mensonge et la démagogie sociale. Politiciens autoritaires et oligarques unissent leurs forces en défense du capital. Ciblant à la fois la protection de l'environnement et les programmes sociaux, ils mènent une guerre contre les travailleurs et les pauvres, tout en prétendant les représenter contre l'establishment libéral.

Le capital triomphe, mais son triomphe le plonge dans les contradictions insurmontables mises en évidence par Marx. En 1915, Rosa Luxemburg lançait un avertissement : « Socialisme ou barbarie ». Cent dix années plus tard, sonner l'alarme est plus urgent que jamais, car la catastrophe qui se développe est sans précédent. Aux fléaux de la guerre, du colonialisme, de l'exploitation, du racisme, de l'autoritarisme, des oppressions de toutes sortes, s'ajoute en effet un nouveau fléau, qui les exacerbe tous : la destruction accélérée par le capital de l'environnement naturel dont dépend la survie de l'humanité. L'élection de Trump en 2024 aggrave considérablement ce processus destructif. En se retirant des Accords de Paris, en encourageant l'exploitation illimitée des énergies fossiles (“drill, baby, drill”), en démantelant tous les règlements environnementaux aux USA, Donald Trump accélère la course planétaire vers l'abîme.

Les scientifiques identifient neuf indicateurs mondiaux de soutenabilité écologique. Les limites du danger sont estimées pour sept d'entre eux. En raison de la logique capitaliste d'accumulation, six de ces limites sont déjà franchies : (climat, intégrité des écosystèmes, cycles de l'azote et du phosphore, eaux douces souterraines et de surface, changement d'affectation des sols, pollution par de nouvelles entités chimiques). Les pauvres sont les principales victimes de ces destructions, surtout dans les pays pauvres.

Sous le fouet de la concurrence, la grande industrie et la finance renforcent leur emprise despotique sur les humains et la Terre. La destruction se poursuit, malgré les cris d'alarme de la science. La soif de profit, tel un automate, exige toujours plus de marchés et toujours plus de marchandises, donc plus d'exploitation de la force de travail et de pillage des ressources naturelles.

Le capital légal, le capital dit criminel et la politique bourgeoise sont étroitement liés. La Terre est achetée à crédit par les banques, les multinationales et les riches. Les gouvernements étranglent de plus en plus les droits humains et démocratiques par la répression brutale et le contrôle technologique.

Les mêmes causes sont à la base des inégalités sociales et de la dégradation de l'environnement. C'est peu dire que les limites de la soutenabilité sont franchies également au niveau social.

Le capitalisme implique la pénurie pour des milliards de personnes et l'enrichissement sans limite pour une infime minorité. D'un côté, le manque d'emplois, de salaires, de logements et de services publics alimente l'idée réactionnaire qu'il n'y a pas assez de ressources pour satisfaire les besoins de toutes et tous. De l'autre côté, avec leurs yachts, leurs jets, leurs piscines, leurs immenses terrains de golf particuliers, leurs nombreux SUV, leur tourisme spatial, leurs bijoux, leur haute couture et leurs résidences luxueuses aux quatre coins du monde, les 1 % les plus riches possèdent autant que 50 % de la population mondiale. La “théorie du ruissellement” est un mythe. C'est vers les riches que la richesse “ruisselle”, pas l'inverse. La pauvreté augmente, même dans les pays dits “développés”. Les revenus du travail sont comprimés sans pitié, les protections sociales – quand elles existent – sont démantelées. L'économie capitaliste mondiale flotte sur un océan de dettes, d'exploitation et d'inégalités.

Au sein des classes populaires, les populations les plus vulnérables et les groupes racisés sont frappés plus durement. Des communautés ethniques et raciales sont placées délibérément dans des zones contaminées par des déchets souvent toxiques et dangereux, plus polluées, ainsi que dans des zones à haut risque, dépourvues de planification urbaine (pentes des collines, par exemple). Victimes de racisme environnemental, ces populations sont de plus exclues systématiquement de la conception et de la mise en œuvre des politiques environnementales.

Assigner aux femmes le devoir de s'occuper des autres permet au capital de bénéficier d'une reproduction sociale à moindre coût et favorise la mise en œuvre de politiques d'austérité brutales dans les services publics. D'une manière générale, les inégalités et les discriminations touchent particulièrement les femmes. Elles ne perçoivent que 35 % des revenus du travail. Dans certaines régions du monde (Chine, Russie, Asie centrale), leur part diminue, parfois de manière significative. Les femmes rurales assurent 55 à 77 % du travail, mais ne possèdent que 9 % des terres, et ont peu accès aux ressources, aux crédits et aux politiques publiques. Au-delà du travail, les femmes sont attaquées sur tous les fronts en tant que femmes, par la violence sexiste et sexuelle – féminicides, viols, harcèlement sexuel, traite à des fins sexuelles et de travail – et dans leurs droits à l'alimentation, à l'éducation, leur droit d'être respectées et de disposer de leur propre corps.

Les personnes LGBTI+, et particulièrement transgenres, sont la cible d'une offensive réactionnaire mondiale qui aggrave leur précarité et les discriminations, compromet leur accès à la santé, et par conséquent aussi la santé publique.

Les personnes handicapées sont mises au rebut par le capital parce qu'elles ne peuvent pas travailler pour le profit, ou parce que leur travail nécessite des aménagements réduisant les profits. Certaines sont victimes de stérilisation forcée. Le spectre de l'eugénisme refait surface.

Les personnes âgées des classes populaires sont mises au rebut aussi, et la vie des générations futures est mutilée à l'avance. La plupart des parents des classes populaires ne croient plus que leurs enfants vivront mieux qu'elles et eux. Un nombre croissant de jeunes observent avec effroi, rage et tristesse la destruction programmée de leur monde, violé, éventré, noyé dans le béton, englouti dans les eaux froides du calcul égoïste.

Les fléaux de la famine, de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition avaient reculé à la fin du 20e siècle ; la convergence catastrophique du néolibéralisme, du militarisme et du changement climatique les fait resurgir : près d'une personne sur dix a faim, près d'une sur trois souffre d'insécurité alimentaire, plus de trois milliards n'ont pas les moyens de se nourrir sainement. Cent cinquante millions d'enfants de moins de cinq ans souffrent d'un retard de croissance dû à la faim. La grande majorité d'entre eux ont pour seul tort d'être né·es à la périphérie du capitalisme.

L'espoir d'un monde pacifique s'évanouit. Plus de 30 pays du monde sont ou ont été récemment en proie à des guerres de grande ampleur, notamment le Soudan, l'Irak, le Yémen, la Palestine, la Syrie, l'Ukraine, la Libye, la République démocratique du Congo et le Myanmar. La crise climatique elle-même, la concurrence féroce pour les minerais (notamment les “terres rares”), les phénomènes météorologiques et les flux migratoires intenses qui en résultent alimentent de nombreux conflits. Les souffrances, les déplacements et la mort sont au rendez-vous.

Tandis que les impérialismes rivalisent, les mesures urgentes pour la transition climatique et un avenir soutenable sont remises en question. Outre le fait que les guerres éliminent des vies humaines, s'attaquent au corps des femmes, utilisent le viol comme instrument de terreur et déshumanisent la vie collective, elles aggravent aussi la destruction des écosystèmes, provoquent la déforestation, empoisonnent les sols, les eaux et l'air, et émettent de grandes quantités de carbone.

La guerre brutale de la Russie contre l'Ukraine et le nouveau degré de nettoyage ethnique perpétré à Gaza et contre le peuple palestinien en général sont des crimes majeurs contre l'humanité, qui confirment la nature de plus en plus barbare du capitalisme. L'agression impérialiste russe lancée en 2022 contre l'Ukraine a exacerbé les tensions géopolitiques à l'échelle mondiale. Elle confirme l'entrée dans une nouvelle ère de compétition inter-impérialiste pour l'hégémonie mondiale dans laquelle les ressources foncières, énergétiques et minérales constituent un enjeu important.

Tout le monde pourrait avoir une bonne vie sur la Terre, mais le capitalisme est un mode de prédation exploiteur, machiste, raciste, guerrier, autoritaire et mortifère. En deux siècles, il a conduit l'humanité dans une profonde impasse écosociale. Le productivisme est un destructivisme. La surexploitation des ressources naturelles, l'extractivisme forcené, la recherche des rendements maximums à court terme, la déforestation et le changement d'affectation des terres entraînent un effondrement de la biodiversité, c'est-à-dire de la vie elle-même.

Le changement climatique est l'aspect le plus dangereux de la destruction écologique, c'est une menace pour la vie humaine sans précédent dans l'histoire. La Terre risque de devenir un désert biologique inhabitable pour des milliards de pauvres qui ne sont pas responsables de ce désastre. Pour arrêter cette catastrophe, nous devons réduire de moitié les émissions mondiales de dioxyde de carbone et de méthane avant 2030, et atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre avant 2050. Cela signifie en priorité bannir les énergies fossiles, l'agro-industrie, l'industrie de la viande et l'hyper-mobilité… et par conséquent produire moins, globalement.

Est-il possible dans ce contexte de satisfaire les besoins légitimes de trois milliards de personnes qui vivent dans des conditions épouvantables, principalement dans les pays du Sud global (1) ? Oui. Le 1 % le plus riche émet près de deux fois plus de CO2 que les 50 % les plus pauvres. Les 10 % les plus riches sont responsables de plus de 50 % des émissions de CO2. Les pauvres émettent beaucoup moins que 2 à 2,3 tonnes de CO2 par personne et par an (le volume moyen à atteindre en 2030 pour parvenir à des émissions nettes nulles en 2050 avec une probabilité de 50 %). Un dollar dépensé pour répondre aux besoins des 1 % les plus riches émet trente fois plus de CO2 qu'un dollar investi pour répondre aux besoins sociaux des 50 % les plus pauvres de la population mondiale.

La satisfaction des besoins fondamentaux des classes populaires, tant dans les pays dominés que dans les pays dits “développés”, n'aurait qu'une empreinte carbone modeste – surtout si elle est planifiée démocratiquement et assumée par le secteur public. Elle serait compensée largement par la réduction radicale de l'empreinte carbone des 1 % les plus riches – ils doivent diviser leurs émissions par trente en quelques années au Nord comme au Sud ! – et la sobriété pour tou·tes. En fait, arrêter la catastrophe nécessite une société qui assure le bien-être et garantit l'égalité comme jamais auparavant. C'est une perspective désirable mais le 1 % le plus riche refuse le moindre effort et veut toujours plus de privilèges !

Les gouvernements se sont engagés à rester en dessous de +1,5°C, à préserver la biodiversité, à atteindre un soi-disant “développement durable” et à respecter le principe des “responsabilités et capacités communes mais différenciées” dans la crise écologique… tout en produisant toujours plus de marchandises et en utilisant toujours plus d'énergie. Il est exclu que ces promesses conjuguées soient tenues par le capital. Les faits le montrent :

– Trente-trois ans après le Sommet de la Terre de Rio (1992), le bouquet énergétique mondial est encore entièrement dominé par les combustibles fossiles (84 % en 2020). La production totale de combustibles fossiles a augmenté de 62 %, passant de 83 000 térawattheures (TWh (2) ) en 1992 à 136 000 TWh en 2021. Les énergies renouvelables viennent principalement s'ajouter au système énergétique fossile, offrant davantage de capacités et de nouveaux marchés aux capitalistes.

Avec la crise énergétique déclenchée par la pandémie et aggravée par la guerre impérialiste russe contre l'Ukraine, toutes les puissances capitalistes ont relancé le charbon, le pétrole, le gaz naturel (y compris le gaz de schiste) et l'énergie nucléaire.

– La promotion de l'intelligence artificielle (IA) par les compagnies de la Big Tech et les gouvernements capitalistes fait peser une nouvelle menace. Les data centers et le “crypto-mining” consomment déjà près de 2 % de l'électricité mondiale. Cette consommation augmentera de façon très importante avec l'expansion de l'IA, qui nécessite d'énormes quantités d'énergie et d‘eau. Les vies des peuples en seront affectées de nombreuses façons. L'utilisation capitaliste de l'IA menace des dizaines de millions d'emplois, dégrade et mine la création artistique et culturelle, renforce le racisme systémique et accélère la diffusion des mensonges de l'extrême droite. De plus, l'IA et les data centers accélèrent la frénésie d'un capitalisme sans repos, qui accapare l'attention des gens, corrompant ainsi leur temps libre et leurs liens sociaux.

– Principal responsable historique du dérèglement climatique, l'impérialisme américain dispose d'énormes moyens pour lutter contre la catastrophe, mais ses représentants politiques subordonnent criminellement cette lutte à la protection de leur hégémonie mondiale, quand ils ne la refusent pas tout simplement.

– Les mesures que les grands pollueurs mettent en œuvre sous le label “décarbonation” ne répondent pas à l'ampleur de la crise climatique. Elles sont déployées sans planification démocratique, en privilégiant le profit et en ignorant les impacts potentiels sur les écosystèmes. Elles accélèrent l'extractivisme, surtout dans les pays dominés, mais aussi au Nord et dans les océans, au détriment des populations et des écosystèmes.

– Cette soi-disant “décarbonation” exacerbe l'accaparement impérialiste des terres, le racisme environnemental et l'exploitation de la main-d'œuvre dans le Sud, avec la complicité des bourgeoisies locales (comme l'illustrent différents projets d'utilisation de l'énergie solaire et éolienne sur les territoires des communautés traditionnelles, des peuples indigènes, des agriculteurs et des petits pêcheurs dans les pays du Sud ainsi que dans des “zones franches”, afin de produire de “l'hydrogène vert” pour les industries des pays développés).

– Les “marchés du carbone”, les “compensations carbone”, les “compensations biodiversité” et les “mécanismes de marché”, fondés sur la compréhension de la nature comme un capital, pèsent sur les moins responsables, les pauvres, en particulier les populations autochtones, les populations racisées et les populations du Sud en général.

Valables en théorie, les concepts abstraits tels que “économie circulaire”, “résilience”, “transition énergétique”, “biomimétisme” deviennent des formules creuses dès lors qu'ils sont mis au service du productivisme capitaliste. Sans mise en œuvre d'un plan de reconversion de la production par l'ensemble de la société, les améliorations techniques ont un effet rebond (3) : ainsi, une réduction du prix de l'énergie entraîne généralement une augmentation de la consommation d'énergie et de matières.

La droite attribue le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité à la croissance démographique “galopante”. Elle cherche ainsi à rendre les opprimé·es responsables des crises et de leur propre misère, pour leur imposer des mesures de contrôle de la population. En réalité, les taux de croissance démographique élevés sont une conséquence plutôt qu'une cause de la pauvreté. La sécurité des revenus, l'accès à la nourriture, à l'éducation, aux soins de santé et au logement, l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, contribuent tous à la transition démographique, parce que les taux de mortalité, puis les taux de natalité, diminuent.

Le fétichisme capitaliste de l'accumulation empêche de reconnaître cette vérité. En fin de compte, face à la crise climatique, il ne laissera finalement que deux options : déployer des technologies d'apprentis sorciers (nucléaire, capture-séquestration du carbone, géo-ingénierie…) ou sacrifier quelques milliards de pauvres dans les pays pauvres, en disant que “la nature” en a décidé ainsi.

Politiquement, l'impuissance et l'injustice du capitalisme vert font le jeu d'un néofascisme fossile, complotiste, impérialiste, raciste, violemment machiste et LGBTI+phobe, que cette seconde possibilité ne rebute pas. Une fraction des riches marche vers un immense crime contre l'humanité, en pariant cyniquement que sa richesse la protégera.

Le capitalisme mondial ne progresse pas graduellement vers la paix et le développement durable, il régresse à grands pas vers la guerre, le désastre écologique, le génocide et la barbarie néofasciste.

Face à ce défi, il ne suffit pas de remettre en cause le régime néolibéral et de revaloriser le rôle de l'État. Il ne suffirait même pas d'arrêter la dynamique d'accumulation (un objectif impossible sous le capitalisme !). La consommation finale mondiale d'énergie doit diminuer radicalement – ce qui implique produire moins et transporter moins à l'échelle mondiale – tout en augmentant la consommation d'énergie dans les pays les plus pauvres, pour satisfaire les besoins sociaux.

C'est la seule solution qui permette de concilier le besoin légitime de bien-être pour tou·tes et la régénération de l'écosystème mondial. La juste suffisance et la juste décroissance – la décroissance écosocialiste – est une condition sine qua non du sauvetage.

Sortir de l'impasse productiviste n'est possible qu'aux conditions suivantes :

– abandonner le “technosolutionnisme”, c'est-à-dire l'idée que la solution viendra des nouvelles technologies dont on présente la face écologique sans mesurer la consommation préjudiciable des énergies et ressources que leur production et usage induisent. Dans un souci de sagesse écologique, décider d'utiliser les moyens dont nous disposons, ils suffisent à répondre aux besoins de tou·tes ;

– réduire radicalement l'empreinte écologique des riches pour permettre une bonne vie pour tou·tes ;

– mettre fin au libre marché du capital (bourses, banques privées, fonds de pension, marché des crédits carbone...) ;

– réguler les marchés de biens et de services ;

– maximiser à tous les échelons de la société les relations directes entre producteur·ices et consommateur·ices, et les processus d'évaluation des besoins et des ressources sous l'angle des valeurs d'usage et des priorités écologiques et sociales ;

– déterminer démocratiquement quels besoins ces valeurs d'usage doivent satisfaire et comment ;

– placer au centre de cette délibération démocratique la prise en charge des humains et des écosystèmes, le respect attentif du vivant et des limites écologiques ;

– supprimer en conséquence les productions et les transports inutiles, refonder toute l'activité productive, sa circulation et sa consommation.

Ces conditions sont nécessaires, mais pas suffisantes. La crise sociale et la crise écologique ne font qu'une. Il faut reconstruire un projet émancipateur pour les exploité·es et les opprimé·es. Un projet de classe qui, au-delà des besoins fondamentaux, privilégie l'être au lieu de l'avoir. Un projet qui modifie en profondeur les comportements, la consommation, le rapport au reste de la nature, la conception du bonheur et la vision que les humains ont du monde. Un projet anti-productiviste pour vivre mieux en prenant soin du vivant sur la seule planète habitable du système solaire.

Le capitalisme a déjà plongé l'humanité dans des situations très sombres. À la veille du premier conflit mondial, l'hystérie nationaliste s'est emparée des masses et la social-démocratie, trahissant sa promesse de répondre à la guerre par la révolution, a donné le feu vert à des tueries sans précédent. Néanmoins, Lénine définissait la situation comme « objectivement révolutionnaire », parce que seule la révolution pouvait arrêter le massacre. L'histoire lui a donné raison : la révolution en Russie et la crainte de son extension ont contraint les bourgeoisies à mettre fin au bain de sang. La comparaison a évidemment ses limites. Les médiations vers l'action révolutionnaire sont aujourd'hui infiniment plus complexes. Mais le même sursaut des consciences est nécessaire. Face à la crise écologique, une révolution anticapitaliste est encore plus nécessaire objectivement qu'il y a un siècle. C'est ce jugement fondamental qui doit servir de base à l'élaboration d'un programme, d'une stratégie et d'une tactique, parce qu'il n'y a pas d'autre moyen d'éviter la catastrophe.


LE MONDE POUR LEQUEL NOUS NOUS BATTONS

Notre projet de société future articule l'émancipation sociale et politique avec l'impératif d'arrêter la destruction de la vie et de réparer autant que possible les dégâts déjà causés.

Nous voulons (tenter d') imaginer ce que serait une vie bonne pour tou·tes et partout en réduisant la consommation de matière et d'énergie, et donc en réduisant la production matérielle, en tenant compte des responsabilités différentiées. Il ne s'agit pas de donner un modèle tout fait, mais d'oser penser un autre monde, un monde qui donne envie de se battre pour le construire en se débarrassant du capitalisme et du productivisme.

« Oui, c'est pour le pain que nous nous battons,

mais nous nous battons aussi pour les roses. »

Une vie bonne pour tou·tes exige que les besoins humains fondamentaux – alimentation saine, santé, logement, air pur et eau propre – soient satisfaits.

Une bonne vie est aussi une vie choisie, épanouissante et créative, engagée dans des relations humaines riches et égalitaires, entourée de la beauté du monde et des réalisations humaines.

Notre planète dispose (encore) de suffisamment de terres arables, d'eau potable, de soleil et de vent, de biodiversité et de ressources de toutes sortes pour répondre aux besoins humains légitimes en renonçant aux combustibles fossiles nuisibles au climat et à l'énergie nucléaire. Cependant, certaines de ces ressources sont limitées et donc épuisables, tandis que d'autres, bien qu'inépuisables, nécessitent pour leur consommation humaine des matières épuisables, voire rares et dont l'extraction est écologiquement dommageable. En tout état de cause, leur utilisation ne pouvant être illimitée, nous les utilisons avec prudence et parcimonie, dans le respect de l'environnement.

Indispensables à notre vie, elles sont exclues de l'appropriation privée, considérées comme des biens communs, car elles doivent bénéficier à l'ensemble de l'humanité aujourd'hui et à long terme. Afin de garantir ces biens communs dans le temps, des règles collectives définissant les usages, mais aussi les limites de ces usages, les obligations d'entretien ou de réparation, sont élaborées.

Parce qu'on ne soigne pas une mangrove comme une calotte glaciaire, une zone humide comme une plage de sable, une forêt tropicale comme une rivière, parce que l'énergie solaire n'obéit pas aux mêmes règles, n'impose pas les mêmes contraintes matérielles que l'éolien ou l'hydraulique, l'élaboration de règles ne peut être que le fruit d'un processus démocratique impliquant les premier·es concerné·es, travailleur·ses et habitant·es.

Notre commun, c'est aussi l'ensemble des services qui permettent de répondre de manière égalitaire, et donc gratuite, aux besoins d'éducation, de santé, de culture, d'accès à l'eau, à l'énergie, à la communication, aux transports, etc. Ils sont, eux aussi, gérés et organisés démocratiquement par l'ensemble de la société.

Les services consacrés aux personnes et aux soins dont elles ont besoin aux différentes étapes de leur vie, brisent la séparation entre le public et le privé, l'assignation des femmes à ces tâches en les socialisant, c'est-à-dire en faisant en sorte qu'elles soient l'affaire de l'ensemble de la société. Ces services de reproduction sociale sont des outils essentiels, parmi d'autres, pour lutter contre l'oppression patriarcale.

Tous ces “services publics” décentralisés, participatifs et communautaires constituent la base d'une organisation sociale non autoritaire.

À l'échelle de la société dans son ensemble, la planification écologique démocratique permet aux populations de se réapproprier les grands choix sociaux relatifs à la production, de décider, en tant que citoyen·nes et usager·es, ce qu'il faut produire et comment le produire, des services qui doivent être fournis, mais aussi des limites acceptables pour l'utilisation des ressources matérielles telles que l'eau, l'énergie, les transports, le foncier, etc. Ces choix sont préparés et éclairés par des processus de délibération collective qui s'appuient sur l'appropriation des connaissances, qu'elles soient scientifiques ou issues de l'expérience des populations, sur l'auto-organisation des opprimé·es (par exemple : mouvements de libération des femmes, peuples racisés, personnes handicapées).

Cette démocratie économique et politique globale s'articule avec de multiples collectifs/commissions décentralisés : ceux qui permettent de décider au niveau local, dans la commune ou le quartier, de l'organisation de la vie publique et ceux qui permettent aux travailleur·ses et aux producteur·ices de contrôler la gestion et l'organisation de leur unité de travail, de décider de la manière de produire et donc de travailler. C'est la combinaison de ces différents niveaux de démocratie qui permet la coopération et non la concurrence, une gestion juste d'un point de vue écologique et social, épanouissante d'un point de vue humain, au niveau de l'atelier, de l'entreprise, de la branche… mais aussi du quartier, de la commune, de la région, du pays et même de la planète !

Toutes les décisions relatives à la production et à la distribution, à la manière dont nous voulons vivre, sont guidées par le principe suivant : décentraliser autant que possible, coordonner autant que nécessaire.

Prendre sa vie en main et participer à des collectifs sociaux demande du temps, de l'énergie et de l'intelligence collective. Heureusement, le travail de production et de reproduction sociale n'occupe que quelques heures par jour.

La production est exclusivement consacrée à la satisfaction des besoins démocratiquement déterminés. La production et la distribution sont organisées de manière à minimiser la consommation de ressources et à éliminer les déchets, les pollutions et les émissions de gaz à effet de serre, elle vise en permanence la sobriété et la “durabilité programmée” (par opposition à l'obsolescence programmée du capitalisme, qu'elle soit planifiée ou simplement due à la logique de la course au profit). Produire au plus près des besoins à satisfaire permet de réduire les transports et de mieux appréhender le travail, les matériaux et l'énergie nécessaires.

Ainsi, l'agriculture est écologique, paysanne et locale afin d'assurer la souveraineté alimentaire et la protection de la biodiversité. Des ateliers de transformation et des circuits de distribution permettent de produire la plupart des aliments en circuit court.

Le secteur de l'énergie basé sur les sources renouvelables est aussi décentralisé que possible afin de réduire les pertes et d'optimiser les sources. Les activités liées à la reproduction sociale (entre autres : santé, éducation, soins aux personnes âgées ou dépendantes, garde d'enfants) sont développées et renforcées, en veillant à ne pas reproduire les stéréotypes de genre.

Bien que le travail occupe moins de temps, il occupe une place essentielle, car, avec la nature et en prenant soin d'elle, il produit ce qui est nécessaire à la vie.

L'autogestion des unités de production combinée à la planification démocratique permet aux travailleur·ses de contrôler leur activité, de décider de l'organisation du travail et de remettre en cause la division entre travail manuel et travail intellectuel. La délibération s'étend au choix des technologies selon qu'elles permettent ou non au collectif de travail de maîtriser le processus de production. En privilégiant la connaissance concrète, pratique et réelle du processus de travail, les savoir-faire collectifs et individuels, la créativité, elle permet de concevoir et de produire des objets robustes, démontables et réparables, réutilisables et, le cas échéant, recyclables, et de réduire les consommations de matières et d'énergie – de la fabrication à l'utilisation.

Dans tous les domaines, la conviction de faire quelque chose d'utile et la satisfaction de le faire bien se conjuguent. En ce qui concerne les tâches fastidieuses, chacun·e veille à en réduire la lourdeur et la pénibilité. Il reste cependant une part incontournable que chacun·e accomplit à tour de rôle.

Une grande partie de la production matérielle, parce que le volume en est fortement réduit, peut être désindustrialisée (tout ou partie de l'habillement ou de l'alimentation) et les savoir-faire artisanaux, auxquels tout le monde peut être formé, sont valorisés.

Libérer le travail de l'aliénation permet d'abolir la frontière entre l'art et la vie dans une sorte de “communisme du luxe”. Nous pouvons garder ou partager des outils, des meubles, un vélo, des vêtements… toute notre vie parce qu'ils sont ingénieusement conçus et beaux.

Être plutôt qu'avoir

« Seul ce qui est bon pour tous est digne de vous.

Seul mérite d'être produit ce qui ne privilégie ni n'abaisse personne. » (A. Gorz).

La liberté ne réside pas dans une consommation illimitée, mais dans une autolimitation choisie et comprise, conquise contre l'aliénation consumériste. La délibération collective permet de déconstruire les besoins artificiels, de définir des besoins “universalisables” – c'est-à-dire non réservés à certaines personnes ou à certaines parties du monde – qui doivent être satisfaits.

La véritable richesse ne réside pas dans l'augmentation infinie des biens – avoir – mais dans l'augmentation du temps libre – être. Le temps libre ouvre la possibilité de s'épanouir dans le jeu, l'étude, l'activité civique, la création artistique, les relations interpersonnelles et avec le reste de la nature.

Nous ouvrons donc la voie à de nombreux travaux parce que nous avons le temps d'y réfléchir et parce que nous pouvons le faire en mettant au centre l'attention portée aux personnes et au reste de la nature.

Les lieux où nous vivons, chaque espace dans lequel nous nous socialisons, nous appartiennent pour construire d'autres relations sociales interpersonnelles. Libérés de la spéculation foncière et de la voiture, nous pouvons repenser l'usage des espaces publics, combler la séparation entre le centre et la périphérie, multiplier les espaces récréatifs, de rencontre et de partage, désartificialiser les villes avec l'agriculture urbaine et le maraîchage de proximité, restaurer les biotopes insérés dans le tissu urbain… Et au-delà, mettre en œuvre une politique à long terme visant à rééquilibrer les populations urbaines et rurales et à dépasser l'opposition entre ville et campagne afin de reconstituer des communautés humaines vivables et durables à une échelle permettant une réelle démocratie.

Nos désirs et nos émotions ne sont plus des choses qui s'achètent et se vendent, l'éventail des choix est considérablement élargi pour chacun·e. Chacun·e peut développer de nouvelles façons d'avoir des relations sexuelles, de vivre, de travailler et d'élever des enfants ensemble, de construire des projets de vie de manière libre et diverse, dans le respect des décisions personnelles et de l'humanité de chacun·e, avec l'idée qu'il n'y a pas une seule option possible, ou une option meilleure que les autres. La famille peut cesser d'être l'espace de reproduction de la domination, et cesser d'être la seule forme possible de vie collective. Nous pouvons ainsi repenser la forme de la parentalité de manière plus collective, politiser nos décisions personnelles en matière de maternité et de parentalité, réfléchir à la manière dont nous considérons l'enfance et la place des personnes âgées ou handicapées, aux relations sociales que nous établissons avec elles, et à la manière dont nous sommes capables de briser les logiques de domination que nous avons intériorisées, héritées des sociétés antérieures.

Nous construisons une nouvelle culture, à l'opposé de la culture du viol, une culture qui reconnaît les corps de toutes les femmes cis et trans, ainsi que leurs désirs, qui reconnaît chacun·e comme un sujet capable de décider de son corps, de sa vie et de sa sexualité, qui rend visible le fait qu'il y a mille façons d'être une personne, de vivre et d'exprimer son genre et sa sexualité.

Une activité sexuelle librement consentie et agréable pour toutes celles et tous ceux qui y prennent part est en soi une justification suffisante.

Nous devons apprendre à penser l'interdépendance des êtres vivants et développer une conception des relations entre l'humanité et la nature qui ressemblera probablement à certains égards à celle des peuples indigènes, mais qui sera néanmoins différente. Une conception selon laquelle les notions éthiques de précaution, de respect et de responsabilité, ainsi que l'émerveillement devant la beauté du monde, interféreront constamment avec une compréhension scientifique à la fois de plus en plus fine et de plus en plus consciente de son incomplétude. Les cultures des peuples indigènes peuvent constituer de précieuses sources d'inspiration.


NOTRE MÉTHODE TRANSITOIRE

Notre analyse du capitalisme, et plus particulièrement des politiques de la classe dirigeante en relation avec les dangers écologiques et le changement climatique, nous conduit à affirmer ce qui suit :

Premièrement, la nécessité d'une alternative globale et d'un projet de société basé sur une production et une reproduction orientées vers la satisfaction des besoins humains et non vers les profits (produire des valeurs d'usage plutôt que des valeurs d'échange). Tourner telle ou telle vis à l'intérieur du système, sans changer le mode de production, ne permettra ni d'éviter ni même d'atténuer de manière significative les crises et les catastrophes auxquelles nous sommes confrontés et qui s'aggraveront avec la persistance du système capitaliste. Transmettre cette idée est au cœur de la politique révolutionnaire.

La compréhension de la nécessité d'un changement révolutionnaire global est une tâche qui ne peut être résolue directement et sans difficulté dans la pratique. C'est pourquoi, deuxièmement, il est important de combiner la présentation de la perspective globale avec la diffusion de revendications immédiates pour lesquelles des mobilisations peuvent effectivement être développées ou promues.

Troisièmement, il faut le souligner : convaincre ne peut se faire uniquement par l'argumentation. Pour convaincre de se détourner du système capitaliste et encourager à résister, il faut des luttes réussies qui donnent du courage et démontrent que des victoires partielles sont possibles.

Quatrièmement, pour que les luttes soient couronnées de succès, une meilleure organisation est nécessaire. C'est toujours vrai en principe, mais aujourd'hui – parce que les syndicats ont largement disparu politiquement (dans de nombreuses parties du monde) et que la gauche est fragmentée – il est important de promouvoir la coopération pratique de manière non sectaire, en particulier au sein de la gauche anticapitaliste, et en même temps de soutenir les travailleur·ses dans leur auto-organisation.

D'une part, le temps presse si nous ne voulons pas voir le réchauffement climatique s'accélérer de manière incontrôlable parce que des points de basculement cruciaux sont franchis. D'autre part, la grande majorité n'est pas prête à se battre pour un autre système, c'est-à-dire pour renverser le capitalisme. Cela est dû en partie à un manque de connaissance de la situation générale, mais plus encore à un manque de vision de ce à quoi l'alternative pourrait ou devrait ressembler. En outre, le rapport de forces social et politique entre les classes n'encourage pas vraiment la confrontation avec les dirigeants et les profiteurs de l'ordre social capitaliste.

Par ailleurs, un programme qui veut réformer le capitalisme ou le dépasser progressivement (de surcroît, par une politique venant d'en-haut) n'a pas non plus de chance de réussir. Les réformes qui respectent les règles du système capitaliste ne permettent pas de relever les défis de la crise écologique. Et les changements progressifs dans l'économie et l'État n'ont jamais conduit à un changement de système. Les propriétaires et les profiteurs du capitalisme n'assisteront pas tranquillement à la confiscation de leurs richesses et à la privation de leur mode d'enrichissement, morceau par morceau.

Le temps presse et des mesures urgentes s'imposent. Certains opposants à l'écosocialisme plaident pour des réformes légères “parce que nous ne pouvons pas attendre la révolution mondiale”. Les partisan·es de l'écosocialisme n'ont pas l'intention d'attendre ! Notre stratégie est de commencer MAINTENANT, avec des revendications transitoires concrètes. C'est le début d'un processus de changement global. Il ne s'agit pas d'étapes historiques distinctes, mais de moments dialectiques dans un même processus. Chaque victoire partielle ou locale est une étape dans ce mouvement, qui renforce l'auto-organisation et encourage la lutte pour de nouvelles victoires.

Dans les luttes de classes à venir – qui constituent la base de la bataille pour l'hégémonie impliquant des couches plus larges de la classe ouvrière, les jeunes, les femmes, les indigènes – il doit être clair qu'en fin de compte, il n'y a aucun moyen d'échapper à un véritable changement de système et à la question du pouvoir. La classe dirigeante doit être expropriée et son pouvoir politique renversé.

Pour un programme de transition anticapitaliste

La méthode transitoire était déjà suggérée par Marx et Engels dans la dernière section du Manifeste communiste (1848). Mais c'est la Quatrième Internationale qui lui a donné sa signification moderne, dans le Programme de transition de 1938. L'hypothèse de base est la nécessité pour les révolutionnaires d'aider les masses, dans le processus de la lutte quotidienne, à trouver le pont entre les revendications actuelles et le programme socialiste de la révolution. Ce pont devrait inclure un système de revendications transitoires, découlant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière. Son objectif est de conduire les luttes sociales vers la conquête du pouvoir par le prolétariat.

Bien entendu, les révolutionnaires n'écartent pas le programme des vieilles revendications “minimales” traditionnelles : ils défendent évidemment les droits démocratiques et les conquêtes sociales des travailleur·ses. Cependant, ils proposent un système de revendications transitoires, qui peut être compris de manière appropriée par les exploité·es et les opprimé·es, tout en étant dirigé contre les bases mêmes du régime bourgeois.

La plupart des revendications transitoires mentionnées dans le Programme de 1938 sont toujours d'actualité : échelle mobile des salaires et échelle mobile des heures de travail ; contrôle ouvrier dans les entreprises et ouverture des livres de comptes ; expropriation des banques privées ; expropriation de certains secteurs capitalistes… L'intérêt de telles propositions est d'unir dans la lutte les masses populaires les plus larges possible, autour de revendications concrètes qui sont en contradiction objective avec les règles du système capitaliste.

Mais nous devons mettre à jour ce programme de revendications transitoires, afin de prendre en compte les nouvelles conditions du 21e siècle, en particulier la nouvelle situation créée par la crise écologique et le danger imminent d'un basculement climatique catastrophique. Aujourd'hui, ces revendications doivent être de nature socio-écologique et, potentiellement, écosocialiste.

L'objectif des revendications écosocialistes transitoires est stratégique : pouvoir mobiliser de larges couches de travailleur·ses urbains et ruraux, de femmes, de jeunes, de victimes du racisme ou de l'oppression nationale, ainsi que les syndicats, les mouvements sociaux et les partis de gauche dans une lutte qui remette en cause le système capitaliste et la domination bourgeoise. Ces revendications, qui combinent des intérêts sociaux et écologiques, doivent être considérées comme nécessaires, légitimes et pertinentes par les exploité·es et les opprimé·es, en fonction de leur niveau de conscience sociale et politique. Dans la lutte, les gens prennent conscience de la nécessité de s'organiser, de s'unir et de se battre. Iels commencent également à comprendre qui est l'ennemi : non seulement les forces locales, mais le système lui-même. L'objectif des revendications écosociales transitoires est de renforcer, grâce à la lutte, la conscience sociale et politique des exploité·es et des opprimé·es, leur compréhension anticapitaliste et, espérons-le, une perspective révolutionnaire écosocialiste.

Certaines de ces demandes ont un caractère universel : par exemple, la gratuité et l'accessibilité des transports publics. Cette revendication à la fois écologique et sociale porte en elle les germes de l'avenir écosocialiste : services publics contre marché, gratuité contre profit capitaliste. Cependant, la signification stratégique des revendications écosocialistes transitoires n'est pas la même selon les sociétés et les économies. Il s'agit de prendre en compte les besoins et les aspirations des masses, en fonction de leur expression locale, dans les différentes parties du système capitaliste mondial.


LES GRANDES LIGNES D'UNE ALTERNATIVE ÉCOSOCIALISTE À LA CROISSANCE CAPITALISTE

Satisfaire les besoins sociaux réels tout en respectant les contraintes écologiques n'est possible qu'en rompant avec la logique productiviste et consumériste du capitalisme, qui creuse les inégalités, nuit au vivant et « ruine les deux seules sources de toute richesse : la Terre et les travailleurs » (Marx). Briser cette logique implique de lutter en priorité pour les lignes de force suivantes. Elles forment un ensemble cohérent, à compléter et à décliner selon les spécificités nationales et régionales. Bien sûr, dans chaque continent, dans chaque pays, il y a des mesures spécifiques à proposer dans une perspective de transition.


Contre les catastrophes, des plans publics de prévention adaptés aux besoins sociaux, sous contrôle populaire

Certains effets de la catastrophe climatique sont irréversibles (élévation du niveau de la mer) ou dureront longtemps (canicules, sécheresses, précipitations exceptionnelles, tornades plus violentes, etc.) Les compagnies d'assurance capitalistes ne protègent pas les classes populaires, ou (au mieux) les protègent mal. Face à ces fléaux, les riches n'ont que le mot “adaptation” à la bouche. “L'adaptation au réchauffement”, pour eux, sert 1) à détourner l'attention des causes structurelles, dont leur système est responsable ; 2) à poursuivre leurs pratiques néfastes axées sur le profit maximum, sans se soucier du long terme ; 3) à offrir de nouveaux marchés aux capitalistes (infrastructures, climatisation, transports, compensation carbone, etc.) Cette “adaptation” capitaliste technocratique et autoritaire est en fait ce que le GIEC appelle une “maladaptation”. Elle accroît les inégalités, les discriminations et les dépossessions. Elle accroît également la vulnérabilité au réchauffement, au risque de compromettre gravement la possibilité même de s'adapter à l'avenir, en particulier dans les pays pauvres. À la “maladaptation” capitaliste, nous opposons l'exigence immédiate de plans publics de prévention adaptés à la situation des classes populaires. Elles sont les principales victimes des phénomènes météorologiques extrêmes, surtout dans les pays dominés. Les plans publics de prévention doivent être conçus en fonction de leurs besoins et de leur situation, en dialogue avec les scientifiques. Ils doivent concerner tous les secteurs, notamment l'agriculture, la sylviculture, le logement, la gestion de l'eau, l'énergie, l'industrie, le droit du travail, la santé et l'éducation. Ils doivent faire l'objet d'une large consultation démocratique, avec un droit de veto des communautés locales et des collectifs de travail concernés.

Partager les richesses pour prendre soin des humains et de notre environnement de vie, gratuitement

Des soins de santé de qualité, une bonne éducation, une bonne prise en charge des jeunes enfants, une retraite digne et une prise en charge respectueuse de la dépendance, un logement accessible, permanent et confortable, des transports publics efficaces, des énergies renouvelables, une alimentation saine, une eau propre, un accès à internet et un environnement naturel en bon état : tels sont les besoins réels qu'une civilisation digne de ce nom devrait satisfaire pour tous les humains, indépendamment de leur couleur de peau, de leur genre, de leur appartenance ethnique, de leurs convictions. Ceci est possible tout en diminuant de manière significative la pression globale sur notre environnement. Pourquoi Pourquoi n'en est-il pas ainsi ? Parce que l'économie est réglée sur la consommation induite créée en tant que sous-produit industriel par les capitalistes. Ils consomment et investissent toujours plus pour le profit, s'approprient toutes les ressources et transforment tout en marchandises. Leur logique égoïste sème le malheur et la mort.

Un virage à 180° s'impose. Les ressources naturelles et les connaissances constituent un bien commun à gérer prudemment et collectivement. La satisfaction des besoins réels et la revitalisation des écosystèmes doivent être planifiées démocratiquement et soutenues par le secteur public, sous le contrôle actif des classes populaires, et en étendant le plus possible le libre accès. Ce projet collectif doit mettre l'expertise scientifique à son service. La première étape nécessaire est la lutte contre les inégalités et les oppressions. La justice sociale et le bien vivre pour tou·tes sont des exigences écologiques !

Développer les biens communs et les services publics contre la privatisation et la marchandisation

C'est l'un des aspects clés d'une transition sociale et écologique, dans de nombreux domaines de la vie. Par exemple :

– L'eau : La privatisation, le gaspillage et la pollution actuelles de l'eau – rivières, lacs et nappes phréatiques – constituent un désastre social et écologique. La pénurie d'eau et les inondations dues au changement climatique sont des menaces majeures pour des milliards de personnes. L'eau est un bien commun et devrait être gérée et distribuée par des services publics, sous le contrôle des consommateur·ices. Les paysages et les villes devraient être désimperméabilisées, capables de stocker l'eau afin d'éviter les inondations massives.

– Le logement : Le droit fondamental de chaque personne à un logement décent, permanent et écologiquement durable ne peut être garanti sous le capitalisme. La loi du profit implique des expulsions, des démolitions et la criminalisation de celleux qui résistent. Elle implique également des factures d'énergie élevées pour les pauvres et des énergies renouvelables subventionnées pour les riches. Les premières étapes d'une politique alternative sont : le contrôle public du marché immobilier, l'abaissement et le gel des intérêts et des profits des banques, l'augmentation radicale du nombre de logements sociaux et coopératifs, un processus public d'isolation climatique des habitations et un programme massif de construction de bâtiments énergétiquement autonomes.

– La santé : Les millions de morts évitables du Covid 19 résultent de l'absence de politiques préventives, d'injonctions autoritaires et répressives remplaçant l'action collective, des politiques d'austérité, de privatisation et de marchandisation de la santé. L'égalité de toutes et tous devant les soins doit être garantie par leur gratuité, grâce à une protection sociale et un service de santé intégralement public disposant des moyens nécessaires. Les systèmes de santé doivent être réorientés pour inclure la prévention, le soin et le suivi. L'industrie pharmaceutique doit être socialisée et placée sous le contrôle des salariés et des usagers, les brevets doivent être abolis.

– Les transports : Le transport individuel dans le capitalisme privilégie les voitures individuelles, ce qui a des conséquences désastreuses sur la santé et l'écologie. L'alternative est un système large et efficace de transports publics gratuits, accessibles, ainsi qu'une grande extension des zones piétonnes et cyclables. Les marchandises sont transportées sur de grandes distances par des camions ou des porte-conteneurs, avec d'énormes émissions de gaz à effet de serre ; la réduction du gaspillage, la relocalisation de la production et le transport des marchandises par le train sont des mesures immédiates et nécessaires. Le transport aérien devrait être réduit de manière significative. Pas de trafic aérien pour les distances inférieures à 1 000 km quand il existe des systèmes ferroviaires opérationnels.

Prendre l'argent là où il est : les capitalistes et les riches doivent payer

Une stratégie globale de transition digne de ce nom doit articuler le remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables, la protection contre les effets déjà perceptibles du changement climatique, la compensation des pertes et préjudices, l'aide à la reconversion (notamment la garantie de revenu des travailleur·ses concerné·es) et la réparation des écosystèmes. Les besoins financiers nécessaires d'ici 2050 s'élèvent à plusieurs milliers de milliards de dollars. Qui doit payer ? les responsables du désastre : les multinationales, les banques, les fonds de pension, les États impérialistes et les riches du Nord et du Sud. L'alternative écosocialiste passe par un vaste programme de réforme fiscale et de réduction radicale des inégalités pour aller chercher l'argent là où il se trouve : imposition progressive, levée du secret bancaire, cadastre des patrimoines, taxation du patrimoine, impôt unique exceptionnel à taux élevé sur le patrimoine foncier, élimination des paradis fiscaux, abolition des privilèges fiscaux des entreprises et des riches, ouverture des livres de comptes des entreprises, plafonnement des hauts revenus, abolition des dettes publiques reconnues comme illégitimes (sans compensation, sauf pour les petits investisseurs), compensation par les pays riches du coût de la renonciation à l'exploitation de leurs ressources fossiles par les pays dominés (projet de parc Yasuni). Surtout, une véritable planification démocratique écosocialiste n'est pas possible sans la socialisation publique des banques. Le “crédit pour le bien commun”signifie éliminer définitivement le profit dans la détermination du taux d'intérêt et de la marge d'intérêt, soutenir la fonction publique et populaire du crédit, garantir le rôle public et coopératif des banques.

Pas d'émancipation sans lutte antiraciste

L'oppression raciale est un élément structurel et structurant du mode de production capitaliste. Elle a accompagné l'accumulation primitive du capital à travers la colonisation, la traite des Noirs et l'esclavage. Le déplacement forcé de millions d'Africains, leur commercialisation dans les Amériques et l'exploitation de leur travail ont assuré l'enrichissement des Européens et garantissent encore aujourd'hui leurs privilèges.

Le racisme se manifeste de manière centrale comme un mécanisme d'oppression de secteurs de la classe ouvrière, configurant des positions spécifiques et des accès socialement déterminés pour les blancs (le sujet supposé universel) et pour les personnes perçues comme racisées. Il façonne les relations sociales, renforce et complexifie les mécanismes de l'exploitation bourgeoise et de l'accumulation des richesses. La diversité qui s'écarte des normes de la blanchéité est transmutée en oppression.

La construction d'un nouveau monde libéré de toute oppression et de toute exploitation exige une lutte frontale contre le racisme. C'est une tâche centrale de la stratégie écosocialiste. Il faut rompre avec la logique génocidaire contre les groupes non blancs et renforcer la lutte anti-prison contre l'incarcération de masse, imposée notamment à travers la tactique libérale de la prétendue guerre contre la drogue,

La lutte contre la militarisation de la police doit être au cœur de la lutte antiraciste, tout comme l'accès à des conditions de vie décentes en général. Il est nécessaire de combattre toutes les politiques d'austérité, qui touchent principalement et de plus en plus lourdement les personnes non blanches. Elles structurent le racisme environnemental qui répartit inégalement les conséquences mortelles de la production capitaliste.

Liberté de circulation et de séjour sur Terre ! Personne n'est illégal !

La catastrophe écologique est un facteur de déplacement de population et de migration de plus en plus important. Entre 2008 et 2016, une moyenne annuelle de 21,5 millions de personnes ont été déplacées de force en raison d'événements météorologiques. La plupart d'entre elles sont des personnes pauvres de pays pauvres déplacées dans leur pays ou dans des pays voisins pauvres. Les migrations climatiques devraient s'intensifier au cours des prochaines décennies : 1,2 milliard de personnes pourraient être déplacées dans le monde d'ici à 2050. Contrairement aux demandeur·ses d'asile, les réfugié·es climatiques n'ont même pas de statut. Ils ne portent aucune responsabilité dans la catastrophe écologique mais le vrai responsable, le système capitaliste, les condamne à venir grossir les rangs des 108,4 millions de personnes dans le monde qui ont été déplacées de force en 2020 en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits de l'homme. Les droits fondamentaux de ces personnes sont constamment attaqués : le droit d'être protégé contre la violence, d'avoir suffisamment d'eau et de nourriture, de vivre dans un logement sûr, de garder sa famille u

Le modèle Trump-Musk : Un coup d’Etat milliardaire contre la démocratie

29 avril, par Confédération Syndicale Internationale — , ,
Nous travaillons plus que jamais, sans pour autant obtenir davantage de résultats. Nos journées sont plus chargées et la technologie, au lieu de nous aider, ne fait qu'empirer (…)

Nous travaillons plus que jamais, sans pour autant obtenir davantage de résultats. Nos journées sont plus chargées et la technologie, au lieu de nous aider, ne fait qu'empirer la situation. Tout le monde se sent laissé pour compte, comme si la démocratie ne répondait pas aux besoins des travailleurs et des travailleuses. Mais pourquoi ?

Tiré du site de la Confédération syndicale internationale

Les responsables politiques d'extrême droite, tels que Donald Trump, Javier Milei, Narendra Modi, Giorgia Meloni, Jair Bolsonaro ou Recep Tayyip Erdogan, aggravent la situation, mais, en réalité, ils n'agissent pas seuls. Derrière eux, des milliardaires non élus – Elon Musk et Jeff Bezos aux États-Unis, Vincent Bolloré et Bernard Arnault en France, Mukesh Ambani et Gautam Adani en Inde, Eduardo Eurnekian en Argentine et bien d'autres encore – leur murmurent à l'oreille. Seulement 0,0001 % de la population mondiale contrôle une grande partie de nos économies. Ce sont eux qui prennent les décisions importantes, sans se soucier des répercussions qui nous toucheront directement.

Ils n'ont qu'un seul objectif : s'enrichir davantage, à nos dépens. Ils veulent :

1. ne pas payer d'impôt, mais nous prélever plus d'impôts ;

2. éliminer les réglementations de leurs entreprises, mais réglementer davantage notre vie ;

3. des écoles privées élitistes pour leurs enfants, mais des écoles sous-financées pour les nôtres ;

4. des services de luxe pour eux, mais des services publics affaiblis pour nous ;

5. des soins de santé de première qualité et des retraites confortables pour eux, mais aucun filet de sécurité pour nous ;

6. des primes de plusieurs millions de dollars pour eux, mais des salaires de misère pour les travailleurs et les travailleuses ;

7. des mensonges concernant le climat et des voyages spatiaux luxueux pour eux, mais un changement climatique mortel pour nous ;

8. une liberté individuelle totale pour eux, mais aucune égalité en faveur des femmes ni des travailleurs/euses les plus exploités ;

9. une sécurité privée et des refuges pour eux, mais une grande violence et des menaces de guerre pour nous ;

10. un monde sans frontières pour leurs entreprises, mais un monde de prisons et de murs pour les migrants.

La classe des milliardaires va tricher, mentir, voler, voire se déguiser pour obtenir le monde dans lequel elle veut vivre. Elle finance un coup d'État contre la démocratie en utilisant un manuel similaire dans le monde entier en vue de s'emparer de davantage de pouvoir. Elle veut nous faire croire que c'est la seule manière d'envisager le monde. Mais ce n'est pas le cas.

Une vision d'un monde meilleur : LES TRAVAILLEURS ET LEURS SYNDICATS DÉCLARENT : OUI, IL EXISTE UNE ALTERNATIVE ! UNE VÉRITABLE DÉMOCRATIE, OÙ LES TRAVAILLEURS ET LES TRAVAILLEUSES, ET NON LES MILLIARDAIRES, DÉCIDENT POUR EUX-MÊMES.

Une vision d'un monde meilleur

1. une fiscalité équitable, où les plus riches paient davantage et où les travailleurs/euses n'ont pas à supporter le fardeau ;

2. des réglementations visant à assurer notre sécurité au travail contre les produits chimiques toxiques présents dans l'air, les aliments et l'eau ; contre les faillites bancaires et les fraudes financières ; contre la discrimination exercée par des employeurs sans scrupules et des gouvernements corrompus ;

3. une éducation de qualité qui nous donne les moyens d'agir, et non un privilège réservé à une minorité ;

4. des services publics de qualité et abordables qui assurent l'éclairage, la propreté de l'eau, des transports abordables, le ramassage des ordures et la prospérité de nos communautés ;

5. une protection sociale universelle, comprenant des soins de santé de qualité abordables et une bonne retraite pour tous, afin que personne n'ait à choisir entre consulter un médecin ou payer son loyer ;

6. un salaire vital, afin qu'un emploi suffise à vivre dans la dignité et pas uniquement à survivre ;

7. des emplois de qualité et durables, afin que nous puissions construire et produire ce dont nos communautés ont besoin sans détruire la planète ;

8. les libertés individuelles et l'égalité pour tous, afin que nous puissions être ce que nous sommes dans toute notre diversité sans crainte d'être sanctionnés ;

9. une sécurité réelle garantie par la paix et la solidarité, et non par la haine, la division et les guerres incessantes alimentées par les milliardaires ;

10. la liberté de se déplacer, de travailler et de construire sa vie, sans être exploité par les employeurs ou criminalisé par les gouvernements.

L'histoire nous a appris une chose : lorsque les travailleurs s'unissent, nous sortons vainqueurs.

Nous commençons par savoir contre qui nous nous battons.

Qui est impliqué dans le coup d'État milliardaire dans votre pays ? Qui est votre Donald Trump ? Qui est l'Elon Musk dans votre pays ? Racontez-nous. Nommez-les. Dénoncez leur plan. Et organisez-vous pour les en empêcher.

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« Un médecin pour la paix » de Tal Barda : la réalité de Izzeldin Abuelaish, médecin à Gaza

Dans un documentaire autobiographique, le médecin palestinien Izzeldin Abuelaish livre le récit de son combat pour la paix. Enfant de la deuxième génération après la Nakba, il (…)

Dans un documentaire autobiographique, le médecin palestinien Izzeldin Abuelaish livre le récit de son combat pour la paix. Enfant de la deuxième génération après la Nakba, il n'a jamais cessé de porter l'espoir de la réconciliation malgré les crimes de guerre commis par Israël qui ont anéanti sa famille.

Tiré du Journal l'Humanité
https://www.humanite.fr/un-medecin-pour-la-paix-de-tal-barda-la-realite-de-izzeldin-abuelaish-medecin-a-gaza
Publié le 25 avril 2025

Scarlett Bain

Suivre le pèlerinage d'Izzeldin Abuelaish dans les rues de Gaza en 2021, c'est redécouvrir cette ville vivante, désormais en ruines.

La réalisatrice d'« Un médecin pour la paix », Tal Barda, filme Izzeldin Abuelaish lors de son retour à Gaza en 2021. Le gynécologue palestinien, comme chaque année, s'y rendait pour se recueillir sur la tombe de ses filles et de sa nièce exécutées par l'armée israélienne. Suivre son pèlerinage dans les rues de Gaza, c'est déjà redécouvrir cette ville vivante désormais en ruineset retracer toute l'histoire de cet homme depuis sa naissance dans lecamp de réfugiés de Jabaliyajusqu'à son exil au Canada. Complété par des images d'archives, le témoignage d'Izzeldin Abuelaish s'ancre dans l'histoire longue du conflit israélo-palestinien, quand les films et photos de familles servent son discours poignant pour la paix.

Ce documentaire est adapté de votre livre « Je ne haïrai point. Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix ». Pouvez-vous rappeler les conditions de son écriture ?

J'ai commencé l'écriture de mon livre en 2006. Mon entourage m'encourageait à raconter mon histoire. Celle d'un enfant né dans le camp de réfugiés de Jabaliya et devenu le premier gynécologue palestinien autorisé à exercer dans un hôpital israélien. Il s'agissait de transmettre un message de réussite au peuple palestinien. Mais, le 16 janvier 2009, l'armée israélienne a visé ma maison à Gaza. L'attaque a tué trois de mes filles et ma nièce.

Après leur assassinat, j'ai repris mon projet d'écriture avec la volonté desensibiliser le monde à l'histoire de mon peuple. Aujourd'hui, avec ce film, je souhaite porter un message rassembleur : les Palestiniens sont des gens comme les autres. Nous sommes pleins d'espoir, de projets et de rêves. Nous aimons la vie, nous nous soucions d'elle et nous voulons réussir. Nous vivons dans un monde où règnent la haine, la violence, le racisme, la discrimination, l'ignorance et la cupidité. Avec ce documentaire, j'invite les gens à se demander ensemble dans quel monde nous voulons vivre.

À travers votre histoire personnelle, c'est finalement l'histoire du peuple palestinien que vous souhaitez porter à la connaissance du monde ?

Oui, il ne s'agit pas de ma simple histoire personnelle. Lors des présentations du film, je demande toujours au public ce qu'il sait du peuple palestinien. Je leur dis que nous sommes comme eux : un peuple qui a su accomplir des choses et qui, malgré tout les défis quotidiens, construit son avenir. L'unique différence, c'est que nous sommes un peuple privé d'État et de la liberté d'exister en tant que nation. Or,à cause de la désinformation et des médias biaisés, les Palestiniens sont représentés comme les occupants de leur propre terre. Nous sommes devenus les étrangers alors que nous sommes les autochtones. Je souhaite avec mon travail envoyer un message au monde : nous, Palestiniens, nous voulons vivre en paix avec les autres.

Comment peut-on grandir sans haine quand on naît dans un territoire colonisé ?

Grâce à l'éducation. C'est aussi un des messages du film. J'ai grandi et je suis devenu médecin avant tout grâce au programme del'Unrwa (l'Agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine – NDLR) auquel Israël s'est immédiatement attaqué, en commettant en parallèle un génocide éducatif et humain. Ils tuent les enfants et s'attaquent à tous les lieux d'instruction, car ils savent que le savoir, c'est la lumière. Le gouvernement israélien ne veut pas que les Palestiniens soient éduqués, qu'ils connaissent leurs droits, mais nous ressusciterons, comme le Phénix. Personne ne peut nous empêcher d'atteindre nos rêves, et nous serons plus forts, plus déterminés. Mais nous avons besoin que le monde, par sa mobilisation pacifique, nous soutienne et parle d'humanité pour que les droits humains soient respectés et que l'occupation des territoires palestiniens se termine.

Après l'assassinat de vos filles, vous vous êtes immédiatement exprimé dans les médias pour réclamer la paix, puis vous vous êtes tourné vers la justice israélienne pour faire juger ce crime…

Le documentaire revient en effet sur ma longue bataille judiciaire. J'étais déterminé à adopter une approche humaine, légale, éthique et civilisée. Je demandais simplement des excuses, je n'ai rien obtenu. Je l'écrirai comme un testament pour mes enfants : ne renoncez pas à rendre justice à vos sœurs. Mais non pas avec des balles, ni avec des armes à feu, mais par des moyens légaux, éthiques et civilisés. C'est la voie que je m'engage à poursuivre.

Votre documentaire porte aussi l'idée forte que la cause palestinienne met le monde à l'épreuve…

Un génocide est en courset les Palestiniens sont réduits à des numéros. C'est un test pour l'humanité : la résolution du problème palestinien et la fin de l'occupation profiteront au monde entier. Notre liberté est la vôtre. Nous devons défendre la liberté et l'humanité de tous. C'est le défi pour notre monde. Si j'affirme défendre l'humanité, je dois le faire et sauver des vies. Lorsque j'exerçais la médecine en Israël, je ne demandais jamais à la femme si elle était musulmane, juive ou chrétienne avant de la soigner et de mettre son enfant au monde. Aujourd'hui, nous entendons dans les médias parler des Américains, d'Emmanuel Macron, des otages israéliens et de leurs familles, mais pas du peuple palestinien. Le monde est aveugle, sourd et complice. Pourtant, nous sommes tous des otages d'Israël, personne ne nous considère comme des êtres humains.

Le film était encore en cours de réalisation quand a eu lieu l'attaque terroriste du Hamas. Est-ce que cet événement a remis en cause sa production ?

Je ne résume pas ma vie à un jour, c'est là tout l'enjeu. Lorsque vous allez consulter un médecin, que fait-il ? Il vous demande vos antécédents. L'histoire permet de comprendre le problème et d'établir un diagnostic précis. Je voudrais quele 7 octobre et la réplique génocidaire d'Israël n'aient pas eu lieu. Je voudrais que mes filles n'aient pas été assassinées. Je n'ai pas souhaité la Nakba quand ma famille a été chassée de chez elle. Tous ces événements étaient évitables. Leur unique cause est l'occupation. Le 7 octobre a révélé l'hypocrisie de la communauté internationale et la vacuité de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Vous croyez encore au droit international pour rétablir la paix ?

Nous avons besoin du droit. La paix mondiale est en train de s'effondrer. Mais ce sont les dirigeants qui violent le droit international et veulent nous ramener à l'état de jungle. Les puissants mangent les faibles. Mais j'ai confiance dans l'opinion publique. L'avenir des Israéliens dépend de celui des Palestiniens. Ils ne seront pas en sécurité tant que nous ne serons pas libres et égaux. Je dis au monde que le seul moyen, c'est que le gouvernement israélien actuel, dirigé par un gouvernement fanatique d'extrême droite destructeur pour Israëlet pour les Palestiniens, soit arrêté. Israël n'écoute personne, à cause du soutien et de l'indifférence, voire de la complicité du monde occidental.

Emmanuel Macron a déclaré soutenir le plan de paix élaboré par les pays arabes. Qu'en pensez-vous ?

C'est une première étape. Mais pourquoi n'est-il pas allé visiter Gaza pour voir le génocide, pour agir et permettre à l'aide humanitaire d'entrer à Gaza ? Pourquoi n'a-t-il pas commencé par arrêter de fournir des armes à Israël ou à imposer des sanctions contre Israël ? La France a fait cela contre la Russie. Parler est une étape, agir en est une autre.

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La peine de mort est une question féministe en Iran

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique Tiré de Entre les lignes et les (…)

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/22/la-peine-de-mort-est-une-question-feministe-en-iran/?jetpack_skip_subscription_popup

Photo : Pakhshan Azizi, Sharifeh Mohammadi, Varisheh Moradi

À première vue, la peine de mort peut sembler être une question de droit ou de droits des êtres humains, plutôt qu'une préoccupation féministe. Mais en Iran, où le genre façonne profondément les résultats juridiques, la question devient urgente : pourquoi les féministes devraient-elles se préoccuper de la peine capitale ? La réponse réside dans la manière dont le système judiciaire iranien applique la peine de mort, souvent à travers un prisme qui efface les réalités vécues par les femmes, en particulier celles qui ont subi des abus, des traumatismes et une violence systémique.

Les femmes qui résistent au régime, qui défendent leurs droits ou qui remettent en cause les structures patriarcales sont confrontées à une forme unique et brutale de répression. Les féministes, dans toutes leurs perspectives, s'engagent en faveur d'une justice non violente, équitable et consciente de la manière dont le pouvoir opère en fonction du sexe. En s'attaquant à la peine de mort, elles en dénoncent non seulement la cruauté, mais aussi l'application sexuée, en la considérant comme un outil de contrôle de l'État qui recoupe des questions de genre, de classe, de race et de sexualité. Le féminisme s'oppose à la peine de mort parce qu'elle renforce la violence, prive de justice les plus vulnérables et exclut toute possibilité de guérison et de transformation.

Le bilan de l'Iran en matière de droits des êtres humains a fait l'objet d'un examen approfondi en raison de l'augmentation inquiétante du nombre de condamnations à mort. Dans un rapport publié le 8 avril sur les condamnations à mort et les exécutions dans le monde, Amnesty International indique de manière choquante que les exécutions enregistrées ont atteint leur chiffre le plus élevé depuis 2015. En 2024, l'Iran, l'Irak et l'Arabie saoudite représentaient 91% de l'ensemble des exécutions recensées et figuraient parmi les cinq pays ayant procédé au plus grand nombre d'exécutions. Le rapport indique également que « l'Iran a exécuté 119 personnes de plus que l'année dernière (d'au moins 853 à au moins 972), ce qui représente 64% de toutes les exécutions connues » dans le monde.

Au moins 54 personnes ont été condamnées à mort pour des motifs politiques ou liés à la sécurité, et de nombreuses affaires ont été entachées de violations des droits de la défense et de procès inéquitables. Cette tendance alarmante est particulièrement préoccupante pour les militantes des droits des femmes, qui sont de plus en plus visées par le régime. Parmi les cas les plus notables, citons ceux de
* Pakhshan Azizi, travailleuse humanitaire et militante de la société civile condamnée à mort pour sa participation à des manifestations et son activisme ;
* Sharifeh Mohammadi, défenseur des droits des êtres humains risquant la peine de mort pour son activisme ; et
* Varisheh Moradi, militante des droits des femmes condamnée à mort pour son appartenance à un groupe d'opposition à la République islamique d'Iran.

Ces affaires ne mettent pas seulement en lumière la répression brutale de la dissidence par le régime, mais soulignent également les risques croissants encourus par les femmes qui osent défier l'État.

Le soulèvement qui a suivi la campagne « Femme, vie, liberté » s'est traduit par une augmentation significative des peines sévères, de nombreuses prisonnières et de nombreux prisonniers risquant d'être exécutés. L'utilisation de la peine de mort par le gouvernement iranien comme outil de répression politique a suscité des inquiétudes quant à son bilan en matière de droits des êtres humains. L'Iran est depuis longtemps connu pour son nombre élevé d'exécutions, mais en 2024, le pays a connu une augmentation sans précédent de l'application de la peine de mort, avec 972 exécutions recensées, ce qui en fait le premier bourreau mondial par habitant·e. Si bon nombre de ces exécutions ont eu lieu pour des délits présumés liés à la drogue, qui n'atteignent pas les seuils légaux internationaux pour la peine capitale, un nombre croissant de prisonnier·es politiques ont également été condamnés·e à mort, ce qui reflète un changement dangereux dans l'approche du régime iranien à l'égard de la dissidence.

Le cas de ces trois femmes – Azizi, Mohammadi et Moradi – nous rappelle brutalement que la répression politique est de plus en plus liée au genre et que l'État iranien utilise la peine de mort non seulement comme un outil de contrôle de l'État, mais aussi comme un moyen de faire taire les voix des femmes qui osent défier le régime. Les exécutions politiques en Iran, en particulier celles des femmes, démontrent la convergence des tendances misogynes et autoritaires de l'État, où l'action politique et le militantisme des femmes sont punis par la violence.

La perspective féministe sur la peine de mort en Iran révèle une interaction complexe entre le genre, le pouvoir et le système juridique. Le féminisme a toujours été plus qu'une simple question d'équité entre les sexes. Au fond, il s'agit d'une lutte contre toutes les formes de domination. Il représente une quête permanente de justice, d'autonomie et de dignité pour tous, en particulier pour ceux qui ont été mis en marge de la société.

En Iran, la peine de mort est appliquée de manière disproportionnée aux femmes qui participent à l'activisme politique, en particulier à celles qui remettent en cause le statu quo de la gouvernance patriarcale. Les trois femmes actuellement condamnées à mort – Sharifeh Mohammadi, Pakhshan Azizi et Varisheh Moradi – sont emblématiques de cette tendance générale. Elles ont toutes été arrêtées en 2023 lors de la répression du soulèvement « Femme, vie, liberté » de 2022, qui a été une source importante de dissidence contre les politiques oppressives du régime iranien.

L'implication des femmes dans les mouvements politiques est considérée comme un défi direct à l'ordre patriarcal en Iran. Des femmes comme Mohammadi, Azizi et Moradi ne protestent pas seulement contre les politiques qui restreignent leurs libertés, mais affirment également leur droit d'exister en tant qu'individues égales et autonomes. Cet acte de défi contre le contrôle patriarcal de l'État sur le corps, la voix et la vie des femmes peut être interprété comme un acte féministe en soi.

Cependant, l'État iranien ne tolère pas ce genre de défi. Les femmes qui s'engagent dans des mouvements politiques sont souvent qualifiées de menaces pour la stabilité de la nation, d'ennemies de l'État et soumises à des châtiments extrêmes, y compris la peine de mort. Dans ce contexte, la peine de mort a un double objectif : elle punit la dissidence politique et renforce le contrôle de l'État sur les femmes en tentant de réduire au silence celles qui remettent en cause les structures de pouvoir fondées sur le sexe.

Dans de nombreux cas, la peine de mort en Iran est appliquée de manière disproportionnée à des femmes qui sont elles-mêmes victimes de violences sexistes. Les femmes condamnées à la peine de mort ne sont pas simplement des cas de crime, mais souvent des histoires de survie face à un préjudice profond et systémique. Le magazine juridique et judiciaire de la Fondation des avocats iraniens, dans un article intitulé « Les cas les plus célèbres de femmes iraniennes meurtrières », note que « l'histoire des femmes iraniennes meurtrières est étrange et compliquée, de nombreuses affaires mettant des années à aboutir ». Derrière ces retards se cachent des vies marquées par les mariages d'enfants, les abus domestiques et une longue histoire de violence. Plutôt que de reconnaître ces injustices structurelles, le système juridique punit souvent les femmes avec sévérité, sans tenir compte du contexte de leurs actes ou des traumatismes qu'elles ont subis.

Selon Iran Human Rights, environ 70% des femmes exécutées pour meurtre avaient tué leur partenaire masculin, souvent par désespoir après avoir subi des violences prolongées. En 2024, au moins 31 femmes ont été exécutées en Iran – le nombre le plus élevé depuis 17 ans – dont beaucoup ont fait l'objet d'accusations découlant de situations telles que la violence domestique ou le mariage forcé. Ces cas soulignent que le système judiciaire iranien ne tient souvent pas compte des réalités vécues par les femmes, les punissant sévèrement sans tenir compte du contexte de leurs actes ou des traumatismes qu'elles ont subis.

Les condamnations à mort de prisonnier·es politiques, y compris celles des trois femmes, s'inscrivent dans une stratégie plus large de la République islamique visant à étouffer la dissidence et à supprimer toute opposition au gouvernement. Le régime a de plus en plus recours à la peine de mort pour intimider les manifestant·es et les militant·es, en utilisant la menace d'une exécution pour créer un climat de peur et réduire au silence celles et ceux qui s'expriment contre lui. Les féministes affirment que la criminalisation de l'activisme politique et le recours à la peine de mort qui s'ensuit reflètent une tentative patriarcale de contrôler et d'effacer les voix des femmes qui osent s'opposer au régime.

L'un des aspects les plus inquiétants de l'application de la peine de mort par la République islamique est l'absence de procédure régulière et le recours fréquent à des aveux forcés obtenus sous la torture. Les prisonnier·es politiques se voient souvent refuser l'accès à un·e avocat·e et sont soumis·es à des simulacres de procès, qui violent les normes internationales en matière de justice. Dans de nombreux cas, les « aveux » utilisés pour condamner les individu·es sont obtenus sous la contrainte, ce qui souligne le mépris systématique du régime pour les droits des êtres humains.

La peine de mort en Iran est appliquée de manière disproportionnée aux membres des minorités ethniques et religieuses. Comme on l'a vu dans le cas des trois femmes, les personnes qui risquent d'être exécutées appartiennent souvent à des communautés marginalisées, qui ont toujours fait l'objet d'une discrimination systémique dans la société iranienne. Ces minorités, notamment les Kurdes, les Baloutches, les Turcs, les Arabes et d'autres nationalités et communautés ethniques, sont souvent prises pour cible par le régime en raison de leur engagement dans l'activisme politique, et la peine de mort est utilisée comme un moyen d'étouffer encore davantage leur voix.

L'intersection du genre et du statut de minorité rend l'expérience de la peine de mort encore plus complexe pour des personnes comme Mohammadi, Azizi et Moradi. Ces femmes, en tant que membres de communautés minoritaires, sont victimes non seulement de violences fondées sur le genre, mais aussi de persécutions ethniques et politiques. Leur exécution servirait d'avertissement aux autres femmes et communautés minoritaires pour leur faire comprendre que la résistance au régime n'est pas tolérée.

Le recours à des aveux forcés obtenus sous la torture est une caractéristique du système judiciaire iranien, en particulier lorsqu'il s'agit de prisonnier·es politiques. Le régime utilise souvent ces aveux pour justifier la peine de mort, malgré leur manque de fiabilité inhérent. Par exemple, dans les cas de Mohammadi, Azizi et Moradi, il est probable que les aveux aient été obtenus sous la contrainte, et les procès qui ont abouti à leur condamnation à mort ont été entachés de graves violations des droits de la défense. Les universitaires féministes affirment que ces aveux sont particulièrement problématiques lorsqu'ils sont appliqués à des femmes, car ils impliquent souvent la criminalisation de l'action politique des femmes. Dans le cas des trois femmes, leur participation aux manifestations « Femme, vie, liberté » n'était pas seulement un acte politique, mais un défi direct au contrôle patriarcal que le régime cherche à maintenir. Les aveux forcés qui leur ont été arrachés servent à criminaliser leur résistance, les punissant effectivement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression et d'association.

L'exécution de prisonniers politiques en Iran, en particulier de femmes, constitue une violation flagrante du droit international en matière de droits des êtres humains. Le fait que l'Iran continue d'appliquer la peine de mort pour des crimes politiques est condamné par des organisations internationales, notamment Amnesty International et Human Rights Watch, ainsi que par le Conseil des droits des êtres humains des Nations unies, qui ont appelé à plusieurs reprises à l'abolition de la peine de mort et à la libération des prisonniers politiques.

Cependant, les gouvernements internationaux, en particulier ceux qui entretiennent des relations diplomatiques avec le régime iranien, sont restés largement silencieux face à ces exécutions. Le silence de la communauté internationale ne fait qu'enhardir le gouvernement iranien, lui permettant de poursuivre sa campagne brutale contre la dissidence.

Les militantes féministes et les organisations de défense des droits des êtres humains affirment qu'une pression mondiale doit être exercée sur l'Iran pour qu'il mette fin à l'application de la peine de mort à l'encontre des dissident·es politiques. Les gouvernements doivent s'élever contre ces exécutions et exiger la fin de la persécution systémique des femmes et des minorités en Iran. La communauté internationale doit tenir le régime iranien pour responsable de ses violations des droits des êtres humains, en particulier de son recours abusif à la peine de mort comme outil de répression politique.

Le recours croissant à la peine de mort en Iran comme moyen de faire taire les dissident·es politiques et de marginaliser les femmes est une pratique profondément troublante de la République islamique d'Iran. Les cas de Pakhshan Azizi, Sharifeh Mohammadi et Varisheh Moradi mettent en évidence l'intersection du genre, de la politique et de la violence d'État, la peine de mort étant utilisée comme un outil pour maintenir le contrôle patriarcal et supprimer les droits des femmes. Les militantes féministes et les organisations de défense des droits des êtres humains doivent continuer à faire pression pour l'abolition de la peine de mort en Iran et pour la libération des prisonnier·es politiques injustement condamné·es.

La lutte pour les droits des femmes en Iran est intrinsèquement liée à la lutte pour la justice et les droits des êtres humains pour tous et toutes. La condamnation à la peine de mort des prisonnier·es politiques, en particulier des femmes, n'est pas seulement une violation des droits individuels, mais une attaque directe contre les mouvements féministes qui remettent en cause les structures oppressives du pouvoir en Iran. Il est temps pour la communauté internationale d'agir, d'exiger l'abolition et la fin des exécutions, et de soutenir les femmes et les hommes qui continuent à lutter pour la liberté, la dignité et l'égalité en Iran.

En conclusion, la peine de mort en Iran, en particulier en ce qui concerne toutes et tous les prisonniers politiques et les femmes, n'est pas seulement une question de justice légale, mais aussi une question de lutte féministe. L'exécution d'Azizi, de Mohammadi et de Moradi met en évidence l'intersection de la violence d'État, de l'inégalité entre les sexes et de la répression politique, et la lutte pour mettre fin à ces condamnations à la peine de mort est une lutte pour la justice, l'égalité et les droits des êtres humains. Les féministes, tant en Iran que dans la diaspora iranienne et au niveau international, doivent continuer à exiger l'abolition de la peine de mort en Iran. L'abolition de la peine de mort n'est pas seulement une réforme juridique, c'est un engagement pour un avenir plus humain et plein d'espoir.

Cet article a été publié sur le site deLA Progressive. Les opinions exprimées ici sont uniquement celles de l'autrice et ne reflètent pas les opinions ou les convictions de LA Progressive.

Elahe Amani, 16 avril 2025
https://newpol.org/death-penalty-is-a-feminist-issue-in-iran/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Où est l’indignation face aux violences sexuelles « systématiques » contre les Palestinien·nes ?

Malgré les preuves de plus en plus nombreuses des crimes sexistes commis par l'armée, les associations de femmes israéliennes ont largement ignoré ou nié le nouveau rapport (…)

Malgré les preuves de plus en plus nombreuses des crimes sexistes commis par l'armée, les associations de femmes israéliennes ont largement ignoré ou nié le nouveau rapport accablant de l'ONU.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le mois dernier, un rapport destiné au Conseil des droits des êtres humains des Nations unies a affirmé – comme les Palestinien·nes l'affirment depuis longtemps – qu'Israël a systématiquement eu recours à la violence sexuelle et aux crimes fondés sur le genre contre les femmes, les hommes et les enfants palestiniens depuis le 7 octobre.

L'enquête, publiée parallèlement à des témoignages poignants de survivant·es et de témoins, de représentant·es de la société civile, d'universitaires, d'avocat·es et d'expert·es médicaux au cours d'une audience de deux jours à Genève, a abouti à plusieurs conclusions essentielles qui, à mon avis, exigent une attention et une action immédiates de la part de la communauté internationale.

Tout d'abord, l'utilisation par les forces israéliennes de la violence fondée sur le genre a connu une escalade spectaculaire en termes d'échelle et d'intensité depuis le 7 octobre, devenant « systématique ». Ces crimes sont devenus un outil d'oppression collective visant à démanteler les familles et les communautés palestiniennes de l'intérieur – une tactique empruntée à d'autres campagnes de violence ethnique et de génocide dans des endroits tels que la Bosnie, le Rwanda, le Nigeria et l'Irak, où le corps des femmes est devenu un champ de bataille.

Deuxièmement, les centres de détention militaire israéliens sont devenus les épicentres des formes les plus flagrantes de violence sexiste. Au-delà des images largement diffusées de prisonnier·es palestinien·nes dénudé·es à Gaza, le rapport fait état de témoignages provenant d'installations telles que Sde Teiman, où les prisonnier·es, privé·es de toute protection juridique et loin de la vue des médias, ont été victimes de viols, de dégradations sexuelles et de tortures. Dans certains cas, comme celui du médecin Adnan Al-Bursh, les prisonniers sont morts en conséquence directe des abus sexuels qu'ils ont subis pendant leur détention.

Troisièmement, le rapport fait état de la prolifération de la violence sexiste à l'encontre des Palestinien·nes dans le domaine numérique. Les groupes vulnérables, en particulier les femmes et les jeunes, ont été confrontés à la honte, au doxing et à l'exploitation de leur orientation sexuelle ou de leur comportement privé en tant qu'outils de coercition et d'intimidation.

Les colons israéliens, qui agissent souvent sous la protection de l'armée, harcèlent sexuellement les femmes palestiniennes en Cisjordanie, exploitant les rôles traditionnels des hommes et des femmes au sein de la société palestinienne comme méthode d'oppression.

Les conclusions du rapport, qui a été réalisé par la Commission d'enquête des Nations unies sur le territoire palestinien occupé, s'appuient non seulement sur les récits des survivant·es, mais aussi sur les messages publiés par les soldats israéliens sur les réseaux sociaux. Les auteurs de ces actes ont fièrement décrit leurs actes « héroïques » de vengeance masculine, fouillant dans les tiroirs des Palestiniennes, posant en sous-vêtements et gribouillant des graffitis misogynes à l'intérieur des maisons occupées de Gaza. Bien qu'une grande partie de ce contenu ait ensuite été supprimée des plateformes sociales, il reste archivé dans le rapport de l'ONU pour la postérité.

Mais si ces vidéos et ces images sont indéniablement répréhensibles et criminelles, elles pâlissent en comparaison des violences sexuelles plus extrêmes documentées dans le rapport. Le déshabillage public forcé et les fouilles invasives, le retrait forcé du hijab des femmes, le tournage d'actes de dégradation sexuelle sous la menace de nouvelles violences, les menaces et les actes de viol comme forme de torture – tout cela constitue non seulement des violations de la dignité, mais aussi de profondes agressions physiques et sexuelles.

Le rapport affirme que des femmes et des hommes ont été la cible de ces crimes et met en cause les médias israéliens qui les ont normalisés en accueillant des commentateurs et des présentateurs qui ont parlé de l'utilisation de la violence sexuelle comme d'un outil légitime dans la guerre. Elle met par exemple en évidence les commentaires d'Eliyahu Yosian, de l'institut Misgav, sur la chaîne d'extrême droite Channel 14 : « La femme est un ennemi, le bébé est un ennemi, et la femme enceinte est un ennemi » (après que Channel 14 a mis en ligne le clip, il a reçu plus de 1,6 million de vues).

D'après les témoignages présentés à la commission, les femmes victimes ont souvent beaucoup de mal à dénoncer les abus dont elles sont victimes. Un exemple notable est celui d'un poste de contrôle militaire israélien près d'Hébron, où un soldat s'exposait régulièrement aux femmes palestiniennes qui passaient. Une étudiante qui doit passer par ce poste de contrôle pour se rendre à l'école choisira probablement de garder le silence sur ces abus, car en parler signifierait presque certainement qu'elle devrait interrompre ses études.

Les attaques contre les installations de santé reproductive à Gaza constituent un autre aspect des crimes de guerre sexistes commis par Israël. Selon le rapport, les forces israéliennes ont systématiquement pris pour cible les infrastructures de santé maternelle de Gaza, les centres de traitement de la fertilité et, en fait, toute institution liée à la santé génésique. Le rapport fait également état de cas où des snipers ont tiré sur des femmes enceintes et âgées, et où des médecin·es ont dû pratiquer des césariennes sans désinfectant ni anesthésie.

Sur la base des conclusions du rapport, Navi Pillay, présidente de la commission d'enquête, a déclaré : « Il est impossible d'éviter la conclusion qu'Israël a utilisé la violence sexuelle et sexiste contre les Palestinienfnes pour instiller la peur et perpétuer un système d'oppression qui sape leur droit à l'autodétermination. »

Un réveil brutal
Contrairement au rapport parallèle de l'ONU publié en mars 2024, qui enquêtait sur les crimes sexistes commis par des militants du Hamas contre des femmes israéliennes le 7 octobre, le rapport actuel n'a pratiquement pas été couvert par les médias grand public, que ce soit en Israël ou dans le reste du monde.

Il s'avère que même une escalade spectaculaire des crimes sexistes contre les femmes et les filles pendant la guerre, et la détermination sans équivoque que l'utilisation de ces méthodes par Israël était systématique, plutôt que de simples actes isolés commis par des soldats individuels, n'ont pas suffi à pousser les organisations féminines israéliennes ou internationales à s'opposer, à condamner ou même à demander un examen urgent de la question. Le fait que le rapport ait été publié quelques jours avant la Journée internationale des droits des femmes n'a pas suffi à déclencher des webinaires, des symposiums ou des conférences dans les universités du monde entier, ni des discussions d'urgence au sein des commissions parlementaires pour la promotion des droits des femmes.

Ici, en Israël, les réactions vont du silence au déni pur et simple. « L'ONU soutient les terroristes de la Nukhba et le Hamas », a déclaré Hagit Pe'er, présidente de Na'amat, la plus grande organisation de femmes en Israël. « Ce rapport dégage une forte odeur d'antisémitisme. Il s'agit d'une tentative de créer une réalité alternative et inversée en réponse au massacre sexuel perpétré par le Hamas contre des femmes et des hommes israéliens – alors que les institutions internationales, y compris les organisations de femmes du monde entier, restent ostensiblement silencieuses. Ce sont ces mêmes organisations qui condamnent toute violence sexuelle, sauf si les victimes sont des femmes israéliennes et juives ».

J'ai également soumis les conclusions du rapport à la professeure Ruth Halperin-Kaddari et à l'ancienne procureure militaire en cheffe Sharon Zagagi-Pinhas du projet Dina, une initiative chargée de documenter les violences sexuelles commises par le Hamas. Elles ont elles aussi qualifié cette initiative de « nouvelle étape dans la campagne de délégitimation d'Israël ».

« Depuis sa création en 2020, la [Commission d'enquête des Nations unies sur le territoire palestinien occupé] a adopté un parti pris unilatéral et anti-israélien dans la grande majorité de ses actions, ce qui se reflète clairement dans le rapport actuel », ont déclaré Halperin-Kaddari et Zagagi-Pinhas en réponse à mon enquête.

« Comment les affirmations faites dans ce rapport peuvent-elles être comparées aux crimes brutaux de violence perpétrés systématiquement et délibérément par le Hamas le 7 octobre – des actes horribles de viol, de mutilation génitale et de violence sexuelle infligés même à des cadavres », ont-elles poursuivi. « Il est profondément regrettable qu'au lieu de prendre des mesures pour inscrire le Hamas sur la liste noire des organisations qui commettent des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre, la Commission ait choisi une autre voie ».

« Quant aux allégations elles-mêmes, ont-elles ajouté, contrairement au Hamas qui nie systématiquement ses crimes, si elles sont fondées, les autorités israéliennes sont tenues de mener une enquête en bonne et due forme ».

Comme beaucoup de femmes en Israël, j'ai également connu un réveil féministe brutal au cours de cette guerre. J'ai perdu des camarades palestinien·nes qui n'ont pas apprécié ma condamnation des violences commises par le Hamas contre les femmes israéliennes le 7 octobre, et j'ai perdu des amis juifs et des amies juives qui considéraient les femmes de Gaza comme des cibles légitimes.

Après une réflexion douloureuse, j'ai appris la force et le courage que nous, les femmes, devons cultiver pour dénoncer sans équivoque toute violence contre le corps d'une femme, qu'elle soit palestinienne ou israélienne. Il ne devrait pas être nécessaire d'expliquer qu'aucune mère – que son enfant ait les cheveux roux ou la peau foncée, les yeux verts ou bruns – ne devrait être tuée, et qu'aucun bébé ne devrait être donné en pâture à l'insatiable machine de guerre d'hommes assoiffés de pouvoir et de richesses.

Nous, les femmes – jeunes et âgées, mères et filles, féministes et même celles qui ne se définissent pas comme telles – devons élever la voix et dire : Assez de cette guerre. Cette patrie ne sera pas libérée sur nos corps, et aucun avenir ne vaut la peine d'être construit à partir de l'épave de nos utérus.

Une version de cet article a d'abord été publiée en hébreu sur Local Call. Lisez-le ici.

Samah Salaime
Samah Salaime est une militante et écrivaine féministe palestinienne.
https://www.972mag.com/systematic-sexual-violence-against-palestinians/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Pourquoi l’acheteur de sexe est-il invisible ?

Cet article est basé sur une intervention d'Esther lors d'un webinaire du Public Policy Exchange intitulé The Future of Sex Work in the UK (L'avenir du travail sexuel au (…)

Cet article est basé sur une intervention d'Esther lors d'un webinaire du Public Policy Exchange intitulé The Future of Sex Work in the UK (L'avenir du travail sexuel au Royaume-Uni), le 27 mars 2025.

Tiré de Entre les ligneset les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/18/pourquoi-lacheteur-de-sexe-est-il-invisible/

Les termes « travailleur du sexe » et « travail sexuel » sont des termes génériques qui englobent les personnes impliquées dans tous les aspects de l'industrie du sexe – du strip-tease à la webcam en passant par le porno et la prostitution. Ils aseptisent et occultent les préjudices spécifiques de la prostitution et cachent la dynamique du pouvoir entre les femmes qui vendent du sexe, les acheteurs de sexe et ceux qui profitent de la prostitution d'autrui. Les proxénètes et les propriétaires de maisons closes utilisent également l'expression « travailleuse du sexe » pour se décrire eux-mêmes.

La question de savoir si la légalisation, la décriminalisation complète ou le système de prostitution autorisé que nous avons en Angleterre et au Pays de Galles sont considérés comme des succès ou des échecs dépend du point de vue de l'acheteur de sexe (dont la grande majorité sont des hommes), de la personne qui profite de la prostitution d'autrui (dont la plupart sont, là encore, des hommes) ou de la personne impliquée dans la prostitution (dont la plupart sont des femmes).

Voici quelques citations tirées au hasard d'un des forums d'acheteurs de sexe du Royaume-Uni. Ils ne sont pas cachés sur le dark web. Ils sont accessibles à tous, ne nécessitent pas de créer un nom d'utilisateur et de se connecter, et aucune vérification d'âge n'empêche les garçons de 12 ans d'y accéder.

« C'est vraiment comme vivre dans un monde imaginaire. Franchir la porte d'un salon et choisir parmi un éventail de filles pour me sucer et être baisé par moi. Tous mes fantasmes d'adolescent sont là ».

« Le corps et les jambes sont plutôt plats, mais avec un cul parfait et rasé. Le seul problème est qu'elle utilise ses longues jambes pour empêcher une pénétration profonde, mais j'arrive à aller de l'avant (il semble qu'elle soit un peu sensible en bas) mais si vous allez lentement, elle s'y conforme. »

« Je ne vous presse pas, dit-elle, c'est juste que je n'aime pas qu'on me fasse certaines choses. Il ne fait aucun doute que je reviendrai au [bordel] car j'adore les femmes thaïlandaises. J'enverrai peut-être un message au [gérant du bordel] pour lui faire part de mon mécontentement. »

« XXXX m'a invité dans sa chambre et j'ai remarqué qu'elle semblait sous l'effet de produits chimiques. En interagissant avec elle, je ne pouvais pas dire si elle était juste défoncée ou simplement distante. C'est dérangeant. Elle aurait un grand potentiel ! »

Ces citations et d'autres similaires suggèrent que payer une femme pour des actes sexuels est un droit suprême de la « sphère masculiniste ». Quel prix attend un garçon de 12 ans lorsqu'il atteindra l'âge adulte ! Même les agents de l'État aideront les facilitateurs de ses demandes misogynes, dérivées du porno.

On parle souvent d'Andrew Tate comme s'il était l'« Ève mitochondriale » des proxénètes plutôt qu'un proxénète particulièrement indiscret. Ce qu'il promeut n'est pas nouveau. Il s'agit des valeurs et des pratiques ancestrales des proxénètes et des parieurs. C'est pourquoi il ne suffit pas que le gouvernement cible les « influenceurs » en ligne. Il n'a aucune chance de réduire de manière significative la misogynie et la violence à l'égard des femmes et des filles s'il ne s'attaque pas également à la demande des acheteurs de sexe et s'il ne réprime pas le proxénétisme.

Lois sur la protection des consommateurs et lois sur l'emploi

Les lois sur la protection des consommateurs vous permettent de choisir d'acheter ou de vendre des biens d'une certaine description ou d'un certain pays ou lieu d'origine, comme un single malt Islay de 15 ans d'âge ou du fromage Gorgonzola, et de convenir d'un prix sur la base de cette description.

Mais il n'en va pas de même pour les services, où les pratiques de recrutement, les conditions ou les taux de rémunération discriminatoires à l'égard d'une personne en raison de sa race, de son appartenance ethnique ou des autres caractéristiques protégées énoncées dans la loi de 2010 sur l'égalité sont généralement illégales et violent les principes de l'égalité et de la dignité humaine.

Ces pratiques sont courantes dans l'industrie du sexe. Parce que l'acheteur de sexe est roi. Si la prostitution était légalisée ou totalement décriminalisée au Royaume-Uni, ces pratiques s'étendraient probablement au-delà du commerce du sexe. Les syndicats tels que l'ASLEF, qui font campagne pour la dépénalisation totale, ne semblent jamais aborder ce simple fait. Comment un syndicat qui soutient ces pratiques dans l'industrie du sexe pourrait-il les refuser dans d'autres secteurs ? Qu'est-ce que cela signifierait pour les autres travailleurs et travailleuses ?

Santé et sécurité

Les lois, réglementations et pratiques britanniques en matière d'emploi obligent les employeurs à protéger la santé et la sécurité de leurs employé·es.

L'un des arguments couramment avancés pour réglementer la prostitution est de la soumettre à la législation sur la santé et la sécurité afin qu'elle soit plus sûre pour les femmes. Toutefois, cette approche ne tient pas compte des nombreux préjudices auxquels ces femmes sont confrontées et du fait que les clients eux-mêmes sont la principale source de préjudice.

Dans toute autre profession où il existe un risque d'exposition aux fluides corporels d'autres personnes, les travailleurs et les travailleuses sont tenues de porter des masques, des gants, des lunettes et des vêtements de protection. Les préservatifs sont loin de réduire les risques pour les personnes qui se prostituent à un niveau comparable à ceux auxquels sont confrontés les travailleurs,et les travailleuses, par exemple, de la dentisterie ou des soins infirmiers, parce que les préservatifs glissent et se cassent, et que les clients refusent souvent de les porter.

Les préservatifs ne protègent pas la personne prostituée de la salive, de la sueur et des autres fluides corporels du client, des lésions des orifices et des organes internes causées par la friction et les coups violents, prolongés et répétés de plusieurs acheteurs, jour après jour, ou de la violence délibérée de ces derniers.

Il n'est donc pas surprenant que les femmes qui se prostituent aient un taux de mortalité 12 fois supérieur à celui des femmes de la population générale.

Que se passe-t-il lorsque la demande augmente ?

Les budgets d'austérité imposés depuis 2010, l'impact des augmentations plus récentes du coût de la vie et les réductions continues des dépenses publiques ont contribué à une forte augmentation du nombre de femmes qui se prostituent par désespoir financier. Comme l'a montré leWomen's Budget Group, chaque budget depuis 2010 a bénéficié aux hommes au détriment des femmes.

Les proxénètes, les tenanciers de maisons closes et les autres personnes qui facilitent l'industrie du sexe en ont largement profité, en particulier ceux qui réalisent les plus gros bénéfices, notamment les grands sites web commerciaux sur le sexe. Leurs intérêts économiques ne sont pas les mêmes que ceux des femmes impliquées dans la prostitution.

Ces grands profiteurs tiers bénéficient d'une rotation élevée des femmes et d'une offre de femmes suffisamment importante pour maintenir des prix bas pour les acheteurs. Cela crée une concurrence et conduit les femmes à n'avoir d'autre choix que de dépasser les limites qu'elles s'étaient fixées lorsqu'elles sont entrées dans l'industrie du sexe et à se livrer à des actes plus dangereux et plus extrêmes pour conserver le même revenu.

Le trafic sexuel est la forme la plus rentable de la traite des êtres humains et les trafiquants sont incités à casser les prix en augmentant le nombre de femmes qu'ils contraignent ou forcent à se prostituer. Toute approche autorisée de la prostitution est plus attrayante pour les trafiquants qu'un système qui s'attaque à la demande des acheteurs de sexe.

L'entrée des femmes dans la prostitution

Statistiques issues d'études sur les femmes et les jeunes filles prostituées au Royaume-Uni.
Sources : Paying the Price et Breaking down the barriers
De nombreuses études montrent que beaucoup de femmes ont commencé à se prostituer lorsqu'elles étaient enfants – généralement à la suite d'une manipulation ou par désespoir financier. Mais quels que soient les abus et les catastrophes qui l'ont conduite là, à partir d'une minute après minuit le jour de son dix-huitième anniversaire, elle est considérée comme ayant fait le « choix » d'entrer dans la prostitution et est généralement orientée vers des services peu coûteux de « réduction des dommages » plutôt que vers des services qui offrent des voies de sortie et de véritables moyens alternatifs de gagner sa vie.

À partir de la même heure, le même jour de sa vie, le jeune homme préparé par la « sphère masculiniste » sera libre de payer des filles et des jeunes femmes pour qu'elles reproduisent des scènes de porno sans que le public ne s'en aperçoive, ne les critique ou ne les sanctionne.

Difficultés rencontrées par les femmes et les jeunes filles prostituées

De nombreuses études montrent que la majorité des femmes et des filles qui se prostituent sont confrontées à de multiples difficultés. Par exemple, deux études sur les femmes impliquées dans la prostitution (Breaking down the barriers et Prostitution & Trafficking in Nine Countries) ont révélé que :
50% étaient dépendantes de substances ou d'alcool.
50% étaient contraintes de continuer.
52% avaient des dettes qui rendaient leur départ difficile.
67% avaient un casier judiciaire.
58% répondaient aux critères du syndrome de stress post-traumatique.
89% voulaient partir mais ne savaient pas comment le faire.

Le manque d'autonomie dans leur implication dans la prostitution et le manque d'autodétermination sexuelle autonome et libre lors des interactions avec les acheteurs sont une réalité pour la plupart des femmes prostituées.

Ce que les acheteurs paient, c'est une sexualité aux conditions de l'acheteur. Il paie pour avoir le contrôle et ne pas avoir à penser aux besoins et au plaisir de la femme. Cela ne peut être concilié avec l'exigence selon laquelle l'activité sexuelle doit être basée sur le libre consentement. Cela sape le principe même du consentement. Comme le montrent ces études, près de 90% des femmes impliquées dans la prostitution veulent en sortir mais ne savent pas comment.

La stigmatisation

Faits marquants :

* Ce sont les acheteurs et ceux qui profitent de l'exploitation sexuelle d'autrui qui s'investissent le plus dans le maintien de la stigmatisation des femmes prostituées.

* Il est considéré comme « naturel » que les acheteurs de sexe masculin, dont la plupart sont mariés ou en couple, veuillent garder leur identité secrète.

* En revanche, il est considéré comme « positif » et « progressiste » pour les femmes prostituées de fournir une pièce d'identité ou de faire enregistrer leur participation à la prostitution par l'État.

Pourquoi serait-il moins « naturel » que les femmes qui se prostituent veuillent éviter que leur activité soit enregistrée par l'État ?

Les estimations du nombre de femmes impliquées dans la prostitution en Allemagne varient entre 90 000 et 400 000. Cependant, seules 28 000 d'entre elles sont enregistrées dans les maisons closes et leur nom est consigné par l'État. Une infime partie d'entre elles ont décroché un contrat de travail, bien que les femmes enregistrées puissent en bénéficier depuis de nombreuses années. La Belgiquen'a pas été le premier État à proposer des contrats de travail.

Le nombre de femmes non enregistrées impliquées dans d'autres systèmes légalisés ou décriminalisés est également important. Cela suggère que dans tout système légalisé « officiel », il existe toujours une importante « clandestinité » qui opère en dehors du système officiel.

La décriminalisation ou la légalisation complète entraînerait de la même manière une augmentation de la taille de la « clandestinité » au Royaume-Uni. L'augmentation massive de la demande qui s'ensuivrait entraînerait une augmentation considérable du nombre de femmes attirées par la prostitution au Royaume-Uni, beaucoup d'entre elles se trouvant dans des situations précaires qui les obligeraient à être « hors la loi » ou « clandestines » – par exemple, parce qu'elles bénéficient duUniversel Crédit et risquent d'être poursuivies pour fraude aux prestations sociales, ou parce qu'elles sont des migrantes sans droit au travail et risquent donc d'être expulsées. Ce n'est pas le modèle nordique qui crée ces risques et pousse les femmes à travailler « au noir ».

La police prétend que le manque de ressources l'empêche d'appliquer les infractions liées à la prostitution autres que celles qui visent les femmes impliquées dans la prostitution de rue – certaines des femmes les plus marginalisées et les plus défavorisées du Royaume-Uni. Mais il s'agit là d'une position politique et idéologique, tout comme la décision de poursuivre la fraude aux prestations sociales plus systématiquement que l'évasion fiscale.

Des études ont montré que ce qui dissuaderait le plus les acheteurs, et donc réduirait le plus la demande, c'est toute forme de publicité.

L'égalité croissante entre les hommes et les femmes, qui résulte de la lutte et de l'obtention par les femmes de droits de propriété, d'accès à la contraception, à l'avortement et au divorce, signifie que les acheteurs ont beaucoup plus à perdre en étant identifiés ou en rendant publique leur fréquentation des maisons closes que ce n'était le cas au cours des siècles précédents.

Très peu d'acheteurs de sexe actuels attirent l'attention sur leur statut d'acheteur de sexe. Les hommes ne le mentionnent pas sur leurs profils de rencontres en ligne. Ils savent que cela augmenterait la probabilité que la plupart des femmes choisissent quelqu'un d'autre.

Un sondage YouGov réalisé au Royaume-Uni en janvier 2024 a montré que l'opinion publique était largement favorable à la légalisation du paiement d'une autre personne pour des actes sexuels, même si les femmes étaient moins favorables à cette idée. Bien que l'étude ait également montré que le « travail du sexe » ne devrait pas être stigmatisé, la plupart des gens seraient contrariés si leur enfant était impliqué dans la prostitution. Peu de gens accepteraient de sortir ou d'entrer en relation avec une personne qui se prostitue ou s'est prostituée, et plus de gens refuseraient d'être ami·es avec une personne qui se prostitue ou s'est prostituée.

L'opinion du public britannique lorsque ces questions sont posées personnellement, plutôt que sous la forme d'une proposition abstraite, n'a pas changé de manière significative au fil du temps.

Toutefois, les instituts de sondage ne semblent jamais s'enquérir de l'attitude du public à l'égard des acheteurs de sexe, alors que c'est la demande de ces derniers qui alimente le commerce du sexe. Ils ne demandent pas si les membres du public s'opposeraient à fréquenter ou à être en relation avec un acheteur de sexe actuel ou passé, ou à être amis avec lui, ou s'ils seraient contrariés si l'un de leurs enfants ou des membres de leur famille était un acheteur de sexe.

Le biais dont témoigne le choix des questions de l'enquête est révélateur. Il permet aux acheteurs de sexe de s'en tirer à bon compte. Comme l'a dit Gisèle Pelicot, « la honte doit changer de camp ».

Légalisation ou décriminalisation totale

Dans le cadre de la légalisation, la prostitution n'est autorisée que dans des conditions spécifiques définies par l'État, tandis que dans le cadre de la décriminalisation totale, tous les aspects du commerce du sexe, y compris le proxénétisme et la tenue de maisons closes, sont décriminalisés.

En théorie, la légalisation est très différente de la décriminalisation totale, mais en pratique, il existe de nombreuses similitudes, notamment le fait que toutes deux entraînent une expansion massive de l'industrie du sexe et une prolifération conséquente de ses méfaits pour répondre à l'augmentation considérable de la demande de la part des acheteurs.

Lorsque la demande augmente, l'offre de femmes disponibles doit augmenter. Les proxénètes et les trafiquants interviennent alors pour faciliter cette augmentation de l'offre, car il n'y a pas assez de femmes qui se présentent volontairement. Les femmes qui ont de réelles options choisissent rarement une vie dans la prostitution, à moins qu'elles n'aient déjà été entraînées dans cette voie par la culture qui les entoure ou par des auteurs individuels.

La légalisation et la décriminalisation totale augmentent les profits des tiers qui peuvent faire baisser les prix et augmenter et maintenir leur part de marché en surapprovisionnant le marché. Ces tiers en viennent alors à dominer le secteur aux dépens des femmes qui se prostituent.

Rien de tout cela n'augmente ce que les femmes impliquées dans la prostitution peuvent gagner. Les acheteurs paient des prix beaucoup plus élevés en Suède, par exemple, le premier pays à avoir introduit le modèle nordique, que dans les pays européens où le commerce du sexe est toléré.

Lors de la libéralisation de la prostitution en 2002, de nombreuses Allemandes impliquées dans la prostitution n'étaient pas prêtes à accepter les tarifs plus bas que les propriétaires de maisons closes, qui cherchaient à dominer le nouveau marché, insistaient pour qu'elles fassent payer les acheteurs. En conséquence, la plupart des femmes qui se prostituent en Allemagne sont aujourd'hui des migrantes. En Allemagne, environ un million d'hommes achètent des services sexuels chaque jour et les prix beaucoup plus bas n'ont pas réduit le flux de touristes sexuels allemands vers des pays où ils sont encore plus bas.

Les lois contre la traite des êtres humains sont beaucoup plus difficiles à appliquer dans un système autorisé. Les ressources sont détournées. La plupart des trafics passent inaperçus. S'il n'y a pas d'aide pour sortir de la prostitution, les trafiquants de sexe risquent moins de perdre l'accès aux revenus des femmes qu'ils exploitent.

Le risque pour les femmes impliquées ne diminue pas, quel que soit le système autorisé. La prostitution illégale se poursuit. La coercition reste forte, souvent de la part des proxénètes et des tenanciers de maisons closes eux-mêmes.

En juillet 2024, la Cour européenne des droits de l'homme] a estimé à l'unanimité que l'introduction par la France de l'approche du modèle nordique en 2016 ne violait pas l'article 8 de la Convention européenne des droits des êtres humains – le droit à une vie privée et familiale. L'arrêt note que les effets négatifs de la loi décrits par les requérants concernant les dangers et les préjudices qu'ils ont subis dans le cadre du modèle nordique existaient déjà et avaient été observés avant la promulgation de la loi de 2016, probablement parce que la prostitution est intrinsèquement violente.

Qu'est-ce que l'approche du modèle nordique ?

Le modèle nordique, également connu sous le nom de modèle d'égalité, a été introduit pour la première fois en Suède en 1999 et a depuis été adopté par plusieurs autres pays. Il reconnaît que la prostitution fait partie de l'oppression structurelle des femmes et d'autres groupes marginalisés, et qu'elle est à la fois une cause et une conséquence de l'inégalité persistante entre les sexes.

L'approche du modèle nordique comporte cinq éléments, qui doivent tous être mis en œuvre :

* Il décriminalise la vente de services sexuels.
* Il fournit des services et de véritables voies de sortie de l'industrie.
* Il fait de l'achat de services sexuels un délit pénal.
* Il comprend des lois strictes contre la traite des êtres humains, le proxénétisme et la tenue de maisons closes.
*Il nécessite une série de mesures globales, notamment une campagne d'information du public, une éducation dans les écoles et une formation de la police.

Tous les pays qui ont introduit le modèle nordique ne l'ont pas entièrement mis en œuvre ou n'ont pas fourni suffisamment de fonds et d'autres ressources pour le faire.

Que s'est-il passé en Suède ?

Lesrésultats obtenus en Suède sont les suivants
* Diminution de la taille de l'industrie.
* Aucune indication que la prostitution soit devenue « clandestine ».
* Destination hostile pour les trafiquants internationaux.
* Changement dans la culture et le comportement des hommes.
* Soutien public généralisé.

Nombre de personnes impliquées dans la prostitution

Pourcentage de la population impliquée dans la prostitution par pays

Ce graphique utilise des données accessibles au public [*] pour montrer le pourcentage de la population impliquée dans la prostitution dans six pays : L'Allemagne et les Pays-Bas avec la légalisation, la Nouvelle-Zélande avec la décriminalisation totale, et la Suède, la Norvège et la France qui ont le modèle nordique. Il en ressort qu'une proportion beaucoup plus faible de la population est impliquée dans la prostitution dans le cadre du modèle nordique que dans le cadre de la légalisation ou de la décriminalisation totale. Cela suggère que le modèle nordique est efficace pour réduire la taille de l'industrie, ou au moins pour empêcher sa croissance.

Ce que montrent les données sur les homicides

Source des données : http://www.sexindustry-kills.de
Femmes Citoyennes
Taux annuel moyen d'homicides de femmes prostituées pour 100 000 femmes

Ce graphique montre le nombre de femmes impliquées dans la prostitution qui ont été assassinées par des proxénètes et des clients. Il est exprimé sous la forme d'un taux annuel moyen pour 100 000 femmes au cours des années pendant lesquelles le cadre législatif a été mis en place.

Il en ressort clairement que le nombre d'homicides de femmes impliquées dans la prostitution est nettement plus élevé en Nouvelle-Zélande, en Allemagne et aux Pays-Bas qu'en Suède, en Norvège ou en France.

Cela indique que l'affirmation selon laquelle le modèle nordique est plus dangereux pour les femmes impliquées dans la prostitution est fausse.

Toutefois, nous ne prétendons pas que le modèle nordique est « plus sûr » pour les femmes, car nous ne pensons pas que quoi que ce soit puisse rendre la prostitution sûre. Le modèle nordique vise plutôt à réduire le volume de la prostitution et le nombre de personnes impliquées.

Ces données suggèrent que, lorsqu'il est bien mis en œuvre, le modèle nordique y parvient.

Références

https://nordicmodelnow.org/2025/04/10/why-is-the-sex-buyer-invisible/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Entre intolérance et violence, Haïti célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne

Ce 26 avril 2025, alors que le monde célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne, Haïti, elle, célèbre dans l'ombre. Car ici, être lesbienne n'est pas (…)

Ce 26 avril 2025, alors que le monde célèbre la Journée internationale de la visibilité lesbienne, Haïti, elle, célèbre dans l'ombre. Car ici, être lesbienne n'est pas seulement une question d'amour ; c'est une question de survie.

Dans les rues de Port-au-Prince comme dans les villes de province, il n'y a ni parade, ni manifestation ouverte. La peur de la stigmatisation, de l'agression physique, du rejet familial ou professionnel réduit au silence celles qui devraient être à l'honneur aujourd'hui.

La société haïtienne, profondément enracinée dans des traditions conservatrices et des interprétations religieuses rigides, impose aux lesbiennes un exil intérieur. Elles vivent, mais invisibles. Elles aiment, mais cachées. Elles rêvent, mais en silence. L'intolérance n'est pas une menace abstraite : c'est une réalité quotidienne, brutale, parfois mortelle.

Pourtant, malgré ce climat d'hostilité, des voix courageuses émergent. Certaines militantes, journalistes et artistes défient les normes et osent affirmer que l'existence lesbienne est aussi haïtienne, aussi digne que toutes les autres. Leur combat, bien que minoritaire, est essentiel pour construire un futur où la diversité sera reconnue comme une richesse, et non comme une menace.
Célébrer la visibilité lesbienne en Haïti, c'est donc bien plus qu'un geste symbolique. C'est un acte politique. C'est revendiquer le droit fondamental d'exister pleinement, sans honte ni peur. C'est briser le mur du silence que l'intolérance et la violence cherchent à imposer.

Tant que les lesbiennes devront se cacher pour être en sécurité, Haïti ne pourra prétendre être une démocratie respectueuse des droits humains. Car la liberté d'un peuple se mesure aussi à sa capacité de protéger ses minorités.

Aujourd'hui, plus que jamais, le courage de vivre doit être salué. Et demain, il faudra que ce courage soit soutenu par des lois, des protections, et surtout par une transformation profonde du regard social.

Être lesbienne en Haïti ne doit plus être une condamnation à l'invisibilité. Cela doit devenir un droit inaliénable d'exister, d'aimer et de briller au grand jour.

Smith PRINVIL

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Une femme meurt toutes les deux minutes en donnant la vie

Les progrès réalisés depuis le début du siècle en matière de baisse de la mortalité maternelle sont en perte de vitesse, selon une nouvelle étude, qui estime à plus d'un quart (…)

Les progrès réalisés depuis le début du siècle en matière de baisse de la mortalité maternelle sont en perte de vitesse, selon une nouvelle étude, qui estime à plus d'un quart de million le nombre de décès annuels liés à des grossesses et accouchements – des morts pour l'essentiel évitables.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le nouveau millénaire avait pourtant bien commencé pour les femmes enceintes. Depuis 2000, le monde a en effet connu une forte réduction de 40% de la mortalité maternelle. Pour la première fois dans l'histoire récente, aucun pays ne présente des taux de mortalité maternelle extrêmement élevés, soit plus de 1 000 décès pour 100 000 naissances. À l'inverse, plus d'un tiers des pays dans le monde affichent un taux de mortalité maternelle très faible.

« De réels progrès ont été réalisés, y compris dans certains des pays les plus pauvres du monde », se félicite le Directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, dans l'avant-propos d'une étude de l'ONU, publiée lundi à l'occasion de la Journée mondiale de la santé.

Ce nouveau rapport, basé sur des données fournies par diverses agences onusiennes, dont l'OMS, ainsi que par le Groupe de laBanque mondiale, montre comment certains pays comme le Rwanda et le Sri Lanka ont considérablement réduit la mortalité maternelle, notamment en développant l'accès au sages-femmes et aux soins de santé en milieu rural. Des stratégies susceptibles, selon le Dr Tedros, d'être partagées et adaptées à bien d'autres contextes.

Progrès de la recherche et l'accès aux soins

Les progrès enregistrés sont également le fruit des avancées en matière de recherche et de prestation de services.

Le chef de l'OMS mentionne notamment l'utilisation d'un dispositif simple et peu coûteux, dit du « drap », qui permet de réduire de 60% les saignements graves dus aux hémorragies post-partum et de sauver ainsi de nombreuses vies humaines.

L'apport de soins maternels lors d'urgences humanitaires par le biais de cliniques mobiles et de postes de santé sauve également des millions de femmes et de bébés qui, autrement, ne bénéficieraient pas de dépistages médicaux, de vaccinations et de traitements vitaux.

Un ralentissement depuis 2016

Toutefois, le rapport indique que les progrès réalisés ont ralenti depuis 2016, au point que la baisse de la mortalité maternelle est désormais bien trop lente pour atteindre les cibles des Objectifs de développement durable.

« Aujourd'hui encore, quelque part dans le monde, une femme meurt toutes les deux minutes de complications liées à la grossesse et à l'accouchement », déplore le Dr Tedros, sur la base d'une estimation de 260 000 décès de femmes liées à de telles complications en 2023, l'année la plus récente pour laquelle le rapport de l'ONU fournit des donnés chiffrées.

Selon le chef de l'OMS, la quasi-totalité de ces femmes auraient pu survivre si elles avaient bénéficié d'un accès suffisant à des soins vitaux avant, pendant et après l'accouchement.

Des inégalités régionales

Une femme en Afrique subsaharienne a 400 fois plus de risques de mourir en couches qu'une femme en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Cette région représente en effet environ 70% de la mortalité maternelle dans le monde, notamment en raison de taux de pauvreté élevés et des multiples conflits dont elle est le cadre.

Par ailleurs, de nombreuses régions ont vu leurs progrès stagner après 2015, y compris l'Afrique du Nord, l'Asie occidentale, l'Asie de l'Est et du Sud-Est, l'Océanie (à l'exception de l'Australie et la Nouvelle-Zélande), l'Europe, l'Amérique du Nord, l'Amérique latine et les Caraïbes.

Des décès évitables

Malheureusement, de nombreuses femmes n'ont pas accès à des modes de contraception moderne, à un contrôle de leur grossesse ou à un suivi prénatal essentiel. D'autres ne peuvent se rendre que tardivement dans des établissements de santé souvent mal équipés et dépourvus des médicaments ou capacités nécessaires pour prévenir, détecter et traiter leurs complications, telles que les hémorragies et les infections.

« Les décès évitables dus à la mortalité maternelle sont profondément ancrés dans la pauvreté et les inégalités », affirme le Dr Tedros.

En effet, la quasi-totalité de ces décès ont lieu dans des pays et des communautés à revenu faible ou intermédiaire, ces mêmes pays et communautés qui seront les plus durement touchés par les coupes actuelles dans le financement de la santé mondiale.

Appels à élargir l'accès aux soins maternels

À l'occasion de la publication du rapport, le chef de l'OMS appelle ainsi à élargir l'accès aux services de soins maternels et à accorder une attention particulière à la qualité de ces services et aux compétences des professionnels de santé qui les dispensent.

Selon lui, lorsque les droits des filles et des femmes sont protégés et qu'elles ont accès aux services et informations dont elles ont besoin pour contrôler leur vie et leur corps, les grossesses non désirées, les avortements à risque et les décès maternels diminuent. Parallèlement, les possibilités de scolarisation et d'accès au marché du travail augmentent.

« La mortalité maternelle n'est pas un mystère », affirme le Dr Tedros. « Nous en connaissons les causes et nous disposons des outils pour la prévenir. La question n'est donc pas de savoir si nous pouvons mettre fin aux décès maternels évitables, mais si nous y parviendrons ».

https://news.un.org/fr/story/2025/04/1154561

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